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HAL Id: tel-00529353https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00529353
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Stratgie(s) dacteur(s) et construction des cadresnormatifs internationaux : de lexception culturelle la
diversit culturelleAntonios Vlassis
To cite this version:Antonios Vlassis. Stratgie(s) dacteur(s) et construction des cadres normatifs internationaux : delexception culturelle la diversit culturelle. Science politique. Universit Montesquieu - BordeauxIV; Institut dtudes politiques de Bordeaux, 2010. Franais.
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00529353https://hal.archives-ouvertes.fr
UNIVERSITE DE BORDEAUX
UNIVERSIT MONTESQUIEU BORDEAUX IV / SCIENCES PO BORDEAUX ECOLE DOCTORALE DE SCIENCE POLITIQUE DE BORDEAUX - E.D. 208
SPIRIT - Science politique, Relations Internationales, Territoire (UMR 5116 du CNRS)
Stratgie(s) dacteur(s) et construction des cadres normatifs internationaux
De lexception culturelle la diversit culturelle
Thse pour le Doctorat en Science politique
Sous la direction de M. Dario BATTISTELLA
prsente et soutenue publiquement par
Antonios Vlassis
20 octobre 2010
Membres du jury :
M. Dario BATTISTELLA, Professeur, Sciences Po Bordeaux; directeur de thse
M. Patrick CHASTENET, Professeur, Universit Montesquieu-Bordeaux IV
M. Gilbert GAGNE, Professeur, Universit Bishops, Canada ; rapporteur
M. Pierre VERCAUTEREN, Professeur, FUCaM-Facults Universitaires Catholiques de Mons, Belgique ; rapporteur
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ANTONIOS VLASSIS
STRATEGIE(S) DACTEUR(S) ET CONSTRUCTION DES CADRES NORMATIFS INTERNATIONAUX
DE LEXCEPTION CULTURELLE A LA DIVERSITE CULTURELLE
Depuis une vingtaine dannes, lexception culturelle et la diversit culturelle se situent au cur dun dbat de plus en plus mondialis sur le rapport entre le commerce et la culture. En 1993, lors des ngociations internationales du GATT, lexception culturelle est vue comme un terme appropri pour certains acteurs dans leur but de prserver la lgitimit de lintervention publique en matire de culture et de soustraire les biens et services culturels de lagenda de laccord. Au bout de douze ans, le 20 octobre 2005, les tats membres de lUNESCO adoptent la Convention sur la protection et la promotion de la diversit des expressions culturelles, cense tre un mcanisme de rgulation internationale de linterface commerce-culture .
Depuis vingt ans, les interrogations sur les normes internationales suscitent de nombreux dbats au sein de la discipline des Relations Internationales. La question majeure de cette thse traite le processus de lmergence des cadres normatifs internationaux et les dynamiques de leur construction, en contribuant la recherche des facteurs de lnonciation des normes internationales. Pour cela, nous cherchons prendre en compte les squences de la construction du cadre normatif relatif linterface commerce-culture et sengager dans une lecture temporelle en vue de saisir les mcanismes de sa fabrication et la complexit de son laboration. Nous prtendons ouvrir la bote noire du processus et opter pour une analyse favorisant une sociologie politique de la scne internationale en vue dobserver de plus prs les acteurs, leurs stratgies, leurs interactions, ainsi que leurs contraintes tout au long du processus de lmergence et de la construction du cadre normatif. Mots-cls : Sociologie politique internationale, action stratgique, construction des normes internationales, prise de dcision en politique trangre, rgulation internationale de linterface commerce-culture , exception culturelle, Convention sur la diversit des expressions culturelles. ANTONIOS VLASSIS
ACTORS STRATEGIES AND CONSTRUCTION OF INTERNATIONAL NORMATIVE FRAMES
FROM CULTURAL EXCEPTION TO CULTURAL DIVERSITY
Over the last twenty years, cultural exception and cultural diversity are at the core of an even more globalized debate on the balance between trade and culture. In 1993, during the GATT international negotiations, cultural exception is seen as an appropriate term for certain actors in order to protect the legitimacy of cultural policies and to withdraw the cultural products and services from the GATT agenda. Twelve years after, the Member States of UNESCO adopt the Convention on the protection and promotion of the diversity of cultural expressions, meant to be a mechanism of international regulation on the trade-culture interface.
Norms and normative issues have been central to the study of international relations for at least two decades. The major issue of this thesis deals with the process of the emergence of international normative frames, the dynamics of their construction, as well as the factors of the international norms production. As a result, we seek to analyze the sequences of the construction of the normative frame in relation to the trade-culture interface and to attempt a temporal study in order to find the norm building mechanisms and to explore the complexity of its elaboration. We aim to open the black box of the building process and to opt for an international political sociology analysis. Our scope is to observe closely the actors, their strategies, their interactions, as well as their constraints along the process of the construction of the normative frame. Key words: International political sociology, strategic action, international norms building, decision making in foreign policy, international regulation of trade-culture interface, cultural exception, Convention on the diversity of cultural expressions.
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UNIVERSITE DE BORDEAUX
UNIVERSIT MONTESQUIEU BORDEAUX IV / SCIENCES PO BORDEAUX ECOLE DOCTORALE DE SCIENCE POLITIQUE DE BORDEAUX - E.D. 208
SPIRIT - Science politique, Relations Internationales, Territoire (UMR 5116 du CNRS)
Stratgie(s) dacteur(s) et construction des cadres normatifs internationaux
De lexception culturelle la diversit culturelle
Thse pour le Doctorat en Science politique
Sous la direction de M. Dario BATTISTELLA
Antonios Vlassis
20 octobre 2010
Membres du jury :
M. Dario BATTISTELLA, Professeur, Sciences Po Bordeaux; directeur de thse
M. Patrick CHASTENET, Professeur, Universit Montesquieu-Bordeaux IV
M. Gilbert GAGNE, Professeur, Universit Bishops, Canada ; rapporteur
M. Pierre VERCAUTEREN, Professeur, FUCaM-Facults Universitaires Catholiques de Mons, Belgique ; rapporteur
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A philosopher is someone who goes into a dark room at night to look for a black cat that
isnt there. A theologian does the same thing but comes out claiming he found the cat.
Nick Philipps, cit dans John Gerard Ruggie, International regimes, transactions and change : embedded
liberalism in the postwar economic order , in Stephen Krasner (ed.), International Regimes, Cornell University Press, 1983, p. 195.
Beauty: Its a beautiful day. Barton: Huh?
Beauty: I said its a beautiful day. Barton: Yes it is.
Beauty: Whats in the box? Barton: I dont know. Beauty: Isnt yours?
Barton: I dont know. You are very beautiful. Are you in pictures? Beauty: Dont be silly.
Barton Fink, 1991
Because we don't know when we will die, we get to think of life as an inexhaustible well,
yet everything happens only a certain number of times, and a very small number, really. How
many more times will you remember a certain afternoon of your childhood, some afternoon
that's so deeply a part of your being that you can't even conceive of your life without it?
Perhaps four or five times more, perhaps not even that. How many more times will you watch
the full moon rise? Perhaps twenty. And yet it all seems limitless .
The sheltering sky, 1990
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Remerciements Jadresse en premier lieu mes remerciements mon directeur de thse, Dario Battistella, pour la confiance quil a bien voulu maccorder, pour ses remarques rigoureuses et pour son ouverture desprit vis--vis de mon regard sur la discipline des Relations Internationales. Je remercie galement Messieurs Patrick Chastenet, Gilbert Gagn et Pierre Vercauteren pour avoir accept de faire partie du jury de soutenance. Je suis trs reconnaissant lquipe du Centre Etudes Internationales et Mondialisation (CEIM) de lUniversit du Qubec Montral, et en particulier Gilbert Gagn et Christian Deblock pour mavoir intgr dans leur groupe de recherche et pour laccueil quils mont rserv mon projet. de nombreuses personnes qui mont accord un peu de leur temps pour exprimer leurs visions sur lenjeu entre commerce et culture, je dis ma reconnaissance, en esprant ne pas me montrer svre face leurs actions. Je tiens galement exprimer toute ma gratitude aux relecteurs de ma thse, Kostantinos Koikas, Niels Lachmann et Nikos Mavrocordopoulos ; grce leur relecture mticuleuse et leurs encouragements, ils ont contribu la qualit de mon travail. Des remerciements chaleureux vont galement Lilian Richieri Hanania et Jeanne Hersant pour leurs prcieux conseils. Je tiens exprimer ma reconnaissance aux enseignants et aux doctorants de lEcole doctorale de Sciences Po Bordeaux et de SPIRIT qui mont aid et conseill au cours des diffrentes phases de ce travail et dans le cadre des sminaires de recherche. Je remercie les personnels administratifs et techniques de lIEP de Bordeaux et de lUniversit Bordeaux IV, qui mont offert un cadre de travail chaleureux. Merci mes amis, lointains et prsents, qui mont soutenu, volontairement ou involontairement, dans ce parcours solitaire. Merci mes parents, , pour leur soutien affectueux. Je nai pas de mots assez forts pour remercier de sa patience et son rire clatant. Merci infiniment Baby Jane pour son amour.
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Table des matires Liste des sigles et des acronymes ................................................................................................................ 15 Introduction ............................................................................................................................................. 19 La trame politique de la construction dun cadre normatif relatif linterface commerce-culture ...... 21 Dfinitions, problmatique empirique de base et modles thoriques existants ......................................... 27
La thorie no-librale des rgimes : Des normes au service des intrts ........................................... 33 Le courant constructiviste : Des normes constitutives des intrts tatiques........................................ 35
Problmatiques thoriques ........................................................................................................................ 38 Hypothses thoriques................................................................................................................................. 41
a) Lindividualisme mthodologique : Dpasser le dilemme agent-structure? .................................... 44 b) Explorer la prise de dcision dans la politique trangre : Les dcisions des gouvernants franais vis--vis des variables multiples ............................................................................................. 48 c) Les stratgies des gouvernants franais : De laction rhtorique au sein des environnements sociaux .................................................................................................................................................. 53 d) Les gouvernants franais au moment de la gouvernance mondiale ................................................. 56
Mthodologie .............................................................................................................................................. 58 Organisation de la thse .............................................................................................................................. 61 Chapitre I : Lavnement de lexception culturelle ................................................................65 Section 1 : Les sources externes de lexception culturelle ..................................................................... 71 Paragraphe 1. Hollywood, du Studio System au cinma-monde .......................................................... 71
A) Lge dor et le dclin dun oligopole industriel ............................................................................. 72 B) Le cinma-monde : Nouvelles considrations stratgiques ............................................................ 74
a) Le film universel ..................................................................................................................... 75 b) Une distribution lchelle mondiale ..................................................................................... 76 c) Une concertation horizontale .................................................................................................. 79
C) Le cinma-monde vu par les thories des Relations Internationales : Une mission impossible? .... 82 Paragraphe 2. Forger un espace europen de laudiovisuel : Entre logique nolibrale et efforts de rgulation..................................................................................................................................................... 85
A) Le dclin des cinmatographies nationales...................................................................................... 85 B) La mise sur agenda des questions audiovisuelles : Les rapports de force au sein de lUnion europenne ........................................................................................................................................... 88 C) La mise en place dune politique audiovisuelle europenne : Des logiques contradictoires ........... 96
Paragraphe 3. Les ngociations du GATT : Des structures normatives, des fondements procduraux et des enjeux politiques ................................................................................................................................... 99
A) Le fonctionnement et la philosophie du GATT............................................................................. 100
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B) Laudiovisuel : Lavnement dun enjeu majeur de lUruguay Round ........................................ 104 Conclusion de la 1re section...................................................................................................................... 112 Section 2 : Les sources socitales de lexception culturelle ................................................................. 115 Paragraphe 1. Le systme cinmatographique franais : Des logiques dinteraction politique privilgie.................................................................................................................................................. 117
A) Le Centre national de la cinmatographie : La pierre angulaire du rapport donnant-donnant ...... 118 B) Les accords de Blum-Byrnes : Larchtype de mobilisation des professionnels .......................... 122 C) La mobilisation des professionnels dans le contexte europen : Dfendre lexception culturelle ............................................................................................................................................. 124
Paragraphe 2. Les ngociations du GATT : Une mobilisation fonde sur la rciprocit politique ........... 129
A) Le moment de la spcificit culturelle : Une dynamique dmancipation politique de la Commission europenne? ................................................................................................................... 129 B) La mobilisation des professionnels du cinma : Prfrences et ressources ................................... 133
Section 3 : Les sources nationales de lexception culturelle ................................................................ 141 Paragraphe 1. Les politiques en matire de culture : Une singularit franaise dfendre ................ 142 Paragraphe 2. Lexception culturelle au service de la politique trangre franaise................................. 148
Conclusion du 1er Chapitre ........................................................................................................................ 158 Chapitre II : Lappropriation de la diversit culturelle .........................................................161 Section 1 : Le contexte des contraintes institutionnelles et normatives ............................................. 167 Paragraphe 1. Le niveau externe : Vers un nouveau cadre normatif international sur linvestissement .. 168
A) LAMI : Des fondements normatifs et des prmices idologiques................................................ 168 B) LAMI et la remise en cause de lexception culturelle ................................................................. 172
Paragraphe 2. Le niveau interne : Entre exception culturelle antimondialiste et exception culturelle sectorielle .................................................................................................................................................. 175
A) La division des professionnels de la culture .................................................................................. 175 B) Une mobilisation antimondialiste et anti-nolibrale ................................................................... 180
Paragraphe 3. Le niveau gouvernemental : Des rserves vis--vis du projet ........................................... 182
A) Des divergences insurmontables entre les gouvernements............................................................ 183 B) Le gouvernement proche de la mobilisation ................................................................................. 184 C) Expertise gouvernementale : Le rapport Catherine Lalumire ...................................................... 185
Conclusion de la 1re section...................................................................................................................... 188 Section 2 : Le contexte des cadres stratgiques ................................................................................... 191 Paragraphe 1. Le gouvernement canadien : De lexemption culturelle la diversit culturelle .............. 191
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A) Les politiques culturelles canadiennes : Protger les industries culturelles face la prpondrance tats-unienne............................................................................................................... 192 B) Lintgration conomique nord-amricaine et la clause de lexemption culturelle ....................... 194 C) Laffaire des priodiques : Un conflit des normes et un signe dchec stratgique....................... 196
Paragraphe 2. Le gouvernement qubcois et la diversit culturelle......................................................... 199
A) Les politiques culturelles du Qubec : Un enjeu important pour la souverainet qubcoise....... 200 B) Ladoption de la diversit culturelle : Lmancipation de la paradiplomatie qubcoise........ 201
Paragraphe 3. Les tats-Unis : Contourner lexception culturelle par des nouvelles stratgies ............... 205
Paragraphe 4. La rvolution numrique et le dclin de lexception culturelle : Lenjeu de la socit de linformation dans lespace europen ............................................................................................... 210 Conclusion de la 2me section..................................................................................................................... 216 Section 3 : Le contexte dopportunits : lUNESCO ........................................................................... 219 Paragraphe 1. Le NOMIC : Vers un rquilibrage culturel et communicationnel lchelon international .............................................................................................................................................. 220
A) La volont politique dun NOMIC ................................................................................................ 221 B) Le retrait des tats-Unis et du Royaume-Uni et la crise du systme de lUNESCO .................... 224
Paragraphe 2. Le cadre normatif de lUNESCO : Lmergence de la problmatique du dveloppement culturel....................................................................................................................................................... 227
A) Des prmices sur les politiques culturelles : De la Coopration culturelle au MONDIACULT.................................................................................................................................. 227 B) Consolider le dbat sur le dveloppement culturel : De la Dcennie du dveloppement culturel la Diversit cratrice ................................................................................................. 232
Conclusion de la 3me section..................................................................................................................... 239 Section 4 : La diversit culturelle vue comme adaptation stratgique ............................................... 241 Paragraphe 1. Lexception culturelle : Des limites politiques, pratiques et symboliques ......................... 242 Paragraphe 2. La diversit culturelle : De laction rhtorique et des nouvelles considrations stratgiques................................................................................................................................................ 249
Conclusion de la 4me section..................................................................................................................... 258 Conclusion du 2me Chapitre...................................................................................................................... 259 Chapitre III : La diffusion de la diversit culturelle...............................................................261 Section 1 : Les mcanismes organisationnels de la diffusion : Les plateformes de la diversit culturelle .................................................................................................................................................. 265 Paragraphe 1. Construire une communaut en matire de politique culturelle : Le Rseau international sur la politique culturelle .......................................................................................................................... 267
A) Lacte de naissance du RIPC : Une invention canadienne ............................................................ 268
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B) Structure, membership et tches politiques .................................................................................. 269 C) Le phnomne de leadership au sein des forums internationaux................................................... 272
Paragraphe 2. LOrganisation internationale de la Francophonie : Quel acteur international pour la diversit culturelle? ................................................................................................................................... 275
A) La diversit culturelle et la francophonie : Rservoir normatif et imaginaire symbolique............ 275 B) La diversit culturelle et la Francophonie politique : Des opportunits et des types daction....... 279 C) Contourner les clivages politiques : La construction de la convergence francophone ................. 284
Section 2 : Les mcanismes socitaux de la diffusion : La socit civile internationale .................... 289 Paragraphe 1. Les groupes culturels franais face lmergence de la diversit culturelle : Des rsistances et des reconsidrations stratgiques ....................................................................................... 291 Paragraphe 2. La cartographie de la socit civile internationale en matire de diversit culturelle ........ 295
A) Les Coalitions nationales pour la diversit culturelle .................................................................... 296 B) Le Rseau international pour la diversit culturelle....................................................................... 300
Paragraphe 3. Lanatomie de la socit civile internationale en matire de diversit culturelle............... 302
A) Des asymtries et des ingalits au sein de la socit civile.......................................................... 303 B) Des gouvernements nationaux et des groupes culturels : Synergies et rciprocits ..................... 307
Conclusion de la 2me section..................................................................................................................... 311 Section 3 : Les mcanismes pistmiques de la diffusion : Des experts et de lexpertise .................. 315 Paragraphe 1. De lexpertise : Clarification de lenjeu et perspectives daction ...................................... 316
A) La construction dun droit international positif ....................................................................... 317 B) Vers un instrument international sur la diversit culturelle : Les options envisages ................... 319
Paragraphe 2. Le rseau dexperts : Des proprits et des interactions politiques .................................... 321 Section 4 : Les mcanismes diplomatiques de la diffusion : Le choix en faveur de lUNESCO....... 329 Paragraphe 1. laborer lagenda politique dune organisation internationale : Les priorits de ladministration de lUNESCO ................................................................................................................ 330
A) LUNESCO et lenjeu commerce-culture ................................................................................ 331 B) La Convention sur le patrimoine immatriel : Des convictions personnelles et de la continuit normative ............................................................................................................................................ 332 C) Le retour des tats-Unis : Des ressources financires et symboliques .......................................... 334
Paragraphe 2. Explorer la prise de dcision : Un style unilatral et un choix multilatral........................ 337
A) Une prise de dcision dallure unilatrale ..................................................................................... 337 B) Le choix en faveur du multilatralisme : Une ncessit politique ................................................. 344
Conclusion de la 4me section..................................................................................................................... 349 Conclusion du 3me Chapitre...................................................................................................................... 351
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Chapitre IV : Linstitutionnalisation de la diversit culturelle..............................................353 Section 1 : Les piliers diplomatiques de linstitutionnalisation : Les ngociations internationales ......................................................................................................................................... 357 Paragraphe 1. Structurer le dbat des ngociations : Lavant-projet de la Convention............................. 358 Paragraphe 2. Construire des coalitions et des compromis : Les ngociations intergouvernementales .... 364
A) Une coalition favorable lavant-projet de la Convention............................................................ 365 B) Les tats rticents lavant-projet de la Convention .................................................................... 367 C) Le point controvers des ngociations : Le rapport de la Convention avec lOMC ...................... 369
Paragraphe 3. Les tats-Unis : Une stratgie du blocage technique et de lintransigeance politique ....... 371
A) Insister sur limportance commerciale de lenjeu.......................................................................... 371 B) Dlgitimer la comptence de lUNESCO .................................................................................... 373 C) Diluer le contenu de la Convention ............................................................................................... 375 D) Un refus de reformuler la stratgie poursuivie .............................................................................. 377
Paragraphe 4. Limplication de la Commission europenne : Un facteur fdrateur des ngociations .... 380
A) Un dcalage des positions nationales ............................................................................................ 380 B) Des reconsidrations stratgiques et de la convergence europenne ............................................. 384
Conclusion de la 1re section...................................................................................................................... 389 Section 2 : Les piliers juridiques de linstitutionnalisation : Un hard instrument dot dun soft contenu ..................................................................................................................................................... 391 Paragraphe 1. Le degr de la prcision : Des espaces tendus de discrtion............................................. 392
A) Les fondements de la Convention : Lgitimer la politique culturelle et la spcificit des biens et services culturels................................................................................................................................. 392 B) Une flexibilit accrue sur la panoplie des politiques culturelles.................................................... 396 C) La coopration internationale en matire dindustries culturelles ................................................ 399
Paragraphe 2. Le degr des engagements : Des obligations exhortatives ................................................. 402
A) Un instrument juridique doux........................................................................................................ 402 B) Le rapport de la Convention avec les autres accords : Un conflit entre ordres normatifs?............ 405 C) Le Fonds international pour la diversit des expressions culturelles : Un mcanisme diminu? .. 408
Paragraphe 3 : Le rglement des diffrends : Un mcanisme fond sur la bonne foi des Parties ............. 410 Conclusion de la 2me section..................................................................................................................... 413 Section 3 : Les piliers politiques de linstitutionnalisation : Des actions centrifuges ........................ 417 Paragraphe 1. Le poids politique des tats-Unis et la remise en cause de la Convention......................... 417
A) Laction bilatrale au service des intrts tats-uniens.................................................................. 417 B) Les accords bilatraux de libre-change : Un moyen pour contourner la Convention ................. 422
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Paragraphe 2. Ladministration de lUNESCO : Entre routines institutionnelles et adaptation stratgique ................................................................................................................................................. 428
Conclusion du 4me Chapitre...................................................................................................................... 435 Conclusion ............................................................................................................................................. 439 Bibliographie ........................................................................................................................................ 451 I. Sciences sociales, Science politique, Relations Internationales, Analyse des Politiques Publiques .................................................................................................................................................. 451
A. Ouvrages ........................................................................................................................................ 451 B. Articles et chapitres des ouvrages .................................................................................................. 460 C. Thses et mmoires de recherche................................................................................................... 472
II. Politiques culturelles, Diplomatie culturelle, conomie du cinma, Interface entre commerce et culture................................................................................................................................................... 473
A. Ouvrages ........................................................................................................................................ 473 B. Articles, chapitres des ouvrages et chroniques............................................................................... 477 C. Thses et mmoires de recherche................................................................................................... 482
III. Rapports et publications institutionnelles ...................................................................................... 484 IV. Liens utiles ......................................................................................................................................... 490 IV. Presse.................................................................................................................................................. 491 Index slectif des noms et des auteurs.............................................................................................. 493 Annexe .................................................................................................................................................... 497
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Liste des sigles et des acronymes
ABC American Broadcasting ACCT Agence de coopration culturelle et technique AGCS Accord gnral sur le commerce des services ALE Accord de libre-change ALENA Accord de libre-change nord amricain AMI Accord multilatral sur linvestissement APEC Asia Pacific Economic Cooperation API Associations des producteurs indpendants ARP Socit civile des Auteurs, Ralisateurs, Producteurs ATTAC Association pour la taxation des transactions et pour laide aux citoyens BIAC Business and Industry Advisory Council BLIC Bureau de Liaison des Industries Cinmatographiques BLOC Bureau de Liaison des organisations du cinma CARIFORUM Caribbean Forum of States CBS Columbia Broadcasting System CEE Communaut conomique europenne CIC Cinema International Corporation CIL Comit de liaison pour la diversit culturelle CIME Comit sur linvestissement international et les entreprises
multinationales CMIT Comit sur les mouvements de capitaux et les transactions invisibles CNC Centre national de la cinmatographie CNUCED Confrence des Nations-Unies pour le Commerce et le Dveloppement CPLP Communaut des pays de langue portugaise DG Direction gnrale DREE Direction des relations conomiques extrieures EDNM Economies dynamiques non-membres FERA Fdration europenne des Ralisateurs de lAudiovisuel FICDC Fdration internationale des Coalitions pour la diversit culturelle FICAF Fonds dinvestissement pour le cinma francophone FNCF Fdration nationale des cinmas franais FNDF Fdration nationale des distributeurs de films GATT General Agreement on Tariffs and Trade GATS General Agreement on Tariffs and Services GCSCE Groupe canadien de consultations sectorielles sur le commerce extrieur IDE Investissements directs ltranger IQRC Institut qubcois de recherche sur la culture MEDIA Mesures pour encourager le dveloppement de lindustrie audiovisuelle MPAA Motion Picture Association of America MPEAA Motion Picture Exportation Association of America NBC National Broadcasting Company NOEI Nouvel ordre conomique international NOMIC Nouvel ordre mondial de linformation et de la communication NTM New Transantlantic Market OCDE Organisation de coopration et de dveloppement conomiques
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OEI Organisation des Etats Ibro-amricains pour lEducation, la Science et la Culture
OMC Organisation mondiale du commerce OMPI Organisation mondiale de la proprit intellectuelle ONG Organisations non gouvernementales ONU Organisation des Nations-Unies ORD Organe de rglement des diffrends OUA Organisation de lUnit africaine RIDC Rseau international pour la diversit culturelle RIPC Rseau international sur la politique culturelle PNUD Programme mondial sur le dveloppement humain SACD Socit des auteurs et compositeurs dramatiques SCAM Socit civile des auteurs multimdias SGCI Secrtariat gnral du Comit interministriel SFA Syndicat des acteurs SFAI Syndicat franais des artistes interprtes SRF Syndicat des ralisateurs TAFTA Trans-Atlantic Free Trade Agreement TSA Taxe spciale additionnelle TUAC Trade Union Advisory Council TVSF Tlvision sans frontires UE Union europenne UIP United International Pictures UNESCO United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization UPF Union des producteurs de films USTR United States Trade Representative VUA Vivendi Universal Entertainment WTO World Trade Organization
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Introduction
En 1993, une confrontation politique clate entre le gouvernement franais et le
gouvernement tats-unien dans la phase ultime des ngociations du GATT (General
Agreement on Tariffs and Trade ou Accord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce).
Laffrontement porte sur le traitement accord aux services et produits audiovisuels par le
droit commun du GATS (General Agreement on Tariffs and Services ou Accord gnral sur le
commerce des services-AGCS). La proposition tats-unienne est dinclure le secteur
daudiovisuel (secteur o il existe le plus denjeux conomiques) dans lagenda des
ngociations du GATS. De son ct, le gouvernement franais dfend catgoriquement le
terme de lexception culturelle selon lequel les produits et services audiovisuels ne sont pas
des produits et services ordinaires, mais possdent une spcificit culturelle et que pour cette
raison les gouvernements ont le droit lgitime de mettre en uvre des politiques culturelles en
vue de les prserver et les promouvoir. Le terme de lexception culturelle et lintransigeance
du gouvernement franais tendent paralyser le cours de ngociations et torpiller la
conclusion de laccord.
Au bout de douze ans, le 20 octobre 2005, les tats membres de lOrganisation des
Nations Unies pour lducation, la science et la culture (UNESCO) adoptent, par 148 voix
contre 2, et 4 abstentions, la Convention sur la protection et la promotion de la diversit des
expressions culturelles. Cette dernire souligne de faon explicite que les tats sont pourvus
du droit lgitime dappliquer des mesures publiques en vue de protger et promouvoir les
expressions culturelles sur leur territoire, reconnaissant la spcificit des biens et services
culturels et favorisant galement les changes culturels. Le 18 mars 2007, soit moins de dix-
huit mois aprs son adoption, la Convention entre en vigueur. En avril 2010, soit quatre ans et
six mois aprs son adoption, cent-neuf gouvernements et la Communaut europenne
adhrent la Convention.
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Ce rappel historique montre que depuis le dbut des annes 1990, lenjeu de linterface
entre commerce et culture a fait irruption sur la scne internationale et se pose comme lun
des principaux thmes de controverse dans les ngociations multilatrales et bilatrales. Au
dpart, linstigation de la France, plusieurs acteurs de la scne internationale se runissent
autour du terme de lexception culturelle en vue de prserver la spcificit du secteur culturel
et audiovisuel face la menace de la drglementation et de la concurrence libre. Cette
position reste inchange au cours des annes 1990. Mais, au fil du temps, le terme de
lexception culturelle est abandonn et celui de la diversit culturelle lui est progressivement
substitu. Depuis 1999, la question de la prservation de la diversit des expressions
culturelles et la ncessit de la protection du droit des tats de mettre en uvre des politiques
culturelles dans un contexte de globalisation croissante prend une ampleur difficilement
imagine auparavant. Il savre quune plthore dacteurs htrognes se mettent dfendre la
lgitimit des politiques culturelles lchelle internationale au nom de la protection et de la
promotion de la diversit culturelle et remettent en question linteraction entre la logique
commerciale et culturelle. En effet, la diversit culturelle apparat de plus en plus menace du
fait de la globalisation financire et conomique et devient un des enjeux majeurs de la scne
mondiale. Sa protection et sa promotion deviennent progressivement un objectif majeur de la
politique trangre de plusieurs pays dont la France qui dploie de nombreuses ressources
politiques pour mobiliser les autres acteurs de la scne mondiale autour de cette question. En
plus, le mouvement en faveur de la reconnaissance dun instrument international sur la
diversit culturelle sacclre. Jusquen 1998, lide navait jamais t voque alors qu
compter de 2001, elle est dbattue dans toutes les grandes enceintes internationales, plaant la
question des politiques culturelles et de la diversit des expressions culturelles comme une des
priorits dans lagenda politique international.
Notre objectif consiste fournir les outils conceptuels ncessaires en vue de capter la
dynamique essentiellement politique de lquilibre commerce-culture lchelle
internationale. Notre tude se propose danalyser le processus de la construction politique
dun cadre normatif, comme celui de la Convention sur la diversit culturelle et de
sinterroger sur les facteurs qui ont contribu au passage de lexception culturelle la
diversit culturelle et la ncessit de la mise en place dune Convention relative linterface
commerce-culture . Comment interprter la nature, le degr et les implications de cette
volution ? Cette volution renvoie-t-elle une restructuration des intrts et des prfrences
des acteurs impliqus dans lenjeu ? Quelles sont les forces qui ont incit les acteurs
construire une Convention sur la diversit culturelle ?
21
La trame politique de la construction dun cadre normatif relatif linterface
commerce-culture
En 1980, Pierre Milza nous rappelle que la culture est un vecteur dinfluence et agent de
modification de comportements internationaux, ainsi quun champ daffrontement lchelon
international1. Plus spcifiquement, linterface entre commerce et culture apparat comme une
source permanente dantagonisme politique et de dsaccords intertatiques. Les industries
culturelles - ou les industries de limaginaire 2 - sont autant un champ dintrt commercial
considrable quune expression profondment significative de lidentit nationale et du
dynamisme artistique. Dailleurs, les produits et services culturels sont inluctablement vous
osciller entre la sphre artistique et la sphre marchande, entre lart et lindustrie3. La nature
ambigu et quivoque des industries culturelles - et en particulier audiovisuelles - tirailles
entre la production symbolique et la production matrielle, suscite de plus en plus un dbat
politique la fois virulent et polmique sur la scne internationale4.
Soulignons que les conflits politiques soulevs par le traitement des biens et services
culturels dans les accords commerciaux internationaux ne datent pas des annes 1990. Ils se
posent ds les annes 1920 en ce qui concerne les films, lorsque plusieurs pays europens se
sont mis introduire des quotas de projection sur les films diffuss dans les salles de cinma
en vue de stimuler lindustrie cinmatographique nationale et freiner les importations
massives des films de lindustrie hollywoodienne5. De mme, dans les annes 1950, le GATT
est marqu par la volont des tats-Unis dinclure le cinma dans lagenda des accords
favorisant la libralisation des changes6.
Derrire ce problme dj ancien, se cachent des enjeux importants pour la plupart
dacteurs impliqus. Des enjeux conomiques dabord la suite de lampleur prise par la
production des industries culturelles dans les changes commerciaux internationaux, surtout
1 MILZA Pierre, Culture et relations internationales , Relations internationales, n24, hiver 1980, p. 370. 2 FLICHY Patrice, Les industries de limaginaire, Pour une analyse conomique des medias, Presses
universitaires de Grenoble, 2me dition, 1991. 3 CAVES Richard E., Creative Industries: Contracts between art and commerce, Harvard University Press,
2000. 4 PUTTNAM David, The Undeclared War: The Struggle for Control of the Worlds Film Industry, Harper
Collins Publishers, 1997; GRANTHAM Bill, Some big bourgeois brothel: Europes Culture Wars with Hollywood, University of Luton Press, 2003. 5 ULFF-MOLLER Jens, Hollywoods Film Wars with France: Film-Trade Diplomacy and the Emergence of
the French Film Quota Policy, University of Rochester Press, 2001. 6 PORTES Jacques, Les origines de la lgende noire des accords Blum-Byrnes sur le cinma , Revue
dhistoire moderne et contemporaine, tome XXXIIII, avril-juin 1986, pp. 314-329.
22
depuis le dbut des annes 1990 ; des enjeux socitaux car les milieux culturels apparaissent
comme des groupes la fois puissants et mdiatiques qui entendent exercer une pression
politique auprs des gouvernements nationaux ; des enjeux culturels en raison de limportance
des produits et services culturels en tant qulments insparables de dveloppement des
socits ; des enjeux politiques enfin, dans la mesure o les expressions culturelles sont des
lments insparables dune identit nationale : considrant les produits et services culturels
comme des vhicules de valeurs et dides, de nombreux tats craignent de plus en plus une
domination culturelle.
La problmatique fondamentale qui est souleve est celle de la circulation des produits et
services culturels lchelle mondiale, rgionale, ainsi que nationale et celle du traitement
accorder ces derniers dans les accords commerciaux multilatraux et bilatraux, dans la
mesure o la capacit de chaque tat dadopter ou de maintenir des politiques culturelles
dpend de plus en plus de ses engagements internationaux.
Plus particulirement, favorise par les rgles multilatrales et bilatrales du commerce
international, la globalisation sert de catalyseur en vue de remettre en question la lgitimit de
lintervention publique dans le domaine culturel1 et contester la position des certains acteurs
relative la nature spcifique des produits et services culturels. Il sagit dun ensemble
complexe de normes et de rgles qui a pour objet de prner la libralisation des changes
conomiques internationaux et en consquence la drglementation du march culturel, en
restreignant progressivement la capacit et la latitude des tats de mettre en uvre des
politiques culturelles2. Le phnomne se rfre principalement la dynamique engendre par
les rgles de lOrganisation mondiale du commerce (OMC) issues du cycle dUruguay qui ont
abouti en 1994 aux Accords de Marrakech.
Lors des ngociations internationales du GATT, le dsaccord dcoule surtout de la dualit
particulire des produits et services des industries culturelles, et en particulier de laudiovisuel,
savoir, sa signification culturelle, dune part, et sa valeur conomique, dautre part. Les
tats-Unis sattaquent aux mesures financires des pays en faveur de leurs industries
audiovisuelles (subventions), ainsi qu la capacit rglementaire des tats europens en
matire daudiovisuel, savoir ladoption des quotas destins la tlvision et aux salles du
1 GERMANN Christophe, Diversit culturelle et libre-change la lumire du cinma, Rflexions critiques sur
le droit naissant de la diversit culturelle sous les angles du droit de lUNESCO et de lOMC, de la concurrence et de la proprit intellectuelle, Paris, Helbing Linchtenhahn, Bruylant, L.G.D.J., 2008, p. 29. 2 BERNIER Ivan, LAMOUREUX Jean-Franois, Les politiques culturelles du Canada et du Qubec,
lOrganisation mondiale du Commerce (OMC) et lAccord de libre-change nord-amricain (ALENA) , dans Florian Sauvageau (dir.), Les politiques culturelles lpreuve : La culture entre ltat et le march, Les Presses de lUniversit Laval, 1996, pp. 13-71.
23
cinma, les restrictions linvestissement, les mesures fiscales etc. Selon leur point de vue,
lensemble de ces mesures entravent largement la pntration des productions
hollywoodiennes dont le march audiovisuel europen apparat comme le dbouch le plus
important. Sopposant la position dterminante des tats-Unis dengager lensemble des
produits et services culturels dans le processus de libralisation, largument du gouvernement
franais sappuie essentiellement sur le fait que les produits et les services culturels ne
peuvent tre assimils de simples marchandises. En ce sens, les gouvernements ont le droit
de mettre en uvre des mesures en vue de prserver des changes des services et produits
culturels plus quilibrs et de maintenir un espace minimum dactivit pour les industries
culturelles nationales. Suivi par quelques tats et les milieux cinmatographiques europens,
le gouvernement franais cherche soustraire le secteur audiovisuel de lagenda des
ngociations, position connue sous le terme de lexception culturelle.
Laboutissement de ces ngociations apparat comme une victoire la Pyrrhus 1 ; le
secteur audiovisuel est soumis aux rgles de lOMC, mais en labsence de toute offre, lUnion
europenne (UE), le Canada, et plusieurs dautres pays ont choisi dexclure les produits et
services audiovisuels des ngociations et ne pas les soumettre aux restrictions touchant
laccs au march, au traitement national 2.
Ce dsaccord revient, quelques annes plus tard, au sein de lOrganisation de coopration
et de dveloppement conomiques (OCDE), lors des ngociations sur le projet de lAccord
multilatral sur linvestissement (AMI). Les ngociations sont marques par une opposition
entre les pays sur le traitement octroyer aux produits et services culturels dans le projet de
lAMI. Le gouvernement franais insiste sur linclusion du principe de lexception culturelle
dans lAMI et veut que ce dernier ne soit pas affect par la latitude des tats de promouvoir
leurs industries culturelles respectives. Confront une agitation sociale tendue contestant
lesprit no-libral et technocratique de laccord et faute de pouvoir obtenir loctroi dune
exception gnrale pour la culture dans le champ de laccord, en octobre 1998 le
gouvernement franais dcide de se retirer des ngociations3.
Par ailleurs, le Canada a pour sa part mis en avant la clause d exemption culturelle
loccasion des ngociations de lAccord de libre-change entre les tats-Unis et le Canada
1 ROCHE Franois, Que reste-t-il de lexception culturelle aprs Seattle ? , Regards sur lactualit, n258,
fvrier 2000, p. 17. 2 Voir, GOURNAY Bernard, Exception culturelle et mondialisation, Paris, Presses de Sciences Po, 2002 ;
REGOURD Serge, Lexception culturelle, Paris, PUF, 2me dition, 2004. 3 BURIN DES ROZIERS Laurent, Du cinma au multimdia. Une brve histoire de lexception culturelle ,
Les notes de lIFRI, n5, srie transatlantique, 1998 ; BAER Jean-Michel, Lexception culturelle, Une rgle en qute de contenus , En temps rel, Cahier 11, octobre 2003.
24
(1989) et par la suite de lALENA Accord de libre-change nord-amricain (1994). Ainsi,
en dpit des objections amricaines, le Canada a exig et obtenu que les industries culturelles
soient soustraites aux obligations institues par ces accords rgionaux. Cette clause
dexemption culturelle na toutefois pas t une victoire totale pour le Canada car elle tait
indissociable dune clause corollaire de reprsailles qui limite la porte relle de la clause
dexemption1.
Le terme dexception culturelle apparat comme faible dans son but de protger les
politiques culturelles de certains tats et de reconnatre la spcificit des produits et services
culturels. Pour cela, grce aux pratiques concentres de certains acteurs comme la France et le
Canada, fort proccups sur la remise en cause des politiques culturelles, le problme soulev
par le traitement des produits culturels dans les accords commerciaux internationaux sest
progressivement largi et sest insr dans un dbat plus large relatif la prservation de la
diversit des expressions culturelles. Larrive en 1999 de la confrence ministrielle de
lOMC Seattle accouche dun tournant dargumentation de la part de la Communaut
europenne et en particulier du gouvernement franais, visant rallier le consensus europen
pour surmonter une division existant sur le terme dexception culturelle. En effet, la diversit
culturelle est venue remplacer lexception culturelle, rpute dfensive et souverainiste,
contenant une connotation protectionniste2. Cense redfinir la problmatique de linterface
commerce-culture, la diversit culturelle fait son apparition dans les discours officiels de
plusieurs acteurs de la scne internationale et devient un objectif politique, voire une finalit
large, et lexception culturelle se transforme en un moyen juridique dans le but de la protger.
Il sagit de dfendre la spcificit des produits et services culturels, en reconnaissant
limportance de lintervention publique dans le domaine culturel et largissant les marges des
manuvre des acteurs concerns face au rgime de lOMC et aux accords commerciaux
bilatraux et rgionaux. Le Canada et la France instaurent la diversit culturelle comme
paradigme de leur politique trangre et sont largement les moteurs principaux de sa diffusion,
tout en donnant un lan cette dernire dans lagenda international. Ils prennent donc la tte
dune initiative tendue visant la reconnaissance internationale de limportance des
politiques culturelles pour la protection et la promotion de la diversit culturelle.
1 GAGNE Gilbert, Libralisation et exception culturelle : le diffrend canado-amricain sur les priodiques ,
Etudes internationales, vol.30, n3, septembre 1999, pp. 571-587 ; ATKINSON Dave, De lexception culturelle la diversit culturelle : Les relations internationales au cur dune bataille plantaire , Annuaire franais des relations internationales, n1, 2000, pp. 670-671. 2 ROCHE Franois, Que reste-t-il de lexception culturelle aprs Seattle ? , Regards sur lactualit, n258,
fvrier 2000, pp. 13-26 ; FARCHY Jolle, Lexception culturelle, combat darrire-garde ? , Quaderni, n54, printemps 2004, pp. 67-79.
25
Appuy largement par le gouvernement franais, le gouvernement canadien met en
place en 1998 le Rseau international sur la politique culturelle (RIPC), un forum informel
groupant les ministres de la Culture en faveur de la prservation des politiques culturelles. En
plus, suite leurs liens troits relatifs la coopration culturelle, les gouvernements franais
et qubcois crent un groupe de travail intergouvernemental, le Groupe franco-qubcois sur
la diversit culturelle, en vue de proposer des pistes de rflexion sur lenjeu.
Paralllement, plusieurs instances internationales et rgionales intgrent dans leur
agenda le terme de la diversit culturelle et adoptent dans un laps de temps assez court des
dclarations sur cette dernire, se proccupant de plus en plus des liens entre la culture et le
commerce. Le Conseil de lEurope, dans sa dclaration en dcembre 2000, souligne la
spcificit du secteur audiovisuel par rapport dautres secteurs industriels. Au Sommet de
1999, la Francophonie devient la premire organisation internationale voter une rsolution
en faveur de la diversit culturelle. Paralllement, les ministres francophones de la Culture
adoptent en juin 2001 la dclaration de Cotonou, en affirmant galement que les produits et
services culturels doivent faire lobjet dun traitement spcifique.
Le 2 novembre 2001, la Confrence gnrale de lUNESCO, lors de sa 31me session,
adopte la Dclaration universelle sur la diversit culturelle qui rige celle-ci au rang du
patrimoine commun de lhumanit , en dressant un parallle avec la biodiversit, avec
lemphase mise sur les droits culturels vus comme fondamentaux. De plus, les milieux
culturels franais et canadiens tablissent deux rseaux transnationaux de socit civile :
le Rseau international pour la diversit culturelle (RIDC) et les Coalitions nationales pour la
diversit culturelle, qui travaillent de manire intentionnelle sur lenjeu de la diversit
culturelle. Enfin, des experts restent au cur de la diffusion de cette nouvelle cause, en
cooprant troitement avec tous les acteurs mineurs et majeurs, cherchant en mme temps
clarifier et identifier lenjeu1.
Par ailleurs, considrant que le cadre normatif des organisations internationales, comme
celles de lOMC ou de lOCDE, cens rgir la libralisation du commerce international,
menace la lgitimit des tats dadopter des politiques en faveur de leurs industries culturelles,
un nombre considrable de pays, dorganisations professionnelles en matire de culture, et
dorganisations internationales se sont positionns en faveur de llaboration dun nouvel
1 Voir, LACHAPELLE Guy, MALTAIS Bruno, Diversit culturelle et stratgies subtatiques : Le cas du
Qubec , Revue internationale de Politique Compare, vol. 12, n2, 2005, pp. 143-159 ; MARTIN Eric, Le projet de Convention internationale sur la diversit culturelle comme rponse au march mondial de la culture , Etudes internationales, vol. 36, n2, juin 2005, pp. 201-217 ; GAGNE Gilbert (dir.), La diversit culturelle : Vers une convention internationale effective ?, Montral, Fides, 2005.
26
instrument juridique international, visant des objectifs primordialement culturels. Leur but
consiste aborder linterface entre commerce et culture partir dun questionnement culturel
et non dune vise commerciale1 qui prime dans les considrations de lOMC. Il sagira dun
accord essentiellement culturel qui fournira un cadre de rfrence et un code de conduite pour
les tats qui considrent la prservation dexpressions culturelles comme un lment essentiel
de la rgulation de la mondialisation2.
Dores et dj, le dbat se diffuse, se dplaant de lespace rgional occidental vers la
sphre internationale3 et impliquant des acteurs dots des ressources ingales et pourvus de
statuts institutionnels diffrents. Dun ct, la diversit culturelle est strictement lie des
principes qui dominent la scne internationale de laprs-guerre froide comme les droits de
lhomme, la biodiversit et le dveloppement durable. De lautre ct, elle est galement
capte par certaines puissances comme la France ou le Canada dans le but de redfinir les
rgles du jeu international commerce-culture en leur faveur.
En fvrier 2003, Koichiro Matsuura, le Directeur gnral de lUNESCO sest dit dispos
lancer le processus dlaboration dune Convention internationale sur la diversit
culturelle . Entre 2003 et 2005, larne institutionnelle de lUNESCO devient le thtre des
dbats pres et des compromis politiques entre des pays - comme le Canada, la France et la
majorit des pays africains - favorisant un instrument international contraignant et crdible
vis--vis du rgime de lOMC et des pays - comme les tats-Unis et le Japon - fort rticents
envers la perspective dune Convention, faisant contrepoids aux accords commerciaux.
La spcificit du secteur culturel et le traitement spcial de produits et services culturels
semblent pouvoir tre reconnus par ladoption de la Convention sur la diversit des
expressions culturelles. Cette dernire vise reformuler les paramtres de lenjeu sur la
circulation des produits et services culturels au niveau mondial et sur lquilibre sensible entre
le commerce et la culture, ainsi qu tablir un cadre thique et normatif de comportement et
daction sociale pour les tats, les socits civiles, et les industries culturelles. En particulier,
la Convention ancre la valeur de la diversit culturelle dans le droit international, raffirmant
le droit souverain des tats dlaborer des politiques culturelles , reconnaissant la nature
1 MUSITELLI Jean, La Convention sur la diversit culturelle : anatomie dun succs diplomatique , Revue
internationale et stratgique, vol. 2, n62, 2006, pp. 11-22. 2 GAGNE Gilbert, La diversit culturelle : Vers un trait ? , dans Marie-Franoise Labouz et Mark Wise
(dir.), La diversit culturelle en question(s), Bruylant Bruxelles, 2005, pp. 277-302. 3 MARTIN Eric, Le projet de Convention internationale sur la diversit culturelle comme rponse au march
mondial de la culture , Etudes internationales, vol. 36, n2, juin 2005, pp. 201-217.
27
spcifique des biens et services culturels en tant que porteurs didentit, de valeurs et de
sens et renforant la coopration et la solidarit internationales en vue de favoriser les
expressions culturelles de tous les pays 1. De plus, le principe de souverainet culturelle est
li un ensemble dautres principes directeurs : respect des droits de lhomme,
dveloppement durable, complmentarit des aspects conomiques et culturels du
dveloppement, importance de la socit civile en matire de culture, solidarit et coopration
internationale2. Enfin, la Convention tend tablir des quilibres entre les considrations
culturelles et conomiques, tout en lgitimant une autre faon de grer les produits et services
culturels au-del de la logique commerciale du rgime de lOMC.
Dfinitions, problmatique empirique de base et modles thoriques existants
Depuis une vingtaine dannes, lexception culturelle et la diversit culturelle se situent au
cur dun dbat de plus en plus mondialis sur le rapport entre le commerce et la culture. Au
dpart, lexception culturelle est vue comme un terme appropri pour certains acteurs dont
le gouvernement franais dans le but de prserver le droit des tats de mettre en uvre des
politiques publiques en matire culturelle et de soustraire les biens et services culturels de
lagenda des accords commerciaux. Pourtant, le terme est considr au fur et mesure comme
protectionniste et ngatif, sans vritables perspectives. Tandis que lexception culturelle reste
cantonne un conflit politique entre la Communaut europenne, le Canada et les tats-Unis,
la diversit culturelle est perue comme un enjeu mondial, dont les instruments de sa
protection et de sa promotion sont lobjet de confrontation et de friction politique au sein des
instances internationales et rgionales comme lUNESCO, lUE et lOMC. Depuis la
confrence ministrielle de lOMC Seattle en 1999 jusqu ladoption par lUNESCO de la
Convention internationale sur la protection et la promotion de la diversit des expressions
culturelles et son entre en vigueur, une pluralit dacteurs3 nayant ni la mme lgitimit ni
les mmes capacits et ressources ont affirm la ncessit de la mise en uvre dun
instrument juridique international relatif linterface entre culture et commerce. La diversit
culturelle sest au fur et mesure rige en valeur du droit international construisant 1 UNESCO, Convention sur la protection et la promotion de la diversit des expressions culturelles, UNESCO,
CLT-2005/CONVENTION DIVERSITE-CULT REV., Paris, 20 octobre 2005, voir Annexe. 2 MATTELART Armand, Bataille lUnesco sur la diversit culturelle , Le Monde diplomatique, octobre
2005, pp. 26-27. 3 Nous entendons par le terme acteurs , les personnes physiques ou morales, prives ou publiques,
individuelles ou collectives, qui apportent leur contribution aux diffrents aspects de lactivit internationale . MERLE Marcel, Bilan des Relations Internationales Contemporaines, Paris, Economica, 1995, p. 16.
28
galement un cadre normatif autour delle, cens tre un mcanisme de rgulation de
linterface commerce-culture lchelle internationale. Dune part, elle tient une place
part entire au sein de la Convention qui prescrit certains engagements aux acteurs de la scne
internationale. Dautre part, en tant que cadre normatif, la Convention tend faonner les
orientations et les pratiques des acteurs et structurer un contexte politique des changes, en
jouant sur la force des discours dnonciation et de dnonciation, tout en engageant les acteurs
au sein dun processus de ngociation argumente. Ds lors, la dimension internationale est
omniprsente dans linterface commerce-culture et la bataille des normes autour de sa
gestion se droule largement lchelle internationale.
En partant de l, nous devons de prime abord nous interroger sur le concept de cadre
normatif, concept central de notre tude. Sa dfinition reste complexe, dans la mesure o le
cadre normatif implique une srie de concepts, comme la norme, la valeur, les intrts, les
rgles etc.
Dans son ouvrage classique The Anarchical Society, Hedley Bull diffrencie les concepts
de systme tatique et de socit internationale . Le premier assigne aux tats leur
place dans un ordre international qui dcoule de ce que les acteurs doivent rgler leurs
interactions sur la logique de calculs de forces. Le second entend rendre intelligibles les
normes communes auxquelles les tats reconnaissent tre lis dans leurs relations mutuelles.
Ces normes prennent diffrentes formes selon leur source, leur porte, leur degr de
gnralit1. Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts nous rappellent que la norme et la rgle
sont au cur des rapports internationaux comme elles sont au cur de tout rapport social.
Lessentiel de lactivit internationale a pour objet la rgulation, cest--dire la dfinition, le
maintien, le changement ou la modification des rgles et des normes sy rapportant 2. Au
niveau conceptuel, Stephen Krasner nous explique quune norme est un standard de
comportement dfini en termes de droits et dobligations et une rgle se dfinit comme
1 Hedley Bull souligne que la structure anarchique des relations internationales nempche nullement les tats
de former, au-del dun simple systme international, une socit internationale , une socit des tats , une socit anarchique , qui existe lorsque des tats conscients de certains intrts et valeurs communs, se conoivent comme tant lis par un ensemble de rgles communes dans leurs relations rciproques et participent au bon fonctionnement dinstitutions communes . Voir, BATTISTELLA Dario, Thories des relations internationales, Paris, Presses de SciencesPo, 3e dition, 2009, pp. 189-194 ; SENARCLENS Pierre de, ARIFFIN Yohan, La politique internationale, Thories et enjeux contemporains, Paris, Armand Colin, 5me dition, 2006, p. 136. 2 BADIE Bertrand, SMOUTS Marie-Claude, Le retournement du monde : Sociologie de la scne
internationale, Paris, Presses de SciencesPo, Dalloz, 3me dition, 1999, p. 107.
29
une prescription spcifique pour agir 1. Martha Finnemore nous offre la dfinition dune
norme comme un ensemble daccords intersubjectifs facilement apparents qui adressent aux
acteurs une demande de comportement 2. Audie Klotz considre pour sa part quune norme
est un standard de comportement appropri pour des acteurs dots dune identit donne dans
une situation donne3. De plus, Nicolas Onuf nous explique que les rgles sont des noncs
qui portent sur ce que les acteurs doivent faire. La violation dune rgle entrane des
consquences que dautres rgles mettront en vigueur lorsque dautres rgles suivront la rgle
entranant ces consquences 4. Enfin, Yves Schemeil et Wolf-Dieter Eberwein nous offrent
une dfinition de la norme, mettant en lumire ses fonctions et ses liens avec dautres
concepts. Ainsi, la norme se fonde sur des principes gnrateurs prexistants, elle peut
natre dides gnrales ou bien traduire des intrts particuliers, avant dtre valorise et plus
tard peut-tre impose par des rgles. Enfin, son adoption produit une rgularit apprciable
dans les actes et rend possibles des attentes mutuelles convergentes 5. Prenant comme point
de dpart les dfinitions dj voques, lintrt se porte sur llaboration dune synthse qui
illustre la complexit du concept de cadre normatif international, et son caractre composite.
Empruntant certains lments Jean-Gustave Padioleau6, nous poserons que le cadre
normatif international se dfinit comme un cadre collectif dun systme daction, la fois
technique, social et politique. Il se conoit comme un mcanisme de rgulation dun domaine
spcifique des relations internationales et porteur dune conception concrte de la rgulation
de celui-ci, tout en crant des attentes mutuelles convergentes et des normes qui se
dveloppent dans les rapports que les acteurs entretiennent les uns avec les autres7. En ce sens,
il doit tre lgitim (acceptation), clairement observable dans le temps (rgularit), orient
1 KRASNER Stephen (ed.), International Regimes, Ithaca, Cornell University Press, 1983, p. 2. 2 FINNEMORE Martha, Defining national interests in international society, Ithaca, NY, Cornell University
Press, 1996, p. 22. 3 KLOTZ Audie, Norms in International Relations The Struggle Against Apartheid, Ithaca, NY, Cornell
University Press, 1995, p. 14. 4 ONUF Nicolas G., Constructivism : A Users Manual , dans Vendulka Kubalkova, Nicolas Onuf et Paul
Kowert (ed.), International Relations in a Constructed World, Armonk/Londres, M. E. Sharpe, p. 59. 5 SCHEMEIL Yves, EBERWEIN Wolf-Dieter, Introduction : Le mystre de lnonciation : Normes et
normalit en Relations Internationales , dans Yves Schemeil, Wolf-Dieter Eberwein (dir.), Normer le monde, Paris, LHarmattan, 2009, p. 36. 6 PADIOLEAU Jean-Gustave, Lordre social : Principes danalyse sociologique, Paris, LHarmattan, 1986, p.
64. 7 CROZIER Michel, Le problme de la rgulation dans les socits complexes modernes , dans Franois
Chazel, Jacques Commaille (dir.), Normes juridiques et rgulation sociale, Paris, Librairie Gnrale de Droit et de Jurisprudence, 1991, p. 131.
30
vers un objectif (prescription) et un rsultat (attentes)1. Le cadre normatif est compos de trois
lments distincts : valeurs, normes et rgles qui orientent les buts et les prfrences des
acteurs sans se confondre avec ceux-ci. En premier lieu, les valeurs sont des formules
dfinissant les manires dtre ou dagir quun acteur international reconnat comme idal et
qui rend dsirables ou estimables les tres ou les conduites auxquels elles sont attribues. Il
sagit de crer une obligation de cohrence entre ce que les acteurs disent ou font, et ce que
lon croit juste 2. En deuxime lieu, les normes se dfinissent comme des rles acceptables
des acteurs internationaux. Elles indiquent les scripts daction et dfinissent des tches que
doit suivre lacteur international pour tre reconnu comme partie prenante ce cadre normatif.
cet gard, les normes sont des prescriptions dontologiques 3, qui dfinissent des codes
de bonne conduite et sont pourvues dun contenu dfini et dorganes diffrencis pour assurer
leur respect et leur interprtation4. En troisime lieu, dotes de force excutoire, les rgles
sont des dispositions formelles qui, pour la plupart, codifient tout en renforant les obligations
des catgories prcdentes, permettant de qualifier un acte, lui attachant certaines
consquences et de comporter bien une contrainte, extrieure aux dcisions individuelles et
qui pse sur elles 5. La rgle tablit donc des obligations juridiques contraignantes, censes
rduire largement lcart entre les normes et la pratique des acteurs internationaux entre ce
que les acteurs sont censs faire et ce quen ralit ils font. Enfin, prcisons quen fonction du
degr de la prcision des normes, des contraintes exerces par les rgles, des engagements
pris par les acteurs, nous pourrions distinguer plusieurs types de cadres normatifs, plus ou
moins rigoureux, formels, structurs, coordonns6.
1 LAIDI Zaki, La norme sans la force. Lnigme de la puissance europenne, Paris, Presses de SciencesPo, 2e
dition, 2008, p. 79. 2 SCHEMEIL Yves, EBERWEIN Wolf-Dieter, Introduction : Le mystre de lnonciation : Normes et
normalit en Relations Internationales , dans Yves Schemeil, Wolf-Dieter Eberwein (dir.), Normer le monde, Paris, LHarmattan, 2009, p. 25. 3 Normes dans Raymond Boudon, Franois Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris,
Quadrige/PUF, 2000, pp. 417-424. 4 Soulignons que Martha Finnemore et Kathryn Sikkink tendent distinguer trois types de normes : les normes
rgulatrices, voues gnrer des disciplines collectives ; les normes constitutives qui crent de nouvelles catgories dacteurs et daction ; et les normes prescriptives qui indiquent ce quil convient de faire au nom de principes admis. Cependant, Zaki Laidi explique qualors que cette typologie nest pas inutile, dans les faits, ces trois types de normes se recoupent assez fortement. Selon lui, toutes les normes sociales internationales ont une dimension prescriptive. En recommandant ce quil convient de faire, elles dfinissent implicitement ce quil convient de ne pas faire. FINNEMORE Martha, SIKKINK Kathryn, International Norm Dynamics and Political Change , International Organization, vol. 52, n4, autumn 1998, p. 891; LAIDI Zaki, La norme sans la force. Lnigme de la puissance europenne, Paris, Presses de SciencesPo, 2me dition, 2008, p. 68. 5 REYNAUD Jean-Daniel, Les rgles du jeu : Laction collective et la rgulation sociale, Paris, Armand Colin,
1997, p. 17. 6 ABBOTT Keneth W., KEOHANE Robert O., MORAVCSIK Andrew, SLAUGHTER Anne-Marie, SNIDAL
Duncan, The concept of legalization , International Organization, vol. 54, n3, 2000, pp. 401-419.
31
Dans cette perspective, la problmatique de notre recherche et lenjeu principal qui sous-
tend la rdaction de cette thse partent dun constat prcis : le cadre normatif relatif
linterface commerce-culture napparat pas naturellement ; il nest pas donn a priori. Il
nest pas transcendant lactivit des acteurs internationaux. Il est en revanche construit
socialement par des acteurs dans un contexte historique bien particulier1. En faisant allusion
Dario Battistella2, le cadre normatif est une ralit socialement produite et reproduite par des
acteurs et des observateurs, renvoyant un ensemble de valeurs, normes et rgles qui lui
confrent un certain sens, au dtriment dun autre ensemble. Pour cela, notre propos consiste
recomposer le processus de la construction du cadre normatif et analyser les dynamiques
politiques (process tracing)3.
Ds lors, un ensemble de questions doit tre dgag : le cadre normatif mane de qui, pour
quelles raisons, sous quelles conditions et comment ? Exprim autrement, quels sont les
facteurs qui contribuent lmergence dun cadre normatif ? Quelles sont les raisons sous-
jacentes qui mnent sa construction, sa consolidation ? Quelles sont les conditions qui
favorisent la dcision des acteurs de sengager sur le terrain de la dfense dune valeur
internationale comme celle de la diversit culturelle, et en ce sens de la dfense de certaines
normes daction et de codes de conduite ? Quel est le cheminement dune valeur depuis sa
simple nonciation sa diffusion et son institutionnalisation ? Le processus de la construction
du cadre normatif peut-il tre conu comme lapanage de certains acteurs ? Si oui, quelles
sont les modalits, les stratgies, et les ressources desdits acteurs en vue de construire le cadre
normatif ? Est-ce que cette volution doit tre saisie comme un simple processus dajustement
des rponses politiques face un environnement mondial en pleine mutation ? Enfin, quel
rapport le cadre normatif relatif la diversit des expressions culturelles entretient-il avec les
autres cadres normatifs qui prtendent grer lenjeu commerce-culture , comme celui de
lOMC ? Est-ce quil sagit dune harmonisation des normes et de rconciliation de priorits
diffrentes concernant linterface commerce culture ? Le cadre normatif merge-t-il
dans la mesure o il permet de garantir les objectifs des acteurs concerns ? Dans cette
perspective, est-ce que son contenu reste au service des intrts respectifs des acteurs ou il 1 Prcisons que nous prfrons le terme construction au terme cration car une norme nest jamais cre de
novo, elle na jamais obi un processus de parthnogense. En revanche, ses fondements reposent la fois sur une cognition culturelle prexiste et sur des structures et institutions sociales. En dautres termes, les prmices idologiques et axiologiques dune norme se situent au systme cognitif des acteurs, aux cadres normatifs existants des enceintes internationales. 2 BATTISTELLA Dario, Lordre international, norme politiquement construite , La revue internationale et
stratgique, n54, t 2004, p. 86. 3 RAVINET Pauline, La gense et linstitutionnalisation du processus de Bologne : Entre chemin de traverse et
sentier de dpendance, Thse de science politique, IEP de Paris, 2007, p. 34.
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sest mis en place en vue datteindre un bien public de premier rang dont lexistence est
admise comme telle ?
Autant de questions qui mritent dtre tudies dans le cadre thorique global de
lanalyse des normes en Relations Internationales. Comment les thories, les concepts et les
modles existants rpondent-elles notre problmatique de base concernant la construction
des cadres normatifs que nous venons dvoquer ? Il est clair que le point de dpart de cette
recherche sinscrit dans une problmatique relativement rcente marquant largement le champ
thorique de ltude des relations internationales, savoir les normes sur la scne
internationale, et qui occupe galement une place centrale dans les proccupations de
recherche des internationalistes franais 1 . Cette question sarticule aux grands dbats
thoriques des Relations Internationales, tout en permettant dinstaurer un lien avec dautres
champs disciplinaires. Nous pourrions distinguer deux dmarches analytiques qui tendent
offrir une rflexion sur la question de la norme internationale, son nonciation, et sa
consolidation : la thorie nolibrale institutionnaliste et le courant du constructivisme. Ces
dernires sinscrivent dans le grand dbat pistmologique et ontologique de la discipline des
Relations Internationales, entre le rationalisme et le constructivisme2, sintressant notamment
aux modes dacquisition et dvaluation de la connaissance en relations internationales, ainsi
qu la question relative aux rapports entre agent et structure 3. De manire plus simple, la
rivalit entre la thorie no-librale institutionnaliste (ou thorie nolibrale des rgimes) et le
courant constructiviste se rsume sur lopposition frquemment opre entre intrt et
norme 4.
1 Voir, SCHEMEIL Yves, EBERWEIN Wolf-Dieter (dir.), Normer le monde, Paris, LHarmattan, 2009. 2 FEARON James, WENDT Alexander, Rationalism v. Constructivism , in Walter Carlsnaes, Thomas Risse,
Beth Simmons (ed.), Handbook of International Relations, Sage Publications, 2002, pp. 52-72. 3 DESSLER David, Whats At Stake in the Agent-Structure Debate? , International Organization, vol. 43,
1989, pp. 441-473; CLARK William Roberts, Agents and Structures: Two Views of Preferences, Two Views of Institutions , International Studies Quarterly, vol. 42, 1998, pp. 245-270. 4 AMBROSETTI David, Contre lopposition intrts versus normes , Rivalits intertatiques et relations
de clientle sous un prisme constructiviste , Etudes internationales, vol. 37, n4, 2006, pp. 525-546.
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La thorie no-librale des rgimes : Des normes au service des intrts tatiques
Prenant corps au dbut des annes quatre-vingt aux tats-Unis, la thorie des rgimes est
transpose du no-institutionnalisme du choix rationnel en science politique1 auquel elle
emprunte ses concepts, sa dmarche analytique et ses postulats de base. La thorie no-
librale des rgimes se construit autour dun constat : comme les institutions pour les no-
institutionnalistes, les rgimes ont lavantage de donner une certaine stabilit aux changes
internationaux en permettant les anticipations rciproques et une meilleure information
mutuelle2. Daprs la dfinition, labore par Stephen Krasner et devenue dores et dj
classique, le rgime est un ensemble de normes, de rgles et de procdures de dcision,
implicites ou explicites, autour desquels les attentes des acteurs convergent dans un domaine
spcifique 3. Justin Massie et Marie-Eve Desrosiers expliquent que les composantes des
rgimes constituent des sources dordre dans un environnement international anarchique en
ce quils rgissent, des degrs variables, le comportement des tats 4. En ce sens, comme le
rappelle Philippe le Prestre au sujet des rgimes internationaux en matire denvironnement5,
un rgime encadre le comportement des acteurs, visant rduire lincertitude laquelle ils
font face de faon la poursuite dun objectif commun. Par consquent, le contenu dun rgime
prcise ce qui constitue coopration et ce qui constitue dfection. Les rgimes sont en plus
mis en place uniquement lorsque des conventions sectorielles, ou des protocoles prcis,
touchant un domaine prcis de la vie internationale et rpondant une problmatique
spcifique, sont adopts et mis en uvre. Lexistence et la dure dun rgime se fondent sur
son effectivit et sa robustesse ; dun ct, le rgime permet datteindre certains buts voulus
par ses membres et la plupart, sinon tous, y ont gagn sans quaucun ny ait perdu nettement ;
de lautre, la robustesse se mesure la capacit du rgime rsister aux changements sur la
scne internationale6.
1 HALL Peter A., TAYLOR Rosemary C. R., La science politique et les trois no-institutionnalismes ,
Revue franaise de science politique, vol. 47, n3, 1997, pp. 469-496. 2 Voir, SMOUTS Marie-Claude, La coopration internationale, de la coexistence la gouvernance
mondiale , dans Marie-Claude Smouts (dir.), Les nouvelles relations internationales : Pratiques et thories, Paris, Presses de SciencesPo, 1998, pp. 141-149. 3 KRASNER Stephen (ed.), International Regimes, Ithaca, Cornell University Press, 1983, p. 2. 4 MASSIE Justin, DESROSIERS Marie-Eve, Le no-libralisme et la synthse no-no , dans Alex
Macleod et Dan OMeara (dir.), Thories des relations internationales : Contestations et rsistances, Outremont, Athna Editions, 2007, p. 114. 5 LE PRESTRE Philippe, Protection de lenvironnement et relations internationales : Les dfis de
lcopolitique mondiale, Paris, Armand Colin, 2005, p. 293. 6 BATTISTELLA Dario, Thories des relations internationales, Paris, Presses de SciencesPo, 3me dition,
2009, p. 441-451.
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Fortement stato-centre, la thorie des rgimes postule que ltat est un acteur unitaire et
rationnel, qui poursuit des calculs utilitaires, tout en cherchant satisfaire ses intrts dfinis
en termes gostes et exognes de linteraction sociale. Inscrits dans un jeu dchanges rpt,
les tats seront tantt gagnants, tantt perdants et de toute faon, ils nont pas intrt se
retirer du jeu, dans la mesure o les normes et les rgles du rgime se sont construits de telle
faon quils sont au service de tous ses membres1 ; en dautres termes, la stratgie gagnante
est celle du donnant-donnant 2. Il sagit de se fonder sur lexistence dun optimum collectif
inaccessible par les pratiques unilatrales3.
cet gard, la thorie des rgimes sest attache mettre en vidence lexistence dun
certain nombre darrangements institutionnels construits et faonns par les tats en vue de
satisfaire leurs intrts4. Nanmoins, le postulat selon lequel les rgimes et ses composantes
ont une fonction strictement rgulatrice, sans pouvoir faonner les intrts des tats, reste
lobjet des critiques de la part du courant constructiviste en Relations Internationales, apparu
la fin des annes 19805. Ce dernier se dmarque de la thorie des rgimes laquelle il
reproche de dvelopper une approche utilitariste et prsociale6 des normes et des institutions.
Il signale un tournant sociologique dans la thorie des Relations Internationales7 et plus
spcifiquement, dans la discipline des Relations Internationales aux tats-Unis8.
1 AXELROD Robert, An evolutionnary approach to norms , The American Political Science Review, vol.
80, n4, dec. 1986, pp. 1095-1111; NADELMANN Ethan A., Global prohibition regimes: the evolution of norms in international society , International Organization, vol. 44, n4, autumn 1990, pp. 479-526. 2 SMOUTS Marie-Claude, La coopration internationale, de la coexistence la gouvernance mondiale ,
dans Marie-Claude Smouts (dir.), Les nouvelles relations internationales : Pratiques et thories, Paris, Presses de SciencesPo, 1998, p. 147. 3 BATTISTELLA Dario, Thories des relations internationales, Paris, Presses de SciencesPo, 3me dition,
2009, p. 448. 4 KOREMENOS Barbara, LIPSON Charles, SNIDAL Duncan, The Rational Design of International
Institutions , International Organization, vol. 55, n4, autumn 2001, pp. 761-799. 5 ADLER Emmanuel, Seizing the middle ground: constructivism in World Politics , European Journal of
International Relations, vol. 3, n3, 1997, pp. 319-363. 6 REUS-SMIT Christian, Constructivism , in Scott Burchill et al., Theories of International Relations,
Basingstoke, Palgrave, 3e ed., 2005, p. 192. 7 CHECKEL Jeffrey T., The Constructivist turn in International Relations Theory , World Politics, vol. 50