Figures d'Absence

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    ) 1 ~ ~ Raymond Bellour, Francesco Casetti, Christian Metz et Dana Polan m'ontfait l' amiti de lire sur manuscrit certains de ces textes et de me faire part deleurs remarques. John Batho et Philippe Salan ont permis la reproduction dela photo de Claude Batho Le reve . Je les en remercie.Une premiere version du Regard ala camra es t parue dans Iris, vol.l nO 2, novembre 1983. Une premiere version de L'idal (e) est paruedans Vertigo nO 2 mai 1988 sous le titre L'adresse d'Addie .

    ISBN 2-86642-072-1. EditiOlis de 1Etoile 1988Diffusion : Seuil 27, rue Jacob, Paris 6e

    AVANT-PROPOS

    "~ D'abord, il y a l'absence. .st coutumier de p e n ~ e cinma en termes d'effet de prsence,d'impression de ralit devant le spectacle offert. Le cinma trouveraitla sa marque distinctive, I'opposant a tous les autres arts. Dans cettecoutume, il faut inclure aussi que le cinma narratif serait celui de latransparence, celui qui bien sur se fait oublier en tant que langage et discours pour procurer le sentiment rassasiant d'un acces direct a I'histoire,aux vnements, aux objets et aux personnages, mais aussi celui qui serait raliste et prsenterait I'espace dans sa consistance, comme nous lepercevons, a tres peu pres, dans la vie quotidienne. Dans ces conditions,le role du cinma narratif classique serait de leu rrer son spectateur en luifaisant prendre l'image pour le rel, le fictif pour le possible. Nombre derfiexions sur le cinma, y compris actuelles, se sont fondes la-dessus.le suis, pour ma part, frapp d u contraire. Et dans ce qu'on va lire j'aivoulu prendre le contrepied de ce qu'on vient de voir. Au cinma, ducot de I'histoire raconte, je suis frapp par I'importance des dispari- .tions, des vanouissements, des apparitions, et des distances instaures.

    Du cot du dispositif, du peu de ralit de I'image cinmatographique etde ses incohrences , comme du plaisir que prend, justement a cela,un spectateur dsirant, tendu vers quelque chose qui n'est pas la, fuit, sedrobe ou est escamot, un spectateur conscient de I'infranchissablecart entre la salle OU il est et la scene OU se droule I'histoire. Mitry : L'image n'apparaft pas comme "objet", mais comme "absence de rali-t" . Bazin : la prsence-absence du reprsent. Metz : le signifiant\,)maginaire.

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    76 FIGURES DE L'ABSENCE

    Du coup, m'intresse dans le cinma narratif ce qui n'est pas, a I'intrieur des images reprsentatives et en mouvement, assignable, localisable, dcoupable, objet en mouvement, mais ce qui est vide, passage immatriel, mouvement pur ou immobilit totale, figement. Dans les tex' tes qui suivent, on s'en tiendra a la reprsentation, dans l'image, de l'invisible, lorsque le cinma cherche a rendre sensible par ses propresmoyens une existence qui ne peut se matrialiser sous une forme ra"liste, pa r une tendue. le ne parlerai pas de la bande son (pour la voixoff par exemple), ou de I'cran noir : je m'attache aux rseaux visuels quisignifient l'absence, a ces constellations d'lments cinmatographiquesque j'appelle desfigures.

    Par figure, il faut erilendre d'abord un ensemble signifiant htrogene(par exemple, pour le regard de la camra : travelling avant, dcor vide,suspense ou spiritisme) qui se retrouve a et la avec un certain nombrede variables. Mais il faut ensuite entendre un usage rhtotique de la figugure li a deux choses : d'une part I'existence, par-dela les variables, deconstantes dans la configuration qui se manifeste a travers I'histoire ducinma, d'autre part des relations complmentaires entre cet ensemblehtrogene mais stable et la place qu'il occupe dans diffrentes fictions :le rseau visuel ou figure est travers par des rseaux de signification quiy sont rgulierement associs et qui forment une deuxieme zone autourde la figure. Ces rseaux doivent et re dploys a travers leur description.Mais les deux mouvements sont corrlatifs : un rseau de significationpermet toujours de mieux cerner le rseau visuel.

    De ces figures, fort nombreuses des qu'on y songe, j'en ai retenucinq : le regard a la camra, le regard de la camra, la surimpression, lepersonnage en peinture et le personnage inexistant. Elles sont extremement restreintes (parfois un seul plan, et encore !), tnues, mais leurminceur offre a I'analyste un avantage considrable : il peut d'une part,en rest ant au plus pres du film, les dcrire avec une certaine prcision, etd'autre part suivre pas a pas les rseaux qui les traversent. Pour cela (lafigure et ses rseaux), la mthode suivie a t, non pas de s'attacher a telfilm, tel auteur, tel genre ou telle priode (bien que certains aient maprfrence, notamment dans le cinma amricain), mais au contraire,pour varier au maximum les contextes, de passer d'un film a l'autre a travers l'hist,Oire du cinma pour que par une sorte d'iconologie sauvage lesimages clairent les images, s'expliquent les unes les autres.Chaque texte est donc centr sur une figure, examine a travers plusieurs films (sauf pour L'idal(e) centr sur A Letter to Three Wives)pour en faire jouer les couleurs. On trouvera toutefois de nombreuses

    AVANT PROPOSpasserelles d'un texte a I'autre, soit parce qu'une figure renvoie a uneautre, soit qu'un film est abord plusieurs fois, soit enfin que des lments de rflexion demeurent constants (construction de l'espace, positions du spectateur...).Que1ques proccupations gnrales traversent en effet ces cinq textes.D'abord, le souci de maintenir en contact organisation de la figure dansle film et position du spectateur dans la salle, de faon a faire apparaftre,par exemple, le rle et le fonctionnement de la nostalgie non seulementdans les histoires, mais aussi dans J'institution cinmatographique. Celle-ci ne peut pas etre uniquement conue comme une usine a reyes :c'est galement une machine a teindre les reyes. Ensuite, un examencritique des notions de ralisme et de transparence. Le regard a la camra, la surimpression, pour ne citer que ces deux-la, permett ent d'apprhender autrement l'espace cinmatographique dit classique , en mettant en lumiere la dialectique qui est a l'reuvre entre perception visuelleet comprhension de l'histoire et qui congdie le ralisme pa r duplication photographique. Car nous avons affaire a des espaces complexes,morcels, non-perspectifs et meme rversibles comme dans l'en-del$a oula surimpression. Par ailleurs, on tr ouvera au fil des textes des lmentsde rflexion sur la notion de personnage, bien sur a partir du personnagepeint ou absent, mais aussi a partir de cette dialectique entre espace etfiction pour montrer comment, au-dela de l'image conue a la maniered'un bloc de ralit, le personnage se prsente galement pou r le spectateur comme une intention qui peut informer les images afin de se fairesaisir a travers elles. Enfin, j'ai ess rocher , a travers ces cinq essais, ce qu'on pourrait appeler u id ogie de l'invisl ans le cinmanarratif, non seulement par les croya ui y sont attachs (fantmes et dngation de la mort, regard divin et sentiment de (culpabilit...) modelant mise en scene et mise en intrigue, mais aussi pa r 'ce discours moral, courant parallelement a la fiction, lui servant de contrepoint pour en etre souvent le guide et l'aboutissement. Discours moral non attest, parpill, muet, mais auquel notre attachement au cinma classique doit beaucoup en frlant parfois la simple betise tant ils'agit d'une sorte de confort intellectuel archalque, qui trouve a se dissimuler derriere la multitude des histoires et de leurs pripties OU simultanment il se ralimente.

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    Un acteur, faisant face ala carnra, et proche d'elle, fixe un point au Iieu de celle-ci. Letestament du Dr Mabuse, Fritz Lang 1932, et Vertigo, A. Hitchcock 1958. p. 11.

    , ,LE REGARD A LA CAMERA

    1Pour nombre d'auteurs, c'est par l'absence du regard a la camra, par

    son vitement systmatique que se dfinit le cinma narratif, par opposition atoute autre forme de cinma. Ainsi Roland Barthes : Un seul re-ard venu de " . t s sur moi tout le 1m serait erdu >:or La th:se ' radltionne e vu

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    10 FIGURES DE L' ABSENCEd'amour), ce qu ne mettrat pas en prlla ficton. Le second type de regard, que Bontzer dt proche de l'abjection , serait brechtien en cequ'il dnoncerait la fiction comme leurre et dmasquerait l'acteur entant que tel, comme partie de l'instance d'nonciation. Pourtant, on arelev de nombreux exemples de regard l la camra dans le cinma hollywoodien (3). Pourtant on a concd que le regard l la camra tait unemarque d'nonciation qui pouvait etre digtise (4). Pourtan t enfin, on aaffin la relation induite (

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    1312 FIGURES DE L' ABSENCEcts, danse a l'autre bout de la piste en dfiant ainsi son ancien amantoLe montage fait en sorte que le plan ou je vois Gilda et son cavalierm'apparait comme un plan subjectif adoptant le point d e vue du hros. Or Gilda, lointaine mais regarde, se retourne vers le hros pour luisourire. Puis-je, malgr la distance, parler de regard a la camra ? Il estclair ici que la seule direction du regard ne suffit pas, que le plan seuln'est pas une donne suffisante pour trancher. Il me faudra faire appelnon seulement a la mise en scene et au montage, mais aussi a la fictionpour dterminer la nature de ce regard, dans la mesure ou ce sont lesrapports digtiques entre les personnages qui me permettront d'induireet (le juger. Notons au passage que dans les deux exemples, le point devue adopt est tres proche de celui du personnage, sans se confondreavec lui, mais en tant tout de meme immobile et distant.Autre cas possible d'hsitation : le regard s'adresse a un personnagequi se trouve tellement en amorce qu'il n'en subsiste plus a l'imagequ'une dcoupe noire et fIoue dans le coin de l'cran. Le spectateur peutalors avoir l'impression que par cette dcoupe, qui semble son ombreprojete, le regard lui revient par ricochet.Les cas incertains de regard ala camra le sont d'aut ant plus quand ilssont muets, c'est-a-dire quand la bande son ne permet pas au spectateurde suppler l'indtermination des donnes visuelles. Cela nous permetd'ailleurs de not er que ce qu'on appelle couramment regard ala camra est en fait la conjonction d'une donne visuelle (parametres que j'indiquais tout al'heure), d 'une donne sonore (une interpellation, une al-locution) et parois meme d'une donne gestuelle (main tendue vers lacamra, marche vers celle-ci). La tentation aura sans doute t grandede rabattre sur le regard ce qui relevait de la voix, de la syntaxe et/ou dugeste: le regard a la camra dsignerait ainsi un ensemble beaucoupplus vaste que le seul regard, une adresse au spectateur ou, po ur nous entenir a l'image, a un interlocuteur visiblement absent. Faut-il tout celapour qu'il y ait regard a la camra ? Peut-on dduire son existence de c e s ~ lments divers ? Dans Extrieur nui t (Jacques Bral, 1980), un long planfinal me montre le hros se promenant seul le long d'un canal. En voixoff (il est tellement loin que je ne vois pas s'il parle ou s'il se parle), il faitle bilan de son histoire, notamment depuis la disparition subite d'unejeune femme. La camra tant plante au milieu du quai et le personnage suivant celui-ci, il s'approche donc tres frontalement. De plus, ils'adresse a quelqu'un, qu'il dsigne par tu , absent de la scene." Tu qui reste indtermin et qui pourrait fort bien etre le spectateur,a qui ce discours s'adresserait, dans une figure classique ou le narrateur,

    LE REGARD A LA CAMRAl'histoire termine, reprend la parole. Le personnage est ici trop loinpour que je saisisse son regard. Or, on s'en apercevra au fur et amesurede sa progression, quand son regard pourrait nettement s'adresser a lacamra, c'est en fait a la jeune filIe absente qu'il parle.Enfin, on dsigne gn ralement par regard a la camra un planunique, ou qui du moins ne connaitrait pas de symtrique dans le film,pas de contrepartie. Et pour cause, dira-t-on, puisque d'une part ce typede plan ne peut etre qu'exceptionnel (il est interdit ) et que d'autrepart il s'adresse justement au public qui ne peut etre reprsent dans le(film car il est dans la salle. On le yerra, la symtrie pourt ant existe.I Au terme de cette rapide revue, on constate qu'un regard a la camrapeut viser un personnage, le spectateur, la camra ou ...rien du tout.

    3Sous sa forme brute, la these classique du regard a la camra veut quecelui-ci soit possible dans des types de production cinmatographique(comme le film militant ou de famille) et pas dans d'autres (comme lefilm de fiction classique ). Ou encore que dans la production hollywoodienne, on puisse le rencontrer dans certains genres prcis, et pas

    dans d'autres. Rien n'est moins sur.Je commencerai par l'exemple, devenu canonique depuis l'tude quelui a consacre Jim Collins (8), de la comdie musicale amricaine, ou ilest frquent que le personnage ehante en s'adressant directement ala camra. Notre auteur note qu'il y faut d'ordinaire la prcaution de quelques plans intermdiaires ou figure un public digtique . On noteraque ce public aussi peut-etre prsent frontalement, regardant lui-memeen direction de la camra, lieu ou est suppos se tenir le chanteur. Ce regard du chanteur s'accompagne d'ailleurs de la syntaxe (s'il chante quelque chose comme 1 love you ) et du geste, encore qu'il soit difficile dedire qui ce you dsigne. Soit. Mais je releve que dans le numro dechant, c'est la vedette (dans notre exemple, Fred Astaire) qui prend lepas sur le personnage, c'est la star, en tant qu'elle est a elle-meme sopropre personnage, qui se surimpose au personnage, plus troit, de la8. Jim Collins, op. cit.

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    1514 FIGURES DE L'ABSENCEdgese partculiere dans laquelle la star apparaft. Fred Astare est cettefgure transdigtique, reconduite de film en film, a quo se rdut la staret ou elle s'exhibe en exhibant son savor-faire. Vedette de cnma ? Vedette de music-hall d'abord, parce qu'l est vrai que Fred Astare en estissu et que le film le rintegre dans ce cadre, en partculier par le biais deces plans de publc digtique, qui est celu du cabaret ou du musc-hall.II semble donc que la condition de possiblit pour ce regard ala camrasot l'mergence, dans le film de fiction, d'une convention autre : celledu musc-haIl ou l'on s'adresse drectement au public, et ou la vedettejoue de sa propre image. Au cinma, comme au thatre, l'acteur vse aproduire un personnage particulier derriere lequel l tend a dsparaftre.Au musc-haIl, soit iI s'exhibe en produisant un grand nombre de caricatures, soit il joue toujours le mme personnage, mais dans les deux cas,le rsuitat est identique : c'est sa propre image qu'l produt et renforce.Dans le regard a la camra de type Astare, j'accepte pour un temps dene plus tre au cinma mais au music-haIl ou je sas que la vede tte nter

    pelle la salle. Du coup, ce n'est pas l'instance d'nonciation qui se dvole et le film ne devient pas pour autant exhbtionnste. Au contrare,l'nonciation s'efface totalement au profit d'une autre, au proft d'un autre spectacIe qui a ailIeurs Son origine : le numro de music-haIl. Si bienqu'au moment ou le film semble changer de rgime de conventon, iIn'en change absolument pas ; il reste transparento Mais je vois autre chose encore dans le phnomene : le numro de musc-haIl apparaft dans lefilm comme l'effigie d'un vnement qui aurat eu lieu antr ieurement etsurtout rellement, avec un vrai public en prsence de l'artste, en chairet en os, mais ou, nous, spectateurs du flm, nous n'tons pasoLa prsence du musc-hall est tres sensible dans le burlesque (Laurelet Hardy, Charlie Chaplin, Marx Brothers...) et la encore les personnages de la fiction particuliere sont de peu de pods devant le personnageque s'est compos le comique et qu'l recondut de flm en film, au mmettre que Fred Astaire. Groucho joue Groucho, Laurel Laurel, CharlieCharlot. Dans le burlesque, deux cas de regard a la camra me semblentpossbles. Le premier est la prise a tmon du publc, par le regard, legeste et la parole, pour commenter ironquement, comme dans Gugnol,l'acton ou le caractere d'un autre personnage. II ne s'agit pas seulementde l'allocuton d'un personnage au spectateur, mas auss de la rfrenceau tiers, dont Freud a analys (9) la ncesst et le rle dans le jeu de

    9. S. Freud, Le mOl d'espril el ses rapports avec l'inconscient, Ed. Gallimard colIectionIdes, Pans 1978, p. 245 sq.

    o....

    LE REGARD LA CAMRAmots, notamment le grvos ou se signale et excelle Groucho. Bzarrement donc, ce regard a la camra, lanc a la cantonade , ne modifiepas la position du spectateur qu reste, par rapport a l'histoire qui continue, toujours en tiers. Et ce d'autant plus que l'adresse a la cantonade n'est pas destne au spectateur en tant qu'individu, mais bien plutt a une entit plus vaste e t plus abstraite qui est le public, ou plus largement encore l'univers tout ent er pris a tmoin. C'est ansi, pour reprendre un temps l'exemple de la comdie musicale, que lorsque le personnage amoureux de Singin' In The Rain, interprt par Gene Kelly, clame sous la plue son amour et regarde la camra (situe dans lesars ), aucun publc dgtque n'est requs daos la mesure ou tout deventpublc pris a tmon de sa joe : sa chanson s'adresse au monde entier.Le deuxieme cas possible dans le burlesque, ne differe du premer queparce que l'adresse reste muette et que le regard ne provoque pas lamme raction a l'gard du personnage. C'est le regard de Laurel qu necomprend pas ce qui se passe et qu semble demander de l'ade ou la solution au publico C'est encore la une fgure classique de Guignol ou descIowns. Mais si Laurel appeIle a participation (alors que Groucho la prsuppose pour lui-meme en la refusant aux autres personnages), il ne faitque provoquer a son endrot le rire vengeur du public, qu se dsoldarise de lu. Ce qui semblat devoir donner leu a un change duel tourneinstantanment au rejet de la part du spectateur qu se moque du balourd et mantent ains le clvage entre l'espace digtque et l'espace dela salle. Dflation de la fction par le regard a la camra et dnonciatondu spectateur voyeur ? Non, car Laurel joue ici le rle du paysan deMannoni (lO) : sa stupidit me pousse dans les bras de Hardy. II est en effet trop bete de croire que le publc lui est co-prsent, quand le public satpour sa part que ce n'est pas le caso Laurel est ridicule parce que dans lafiction iI occupe la postion d'un spectateur leurr. Notons aussi que leregard de Laurel est un regard vide, une supplque centripete qui s'oppose radicalement au regard dard, imprieux et centrifuge.Dans le domaine f r a n ~ a i s , cette a n t r i ~ r i t du music-hall et cette inverson du rapport acteur-personnage joue aussi pour quelqu'un commeFernandel qu, dans le plan final d'Hercule (Carlo Rim - AlexanderEsway, 1937) se retourne vers la camra pour prciser avec malce qu'il ne faudrait tout de meme pas le prendre pour un couillon . Quparle? A qui ? Le personnage Hercule qu'on a tent de mener en ba10. O. Manno ni, L'iIIusion comique ou le thAtre du point de vue de I'imaginaire , Clefspour l'imaginaire, Le Seuil, Paris 1969, pp. 161-183.

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    1716 FIGURES DE L' ABSENCEteau mais qui ne s'est finalement pas laiss faire et qui l'affirme ici ? Cepersonnage (le simplet qui gagne contre tous les complots par la force deson bon sens et de son humanit) est celui qu'interprete Fer nandel parprdilection. Ce serait donc la vedette dans son emploi qui, a la fin dufilm, se dgage du personnage singulier et raffirme son autonomie. Fernandel viendrait, comme au thatre, mais comme le font aussi OrsonWel1es a la fin des Ambersons ou Hitchcock passim, saluer avant de partir. Breve rencontre OU la vedette, de fa

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    198 FIGURES DE L'ABSENCEgence du dsir et de l'inte rdit qui le frappe. Portes ouvertes a la complaisance nostalgique : l'image dfile, l'histoire se dfile. Tout se droulesur le mode de ce que Grvisse nomme joliment le conditionnel prludique (14) et qui forme la matiere des jeux enfantins et des films de Marguerite Duras. Nostalgie de ce qui aurait pu avoir lieu, de ce qui se pare a lafois des couleurs de la fiction et des gris du pass. Musique de Casablanca : je m'attendris sur l'histoire qui voque des amours rvolues, bellesd'avoir t et d'etre aujourd'hui impossibles ; je m'attendris sur le filmqui appartient a une poque rvolue du cinma. Le music-hall dans lacomdie musicale, le cinma muet dans Sunset Boulevard ne fonctionnent pas autrement. Le regard a la camra est la figure emblmatique decette nostalgie, de ce tte rencontre qui aurait pu avoir lieu. Il ne signe pasune rencontre entre le personnage et le spectateur, ou entre celui-ci etl'acteur, mais il est plutt une invite aussitt frappe de nullit : il signale sa possibilit passe e t son impossibilit prsente, redoublant chez lespectateur, en le faisant travailler, le clivage qui est le sien.

    5Regard idiot de Laurel, regard fou de Norma. Regards vides qui nefont acception de personne. Auxquels il faut ajouter le regard de la reverie, de l'vocation, elles aussi nostalgiques et rsignes. Comme au premier plan du Salon de musique ou le hros, assis sur une terrasse dsertedominant une pla te campagne au crpuscule, le visage neutre, fait obstinment face a la camra pour me dire en meme temps sa proximit et

    son inalinable distance, son radical isolement. Comme a l'avant-dernierplan d'Ascenseur pour l'chafaud ou, face a la camra, l'hroi'ne fixe levide en voquant l'homme qu'elle aime et qu'elle perd, pour un dtail,un contretemps. Le dernier plan nous montre ce qui dclenche sa reverieconsterne, sa perte : la photo-souvenir du couple qui regarde, commele veut l'usage, l'ami photographe. Redoublement du regard, en miroir,mais du regard vide, absent, dsormais sans objeto Regard redoubl parce qu'absent, se Ion le principe de la rptition qui fait selon Freud lachevelure de Mduse. Mais ce regard-la est avant tout le pivot classique,dans le film de fiction, pour ame ner le flash-back : il n'est pas la pour d14. Maurice Grvisse, Le bon usage, Ed. Duculot-Hatier, Paris 1969, p. 681.

    LE REGARD A LA CAMRAsigner l'nonciation filmique mais pour marquer l'origine dans la fictiond'une autre fiction, la mmoire d'un personnage qui regarde son pass,ce personnage qu'il a t.Il faut' se souvenir de ce qu'Emile Benveniste isolait comme un destraits spcifiques de l'nonciation : L'accentuation de la re/ation discursive au partenaire, que ce/ui-ci soit rel ou imaginaire, individuel oucollectif (15). Les prcisions sont de taille. Dans les exemples prcdents, le partenaire impliqu par le regard a la camra, loin d'etre lespectateur rel, est en fait un partena ire collectif (le public) et imaginaire (l'autre public). S'il y a accentuation, c'est souvent sur cette relationqui exclut le spectateur de la salle ou qui du moins ne l'implique pas directement. Dans le cas de la reverie, le regard a la camra est bien lapour accentuer une relation discursive au partenaire. Plutt : il est lad'abord, dans sa direction vers la camra, pour exclure tout autre partenaire qui pourrait se tenir dans le hors-champ et qui serait impliqu parun regard qui ne serait pas dirig vers la camra. Le personnage ne regarde personne d'autre dans la digese, il regarde la ou personne ne setrouve. Autrement dit, le personnage est ici son propre partenaire. Le regard de la reverie est la forme iconique et muette du soliloque ou l'on nes'adresse a personne d'autre qu'a soi-meme. Trajet discursif accentu,mais en boucle qui revient a son point de dpart, qui reste interne a lafiction : ce qui est soulign, c'es t l'absence reveuse du personnage qui sereplie sur lui-meme. Le regard perdu de la reverie, centripete comme celui de Laurel ou de Norma, n'est que l'image en miroir de celui du spectateur qu'il repousse dans une infranchissable altrit, en marquant qu'ildemeure sur une autre scene ou je ne saurais etre. L'idiot, le fou et lereveur sont inaccessibles a l'interlocution.Regard du spectateur. Il faut ici se reporte r aux analyses de Lacan, regroupes dans Du regard comme objet a)) (16). Sa these ? D'abord quedans le voyeurisme, le sujet s'identifie a son propre regard et que ce dernier a la particularit de se trouver lid. Ensuite, ce que cherche a saisirle sujet est une ombre, une forme creuse, une silhouette derriere un rideau, le phallus en tant qu'absent. Le regard peut des lors etre dfinicomme un objet a a la recherche d'un objet a. Elision en quete d'lision,forme creuse poursuivant une forme creuse. La chose n'est pas sans importance pour la place qu'occupent, dans les films de fiction en noir et15. Emile Benveniste, L'appareil forme! de l'nonciation , Problemes de linguistiquegnrale, 2, Te! Gallimard 1974, p.85.16. J. Lacan, Le Sminaire Livre XI; Le Seuil, Paris 1973.

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    210 FIGURES DE L'ABSENCEblanc, la perspective, les cadres dans le cadre : pieges a regard 011 celuici se trouve mis en abyrne. Aussi le regard vide ne fait-il que me prsenter ce tte lision du regard qui est au creur de mon voyeurisme, de maperversion dont l'origine et l'objectif sont l'vitement fondamental de laralit et par 011 le cinma trouve sans cesse a me relancer. Rencontrerate : rptition. Peut-tre est-ce parce qu'au cinma, rien ni personnen'est jamais au rendez-vous que l'institution peut compter sur le renouvellement de son public, qui reviendra rgulierement clbrer dans lanostalgie le ratage de la rencontre. Cest d'ailleurs bien ee que dnoneeBonitzer dans son tude, en dsignant du terme d' abjeet le regard ala camra qui est celui de l'interpellation militante faisant mine d'appeler a l'union et a l'action, au moment mme 011 il en dvoile la totale vanit. Mais si ce regard abject est un appel a l'union, il ne se distinguepas de l'autre regard que Bonitzer dfinit comme celui du dsir : lesdeux appellent a cette union que tout le monde sait impossible et dontl'attrait, eneore une fois, rside dans son impossibilit. En fait, il n'y apas deux regards a la eamra : il n'y en a qu'un, ambigu, ddoubl, pervers, qui exprime en mme temps le dsir et son interdit, l'appel et le rejet, le projet et le renoncement. Ce que voit Bonitzer avee son habituellefinesse, e'es t qu'avee le regard a la camra dans les films de Godard et deStraub on dehante . Ce qu'il ne voit pas, e'est que dans les films defiction classiques eomme dans ceux de Dwoskin, e'est exactement lemme effet qui se produit, mais que je m'y satisfais d'une insatisfaction.Le regard a la eamra est un regard ambigu paree qu'il est un eompromisentre la bonne et la mauvaise reneontre. Aussi trouvera-t-on, dans lefilm classique, le regard a la eamra dans deux types de situations opposes : la reneontre amoureuse et le rendez-vous avee la mort.

    6L'exemple pour la rencontre amoureuse pourrait tre la clebre scenede Laura 011 MePherson se retrouve face a face avec l'hroi"ne. Dans unpremier gros plan, Laura-Gene Tierney offre a la camra son visage lisseet un regard tonn mais nettement dirig vers l'objectif. Deux autresplans suivent 011 ce regard se dealera vers le hors-champ pour peu a peurtablir une direction normale . L'tonnant est que dans les plansavec lesquels ils alternent, McPherson - Dana Andrews regarde pour sa

    LE REGARD LA CAMRApart tou t a fait hors-champ, de sorte que les deux direetions de regard neraeeordent absolument pas, ee qui ne fait que renforeer l'ide d'un ttea-tte entre l'hroi"ne et le speetateur. Il y a de l'offrande dans ce grosplan qui vient combler, en une agrable surprise, une longue absenee :jusqu'a prsent le spectateur tenait Laura pour morte. La mise en seenequi fait, au mpris du raeeord, regarder MePherson hors-champ ne faitqu'aeee ntuer eela : McPherson croit la voir la 011 elle n'est paso Il rve etLaura n'est prsente que dans son imagination. Quant a la rencontreavee Gene Tierney (ce gros plan est aussi une photo de star), elle estfrappe du mme seeau d'irralit puisque je sais que l'actrice n'est pasla. Ainsi peuvent se rejoindre dans un ailleurs inaccessible Laura etGene.On trouve une construetion similaire dans Spellbound pour une autrereneontre amoureuse entre John Ballantine - Gregory Peek et Constanee Petersen - Ingrid Bergman, bien que le schma y soit invers puisquee'est Ballantine qui regarde la eamra alors que Petersen regarde horschamp. Cela a d'abord pour effet de la mettre en position de proie offerte, en respectant par la mme occasion le topos de l'aveu embarrass etdu regard dtourn : e'est elle qui est venue trouver Ballantine dans saehambre. Il s'agit alors bien d'un classique ehamp-contreehamp pour indiquer l'ehange amoureux 011 la eamra vient prendre la plaee, pour filmer Ingrid Bergman, de celui qui la regarde : Ballantine. Les deux planssont done iei symtriques, comme dans la seene qu'analyse PeterLehman (17) dans Dr Jekyll and Mr Hyde (Rouben Mamoulian, 1931) 011les deux amoureux sont d'abord montrs en train de se regarder dans lesyeux (on les voit de profil) avant d'isoler chaque partenaire regardant lacamra. De sorte que le regard a la eamra est ici a rfrer au partenaire(Jekyll regarde Muriel, Muriel regarde Jekyll) et non au spectateur quidoit ainsi comprendre un choix et une fascination amoureuse qui excluttout autre partenaire. Le redoublement du regard, dans le topos amoureux, fonde son abolition pour le spectateur. Cest pourquoi il me semble difficile de parler, comme le fait Roger Odin (lB), de viol du moispectatoriel pour une scene similaire dans Une partie de campagne. Sile moi speetatoriel est eette partie de moi-mme qui participe de lafietion, qui s'identifie aux personnages, le regard ne m'atteint que dansla [iction. Si le moi spectatoriel est cette partie de moi-mme qui sait17. Peter Lehman, Looking at Ivy looking at us looking at her , Wide Angle 1983 vol. 5no3.18. R. Odin, op. cit.

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    23FIGURES DE L'ABSENCE2que je suis au cinma, ce regard-Ia ne m'atteint pas puisqu'il a pour pointd'aboutissement soit un lieu digtique avec lequel je ne me confondspas, soit (dans I'exemple de Roger Odin) quelque chose comme l'infini.Le spectateur est un role que joue le sujetoFrancesco Casetti releve d'ailleurs avec pertinence que la formule discursive je-tu n'est faite que d'embrayeurs, c'est-a-dire de formes vi-des qui ne rferent en rien a une personne particuliere (19), a un sujetc o n ~ u comme spcifique et entier, ncessairement actualisable. Q uandFred Astaire chante face a la camra 1love you , ce you n'est paspour moi, il est la pour dsigner un destinataire absent auquel ils'adresse et avec lequel je ne m'identifie que partiellement. 11 n'y a queles fans adolescents pour croire p ar milliers dans un stade que tel le chanson s'adresse a chacun d'entre eux, personnellement. Si Francesco Casetti dcrit les diffrents types de superposition des poles de la relationdiscursive, il faut prciser que la superposition n'est jamais totale et quele passage de l'un a l'autre ne se fait jamais que de la main gauche, parcontact des franges, par similitude partielle. Reprenons le cas du reporter qui s'adresse a la camra : un acteur incame un personnage qui estdans la fiction un reprsentant a la fois de l'instance narratrice et de l'instance spectatorielle (il est, comme le spectateur, un tmoin non impliqudans l'intrigue), personnage qui n'en est pas tout a fait un et quis'adresse a son public, qui n'est pas celui de la salle de cinma (ou je metrouve), qui est bien rel mais avec lequel je ne me confonds pas entierement non plus.Vedette - mtapersonnage - personnage - public digtique - mtapublic - public rel - spectateur. Structure en miroirs dcals, structure enpeau d'oignon, qui n'est pas sans rappeler dans son fonctionnement la situation connue de tout individu, en particulier dans l'exprience de lanostalgie ou je contemple avec dlectation ce personnage que j'tais,que j'aurais pu tre, que je ne suis plus, que peut-tre je n'a i jamais t,et ou pourtant j'aime ame reconnaitre. Figures, dlgues au pass, del'Idal du Moi, que Freud dfinit comme le substitut du narcissismeperdu de l'enfance (20). Mais il faut cette perte, il faut cette irrductiblediffrence, et il faut ce narcissisme reconduit pour que l'identification(toujours partielle) puisse avoir lieu avec cet autre moi-mme. On sait,19. C'est ce qui fait en particulier la rticenee de Grard Genette aemployer le terme de personne pour la narration. Voir Le nouveau discours du rcil, Le Seuil, Paris 1983,p.64 sq.20. S. Freud, Pour introduire le nareissisme ", La vie sexuelle, P.U.F. , Paris 1972, p. 98.

    LE REGARD ALA CAMRAde plus, la proximit dans la thorie freudienne, du Surmoi avec l'Idaldu Moi. Moi, Moi Idal, Idal du Moi, Sunnoi, on retrouve ici la chaineproximale qui per met d'intrioriser les voix parentales, qui pennet auspectateur de s'identifier (partiellement) avec la narration, par cet effetde bascule (qu'on peut nommer introjection pour le lien qui l'umt al'oralit et a la voracit de l'reil), que connait intellectuellement l'amateur de musique et physiquement l'amateur de boite de nuit.

    7Si les regards a la camr a servent asignifier la bonne rencontre, ils servent galement a marquer la mauvaise : l'affrontement mortel. En effet,le regard a la camra trouve un ter rain d'lection dans le film d'aventures (pour la bagarre, le duel), le film policier (l'agression, le reglement

    de comptes, l'interrogatoire et la victoire finale de la loi) et le film fantastique ou d'horreur (le meurtre). Qui ne se souvient du regard fixe,trangement inquitant du monstre cr par Frankenstein (21) ? L'effetde terreur est garanti et soigneusement exploit. D'un ct le dfi etl'imparable menace, de l'autre la vaine supplique. Au dbut de While theCity Sleeps, la pr emiere victime du jeune tueur est vue, au moment dumeurtre, dans un plan en plonge, hurlant d'effroi et adressant a la camra un regard terroris. Ce plan est en fait subjectif puisque l'axe et laposition de la camra se situent a la place qu'occupe le tueur, la ou djail ne peut plus tre atteint. En effet, le regard mortifere est une sorted'anti-communication puisqu'il s'affirme sans rplique, affichant une superbe impennabilit aux ractions du vis-a-vis. Le r egard es t ici impersonnel, inentamable : la encore il ne fait acception de personne car iln'est personne. 11 est ce qui condamne sans appel en nantisant celui auquel il s'adresse (dans While the City Sleeps, ce regard de la victime estpathtique de ne rencontrer aucun pathos) : c'est le regard de la foliemeurtriere, le regard dvo rant, celui de la Mort. C'est le regard du mortqui me fixe en s'ouvrant sur le vide, ainsi qu'Hitchcock le fait figurerpour la fin de la scene de la douche dans Psycho. C'est le regard dont estlogiquement porteur le monstre de Frankenstein, car il dit avec force saradicale altrit, son appartenance dfinitive aun monde inaccessible et21. Frankenstein; James Whale 1930. Le gnrique du film se eompose d'une roue tournante d'yeux non-apparis, grands ouverts.

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    2425FIGURES DE L'ABSENCEterrible. Comme celui de la betise, de la folie ou de la reverie, e'est unregard creux qui se rduit alui-meme, en abolissant toute possiblit d'interlocution, en la signifiant.C'est aussi le regard de la Loi, imparable , impersonnel et lui aussi sans

    appel. Rien d' tonna nt alors qu'iI trouve a se figurer dans I'ceil unique,sans corps, autonomis sous la forme de I'omniprsent hlicoptere de lapolice (22), et oll se marquen t plus que son inaccessibilit, la permanencede la surveillance, sa fixit et son ternit. Les personnages de Two Fi-gures in a Landscape (Losey, 1970) en savaient quelque chose, Carnaussi. Dans House by the River (Fritz Lang, 1950), alors que Louis Hayward vient d'trangler Emily, d ~ u x plans nous offrent l'image, derrierele fer forg d'une porte-fenetre (23), d'un gros ceil anonyme qui cherche avoir a I'intrieur de la maison pendan t que le misrable hros tente de luichapper en rampant par terre : il ne lui chappera paso Dans MarkedWoman (Lloyd Bacon, 1937), alors que le procureur (interprt par Bogart) fait Son rquisitoire devant le jury, la camra glisse derr iere les jurs puis avance vers Bogart pour I'isoler, de sorte qu'il prononce la fin deson discours-sermon face a la camra, seu!. On ne peut mieux reprsenter la loi : les scenes de tribunal, pour l'af frontement ou le verdict, sontdes lieux de prdileetion pour le regard a la eamra.Si pour la mort et la loi (et parois la mort pa r la loi), le regard a la camra signifie I'ailleurs intouchable, rien d'tonnant non plus a ce qu'iI. apparaisse pour les scenes d'vanouissement, soit qu'on y tombe (etc'est la jeune rosiere prise de malaise -elle est encein te- au dbut des Vi-teUoni), soit qu'on en merge. Dans ce dernier cas, c'est la figure cIassique des tmoins qui se penchent a la verticale sur celui qui se rveille,qui revient de I'autre cot. Ainsi, dans Murder My Sweet lorsque ledtective drogu dlire puis reprend eonscience, ou dans les premieresscenes de Somewhere in the Night (Mankiewicz, 1946) quand le soldatmerge du coma et voit mdecins et infirmieres se pencher sur lui. Dansles deux cas, il s'agit d'un regard de l'au-dela, comme pour I'apparitionde Laura. Dans The Quiet Man (John Ford, 1952), le hros qu'incarneJohn Wayne re;:oit en pleine figure e t en plein mariage le poing formidable de son rticent beau-frere. II tombe et s'vanouit. Suit alors un flashback ou le hros revoit ce qui a t son demier combat de boxe car il yavait tu son adversaire. Plusieurs plans de ce fIash-back sont films en

    22. e'est une figure frquente dans le film policier avec un regain de vigueur dans les annes 80. L'affiche du film 1984 (Michael Radford 1984) en montrait un exemple.23. Pour cette configuration voyeuriste de I'reil derriere un treillis, voir infra "L'en-de.;a .

    LE REGARD A LA CAMRA camra subjective , du point de vue du mort. Le hros, l'arbitre et lessoigneurs se penchent a plusieurs reprises sur I'homme aterre, effars.Autant de regards a la camra, appuys, d'ailleurs doubls de la lumieretrop erue des projecteurs et des clairs de flashes (des reporters photographient l'vnement).Ce demier exemple souligne deux choses. Tou t d'abo rd iI s'agit d'unescene imaginaire , reve par le hros pendant son inconscience, surun modele proche de celui qui permet aLaura de rapparaitre. Ensuite,et c'est le plus important, il semble qu'il y ait rversibilit du regard a lacamra Ol! se dsignent indiffremment celui qui tue et celui qui meurt.Ce qui se voit dans le regard a la camra, e'est l'invisible, I'Ailleurs, laMort. Soit que celle-ci figure a I'image (type Frankenstein pour le personnage dcid atuer), soit que celle-ci figure ala place de la camraainsi per;:ue comme lieu de vide (type While the City Sleeps ou The QuietMan) (24). Ainsi pourrait s'expliquer l'incongruit, selon PeterLehman, du plan ou Ivy se dshabille en regardant la camra dans Dr Jekyll and Mr Hyde : ineongruit qui ne tient pas, comme i11'affirme, aucaractere pornographique du plan, mais au fait qu'Ivy signe sa mort ententant de sduire : c'est Mr Hyde qui la regarde et la fixe, pendant quele Dr Jeckyll se tient courtoisement dtourn. C'est ala fois une scenede sduction et une scene de mort, de mort paree que de sduction. Je neserais pas tonn que la scene du regard chang entre Muriel et Jekyllconnaisse le meme ddoublement et porte la meme signification. Lanantisation est aux deux bouts du regard a la camra. Michael Powell,dans son Peeping Tom, avait fait du regard de la camra ce regard mortifere dont le regard ala camra n'tait que le symtrique. La camra,comme lieu machinique de capture du vivant, serait mythiquement laMort sous la forme du mauvais ceil.

    24. Pour le point de vue du mort , voir I'analyse de Vampyr dans L'en-de.;a .

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    8Le regard a la camTa ne peut etre analys qu'a condition de prendre

    en compte ses causes et ses effets, sa place dans la fiction comme sa placedans le film, et de le placer dans une ambivalence sans bute, ceHe de lapupille et du regard, de la bance et de la prominence, du dsir et de lacastration, dans le cadre aussi de ceHe camra qui est a la fois darde etenregistreuse (25). La figure rcurrente de l'aveugle au regard insoute-nable , chere aFritz Lang, et plus encore ceHe du borgne furieux, nousl'indiquent. Ce dernier arrive a conjuguer sur son visage la prominencede son reil vif avec la blessure de son reil absent, alors que le bandeaudonne l'impression qu'il ne cesse de me regarder. Le borgne et l'aveuglesont deux figures de l'altrit, de l'isolement qui les placent sur une au-tre scene. II n'y a pas pire regard que celui mis par des yeux blancs sansiris: regard qui dit l'impossibilit d'une communication interpersonneHedes lors que celui qui le porte n'est pas une personne .25. Christian Metz, L'identification a la camra , op. cit.

    Norma Desmond, les yeux carquills par la folie, semble aspire par la camra... . Sun-set Boulevard, B. Wilder 1950. p. 17. D'un col l'imparable menace...

    ... de \'aUlre la vaine supplique. The Shining, S, Kubrick, 1979. p. 23.

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    58 FIGURES DE L'ABSENCEun champ, de ne pas reprsenter un personnage parce qu'il est cach ouextraordinaire, de le maintenir dans une sorte de rserve narrative, ouencore de Psychologiser un raccord. La deuxieme chose concerne l'existence de formes mixtes (travelJing associ a d'autres marques visuellesde type statique, travelling gliss et travelJing vibr...) pour un jeu avecl'incertitude du spectateur quant a la nature du personnage en-de.

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    ( r ,., f>(>,/ r ' : r o ' . ~ JOS .. I , \ f ( ) t ~ , ~ !. ' '11', ,b ~ , t 1 f " r M , \ ~ L -.... to V

    IN, \U. ) 61SURIMPRESSIONS60 FIGURES DE L'ABSENCEtait contemporain mais, qui, eux, ont depuis disparu comme ces fleurstioles et ces calendriers effeuills dsigns par Morin. Si ces lmentsde signification au cinma sont vite devenus friables, la surimpression a1\, gard sa force de suspension et de contemplation, son efficacit a la fois

    1, J n ~ ~ ~ t e ! e et pot\gue, notamment comme figure privilgie de l a ~ - talgie. Sansreveir sur le travail de Christian e t z ~ r r m ' P p u y a n t sur lui, je voudrs ici pointer une autre mixit de la surimpression quitient a son statut figuratif a l'intrieur du cinma narrati!.

    2Beineix le moderniste, ignorant les conclusions de Morin, construitson affiche de 372 le matn sur une surimpression, dans un montage

    classique associant un visage a un paysage. Le sol et deux batimentsn'occupent qu'une m i n c e ~ tout au bas du cadre. Un soleillevant mais invisible dcoupe en noir les silhouettes des deux cabanespour leur donner la meme consistance et la meme couleur que la terreoUn liser jaune au-dessus du sol s'estompe vite pour laisser la place alacouleur du ciel, d'abord tres pale mais qui fonce jusqu'au bleu marine aufur et a mesure qu'on s'leve. Ent re sol et azur, dlin par l'air, le busteincertain de I'actrice dont seulle visage constitue une forme close, bienque le noir des cheveux ne se distingue dja plus du fond du ciel : la brune en brome. eette affiche est marque par une tres grande verticalit,par un fort mouvement ascendant. De la terre, fleurit une figure de femme tire, thre par le haut. A peine forme, eBe s'chappe non seule

    " ment par sa propre dilution, mais aussi par ce regard sans destination," hors-champ, vers le haut, ailleurs, qui reproduit en miroir dans I'image, ~ < l u futur spectateur contemplant l'affiche et qui, mis en'\' train par cette ouverture imaginaire, est cens aller voir le film. Ce dernier est a I'affiche le hors-champ susceptible d'apporterune rponse auregard vasif, nigmatique de la star-personnage.La verticalit de l'image est lie en fait a une grande platitude. Nonpas parce qu'il s'agit d'un topos pour la visualisation quelque peu emphatique du parfum de femme, mais parce que l'image n'est qu'un a-plat, par le traitement en une seule couleur du sol et des batisses en silhouette, et par la surexposition du corps qui lui enleve son model, sonvolume et fait que les ombres de la forme prennent leur substance du

    fondo La surimpression, par la superposition de deux images perspectives, les crase toutes les deux pour les rduire a une bidimensionalit ,unique ou prvaut un jeu de dcoupes par lequellrIfremonte.a la 1surface, ceBe-ci bue par celui-la (6). On sait ce qu'en tirait Magritte. Cetteannulation de la profondeur, qui donne platitude et verticalit anotre ,affiche, est le premier cart par rapport a la photographicit (7) que (provoque la superposition de deux photos. C'est cet aplatissement quelsouligne le terme f{anc;ais de sur-impression, quand le terme anglais sou-'ligne pour sa part la superposition (superimposition).Le second cart, frquent dans la surimpression sur un visage, est]l'abandon des proportions entre figure et paysage a l'intrieur d'unmeme cadre. Si chaque lment est tabli selon le systeme perspectif,puis est aplati, le rapport entre les deux lments figurs n'est pas lumeme perspectif pusque le buste en plan rapproch n'est pas p e r ~ u comme plus proche que le paysage, mais bien comme situ au-dessus dusol, sur le meme plan que lui. Car I'lment surimprim (et c'est la letroisieme cart par rapport ala photographicit) a ceci de particulier dene pas avoir d'autre fond que l'lment sur lequel il s'imprime, a l'instarde l'incrustation vido (8). La surimpression differe en cela de la vedutaou de la mise en abyme : alors qu'elle est aussi un lment rapport pourconstruire une image composite, elle n'est pas simplement une image insre dans une autre, une portion cadre dans un autre cadre, ou un registre au-dessus d'un autre. Dans notre exemple, le visage surimprimn'occupe qu'une partie du champ et pourtant ill 'affecte tout entier puisque son bord est l'image rceptrice elle-meme, pour crer, au-dela de ladisproportion entre les deux motifs, un seul espace. Le visage surimprim est un taxeme a effet d'exposant (9) : bien que limit et cernable, ildiffuse dans l'ensemble du champ auquel il apporte sa marque, dans unmouvement spatial doubl, dans le fondu-enchain, pa r le mouvementtemporel qu I'amene et l'abolit. Il Y a un seul cas ou la surimpressionn'imbibe pas tout le champ : lorsque I'lment surimprim respecte lesysteme perspectif de l'image dans laqueIle il s'integre U'y reviendrai).La magie p e r ~ u e par Morin chez Mlies s'inscrivait dans ce dernier cas

    ~ f i p r e . ' '. d"? \ " ', ' .. I < ''",.l6. Voir M.V. C l i ~ t e ~ s du noir-et-blanc", dans T h o ~ d u . j i l m . J a c q u e s - A u m o n t etl.-L. Leutrat d . ~ d l b o n s ' A 1 O a t r o s , Pans lt>8Q, notamment p. 223-225.7. L'expression est de Christian Metz.8. On se souvient que cel\e-ci. au dbut. provoquait parfois les mmes trous " que la surimpression dans la forme incruste aspire par le fondo9. Christian Metz, Trucage et cinma ", Essais.. . ll , notarnmcnt p. 175-177.

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    62 FIGURES DE L'ABSENCEMais cet effet d'exposant, associ a celui de trucage visible qui faitpercevoir la surimpression en elle-meme, la caractrise par opposition ad'autres systemes proches et pourtant diffrents. La projection partransparence, l'effet Schfftan (lO) et les ensembles obtenus par l'usage

    d'un cache fournissent galement ces images composites auxquelles le ci-nma fait tres souvent appel et auxquelles la surimpression appa,rtient entant que reprsentation qui n'est pas due a la seule photographicit, sicelle-ci est le fait d'enregistrer d'un seul bloc l'image a projeter. L'effetShfftan et la transparence ressemblent a la surimpression dans la mesure 0\1 ils associent deux lments htrogenes en un cadre unique pourproduire un seul espace. Mais ils different de notre }} surimpressiondans la mesure 0\1 le trucage, qui n'affecte qu'une partie de l'image,reste sinon invisible (effet Schfftan, parfois la transparence), du moinsimperceptible (les caches, parfois la transparence). Mais plus fondamentalement, ces procds different de la surimpression en cherchant toujours a respecter un systeme perspectif global comprenant tous les lments rassembls. {.>." P " ' r - " ' ~ C'est donc bien le dcadrement du motif surimprim qui fait i ~ r l'ensemble du champ malgr }} (il faudrait dire : a cause de }}) la disproportion existant entre motif superpos et image-fond. C'est aussi cedcadrement qui explique en partie l'usage de la surimpression (ventuellement multiple) dans le cinma classique pour ces brefs segmentsacclrs chargs de signifier la dmultiplication instantane sur un territoire d'un fait ou d'une action (1I). Le cinma amricain l'utilise aussi bienpour la divulgation sur tout le pays d'une nouvelle qui clate et dclenche de multiples ractions (12), que pour un assaut militaire foudroyant 0\1 les actions se tlescopent comme les images dans le cadre.Acclration et simultanit sont signifies par la surimpression en un

    seul plan, pour dire dans le cadre qu'une chose survient de partout .Ce qui est ici apprhend en termes spatio-temporels pourra l'etre tout al'heure en termes p'sychologiques pour s i g r y i f i e : f . . h t ~ f u l i e . \Trois carts donc dans la surimpression : ~ p ' l a t i s s e m e t : l t . &s'P"9f)6ftiondans la perspective, dcadrement et diffusioiT:--'-:-'"-----======-----_ ..._---

    10. Procd qui consiste aintgreraune image relle celIe d'une maquette qui paraftra dcor monumental. On en trouvera des exemples iIIustrs dans F r a n ~ o i s Truffaut, Hitchcockpar Hitchcock, Editions Robert Laffont, Paris 1966, p. 49 pour Blackmai/, et dans BordwelI, Staiger, Thompson, The Classical Hollywood Cinema, Columbia University Press,1985, iIIustration 25.6.11. Sans surimpression, mais par un montage uItra-court, qui fait voir une image surune autre, Eisenstein obtenait le meme effet pour le mitraillage au carrefour de la Sadovaia et de la Newski dans Octobre.

    3L'aplatissement dans la surimpression est paradoxal puisque plus de

    reprsentation (deux ou plusieurs espaces dans un cadre) donne moinsde reprsentation par la suppression de la profondeur visuellement per;ue, par la projection sur un seul plan, celui du support, de deux imagesperspectives au moins. Mais cet cart ne fait que redoubl er l'cart sparant la photo normale }} de la ralit. Un peu comme dans la photocopie, le redoublement photographique de la surimpression entrane uneperte de photographicit, de fidlit (c'est bien ce que dit du personnagele placard de 372).Ainsi s'tablissent a l'intrieur du cadre des degrs de reprsentation avecune per te croissante de substance. La photographicit n'est pas homogene, unique, entierement tourne vers l'effet de prsence concrete, versl'impression de ralit qui serait issue de l'enregistrement monoblocd'un espace. Elle a, comme la prsence et l'absence, ses degrs. Il n'y ala rien de propre au cinma, 1 meme a'al.e1lt la photographie. Djala peinture renaissante savait jouer de ces degres"de-'feifisentation.CarIo Ginzburg l'a montr a propos de La Flagellation }} de Piero dellaFrancesca (13), avec ce jeune mor t qui, pieds nus, coute les deux vivantsqui discutent sur la droite du tableau. Ce personnage du milieu est djadans la peinture perspective, un personnage de r e n t I . ~ d e J l x , un fantome, un r e ~ ~ ! 1 ~ n t qui, par une invisible s ~ r i m p r e s s i o n , s'intercale entre , les deui interIocfeuts- ptsents}} pour suivre avec attention leurconversation, comme l'Ariel des Ailes du dsir.

    On sait que la photographie naissante n' a pas tard a se saisir de lachose spirite pour clicher, des 1850, les ectoplasmes de passage dans uncadre raliste, par surimpression. Il y a la fameuse apparition spirite,photo anonyme, qui fait intervenir devant trois bourgeois chagrins unegaze cense reprsenter a la fois JJ,I1..1iDeeui'etune''me. Ou cette autre,tout aussi anonyme, plus touchante et un peu plus sophistique, qui faitrevenir pres de son pere un enfant, pale comme un ngatif, pour luiprendre une fois encore mais pour toujours la main (14). Encore plus labore et pourtant moins roublarde tait la photo d'Oscar J. Rijlander in12. Il est vrai que I'utilisation pour la surimpression, dans ce cas, de pages de journauxdans le cinma amricain, par leur platitude, naturalise un peu la surimpression ellememe.13. Cario Ginzburg, Enquete sur Piero della Francesca, F1ammarion, Paris 1983, p. 77 sq.14. Voir Philippe Aries, 1l!'.l!,ges de l'homme devant la mort,. Le Seuil, Paris 1983, p. 179 .

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    65IGURES DE L'ABSENCE4titule Rard Times (15) OU un pere pensif, parce que pauvre, se superposait deux fois as a petite famille endormie. Sous la forme machiste dupere soucieux, veillant encore quand les innocents reposent, c'est biende nouveau la figure du retour de chagrin, du remords, prsente dansl'affiche de 372, que 1'0n trouvait dja dans les autres photos spiritespour le souvenir attest des morts.Avec le redoublement photographique de la s u r i ~ ~ , rendantdiaphane le sujet, on greffe sur la r e p r s e n t a t i o J j Y r v o c a t i o ~ Il suffiraque le cinma muet puis le parla nt respect ent cett&insertiotr'du motif superpos dans la perspective pour faire circuler les fantmes dans lesmeubles des vivants, comme dans la srie des Topper (16) ou dans OurDaily Bread de King Vidor (1934). Dans les Topper, on suit la veine comique des fantmes joyeux drilles. Dans le Vidor, on reste dans la veinedramatique. Le hros, qui dmissionne devant les difficults de la communaut c h a m p e t ~ qu'il avait lui-meme fonde, abandonne femme etcompagnons pour fuir a la ville avec une filIe de mauvaise vie. Mais aupremier tournant, dans le faisceau des phares de la voiture , se dresse lespectre d'un ami dvou mais disparu qui lui ordonne, d'un geste imprieux, de retourner prendre sa place parmi les siens. Figuration surimprime du remords et de la conscience condamnante, tres employe dans lecinma muet, OU l'absent fait retour dans la reprsentation raliste, al'instar de ces cranes dans la vanit picturale, pour ramener aux vertuscardinales.

    Par l'aplatissement qu'elle produit, par son caractere diaphane qui teune deuxieme fois de la substance aux objets et aux personnages, la surimpression, apres avoir failli prcipiter le reprsent sur le reprsentant, latridimensionnalit fictive sur le bidimensionnel reI, se rcupere entierement, pa r son matriau meme, du ct de la fiction pour un deuxieme

    l. niveau de vraisemblable : la visualisation de la p e n s e . - ~ b ! ~ _ u v e n i r , de!,[\ , l'esprit. Singulier tour OU la mise en jeu redouble d'un enregistre\1,. , : ment dit raliste nous amene tout droit a une sorte d'alchimie dans la;,\'. quelle la reprsentation, en devenant vocation, rend visible l'invisible.\\1 \Le paradoxe n' est pourtant ni fort ni neuf puisque l'invention de la perspective aura surtout permis a la peinture, des ses premiers temps, de

    reprsenter des cits idales, des paysages imaginaires et des etres15. Conserv a la George Eastman House, Rochester, N.Y. Reproduit dans BeaumontNewhall, History ofphotography, MOMA, New York 1982, p.75. Le pere est surimprimdevant et derriere sa famille.16. Topper et Topper Takes A trip (N. Z. McLeod 1937 et 1939) ; Topper Returns (Roy delRuth, 1941).

    SU RI MPRE SSI O N Ssurnaturels, anges ou Saint Esprit. Mais si, du ct de la fiction, la surimpression rend visible l'invisible, du ct du discours, ce trucage faitaussi voir ce que le cinma d'ordinair e dissimule : son opra tion fondamentale qui consiste a fondre dans le mouvement (mouvement de la pellicule dans l'appa reil, mouvement du reprsent sur l'cran) deux photogrammes distincts et fixes qu'elle. Jie en un autre enslfmble, fluide. De cepoint de vue, l ~ s i o J ; L ~ e f o r i d U ~ e i i ~ n ~ . > $ . p tant qu'lmentsde montage, restent l'explicitatio'aTecfn d' un procd gnral de filmage et de projection. La force de la surimpression tient a ce que sonopration technique,qui reste dvoile a l'cran, conserve son efficacemagique au bnfice deVRistoire.

    4Dans sa forme l a plus simple, et dans le fondu-enchain qui s'articule

    autour d'elle, la surimpression n'a pourtant pas au dpart de vertu magique : elle est une cheville syntaxique qui se naturalise d'un appuirhtorique de mtonymie, pour faciliter le passage d'un tout a l'une de "ses parties, du contenant au contenu : e l k u n - ! . ~ J ~ . a . P P . . l l ! l ~ I l c e . Cesont la l'emploi et la fonction les plus banals, a comme ncer par les mentions crites surimprimes qui viennent campos te r l'image. Nom de villeau travers d'un plan d'ensemble citadin comme le San Francisco qui barre les premiers plans du Faucon Maltais dans les versions de Roy delRuth et de John Ruston (1932 et 1941), pour signifier assez plat ementque l'image apparaissant derriere la mention crite appartient a unensemble gographique dont elle n'est qu'une partie. De f a ~ o n toutaussi classique, ce sera la plaque d'un batiment ou d'un appartement sous laquelle mergera a l'image un intrieur. On en a un exemplesimple avec le fondu-enchain qui, dans Nosferatu, superpose a un voilier distant l'image en plonge d'une coutilIe ferme, par cet effet deloupe qui montre en gros plan la partie d'un ensemble visible dans sonentier. Effet de poupe russe : du bateau semble merger l'coutilledont surgit le monstre, mais cette fois naturellement )), ce deuxiemetemps venant authentifier le premier pour ajouter a sa magie.

    On ne l'a pas souvent not, mais cette relation contenant-contenu estla meme dans le cas d'une surimpression de visage en g r o s p l a ~ , Avantque de signifier la pense, a ~ a l [ aae d e ' d s i ~ f t e 1 " 1 a : ' S t l t f o e s ' i m a g e s com

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    Un fantme, un revenant qui coute, comme l'Ariel des Ai/es du dsir . p. 63.

    Fin du film, fin de la nuit, fin des ennuis : retour ala normale... The Window, T. Tetzlaff 1949. p. 73.

    ~ v ~ v f..,V\vttY 'J ".~ ~ - . t > - 69SURIMPRESSIONS

    me subjectives ou sous la responsabilit du personnage qui se souvient etraconte, la surimpression faisant apparaitre sous un visage un espace ,diffrent et plus large, indique simplement que cette figure humaine es t . )le contenant d'une pense, d'un souvenir. La figure a ici un role identi-.que a celui du nom de ville crit ou de la plaque d'appartement pour 10-caliser le contenu du plan et nous faire pntrer dans San Francisco ouchez untel. Contrairement a ce qu'indique Edgar Morin, cette fonctionde poteau indicateur remplie par la surimpression n'est ni sc1rose ni )tardive, puisqu'on la voit dja a l'reuvre dans Nosferatu ou le voiliercontient une coutille comme un visage une pense. Nom de lieu, fac;a-de, porte et visage ont ici la meme position par rapport a l'autre motif dela surimpression. Et c'est d'ailleurs cette relation contenant-contenu quifait par exemple apparaitre en surimpression sur une lettre (contenant) .la scene qui s'y trouve dcrite (contenu). Alors que dans d'autres cas lasurimpression permet de passer du champ au hors-champ, dans lesexemples prcdents, elle facilite le passage de l'extrieur a l'intrieur,du champ au hors-vue. Dans un autre film de King Vidor, The Crowd(1927), une forme assez primitive de la surimpression confirme cela. Lehros est tourment par le souvenir de l'accident qui a cout la vie a sapetite fille. La surimpression localise les tourments du hros sur sonfront, crant par sa vignette une lucarne qui permet de voir al'intrieur de son cnine la fillette qu'il a perdue et a laquelle il pense. Derriere son front, le contenu de sa mmoire, a l'intrieur d'une figurationcherchant encore a respecter le systeme perspectif.Figure de pntration pour signaler une appartenance, la surimpression est souvent prcde, lorsqu'il s'agit d'un visage, d'un travellingavant ou d'un zoom qu'elle prolonge dans la mesure OU, al'exemple deNosferatu, elle en est le substitut. La surimpression devient alors unesorte de travelling endoscopique ou passe-muraille.

    5'"Si dans le fondu-enchain, la surimpression permet d'accder, sur la ,base d'un visage, a la pense par un truc technique remplac;ant un impos- jsible travelling avant (autre effet de loupe), il se peut aussi que la penseserve ason tour de truc pour passer d'un lieu aun autre. On placera ainsiphysiquement par la mise en scene, et digtiquement par l'histoire, un

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    pers e dans une osition d e ~ ; r i e pouvolr)par la surimpression, embrayer sur un au re n ~ a n s le cas du flashback). La sparation physique par l'espace ou le temps sera alors aboliepa r l'union psychique. Dans Danger Signa! (Robert Florey, 1945), l'hrOlne qui travaille au bureau se fait du souci a propos de son fianc resta la maison. Cela tant pralablement tabli, le film passe ainsi en douceur d'un lieu a l'au tre, passage lui-meme facilit par la parfaite symtriede situation puisque tous les- deux sont en train de taper a la machine. 11n'y a pas que les corps des personnages que la surimpression rend fluides: elle fluidifie tout aussi bien le corps du film.

    Dans TheconspFtors (Jean Negulesco, 1944), la situation et le procd sont identiques, mais nous en apprennent plus. Un travelling avantsur l'hrolne allonge sur son lit, insomniaque, les yeux levs vers lehors-champ. Elle est spare de son ami qui, par sa faute, se trouve enprison. Se superpose a son visage attendri le noir quadrillage d'une grillequi se substitue a elle en l'effaetant. Travelling arriere pour dcouvrir act de la grille l'homme emprisonn et tout aussi mditatif. Le lien mtonymique, qui relie d'abord la songeuse a ses penses (la prison) puisau prisonnier, est ici forc puisqu'il se lgitime avec lourdeur de la seule pense d'un personnage. Pourtant, la surimpression s'alimente d'autre chose : de ce que l'vocation d'un souvenir prend elle-meme essord'une sparation physique marque et douloureuse (17). D'ou la primautdonne a certaines situations comme la position a la fenetre ou dans le train quand un personnage est coup d'un lieu par une vitreou un trajet. Par cette coupure, la mtonymie trouve a se ractiver pa rune mtaphore au moment prcis de la surimpression puisqu'ici, les barreaux de la prison enferment d'abord la jeune femme avant d'etre rapports au prisonnier. La symtrie visuelle, qui fcilitait le passage dansDanger Signa!, devient dans The Conspirators une symtrie psychiquepuisque les deux personnages spars se retrouvent .10us les deux prisonniers, elle dans sa chambre loin de lui, lui dans sa tellule loin d'elle. Lasurimpression n'est done pas ici seulement un transfert spatial sous couvert de pense, c'est aussi un transfert affectif ou elle se retrouve derriere ces barreaux qui, avant de nous guider vers lui, nous ramenent a elle.Dans la surimpression, se superposent mtonymie et mtaphore puisquel'objet du transfert spatial (la grille de la prison) dteint sur le visaged'Hedy Lamarr. S'y superposent aussi le hors-vue et le hors-champ puis17. Pour cette ide de sparation et de fusion, voir Christian Melz, Trucage el cinma ",Essais... l l pour I'exemple de La ballade du soldat, p. 182 sq.

    SURIMPRESSIONS 71que s'opere dans le cadre une sorte de raccord sur le regard qui dsignece ciel visible derriere les barreaux de la prison, comme le confirme assez astucieusement l'angle sous lequella lucarne de la prison est prise,de biais et en (lgere) contreplonge. Superposition a plusieurs tagesqui rend quivalents le regard (reveur) et la pense, le vu et le su, lehors-champ et le hors-vue (18). Mixit des mixtes, dont l'inventaire ne selimite pas Je ne retiendrai pour l'ins tant que ceci : dans le cas du visage reveur ,la surimpression est une espece d'effet Koulechov transfrant au personnage la qualit de l'objet auquel il pense, mais en un seul plan, dans unseul cadre (19). La fameuse surimpression de Psychose qui, par un fonduenchafn, per met de passer de la bonde de douche a l'ceil mort de l'hrolne, a l'ceil-bonde dont la vie s'est chappe, en est un exemple.

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    On l'a vu dans Le regard a la camra : la frontalit d'un visage en igros plan est souvent pour signifier la reverie, comme le sontJes ,;'cw;,;ou les yeux levs de l'hrolne dans The Conspirators ou dans l'affi- J'e e 372. Sur cette position du visage, on trouvera done frquemmentdes surimpressions pour dire que le personnage est plong dans un ailleurs sans rapport avec son environnement immdiat.Mais ce n'est la qu'un cas, ou plutt qu'une partie de la situation tellequ'elle peut etre prise en charge pa r la surimpression. La.,rehtiop visage paysttge ~ 88 (fiel r,ersible. Reprenons encore une fois l'affiche deBeineix. La, le buste est une marque vaporeuse mais indlbile qui semble signer a jamais le paysage. Le visage a la fois s'y ofi re pa r sa monstrueuse prsence, pa r sa domination tranquille, mais aussi bien se refusepa r sa transpa:nce, pa r son vanescence de fantme qui disent son appartenance, comme objet perdu, au pass rvolu, comme objet insaisissable, au futur impossible. La surimpression figure ainsi la banale idede !'esprit du lieu, liant indissolublement un espace au souvenir d'un absent qui en reste le propritaire (20), au point qu'on ne sait plus tres bien18. Par exemple, dans The Crowd, I'arrive a la conscience du remords prend la formed'une haIlucination visuelle.19. Sur I'effet Koulechov, voir Iris vol. 4 n02, Jacques Aumonl d., Paris 1986.20. Voir I'usage que fait Mankiewlcz du portrait du marin dans The Ghost and Mrs Muir(1947).

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    SU RIMPRESSIO N S 7372 FIGURES DE L'ABSENCElequel des deux a cr 1'autre, lequel des deux est l'manation de l'autre.1 , Il y a bien sur du fantome hi-dedans, mais surtout le fait que la surimpression indique une double apparten ance par un change rciproque dequalits entre les motifs. Cela est patent, dans son ambiguil, pour lesderniers plans de La T r a ~ e ' pr'jle (Marcel L'Herbier, 1933) et TheWindow (Ted Tetzlaff, 1 49). .)1 A la fin du film de L' e ~ l e visage d'Harry Baur-Raspoutine

    111 vient s'imprimer, sfumato, sur un arpent de neige somm en studio de 1 reprsenter la Russie toute entiere. Le film, de tout son long, a jou surl'oxymore du personnage, ala {ois sombre be te et force spirituelle, brutepaisse et visionnaire plutot doux. La scene prcdant ce demier plan, etqui est celle de sa mise amort, y insiste : empoisonn adoses multiples,cribl de baIles, le colosse ne perd rien de sa force et semble indestructible, irrductible ases visceres, comme le sanglier qui alimente les rcitsde chasse mythique. Double renversement dans l'histoire : la bete estune force spirituelle, mais cette force est diabolique. C'est donc tout naturellement qu'apres sa mort avre, il revient en surimpression sur unpaysage dsert pour rpter de l'au-dela sa prdiction-maldiction apropos de la Russie et des convulsions qu'elle connaftra. Son visage etson message s'tendent a l'empire, ils se confondent avec toute son histoire. On ne saurait alors dire s'il s'agit de 1'esprit de Raspoutine ou de1 l'essence de la Russie, a quoi travaille la surimpression pour l'incarnation d'une ide, pour un signifi ultime qui est d'ordre allgorique. Danscette surimpression finale, Raspoutine n'est pas russe : il est la Russie.Le visage est l'anthropomorphisation du paysage (c'est pour cela quenous sommes dans le registre allgorique), et le paysage est la reprsentation tendue de la ersonnage. La Russie donn e ses qualits a Raspout ine aspoutine lui ne les siennes. Ici, par la surimpression, a travers l'identification, on se de l'appartenance univoque a laconfusion, a la 1 . ! Q ! ~ ~ c e oil chaque motif est, dans le cadre,l'illustration de 1'autre sans qu'il ne soit plus possible de les sparer.

    En bon policier amricain, The Window raconte une histoire sur labase de l'innocence martyrise par le vice, un enfant par un couplemeurtrier. Tout se passe la nuit, dans la touffeur d'un t new-yorkais.Mais a la fin, l'innocent triomphe des mchants que la police arrete. Letout demier plan est reli au prcdent par un fondu-enchafn. La tetede l'enfant, sauv in extremis et blotti contre sa mere retrouve et rassrne, se superpose a 1'image suivante, celle de l'aube qui se leve derriere la ligne des gratte-ciel de Manhattan. La mere et la ville produisentdes enfants sains. L'enfant' appartient a la mere et a la ville qui toutes

    deux le protegent. Mais d'autre part l'enfant a sauv New York en faisant arreter les coupables, la protgeant des malfaisants. Il donne a laville son innocence et sa protection. Dsormais, elle lu appartient : ilpourra jusqu'au prochain film s'y promener et jouer en tou te tranquillit. Fin du film, fin de la nuit, fin des ennuis : retour a la normale et aucalme par une image doublement fixe, fixe. La lumiere du jour naissantlave la cit de ses problemes et, atravers l 'enfant, 1'aube de la vie lu attribue un cachet neuf d'innocence. Aube et renaissance : cette surimpression dans le fondu- enchafn est un allluia. L'tonnant n'en demeure pas moins que la surimpression maintient nette la distinction visuelleentre l'enfant, la mere et la ville, pour mieux procderaun change rciproque des attributs dans une double appartenance oille personnage etle dcor se mlangent pour se dfinir en miroir. Dans The Window, comme dans 372 ou La Tragdie impriale, le dcadrement propre au motifsurimprim lui permet de diffuser sur l'ensemble du champ, et au champ

    d e ~ n d r e sur le motif?.p.2J!I un e aSIDOS' des attributs.-s.ymbliques.La doDle appartenance des motifs, leur inclusion rciproque nousamenent d'ailleurs a reconsidrer ce qui a t dit sur la relation contenant-contenu, au moins dans le p s y c h . o l o ~ s ,de la pensivit d'un per- !sonnage. Dans le gros plan de vlsage sunmpnme a un fond de grand en- I semble qui occupe, lui, tout le champ, pa r 1'effet de loupe le contenu, .(par exemple le paysage) est plus vaste que le contenant. Dans Suspi- Ucion, Joan Fontaine - Lina Mac Kinlaw, imagine Cary Grant - Johnie en Vassassin la prcipitant du haut d'une vaste falaise : surimpression de cepaysage sur son visage effar. Dans Possessed (Curtis Bemhardt, 1947),

    Joan Crawford - Louise Howell se remmore les temps heureux, la maison patricienne qui tait la sienne. Le t itre d u film de Bemhardt l'indique avec clart : Louise ne peut se dfaire du souP

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    74 FIGURES DE L 'ABSENCEhmorragie, perte, dilution qui passe du signifiant de l'image, sa construction, au signifi du personnage, sa dconstruction.La surimpression visage-paysage, telle que je la considere ici (21) n'apourtant pas toujours cette valeur d'videment du sujet : il y faut uncontexte de drame et de psychanalyse fictionnalise. Elle peut aussiavoir, et c'est ce que montrent les fins de La Tragdie impriale et deThe Window, une valeur d'accord parfait accentu par le fondu-enchaln. Vers la fin d'Experiment Perilous, la jeune femme martyrise par sonmari dans leur demeure victorienne de New York chappe de peu a lacatastrophe qui dtruit son foyer. Conduite a l'hpital, dans le blanc desa chambre, elle s'endort dans la paix enfin acquise. Sur son visage, sesuperpose une petite maison de campagne ou elle ira habiter avec sonsauveur. Elle s'endort : elle renalt. L'endormissement dans le blanc hospitalier est une petite mort : blanche, couche sur le dos les yeux dos,immobile, la personne qu'elle a t s'teint. Mais l'endormissement estaussi une accession a la paix signale par la double immobilit du visagedtendu et du paysage campagnard. Il pourrait s'agir d'un reve qui naltrait d'elle comme les arbres qui accompagnent vers le haut l'acces du visage a la lumiere, si la quitude c m etr e n our la paix intrieure. L'admirable tient ans doute a la superposition de face et dela fa

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    76 FIGURES DE L' ABSENCErait dire avec prcision ou certitude au premier coup d'reil s'ils sont al'intrieur, de face et dans le champ, devant le photogr aphe, ou s'ils sontde dos, a l'extrieur, hors-champ, derriere Friedlander. Ou vice-versa.La plus comique des photos de ce type est pour moi ceBe qui met enplein trotto ir de New York, sous les pieds d'un passant noir, une magnifique peau de tigre a gueule rugissante qui se trouve en fait a I'intrieurd'une agence de voyages vue a travers sa vitrine (26). Avec des rtroviseurs de voiture, ou en superposant ades f a ~ a d e s le treillis de buissonshivernaux, Lee Friedlander obtient semblable dsorientation, mmebrouillage de la vue (27) pour un parcours clat, dissmin du regard quise perd dans ces labyrinthes miroitants.Avec sa clebre Plaque d'eau (28), Escher fait apparaftre des arbressous un chemin boueux, transformant le reflet en une veduta dont la terre gonfle serait le cadre. Par la position leve et oblique du point devue, les choses se compliquent ici par rapport aFriedlander puisque I'ona maintenant une double inversion du d e ~ - d @ F F i e r e @! hawt has, trter='le enseigne qu'il y faut les doubles (!) traces de pas et de pneus pou r s'assurer qu'il s'agit bien d'un sol boueux et non d'un plafond crev,puisqu'aussi bien la gravure peut se regarder a I'envers pour redresserl'incongru reflet. 11 faut compter avec le jeu, traditionnel chez Escher,jentre le plan du reprsent et celui de la reprsentation.\ Ces jeux de reflet et de surimpression sont tous proches du demier\. Iti Monet, chez qui I'eau ne prend consistance et couleur que du cel, ou la.i diffrence entre nnuphars et nuages ne tient plus qu'a de rares pointsI de peinture. Et dans les demieres annes, le regard de Monet plonge etse fixe pou r se concentrer sur cette indistinction hypnotique. Les Nymphas ne sont pas seulement affaire de maniere, de perte des objetsdans la Iiquidit, dans le coup de pinceau et dans I'largissement des-toi-::,les. C'est aussi affaire de cadrage. 890 a 1920, 1(1igne d'horizons'leve dans le tableau jusqu 'a en rtir d itivement pa7e-lrattt;-poUrlaisser toute la place a la rflexion au, au vertige de cette'contem(\ plation qui cesse d't re bome par au tre chose que les limites de la toile.\"-..Oans les Quatre arbres de 1891, seule une mince bande infrieureest occupe par l'eau et les reflets, les trois quarts suprieurs du taf>!eaurestant aux arbres et au cel pour une reprsentation droite o u I'objetse dtache avec nettet du fondo En 1897, la sriedu bras de Seine a Gi26. New York City, 1963 , op. cit. n014.27. Pour ces effets de treillis et d'excitation-perte du regard, cf. supra L'en-de\;ii .28. M.e. Escher. T:reuvre graphique, Editions Solin, Paris 1977 n049.

    ----_o. ~ ' .\ ' ' ' , ' ' ) ' . ; ~ X ~ ' ' ' ' ' ," ."""'. ~ .. , ,. lA . ., ..:...... .'J \ l ,' i' ,' t ;" ' .. ,. \1. I .. '..,

    Invisible demi-tour qui transforme par magie le champ en contrechamp. )} The SpiralSIairease, R. Siodmak 1946. p. 83.

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    Le reve de Claude Batho.

    SURIMPRESSIONSverny voit la ligne d'horizon monter presque a mi-hauteur du tableaupour le couper en deux parties d'gale importance ou les arbres, le ciel,la brume et leur reflet dans le glissement de l'eau rel$oivent un traitetement identique pour une sorte de test de Rorschach de travers. En1903-1904, les premiers nymphas gardent encore dans le haut du cadreune troite bande de terre, mais Paysage d'eau, les nuages (1903)donne dja a l'eau les couleurs du ciel comme le ti tre suffit assez a l'indiquer. A part ir de 1905, il n'y a plus que l'eau , sans rfrence di recte a laterre ferme : rien que des reflets, rien que de la surimpression. En 1920,pour Nymphas avec effets de nuages , l'image renverse d'un bouquet de roseaux et des nuages donne presque le dsir de regarder le tableau a l'envers, comme si l'on tait devant un dessin de Gustave Verbeck (29). Mais la proposition est absurde pour un espace qui ne tient plusa la reprsentation que par quelques touches de peinture ou s'identifientdes fleurs d'eau, le tableau tant, par ce mlange de haut et de bas, desurface et de profondeurs symtriques, rendu alui-meme, a la seule dimension qui est celle de la toile et de la peinture en trajectoires de pinceau pour harmonie de couleurs.

    8La photographe Claude Batho a publi, dans son reuvre, trois surimpressions, toutes trois ralises a Giverny en 1980 : Le pont japonais , Le reve et L'eau et le ciel . Pour approcher encore d'unpeu plus pres la surimpression au cinma, je ne retiendrai que la seconde, Le reve (30).Vue de dos et en lgere plonge, une fillette blonde en manteau noir,debout sur le bord d'une margelle, contemple une piece d'eau ou flottent nnuphars et feuilles mortes , ou se refletent en clair le ciel, en sombre des branches. Elle tient a deux mains dans son dos deux larges feuilles ramasses. Son buste, a l'exception de sa tete, est transparent, laissant voir la nappe d'eau. Ainsi, a premiere vue, seule la fillette, colonnebrune, est en surimpression, le cadre tant rest le meme pour les deuxprises de vue, elle tant faussement immobile puisque c'est le dcor li Gustave Verbeck, Upside Downs, parus dans le New York Herald entre 1903 et 1905 :Sens dessus Dessous, Pierre Horay, Paris 1977.30. Claude Batho photographe, Editions Des Fernrnes, Paris 1977.

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    8180 FIGURES DE L'ABSENCEquide qui est demeur a I'identique. Son buste est transparent. Ou plusexactement, la piece de nnuphars, qui commence hors surimpressionsur sa droite, la contourne et vient par derriere la prendre par la taille.Ici naissent, pour cette Ophlie plante droit, les correspondances spatiales et tactiles qui plongent ses deux mains sous la plaque des lunesd'eau, les feuilles tenues rpondant aux feuilles flottes, le man teau serr n' tant pas assez pais pour rsister, depuis qu'elle est la a regarder, al'absorption daos l'humidit froide. Seule la source de la reverie, qui estdans la photo la masse la plus haute, la plus proche et la plus dense, tet esans visage, merge au-dessus de l'eau, soutenue par la boue du col defourrure. Surimpression: immersion. Deux pages plus loin, commepour conclure la srie Giverny mais hors d'elle, une fillette fait la planche dans son bain, le corps effac par la masse liquide et par un grand reflet blanc venu d'une invisible fenetre : n'mergent qu'un poignet, unemain et le visage, comme au couvercle d'un sarcophage.

    Dans Le reve , la disposition est diffrente de celle qu'a retenuegnralement le cinma et semble plus raliste par l'organisation de I'es1 ;pace. Au lieu d'avoir un visage de face en gros plan que vient brouiller;" ,'un paysage, Claude Batho dispose un corps en pied et de dos dans son,1, en, VI ,ronnement en respectant la perspectiv.e. L'effet est pourtant le..}ymeme qu'au cinma d'un etre saisi par sa P,tnse, a b s o r ~ renferme. Mais a regarder Le reve de p l u ~ s t r u c t i o n -devinr p1usproblmatique, ne serait-ce qu'en raison d'une double surimpression avec un troisieme clich pour rajouter des reflets de branches.Etrange phnomene qui fait saisir comme simple un espace composite. IIya encore deux choses. Tout d'abo rd, l'objectif utilis et l'angle de prisede vue, parallele sinon align sur le regard suppos de l'enfant, privilgiela tete blonde comme ~ Ele la reverte que it4pec tateLlF-fait-sienne.Mais aussi cela donne au corps de la fillette, a partir du haut du cadre,une courbure convexe rendant improbable la jonction de ses pieds avecla margelle. S'il est tentant, paree qu'apparemment lgitime, d'identifier,{ l'axe de prise de vue avec le regard de la fillette, pour rendre compte de' la situation de reverie ou le voyant et le vu sont imaginairement dans la\ meme position alors qu'ils sont dans I'espace distincts, le titre donn a la

    \ photo nous ote la possibilit d'une telle interprtation. Reve, non reverie. Du photographe et non de la fillette, ce qui nous ramene entierement du cot de ce hors-champ qui a pour nom regard, dans I ' e n - d e ~ a . Le regard est alors une double projection dans la photo, comme la fillette est dans l'eau. Dans un autre Reve du recueil, la photo reprsente une enfant dormant sur une sorte de canap: on croyait voir la

    SURIMPRESSIONSla reveuse endormie mais pas le reve, alors que dans I'image de la fillettedevant I'eau, le reve absente la reveuse qui n'y figure pas, reste en

    d e ~ a . Et pourtant. Dans le reve au canap non plus la reveuse n'estpas celle qu'on croit, la fillette a l'image n'tant que le dsir photographi de la photographe, le miroir voleur ou elle se dissout pour un autoportrait inaccessible, imaginaire et a l'autre drob pendant son sommeil. Dans le reve a la margelle, le spectateur a devant lui non pas unesurimpression, non pas une double surimpression a trois clichs, maisune triple surimpression, celle-la invisible et qui cependant couvre toutela photo : celle de la photographe qui s'y imprime par son regard d'end e ~ a a quoi toute l'image renvoie, miroir sans tain. Quatrieme surimpression, galement transparente: le spectateur superpose son regard acelui de la photographe, s'appropriant un temps le reve. Par la disposition particuliere choisie par Claude Batho, elle ralise subrepticement lasynthese des deux types de surimpression qui associent visage et paysagepour une invisible spirale ou le spectateur par son regard s'engoule.Avec cet effet curieux : toute avance dans la profondeur renvoie a un

    e n - d e ~ a de l'image, et l ' e n - d e ~ a a son tour renvoie a la profondeur de laphoto. L 'eau absorbe la fillette, qui absorbe la photographe, qui absorbele spectateur qui se retrouve domin par le photographe dont il tente de ,maitriser le ~ e g a r d . ~ u s s i , la meilleure f ~ ~ o n de p e n s e r Y e f f e ~ p r o ~ u i t '/Jpar cette sunmpresslOn d'apparence classlque est d'y VOlr la flguratlOn J!..,dans l'axe de ce que Bruegel reprsente transversalement dans la Para- / jbole des aveugles.

    9Dans ses meilleures ralisations, la surimpression est un vertige oupeuvent se figurer, en meme temps ou aIternativement, la perte des re- \peres spatiaux, la perte de soi dans la dsunion et la rversibilit. Du ireve, ou reveur et rev se fondent et s'unissent, l'espace paradoxal de la \;1surimpression passe avec aisance au cauchemar, endormi ou veill, qui f.~ le personnage pour illustrer son incapacit a maltrise r les diverslments contradictoires de sa situation. A cot de la fusion, de la double appartenance, la surimpression en jouant toujours du non-respect dela perspective sert a figurer l'clatement, le dsordre mental. Apres1945, le cinma amricain emploie a tout bout de champ la muIti-surim

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    8382 FIGURES DE L'ABSENCEpression pour signifier les cauchemars qui agitent les nuits des soldat"traumatiss : il est vrai que les images superposes d'explosions n o c t u r ~ nes en tout sens sont bien propres a dire la dsintgration du p e r s o n n a g e ~ , ou de sa conscience. Meme dans l'clatement, la surimpression gard'quelque chose de la m t . ' P ~ 2 ! c ; l u ~ i o t l , a ! l : ~ . e . Plus intressante esrTa rversibilit de l'espace (et le cas chant du

    Jemps) que la surimpression perm:etmrendenche, non sans d'ailleurs serfrer a la traverse du miroir pour accder a l'univers de la folie outout du moins de l'illogique. De maniere tres pdagogique, dans Le Jours leve (31), Marcel Carn expose avec une lente prcaution tous les lments ncessaires a cette inversion spatiale pour une inversion chronologique. Jean (Gabin) - Fran

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    84 FIGURES DE L'ABSENCEpar Hitchcock dans Strangers on A Train avec le meurtre dans les lunettes de la victime et repris filialement par Chabrol dans Les Fantmes du chapelier pour le meurtre de l'pouse infirme vu dans les miroirset les glaces de sa chambre. On sait que pour la tuerie finale, Orson Welles melait dans The Lady from Shangai" indcision sentimentale, indci

    . sion spatiale, miroirs (aux alouettes) et surimpressions.eette indcision catgorielle entre reflet et surimpression, au serviceI du flottement de la reprsentation, a pour lieu privilgi les voitures par .une diffusion de ce qu'on pourrait appeler l'effet-rtroviseur oii 1'0n regarde devant soi pour apercevoir l'arriere.On ne s'tonnera donc pas qu'au cinma la surimpression puisse sesubstituer au simple reflet, dbordant pa r la le cadre physique et ralistede la surface rflchissante. Dans Jvhnny Angel (Edwin L. Marin,1945), pour un chauffeur de taxi en maraude de nuit dans la ville, la lgitimationJiY.rdk! dans le pare-brise permet de traiter en surimpression~ ~ et ~ P ; y ~ , non pas tant pour un trajet, a quoi suffirait le re

    rr!; mais p ~ errance dans la ville qui est tout autour de luipuisqu'a l'cran elle l'englobe. j ) i+;. Roman Polanski raffine sur ce schma de base avec Frankc et s SUs'!!)rimpression inversant 'espace dans le gnerique. Un couple, V a s ~ ~ dudcalage horaire, se rend au matin en taxi de Roissy a la porte Maillot.Travelling avant sur le priphrique, de l'intrieur de la voiture. Lentement, comme si tout le pare-brise n'tait qu'un rtroviseur, vient se superposer al'avance prieitadine l'image du eouple assis a l'arriere, fixe et flottant sur l'image premiere, pour traduire visuellement et littralement qu'ilss9Jlt sur le priphrique, mais aussi pour rendre cet tat de fiotte'ment et de peu de ralit que ressent le transbord. Par un deuxieme et tresdlicat fondu-enchain, succede au pare-brise la vitre arriere, de sorte qu'insensiblement le priphrique, au lieu d'avancer, recule, dans une parfaitesymtrie que sa disposition a double sens et son anonymat permettent, leeontrechamp ayant les mmes earactristisques que le champ, a l'inversionpreso On se prend alors aimaginer ce que serait, pour une meme situation,un zoom arriere sur un travelling avant qui deviendrait, par une imperceptible transition a180", un travelling arriere sur un zoom avant. La non plusnous ne sommes pas oin d'Escher qui nous fait passer sans hiatus de la forme d'un poisson aceHe d'un canard, introduisant par magie de la continuitla oii nous avions pour habitude de voir de la discontinuit. Petite plongedans la logique primaire par l'espace confus de la surimpression ou 1'0nne s'tonne pas que le devant soit derriere et que les femmes soient des maison s ou les visages des paysages.

    / :J .., l' '0 ' /( t .. .85SURIMPRESSIONS

    Pour Frantic, ce ne serait que prouesse technique de Polanski si cettesurimpression inversive n'tait pas emblmatique de toute la fictionqu'elle introduit. On connrot l'histoire, qui se terminera d'ailleurs par lemme plan du couple, en taxi, retournant a l'aroport. Un mdecinamricain veut joindre l'utile al'agrable et faire d'un colloque scientifique aPars en 1988l'occasion de retrouvailles sentimentales avec sa femme, vingt ans apres leur voyage de noces en cette ville. En voulant la retrouver, illa perd, en la perdant il ne la retrouve que mieux (33). L'espacea rebours de la surimpression initiale correspond ainsi a l'espace de lafiction dans son entier, comme l i ~ u d'une logique paradoxale oii toutfonctionne a l'envers. (34). I 1 .:' .... ..... . . :Si ! ';1'< ti ,:La surimpression, m?p.tag explicite a l'intrieur du cadre (35), produit )des chimeres a la m e nescartes, jouant du ralisme pour mieux leverseroa la . Ion. Et e'est vrai qu'il lui reste toujours une dose densmagie, de pr. tidigitation, passe par le regard. Mais cette magie ne secontente pqi, comme le montage, de grefier une image sur une autrepour sidrr par son artificielle vidence. Elle tient galement aune sor-te de mise au carr de la ressemblance, tirant des formes d'autres formes, de l ~ ! ~ ~ J l t a t i o n . . . u n e a u t : r . ~ represenmtO.par'soo'jeu:'lasUrimpression re1anceet assouvit notreregardscr'u tateur qui cherche adeviner, adiscerner dans l i p e c t a c h ~ a u t r e ~ , dedans, derriere, en tissant dans les rseaux de traits d'autres rseaux pour d'autres figures,comme pour ces dessins oii il faut tro\l.y.ter.k-PeISQPIlage camoufi dansle p a y s a s ; . : . ! , : . ~ y . ~ t ~ ~ ~ f i g U i : ~ ~ ~ ~ m 1 . s ~ n l e chei le spefateur la ~ ~ n t a h o n lComque, bldlmenslOnn . , semble ne plus POUVOls ' a ~ t e r . Toute image, en s'o1ri("sgnale qu'elle en recele une au tre,qu'elle est a double fondo Il faudrait alors ranger la surimpression danscet t ' inable ligne que Jurgis Baltrusaitis tudie notamment dansse Ab6"f'tions s constructions pseudo-scientifiques abase d'imagesqu Jamais de la sphere imaginaire) pour montrer comment laressemblance appelle la ressemblance, comment ' ~ . c ~ ! ! . E ~ J . . r . _ ~ l l l . ~ ~ ~ ! ! t a -tion par rapport au modele invite ad'autres carts ~ : ~ ~ r e s ~ ~ ~ ~ e m - 1,:'"

    ",' 'A .... ,\1>""1 1'33. Ce fonctionnement est rendu possible par le recours adeux paires de doubles. Doub1ed'une valise interverti, double de l'pouse en sa cadette de vingt ans.34. Sur le mode drisoire, Jean-Pierre Kalfon rsumait cela dans L'Amour fou de Rivetteen racontant aBulle Ogier l'histoire sans progression ni fin de celu