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La notion de 'religio' dans le 'De ira Dei' de Lactance ...Indeed, the rhetoric analysis of the text shows the following propositio: there can’t be any religion where there is no

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La notion de religio dans le De ira Dei de Lactance: la Providence et la crainte de Dieu au fondement de la

religion comme réponse à la philosophie épicurienne source

des hérésies

Thèse

Jeffery Aubin

Doctorat en sciences des religions

Philosophiæ Doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Jeffery Aubin, 2016

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La notion de religio dans le De ira Dei de Lactance: la Providence et la crainte de Dieu au fondement de la

religion comme réponse à la philosophie épicurienne source

des hérésies

Thèse

Jeffery Aubin

Sous la direction de:

Anne Pasquier, directrice de recherche

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Résumé

Cette thèse propose une étude de la notion de religio dans le De ira Dei de Lactance, un

auteur chrétien du IVe siècle de notre ère. Lactance est très connu pour son étymologie de

religio contenue dans ses Diuinae institutiones, mais son utilisation, dans le De ira Dei, n’a

jamais soulevé beaucoup d’intérêt. Il s’agit pourtant d’une notion centrale dans ce traité

rédigé après que le christianisme soit devenu une religion tolérée par les Romains. De fait,

l’analyse rhétorique du texte montre que celui-ci comporte une propositio qui suggère qu’il

ne peut y avoir de religio sans crainte de Dieu. L’idée principale défendue par Lactance est

que bonté et colère doivent toutes les deux exister en Dieu et que cela constitue le point

essentiel de la piété et de la religion. Or, la notion de religion est rarement liée à la crainte

divine dans l’Antiquité et on la rencontre plutôt associée à la superstitio chez certains

penseurs romains, notamment chez Varron et Cicéron. La pensée de Lactance s’éloigne non

seulement des penseurs de la philosophie de la religion romaine, mais également des

auteurs chrétiens qui n’ont pas relié ces notions de façon aussi claire. Cette thèse étudie

donc, dans un premier temps, l’emploi par les chrétiens des termes religio et superstitio afin

d’en dégager quelques caractéristiques. Dans un deuxième temps, cette étude analyse la

première partie du De ira Dei consacrée à la religio, à la Providence et à la crainte de Dieu.

On remarque dès lors que les thèmes abordés dans le traité s’apparentent à ceux contenus

dans les textes du Pseudo-Clément: le jugement divin qui sert à corriger, la Providence

divine, la crainte de Dieu, la discussion sur les atomes et la figure d’Épicure qui est utilisée

pour représenter ceux qui s’opposent à ce que Dieu ait créé le monde et qu’il le gouverne.

Cette étude révèle donc une grande influence des textes du Pseudo-Clément. On remarque

des liens entre la pensée exprimée par Simon et Faustinianus dans les Pseudo-Clémentines

et les propos attribués à Épicure dans le De ira Dei. Certains chercheurs ont déjà noté que

la pensée d’Épicure, telle que représentée dans le traité de Lactance, ne correspond pas

toujours exactement à l’enseignement du philosophe du jardin. Lactance s’attaquerait plutôt

à des groupes chrétiens, ou à tout le moins proches du christianisme, qui ne peuvent

concilier l’idée d’un Dieu bon et d’un Dieu qui se met en colère. Ces groupes ont tendance

à rejeter l’idée de l’action de Dieu dans le monde, la Providence divine et ont une vue très

pessimiste de l’homme. L’analyse des arguments montre que les adversaires de cet ouvrage

partagent des traits avec Arnobe et un autre auteur qui est réfuté par Augustin dans son

Contra aduersarium legis et prophetarum. Tandis que les Pseudo-Clémentines se servent

de la figure de Simon pour s’attaquer aux marcionites ou aux disciples d’Apelle, le De ira

Dei se sert de la figure d’Épicure pour s’en prendre à des groupes du « Neu-

Marcionitismus » comme les nommait A. von Harnack. La discussion sur la religion dans

le De ira Dei vise donc à indiquer à ces groupes qu’ils ne peuvent prendre part à la religio

s’ils ne conçoivent pas que le Dieu unique, qui a créé le monde et le gouverne, puisse

éprouver bonté et colère.

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Abstract

This thesis proposes a study of the concept religio in the De ira Dei of Lactantius, a

Christian writer of the fourth century AD. Lactantius is well known for its etymology of

religio found in its Diuinae institutiones, but the notion of religio, as found in the De ira

Dei, never raised much interest. Yet, it is a central notion in this treatise written after

Christianity became a religion tolerated in the Roman Empire. Indeed, the rhetoric analysis

of the text shows the following propositio: there can’t be any religion where there is no fear

of God. The main idea defended by Lactantius is that kindness and anger must both exist in

God and that this is the essential point of piety and religion. But the concept of religion is

rarely linked to fear God in Antiquity and fear is rather associated with superstitio in Latin

literature, especially in Varro and Cicero. The thought of Lactance is remote not only to

Roman thinkers of philosophy of religion, but also Christian authors who have not linked

these concepts as clearly. Firstly, this thesis examines the use by Christian of religio and

superstitio in order to identify some characteristics. Secondly, this study analyzes the first

part of the De ira Dei devoted to the notion of religio, to the fear of God and to Providence.

The topics covered in the treaty are similar to those contained in the pseudo-clementine

texts: divine judgment used to correct rather than to avenge, Divine Providence, the fear of

God, discussion about atoms and the particular use of Epicurus as a the archetype of those

who refuse to admit that God created the world and governs it. A strong link can be found

between the thought expressed by Simon and Faustinianus in the Pseudo-Clementines and

statements attributed to Epicurus in the De ira Dei. Some researchers have noted that the

thought of Epicurus, as depicted in the Treaty of Lactantius, not always reflect exactly the

thought of the philosopher of the garden. The refutation of Lactantius would be directed at

a Christian group, or one close to Christianty, rather than directed at the epicurean

philosophy. This particular group could not reconcile the idea of a good God and a God

who is angry. These groups tend to reject the idea of God’s action in the world, therefore

the Divine Providence, and have a very pessimistic view of man. The analysis of the

arguments shows that the opponents of this book share traits with Arnobius and another

author who is refuted by Augustine in his Contra aduersarium legis and prophetarum.

While the Pseudo-Clementines are using the figure of Simon to tackle Marcionites or the

disciples of Apelles, the De ira Dei uses the Epicurus to attack a group of “Neu-

Marcionitismus” as A. von Harnack called them. Therefore, the aim of the discussion on

religion in the De ira Dei is to inform these groups that they can’t be part of the religio if

they do not conceive that there is only one God who created the world, governs it and who

can feel kindness as well as anger.

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Table des matières

Résumé .................................................................................................................................. iii

Abstract ................................................................................................................................ iv

Table des matières ................................................................................................................ v

Abréviation .......................................................................................................................... vii

Remerciements ..................................................................................................................... ix

Introduction .......................................................................................................................... 1

CHAPITRE 1 : Vie et œuvre de Lactance ........................................................................ 23 1.1. Vie de Lactance ............................................................................................................................. 24 1.2. Relation avec Constantin .......................................................................................................... 39 1.3. La conversion ................................................................................................................................ 44 1.4. Chronologie et datation de l’œuvre ...................................................................................... 46

1.4.1. Le De Opificio Dei ................................................................................................................................. 47 1.4.2. Les Diuinae institutiones ................................................................................................................... 48 1.4.3. Le De ira Dei ........................................................................................................................................... 68 1.4.4. L’Epitome ................................................................................................................................................ 70

1.5. Relation avec Arnobe ................................................................................................................. 71

CHAPITRE 2 : L’utilisation de religio chez les auteurs chrétiens des IIe et IIIe siècles

.............................................................................................................................................. 76 2.1. Introduction .................................................................................................................................. 76 2.2. Religio et superstitio dans l’Antiquité romaine ................................................................ 80 2.3. Tertullien........................................................................................................................................ 89

2.3.1. L’apologie ............................................................................................................................................... 91 2.3.2. L’hérésiologie ..................................................................................................................................... 111

2.4. Minucius Félix ............................................................................................................................. 122 2.4.1. L’exposé de Cécilius......................................................................................................................... 123 2.4.2. Marcus .................................................................................................................................................. 129 2.4.3. Octavius ................................................................................................................................................ 131

2.5. Cyprien .......................................................................................................................................... 136 2.5.1. Ad Demetrianum ............................................................................................................................... 136 2.5.2. De habitu uirginum .......................................................................................................................... 142

2.6. Novatien ........................................................................................................................................ 145 2.6.1. De bono pudicitiae ............................................................................................................................ 146

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2.6.2. De cibis Iudaicis ................................................................................................................................. 147 2.6.3. De spectaculis ..................................................................................................................................... 149 2.6.4. De Trinitate ......................................................................................................................................... 151

2.7. Arnobe ........................................................................................................................................... 154 2.8. Firmicus Maternus .................................................................................................................... 163

CHAPITRE 3 : Lactance ................................................................................................. 167 3.1. L’utilisation de Religio chez Lactance ................................................................................ 167

3.1.1. Religio et superstitio dans les Diuinae institutiones ............................................................ 167 3.1.2. Religion originelle dans les Diuinae institutiones................................................................ 171 3.1.3. Religio dans le De ira Dei ............................................................................................................... 175

CHAPITRE 4 : Religio dans l’argumentation du De ira Dei ........................................ 178 4.1. Plan du De ira Dei ...................................................................................................................... 178 4.2. Analyse de l’argumentation du De ira Dei ........................................................................ 178

4.2.1. Exordium (1, 1-2, 8) ......................................................................................................................... 186 4.2.2. Narratio (2, 9-5, 17) ........................................................................................................................ 211 4.2.3. Propositio: Dieu se met en colère car il est mû par la bonté (6, 1-6, 2) ...................... 218 4.2.4. Argumentatio (7, 1-21, 10) ........................................................................................................... 225

Conclusion ......................................................................................................................... 263

Annexe 1 ............................................................................................................................ 271

Annexe 2 ............................................................................................................................ 274

Bibliographie ..................................................................................................................... 276

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Abréviation

AT Ancien Testament

BA Bibliothèque augustinienne

BT Bibliotheca scriptorum graecorum et romanorum teubneriana, Leipzig, Teubner.

CCSL Corpus christianorum series Latina, Turnhout, Brepols.

CCSG Corpus christianorum series Graeca et Syriace, Turnhout, Brepols.

CIL Corpus inscriptionum latinarum

CSEL Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum, Vienne.

CSLP Corpus Scriptorum Latinorum Parauianum, Turin, Paravia.

CUF Collection des Universités de France, Paris, Les Belles Lettres.

GCS Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte

NT Nouveau Testament

SC Sources chrétiennes, Paris, Les éditions du Cerf.

SCBO Scriptorum classicorum bibliotheca oxoniensis

TU Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur

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« À travers le mot, je me définis par rapport à l’autre, c’est-à-

dire, en dernière analyse, vis-à-vis de la collectivité. Le mot

est une sorte de pont jeté entre moi et les autres. S’il prend

appui sur moi à une extrémité, à l’autre extrémité, il prend

appui sur mon interlocuteur. Le mot est le territoire commun

du locuteur et de l’interlocuteur. »

Mikhaïl Bakhtine, Le marxisme et la

philosophie du langage, 1977, p. 124.

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Remerciements

Ces quelques pages n’auraient pu être menées à bien sans l’aide précieuse de plusieurs

personnes. La présentation de ces humbles résultats est l’aboutissement d’encouragements,

de commentaires constructifs, mais surtout, d’échanges fructueux avec les personnes qui,

bien heureusement, ont croisé mon chemin.

Je dois mes remerciements en premier lieu Monsieur André Couture qui a été un guide

durant ma première année au doctorat. Comme il était responsable du séminaire de

doctorat, ses commentaires m’ont aidé à parfaire ce projet et, bien plus, ils m’ont aidé à

mieux comprendre le rôle d’un chercheur universitaire.

Je remercie chaleureusement Monsieur Frédéric Chapot pour ses commentaires judicieux

au sujet des termes religio et supersitio. Je suis également reconnaissant pour ses

commentaires au sujet des textes latins ainsi que ses suggestions concernant mes

traductions qui, trop souvent, ne sont pas à la hauteur.

Je dois aussi remercier Monsieur Paul-Hubert Poirier qui n’a jamais refusé de répondre à

mes questions lorsque je surgissais de façon impromptue dans son bureau.

L’accompagnement qu’il m’a offert lors d’une lecture dirigée sur l’histoire de la théologie

des premiers siècles a été d’un grand secours et a considérablement façonné l’orientation du

dernier chapitre de cette thèse.

Je tiens également à remercier Monsieur Painchaud qui m’a donné la chance d’être le

responsable des activités du Groupe de recherche sur le christianisme ancien et l’Antiquité

tardive (GRECAT). Ces trois années ont permis des échanges fructueux avec plusieurs

membres de ce groupe et ont également permis de faire avancer ma réflexion. Je remercie

tout particulièrement M. Painchaud pour l’intérêt qu’il a porté à mon projet et pour le grand

nombre de conversations reliées aux questions traitées dans celui-ci.

J’offre également mes plus sincères remerciements à ma directrice, Madame Anne

Pasquier, pour l’enthousiasme qu’elle a manifesté pour mon projet dès le début. Je la

remercie également pour les multiples lectures qu’elle a faites de ce travail ainsi que pour

les nombreux commentaires qui ont été à la fois respectueux de mes réflexions et essentiels

à l’aboutissement de ma pensée.

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Introduction

Sujet et problématique

Religio est un terme qui a suscité et suscite encore aujourd’hui beaucoup de travaux

de la part des chercheurs. Il n’est pas rare, lorsque l’on traite l’origine du mot religio dans

l’Antiquité, de voir l’opposition entre deux penseurs de langue latine – langue d’origine de

ce mot – soit Cicéron et Lactance et l’on ne peut faire abstraction des deux étymologies du

mot proposées par ceux-ci. Dès l’Antiquité, des penseurs comme Augustin ont choisi

l’étymologie proposée par Lactance au détriment de celle proposée par Cicéron, même si la

recherche moderne a donné raison à ce dernier1. Dans son traité intitulé De ira Dei,

Lactance accorde une place centrale à la notion de religio. Or, ce traité est très peu étudié

en comparaison avec l’ouvrage principal de cet auteur, intitulé Diuinae institutiones, qui

contient le passage fameux sur l’étymologie de religio. Dans le traité sur la colère, Lactance

relie explicitement la religio à la crainte de la divinité à tel point que, pour lui, le fait que

Dieu éprouve colère et bonté est le point essentiel de la piété et de la religion. Une telle

élaboration de la notion de religion est étrangère à la philosophie de la religion de

l’Antiquité à laquelle elle prétend répondre. Même si, dans la religion traditionnelle

romaine, un individu pouvait craindre les dieux et offrir sacrifices et supplications pour les

apaiser, il n’en demeure pas moins que, parmi l’élite intellectuelle romaine, si l’on pense à

Cicéron et à Varron, la crainte était reliée à la superstition tandis que la religion représentait

une relation bienveillante entre les dieux et les hommes. Si Lactance répond aux divers

courants philosophiques, dont les adeptes ne sont pas chrétiens, il est étonnant qu’il

1 Infra n. 4 p. 77.

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reprenne les caractéristiques de la superstition pour décrire la religion chrétienne, surtout en

raison du fait que l’on avait l’habitude d’accuser les chrétiens d’être des adeptes d’une

superstition. Peut-être n’accuse-t-on plus les chrétiens de superstition au IVe siècle? Cette

thèse tente donc de répondre principalement à la question suivante: pourquoi Lactance

consacre-t-il la première moitié de son ouvrage (1, 1-15, 5) à relier la crainte de Dieu à la

religion?

Bien que le traité s’intitule De ira Dei, l’ouvrage parle peu de la colère divine et la

discussion sur cette colère s’étend des passages 15, 6-21, 10 (si l’on excepte l’épilogue 22,

1-24, 15). C. Ingremeau remarque cette particularité: « L’opuscule traite relativement peu

de la colère divine et le débat sur la nature et les attributs de Dieu est trois fois interrompu

par de longues parenthèses sans lien évident avec le sujet, surtout pour les deux

premières »2. Ces deux premières parenthèses se trouvent précisément dans cette première

partie de l’ouvrage. C. Ingremeau fait donc référence à la digression sur la théorie des

atomes (8, 9-10, 53) et à l’argument stoïcien d’un univers créé pour l’homme (13-15, 5).

Qu’il s’agisse ou non de parenthèses, cela peut être discuté, mais qu’elles n’aient aucun lien

évident avec le sujet est une conception qui doit être renversée.

Concernant la première parenthèse, non seulement la discussion sur les atomes est

fort utile au développement sur la religio, mais on pourrait aussi affirmer que l’on s’attend

à la trouver dans un passage qui traite de la religion. Lucrèce pourfend la religio au

chapitre 1 de son ouvrage et pourtant il ne fait rien d’autre que d’expliquer un monde fait

d’atomes. Cicéron quant à lui se doit de renverser cette idée d’un monde fait d’atomes, et

ce, afin de sauver la Providence divine du péril épicurien. Chez les auteurs chrétiens,

Lactance n’est pas le seul non plus à discuter de ces atomes puisque l’on trouve une

discussion semblable dans le livre VIII des Recognitiones du Pseudo-Clément. Chez ces

deux derniers auteurs, la discussion au sujet des atomes qui s’en prend également à

l’épicurisme a une fonction différente de ce que l’on trouve chez Cicéron. Ce dernier, aux

prises avec cette école philosophique dont les adeptes refusent de participer à la vie civique

et cultuelle de la cité, s’en prend directement à l’école du jardin. On ne peut pas dire la

2 C. INGREMEAU, « Introduction », dans LACTANCE, De ira Dei, introduction, texte critique, traduction,

commentaire et index par C. Ingremeau, Paris, Cerf, 1982, p. 41.

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même chose de Lactance puisque l’école a perdu beaucoup de vigueur à cette époque et que

la pensée épicurienne se voit souvent déformée par rapport à ce que l’on connaît des

doctrines d’Épicure. Il faut également mentionner l’importance que revêt la Providence

divine autant dans les Recognitiones que dans le De ira Dei et c’est aussi ce qui explique

que ces auteurs choisissent d’affronter la cosmologie épicurienne qui nie l’action de la

divinité dans le monde.

La seconde parenthèse – non étudiée par le présent ouvrage, puisqu’elle répond à des

préoccupations stoïciennes et que cette thèse s’intéresse davantage à analyser les rapports

que le texte entretient avec l’épicurisme – n’est pas moins reliée aux sujets contenus dans le

traité une fois que l’on a ciblé les adversaires de Lactance. En effet, on remarque que des

passages contenus dans cette parenthèse se trouvent encore une fois dans les Recognitiones

et concerne des problèmes doctrinaux plutôt que philosophiques. On trouve également

d’autres éléments et arguments de cette parenthèse chez Titus de Bostra et Augustin lorsque

ceux-ci s’opposent aux manichéens. Or, les traités contre les manichéens ne sont pas

approfondis ici contrairement aux textes pseudo-clémentins.

Une fois que le lien entre les Recognitiones et le De ira Dei est établi, on ne peut que

se poser les questions à savoir si le premier ouvrage influence le second, si tous deux

affrontent la philosophie du jardin pour les mêmes raisons et s’ils partagent d’autres thèmes

en commun. Une simple lecture des deux ouvrages suffit, en tout cas, pour répondre à la

dernière question. La question au cœur du De ira Dei est d’établir que le Dieu éprouve de la

colère et Lactance répond en reprenant les idées principales des textes pseudo-clémentins à

ce sujet, à savoir que le jugement de Dieu existe en partie pour corriger ses enfants.

L’enquête qui suit révèle beaucoup de liens entre les deux textes: si les Recognitiones

parlent parfois de la colère divine, les textes pseudo-clémentins parlent généralement du

Dieu du jugement et cela correspond aux discussions lactanciennes sur la colère divine.

D’autres thèmes sont aussi très chers à Lactance et aux auteurs des deux textes pseudo-

clémentins: l’existence d’un Dieu juste qui a créé le monde et qui le gouverne, ou de façon

plus générale la Providence divine, l’utilité de la crainte d’un jugement, ou de la colère

divine, pour la cohésion sociale, comme il a été mentionné les attaques contre la

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philosophie épicurienne et les atomes, les charges contre les philosophes qui accèdent à la

vérité par la conjecture et non par la révélation.

Dès lors que l’on remarque la quantité d’arguments présents à la fois dans le De ira

Dei et dans les Recognitiones, on peut également s’interroger sur le destinataire de ces

arguments dans le De ira Dei. Il ne s’agit pas du destinataire réel de l’ouvrage qui est

Donat, un chrétien à qui l’ouvrage est envoyé, mais plutôt de savoir « contre qui » Lactance

élabore son argumentation. On remarque aisément à la lecture du traité que Lactance

indique à plusieurs reprises que ses arguments vont aider Donat à répondre à ceux qui ont

été séduits ou influencés par la philosophie. Lactance ne répondrait donc pas directement

aux philosophes de son époque, mais à ceux qui sont influencés par la philosophie: il

entend donc arracher la racine de l’ivraie. Or, la philosophie grecque, plus précisément

épicurienne en ce qui concerne cette étude, se trouve à être la racine de l’ivraie dans l’esprit

de Lactance. Son traité aborde le problème des racines et, si le lecteur moderne ne voit pas

l’ivraie, Lactance l’a pourtant sous les yeux. Sans pouvoir identifier les adversaires, cette

thèse propose toutefois d’en tracer les contours. Il s’agit du même problème que l’on trouve

par ailleurs dans le corpus pseudo-clémentin, où la figure de Simon représente plusieurs

mouvements. Ces textes pseudo-clémentins s’attaquent dès lors aux disciples de Marcion,

d’Apelle, de Bardasane ou à d’autres encore3. La figure de Simon en vient à représenter

certains de ces courants de pensée. Il en va de même des attaques contre la philosophie

dans le De ira Dei et Lactance vise des groupes qui sont actifs à son époque, mais qui, par

l’influence de la philosophie grecque, ont des doctrines qui s’éloignent de ce que Lactance

considère comme acceptable, du moins c’est ce que cette thèse entend démontrer.

L’hypothèse proposée par cette thèse est donc que la figure d’Épicure dans le De ira Dei

sert à s’attaquer à des doctrines issues de groupes proches du christianisme. La notion de

religio n’élabore donc pas une tentative apologétique pour distinguer les falsae religiones

3 N. Kelley dresse un portrait des différents courants présents dans les Recognitiones d’une manière ou d’une

autre: Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-Clementines: Situating the Recognitions in Fourth

Century Syria, Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, p. 182-208. F. Amsler montre également que les Pseudo-

Clémentines luttent également contre la philosophie et l’astrologie: « État de la recherche récente sur le roman

pseudo-clémentin », dans F. Amsler, et al. (dir.), Nouvelles intrigues pseudo-clémentines. Plots in the Pseudo-

Clementine Romance. Actes du deuxième colloque international sur la littérature apocryphe chrétienne,

Lausanne - Genève, 30 août - 2 septembre 2006, Prahins, Éditions du Zèbre, 2008, p. 25-45.

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de la uera religio, mais tente plutôt de corriger certaines doctrines sur la nature de Dieu afin

d’établir les limites acceptables de la religion chrétienne. Le fait que cette discussion

prenne place au sein du mouvement chrétien exige peut-être de revoir la vision

traditionnelle proposée par la recherche moderne au sujet du De ira Dei, car on a

généralement considéré qu’il s’agissait d’un pamphlet visant à soutenir la monarchie

impériale. La concorde espérée par Lactance à travers de la crainte de Dieu, c’est-à-dire la

religio, peut apporter la cohésion sociale, mais il faut peut-être voir que cette concorde est

souhaitée au sein de l’Église plus qu’au sein de l’Empire.

État de la recherche

Contrairement aux Diuinae institutiones et à leur Epitome, qui bénéficient d’éditions

et de traductions très récentes4, les travaux philologiques sur le traité De ira Dei datent de

plusieurs décennies. Depuis l’édition de S. Brandt en 18935, trois éditions du texte,

accompagnées d’une traduction, ont vu le jour. C. Ingremeau produit une édition et une

traduction pour la collection « Sources chrétiennes » en 19826; H. Kraft et A. Wlosok

offrent une édition et une traduction du texte en allemand en 19837 et, enfin, plus

récemment, L. Gasparri prépare l’édition et la traduction italienne en 20118. Il faut

remonter beaucoup plus loin dans le temps pour trouver une traduction anglaise. On trouve

l’une d’entre elles dans la collection Ante-Nicene Fathers publiée initialement en 18869 et

4 On pense aux travaux d’édition d’E. Heck et A. Wlosok parus dans la collection Bibliotheca Teubneriana

depuis 2005. 5 LACTANCE, « De ira Dei », dans S. Brandt, L. Caeli Firmiani Lactanti Opera Omnia, Leipzig, G. Freytag,

1893, p. 65-132. 6 LACTANCE, De la colère de Dieu, texte établi et traduit par C. Ingremeau, Paris, Les éditions du Cerf (coll.

Sources chrétiennes, 289), 1982. 7 LAKTANZ, Vom Zorne Gottes, introduction, texte critique, traduction et commentaires par H. Kraft et

A. Wlosok, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft (coll. Texte zur Forschung 4), 1983. 8 LATTANZIO, La collera di Dio, introduction, traduction, texte critique et commentaires par Luca Gasparri,

Milan, Bompiani (coll. Testi a fronte 138), 2011. Une traduction italienne a également été proposée au XXe

siècle: LATTANZIO, Se Dio può adirarsi, texte traduit par E. Neri, Sienne, Ezio Cantagalli (coll. Classici

Cristiani 9), 1929. 9 LACTANTIUS, « A Treatise on the Anger of God », texte traduit par W. Fletcher, dans A. Roberts et

J. Donaldson (dirs.), Ante-Nicene Fathers, vol. 7, New York, Christian Literature Publishing Co., 1886,

p. 259-280.

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qui fait l’objet de plusieurs reproductions depuis ce temps. On trouve également une autre

traduction anglaise, plus récente cette fois, dans la collection Fathers of the Church10.

Dans la première moitié du siècle dernier, G. Kutsch propose une étude fort

importante des sources du De ira Dei11. Cette étude établit les sources textuelles de ce traité

en indiquant les passages et les thèmes qui se trouvent également dans les ouvrages issus

des auteurs classiques latins ou encore dans ceux des premiers auteurs chrétiens de langue

latine, notamment Tertullien, Cyprien et Minucius Félix. Il souligne également les

rapprochements et passages inspirés de la littérature hermétique. Or, G. Kutsch ne

mentionne jamais les parallèles entre le De ira Dei et la littérature pseudo-clémentine.

Toujours dans le domaine de la philologie, B. R. Benölken publie en 2010 un ouvrage sur

quelques phrases de la parenthèse sur les atomes12. Il s’agit principalement d’une analyse

stylistique. Il existe également un article au sujet de la réception du traité lactancien chez

Grégoire d’Elvire13.

Même si la colère divine n’occupe pas autant de place que ne laisse suggérer son titre,

ce sujet a tout de même été au cœur des recherches. O. Sobrino analyse les chapitres 12 à

24 du traité et montre comment la conception de la colère divine chez Lactance se

distingue de celle d’Arnobe, mais l’article ne fait que résumer les deux positions14.

S. Grosse compare, quant à lui, la colère divine chez Tertullien, Origène et Lactance15.

Concernant le traité sur la colère, il montre que Lactance tente de propager les idées

politiques et religieuses de Constantin. Dans son ouvrage De opificio Dei, Lactance aurait

10 LACTANTIUS, « The Wrath of God », texte traduit par M. F. McDonald, dans R. J. Deferrari (dir.), The

Fathers of the Church, vol. 54, Lactantius: The Minor Works, Washington, The Catholic University of

America Press, 59-116. 11 G. KUTSCH, In Lactantii De ira Dei librum quaestiones philologae, Leipzig, Kommissionsverlag Otto

Harrassowitz, 1933. 12 R. BENÖLKEN, « Quis igitur potest esse nisi deus? »: die Gottesbeweise in Lactanz, De ira dei, 10, 34-44,

Münster, Lit, 2010. 13 A. CAIN, « Gregory of Elvira, Lactantius, and the Reception of the de Ira Dei », Vigiliae Christianae 64

(2010), p. 109-114. 14 E. OTÓN SOBRINO, « La polémica de Arnobio y Lactancio en torno a la ira Dei », dans A. A. González et C.

M. Villalobos (dir.), Actas del congreso internacional « Cristianismo y tradición latina »: Málaga, 25 a 28 de

abril de 2000, Madrid, Ed. del Laberinto, 2001, p. 85-101. 15 S. GROSSE, « Der Zorn Gottes: Überlegungen zu einem Thema der Theologie bei Tertullian, Laktanz und

Origenes », Zeitschrift für Kirchengeschichte 112/2 (2001), p. 147-167.

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fait la promotion d’un double pouvoir: cela change dans le De ira Dei, puisqu’il propose

plutôt un système monarchique ce qui montre l’attachement de l’auteur à l’empereur. Il

n’est pas seul à penser cela, puisque T. Adamik souligne également ce changement entre les

deux ouvrages, mais du point de vue de l’anthropologie exposée dans les deux traités16. La

différence entre l’homme et la bête proposée par Lactance au chapitre 7 du De ira Dei,

représente changement dans la pensée de Lactance. Dans son ouvrage antérieur, Lactance

distingue l’homme de la bête par la raison: dans son ouvrage sur la colère, il différencie les

deux par la religiosité. Pour l’auteur, le changement de ton de Lactance s’explique par le

fait qu’il vise à supporter les idées politiques et religieuses de Constantin: Lactance ferait

également la louange de la monarchie. J. I. Campbell montre encore une fois comment

l’ouvrage de Lactance s’inscrit dans le climat politique du IVe siècle, mais cette fois-ci en

analysant sa position quant à la participation des chrétiens à la guerre. Il montre que

Lactance a changé d’avis entre le temps où il écrit les Diuinae institutiones et leur Epitome;

le De ira Dei, qui n’aborde pas ce sujet, est placé entre les deux selon l’auteur qui choisit la

date de 314 pour l’écriture du traité. Il montre adroitement que la pensée des chrétiens sur

leur participation à la guerre a toujours été univoque, mais que cela change au IVe siècle

notamment au moment du Concile d’Arles qui se tient à la même époque que la rédaction

du De ira Dei17. Bien que son développement soit très probant, notamment sur le

changement de position de la part de Lactance, il semble que son point principal, le

changement d’attitude par rapport au fait que tuer durant une guerre puisse être juste, ne

concerne ni l’épicurisme ni le De ira Dei, mais qu’il soit plutôt relié à l’aristotélisme.

Comme cela est généralement le cas pour les autres ouvrages de Lactance, le De ira

Dei n’a pas échappé à l’étude des influences classiques sur le traité. U. Pizzani s’intéresse à

l’influence des courants de pensée issus de l’époque classique et décèle l’importance du

stoïcisme cicéronien dans la pensée de Lactance qui tente, selon lui, de réinterpréter le

16 T. ADAMIK, « Laktanz’ Menschenbild », Acta antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae 40/1 (2000),

p. 3-14. 17 J. I. CAMPBELL, « The Angry God: Epicurians, Lactantius, and Warfare », dans D. R. Gordon et D. B. Suits

(dir.), Epicurus: his Continuing Influence and Contemporary Relevance, Rochester (NY), Rit Gary Graphic

Arts Press, 2003, p. 45-68.

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message des évangiles de manière syncrétique18. Or, son ouvrage ne considère que

quelques éléments du chapitre 13 et 14 de l’ouvrage. Son étude montre néanmoins que

Lactance possède des traits stoïciens19 comme beaucoup de chrétiens avant lui. Il souligne

également que Lactance déforme la pensée stoïcienne comme c’est le cas lorsqu’il reprend

la pensée épicurienne. Mais les arguments des chapitres 13 et 14 se trouvent également

dans les Pseudo-Clémentines dans la bouche de Simon et dans les ouvrages contre les

manichéens: il est possible que cela ne soit pas relié à un débat réel avec les stoïciens, mais

plutôt un combat avec des groupes qui possèdent et empruntent des traits au stoïcisme. On

doit dès lors se garder de faire de Lactance un stoïcien avant de contextualiser ces deux

chapitres.

C. M. Harvey et K. A. Meinking ont produit respectivement un mémoire de maîtrise

et une thèse au sujet du De ira Dei: toutes les deux analysent le traité du point de vue de la

culture classique. C. M. Harvey voit dans le traité de Lactance une réponse au De ira de

Sénèque. Comme elle considère qu’il s’agit d’un ouvrage apologétique, elle considère que

la visée du texte est de renverser la pensée épicurienne puisque cela est une critique tout à

fait acceptable de la paideia20. Or, en suivant l’hypothèse suggérée plus haut, voulant que

Lactance s’attaque à des groupes proches du christianisme en raison de problèmes

doctrinaux, cela remet en question le genre apologétique21 de l’ouvrage tout comme la

18 U. PIZZANI, « Precetto evangelico dell’amore e divini iuris societas in un passo del De ira Dei di

Lattanzio », Augustinianum 17 (1977), p. 145-151. 19 H. Kraft et A. Wlosok sont du même avis: « Introduction » dans LAKTANZ, Vom Zorne Gottes, introduction,

texte critique, traduction et commentaires par H. Kraft et A. Wlosok, Darmstadt, Wissenschaftliche

Buchgesellschaft (coll. Texte zur Forschung 4), 1983, p. IX. M. Perrin voit plutôt que la pensée de Lactance

est influencée par le judéo-christianisme et qu’il s’exprime en platonicien et hermeticien: L’homme antique et

chrétien. L’anthropologie de Lactance, Paris, Beauchesne, 1981, p. 40. 20 « Lactantius’ vituperative diatribe against Epicureanism may also be viewed as a means of placing his

treatise within the familiar bounds of paideia, for attacks on Epicureanism were an accepted practice within

this system. In deconstructing Epicureanism, Lactantius follows the example set by his model, Cicero, using

rhetorical questions, sarcasm, humor, and insults to convince his audience both of his point and of his

persuasive skills. »: C. M. HARVEY, Lactantius’ De ira Dei an explication of the arguments and study of

lactantius’ treatment of Greco-Roman philosophy, Mémoire de maîtrise, University of Georgia, 2003, p. 76. 21 Même si J.-C. Fredouille souligne que Lactance peut très bien faire de l’apologétique même s’il écrit autant

aux non-chrétiens qu’aux chrétiens, il n’en demeure pas moins qu’il semble que le traité De ira Dei s’adresse

à Donat et fait référence à des problèmes bien particuliers qui, selon l’hypothèse suggérée ici, sont en lien

avec des groupes issus du christianisme ou proches du christianisme. La tentation de faire du De ira Dei un

ouvrage apologétique est bien entendu très grande, surtout avec la pensée de J.-C. Fredouille qui rend ce

genre littéraire souple: « L’apologétique chrétienne antique: naissance d’un genre littéraire », Revue d’études

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critique de l’épicurisme. K. A. Meinking soutient, quant à elle, une thèse de doctorat qui,

comme le mémoire précédent, relie le traité de Lactance à la culture classique: elle montre

comment le De natura deorum est une source très importante de l’ouvrage et propose une

analyse rhétorique du texte. Cette thèse a l’avantage de tenter de voir derrière la critique de

l’épicurisme pour y déceler ce à quoi Lactance fait vraiment référence. L’auteure suggère

que Lactance veut justifier l’intervention de l’empereur Constantin dans la crise donatiste22.

Le traité sur la colère serait donc lié à la politique du temps et à la justification de

l’implication de Constantin dans ce conflit. Elle interprète les propos de Lactance, qu’elle

considère comme un conseiller du Prince23, selon une dichotomie sphère éternelle/sphère

temporelle, ce à quoi correspond respectivement Dieu et Constantin. Ce dernier étant24 le

représentant de Dieu sur terre. Bien que cette dichotomie puisse être très réelle, il n’en

demeure pas moins que l’on a du mal à établir un lien avec la querelle donatiste. D’une

part, parce que les chapitres qui sont analysés dans la présente thèse proposent beaucoup

d’arguments à caractère doctrinal. D’autre part, pour reprendre les mots de W. C. Frend, la

crise donatiste « […] was a matter of schism rather than heresy »25. Les adversaires de

Lactance ont des doctrines qui sont inacceptables à ses yeux comme le rejet de la divine

augustinienne et patristiques 38/2 (1992), p. 219-324. Mais il semble que l’on doit être prudent avant

d’accepter sans hésitation d’assigner ce traité à ce genre littéraire: « On nous accordera probablement sans

peine qu’il convient d’exclure de cette classe les écrits destinés à réfuter telle hérésie ou tel hérétique, ces

traités se faisant de plus en plus nombreux au fur et à mesure que l’Église se développait et qu’elle devait

combattre les adversaire de l’intérieur pour élaborer et formuler le dogme […] Cette exclusion s’étendra aussi

sans véritable difficulté aux ouvrages relatifs à l’âme, au destin, à la Providence, etc., qui sont autant de sujets

de discussions spécifiques, communs aux païens et aux chrétiens, et qui prennent le relais des traités

philosophiques auxquels ils s’apparentent génériquement […] »: J.-C. FREDOUILLE, « L’apologétique latine

pré-constantinienne: (Tertullien, Minucius Félix, Cyprien): essai de typologie », dans apologétique chrétienne

gréco-latine à l’époque prénicénienne, Fondation Hardt, 2005, p. 41. Il est vrai que Lactance emploie

davantage le raisonnement que les Écritures pour défendre le christianisme et que cela fait partie d’une

nouvelle manière d’aborder le genre apologétique: J. C. FREDOUILLE, « Lactance théoriciens du genre

apologétique », Vita Latina 162 (2001), p. 58-64. Mais il est possible qu’il évite également de faire référence

aux Écritures en raison de ses adversaires qui déforment constamment les textes bibliques. 22 K. A. MEINKING, Anger matters: Politics and theology in the fourth century CE, Diss., University of

Southern California, 2010. 23 Ibid. p. 208-210. Cette idée se trouve également chez C. M. ODAHL, « Constantin and God: Imperial

Theocracy for the Christian Divinity in the First Christian Emperor’s Beleifs and Policies », The Ancient

world 46/1 (2015), p. 34. 24 K. A. MEINKING, Anger matters: Politics and theology in the fourth century CE, 2010, p. 211-212. 25 W. H. C. FREND, The Donatist Church: a Mouvement of Protest in Roman North Africa, Oxford, Clarendon

Press, 1971, p. 3. S. Lancel abonde dans le même sens en mentionnant que même si le donatisme a « […]

parfois été assimilé à une hérésie, notamment dans une perspective de répression pénale, il s’agit en réalité

d’un schisme […] »: « Un schisme africain: le donatisme », dans M.-F. Baslez (dir.), Les premiers temps de

l’Église, Paris, Éditions Gallimard, 2004, p. 679.

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providence. Il ne s’agit pas ici d’une simple amplificatio de la part de Lactance où il

exagérerait le rejet par les donatistes de la Providence particulière, c’est-à-dire le fait que

Dieu soit actif dans le monde, qu’il ait installé Constantin au faîte de l’Empire comme son

représentant. Mais Lactance va beaucoup plus loin en montrant que ses adversaires refusent

que Dieu ait créé le monde, qu’il n’existe aucune affinité entre Dieu et l’homme, et aucune

distinction de l’homme avec la bête. Pourquoi aborderait-il des problèmes de théodicée qui

sont liés à des questions que l’on retrouve dans des textes qui s’attaquent à des problèmes

doctrinaux comme les Pseudo-Clémentines et le Contre les manichéens de Titus de Bostra?

Si l’on isole les quelques passages sur la colère des chapitres 15 à 20, on peut bien entendu

relier la colère de Dieu à celle de Constantin, mais ce lien devient moins évident et plus

difficile à expliquer à la lecture des arguments proposés dans la première partie du traité.

Avant de relier ce traité à la crise donatiste, il faudrait établir le lien entre ce groupe et les

problèmes soulevés par le traité comme la distinction entre l’homme et la bête, la parenté

divine de l’homme, les problèmes de Providence générale — Dieu créateur du monde — et

particulière — Dieu actif dans le monde —, les atomes, l’utilité de la religion pour la

cohésion sociale, etc.

Un dernier aspect qui a attiré l’attention des chercheurs est la connaissance de

l’épicurisme de Lactance et de sa relation avec ce courant philosophique à partir du De ira

Dei. E. Rapisarda est l’un des premiers à traiter des liens entre Lactance et l’épicurisme; il

soutient que Lactance et Arnobe ont été tous deux épicuriens avant leur conversion.

G. Runchina, quant à lui, tient à faire une distinction entre Lucrèce et Épicure en indiquant

que Lactance n’était pas si hostile à Épicure. Il fonde sa pensée sur l’analyse comparative

de la pensée de Cicéron et de celle de Lactance. Ce dernier utiliserait parfois des mots

empruntés à Cicéron, et parfois, il les remplacerait pour adoucir les propos allant à

l’encontre d’Épicure, d’où la conclusion qu’il n’est pas tout à fait hostile à Épicure26. Il

souligne par ailleurs que Lactance est plus sévère envers les stoïciens. Il est vrai,

contrairement à ce qu’affirme U. Pizzani27, que Lactance semble montrer que les stoïciens

26 G. RUNCHINA, « Polemica filosofica e dottrinale nel De ira Dei di Lattanzio », Annali della Facoltà di

Lettere e Filosofia dell’Università di Cagliari 6 (1985), p. 159-181. 27 Supra n. 18 p. 8.

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sont plus illogiques et le fait qu’il les place à la toute fin de sa narratio suggère également

qu’ils sont la cible la plus importante. G. Reinhold lui s’intéresse au passage très

controversé du Dieu qui est incapable ou qui ne veut pas enrayer le mal (13, 20-21).

Lactance est le seul auteur que l’on connaisse à attribuer ce paradoxe à Épicure et

G. Reinhold accepte la paternité épicurienne sans la questionner. Or, les commentateurs

modernes de l’épicurisme ont soulevé l’absence de cette idée dans les écrits d’Épicure qui

nous sont parvenus28. En dehors de Sextus Empiricus qui propose le même paradoxe, sans

toutefois le relier à Épicure, ce passage n’est pas connu pour être épicurien dans

l’Antiquité29. Comme il fait son étude uniquement en reliant l’ouvrage de Lactance à la

culture classique, il n’a pu voir que ce paradoxe est également contenu dans les textes

chrétiens, notamment dans les Clementina dans le discours de Simon. Plus récemment,

R. Cacitti a fait une étude sur l’épicurisme et sur ses liens avec l’hérésiologie. Il souligne

qu’il existe deux grandes périodes dans les relations entre le christianisme et l’épicurisme.

La première période voit le christianisme relié aux épicuriens et tous deux sont considérés

comme athées. Le second moment est le programme politique constantinien qui fait en

sorte que le christianisme critique l’épicurisme pour des raisons de théologie politique. La

critique de l’épicurisme serait dès lors forgée dans les ateliers impériaux de Constantin: il

fait de Lactance un des acteurs de cette entreprise30. Il montre que la théologie politique,

dont Eusèbe est le premier responsable, propose une pensée centrée sur la Providence qui

exclut tout dualisme. Or, les Diuinae institutiones de Lactance, qui s’ouvrent sur des

arguments en faveur de la Providence et laissent pour ainsi dire une empreinte durable dans

tout l’ouvrage, ne sont pas exemptes de passages dualistes. On a par ailleurs noté des

« analogies frappantes »31 entre ces passages dualistes et le De ira Dei. Il est dès lors

difficile de réconcilier l’utilisation de la Providence divine par Lactance et le dualisme en

vue du projet politique décrit par R. Cacitti. On retient toutefois que, selon l’auteur, les

hérétiques auraient été assimilés aux épicuriens notamment en raison de la question du mal

28 G. REINHOLD, « Et inuidus et inbecillus das angebliche Epikurfragment bei Laktanz de Ira Dei 13, 20-21 »,

Vigiliae Christianae 42 (1988), p. 47-58. 29 Infra p. 191. 30 R. CACITTI, « Le ceneri di Epicuro: eversione religiosa, provvidenzialismo politico e polemica antiereticale

nel cristianesimo delle origini », Annali di scienze religiose 4 (1999), p. 308 et 321. 31 C. Ingremeau, « Introduction », dans Lactance, De la colère de Dieu, Paris, Les éditions du Cerf (Coll.

Sources chrétiennes, 289), 1980, p. 33-35.

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dans le monde, question qui fait partie des propos faussement attribués à Épicure par

Lactance. S’intéressant principalement aux Diuinae institutiones et au De opificio Dei,

J. Kani-Turpin montre tout de même que Lactance déforme régulièrement la pensée de

Lucrèce et, même s’il souligne l’originalité de la discussion au sujet des atomes, il indique

néanmoins que certains points n’apparaissent ni chez Épicure ni chez Lucrèce32. Cette idée,

voulant que Lactance présente des notions qui ne sont pas tout à fait épicuriennes, est

encore plus développée chez J. Penwill qui suggère que Lactance ne comprenne pas bien

les doctrines d’Épicure, qu’il les déforme parfois et qu’il confonde Lucrèce et Épicure, etc.

Il mentionne également qu’aucun témoin de l’Antiquité ne permet d’attribuer les idées du

De ira Dei 13, 20-21 à Épicure33. Or, c’est ce passage qui se trouve sensiblement formulé

de la même manière par Simon dans les Recognitiones.

Les travaux modernes sur le De ira Dei tentent principalement de lire l’ouvrage

comme s’il s’agissait d’un ouvrage apologétique qui critique la philosophie grecque.

Comme on s’est intéressé principalement aux influences de la culture et la littérature

classique, on a généralement mis de côté les liens qui relient ce traité à la littérature

chrétienne et à l’histoire de la théologie. La conséquence est donc de lire ce traité comme

s’il s’agissait d’un ouvrage qui vise à soutenir le programme politique et religieux de

Constantin: en ce sens, le De ira Dei ne serait que la pâle imitation du De natura deorum de

Cicéron. Si l’Arpinate tente de sauvegarder la Providence et de convaincre les épicuriens

d’être actifs dans la cité, tout comme le sont les dieux, Lactance, lui, s’adresserait aux

philosophes païens pour leur montrer que le Dieu chrétien est le maître du monde et qu’il

corrige les individus tout comme son représentant Constantin qui est maître de l’Empire et

qu’il doit également corriger. Or, cette manière de voir le traité soulève des questions: si

l’on doit voir en Constantin le représentant de Dieu sur terre, est-ce que l’ouvrage traite de

la colère de Dieu pour mieux justifier la colère de Constantin? Si oui, de quelle colère

parle-t-on, contre quels groupes et à quelle époque? Aussi, est-ce que Lactance tente de

réhabiliter la figure divine du juge pour justifier la figure du juge de l’Empereur? Si oui, il

32 J. KANY-TURPIN, « Lactance, un critique mésestimé de l’épicurisme », dans M. Erler et R. Bees (dir.),

Epikureismus in der späten Republik und der Kaiserzeit: Akten der 2. Tagung der Karl-und-Gertrud-Abel-

Stiftung vom 30. September-3. Oktober 1998 in Würzburg, Stuttgart, Steiner, 2000, p. 218-230. 33 Supra n. 28 p. 11.

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semble qu’il va de soi que l’Empereur a déjà ce rôle de façon implicite dans son Empire, à

moins que la discussion ait lieu au sein de l’Église, où il fut exclu au début de IVe siècle

que l’empereur ait des pouvoirs comparables à ceux de l’évêque: c’est précisément

Constantin qui est le premier à franchir ce pas. Comme il a déjà été mentionné, K. A.

Meinking propose que le De ira Dei établit l’Empereur comme représentant de Dieu sur

terre avec le droit de juger, et ce, à propos de la querelle donatiste. Lactance inciterait

Constantin à intervenir dans les affaires de l’Église. Or, le seul problème est que les

querelles doctrinales contenues dans le traité ne correspondent pas à la crise donatiste. Mais

il n’est pas exclu non plus que cela touche la figure de l’Empereur en tant que juge dans les

affaires de l’Église. Par contre, il faut d’abord voir par les arguments utilisés si cela peut

être le cas, autrement, pourquoi Lactance utilise ces arguments et pas d’autres.

Certains ont également décelé le dessein politique contenu dans l’ouvrage par

l’utilisation de la terminologie romaine reliée aux affaires de l’État. Ils soulignent en effet

que Lactance utilise les catégories romaines pour exprimer sa pensée34 et que les notions

juridiques l’aident également à affirmer l’unicité de Dieu35. D’autres soulignent que

l’emploi de certains termes confirme l’idée selon laquelle Lactance voit le rôle de

Constantin en lien avec celui de Dieu: l’emploi de paterfamilias pour désigner le rôle de

Dieu serait relié à l’Empereur, l’emploi de domus pour décrire le monde désignerait l’État,

et l’emploi d’imperium pour les pouvoirs de Dieu indiquerait plutôt l’imperium de

Constantin: tout cela viendrait appuyer le dessein politique de l’ouvrage36. On peut ajouter

à cela que le terme de potestas, qui appartient à la même catégorie de la pensée romaine, se

trouve également dans le De ira Dei,37 parfois même accompagné d’imperium38. Mais il ne

faut pas y voir nécessairement un dessein politique, en tout cas, pas en se fondant sur

l’utilisation de ces termes seulement. En effet, au même moment, Arnobe emploie ces

34 H. Kraft et A. Wlosok mentionne que Lactance utilise dominus et pater pour parler de Dieu:

« Introduction », dans Lactance, Vom Zorne Gottes, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft (coll.

Texte zur Forschung 4), 1983, p. XXIV. 35 A. WLOSOK, Lactanz und die philosophische Gnosis, Heidelberg, Carl Winter Universitätsverlag, 1960,

p. 243. 36 C. Ingremeau, « Introduction », dans Lactance, De la colère de Dieu, Paris, Les éditions du Cerf (Coll.

Sources chrétiennes, 289), 1980, p. 55 n. 1. 37 2, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 94, 9; 3, 2, p. 98, 7; 11, 6, p. 144, 26. 38 11, 6, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 144, 27.

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mêmes termes dans son ouvrage: dominus39, pater et dominus40, et imperium41 en parlant

du pouvoir de Jésus pour ne nommer que ceux-là. Or, personne n’associe l’ouvrage

d’Arnobe à un dessein politique – notamment parce qu’il a une vision entièrement négative

du pouvoir42. Ce qui ne l’empêche aucunement d’avoir recours à ces termes – probablement

parce que rien n’indique que ce dernier eut des relations avec Constantin. Comme ces

termes se trouvent aussi chez Arnobe, qui ne désire pas soutenir le pouvoir impérial, on

saurait difficilement se servir uniquement de la présence de ceux-ci pour assigner un but

politique à l’ouvrage de Lactance. Il faut également mentionner que tous ces termes sont

utilisés dans la tradition biblique et que l’emploi de paterfamilias par Lactance est loin

d’être unique et original puisqu’il se trouve également dans la Vetus latina43. Concernant ce

dernier terme, il faudrait, afin d’établir que Lactance l’applique bien à Constantin, montrer

qu’on qualifie à cette époque l’Empereur de paterfamilias de l’Empire, ce qui ne semble

pas être établi à partir des sources.

Il semble donc qu’il existe des failles pour soutenir l’idée que le traité est

essentiellement politique. D’une part, s’il est politique, il faut expliquer le contexte qui

pousse Lactance à justifier le rôle de juge de l’Empereur et, de plus, il faut préciser à qui il

s’adresse, et ce, pour quelle situation. On ne peut pas non plus supporter cette idée en

raison seulement du vocabulaire utilisé par Lactance, puisque ces mêmes mots se trouvent

également dans des textes comme ceux d’Arnobe et de la Vetus Latina qui ne visent pas à

soutenir le pouvoir impérial. Force est de constater qu’on doit à tout le moins mettre cette

hypothèse de côté et analyser les arguments présents dans le traité et tenter de faire un lien

avec une situation concrète. Il faut établir, dans un premier temps, à qui il s’adresse et quels

sont les points problématiques et, par la suite, il sera possible d’établir la relation que le

pouvoir romain entretient avec ces groupes et avec ces problèmes.

39 I, 25, 4, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 151; 33, 2, p. 159; 38, 8, p. 166. 40 II, 13, 3, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 80, 15. 41 I, 45, 1, p. 170; 50, 3, p. 176; 60, 4, p. 187. 42 « Arnobius’ attitude to the state must be described as entirely negative, especially at the very end of his

work […] »: A. R. BIRLEY, « Attitudes to the State in the Latin apologists », dans A. Wlosok, et al. (dir.),

L’apologétique chrétienne gréco-latine à l’époque prénicénienne: Vandœuvres-Genève, 13-17 septembre

2004: sept exposés suivis de discussions, Genève-Vandœuvres, Fondation Hardt, 2005, p. 266. 43 Mt 20, 1; 21, 33; Lc 12, 39; 14, 21.

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Les résultats des travaux sur le De ira Dei sont tributaires de l’approche que les

chercheurs, au cours des dernières décennies, ont eue à l’égard de l’œuvre de Lactance,

c’est-à-dire d’étudier principalement Lactance par sa relation à la culture classique et au

pouvoir impérial. Les études sur les influences de la culture et de la littérature classique sur

l’ensemble de son œuvre sont nombreuses comme en témoigne la bibliographie proposée

par J. Bryce44. Plusieurs ont également vu le jour au cours des dernières années sur la

relation de Lactance avec le pouvoir impérial45. E. D. Digeser, qui s’intéresse

particulièrement aux liens avec le politique, a publié bon nombre de travaux qui non

seulement montrent la pensée de Lactance à l’égard de Constantin, mais également à

l’égard de la tétrarchie46. Elle s’est également intéressée à la relation de Lactance avec

Porphyre dans un premier temps47 et à la relation de Lactance avec le néo-platonisme par la

suite48. Cette préoccupation de voir Lactance comme le chantre du pouvoir impérial est

44 Publié pour la première fois en 1999, elle fut révisée en 2007: J. BRYCE, « Bibliography of Lactantius »,

[https://apps.carleton.edu/curricular/clas/faculty/bryce/lactantiusbiblio/] (consulté le 18 mai 2016, mis a jour

le 13 février 2013). Il faut néanmoins souligner quelques travaux très utiles à ce sujet: J. STEVENSON,

« Aspects of the relations between Lactantius and the classics », dans K. Aland et F. L. Cross (dir.), Studia

patristica. Papers presented to the Second international Conference on Patristic studies held at Christ

Church, Oxford 1955, vol. 1, Berlin, Akademia Verlag, 1957, p. 497-503; L. J. SWIFT, « Lactantius and the

Golen Age », American Journal of Philology 89/2 (1968), p. 144-156; R. M. OGILVIE, The Library of

Lactantius, Oxford, Oxford Univ. Pr., 1978; E. HECK, « Lactanz und die Klassiker: Zu Theorie und Praxis der

Verwendung heidnischer Literatur in christlicher Apologetik bei Lactanz », Philologus 132/1 (1988),

p. 160-179. 45 Les quarante dernières sont particulièrement riches en études de ce genre: T. D. BARNES, « Lactantius and

Constantine », The Journal of Roman Studies 63 (1973), p. 29-46; T. D. BARNES, Constantine and Eusebius,

Cambridge, MA, Harvard University Press, 1981. On pense également aux travaux de F. Heim, La théologie

de la victoire de Constantin à Théodose, Paris, Beauchesne (coll. Théologie historique, 89), 1992 qui voit la

théologie de la victoire à l’œuvre dans l’ouvrage de Lactance De mortibus persecutorum: « L’influence

exercée par Constantin sur Lactance: sa théologie de la victoire », dans J. Fontaine et M. Perrin (dir.),

Lactance et son temps. Recherches actuelles. Actes du IVe Colloque d’Études historiques et patristiques,

Chantilly, 21-23 septembre 1976, Paris, Beauchesne, 1978, p. 55-70. 46 Elle montre, à partir des textes de Constantin qu’il connaît bien l’ouvrage de Lactance: « Lactantius and

Constantine’s Letter to Arles: Dating the Divines Institutes », Journal of Early Christian Studies 2 (1994),

p. 33-53. Elle a par ailleurs soutenu une thèse sur la relation entre les deux hommes: Lactantius, Constantine

and the Roman Res publica, Ph.D, Santa Barbara, University of California, 1996 qu’elle a publiée quelques

années plus tard: The Making of a Christian Empire: Lactantius and Rome, Londre, Cornell University Press,

2000. Elle s’intéresse aussi à la Grande persecution: « Lactantius, Eusebius, and Arnobius: Evidence for the

Causes of the Great Persecution », Studia patristica 39 (2006), p. 33-46. 47 « Lactantius, Porphyry and the debate over religious toleration », Journal of Roman Studies 88 (1998),

p. 129-146. 48 Dans son dernier ouvrage, elle indique que Lactance serait relié à la communauté d’Ammonius, qui est le

fondateur du néo-platonisme: A Threat to Public Piety: Christians, Platonists, and the Great Persecution,

Londre, Cornell University Press, 2012, p. 174.

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également présente dans les travaux de B. Colot49 et de M. Fiedrowicz50. J. Rougé et D. De

Decker voient toutefois une forme d’opposition à Constantin dans les Diuinae institutiones,

notamment dans un passage qui présente un prince ambitieux (Diuinae institutiones VII,

16, 1-15)51 et ils remettent en question l’authenticité du traité De mortibus persecutorum –

sans l’affirmer de façon univoque, on comprend que les auteurs ne pensent pas qu’il s’agit

d’un traité de Lactance.

En matière de théologie, les études lactanciennes ont eu au moins quatre figures

importantes au cours des cinquante dernières années52. Au début des années soixante,

A. Wlosok propose une étude des rapports de Lactance à la philosophie gnostique53. Elle

est suivie par les nombreux travaux de V. Loi qui s’intéresse à la théologie dans l’œuvre de

Lactance54. Il n’hésite pas à souligner les emprunts de Lactance au corpus des Clementina –

il ne fait toutefois pas de parallèles entre le De ira Dei et les Pseudo-Clémentines.

L’ouvrage de P. Monat a, par la suite, changé la perception de la connaissance des textes

bibliques de Lactance55. On apprend, par ailleurs, que Lactance n’aime pas la lecture

allégorique des Écritures ce qui n’est pas sans avoir de conséquences sur sa pensée au sujet

49 Pietas dans la transformation religieuse du IVe siècle. L’apport de Lactance, le « Cicéron chrétien », Paris,

Université Paris IV-Sorbonne, 1996; « La ‟victoire ” du christianisme. Un transfert politico-religieux d’après

la pensée de Lactance. », Ars Scribendi 4 (2006), p. 1-20. 50 « Libertas religiosis. La genèse de la politique religieuse de Constantin en la résidence impériale de

Trève », Connaissance des Pères de l’Église 109 (2008), p. 22-34. 51 De mortibus persecutorum: Un libelle au service de la propagande constantinienne, Iași, Editura

Universității "Alexandru Ioan Cuza", 2013, p. 107-110. 52 Ne sont proposés ici que leurs travaux qui touchent spécifiquement à des questions théologiques. Ils ont

néanmoins produit beaucoup de travaux en lien avec la philologie classique. 53 Lactanz und die philosophische... 1960. 54 « Problema del male e dualismo negli scritti di Lattanzio », Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia

dell’Università di Cagliari 29 (1961), p. 37-96; « Per la storia del vocabolo ‟sacramentum”: ‟sacramentum”

in Lattanzio », Vigiliae Christianae 18 (1964), p. 85-107; « Cristologia e soteriologia nella dottrina di

Lattanzio », Rivista di storia e letteratura religiosa 4 (1968), p. 237-287; Lattanzio: nella storia del

linguaggio e del pensiero teologico pre-niceno, vol. 5, Zurich, Pas Verlag (coll. Bibliotheca theologica

Salesiana), 1970; « L’interpretazione giuridica del testamentum divino nella storia della salvezza (dalla Vetus

Latina a Lattanzio) », Augustinianum 16 (1976), p. 153-160. 55 « Étude sur le texte des citations bibliques dans les Institutions divines; la place de Lactance parmi les

témoins des Vieilles Latines », Revue des études augustiniennes 28 (1982), p. 19-32; Lactance et la Bible:

une propédeutique latine à la lecture de la Bible dans l’Occident constantinien, vol. 1, Paris, Brepols (coll.

Études augustiniennes), 1982.

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de la colère divine. Enfin, M. Perrin, a également produit des travaux au sujet de la pensée

théologique surtout dans le De opificio Dei56.

Il va sans dire que les recherches actuelles ont suffisamment étudié la relation de

Lactance avec la culture classique. La relation avec une source possible d’influence, les

Pseudo-Clémentines, n’a toutefois pas été approfondie. Il semble que le De ira Dei soit par

ailleurs un terrain fertile pour mieux évaluer les liens possibles entre ces textes. La

recherche a également consacré des efforts à évaluer les rapports entre le pouvoir impérial

et Lactance. Il semble que ce soit une avenue qui a été régulièrement empruntée et c’est

pourquoi la présente thèse n’analysera pas les arguments comme s’il s’agissait d’un débat

politique, mais comme s’il s’agissait d’un problème de doctrine. Une fois les problèmes

doctrinaux bien dégagés, on pourra ensuite établir leur lien plus facilement avec le

politique.

Objectif et plan de la thèse

L’objectif de cette thèse est d’expliquer, dans un premier temps, la notion de religio

dans le De ira Dei, de montrer qu’elle se distingue non seulement de ce que les penseurs

issus de l’élite intellectuelle romaine ont proposé, mais encore de ce que l’on trouve dans

les ouvrages conservés des auteurs chrétiens latins des époques précédentes. Dans un

second temps, on tentera de relever les influences possibles de cette façon d’entrevoir la

religio et de mieux saisir les raisons qui poussent Lactance à préciser cette notion autour de

la crainte de Dieu.

Avant de s’attaquer à ces questions, il convient de faire un survol de la vie et l’œuvre

de Lactance. Comme l’ouvrage De mortibus persecutorum a souvent influencé la lecture

que l’on fait du reste de l’œuvre de Lactance, il convient – et il est même nécessaire de

nuancer les liens entre l’ouvrage sur la colère et le traité sur la mort de persécuteurs –, car

trop souvent on pense que la visée des deux textes était la même. Comme ce dernier traité

s’apparente à un pamphlet politique, il va de soi que l’on analyse le traité sur la colère à

l’aune du programme politique et religieux de Constantin. En ce sens, il faut également voir

56 L’homme antique... 1981.

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les éléments que l’on connaît de la vie de Lactance et de ses déplacements. Dans la

recherche récente, on a eu tendance à faire venir Lactance à Trèves, auprès de Constantin,

plus tôt, vers 310-313. Cela a bien entendu des conséquences, car cette datation fait en sorte

que l’on entrevoit l’influence de la politique constantinienne plus tôt dans l’ouvrage de

l’auteur africain57. La question du dualisme dans l’œuvre de Lactance est également

abordée dans cette première partie, car il est parfois difficile de réconcilier la vision de la

recherche moderne, qui voit dans le De ira Dei une défense de la monarchie

constantinienne, et la tendance dualiste présente à travers l’œuvre de l’auteur et dans

l’ouvrage sur la colère.

La deuxième partie de la thèse tente d’esquisser les contours de l’utilisation de religio

et superstitio. La recherche récente a bien souligné que, pour les Romains, la religio n’était

pas une affaire d’orthodoxie, mais plutôt d’orthopraxie reliée aux cultes administrés par la

cité. En conséquence, ces travaux récents permettent de nuancer cette idée que la

superstitio représente la fausse religion. Même si le terme superstitio est absent du De ira

Dei, il est néanmoins important de comprendre son utilisation surtout en ce qui a trait au

destinataire. En effet, la simple utilisation de superstitio pour décrire un phénomène nous

renseigne sur l’auteur et sur ses destinataires. Si la superstitio doit représenter la fausse

religion, ou la religion déviante, on s’étonne de voir que les chrétiens eux n’ont jamais

utilisé ce terme pour désigner ceux qu’ils considéraient comme précisément déviants: les

hérétiques. Bien que supersitio ne figure pas dans le lexique utilisé dans le De ira Dei, cette

étude permet d’accéder à une connaissance plus précise de l’utilisation de religio et de la

dichotomie avec le premier terme. Il faut aussi saisir les contours du mot religio et cette

étude permet également de souligner que la thèse de Lactance, qui relie la religio à la

crainte de Dieu, est très rare chez les auteurs chrétiens latins. Les occurrences que l’on

trouve renseignent, une fois de plus, sur le contexte dans lequel intervient l’utilisation du

57 J. Schott voit dans les dédicaces un changement de sens des Diuinae institutiones qui les rapproche de la

propagande impériale: « […] they mark and facilitate an important textual transformation – a shift from

apologetic to panegyric and between philosophical treatise and imperial propaganda. »: Christianity, Empire,

and the Making of Religion in Late Antiquity, Philadelphia (Pa.), University of Pennsylvania Press, 2008,

p. 107. Comme les dédicaces sont datées après 321, et si J. Schott a raison, cela voudrait dire que le ton

élogieux des dédicaces doit être distingué du reste de l’œuvre de Lactance. Cela veut également dire que ce

ton est arrivé plutôt tardivement dans son œuvre.

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mot religio associée à la crainte de Dieu. Ces quelques emplois indiquent que l’on se sert

de ce terme lorsque l’on s’adresse à des chrétiens et non à des non-chrétiens. En plus de

tracer un portrait de l’utilisation de ces mots, cette partie permet de porter une attention

particulière aux destinataires des traités qui contiennent ces termes, car sans transformer la

signification des mots, les destinataires influencent l’utilisation de ces mots.

Avant d’entamer l’analyse du De ira Dei, le troisième chapitre de cette thèse

présentera un survol de l’utilisation de religio dans l’œuvre de Lactance. Cette partie est

nécessaire afin de bien comparer la pensée du De ira Dei avec le reste de l’œuvre.

Enfin, le dernier chapitre analyse les parties et les arguments du traité et tente

d’identifier les influences et les adversaires possibles. Il serait vain de tenter d’analyser la

notion de religio seulement à l’aune de ce que les autres auteurs ont dit, c’est-à-dire

uniquement en comparant avec les prédécesseurs de Lactance. Cette partie propose donc de

relever les arguments utilisés par Lactance, d’en comprendre la portée et de souligner les

différences avec le reste de l’œuvre de l’auteur. Cela permet entre autres de s’interroger sur

le fait que l’immortalité de l’âme ait beaucoup d’importance dans la définition de la

religion dans le reste de l’œuvre, mais qu’elle soit absente du De ira Dei. Ce silence permet

également de soulever la question de la réalité de l’intention de s’en prendre à Épicure:

comment Lactance peut-il passer sous silence ce point si important de la philosophie

épicurienne tout en espérant renverser la philosophie du jardin? On tentera dès lors de voir

si, tout comme l’affirment les chercheurs, il est vrai que la pensée d’Épicure est déformée

dans le traité et si ce dernier ne sert pas de figure pour représenter d’autres mouvements.

Une fois qu’on les aura ciblés, on tentera de relever ces arguments dans d’autres textes de

la même époque comme les Clementina, l’ouvrage d’Arnobe58 et un texte d’Augustin

intitulé Contra aduersarium legis et prophetarum. Ces textes permettent de voir, d’une

part, par les Pseudo-Clémentines, que Lactance ne fait que reprendre des idées qui, si elles

ne sont pas toujours exprimées exactement de la même manière, étaient présentes et en

circulation au moment où il rédige son traité et, d’autre part, par les textes d’Arnobe et

d’Augustin, de vérifier si l’on trouve des traces des idées et doctrines des adversaires de

58 J. Stevenson note au sujet du De ira Dei: « It is possible that there is here a reference to the view of his

teacher Arnobius. »: « The life and literary activity of Lactantius », 1957, p. 374.

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Lactance. Cette analyse permet aussi de voir qu’une fois que l’on remet en question le

genre apologétique de l’ouvrage, ses destinataires et les thèmes abordés, le plan du traité

n’est peut-être pas le résultat de remaniements et que le texte est exempt de parenthèses

inutiles au propos: la digression sur les atomes serait chose normale dans une réflexion sur

la religion dans l’Antiquité romaine. Ultimement, cela permet de mieux comprendre que

Lactance a pour adversaire direct l’ivraie qui pousse au sein de l’Église et non pas ses

racines épicuriennes.

Méthodologie

La méthodologie proposée n’est pas la même pour l’analyse de la notion de religio

chez les auteurs chrétiens latins qu’elle ne l’est pour l’étude de cette notion dans le De ira

Dei. Dans les textes des prédécesseurs de Lactance, une recension a été faite pour cibler les

traités et passages qui emploient superstitio et religio. De ces passages, seuls les extraits les

plus significatifs ont été retenus pour l’analyse. Si un extrait est étudié en profondeur, on

renverra néanmoins dans les notes de bas de page aux autres occurrences du même type.

Une attention particulière est portée, dans l’examen de ces passages, au genre littéraire de

l’ouvrage et aux destinataires. Comme c’est le cas pour le De ira Dei, en aucun temps il ne

s’agit du destinataire direct de l’ouvrage, donc celui à qui le texte est envoyé. Il s’agit plutôt

du destinataire des arguments utilisés, donc les adversaires. Bien entendu, ces deux

destinataires, celui du traité et celui des arguments sont parfois les mêmes, comme c’est le

cas de l’Apologeticum de Tertullien qui s’adresse aux magistrats romains et dont les

arguments s’adressent, eux aussi, aux Romains. La distinction entre les deux n’est pas si

importante, dans le cas de ce texte, mais elle mérite d’être mentionnée. Il en va tout

autrement dans le cas de l’Octauius de Minucius Félix qui contient trois discours, dont un

qui s’attaque au christianisme. Il va de soi qu’il est rapporté par Minucius Félix, un

chrétien, mais on doit considérer ce discours comme le reflet de la pensée des non-chrétiens

de son époque. Les arguments utilisés dans ce discours sont dirigés contre les chrétiens et

donc, les destinataires des arguments sont les chrétiens: il faut évaluer qui parle et à qui

sont destinés les arguments dans l’utilisation de ces termes. Le genre littéraire vient aussi

apporter des éléments importants dans l’analyse, car, par exemple, le mot superstitio n’est

pas employé dans le genre hérésiologique. Cette absence en dit beaucoup sur la conception

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que les chrétiens avaient de ce mot, car si, tout comme l’ont pensé certains chercheurs

modernes, le terme superstitio renvoie à une déviance de la religion, les chrétiens auraient

dû l’employer pour dénoncer les doctrines et pratiques jugées hérétiques, ce qu’ils n’ont pas

fait. Cette particularité doit donc faire l’objet de quelques clarifications.

D’autres mots seront analysés, comme sacramentum, secta et d’autres, afin de cibler

ceux qui sont les plus utilisés pour chaque contexte. On notera également les termes qui

sont employés comme référents sans pour autant qu’ils ne livrent de précision sur leur

contenu59. Cela permet de souligner si, chez un auteur, à une époque ou encore en fonction

du destinataire des arguments, il préfère désigner le christianisme par nostra religio ou par

nostra secta. Cette nuance permet de souligner si l’utilisation de religio est prédominante

par rapport à d’autres mots, ou vice versa. Par les autres termes présents dans la phrase, on

tentera aussi de circonscrire le contenu, ou le signifié, de superstitio et religio lorsque cela

est possible. Par exemple, si religio est décrite avec des termes en lien avec la tradition ou

le verbe colere, ou en revanche si ce mot est accompagné de pietas, cela permettra de cibler

le contenu du mot, à savoir s’il s’agit de l’objet religio (définition objective) ou de la

religiosité (définition subjective) par exemple.

La méthode employée pour l’analyse du De ira Dei s’éloigne du sens des mots et se

tourne vers la structure des arguments. Sans être une analyse rhétorique complète du texte,

cette partie se sert de quelques éléments issus de l’analyse rhétorique du discours. Le plan

du texte sera dégagé et chaque partie, du moins jusqu’à la fin de la parenthèse sur les

atomes, sera analysée les unes après les autres. Ce découpage permet d’éliminer cette idée

concernant la présence de parenthèses, car même s’il s’agit d’une digression, à tout le

moins dans le cas des atomes, celle-ci ne brise pourtant pas le cours du développement de

l’argumentatio: elle s’insère après une refutatio et vise à compléter celle-ci.

59 L’utilisation de « référent » provient de la sémantique moderne. Tandis que signifiant désigne le nom, ici

superstitio et religio, le signifié désigne le concept renfermé par ces termes, le référent désigne une réalité

physique, donc l’objet. Nostra religio, « notre religion », est ici un référent et désigne la réalité physique,

l’objet: le christianisme. Lorsque nous employons le mot « contenu », nous faisons référence au concept

renvoyé par le signifiant, donc le signifié.

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Après avoir ciblé les grandes parties du texte et des arguments, on tentera de faire des

liens avec des textes de l’époque, soit un corpus comparatif qui comprend l’ouvrage

d’Arnobe, les Pseudo-Clémentines, et le Contra aduersarium legis et prophetarum

d’Augustin qui est plus tardif, mais semble reprendre la pensée d’un mouvement issu du

christianisme qui existe à l’époque de Lactance. En plus de montrer que Lactance s’insère

dans des préoccupations bien de son époque, la comparaison permet aussi de montrer qui

s’accorde avec lui et qui rejette sa façon de concevoir Dieu. Cela permet de montrer les

influences de Lactance et les groupes auxquels il est opposé.

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CHAPITRE 1 : VIE ET ŒUVRE DE LACTANCE

Introduction

Afin de mieux comprendre les visées du De ira Dei et la notion de religio, il convient

en premier lieu de survoler quelques éléments entourant la vie de Lactance et ses ouvrages

principaux. La vision plus récente selon laquelle le De ira Dei vise à soutenir le programme

politique et religieux de Constantin, ou encore vise à faire la louange de la monarchie

impériale, vient principalement de la conception assez répandue qui veut que Lactance

agisse à titre de conseiller du Prince. De plus, on tisse trop souvent des liens trop étroits

entre ce traité et le De mortibus persecutorum; il en résulte que l’on confond souvent la

visée politique du second avec celle du premier. Il convient dès lors de souligner que

l’ouvrage sur les persécuteurs ne propose pas la même conception au sujet du jugement

divin que le De ira Dei. De plus, il faut exposer le caractère hasardeux d’un rapprochement

entre cet ouvrage et le De mortibus persecutorum en raison du fait que ce dernier diverge à

bien des égards de l’œuvre de Lactance et ce, peu importe la question de l’authenticité. Il

convient également de revoir quelques éléments de la vie de Lactance afin de montrer que,

contrairement à ce que beaucoup de recherches modernes proposent, il existe peu de

sources et d’indices qui montrent que Lactance développe une relation très étroite avec le

Prince avant 317, et qu’il agit à titre de conseiller par la suite: il existe donc très peu

d’indications pour soutenir l’idée que Lactance soit dans l’entourage de Constantin avant la

rédaction du De ira Dei. On doit, par ailleurs, s’intéresser aux dédicaces à Constantin, car

elles sont loin de soutenir l’idée que Lactance fait la louange d’une monarchie. Empreints

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de dualisme et influencés par les textes judéo-chrétiens1, dont les Pseudo-Clémentines, les

passages dualistes qui accompagnent les dédicaces révèlent plutôt que Lactance s’oppose à

la conception de la Providence. Celle-ci est forgée dans les ateliers de Constantin. Écrits à

la fin de sa vie, ces passages dualistes remettent en question la conception voulant que

Lactance ait été en faveur d’une monarchie impériale au moment où Constantin devient

l’unique Prince de l’Empire. Cette première partie situe également les ouvrages principaux

de Lactance sans pour autant les dater avec précision, mais du moins en trace un portrait

d’ensemble. On présentera, enfin, la place d’Arnobe par rapport à l’ouvrage de Lactance.

1.1. Vie de Lactance

On sait très peu de choses sur la vie de Lactance surtout, parce que les ouvrages qui

nous sont parvenus, sont avant tout des ouvrages théologicophilosophiques. L’analyse

interne de ceux-ci révèle peu de chose et cette information peut être complétée

principalement par le témoignage de Jérôme dans son ouvrage De uiris inlustribus. On peut

tenter, à partir de l’extrait du texte de Jérôme, de faire le bilan de ce que l’on sait à propos

de Lactance tout en complétant par les détails que ce dernier a laissé dans son œuvre2.

Dans son ouvrage De uiris inlustribus, Jérôme nous présente une notice sur la vie de

Lactance (80, TU, 14, éd. E. C. Richardson, p. 42, 17-p. 43, 2):

Firmianus, qui et Lactantius, Arnobii discipulus, sub Diocletiano principe

accitus cum Flavio grammatico, cuius « De medicinalibus » uersu conpositi

extant libri, Nicomediae rhetoricam docuit ac penuria discipulorum ob

Graecam uidelicet ciuitatem ad scribendum se contulit. Habemus eius

Symposium, quod adulescentulus scripsit Africae, et Ὁδοιπορικόν de Africa

1 Bien entendu, cette catégorie « judéo-chrétienne » fait problème et certains soulignent les difficultés

engendrées par la définition et l’utilisation d’une telle catégorie: A. YOSHIKO REED, « ‟Jewish Christianity”

after the ‟Parting of the Ways”: Approaches to Historiography and Self-Definition in the Pseudo-

Clementines », dans A. Yoshiko Reed et A. H. Becker (dir.), The Ways that Never Parted, Tübingen, Mohr

Siebeck (coll. Texts and Studies in Ancient Judaism 95), 2003, p. 189-231; M. JACKSON-MCCABE,

Reconsidering Jewish Christianity: Ancient Groups and Texts on the Borderline Between Judaism and

Christianity, Minneapolis, Fortress Press, 2007. Or, comme la littérature moderne nomme ces textes « judéo-

chrétiens », nous ne n’utilisons pas une autre catégorie pour les nommer. 2 Reconstuire la vie de Lactance et dater avec précision ses ouvrages sont une tâche difficile, en raison, d’une

part, que ce dernier révèle des détails de sa vie par accident comme le mentionne J. Moreau, « Introduction »,

dans Lactance, De la mort des persécuteurs, Paris, Les éditions du Cerf, 1954, p. 14 et que, d’autre part, il

conserve toujours l’anonymat des gens auxquels il fait référence comme le souligne J. ROUGÉ et D. DE

DECKER, De mortibus persecutorum... 2013, p. 107.

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usque Nicomediam, hexametris scriptum uersibus, et alium librum, qui

inscribitur Grammaticus, et pulcherrimum De ira Dei, et Institutionum

diuinarum aduersum gentes libros septem, et Ἐπιτομήν eiusdem operis, in libro

uno ἀκεφάλῳ, et Ad Asclepiadem libros duos, De persecutione librum unum,

Ad Probum epistularum libros quattuor, Ad Severum epistularum libros duos,

Ad Demetrianum, auditorem suum, epistularum libros duos et ad eundem De

opificio Dei uel formatione hominis librum unum. Hic extrema senectute

magister Caesaris Crispi, filii Constantini, in Gallia fuit, qui postea a patre

interfectus est3.

Cette notice nous permet d’abord de dire que Lactance était probablement d’origine

africaine, par le fait qu’il aurait composé un Symposium en Afrique lorsqu’il était jeune. Le

fait qu’il écrit un récit de voyage lors de son périple d’Afrique vers Nicomédie semble

également suggérer qu’il est Africain. Certains pensent toutefois, qu’il est originaire de

Firmum en Italie en raison de son cognomen Firmianus4, mais ce cognomen est maintenant

bien attesté pour la région africaine dans le recueil du CIL5. D’autres pensent, par ailleurs,

qu’il n’est probablement pas Africain en raison de sa façon d’écrire qui est différente des

autres auteurs chrétiens d’Afrique6 qui ont l’habitude d’aller au bout de leur pensée:

Lactance est tout le contraire, il est l’homme du juste milieu étant par ailleurs très discret7.

3 « Firmianus qui est aussi Lactance, disciple d’Arnobe, invité sous Dioclétien avec Flavius le grammairien

dont il existe des livres au sujet de la médecine composés en vers, a enseigné la rhétorique à Nicomédie et

faute de disciple, en raison qu’il s’agit évidemment d’une ville grecque, se consacra à l’écriture. Nous avons

de lui un Symposium qu’il a écrit en Afrique étant tout jeune homme, un itinéraire d’Afrique jusqu’à

Nicomédie écrit en hexamètre et un autre livre qui a été écrit sur la grammaire et le très beau De la colère de

Dieu et ses Institutions divines contre les nations en sept livres, et un Épitomé du même ouvrage en un livre

dont il manque le début, et deux livres À Asclépiade, un livre sur la persécution, quatre livres de lettres à

Probus, deux livres de lettres à Sévère, deux livres de lettres à Démétrianus son étudiant, et un livre sur

l’Ouvrage de Dieu ou la formation de l’homme à cette même personne. Il devint, dans sa vieillesse avancée,

maître de César Cripus, fils de Constantin, qui fut ensuite tué par son père. » (Sauf indication contraire, toutes

les traductions sont les nôtres). 4 Entre autres, F. E. MECCHI, Lattanzio e la sua patria, Fermo, Bacher, 1875, mais P. Monceaux refuse cette

explication: « Études critiques sur Lactance », Revue de Philologie, de Littérature et d’Histoire Anciennes

29/2 (1905), p. 105. Pour d’autres raisons, notamment la pureté de la langue de Lactance, L. Haussknecht

pense qu’il est possible qu’il soit de l’Italie: Étude sur Lactance, Strasbourg, Imprimerie de F. G. Levrault,

1837, p. 4. 5 À ce sujet, voir l’analyse de L. Kanjato, dans The Latin Cognomina, Helsinki, Giorgo Bretschneider Editore,

1982 [1965], p. 258. 6 H. Karft et A. Wlosok, « Introduction », dans Lactance, Vom Zorne Gottes, Darmstadt, Wissenschaftliche

Buchgesellschaft (coll. Texte zur Forschung 4), 1983, p. VIII. 7 R. PICHON, Lactance: Étude sur le mouvement philosophique et religieux sous le règne de Constantin, Paris,

Librairie Hachette, 1901, p. 1-2; D. De Decker fait un état de la question complet sur la provenance de

Lactance: De mortibus persecutorum... 2013, p. 67.

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Quoi qu’il en soit, il semble que la plupart des commentateurs pensent qu’il est originaire

d’Afrique8.

On sait, par le texte de Jérôme, qu’il est appelé pour enseigner la rhétorique à

Nicomédie sous le règne de Dioclétien: il fait donc partie de la cour de l’Empereur. Avec

pour seule information la notice de Jérôme, il est dès lors difficile de conjecturer sur la date

à laquelle il devint professeur de rhétorique à Nicomédie9. Dans ses ouvrages, Lactance

confirme qu’il était en Bithynie durant les persécutions (Diuinae institutiones V, 2, 2, BT,

3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 442, 2-4): Ego cum in Bithynia oratorias litteras accitus

docerem contigissetque ut eodem tempore dei templum euerteretur […]10. Ce passage

confirme ce que Jérôme dit à propos de Lactance, à savoir qu’il enseigne la rhétorique sous

le règne de Dioclétien, puisque la destruction de l’église de Bithynie fait sûrement référence

à la destruction de l’église de Nicomédie le 23 février 303, comme nous l’apprend le De

mortibus persecutorum (12, 1, SC, 39, éd. J. Moreau, p. 91, 1-4): Lactance est

probablement à Nicomédie en 303 lors du début des persécutions. Ce passage permet

également de dire qu’il quitte Nicomédie et qu’il n’y est plus au moment où il écrit ces

quelques lignes. D’autres passages que l’on cite régulièrement pour indiquer le moment où

il part de Nicomédie ne semblent pas très évocateurs d’un moment précis, soit après le

départ de Dioclétien du pouvoir. Les commentateurs modernes s’appuient généralement sur

les passages suivants: Diuinae institutiones V, 13, 1-5 et V, 2211 et de Mortibus

8 Même s’il pense que Lactance est fort différent des autres auteurs africains, R. Pichon pense néanmoins

qu’il est originaire d’Afrique: Lactance... 1901, p. 1. P. Monceaux, quant à lui, relève à même les ouvrages de

Lactance certains indices qui supportent cette origine africaine. Il mentionne que Lactance parle d’un culte en

Mauritanie (Diu. Inst. I, 15, 6-8), qu’il est le premier à signaler la légende africaine d’Apulée le

magicien (Diu. Inst. V, 3 ,7 et 21): « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 106. Pour D. De Decker, il est

d’Afrique du Nord: De mortibus persecutorum... 2013, p. 67. Pour H. J. Lawlor, Lactance est également

originaire d’Afrique: « Notes on Lactantius », Hermathena 12 (1902), p. 448. 9 L. Haussknecht suggère 290, mais rien ne nous permet de confirmer cette date: Étude sur Lactance, 1837,

p. 5; P. Monceaux suggère également la date de 290 sans indiquer pourquoi il s’arrête sur cette date: « Études

critiques sur Lactance », 1905, p. 107. A. Wlosok place l’arrivée de Lactance à Nicomédie entre 290 et 300:

« Lactance », dans R. Herzog et P. L. Schmidt (dir.), Nouvelle histoire de la littérature latine, vol. 5,

Turnhout, Brepols, 1993, p. 428. 10 « Comme j’enseignais la rhétorique en Bythinie, [où] j’avais été invité, et qu’il se trouva à la même époque

que le temple de Dieu fut détruit […] ». 11 J. Stevenson s’appuie sur ces deux passages pour montrer que Lactance quitte Nicomédie après l’abdication

de Dioclétien: « The life and literary activity of Lactantius », 1957, p. 664.

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persecutroum 1912. Rien ne montre cependant que Lactance part de Nicomédie à

l’abdication de Dioclétien même si cela paraît vraisemblable. On ne connait donc pas le

moment où il quitte cette ville, mais un indice permet d’affirmer qu’il y demeure au moins

jusqu’en 305 (Diuinae institutiones V, 11, 15, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 478,

6-9): Vidi ego in Bithynia praesidem gaudio mirabiliter elatum tamquam barbarorum

gentem aliquam subegisset, quod unus, qui per biennium magna uirtute restiterat, postremo

cedere uisus esset13. Bien entendu l’extrait ne dit pas que l’homme est amené en captivité

dès le début des persécutions en 303, mais si l’on place le moment évoqué par Lactance au

début des persécutions, on peut affirmer à tout le moins avec assurance que Lactance est à

Nicomédie de 303 à 30514. On voit également par cet extrait que, pour cette période du

moins, il ne semble pas souffrir du fait qu’il est chrétien15. Ces passages révèlent également

qu’il enseigne encore la rhétorique au moment de la destruction de l’église de Nicomédie,

donc au début des persécutions. Le passage des Diuinae institutiones V, 11, 15 montre

aussi qu’il est encore dans le cercle de Dioclétien au moins en 305 pour assister au

tourment de l’homme qui cède après deux ans. Selon certains, il aurait cessé cette activité

tout de suite après l’avènement de Galère16. Dans le De mortibus persecutorum (22, 4-5,

SC, 39, éd. J. Moreau, p. 103, 8-15), Galère est dépeint comme ennemi de l’éloquence, le

12 Supra n. 16 p. 27. 13 « J’ai vu personnellement en Bithynie un gouverneur étonnamment emporté par la joie, comme s’il

soummettait quelque peuple barbare, parce qu’un homme qui avait résisté par une grande vertu pendant deux

ans, avait finalement paru céder. » 14 P. Monceaux mentionne le fait que certains pensent qu’il demeure en Bithynie jusqu’en 307 et qu’il quitte à

ce moment pour rejoindre la Gaule qui était gouvernée par Constantin, plus favorable aux chrétiens. Or, cela

reste une hypothèse et rien dans les sources anciennes ne nous permet de penser cela. Il pense plutôt qu’il est

plus prudent de dire que Lactance est resté en Bithynie jusqu’en 305: « Études critiques sur Lactance », 1905,

p. 110. J. Stevenson quant à lui pense que Lactance est resté à Nicomédie jusqu’à l’abdication de Dioclétien le

1 mai 305: « The life and literary activity of Lactantius », 1957, p. 664. 15 J. Moreau se sert en effet de cet extrait pour dire que Lactance « semble pourtant n’avoir été nullement

inquiété durant tout le règne de Dioclétien. »: « Introduction », dans De la mort des persécuteurs, p. 14. Pour

P. Monceaux, du fait que Lactance assiste à des réunions de païens (Diuinae institutiones V, 2, 2, et V, 4, 1) et

à des persécutions (Diuinae institutiones V, 11, 15), le pousse à dire que « son attitude paraît avoir été un

chrétien timide, soucieux de garder sa foi sans se compromettre. »: « Études critiques sur Lactance », 1905,

p. 110. 16 P. Monceaux s’appuie sur le chapitre 19 du De mortibus persecutorum pour dire que Lactance aurait cessé

d’enseigner la rhétorique après l’abdication de Dioclétien. Mais rien dans ce chapitre montre que Lactance

quitte ses fonctions à ce moment, le passage parle plutôt de Constantin: ibid., p. 110-111. Pour H. J. Lawlor,

Lactance aurait quitté Nicomédie en 306 pour aller rejoindre Constantin en Gaule, mais aucune source

ancienne ni l’œuvre de Lactance ne permet d’affirmer cela: « Notes on Lactantius », 1902, p. 459. A. Wlosok

pense également qu’il a cessé ses activités de rhéteur en 303: « Lactance », 1993, p. 432.

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métier d’avocat, de juriste et les activités reliées aux Belles Lettres auraient été mis au

nombre des occupations funestes. C’est peut-être à ce moment que Lactance met fin à son

activité d’enseignement17, mais, avec les renseignements fournis par le De mortibus

persecutorum, il est difficile de dater ce moment18. De plus, comme cette interdiction des

Belles Lettres figure uniquement dans ce pamphlet et que l’on ne possède aucune référence

d’une telle répression de l’intelligentia de la part de Galère dans aucune autre source, il est

possible que ce passage ne soit aucunement utile, et que cela soit plutôt relié à l’intention

de l’auteur de dépeindre Galère comme un mauvais empereur. Aussi, on trouve un incident

semblable dans les ouvrages d’Aurelius Victor (Historiae abreuiatae, 41, 5) et du

Pseudo-Aurelius Victor (De uita et moribus imperatorum, 41, 8) qui attribuent à Licinius

cette haine des Belles Lettres et des philosophes. Comme il s’agit là d’un lieu commun du

blâme de l’Empereur19 et que d’autres auteurs de l’Antiquité relient ces gestes à Licinius

plutôt qu’à Galère, il faut dès lors être très prudent et ne pas tirer de conclusion de ce

passage du De mortibus persecutorum. Il est également possible que l’auteur du De

mortibus persecutorum ne veuille pas dépeindre l’un des deux signataires de l’Édit de

Milan sous de mauvais traits20, c’est-à-dire Licinius et a fait porter l’odieux de ce dédain

des lettres par Galère. Quoi qu’il en soit, il semble difficile, à partir des ouvrages de

Lactance, de tirer des conclusions sur son départ de Nicomédie et le moment où il a cessé

17 P. MONCEAUX, « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 111 et J. STEVENSON, « The life and literary

activity of Lactantius », 1957, p. 662. 18 Certains ont pensé que ce passage indiquait que l’auteur du De mortibus persecutorum était un rhéteur tout

comme Lactance. Mais nous pensons que ce passage cherche plutôt à dépeindre Galère comme un mauvais

empereur et cela ne garantit pas de façon sûr qu’il s’agisse, ici, d’un rhéteur, même si cela peut être le cas:

S. BRANDT, Über Entstehungsverhältnisse der Prosaschriften des Lactantius und des Buches De mortibus

persecutorum, vol. 120, Vienne, In Commission bei F. Tempsky (coll. Sitzungsberichte der Kaiserlichen

Akademie der Wissenschaften, 125.6), 1892, p. 98; J. GAUDEMET, « Lactance et le droit romain », dans

M. A. Levi (dir.), Accademia romanistica constantiniana. Atti. II. Convegno internazionale Spello - Isola

Polvese sul Trasimeno - Montefalco 18-20 settembre 1975, Rimini, Maggioli editore, 1976, p. 81-101;

J. ROUGE et D. DE DECKER, De mortibus persecutorum... 2013, p. 407. 19 Dans son édition et traduction du texte d’Aurelius Victor, P. Dufraigne mentionne, au sujet de l’aversion de

Licinius à l’égard de la culture intellectuelle, que « le parallèle de Constantin et Licinius se poursuit. À la

clementia et à la pietas du premier s’oppose la crudelitas de second. » Proche de Constantin, Victor porterait

à l’endroit de Licinius le même jugement que celui des auteurs chrétiens. L’auteur du De mortibus

persecutorum veut toutefois faire porter ce blâme à Galère et épargne Licinius. Voir également J. MOREAU,

« Introduction », dans Lactance, De la mort des persécuteurs, Paris, Les éditions du Cerf (Coll. Sources

chrétiennes, 39), 1954, p. 331. 20 Cette idée a déjà été avancée par P. Monceaux, « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 122.

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d’enseigner la rhétorique. Il semble en tout cas avoir été présent dans le cercle de

l’Empereur au début des persécutions de 303 à 305.

Les éléments de la vie de Lactance, entre 305 et le moment où il est invité à enseigner

à Crispus, le fils de Constantin, sont très obscurs. Beaucoup de chercheurs le font revenir à

Nicomédie entre 311 et 313. Pour ce retour dans la ville de Dioclétien, on se fie

généralement à l’idée que certains passages du De mortibus persecutorum montrent que

l’auteur est un témoin oculaire des évènements de 311 à 313. Mais en raison des doutes qui

persistent sur l’authenticité du traité De mortibus persecutorum, on ne doit pas accepter

d’emblée ce retour à Nicomédie. Par ailleurs, quelles raisons aurait-il de revenir à

Nicomédie? On doit d’abord aborder cette question puisque le De mortibus persecutorum

fournit peut-être des éléments de la vie de Lactance qui ne sont pas connus autrement.

Il ne convient pas ici d’aborder la question très vaste de l’authenticité du traité,

puisque des travaux récents ont été réalisés sur ce sujet21. Les travaux entourant la question

de l’authenticité de ce traité se tournent principalement vers des études d’ordre linguistique,

mais les deux camps se servent de ces outils linguistiques et arrivent à des conclusions

diamétralement opposées. Or, il importe pour le présent propos de souligner qu’il existe des

différences notables entre la pensée de l’auteur du De mortibus persecutorum et l’auteur du

De ira Dei, car la critique pense trop souvent que la thèse des deux ouvrages est la même,

mais il n’en est rien.

Avant de comparer ces deux ouvrages, quelques remarques concernant le De

mortibus persecutorum s’imposent. Certains notent que Lactance propose dans son Epitome

un passage qui rappelle la thèse proposée dans le De mortibus persecutorum (Epitome 48,

4-5, BT, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 70, 12-22):

Nam cum isti defensores falsorum deorum aduersus uerum deum rebelles

nomen eius in nobis persequuntur, nec re nec uerbo repugnamus, sed mites et

taciti et patientes perferimus omnia, quaecumque aduersus nos potest

crudelitas machinari. Habemus enim fiduciam in deo, a quo expectamus

21 Les travaux de J. Rougé et de D. De Decker font un état de la question exaustif et ajoute de nouveaux

éléments principalement d’ordre linguistique à l’analyse de l’authenticité. Ces travaux ne déclarent pas

ouvertement l’inauthenticité du traité, mais la lecture de ce travail suggère qu’il s’agit là de l’ouvrage d’un

autre auteur: De mortibus persecutorum... 2013.

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secuturam protinus ultionem. Nec est inanis ista fiducia, siquidem eorum

omnium, qui hoc facinus ausi sunt, miserabiles exitus partim cognouimus,

partim uidimus nec ullus habuit impune, quod deum laesit, sed qui sit uerus

deus qui uerbo discere noluit, supplicio suo didicit22.

Dans ce passage, on reconnaît la thèse du De mortibus persecutorum, mais il reste que, à en

juger par la chronologie des ouvrages de Lactance, l’Epitome est écrit après le traité au

sujet des persécuteurs. Or, Lactance a l’habitude de parler des ouvrages qu’il est sur le

point d’entreprendre ou qu’il a déjà réalisés. On voit des exemples de ceci dans son premier

ouvrage, le De opificio Dei (15, 5-6 et 20, 1-9), lorsqu’il annonce les Diuinae institutiones

qui ne sont pas encore rédigées. Dans ce dernier ouvrage, il mentionne également qu’il a

écrit le De opificio Dei (Diuinae institutiones II, 10, 15). Les Diuinae institutiones

annoncent aussi la rédaction de l’ouvrage De ira Dei (Diuinae institutiones II, 17, 5) et ce

dernier traité renvoie souvent aux Diuinae institutiones (De ira Dei, 2, 4-6; 11, 2; 17, 2).

Lactance envisage également d’écrire des ouvrages qui ne nous sont pas parvenus, comme

celui contre les hérésies (Diuinae institutiones IV, 30, 14 et De ira Dei 2, 6) et celui contre

les juifs (Diuinae institutiones VII, 1 26). Cela nous montre le caractère de Lactance qui

prend le soin d’informer ses lecteurs des ouvrages rédigés ou qu’il compte entreprendre. Il

apparaît donc inhabituel qu’il passe sous silence le De mortibus persecutorum dans ce

passage de l’Epitome qui propose expressément la thèse soutenue par l’ouvrage sur la mort

des persécuteurs. Il est difficile de préciser la situation du De ira Dei par rapport au De

mortibus persecutorum dans la chronologie, mais on note toutefois qu’il n’existe aucune

trace dans le De ira Dei d’un écrit qui touche les persécutions. Pourtant, la proximité des

thèmes abordés par les deux traités, soit la colère et le jugement, suggèrent que Lactance

aurait dû mentionner le De mortibus persecutorum dans le De ira Dei, si toutefois il s’agit

bien des mêmes thèmes. Un tel argumentum ex silentio ne saurait toutefois constituer une

preuve contre l’authenticité du traité, mais un tel silence ne ressemble pas à Lactance.

22 « En effet, quand ces défenseurs des faux dieux, rebelles envers le vrai Dieu, persécutent son nom qui est en

nous, nous ne nous opposons ni en geste ni en parole, mais doux, silencieux et patients nous endurons toutes

choses, peu importe quelles qu’elles soient, que leur cruauté peut machiner contre nous. Nous avons en effet

confiance en Dieu duquel nous attendons immédiatement une vengeance à venir. Cette confiance n’est pas

vaine, si vraiment la mort misérable de tous ceux qui ont osé ce crime, nous l’avons en partie connue et en

parti vue, et personne n’est resté impuni parce que Dieu a frappé, mais celui qui n’a pas voulu apprendre par

la parole qui était le vrai Dieu, l’a appris par son supplice. »

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Les faits concernant le déclenchement de la Grande Persécution dans le De mortibus

persecutorum ne s’accordent par ailleurs pas avec les faits présentés par Lactance dans les

Diuinae institutiones23: il s’agit du récit des serviteurs qui font le signe de la croix sur leur

front lors d’un sacrifice. Pour Lactance, cet évènement déclenche en quelque sorte les

persécutions (Diuinae institutiones IV, 27, 5, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 420,

15-421, 3): Quod cum intellegerent haruspices, instigantibus isdem daemonibus quibus

prosecrant conquerentes profanos homines sacris interesse egerunt principes suos in

furorem, ut expugnarent dei templum seque uero sacrilegio contaminarent, quod

grauissimis persequentium poenis expiaretur24. L’assaut du temple de Dieu évoqué dans

cet extrait fait surement référence à la destruction de l’église de Nicomédie en février 303

comme le rapporte le De mortibus persecutorum. Or, dans ce dernier traité, la conséquence

immédiate du geste posé par les chrétiens durant le sacrifice n’est pas la même. En effet,

lorsque les haruspices informent Dioclétien de cet évènement, celui-ci devient furieux et

ordonne à tous ceux qui se trouvaient dans le palais de sacrifier et envoie le même ordre

aux soldats. L’anecdote se termine par hactenus furor eius et ira processit25 (De mortibus

persecutorum, 10, 5, SC, 39, éd. J. Moreau, p. 89, 17). C’est dans le chapitre suivant que

Galère convainc Dioclétien, après plusieurs entretiens, de lancer les persécutions. Il semble

s’écouler beaucoup de temps entre le jour où les haruspices n’ont pu compléter le sacrifice

et la destruction de l’église de Nicomédie. En effet, tout de suite après le sacrifice

interrompu, l’auteur du De mortibus persecutorum (10, 6, SC, 39, éd. J. Moreau, p. 89,

19-22) indique deinde interiecto aliquanto tempore in Bithyniam uenit hiematum eodemque

tum Maximianus quoque Caesar inflammatus scelere aduenit, ut ad persequendos

christianos instigaret senem uanum […]26. Il y a donc un espace de temps assez grand entre

ce sacrifice et le moment où Dioclétien et Galère se rendent en Bithynie pour l’hiver. Cela

23 P. S. Davies, « The Origin and Purpose of the Persecution of AD 303 », The Journal of Theological Studies

40/1 (1989), p. 66-94. 24 « Comme les haruspices ont compris cela à l’instigation des mêmes démons auxquels ils sacrifiaient, se

plaignant vivement que des hommes profanes assistaient aux mystères, ils poussèrent leurs princes à la fureur,

afin qu’ils prennent de force le temple de Dieu et qu’ils se souillent d’un véritable sacrilège qui a été expié par

les très graves châtiments des persécuteurs. » 25 « Sa fureur et sa colère se déchaina seulement jusqu’à ce point. » 26 « Ensuite, après un intervalle de temps assez grand, [Dioclétien] vint passer l’hiver en Bithynie et, à ce

même moment, arriva alors aussi Maximien César brûlant d’un esprit criminel pour convaincre le vieillard

fourbe de persécuter les chrétiens. »

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nous indique d’une part que cet évènement s’est passé à l’extérieur de la Bithynie et donc à

l’extérieur de la ville de Nicomédie: à tout le moins, même si les deux récits ne concordent

pas, il reste un élément qui est similaire dans les deux récits, à savoir que Lactance ne

semble pas présent tant au livre IV des Diuinae institutiones que dans le De mortibus

persecutorum et, dans les deux cas, il n’est pas témoin oculaire. Ce passage indique d’autre

part qu’il y eut un intervalle de temps important entre le sacrifice et le début de l’hiver où

les deux princes rentrent en Bithynie. Quoi qu’il en soit, il est difficile de dire ce que

l’auteur voulait dire par un « intervalle de temps important », même si l’évènement s’est

produit tout juste avant leur retour en Bithynie, nous devons placer le sacrifice à l’automne

302 et la destruction de l’église de Nicomédie en février 303. Le récit du De mortibus

persecutorum s’écarte donc de l’interprétation des faits proposée par Lactance dans ses

Diuinae institutiones qui place la destruction de l’église comme conséquence directe du

geste posé par les chrétiens présents à ce sacrifice.

On remarque également une nuance concernant les acteurs de ces évènements;

Lactance indiquant que les haruspices excitèrent la fureur des princes, on pense donc, en

suivant le récit du De mortibus persecutorum, à Galère et Dioclétien. Mais ce dernier traité

parle uniquement de la fureur de Dioclétien, Galère n’étant pas présent. De plus, le De

mortibus persecutorum poursuit et indique que les persécutions sont déclenchées pour

donner suite à une consultation d’Apollon Milésien par un haruspice envoyé par

Dioclétien (11, 7, SC, 39, éd. J. Moreau, p. 90, 29-30): respondit ille ut diuinae religionis

inimicus27. Cette anecdote est tout à fait absente du reste de l’œuvre de Lactance et l’on

peut se questionner sur cet autre silence. Notons également que la Vita Constantini (II, 50)

présente, à quelques détails près, la même version que le De mortibus persecutorum, ces

deux textes divergent donc de la version proposée par Lactance. Est-ce que Lactance, dans

ses Diuinae institutiones, a voulu faire court et combiner plusieurs anecdotes qui se situent

dans un espace de plusieurs mois? Cela n’est pas impossible. Il est vrai que Lactance écrit

en temps de persécutions et doit rester discret afin de ne pas s’attirer les foudres des princes

– quoique le fait même d’évoquer cet incident aurait pu le mettre dans l’embarras –, mais

les différences notables entre les deux récits incitent à la prudence en ce qui a trait à

27 « Ce dieu répond en ennemi de la religion divine. »

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l’authenticité du De mortibus persecutorum. Cela montre également qu’il y a un écart entre

la version de Lactance et de Constantin.

À plusieurs endroits dans le traité, on remarque que l’auteur décrit des événements

pour lesquels on imagine difficilement sa présence sur les lieux. Il décrit la manière dont un

homme a été supplicié et comment ce dernier a usé d’une remarquable patience (13, 3):

doit-on comprendre que l’auteur était sur place? En De mortibus persecutorum 15, 6-7, il

rapporte ce qui se passe en Gaule et en Italie lorsque Constance et Maximien reçoivent les

ordres de Dioclétien. En 17, l’auteur rapporte le passage de Dioclétien à Rome, et l’on peut

penser que l’auteur ne suivait pas l’empereur dans tous ses voyages. En 18, il rapporte la

conversation entre Dioclétien et Galère sur le choix des Césars; on peut encore une fois

penser qu’il est étrange que Lactance ou l’auteur du De mortibus persecutorum soit sur

place à ce moment, lors d’une discussion qui semble intime entre les deux hommes. Cette

conversation, comme bien des discours rapportés par les historiens anciens, semble être une

reconstruction et cela n’implique en rien la présence de l’auteur du traité. Ces quelques

passages montrent bien que l’auteur n’est sûrement pas sur place pour rapporter tous les

détails contenus dans le De mortibus persecutorum: dans la plupart des cas, il apprend à

propos des évènements ou les reconstruit.

On peut également s’interroger sur le passage 13, 1 du De mortibus persecutorum qui

fait en sorte que les chrétiens sont exclus de toute charge officielle dès le lendemain du 23

février 303. Cela ne semble pas s’appliquer à Lactance qui est encore dans l’entourage du

palais en 30528. Que dire également du passage 15, 1: furebat ergo imperator iam non in

domesticos tantum, sed in omnes29. La suite du passage montre que la fureur de l’empereur

n’épargne personne et même sa fille Valéria et son épouse Prisca furent obligées de

sacrifier. Il est dès lors fort étonnant que Lactance ne soit jamais embêté jusqu’en 305. Il

faut donc expliquer pourquoi Lactance et l’auteur du De mortibus persecutorum sont sur

place dans ces moments sans être ennuyés: sont-ils chrétiens à ce moment? Même si

Lactance est un chrétien fort discret, cela ne rend pas compte de tout ce que le De mortibus

28 Supra n. 13 p. 27. 29 « L’empereur rageait donc à ce moment non seulement contre les domestiques, mais contre tous. »

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persecutorum rapporte en termes de faits: il existe des passages dans ce traité qui montrent

que l’auteur ne peut être sur place, aussi discret puisse-t-il être au sujet de sa foi.

Quant au fait que Lactance soit revenu en Bithynie entre 311 et 31330, on se sert du

chapitre 35 et 48 du De mortibus persecutorum pour l’établir. Dans le chapitre 35, on pense

que la mention concernant l’affichage de l’édit de Galère de 311 à Nicomédie permet de

croire que l’auteur est sur place. Mais le texte latin ne permet pas d’être assuré de ce

fait (35, 1, SC, 39, éd. J. Moreau, p. 118, 1-2): hoc edictum proponitur Nicomediae pridie

Kalendas Maias […]31. Cette phrase n’implique pas que l’auteur soit sur place puisque

l’édit est sujet d’un verbe passif « cet édit a été affiché ». De même pour la fin du

paragraphe (35, 4, SC, 39, éd. J. Moreau, p. 118, 9-10): idque cognitum Nicomediae

< medio > mensis eiusdem […]32. Il s’agit ici de la mort de Galère (id) qui est encore une

fois apposée à un participe passif: cela a été connu à Nicomédie. Cela n’indique pas hors de

tout doute que l’auteur est sur place; il a pu l’apprendre de Donat qui, lui, est sur place si

l’on suit ce que ce chapitre indique. Il peut donc apprendre les détails de la part de Donat et

recopier l’édit (34) à partir de documents qui circulent33. Cela n’indique pas non plus qu’il

est absent de Nicomédie, mais il semble difficile d’y voir une preuve solide pour faire

revenir Lactance à Nicomédie, bien entendu s’il est l’auteur de ces phrases.

La même situation se présente au chapitre 48 dans lequel l’Édit de Milan est proposé.

Il est intéressant de noter que cette fois-ci l’auteur du De mortibus persecutorum présente

l’évènement relatif à l’affichage du texte à Nicomédie lors du passage de Licinius dans

cette ville. On déduit tout naturellement que l’auteur doit être précisément en Bithynie au

moment de l’affichage de cet édit, mais l’auteur ajoute (48, 13) his litteris propositis etiam

uerbo hortatus est, ut conuenticula < in > statum pristinum redderentur34. Si l’auteur de

ces lignes est présent pour entendre ce que Licinius dit, cela indique qu’il est à Nicomédie à

30 J. STEVENSON, « The life and literary activity of Lactantius », 1957, p. 665; P. MONCEAUX, « Études

critiques sur Lactance », 1905, p. 111; A. WLOSOK, « Lactance », 1993, p. 429. 31 « Cet édit a été affiché à Nicomédie le jour précédent le mois de mai. » 32 « Et cela a été connu à Nicomédie au milieu du même mois. » 33 Selon J. Gaudemet, l’auteur du De mortibus persecutorum avait accès aux archives impériales, ce qui lui

donne l’occasion de donner beaucoup de détails: « Lactance et le droit romain », 1976, p. 90. 34 « À cette lettre qui fut affichée, il exhorta encore par des paroles pour qu’on remette les lieux d’assemblée

dans leur état précédent. »

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35

ce moment, en 313. Or, les extraits concernant l’édit de Galère ne permettent pas de dire

qu’il est présent en 311: force est d’admettre qu’il est difficile d’établir hors de tout doute

qu’il est, de 311 à 313, en Bithynie. De plus, on doit s’interroger sur la motivation de

l’auteur de suivre Licinius en Bithynie pour introduire l’Édit de Milan. Il est étonnant qu’un

pamphlet politique qui vise à soutenir Constantin suive plutôt Licinius lors de ce tournant

important dans l’histoire du christianisme. Il semble que l’auteur du De mortibus

persecutorum cherche à peindre un portrait favorable de Licinius coauteur de l’Édit de

Milan, mais pourquoi? La visée de cette recherche ne s’attarde pas à cette question, mais

cette interrogation vise plutôt à montrer que l’auteur cherche à construire une image des

évènements pour poursuivre un dessein politique. Pour cette raison, il est préférable de

mettre cette source de côté afin de ne pas ajouter des éléments à la vie de Lactance qui

semblent incertains et aussi ne pas soumettre l’analyse du De ira Dei à cette même

intention politique. Il est possible que ce dernier traité vise à soutenir un programme

politique, mais cela ne doit pas être établi à partir du traité sur la persécution, dont la

paternité ne tient qu’à l’incipit d’un seul manuscrit. L’analyse du De ira Dei et ses

arguments doivent eux-mêmes produire les éléments nécessaires pour indiquer la visée du

traité. Ces quelques remarques sur le De mortibus persecutorum ne permettent en aucun cas

de renverser la paternité lactancienne du traité, mais elles servent néanmoins pour justifier

la mise à l’écart cet ouvrage et ce, afin de pouvoir établir de façon plus certaine les

éléments de la vie de Lactance: il est donc plus sûr d’affirmer que Lactance était en

Bithynie de 303 à 305.

Il faut maintenant souligner que la thèse du De mortibus persecutorum, qui est

résumée de façon très claire dans l’Epitome35, ne correspond pas tout à fait aux sujets et

thèmes abordés dans le De ira Dei36. Le premier traité présente les fléaux qui se sont

abattus sur les persécuteurs et, surtout, le jugement que Dieu leur a envoyé. Dans tous les

cas, cette vengeance divine se termine par la mort du persécuteur. On trouve des passages

qui utilisent par ailleurs le terme ultio, notamment lorsqu’il s’agit de la mort de Domitien

35 Supra n. 22 p. 30. 36 J. Stevenson pense toutefois qu’il s’agit du même sujet: « The life and literary activity of Lactantius »,

1957, p. 675.

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36

(3, 2, SC, 39, éd. J. Moreau, p. 81, 6-10): Postquam uero ad persequendum iustum populum

instinctu daemonum incitatus est, tunc traditus in manus inimicorum luit poenas. Nec satis

ad ultionem fuit quod est interfectus domi: etiam memoria nominis eius erasa est37. Dans

son introduction, l’auteur présente la fonction du jugement divin (1, 7, SC, 39, éd.

J. Moreau, p. 79, 25-29): Distulerat enim poenas eorum deus, ut ederet in eos magna et

mirabilia exempla, quibus posteri docerent et deum esse unum, et eundem iudicem [digno

iudicio]38 supplicia impiis ac persecutoribus inrogare39. Le vocabulaire utilisé dans les

deux textes est similaire,40 mais les propos sont fort différents. On remarque d’une part

qu’il s’agit d’une vengeance divine en raison des crimes de persécutions commis et que la

rétribution divine sert à enseigner quelque chose à la postérité: le jugement divin, qui se

termine par la mort des persécuteurs, n’est dès lors d’aucune utilité aux individus qui ont

commis des fautes. La situation est tout autre dans le De ira Dei, d’une part parce que

Lactance explique bien que la colère divine n’est pas une vengeance (17, 20, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 180, 104-107): Ergo ita definire debuerunt: ira est motus animi ad

coercenda peccata insurgentis. Nam definitio Ciceronis, “ira est libido ulciscendi”

[…] »41. Dans ce chapitre, Lactance montre que les philosophes ont toujours associé la

colère à la vengeance, mais pour lui, ce genre de conception fait en sorte qu’il s’agit d’une

colère injuste42 et qu’il ne s’agit pas de ce genre de colère qui habite Dieu. De plus, le but

de la colère divine, dans le De ira Dei, est de corriger (coerceo) et non pas d’instruire la

postérité. Si l’on suit ce raisonnement, la colère divine présente dans le De mortibus

persecutorum ne peut en aucun cas être comprise comme un mouvement de l’âme qui sert à

37 « Mais après avoir lancé une persécution contre le peuple juste sous l’inspiration des démons, livré entre les

mains de ses ennemis il fut châtié. Pour la vengeance, ce fut insuffisant que de le faire mourir en sa demeure:

on effaca également la mémoire de son nom. » 38 La leçon digno iudicio a été retenu contrairement à l’édition de J. Moreau qui propose digna ui<n>d<ice>,

en raison que le texte utilise à d’autres endroits cette notion de iudicium comme en L, 8 et LII, 1. 39 « De fait, Dieu avait remis à plus tard leur châtiment pour en faire des exemples grands et frappants pour

enseigner à la postérité que Dieu est unique et que ce même juge, par un décrt digne, frappe les impies et les

persécuteurs de supplices. » 40 On remarque en effet que les termes poena et differo sont également utilisés dans le De ira Dei, bien qu’il

s’agisse d’un tout autre contexte (18, 8, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 184, 39-40). 41 « Ils auraient donc dû définir [la] ainsi: la colère est le mouvement de l’âme qui s’élève pour corriger. De

fait, la définition de Cicéron, “la colère est le désir de se venger” ne se distingue pas beaucoup des [autres

penseurs mentionnés] plus haut. » 42 17, 14, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 178, 78.

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37

redresser, à corriger, puisque cette colère apporte la mort aux persécuteurs et ne laisse

aucune place à la correction de porter des fruits. De plus, la colère de Dieu n’est pas un

thème très présent dans le De mortibus persecutorum, elle n’est mentionnée qu’une seule

fois43; le terme de la colère est en revanche utilisé pour décrire les sentiments des

persécuteurs à plusieurs reprises44. Il ne faut dès lors pas mettre sur le même plan les visées

du De mortibus persecutorum et du De ira Dei pas plus qu’il ne faut assujettir la

conception de la colère de l’un à l’autre. Il faut comprendre ces deux ouvrages de manière

tout à fait indépendante.

Dans l’extrait du De uiris inlustribus sur Lactance, Jérôme indique que celui-ci est

invité en Gaule pour enseigner les lettres latines à Crispus le fils de Constantin. Beaucoup

d’hypothèses ont été émises quant à ce déplacement vers la Gaule45. Des travaux récents

font de Lactance l’enseignant de Crispus dès 31046. Le problème de la datation de la venue

de Lactance en Gaule est tributaire de la date de naissance de Crispus: celle-ci pose des

difficultés. Mais que l’on se fie à une date haute, vers 30547, ou une date basse, vers 30348,

cela ne peut faire aucunement de Lactance l’enseignant de Crispus en 310. En effet, si l’on

considère que Crispus est né en 303, il n’avait que sept ans en 310. Cela fait en sorte qu’il

43 6, 1, SC, 39, éd. J. Moreau, p. 84, 3. 44 10, 4, SC, 39, éd. J. Moreau, p. 89, 12; 10, 5, p. 89, 17; 14, 3, p. 92, 11; 14, 5, p. 93, 18; 27, 1, p. 108, 2; 28,

4, p. 110, 16; 32, 1, p. 114, 2; 39, 5, p. 123, 16; 41, 3, p. 124, 8; 50, 2, p. 136, 4. 45 J. Stevenson a même suggéré que Lactance prit la fuite à cheval avec Constantin lorsque ce dernier est allé

rejoindre son père mourant en Gaule. Même si J. Stevenson mentionne qu’il ne s’agit que d’une hypothèse, on

voit bien que les critiques modernes ne reculent devant rien pour rattacher des éléments de la vie de Lactance

à celle de Constantin: « The life and literary activity of Lactantius », 1957, p. 664. À l’instar de B. Bakhouche

et S. Luciani, nous pensons qu’il ne s’agit ici que « conjecture d’érudits »: Lactance De opificio Dei,

Turnhout, Brepols, 2009, p. 12. 46 E. D. DIGESER, « Lactantius and Constantine’s Letter to Arles: Dating the Divines Institutes », 1994,

p. 33-53; E. D. DIGESER, Lactantius, Constantine and the Roman Res publica, 1996 p. 2 et 91; E. D. DIGESER,

The Making of a Christian Empire... 2000, p. 131; A. Bowen et P. Garnsey, « Introduction », dans Lactance,

Divine Institutes, Liverpool, Liverpool University Press, 2003, p. 3. E. Heck quant à lui refuse que Lactance

ait quitté Nicomédie avant 313: « Constantin und Lactanz in Trier: Chronologisches », Historia 58/1 (2009),

p. 118-130. 47 A. S. Christensen choisit 305: Lactantius the Historian, Copenhague, Museum Tusculanum Press, 1980,

p. 25. H. Kraft et A. Wlosok optent pour environ 306: « Introduction », dans Lactance, Vom Zorne Gottes,

Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft (coll. Texte zur Forschung 4), 1983, p. XVI. H. A. Pohlsander

choisit 305: « Crispus: Brilliant Carrer and Tragic End », Historia 33 (1984), p. 81-82. 48 J. R. Palanque arrête la date de 303: « Chronologie constantinienne », Revue des études anciennes 40

(1938), p. 245-248. P. Maraval choisit également la date de 303: Constantin le Grand, Paris, Éditions

Tallandier, 2011, p. 31 et 325 n. 26.

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38

est très peu vraisemblable que Lactance ait donné des leçons de littérature latine à un

garçon de sept ans, fut-il fils d’un prince. Même si l’on considère que le travail de Lactance

se bornait à la tâche de grammaticus49, le jeune homme n’aurait pu commencer ces leçons

que vers l’âge de onze ou douze ans50. Pour ce qui est des leçons du rhéteur, qui fut

probablement la tâche attibuée à Lactance, elles ne commencent que vers quinze ans51. La

date de 31752, moment où Crispus devint César, doit être retenue comme la plus probable,

car dans le cas d’une naissance à date basse, il aurait eu environ quatorze ans et dans le cas

d’une date haute, il aurait eu environ douze ans53. Dans son Chronicon, Jérôme

indique (an. 2330, GCS, éd. R. Helm, p. 230, 12-15): quorum Crispum Lactantius Latinis

litteris erudiuit, uir omnium suo tempore eloquentissimus, sed adeo in hac uita pauper, ut

plerumque etiam necessariis indiguerit54. Jérôme situe le fait que Crispus devient César

durant la onzième année de règne de Constantin et donc l’enseignement de Lactance à

Trèves se situe donc aux alentours de l’année 317, peu importe l’interprétation qu’en ont

faite certains de l’autre texte de Jérôme sur la vie de Lactance55. On se rappelle également

des mots de Jérôme qui indique que Lactance est d’un âge vénérable (extrema senectute) à

49 C’est une suggestion d’E. Digeser pour résoudre le problème de l’arrivée de Lactance à Trèves: Lactantius,

Constantine and the Roman Res publica, 1996, p. 123. 50 H.-I. MARROU, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, Les éditions du Seuil, 1965 [1948], p. 390. 51 Ibid.p. 390. 52 On se fie généralement au texte de Jérôme qui fait venir Lactance dans sa vieillesse auprès de Crispus

César; on considère que si Jérôme indique que Crispus est César, cela signifie dès lors que Lactance est venu

après son élévation au rang de César le 1er mars 317. Supra n. 3 p. 25. Cf. P. MONCEAUX, « Études critiques

sur Lactance », 1905, p. 111; pour la date de l’élévation de Crispus au rang de César: J. R. PALANQUE,

« Chronologie constantinienne », 1938, p. 241-250; P. MARAVAL, Constantin le Grand, 2011, p. 93. Mais la

chronique de Jérôme indique le moment où Crispus est devenu César et le texte n’indique pas que Lactance

soit devenu son précepteur immédiatement après: il aurait pu le devenir avant même la nomination de

Crispus. 53 D’autres abondent également en ce sens: P. MONCEAUX, « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 111;

J. MOREAU, « Introduction », dans Lactance, De la mort des persécuteurs, Paris, Les éditions du Cerf (Coll.

Sources chrétiennes, 39), 1954, p. 14 n. 1; A. BOWEN et P. D. A. GARNSEY, « Introduction », dans Lactance,

Divine Institutes, Liverpool, Liverpool University Press, 2003, p. 3; A. Wlosok place l’arrivée de Lactance à

Trèves entre 314 et 315: « Lactance », 1993, p. 429. 54 « Parmi ceux-ci, Lactance, homme le plus éloquent de son temps, enseigna les lettres latines à Crispus,

mais il était pauvre dans cette vie à tel point qu’il manquait encore de la plupart des choses nécesaires. » 55 Même s’il est possible que Jérôme fasse erreur sur la date du passage de Lactance au palais de Constantin,

on propose à tort une interprétation qui minimise l’emploi de « César Crispus » dans le texte du De uiris

inlustribus; E. Digeser suggère que l’on ne doit pas lire le texte de Jérôme de façon trop littérale; elle suggère

que le De uiris inlustribus n’implique pas que Crispus était en fait César au moment où Lactance lui enseigne.

Quoi qu’il en soit de l’interpréation du De uiris inlustribus, l’année proposée par Jérôme dans ses Chroniques

montre bien qu’il place l’implication de Lactance auprès de Crispus vers 317, à raison ou à tort: Lactantius,

Constantine and the Roman Res publica, 1996, p. 118-120.

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39

ce moment. Sans statuer sur ce que cela signifie en terme d’âge, il est également peu

vraisemblable que Jérôme ait qualifié Lactance d’extrêmement vieux sept ans auparavant,

car si ce dernier est mort en 324-325, son déplacement en Gaule se situe près de quinze ans

avant sa mort: il est difficile de penser que le qualificatif employé par Jérôme indique que

Lactance ait survécu durant quinze années d’extrême vieillesse56.

1.2. Relation avec Constantin

Ce passage dans l’entourage de Constantin a suscité beaucoup d’hypothèses sur la

relation entre Lactance et l’Empereur et plusieurs travaux récents ont tenté de préciser les

liens entre les deux hommes57. Les similitudes entre le De mortibus persecutorum et

l’Oratio ad sanctorum coetum de Constantin font bien entendu en sorte que l’on a tendance

à voir un lien important entre l’Empereur et l’auteur africain58. Mais comme il a été

souligné précédemment, il vaut mieux laisser de côté le pamphlet politique et vérifier si de

56 Nous ne discutons pas par ailleurs de la date de naissance de Lactance puisque cela tient encore une fois de

l’hypothèse. Les chercheurs ont tendance à évaluer l’âge de Lactance au moment où il devint l’enseignant de

Crispus en 317, considérant qu’il avait environ soixante-dix ans ou plus en suivant ce que dit Jérôme:

M. Perrin, « Introduction », dans Lactance, L’ouvrage du Dieu créateur, Paris, Les éditions du Cerf (Coll.

Sources chrétiennes, 213), 1974, p. 12. De là, on place sa date de naissance entre 250 et 260. D. De Decker

opte pour 250: De mortibus persecutorum... 2013, p. 68. H. Kraft et A. Wlosok choissisent 260:

« Introduction », dans Lactance, Vom Zorne Gottes, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft (coll.

Texte zur Forschung 4), 1983, p. VIII. 57 Les ouvrages récents tendent à amplifier l’influence de Lactance sur Constantin, ou encore de Constantin

sur Lactance comme le montrent les travaux de F. Heim, « L’influence exercée par Constantin sur Lactance:

sa théologie de la victoire », 1978, p. 55-70. En proposant que son passage à la cour constantinienne s’est

effectué plus tôt, en 310, E. Digeser propose que Constantin, déjà en 313, avait une bonne idée des Diuinae

institutiones comme le montre sa lettre aux évêques d’Arles en 314. Elle va même jusqu’à évaluer la

réception des ouvrages de Lactance par Constantin: « The emperor was not a passive recipient of Lactantius’s

ideas; although at least after 314 he began to sprinkle bits and pieces of Lactantian phrases throughout his

own correspondance, he was hardly a mere spokesman for the rhetorician’s brand of Christianity. »: The

Making of a Christian Empire... 2000, p. 135-136. Voir également: « Lactantius and Constantine’s Letter to

Arles: Dating the Divines Institutes », 1994, p. 33-53. B. Colot abonde également en ce sens lorsqu’elle voit

l’entreprise lactancienne des Diuinae institutiones au service de la propagande impériale: « La ‟victoire” du

christianisme. Un transfert politico-religieux d’après la pensée de Lactance. », 2006, p. 1-20. Nous sommes au

contraire en accord avec D. De Decker qui souligne que « Lactance n’a jamais exercé auprès de Constantin ni

le rôle d’un évêque de cour ni celui d’un courtisan, à la manière d’Ossius de Cordoue, d’Eusèbe de

Nicomédie ou d’Eusèbe de Césarée »: De mortibus persecutorum... 2013, p. 404-405. 58 T. D. Barnes utilise le De mortibus persecutorum pour montrer qu’il s’agit d’une narration impartiale des

débuts de la carrière de Constantin: « Lactantius and Constantine », 1973, p. 29-46.

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40

tels liens existent dans les ouvrages dont la paternité lactancienne est sûre. Certains travaux

établissent un lien entre la pensée de l’Empereur et les Diuinae institutiones59.

Pour exposer le lien entre la lettre de Constantin adressée aux évêques du Concile

d’Arles et les Diuinae institutiones, E. Digeser suggère premièrement que l’Empereur a

connaissance, en 314, du texte de Diuinae institutiones: elle propose donc l’arrivée de

Lactance à la cour de Constantin en 310, mais comme il a été montré, cette date paraît

fautive60. Selon elle, l’Empereur avait le texte en main en 314 lorsqu’il rédige cette lettre.

Elle présente plusieurs parallèles fort intéressants entre les deux textes:

(Epistula Constantini ad episcopos catholicos, CSEL, 26, éd. C. Ziwsa, p. 208,

19-23): Aeterna et religiosa inconprehensibilis pietas Dei nostri nequaquam

permittit humanam condicionem diutius in tenebris oberrare neque patitur

exosas quorundam uoluntates usque in tantum [prae]ualere, ut non suis

praeclarissimis luminibus denuo pandens iter salutare eas det ad regulam

iustitiae conuerti61.

(Diuinae institutiones I, 1, 6, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 2, 8-14): Quod

quia fieri non potuit ut homini per se ipsum ratio diuina notesceret, non est

passus hominem Deus lumen sapientiae requirentem diutius errare ac sine ullo

laboris effectu uagari per tenebras inextricabiles. Aperuit oculos eius

aliquando et notionem ueritatis munus suum fecit, ut et humanam sapientiam

nullam esse monstraret et erranti ac uago uiam consequendae immortalitatis

ostenderet62.

Elle relève six termes qui reviennent dans les deux textes. Or, certains des termes qui se

recoupent ne montrent certainement pas que Constantin avait le texte de Lactance en main.

Prenons pour exemple l’emploi de Deus; comment penser que l’utilisation de ce terme dans

le texte constantinien relève de l’influence de Lactance? Elle relève également l’emploi de

59 Cette idée se trouve dans plusieurs travaux d’E. Digeser, mais elle provient principalement de son article

« Lactantius and Constantine’s Letter to Arles: Dating the Divines Institutes », 1994, p. 33-53. Supra n. 46

p. 15. 60 Supra n. 46 p. 37. 61 « La faveur incommensurable de notre Dieu, éternelle et scrupuleuse, ne permet pas que le genre humain

erre plus longtemps dans les ténèbres, et elle ne souffre pas que prévalent les volontés odieuses de certains au

point d’empêcher que, ouvrant de nouveau la voie salutaire pas ses lumières très éclatantes, elle leur donne la

possibilité de se tourner vers la règle de justice. » 62 « Parce qu’il n’était pas possible que l’homme connût le plan divin par ses propres moyens, Dieu ne

supporta pas que l’homme, qui cherchait la lumière de la sagesse, errât plus longtemps et, sans aucun résultat

de son travail, vagabondât au travers de ténèbres inextricables: et lui a offert comme cadeau la connaissance

de la vérité pour lui faire comprendre que la sagesse humaine n’est rien et montrer à l’homme celui qui erre et

vagabonde la voie pour obtenir l’immortalité. »

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41

l’adjectif humana; Constantin parle de la humana condicio, tandis que Lactance parle de la

humana sapientia. On note d’emblée que Constantin a choisi le substantif condicio plutôt

que sapientia: le substantif que l’adjectif vient qualifier est plus important selon nous que

l’adjectif en soi. Or, le terme sapientia est un élément très important dans la pensée de

Lactance, car il présente la vraie sagesse qu’il relie à la religion chrétienne. C’est une partie

fort importante de la pensée lactancienne et nous remarquons que l’Empereur n’a pas

retenu ce point incontournable de la pensée de notre auteur. Les quatre mots suivants ont

cependant des affinités plus importantes. Il s’agit de l’expression diutius in tenebris

oberrare neque patitur de Constantin et non est passus hominem deus […] diutius errare

ac […] vagari per tenebras de Lactance. À priori, l’idée évoquée semble être la même,

mais lorsque l’on analyse ces deux passages, on ne peut déduire que Constantin s’est

inspiré du texte lactancien. L’idée d’errer dans les ténèbres est un lieu commun du

christianisme et on le trouve dans les écrits néotestamentaires ainsi que dans les écrits

vétérotestamentaires. On pense aux paroles de Jésus rapportées par Jean (12, 35, éd.

R. Weber, p. 1682): dixit ergo eis Iesus: adhuc modicum lumen in uobis est. Ambulate dum

lucum habetis ut non tenebrae uos comprehendant et qui ambulat in tenebris nescit quo

uadat63. On trouve, d’une part, l’opposition de la lumière et des ténèbres à plusieurs

endroits (Mt 4, 16 et 10, 27; Lc 12, 3; Ac 26, 18; 1 P 2, 9; 1 Jn 2, 9 et 2, 11) et, d’autre part,

l’expression in tenebris ambulare quelques fois mentionnée (Qo 2, 13; Jn 8, 12; 1 Jn 1, 6 et

2 ,11)64. Il ne s’agit que de quelques exemples de ce lieu commun dans la littérature

biblique et cette liste ne saurait être exhaustive. Ce lieu est repris par les Pères de l’Église

dont notamment Cyprien qui emploie plus précisément in tenebris errare (De dominica

oratione, 1, CCSL, III A, éd. C. Moreschini, p. 90, 10-11). On remarque dès lors que

l’opposition de la lumière et des ténèbres, qui se trouve dans le texte de Lactance mais pas

dans celui de Constantin, n’a rien de lactancien: elle relève des Écritures. De plus,

Constantin reprend l’expression in tenebris ambulare et change le verbe pour oberrare. De

son côté, Lactance s’éloigne de la formule traditionnelle puisqu’il dit per tenebras errare

63 « Jésus leur dit donc: la lumière est en vous pour peu de temps encore. Marchez pendant que vous avez la

lumière, de peur que les ténèbres ne vous supprennent. Celui qui marche dans les ténèbres ne sait par où il

va. » 64 En dehors du passage d’Ecclésiate (Qo), nous laissons de côté toute les occurrences de l’Ancien Testament.

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42

ac uagari. Pourtant, on ne trouve nulle part d’autres occurrences de cette formule per

tenebras chez les auteurs précèdents. Il est donc possible que l’utilisation de in tenebris

chez Constantin ne saurait émaner du per tenebras de Lactance puisqu’il s’agit d’une part

d’un lieu commun et d’autre part d’une façon différente de l’exprimer qui est par ailleurs

unique à Lactance. L’utilisation de diutius et de patior est certainement frappante, mais on

note que patior, dans le texte de l’Empereur, se situe dans un membre de phrase qui ne

concerne pas l’idée d’errer dans les ténèbres, pour cette idée il utilise plutôt le verbe

permittere en comparaison à patior chez Lactance. Reste l’adverbe et bien que l’idée

générale exprimée par les deux textes soit renforcée par cet adverbe, il est difficile d’y voir

là un lien très fort: on ne peut conclure à l’influence d’un texte sur un autre par l’emploi

d’un seul adverbe et par le recours à un lieu commun très répandu dans les textes chrétiens.

Au lieu d’y voir une influence de Lactance sur Constantin, il est préférable de déduire que

les deux auteurs ont été influencés par le même lieu commun. Il ne semble donc pas

raisonnable, en se fondant sur l’analyse d’E. Digeser, de faire venir Lactance à Trèves en

310 et penser que ce dernier eut une influence sur la pensée de Constantin65. Cela change

considérablement la compréhension de l’œuvre de Lactance qu’elle propose: « No longer

required to appeal for tolerance, the Diuine Institutes became, I argue, a manifesto for

political and religious reform, a program that inspired Constantine’s religious policy once

he achieved sole rule »66. On interprète dès lors l’œuvre de Lactance non pas pour ce

qu’elle est, c’est-à-dire une réfutation de pensées philosophiques et religieuses, mais

comme une œuvre politique à l’instar de l’ouvrage De mortibus persecutorum. On doit

d’ailleurs souligner que le fait que les deux hommes font la promotion du christianisme,

mais cela n’implique pas que Lactance, en faisant la promotion du christianisme, fasse la

promotion de Constantin. Ce genre d’interprétation se fonde principalement sur une relation

entre Constantin et Lactance pour laquelle nous possédons peu d’information.

65 Elle ajoute également qu’au moment où Lactance initiait Crispus aux lettres latines, il instruisait également

Constantin à la chrétienté. Or, cela ne peut être prouvé et il semble que l’Empereur avait d’autres personnes,

comme l’évêque de Cordoue, qui devait lui enseigner le christianisme: E. D. DIGESER, Lactantius,

Constantine and the Roman Res publica, 1996, p. 91. H. J. Lawlor a également suggérer que Lactance a pavé

la voie pour la conversion de Constantin: « Notes on Lactantius », 1902, p. 448. Nous pensons également, à

l’instar de A. S. Christensen, que Lactance, par son emploi du temps, ne devait pas avoir beaucoup de temps

auprès de Constantin: Lactantius the Historian, 1980, p. 24 n. 62. 66 E. D. DIGESER, The Making of a Christian Empire... 2000, p. 13.

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À vrai dire, on sait très peu de choses de la relation entre Constantin et Lactance si ce

n’est qu’il a été le tuteur du fils de l’Empereur. Or, il ne faut pas non plus nier que ces deux

hommes aient des affinités, car on sait que Constantin aime les Belles Lettres et, tout

comme Lactance, il cite Cicéron, Virgile et Platon67 dans ses discours. Il ne faut pas non

plus sous-estimer le fait que les deux hommes ont pu se rencontrer au palais de Dioclétien

lorsque Constantin y vivait comme otage68. Mais il ne faut pas, sur le fondement d’une

relation entre les deux hommes, voir en Lactance un rhéteur ab epistulis du palais

constantinien ou un conseiller du prince69. Cette idée, assez récente70, de déceler un grand

support de la part de Lactance à un programme politique pousse les commentateurs à

interpréter ses textes à l’aune des politiques du temps.

Après un passage à Nicomédie entre 303 et 305 et un passage à Trèves après 317, on

pense généralement que Lactance est décédé vers 32571, mais cela dépend en grande partie

des dédicaces à Constantin contenues dans les Diuinae institutiones que sont abordées un

peu plus loin. Reste maintenant à voir quelques autres éléments concernant la vie de

Lactance qui peuvent être trouvés dans ses ouvrages.

67 P. MARAVAL, Constantin le Grand, 2011, p. 32. 68 P. MONCEAUX, « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 111; H. Kraft et A. Wlosok, « Introduction »,

dans Lactance, Vom Zorne Gottes, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft (coll. Texte zur Forschung

4), 1983, p. X; E. D. DIGESER, Lactantius, Constantine and the Roman Res publica, 1996, p. 125; J. ROUGÉ et

D. DE DECKER, De mortibus persecutorum... 2013, p. 106. 69 K. A. MEINKING, Anger matters: Politics and theology in the fourth century CE, 2010, p. 207. 70 On trouve difficilement cette idée chez des chercheurs plus anciens comme L. Haussknecht, Étude sur

Lactance, 1837 et R. Pichon, Lactance... 1901. Même un grand chercheur comme S. Brandt voyait dans les

dédicaces à Constantin le travail d’un faussaire plutôt que le travail de Lactance. Cela révèle également que

pour les critiques modernes avant la deuxième moitié du XXe siècle, il était très peu probable que les liens

entre Constantin et Lactance ait eu une grande importance. Cf. S. BRANDT, Über die dualistischen Zusätze

und die Kaiseranreden bei Lactantius. 2. Die Kaiseranreden, Vienne, 1889 et P. MONCEAUX, « Études

critiques sur Lactance », 1905, p. 112. On remarque également que cette vision d’un Lactance qui supporte

Constantin de façon indéfectible n’apparaît pas dans les manuels de littérature chrétienne ancienne de la

première moitié du XXe siècle. P. de Labriolle effleure l’idée que Lactance soit un admirateur de

Constantin (p. 315), mais pour l’essentiel cette idée n’est pas présente dans les quelques pages qu’il consacre

à notre auteur: Histoire de la littérature chrétienne latine, vol. 1, Paris, Les Belles Lettres, 1947, p. 291-318.

Cette idée est aussi absente de l’ouvrage de F. CAYRÉ, Patrologie et histoire de la théologie, vol. 1, Paris,

Desclée et Cie, 1953, p. 311-314. 71 A. WLOSOK, « Lactance », 1993, p. 429.

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1.3. La conversion

Il existe un consensus au sujet de la conversion de Lactance puisque l’on pense

généralement qu’il a été païen avant de se convertir au christianisme72; il est toutefois plus

difficile d’indiquer le moment de sa conversion73. Beaucoup de passages dans son œuvre

montrent qu’il n’a pas toujours été chrétien74. Un des passages les plus sûrs qui présente

Lactance comme un converti se trouve dans les Diuinae institutiones (IV, 26, 22, BT, 2, éd.

E. Heck et A. Wlosok, p. 415, 5-9): Nos autem, qui ante cognitionem dei fuimus iniusti,

spinae id est mali ac nocentes eramus, ignorantes quid esset bonum, et a iustitiae notione

atque operibus alieni omnia scelere ac libidine polluebamus75. On apprend donc par ce

passage que Lactance n’a pas toujours connu le Dieu du christianisme et l’on se fie

également à un passage du même ouvrage pour dire qu’il a reçu le baptême (III, 26, 3-11)76.

Quant au moment où il se convertit, cela reste très difficile à dire77. Il est possible qu’il ait

été chrétien au moment où les persécutions éclatent et quelques passages des Diuinae

institutiones permettent de soutenir cette idée. Il est présent dans l’entourage de Dioclétien

au début des persécutions et il assiste à des discussions qui concernent les chrétiens,

72 R. PICHON, Lactance... 1901, p. 3-4; P. MONCEAUX, « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 109; J.

MOREAU, « Introduction », dans Lactance, De la morts des persécuteurs, Paris, Les éditions du Cerf, 1954,

p. 14; J. STEVENSON, « Aspects of the relations between Lactantius and the classics », 1957, p. 666; J. ROUGÉ

et D. DE DECKER, De mortibus persecutorum... 2013, p. 68. 73 P. Monceaux propose entre 290 et 302, mais il est difficile d’établir une date à partir de l’œuvre de

Lactance: « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 109. H. J. Lawlor suggère également que l’arrivée de

Lactance à Nicomédie s’est produite au début du règne de Dioclétien: « Notes on Lactantius », 1902, p. 448. 74 Plusieurs passages utilisés ne montrent pas clairement que Lactance s’est converti. Nous pensons au

passage des Diuinae institutiones I, 1, 8 dans lequel il indique que le travail d’écrivain chrétien vaut mieux

que celui de rhéteur. Or, cela n’indique pas qu’il se soit converti. Un autre passage, cette fois-ci de l’Epitome,

est utilisé pour dire qu’il s’est converti; ce passage indique toutefois que Lactance provient des nations et non

pas de Juifs, plutôt qu’il suggère qu’il s’est converti. Le même problème existe au sujet du passage du De ira

Dei 2, 2: Lactance ne fait que montrer les étapes pour connaître le vrai Dieu et cela ne semble indiquer en rien

s’il est lui-même passé par ces étapes. Cf. P. MONCEAUX, « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 109;

J. MOREAU, « Introduction », dans Lactance, De la morts des persécuteurs, Paris, Les éditions du Cerf, 1954,

p. 14; J. ROUGE et D. DE DECKER, De mortibus persecutorum... 2013, p. 68. 75 « Or nous, qui avant de connaître Dieu, fûmes injustes, des épines, c’est-à-dire mauvais et nuisibles,

ignorants ce qu’est le bien et étrangers à la connaissance de la justice et ses œuvres, nous souillions toutes

choses par le crime et le désir. » 76 P. MONCEAUX, « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 109. 77 A. Wlosok indique que « [l’]on ne connaît pas la date de son entrée formelle dans l’Église (par le baptême),

mais on a de bonnes raisons de penser que cela s’est fait assez tard en Bythinie, après une longue phase de

sympathie et d’appartenance informelle. »: « Lactance », 1993, p. 428-429.

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notamment à un discours de deux philosophes qui s’élevent contre ceux-ci78. Cette

rencontre a probablement lieu quelques jours avant la destruction de l’église de Nicomédie

en 303. Or, Lactance dit qu’il est présent79 mais que, tout comme les autres chrétiens qui

sont présents, il est discret (V, 2, 9, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 444, 1-2): Nam si

qui nostrorum adfuerunt, quamuis temporis gratia coniuerent, animo tamen derisere […]80.

Cela indique à tout le moins que Lactance est chrétien au début des persécutions, mais il est

difficile de dater avec plus de précision le moment de sa conversion81. Le témoignage

d’Augustin permet également de soutenir l’idée que Lactance se soit converti82.

Certains ont vu dans les faits entourant la vie de Lactance ainsi que dans son œuvre

une conversion graduelle. On rappelle généralement le fait qu’il était fort discret durant son

passage au palais de Dioclétien et le fait que son De opificio Dei est un ouvrage

cryptochrétien83. On voit dès lors dans cet ouvrage non pas l’engagement chrétien de ses

ouvrages postérieurs, mais une présentation discrète du christianisme qui révèle le caractère

de son auteur.

Les premiers passages du De opificio Dei nous montrent également que Lactance

vivait dans la pauvreté et était probablement en manque d’étudiants au moment où il

rédigea ce premier traité (1, 1, SC, 213, éd. M. Perrin, p. 106, 1-2): Quam minime sim

quietus, etiam in summis necessitatibus84. Jérôme mentionne aussi que Lactance avait peu

d’étudiants probablement en raison du fait qu’il se trouvait dans une ville grecque, et que

c’est probablement ce qui explique que Lactance se trouve dans une grande nécessité85. Or,

ce passage du De opificio Dei suggère qu’il enseigne encore les lettres latines au palais de

78 V, 2, 2-V, 4, 1. 79 V, 4, 1. 80 « De fait, si ceux des nôtres qui étaient présents, bien qu’ils aient fermé les yeux en raison de l’époque, ils

se moquaient toutefois en eux-mêmes […] » 81 À ce sujet, H. Kraft et A. Wlosok n’osent pas trancher: « Introduction », dans Lactance, Vom Zorne Gottes,

Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft (coll. Texte zur Forschung 4), 1983, p. X. 82 De doctrina christiana II, 61, CSEL, éd. J. Martin, p. 74, 31. 83 R. Pichon ne voit pas beaucoup de traces du christianisme dans cet ouvrage: Lactance... 1901, p. 4.

M. Perrin souligne le caractère crypto-chrétien de ce traité: « Introduction », dans Lactance, L’ouvrage du

Dieu créateur, Paris, Les éditions du Cerf, 1974, p. 18. 84 « comment je suis resté peu inactif, même dans une grande nécessité. » 85 Supra n. 3 p. 25.

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Nicomédie, puisque rien n’indique qu’il ait abandonné cette pratique86. C’est tout le

contraire au début des Diuinae institutiones (I, 1, 8, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 2,

23-p. 3, 3): Quae professio multo melior utilior gloriosior putanda est quam illa oratoria,

in qua diu uersati non ad uirtutem, sed plane ad argutam malitiam iuuenes erudiebamus

[…]87. Il appert donc que Lactance n’enseigne plus la rhétorique au moment où il rédige les

Diuinae institutiones. Cela peut donc suggérer qu’il était encore enseignant au moment où

il écrit le De opificio Dei, entre 303 et 305, et qu’il a cessé cette activité lorsqu’il

entreprend d’écrire les Diuinae institutiones, après 305.

1.4. Chronologie et datation de l’œuvre

Plusieurs indices dans l’œuvre de Lactance poussent les chercheurs à établir la

chronologie de ses ouvrages de manière assez sûre; seule la position de l’Epitome par

rapport au De ira Dei soulèvent encore des interrogations88. On sait que le De opificio Dei

précède les Diuinae institutiones puisque les deux ouvrages donnent des indications à ce

sujet. Lors de l’écriture du De opificio Dei, Lactance informe les lecteurs à deux reprises

qu’il va entreprendre la rédaction des Diuinae institutiones. Dans le De opificio Dei,

Lactance dit qu’il va entreprendre une discussion contre les philosophes89 et plus loin, il

indique qu’il va écrire un traité sur le bonheur90. On peut penser que cela indique la

rédaction des Diuinae institutiones en ce qu’elles répondent aux philosophes et que le traité

se termine par le livre VII sur le bonheur. Dans les Diuinae institutiones, on trouve

86 M. Perrin voit dans ce passage que Lactance a quitté ses fonctions de rhéteur. Or, le passage nous semble

seulement indiquer que, dans le propos de son ouvrage, Lactance enseignera à Démétrianus une doctrine

meilleure; cela n’indique pas qu’il a cessé d’enseigner la rhétorique, car comme on sait qu’il est resté dans

l’entourage du palais durant un bon moment après le déclenchement des persécutions, au moins jusqu’en 305,

il serait étonnant qu’il y soit resté même s’il n’enseignait plus. Ou bien le de Opificio Dei a été écrit au

moment où il enseignait encore à Nicomédie, ou bien on doit admettre qu’il a été écrit après 305. La premier

raisonnement nous apparaît plus juste: « Introduction », dans Lactance, L’ouvrage du Dieu créateur, Paris,

Les éditions du Cerf (Coll. Sources chrétiennes, 213), 1974, p. 13-14. P. Monceaux pense également que la

pauvreté de Lactance dans ce passage vient du fait qu’il n’enseigne plus la rhétorique: « Études critiques sur

Lactance », 1905, p. 118. 87 « On doit considérer que cette profession est de loin meilleure, plus utile, plus glorieuse que celle d’un

orateur, dans laquelle nous avons été longtemps versé non pas à enseigner aux jeunes la vertu, mais seulement

à leur enseigner à plaider la malice […] » 88 R. Pichon ne pouvait trancher sur lequel des deux traités est antérieur: Lactance... 1901, p. 5. 89 15, 6. 90 20, 2.

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également une référence au traité sur l’œuvre du Dieu créateur91. Le De ira Dei est

également annoncé dans le grand ouvrage de Lactance92. Le De ira Dei donne également

plusieurs références aux Diuinae institutiones ce qui confirme l’antériorité de ce dernier

ouvrage93. On sait par la préface de l’Epitome qu’il a été écrit longtemps après l’ouvrage

qu’il résume, soit les Diuinae institutiones, mais cela est trop peu pour savoir si on doit le

placer avant le De ira Dei. Seule une datation de l’Epitome et du De ira Dei permettra de

savoir lequel des deux est antérieur94.

1.4.1. Le De Opificio Dei

On sait du premier ouvrage de Lactance qu’il a été écrit en temps de persécutions (1,

2, SC, 213, éd. M. Perrin, p. 106, 9-15): Apud quem nunc profiteor nulla me necessitate uel

rei uel temporis inpediri, quominus aliquid extundam quo philosophi sectae nostrae quam

tuemur instructiores doctioresque in posterum fiant, quamuis nunc male audiant

castigenturque uulgo, quod aliter quam sapientibus conuenit uiuant et uitia sub obtentu

nominis celent […]95. On comprend que la secte dont fait partie Lactance est persécutée ce

qui place l’écriture de ce traité après 303. On considère généralement qu’il a été écrit avant

30596, non pas en raison du contexte interne du traité, mais bien parce que le passage du

91 Diuinae institutiones II, 10, 15. 92 Diuinae institutiones II, 17, 5. 93 De ira Dei, 2, 4-6; 11, 2; 17, 2. 94 Les autres ouvrages de Lactance qui ne sont pas parvenus sont laissés de côté, ainsi que le De mortibus

persecutorum puisque ce dernier, outre le fait que l’authenticité est encore douteuse, ne partage rien en

commun avec les ouvrages de Lactance mentionné ci-dessus pour ce qui est du ton, du style comme le

rappelle R. Pichon: « [...] les doutes qui se sont élevés sur son authenticité font qu’il est plus prudent de ne pas

le mêler avec les autres ouvrages pour ne pas brouiller les questions. En outre, même s’il est authentique, cet

opuscule ne ressemble pas au reste de l’œuvre de Lactance: la violence du ton, la rapidité du style, la

précision concrète des détails, la fréquence de l’énergie des allusions actuelles, en font un ouvrage à part.

Enfin il ne touche pas au même ordre de questions que les livres dont nous nous sommes occupé jusqu’ici;

historique et polémique et non pas abstrait et philosophique [...] »: Lactance... 1901, p. 337. 95 « Devant toi je reconnaîs maintenant n’être empêché par aucune nécessité de chose ou de temps pour

produire à grand peine quelque chose qui rendrait, pour l’avenir, plus instruits et plus doctes les philosophes

de notre secte que nous défendons, même si maintenant ils ont mauvaise réputation et sont châtiés en foule,

parce qu’ils vivent autrement qu’il convient aux sages et cachent leurs vices sous le voile d’un nom. » 96 H. J. LAWLOR, « Notes on Lactantius », 1902, p. 461; P. MONCEAUX, « Études critiques sur Lactance »,

1905, p. 118; M. PERRIN, « Introduction », dans Lactance, L’ouvrage du Dieu créateur, Paris, Les éditions du

Cerf (Coll. Sources chrétiennes, 213), 1974, p. 13; H. KRAFT et A. WLOSOK, « Introduction », dans Lactance,

Vom Zorne Gottes, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft (coll. Texte zur Forschung 4), 1983, p. X;

A. WLOSOK, « Lactance », 1993, p. 429; A. BOWEN et P. GARNSEY, « Introduction », dans Lactance, Divine

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traité suivant, les Diuinae institutiones97, montre que Lactance n’enseigne plus la

rhétorique. On pense généralement qu’il a cessé d’enseigner la rhétorique vers 305. Le

destinataire du traité, Démétrianus, bien qu’il soit chrétien, occupe encore des fonctions

dans l’État ce qui indique que le traité est écrit avant que la persécution atteigne son

apogée. Cela n’indique pas que le traité soit étranger aux persécutions comme l’affirme

certains98, mais plutôt que Démétrianus, comme Lactance, ont pu poursuivre leurs activités

jusqu’en 305 sans être inquiétés, probablement parce qu’ils sont fort discrets. Le traité De

opificio Dei se termine également en soulignant qu’il a été écrit de façon obscure en raison

des temps (20, 1, SC, 213, éd. M. Perrin, p. 214, 1-3): Haec ad te, Demetriane, interim

paucis et obscurius fortasse quam decuit pro rerum ac temporis necessitate peroraui […]99.

Il est dès lors possible que le ton crypto-chrétien de l’ouvrage tienne au fait que Lactance

est prudent, du fait qu’il traite un sujet chrétien, et qu’il écrit à un autre chrétien qui occupe

toujours des fonctions.

1.4.2. Les Diuinae institutiones

Il est très difficile de dater avec précision cet ouvrage de Lactance; pourtant, tandis

que les références historiques font défaut dans le De ira Dei, dans l’Epitome et le De

opificio Dei, elles abondent dans les Diuinae institutiones100. On sait à tout le moins que

l’idée d’écrire un tel ouvrage est venue à Lactance lors de sa rencontre avec des

philosophes au palais de Dioclétien entre 302-303101. Un problème supplémentaire s’ajoute:

les dédicaces à l’Empereur Constantin. Concernant cette question la suggestion d’E. Heck

semble être la plus probable: il pense que les passages dualistes ainsi que les dédicaces ont

été ajoutés par Lactance entre 321-324102. L’indication de Lactance au tout début de

Institutes, Liverpool, Liverpool University Press, 2003, p. 3; B. BAKHOUCHE et S. LUCIANI, Lactance De

opificio Dei, 2009, p. 12; J. ROUGÉ et D. DE DECKER, De mortibus persecutorum... 2013, p. 91. 97 I, 1, 8. 98 J. ROUGÉ et D. DE DECKER, De mortibus persecutorum... 2013, p. 98. 99 « Ces choses, Démétrianus, je te les ai exposées pour le moment en quelques mots et de façon peut-être

plus obscure qu’il ne fallait en raison de la nécessité des événements et de l’époque […] ». 100 Comme le souligne à juste titre R. PICHON, Lactance... 1901, p. 5. 101 Diuinae institutiones V, 4, 1. 102 E. HECK, Die dualistischen Zusätze und die Kaiseranreden bei Lactantius. Untersuchungen zur

Textgeschichte der Divinae Institutiones und der Schrift De opificio dei, Heidelberg, Winter, 1972.

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l’ouvrage103, comme quoi il décide de renoncer au métier de rhéteur, indique que le

terminus post quem pour le texte principal doit être placé peu après 305, puisque Lactance

est demeuré au palais dans son poste d’enseignement au moins deux ans après le début des

persécutions104. Le terminus ante quem se trouve peut-être au livre V lorsque Lactance

parle d’un jugement à venir contre les persécuteurs: aucun persécuteur n’est mort à ce

moment. La mort de Maximien en 310 sert donc de terminus ante quem pour le livre V,

mais Lactance ayant dû poursuivre l’écriture des livres VI et VII par la suite, il est donc

difficile d’établir la datation de l’ouvrage entier. De plus, notons qu’au livre IV, il

mentionne que les persécuteurs qui se sont lancés à l’assaut du temple de Dieu, Dioclétien

et probablement Galère, ont subi un châtiment très grave105. Il n’est dès lors pas exclu que

certaines parties de l’ouvrage soient écrites après 311. Quoi qu’il en soit, la date

généralement retenue pour la rédaction des Diuinae institutiones est entre 305 et 310106.

1.4.2.1. Les dédicaces et les passages dualistes

Les dédicaces à l’empereur Constantin ainsi que les passages dualistes des Diuinae

institutiones ont été étudiés depuis le XIXe siècle. La question de l’authenticité de ces

passages a été longtemps la préoccupation des chercheurs. On s’est interrogé à savoir si ces

passages émanaient de la plume de Lactance, s’il les avait inclus dans sa première écriture

des Diuinae institutiones, ou si au contraire il les avait ajoutés tardivement. On s’est

également demandé s’il s’agissait d’une interpolation qui serait le fruit d’un autre auteur.

C’est ce que pense S. Brandt et il n’a par ailleurs pas inclus ces passages dans le corps du

texte de son édition dans la collection CSEL (19): il a préféré les rejeter l’apparat

critique107. Mais la plupart des chercheurs pensent qu’il s’agit bien de passages

authentiques; R. Pichon soutient que ces passages appartiennent à une première version du

103 I, 1, 8. 104 Supra n. 13 p. 27. 105 Supra n. 24 p. 31. 106 Pour R. Pichon, les Diuinae institutiones ont été écrites entre 306 et 313: Lactance... 1901, p. 21.

P. Monceaux propose 307 et 311: « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 120. E. Heck suggère 304-311:

Die dualistischen Zusätze... 1972, p. 144. A. Wlosok abonde dans le même sens que E. Heck: « Lactance »,

1993, p. 429. D. De Decker pense que l’ouvrage se situe entre 307-311: De mortibus persecutorum... 2013,

p. 110. 107 S. BRANDT, Über die dualistischen Zusätze und die Kaiseranreden bei Lactantius. 1. Die dualistischen

Zusätze, Vienne, 1889; S. BRANDT, Über die dualistischen Zusätze... 1889.

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texte et qu’ils ont été supprimés plus tard108; H. Edmonds pense plutôt que Lactance, après

la mort de Crispus, aurait enlevé les dédicaces à Constantin et en aurait profité pour retirer

certains passages dualistes109. J. Moreau propose plutôt que les dédicaces ont été ajoutées

par Lactance des années après la première version de son œuvre, et qu’il aurait enlevé les

passages dualistes à ce moment110. Depuis les travaux de E. Heck, on pense que les

dédicaces et les passages dualistes ont été ajoutés par Lactance lors d’une retractatio –

donc dans une seconde version de son ouvrage – dont la datation se situerait entre 321 et

324111. Tant les dédicaces que les passages dualistes apparaissent dans la même famille de

manuscrits; il existe donc deux recensions des Diuinae institutiones, une version longue,

qui correspond aux textes avec les dédicaces et les passages dualistes, et une courte, qui ne

comporte pas les ajouts. On possède plus de 150 manuscrits des Diuinae institutiones, dont

la plupart nous sont parvenus de la Renaissance, mais il existe également une douzaine de

manuscrits dont la datation indique qu’ils sont antérieurs au XIIe siècle et encore deux qui

proviennent du Ve et VIe siècles; ces deux derniers ne contiennent toutefois pas les passages

en question. L’étude de ces manuscrits fournit malheureusement très peu d’indications

quant à l’antériorité de la version courte par rapport à la version longue et les chercheurs

modernes se sont tournés vers la critique interne pour réunir le plus d’information. Certains

passages dualistes ont été ajoutés par un remaniement du texte qui précède et qui suit le

nouveau passage, ce qui suggère que l’auteur lui-même a fait ce changement. On considère

dès lors qu’il s’agit d’une retractatio de la part de Lactance.

108 R. PICHON, Lactance... 1901. 109 Nous suivons ici le résumé qu’en fait M. Perrin dans son excellent état de la question: « Introduction »,

L’ouvrage du Dieu créateur, SC, 213, Paris, 1974, p. 86-94. 110 J. Moreau, « Introduction », De mortibus persecutorum, SC, 39, Paris, 1954, p. 16-22. 111 Concernant la date tardive de la retractatio, E. Heck se fie aussi au fait que les passages ajoutés lui

paraissent négligés et il suggère que Lactance est décédé avant d’en avoir terminé la rédaction: E. HECK, Die

dualistischen Zusätze... 1972, p. 149-150. La datation proposée par E. Heck a généralement été acceptée des

commentateurs modernes. Cf. R. M. OGILVIE, The Library of Lactantius, 1978, p. 2; T. D. BARNES,

Constantine and Eusebius, 1981, p. 291 n. 96.

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Problème de datation

Outre la datation proposée par E. Heck de 321 à 324, E. Digeser a suggéré plus

récemment que la rédaction se situerait entre 310 et 313112. Même si E. Heck a déjà

mentionné qu’E. Digeser n’apporte rien qui vaille113, nous suggérons tout de même

quelques commentaires sur ces ajouts au texte d’origine. La datation proposée par

E. Digeser se fonde principalement sur le fait que Lactance nomme Constantin imperator

maximus114, ce qui pour elle est tout à fait possible avant 312, contrairement à ce que

suggère E. Heck. Elle suggère également que l’emploi par Lactance du terme liberi, en

référence aux enfants de Constantin, peut tout à fait renvoyer à la situation de Constantin

qui n’avait pourtant qu’un seul fils à cette époque: Crispus. Il semble au contraire que

l’emploi de liberi, avant la naissance de Constantin le Jeune, pour désigner d’autres enfants

potentiels paraît peu convaincant115.

Une indication concernant Constantin peut également permettre de soutenir la

datation plus tardive de E. Heck. Lactance exhorte en effet Constantin à exercer la même

justice qu’il a commencé à pratiquer lorsqu’il était jeune116. Comme Lactance parle de la

jeunesse de Constantin au passé – ce qui dénote qu’il n’est plus jeune en plus de montrer

l’éloignement dans le temps avec la jeunesse de Constantin –, il est peu probable que cela

ait été écrit avant 312, et peu de chance que cela ait été rédigé moins d’un an après la

victoire au Pont Milvius. Un autre problème émerge de ces dédicaces: la première dédicace

suggère qu’il existe des mali qui sévissent à ce moment contre les justes dans certaines

parties du monde117 tandis que la seconde montre que ces mali, qui ont voulu détruire le

112 E. D. DIGESER, « Lactantius and Constantine’s Letter to Arles: Dating the Divines Institutes », 1994,

p. 33-53. 113 E. Heck et A. Wlosok, « Préface », dans Lactance, Diuinarum institutionum libri septem, I (coll.

Bibliotheca Teubneriana), Leipzig, 2005, p. VIII n. 8. 114 Constantin a reçu ce titre après la victoire contre Maxence: A. PIGANIOL, « Dates constantiniennes »,

Revue d’histoire et de philosophie religieuses 12 (1932), p. 368. 115 Pour E. Digeser, le fait que Constantin et Fausta, étant encore jeune, avait le potentiel d’avoir des enfants

était suffisant pour que Lactance songe à mettre liber au pluriel: « Lactantius and Constantine’s Letter to

Arles: Dating the Divines Institutes », 1994, p. 48. 116 Diuinae institutiones I, 1, 14, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 19-20. 117 Diuinae institutiones I, 1, 15, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, 1, p. 4, 22-26.

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culte de Dieu, ont été renversés118, qu’ils ont payé et qu’ils paient encore pour leurs

crimes119. Le problème est de savoir si ces mali réfèrent à Galère ou à Licinius; or, il

apparaît plus probable que le texte fasse référence à Licinius, puisque Lactance affirme que

les mauvais ont été livrés entre les mains de Constantin120:

te prouidentia summae diuinitatis ad fastigium principale prouexit, qui posses

uera pietate aliorum male consulta rescindere, peccata corrigere, saluti

hominum paterna clementia prouidere, ipsos denique malos a re publica

submouere, quos summa potestate deiectos in manus tuas idem deus tradidit, ut

esset omnibus clarum quae sit uera maiestas121.

D’une part, cela ne peut faire référence à Maxence, puisqu’il n’est pas reconnu comme un

persécuteur122, pas plus qu’il ne peut s’agir de Galère: ce dernier n’a pas été livré non plus

entre les mains de Constantin. On note également que Galère publie un édit de tolérance

avec, pour cosignataires, Constantin, Licinius et Maximin Daïa: pourquoi, dans ce cas,

Lactance affirme-t-il que Constantin a le pouvoir de « déchirer violemment les résolutions

des autres »? Il ne peut s’agir de l’édit de tolérance et il est plus probable qu’il s’agisse des

résolutions de persécutions émises par Licinius en Orient. Le texte suggère que la seconde

dédicace a dû être rédigée peu de temps après la victoire de Constantin, le 18

septembre 324, puisque la mort de Licinius survint au printemps de l’année suivante123.

Concernant la datation de la première longue dédicace, il ne semble pas nécessaire

d’en proposer une différente de la seconde. Afin de conserver l’unité littéraire de son

ouvrage, Lactance se doit d’affirmer que des persécuteurs sont à l’œuvre dans le monde,

118 Diuinae institutiones VII, 26, 13, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, 4, p. 731, 13-17. 119 Diuinae institutiones VII, 26, 14, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, 1, p. 731, 17-20. 120 Diuinae institutiones VII, 26, 12-13, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, 4, p. 731, 7-13. 121 « La Providence de la divinité suprême t’as fait monter jusqu’au faîte du pouvoir, toi qui pouvais par ta

piété véritable déchirer violement les résolutions des autres, corriger les fautes, pourvoir au salut des hommes

par une clémence paternelle, et enfin repousser loin des affaires d’état ces mêmes hommes mauvais, renversés

par le pouvoir suprême, que Dieu a livrés entre tes mains, afin que soit manifeste pour tous ce qu’est la vraie

majesté. » 122 A. PIGANIOL, « Dates constantiniennes », 1932, p. 368. 123 P. MARAVAL, Constantin le Grand, 2011, p. 157-158. Puisque la date de la rédaction des dédicaces est

située en 324, il est fort probable que l’Epitome a été écrit avant cette date; M. Perrin note en effet que le

chapitre 24 de l’Epitome ne semble pas contenir les nouveaux éléments ajoutés par les passages dualistes du

livre II. Cela s’explique peut-être par le fait que les passages dualistes ont été insérés au même moment que

les dédicaces, et que ce moment se situe après la rédaction de l’Epitome: « Introduction », dans LACTANCE,

L’ouvrage du Dieu créateur, SC, 213, Paris, 1974, p. 88.

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car, autrement, la dédicace viendrait briser la cohérence des Diuinae institutiones qui, tout

au long du texte, ne cesse de parler de ces persécuteurs. Il en va de même pour l’utilisation

du verbe inchoare, qui indique que Lactance commence son ouvrage; on peut tout à fait

penser que Lactance ne commence pas sa rédaction, mais doit, pour l’illusion littéraire,

indiquer qu’il entreprend à ce moment son ouvrage. Même en prenant les dates proposées

pour cette première dédicace, qui se situe entre 322 et 323, années pendant lesquelles un

combat s’intensifie entre Licinius et Constantin124, on comprend que Lactance n’entreprend

pas son ouvrage, mais plutôt que le passage se place dans le commencement de son traité.

Pour ces raisons, il paraît vain de se fier à la première dédicace pour une datation; on peut

tout à fait appliquer la datation de la seconde à la première, car la dédicace du livre I est si

courte que Lactance a pu la rédiger avec la seconde et ajuster le sens pour que cette

première dédicace ne vienne pas nuire à la lecture de son ouvrage, dont le propos est situé

dans des temps troubles de persécutions125. Mais il y a plus, il semble qu’il existe une unité

de sens entre les deux dédicaces et que l’on trouve cette même unité dans les passages

dualistes; une fois démontrée, cette unité permettrait d’affirmer que les dédicaces et les

passages dualistes n’ont pas seulement été ajoutés au même moment, mais poursuivent un

même but.

Analyse des dédicaces à l’Empereur

Afin de tirer profit des longues dédicaces, on doit d’emblée mentionner que Lactance

a recours aux arguments de l’éloge du Prince. Ces longues dédicaces sont dès lors à

rapprocher de la rhétorique épidictique et de ses arguments. On trouve toutefois peu de

lieux relatifs à l’éloge épidictique dans le texte de Lactance, mais cela ne signifie pas qu’il

s’agit d’un autre type de discours puisque certains éléments, comme la comparaison avec

les prédécesseurs ou l’amplificatio, portent à penser que Lactance utilise les arguments de

l’éloge du Prince dans ses dédicaces. Mais concernant les lieux traditionnels, ce qui a trait à

ses origines comme la patria, le genus, les circonstances de sa naissance, donc tous des

124 A. PIGANIOL, « Dates constantiniennes », 1932, p. 369. 125 Même si l’on suit l’idée de R. Pichon qui propose que les sept livre des Diuinae institutiones ont pu être

publié séparément, cela n’empêche pas que Lactance ait révisé les sept livre des Diuinae institutiones au

même moment: Lactance... 1901, p. 22-23.

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éléments qui pourraient l’associer à son père Constance, ses attributs personnels comme ses

qualités physiques, sa natura, son educatio, sa res gestae que ce soit en temps de paix ou de

guerre, sa temperantia, sa prudentia, tous ces éléments sont absents126: on n’a dès lors pas

de description qui pousse Lactance à considérer en quoi Constantin est un exemple de vertu

ou de sainteté. Est-ce que Lactance les omet par souci de brièveté? Est-ce qu’il manque de

temps pour ajouter une description satisfaisante de cet Empereur? Quoi qu’il en soit, la

conséquence est que cet hymne est peu convaincant. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un

éloge épidictique ou d’un panégyrique à proprement parler, mais il est étonnant que

Lactance ne puise pas dans ces lieux pour élever Constantin.

Parmi les arguments de l’hymne au Prince se trouve la comparaison et, de fait, pour

Pline il ne peut y avoir d’éloge sans comparaison (Pline le jeune, Pan., 53, 1, éd.

M. Schuster, BT, p. 413, 17-18): Alioquin nihil non parum grate sine comparatione

laudatur. Dans les dédicaces à Constantin, on trouve cette comparaison. Dans la première,

celle du livre I, la comparaison se fait discrète et en deux temps. Discrète puisque le

comparant n’est pas nommé par Lactance comme dans le cas où Constantin a été le premier

à rejeter les erreurs et à reconnaître et honorer la majesté du vrai Dieu unique127. Par la

suite, Lactance le compare avec ses prédécesseurs; par rapport à eux, Constantin a ramené

la justice et a commencé un règne salutaire et souhaitable128; il a par ailleurs expié les

crimes les plus abominables de ceux-ci129. Dans un deuxième temps, Constantin est

comparé à son père Constance qui lui a donné le pouvoir, mais cette comparaison n’est

présente que pour conseiller à Constantin de se souvenir de ses fils pour l’assister dans

l’exercice du pouvoir130: elle ne vise pas à comparer les vertus du premier au second.

126 Eusèbe de Césarée, dans son éloge de Constantin (Triakontaétérikos), sans utiliser tous les lieux de l’éloge,

a tout de même eut recours à certains éléments: « qualités de l’empereur, actions de guerre et paix, prospérité

du temps présent […] »: P. MARAVAL, La théologie politique de L’Empire chrétien, Paris, Les éditions du

Cerf (coll. La sagesse chrétienne), 2001, p. 27. 127 Diuinae institutiones I, 1, 13, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, 1, p. 4, 11-14. 128 Diuinae institutiones I, 1, 13, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 16-17. 129 Diuinae institutiones I, 1, 14, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, 1, p. 4, 18. 130 Il faut aussi rappeler que le texte partage avec le panégyrique de 313 quelques similitudes et celles-ci nous

permettent de voir que Lactance se distingue de l’approche du panégyriste lorsqu’il parle des enfants de

Constantin. Dans cet éloge, le panégyriste souligne le fait que les enfants de Constantin pourraient se joindre à

leur père dans l’administration de l’Empire (Panégyrique de Constantin [313], 26, 5, éd. E. Galletier, CUF, II,

p. 144, 18-23): quamuis enim, imperator inuicte, iam diuina suboles tua ad rei publicae uota successerit et

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Mais la comparaison est plus importante dans la dédicace longue du livre VII. Dans

ce passage, Lactance parle plus en détail des persécuteurs: entre autres, ils ont été livrés

entre les mains de Constantin131, ils ont défendu les religions impies, ils ont voulu renverser

le culte du Dieu unique et céleste132 et certains ont payé et certains paient encore pour leurs

actions133. Lactance utilise des substantifs peu élogieux à leur endroit; ils sont nommés

mali134 et impii135, leurs actes sont qualifiés de sceleri136 et de facinora137. C’est à partir de

ce portrait des prédécesseurs de Constantin que la comparaison s’effectue (Diuinae

institutiones VII, 26, 15, éd. E. Heck et A. Wlosok, 4, p. 731, 20-25):

Nec immerito rerum dominus ac rector te potissimum delegit, per quem

sanctam religionem suam restauraret, quoniam unus ex omnibus extitisti qui

praecipua uirtutis et sanctitatis exempla praeberes, quibus antiquorum

adhuc speretur futura numerosior, illa tamen erit uere beata posteritas ut, cum liberos tuos gubernaculis

orbis admoueris, tu sis ominum maximus imperator: « En effet, Empereur invaincu, quoique ta descendance

divine se soit déjà avancée vers la république par des vœux, et qu’une descendance future plus nombreuse soit

espérée, cette postérité connaîtra toutefois le vrai bonheur à condition que, lorsque tu emploiera tes fils aux

gouvernails du monde, tu sois l’empereur suprême sur tous. » Or, il souligne en même temps que Constantin

doit demeurer l’imperator maximus: on comprend donc que le souci du panégyriste est que Constantin ne

remette pas l’Empire à ses fils trop rapidement. Sans tout à fait reprendre la même idée, Lactance souligne

plutôt les conséquences heureuses si Constantin donne l’Empire à ses fils (Diuinae institutiones I, 1, 14, BT,

1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 18-22): Pro quo facto dabit tibi deus felicitatem uirtutem diuturnitatem, ut

eadam iustitia, qua iuuenis exorsus es, gubernaculum rei publicae etiam senex teneas tuisque liberis ut ipse a

patre accepisti tutelam Romani nominis tradas:« En conséquence, Dieu te donnera la félicité, la vertu et un

long règne de telle sorte que, par la même justice que, jeune, tu avais au départ, tu tiennes encore dans ta

vieillesse le gouvernail de la république et que tu transmette à tes enfants, comme tu l’as toi même reçu de ton

père, la protection du nom romain. » Contrairement au panégyriste qui indique que la postérité de Constantin

demeura dans le vrai bonheur si celui-ci continue de tenir les rênes de l’Empire, Lactance rappelle plutôt à

Constantin qu’il a reçu l’Empire de la part de son père et qu’il devrait remettre l’Empire à ses fils. On doit

toutefois souligner que ce souhait de Lactance ne doit pas être réalisé de façon immédiate puisqu’il souhaite

en même temps à Constantin un long règne. Il est possible que Lactance, en 324, était au fait du différend

entre Constantin et Crispus, c’est probablement ce qu’il l’incite à rappeler à Constantin de se souvenir de ses

fils lorsqu’il devra remettre l’Empire, car Crispus participe déjà au pouvoir puisqu’il a reçu le titre princeps

iuuentutis en 317 et il est actif durant les combat en 321: P. MARAVAL, Constantin le Grand, 2011,

p. 145-146. La préoccupation de Lactance semble se situer dans une période où Crispus est actif au sein de

l’État, mais que la succession possible de l’Empire semble peu certaine. De plus, cette préoccupation est tout

à fait possible dans un éloge qui est vraiment un conseil à l’Empereur. 131 Diuinae institutiones VII, 26, 12, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, 4, p. 731, 12. 132 Diuinae institutiones VII, 26, 13, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, 4, p. 731, 13-15. 133 Diuinae institutiones VII, 26, 14, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, 4, p. 731, 17-18. 134 Diuinae institutiones I, 1, 15, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, 1, p. 4, 22; VII, 26, 12, 4, p. 731, 11. 135 Diuinae institutiones I, 1, 15, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, 1, p. 4, 25. 136 Diuinae institutiones I, 1, 15, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, 1, p. 4, 24; VII, 26, 14, 4, p. 731, 17. 137 Diuinae institutiones I, 1, 14, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, 1, p. 4, 18.

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principum gloriam, quos tamen fama inter bonos numerat, non modo aequares,

sed etiam, quod est maximum praeterires138.

Constantin égale et surpasse la gloire de ses prédécesseurs par des exemples de vertus et de

sainteté. Dans l’éloge, la comparaison peut servir autant à élever ou à rabaisser le

laudandus139. Or comparer la gloire de Constantin, que l’on connaît chez lui par des

exemples de vertus et sainteté, à la gloire des princes persécuteurs a pour effet de ne pas

l’élever très haut140. On peut aussi s’interroger sur le fait que la comparaison n’est pas faite

avec le père de Constantin: Constance Chlore. À en juger par la description du De mortibus

persecutorum à son sujet, il est un empereur différent des autres et digne d’être seul le chef

de l’empire141. Constantin aurait été élevé un peu plus s’il avait été comparé à son père

plutôt qu’aux persécuteurs. De plus, Lactance poursuit (Diuinae institutiones VII, 26, 16,

éd. E. Heck et A. Wlosok, 4, p. 731, 26-732, 1):

Illi quidem natura fortasse tantum similes iustis fuerunt. Qui enim moderatorem

uniuersitatis deum ignorat, similitudinem iustitiae adsequi potest, ipsam uero

non potest142.

Constantin s’élève au dessus d’empereurs qui ont à peine atteint la ressemblance de la

justice. On apprend toutefois que, pour Lactance, le bon roi, le bon empereur, doit

reconnaître que Dieu est maître de toute chose143: cela, Constantin le possède selon notre

138 « Le Seigneur et maître des choses ne t’a pas injustement choisi plus que tout autre, toi par lequel il a pu

restaurer sa religion sainte, parce que tu te dressa seul parmi tous en ce que tu montrais des exemples

supérieurs de vertus et sainteté, car non seulement par ceux-ci tu égalais la gloire des princes précédents, que

la réputation compte malgré tout parmi les bons princes, mais encore tu la surpassais, ce qui est le plus

important. » 139 « Le principal problème posé par la sunkrisis réside dans la qualité du point de comparaison. […] le mérite

du laudandus paraîtra d’autant plus grand qu’il l’emporte sur un rival plus illustre. Au contraire, un point de

comparaison trop bas rabaisse le laudandus. » : L. PERNOT, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-

romain, vol. II, Paris, Institut d’Études Augustiniennes (coll. Collection des Études Augustiniennes 138),

1993, p. 691. 140 On peut toutefois noter que dans son Triakontaétérikos, Eusèbe de Césarée compare également Constantin

avec ses prédécesseurs persécuteurs: P. MARAVAL, La théologie politique de L’Empire chrétien, 2001, p. 27.

Mais rappelons qu’Eusèbe, dans sa Vita Constantini, compare Constantin avec Cyrus et Alexandre (Vie de

Constantin, I, 7, 1-2, éd. L. Pietri et M.-J. Rondeau, SC, 559, p. 185-187). 141 VIII, 7, éd. J. Moreau, SC, 39, p. 87, 21-23. 142 « Ces gens ont peut-être seulement ressemblé à des justes. Celui qui ignore en effet que Dieu est le maître

de l’ensemble des choses, peut atteindre la ressemblance de la justice, mais pas la justice elle-même. » 143 Il faut également que « […] chaque louange décernée à un objet précis se double d’une leçon valable pour

tous les objets de la même catégorie. » La louange de l’Empereur est également une définition du bon roi:

L. PERNOT, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, 1993, p. 721.

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auteur. Cette définition du bon roi nous éclaire sur la pensée politique de Lactance: pour

lui, l’Empereur doit reconnaître le Dieu unique. Il y a toutefois alternance entre ce que

Constantin possède et ce que Dieu lui donne: on est ici dans l’éloge réciproque144. Une fois

que l’on met de côté ce que Dieu fait et donne à Constantin, on peut par la suite cibler ce

qui est propre à Constantin.

Dans les deux dédicaces, on remarque que c’est Dieu qui a élevé Constantin au faîte

de l’Empire145. Dans la première, Dieu est patient et va juger prochainement les mali146.

Dans la seconde, Dieu a livré ces mali entre les mains de Constantin, et ceux-ci paient ou

vont payer pour leurs crimes147; il utilise Constantin comme modèle et serviteur148.

Lactance formule également certaines promesses qui seront tenues par Dieu: dans la

première dédicace, Dieu donnera un long règne, la félicité et la vertu à Constantin149; dans

la seconde, la main droite de Dieu protégera Constantin150. Mis à part les promesses

futures, on remarque que c’est Dieu qui a placé Constantin au gouvernail de l’Empire et

c’est lui qui, d’une part, jugera les mali et qui, d’autre part, les livre entre les mains de

Constantin. C’est peut-être une raison qui explique l’absence des res gestae de Constantin,

car, pour Lactance, ce n’est pas lui qui s’est hissé au faîte de l’Empire, mais plutôt Dieu

qu’il l’a choisi et l’utilise; ce n’est pas lui qui doit juger les persécuteurs, c’est Dieu.

Constantin se voit tout de même attribuer certaines qualités par Lactance. Il est le

premier à rejeter les erreurs et a honoré le vrai Dieu151; il a ramené la justice152, la

sagesse153 et la religion sainte154; il a expié les crimes de ses prédécesseurs155; depuis qu’il

144 « […] s’il est beau d’être choisi, il est également beau de choisir. Si le don divin honore celui qui le reçoit,

il n’honore pas moins celui qui l’octroie, puisque les dôra font partie des topoi de l’hymne. »: ibid., p. 703. 145 Diuinae institutiones I, 1, 13, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 12-14; VII, 26, 12, BT, 4, éd. E. Heck

et A. Wlosok, , p. 731, 8. 146 Diuinae institutiones I, 1, 15, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 22-26. 147 Diuinae institutiones VII, 26, 12, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 731, 12. 148 Diuinae institutiones VII, 26, 17, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 732, 3-5. 149 Diuinae institutiones I, 1, 14, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 18-22. 150 Diuinae institutiones VII, 26, 14, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 731, 18-20. 151 Diuinae institutiones I, 1, 13, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 12-14. 152 Diuinae institutiones I, 1, 13, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 16; 1, 16, p. 4, 28; VII, 26, 11, BT, 4,

éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 730, 16. 153 Diuinae institutiones I, 1, 16, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 28.

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est au pouvoir, les chrétiens sont en sécurité156; par sa piété, il peut renverser les résolutions

de ses prédécesseurs157; il a montré des exemples de vertus et de sainteté158. On doit

toutefois noter que c’est Dieu qui a élevé Constantin pour restituer la justice159, que c’est

également Dieu qui a restauré la sainte religion par l’entremise de Constantin160. On doit

dès lors nuancer le rôle de Constantin concernant ces éléments. La même chose vaut pour le

fait que les chrétiens sont en sécurité depuis l’arrivée au pouvoir de Constantin; dans

l’ensemble du passage, on comprend que c’est Dieu qui l’a élevé au pouvoir. Ces passages

montrent donc que Constantin est plutôt passif dans le rétablissement de la religion et la

justice. De plus, contrairement à Eusèbe de Césarée, Constantin n’apparaît pas comme

l’image du Père pas plus qu’il ne gouverne selon une imitation du Père161. Dans la première

dédicace, Lactance dit toutefois que Dieu donnera à Constantin la vertu et la félicité, tandis

que dans la seconde, Constantin l’emporte par sa vertu et sa félicité. Il montre par ailleurs

des exemples de vertu et de sainteté; par sa piété, il peut renverser les actions des mali.

Constantin possède dès lors ces attributs: félicité, vertu, piété et sainteté.

Dans l’Antiquité, l’éloge est un conseil162 qui se révèle parfois « […] comme un

moyen d’action paranétique et moral »163 et certains penseurs de l’Antiquité « […] ont noté

une proximité de principe entre l’éloge et le conseil, dans la mesure où ce sont les mêmes

biens que l’on conseille de rechercher pour l’avenir et que l’on loue chez celui qui les

possède déjà. »164. Les valeurs attribuées à Constantin sont dès lors également présentes

154 Diuinae institutiones VII, 26, 15, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 731, 21-22. 155 Diuinae institutiones I, 1, 14, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 18. 156 Diuinae institutiones VII, 26, 11, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 731, 1-7. 157 Diuinae institutiones VII, 26, 12, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 731, 8-11. 158 Diuinae institutiones VII, 26, 15, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 731, 23. 159 Diuinae institutiones VII, 26, 11, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 730, 16. 160 En cela, Lactance exprime la même pensée qu’Eusèbe de Césarée qui reprend le thème de l’origine divine

du pouvoir: P. MARAVAL, La théologie politique de L’Empire chrétien, 2001, p. 57-58; Diuinae institutiones

VII, 26, 15, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 731, 21-22. 161 Ibid., p. 53-54. 162 « […] tout éloge possède par lui-même une valeur exhortative, qui n’a pas besoin d’être déguisée et qui, au

contraire, s’affirme avec fierté. Nous arrivons là au point essentiel, au cœur des rapports entre éloge et

conseil: l’idée que l’éloge est un conseil. »: L. PERNOT, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain,

1993, p. 717. 163 Ibid., p. 720. 164 Ibid., p. 710-711.

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pour instruire l’Empereur et le conseiller à ce sujet. Or, il est clair que la vertu est un thème

central dans ces deux dédicaces. De fait, des valeurs mentionnées précédemment, elle est la

seule qui revient trois fois dans le texte, contrairement à la piété165 et la sainteté qui

n’apparaissent qu’à un endroit dans la seconde dédicace. Bien qu’elle revienne à deux

reprises, toujours accompagnée de la vertu, nous mettons également de côté la félicité qui

est plus un état qu’une valeur; il est donc peu probable que Lactance cherche à conseiller

l’empereur sur la félicité. La vertu est aussi mentionnée dans un passage où Lactance a

ajouté une courte dédicace et elle est également au cœur des passages dualistes ajoutés dans

l’ouvrage; il est probable que l’ensemble soit relié par ce thème de la vertu, même s’il

s’agit là d’un thème bien récurrent dans l’éloge du prince et dans la pensée de Lactance.

Outre les longues dédicaces à l’Empereur qui se trouvent aux livres I et VII des

Diuinae institutiones, on trouve également de courtes dédicaces au début de chaque

livre (II, 1, 2; III, 1, 1; IV, 1, 1; V, 1, 1; VI, 3, 1). On note d’emblée que ces dédicaces sont

placées tout au début de la première phrase du premier chapitre de chaque livre, avec pour

exception le livre VI. Notre attention se dirige dès lors vers cette anomalie. La courte

dédicace à l’Empereur surgit au troisième chapitre de ce livre dans un passage qui introduit

les deux voies (Diuinae institutiones VI, 3, 1, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 534, 1-3):

Duae sunt uiae, Constantine imperator, per quas humanam uitam progredi necesse est, una

quae in caelum ferat, altera quae ad inferos deprimat166. De plus la phrase suivante est très

révélatrice du lien entre les dédicaces longues et courtes (Diuinae institutiones VI, 3, 2, BT,

3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 534, 4-5): Et quidem philosophi alteram uirtutum esse

uoluerunt, alteram uitiorum […]167. La voie des vertus est dès lors présentée comme une

165 La piété est une vertu des empereurs dans l’éloge et il n’est dès lors pas étonnant qu’elle se trouve dans les

dédicaces à Constantin: le contraire aurait été plus surprenant: ibid., p. 166 et 171. Il est toutefois étonnant

que la piété de Constantin n’est pas soulignée davantage. Eusèbe, dans son éloge de Constantin

(Triakontaétérikos) « fait de Constantin un modèle, un maître de piété (III, 3; V, 8), mais de cette piété

véritable qui pour lui, en définitive, n’est rien d’autre que le christianisme (prologue, 4; VII, 12). »:

P. MARAVAL, La théologie politique de L’Empire chrétien, 2001, p. 52. À cela, P. Maraval note que « […] ce

n’est pas la moindre, la piété est une de ses vertus fondamentales: dans les Panégyriques latins déjà, elle est

présentée comme la source de la felicitas des empereurs, la garantie de l’assistance qui leur est accordée par

les dieux […] »: ibid., p. 51-52. 166 « Il existe deux voies, Empereur Constantin, par lesquelles il est inévitable que la vie humaine s’avance,

une qui mène au ciel et l’autre qui abaisse vers l’enfer. » 167 « Les philosophes certes ont voulu que l’une soit celle des vertus, et l’autre celle des vices […] »

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voie accidentée que l’on surmonte avec difficulté168. Après avoir présenté les deux voies, il

introduit un passage de dualisme éthique qui se révèle comme dualisme plutôt discret au

départ169. Il continue de développer par la suite et le dualisme devient évident au chapitre

six. Il expose ensuite le fait que le bien et le mal tirent leur origine de deux principes. Les

deux voies, dans lesquelles est insérée la courte dédicace à Constantin, sont dès lors un

prélude aux passages proprement dualistes. On doit mentionner que ces passages dualistes

sont inclus dans la version courte de l’ouvrage – c’est-à-dire la version originale – et, bien

qu’il joigne de nouveaux passages dualistes au livre II, il décide de laisser les passages

dualistes du livre VI tels qu’ils apparaissent dans la version courte de l’ouvrage: il ajoute

seulement l’apostrophe à Constantin.

Une si courte dédicace aurait pu se trouver à n’importe quel endroit au début du

sixième livre, mais Lactance a choisi de l’insérer dans ce passage à teneur dualiste170. Il

semble dès lors y avoir un certain lien entre l’ajout des dédicaces et l’ajout des passages

dualistes. De plus, en ajoutant la dédicace à cet endroit, Lactance ne suggère pas

banalement l’existence de deux voies, il propose cette doctrine à Constantin: la première

voie est celle de la vertu qui mène au ciel, la seconde est celle du vice qui mène en enfer.

Comme Lactance s’efforce de placer sa courte dédicace à cet endroit, que l’on retrouve à

nouveau la vertu comme dans les dédicaces longues, que cet extrait précède un passage

dualiste, il est peu probable que cela soit une coïncidence et il semble y avoir un lien entre

les dédicaces et les passages dualistes: ce lien est la vertu.

168 C. INGREMAU a signalé les similarités entre la description des deux voies chez Lactance et celle offerte

dans les Homélies pseudo-clémentines: « Note complémentaire 1 », dans LACTANCE, Institutiones divines, VI,

SC, 509, Paris, 2007, p. 381-386. 169 C. INGREMEAU, « Note complémentaire 2 », dans LACTANCE, Institutiones divines, VI, SC, 509, Paris,

2007, p. 386-387. 170 P. MONAT indique que Lactance ajoute sa dédicace à cet endroit puisqu’il s’agit du début de la disputatio.

Mais bien que P. Monat vise juste, nous pensons que Lactance choisit de placer, contrairement à ce que l’on

trouve dans les autres livres des Diuinae institutiones, sa dédicace à cet endroit également en raison de la

teneur du passage: « Lactance et Cicéron. À propos d’un fragment de l’Hortensius », Revue des études latines

53 (1975), p. 253-254.

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Passages dualistes

Bien que la recension courte comporte des passages dualistes, notamment ceux du

livre VI, Lactance a cru bon d’ajouter certains passages au livre II, 8 et au livre VII, 5. Le

contenu de ces quelques lignes n’est pas sans partager des ressemblances avec l’ajout d’un

passage également dit dualiste dans le De opificio Dei. Ce dernier est laissé de côté afin

d’analyser les passages contenus dans les Diuinae institutiones qui eux sont accompagnés

des dédicaces à Constantin.

Le passage au livre II, 8 concerne la doctrine des deux esprits. Tout comme la

doctrine des deux voies171, on trouve cette pensée dans les écrits dits judéo-chrétiens

comme le Pasteur d’Hermas, les Homélies pseudo-clémentines, les Reconnaissances, la

version latine de la Doctrina XII apostolorum et l’Épître de Barnabé172. Pour certains,

171 Concernant la reprise par Lactance des deux voies, voir W. RORDORF, « Un chapitre d’éthique judéo-

chrétienne, les deux voies », Recherches de science religieuse 60 (1972), p. 123-124; M. GERHARDT, Das

Leben und die Schriften des Lactantius, Erlangen, 1924, p. 128 ssq. et C. Ingremeau, « Note complémentaire

1 et 2 », dans Lactance, Institutions divines, VI, SC 509, Paris, 2007, p. 383-387. P. Monat nuance la pensée

de W. Rordorf et M. Gerhardt, mais ces deux penseurs n’avaient fait le parallèle uniquement avec la Didachè;

la doctrine des deux esprits n’étant pas dans la version grecque de la Didachè, on comprend bien que

P. Monat se tourne vers la tradition classique et philosophique pour expliquer la pensée de Lactance. Mais une

fois que l’on ajoute la doctrine des deux esprits, il semble que les textes de Lactance s’approchent

considérablement de la pensée contenue dans les textes dits judéo-chrétiens comme le Pasteur, la version

latine de la Doctrina XII apostolorum, l’Épître de Barnabé, les Homélies pseudo-clémentines et les

Reconnaissances. Il est plus probable de considérer la réception chez Lactance de ces traits judéo-chrétiens

avec lesquels il corrige la vision des poètes et des philosophes. Concernant la critique de W. Rordorf et

M. Gerhardt, cf. P. MONAT, Lactance et la Bible, 1982, p. 249-252. 172 M. Philonenko a proposé que Lactance suit l’idée essénienne des deux esprits: « Magister iustitiae: Note

sur la christologie de Lactance », dans A. Benoit, et al. (dir.), Paganisme, Judaïsme, Christianisme: influences

et affrontements dans le monde antique, Paris, Éditions E. de Boccard, 1978, p. 227-233. Mais il est peu

probable qu’il ait eu accès aux textes de Qumran et, comme cette idée a été reprise dans les écrits judéo-

chrétiens, il est possible que Lactance suivent plutôt ces écrits. Au sujet de la reprise dans le judéo-

christianisme de cette idée cf. E. K. BROADHEAD, Jewish Ways of Following Jesus, Tübingen, Mohr Siebeck

(coll. Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament 266), 2010. On trouve les deux esprits, qui

sont nommés rois dans les Homélies pseudo-clémentines notamment en XV, 7 et XX, 2, dans les

Reconnaissances en II, 24 et représente, tout comme chez Lactance, les mains droite et gauche de Dieu.

Notons toutefois que le système des Pseudo-Clémentines est composé de deux voies, deux rois et deux

royaumes; le royaume du roi mauvais est la terre et le temps présent, tandis que le royaume du bon roi est

celui des cieux et des temps à venir; cette idée des royaume n’est pas présente chez Lactance pour qui la terre

est le royaume du bon esprit. Le Pasteur d’Hermas parle plutôt de deux anges, le premier étant celui de la

justice et le second du mal. Le texte latin de la Doctrina XII apostolorum présente également, contrairement à

la Didachè, les deux anges (Doctrina XII apostolorum, 1, éd. Schlecht, p. 105). L’Épitre de Barnabé utilise

également le terme « ange » pour désigner les deux esprits (Barnabé, Épitre, 18, éd. P. Prigent et R. A. Kraft,

SC 172, p. 194, 12-p. 196, 5). Quoi qu’il en soit, les deux voies sont toujours accompagnées des deux esprits

si l’on fait abstraction de la Didachè.

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l’idée de deux esprits chez Lactance émanait du manichéisme173 tandis que pour d’autres,

elle provenait de la tradition classique174.

Le passage dualiste ajouté au livre II s’ouvre sur une déclaration singulière en ce

qu’elle explique que Dieu fecit in principio bonum et malum175. Par la suite, Lactance

indique que Dieu a proposé deux esprits, celui du bien et celui du mal, le premier étant

Jésus et le second le Diable. On pourrait, à première lecture, voir que Lactance s’insère

dans le débat entourant le Concile de Nicée puisqu’il suggère qu’avant la création de ses

deux esprits, Dieu était seul176. Il indique qu’il va traiter de l’esprit du bien dans son livre 4

et l’on comprend dès lors qu’il s’agit de Jésus. On remarque d’emblée qu’il ajoute qu’une

seule chose concernant ce dernier: lorsqu’il indique comment l’esprit mauvais a été fait,

Lactance affirme qu’il a été créé par l’intermédiaire de Jésus (Diuinae institutiones II, 8,

3 add., BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 148, 5-9): Deinde fecit per ipsum quem genuit

alterum corruptibilis naturae, in quo indoles diuinae stirpis non permaneret177. Bien

entendu Lactance ajoute ici que Jésus a été engendré (genuit)178, mais l’utilisation de ce

verbe se trouve déjà chez Tertullien179. Il est possible que Lactance l’ajoute parce que cela

est dans l’air du temps, mais l’analyse complète du passage montre qu’il est peu préoccupé

par la nature du Christ – du moins dans les extraits ajoutés –, ce qui est étonnant à l’aube du

Concile de Nicée. Il se concentre au contraire sur l’explication du mal dans le monde et la

173 R. Pichon note que « […] les idées dualistes de Lactance sont exprimées avec une force qui va presque

jusqu’à l’hérésie manichéenne. »: Lactance... 1901, p. 7. H. J. Lawlor qualifie ces passages à la fois d’arien et

manichéen: « Notes on Lactantius », 1902, p. 449. Pour L. Scheffczyk, Lactance n’a pas sû se débarrasser

d’idées manichéennes: Création et Providence, Paris, Les éditions du Cerf, 1967, p. 101. Pourtant, le système

de Lactance est nettement moins dualiste que celui des manichéens; il se situe dans un dualisme mitigé ou

monarchien, pour reprendre la typologie d’U. Bianchi, tandis que le dualisme manichéen est plus radical :

U. BIANCHI, « Théologie et théorie du mal aux premiers siècles de l’ère nouvelle », Le Muséon 100/1 (1987),

p. 1-11. 174 Notamment P. Courcelle, Connais-toi toi même: de Socrate à Saint Bernard, vol. 2, Paris, 1975,

p. 454-457 et P. MONAT, Lactance et la Bible, 1982, p. 249-252. Mais nous pensons que la doctrine est bien

judéo-chrétienne et que Lactance vise à corriger la vision de Virgile plutôt qu’il ne s’en inspire. 175 Diuinae institutiones II, 8, 3 add., BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 147, 15. 176 Diuinae institutiones II, 8, 3 add., BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 148, 4. 177 « Dieu créa ensuite, par celui-là même qu’il avait engendré, un autre esprit de nature corruptible dans

lequel le caractère innée de l’origine divine ne devait point demeurer. » 178 Suivant la pensée de E. Edmonds, il nous paraît plutôt étrange que Lactance, à la veille du Concile de

Nicée, aurait enlevé cette phrase qui indique que Jésus est engendré. Supra n. 109 p. 50. 179 Aduersus Praxean, V, 2, éd. Aem. Kroymann et E. Evans, CCSL, 2, p. 1163, 8-10.

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création de cet esprit mauvais. De son propre aveu, Lactance indique qu’il désire faire

connaître le plan de Dieu (Diuinae institutiones II, 8, 3 add., BT, 1, éd. E. Heck et

A. Wlosok, p. 149, 1-3): interim de hoc uberius, ut dispositio diuina noscatur, quia nec

bonum intellegi sine malo potest nec malum aeque sine bono et sapientia boni malique

notitia sit180. C’est dès lors autour de la connaissance du bien et du mal que le passage

s’organise. Dieu a fait ce monde de matériaux opposés et antagonistes dont les deux

sources sont les deux esprits181: l’esprit du bien, la main de droite de Dieu182 et l’esprit

mauvais, la main gauche de Dieu. L’homme quant à lui est fait bon et mauvais (Diuinae

institutiones II, 8, 3 add., BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 149, 16-19):

item facturus hominem, cui uirtutem ad uiuendum proponeret, per quam

immortalitatem adsequeretur, bonum et malum fecit, ut posset esse uirtus; quae

nisi malis agitetur, aut uim suam perdet aut omnino non erit183.

Après une explication cosmologique du mal, Lactance passe donc brièvement aux

conséquences anthropologiques. Afin que la vertu puisse exister, l’homme doit être éprouvé

par le mal, et comme le bien ne peut exister sans le mal, l’homme ne peut être vertueux s’il

n’est pas tenté par le mal. Lactance revient avec ce thème dans son second passage dualiste

au livre VII (Diuinae institutiones VII, 5, add. 2, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 665,

5-8):

nulla enim uirtus esse poterat, nisi diuersa fecisset, nec omnino apparere uis

boni potest nisi ex mali comparatione; adeo malum nihil aliud est quam boni

interpretatio. sublato igitur malo etiam bonum tolli necesse est184.

180 « Entre temps, je serai plus fécond pour que soit connu le plan divin, parce que l’on ne peut pas

comprendre le bien sans le mal, ni non plus le mal sans le bien, et pour que la sagesse soit la connaissance du

bien et du mal. » 181 V. Loi a relié l’idée de l’antagonisme chez Lactance à une influence stoïcienne: Lattanzio... 1970, p. 134.

De fait, dans un passage de l’Epitome (24, 5-11) qui reprend cette idée, Lactance relie explicitement

l’antagonisme à Chrysippe qui s’appuie sur Platon. On note toutefois que le système de Lactance, qui présente

les deux voies, les deux esprits qui sont la main gauche et la main droite de Dieu, ainsi que l’antagonisme,

sont tous des thèmes abordés sensiblement de la même manière dans les Homélies pseudo-clémentines. Bien

entendu, l’antagonisme est représenté par la théorie des syzygies dans les Homélies, système que Lactance

laisse de côté, mais l’idée de l’antagonisme est la même. 182 On note également l’utilisation de la « main droite » de Dieu dans la seconde longue dédicace à

Constantin: Diuinae institutiones VII, 26, 14, éd. E. Heck et A. Wlosok, BT, 4, p. 731, 18-20. 183 « De la même manière, lorsqu’il était sur le point de faire l’homme, à qui il devait proposer de vivre selon

la vertu, par laquelle il atteindrait l’immortalité, il le fit bon et mauvais pour que la vertu puisse exister; parce

que la vertu perdra sa force ou n’existera pas tout à fait si elle n’est pas remuée par les choses mauvaises. »

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Cette idée qu’on ne peut supprimer le mal sans détruire également le bien revient encore

dans ce second passage. L’homme est divisé en corps qui est relié au mal et en âme qui est

rattachée au bien185. L’homme acquiert par ailleurs la sagesse, qui ne peut exister sans le

mal, par le fait qu’il peut faire la différence entre le bien et le mal. Il existe donc une unité

entre les deux passages. Même si le premier commence par une explication cosmologique

de l’origine du mal, il se transporte néanmoins vers une explication anthropologique du mal

et du bien chez l’homme186. La vertu est au centre des deux passages et on peut ainsi les

relier aux dédicaces qui présentent Constantin comme vertueux en même temps qu’elles lui

conseillent de l’être. De plus, la courte dédicace du livre VI, qui s’insère au début de

l’extrait sur les deux voies au chapitre 3 et 4, puis se transporte rapidement vers un

dualisme anthropologique où la vertu est au centre au chapitre 5 et 6, et enfin revient aux

deux voies au chapitre 7, paraît dès lors également apporter un lien entre la rédaction des

dédicaces et celle des passages dualistes. Les dédicaces et les passages dualistes semblent

donc avoir été écrits pour traiter de la vertu et sont adressés à Constantin.

Il est vrai que l’entreprise lactancienne concernant ces passages est politique, en ce

qu’il définit, par ses dédicaces longues, ce qu’est le bon roi: un bon empereur doit être

vertueux et reconnaître le Dieu unique du christianisme. Il s’agit ici de l’éloge du Prince et

donc d’un conseil. Il poursuit par la suite son entreprise didactique avec ses passages

dualistes, dans lesquelles il expose l’origine du mal et ses conséquences sur l’homme. Ces

passages dualistes permettent d’exposer les deux voies, dont l’une mène à la vertu, les deux

esprits et la vertu qui ne peut exister sans le mal.

184 « Il ne pouvait exister aucune vertu s’Il ne les avait pas fait opposés, et la force du bien ne peut être tout à

fait visible que par comparaison avec le mal; à tel point que le mal n’est rien d’autre que l’explication du bien.

Ainsi, une fois le mal retiré, le bien est aussi, nécessairement, anéanti. » 185 C’est l’une des idées dualistes qui est reprise dans le De ira Dei 15, 3, cf. supra n. 31 p. 11. 186 « Ainsi, les ajouts ne concernent que les textes à forte tonalité parénétique: il est moins question d’éclairer

les passages obscurs que d’enseigner une doctrine. Il s’agit en outre d’insertions raisonnées, qui ne s’ajoutent

pas n’importe où et ne se développent pas n’importe comment. Toutes les additions expriment en effet la

même idée que le bien et le mal, ou l’ange et le démon, ont été suscités l’un et l’autre par Dieu, pour que ce

soit un combat, par une lutte que s’affirme la vertu dans l’homme, en vainquant le vice. Ainsi la thématique

des additions peut déjà nous inviter à les considérer comme conçues, dans leur totalité, à une même époque. »:

B. BAKHOUCHE, « Pour en finir avec les ‟additions dualistes” chez Lactance? », dans B. Bakhouche et

S. Luciani (dir.), Le De opificio dei de Lactance: regards croisés sur l’anthropologie de Lactance: Actes des

Journées d’études organisée à Montpellier (24 et 25 novembre 2005), Saint-Étienne, Presses universitaires de

Saint-Étienne, 2007, p. 108.

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Concernant l’explication politique de ces passages, on pourrait trop facilement relier

la division entre un bon esprit et un mauvais aux deux empereurs qui, tout comme les deux

esprits, se combattent187. Mais il faudrait également pousser cette idée jusqu’au bout: or,

Lactance affirme qu’on ne peut supprimer le mal sans détruire le bien. Qu’est-ce que cela

voudrait dire quant à l’Empire? Pourtant, dans ses longues dédicaces, Lactance souhaite

que Constantin enlève les malos a re publica. On peut certainement voir que l’ensemble de

ces passages propose une définition du bon empereur qui doit reconnaître Dieu et

s’appliquer à la vertu. Le message de Lactance est politique en ce qu’il définit le bon

empereur – sans pour autant faire référence à des événements –, mais plus personnel à

l’endroit de Constantin à qui il suggère de régler sa vie sur la voie qui mène à l’immortalité.

Or, on note que la pensée de Lactance est tout particulièrement influencée par celle

des textes pseudo-clémentins. En effet, même si les deux voies sont exprimées dans

l’Épître de Barnabé, que les deux anges sont présents dans la Doctrina XII apostolorum et

le Pasteur d’Hermas, il n’en demeure pas moins que le système de Lactance a pour source

primaire les textes pseudo-clémentins188. Bien qu’il présente certaines caractéristiques qui

sont également présentes dans les autres sources, il propose des éléments qu’on ne peut

trouver que dans les Pseudo-Clémentines, comme le fait que les deux princes sont aussi la

main droite et gauche de Dieu189. Or il est étonnant de voir apparaître ce système dualiste

dans ces nouveaux passages au même moment où Lactance ajoute les dédicaces à

l’empereur. En effet, comme le rappelle R. Cacitti, le projet apologétique de l’époque

constantinienne refuse tout dualisme et, comme c’est le cas d’Eusèbe de Césarée qui

propose une théologie de la victoire190, le projet apologétique de cette époque suggère

187 B. BAKHOUCHE suggère, non pas une référence au combat entre Licinius et Constantin, mais bien entre

Maxence et Constantin: ibid., p. 117. 188 V. Loi indique que la source première de ce thème chez Lactance sont les écrits pseudo-clémentins:

Lattanzio... 1970, p. 150 n. 227 et 228. 189 Homiliae, VII, 3, 3; XX, 3, 5. 190 P. Maraval souligne que les « caractéristiques du gouvernement impérial seront une imitation de celles du

Logos: comme lui, l’empereur prépare ses sujets au royaume d’en haut, soumet les ennemis de la vérité,

proclame les lois de la piété véritable à tous, veille à assurer le salut de tous. »: « La théologie politique de

l’Empire chrétien », dans M.-F. Baslez (dir.), Les premiers temps de l’Église, Paris, Éditions Gallimard, 2004,

p. 644. P. Maraval décrit dans cette citation la pensée d’Eusèbe de Césarée tiré de son panégyrique intitulé

Triakontaétérikos en l’honneur de la vingtième année de règne de Constantin en 325. Outre le premier

élément, qui est de préparer les sujets au royaume d’en haut, et le dernier, on trouve sensiblement les mêmes

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plutôt que le monothéisme peut mieux supporter l’unité politique191. Mais Lactance s’écarte

nettement de cette approche; il évacue la notion des deux royaumes qui apparaît pourtant

dans sa source primaire, les Pseudo-Clémentines, et il affirme que Dieu a confié ses biens à

l’un des esprits, le bon192. Mais tout au long de ses passages ajoutés, Lactance explique à

plusieurs reprises que le mal doit exister afin que l’on connaisse le bien193. Il ajoute

également que si la vertu n’est pas éprouvée par le mal, elle perdra sa force et disparaîtra194.

Il est possible que ce passage de Lactance cherche à encourager l’empereur et lui rappeler

que l’on ne peut être vertueux sans être éprouvé par le mal. Dans ce cas, il s’agirait d’un

message bien personnel, mais qui ne signifie pas pour autant que Lactance supporte une

théologie de la victoire. Il est également possible que Lactance indique à Constantin qu’il

ne peut éradiquer le mal dans le monde, et donc dans l’Empire. Ce système dualiste

rappellerait en quelque sorte à Constantin que, même si Dieu l’a placé au faîte de l’Empire,

le mal est toujours présent et que la division dualiste du monde n’a pas cessé non plus.

Même si les deux royaumes ne sont pas mentionnés, et que le monde a été confié au bon

esprit, il semble qu’on ne peut faire autrement que de déduire, en raison de l’insistance de

Lactance sur le fait que le mal ne peut disparaître, qu’il y a bel et bien une division dans ce

monde qui est composé ex rebus inter se contrariis atque discordibus (II, 8, add. 2, BT, 1,

éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 149, 10-11)195. Il n’est peut-être plus possible à cette époque,

où un chrétien devient empereur, de proposer que ce royaume, l’Empire romain dans ce

cas-ci, est sous le joug de l’esprit mauvais, mais peut-être que Lactance souhaite néanmoins

rappeler que ce monde ne s’est pas affranchi du mal en devenant chrétien. De présenter les

deux esprits, les deux voies, l’origine et la durabilité du mal sans pour autant mentionner

les deux royaumes, permet à Lactance de rappeler au prince que ce monde, cet État, même

thèmes reliés à l’Empereur dans les dédicaces longues des Diuinae institutiones. On ne trouve toutefois pas

l’adéquation entre Constantin et le Logos; on peut également s’interroger si le subordinatianisme et le

dualisme de Lactance conviennent à ce genre d’association directe entre le Logos et l’Empereur. 191 « Le ceneri di Epicuro: eversione religiosa, provvidenzialismo politico e polemica antiereticale nel

cristianesimo delle origini », 1999, p. 321-322. P. Monat abonde dans le même sens puisqu’il a du mal à

penser que Lactance est responsable pour l’ajout de ces passages dualistes: « Nous comprenons mal comment

ce dernier aurait pu se figer dans un dualisme que la pensée officielle de son époque et de son entourage

répudiait de plus en plus. »: Lactance et la Bible, 1982, p. 266. 192 II, 8, add. 7, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 150, 10-12. 193 II, 8, 5, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 149, 2-3; II, 8, add. 5, p. 150, 1-4. 194 II, 8, add. 3, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 149, 18-19. 195 « composé de choses contraires et discordantes les unes par rapport aux autres. »

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s’il tolère maintenant le christianisme, n’est pas exempt du mal. Il faut rappeler qu’au

moment où Lactance rédige ces passages, le monde n’est pas encore entièrement chrétien.

Il ne faut pas présumer que tous les chrétiens de cette époque, Lactance y compris, se sont

affranchis de cette vision paulinienne que l’homme est étranger en ce monde et que le vrai

royaume du croyant est dans l’autre monde, ce qui suggère une vision un peu limitée de ce

que l’on peut accomplir dans ce monde. En d’autres termes, Lactance exprimerait peut-être

quelques réserves à ceux qui pourraient pencher du côté de la vision triomphante du

christianisme, contrairement à ce que la recherche moderne lui attribue comme sentiment.

Comme son passage traite à la fois de dualisme cosmologique et anthropologique, il est

possible qu’il s’adresse à la fois à Constantin l’homme qu’il veut exhorter à être vertueux,

mais également à Constantin l’empereur qui dirige un empire de plus en plus chrétien: on

ne peut toutefois pas éradiquer le mal dans l’homme pas plus que cela n’est possible dans

l’Empire.

Ces quelques remarques permettent de souligner quelques points en lien avec la

présente étude du De ira Dei. On a souvent pensé que Lactance était très proche de

Constantin et que, par son œuvre, il supportait le programme constantinien. Or, il semble

que la situation est plus nuancée. Bien entendu, il connaît l’homme et il révise ses Diuinae

institutiones afin de les dédier à cet empereur, ce qui en soi est significatif. Or, il semble

que la pensée de Lactance est plus complexe et ne se résume pas à un monothéisme strict

qui vise à supporter une monarchie196. L’analyse de ce passage montre que l’on ne doit pas

conclure trop rapidement que ces deux hommes sont « spiritually congenial »197. Ce

passage permet également de montrer que Lactance est influencé, non seulement par la

littérature dite « judéo-chrétienne », mais plus précisément par les textes pseudo-

clémentins.

196 Nous reprenons ici l’association entre ces deux termes proposée par le titre d’une section de l’article de

R. Cacitti intitulé « Monoteismo e monarchia ». Cet partie montre bien la convergence de ces deux concepts à

l’époque de Constantin: « Le ceneri di Epicuro: eversione religiosa, provvidenzialismo politico e polemica

antiereticale nel cristianesimo delle origini », 1999, p. 321. 197 J. ROLDANUS, The Church in the Age of Constantine: The Theological Challenges, London, Routeledge,

2006, p. 49: « they both shared the climate of philosophico-religious enlightenment, being at the same time

indebted to the typical Latin conception of religion as a set of duties which will be recompensed. To some

extent, these conceptions belonged to the sphere of the epoch, notably the enlightened monotheism. »

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1.4.3. Le De ira Dei

Tout comme les autres ouvrages de Lactance, le texte contient peu de références au

contexte externe, ce qui ne permet pas de dater le texte avec précision. Certains

proposent198 une datation de l’ouvrage avant 312, principalement en raison du fait que

Lactance aurait dû mentionner la mort de Galère « à l’appui de sa thèse sur la colère

divine » et faire de la mort de Galère un « argument décisif, tiré des faits: l’horrible mort du

plus acharné des persécuteurs »199. Or, il ne semble pas que cet argument mérite d’être

utilisé pour dater l’ouvrage sur la colère. La lecture du De ira Dei montre bien que la colère

de Dieu n’est pas dirigée vers les persécuteurs et il semble que la pensée de Lactance, dans

ce traité, ne doit pas être comprise en lien avec les persécutions: le fait que le De ira Dei ne

mentionne jamais les persécutions200 constitue un indice de taille. L’ouvrage de Lactance

aborde des questions plus philosophiques comme la question du délai de la justice divine

ou de l’existence de la bienveillance et de la colère chez Dieu. Comme il a déjà été

mentionné, on ne doit pas réduire la pensée du De ira Dei à la thèse du De mortibus

persecutorum, même si celle-ci se trouve dans l’œuvre de Lactance en Epitome 48, 4-5201:

que les persécuteurs ne soient pas nommés dans le texte n’indique dès lors rien quant à la

date d’écriture. La thèse sur la justice divine envers les persécuteurs est bel et bien

lactancienne, mais cela n’empêche pas qu’il aborde le sujet de la colère sous un angle un

peu différent dans le De ira Dei. Pour d’autres, le fait qu’il ne mentionne jamais les

persécutions pousse plutôt à penser qu’il écrivait en temps de paix202. Le fait qu’il ne parle

jamais de la victoire de Constantin n’indique pas non plus que l’ouvrage ait été écrit avant

198 P. Monceaux établit une datation entre 308 et 311: « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 120.

H. Kraft et A. Wlosok affirme que si l’on pense que le destinataire est le même que le De mortibus

persecutorum, on doit admettre que le De ira Dei a été écrit en 311 ou 312: « Introduction », dans Lactance,

Vom Zorne Gottes, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft (coll. Texte zur Forschung 4), 1983,

p. XV-XVI. L. Gasparri suggère que l’ouvrage est postérieur à 305: « Introduction », dans Lactance, La

collera di Dio, Milan, Bompari (coll. Testi a fronte 138), 2011, p. 9. D. De Decker pense que l’ouvrage a été

composé avant l’édit de Milan en 312: De mortibus persecutorum... 2013, p. 114. 199 P. MONCEAUX, « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 120. 200 La plupart des chercheurs admettent que le De ira Dei ne fait jamais référence aux persécutions: ibid.,

p. 120; J. STEVENSON, « The life and literary activity of Lactantius », 1957, p. 675; C. INGREMEAU,

« Introduction », dans LACTANCE, De ira Dei, introduction, texte critique, traduction, commentaire et index

par C. Ingremeau, Paris, Cerf, 1982, p. 29. 201 Supra n. 22 p. 30 et p. 35-37. 202 C. INGREMEAU, « Introduction », dans LACTANCE, De ira Dei, introduction, texte critique, traduction,

commentaire et index par C. Ingremeau, Paris, Cerf, 1982, p. 30.

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312203. Il est tout à fait possible que Lactance écrive un ouvrage théologicophilosophique

sur la colère de Dieu sans pour autant avoir à mentionner la victoire de Constantin. Si l’on

considère l’absence de références aux persécutions, on peut penser que l’ouvrage a été écrit

entre 312 et 321204, moment ou Licinius persécute l’Église en Orient; or, il demeure encore

tout à fait possible que Lactance ne mentionne pas les persécutions d’Orient dans le De ira

Dei puisque celles-ci sont en fait très loin de lui: il ne s’agit pas d’un travail comparable

aux dédicaces des Diuinae institutiones où il se doit, d’après le contexte, de les mentionner.

J. Stevenson205 voit dans le passage 24, 12 du De ira Dei une référence au conflit entre

Constantin et Licinius en 314. Il semble toutefois que le souhait exprimé, de voir disparaître

l’impiété, la discorde et la dissension dans la société humaine, pourrait être un souhait de

Lactance qui n’est aucunement relié à ce conflit206: il pourrait aussi s’agir d’un souhait en

faveur de la concorde dans l’Église. Les termes utilisés peuvent faire référence à des

situations générales de la vie entre citoyens. Force est de constater qu’il est fort difficile de

dater cet opuscule. Nous pensons, à l’instar de C. Ingremeau207, que l’ouvrage pourrait

avoir été rédigé à n’importe quel moment entre 312 et 325.

Quant au destinataire, Donat, il semble que ce ne soit pas le même que le destinataire

du De mortibus persecutorum208. En effet, le Donat du De ira Dei semble être un chrétien

203 J. Stevenson note l’absence de la victoire de Constantin dans l’ouvrage et D. De Decker conclut à

l’antériorité de l’ouvrage face à la victoire de Constantin en 312: J. STEVENSON, « The life and literary

activity of Lactantius », 1957, p. 673-675; J. ROUGÉ et D. DE DECKER, De mortibus persecutorum... 2013,

p. 113-114. L. Gasparri croit que l’ouvrage est postérieur à 305: « Introduction », dans Lactance, Il collera di

Dio, Milan, Bompiani (coll. Testi a fronte 138), 2011, p. 9. 204 C. INGREMEAU, « Introduction », dans LACTANCE, De ira Dei, introduction, texte critique, traduction,

commentaire et index par C. Ingremeau, Paris, Cerf, 1982, p. 36. A. Bowen et P. D. A. Garnsey place cet

ouvrage en 316: « Introduction », dans Lactance, Divine Institutes, Liverpool, Liverpool University Press,

2003, p. 3. B. Bakhouche et S. Luciani indiquent que l’ouvrage est écrit en 313: Lactance De opificio Dei,

2009, p. 13. K. A. Meinking place cet ouvrage en 313 et 316: Anger matters: Politics and theology in the

fourth century CE, 2010, p. 6 et 188. 205 J. STEVENSON, « The life and literary activity of Lactantius », 1957, p. 675. 206 Nous ne pensons pas non plus qu’il faille dire avec D. De Decker que ce passage montre que les

persécutions ne sont pas terminées: J. ROUGE et D. DE DECKER, De mortibus persecutorum... 2013, p. 114. 207 C. INGREMEAU, « Introduction », dans LACTANCE, De ira Dei, introduction, texte critique, traduction,

commentaire et index par C. Ingremeau, Paris, Cerf, 1982, p. 36. 208 Certains ont toutefois pensé qu’il s’agissait du même homme: P. MONCEAUX, « Études critiques sur

Lactance », 1905, p. 128; Luca de Regibus « Introduction », dans Lactance, De Mortibus Persecutorum,

Turin, Società editrice internazionale, 1937, p. 12; J. STEVENSON, « The life and literary activity of

Lactantius », 1957, p. 675; K. A. MEINKING, Anger matters: Politics and theology in the fourth century CE,

2010, p. 6 n. 19.

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qui a besoin d’aide au sujet de problèmes philosophiques sur la colère divine par peur de se

laisser égarer ou d’être ébranlé: cet égarement et cet ébranlement ne semblent pas

correspondre au Donat du De mortibus persecutorum, qui a été détenu durant six ans pour

sa foi (35, 2). De plus, on sait que celui-ci a été libéré au printemps de 311 après que Galère

eut divulgué son édit (35, 1). Donc, de 305 à 311, ce Donat étant incarcéré, Lactance ne lui

a sûrement pas écrit durant son emprisonnement, car cela aurait été mentionné dans le texte.

Il est donc plus probable que Lactance lui ait écrit après 311. Le Donat qui semble ébranlé

dans le De ira Dei ne peut donc correspondre au Donat qui a souffert durant six ans pour sa

foi: ce dernier ne semble visiblement pas ébranlable facilement. Nous pensons donc qu’il

s’agit de deux hommes différents209.

1.4.4. L’Epitome

On sait de l’Epitome qu’il est écrit longtemps après les Diuinae institutiones;

Lactance indique dans la première ligne de cet ouvrage que les Diuinae institutiones sont

rédigées depuis fort longtemps (Epitome, Pr. 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 1, 1-2): […]

quos iam pridem ad inlustrandam ueritatem religionemque conscripsimus […]210. Un autre

passage de cet ouvrage tend à montrer qu’il écrit après que les persécuteurs soient

disparus (48, 5, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 70, 18-22): Nec est inanis ista fiducia,

siquidem eorum omnium, qui hoc facinus ausi sunt, miserabiles exitus partim cognouimus,

partim uidimus nec ullus habuit impune, quod deum laesit, sed qui sit uerus deus qui uerbo

discere noluit, supplicio suo didicit211. Lactance indique donc que tous (omnis) les

persécuteurs ont connu une fin misérable. Mais ce texte a-t-il été écrit après la mort de

Licinius (325) ou avant que ce dernier ne commence à persécuter l’Église en Orient?

Certains placent la rédaction de l’Epitome entre la période de 313 à 321212, mais en suivant

le contexte, on peut également penser que l’ouvrage a été rédigé en 325.

209 C. Ingremeau abonde également dans le même sens: « Introduction », dans LACTANCE, De ira Dei,

introduction, texte critique, traduction, commentaire et index par C. Ingremeau, Paris, Cerf, 1982, p. 26. 210 « […] que nous avons écris il y a longtemps pour éclairer la vérité et la religion […] ». 211 « Cette confiance n’est pas vaine, si vraiment la mort misérable de tous ceux qui ont osé ce crime, nous

l’avons en partie connue et en parti vue, et personne n’est resté impuni parce que Dieu a frappé, mais celui qui

n’a pas voulu apprendre par la parole qui était le vrai Dieu, l’a appris par son supplice. » 212 S. Brandt opte pour 313-314: Über Entstehungsverhältnisse... 1892, p. 115-116. J. Dammig choisit

315-316: Die Diuinae institutiones des Laktanz und ihre Epitome. Ein beitrag zur Geschichte und Technik der

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1.5. Relation avec Arnobe

Les liens entre Lactance et Arnobe ont bien évidemment été une source de

questionnement pour plusieurs chercheurs, car ni l’un ni l’autre ne laisse des traces de cette

relation dans ses ouvrages. Lactance ne mentionne jamais Arnobe213, pourtant, si l’on suit

la notice de Jérôme, il a été l’élève d’Arnobe. Les chroniques de Jérôme placent également

l’ouvrage d’Arnobe en 327 (Chronicon, an. 2333), mais plusieurs ont pensé que Jérôme a

fait une erreur de datation214. Or, même si beaucoup de chercheurs ont remis en doute la

datation de Jérôme, personne n’a jamais remis en question la véracité de cette affirmation à

l’effet que Lactance ait été l’élève d’Arnobe. Pourtant, à en juger par les dires de Jérôme,

Arnobe aurait publié son ouvrage en 327, tandis que Lactance aurait été extrêmement vieux

en 317. Par ces deux indications, on pourrait croire que Lactance est bien plus vieux

qu’Arnobe, pourquoi ce dernier aurait été l’enseignant? Bien entendu, la recherche

moderne a souligné le problème d’une datation en 327, mais Jérôme n’a pas conscience de

cette erreur et il place tout de même Lactance parmi les élèves d’un maître plus jeune que

lui. Quoi qu’il en soit de la véracité des faits suggérés par Jérôme, si les deux hommes ne

peuvent être mis en relation par l’histoire, ils seront en relation textuelle par cette thèse

puisqu’ils prennent position sur des thèmes semblables, mais ils sont rarement d’un accord

commun215.

La lecture du traité Aduersus nationes d’Arnobe montre bien l’importance de ce traité

pour les études lactanciennes. Il prend des positions fort différentes, particulièrement

concernant deux sujets qui touchent Lactance: l’homme et la colère de Dieu. L’analyse du

Epitomierung, Münster, Westfälische Wilhelms-Universität, 1957, p. 37. J. Stevenson propose 317: « The life

and literary activity of Lactantius », 1957, p. 677. E. Heck pense que l’ouvrage a été rédigé entre 315 et 321:

Die dualistischen Zusätze... 1972, p. 53 et 77. M. Perrin opte pour la date de 317: « Introduction », dans

Lactance, L’ouvrage du Dieu créateur, Paris, Les éditions du Cerf (Coll. Sources chrétiennes, 213), 1974,

p. 15-16. A. Bowen et P. Garnsey indique que l’ouvrage est postérieur à 320: « Introduction », dans Lactance,

Divine Institutes, Liverpool, Liverpool University Press, 2003, p. 3. 213 P. Monceaux souligne que Lactance n’a jamais parlé d’Arnobe dans ses ouvrages. Il mentionne également

que Lactance a dû quitté l’Afrique avant la conversion d’Arnobe, mais à vrai dire nous ne savons rien de la

relation entre les deux hommes: « Études critiques sur Lactance », 1905, p. 106-107. 214 M. B. SIMMONS, Arnobius of Sicca: Religious Conflicts and Competition in the Age of Diocletian, New

York, Oxford University Press, 1995 et M. J. EDWARDS, « Dating Arnobius: why discount the evidence of

Jerome? », Antiquité tardive 12 (2004), p. 263-271. 215 « Qu’il [Lactance] ait été son élève dans l’art oratoire, peut-être, mais en religion il prend juste le contre-

pied de ses idées. »: R. PICHON, Lactance... 1901, p. 53-54.

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texte d’Arnobe peut donc éclairer les discussions tenues dans le De opificio Dei et le De ira

Dei. Arnobe accentue en effet le fait que l’homme n’est rien216 tandis qu’il est le

couronnement de la création pour Lactance217. Arnobe veut donc amener les païens à

réaliser qu’en attribuant des qualités d’homme aux dieux, il n’y a plus rien d’honorable

pour les dieux. Pour lui, Dieu ne se serait pas abaissé à faire l’homme et Arnobe crée dès

lors un écart en Dieu et les hommes, Dieu étant de loin supérieur à ces derniers. Pour

Lactance il en est autrement, car Dieu a fait les hommes et s’occupe de leurs affaires: la

Providence divine est un thème fort important de la pensée de Lactance et se trouve dans

tous ses ouvrages. Il faut donc expliquer la différence des visées entre Lactance et Arnobe.

Tout comme les épicuriens, Arnobe ne semble pas croire à cette Providence divine; or,

Lactance s’oppose fortement aux épicuriens et à ceux qui rejettent cette Providence. La

pensée d’Arnobe permet d’entrevoir que certains chrétiens de cette époque adoptaient des

positions proches de l’épicurisme, ce qui déplaît à Lactance.

La pensée d’Arnobe sur la colère des dieux va dans le même sens: pour lui les dieux

ne peuvent pas se mettre en colère. Mais à la lecture de l’ouvrage d’Arnobe, on voit bien

que celui-ci cherche à montrer que la colère n’est pas propre aux dieux en raison du

contexte des accusations contre les chrétiens. Dans son premier livre, il montre que les

non-chrétiens affirment que les maux que l’on subit dans l’Empire depuis un certain temps

sont la faute des chrétiens: les dieux sont fâchés contre les gens de l’Empire en raison du

christianisme. Arnobe cherche donc à prouver que les dieux n’éprouvent pas de colère,

encore une fois comme les épicuriens, et que l’on ne doit pas imputer aux chrétiens les

fléaux dont l’Empire souffre. L’argumentation des Diuinae institutiones ou encore du De

ira Dei ne va pas dans le même sens. Lactance n’aborde jamais cette accusation faite contre

les chrétiens qui sont la source des fléaux de l’Empire.

Beaucoup de difficultés ont été soulevées quant à la datation de l’ouvrage d’Arnobe.

Même si Arnobe parle de persécutions, certains pensent qu’il fait référence à des

persécutions passées qui ne sont pas présentes, d’où l’hypothèse qu’il aurait écrit son

216 R. E. F. MICKA, The Problem of Divine Anger in Arnobius and Lactantius, Washington, Catholic

University of America Press, 1943, p. 166. 217 Ibid., p. 167.

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ouvrage avant les persécutions. Mais selon M. B. Simmons, l’ouvrage présente certains

passages qui montrent une rédaction après le début de la Grande persécution sous

Dioclétien218. Quoi qu’il en soit de ces problèmes de datation, les situations qui mènent à

des accusations contre les chrétiens présentées par Arnobe sont différentes de celles

mentionnées par Lactance. Pour Arnobe, ce sont les haruspices, les devins et les prêtres

fanatiques qui ont inventé ces accusations contre les chrétiens (I, 24, 2) et il ne fait pas

mention du signe de croix qui effraie les devins. Il ne s’agit donc pas de l’épisode du

sacrifice interrompu en présence de Dioclétien évoqué par Lactance qui fut à l’origine des

persécutions (Diuinae institutiones, IV, 27, 5): rien de tout ça chez Arnobe.

Mais il reste que l’ouvrage d’Arnobe n’attribue aucune colère aux dieux et donc, en

conséquence, à Dieu lui-même. Il est possible qu’Arnobe soit porteur d’une idée adoptée

par certains chrétiens de son époque voulant que Dieu ne puisse se mettre en colère.

Comme Lactance l’indique dans ses Diuinae institutiones, les persécutions sont permises

par Dieu – il suit le développement de Sénèque qui affirme que Dieu châtie les gens de bien

et supporte que les débauchés vivent dans la luxure – et on ne peut s’étonner que les

chrétiens soient châtiés par Dieu (V, 22, 13, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. ): Immo uero cum

uexamur ac premimur, tum maxime gratias agimus indulgentissimo patri, quod

corruptelam nostram non patitur longius procedere, sed plagis ac uerberibus emendat. Ex

quo intellegimus esse nos deo curae, quibus, quoniam peccamus, irascitur219. Il faut noter

d’emblée qu’il s’agit là de l’une des diverses pensées sur la colère contenue dans l’œuvre

de Lactance et qui ne va pas tout à fait dans le même sens que celle du De mortibus

persecutorum220. Peut-être que cette idée a rebuté certains chrétiens: en tout cas, elle

s’oppose diamétralement à la pensée d’Arnobe. Bien entendu, dans le De ira Dei, Lactance

montre bien qu’il s’adresse à Donat pour l’aider à combattre certaines idées de philosophes

218 Il note que le passage IV, 36, 17-18 fait référence à l’édit de Dioclétien du 23 février 303: M. B. SIMMONS,

Arnobius of Sicca..., 1995. 219 « Mais au contraire, lorsque nous sommes persécutés et qu’on s’en prend à nous, alors nous rendons tout

spécialement grâce à notre Père très indulgent, parce qu’il ne laisse pas notre corruption se développer plus

longtemps, mais corrige par des coups de bâton et des coups de fouet. Par cela nous comprenons que Dieu

prend soin de nous: puisque nous avons pêché, il s’irrite contre nous. » 220 P. de Labriolle a par ailleurs noté que « le De mortibus persecutorum n’est plus, comme le De ira Dei, une

paisible dissertation sur la légitimité du courroux divin. »: Histoire de la littérature chrétienne latine, 1947,

p. 311.

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qui ont cours au sujet de la colère divine. Il est possible que ces idées aient été acceptées

par des groupes issus du christianisme ou encore des chrétiens comme Arnobe. Lactance

sait bien qu’il s’agit là d’interprétations propres à la philosophie de la religion romaine et

bien qu’il ne mentionne jamais Arnobe, il est possible qu’il réagisse à cette reprise de

propos philosophiques par les chrétiens. Lactance s’attaque peut-être à ces courants

philosophiques parce que ceux-ci peuvent donner naissance à une mauvaise interprétation

de la nature divine chez les chrétiens. Quoi qu’il en soit, le texte d’Arnobe et les divers

passages sur la colère divine dans l’œuvre de Lactance – ainsi que son ouvrage dédié à ce

sujet, le De ira Dei – montrent bien que durant et après les persécutions, le thème de la

colère divine est d’actualité.

Conclusion

L’œuvre de Lactance laisse peu d’indications sûres pour bien comprendre ses

déplacements et ses relations avec le pouvoir. On sait de manière certaine qu’il est dans

l’entourage des princes, Dioclétien d’abord puis Constantin, mais on ne sait pas avec

certitude s’il se trouve à la cour de Constantin avant 317, date proposée par Jérôme. La

recherche moderne exprime souvent des doutes à l’endroit de l’information divulguée par

ce Père de l’Église, mais rien n’indique non plus que Lactance soit arrivé à Trèves avant

cette date. L’idée que ce traité renferme une louange du pouvoir monarchique provient

également d’une comparaison avec les visées politiques du De mortibus persecutorum. Or,

la conception du jugement et de la colère divine diverge nettement dans les deux traités, ce

qui, en conséquence, indique qu’il ne faut pas conclure que les deux traités partagent le

même dessein politique: le De ira Dei ne s’intéresse pas au jugement des persécuteurs.

L’analyse des passages dualistes et des dédicaces indique également que Lactance s’éloigne

d’une conception monarchique du pouvoir et d’une théologie triomphante qui se développe

au même moment. Ce dualisme, qui se trouve également dans le De ira Dei, semble

provenir de sources dites judéo-chrétiennes notamment par les Pseudo-Clémentines.

Il semble donc que l’on doit dès lors remettre en question cette idée que le De ira Dei

contribuerait à justifier le programme politique et religieux de Constantin. Ce point est

important avant d’entamer une analyse de la notion de religio dans ce traité puisque, dans

l’Antiquité, la religion est fortement liée à l’État. De fait, si l’on comprend que Lactance

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propose une définition de la religion centrée sur la crainte de Dieu et, comme l’ont compris

certains, la crainte de son représentant sur terre, Constantin, on déduira nécessairement que

l’on se trouve devant une définition objective de religio qui s’adresserait à la collectivité.

Or, la définition de Lactance semble être plus subjective et s’adresserait aux fidèles plutôt

qu’à la collectivité. Afin de bien comprendre cette distinction, il convient de voir comment

les auteurs chrétiens latins ont utilisé la notion de religio. L’utilisation de religio et sa

définition changent au fil des siècles et l’analyse de ce terme chez les prédécesseurs de

Lactance permet de retracer les influences et l’origine de la conception contenue dans le De

ira Dei.

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CHAPITRE 2 : L’UTILISATION DE RELIGIO CHEZ LES

AUTEURS CHRÉTIENS DES IIE ET IIIE SIÈCLES

2.1. Introduction

Une analyse de quelques auteurs chrétiens latins de Tertullien à Lactance permet de

cerner les divers emplois des mots religio et supersititio en milieu chrétien. Cette analyse

permet d’entrevoir que l’association entre la crainte de Dieu et la religion n’est pas

formulée de façon très claire chez les auteurs chrétiens latins. L’utilisation de ces termes

par ceux-ci a surpris certains chercheurs qui suggèrent que l’utilisation de religio et

superstitio renvoie à une signification vague et flottante1. À la lecture de ces recherches

modernes, on ne peut que conclure que les deux mots renvoient à une grande quantité de

significations qui donnent l’impression que ces termes possédaient un sens plutôt flou. Bien

que les occurrences antiques de religio et superstitio réfèrent à des réalités différentes, il

faut noter que « la signification littérale des mots (ou spécifiée linguistiquement) est

modifiée en usage »2. Au lieu de parler de signification flottante de ces termes, on

1 Concernant l’appropriation surprenante de ces mots par les auteurs chrétiens, H. Bouillard soulève

l’interrogation suivante: « la question essentielle est de savoir s’ils [les auteurs chrétiens] se sont bornés à

emprunter un vocable, de signification vague et flottante, pour désigner un concept élaboré par eux ou leurs

prédécesseurs sur la base de la foi chrétienne, ou si, au contraire, ils ont adopté, avec le vocable, un concept

déjà formé par les anciens Romains. »: « La formation du concept de religion en Occident », dans

C. Kannengiesser et Y. Marchasson (dir.), Humanisme et foi chétienne, Paris, Beauchesne, 1976, p. 452.

M. Sachot reprend la pensée de H. Bouillard et conclut également que religio et superstitio ont un sens

flottant: « Religio/superstitio: historique d’une subversion et d’un retournement », Revue de l’histoire des

religions 208 (1991), p. 383. 2 Sans entrer en profondeur dans la pragmatique lexicale, il convient de souligner que la pensée de

L. Barsalou s’applique à la signification de religio et superstitio qui ne renvoient pas à un concept unique en

fonction des époques, des contextes et des auteurs. Cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agit de termes qui

possèdent une signification vague: « le contenu d’une catégorie n’est pas déterminé par l’accès à un

stéréotype ou à un prototype préexistant, mais qu’il se construit sur le moment, de manière ad hoc et en

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soulignera davantage leur polysémie. Si l’on présupose que ces termes doivent avoir une

signification unique, on ne peut qu’adopter la pensée de ces études secondaires qui y voient

un sens flottant. Pourtant, comme il en sera question à partir des sources, les textes

chrétiens de langue latine prennent soin d’associer certains phénomènes à religio, tandis

que d’autres sont renvoyés sous l’appellation de superstitio. Une attention particulière doit

également être donnée aux destinataires de ces écrits, car l’utilisation des termes semble

également varier en fonction du genre littéraire qui est soit apologétique ou hérésiologique

dans la plupart des cas.

Il faut mentionner également que l’étude de superstitio et de religio a attiré l’attention

des linguistes qui s’intéressaient à l’étymologie de ces termes, mais elles ont aussi été

étudiées de façon sémantique3. Bien que l’étymologie soit importante dans le cas de

Lactance, car rappelons que celui-ci a été très étudié en raison de l’étymologie qu’il donne

de religio (Diuinae institutiones IV, 27, 3-16 et Epitome 64, 5), l’étymologie ne peut servir

d’outil afin de bien comprendre la pensée de Lactance ou celle des autres auteurs chrétiens,

parce que cette approche cherche plutôt à reconstituer un sens à partir de la forme originelle

du mot. Même si ces recherches présentent un sens reconstruit acceptable, comme le terme

évolue au fil du temps et que l’emploi par Lactance s’éloigne de ce sens originel, ces

travaux ne permettent pas d’accéder à une meilleure compréhension des propos du De ira

Dei, pas plus que de parvenir à comprendre les liens entre colère, religio et superstitio. On

ne peut utiliser ce sens « originel possible » pour interpréter les sources latines4, car les

fonction du contexte. Cette construction se fait à partir d’un réservoir d’informations encyclopédiques dont

l’accessibilité varie d’un individu à l’autre et de situation en situation, ce qui explique que différents

sous-ensembles de la catégorie soient choisis selon le cas. »: la pensée de L. Barsalou est résumée ici par

D. WILSON, « Pertinence et pragmatique lexicale », Nouveaux cahiers de linguistique française 27 (2006),

p. 42. Ce dernier ajoute que « le but de la sémantique lexicale est d’étudier la relation entre les mots et les

concepts qu’ils encodent, alors que celui de la pragmatique lexicale est d’expliquer le fait que le concept

communiqué par l’usage d’un mot diffère bien souvent de celui qui est encodé dans ce mot »: ibid., p. 33-34. 3 C. GUITTARD, « Le latin, instrument de l’histoire des religions », dans G. S. Gasparro (dir.), Themes and

Problems of the History of Religions in Contemporary Europe: Actes du Colloque international de l’EASR,

Messine, 30-31 mars 2001, Consenza, (coll. Studi storico-religiosi 6), 2002, p. 117-132. 4 Certaines études se limitent à l’étude de l’étymologie sans pour autant analyser la signification. Dans ce cas,

ces travaux se restreignent à l’étude d’un seul mot: pour religio cf. P. JOÜON, « L’étymologie de religiosus

dans Cicéron et un trait de l’homme religieux en Israël », Recherches de science religieuse 26 (1936),

p. 181-185; G. LIEBERG, « Considerazioni sull’etimologia e sul significato di religio », Rivista di filologia e di

istruzione classica 102 (1974), p. 34-57; A. BERGMANN, Die ‘Grundbedeutung’ des lateinischen Wortes

Religion, 1998.); pour superstitio cf. V. PISANI, « Lat. superstitio », Ricerche Linguistiche 2 (1951),

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textes qui nous sont conservés n’expriment plus ce sens originel. Notons toutefois que les

chercheurs pensent que l’étymologie proposée par Lactance est fausse5, mais que les

travaux sont moins concluants concernant l’étymologie de superstitio6. Le fait que

p. 208-209; L. F. JANSSEN, « Die Bedeutungsentwicklung von superstitio-superstes », Mnemosyne 28 (1975),

p. 135-188). De façon générale, les études approfondissent la signification de ces deux termes et l’étymologie

précède la réflexion globale. Une fois encore, dans ce cas, certaines études se limitent à l’étude de religio:

M. KOBBERT, De uerborum religio atque religiosus usu apud Romanos quaestiones selectae, 1910;

J. B. KAETZLER, « Religio. Versuch einer Worterklärung », dans Jahresbericht des Bischöflichen vol. 20,

1953, p. 2-18; H. T. WILT, Religio. A semantic study of the pre-Christian use of the terms religio and

religiosus, New York, Columbia University, 1954. D’autres études analysent superstitio: E. RIESS, « On

Ancient Superstition », Transactions of the American Philological Association (1869-1896) 26/ArticleType:

research-article / Full publication date: 1895 / (1895), p. 40-55; E. MÜLLER-GRAUPA, « Primitiae », Glotta

19/1/2 (1930), p. 48-72; S. W. F. MARGADANT, « Superstitio », Indogermanische Forschungen 48 (1930),

p. 284; E. LINKOMIES, « Superstitio », Arctos 2 (1931), p. 73-88; S. CALDERONE, « Superstitio », Aufstieg

und Niedergang der römischen Welt 2 (1972), p. 337-396; D. GRODZYNSKI, « Superstitio », Revue des Études

anciennes 76 (1974), p. 36-60; W. BELARDI, Superstitio, Rome, Istituto di glottologia (coll. Biblioteca di

ricerche linguistiche e filologiche 5), 1976. D’autres analysent les deux termes ensemble : W. F. OTTO,

« Religio und superstitio », Archiv für religionswissenschaft 12 (1909), p. 533-554; W. F. OTTO, « Religio

und superstitio », Archiv für religionswissenschaft 14 (1911), p. 406-422; H. FUGIER, Recherches sur

l’expression du sacré dans la langue latine, Paris, Les Belles Lettres, 1963, p. 172-179; E. BENVENISTE, Le

vocabulaire des institutions indo-européennes, vol. 2, Paris, Éditions de minuit, 1969, p. 265-279;

R. SCHILLING, « L’originalité du vocabulaire religieux latin », Revue belge de philologie et d’histoire 49

(1971), p. 31-54; I. RONCA, « What’s in two names: old and new thoughts on the history and etymology of

religio and superstitio », Res publica litterarum 15/1 (1992), p. 43-60. 5 Deux thèses s’opposent concernant l’étymologie, et ce tant dans l’Antiquité qu’à l’époque moderne. À

l’époque moderne, on trouve d’un côté ceux qui rattachent religio à religare: M. KOBBERT, De uerborum

religio atque religiosus usu apud Romanos quaestiones selectae, 1910. Puis ceux qui rattachent religio à

relegere: W. F. OTTO, « Religio und superstitio », 1909, p. 533-554; P. JOÜON, « L’étymologie de religiosus

dans Cicéron et un trait de l’homme religieux en Israël », 1936, p. 181-185; E. BENVENISTE, Le vocabulaire...

1969, 2). Les tenants anciens de la première thèse sont Lucrèce et Lactance (Diuinae institutiones IV, 27,

3-16), Augustin et Servius, tandis que la seconde est celle de Cicéron (De natura deorum, II, 28, 71). Pour

H. Fugier, l’étymologie ne fait plus de doute: on doit rattacher religio à relegere : H. FUGIER, Recherches sur

l’expression du sacré... 1963, p. 172-179. É. Benveniste a produit des arguments encore plus convaincants

pour relier le mot religio à relegere. Il souligne que l’abstrait de religare serait religatio plutôt que religio;

que les abstraits en -io se « constituent généralement à partir de verbes de la 3e conjugaison » et non pas de la

1e comme religare et enfin, que l’on trouve le participe religentem dans la littérature qui indique clairement

qu’il ne peut qu’être relié à relegere: E. BENVENISTE, Le vocabulaire... 1969, 2, p. 271. 6 L’étymologie la plus répandue est celle qui tire le substantif superstitio de l’adjectif superstes: E. RIESS,

« On Ancient Superstition », 1895, p. 40-55; E. MÜLLER-GRAUPA, « Primitiae », 1930, p. 48-72;

E. LINKOMIES, « Superstitio », 1931, p. 72-88; E. BENVENISTE, Le vocabulaire... 1969, 2, p. 265-279;

L. F. JANSSEN, « Die Bedeutungsentwicklung von superstitio-superstes », 1975, p. 135-188. Le sens de cette

étymologie n’est toutefois pas sans causer de problème comme le rappelle E. Benvéniste: « d’après sa forme,

superstitio devrait être l’abstrait correspondant à superstes “survivant”. Mais comment les mettre en rapport?

Car superstes lui-même ne signifie pas seulement “survivant”, mais dans certains emplois bien attestés

“témoin”. »: E. BENVENISTE, Le vocabulaire... 1969, 2, p. 273. Il ajoute également que l’emploi de

superstiosus ne signifie pas superstitieux, mais devin et prophétique. Le problème de l’étymologie et de la

signification est dès lors très complexe. Malgré le problème qui existe lorsqu’il s’agit de faire un lien entre

l’étymologie et les diverses significations que l’on trouve dans les textes, l’étymologie de superstes est celle

qui remporte le plus d’adhésion. L’étymologie la plus récente est celle de W. Belardi qui part d’un

*superstitium reconstitué à partir de superstitiosus et y voir le sens de « se tenir au-dessus » et ce, par rapport

à la connaissance. La superstition prend dès lors le sens de connaissance véritable, clairvoyance: W. BELARDI,

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l’étymologie proposée par Lactance soit fausse n’a rien d’étonnant, car dans la pensée

rhétorique de l’Antiquité, l’étymologie était amenée comme preuve dans l’argumentatio et

cela servait à rendre plus convaincant les propos de l’orateur et non pas à faire un travail de

linguiste qui donnerait la signification originelle du mot.

On a trop souvent mentionné que les auteurs chrétiens emploient le mot superstitio

pour désigner les cultes romains et qu’ils le font pour répondre à l’accusation des

non-chrétiens qui considéreraient le christianisme comme une superstitio7. De fait, le

christianisme des premiers siècles est une superstitio dans l’esprit des Romains, car il n’a

rien d’une religion officielle d’une quelconque nation. Cela pose dès lors une question:

« est-ce que les chrétiens ont perçu le fait que leur culte soit nommé superstitio comme une

accusation »? Il ne s’agit peut-être pas tant d’une accusation que d’une catégorisation.

L’analyse des accusations et des rétorsions montre plutôt que les chrétiens étaient accusés

de lèse-religion (Tertullien) et que l’on entrevoyait mal en quoi cette croyance constituait

une religion (Minucius Félix). C’est dès lors pour cette raison que les chrétiens n’utilisent

pas le mot superstitio de façon prépondérante pour désigner la réalité religieuse des

Romains et ils ont plutôt recours à religio; l’utilisation de superstitio par les chrétiens

intervient dans un contexte particulier qu’il convient d’analyser. De plus, on peut

Superstitio, 1976. Deux autres approches méritent toutefois d’être mentionnées ici. Premièrement celle de

W. F. Otto qui relie le mot superstitio au mot grec ek-stasis. Cette dernière étymologie paraît cependant très

peu appropriée aux yeux d’E. Benveniste qui ne voit « aucun rapport ni de forme, ni de concept, avec

superstitio. », p. 274. Enfin, l’étymologie proposée par V. Pisani est passée tout à fait inaperçue. Il se fonde

sur des principes de linguistiques selon lesquelles le « u » devient « i » et propose une forme plus ancienne de

super-stitio qui serait supers-stutio. Il fait dès lors des liens avec le mot sanskrit « stuiti-s » et le radical grec

« *steu- » dont le verbe steusai découle. Le sens de cette racine signifierait « prière de louange »: « Lat.

superstitio », 1951, p. 208-209. Même avec cette étymologie, le problème soulevé par É. Benveniste entre

l’étymologie et le sens que le mot a pris dans la littérature latine reste entier. 7 C’est une idée sous-jacente aux travaux de M. Sachot, mais suivi par M. Kahlos, à l’effet que l’emploi de

superstitio, ou le rabaissement de la religion romaine au rang de superstitio, est en fait une rétorsion, une

réponse à l’accusation que le christianisme n’est que superstition. Le premier article de M. Sachot à ce sujet

montre que les derniers mots prononcés par Cécilius dans l’Octauius expriment son désir de ne pas sombrer

dans une superstition de vieille femme, ce à quoi la réponse d’Octavius, après son argumentation, est que la

superstition a été réprimée, en parlant du système religieux romain. Bien que la disposition du texte soit fort

importante dans l’Antiquité et que ces deux phrases sont placées à la fin de chacun des discours, une étude

plus approfondie des arguments dans le texte tend à nuancer cette affirmation. Cf. M. SACHOT, « Comment le

christianisme est-il devenu religio? », Revue des sciences religieuses 59 (1985), p. 95-118; M. SACHOT,

« Christianisme antique et catégories historiques », dans R. Heyer (dir.), L’institution de l’histoire, vol. 1,

Paris, Cerf/Cerit, 1989, p. 13-36; M. SACHOT, « Religio/superstitio... », 1991, p. 355-394; M. KAHLOS,

« Religio and Superstitio: Retortions and Phases of a Binary Opposition in Late Antiquity », Athenaeum 95/1

(2007), p. 389-408.

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s’interroger à l’effet que si, pour les Romains, superstitio ne renvoie pas à l’idée d’une

croyance fausse ou erronée, pourquoi donc les chrétiens auraient rétorqué par l’emploi de

superstitio pour faire valoir la fausseté du culte romain? L’analyse qui suit permet de mieux

comprendre les accusations et les réponses de part et d’autre.

Ce survol se fera en ordre chronologique par l’analyse de textes de Tertullien,

Minucius Félix, Cyprien, Novatien, Arnobe et Firmicus Maternus. De cette liste, on a

retranché Commodien qui n’emploie le mot religio qu’à deux reprises seulement et, de

surcroît, il est le seul à s’exprimer dans un contexte poétique. On a également mis de côté

les lettres de Cyprien. Le contexte d’écriture est par ailleurs fort important, car les auteurs

chrétiens n’utilisent pas religio et superstitio de la même manière en contexte apologétique,

hérésiologique ou doctrinal. Cette distinction permet de voir que, non seulement, ils

n’emploient pas le mot superstitio de manière prépondérante pour désigner les cultes

romains, mais ils ne l’utilisent jamais pour désigner les hérétiques. S’ils n’épargnent aucun

argument pour montrer que la croyance des hérétiques est fausse et erronée, ils n’ont

pourtant pas recours au terme superstitio pour les désigner.

2.2. Religio et superstitio dans l’Antiquité romaine

Avant d’examiner les textes chrétiens, il convient de brosser un tableau général de la

signification de religio et superstitio dans la littérature latine. Ce survol est essentiel, car les

auteurs chrétiens reprennent et transforment ces mots à partir de significations qui sont en

grande partie fixées depuis l’époque de Cicéron. La signification de ces deux termes

semblait être différente avant l’Arpinate et ces mots étaient utilisés pour désigner soit des

pratiques8, soit des sentiments9. Il y avait par ailleurs peu de distinctions entre les deux

8 Il est intéressant de remarquer que religio et superstitio désignent parfois des pratiques comme la divination.

Les textes du IIe siècle av. n. è. montrent que le sens de superstitiosus, qui est un dérivé de superstitio, est

associé à la divination. Parfois faits de concert avec l’analyse de l’étymologie de superstitio, plusieurs travaux

modernes ont tenté de proposer un sens proche de la divination des étymologies proposées. C’est le cas des

études de la première moitié du XXe siècle, soit celles de Müller-Graupa, Margadant et de Linkomies:

E. MÜLLER-GRAUPA, « Primitiae », 1930, p. 48-72; S. W. F. MARGADANT, « Superstitio », 1930, p. 284;

E. LINKOMIES, « Superstitio », 1931, p. 73-88. Pour E. Müller-Graupa, l’étymologie de superstitio est

rattachée à l’adjectif superstes qui signifie « survivant »; il associe donc la superstition à la croyance aux

esprits morts qui sont, en quelque sorte, des « survivants ». S. W. F. Margandant lui part toujours de superstes

mais prend le sens de « témoin ». Il relie cela au don prophétique puisque le prophète est celui qui est

« témoin de la divinité ». Enfin, E. Linkomies remonte au verbe qui donna superstes: supers-stare. Il indique

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que ce verbe signifie « être au-dessus », donc l’idée de supériorité, et relie de ce fait la superstition à la

sorcellerie. É. Benveniste s’est interrogé sur ce lien sans pour autant y trouver là des arguments valables: « on

ne voit pas pourquoi supériorité mène à sorcellerie, ni comment on passe de sorcellerie à superstition. »:

E. BENVENISTE, Le vocabulaire... 1969, 2, p. 275. On trouve dès lors ce sens chez Plaute (Rudens 1139,

Curculio 397, Amphitryon 322) qui donne à superstiosus le sens de « voyant » et « devin »: H. FUGIER,

Recherches sur l’expression du sacré... 1963, p. 175; E. BENVENISTE, Le vocabulaire... 1969, 2, p. 277;

D. GRODZYNSKI, « Superstitio », 1974, p. 37; S. MARGEL, « Religio-superstitio: la crise des institutions, de

Cicéron à Augustin », Revue de théologie et de philosophie 138/3 (2006), p. 196. Plaute ajoute un synonyme à

superstiosa (Rudens 1137-1139, BT, éd. G. Goetz et F. Schoell, p. 147): At meo hercle: Quid, si ista aut

superstitiosa aut hariolast atque omnia. Quidquid in<e>rit uera dicet?: « Par Hercule, eh bien quoi, si elle

est prophètetesse ou devineresse, elle dira vrai au sujet de tout ce qui se trouvera dans la valise ». Le

synonyme ariola permet d’affirmer que superstitiosa est utilisée dans le sens de prophétesse. Pour l’auteur de

tragédie L. Accius (Astyanax, XI, PUF, éd. J. Dangel, p. 163), religio est un terme de la langue augurale relié

au présage (cf. E. BENVENISTE, Le vocabulaire... 1969, 2, p. 269): Nunc, Calchas, finem religionum fac: [ac]

desiste exercitum morari nec me ab domuitione arce ex tuo obsceno omine: « Maintenant, Calchas, mets fin à

tes religions: et cesse de retarder, par tes présages sinistres, l’armée et moi-même de rentrer à la maison ».

Une fois de plus, le synonyme donné par L. Accius à religiones éclaire sur le sens de religio dans cet extrait:

l’omen est le présage. Une autre pratique bien attestée dans les textes latins est celle du sacrifice pour lequel

on utilisait parfois le terme superstitio (Tite-Live, Ab urbe condita, IV, 30, 9). Beaucoup plus tard, au IVe

siècle de n. è., le terme superstitio est également lié à une pratique (Codex Theodosianus XVI, 2.5):

M. R. SALZMAN, « ’Superstitio’ in the "Codex Theodosianus" and the Persecution of Pagans », Vigiliae

Christianae 41/2 (1987), p. 172-188; M. PÉREZ MEDINA, « Superstitio en la legislación constantiniana »,

Florentia Iliberritana 6 (1995), p. 339-346; M. KAHLOS, « Religio and Superstitio... », 2007, p. 405-407; M.

CLAUSS, « Kein Aberglaube in Hispellum », Klio 93/2 (2011), p. 429-445. 9 On trouve ce sentiment de peur dans l’ouvrage de César; en parlant d’une attaque des camps par les troupes

germaines, César mentionne la peur qui habite les soldats romains (Bellum Galicum 6, 37, BT, éd. O. Seel,

p. 201, 23-p. 202, 1): plerique nouas sibi ex loco religiones fingunt Cottaeque Titurii calamitatem, qui in

eodem occiderint castello, ante oculos ponunt. Tali timore omnibus perterritis confirmatur opinio barbaris, ut

ex captiuo audierant, nullum esse intus praesidium: « Plusieurs s’attachent à cette nouvelle peur qu’inspire les

lieux, qui, dans ce même fort, place sous leur regard le désastre de Cotta et Titurius. Pendant qu’une telle

crainte les épouvante tous, les barbares confirment leur idée que personne n’est à l’intérieur de la garnison

comme ils l’avaient entendu des prisonniers. » Il est intéressant de noter que César utilise, dans la deuxième

phrase, le synonyme timor pour exprimer ce qu’il entend par religio: religio est donc liée de façon très claire à

la crainte. W. W. Fowler voit dans cette peur le sens premier de religio qu’il décrit comme un sentiment de

crainte, d’anxiété, de doute ou de peur qui apparaît dans l’esprit par quelque chose que l’on ne peut expliquer

par l’expérience ou par des causes naturelles : « The latin history of the word religio », dans Transactions of

the Third International Congress for the History of Religion, vol. 2, Oxford, 1908, p. 169-175. Les travaux

sur l’étymologie de religio relient également ce mot à la peur notamment avec W. F. OTTO, « Religio und

superstitio », 1909, 1909, p. 533-554; W. F. OTTO, « Religio und superstitio », 1911, 1911, p. 406-422 et

M. KOBBERT, De uerborum religio atque religiosus usu apud Romanos quaestiones selectae, 1910. Le

premier opte pour l’étymologie relegere et élabore une signification objective de religio: une crainte

qu’inspirent les objets numineux. Le second, qui pense que religio vient de religare, propose naturellement

une signification de religio fondée sur le lien et donc une signification subjective. On obtient donc une

signification de religio qui renvoie aux sentiments éprouvés par les personnes. Mais la peur n’est pas l’unique

sentiment relié à religio. Les travaux modernes ont particulièrement bien relié religio aux scrupules. À partir

de la signification reliée aux scrupules, H. Fugier voit dès lors en religio le sens de justes observances

cultuelles qui deviennent par la suite les « observances reconnues légitimes »; c’est à ce moment que

superstitio vint à s’opposer à religio. Elle indique aussi que le terme signifierait également une retenue un peu

timorée. La discipline imposée par les pontifes a pu contribuer à « objectiver en un empêchement extérieur

aux consciences le sentiment de timidité éprouvé par le sujet. » Donc, religio est « pratique codifiée des justes

observances » ou « empêchement à faire… »: Recherches sur l’expression du sacré... 1963, p. 178-179). Pour

É. Benvéniste « religio est une hésitation qui retient, un scrupule qui empêche, et non un sentiment qui dirige

vers une action, ou qui incite à pratiquer un culte » : Le vocabulaire... 1969, 2, p. 270. H. Bouillard quant à lui

voit plusieurs significations possibles: 1) le scrupule, c’est-à-dire « l’accomplissement méticuleux des

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termes puisqu’ils étaient utilisés de façon presque interchangeable à ces époques. Or, cela

semble changer au Ier siècle avant, surtout avec la pensée de Cicéron, mais peut-être

également en raison de Varron dont la pensée est perdue en grande partie.

Cicéron est le premier à opposer ces deux notions, en ce que la superstitio est le vice

de la religion10. Dans son De inuentione, il propose ce qu’il entend par religio (II, 66, BT, 2,

éd. E. Stroboel, p. 105, 22-23): Religionem eam, quae in metu et caerimonia deorum sit,

appellant11. La signification de religio n’est pas reliée aux sentiments12, puisque in metu

observances cultuelles »; 2) la vertu, c’est-à-dire « l’empressement respectueux à déférer aux exigences des

dieux » et enfin 3) la révérence craintive à l’égard des dieux. Il souligne également que le terme religio au

pluriel, religiones, signifie rites, observances du culte: « La formation du concept de religion en Occident »,

1976, p. 452. Concernant la notion de religiones, voir également J. RÜPKE, « Religio and Religiones in Roman

Thinking », Les Études Classiques 75/1 (2007), p. 67-78. Mais comme l’a souligné W. W. Fowler, il semble

que religio soit plus près du sentiment que de la vertu: « The latin history of the word religio », 1908, p. 171.

On trouve l’expression religio est, c’est-à-dire « avoir scrupule » chez Plaute (Curculio 350): É. Benvéniste se

sert précisément de cette occurrence pour affirmer que religio peut signifier avoir un scrupule: Le

vocabulaire... 1969, p. 269. Aulu-Gelle utilise également religio en ce sens (Noctes atticae, BT, 1,

éd. C. Hosius, IV, 9, 1, p. 192, 3): religentem esse oportet, religiosus ne fuas: « il est nécessaire d’être

attentif, mais pas d’être trop anxieux. » W. W. Fowler mentionne que religio n’a jamais été personnifiée par

une divinité, comme l’ont été la pietas ou la sanctitas et presque toutes les autres vertus de ce temps: religio

n’est donc pas une vertu, mais plutôt un sentiment: « The latin history of the word religio », 1908, p. 169-170.

Un exemple très évocateur de ces scrupules est l’extrait de Térence (Andria 940, BT, éd. A. Fleckeisen,

p. 45): Chrémès dit: At scrupulus mi etiam unus restat, qui me male habet: « Mais il me reste encore un

scrupule, qui me rend mal à l’aise »; ce à quoi Pamphile s’empresse de répondre (Andria 940, BT, éd. A

Fleckeisen, p. 45): Dignus es: cum tua religione, odium: nodum in scirpo quaeris: « Tu es digne avec ta

religion, c’est odieux ! Tu cherches des difficultés où il n’y en a pas. » Le fait que Pamphile reprenne le

scrupulus de Chrémès et utilise religio comme synonyme montre bien l’association que faisaient les Anciens

entre les deux termes. Il est toutefois plus difficile de trouver des occurrences pour superstitio liées aux

sentiments. On trouve toutefois cet extrait dans une tragédie de Sénèque (Thyestes 677-679, SCBO, éd.

O. Zwierlein, p. 318): Nec dies sedat metum: nox propria luco est, et superstitio inferum in luce media

regnat: « Et le jour n’appaise pas la crainte: ce qui est propre au bois sacré c’est la nuit, et la crainte domine la

région inférieure au milieu de la lumière. » Ce passage survient après que Sénèque ait parlé de ce dont on

redoute; le contexte nous fournit ici les indices nécessaires pour traduire superstitio par crainte. De plus, on

voit que la superstitio, qui règne sur la nuit, est opposée à la crainte (metum) qui ne cesse pas le durant le jour:

il y a donc un lien entre crainte et superstitio. 10 Dans un développement qui vise à montrer les qualités et leur contraire, Cicéron oppose superstitio et

religio (De inuentione II, 165, BT, éd. E. Stroebel, p. 150, 5-9): sic uni cuique uirtuti finitimum uitium

reperietur, aut certo iam nomine appellatum, ut audacia, quae fidentiae, pertinacia, quae perseuerantiae

finitima est, superstitio, quae religioni propinqua est, aut sine ullo certo nomine: « On trouvera ainsi un vice à

côté de chaque vertu, ou bien appelé par un nom précis, comme l’audace qui est proche de la confiance,

l’entêtement de la persévérance, la superstition qui est près de la religion, ou bien appelé sans aucun nom

précis. » Il faut mentionner toutefois, avec J. Scheid, que l’on ne peut pas opposer ses deux mots en termes

d’orthodoxie et d’hérésie, ce qui n’implique pas qu’il n’y a aucune opposition possible. Il précise que la

superstitio n’est pas l’hérésie de la religio, ce n’est pas une fausse religion, mais plutôt un comportement qui

est extérieur à l’espace de la religion et relève de la sphère du privé. On ne doit pas concevoir l’opposition

comme celle de la vérité et de l’erreur: Religion et piété à Rome, Paris, Albin Michel, 2001, p. 163. 11 « On appelle “religions” ce qui se trouve dans la crainte des dieux et dans les cultes des dieux. »

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renvoie plutôt à un état qu’à un sentiment, elle se rapproche d’un agissement à adopter à

l’égard des dieux, mais aussi du culte des dieux13. L’utilisation de religio pour désigner non

seulement le culte des dieux, mais plus encore le culte officiel de l’Urbs, devient plus

patente dans son ouvrage intitulé De legibus. En proposant ses lois fondées sur la religion,

il mentionne le caractère officiel des cultes (II, 19, BT, 4.2, éd. C. F. Mueller, p. 411,

33-34): Separatim nemo habessit deos neue nouos neue aduenas nisi publice adscitos14. On

lit également que les religiones sont eas quae essent in more maiorum (II, 40, BT, 4.2, éd.

C. F. Mueller, p. 420, 28-29)15 et, donc qu’il y a un lien entre la religio et le mos maiorum,

ce qui ne saurait être le cas de la superstitio. L’ensemble du deuxième livre du De legibus

décrit donc la religion dans les lois et le rôle officiel de ses prêtres. On comprend dès lors

que la religio décrite par Cicéron est en grande partie celle du culte civique de l’État

romain16. Il utilise uniquement le terme religio pour décrire ses lois religieuses tandis que le

terme superstitio n’intervient qu’à deux reprises: dans les deux cas, c’est pour interdire des

pratiques qu’il n’admet pas dans la religio17. Ce n’est donc pas un hasard si, en interdisant

ces pratiques, il affirme qu’il s’agit de superstitio. En plus de constater que religio renvoie

aux cultes officiels, on voit que superstitio renvoie à ceux qui ne le sont pas18.

12 Contrairment à César qui lie la religio aux sentiments, cf. supra n. 9 p. 81. 13 Nous divergeons de la pensée de W. W. Fowler qui, à ce sujet, considère la religio égale à la pietas et

seraient donc tous deux des sentiments. Il cite l’extrait de Cicéron (De legibus II, 7, 15, BT, Mueller, p. 410,

19-25): Sit igitur hoc iam a principio persuasum ciuibus, dominos esse omnium rerum ac moderatores deos,

eaque, quae gerantur, eorum geri iudicio ac numine, eosdem optime de genere hominum mereri et, qualis

quisque sit, quid agat, quid in se admittat, qua mente, qua pietate colat religiones, intueri, priorumque et

impiorum habere rationem: « Les citoyens sont donc déjà persuadés de ceci depuis le commencement, que les

dieux sont maîtres et modérateurs de toutes choses, que, ces choses administrées, le sont avec justice et

volonté de ceux-ci, que ces mêmes dieux méritent le meilleur du genre humain, de considérer attentivement la

nature de chacun [des dieux], ce qu’il fait, ce qu’il permet, par quelle esprit et par quelle piété pratiquer

[leurs] cultes (religiones), et [que ces dieux] tiennent compte des hommes pieux et des impies. » Or, nous

pensons que religiones dans cet extrait est plutôt la conséquence, le culte, qui émane d’une mens et d’une

pietas et non pas l’équivalent. La religio, la pratique du culte, est le résultat d’un sentiment de piété et d’un

état d’esprit; la pratique du culte est dès lors l’agissement à adopter à l’égard des dieux qui résulte d’un

sentiment et d’un état. 14 « Que personne n’ait séparément ni de dieux nouveaux, ni de dieux étrangers, à moins qu’ils n’aient été

acceptés par l’État. » 15 « […] celles qui sont dans la tradition des ancêtres. » 16 Il propose même que les prêtres de l’État supervisent les cultes privés (II, 40). 17 La quête (II, 40, BT, 4.2, éd. C. F. Mueller, p. 420, 35) et la consécration des terres (II, 45, BT, 4.2, éd.

C. F. Mueller p. 423, 5). 18 Lorsqu’il analyse les textes cicéroniens, F. Solmsen conclut que religio est publique et n’a rien d’un

problème privé: « Cicero on Religio and Superstitio », The Classical World 37 (1943), p. 159-160. Avec

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Après Cicéron, on observe que superstitio est reliée à ce qui n’est pas le culte

public19. Les sources du IIe siècle de n. è. – Suétone20, Pline le Jeune21 et Tacite22 –

É. Benveniste, la religion n’est pas une institution nettement séparée des autres, la religion n’est pas hors des

autres institutions: Le vocabulaire... 1969, 2, p. 266. Ce sont dès lors les institutions de Rome qui organisent

le culte des dieux. On le voit également en ce que les magistrats sont appelés à prendre les auspices, le

pontifex maximus est un magistrat, etc. J. Scheid mentionne aussi que la superstition « concerne le citoyen en

tant qu’individu, bref le saisit dans sa vie privée, ou regarde ceux qui ne peuvent se réaliser que dans la

dimension non publique: les femmes, les esclaves, les étrangers, même si cette individualité envahit parfois,

mais indûment nous dirons les défenseurs de l’ordre établi, l’espace qui ne devrait être occupé que par la

religio. »: Religion et piété... 2001, p. 163. L’opposition existe dès lors entre l’idéologie de la cité (volonté de

vivre dans un cadre institutionnel donné) et les intérêts privés. Mentionnons toutefois la nuance apportée par

W. W. Fowler qui mentionne que religio ne vient pas d’un usage technique qu’en auraient fait les prêtres, ou

encore d’un usage étatique. Contrairement à sacrum, il ne fait pas partie du ius diuinum. Il en va de même

pour la forme adjectivale: Dies religiosi ne sont pas des jours décrétés par des administrateurs du ius diuinum.

Religio s’oppose donc à sacrum puisqu’il signifie peur, crainte, doute ou même scrupule et n’est pas inséré

dans la juridiction des lois de l’État. Dans les siècles qui précèdent notre ère, il note donc que religio n’est pas

d’emblée rattachée au culte de l’État, du moins de façon officielle. Mais nous proposons qu’après le Ier siècle

avant n. è., le mot religio semble référer au culte officiel dans les textes que nous analysons, même s’il n’est

pas un terme provenant du ius diuinum. Cf. « The latin history of the word religio », 1908, p. 169-170. 19 J. SCHEID, Religion et piété... 2001; S. MARGEL, « Religio-superstitio... », 2006, p. 193-207. 20 C’est également en ce sens que l’on doit comprendre les épithètes utilisées par Suétone (De uita Caesarum,

Nero, 16, 2, BT, éd. M. Ihm, p. 231, 13-14): superstitio noua ac malefica: « une superstition nouvelle et

maléfique. » Qu’une superstitio soit noua, c’est-à-dire nouvelle, doit être vu comme quelque chose de

péjoratif dans l’Antiquité. Par malefica, on entend généralement une épithète hautement péjorative qui

indique que la superstition est maléfique au sens de la langue française, c’est-à-dire un pouvoir malfaisant ou

occulte. Ce terme en latin signifie plutôt malfaisant, criminel, méchant, mais il peut également avoir le sens de

nuisible. Si l’on comprend superstitio par son opposition avec religio, c’est-à-dire comme pratiques ou

croyances qui s’opposent aux cultes des dieux organisés par l’État, et que cette superstitio met en péril

l’adhésion des citoyens à ces cultes civiques – du moins c’est le contexte de la lettre de Pline –, on peut dès

lors comprendre que le christianisme est une superstition nuisible aux cultes romains et au corps civique. La

superstitio noua ac malefica de Suétone doit dès lors signifier une « superstition nouvelle et nuisible »,

sous-entendue à l’État. Tout comme Pline, il ne s’agit pas de mépris de la part d’un intellectuel à l’égard du

christianisme, mais d’une méfiance à l’égard d’un mouvement qui se trouve en dehors du cadre civique du

culte des dieux. Bien entendu Pline est romain et doit avoir une aversion pour le christianisme, mais on ne

doit pas y voir un jugement de valeur qui opposerait la vraie et bonne croyance romaine, la religio, aux

mauvaises croyances chrétiennes, la superstitio. Cet ajout de la notion d’orthodoxie dans l’opposition

superstitio et religio apparaît dans la littérature secondaire depuis la fin du XXe siècle. Pourtant, des travaux

plus anciens optaient plutôt pour l’opposition qui relie la religio aux cultes officiels et la superstitio aux

pratiques privées, même si ces deux termes ont parfois des contenus similiaires: « In this way the adjective

religiosus came to be applied to human beings in a sens not far removed from that of supertitiosus, which is,

so fas as I know, always used of persons addicted to rites or fancies outside the pale of Roman

State-religion. »: W. W. FOWLER, « The latin history of the word religio », 1908, p. 171. Bien que le culte non

officiel, la superstition, soit très mal toléré par les autorités, il n’en demeure pas moins que cela n’indique pas

que ces deux termes fonctionnent selon une dichotomie vrai/faux. Pour M. Sachot, superstitio désigne « […]

non plus seulement une conviction erronée, subjective et personnelle, mais également, d’une part, un système

de convictions erronées […] »: « Religio/superstitio... », 1991, p. 378. Pour M. Kahlos « religio, a true

religion, is defined through its conterpart superstitio, a false and distorted religion »: « Religio and

Superstitio... », 2007, p. 389. Enfin L. F. Janssen soulève la question suivante: « Did not the Roman pretend

that their religion and their gods represented the uerum, whereas every other divine worship deserved the

name superstitio falsa ac malefica, because it implicitly proclaimed the end of Roman world? »: « Superstitio

and the Persecution of the Christians », Vigiliae Christianae 33 (1979), p. 155. Deux problèmes apparaissent

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dans cet extrait. Le premier est la reprise de la citation de Suétone qui, de surcroît, a été transformée.

L. F. Janssen ne dit plus superstitio noua ac malefica mais plutôt superstitio fasla ac malefica. Le lecteur est

donc induit en erreur s’il pense que les Romains eux-mêmes employaient falsa en lien avec superstitio et

qu’ils ne toléraient pas les superstitiones parce qu’ils les jugeaient fausses. Or, S. Margel rappelle que cela est

faux: « Ces pratiques privées, ces superstitions donc, qu’il s’agisse de magie, d’astrologie, de divination,

d’initia, d’ ‟initiations et de mystères”, ou d’autres “croyances personnelles”, dès lors qu’elles ne débordent

pas cette sphère privée, sont tolérées et admises par les autorités politiques, donc par la religion civile ou la

société. […] Mais lorsque ces pratiques investissent et s’immiscent dans la sphère publique, la superstitio

risque de devenir une coniuratio, un complot politique, donc un danger ou une menace pour l’ordre public, un

danger qui menace non seulement l’autorité des institutions publiques, mais surtout la séparation entre le

public et le privé, le collectif et l’individuel, le commun et le personnel, etc. »: « Religio-superstitio... », 2006,

p. 195. Il est loin d’être exclu que Suétone soit condescendant envers le christianisme et qu’il pense que ce

phénomène ne peut en rien rivaliser avec la religio romaine fondée sur les ancêtres. Mais cette

condescendance ne signifie pas que les Romains voyait la religion comme vraie et la superstition comme

fausse; ce genre de dichotomie apparaît plus tard avec les chrétiens. 21 Pline le Jeune, Lettres, 96, 7, BT, éd. M. Schuster, p. 356, 11-19: Adfirmabant autem hanc fuisse summam

uel culpae suae uel erroris, quod essent soliti stato die ante lucem conuenire carmenque Christo quasi deo

dicere secum inuicem seque sacramento non in scelus aliquod obstringere, sed ne furta, ne latrocinia, ne

adulteria committerent, ne fidem fallerent, ne depositum appellati abnegarent. Quibus peractis morem sibi

discedendi fuisse rursusque coeundi ad capiendum cibum, promiscuum tamen et innoxium […]: « Or ils

affirmaient que la somme de leurs fautes ou leurs erreurs, parce qu’ils avaient l’habitude de se réunir à jour

fixe avant la lumière du jour et de réciter des chants, alternativement entre eux, au Christ comme à un dieu et

de s’engager par serment à ne pas perpétrer le moindre crime, ni à commettre de vol, ni larcin, ni adultère, à

ne pas tromper la bonne foi, à ne pas nier un dépôt réclamé; après cela, ils avaient l’habitude de se disperser et

de se réunir à nouveau pour prendre un repas, toutefois ordinaire et innocent […] » Pline est pourtant très clair

par la suite (Lettre 96, 8, BT, éd. M. Schuster, p. 356, 23-24): nihil aliud inueni quam superstitionem prauam,

immodicam: « Je n’ai trouvé rien d’autre qu’une superstition pervertie et sans mesure. » Le fait que superstitio

renvoie aux autres cultes qui ne sont pas officiels et publics pousse Pline à placer les pratiques chrétiennes

sous ce terme. À preuve, si l’on regarde attentivement la lettre de Pline, il conclut que les temples, qui avaient

été abandonnés, commencent à nouveau à être fréquentés. De plus, il ajoute que la chair des victimes, dont les

acheteurs se faisaient rares, se vend à nouveau suite à ses actions. Pline indique donc que les mesures

entreprises ont eu pour effet de faire revenir les gens à la religio. Si l’on entend la religio comme le culte

public des dieux et la superstitio comme pratiques non publiques, on voit bien que la préoccupation de Pline

est de voir la religio romaine dépérir aux dépens de pratiques non supervisées par l’État. C’est précisément

l’idée d’A. A. Nagy qui voit dans la lettre de Pline une préoccupation de cet ordre envers le christianisme.

Elle montre qu’il existe quatre éléments qui font en sorte qu’un mouvement lié à la superstition devient une

coniuratio: 1) le renversement des liens sociaux existants, notamment soustraire les femmes, enfants et

esclaves à l’autorité du paterfamilias; 2) l’engagement par serment à suivre des lois autres, nouvelles, au

risque d’enfreindre celle de Rome; 3) la nouvelle communauté doit être hostile à l’ancienne; 4) la nouvelle

communauté doit rivaliser en terme de nombre avec l’ancienne. De ces quatre éléments, elle mentionne qu’un

seul manque dans la lettre de Pline, c’est-à-dire l’hostilité à l’endroit de Rome ce qui a pour conséquence que

le christianisme ne devient pas coniuratio, mais apparaît comme suspicieux aux autorités. Elle note le

sentiment de Pline à cet égard: « […] on ne souligne jamais le fait que Pline continue de parler du

christianisme comme d’un péril (periculum) et d’une contagion, infection, épidémie (contagio) qu’il trouve

nécessaire d’enrayer et possible de guérir (que uidetur sisti et corrigi posse). […] L’épithète superstitio

praua, immodica, n’est donc pas seulement l’expression du mépris d’un intellectuel romain envers un culte

qu’il considère déraisonnable, mais celle de méfiance d’un gouverneur qui doit veiller sur la paix et la

prospérité de ses provinces. »: « Superstitio et Coniuratio », Numen 49/2 (2002), p. 189-190. 22 Certains ont tort de traduire ou de parler de l’affaire des Bacchanale en termes de superstitio: c’est le cas

notamment de M. R. Salzman qui indique que « Livy, for one, uses superstitio to refer to Bacchic rites,

excessive and irrationnal, which preceded the Bacchanalian. »: « Superstitio in the Codex Theodosianus and

the Persecution of Pagans », 1987, p. 174. Il indique que le texte de Tite-Live (Ab Urbe condita XXXIX, 15,

3) utilise superstitio: c’est faut. Le texte parle plutôt de prauae et externi religiones. On découvre peut-être la

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emploient superstitio en opposition avec la religio, le culte public, et la superstitio qui

désigne les pratiques non officielles. La religion serait donc intimement reliée à ce qui est

public: « Est public ce qui renvoie au peuple, publicus étant équivalent au génitif de populi,

“du peuple, appartenant au peuple, concernant le peuple”. […] Ce qu’on appelle le Peuple

en latin “le Peuple”, c’est la communauté politique »23. On comprend, dès lors, que, pour

les Romains, le principe cuius regio eius religio se transforme en cuius populi eius religio.

Contrairement à ce qu’ont pensé certains chercheurs, le mot superstitio n’est pas utilisé

pour désigner le culte des autres et le mot religio n’était pas réservé uniquement pour parler

des cultes officiels romains. Le mot superstitio n’est pas non plus utilisé pour désigner le

culte des autres qui serait non orthodoxe, cela est contraire à la pensée romaine24. De fait,

raison qui pousse Tite-Live à utiliser religiones plutôt que superstitio à la lecture du discours du consul

Postumius (Ab Urbe condita, XXXIX, 15, 11-12, BT, éd. J. Briscoe, p. 628, 14-p. 629, 1): Maiores uestri ne

uos quidem, nisi cum aut uexillo in arce posito comitiorum causa exercitus eductus esset, aut plebi concilium

tribuni edixissent, aut aliquis ex magistratibus ad contionem uocasset, forte temere coire uoluerunt; et

ubicumque multitudo esset, ibi et legitimum rectorem multitudinis censebant debere esse. Quales primum

nocturnos coetus, deinde promiscuos mulierum ac uirorum esse creditis?: « Vos ancêtres n’ont certes pas

voulu que vous vous réunissiez au hasard, à moins que, après que le drapeau ait été hissé sur la citadelle,

l’armée soit conduite pour les comices, ou que les tribuns aient convoqué la plèbe en assemblée, ou, encore,

qu’un des magistrats ait réuni le peuple: ils pensaient qu’il devait y avoir un président légitime partout où la

foule était rassemblée. Quelle sorte de rassemblement, d’une part nocturne, ensuite composée d’hommes et de

femmes, croyez-vous que ce soit? » Les préoccupations rapportées par Tite-Live concernent le fait que ces

réunions, qui sont en dehors du cadre de la cité, attirent de nombreuses personnes. Cette popularité pousse

Tite-Live à écrire (Ab Urbe condita, XXXIX, 13, 14, BT, éd. J. Briscoe, p. 625, 14-15): multitudinem

ingentem, alterum iam prope populum esse […]: « cette multitude immense est déjà presque un autre peuple

[…] ». Cette mention porte à penser que Tite-Live utilise religio à dessein: en indiquant qu’il pourrait s’agir

d’un autre populus, il utilise religio pour souligner qu’ils ont des structures qui s’opposent au cadre

institutionnel et religieux de Rome. Les préoccupations sont encore plus grandes que dans la lettre de Pline

puisque le corps civique n’est pas seulement menacé, il a déjà perdu une partie de ses citoyens: pour résumer

l’emploi de la notion de peuple dans le texte de Tite-Live, S. Margel indique que « lorsqu’elle s’immisce dans

la religion, la superstition menace le sens collectif du religieux, elle menace la religion d’instaurer une autre

religion, pour un autre peuple à venir. »: « Religio-superstitio... », 2006, p. 196. Les extraits de Tite-Live

permettent de renforcer l’idée que pour les Romains, la religio est un système de pratiques qui est organisé et

chapeauté par l’État et qu’en revanche, la superstitio relève des croyances ou des pratiques qui sont en dehors

du cadre étatique. 23 J. SCHEID, Les dieux, l’État et l’individu: réflexions sur la religion civique à Rome, Paris, Seuil, 2013,

p. 76. 24 I. Ronca ajoute l’idée que superstitio peut dénoter non seulement un culte étranger mais non orthodoxe:

« What’s in two names: old and new thoughts on the history and etymology of religio and superstitio », 1992,

p. 51. D. Grodzynski abonde dans le même sens lorsqu’elle mentionne que la « superstitio désigne la religion

des autres » et « une déviation, une exagération de la religion » et « croyance absurde et incompréhensible, la

religion inférieure des étrangers. »: « Superstitio », 1974, p. 47 et 60. D’autres chercheurs n’opposent les deux

termes, soit religio et superstitio, qu’en terme de public et non public: J. SCHEID, Religion et piété... 2001;

S. MARGEL, « Religio-superstitio... », 2006, p. 194; M. KAHLOS, « Religio and Superstitio... », 2007, p. 389.

P. Borgeaud indique aussi que « ce qui distingue la « religion » de la « superstition », dans le monde antique,

n’est donc pas le contenu de la pratique elle-même. Les mêmes gestes, les mêmes attitudes, pouvaient être

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Tacite n’hésite pas à utiliser le mot religio pour désigner le culte du peuple juif, même s’il

souligne le caractère profane des rites juifs25. Si le mot superstitio désigne ce qui est

étranger et déviant, Tacite aurait dû l’utiliser. On doit en conséquence nuancer cette idée

qui veut que superstitio soit utilisé pour désigner les cultes des autres et les cultes déviants.

Religio renvoie aux cultes liés au populus, dans le cas des juifs, Tacite relie le culte juif à la

gens. Superstitio désigne plutôt ce qui n’est pas relié à un populus et désigne de manière

plus générale les croyances. C’est ce terme qui est utilisé pour désigner le christianisme,

mais non pas en raison qu’il s’agit d’un culte étranger ou d’un culte faux, mais plutôt un

culte qui n’est pas lié à un populus ou à une gens. Dans la pensée romaine, le culte public,

la religio, est essentiellement relié à la citoyenneté, car les cultes (sacra) supervisés par

l’État, et il peut y en avoir plusieurs, sont accessibles aux citoyens seulement26. Il faut donc

être prudent avant d’utiliser l’opposition religio-superstitio comme si les auteurs latins

l’employaient comme opposition vrai-faux, orthodoxe-non orthodoxe, étranger-non

étranger. Les Romains, même si superstitio ne renvoie pas à des cultes déviants ou

étrangers, demeurent néanmoins méfiants à l’égard des cultes qui ne sont pas supervisés par

considérés tantôt comme religieux, tantôt comme superstitieux, selon leur degré d’intensité (normal ou

exagéré) et aussi selon leur contexte (cultes civiques traditionnels, ou pratiques privées, étrangères,

exotiques) »: L’histoire des religions, Gollion, Infolio éditions, 2013, p. 25-26. 25 L’extrait de Tacite sur le culte juif montre bien que le culte des autres peut se voir attribuer le mot

religio (Historiae, V, 4-5, BT, éd. S. Borzsák et K. Wellesley, p. 169, 24-p. 170, 9): Moyses quo sibi in

posterum gentem firmaret, nouos ritus contrariosque ceteris mortalibus indidit. Profana illic omnia quae

apud nos sacra, rursum concessa apud illos quae nobis incesta. […] Hi ritus quoquo modo inducti antiquitate

defenduntur: cetera instituta, sinistra foeda, prauitate ualuere: « Moïse, s’affirmant par là auprès de son

peuple pour l’avenir, donna des rites nouveaux et contraires à ceux qui existent chez les autres mortels. Là-bas

est profane tout ce qui est sacré chez nous; au contraire, est permis chez eux ce qui est impur pour nous […]

ces rites, introduits de quelque façon, se défendent par leur antiquité; les autres principes sont sinistres,

funestes, et la dépravation les maintient. » Il ne fait aucun doute par cet extrait que Tacite juge que le

judaïsme est à l’opposé de la religion romaine. Il utilise également des termes forts qui soulignent qu’il juge

mauvaise cette religion: incesta, prauitas, foeda, sinistra. Si la « mauvaise religion des autres » doit

s’exprimer chez les écrivains latins par superstitio, pourquoi Tacite emploie-t-il religio pour désigner les

pratiques juives? 26 Les historiens de la religion romaine présente également cette idée: « In time, religio Romanorum will

come to mean something like “Roman religion” or, more accurately, “the religion of the Roman people”, for

the genitives “of the Roman people” or “of the Romans” signal an essential aspect to the classical Roman

conception of religon, namely, that it was of and for a political community or body of citizens, one that

included both humans and gods. »: « Introduction », dans C. Ando (dir.), Roman Religion, Edinburgh,

Edinburgh Univesity Press, 2003, p. 3. Cf. également J. SCHEID, Religion et piété... 2001; J. SCHEID, Les

dieux, l’État et l’individu... 2013; G. WOOLF, « Polis-Religion and its Alternatives in the Roman Provinces »,

dans C. Ando (dir.), Roman Religion, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2003, p. 39-54.

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l’État et ce, même s’ils sont en général tolérants à l’égard de toute sorte de croyances27.

Cela n’empêche pas par ailleurs les auteurs latins d’être véhéments à l’endroit des cultes

non officiels et le terme superstitio revêt une certaine connotation péjorative comme le

rappelle Cicéron28. Les actions contre le christianisme ne l’étaient pas en fonction d’un

écart face à une orthodoxie religieuse romaine, car une telle orthodoxie romaine n’existait

tout simplement pas. C’est plutôt le refus de la part des chrétiens de sacrifier dans les cultes

publics qui générait la suspicion, car rejeter le culte du populus, c’était rejeter le populus.

On ne peut que conclure avec J. Scheid, que ces termes renvoient à des catégories bien

réelles dans le monde romain: « la mise au jour du discours des Anciens sur le religieux ne

fait pas de la religio ou de la superstitio des concepts creux et inexistants »29. En ce sens,

ces termes ne sont dès lors pas de significations flottantes ou vagues30.

L’analyse qui suit présuppose, dès lors, qu’au début de la littérature chrétienne

d’expression latine, les mots religio et superstitio étaient en grande partie utilisés pour

désigner respectivement les cultes reliés aux populi ou encore aux gentes et les croyances

ou cultes qui ne sont pas rattachés à l’État. Bien entendu, les auteurs chrétiens n’emploient

pas ces termes de la même manière que Pline le Jeune, Tacite, Suétone et Cicéron, mais les

significations qu’ils attribuent à ces mots, même si leur situation est fort différente des

auteurs romains, se font à partir du réservoir encyclopédique constitué par ces derniers. Les

chrétiens ne forgent pas de nouvelles significations dont le lien avec les anciennes serait

totalement brisé. L’évolution des termes se poursuit, mais ils reprennent là où leurs

prédécesseurs se sont arrêtés.

27 R. MacMullen parle d’une « masse spongieuse de tolérance et de traditions »: Christianisme et paganisme

du IVe au VIIIe siècle, Paris, Perrin, 2011, p. 13. Or, cette affirmation semble aller trop loin, car même si les

Romains étaient tolérants à l’égard des croyances, il n’en demeure pas moins que les auteurs ont exprimé leur

condescendance face aux phénomènes religieux autre que le leur. 28 De natura deorum, II, 28, 72. 29 J. SCHEID, Les dieux, l’État et l’individu... 2013, p. 87. 30 C’est également ce que pense J. Rüpke, « Religio and Religiones... », 2007, p. 67-78.

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2.3. Tertullien

Tertullien est originaire d’Afrique du Nord et il est le premier auteur chrétien à

employer le terme religio31. Pour répondre à l’accusation de superstition, Tertullien aurait

employé le terme religio pour désigner le christianisme, tandis que la religion traditionnelle

romaine aurait été rabaissée au « rang de superstitio »; selon l’état de la recherche à ce

sujet, l’utilisation de superstitio serait une rétorsion et donc Tertullien aurait accusé les

Romains de n’avoir qu’une superstitio parce qu’ils avaient d’abord formulé cette

accusation à l’endroit des chrétiens32. L’analyse de quelques ouvrages de Tertullien montre

que la situation n’est pas aussi simple. Contrairement à ce qu’on a d’abord pensé,

Tertullien, en dehors de religio et secta33, emploie également d’autres termes pour faire

référence au christianisme.

Tertullien utilise le terme religio dans bon nombre d’ouvrages, mais nous en retenons

seulement cinq: Apologeticum, Ad nationes, De praescriptione haereticorum, Aduersus

Valentinianos et l’Aduersus Marcionem. Plusieurs raisons justifient ce choix. Tout d’abord,

31 Bien entendu, cette affirmation dépend de la datation de l’Octauius de Minucius Félix et celle de

l’Apologeticum et le Ad nationes de Tertullien; certains auteurs placent le texte du premier avant les ouvrages

apologétiques du second, comme c’est le cas de N. L. Thomas qui situe Minucius Félix avant Tertullien. Cela

a pour conséquence de faire de Minucius Félix le premier écrivain latin: Defending Christ: the Latin

Apologist Before Augustine, Turnhout, Brepols (coll. Studia traditionis theologiae 9), 2011, p. 28-29. Or, cette

étude va à l’encontre de ce qui est généralement accepté, cf. K. SALLMANN (dir.), Nouvelle histoire de la

littérature latine: l’âge de transition de la littérature romaine à la littérature chrétienne de 117 à 284 après

J.-C., vol. 4, Turnhout, Brepols, 2000, p. 572-573, et met de côté des travaux importants comme ceux de

C. Tibiletti qui montre que Tertullien est le premier et que Minucius Félix s’inspire de son ouvrage: « Il

problema della priorità Tertulliano-Minucio Felice », dans J. Granarolo et M. Biraud (dir.), Autour de

Tertullien. Hommage à René Braun, vol. 2, Nice, Association des Publications de la Faculté des Lettres de

Nice, 1991, p. 23-34; cf. infra n. 156 p. 122. De plus, la plupart des travaux qui touchent de près ou de loin à

l’apologétique sont plutôt d’accord avec l’antériorité de Tertullien: A. R. BIRLEY, « Attitudes to the State in

the Latin apologists », 2005, p. 251 et 262; P. MATTEI, « L’homme image de Dieu dans la première littérature

latin chrétienne », Connaissance des Pères de l’Église 128 (2012), p. 3. Dans le cadre de cette étude,

Tertullien est considéré comme le premier à avoir utilisé le mot religio. 32 C’est du moins comme cela que M. Sachot présente l’utilisation de superstitio: « Comment le

christianisme... », 1985, p. 392. D’autres commentateurs à la suite de M. Sachot ont également exprimé des

idées qui vont dans le même sens. C’est le cas de M. Kahlos qui propose que les chrétiens ont déplacé le sens

de superstitio pour y inclure les cultes polythéistes et les relier à la magie: « Religio and Superstitio... », 2007,

p. 408. Ces travaux montrent toutefois que les chrétiens, dès Tertullien, sont en quelque sorte obsédés par

l’opposition vrai culte et faux cultes et c’est pour dénoncer l’aspect fautif du culte des Romains qu’ils auraient

eu recours à superstitio. Mais on doit comprendre que dans l’esprit des Romains, l’utilisation de superstitio

n’était pas reliée à la fausseté d’un culte: pourquoi dès lors les chrétiens rabaisserait-ils le culte romain à l’état

de fausseté par l’emploi de superstitio? Il faut dès lors nuancer ces affirmations. 33 Infra n. 120 p. 111.

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beaucoup d’ouvrages ont été laissés de côté parce que Tertullien n’emploie le terme religio

qu’à une seule reprise dans ces textes; en outre, même si d’autres ouvrages emploient ce

vocable à plus d’une reprise, ces occurrences sont tout de même laissées de côté parce que

ces passages n’apportent aucune lumière à notre propos. En effet, le terme est parfois utilisé

comme référent pour désigner le christianisme, sans pour autant apporter d’éléments qui

permettent de voir comment le christianisme mérite cette désignation34. Concernant la

sélection mentionnée précédemment, il va de soi que l’ouvrage Apologeticum, qui selon

M. Sachot renferme la première utilisation de religio par les chrétiens – en dehors des

traductions des textes bibliques –, mérite tout à fait d’être analysé. C’est en effet un

ouvrage qui vise à défendre le christianisme, entre autres face à l’accusation de superstition:

l’opposition entre religio et superstitio y joue donc un rôle important. Il en va de même du

contenu de l’Ad nationes qui est également une apologie. Ces deux premiers textes ont pour

destinataires les non-chrétiens35, ce qui n’est pas le cas des trois derniers. Ceux-ci ont été

retenus parce qu’ils sont révélateurs de changements dans l’emploi de la terminologie;

lorsqu’il s’adresse à ses coreligionnaires, Tertullien emploie les divers termes pour désigner

le christianisme d’une tout autre manière. La comparaison de ces deux groupes de textes

qui ont des destinataires fort différent montre certaines particularités de l’utilisation de

religio chez les chrétiens. Une attention particulière sera aussi portée à quatre mots dans ces

textes: sacramentum, secta, religio et superstitio. Tertullien utilise principalement ces

quatre termes pour parler du christianisme; il emploie également doctrina, disciplina et

institutio pour désigner le christianisme. L’analyse des deux premiers peut s’avérer

hasardeuse en raison de divers emplois qui n’entrent pas dans notre propos et ils sont

laissées de côté parce qu’ils ne sont pas majoritairement utilisés comme référents pour

34 Le terme « référent » est emprunté à l’étude de la sémantique; il est employé dans la suite du texte pour

faire référence à des occurrences de religio qui désignent le christianisme sans pour autant livrer des

renseignements sur la signification de ce mot. On pense à des passages qui utilisent nostra religio pour

désigner le christianisme sans pour autant indiquer pourquoi le christianisme est considéré comme une religio.

D’autres termes sont également utilisés comme référents pour désigner le christianisme et une attention

particulière sera aussi portée à l’emploi des termes suivants: secta, sacramentum, religio. 35 Même si de façon générale on mentionne parfois que ces textes s’adressent également aux chrétiens, il est

clair que les destinataires principaux sont les non-chrétiens. Cf. F. CHAPOT, « Ad nationes: destinataire fictif,

destinataire réel dans l’apologétique chrétienne antique », dans G. Abbamonte, et al. (dir.), Discorsi alla

prova: atti del quinto colloquio italo-francese « Discorsi pronunciati, discorsi ascoltati: contesti di eloquenza

tra Grecia, Roma ed Europa », Naples, Giannini, 2009, p. 449-463.

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désigner le christianisme. Notons au passage que le terme institutio, lui, est aussi utilisé

pour désigner le christianisme, mais seulement à deux reprises36.

2.3.1. L’apologie

Le premier groupe de textes, formé de l’Apologeticum et de l’Ad nationes, appartient

à la première partie de son œuvre composée à la fin du IIe siècle. Tertullien écrit ces deux

traités avant de rejoindre le mouvement rigoriste de Montan37: il rédigea les deux ouvrages

vers 19738. Bien que composés à la même époque, ces deux textes diffèrent légèrement

quant à la teneur de leur propos39. Il s’agit bien de textes apologétiques, mais il semble que

Tertullien propose les arguments de manières différentes dans les deux traités.

2.3.1.1. Ad nationes

On sait que l’Apologeticum est destiné aux Romani imperii antistites40 (I, 1, CCSL, 1,

éd. E. Dekkers, p. 85, 1), mais les destinataires de l’Ad nationes sont plus difficiles à

cerner; même s’il mentionne les praesides extorquendae ueritatis41 (I, 2, 2, CCSL, 1, éd.

E. Dekkers, p. 12, 14), il n’en demeure pas moins que le texte de l’Ad nationes a moins

recours à l’argumentation juridique42; il réfute parfois des préjugés populaires, mais entame

également des discussions d’ordre philosophique43. Tertullien rédigea toutefois celui-ci

avant l’Apologeticum44.

36 Apologeticum, XXI, 27, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 127, 135 et De praescriptione haereticorum, VII, 10,

CCSL, éd. R. F. Refoulé, p. 193, 34. 37 Vers 207 selon P. Henne, Tertullien l’Africain, Paris, Les éditions du Cerf (coll. Histoire), 2011, p. 52. 38 Ibid., p. 77. 39 J.-C. Fredouille mentionne à ce sujet: « […] les deux ouvrages, me semble-t-il, répondent à deux intentions

différentes, leur visée n’est pas identique, même si Tertullien reprend dans le second des développements et

même des expressions du premier. »: « L’apologétique latine pré-constantinienne: (Tertullien, Minucius Félix,

Cyprien): essai de typologie », 2005, p. 61. 40 « Les magistrats de l’Empire romain ». 41 « Les gouverneurs chargés d’arracher la vérité ». 42 Contrairement à l’Apologeticum, qui accorde beaucoup d’importance à la justice et au nomen christianum

en raison de ses destinataires, l’Ad nationes s’adresserait à l’ensemble des païens et donc un public universel:

M. RIZZI, Ideologia e retorica negli ‘exordia’ apologetici. Il problema dell’ ‘altro’ (II-III secolo), Milan, Vita

e Pensiero, 1993, p. 112-117; N. L. THOMAS, Defending Christ... 2011, p. 72 et 79. 43 Pour A. Schneider, Tertullien « oriente différemment sa polémique et [il] passe de l’argumentation

juridique à la réfutation des préjugés populaires […] »: « Introduction », dans Tertullien, Ad nationes, texte

traduit par A. Schneider, Rome, Institut suisse de Rome, (coll. Bibliotheca Helvetia Romana, 9) 1968, p. 32. Il

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Le premier terme que l’on rencontre à la lecture de l’Ad nationes est secta. De fait,

dans le livre I, Tertullien l’emploie à de nombreuses reprises comme référent pour désigner

le christianisme. On peut déceler à travers ce passage l’accusation à laquelle il répond (IV,

1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 14, 21): sed dicitis sectam nomine puniri sui auctoris45.

Secta revient à neuf reprises46 dans le chapitre 4 pour douze47 utilisations dans le livre I –

ce terme est absent du livre II, car il n’est plus question du christianisme. Bien entendu, on

doit minimiser l’importance des neuf occurrences du chapitre 4, car Tertullien doit utiliser

ce terme à plusieurs reprises pour argumenter. Il utilise toutefois secta comme référent à

plusieurs endroits. De plus, au lieu de parler de religio christiana comme le fait Arnobe au

IVe siècle48, Tertullien préfère utiliser secta christiana dans l’Ad nationes (X, 19, CCSL, 1,

éd. E. Dekkers, p. 26, 2).

De façon générale, l’emploi de religio dans l’Ad nationes rappelle l’utilisation des

auteurs latins non chrétiens. Tertullien utilise beaucoup49 ce vocable pour désigner la

est vrai qu’il s’agit parfois de réfutation populaire, mais, comme c’est le cas au livre II, Tertullien discute

abondamment de la pensée de Varron et de courants philosophiques. Il semble que ce genre de propos n’a rien

de populaire mais est l’apanage de l’élite intellectuelle. Quoi qu’il en soit, certaines accusations du livre I,

comme celle qui fait des chrétiens la troisième race, ont un caractère populaire, mais l’ensemble du livre ne

s’attaque pas uniquement aux préjugés populaires. Pour F. Chapot, que les destinataires soient les magistrats

romains (Apologeticum) ou qu’ils soient fictifs (Ad nationes), il n’en demeure pas moins que Tertullien

s’adresse aux non-chrétiens en général, mais aussi aux chrétiens: « Ad nationes: destinataire fictif, destinataire

réel dans l’apologétique chrétienne antique », 2009, p. 449-463. Pour C. Ames, le texte s’adresse à plusieurs

auditoires: C. AMES, « Roman Religion in the Vision of Tertullian », dans J. Rüpke (dir.), A Companion to

Roman Religion, Malden, Wiley-Blackwell, 2011, p. 461. 44 A. SCHNEIDER, « Introduction », dans Tertullien, Ad nationes, texte traduit par A. Schneider, Rome, Institut

suisse de Rome, (coll. Bibliotheca Helvetia Romana, 9) 1968, p. 7; N. L. THOMAS, Defending Christ... 2011,

p. 85. 45 « Mais vous dites que la secte est punie en raison du nom de son auteur. » 46 IV, 1, CCSL, éd. E. Dekkers, p. 14, 21; IV, 1, p. 14, 22; IV, 2, p. 14, 26; à deux reprises dans IV, 2, p. 14,

28; IV, 3, p. 14, 30; IV, 3, p. 14, 31; IV, 3, p. 14, 32; IV, 4, p. 14, 34. 47 Les autres occurrences se trouvent dans les passages suivants: V, 4, CCSL, éd. E. Dekkers, p. 16, 22; VI, 1,

p. 17, 7; X, 19, p. 26, 2. 48 H. Bouillard a affirmé que le premier à utiliser l’expression religio christiana est Arnobe: « La formation

du concept de religion en Occident », 1976, p. 455. D’autres chercheurs l’ont suivi aveuglément: M. SACHOT,

« Religio/superstitio... », 1991, p. 389; M. SACHOT, « Christianisme antique et catégories historiques », 1989,

p. 36; C. MAGAZZU, « L’uso di « religio » nella polemica antipagana di Arnobio di Sicca », dans U. Bianchi,

et al. (dir.), The Notion of « Religion » in Comparative Research: Selected Proceedings of the XVIth Congress

of the International Association for the History of Religions: Rome, 3rd-8th september, 1990, Rome, L’Erma

di Bretschneider, 1994, p. 441. Mais Tertullien utilise religio christiana dans l’Aduersus Marcionem cf. infra

n. 145 p. 118. 49 Nous limitons les exemples à un seul, car les exemples d’utilisation de religio pour la religion traditionnelle

romaine sont trop nombreux.

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religion traditionnelle des Romains50 tout comme celle des Juifs51. Comme le second livre

est consacré à la religion romaine, le terme religio apparaît tout au long du traité pour

désigner le culte des Romains et non pas seulement au livre premier comme c’est le cas des

mots qui servent à indiquer le christianisme. Sans analyser chacun de ces extraits, notons

que Tertullien mentionne l’aspect traditionnel de la religion romaine, en ce qu’elle est

rattachée aux Anciens52, et il en souligne aussi l’aspect « commun »53, ce qu’un traducteur

francophone rend judicieusement par « religion nationale »54. Il utilise également religio

pour parler de la religion des camps romains55, mais aussi pour désigner la religion d’autrui

(I, 13, 4, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 32, 21-22): quod quidem facitis exorbitantes et ipsi a

uestris ad alienas religiones56. Tout comme Tacite, qui accepte qu’un autre peuple puisse

avoir une religio – puisqu’il utilise ce terme pour parler de la religion des Juifs –, Tertullien

parle de la religion des autres en employant religio et non pas superstitio; bien entendu, il

accompagne religio de l’adjectif aliena, mais il semble que si superstitio était un mot qui

signifie « religion des autres », ou « religion étrangère » comme le pensent certains,

Tertullien aurait pu utiliser superstitio dans ce passage, or il ne le fait pas57. Concernant

l’utilisation de religio pour désigner la religion des Romains, Tertullien a recours aux

diverses significations que l’on trouve en milieu romain.

Mais il emploie également religio comme référent pour parler de la religion

chrétienne. Or, contrairement à secta qu’il utilise à plusieurs reprises comme référent pour

désigner le christianisme, il n’emploie religio qu’une seule fois comme référent (I, XVI, 20,

CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 36, 22): nostra religio. En comparaison, il utilise religio près

de vingt fois pour parler de la religion des Romains, des Juifs, ou des autres et qu’une seule

50 I, X, 36, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 28, 1. 51 I, XI, 2, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 30 3; 8. 52 I, X, 36, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 28, 1. 53 I, XI, 1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 29, 29-30. 54 A. Schneider, Le premier livre Ad nationes de Tertullien, Rome, Institut suisse de Rome, 1968, p. 93. 55 I, XII, 14, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 32, 7. 56 « Certes, c’est que vous faites en vous écartant vous-même de vos [coutumes] vers une religion étrangère. » 57 D. GRODZYNSKI, « Superstitio », 1974, p. 47 et M. KAHLOS, « Religio and Superstitio... », 2007, p. 394 note

27.

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fois pour parler du christianisme. Loin d’opérer un changement de sens du mot religio58,

Tertullien semble très hésitant à qualifier le christianisme de religio.

La réflexion sur un renversement opéré par Tertullien ne peut toutefois se faire qu’en

analysant le mot qui s’oppose traditionnellement à religio: superstitio. Le premier passage

analysé nous approche de l’opposition entre religio, culte officiel, et superstitio, croyances

ou culte non officiel (I, II, 1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 29, 29-30): nec tantum in hoc

nomine rei desertae communis religionis, sed superductae monstruosae superstitionis59.

Cette opposition entre le fait de quitter la religion « commune » pour la superstition rend

bien l’opposition entre la religion de tous, ici les citoyens, et ce qui se trouve au dehors de

cette religion officielle, la superstition. On ne voit dès lors pas de changement de sens pour

l’emploi de ces deux termes dans ce passage. Un autre passage fort intéressant de l’Ad

nationes est celui qui, à l’instar de Tacite, reprend genus, mais cette fois-ci l’associe à

superstitio plutôt que religio (I, VIII, 11, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 22, 26-31):

Sed de superstitione tertium genus deputamur, non de natione ut

sint Romani, Iudaei, dehinc Christiani. Vbi autem Greaci? Vel si in

Romanorum superstitionibus censentur quoniam quidem etiam deos

Graeciae Roma sollicitauit, ubi saltem Aegyptii, et ipsi, quod sciam,

priuat[ae]60 curiosaeque religionis?61

58 Les travaux de M. Sachot se fondent principalement sur un passage de l’Apologeticum pour indiquer que

Tertullien procède à un renversement de champs sémantique. À partir de l’Ad nationes, il est impossible de

voir ce renversement. Cf. M. SACHOT, « Religio/superstitio... », 1991, p. 384-385. 59 « Nous sommes accusés non seulement de nous être séparés de la religion officielle, mais encore de mener

en seconde noce une superstition monstrueuse ». 60 Il semble que le mot priuati peut difficilement être coordonné à curiosae par le –que. Il est plus aisé de

comprendre priuatae curiosaeque comme adjectifs qualificatifs de religionis, autrement il semble que le –que

serait tout à fait superflu et inutile. Dans l’édition de E. Dekkers, l’apparat critique indique que certains

manuscrits indiquaient priuatae. Une autre difficulté réside dans le sens de et ipsi, quod sciam, priuati

curiosaeque religionis, « eux aussi, que je sache, ils sont particuliers d’une religion minutieuse. » L’argument

de Tertullien cherche à montrer qu’en dehors des trois genus, d’autres genus sont laissés de côté et pourtant,

ils ont des croyances et une religion. Or, dans la traduction qui rend priuati par particulier d’une religion,

l’accent est mis sur le fait que la religion est minutieuse et non pas sur le fait que les Égyptiens ont aussi une

religion bien à eux (particulière à eux). C’est pourquoi il semble que priuatae curiosaeque semble plus en

accord avec l’argument de Tertullien. 61 « Mais nous sommes jugés comme troisième genre (genus) en ce qui a trait à la superstition, non pas à la

nation comme le seraient les Romains, les Juifs et puis les Chrétiens. Où sont donc les Grecs? Ou bien, s’ils

sont mis au nombre des superstitions romaines (parce que Rome a certes attiré aussi les dieux de la Grèce),

où, à tout le moins, sont les Égyptiens, eux aussi, que je sache, ont une religion bien à eux et minutieuse. »

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L’utilisation de superstitio surprend et ce passage est difficile à comprendre du fait que

Tertullien utilise superstitio d’une manière qui déroute les modernes. En effet, l’utilisation

de superstitio pour désigner le christianisme et les religions romaine et juive semble

susciter une difficulté. Ce qui est d’autant plus dérangeant est qu’il mette le christianisme

au même niveau que la religion romaine et juive, alors qu’il aurait dû, si l’on suit la pensée

de M. Sachot, ne tourner en dérision que la « superstition » romaine et mettre le

christianisme au rang des religions. Il n’existe donc pas de renversement dans ce passage et

toutes les nations sont en quelque sorte reliées à la superstition. Est-ce qu’il rabaisse dans

un premier temps la religion romaine au rang de superstitio, tout en prenant soin d’y mettre

les autres religions, comme celle des Juifs, ainsi que le christianisme, afin d’attendre le bon

moment pour provoquer le renversement? Il s’agit plutôt là d’une façon de parler, si toutes

les religions sont des superstitions, le christianisme n’est pas plus monstrueux que les

autres. Cette difficulté ne paraît pas dans les traductions, car les commentateurs modernes

ont simplement remplacé superstitio des éditions latines par « religion » dans leur

traduction62. Mais afin de bien comprendre, on doit toutefois garder le terme superstitio et

analyser les propos de Tertullien.

On doit dire dans un premier temps que le passage cité précédemment, concernant le

fait que les chrétiens délaissent le culte commun pour se tourner vers une superstition

monstrueuse63, montre bien que les chrétiens sont pointés du doigt pour cette désertion vers

une superstition. Donc, dans les accusations auxquelles Tertullien répond figure celle de

superstition. Peut-être que l’argument proposé ultimement par Tertullien est que non

seulement le christianisme est une superstition, mais que les croyances et pratiques des

autres genus, les Romains, les Juifs et les Grecs, sont également au nombre des

superstitions. On peut comprendre aussi par le verbe deputamur que l’utilisation de

superstitio n’est pas de Tertullien, mais des accusateurs: on range les chrétiens au rang des

superstitions, ce à quoi il répond en rangeant les autres aussi. En poursuivant la lecture, on

voit également que Tertullien situe son propos quant aux superstitiones: les Grecs sont au

62 C’est le cas de la traduction de Dr. Holmes contenue dans l’Ante-Nicene Fathers, vol. 3, Peaboby,

Hendrickson Publisher, 1995 [1885], p. 117 et de celle d’A. SCHNEIDER, Le premier livre Ad nationes de

Tertullien, Rome, Institut suisse de Rome, 1968, p. 79. 63 Supra n. 59 p. 94.

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rang des superstitions romaines, car Rome a assimilé les dieux de la Grèce. Il ne dit pas que

Rome a incorporé les rites, les cultes ou les pratiques grecques. Ce sont les dieux qui ont

été apportés de la Grèce. Or, la religion s’occupe des rites, des cultes et des pratiques. Les

dieux, bien qu’ils soient au centre des cultes et des pratiques, sont également dans la

mythologie et dans les croyances en général. C’est peut-être en ce sens que l’on doit

traduire superstitio, c’est-à-dire par croyances64. Contrairement à ce qu’ont pensé plusieurs

commentateurs modernes, superstitio n’a pas une connotation négative en soi65 – comme le

montre le fait qu’il est souvent accompagné d’adjectif qui lui donne un caractère négatif66 -,

et ce même si Cicéron indique qu’elle s’oppose à la religion comme le vice à la vertu. Il ne

s’agit là que d’un extrait et l’on sait que les Romains n’étaient pas orthodoxes et qu’ils ne

s’offusquaient pas de la prolifération de croyances comme il a été mentionné

précédemment. Peut-être Tertullien emploie-t-il superstitio sans connotation négative pour

signifier système de croyances, et tous les genus en ont un. Une autre difficulté apparaît

lorsqu’il emploie religio pour parler des Égyptiens. Cet ajout, qui vise à montrer que dans

un système où il n’y a que trois genus, les Égyptiens, qui ont une religion scrupuleuse à

l’excès, sont laissés de côté tout comme les Grecs. Or, dans la pensée de Tertullien,

associer les croyances à trois genus est faux puisqu’on laisse certains peuples de côté. On

peut se demander pourquoi il associe les Juifs, les Romains, les Grecs et les chrétiens à la

superstitio tandis qu’il relie les Égyptiens à la religio. Il ne semble pas que Tertullien ait

recours ici à des catégories rigides (religio pour culte officiel et superstitio pour culte non

public), car cela n’a pas de sens que de mettre les Égyptiens au rang des religions tout en

dépréciant les cultes romains, juifs, grecs et le christianisme au niveau de la superstitio. Il

semble que ces deux termes ne soient pas en opposition dans ce passage et que l’on doive

plutôt relier la superstitio à la croyance et la religio aux rites.

64 C’est par ailleurs ce que fait A. Schneider lorsqu’il traduit si in Romanorum superstitionibus censentur par

« […] s’ils sont compris dans les croyances des Romains […] »: Tertullien, Ad nationes, texte traduit par

A. Schneider, Rome, Institut suisse de Rome, (coll. Bibliotheca Helvetia Romana, 9) 1968, p. 79. On

remarque qu’un auteur romain du IIIe siècle, Censorinus, emploie également superstitio dans le sens de

croyance, cf. infra n. 85 p. 100. 65 Pour M. Sachot, superstitio désigne « […] non plus seulement une conviction erronée, subjective et

personnelle, mais également, un système de convictions erronées […] »: « Religio/superstitio... », 1991,

p. 378. Pour M. Kahlos « religio, a true religion, is defined through its conterpart superstitio, a false and

distorted religion. »: M. KAHLOS, « Religio and Superstitio... », 2007, p. 389. 66 D. GRODZYNSKI, « Superstitio », 1974, p. 56.

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97

Malgré la difficulté de ce passage, et en dehors des hypothèses que l’on peut

proposer, on peut dire ceci de l’Ad nationes: Tertullien désigne le christianisme deux fois

par superstitio67, tout en désignant d’autres cultes par ce mot; il n’utilise religio qu’à une

seule reprise pour parler du christianisme tandis que la religion romaine est principalement

désignée par ce mot; le référent le plus utilisé pour désigner le christianisme dans ce texte

est sans contredit secta – il faut également mentionner l’emploi de secta christiana. Cela

nous permet de dire que Tertullien n’utilise pas l’opposition religio pour le christianisme et

la superstitio pour les cultes romains (superstition qui aurait une valeur de faux tandis que

la religion représenterait le vrai). L’utilisation de religio dans ce texte, du moins dans la

plupart des extraits, correspond à ce que l’on trouve chez les auteurs latins non chrétiens, et

le renversement de signification de religio, pour désigner le christianisme, est loin d’être

patent dans ce texte.

Reste à dire un mot sur l’utilisation de sacramentum dans ce traité. Tertullien

l’emploie une seule fois pour parler des rites initiatiques des chrétiens, en comparaison avec

ceux des Romains, et contrairement à l’Apologeticum, il n’est jamais utilisé comme référent

pour le christianisme68.

2.3.1.2. Apologeticum

Parmi les termes retenus pour l’analyse des ouvrages de Tertullien, l’Apologeticum,

pièce maîtresse de l’apologie chez cet auteur, renferme une grande quantité d’occurrences

qui ne seront pas énumérées systématiquement ici. Afin d’en faciliter le propos, seuls les

extraits significatifs seront discutés dans la suite du texte et, parfois de simples renvois au

texte seront utilisés pour noter la présence d’une utilisation particulière d’un mot.

Le terme sacramentum, qui a été laissé de côté dans l’Ad nationes, devient un mot

très utilisé dans l’Apologeticum, probablement en raison de la nature moins philosophique

de ce dernier traité. Quoi qu’il en soit, Tertullien s’en sert pour parler du christianisme à

sept reprises. Un seul de ces emplois doit être compris au sens de « rites » (VII, 1, CCSL, 1,

67 8, 11, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 22, 26; 11, 1, p. 29, 30. 68 16, 20, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 36, 21-22.

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éd. E. Dekkers, p. 98, 1): Dicimur sceleratissimi de sacramento infanticidii […]69. En

dehors de cet emploi, Tertullien utilise sacramentum pour désigner un aspect du

christianisme, voire sa totalité. L’extrait du chapitre XIX montre que ce terme est parfois

employé dans le sens de religion (XIX, 2, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 121, 56-57): […] in

quo uidetur thesaurus collocatus totius Iudaici sacramenti et inde iam et nostri70. Mais le

chapitre XLVII montre des exemples encore plus intéressants (XLVII, 14, CCSL, 1, éd.

E. Dekkers, p. 165, 61): Non nisi de nostris sacramentis. Peu importe la signification du

mot sacramentum dans cet extrait, et dans les phrases suivantes (XLVII, 14, CCSL, 1, éd.

E. Dekkers, p. 165, 62 et 64), car il pourrait signifier « rites », « mystère », « doctrine », on

peut noter que Tertullien, avec l’utilisation du pronom possessif nostrum, renvoie à la

totalité du christianisme par le mot sacramenta: nos rites, nos doctrines ou nos mystères. Il

désigne donc, par un aspect ou des aspects (rites, doctrines, mystères, etc.), la totalité du

christianisme, et ce, peu importe sa signification. Mais suivant celle qui est proposée par

D. Michaélidès, c’est-à-dire « articles de notre foi salutaire »71, on voit que Tertullien, en

désignant le christianisme par sacramentum au lieu de religio, met l’accent sur la foi, ce

que le mot religio ne renferme pas de façon immédiate. Tertullien désigne donc le

christianisme à l’aide du mot sacramentum à six reprises dans l’Apologeticum72.

Tout comme c’était le cas dans l’Ad nationes, Tertullien emploie aussi le mot secta

pour désigner le christianisme et sectatores pour désigner les chrétiens73. Il utilise secta

comme référent pour désigner le christianisme à treize reprises74, et ce dès l’exorde75. Tout

comme c’est le cas dans l’Ad nationes, il mentionne qu’on accuse la secte par le nom de

69 « Nous sommes appelés très grands criminels en raison du rite de l’infanticide […] » 70 « […] où l’on voit le trésor assemblé de la totalité du rite judaïque et de là encore du nôtre. » 71 Cette traduction correspond bien à la pensée de Tertullien, quoiqu’il en soit de la signification exacte, il

n’en demeure pas moins que Tertullien désigne l’ensemble du christianisme par ce mot: D. MICHAELIDES,

Sacramentum chez Tertullien, Paris, Études augustiniennes, 1970, p. 99-100. 72 II, 6, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 88, 26; XV, 8, p. 114, 42; XIX, 2, p. 127, 56-57; XLVII, 14, p. 165, 61,

62 et 64. 73 III, 6, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 92, 31-32. 74 I, 1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 85, 8; III, 6, p. 92, 31, 39, 40 et 42; V, 3, p. 95, 14; XXI, 1, p. 122, 2;

XXXVII, 3, p. 148, 15; XXXIX, 6, p. 151, 30; XL, 7, p. 154, 25; XLIII, 2, p. 158, 6; XLVI, 2, p. 160, 10; L,

13, p. 171, 59. 75 I, 1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 85, 8.

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99

son fondateur76, il emploie christiana secta77, mais aussi secta dei78. Non seulement il

utilise secta comme référent dans l’exorde, mais il termine également son traité en ayant

recours à ce mot pour désigner le christianisme79. Si Tertullien se servait de sacramentum

pour faire référence au christianisme par un aspect de celui-ci, l’emploi de secta désigne le

christianisme dans son ensemble. Secta est bien entendu un terme qui sert à rendre le mot

grec haeresis – et les apologistes grecs comme Justin et Aristide l’emploient eux aussi. Il

s’agit d’un terme très courant pour désigner les divers courants de philosophie; Tertullien a

lui-même empruntée cette signification au monde de la philosophie lorsqu’il indique que

les sectateurs tirent leur nom de leur maître, tout comme la secte chrétienne prend le nom

de son fondateur80.

Afin de bien situer l’emploi de secta dans l’ouvrage de Tertullien, il convient de faire

l’analyse de superstitio et religio dans l’Apologeticum. En effet, sacramentum et secta sont

uniquement utilisés pour faire référence au christianisme. Les deux autres termes

s’appliquent tant au christianisme qu’aux croyances et religions qui sont répandues dans

l’Empire romain, principalement les cultes romains. L’utilisation, par Tertullien, de secta a

été notée par M. Sachot, mais ce dernier a minimisé cette façon de se désigner et a mis

l’accent principalement sur le mot religio81. D’emblée, on peut noter que le mot secta est le

référent qui revient le plus souvent dans le texte, mais l’analyse de religio et de superstitio

permettra de mieux comprendre sa fonction.

Concernant le rabaissement de la religion romaine au niveau de la superstition

proposée par Sachot, il n’est possible que dans l’esprit d’un moderne qui voit une

dichotomie « vrai/faux » lorsqu’il lit les termes religio et superstitio. De parler de la

religion romaine traditionnelle en terme de superstitio signifie qu’elle se trouve en dehors

des cultes du publicus, du moins pour un lecteur à l’époque de Tertullien. Bien entendu, la

signification des mots n’est pas aussi rigide et chaque auteur peut utiliser superstitio sans

76 III, 7, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 92, 37-42. 77 XL, 7, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 154, 25. 78 XXXIX, 6, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 151, 30. 79 L, 13, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 171, 59. 80 III, 5-6, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 91, 23-p. 92, 37. 81 Infra n. 120 p. 111.

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pour autant renvoyer au signifié ou au concept habituel. Cependant, dans le cas qui nous

occupe, Tertullien semble employer superstitio de la même manière que les auteurs latins,

c’est-à-dire dans le sens de cultes non officiels ou encore de croyances en général.

Certaines utilisations du mot superstitio correspondent dès lors à l’emploi que l’on trouve

dans la littérature latine. On peut penser qu’il recourt à superstitio à juste titre au

chapitre VI lorsqu’il rappelle l’arrivée du culte d’Isis et Sérapis82. Avant que ce culte ne

soit naturalisé par Vespasien83 – Tertullien parle justement de la situation du culte avant sa

naturalisation – il est clair que ce culte correspond à l’appellation superstitio et non pas

religio: il n’y a donc rien d’étonnant que Tertullien utilise superstitio pour parler de cette

situation. Cela n’apparaît pas d’emblée comme une façon de rabaisser ce culte, mais

simplement souligner qu’il n’est pas un culte public, mais bien une superstition. Dans ce

cas, Tertullien n’emploie pas superstitio dans le sens de religion fausse, car faut-il le

rappeler, ce n’était pas une signification inhérente à ce terme.

C’est aussi dans ce sens que l’on doit comprendre l’utilisation de superstitio lorsqu’il

parle des croyances égyptiennes au chapitre 2484. Lorsqu’il se souvient du rôle de Numa

Pompilius qui fut très important en raison de sa contribution au développement de la

religion romaine, il emploie le mot superstitio tout comme le fait Censorinus85. Or,

Tertullien préfère indiquer qu’il a doté les Romains d’operosissimae supersitiones, des

superstitions laborieuses86. Or, lorsque l’on analyse le passage, on se rend compte qu’il

présente une vision idéalisée de la superstition du temps de Numa87. Il fera de même en

82 VI, 8, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 98, 42. 83 J. SCHEID, Les dieux, l’État et l’individu... 2013, p. 203. 84 XXIV, 7, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 134, 31-32. 85 Dans un traité qui s’intéresse au jour de naissance, Censorinus, un grammairien du IIIe siècle, traite des

questions relatives à l’origine de l’homme, aux cycles naturels, à la constitution des calendriers et aux fêtes

religieuses qui leur sont rattachées. Concernant l’année de douze mois comportant 355 jours, il rappelle

qu’elle a été établie ou bien par Tarquin, ou bien par Numa selon les sources. Il montre que l’année lunaire est

constituée de 354 jours, mais que l’un de ces deux hommes l’a fixée à 355 soit en raison d’une

méconnaissance (inprudentia), soit en raison d’une croyance (superstitio): De die natali, 20, 4, BT, éd.

N. Sallmann, p. 48, 10-11. On remarque par ailleurs que cet auteur romain n’hésite pas à parler de superstitio

dans un passage où intervient Numa. Cela indique donc que superstitio était également utilisé par les Romains

pour parler de leurs croyances. 86 XXI, 29, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 127, 148-149. 87 Infra p. 106.

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reliant l’origine des spectacles aux superstitions88. Il est difficile de voir pourquoi il utilise

superstitio dans ces cas; il n’est pas impossible qu’il l’emploie dans le sens de

« croyances » comme il l’avait fait dans son traité Ad nationes lorsqu’il met le

christianisme, les cultes romains et juifs sur le même pied d’égalité en les nommant

superstitio.

Il est également possible qu’il suive la signification moins répandue, mais tout de

même valide, de Cicéron qui considère que la superstition est à la religion ce que le vice est

à la vertu. En ce sens, Tertullien utilise les artifices de l’argumentation pour parler

péjorativement des cultes romains. Cela est loin d’être impossible lorsque l’on connaît sa

plume. Plus étonnant encore, il rappelle aussi le fait que les philosophes détruisent les dieux

des superstitiones publicae. Que sont les superstitions publiques? Comme le contexte

indique que les philosophes détruisent les dieux et non pas le culte, on peut penser que

superstitiones signifie ici les « croyances publiques ». En général, superstitio n’est jamais

« relié au publicus » et n’a donc pas un sens apparenté à ce qui est public. Dans ce passage,

Tertullien pourrait utiliser superstitio pour désigner la religio romaine. Est-ce dans un but

de renversement de signification comme le pense M. Sachot? Est-ce que Tertullien rabaisse

les religiones romaines au niveau de la superstitio? Seules ces trois dernières utilisations

pourraient aller en ce sens, mais c’est peu pour un ouvrage aussi long.

L’Apologeticum contient environ trente occurrences de religio; ces différentes

utilisations peuvent traiter de la réalité des Juifs, des Romains, des chrétiens, mais certaines

offrent des réflexions générales sur religio. Certains passages montrent que Tertullien a

recours au signifié habituel de religio: on prouve l’autorité de la religion par son

ancienneté89, la religion est liée au verbe colere concernant la religion romaine90, la religion

juive91, mais également concernant la religion chrétienne92. Cela est bien cicéronien dans

88 XXXVIII, 4, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 149, 14. 89 XIX, 1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 119, 1-3. 90 XXI, 27, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 22, 134-140; XXIV, 6, p. 134, 27-30. 91 XVI, 4, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 115, 16-21. 92 XVI, 14, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 117, 61-62.

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l’esprit et on ne peut pas dire que Tertullien est à cent mille lieux de la compréhension

romaine du terme, même s’il existe des déplacements de sens93.

Les quelques extraits sur la religion juive indiquent fort peu, sinon que Tertullien,

tout comme Tacite dans une discussion du livre IV de ses Historia, se sert de religio pour

désigner le culte juif94. Contrairement à ce que l’on trouve dans l’Ad nationes et chez

Tacite, Tertullien relie le mot religio à la gens plutôt qu’au genus. Quoi qu’il en soit, cela

affecte peu la signification de religion puisque genus et gens font partie du même champ

sémantique. Il note également le fait que le culte juif est une religio licita95.

Même s’il utilise le terme superstitio, Tertullien n’emploie pas moins le terme religio

pour désigner la réalité de la religion romaine. En fait, il utilise ce vocable à onze reprises

dans le texte pour désigner directement celle-ci, mais d’autres occurrences visent les cultes

en général, qu’ils soient romains ou non, ou encore le culte juif. Ces extraits plus généraux

ont été laissés de côté: il suffit de savoir que religio désigne, outre les cultes romains, les

cultes des camps romains96 et la religion juive tout comme chez Tacite97. De ces

utilisations, les occurrences qui associent religio aux cultes romains seront analysées. L’un

de ceux-ci montre que Tertullien relie le culte officiel des dieux romains à religio. En

93 M. Sachot s’étonne de ce que Tertullien ne commence pas la description de la religion chrétienne par une

description des ritus ou encore des sacra. Il souligne par ailleurs que Tertullien présente sa doctrine plutôt que

les sacra: « Religio/superstitio... », 1991, p. 385. Il est vrai qu’il existe un déplacement des ritus à la doctrina,

mais sans toutefois laisser de côté la pensée de Cicéron, car Tertullien lie explicitement le verbe colere à

religio à trois reprises dans son ouvrage. L’accent, ou le déplacement que Tertullien veut noter, se situe dans

le fait que les chrétiens adorent un Dieu unique (XVII, 1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 117, 1): Quod colimus,

Deus unus est. H. Bouillard remarque également ce déplacement vers le Dieu unique: « Le passage des dieux

multiples au Dieu unique est passage de l’erreur à la vérité […] »: « La formation du concept de religion en

Occident », 1976, p. 455. 94 Supra n. 25 p. 87. 95 XXI, 1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 122, 5. Même si M. Sachot souligne que certains chercheurs ont tort

d’employer religio licita pour désigner le christianisme du temps de Tertullien, il concède néanmoins que

l’expression était possible pour les Juifs: M. SACHOT, « Christianisme antique et catégories historiques »,

1989, p. 36. J. Rüpke rappelle que cette expression ne possédait aucun caractère officiel et ne provient pas des

autorités compétentes en la matière: Religion of the Romans, Cambridge, Polity Press, 2007, p. 35; de toute

manière, comme le mentionne W. W. Fowler, le terme religio ne faisait pas partie du ius diuinum et, bien

qu’il fasse référence aux cultes administrés par l’État, il n’est pas un mot officiel des lois rituels comme peut

l’être sacrum: « The latin history of the word religio », 1908, p. 169-170. Si le mot religio n’est pas un terme

technique utilisé par l’État, il va donc de soi que l’expression religio licita ne l’est pas non plus. 96 XVI, 8, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 116, 34-35. 97 XVI, 2, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 115, 5; XVI, 3, p. 115, 11 et 15.

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soulignant que la majesté divine peut être soumise à un trafic infâme, faisant de la religion

une religio mendicans98, il relie la religio aux publicos, c’est-à-dire les dieux publics99.

Concernant le culte officiel, on voit donc que Tertullien qui avait utilisé le mot superstitio a

également recours à religio.

Tertullien utilise principalement religio dans les chapitres XXIV à XXVII. Il conclut

au début du chapitre XXVII (XXVII, 1, CCSL, éd. E. Dekkers, p. 138, 1-3): Satis haec

aduersus intentationem laesae religionis ac diuinitatis: quo non uideamur laedere eam,

ostendimus non esse100. Les chapitres XXIV-XXV traitent donc de cette accusation de

lèse-religion et de lèse-divinité. Au chapitre XXIV, Tertullien montre que si les dieux

romains n’existent pas, la religion romaine ne peut pas exister non plus, et donc, on ne peut

accuser les chrétiens de lèse-majesté de la religion si cette religion n’existe pas. Tertullien

ne réduit donc pas ici le système romain à une superstition, il mentionne plutôt que la

religion n’a pas lieu d’être en raison de la fausseté des dieux: cela montre la fausseté de la

religion sans pour autant qu’il n’utilise le mot supersitio. Au chapitre XXV, il reprend

l’argument célèbre de Cicéron voulant que le peuple romain domine le monde en raison de

sa religio. Ce chapitre de l’Apologeticum est dès lors consacré à renverser cet argument.

Enfin, le chapitre XXVI montre que c’est le Dieu des chrétiens qui dispense des royaumes.

En dehors de l’argument proposé au chapitre XXIV, le chapitre XXV est très

important pour mieux comprendre la pensée de Tertullien en ce qui a trait à la religio. Il

propose deux arguments. Dans un premier temps (XXV, 1-XXV, 11), il mentionne que

l’idée romaine selon laquelle les dieux approuvent la dévotion romaine en leur offrant la

domination tend à prouver l’existence des dieux: en effet, si les dieux existent, ceux qui les

honorent seront plus florissants. Les dieux romains existent donc puisque les Romains

dominent101. Mais il argumente contre ce raisonnement en montrant que plusieurs dieux

98 « Une religion mendiante. » 99 XIII, 5-6, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 111, 17-26. 100 « Cela suffit contre l’accusation de lèse religion ou lèse divinité: pour ne pas laisser croire que nous

l’offensons, nous avons montré qu’elle n’existe pas. » 101 On a d’abord pensé que les apologistes chrétiens de l’époque préconstantinienne ne s’étaient pas attaqués à

l’idée d’une suprémacie romaine qui découlerait de leur dévotion à leur religio: A. WLOSOK, « Christliche

Apologetik gegenüber kaiserlicher Politik », dans A. Wlosok, et al. (dir.), Res humanae, res diuinae: kleine

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n’étaient pas romains avant les conquêtes. C’est le cas de Cybèle qui est associée aux

Troyens et qui ne peut même pas être au fait du décès de Marc-Aurèle. Il s’interroge par la

suite pour savoir pourquoi Jupiter a permis que son île de Crète soit prise par la flotte

romaine. Junon, enfin, n’a rien pu faire pour sauver Carthage. Pourquoi alors ces dieux

étrangers ont voulu plus de bien aux Romains qu’à leur propre patrie s’interroge Tertullien.

L’argument proposé par Tertullien sert à montrer que les dieux honorés par les Romains

sont étrangers. Il poursuit la même idée dans le second développement du chapitre XXV.

Le second argument devient beaucoup plus intéressant en ce qui a trait à la

signification de religio chez cet auteur chrétien (XXV, 12-XXV, 17). Il propose deux

arguments dans cette portion du chapitre. Premièrement (XXV, 12-XXV, 13), il suggère

que la religion n’a progressé qu’après l’établissement de l’empire. Il expose ensuite (XXV,

14-XXV, 16) le fait que les conquêtes de Rome dépendent plus de l’irréligion que de la

religiosité. Il conclut enfin en XXV, 17. Il convient dès lors d’examiner ces trois parties du

chapitre XXV.

L’analyse de la première partie établit en quelque sorte une clé de lecture pour

l’opposition superstitio-religio dans l’Apologeticum (XXV, 12, CCSL, 1, éd. E. Dekkers,

p. 137, 54-65):

Auctis, age, iam rebus religio profecerit. Sed quam uanum est,

fastigium Romani nominis religiositatis meritis deputare, cum post

imperium (siue hoc regnum) religio profecerit ! Nam, etsi a Numa

Pompilio concepta est curiositas superstitiosa, nondum tamen aut

simulacris aut templis res diuina apud Romanos constabat. Frugi

religio et pauperes ritus et nulla Capitolia certantia ad caelum, sed

temporaria de caespite altaria et uasa adhuc Samia et nidor exilis

et deus ipse nusquam. Nondum enim tunc ingenia Graecorum atque

Tuscorum fingendis simulacris urbem inundauerant. Ergo non ante

religiosi Romani quam magni, ideoque non propterea magni, quia

religiosi102.

Schriften, Heidelberg, Universitätsverlag Winter (coll. Bibliothek der klassischen Altertumswissenschaften

84), 1974, p. 137-156. E. Heck a montré que les auteurs chrétiens ont tenté de renverser cette idée dès

l’époque de Tertullien, notamment par ce passage: E. HECK, MH ƟEOMAXEIN oder: Die Bestrafung des

Gottesverächters. Untersuchungen zu Bekämpfung und Aneignung römischer religio bei Tertullian, Cyprian

und Lactanz, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang (coll. Studien zur klassischen Philologie 24), 1987. 102 « Admettons qu’une fois que Rome se soit étendue, la religion ait fait des progrès. Mais, imputer la

supériorité du nom romain aux mérites de la religiosité est vain, puisque la religion n’a progressé qu’après

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Dans cet extrait, Tertullien utilise l’adjectif superstiosus, l’adjectif religiosus et enfin le mot

religio. Jusqu’ici, l’analyse de l’adjectif a été systématiquement mise de côté pour les

raisons évoquées plus haut, mais ce n’est pas tant l’emploi adjectival qui doit être analysé,

mais plutôt le passage dans son ensemble. Dans la première phrase, Tertullien annonce en

quelque sorte l’idée maîtresse de ce passage: de la grandeur de Rome est venue la

religiosité. Dans les phrases suivantes, il va élaborer sa pensée qui se résume à ceci: au

temps de Numa, la religion était simple et dépourvue de statues et de temples, les dieux

grecs n’avaient pas encore déferlés à Rome, la religion était sobre et les rites pauvres. On

entrevoit donc qu’il y a deux façons d’être religieux, l’une associée à l’époque antérieures

aux conquêtes, époque représentée par Numa, et une seconde époque qui est caractérisée

par l’avènement à Rome des religions étrusque et grecque qui est en quelque sorte le

résultat des conquêtes. Il est intéressant de noter que l’emploi de l’adjectif superstiosus est

associé à cette première période. En effet, en comparaison, l’époque de Numa est

dépourvue de temple, de statues, les rites sont pauvres et les autels sont temporaires. Il peut

être suggéré que ces aspects de la religion, qui sont tous reliés au caractère cultuel de la

religion romaine, sont absents à l’époque de Numa: cette époque est liée à la superstition.

Or, c’est par l’arrivée des statues et des temples que les Romains passent de superstitieux à

religieux. L’opposition entre la superstition et la religion passe par l’aspect rituel et cultuel.

Bien entendu il existait au temps de Numa des autels temporaires faits de gazon, mais

Tertullien semble opposer deux époques dont la première serait très austère et l’autre serait

associée aux divinités grecques et étrusques, aux rituels, aux statues et temples. En plus de

percevoir le temps de Numa comme éloigné de certains aspects rituels, l’idée de curiositas

superstitiosa, la curiosité superstitieuse, semble indiquer que Numa est, aux yeux de

Tertullien, plus intéressé – curiositas entendue ici comme soif de savoir – à l’aspect

mythologique et aux croyances plus qu’aux rituels, bien que ces derniers soient présents de

que ne l’a fait l’empire ou ce royaume. En effet, même si la curiosité superstitieuse a été conçue à partir de

Numa Pompilius, la chose divine ne s’établissait cependant pas encore chez les Romains par des statues et des

temples. La religion sobre, les rites autères et aucun Capitole luttant pour le ciel, mais des autels temporaires

fait de gazon, des vases jusque-là en terre de Samos, une fumée mince et le Dieu lui-même en aucun endroit.

En effet les inventions des Grecs et des Étrusques n’avaient pas encore inondé la ville de la fabrication de

leurs statues. Les Romains n’étaient donc pas religieux avant d’être grands et c’est pour cette raison qu’ils ne

sont pas grands parce qu’ils étaient religieux. »

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106

manière austère103. Il est possible que la curiositas superstitiosa renvoie à un système de

croyances tandis que la religiositas serait liée à une définition plus cicéronienne de la

religion et donc, plus centrée sur l’aspect cultuel et sur le verbe colere. Quoi qu’il en soit,

ce qui importe de souligner est que Tertullien propose une vision idéalisée de Numa et de

son époque à laquelle il rattache le mot superstitio, tandis que le développement de la

religio est essentiellement vu comme péjoratif. Mais avant de voir comment religio est liée

au verbe colere dans l’ouvrage de Tertullien, il convient d’analyser la deuxième partie du

chapitre XXV.

Cette autre partie de l’argument suggère que les Romains sont plutôt coupables

d’irréligion par le fait de leurs conquêtes104. Tertullien rappelle les évènements trop

habituels lors de guerres et de conquêtes. Il indique que la victoire amène à la prise de villes

et que lors de tels évènements, les dieux sont outragés, les temples renversés, prêtres et

citoyens sont égorgés, les richesses, autant celles qui sont profanes que sacrées, sont pillées.

Pour Tertullien, il s’agit ici de sacrilège et il ne peut penser que le caractère religieux des

Romains y soit pour quelque chose dans la victoire. Il y voit plutôt l’irréligiosité

(irreligiositas). En plus, Tertullien rappelle l’incohérence de la part des Romains qui

pensent que les dieux vaincus par leurs ennemis offriraient à ces derniers un empire sans

fin. Tertullien conclut par la suite105 que l’on ne peut croire que la religion soit à l’origine

de la grandeur de Rome qui n’a grandi qu’en outrageant cette religion.

On peut résumer ces deux arguments du chapitre XXV comme suit: 1) la religion

n’est pas la cause de la domination romaine, mais plutôt la domination romaine est la cause

103 R. von Haehling pense que les allusions au passé de Rome n’émanent pas d’un souci de présicion

historique chez les auteurs chrétiens dont Tertullien fait partie. Il indique également que les auteurs chrétiens

ont tendance a idéaliser le passé de Rome et à l’opposer à leur époque représentée comme décadente: R. VON

HAEHLING, « Die römische Frühzeit in der Sicht frühchrislicher Autoren », dans R. von Haehling (dir.), Rom

und das himmlische Jerusalem: die frühen Christen zwischen Anpassung und Ablehnung Darmstadt,

Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 2000, p. 184-204. Or, c’est précisément ce que l’on entrevoit dans

l’extrait de Terutllien; le passé représenté par Numa semble meilleur que l’état de la religion aux époques

postérieures où le culte est influencé par les Étrusques et les Grecs. Même dans cet état de fait, c’est-à-dire

une représentation d’un passé idéalisé, Tertullien choisit d’employer le mot superstitio et non pas religio qu’il

utilise pour les époques plus près de lui: superstitio est donc utilisé pour le passé idéalisé et religio pour la

période de décadence. 104 XXV, 14-XXV, 16, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 137, 66-79. 105 XXV, 17, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 137, 79-p. 138, 83.

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de la religion. Les Romains sont passés de superstitieux à religieux. 2) Mais pas tout à fait

religieux, car, par leur domination, les Romains se sont rendus coupables d’irréligiosité. En

plus, Tertullien affirme au chapitre XXIV que les dieux romains n’existent pas, et donc que

la religion romaine n’existe pas non plus. Dans ces deux chapitres, il apparaît évident que

Tertullien ne rabaisse pas les traditions romaines au rang de la superstition. Bien au

contraire, le chapitre XXV montre qu’ils sont passés de la superstition à la religion et que

c’est ce dernier état qui est vu comme péjoratif. Au chapitre XXIV, il avance plutôt que

leur religion est fausse, car il affirme que les dieux n’existent pas tout comme leur religion.

Cependant, puisque tous savent bien que la religion romaine existe, il signifie donc qu’elle

n’a pas lieu d’être en raison de l’inexistence des dieux: elle est donc fausse puisqu’elle

honore des dieux inexistants. Il ne rabaisse pas les cultes romains au rang de superstition.

Au chapitre XXV, Tertullien traite du passage des Romains de superstitieux à

religieux à mesure que les aspects cultuels et rituels étrangers faisaient leur apparition à

Rome. Sans utiliser le verbe, il a toutefois énoncé beaucoup d’éléments qui sont liés, à

Rome, avec l’idée d’honorer les dieux, c’est-à-dire colere. Plus concrètement, un passage

du chapitre XXIV montre que l’idée de colere, qui est présente dans plusieurs contextes

tout au long de l’Apologeticum, est intimement liée à la religio, tout comme elle l’était chez

Cicéron. Or, un passage montre qu’il voit encore l’action des Romains comme irréligion; il

s’agit d’un extrait où il leur indique que d’empêcher les chrétiens d’honorer qui ils veulent

est irréligieux (XXIV, 6, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 134, 27-30): Videte enim, ne et hoc ad

irreligiositatis elogium concurrat, adimere libertatem religionis et interdicere optione

diuinitatis, ut non liceat mihi colere quem uelim, sed cogar colere quem nolim106. Ce

passage montre que la liberté de religion est spécifiquement liée au choix d’honorer tel ou

tel dieu107. Un autre passage relie également colere à religio (XXI, 27, CCSL, 1, éd.

106 « Prenez garde en effet qu’enlever la liberté de religion et empêcher le choix de la divinité ne concourt pas

à un crime d’irréligiosité, de sorte que m’interdire d’honorer [le dieu] que je veux et me pousser de force à

honorer [un dieu] que je ne veux pas. » 107 Quelques publications ont présenté Tertullien comme un innovateur en matière de liberté religieuse; ces

travaux se fondent sur des extraits de l’Ad Scapulam et de l’Apologeticum plus précisément du chapitre

XXIV: R. BELANGER, « Le plaidoyer de Tertullien pour la liberté religieuse », Sciences religieuses 14/3

(1985), p. 281-291; L. DATTRINO, « La liberté religieuse dans l’Ad Scapulam de Tertullien », Lateranum 73/2

(2007), p. 357-377. Il est vrai que Tertullien s’insurge contre le fait que, même si le panthéon romain

s’aggrandit constamment, le Dieu des chrétiens n’a toujours pas droit de cité. Mais il semble que la liberté de

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E. Dekker, p. 127, 136-140): Nemo iam infamiam concutiat, nemo aliud existimet, quia nec

fas est ulli de sua religione mentiri. Eo enim quod aliud a se coli dicit quam colit, negat

quod colit, et culturam et honorem in alterum transfert et transferendo iam non colit quod

negauit108. Ici encore la notion de religio est liée à colere en ce que le fait de mentir à

propos de ce que l’on honore se résume à mentir au sujet de sa religion. Tertullien parle ici

en termes généraux, mais d’autres passages montrent que le verbe colere est employé

autant en contexte romain109, que juif110 et chrétien111.

religion dans l’Apologeticum doit être comprise comme le droit de religion pour les chrétiens et non pas une

notion de liberté de religion pour tous qui est une conception issue du pluralisme; R. Minnerath voit dans la

pensée de Tertullien une liberté qui s’inscrit dans un pluralisme religieux: « Tertullien précurseur du droit à la

liberté de religion », dans G. Guyon (dir.), Moyen Âge chrétien et Antiquité, Paris, L’Harmattan, 1999,

p. 33-43. On doit nuancer cette affirmation qui paraît beaucoup trop moderne pour Tertullien, car tandis qu’il

souhaite la liberté de religion pour les chrétiens, il pourfend le culte des romains qui, à son avis, n’a pas lieu

d’exister puisque les dieux n’existent pas. Bien entendu il laisse le choix à quiconque d’adorer Dieu ou

Jupiter, mais une grande partie de son ouvrage tend à prouver l’inanité du culte romain et essaie de le

disqualifier. Concernant le pluralisme religieux, K. M. Girardet exlcut cette interprétation, mais il affirme que,

pour les chrétiens, le culte romain n’est que superstitio et seul le christianisme est une religio: « Libertas

religionis. Religionsfreiheit bei Tertullian und Laktanz », dans K. Muscheler (dir.), Römische Jurisprudenz.

Dogmatik, Überlieferung, Rezeption: Festschrift für Detlef Liebs zum 75. Geburtstag, Berlin, Duncker und

Humlot, 2011. Or, comme nous l’avons dit, il semble que l’étude des textes de Tertullien démontre que le mot

superstitio est peu employé en comparaison à religio. Par ailleurs, l’article de T. R. Martin propose que la

liberté était très présente dans la propagande impériale et que l’empereur se présentait comme source de la

liberté au temps de Tertullien: « An Ancient Perspective on a Modern Idea: Tertullian and Roman Imperial

Policy on Freedom of Religion », dans E. P. Cueva, et al. (dir.), Jesuit Education and The Classics,

NewCastle, Cambridge Scholar Publishing, 2009, p. 220-231. Cela renforce l’idée qu’il s’agit ici d’un

argument rhétorique qui vise à montrer que si l’Empire s’associe à la notion de libertas, il doit également faire

la promotion de la libertas religionis. Aussi, il paraît plus juste, à l’instar de l’expression de G. G. Stroumsa,

d’interpréter le passage de Tertullien comme un plaidoyer en vue de la « tolérance » du culte chrétien que

d’un appelle à la liberté de religion: « Tertullian on idolatry and the limits of tolerance », dans G. N. Stanton

et G. G. Stroumsa (dir.), Tolerance and intolerance in Early Judaïsm and Christianity, Cambridge,

Cambridge University Press, 1998, p. 173-184. Le récent article de A. P. Coleman présente par ailleurs une

interprétation de la liberté de religion chez Lactance qui, selon lui, aurait empruntée cette notion à Tertullien:

« Lactantius and “ressourcement”: going to the sources of religious liberty in the civic order », Vox Patrum 34

(2014), p. 209-219. Selon A. P. Coleman, au temps de Lactance, la liberté de religion signifie davantage de

faire des actes religieux sans se les voir imposés; cela répond à des situations lors des persécutions de

Dioclétien où les chrétiens étaient contraints de faire des libations ou assister à des sacrifices. Dans ce cas, la

liberté de religion n’est pas liée au choix de sa propre religion, mais pluôt au fait d’adorer sans y être

contraint. 108 « Que personne ne nous accuse d’infamie et que personne ne croie autre chose, car il n’est permis à

personne de mentir au sujet de sa religion. Parce qu’en effet, celui qui dit qu’il honore autre chose que ce qu’il

honore, il nie ce qu’il honore, et il déplace vers un autre son culte et son hommage et, par ce déplacement, il

n’honore pas celui qu’il a nié. » 109 VI, 10, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 98, 53; X, 1, p. 105, 1; X, 2, p. 105, 8; XIV, 10, p. 135, 46; XL, 8,

p. 154, 33; XLI, 6, p. 156, 28. 110 XVI, 4, CCSL, 1, éd. E. Dekker, p. 115, 16; XXI, 29, p. 127, 144. 111 XVII, 1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 117, 1; XXI, 28, p. 127, 142; XXIII, 11, p. 132, 60; XXIV, 2, p. 133,

9. Supra n. 93 p. 102.

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109

On en vient enfin à l’utilisation de religio pour désigner le christianisme. Il sera

question ici des sept emplois du mot religio et l’on remarque d’emblée que c’est un peu

moins que les treize utilisations de secta. L’analyse de ces extraits montre toutefois que le

mot religio est peu utilisé pour désigner directement le christianisme. Tertullien utilise ce

mot comme référent à une seule reprise dans le traité112. Dans un autre passage, il indique

que les chrétiens sont les seuls à qui l’on interdit de posséder une religion113. Il met aussi la

religion et la piété chrétiennes sur le même plan (XXXIII, 1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers,

p. 143, 1-4): Sed quid ego amplius de religione atque pietate christiana in imperatorem,

quem necesse est suspiciamus ut eum, quem Dominus noster elegit, ut merito dixerim:

Noster est magis Caesar, a nostro Deo constitutus?114. Même si le terme n’est pas utilisé

dans ces deux extraits comme référent, il est clair que Tertullien relie le christianisme au

concept de religion. D’autres passages sont toutefois moins explicites, comme l’extrait qui

affirme que les chrétiens sont un corps en ce qui a trait à la conscience de religion (XXXIX,

1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 150, 4-5): Corpus sumus de conscientia religionis et

disciplinae unitate et spei, foedere115. Le mot religion n’agit pas à titre de référent comme

c’est le cas avec le mot secte et il en va de même d’autres passages comme l’extrait sur les

repas des chrétiens116.

Mais deux passages en particulier utilisent uera religio; le premier emploi intervient

dans un passage qui fait appel presque indirectement à la notion de vraie religion (XXXV,

1, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 144, 1-4): Propterea igitur publici hostes Christiani, quia

imperatoribus neque uanos neque mentientes neque temerarios honores dicant, quia uerae

religionis homines etiam solemnia eorum conscientia potius quam lasciuia celebrant117.

112 XVI, 14, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 17, 62. 113 XXIV, 9, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 135, 43. 114 « Mais pourquoi en dirais-je davantage au sujet de la religion et de la piété chrétienne envers l’empereur?

Il est nécessaire que nous le respections comme celui que notre Seigneur a choisi, au point que je pourrais dire

à juste titre: César est plutôt le nôtre, puisqu’il a été institué par notre Dieu. » 115 « Nous sommes un corps en ce qui concerne la conscience de religion, l’unité de la discipline et le lien

d’espérance. » 116 XXXIX, 17, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 152, 80. 117 « Les chrétiens sont donc ennemis publics parce qu’ils ne rendent pas d’honneurs vains, mensongers et

irréfléchis aux empereurs et parce que, en hommes d’une religion vraie, ils célèbrent aussi les fêtes de ces

empereurs mais dans leur conscience plutôt que dans les débordements. »

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110

Mais le passage qui est beaucoup plus clair vient au début du chapitre XIV; dans la phrase

qui précède, Tertullien montre qu’il ne peut y avoir de religion romaine puisque les dieux

romains n’existent pas: ce passage est en lien avec l’accusation de lèse-majesté de la

religion. Dans le passage qui est traité ici, Tertullien montre que cette accusation retombe

sur les Romains (XXIV, 2, CCSL, 1, éd. E. Dekkers, p. 133, 8-11): At e contrario in uos

exprobratio ista resultabit, qui mendacium colentes ueram religionem ueri Dei non modo

neglegendo, quin insuper expugnando, in uerum committitis crimen uerae

irreligiositatis118.

On remarque d’emblée que Tertullien utilise encore une fois le verbe colere au

participe présent avec pour sujet les Romains. Ils honorent des mensonges (mendacium

colentes) et négligent la vraie religion: cette opposition pousse Tertullien à les déclarer

irréligieux. Encore une fois, il met l’accent davantage sur l’irréligiosité des Romains et

celle-ci est associée à l’idée qu’ils honorent des mensonges. Cela n’est pas sans rappeler

l’idée qui se trouve au chapitre précédent, voulant que la religion romaine n’existe pas

puisque les dieux romains n’existent pas non plus. Dans ces deux cas, l’idée de Tertullien

est de montrer la fausseté des dieux, ou les mensonges, ce qui est en quelque sorte la même

chose. Il ne rabaisse donc pas la religion romaine au rang de superstition, mais il veut plutôt

montrer la fausseté de la religion et l’irréligiosité des Romains et il le fait encore une fois

sans avoir recours au terme superstitio. Comme les Romains opposent religion et

superstition en ce que la première a quelque chose d’officiel et de cultuel et que la seconde

a quelque chose de non public et qu’elle est associée aux croyances, de réduire les pratiques

officielles romaines au rang de superstition n’aurait pas eu de sens pour les lecteurs de

Tertullien. Il apparaît donc que Tertullien veut plutôt montrer la fausseté de la religion

romaine et de ses dieux, ce à quoi il oppose la vraie religion du vrai Dieu. Il faut également

rappeler que cela intervient dans le chapitre XXIV, un chapitre dans lequel Tertullien veut

montrer la fausseté de la religion et l’irréligiosité des Romains. Il n’utilise la uera religio

qu’à une seule reprise hors de ce chapitre et, qui plus est, de façon indirecte119. En dehors

118 « Mais au contraire ce reproche retombera sur vous qui, adorateur du mensonge, non seulement en

négligeant la vraie religion du Dieu vrai, mais même en la combattant, commettez contre la vérité le crime

d’une vraie irreligion. » 119 Supra n. 117 p. 109.

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111

des arguments proposés au chapitre XXIV à XXVI, il faut rappeler que Tertullien se sert

plutôt de secta comme référent pour désigner le christianisme. Il est possible qu’il emploie

la plupart du temps le mot religio dans un dessein uniquement argumentatif; son texte

montre qu’il l’emploie comme référent, mais de façon beaucoup moins marquée que

sacramentum et secta120. Il semble donc que Tertullien n’a pas une préférence très grande

pour le terme religio et qu’il ne l’utilise que pour persuader un auditoire non chrétien, non

pas pour s’identifier.

2.3.2. L’hérésiologie

Les deux textes analysés, jusqu’ici, c’est-à-dire l’Ad nationes et l’Apologeticum, sont

des ouvrages apologétiques qui ont pour destinataires des non-chrétiens. En dehors de ces

textes, les occurrences de religio se font très rares dans les ouvrages de Tertullien et nous

renseignent peu au sujet de cette notion. On peut toutefois recueillir des données fort

intéressantes à partir de deux autres textes qui ont, cette fois-ci, pour destinataire des

chrétiens et ceux que Tertullien considère comme des « hérétiques »: il s’agit du

De praescriptione haereticorum, de l’Ad Valentinianos et de l’Aduersus Marcionem qui

s’adresse aux marcionites. La question de l’identité de ces groupes, marcionites et

valentiniens, peut être remise en question, à savoir si l’on doit considérer ces derniers

comme des chrétiens ou non. Ces traités sont analysés comme s’ils s’adressent à des gens

issus du christianisme121, qui ont quitté ce mouvement, ou à des chrétiens. Dans ce second

corpus, hérésiologique, l’analyse de sacramentum ne sera pas présentée puisque, lorsqu’il

s’adresse à des chrétiens ou des hérétiques, ce mot est utilisé dans un sens théologique, en

120 Contrairement à ses articles précédents (« Comment le christianisme... », 1985, p. 95-118;

« Religio/superstitio... », 1991, p. 355-394), M. Sachot nuance un peu l’importance de l’utilisation de religio

chez Tertullien en souglignant que le mot secta est davantage employé pour désigner le christianisme:

« Christianisme antique et catégories historiques », 1989, p. 30. À cela manque encore l’utilisation de

sacramentum qui sert également à faire référence au christianisme et ce, de façon encore une fois plus

importante que religio. 121 C’est en tout cas comme cela que Tertullien considère les hérétiques. Dans le passage d’introduction du

De praescriptione haereticorum, il a recours à un argument hérésiologique en indiquant que ces gens sont

issus des églises et cite un verset de la première épître de Jean (4, 1) qui rappelle que ceux qui ont quitté

l’Église n’étaient pas vraiment de l’Église: III, 13, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé, p. 189, 36-38.

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112

ce qu’il ne fait référence qu’à des cérémonies de baptême, à des rites, etc122. Une attention

particulière sera plutôt consacrée au sens attribué, dans ces trois ouvrages, à secta, religio et

superstitio. En effet, si, comme plusieurs commentateurs modernes le pensent, le mot

superstitio désigne une croyance erronée123, il va sans dire que Tertullien l’utiliserait sans

compter pour faire référence aux hérétiques, mais ce n’est pas le cas. Aussi, la question de

l’utilisation de secta comme référent pour désigner le christianisme devient également

délicate; comme ce mot est lié à ce que Tertullien dénonce, c’est-à-dire des haereses, et que

les destinataires sont des chrétiens et hérétiques, il va sans dire que la ligne est très fine et

qu’il peut difficilement utiliser secta pour se désigner.

2.3.2.1. De praescriptione haereticorum

Religio et superstitio sont très peu utilisées dans le De praescriptione haereticorum et

chaque terme n’apparaît qu’une seule fois. Concernant superstitio, Tertullien l’emploie

encore une fois lorsqu’il est question de Numa Pompilius, mais cette fois-ci, et

contrairement au passage de l’Apologeticum, il décrit ce qu’il associe à la superstitio de ce

roi romain (XL, 6, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé, p. 220, 11-16): Ceterum si Numae Pompilii

superstitiones reuoluamus, si sacerdotalia officia et insignia et priuilegia, si sacrificantium

ministeria et instrumenta et uasa, <si> ipsorum sacrificiorum ac piaculorum et uotorum

curiositates consideremus, nonne manifeste diabolus morositatem illam Iudaicae legis

imitatus est?124. Dans l’énumération, il devient clair que Tertullien a plutôt l’idée de

religion officielle en tête, mais, tout comme il le fait dans l’Apologeticum, il associe les

pratiques du temps de Numa à la superstitio. Il est possible que ce soit par artifice

rhétorique et pour enlever de la crédibilité à la religion romaine dont Numa est en quelque

sorte une figure importante. Mais il faut également voir que la superstitio de Numa imite la

122 Plutôt que de mettre une liste beaucoup trop importante d’occurrences tirés de ces trois textes, nous

renvoyons plutôt le lecteur à l’ouvrage de D. Michaélidès concernant le De praescriptione haereticorum, cf.

Sacramentum chez Tertullien, 1970, p. 92-95, 157-159 et 235-241; concernant l’Aduersus Valentinianos, cf.

p. 302-309 et enfin, concernant l’Aduersus Marcionem, consultez l’index p. 349-350. 123 Supra n. 65 p. 96. 124 « Du reste, si nous examinons les superstitions de Numa Pompilius, si nous considérons les devoirs des

prêtres, leurs insignes et leurs privilèges, si nous considérons le ministère des sacrifices et leurs instruments et

leurs vases et si nous considérons les curiosités des sacrifices, des expiations et des vœux eux-mêmes, n’est-il

pas évident que le diable a imité l’esprit scrupuleux de la loi judaïque? »

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113

morositas de la loi juive et s’approche dès lors du sens de « pratique exagérée ». Quoi qu’il

en soit, et même si l’on juge que Tertullien rabaisse la religion romaine au rang de la

superstitio, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un texte qui ne s’adresse pas aux

Romains dans un premier temps – il ne s’agit dès lors pas d’une rétorsion – et que si son

désir est de rabaisser la religion romaine dans cet ouvrage, on peut dire qu’il existe en fait

peu de passages qui relient la religion romaine à superstitio. La situation est donc moins

endémique que ne l’ont d’abord pensé les chercheurs. Tertullien par ailleurs, comme

intellectuel de son temps, peut utiliser de façon condescendante le mot superstitio sans

l’employer systématiquement pour désigner un phénomène religieux.

Religio quant à lui apparaît dans le texte sous forme adjectivale, et comme il s’agit de

l’unique occurrence, il convient dès lors de l’analyser. Ce passage est d’autant plus

intéressant qu’il traite du problème de la crainte de Dieu, tout comme le De ira Dei (XLIII,

5, CCSL, éd. R. F. Refoulé, p. 223, 9-14): At ubi Deus, ibi metus in Deum qui est initium

sapientiae. Vbi metus in Deum, ibi grauitas honesta et diligentia attonita et cura sollicita,

et adlectio explorata et communicatio deliberata et promotio emerita et subiectio religiosa

et apparitio deuota et processio modesta et ecclesia unita et Dei omnia125. On remarque

que Tertullien fait une longue énumération de choses qui sont rattachées à la crainte de

Dieu, passage qui reprend pas ailleurs des passages de l’AT (Prv 1, 7; 9, 10 et Ps 110, 10).

Parmi celles-ci, on trouve la subiectio religiosa: la soumission religieuse. Bien entendu, il

ne s’agit pas du mot religio, mais bien de son adjectif religiosus. Quoi qu’il en soit, ce

passage est le seul dans cet ouvrage de Tertullien qui permet de faire un rapprochement

entre la crainte de Dieu et un mot lié à religio. Cette utilisation intervient dans une longue

énumération et il est clair que Tertullien ne réduit pas la crainte de Dieu à l’unique fait

d’être religiosus. On remarque aussi que l’emploi de l’adjectif, combiné à la crainte de

Dieu, rapproche le concept du sujet plus que de l’objet: la religiosité est liée à la crainte de

Dieu éprouvée par la personne plutôt qu’à la religion en tant que culte célébré par le corps

civique. On note aussi que ce passage se trouve dans un ouvrage qui est destiné aux

125 « Mais où se trouve Dieu, là [aussi] se trouve la crainte de Dieu qui est le début de la sagesse. Où se trouve

la crainte de Dieu, là [aussi] se trouve la solennité honnête, le soin scrupuleux attentif, et le souci anxieux, le

choix assuré, la communication après mures réflexions, la promotion méritée, la soumission religieuse, le

service dévoué, la procession modeste, l’unité de l’Église et toutes les choses de Dieu. »

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114

chrétiens et non pas aux magistrats romains comme c’était le cas de l’Ad nationes et de

l’Apologeticum. C’est là l’unique passage dans lequel on trouve un terme relié à religio

dans le De praescriptione haereticorum.

Si religio et superstitio ne sont employées qu’une seule fois dans le

De praescriptione haereticorum, on ne trouve aucune occurrence de secta, mais Tertullien

utilise un mot de la même famille: sectator. Ce mot revient à trois reprises dans le texte,

mais jamais comme référent pour désigner les chrétiens. La première utilisation de sectator

est liée, non pas aux hérétiques, mais aux divers mouvements philosophiques. Or, elle

s’inscrit tout de même dans un lieu commun de l’hérésiologie, c’est-à-dire que l’hérésie

s’oppose à la vérité unique par sa diversité (VII, 8, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé, p. 193,

29-32): Fuerat Athenis et istam sapientiam humanam affectatricem et interpolatricem

ueritatis de congressibus nouerat, ipsam quoque in suas haereses multipartitam uarietate

sectarum inuicem repugnantium126. Plus loin, Tertullien s’interroge au sujet de Marcion et

Valentin et c’est alors que le terme sectator est appliqué à Valentin parce qu’il est disciple

de Platon (XXX, 1, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé, p. 210, 1-2): Vbi tunc Marcion, Ponticus

nauclerus, Stoicae studiosus? Vbi Valentinus Platonicae sectator?127. Ces deux premiers

extraits montrent que l’emploi du terme sectator suit en quelque sorte l’utilisation que les

Anciens en font dans le monde de la philosophie. Mais le dernier passage utilise le terme

tout autrement (XXXVII, 2, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé, p. 217, 6-9): Si enim haeretici sunt,

christiani esse non possunt, non a Christo habendo quod de sua electione sectati

haereticorum nomine admittunt128. Dans cet extrait, les mots sectatores et haeretici sont

utilisés sur le même plan; les sectatores, les sectateurs, sont ceux qui ont pris le nom des

haeretici, les hérétiques, et donc en sont les disciples. Il attribue à un mot de même famille

que secta, c’est-à-dire sectator, un sens qui est associé à la dissidence et donc, un sens

péjoratif. C’est pourquoi il ne peut utiliser secta pour désigner la forme de christianisme

126 « Il [Paul] avait été à Athènes et il avait découvert, dans ces discussions, cette sagesse humaine qui

recherche et altère la vérité, sagesse elle-même aussi divisée en hérésies au moyen d’une variété d’écoles en

guerre les unes contre les autres. » 127 « Où est alors Marcion, cet armateur de navire du Pont et admirateur du stoïcisme? Où est Valentin, ce

disciple du platonisme? » 128 « Si, en effet, ils sont hérétiques, ils ne peuvent être chrétiens, en ne recevant pas du Christ ce qu’ils

admettent, par leur nom d’ “hérétiques”, avoir adopté de leur propre choix. »

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115

qu’il professe lui-même. De façon générale, Tertullien désigne le christianisme par le mot

ecclesia et fait référence aux hérétiques par les termes haereticus et haeresis129. C’est par

cette opposition que les deux groupes sont désignés dans le traité130.

2.3.2.2. Aduersus Valentinianos

Le traité contre les Valentiniens ne contient pas les mots secta131 ou sectator.

Tertullien désigne ce courant de pensée par collegium inter haereticos (I, 1, CCSL, 2, éd.

A. Kroymann, p. 753, 1-2)132. Tertullien emploie uniquement les termes religio et

superstitio parmi les signifiants étudiés jusqu’ici. Ces termes interviennent dans

l’introduction du traité. Le mot superstitio semble désigner dans ce texte l’ensemble des

croyances attiques (I, 1-2, CCSL, 2, éd. A. Kroymann, p. 753, 7-9): Confusio praedicatur,

dum religio adseueratur. Nam et illa Eleusinia, haeresis et ipsa Atticae superstitionis, quod

tacent, pudor est133. Dans le contexte, Tertullien reproche aux Valentiniens de dissimuler ce

qu’ils enseignent et c’est pourquoi il fait un lien avec les Mystères d’Éleusis dont les

membres étaient tenus de garder le secret sur les rituels. Pour lui, cela crée une confusion,

même si les Valentiniens affirment qu’il s’agit d’une religion134. Tertullien décrit, en

revanche, les Mystères d’Éleusis comme une hérésie de la superstition des Athéniens. Il

semble que cette utilisation de superstitio renvoie simplement au sens de croyance.

129 Comme le montre les travaux de C. Munier, c’est principalement ces deux termes qui sont employés dans

le De praescriptione haereticorum: « Conceptions hérésiologiques de Tertullien », Augustinianum 20 (1980),

p. 257-266; « Analyse du traité de Tertullien De praescriptione haereticorum », Revue des sciences

religieuses 59 (1985), p. 12-32. 130 On remarque cette opposition à quelques endroits: III, 1-2, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé, p. 188, 1-4; IV, 5,

p. 190, 12-16; XXXII, 7, p. 213, 25-27. 131 Contrairement à ce qu’A. Le Boulluec trouve dans le traité d’Irénée concernant le mot grec αἵρεσις, les

latins ne semblent pas utiliser le mot secta dans un sens péjoratif: « Discours hérésiologique et dénominations

des "sectes" », dans N. Belayche et S. C. Mimouni (dir.), Les communautés religieuses dans le monde gréco-

romain: essais de définition, Turnhout, Brepols, 2003, p. 107-122. Tertullien l’emploie d’une part pour

désigner le christianisme et, d’autre part, il ne s’en sert pas dans sa querelle contre les Valentiniens. Il faut

noter aussi que la présence de secta dans le texte de Minucius Félix pour désigner le christianisme, cf. infra

n. 160 p. 123. 132 « Association parmi les hérétiques. » 133 « On prêche la confusion pendant que l’on affirme sérieusement qu’il s’agit d’une religion. De fait, les

mystères d’Éleusis, qui sont eux-mêmes une hérésie de la superstition des Athéniens, ces mystères sont

honteux en raison du secret qui les entoure. » 134 A. Le Boulluec note qu’il s’agit d’un lieu hérésiologique que de rabaisser son adversaire au niveau des

cultes à mystère: « Discours hérésiologique et dénominations des "sectes" », 2003, p. 116.

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116

Tertullien fait une association entre les Valentiniens et les Mystères d’Éleusis et qualifie

ces deux phénomènes d’hérésies. C’est ce vocable qui sert à montrer le caractère faux des

Mystères d’Éleusis, et par conséquent des Valentiniens, et non pas le mot superstitio. Bien

entendu, si le mot superstitio avait en lui l’idée de fausseté, l’énoncé aurait encore plus de

force, mais ce terme, bien qu’utilisé avec une certaine condescendance, ne semble pas

désigner le système religieux erroné. Cela n’empêche pas une certaine condescendance de

la part de l’intellectuel, tout comme c’était le cas chez Pline le jeune.

Une autre remarque concerne l’utilisation de religio dans ce passage: il reproche aux

Valentiniens en quelque sorte de se désigner par le terme de religio. La raison de ce

reproche devient plus évidente quelques lignes plus loin lorsqu’il désigne le christianisme,

celui de la Grande Église, par uera religio135. Dans ce passage, il reproche aux hérétiques

issus du christianisme d’avoir puisé à même les livres et les doctrines de la véritable

religion (uera religio). Dans ce contexte, puisqu’il s’adresse à des chrétiens concernant une

querelle qui se situe non pas avec les gens de l’extérieur comme c’était le cas dans l’Ad

nationes et l’Apologeticum, il assigne au christianisme le terme de religio sans utiliser

d’autres termes comme secta ou institutiones. Il est également intéressant de noter que

Tertullien n’a pas recours à la dichotomie religio/superstitio comme c’était bien souvent le

cas à son époque; il choisit plutôt d’opposer uera religio et haeresis et cette dichotomie

s’approche davantage d’une opposition entre vrai et faux que ne l’est religio et superstitio.

Encore une fois, si le mot superstitio répondait à cette idée de système religieux faux,

Tertullien aurait dû y avoir recours sans compter pour désigner ses adversaires, or il ne le

fait pas.

2.3.2.3. Aduersus Marcionem

L’Aduersus Marcionem contient beaucoup plus d’occurrences des mots secta, religio

et superstitio que les deux autres traités sur les hérésies; bien entendu, cet ouvrage est

beaucoup plus long que les deux autres. Même si le verbe sector intervient à plusieurs

reprises dans ce texte, l’analyse se concentrera sur le mot secta uniquement; le mot sectator

étant absent. Le sens de secta dans l’Aduersus Marcionem est différent du celui trouvé dans

135 I, 3, CCSL, 2, éd. A. Kroymann, p. 753, 20-21.

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117

les autres textes. Premièrement, il ne s’agit pas d’utiliser secta comme référent pour

désigner le christianisme; Tertullien l’utilise plutôt dans le sens de « doctrine ». Les deux

seules occurrences proposent en effet secta creationis: la doctrine du créateur136. Tertullien

n’utilise pas sectatores pour désigner ceux qui suivent à la doctrine de Marcion, pas plus

qu’il indique que ce mouvement est une secta. Pour faire référence aux disciples, il emploie

discipuli137 et désigne Marcion du mot haereticus138 et dénonce son enseignement comme

une haeresis139.

Le texte contre Marcion contient beaucoup d’occurrences de religio et superstitio et il

ne convient pas ici de les analyser toutes. On doit toutefois dégager les principales

caractéristiques de ces emplois. On remarque que Tertullien utilise superstitio dans un sens

tout à fait romain. Devant les deux dieux de Marcion, Tertullien se demande s’il doit

honorer les deux et, le cas échéant, il s’inquiète (I, 5, 5, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 446,

7-8): […] si ambos colerem, uererer, ne abundantia officii superstitio potius quam religio

existimaretur […]140. Puisqu’il craint que son excès ne soit jugé comme superstition,

Tertullien recourt à l’une des conceptions romaines de la superstitio qui est liée à la

pratique exagérée141. Il utilise aussi ce mot pour désigner la uulgaris superstitio qui est liée

à la mythologie142 et aussi pour faire référence aux croyances égyptiennes143. Or, on

remarque qu’il ne l’emploie jamais pour désigner la doctrine de Marcion ou son

mouvement. Même s’il indique que Marcion partage la même foi, il n’utilise jamais

136 IV, 23, 11, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 607, 21; IV, 27, 5, p. 619, 14-15. 137 I, 1, 6, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 442, 29. 138 I, 1, 6, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 442, 30. 139 I, 1, 6, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 442, 4. 140 « […] si j’honore les deux, je crains que l’abondance de mes offices ne soit jugée comme de la superstition

plus que de la religion […] » 141 D. GRODZYNSKI, « Superstitio », 1974, p. 47; J. SCHEID, « Religion et superstition à l’époque de Tacite.

Quelques réflexions », dans Religión, superstición y magía en el mundo romano, Cadiz, Depart. de historia

antigua de la Univ., 1985, p. 21; M. KAHLOS, « Religio and Superstitio... », 2007, p. 392. Cf. supra n. 24

p. 86. Il est possible que cette idée d’excès provienne davantage de l’adjectif superstitiosus qui contient cette

idée en raison de son suffixe –ossus. M. Sachot indique que le terme superstitio ne contient pas cette nuance

d’excès: M. SACHOT, « Religio/superstitio... », 1991, p. 377. Or, pour Tertullien, il semble que le substantif

soit tout de même relié au caractère excessif de l’adoration. 142 I, 13, 4, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 454, 16. 143 II, 14, 4, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 491, 23.

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superstitio pour désigner le marcionisme144. Il s’agit là encore d’un autre exemple qui

montre que Tertullien n’emploie pas ce mot pour désigner la fausse croyance.

L’analyse de l’utilisation de religio dans le traité Aduersus Marcionem nous permet

de renverser une conception qui a longtemps eu cours. En effet, on pense généralement

qu’Arnobe est le premier à avoir utilisé le référent religio christiana, mais on trouve cet

emploi à deux reprises dans le traité contre Marcion145. Il est par ailleurs intéressant de

noter qu’il n’emploie pas religio christiana dans ses traités apologétiques, mais lorsqu’il

s’oppose à Marcion. Peut-être veut-il établir des limites claires entre lui et les marcionites

qui, selon lui, sont extra religionem christianam? Il emploie religio à d’autres endroits

comme référent pour désigner tant le christianisme146 que le judaïsme147. Il existe toutefois

un chapitre de l’ouvrage qui s’avère très pertinent en lien avec la timor Dei: il s’agit du

chapitre 8 du livre V. Les deux occurrences de religio dans ce chapitre sont en quelque

sorte tirées du chapitre 11 du livre d’Isaïe. La première parle de l’Esprit (V, 8, 4, CCSL, 1,

éd. A. Kroymann, p. 686, 1-6): prodibit uirga de radice Iesse, et flos [de radice] ascendet

de uirga, et requiescet super eum spiritus dei. Dehinc species eius enumerat: spiritus

sapientiae et intelligentiae, spiritus consilii et ualentiae, spiritus agnitionis et religionis,

spiritus eum replebit timoris dei148. Il s’agit dès lors d’un autre exemple chez Tertullien où

interviennent la religion et la crainte de Dieu dans le même passage149. Or, il est difficile de

lier les deux concepts dans cette phrase. Il semble que l’esprit de religion est l’un des fruits

que la fleur, c’est-à-dire le Christ, produit. Mais c’est l’Esprit qui, de surcroît, remplira la

fleur de la crainte de Dieu; l’esprit de religion et la crainte de Dieu ne sont pas encore tout à

144 Par cela, on remarquera que si l’utilisation de religio et superstitio se fait dans un contexte discursif et ne

sert que l’argumentation, on s’étonne que Tertullien n’affuble pas les pratiques de Marcion du mot superstitio.

En effet, M. Kahlos désire interpréter et analyser « […] religio and superstitio as discursive categories that are

employed as an argumentative apparatus in labelling the correct and the incorrect. »: « Religio and

Superstitio... », 2007, p. 390. Si tel était le cas, Tertullien n’hésiterait pas à employer superstitio pour désigner

les hérétiques. 145 IV, 3, 1, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 584, 14; IV, 4, 2, p. 550, 8. 146 III, 20, 8, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 536, 25; IV, 17, 13, p. 588, 8. 147 IV, 35, 10, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 641, 19. 148 « Une branche s’élèvera de la racine de Jesse, et une fleur jaillira de cette branche, et l’Esprit de Dieu

reposera sur elle. Après cela il énumère les fruits de celle-ci: l’esprit de la sagesse et l’intelligence, l’esprit du

conseil et du courage, l’esprit de la connaissance et de la religion, et l’Esprit le remplira de la crainte de

Dieu. » 149 Le passage du De praescriptione haereticorum XLIII, 5 a déjà été relevé. Supra n. 118 p. 110.

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119

fait sur le même plan, quoique dans l’esprit du texte ils semblent être très proches. Mais le

second extrait, qui reprend le même texte d’Isaïe, met la crainte de Dieu et l’esprit de

religion côte à côte. Il s’agit d’un passage qui décrit les divers dons de l’Esprit et la

répartition de ceux-ci. Tertullien combine un verset de la première lettre aux Corinthiens et

le passage d’Isaïe (V, 8, 8, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 687, 14-16): […] alii sermo

scientiae: hic erit sermo intellegentiae et consilii; alii fides in eodem spiritu: hic erit

spiritus religionis et timoris dei […]150. Au don de la foi est accolé l’idée de la religion et la

crainte de Dieu. Bien entendu, l’esprit de la religion ne dépend pas de la crainte de Dieu

comme c’est le cas dans le De ira Dei de Lactance. Mais cette proximité permet de noter

quelques points.

Premièrement, à regarder certaines versions anciennes du texte d’Isaïe, obtenues par

des citations patristiques, on remarque que ce n’est pas toujours l’esprit de la religion qui

est dans ce passage. Par exemple, Cyprien, dans l’Ad Quirinum, cite ce passage d’Isaïe,

mais l’esprit de la piété prend la place de l’esprit de la religion (II, 11, CCSL, 3, éd.

R. Weber, p. 43, 11-p. 44, 15); il en est de même dans la Vulgate de Jérôme151. Cela suit de

plus près le texte grec qui propose eusebia. Il semble que les traductions proposées par

Cyprien et Jérôme conviennent mieux pour plusieurs raisons. Premièrement, il est plus

naturel de traduire eusebia par pietas; la proximité avec la crainte de Dieu suggère un sens

qui est plus centré sur la personne et pietas convient mieux en ce sens que religio. On peut

par ailleurs dire que religio, dans le texte de Tertullien, ne semble pas renvoyer à une

conception axée sur le culte ou à un sens objectif de religio, mais plutôt à une définition

subjective. De plus, il n’emploie pas l’adjectif religiosus qui est relié à la personne,

davantage que ne l’est le concept religio152. Cette première observation permet de souligner

que lorsque le terme religio est sur le même plan que la crainte de Dieu, ou lié à celle-ci,

religio prend un sens qui est subjectif plutôt qu’objectif. On peut par ailleurs noter que ce

sens émerge suite à un contact avec les sources juives, c’est-à-dire le texte d’Isaïe. Bien

150 « […] un autre aura la parole de la connaissance; là sera la parole de l’intelligence et du conseil; un autre

aura la foi dans ce même Esprit: là sera l’Esprit de la religion et la crainte de Dieu […] ». 151 Is 11, 2, Biblia Sacra iuxta uulgatam uersionem, éd. B. Fisher et al., p. 1108. 152 C’est par ailleurs l’adjectif religiosus qui était lié à la crainte de Dieu dans l’extrait du De praescriptione

haereticorum (XLIII, 5). Supra n. 125 p. 113.

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120

entendu la pietas existe à Rome, mais la crainte de Dieu n’en fait pas partie: cela est plutôt

relié à la superstition chez certains penseurs comme Varron et Cicéron153. La crainte est

plutôt un thème juif. Il faut également mentionner que ce lien entre timor Dei et religio,

aussi tenu soit-il, partage une similarité avec le passage du De praescriptione haereticorum:

les deux extraits sont des citations des Écritures juives154. On peut dès lors noter une

seconde observation: les contacts entre la religio et le timor Dei émanent du judaïsme plus

que de la romanité.

Conclusion

Cette enquête sur le corpus de Tertullien permet de voir qu’il existe très peu de liens

entre la timor Dei et la religio. Ces quelques extraits sont présents, non pas dans les textes

qui s’adressent aux non-chrétiens, mais dans les ouvrages qui traitent de doctrine chrétienne

principalement contre des mouvements que Tertullien considère hérétiques. On note

également que la notion de religio devient dans un tel contexte plus liée à la piété et relève

d’une définition subjective de la religion plutôt qu’objective.

Ce survol a également permis de revoir quelques propositions qui ont été formulées

dans la recherche moderne. L’idée que Tertullien opère une rétorsion, désignant le culte

romain de superstitio en réponse aux accusations romaines qui faisaient du christianisme

une superstitio, ne résiste pas à une lecture approfondie du texte. Il semble clair que

l’accusation des non-chrétiens à l’endroit du christianisme, du moins celle que Tertullien

entend réfuter, est celle de lèse-majesté de la religion: cela montre à quel point la

préoccupation des Romains ne repose pas sur les doctrines chrétiennes, à savoir si elles sont

vraies ou fausses, mais sur la relation des chrétiens avec les cultes officiels. C’est pour cette

raison qu’il argumente que les chrétiens ne peuvent être coupables de cette accusation

puisque les dieux romains n’existent pas et qu’il s’en suit que la religion romaine n’existe

pas. Il renverse aussi l’idée voulant que la grandeur de Rome soit venue de la religiosité:

pour lui, la religiosité s’est constituée après les conquêtes. La religio est par ailleurs

153 Infra n. 265 p. 242. 154 Nous pensons à la citation des livres des Proverbes et des Psaumes (Prov. 1, 7; 9, 10 et Ps 110, 10) dans le

De praescriptione haereticorum. Supra n. 125 p. 113.

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présentée sous un mauvais jour puisqu’elle a subi l’influence de l’Étrurie et de la Grèce; il

peint un portrait de la superstition du temps de Numa qui est nettement idéalisé en regard

de l’état de la religion après les conquêtes.

Au niveau de l’utilisation des mots, Tertullien désigne le christianisme de façon

nettement plus fréquente, lorsqu’il s’adresse aux non-chrétiens, par le mot secta, voire par

secta christiana, ou par sacramentum. Il emploie bien entendu le terme religio pour décrire

le mouvement chrétien, mais très peu en comparaison des autres termes. Il emploie

également religio le plus souvent dans un sens que l’on trouve dans les textes latins non

chrétiens pour faire référence aux cultes romains, juifs, à la religion des camps, et aussi au

christianisme; il utilise superstitio la plupart du temps dans un sens très romain (cultes non

officiels ou croyances) et désigne très peu les cultes romains par ce mot, surtout si l’on

compare avec la très grande quantité d’occurrences du terme religio pour désigner la réalité

des Romains. En dehors du fait qu’il répond plutôt à une accusation de lèse-majesté de la

religion, on ne peut conclure, par l’utilisation des termes, que Tertullien rabaisse le culte

romain à une superstition, ou qu’il opère une rétorsion, même s’il utilise superstitio de

façon condescendante. Il utilise peu le terme religio pour faire référence au christianisme et

emploie peu le mot superstitio pour désigner le culte romain: la dichotomie trop souvent

présentée, celle qui propose que religio désigne le christianisme et que superstitio fasse

référence aux cultes non chrétiens ineptes ne peut être établie à partir de l’ensemble des

textes de Tertullien155.

155 Le genre de jugement que J. Mitchell propose ne peut se fonder sur les textes de Tertullien: « Here we

have a clear example of the distinction that Christians of this period already made: religio is Christianity, and

superstitio is pagan nonsense. »: « The Transformation of Christianity from a Cult of superstitio to the Only

religio uera During the Fourth Century’ », Rosetta 15.5 (2014), p. 48. Il fonde pourtant son argument sur le

chapitre 24 de l’Apologeticum qui concerne les croyances des Égyptiens.

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122

2.4. Minucius Félix

Introduction

L’analyse de l’Octauius de Minucius Félix s’avère très importante pour l’étude de la

notion de religio dans le traité De ira Dei156. Cela s’explique en partie parce que les deux

textes essaient de sauvegarder l’idée de la Providence divine contre certaines idées

répandues dans la philosophie antique. De plus, on remarque que Lactance reprend des

idées proposées dans le discours d’Octavius en réponse au non-chrétien Cécilius. C’est le

cas notamment de l’exemple des paragraphes 4-7 du chapitre XVIII de l’Octauius qui sont

repris en De ira Dei 11, 4; il s’agit de l’argument voulant qu’il ne puisse y avoir qu’un seul

Dieu qui gouverne le monde. On trouve également le lieu commun proposé dans plusieurs

textes chrétiens de la distinction entre l’homme et la bête. Cette dernière a la tête courbée

vers le sol, tandis que l’homme a la tête vers le ciel et peut le contempler et chercher

Dieu157. Ce texte est également une source latine précieuse pour montrer l’importance de la

critique des atomes dans une discussion au sujet de la religion. Cette réflexion était bien

entendu présente chez Lucrèce et Cicéron158, mais le texte de Minucius Félix montre que

Lactance n’est pas le seul chrétien à l’aborder.

L’analyse de ce traité doit toutefois être menée avec précaution, car il s’agit d’un

dialogue composé de trois personnes: deux chrétiens et un non-chrétien. Ce dialogue est par

ailleurs précieux puisqu’il permet de juxtaposer les arguments d’un non-chrétien et les

réponses apportées par un chrétien. Or, peu importe qui prend la parole, il va de soi que

156 L’Octauius aurait été écrit entre 210 et 245: K. SALLMANN (dir.), Nouvelle histoire de la littérature latine:

l’âge de transition de la littérature romaine à la littérature chrétienne de 117 à 284 après J.-C., vol. 4, p. 573.

Concernant l’antériorité de Tertullien par rapport à Minucius Félix, C. Tibiletti indique que le second reprend

un passage de l’Apologeticum du chapitre 17, prouvant ainsi qu’il est postérieur à Tertullien: C. TIBILETTI,

« Il problema della priorità Tertulliano-Minucio Felice », 1991, p. 23-34. 157 On trouve ce lieu commun chez Minucius Félix, Octauius, XVII, 2; Lactance, De ira Dei, 7, 5, et 10, 5;

Institutiones diuinae, II, 1, 18; II, 10, 11; Cyprien, Ad demetrianum, 16, 1-2; Prudence, Contra Symmachum,

2, 262. On trouve également cette idée chez les non-chrétiens: Ovide, Metamorphoses, I, 185; Cicéron, De

legibus, 1, 26; Sénèque, Epistula, 92, 30. Infra p. 225. 158 C. Ingremeau a montré la bonne connaissance que Minucius Félix avait du De natura deorum de Cicéron.

Elle mentionne également les différentes sources de la discussion sur la théorie atomique qui serait, chez

Minucius, influencée par la lecture de Lucrèce, Virgile et Ovide. Elle souligne également que Minucius

connaissait des fragments d’Épicure qui ne sont parvenus à nous que par Lactance: C. INGREMEAU,

« Minucius Félix et ses "sources": le travail de l’écrivain », Revue des études augustiniennes 45 (1999),

p. 3-20.

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123

c’est d’abord et avant tout la pensée de Minucius Félix qui est présentée, qu’il s’agisse de

ses idées sur la façon dont les non-chrétiens perçoivent les chrétiens ou encore qu’il

s’agisse de sa présentation du christianisme. Or, les mots utilisés par Cécilius, le non-

chrétien, n’ont pas pour autant moins de valeur, car leur analyse permet de relever comment

les chrétiens, Minucius Félix dans ce cas-ci, percevaient le discours des non-chrétiens,

voulaient le présenter à leurs coreligionnaires, ou encore aux non-chrétiens: le discours

demeure néanmoins un discours chrétien et l’analyse doit plutôt porter sur la façon dont les

chrétiens construisent la pensée des non-chrétiens.

L’étude des mots utilisés dans l’Octauius demeure sensiblement la même que celle

employée dans l’étude des ouvrages de Tertullien, à l’exception de sacramentum qui ne

figure pas dans l’ouvrage de Minucius Félix. L’emploi des adjectifs superstitiosus et

religiosus seront notés sans toutefois les analyser en profondeur, à moins que le passage

mérite une attention particulière. Les trois discours seront abordés en deux temps; dans un

premier temps, l’exposé de Cécilius sera étudié et, dans un second temps, les discours de

Marcus (Minucius Félix) et d’Octavius feront l’objet de remarques.

2.4.1. L’exposé de Cécilius

Le mot secta apparaît à quatre reprises dans le traité et est toujours dans la bouche de

Cécilius. Dans l’esprit de Minucius Félix, les non-chrétiens désignent le christianisme

comme une secta, mais les chrétiens ne se désignent jamais par ce terme dans le traité, ce

qui est contraire à l’habitude de Tertullien. En dehors d’un emploi qui désigne les divers

mouvements de philosophes159, le mot secta réfère à trois reprises au christianisme160. Mais

comme Cécilius se convertit au christianisme à la fin du traité, il doit être noté qu’il utilise

secta à deux reprises pour désigner l’autre161 – c’est-à-dire les chrétiens – et à une reprise

159 V, 4, BT, éd. B. Kytzler, p. 3, 25. 160 A. Le Boulluec note que l’utilisation du mot αἵρεσις chez Irénée est péjoratif, ce qui n’est pas le cas chez

les auteurs latins: « Discours hérésiologique et dénominations des "sectes" », 2003, p. 107-122. Cf. supra

n. 131 p. 115. 161 IV, 4, BT, éd. B. Kytzler, p. 3, 1; XI, 6, p. 9, 18. C. Lange pense que le passage IV, 4 montre le mépris de

Cécilius à l’endroit du christianisme tandis que l’utilisation de secta uestra en XI, 6 serait ironique. Il conclut

par la suite que l’utilisation de secta par Minucius se fait dans le but de répondre aux attaques de Fronton et

Celse: « Das Christentum als secta? Ein Vorschlag zur Lesung Von Minucius Félix 4, 4 », Studia patristica

36 (2001), p. 356-363; cela n’est pas impossible, mais Tertullien utilise également quelques années

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pour désigner son appartenance en tant que chrétien162. On remarque que dans l’esprit de

cet auteur chrétien, Cécilius n’abandonne pas le mot secta pour désigner le christianisme

une fois qu’il se convertit et donc, il va de soi qu’il ne s’agit pas ici d’une utilisation qui

aurait pu être négative. Il est également possible que les non-chrétiens n’aient pas

l’habitude de faire référence aux chrétiens par ce mot et que Minucius Félix le fasse pour

mieux désigner le christianisme. Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que

l’Octauius, à l’instar de certains ouvrages de Tertullien, utilise secta pour désigner le

christianisme.

Concernant les termes superstitio et religio, on note que, de façon générale, Cécilius a

recours aux significations habituelles de ces mots. Le mot religio est principalement utilisé

dans le discours de Cécilius pour désigner la réalité des cultes romains. On remarque dès

lors qu’il est relié au verbe colere163, à l’ancienneté164, aux rites et aux autres aspects du

culte romain comme les temples et les statues pour ne nommer que ceux-ci165. Il est

également utilisé comme adjectif et signifie pieux166. Il utilise également le mot religio

pour désigner le christianisme; il s’agit d’un passage dans lequel Cécilius indique que le

christianisme est une religion du désir et que les chrétiens, qui se nomment frère et sœurs,

se mélangent dans des actes de chair167. Dans l’exposé de Cécilius, l’utilisation de religio

désigne à deux reprises d’autres cultes que les cultes romains. Il s’agit du passage qui vient

d’être énoncé au sujet des chrétiens, mais également celui-ci (VII, 2, BT, éd. B. Kytzler,

p. 5, 22-24): iam eos deprehendes initiasse ritus omnium religionum, uel ut remuneraretur

diuina indulgentia uel ut auerteretur imminens ira aut ut iam tumens et saeuiens

auparavant le mot secta pour désigner le christianisme. L’utilisation de secta n’est donc pas uniquement le fait

d’un conflit avec la philosophie, même si plusieurs auteurs montrent que l’Octauius traite précisément de

problèmes philosophiques: A. FÜRST, « Der philosophiegeschichtliche Ort von Minucius Félix’ Dialog

Octauius », Jahrbuch für Antike und Christentum 42 (1999), p. 42-49; A. MAZEWSKI, Minucii opus ut

"protrepticum" ad ueritatem inquirendam (Excerptum), Rome, Pontificia Studiorum Universitas Salesiana,

1999. 162 XL, 2, BT, éd. B. Kytzler, p. 37, 14. 163 VI, 1, BT, éd. B. Kytzler, p. 4, 33. 164 VIII, 1, BT, éd. B. Kytzler, p. 6, 21. 165 VI, 2, BT, éd. B. Kytzler, p. 5, 5-14; VII, 2, p. 5, 22-23. 166 V, 9, BT, éd. B. Kytzler, p. 4, 10; VI, 2, p. 5, 7. 167 IX, 2, BT, éd. B. Kytzler, p. 7, 13.

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placaretur168. On remarque deux choses dans ce passage. Cécilius, en utilisant le mot

religio pour désigner les cultes des autres nations, montre que ce terme ne référait pas

uniquement à la religion officielle et traditionnelle romaine, mais pouvait désigner les

religions traditionnelles et officielles des autres nations, du moins dans l’esprit de Minucius

Félix169. La seconde remarque porte sur l’essence de cette religion décrite par Cécilius.

Comme il s’agit d’apaiser la colère des dieux ou les récompenser en cas d’indulgence, on

note que cette façon d’entrevoir la religion s’éloigne de la vision de Varron et de Cicéron.

La vision de la religion romaine proposée par Minucius Félix par l’entremise de Cécilius

s’approche probablement plus de la conception adoptée par le citoyen romain moyen que

celle des grands penseurs de la philosophie de la religion, et ce même si plusieurs ont noté

que le dialogue répond à des problèmes d’ordre philosophique170. Mais afin d’y voir plus

clair, il faut reprendre une partie de l’exposé de Cécilius et suivre pas à pas son

développement afin d’arriver à ce passage qui se trouve à la fin de la partie sur les doctrines

philosophiques et la domination de Rome.

Les chapitres V à VIII sont consacrés à la philosophie et la crainte des dieux joue un

rôle très important dans la définition de la religion. Après une brève introduction, Cécilius

présente les pensées stoïcienne et épicurienne sur la formation de l’univers171. Il indique la

conséquence directe de ces deux pensées: si le feu a allumé tous les astres ou si l’univers

s’est fait de la rencontre fortuite des atomes, où est le dieu architecte? Cela soulève le

problème très familier aux discussions de Lucrèce, Cicéron et Lactance. Il poursuit en

s’interrogeant au sujet de la religion, la crainte et la superstition (V, 7, BT, éd. B. Kytzler,

p. 4, 5-6): unde haec religio, unde formido, quae superstitio est?172 Tout comme chez

Lucrèce et Cicéron, il y a un lien direct entre la religion et la formation du monde et cette

question est inévitable dans l’Antiquité latine, car s’il n’y a pas de dieu créateur, ou

168 « Tu découvres à ce moment que [nos ancêtres] ont introduit les rites de toutes les religions, ou bien pour

que soit récompensée l’indulgence divine, ou bien pour que soit détournée la colère menaçante, ou pour

l’apaiser lorsqu’elle est déjà effervescente et cruelle. » 169 Concernant les tenants d’une signification de supersitio qui désignerait les cultes étrangers, cf. supra n. 24

p. 86. 170 Supra n. 158 p. 122 et n. 161 p. 123. 171 V, 7, BT, éd. B. Kytzler, p. 4, 1-6. 172 « D’où vient cette religion, d’où vient cette crainte, quelle est cette superstition? »

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architecte, c’est donc qu’il n’y a pas de Providence divine. S’il n’y a pas de Providence

divine, quel besoin y a-t-il de la religion? Dans le cas de Lucrèce, les dieux sont bien réels,

mais ils n’interviennent toutefois pas dans les affaires des hommes et, pour lui, cela anéantit

le besoin de la religion. L’absence de Providence divine ne détruit pas toujours la religion,

comme dans le cas de Cécilius, mais elle transforme sa conception. Puisqu’il conserve la

religion même s’il nie la réalité de la Providence, Cécilius conçoit une religion qui est axée

sur la relation bienveillante entre les hommes et les dieux (pax deorum). Or, il remplace la

Providence par autre chose.

Concernant la Providence divine, Cécilius avance l’argument que celle-ci n’existe pas

parce que la nature sévit contre toutes choses indistinctement (V, 9, BT, éd. B. Kytzler, p. 4,

10-17). Elle frappe les lieux sacrés et profanes ainsi que les coupables et les gens religieux.

Pour lui, la Providence divine ne pourrait frapper ses propres lieux sacrés et les gens qui

l’honorent. Au chapitre suivant, le chapitre VI, il en indique la conséquence: la Providence

n’existe pas, mais la Fortune est bien réelle (V, 13, BT, éd. B. Kytzler, p. 4, 28-30). Il

propose donc que s’il existe une Fortune, avec ses circonstances incertaines et diverses, et

si la vérité reste cachée, il faille dès lors se tourner vers les enseignements des ancêtres, la

religion traditionnelle et adorer les dieux que l’on a appris à craindre à l’école de ses

parents. Selon lui, il n’y a pas lieu d’avoir de réflexion sur la nature des dieux, on doit

accepter ce que les Anciens en ont dit – on reconnaît là le discours de Cotta dans le

De natura deorum de Cicéron173. Après avoir décrit les philosophies stoïcienne et

épicurienne pour montrer qu’il ne peut accepter la Providence divine, Cécilus met en place

l’argument en faveur de la Fortune et du mos maiorum dans le but de montrer la supériorité

de Rome. En effet, dans la poursuite du chapitre VI, la Fortune et le mos maiorum laissent

rapidement place aux conquêtes de Rome réalisées en raison du zèle religieux de ses

citoyens. De plus, durant l’expansion de leur empire, les Romains ont commencé à vénérer

les divinités vaincues et adopter les rites des autres nations. À ce moment, on revient au

173 CICERON, De natura deorum, III, 2, 5, BT, 45, éd. W. Ax, p. 119, 11-14: quod eo credo ualebat, ut

opiniones, quas a maioribus accepimus de dis immortalibus, sacra caerimonias religionesque defenderem.

Ego uero eas defendam semper semperque defendi […]: « Ce que cela me vaut, je crois, est de défendre les

opinions, que j’ai reçues de mes ancêtres au sujet des dieux immortels, ainsi que les rites, les cérémonies et

les cultes. En vérité, je les défendrai toujours comme je les ai toujours défendus […] »

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chapitre VII qui montre pourquoi les Romains ont honoré les dieux étrangers et adopté les

rites d’autrui: afin de détourner la colère menaçante des dieux ou pour les récompenser174.

Cette présentation de la pensée romaine s’éloigne de la tentative de Tertullien pour

montrer que la domination romaine est reliée à l’irréligiosité des Romains; or, il s’agit de

l’exposé de Cécilius le non-chrétien et Octavius se chargera de répondre avec des idées

similaires à celles de Tertullien. L’auteur Minucius Félix a voulu mettre dans la bouche

d’un non-chrétien cette idée des emprunts de la religion romaine à d’autres religions. Il

voulait peut-être montrer que la religion des Romains n’est pas exempte d’ajouts et qu’elle

n’est donc pas aussi pure et aussi ancienne que les Romains le prétendent. Mais, concernant

l’enquête sur la notion de religion, il faut souligner davantage que la conception de la

religion proposée par Cécilius met l’accent sur la relation entre les hommes et les dieux;

celle-ci s’opère sur deux plans: le premier concerne les remerciements adressés aux dieux

pour les indulgences, et le second montre la crainte envers les dieux. On trouve dans la

pensée de Cécilius cette relation bienveillante entre les hommes et les dieux, mais,

contrairement à des penseurs comme Varron et Cicéron, cette relation se fonde également

sur la crainte des dieux. Varron et Cicéron ne retenaient que la « relation bienveillante »

entre égaux, mais il s’agit d’un idéal qui semble être celui de l’élite philosophique et non

pas celui de tous les citoyens dans leur pratique quotidienne. En ce sens, Minucius Félix

nous donne une description qui correspond probablement à la religiosité du citoyen moyen,

et non pas à l’idéalisme philosophique des auteurs latins.

Avant d’analyser les éléments de réponse d’Octavius, il convient toutefois de

compléter l’enquête sur le passage de Cécilius. La première partie qui a été analysée

consiste en la description des doctrines philosophiques et la supériorité de Rome, la

seconde partie de l’exposé de Cécilius est une critique du christianisme.

Dans son exposé, on remarque que Cécilius utilise le mot religio pour désigner le

christianisme et n’y fait jamais référence à l’aide de superstitio. Comme mentionné

précédemment, il emploie religio pour indiquer que le christianisme est une religion du

désir et il ajoute, un peu plus loin (IX, 3, BT, éd. B. Kytzler, p. 7, 19-20), qu’elle est […]

174 Supra n. 168 p. 125.

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digna et nata religio talibus moribus175. Il affirme plus loin qu’elle est une praua religio176

ce qui nous rappelle la lettre de Pline le Jeune177. Or, dans cette missive, Pline emploie

plutôt le mot superstitio. On peut penser que Minucius Félix transforme le discours des

non-chrétiens en remplaçant le mot superstitio par religio. Mais l’on peut également penser

que le christianisme ainsi que d’autres phénomènes religieux qui n’étaient pas considérés

comme des religiones à l’époque de Pline sont de plus en plus nommés religio à l’époque

de Minucius Félix. Autrement, le texte aurait été difficilement compréhensible pour un

lecteur non chrétien qui voit le christianisme présenté comme une religion officielle: si les

chrétiens emploient ce terme, c’est dès lors qu’il pouvait être compris dans un sens plus

général pour désigner divers phénomènes religieux. On doit donc penser que le terme est

employé de plus en plus pour référence à des phénomènes qui étaient qualifiés de

superstitiones à l’époque de Pline.

Le fait de déplacer le christianisme dans la sphère de la religio pose certains

problèmes que Cécilius va énumérer, principalement le fait que le christianisme ne

correspond en rien à une religio. Après avoir soulevé des questions qui touchent à la

conception de la religion, Cécilius s’étonne du fait que la religio des chrétiens n’a pas de

temples, pas d’effigies et note en conséquence l’absence du dieu chrétien (X, 3, BT, éd. B.

Kytzler, p. 8, 18-19): Vnde autem uel quis ille aut ubi deus unicus solitarius destitutus,

quem non gens libera, non ragna, non saltem Romana superstitio nouerunt?178. Il n’est pas

impossible que Minucius Félix fasse une pointe aux Romains dans ce passage. En effet,

Cécilius, qui est issu d’un peuple qui a vaincu et assimilé tous les dieux des autres nations,

n’a pas connu le Dieu du christianisme. En d’autres termes, Minucius Félix rappelle peut-

être aux Romains qu’ils n’ont aucune emprise sur le christianisme et que, puisqu’ils n’ont

pas connu le Dieu unique, ils ne l’ont pas vaincu. Mais cela peut également être relié à des

accusations portées à l’endroit du christianisme au temps de Minucius Félix. Si les

chrétiens, comme d’autres adeptes des phénomènes religieux de l’époque, utilisent le mot

175 « […] une religion digne de telles mœurs et destinée à de telles mœurs. » 176 X, 1, BT, éd. B. Kytzler, p. 8, 12. 177 Supra n. 21 p. 85. 178 « Or, d’où est-il, qui est-il et où est-il ce dieu unique laissé à l’écart en solitaire, qu’aucune nation libre,

aucun royaume, pas même la religion romaine n’a connu? »

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religio pour désigner le christianisme, peut-être que les arguments des non-chrétiens à

l’endroit des chrétiens concernaient le fait que le christianisme ne répond en rien au signifié

de religio. En ce sens, Minucius Félix met peut-être dans l’exposé de Cécilus un reproche

qui était véritablement formulé contre le christianisme, à savoir que le christianisme ne

correspond pas vraiment à une religio. Quoi qu’il en soit, on remarque que si les non-

chrétiens avaient accusé les chrétiens de prendre part à une superstitio, on peut penser que

Minucius Félix aurait plutôt mis cela dans le discours de Cécilius afin de pouvoir y

répondre. Or il ne le fait pas. Sans affirmer que l’exposé de Cécilius est représentatif des

accusations de l’époque, on peut certainement souligner que Minucius Félix ne juge pas

qu’il faille répondre à l’accusation de superstitio: probablement parce qu’elle n’est pas très

répandue au moment où il écrit l’Octauius.

Un autre fait étonne: dans cet extrait, tandis que Cécilius utilise religio pour parler du

christianisme, il emploie superstitio pour désigner la religion romaine. De plus, on peut

penser qu’il a recours à superstitio d’une manière condescendante. Car utiliser superstitio

pour désigner la réalité du culte romain, et le réduire à une croyance ou culte privé, bien

que cela soit compréhensible pour un contemporain de Minucius Félix, est également une

manière de rabaisser le culte romain, du moins lui enlever son importance, et ce même si

superstitio ne représente pas un culte faux. En ce sens, on remarque que l’Octauius de

Minucius Félix correspond davantage à l’idée de certains commentateurs qui voient dans

l’utilisation de superstitio et religio un renversement d’accusation179. Les données

recueillies dans les ouvrages de Tertullien montrent qu’il utilise peu l’idée que le

christianisme est une religio, tandis que les passages qui taxent la religion romaine de

n’être qu’une superstitio sont très peu présents. Il semble que ce renversement existe bien

dans l’ouvrage de Minucius Félix, il devient certainement patent dans le discours des deux

chrétiens.

2.4.2. Marcus

L’introduction de l’ouvrage de Minucius montre que cette opposition de superstitio et

de uera religio est bien présente dans la pensée des deux chrétiens du dialogue (I, 5, BT, éd.

179 Supra n. 32 p. 89.

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B. Kytzler, p. 1, 13-16): itaque cum per uniuersam conuictus nostri et familiaritatis

aetatem mea cogitatio uolueretur, in illo praecipue sermone eius mentis meae resedit

intentio, quo Caecilium superstitiosis uanitatibus etiamnunc inhaerentem disputatione

grauissima ad ueram religionem reformauit180. On remarque toutefois qu’il ne s’agit pas

d’une opposition directe entre superstitio et uera religio; il s’agit plutôt d’opposer

superstitiosa uanitas à la uera religio. On peut penser que l’emploi pluriel de uanitati –

superstitiosi est seulement un adjectif qui vient qualifier uanitati – désigne l’ensemble des

croyances et arguments proposés par Cécilius dans son exposé. Le texte ne confronte pas

directement la religio romaine à la uera religio chrétienne. Il existe une confrontation de

l’ensemble de la pensée de Cécilius à la vraie religion chrétienne: il est toutefois difficile de

confirmer qu’il s’agit d’un renversement. L’auteur veut répondre à des accusations et faire

valoir sa situation et son opinion, il est clair que son texte ne fait pas dans la dentelle, mais

d’affirmer que la religion romaine est dépeinte par lui comme une superstitio dans le sens

d’une fausse opinion religieuse, et par là un retournement, paraît aller trop loin.

En poursuivant son introduction au dialogue, Marcus nous propose un exemple de ce

qu’il entend par superstitio (II, 4, BT, éd. B. Kytzler, p. 2, 3-4): […] Caecilius simulacro

Serapidis denotato, ut uulgus superstitiosus solet, manum ori admouens osculum labiis

pressit181. On peut encore une fois noter l’emploi de l’adjectif superstitiosus et non pas du

substantif. Le fait qu’il compare Cécilius à l’homme ordinaire nous renseigne peut-être sur

le discours lui-même. En effet, il a déjà été noté que la religion romaine décrite par

Minucius ne correspondait pas tout à fait à la pensée de l’élite philosophique romaine. Le

comportement de Cécilius le rapproche justement de l’homme ordinaire romain et cela

indique à quel niveau se déroule le combat de Minucius Félix182. Même si l’on y trouve les

différents éléments de la philosophie de la religion romaine, c’est-à-dire les références

habituelles depuis le De natura deorum comme la question de la Providence, des atomes,

etc., on remarque toutefois que la religion décrite, parfois sous le nom de superstitio, n’a

180 « C’est pourquoi, lorsque ma pensée parcourait au travers toute cette période de notre intimité et amitié,

mon attention resta spécialement sur son entretien que j’avais en tête, où, par une discussions des plus

sérieuses, il convertit Cécilius encore attaché à des vanités superstitieuses à la vraie religion. » 181 « Cécilius, après avoir observé une statue de Sérapis, comme un homme ordinaire et superstitieux en a

l’habitude, approcha sa main de sa bouche et l’embrassa de ses lèvres. » 182 Il le fait par ailleurs à d’autres endroits: XVIII, 11, BT, éd. B. Kytzler, p. 16, 2; XXIV, 5, p. 22, 1.

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pas la teneur de la religio des traités de Cicéron. Ces deux passages proviennent par ailleurs

de l’introduction au dialogue et donc donnent en quelque sorte la tonalité du reste de

l’ouvrage. Il est possible que l’emploi de superstitio dans le traité fasse davantage référence

aux pratiques individuelles de certains individus, pratiques considérées parfois comme

excessives par Cicéron183.

2.4.3. Octavius

On ne peut analyser en profondeur chaque occurrence présente dans l’exposé

d’Octavius. C’est pourquoi il convient de formuler quelques remarques générales avant

d’entamer une étude plus approfondie de son discours. Concernant l’utilisation de l’adjectif

religiosus, on remarque qu’il l’emploie à trois reprises pour désigner l’attitude religieuse

des Romains184 et une fois concernant les Juifs185. Il a également recours à religio à une

reprise dans le sens de l’attitude scrupuleuse des Romains186. On remarque également que

dans les premiers chapitres de sa réponse, lorsqu’il parle de la mythologie gréco-romaine, il

n’emploie ni religio ni superstitio. Bien entendu il s’agit ici de mythologie, mais il aurait

tout aussi bien pu employer superstitio dans le sens de croyances, mais il ne le fait pas.

En revanche, il utilise aussi le mot religio pour parler du christianisme et il le fait plus

que Tertullien: on note quatre utilisations de religio comme référent pour désigner le

christianisme187. Le terme superstitio est également employé dans le discours d’Octavius

pour faire référence à la grande piété des juifs. Or, dans ce sens, le mot superstitio renvoie

encore une fois à une attitude de l’individu comme c’était le cas de Cécilius188. Mais dans

la poursuite de sa description de la piété juive, il utilise également l’adjectif religiosus pour

désigner leur façon d’adorer189 (colere). Il semble parfois que les deux mots soient

interchangeables dans la pensée de Minucius Félix. Or, une chose est certaine dans ce

183 Supra n. 24 p. 86 et n. 141 p. 117. 184 XX, 5, BT, éd. B. Kytzler, p. 18, 22; XXIV, 12, p. 23, 1; XXV, 2, p. 23, 14; XXXIII, 3, p. 31, 27. 185 XXXIII, 3, BT, éd. B. Kytzler, p. 31, 27. 186 XXIV, 11, BT, éd. B. Kytzler, p. 22, 32. 187 XXIX, 2, BT, éd. B. Kytzler, p. 28, 15; XXXV, 6, p. 34, 4; XXXVIII, 1, p. 36, 10; XXXVIII, 7, p. 37, 3. 188 XXXIII, 2, BT, éd. B. Kytzler, p. 31, 25. 189 XXXIII, 2, BT, éd. B. Kytzler, p. 31, 27.

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passage, superstitio est encore reliée à une attitude individuelle, bien que vécue

collectivement par les Juifs, et religio est encore associée au verbe colere. Même si la ligne

est fine et que les deux mots semblent interchangeables, il n’en demeure pas moins qu’il y a

un vieux fond qui semble inaltérable.

Mais Octavius emploie également superstitio pour désigner le culte romain, mais de

façon moins importante que religio. Le discours d’Octavius se divise en deux parties dont

la première vise à répondre à la présentation de la doctrine philosophique et de la

supériorité des cultes romains contenue dans l’exposé de Cécilius. La seconde partie

présente le christianisme et répond à la critique de Cécilius. En dehors de deux occurrences,

l’utilisation de superstitio se trouve dans la partie consacrée à la supériorité de la religion

romaine; la réponse aux doctrines philosophiques et la démonstration de l’existence de la

Providence ne contiennent aucune occurrence de religio ou superstitio. Toutefois, après

avoir répondu à la pensée des philosophes, Octavius s’attaque aux fables et aux rites des

Romains dans les chapitres XX à XXIV. Il n’emploie pas religio ni superstitio dans cette

partie du discours, préférant se tourner vers des mots comme fabulas190, sacra191,

mysteria192. À la fin de sa critique de la mythologie et des rites romains, il utilise toutefois

superstitio romana193 pour désigner cet ensemble. Par la suite, Octavius emploie le mot

religio à deux reprises194. À partir de ce passage, et dans tout le développement sur le zèle

religieux romain, ces deux termes sont utilisés fréquemment.

Dès l’ouverture de sa réponse concernant la supériorité de la religion des Romains,

Octavius parle de superstitio (XXV, 1, BT, éd. B. Kytzler, p. 23, 7-8): At tamen ista ipsa

superstitio Romanis dedit auxit fundauit imperium, cum non tam uirtute quam religione et

pietate pollerent195. Bien entendu, il s’agit ici de l’argument évoqué par Cécilius et non de

la pensée d’Octavius. Il est intéressant de noter que l’utilisation de superstitio se trouve

190 XX, 4, BT, éd. B. Kytzler, p. 18, 18; XXII, 4, p. 19, 28. 191 XX, 5, BT, éd. B. Kytzler, p. 18, 23; XXII, 1, p. 19, 11; XXII, 1, p. 19, 19; XXII, 3, p. 19, 22; XXII, 4,

p. 19, 29; XXIII, 1, p. 20, 15; XXIII, 13, p. 21, 21; XXIV, 11, p. 22, 30. 192 XXII, 1, BT, éd. B. Kytzler, p. 19, 11. 193 XXIV, 10, BT, éd. B. Kytzler, p. 22, 25. 194 XXIV, 11, BT, éd. B. Kytzler, p. 22, 32; XXIV, 12, p. 23, 1. 195 « Mais, comme ils dominent non pas tant par la vertu que par la religion et la piété, cette même

superstition confia l’empire aux Romains, le fonda et le développa. »

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133

dans la même phrase que religio. C’est par la religiosité des Romains que la superstition fit

croître l’empire. Religiosité parce que religio et pietas sont coordonnées et que ces deux

termes sont comparés à la vertu, il semble donc que religio ici se trouve attirée dans le

champ sémantique de pietas et uirtus. On doit dès lors comprendre religio comme une

attitude, donc religiosité, plutôt que comme le concept de religion officielle d’une nation.

On note par ailleurs que superstitio est employée dans le sens du concept de religio qui

signifie le culte des Romains. Minucius Félix échange donc ces deux termes, si l’on se fie à

la signification traditionnelle des mots. Il est difficile d’y voir une accusation claire contre

le culte des Romains qui ne serait qu’une superstition, mais comme dans d’autres extraits

analysés précédemment, il est permis d’y voir une certaine condescendance dans l’emploi

de superstitio pour désigner le culte romain196.

Par la suite, dans le reste du développement sur la supériorité du zèle religieux

romain, Octavius va utiliser religio et superstitio pour désigner la religion des Romains. Il

emploie nettement plus souvent religio pour désigner leur culte197 et n’a recours à

superstitio qu’une seule fois198. On remarque dès lors que l’utilisation de superstitio,

comme dans le reste du texte, ne se démarque pas et que le mot religio demeure le mot

privilégié pour désigner le culte romain. On note également des arguments similaires à ceux

de Tertullien lorsqu’il s’agit de montrer que la supériorité des Romains vient de l’irréligion

plutôt que du zèle religieux199. En plus de montrer l’irréligiosité des Romains, Octavius les

accuse également de sacrilège (XXV, 7, BT, éd. B. Kytzler, p. 23, 27-28): Igitur Romani

non ideo tanti, quod religiosi, sed quod inpune sacrilegi […]200. Donc, tout comme

196 Tertullien qui, dans le passage similaire (Apologeticum 25) emploie superstitio pour décrire le passé

idéalisé de la religion romaine et utilise religio pour faire référence à l’état décadent de celle de son époque,

accuse les Romains d’irréligiosité. Minucius Félix, au lieu d’accuser les Romains d’irréligiosité, préfère avoir

recours au mot superstitio pour abaisser le culte des romains au rang d’une superstitio. La comparaison du

passage de l’Apologeticum et de l’Octauius permet de souligner que le texte de Minucius Félix possède

davantage le caractère tant noté par la critiques modernes que le premier texte: la rétorsion. 197 XXV, 3, BT, éd. B. Kytzler, p. 23, 14; XXV, 6, p. 23, 24; XXV, 7, p. 23, 28; XXV, 10, p. 24, 13; XXVI, 3,

p. 24, 28. 198 XXV, 8, BT, éd. B. Kytzler, p. 24, 6. 199 XXV, 3, BT, éd. B. Kytzler, p. 23, 17. 200 « Les Romains ne sont donc pas à ce point grands parce qu’ils sont religieux, mais parce qu’ils sont

impunément sacrilèges. »

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Tertullien, Minucius Félix semble accuser les Romains d’irréligiosité et de sacrilège plutôt

que de les accuser d’être superstitieux.

Un des développements les plus significatifs pour cette enquête est la réponse

d’Octavius à l’interrogation de Cécilius concernant les problèmes soulevés par l’emploi du

mot religio pour désigner le christianisme. À la question de Cécilius, à savoir où sont les

objets de cultes, les temples, les autels des chrétiens, Octavius répond qu’il est préférable

de dédier le temple de son esprit et son cœur à Dieu (XXXII, 1-2, BT, éd. B. Kytzler, p. 30,

23-31). Il explique par la suite en quoi les chrétiens méritent d’être nommés religieux

(XXXII, 3, BT, éd. B. Kytzler, p. 30, 31-34): Igitur, qui innocentiam colit, deo supplicat;

qui iustitiam, deo libat; qui fraudibus abstinet, propitiat deum; qui hominem periculo

subripit, optimam uictimam caedit. Haec nostra sacrificia, haec dei sacra sunt; sic apud

nos religiosior est ille qui iustior201. On remarque que la justice est au cœur de la

conception d’Octavius. Or, la justice n’a jamais été dans l’Antiquité romaine associée à la

religion; elle est très présente dans la pensée du christianisme, mais les cultes romains, la

religio romana, n’a jamais prétendue être l’endroit pour éprouver le sens moral des

citoyens: c’est le rôle de la philosophie202. Plus que Tertullien, du moins dans ses ouvrages

apologétiques, Minucius Félix transforme la notion de religio et l’éloigne de la conception

romaine.

Conclusion

À un certain point dans la même mesure que Tertullien, on remarque que l’emploi de

superstitio pour désigner les pratiques romaines n’est pas très répandu chez Minucius Félix,

quoiqu’il l’est plus que chez le premier; cet emploi n’est pas non plus exclusif aux

Romains. Les arguments proposés dans les deux cas montrent que ces deux auteurs

chrétiens visaient davantage à montrer l’irréligiosité des Romains plutôt que de mettre

201 « Donc, il adresse sa prière à Dieu celui qui pratique l’innocence; il offre une libation à Dieu celui qui

pratique la justice; il fait honneur à Dieu celui qui s’abtient de tromperies; il égorge la meilleure victime celui

qui dérobe une homme au danger. Voilà notre sacrifice, voilà notre culte de Dieu; chez nous, le plus religieux

est aussi celui qui est le plus juste. » 202 M. Despland souligne à juste titre qu’un « […] lien entre pratique religieuse et morale était inattendu: dans

l’Antiquité c’est la philosophie, non la religion, qui invite à la rectitude »: La religion en Occident, Montréal,

Fides, 1979, p. 41.

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l’accent sur un caractère superstitieux. Or, c’est peut-être là une divergence entre les deux

hommes. Superstitio est en effet plus employée dans l’Octauius et l’on remarque que ce

mot est associé à des pratiques et des croyances possédées par l’homme ordinaire, le

uulgus. On note dès lors une plus grande condescendance dans le texte de Minucius Félix,

contrairement à ce qui a pu être observé chez Tertullien. En cela, Minucius Félix s’éloigne

plus des définitions jusqu’ici rencontrées et la lecture de son texte n’est pas sans dérouter le

lecteur. Il semble que la frontière entre les deux termes diminue ce qui fait en sorte qu’on a

l’impression qu’ils sont presque interchangeables chez cet auteur africain. L’emploi plus

fréquent de religio pour désigner le christianisme – avec une diminution de l’emploi de

secta – et l’accusation relevée dans le discours de Cécilius, voulant que le christianisme se

qualifie mal en tant que religion, sont révélateurs du contexte de cette époque. Il semble

que l’interrogation de Cécilius montre que les non-chrétiens avaient du mal à voir comment

le christianisme se qualifiait comme religion; c’est pourquoi il cherche à montrer que ce

phénomène peut difficilement se qualifier comme tel. Or, s’il formule cette accusation,

c’est que celle-ci concernait plutôt la justification du christianisme comme religion et non

pas une accusation de superstition. On pourrait penser que, dans le monde latin, on fait de

plus en plus référence au christianisme en tant que religion et que c’est dès lors à ce

problème que Cécilius se propose de répondre. Mais on peut également penser, du fait que

Minucius Félix emploie religio pour désigner une foule de phénomènes religieux, que le

terme est de plus en plus employé pour désigner toutes sortes de mouvement durant cette

crise religieuse du IIIe siècle203. On note enfin que la définition de Minucius Félix est

également très peu romaine en ce qu’elle fait un rapprochement entre la justice et la religio.

203 Malheureusement, le IIIe siècle livre peu de textes non chrétiens d’expression latine qui permetteraient de

vérifier cette hypothèse. Seul le texte de Censorinus et quelques discours panégyriques utilisent religio à cette

époque sans pour autant confirmer que religio était de plus en plus utiliser pour faire référence aux divers

phénomènes religieux. Censorinus l’emploie de manière générale pour parler des fêtes religieuses à Rome et

en Grèce: De die natali, 18, 6, BT, éd. N. Sallmann, p. 13; 20, 9, p. 50, 3.

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136

2.5. Cyprien

Introduction

L’œuvre complète de Cyprien de Carthage offre une variété d’ouvrages, destinés à

diverses personnes dans des situations fort différentes, qui permettent, tout comme c’était le

cas de Tertullien, de faire une analyse de religio et superstitio en divers contextes. Or, il

suffit de retenir deux exemples pour l’analyse puisque la plupart des occurrences chez cet

auteur ne permettent pas de bien circonscrire le contenu de religio et superstitio. Une des

raisons derrière ce choix très restreint d’ouvrages se justifie par le fait que Cyprien préfère

avoir recours à l’adjectif plutôt qu’au nom, et ce de façon prépondérante; l’emploi de

l’adjectif ne permet toutefois pas de rendre bien compte du contenu de religio.

Contrairement à Tertullien, on note, dans son ouvrage intitulé Ad Demetrianum, qu’il

utilise le mot religio très peu et que superstitio n’est présent qu’à trois reprises. Les

utilisations de religio dans ses traités sont dès lors peu nombreuses et pas toujours

évocatrices de contenu singulier. La correspondance de Cyprien a également été mise de

côté afin de ne pas surcharger l’analyse et perdre de vue l’essentiel de ce que l’on trouve

dans ses traités. Or l’analyse de l’Ad Demetrianum et du De habitu uirginum suffit pour

tirer quelques conclusions.

2.5.1. Ad Demetrianum

Le traité Ad Demetrianum, rédigé par Cyprien entre 251 et 253 de notre ère204, est le

seul traité de cet auteur qui répond à des accusations formulées contre les chrétiens205: il l’a

204 Cet ouvrage de Cyprien aurait été écrit dans les années qui ont suivi la persécution (vers la fin de l’année

249 et le printemps 251) soit entre 251 et 253, c’est-à-dire après le décret de Dèce. Le contexte externe peut

aider à dater l’ouvrage entre 251, année du début de la peste, et la mort de Cyprien en 258: J.-C. Fredouille,

« Introduction », dans Cyprien de Carthage, À Démitrien, Paris, Cerf, 2003, p. 13-14 et K. SALLMANN (dir.),

Nouvelle histoire de la littérature latine: l’âge de transition de la littérature romaine à la littérature

chrétienne de 117 à 284 après J.-C., vol. 4, p. 617. En analysant les lettres 57-59 de Cyprien, M. Christol

place la composition du Ad Demetrianum entre avril et juin de 253: « Cyprien de Carthage et la chute de

l’Empire romain », dans M.-H. Quet, et al. (dir.), La « crise » de l’Empire romain de Marc Aurèle à

Constantin: mutations, continuités, ruptures, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2006, p. 474. Il

est possible que la peste de 253 soit à l’origine des accusations contre les chrétiens: J.-C. Fredouille,

« Introduction », dans Cyprien de Carthage, À Démitrien, Paris, Cerf, 2003, p. 11. 205 Le texte est assez singulier dans l’œuvre de Cyprien: « The Ad Demetrianum is also very much a stand-

alone text within the Cyprianic corpus itself. There is no mention of either the lapsed Christians or the intra-

ecclesial controversies following the Decian persecution, and an equal level of silence relating to any

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137

donc écrit après le décret de Dèce qui lance les persécutions. Par son genre littéraire et son

interlocuteur, ce traité permet de comparer les utilisations de religio et de superstitio aux

traités analysés précédemment, c’est-à-dire l’Apologeticum de Tertullien et l’Octauius de

Minucius Félix; l’ouvrage de Cyprien est par ailleurs influencé par ces deux traités206.

L’étude de ce traité est d’autant plus importante en raison de la place occupée par le

jugement de Dieu et la colère divine207: les thèmes abordés sont donc liés aux propos tenus

par Lactance dans le De ira Dei.

Contrairement à Tertullien, Cyprien n’emploie pas le mot secta dans cet ouvrage et

utilise le terme sacramentum une seule fois208; à l’opposé de ce que l’on trouve dans

l’Apologeticum, sacramentum n’est pas utilisé pour désigner le christianisme, mais plutôt

pour faire référence à la « réalité mystérieuse de la mort du Christ sur la croix »209. Cette

utilisation correspond davantage à l’emploi qu’en fait Tertullien dans ses ouvrages destinés

aux chrétiens; le terme sacramentum n’est pas relié à la religion dans cet ouvrage de

Cyprien.

Même si Cyprien utilise l’opposition des termes religio et superstitio dans un cadre

apologétique, son traité possède une caractéristique fondamentale qui l’éloigne de

l’Apologeticum et l’Octauius: il ne dénonce pas la religion des non-chrétiens pas plus qu’il

en fait la description. Le traité présente plutôt les accusations de Démétrien à l’endroit des

chrétiens: les épidémies, les famines et les sécheresses existent parce que les chrétiens

background information or corroborating event. »: N. L. THOMAS, Defending Christ... 2011, p. 109. Nous

excluons toutefois le Quod idola dii non sint en raison des doutes qui persistent quant à son authenticité. Un

des arguments apportés pour invalider la paternité de cet ouvrage est l’intextextualité avec les Diuinae

institutiones et leur Epitome de Lactance; cela place dès lors le traité après le premier quart du IVe siècle.

C’est surtout pour cette raison que l’on doit exclure ce texte de notre analyse: parce qu’il est postérieur à

Lactance: K. SALLMANN (dir.), Nouvelle histoire de la littérature latine: l’âge de transition de la littérature

romaine à la littérature chrétienne de 117 à 284 après J.-C., vol. 4 p. 645. 206 L’Ad Demetrianum entretient en effet une relation d’intertextualité avec l’Octauius et l’Apologeticum:

J.-C. Fredouille, « Introduction », dans Cyprien de Carthage, À Démétrien, Paris, Cerf, 2003, p. 16. 207 Les calamités dont Demétrien accuse les chrétiens d’être responsables sont en fait bien présentes en raison

de la colère et de l’indignation de Dieu à l’endroit des non-chrétiens; Cyprien justifie cette colère par le refus

des non-chrétiens d’adorer Dieu: V, 2, CCSL, 3A, éd. M. Simonetti, p. 37, 91-98. 208 26, CCSL, 3A, éd. M. Simonetti, p. 51, 519. 209 J.-C. Fredouille, « Commentaire », dans Cyprien de Carthage, À Démitrien, Paris, Cerf, 2003, p. 209.

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n’adorent pas les dieux210. À ces accusations s’ajoute la réaction de l’Empire qui tente de

renforcer le culte public – particulièrement avec le décret de Dèce qui force tous les

citoyens à sacrifier211. Mais pour Cyprien, les fléaux sont dus au fait que Dieu juge les non-

chrétiens parce qu’ils honorent de faux dieux et non l’inverse212. Cela constitue la réponse

principale de Cyprien qui cherche davantage à expliquer la crise par le jugement de Dieu

plutôt que de s’attaquer à la religion des Romains. C’est pour cette raison qu’il est difficile

de savoir concrètement à quoi font référence les diverses utilisations des termes étudiés

dans ce traité, principalement superstitio. On ne peut relier ce terme à des phénomènes

religieux précis comme c’était le cas chez Tertullien213. L’adjectif religiosus n’intervient

qu’une seule fois et donne très peu d’information sur le caractère de la religion214. En

dehors de trois passages où s’opposent religio et superstitio, il n’en reste qu’un dans lequel

on trouve le mot religio, mais il est difficile d’en connaître le contenu. En effet, on a du mal

à déterminer si Cyprien fait référence au concept de religion en général ou s’il emploie

religio comme référent pour parler du christianisme. On sait toutefois qu’il oppose la

210 2, CCSL, 3A, éd. M. Simonetti, p. 35, 24-30. Beaucoup de travaux ont mis en doute la sévérité des

calamités décrites par Cyprien. Toutefois, notre propos évalue plutôt la réponse de Cyprien et non pas la

véracité historique des fléaux présentés dans l’Ad Demetrianum. Cf. G. ALFÖLDY, « Der heilige Cyprian un

die Krise des römischen Reiches », dans Die Krise des römischen Reiches, Stuttgart, Franz Steiner Verlag

(coll. Heidelberger Althistorische Beiträge und Epigraphische Studien 5), 1989, p. 295-318; M. CHRISTOL,

« Cyprien de Carthage et la chute de l’Empire romain », 2006, p. 455-480; V. HUNINK, « St Cyprian, a

Christian and Roman Gentleman », dans H. Bakker, et al. (dir.), Cyprian of Carthage: Studies in His Life,

Language, and Thought, Louvain, Peeters (coll. Late Antique History and Religion 3), 2010, p. 29-41. À cela

s’ajoutent les travaux de R. Selinger qui souligne que l’édit de Dèce n’était pas dirigé uniquement contre les

chrétiens: Die Religionspolitik des Kaiser Decius. Anatomie einer Christenverfolgung, Francfort-sur-le-Main,

Peter Lang, 1994; The Mid-Third Century Persecutions of Decius and Valerian, Francfort-sur-le-Main, Peter

Lang, 2002 et A. BRENT, Cyprian and Roman Carthage, Cambridge, Cambridge University Press, 2010,

p. 130. 211 « Both Cyprian and his group as Christians, in common with their pagan contemporaries, shared this

diagnosis of the cause of crisis and decline in their world. They differed as to its remedy, with pagans looking

for the recovery of imperial society under its pagan emperors and its forms of official, public worship, and

with Christians seeing the crisis in terms of the imminence of Christ’s Second Advent and his future reign. »:

A. BRENT, Cyprian... 2010, p. 5. 212 Dans un premier temps, Cyprien attribue à certains phénomènes, comme la famine, le problème du

vieillement du monde (senectus mundi). Ce schéma est présent dans la littérature latine notamment chez

Cicéron, Sénèque et Lucrèce: L. CASTAGNA, « Vecchiaia e morte del mondo in Lucrezio, Seneca e San

Cipriano », Aevum Antiquum 13 (2000), p. 239-263; mais, selon E. Zucca, Cyprien serait aussi influencé par

la pensée de l’Asclepius: E. ZOCCA, « La senectus mundi. Significato, fonti e fortuna di un tema ciprianeo »,

Augustinianum 35 (1995), p. 641-677. Par la suite, il montre que les maux surviennent parce que les

non-chrétiens n’adorent pas Dieu. 213 Supra p. 100 p. 36. 214 19, CCSL, 3A, éd. M. Simonetti, p. 46, 364.

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religion à l’impiété et cela indique qu’un sens possible de religio dans cet extrait doit être

rendu par piété215. Cela éloigne la religio du culte et d’une définition objective – ce qui

semble être un trait caractéristique de Cyprien. Il n’est pas impossible d’expliquer cela par

l’époque de l’écriture du traité, car en plus du « nouveau modèle », proposé par

G. Stroumsa216, qui s’installe peu à peu, on peut également mentionner la pensée de

J. B. Rives qui propose qu’après le décret de Dèce la religion fut centrée sur la participation

de l’individu au culte plutôt que sur la participation du corps civique217. On entrevoit, en

conséquence, que la religion est de plus en plus tournée vers le sujet que vers l’objet218.

215 2, CCSL, 3A, éd. M. Simonetti, p. 35, 23. 216 Le IIIe siècle est généralement considéré comme un siècle de perturbations et de mutations religieuses: J.-

M. CARRIÉ et A. ROUSSELLE, L’empire romain en mutation des Sévères à Constantin 192-337, vol. 10, Paris,

Éditions du Seuil (coll. Nouvelle histoire de l’Antiquité), 1999; G. G. STROUMSA, La fin du sacrifice: les

mutations religieuses de l’Antiquité tardive, Paris, Odile Jacob, 2005. G. Stroumsa mentionne la tendance des

chercheurs au XXe siècle: « Mais D’Albrecht Dietrich, avant la fin du XIXe siècle, à Peter Brown et à Robin

Lane Fox, en passant par Henri-Irénée Marrou et Eric Robertson Dodds, les historiens s’intéressant aux

phénomènes religieux n’ont pas hésité à parler de religiosité ou piété nouvelle, ou même de révolution

religieuse, qui pointe au IIIe siècle, pour s’affirmer au IVe. »: ibid., p. 26. Dans son ouvrage intitulé La fin du

sacrifice, G. Stroumsa suggère que les individus de l’Empire sont de plus en plus éveillés à « un nouveau

souci de soi ». Ce « nouveau souci de soi » devient un aspect très important des mutations religieuses. Le rôle

important du « soi » dans ces mutations religieuses doit être mis en relation avec la signification de religio et

superstitio reliée aux cultes officiels et non officiels: « l’ancien modèle, pourtant fondé sur le caractère public

et collectif de la religion, avait cédé place à ce que je propose d’appeler le nouveau modèle de la religion,

dans lequel l’autorité n’est plus extérieure et publique, mais intérieure ou intériorisée, que ce soit le soi, ou le

Livre sacré. »: ibid., p. 158. Ce « nouveau modèle » eut probablement des répercussions sur l’emploi des mots

religio et superstitio. Il est possible que le mot religio eut tendance à renvoyer de moins en moins aux cultes

organisés par l’État. Tandis que Cicéron, dans son Pro Flacco, relie la religion à la cité (69, SCBO, éd. A. C.

Clark, p. 232, 7): sua cuique ciuitati religio, Laeli, est, nostra nobis: « À chaque cité sa religion, Laelius, nous

avons la nôtre », l’extrait de l’Édit de Milan dans le De mortibus persecutorum (48, 2) relie plutôt la religion à

l’individu: Cum feliciter tam ego quam Constanius Augustus quam etiam ego Licinius Augustus apud

Mediolanum conuenissemus […] ut daremus et christianis et omnibus liberam potestatem sequendi

religionem quam quisque uoluisset: « Comme nous nous sommes réunis heureusement à Milan moi

Constantin Auguste et moi Licinius Auguste […] pour donner aux chrétiens et aux autres la liberté et la

possibilité de suivre la religion selon le souhait de chacun. » Cicéron utilise le pronom adjectif quisque pour

déteminer populus tandique que chez Lactance, le pronom quisque est employé seul (De mortibus

persecutorum, 48, 2): religionem quam quisque uoluisset, c’est-à-dire la religion que chacun veut. Il semble

qu’au temps de Cicéron « chaque peuple » avait une religion, dans l’extrait de Lactance, c’est plutôt « chaque

individu » possède une religion. 217 J. B. RIVES, « The decree of Decius and the religion of empire », Journal of Roman Studies 89 (1999),

p. 134-155. Il faut ajouter à cela l’article de X. Leviels sur les persécutions qui mentionne que celles de Dèce

n’avait pas pour cible uniquement les chrétiens; le culte civique était délaissé au profit de divers phénomènes

religieux, dont le christianisme: « Crises dans l’Empire romain et lutte contre la superstition chrétienne (Ier-

IVe siècles) », Rivista di storia e letteratura religiosa 41 (2005), p. 8. 218 Il faut toutefois faire attention de mettre trop d’accent sur ce changement comme le rappelle A. Brent qui

nuance la pensée de J. B. Rives: « Rives’ distinction seems too reflective of the Enlightenment notion of

religion as an issue of individual conscience in relation to one’s association with the collective whole. »:

A. BRENT, Cyprian... 2010, p. 145.

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140

L’opposition entre religio et superstitio est très marquée dans ce traité et, même si

elle n’apparaît qu’à trois reprises, il n’en demeure pas moins que les passages sont assez

clairs quant à la dichotomie entre les deux notions. Un des extraits indique seulement que

Cyprien invite Démétrien à passer de la superstition ténébreuse (tenebrosa superstitio) à la

lumière de la vraie religion (lux uerae religionis)219. Ce passage se laisse difficilement

analyser en termes de contenu, mais on remarque que Cyprien reprend l’idée de uera

religio proposée par Tertullien et Minucius Félix.

Le deuxième extrait devient plus intéressant, surtout en ce qui a trait au lien entre la

crainte de Dieu et la religion (5, CCSL, 3A, éd. M. Simonetti, p. 37, 90-98):

Nam cum ipse sit mundi dominus et rector et cuncta arbitrio eius et

nutu gerantur nec quicquam fieri possit nisi quod aut fecerit aut

fieri ipse permiserit, utique quando ea fiunt quae iram Dei

indignantis ostendunt non propter nos fiunt a quibus Deus colitur,

sed delictis et meritis uestris inrogantur, a quibus Deus omnino nec

quaeritur nec timetur nec relictis uanis superstitionibus religio uera

cognoscitur, ut qui Deus unus est omnibus unus colatur ab omnibus

et rogetur220.

Le lien entre la crainte et la religio est toutefois beaucoup plus faible que chez Lactance. En

effet, Cyprien indique que les non-chrétiens ne craignent pas Dieu et cette situation les

empêche de se tourner vers la vraie religion. Ce qui est suggéré par le texte est que le fait de

reconnaître Dieu comme le seul qui mérite d’être adoré et prié constitue le contenu de la

vraie religion. La religion n’est pas définie par la crainte, mais plutôt par le fait d’adorer et

de prier l’unique Dieu. Il semble néanmoins que la crainte est un passage obligé vers la

vraie religion et, en cela, cet extrait de Cyprien peut être rapproché un peu de la pensée de

Lactance – on remarque également que la Providence divine, bien qu’elle ne soit pas

nommée dans le passage, est bien présente comme dans le De ira Dei. Or, chez les autres

auteurs étudiés, on remarque que les passages qui relient la crainte et la religio ne

219 25, CCSL, 3A, éd. M. Simonetti, p. 50, 493-498. 220 « De fait, comme il est lui-même le seigneur et maître du monde et que toutes choses sont administrées par

son jugement et sa volonté, rien ne peut arriver à moins qu’il ne l’ait lui-même fait ou permis; de toute façon,

quand ces choses qui montrent la colère de l’indignation de Dieu se produisent, elles n’arrivent pas en raison

de nous qui honorons Dieu, mais elles vous infligent en raison de vos fautes et de votre conduite vous qui ne

recherchez aucunement Dieu ni ne le craignez, pas plus que vous ne connaissez la vraie religion après avoir

rejeté les vaines superstitions, de sorte que soit honoré et prié par tous comme le seul Dieu, le Dieu unique

pour tous. »

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s’adressent pas aux non-chrétiens, mais plutôt aux chrétiens. Encore une fois Cyprien se

démarque un peu. Outre cela, l’emploi des deux termes livre peu d’information sur le

contenu des deux concepts: il ne dit pas en quoi consistent les vaines superstitions des non-

chrétiens.

L’autre passage fait également intervenir la crainte de Dieu en opposant la vraie

religion à la superstition (12, CCSL, 3A, éd. M. Simonetti, p. 42, 230-236):

Parum est quod furentium uarietate uitiorum, quod iniquitate

feralium criminum, quod cruentarum conpendio rapinarum uita

uestra maculatur, quod superstitionibus falsis religio uera

subuertitur, quod Deus omnino non quaeritur nec timetur: adhuc

insuper Dei seruos et maiestati ac numini eius dicatos iniustis

persecutionibus flagitatis221.

Après avoir indiqué que les non-chrétiens attaquent les chrétiens, Cyprien mentionne que la

religion est renversée par de fausses superstitions et que les Romains ne recherchent plus

Dieu, pas plus qu’ils ne le craignent. Le lien entre la religion et la crainte de Dieu est faible

dans ce passage, mais il suggère néanmoins que l’absence de crainte de Dieu et la négation

de la vraie religion sont sur le même plan. Tout comme c’était le cas dans l’extrait

précédent, il est toutefois difficile d’affirmer que la crainte est le contenu de la religion. La

suite du passage montre que Cyprien relie de façon très claire religio au verbe colere et, en

cela, il donne à religio un contenu qui est très romain. Ce verbe avait également été utilisé

dans le passage précédent et il semble que la notion de colere soit reliée à religio de façon

beaucoup plus claire que ne l’est la notion de crainte. Bien que la crainte soit à proximité de

religio dans ces deux extraits, il semble que l’on ne peut pas établir que la crainte est le

contenu de la religio dans l’Ad Demetrianum. Notons toutefois que cette idée de crainte est

inhérente au judaïsme dont Cyprien tire la majorité des citations dans son Ad Demetrianum.

Même si aucune citation de l’AT n’intervient dans ces deux passages, ce traité présente

221 « Il ne suffit pas que vous souilliez votre vie par la variété des vices en furie, par l’iniquité des accusations

funestes et par le gain de vols sanglants; il ne suffit pas que la religion soit renversée par de fausses

superstitions et que l’on ne craigne et ne recherche simplement plus Dieu: vous accablez jusqu’à maintenant

encore de persécutions injustes les serviteurs de Dieu dévoués à sa majesté et à sa puissance. »

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néanmoins le christianisme comme une continuité du judaïsme, dans le but apologétique de

rattacher la nouvelle religion à l’ancienne222.

On remarque aussi que la superstitio est utilisée uniquement dans un sens péjoratif et

toujours devant la religion qui est présentée de façon positive. On trouve trois oppositions:

1) uana superstitio – uera religio; 2) tenebrosa superstitio – lux uera religionis; 3) falsa

superstitio – uera religio. On remarque d’emblée qu’aucune uariatio n’est utilisée dans la

présentation de la religion et qu’elle demeure inchangée dans les trois exemples: elle est

toujours la uera religio. Quant à superstitio, elle est affublée de trois adjectifs fort

péjoratifs: uana, tenebrosa et enfin falsa. En contexte romain, la superstitio n’a pas

nécessairement de connotation péjorative même si l’élite romaine la juge de façon

condescendante. C’est par ailleurs pour cette raison que Cyprien se doit d’ajouter l’adjectif

falsa avec le mot – on peut se demander si falsa superstitio ne serait qu’un pléonasme, mais

comme on ne peut dire la même chose de tenebrosa superstitio et de uanis superstitio, on

peut penser que falsa n’est pas une idée inhérente à superstitio et ne constitue pas un

pléonasme. Mais on ne saurait voir dans le texte de Cyprien une simple condescendance: il

rejette la superstitio comme fausse. Si l’on a du mal à percevoir si Tertullien utilise

superstitio de façon simplement condescendante ou s’il l’emploie pour désigner le culte

non officiel, l’Ad Demetrianum est sans équivoque. L’attitude de Minucius Félix était

clairement condescendante, et bien qu’il ait insisté sur le caractère faux des croyances et

des pratiques romaines, comme l’a fait Tertullien, la dénonciation de la fausseté des cultes

romains ne passe pas par l’utilisation de superstitio. À la différence de ces deux auteurs,

Cyprien, non seulement présente le phénomène religieux comme une fausse superstition,

mais il n’emploie jamais le mot religio pour présenter le culte romain. Si la dichotomie

vrai/faux n’est pas claire chez Tertullien et Minucius Félix, elle est palpable chez Cyprien.

2.5.2. De habitu uirginum

Dans le court traité intitulé De habitu uirginum, Cyprien s’adresse aux femmes dans

un texte qui concerne la discipline ecclésiastique. Ce texte a probablement été rédigé au

222 E. Gallicet note que des 26 citations bibliques présentes dans le traité, pas moins de 24 proviennent de

l’AT: « L’Antico Testamento nell’Ad Demetrianum di Cipriano », Augustinianum 22 (1982), p. 199-202.

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printemps 249, alors que Cyprien venait à peine de devenir évêque223, et il l’a donc écrit

avant l’Ad Demetrianum224. Dans la préface, il propose plusieurs extraits de l’AT; ces

passages exhortent les femmes à persévérer dans la discipline (1, CSEL, 3 pars 1, éd.

G. Hartel, p. 187, 7-9): continete disciplinam ne forte irascatur Dominus et pereatis a uia

recta, cum exarserit cito ira eius super eos225. On remarque qu’à la différence de l’Ad

Demetrianum, dans lequel la colère de Dieu était tournée contre les non-chrétiens, les

extraits de l’AT choisis par Cyprien montrent bien que la colère de Dieu s’adresse aussi aux

gens de l’Église et que ceux-ci doivent suivre la disciplina correctement afin d’éviter tout

jugement de Dieu. Dans le deuxième paragraphe, Cyprien poursuit et nous informe sur ce

qu’il considère être les fondements de la religion (2, CSEL, 3 pars 1, éd. G. Hartel, p. 188,

6-8):

Quodsi in scripturis sanctis frequenter et ubique disciplina praecipitur et

fundamentum omne religionis ac fidei de obseruatione ac timore proficiscitur,

quid cupidius adpetere, quid magis uelle ac tenere nos conuenit, quam ut

radicibus fortius fixis et domiciliis nostris super petram robusta mole solidatis

inconcussi ad procellas et turbines saeculi stemus, ad Dei munera per diuina

praecepta ueniamus […]226.

La crainte, qui suppose bien entendu la colère, et l’observance constituent dans ce passage

le fondement de la religion. Contrairement aux extraits de l’Ad Demetrianum, il ne fait

aucun doute que la crainte est reliée à la religion et en est le contenu – avec l’observance.

On peut dès lors formuler les mêmes remarques qui ont été apportées concernant l’extrait

de Tertullien227 qui reliait la crainte à la religion. Premièrement, il s’agit d’un texte qui

s’adresse aux chrétiens; l’Ad Demetrianum, qui n’avait pas formulé clairement l’idée d’une

223 Il se serait converti en 245-246 et est devenu évêque dès 248. Cf. G. D. DUNN, « Infected Sheep and

Diseased Cattle, or the Pure and Holy Flock: Cyprian’s Pastoral Care of Virgins », Journal of Early Christian

Studies 11 (2003), p. 1-20; A. BRENT, Cyprian... 2010, p. 2. 224 K. SALLMANN (dir.), Nouvelle histoire de la littérature latine: l’âge de transition de la littérature romaine

à la littérature chrétienne de 117 à 284 après J.-C., vol. 4 p. 622. 225 « Maintenez la discipline de peur que le Seigneur ne s’irrite et que vous ne disparaissiez de la bonne voie,

puisque sa colère sera rapidement ardente au-dessus de vous. » 226 « Mais s’il la discipline est fréquemment et partout recommandée dans les Saintes Écritures et, que tout

fondement de la religion et de la foi dérive de l’observance et de la crainte, que nous convient-il de plus

souhaitable à atteindre et de plus grand à vouloir et retenir que de s’approcher des charges de Dieu à travers

les préceptes divins et ce, afin que nous nous tenions ancrés par de fortes racines et fermes par notre demeure

raffermie comme une masse au-dessus d’une pierre robuste? » 227 Supra p. 120.

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religion fondée sur la crainte, s’adressait tout d’abord aux non-chrétiens. Deuxièmement, il

a été souligné que la définition proposée dans l’Aduersus Marcionem s’éloignait d’une

définition objective, c’est-à-dire une définition d’objet, et s’approchait d’une définition

subjective et donc plus axée sur le sujet. Le sujet du texte de Cyprien est tout à fait centré

sur la discipline et non pas sur le culte; il apparaît dès lors que sa définition est plus

subjective qu’objective. Et enfin, moins manifeste que dans le texte de Tertullien qui citait

l’AT pour montrer que la religion est liée à la crainte de Dieu, le passage de Cyprien n’est

pas une citation biblique – quoiqu’il indique que la discipline provient des Saintes

Écritures; le précédent paragraphe regorge toutefois de citations de l’AT pour montrer que

Dieu se met en colère contre ceux qui ne suivent pas la disciplina. Or, le deuxième

paragraphe s’ouvre avec le lien entre crainte et religion: il appert, encore une fois, que le

contact avec les sources juives, bien qu’il ne soit pas aussi direct, pousse les auteurs à

concevoir une religion subjective, que l’on pourrait également traduire par piété, en raison

de la conception juive de la colère divine et du jugement. Il existe par ailleurs un

rapprochement entre pietas et religio dans la pensée de Cyprien. Dans le traité De ecclesiae

catholicae unitate, il cite Paul, mais traduit le terme grec eusebia par religio228. Or, il

traduit toutefois eusebia dans le passage d’Isaïe par pietas, tandis que Tertullien choisit de

le rendre par religio. Il semble que pietas et religio soient parfois interchangeables, mais

dans un contexte où religio n’est pas employée de façon objective où elle signifie le culte.

Conclusion

Dans son ouvrage apologétique, Cyprien n’utilise jamais le mot religio pour désigner

les cultes romains. Il décrit la superstitio comme ténébreuse, vaine et fausse. Contrairement

à Tertullien et Minucius Félix qui dénoncent la fausseté de la religion romaine par des

arguments, Cyprien le fait par l’emploi de superstitio. Encore une fois à l’opposé de ses

deux prédécesseurs, Cyprien n’utilise pas non plus secta comme référent pour désigner le

christianisme. Dans ses ouvrages, il a recours à l’adjectif religiosus bien plus qu’il n’utilise

le substantif, ce qui a pour conséquence de dénoter l’attitude religieuse plus que le concept.

C’est également ce que l’on remarque dans l’Ad Demetrianum lorsqu’il parle du concept de

228 16, CCSL, 3, éd. M. Bévenot, p. 261, 40.

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religio: il a en tête une définition qui est plus subjective qu’elle n’est objective. Cela

s’explique par le contexte historique des persécutions de Dèce qui ont pour conséquence de

centrer le culte sur la participation de l’individu plutôt que de souligner son appartenance

au corps civique. Cela va également dans le sens du « nouveau modèle » proposé par

G. G. Stroumsa. Honorer et prier l’unique Dieu est l’essence de la uera religio chrétienne et

il semble que la crainte de Dieu joue un rôle dans cette façon d’entrevoir la religion, même

si ce rôle est beaucoup moins important que dans l’ouvrage de Lactance.

L’ouvrage destiné aux chrétiens, le De habitu uirginum, montre que le fondement de

la religion est la crainte de Dieu et l’observance. Cette façon d’entrevoir la religio s’éloigne

d’une définition objective centrée sur le culte et, dans ce cas-ci, se rapproche de la piété. La

pensée de Cyprien est visiblement plus influencée par l’AT que par la pensée romaine, et

certainement pas par la pensée de Varron et Cicéron. L’influence de la pensée juive, au

détriment de la pensée romaine, est par ailleurs un trait de ces passages qui incluent, d’une

façon ou d’une autre, la crainte dans la définition de religio.

2.6. Novatien

Introduction

Novatien est le premier théologien de la ville de Rome à écrire en latin et son activité

littéraire se déroule au milieu du troisième siècle. Son œuvre ne comporte toutefois aucun

traité apologétique qui aurait été rédigé afin de rétorquer aux non-chrétiens229: ses écrits

s’adressent plutôt à des destinataires chrétiens. Tout comme les autres auteurs, il emploie

les termes secta, sacramentum, superstitio et religio. Or, dans les textes jusqu’à maintenant

analysés, la signification de ces mots varie selon le destinataire. Il est dès lors fort

intéressant d’examiner le sens de l’opposition de superstitio et religio dans un contexte

uniquement chrétien. En outre, dans les ouvrages précédemment étudiés, l’utilisation de

superstitio se trouve uniquement dans les ouvrages à caractère apologétique – à l’exception

229 Le traité De spectaculis n’est pas une charge contre les spectacles destinée à des non-chrétiens, mais plutôt

un traité qui exhorte les chrétiens à s’abstenir de ces spectacles. Selon A. A. R. Bastiaensen, le De spectaculis

aurait été écrit pour des destinataires chrétiens: « Compte-rendu de Nouatiani opera quae supersunt nunc

primum in unum collecta ad fidem codicum qui adhuc extant necnon adhibitis editionibus ueteribus, texte

établi par G. F. Diercks, Turnhout, Brepols, 1976, 348 p. », Vigiliae Christianae 33 (1979), p. 199.

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d’une occurrence dans l’Ad Valentinianos concernant les cultes à mystères. Or, Novatien

utilise l’opposition de religio et superstitio dans un contexte doctrinal. Pour cette analyse,

seuls les traités de Novatien considérés comme authentiques sont conservés: le De bono

pudicitiae, le De cibis Iudaicis, le De spectaculis et enfin le De trinitate. Les trois premiers

traités sont difficiles à dater, mais les commentateurs modernes ont noté qu’ils sont tous

écrits à un moment où il n’y a pas de persécutions. Novatien rédige le De cibis Iudaicis

alors qu’il n’est pas encore évêque et que sa communauté ne s’est pas encore séparée de

l’Église de Rome230; il écrit le De bono pudicitiae en tant qu’évêque231. Quant au De

trinitate, H. Weyer pense qu’il a été rédigé vers 240 et donc avant le schisme232. Ces traités,

selon la datation proposée par les commentateurs modernes, auraient été rédigés entre 240

et 260.

2.6.1. De bono pudicitiae

Le traité De bono pudicitiae discute d’un aspect de la discipline chrétienne: la

chasteté. Il partage des traits avec d’autres textes, dont quelques-uns de Tertullien233, mais

également avec un ouvrage déjà abordé lors de notre analyse de Cyprien; il s’agit du De

habitu uirginum234. Il s’adresse dès lors à des chrétiens.

On y trouve le terme sacramentum à une reprise, mais il ne s’agit pas d’un terme qui

désigne le christianisme235; il désigne plutôt les mystères de Dieu.

230 Cette position est celle de J. Vogt suivi par G. F. DIERCKS, « Novatien et son temps », dans Novatien,

Opera, Turnhout, Brepols (coll. Corpus Christianorum Series Latina 4), p. XII-XIII, mais R. J. DESIMONE

place plutôt le traité entre 253-260 durant l’exil de Novatien: R. J DESIMONE, « Introduction », dans

Novatien, The Trinity, The Spectacles, Jewish Foods, In Praise of Purity, Letters, texte traduit par R. J.

DESIMONE, Washington, Catholic University of America Press (coll. The Fathers of the Church 67), 1974,

p. 139. 231 G. F. DIERCKS, « Novatien et son temps », dans Novatien, Opera, Turnhout, Brepols (coll. Corpus

Christianorum Series Latina 4), p. XII-XIII; J. VOGT, Coetus Sanctorum. Der Kirchenbegriff des Novatian

und die Geschichte seiner Sonderkirche, Bonn, Peter Hanstein (coll. Theophaneia: Beiträge zur Religions-

und Kirchengeschichte des Altertums 20), 1968, p. 27-37. 232 H. WEYER, Nouatianus. De Trinitate. Über den dreifaltigen Gott Düsseldorf, Patmos Verlag (coll.

Testimonia 2), 1962, p. 14-15. 233 Le De pudicitia, le De cultu feminarum et le De uirginibus uelandis. 234 R. J DESIMONE, « Introduction », dans Novatien, The Trinity, The Spectacles, Jewish Foods, In Praise of

Purity, Letters, texte traduit par R. J. DESIMONE, Washington, Catholic University of America Press (coll.

The Fathers of the Church 67), 1974, p. 159. 235 1, 5, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 114, 22.

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En dehors de ce mot, le terme religio est présent dans un seul passage où Novatien

cherche à définir la chasteté (pudicitiae). Novatien l’emploie dans un passage dans lequel

on trouve le timor Dei (12, 2, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 124, 4-10): Pudicitiae autem,

fratres, competunt et cognata sunt in primis diuinus timor et praeceptorum sancta

meditatio et animus propensus ad fidem et mens attonita ad sacram religionem [...]236. On

remarque d’emblée la présence de la crainte de Dieu dans un ouvrage qui discute d’un

aspect de la discipline, tout comme c’est le cas dans le traité De habitu uirginum de

Cyprien: la crainte est en quelque sorte liée à la disciplina. Or, le timor, qui semble être la

première condition de la pudicité, est sur le même plan que la religion et lui est en quelque

sorte juxtaposée. Novatien ne définit donc pas la religio par le timor et la crainte semble

plus importante que la religion en ce qui concerne la pureté.

2.6.2. De cibis Iudaicis

Dans son traité intitulé De cibis Iudaicis, Novatien expose sa position à l’égard de la

Loi et des prescriptions du judaïsme contenues dans l’AT et propose de les interpréter de

manière spirituelle. Dans cet ouvrage destiné à des chrétiens, bien qu’il s’agisse d’une

polémique reliée au judaïsme, Novatien utilise pour la première fois l’opposition superstitio

et religio dans un contexte littéraire autre que l’apologétique et l’hérésiologie. Le terme

sacramentum est aussi présent dans le texte dans le sens de mystère237. Il suffit de retenir

pour l’analyse les passages tirés des chapitres 4 et 5 qui traitent encore une fois d’aspects

disciplinaires.

Le premier passage rappelle que les personnes choisies pour servir Dieu dans le

judaïsme doivent posséder les vertus de la frugalité: certains aliments sont donc proscrits

pour les juifs qui servent Dieu. Novatien explique qu’il ne s’agit pas d’interdire des

aliments parce qu’ils sont impurs, mais il affirme plutôt que certains aliments ne sont pas

propres à la sainteté en raison de la luxure (4, 2, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 96, 4-p. 97,

11):

236 « Or la méditation sainte des préceptes, une âme disposée à la foi, un esprit absorbé tout entier par la

religion sacrée, et en premier lieu la crainte divine s’accordent et sont apparentés à la pureté […] » 237 5, 2, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 97, 5.

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Seruituros enim Deo, quia in hoc adsumptos, frugalitas decebat et gylae

temperantia, quae semper religioni deprehenditur esse uicina, immo, ut ita

dixerim, consanguinea potius atque cognata; sanctitati enim inimica luxoria

est. Quomodo enim per illam parcetur religioni, cum non parcatur pudori? Non

recipit luxoria Dei timorem, dum praecipitantibus illam uoluptatibus in solam

fertur cupiditatum temeritatem.238

On trouve, au centre de ce passage, l’opposition entre modération et luxure. Novatien relie

cette modération, qui est celle du ventre, à la religion: ce passage s’inscrit à la suite d’une

description de prescriptions alimentaires. On remarque également que, tandis qu’il associe

la modération à la religion, la luxure devient l’ennemi de la sainteté. Or, si luxure et

modération sont opposées, si la luxure est le contraire de la sainteté, cela fait en sorte que la

sainteté est reliée à la religion, sans que ces deux concepts soient équivalents. La proximité

de ces deux concepts suggère que l’on se trouve dans une définition de la religio qui est

subjective, en ce que la sainteté est l’affaire du fidèle, donc de l’individu. Dans ce passage

qui dessine quelques contours de la religion, on remarque qu’intervient la notion de timor

Dei, la crainte de Dieu, que le propos de ce texte est la discipline et qu’il s’adresse à des

chrétiens et, en cela, on retrouve, comme dans certains textes précédemment analysés,

l’utilisation de religio à proximité de timor.

Le second passage, qui renferme la seule opposition de superstitio et religio à

l’intérieur même du christianisme, se trouve au chapitre suivant. Le terme colere intervient

par ailleurs dans cet extrait (5, 15-18, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 99, 42-60):

Iustitia, inquam, et continentia et reliquis Deus uirtutibus colitur […] Ex quibus

congruenter insectatus est apostolus superstitionibus angelorum seruientes,

inflatos, ut ait, sensu carnis suae, caput Christum non tenentes, ex quo omne

corpus per nexum concatenatum et fibula caritatis membris mutuis innexum

atque concretum crescit in Dominum, sed illa seruantes: Ne tetigeritis neque

contrectaueritis, quae imaginem quidem uideantur habere religionis, dum

corpori non parcitur, nullum tamen emolumentum omnino iustitiae, dum ad

238 « La frugalité convenait en effet aux serviteurs, parce qu’ils étaient assignés à Dieu, également la

modération du gosier qui est toujours apparentée à la religion, ou mieux, pour le dire ainsi, elle est née du

même sang ou plus encore elle y est unie par le sang; la luxure est en réalité l’ennemi de la sainteté. De quelle

manière préserve-t-on la religion au travers de la modération lorsqu’on ne ménage pas la pudeur? La luxure

n’admet pas la crainte de Dieu, aussi longtemps qu’elle est dirigée vers la seule témérité du désir par des

plaisirs sensuels qui la conduisent à sa perte. »

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elementa, quibus per baptisma mortui sumus, uoluntaria seruitute

reuocamur239.

Bien que le passage renferme une citation de l’épître de Paul aux Colossiens (2, 21), la

citation de l’apôtre ne contient pas les mots superstitio et religio et Novatien les ajoute. Cet

extrait montre que ce qui découle des commandements comme « tu ne toucheras pas » n’est

en fait que le reflet de la religion. Traiter son corps de façon sévère n’est donc pas associé à

la religion. On remarque également que, dans l’esprit du passage, le fait d’honorer Dieu

(colere) est relié à la justice, comme c’était le cas chez Minucius Félix240. Mais ce passage

présente néanmoins une définition de la religion qui se fait essentiellement par la négative.

Il est dès lors difficile de dégager la conception de la religion par ce texte. On note

également qu’il utilise le mot superstitio pour faire référence à des groupes de chrétiens qui

ont des croyances par rapport aux anges. Or, le texte n’est pas explicite au sujet de ces

croyances, mais l’emploi de superstitio montre que, contrairement à ses prédécesseurs,

Novatien utilise ce mot pour désigner des groupes chrétiens ou des croyances qui circulent

dans le christianisme.

2.6.3. De spectaculis

Ce traité sur les spectacles utilise les trois mots analysés dans les textes précédents:

sacramentum, superstitio, religio. On y trouve le mot sacramentum une seule fois dans le

sens de serment et Novatien ne l’emploie pas pour désigner le christianisme.

Les termes superstitio et religio apparaissent à deux reprises. Contrairement au traité

De cibis Iudaicis, Novatien emploie superstitio pour désigner des phénomènes reliés aux

non-chrétiens. Le premier extrait dénonce bien entendu les spectacles et les relie aux

239 « Dieu est honoré par la justice, la modération et les autres vertus, […] C’est avec justesse que l’apôtre

poursuit sans relâche les esclaves issus de ces superstitions reliées aux anges, “gonflés, comme il dit, par la

perception de leur chair, ne s’accrochant pas au Christ comme à la tête par laquelle tout le corps est joint par

un lien, noué par une attache de charité par des membres mutuels et fortifié dans le Seigneur”, mais ils

observent plutôt ces choses: ne touchez pas, ne maniez pas les choses qui semblent certes être le reflet de la

religion; tandis qu’on fait violence au corps, sans pour autant apporter aucun gain pour la justice, nous

sommes ramenés par une servitude volontaire à ces éléments pour lesquels nous sommes morts par le

baptême. » 240 Supra n. 201 p. 134.

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superstitions vaines des non-chrétiens241: Non pudet, inquam, non pudet fideles homines et

christiani sibi nominis auctoritatem uindicantes superstitiones uanas gentilium cum

spectaculis mixtas de scripturis caelestibus uindicare et diuinam autoritatem idolatriae

conferre242. Dans la phrase qui suit, notre auteur oppose l’idolâtrie à la religion (2, 2,

CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 168, 5-8): Nam quando id quod in honore alicuius idoli ab

ethnicis agitur a fidelibus christianis spectaculo frequentatur, et idolatria gentilis asseritur

et in contumeliam Dei religio uera et diuina calcatur243. Dans ce texte, la superstitio

représente l’idolâtrie et c’est également ce que l’on trouve dans la seconde utilisation de ce

terme (4, 2, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 171, 5-7): Quod enim spectaculum sine idolo,

quis ludus sine sacrificio, quod certamen non consecratum mortuo?244 Novatien ajoute des

exemples qui sont directement reliés à l’idolâtrie et s’interroge par la suite sur la raison qui

pousse certains chrétiens à supporter de telles superstitions (4, 2, CCSL, 4, éd.

G. F. Diercks, p. 171, 8-9): Quid contra Deum superstitiones probat quas amat dum

spectat?245 Novatien relie donc la superstition à l’idolâtrie, mais cela nous renseigne peu

sur la définition de superstition ou son opposition à religion à ce moment.

La dernière utilisation de religio dans le texte montre que Novatien entrevoit la

religio comme une disciplina, même s’il n’emploie pas ce terme. Dans son dernier chapitre,

il propose que le chrétien soit versé dans les Écritures et qu’il y trouvera un « spectacle » de

loin supérieur aux spectacles romains. Il verra le spectacle de la création, mais il pourra

également voir à l’œuvre la religion (10, 2, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 178, 10-11):

Videbit in quibusdam fidem cum igne luctantem, religione superatas feras et in

mansuetudinem conuersas246. Le combat de l’arène est remplacé par celui du croyant: ce

241 2, 1, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 168, 1-4. 242 « Ils n’éprouvent aucune honte, aucune honte, dis-je, ces hommes fidèles et ceux qui revendiquent pour

eux l’autorité du nom chrétien afin de réclamer à partir des Écritures célestes les superstitions vaines des

Gentils, ces superstitions mélangées aux spectacles, et conférer une autorité divine à l’idolatrie. » 243 « De fait, quand les chrétiens fidèles fréquentent les spectacles qui sont donnés en l’honneur de quelque

idole, l’idolatrie des Gentils est d’une part défendue et la religion de Dieu, vraie et divine, est d’autre part

foulée au pieds de façon injurieuse. » 244 « Existe-t-il des spectacles sans idole? Existe-t-il des jeux sans sacrifice? Existe-t-il des concours qui ne

sont pas consacrés à un mort? » 245 « Qu’approuve-t-il pendant qu’il regarde ces superstitions qu’il aime mais qui vont contre Dieu? » 246 « [Le chrétien] verra dans certains [passages] la foi luttant contre le feu, les bêtes renversées et domptées

par la religion. »

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151

paragraphe, qui montre un chrétien maîtrisant les Écritures et le combat moral, présente la

religio comme une discipline plus qu’un culte.

2.6.4. De Trinitate

Le De trinitate est un traité doctrinal et l’on remarque sans surprise que le terme

sacramentum n’est pas utilisé pour désigner le christianisme, mais plutôt employé dans le

sens de mystère247 et de doctrine248. Novatien emploie également le mot secta pour désigner

les dissensions au sein du christianisme, mais pas comme référent pour le christianisme249.

Le mot superstitio quant à lui n’est pas présent dans le texte et seule l’analyse du mot

religio est nécessaire dans ce traité.

Novatien utilise à deux reprises l’adjectif religiosus, mais celui-ci est laissé de côté

dans l’analyse puisqu’il donne peu d’information sur la notion de religion250. On rencontre

cinq occurrences du mot religio dans les chapitres 26-28. On ne trouve en revanche aucune

autre utilisation en dehors de ces trois chapitres. Dans ceux-ci, Novatien réfute les

arguments de ceux qu’il nomme haeretici: il s’agit de la pensée patripassianiste ou

modaliste de Sabellius. De ces cinq occurrences, les trois du chapitre 27 méritent d’être

commentés, celles des chapitres 26 et 28 ne se résument qu’à indiquer la dévotion

chrétienne et sont laissées de côté pour l’analyse251.

Dans le chapitre 27, Novatien commente un passage du NT (Jn, 10, 30); il s’agit d’un

passage qui affirme que le Père et le Fils sont un. Il propose quelques arguments pour

montrer que l’interprétation des sabelliens est erronée. Le principal point qu’il entend

montrer est que le Père et le Fils sont deux personnes distinctes252. Les exemples et

explications se succèdent, puis vient l’exemple de Paul et Apollos tiré de la deuxième épître

aux Corinthiens. Cet exemple suggère que, comme Paul et Apollos, le Père et le Fils sont

247 1, 13, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 13, 60; 18, 14, p. 46, 79; 23, 8, p. 58, 37; 24, 9, p. 59, 52; 26, 14,

p. 63, 35; 29, 9, p. 70, 41. 248 9, 2, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 25, 8; 19, 20, p. 51, 112. 249 29, 19, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 71, 88. 250 3, 3, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 16, 25; 7, 1, p. 22, 7. 251 26, 1, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 61, 4; 28, 4, p. 66, 15. 252 27, 2, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 64, 3-9.

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152

deux personnes. Vient ensuite un passage qui poursuit cette idée voulant que deux

personnes puissent être unies, et donc ne faire qu’une seule, même s’elles sont distinctes,

mais non pas différentes (27, 8, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 64, 36-p. 65, 39): Nam

quando duorum una sententia est, ueritas una est, fides una est, una atque eadem religio

est, unus etiam Dei timor est, unum sunt, etiamsi duo sint, ipsum sunt, dum ipsum

sapiunt253. L’extrait est bien entendu d’intérêt puisqu’on note la présence de la timor Dei,

mais il semble, dans un premier temps, que la religio et cette crainte de Dieu sont

simplement juxtaposées et rien dans ce passage ne suggère un lien entre les deux notions.

En outre, le passage se sert de l’exemple pour montrer l’unité des chrétiens qui ne font

qu’un tout en étant distincts, tout comme le Père et le Fils: le raisonnement se poursuit (27,

9, CCSL, 4, éd. G. F. Diercks, p. 65, 39-41): Etenim quos personae ratio inuicem diuidit,

eosdem rursus inuicem religionis ratio conducit. Et quamuis idem atque ipsi non sint, dum

idem sentiunt, ipsum sunt, et cum duo sint, unum sunt, habentes in fide societatem, etiamsi

gerant in personis diuersitatem254. Ces deux passages martèlent donc l’idée que plusieurs

peuvent être unis tout en étant distincts, mais pas différents. Il souligne à plusieurs reprises

que le partage d’une même foi, d’une même pensée et d’une même religion est nécessaire à

l’unité des personnes: ces chrétiens, bien qu’ils soient distincts les uns des autres, ne sont

pas différents. Bien entendu, cela sert le propos principal du texte qui est la distinction de

personne entre le Père et le Fils. Mais, comme ces extraits s’insèrent dans une polémique

avec des groupes que Novatien considère comme « hérétiques », on peut également penser

que la divergence d’opinion et de foi entre Novatien et ces hérétiques entraîne non

seulement une distinction de l’un par rapport aux autres, mais aussi la différence entre eux

et lui. Contrairement à la communion entre le Père et le Fils, qui sont distincts mais non

différents, la communion est brisée entre Novatien et ces hérétiques, car en plus d’être

distincts, ils sont différents et ne peuvent donc plus être unis. Ils peuvent se réclamer de la

même religion que Novatien « […] aussi longtemps qu’ils comprennent la même chose

253 « Quand la pensée de deux personnes est une seule, qu’une est la vérité, qu’une est la foi, qu’une et la

même est la religion, qu’une seule est aussi la crainte de Dieu, ces deux personne ne font qu’une même si

elles sont deux, elles sont la même, aussi longtemps qu’elles comprennent la même chose. » 254 « En fait, ceux que la notion de personne séparent l’un de l’autre, la notion de la religion rassemble à

nouveau ceux-là même l’un à l’autre. Et bien qu’ils ne soient pas la même chose et la même personne, aussi

longtemps qu’ils comprennent la même chose, ils sont la même personne, et tandis qu’ils sont deux, ils ne

font qu’un, ayant une communauté dans la foi même s’ils diffèrent quant à la personne. »

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153

[…] » que lui (dum idem sentiunt). Or ce n’est plus le cas, ils ont compris autre chose et,

selon Novatien, ils ne se qualifient pas pour être de la même religion, c’est du moins une

façon de comprendre les propos de ce prêtre romain.

On comprend donc que Novatien veut montrer que les hérétiques ne sont pas de la

même religion. Non pas qu’il indique que seuls les chrétiens « orthodoxes » – dans son

esprit – peuvent utiliser le mot religio, étant les seuls à pouvoir se réclamer comme tels,

mais plutôt qu’il veut seulement souligner que les chrétiens sont d’une religion simplement

distincte et différente de celle des hérétiques, car les deux groupes sont distincts et

différents. Il s’agit d’une stratégie pour bien délimiter les deux groupes – stratégie

semblable à celle de Tertullien dans l’Aduersus Marcionem quoiqu’elle soit moins discrète

chez Novatien. Même s’il considère que les hérétiques ont tort, on remarque toutefois que

Novatien n’emploie pas superstitio pour les désigner. Il n’affirme pas non plus que les

hérétiques n’ont pas de religion, il indique plutôt qu’ils sont d’une autre religion. Que ce

soit chez Tertullien ou Novatien, on remarque également que ces auteurs n’utilisent pas non

plus la notion de uera religio lorsqu’ils parlent aux hérétiques.

Conclusion

Les textes de Novatien sont très différents de ceux de Tertullien, de Minucius Félix et

de Cyprien analysés dans les pages précédentes. Ses ouvrages sont doctrinaux et ne sont

pas apologétiques ou hérésiologiques. Sa conception de religio s’approche de la pensée de

Cyprien en ce qu’elle est liée à la disciplina, bien qu’il n’emploie pas ce terme. Le timor

Dei est toujours présent et l’on peut constater l’importance accordée à cette crainte de Dieu,

mais sans jamais voir un lien direct entre la religio et le timor Dei.

L’utilisation de superstitio dans le corpus de Novatien surprend davantage. Il est le

seul à employer ce terme pour faire référence à un groupe chrétien, non pas que cela

désigne un groupe, mais une croyance au sein du christianisme. Bien entendu, il emploie

aussi ce mot dans son De spectaculis pour décrire les pratiques non chrétiennes du monde

gréco-romain. En cela, ces extraits livrent très peu d’information à part que Novatien

emploie d’une part superstitio de manière condescendante à l’endroit des spectacles, mais

aussi dans le sens de croyances répandues chez certains chrétiens.

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154

Son passage sur l’unité dans le De trinitate est également révélateur d’une situation

spécifique. Tout comme Tertullien qui utilise pour la première fois les mots religio

christiana – indiquant au même moment que Marcion n’en fait pas partie – Novatien

montre que l’on peut être d’une même religion aussi longtemps que l’on comprend la même

chose, ce qui est fort étranger à la pensée romaine et l’on voit poindre l’idée d’orthodoxie

liée à celle de religion. Il affirme, tout en parlant aux hérétiques, qu’ils ne sont pas de la

même religion parce qu’ils ont cessé de comprendre la même chose que les chrétiens. Il

doit également être noté que, tout comme c’était le cas dans les ouvrages hérésiologiques

de Tertullien, Novatien n’emploie pas superstitio pour parler des hérétiques – si l’on

excepte le passage du De cibis Iudaicis qui parle de chrétiens qui ont des croyances dans les

anges.

2.7. Arnobe

Arnobe est un auteur du début du IVe siècle et l’analyse de son ouvrage Aduersus

nationes255 permet de voir où se situe le discours sur la religio au moment de la rédaction

du De ira Dei. La datation de l’ouvrage fait toutefois problème et beaucoup de chercheurs

ont tenté de régler ce problème256. Que la date retenue soit haute ou basse, il n’en demeure

pas moins que l’Aduersus nationes a été rédigé dans le premier quart du IVe siècle et c’est

précisément à cette époque que Lactance propose sa réflexion sur la colère de Dieu et la

religion.

255 À défaut d’avoir une édition complète et récente de l’Aduersus nationes, nous utilisons plusieurs éditions

modernes: Livre I (CUF, éd. H. Le Bonniec, 1982) Livre III (CUF, éd. J. Champeaux, 2007), Livres II, IV et

V (CSLP, éd. C. Marchesi, 1953), Livres VI-VII (CUF, éd. B. Fagu, 2010). 256 M. B. Simmons, qui fait un état de la question détaillé sur ce sujet, en déduit que l’ouvrage a été rédigé

durant la Grande Persécution de Dioclétien et suggère une datation entre 303 et 305. Cela s’écarte bien

entendu de la datation ancienne fournie par Jérôme, dans son Chronicon, qui indique que l’ouvrage a été

rédigé en 327. M. B. Simmons mentionne qu’en raison de la présence de discussions importantes portant sur

le sacrifice dans l’ouvrage d’Arnobe, il conclut que l’ouvrage doit être contemporain des persécutions. Il est

suivi par A. R. BIRLEY, « Attitudes to the State in the Latin apologists », 2005, p. 265. M. J. Edwards pense

plutôt que l’ouvrage a été rédigé après les persécutions vers 323 et suggère que les références aux

persécutions peuvent avoir été rédigées après les faits: « Allusions to persecution in the treatise, even where

the present tense is employed, prove only that Arnobius regarded this as a characteristic vice of paganism

[…] »: « Dating Arnobius: why discount the evidence of Jerome? », 2004, p. 271; N. L Thomas abonde

également dans le même sens: Defending Christ... 2011, p. 134-140. Un terminus post quem de 303 fait

toutefois consensus puisqu’Arnobe fait référence aux Écritures jetées au feu et aux lieux de culte détruits (4,

36, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 244, 20-21), ce qui constitue un indice pour indiquer que l’ouvrage a au moins

été écrit après le déclenchement de la Grande Persécution de Dioclétien. Ces discussions laissent donc un

terminus post quem de 303 et un terminus ante quem de 327 et l’ouvrage a donc été écrit entre ces deux dates.

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155

Un survol de l’ouvrage d’Arnobe montre que l’emploi des termes secta et

sacramentum n’ont plus aucun lien avec ce que l’on trouve chez Tertullien: ces mots ne

désignent jamais le christianisme257. Arnobe emploie le mot secta pour faire référence aux

divers courants philosophiques258. On trouve, en revanche, sectatores pour désigner les

disciples de la religion chrétienne259. Bien que l’écrit s’adresse aux non-chrétiens, les

significations données au terme sacramentum vont plutôt dans le sens de ce que l’on trouve

dans les ouvrages qui s’adressent aux chrétiens. On trouve donc les significations suivantes:

le serment260, la doctrine261, le mystère262 et la décision263.

Le mot superstitio quant à lui apparaît peu dans l’œuvre du maître de Lactance. En

effet, il apparaît seulement à sept reprises dans tout l’ouvrage. Comme dans les écrits de

Tertullien, le mot est utilisé pour faire référence à la religion instaurée par Numa264, mais

aussi pour désigner la religion préromaine d’Étrurie265. Il est possible qu’Arnobe s’attaque

aux origines (soit Numa ou l’Étrurie) pour enlever de la crédibilité à la religion romaine en

ayant recours au mot superstitio, ou qu’en s’attaquant précisément à l’Étrurie, il veuille

relier les haruspices à la superstitio266. Comme l’ancienneté de la religion est fort

importante dans l’Antiquité, si l’on s’attaque aux racines anciennes de cette religion, c’est

tout l’arbre qui tombe. Quoi qu’il en soit, on note néanmoins que seulement deux

257 Notons toutefois que pour C. Magazzù, le mot sacramentum est important dans la définition du mot

religio. Il analyse le passage de l’Aduersus nationes I, 3, 1 qui indique que la religion chrétienne a révélé les

mystères (sacramenta) de la vérité cachée: « L’uso di religio nella polemica antipagana di Arnobio di Sicca »,

1994, p. 442. 258 2, 12, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 80, 9. 259 I, 46, 7, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 171. 260 2, 5, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 70, 5; 4, 20, p. 224, 22-23. 261 2, 5, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 69, 19. 262 I, 3, 1, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 135; III, 6, 1, CUF, éd. J. Champeaux, p. 5. 263 4, 16, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 221, 14. 264 2, 12, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 79, 8. 265 VII, 26, 4, CUF, éd. B. Fagu, p. 48. 266 On sait que les dépositaires de l’Etrusca disciplina étaient les haruspices. Or, au temps de Dioclétien, les

haruspices avaient joué un rôle considérable dans le déclenchement des persécutions. Les accusations contre

les chrétiens sont par ailleurs mises dans la bouche des haruspices dans l’ouvrage d’Arnobe, cf. infra p. 157 et

D. BRIQUEL, Chrétiens et haruspices: la religion étrusque, dernier rempart du paganisme romain, Paris,

Presses de l’École normale supérieure, 1997. À l’époque d’Arnobe, les haruspices sont hostiles au

christianisme et il ne serait pas surprenant que le mot superstitio, qui est peu utilisé dans cet ouvrage, le soit

pour attaquer plus précisément les haruspices tandis que le mot religio est employé pour désigner l’ensemble

des cultes romains.

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occurrences de superstitio dans un ouvrage apologétique sont très peu: s’il avait voulu

blâmer les Romains de participer à une superstitio plutôt qu’à une religio, il aurait associé

davantage les pratiques romaines à ce terme. Il utilise aussi superstitio dans un passage qui

traite de mythologie267 et l’emploie également pour désigner la Loi mosaïque et les

pratiques juives268. On remarque dès lors qu’il ne se sert pas de superstitio dans un sens

fortement polémique et la suite de l’analyse révèle qu’il emploie de façon majoritaire le

mot religio pour désigner la réalité romaine. En dehors de cela, il emploie également

superstitio pour parler du christianisme.

Les deux occurrences les plus frappantes de superstitio dans l’ouvrage d’Arnobe se

trouvent dans les chapitres 24 et 25 du livre I. Dans ce livre, l’auteur africain fait parler les

haruspices qui énoncent certaines accusations contre les chrétiens. Tout comme c’est le cas

chez Minucius Félix, on trouve dans le texte d’Arnobe les accusations romaines à l’endroit

des chrétiens; celles-ci sont bien entendu rapportées par un auteur chrétien et l’on doit se

garder d’affirmer qu’elles constituent les accusations authentiques du début du IVe

siècle269. Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que l’on peut analyser le passage

suivant pour discerner la signification donnée au terme superstitio, qui est de surcroît

accompagné du mot religio (I, 24, 3, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 150): negleguntur dii,

clamitant, atque in templis iam raritas summa est, iacent antiquae derisui caerimoniae et

sacrorum quondam ueterrimi ritus religionum nouarum superstitionibus occiderunt […]270.

On remarque d’emblée que superstitio n’est pas un concept séparé et opposé à la

religio: il existe des superstitions au sein des nouvelles religions. L’expression religio noua

267 4, 7, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 209, 26. 268 I, 42, 5, CUF, éd. Le Bonniec, p. 168. 269 De plus, M. B. Simmons rappelle que le texte d’Arnobe reprend les accusations contre les chrétiens qui ont

eu cours dans les deux siècles qui l’ont précédé: Arnobius of Sicca... 1995, p. 53-54. Beaucoup d’auteurs se

sont penchés sur ce problème et certains ont parfois daté les livres I et II avant même les persécutions de

Dioclétien. D’autres passages, notamment ceux concernant les accusations et l’hostilité des haruspices (I, 24-

25), montrent que les divers arguments se chevauchent dans un même livre. Arnobe présente donc à même le

livre I les calamités (guerres, famines, etc) qui surviennent depuis l’avènement du christianisme – cela était

déjà présent au temps de Dèce dans l’Ad Demetrianum de Cyprien – et la problématique liée aux haruspices

qui est caractéristique du début du IVe siècle. 270 « Les dieux sont négligés, s’écrient [les haruspices], et la rareté atteint des sommets dans les temples, les

cérémonies antiques sont tombées en dérision, et les rites sacrificiels les plus anciens sont renversés par les

superstitions des nouvelles religions. »

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est en soi étonnante puisque, dans la pensée romaine, la religion ne peut pas être nouvelle,

car la nouveauté s’oppose au concept même de la religio qui se fonde sur l’ancienneté et le

mos maiorum. C’est pourquoi les auteurs latins n’hésitaient pas à employer l’adjectif noua

de façon péjorative lorsqu’ils parlaient du christianisme (noua superstitio)271. Il n’en

demeure pas moins que le sens de noua, dans ce texte, est péjoratif – il en sera de même

dans l’extrait du chapitre 25. Or, aux siècles de Tacite, Suétone et Pline le Jeune, le mot

religio était utilisé pour désigner la religion officielle de l’État: elle n’était ni nouvelle ni

mauvaise. Bien que ces mots se trouvent chez un auteur chrétien, on peut penser, comme on

le voyait dans les textes de Minucius Félix et de Cyprien, que le terme religio en est venu à

désigner la plupart des phénomènes religieux au IIIe siècle. Dans ce cas, il est possible que

même les Romains aient employé ce mot pour désigner le christianisme à l’aube du IVe

siècle – c’est en tout cas ce que l’on trouve dans l’Édit de Milan272.

Dans l’extrait d’Arnobe, les haruspices déclarent qu’il existe non seulement des

nouae religiones, mais encore qu’elles portent en elles-mêmes des superstitiones. On

comprend dès lors que superstitio ne désigne plus dans ce cas la religion privée – en ce

qu’elle s’oppose à la religion officielle; dans ce texte, superstitio renvoie plutôt aux

croyances ou aux pratiques contenues dans la religion. Bien entendu, les véritables

accusations des haruspices contre le christianisme ne sont peut-être pas formulées

exactement comme le rapporte Arnobe, c’est-à-dire que ceux-ci n’emploient peut-être pas

le mot religio, mais des textes non chrétiens désignent, à cette époque, les phénomènes

religieux non officiels par le mot religio, rien n’empêche que les haruspices aient utilisé un

tel mot pour désigner le christianisme au début du IVe siècle273. Quoi qu’il en soit, il n’en

demeure pas moins qu’un auteur du début du IVe siècle utilise superstitio dans le sens de

croyances (ou pratiques), qu’il subordonne ce terme à religio au lieu de l’opposer et enfin

qu’il indique qu’il existe des religions nouvelles – suggérant par cela qu’il existe une

pluralité de phénomènes religieux regroupée sous le terme religio.

271 Supra n. 20 p. 84. 272 Supra n. 216 p. 139. 273 Historien non chrétien, Ammien Marcellin utilise religio christiana au IVe siècle et cela montre qu’à cette

époque, l’utilisation de religio n’est plus exclusive aux cultes administrés par l’État: Res Gestae, XXVII, 7, 6,

BT, éd. W. Seyfarth, p. 46, 7.

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De plus, si la plupart des phénomènes religieux sont qualifiés de religio aux IIIe et

IVe siècles, il va de soi que la distinction entre culte officiel (religio) et culte privé

(superstitio) s’amenuise. On désigne autant les cultes officiels que les cultes non officiels et

privés par le mot religio. On n’emploie, dès lors, plus superstitio pour faire référence aux

cultes non officiels et cela transforme la signification de ce terme. Dans le passage

d’Arnobe, il en vient à signifier les croyances ou pratiques au sein d’une religion. On peut

aussi penser que le mot superstitio a une connotation péjorative dans ce même extrait,

puisqu’il est la cause du renversement des cérémonies anciennes. On trouve également une

utilisation semblable de superstitio dans le chapitre suivant (I, 25, 4, CUF, éd.

H. Le Bonniec, p. 151):

Deum principem, rerum cunctarum quaecumque sunt dominum, summitatem

omnium summorum obtinentem, adorare, obsequio uenerabili inuocare, in

rebus fessis totis, ut ita dixerim, sensibus amplexari, amare, suspicere

execrabilis religio est et infausta, impietatis et sacrilegii plena, caerimonias

antiquitus institutas nouitatis suae superstitione contaminans?274

Encore une fois, la superstition est liée à la nouveauté et se trouve à l’intérieur de la religio.

Dans les chapitres 24 et 25, le mot superstitio est donc utilisé pour désigner un aspect de la

religion: les croyances ou pratiques. Ces emplois désignent en fait le christianisme et l’on

peut penser qu’il s’agit d’une accusation qui circulait au début du IVe siècle, à savoir que

les non-chrétiens blâmaient les croyances et les pratiques dans le christianisme.

On remarque, dès lors, deux choses concernant l’emploi de superstitio chez Arnobe.

Premièrement, il n’existe plus d’opposition entre superstitio et religio, que ce soit une

dichotomie officiel/non-officiel ou public (publicus)/privé. On note ensuite que ce mot

n’est pas utilisé exclusivement pour désigner le caractère faux de la religion romaine, il

désigne à la fois les réalités romaine, juive et même chrétienne. On décèle aussi très peu de

passages qui font référence aux cultes romains par l’emploi de superstitio: le caractère faux

274 « D’adorer Dieu le premier, maître de toutes choses quelles qu’elles soient, le point culminant tenant

solidement tous les sommets, de l’invoquer par une obéissance respectable, de s’attacher à lui, pour ainsi dire,

par des sentiments, de l’aimer et d’élever son regard vers lui dans tous les moments d’épuisement serait une

religion abominable, hostile, pleine de sacrilège et d’impiété, une religion qui, par sa superstition,

contaminerait de nouveautés les cérémonies antiques établies? »

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de la religion romaine est par ailleurs exprimé par l’utilisation de falsa religio275 et le mot

religio est davantage utilisé pour parler des Romains.

On trouve des dizaines d’occurrences de religio dans l’Aduersus nationes et c’est en

raison de cette importante quantité que seuls quelques exemples tirés des livres I et VII sont

retenus276: ces quelques occurrences permettent néanmoins de dresser un portrait de

l’utilisation de religio chez Arnobe. Il se sert abondamment du mot religio comme référent

pour désigner le christianisme, qu’il soit accompagné de nostra277 ou pas278 et l’on trouve

aussi l’utilisation tant notée de religio christiana279. Il emploie aussi le mot religio pour

désigner le culte des Romains280, mais il indique clairement que leur religion est fausse

(falsa religio)281. Si l’on revient au chapitre 24, on note également qu’il traite les Romains

d’irréligieux plutôt que de superstitieux: (I, 24, 1, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 150): Vestra

sunt haec, uestra sunt inreligiose opinata et inreligiosus credita282. On remarque qu’il

s’agit d’une utilisation semblable à celle de Tertullien où l’on s’abstient d’employer

l’adjectif superstitiosus et l’on se tourne vers irreligiosus283. En conséquence, on remarque

que les auteurs chrétiens préfèrent davantage accuser les non-chrétiens d’irréligiosité que

de superstition.

Arnobe utilise donc religio pour désigner le culte romain et la réalité chrétienne284.

En dehors d’une définition axée sur le culte qu’il associe à la réalité du monde romain, il

propose également quelques passages dans lesquels on peut déceler sa conception du

christianisme en tant que religio. Au livre I, probablement dans un souci apologétique

275 Infra n. 281 p. 159. 276 Une analyse complète du premier livre a été effectuée dans les paragraphes suivants. À cela s’ajoute

quelques extraits qui sont tirés de la conclusion du livre VII en raison de leur importance. 277 I, 5, 3, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 138; I, 6, 1, p. 139. 278 I, 16, 3, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 146; I, 27, 1, p. 153; I, 31, 3, p. 158; I, 46, 7, p. 171; I, 55, 1, p. 181; I,

57, 1, p. 182. 279 I, 2, 3, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 133; I, 3, 1, p. 135. 280 I, 2, 2, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 133; I, 35, 2, p. 160. 281 I, 38, 8, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 165. 282 « Vos croyances sont admises de façon irréligieuse et crues de façon encore plus irréligieuse. » 283 Supra n. 106 p. 107. 284 C. Magazzù confirme en effet qu’il utilise le mot en deux sens: le sens traditionnel romain qui associe

religio au culte, mais également un autre sens qui est, dans la pensée d’Arnobe, lié au christianisme: « L’uso

di « religio » nella polemica antipagana di Arnobio di Sicca », 1994, p. 441-446.

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d’inscrire le christianisme comme phénomène cultuel – mais de façon métaphorique –,

Arnobe affirme que les devoirs de la religion chrétienne n’impliquent rien d’autre que de

devenir les adorateurs (ueneratores) de Dieu. Cette façon d’aborder la religio christiana

semble à première vue très romaine, quoiqu’il remplace colere par uenerare. Mais le vrai

caractère de la religion chrétienne est décrit plus loin (4, 30, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 237,

5-14): Non enim qui sollicite relegit et inmaculatas hostias caedit, qui aceruos turis dat

concremandos igni, numina consentiendus est colere aut officia solus religionis inplere.

Cultus uerus in pectore est atque opinatio de dis digna […]285. Le terme colere est bien

présent dans ce passage, mais Arnobe change la signification: le fait d’adorer (colere) n’est

plus relié à l’encens qui brûle ou au sacrifice, mais le culte du christianisme se situe dans le

cœur et est accompagné d’une opinion digne des dieux. Il est, dès lors, « intérieur et

spirituel »286.

Au livre VII de son ouvrage, Arnobe va conclure et résumer les fondements de la

religion (VII, 37, 3, CUF, éd. B. Fragu, p. 59): Opinio religionem facit et recta de diis

mens, ut nihil eos existimes contra decus propriae sublimitatis appetere287. Cela constitue

pour Arnobe des offrandes plus sures (dona certissima) et des sacrifices vrais (sacrificia

uera)288. Afin de mieux analyser la pensée contenue dans cet extrait, on doit d’abord

comprendre ce qui ne convient pas à la grandeur des dieux (decus sublimitatis). Arnobe

martèle, tout au long de son traité, que les dieux ne peuvent se mettre en colère ni subir les

passions. Il le fait en raison des accusations à l’endroit des chrétiens: celles-ci ressemblent

beaucoup à celles que l’on trouvent dans le traité Ad Demetrianum de Cyprien: les dieux

ont envoyé des fléaux en raison de la défection des chrétiens par rapport aux cultes

traditionnels. La réponse de Cyprien est fort différente puisqu’il propose l’argument du

vieillissement du monde (senectus mundi) et, parce que les non-chrétiens n’adorent pas le

285 « En effet, celui qui choisit avec soin la victime sans faute et la frappe, celui qui livre au feu des tas

d’encens, ne doit pas être considéré comme adorant la divinité ou remplissant à lui seul les devoirs de la

religion. Le vrai culte se trouve dans le cœur tout comme la conception digne que l’on se fait des dieux […] ». 286 C’est du moins de cette manière que l’exprime E. GAREAU, « Le fondement de la vraie religion d’après

Arnobe », Cahiers des études anciennes 11 (1980), p. 18. 287 « L’opinion ainsi qu’une disposition correcte de l’esprit au sujet des dieux sont le fondement de la religion,

de sorte qu’on juge qu’ils ne cherchent à atteindre rien de contraire à ce qui convient proprement à leur

grandeur. » 288 VII, 37, 5, CUF, éd. B. Fragu, p. 59.

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vrai Dieu, ils font face à la juste colère de Dieu. La réponse d’Arnobe est plutôt centrée sur

l’idée que les fléaux ont toujours existé, qu’il n’y en a guère plus au moment où il écrit

qu’il n’y en avait avant et qu’il ne peut s’agir de la colère des dieux puisqu’ils ne peuvent

éprouver ni colère ni passions289. Beaucoup de passages de l’Aduersus nationes réitèrent

cette impassibilité des dieux290 et Arnobe rappelle cette idée dans le passage qui précède

celui qui explique sa conception de la religion (VII, 36, 2, CUF, éd. B. Fragu, p. 58): Irasci

et perturbari uos numina ceterisque animorum adfectibus mancipata esse atque obnoxia

iudicatis; nos huiusmodi motus alienos exstimamus ab his esse: sunt enim ferocium

generum et mortalitatis obeuntium functiones291. Il explique clairement que les chrétiens ne

pensent pas que les dieux se mettent en colère, or, il semble qu’Arnobe est le seul à penser

de la sorte, car, à tout le moins, Cyprien et Lactance croient le contraire. Quoi qu’il en soit,

si le passage VII, 37, 3 est relu à la lumière de cette importante caractéristique de l’ouvrage

d’Arnobe, cela signifie, pour ce dernier, que la disposition d’esprit correcte est de juger que

les dieux ne cherchent pas, entre autres, à atteindre des choses contraires à ce qui leur

convient, c’est-à-dire la colère ou les passions. Posséder ce genre de conception – correcte

selon Arnobe – de la divinité est à la base de la religion: en revanche, concevoir les dieux

en colère va à l’encontre des fondements de la religion.

On remarque, dès lors, deux caractéristiques de la pensée d’Arnobe. La première est

liée à l’idée d’une religion « intérieure et spirituelle »: cela va dans le même sens que le

« nouveau modèle » proposé par G. Stroumsa292. Ce qui frappe encore plus dans la pensée

d’Arnobe est le souci de relier la religio à une orthodoxie, c’est-à-dire que la religion doit

être constituée d’une opinion et d’une disposition correcte de l’esprit à l’endroit des dieux,

ou, comme E. Gareau le souligne, « la foi fait la religion »293. Or cette idée de centrer la

religion sur la foi ou l’opinion correcte est bien entendu étrangère à la romanité. On retient

289 À ce sujet, N. L. Thomas consacre quelques pages à l’analyse des différences entre le traité de Cyprien et

celui d’Arnobe: Defending Christ... 2011, p. 159-163. 290 I, 18, 2, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 147; I, 19, 2, p. 148; I, 20, p. 148; I, 26, 1, p. 152; III, 11, 2, CUF, éd.

J. Champeaux, p. 9; III, 36, 2, p. 27. 291 « Vous estimez que vos divinités se mettent en colère, qu’elles sont remuées et qu’elles sont vouées et

soumises à d’autres passions de l’esprit; nous pensons que ce genre de passions leur est étranger: ces passions

sont de fait les accomplissements des bêtes féroces et des mortels. » 292 Supra n. 216 p. 139. 293 E. GAREAU, « Le fondement de la vraie religion... », 1980, p. 20.

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également qu’il ne pense pas que la religion doive aller de pair avec l’idée que Dieu puisse

se mettre en colère. En cela, il définit la religion d’une façon diamétralement opposée à la

pensée de Lactance dans le De ira Dei. Est-ce possible qu’Arnobe soit le reflet d’une idée

répandue dans le christianisme africain du début du IVe siècle? Cela n’est pas

improbable294. Dans un tel cas, peut-être que Lactance écrit son traité sur la colère de Dieu

en réponse à un courant de pensée au sein du christianisme, courant qui nierait la

Providence divine et affirmerait que Dieu ne peut être en colère: ce genre d’idée au sein du

christianisme est souvent relié à l’épicurisme295. Les idées d’Arnobe sont par ailleurs très

empreintes d’épicurisme296 et « son Dieu, tel qu’il le définit, n’est que le Dieu des

philosophes; mais, comme les épicuriens, Arnobe l’isole dans sa grandeur inutile, en lui

refusant le rôle de Providence et toute intervention dans la création de l’homme »297. On

doit noter que certains, pour expliquer ses positions étranges, ont même suggéré qu’Arnobe

294 Même si certains ont noté que l’ouvrage d’Arnobe n’a presque rien de chrétien (P. MONCEAUX, L’Afrique

chrétienne depuis les origines jusqu’à l’invasion arabe, Bruxelles, Culture et Civilisation, 1963, p. 266) ou

encore que son ouvrage figure parmi la liste des œuvres apocryphes en raison de son caractère beaucoup trop

hétérodoxe (N. L. THOMAS, Defending Christ... 2011, p. 130), il n’en demeure pas moins que la présence de

ces idées dans l’ouvrage d’un auteur chrétien montre que ce sont des réflexions qui circulaient dans le

christianisme du début du IVe siècle, qu’il s’agisse d’un christianisme jugé orthodoxe ou hétérodoxe par la

postérité. 295 On trouve d’ailleurs ces idées chez Tertullien qui affirme que la source des hérésies est la philosophie (De

praescriptione haereticorum, VII, 2-3, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé, p. 192, 4-7) et qui associe à plusieurs

reprises la pensée de Marcion à l’épicurisme: Aduersus Marcionem, I, 25, 3-5, CCSL, 1, éd. A. Kroymann,

p. 468, 14-p. 469, 7; II, 16, 2, p. 493, 14-15; dans un ouvrage antérieur, il fait cependant une association entre

la pensée de Marcion et le stoïcisme: De praescriptione haereticorum, VII, 3, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé,

p. 192, 9-10. On trouve également une association entre Marcion et Épicure chez Jérôme: Commentariorum

in Esaiam, VII, 18, 1/3, éd. M. Adriaen, p. 274, 53-56. De façon plus générale, l’association entre la

philosophie et l’hérésie est un lieu commun de l’hérésiologie: J. G. GAGER, « Marcion and philosophy »,

Vigiliae Christianae 26 (1972), p. 53-59; M. SIMONETTI, « Eresia ed eretici in Origene », Augustinianum:

periodicum semestre Instituti Patristici Augustinianum 25 (1985), p. 735-748; R. BRAUN, « Tertullien devant

les hérésies gnostiques », dans Aspects de l’oeuvre de Tertullien, Toulouse, Éditions de l’ARTELA, 1990,

p. 14-25; W. A. LÖHR, « The continuing construction of heresy: Hippolyt’s "Refutatio" in context », dans

G. Aragione et E. Norelli (dir.), Des évêques, des écoles et des hérétiques: actes du colloque international sur

la « Réfutation de toutes les hérésies », Genève, 13-14 juin 2008, Lausanne, Éditions du Zèbre, 2011,

p. 25-42. 296 H. Le Bonniec fait un bon état de la question sur l’épicurisme d’Arnobe dans son « Introduction », dans

ARNOBE, Contre les païens, t.1, texte établi, traduit et commenté par H. Le Bonniec, Paris, Les Belles

Lettres (coll. Collection des Universités de France, Série latine 255), 1982, p. 61-62. Même si l’épicurisme

d’Arnobe est constesté, il n’en demeure pas moins que, concernant la Providence divine et l’impassibilité des

dieux, son ouvrage contient certaines idées que l’on trouve également chez les épicuriens. 297 P. MONCEAUX, L’Afrique chrétienne, 1963, p. 267-268.

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était influencé par le marcionisme298. Quoi qu’il en soit, il semble que la définition de la

religion par Arnobe au début du IVe siècle donne à penser que Lactance aurait pu écrire sa

propositio299 pour contrer cette pensée qui se développe en Afrique, sans pour autant qu’il

réponde directement à Arnobe.

2.8. Firmicus Maternus

Firmicus Maternus est postérieur à la rédaction du De ira Dei de Lactance, mais il

convient néanmoins de formuler une brève remarque au sujet de son ouvrage écrit vers 340.

Firmicus Maternus n’emploie pas sacramentum300 ni secta. On remarque qu’il utilise

beaucoup plus superstitio et dans un sens très souvent, sinon uniquement, péjoratif. Un

élément qui mérite attention dans son texte est l’utilisation, à deux reprises, de profana

religio301. On note par ailleurs que l’utilisation de superstitiones est juxtaposée à l’emploi

de profanae religiones, le second agissant à titre de synonyme dans le second membre de la

phrase pour faire référence au premier terme. Quelques années après l’Édit de Milan, les

298 F. G. Sirna montre que, dans l’évolution du marcionisme, Arnobe présente des affinités avec l’anonyme

Contra aduersarium legis et prophetarum. Il en conclut qu’Arnobe est influencé par le marcionisme. Il suit en

cela F. Scheidweiler qui est le premier à avoir exposé la présence de la doctrine de Marcion chez Arnobe:

« Arnobius und der Marcionitismus », Zeitschrift fur die Neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der

alteren Kirche 45 (1954), p. 42-67. F. G. Sirna veut pour sa part fixer avec plus de précision les rapports entre

Arnobe et Marcion. Il souligne qu’il y eut des changements dans la doctrine de Marcion dans le siècle et demi

qui le sépare d’Arnobe. Son attention se tourne particulièrement vers plusieurs similitudes doctrinales avec

l’hérésie de Patricus, qui représente un développement ultime du marcionisme en Occident, ce qui a par

ailleurs contribué au rapprochement avec le manichéisme: « Arnobio e l’eresia marcionita di Patrizio »,

Vigiliae Christianae 18 (1964), p. 37-50. L’hérésie de Patricus se situe aux IIe et IIIe siècles et Augustin

demeure la source principale pour la connaissance de ce dernier. Augustin réfute un écrit anonyme qui a été lu

avec intérêt à Carthage et dont l’enseignement serait de Fabricius, vraisemblablement un disciple de ce

Patricius. M. B. Simmons semble écarter les toutes les tentatives qui relie Arnobe à un groupe en particulier,

que ce soit les épicuriens ou les marcionites: Arnobius of Sicca... 1995, p. 2. Sans pour autant accepter la thèse

de F. G. Sirna, ou celle de E. Klaussmann, « Arnobius und Lucrez, oder ein Durchgang durch den

Epicuräismus zum Christentum », Philologus 26 (1867), p. 363-366, qui relient Arnobe à l’épicurisme, il n’en

demeure pas moins qu’Arnobe partage certaines affinités intellectuelles avec ces groupes et cela est suffisant

pour montrer qu’à son époque, et celle de Lactance, des chrétiens, qu’ils soient marcionites ou non, avaient

accepté différentes thèses provenant de la philosophie épicurienne concernant la Providence divine et

l’impassibilité divine. 299 Infra p. 218. 300 Jamais pour désigner quelque aspect du christianisme et seulement à un seul endroit pour parler d’un

mystère profane (profanum sacramentum): XX, 1, CUF, éd. R. Turcan, p. 122. 301 VI, 1, CUF, éd. R. Turcan, p. 88; XXI, 1, p. 126.

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chrétiens commencent dès lors à utiliser le terme profana religio pour désigner les cultes

romains.

Conclusion

Au terme de ce survol, on peut dégager quelques caractéristiques de l’emploi de

religio et de superstitio par les chrétiens. Le point de départ est, bien entendu, le monde

romain qui utilise le mot religio pour désigner les cultes officiels d’un peuple. La

superstitio, quant à elle, désigne des pratiques qui ne sont pas officielles et qui ne sont pas

reliées aux devoirs religieux du citoyen. Il ne faut dès lors pas voir l’utilisation de

superstitio par les auteurs latins comme une accusation qui soulignerait l’appartenance des

chrétiens à des croyances erronées, croyances qui seraient loin de l’orthodoxie romaine. Le

terme ne renferme pas en lui la notion d’erreur, pas plus que les Romains ne possèdent un

souci d’orthodoxie. Les auteurs romains ont dès lors placé le phénomène chrétien dans la

catégorie superstitio. Même si les Romains ne sont pas orthodoxes, les penseurs latins,

issus de la classe de citoyens responsables de la religion officielle, n’ont pas hésité à être

condescendants à l’égard du christianisme.

La lecture des premiers textes chrétiens, comme celui de Tertullien, montre bien

qu’ils répondent à d’autres accusations que celles liées à superstitio. On remarque que les

chrétiens ont employé les termes religio et superstitio, dans un premier temps, de façon

similaire aux auteurs latins non chrétiens. On note néanmoins une évolution entre les IIe et

IVe siècles. Tandis qu’au IIe siècle la religio désigne la plupart du temps les cultes officiels,

mais non pas exclusivement puisque Tertullien l’utilise pour désigner le christianisme, il en

vient à désigner plus largement tous les phénomènes religieux aux IIIe et IVe siècles.

Puisque tous phénomènes sont appelés religieux, la dichotomie cultes officiels/non officiels

disparaît peu à peu et c’est à ce moment que le terme superstitio en vient à désigner plus

généralement les croyances302.

302 Il avait parfois eu cette signification auparavant, mais il semble que cette signification devient dominante

dans les écrits chrétiens après le IIIe siècle.

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Une donnée incontournable de cette enquête concerne le terme superstitio qui est

essentiellement utilisé dans les ouvrages apologétiques. Contrairement à ce qui avait été

suggéré par la recherche moderne, c’est-à-dire que le terme superstitio renvoie au caractère

erroné ou déviant de la religio, on remarque avec étonnement que jamais ce terme n’est

utilisé pour désigner, dans le christianisme, les acteurs qui sont considérés comme

hérétiques par les auteurs chrétiens. De fait, comme le terme ne signifie pas pour les auteurs

de langue latine un phénomène religieux erroné, les auteurs chrétiens préfèrent utiliser

principalement les mots reliés à haeresis et quelques fois à secta, bien qu’ils utilisent

également ce dernier terme pour s’autodésigner.

L’absence du terme superstitio dans le De ira Dei ne signifierait donc pas que

l’accusation de superstitio a cessé d’exister au IVe siècle, principalement parce que ce

terme n’était pas utilisé pour accuser les chrétiens. Si superstitio n’était pas employé au

temps de Tertullien et Minucius Félix pour accuser le christianisme, et qu’il ne semble pas

l’être au temps de Lactance, l’absence de superstitio s’explique peut-être davantage par les

destinataires du texte et le genre littéraire. De fait, comme aucun auteur chrétien n’utilise ce

terme lorsqu’il s’agit d’un ouvrage doctrinal ou hérésologique, et que ces textes s’adressent

à des chrétiens ou à des chrétiens jugés par les auteurs comme hérétiques, il est possible

que Lactance s’adresse justement à l’un de ces groupes. L’analyse des ouvrages contre les

hérétiques de Tertullien et de Novatien montrent, d’une part, que le mot religio est utilisé

pour mettre des limites qui seraient liées à une saine compréhension des doctrines et,

d’autre part, que les quelques liens entre la religio et la crainte de Dieu se trouvent

précisément dans ces mêmes ouvrages. Il semble dès lors que le thème de la crainte de

Dieu, même s’il est utilisé dans des ouvrages de discipline (Cyprien), se trouve toujours en

lien avec religio dans les ouvrages contre les hérétiques. On remarque également que la

signification donnée à religio, dans ces ouvrages doctrinaux ou contre les hérétiques, se

rapproche de celle proposée dans le De ira Dei. Cette définition s’approche souvent de la

piété et glisse vers une signification beaucoup plus subjective qu’objective.

Il faut également mentionner que le lien entre crainte de Dieu et religio était inusité

dans l’Antiquité romaine. De ce fait, les grands penseurs, comme Varron et Cicéron, relient

plutôt la superstitio à la crainte des dieux: il serait étonnant, si Lactance répond à des

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philosophes, qu’il place la crainte de Dieu au centre de sa définition de religio lorsqu’il

s’adresse à des philosophes. De plus, ce lien entre la crainte et la religio est un thème juif

qui est souvent accompagné de citation de l’AT dans les extraits analysés dans ce chapitre.

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CHAPITRE 3 : LACTANCE

3.1. L’utilisation de Religio chez Lactance

Avant d’analyser l’utilisation des mots dans le De ira Dei, il convient de faire un

survol de l’ensemble de l’œuvre de Lactance afin d’en dégager quelques caractéristiques.

On laisse d’emblée de côté le De opificio Dei puisqu’on n’y trouve aucune occurrence de

religio et superstitio. L’analyse portera, dès lors, sur les Diuinae instititiones et leur

Epitome. On y trouve un nombre important d’occurrences de religio et superstitio, mais

seules les grandes tendances seront analysées, surtout la tension entre superstitio et religio.

Il convient également de souligner que la visée de ces ouvrages et les destinataires sont

différents du De ira Dei, car même si elles s’adressent également aux chrétiens, les Diuinae

institutiones sont destinées principalement aux non-chrétiens. Toutefois, même si leur

Epitome est rédigée pour des destinataires différents, Pentadius, un chrétien, les propos

restent sensiblement les mêmes et ne présentent pas de problème pour l’analyse de religio

et superstitio. De plus, la visée de certains livres des Diuinae institutiones est différente de

celle du De ira Dei, puisqu’elle cherche à réfuter les religions traditionnelles, ce qui ne

semble pas le cas a priori du second traité.

3.1.1. Religio et superstitio dans les Diuinae institutiones

Tout comme les autres auteurs chrétiens, Lactance emploie le mot religio pour

désigner la réalité des chrétiens et des non-chrétiens. On trouve dès lors beaucoup

d’occurrences de religio qui désignent les divers cultes non chrétiens: les cultes romains1,

1 Diuinae institutiones, I, 20, 1, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 82, 14.

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juifs2 et barbares3. Lactance affuble également ce terme d’adjectif assez dépréciatif

lorsqu’il parle des religions non chrétiennes: impia4, praua5, uana6, inanis7. Mais l’adjectif

qui revient constamment dans le texte est falsa8 et, tout comme chez Arnobe, Lactance

oppose la uera religio chrétienne aux falsae religiones des non-chrétiens9. Même s’il utilise

principalement cette dichotomie, on trouve également le mot superstitio à quelques

reprises.

En réalité, le mot superstitio apparaît très peu dans l’œuvre de Lactance et certaines

occurrences rappellent l’utilisation d’Arnobe, c’est-à-dire que le terme désigne les

croyances10. Lactance emploie parfois ce mot de façon très générale sans qu’il soit possible

de déterminer à quoi il fait référence, c’est-à-dire s’il s’agit d’une pratique ou d’une

croyance11. Tout comme Arnobe et Tertullien, Lactance utilise également superstitio

lorsqu’il est question du roi Numa12 (I, 22, 1, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 100, 15-

17): Harum uanitatum apud Romanos auctor et constitutor Sabinus ille rex fuit, qui

maxime animos hominum rudes atque imperitos nouis superstitionibus implicauit13. Le lien

entre Numa et la superstition est dès lors un lieu commun dans la littérature chrétienne

2 Diuinae institutiones, II, 13, 8, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 184, 6; IV, 17, 2, BT, 2, éd. E. Heck et

A. Wlosok, p. 378, 6. 3 Diuinae institutiones, I, 21, 4, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 90, 19-20. 4 Diuinae institutiones, VII, 24, 11, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 724, 2-3. 5 Diuinae institutiones, III, 30, 2, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 309, 4; III, 30, 4, p. 309, 11; IV, 10, 16,

p. 340, 16; VII, 6, 5, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 669, 13. 6 Diuinae institutiones, I, 20, 28, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p 87, 16-17; II, 2, 9, p. 114, 18; II, 17, 6,

p. 196, 17; II, 17, 12, p. 198, 10-11; V, 13, 21, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p 487, 2. 7 Diuinae institutiones, II, 2, 9, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 114, 18. 8 Diuinae institutiones, I, 6, 17, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 28, 6-7; I, 23, 6, p. 107, 10; II, 3, 12,

p. 120, 16-17; II, 3, 15, p. 121, 6; II, 3, 17, p. 121, 12; III, 1, 9, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 203, 11; V,

4, 8, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 452, 16; VII, 1, 3, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 641, 11. 9 Diuinae institutiones, III, 30, 10, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p 310, 17-20; IV, 27, 6, p. 421, 3-6; V, 4,

8, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p 452, 13-19. 10 Diuinae institutiones I, 1, 12, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 4, 9; VI, 2, 11, BT, 3, éd. E. Heck et

A. Wlosok, p. 532, 10. 11 Diuinae institutiones III, 1, 1, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 201, 7; V, 1, 1, BT, 3, éd. E. Heck et

A. Wlosok, p. 435, 8. 12 Supra n. 102 p. 104 et n. 264 p. 155. 13 « Chez les Romains, l’auteur et le fondateur de ces vaines [cérémonies] est ce roi sabin qui a grandement

confondu les esprits rudes et ignorants des hommes à l’aide de nouvelles superstitions. » On trouve également

cette idée dans l’Epitome mais cette fois le roi Numa est nommé: 17, 1-3, BT, éd. E. Heck et A. Wlosok,

p. 17, 13-p. 18, 4.

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latine. Même si Lactance emploie très peu ce mot pour désigner les cultes romains et non

chrétiens, il n’en demeure pas moins qu’il propose une définition de la superstition qui est

très péjorative. On voit apparaître cela dans les passages où la superstition est une partie de

la religion, tout comme ce que l’on trouve chez Arnobe14 (I, 1, 23, BT, 1, éd. E. Heck et A.

Wlosok, p. 6, 5-8): multi enim superstitionibus uanis pertinaciter inhaerentes obdurant

contra manifestam ueritatem, non tam de suis religionibus quas praue adserunt bene meriti

quam de se male15. Ces multi semblent participer à des cultes et s’accrocher de surcroît à

des superstitions. Tout comme chez Arnobe, cela signifie que le mot superstitio doit

renvoyer à un sens proche du mot « croyance » et cela montre également que la religion

n’est plus tout à fait opposée à la superstition comme par le passé.

Un autre passage de l’ouvrage de Lactance, qui mérite une attention particulière,

critique directement la pensée de Cicéron. Après avoir cité un passage du De natura

deorum qui présente la superstition comme une pratique excessive, Lactance montre que la

religion vécue de façon excessive ne peut en aucun cas devenir superstitio car, d’une part,

si prier est bien, cela ne peut pas devenir mal à force de le faire à plusieurs reprises et si

prier tous les jours est répréhensible, le faire une fois l’est tout autant (IV, 28, 3-9, BT, 2,

éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 425, 1-p. 426, 16). Cela pousse Lactance à conclure de façon

radicale (IV, 28, 11, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 427, 3-4): nimirum religio ueri

cultus est, superstitio falsi16. Or, même si Lactance pense que la superstition est reliée à ce

qui est faux, il préfère tout de même employer les mots falsae religiones lorsqu’il parle des

autres religions, plutôt que de les nommer superstitiones. Il existe donc une contradiction

dans sa pensée, car si la religion est le culte de ce qui est vrai, désigner les religions non

chrétiennes par l’appellation « fausses religions » reviendrait à dire « les faux cultes de ce

qui est vrai ». Quoi qu’il en soit, au IVe siècle, il semble que la signification de superstitio

soit davantage liée aux croyances, erronées selon Lactance, qui se trouvent dans les

religions.

14 Supra n. 270 p. 156. 15 « En effet, beaucoup de gens, qui s’accrochent de façon obstinée à des superstitions vaines, persistent

contre la vérité indéniable. Ils s’attachent à tort à leurs religions ne leur rendant pas un aussi bon coup de main

qu’ils ne se rendent un mauvais service. » 16 « Sans aucun doute, la religion est le culte de ce qui est vrai et la superstition de ce qui est faux. »

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Même s’il emploie religio de la même manière que les auteurs latins, qu’ils soient

chrétiens ou non, le survol des occurrences de religio dans les Diuinae institutiones donne à

penser que Lactance emploie également religio dans un sens très général, c’est-à-dire qu’il

traite souvent du concept de « la religion » – plutôt que des cas particuliers comme « cette

religion » –, comme en témoigne ce passage (IV, 3, 2, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok,

p. 316, 6-8): ita philosophia quia religionem id est summam pietatem non habet, non est

uera sapientia17. La religion est traitée comme un élément que l’on doit ajouter à la

philosophie, sans que soit suggéré que la religion en question soit le christianisme: le

christianisme est bien entendu ce que suggère la pensée de Lactance, mais bon nombre

d’exemples comme celui-ci montrent qu’il essaie d’abord de traiter la religion comme un

concept, c’est-à-dire la notion de religion en général, et non comme un référent, c’est-à-dire

le christianisme. Dans le passage suivant où il parle de plusieurs phénomènes religieux, il

utilise pourtant religio pour désigner l’ensemble de mouvements particuliers (IV, 2, 4, BT,

2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 315, 4-7): unde equidem soleo mirari, quod cum

Pythagoras et postea Plato amore indagandae ueritatis incensi ad Aegyptios et magos et

Persas usque penetrassent, ut earum gentium ritus et sacra cognoscerent – suspicabantur

enim sapientiam in religione uersari […]18. Un autre exemple se trouve au sixième livre

(VI, 10, 2, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 565, 18-p. 566, 3): Sed illud primum religio

dicitur, hoc secundum misericordia uel humanitas nominatur. Quae uirtus propria est

iustorum et cultorum dei, quod ea sola uitae communis continet rationem19.

On comprend, dès lors, qu’il existe deux niveaux: le premier est la religion en général

qui veut que l’on soit uni à Dieu et, le second où Lactance propose que l’accomplissement

de ce premier devoir ne puisse se faire que dans le christianisme. Le premier niveau traite

donc du concept « religion » en général, concept qu’il va ensuite appliquer au cas

17 « Ainsi la philosophie, parce qu’elle n’a pas la religion, c’est-à-dire la piété suprême, n’est pas la vraie

sagesse. » 18 « En conséquence, je suis toujours étonné que Pythagore et Platon après lui – tous deux enflammés pour

l’amour de la recherche de la vérité – comme ils sont allés jusque chez les Égyptiens, les Mages et les Perses

pour connaître les rites et les cérémonies de ces nations, jugent de fait que la sagesse se trouve dans la religion

[…] » 19 « Mais cependant, le premier devoir de la justice est d’être uni à Dieu, et par la suite à l’homme. On nomme

ce premier devoir religion et le second misericorde ou humanité. Cette vertu est propre aux justes et aux

adorateurs de Dieu parce qu’en elle seule elle renferme le principe de la vie en société. »

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particulier du christianisme. Lactance traite donc du concept de « la religion » en général,

même s’il a en tête que seul le christianisme peut atteindre les caractéristiques de ce

concept. Ce genre d’utilisation, dans lequel on traite de la religion en général, se trouve en

grande quantité dans tous les livres des Diuinae institutiones.

Lactance utilise diverses expressions comme religio dei20, nostra religio21, diuina

religio22 pour désigner le christianisme. Il emploie aussi l’expression des autres auteurs

chrétiens uera religio23. On voit également apparaître l’expression sancta religio qui

désigne bien entendu le christianisme24. Cette expression est plutôt rare en dehors d’une

seule occurrence chez Tertullien25, mais Lactance n’hésite pas à l’utiliser même dans un

passage qui s’adresse à l’Empereur Constantin26.

3.1.2. Religion originelle dans les Diuinae institutiones

Tout comme c’était le cas des passages dualistes dans les Diuinae institutiones, il

existe un autre point qui rapproche l’œuvre de Lactance des textes pseudo-clémentins:

l’idée d’une religion originelle. J.-C. Fredouille souligne le caractère singulier de certains

aspects de l’histoire de la religion dans l’ouvrage de Lactance, en particulier le passage au

sujet de cette religion originelle (Diuinae institutiones II, 13, 4-13). Contrairement aux

Pères de l’Église, dans le débat sur l’antériorité du monothéisme par rapport au

20 Diuinae institutiones, II, 13, 8, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 184, 6; II, 13, 13, p. 185, 7; III, 11, 3,

BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 233, 3; III, 19, 10, p. 274, 8; III, 22, 4, p. 284, 9; VI, 17, 29, BT, 3, éd.

E. Heck et A. Wlosok , p. 603, 2; 38, 2, Epitome diuinarum institutionum, BT, éd. E. Heck et A. Wlosok,

p. 54, 1; 68, 1, p. 117, 1. 21 Diuinae institutiones, V, 5, 5, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok , p. 454, 9; V, 17, 1, p. 496, 18; V, 19, 30,

p. 513, 15; VII, 7, 12, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 672, 17. 22 Diuinae institutiones, IV, 10, 19, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok , p. 341, 9; V, 6, 12, BT, 3, éd. E. Heck et

A. Wlosok , p. 459, 5-6; V, 7, 10, p. 461, 16-17; VII, 7, 14, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 673, 6. 23 Diuinae institutiones, I, 1, 7, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok , p. 2, 23; I, 1, 19, p. 5, 9; I, 23, 7, p. 107, 14;

II, 3, 20, p. 122, 1; II, 3, 21, p. 122, 3; II, 9, 11, p. 165, 7; III, 30, 9, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok , p. 310,

12; IV, 3, 2, p. 316, 5; IV, 14, 1, p. 360, 4; IV, 27, 6, p. 421, 5; IV, 28, 1, p. 424, 14; IV, 30, 15, p. 434, 12;

VI, 24, 13, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 633, 5; VI, 25, 7, p. 638, 8; VII, 27, 1, BT, 4, éd. E. Heck et

A. Wlosok, p. 732, 12; 36, 1, Epitome diuinarum institutionum, BT, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 50, 8; 44, 1,

p. 65, 10. 24 Diuinae institutiones, II, 9, 1, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 163, 7; IV, 5, 9, BT, 2, éd. E. Heck et

A. Wlosok, p.324, 18; IV, 11, 7, p. 343, 8. 25 Aduersus Marcionem, III, 20, 8, CCSL, 1, éd. A. Kroymann, p. 536, 1. 26 Diuinae institutiones, VII, 26, 15, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 730, 21.

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polythéisme, Lactance ne se contente pas de dire que la religion monothéiste précède les

autres, mais qu’elle n’est rien de moins que la première religion à avoir vu le jour. Ce récit

montre le passage du monothéisme au polythéisme dont l’événement déclencheur survient

après le déluge. Mais avant de passer du monothéisme à l’idolâtrie, Lactance présente une

période caractérisée par l’athéisme et « cette période […] est suivie d’une autre époque,

durant laquelle les hommes ont vénéré les éléments en pratiquant un culte aniconique. Ils se

sont ensuite adonnés au culte des rois puissants »27. J.-C. Fredouille mentionne que cette

façon de concevoir l’histoire de la religion est peut-être issue de milieux juifs et précise que

l’idolâtrie aurait commencé après le déluge en Jubilés 11, 428. On ne trouve pas le récit de

manière identique dans les Recognitiones, mais on remarque néanmoins une similarité dans

l’idée principale exprimée. Dans ce texte pseudo-clémentin, on note essentiellement trois

phases similaires à ce que l’on trouve chez Lactance. Une première phase où l’on ne trouve

que le culte de Dieu29, une deuxième phase caractérisée par une certaine forme d’athéisme30

et enfin une multiplication des religions polythéistes après le déluge31. La seule différence

est que la phase d’athéisme survient après le déluge chez Lactance et semble se produire

avant dans les Recognitiones. Il faut noter que le discours de Pierre au quatrième livre des

Recognitiones, s’adresse aux païens de Tripoli et non pas à Simon ou au vieillard

Faustinianus: il va donc de soi que cette idée est apportée dans les discours qui s’adressent

aux non-chrétiens.

Cette idée est cependant absente du De ira Dei qui pourtant accorde une place

centrale à la notion de religio. Il est possible que Lactance n’ait pas besoin de présenter

cette histoire dans le De ira Dei parce que, selon notre hypothèse, il ne s’adresse pas

directement aux non-chrétiens. On trouve toutefois dans le chapitre 11 du De ira Dei un

court retour sur ce sujet que, de l’aveu de l’auteur, il a déjà traité dans ses Diuinae

27 J.-C. FREDOUILLE, « Lactance historien des religions », dans J. Fontaine et M. Perrin (dir.), Lactance et son

temps. Recherches actuelles. Actes du IVe Colloque d’Études historiques et patristiques, Chantilly, 21-23

septembre 1976, Paris, Beauchesne, 1978, p. 244. 28 Ibid., p. 244. 29 Recognitiones, IV, 9, 3-4; Diuinae institutiones, II, 12, 15 et II, 13, 13. 30 Tandis que cette phase est caractérisée par un athéisme pur (ignorantia dei) chez Lactance, elle est

caractérisée par un rejet de la Providence divine dans les Recognitiones IV, 10, 3; Diuinae institutiones, II, 13,

7. 31 Recognitiones, IV, 13, 1-4; Diuinae institutiones, II, 13, 10-13.

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institutiones. Jamais il ne parle d’idolâtrie et de religion originelle, mais il aborde toutefois

le problème du polythéisme sans pourtant que l’on retrouve aucune trace de la religion

originelle. Ce chapitre reprend, comme il en sera question plus bas, un argument que l’on

trouve aussi dans les Recognitiones dans le discours contre le déterminisme astrologique du

chapitre VIII32. Cela ne garantit pas que Lactance l’utilise dans le même but que l’auteur de

ce traité pseudo-clémentin. À analyser l’argument, on pourrait comprendre aisément qu’il

s’attaque aux polythéistes: l’argument proposé indique que l’on ne peut avoir plusieurs

dieux puisque cela diviserait l’essence du dieu suprême. Or, comme une bonne partie de

l’ouvrage pourrait s’adresser à des groupes issus du christianisme à tendance marcionite,

groupes qui reconnaissent deux dieux, il n’est pas non plus impossible que Lactance essaie

de s’attaquer à des formes de « non-monothéisme » plutôt qu’au polythéisme traditionnel.

De toute manière, il indique dès le départ que son ouvrage ne s’adresse pas à ce qu’il

nomme les gens du premier échelon33, ceux qui doivent reconnaître les fausses religions.

On remarque que le chapitre 11 passe en revue quelques positions des poètes, c’est-à-dire

les « théologiens »34, et des philosophes pour conclure que tous confessent souvent un Dieu

suprême; on remarque par ailleurs qu’il apporte un indice au sujet de ses adversaires (11,

16, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 148, 77-78): Sed tamen summum deum cum et philosophi

et poetae et ipsi denique qui deos colunt saepe fateantur […]35. Il n’a jamais traité de ceux

qui adorent les dieux36 dans ce chapitre et il semble qu’en les ajoutant, il montre que ses

adversaires ne sont pas tout à fait polythéistes (qui deos colunt). De fait, quel besoin y a-t-il

de rappeler à ses adversaires que même les polythéistes concoivent qu’il n’y a qu’un seul

Dieu suprême si ses adversaires sont en fait les polythéistes? Mais conclure qu’il ne

s’adresse pas aux polythéistes n’est pas non plus aisé puisqu’on s’explique mal la présence

32 Infra n. 309 p. 254. 33 Infra p. 193. 34 11, 8, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 146, 39. 35 « Mais cependant, comme autant les philosophes, les poètes que ceux qui adorent les dieux admettent qu’il

existe un Dieu suprême […] » 36 À ce sujet, C. Ingremeau mentionne que Lactance n’a jamais traité de « ceux qui adorent les dieux »

puisqu’il ne mentionne que les philosophes et les poètes dans le chapitre 11 : « Commentaire », dans

LACTANCE, De ira Dei, introduction, texte critique, traduction, commentaire et index par C. Ingremeau, Paris,

Cerf, 1982, p. 299. Lactance indique dans ce chapitre 11 que les poètes expriment l’idée qu’il n’y a qu’un seul

Dieu (11, 5) tout comme les philosophes (Platon 11, 11; Pythagore, 11, 14; Anthisthène, 11, 14; Zénon et les

stoïciens, 11, 15), mais jamais il ne fait référence pas à ceux qu’il nomme polythéistes (qui deos colunt).

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de l’argument évhémériste dans ce cas37, ou encore la reprise de certains arguments tirés de

l’Octauius, ouvrage dirigé contre les non-chrétiens38. On doit noter en revanche que le texte

contient des parallèles frappants avec l’Aduersus Marcionem de Tertullien39: il n’est dès

lors pas exclu qu’il s’adresse à des groupes issus du mouvement de cet armateur du Pont.

On peut tenter de réconcilier le fait qu’il reprenne des arguments tirés de la querelle avec le

polythéisme et qu’il les applique aux groupes dissidents du christianisme qui sont

influencés par les philosophes: cela ne ferait que renforcer le lieu hérésiologique qui veut

que les doctrines jugées hérétiques soient issues de la culture et philosophie gréco-romaine.

Autrement, Lactance serait incohérent avec lui-même s’il s’attaquait aux fausses religions

et à l’idolâtrie après avoir indiqué que son ouvrage ne s’adresse aucunement aux adeptes de

ces phénomènes, mais force est d’admettre qu’il est également possible qu’il ait perdu le fil

de son exposé. On note également que la notion de religion originelle, qui est utilisée dans

un discours aux non-chrétiens dans les Recognitiones et encore aux non-chrétiens dans les

Diuinae institutiones, est peut-être absente du De ira Dei parce que ce traité ne s’adresse

précisément pas aux mêmes destinataires. Quoi qu’il en soit, la notion de religion originelle

n’est pas contenue dans le chapitre 11 du De ira Dei mais cette brève parenthèse la

37 On note toutefois que l’argument évhémériste est utilisé dans les Homiliae dans le discours contre Apion

qui n’est pas polythéiste (V, 23 et VI, 21), et contre le vieillard Fautinianus dans le discours de Clément

contre la mythologie (X, 23). Mais le vieillard indique qu’il ne suit aucun culte et celui-ci représente plutôt les

croyances astrologiques. Il semble donc que l’argument évhémériste est employé pour des destinataires qui

vont au-delà des simples adeptes des religions polythéistes gréco-romaines. 38 On trouve le passage sur le fait que l’on ne peut avoir plusieurs chefs dans l’Octauius en XVIII, 4-7. Cf

également C. INGREMEAU, « Commentaire », dans LACTANCE, De ira Dei, introduction, texte critique,

traduction, commentaire et index par C. Ingremeau, Paris, Cerf, 1982, p. 293. 39 Tertullien développe, à partir du livre I, 3, la même idée, à savoir que pour que Dieu existe, il doit être le

plus puissant et, selon lui, il s’agit d’un problème de nombre (congressio de numero). Pour Tertullien, Dieu

est grandeur suprême quant à la forme, la raison, la force (uis) et le pouvoir (potestas) et concernant cela tous

sont d’accord (I, 3, 2-3). Lactance exprime la même idée en indiquant qu’il ne peut y avoir plusieurs dieux

puisque la force (uis) et le pouvoir (potestas) divins seraient diminués. Tertullien mentionne également que

tous sont d’accord à ce sujet, ce qui isole Marcion (3, 3); Lactance isole également ses adversaires puisqu’il

mentionne que tous, les poètes, les philosophes et même les polythéistes sont d’accord avec cela (11, 16). Ses

adversaires ne semblent donc pas être ceux qui adorent les dieux (qui deos colere) et, comme il reprend un

argument similaire à celui de Tertullien, sans indiquer pour le moment qu’il s’adresse à des marcionites, on

peut à tout le moins penser que c’est un argument valide contre de tels groupes. Cf aussi C. INGREMEAU,

« Commentaire », dans LACTANCE, De ira Dei, introduction, texte critique, traduction, commentaire et index

par C. Ingremeau, Paris, Cerf, 1982, p. 293.

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concernant sera néanmoins utile afin de comprendre certains passages des Recognitiones40

en lien avec De ira Dei.

3.1.3. Religio dans le De ira Dei

Le terme religio est au centre du traité sur la colère de Dieu, mais, contrairement aux

autres textes chrétiens, son utilisation se réduit à bien peu de types d’emplois. En effet,

Lactance ne s’attaque pas aux religions non chrétiennes pas plus qu’il ne présente

systématiquement la religion chrétienne. Si l’analyse précédente s’intéressait à comprendre

les contextes d’utilisation du mot, à cerner si celui-ci était employé pour désigner les cultes

non chrétiens, à situer son opposition avec superstitio, ces diverses avenues sont totalement

obsolètes pour analyser le De ira Dei. En effet, le mot supersitio n’apparaît pas dans le

texte, pas plus que l’utilisation uera religio, ni non plus l’emploi de religio comme référent

pour désigner le christianisme. En dehors de deux occurences qui désignent des

phénomènes religieux en particulier comme le culte (objet), religio est principalement

employée pour désigner le concept.

L’utilisation non-conceptuelle de religio pour désigner des cultes non chrétiens

apparaît au début et à la fin du texte. La première occurence concerne les religions non

chrétiennes qui sont désignées sous l’expression falsa religio (2, 2, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 94, 6-7): Primus autem gradus est intellegere falsas religiones et abicere

inpios cultus humana manu fabricatorum […]41. Il s’agit ici de l’un de trois échelons

qu’une personne gravit pour accéder à la vérité – il sera question de ces échelons un plus

loin lorsque sera traité le problème du destinataire. Comme il ne sera pas question de ces

religions dans le traité sur la colère, l’expression falsae religions ne fera pas son apparition

en dehors de cette introduction. La seconde utilisation de religio, qui désigne autre chose

que le concept, se trouve chapitre 23 et donc dans ce qu’il nomme l’epilogus de son texte

(23, 12, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 208, 56-57): Apollo Milesius, de Iudaeorum

40 Infra p. 222. 41 « Or, le premier échelon est de discerner les fausses religions et d’abandonner les cultes impies faconnés

par la main de l’homme […] »

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religione consultus, responso haec introducit […]42. Encore une fois, cet exemple se trouve

à l’extérieur de l’argumentation à proprement parler. En revanche, les autres utilisations

dans le développement renvoient à une signification de religio qui est plus liée au concept.

Les utilisations de religio dans le De ira Dei s’insèrent dans une argumentation qui

vise à démontrer qu’il ne peut y avoir de religion sans la crainte (8, 7, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 118, 36-38): Ita fit ut religio et maiestas et honor metu constet; metus

autem non est ubi nullus irascitur43. Les propos de Lactance sont dès lors fortement ancrés

dans une réflexion sur la définition de la religion. Il se situe à un moment où le terme

religion en vint à désigner la plupart des phénomènes religieux et non pas seulement les

cultes officiels. Sa discussion se tourne donc vers une question: « qu’est-ce que la

religion? ». Bien entendu, comme c’était le cas dans les Diuinae institutiones, on doit sous-

entendre que Lactance pense que le christianisme répond en tout point au concept de religio

qu’il élabore. Toutefois, le texte regorge d’exemples qui montrent bien qu’il s’agit

davantage d’une discussion sur le concept de religio et sur ce qui est propre à la religion,

comme cet exemple du chapitre 7 (7, 13, SC, 289, éd. C. Ingremau, p. 114, 60-61):

Religionis est propria iustitia, quae nullum aliud animal attingit44. D’autres indices montre

que Lactance se situe dans une discussion sur la définition de la religion plutôt qu’une

critique des divers phénomènes particuliers (8, 10, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 120,

48-50): Falsa est igitur omnis religio et diuinitas nulla est, sed a uiris prudentibus uniuersa

conficta sunt quo rectius innocentiusque uiuatur45. L’emploi de omnis religio au singulier

exprime dès lors « la religion entière »; Lactance n’est bien entendu pas le seul à employer

cette tournure dans l’Antiquité, mais on décèle dans son texte en général et dans les emplois

de religio, un souci de considérer la religion dans son ensemble, de revenir à l’idée

principale de la religion, le concept derrière le mot.

42 « Apollon de Milet, interrogé au sujet de la religion des Juifs, a introduit ces vers dans sa réponse […] » 43 « Il en résulte donc que la religion, la dignité, l’honneur repose sur la crainte; or, la crainte n’existe pas là

où personne ne se met en colère. » 44 « La justice est le propre de la religion, justice qui ne peut être atteinte par aucun autre animal. » 45 « La religion tout entière est donc fausse et la divinité n’existe pas, l’ensemble de ces choses a été forgé de

toutes pièces par des hommes prudents pour que l’on vive de manière plus juste et irréprochable. »

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Le fait qu’il n’emploie jamais le mot superstitio ni uera religio donne peut-être

quelques indices quant à la situation de ce traité. On sait que les auteurs chrétiens n’ont pas

utilisé le mot superstitio ni uera religio dans leurs controverses internes, c’est-à-dire dans

l’hérésiologie. La situation est totalement inverse lorsqu’il s’agit d’un écrit qui s’adresse

aux non-chrétiens. Quelques chercheurs ont souligné l’étrangeté de la présentation de la

pensée d’Épicure dans le traité, c’est-à-dire qu’elle ne correspond pas tout à fait à la pensée

du philosophe du jardin. Il est possible que Lactance utilise la figure de ce philosophe pour

s’attaquer à des doctrines présentes dans certains cercles chrétiens ou en marge du

christianisme (marcionisme, gnosticisme, manichéisme). La proposition centrale du De ira

Dei qui touche à la religion serait dès lors reliée à une discussion interne à ces groupes, à

certains aspects du christianisme ou à sa doctrine. Afin de vérifier si l’utilisation du mot

religio s’insère dans une tentative de délimitation du christianisme de la part de Lactance –

une tentative pour bien délimiter les contours du culte chrétien et de la nature de son Dieu –

il convient d’analyser les passages où se trouvent ces discussions sur le concept de religion,

d’en dégager les arguments principaux et tenter de les relier à des auteurs ou des

controverses connus à l’époque d’écriture du traité.

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178

CHAPITRE 4 : RELIGIO DANS L’ARGUMENTATION DU DE

IRA DEI

4.1. Plan du De ira Dei

Ce chapitre analyse la première partie du traité qui concerne plus précisément la

notion de religio. L’exordium, la narratio, la propositio et une partie de l’argumentatio du

traité seront dès lors approfondis. Ce chapitre analyse donc le traité jusqu’à la fin de la

parenthèse sur les atomes qui se termine au chapitre 10, 53. Le plan complet du traité se

trouve à l’annexe 1 de ce document.

4.2. Analyse de l’argumentation du De ira Dei

Les travaux modernes n’ont eu aucun mal à souligner et à commenter l’influence des

auteurs classiques dans les ouvrages de Lactance, mais l’analyse de l’argumentation qui

suit commente plutôt les traces de certains textes chrétiens dans le De ira Dei qui ont reçu

moins d’attention. Ce choix s’explique en partie en raison de l’intérêt toujours présent, dans

les travaux modernes, à souligner les influences de la littérature latine classique dans

l’œuvre de Lactance. Or, cette influence est très palpable et Lactance ne se cache jamais

pour nommer et citer les grands auteurs classiques comme Cicéron, Sénèque, Virgile et

Ovide, pour ne nommer que ceux-ci. L’intérêt est donc moins grand pour certains textes

chrétiens des premiers siècles qui ont sûrement joué un rôle dans l’élaboration de la pensée

du De ira Dei: il s’agit des textes chrétiens (Minucius Félix, Cyprien, Tertullien, Arnobe,

Novatien), des textes issus du corpus apocryphe (Pseudo-Clémentines) et même d’un texte

hermétique, l’Asclepius, bien qu’il soit moins influent et qu’il ne fera l’objet que de

quelques remarques.

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179

Certains travaux modernes mentionnent ces textes à l’occasion sans qu’ils reçoivent

l’appréciation qui leur est due: la critique moderne, éblouie par la lumière des auteurs

classiques, laisse parfois ces autres textes dans l’obscurité. L’analyse comparative des

Pseudo-Clémentines, mais également d’Arnobe sera dès lors mise au premier plan. Car

même si certains chercheurs ont parfois noté les liens qui existaient entre la pensée de

Lactance et des Clementina (Homiliae et Recognitiones), l’analyse de ce corpus s’est

principalement retrouvée en note de bas de page ou en notes complémentaires. Il en va

généralement de même pour Arnobe. Or, les thèmes abordés dans le De ira Dei se trouvent

également chez Arnobe et les Pseudo-Clémentines. Lorsque cela sera nécessaire, les textes

de Cicéron seront également mentionnés et analysés.

Il faut ajouter à cela que l’intérêt d’une comparaison des arguments de Lactance avec

ceux des textes d’Arnobe, des Pseudo-Clémentines ou même de l’Asclepius, réside dans le

fait que le traitement des divers arguments dans ces textes est presque contemporain de

l’écriture du De ira Dei. Si le De natura deorum de Cicéron est une source incontestable du

De ira Dei, il n’en demeure pas moins que ces autres textes traitent des mêmes questions

que le De ira Dei – c’est-à-dire des questions comme la nature de l’âme, le jugement et la

colère de Dieu, la Providence, l’atomisme, la critique de la philosophie épicurienne – et que

leurs préoccupations sont probablement plus proches de celles de Lactance que pourraient

l’être celles de Cicéron.

Il est clair que ce dernier sert de modèle aux chrétiens notamment à Minucius Félix et

à Lactance. À titre d’exemple, si l’on prend la discussion sur les atomes dans le De ira Dei,

il va sans dire que l’insertion de cette discussion se fait à partir du modèle du De natura

deorum et qu’elle est forcement reliée à la question de la Providence divine, tout comme

elle l’était dans l’ouvrage de Cicéron. Or, cette discussion est également présente dans l’un

des deux romans pseudo-clémentins: la comparaison des textes de Lactance, de Cicéron et

des Recognitiones permet de faire ressortir la particularité de cette discussion chez

Lactance. Si Cicéron s’attaque à l’atomisme des épicuriens qui est très vivant à son époque,

le caractère moribond de l’épicurisme à l’aube du IVe siècle fait en sorte que l’on ne peut

aborder la critique de l’atomisme de la même manière dans le De ira Dei et dans les

Recognitiones. Il faut ajouter à cela que si le traitement de cette discussion varie dans ces

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deux ouvrages, il est possible qu’ils défendent la Providence contre le destin, voire

l’astrologie. Le texte d’Arnobe en revanche niera la Providence et accordera une place au

destin1. Il semble, dès lors, que l’on doive analyser les arguments du De ira Dei à la

lumière des discussions contemporaines bien vivantes plutôt que de chercher les liens que

cet ouvrage entretient avec ses modèles classiques.

Même si certains chercheurs notent quelques liens entre Lactance et les Pseudo-

Clémentines, il n’en demeure pas moins que beaucoup d’autres questions n’ont pas encore

trouvé réponse en raison du manque d’attention accordée à la filiation de ces deux groupes

de textes2. Du côté des travaux sur les Pseudo-Clémentines, certains ont noté qu’il existe

une affinité entre Lactance et la Grundschrift des Pseudo-Clémentines sans pour autant

élaborer sur le sujet3. Tant les recherches sur Lactance que les études des Pseudo-

Clémentines doivent donc multiplier les analyses conjointes d’une part pour mieux

comprendre les influences contemporaines de Lactance et, d’autre part, en raison de la

situation des Homiliae et des Recognitiones par rapport à l’écrit de base.

On considère généralement que l’écrit de base a été rédigé au IIIe siècle, mais que les

Homiliae sont du IVe siècle peu avant le Concile de Nicée4. Les Recognitiones seraient plus

proches de la Grundschrift5, l’écrit de base, mais le texte latin est une traduction de Rufin

1 H. INGLEBERT, « Arnobe et l’histoire de Rome », dans J. Peyras et G. Tirologos (dir.), L’Afrique du nord

antique: cultures et paysages, Paris, Presses universitaires Franc-Comtoises, 1999, p. 155, n. 21. 2 V. Loi a noté quelques ressemblances entre les Pseudo-Clémentines et l’œuvre de Lactance: Lattanzio...

1970. F. W. Bussell a également souligné les similarités entre la doctrince des deux esprits chez Lactance et

dans les Clementina: « The Purpuose of the World Process and the Problem of Evil as Explained in the

Clementine and Lactantian Writings in a System of Subordinate Dualism », Studia Biblica et Ecclesiastica 4

(1896), p. 133-188. 3 F. S. Jones mentionne « […] it is also quite possible that Lactantius used the Basic Writing […] » mais

n’indique pas les passages dont il s’agit chez Lactance pas plus qu’il ne renvoie le lecteur à des travaux sur le

sujet. Il semble que ces travaux soient inexistants et qu’il s’agisse plutôt d’une intuition de la part de F. S.

Jones que de résultats de recherche: Pseudoclementina elchasaiticaque inter judaeochristiana, Louvain,

Peters (coll. Orientalia lovaniensia analecta 203), 2012, p. 17. 4 A. YOSHIKO REED, « ‟Jewish Christianity” after the ‟Parting of the Ways”: Approaches to Historiography

and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », 2003, p. 189-231; L. CIRILLO, « Introduction », dans Les

Reconnaissances du pseudo Clément: roman chrétien des premiers siècles, Turnout, Brepols (coll.

Apocryphes 10), 1999, p. 22-23. 5 En effet, les travaux de Jones montrent que les Recognitiones seraient peut-être plus près de l’écrit de base.

Or, il existe des passages qui sont présents dans le De ira Dei, que l’on retrouve également dans les

Recognitiones, et pour lesquels on ne peut trouver de parallèles dans les Homiliae. Ces passages se trouvent à

l’extérieur du livre I des Recognitiones analysé par Jones: An ancient Jewish Christian source on the history

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d’un texte grec qui est perdu6 et cette traduction daterait de 4067: ce témoin grec des

Recognitiones a dû être composé au plus tard en 3798. Cela indique que Lactance a

probablement été en contact avec l’écrit de base qui date du IIIe siècle9. Tout comme les

écrits de Lactance10, on a longtemps considéré que les textes pseudo-clémentins étaient le

reflet d’une pensée plus archaïque11.

Il est tout à fait pertinent de comparer l’ouvrage de Lactance avec les Clementina

pour plusieurs raisons. Comme il a été mentionné précédemment, Lactance semble être

influencé par certaines traditions issues de textes dits « judéo-chrétiens »12. C’est le cas de

la doctrine des deux voies et des deux anges qui provient de la version latine de la Didachè,

du Pasteur d’Hermas, de l’Épître de Barnabas et enfin des Clementina; il a par ailleurs été

suggéré que Lactance prend certains éléments qui ne sont présents que dans les

of Christianity: Pseudo-Clementine Recognitions 1.27-71, Atlanta, Scholars Press (coll. Texts and

translations. Christian apocrypha series 37), 1995. 6 F. AMSLER, « État de la recherche récente sur le roman pseudo-clémentin », 2008, p. 28; F. S. JONES,

Pseudoclementina elchasaiticaque... 2012, p. 322. 7 L. CIRILLO, « Introduction », dans Les Reconnaissance du pseudo Clément: roman chrétiens des premiers

siècle, Turnout, Brepols (coll. Apocryphes 10), 1999, p. 18; F. S. JONES, Pseudoclementina elchasaiticaque...

2012, p. 322. 8 « Pour les Reconnaissances, le plus ancien témoin du texte grec original est Basile de Césarée, mort en 379.

Elles ont donc été composées avant cette date »: L. CIRILLO, « Introduction », dans Les Reconnaissance du

pseudo Clément: roman chrétiens des premiers siècle, Turnout, Brepols (coll. Apocryphes 10), 1999, p. 18. 9 Supra n. 3 p. 180. 10 V. LOI, Lattanzio... 1970. 11 Les écrits judéo-chrétiens ont été vus par la recherche moderne comme une expression anachronique qui ne

servait qu’à nous renseigner sur l’Église des deux premiers siècles: A. YOSHIKO REED et A. H. BECKER,

« Introduction: Traditional Models and New Directions », dans A. Yoshiko Reed et A. H. Becker (dir.), The

Ways that Never Parted, Tübingen, Mohr Siebeck (coll. Texts and Studies in Ancient Judaism 95), 2003,

p. 1-33. Aujourd’hui, on doit se détacher d’une conception du judéo-christianisme qui ne serait qu’une

manifestation anachronique du christianisme des deux premiers siècles: E. K. BROADHEAD, Jewish Ways of

Following Jesus, 2010. Les textes pseudo-clémentins doivent dès lors être considérés non pas comme une

pensée archaïque, mais plutôt comme l’aboutissement, au IVe siècle, de la pensée judéo-chrétienne. On a

toutefois longtemps utilisé ces textes uniquement pour en dégager une meilleure connaissance de l’Église

primitive des premiers siècles. Même après la nouvelle datation proposée pour ces textes, c’est-à-dire au

IVe siècle, l’obsession pour la connaissance de l’Église primitive a poussé les études, même récentes, à

chercher les couches les plus anciennes du texte (B. POUDERON, La genèse du Roman pseudo-clémentin:

études littéraires et historiques, Paris, Peeters (coll. Collection de la Revue des études juives 53), 2012) – afin

de remonter à la pensée la plus ancienne – plutôt que de les envisager comme une expression de leur temps:

A. YOSHIKO REED, « ‟Jewish Christianity” after the ‟Parting of the Ways”: Approaches to Historiography

and Self-Definition in the Pseudo-Clementines », 2003, p. 189-231. 12 Certains ont même vu dans les textes pseudo-clémentins l’expression de la théologie du groupe nommé

ébionite: H.-J. SCHOEPS, Das Judenchristentum, Berne, Francke, 1964.

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Clementina13. Concernant la pensée sur la religion, il a également été mentionné qu’il a

peut-être tiré cette idée de religion originelle à partir des Clementina et d’autres textes dits

« judéo-chrétiens »14. Bien que cette idée ne soit pas présente dans le De ira Dei, il n’en

demeure pas moins que les autres ouvrages de Lactance contiennent des traces des

Clementina lorsqu’il s’agit de la notion de religio: une comparaison du De ira Dei aux

textes pseudo-clémentins s’impose donc.

Avant d’analyser plus en profondeur l’argumentation du De ira Dei, il convient de

comparer l’ensemble de la visée de ce texte avec les chapitres 48-51 du livre X des

Recognitiones, car ces quelques chapitres sont suffisants pour montrer la grande affinité qui

existe entre les deux textes. Les premières lignes du chapitre 48 mentionnent la tension

entre le christianisme et la philosophie (X, 48, 1, GCS, 42.2, éd. B. Rehm, p. 356, 13-19):

Sed dicet aliquis, etiam a philosophis huiusmodi praecepta dari. Nihil est

simile; nam de iustitia quidem ab eis et sobrietate mandatur, sed

renumeratorem deum gestorum bonorum malorumque non norunt, et ideo leges

et praecepta eorum accusatorem tantummodo publicum uitant, conscientiam

uero purificare non possunt. Quid enim timeat in occulto peccare, qui

occultorum esse arbitrum et iudicem nescit?15.

L’idée principale de ce passage est qu’un Dieu juste jugera aussi bien les bons que les

méchants. L’auteur soulève également le fait que si ce Dieu juste est absent, pourquoi donc

un individu s’empêcherait-il de commettre des fautes en secret. Le De ira Dei s’intéresse

précisément à cette même question, c’est-à-dire à l’existence d’un Dieu juste qui a créé le

monde et le gouverne16 et au fait que la crainte du jugement encourage les hommes à faire

le bien17. Il ne formule toutefois pas sa discussion avec le même vocabulaire, car le Dieu

juste ou le Dieu du jugement devient le Dieu qui se met en colère dans le De ira Dei. Mais

13 Supra n. 168 p. 60, n. 172 p. 61 et n. 188 p. 65. 14 Supra p. 171 p. 50. 15 « Mais quelqu’un dira que de tels préceptes sont également donnés par les philosophes. Il n’en est rien. De

fait, ils font certes des recommandations au sujet de la justice et de la sobriété, mais ils ne connaissent pas le

Dieu rémunérateur des bonnes et des mauvaises actions et c’est pour cette raison que leurs lois et préceptes ne

visent seulement qu’à éviter un accusateur, mais ne peuvent purifier la conscience. Pourquoi donc celui qui

ignore qu’il existe une arbitre et juge de ces choses cachées craindrait-il de pécher en secret? »

16 De ira Dei, 2, 2; 9, 1; Recognitiones, IV, 8, 1, VIII, 11, 4; VIII, 16, 5. 17 De ira Dei, 8, 8; 12, 3; 12, 5; Recognitiones, IX, 10, 4; IX, 11, 2; IX, 15, 1; IX, 15, 7; Homiliae, IV, 13, 4;

XII, 33, 4-5; XX, 4, 3.

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dans l’ensemble, la discussion reste la même et les philosophes sont au cœur de celle-ci

dans les deux textes – il faut ajouter à cela le texte des Homiliae grecques18. Quant à

l’argument d’utilité de la crainte dans le passage des Recognitiones, il est bien présent dans

le texte de Lactance (8, 8, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 119, 41-45): Multum enim refrenat

homines conscientia, si credamus nos in conspectu dei uiuere, si non tantum quae gerimus

uideri desuper, sed etiam quae cogitamus aut loquimur audiri a deo putemus19. Quelques

lignes plus loin, l’auteur des Recognitiones ajoute (X, 48, 4, GCS, 42.2, éd. B. Rehm,

p. 356, 24-p. 357, 3):

Aiunt autem et illud philosophi, deum non irasci, nescientes quid dicant. Ira

enim mala est, ubi mentem turbat, ut rectum consilium perdat, illa uero ira,

quae malos punit, perturbationem menti non infert, sed unus, ut ita dixerim,

idemque affectus est, qui et bonis praemia et malis tribuit poenam; nam si bonis

et malis bona restituat et simili remuneratione erga pios utatur et impios,

iniustus potius quam bonus uidebitur20.

Les similitudes entre la conception de la colère proposée dans les Recognitiones21 et dans le

De ira Dei ont bien entendu été notées par la critique moderne22. Une analyse des deux

montre toutefois que la pensée de Lactance semble s’attarder à la colère de Dieu dans les

temps présents, tandis que le jugement divin des Pseudo-Clémentines concerne les temps

18 Dans le texte des Homiliae, la prédication du vrai prophète se résume à trois points: 1) il n’y a qu’un seul

Dieu, 2) il a créé ce monde et enfin, 3) il est juste et jugera tous selon leurs actes (II, 12, 3). L’auteur réitère

ces principes en IV, 13, 3. 19 « La conscience maîtrise beaucoup d’hommes du moment où nous croyons vivre sous le regard de Dieu, du

moment où nous pensons non seulement que nos actes sont vus d’en haut, mais encore que nos pensées et

paroles sont entendues de Dieu. » 20 « Or ces philosophes disent aussi que Dieu ne peut se mettre en colère, ignorant ce qu’ils disent. La colère

est en effet un mal lorsqu’elle perturbe l’esprit au point de lui faire perdre le bon jugement. Mais l’autre

colère, celle qui punit les méchants, ne produit pas la perturbation de l’esprit, mais, pour le dire ainsi, est une

seule et même disposition qui répartit aux bons les récompenses et aux méchants le chatîment; de fait, s’il

rend le bien aux bons et aux méchants et use d’une récompense similaire envers les hommes pieux et impies,

il semblera plus injuste que juste. » 21 Outre ce passage, les Recognitiones II, 56 offrent également une conception proche de celle présentée par

Lactance. 22 M. POHLENZ, Vom Zorne Gottes, eine Studie über den Einfluss der griechischen Philosophie auf das alte

Christentum, Gœttingue, Vandenhoeck und Ruprecht (coll. Forschungen zur Religion und Literatur des Alten

und Neuen Testaments 12), 1909, p. 24; R. E. F. MICKA, The Problem of Divine Anger... 1943, p. 31-32;

C. INGREMEAU, « Introduction », dans LACTANCE, De la colère de Dieu, Paris, Les éditions du Cerf (Coll.

Sources chrétiennes, 289), 1980, p. 21 et L. GASPARRI, « Introduction », dans Lactance, La collera di Dio,

Milan, Bompari (coll. Testi a fronte 138), 2011, p. 7.

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présents comme les temps à venir23. De plus, non seulement la conception de la colère est

partagée par les deux textes, mais ce sont également les philosophes qui sont accusés

d’enlever la crainte générée par cette colère (X, 50, 1, GCS, 42.2, éd. B. Rehm, p. 356,

24-p. 357, 13-16): Nam philosophi quid contulerunt uitae mortalium, dicendo hominibus

non irasci deum? Nempe ut docerent eos nullum habere uindictae alicuius uel iudicii

metum, et per hoc tota peccantibus frena laxarent24 – on trouve également l’idée que

l’absence de la crainte fait pécher les hommes dans les Homiliae25. Or, le texte de Lactance

parle abondamment de la nécessité de cette crainte et de sa conséquence sur la société (12,

5, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 150, 16-20): Timor igitur dei solus est qui custodit

hominum inter se societatem, per quem uita ipsa sustinetur munitur gubernatur. Is autem

timor aufertur si fuerit homini persuasum quod irae sit expers deus […]26. On remarque dès

lors que ce sont les philosophes qui sont blâmés dans les deux textes.

La même critique voulant que ces philosophes accèdent à la connaissance par la

conjecture plutôt que par la révélation apparaît également dans les deux textes

(Recognitiones, X, 51, 3-4, GCS, 42.2, éd. B. Rehm, p. 358, 9-14):

Non ergo haec coniecturis et opinionibus colligenda sunt, in quibus ualde

falluntur homines, sed fide propheticae ueritatis, sicut se habet haec nostra

doctrina. Nos enim nihil ex nobis loquimur nec humana aestimatione collecta

adnuntiamus (hoc enim decipere est auditores), sed ueri prophetae auctoritate

nobis tradita et manifestata praedicamus27.

Puis chez Lactance (1, 3-4, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 90, 11-15):

23 VIII, 47, 2-3. 24 « De fait, qu’ont apporté les philosophes à la vie des mortels en déclarant que Dieu ne se met pas en colère?

Ils leur ont certainement enseigné à n’avoir aucune crainte d’un jugement ou d’une vengeance quelconque et

par cela ils ont enlevé tous freins aux péchés. » 25 Homiliae, XX, 4. 26 « La crainte de Dieu, gardienne de la société humaine, est donc la seule par laquelle la vie même est

maintenue, protégée et gourvernée. Or, cette crainte est enlevée si l’on persuade l’homme que Dieu n’éprouve

aucune colère […] » 27 « Ces choses ne doivent donc pas être assemblées encore par des opinions et des conjectures qui trompent

grandement les hommes, mais par la foi prophétique de vérité, comme notre doctine obtient elle-même ces

choses. Nous ne disons rien en effet de nous-mêmes pas plus que nous annonçons ces choses selon une

appréciation humaine – car ce serait abuser les auditeurs – mais nous proclamons des choses manifestées et

transmises selon l’autorité du vrai prophète ». Cette idée est par ailleurs exprimée dans les Homiliae II, 7, 1-

II, 8, 2. Le thème de la connaissance par révélation, opposé à la philosophie et à l’astrologie, est une idée

importante des Recognitiones comme l’a démontré N. Kelley, Knowledge and Religious Authority in the

Pseudo-Clementines: Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, 2006, p. 135-178.

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Nec tamen nos adrogantes sumus ut conprehensam nostro ingenio ueritatem

gloriemur, sed doctrinam dei sequimur qui scire solus potest et reuelare

secreta. Cuius doctrinae philosophi expertes aestimauerunt naturam rerum

coniectura posse deprehendi28.

On remarque ici quelques similitudes, mais également des divergences. Les deux textes

emploient doctrina et coniectura mais l’idée du vrai prophète est totalement écartée dans le

texte de Lactance. D’une part, il existe une possibilité que les similitudes dans le choix du

vocabulaire soient accidentelles, car le texte des Recognitiones est postérieur à celui de

Lactance; Rufin traduit à partir d’un texte grec et on ne sait si Lactance a le texte en main

au moment où il rédige le De ira Dei. Ou bien il a lu les Pseudo-Clémentines et en conserve

certains éléments et arguments, ou bien il a fréquenté des chrétiens qui partageaient la

pensée des Pseudo-Clémentines et adhère à plusieurs idées qu’il inclut dans son traité. Or,

étant donné les ressemblances au niveau des propos, la première hypothèse semble être très

acceptable. Mais, il faut néanmoins souligner que cette ressemblance au niveau du

vocabulaire se trouve à plusieurs endroits dans les deux traités comme les extraits dans la

suite de ce travail le montreront: bien qu’il soit difficile de rendre compte de ces similitudes

de vocabulaire, cela renforce l’idée qu’il existe une parenté entre les deux textes. D’autre

part, il est permis de penser que Lactance ne répète pas exactement les propos des Pseudo-

Clémentines et qu’il en ajuste certaines doctrines, d’où l’absence du vrai prophète dans ses

écrits. Si l’on tente de repérer les thèmes abordés dans ces textes, on remarque néanmoins

que ceux-ci demeurent souvent les mêmes – même si certains disparaissent et d’autres

s’ajoutent –, et que les arguments eux se transforment parfois dans le De ira Dei comme il

en sera question dans la suite de l’analyse.

Dans la propositio donnée en 6, 2 du De ira Dei, la notion de religio est centrale. S’il

ne semble pas que les Pseudo-Clémentines accordent une place importante à une réflexion

sur la religion comme c’est le cas dans le texte de Lactance, en revanche, lorsque le mot

religion est utilisé, il semble que sa conception soit similaire à celle du De ira Dei. Il

convient dès lors d’analyser les arguments et de souligner les divers rapprochements entre

28 « Nous ne sommes cependant pas arrogants au point de nous glorifier de comprendre la vérité par notre

propre intelligence, mais nous suivons la doctrine de Dieu qui seul peut connaître et révéler les choses

cachées. Ignorant cette doctrine, les philosophes ont estimé pouvoir découvrir la nature des choses par la

conjecture. »

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la conception de la religion dans les Clementina et de celle dans le De ira Dei. Non

seulement la comparaison avec les Recognitiones et les Homiliae peut aider à mieux

comprendre les arguments utilisés par Lactance, à en saisir les adversaires, mais également

à découvrir les influences de la conception lactancienne de la religion dans ce traité.

4.2.1. Exordium (1, 1-2, 8)

Comme l’ont déjà souligné quelques chercheurs, le texte de Lactance s’ouvre sur des

mots empruntés à Cicéron dans son ouvrage sur les paradoxes (1, 1, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 90, 1): Animaduerti saepe, Donate […]. Il n’est dès lors pas exclu que

Lactance soit conscient qu’il propose un vrai paradoxe à ses lecteurs29. Quant au

destinataire du traité, il est difficile d’établir un lien sûr avec le Donat à qui le De mortibus

persecutorum est destiné et, de toute manière, le premier destinataire de ce traité a peu

d’importance30. Lactance ne s’oppose pas aux idées de ce Donat, il cherche plutôt à l’aider

à contrer certains groupes. C’est l’identité de ces groupes ou de ces courants de pensée qu’il

convient de déterminer et, dans cette même phrase, Lactance donne quelques indices au

sujet de ces gens (1, 1, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 90, 1-7):

Animaduerti saepe, Donate, plurimos id aestimare, quod etiam nonnulli

philosophorum putauerunt, non irasci deum, quoniam uel benefica sit

tantummodo natura diuina nec cuiquam nocere praestantissimae atque optimae

congruat potestati uel certe nihil curet omnino, ut neque ex beneficentia eius

quicquam boni perueniat ad nos neque ex maleficentia quicquam mali31.

29 Comme le fait remarquer C. Ingremeau, Lactance place son texte sous le patronage de Cicéron; il emprunte

le tout début de l’ouvrage Paradoxes des stoïciens: « Introduction », dans Lactance, De la colère de Dieu,

Paris, Les éditions du Cerf (Coll. Sources chrétiennes, 289), 1980, p. 47-48. 30 Certains ont identifié ce Donat avec le destinataire du De mortibus persecutorum supra p. 69. Or, il semble

que les deux hommes ne partagent pas le même degré de connaissance de la foi: C. Ingremeau,

« Introduction », dans Lactance, De la colère de Dieu, Paris, Les éditions du Cerf (Coll. Sources chrétiennes,

289), 1980, p. 55 n. 1. De plus, afin d’affirmer qu’il s’agit du même Donat, certains fondent leur

argumentation sur le fait que les deux traités partagent la même visée: montrer que Dieu punit les

persécuteurs. Or, il existe une différence de visée entre des deux ouvrages: supra p. 35-37. 31 « J’ai souvent remarqué, Donat, que beaucoup ont estimé que Dieu ne se mettait pas en colère, ce qu’ont

par ailleurs pensé quelques philosophes, parce que, ou bien la nature divine est seulement bienfaisante et il ne

convient pas à un pouvoir excellent et parfait de nuire à quiconque, ou bien cette nature divine ne se soucie

absolument de rien, de telle sorte qu’il ne peut nous arriver rien de bon par sa bienfaissance, ni rien de

mauvais par sa malfaisance. »

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On remarque que Lactance entend s’attaquer à ces enseignements qui veulent que le Dieu

soit uniquement bienveillant ou qu’il ne se soucie de rien. Il s’oppose donc en premier lieu

aux plurimi qui propagent cette idée; les philosophes sont au deuxième plan puisque

Lactance indique qu’ils ont également proposé cette idée. De fait, à travers le De ira Dei, il

réitère à plusieurs reprises qu’il s’oppose à ceux qui pensent que Dieu est impassible et, à

chaque fois, il semble que les philosophes ne sont pas sa première cible. Dans ce même

chapitre, Lactance incite Donat à ne pas se laisser tromper par ces gens (1, 3, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 90, 10-11): […] ne et ipse fallaris inpulsus autoritate hominum qui se

putant esse sapientes32. Ces gens ont donc une certaine autorité, mais ils ne sont pas

appelés philosophes et Lactance considère qu’ils ne sont pas sages. Il est dès lors difficile

d’y voir une référence directe aux philosophes, qui plus est à Épicure qui est appelé sage

plus loin33. Dans son épilogue, Lactance s’adresse une fois de plus directement à Donat (22,

1, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 198, 1-3): Haec habui quae de ira dicerem, Donate

carissime, ut scires quemadmodum refelleres eos qui deum faciunt inmobilem34. Encore une

fois, Lactance n’indique pas qu’il s’agit des philosophes et dans l’argumentatio, qui sera

analysée ci-après, on trouve également un passage qui semble s’adresser aux inperiti qui ne

sont pas non plus des philosophes35. Il semble donc que l’exposé de Lactance s’adresse à

des gens qui sont influencés par les philosophes, mais qu’il ne s’agit pas de philosophes à

proprement parler.

On trouve également, dans ce premier paragraphe, une entrée en matière sur l’idée

générale qui est proposée tout au long de l’ouvrage: le paradoxe de la coexistence de la

bonté et de la colère divine. Mais des deux positions, celle qui veut que Dieu soit bon et

l’autre qu’il soit en colère, il est bien évident que la seconde fait davantage problème. La

thèse de ceux qui voient Dieu uniquement bienveillant est réduite par Lactance à l’énoncé

nihil curet omnino, c’est-à-dire que Dieu ne se soucie absolument de rien. Même si

plusieurs indices montrent que Lactance ne s’adresse pas directement aux philosophes,

32 « […] ne te laisse pas encore tromper, ébranler par l’autorité de ces hommes qui se pensent sages. » 33 4, 13, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 102, 50. 34 « Voilà, très cher Donat, ce que j’avais à dire au sujet de la colère, afin que tu saches comment réfuter ceux

qui font de Dieu un Dieu impassible. » 35 Infra n. 193 p. 226.

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mais plutôt à des gens qui subissent leur influence, on apprend au fil de la lecture que c’est

l’école d’Épicure qui est blâmée pour cette idée concernant l’impassibilité divine36. Cette

façon de présenter la pensée des épicuriens au sujet des dieux émane peut-être d’un passage

de Cicéron (De natura deorum, I, 102, BT, 45, éd. W. Ax, p. 40, 20-21): nihil habet negotii.

On trouve également ce thème dans les Recognitiones et dans les problèmes au sujet

de l’impassibilité de Dieu qui sont plus clairement énoncés. Bien entendu, ces problèmes

sont directement reliés à la Providence divine qui est au cœur du De natura Deorum de

Cicéron, mais c’est également le cas dans le texte de Lactance et celui des Recognitiones.

Pour ce dernier ouvrage, cet énoncé intervient dans un échange entre Nicétas37, formé à

l’école des épicuriens et converti au christianisme, et son père qui nie la Providence divine

et pense que tout arrive selon le thème des naissances (VIII, 12, 1, GCS, éd. B. Rehm,

p. 223, 23-25): Prima ergo illa propositio, quae dicit, quia ab initio deus fecerit omnia et

cursu atque ordine rebus inposito de reliquo nihil ad se reuocet, secundum genesim geri

cuncta confirmat38. Parce qu’il a fait partie de l’école d’Épicure, c’est Nicétas qui est choisi

pour réfuter le vieillard39 qui prétend que sa pensée ne se résume pas à la philosophie

épicurienne40. Ces affirmations se situent dans le chapitre VIII des Recognitiones, chapitre

qui partage beaucoup d’affinité avec le De ira Dei: tout comme dans le De ira Dei,

épicurisme, atomes et Providence divine sont des thèmes importants de ce chapitre VIII. De

fait, on trouve dans cet échange un long entretien sur la théorie des atomes qui se trouve

également au chapitre 10 du De ira dei. Il existe un autre passage des Recognitiones dans

lequel Pierre met en garde la foule par rapport à ce genre d’affirmation (V, 29, 1, GCS, éd.

B. Rehm, p. 181, 23-24): sed fortassis aliqui ex uobis dicant: Nihil curae est deo de rebus

humanis […]41. On trouve ce passage dans un long discours que Pierre fait à la foule qui est

présente: Simon et le vieillard sont absents. Il ne s’agit donc pas d’un passage qui vise à

36 De ira Dei, 4, 6; 8, 3; 13, 22; 16, 9 et 17, 1. 37 Recognitiones, VIII, 7, 5, GCS, éd. B. Rehm, p. 221, 9-11. 38 « Cette première proposition, qui affirme que depuis le commencement Dieu a fait toutes choses et, après

qu’il ait imposé la course et l’ordre des choses, il ne s’occuperait de rien, cette proposition confirme que tout

est gouverné selon la position des astres à la naissance ». 39 VIII, 7, 5, GCS, éd. B. Rehm, p. 221, 10. 40 VIII, 7, 8, GCS, éd. B. Rehm, p. 221, 16. 41 « Mais peut-être, certains parmi vous diront: concernant les choses humaines, Dieu n’a souci de rien […] »

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combattre ces doctrines, mais plutôt un long discours où Pierre énonce plusieurs sujets qui

sont destinés à une large audience, et non pas à ses disciples proches. On note toutefois que

cette préoccupation est présente dans les deux textes et se situe, dans le temps, à une

époque très rapprochée.

Comme les attaques du De ira Dei sont principalement dirigées contre la philosophie

et les philosophes – la narratio fait état de la pensée des stoïciens et des épicuriens – on

pourrait dès lors conclure que Lactance s’oppose aux mouvements philosophiques de son

temps. Or, considérant que les écoles épicuriennes – sans contredit la cible la plus

importante du De ira Dei – ont perdu beaucoup de vigueur en ce début de IVe siècle42, on

s’étonne que l’épicurisme devienne la cible principale de Lactance. On doit ajouter à cela

que la pensée épicurienne contenue dans le De ira Dei correspond peu à la pensée de la

philosophie du jardin. Lactance ne connaît cette philosophie que par les ouvrages de

Cicéron et Lucrèce, et déforme43 cette pensée à des fins rhétoriques44.

42 Des chercheurs ont en effet soulevé la question de la vitalité du mouvement épicurien au début du IVe

siècle. Ces travaux prennent en considération les commentaires de l’empereur Julien, datant du milieu du IVe

siècle, et ceux d’Augustin, à la fin du siècle, à l’effet que le stoïcisme et l’épicurisme sont des mouvements à

toute fin pratique morts: S. S. J. CASEY, « Lactantius’ Reaction to Pagan Philosophy », Classica et

Mediaevalia 32 (1980), p. 217; A. GOULON, « Lactance et les philosophes: réfutation ou dialogue? », dans J.-

M. Poinsotte (dir.), Les chrétiens face à leurs adversaires dans l’Occident latin du IVe siècle, Rouen,

Publications de l’Université de Rouen, 2001, p. 16. J. L. Penwill ne pense pas que Lactance fasse revivre un

débat qui avait tout sa pertinence au temps de Cicéron, mais qui n’en avait aucune dans l’Empire de

Constantin. De fait, il pense plutôt que l’esprit de l’Édit de Milan créait un climat favorable à l’Épicurisme:

« […] the Edict of Milan might well have (albeit unintentionally) created a climate of tolerance in which it

would be perfectly permissible to return to the Epicurean idea that God or the gods have no interest in the

affairs of this world. » Il pense que certaines idées comme ce désintérêt de la part des dieux, la négation de la

vie après la mort étaient des enjeux qui, même si l’épicurisme n’était plus en activité, avaient toujours leur

pertinence au moment où Lactance rédige son traité: « Does God care?: Lactantius v. Epicurus in the "De ira

Dei" », Sophia 43 (2004), p. 34-36. P. Hadot quant à lui place la fin de l’école épicurienne à Athènes au IIe

siècle apr. J.-C.: Qu’est-ce que la philosophie antique?, Paris, Gallimard (coll. Folio essais), 1995, p. 178. 43 Quelques exemples de déformations seront donnés dans l’analyse de l’argumentatio, il suffit de souligner

pour l’instant que certains chercheurs ont noté le penchant de Lactance pour la déformation du contenu

épicurien. Pour expliquer l’écart entre la pensée épicurienne et celle présentée par Lactance, J. Stevenson

pense qu’il n’avait pas tout à fait compris la pensée de Lucrèce: « Aspects of the relations between Lactantius

and the classics », 1957, p. 501. J. Kany-Turpin décrit sans aucun détour l’attitude de Lactance face à la

pensée épicurienne: « Il fragmente le discours de Lucrèce, le résume et le déforme pour mieux le contrer. »:

« Lactance, un critique mésestimé de l’épicurisme », 2000, p. 218-219. L’aticle de J. L. Penwill expose en

profondeur la déformation de la pensée épicurienne dans le De ira Dei: « Does God care? », 2004, p. 23-43. 44 C’est un effet, une conclusion à laquelle est arrivé S. S. J. Casey: « the main reason for Lactantius’ rejection

of its doctrine appears to be rhetorical or stylistic. »: « Lactantius’ Reaction to Pagan Philosophy », 1980,

p. 217. J. L. Penwill a également conclu à une façon rhétorique de ridiculiser la pensée d’Épicure:

J. L. PENWILL, « Does God care? », 2004, p. 34.

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Il existe cependant la possibilité que Lucrèce, qui fait partie du cursus scolaire, soit

très lu et Lactance veuille dès lors contrer certaines conceptions contenues chez cet

auteur45. Cela pousse certains à conclure que Lactance s’attaque au matérialisme et à

l’athéisme ambiants46 et se sert de la figure d’Épicure pour atteindre cela: il ne s’en

prendrait donc pas à l’école d’Épicure, mais aux conséquences que cette pensée peut

engendrer. Ces explications peuvent en effet rendre compte de la nécessité pour Lactance

de s’attaquer à ce mouvement en perte de vitesse, mais cela ne permet pas de comprendre

certaines caractéristiques du De ira Dei.

L’analyse de l’argumentatio qui suit révèle que Lactance ne s’attaque pas directement

à l’athéisme et au matérialisme47. Il ne se préoccupe pas de l’athéisme dans ce traité et

mentionne qu’il existe seulement deux athées, Diagoras de Mélos et Théodore de Cyrène48,

mais il ne s’attarde pas à eux. De plus, même s’il met en doute la sincérité d’Épicure au

sujet de l’existence des dieux49, jamais il ne le met au rang des athées et, aussi, il indique

que ce dernier a même affirmé l’existence de Dieu (9, 4, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 120,

15-p. 122, 17): Postea uero Epicurus deum quidem esse dixit, quia necesse sit esse aliquid

45 H. HAGENDAHL, Latin Fathers and the Classics, a Study on the Apologists, Jerome and other Christian

Writers, Stockholm, Almqvist & Wiksell (coll. Acta Universitatis Gothoburgensis. Studia graeca et latina

Gothoburgensia 6), 1958, p. 87; S. S. J. CASEY, « Lactantius’ Reaction to Pagan Philosophy », 1980, p. 217.

J. Penwill nuance l’utilisation de Lucrèce dans le système scolaire et affirme qu’il était lu beaucoup en raison

de l’archaisme de sa langue latine beaucoup plus que pour son contenu. Il admet néanmoins que certains

écoliers ont pu prendre le contenu très à cœur: « Does God care? », 2004, p. 35. 46 Selon T. Maslowski: « With Lactantius, Epicureanism came to be regarded as a dead philosophy, an

eloquent nuisance of the past. In consequence of this, his uniform criticism of its representatives is

interchangeable with that of its predecessors, Lactantius’ sole interest being in Atomism and related modes of

thought, conceived by him as the embodiment of ancient materialism which, regardless of the provenance of

the various rivultes which fed its main current, presented a threat to the Christian dogma only in its entirety. »:

« The opponents of Lactantius (Inst. VII.7,7-13) », California Studies in Classical Antiquity 7 (1974), p. 213. 47 À juste titre, J. Penwill remet en question cette affirmation – qu’en s’attaquant à Épicure, Lactance vise

plutôt le matérialisme et l’athéisme qui en découle – et indique que si cela est vrai des Diuinae institutiones –

ouvrage qui est à la base des travaux de T. Maslowski – cela ne semble pas être le cas du De ira Dei:

J. L. PENWILL, « Does God care? », 2004, p. 34. 48 9, 7, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 122, 29-31. Ces deux athées sont mentionnés dans le De natura deorum

de Cicéron et Lactance n’est pas le seul à les reprendre en exemple. Ceux-ci se trouvent également de la

même manière chez Minucius Félix: Octauius, 8, 2, BT, éd. B. Kytzler, p. 6, 22-23. Il est intéressant de noter

que chez ce dernier, les deux athées sont accusés d’avoir éliminé le sentiment de crainte nécessaire pour

maintenir l’humanité dans le droit chemin. 49 4, 7, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 100, 25-34.

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in mundo praestans et eximium et beatum, prouidentiam tamen nullam […]50. Quant au

matérialisme, il semble que ce ne soit pas non plus une très grande préoccupation dans le

De ira Dei. Tandis que les arguments en faveur de l’immortalité de l’âme reviennent à

plusieurs endroits dans les Diuinae institutiones – souvent de pair avec la notion de

jugement de Dieu –, notamment lorsqu’il réfute la pensée de Lucrèce au livre VII51, la

nature immortelle de l’âme est délaissée dans le De ira Dei et cela ne semble pas être la

préoccupation de Lactance à ce moment: il ne semble donc pas s’attaquer non plus au

matérialisme.

La critique moderne ne se trompe pas lorsqu’elle observe que ce n’est pas tout à fait

la pensée d’Épicure qui est réfutée par Lactance. Elle voit également juste lorsqu’elle

suggère que Lactance s’oppose plutôt aux conséquences de sa pensée; Épicure devient donc

une figure à laquelle on doit s’attaquer. Un exemple de cela est la discussion au chapitre 13

qui propose un paradoxe qu’Épicure n’a vraisemblablement jamais formulé52 (13, 20, SC,

289, éd. C. Ingremeau, p. 158, 104-106): Deus, inquit, aut uult tollere mala et non potest,

aut potest et non uult, aut neque uult neque potest, aut uult et potest53. Sans pour autant

l’attribuer à Épicure, les Recognitiones introduisent ce paradoxe dans un débat entre Pierre

et Simon (II, 54, 5, GCS, éd. B. Rehm, p. 84, 7-11): […] mihi possibile erat, etiam ex his

quae in hoc mundo geruntur malis nec emendantur, colligere, uel quia inpossibilis est

creator eius, qui male gesta non corrigit; uel si non potest uel si et non uult auferre mala,

ipse malus sit; si uero neque potest neque uult, nec potens nec bonus sit54. Bien entendu, il

ne reste qu’une seule des possibilités énoncées par Lactance, mais on reconnaît néanmoins

50 « Mais par la suite, Épicure a certes déclaré que Dieu existait, parce qu’il est nécessaire qu’existe dans le

monde quelque chose d’excellent, de remarquable, et de bienheureux, mais il a toutefois nié la Providence

[…] » 51 Infra n. 204 p. 228. 52 Le texte de Lactance est le seul qui rapporte cette affirmation épicurienne. Comme le rappelle J. L. Penwill,

on trouve des traces de ce paradoxe dans l’Antiquité sans qu’il soit attribué à Épicure: « Does God care? »,

2004, p. 40 n. 26. Cf. C. Ingremeau, « Commentaire, 13, 20 », dans Lactance, De la colère de Dieu, Paris, Les

éditions du Cerf (Coll. Sources chrétiennes, 289), 1980, p. 310. 53 « Dieu, dit [Épicure], ou bien veut enrayer le mal mais ne le peut pas, ou bien il le peut mais ne le veut pas,

ou bien il ne le peut pas ni ne le veut, ou enfin il le veut et le peut. » 54 « […] il m’était encore possible de déduire que, à partir de ces maux qui apparaissent dans le monde et qui

ne sont pas corrigés, ou bien le créateur de ce monde ne corrige pas les mauvais gestes parce qu’il est

impuissant; s’il ne peut pas enlever le mal ou encore s’il ne le veut pas, il est lui-même mauvais: de fait, s’il

ne le veut pas, il n’est ni puissant ni bon. »

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la même thématique à la différence que Simon, dans les Recognitiones, met l’accent sur le

fait que le Dieu est impuissant s’il ne peut ni ne veut enrayer le mal55. Il mentionne aussi

qu’il est mauvais s’il ne veut détruire le mal. Le texte de Lactance diverge à cet égard en

soulignant que la pensée d’Épicure mène à ceci: si le Dieu ne peut pas, il est faible, s’il le

peut mais ne le veut pas, il est jaloux et, enfin, s’il ne le peut ni ne le veut, il est à la fois

jaloux et faible. Quoi qu’il en soit, cet exemple montre que la pensée d’Épicure, qui n’est

pas attesté par ailleurs, ressemble par quelques traits à la pensée de Simon. Si les

Recognitiones se servent de Simon pour dénoncer des courants jugés hérétiques, Lactance

se sert de la figure d’Épicure pour dénoncer des courants similaires.

55 On trouve d’autres textes chrétiens qui abordent ce thème. L’ouvrage de Tertullien contre les marcionites

propose deux passages similaires (II, 5, 1-2 et IV, 41, 1), mais il ne s’agit pas de savoir si Dieu peut supprimer

le mal ou s’il le veut, mais plutôt de savoir s’il avait la préscience du mal. L’opposition est dès lors de savoir

si Dieu savait que le mal arriverait ou s’il l’ignorait. A. von Harnack pensait que ce paradoxe se trouvait dans

les Antithèses de Marcion: Marcion. Das Evangelium vom fremden Gott. Eine Monographie zur Geschichte

der Grundlegung des katholischen Kirche, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1996. Cette idée

est rejettée par G. Quispel, De bronnen van Tertullianu’ Adversus Marcionem, Leiden, Burgersdijk &

Niermans, 1943, p. 83-84. D’autres passages encore, comme chez Titus de Bostra (Contra manichaeos, III,

7), relient ce problème à la prévoyance divine de la transgression de l’homme, du fait qu’il mangea du fruit de

l’arbre. On trouve cette même thématique dans un ouvrage d’Ambroise qui présente ce paradoxe en lien avec

la doctrine d’Apelle (De paradiso, 8, 38). Dans son étude sur Titus de Bostra, N. A. Pedersen relie dans un

premier temps cette thématique à Épicure en citant précisément le passage de Lactance. Or, comme il a été

mentionné, rien n’indique que cette idée provient d’Épicure (supra n. 52 p. 191). À savoir si cela provient bel

et bien de Marcion, N. A. Pedersen mentionne que « Tertullian would not have formulated it in this way

unless he had been convinced that the proof was used by the Marcionites », p. 220. Il mentionne par ailleurs

que d’autres témoins attribuent cet argument aux marcionnites dont notamment Jérome de Stridon (Dialoguus

contra Pelagianos III, 6): Demonstrative Proof in Defence of God: A Study of Tittus of Bostra’s Contra

Manichaeos. The Work’s Sources, Aims and Relation to its Contemporary Theology, Leiden, Brill (coll. Nag

Hammadi & Manichaean Studies 56), 2004, p. 216-224. De plus, seul Titus de Bostra indique que ses

adversaires disent que Dieu est jaloux dans ce paradoxe (ibid., p. 225) et il est le seul à employer ce terme en

dehors de Lactance. On trouve également un passage qui s’approche de cette controverse dans le Contra

aduersarium legis et prophetarum où le disciple de Fabricius souligne que Dieu n’a pas prévu ce qui est

arrivé (I, 16, 27). Même s’il est difficile de relier ce passage avec celui de Lactance, puisque le paradoxe

semble plus porter sur la prévoyance du mal, ce passage intervient dans un chapitre qui répond à l’opposition

de la sévérité et la bonté divine ainsi que l’utilité de la crainte de Dieu, tous des thèmes très importants dans le

De ira Dei (infra n. 103 p. 206). Quoi qu’il en soit, comme ce paradoxe est employé de diverses manières, à

savoir parfois en lien avec la prévoyance divine et parfois en lien avec la suppression du mal dans le monde

(De ira Dei et Recognitiones), il est difficile de relier celui-ci à une doctrine en particulier, qu’elle soit

manichéenne, marcionites ou apellienne. Il suffit plutôt de souligner que la présence de ces arguments indique

que l’on est au prise avec des groupes dits hérétiques que des groupes épicuriens. J. G. Gager quant à lui se

sert des passages de Tertullien et de Lactance pour montrer que Marcion est influencé par la pensée

d’Épicure. Or, rien ne montre que ce paradoxe est d’Épicure et aucun témoignagne ancien, en dehors de celui

de Lactance, attribue cette pensée au philosophe du jardin: « Marcion and philosophy », 1972, p. 55-57. Si

cela ne prouve pas que Marcion est influencé par Épicure, la présence de ce paradoxe clairement attribué à

Marcion chez Tertullien rapproche toutefois les adversaires du De ira Dei des marcionites.

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Afin de mieux comprendre contre qui Lactance se dresse dans son argumentatio, il

faut analyser une portion fort importante de l’exordium: les trois échelons que l’on monte

pour accéder à la vérité (2, 1-2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 94, 6-13):

Primus autem gradus est intellegere falsas religiones et abicere inpios cultus

humana manu fabricatorum, secundus uero perspicere animo quod unus sit

deus summus, cuius potestas ac prouidentia effecerit a principio mundum et

gubernet in posterum, tertius cognoscere ministrum eius ac nuntium quem

legauit in terram, quo docente, liberati ab errore quo inplicati tenebamur

formatique ad ueri dei cultum, iustitiam disceremus56.

Dans un deuxième temps, il indique qu’il est facile de quitter ces échelons et, pour chacun,

il souligne les difficultés (2, 3-4, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 94, 16-21):

De primo gradu eos excuti uidemus qui, cum falsa intellegant, tamen uerum

non inueniunt contemptisque terrenis fragilibusque simulacris non ad colendum

se deum conferunt, quem ignorant, sed mundi elementa mirantes, caelum

terram mare solem ceteraque astra uenerantur57.

Ce premier échelon inclut les hommes qui ne suivent pas le culte des dieux, les cultes

traditionnels ou à mystères, il s’agit d’hommes qui se tournent vers les astres. Certains ont

noté qu’il pouvait s’agir de certains philosophes en raison des quatre éléments – le ciel

(air), la mer (eau), la terre (terre) et le soleil (feu) – ou encore plus précisément de la

philosophie stoïcienne en raison de la divinité des éléments58. Mais cela ne semble pas

correspondre à la pensée de Lactance, car les philosophes reconnaissent de façon générale

le Dieu souverain et la Providence divine – Lactance lui-même l’affirme59 – et on doit donc

les placer au deuxième échelon – à l’exception d’Épicure qui nie la Providence et des

56 « Or, le premier échelon est de discerner les fausses religions et d’abandonner les cultes impies de réalités

faconnées par la main de l’homme; le deuxième est de concevoir que le Dieu suprême est unique, lui dont la

puissance, et sa Providence, a établi dès les origines ce monde et le gourverne par la suite; le troisième est de

connaître son ministre et messager qu’il a envoyé sur terre pour que, libérés, par son enseignement, de l’erreur

qui nous tenait ligotés et formés au culte du vrai dieu, nous appreions la justice. » 57 « Nous considérons comme chassés du premier échelon ceux qui, même s’ils discernent les fausses

religions, dédaignant les idôles faibles de la terre, ne découvrent cependant pas la vérité et ne se tournent pas

vers le culte de Dieu, qu’ils ignorent, mais, admirant les éléments du monde, vénèrent le ciel, la terre, la mer,

le soleil et les autres astres. » 58 C. Ingremeau souligne en effet que Lactance peut avoir en tête les philosophes, notamment en raison des

éléments, et en particulier la philosophie stoïcienne: « Introduction », dans Lactance, De la colère de Dieu,

Paris, Les éditions du Cerf (Coll. Sources chrétiennes, 289), 1980, p. 226. 59 9, 1, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 120, 1-6. Or, selon H. Inglebert, en dehors des stoïciens qui acceptent la

Providence divine, de manière fort différente des chrétiens, les mouvements philosophiques de l’Antiquité ne

reconnaissait pas la Providence: « Arnobe et l’histoire de Rome », 1999, p. 155.

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athées qui nient l’existence de Dieu. De plus, il ajoute avoir déjà réfuté ces gens au livre II

de ses Diuinae institutiones (2, 4, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 94, 21-22), on comprend

qu’il ne s’agit pas des philosophes, car il réfute ceux-ci au livre III. Les astres sont

également mentionnés ce qui suggère qu’il s’agit de l’astrologie – Épicure n’est pas connu

pour être versé dans l’astrologie.

Dans son argumentatio, Lactance va traiter de la question des atomes qui est reliée,

dans les Recognitiones, à une défense de la Providence divine contre le fatum et

l’astrologie. En ce sens, les hommes décrits dans le premier échelon correspondent à la

figure de Faustinianus, le vieillard et père de Clément, dans les Recognitiones. Ce vieillard,

au livre VIII, voit Pierre, Clément et les autres prier et désire leur parler (VIII, 2, 2, GCS,

éd. B. Rehm, p. 217, 19-p. 218, 2): […] miseratus igitur errorem uestrum opperiri coepi,

usquequo egressos adloquerer et docerem, ne erretis in huiusmodi obseruantia, quia neque

deus est, neque cultus hic aliquid est neque prouidentia in mundo, sed fortuitus casus et

genesis agunt omnia […]60. Dans cet extrait, on remarque trois caractéristiques: 1) le

vieillard pense qu’il n’existe pas de Dieu, 2) il a délaissé les cultes et 3) il affirme que la

Providence divine n’existe pas. Le texte de Lactance définit, dans un premier temps, le

premier échelon par le rejet des falsae religiones (2, 2) et le deuxième par la reconnaissance

du Dieu souverain et de la Providence divine; dans un second temps, il indique que ceux

qui adhèrent à l’astrologie ne peuvent se trouver au premier échelon. Ils ont en quelque

sorte progressé, car ils ont découvert l’inanité des faux cultes, mais ils ne se sont pas

tournés vers le vrai Dieu et n’ont pas accepté la Providence divine: ils sont donc

disqualifiés du premier échelon et n’atteignent pas non plus le deuxième. Le vieillard des

Recognitiones correspond en quelque sorte à cet échelon et on remarque sans surprise que

Nicétas, qui réfute ce vieillard, lui suggère qu’il connaît très bien cette pensée puisqu’il a

fréquenté l’école d’Épicure; ce à quoi le vieillard répond que sa pensée va au-delà de la

pensée d’Épicure. Si l’on poursuit l’analogie avec le De ira Dei, on trouverait

60 « Puisque j’avais pitié de votre erreur, j’ai donc commencé à attendre jusqu’à ce que vous sortiez pour vous

parler et vous enseigner afin que vous n’erriez pas dans ce genre d’observances, parce qu’il n’existe aucun

dieu, quelconque culte ici-bas et nulle Providence dans ce monde, mais toutes choses sont menées de manière

fortuite et par l’emplacement des astres à la naissance […] »

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effectivement Épicure au premier échelon puisqu’il a rejeté les faux cultes, mais n’a pas

reconnu la Providence divine – dès lors, il ne peut pas être au deuxième échelon.

Le deuxième échelon donne une place encore ambiguë aux philosophes (2, 5, SC,

289, éd. C. Ingremeau, p. 94, 23-29):

De secundo uero gradu eos dicimus cadere qui, cum sentiant unum esse

summum deum, idem tamen a philosophis inretiti et falsis argumentationibus

capti aliter de unica illa maiestate sentiunt quam ueritas habet; qui aut figuram

negant habere ullam deum aut nullo adfectu commoueri putant, quia sit omnis

adfectus inbecillitatis, quae in deo nulla est61.

Selon Lactance, les gens de ce deuxième échelon conçoivent très bien que Dieu est unique,

mais, sous l’influence des philosophes, ils ont tort quant à la nature de ce Dieu. Bien

évidemment, cela correspond bien au projet entrepris dans ce traité puisque le paradoxe

proposé est relié à la nature divine, à savoir si elle peut être à la fois bonne et juste. On

remarque d’emblée, encore une fois, qu’il ne s’agit pas des philosophes; ce sont des gens

influencés par ceux-ci. De plus, il s’agit de personnes qui n’acceptent pas que Dieu ait une

figure et pensent qu’il n’est affecté d’aucune émotion. Mais si ces personnes ont rejeté les

faux cultes (premier échelon), s’ils sont tombés du deuxième échelon, ne sont pas des

philosophes, mais influencés par ceux-ci, peut-il s’agir de chrétiens? Avant de répondre à

cette question, on doit toutefois mieux comprendre le troisième échelon (2, 6, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 94, 30-p. 96, 36):

De tertio uero hi praecipitantur qui, cum sciant legatum dei eumdemque diuini

et inmortalis templi conditorem, tamen aut non accipiunt eum aut aliter

accipiunt quam fides poscit; quos ex parte iam refutauimus in quarto supra

dicti operis libro et refutabimus postea diligentius, cum respondere ad omnes

sectas coeperimus, quae ueritatem, dum dissipant, perdiderunt62.

61 « Nous affirmons que tombent du deuxième échelon ceux qui, tandis qu’ils pensent que le Dieu suprême est

unique, comprennent toutefois cela même, au sujet de cette unique majesté, autrement que ne l’exige la vérité,

étant séduits par les philosophes et pris dans de fausses argumentations; ou bien ils nient que Dieu ait quelque

figure, ou bien ils pensent qu’aucune émotion ne l’affecte, parce que l’émotion se trouverait parmi toutes les

faiblesses et qu’il n’en existe aucune en Dieu. » 62 « En outre sont exclus du troisième échelon ceux qui, tandis qu’ils connaissent l’envoyé de Dieu, celui-là

même qui est le fondateur du temple divin et immortel, ne le reçoivent toutefois pas ou le reçoivent autrement

que la foi ne l’exige; ceux-là, nous les avons déjà réfutés en partie dans le quatrième livre de l’ouvrage

mentionné plus haut (Diuinae institutiones), [mais nous le ferons] plus attentivement par la suite lorsque nous

entreprendrons de répondre à toutes ces sectes qui ont perdu la vérité tandis qu’elles la dispersaient. »

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Il s’agit ici de chrétiens qui sont issus de différentes sectae et dont Lactance a déjà traité

dans ses Diuinae institutiones dans lesquelles il nomme ces divers courants de pensée. Il

s’agit des Phrygiens, des novatiens, des valentiniens, des marcionites et des Anthropiens63.

Or, selon Lactance, le fait que ces sectae ne comprennent pas bien la christologie montre

qu’elles sont exclues du troisième échelon.

Lactance donne par la suite plus de renseignements au sujet de l’échelon visé par son

ouvrage (2, 7, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 96, 37-38): Nunc uero contra eos disserimus

qui de secundo gradu lapsi praua de summo deo sentiunt64. Pour comprendre contre qui se

dresse Lactance, on doit, dès lors, analyser ce groupe de personnes qui sont disqualifiées du

deuxième échelon. Comme il a été mentionné, il ne s’agit pas des philosophes, mais plutôt

de gens qui sont séduits par les philosophes (a philosophis inretiti) et pris dans leurs fausses

argumentations (falsis argumentationibus capti); ces gens ont une mauvaise conception de

la divinité. Il ne s’agit pas non plus d’Épicure, car il montre plus loin que ce dernier a

dégringolé jusqu’au premier échelon (4, 13, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 102, 54-55): Ita

cum gradatim descendisset, in extremo gradu restitit, quia iam praecipitium uidebat65. De

retour aux gens du deuxième échelon, Lactance donne quelques traits qui leur sont

particuliers: 1) ils doivent reconnaître que Dieu est le créateur du monde et qu’il le

gouverne (2, 2), mais ces gens 2) nient que la divinité ait une figure et 3) pensent qu’aucune

émotion ne l’atteint (2, 5). La question de la figure de Dieu ne revient que dans un autre

passage du De ira Dei et on ne peut affirmer qu’il s’agit ici d’une question à laquelle

l’ouvrage essaie de répondre, bien au contraire (18, 13, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 186,

65-69): Quod autem de homine dicimus, idem etiam de deo, qui hominem similem sui fecit.

Omitto de figura dei dicere, quia Stoici negent habere ullam formam deum, et ingens alia

materia nascetur si eos coarguere uelim; de animo tantum loquor66. Ce passage a attiré

63 IV, 30, 10, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 433, 12-13. 64 « Mais nous disserterons maintenant contre ceux qui sont tombés du deuxième échelon et comprennent de

la mauvaise manière le Dieu suprême. » 65 « Ainsi, comme il descendait d’échelon en échelon, il s’est rendu jusqu’au dernier, parce qu’il apercevait

déjà le précipice. » 66 « Or, ce que nous disons de l’homme, nous le disons également de Dieu qui a fait l’homme semblable à lui.

J’omets de parler au sujet de la figure de Dieu, parce que les stoïciens nient que Dieu ait quelque forme –c’est

une autre matière immense qui débuterait si je voulais les réfuter – je parle seulement de l’âme. »

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l’attention de quelques chercheurs, puisqu’il se distingue du reste de l’œuvre de Lactance

qui propose un Dieu incorporalis et inuisibilis67, et certains l’ont relié à un texte du Corpus

Hermeticum68, mais il semble que l’on doit plutôt y voir l’influence des Homiliae69.

Cependant le texte de Lactance se distingue tout de même des Homiliae qui associent la

forme de Dieu au corps de l’homme (Homiliae, III, 7, 2, GCS, éd. B. Rehm, p. 59, 16-16):

ὁ γὰρ ὄντως ὢν οὗτός ἐστιν, οὗ τὴν μορφὴν τὸ ἀνθρώπου βαστάζει σῶμα […]70. La

question de la forme ou figure de Dieu est toutefois absente des Recognitiones qui, de

manière générale, partagent plus de ressemblances avec le De ira Dei. Or, si cette question

n’était pas abordée si clairement dans l’exordium, qui plus est dans un passage qui indique

contre qui Lactance discourt, cette mince affinité entre les Homiliae et le De ira Dei

pourrait dès lors être mise de côté.

La seconde réprimande que Lactance fait aux personnes ne pouvant se réclamer du

deuxième échelon concerne le fait que le Dieu ne soit pas atteint par les émotions (2, 7-8,

SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 96, 38-44): Aiunt enim quidam nec gratificari eum cuiquam

nec irasci, sed securum et quietum inmortalitatis suae bonis perfrui. Alii uero iram tollunt,

gratiam relinquunt deo: naturam enim summa uirtute praestantem, ut non maleficam, sic

67 Outre le problème du Dieu invisible et incorporelle, le R. E. F. Micka relie également cette idée à

l’anthropologie du De opificio Dei et au status rectus dans cet ouvrage: The Problem of Divine Anger... 1943,

p. 85 n. 19. V. Loi note également que Lactance se distance de ses autres ouvrages dans lesquels il déclare le

Dieu invisible et incorporel: Lattanzio... 1970, p. 38. 68 G. Kutsch montre que le texte issu du Corpus Hermeticum (XI, 16, CUF, éd. A. D. Nock, p. 153, 22-154,

1) attribue une forme (ἰδέα) à Dieu. Or le contexte de ce texte du Corpus Hermeticum est fort différent de

celui du De ira Dei et des Homiliae: le traité XI se questionne en effet pour savoir si Dieu est omniforme ou

s’il a qu’une seule forme. Cf. In Lactantii De ira Dei... 1933 p. 67-68. 69 C’est ce que pense V. Loi qui relie à juste titre la question de la figure de Dieu au thème de l’homme à

l’image de Dieu: Lattanzio... 1970, p. 39 n. 34 et p. 138. Les Homiliae mentionnent le problème de la forme

ou la figure de Dieu dans le but de montrer que l’homme est à son image, tout comme dans le texte de

Lactance: la figure de Dieu est reliée à l’immortalité de l’âme (XVI, 10, 5, GCS, éd. B. Rehm, p. 223, 11-12),

à la justice (XVI, 19, 3, p. 226, 26), et l’homme est la forme visible de Dieu, lui-même étant invisible (XVII,

7, 5, p. 232, 25-p. 233, 1) ce qui tend à montrer que l’auteur des Homiliae accepte, tout comme Lactance, que

Dieu soit inuisibilis et incorporalis tout en ayant une forme: dans ces extraits, l’auteur des Homiliae utilise les

mots ἰδέα et μορφἠν pour parler de la forme et la figure de Dieu. On doit dès lors, à l’instar de M. Perrin qui

invite à ne pas surestimer l’influence du Corpus Hermeticum dans les textes de Lactance (L’homme antique...

1981, p. 39), s’interroger si les Homiliae ont pu influencer Lactance. Le contexte général des Homiliae et les

thèmes abordés dans les extraits qui traitent de la figure de Dieu suffisent pour montrer que le texte de

Lactance est beaucoup plus près des Clementina que du Corpus Hermeticum même s’il va de soi qu’il connaît

bien ce dernier corpus. 70 « Car le [Dieu] véritable est celui dont le corps de l’homme porte la forme. »

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beneficam esse debere71. Ces deux façons d’aborder le problème de Dieu sont

respectivement attribuées à l’école épicurienne – un Dieu qui n’a ni bonté ni colère – et

stoïcienne – un Dieu qui a la bonté, mais pas la colère. Or, la seconde école ne nie pas pour

autant la Providence divine et c’est pour cette raison que Lactance n’insiste pas sur la

position des stoïciens dans la narratio mais s’attarde sur celle d’Épicure. La position qui est

mise sous la figure d’Épicure dans le De ira Dei concerne donc des groupes de personnes

qui, en plus de penser que Dieu ne puisse être en colère ce qui empêche la possibilité de

jugement, nient également la Providence divine dans le monde.

On peut formuler l’hypothèse que la figure d’Épicure n’est utilisée que pour des fins

d’argumentation et que les vrais adversaires de Lactance ne sont pas les philosophes, mais

des groupes chrétiens, ou proches du christianisme comme le seraient des groupes

gnostiques ou manichéens72. Il n’est pas impossible que Lactance se serve des philosophes

comme figures pour s’attaquer aux conceptions qu’il juge mauvaises parmi ces groupes

proches du christianisme. Plusieurs ont déjà noté qu’Épicure est en quelque sorte la

« marque de commerce de l’hérésie » en particulier concernant les gnostiques et le

marcionisme73. Les philosophes ont, notamment avec Tertullien, été considérés comme la

source de l’hérésie et la filiation entre ces deux groupes fait date (De praescriptione

haereticorum, VII, 5, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé, p. 192, 14-15): eadem materia apud

haereticos et philosophos uolutatur, idem retractatus implicantur […]74. De plus, la figure

d’Épicure a souvent été employée pour relier des groupes jugés hérétiques à la philosophie

71 « Certains disent en effet qu’il ne se rend bienveillant ni ne s’irrite contre personne, mais qu’exempt de

soucis et paisible il profite complètement des avantages de l’immortalité. D’autres encore enlèvent la colère à

Dieu mais lui laissent la bonté: en effet, la nature divine qui l’emporte par une perfection morale suprême à tel

point qu’elle ne peut être malveillante, doit être bienveillante. » 72 J. G. Gager note que faire une association entre les groupes jugés hérétiques et les philosophes est monnaie

courante chez les Pères de l’Église: « […] but we know that it was a common practice among haeresiologists

to dismiss their opponents merely by branding them as philosophers. As a general description of early

Christian polemics this latter point is certainly correct, especially when the argument is coupled with the name

of Epicurus. »: « Marcion and philosophy », 1972, p. 55. 73 S. WOLFGANG, Epicuro e l’epicureismo cristiano, Brescia, Paideia Editrice, 1984, p. 173-178 suivi par

R. CACITTI, « Le ceneri di Epicuro: eversione religiosa, provvidenzialismo politico e polemica antiereticale

nel cristianesimo delle origini », 1999, p, 308. 74 « La même matière est remuée chez les hérétiques et les philosophes, les mêmes réfutations sont de mises

[…] »

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et le premier à faire ce rapprochement est Irénée de Lyon75: il mentionne également que les

valentiniens ont été inspirés de la théorie des atomes de Démocrite et d’Épicure pour

certains éléments de leur doctrine76. C’est peut-être précisément ce que Lactance veut faire:

relier ce ou ces groupes à la philosophie grecque pour les discréditer.

Il faut aussi considérer le passage qui introduit le lecteur à ces échelons: Nam cum

sint gradus multi per quos ad domicilium ueritatis ascenditur, non est facile cuilibet euehi

ad summum. Caligantibus enim ueritatis fulgore luminibus, qui stabilem gressum tenere

non possunt reuoluuntur in planum77. Dans un premier temps, ce passage met l’accent sur

la montée de l’individu vers la vérité et, dans un second temps, sur le fait que beaucoup

montent et retombent sur un échelon précédent. Il devient dès lors très clair que ce texte ne

s’adresse pas aux adeptes de la religion traditionnelle puisqu’ils n’ont jamais atteint le

premier échelon. Le texte s’adresse plutôt à ceux qui dégringolent d’un échelon à un autre

et c’est pour cette raison qu’il est plus facile d’y voir des groupes issus du christianisme qui

ont laissé certains enseignements de côté.

En raison de la place importante occupée par la colère dans le traité, on ne peut faire

autrement que de penser que le discours de Lactance s’adresse peut-être aux disciples de

Marcion ou d’Apelle78. L’association entre Épicure et Marcion se trouve également chez

Tertullien. La première référence à Marcion se trouve dans son De praescriptione

75 Aduersus haereses seu Detectio et euersio falso cognominatae Gnoseos, II, 32, 2; III, 24, 2. 76 Aduersus haereses seu Detectio et euersio falso cognominatae Gnoseos, II, 14, 3. 77 « De fait, comme il existe plusieurs échelons par lesquels on monte vers le séjour de la vérité, n’importe qui

ne peut se hisser aisément au sommet. Avec la vision obscurcie par l’éclat de la lumière, ceux qui ne peuvent

gravir les échelons de manière stable, retombe au niveau du sol. » 78 Concernant l’échelon deux, qui souligne que ses tenants nient que Dieu puisse éprouver des sentiments,

R. Jungkuntz rappelle que Tertullien rapproche cet aspect de la pensée de Marcion à celle de la philosophie du

jardin: « In fact, it is primarily the Marcionite denial of the divine capacity for emotion with Tertullien asserts

has been thought to the heretic by Epicurus (Adu. Marc. II, 16) »: « Fathers, Heretics and Epicureans », The

Journal of Ecclesiastical History 17 (1966), p. 6. J. G. Gager rappelle aussi que Jérôme a relié Épicure à

Marcion en raison de leur rejet de la Providence divine: « Jerome appears to be saying that Marcion, like

Epicurus, denies the existence of a benevolent Providence and instead assigns responsibility for this world to

a weak and blundering deity. […] But in this particula instance there are solid indications that Marcion was

familiar with Epicurean philosophy and borrowed from it a key element in his argument for the existence of

his higher god. »: « Marcion and philosophy », 1972, p. 55. J. G. Gager, en plus de montrer que les Anciens

ont abondamment relié la figure d’Épicure à Marcion, tente de montrer que la pensée de Marcion est

influencée par le philosophe du jardin. Pour l’analyse qui suit, il est nul besoin de souligner l’influence réelle

ou possible d’Épicure sur Marcion, mais plutôt de considérer que les auteurs chrétiens utilisent la figure

d’Épicure pour parler de Marcion.

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haereticorum et il l’associe d’abord avec les stoïciens (VII, 3, CCSL, 1, éd. R. F. Refoulé,

p. 192, 9-10): Inde Marcionis deus, melior de tranquillitate: a Stoicis uenerat79. Par la

suite, c’est avec le philosophe du jardin qu’il va associer notre homme du Pont (Aduersus

Marcionem, I, 25, 3; II, 16, 2; V, 19, 7)80. Il ne faut pas s’étonner non plus que Tertullien

établisse une relation entre Épicure et Marcion dans un passage qui traite de la question de

la bonté et de la colère divine (I, 25, 3). En ce sens, si Lactance établit un lien entre des

groupes issus du marcionisme et l’école épicurienne, il ne fait pas preuve d’originalité.

Mais Marcion n’est pas le seul « hérétique » à être relié à Épicure. Dans son Aduersus

Valentinianos, Tertullien accuse également les Valentiniens d’emprunter la pensée

épicurienne (VII, 4, CCSL, 2, A. Kroymann, p. 758, 11-13): Se<det> itaque Bythos iste

infinitis retro aeuis in maxima et altissima quiete, in otio plurimo placidae et, ut ita

dixerim, stupentis diuinitatis, qualem iussit Epicurus81. Tertullien n’a dès lors aucun mal à

faire l’association entre l’impassibilité épicurienne et la description du Dieu des

valentiniens. Cette association est très facile à faire lorsque l’on remarque que d’une part,

les groupes marcionites ou certains groupes gnostiques, par des lectures un peu trop

littérales de l’Ancien Testament en ce qui concerne les émotions chez Dieu, rejettent le fait

que le Dieu suprême éprouve de la colère, ce qui les pousse à faire du Dieu d’Israël un

démiurge. En premier lieu donc, tout comme les épicuriens, ces groupes rejettent le fait que

le Dieu puisse éprouver de la colère. Mais ils partagent un autre élément qui est peut-être

plus important dans la pensée de Lactance, car celui-ci s’adresse principalement à ceux qui

nie que Dieu ait fait le monde et agisse dans ce monde – tout comme Épicure dans le De ira

Dei, ces groupes ne remettent pas en cause l’existence de Dieu, mais bien sa Providence

dans le monde. En affirmant que c’est un démiurge qui a fait le monde, ils présentent le

Dieu véritable comme un dieu qui est inactif puisque ce n’est pas lui qui a fait le monde et

qui le régit. Certains groupes, sans être influencés directement par l’épicurisme, partagent

donc deux éléments fort importants de cette philosophie grecque: le Dieu est inactif et ne

79 « De là vient le Dieu « champion de la tranquilité » de Marcion, tout droit des stoïciens. » 80 Concernant Marcion et l’Épicurisme, voir la note complémentaire 20 dans TERTULLIEN, Contre Marcion, I,

introduction, texte critique, traduction et notes par R. Braun, Paris, Cerf, 1990, p. 310-312. 81 « C’est ainsi que ce Bythos demeure depuis des temps infinis dans la plus grande et la plus haute quiétude,

et pour le dire ainsi, dans le repos le plus paisible d’une divinité immobile, comme l’a décrété Épicure. »

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peut se mettre en colère. Selon nous, l’ensemble des arguments proposés par Lactance vise

à renverser cette façon d’envisager le Dieu.

Un autre trait des adversaires de Lactance qui est souligné dans le second échelon est

justement ce problème relié à la Providence. Les Recognitiones apportent une nuance

importante qui permet de mieux comprendre le Dieu cuius potestas ac prouidentia effecerit

a principio mundum et gubernet in posterum82 du De ira Dei. Dans l’entretien entre Nicétas

et le vieillard, Nicétas mentionne qu’il existe trois types de Providence ou manière de la

comprendre: de façon générale, particulière ou les deux. Cette distinction aborde la

question de savoir si Dieu, une fois qu’il a créé le monde, a cessé d’intervenir ou s’il a

continué. La Providence générale admet que Dieu ait créé le monde, mais qu’il aurait cessé

ses activités aussitôt après; la Providence particulière intervient dans l’existence de certains

hommes à certains moments; et enfin (VIII, 11, 4, GCS, éd. B. Rehm, p. 223, 20-23):

Generalis autem omnium et specialis partium simul hoc modo est, quasi et ab initio omnia

fecerit deus et usque ad finem per singulos quosque providentiam gerat, ut unicuique

reddat pro actibus suis83. Il est clair que la dernière proposition est celle qui est défendue

tant par l’auteur des Recognitiones que par Lactance. Les gens du deuxième échelon

doivent admettre que Dieu a fait le monde et qu’il le gouverne par la suite84. On sait, par le

récit qui est développé dans les Recognitiones, que le discours de Nicétas est dirigé à

l’endroit du vieillard qui nie la Providence divine, qui considère que le Dieu n’existe pas et

enfin, qui se tourne vers l’astrologie85. Ce dernier est associé en partie à l’école

épicurienne, bien qu’il réplique que sa doctrine va au-delà. Même s’il emploie beaucoup de

lieux d’argumentation similaires aux Recognitiones, il est difficile d’affirmer que Lactance

répond aux mêmes groupes, car dans son exordium, il mentionne explicitement que son

82 Supra n. 56 p. 193. 83 « La [Providence] générale pour l’ensemble et en même temps particulière pour les parties est, en quelque

sorte, comme suit: Dieu a fait toutes choses depuis le commencement et jusqu’à la fin il administre sa

Providence envers chaque individu de telle sorte qu’il rend à chacun selon leurs actions. » 84 Supra n. 56 p. 193. 85 Supra n. 60 p. 194. Selon F. S. Jones, la thématique de l’astrologie est une clé de compréhension importante

de l’écrit de base, et il est suivi par N. Kelley: F. S. JONES, « Eros and Astrology in the Περίοδοι Πέτρου. The

Sense of the Pseudo-Clémentine Novel », Apocrypha 12 (2001), p. 53-78; N. KELLEY, Knowledge and

Religious Authority in the Pseudo-Clementines: Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, 2006,

p. 23.

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traité s’adresse aux groupes et gens du deuxième échelon. Le vieillard Faustinianus

appartient clairement au premier. De plus, cela n’explique toujours pas pourquoi Lactance

omet l’immortalité de l’âme de son argumentatio. Il faut également mentionner que le texte

de Lactance n’insiste pas sur le fait que ses adversaires nient l’existence de Dieu, on

remarque même dans le traité qu’Épicure, qui devient la figure des adversaires de Lactance,

la reconnaît. Les adversaires des Recognitiones ne reconnaissent pas l’existence de Dieu,

mais on ne peut affirmer la même chose du De ira Dei. Quoi qu’il en soit, une grande partie

du livre VIII des Recognitiones est reprise pour répondre aux adversaires de Lactance.

Si l’on s’en tient cependant à ce que Lactance indique dans son passage sur les trois

échelons, on doit souligner qu’il avait pourtant décrit ces groupes, marcionites ou

gnostiques, comme étant tombés du troisième échelon86; or, son texte s’adresse à ceux qui

sont tombés du deuxième. Cela pose donc un problème de taille: ou bien son texte vise plus

large que ce qu’il indique par ses trois échelons, ou bien il existe un autre groupe qui a fui

les cultes païens, s’est tourné vers un Dieu unique, mais n’en saisit pas bien la nature. Ce

groupe nie la Providence divine et il n’est pas impossible qu’il donne une place importante

au destin, voire à l’astrologie, tout en niant que Dieu ait une forme, qu’il ait créé le monde

et qu’il le régisse. Il existe des penseurs gnostiques comme Théodote87 qui acceptent

l’astrologie, mais il s’agit encore d’un penseur du troisième échelon. Il existe encore

d’autres courants comme celui de Bardasane d’Édesse qui acceptent que les astres aient un

certain contrôle dans le monde.

La cible principale de Lactance ne semble toutefois pas être les gnostiques. Bien

entendu, il s’agit d’un mouvement très vaste qui est loin d’être monolithique88 et rien

n’exclut qu’il s’en prenne à certains aspects de ce système de pensée. Or, on remarque

assez aisément que le problème de la Providence est au cœur de ce traité, même s’il s’agit

d’un texte sur la colère divine. Les mouvements que l’on place généralement sous

86 Supra n. 63 p. 196. 87 Dont on possède quelques extraits chez Clément d’Alexandrie. 88 M. A. Williams a bien montré que le terme « gnosticisme » n’est qu’une catégorie récente et que la réalité

antique n’est pas aussi monolithique. Le terme employé par les modernes renferme plusieurs doctrines issues

de groupes différents dont on doit se garder de généraliser la pensée: Rethinking « Gnosticism »: an argument

for dismantling a dubious category, Princeton (N.J.), Princeton University Pr., 1996.

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l’appellation gnostique ne rejettent pas entièrement la Providence comme peuvent le faire

les adversaires de Lactance. Ils acceptent en partie cette notion même si ce n’est pas de la

même manière que Lactance89. De plus, même s’ils sont en général pessimistes face à la

matière, les arguments anthropologiques de Lactance montrent qu’il ne s’oppose pas à la

conception gnostique de l’homme qui possède une parenté divine et qui est exprimée de

manière dualiste90. Même si certains aspects du traité s’opposent à des conceptions

gnostiques, la présente enquête met de côté le gnosticisme puisque, de manière générale, il

ne semble pas être au centre du traité de Lactance.

La position des manichéens est encore plus complexe, car même s’ils acceptent la

pratique de l’astrologie91, leurs positions au sujet de la Providence ne sont pas toujours

claires, à en juger par Augustin92. Au début de son deuxième livre contre les manichéens,

Titus de Bostra affirme que ceux-ci acceptent que Dieu ait fabriqué le monde, mais Titus,

contrairement aux manichéens, refuse la préexistence de la matière93. On note également

que certains arguments du De ira Dei se trouvent aussi dans les controverses avec les

manichéens. Toujours au livre II de Titus de Bostra, un livre qui est consacré à l’origine des

89 Plusieurs textes gnostiques montrent que ces différents groupes reconnaissaient une intervention de Dieu

dans les affaires humaines même s’il n’avait pas créé le « cosmos »: D. M. BURNS, « Providence, Creation,

and Gnosticism According to the Gnostics », Journal of Early Christian Studies 24/1 (2016), p. 57; N. D.

LEWIS, Cosmology and Fate in Gnosticism and Graeco-Roman Antiquity, Leiden Brill (coll. Nag Hammadi

and Manichaean Studies 81), 2013, p. 29-52. Lactance semble mettre l’accent sur un groupe qui refuse tant

l’aspect créateur de la Providence divine que son implication dans les affaires humaines: les gnostiques ne

semblent pas rejeter d’emblée ces deux types de Providence, soit générale et particulière. 90 On pense à la composante mondaine et extra-mondaire de l’homme qui se trouve également, bien

qu’exprimée de manière différente, dans le De ira Dei: H. JONAS, The Message of the Alien God & the

Beginnings of Christianity: the Gnostic Religion, Boston, Beacon Press, 2001, p. 44. 91 La reprise de la discussion sur les atomes présente dans les Recognitiones, qui s’oppose en partie aux

tenants de l’astrologie, pourrait faire penser que Lactance s’adresse à des groupes qui acceptent la pratique de

l’astrologie comme les manichéens: N. KELLEY, Knowledge and Religious Authority in the Pseudo-

Clementines: Situating the Recognitions in Fourth Century Syria, 2006, p. 191-192. Or, l’analyse qui suit

révèle qu’il ne s’oppose pas au déterminisme astral, mais plutôt à la contingence. Infra p. 260. De plus,

Augustin, lorsqu’il s’adresse aux manichéens, les met en opposition avec les poètes et penseurs grecs qui ont

parlé des atomes: Contra epistulam manichaei quam uocant fundamenti, XXIX, 32, BA, 17, éd. R. Jolivet et

M. Jourjon, p. 466. Il semble donc qu’Augustin ne rattache pas la pensée des manichéens à la figure

d’Épicure. 92 Dans son Contra Adimantum, Augustin montre que ce manichéen pense que Dieu, après avoir créé le

monde, devient inactif, ce qu’Augustin s’efforce de réfuter par la suite (II, 1). Un passage du De moribus

ecclesiae catholicae montre qu’Augustin considère que ses adversaires croient que Dieu s’intéresse aux

affaires humaines: VI, 10, BA, 1, éd. B. Roland-Gosselin, p. 42. 93 II, 3, CCSG, éd. A. Roman, P.-H. Poirier et É. Crégheur, p. 101.

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maux dans le monde, thème évidemment abordé dans l’ouvrage de Lactance, on trouve la

même justification de l’utilité des animaux94. Lactance et Titus de Bostra se servent, dans

ce passage, d’un exemple commun, celui du venin de vipère changé en remède pour guérir

la morsure de cette même vipère95. Bien qu’il soit difficile de trouver des sources écrites

qui montre que Marcion partage la même objection que les manichéens, on doit toutefois

considérer qu’il s’agit aussi d’un argument marcionite pour montrer que le démiurge n’a

pas fait une création parfaite96. De plus, on ne doit pas fonder l’analyse du traité sur ce

chapitre ou cet exemple puisqu’il semble que les adversaires de Lactance rejettent le fait

que le monde ait été créé et, surtout, qu’il soit gouverné par Dieu, ce qui ne semble pas

totalement coller à la situation des manichéens. Même si certains arguments semblent

émaner de controverses manichéennes, il ne semble pas que le traité s’adresse à eux97.

Les Patriciens sont un autre groupe qui mérite d’être mentionné. Augustin répond à

un texte qui se trouve en circulation à Carthage dans son Contra aduersarium legis et

prophetarum. Augustin note que son adversaire est le disciple d’un maître romain nommé

Fabricius (II, 2, 3, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 90, 95); certains ont pensé qu’il pourrait

néanmoins s’agir de la doctrine de Patricius qui est également de Rome et qui a donné son

94 Infra p. 254. 95 LACTANCE, De ira Dei, 13, 12, SC, éd. C. Ingremeau, p. 156, 65-68; TITUS DE BOSTRA, Contra

manichaeos, II, 41, p. 185, 1-7. T. Raveaux a églament souligné que certains thèmes du livre II de Titus de

Bostra se trouve au chapitre 13 du traité de Lactance ainsi que dans l’ouvrage d’Augustin contre le disciple de

Fabricius: Augustinus, Contra aduersarium legis et prophetarum. Analyse des Inhalts und Untersuchung des

geistesgeschichtlichen Hintergrunds, Wurzburg, Augustinus Verlag, 1987, p. 73. 96 « Jerome expresses an even harsher judgement. He asserts that, in comparison with Epicurus, who only

denied providence and made pleasure the highest good, Marcion is the more wicked, for he ‘lacerates the Old

Testament’ and accuses the Creator of having made many mistakes in the creation of such animals as

serpents, scorpions, and the like, of whom no usefulness for man can be predicted at all (In Ies. VII, 18, 1, ff.).

R. Jungkuntz note toutefois que cette objection est bien présente dans la pensée épicurienne puisqu’elle est

présente chez Lucrèce (V, 195-220) et Cicéron (De natura deorum, II, 38, 120): « Fathers, Heretics and

Epicureans », 1966, p. 6. 97 Concernant l’association possible entre la figure d’Épicure et le manichéisme, R. Jungkuntz indique que ce

lien a été peu exploitée par les Pères de l’Église: « Although no Father expressly associates the heresy of the

Manichees with Epicureanism, the Christian poet Prudentius seems to imply a connexion of some kind

between them when he describes the Manicheans’ ‘nebulous dogma’ concerning God’s nature as composed of

‘tenuous atoms of minutes structure’ and hence easily subject to dissolution, which is the same criticism that

Origen had levelled earlier at the Epicurean notion of deity […] »: ibid., p. 6. L’argument présenté par

Prudence reprend le reproche principal que Cicéron adresse aux épicuriens, reproche qui ne se trouve pas dans

le De ira Dei de Lactance.

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nom aux Patriciens98. Augustin fait également ce même rapprochement; après avoir

mentionné que Cerdon est le premier à dire qu’il existe deux dieux, l’un bon, l’autre

mauvais, il montre comment Marcion puis par la suite Apelle ont repris cet enseignement.

Puis il mentionne Patricius (II, 12, 40, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 130, 1281-1286):

Fuerunt etiam a quodam Patricio nunnulli Patriciani uel sunt, similiter aduersantes diuinis

ueteris libris. Hi omnes apertissime contra deum sentiunt legis et prophetarum, hos est,

deum uerum, a quo factus est mundus. De aliqua istorum haeresi est iste, nam non eum

puto esse Manichaeum99. Augustin rattache la pensée de Fabricius à celle de Marcion,

Apelle et enfin Patricius.

Dans ces Retractationes, Augustin mentionne non seulement la proximité entre la

pensée de l’auteur de ce traité et la pensée marcionite, mais également le fait que celui-ci ne

pense pas que Dieu soit le créateur du monde (II, 54, CCSL, 57, éd. A. Mutzenbecher,

p. 136, 3-7): Interea liber quidam cuiusdam haeretici siue Marcionistae, siue cuiuslibet

eorum quorum error opinatur, quod istum mundum non Deus fecerit […] sed pessimus

daemon […]100. L’auteur du traité qu’Augustin réfute pense donc que Dieu n’a pas fait le

monde101, et l’on apprend dans le Contra aduersarium legis et prophetarum qu’il rejette la

Providence divine102 et, dans un passage sur la crainte de Dieu, on trouve également que

l’auteur ne pense pas que la sévérité et la bonté aillent de pair (I, 16, 27, CCSL, 49, éd. K.-

98 A. von Harnack a formulé cette hypothèse et elle est généralement acceptée. De plus, il précise que la

pensée de Patricius est une sorte de « Neu-Marcionitismus », un néomarcionisme: Marcion... 1996, p. 156,

390 n. 2 et p. 424-433. Pour sa part, M. P. Ciccarese ne pense pas qu’il s’agit du marcionisme ou du

manichéisme, même s’il pense que l’ouvage partage certains traits de controverse avec le manichéisme. Il

pense plutôt qu’il s’agit d’un mouvement gnostique: « Un testo gnostico confutato da Agostino », Vetera

Christianorum 15 (1978), p. 23-44. Bien qu’il souligne le caractère hypothétique de cette affiliation, il fonde

principalement sa position sur le fait que l’auteur décrié par Augustin a recours à l’Évangile de Mathieu, ce

qui, selon lui, le disqualifie en tant que marcionite. Or, depuis les travaux de M. P. Ciccarese, plusieurs

publications ont remis en doute cette idée qui veut que l’évangile marcionite ne contienne que des éléments de

Luc: J. D. BEDUHN, The first New Testament: Marcion’s scriptural canon, Salem, Polebridge Press, 2013,

p. 25-33; M. KLINGHARDT, « The Marcionite gospel and the synoptic problem: a new suggestion », Novum

Testamentum 50/1 (2008), p. 1-27. 99 « Il y eut encore, ou il y en a encore, les patriciens qui tirent leur nom d’un certain Patricius: ils s’opposent

de façon similaire aux livres divins anciens. Tous ceux-ci [Cerdon, Marcion et Apelle] ont des sentiments

hostiles à l’égard du Dieu de la Loi et des prophètes, c’est-à-dire, le Dieu véritable par lequel le monde a été

fait. Notre auteur partage la même hérésie que tous ceux-ci, mais je ne pense pas qu’il soit manichéen. » 100 « Pendant ce temps, un livre d’un certain hérétique, ou bien issu de Marcion ou bien de quelconque

hérétique dont l’erreur est de croire que ce n’est pas Dieu qui ait fait ce monde […] mais le pire démon […] » 101 I, 1, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 35, 9; I, 11, 14, p. 45, 323. 102 I, 16, 27, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 54, 585-587.

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D. Daur, p. 55, 615-618): Si ergo salubriter non solum bonitatem uerum etiam seueritatem

Dei sancta scriptura commendat, quoniam et amatur Deus utiliter et timetur […]103. Ce

passage ouvre sur quelques chapitres qui montrent que le disciple de Fabricius ne peut

accepter que Dieu soit en colère et qu’il punisse; tout comme Lactance, Augustin répondra

que la religion et la piété sont utiles et que les hommes peuvent grandir dans la crainte de

Dieu. De plus, la réponse d’Augustin sera la même que celle de Lactance et il tente de

montrer que Dieu est tout aussi sévère que bon (I, 17, 34, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 63,

848-852): Qui autem recte colit deum, et profecto utriusque testamenti inuenit unum deum

et eiusdem unius Dei in utroque diligit bonitatem, in utroque metuit seueritatem, in illo

intelligens promissum Christum, in isto accipiens redditum Christum104. On note également

une dernière similitude lorsque l’auteur de ce traité conçoit un Dieu inactif; concernant le

texte de la Genèse, Augustin rapporte que Fabricius se demande de quel commencement il

s’agit (I, 2, 2, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 36, 24-25): Quo principio? Eiusne quo idem

Deus esse coepit, an ex eo quo illum esse uacuum taeduit?105 Ce Dieu inactif peut très bien

être représenté par le Dieu qui n’a soin de rien d’Épicure. Enfin, le disciple de Fabricius

considère que si Dieu peut avoir des sentiments comme la colère, c’est donc qu’il est

faible106. Lactance répond en quelques endroits à cette conception107 et précise que le texte

s’adresse à ces gens qui considèrent que Dieu est faible s’il éprouve des sentiments108.

Eadem materia uolutatur, idem retractatus implicantur: « lorsqu’on propose les

mêmes idées, on propose les mêmes réfutations » et il y a fort à parier que les similarités

103 « Si donc, de façon bénéfique, les saintes Écritures montrent non seulement la bonté mais encore la

sévérité de Dieu, parce qu’il est utile d’aimer et de craindre Dieu […] » 104 « Or, celui qui adore Dieu correctement, trouve assurément un seul Dieu dans les deux Testaments; il

apprécie la bonté de ce même Dieu unique dans les deux Testaments, redoute sa sévérité dans les deux,

trouvant dans celui-là le Christ promis, recevant dans celui-ci le Christ attendu. » Augustin oppose par ailleurs

la bonté et la sévérité de Dieu en d’autres endroits: I, 17, 34, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 62, 814-824; I, 17,

35, p. 64, 874-876; I, 23, 48, p. 79, 1335; I, 23, 48, p. 80, 1374-1376; II, 2, 4, p. 92, 143. 105 « De quel commencement s’agit-il? est-ce celui où ce même Dieu a commencé d’être, ou celui où il se

fatigua d’être inactif? » 106 L’auteur du traité refuse en effet à Dieu des sentiments comme la colère. Comme c’est le cas dans la

philosophie, il considère que cela ferait de Dieu un être faible. Il interprète dès lors les passages de l’AT de

manière littérale ce qui le pousse à y voir de l’anthropomorphisme: M. P. CICCARESE, « Un testo gnostico

confutato da Agostino », 1978, p. 35. 107 4, 12, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 102, 46-49; 15, 6, p. 166, 28-31. 108 5, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 94, 23-29; supra p. 195.

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entre la pensée des adversaires de Lactance et celle de Fabricius conditionnent le même

genre de réponses. Mais l’ensemble de l’ouvrage d’Augustin possède peu de similitudes

lorsque l’on regarde de plus près les arguments qu’il utilise, principalement parce que,

contrairement à Lactance, l’évêque d’Hippone réfute à l’aide des Écritures tandis que

Lactance n’utilise que le raisonnement109. Toutefois, même si les arguments d’Augustin ne

correspondent pas toujours à ceux de Lactance, ils seront néanmoins mentionnés dans

l’analyse lorsqu’il existe une correspondance. En dehors des traits formels de

l’argumentation, la pensée de Fabricius semble toutefois correspondre à ce que Lactance

propose dans son exordium: il ne pense pas que Dieu ait fait le monde et qu’il le dirige et

refuse que Dieu ait des émotions, qu’il ait à la fois la bonté et la sévérité, ce qui rappelle

sans aucun doute la proposition de Lactance sur le fait que le Dieu possède la bonté et la

colère.

Augustin avoue ne pas être en mesure d’identifier le mouvement auquel cette doctrine

appartient. Il souligne qu’elle pourrait partager certains traits avec le marcionisme ou le

manichéisme tout en admettant que les manichéens pensent tout de même que le monde est

créé par Dieu même s’ils conçoivent les choses fort différemment des chrétiens110: elle

semble de toute manière se situer entre le manichéisme et le marcionisme sans être ni l’un

ni l’autre111. Il avoue dès lors ne pas savoir de quel courant hérétique il s’agit, mais affirme

qu’il veut passer pour chrétien112. De toute manière, Augustin a déjà mentionné que la

109 Il est possible que Lactance évite de revenir aux Écritures sachant tout à fait que ses adversaires ont de

toute manière une autre interprétation des Écritures, supra n. 21 p. 8. Il faut également considérer que ces

groupes ont tendance à lire l’Ancien Testament de façon littérale et n’acceptent pas l’allégorie: cela les pousse

à rejeter le Dieu de l’Ancien Testament en raison de l’anthropomorphisme. Or, Lactance se trouve dans une

situation délicate, car, tout comme ses adversaires, il lit également les Écritures de manière littérale:

P. MONAT, Lactance et la Bible, 1982, p. 151-152. Contrairement à ces adversaires, il ne redoute pas

l’anthropomorphisme. Si ses adversaires lisent dans l’Ancien Testament que Dieu éprouve de la colère,

Lactance ne le nie pas. Pour lui, il est vrai que Dieu éprouve de la colère et il n’est pas nécessaire pour lui de

revenir aux Écritures pour infirmer ou confirmer cela. Il lui reste toutefois, par la raison, à rendre cette colère

acceptable aux yeux de tous. Il semble qu’il n’a donc aucun autre choix, dans sa position, que d’emmener le

combat sur un autre terrain. Le vrai problème n’est pas un problème d’interprétation des Écritures, car tant les

adversaires de Lactance que lui-même voient dans le Dieu de la Bible un Dieu qui éprouve de la colère. Il ne

s’agit dès lors pas d’un problème d’interprétation et c’est pour cette raison que Lactance se tourne vers des

arguments rationnels. 110 I, 1, 1, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 35, 1-19. 111 M. P. Ciccarese est plutôt d’avis qu’il s’agit d’un groupe près du gnosticisme sans pour autant que l’on

puisse dire qu’il s’agit d’une hérésie spécifique: « Un testo gnostico confutato da Agostino », 1978, p. 25. 112 I, 1, 1, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 35, 15-16.

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pensée de l’auteur qu’il réfute se rattache à la pensée de Marcion, Apelle et Patricius.

Lactance éprouve probablement le même problème: il ne s’attaque donc pas directement à

l’un de ces mouvements, mais plutôt à ce qui soutient philosophiquement ces mouvements.

On pourrait également dire en d’autres termes qu’il s’attaque à une famille d’hérésie. De

plus, même si l’origine de la doctrine patricienne est placée au milieu du IIIe siècle, et si la

doctrine de l’auteur réfuté par Augustin est bien associée à ce courant, rien n’empêche

toutefois que les idées aient évolué au fil du temps et il est difficile d’établir hors de tout

doute que Lactance répond à un courant similaire à celui combattu par Augustin. Quoi qu’il

en soit, il existe en Afrique, à partir de la deuxième moitié du IIIe jusqu’à Augustin, des

doctrines qui proposent le genre d’idées auquel Lactance s’attaque. De toute manière, il

semble qu’à l’époque de Lactance les divers courants deviennent de plus en plus difficiles à

circonscrire, d’où l’appellation de von Harnack « Neu-Marcionitismus ».

D’autres ont noté que ces doctrines ressemblent en quelques points à la pensée

d’Arnobe113. Or, comme il en sera question dans l’analyse de l’argumentatio, il semble que

Lactance s’oppose à plusieurs reprises aux idées d’Arnobe114. Ce dernier partage en effet

quelques traits avec la doctrine du disciple de Fabricius: l’idée que Dieu ne puisse éprouver

de la colère115, qu’il n’est pas le créateur116, qu’il n’agit pas dans le monde117 et la place

113 F. G. Sirna note les ressemblances entre la doctrine contenue dans le Contra aduersarium legis et

prophetarum d’Augustin et la pensée d’Arnobe. Il fonde le lien entre les deux hommes sur le fait qu’ils ont dû

vivre de façon très rapprochée dans le temps et l’espace. Il situe la pensée de Patricius, en suivant la notice de

Filastre, entre la persécution de Dèce et le règne de Constantin: cela correspond donc à une époque où Arnobe

et Lactance auraient pu être au fait de cette hérésie. Or, le rapprochement entre le deux textes, celui

d’Augustin et celui d’Arnobe, est parfois délicat, surtout lorsque l’auteur reprend le passage d’Arnobe qui

traite des fabulae des juifs; Arnobe reprend ici Paul (Tit. 1, 14) et il est difficile d’affirmer hors de tout doute

qu’il s’agit d’une lecture marcionite ou patricienne. F. G. Sirna en couclut toutefois qu’Arnobe partage ce

point de départ du marcionite, qui est le rejet de l’Ancien Testament, mais on ne peut pas déduire cela en

citant simplement Paul, car cet apôtre ne rejettait pas pour autant l’Ancient Testament, fut-il critique à

l’endroit de certaines forme d’interprétations à propos de la Loi. En dehors de cet exemple, il est certain que

les deux auteurs, Arnobe et Fabricius, proposent une anthropologie pessimiste, et rejettent que le Dieu

suprême soit le créateur de ce monde et qu’il le dirige. Cf. F. G. SIRNA, « Arnobio e l’eresia marcionita di

Patrizio », 1964, p. 37-50. 114 C’est également ce que pense R. J. Hallman: « In reaction to Arnobius, he argues that God must react to

the world in a providential manner, and that this reaction must include emotions »: « The Mutability of God:

Tertullian to Lactantius », Theological studies 42 (1981), p. 392. 115 Arnobe traite à plusieurs endroits de la colère des dieux: I, 17-19 et 23, III, 11 et 19. Concernant la colère

des dieux, H. Inglebert explique que dans l’esprit d’Arnobe, la colère est incompatible avec l’essence

immortelle des dieux: « Arnobe et l’histoire de Rome », 1999, p. 154. Pour J. R. Hallman, l’impassibilité

divine est l’idée théologique principale du Aduersus nationes (p. 386) et il mentionne aussi qu’Arnobe « […]

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importante accordée au fatum118 – ce dernier point rapproche Arnobe des adversaires des

Recognitiones représentés par le vieillard. En dehors de ces quelques similitudes, on

remarque également qu’Arnobe rejette l’idée que Dieu ait une forme119, ce qui fait de sa

denies the possibility of divine emotions and mutability because of his concern to distinguish the Christian

God from the many deities of Greece and Rome. He takes refuge, one might suggest, in Epicurus, thereby

ruling out any rational understanding of God’s mutability »: « The Mutability of God: Tertullian to

Lactantius », 1981, p. 392. 116 La pensée d’Arnobe sur le rôle créateur de Dieu peut être parfois confuse. En I, 33 (CUF, éd. Le Bonniec,

p. 159), il déclare Dieu le quaecumque sunt moderator et cunctorum dominus, en I, 38, 8 il le nomme encore

dominus rerum, le Maître de toutes choses, mais est-ce que cela implique nécessairement qu’il accepte que

Dieu soit le créateur du monde à la place d’un démiurge? A priori non, mais en I, 38, il montre que c’est Jésus

qui a révélé la vraie nature du Dieu et que le monde a été constituté et fait par lui (quo patre mundus iste sit

constitutus et conditus). Concernant l’âme humaine, il affirme que Dieu ne peut l’avoir créée car il serait

incapable de faire quelque chose d’imparfait (II, 46). Que peut-on dire du reste s’il n’a pas créé l’âme

humaine? Concernant le reste, il montre que certaines choses n’ont pas été créées par Dieu comme l’exemple

du loup (I, 11). Bien qu’il soit appelé dominus rerum, Dieu ne semble pas être responsable de la création de ce

qui est imparfait, comme les loups, l’homme et son âme. On ne peut que conclure avec H. Inglebert que « la

très haute idée qu’Arnobe se faisait de la divinité l’a amené à des conclusions radicales. Pour lui, l’être

humain, pitoyable et criminel, n’a pu été créé par Dieu, mais par un démiurge inférieur […] »: « Arnobe et

l’histoire de Rome », 1999, p. 161. 117 Le mot prouidentia n’est utilisé qu’à une seule reprise dans son ouvrage, mais il ne s’agit pas de

Providence divine mais plutôt de la prévoyance; il s’agit d’un passage qui montre que les animaux, comme les

humains, sont capables d’une certaine préoyance: II, 17, CSLP, éd. C. Marchesi, 1953, p. 86, 5-7. Il existe en

revanche plusieurs autres passages qui indiquent qu’Arnobe conclut plutôt que la Providence divine n’existe

pas. En I, 9 et 10 par exemple, le fait qu’il pleuve ou qu’il ne pleuve pas ne dépend pas de Dieu, mais c’est

plutôt par l’intérêt de l’univers que cela est justifié. Il montre par la suite que l’eau s’évapore afin de revenir

en pluie et donc se sert d’une explication scientifique pour montrer ce phénomène: Dieu n’est dès lors pas

actif dans ce processus. Dans les chapitres qui suivent, on voit bien que les maux sont produits par la nature

(I, 11-14). H. Inglebert a déjà noté ces quelques traits chez Arnobe. Pour lui, il ne fait aucun doute qu’Arnobe

rejette la thèse providentialiste païenne (qui veut que les dieux soient responsables des événements dans la

nature), mais il souligne que cet auteur africain n’affirme pas pour autant la Providence chrétienne. Influencé

par la philosophie grecque pour laquelle la Providence divine n’a aucun sens, il propose une synthèse de la

philosophie gréco-romaine et du christianisme. Tout en niant la Providence, il accepte néanmoins le fatum et

la fortuna. Son système est peut-être aussi influencé par la pensée gnostique: ibid., p. 151-164. 118 Il affirme que les chrétiens, contrairement aux juifs, n’attribuent aucune forme à Dieu (III, 12, 2). Ce

passage a été utilisé par F. G. Sirna pour montrer que tout comme le traité de Fabricius réfuté par Augustin,

Arnobe rejette l’interprétation allégorique de la forme de Dieu: « Arnobio e l’eresia marcionita di Patrizio »,

1964. Or, il est vrai que le problème relié à l’exégèse semble être le même, mais le traité de Fabricius ne

mentionne jamais le problème de la forme divine. De plus, le fait de rejetter une approche allégorique ne

prouve pas qu’Arnobe adhère à un « Neu-Marcionitismus », pour reprendre l’expression d’A. von Harnack cf.

supra n. 113 p. 208. Lactance lui-même est très littéraliste et pourtant il accepte que Dieu ait une forme

quelconque; concernant l’exégèse chez Lactance, P. Monat mentionne qu’il est plutôt attiré par la lecture ad

litteram de la Bible et concernant l’allégorie il « […] refusait d’appliquer cette méthode de lecture à la

mythologie antique, [et] l’utilise fort peu dans le domaine scripturaire. »: Lactance et la Bible, 1982, p. 151.

Quoi qu’il en soit, on doit tout de même noter que ce passage d’Arnobe vient tout de suite après le chapitre 11

dans lequel il indique que les dieux ne peuvent être en colère et qu’ils n’interviennent pas dans le

gouvernement du monde et comme ce passage traite de la forme de Dieu, il s’agit donc trois sujets très

présents dans le De ira Dei. Arnobe discute également, plus en détail, du problème de la forme de Dieu en III,

17. 119 I, 31, 2, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 157.

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pensée une cible parfaite pour une réfutation en règle de la part de Lactance. Mais sans

affirmer que Lactance réponde directement à Arnobe, on peut à tout le moins dire qu’il

existe à cette époque dans le nord de l’Afrique des groupes ou des penseurs qui

correspondent aux traits proposés pour ceux qui sont tombés du deuxième échelon – que ce

soit Arnobe, les patriciens ou encore les disciples de Fabricius. Il est peut-être impossible

de découvrir nommément les adversaires de Lactance, mais ces quelques pistes seront

utilisées dans l’analyse pour vérifier s’il s’oppose à des idées proposées par Arnobe ou par

le disciple de Fabricius. Le cas échéant, cela permettra de mieux comprendre que l’ouvrage

de Lactance s’oppose à des courants chrétiens plutôt qu’à Épicure et que ce dernier ne sert

que de figure.

En dehors d’Arnobe et de ce disciple de Fabricius, il faut également mentionner

qu’on compte beaucoup de courants en ébullition dans l’Empire. On peut mentionner que

les disciples d’Apelle sont à l’œuvre et que les Recognitiones s’opposent précisément à ce

mouvement en quelques endroits120. Il faut dès lors voir, lorsque Lactance reprend les

arguments proposés par les Recognitiones, s’il s’en prend au même groupe.

Les manichéens sont également présents dans l’Empire à cette époque et, même s’il a

déjà été mentionné que ceux-ci ne rejettent pas la Providence divine, on note toutefois que

certains arguments, notamment chez Titus de Bostra, correspondent à certains proposés par

Lactance: est-ce que ces arguments ne correspondent qu’à la réalité des manichéens ou

peuvent-ils être appliqués à d’autres groupes? Cela sera traité dans l’analyse des arguments

utilisés par Lactance.

Même si l’analyse révèle que beaucoup d’arguments peuvent en fait s’opposer au

disciple de Fabricius et à Arnobe, on doit garder en tête que Lactance semble aussi mettre

beaucoup l’accent sur la source de ce qu’il considère comme des erreurs. Les mouvements

philosophiques, les épicuriens en particulier, sont dès lors représentés comme source de la

pensée de ces mouvements. Comme il a déjà été mentionné, il est parfois difficile d’y voir

120 F. S. Jones montre que certains passages des Recognitiones répondent plutôt à la doctrine d’Apelle qu’à

celle de Marcion: « Marcionism in the Pseudo-Clementines », dans A. Frey et R. Gounelle (dir.), Poussières

de christianisme et de judaïsme antiques: études réunies en l’honneur de Jean-Daniel Kaestli et Éric Junod,

Prahins, Éditions du Zèbre, 2007, p. 229-230.

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clair sur l’identité réelle de ces groupes, comme en témoigne le commentaire d’Augustin au

début de son Contra aduersarium legis et prophetarum121, et il n’est pas exclu que

Lactance ne sache pas bien définir ces groupes. En utilisant la figure d’Épicure pour contrer

ces doctrines, il utilise un lieu de l’hérésiologie sans pour autant avoir à identifier son

adversaire. L’accent qu’il met d’emblée sur les erreurs des philosophes (1, 2) et sur le fait

que l’on ne peut parvenir à la vérité par les conjectures mais plutôt par la révélation divine

(1, 3-5), montre l’enjeu de son traité. Aux divers groupes qui se disent chrétiens, il rappelle

que la doctrine doit être exempte de la philosophie grecque car loin de Dieu tout est rempli

d’erreur (1, 6); cela le pousse à dire que c’est Dieu qu’il faut connaître (1, 9) et c’est

précisément ce que les groupes tombés du second échelon ont mal compris: la nature

divine. Cette remarque donne place au fait que le culte de Dieu est toujours combattu (1, 9,

SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 92, 43-45): […] cuius religio multis modis inpugnari solet ab

his qui neque ueram sapientiam tenere potuerunt neque magni et caelestis arcani

conprehendere rationem122. C’est la dernière phrase qui laisse place par la suite aux

diverses positions analysées précédemment. Si donc on trouve au deuxième échelon les

gens contre qui Lactance prépare son argumentation, que ceux-ci sont issus de groupes qui

gravitent près du christianisme et dont l’identité est parfois difficile à cerner, on peut penser

que les diverses façons de s’attaquer au christianisme ne concernent pas les persécutions: il

faut peut-être comprendre que le christianisme est menacé par le fait qu’il existe des

doctrines erronées et c’est ce qu’il compte combattre. S’il s’agit de persécution, comme on

pourrait s’y attendre, pourquoi mentionne-t-il que l’on s’attaque au christianisme multis

modis? Il semble que de mentionner que l’on peut le faire de bien des manières, sous

entend d’emblée qu’il ne s’agit pas de la manière habituelle de s’y attaquer.

4.2.2. Narratio (2, 9-5, 17)

L’analyse de la narratio permet encore une fois de montrer que Lactance transforme

la pensée épicurienne et que cela confirme encore une fois qu’il emploie peut-être la figure

d’Épicure comme un lieu hérésiologique. Lactance présente quatre positions possibles

121 Supra n. 110 p. 207. 122 « […] [le Dieu] dont la religion a l’habitude d’être combattue de bien des façons par ceux qui ne peuvent

connaître la vraie sagesse ni comprendre la doctrine du grand mystère céleste. »

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concernant la colère divine. Puisque la colère et la bonté sont opposées, on doit dès lors

considérer que Dieu possède: 1) soit la colère sans la bonté, 2) soit ni l’une ni l’autre, 3)

soit la bonté sans la colère et, enfin, la position que Lactance défend, 4) soit la colère et la

bonté123.

Il mentionne que personne n’a jamais proposé la première possibilité: Dieu n’éprouve

que de la colère sans la bonté. Mais à la lecture des quelques phrases qui décrivent cette

position, on note que, même s’il affirme que personne n’a jamais formulé cette pensée,

l’idée exposée pourrait être rapprochée du marcionisme ou de la pensée gnostique (3, 3-3,

4, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 98, 11-18):

[…] si deus est auctor malorum, esse alterum necesse est qui contraria deo

faciat et det nobis bona. Si est, quo nomine appellandus est? Aut cur nobis qui

male facit notior est quam ille qui bene? Si autem nihil potest esse praeter

deum, absurdum est et uanum putare diuinam potestatem, qua nihil est maius,

nihil melius, nocere posse, prodesse non posse […]124

Il conclut que, par cette position, Dieu ne serait qu’un tortionnaire et un bourreau, ce qui

n’est pas sans rappeler le passage issu du texte qu’Augustin réfute et qui présente le Dieu

de la Loi et des prophètes comme cruel125. De plus, cette description suggère fortement la

présence d’un démiurge qui serait en dessous du Dieu véritable comme on trouve à

plusieurs endroits chez les marcionites et les gnostiques – ainsi que chez le disciple de

Fabricius126. Pourquoi donc, dire que personne n’a jamais affirmé que le Dieu de l’Ancien

Testament, ou démiurge dans ce cas, est uniquement méchant lorsque plusieurs groupes

issus du christianisme ont affirmé précisément cela? Lactance, qui pense que le Dieu est

unique, qu’il a créé le monde et le gouverne, ne peut accepter cette idée que le monde est la

création d’un autre dieu, mauvais, à côté du Dieu suprême qui ne serait plus provident. Le

123 2, 9-2, 10, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 96, 45-54. 124 « […] si Dieu est l’auteur des maux, il est nécessaire qu’il s’en trouve un autre pour faire des choses

contraires à ce Dieu et donner des biens. S’il existe, par quel nom doit-on l’appeler? Ou encore pourquoi

connaîtrions-nous davantage celui qui fait le mal que celui qui fait le bien? Or, s’il ne peut en exister un autre

à côté de Dieu, il est absurde et vain de penser que la puissance divine, par laquelle rien n’est plus grand ni

meilleur, puisse nuire mais ne pourrait venir en aide […] » 125 I, 16, 30, Contra aduersarium legis et prophetarum, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 57, 681-682; I, 16, 33,

p. 61, 784. 126 M. P. Ciccarese note que le texte comporte une opposition fondamentale entre le Dieu de l’AT et celui du

NT: « Un testo gnostico confutato da Agostino », 1978, p. 24.

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simple fait qu’il tente de réconcilier ces deux traits de caractère opposés, soit la bonté et la

colère, devrait mettre les lecteurs sur la piste de l’hérésiologie. À la lecture de ces quelques

lignes, il est difficile de repousser l’idée que Lactance avait en tête les groupes marcionites

ou apparentés.

Lactance poursuit sa narratio avec la deuxième proposition, à savoir que Dieu

n’éprouve ni colère ni bonté: c’est selon cette proposition que Lactance entend présenter la

pensée d’Épicure. Que Dieu possède à la fois bonté et colère est non seulement une idée

centrale au De ira Dei – on remarque dès la première phrase que cette idée est présentée

comme un paradoxe127 –, mais il s’agit également de la propositio que ce traité entend

défendre128. Comme il a déjà été mentionné, il semble que le traité de Lactance ne présente

pas un portrait fidèle de la pensée d’Épicure129. Si l’on fait une comparaison avec la pensée

du philosophe contenue dans le De ira Dei et celle trouvée dans les Diuinae institutiones,

on remarque que Lactance n’est pas non plus fidèle à sa propre représentation de la

philosophie épicurienne. Le chapitre 17 du troisième livre des Diuinae institutiones

présente cette doctrine comme très populaire dans l’Antiquité130, en expose les grands traits

et la critique du même coup. Lactance affirme qu’aucune autre philosophie ne penche

autant vers les vices131 et souligne également le caractère démagogique du discours

épicurien en ce qu’il s’adresse aux penchants naturels de chacun132: ce discours interdit aux

indolents d’étudier les lettres133, il libère les avares des largesses134, il défend aux paresseux

de s’investir dans les affaires d’État135 et aux timides de rejoindre le service militaire136, il

127 1, 1, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 90, 1-7. 128 6, 1-6, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 110, 1-11. 129 Supra p. 189. Ce trait de caractère est vrai pour d’autres arguments présentés dans le De ira Dei sous

l’autorité d’Épicure, mais qui ne font pas partie de la présente étude. On pense dès lors au passage VII, 5, 1-3

des Diuinae institutiones qui répond à Épicure que Dieu fait l’homme pour lui-même. Or, cette thématique est

abordée dans le De ira dei au chapitre14: la même question est abordée, pourtant les réponses sont différentes

et Épicure n’est jamais nommé. 130 III, 17, 2, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 1. 131 III, 17, 2, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 3. 132 III, 17, 3, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 4-5. 133 III, 17, 3, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 5. 134 III, 17, 3, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 6. 135 III, 17, 3, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 6-7. 136 III, 17, 3, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 7.

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ordonne à la personne inhumaine de n’accorder rien à personne et suggère au sage de faire

toutes choses pour lui-même137. Il apprend à l’homme irréligieux que les dieux n’ont soin

de rien (deos nihil curare)138. La fuite vers la solitude est louangée139, on enseigne aussi

que l’on peut survivre seulement avec de l’eau et de l’orge140. Pour celui qui déteste les

femmes, on énumère les biens du célibat141 et ainsi de suite. Il souligne aussi qu’Épicure

avait remarqué que certains hommes étaient frappés par le malheur; tandis que les méchants

étaient heureux142, les malheurs arrivaient aux hommes pieux et pas aux impies143. Épicure

conclut donc que la Providence ne pouvait exister144. Lactance essaie par la suite de

montrer qu’Épicure a tort et que la Providence existe. Pour ce faire, il emploie l’argument

de l’ordre. Pourquoi, si la Providence n’existe pas, tout est arrangé de façon admirable?145

Il propose dès lors quelques exemples tirés de la nature pour montrer que la Providence agit

dans le monde et, par la suite, il montrera que la théorie des atomes ne peut rendre compte

d’une telle disposition.

Plus loin il s’attaque également à l’une des idées principales d’Épicure: la peur de la

mort146. Lactance reproche principalement à Épicure de supprimer la peur de la mort et en

conséquence, s’il persuade les gens de plus redouter le jugement après la mort, plus

personne ne s’abstiendra de commettre des crimes147. Rien ne peut donc empêcher les vices

et les crimes si l’homme n’a pas peur de la mort et du jugement. Or, il ne peut y avoir de

jugement si Dieu ne s’intéresse pas aux affaires humaines148. À cela, il ajoute un élément

intéressant: sapientis est enim male facere, si et utile sit et tutum, quoniam si quis in caelo

137 III, 17, 4, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 9-10. 138 III, 17, 4, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 8. 139 III, 17, 5, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 10. 140 III, 17, 5, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 11. 141 III, 17, 5, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 11-12. 142 III, 17, 8, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 260, 6-9. 143 III, 17, 9, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 14-18. 144 III, 17, 16, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 261, 19-p. 262, 2. 145 III, 17, 18, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 262, 9-12. 146 III, 17, 2, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 1. 147 III, 17, 36, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 266, 6-7. 148 III, 17, 36, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 259, 10.

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deus est, non irascitur cuiquam149. Il s’agit du seul passage qui note que la pensée

épicurienne n’accepte pas la colère divine. Contrairement au De ira Dei, les Diuinae

institutiones ne mettent jamais l’accent sur le fait que Dieu n’éprouve aucun sentiment,

même si cela fait bien partie de la doctrine épicurienne.

Ce passage diffère considérablement du portrait d’Épicure présenté dans le De ira

Dei et, qui plus est, correspond davantage à ce que l’on connaît de la pensée du philosophe

du jardin. D’une part, la Providence n’est pas exprimée dans les mêmes termes: elle est

présentée comme responsable du bon ordre des choses qui sont sur terre, que ce soit

l’agencement des membres des animaux ou le fait qu’il pleuve au bon moment. Par le bon

agencement des animaux, on remarque que la Providence divine est responsable de la

création du monde et, par le fait qu’il pleuve, on note que la Providence est toujours active

en ce monde. Mais le De ira Dei indique que la conséquence du rejet de la Providence

affecte le caractère divin de Dieu, ce qui n’est jamais mentionné dans les Diuinae

institutiones150: bien entendu, le De ira Dei s’adresse principalement à des chrétiens pour

les mettre en garde contre les déviations des gens issus du deuxième échelon qui n’ont pas

une bonne compréhension de la nature divine151. D’autre part, Lactance accuse Épicure de

mettre en danger la cohésion sociale si les hommes n’ont plus peur de la mort et, plus

particulièrement, du jugement qui vient après. La peur de la mort et l’immortalité de l’âme

ne font pas partie des discussions dans le De ira Dei et on remarque que le fait que Dieu

intervienne dans les affaires humaines a plutôt pour conséquence de réprimer les désirs des

hommes152 et de rendre la vie meilleure et plus sûre153. De plus, on comprend également

que le jugement dont il est question est dans les temps présents et sert à corriger154.

149 « Il est sage de faire le mal si cela est utile et prudent, car si quelque dieu se trouve au ciel, il ne s’irrite

contre personne. » 150 4, 5, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 100, 21-24. 151 2, 5, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 94, 24-26. 152 12, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 150, 7-8. 153 19, 6, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 188, 24-26. 154 17, 20, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 180, 104-105.

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De retour au De ira Dei, on apprend dès le départ qu’un point important de la pensée

d’Épicure est que Dieu n’éprouve pas de colère, mais pas de bonté non plus155. D’entrée de

jeu, ce qui était à peine mentionné du bout des lèvres dans les Diuinae institutiones, à

savoir que Dieu n’éprouve pas de colère, devient un aspect fort important, on le comprend,

dans le traité sur la colère. De plus, on apprend qu’Épicure n’entrevoit pas la possibilité que

Dieu puisse ressentir de la bonté, ce qui était absent des Diuinae institutiones: Épicure

conçoit un Dieu que rien n’ébranle. Ce qui contrarie Lactance dans la proposition d’Épicure

est que Dieu n’a aucune préoccupation et n’en suscite aucune, ce qui a des conséquences

quant à la Providence divine (4, 4, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 100, 14-17): Et quae

maior, quae dignior administratio deo adsignari potest quam mundi gubernatio, quam cura

uiuentium maximeque generis humani cui omnia terrena subiecta sunt?156 Pour Lactance, le

fait que Dieu n’éprouve ni colère ni bonté met en péril la Providence divine: il faut noter

dans ce passage que non seulement la place de Dieu est clairement indiquée, c’est-à-dire

celui qui gouverne le monde, mais également la place de l’homme. Il rappelle que la

création a été soumise à l’homme, ce qui le responsabilise en quelque sorte. On sait par

ailleurs que l’épicurisme est en faveur d’un certain détachement du monde – détachement

de la cité dans le cas de l’épicurisme. Quand est-il des adversaires de Lactance? Les divers

groupes mentionnés précédemment, qui appartiendraient peut-être à une nouvelle forme de

marcionisme, sont peut-être visés.

Lactance formule un reproche qui n’était pas énoncé dans ses Diuinae institutiones

(4, 5, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 100, 18-20): Quae igitur in deo potest esse beatitudo, si

semper quietus et inmobilis torpet, si precantibus surdus est, si colentibus caecus?157 On

remarque que cette idée est en quelque sorte reliée au culte et n’apparaît pas dans les

Diuinae institutiones. Lactance ajoute (4, 5-4, 6, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 100, 20-24):

Quid tam dignum, tam proprium deo quam prouidentia? Sed si nihil curat, nihil prouidet,

amisit omnem diuinitatem. Qui ergo totam uim, totam substantiam deo tollit, quid aliud

155 4, 1, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 98, 1-2. J. I. Campbell souligne que cet aspect est absent des Diuinae

institutiones: « The Angry God: Epicurians, Lactantius, and Warfare », 2003, p. 49. 156 « Et quelle plus grande et plus digne administration peut être assignée à Dieu que de gouverner le monde,

que le soin des vivants et tout spécialement du genre humain à qui a été soumis toute la terre? » 157 « Quelle béatitude peut se trouver en Dieu si toujours, apaisé et insensible, il s’immobilise, s’il n’entend

pas les prières pas plus qu’il ne voit ses adorateurs? »

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dicit nisi deum omnino non esse?158 Cette idée, que si Dieu ne fait pas preuve de

providence, il n’est tout simplement pas, ne se trouve pas dans les Diuinae institutiones et,

pourtant Lactance avait souligné les problèmes reliés à l’absence de la Providence divine

chez Épicure. Il cherche dès lors à mettre l’accent sur le problème de ces groupes qui

minimisent l’action de Dieu dans le monde et indique qu’on ne peut rejeter la Providence

divine sans créer un problème logique quant à l’existence même de Dieu. En d’autres

termes, tandis que les Diuinae institutiones traite des problèmes de la Providence générale

(Dieu a créé le monde), le De ira Dei met l’accent sur un problème de Providence

particulière (Dieu gouverne le monde).

Si l’on poursuit l’analyse de la narratio, on note que Lactance mentionne la difficulté

fondamentale de ceux qui n’acceptent pas que Dieu puisse se mettre en colère (4, 10, SC,

289, éd. C. Ingremeau, p. 102, 38-42): Prima autem sententia fuit iram in deum non

conuenire. Quod cum illi uerum et inexpugnabile uideretur, non poterat consequentia

resecare, quia uno adfectu amputato etiam ceteros adfectus adimere deo necessitas ispa

cogebat159. Cette phrase pourrait également convenir à un Marcion, à un gnostique ou à

leurs successeurs qui retirent la colère à Dieu. Lactance expose donc la conséquence

logique de ce retrait: si l’on enlève un seul sentiment à Dieu, il faut tous les enlever. Bien

entendu, Marcion n’a jamais dit qu’il fallait retirer à Dieu les bons sentiments, comme la

bonté, mais Lactance pousse la logique du marcionisme, ou d’un autre mouvement, jusqu’à

son développement ultime et c’est l’utilisation de la figure d’Épicure qui lui permet cela.

Seule entrave à ce raisonnement est la conclusion de la portion de la narratio

consacrée à Épicure. En récapitulant les quelques arguments proposés, il indique

qu’Épicure est descendu graduellement et s’est arrêté au premier échelon pour accéder à la

vérité160. D’une part, Lactance mentionne que son exposé s’adresse aux gens qui se

158 « Quoi de plus digne, de plus propre à Dieu que la Providence. Mais s’il ne s’occupe de rien, qu’il ne

pourvoit jamais, il a perdu toute sa divinité. Celui donc qui enlève toute puissance, toute substance à Dieu,

qu’affirme-t-il d’autre que Dieu n’existe pas tout à fait? » 159 « Sa première idée fut cependant que la colère ne convenait pas à Dieu. Comme cela lui a semblé vrai et

inexpugnable, il n’a pu supprimer ce qui s’en suit, parce que, une fois un seul sentiment retranché, la nécessité

même exigait d’enlever à Dieu tous les autres sentiments. » 160 4, 13, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 102, 54-55.

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trouvent au deuxième échelon et qui ont de la difficulté à bien concevoir la nature divine161.

Cela montre une fois de plus que son traité ne peut être dirigé à l’endroit des épicuriens qui

n’appartiennent pas à la deuxième position. D’autre part, les groupes gnostiques ou

marcionites sont placés dans la troisième position pour accéder à la vérité, ce qui en

conséquence les disqualifie tout comme Épicure. Mais cela n’empêche pas que les

adversaires de Lactance partagent quelques traits gnostiques ou marcionites et comme il a

été mentionné, le troisième échelon représente les groupes qui ont des problèmes quant à la

christologie, tandis que le deuxième renvoie à des groupes qui comprennent mal la nature

de Dieu; cela n’empêche aucunement que des groupes issus du marcionisme puissent

appartenir au deuxième échelon quant aux problèmes reliés à la nature divine162.

Le reste de la narratio est consacrée à l’école stoïcienne qui propose la troisième

possibilité, à savoir, que Dieu éprouve de la bonté mais aucune colère. Il indique en premier

lieu qu’on pense que les stoïciens ont mieux compris ce problème163 et que leur position,

que Dieu n’éprouve que de la bonté, plaît aux foules164. Le fait de considérer le Dieu

suprême comme capable de bonté uniquement, et pas de colère, rappelle encore une fois les

tendances marcionites et gnostiques

4.2.3. Propositio: Dieu se met en colère car il est mû par la bonté (6, 1-6, 2)

À la fin de la narratio, au lieu de proposer une diuisio, Lactance présente la

propositio dont dépendent les divers arguments du De ira Dei. Il est possible pour

l’écrivain d’inclure, à la place de la diuisio, une propositio; celle-ci représente en quelque

sorte le noyau du contenu exposé dans la narratio, elle apparaît également comme un

sommaire de cette narration et, enfin, elle constitue une introduction à l’argumentatio165.

On remarque cela sans peine au début de cette propositio (6, 1, SC, 289, éd. C. Ingremeau,

p. 110, 1-2): Hae sunt de deo philosophorum sententiae, aliud praeterea nihil quisquam

161 Supra n. 64 p. 196. 162 Supra p. 195. 163 5, 1, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 104, 1-3. 164 5, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 104, 4. 165 H. LAUSBERG, Handbook of Literary Rhetoric: a Fondation for Literary Study, Leiden Brill, 1998, § 289

et § 348.

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dixit166. Cette phrase met donc un terme à la narratio. Lactance propose par la suite ce qui

constitue l’essentiel de son argumentatio (6, 1-6, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 110,

2-11):

Quod si haec quae dicta sunt falsa esse deprehendimus, unum illud extremum

superest in quo solo possit ueritas inueniri, quod a philosophis nec susceptum

est umquam nec aliquando defensum, consequens esse ut irascatur deus,

quoniam gratia commouetur. Haec tuenda nobis et adserenda sententia est: in

eo enim summa omnis et cardo religionis pietatisque uersatur. Nam neque

honor ullus deberi potest deo, si nihil praestat colenti, nec ullus metus, si non

irascitur non colenti167.

On peut résumer cette propositio en deux moments. Le premier concerne la dernière

position philosophique qui n’a jamais été formulée par les philosophes: Dieu peut se mettre

en colère parce qu’il éprouve de la bonté. Parce qu’il peut se mettre en colère, cela signifie

que l’homme doit le craindre168. La relation bienveillante entre Dieu et les hommes est

reformulée dans la suite du passage: Dieu est bienveillant si on lui offre un culte, et il peut

être en colère si on lui refuse; cette façon d’envisager la religion est très romaine169. Arnobe

s’oppose justement à cette idée; bien entendu, il répond aux non-chrétiens qui accusent les

chrétiens d’avoir délaissé le culte, mais sa conception du divin et de la religion demeure

tout de même à l’opposé de celle de Lactance (III, 24, 3, CUF, J. Champeaux, p. 19): Hoc

est enim proprium dei potentis ac ueri, inexorata beneficia praebere fessis atque inualidis

rebus et multiformi semper asperitate uallatis170. Il considère par ailleurs que cela signifie

que les divinités vendent leurs faveurs171 (VII, 12, 12, CUF, éd. B. Fragu, p. 35): Aut enim

166 « Ce sont les positions des philosophes au sujet de Dieu et outre cela, personne n’a formulé rien d’autre. » 167 « Parce que si nous avons reconnu comme fausses ces positions, il ne reste seulement plus que la dernière

position dans laquelle nous pouvons trouver la vérité, celle que les philosophes n’ont en aucun cas envisagée

ni jamais défendue; il s’ensuit que Dieu se met en colère parce qu’il est mû par la bonté. Cette position, nous

devons la soutenir et l’affirmer: en effet, le point culminant et le cœur de la religion et de la piété repose sur

cette position. De fait, il est impossible de devoir quelque honneur que ce soit à Dieu s’il ne garantit rien à

celui qui lui rend un culte; il n’est pas non plus possible de lui devoir aucune crainte s’il ne se met pas en

colère contre celui qui ne lui rend pas culte. » 168 Selon les Homiliae, on doit préférer la crainte à l’amour (IV, 1, 3) et l’on doit craindre Dieu comme un être

juste (X, 5, 2). 169 C’est avec raison que J. Penwill indique que cela réduit la culte à n’être qu’un do ut des, une transaction

commercial entre les dieux et les hommes: « Does God care? », 2004, p. 28. 170 « Cela est en effet le propre du Dieu puissant et véritable d’offrir des bienfaits que l’on n’a pas demandés à

des gens fatigués et impuissants, toujours accablés de manière dure et variée. » 171 III, 24, 3, CUF, J. Champeaux, p. 19.

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fato fiunt quaecumque fiunt, et ambitionis et gratiae nullus locus in diis est: aut si

excluditur et eicitur fatum, non est superae dignitatis boni operis fauores ad conlatas

munificentias uenditare172. Cette idée est dès lors à l’opposé de ce que l’on trouve chez

Lactance qui propose que le Dieu est bienveillant à condition qu’on lui offre un culte –

Arnobe se distingue de Lactance à plusieurs égards173. Les Recognitiones font par ailleurs

un lien entre la pensée exprimée par Arnobe et le destin – Arnobe accepte le destin tout en

écartant la Providence divine174 – (VIII, 12, 1-4, GCS, éd. B. Rehm, p. 223, 23-p. 224, 5):

Prima ergo illa propositio, quae dicit, quia ab initio deus fecerit omnia et cursu

atque ordine rebus inposito de reliquo nihil ad se revocet, secundum genesim

geri cuncta confirmat. Ad hoc ergo primo respondebimus, et his praecipue qui

deos colunt et genesim defendunt, qui utique cum immolant diis et exorant eos,

sine dubio contra genesim se impetraturos aliquid sperant et per hoc genesim

soluunt. Cum uero rident eos qui ad uirtutem prouocant et ad continentiam

cohortantur, et dicunt, quia nemo potest facere aliquid aut pati, nisi quod ei

fato decretum est, omnem profecto cultum divinitatis abscidunt. Quid enim

colas eos, a quibus promereri nihil possis, quod non patiatur ratio decreti?175

Tout comme les adversaires des Recognitiones qui, d’une part, nient la prouidentia et,

d’autre part, accordent une place importante au fatum, Arnobe refuse d’accorder à la

172 « De fait, ou bien tout ce qui arrive se produit en raison du destin et il n’y a aucune place pour l’ambition et

la grâce chez les dieux; ou bien si le destin est enlevé et rejeté, le propre de la dignité supérieure n’est pas de

vendre la faveur de ses bonnes œuvres en échange de générosités. » 173 Il faut rappeler à cet effet quelques lignes de R. Pichon sur Arnobe: « Car Arnobe met Dieu très loin de

l’homme, et supprime presque tout lien entre lui et nous. Dieu agit, entend, voit, sait à sa manière, non à la

nôtre; à peine peut-on sans insulte lui prêter nos vertus. Il ne peut ressentir ni colère ni pitié; il ne vend point

ses bienfaits: il n’a donc nul besoin de sacrifices ni même de prières. »: Lactance... 1901, p. 52-53. 174 Supra n. 117 p. 209. H. Inglebert fait également remarquer que cette façon de concevoir est très loin d’être

la conception romaine du culte: « On était très loin de la religion civique romaine fondée sur la paix des

dieux, ce qui supposait une intervention constante des dieux dans l’histoire pour aider ou châtier l’état romain,

et encore plus loin de la tradition biblique où Dieu dirigeait l’histoire. »: « Arnobe et l’histoire de Rome »,

1999, p. 155. 175 « Cette première proposition, qui affirme que depuis le commencement Dieu a fait toutes choses et, après

qu’il ait imposé la course et l’ordre des choses, il ne s’occuperait de rien, cette proposition confirme que tout

est gouverné selon la position des astres à la naissance. À ce sujet, nous répondrons donc d’abord

particulièrement à ceux qui à la fois adorent les dieux et défendent l’horoscope, eux qui certainement

lorsqu’ils immolent aux dieux et les supplient espèrent sans aucun doute obtenir quelque chose nonobstant la

position des astres: ils anéantissent donc l’horoscope. Mais lorsqu’ils ridiculisent ceux qui excitent à la vertu,

et exhortent à la continence, et lorsqu’ils disent qu’à moins que cela n’ait été décrété par le destin, personne

ne peut faire ou subir quelque chose, ils suppriment complètement tout culte de la divinité. Qui en effet adore

les dieux, de qui il ne peut rien se mériter à moins que le destin ne le permette. »

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Providence divine un rôle dans le monde. Cela le pousse à anéantir la possibilité du culte176

comme met en garde l’auteur des Recognitiones. Il existe donc au temps de Lactance des

gens qui, en plus de nier que Dieu puisse se mettre en colère, nient son action dans le

monde ce qui, dans le texte des Recognitiones et le De ira Dei, provoque l’anéantissement

de la religion et de la piété. Même si le De ira Dei n’est pas très spécifique au sujet du

destin et de l’astrologie, on peut penser que les arguments et les enjeux sont les mêmes que

dans les Recognitiones en raison de la convergence de bon nombre d’arguments dans les

deux textes.

Lactance propose aussi qu’un équilibre entre bonté et colère soit le fondement de la

relation entre l’homme et Dieu. Une lecture complète des arguments proposés révèle que la

crainte, qui n’est pas au premier plan dans cette propositio, est en fait très importante dans

la pensée de Lactance. Dans sa querelle avec Épicure, il conclut sa refutatio avec ce

raisonnement (8, 7, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 118, 32-38):

Quod si religio tolli non potest ut et sapientiam, qua distamus a beluis, et

iustitiam retineamus, qua communis uita sit tutior, quomodo religio ipsa sine

metu teneri aut custodiri potest? Quod enim non metuitur, contemnitur, quod

contemnitur, utique non colitur. Ita fit ut religio et maiestas et honor metu

constet; metus autem non est ubi nullus irascitur177.

Lactance désire aller encore plus loin que ce qu’il expose dans la narratio, il ne veut pas

simplement ajouter une position philosophique. De plus, il propose une définition de la

religion qui est fondée sur la crainte de Dieu, crainte qui suppose la colère (11, 16, SC, 289,

éd. C. Ingremeau, p. 148, 82-83): Adeo religio esse non potest ubi metus nullus est178.

L’idée principale de l’argumentatio qui suit est dès lors de prouver que le fondement de la

176 Concernant cet aspect de la pensée d’Arnobe R. Pichon indiqu que « le seul culte envers lui [Dieu] est de

comprendre sa grandeur. Arnobe place l’homme si bas qu’il lui ôte presque le pouvoir d’adorer. Toute cette

argumentation sceptique et pessimiste est originale, et repose sur un sentiment très vif de l’humaine faiblesse.

Est-elle bien prudente? […] Arnobe joue un jeu dangereux, en s’exposant à ce que ses attaques contre le

dogmatisme philosophique se retournent contre la religion »: Lactance... 1901, p. 53. La vue pessimiste de

l’homme sera par ailleurs abordée dans le De ira Dei et l’on voit encore une fois que Lactance répond en

quelque sorte à certains arguments présents chez Arnobe. Infra p. 232-234. 177 « S’il est impossible d’enlever la religion et de conserver à la fois la sagesse, qui nous distingue des bêtes,

et la justice, par laquelle la vie en société est plus sûre, comment la religion même peut-elle être gardée ou

conservée sans la crainte? De fait, ce que l’on ne craint pas, on le méprise, et ce que l’on méprise, on ne lui

rend certainement pas un culte. Il en résulte donc que la religion, la dignité, l’honneur repose sur la crainte; or,

la crainte n’existe pas là où personne ne se met en colère. » 178 « À tel point qu’on ne peut trouver de religion là où il n’existe aucune crainte. »

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religion est la crainte de Dieu, crainte qui n’est possible que si Dieu peut éprouver de la

colère et, pour ce faire, il doit pouvoir éprouver de la bonté tout autant que de la colère.

Si l’on compare avec ce que l’on trouve dans le corpus des Clementina, on remarque

que le lien entre la colère divine et la religion n’est pas exprimé de façon aussi claire. Or, le

lien entre les thèmes centraux du De ira Dei et des Recognitiones a été mis en lumière dans

les chapitres précédents179 au sujet des philosophes qui nient la colère divine, qui enlèvent

l’utilité de la religion et qui ne comprennent pas que la colère divine existe pour corriger

sans pour autant être une perturbation de l’âme180. Même si le lien entre les deux textes est

très fort, il faut toutefois mentionner que la notion de colère divine est exprimée

différemment dans les Clementina en dehors de ces quelques chapitres. C’est plutôt la

question du Dieu juste, du Dieu du jugement et du jugement lui-même qui est exprimée à

travers les Homiliae et les Recognitiones. La tension entre bonté et colère exprimée chez

Lactance devient une tension entre le Dieu bon et juste. Il s’agit dès lors d’une divergence

d’expression, mais les questions restent les mêmes, car on perçoit que la préoccupation de

Lactance est de justifier le jugement divin qui s’avère être reformulé par la colère divine

dans son ouvrage. La question de savoir si Dieu peut être à la fois bon et en colère est une

autre façon de se demander si Dieu est bon et juste.

Une fois cette idée reformulée dans le vocabulaire des Clementina, c’est-à-dire selon

une tension entre le Dieu bon et juste, on trouve plus facilement des extraits qui relient cette

tension aux fondements de la religion (Recognitiones, III, 39, 2, GCS, éd. B. Rehm, p. 124,

4-6): […] Quaeramus, inquit, prius, si iustus est deus; quod si claruerit, integer profecto

religionis ordo constabit181. L’ordo integer, c’est-à-dire l’ordre primitif, l’ordre antérieur

de la religion, s’accordera avec son aspect achevé, donc ici son accomplissement. On doit

relier cette façon de décrire la religion avec l’idée de la religion originelle182; dans l’esprit

des Clementina et de Lactance, la religion de Dieu était bien connue au départ, mais elle

179 Supra p. 182-184. 180 Supra n. 20 p. 183 et 24 p. 184. 181 « Demandons-nous premièrement, dit-il, si Dieu est juste; si ce point est éclairci, le fondement de la

religion s’accordera avec son accomplissement. » 182 Supra p. 171.

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s’est transformée au fil du temps et c’est ainsi qu’est né le polythéisme. Cette opposition

entre ordo integer et ordo perfectus rend cette idée que l’on doit retourner aux fondements

de la religion qui étaient connus des hommes dès le départ et, ce faisant, on obtient la

religion dans son état achevé.

Dans les Clementina, le fondement de la religion est donc relié à la question du Dieu

juste. Il s’agit d’une phrase tirée d’un échange entre Pierre et Simon – c’est bien entendu

Pierre qui propose cette idée. On doit dès lors, afin de mieux comprendre cette affirmation,

analyser le passage dans lequel elle s’insère. Dans ce passage, Pierre expose des éléments

de sotériologie à Simon: en ce moment, tous bénéficient de la bonté divine, mais pour jouir

éternellement des bienfaits de Dieu, on doit croire non seulement qu’il est bon, mais

également juste et, en conséquence, nous attacher à la justice. Mais Simon n’est pas

d’accord avec cela (Recognitiones, III, 38, 1, GCS, éd. B. Rehm, p. 123, 15-16): Quomodo

potest unum atque idem et bonum esse et iustum?183 Ce à quoi Pierre répond qu’il pleut sur

les bons et les méchants, mais que lors du jugement, la justice de Dieu sera manifestée et

les injustes seront laissés en dehors de son royaume. Simon objecte que tout cela ne tient

que si l’âme est immortelle. Ce thème de l’immortalité de l’âme est très important dans les

Recognitiones et l’ouvrage s’ouvre par ailleurs sur l’obsession de Clément à découvrir si

l’âme est immortelle après la mort184. À cette question de l’immortalité de l’âme proposée

par Simon, Pierre répond que l’on doit d’abord chercher si Dieu est juste afin de trouver le

fondement de la religion – il s’agit ici du passage cité précédemment185.

La question proposée par Lactance, à savoir si Dieu peut éprouver colère et bonté,

dans le but d’établir que la crainte est essentielle à la religion est donc soulevée dans les

Recognitiones: Simon nie que Dieu puisse être bon et juste à la fois, ce à quoi Pierre répond

qu’il y a un jugement après la mort que l’on doit craindre: cette idée du jugement et du

Dieu juste est le fondement de la religion – cela suppose également que l’âme est

immortelle.

183 « Comment un seul et même peut-il être bon et juste? » Cette même idée est également exprimée par

Simon dans les Homiliae XVIII, 1, 1-2. 184 On trouve également la même préoccupation dans les Homiliae II, 13, 1 et 4. 185 Supra n. 181 p. 222.

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Un autre passage des Recognitiones mentionne également que cet aspect de justice

divine est le fondement de la piété et de la religion. Il s’agit cette fois d’un échange qui a

lieu entre Pierre et Clément lors de leur première rencontre. Clément affirme avoir été

transporté par l’affirmation doctrinale de Pierre; il répète les propos de Pierre ainsi (I, 25, 4,

GCS, éd. B. Rehm, p. 22, 18-20): Unus est deus, cuius opus mundus est, quique quia iustus

est omnimodis, unicuique pro actibus suis reddet186. Par la suite, il ajoute (I, 25, 7, GCS, éd.

B. Rehm, p. 22, 24-26): inde denique et ego cum aduertissem in hoc summam totius

religionis pietatisque consistere […]187. On remarque d’emblée que le vocabulaire et la

structure de la phrase sont très similaires au passage du De ira Dei de Lactance:

Recognitiones, I, 25, 7

[…] in hoc summam totius religionis

pietatisque consistere […]

De ira Dei, 6, 2

[…] in eo enim summa omnis et cardo

religionis pietatisque uersatur.

Comme les Recognitiones ont été traduites par Rufin bien après le De ira Dei, ces

ressemblances peuvent suggérer que Lactance avait accès au texte grec que Rufin traduit,

ou qu’il avait lu la Grundschrift. Qu’elles soient tout à fait accidentelles ou qu’elles

émanent d’une source commune, les similitudes entre les deux textes – surtout les

ressemblances des thèmes abordés – invitent à considérer que les opposants décriés dans le

De ira Dei partageaient également des traits spécifiques avec les adversaires de Pierre et

Clément des Clementina. Dans l’analyse des arguments, une attention sera dès lors portée

aux antagonistes des Recognitiones, surtout s’il s’agit de Simon ou du vieillard.

Contrairement aux Clementina qui proposent trois thèmes pour fondement de la

religion, c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul Dieu, qu’il a créé le monde et qu’il jugera tous

selon leurs actes188, le De ira Dei ne parle que du dernier thème. En effet, l’idée de croire

en un seul Dieu créateur du monde est évacuée à tout le moins de la propositio et de

186 « Il n’existe qu’un seul Dieu dont l’œuvre est le monde et qui, parce qu’il est juste de toute les manières,

rendra à chacun selon leurs actions. » 187 « De là, enfin, comme je remarquai que le point culminant de toute religion et piété se fondait dans cette

affirmation […] ». On trouve un passage similaire dans les Homiliae II, 47, 1. 188 Supra n. 18 p. 183.

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l’argumentatio. Cette notion apparaît néanmoins dans l’exordium189 et dans sa critique du

polythéisme au chapitre 11. Bien entendu, il va de soi que, tout comme Tertullien190,

Lactance accepte l’importance de croire à un seul Dieu dans ce qui est le fondement de la

religion chrétienne, bien qu’il ne relie jamais cette idée au fondement de la religion dans

son traité. Sa préoccupation principale est celle de la colère et du jugement divin.

4.2.4. Argumentatio (7, 1-21, 10)

Cette partie tente de faire l’analyse de l’argumentatio du De ira Dei sans toutefois

étendre l’étude à tous les arguments utilisés par Lactance. Afin de soutenir le propos exposé

jusqu’ici, il convient d’analyser les arguments jusqu’à la fin de la digressio sur les atomes

qui se termine avec la fin du chapitre 10. Tout d’abord parce que le chapitre 11 reprend une

thématique déjà contenue dans les Diuinae institutiones et n’ajoute rien de nouveau avec ce

qui est proposé dans les chapitres précédents concernant la religion, ensuite parce que le

chapitre 12 sert de transition – même si celui-ci sera utilisé pour résumer ce qui vient avant

–, et enfin parce que les chapitres suivants n’utilisent pas le terme religio – à l’exception

d’une occurrence au chapitre 14. Quelques autres passages seront toutefois mentionnés

surtout en raison des similarités qu’ils partagent avec d’autres textes, dans la mesure où ils

sont soit influencés par les Clemtentina ou répondent à Arnobe ou au disciple de Fabricius,

sans qu’ils soient cependant étudiés dans leur ensemble. L’analyse est dès lors centrée sur

la confirmatio du chapitre 7, la refutatio du chapitre 8, et la digression des chapitres 9 et 10.

4.2.4.1. Confirmatio: la religion est le propre de l’homme (7, 1-7,15)

Lactance entame sa confirmatio, qui vise essentiellement à dire que l’homme diffère

de la bête en ce qu’il est le seul à avoir la connaissance de Dieu et qu’il possède seul, en

conséquence, la religion. Bien qu’il commence par dénoncer l’ignorance des philosophes, il

indique par la suite qu’aucun d’entre eux n’a jamais osé soutenir qu’il n’existait aucune

différence entre l’homme et la bête191. Par ailleurs, personne ne peut revendiquer le titre de

189 Supra n. 56 p. 193. 190 Supra n. 93 p. 102. 191 7, 1, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 110, 5-7.

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« sage » s’il prétend une telle chose192. Il précise donc par la suite contre qui s’adresse cette

confirmatio (7, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 110, 9-13): […] quod faciunt quidam

inperiti atque ipsis pecudibus simillimi qui, cum uentri ac uoluptati se uelint tradere, aiunt

eadem ratione se natos qua uniuersa quae spirant; quod dici ab homine fas non est193. Il ne

s’agit donc pas ici des philosophes, mais bien d’ignorants (inperiti). Comme dans le reste

de l’ouvrage, on remarque que Lactance vise les personnes influencées par la philosophie

plus que les philosophes eux-mêmes. Bien entendu, les passages 7, 1 et 7, 2 introduisent

l’argument et afin de bien comprendre ce que ces inperiti n’acceptent pas, on doit d’abord

faire état des arguments proposés en 7, 3 à 7, 15.

Les passages 7, 3 à 7, 6 nous présentent la différence entre l’homme et la bête et

Lactance y indique qu’il existe quelque chose de divin dans l’homme, qu’il existe une

parenté avec Dieu (cum deo manifesta cognatio est). Il présente ensuite le thème bien

connu de l’Antiquité classique et des Pères chrétiens: le status rectus de l’homme194. Il

termine cette présentation des différences entre l’homme et la bête avec l’idée

cicéronnienne de la notitia dei195, c’est-à-dire que seul l’homme possède la connaissance de

Dieu et est donc le seul à avoir le sens de la religion. Ultimement, l’argument de Lactance

cherche à montrer que l’homme diffère de la bête parce qu’il possède la religion et en cela,

il suit ce qu’il a répété à plusieurs endroits dans les Diuinae institutiones et leur Epitome196.

Mais il existe des divergences entre le De ira Dei et le reste de son œuvre puisque, dans ses

autres ouvrages, il accorde beaucoup d’importance à l’immortalité de l’âme197 ce qui n’est

192 7, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 110, 7-9. 193 « […] c’est ce que font certains ignorants, qui plus est semblables à ces mêmes bêtes qui, comme ils

veulent se livrer à leur ventre et aux plaisirs, affirment qu’ils sont nés selon le même principe que tout ce qui

respirent; il n’est pas permis qu’un homme dise cela. » 194 Des chercheurs ont bien analysé la présence de ce thème chez Lactance, particulièrement dans les Diuinae

institutiones: A. WLOSOK, Lactanz und die philosophische... 1960, p. 182 sqq; V. LOI, Lattanzio... 1970, p. 6,

137-138 et 271-272; M. PERRIN, L’homme antique... 1981, p. 68-77. 195 Lactance cite par ailleurs la source cicéronienne dans son troisième livre des Diuinae institutiones III, 10,

7, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 231, 9-10. 196 Diuinae institutiones, II, 3, 14, BT, 1, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 120, 21-p. 121, 5; II, 9, 26, p. 167,

20-168, 5; VII, 9, 10, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 677, 6-10; Epitome, 32, 4, éd. E. Heck et

A. Wlosok, p. 45, 4-6; 65, 4, p. 108, 16, 20. 197 M. Perrin souligne que l’immortatlité de l’âme « […] est en effet capitale dans son anthropologie: à l’en

croire, s’il n’y a pas de vie après la mort, la vertu, la morale et la religion deviennent absurdes, et mieux

vaudrait être vicieux que vertueux »: L’homme antique... 1981, p. 334.

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pas le cas de l’ouvrage sur la colère divine. Pour justifier la religion, un passage de

l’Epitome montre ainsi l’importance de l’immortalité de l’âme dans la pensée de Lactance

(65, 4, BT, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 108, 16-21):

Illud etiam maximum argumentum immortalitatis est, quod deum homo solus

agnoscit. In mutis nulla suspicio religionis est, quia terrena sunt in terramque

prostrata: homo ideo rectus aspicit caelum, ut deum quaerat. Non potest igitur

non esse immortalis, qui immortalem desiderat, non potest esse solubilis, qui

cum deo et uultu et mente communis est198.

On comprend mieux par ce passage l’enjeu entourant le status rectus de homme: le visage

tourné vers le ciel et Dieu est relié à l’immortalité de l’homme, mais également au fait que

l’homme est l’image de Dieu et qu’il est fait pour le connaître199. Ce passage de l’Epitome

indique également que Démocrite, Épicure et Dicéarque ont nié l’immortalité de l’âme

humaine. Il reprend les mêmes arguments proposés dans les Diuinae institutiones VII, 12

où les trois mêmes philosophes sont nommés. Ces deux passages, aux livres III et VII,

mettent l’accent sur le fait que la différence entre la bête et l’homme est l’immortalité de

l’âme qui nous est indiquée par le status rectus de l’homme. Un autre passage similaire, qui

s’attaque à la pensée des philosophes, se trouve au livre III des Diuinae institutiones. Le

chapitre 12 de ce livre reprend beaucoup d’éléments qui sont présents dans le De ira Dei

comme l’idée que l’homme est composé d’un corps et d’une âme, mais la discussion

principale porte sur l’immortalité de l’âme. Il conclut ce chapitre ainsi (III, 12, 36, BT, éd.

E. Heck et A. Wlosok, p. 241, 2-3): Summum igitur bonum quod beatos facit non potest

esse nisi in ea religione atque doctrina, cui spes immortalitatis adiuncta est200. Comme

dans d’autres passages201, l’immortalité est en quelque sorte présentée dans les arguments

en faveur de la religion chrétienne. De plus, dans le reste de son œuvre, certains passages

198 « Que l’homme soit seul à reconnaître Dieu constitue un argument encore plus fort en faveur de

l’immortalité. Dans leur mutisme, [les bêtes] n’ont aucun soupçon de la religion, parce qu’elles sont de la

terre et qu’elles sont tournées vers la terre; à cause de sa position droite, l’homme regarde vers le ciel pour

chercher Dieu. Celui qui désire l’immortalité ne peut donc être autre chose qu’immortel, il ne peut pas non

plus être dissous, lui qui est commun avec Dieu par le visage et par l’esprit. » 199 Comme l’ont fait remarquer V. Loi et M. Perrin: voir les pages citées supra n. 194 p. 226. 200 « Le bien suprême qui rend les hommes heureux ne peut donc se trouver ailleurs que dans cette religion et

doctrine auxquelles l’espoir de l’immortatlité est attaché. » 201 Epitome, 47, 1, BT, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 68, 15-22.

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228

soulignent que les vertus ne peuvent être récompensées que si l’immortalité existe202.

Lactance mentionne aussi que le refus d’Épicure de croire à l’immortalité fait en sorte que

l’on n’a pas à redouter l’enfer, et donc le jugement divin.

Il existe donc quelques divergences entre la pensée contenue dans les Diuinae

institutiones, leur Epitome et le De ira Dei dont la principale est l’absence de l’immortalité

de l’âme. On peut dès lors s’étonner de voir cet argument de taille être omis dans la

querelle avec Épicure surtout dans un ouvrage comme le De ira Dei qui tente de prouver la

nécessité du jugement divin203. En tant que représentant de l’épicurisme, le poète latin

Lucrèce n’est généralement pas épargné non plus dans les ouvrages de Lactance. Il devient

justement la cible de Lactance au sujet de l’immortalité de l’âme dans les Diuinae

institutiones204, mais jamais ce dernier ne reprend ses arguments contre le poète latin dans

le De ira Dei. Cela montre encore une fois que l’on doit davantage porter attention à

l’argumentatio formulée par Lactance et mettre de côté la figure d’Épicure qui n’est qu’un

lieu hérésiologique. Il faut voir également que si l’immortalité n’est pas un enjeu dans ce

texte, cela montre en fait que la discussion au sujet de la colère de Dieu ne concerne pas le

jugement dans l’au-delà, mais plutôt le jugement dans les temps présents. Il faut enfin

souligner que l’absence de discussion sur l’immortalité révèle peut-être que les adversaires

de Lactance acceptent que l’âme soit immortelle, le cas échéant, il n’a pas à en discuter.

202 VI, 3, 16-17, Diuinae institutiones, BT, 3, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 537, 17-p. 538, 6; VI, 9, 17-21,

p. 564, 1-20. 203 Lactance mentionne dans un autre passage que l’âme n’est pas mortelle; or, même s’il note l’immortalité

de l’âme, il n’en demeure pas moins que cet aspect est absent des arguments: 19, 2, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 186, 8-9. Concernant l’utilisation du vocabulaire, M. Perrin note au sujet de l’immortalité de

l’âme que le mot inmortalis/inmortalitatis revient à 9 reprises dans le De ira dei. Or, l’utilisation de ces mots

dans le texte concerne d’autres objets que l’âme à l’exception d’une seule occurrence: 24, 13, p. 212, 52-53.

De plus, l’immortalité de l’âme dans ce passage est apportée comme une comparaison pour la justice et

Lactance ne relie en aucun temps cette notion à la religion pas plus qu’il ne l’inclut dans son argumentation

concernant le propre de l’homme. Les occurrences relevées par M. Perrin concernent l’immortalité de Dieu ou

des dieux (2, 6, p. 94, 31; 2, 7, p. 96, 40; 8, 1, p. 116, 4; 11, 7, p. 146, 36), l’immortalité en général (13, 23,

p. 160, 123; 24, 9, p. 210, 34), l’immortalité de la colère (21, 9, p. 196, 34), les mérites (24, 5, p. 210, 15). À

cela, on doit noter que l’âme est dite aeterna en 15, 3 (p. 164, 18). Tout comme inmortalis, les mots

sempiternus et perpetuus ne s’applique jamais à l’âme dans le De ira Dei. Cf. M. PERRIN, L’homme antique...

1981, p. 335-336. 204 VII, 12, 1, BT, 4, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 684, 5-10. À ce sujet, M. Perrin indique « [qu’]il semble

bien que Lactance, très cicéronien en cela, ait voulu montrer que l’immortalité de l’âme était un point où

pouvait s’établir un consensus ominum, à l’exception des épicuriens […] »: ibid., p. 334-335. Si donc,

concernant l’immortalité de l’âme, Lactance est en accord avec tous sauf les épicuriens, le fait qu’il ne fasse

aucune référence à ce problème montre peut-être qu’il ne s’adresse pas aux disciples du philosophe du jardin.

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229

Du côté des Clementina, on remarque que les textes accordent beaucoup de place à la

question de l’immortalité de l’âme puisqu’elle est en quelque sorte reliée au jugement

divin. Le premier livre des Homiliae s’ouvre sur l’inquiétude de Clément face à la vie après

la mort, à savoir si l’âme est immortelle. Il indique qu’il déploya un effort considérable

pour répondre à cette question, mais ne trouva pas de réponses dans la philosophie et la

nécromancie205. Dans les Recognitiones, Clément s’inquiète également du sort de l’âme

après la mort dès le début du premier livre. Il ajoute toutefois des questions concernant la

création: quand a-t-elle débuté, durera-t-elle toujours et qu’y aura-t-il après? Tout comme

dans les Homiliae, il fréquente les écoles philosophiques pour connaître le sort de l’âme,

mais n’y trouve aucune certitude. Il pense à se tourner vers la nécromancie et en est

dissuadé par un ami philosophe206. Il fait par la suite la rencontre de Barnabé à Rome qui

lui indique que les âmes sont éternelles et qu’il existe donc un jugement après la mort207.

Dans les Recognitiones, les réponses aux questions de Clément arrivent plus tardivement;

lors de sa première rencontre avec Pierre, il lui demande en premier lieu si l’âme est

éternelle, s’il va y avoir un jugement et si la création va prendre fin un jour208. Les deux

récits divergent, par la suite, et les Homiliae abordent le problème de l’immortalité de l’âme

au deuxième livre tandis que les Recognitiones placent cette discussion au huitième livre.

Au deuxième livre des Homiliae, après un préambule pour introduire le vrai prophète,

le seul qui peut enseigner à Clément quelle est la nature de Dieu209, Pierre résume la pensée

du prophète (II, 12, 3, GCS, éd. B. Rehm, p. 40, 4-5): […] ὅτι εἷς θεός, οὗ κόσμος ἔργον,

ὃς δίκαιος ὢν πάντως ἑκάστῳ πρὸς τὰς πράξεις ἀποδώσει ποτέ210. Cette affirmation laisse

place à une discussion sur la nature de l’âme (II, 13, 1, GCS, éd. B. Rehm, p. 40, 5-6):

ἀνάγκη γὰρ πᾶσα, φύσει δίκαιον εἶναι λέγοντα τὸν θεὸν καὶ τὰς τῶν ἀνθρώπων ψυχὰς

205 Homiliae I, 1-5. 206 Recognitiones, I, 1-5. 207 Homiliae, I, 7, 8. 208 Recognitiones, I, 14, 3-4. 209 Homiliae, II, 12, 1. 210 « […] qu’il n’existe qu’un Dieu dont le monde est l’ouvrage et qui est juste et rendra un jour à chacun

selon ses actions. »

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ἀθανάτους εἶναι πιστεύειν211. Pierre explique par la suite que l’on ne peut savoir si Dieu est

juste que s’il y a un jugement après la mort. Ce faisant, il expose la thèse principale du De

ira Dei, c’est-à-dire que Dieu est à la fois juste (δίκαιος) et bon (ἀγαθός)212. Après avoir

exposé cette idée, Pierre indique à Clément que Simon refuse que Dieu soit juste: on peut

dès lors penser que ce développement vise à répondre aux marcionites ou encore aux

disciples d’Apelle. Il existe dès lors une association entre la justice divine et l’immortalité

de l’âme dans les Homiliae.

Par la suite, Pierre exprime une autre idée qui ressemble à ce que l’on trouve chez

Lactance: on sait qu’il existe des injustices seulement parce que la justice existe. C’est donc

par comparaison et par opposition avec la justice que l’on reconnaît l’injustice213. Pierre

expose ensuite la singularité de l’homme: seul l’homme est créé pour être juste. Il s’agit ici

d’une différence avec Lactance qui propose plutôt que la différence entre l’homme et la

bête est la religion214 et, il mentionne par la suite que le propre de la religion est la

justice215. S’il est influencé par les Homiliae, on peut dire qu’il ajoute la notion de religion

et que la justice est accolée à celle-ci. Dans la suite de l’exposé de Pierre, une grande place

est accordée aux syzygies et les similitudes avec le De ira Dei se font plus difficiles à

trouver.

Les parallèles entre les Recognitiones et le De ira Dei sont encore plus frappants. Le

huitième livre des Recognitiones présente le discours de Nicétas, le frère de Clément, qui

répond au vieillard Faustinianus. Une partie de ce livre, qui réfute la pensée d’Épicure au

sujet des atomes, sera étudiée plus en profondeur, mais il convient pour le moment de

souligner la présence du thème de l’immortalité de l’âme dans ce livre. La discussion

commence lorsque Nicétas veut réfuter le vieillard qui affirme qu’il n’existe aucun Dieu,

aucune Providence et que les choses arrivent en raison de la position des astres à la

211 « Car il est tout à fait nécessaire de croire, puisque il a été dit que la nature de Dieu est juste, que l’âme des

hommes est également immortelle. » 212 II, 12, 3, GCS, éd. B. Rehm, p. 40, 10. 213 De ira Dei, 15, 2. 214 De ira Dei, 7, 1-12 et 15. 215 De ira Dei, 7, 1-13-14.

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naissance216. Pour contrer la pensée du vieillard, Nicétas indique l’existence d’un Dieu

juste, de la Providence et du jugement217. Très vite, Nicétas questionne donc le vieillard

pour savoir si le monde a été fait ou pas, s’il a été fait par lui-même ou un autre. Cette

question soulève le problème de la Providence divine: si le monde s’est fait par lui-même, il

ne peut y avoir de Providence et (VIII, 10, 3, GCS, éd. B. Rehm, p. 223, 7-11): Si

prouidentia non recipitur, frustra animus ad uirtutem prouocatur, frustra iustitia

custoditur, quippe si non est qui iusto pro meritis aliquando restituat. Sed ne anima quidem

ipsa inmortalis uidebitur, si eam post absolutionem corporis nullius prouidentiae excipiat

dispensatio218. L’immortalité, le jugement et la Providence sont dès lors tous liés entre eux.

Un autre passage met en scène une discussion entre Simon et Pierre. Pour Simon le

magicien, il est impératif de savoir si l’âme est immortelle219 (III, 39, 1, GCS, éd. B. Rehm,

p. 124, 2-4): […] non enim possum onus subire iustitiae, nisi prius de inmortalitate animae

sciam, quae utique si inmortalis non est, nec praedicationis tuae poterit stare professio220.

L’entretien entre les deux hommes révèle que pour accepter cette notion de justice ou du

Dieu juste – qui se traduit par la colère divine chez Lactance – on doit préalablement

accepter que l’âme soit immortelle, autrement tout l’édifice tombe. Pierre répond dès lors à

Simon (III, 40, 3, GCS, éd. B. Rehm, p. 124, 16-18): Vbi est ergo iustitia dei, si anima

inmortalis non est, quae uel si impie egerit, poenas in futuro, uel si pie et iuste, praemia

consequatur?221 Les Recognitiones soulignent l’importance de l’immortalité de l’âme dans

le débat entourant le Dieu juste et le jugement que ce soit contre Simon ou contre le

vieillard. De plus, les Recognitiones marquent l’importance de la nécessité de l’immortalité

de l’âme pour montrer le travail de la Providence après la mort. Or, il est clair que la

216 Recognitiones, VIII, 2, 2; supra n. 60 p. 194. 217 Recognitiones, VIII, 6, 6-7. 218 « Si l’on rejette la Providence, l’âme est encouragée en vain vers la vertu et la justice est conservée en

vain, s’il n’est personne qui rende à coup sûr au juste selon ses mérites. Mais l’âme elle-même ne semblera

certes pas immortelle si aucune Providence ne l’accueille après sa séparation du corps pour la rétribuer. » 219 Ce lien entre la justice divine et l’âme est églament présent au deuxième livre des Recognitiones II, 70. 220 « […] de fait, je ne peux pas supporter le poids de cette justice à moins de connaître d’abord au sujet de

l’immortalité de l’âme, car, surtout si l’âme est mortelle, aucune déclaration de ta prédication ne peut se

tenir. » 221 « Où est donc la justice de Dieu si l’âme, qui obtient ou bien des chatiments dans le futur si elle a commis

des actes impies, ou bien des récompenses si elle a été pieuse et juste, n’est pas immortelle. »

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232

Providence est un élément très important dans la pensée de Lactance, ainsi que la notion de

jugement reliée à la colère; pourtant, l’immortalité de l’âme reste absente des différents

arguments du De ira Dei.

Cette comparaison avec les Clementina n’est pas la seule qui permette de cibler la

spécificité du passage de Lactance. Le thème de la différence entre l’homme et la bête et le

status rectus de l’homme apparaissent également chez Cyprien et Minucius Félix222. Même

s’il fait usage des mêmes termes223, le texte de Cyprien, l’Ad Demetrianum, ne reflète pas le

même contexte que celui du De ira Dei. Le texte pourrait toutefois être rapproché des

Diuinae institutiones dans lesquelles l’immortalité et les récompenses accordées aux

croyants après leur mort sont notées. Dans le texte de Cyprien, le passage sert

principalement à exhorter le non-croyant à reconnaître en lui la posture droite pour

reconnaître également Dieu; il l’encourage par la suite à laisser tomber les idoles et à cesser

les persécutions224. En dehors du vocabulaire, il existe peu de points de contact entre le

texte de Lactance et celui de Cyprien. Chez Minucius Félix, le chapitre 17 montre

clairement qu’il s’agit d’un argument pour faire la distinction entre les bêtes et l’homme,

mais le vocabulaire employé n’est pas comparable à celui de Lactance225. Ultimement, le

chapitre sert à montrer que cette position droite révèle la beauté d’un Dieu artisan (17, 11,

BT, éd. B. Kytzler, p. 14, 24): Ipsa praecipue formae nostrae pulchritudo deum fatetur

artificem […]226.

Même si Arnobe ne présente pas ce thème de l’homme au status rectus, le livre II de

son Aduersus nationes est particulièrement intéressant parce qu’il propose les arguments

222 Même s’il s’agit d’un thème très important de la littérature latine classique, seuls quelques ouvrages en lien

avec les questions concernant le christianisme seront analysés ici: il s’agit de voir comment le status rectus

s’insère dans l’argumentation des chrétiens. D’autres auteurs ont déjà bien commenté les rapports de ce sujet

avec la culture classique dont notamment M. PERRIN, L’homme antique... 1981, p. 68-77. 223 Si Lactance ne suit pas l’argumentation de Cyprien, il existe une très grande affinité dans l’emploi du

vocabulaire entre les deux hommes: status, os, sublimis: (status, 16, Ad Demetrianum, CCSL, 3A, p. 44, 315;

os, 16, p. 44, 316; sublimis, 16, p. 44, 315); (status, 7, 4-5, De ira Dei, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 112, 18;

os, 7, 4-5, p. 112, 18 et 21; sublimis, 7, 5 p. 112, 22). Concernant les problèmes lexicographiques, cf. Ibid.

p. 68. 224 16, Ad Demetrianum, CCSL, 3A, éd. M. Simonetti, p. 44, 318-322. 225 Minucius Félix emploie uultus erectus au lieu de oris figura chez Lactance et status rigidus au lieu de

status corporis. 226 « Tout spécialement notre forme même révèle un Dieu artisan […] »

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233

contraires. Contrairement à Lactance, il pense qu’il n’y a pas de différence entre l’homme

et la bête et il présente ses arguments dans les chapitres 16-19 du livre II. Dans le De ira

Dei, Lactance concède certains des arguments à l’adversaire, mais pour renforcer son

propos, car il admet, comme Arnobe, que les animaux ont également la raison et la

prévoyance de l’avenir. Arnobe quant à lui est très clair dans son prélude aux similitudes

entre l’homme et la bête (II, 15, CSLP, éd. C. Marchesi, 1953, p. 82, 23-p. 83, 5):

Quare nihil est quod nos fallat, nihil quod nobis polliceatur spec cassas, id

quod a nouis quibusdam dicitur uiris et inmoderata sui opinione sublatis,

animas immortales esse, domino rerum ac principi gradu proximas dignitatis,

genitore illo ac patre prolatas, diuinas sapientes doctas neque ulla iam

corporis attrectatione contiguas227.

Arnobe s’oppose donc à certains groupes qui poussent trop loin la différence entre l’homme

et la bête. Ces groupes sont probablement gnostiques même si Arnobe n’a pas un groupe

précis en tête228. Quoi qu’il en soit, on remarque également que Lactance accepte

l’immortalité de l’âme, même si cela n’est pas un argument présent dans le De ira Dei, et

qu’il conçoit également une parenté entre l’homme et Dieu. Cela ne fait pas pour autant de

Lactance un uir nouus ou quelqu’un de gnostique; le passage d’Arnobe ne semble pas s’en

prendre non plus à la pensée de Lactance qui diffère de ce qui est présenté. En revanche, il

doit être noté qu’il existe à l’époque de Lactance des gens dans l’Église, Arnobe dans ce

cas, qui s’opposent à l’idée qu’il y ait une différence entre l’homme et la bête, que l’âme

soit immortelle229 et qu’enfin, l’homme ait une quelconque parenté avec le divin230: ces

gens adoptent une vision anthropologique très pessismiste et il semble que Lactance

227 « C’est pourquoi il n’existe rien pour nous tromper, rien pour nous offrir un espoir vain, comme ce que

certains nouveaux hommes enflés par une opinion immodérée d’eux-mêmes nous disent, que les âmes sont

immortelles, qu’elles sont très près du Seigneur des choses et du Principe par leur rang de dignité, qu’elles

sont mise au jour par le Geniteur et le Père, qu’elles sont divines, sages, savantes, et qu’elles ne peuvent plus

être touchées par aucun contact du corps. » 228 A.-G. Festugière mentionne que les uiri noui mentionnés par Arnobe ne constituent pas un groupe attaché

à une gnose en particulier, « mais un ensemble assez complexe professant une doctrine mixte, dont les

éléments ont été empruntés à des sources diverses (hermétisme, Numénius, Porphyre et, par Porphyre sans

doute, Oracles Chaldaïques et livres pseudo-zoroastriens […] »: La révélation d’Hermès Trismégiste, Paris,

Les Belles Lettres, 2014, p. 1150. 229 Pour Arnobe, l’âme est de nature intermédiaire: « Arnobe montre que l’âme n’est ni naturellement docte et

sage ([II,]16-29) ni naturellement impeccable ([II,] 29-30), mais que, de qualité intermédiaire, elle n’est pas à

l’abri de la mort: il lui faut être, à la lettre, être sauvée et elle a donc besoin d’un Sauveur, le Christ ([II,] 31-

36). »: ibid., p. 1152. 230 Aduersus nationes, II, 48, CSLP, éd. C. Marchesi, p. 120, 22-p. 121, 2.

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234

s’oppose à ce genre de conception de l’homme. De plus, il faut ajouter à cela la pensée

d’Arnobe au sujet de la colère divine: il ne pense pas que Dieu puisse être en colère. Cela

ne signifie pas que Lactance réponde à Arnobe uniquement ou exclusivement, mais on peut

dire qu’il répond à des conceptions qui se trouvent, à cette époque, à l’intérieur même de

l’Église ou de la communauté chrétienne.

Le Contra aduersarium legis et prophetarum d’Augustin porte également les traces

de cette anthropologie pessimiste. Dans un extrait qui traite des quelques passages de la

Genèse et notamment de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, Augustin rapporte

des propos de Fabricius (I, 14, 19, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 50, 454-457): Nunc autem

breuiter respondemus ad id quod ait iste, hominis institutorem a magno bono prohibuisse

quem fecerat, dum eum pecori similem sine dignoscentia boni et mali esse uoluisset231.

L’idée qu’il n’y a aucune différence entre l’homme et la bête se trouve donc au sein du

mouvement qui a donné lieu à la réponse d’Augustin232. Or, l’homme se distingue de la

bête par la notitia Dei chez Lactance ce qui n’est visiblement pas le cas dans le texte

d’Augustin. La poursuite de l’analyse de ces quelques chapitres consacrés à l’anthropologie

dans l’ouvrage de l’Évêque d’Hippone révèle que deux autres éléments se trouvent dans

cette discussion: 1) la notion de jugement et 2) la parenté de l’homme avec Dieu. En effet,

Augustin propose l’argument de l’utilité du châtiment – une autre façon de faire référence à

la colère divine – (I, 14, 21, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 51, 494-496): […] quia homo non

231 « Nous répondons donc brièvement aussi à ce que celui-là affirme à l’effet que le Créateur de l’homme a

privé celui qu’il a fait de la connaissance du bien et du mal, voulant qu’il soit semblable à la bête ignorante du

bien et du mal. » 232 On doit noter que le rejet par l’auteur du traité qu’Augustin réfute d’une différence entre l’homme et la

bête le rapproche encore une fois d’Arnobe. Il faut par ailleurs noter que ce problème de l’ignorance du bien

et du mal, qui est lié à l’arbre de vie (Gen 2, 17), se trouve également dans la pensée de Marcion et Apelle:

S. MORLET, « Pourquoi Dieu a-t-il interdit la connaissance du bien et du mal? La critique porphyrienne de Gn

2, 17: le problème de ses sources et de sa postérité », Semitica et classica 4 (2011), p. 129-132. Il semble que

l’argument de Fabricius ressemble à certains traits de la pensée d’Apelle dont ceux-ci: « […] 3/Ceux qui

ignorent le bien et le mal sont comme des petits enfants, or un petit enfant ignore ce qu’est une faute: un juge

juste ne peut donc pas l’incriminer. 4/Ceux qui ignorent le bien et le mal ignorent aussi qu’il est mal de ne pas

obéir, et bon d’obéir au commandement. On ne peut donc pas les accuser de ne pas avoir obéi […] »: ibid.,

p. 132. Il est possible que cette idée apellienne de réduire l’homme au rang de petit enfant ait été substituée à

une réduction au rang de l’animal chez Fabricius, à moins que la comparaison avec l’animal soit d’Augustin

qui transforme l’argument pour le rendre plus facile à réfuter. Dans ce cas, cette idée serait l’interprétation

d’Augustin. Quoi qu’il en soit, on remarque que ce problème de la connaissance de bien et du mal est

également présent dans la bouche de Simon dans les Homiliae. Bien qu’il y ait des nuances entre la pensée de

Marcion, d’Apelle, de Fabricius et du personnage Simon dans les Homiliae, il semble que cette idée est

répandue dans ces mouvements en marge de la Grande Église.

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235

sine bona mercede oboedientiam custodisset et non sine utili exemplo, ut eam sancti eius

posteri custodirent, poenas inoboedientiae persoluisset233. Cela ressemble, en un autre

vocabulaire, à l’idée de Lactance en ce qui concerne la colère de Dieu qui corrige dans un

but utile (17, 20-21, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 180, 104-111): […] ira est motus animi

ad coercenda peccata insurgentis […] ira uero quae ad correctionem uitiorum pertinet,

nec homini adimi debet nec deo potest, quia et utilis est rebus humanis et necessaria234.

Lorsque l’on poursuit la lecture de ce passage, la phrase suivante indique que l’âme

de l’homme ne peut être une partie de Dieu. Il semble dès lors que l’auteur du traité réfuté

par Augustin a pensé que l’âme de l’homme était une partie ou avait en lui une partie de

Dieu. Cela est donc contraire à ce que l’on trouve chez Arnobe et correspond davantage à la

pensée de Lactance. Mais il faut noter que la pensée de Lactance à ce sujet n’est pas très

élaborée, il indique seulement qu’il existe quelque chose de divin en l’homme (inesse

aliquid in homine diuini)235 sans toutefois indiquer pour autant que l’homme est une partie

de Dieu. Cela n’implique pas que la pensée de Lactance corresponde à la conception

gnostique de l’âme, mais il semble à en juger par l’extrait d’Augustin que Fabricius n’est

pas tout à fait à l’opposé de Lactance non plus (I, 14, 22, CCSL, 49, éd. K.-D. Daur, p. 52,

512-514): […] animam tamen non esse partem Dei nec de substantia et natura eius

creatam siue prolatam, sed ex nihilo factam dubitare fas non est236. Sur ce point donc, la

pensée de Fabricius ne correspond pas à celle d’Arnobe ou des adversaires de Lactance237.

233 « […] car l’homme ne préserve pas l’obéissance sans un bon salaire et il ne paie pas entièrement sa

désobéissance par des châtiments sans que cela soit un exemple utile pour conserver son obéissance pour sa

postérité sainte. » 234 « […] or, la colère est le mouvement de l’âme se dressant pour corriger les fautes […] mais la colère qui

vise à corriger les vices ne doit pas être enlevée à l’homme et ne peut être enlevée à Dieu, parce qu’elle est

utile et nécessaire aux affaires humaines. » 235 7, 3, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 112, 1; infra n. 238 p. 236. 236 « il n’est pas permis de douter que l’âme n’est pas une partie de Dieu, produite ou créée à partir de sa

substance ou de sa nature, mais qu’elle a été faite à partir de rien. » 237 On doit noter, avec P. Maraval, qu’il « […] n’y a pas chez Marcion […] l’idée d’une étincelle divine

insufflée par le créateur dans l’âme de l’homme. »: S. C. MINOUNI et P. MARAVAL, Le christianisme des

origines à Constantin, Paris, Presses universitaires de France (coll. Nouvelle Clio l’histoire et ses problèmes),

2006, p. 366. La pensée d’Apelle a toutefois évolué à ce sujet puisqu’il « […] affirme que l’âme a été créée

par le Dieu bon et emprisonnée dans la chair par un deuxième ange déchu. »: ibid., p. 369. On remarque dès

lors que la pensée de Fabricius s’approche davantage de celle d’Apelle que de celle de Marcion, même si elle

n’est pas en tout point similaire. Il faut rappeler également que l’interprétation de Gn 2, 17 de Fabricius est

également à rapprocher de la pensée d’Apelle, supra n. 232 p. 234.

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236

Il faut également noter que ces deux aspects de la pensée de Fabricius, c’est-à-dire que 1)

l’homme ne se distingue pas de la bête, puisque tous deux ne possèdent aucune

connaissance du bien et du mal, et que 2) l’âme de l’homme est une partie de Dieu, peuvent

paraître en contradiction. Augustin note cette contractition apparante (I, 14, 21) parce que si

l’âme de l’homme est une partie de Dieu, comment se fait-il qu’il ne connaisse pas le bien

et le mal?

Cette parenté entre Dieu et l’homme mérite toutefois une remarque puisqu’on peut

noter des influences du Corpus Hermeticum dans le passage de Lactance (7, 3, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 110, 14-p. 112, 15-17): Quis enim tam indoctus ut nesciat, quis tam

inprudens ut non sentiat inesse aliquid in homine diuini?238 Lactance précise par la suite

qu’aliquid diuini montre également une parenté avec Dieu (cum deo manifesta cognatio)239.

Cette idée de parenté divine se trouve également dans l’Asclepius d’Hermes et il n’est pas

exclu que ce texte soit une source d’influence textuelle240. Le chapitre 6 propose en effet

que l’homme a une partie terrestre et une partie céleste. La partie céleste a bien entendu

quelque chose de divin (6, CUF, éd. A.-J. Festugière, p. 302, 6): diis cognata diuinitate

coniunctus est241. Le mot cognatio, qui est de la même racine que l’adjectif cognatus, se

trouve également chez Lactance (7, 4, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 112, 17): Nondum

uenio ad uirtutes animi et ingenii quibus homini cum deo manifesta cognatio est242. Puis, à

ce moment Lactance introduit le status rectus. Le Corpus Hermeticum propose

238 « De fait, qui est assez méconnaissant pour ignorer, qui est assez imprudent pour ne pas comprendre qu’il

existe quelque chose de divin dans l’homme? » 239 7, 3, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 112, 17. 240 M. Perrin reste toutefois prudent au sujet d’une influence possible du Corpus Hermeticum et voit plutôt un

lien avec les œuvres classiques de Cicéron et Ovide: L’homme antique... 1981, p. 72-74. Bien que ce point de

vue soit tout à fait juste, il semble que l’on ne peut rejeter la possibilité que Lactance, qui connaissait ces

textes, ait pu être influencé par ceux-ci. A.-J. Festugière mentionne toutefois que la pensée contenue dans

l’Asclepius au sujet de l’âme est inspirée du Timée de Platon: La révélation d’Hermès Trismégiste, 2014,

p. 1128. Il ajoute par ailleurs: « Le dogme premier de l’anthropologie, dans les systèmes de philosophie

religieuse sous l’Empire, est l’origine céleste de l’âme, soit qu’on la tienne pour de même essence que les

astres, soit qu’on la regarde, en tant qu’incorporelle et indissoluble, comme semblable aux Idées, ou au divin,

ou à Dieu […] »: ibid., p. 1133. Il faut conclure que la pensée contenue dans l’ouvrage de Lactance aurait pu

provenir de bien des sources puisqu’elle est très répandue dans la philosophie antique. On notera néanmoins

les similarités textuelles entre le De ira Dei et l’Asclepius. 241 « [la nature de l’homme] est apparenté aux dieux par une lien divin. » 242 « Je ne viens pas encore aux vertus de l’âme et à l’esprit par lesquels la parenté (cognatio) chez l’homme

est manifeste avec Dieu. »

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237

sensiblement la même chose: l’homme a un regard élevé vers le ciel243, il se distingue des

animaux en ce qu’il reçoit, en plus de l’entendement, l’intellect244 et, enfin, cela le pousse à

connaître le plan divin245.

En plus de la déformation de la pensée d’Épicure, il existe d’autres divergences dans

le traitement de ces questions dans les Diuinae institutiones et dans le De ira Dei. Dans le

De ira Dei, la pensée d’Épicure est présentée comme une menace pour la religion; même si

Lactance mentionne à plusieurs reprises d’autres écoles philosophiques, il est clair

qu’Épicure est seul à vouloir détruire la Providence et la religion. Lactance mentionne

également à plusieurs reprises qu’il écrit ce traité à Donat afin de l’aider à contrer ceux qui

sont influencés par des philosophes présentant Dieu comme impassible246: mais dans les

faits, c’est Épicure qui ressort comme le premier de ces philosophes. Or, dans les Diuinae

institutiones, ce sont les philosophes en général qui sont accusés de détruire la religion.

Cette mention des philosophes qui détruisent la religion intervient dans un passage où la

différence entre l’homme et la bête est discutée tout comme le lien entre le status rectus de

l’homme et la religion (III, 10, 9, BT, 2, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 231, 13-15): Qui ergo

philosophi uolunt animos omni metu liberare, tollunt etiam religionem et orbant hominem

suo proprio ac singulari bono […]247. Dans l’Epitome des Diuinae institutiones, Lactance

présente à nouveau cette idée que l’homme se distingue de la bête par la religion248, or cette

fois, c’est Socrate qui est blâmé d’avoir repoussé la religion et de l’avoir ridiculisé249. Mais

dès les premières phrases de la refutatio qui suit la confirmatio du chapitre 7 du De ira Dei,

c’est Épicure seul qui apparaît comme celui qui détruit toute religion et détourne l’homme

de son unique différence d’avec les animaux. Si dans les Diuinae institutiones ce sont les

philosophes en général qui s’attaquent à la religion et si, en contrepartie, seul Épicure est

blâmé de cela dans le De ira Dei, on remarque donc que l’accent mis sur la personne

243 suspicit caelum: Hermes, Asclepius, CUF, éd. A.-J. Festugière, p. 302, 10. 244 addito ad hominis intellegentiam: Hermes, Asclepius, CUF, éd. A.-J. Festugière, p. 303, 6-7. 245 sensus ad diuinae rationis intellegentiam: Hermes, Asclepius, CUF, éd. A.-J. Festugière, p. 303, 9-10. 246 17, 8, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 174, 39; 22, 1, p. 198, 1-3 supra n. 34 p. 187. 247 « Ces philosophes qui veulent donc libérer les âmes de toute crainte, détruisent encore la religion et privent

l’homme de ce qui est son bien propre et singulier […] » 248 Supra n. 196 p. 226. 249 32, 4, BT, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 45, 2-6.

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d’Épicure semble relever davantage d’un dessein que de la réalité. On doit ajouter à cela

l’absence de la question de l’immortalité de l’âme dans le De ira Dei qui suggère que

Lactance ne s’attaque pas réellement au matérialisme d’Épicure: cela ajoute à l’idée

qu’Épicure n’est qu’une figure qui sert de lieu hérésiologique.

Il faut également comparer les propos au sujet d’Épicure dans le chapitre 17 des

Diuinae institutiones et le De ira Dei. Nulle part dans ce chapitre le philosophe du jardin

n’est accusé de détruire la religion. En fait, Lactance rappelle plutôt qu’il tente de libérer

les hommes de la peur de la mort et jamais la crainte des dieux n’est évoquée. Bien

entendu, sa pensée sur l’inaction des dieux est décriée tout comme dans le De ira Dei

(Diuinae institutiones, III, 17, 36, BT, éd. E. Heck et A. Wlosok, p. 266, 10-11): […] si

humanas res nullus deus curat, quandocumque spes impunitatis adriserit, rapiamus

necemus250. On remarque l’absence de la religion. Même si dans ce chapitre on comprend

bien qu’Épicure a été un dur critique à l’endroit de la religion, rien n’indique qu’il est

responsable d’une destruction quelconque de celle-ci. Le fait que les dieux ne s’occupent de

rien, qu’il n’y a donc pas de Providence divine, est relié au jugement après la mort, ce qui

n’est jamais le cas dans le De ira Dei. Si la Providence n’existe pas, il ne peut y avoir de

jugement après la mort et donc pas de possibilité d’une société: c’est chacun pour soi ! Le

schéma est différent du De ira Dei.

4.2.4.2. Refutatio: la pensée d’Épicure détruit la cohésion sociale (8, 1-8, 8)

Après avoir indiqué que le propre de la religion est la justice, Lactance montre

maintenant que, si Épicure a raison, à savoir que les dieux n’interviennent pas dans les

affaires des hommes (Providence particulière), la religion est détruite. Il s’agit d’un chapitre

qui est très cicéronien et c’est sans surprise que Lactance cite l’Arpinate.

Tout d’abord, dans le De natura deorum, Cicéron s’oppose lui aussi aux épicuriens et

à leur rejet de la Providence. Non seulement on y trouve une discussion similaire sur les

atomes dont il sera question plus bas, mais on remarque également que Cicéron partage la

250 « Si aucun dieu ne s’occupe pas des affaires humaines, volons et tuons à toutes les fois que l’espoir de

l’impunité nous sourira. »

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même inquiétude exprimée par Lactance, c’est-à-dire de voir le culte disparaître si la

Providence n’existe pas (I, 2, 3, BT, 45, éd. W. Ax, p. 2, 15-19):

Sunt enim philosophi et fuerunt qui omnino nullam habere censerent rerum

humanarum procurationem deos. Quorum si uera sententia est, quae potest

esse pietas quae sanctitas quae religio?251

Pour Cicéron, tout comme chez Lactance, l’absence de l’intervention des dieux signifie la

destruction du culte252. Cicéron exprime également les mêmes préoccupations formulées

dans les Recognitiones, à savoir, si la Providence a créé le monde et si elle agit toujours

dans le monde (I, 1, 2, BT, 45, éd. W. Ax, p. 2, 8-13):

quod uero maxime rem causamque continet, utrum nihil agant nihil moliantur

omni curatione et administratione rerum uacent, an contra ab iis et a principio

omnia facta et constituta sint et ad infinitum tempus regantur atque moueantur,

in primis quae magna dissensio est […]253.

Les développements proposés tout au long du traité de Cicéron touchent à cette question: le

sujet principal est la Providence divine plus que l’existence des dieux. Ce sujet a été abordé

par plusieurs philosophes et Cicéron, tout comme Lactance, présente brièvement l’opinion

des épicuriens (I, 2, 3-4) et des stoïciens (I, 2, 4) qui sont les deux positions qui seront

discutées dans le traité. Il commence par présenter l’avis des épicuriens qui est traité au

livre I. Cicéron indique qu’il existe des philosophes qui pensent que les dieux ne se

préoccupent guère des affaires humaines (I, 2, 3). Pour lui, la conséquence est que la

religion est en péril si cette affirmation s’avère exacte. Lactance, dans son développement

sur l’épicurisme, formule les mêmes inquiétudes (8, 1-2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 116,

1-14):

Dissoluitur autem religio, si credamus Epicuro illa dicenti: “Omnis enim per se

diuum natura necesse est inmortali aeuo summa cum pace fruatur semota a

nostris rebus seiunctaque longe. Nam priuata dolore omni, priuata periclis,

251 « En effet, il y eut et il existe encore des philosophes pour penser que les dieux n’ont absolument aucune

préoccupation des affaires humaines. Si leur opinion est vraie, que deviennent la piété, la sainteté, la

religion? » 252 8, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 116, 9-10. 253 « Mais cette question renferme au plus haut point l’essentiel d’un sujet et d’une cause: ou bien les dieux ne

font rien, ne s’occupent de rien, sont libres de tout soin et de toute gouvernance du monde, ou, au contraire,

toutes choses ont été faites et constituées dès l’origine par eux, et elles seraient dirigées et mues à l’infini; ce

sont là les interrogations principales autour desquelles la controverse est grande […] »

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ipsa suis pollens opibus, nil indiga nostri, nec bene promeritis capitur nec

tangitur ira”. Quae cum dicit, utrum aliquem cultum deo putat esse tribuendum

an euertit omnem religionem? Si enim deus nihil cuiquam boni tribuit, si

colentis obsequio nullam gratiam refert, quid tam uanum, tam stultum quam

templa aedificare, sacrificia facere, dona conferre, rem familiarem minuere ut

nihil adsequamur?254

Non seulement la même inquiétude est partagée par Cicéron et Lactance, mais ces deux

auteurs entrevoient la même conséquence: la destruction de la religion. Cicéron soulève la

question de ce qui pourrait advenir si l’on fait disparaître la piété envers les dieux (I, 2, 4,

BT, 45, éd. W. Ax, p. 2, 30-p. 3, 2): atque haut scio an pietate aduersus deos sublata fides

etiam et societas generis humani et una excellentissuma uirtus iustitia tollatur255. On trouve

une conséquence similaire dans l’ouvrage de Lactance (8, 6, SC, 289, éd. C. Ingremeau,

p. 118, 29-31): Haec dum sentit Epicurus, religionem funditus delet; qua sublata, confusio

ac perturbatio uitae sequetur256.

Après avoir indiqué que la pensée d’Épicure détruit le culte de Dieu, Lactance

rappelle l’argument de Velléius – qui expose la doctrine épicurienne – dans l’ouvrage de

Cicéron (8, 3, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 116, 14-15): – At enim naturam excellentem

honorari oportet. – Quis honor deberi potest nihil curanti et ingrato?257 Cette idée est

directement reliée à la pensée d’Épicure dans le De natura deorum comme dans le De ira

Dei258. Selon Velléius, Épicure a compris que les dieux existent parce que c’est la nature

elle-même qui en a imprimé la notion dans l’esprit de tous: la prolepsis (I, 43). Il poursuit

en indiquant que ce n’est pas en vertu d’une institution, d’une coutume ou d’une loi que

254 « Or, la religion est détruite si nous croyons Épicure lorsqu’il dit ceci: “La nature des dieux tout entière

doit jouir des temps immortels avec une paix souveraine, éloignée et séparée de nos affaires de manière

distante. Car privée de toute souffrance, privée des dangers, forte de sa puissance même, n’ayant besoin de

rien de notre part, elle n’est pas séduite par les bonnes faveurs ni atteinte par la colère”. En disant cela, pense-

t-il que l’on doive rendre quelque culte à Dieu ou renverse-t-il toute religion? Si en effet Dieu ne rend aucun

bienfait à personne, s’il ne retourne aucune faveur à l’obéissance de l’adorateur, qu’existe-t-il de plus vain, de

plus sot que d’ériger des temples, de faire des sacrifices, de rassembler des offrandes, d’entreprendre de

diminuer son patrimoine pour n’obtenir rien en retour. » 255 « Et je ne sais si, après avoir enlevé la piété envers les dieux, ne disparaitrait pas aussi la confiance, le lien

social entre humain et la vertu par excellence, la justice. » 256 « Tandis qu’Épicure pense cela, il anéantit entièrement la religion; celle-ci enlevée, entraine la confusion et

le désorde de la vie. » 257 « Mais, dira-t-on, il faut honorer toute nature qui est excellente. Qui peut devoir des honneurs à celui qui

n’a soin de rien et qui n’a aucune bonté? » 258 8, 2, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 116, 9-10.

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241

cette croyance (en l’existence des dieux) s’est établie259. En raison du consentement ferme

et unanime des peuples, il faut conclure que les dieux existent puisque nous avons d’eux

des connaissances implantées en nous, ou plutôt naturelles. Une connaissance au sujet de

laquelle tous les hommes sont en accord est nécessairement vraie: donc les dieux existent

(I, 44). La prolepsis fait également en sorte que l’on pense que les dieux sont bienheureux

et immortels. Donc, la maxime d’Épicure est vraie (I, 17, 45, BT, 45, éd. W. Ax, p. 19, 3-7):

Quod si ita est, uere exposita illa sententia est ab Epicuro, quod beatum aeternumque sit id

nec habere ipsum negotii quicquam nes exhibere alteri, itaque neque ira neque gratia

teneri, quod quae talia essent inbecilla essent omnia260. On remarque donc ce qui découle

du fait que Dieu pourrait éprouver de la bonté ou de la colère: la faiblesse261. Mais Velléius

poursuit son exposé (I, 17, 45, BT, 45, éd. W. Ax, p. 19, 8-16):

Si nihil aliud quaereremus nisi ut deos pie coleremus et ut superstitione

liberaremur, satis erat dictum; nam et praestans deorum natura hominum

pietate coleretur, cum et aeterna esset et beatissima (habet enim venerationem

iustam quicquid excellit), et metus omnis a vi atque ira deorum pulsus esset;

intellegitur enim a beata inmortalique natura et iram et gratiam segregari;

quibus remotis nullos a superis inpendere metus262.

Pour Velléius, la colère des dieux, qui génère la crainte, éloignent les hommes d’un culte

pieux et les dirigent tout droit dans la superstition. Pour lui, l’idée d’une nature excellente

semble suffisante pour offrir un culte pieux aux Dieux, mais Lactance s’y oppose263 tout

comme Cicéron. Ce dernier entrevoit à quel point il est facile de se libérer des superstitions

une fois que l’on a enlevé tout pouvoir aux Dieux. Mais Cicéron cherche à se débarrasser

259 En cela, il s’oppose à Cotta qui se fie seulement aux Anciens pour l’existence des dieux. C’est pourquoi ce

dernier pourfendra farouchement la prolepsis. 260 « S’il en est ainsi, la fameuse opinion exposée par Épicure est en vérité que ce qui est bienheureux et

éternel n’a lui-même aucun souci et n’en cause aucun à autrui, il n’éprouve donc ni colère ni bienveillance

puisque de telles choses ne seraient que des faiblesses. » 261 Cette idée, que le Dieu soit faible s’il éprouve des sentiments, est mentionnée à plusieurs endroits dans le

traité de Lactance: 2, 5, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 94, 28; 4, 12, p. 102, 47; 15, 6, p. 166, 31. 262 « Si nous recherchions rien d’autre que de rendre un culte pieux au dieux et nous libérer de la superstition,

nous en aurions dit assez. En effet la piété des hommes rend un culte à la nature excellente des dieux et,

comme cette nature est éternelle et bienheureuse (car ce qui excelle reçoit une vénération juste), toute crainte

des puissances ainsi que la colère des dieux sont bannies. On comprend en effet que la colère et la

bienveillance sont éloignées d’une nature heureuse et immortelle et que, une fois ces choses retirées, aucune

crainte des dieux ne subsiste. » 263 8, 3, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 116, 14-16.

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des superstitions tout comme Velléius, mais sans supprimer le culte des dieux264. Or le défi

de Lactance est tout autre, il doit convaincre que l’on peut avoir une religion même si la

colère de Dieu doit nous le faire craindre. Son idée que la crainte de Dieu est utile à la

société et nécessaire à la religion n’est certainement ni cicéronienne265 ni épicurienne.

Même si elle n’est pas énoncée aussi clairement, on trouve ce même thème de la

crainte de Dieu dans les Recognitiones, et plus particulièrement l’utilité de la crainte liée à

une certaine forme de piété. Dans une discussion avec le vieillard au sujet de l’influence

des démons sur les humains, Clément aborde la question du jugement de Dieu (IX, 10, 4,

264 S. Margel explique que l’intention de Cicéron est de détruire la superstition sans pour autant supprimer la

religion; il répond alors aux épicuriens qui « assimilent le culte rendu aux dieux par crainte (timor) et le culte

rendu par piété (pietas) »: S. MARGEL, « Religio-superstitio... », 2006, p. 199. Voir également F. SOLMSEN,

« Cicero on Religio and Superstitio », 1943, p. 159-160. 265 La pensée cicéronienne en matière de religion n’est pas sans avoir de lien avec celle de Varron qui est

présentée par Augustin. Ce dernier résume la particularité de l’approche de la philosophie de la religion quant

à la religio et la superstitio (de Ciuitate Dei, VI, 9, 2): quale autem illud est, quod cum religiosum a

superstitioso ea distinctione discernat, ut a superstitioso dicat timeri deos, a religioso autem tantum uereri ut

parentes, non ut hostes timeri, atque omnes ita bonos dicat, ut facilius sit eos nocentibus parcere quam

laedere quemquam innocentem […]: « Qu’est-ce que cela signifie? Il [Varron] distingue l’homme

superstitieux et l’homme religieux de telle sorte qu’il affirme que l’homme superstitieux craint les dieux

tandis que l’homme religieux vénère les dieux comme parents, mais ne les craint pas comme des ennemis; il

dit par ailleurs qu’ils sont tellement bons qu’ils leur est plus facile d’épargner les criminels que de frapper un

innocent […] » On peut noter d’emblée que l’extrait de Varron se termine également sur la question de la

colère des dieux puisque ceux-ci sont tellement bons, qu’ils n’oseraient frapper un criminel de peur qu’il soit

innocent. La superstitio est dès lors liée à la crainte des dieux chez Varron et cet aspect revient également

dans le De natura deorum de Cicéron (I, 42, 117): nam supersitione, quod gloriari soletis, facile est liberare,

cum sustuleris omnem uim deorum. Nisi forte Diagoram aut Theodorum, qui omnino deos esse negabant,

censes superstitiosos esse potuisse; ego ne Protagoram quidem, cui neutrum licuerit, nec esse deos nec non

esse. Horum enim sententiae omnium non modo superstitionem tollunt, in qua inest timor inanis deorum, sed

etiam religionem, quae deorum cultu pio continetur: « De cette superstition, il est en effet facile de s’en

libérer (et vous avez l’habitude de vous en venter) une fois que tu as enlevé toute puissance aux dieux. A

moins peut-être que tu penses que Diagoras ou Théodore, qui niaient tout à fait l’existence des dieux, aient pu

être superstitieux? Pour ma part, je pense que même Protagoras, à qui il était permis d’être neutre, ne sachant

pas si les dieux existaient ou pas, ne l’était pas. Car les opinions de tout ceux-ci ne suppriment pas seulement

la superstition, dans laquelle se trouve une crainte vaine des dieux, mais aussi la religion qui est maintenue

grâce au culte pieux des dieux. » Tout comme Varron, Cicéron lie la superstitio à un timor inanis des dieux et

la religio au culte pieux des dieux. Cette façon d’entrevoir la superstition se rapproche de la signification de

deisidaimonia de la langue grecque; ce mot signifie littéralement « crainte des dieux » et le mot superstitio en

est probablement venu à prendre cette signification sous l’influence grecque (J. B. RIVES, Religion in the

Roman Empire, Oxford, Blackwell Publishing, 2007, p. 184). On note également qu’immédiatement après

avoir lié la superstitio à une crainte vaine des dieux, Cicéron revient à deux reprises (De natrua deorum, I, 77

et 118) sur ce mythe qui veut que la crainte religieuse a été inventée par des sages dans l’intérêt de l’État (De

natura deorum, I, 118): Quid [i]i qui dixerunt totam de dis inmortalibus opinionem fictam esse ab hominibus

sapientibus rei publicae causa, ut quos ratio non posset eos ad officium religio duceret, nonne omnem

religionem funditus sustulerunt?: « Eh quoi, ceux qui ont dit que la croyance tout entière aux dieux immortels

a été forgée par des hommes sages dans l’intérêt de l’État, afin que la religion conduise vers les devoirs

religieux ceux qui ne peuvent user de raison, n’ont-ils pas détruit complétement toute religion? »

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243

GCS, éd. B. Rehm, p. 263, 2-5): Si uero futurum iudicium cogitans, metu ipso fuerit

repressus et reuocauerit se, ne actu impleat quod mala cogitatione concepit, effugiet non

solum praesentem perniciem, sed et futura supplicia266. L’auteur des Recognitiones, tandis

qu’il expose la même pensée que celle contenue dans le De ira Dei, à savoir que la crainte

est utile267, rend de façon plus claire que la crainte est nécessaire dans les temps présents et

à venir. Cela indique que Dieu agit dans les temps présents, mais également qu’il y aura un

jugement après la mort, ce dernier élément semblant absent du De ira Dei.

De plus, dans une autre discussion entre Pierre et Simon qui se trouve dans les

Recognitiones, le fait que Dieu soit juste implique nécessairement qu’il existe un temps à

venir et un jugement (III, 41, 2, GCS, éd. B. Rehm, p. 124, 22-24): Etenim cum certum sit

deum iustum esse, necessarium et consequens est aliud esse saeculum, in quo unusquisque

pro meritis recipiens iustitiam Dei probet268. Si la notion de crainte n’est pas explicitement

reliée à la religio comme dans le De ira Dei, on note toutefois que le débat entre Simon et

Pierre tourne autour de quelques éléments très présents dans le traité de Lactance: 1) la

Providence269, 2) le Dieu bon et juste270 et 3) la justice271. Le terme religio intervient

seulement à la fin de ces passages (III, 20-III, 38)272 au chapitre 39 lorsque Pierre indique

que les fondements de la religion seront établis lorsqu’il aura démontré l’immortalité de

l’âme. Le débat entre les deux hommes renferme dès lors beaucoup de thèmes du De ira

Dei, à l’exception de l’immortalité de l’âme. L’immortalité de l’âme est importante pour la

notion de religio dans les Recognitiones en raison du jugement après la mort, ce dernier

génèrant une crainte utile chez les humains273. On trouve néanmoins un schéma semblable

266 « Mais si, pensant au jugement futur, il est refoulé par cette même crainte et se retient d’accomplir en acte

le mal qu’il a conçu en pensée, il fuit non seulement la ruine du temps présent, mais les supplices du temps

futur. » 267 Il se réitère par ailleurs plus loin dans le même discours (VIII, 15, 1). 268 « De fait, comme il est certain que Dieu est juste, il est nécessaire et il s’en suit qu’il existe un autre siècle

(temps), dans lequel chacun recevant selon ses mérites éprouve la justice de Dieu. » 269 III, 20, 2; III, 37, 4. 270 III, 20, 3; III, 22, 6; III, 37, 6; III, 37, 8. On trouve également la notion du Dieu juste et bon en d’autres

endroits comme en IV, 14, 4 et en V, 27 il est indiqué que Dieu n’est pas vengeur. 271 III, 20, 3; III, 22, 3-6; III, 24, 6. 272 Ces quelques passages du débat entre Simon et Pierre contiennent également une objection soulevée par

Simon (III, 25, 2 sqq.) qui sera attribuée à Épicure dans le De ira Dei, supra p. 191. 273 Supra n. 266 p. 243 et n. 268 p. 243.

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244

dans le De ira Dei où la justice et l’utilité de la crainte est le fondement de la religio, sans

toutefois l’immortalité de l’âme274.

Ce chapitre 8 du De ira Dei doit être divisé en deux parties, car la première reprend

les arguments et les propos trouvés dans le De natura deorum de Cicéron, mais s’éloigne

complètement de la pensée de l’arpinate dans la seconde. En effet, Lactance utilise dans un

premier temps les mêmes craintes formulées par Cicéron à l’endroit d’Épicure concernant

le fait que la pensée de celui-ci est une menace pour la religion. Tout comme Cicéron, et de

manière plus évidente que dans les Recognitiones, la préoccupation de Lactance semble

concerner l’ici et maintenant (12, 3, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 150, 9-14):

Spectari ergo actus nostros a deo non modo ad utilitatem communis uitae

attinet sed etiam ad ueritatem, quia religione iustitiaque detractis uel ad

stultitiam pecudum amissa ratione deuoluimur uel ad bestiarum inmanitatem,

immo uero amplius, siquidem bestiae sui generis animalibus parcunt275.

Mais dans un second temps, Lactance fait une fois de plus de la crainte un élément essentiel

de la religion, ce qui va à l’encontre de la pensée cicéronienne (8, 7, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 118, 32-35): Quod si religio tolli non potest ut et sapientiam, qua

distamus a beluis, et iustitiam retineamus, qua communis uita sit tutior, quomodo religio

ipsa sine metu teneri aut custodiri potest?276 Lactance reprend dans ce passage deux points

essentiels développés dans sa confirmatio: la distinction entre l’homme et la bête et l’utilité

de la religion qui apporte la justice à la société. Le premier rappelle le texte d’Arnobe277 et

la réponse d’Augustin à l’endroit de Fabricius278. En conséquence, comme ce chapitre

s’oppose à la pensée d’Épicure et que la conclusion se tourne vers des arguments proposés

par des chrétiens du IVe siècle, il est possible de conclure que Lactance s’inspire de Cicéron

tout en le reformulant selon les besoins afin de contrer ses adversaires. La nature du Dieu

274 Supra n. 177 p. 221. 275 « Le fait que Dieu observe nos actes concerne non seulement l’utilité de la vie en société mais encore la

vérité, parce qu’une fois que l’on retire la religion et la justice, ou bien, parce qu’on perd la raison, nous

retombons dans la folie des animaux ou bien dans la férocité des bêtes, ou même pis encore, puisque les bêtes

épargnent les animaux de leur propre genre. » 276 « Mais si la religion ne peut être arrachée sans que nous perdions à la fois la sagesse qui nous distingue des

bêtes et la justice qui rend la vie en société plus sûre, comment la religion peut-elle être conservée et

préservée sans la crainte? » 277 Supra p. 232-234. 278 Supra n. 231 p. 234.

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245

proposée par ces courants chrétiens qui influencent Arnobe et Fabricus, ainsi que le rejet de

la Providence, sont des traits qui justifient amplement que Lactance les associe à la figure

épicurienne.

4.2.4.3. Digressio: religion, Providence et atomes (8, 9-10, 53)

Les chapitres 9 et 10 du De ira Dei peuvent être considérés comme une digression

dans le plan du traité. En effet, Lactance annonce en 8, 9 que la question de l’utilité de la

religion est étrangère à son exposé, mais qu’il doit l’aborder de façon brève. Or, il existe

trois sujets abordés dans cette digression: la religion créée par des sages pour son utilité, la

Providence et les atomes. On remarque une coupure entre l’argument sur la Providence et

les atomes (9, 8, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 122, 39-40): Sed properandum est, ne

longius a materia diuagetur oratio279. Il indique donc qu’il ne s’attarde pas plus longtemps

à la Providence et passe immédiatement aux atomes. Les trois sujets sont en quelque sorte

reliés; à la fin de son développement sur les atomes, on remarque que Lactance retourne

aux deux sujets qui l’ont amené à traiter de la question des atomes.

Tableau 1

A (8, 9-8, 10): Religion instaurée par des sages

B (9, 1-9, 8): Providence générale et particulière

C (10, 1-10, 46): Atomes

A’ (10, 48-10, 49): Religion instaurée par des sages

B’ (10, 50-10, 53): Providence générale et particulière

Il peut sembler étrange de voir un si long développement sur les atomes en plein

centre de cet exposé sur l’utilité de la religion. Mais dans les textes anciens, la question des

atomes est souvent évoquée lorsqu’il s’agit de Providence, voire de la religion elle-même.

On trouve également cette question dans les textes de Lucrèce, de Cicéron et dans les

279 « Mais on doit se hâter afin que notre exposé ne s’éloigne pas plus longtemps du sujet. »

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Recognitiones280. De plus, lorsque l’on compare le texte de Lactance avec ceux de Cicéron

et des Clementina, on remarque beaucoup de points communs et une comparaison de ces

trois textes permet de cibler ce qui est propre à Lactance. Or, ces textes essaient tous de

réfuter la pensée d’Épicure et celle de Lucrèce, qui révèlent également quelques éléments

qui justifient cette tentative.

Il convient donc de regarder le poème de Lucrèce pour voir à quel point la théorie

atomique est liée à la religion. Dans le De rerum natura, le poète latin fait bien entendu

l’éloge de la pensée d’Épicure, mais développe également une pensée contre la religion281.

Il convient de préciser qu’il n’emploie jamais le terme superstitio et que sa critique

s’attaque à la religion. En fait, afin de constater le lien entre les atomes et la religion dans

l’Antiquité, il suffit de regarder la composition et quelques passages du premier livre de

l’œuvre. Le De rerum natura s’ouvre sur un hymne à Vénus (1-61) suivie par un éloge

d’Épicure (62-79). Dans cet éloge, Épicure y est représenté comme un sauveur qui vient

libérer l’homme écrasé sous le poids de la religion (oppressa graui sub religione). Après

ces deux matières d’introduction, Lucrèce annonce à Memnius, le destinataire, l’objet de

son poème: la critique de la religion (80-101). D’entrée de jeu, Lucrèce rappelle que la

religion a souvent engendré des crimes puis il propose la célèbre maxime (I, 101 BT, éd.

J. Martin, p. 5): Tantum religio potuit suadere malorum282. Lucrèce montre par la suite que

l’homme ne doit pas craindre la mort et les peines éternelles (110-111) et explique la

pensée d’Épicure au sujet de la nature de l’âme (112-144). Il cherche à dissiper les craintes

(145) et pour ce faire il expose que rien ne naît de rien, que rien ne retourne au néant, puis

vient ensuite sa doctrine physique, dans laquelle on trouve les questions reliées aux atomes

et au vide, et qui occupent la presque totalité de ce premier livre (265-920). Lucrèce rend

compte par la suite de l’obscurité du sujet de son ouvrage et indique (I, 931-932, BT, éd.

J. Martin, p. 35): primum quod magnis doceo de rebus et artis / religionum animum nodis

280 Le texte de Minucius Félix qui effleure le sujet est laissé de côté puisqu’il ne développe pas sa pensée au

sujet des atomes (Octauius, XVII). Les Diuinae institutiones et l’Epitome de Lactance mentionnent aussi ce

problème sans vraiment formuler des arguments (Diuinae institutiones, III, 17; Epitome, 32). 281 Selon A. Comte-Sponville, Lucrèce déconstruit la religion avec beaucoup plus de violence que ne l’a fait

Épicure: Le miel et l’absinthe, Paris, Hermann, 2008, p. 45-61. 282 « Tant la religion a pu encourager le mal. »

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exsoluere pergo283. Au sujet de son exposé sur la physique et les atomes, Lucrèce pense

donc que cela contribue à libérer l’homme de la religion, car, selon lui, si les phénomènes

naturels sont expliqués et que l’on ne doit pas redouter la mort, il n’y a dès lors plus de

raison d’être emprisonné par la religion284. L’exposé sur les atomes est donc enclavé, d’une

part, par l’éloge d’Épicure qui libère l’homme du joug de la religion et par l’annonce de

l’exposé sur la critique de la religion et, d’autre part, par ce dernier commentaire selon

lequel son exposé anéantit les liens de la religion. Or, entre les deux, pas un mot n’est

soufflé au sujet des dieux et du culte ! La pensée au sujet des atomes est donc, selon lui, un

discours qui renverse la religion et, bien qu’il ne le dise pas, cette pensée élimine tout effet

de la Providence. C’est pour cette raison que Cicéron, qui vise à sauvegarder la Providence,

s’attaque à la théorie des atomes.

Dans son traité intitulé De natura deorum, Cicéron présente le discours de

l’académicien Cotta qui répond à l’exposé de Velléius l’épicurien. Ce Cotta indique que

l’essence de sa réponse concerne la nature des dieux (I, 21, 57). Or, il est un académicien et

ne s’empêche pas de montrer son scepticisme concernant ce vaste sujet (I, 22, 61). Après

avoir mentionné ses doutes quant à leur existence, il concède, afin de pouvoir argumenter,

que les dieux existent et les épicuriens ne sont pas représentés comme agnostiques ou

athées (I, 22, 62, BT, 45, éd. W. Ax, p. 24, 21-24): […] quae communia sunt uobis cum

ceteris philosophis non attingam, ut hoc ipsum; placet enim omnibus fere mihique ipsi in

primis deos esse285. En fait, les épicuriens ne semblent pas se distinguer des autres

philosophes à cet égard, mais Cotta lui prend ses distances. Il répond également à

l’argument de Velléius selon lequel toutes les communautés et les races de la terre

admettent l’existence des dieux. C’est à ce moment que Cotta rappelle les figures de

Protagoras, l’agnostique, et des deux athées Diagoras et Théodore et ajoute aussi que cet

283 « Parce que, premièrement, j’enseigne au sujet de grandes choses et je continue à délier les liens de l’âme

[que retient] la religion étroite. » 284 « La gloire d’Épicure vient de ce qu’il a percé à jour les mystères de la nature par la seule puissance de son

esprit, et, livrant aux hommes ses découvertes, les a affranchis des croyances religieuses et de la peur de la

mort qui leur interdisaient tout vrai plaisir. »: A. GIGANDET, Lucrèce, atomes, mouvement: physique et

éthique, Paris, Presses universitaires de France, 2001, p. 5. 285 « Je n’aborderai pas les opinions qui sont communes à vous et aux autres philosophes, comme cette

opinion dont il est question; de fait, presque tous sont d’avis, et moi-même le premier, que les dieux

existent. »

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argument n’est pas propre aux épicuriens, mais également aux autres philosophes (I, 23,

63).

Par la suite, l’exposé de Cotta se concentre sur la théorie des atomes et des

conséquences qu’elle entraîne. Il objecte que si les dieux sont faits d’atomes, ils ont dès lors

commencé à exister à un certain moment et qu’ils cesseront d’exister un jour. Comme tout

ce qui naît meurt, si les dieux sont faits d’atomes, ils ne sont donc pas éternels (I, 24, 68). Il

mentionne également que si les atomes étaient entraînés vers le bas par leur poids, rien ne

serait en notre pouvoir, puisque leurs mouvements seraient déterminés et nécessaires d’où

l’idée d’Épicure, qui ne se trouve pas chez Démocrite, que l’atome dévie de sa trajectoire

lorsqu’il descend (I, 25, 68)286. On peut penser que Cotta mentionne cela pour montrer

qu’Épicure n’a pas voulu donner trop d’importance au déterminisme et a modifié certains

aspects de la pensée de Démocrite287. Il s’intéresse par la suite à la forme des dieux et c’est

à ce moment que la pensée concernant le quasi corpus des dieux est scrutée (I, 25, 71).

Cotta reproche à Épicure de concevoir la forme des dieux de manière identique à celle des

hommes (I, 32, 88-90). Il concède à Velléius que les dieux sont heureux, qu’on ne peut être

heureux sans la vertu et que la vertu ne peut exister sans la raison, mais Cotta n’accepte pas

la pensée épicurienne qui veut que la raison ne puisse exister que dans un être à forme

humaine (I, 32, 90). Il reproche à Épicure de dire que les dieux ressemblent aux hommes

plutôt que l’inverse. Selon lui, si tout est fait d’atomes, il est impossible que le hasard

produise une rencontre d’atomes si heureuse que les hommes naissent avec la forme des

dieux (I, 32, 91). Même si la Providence occupe une place non négligeable dans le traité de

Cicéron, la discussion au sujet des atomes concerne davantage la question de l’existence

des dieux et leur nature, plus précisément leur forme: la pensée épicurienne sur la rencontre

286 Le chant II du poème De rerum natura de Lucrèce est consacré aux problèmes entourant le mouvement

des atomes et, par conséquent, leur poids. A. Gigandet mentionne par ailleurs que cette déviation n’est pas

attestée dans les écrits conservés d’Épicure mais se trouve chez Lucrèce (II, 216-293). Cette déviation, ce

clinamen, est dès lors « le fondement du libre arbitre chez les êtres vivants »: Lucrèce, atomes, mouvement:

physique et éthique, 2001, p. 25. Cf. J. SALEM, Les atomistes de l’Antiquité: Démocrite, Épicure, Lucrèce,

Paris, Flammarion, 2013 287 Contrairement aux Recognitiones, Lactance ne reprend pas les arguments de Cicéron concernant le poids

des atomes et leur direction vers le bas: il choisit plutôt de parler de la forme des atomes. Dans les

Recognitiones, Nicétas utilise des arguments similaires à ceux de Cicéron, mais il est difficile de voir s’il le

fait afin de s’opposer à un déterminisme qui serait relié au fatum et à la genesis.

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fortuite des atomes ne peut justifier sa pensée sur la forme humaine des dieux. Cotta doit

donc réfuter la théorie des atomes, car elle a des incidences sur la nature des dieux.

Les quelques derniers paragraphes de la réponse de Cotta à l’endroit de Velléius

partagent encore plus de similarités avec le De ira Dei. Bien qu’il remette en doute

l’existence des dieux, Cotta croit toutefois que les dieux doivent être honorés et indique que

ce qui est excellent doit être honoré288. Tandis que l’idée d’honorer la divinité est dirigée

vers l’objet du culte, le dieu, Cotta rappelle également les devoirs de l’individu (I, 41, 116,

BT, 45, éd. W. Ax, p. 45, 18-20): Quae porro pietas ei debetur a quo nihil acceperis, aut

quid omnino cuius nullum meritum sit ei deberi potest? Est enim pietas iustitia aduersum

deos; cum quibus quid potest nobis esse iuris, cum homini nulla cum deo sit

communitas?289 On remarque dès lors que cela correspond exactement à la pensée de

Lactance, or ce dernier utilise le mot religio au lieu de pietas. Dans son sens romain, la

pensée de Lactance correspond davantage à la pietas qu’à la religio, entendue par Cicéron

comme culte respectueux des dieux (I, 42, 117, BT, 45, éd W. Ax, p. 46, 6): […] sed etiam

religionem, quae deorum cultu pio continetur290. Ce passage de Cicéron introduit la

distinction entre la superstitio et la religio: la première est liée à la crainte et la seconde au

culte respectueux des dieux291 – or, Lactance relie la crainte à la religion. Cicéron rapporte

ensuite les propos de Cotta à l’effet qu’Épicure refuse la bienveillance aux dieux (I, 43,

121, BT, 45, éd. W. Ax, p. 47, 11-13): Epicurus uero ex animis hominum extraxit radicitus

religionem, cum dis inmortalibus et opem et gratiam sustulit292. Il ajoute également que les

épicuriens considèrent la bienveillance comme une faiblesse (I, 122). On remarque dès lors

que Cicéron reproche à Épicure sa conception de l’inactivité divine qui a des incidences sur

la Providence. Celle-ci est au cœur de ce passage, mais elle se distingue de ce que l’on

trouve dans les Recognitiones et le De ira Dei. En effet, Cicéron en a contre l’idée que les

288 De ira Dei, 8, 3, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 116, 14-16. 289 « De plus, que peut devoir la piété à celui de qui on a rien reçu, ou que peut-on devoir à celui qui n’a aucun

mérite? De fait, la piété est la justice envers les dieux; que peut être le rapport de droit entre eux et nous alors

qu’aucun sens de communauté n’existerait entre l’homme et Dieu? » 290 « […] mais aussi la religion qui est maintenue grâce au culte pieux des dieux. » 291 Supra n. 265 p. 242. 292 « Mais Épicure, lorsqu’il a enlevé aux dieux immortels l’assistance et la bienveillance, a arraché de l’âme

humaine la religion par ses racines. »

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dieux ne seraient pas actifs dans le monde présent et jamais il ne traite de la question de la

création du monde par les dieux. Même s’il est responsable de la traduction du Timée de

Platon en langue latine, il ne semble pas intéressé dans le traité sur la nature des dieux par

la question de la création. Avec le système de classement de la Providence proposé dans les

Recognitiones, on doit dire que l’exposé de Cotta ne concerne que la Providence

particulière (Dieu agit dans le monde) et non pas la Providence générale (Dieu a créé le

monde)293. Le but de cette discussion au sujet des atomes est dès lors très différent de ce

que l’on trouve dans le De ira Dei et dans les Recognitiones. Ces deux derniers traités vont

reprocher à Épicure non seulement de nier l’action du Dieu dans le monde, mais également

la création de ce monde par ce Dieu. Cette insistance dans le De ira Dei et dans les

Recognitiones suggère encore une fois que la figure d’Épicure est employée pour s’attaquer

à des groupes, peut-être issus du « Neu-Marcionitismus » pour reprendre l’expression

d’A. Von Harnack, mais qui ne sont pas des groupes épicuriens.

Dans les Recognitiones, la discussion sur les atomes se trouve dans l’entretien entre

Nicétas et le vieillard au livre VIII. Le vieillard représente les tenants de l’astrologie et il

semble y avoir un lien avec l’école d’Épicure, car Nicétas dit bien connaître cette doctrine,

ce à quoi le vieillard répond que sa pensée va au-delà de la pensée d’Épicure294. Mais il est

clair que le discours de Nicétas cherche à pourfendre l’idée que le monde est en quelque

sorte sous l’influence du destin, puis il présente la seule possibilité: la Providence divine

(VIII, 12, 1-2). Avant d’entamer la discussion, Nicétas exprime les mêmes préoccupations

que Lactance (VIII 12, 3-4, GCS, éd. B. Rehm, p. 224, 1-5): Cum uero rident eos qui ad

uirtutem prouocant et ad continentiam cohortantur, et dicunt, quia nemo potest facere

aliquid aut pati, nisi quod ei fato decretum est, omnem profecto cultum diuinitatis

abscidunt. Quid enim colas eos, a quibus promereri nihil possis, quod non patiatur ratio

decreti?295 En comparaison avec le texte de Cicéron, on remarque que l’idée du destin, qui

renverse la Providence, suscite la destruction du culte. On note également que l’exhortation

293 Supra n. 83 p. 201. 294 Supra p. 194. 295 « Mais lorsqu’ils ridiculisent ceux qui excitent à la vertu, et exhortent à la continence, et lorsqu’ils disent

qu’à moins que cela n’ait été décrété par le destin, personne ne peut faire ou subir quelque chose, ils

suppriment complètement tout culte de la divinité. Qui en effet adore les dieux, de qui il ne peut rien se

mériter à moins que le destin ne le permette. »

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à la vertu et à la continence étaient absentes de l’exposé de Cotta: ce n’est pas une

préoccupation en lien avec la religion romaine296. Quoi qu’il en soit les préoccupations de

l’auteur sont sensiblement les mêmes que celles de Lactance: si la Providence est renversée,

à quoi bon adresser un culte à Dieu? Il ajoute par la suite (VIII 12, 5, GCS, éd. B. Rehm,

p. 224, 5-8): Ego uero mundum dico a deo factum et ab ipso quandoque esse soluendum, ut

ille appareat qui aeternus est et ad hoc factus, ut semper sit et dignos se recipiat iudicio

Dei297. Non seulement les Recognitiones ajoutent la notion de Providence générale, liée à la

création du monde, mais également la notion de jugement divin à la Providence

particulière. Contrairement à Cicéron qui entend la Providence comme l’action du Dieu

dans le monde, les Recognitiones étendent la Providence jusqu’au jugement divin dans

l’au-delà. Cette idée de jugement divin ne fait pas partie de la discussion sur les atomes

dans le De natura deorum: elle est toutefois bien présente dans le De ira Dei même si ce

jugement semble se situer dans les temps présents.

Tandis que Cotta souligne l’opinio communis concernant l’existence des dieux,

l’auteur des Recognitiones transforme cet accord des philosophes au sujet du Dieu

créateur298 (VIII, 13, 1, GCS, éd. B. Rehm, p. 224, 10-12): Nunc interim quia factus sit

mundus iste uisibilis, testantur etiam philosophorum plurimi sapientes uiri299. Or, les

chapitres 13 et 14, qui présentent la formation du monde visible selon qu’il est corporel,

traitent de la question des deux variantes des corps: ils sont soit solides et compacts ou

divisés et séparés. S’en suit une discussion sur le mélange, la division, la séparation. Cette

discussion est absente du De ira Dei; seul un passage pourrait partager certaines affinités

avec cette pensée, il s’agit du passage au sujet de l’âme et du corps (15, 3, SC, 289, éd.

C. Ingremeau, p. 164, 16-18): […] anima et corpore, quorum alterum caelo ascribitur quia

296 « […] un lien entre pratique religieuse et morale était innatendu: dans l’Antiquité c’est la philosophie, non

la religion, qui invite à la rectitude »: M. DESPLAND, La religion... 1979, p. 41. 297 « Mais je dis que le monde a été fait par Dieu et qu’il doit le dissoudre un jour afin qu’apparaisse ce

[monde] éternel fait pour exister pour toujours et recevoir ceux qui sont dignes du fait du jugement de Dieu. » 298 Lactance s’écarte également de Cicéron qui souligne que tous ont reconnus l’existence des dieux.

Lactance, tout comme l’auteur des Recognitiones, mentionne que les premiers philosophes avaient tous la

même opinion au sujet de la Providence générale et particulière, c’est-à-dire que Dieu a fait le monde et le

gouverne (9, 1, SC, 289, éd. 120, 1-6). 299 « Pour l’instant, que ce monde visible ait été fait, plusieurs hommes sages issus des philosophes

l’attestent. »

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tenue est et intractabile, alterum terrae quia conprehensibile est; alterum solidum et

aeternum est, alterum fragile atque mortale […]300. Il semble y avoir très peu de liens entre

les deux passages, mais la particularité d’être solidum est rattachée au chapitre 14 des

Recognitiones à Dieu, tout comme à l’âme chez Lactance. Quoi qu’il en soit, il semble que

ce lien est lui-même ténu et l’on doit admettre que ce développement, qui sert de prélude à

la discussion sur les atomes dans les Recognitiones, est absent du De ira Dei.

Le chapitre 15 traite du problème des éléments chez les philosophes. Ce thème des

éléments est également présent de façon plus discrète chez Lactance301. Puisque la

discussion avec le vieillard reprend et corrige peut-être la pensée de Bardasane d’Édesse302,

dont une partie importante de la pensée concerne les éléments, on peut penser que ce détour

est indispensable. Le chapitre 16 des Recognitiones poursuit, plus précisément, au sujet du

mélange de ces éléments303. Mais même s’il s’agit d’un passage sur le destin et l’astrologie,

il n’en demeure pas moins que le chapitre 16 se conclut avec un lien clair à Épicure et aux

atomes (VIII, 16, 5, GCS, éd. B. Rehm, p. 226, 22-25): Igitur si mundi conditor deus esse

tam euidenter ostenditur, qui erit Epicuro locus introducendi atomos et adserendi quod ex

corpusculis insensibilibus non solum sensibilia corpora, sed et mentes intellectuales ac

rationabiles fiant?304 Ces chapitres 15 et 16, qui concernent les éléments, se termine donc

avec l’opposition à Épicure. Il en va de même dans le passage de Lactance (10, 4, SC, 289,

éd. C. Ingremeau, p. 124, 16-20): Quattuor elementis constare omnia philosophi ueteres

disserebant. Ille noluit, ne alienis uestigiis uideretur insistere, sed ipsorum elementorum

300 « […] âme et le corps, dont l’un est assigné au ciel parce qu’il est fin et immatériel, l’autre à la terre parce

qu’il est tangible; l’un est solide et éternel, l’autre fragile et mortel. » 301 Dès le début de son développement sur les atomes, Lactance mentionne brièvement ce point concernant les

philosophes et les éléments (10, 4). 302 Selon N. Kelley, l’auteur des Recognitiones s’approprie la pensée de Bardasane et la corrige afin de

répondre à ceux qui croient dans le pouvoir du destin et des astres: « Astrology in the Pseudo-Clementin

Recognitions », The Journal of Ecclesiastical History 59/4 (2008), p. 607-629. Il semble que Bardasane ait

lui-même crut au destin (Fortuna), tout comme Arnobe, et était intressé par l’astrologie: J. TEIXIDOR,

Bardesane d’Edesse: la première philosophie syriaque, Paris, Les éditions du Cerf (coll. Patrimoines,

Christianisme), 1992, p. 90-93; J. TEIXIDOR, « Bardesane d’Édesse: philosophie syriaque et stoïcien

chrétien », dans M.-F. Baslez (dir.), Les premiers temps de l’Église, Paris, Éditions Gallimard, 2004, p. 474. 303 Cette idée de mélanger des éléments est également présente dans la pensée de Bardasane: N. KELLEY,

« Astrology in the Pseudo-Clementin Recognitions », 2008, p. 610. 304 « S’il est donc montré de manière si évidente que Dieu est le créateur du monde, quelle sera la place pour

Épicure qui a introduit les atomes et soutenu que non seulement les corps sensibles sont fait de corpuscules

imperceptibles, mais encore les esprits sont faits de choses intellectuelles et rationnelles. »

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alia uoluit esse primordia quae nec uideri possent nec tangi nec ulla corporis parte

sentiri305. Ces deux passages reprochent à Épicure d’avoir rejeté les éléments pour les

remplacer par les atomes. Dans les Recognitiones, si Dieu est créateur, la pensée d’Épicure

est fausse. Lactance ouvre également sa discussion sur les atomes par le rejet par Épicure

d’une création émanant de la Providence divine (10, 1, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 124,

1-3): Qui nolunt diuina prouidentia factum esse mundum, aut principiis inter se temere

coeuntibus dicunt esse concretum aut repente natura extitisse […]306. Dans ces deux textes,

le passage au sujet des éléments introduit la discussion purement « physique » au sujet des

atomes. Tandis que les Recognitiones présentent des objections quant au poids des atomes,

le De ira Dei contient les réticences exprimées dans le De natura deorum quant à leur

forme. Il est dès lors difficile de faire un parallèle entre les différentes objections apportées

pour réfuter la pensée d’Épicure concernant les atomes. Il est probable que les deux auteurs

divergent en raison de leurs connaissances de la physique de leur temps, ou des

connaissances de leurs contemporains immédiats: l’un écrit en Orient, l’autre en Occident.

Il est également possible que les Recognitiones, qui s’opposent au fatum et à la genesis,

formulent des arguments quant au poids des atomes pour réfuter un certain

déterminisme307; le De ira Dei, qui s’oppose à la forme ronde et lisse des atomes,

s’opposerait plutôt à la contingence308. Quoi qu’il en soit, la structure du discours de

Nicétas offre d’autres parallèles, mais ces derniers se trouvent en dehors de la digression

sur les atomes contenue dans le De ira Dei.

Après avoir terminé la discussion sur les atomes – la réfutation de la théorie atomique

s’étend du chapitre 17 à 19 –, Nicétas poursuit son discours et ouvre le chapitre 20 avec une

citation du Timée de Platon. Celle-ci propose que le monde, s’il est fait et visible, ait un

auteur puisque c’est la particularité des choses corporelles et palpables. Le passage se

305 « Les philosophes anciens ont pensé que toutes choses étaient composées de quatre éléments. Pour ne pas

avoir l’air de suivre les traces des autres, [Épicure] n’a pas voulu penser cela, mais il a voulu que ces mêmes

éléments originent d’autres choses que l’on ne peut ni voir ni toucher ni percevoir par aucune partie du

corps. » 306 « Ceux qui ne veulent pas que le monde ait été créé par la divine Providence, affirment ou bien que les

éléments premiers se regroupant au hasard ont été mélangé, ou bien que la nature a commencé à exister tout à

coup. » 307 Infra p. 260. 308 Infra p. 260.

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poursuit en indiquant que cet artisan et père de toutes choses est difficile à découvrir et

impossible à expliquer (VIII, 20, 3-4). Sans citer ce passage, on remarque que Lactance a

ce même passage en tête (11, 11, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 148, 55-58): Vnus est igitur

princeps et origo rerum deus, sicut Plato in Timaeo et sensit et docuit: cuius maiestatem

tantam esse declarat ut nec mente conprehendi nec lingua exprimi possit309. Par la suite, le

chapitre 21 n’offre aucun parallèle dans l’ouvrage de Lactance: ce chapitre aborde l’aspect

sphérique du ciel310.

À partir du chapitre 22, le texte des Clementina propose des arguments afin de

montrer l’utilité de la création; celle-ci enseigne de surcroît la Providence divine. Il est

possible de faire des parallèles avec certains arguments proposés dans le De ira Dei. Le

chapitre 22 des Recognitiones montre que Dieu a régulé le cours du soleil et des astres et,

qu’en conséquence, cela produit le jour et la nuit, les saisons, etc. Lactance présente en

quelque sorte les mêmes idées, mais ajoute un passage sur la lune, les Recognitiones ne

décrivant que les bienfaits du soleil. Lactance ajoute aussi un passage sur l’utilité du vent et

des nuages qui se trouve au chapitre 23 des Recognitiones. Puis Lactance parle des

moissons (13, 7) ce qui correspond aux Recognitiones (VIII, 23, 6). Or, même si l’on

reconnaît quelques thèmes qui se trouvent dans les deux ouvrages, on doit tout de même

admettre que les deux développements, même s’ils s’efforcent tous deux de prouver la

Providence divine, agencent l’argumentation de manière différente. Les Recognitiones

mettent l’accent sur la reproduction des animaux pour prouver la Providence tandis que

Lactance souligne l’utilité des animaux pour nourrir l’homme et le vêtir. Quoi qu’il en soit,

on remarque que la structure du discours de Nicétas et sa progression sont en quelque sorte

reproduites dans le traité de Lactance.

Cette progression des arguments proposée par Nicétas se trouve avant et après la

digression sur les atomes dans le De ira Dei. Tandis que le discours de Nicétas répond d’un

309 « Dieu est donc un, il est le principe et l’origine des choses, comme Platon l’a compris et enseigné dans

son Timée: il indique que sa majesté est telle qu’on ne peut la comprendre ni l’exprimer avec des mots. » 310 Les Homiliae (III, 35) et les Recognitiones (VIII, 21), qui proposent un modèle sphérique du monde,

s’opposent à ce que l’on trouve dans les Diuinae institutiones (III, 24) où Lactance soutient plutôt un modèle

archaïque du monde. Cf. H. INGLEBERT, Interpretatio Christiana: Les mutations des savoirs (cosmographie,

géographie, ethnographie, histoire) dans l’Antiquité chrétienne 30-630 après J.-C., Paris, Institut d’Études

Augustiniennes (coll. Série Antiquité 116), 2001, p. 36-63.

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seul trait à la pensée du vieillard sur le destin, la reprise des arguments par Lactance est

organisée de manière un peu différente. Lactance, lorsqu’il traite de l’origine de la religion

qui aurait été instaurée par des sages (A), annonce une digression en 8, 10 au sujet de la

Providence (B) et celle-ci donne rapidement lieu à un développement sur les atomes (C).

Cette discussion se trouve au chapitre 10 (10, 1-10, 46) et se conclut par un retour sur cette

idée de religion instaurée par les sages (A’) et Lactance conclut par la suite au sujet de la

Providence (B’). Or, si les arguments d’utilité des éléments (astres, animaux, etc.) se

trouvent après la discussion sur les atomes dans le discours de Nicétas (VIII, 17-VIII, 19,

5), ils ne sont pas coupés de la réfutation des atomes et font partie de la même

argumentation à l’endroit du vieillard. On trouve ces arguments également chez Lactance,

mais ils sont coupés de la digression au sujet des atomes par le chapitre 11, qui cherche à

prouver qu’il n’y a qu’un seul Dieu, et le chapitre 12, qui constitue en quelque sorte une

transition dans le traité puisqu’il récapitule les arguments précédents et annonce ce qui suit.

Lorsque l’on compare ces trois textes, on note dès lors que certains arguments sont

abordés de la même manière, d’autres différemment. Le De ira Dei partage donc certaines

affinités avec le texte de Cicéron et celui des Clementina; il affiche également des

divergences avec ces deux mêmes textes. Non seulement on remarque ces affinités au

niveau des arguments, mais également au niveau de la structure de ces arguments.

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Tableau 2

De natura deorum Recognitiones De ira dei

Utilité du culte I, 118 (A) VIII, 12, 4 8, 7-8, 8

Religion créée par des sages I, 77 (B) 8, 9-8, 10 (A)

Providence générale et particulière VIII, 13, 1 9, 1 (B)

Protagoras I, 63 9, 2

Diagoras et Théodore I, 63 9, 7

Existence des dieux I, 22, 61-1, 23, 64

Épicure a tort: le monde est créé par Dieu VIII, 16, 5 9, 4 et 10, 1

Réfutation de la théorie atomique I, 23, 65 VIII, 17-VIII, 19, 5 10, 1-10, 46

Les atomes et la forme des dieux I, 24, 68 sqq.

Protagoras, Diagoras et Théodore I, 117 10, 47

Religion créée par des sages I, 118 (B’) 10, 48-10, 49 (A’)

Providence générale et particulière 10, 50- 10, 53 (B’)

Utilité du culte I, 122 (A’)

Témoignage de Platon VIII, 20, 2 11, 11

Utilité des astres VIII, 22, 3 13, 3-13, 6

Utilité des nuages VIII, 23, 5 13, 7

Utilité des plantes et animaux VIII, 25, 1 10, 13-15; 13, 8-

13, 12

Constitution de l’homme VIII, 28, 3-4 15, 3

On retient donc que la défense de la Providence chez Cicéron s’attache à l’action des

dieux dans le monde et non pas à la création du monde par ceux-ci. Le problème principal

que Cicéron cherche à régler est celui de l’inactivité des dieux dans le monde qui, en

conséquence, pousse les épicuriens à ne pas être actifs dans la cité. On remarque en

revanche que la création est au cœur de la réfutation de la doctrine atomique dans les

Recognitiones et le De ira Dei. Il est clair que la création ex nihilo est fort importante pour

les auteurs chrétiens et cela est tout à fait étranger à Cicéron. La figure d’Épicure, qui n’est

pas représenté comme quelqu’un qui s’oppose à un Dieu créateur du monde chez Cicéron,

en vient à devenir l’ennemi la Providence créatrice du monde. On note aussi que l’emploi

des figures de Diagoras, de Théodore et enfin de Protagoras, est un lieu emprunté à Cicéron

et il ne figure pas dans les Recognitiones. Même si Lactance mentionne que Diagoras de

Mélos et Théodore de Cyrène sont athées, il souligne plus particulièrement le fait qu’ils ont

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nié la Providence divine311. Il en va de même pour la réfutation de cette idée qui veut que la

religion ait été inventée par des sages: elle est absente des Recognitiones, mais présente à la

fois chez Cicéron et Lactance. Les deux textes chrétiens s’éloignent aussi de l’essence de la

discussion de Cicéron au sujet de la nature des dieux. Pour ce dernier, la forme des dieux

est l’une des raisons pour réfuter la théorie des atomes qui, selon lui, rend les dieux mortels.

Cet aspect est tout à fait absent du texte de Lactance et celui des Clementina même s’il est

question de la forme de Dieu à d’autres endroits dans les textes. Épicure, qui est une cible

facile chez Cicéron quant à la forme divine, n’est pas associé à ce problème dans le De ira

Dei ni dans les Recognitiones. Pourtant, si l’on s’attaque vraiment à Épicure, comme ce

problème est contenu dans les deux textes, on s’attendrait à ce qu’Épicure soit critiqué à ce

sujet. On s’attendrait également que Lactance s’attaque à la pensée de Lucrèce qui, d’une

part, invite à ne pas redouter les peines éternelles et, d’autre part, propose une doctrine

matérialiste de l’âme312. Ces deux derniers points, fort importants pour la pensée

épicurienne, ne sont pas réfutés dans le De ira Dei. Il est étonnant que dans un traité sur la

colère et le jugement de Dieu, traité qui affirme combattre les positions épicuriennes, on ne

puisse trouver aucune trace de justification des peines éternelles qui sont en quelque sorte

liées au jugement divin, pas plus qu’on ne trouve de démonstration de l’immortalité de

l’âme qui est préalable au jugement divin après la mort313. Cela montre encore une fois

qu’Épicure remplit une fonction et qu’aucun de ces deux textes ne s’attaque vraiment à sa

pensée.

Les arguments contenus dans le De ira Dei partagent aussi quelques affinités avec

ceux des Recognitiones. Concernant la structure de l’argumentation, il semble que le texte

de Lactance emprunte au texte de Cicéron et à celui des Clementina. Forcement, Lactance

tente, en prenant une bonne partie de sa réflexion dans les Recognitiones, d’adapter cette

discussion au monde latin en recourant au modèle offert par Cicéron. Il transforme

également les arguments peut-être parce que ses adversaires sont davantage aux prises avec

311 9, 7, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 122, 34-36. 312 Supra p. 246. 313 Pour ce qui est de l’immortalité de l’âme, elle n’est pas traité dans l’argumentatio et se trouve brièvement

mentionnée dans l’épilogue en 24, 8-10.

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des problèmes de contingence que de déterminisme comme c’est le cas dans les

Recognitiones.

Quelques remarques sur les atomes dans le De ira Dei

Si Cicéron s’efforce de réfuter la théorie des atomes parce qu’il pense que cela affecte

la nature des dieux et de leur forme314, Lactance s’oppose à la théorie d’Épicure pour

d’autres raisons. Une analyse du passage sur les atomes de Lactance montre que l’accent

est placé tout particulièrement sur le caractère fortuit d’une création fait à partir d’atomes,

ce qui est absent des Recognitiones et du De natura deorum. Le tableau suivant reprend le

plan proposé plus haut et ajoute les grandes lignes de la digression sur les atomes:

Tableau 3

A (8, 9-8, 10): Religion instaurée par des sages

B (9, 1-9, 8): Providence générale et particulière

C (10, 1-10, 46): Atomes

10, 1-10, 2: introduction

10, 3-10, 40: refutatio

10, 3-10, 8: la forme des atomes

10, 9-10, 17: les atomes en tant que semences

10, 18-10, 27: les choses terrestres faites d’atomes

10, 28-33: choses célestes faites d’atomes

10, 34-10, 40: le monde créé par la nature

10, 41-10, 46: confirmatio

A’ (10, 48-10, 49): Religion instaurée par des sages

B’ (10, 50-10, 53): Providence générale et particulière

314 Si les dieux sont faits d’atomes, ils ne sont dès lors pas éternels pour Cicéron et ils peuvent non plus avoir

la forme humaine, supra p. 248.

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D’entrée de jeu, dans l’introduction (10, 1-10, 2), Lactance souligne l’opposition

entre la Providence divine et les atomes qui sont en fait la réunion fortuite des éléments315.

Dès le début de sa refutatio, il emploie à nouveau un adjectif qui souligne le caractère

fortuit de cette rencontre316 et mentionne que celle-ci a donné la cohésion à l’univers. Il

insiste par la suite sur la forme des atomes à savoir qu’ils sont ronds et lisses ou encore

anguleux et crochus (10, 3-10, 8). Dans un cas comme dans l’autre, pour Lactance, les

atomes ne peuvent s’agglutiner pour former les choses: ils ne peuvent donc pas être

responsables de la cohésion du monde. Il réfute, par la suite, le fait que les atomes se

déplacent dans le vide en mouvements incessants et ce passage ouvre sur le problème de la

semence: si l’union des atomes se fait dans le vide, il souligne que l’on a besoin de la terre

pour faire pousser un arbre (10, 15, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 128, 68-71): Vnde

apparet nihil ex atomis fieri, quandoquidem una quaeque res habet propriam certamque

naturam, suum semen, suam legem ab exordio datam317. Encore une fois, si les premières

phrases de cette digression soulignaient le caractère fortuit des atomes, Lactance montre

que les choses sont régies par une loi et cet ordre s’oppose à la contingence. Lorsqu’il parle

des choses terrestres, il souligne que l’agencement ne peut être le fruit du hasard et

s’oppose encore une fois à la contingence (10, 22, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 132,

105-109): Quid ergo de animalibus loquar, in quorum corporibus nihil sine ratione, sine

ordine, sine utilitate, sine specie figuratum uidemus, adeo ut sollertissima et diligentissima

omnium partium membrorumque discriptio casum ac fortunam repellat?318 Encore une fois,

Lactance s’oppose vivement à l’idée que le monde soit le résultat d’un hasard. Par la suite,

il parle de cet agencement et la raison prend une place importante. Il demande comment à

partir d’une disposition des éléments, qui est due au hasard et non pas à la raison, on peut

obtenir quelque chose de rationnel et (10, 25, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 132, 122-124)

Quae quia supra hominis sensum et ingenium est, cui rectius quam diuinae prouidentiae

315 Supra n. 306 p. 253. 316 Fortuitus: 10, 3, SC, 289, éd. C. Ingremeau, p. 124, 11. 317 « De là, il appert que rien ne devient à partir des atomes, puisque chaque chose a sa propre et unique

nature, sa semence, sa loi est donnée depuis le début. » Les Recognitiones aborde également ce problème de

semence mais relié à la Providence uniquement et non pas en lien avec les atomes (VIII, 25, 1-4). 318 « Que dire donc au sujet des êtres animés dont le corps ne montre rien qui est sans raison, sans ordre, sans

utilité, sans paraître configuré, à tel point que cette organisation si ingénieuse et si consciencieuse de toutes

les parties et des membres écarte [la possibilité] d’un accident et du hasard. »

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tribuenda est?319 Concernant les choses célestes, Lactance propose enfin que si tout ce qui

est terrestre ne peut être formé d’atomes, il en va de même des choses célestes. Il

mentionne un argument de Cicéron en 10, 29, indiquant que les dieux, s’ils sont faits

d’atomes, ne sont pas éternels, mais le reste de la discussion s’éloigne de ce que l’on trouve

chez l’Arpinate.

Lactance insère dans ce développement sur les atomes un passage à la fin de la

refutatio qui ne concerne ni les atomes ni les épicuriens: il s’agit d’un passage sur la pensée

stoïcienne à l’effet que la nature serait responsable de la création de l’univers. Il est un peu

étonnant de voir surgir ce passage dans une digression sur les atomes, mais on constate

l’utilité de cet argument puisqu’il reste sensiblement dans la même trajectoire que le

précédent au sujet de la raison: si la nature est insensible et informe, comment peut-on

obtenir d’elle quelque chose de raisonné? En 10, 39 et 40, Lactance résume ses arguments

avant de passer à la confirmatio et l’on remarque encore dans ce passage l’importance

donnée à la raison.

L’impossibilité d’obtenir la création de manière accidentelle – donc l’opposition de

Lactance envers la contingence – et le caractère invraisemblable d’un monde qui serait

ordonné par des atomes ou la nature dépourvue de raison résument l’essentiel de la

refutatio. Il est toutefois plus difficile de déceler dans celle-ci la pensée d’Arnobe ou des

groupes chrétiens mentionnés plus haut. On pourrait voir dans la dichotomie entre choses

célestes et choses terrestres une reprise de l’opposition entre le Dieu suprême et le

démiurge, mais ce genre de lien, bien qu’il puisse être développé, serait tout de même ténu.

Il peut néanmoins être souligné que Lactance martèle à plusieurs endroits que les atomes

sont reliés au hasard et il forme des arguments qui s’opposent à cette contingence et non

pas au déterminisme comme cela semble être le cas dans les Recognitiones320. Tandis que

319 « […] cette raison, parce qu’elle est au dessus de la pensée et de l’intelligence humaine, à qui mieux

l’attribuer si ce n’est à la Providence divine? » 320 Il est difficile d’établir la fonction des arguments contenus dans les Recognitiones concernant les atomes.

Ce texte reprend les mêmes arguments au sujet du poids des atomes qui étaient proposés chez Cicéron. Or, de

l’aveu de Cicéron lui-même, c’est Épicure qui ajoute cette idée que les atomes dévient de leur trajectoire

lorsqu’ils sont attirés vers le bas: cela est absent des Recognitiones. Selon Cicéron, Épicure mentionne cette

déviation pour corriger l’erreur de Démocrite qui accorde une place trop importante au déterminisme. Puisque

cette déviation est absente des Recognitiones, que ce texte parle amplement du libre arbitre et qu’il combat le

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les Recognitiones opposent le libre arbitre au déterminisme, le De ira Dei s’oppose à la

contingence et formule sa confirmatio autour de la nécessité de la raison. C’est pourquoi il

réitère cette idée que Dieu a donné une parcelle de sagesse à l’homme, tout comme il le fait

en 7, 3321, et il ajoute à cela la voix de Cicéron au sujet de l’origine divine de l’âme (10,

45-10, 46).

La fonction de la digression sur les atomes, en plus d’être essentiellement présente

dans le texte pour justifier la Providence, s’oppose à la contingence et donne une place

importante à la raison, mais surtout, à l’origine divine de l’homme. Cela n’est pas sans

rappeler le pessimisme d’Arnobe qui ne distingue aucunement l’homme et de la bête et

refuse aussi que l’homme soit d’origine divine322. Pour ce qui est de la contingence,

l’ouvrage d’Arnobe contient également quelques passages qui révèlent sa pensée au sujet

de la direction de l’univers. Pour contrer les accusations des non-chrétiens, voulant que des

fléaux se produisent dans la nature en raison du christianisme, Arnobe propose aux

chapitres 9 et 10 du premier livre que la nature est en quelque sorte responsable de cela. Ce

ne sont pas les dieux qui dirigent la pluie, le soleil et il propose ensuite le fond de sa pensée

(I, 9, 4, CUF, éd. H. Le Bonniec, p. 142): Euenta haec omnia quae fiunt et accidunt mole

sub hac mundi commodulis non sunt nostris sed ipsius pendenda sunt rationibus

ordinibusque naturae323. L’argument d’Arnobe cherche à montrer aux non-chrétiens que

l’on ne peut considérer quelque événement à l’aune de nos intérêts. Cet extrait n’affirme

pas hors de tout doute que la nature est responsable de ce qui arrive, mais le suggère à tout

le moins. Quelques lignes plus loin, Arnobe confirme que le monde est responsable de

produire les famines, les épidémies, maladies, etc. (I, 10, 3). À cette idée de colère divine,

fatum et l’horoscope, on peut penser qu’il s’oppose à une forme de déterminisme par ses arguments au sujet

des atomes, ce qui n’est pas le cas de Lactance. Concernant l’absence de la déviation, il semble que l’auteur

des Recognitiones se devait de passer sous silence cette déviation s’il voulait montrer que la théorie des

atomes s’oppose au libre arbitre supra n. 286 p. 248. De plus, comme l’épicurisme s’oppose au destin et est

favorable au libre arbitre (R. P. JUNGKUNTZ, « Fathers, Heretics and Epicureans », 1966, p. 9), il est dès lors

impossible que l’auteur des Recognitiones s’en prenne à la philosophie du jardin; le passage et son contexte

montre une fois de plus que la figure d’Épicure est utilisée afin de s’en prendre à des mouvements jugés

hérétiques. 321 Supra n. 238 p. 236. 322 Les passages de l’Aduersus nationes II, 15 et II, 48 supra n. 227 p. 233 et n. 230 p. 233. 323 « Tous ces événements, qui se produisent et arrivent en raison du poids de ce monde, ne doivent pas être

pesé par nos intérêts, mais par les raisons et les priorités de cette même nature. »

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qui envoie les maux pour juger le peuple romain en raison du christianisme, Arnobe répond

que la divinité ne peut être en colère et que les maux sont produits par le monde ou la

nature. Même s’il s’agit d’un ouvrage destiné à des non-chrétiens, il n’en demeure pas

moins qu’il est le témoin d’une pensée qui était possible à l’époque de Lactance, à savoir

que la Providence n’est pas responsable de ce qui arrive dans le monde, que les fléaux ne

peuvent être que des jugements de la colère divine. Même si l’ouvrage d’Arnobe en est un

dirigé à l’endroit des non-chrétiens, Lactance corrige cette idée qui lui paraît erronée.

Il se doit de corriger cette conception qui semble circuler dans les milieux chrétiens

(tout comme en témoigne également l’écrit réfuté par Augustin dans son Contra

aduersarium legis et prophetarum). Au moment où l’Empereur devient chrétien et que la

religion obtient droit de cité, après des persécutions très dures, il est possible que certains

chrétiens regardent d’un œil sceptique ces développements récents et qu’ils ont beaucoup

de difficulté à y voir un plan divin. La doctrine d’Arnobe et de Fabricius peut, tout comme

l’épicurisme, provoquer un désengagement face au monde et à la cité. Dans le cas de ces

groupes chrétiens, il est possible que ce désengagement se produise particulièrement dans

l’Église. Car que doit-on penser du fait que le christianisme devient religion admise par

l’État si Dieu ne contrôle rien? Comment doit-on concevoir notre place sur terre si le

monde n’est pas créé par Dieu? Le manque d’information sur ces mouvements rend la

possibilité d’hypothèses sûres très difficile. On peut à tout le moins dire que Lactance veut

corriger ces doctrines sur la nature divine qui semblent nier la Providence et laisser le

monde à lui-même, que ces doctrines se trouvent au sein de l’Église et que ce genre de

raisonnement détruit la religion même à laquelle ces gens affirment appartenir. Le monde

ne s’est pas créé par lui-même (Providence générale) et rien dans ce monde n’arrive par

hasard (Providence particulière), les événements qui se produisent arrivent par la volonté

divine. La digression sur les atomes a pour but premier de justifier la Providence divine.

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263

Conclusion

Cette enquête s’est principalement intéressée à la place centrale occupée par la notion

de religio dans le traité de De ira Dei. Contrairement à ce que son titre indique, la colère

divine est très peu discutée dans le traité comme l’ont noté plusieurs chercheurs. Plus

encore que la colère, la première partie du traité tente de montrer que la religion ne peut

exister là où il n’y a pas de crainte. Cette idée est contraire à ce que l’on trouve dans la

philosophie de la religion chez les auteurs latins, notamment chez Varron et Cicéron. Pour

ces derniers, la crainte des dieux est reliée à la superstitio tandis que la relation

bienveillante entre les dieux et les hommes relève de la religio. En développant sa

conception de la religion autour de la crainte, Lactance renverse en quelque sorte les

définitions généralement reçues. Il s’agit d’une façon beaucoup plus juive que romaine

d’aborder la religio et cette manière d’entrevoir ce concept le rapproche de la pietas. Tandis

que les penseurs romains tendaient à donner une définition objective de la religio, centrée

sur les cultes, Lactance donne à religio une valeur qui est plus subjective.

Les définitions similaires ne sont pourtant pas très fréquentes dans les écrits des

auteurs chrétiens latins. On remarque toutefois que l’on propose ce genre de définition plus

subjective, parfois accolée à la piété, dans des écrits qui concernent la disciplina et dans les

ouvrages contre les hérétiques. Le De ira Dei comporte par ailleurs les mêmes traits que les

ouvrages des Pères latins contre les hérétiques. D’une part, ceux-ci n’emploient pas le

terme superstitio pour désigner les mouvements qui s’écartent de l’Église. Cela vient

renforcer l’idée que ce terme ne renferme pas en lui-même la notion de déviance religieuse,

même s’il est souvent employé de façon péjorative. Plus encore, le fait que les auteurs

chrétiens latins choisissent des termes comme haeresis et sectae pour désigner les groupes

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264

jugés hérétiques, plutôt que superstitiones, révèle leur manière d’aborder ces phénomènes.

De fait, pour être la secta ou l’haeresis d’un mouvement, il faut a priori avoir un lien

quelconque avec celui-ci. Ce mouvement est la religio christiana, expression qui est

employée pour la première fois non pas dans l’apologétique, mais bien dans le traité

Aduersus Marcionem de Tertullien. Les marcionites se sont en quelque sorte éloignés du

noyau de cette religio christiana et en sont une secta ou une haeresis particulière.

Certains extraits de Novatien révèlent des idées similaires sur la manière d’aborder

les groupes marginaux nommés haeresis. Pour lui, ces gens peuvent affirmer appartenir à la

même religion aussi longtemps qu’ils comprennent la même chose que les autres chrétiens

de la Grande Église. Ils peuvent être distincts comme le Fils l’est du Père, mais non pas

différents. Le problème des haeretici est qu’ils sont non seulement distincts, mais

également différents. On remarque dès lors que la discussion a pour point de départ la

religio et qu’à mesure que les groupes deviennent différents, ils s’éloignent de la religio

pour devenir des haeresis et des sectae: ils ne sont toutefois jamais affublés du terme

superstitiones.

Cela semble indiquer que malgré les différences entre ces groupes, les Pères latins

reliaient les hérétiques à la religio christiana. Ces groupes n’étaient donc pas considérés

comme d’une autre religion, mais une déviance au sein du christianisme.

Au quatrième siècle, le siècle de composition du De ira Dei, on trouve plusieurs

utilisations de falsae religiones pour désigner les cultes non chrétiens. Dès le début du traité

sur la colère, Lactance indique que les gens qui reconnaissent ces falsae religiones se

situent au premier échelon pour accéder à la vérité. Or, son texte ne s’adresse pas à ces gens

et il s’agit du seul emploi qui désigne les cultes non chrétiens dans tout le texte. Il s’agit dès

lors d’une indication qui remet en question le genre apologétique du texte.

Si l’on compare certains traits présents chez les Pères latins, on remarque que la façon

de présenter la religio dans le De ira Dei est similaire à celle qui est employée dans la

littérature hérésiologique plutôt que celle que l’on trouve dans les ouvrages apologétiques.

Les quelques caractéristiques mentionnées correspondent bien au traité de Lactance:

absence du mot superstitio, définition de la religio qui s’approche de la piété dans un

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265

premier temps et qui est en lien avec la crainte divine dans un second temps. Non pas que

ces traits soient uniques à l’hérésiologie, car ils se trouvent également dans les ouvrages

doctrinaux ou ceux sur la discipline, mais cela indique en quelque sorte qu’il s’agit de

discussions qui se situent à l’intérieur du christianisme. Concernant le De ira Dei, il serait

plus difficile d’expliquer les raisons qui poussent Lactance à reprendre ces traits de

discussions propres aux échanges entre chrétiens pour s’opposer à des philosophes qui

conçoivent que la crainte est liée à la superstitio plutôt qu’à la religio.

Mais si les traits généraux de l’utilisation de religio s’accordent avec ceux que l’on

trouve chez les Pères latins, la réflexion entourant la crainte et la religio partagent des

formulations beaucoup plus proches des écrits pseudo-clémentins. La propositio même du

De ira Dei révèle des similitudes frappantes avec un passage des Recognitiones. À elle

seule, la ressemblance des deux passages invite à sonder ce texte pseudo-clémentin pour

mieux comprendre la pensée du traité de Lactance. De plus, il semble que l’écrit de base du

texte précède l’ouvrage de Lactance et il est tout à fait possible que ce dernier l’ait lu et

qu’il ait été influencé par celui-ci. Cette influence semble être également présente dans

d’autres ouvrages de Lactance ce qui confirme l’influence des textes pseudo-clémentins sur

sa pensée.

On peut par ailleurs faire d’autres parallèles entre les thèmes contenus dans le De ira

Dei et ceux des Clementina: la Providence divine, la justice divine, les atomes, le Dieu

juste qui corrige plus qu’il ne punit et enfin, la présence de la figure d’Épicure. Mais plus

encore, on note également beaucoup d’arguments similaires entre les deux corpus. Les

Pseudo-Clémentines deviennent dès lors un point de repère pour mieux comprendre

l’identité de ces gens influencés par les philosophes et dont Donat cherche à se défaire. Une

fois que l’on cible les arguments présents dans les deux corpus, on remarque que ce sont

principalement les objections formulées par Simon et Faustinatianus dans les Clementina

que Lactance combat – en dehors de l’argument évhémériste du chapitre 11, qui n’est qu’un

rappel des Diuinae institutiones. Aucun argument ne provient des discussions avec Apion

ou les païens.

Dans les Clementina, Simon et le vieillard sont parfois associés à la philosophie

épicurienne. Dans le De ira Dei, ces personnages sont totalement absents et c’est la figure

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d’Épicure qui vient à reprendre les arguments proposés par ceux-ci dans les Clementina. Il

n’est pas rare dans la littérature hérésiologique de voir le mouvement marcionite, par

exemple, être relié à la philosophie épicurienne. Le fait de relier les hérésies à des erreurs

issues de la philosophie est par ailleurs un lieu hérésiologique très répandu. C’est la raison

pour laquelle le roman pseudo-clémentin tisse des liens entre Épicure, Simon et

Faustinatianus, bien que ces personnages représentent parfois d’autres mouvements que les

marcionites comme les disciples d’Apelle ou encore de Bardesane.

Quant au De ira Dei, une bonne partie des arguments analysés par ce travail sont

associés à la figure d’Épicure, quoiqu’il en existe d’autres qui concernent le stoïcisme, mais

qui ont été laissé de côté. Mais cette enquête a également montré que la pensée rangée sous

la philosophie épicurienne par Lactance ne semble pas correspondre exactement aux idées

de ce courant philosophique. On remarque cela aussi par le fait qu’il existe un écart

important entre la pensée d’Épicure telle que présentée dans les Diuinae institutiones et le

traité sur la colère. Comme, d’une part, on remarque qu’il ne s’agit pas tout à fait de la

pensée d’Épicure et que, d’autre part, on note que beaucoup arguments placés sous

l’autorité épicurienne dans le De ira Dei sont également présents dans la bouche de Simon

et Faustiniatianus dans les Pseudo-Clémentines, cela vient dès lors renforcer l’idée que les

références à Épicure dans le texte de Lactance ne sont en fait qu’un lieu hérésiologique.

Tant dans les Clementina que dans le traité sur la colère, on trouve la figure d’Épicure et

dans les deux cas elle remplit une fonction au sein du texte: sa fonction est de relier de

façon claire les hérésies à des déviances de la philosophie grecque.

Mais si la figure d’Épicure est associée à des groupes marcionites ou apelliens dans

les Clementina, les adversaires ne sont pas nécessairement les mêmes dans le De ira Dei:

même si le procédé reste le même, les gens changent. À sonder les parties de

l’argumentatio, on trouve des thématiques qui sont également présentes dans le texte

d’Arnobe et dans un texte réfuté par Augustin dans le Contra aduersarium legis et

prophetarum. Il semble que les arguments de Lactance pourraient s’opposer à un nouveau

groupe nommé par A. Von Harnack le « Neu-Marcionitismus ». Or, il est difficile

d’affirmer hors de tout doute que Lactance réponde à Arnobe, Fabricius ou encore à un

mouvement précis. Si l’on suit ce que Lactance indique dans son traité, ses arguments sont

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destinés à aider Donat à réfuter les gens qui sont influencés par la philosophie. Comme

Lactance construit son texte en utilisant le lieu hérésiologique de l’influence philosophique,

on peut en conclure qu’il s’en prend à des gens qui répandent des doctrines jugées

hérétiques au sein de l’Église. Il est également possible qu’il réponde à plusieurs groupes

ou différentes personnes. Quoi qu’il en soit, les témoignages d’Arnobe et de Fabricius

montrent qu’il existait à l’époque de Lactance des gens au sein de l’Église, ou proches de

celle-ci, qui proposaient des idées semblables à celles des adversaires de Lactance.

Un autre argument qui tend à montrer que Lactance s’adresse à des gens de l’Église

ou à ceux proches de celle-ci est le fait qu’il ne propose aucun argument concernant

l’immortalité de l’âme. Il est en effet étonnant qu’il n’aborde pas l’immortalité, que les

épicuriens avaient rejetée d’emblée. Lactance avait pourtant formulé quelques arguments

contre Lucrèce pour montrer l’importance de l’immortalité de l’âme dans ses Diuinae

institutiones. De plus, cette question était intimement liée à la religio dans ce dernier

ouvrage: on peut se demander pourquoi cet élément est absent de la réflexion sur la religio

dans le De ira Dei. On peut dire d’abord que ses adversaires, s’il s’agit de gens issus du

christianisme, acceptent l’immortalité de l’âme. Mais on note également que les peines

éternelles tant combattues par l’école d’Épicure sont également absentes. Lorsque l’on

compare les arguments des Clementina et du De ira Dei, on remarque une différence

concernant le moment associé au jugement divin. Dans les Clementina, l’accent est mis sur

le jugement dans les temps présents et dans les temps à venir: Lactance s’écarte sur cet

aspect puisqu’il ne parle jamais du jugement après la mort1. Comme il ne parle pas des

peines éternelles ni du jugement à venir, on en conclut qu’il parle principalement du

jugement de Dieu, de sa colère, dans les temps présents. Non seulement Lactance ne

réfuterait pas les épicuriens, non seulement il s’adresserait à des groupes proches du

christianisme, mais il tente de justifier la colère de Dieu dans les temps présents. De plus, il

s’agit d’une colère qui ne se venge pas, mais qui corrige.

1 Il s’écarte également de cette double temporalité lorsqu’il reprend le système des deux voies à partir des

Clementina. Il reprend en effet les deux voies et les deux esprits, mais sans pour autant mentionner les deux

royaumes. Contrairement aux Clementina, le texte des Diuinae institutiones place les temps présents sous la

responsabilité du bon esprit tandis qu’il est responsable des temps à venir dans le roman pseudo-clémentin.

Supra n. 172 p. 61.

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268

Cette colère qui se veut correctrice constitue encore un autre argument pour montrer

que Lactance ne s’adresse pas aux épicuriens: pourquoi Dieu voudrait-il corriger ce

mouvement philosophique? Il en est tout autrement si l’on considère qu’il s’agit de gens

jugés hérétiques. Il est possible que Lactance leur montre que pour appartenir à la religio,

ils doivent concevoir que Dieu est unique, qu’il a créé le monde et qu’il l’administre et

qu’il juge. En d’autres mots, il faut que les gens appartenant à la religio acceptent la

Providence divine.

Le problème peut se résumer à un problème de doctrine: Lactance combattrait ces

courants de pensée dans le christianisme qui semblent nier l’action de Dieu dans le monde.

Mais il est également possible qu’il doive justifier l’action de Dieu dans le monde

concernant des événements contemporains pour lesquels certains groupes ou penseurs

chrétiens nient l’implication divine. C’est à ce point que l’on peut faire un lien avec

l’empereur Constantin.

Selon Eusèbe de Césarée dans sa Vita Constantini, l’Empereur aurait pris des

mesures contre les hérétiques (III, 64-65). En 313, l’édit de Milan n’avait pas seulement

accordé le droit de cité au christianisme, mais il avait donné aux citoyens le choix de

religion. Les hérétiques obtinrent également les mêmes privilèges que les chrétiens. Or,

dans les années 320, Constantin publie un édit interdisant les réunions de certains groupes

jugés hérétiques2. Selon l’évêque de Césarée, cela fit en sorte que beaucoup regagnèrent les

rangs de l’Église (Vita Constantini, III, 66). Cet exemple sert à illustrer qu’au temps de

Lactance, il existe des situations où des gens jugés hérétiques se mélangent aux fidèles de la

Grande Église. Sans qu’il s’agisse des gens dont Eusèbe parle dans sa Vita Constantini, il

n’est pas impossible de penser que Donat est confronté à des personnes jugées hérétiques

qui s’entremêlent aux autres chrétiens. De plus, comme le traité vise à montrer que Dieu

2 Bien que le passage d’Eusèbe ne donne pas d’indications quant à l’année de publication de cet édit, certains

le placent vers la fin des années 320: H. A. DRAKE, Constantine and the Bishop, Baltimore, The Johns

Hopkins University Press, 2002, p. 348. D’autres le situent vers 325 et 326: N. LENSKI, Constantine and the

Cities: Imperial Authority and Civic Politics, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2016, p. 80-81.

On peut penser, avec P. Maraval, qu’il a été rédigé avant le 25 septembre 326, date de rédaction d’un autre

édit qui vient renverser certains éléments de l’édit trouvé chez Eusèbe: Constantin: Lettres et Discours, Paris,

Les Belles Lettres (coll. La roue à livres), 2010, p. 81-82. Il est donc possible que cet édit ait vu le jour du

vivant de Lactance, mais vers la fin de sa vie.

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corrige plutôt qu’il se venge, on peut penser que les destinataires traversent des épreuves

qui demandent certaines justifications. Si Constantin leur interdit de se réunir, il va sans

dire qu’ils doivent difficilement concevoir que la Providence divine a instauré Constantin

au faîte de l’Empire. Sans être un traité apologétique qui vise à justifier la monarchie

impériale, on peut penser que Lactance indique à ses destinataires que la Providence divine

intervient dans ce monde, que ce qui leur arrive n’est pas étranger à une intervention divine

et que l’on doit comprendre cela comme une correction et non pas une vengeance divine. Si

Lactance écrit en réaction à la situation décrite dans le texte d’Eusèbe, le De ira Dei aurait

été rédigé entre 320 et 326 de notre ère. Or, l’exemple du texte d’Eusèbe ne sert qu’à

montrer qu’il existe des problèmes avec certaines communautés jugées hérétiques, que

beaucoup de gens issus de ces groupes se joignent à l’Église et que cela crée des tensions. Il

est également possible que Lactance rédige son traité avant cet édit puisque les

communautés n’étaient pas hermétiques et les gens se côtoyaient. Donat a bien pu avoir des

échanges avec des courants chrétiens qui ne partageaient pas la même conception de la

Providence divine que l’on trouvait à cette époque dans l’Église.

Même s’il donne suite à un édit de Constantin, on ne doit cependant pas voir pour

autant une louange de la monarchie impériale ou de la personne de l’empereur. D’une part

parce qu’il est problable qu’il écrive son traité avant que Constantin ne devienne le seul

dirigeant de l’Empire, mais aussi parce que cette idée du Dieu unique est intrinsèque au

christianisme. Bien entendu, Lactance semble mettre plus l’accent sur ce caractère unique

de Dieu que d’autres auteurs de la même époque et que certains ont souligné le caractère

archaïque de sa pensée. Mais comme son ouvrage est marqué par la pensée des Clementina,

on peut expliquer plus facilement ce trait par cette influence qui elle aussi a été qualifiée

d’archaïque. Parfois reliés au courant ébionite, les textes pseudo-clémentins mettent

l’accent sur le caractère unique de Dieu, ce qui explique la présence d’un subordinatianisme

plutôt radical. Bien entendu, ce subordinatianisme était plus répandu dans les siècles

précédant le quatrième siècle, mais il s’agit d’un trait de la christologie, dite judéo-

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chrétienne des Clementina3. Comme Lactance subit l’influence de ce courant de pensée, il

est tout à fait normal qu’il mette l’accent sur le caractère unique de Dieu. Il ne s’agit pas ici

d’un trait archaïque de la pensée ou d’une louange de la monarchie impériale, mais plutôt

de l’influence de la théologie judéo-chrétienne sur l’auteur. Contrairement à ce qu’ont

pensé certains chercheurs, il ne faut pas voir la pensée de Lactance comme archaïsante4,

mais, tout comme les Clementina qui l’influencent, il faut voir dans sa pensée le reflet de

certains traits des courants dits judéo-chrétiens qui sont tout à fait du IVe siècle tout comme

est la rédaction des Clementina.

Contrairement à la notion de religio que l’on trouve dans le reste de l’œuvre de

Lactance, la propositio du De ira Dei, qui pose pour fondement la crainte de Dieu, serait

d’influence dite « judéo-chrétienne » et une bonne partie de la discussion de ce traité serait

en lien avec ce courant dont les romans pseudo-clémentins sont un témoin important. De

plus, il s’agirait d’un texte qui n’est pas destiné aux non-chrétiens, mais bien aux gens de

l’Église et à ceux que les Pères nommaient hérétiques. Ces deux éléments expliquent que

Lactance s’éloigne de la conception de la religio trouvée dans la philosophie de la religion

des auteurs latins, comme Cicéron et Varron, qui relie la crainte à la superstitio.

Tout comme Novatien, qui indique clairement les limites de la religio, en ce que l’on

peut être distinct, mais non différent, tout comme Tertullien qui utilise religio christiana,

pour indiquer les limites de la religion chrétienne face aux marcionites, Lactance utilise la

religio et la crainte pour indiquer la limite de son christianisme face à de nouveaux courants

de pensée au sein du christianisme. Pour lui, on ne peut nier l’action de Dieu dans le monde

et se déclarer chrétien.

3 La christologie est par ailleurs un aspect fondamental de la théologie dite judéo-chrétienne: F. MANN, « Les

Pseudo-clémentines (Homélies et Reconnaissances): État de la question », Liber Annuus 53 (2003),

p. 157-184. 4 Supra n. 10 p. 181.

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271

Annexe 1

Plan du De ira Dei

EXORDIUM (1,1–2,9)

(1,1) Controverse: bonté et colère en Dieu.

(1,2-1,9) Les philosophes et la raison, Dieu et la révélation.

(2,1-2,8) Les échelons pour accéder à la vérité.

(2,9) Diuisio narrationis.

NARRATIO (3,1-5,17)

(3,1-3,5) Dieu connaît seulement la colère et n’est pas mû par la bonté.

(4,1-4,15) Dieu ne connaît ni colère, ni bonté selon Épicure.

(5,1-5,17) Dieu connaît la bonté, mais pas la colère selon les stoïciens.

PROPOSITIO (6,1-6,2)

(6,1) Dieu connaît la bonté et la colère.

(6,2) Propositio.

ARGVMENTATIO (7,1-21,10)

Confirmatio 7,1-7,15: la notitia dei et la justice nous différencient des bêtes

(7,3-7,6) L’homme differt de la bête par la ratio et notitia dei.

(7,7-7,12) La seule différence entre l’homme et la bête est donc la religion.

(7,13-7,15) Le propre de la religion est la justice.

Refutatio 8,1-8,8: la religion est détruite par Épicure

(8,1) Dieu n’éprouve pas de sentiments face aux actions des hommes.

(8,2-8,4) On ne peut dès lors atteindre Dieu par la religion.

(8,5-8,6) La religion n’a dès lors pas son effet dissuasif.

(8,7-8,8) Si l’on retire la religion, plus rien ne sépare les hommes des bêtes.

Digressio 8,9-10,53: la théorie des atomes.

A (8,9-8,10): Religion instaurée par des sages

B (9,1-9,8): Providence générale et particulière

C (10,1-10,46): Atomes

A’ (10,48-10,49): Religion instaurée par des sages

B’ (10,50-10,53): Providence générale et particulière

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Confirmatio 11,1-11, 16: il ne peut y avoir qu’un seul et unique Dieu

(11,1-11,6) La Providence d’un seul plutôt que de nombreux dieux.

(11,7-11,10) Origine de la croyance en de nombreux dieux: Évhémère.

(11,11-15) Les philosophes ne reconnaissent qu’un seul Dieu.

(11,16) Même s’ils ont cru en un seul Dieu, ils ont négligé la crainte.

Transitio 12,1-12,5

(12,1-12,2) On perd la justice et la sagesse si l’on enlève la religion.

(12,2) Dieu observe nos actes.

(12,4-12,5) Si l’on perd la crainte, la cohésion sociale est mise à l’épreuve.

Confirmatio 13,1-13,8: l’univers a été fait pour l’homme

(13,1) Tout dans l’univers est agencé pour être utile à l’homme.

(13,2-13,7) Énumération des éléments que l’homme utilise.

(13,8) Question des bêtes.

Refutatio 13,8-13,25: il existe des maux dans l’univers

(13,8-13,12) L’utilité de certains végétaux et animaux nous échappe.

(13,13-13,19) Les biens et les maux existent dans l’univers puisque l’homme

est muni de la sagesse qui l’aide à distinguer les biens des maux.

(13,20-13,23) Dieu peut supprimer les maux, mais ne le veut pas.

(13,24-13,25) Si l’on supprime les maux, on supprime également la sagesse.

Confirmatio 14,1-15,5: l’homme fabriqué pour Dieu

(14,1-14,2) L’homme a été fait pour adorer Dieu.

(14,3-14,6) L’homme adore Dieu en étant juste.

(15,1-15,4) Le mal existe afin que l’homme soit juste.

(15,5) Si le bien et le mal existent, Dieu doit être bon devant des actes justes,

et en colère devant des actes injustes.

Refutatio 15,6-15,12: en Dieu existe les sentiments propres à la faiblesse humaine

(15,6-15,7) Dieu éprouve colère et bonté, mais pas tous les autres

sentiments.

(15,8-15,12) Certains sentiments trouvent matière en l’homme, pas en Dieu.

Confirmatio 16,1-16,5: bonté, colère, miséricorde existent en Dieu

Refutatio 17,1-17,21: les sentiments et la colère chez les philosophes

L’absence de sentiments chez Dieu (selon Épicure)

(17,1) Dieu n’a aucun pouvoir s’il ne se soucie de rien.

(17,2-17,5) Dieu est mort s’il est dans un repos perpétuel.

(17,6-17,7) Dieu n’est pas bon s’il nuit à qui que ce soit.

(17,8-17,11) exemplum patris familiae.

La colère chez les philosophes

(17,12-17,21) Définition de la colère

(17,12-17,14) la colère injuste des philosophes.

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(17,15-17,19) la colère juste chez l’homme et Dieu.

(17,20-17,21) définition de la colère.

Confirmatio (18,1-21,10): utilité et nécessité de la colère

(18,1-18,3) Il ne faut pas retenir sa colère devant les fautes.

(18,4-18,12) Exemplum d’Archytas

(18,13-18,14) Ce que l’on dit de l’homme, il faut le dire de Dieu.

(19,1-19,4) Dualité de l’homme.

(19,5-19,6) Dieu veille sur le genre humain, il doit donc sévir.

(19,7-19,9) La rétribution n’a pas besoin de haine

(19,20-20,3) Les méchants sont heureux et les bons sont parfois malheureux.

(20,4-20,13) Le délai de la justice divine.

(21,1-21,7) Dieu interdit à l’homme de se mettre en colère.

(21,8-21,10) La colère temporelle chez l’homme et intemporelle chez Dieu.

EPILOGVS (22,1-24,15)

(22,1-22,4) Témoignages des prophètes.

(22,5-23,11) Témoignages des sibylles.

(22,12-22,14) Témoignage d’Apollon de Milet.

(24,1-24,14) Conclusion.

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Annexe 2

Table des passages parallèles entre le De ira Dei et les Clementina

Table 1: Recognitiones

1, 1: V, 29, 1; X, 48, 4; VIII, 12, 1

1, 3: X, 51, 1

1, 4: I, 1-11; X, 51, 1

2, 2: IV, 8, 1; VIII, 11, 4

2, 5:

2, 9:

II, 53, 2

III, 37, 6; III, 37, 8

4, 2: V, 29, 1; VIII, 12, 1

4, 6: V, 29, 1; VIII, 12, 1

4, 12: II, 53, 2

4, 13: V, 29, 1

5, 9:

6, 1

IV, 14, 4

III, 37, 6; III, 37, 8; IV, 14, 4

6, 2: I, 25, 4; I, 25, 7; III, 39, 2; III, 38, 1; VIII, 12, 4

7, 3: IV, 9, 1

7, 14: V, 2, 1

8, 3: V, 29, 1; VIII, 12, 1

8, 8: IX, 10, 4; IX, 11, 2; IX, 15, 1; IX, 15, 7

9, 1: VIII, 13, 1

10, 1: VIII, 16, 5

10, 7: V, 29, 1

10, 20: I, 25, 4; I, 25, 7; III, 38, 1; III, 39

10, 21: VIII, 11, 4

10, 44: I, 1-11; X, 51, 1

10, 48:

11, 8

VIII, 20, 4

X, 23

11, 11: VIII, 20, 2

12, 3: IX, 10, 4; IX, 11, 2; IX, 15, 1; IX, 15, 7

12, 4: I, 14, 4

12, 5: IX, 10, 4; IX, 11, 2; IX, 15, 1; IX, 15, 7

13, 4: I, 28, 1 VIII, 22, 3

13, 5: I, 28, 1

13, 20-21: II, 54, 5; III, 25, 2

13, 22: VIII, 12, 1

14, 4: VIII, 12, 1

15, 3: VIII, 28, 3-4

15, 5: V, 26, 6

15, 8 V, 29, 1; VIII, 12, 1

16, 9: V, 29, 1

17, 1: I, 15, 1; I, 27, 4; VIII, 12, 1

17, 16-17: II, 56, 8

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275

Table 2: Homiliae

1, 4: II, 8, 3; XV, 5, 3

2, 2: X, 2, 2

2, 5: III, 7, 2; XVI, 10, 5; XVI, 19, 3; XVII, 7, 5

6, 2: II, 47, 1; XVIII, 1, 1-2

7, 3: X, 14; X, 24; XVI, 10, 5

7, 10: VI, 20; X, 9

7, 14: X, 3, 3

8, 8: IV, 13, 4

10, 15: IV, 13, 4

10, 20: II, 47, 1; XVIII, 1, 1-2

10, 21: X, 2, 2

10, 44: II, 8, 3; XV, 5, 3

11, 3:

11, 8

VI, 20; X, 9

V, 23; VI, 21

11, 11: X, 14; X, 24

12, 3: XII, 33, 4-5; XX, 4, 3

12, 5: XII, 33, 4-5; XX, 4, 3

13, 9: V, 29, 1

13, 11: XIX, 15, 5

13, 22: XIX, 5, 1

13, 23: XIX, 15

14, 4: V, 29, 1

14, 5: X, 51, 1

15, 1: II, 14, 4

15, 3: III, 7, 2; XVI, 10, 5; XVI, 19, 3; XVII, 7, 5

17, 10: XVI, 20, 4; III, 7, 2; XVI, 10, 5; XVI, 19, 3; XVII, 7, 5

18, 13: III, 7, 2; XVI, 10, 4; XVII, 7, 4; XVII, 8, 1

20, 12: IV, 13, 4

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