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Christina Filoche L'Eunuque de Térence, une comédie plautinienne? In: Vita Latina, N°178, 2008. pp. 2-15. Citer ce document / Cite this document : Filoche Christina. L'Eunuque de Térence, une comédie plautinienne?. In: Vita Latina, N°178, 2008. pp. 2-15. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/vita_0042-7306_2008_num_178_1_1252

Filoche, C. (2008) L'Eunuque de Térence, Une Comedie Plautinienne_Vita Latina 178, Pp. 2-15

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  • Christina Filoche

    L'Eunuque de Trence, une comdie plautinienne?In: Vita Latina, N178, 2008. pp. 2-15.

    Citer ce document / Cite this document :

    Filoche Christina. L'Eunuque de Trence, une comdie plautinienne?. In: Vita Latina, N178, 2008. pp. 2-15.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/vita_0042-7306_2008_num_178_1_1252

  • \SEunuque de Trence,

    une comdie plautinienne ?

    L'intgralit du corpus trentien, aussi rduit que sa vie fut courte, doit sans doute sa survie son succs auprs des grammairiens, qui n'y retrouvaient pas ce qu'ils considraient comme des fautes chez Plaute. L'accueil du public fut

    mitig et les reprsentations de ces six comdies connurent un sort contrast : VEunuque fut une russite, mais ce n'est qu' la seconde reprise que l'on put jouer VHcyre jusqu'au bout. Peut-tre le public romain de l'poque aimait-il moins le thtre, concurrenc par d'autres spectacles plus accessibles1 ; peut-tre apprciait-il peu l'esthtique de Trence, dont la critique louait la sobrit, la finesse, l'lgance2. Elle regrettait aussi son manque de vigueur, faisant ainsi cho aux rticences des spectateurs : le jugement svre de Csar, qui fit de Trence un Menander dimidiatus, lui reprochait l'absence d'une uis comica et d'une verve qui ne relevaient pourtant pas du style mnandren, mais plutt des rcritures postrieures des dramaturges latins, notamment plautiniennes. L'Eunuque connut nonobstant un succs populaire et critique, immdiat et durable, en tous cas exceptionnel, aussi bien pour son auteur que pour ses rivaux : Sutone nous apprend que la comdie fut bisse et reprsente une seconde fois dans la mme journe ; elle avait t paye huit mille sesterces, soit un montant qui ne fut jamais gal ni dpass3. Or, elle est parfois considre comme la plus plautinienne des comdies de son auteur4. Alors qu'on a maintes fois soulign que le style de Trence tait plus sobre que celui de Plaute, que son langage tait plus uniforme, ses personnages moins caricaturaux, ses intrigues plus rigoureuses, ses

    moins dsinvoltes5, VEunuque semble contrarier ces qualits bien des gards : Trence y intgre des lments pris plusieurs modles mnandrens, selon le principe revendiqu de la contamination, de sorte que l'intrigue y gagne en complexit et en rebondissements; la liste des personnages aussi s'en trouve enrichie, notamment grce la prsence de deux types bouffons, un soldat et un parasite, auxquels Plaute avait accoutum son public plus que Trence. Certes, Thas ne saurait tre confondue avec certaines courtisanes vnales que Plaute met en scne, ni Parmnon avec les esclaves meneurs de jeu si spcifiques de ses comdies, mais en tudiant les personnages, en observant l'espace dramatique, en analysant le fonctionnement de l'intrigue et notamment l'utilisation du thme de

  • la ruse, nous tenterons d'apporter des lments de rponse la question pose en titre.

    Partons du paratexte du prologue, dont la vocation protatique et narrative peut tre dtourne au profit d'une fonction mtapotique, occasionnellement chez Plaute6, systmatiquement chez Trence. Le premier expose gnralement Yargu- mentum de sa fabula et se recommande la bienveillante attention des

    ; le second se livre, certes, la captatio beneuolentiae, mais fait l'conomie d'une exposition reporte dans les premires scnes, accroissant ainsi le suspens et l'ironie dramatique de ses intrigues. Il propose des prologues dtachs de

    qui hritent en outre du ton polmique des parabases aristophaniennes, et servent de tribune une apologie du pote et un manifeste littraire. Dans Y Eunuque en particulier, le plaidoyer judiciaire est ostensible non seulement dans la structure rhtorique qui organise le prologue depuis l'exorde jusqu' la

    mais encore dans l'emploi d'un vocabulaire juridique (v. 18, 29, 42) en un style peu naturel et trs orn7. La dlgation de parole, dans la fiction de

    judiciaire, s'annihile jusqu' l'identification totale de Prologue et de Trence8, dont l'adversaire, Luscius de Lanuvium, n'est jamais mentionn nommment et devient un paradigme du rival; il est significatif que le rsum de Y Eunuque s'efface au profit de celui du Trsor, que Trence exploite pour permettre

    du concurrent et pour mettre en abme l'expos d'un diffrend judiciaire l'intrieur de sa propre apologie (v. 10-12). Ce jeu d'enchssement est encore spculaire d'une autre rflexivit, rvle par l'emploi d'un mtalangage de la cration dramatique (v. 8, 10, 19, 22, 23, 25, 32) : le prologue est le lieu o le discours sur la poiesis investit le discours potique et o la smiotique comique se dfinit et livre les modalits de son interprtation. Trence revendique ainsi la pratique de la contamination dans la reprise des modles grecs et rfute

    de plagiat de pices latines; mais dans ce contexte, l'vocation mme du furtum constitue une prfiguration de l'intrigue comique, fonde sur le vol d'un costume d'eunuque et l'usurpation d'identit, eux-mmes mtaphoriques du

    Bien plus, elle actualise, dans la performance, la mtamorphose du prologue en comdie, grce l'homologie de deux smiotiques et de deux praxis,

    et dramatiques. Le procd est alors particulirement efficace dans ses potentialits comiques : Trence, loin de s'aliner un public qu'il s'agit de sduire, le met au contraire en condition, comme le faisait Plaute auparavant. Quant au proverbe ironique du vers 41, il participe du mtatexte en ce qu'il dvoile une opposition, celle des deux concepts de tradition et de modernit, dont on sait la productivit littraire et critique. Il dfinit notamment la cration selon la

    antique de Yimitatio, les noui hritant des ueteres : c'est le sens de des topoi congruents la dfinition traditionnelle de la palliata et de ses

    personnages typiques (v. 36-40), Trence se conformant l'horizon d'attente de son public. L'emploi de la modalit interrogative, dans une question rhtorique appartenant la refutatio de la plaidoirie, comporte nanmoins une nuance de potentiel: Trence nomme des poncifs, il ne promet pas de les reprsenter; sa parole n'est pas performative mais potique. En effet, le prologue instaure un

  • systme de sens, mais il ne narre pas un contenu ; il constitue un discours qui introduit celui de la comdie. Trence se rserve ainsi la libert de crer

    des personnages et une intrigue plus ou moins originaux, et de surprendre ses spectateurs, ce qui incite se demander si la dfinition qu'il donne de la palliata et de ses types de personnages est rvlatrice, ou non, de son esthtique et de ses nuances.

    Pour le savoir, tudions le rle, Vthos et le langage des personnages de Y Eunuque. Le prologue, dont nous avons soulign le possible effet dceptif,

    au moins un type traditionnel absent de Y Eunuque (la matrona bond)9, de mme que n'apparaissent pas non plus les pripties habituelles de la supposition d'enfant ou du vieillard dup10. En revanche, sont reprsents le motif du seruus currens (v. 642 sqq.)n et trois types, le parasitus edax, le miles gloriosus et la meretrix mala (ce dont il faudra discuter), parmi d'autres. Nous ne parlerons pas des personnages secondaires que sont le jeune Antiphon12, le senex anonyme13, la nourrice au nomen loquens14, Dorus l'eunuque, Yancilla Dorias, ni des rles muets nomms par Thrason (v. 772). Quant aux autres personnages, dont il a souvent t soulign qu'ils taient moins grotesques et moins caractriss par leur langage que leurs homologues plautiniens, mais nanmoins diffrencis dans leurs caractres, nous nous poserons la question de leur originalit par rapport aux types traditionnels et l'esthtique plautinienne.

    Tandis que Plaute met en scne au moins un parasite, un soldat ou un dans chacune de ses vingt comdies les mieux conserves, l'utilisation de ces

    types est moins frquente chez Trence, relativement la modestie de son corpus, avec deux proxntes {Ad., Ph.), deux parasites et un soldat. Le parasite dsigne traditionnellement le rle d'un personnage de glouton, dont le caractre prsente des nuances essentiellement lies au mode d'obtention de la nourriture, qu'il l'change contre services, la soutire par la flagornerie, ou la remporte par son esprit15. Dans le corpus plautinien, le parasite est aussi un rle de comique

    caractris par son langage, qui prsente, outre les traits lexicaux rvlateurs de l'esclavage et de la vnalit alimentaires, un ensemble de

    qui le dfinissent comme un bouffon, ridiculus16, utilisant toutes les du langage pour parvenir ses fins17. Dans YEunuque, Gnathon semble

    s'inscrire dans la ligne de ces parasites, dont il commence par reprendre la de prsentation (v. 232 sqq.), sous la forme d'une monodie dclame en un

    rcitatif accompagn musicalement. Bien que caractristique des parasites de la palliata1* et frquent dans la comdie plautinienne, pareil monologue inorganique est exceptionnel dans le corpus trentien, car antagonique la rigueur qui prvaut dans la structure des intrigues. Or, le rle de Gnathon provient du Kolax de Mnandre, dont Trence russit la contamination avec YEunouchos: il fait de Thrason le donateur de Pamphila et de Gnathon son livreur chez Thas, intgrant ainsi troitement l'action les deux personnages imports. Outre son long

    dtach de l'action, les interventions de Gnathon ont surtout une fonction divertissante, et servent aussi caractriser par contraste le personnage de

    dont la btise est compense par l'esprit du parasite. Quant son langage, il

  • est particulirement expressif19, et tout fait caractristique de Vthos typique des parasites traditionnels : son lexique est celui d'un glouton (v. 235, 242, 259, 266, 459, 260), qui se targue de rendre des services (v.257) et qui fait commerce (v. 246, 253, 261) de flatteries20. Certains traits particulirement plautiniens peuvent s'y dceler, en particulier la frquence des mots grecs (v. 244, 255, 257, 263, 416) et des mtaphores (v. 235, 236, 247, 268, 274, 406, 417, 438), ainsi qu'un hapax, Gnathonici (v. 264), et un lger lment de romanisation incongrue, dont l'effet est soulign par le changement de mtre (du trochaque septnaire au iambique) et par le procd du catalogue asyndtique (v. 256-7), exceptionnel dans le corpus trentien21. Toutefois, notre interprtation diverge de celle d'E. Karakasis, qui allgue ces lments plautiniens pour poser nouveau la question du plagiat, malgr sa prcaution oratoire22. Nous lui reprochons de confondre des traits de langage plautiniens avec des lments qui relvent simplement de l'hritage

    grco-romain commun toutes les palliatae ; nous les comprenons comme un jeu littraire de Trence avec ses modles grecs et ses prdcesseurs latins, et plusieurs arguments nous confortent dans cette hypothse. L'allusion du vers 1085 (saxum uorso), que Donat identifie avec le mythe de Sisyphe, peut aussi se lire comme un sarcasme du parasite prononc contre le soldat, en rfrence Plaute (Mil. gl. 1024). Contrairement E. Karakasis, qui fait tort de l'allusion mythologique un trait de langage plautinien23, nous prfrons rapprocher cette ventuelle connivence littraire avec la mtaphore du thtre qui semble

    en filigrane (ornatus 237, grex 1084), et avec la revendication par Gnathon d'une mthode novatrice dans le mtier de parasite, qui fait cole, non pas philosophique (v. 262-4), mais anti-comique (v. 249) : par analogie avec le mta- discours du prologue, Trence met ironiquement en relation une technique parasitique nouvelle, qui prend le contre-pied du ludus ridiculus traditionnel, avec sa propre esthtique thtrale. L'enjeu en est sa propre piphanie potique : les vers 246-7 opposent indniablement deux gnrations de parasites, les bouffons traditionnels (ridiculi) et les flatteurs gnathoniciens, tandis que le prologue feint de concilier deux gnrations de dramaturges (v. 41-3). Quoi qu'il en soit,

    ne saurait se confondre avec les parasites plautiniens, dont il se distingue par l'absence de rupture franche de l'illusion thtrale, par le refus de la mise en abme du ludus, et par un langage plus uniforme et jamais grossier, contrairement au soldat dont il est l'acolyte.

    Les soldats fanfarons de la palliata24 ne correspondent pas, historiquement, aux lgionnaires romains, mais la pratique grecque du condottiere, un

    qui se loue et se charge de recruter une troupe sa solde25. Dans les de Plaute, ils constituent un type de personnages burlesques, pleutres mais

    bravaches, et leur rle les oppose toujours au jeune homme amoureux, dont ils sont les rivaux. Prtention et stupidit sont gnralement leurs deux principaux traits de caractre, et c'est cette sottise, associe la forfanterie et la fatuit, qui permet Plaute de dvelopper le thme du soldat dup et humili, dans des

    o le fanfaron amoureux devient la cible des fourberies de l'esclave meneur de jeu : ridiculis, il est ainsi systmatiquement vaincu ses propres armes par un civil,

  • qui, de surcrot, est un esclave. Dans YEunuque, Thrason possde Vthos des soldats comiques, dont il partage la hblerie et la crdulit (v. 741,

    785, 1079), mais non pas le langage caractristique ni les thmes de prdilection. Tandis que le miles plautinien se targue de prtendues conqutes militaires et amoureuses, Thrason se pique d'tre le confident d'un roi26 et vante plutt son esprit27 : il essaie, parfois en vain, de faire des phrases ou de rciter des vers (v. 403-7, 426), mais l'ineptie de ses propos, son manque de rpartie (v. 496) et son irrductible balourdise dmentent ses prtentions intellectuelles. Son langage a pour trait rcurrent l'emploi de l'infinitif de narration (v. 391, 402, 410-3, 432), mais il ne se distingue ni par l'inventivit verbale qui rvle le macaronisme des soldats plautiniens, ni par l'agressivit sensible dans leur emploi caractristique des diminutifs pjoratifs, de l'interjection phatique heus, ou du vocabulaire de l'insulte28. Du reste, bien que J. Barsby et E. Karakasis soulignent ajuste titre que YEunuque comporte environ deux fois plus de termes d'injure que le reste du corpus trentien, ils n'analysent pas leur rpartition entre tous les personnages ; elle rvle pourtant que Thrason se dmarque par le peu d'invectives qu'il

    contrairement aux soldats de Plaute, qui profrent davantage d'insultes, proportionnellement leur volume de texte29. Quant au sige burlesque de la maison de Thas (v. 771 sqq.), il rvle, conformment au schma habituel, le contraste entre la couardise du soldat et ses rodomontades, soulignes par son

    tapageur (casque panache, chlamyde de pourpre et pe) : Thrason se replie l'arrire sous prtexte d'y tablir le poste de commandement (v. 781) de son manipule grotesque, dont le centurion improvis est le cuisinier Sauga (v. 776), soit un homme qui porte, non pas une pe, mais peut-tre un couteau de cuisine, et surtout une lavette de table ! Le soldat ordonne promptement, non pas l'assaut, qui n'a jamais lieu, mais la retraite, et il choisit la ngociation (v. 788-90) ; sa poltronnerie cocasse et ses protestations de bravoure n'ont d'gales que celles de Chrmes, que la brigade dtache de la cuisine du soldat terrifie au point qu'il tente en vain de s'esquiver, sous prtexte d'aller qurir des renforts (v. 755-70). Le fiasco final des prtentions

    de Thrason et son humiliation publique rpte ne russissent pourtant pas abattre sa vanit (v. 1092). En dfinitive, a contrario du jeu traditionnel voqu

    et de certains prsupposs allgus par Parmenon (v. 482), mais dmentis par l'analyse du langage du soldat, l'unique miles du corpus Trentien, quoique son rle de rival (v. 354) et de dupe soit conforme son type traditionnel, possde un langage relativement indit.

    C'est prcisment ainsi que l'on se reprsente gnralement la courtisane Thas, sans doute la suite du commentaire de Donat30 : il en fait une bona meretrix et

    ses qualits explicites, notamment son affection sincre pour Phdria (v. 201) et sa gnreuse sollicitude envers Pamphila (v. 147, 746, 749). De fait, Trence mnage un habile effet d'ironie dans la caractrisation de Thas, comme il le fait pour Bacchis dans YHcyre: tandis que le prologue, puis Parmenon et Phdria, prsentent une courtisane vnale et cupide (v. 48, 55, 67-71, 79-80), conformment la tradition comique, Thas se rvle tre un personnage plus complexe que le strotype annonc, et elle le clame dans une rplique dimension mtathtrale (v. 198). Elle possde

  • la fois les vertus loues par les commentateurs et les dfauts stigmatiss par les autres personnages (v. 122, 506 sqq., 927 sqq., 1075), de sorte que son thos y gagne en subtilit, quoique pareille nuance ne soit pas nouvelle : hormis les exemples de mala meretrix (les jumelles des Bacch., Erotie des Mn., Phron- sie du Trucul.), les comdies de Plaute comportent aussi d'aimantes courtisanes (Philnie dans VAsin., Slnie dans la Cistel., Philmatie dans la M os tel.). Quant au langage de Thas, il correspond celui des meretrices de la comdie plautinienne et se caractrise par l'emploi de blandimenta31 : leur agencement en un discours manipulateur assure le succs de son commerce, et elle utilise cette stratgie de la sduction pour servir ses intrts, que ce soit l'obtention avide de cadeaux coteux de la part de ses amants (v. 163-9), ou la gnreuse restitution de Pamphila sa famille, dont elle espre intgrer la clientle et obtenir la protection32. Outre l'emploi d'un vocabulaire erotique biensant et limit au paradigme smantique du verbe amo (v. 96, 186)33, ses blanda uerba consistent surtout en apostrophes (v. 148, 171, 864, 871), souvent intimes (v. 86, 144, 190, 455, 535, 743, 756), dont l'une est hypocoristique (v. 95), et en moda- lisateurs, tels obsecro (v. 95, 356, 756) et amabo (v. 130, 150), qui soutiennent ses prires ou attnuent ses requtes. Certaines rpliques de Thas font ainsi cho Phro- nsie {Eun. 128 / Trucul. 388; Eun. 458 / Trucul. 590)34, de mme que certains

    de Y Eunuque voquent tout particulirement le Truculentus de Plaute, la supposition d'enfant (cf. supra) et la surenchre des cadeaux entre les amants

    rivaux {Eun. 454 sqq. I Trucul. 893 sqq.). Toutefois, contrairement Phronesie, Thas n'encourage pas la comptition entre ses prtendants pour augmenter leurs largesses ; elle ne feint jamais la colre35 ou l'indiffrence pour les manipuler, et elle n'emploie pas non plus le lexique de l'argent36.

    En revanche, la verve et la rouerie de sa servante Pythias voquent celles d'Astaphie {Trucul.), dont elle partage aussi le langage color typique des esclaves, et en particulier l'emploi des insultes et des images37. En tant que servantes de courtisanes, elles copient toutes deux le langage de leur matresse, si bien que Pythias prononce les blanditia traditionnels (v. 534, 535, 663, 674, 676, 679, 685, 838, 963, 1006), mais avec l'exagration qui convient une ancilla de comdie: l'adresse l'accusatif exclamatif du vers 531 cumule notamment un diminutif affectif et un superlatif emphatique, dont la servante ritre tantt l'emploi (v. 532, 665, 686). En outre, de mme qu'Astaphie aide Phronesie manipuler ses amants {Trucul. 256 sqq., 669 sqq.), de mme Pythias, mais dans une moindre mesure38, se montre habile mystifier Parme - non pour venger le viol de Pamphila et l'humiliation d'avoir t la dupe de Chra (v. 910-2, 941 sqq., 1002 sqq.)39.

    Le double dnouement de V Eunuque, enfin, possde un peu de la licence de celui du Truculentus : le partage altern des faveurs de Thas entre Phdria et le soldat Thrason (v. 1072 sqq.) voque les relations finales de Phronesie avec Strabax et Stratophane (v. 892 sqq.). Il sert aussi rtablir une norme qui avait t rompue dans le temps de la reprsentation, comme dans le Truculentus : le viol de Pamphila, qui se rvle bien ne (v. 952), est rpar bon droit par son

    7

  • mariage avec Chra, l'instar de celui de la fille de Callicls par Diniarque. Dans les deux cas, la comdie est un procs qui se conclut par un retour l'ordre dont elle a donn en spectacle la subversion. Toutefois, les similitudes entre les deux comdies ne sont, encore une fois, qu'apparentes. Dans YEunuque, Chra pouse Pamphila par amour, et la liaison de Phdria avec une courtisane est,

    conforte, mais dans le cadre social du clientlisme et les limites morales de la vertu : l'amour qu'prouve Thas garantit son dsintressement, donc la

    du patrimoine familial de son amant. Dans le Truculentus, Diniarque n'pouse pas sa victime par amour, mais pour viter un procs pour stuprum (v. 821, 840), et il continue d'tre l'amant (v. 883) et le complice des basses

    de la cupide et roue Phronsie, qui il confie l'enfant du viol pour servir la ruse monte contre le soldat (v. 878). Le conformisme et la biensance qui prvalent ainsi chez Trence sont sans doute hrites de Mnandre40, et ils

    bien peu l'impertinence plautinienne : outre l'immoralit de Diniarque, le Truculentus s'achve sur une scne trs leste o Phronsie accorde ses faveurs Stratophane et Strabax en mme temps41.

    Revenons aux personnages de V Eunuque : comme celle de Thrason, la caract- risation de Phdria s'effectue grce des contrastes, commencer par sa

    lgiaque42 de l'amour, qui s'oppose l'approche pragmatique de Thas. Son entre en scne est l'occasion de prsenter le caractre d'un amans adule scens typique, asservi par la passion, en contraste avec son esclave, qui est aussi

    et rsolu que son matre est faible et indcis. Sa premire rplique en est symptomatique : la dlibration au subjonctif prend la forme d'une alternative bancale, et la priode, avec protase et apodose, cache un raisonnement strile et rgressif {cogita), qui s'achve sur un constat d'chec, avec la mtaphore de l'anantissement et le smantisme de la dfaite au mode du rel.

    Au contraire, Parmnon est en fonction de pdagogue43, comme le sont Pali- nure et Pseudolus au dbut du Curculio et du Pseudolus, et il partage leur

    l'arrogance, dispensant sarcasmes et conseils tapageurs grand renfort de figures de rhtorique. Il est pourtant loin d'tre rus, ni mme avis : faire de lui un sage moraliste l'issue des premires scnes constitue un contresens44,

    se contente de rcuser pompeusement tout pouvoir de la raison sur l'amour, pour finalement donner vaguement Phdria le conseil fumeux de cder Thas. Ses prjugs sur cette dernire se rvlent inexacts, si bien que sa facult de

    comme ses comptences, sont irrmdiablement mises en doute. Il est, l'instigateur du travestissement de Chra en eunuque, mais il refuse d'en

    assumer la responsabilit : il prsente l'usurpation d'identit comme une (v. 378) potentielle, au subjonctif (v. 369-73), tente en vain d'en dissuader

    Chra en soulignant son dsaveu moral (v. 382), pour finalement se dfausser (v. 389, 980, 988). Il est rvlateur que Parmnon n'emploie jamais le

    de la ruse et qu'il n'ait pas l'insolence de revendiquer des coups ou de le rapport d'autorit avec son jeune matre45. Contrairement au seruus

    fallax plautinien qui donne volontiers des ordres, Parmnon prfre les recevoir de Chra, et la tirade fanfaronne o l'esclave s'attribue les

  • mrites du succs de son matre (923 sqq.) n'est jamais pour Trence que d'une scne de duperie fonde sur l'ironie dramatique : Parmnon se

    leurre car il continue d'ignorer la vritable identit de Pamphila. Tandis que Plaute prtexte de tels monologues pour amplifier la stylisation militaire de ses esclaves meneurs de jeu (Bacch. 925 sqq., Mil. gl. 259, 598 sqq., Pseud. 574 sqq), Trence y dveloppe tout au plus la mise en abme mtaphorique du

    (930), dj prsente dans le mtalangage de Gnathon (237, 1084), de Thas (198), voire de Chra (386). Le langage de Parmnon ne le caractrise donc pas comme un seruus callidus typique de la comdie plautinienne, et la

    Pythias en fait mme la dupe de sa mystification vengeresse. En revanche, Chra revendique V auctoritas (v. 390) de la ruse, dont il

    emploie le lexique (v. 386, 586, 587), quand bien mme son premier rflexe, conformment au type de Y amans adulescens, serait de faire appel son esclave pour servir ses desseins (v. 307 sqq.) : comme Phdria, l'amour lui fait perdre la raison (v. 305-6), mais c'est le seul trait commun aux deux frres. Ils forment en effet un doublet oppositionnel qui permet Trence de construire une intrigue double, comme dans toutes ses comdies (hormis VHcyre), et de prsenter deux caractres contrasts, l'instar de Pistoclre et Mnsiloque des Bacchides de Plaute, ou de Diniarque et Strabax du Truculentus46. Tandis que Phdria manque de ressource, Chra est impulsif et suffisamment dgourdi pour parvenir ses fins ; le premier conoit l'amour comme la fusion de deux mes (v. 196), le second comme celle de deux corps (v. 313 sqq.), et sa faconde expressive manifeste cette ardeur de la chair et de l'esprit. La caractrisation de Chra par son langage est en effet l'une des plus remarquables de YEunu- que, commencer par l'emploi de la modalit exclamative, qui rythme et ponctue vivement son discours, et dont les traits les plus significatifs sont les interjections (eho 334, 351, 360, ge 377), les jurons (v. 305, 311, 321, 356, 550, 562, 905, 1032, 1048), et les interrogations rhtoriques (v. 305, 318, 326, 328, 334, 366, 389, 550, 566, 568, 574, 575, 604-6, 1031, 1035, 1036, 1044). A cette cadence s'ajoutent les effets sonores des allitrations, des paronomases et des polyptotes (v. 377, 556, 568, 571, 575, 578, 579, 605, 613-614, 1035, 1047, 1048). Diffrents procds d'emphase donnent encore de la force ses noncs, notamment la modalisation verbale (v. 356, 362, 562, 877, 887, 905, 1049) et adverbiale (v. 323, 329), ou les rptitions et les plonasmes (v. 317, 324-5, 370, 389, 549). En outre, alors que Plaute se sert des diuerbia et des cantica pour diffrencier ses personnages47, Trence n'emploie gnralement les changements de mtres que pour souligner des variations de ton (v. 255, 615) ou de rythme (v. 207), sauf dans le cas de Chra, dont l'entrain est exprim par l'emploi des octonaires iambiques (v. 292-7, 302-3, 307-22, 367- 90, 553-6, 562-91, 1031-48), et dont la prsence sur scne est gnralement module musicalement par des mtres du rcitatif (sauf v. 840-908), parfois varis. Enfin, le vocabulaire color de Chra accrot l'expressivit de son langage, conformment son temprament exubrant: le lexique du jeune homme se caractrise en effet par l'oralit familire de son niveau de langue

  • (v. 303, 332, 339, 343, 348, 351, 378, 381, 604), et par la connotation figurative donne par ses nombreuses images et mtaphores (v. 312, 316, 318, 354, 383, 554, 571, 610)48.

    Le personnage de Chra est donc l'incarnation du dynamisme juvnile, tant dans son langage que dans ses actions, et son influence dterminante sur

    scnique en tmoigne. Les enjeux spatiaux de V Eunuque consistent en effet faire passer la uirgo de la maison du soldat celle de la courtisane puis celle de Y amans adulescens49. Thas parvient ses fins par la double

    manipulatrice de Thrason (pour qu'il lui fasse cadeau de Pamphila) et de Phdria (pour qu'il cde momentanment la place son rival). Chra obtient galement l'objet de ses dsirs par la ruse, mais sous une forme plus violente : le travestissement et l'usurpation d'identit, en termes spatiaux, reviennent une violation du domicile de Thas, qui prlude au viol de Pamphila.

    Thrason, dont les vellits de prise de contrle de l'espace restent des initiatives inoprantes, les actes de Chra sont efficaces et le rendent matre des lieux, puisqu'il russit son incursion et parvient pntrer l'intrieur de la maison de Thas. Cette maison constitue en effet la polarisation initiale de l'espace et elle exerce une force d'attraction sur tous les personnages

    si bien que c'est devant elle qu'ont lieu toutes les scnes la porte50. Plus prcisment, l'enjeu spatial se fonde sur le contraste significatif entre le dedans et le dehors, qui dtermine les rapports de force entre les personnages,

    devant cette porte : l'lment du dcor sert ainsi d'obstacle et permet non seulement de sparer physiquement la uirgo des personnages masculins, mais possde encore une puissante fonction erotique par son vidente figuration symbolique. En dfinitive, Chra ralise une triple conqute, spatiale,

    et sociale, dont l'accomplissement est consacr dans le dnouement: en pousant Pamphila, il en prendra possession et la fera sortir de la maison de Thas, pour l'enfermer derrire la porte de sa propre domus, emblmatique du retour l'ordre tabli et de l'mancipation intgratrice du jeune homme.

    Pour conclure, revenons la question initiale, ou plutt posons celle de sa pertinence. Loin de vouloir alimenter la polmique d'un Trence plagiaire de Plaute, nous rappellerons simplement, qu'elle relve d'un dualisme

    l'efficacit analytique prouve, certes, par des sicles de critique, mais dont les oppositions binaires traditionnelles cachent mal les nombreux traits communs dcelables entre les deux dramaturges. Ils tmoignent

    d'une tradition grecque dont les comiques latins ont hrit, puisant aux mmes modles, selon la thorie ancienne de la cration conue comme

    et mulation. Ils attestent aussi l'existence d'un genre particulier et d'un courant littraire continu, la comdie grco-romaine, avec ses codes, ses lieux, son style, identifiables chez tous les auteurs qui s'en rclament. Ils ne nient videmment pas l'originalit de chacun, mais constituent plutt des tmoignages de la fabrique de l'criture, avec les reprises et les carts

    chaque pote. Il et t stimulant de se demander dans quelle mesure

    10

  • YEunuque est une comdie mnandrenne, mais les sources trop fragmentaires constituent un facteur limitant irrductible, du moins en leur tat actuel.

    Christina Filoche Universit de Bourgogne

    ADNOTATIONES

    1 Cf. Trence, Hc. Prol. 1, v. 4, Prol. 2, v. 33-42; Horace, Ep. II, 1, v. 180 sqq. 2 Voir Horace, ibid. v. 59 ; Vairon, Sat. Mn. 399b ; Aeli Donati Commentum Terenti (d. P. Wessner) : Sutone, Vit. Ter. avec des citations sur l'art et le style du dramaturge ; cf. K. M. Abbott, O dimidiate Menander: an Echo from a Roman Schoolroom? , C. J., vol. 57, n6, 1962, p. 241-251.

    3 Donat, ibid. praef. I. 6: Sutone, Vit. Ter. 3. 4 Voir les d. de L. Tromaras, Hildesheim, 1994, p. 16, et J. Barsby, Cambridge Univ.

    Press, 1999, p. 15; E. Karakasis, Terence and the Language of Roman comedy, Cambr. Univ. Press, 2005, p. 121-143.

    5 Voir G. E. Duckworth, The nature of roman comedy : a study in popular entertainment, Princeton, 1952, p. 331-360 ; J. Wright, Dancing in chains: the stylistic unity ofthe comoe- dia palliata, Rome, 1974, p. 127-151; W. G. Arnott, Menander, Plautus and Terence, Oxford, 1975; R. Maltby, A comparative study of the language of Plautus and Terence, diss. Cambridge, 1976.

    6 II arrive qu'il se passe de prologue {Cure, Epid., Mostel., Pers., Stich.), le prive d'un argu- mentum volontairement incorpor au dbut de la comdie {Trin. 17 repris par Trence, Ad. 23), ou le prtexte pour proposer une rflexion d'ordre littraire sur les rgles du thtre (Amph. 51-63, Capt. 57, Merc. 1 sqq.).

    I Structure: exordium (1-6), accusatio (propositio 7-8, argumentatio 9-13, egressio 14-19), narratio (19-26), refutatio (27-43), conclusio (44-5); voir H. Gelhaus, Die Prologe des Terenz. Eine Erklrung nach den Lehren von der inuentio und der dispositio, Heidelberg, 1 972. Figures de rptition, de construction et de sonorit : chiasmes parfois antithtiques (7, 27, 37), antithse (8), jeu de mots (23-24), panadiplose (30), enjambements (24, 31), rejet et contre-rejet (28, 33), etc.

    8 Cf. A. Deremetz, Le Miroir des Muses. Potiques de la rflexivit Rome, Lille, Presses Univ. du Septentrion, 1995, p. 204.

    9 Cf. Myrrhine (Plaute, Cas.), Philippa {Epid.), Panegyris et Pamphila {Stich.). 10 Pour la pueri suppositio, cf. l'pilogue des Capt. de Plaute (1031), ou l'intrigue du Trucul.

    Pour un senex credulus, cf. Nicobule {Bacch.), Periphane {Epid.), Theopropides {Mostel.). II Cf. Trence, Andr. 338 sqq., Ad. 299 sqq., Ph. 841 sqq. ; Plaute, Amph. 984 sqq. (parodie),

    Asin., 267 sqq., Epid. 192 sqq. (ruse), Merc. 111 sqq., Stich. 21 A sqq., Trin. 1008 sqq., ainsi que Capt. 776 sqq. et Cure. 280 sqq., o ce sont des parasites, soit des hommes libres

    par leur obsession alimentaire, qui sont en fonction d'esclave. 12 Selon Donat {Ad 539), Antiphon serait une intercalation trentienne destine viter un

    monologue rtrospectif par Chra ; il joue en effet les utilits et se fait le confident du jeune homme, de mme que Chribule est l'adjuvant de Stratippocls {Epid.), Eutychus celui de Charinus {Merc), Charinus celui de Calidore {Pseud.).

    13 Le paratexte des manuscrits ne comporte pas de liste des personae, et bien que les entres et sorties de scne soient signales, l'emploi de sigles grecs ne saurait renseigner sur le nom d'un personnage quand il n'apparat pas dans les rpliques. Les deux familles de manuscrits trentiens {Bembinus et Calliopiens) donnent ainsi des leons divergentes l'arrive du senex (970), dont il ne faut retenir ni l'une, ni l'autre, mais bien plutt l'absence de nom

    11

  • voulue par l'auteur. Rappelons que les sigles grecs ne reprsentent pas les initiales des noms des personnages, ni non plus un personnage en particulier, mais les acteurs ; ils constituent un argument accrditant l'hypothse du port du masque, qui permettrait un mme acteur d'incarner plusieurs personnages, voire plusieurs acteurs portant tour de rle le mme masque de jouer le mme personnage. Cf. J. Andrieu, tude critique sur les sigles de

    et les rubriques de scne dans les anciennes ditions de Trence, Paris, 1940; E. Paratore, Storia del Teatro Latino, Milan, 1957, p. 34 sqq. ; F. Della Corte, "La tipo- logia del personnaggio della palliata", Actes du IXme Congrs G. Bud, Paris, 1975, I, p. 354-393.

    14 Voir J. C. Austin, The significant name in Terence, Urbana, 1922, p. 106-121. Donat (Ad. 26) voque le sens tymologique de noms qui se rvlent appropris, ou comiquement inappropris, au rle ou au caractre des personnages. Comme Trence a chang les noms de ses modles, il est pertinent de signaler le choix significatif de Sophrona (acbcppv) pour la nourrice, Parmnon pour l'esclave que l'on souhaite fidle (7iapa|J,svco), Dorus pour l'eunuque dont on fait cadeau (rpov), Gnathon (yvGo, la mchoire) pour le parasite glouton ; en revanche, Bias (Mnandre, Kol.) est renomm Thrason par antinomie avec sa couardise (Gpao, la hardiesse), de mme que Chrysis (Mn., Eun.) devient Thas,

    pour supprimer l'allusion la vnalit contenue dans le nom originel (Xpixr).

    15 Phormion, l'autre parasite trentien, et Curculio, l'un des neuf parasites plautiniens, sont tous deux ponymes des comdies dont ils mnent effectivement le jeu ; Gnathon est plus proche d'Artotrogus (Mil. gl.), dont il partage la propension la flatterie. Cf. G. E. Duc- kworth, op. cit. p. 265-7, J. Barsby, op. cit. p. 126-7, W. G. Arnott, Phormio parasitus : a study in dramatic methods of characterization, G&R 17, 1970, p. 32-57.

    16 Cf. F. Ritschl, Opuscula II, Leipzig, 1868, p. 411 : Ridiculus Plauto non est qui risum mouet inuitus, sed qui iocis etfacetiis risum dedita opra captt. Il s'agit du terme technique plautinien pour dsigner les bouffons professionnels, et Trence l'emploie en ce sens au v. 244, contrairement au sens pjoratif de l'occurrence du v. 452.

    17 Voir C. Filoche, La caractrisation par le langage des personnages de la comdie plauti- nienne, 2004, t. 1, p. 82-108, p. 152-157, p. 163-171 (thse paratre) : caractrisation de la gloutonnerie par l'emploi d'un vocabulaire abondant de la faim, de la nourriture et du vin; caractrisation de l'esclavage mtaphorique par les lexiques du lien et de la vente. Quelques statistiques prouvent en outre que les parasites plautiniens se diffrencient des autres types de personnages par une frquence d'emploi des mots grecs, des inventions verbales, des hyperboles et des images suprieure la moyenne. Sur le rle de bouffon, cf. C. Filoche, Poiesis et ludus : la parole du parasite plautinien ou l'espace ludique d'un personnage de bouffon, Actes du colloque Personnage de thtre et espace ludique (Dijon, 5-6 fv. 2007), EUD, 20081; R. Maltby, The Language of Plautus' Parasites, 1999, www.open. ac.uk.

    18 Sur Plaute, Capt. 69-109, Mn. 77-109, Pers. 53-80 et Stich. 155-233, cf. O. L. Wilner, The character Treatment of inorganic Rles in Roman Comedy, CPh 26, 1931, p. 264- 283, p. 272; W. H. Juniper, Character Portrayal in Plautus, CJ 31, 1936, p. 276-288, p. 286. Sur l'origine grecque de ces monologues, cf. G. Guastella, I monologhi di ingresso dei parassiti, dans C. Questa, R. Raffaelli, d. Due seminari plautine : la tradi- zione del testo ; i modelli, in Ludus Philologiae 1 1 , Urbino, 2002.

    19 Voir J. Barsby, op. cit. p. 128 sqq. : jurons (232, 397, 416), interjections (236, 407, 416, 426), rptitions verbales (251-2), synonymie (234), jeux de mots et adnominations (236, 249-50, 264), plonasme (246), verbes frquentatifs (249, 253, 255, 262), antithse (232), litote (235), trikola asyndtiques (236, 242, 427), paradoxe (243).

    20 Voir v. 249-53 : selon Gnathon, la flatterie consiste tmoigner de l'admiration et rire des plaisanteries d'autrui, mais aussi toujours partager ses opinions, comme l'affirme gale-

    12

  • ment un parasite plautinien, Pniculus (Mn. 163). Les v. 391 sqq. mettent en pratique la leon de flagornerie dispense prcdemment: Gnathon y accumule les termes laudatifs complaisants (392, 403, 416, 427, 773, 774), les modalisateurs obsquieux (obsecro 421, 428, quaeso 431), les clats de rire forcs (426, 497). Les aparts (422, 782, 1028) et les quivoques sarcastiques ( 397, 399-401, 409, 1090, 1093) confirment l'hypocrisie de

    l'exagration suspecte (392-4, 399-402, 428, 452-3, 791), de mme que le caractre arrogant de Gnathon, sensible surtout dans ses premires rpliques, se manifeste en

    de ses viles flatteries. Cf. M. Crampon, Le parasitus et son rex dans la comdie de Plaute: la revanche du langage sur la bassesse de la condition, Forms of Control and Subordination in Antiquity, Leiden Brill, 1988, p. 507-522.

    21 Les commentateurs, depuis Donat, remarquent gnralement l'emploi d'une terminologie romaine, rare chez Trence, dans le contexte grec d'une palliata dont la scne se situe Athnes (110, 290) ; ce trait comique reste nanmoins assez insignifiant : non seulement les coqui voqus font rfrence la ralit grecque du mageiros (cf. H. Dohm, Mageiros. Die Rolle des Kochs in der griechisch-rmischen Komdie, Munich, 1964; J. C. B. Lowe, Cooks in Plautus , ClAnt 4, 1985, p. 72-102), mais les lments de romanisation en eux- mmes sont beaucoup moins prononcs que chez Plaute (cf. Capt. 90, 489). Seule

    de six mtiers rappelle certains vers de Plaute (Aulul. 508-16, Bacch. 1088, Capt. 770-1).

    22 E. Karakasis, op. cit. p. 143. 23 Nanmoins, trois des cinq allusions mythologiques du corpus trentien apparaissent dans

    l'Eunuque (584-5, 1027, 1085); cf. And. 194 et Heauton. 1036. 24 Parmi les ouvrages gnraux, voir G. E. Duckworth, op. cit. p. 264-265 ; O. Ribbeck, Ala-

    zon. Ein Beitrag zur antiken Ethologie und zur Kenntnis der griechisch-rmischen Komdie, Leipzig, 1882 ; H. Wysk, Der Soldat in der griechisch-rmischen Komdie, Giessen, 1921 ; W. Hofmann et G. Wartenberg, Der Bramarbas in der antiken Komdie, Berlin, 1973. Sur les soldats mnandrens, voir W. T. MacCary, Menander's Soldiers. Their Names, Rles and Masks, AJPh 93, 1972, p. 279-298. Sur Plaute, voir R. Perna, La figura del soldato in Plauto, Ras s. Cuit. 1, 1954, p. 15-25; C. Filoche, Le miles plautinien ou le langage comique d'un anti-hros, REL 85, 20082, p. 54-73.

    25 A l'poque hellnistique, aprs la mort d'Alexandre et le licenciement des armes conscutif la dfaite grecque, les rois d'Asie, notamment les Epigones, recrutent nombre de ces

    de profession. Thrason mentionne ainsi un roi indtermin (397) et Pyrgopolinice {Mil. gl. 75-6) est la solde de Sleucus, un roi de Syrie.

    26 Sur ce topos littraire mergent, cf. O. Skutsch, d. Ennius, Annales, Oxford, 1985, v. 268- 86 et p. 447-62 ; R. Barthes, Sur Racine, Seuil, 1963, p. 55-7.

    27 Thrason fait nanmoins quelques allusions guerrires, conformment son type de mais elles ne sont jamais prtexte la rodomontade : 402, 413 (cf. Mil. gl. 30), 773-7,

    783. Son modle mnandren (Kol.) se vante de ses orgies de femmes et d'alcool (cf. J. Barsby, op. cit. p. 306, fr. 2 et 4).

    28 Voir C. Filoche, ibid. : quelques statistiques prouvent que le langage des soldats plautiniens les diffrencie des autres types de personnages, en particulier par la prpondrance des diuerbia sur les cantica, par la frquence d'utilisation des crations verbales, des diminutifs et des insultes, et par le contexte d'emploi de l'interjection heus.

    29 J. Barsby, op. cit. p. 20-1 ; E. Karakasis, op. cit. p. 127-130. Cf. S. Lilja, Terms of abuse in Roman comedy, Helsinki, Annales Academiae scientiarum fennicae, ser. B, 141, 3, 1965.

    30 Sur Thas, voir AdEun. 198 ; cf. AdHec. 58, 727, 756, 774, 776, 789, 840. Cf. G. Norwood, The art ofTerence, Oxford, 1923, p. 97-9 ; D. Gilula, The concept of the bona meretrix : a study of Terence's courtesans, RFIC 108, 1980, p. 142-165.

    31 Cf. Donat, Ad. And. 685, Ad. Hec. 524, Ad. Eun. 656, etc ; J. N. Adams, Female speech in Latin comedy, Antichthon 18, 1984, p. 43-77; C. Filoche, op. cit. 2004, t. 2, p. 584-656.

    13

  • 32 C'est du moins le projet de Thas avant la priptie du viol; aprs la reconnaissance (914, 921) de Pamphila par son frre Chrmes et la promesse de mariage avec Chra (1036), Thas entre finalement dans la clientle du pater familias sous la tutelle duquel est place la nouvelle pouse, soit le pre de Chra et de Phdria. C'est ainsi qu'il faut lire la formule juridique du v. 1039, qui correspond la transposition du prostates grec en patronus latin, et non pas l'interprter comme un lment de romanisation incongrue (cf. Plaute, Mn. 571 sqq.). Il en est de mme pour l'ph- bie : Chra est un ephebus grec (824), transcrit en latin custos publie (290).

    33 Le vocabulaire polic de Thas atteint rarement la licence des avances de certaines plautiniennes : cf. amplexari (Trucul. 924, Bacch. 77, 1192), accubare et la litote

    du locum lepidum (ibid. 81-84). De mme, son unique emploi d'une appellation hypo- coristique ne saurait se comparer ni avec la varit des mots doux plautiniens, ni avec leur accumulation (Asin. 664 ; cf. Poen. 365-7, 392-4 pour une parodie).

    34 Cf. Mn. 370-2. 35 Les seules manifestations de colre de Thas sont des ractions spontanes et authentiques

    qui intressent sa protge : elle dfend Pamphila contre les assauts du soldat (739-42) ; elle tance vertement sa servante Pythias aprs le viol (817 sqq.).

    36 Cf. C. Filoche, Female characters in Plautus' Truculentus, Early Latin Comedy in Magna Graecia and Rome, d. P. A. Johnston, C. W. Marshall, Austin, University of Texas Press, 2007 ; Ressources et significations du double dans les Bacchides de Plaute , Epiphania. Recueil d'tudes orientales, grecques et latines offertes Aline Pourkier, d. E. Oudot et F. Poli, Nancy, ADRA, 20083, p. 339-363.

    37 Voir par ex. le trikolon asyndtique du v. 688, dont l'effet rythmique est renforc par les figures de sonorit (allitration, homoptote et polyptote) et par l'emploi d'un lexique expressif et figur.

    38 Toutefois, contrairement Astaphie, qui prononce plus de vers que sa matresse (1602 mots contre 1429 pour Phronsie), Pythias ne possde pas le deuxime rle le plus long de YEun., comme l'affirme tort J. Barsby, op. cit. p. 80: son volume de texte est d'environ 11%, contre 17% pour Parmnon, 16% pour Chra, 13% pour Thas, 12% pour Gnathon, et

    10% pour Phdria, auquel Donat (praef. 1.4) octroie improprement le troisime rle. 39 Pour d'autres ancillae ruses, cf. Pardalisque (Cas. 621 sqq.), qui effraie et dupe Lysidame en lui

    rapportant une histoire fictive, ou encore Milphidippa, qui mystifie le miles gloriosus ponyme de la comdie. Dans le corpus trentien, aucune servante, hormis Pythias, n'ourdit de pige, et c'est son insu que Mysis participe la supercherie de Dave contre Chrmes (And. 722 sqq.).

    40 Diogne Larce atteste que Mnandre suivit les enseignements de Thophraste (V, 36) et qu'il appartenait au cercle politique du rgent Dmtrios de Phalre (V, 75-9) ; ce dernier avait inaugur Athnes une austre politique de la vertu, inspire par les Pripatticiens du Lyce, et qui prnait la modration et la coopration des diffrentes classes sociales, dans un rgime censitaire et moralisateur destin viter les dsordres de la dmocratie. Sur l'amour polic et le respect de l'ordre tabli dans la comdie mnandrenne, cf. S. Sad, Sexe, amour et rire dans la comdie grecque, Le rire des Anciens. Actes du colloque

    (1995), Paris, Presses de l'ENS, 1998, p. 67-89. 41 L'impertinence des dnouements de Plaute varie en fonction du statut de l'tre aim : quand

    c'est une uirgo, l'obstacle (viol, enlvement, pauvret) est rsolu par une reconnaissance et un mariage (Aulul., Cistel., Cure, Pers., Poen., Rud., Trin.); s'il s'agit d'une courtisane, Y amans adulescens est autoris la frquenter dans des limites raisonnables dtermines par les valeurs de temprance et d'conomie dfendues par un pater seuerus (Epid., Mostel., Pseud.). Le dnouement scabreux des Bacch., en particulier, rconcilie les deux jeunes gens et les deux vieillards autour des deux jumelles, mais les couples sont croiss, probablement pour viter qu'un pre et son fils ne partagent le lit d'une mme courtisane ; dans Y Asin., en revanche, Alcsimarque partage sa matresse avec son pre, en remerciement de l'argent qu'il a contribu lui obtenir.

    14

  • 42 Voir v. 70-3, 192-6: les images, les hyperboles, les figures de construction et de sonorit sont ceux de la posie amoureuse grecque, dont la palliata hrite par l'intermdiaire de ses modles.

    43 Cf. Lydus (Bacch), sur le modle de Lydos (Dis Exapat.), ou Simias (Epitrep); la tragdie comporte aussi des pdagogues (Soph., Elect. ; Eur., Phnic, Md.), comme l'pope (//., IX).

    44 L'interprtation errone de P. Fabia (d. 1895, p. 24), qui voit en Parmnon un moraliste psychologue, provient sans doute d'une lecture force du commentaire de Donat au v. 57 : il y souligne que les esclaves comiques sont souvent plus aviss que leurs matres (sapien- tiores), recopiant le comparatif utilis par Horace (Sat., II.3.265), qui exploite les

    philosophiques du contraste entre le seruitium amoris du jeune homme et la libert comme corollaire la sagesse.

    45 Parmnon voque peu les coups (381, 968, 997) en comparaison des esclaves plautiniens, qui font preuve d'une vritable hantise du chtiment corporel, perptuel sujet d'humour noir ou de glorification : le bton est l'instrument de la justice rendue par le matre dans son

    domesticum, et en toute occasion son interprte le plus fidle, de sorte que s'en moquer permet aux esclaves d'inverser les rles. Cf. Asin. 297 sqq. et 545 sqq. (collaudatio

    des malefacta de deux esclaves sur le modle dtourn de la rhtorique encomiastique propre la commmoration du triomphe d'un imperator),

    46 Les deux premiers sont des dbauchs qui se diffrencient par leur langage (cf. C. Filoche, art. cit. 20083). Quant au rusticus Strabax, loin de conforter l'opposition traditionnelle entre les murs urbaines corrompues et la simplicit frugale du mode de vie campagnard, il

    son patrimoine familial et est tout aussi perverti que son rival citadin. En revanche, le Trin. comporte un doublet d'adulescentes construit sur le contraste entre le dprav Lesbo- nicus et le vertueux Lysitls, dont l'un sert de repoussoir l'autre. Cette opposition entre deux systmes de valeurs, Yotium et le negotium, Yurbanitas et la rusticitas, apparat dans les Dtaliens d'Aristophane (parabase des Nues 528-9), et se retrouve dans les fr. 108k du Kyris d'Alexis et 129k de celui d'Antiphane. Chrmes, outre sa fonction dans l'conomie dramatique de YEun., incarne quelque peu les valeurs de cette rusticitas: en tmoignent sa mfiance envers Thas (507 sqq.) et son interjection alarme lorsqu'il apprend que sa sur Pamphila a grandi dans la maison d'une courtisane (747) ; mais son ivresse (727-30)

    sensiblement le jeu de scne et le langage de l'intemprant Callidamate, qui titube et bafouille (Mostel. 319-25).

    47 Cf. C. Filoche, op. cit. 2004, t. 1, p. 186-228. 48 W. G. Arnott, Phormioparasitus, G&R 17, 1970, p. 32-57, p. 54, souligne que Trence vite

    l'emploi d'un langage figur pour ses personnages d'hommes libres, l'exception de Chra. 49 Cf. W. Beare, The Roman Stage, a short History of Latin Drama in the Time of the

    Londres, 3e d. 1964, p. 166 sqq. ; G. E. Duckworth, op. cit. p. 82 ; M. Bieber, The History of the Greek and Roman Theater, Princeton, 1961, p. 167 sqq. La fixit du dcor des palliatae renvoie au schma rcurrent des intrigues : la frons scaenae est perce de trois praticables, qui peuvent servir de portes aux maisons, et qui donnent sur la platea

    une place publique ; les cts de la scne mnent, droite, vers le forum, gauche, vers le port ou la campagne (ou les deux). L'espace scnique de YEunuque reprsente ainsi deux maisons, celle de Thas et celle de Phdria et Chra ; les maisons de Thrason, de Chrmes et d'Antiphon se trouvent hors-scne.

    50 Cf. O courir? Organisation et symbolique de l'espace dans la comdie antique, Colloque de Toulouse Le Mirail, Pallas 54, 2000. La porte ferme a pour fonction de matrialiser une situation de conflit entre les personnages (cf. 267-8) ; d'o la mention rcurrente de

    de Phdria (49, 83, 88, 89, 98, 159) et la dispute au cours de laquelle Thas l'amadoue en lui proposant habilement d'entrer (86), pour mieux lui demander de s'loigner (182). Il existe d'autres scnes la porte de Thas, notamment Yagn de Gnathon et Parmnon au sujet de son ouverture (276, 282-5), ou l'offensive avorte de Thrason, contre laquelle Chr- ms dfend la porte de Thas en la faisant fermer clef (763, 784).

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