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Conséquences de la consommation de cannabis chez des patients schizophrènes Boulanger, M. & Blairy, S. University of Liège, Department of Cognitive Sciences Introduction Il semble maintenant reconnu que la schizophrénie est une pathologie accompagnée par un déficit de la mémoire autobiographique. Cette perturbation prend la forme d’un style de récupération surgénéral. Une recherche antérieure a montré, que, chez les patients atteints de schizophrénie, la capacité à organiser l’information, de façon intentionnelle et stratégique, dans le but de se souvenir d’évènements spécifiques, était déficitaire (Rizzo et al.,1996). Ainsi, lorsqu’il est demandé aux patients de rappeler un évènement spécifique situé dans le temps et dans l’espace, ceux-ci ont tendance à rapporter un évènement étendu (par ex. « lorsque j’étais étudiant »), ou, un évènement qui s’est répété plusieurs fois (par ex. « tous les dimanches matins ») (Tamlyn et al., 1992; Wood et Brewin, 2006). Ce déficit en mémoire autobiographique est accompagné, généralement, d’une réduction de la conscience autonoétique (Danion et al., 1999). Une autre constatation a aussi été mise en évidence concernant cette population. En effet, les patients schizophrènes représentent la population clinique qui consomme le plus de substances addictives (entre 40% et 60%) (Cantor-Graae et al., 2001), et plus particulièrement, du cannabis (Potvin et al., 2004). Des auteurs ont relevé qu’une consommation chronique et élevée de cannabis entraîne des déficits cognitifs, entre autres, des déficits en mémoire épisodique (une entité de la mémoire autobiographique). Ces défaillances persistent aussi longtemps que les utilisateurs sont intoxiqués, et semblent être, ou ne pas être, réversibles après une abstinence prolongée au cannabis (Lundqvist, 2005). La présente étude tente d’évaluer les effets à long terme du cannabis sur la mémoire autobiographique et la conscience autonoétique chez des anciens consommateurs de cannabis affaiblis au niveau de ces composantes mémorielles. Méthode Les participants : Treize patients ont participé à l’étude. Six participants sont d’anciens consommateurs de cannabis qui ont arrêté leur consommation depuis plusieurs semaines, voire, plusieurs mois. Sept participants n’ont jamais consommé de cannabis. De plus, aucun sujet ne prenait de benzodiazépines au moment de l’étude, et, aucun d’entre eux n’avait jamais consommé d’alcool ou de drogues. Les participants recevaient tous des antipsychotiques atypiques ou typiques, et, certains d’entre eux, des médicaments antiparkinsoniens et/ou des antidépresseurs, au moment de l’étude. Les critères d’exclusion étaient les suivants : (1) problèmes actuels ou passés avec l’alcool ou d’autres drogues, (2) affection organique cérébrale, et, (3) la probabilité d’une modification du traitement médical durant l’étude. Le protocole a été approuvé par les comités d’éthique des différents hôpitaux où les patients étaient recrutés. En outre, après avoir décrit l’entièreté de l’étude aux participants, ceux-ci nous ont accordé leur consentement écrit concernant l’utilisation de leurs données pour des investigations et des communications scientifiques. Les variables dépendantes : La spécificité de la mémoire autobiographique et la conscience autonoétique ont été évaluées à l’aide du TEMPau (Test Episodique de Mémoire du Passé lointain autobiographique) (Piolino, 2000). Le TEMPau évalue la mémoire autobiographique et la conscience autonoétique en fonction de quatre périodes de vie ( 0-9 ans, 10-19 ans, > 20 ans, et, les 12 derniers mois) et à travers trois thèmes différents (une rencontre, un voyage ou un déplacement, et, la famille). Il était donc demandé aux participants de récupérer des évènements spécifiques personnels suivant la période et le thème abordé. Ainsi, douze évènements spécifiques devaient être récupérés par les patients. Après chaque rappel, il était demandé aux participants d’indiquer leur niveau de conscience (« je me souviens », « je sais », ou, « je devine ») associé au contenu, au lieu et au temps de chaque souvenir (Danion et al., 2005). Un retest indicé était planifié 14 jours, plus ou moins 2 jours, après le test, afin de vérifier la véracité des souvenirs rappelés. L’évaluation : Le score de la mémoire autobiographique a été mesuré en prenant en compte différents éléments tels que le lieu, le moment, les émotions et la spécificité du souvenir. Pour chaque élément présent, nous avons accordé un point. En ce qui concerne la conscience autonoétique, nous avons accordé un point lorsque le niveau de conscience du sujet pour les différents éléments (contenu, lieu et temps) était « je me souviens ». L’évaluation du TEMPau a été réalisée par deux évaluateurs indépendants à l’étude. Ceux-ci ne connaissaient pas la répartition des différents sujets au sein des groupes. Résultats Comparaison des résultats du groupe consommateurs de cannabis et du groupe non consommateurs Consommateurs de cannabis Non consommateurs Différences entre groupe Mémoire 0-9 7.83 (2.37) 7.42 (3.77) ns Mémoire 10-19 6.83 (1.94) 9.14 (1.67) T(2,11) = 2.3 ; p = .041 Mémoire >20 8.83 (2.56) 9.28 (2.14) ns Mémoire 12 derniers mois 10.16 (1.72) 8.43 (2.07) ns Conscience autonoétique 0-9 2.66 (2.16) 2.28 (2.43) ns Conscience autonoétique 10- 19 2 (1.41) 3.28 (1.5) ns Conscience autonoétique >20 3.33 (1.21) 3.85 (2.73) ns Conscience autonoétique 12 derniers mois 4.5 (1.51) 3.14 (1.34) ns Discussion Les présents résultats ne supportent pas l’idée que les consommateurs de cannabis rappellent moins de souvenirs spécifiques et ont un niveau plus bas de conscience autonoétique que les non consommateurs, excepté pour la période comprise entre 10 et 19 ans. Cette période semble correspondre à la période où trois participants ont débuté leur consommation de cannabis. Les déficits en mémoire autobiographique pourraient être associés au commencement de cette consommation, car, l’utilisation du cannabis démarre dans le courant de l’adolescence. Néanmoins, d’autres recherches ont besoin d’investiguer cette hypothèse.

Introduction

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Consommateurs de cannabis. Non consommateurs. Différences entre groupe. Mémoire 0-9. 7.83 (2.37). 7.42 (3.77). ns. Mémoire 10-19. 6.83 (1.94). 9.14 (1.67). T(2,11) = 2.3 ; p = .041. Mémoire >20. 8.83 (2.56). 9.28 (2.14). ns. Mémoire 12 derniers mois. 10.16 (1.72). 8.43 (2.07). ns. - PowerPoint PPT Presentation

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Page 1: Introduction

Conséquences de la consommation de cannabis chez des patients schizophrènes

Boulanger, M. & Blairy, S.

University of Liège, Department of Cognitive Sciences

Introduction

Il semble maintenant reconnu que la schizophrénie est une pathologie accompagnée par un déficit de la mémoire autobiographique. Cette

perturbation prend la forme d’un style de récupération surgénéral. Une recherche antérieure a montré, que, chez les patients atteints de

schizophrénie, la capacité à organiser l’information, de façon intentionnelle et stratégique, dans le but de se souvenir d’évènements spécifiques, était

déficitaire (Rizzo et al.,1996). Ainsi, lorsqu’il est demandé aux patients de rappeler un évènement spécifique situé dans le temps et dans l’espace,

ceux-ci ont tendance à rapporter un évènement étendu (par ex. « lorsque j’étais étudiant »), ou, un évènement qui s’est répété plusieurs fois (par ex.

« tous les dimanches matins ») (Tamlyn et al., 1992; Wood et Brewin, 2006). Ce déficit en mémoire autobiographique est accompagné,

généralement, d’une réduction de la conscience autonoétique (Danion et al., 1999). Une autre constatation a aussi été mise en évidence concernant

cette population. En effet, les patients schizophrènes représentent la population clinique qui consomme le plus de substances addictives (entre 40%

et 60%) (Cantor-Graae et al., 2001), et plus particulièrement, du cannabis (Potvin et al., 2004). Des auteurs ont relevé qu’une consommation

chronique et élevée de cannabis entraîne des déficits cognitifs, entre autres, des déficits en mémoire épisodique (une entité de la mémoire

autobiographique). Ces défaillances persistent aussi longtemps que les utilisateurs sont intoxiqués, et semblent être, ou ne pas être, réversibles

après une abstinence prolongée au cannabis (Lundqvist, 2005). La présente étude tente d’évaluer les effets à long terme du cannabis sur la mémoire

autobiographique et la conscience autonoétique chez des anciens consommateurs de cannabis affaiblis au niveau de ces composantes mémorielles.

Méthode

Les participants : Treize patients ont participé à l’étude. Six participants sont d’anciens consommateurs de cannabis qui ont arrêté leur

consommation depuis plusieurs semaines, voire, plusieurs mois. Sept participants n’ont jamais consommé de cannabis. De plus, aucun sujet ne

prenait de benzodiazépines au moment de l’étude, et, aucun d’entre eux n’avait jamais consommé d’alcool ou de drogues. Les participants recevaient

tous des antipsychotiques atypiques ou typiques, et, certains d’entre eux, des médicaments antiparkinsoniens et/ou des antidépresseurs, au moment

de l’étude. Les critères d’exclusion étaient les suivants : (1) problèmes actuels ou passés avec l’alcool ou d’autres drogues, (2) affection organique

cérébrale, et, (3) la probabilité d’une modification du traitement médical durant l’étude. Le protocole a été approuvé par les comités d’éthique des

différents hôpitaux où les patients étaient recrutés. En outre, après avoir décrit l’entièreté de l’étude aux participants, ceux-ci nous ont accordé leur

consentement écrit concernant l’utilisation de leurs données pour des investigations et des communications scientifiques.

Les variables dépendantes : La spécificité de la mémoire autobiographique et la conscience autonoétique ont été évaluées à l’aide du

TEMPau (Test Episodique de Mémoire du Passé lointain autobiographique) (Piolino, 2000). Le TEMPau évalue la mémoire autobiographique et la

conscience autonoétique en fonction de quatre périodes de vie ( 0-9 ans, 10-19 ans, > 20 ans, et, les 12 derniers mois) et à travers trois thèmes

différents (une rencontre, un voyage ou un déplacement, et, la famille). Il était donc demandé aux participants de récupérer des évènements

spécifiques personnels suivant la période et le thème abordé. Ainsi, douze évènements spécifiques devaient être récupérés par les patients. Après

chaque rappel, il était demandé aux participants d’indiquer leur niveau de conscience (« je me souviens », « je sais », ou, « je devine ») associé au

contenu, au lieu et au temps de chaque souvenir (Danion et al., 2005). Un retest indicé était planifié 14 jours, plus ou moins 2 jours, après le test, afin

de vérifier la véracité des souvenirs rappelés.

L’évaluation : Le score de la mémoire autobiographique a été mesuré en prenant en compte différents éléments tels que le lieu, le moment, les

émotions et la spécificité du souvenir. Pour chaque élément présent, nous avons accordé un point. En ce qui concerne la conscience autonoétique,

nous avons accordé un point lorsque le niveau de conscience du sujet pour les différents éléments (contenu, lieu et temps) était « je me souviens ».

L’évaluation du TEMPau a été réalisée par deux évaluateurs indépendants à l’étude. Ceux-ci ne connaissaient pas la répartition des différents sujets

au sein des groupes.

Résultats

Comparaison des résultats du groupe consommateurs de cannabis et du groupe non consommateurs

  Consommateurs de cannabis Non consommateurs Différences entre groupe

Mémoire 0-9 7.83 (2.37) 7.42 (3.77) ns

Mémoire 10-19 6.83 (1.94) 9.14 (1.67) T(2,11) = 2.3 ; p = .041

Mémoire >20 8.83 (2.56) 9.28 (2.14) ns

Mémoire 12 derniers mois 10.16 (1.72) 8.43 (2.07) ns

Conscience autonoétique 0-9 2.66 (2.16) 2.28 (2.43) ns

Conscience autonoétique 10-19

2 (1.41) 3.28 (1.5) ns

Conscience autonoétique >20

3.33 (1.21) 3.85 (2.73) ns

Conscience autonoétique 12 derniers mois

4.5 (1.51) 3.14 (1.34) ns

Discussion

Les présents résultats ne supportent pas l’idée que les consommateurs de cannabis rappellent moins de souvenirs spécifiques et ont un niveau plus bas de conscience autonoétique que les non consommateurs, excepté pour la période comprise entre 10 et 19 ans. Cette période semble correspondre à la période où trois participants ont débuté leur consommation de cannabis. Les déficits en mémoire autobiographique pourraient être associés au commencement de cette consommation, car, l’utilisation du cannabis démarre dans le courant de l’adolescence. Néanmoins, d’autres recherches ont besoin d’investiguer cette hypothèse.