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Leonardo L'art et la ville Author(s): Yona Friedman Source: Leonardo, Vol. 1, No. 1 (Jan., 1968), pp. 51-61 Published by: The MIT Press Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1571905 . Accessed: 01/09/2013 16:15 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . The MIT Press and Leonardo are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Leonardo. http://www.jstor.org This content downloaded from 128.84.127.234 on Sun, 1 Sep 2013 16:15:38 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Friedman, Y.- L'Art Et La Vlle (Article-1968)

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L'art et la villeAuthor(s): Yona FriedmanSource: Leonardo, Vol. 1, No. 1 (Jan., 1968), pp. 51-61Published by: The MIT PressStable URL: http://www.jstor.org/stable/1571905 .

Accessed: 01/09/2013 16:15

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Leonardo, Vol. 1, pp. 51-61. Pergamon Press 1968. Printed in Great Britain

L'ART ET LA VILLE

Yona Friedman*

Le droit a la 'personnalite' est le plus grand privilege moderne. II est a la portee de tous, grace aux elements standardises, dont on peut composer un tres grand nombre de permutations equivalentes.

Cette personnalisation est recherchee par tous, les artistesycompris, ceux-ci devant assurer aussi la mission defabriquer des combinaisons 'porteuses de mes- sages'. Un objet sans message dechiffrable cesse d'etre objet d'art, il n'est qu'un canular.

Le messagepeut etre compose' partir de 'complexes' ou de 'simplexes'. Le de- chiffrage des 'complexes' n'apas encore atteint le domaine public, mais il peut etre appris.

L'architecte ne doit pas etre un artiste, car une ville n'est pas faite pour porter un message. L'architecte doit cre'er un systeme technique donnant a I'habi- tant le droit ai la personnalisation (par permutations). C'est l'architecture mobile (ou urbanisme spatial) qui semble le seul systeme capable de donner cette liberte; la ville nouvelle amenerait alors laformation d'un nouveau folklore.

La ville neportantpas de message collectif n'est pas observable comme 'oeuvre d'art' par les non-habitants. Par contre, en tant que mecanisme, la ville reste parfaitement observable par les 'naturalistes'.

En conclusion, si l'artiste doit se soucier que son message soit comprehensible, l'architecte, lui, doit organiser le 'code' technique (autrement dit, l'infrastruc- ture) qui permettra n'importe quel message.

I

Nous vivons aujourd'hui dans un monde demo- cratique; par democratie j'entends: dans un sys- teme oiu la majorite a toujours raison sans que les minorites aient tort.

Les privileges ont appartenu, tour a tour, d'abord (de droit divin) a une minorite 'd'heureux elus', puis ensuite a une majorite qui possedait, seule, le droit 'd'elire', mais a present, le droit de choix et d'expression apparteint a tout le monde.

Le plus important privilege acquis aujourd'hui est celui de 'droit a la personnalite'. Les moyens modernes de production, accuses souvent, a tort, de supprimer la personnalite, donnent a tout un chacun, bien au contraire, des possibilites inouies de se singulariser. Pour en donner un exemple simple et frappant: les vetements, produits confec- tionnes en masse, en grande series, permettent une telle variete dans les combinaisons, qu'il est finale- ment presque plus difficile de rencontrer deux per- sonnes habillees de la meme fa9on que de trouver deux individus dont la rassemblance physique soit deroutante.

Pour que les produits soient accessibles a tous, il faut produire en masse. Produire en masse exige,

*Urbaniste Israelien habitant 42 Blvd. Pasteur, Paris 15, France. (Recu le 22 juillet 1967).

pour la technique et les systemes modernes, la recherche d'un schema qui dressera une liste reduite d'elements soigneusement standardises (qui seront a produire), puis l'etablissement d'une autre liste, tres etendue, de permutations dans l'assem- blage possible des elements produits. Cette liste des permutations constitue le catalogue des usages 'personnalises'. L'utilisateur choisit, dans ce cata- logue les combinaisons suivant ses propre gouts, son caractere ou ses caprices. Ainsi, s'il est effective- ment difficile de rencontrer deux personnes habil- lees de faqon identique, par contre nous pouvons en rencontrer plusieurs centaines portant le meme modele de chausettes ou de cravate; la per- sonnalisation de l'habillement ne tient donc qu'aux differentes permutations d'elements iden- tiques.

Dans le passe, le seul domaine ou un tel schema, donnant une telle liberte d'expression, a pu exister, a ete celui de la langue parlee, puis de l'ecriture. Une liste d'elements prefabriques en grande serie (les mots du dictionnaire) et quelques regles tres simples d'assemblage (la grammaire), a la portee de tous, ont donne naissance a un systeme de per- mutations presque infini: le langage parle, puis la litterature mondiale, systeme de permutations qui est encore loin d'etre epuise.

Dans l'industrie vraiement moderne, ce processus, historiquement, a commence par l'industrie du

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vetement, mais la variete et la richesse des permu- tations ont ete longtemps liees a 1'appartenance a une certaine classe, telle que la noblesse, le clerge etc. Jusqu'a la Revolution FranCaise, un bourgeois ne pouvait pas porter l'epe ou la plume au chapeau, et les draps brodes d'or restaient le privilege de la famille royale.

Notre epoque considere comme evidente la democratisation du vetement, mais le processus de democratisation a avance beaucoup plus lentement dans tous les autres domaines. Ainsi, l'automobile qui est deja devenue un produit de masse dans les annees 20, n'atteint a la personnalisation que dans les annees 60. II n'y a, en effet, pas si long- temps que les grandes marques d'automobiles ont commence a produire des voitures 'demi-finies,' le client etant ainsi libre de choisir une voiture per- sonnalisee a partir d'une liste de quelques cent- aines de permutation possibles: couleurs, acces- soires etc.

La meme tendance gagne et se developpe de plus en plus dans tous les domaines: voyages, alimen- tation, loisirs etc.

Cette democratie, en definitive, est donc basee sur l'equivalence des permutations a partir de quel- ques elements de base, ce qui revient a dire que cette democratie se fonde sur le fait que chaque permu- tation est aussi valable (justifiable) que toute autre permutation: elles sont toutes equivalentes.

II

La democratisation et la personnalisation sont devenues, a plus forte raison, les caracteristiques nouvelles de l'art du proche avenir.

Un oeuvre d'art est un objet choisi ou fabrique par une personne (l'artiste) afin 'd'exprimer quelque chose'. Autrement dit, cette oeuvre d'art est un objet porteur de message. Ce message est adresse a une ou a plusieurs personnes (le public) et la valeur artistique de l'oeuvre d'art pourrait etre determinee par la 'richesse' du message arrivant au plus grand nombre de personnes possible.

Cette hypothese analytique implique qu'une oeuvre d'art non-comprise ou mal-comprise ou non-presentee au public ne serait pas une oeuvre d'art. La personne qui l'aurait fabriquee ne serait pas un artiste puisque la plus importante condition pour qu'une oeuvre soit une oeuvre d'art ne serait pas la volonte de creation de l'artiste (ou son ins- piration) mais la comprehensibilite du message porte pour un public determine. Un message incompris n'est pas un message.

Bien entendu, nous pouvons supposer (toujours en poursuivant l'hypothese de 'l'objet porteur d'un message') que la personne (artiste) qui a fabrique l'objet (oeuvre d'art) declare sur l'honneur que le message porte par l'objet n'est adresse qu'a l'artiste lui-meme et non a d'autres personnes (public). Dans ce cas, l'objet, au lieu d'etre une oeuvre d'art, devient un 'aide-memoire' pour l'artiste, et l'artiste et son public sont la seule et meme personne. Ce qui permet de conclure pour une oeuvre de ce genre,

que n'importe qui peut en fabriquer une pour soi- meme.

Nous pouvons donc suivant cette hypothese postuler ]'existence possible de deux types d'art, essentiellement incompatibles:

(1) fabrication d'objets porteurs de messages comprehensibles pour une collectivite (un message de cette sorte implique une codifi- cation quelconque, garantissant la compre- hension, sans trop d'erreurs, par un certain nombre de personnes)

(2) fabrication d'objets porteurs d'un message comprehensible pour l'artiste seul (message equivalent a un cryptogramme qu'on veut garder secret).

Le critere separant ces deux concepts 'd'art' est la comprehensibilite. Nous essayerons de l'ana- lyser maintenant.

II

A l'heure actuelle la communication entre indi- vidus, autrement dit, le lien qui forme les groupes sociaux (voir Friedman: L'urbanisme comme systeme comprehensible, Cahiers des Societes Industrielles, No. 6, Edition du C.N.R.S. Paris, 1964) se fait a l'aide de symboles elementaires juxtaposes (nous les avons appeles ailleurs 'abbreviations'). Pourtant, le contenu de la communication est forme par un ensemble de termes tres nombreux, et ayant entre eux des relations multiples. Par exemple, en regardant un paquet de Gauloises je vois imme- diatement l'ensemble de ses caracteristiques: il est bleu, rectangulaire, en carton leger, il contient 20 cigarettes, etc. Dans la conversation, si je pro- nonce le symbole 'un paquet de Gauloises', mon interlocuteur ne me comprendra que s'il a deja vu cette sorte de paquet; sinon, je devrai enumerer une a une les caracteristiques (que j'appelerai 'simplexes') qu'il est suir de connaitre par une experience anterieure: bleu, rectangulaire, carton leger etc.

Imaginons maintenant que soit possible un autre type de communication et que je puisse par un seul acte communiquer a mon interlocuteur l'experience de toutes les caracteristiques du paquet (nous ap- pelerons ceci 'complexe'), par exemple, par tele- pathie, ou bien simplement en le lui montrant. Mon interlocuteur pourrait comprendre imme- diatement le 'complexe'. Cette operation est relative- ment facile, bien entendu, pour les concepts lies aux objets physiques (Swift en faisait deja la parodie), mais la difficulte de communiquer des jugements personnels par cette methode est beaucoup plus grande: par exemple, dans le cas du paquet de Gauloises, comment communiquer l'importance que je donne au fait qu'il soit bleu, rectangulaire etc? Je ne peux communiquer ces jugements que par simplexes.

Nous en arrivons donc fatalement a la conclusion que la communication par 'complexes' n'est pas encore possible (et c'est l'origine de la necessite de l'oeuvre d'art, objet porteur d'un message,

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L'art et la Ville

tentative d'une communication par complexes), bien que cette communication s'avere plus neces- saire a l'heure actuelle qu'autrefois, car les 'sim- plexes' que nous employons aujourd'hui laissent passer trop d'erreurs.

Pourtant, notre technologie est deja proche de la communication par 'complexes': la television peut transmettre des 'complexes', les ordinateurs peuvent les construire et l'holographie aide a les emmagasiner, pour ne citer que quelques exemples. Ce qui nous manque c'est le 'training', le reflexe conditionne necessaire a la reception de ces 'com- plexes', Beaucoup de professionnels font deja usage de 'complexes' exclusifs qui ne sont compris que par un cercle d'inities.

L'ideogramme chinois peut etre considere comme le precurseur du 'complexe'. Un ideogramme con- tient la liste precise de certaines composantes (traits) d'un concept. Differents ideogrammes peu- vent etre utilises pour representer le meme concept; le choix de l'ideogramme utilise dependra de la volonte d'accentuer certains traits, donc d'une liste bien determinee de composantes du concept, ce qui revient a dire que l'ideogramme chinois determine les associations a choisir, les qualifi- cations du concept enonce. C'est ainsi, par exemple, que pour exprimer le 'complexe' 'foret' l'ideo- gramme ne sera pas le meme suivant qu'il s'agira d'accentuer la liste: bois organique, ou encore la liste: limite de la terre et de l'air, stabilite, ou encore la liste: multitude (cheveux), croissance libre, labyrinthe etc. Le sens du mot 'foret' dependra du choix judicieux de l'ideogramme.

Le training de la communication par 'complexes' pourrait donc se faire en etablissant d'abord diverses listes (ensembles) des composants du con- cept, puis en etablissant des symboles (signes) apparentes entre eux mais distincts pour repre- senter ces listes, et enfin a apprendre a les distinguer.

L'importance des 'complexes' est enorme si on realise que les groupes sociaux (urbains) sont formes par l'ensemble des personnes qui utilisent approximativement les memes complexes. Deja, par exemple, chez les chinois d'autrefois, le degre de connaissance en matiere de complexes (ideo- grammes) determinait la position sociale et la caste des individus.

IV

Nous avons constate jusqu'ici deux phenomenes: l'art doit etre comprehensible (message) pour le plus grand nombre de personnes possible (demo- cratisation). Les conditions requises pour obtenir ce resultat sont la codification a la portee de tous et la possibilite d'une enorme liste de permutations equivalentes a partir du code. Nous avons vu aussi que le code peut et doit etre appris. Nous avons constate qu'autrement au lieu d'art nous ne trou- vons que l'aide-memoire prive ou le canular.

J'ai l'impression personnelle que c'est reellement ce qui se produit depuis un certain temps deja: l'art (et la litterature) deviennent 'canul-art' (j'emploie

ce terme dans le meme esprit que cette culture des canulars).

En effet, les 'createurs' de notre 'culture' ne font pas autre chose, depuis un bon bout de temps, que d'essayer de se surpasser les uns les autres en matiere de canulars. Du cubisme au pop-art, de Picasso a Yves Klein, de Jarry a Ionesco, du Chien Andalou a Godard, que de canulars! Leurs auteurs peuvent avoir des excuses, comme la revolte impuissante, l'ennui, le desespoir, quelquefois la betise, mais en quoi est ce interessant et pour qui ? Tout un chacun peut avoir son ennui, son impuissance, son deses- poir ou sa betise personnelle, mais ou est l'interet de 'l'emettre' pour tout le monde? (Sauf si qa devient lucratif aupres d'une riche 'petite chapelle' de snobs...

Je pourrais meme accepter ce canul-art, s'il etait, justement, democratique. Repetons-le, si c'est la l'art (du type du faux message), tout le monde sait 'le' faire! Tout le monde sait faire un canular, tout le monde sait gribouiller, tordre le metal, photographier, filmer des sequences qui 'ne disent rien' (sauf pour celui qui les fabrique). Le canul-art est une tres importante demonstration de l'art- cryptogramme dont nous avons parle plus haut.

V Le domaine de mon interet particulier ne fait

pas exception a ces hypotheses et observations. Je pense a l'architecture. Actuellement, l'architecte est un 'artiste', a qui l'habitant delegue le droit de choisir son cadre de vie. Ce serait a la rigueur possible, si l'architecte connaissait personnellement et tres profondement son client, fait aujourd'hui impossible par suite du grand nombre de ses clients prospectifs. Donc, l'architecte (aujourd'hui), essaie de supprimer la personnalite de son client, person- nalite, dont, nous l'avons vu, la seule garantie est l'acte de choisir. Actuellement l'habitant choisit (peut etre) l'architecte, mais pas son habitat.

Pourtant, l'habitant doit aussi avoir le droit de choisir. I1 s'en rend compte et il critique, en fait, l'habitat uniforme; alors on oublie de lui dire que cette 'uniformite' de l'habitat ou des villes ne vient pas de la pauvrete du 'repertoire' des elements techniques, mais bien du peu d'imagination et de savoit deploye dans la variation de l'emploi des elements du repertoire.

L'habitat de l'avenir proche doit etre un habitat variable. La variation appropriee pourra etre choisie par chaque habitant lui-meme, pour soi- meme. Les architectes (ou les urbanistes: les deux metiers se confondrent de plus en plus) seront charges, avant tout, d'etablir les 'infra- structures' assurant l'acheminement des moyens de confort vers les habitations (individualisees par l'habitant lui-meme). L'architecte n'agira plus en artiste, mais bien en tant que conseiller de l'industriel, ou de l'habitant, en le secondant dans son choix).

La liste des variations individuelles est enorme: par exemple, a partir des elements de construction standardises en trois grandeurs diff6rentes, il est

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possible de construire plus de 2 millions de types d'habitations de trois pieces, totalement diff6rentes. Ce qui revient a dire que, dans une ville de seize millions d'habitants, il n'y aurait pas deux apparte- ments semblables (pas plus qu'il n'existe deux individus qui se ressemblent exactement).

Et ce n'est pas tout! Quand Monsieur Dupont choisira une variante de cet etonnant 'catalogue' de possibilites d'appartements differents, il pourra 6galement avoir, toujours, la possibilite de changer d'avis quand il le voudra, car tous les elements de la construction, inseres dans 'l'infrastructure', seront amovibles et interchangeables: l'appartement de Monsieur Dupont se transformera donc avec la personnalite de Monsieur Dupont.

C'est le principe de l'architecture 'mobile'.

Fig. 1. Insertion (a titre d'exemple) d'une permutation dans l'infrastructure neutre dite 'spatiale'.

Dans 'l'infrastructure spatiale' s'inserent l'en- semble des habitations individuelles qui forment la 'ville spatiale', Cette ville represente le resultat d'un urbanisme indetermine': autrement dit, elle ne suit aucun plan, a l'exception de celui de l'infra- structure; les volumes qui delimitent les espaces vides de la ville spatiale ne sont pas ordonnes a l'avance: ils se transforment sans cesse avec le temps. (Fig. 1).

D'autre part, il n'y a pas de quartiers specialises dans la ville spatiale: jardins, habitations, centres publics, industries et circulation s'entrelacent (sim- plement, ils ne sont pas au meme niveau). Certains quartiers d'habitation sont situes au dessus des terrains d'industrie, on trouve des ecoles au dessus des bois ou des autoroutes, des bureaux et des habi- tations au meme endroit, sans que les itineraires

de leurs utilisateurs se croisent. A certains endroits, la ville ressemble a une sorte de Venise contempo- raine, alors qu'a d'autres endroits elle semble etre la ville habituelle. Toute possibilite' y est incluse: sa forme exterieure ne depend que du choix de ses habitants.

Le resultat du renouveau de l'urbanisme, grace aux techniques de l'architecture mobile et de l'ur- banisme spatial (les deux sont identiques: voir l'Architecture Mobile, par Y. Friedman, edition de l'auteur, Paris 1958, 1962, 1963) sera de trans- former l'architecture en un nouveau folklore. Le folklore, c'est la creation d'un code (dans le sens de l'oeuvre d'art defini comme 'objet porteur d'un message') par un groupe. L'architecture- folklore sera une confirmation de notre these: elle sera determin6e par la d6mocratisation et par la codification exigees plus haut. (Fig. 2).

VI

Allons encore plus loin dans le domaine de l'urbanisme. Nous avons decrit, intuitivement, la cite a venir. Expliquons (suivant l'analyse faite plus haut) la signification, c'est a dire les resultats a attendre de toutes ces r6flexions.

La plupart des 'touristes', entrant dans une ville qu'ils voient pour la premiere fois (et je ne fais pas, moi meme, exception a la regle), y recherchent des 'valeurs humaines'. En realit6 c'est absurde, car si je ne pretendrai jamais comprendre une langue que j'entends pour la premiere fois, pourquoi alors puis-je pretendre 'comprendre' une ville que je n'ai jamais vue ? Les 'valeurs humaines' sont ces valeurs (ce code) dont les non-inities ne peuvent rien com- prendre; un etranger, dans une ville, mesinterprete les 'valeurs humaines': il nomme Paris 'le gay Paris', Istamboul 'la mysterieuse Istamboul' etc. En realite il existe une ville quotidiennement utilisee (dans laquelle les habitants ne voient meme plus les monuments admires par le touriste) et la de- coration de la ville (les monuments admires par les touristes). A titre d'exemple, nous pouvons dire que la Tour Eiffel n'est pas un symbole de Paris; c'est le restant d'une exposition universelle, et elle ne represente pas les valeurs humaines intimes de Paris, alors que la frequentation elective de tel ou tel cafe, de tel ou tel cote d'une rue (elements de code incomprehensibles pour un etranger) sont, eux, parfaitement significatifs des valeurs humaines intimes d'une ville (disons que le meme fait existe pour un invite qui ne peut pas comprendre un cer- tain jargon 'familial' de ses hotes). Les grands dicta- teurs, Louis XIV, Napoleon III etc. n'ont pas fait de villes, ils n'ont voulu qu' eblouir les touristes.

La ville, donc, existe, elle est tangible: c'est une 'machine'. La raison d'etre de cette machine, c'est de faciliter les activites de ses utilisateurs (habitants) leurs deplacements, leurs communications. C'est la raison pour laquelle la difference est si grande entre l'aspect qu'elle peut avoir pour ses habitants (ses utilisateurs) et pour les observateurs non- initi6s (touristes). Cette difference peut aller

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L'art et la Ville

jusqu'a la mecomprehension complete quand on arrive a certains types de villes parfaitement inob- servables. Los Angeles est un exemple typique de ville inobservable. Tous les architectes et beaucoup d'Europeens trouvent Los Angeles invivable par- ce-qu'il n'y existe aucun lieu de rencontre, aucune possibilite de regarder les foules dans les rues et dans les centres. Mais la realite est toute autre pour les habitants de Los Angeles qui entretiennent leurs relations par telephone et se rendent visite facilement les uns les autres en voiture: finalement ces relations sont multiples et plus complexes en comparaison a celles des villes de type europeen,

pas une oeuvre d'art, qu'elle ne porte pas de mes- age! L'urbaniste doit etre un technicien ou un savant, mais pas un artiste! Comme l'urbanisme, en tant que science, n'existe pas (encore), l'urbaniste devra etre, avant tout, un chercheur.

Cette recherche doit etre le contraire de la 're- cherche artistique'. Elle doit se baser sur des notions comprises, observables et comparables entre elles par n'importe quel observateur (elle implique donc la possibilite de quantification).

J'essaierai de presenter un modele de recherche que j'ai construit et qui est actuellement en cours de travail. (Figs. 3-6).

Fig. 2. Dans l'infrastructure spatiale toutes les possibilites existent pour la naissance d'un nouveau folklore.

et meme si, en general, ce style de vie ne nous con- vient pas trop a nous europeens, il est de fait que Los Angeles est la ville qui grandit le plus vite dans tout le monde occidental, ce qui signifie que les habitants sont tres contents de leur ville (alors que les touristes preferent San Francisco, une ville declinante).

Un autre cas, imaginaire, de ville inobservable, serait celui d'une ville de telepathes (ou basee sur un gadget de communication directe et instantanee). Cette ville pourrait etre parfaite pour ses habitants et completement hermetique pour les observateurs non inities (touristes, espions, architectes), qui pour- ront meme imaginer que cette ville est vide et deserte.

Tout ceci pour bien montrer qu'une ville n'est

VII

Nous pouvons considerer une ville comme un ensemble d'obstacles (remplissages dans l'infra- structure) amenages dans l'espace (l'infrastructure spatiale). En effet, tout volume utilise (habitations bureaux, magasins etc) peut etre considere comme obstacle pour le deplacement libre des habitants de la ville: ils sont obliges de contourner ces obstacles. (Figs. 7a-7c).

Mais ces volumes ne sont pas que des obstacles: ils representent aussi des stations de depart ou des stations terminales pour les deplacements d'un certain nombre d'habitants. Nous pouvons dire que, tout itineraire possible pour un habitant,

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56 Yona Friedman

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Fig. 3. Ville spatiale, un exemple d'infrastructure ideale. (1) utilisation individuelle des vides dans le treillis. (2) pilotis contenant la communication verticale et les reseaux divers. (3) A lieux de rencontre, theatres etc.

B jardins, parks. C circulation, parking. D marche, magasins etc.

(4) pietons, activites publiques et semipubliques (cafis, bars etc.).

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Fig. 4. Vue d'une ville spatiale, une permutation quelconque dans son infrastructure.

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L'art et la Ville

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Fig. 5. Infrastructure pour un quartier spatial au dessus des docks de Hudson River (New York City).

Fig. 6. Deux utilisations independantes (et personnalisables) dans la ville spatiale: la circulation individuelle sur le sol et l'environnement individuel dans le treillis.

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lie une station de d6part a une station terminale, et que les autres volumes que l'habitant rencontre sur son itineraire sont des obstacles qu'il doit contourner. Autrement dit, chaque volume utilise dans une ville (habitations etc), est une station de depart ou une station terminale pour un nombre

d6placement des habitants entre deux stations choisies (depart et arrivee). Les resultats de cette observation indiquent le 'mode de vie' (behaviour pattern) des habitants,

II faut ajouter que ce calcul doit se faire sans tenir compte des motifs psychologiques qui ont cause

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Fig. 7a. Le modele 'simule': Operation 1.

d'habitants d'une part, et d'autre part, il represente un obstacle pour les autres habitants.

La ville, en tant que mecanisme, n'est donc rien d'autre qu'un labyrinthe: une configuration de points de departs et de point terminaux, s6par6s par des obstacles.

Le mode d'utilisation de ce m6canisme peut etre facilement etudi6 en observant la frequence des

le deplacement des habitants. La frequence avec laquelle un habitant (ou un groupe d'habitants) parcourt un itineraire determine, est caracteris- tique et observable, sans que l'observateur ait besoin de connaitre les motifs de ces deplacements (qui sont libres et irrationnels).

Ceci etant pose, nous en arrivons a une conclu- sion tres importante: la somme des d6placements

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L'art et la Ville

dans le labyrinthe appartient a un ordre de grandeur qui ne depend que de la configuration du labyrinthe et de la frequence des visites a certaines adresses (terminales) de ce labyrinthe. Dans certains cas, l'ordre de grandeur de la somme des deplacements (nombre de pas necessaires au parcours des itine- raires) sera plus grand que dans certains autres cas, ce qui nous permet une comparaison quantitative entre deux mecanismes urbains. J'appelerai cet

L'accent de ce modele est mis sur le fait, fidele aux hypotheses enoncees plus haut, que moi, urbaniste, je ne sais rien quant aux mobiles des utilisateurs de la ville (les elements 'humains'), mais que je peux, en dehors de cela, observer leurs deplacements. Je ne pretends pas envoyer un message 'signifiant', j'envoie seulement un signal dont je n'observe que la deformation, pour ainsi dire, comme le font les radars. C'est le point de vue du

7. ? 2

2 q

. . . . . C r' * * * 0tJ

(A) distribution des fr6quences de visites dans la matrice re- pr6sentante la configuration. Les fr6quences sont calcules par hombre de 'visites' a un but donn6, par semaine et par comportement-type

5 . .

deplacements de M.X.

2 ?. . . . o 2 0

.7? 5

5I * * * * * * I * 0 I

5

(B) les categories de deplacements observ6es vers

Domicile Travail Ravitaillement ]

00 0 1 0 0

7 7

7 7

7 7

Loisir

0 0

6 7

deplacements de M.Y.

M. X et M. Y apartiennent tous les deux au comportement type 7-5-2-2 mais les adresses de leurs buts sont diff6rentes.

D D

D . . D * 2

D D D * * D

(C) les comportements-types possibles sont les combinaisons de fr6quences des categories. Par exemple:

B1 = 0-0-0-0 B2 = 1-0-00 B3 = 0-1-0-0

(D) les adresses de ces d6placements sont distribu6es dans la matrice des configurations.

(E) Le type de la 'societe' est d6fini suivant la proportion des comportement-types composants

Sl = 0% B1, 0% B2, 100% B3 S2 = 0% B1, 100% B2, 0% B3 etc.

Fig. 7b. Le modele 'simue': Operation 2.

ordre de grandeur la 'mesure numerique de l'effort' (effort global de la totalite des habitants, deploye pour l'utilisation de leur ville).

11 est tres important d'ajouter que cette 'mesure numerique de l'effort' n'est pas d6terminee en fonction du temps de parcours, ou de 1'effort psychique ou de la distance exacte a parcourir; elle n'est qu'un parametre utile dont on pourrait faire deriver le temps de parcours, ou l'effort psychique, en y appliquant les coefficients appro- pries. L'utilisation principale de ce parametre est de permettre une comparaison numeriquement for- mulable entre deux mecanismes urbains.

naturaliste qui (par exemple) observe des lions. II ne connait pas les motifs psychiques des lions (et il est trop technicien pour les antropomorphiser), il ne sait pas pourquoi les lions courent de tel arbre a tel rocher, ou l'inverse, mais il peut soigneuse- ment compter combien de fois les lions courent de l'arbre au rocher, ou du rocher a l'arbre. La fre- quence des visites des lions, et leurs stations 'sig- nifiantes' sont caracteristiques, et le naturaliste les interpretera si possible, mais sans vouloir inter- venir dans la vie privee des lions. L'urbaniste doit devenir ce naturaliste!

D ?

. . D

5 5 *

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Yona Friedman

I2

La longueur totale des arcs composants le graphe (qui corres- pond au mecanisme urbain repr6sentee par une societe-type et par une configuration) sera calcule pour les societes types entre S1 et Sn et pour la configuration Gi

100 010 010 010

011 010 101 III

010 110 100 100

101 001 010 010

III 000 110 101

une matrice associee a la configuration ci-dessus.

SI S2 S3 ?

les efforts necessaires pour l'utilisation du mecanisme GI

S1 S2 S3 Gi: Eil Ei2 Ei3

.... .. Sn

...... Ein

* n

GI Ell E,2 E,3 -

G2 E21 E22 E23

G3 E31 E32 . . E3n

* . . . * . . .

GK EKI EK2 EK3

Le tableau des resultats montrera les afforts Eij pour une con- figuration Gi utilis6e par une soci6te-type Sj. Ce tableau prendra la forme suivante:

EKn

Fig. 7c. Le modNle 'simule': Operation 3.

VIII

La conclusion de tous ces raisonnements decou- lera d'elle meme: tout art ou toute technique (ce qui est la m8me chose, ou doit 1'etre) depend de la communication. Un art ou une technique non compris ou dont personne n'est conscient, n'existe pas. Si un art ou une technique doit etre adresse a un grand nombre de personnes, l'artiste ou

technicien auront recours a deux methodes possibles:

(a) choisir leur contribution de telle maniere que leur message soit comprehensible par tous,

(b) ou bien choisir leur contribution de telle maniere qu'elle soit applicable par chacun a sa faton.

Je ne vois pas d'autre alternative!

E2n

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I

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L'art et la Ville

Art and the City Abstract-The greatest modern privilege is the right to be an individual. Standard elements of construction contribute to this fight by making possible a great number of useful permutations.

To be a unique individual is the target of everyone, including artists, but in order to be an artist one must be able to communicate individuality in a way that can be under- stood by everyone. Artists make objects that carry a message, but if the message is not decodable by others, the object is not a work of art-it is a 'practical joke.'

Messages can be composed of 'complexes' or 'simplexes.' Today we can almost decode 'complexes,' and soon we will be able to teach its principles.

Architects cannot be artists, for a city is not constructed to carry messages. Archi- tects should create technical building systems that will permit anyone to manifest his own personality in his environment by selecting his preferred permutations within such systems. Mobile architectural systems (systems of spatial urbanism) are, it appears, the only ones capable of providing this liberty. The spatial city makes it possible for the city-shape to become a new folklore.

Since cities do not carry messages, one cannot look upon a city as a work of art, ex- cept if one lives there. On the other hand, the city can be studied by 'naturalists'.

In conclusion the author points out that if an artist must worry about his message being understood, a town planner must provide technical elements (or a technical 'code' or infrastructure) within which any individual 'message' can be composed.

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