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La Perception tactile en marketing
Etat des lieux et perspectives de recherches
Rania Serhal
Doctorante
Université d’Angers
GRANEM (Groupe de Recherche Angevin en Economie et Management)
UFR de droit, d’Economie et de Gestion
13, Allée François Mitterrand
BP 13633
49036 Angers Cedex 01
Email : [email protected]
Tel : 0622424108
Gaëlle Pantin-Sohier
Maître de Conférences
Université d’Angers
Régis Dumoulin
Professeur des Universités
Université d’Angers
La Perception tactile en marketing : Etat des lieux et perspectives de recherche
Résumé :
Les résultats de recherche sur le sens du toucher soulignent le rôle déterminant de la modalité
haptique dans l’évaluation des produits et son impact sur le comportement du consommateur.
Cet article de synthèse présente les particularités de cette dimension sensorielle, recense les
recherches effectuées sur la perception tactile en marketing et soulève un grand nombre de
pistes de recherches encore non explorées dans ce champ.
Mots-clés : Toucher, haptique, perception, marketing sensoriel.
The tactile perception in marketing: Status and research perspectives
Abstract:
The results of research on the sense of touch emphasize the role of haptics in product
evaluation and its impact on consumer behavior. This article presents the characteristics of
this sensory dimension, identifies research on tactile perception in marketing and raises a
number of research avenues still unexplored in this field.
Key-words: Touch, haptics, perception, sensory marketing.
1
La Perception tactile en marketing
Etat des lieux et perspectives de recherche
Introduction
Depuis plus de cinquante ans, la texture très douce de la tablette de savon Dove, obtenue par
l’ajout d’un quart de crème hydratante dans sa formule, reste toujours le grand atout de la
marque. Ce toucher crémeux, associé à la promesse d’une peau qui ne dessèche pas, lui a
conféré une personnalité sensorielle auprès des consommateurs et lui a permis de s’étendre
sur le secteur de l’hygiène beauté. Ainsi, la dimension tactile du savon Dove est en mesure de
déclencher des émotions, elles-mêmes génératrices de plaisir et constitue dès lors sa signature
sensorielle tout comme la marque Play-Doh possède une signature olfactive et Apple une
signature sonore. Dans un contexte expérientiel et innovant, de nombreuses marques
explorent les capacités de cette variable sensorielle afin de surprendre et satisfaire le
consommateur. Ainsi, la marque de cosmétiques Lush propose, entre autres, des shampoings
solides et une pâte à modeler pour se laver le corps. D’autres révolutions tactiles émergent
dans l’univers agro-alimentaire, les experts scientifiques du groupe Mondelez
(commercialisant le chocolat de la marque Cadbury) ont mis au point un chocolat qui ne fond
pas jusqu’à 35°1 et Wikicells
2 offre des produits dont l’emballage alimentaire est comestible
(conçus à partir de produits naturels). Néanmoins, cette dimension sensorielle impliquant
deux types de perception tactile3, cutanée et haptique, a donné lieu à des recherches de nature
différente (portant sur le toucher interpersonnel et sur la perception haptique). Ainsi, cet
article de synthèse a pour objectif de dresser un état des lieux des recherches sur la perception
tactile en présentant successivement les particularités de cette modalité sensorielle, puis
1http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/grande-consommation/actu/0203072284383-cadbury-
met-au-point-le-chocolat-qui-ne-fond-pas-618374.php 2 http://www.wikicelldesigns.fr/
3 Les différents types de toucher seront détaillés dans la partie qui suit.
2
l’impact de la dimension tactile en marketing pour finalement mettre en évidence le potentiel
encore non exploré de cette variable dans le cadre des recherches en marketing sensoriel par
le biais de la présentation de nombreuses voies de recherches.
1. Les différents types du toucher4
L’usage du toucher permet d’entrer en contact avec un élément extérieur, existant, réel. Il est
alors le pont entre notre imagination et le réel (Gallace et Spence, 2011). Le tactile est une
dimension sensorielle qui nous rapproche considérablement du produit contrairement à la
vision ou à l’audition qui constituent des rapports distanciés. La perception tactile est le
résultat de deux types de stimulation : le toucher cutané et le toucher haptique.
1.1. Le toucher cutané
C’est un toucher passif qui est assimilé à la perception fondée uniquement sur la stimulation
cutanée (Gibson, 1962). Dans ce cas, seule la surface en contact avec le stimulus permet la
stimulation et l’échange alors que l’autre partie du corps reste immobile (Gentaz, Hatwell et
Streri, 2000). Il n’est donc pas intentionnel et n’a pas de finalité exploratoire. En
comportement du consommateur, la recherche sur le sujet s’est limitée au toucher
interpersonnel qui s’appuie sur le retour hédonique, affectif et relationnel du toucher.
1.2. L’haptique
L’haptique est un mot d’origine grecque qui signifie « toucher ». Il peut aussi signifier la
science du toucher comme l’optique est la science de la vision. Le système haptique est un
système de perception qui dépend de deux sous-systèmes : le système cutané et le système
kinesthésique et plus précisément le système « épaule-main ». Ainsi, les récepteurs de la
4 Voir Annexe 1, Tableau 1.
3
proprioception (muscles, tendons et articulations) sont impliqués dans la perception haptique
qui sollicite alors des processus plus complexes que la perception cutanée afin d’intégrer
simultanément les informations cutanées, proprioceptives et motrices (Gentaz, Hatwell et
Streri, 2000).
2. La recherche marketing
Les travaux réalisés en marketing traitent d’une part le toucher interpersonnel et d’autre part
la dimension haptique.
2.1. Le toucher interpersonnel5
La littérature suggère que le toucher interpersonnel suscite une attitude positive des sujets
envers la personne qui les touche (Stier et Hall, 1984 ; Rose, 1990) et augmente l’ouverture
aux autres (Jourard et Rubin, 1968 ; Pattison, 1973) mais il peut également générer un
sentiment d’anxiété et de malaise chez les sujets touchés (Walker, 1971). Les premiers
travaux sur le toucher interpersonnel ont été réalisé dans un contexte thérapeutique (Aguilera,
1967 ; Raiche, 1977). La recherche sur le toucher interpersonnel montre qu’il est en mesure
d’accroître la préférence (Fitzsimons et al., 1976) et d’inciter les individus à se conformer à
une demande. (Kleinke, 1977 ; Willis et Hamm, 1980 ; Hornik et Ellis, 1988). Smith, Gier et
Willis (1982) ont évalué l'effet du toucher impliquant une demande à déguster et acheter un
produit alimentaire (la moitié des clients ont été touchés lors de la demande et l'autre ne l’était
pas). Les résultats ont montré que le toucher a augmenté la probabilité de l'échantillon à la
fois d'essayer la nourriture et d’acheter le produit. En revanche, le toucher n’a pas eu d’effet
sur l’évaluation gustative du produit. Hornik (1992) explique que la stimulation tactile dans
différentes situations de consommation renforce l’évaluation positive à la fois des stimuli
5 Voir Annexe 1, Tableau2.
4
externes et de la source du toucher. Il montre que le toucher facilite la conformité du sujet à
une demande d’achat (Hornik, 1992).
2.2. La recherche haptique
De nos jours, l’attribut tactile peut constituer une variable de choix pour répondre aux attentes
des consommateurs en matière de nouveauté (Zampini, Mawhinney et Spence, 2006 ; Spence
et Gallace, 2011). L’exploration tactile joue un rôle essentiel dans l’évaluation des propriétés
matérielles par le consommateur et fournit des informations uniques qui ne peuvent être
acquises grâce à la reconnaissance visuelle (Lindauer, Stergiou et Penn, 1986) telles que
l’évaluation de la dureté, la rugosité, le poids et la température. Cependant, la recherche
marketing sur la modalité haptique a pris un vrai tournant avec les travaux de Peck et Childers
en 2003 et la validation de l’échelle « Need for touch (NFT) » ou « besoin de toucher ». Ainsi,
la recherche haptique s’est développée essentiellement autour de 3 axes : la saillance de
l’attribut tactile, la dimension hédonique du « besoin de toucher » et les interactions
multimodales entre l’haptique et les autres sens. L’étude du toucher virtuel est une nouvelle
voie de recherche qui est en train de se développer.
2.2.1. Le besoin de toucher6
« Le besoin de toucher » (Peck et Childers, 2003a) mesure les différences de sensibilité à
l’information tactile entre les individus. Cette échelle est définie comme une préférence pour
l'extraction et l'utilisation des informations obtenues par le système haptique. Ce construit
intègre deux dimensions de l’attribut produit dans le traitement de l’information haptique :
une dimension d’usage ou instrumentale et une dimension hédonique ou autotélique. Selon les
auteurs, l’exploration instrumentale conduit le consommateur à résoudre un problème grâce à
6 Voir annexe 1, Tableau 3 pour les échelles de mesure du besoin de toucher et du besoin d’entrée
tactile
5
une recherche d'informations lui permettant d’attribuer un jugement au produit final. Dans un
contact autotélique, le but est de profiter pleinement de l'expérience sensorielle, souvent sans
un objectif d'achat. Il implique une réponse hédonique orientée vers la recherche du plaisir et
de la stimulation sensorielle. Les sujets qui présentent un fort « besoin de toucher » peuvent
extraire l’information tactile plus facilement de la mémoire et seront capables de former des
représentations mentales plus riches des informations haptiques du produit. De plus, le besoin
de toucher joue un rôle modérateur entre l’expérience directe avec le produit et la confiance
dans le jugement (Peck et Childers, 2003a). Les auteurs ont prouvé que la confiance dans le
jugement est plus grande chez les individus qui ont la possibilité de toucher le produit (un
sweater) lors de son évaluation et qui présentent un niveau élevé du besoin de toucher.
Citrin et al. (2003) explorent quant à eux le besoin de toucher dans un environnement virtuel
et son impact sur le comportement d’achat sur Internet. Ils ont alors conceptualisé « le besoin
d’entrée tactile » qui influencerait négativement l'achat de produits en ligne. En outre, les
femmes ont montré un besoin plus élevé pour l'entrée tactile par rapport aux hommes lors de
l’évaluation de produits. Cette recherche montre le besoin de fournir des alternatives à
l’expérience tactile lors de la vente de produits nécessitant le toucher via Internet.
2.2.2. La saillance de l’attribut tactile
Peck et Childers (2003b) s’intéressent au traitement de l’information haptique et à son impact
sur le jugement du consommateur. Les auteurs montrent que la saillance de l'information
haptique diffère sensiblement entre les produits, les consommateurs, et les situations. Ils
essayent de mieux comprendre l'effet de la compensation de l'information haptique pour la
vente par correspondance et le commerce électronique. En effet, les barrières à l’entrée tactile
ont pour conséquence de diminuer la confiance envers les produits et d’augmenter le niveau
de frustration des consommateurs qui ont un besoin de toucher relativement élevé. En outre,
6
des descriptions écrites et des descriptions visuelles de produits peuvent partiellement
améliorer l'acquisition de certains types d'information tactile. McCabe et Nowlis (2003)
étudient l’impact de l’attribut tactile sur le comportement du consommateur et montrent que
les produits ayant des propriétés matérielles saillantes (vêtements et tapis) sont préférés dans
des environnements commerciaux qui permettent l'inspection physique de ces produits.
Grohmann, Spangenberg et Sprott (2007) confirment l’impact positif du toucher sur
l’évaluation des produits ayant des propriétés matérielles saillantes.
Zampini, Mawhinney et Spence (2006) essaient de savoir si la rugosité perçue de l'extrémité
d'un produit est influencée par la texture de la poignée permettant de le tenir (poignée d’un
déodorant stick), afin de mettre en avant l'effet de l'expérience haptique dans l'évaluation des
produits. Les résultats montrent que la rugosité de la poignée a un rôle légèrement modérateur
dans la perception de l’extrémité du déodorant.
Wolf, Arkes et Muhanna (2008) ont décrit le pouvoir du toucher et du contact physique sur les
intentions d'achat des consommateurs en indiquant que les détaillants peuvent augmenter la
valorisation des produits par les consommateurs en augmentant la durée de "toucher et sentir"
pendant l’évaluation. Peck et Shu (2009) ont montré que la possibilité de toucher un objet
augmente le sentiment d’appropriation perçue de l’objet et que sa valorisation augmente
également lorsque la valence du stimulus tactile est perçue comme neutre ou positive.
2.2.3. La dimension autotélique du NFT
Peck et Childers examinent la relation entre l'achat d'impulsion et la composante autotélique
du toucher (Peck et Childers, 2006). Conformément aux attentes, les individus avec un besoin
de toucher autotélique élevé achètent plus impulsivement que ceux qui présentent un niveau
autotélique inferieur. En revanche, un environnement qui met en évidence la saillance des
informations tactiles permet d’accroître le comportement d'achat d'impulsion chez les deux.
7
De ce fait, l'accessibilité et l’encouragement du contact autotélique peut inciter à l'achat
d'impulsion voir même le provoquer.
Peck et Wiggins (2006) étudient l'influence persuasive de l’information tactile en l'absence de
renseignements utiles sur les produits et montrent que les aspects hédoniques du toucher
peuvent augmenter la persuasion, notamment chez les individus qui présentent un niveau
élevé du besoin de toucher autotélique. Ainsi, pour les individus qui sont motivés pour
toucher parce que c'est amusant, une communication qui intègre une information tactile
conduit à une réponse affective accrue et à une plus grande persuasion, en particulier lorsque
le toucher fournit une réponse sensorielle neutre ou positive. En 2011, Peck et Wiggins
montrent que la présence d’un élément haptique influence la persuasion selon l’implication
envers le message et les produits. Krishna et Morrin (2008) examinent l’impact de la
dimension haptique ou tactile de contenants ou d’emballages de produits sur l’évaluation des
produits (c'est-à-dire le contenu). Les résultats montrent que la fermeté du gobelet contenant
l’eau affecte le jugement du consommateur envers l'eau elle-même. Mais, ces indices non
diagnostiques sont plus susceptible d’influencer les consommateurs qui ne sont pas très
tactiles (NFT autotélique faible) plutôt que ceux qui sont haptiquement motivés (niveaux
élevés du besoin autotélique).
2.2.4. Les interactions multimodales : l’haptique et les autres sens
Une stimulation tactile se traduit par l’activation, l’interaction et la mesure de plusieurs
signaux sensoriels :
Audition et toucher : Zampini, Guest et Spence (2003) ont étudié l’impact du retour sonore
lors de l'utilisation d’un produit sur les perceptions haptiques des consommateurs. Ainsi les
variations sonores induites par l’action de brossage ont modifié systématiquement la
perception d’agrément et de rugosité d’une brosse à dent électrique. Ces résultats mettent en
8
évidence le rôle important que peut jouer la modulation des retours sonores dans l’évaluation
de produits de consommation courante ainsi que le besoin d’approfondir cette voie de
recherche.
Vision et toucher : Krishna (2006) examine les interactions bimodales entre la vision et le
toucher envers la perception de l’allongement d’un produit. Dans le cas du jugement bimodal
volume, les résultats indiquent que la dimension visuelle prédomine. En revanche, lorsque les
consommateurs doivent évaluer le produit selon un jugement monomodal tactile, les résultats
révèlent la perception d’un biais d’élongation inverse. Dans ce contexte bimodal, Boyd et
Marlow (2007) montrent que la dimension tactile peut jouer un rôle plus important que la
dimension visuelle lorsque les individus évaluent la qualité esthétique d’un produit,
notamment en fonction de l’indice tactile manipulé (trois textures différentes dans ce cas).
Little. et Orth (2013) ont testé l’impact de l’interaction bimodale sur la perception de la
marque et notamment sa personnalité. Les résultats montrent qu’à l'exception de la dimension
de l'excitation, les évaluations de la marque sont plus positives dans des conditions de forte
plutôt que faible congruence multisensorielle.
Odorat et toucher : En 2010, Krishna, Elder et Caldara montrent que la congruence
multisensorielle entre l’odorat et le toucher d'un stimulus améliore la perception haptique et
l'évaluation du produit.
2.2.5. Les interfaces haptiques
L’utilisation des interfaces haptiques qui permettent aux consommateurs de sentir et
manipuler en trois dimensions des produits virtuels se développe afin de restituer les
sensations haptiques. Jin (2010) examine le toucher virtuel en trois dimensions créé par les
9
interfaces haptiques « Novint Falcon7 » et son impact sur le comportement des
consommateurs dans le marketing interactif de l'automobile. Les résultats montrent que
l’intégration du retour de force dans l’expérience haptique augmente le sentiment de présence
physique et influence la perception de la personnalité de la marque. Ainsi l’auteur souligne le
rôle important que peut jouer l’information haptique dans la perception des produits et des
marques. Dans le même contexte expérimental automobile avec les interfaces haptiques
Falcon, l’auteur (2011) montre le rôle modérateur de la dimension instrumentale du besoin de
toucher. Les consommateurs qui présentent un niveau élevé du besoin de toucher instrumental
évaluent les produits de façon plus positive et profitent plus de l'expérience de conduite
virtuelle. Les résultats fournissent des indications pratiques et prometteuses concernant le
commerce en ligne et le shopping dans des environnements 3D virtuels et surtout pour les
produits possédant des propriétés matérielles saillantes tels que les vêtements et les tapis
(Citrin et al., 2003 ; McCabe et Nowlis, 2003). D’autres dispositifs haptiques existent
permettant aux utilisateurs de toucher et de manipuler des objets virtuels, tels que le
PHANTOM produit par Sensable Technologies et Omega par Force Dimension.
3. Les voies futures de recherche
La synthèse ci-dessus nous permet de suggérer différentes voies de recherche ainsi que des
moyens d’optimisation du potentiel de l’attribut tactile.
3.1. Approfondir les recherches sur les interactions multimodales
Les études menées reposent en majorité sur les résultats des recherches en sciences
neurocognitives. Ces résultats, qui représentent les fondements des études sur le marketing
tactile, se sont opérés dans un environnement expérimental loin du contexte commercial et
7 Le Falcon est un périphérique haptique qui permet de ressentir le retour d’effort et donc la texture, la
résistance des objets et leur poids
10
marchand. Il serait ainsi très intéressant d’élargir les recherches portant sur la dominance de la
vision sur le toucher concernant la perception des attributs tactiles et des propriétés spatiales
(Jones et O’Neil, 1985 ; Klatzky et Lederman, 1995). Il s’agirait, entre autres, d’approfondir
les travaux de Krishna (2006) en incluant l’estimation du volume ou du diamètre des
contenants par exemple, afin de vérifier s’il est possible d’optimiser la perception des
propriétés spatiales et matérielles des produits par le biais des attributs tactiles. Il serait
également intéressant d’étudier l’impact des matériaux présentant un caractère innovant par
rapport à la catégorie du produit sur le comportement exploratoire du consommateur et la
saillance des attributs haptiques (Klatzky, Lederman et Reed, 1987) ainsi que les interactions
multisensorielles conséquentes.
3.2. L’attribut tactile et la catégorie de produits
La recherche haptique jusque-là s’est concentrée sur l’étude de la texture au niveau de
l’attribut et surtout la rugosité (Zampini, Mawhinney et Spence, 2006). La viscosité et la
friction, qui pourront être très spécifiques à certaines catégories de produits comme les
produits de beauté ou certaines catégories alimentaires par exemple, n’ont pas été sujets à des
recherches sur la modalité haptique. D’autres propriétés matérielles sont aussi intéressantes
pour l’étude des produits agroalimentaires comme l’exploration haptique de la dureté des
produits, la température et le poids et leur impact sur la perception et le comportement. Il
serait donc intéressant de tester l’impact de la manipulation de ces attributs sur la préférence
et l’acceptation du produit pour le consommateur dans un cadre novateur. On peut aussi
supposer que l’intensité de l’investissement de l’individu dans un effort actif pour la
découverte du produit (fréquence des mouvements, temps de l’exploration) dépend du signal
tactile et de sa nature, diagnostique ou hédonique. Par ailleurs, la saillance des propriétés
matérielles varie considérablement selon la catégorie de produit (Grohmann, Spangenberg et
11
Sprott, 2007). Il convient dès lors de comprendre les différences de comportement face à un
repère tactile dans les différentes catégories de produits avant de s’engager dans une stratégie
qui encourage l’interaction tactile.
3.3. Les variables individuelles psychologiques et physiologiques
Jusqu’à présent, les recherches permettent de comprendre l’impact de la modalité tactile sur le
comportement du consommateur mais peu de variables individuelles ont été étudiées afin de
distinguer les individus pour lesquels la modalité tactile est plus importante que pour d’autres.
Il s’agit désormais d’étudier et de comprendre les processus psychologiques sous-jacents du
toucher et les motivations qui le sous-tendent. Ainsi, il serait aussi intéressant de relier le
« NFT » (besoin de toucher) à d’autres traits de personnalité afin de pouvoir dresser un profil
psychologique du consommateur face à un signal tactile. Enfin, notons que l'interaction tactile
avec un produit ne crée pas simplement une réponse psychologique mais aussi physiologique.
Ainsi mesurer l’impact tactile sur les battements de cœur ou la dilatation de la pupille sont
autant de voies de recherches à explorer en neuromarketing.
3.4. L’identité tactile
La dimension tactile des produits permet d’envisager certaines applications commerciales
telles que l’identité tactile (signature tactile). Les questions portent ici sur le renforcement de
l’identité tactile et l’ancrage de ses qualités sensorielles dans la mémoire du consommateur. Il
s’agit d’identifier des repères sensoriels (et tactiles) associés aux produits auxquels le
consommateur adhère.
3.5. La fidélisation par le toucher
12
L’exiguïté du champ de perception dans la modalité haptique permet une certaine proximité
avec le produit. Cette intimité temporaire entre le consommateur et le produit (Gentaz,
Hatwell et Streri, 2000) se prolonge le temps de l’exploration haptique. Par conséquent une
proximité psychologique pourra se créer entre les deux comme le lien que crée le toucher
entre les personnes (Guerrero et Andersen, 1991). D’où l’intérêt de bien penser la conception
haptique du produit afin de permettre une plus grande interaction et une exploration guidée
vers la fidélisation du client. Pour les produits dont l’utilisation (non seulement l’exploration)
permet un contact prolongé avec le consommateur, il est important de travailler la conception
tactile du produit même. Pour la recherche tactile, il serait important d’approfondir la
compréhension de ce lien, du rôle des repères tactiles dans son renforcement et surtout sa
contribution (selon la catégorie de produit) à la fidélisation.
De nos jours, les innovations technologiques et sensorielles sont devenues presque
indissociables. Ainsi la stimulation tactile s’avère un recours important pour la création et la
consolidation d’une relation avec les produits de haute technologie telles que les tablettes
tactiles. Il s’agit ici de mieux comprendre « le pouvoir tactile » des propriétés matérielles et de
savoir jusqu’où peut-on pousser l’innovation tactile afin d’améliorer la relation entre le
consommateur et la marque. Il sera intéressant aussi de mesurer l’intensité de l’investissement
de l’individu dans un effort actif (fréquence des mouvements, temps de l’exploration) pour la
découverte du produit face à une série de stimulations de différents niveaux de l’innovation
tactile, que ce soit de nature diagnostique ou hédonique et l’impact sur la valorisation du
produit (Wolf, Arkes et Muhanna, 2008).
Conclusion
Dans cet article nous avons mis en exergue l’importance du toucher et notamment de la
modalité haptique dans l’évaluation du produit et son rôle dans la réussite de l’expérience de
13
consommation. De nos jours, la valeur affective du produit joue un rôle déterminant dans
l’acte d’achat aussi bien que sa valeur utilitaire. Il est donc recommandé, afin d’optimiser les
efforts d’innovation et de différentiation, d’exploiter au mieux le potentiel hédonique tactile
du produit, en identifiant les repères autotéliques saillants et en les présentant dans une
situation marchande favorable. Aussi, afin d’optimiser au maximum l’environnement
commercial en ligne, le recours à des descriptions verbales et visuelles des attributs tactiles ou
à des interfaces haptiques sont, en outre, des outils que les professionnels devront optimiser
afin de compenser les limites sensorielles de ce genre de circuits qui s’avère particulièrement
prometteur.
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18
Annexe 1:
Toucher Type d’activité Système de perception Mouvements
exploratoires
Finalité
perceptive
Cutané Passif
non intentionnel
Cutané - -
Haptique Actif intentionnel Cutané+kinéstésique+
proprioception
+ +
Tableau 1. Les types du toucher
Auteurs Variables
dépendantes
Variables
indépendantes
Résultats statistiquement
significatifs
Smith,
Gier et
Willis,
1982
Dégustation du
produit, achat, goût
Toucher
interpersonnel
-Impact positif sur la volonté de
déguster et l’achat
-Pas d’impact sur le goût
Hornik
(1992)
Temps d’achat,
montant d’achat,
évaluation du point
de vente et du
toucheur, conformité
à une demande
d’achat
Toucher
interpersonnel
-Impact positif sur le temps
d’achat, le montant d’achat, le
point de vente, le toucheur et la
conformité à une demande
d’achat
Tableau 2. Le toucher interpersonnel en marketing
19
Echelle Auteurs Résultats statistiquement significatifs
« Need for touch »
(Besoin de toucher)
Peck et
Childers(2003)
-Validation de l’échelle « besoin de toucher »
(NFT)
-Rôle modérateur du NFT entre l’expérience
directe et la confiance dans le jugement
«Need for tactile
input»
(Besoin d’entrée
tactile)
Citrin et al. (2003) -Validation de l’échelle « besoin d’entrée
tactile »
-Influence négative sur l’achat de produits sur
internet, surtout les individus qui ont besoin
d’indices tactiles pour l’évaluation du produit
-Un plus grand besoin d'entrée tactile chez les
femmes pour les évaluations de produits
Tableau 3 : Les échelles de mesure