21
ACTA MUSICOLOGICA VOL.lI, 1979, FASC. I TABULA JOHNHENRYVANOERMEER: Altere und neuere Liberatur zur Musik- instrumentenkunde ......... 1 JACQUESCiIAlLLEY:Tabulae Compositoriae. . . .. 51 MAIUE-ELISABETlI DUCIfEZ:La representation spatio-verticale du carac- terc musical grave-aigu et l'elaborauon de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale .......... 54 G RLTIIR. K, CURns: Brussels, Bibllothequa Royale MS. 5557, and the Tcxting of Dufay's "Ecce ancilla Domini" and "Ave regina celorurn" Ma s ..,.."...,.............. 73 MI I LLEF. STLWART:The Melodic Structure of 1'hirteenth Century "Jeu ·Partls". , ..................... 86 J HNWAir R HILL: Oratory Music in Florence, I: Redlar Canlando, 158~16SS .............. ,... 108 W. Til MASMAR : The Derivation of Another Bassadanza 137 DIU liEKLI:U: Equal Temperament ........ ,.. 140 DRAGOnN VE:n<Q: Ott gegenwutige Stand der jugoslawisdlen Musik- wissensdlaft ....................... 151 Jost MACEDA:A Search for an Old and a New Music in Southeast Asia 160 MJOIAtL KAssLEa: Recent Developments in the Musicological Society of Australia . , ........ , ............ 169 Communications ............. ........ 171 'Ai<JiaaL ... Pnx dot l'll!Ionnm.,lI poIU <owe qui ne IOnl IO~ pu an. - Jlhrlich ort<helnen lWei Hefte. 1000lA"lP ltir '~«kr SchwA r. 80.-.

La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

Embed Size (px)

DESCRIPTION

The spatio-vertical representation of musical character heavy-acute and the elaboration of the notion of sonic height in the Western musical conscience.by Marie-Elisabeth Duchez

Citation preview

Page 1: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

ACTA MUSICOLOGICA

VOL.lI, 1979, FASC. I

TABULA

JOHN HENRYVANOERMEER: Altere und neuere Liberatur zur Musik-instrumentenkunde . . . . . . . . . 1

JACQUESCiIAlLLEY:Tabulae Compositoriae. . . .. 51

MAIUE-ELISABETlIDUCIfEZ:La representation spatio-verticale du carac-terc musical grave-aigu et l'elaborauon de la notion de hauteur deson dans la conscience musicale occidentale . . . . . . . . . . 54

G RLTIIR. K, CURns: Brussels, Bibllothequa Royale MS. 5557, and theTcxting of Dufay's "Ecce ancilla Domini" and "Ave regina celorurn"Ma s ..,.."...,.............. 73

MI I LLEF. STLWART:The Melodic Structure of 1'hirteenth Century"Jeu ·Partls". , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

J HNWAir R HILL: Oratory Music in Florence, I: Redlar Can lando,158~16SS . . . . . . . . . . . . . . , . . . 108

W. Til MASMAR : The Derivation of Another Bassadanza 137

DIU liE KLI:U: Equal Temperament . . . . . . . . , . . 140

DRAGOnN VE:n<Q:Ott gegenwutige Stand der jugoslawisdlen Musik-wissensdlaft . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

Jost MACEDA:A Search for an Old and a New Music in Southeast Asia 160

MJOIAtL KAssLEa: Recent Developments in the Musicological Societyof Australia . , . . . . . . . . , . . . . . . . . . . . . 169

Communications . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . 171

'Ai<JiaaL ... Pnx dot l'll!Ionnm.,lI poIU <owe qui ne IOnlIO~ pu an. - Jlhrlich ort<helnen lWei Hefte.

1000lA"lP ltir '~«kr SchwA r. 80.-.

Page 2: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

54 l- ChailIey: Tabulae Compositoriae

celie citee plus haul. Les anciens maitres, nous dit en substance ce dernier. ne 50

satisfaisaient pas de cette maniere puerile de verifier la composition qu'etait lerecours aux tabulae compositoriae, ce qui implique qu'ils combinaient entierementleurs contrepoints de tete. Quant aux tabulae (et ici nous reprendrons Ie texte deLampadius en en modifiant la traduction) :

ils 5'en servaient plutot cornme moyen d' enseignement (Theoria) que pour leurpropre pratique (Practica); car ceux qui ignorent cet art (celui de composer sanstabulae) ne composeront rien d' acheve", et, (sil leur advient de composer), y perdrontsfirement leur peine (en necrivant rien qui vaille).Cette reflexion ne laisserait-elle pas songeur plus d'un eleve d'harmonie a l'heure

actuelle?

La representation spatio-verticaledu caractere musical grave-aigu et l'elaboration

de la notion de hauteur de sondans la conscience musicale occidentale*

MARIE-ELISABETH DUCHEZ (PARIS)

1. La hauteur de son, notion tardivement acquise

La representation mentale de la musique occidentale (du IXe au XIXe slecle) serefere a l'espace auguel elle emprunte ses concepts, ses coordonnecs de descriptionet ses graphismes: elle represente a la vue, et geometriguement, des relationsapprehendees par l'ouie, et non geometriquss Le principe epistemologigue de cettespatialisation, et du systeme de representation gui en etait Ie but, est la notion dehauteur de son, c'est-a-dire la projection de l'image spatiale bas-haut sur laperception de la relation grave-aigu.

Ce caractere differennel grave-aigu est phenomenalement gualitatif: il est saisicornme qualite, susceptible de variations comparatives. Cest en tant gue qualitep~re, que la perception immediate, deja abstrayante, portant sur lui l'attention auxdepens des. autres caracteres, elistingue Ie grave-aigu, dans Ie complexe perceptil.~om,,:,e_van~b~e donunante; que I'abstraction conceptuelle analyse et determine, paridentite et difference, dans les variations ernises et percues, Ie critere sonore qui leurdonne un sens; gue l'activite stru t t . ,. c uran e, reconnalssant ce eritere sonore comrnevaleur essentJelle, en fait urt classement ordinal, et Ie module en structures

7 Nihil c'rN, et non certe comme semble Ie supposer la traduction de 5 Cle.. Cet article est le texte d'une ". _ . rex.Psyc:hOolCoustique musicale r . c?mmu~cati~n falte a Paris, Ie 12 luillet 1977, au Symposium de(IRCAM). 0 garuse par IInstitut de Recherche et de Coordination Acoustic-Musique

II (aul, des Ie debut signaler au lecte I I I~uteur du son _, . ch . d ur. an~.0·5axoo que e terme spl:kifique pitsch, qui en anglais designe a

.~" mOInS arge e SJn-~;"caf ti· . I . I,allemands. les italiens et Ies fran~ais. 61"' ..<1 JOn spa o-vertica e que Ie terme hauteur; employe par e

Page 3: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M-E. Duchez: La representation spatio-oerticale . 55

differentielles. Premiere relation sonore, dans notre culture greco-judeo-occidentale,a etre reconnue et utilisee systematiquernent ', premier caractere musical pertinentdenotre musique traditionelle, valeur qui fut »ta plus robuste du musical,,', mais quia perdu de nos jours son privilege exclusif, la qualite grave-aigu a ete, en Occident,representee par I'image geornetrique orientee et quantifiable de la hauteur; et cetteimage, s'etant it son tour conceptualisee, a remplace psychologiquement etontologiquement le concept que, primitivement, elle ne faisait que representer,Un certain degre d'intellection des relations sonores a necessite l'intervention,

plus au moins consciernment volontaire, des relations d'espace et de temps. Si Ietemps est une categorie primordiale de la musique, la spatialite, directement liee,Bergsonl'a bien montre ', it nos schemas d'existence biologique, lui est heterogene".L'espacemusical d'intellection est un espace specifique, psychologique et symboli-que, bien different de l'espace empirique, de l'espace physique, de l'espacemathematique, etc. Cet espace conceptuel abstrait, OU peut fonctionner un systemede relations, est un espace imaginaire, ou l'esprit place artificiellement les sons, ouplut6t leur image, pour les separer tout en gardant leur coherence; il profite, parassociation, des possibilites geornetriques des autres espaces cognitifs: localisation,direction, grandeur, systerne de reference; il peut etre compris dans ce qu' Albers-heimappelle une sorte de meiageometrie", qui rationaliserait toutes les conditionsspatiales de la connaissance.Dans cet espace musical operationnel, "cadre pour les yeux de l'esprit ,,', unedImensionest priviJegiee: la hauteur qui, permettant la representation geometriquedessons et de leurs relations _ et "nous faisant entendre avec nos yeux ,,' - donne laPossibilited' agir mentalement sur eux plus facilement. Espace et hauteur musicauxnesont pas des donnees immediates, Si quelques-uris, niant tout caractere spatial ausonIUi-mem t did ,. bitrai( e, on vu ans a notion de hauteur u son une representation ar itraireH. Schole, J. Redfield)' ou une simple metaphore linguistique (G. Revesz)",

1 Ulb!neurement' , eel fau>;XVIIIe- S ~Jouterent. les relations de duree au XIIe Steele, d'intenslte aux XVle-XVlIIe Sle es, en tn,

2 P SCHAE~IXeslecles, Ie earactere du timbreJ H BERGSci~R, Tra.ite des objets muslcaux (Paris 19661), p 381I les di ' Essal sur les donnees Immediates de la consciencee (1927), BOeed (Paris 1958), p 69

scusslons sur I ti I'd I d It" d IItentese 1 a spa a lte u son remplissent des volumes et ne sont pas e propos e ce e e u e, ce e-oilJ.gu et ement une approche rustorique et epistemologlque de la representation spatiale de la qualite grave-

, ,sans traIler de ' d d' d I II seprOPOseI' son emergence et de sa perception _ ce qUI est du omame autres ISC1P mes -, e edebutd exame~ des expressIons Suceesslves donnees a eet aspect predommant de l'expenence musICale au!rtUslQUee~~~: m~siqu:.Pour I'etude physiologique, psychologique et philosophique de l'expenenee de ~aphdosoph f phenomene spatial. on lira avec profit E. A. LIPPMAN, MUSIC and Space, A study In

grave-algJ,~f~SIC (Columbia Uruverslty 1952) Sur une conception non spa~lale,mais dynamique de la qualite'fork1956), t I, ~UCKERKA~DL, Sound and Symbol, trad. anglaise de 1 allem~nd par W R Trask (New·computer)f p 9--25 et passim. De nos lours les muslciens (par exemple Varese ou les eompostteurs parl'E Ont de l'es d' 'd h d' ePresentati pace une imension musicale rt~elle malS J1 s'aglt e tout autre c ose que un'G On, un eIargl 'ld 's' ALBERSHEIM ssement ree u domaine sonore. ,lJ'IsPlIealo d ' Zur Psychologie der Ton- und Klangelgenschaften (Strasbourg 1939), P 60--68 (I auteur

• V M D rs e EISLER)cERMODA' . ()

P489-494( . ,conceptual musICal space dans' Journal of Aesthetics and Art Crltlclsm 30 1972,, P SeH 'E'C>' p 491). ' .'B ~FFER .SCHOLE ' op. CII., p.l72,;sYcholog1e131 (Experimentelle Untersuchungen an hochsten und kurzen Tonen, dans: Zeltschrift fUrMG REVESZ ~?t4),p.65; J REDFIELD, Music a Science and a Art (New-York 1928), P 42squSlkpsYchol' I t es emen Horraum, dans: Acta Psychologlca 4 (1937), p.167 et EmfUhrung m die

ogle (Bern 1942), chap. II.

Page 4: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spatio-verticale .

d'autres, com me C. Stumpf", ont, a la suite de Wundt, attribue aces metaphoresune realite phenomenale par association aux autres sens (A. Wellek) II; tandis qued'autres encore, sans aller jusqu'a affirmer avec Riemann «l'immanence desrelations spatiales dans 10 conscience de la hauteur de son" 12, reconnaissent quecette association sensorielle spatialisante correspond a un caractere spatial intrinss-que du son. (Ie pense aux experiences de C. C. Pratt.) 13

Ni arbitraire, ni naturellement percue, 10 hauteur de son est -I'histoire du conceptIe montre - Ie resultat d'une construction rationnelle, a partir d'une perceptionprimitive preferentielle sans spatialite, la qualite grave-aigu, sur laquelle elle estsuperposee, et que, grace a I'education, elle transforme en perception concepruelie.Cette construction rationelle, bien que tres repandue, n'est ni generale, ni, sansdoute, definitive. On peut penser que la plupart des civilisations musicales, dont lapertinence est Ie caracters qualitatif grave-aigu, ont eu recours, lorsque leurdeveloppement a necessite Ia representation et I'organisation de leur univers sonore,a la categorle d'intelligibilite de l'espace: ils ont souvent attribue a ce caracterepertinent la dimension verticals, mais (comme l'ont montre entre autres C. Stumpfet C. Sachs) ", I'orientation donnee est variable; elle varie selon les cultures et lesmusiques, suivant les conditions historiques. L'habitude occidentale de decrire lesperceptions des relations grave-aigu, heterogenes a l'espace, comme des sensationsde hauteur, s'est elaboree historiquement: cette elaboration sest developpee defa,on non lineairs, et a dependu de nombreux facteurs: nature des problemes qui seposaient a la mUSique (musique d'abord vocale, necessite pratique de la notation,ondition d'execution, etc.), attitude epistemique des musiciens (Facon dont ilsanalysaient et organisaient ce qu'ils entendaient), possibilites intellectuelles offertespar Ie savoir de I'epoque, etc. '" Finalement, on peut admettre, avec Frances que,«queUe au' en soit la genese, les experiences acoustiques montrent la realite sur Ieplan phenomenal, en raison d'associations acquises, d'une localisation spatiale dessons d'apres leur frequence, selonle haut etle bas" 15.

La liaison dans la conscience scientifique de la notion de hauteur de son,perception qualitative rationnellement spatialisee, et de la frequence, stimulus decette perception aa 'I" I', d I

. "epoque c asslque, conforte la notion de hauteur de son ans aConSCIence musicale, et ceci malgre Ie paradoxe de la proximite octavale etcOnSOnanbque de frequences eloignees. Cette liaison s'est affaiblie a l'epoquecontemporaine qui refusa t I' imil' . d ' . d' s

" n ass ahon es sons musicaux aux sons perlo lque I

chonteste la reduction, "dans une schematisation commode ,,16 de la sensation deauteur a la seule frequenc d f d '.. de

e u son on amental. La connaissance des vanations

~ ~ ~~:KF. DTonp,ychologie, l. II (leipzig 1890), p. 200-226.I ' tr Raum ztI drr Musik dan A h' (.,'; . '37.t H. RIEMANN D' £1 ,S: rc IV Jur die gesamte Psych%gie 91 (1937) p.399- .bnbtrtCPiti51906) 1e'6rmente de' MusikaIischen Aesthetik (1900), Elements d'esthetique m~sicale,trad. G.U C. ,p. .

PRAlT, Tht spatial character of hi h d I XIII(J9JO). p.282-235 g an CtW tones, dans: Journal of experimental Psychology.. C. STUMPF, o~. cit" l. I (1883) ,1943),p.69. ,p.192sq.; C. SACHS, The rise of Music in the ancient World (New-yor.. R. fRANcts r.. .u P. .5C.H.AEmR perc~PtJonde ~ musique (Paris 1958). P.310-311

' op. C1/., P.181, .

Page 5: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spatio-oerticale . 57

la qualite grave-aigu, appreciee comme sensation de hauteur, avec les autresqualites du son, intensite, duree, timbre, et avec sa situation dans I' aire aurale; lesetudes psycho-acoustiques modernes relatives it la cornplexite de la frequence dessons non "purs". les recentes possibilites de synthese des sons 17, et les nouvellestheories neuro-physiologiques de l' audition 18; les essais d'analyse psycho-musicalede la sensation complexe de hauteur en plusieurs composantes phenomenales 19;

toutes ces ouvertures cognitives, en merne temps que la cessation de l'absoluedomination du caractere grave-aigu dans la musique de notre temps, ont arnenel'eclatement du concept qui, pendant un millenaire, l'avait represente. Cettecomplexite de la notion de hauteur - complexite bien saisie actuellement, mais surlaquelle je ne peux m'etendre ici - explique les difficultes de son elaboration.Ou point de vue eplstemologique, la hauteur, expression du degre de gravite et

d'acuite du son, se presentait, pendant ces derniers siecles, epoque de sapreeminence structurelle, comme un concept it trois faces (correspondant d'ailleurs itdes faits de conscience de nature differente}: une face physico-mathematique (lafrequence des vibrations, propriete physique du son); une face psychologique (lasensation spatio-verticale acquise, reponse rationalisee it la propriete physique);une face logico-ontologique (la hauteur ayant ete longtemps consideree comme unerialite ontologique, I' etre merne du son). Le concept psychologique de hauteur deson comprend toujours la hauteur relative, par position dans un intervalle ou dansune echells, et par fonction dans un systeme (ton, mode, etc.), et c'est de cettehauteur relative seulement que je parle dans celte etude; mais il recoit, de sacorrespondance avec la frequence, sa valeur absolue, caractere objecti! du son dontIe role musical a ete developpe par trois siecles de musique instrumentale. Ceconcept me parait etre, en gros, Ie resultat de trois operations mentales ratio-

11 ~ recente synthese des sons a I'aide de l'ordinateur montre la variabilite du concept de hauteur en permettantdedis"lh •.« socier a auteur en deux composantes, que l'on peut faire varier separement et meme en sens m~er5e.:une hauteur tonale _ celle qui varie larsqu'on passe d'un do a un re _ et une hauteur spectrale - celie qUI vanelorsqu'on deplace une distribution de frequences fixes. CeUe distinction est particulierement claire dansle cas desalts ne COmprenant que des sons a intervalles d'octave». 0. JEAN CLAUDE RISSET, Hauteur et timbre des~:' dans: Revue d'Acoustique 42 (1977). p. 264. Voir aussi du meme auteur: Pitch control and pi~ch paradoxes880nstrated with computer synthetized sounds, dans: Journal of Acoustical Society of AmerICa 46 (1969),

~. ; P~radoxes de hauteur: le concept de hauteur sonore n'est par le meme pour tout Ie monde, SeventhinternatIonal C18 ongress on Acoustics (Budapest 1971), p. 613. ,. .Les sons «purs» etaient les seuls etudies de HELMHOLTZ a FLETCHER. Sur les theones an~ennes et

H~emes concernant les perceptions musicales et les sensations de hauteur, il est interessant de lire: H. P." J SE, Die Wahmehmung von Tonhohe und Klangfarben als Problem der Hortheorie (Colo~e 1972).

"ap~lle . " 1 .. d" aI se' Ia sensation complexe deh 1'"'" lei es travaux de la psychologle musIcale alleman e, qUl a an y ,La~~ur en deux variables distinctes: l'une, caracteristique qualitative spatialisee et mesurable, correspondant a~ '''quence . 1 h II· k' 'r' h 'ghl)' I'autre purement eth.- _ ,seralt a auteur proprement dite (Tonhiihe, He rg elt, lone I, "

~,enomenalement musicale (Tonqualitiit, Tonigkeit, Chroma), serait responsable de fa parente des. sons de/~~ence eIoi~n~.e (identite des octaves, consonances). 0. C. STUMPF, Die Spra~a;~e iBerij 1~r3),der sq. et Beftrage zur Akustik und Musikwissenschaft (Berlin 1915), p.23sq.; G. R~ . , ..ur run ai.,e134 "(onpsychologie (Leipzig 1913), et Tonsystem jenseits der Tonpsychologie, ~.ans: Zer~schflft fU(~s~hologf)e. 1938), p.38sq.; E. M. VON HORNBONSTEL, Psychologie der .Geh~.rserschell'lu~gen r 1926 :~ nNsq.,et Neu.e Beitriige zur physiologischen Hiirtheorie, dans: Jahresberrcht fUr Ps¥ch~!ogrd~ (19C28)'h

P:7h38'dq·,

. ADEL Ub . . .. I· h II r "·h I" hk ·1 dans' Archrv fUr fe esc fC te erPsy hi' er ernen ergentum IC en Fa von lana n fC el,' d H btl hGeh~ a ogie 64 (1928), p. 79; A. WELLEK, Die Aufspa/tung der "Tonh?he" .iT! .. e~ ~;:'i::e~::h:;;16 (1;~4s)ychologie und Konsonanztheorie von Hornbostel und KrUger, dans.: zef~schhnftJU~"hus, aUtal dans'Fe .; G. ALBERSHEIM, op. cit., p. 119-125; W. MEYER-EPPLER, Dre drerfac e Jon 0 enqu , .Rest.sdchnftJoseph Schmidt-Garg zum 60 Geburtstage (Bonn 1957), p. 202-218 (3 composantes: Lage, Chroma,

Sf uef To ). H p .""n, . . HESSE, op. CIt., 2e parhe.

Page 6: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

58 M.-E. Duchez: La representation spatio-oerticaie ,

imaginatives, qui progressent en precision: une spatialisation, une tierticalisation etune orientation, enfin une mesure; et je retrouve ces trois etapes logiques intriqueesde Facon complexe dans le processus historique de son elaboration, processus qui enmontre Ie caractere pleinement operatoire.

La notion traditionelle et Iamiliere de hauteur de son fut tardivement acquise etresulta d'une lente edification culturelle. II semble bien que, contrairement a cequ'on a long temps pense, la theorie musicale grecque, dont la theorie occidentaletient bon nombre de ses concepts, rr'ait pas possede celui-ci : seule l'ambiguite decertains textes impliquant 1a hauteur, par exemple ceux d' Heraclide du Pont, deNichomaque de Cerase et des theoriciens alexandrins 20, a pu faire croire a tort ill'existence d'une notion de hauteur, dont I'orientation aurait ete inverse de la notre ".Les Grecs avaient pourtant utilise un certain nombre de notions de caractere spatial:ainsi les concepts aristoxeniens de mouuement de la voix22, de lieu d'un son ", etsurtout celui d'intervalle concu cornme une distance entre deux sons 24: mais cesimages spatiales res tent vagues, elles ne precisent dans l'espace ni direction, ni sens,et n'influencerent pas1a notation.". Pour la localisation des sons dans I'ambitus total(les Grecs n'utilisaient theoriquement que la zone moyenne de 1a voix), Ie systemedes tropes, grace a ses nombreuses possibilites theoriques de cambinaisonsintervalliques, et grace a 1a facilite de son emploi 26, indiquait, sans image spatiale nirepresentation geometriqus, ce qui pour nous est la hauteur du son, mais qui pour1es Anciens etait simplement Ie degre de gravite et d' acuite.La simple notion de caractere grave-aigu (~aQu<;-6su<;, graois-acutus dans 1a

tradition latine "}, qui varie qualitativement et mathematiquement avec la tension etles dimensions instrumentales, et dont l'etude constituait Ie premier stade des etudesmusicales, l'Harmonique, cette notion a ete operatolrement suffisante, sans

" HERACLIDE DU PONT (IVe s. avant J. C), selon ATHENEE, Deipnosophisti.l. XIV, 19; NICOMAQUE~E CERASE (Ier s. apres.J-. C)'. Enchiridion, chap. III, ed. Jan (d. note ci-dessous), p. 241. ,,Ct C. VON JAN, MUSICI Scnptores Graeci, {Leipzig 1895; relmp. Hildesheim 1962), p.133--146. Cette me-

pnse est due, e~tre autres, a l'ambiguHe des termes unutll (superieure) et vrltT] (inferieure) qui denomment lessons graves ~talgu5 des cordes de la lyre; et a l'emploi imprecis des termes uvw (en haut) et x6:'[(.I.)(en bas), uJ'ttehdessus) et urr6 (dessous) dans les descriptions theoriques de la musique.~~I~~OXENE (IIIe s. avant J. C.L Harmoniques, 1. I, chap. 2; ed. Macran (Oxford 1902); d. p. 96, 24-97, I,

la definition, de conception aristoteIicienne: c'est un mouvement selon le lieu que celui danslequel se produisentIe grave et l'aigu (je traduis).: [:i:~1. I, ch~p. 13-14, ~.1~~118i} II, chap ..2, ~..126,.et 134-139, et chap. 13, p.145.

x:ne ~LaCTt£IID,qUIdeslgne I mtervalle, Slgnllle; dIstance, separation dans l'espace. Les intervaJJes sontPOI"ur Arl'lstoxen/; des espaces combinables et divisibles par addition et soustraction Cf op c,'t p '107, 25:mterva e est es . (' , . . . .,., d pace compns wQtOlJ.€vov)entre deux sons qui n'ont pas la meme tension; eet espaee a uneeten ue et une grandeur ("f.vE"tol"")lb'd lOB 20 L '. _ . , I 5

• . !""-l ,:>, 1., p. , . a concephon spahale de l'intervalle est preclsee par e~tlcographes alexan~nns: NICOMAQUE, Enchiridion, ed. Jan, op. cit" p.243, 245, 261 (distance);h EON.IDE·bl.~es. spres J. C), lsagoge hannonica, ibid., p.179, et GAUDENCE (lVe s. apres J. C), lsagogea.rm~mca, I I ., P.329. (e.space); ARISTIDE QUINTILIEN (II-II Ie s. apres J. c.), De musica, 1. I, ed.

Wl~mgton-Ing~arn (LeipZig 1963), p.16, N° VII (etendue)j de meme PLUTARQUE (Ier savant J. e), Deammae procreatlOne, XVII, 120E. .

25 ~e ~~racter~qualitatif de ]'intervalle, non objective dans I'espace, predomine encore dans ]a notation d' AristideQ(Eu~nh le)n,gud]donne deux noms et deux signes differents au ffieffieintervalle (3/4 de ton) selon qu'i1 est montantu)(. UOl~ ~u esce~d~t (OltovbElOoJ.1O<;).Cf. op, cit., p. 28, N° XI.

Cette methode n eXIgeait que Ie chan t ' 'd' d II' I gemen lmme lat e quelques tensions de cordes suivant un interva es~pe. ,

2.1 Ces deux termes grecs qui correspondent I"· , dpOln'te (6"u' I"" ~. ") I ' p us qu a une sensatlOn auditive, a des sensations tactiles, 1une e

~ ':> ~ algu pomtu 'aut! d 'd (A • ,primitivement Ie coupl~ d' "ti' e. e pOl 5,. l-'aQu~ = grave, pesant), ne semblent pas avoir fonne

°PPOSl on pertment qu ils deviendront par la suite.

Page 7: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spatio-oerticale . 59

necessiter une abstraction plus poussee. L'aigu et le grave ne sont jamais designespar haut et bas. Lorsqu'on rencontre ces termes dans la theorie grecque ou dans satradition latine ", ils s' appliquent en fail non au son lui-meme, mais aux signes etaux noms qui les representent dans les diagrammes des Systemes et des Tropes".Ces diagrammes, decrits comme «tableau ... figure plane ... rendant visibIes auxyeux ... Ies parties difficiles a saisir par I'oreiIIe ,,30, spatialisent et verticalisent lessons sur le papyrus en raison des necessites de l'ecriture. mais sans reference reelle aun espace musical: dou l'irregularite du sens des attributions haut-bas, et I'absencede fecondite musicale de cette hauteur graphique.II est vraisemblable qu'une des raisons pour lesquelles les Grecs, dont la musique

est, a notre connaissance, surtout une musique de hauteur, nont pas edifie ceconcept, est que, sur le plan concret, vecu, pratique, la variation melodique grave-aigu est toujours res tee, dans leur conscience, tres etroitement liee a la variationmanuelle de la tension dont elle resulte: on voit ceci dans Aristoxene et chez lesmusicographes alexandrins ". Le vocabulaire grec de la melodie est exprime en ter-mes de tension ('tame; tension,'av1']me;relachement, EJtLmame;surtension); I'intervalleunitaire est le ton, et les tropes de hauteur sont aussi appeles Tons (rovoc. de'tEc,'hll,tendre), car leur realisation correspond a une modification de tension. Or lanotion detension est absolument heterogene a l'espace, et de plus la variation n'en est paslineaire, A cote de cela, la Theorie pythagoricienne des intervalles, avec les divisions aumonocorde (xovcov) des cordes et des tuyaux, aurail pu accepter des denominations decaractere spatial: mais ni les pythagoriciens canoniciens, ni les constructeursd'instruments n' avaient besoin d'images spatiales des sons et de leurs relations:thecriquement et pratiquement, les nombres, realites instrumentales concretes etcaracteristiques ontologiques des sons, leur suffisaient.

La notion abstraite de hauteur de son n'existait pas non plus dans la traditionlatine de la theorie grecque, dans les textes qui assurerent les fondements de latheorie musicale occidentale: absente chez Saint Augustin, Martianus Capella, etles commentateurs neoplatoniciens du Timee de Platen, elle est seulement implicitechez Boece. Dans la tradition grammaticale latine qui traite du son de la voix parlee,l'ernploi des termes de hauteur (altitudo, acumen, aItissimus, superior, summus,sursum, depressus, inferior, injirnus, deorsum, etc. ... ) pour les discussions surl'accenr, est encore etroilement lie au graphisme ". Mais nous verrons que dans lehaut Moyen Age, dans des conditions historico-musicales differentes. en meme

28 Le haut et Ie bas sont couramment rendus par les termes 'o.vwet xo.'tOJ,\J1t£Q et \m6 en grec, super et sub,hyper ... et hypo ... en latin.29 GAUDENCE, op. cit., p.349; ALYPIUS (Hie s. apres J. C.), Isagoge, ed. Jan, op. cit., p.367-406, passim.Mais PTOLEMEE (lIe s. apres J.C) reproche aux disciples d'Aristoxene (les musicographes alexandrins)d'avoir employe avec impropriete (xataXQuw) les termes {mEQet un6 pour indiquer Ie grave et I'aigudans cesdiagrammes; d. Harmoniques, 1. II, chap. 10, ed. I. During (Goteborg 1930), p.63, 7.30 BACCHIUS (IIIe-IVe s. apres J. e), Isagoge, ed. Jan, op. cit., p.30S. De meme CLEONIDE definit cesdiagrammes comme des figures planes des elements de la melodie, d. op. cit., p. 207.31 ARISTOXENE, op. cit., 1. I, chap. III, p.l04-106 Macranj GAUDENCE, op. cit., p.328j BACCHIUS, op.cit., p.302.32 Ainsi VARRON (Ier s. avant J. e), pour montrer 1a correspondance du graphisme de I'accent avec lesmouvements de la voix parlee, donne en exemple la musique «image de la prosodie» j et il compare, en usant dece vocabulaire spatio-vertical, I'elevation vers l'aigu et l'abaissement vers Ie grave des accents ecrits (notae) aI'elevation et l'abaissement des diagrammes, ecrits aussi, des Tropes (diagrammata troporum). Cf. Grammaticae

Page 8: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

60 M.-E. Duchez: La representation spatio-verticale .

temps que se reduisit Ie role pratique de Ia tension, la notion concrete de tension,heritee de I'antiquite, s' affaiblit et fut peu a peu remplacss par Ie concept de hauteur,plus operatoire alors .

. II. Les descriptions verbales spatio-verticales du caraciere pertinent grave-aigu:metaphores perceptives et analogies grammaticales

C'est au IXe siecle, qui vit les debuts de notre theorie musicale traditionnelle, quese fit cette transformation, et que Ie critsre pertinent grave-aigu, percu, abstrait etmodule, fut rationalise en notion de hauteur du son, valeur operatoire mesuree,notee, systematisee. Pour caracteriser I'atmosphere intellectuelle dans laquelle sedeveloppa cette connaissance spatialisee des relations entre les sons, on peutappliquer a ceux-ci la pensee logique de Saint Augustin, qui illuminait et orientaitcette epoque, et dire que Ie son se meut dans Ie temps en tant qu'Esprit, et dansl'espace en tant que corps sensible". Au debut du Moyen Age, la necessite demaitriser la musique liturgique exigeait d'objectiver Ie son" comme corps sensible ";la premiere objectivation du son se fit par I'intermediaire de l'espace, et les relationssonores furent d'abord traduites en images spatiales. Le temps du chant gregorienetant determine par Ie debit des textes sacres, les problemes du temps se poserontplus tard 34.

L'experimentation moderne, en nous montrant I'intrication des perceptions dehauteur, d'intensite, de duree et de timbre, et en analysant leurs relationsreciproquss, fait comprendre les obstades rencontras par les oreilles medievalespour abstraire et objectiver, dans Ie complexe sonore percepfif, Ie caractere grave-aigu. Elle justifie I'ambiguite que nous rencontrons dans les textes anterieurs au Xesiecle . la confusion de la terminologie de la hauteur et de l'intensite (elevare _descendere, intendere - remittere, vox alta), confusion liee aussi au changement denature de I'accent verbal; la distinction tardive entre la hauteur et Ie rythme dans Iamelodio, et l'utilisation, pour les variations de hauteur, des termes denornmant Iesvariations de duree (protractio, arsis et thesis); l'ernbarras pour separer danscertains cas la hauteur du timbre (vox mollis). Dans Ies descriptions qualitatives desmelodies, avant Ie IXe siecle, il arrive que Ie merne mot soit employe pour parler dumouvement melodiqus, du rythme, de I'intensits (ainsi motus oocis, tonus, tenor,accentus), car tous ces sens peuvent exister en rneme temps dans un seul mot ou unseul signe (neumes ou lettres). D'ou la difficulte d'interpretation pour nosconsciences musicales modernes, habituees a distinguer dans Ie son quatreparametres. Mais Ie reperags conscient et I'objectivation rationnelle du caractere

romanae iragmenta, ed. H. Funaioli (Leipzig 1907), De accentihus, p. 304, 105. Le changement de nature del'eccent au debut du Moyen Age privera, nous Ie verrons, cette tradition grammaticale de la precision necessalrea la feco~?ite de ces comparaisons. Le texte varronien a ete transmis au Moyen Age par res grammairiens latinSde rVe sleele, entre autres: SERGIUS, Erplanationes in artem Donati, ed. H. Keil, Grammatici latini, t. IV(Leipzig 1864), p.532.

3J ST. AUGUSTIN, De genesi ad litteram, VIII, 23 et 26.34 Le decalage qui, dans l'histoire de la theorie musicale des IXe-XIXe siikles, existe entre les problemesconce~ant la h~uteur (grave-aigu) et ceux qui concement Ie temps (duree), vient de !'asymetrie des deuxparametres physIques et de leur valeur solfegique; en e£iet, dans la musique traditionnelle: II les durees sont lesdurees des hauteurs, alors que hauteurs ont des durees ». Cf. C. }. SMITH, Commentaire sur S. Gryc: IIMusicalSpace and Mu~ic in Space", dans: On Theory only (University of Michigan 1976), voL II, N0 3-4, p. 7.

Page 9: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation epatio-oerticale ..

grave-aigu, furent sans doute determines par la nature et la technique empirique duchant gregorien et de son ornementation polyphonique. Le Plainchant, seulemusique connue alors, entendu et chante par tous, etait avant tout une accentuationexpressive et hieratique du discours sacre a mettre en valeur. De reelles difficultesd'objectivation venaient de la liaison phenomenale de la musique et du texte verbal,obstacle a la prise de conscience du son musical comme phenomene auto nome (cetteprise de conscience fut cependant Favorisee par la circulation des memes formulesmusicales sous des textes differents et par l'independance de la musique dans lesmelismes). Elles venaient aussi du fait que les differences grave-aigu etaient assezfaibles dans la cantillation primitive; on possede des temoignages, dont unparticulierement precis rapporte par Saint Augustin et repris par Isidore de Seville,aHirmant que Ie chant liturgique primitif avait une melodie peu marquee (modicusflexus), plus proche de la recitation (pronuntiatio) que du chant 35 ; Ie cantus etait uneprononciation particuliere de l'Ecriture Sainte, et «psalmodier» se disait «pronon-cer» les psaumes ": la denomination meme de cantus planus, indiquant une courbemelodique assez plate et un debit egal, ne fait qu'appuyer ces temoignages ".Mais, a cote de ces difficultes. etaient reunies des conditions favorables a

l'isolernent perceptif du caractere grave-aigu, et a son emergence comme valeur: lechant se developpait dans une tessiture moyenne, zone aurale OU la hauteur est Ieplus Iidelernent percue et maniee : et les autres qualites, qui accompagnent lahauteur dansla perception, devaient etre alors tres peu pregnantes. En eHet, concilesecclesiastiquss ", decisions imperiales ", ouvrages de liturgie et commentaires sur Iechanr", tous prescrivent au cantus planus de l'office sobriete et reserve (mediocrisVoce, mediocriter cantare). Cette moderation irnediocritast", tout en maintenant laligne melodique dans des hauteurs moyennes, limitait I'expression dynamique etinterdisait les variations importantes d'intensite (sine strepitu). De meme. lesdurees musicales, absolument dependantes du debit verbal interiorise ou solennel dutexte sacre, n'etaient susceptibles ni d'acceleration, ni de variantes rythmiques (nonMimis velociter, par vox, morosa vox): la morositas", lenteur reguliere du chant

~ ST. AUGUSTIN, Confessions, 1. X, 33, 50; ISIDORE DE SEVILLE (VIle s.), De ecdesiastico officio, I, V, 2,~d. Migne, Patrologie Iatine (dorenavant P. L.), t. 83, col. 742. ,~f. Commemoratio brevis de tonie et psalmis moduiandis (anonyme du IXe s.), ed. MARTIN GERBERT,

~c"ptores :cclesiastici de musica (St Blasien 1784; don~navantG. S.L t. I, p.227. ..Planus slgnifie: egal, uni, qui ne monte ni ne descend (Quicherat). Mais Ie terme planus s'apphqualt alors non

seul7~ent a la hauteur melodique mais aussi au rythme qui lui est lie dans Ie langage chante; et ced suivant latraditIon latine qui oppose planus a numerosus: mesure (metrique ou rythmique). Cf. CICERON, De oratore,III, 48; d. FORTUNATIANUS, ed. Hat Rhetores latini minores (Leipzig 1803), p.127 etc .... Cest ce senstemporel que gardera Ie mot planus lorsque se developpera la musique mesuree, musica mensurata, a laquelle~n oppose Ie cantus planus. Le Plain-chant d'ailleurs, tel qu'il nous est connu actuellement, ne pre~.enteni grand~~~arts de hauteur, ni rythme marque; lorsqu'on rencontre ces elements, on peut penser qu ds sont dus a~unposition ulterieuere de l'echelle diatonique et de la mesure modeme.39 Candle d'Aix de 816, d. Monumenta Germanicae Histodae, Legum III, Consilla II, 39, p.414. .Cf. CHRODEGANG DE METZ (VIlle s.), Regula Canonicorum, chap. 50, P. L., t. 89, col. 1079. Samt

~hrodegang etait parent de Pepin Ie Bref et sa regula fut appliquee dans tout I'empire carolingien ..,Depuis celui de l'Abbe Pambo au IVe siikle (en grec, d. G. 5., t. I, p. 3b) a la Commemoratio brevis du IXeslecle (G. 5., t. I, p. 213), en pass ant par ISIDORE DE SEVILLE, De ecclesiastico officio, I, V, 2, P. L., t. 83, col.?t42, et HRABAN MAUR (VIlIe--IXe s.), De clericorum institutione, II, 48, P. L., t. 107, col. 362.

Le terme mediocritas concerne dans ces textes tous les elements du chant: hauteur, intensite et rythme.-u Le .terme morositas signifie un debit calme, lent et parfois trainant, avec de nombreuses pauses respiratoires(tractim) par opposition au debit rapide et continu d'un seul souffle (cursim).

Page 10: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

62 M.-E. Duchez: La representation spatio-oerticale .

gregorien, est mentionnee tout au long du Moyen Age". De plus, on exigeait untimbre homogene des voix, et c'est par l'alternance des choeurs, dans Ie chantantiphonie, ou par I'alternance du choeur et du soliste, dans Ie chant responsorial,qu'on parait a l'uniformite, On peut lire un expose tardif mais complet de cesrecommandations dans les Instituta patrum de modo psallendi sive caniandi",Dans ces conditions, la conduite vocale devait se limiter a moduler (modulatio") lesrelations grave-aigu, sur lesquelles se portait toute I'attention et toute la volonted'intellection: elles etaient donc percues de Iacon privilegiee, puis visees objective-ment, enfin designees verbalement. Le plain-chant etait ainsi uniquernent une«rnusique de hauteur»,Apres cette conceptualisation du caractere grave-aigu, sa rationalisation en

hauteur de son se realisa sousla pression des necessites pratiques de la pedagogie etde la memorisation du chant liturgique. II faut admirer cet immense effort detheorisation qui s'est developpe du VIlle au XIe siecle, et qui a abouti a unestructuration musicale de monde sonore, dont les principes subsisterent efficace-ment pendant dix siecles , et il faut insister sur Ie fait que ce grand effort theorique aeu pour motivation un but pratique: celui de parer aux difficultes de la transmissionorale de la musique. A la suite du developpement de la liturgie et de son repertoire(VIe-VIle siecles), et apres les premiers essais empiriques de polyphonie (IXesiecle), iletait devenu pratiquement impossible d'enseigner directement, par la voixdu maitre (cum voce magistrii, tous les chants du service divin, et de les stockerdans la memoire empirique. II fut necessaire de chercher une representationexprimable et notable de la musique, et de savoir la decrire pour pouvoir lareproduire (et mems la produire, reproduire dans un premier temps, plus tardimaginer).

Ce sont done les conditions concretes de production des variations grave-aigu queles premieres descriptions pre-theoriques de la musique, du VIle au IXe siede(d'Isidore de Seville a Aurelien de Reome), ont tente de decrire. Ces descriptionscorrespondent a une approche directe, empirique, de la pratique musicale, etdonnent une representation intuitive, qualitative et globale des variations grave-aigu, telles qu'elles sont emises et percues. Elles sont faites a Iaide du langageordinaire (Ie latin, langue liturgique et langue savante); elles sont basees sur uneperception et une conception du chant qui voit dans la melodis non une successionde sons discrets, mais un mouvement continu de la voix (motus vocum ou vods).Cette image du mouvement sonore (un peu differents de I'image ari stoxenienne qued' ailleurs on ne connaissait pas alors) implique logiquement celie d' espace (et detemps); mais Ie motus vocum ne semble pas avoir ete, au debut, senti spatialement

4J Ainsi la Commemoratio brevis, G. S., t. I, p. 227; et Ie Speculum musicae (XIVe s.) de JACQUES DE LIEGE,I. VII, chap. XVII, ed. ). Bragard, t. VII, 1973, p. 3Ssq.« [nstituta pat;um,de m~do.ps~l1endi sive car/tandi, G. S., t. I, p. 4-8; texte ecrit au XIIe s., par EKKEHARDVde ST GALL, d apres res mdicatlons de ST BERNARD, mais instituant les pratiques anciennes (d. S. A. VAN~IJK, Sf Bernard and the Instjtut~ Patrum ~fSf ,?all, dans: Music~ Disc!plina IV (1950), p. 99-109.

Notons que res termes modu.Ian, modulatlo, qw, avant Ie VIlle steele, s appliquaient au temps et au rythme(d: 5: AUG~STI~, De mU~ica, passim), sont peu a peu appliques a Ia hauteur du son, apres que se futaHirmee la pnmaute du caractere grave-aigu.

Page 11: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E.Duchez: La representation spatio-oerticale . 6]

comme une trajectoire lineaire orientee, mais simplement comme un changementqualitatif ".Les plus anciennes descriptions, descriptions naives que j'ai nornmees ailleurs

verbo-gestuelles'", reprennent par ecrit les indications daction de la transmissionorale, et s'efforcent d'indiquer concretement la conduite de la voix. Le lang age, nonspecialise, doit avoir recours aux metaphores attachees a la perception": rnetapho-res coenesthesigues, sans aspect spatial, exprimant la tension productrice de la voix(intensio - remissio, impetus, mollescere, crescere-desinere, erigere-deprimere,tendere, extendere, protendere, tonatim); ou rapportant Ie son a une partie du corpssitue verticalement dans l'espace (ex profundo pectoris, ex labris, etc. 49) etebauchant ainsi une espece de spatialisation verticale anthropomorphique des sons;metaphores kinesthesiques, deja spatialisantes car issues de la Chironomie, quiexpriment Ie «rnouvement » de la voix a effectuer, et gui se concretiserontgraphiguement dans les neumes i ductio, productio - deductio, injlexio, commotio,arsis et thesis, ascendere - descendere, directe, etc.). Ces termes, verbes etsubstantifs exprimant I'action vocale, donnent pour cantiller Ie texte des indicationsimprecises. Les perceptions kinesthesiques et coenesthesiques dont i1s deriventcorrespondent souvent a la fois aux variations melodiques et aux changementsdynamigues; i1s pretent a l'incertitude, confondant dans un meme mot hauteur etintensite: par exemple intendere et remittere peuvent signifier monter et deseendreen hauteur melodiqus, ou croitre et decroitre en intensite dynamigue; meme doutedevant les mots alta vox, haute voix". On retrouve parfois cette ambiguite pour lahauteur et la duree (liee a l'intensite) : par exemple Ie terme protraetio qui signifie ala lois ralentir, trainer ou allonger les syllabes et la variation de hauteur sur cetallongement. Ces descriptions ne pIacent pas Ie motus vocum dans un espace plusoumoins geometrigue; et l'impression de spatialite qu'elles peuvent susciter est dueaux «strategies du dlscours », elle vient de la geometrie naive du langage, guiSpatialise le changement, et attribue une image vertic ale ascendante ou descendanteaux augmentations et diminutions guelle qu'en soit la nature (ascendere, erigere,deprimere, descendere, etc.). Le vocabulaire imprecis de ces descriptions elementai-res, gui eurent cependant Ie merite d'ebaucher I'objectivation du son, persista dans

~ U b d" . (on? 0 stacIe a la conception spatiale du mouvement de la voix tient, entre autres, au manque ,~agma I

spah~le,.mentionne par Ies historiens des sciences chez les penseurs du haut Moyen Age qw, dans lesdescnptions du monde physique, emploient quelquefois indiHeremment les termes asc~dants et desce~dant~.Cf .. E. et R. VON ERHARDT-SIEBOLD, Cosmology in the Annotations in Mamanum: More lIght In

~rulgena's Astronomy (Baltimore 1940), p. 7-9. " .Cf. M. E. DUCHEZ, Description grammaticale et description arithmetique des phen~men:s .,?"uslcaux: Ie

toumant du IXe si(kle, Communication au VIe Congres international de Philosophle medlevale (Bonn,~e~;~b~e 1977), a paraitre dans les Actes du Congres: Langage et.connaissa~ce au Moyen Age.49 • IbId., Tableau I, Vocabulaire verbo-gestuel decrivant la condUlte de la VOlX. , .

Expressions de REMY D'AUXERRE (IXe-Xe s.), Commentum in Martianum Capel/am; ed. C. Lut~ (Le~den1965), t. II, p.338, 4. E. A. LIPPMAN attribue cette localisation corporelle des sons aux sensations de V1b~~O;~pe~~uespar Ie chanteur (d. Spatial perception and physical location, dans: AMl35 [1963], p. 33) i G. ~. dVOltdans cette localisation corporelle des impressions de vibrations et dans les sensations de la posItion ~larynx selon la hauteur du son emis l'origine des expressions haut-bas (d. £infUhrung in die Musikpsycho~ogte~B~rn1942], p. 76-77). On sait d'allleurs que cette spatialisation anthropomorpmque existe dans.la muAslque~ enne, ou les sons sont caracterises par les zones du corps en graves (poitrine), medium (gorge), a1gus (tete) .. Cette ambigulte terminologique subsiste encore de nos jours dans Ie langage courant, pour lequel haut et basslgnifi 'I . .e a a fOlS a,gu et grave et fort et faible.

Page 12: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spatio-oerticate .

Ie lang age courant au-dela du Moyen Age, apres qu'une representation technique dela hauteur eiu ete elaboree, il acquit alors de cette technicite un sens precis de£initif.

On parvint a une description plus precise et plus efficace du caractere grave-aiguen ayant recours aux ressources mentales offertes par la Grammaire, qui etait alors(VII-IXe siecles) Ie plus prestigieux et Ie plus repandu des sept Arts liberaux, et lefondement de la pedagogie. On appliqua done a Ia musique les methodesgrammatic ales (definition, differenciation, classification), et surtout on joignit auxmetaphores de la perception les analogies grammaticales nees de la comparaison dela musique et du lang age 51. On elabora ainsi une analyse rudimentaire et unerepresentation sommaire des variations grave-aigu dans Ia melodie vocale , analyseet representation donnerent des resultats pre-theoriques qui, bien que limites, nefurent pas sans importance a l'epoque de la modalite naissante (VIII-IXe siecles),

Les analogies notionnelles fournies par la Grammaire firent entrer dans Iediscours descriptif de Ia musique plusieurs elements essentiels a la construction deIa theorie de la hauteur. Tout d'abord, aIors que la notion de son discret de Ia theorieantique n' avait pas encore penetre la conscience musicale medievale, la grammaire aintroduit la notion delement premier irreductibls de la musique, correspondant alalettre grammatic ale du Iangage: unite musicale vocale distinctive, qui deviendra,par I'education, unite perceptive. Cette comparaison traditionnelle de la lellre et duson musical" a pu suggerer, par analogie, la possibilite de representer ce derniergraphiquement, ce qui, d'apres le ternoignags d'Isidore de Seville 5', n'etait pasencore pensable au VIle siecle , Ia discontinuite des Iettres de I'ecriture du Iangage apu influencer la discontinuite du son musical et de sa notation, et Ia culture de lalettre favoriser I'etablissement du «rnonde de la note». Mais ce qui est certain, c'estque I'assimilation grammaticale de la voix parlee (vox articulata, continua) et de lavoix chantee (vox diastematica, divisa) autorisa les clercs du Moyen Age a decrireles variations du chant comme les variations du langage, c'est-a-dire comme desaccents, dont elles ri'auraient ete que les formes amplifiees.

Celle description accentue/le des modifications de Ia qualite musicale grave-aiguest doublement equivoque en raison de I'incertitude sur Ia nature de I'accent latin.Car les clercs medievaux, dont I'accent latin est surtout accent d'intensite, repetentIes definitions de la tradition grecque, qui leur a ete transmise, a travers Varron, parIes Grammairiens latins du IVe siecle : definitions qui concernent I'accent verbal dehauteur des Grecs, veritable modification grave-aigus, dont Ies denominations sontcelles-la memes des sons musicaux (gravis, acutus). lis appliquent donc sanshesitation aux variations du caractere grave-aigu de leur musique la terminologiegreco-latine de I'accent verbal grec de hauteur (sans caractere spatial); mais cette

~l Po~r un eXP?,Se com~let de la conception verbo-grammaticale de la musique qui, du VIle au IXe siec1e, .lui~~urTIlts~ ~remlere ternunologie, voir Description grammaticale et description arithmetique ... , dans: op. CIt,.

En VOl~1.quelques exe~ples: De octo tonis (petit traite anonyme, fin VIlle-debut IXe 5.), G. S., t. I, p.26a.Tonus minima pars mUSlcae ... sicut minima pars grammaticae /ittera .... Musica Enchiriadis (importanttraite anonyme de la fin du IXe 5.), ed. G. S" t. I, p.152a: sicut vocis articula:ae elementariae atque indi'Oiduaeparies sunt litterae ... sic canorae vocis .. , soni origines sunt et totius musicae continentia in eorum ultirnamresolutionem desinit '" Soni vera prima sunf fondamenta ca:tus.53 ISIDORE DE SEVILLE, Etymologiae sive Origines, 1. III. 15, 1; pris a ST AUGUSTIN, De ardine, III, XIV,41 et De doctrina christiana, II, 27.

Page 13: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spatio-verticale ..

application est perturbee par la comparaison, plus ou moins inconsciente, avec leurpropre accent latin d'intensite. II en resulte une certaine confusion terminologiquequi s'ajoute a la confusion coenesthesiqus ", et iI n'est pas toujours possible de voirdans les textes sil s' agil de hauteur ou d'intensite, ou des deux en merne temps, laplupart des termes de ces descriptions etant ambigus et sappliquanr, je I'ai deja dit,aussi bien a I'un qu'a l'autre (crescere - desinere, erigere - deprimere, acuere _gravere, elevare - deponere, elatio - inclinatio, etc.) 55. L'interpretation medievale destermes grecs Arsis et Thesis est un exemple de la confusion due a l'emploi de terrnesaccentual, herites de I'antiquits, qui ne recouvrent plus la merne realite sonore, maisprovoquent cependant les automatismes de pensee correspondants: ces deux motsqui, dans la musique grecque, indiquaient I'accent rythmique (intensile et duree)par I'elevation de la main (ou du pied), denomment seulementla chironomie (ou Iefrappement pedestrej . ils sont traduits avec justesse elatio (ou elevatio) et positio(ou depositio), mais appliques a tort, au Moyen Age, directement a la voix merne etau caracters grave-aigu. La triple definition idenlifiant accentus _ tonus _ tenor,rabachee par les grammairiens latins et repetee jusqu'au Xe siecle, est arnbigusaussi, pUisqu'elle fail correspondre a un accent de nature incertaine une augmenta-tion de tension, et que les termes de tension, en raison de la nature vocale de lamusique, concernent, au Moyen Age, aussi I'intensite de la voix que sa hauteur.Cependant, en accompagnantle texte verbal syllabe par syllabe par des indicationsd'action en terme d' accent, la description accentuelle a pu decrire les melodies defa,on tres imprecise, mais fiable et utili sable, a condition de les connaitre deja: c'estce que nous voyons dans les descriptions des formules de recitation et de leurs"accords contenues dans les Tonaires; et surtout dans Ie traite-tonaire d'Aurelien deReome, dont lest indications d' action par periphrases spatio-verticales creent unesorts de diastematie verbale primitive".L'ambiguite de la definition de l'accent du langage diminue lorsqu'il s'agit du

signe ecrit qui Ie represente, et dont les positions geometriques sur la page sontobjectives et ne pretenr pas a equivoque. C'est I'ecriture qui spatialise I'accent aveccertitude; et c'est la description de I'accent eeril, signe montant et descendantobjeclivement quelle que soit sa nature sonore, qui introduisil dans les descriptionsdes mouvements du son, qui lui sont compares, la notion claire et precise dehauteur: I'utilisation de la terminologie exacte decrivant un signe eerit, pour ladescription d'un phenomene sonore juge analogue a celui que ce signe represente, aintroduit dans la description analogique de ce phenomene un element conceptuelnouveau. Les clercs musiciens pousserent jusqu'au butl'analogie entre l'accent ecrit

~ Ainsi voila la definition d'ALCUIN (VIIle-IXe 5.), inspiree par Ies grammairiens latins du IVe siecle:AIeeentus est certa lex et regula ad levan dam et comprimendam syllabam (De grammatica, P. 1., t. 101, col. 858):etJarepeut e . I h . . 1ss 5 xpnmer a auteur, mats compnmere . .

Ur 17vocabulaire grammatical accentuel decrivant Ie mouvement grave-aigu de 1a VOIX, VOlT Ie Tableau II de~on article: Description grammaticale et description arithmetique ... , dans: op. cit. . .M:~RELIEN DE REOME, Musica disciplina (milieu du IXe s.), ed. L. Gushee ~Amencan In:htut~ ?f

~lcology 1975). II donne une definition accentuelle des relations grave-aigu: Armomca est quae dlscern,t In;~rllsaeutem et gravem accentum (chap. IV, p. 67,2). Sa description des connexions entre Ies fins des versets desf aumes et les debuts des antiennes (chap. X-XVII), et son analyse verba1e minutieuse, syllabeApar syllabe, de.sI~rmules de recitation psalmodiques (chap. XIX), sont parfaitement saisissables si on cannalt, comme Ie dltauteur IUi-meme, les pitkes.par cceur: in theca cordis memoriter insitum habuerit (p.1l8, 5).

Page 14: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

66 M.-E.Duchez: La representation spatio-oerticale ,

et Ie son musical, en attribuant a. ce son, pour en indiquer Ie mouvement vocal, unsigne ecrit semblable a. I'accent (nota): ce sont Ies neumes-accents; comme la Iettregrammaticale, la graphie de l' accent du Iangage fut un des facteurs qui contribue-rent a. l'entree du son dans Ie domaine de I'Ecrit57; et ici encore, I'analyse ducontinuum musical, correspondant a. l'apprehension primitive du chant, fut influen-cee par Ie caractere analytique de l'ecriture du Iangage.L'importance de cette conception accentuelle du son est en effet d' avoir, dans un

but pratique de memorisation, reuni Ies deux indications d'action gestuelle etlinguistique (Ie signal chironomique de la tradition orale et Ie signe ecrit de l'accentgrammatical) en une representation graphique specifiquemsnt musicale; celle-citente d'evoquer, en l'imitant, Ie «rnouvement » melodique de la voix. Lies au texteecrit comme les accents, tenant toute leur valeur d' aide-memoirs elementaire de leur«ressemblance » accentuelle avec les variations du caracters grave-aigu, les neumesne seront systematiquement spatialises verticalement que lorsque ce caractere lesera lui-mems dans la conscience, c'est-a-dire apres Ie Xe siecle ". Et on peut penserque la disposition des signes sur Ie plan du parchemin ait, comme Ie faisait lachironomie, Iavorise cette prise de conscience dont elle marque Ie cheminement(etagement a. partir du texte, addition de lignes de reference, puis neumes surlignes). Mais les premiers neumes ont, suivant les regions, une spatialite rudimen-taire ou irreguliere , et c'est la forme du signe qui evoque, pour ceux quiconnaissaient la melodie, la direction aigue ou grave de la conduite de la voix. Cetterepresentation imprecise et globale correspond bien a. une epoque ou, dans Ie champperceptif, comme aussi dans I'ame du chanteur, Ie texte avait plus d'importance quela musique. CelIe-ci est percue et emise non par sons discrets, je I'ai dit, ni parintervalle, mais par formules melodiques (formules recitatives des psaumes.formules compos ant les pieces qui les entourent). Dans ces formules se distinguentdes points d'appui principaux, des tensions privilegiees, marquant les relationsgrave-aigu structurellement importantes (finale, ieneur de recitation de la psalmo-die, «dominante» de composition des Antiennes et des Repons),Les formules en nombre relativement limite, qu'on employait et reemployait en les

adaptant aux textes, etaient groupees par res semblance et difference, selon ce quenous appellerions leur composition intervallique, en types melodiques, et en groupesde types pouvant etre assembles 59; types et groupes de types etaient, toujours dansun but mnemotechnique, classes en modes ou tons liturgiques, avec les piecescorrespondantes, dans les Tonaires. Cette classification selon les variations du

~7 Ain,si JEAN SCOT ERIGENE (milieu du IXe s.) commente un passage de theorie musicale greco-lat~~(Martlanus Capella, d. note 63) sur res signes de notation musicale grecque, qui indiquent I'acuite et la graVltedu son, en rapprochant cette notation de I'accent grammatical: quemadmodum unaqueque 5yllaba suumQccentum habet, ita unusquisque sonU5 natam acuminis vel remission is. CE. Annotationes in Marcianum, ed. c.lutz (Cambridge, Mass" 1939), p. 208,16.

505 Les ne~mes a~uitains, .neumes-points presentant une diastematie elementaire, apparaissent au Xe siede(ManuscrJt de SaIMt-Martlal de Limoges, Paris, Bib!. Nat. Latin. 1240).59 Le~ pieces de la modalite primitive etaient composees simplement de formules de meme type (modescu;0alq~es); plus tard furent unies des fonnules de type different (modes evolues). Cf. Dam JEAN CLAI~E,L evolution modale dans .ies ~epertoires liturgiques occidentaux, lIe Partie, Methode d'observation de revolutlOrt"}odale, dans: Re~e G~ego.rren~e.VI (1962), p. 229-245, ici p. 236-240; et Les repertoires liturgiques latins auarttloctoechos, Ie partie, L office fertal romano~franc, dans: Etudes gregoriennes XV (1975), p. 5-193, ici p. S.

Page 15: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spatio-verticale .

caractere qualitatif grave-aigu assurait la coherence de chaque piece et celle despieces associees dans I'office, Ie problerne majeur etant l'accord de la formule dupsaume avec celles des pieces qui l'encadraient. Comme elle n'avait it sa disposition,pour indiquer les raccords entre les formules, les tons et les pieces, que lesmetaphores et les termes accentuels, qui ont un sens spatio-vertical non determine,elle etait purement qualitative et ordinale, sans echelonnernent spatial. Elle nedonnait qu'une ebauche de representation de la modalite, et s' avera vite insuffisantepour la pratique journaliere du chant'". Le caractere grave-aigu, sans supportinstrumental pour le materialiser, offrait peu de prise it la mernoire , et l'espaceverbo-linguistique, ou il etait decrir et classe, etait trop vague pour que puissent yetre pensees les differenciations, les segregations et les seriations senores, necessai-res it la fixation de la rationalite modale, et it son developpemenr technique. Larecherche de I'efficaclte pratique exigea des gens du Moyen Age une rationalisationplus poussee de ce concept operatoire et de cet espace operationnel.

Ill. La rationalisation quantitative du caractere graoe-aigu

En fait, la hauteur du son pseudo-geornetrique et quantifiable, concept abstraitprecis et mentalement maniable, etait necessaire et apportait la reponse it deuxproblemes pratiques, qui se posaient avec acuite au IXe siecle, et qui semblent avoirreagi l'un sur I'autre pour se resoudre en une solution unique. D' abord, nous I'avonsvu, I'echelonnement, non plus ordinal mais cardinal, des tons liturgiques, pour enpermettre Ie deploiement intervallique et la comparaison, et en tirer I'explicationtheorique de la modalite, necessaire it la memorisation et it la pedagogie du chant.(J'Ouvre ici une parenthesa pour faire remarquer que, devant une problematiquesonore abstraitement indentique - assurer Ie maniement euphonique et facile duplus grand nombre possible de combinaisons intervalliques graves-algues, offertespar un systerne ou un instrument -, on se trouve ici devant des conditions musicaleset une solution theorique tout it fait differente de celles des Tons-Tropes del'Antiquite, auxquels j'ai fait allusion.) Le second probleme, peut-etre Ie plus decisif,etait celui que posait la polyphonie naissante et l'etagement des voix simultanees enune "organisation» spatio-verticale, indispensable pour les differencier et en fixerI'execution. La solution it ces deux problemes passe par l'elaboration de la notiond'intervalle musical precis, et aboutit it la construction de I' echelle musicale. Cesdeux rationalisations, essentielles et definitives pour un millenaire, repartissentselon des relations mathematiques, dans un espace-plan imaginaire et abstraitoriente verticalement, les sensations musicales successives ou simultanees, differantpar Ie caractere perceptif grave-aigu: celui-ci se trouve ainsi projete dans cet espacepseudo-geometrique selon la coordonnee quantitative de la hauteur: c'est la hauteurdu son.

Ce processus de rationalisation, qui utilisa la notion de hauteur de son bien avantsa formulation, provoquant ainsi cette formulation, fut long et difficile: debutant au

60 Taus les traiies du IXe au Xle siecle se plaignent vivement des difficultes d'execution et d'enseignement. queces premiers essais de rationalisation etaient impuissants a resoudre.

Page 16: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

68 M. E. Duchez: La representation spatio-oerticaie .

milieu du IXe siecle, a partir d' allusions passageres a une notion implicite dehauteur, dans Ies premieres descriptions verbaIes intutives ou grammaticaIes de lamusique, iI s'acheve, au debut du XIe siecle, dans I'echelle diatonique guidoniennequi fut notre jusqu'au XXe siecle. II ne put s'effectuer que par Ie recours, danslecontexte culturel de la Renaissance carolingienne, aux structures et aux conceptsquantitatifs de la iheorie musicale grecque, transmis par la tradition cosmolagiquearithmo-musicale neo-platonicienne : Theorie pythagoricienne des intervalles con-sonnants, echelle diatonique du Timee de Platen, double octave du Systernetetracordal grec, systeme de hauteur des Tropes, et surtout methode monocordale.L'adaptation de ces concepts et de ces structures aux premieres descriptions etclassifications qualitatives ne fut pas aisee, car iI s' agissait de deux universdifferents : l'un vocal et verbal, I'autre instrumental et numerique. L'heritageantique, avec son acoustique elernentaire mais scientifiquement precise, n'apportapas la notion de hauteur, mais iI permit d'introduire, dans l'experience musicaleconcrete du Moyen Age, la pen see du nombre et de la mesure, qui donna une realitetheorique et pratique a cette notion fugitive jusque-la 61.

Malgre son importance, iIn'est pas possible d'exposer ici Ie processus rationnel etimaginatif de cette spatialisation. Mais iI est necessaire de donner quelques Iresbreves indications sur les deux principaux stades epistemolcgiques mentionnes plushaut: I'intervalle et l'echelle,L'intervalle fut, jusqu'au IXe siecle, une notion perceptive complexe et confuse:

mouvement de la voix i deductio", praductio63) dans les descriptions courantes.emission de voix (enuntiatio64) comme les syllabes dansla conception grammaticaleet linguistique de la melodie, difference entre Ie grave et l'aigu (differentia6S) pourles premiers lecteurs de Boece. Son abstraction et sa conceptualisation, liees a cellesdu son discret, furent tardives '6. Bien que la definition antique de I'intervallemusical comme espace de voix (diastema, spatium) et comme distance entre les sons(distentia sonorum) 67 ait ete introduite tres tot en Occident", I'intervalle ne fut que

61 La Theone pythagoncienne des intervalles consonants, premier emploi des mathematiques pour 1a descriptiondu monde physique, fut ressassee pendant tout Ie Moyen Age; rnais, non sollicitee par 1a pratique musicale, elleresta longtemps abstraite et inactive; elle fut reactivee a Ia Renaissance carolingienne.ea Cf. ISIDORE DE SEVILLE, Etymologies, I. III, 20, 6; AURELIEN DE REOME, op, cit., chap. V, p.69, 8Gushee.

63 Cf. MARTIANUS CAPELLA, De nuptiis Phiiologiae et Mercurii, ed. A. Dick (Leipzig 1928), revue etaugmenh~e par]. Preau (Stuttgart 1968), p.497, 21 et 501, 15; JEAN SCOT ERIGENE, op. cit., p.206, 28;REMY D'AUXERRE, op. cit., t. II, p.332, 19 et 337 passim.M ISIDORE DE SEVILLE, Etymologie;, I. III, 20, 6; AURELIEN DE REOME, op. cit., p.69, 9; Mu,i"Enchiriadis, G. 5., t. I, p.152a.65 BOECE, De institutione musica, ed. Friedlein (Leipzig 1867; reimp. Frandort a. M. 1966, passim).66 Ainsi, au milieu du IXe siec1e,Aurelien de Recome decrit encore verbalement les mouvements de 1avoixa I'aidedes notions relatives a I'accent grammatical (d. ci-dessus n. 56), sans faire intervenir 1anotion d'intervalle prec~s(s~uf dans Ie ca~ du demi-ton (diesis), car i1 ne trouve pas de periphrase pour Ie distinguer du ton, et capleISldo~e, d. op. cit., chap ..XIX,'p' 126, 68 Gushee). II connait pourtant 1adefinition antique spatia-Iede I'int.er:-a}ie(d. cl-dessous n. 68), et Ii a pns conscience du mouvement de la voix comme d'une suite d'intervalles spatlahseslelements de base de la musique (principia). Cf. ibid., chap. II, p. 63, 21. II a aussi entrevu dans Boece la voiedelarationalisation mathematique des intervalles; mais plutot que d'en user lui-meme it renvoie a-ces connaissances

" 1 I' I 'Cfnumenques p us camp etes et p us sures: I'etude abstraite des intervalles et des proportions de consonances. .ibid., chap. X, p. 86,6.67 Cf. ci-dessus n. 24.

00 Pa. ISIDORE DE SEVILLE (Etymologies, IlL 20, 5-6), repris par AURELIEN DE REOME (op. cit., chap. V,p.69, 7 Gushee): Diastema est vocis spatium ex duobus vel pluribus sonis aptatum.

Page 17: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spatio-verticale . 69

tres tard pense comme tel dans le chant gregorien ". Ce n'est que dansla deuxiememoitie du IXe siecle que se fit la synthese entre, d'une part la notion d'intervallepercu et imagine comme une division spatiale du mouvement de la voix et commeespace entre les sons (division et espace possedant une etendue appreciable, unegrandeur) et, d' autre part, la notion pythagoricienne dintervalle entre deux sonsprecis, concue et construite comme un rapport mathernatique (ratio, proportio)rationnellement determine. Cette synthese se fit par I'intermediaire de la notiongeornetrique et quantitative de hauteur, correspondant a la fois a l'aspect diastema-tique et a I'aspect arithmetique de I'intervalle 70.

L'echelle musicale, systematisation des intervalles quantifies, est une notionetrangere a la conscience musicale jusqu'au IXe siecle: son elaboration, accompliegrace a l'exernple des echelles antiques, fut longue et diHicile. Sa realisationtechnique definitive, comme representation du materiau musical mis en ordred'apres la hauteur, selon des rapports nurneriques determines (les rapportspythagoriciens de consonances et ceux qu'on en deduisait), demand a presque deuxsiecles, elle necessitait, en eHet, d'une part l'usage conscient de I'intervallemesurf 71, d:autre part la notion precise de hauteur, fonctionnant entre Ie fait mental,qui correspondait a la perception du mouvement de la voix, et Ie fait acoustique,qu'exprimait mathematiquernent la theorie des intervalles consonants n

Mais il faut insister sur Ie fait que les notions de hauteur, d'intervaUe, d' echelle,ne purent etre fixees alors que grace a la methode experimentale du monocordegreco-latin qui, mesurant avec exactitude les longueurs des cordes correspondantaux rapports d'intervalle, determinait la localisation grave-aigu des sons discrets. etpermettait de les serier numeriquement '3. Et il faut aussi signaler l'importance durole joue par I'image cosrno-geometrique des multiples gammes planetaires,illustrant la doctrine pythagoricienne et platonicienne de I'Harmonie des spheres";repandues dans la litterature medievale bien avant que ne soit elaboree l'echellemusicale, ces gammes irreelles et irrationnelles. Iamiliariserent avec l'idee d'une

69 JEAN SCOT ERIGENE, op. cit., p. 208,11 et 210, 6; REMY D'AUXERRE, op. cit., t. II, p. 336,25et 341, 18(en cornmentaire de MARTIANUS CAPELLA, op. cit., p. sao, 13 et 506, 8); HUCBALD (deuxieme mcitie du~e 5.), Harmonica institutione, G. 5., t. I, p. 104 a et passim; Musica Enchiriadis, G. 5., t. I, p. 152a; REGINON70 EPROM (Xe s.), De Hannonica institutione, G. 5., t. I, p.242b. . .

JEAN SCOT ERIGENE a bien saisi la difference des deux apprehensions des intervalles: duobus slquldemmodis harmoniae vocum periti tonus dicunt. Nam et diastemata (espaces), hoc est 50norum intervalla, etanalogias (rapport), hoc est eorum proportiones, tonus dimnt. CL De divisione naturae (Periphyseon) I. III,~. L:, t. 122, col. 715c. A la suite de Jean Scot Erigene, tous les traites de la deuxieme moitie du IXe siecle sontase: Sur les rapports numeriques d'intervalle. Pour un expose plus detaille de cette synthese, voir rna these a

parattre: Imago mundi: Naissance de fa theorie musicale occidentale dans les commentaires carolingiens de~artianu.s Capella (Etude epistemologique de quelques images erigeniennes), lIe partie, chap.2.n Nous possedons des exercices solfegiques d'intervaIles, executes en monocorde, des Ie debut du Xe siede.Ie tente une etude complete du processus d'elaboration de l'echelle et de sa notation dans mon travail en

~o~r~: La systematisation des hauteurs de son dans les textes theoriques du. haut Moyen Age: De lean Scot73ng,ene a Cui d'Arezzo.deu~~,SSimila~i~nde la methode monocordale de Boece (De institu.tione m~5ica, 1. :V,ch~p. ~-~!V)se fi.tdanslath - .eme motte du IXe 5., et, intervention decisive, fournit les bases techniques necessalres a I elaborabon de la74 ~ne ~usicale et de l'echelle. CE. ci-dessus n. 72. . .

radltion cosmologique instituant une correspondance mathematique harmonique (annoma caelestlUmrn~tuum_siderumqu.e sOrlorum) entre les sons du systeme musical (et les cordes de 1alyre) et les mouvements dessperes celestes (les sept planetes, la sphere des etoHes fixes et la terre) : celles-ci auraient engendre toutes lesconsonances musicales en toumant sur leurs orbites, separees par des espaces dennis par les rapportsPYthagoriciens des intervalles consonants.

Page 18: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

7° M.-E. Duchez: La representation spatio-verticale .

repartition des intervalles suivant les rapports de consonances, d'une seriationspatiale des sons suivant leur hauteur (partitio siderumque sonorum). Car cetteimage dominante de la pen see musicale antique et rnedievale, coherente du point devue mythique mais tres confuse dans ses multiples realisations, offrait l'imageconcrete d'une structure musicale: intervalles musicaux spatiaux (distances desorbites planetaires}, et sons discrets (astres sonores sur leurs orbites) de hauteurprecise (hauteur des orbites), lies par les nombres pythagoriciens des consonances,Elle projetait dans l'espace celeste, que l'on voulait espace sonore, les relations dessons et des intervalles, et donnait a I'ordre des hauteurs de son une valeur immuableet eternelle 75.

Au cours de ces rationalisations, dans ces methodes et sur ces images, qui toutesprivilegient l'espace, la notion sensible de tension qui, dans la theorie grecque,representait la realite vecue de la production traditionnelle du son sur la lyre ou lacithare, est rernplacee progressivement par la notion abstraite de la hauteur, imagedu resultat sonore a obtenir. Les termes lies philologiquement a la tensionpersisteront cependant [usqu'a nos jours pour exprimer des modifications dehauteur (ton, intonation, entonner, etc.).

L'efficacite theorique et la productivite operatoire de la notion de hauteur, danslamusique des IXe-XIXe siecles, tiennent essentiellement a ce qu'elle est quantifiableet mesurable, par association avec Ie stimulus physique bien determine, qui enproduit les variations. Cette mesure fut un moment d'une importance primordialedans la pen see musicale occidentale: en continuite avec I'arithmetisation grecque del'experience musicale, elle permit de fonder sur la connaissance physico-mathemati-que du son un systeme notionnel precis, faisant correspondre a une structurepsycho-musicale une structure conceptuelle quantitative. Basee sur les principesdacoustique (rapports de consonance, frequence de vibrations), la me sure fit d'unemetaphors imprecise un concept psycho-acoustique precis. La construction de lamesure de la hauteur differa suivant les epoques. leur culture scientifique et leurniveau technique, faisant evoluer avec elle la notion merne de hauteur. Si, a l'epoquemoderne, apres la decouverte de la frequence des vibrations, c'est par I'intermediairede cette frequence, responsable du degre dacuite et de gravite, qu'on a mesure lahauteur en valeur absolue; si, d'autre part, on a de nos jours instaure d'autressysternes de me sure, la partie de la theorie musicale dont l'objet est la hauteur duson fut, de Pythagore a Rameau, edifiee a I'aide du monocorde. La mesuremonocordale donna de la musique une description objective et precise: non pas parses conditions de production, comme avaient tente de Ie faire les descriptions pre-theoriques qui restaient proches de I'experience intuitive du chant; mais, au boutd'une lente dlstanciation rationnelle, qui deconstruisit et reconstruisit Ie continuumrnelodique en elernents abstraits (intervalles, sons discrets), par un caracterenurnerique lie a unepropriete acoustique et pouvant etre symbolise 76. Agissant pourla hauteur du son somme un acte sernantique, la mesure monocordale a fait

75 Cf. M.-E. DUCHEZ, Imago mundi ... op. ctr.. He partie, chap. 2, 2 et HIe partie, chap. 2 en entier.76 Ce passage de Ia pronuntiatia musicale du texte liturgique, a la mensuratio des sons du chant, fait l'objetdemon article: Description grammaticale et description arithmetique .. " dans: op. cit.

Page 19: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spatio-verticoie .

correspondre it un son une hauteur; et it une hauteur on a pu faire correspondre unenote. Car I'espace necessaire it la representation, et la mesure, essentiellementrepresentable, sont reunis pour la symbolisation du son dans Ie concept de hauteur,concept ne, nous I' avons vu, dans et pour la recherche d'une ecriture musicaleadequate 77.

Dans la musique traditionnelle, la notion quantitative de hauteur est coexistanteavec celie du son en tant qu' unite sonore, dont elle est Ie critere de selection: cetteselection des unites sonores necessitait, en eHet, dans la musique vocale du hautMoyen Age, I'intervention d'un concept abstrait relativement mesurable. Dans lapratique instrumentale, qui insiste sur l'aspect mecanique et acoustique de lamusique, cette selection est evidente : Ie degre de gravite et d' acuite peut etre modulepar la mesure directe de sa cause (longueur des cordes et des tuyaux, distance destrous et dimension des diametres des instruments it vent, etc.}: et ilpeut etre notesans l'intermediaire d'un concept abstrait: des conventions concretes suHisent(tablatures). Mais devant Ie probleme de la memorisation et la necessite d'unenotation precise, la voix, dans laquelle la relation de l'homrne it son instrument estimmediate et directe, exigeait une representation mentale intermediaire sur laquelleon put agir mentalernent, et poussait it I'abstraction. La selection des unites sonorescorrespondant it celle representation mentale, la hauteur su son, fut realises par lesmesures du monocorde, fonctionnant comme un veritable instrument. Bien que lesinstruments, rares au debut du Moyen Age, aient aide it I'elaboration de la theoriemusicale, et de sa notion de base, la hauteur du son", c'est pour la voix qu'ellesfurent elaborees , bien quelles se soient averees ensuite parfaitement adaptables it lamusique instrumentale, c'est it la musique vocale qu'elles furent pendant plus decinq siecles consacrees 78.

Lorsque, apres plusieurs siecles d'apparitions fugitives, dans des metaphoresverbales ou des analogies de surface (metaphores et analogies gestuelles, linguisti-ques et cosmiques), l'irnage conceptuelle de hauteur de son a alleint sa fixationnotionnelle quantitative, elle informe la sensation dont elle est issue, et s'investitdans Ie champ operatoire dont elle a emerge, pour Ies justifier et les feconder: nee deI'expression de la diastematie, elle est Ie principe operant et maniable du systeme derepresentation de la musique traditionnelle, I' echelle musicale - graduation des sonsselon les rapports de consonance, done selon des ecarts lies it la Irequence - et lanotation qui Ia symbolises'. Principe de diHerenciation degage par necessite, la

n La liaison hauteur de son _ notation defirut la musique occidentale des IXe-XIXe steeles, qui a dti sacrifier a-cette hegemonie des valeurs qualitatives non, au mains, quantifiables, et n'a pris conscience que tardivement deleurs possibilite's" .

Pour des details sur Ie role des instruments (argues) dans l'edification de la theorie musicale au debut de~oyen Age, d. man Imago mundis ... op. cit., HIe partie, chap. 2.

ee caractere vocal de la theorie n'empecha pas la musique instrumentaJe de s'y developper extraordinaire-ment, avec res modifications necessaires. La notion de hauteur de son, principe de la notation, a prevalu en raison~eson pouvoir compositionnel, et a supplante (fin XVHe s.) toutes les tablatures. instrumentales.~u Milieu du IXe s. s'instaura, par une sorte de dialectique qui unit hauteur, echelle e.tnotati?n, un proc~~usd~

r,~tionalisationdans lequella mesure monocordale joue un role primordial, et qui aboubt, au debut du XIe s~ec.le,aI echelle diatOnique notee attribuee a Gui d'Arezzo (d. ci-dessus n.72). Celle-ci repres~te, par des v~abonsgraP.hiques verticales du signe sur Ie plan oriente et gradue (portee), les variations de hauteur du son dans I espacemusical gradue par l'echelle intervallique pythagoridenne.

Page 20: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spatio-terticaie ,

hauteur de son devient rapidement Ie principe d'organisation qui, ayant permis lafixation de la theorie modale du passe, assura Ie developpement de la polyphoniedans I'avenir. La representation spatio-verticale des structures differentiellesinfluencant ces structures elles-memes, la hauteur fut enfin principe de compositiondans I'accord de I'harmonie classique.

Le concept de hauteur de son fut actif bien longtemps avant la formulation etl'acceptation, en guelgue sorte officielle, du terme·!; attests des Ie IXe siecle, entredans Ia pratigue au Xle siecle ", ce n'est qu'au XVlIIe siecle gue Ie terme de hauteurs'imposa de£initivement, apres bien des debats ", dans la Theorie musicale, alaplace du terme non spatial d' acuiie. En 1762, il n'est pas encore dans Ie Dictionnairede I'Academie au sens musical. Rameau lui-meme, au debut de son ceuvre detheoricien, en conteste la justesse, sans doute parce gue cette image verticale creeepour la voix contrarie intuitivement la direction horizon tale des daviers".Mais Ie concept de hauteur de son a preuve Ia legitimite de son contenu et la

justesse de sa denomination par son efficacite operatoire et sa Iecondite theorique.Sans doute peut-on maintenant lui reprocher davoir conceptualise la perception etde I'avoir reduite, en »l'inserant dans un cadre psychique preexistant »; d' avoir, parIe passage de I'operationnel it l'etre, par Ie passage des expressions metaphoriquesaux interpretations psychologigues, puis it la certitude ontologique, transforme desimples relations dactions en relations substantielles; et davoir, en limitant lessons aux notes et les notes aux frequences, coupe Ia musigue des autres ressourcessonores; d' avoir, enfin par ces deux limitations, la perceptive de l'epistemique.considerablemenr restreint Ie domaine des sons.

Ces reproches, justifies actuellement, sont sans poids historiguement. Des son

~l Remarquons que, dlfferant des Allemands, des Italiens et des Francais qui empIoient le terme hauteur, IesAnglo-Saxons emploient un terme beaucoup mains charge de signification spatio-verticaIe: pitch.82 ['al rencontre les termes altitudo eoni, altitudo vocis, par analogie avec l'accent. dans les descriptions verba-grammaticaIes de Ia melodie dues a Aurelien de Reome au milieu du IXe steele (op. cit., chap. VI, p. 71 et 75, etchap. XII, p.95 Cushee). A la meme epoque, Jean Scot Erigene emploie I'expression altitudo sonorum, paranalogie avec la hauteur des orbites des astres altitudo siderum, en commentant Martianus Capella dans unediscussion II

scientifique" sur I'Harmonie des spheres (Manuscrit Oxford, Boldeian Library, Auct. T. II, 19, fo}.13v-14r); d. Imago mundi .. " IIIe partie, chap. I, 2. Les termes altitudo soni furent cependant peu employesjusqu'au XIlIe siecIe: au XIe siecle, Cui d' Arezzo, decrivant solfegiquement Ia gamme, entiecement basee su.rIeconcept de hauteur, emploie pour denommer Ie degre de gravite et d'acuite des sons Ie terme proprietas, ce qUI enmontre bien Ie caractere dominant et exclusif, d. Epistola Guidonis ad Michaeli monacho de ignoto cantu, G, 5.,t. II, p. 43-50, passim, et specialement p. 45.83 }usqu'au milieu au XVIIIe s., nombreux sont ceux qui continuent a discuter Ia valeur du terme hauteur, yvoyant une simple metaphore (entre autres MERSENNE, Harmonie Universelle [Paris 1936]. t. 1,1. I, p.1~ et28), une liaison arbitraire (entre autres }.-}. ROUSSEAU, Dictionnaire de Musique (Paris 1968], ar!lcIeHypate), voire une impropriete (entre autres BROSSARD, Dictionnaire de la Musique [Paris 1703J, artIClesAcuite et Hauteur). Mais les avantages operatoires, theoriques et pratiques, du terme, pleinement realises dans1a notation, I'ont fait accepter (ainsi BROSSARD, Lettre en forme de Dissertation a Monsieur Demoz sur sanouvelle methode d'ecrire ie plain-chant et la musique [Paris 1729], p. 6 et 16), defendre (ainsi I'Abbe LEBEUF,historien et theoricien du chant d'eglise, Letfre sur Ie systeme de chant invente depuis peu, dans: Mercure deFrance, Fevrier 1728, p.228), et finalement assimiler.84 Cf. J. P. RAMEAU, Traite de l'harmonie, reduite a ses principes naturels (Paris 1722), Table p. IX: «aigu,veritable nom qu'on doit donner a haut, de meme que grave est celui qu'on donne au son bas,> ; Dissertation surles difterentes methodes d'accompagnement (Paris 1732), p.25; II Le haut et le bas, Ie dessus et Ie dessous, seprennent conformement a l'ordre des touches du clavecin ou Ie haut est du cote droit de le bas du cote gaucheI'.Pour Rameau, les termes haut et bas ne sont pas «naturels», mais theoriques et pedagogiques; ainsi, parlantd'un eleve ingnorant les elements de la musique, ilecrit: II il ne sfavoit pas ce que veut dire plus haut etplus bas"(Reflexions de Mr. Rameau, dans: Mercure de France [Octobre 1752], p.90).

Page 21: La repŕesentation spatio-verticale du caractère musical grave-aigu et l'élaboration de la notion de hauteur de son dans la conscience musicale occidentale

M.-E. Duchez: La representation spaiic-vert icaie . 73

emergence dans la conscience musicale, Ie concept de hauteur de son apporta a lamusique, en merne temps que le guide recherche d'execution pratique du chant(precision du geste vocal), une possibiiite de representation theorique qui futdecisive (connaissance de la note et de son echellei. En sus de sa feconditeimmediate, il a eu, par les phenomenes qu'il a permis de manier (dans la polyphonie,la melodie accornpagnee, I'harmonie classique et romantique), une efficacite et uneportee teleologique millenaires. La notion de hauteur de son exprime non 1'«etre . dela musique, mais une Iacon de la produire, elaboree dans des conditions particulie-res, pour une musique particuliera, c'est-a-dire dans un domaine sonore limite, tantau point de vue de la sensibilite que de la connaissance scientifique du son. On saitquelle peine coute I'acquisition d'un concept: j' ai tente de montrer les multiplescirconstances favorisantes et I'effort continu qui avaient dll s'unir pour la formationdu concept de hauteur de son. Une des circonstances favorables fut que cet effort sedeveloppa et se maintint dans un certain consensus culturel sur Ie type de musique aproduire et Ie savoir acoustique. Dans Ie domaine musical contemporain, Ie conceptde hauteur, eclate et paradoxal, voit se limiter son efficacite, S'il s'etablissait uncertain consensus psycho-acoustique, embrassant une tres grande diversite demoyens, anciens et nouveaux, de production des sons, une question, suscitee par lareflexion historique, se pose a la reflexion epistemologique: Ie concept de hauteur deson, elargi et transjorme par les conquetes de I'acoustique contemporaine, pourra-t-ilencore fonctionner efficacement? ou les exigences des tendances musicales domi-nantes feront-elles emerger du savoir actuel un nouveau concept psycho-acoustiqueoperatoire, pour fonctionner entre la production des sons et Ie resultat psychique aobtenir de lacon analogue a celle du concept de hauteur de son ?

Brussels, Bibliotheque Royale MS. 5557,and the Texting of Dufay's "Ecce ancilla Domini"

and "Ave regina celorum" MassesGARETH R. K. CURTIS (MANCHESTER)'

As a result of recent research on Dufay carried out by such scholars as Wrightand Planchart,2 a number of points have emerged about his last twenty years or so,and more specifically about the Mass music he wrote during this time:1. He was based at the Savoy court from 1450 to 1458 and then remained atCambrai from November 1458 until his death in 1474.'

I I am much indebted to Dr. Margaret Bent, Dr. Roger Bray, Dr. David Fallows, and Dr. Jerome Roche, among~ther5, for helpful advice during the preparation of this article.C. WRIGHT, Dufay at Cambrai: Discoveries and Revisions, in: JAMS 28 (1975), p. 175-2~9j A.

PLANCHART, Guillaume Dufay's Masses: Notes and Revision, in: MQ 58 (1972), p. 1-23, and. GUillaumeDufay's Masses: A View of the Manuscript Traditions, in: Papers Read at the Dulay Qurncentenaryfonference, ed. A. W. Atlas (New York 1976), p. 26--60.WRIGHT, op. cit., p. 188If.