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Institut d’études politiques de Lyon Sociologie et acteurs des enjeux culturels Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline Sarah Clerc Mémoire de fin d'études Sous la direction de Max Sanier mémoire soutenu le 05-09-2007

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Institut d’études politiques de LyonSociologie et acteurs des enjeux culturels

Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversitéd'une même discipline

Sarah ClercMémoire de fin d'études

Sous la direction de Max Saniermémoire soutenu le 05-09-2007

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Table des matièresREMERCIEMENTS . . 5AVANT PROPOS . . 6INTRODUCTION . . 7UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU GRAFFITI . . 9METHODOLOGIE . . 11I. MISE EN PLACE DE LA GRILLE D’ENTRETIEN . . 12II. PRESENTATION DES ENTRETIENS . . 14

a). La relation interviewé/ interviewer . . 14b). Explication du choix des interlocuteurs . . 15c). Le travail visuel . . 16

III. L’ ANALYSE DES ENTRETIENS . . 17PREMIERE PARTIE : Le graffiti par delà les âges : la rue au centre du processus . . 20

I. Le graffiti comme peinture murale : une pratique ancestrale . . 201.1 Les origines du graffiti . . 211.2 La naissance du graffiti en France . . 22

II. Entre rues et métros : la recherche de supports d’expression nouveaux . . 232.1 La pratique du graffiti, au delà des interdits . . 232.2 Du tag au graff : une deuxième ville dans la ville . . 25

III. « Alerte à la bombe7 »: Le graffiti, entre politique publique et émergence d’un art . . 263.1 Le « graff », au delà des frontières . . 273.2 La ville, à la fois comme espace de création et de répression . . 28

DEUXIEME PARTIE : Graffiti, tag et diversité . . 31I. La multiplicité des pratiques . . 31

1.1 Du mouvement « old school » jusqu’à aujourd’hui . . 311.2 D’une technique à l’autre : les diverses écoles du graffiti . . 32

II. Le graffiti : entre vandalisme et légalité . . 342.1 Le vandale : une conception spécifique du graffiti . . 342.2 Vers une évolution des mœurs : le graffiti comme un art à part entière . . 36

III. Des murs aux galeries, où l’évolution nécessaire du graffiti ? . . 383.1 De l’expression artistique… . . 393.2…à la commercialisation d’une pratique . . 40

TROISIEME PARTIE : La question de la reconnaissance . . 41I. La difficile intégration du graffiti au sein de l’espace public . . 41

1.1 Une pratique à l’image négative . . 411.2 Le besoin d’une reconnaissance extérieure . . 43

II. L’élaboration d’un monde et de références propres . . 442.1 La nécessaire reconnaissance du milieu . . 442.2 Le graffiti : entre lutte de pouvoir et solidarité . . 45

III. Le graffiti, de l’individu au groupe . . 473.1 Une existence effective à travers l’autre . . 47

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3.2 Le groupe comme catalyseur de la création . . 48CONCLUSION . . 50BIBLIOGRAPHIE . . 52LEXIQUE . . 53ENTRETIENS . . 55PHOTOGRAPHIES . . 56

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REMERCIEMENTS

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REMERCIEMENTSJe tiens tout d'abord à remercier Max Sanier, directeur de ce mémoire, pour m’avoir suivi tout aulong de cette année scolaire.

Ainsi que Bernard Lamizet, professeur à l’Institut d’études politiques de Lyon, pour avoiraccepté de participer à ma soutenance.

Sans omettre bien sûr, tous les graffeurs qui m’ont permis de mener mon étude à bien : DENSE,HOOPER, IMPAKT, OPE, DIRTY ?, ORSU, ainsi que VIOLON.

Je souhaite également faire part de ma reconnaissance à l'ensemble des personnes m’ayantdonné de leur temps et m’ayant fait profiter de leurs contacts.

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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AVANT PROPOSPrendre pour objet d’étude le graffiti1 peut paraître au premier abord quelque peu incongru. Eneffet, celui-ci ne semble pas intrinsèquement lié aux sciences politiques et à l’analyse que l’on peutfaire de celles-ci.

En effet, lorsque l’on évoque le graffiti à proprement parlé, il semblerait plus logique derattacher ce dernier aux arts graphiques ou encore à l’histoire des villes.

Néanmoins, mener à bien une réflexion sur le graffiti nécessite de passer par les sciencespolitiques, et plus particulièrement par les sciences sociales. Il s’agit avant tout d’étudier le passagede l’individu au groupe, et du groupe à l’individu, et de fait, les relations que cela induit.

Il est aussi question de s’intéresser aux formes picturales, artistiques et architecturales, quereprésente la pratique du graffiti.

L’émergence de cette nouvelle forme d’art, ou d’expression, selon la définition que l’onapporte au graffiti, permet d’envisager de manière consécutive diverses problématiques autour dela ville, ou encore de la pratique en elle-même.

En ce qui concerne cette étude à proprement parlé, il s’agira de réfléchir sur les personnespratiquant le graff ou graffiti, et sur la définition et l’élaboration même de la discipline.

Ainsi, il ne sera pas tant question de s’interroger sur la potentielle cohabitation du graffiti etde la population, mais plutôt d’entrevoir le graffiti, en tant que discipline à part entière, avec sesrègles, ses modes de fonctionnement et ses diversités.

Dans ce cas présent, seront donc mis en valeur les pratiquants, ceux que l’on nomme graffeurs,writers, ou encore graffiteurs. Pour ce faire, leurs témoignages étayeront la problématique del’étude, à savoir :

Le graffiti, en tant que pratique actuelle, fonctionne t-il de façon uniforme ou revêt il diversaspects aux aboutissants multiples ?

Dans cette optique, le graffiti trouve une résonance nécessaire avec les sciences politiques. Iln’est plus seulement objet d’art ou du quotidien, mais devient véritablement un phénomène humainet politique.

1 Pour la définition de ce terme, se reporter au lexique

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INTRODUCTION

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INTRODUCTION

C’est en remontant au début des années quatre vingt que l’on retrouve les origines dugraffiti : cet « ovni » ravageur, dont les inscriptions parfois sybiliennes s’entremêlent à laperfection à des personnages fantasmagoriques, venus tout droit de l’imagination de ceuxque l’on appelle les graffeurs.

Aujourd’hui, cette discipline a subi de nombreuses évolutions et s’est muée en unvéritable « phénomène de société ». On connaît désormais le graffiti sous diverses formeset son panel de création semble s’élargir significativement au fil des années.

L’outil principal du graffeur averti, la bombe de peinture, est entrée directement au rangd’arme de première nécessité, dans la mise en exergue d’une expression artistique, ouencore d’une revendication aux allures de petite révolution.

Et quelle que soit la forme que revêt la discipline, le dépassement de soi et le défi,sont au centre de la pratique. En effet, il est question de créer une interaction permanenteentre ceux qui agissent, les graffeurs, et ceux qui sont agis, autrement dit, le reste de lapopulation « non pratiquante ».

Le graffiti, par son essence, provoque de la discussion, de l’admiration ou encore duconflit, et par la même du politique. Et qui dit politique, dit nécessairement interactions;Interactions entre plusieurs acteurs, dont les objectifs s’avèrent parfois divergeants, voirmême incompatibles.

C’est pourquoi en tant que discipline « artistique », le graffiti interroge; il se complexifieavec le temps et devient un enjeu politique, ainsi qu’économique, au sein de notre espacepublic.

Parfois envisagé comme un simple assemblage de dessins insignifiants, d’autres foisencensé au statut d’art, le graffiti semble encore à l’heure actuelle, en proie à de nombreusesproblématiques. Sa place n’étant dores et déjà, pas encore clairement établie, le graffitiprend des airs de discipline nouvelle, alors que celui-ci gravite depuis déjà plusieursdécennies dans les rues du monde entier.

Ainsi, le graffiti ne peut être envisagé sans évoquer la multiplicité de ses traits, ou encorela diversité de ses mécanismes. Il est donc avant tout question de donner un cadre depratique, ainsi qu’une grille de fonctionnement à cette discipline ancestrale, aux allures dejeune première.

En effet, même si le graffiti tel qu’il nous est présenté aujourd’hui trouve son point dedépart à la fin des années soixante dix, début des années quatre vingt, ce dernier est apparusous sa forme primaire dès l’Antiquité.

Et si on le considère comme une inscription calligraphiée ou comme un dessin tracé,cette définition s’applique à nombres d’inscriptions à travers les âges.

Mais pour en revenir plus particulièrement au graffiti tel que nous le pratiquonsaujourd’hui, on remarque que ce dernier s’associe de façon intuitive à l’espace urbain,autrement dit, à la ville et à ses murs. Il en est même parfois le délimitement marginal.

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Aux portes de la ville et à l’orée de l’espace public, le graffiti semble transcender lesfrontières, en s’imposant coûte que coûte au paysage urbain, à travers l’architecture etl’écriture calligraphiée.

Et malgré le caractère éphémère du graffiti, ce dernier retrace une histoire, raconte desparcours et instaure un dialogue d’un autre temps. Il se fait le témoin anonyme d’une histoireen perpétuel mouvement. Le graffiti existe pour lui, mais aussi à travers l’autre : il regroupenombres d’inscriptions aux significations variées, utilise des supports peu conventionnelset forme un ensemble très hétéroclite.

En effet, il se décline en plusieurs « sous disciplines » , ou en plusieurs groupes : del’inscription enfantine sur les tables d’écoles aux déclarations « endiablées » laissées sur laporte des toilettes, en passant par les écritures revendicatives des révolutions intellectuelles,le « graff » permet de s’exprimer vite, avec la possibilité d’un impact fort. Mais le graffitid’aujourd’hui, celui que l’on a importé des Etats Unis revêt une toute autre dimension. Cedernier a réussi le challenge de s’imposer, souvent de façon illégale, aux constructionsurbaines, ainsi qu’à un quotidien calculé.

Dès lors, le graffiti est recherche d’esthétisme, dépassement de soi ou encoremanipulation outrancière des mots : Les graffeurs empreintent à la langue française sesbases, pour pouvoir les détourner savamment par la suite ; Tout est enchevêtrement d’idées,au delà des conventions grammaticales et orthographiques.

Il s’agit d’un exercice de style dont les limitations n’ont encore jamais pu être clairementdéfinies ; D’où la difficulté de catégoriser le graffiti, cette discipline polymorphe auxapparences d’art graphique.

Ainsi, le « graff » en tant que témoignage, ou trace décimée au gré de la ville, trouveen la sociologie, un point de départ, un moteur d’explication de la diversité du phénomène.

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UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE DU GRAFFITI

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UNE APPROCHE SOCIOLOGIQUE DUGRAFFITI

D’après l’institut de sociologie , la sociologie est :« une science sociale qui vise à observer, analyser, comprendre, expliquer lesdimensions collectives de la vie en société. Elle cherche à expliquer commentfonctionne, s’organise et se transforme une société et quelles sont les règles, lespratiques et les modes de pensées qui y sont associés. Elle vise à comprendrecomment l’environnement social peut structurer nos façons de penser et d’agir. Parallèlement, elle s’interroge sur la manière dont nos actions contribuentà modifier cet environnement. Dans cette perspective, cette discipline dessciences sociales, qui puise dans une large tradition théorique et empirique,apporte des éléments d'explication sur toute une série de questions dans lesdomaines les plus divers tels que le travail, la consommation, la famille, lareligion, l'école, les médias mais également sur des préoccupations politiquesactuelles comme la violence, l’exclusion sociale, les migrations,… »

De fait, la sociologie a été crée autour d’objets et de phénomènes du quotidien. En effet,cette dernière traite de la particularité de ces objets tout en s’attachant à ne pas les dissocierdu tout qui les compose. Ainsi, sont nées nombre de sociologies portant très souventl’appellation de leur objet d’étude. C’est le cas par exemple de la sociologie de la culture,de la sociologie de l’action collective ou encore de la sociologie politique.

Mais pour ce qui est de l’analyse du graffiti à proprement parlé, il paraît difficile de mettreen place une sociologie particulière, portant sur la seule étude de l’objet graffiti. Néanmoins,il n’est pas question d’exclure le graffiti des grilles d’analyse de la sociologie, mais plutôt del’adapter à des catégories explicatives préexistantes.

Ainsi, le graffiti ne sera non pas appréhendé comme une discipline nouvelle, impossibleà déchiffrer, mais bel et bien comme une activité dont les pratiquants (les graffeurs) ont euxmêmes construits leurs propres valeurs et leur propre système d’analyse.

Le plus important au cours de notre analyse, sera de ne pas dénaturer cet ensemblede valeurs déjà construit, pour pouvoir ensuite en tirer une analyse sociologique, basée surdes faits, et non pas uniquement sur des interprétations ou bien même sur des intuitions.

Qui plus est, s’attarder sur une sociologie plutôt qu’une autre, reviendrait à réduire lechamp des possibles du graffiti.

Aussi, il n’est pas question d’inscrire le graffiti comme une problématique inhérente àl’ensemble urbain, ou bien de le figurer basiquement en terme plus artistique : le problèmen’est pas de savoir l’impact exact que peut avoir le graffiti dans la ville, ou de connaître lesconditions nécessaires à la naissance de l’artiste et de son œuvre.

En effet, l’essentiel de notre travail tourne autour des acteurs eux mêmes, les graffeurs,et de fait, autour du graffiti, en tant que discipline à part entière.

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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Dès lors, la pratique du graffiti ne semble pas correspondre à une sociologie plus qu’àune autre. C’est pourquoi il serait judicieux de se pencher plus particulièrement sur lesparoles de ces writers des temps modernes et ne pas négliger l’importance des valeursvéhiculées par ces dites paroles.

Ainsi, le graffiti est à envisager comme une discipline complexe, pour laquelle sesacteurs principaux sont susceptibles de se faire opposition.

Aux frontières de l’art et à la limite du vandalisme, le « graff » trouve son essence dansla reconstitution d’une forme d’expression autonome.

Tout en allant à l’encontre de cadres urbains fixés par des lois et des obligations,cette pratique a engendré tout un univers de références et de codes auxquels les « nonpratiquants » n’ont pas accès.

Il s’agit de comprendre les raisons qui poussent les graffeurs à exercer le graffiti, etnon pas d’émettre un jugement préalable ou même de définir des hypothèses à confirmerabsolument. C’est justement en se confrontant directement aux acteurs de la discipline quenos intuitions ou hypothèses prendront tout leur sens : certaines seront vérifiées, alors qued’autres seront réfutées.

L’essentiel n’est pas d’obtenir raison, mais plutôt de permettre une interaction,susceptible de créer du lien, ainsi que du sens.

La question principale de l’analyse sera donc de montrer, en quoi le graffiti a sus’affirmer au fil des âges comme une discipline autonome, dont la diversité des pratiques etdes mouvements, n’a néanmoins pas facilité la reconnaissance.

Nous mettrons l’accent sur trois axes particuliers :Quelles sont les origines du graffiti ? De quelle manière et où se manifeste ce type de

pratique ? De quelle façon le graffiti s’est il constitué comme une discipline autonome ? Enquoi le graffiti se rattache t-il au cadre urbain de la ville ? Comment le graffiti peut il survivreau delà des interdits ?

* Ces questions constitueront la première partie de la réflexion :Le graffiti par delà les âges : la rue au centre du processusEn quoi peut on affirmer la diversité du graffiti ? De quelles logiques procède le graffiti ?

Comment plusieurs mouvements peuvent cohabiter au sein d’une même discipline ? Legraffiti quittera t-il un jour définitivement les rues pour un autre support ?

* Ces questions constitueront la deuxième partie de la réflexion :

Graffiti, tag 2 et diversité

Pourquoi le graffiti a t-il tant de difficultés à se faire accepter au sein de l’espace public ?Dans quelle mesure la reconnaissance de la pratique, est elle un moteur à la création denouvelles idées ? Y’a t il un système de reconnaissance interne au mouvement graffiti ?

* Ces questions constitueront la troisième partie de la réflexion :La question de la reconnaissance

2 Pour la définition de ce terme, se reporter au lexique

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METHODOLOGIE

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METHODOLOGIE

Partir d’une analyse sociologique, c’est avant toute chose s’appuyer sur une enquête, ditede terrain. Il s’agit de recueillir des informations et de répertorier un maximum de données.Pour ce qui est de notre étude à proprement parlé, l’essentiel du travail à effectuer se portesur une série d’entretiens, mais aussi sur un ensemble d’observations menées au cours del’année, et directement reliées à la pratique du graffiti.

En amont des entretiens, plusieurs hypothèses avaient déjà été émises, sans pourautant définir une problématique fixe. En effet, le travail de terrain a permis de confirmercertains faits et d’en redéfinir d’autres. L’interaction entre recherche d’informations etrencontres humaines, a permis d’aboutir à une problématique plus centrée, fondée sur larelation spécifique qu’entretiennent les graffeurs avec la discipline du graffiti.

Ainsi, la question essentielle de cette étude a été de trouver un lien entre la théorisationd’un phénomène et l’aspect empirique de l’enquête. C’est pourquoi l’objet d’étude ne sauraitêtre séparé de son contexte spécifique, sans en perdre tout son sens. A cela, on peut aussiajouter la nécessité de rester concentré dans le cadre prédéfini par l’étude, sans pour autantéluder les contingences préexistantes.

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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I. MISE EN PLACE DE LA GRILLED’ENTRETIEN

En ce qui concerne la grille d’entretien (se reporter à la fin du chapitre), cette dernière a étéélaborée méthodiquement, de façon à pouvoir diriger au mieux les entretiens. Les questionsposées dans cette grille relèvent d’un choix que nous éclaircirons dès à présent.

Une fois les questions définies, l’objectif était de se servir de la grille d’entretien commebase de données. L’entretien en lui même ne devait pas être figé. Il s’agissait en fait decréer une relation entre la personne interviewée et la personne interviewant, sans que celane soit trop directif.

Aussi, nous avons mis en avant un certain nombre de questions, dites plus larges, pourpermettre à la personne interrogée de se sentir libre de converser et de donner son pointde vue, sans aucune retenue.

Qui plus est, il n’était en aucun cas question de vouloir valider telle ou telle hypothèse( préalablement définie) à l’aide des questions posées, et de ce fait, réduire de façonsignificative la qualité et la quantité des réponses formulées ( et donc de la matièreanalysable ).

Ainsi, aucune problématique figée n’avait été émise. Il était plus évident d’enrichir celle-ci au fur et à mesure de l’avancement des entretiens.

Nous nous sommes en effet attachés à ce que les entretiens paraissent le plus naturelspossible, tout d’abord pour améliorer la qualité de la discussion, puis pour permettre àl’interlocuteur de se sentir libre de ses dires.

L’aspect très solennel de l’interview devait être gommé par une atmosphère détendue etamicale. Le graffiti étant souvent critiqué et parfois même montré du doigt, il était nécessaired’afficher dès le départ, des intentions neutres, dénuées de tout jugement ostentatoire.

Cette pratique de travail a permis de mener des entretiens semi directifs, avec commeavantages, la possibilité de pouvoir reformuler notre problématique et de pouvoir s’aventurerdans des terrains d’analyse peu connus.

De plus, en choisissant de travailler sur le groupe particulier que sont les graffeurs ( etplus précisément sur le groupe des graffeurs de Lyon ), nous partions du point zéro, étantdonné le peu de connaissances préalablement acquises au sujet de la pratique du « graff ».

C’est pourquoi les questions posées devaient permettre dans leur formulation de laisserune large place aux acteurs interviewés ; Tout d’abord dans un souci d’exactitude, puis dansun souci de qualité. En effet, le plus d’informations possible devaient être saisies au coursde ces brefs entretiens ( d’une moyenne d’une heure ), sans pour autant se réduire à unethématique trop restreinte.

Et bien que le choix de mener des entretiens semi directifs peut questionner en termede cohérence, il est évident que la qualité des réponse obtenues, par l’intermédiaire d’unetelle pratique, compense très largement l’absence périodique de linéarité dans certainsentretiens.

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I. MISE EN PLACE DE LA GRILLE D’ENTRETIEN

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Pour ce qui est de l’élaboration de la grille à proprement parlé, très peu de questionsont été modifiées ou supprimées au cours de la période d’entretiens.

De fait, le questionnaire aborde divers sujets tels que :le parcours personnel desgraffeurs ( première expérience avec le graffiti, dans quelles circonstances,…), leur visiondu graffiti ( quelle image a aujourd’hui leur discipline, leur conception du graffiti, les règlesinhérentes à la pratique,…), leur conception du groupe ou crew, et leur rapport à l’individu,ou encore leur idée de ce qu’est l’identité au sein du graffiti.

Mais pour plus de précisions, voici la grille d’entretien, retranscrite dans son intégralité :(Certaines questions n’ont pas été posées à tous les entretiens, aussi, cette grille donne

une vue d’ensemble des interviews menées.)Depuis combien de temps pratiques tu le graff ?Pour toi, y’a t-il une définition du graff ?Comment t’est venu le désir de graffer ?

Quand tu graffes, utilises tu un blase3 ? Si oui, lequel ?Que fais tu le plus souvent ? Des fresques, du tag, du vandale ?Dans quels lieux graffes tu ? Sur quels supports ?Existe t-il des lieux spécifiques dédiés au graff ?Encours tu des risques quand tu graffes dans la rue ?T’est-il déjà arrivé d’exposer tes graffs dans une galerie ou dans d’autres lieux dédiés

à la culture ?

Travailles tu en relation avec d’autres graffeurs ? Fais tu partie d’un crew4 ?As tu un fonctionnement diffèrent par rapport à ces derniers ?Travailles tu uniquement à Lyon ou dans d’autres villes ?Peux tu me parler de l’histoire du graff à Lyon ?Selon toi, qu’est ce que le graff ?D’après un graffeur répondant au nom de BANDO, faire du graff sans voler ses bombes

dénature le concept même de graff ? Qu’en penses tu ?Qu’est ce qui dans le graff te passionne ?D’après toi, quelle image a le graff aujourd’hui ?La pratique du graff te permet elle de vivre ?

3 Pour la définition de ce terme, se reporter au lexique4 Pour la définition de ce terme, se reporter au lexique

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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II. PRESENTATION DES ENTRETIENS

Lorsque l’on entreprend une enquête à caractère sociologique, il est primordial de nepas négliger la quantité, ainsi que la qualité des éléments recueillis. Pour ce faire, il estnécessaire de mettre en place une méthode de travail rigoureuse, basée sur l’interactionavec un milieu donné.

Ainsi, la relation instaurée entre le chercheur et l’interlocuteur, au cours des diversentretiens, ne doit pas être négligée. En effet, cette dernière donnera toute leur contenanceaux informations recueillies.

Dans la même optique de qualité, le choix des interlocuteurs doit être fait dans un souciconstant de représentativité : les personnes interrogées doivent avoir un lien évident avecl’objet d’étude.

Pour finir, notre étude s’attachera tout particulièrement à l’aspect visuel que revêt legraffiti. En tant que discipline picturale, cette dernière vit à travers ce qui peut être vu.

a). La relation interviewé/ interviewerDans le cadre de cette analyse sociologique, nous avons choisi de mener une enquêtebasée sur la méthode qualitative utilisée en sciences sociales. Il s’agit de placer au centrede l’ étude, la relation instaurée entre le chercheur et l’interlocuteur. Dans cette optique, lagrille d’entretien fait office de cadre méthodologique.

Dès lors, tout le travail repose sur l’analyse des données recueillies au cours d’unentretien, lors duquel, la subjectivité des deux personnes en présence a été invoquée. Lediscours produit est l’ aboutissement d’une interaction de deux points de vue, mis dans unesituation préalablement définie : le résultat des entretiens est en fait un discours construitsimultanément par deux acteurs, d’un coté par le chercheur, à l’aide de sa grille d’entretien,de l’autre, par l’interlocuteur, à l’aide de ses réponses.

De fait, il est nécessairement impossible de retrouver deux fois le même entretien, dansla mesure où chaque situation, chaque personne interrogée ou encore chaque discours,sont uniques et « induplicables ».

Aussi, la relation établie entre interviewé et interviewant peut être considérée commeun élément à part entière de notre analyse, dans la mesure où cette dernière conditionnele contenu même de l’étude sur le graffiti.

Il s’agit pour la personne qui mène l’enquête de laisser parler l’autre acteur en présence,sans pour autant se permettre de porter un jugement, quel qu’il soit, ou bien même dedonner son avis sur une question posée ; Tout ceci dans l’objectif de ne pas interférer dansla réflexion de l’interlocuteur.

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II. PRESENTATION DES ENTRETIENS

Clerc Sarah - 2007 15

Néanmoins, il est bien évident qu’une telle maîtrise de soi s’avère compliquée. Lechercheur, bien que s’efforçant de rester neutre, sera à un moment donné ou un autre,confronté à sa propre réflexion, et orientera ses dires d’une manière ou d’une autre.

Il est donc primordial de faire la part des choses et de se poser des limites à ne pasfranchir, pour garder l’authenticité des éléments recueillis : ce qui ne signifie pas pour autantpour le chercheur de mettre de coté sa propre réflexion ou son propre point de vue : ilest plutôt question de trouver le juste milieu entre ce qui a pu être dit et l’analyse que l’onsouhaite en faire.

Au delà de l’analyse proprement dite, chaque entretien crée une relation particulièreentre le chercheur et le locuteur. C’est pourquoi divers critères, tels que l’âge, le lieu del’entretien, le statut de la personne interrogée, sont à prendre en considération .

Toutes ces caractéristiques de travail ont été appliquées à notre étude, de manière àmaîtriser parfaitement notre base de données, ainsi que les spécificités inhérentes à chaqueentretien.

Au delà des cadres méthodologiques qui entourent la pratique de l’entretien, la relationparticulière crée entre le chercheur et l’interlocuteur a permis en quelque sorte de démystifierl’aspect solennel d’un tel exercice.

En effet, le lieu des entrevues ( la rue, le bar ou encore la friche : association culturellesituée avenue Lacassagne), la relative proximité de statut avec l’interlocuteur, ainsi quel’âge des personnes interrogées, a abouti sur des échanges moins rigides et beaucoup plusnaturels, et de fait, d’une bien meilleure qualité.

De plus, pour ce qui est de la « réceptivité » des personnes interviewées, toutes se sonttrès facilement prêtées au jeu. Ceci est explicable, en partie par le fait que ces dernièreséprouvent toutes une réelle passion pour le graffiti, et parviennent à discuter de cela sansgrande difficulté.

Et d’une certaine manière, l’entretien était aussi perçu comme un moyen de faire parlerde soi ou bien encore comme un moyen d’expliquer le fonctionnement exact du graffiti àdes novices.

Au delà de cela, l’interaction avec l’interlocuteur a été facilitée par le statut d’étudiant duchercheur. Cette position a conféré aux interviews une certaine légitimité, sans pour autanteffrayer.

Enfin, en ce qui concerne le langage spécifique au graffiti, ce dernier a été très aisé àassimiler. Qui plus est, les graffeurs interrogés ont tous sans exception, comblés certaineslacunes langagières, si besoin était.

b). Explication du choix des interlocuteursLe choix des personnes interviewées n’a pas été fait au hasard. En effet, la qualité desentretiens détermine nécessairement la suite de l’étude. Néanmoins, il ne s’agit pas tant desaisir un échantillon représentatif de la population concernée, mais bel et bien de dresserun domaine de références et de valeurs communes, composé de divers points de vue.

Dans cette optique, l’histoire des personnes interrogées prime avant tout autre chose.

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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En effet, les graffeurs mis en situation, doivent pouvoir répondre de leur passé ou bienencore de leurs expériences avec le graffiti. Il n’est pas question de savoir théorique, maisplutôt de travail, en rapport direct avec la matière. Dès lors, la confrontation concrète aumilieu prend le pas sur la connaissance académique.

Néanmoins, il est évident que l’objectif n’est pas non plus de recueillir des témoignagesidentiques : la multiplicité des points de vue est à mettre en valeur, dans la constitution d’uneproblématique, dans la définition de ce que peut être le groupe étudié, ou encore dans lamise en avant de références propres.

Pour ce qui est plus précisément de cette enquête, la recherche des interlocuteurs estprincipalement passée par l’association culturelle de La Friche, située sur le terrain d’uneancienne usine désaffectée, au carrefour de l’avenue Lacassagne et de l’arrêt de métroGrange Blanche, à Lyon.

Les premiers contacts ont été établis grâce au site internet de la Friche. Sur celui-ci,figurent les coordonnées des principaux élus, en charge de la gestion de l’association. Parchance, l’un des membres du conseil d’administration se trouve être graffeur, et a réponduimmédiatement de manière positive à notre demande.

Une fois les premiers contacts pris, les entretiens exploratoires ont été menés, et lespersonnes interrogées nous ont fourni des données précieuses, à savoir les contacts decertains graffeurs renommés dans la ville de Lyon.

Qui plus est, il n’est pas si compliqué de trouver des acteurs du graffiti prêts à répondreà une interview. Il nous a suffit de se rendre à un meeting mondial de graffiti, organisé àLyon ou encore de parcourir les pages culturelles des quotidiens lyonnais pour trouver desgraffeurs avec qui s’entretenir.

Enfin, pour ce qui est de la délimitation de la zone d’étude, cette dernière a été arrêtée àLyon et ses alentours. Néanmoins, les graffeurs, de par leur pratique, sont souvent amenés àexercer dans d’autres lieux, parfois même au delà des frontières françaises ; C’est pourquoi,bien que la limitation géographique joue un rôle dans le type de graffiti que l’on rencontrera,cette dernière est à nuancer avec la dimension internationale que connaît aujourd’hui legraffiti.

Ainsi, se référer au crew ou groupe auquel la majorité des graffeurs appartiennent, nousrévèlera bien plus de la pratique que certaines contingences géographiques.

c). Le travail visuelAu delà des entretiens, il ne faut pas négliger l’aspect visuel du graffiti. En effet, cettediscipline donne avant tout à voir.

Dès lors, une partie de l’étude se construit parallèlement au travail théorique : il estquestion d’observer, de disséquer et de comprendre ce qu’il nous est donné à voir .

Pour ce faire, nous avons décidé d’aller à la rencontre directe de l’œuvre achevée,ou de participer visuellement à la création d’une œuvre en cours. De cette dynamique,est ressorti un ensemble de constations et de questionnements, qui ont plus tard servi àl’enrichissement des entretiens et de l’analyse.

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III. L’ ANALYSE DES ENTRETIENS

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III. L’ ANALYSE DES ENTRETIENS

Une fois les entretiens réalisés, les éléments recueillis ont été sujets à une analyse précise etcatégorisée. Autrement dit, il a été question de décoder des données, pour pouvoir ensuiteles insérer dans une grille de répartition analytique.

En effet, l’ensemble des éléments recueillis ne saurait être utilisé de manièreexhaustive, c’est pourquoi le chercheur se doit d’effectuer une sélection, en fonction decritères qu’il aura préalablement établis.

Dès lors, les informations sélectionnées permettront de créer une grille d’analysefacilitant l’approche de l’étude.

Aussi, il est bien évident que cette grille dépend dans sa totalité de notre subjectivitéet de l’angle pris par l’analyse. Ce choix a été fait en tout état de cause, dans la mesureoù la définition d’une problématique particulière induit une approche tout aussi singulièreet particulière.

La grille permet de donner un aperçu d’ensemble de ce qui nous a interpellé lors desentretiens. Ce n’est en aucun cas le récit exhaustif de tous les éléments recueillis.

C’est pourquoi, la totalité du discours émis lors des entretiens ne doit pas être reliéeau second plan, mais doit plutôt servir de complément et de catalyseur à notre grille. End’autres termes, la grille est un bilan méticuleux et détaillé de ce que l’on retrouvera plustard dans toutes nos interviews.

Cette dernière n’a pas la prétention d’apporter la même cohérence que le discours,propre aux entretiens : Il est donc nécessaire d’utiliser de façon simultanée les entretiens,ainsi que la grille d’analyse précédemment citée.

Voici les premières informations provenant de l’analyse directe des entretiens, en cequi concerne :

Les références utilisées par les graffeurs dans leur pratique du graffiti

∙ La culture légitime de manière générale, avec une référence à la peinture plusprononcée

∙ La musique ( hip hop, métal et classique)∙ Les artistes d’art contemporain, ainsi que le graphisme ou encore l’infographie∙ Les magazines et livres dédiés à la pratique du graffiti∙ Le travail des autres graffeurs

Les raisons de la pratique de la discipline

∙ Phénomène de mode∙ Recherche de notoriété∙ Passion pour les arts graphiques, le dessin ou encore la peinture∙ L’entourage familial∙ Un accomplissement personnel

Le choix du support

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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∙ L’orientation vers le graffiti vandale ou le graffiti légal ( support diffèrent en fonction del’orientation prise par le graffeur)

∙ Choix du mur légal ou illégal∙ Orientation vers divers supports : la toile, les appartements de particuliers, les

rideaux de fer, les murs de la ville prévus à cet effet, les façades d’immeubles…∙ Les avantages et les inconvénients que peuvent présenter certains supports par

rapport à d’autres∙ La difficulté liée à tel ou tel type de support

L’orientation vers un style particulier

∙ La préférence d’une pratique : lettrage, personnages, fresques, tag…∙ La recherche technique∙ La recherche de l’originalité∙ La distinction vis à vis de ce qui a déjà été fait

Les connaissances de l’histoire du graffiti

∙ Référence quasi systématique au graffiti à New York∙ Renvoi à des graffeurs plus expérimentés∙ Evocation de l’évolution du graffiti en France ( certaines périodes ont favorisé le

graffiti plus que d’autres)∙ Référence aux pionniers du graffiti comme BANDO ou encore MODE2∙ L’évolution simultanée du hip hop et du graffiti

La question du financement de la pratique du graffiti

∙ Difficultés pour vivre du graffiti∙ Rémunération suite à des commandes∙ Exposition dans une galerie qui peut parfois aboutir sur un « plan payé »∙ Possibilités d’obtenir des bombes gratuitement suite à une commande ou à une

intervention ( centres sociaux, prisons,….)

Les relations entre crews et graffeurs

∙ Les graffeurs se réunissent le plus souvent en crew ou en association∙ Une sorte de communauté naît de ces regroupements∙ Certains conflits dus à la façon de pratiquer le graffiti peuvent voir le jour∙ Divergences entre les diverses écoles du graffiti ( ceux qui mettent le lettrage en

avant, ceux qui, au contraire mettent le personnage en avant)∙ Néanmoins, possibilité de créer un ensemble de valeurs communes∙ Création de liens quasi familiaux entre certains membres de crews∙ Diversité des milieux sociaux∙ Parcours très différents qui permettent au crew de se définir comme une véritable

force∙ Mise en place de règles implicites entre les graffeurs : respect, intimidation si le

respect est ébranlé ou encore ignorance vis à vis des « fauteurs de trouble »

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III. L’ ANALYSE DES ENTRETIENS

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La relation avec le public

∙ Difficile légitimation du graffiti dans l’espace public∙ Incompréhension entre graffeurs et population∙ Commercialisation de la discipline qui donne la possibilité de s’ouvrir vers

l’extérieur∙ Amateurs de la discipline peu visibles

La question de la reconnaissance

∙ La reconnaissance interne au milieu du graffiti

Affirmation de son propre styleMaîtrise de la techniqueMaîtrise de l’esthétismeMaîtrise de soiRespect de l’autreCréation d’un réseau de connaissancesEstimation des prises de risquesGoût du défi

∙ La reconnaissance extérieure du public, des politiques publiques, ou encore desamateurs

Instauration complexe d’un respect mutuel entre « pratiquants et non pratiquants »Légitimation de la discipline par l’institutionnalisation des œuvresMéconnaissance réciproque entre graffeurs et autoritésDifficulté de l’instauration du dialogue entre politiques publiques et « artistes en herbe »

ou confirmés

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PREMIERE PARTIE : Le graffiti par delàles âges : la rue au centre du processus

Tout d’abord, il s’agit dans un premier temps de revenir sur l’histoire et les origines du graffiti,avec comme point de départ les grottes préhistoriques et le mouvement graffiti des annéessoixante dix aux Etats Unis, pour ensuite aboutir à la naissance de la pratique en Francedans les années quatre vingt ( I ).

Il faudra également prendre en compte le graffiti, en tant que discipline perfectible,recherchant constamment de nouveaux supports d’expression, au cœur même de la ville( II ) .

Enfin, le graffiti, au sein de l’espace public oscille de manière constante entre politiquespubliques et affirmation même de la discipline : il se galvanise autour de deux axes a prioriincompatibles, tout en s’efforçant de repousser au maximum les frontières ( III ) .

Dès lors, ces constatations nous permettront par la suite de donner tout leur sens auxdiscours formulés par les graffeurs et de rendre intelligible l’analyse menée autour de cesderniers.

I. Le graffiti comme peinture murale : une pratiqueancestrale

Le graffiti, en tant que dessin tracé, trouve ses origines, non pas dans notre périodecontemporaine, mais bel et bien aux prémices de la civilisation, avec la périodepréhistorique. En d’autres termes, « l’ancêtre de l’aérosol, c’est le mec qui prenait de l’argiledans sa bouche, un petit bout de roseau, qui mettait sa main dans une caverne et sur laparoi rocheuse, il soufflait, il enlevait sa main, ça faisait un pochoir . C’était ça l’ancêtre del’aérosol . Bon peut être qu’à l’époque, on se disait regarde moi ce gros con, il fout cesmains de partout [...]. Mais au jour d’aujourd’hui, tu prends dans les livres d’histoire, dans leslivres, on parle que de lui. Les mecs y ont dessiné deux taureaux, y’a pas un livre d’histoire

ou y’a pas deux taureaux . » 5

En effet, si l’on se réfère à la définition du graffiti, il s’agit « d’une inscription calligraphiée,peinte ou gravée, qui n’est normalement pas prévue à cet effet ». Aussi, les inscriptions quenos ancêtres préhistoriques ont laissé sur les murs des grottes, ne seraient elles pas d’unecertaine façon, le premier graffiti répertorié dans l’histoire de l’humanité ?

Bien évidemment, le graffiti tel que nous le connaissons aujourd’hui n’a plus grandchose à voir avec ce type de « témoignage » archaïque ( du moins en terme de technique ),mais s’apparente néanmoins à ce dernier de manière indéniable.

5 propos provenant de l’entretien d’IMPAKT

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PREMIERE PARTIE : Le graffiti par delà les âges : la rue au centre du processus

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Le graffiti, alors qu’on le définit aujourd’hui, comme un phénomène nouveau,envahissant petit à petit le centre urbain, trouve en fait son point d’ancrage bien avantl’apparition des villes.

Mais pour ce qui est de notre étude à proprement parlé, nous reviendrons surl’historique de ce que l’on peut nommer aujourd’hui « Le graff contemporain ».

Pour ce faire, nous nous attarderons sur la naissance du mouvement dans les annéessoixante dix aux Etat Unis, pour arriver sur l’analyse de l’expansion du phénomène sur leterritoire français dans les années quatre vingt.

1.1 Les origines du graffitiTout commence dans la ville de New York, au tout début des années soixante dix,simultanément à la déferlante hippie et dans la mouvance des mouvements contestataires.

Celui qui se nomme TAKI183 est le premier à utiliser ses bombes et à inscrire son nomau gré des rues et du métro, dès que l’occasion se présente. Il fait ses premiers pas en 1971et formule lui même son pseudonyme, en référence au numéro de sa propre rue, le 183.

Il prend très rapidement la direction du tag, et fait figurer sa signature dans les ruesde la ville.

Une fois le phénomène enclenché, d’autres personnes décident de suivre ses traceset choisissent à leur tour un blase ( pseudonyme ).

Ces signatures d’un autre genre, permettent dans les premiers temps aux graffeurs demarquer leur territoire.

Dans un second temps, il s’agit, par l’intermédiaire du tag, de définir les limites deszones contrôlées par les différents crews : dès lors, le blase devient un moyen de se repérerentre crews rivaux.

Tous les moyens sont bons pour être vu, c’est pourquoi les transports en commun ( etparticulièrement le métro new yorkais ) deviennent le terrain de jeu favori de ces apprentisgraffeurs . Le train, ainsi que le métro permettent aux tags de voyager à moindre frais.

Pour réaliser ces derniers, les writers ou graffeurs, utilisent aussi bien des feutres quedes feutres indélébiles ou encore des bombes de peinture : il est avant tout question detrouver le matériel adéquat au type de support exploité.

Plus l’endroit tagué est difficile d’accès, et plus le writer inspire le respect à sescomparses. La performance va au delà de l’inscription en elle-même. En effet, le writer sedoit de surprendre, de se renouveler et d’être présent aux endroits les plus improbables.Dès lors, divers styles émergent, tous cherchent à se différencier des autres. Les crews secréent, les writers se rassemblent par style et s’affrontent dans une lutte picturale effrénée.Le dépassement de soi est le mot d’ordre de ces jeunes artistes en herbe. Ceux-ci n’ontque faire d’aller à l’encontre des lois, et se jouent des pouvoirs publics, en taguant toujoursplus et toujours plus gros.

A ces « provocations », la ville de New York décide de réagir, et entreprend une grandecampagne de nettoyage des lieux publics, ainsi que des métros. Les writers sont surveillés,et le moindre faux pas est susceptible d’aboutir sur de fortes amendes.

Mais l’impact réel des ces initiatives reste mitigé. C’est pourquoi, dès 1975, la politiquese durcit et les writers ( ou graffeurs ) sont fichés : les arrestations se multiplient.

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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Ces dernières peuvent déboucher sur de la prison, puisque le tag, ainsi que le graffiti,sont désormais considérés comme un crime : La lutte antitag est née. Néanmoins, lesgraffeurs les plus ténus ne désarment pas. Il en est de même pour les pouvoirs publics quidécident de ne plus rien laisser passer. C’est donc le début d’une folle course poursuite quis’atténuera avec le temps, mais ne cessera finalement jamais.

Né dans les rues de New York, le graffiti est encore aujourd’hui une activité à partentière pour les writers d’aujourd’hui. Certains sont même devenus artistes peintres ouencore galeristes.

1.2 La naissance du graffiti en FranceEn France, même si le mouvement graffiti prend toute son essence dans la pratiqueaméricaine, ces deux types de writting restent sensiblement différents.

Tout d’abord, le tag, ainsi que le graffiti, apparaissent dès les années quatre vingt, surles murs de la capitale française. Dans ses débuts, l’activité est avant tout parisienne.

Dans un premier temps, les artistes graffiteurs essaient de s’imposer au sein du milieuartistique, grâce à la renommée incontestée du graffiti américain des années soixante dixet quatre vingt.

Les premiers graffeurs parisiens, tout comme les graffeurs américains s’attaquent enpremier lieu à des supports insolites , tels que les transports en commun, les murs des ruesou bien encore le métro et ses rames.

Ce sont des artistes en devenir qui n’appartiennent à aucune catégorie particulière : lemarché du graffiti n’existe pas encore et les graffeurs ont beaucoup de difficultés à être prisen considération par le domaine artistique.

Néanmoins, quelques avancées significatives sont à signaler en faveur du graffiti dèsle début des années quatre vingt.

En effet, en 1981, le centre Georges Pompidou décide d’organiser une expositionretraçant l’évolution du graffiti, et replaçant ce dernier au centre d’une problématiquehistorique et urbaine. Dés lors, certaines œuvres sont même mises en expositionofficiellement : les parutions artistiques commencent elles aussi à y faire référence.

Mais les activités illégales des graffeurs ne cessent pas pour autant, bien au contraire,elles s’intensifient.

De manière simultanée, un nouveau mouvement prend forme, ralliant toute unegénération d’adolescents autour de la musique et de la peinture ( ou encore du« graffitage ») :

Il s’agit du mouvement hip-hop, importé tout droit des Etats-Unis et plus précisémentdes ghettos new yorkais. Le hip-hop regroupe plusieurs pratiques tels que le rap, le graffiti,le mix, ainsi que le break dance.

C’est seulement quelques années plus tard, en 1986, que les graffeurs du terrainStalingrad à Paris, offrent une ouverture médiatique à leur discipline.

Ces derniers se revendiquent du tag, et se détachent des précurseurs en matière degraffiti ( BANDO, MODE2…).

Leur activité se concentre particulièrement sur la tag illégal : Paris est peu à peurecouverte de tags, ainsi que de graffitis. En 1987, c’est l’apothéose, le métro est

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PREMIERE PARTIE : Le graffiti par delà les âges : la rue au centre du processus

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littéralement « envahi » par les graffiteurs. De fait, les pouvoirs publics décident de réagir,en lançant une gigantesque campagne de nettoyage et de surveillance des rues, ainsi quedes trains et métros.

Les coûts engendrés par cette initiative seraient, d’après les instituions concernées, audelà de tout entendement : Les graffeurs sont désormais pourchassés aux quatre coins dela ville. Les peines encourues se multiplient et s’intensifient.

Le tag, ainsi que le graff ne sont plus désormais que du simple vandalisme, ils sontrelégués au rang de délit.

Malgré cela, certains cherchent à percer sur le marché de l’art, voir même du graphismepublicitaire, alors que d’autres renient catégoriquement l’aspect commercial de tellespratiques.

Ces divergences de conception aboutissent parfois sur des conflits d’intérêt : le graffitine signifie pas les mêmes choses pour tous les graffeurs.

Cette diversité de point de vue, ainsi que ces antagonismes divers, ont néanmoinspermis à la pratique du graffiti de se diversifier et de s’enrichir.

De ce constat, nombre de mouvements ont pu voir le jour : les techniques se sontaffûtées, elles se sont diversifiées et ont incontestablement évoluées.

Ainsi, le graffiti n’apparaît plus comme un bloc uniforme aux caractéristiques identiques :il s’agit plutôt d’un ensemble hétérogène, constitué de bases inamovibles, que chacunsemble pouvoir aujourd’hui exploiter à sa guise.

II. Entre rues et métros : la recherche de supportsd’expression nouveaux

Entreprendre une étude sur le graffiti et son mode de fonctionnement induit nécessairementd’établir une réflexion sur la place de ce dernier dans la ville. Notre espace urbain, entant que lieu de vie et de passage, s’offre à la discipline graffiti comme autant de supportsoriginaux .

En effet, il s’agit de comprendre quelles sont les « logiques d’action » utilisées par lesgraffeurs, dans leur recherche permanente de nouveauté et de dépassement des limites.

Au delà des interdits et par delà les frontières, le tag, ainsi que le graffiti parviennent àcréer un second espace de vie. Nous verrons donc par la suite quelles en sont les modalitéset de quelle manière les graffeurs arrivent à subsister, malgré les lois et les règles établies.

2.1 La pratique du graffiti, au delà des interditsLe graffiti se positionne à l’heure actuelle en tant que discipline hybride et novatrice.

Elle trouve parfois dans l’illégalité une force créatrice, et rivalise d’ingéniosité pourcontrer au mieux les décisions prises par les pouvoirs en place.

Pour certains graffeurs, l’essence même du « graff » se trouve dans le refus d’obéiraux règles, mais aussi dans le désir de possèder la ville, au sens propre comme au sens

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figuré : il s’agit de repousser sans cesse les limites et de se fixer des objectifs toujours plusdifficiles à atteindre.

Pour ce faire, la notion de danger ne peut exister, elle doit être reléguée loin derrièreles impératifs esthétiques et techniques.

En effet, pratiquer le tag ou le graffiti sur des supports non autorisés, présuppose unenégation partielle, voir totale, du droit et des lois qui façonnent celui-ci.

Qui plus est, l’interdit représente aussi à lui seul un leitmotiv évident pour certains writers :

Encourir des risques et aller au delà du danger peut être porteur de sensations fortes.OPE, jeune graffeur lyonnais, témoigne parfaitement de ce phénomène, lorsqu’il

évoque la pratique illégale du graffiti :« En faisant du vandale, on risque par exemple de se prendre des amendes pourdégradation de biens publics et tout ça, mais ça, après quand tu graffes, c’estvraiment pas le plus important . C’est l’adrénaline, le vandale . Je sais pas,quand tu fais du vandale et quand tu fais du légal, c’est pas pareil, puisque quandtu fais du vandale, t’as la peur de te faire serrer, donc c’est pas pareil . Je saispas comment expliquer en fait, il faut le faire en fait pour comprendre. »

Pratiquer le graffiti semble permettre de pouvoir tout envisager. Tout peut arriver dans larue : des rencontres impromptues, des découvertes « extraordinaires », ou bien encoredes affrontements, ainsi que des discussions. Aussi, le caractère illégal du graffiti trouve sacontrepartie dans l’exploration incessante de la nouveauté et du surprenant.

Dès lors, encourir des peines de prison, ou dans une moindre mesure, des amendespour dégradation de la voie publique, est un risque minime à prendre pour certains graffeurs :l’essentiel est de s’amuser, de prendre du plaisir et de repousser les interdits toujours plusloin.

Le « graff » et ses contraintes procurent des sensations que certains writers nesauraient renier, en faveur d’un éventuel respect de la loi.

Hooper, graffeur confirmé, va dans ce sens quand il affirme que : « le graff, c’est seréintégrer à la rue, se réapproprier un espace, et sans règle ».

Qui plus est, certaines conceptions du graffiti affirment que la transgression des interditsest un élément fondateur du graff .

Comme le confirme Hooper, pour quelques uns, « c’est le ghetto style, alors faut quece soit comme à New York, tu dois voler tes bombes, si jamais t’achètes tes bombes, t’espas un vrai, si tu les dépouilles pas ou si tu les voles pas, c’est pas bon .

Si on te toye 6 , faut absolument que tu fasses saigner le mec en face, faut que tu

sois connu comme violent ou quoi, enfin tu vois qu’on te casse pas les pieds, comment dire,ouais c’est des…enfin, au début le graffiti, y’a forcément, comment dire, c’est toujours sousentendu que le graffiti c’est une révolte quoi, c’est pas explicite, y’a pas de revendicationsclaires, y’a pas de discours politiques,[…]. Et disons que c’est quand même une espèce derébellion, une volonté d’attaquer le système par un des bouts . »

Enfin, tout se joue autour de la création et de l’expérimentation. En d’autres termes, ilest question de recréer un nouveau cadre de valeurs et de fonctionnement, au sein même

6 Pour la définition de ce terme, se reporter au lexique

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PREMIERE PARTIE : Le graffiti par delà les âges : la rue au centre du processus

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d’un centre urbain préexistant : dès lors, une seconde ville, aux allures de cité graphique,prend forme au sein même de « LA ville mère ».

2.2 Du tag au graff : une deuxième ville dans la villeLe graffiti n’a pas de repères géographiques précis, il n’a pas de lieu qui lui sontspécifiquement dédiés, il n’a pas de délimitation particulière, et pourtant, il est là, tout autourde nous : sur les murs, les métros, dans les arrêts de bus, sur les pavés de la chaussée.

Il se crée un espace de vie au sein même de la ville, sans pour autant en faireofficiellement partie .

Le graffiti s’impose inévitablement dans l’espace public, il demeure dans la ville, aussibien matériellement que symboliquement.

De plus, le tag, ainsi que le graff ( dans une moindre mesure ) sont déclinables à l’infini :il n’existe a priori aucune limite de couleurs, de formes ou de localisation. En effet, chaqueblase peut être décimé aux quatre coins de la ville sans grande difficulté.

Le graffiti est donc une discipline mouvante, qui épouse la ville dans ses moindresrecoins. Cette dernière, par ses formes architecturales, définit les modalités graphiques deswriters. Le graff doit s’adapter à son environnement, et non le contraire.

Ainsi, en parcourant et en remodelant des structures déjà crées, le graffiti effectue unesorte de superposition créatrice au sein même de l’espace public : chaque graffiti étendl’espace commun de représentation de chacun dans la ville.

Dès lors, le « graff » permet l’émergence de nouvelles normes, de nouvellesinteractions, ainsi que de nouveaux schémas d’action.

Au cœur même de la ville, une autre forme de vie émerge : on assiste à la créationd’une seconde ville dans la ville.

Si l’on se réfère à la définition primaire du mot ville, on obtient les informationssuivantes : « la ville est une unité urbaine étendue et fortement peuplée, dans laquelle seconcentre la plupart des activités humaines. »

Il s’agit aussi d’après le géographe Pierre George : « d’ un groupement de populationsagglomérées défini par une forme d’organisation économique et sociale. »

Ainsi, ne pourrait t-on pas étendre la définition de la ville à la pratique du graffiti ?Cette dernière regroupe l’ensemble des caractéristiques de la ville, à savoir, le

regroupement d’une population donnée autour d’une organisation économique et sociale.Le graffiti a su, au fil des années se crée une véritable grille de fonctionnement.

Les graffeurs, dans la pratique de leur discipline, peuvent créer et avancer de manièreindividuelle, mais partagent très souvent leurs intérêts de façon collective, autour d’uneorganisation réglementée et codifiée : le crew. Celui-ci constitue une structure protectrice etpermet à l’ensemble des membres de s’orienter en fonction des règles établies, bien queces dernières ne soient pas toujours explicitement dictées.

Une fois l’organisation constituée, les graffeurs se doivent un respect mutuel à toutégard. Il y a donc ici une véritable opération de sociabilité qui s’effectue : le crew crée dulien social et définit des êtres, en tant que personnes agissant les unes sur les autres. Ainsi,l’interaction aboutit à la mise en place d’une communauté, ayant la possibilité de fonctionnerpar elle même et pour elle même.

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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Pour en revenir à l’analogie avec la définition du mot ville, le graffiti, après s’êtreconstitué en tant qu’organisation sociale, a petit à petit pris les caractéristiques d’uneorganisation économique.

En effet, au delà de l’aspect quantitatif de la discipline, le « graff » est entré au fil dutemps dans une sphère économique, ainsi que dans une véritable économie de marché. Del’industrie picturale, en passant par la marchandising artistique, le graffiti produit aujourd’hui( plus ou moins directement ) un ensemble de richesses non négligeable.

Au final, celui-ci , en tant qu’organisation produisant du lien, ainsi que des biens,peut, au même titre que la ville, dans son acceptation première, se revendiquer comme un« groupement de populations agglomérées défini par une forme d’organisation économiqueet sociale . »

Dès lors, l’utilisation des rues comme support premier d’expression, donnerait tout sonsens à une pratique que l’on a souvent tendance à considérer comme étrangère à la ville.

En effet, que l’on accepte ou non l’émergence du graffiti dans nos rues, ce dernier,une fois installé, semble pouvoir revendiquer sa place au sein de l’espace urbain, en tantque membre à part entière . Il peut se prévaloir, par l’intermédiaire de ses caractéristiqueséconomiques et sociales, de faire partie d’un tout, plus communément nommé ville.

III. « Alerte à la bombe7 »: Le graffiti, entre politiquepublique et émergence d’un art

Le graffiti effraie parfois, déroute sans doute, mais peut aussi fasciner de la même manière.A l’heure actuelle, il n’a pas encore su trouver une catégorie, un milieu d’appartenance

propre, mais il se définit néanmoins autour de plusieurs axes. En effet, lorsque l’on évoquela pratique du « graff », on fait directement intervenir les notions d’espace, de temps, depouvoir, ainsi que de représentation.

Le graffiti est un moyen d’expression défini par ses propres préceptes, il s’organiseautour d’un espace temps représenté par la ville, et tente même parfois de trouver unelégitimité, non pas en tant que pratique, mais bel et bien en tant qu’art, au premier sensdu terme.

Dès lors, le « graff » se situe difficilement, entre les contingences extérieures imposéespar l’ordre public, et le fait de vouloir être considéré au même titre que ces arts dits légitimes,tels que la peinture, la musique ou encore l’opéra, ainsi que le théâtre.

Au cœur de la ville et à la limite des frontières, les graffeurs effectuent une recherchepermanente entre leur univers de création et le milieu urbain qui les entoure. Ainsi, lecentre urbain, en tant que berceau de la discipline, peut à la fois être considéré commecatalyseur d’énergies, mais aussi comme un outil de répression, dans son acceptationpremière, d’organisation servant à favoriser le bien commun. Autrement dit, le graffiti, siil veut exister, semble devoir passer outre, nombre de facteurs inhérents à la constitutiond’une ville.

7 PEREIRA Sandrine, Graffiti, Paris, Fitway Publishing

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PREMIERE PARTIE : Le graffiti par delà les âges : la rue au centre du processus

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3.1 Le « graff », au delà des frontièresLe graff, d’après ceux qui le pratiquent et le vivent au quotidien, va au delà de ce que labienséance établit. Il dépasse les frontières, en terme de localisation, ainsi qu’en terme dedurée. Il n’a pas de lieu qui lui serait préalablement attitré, et n’a pas non plus de tempsde vie défini.

Tout d’abord, pour ce qui est de la localisation à proprement parlé, le graff, et plusparticulièrement le tag sont présents, aussi bien dans la ville que dans ses périphéries. Iln’ y a pas de limites particulières, si ce n’est la disponibilité et la taille des murs que lesgraffeurs souhaitent recouvrir. En ce qui concerne les contingences dûes au temps, le tag etle graff ne sont pas égaux devant ce type de contrainte. Le tag, en tant que signature simpleet rapide à effectuer ne se retrouvera pas dans la même problématique que le graffiti. Eneffet, la conception plus élaborée du « graff » favorise son expansion dans des lieux plusreculés, tels que les usines désaffectées, ou encore les terrains vagues.

Mais bien au delà de ces quelques points de différence, le tag et le graff se rejoignentincontestablement sur l’ affirmation suivante : l’essentiel pour ces deux pratiques, est dese faire voir au maximum et d’expérimenter des lieux vierges de tout passage, tous plusinaccessibles les uns que les autres.

Néanmoins, le graffiti et le tag sont par excellence d’une nature éphémère. Le choix desupports originaux ou encore de matériaux inhabituels ne garantit pas pour autant une duréede vie infinie. Pratiquées en extérieur, ces deux disciplines sont par conséquent, livréesaux aléas de la météo, des travaux de réfection, aux politiques d’hydrogommage ou encoreaux autres graffeurs eux mêmes. Ce n’est un secret pour personne et tous les writers sontconscients de cet aspect de la pratique.

Ainsi, Impakt, graffeur des premières heures, confirme en quelque sorte la précarité dela durée de vie d’un graffiti ou encore d’un tag.

« Le graffiti, c’est éphémère, on le sait depuis qu’on a commencé . Ephémère, que cesoit dans la notoriété, dans tout quoi. Parce que[…]tu peux faire des supers belles peintures,mais si tu les fais sur les murs, une fois que tes murs ils se sont écroulés, et que toi tu peinsplus et que tes murs, ils existent plus, tu vas rester dans la tête des gens, mais on parleraplus de toi, y’a que les mecs avec qui t’as peint qui vont se souvenir de toi. Et tu seras pasleur sujet de conversation principal toute la journée.

Le graff, ça dure pas, à moins que tu fasses de la toile et que tu t’amuses à faire unstock et que tu te dises, vivement que je sois mort pour que mes gosses y mangent. Nonparce que t’as des gens qui gambergent aussi comme ça . »

« Mais bon le graff c’est aussi éphémère, tu poses une pièce, ça peut rester trente

ans comme ça peut rester une heure, ou dix minutes même, donc voilà. » 8

Dès lors, au delà des frontières qui délimitent le temps et l’espace, le tag et le graff viventsans vraiment se soucier de la réalité du lendemain, ou tout du moins en s’en accommodantle mieux possible.

La ville n’est délimitée en aucune façon : il s’agit bel et bien d’une conception nonsédentarisée du centre urbain et de ses alentours.

Le graffiti voyage au gré des transports en commun de la ville, et le fait de laisser unetrace de son nom à chaque passage effectué renvoie nécessairement les writers à cette

8 Propos provenant de l’entretien d’OPE

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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conception mouvante et infinie de la ville. La pratique du graffiti permet en effet de fairevoyager un nom, une représentation, ou encore des personnages aux vues de tous, dansune répétition éternelle, dont la fin n’est connue de personne.

Le seul lien que les graffeurs, ou writers entretiennent avec la réalité est la trace laisséepar leur nom. Une fois le nom effacé, seule reste la trace de ce qui a pu être. Le graffitisème en quelques sortes ses productions telles des petits bouts de territoire, répartis dansl’ensemble de la ville. Il ne s’agit donc pas de s’approprier un territoire ex- nihlo, mais plutôtde le revendiquer en tant que lieu de création.

De fait, le graffiti s’inscrit comme une discipline hors de toutes frontières et de toutesobligations. C’est une pratique que l’on pourrait qualifier d’hors normes, dans le sens oùcette dernière répond à des nécessités construites par elle même et pour elle même. Ellesemble ne répondre à rien, si ce n’est à ses propres impératifs. Impakt corrobore ces faits,en dépeignant le graffiti comme la dernière discipline « underground » du mouvement hiphop à l’heure actuelle :

« Y’a une rumeur, enfin c’est pas une rumeur, mais y’ a un p’tit truc qui dit qu’on est ladernière discipline hard core vraiment dans le hip hop, parce que nous, on arrive encore àaller en prison ou à avoir des putains d’amendes de malade à cause de nos graffs, justepour assouvir notre passion [ ….] Donc voilà,[…]on est devenu entre guillemets la dernièrediscipline hard core, parce qu’on est difficilement récupérable,[…] enfin t’as beau payerquelqu’un pour faire une super belle fresque, rien ne l’empêchera d’aller la nuit faire un groschrome. »

Qui plus est, l’important dans le graffiti, ainsi que dans le tag, n’est pas tant le lieu donton dispose, mais la visibilité que l’on obtient .

Il n’existe pas de distinction, ou encore de hiérarchisation entre tel ou tel emplacement,du moment où celui-ci peut être admiré ou simplement remarqué par le plus grand nombre.

Le graffiti défit les frontières, que ces dernières soient physiques ou bien mêmesymboliques : les clivages traditionnels n’ont à priori plus lieu d’être au sein même de ladiscipline, et comme le souligne très justement Martine Lany-Bayle, le graffiti est :

« un art vagabond visant à surprendre et à bousculer les territorialisationstraditionnelles, et leurs rapports de préséance. Car quand les graffitis suiventles réseaux de transport, ils annulent les clivages centre/ périphérie, et lesdévalorisations qui vont avec. Il n’y a plus d’origine figée, mais une circulationqui fait fi des distinctions et classifications, repères traditionnels de la

bourgeoisie. C’est le réseau qui prime sur la localisation ». 9

Autrement dit, les graffeurs ne se fixent pas de limites précises au sein même de la ville.Cette dernière fait figure de laboratoire de création, mais elle intervient aussi comme unespace, dans lequel des lois prévalent sur les envies individuelles. Elle peut dès ce moment,devenir pour le graffiti un objet potentiellement porteur de répression.

3.2 La ville, à la fois comme espace de création et de répression

9 LANI-BAYLE martine, Du tag au graff art : les messages de l’expression murale graffitée, Marseille, Hommes et

perspectives, 1993

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PREMIERE PARTIE : Le graffiti par delà les âges : la rue au centre du processus

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La ville est avant tout un espace de vie, commun à toute la population qui l’a compose.Ainsi, tout un chacun, dans sa singularité, peut jouir d’un certain nombre de droits, inhérentsà la vie en « communauté ». Il est aussi question de devoirs : ceux-ci incluent notamment,le respect de l’autre, ainsi que le respect des structures qui façonnent l’ensemble de l’aireurbaine.

De fait, la ville est à envisager comme un lieu dans lequel certaines choses peuvent seproduire, alors que d’autres ne le peuvent. Ainsi, toute la « problématique » du graffiti tourneautour de cette dernière affirmation. Le « graff », en tant que pratique ‘semi-clandestine’,peut il exploiter la ville comme bon lui semble ? La création artistique, a t-elle les moyensde passer outre les sanctions « disciplinaires » dressées par la ville ? La réponse à cesquestions ne peut être si manichéenne. En effet, le centre urbain, dans sa constitutionmême, permet aux graffeurs de laisser libre cours à leur imagination, sur des murs ou dessupports en perpétuel renouvellement. Néanmoins, la liberté a un prix : les murs de laville sont un bien collectif, parfois même privé, que nul ne peut ( en théorie ) utiliser sansautorisation préalable. C’est pourquoi, le graff, en allant à l’encontre des principes dresséspar une politique de la ville, de plus en plus répressive, prend le risque de se voir un jourbanni « des murs de la cité ».

Dès lors, la limite entre création et répression est parfois difficile à percevoir, dansl’ambiguïté du contexte actuel .

D’une part, les détenteurs du pouvoir politique cherchent à préserver l’intégralité descomplexes urbains. D’autre part, les graffeurs cherchent à maximiser l’étendue de leursurface praticable. De fait, ces deux objectifs divergeants éprouvent bien des difficultés àse rejoindre. Les solutions envisagées pour une «cohabitation » plus sereine aboutissentrarement, bien que les deux partis en présence tentent de travailler ensemble. C’est cettedifficulté de fonctionnement commun dont parle Impakt, lorsqu’il évoque les commandesfaites par la mairie de Lyon aux graffeurs des environs :

« Quand la mairie, elle nous fait faire des boulots, c’est simplement elle, elle nousrécupère, on en profite, on prend leur chèque et on fait le truc tu vois, mais ellenous récupère, c’est pas pour faire la promotion de jeunes artistes, c’est justeparce qu’ils en ont marre de faire de l’hydrogommage sur une façade depuistrois ans, ils en ont marre de repeindre des coups de rouleau depuis trois ans, ilsnous appellent parce qu’ils savent que dans le milieu on est respecté et qu ‘onrespecte les gens . Et que les gens ne nous repasse pas, donc ils utilisent desgraffeurs comme peinture anti tag. »

Qui plus est, certains graffeurs ont du revoir leur vision du graffiti, dans la mesure ou ceux-ci exercent une profession qui les relient directement à la ville. C’est le cas de Dirty ?, quiintervient auprès d’une population jeune ou défavorisée, en tant qu’ « éducateur » :

« Moi je[…]dirais que du vandale, j’en fais vachement moins maintenant, parceque après, ça prend des conséquences sur mon boulot. Sinon, si je faisais unautre travail, un autre travail qui soit pas vraiment en rapport avec le graff, et benje pense que je continuerais à faire plus de vandale. »

Dès lors, les possibilités d’évolution créative des writers sont en quelque sorte dépendantesdes contingences imposées par la ville. Un graffeur qui travaille avec la mairie ou desinstitutions similaires, se doit, d’une certaine manière, de laisser derrière lui ses pratiquesillégales. En effet, il est peu concevable de taguer ou de graffer une infrastructure, tout entravaillant pour ce même lieu.

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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D’un autre coté, certains graffeurs décident de leur plein gré de pratiquer le graff vandaleà faible dose. Dans la plupart des cas, ce choix est souvent lié a la précision technique,que le graffiti illégal ne permet pas toujours. En effet, pratiquer la discipline dans des lieuxreculés ou dans des ateliers, offre de plus grandes perspectives en terme d’esthétique, ainsiqu’en terme technique . C’est le cas d’OSRU, qui se positionne en faveur du « graff de rue »,mais toujours dans un soucis d’exactitude et de recherche :

« Ca pose aujourd’hui moins de problème de graffer, mais en attendant, lesinstitutions elles vont se durcir de plus en plus, là sur Lyon, je sais qu’il y a pleinde gens qui vont se mettre à sauter. Et puis Collomb, là il en peut plus, quoi, enfait ils se sont fait retourner la mairie y’a pas longtemps, le gars il a fait : « bonben c’est bon, ça suffit », et puis bon, c’est un peu normal. Quand tu te baladesdans les principales capitales culturelles, y’en a partout du tag, c’est retournédans tous les sens, c’est pas ça le problème. Le problème, c’est que Collomb, ilveut faire que ça soit tout propre partout, et qui en a qui ont un peu abusé aussi,les gros trucs sur la mairie, c’était pas vraiment, mais du coup ouais ouais, le tagc’est bien, mais il faut savoir où tu le mets. »

Dès lors, la ville, ainsi que les rues qui la composent, sont à envisagées de deux manièresdans la pratique du graffiti :

* Tout d’abord, la rue peut être considérée par les graffeurs comme un lieu familiersans frontières définies, quelles soient symboliques ou purement matérielles. Autrementdit, le centre urbain constitue un espace infini de rencontres, de possibilités, ainsi que dedécouvertes en tout genre.

* Ensuite, et de manière concomitante, la rue peut aussi être envisagée en tant quelieu de ségrégation et de répression. En effet, celle-ci, dans son acceptation première,représente la rupture entre les graffeurs et les pouvoirs publics : La rue devient l’objetdes convoitises, de façon générale. De ce contexte difficile, émerge une confrontationpermanente entre les writers, disséminés aux quatre coins de la ville, et les détenteurs dupouvoir politique.

Ainsi, dans ce contexte difficile, il paraît peu probable de trouver un jour une solutionsatisfaisant, d’une part, les défenseurs d’une ville propre et vierge de « tout témoignageostentatoire d’appartenance à un groupe », et d’autre part, les writers, membres à partentière d’une nouvelle génération d’artistes peintres.

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DEUXIEME PARTIE : Graffiti, tag et diversité

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DEUXIEME PARTIE : Graffiti, tag etdiversité

Il s’agit ici d’envisager le graffiti, non pas comme une discipline homogène, mais bel et biencomme un ensemble de pratiques. Chaque mouvement du graffiti a ses propres spécificités,ses manières de travailler, ainsi que sa propre vision de la discipline, de ce que doit être legraffiti. Il est donc question d’envisager la diversité des mouvements, en partant de la base :« le graffiti old school », pour arriver à aujourd’hui et à la multitude graphique et artistiquequ’offre désormais le graffiti ( I ).

Il faudra également prendre en compte le graffiti, en tant que discipline hybride, situéeà la limite de la légalité et aux frontières du vandalisme : Le « graff », tel qu’il se présenteaujourd’hui, tente, malgré quelques difficultés, de s’affirmer comme un art à part entière,ayant au même titre que bien d’autres, la possibilité de se retrouver dans des galeries, ouencore dans les couloirs d’un musée ( II ).

Dès lors, le graffiti s’inscrit dans une démarche artistique commercialisable.Ces constatations nous permettront par la suite d’envisager le graffiti dans sa totalité,

de le considérer à la fois comme une discipline artistique en devenir ainsi qu’« actualisable »à notre période contemporaine.

I. La multiplicité des pratiquesLe graffiti n’est pas une, mais plusieurs disciplines, réunies sous la même appellation. Eneffet, la conception du « graff » n’est pas uniforme au sein même du « groupe » des writers.Certains favorisent la technique, d’autres l’esthétique, ou encore la couleur .

A travers ces diversités, une base commune persiste : celle du graffiti old school, celuiqui a fait ses premiers pas dans les rues des ghettos new yorkais. Au fil des années,ce dernier a servi en quelque sorte de modèle à la plupart des graffeurs d’aujourd’hui.Et bien que certains se soient significativement éloignés des représentations « hip hoptraditionnelles », les b-boy, et autres personnages ne sont jamais bien loin.

Ainsi, nous évoquerons la multitude de techniques présentes dans la discipline dugraffiti, en passant par le Wild style, le buble style, ou encore le throw up, pour ne citerque ceux-ci .

1.1 Du mouvement « old school » jusqu’à aujourd’huiLe mouvement a fait ses premiers pas dans les rues de New York. Dès sa « naissance », cedernier a été très spectaculaire. Les rames de métro sont vite devenues le témoin évidentde la constitution d’un phénomène : le graffiti .

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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Depuis la création du « graff » dans les années soixante dix, jusqu’à aujourd’hui, lesobjectifs, ainsi que les manières de faire, ont sensiblement évolués. En effet, le graffiti n’apas été, et ne sera jamais pratiqué de façon identique au fil des âges.

En seulement quelques années, les tags se sont « sophistiqués », pour devenir devéritables signatures, marquant un territoire, pour enfin être déclinés à l’infini dans unerecherche esthétique, technique, ou même revendicative. « Maintenant y’a un courant qui

s’appelle le post graffiti, donc y a une évolution quoi. » 10

Ainsi, ce que l’on entend par le mouvement old school, fait référence aux premiers pasdu graffiti, en tant que pratique émergente, revendiquant avant tout un droit d’existence et dereconnaissance. Néanmoins, il ne faut pas réduire cette façon d’entreprendre le graffiti à unepériode définie, aux prémices de la pratique. En effet, certains graffeurs ont su faire perdurercette vision particulière du graff, au delà de sa période de création. Désormais, quelques unsse revendiquent encore de cette « vieille école » : il n’est donc pas tant question d’espacetemps, mais plutôt de la manière d’entreprendre et de considérer le graffiti.

Chaque graffeur s’identifie à une appartenance définie. La vision du mouvement oldschool, même si celle-ci n’est plus nécessairement majoritaire, parvient encore de nos joursà rassembler quelques adeptes à ses cotés. Le graff, en quelques décennies, a su s’exporterpar delà des frontières ethniques et géographiques : « L’histoire du graff c’est Philadelphie,fin des années soixante, ensuite c’est remonté à New York et après c’est parti un peu partoutdans le monde… »

Mais au final, « chaque graffeur a son histoire du graff, parce que ça dépend aussi

[..] de là ou il vient. » 11 . Dès lors, la vieille école aura su « imposer » ses bases sans

nécessairement restreindre le champ des possibilités offert à chaque graffeur. En tant quemouvement précurseur, la old school aura le mérite d’avoir fait connaître le graffiti dans lemonde entier.

1.2 D’une technique à l’autre : les diverses écoles du graffitiEn ce qui concerne le graffiti, il existe plusieurs techniques. Tous les graffeurs ne procèdentpas de la même manière, que ce soit en terme d’esthétique ou en terme de rendu.

En effet, la pratique du « graff » ne se limite pas à l’utilisation d’une bombe de peinture,bien que certains graffeurs soient intransigeants sur ce point.

C’est le cas d’Impakt qui affirme que, bien que « dans le graffiti, y’a de tout et de riendedans », la bombe reste un élément essentiel du « graff » : « la bombe, c’est un instrument,après tu peux faire quelque chose avec un visuel graffiti et le faire à l’aquarelle. Le visuel yrestera hip hop, après ce sera plus du graff, ce sera de l’aquarelle. Mais pour moi, le graffc’est la bombe, enfin c’est un amalgame de beaucoup de choses[..]Mais bon, le graff, çareste rattaché à l’utilisation de la bombe . »

Néanmoins, selon les conceptions, d’autres outils peuvent être utilisés dansl’élaboration d’un graffiti : « la peinture aérosol (avec ou sans pochoir ), lapeinture à l' aérographe , la gravure (sur des vitres, sur des murs, sur des plaquesmétalliques, sur l'écorce des arbres, etc.), le marqueur et le stylo, la craie, la peinture au

10 Propos provenant de l’entretien de DENSE11 Propos provenant de l’entretien d’OSRU

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DEUXIEME PARTIE : Graffiti, tag et diversité

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rouleau ou au pinceau, l'acide (pour vitre ou pour métal) auxquels on peut adjoindre,dans une définition élargie du graffiti, l' affiche , les autocollants , les moulages

(en résine ou en plâtre collés sur les murs) et la mosaïque . » 12

Le graffiti se traduit par des formes précises, dans lesquelles chaque writer trouveson identité propre. Il s’agit d’un ensemble de codes, imbriqués dans une culture,caractérisée par un vocabulaire spécifique, des références précises ou encore des lieux derassemblements auxquels seuls les « initiés » ont en général accès.

En effet, « depuis que le graffiti existe, y’a quand même beaucoup de choses qui se sontpassées en dehors de ça et puis qui sont quand même du graffiti : des nouvelles esthétiques,des mecs qui font des trucs un peu punk, des délires comme ça , et puis qu’écoutent pas

du tout de rap , puis qui sont pas du tout… » 13

Dans le graffiti en règle générale, « on distingue trois « niveaux » de production :Le « Tag » (marque, signature) est le simple dessin du nom de l'artiste. Le geste est

généralement très travaillé, à la manière des calligraphies chinoises et japonaises,c'est un logo plus qu'une écriture, et souvent, seuls les habitués parviennent à déchiffrerle nom qui est écrit. Les techniques utilisées sont généralement l'aérosol, le marqueur etl'autocollant (« sticker »).

Le « Graff' », ou « Fresque », ou « burning » (et en français « brûlure »), ou « Piece »voire « Masterpiece » (chef d'œuvre) est le nom souvent donné aux graffitis sophistiquéset exécutés en plusieurs couleurs.

Le « Throw-Up », ou « Flop » est une forme intermédiaire entre le Tag et la fresque :il s'agit de grands dessins de lettres, et non de signatures, pourvus d'un "volume" et decontours mais qui sont exécutés rapidement et sans soin particulier (pas d'effort de couleurpar ex.). Ils servent à promouvoir le nom de l'artiste d'une manière qui soit visible de loin.

Certains font aussi la démonstration du talent typographique de l'artiste. 14

Au sein même de la discipline du graffiti, il existe ainsi, beaucoup de styles et detechniques différentes . On peut notamment citer :

Le buble style : Lettres très rondes enchevêtrées les unes aux autresLe chrome : graffiti dans lequel on utilise la couleur argentée pour le remplissageLe block letter : style de lettrage, simple, compact et carréLe wild style : réalisation complexe de lettres se chevauchantPour certains graffeurs, le lettrage est primordial. D’autres se spécialisent dans

les fresques abstraites ou encore dans les personnages réalistes. D’autres encore, sespécialisent dans le contour. C’est le cas d’Osru, qui nous livre ici sa définition du graffiti :

« Le graff, c’est l ‘école du graphisme qui vient du contour, c’est à dire que quatrevingt pour cent de l’école du graff, c’est, le plus important, c’est le contour, c’està dire le contour des formes des lettres, le contour des formes des personnages,c’est ça qui est le plus important par rapport à ce que tu vois parfois en peinturemurale, où enfin t’as des paysages, ou t’as des personnages, mais le contour

12 site internet « Graffiti database »13 Propos provenant de l’entretien d’HOOPER14 Site internet « Graffiti database »

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est pas mis en avant . C’est un peu, ça se confond un peu les deux . Pour moi,le graff, c’est vraiment l’école du contour, enfin, c’est un peu bizarre commedéfinition, mais c’est pas l’outil qui fait que tu fais du graff pour moi quoi,vraiment pas quoi. C’est le rendu.[..] Pour nous, violon et moi, c’est superimportant de faire les deux, du perso et de la lettre, et par exemple sur toile, onfait très rarement de la lettre. Tout ce qu’on fait sur toile, c’est quand même issude ce qu’on a pu apprendre sur mur. »

Et bien malgré ces préférences établies, il n’existe pas une conception uniforme de ce quepeut ou doit être le graffiti : « le graffiti, c’est comme la peinture, t’as de tout, tu vois, t’asde tout comme style, ça va de la trois D, à des trucs un peu abstraits, à des trucs supers

réalistes. » 15 . Ainsi, chacun, dans sa singularité, peut apporter au graffiti sa propre vision,

sans pour autant aller à l’encontre des bases données par les writers américains.

II. Le graffiti : entre vandalisme et légalitéLe graffiti, dès qu’il s’inscrit dans l’espace « ville », et de fait, dans l’espace commun detoute une population, se retrouve directement dans une situation, oscillant entre violationdu droit établi, et utilisation légale des supports prévus à cet effet.

De fait, le graff ne s’est jamais clairement positionné au fil du temps. Il est depuistoujours, une discipline à laquelle le quotidien nous confronte sans cesse, sans pour autantdétenir une place précise au sein de notre espace public. Le graff, dans certaines de sesacceptations n’est ni « hors la loi », ni « dans les lois » .

Il semble passer de l’un à l’autre sans réelle difficulté, sans pour autant se trouver sousle joug d’une appellation spécifique, au sein de la communauté urbaine.

Ainsi, cette « ambiguïté » de positionnement ne facilite pas l’acceptation du graffiti entant qu’art, au sein même de notre espace commun de vie.

Et malgré une évolution indéniable des mœurs, le graff éprouve encore à l’heureactuelle quelques difficultés à se faire accepter sous l’appellation d’art, au sens premier duterme.

2.1 Le vandale : une conception spécifique du graffitiLe vandale, passage obligé de tout graffeur averti ?

Bien que nombre de writers aient fait leurs débuts à la bombe, sur des supportsn’étant pas prévus à cet effet, tous n’ont pas nécessairement continué à pratiquer « legraff vandale » . En effet, lorsque l’on évoque la pratique du graffiti, le sens commun auraittendance à l’assimiler à une pratique archaïque, aux méthodes peu orthodoxes.

Il serait donc aisé, aux vues des murs de la ville, de donner raison à cette théorie, maiscela équivaudrait à oublier le sens même du graffiti. Car si le vandale demeure la plupartdu temps du graffiti, le graffiti n’est quant à lui pas assimilable au vandalisme de façon

15 Propos provenant de l’entretien d’IMPAKT

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irrévocable : chaque graffeur, dans son apprentissage de la discipline, a la possibilité des’orienter dans les directions qui lui correspondent .

Ainsi, certains évoquent le vandalisme comme l’essence même du « graff », commeune révolte qui se construit au fil de ses représentations murales. Tel est le cas de Hooper :

« C’est toujours sous entendu que le graffiti c’est une révolte quoi, c’est pasexplicite, y’a pas de revendications claires, y’a pas de discours politiques[..]. Etdisons que c’est quand même une espèce de rébellion, une volonté d’attaquer lesystème par un des bouts quoi . Y’a une revendication mais qui est pas claire etpas forcément explicable. »

D’autres writers voient dans le vandale un outil servant à l’apprentissage du graffiti. De fait,les objectifs recherchés par les graffeurs peuvent varier du tout au tout :

« Maintenant, les gens qui font des graffs ça peut être n’importe qui, enfin …. Il ya du graff revendicatif, mais y’a du graff qu’est pas du tout revendicatif »16

Dès lors, le graffiti peut par exemple être l’objet de revendications récurrentes, contreune société de consommation toujours plus présente. C’est ce qu’évoque Hooper lorsqu’ilcompare le graffiti à une publicité gratuite, qui ne vend rien, si ce n’est son esthétisme :

« En théorie je suis d’accord que les murs, y appartiennent aux propriétaires, quec’est à eux de les peindre ou pas quoi, après le mur il est pas vraiment détérioré,c’est à dire, y’a pas de trous dedans, on l’ a pas cassé le mur, la personne, quandelle est chez elle, elle voit plus rien , elle est chez elle quoi . Et puis ces mêmesgens en ont rien à foutre de toute la publicité qu’on peut leur gaver dans lagueule toute la journée, à la Télé, sur les affiches partout, dans le journal, sur leurcuvette de chiotte, partout y’a de la pub tout le temps, mais ça les choque pas ;ça ça va être un autre type de publicité quoi, à but non lucratif , on va dire . »

Le « graff » peut aussi se prévaloir de buts purement esthétiques ou encore divertissants :« Quand tu fais une sortie et que t’éclates partout, ça m’est arrivé, tous lesjours t’éclates les mêmes quartiers, je sais pas ce que tu revendiques, enfinmoi je faisais plus ça pour m’amuser, et puis tu te fais voir en fait des autrestagueurs. »17

Dans un dernier temps, le vandale peut être évoqué par certains graffeurs comme Impakt,comme la conséquence nécessaire d’un manque de communication entre pouvoirs publicset pratiquants de la discipline :

« La ville de Lyon a décidé que voilà, on doublait les amendes, on doublait lespeines pour les tagueurs, parce qu’ils veulent éradiquer le vandalisme. Maisils se demandent pas pourquoi il y a du vandalisme en fait[..]ça a un lien decause à effet en fait : tu donnes pas de surface à des gens pour qu’ils puissents ‘exprimer , et ben ils vont se servir. Et l’espace qu’ils vont prendre, c’est peutêtre pas celui qui t’arrange le plus, forcément . »

Enfin, le vandale revêt à lui seul une multitude de formes, toutes différentes les unesdes autres . Il ne peut être considéré comme la conséquence unique et inéluctable d’unmécontentement général « d’une jeunesse en péril ». Le vandale, en tant que pratiquepurement illégale, donne à penser au delà du franchissement des interdits. Il s’agit d’un

16 Propos provenant de l ‘entretien de DENSE17 Propos provenant de l’entretien de DENSE

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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ensemble d’individualités, qui une fois confrontées aux réalités urbaines, décident ou non debraver les limites imposées par les lois. Ainsi, comme Impakt le prouve, le vandale n’est pastoujours considéré par les graffeurs comme une nécessité inhérente à la pratique du graffiti :

« Je me suis aperçu, alors ça c’est une expérience et c’est même un bilan que jefais tout seul dans ma tête, mais quand je faisais du vandalisme, ça m’a jamaisrien apporté, à part courir la nuit, parce que tu te fais chasser par les flics, tu vois,avoir le stress de savoir si tu vas pouvoir rentrer pour t’occuper de tes gamins,parce que si tu vas en garde à vue, tu laisses ta femme toute seul avec desjumeaux, tu vois , enfin ça engendre plein de choses . Et à partir du moment oùj’ai réussi à faire des boulots et où le graffiti a réussi à m’apporter financièrement,je me suis dit, ce que je suis en train de gagner, faut pas que je le perde , justeparce que j’ai envie d’écrire mon nom sur l’autoroute. »

Le vandale, en tant que tel, va à l’encontre des lois, mais il peut de la même manière, (etaussi étrange que cela puisse paraître) représenter un catalyseur d’énergies.

Mais quoi qu’il en soit, le vandale peut se prévaloir au moins d’une chose : sa longévité.En effet, ce dernier a encore de longues années devant lui, d’après les pratiquants euxmêmes :

« On pourra jamais éradiquer le tag. T’auras toujours des gamins, enfin je veuxdire moi avant de prendre une bombe, qui n’a pas écrit, même toi, ou ton voisinde pallier, ou n’importe qui, son nom sur une table à l’école, dans les chiottes,sur une porte, tu vois, mais on sait même pas pourquoi . »

2.2 Vers une évolution des mœurs : le graffiti comme un art à partentière

Malgré une difficulté de positionnement au sein de l’espace public, le graffiti a aujourd’huiacquis une notoriété, ou tout du moins une étendue suffisante, pour obtenir l’appellation dediscipline artistique.

En effet, ses acteurs principaux se retrouvent désormais, au même titre que ceux d’unepeinture dite « plus classique », dans des galeries d’art, ainsi que dans des expositions, àl’échelle nationale, voir même internationale.

Dès lors, le « graff » ne se contente plus de figurer sur les murs de la ville, il prendplace au sein de structures closes, avec comme objectif premier, de se faire connaître d’unpublic, encore novice en la matière. Les expositions se multiplient et le graffiti prend unetoute autre dimension.

Certains writers fonctionnent comme des « artistes contemporains » à part entière, etse déplacent à travers toute l’Europe pour exposer leur travail aux yeux « du plus grandnombre ». Tel est le cas de Dense, qui, à la recherche d’expériences nouvelles, voyage deplus en plus :

« J’ai fait des salons, le grand marché d’art contemporain Paris Bastille. Là,j’avais carrément fait toute la déco, enfin une grosse partie de la déco extérieuredu salon, j’avais fait cent soixante mètres carré de toiles, [ il y avait aussi] laGalerie Kréadors, qui existe plus, qui était à Paris dans le quinzième, une petitegalerie à Lyon[..] Après, ben [..] je vais faire du body painting, une performance

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DEUXIEME PARTIE : Graffiti, tag et diversité

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évènementielle, et je vais aller à Londres pour faire une expo, j’attends un coupde fil d’ailleurs, et après ben Paris, début du mois d’Avril pour faire des décosd’appart, des bureaux . Et pi après, je pars en Allemagne. A Wallamrhein, c’esten fait une exposition au siège de Carhart. C’est peut être la plus grosse galerieau monde, qui réunit quatorze modules, qui sont plus grands qu’ici, c’est ungros bâtiment, et ils font changer, un module par artiste et ils font changerrégulièrement. »

On assiste donc à une véritable « petite révolution », en matière de diffusion pour le graffiti.Les chemins empruntés par la discipline ne frôlent plus l’illégalité en permanence, et de fait,le graffiti fait peau neuve, au sein d’une ville en pleine mutation :

« Ca pose aujourd’hui moins de problème de graffer. [..] C’est passé dans lesmœurs, mais il faut être vraiment bon [..] des mecs qui vivent du graff à Lyon,y’en a pas beaucoup. »18

De ce « nouveau statut », émergent des revendications de writers, qui réclament uneconsidération égale aux autres arts. Pour ces derniers, le graffiti fait partie de la culture, età ce titre, peut prétendre à une reconnaissance institutionnelle :

« Nous, la différence avec les autres arts, c’est que les autres arts, tu vas peutêtre pas commencer à treize ans, à faire des tableaux, à faire de la nature morteou de l’abstrait, tu vois. Donc après, forcément plus tu commences tôt, plus lamoyenne d’âge, elle va être jeune dans le milieu tu vois. Après, c’est clair quepour être reconnut en tant qu’artiste peintre au pinceau, on va peut être plus tereconnaître quand tu auras soixante ou soixante dix piges, où quand tu serasmort, que quand t’en auras douze ou quatorze quoi, forcément. Je pense qu’ily a quand même un rapport à la discipline et puis bon, un artiste peintre, ças’enferme dans sa chambre, nous, notre peinture, on l’a fait dehors, on est toutle temps dehors. C’est un autre rapport avec le truc[..] Enfin, pour moi la peinturetu vois, c’est pour donner un peu d’évasion. Si c’est pour dessiner en pleineville une ville, je vois pas l’intérêt. Et après Lyon, ils te mettent des drapeaux dequatre par quatre : Ah oui, Lyon capitale de la culture européenne, mais c’estquoi la culture, on fait pas partie de la culture à Lyon ? Moi j’organise le plusgros festival de graff européen et on ferait pas partie de la culture? Tu vois, onfait partie de la culture, on est des artistes peintres avec des nouveaux pinceaux.C’est tout, c’est un autre outil, mais au bout du compte, on fait quoi ? On passedes nuits à dessiner, on passe des journées à reproduire nos dessins le plusgrand possible, et justement dans des endroits où les gens n’ont pas besoin depayer un musée pour aller voir ce qu’on fait. »19

Qui plus est, il existe désormais une réelle demande vis à vis des œuvres exécutées pardes graffeurs, dont l’objectif premier est de faire partager leur passion :

« L’intérêt c’est de peindre tout court. Pour nous quoi, et puis maintenant, çafait un petit moment qu’on fait des toiles. Donc ça, ça fait partie des trucs qu’onaimerait que les gens voient un peu plus, et qu’on va faire en sorte que les gensvoient un peu plus. »18 Propos provenant de l’entretien d’OSRU19 Propos provenant de l’entretien d’IMPAKT

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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Dès lors, les toiles des writers arrivent à une période charnière, dans laquelle unpositionnement artistique induit souvent une valeur marchande. Il n’est plus questiond’art pour l’art, le graffiti devient un véritable outil de communication, voir même demarchandising.

Mais au delà de cet aspect purement économique, beaucoup de graffeurs veulent avanttout exercer « leur art » en toute tranquillité. L’essentiel semble être de pouvoir ouvrir ladiscipline aux « non pratiquants ».

Ainsi, la toile est aujourd’hui un moyen sûr de pouvoir laisser une trace dans notreespace urbain, tout en ayant encore la possibilité d’exploiter au maximum ce dernier.

Le support artistique que représente la toile, donne un aspect officiel à cette disciplinecomplexe qu’est le graffiti. La toile semble être aux yeux du public, un gage de qualitéindéniable :

« Quand tu livres une toile et que les gens sont contents, c’est mortel, c’est supergratifiant. En plus, les gens, bizarrement, ils apportent plus de valeur à une toile,alors tu peux je sais pas, faire une merde sur une toile, elle aura plus de valeurque une merde que tu peux faire sur un mur. Parce que c’est un tableau, tu voisle coté symbolique du tableau. Tu vois quand je dis, je vends des toiles : « ah oui,mais attendez, ça coûte combien » une toile direct, ils disent. Ils croient que dèsque tu achètes un tableau c’est cher, alors que non. »

De fait, le graffiti, par delà des murs de la « cité », a trouvé le moyen de se renouveler, sansnécessairement éluder le travail sur murs.

Cette capacité d’adaptation a permis au « graff » de se constituer simultanément entant qu’art, mais aussi en tant que pratique urbaine. C’est pourquoi, qu’on le veuille ounon, ce dernier, grâce à ses caractéristiques polymorphes, a très certainement encore denombreuses années de vie devant lui. Il a su se réinventer au cours des décennies, sanspour autant perdre l’essence créatrice qui le constitue.

III. Des murs aux galeries, où l’évolution nécessaire dugraffiti ?

Une fois le graffiti condidèré comme une véritable discipline artistique, ( bien que lapolémique autour de ce qu’est le « graff » ne soit pas définitivement entérinée) ce dernierest à envisager dans deux optiques bien précises.

Tout d’abord, le graffiti, d’un point de vue purement graphique, est l’expression artistiqued’un nouveau genre de peintres. Il s’agit en effet d’une « peinture murale », aux allures dedessins animés, ou encore de bandes dessinées, à échelle réelle. Mais quelles que soientles influences de ces « artistes urbains », il est évident que ceux-ci donnent un autre visageau paysage artistique actuel.

En effet, le graffiti se retrouve dans un melting pot créatif, qui confère à la disciplinetoute entière, une sorte d’Hora artistique.

Qui plus est, comme toute œuvre reconnue en tant que telle, le graffiti, dans la mesureoù on le considère comme le résultat d’une activité artistique, peut potentiellement être

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DEUXIEME PARTIE : Graffiti, tag et diversité

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introduit dans les sphères marchandes du marché de l’art. Ainsi, les writers que l’on retrouveà l’intérieur des galeries, changent de statut, et se retrouvent « catapultés » au titre decommerçants artistes peintres.

Néanmoins, la « reconversion » au marché de l’art ne semble pas être la solutionadoptée par tous les graffeurs, dans la course à la performance.

Nous verrons donc par la suite dans quelle mesure le graffiti peut être le reflet vivantd’une expression artistique, sans pour autant être réduit à choisir entre les murs de la villeou les murs des galeries.

3.1 De l’expression artistique…L’art, qu’est ce qui est de l’art et qu’est ce qui n’en est pas?

A l’heure actuelle, la plupart des gens estiment que ce que l’on peut considérer commeune œuvre d’art se trouve nécessairement dans un musée ou bien encore dans une galerie,« hauts lieux de notre patrimoine culturel ». Les peintres, ou autres sculpteurs, encensésau titre d’artistes reconnus, peuvent se prévaloir d’un statut social, confirmé par tous, et quiplus est, ont la possibilité de définir ce que doit être l’art.

Mais le problème est de savoir si l’on peut donner une définition objective de ce quepeut ou doit être l’expression artistique.

D’après le dictionnaire, l’art est :« la création au niveau du mécanisme de la pensée et de l’imagination, d’une idéeoriginale à contenu esthétique, traduisible en effets perceptibles par nos sens ».

De fait, si l’on se réfère à ces quelques lignes, le graffiti semble devoir être considéré commeun art. En effet, que l’on soit partisan ou non de cette pratique, on ne peut aller à l’encontredu fait que cette dernière produit des effets ( quels qu’ils soient ) perceptibles par nos sens.

Le graffiti produit quelque chose, il se trouve dans un mouvement perpétuel derecherche, que ce soit au niveau des supports ou encore des matériaux utilisés. En d’autrestermes, l’utilisation de nombreux procédés plastiques, dans la mise en forme d’une création,n’est plus l’apanage des grands artistes, célébrés par la critique : les graffeurs peuvent eneffet, grâce à la diversité et à la qualité des procédés utilisés, se situer au rang d’artistesaccomplis.

Qui plus est, les graffeurs maîtrisent au même titre que les peintres classiques destechniques complexes, comme les dégradés de couleur, la perspective ou encore la troisdimensions.

De fait, le graffiti ne s’exécute pas, comme on pourrait souvent le croire, de manièreinstantanée, sans recherche préalable. Il s’agit au contraire d’un travail méticuleux, faisantappel, d’une part à la patience, et d’autre part, à la maîtrise technique.

Et bien que le mouvement se soit développé dans un cadre d’« illégalité » certain, legraffiti est à considérer au delà de cet aspect vandalisateur. En effet, la pratique a longtempsété reléguée au second plan, dans la mesure où elle ne figurait pas encore au programmedes lieux, dits culturels.

Le « graff » ne semble pouvoir être reconnu comme un art, uniquement lorsqu’il estpratiqué de manière légale. Mais, la notion de légalité ne pourrait en aucun cas justifier ounon l’aspect artistique de la discipline.

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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Ainsi, le graffiti, en tant que pratique ayant du sens, et produisant des effets sur nossens, doit être considéré comme un art à part entière, ce qui pour autant ne signifie pasqu’il peut, ou bien même, doit plaire à tous. Au final, il n’existe rien de plus subjectif que lanotion du beau : le graffiti est un fait, un art au sens premier du terme, ce qui ne signifie pasnécessairement qu’il cherche à rallier autour de lui les « faveurs » de toute une population.

3.2…à la commercialisation d’une pratique« La galerie, c’est vraiment particulier, ça peut te faire gagner de l’argent, maistu le fais pas pour ça, tu vois ça peut te faire gagner de l’argent, mais quandt’exposes dans une galerie, c’est pour faire voir tes nouveaux boulots, fairevoir tes derniers trucs, les choses dont tu es fier. Et donc voilà tu vois, maisça a quand même une démarche un petit peu commerciale, tu vois, ce qui faitqu’après tu peux continuer de faire des fresques, c’est même mieux de continuerde faire des fresques, c’est pas parce que tu fais de l’argent avec ton graffiti,

qu’il faut que tu oublies de venir peindre [sur des murs]. » 20 « Maintenant,

mon travail, il est nettement plus recentré sur des expos, des toiles, puisqueforcément, moi je suis passé dans une envie où je voulais en faire ma vie, monmétier, donc mon revenu. » « Moi ça m’est arrivé de faire des boulots pour pascher, parce que je savais que j’avais une visibilité imprenable, et que du coup,peut être que ce boulot que je prenais pas cher allait peut être m’en rapporterun ou deux autres, qui du coup allait me faire faire mon mois financièrement.Et comme je te dis, moi je m’en fous de vendre une toile quatre mille euros,je préfère toucher plus de personnes et les vendre moins cher. Parce que ducoup mon réseau va s’étendre beaucoup plus, y’a beaucoup plus de gens quivont le voir, ça va beaucoup faire parler, peut être attirer beaucoup plus demonde[..]Parce que tu fais voir ton boulot à des gens qui peuvent en parler, àd’autres gens. »

Ainsi, malgré cette « démocratisation » économique du graffiti, celui-ci reste à l’heureactuelle, l’expression simple d’un véritable talent artistique. Que les writers décident ou nond’emprunter des chemins institutionnalisés, l’essence graphique de la pratique reste intacte,et ne cesse de s’intensifier au fil d’expériences.

20 Propos provenant de l’entretien d’IMPAKT

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TROISIEME PARTIE : La question de la reconnaissance

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TROISIEME PARTIE : La question de lareconnaissance

La place du graffiti à l’heure actuelle ne semble pas encore clairement définie : Au cœurde la ville, il a réussi à accomplir un véritable coup de force, il a su s’imposer, mais le plussouvent au prix d’une illégalité irréfutable.

D’une autre manière, il a su s’intégrer au domaine artistique, mais cette fois au prix demodifications de sa pratique.

De fait, cette complexité de positionnement a ébranlé le graffiti dans son image. Eneffet, malgré certaines évolutions en faveur de la discipline, cette dernière n’est pas encoreparvenue à se détacher intégralement de l’image délinquante qu’elle a souvent pu véhiculer.( I )

Au delà de cette recherche identitaire vis à vis d’un espace urbain déjà existant, lesgraffeurs ont réussi à construire leur propre mode de références : une façon de se distinguerou encore un moyen nécessaire de se façonner une identité propre.

De cette conception autonome de la discipline est né un système de reconnaissanceinterne, régi par un ensemble de règles précises. Chaque writer, dans son acceptationsingulière du graffiti, se doit, d’une manière ou d’une autre de faire ses preuves aux yeuxde tous. ( II )

Enfin, la création du groupe, ainsi qu l’élaboration d’une dynamique artistique, semblentêtre un passage nécessaire pour les graffeurs, dans l’établissement de leur identitégraphique. ( III )

I. La difficile intégration du graffiti au sein de l’espacepublic

Si tous les graffeurs n’ont pas pour ambition de se faire reconnaître en tant que tel au seinde l’espace public, certains du moins, nourrissent cet objectif.

D’une part, il s’agit d’une reconnaissance artistique; D’autre part, il est aussi questiond’un processus de légitimation, dans lequel la population de la ville a tout un rôle à jouer.

De fait, le graffiti, pour exister dans toute son essence, doit, si il veut perdurer dansl’espace temps que représente le cœur de la ville, aller à l’encontre de l’image souventnégative qu’il véhicule, pour obtenir la reconnaissance qu’il souhaite acquérir.

1.1 Une pratique à l’image négative

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Aujourd’hui, le graffiti, par son exposition médiatique grandissante, donne à voir : del’esthétisme, de la technique, et parfois même un certain mécontentement vis à vis de l’ordrepublic.

Mais au delà de ces constations, jamais un réel dialogue n’a été instauré entre ceuxqui pratiquent, les writers, et ceux qui sont confrontés à cette discipline, à savoir le restede la population.

Dès lors, une incompréhension générale est née : de la part des graffeurs, dans leurdifficulté à imposer leur passion en tant que telle, mais aussi de la part des pouvoirs en place,ou bien même du citoyen lambda, qui ne comprend pas toujours l’intérêt d’un tel « rituel ».

De fait, la communication semble très complexe à établir entre, ceux qui agissent etceux qui subissent la pratique.

A travers son entretien, Impakt a reformulé cette situation d’incompréhension mutuelle :« On est un peu les victimes de notre truc. Je vais pas te dire. Moi j’aimeraisqu’on soit plus visibles, donc je vais te dire on est mal vu. Mais ça se comprendqu’on soit mal vu, mais ça se comprend, parce que les gens ne sont confrontésqu’au tag et au vandalisme. Enfin, je sais pas tu sais, j’aurais pas d’autre exempleà te donner. Si il y a un commissariat dans ton quartier et tous sont ripoux et quetu vas pas voir dans les autres commissariats, tu te dis : « tous les flics sontcomme ça, ben tu vois c’est pareil. Ben eux les mecs, ils voient que des tags, ilsse disen,t ils font tous ça, du coup je m’intéresse même pas au truc. Après, c’estmême pas de la visibilité, c’est de l’intérêt qu’il faut apporter au truc. La visibilité,t’as internet maintenant, tu tapes graffiti, t’as même pas le temps de regardertoutes les pages. Les gens, on leur donne pas à voir finalement, parce que, oùc’est qu’on a des murs dans la ville pour que les gens y fassent pas la démarchede les chercher. Si on avait des murs, moi je vois comment les gens y nousparlent quand ils voient notre boulot et quand ils voient pas notre boulot, lesdiscours, c’est un truc de dingue, ça a rien à voir. Le graffiti les intéresse mêmepas quand tu commences à leur en parle, donc toi comme t’as une gamberge,enfin t’essaies de comprendre aussi ceux qui sont pas d’accord ou quoi. C’estnormal qu’ils n’aiment pas, ils ne connaissent que ça, mais par contre, ils fontpas la démarche, ça les intéresse pas, stop. C’est que de la merde, c’est pasbeau, stop. Ils creusent pas quoi. Tu vois , pour te dire la gamberge des gens,comme ils arrivent pas à lire, parce que c’est que de la calligraphie, comme ilsarrivent pas à déchiffrer, tu sais ce qu’ils se disent les gens : « c’est forcémentdes étrangers, c’est pas écrit en français, on comprend pas ». Ce genre dediscours, je l’ai déjà vu, c’est filmé, c’est sur des vidéos qui sont vendues à lafnac. Bien sûr que les gens y réagissent comme ça , qui associent les arabes et labanlieue au graffiti, alors que je te promets que tu vas dans mon quartier, y’a pasun tag. Les mecs y en ont rien foutre. »

Mais au delà de cela, le graffiti, dans la forme sous laquelle il se présente, constitue unebarrière en lui même.

En effet, comme l’a justement fait remarquer Impakt, les « graffs » ou même les tags,sont souvent illisibles pour la plupart des personnes.La recherche technique de lettragescomplexes, s’effectue au détriment de la compréhension même des mots. Dès lors, le public

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potentiellement « ralliable » au graffiti, se trouve en partie exclut de la discipline, pour unesimple question de lisibilité.

Enfin, l’aspect vandale et illégal du graffiti crée un obstacle ( en terme dereconnaissance extérieure ) difficile à franchir, aussi bien pour les graffeurs que pour lesinstitutions politiques. Il est complexe, voir contradictoire de vouloir éradiquer totalementle graffiti dans la ville, tout en sachant que de grandes campagnes de démocratisationculturelle, sont de plus en plus d’actualité, au sein même de la politique culturelle de la ville.

Le graffiti est une réalité à laquelle nul ne peut échapper. Le problème est de savoircomment faire cohabiter ce dernier, avec les impératifs de la politique de la ville.

Dans cette optique, certaines solutions ont été envisagées. Mais au final, il sembleraitque le graffiti ne puisse officiellement s’inscrire dans les « rangs » de la ville, qu’ ens’adaptant aux exigences institutionnelles, crées au sein de l’espace urbain.

En d’autres termes, nombre de graffeurs se voient aujourd’hui contraints d’abandonnerdéfinitivement la pratique vandale, s’ ils souhaitent un jour obtenir une reconnaissanceofficielle.

1.2 Le besoin d’une reconnaissance extérieureCette « nécessité » d’institutionnalisation permet néanmoins aux graffeurs d’explorer denouveaux horizons, tels que le graphisme, la communication publicitaire ou encore l’artcontemporain. Certains writers expérimentent la légalité de la pratique et deviennent, par lamême occasion, de véritables professionnels en matière artistique.

Le vandale laisse place aux "plans payés", et les writers répondent désormais à unensemble créatif de commandes officielles.

Il est donc ici question de déterminer en quoi consiste cette nouvelle dynamique detravail, bien que l'acceptation du graffiti dans la ville, ainsi que dans le milieu artistique, n'ensoit encore qu'à ses prémices.

Tout d’abord, en ce qui concerne la politique menée par la ville. Cette dernière, bienque très confuse dans ses intentions vis à vis du graffiti, essaie aujourd’hui de se structurerdans le sens d’une « collaboration » plus étroite.

En effet, il arrive aujourd’hui à la ville de subventionner des manifestations culturelles,directement affiliées au graffiti : dans le cadre de biennales d’art contemporain, oude festivals de musique par exemple. Certaines mairies font désormais appel à desgraffeurs pour exécuter des commandes artistiques ou encore des réfections de façadesd’établissements publics.

Dans la même optique, quelques murs « légaux » sont mis à disposition des apprentisgraffeurs. Cela leur permet de pratiquer directement sur des supports urbains, sans pourautant encourir de sanction judiciaire.

Enfin, certains writers mettent leurs services à disposition, dans l’apprentissage de ladiscipline à de jeunes novices.

De fait, l’efficacité de ces dispositifs n’a pu encore exactement être évaluée.Néanmoins, ceux-ci ont permis aux graffeurs de bénéficier d’une reconnaissance au seinde l’espace urbain.

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Entre graffeurs et graffeurs, ou la diversité d'une même discipline

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De plus, d’autres initiatives en direction du graffiti voient aujourd’hui le jour. Certainscommerçants ou même certaines entreprises de publicité font appel aux writers en matièrede conception graphique, soit pour agrémenter la devanture d’un magasin ou encore pourvendre le dernier produit en vogue d’une marque connue. De fait, le graffiti s’exporte, touten restant visible au gré des rues. Mais désormais, tout ceci s’effectue dans une sphèremarchande, dans laquelle chacun essaie de trouver son compte.

Cette « émancipation » de la pratique offre au graffiti une plus grande visibilité, mêmesi cette commercialisation émergente, ne semble pas encore être parvenu à satisfairel’ensemble des membres de la communauté graffiti.

II. L’élaboration d’un monde et de références propresLe graffiti, en tant que discipline fédérant des individus et produisant du sens, se revendiqued’une appartenance singulière à une « culture propre ».

En effet, si l’on accepte l’existence d’une culture particulière ( en dehors de ce que l’onnomme la culture légitime) et de fait, allant au delà des rapports de domination traditionnels,

décrits par Pierre Bourdieu dans « La distinction » 21 ; On s’aperçoit que la « communauté »

graffiti a su créer au fil du temps, son ensemble propre de références.Dès lors, est apparu un mode d’expression autonome, dans lequel se sont construits

un langage, des codes vestimentaires très précis, ainsi que des règles internes spécifiques.De fait, une véritable dynamique de groupe s’est installée, avec tout ce que cela peut

comporter d’imprévus.

2.1 La nécessaire reconnaissance du milieuAu delà de leur acceptation au sein de l’espace urbain, les graffeurs accordent très souventune importance toute particulière au regard de leurs compères :

« Quand tu fais une sortie et que t’éclates partout, ça m’est arrivé, tous lesjours t’éclates les mêmes quartiers, je sais pas ce que tu revendiques, enfinmoi, je faisais plus ça pour m’amuser, et puis tu te fais voir en fait des autrestagueurs. La reconnaissance, tu l’as par rapport au milieu, après quand t’asla reconnaissance et quand en plus y’a des articles dans le journal parce quet’éclates tous les jours le même quartier, c’est tant mieux, la reconnaissance detous . »

De fait, Le graffiti est avant tout une discipline ou la culture de l’image prime sur beaucoupd’autres choses. L’essentiel est de se faire voir, d’être vu et reconnu par tous.

Les graffeurs doivent jouer de leurs talents pour se faire un nom. La maîtrise de latechnique, l’esthétisme, ainsi que la fréquence de la pratique, sont des critères primordiauxpour se faire respecter en tant que graffeur. Il faut attirer le regard sur soi. Cette démarchetrès centrée sur l’individualité de chacun, est justement évoquée par Impakt :

21 Se reporter à la bibliographie

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TROISIEME PARTIE : La question de la reconnaissance

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« Pour avoir la reconnaissance, il faut que tu le fasses de toi même, il faut pasque tu le fasses parce que les gens te regardent. Tu vois, ce que je veux dire, t’esreconnu parce que tu as une attitude qui va avec ton image et que t’es entier, etvoilà, tu vois, tu marches pas sur la tête des gens pour y arriver, tu vois. Maisbon, ça c’est clair que le graffiti, c’est super égocentrique. Tu vois, ça c’est clair,c’est moi je, moi je, tu vois. Mais en même temps, tu peux faire du graffiti et nepas avoir cet état d’esprit. »

L’existence effective de la plupart des writers doit répondre en amont à des critères de qualitétrès sélectifs. Il ne suffit pas, pour être intégré à la « communauté graffiti » d’inscrire sonnom au gré des rues. Cela va beaucoup plus loin : Le writer sera reconnu par ses pairs pourses capacités techniques, pour son originalité, mais aussi pour sa façon de se comportervis à vis des autres pratiquants.

Ce besoin d’exister à travers le regard de l’autre se révèle parfois être un véritablemoteur de création. En effet, chacun essayant de surpasser l’autre, une dynamique évolutiveémerge autour de la pratique et parvient à donner du sens, voir même un but à une grandepartie du mouvement.

Ainsi, cette identification vis à vis d’un tierce, trouve toute sa pertinence dans la créationde tableaux ou encore dans la mise en œuvre d’expositions. Dévoiler au grand jour sescréations permet aux writers de s’affirmer, en tant qu’individualité, capable de produire unerichesse reconnue par tous : mais cette démarche artistique s’effectue rarement en touteneutralité. En d’autres termes, exposer permet aux graffeurs de gagner en légitimité au seinmême de leur propre groupe.

A titre d’exemple, Dense qui a choisi de créer sa propre galerie, en partie pour bénéficierd’une visibilité plus étendue.

« Evidemment [avoir la reconnaissance du milieu c’et important]….c’est peut êtrepour ça que je fais des toiles. »

Néanmoins, ce besoin de reconnaissance du « milieu » ne signifie en aucun cas que tousles graffeurs fonctionnent de manière totalement homogène. Comme l’affirme Impakt,« biensûr qu’il y a une reconnaissance, mais après c’est pas parce qu’on est tous graffeurs, qu’onest forcément tous des potes, et tous additionnables. »

De fait, le plus important n’est pas de former une unité indestructible, mais bel et biende laisser une trace indélébile de son passage dans les rues de la ville et aux yeux desautres graffeurs :

« Mais moi je serai toujours un graffeur moi et vis à vis des autres graffeurs, je resteraitoujours un graffeur, parce qu’ils connaissent mon passé, ils savent que j’ai évolué avec euxaussi et parce qu’ils savent que je les oublierai pas. »

2.2 Le graffiti : entre lutte de pouvoir et solidarité« L’enfer c’est les autres ». Cette phrase issue de l’œuvre majestueuse de Jean PaulSartre,« Huis clos », pourrait, par moment être le mot d’ordre de certains graffeurs. En effet,au delà des affinités que les crews peuvent engendrées, nombre de divergences, internesau mouvement du graffiti sont à répertorier.

Les conceptions de ce que doit être le graffiti sont loin d’être uniformes. Certainsdéfendent passionnément le graffiti vandale, alors que d’autres adoptent une position plus

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institutionnalisée vis à vis de la pratique. Dès lors, des antagonismes voient le jour, etcertains s’enferment dans un cycle ininterrompu d’affrontements, au sens propre commeau sens figuré.

« Ca se tape dessus, ça s’engueule, ça s’entend pas du tout. En fait, ça marchepar crews, par groupes. On va dire dans chaque groupe, y peu y avoir, ça peutêtre très hétéroclite, il peut y avoir de tout quoi, des mecs qui font de la fresque,comme des mecs qui font du vandalisme à outrance, c’est des histoires de potesaprès aussi, une histoire d’affinités personnelles, on va dire généralement lesvandales y se regroupent et puis les fresqueurs aussi, donc ils sont souvent

entre eux. » 22

Au delà du crew, certains graffeurs se livrent une lutte de pouvoir sans merci, dans l’objectifde possèder le plus grand territoire, et de bénéficier d’ une large visibilité. Tout ceci provoquedes différents :

« il y a toujours des tensions, des animosités parmi certaines personnes, parceque dans le graffiti malgré tout, on a tous une bande, un crew, et quand t’es pasdu même crew, la logique veut que, on est pas du même crew quoi, on est pas dela même famille quoi. »23

Mais d’après Impakt, ces antagonismes ne signifient pas grand chose, dans la mesure oùtous les graffeurs, quels qu’il soient, se fédèrent autour d’une pratique unique, le graffiti :Et bien que les conceptions divergent parfois, la nécessité de s’affronter pour s’affirmer nefait pas l’unanimité :

« Ca veut rien dire [tout ça], on a la même passion, on va dans les mêmesendroits, on écoute la même musique, on va dans les mêmes magasins pouracheter nos bombes, on a nos photos qui paraissent dans les mêmes magazines,et on se marche pas dessus, c’est vraiment n’importe quoi. Mais après çaexiste, forcément, on est pas tous additionnables parce qu’on a la mêmediscipline. Après, t’as des gens qui vont attendre que tu sois pas là pour niquertes peintures, parce qu’ils ont pas les couilles de venir te dire qu’ils t’aimentpas, donc ils attendent que tu sois pas là pour niquer ta peinture, mais bon,moi je pars du principe que si j’aime pas quelqu’un, je vais le régler avec lui leproblème. »

Néanmoins, la pratique du graffiti ne se limite pas à ces querelles internes. Au delàde chaque individualité, le crew a permis de créer des liens. Ilreprésente une structureprotectrice à laquelle on peut se référer à tout moment :

« L’effet de groupe, moi j’aime bien être entouré. Moi je kiffe la communauté,ça serait que moi, je vivrais avec mes potes. J’aurais des ronds, moi j’auraisune énorme baraque avec plein de murs, avec mes potes, ma famille, tous lesgens que j’aime quoi. Après, une passion, ça s’explique pas vraiment, tu vois,t’as aimé ça, après tu pratiques, après tu le fais. Tu vois, pourquoi les mecs ilscollectionnent des timbres, pourquoi. Après j’aime le graff, parce que voilà, onarrive à faire des trucs qui impressionnent les gens, en deux jours, tu peux taperun boulet de mur. Après, c’est des choses qui se font en grand, qui se font vite,22 Propos provenant de l’entretien d’ HOOPER23 Propos provenant de l’entretien d’IMPAKT

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qui peuvent se faire à plusieurs malgré toute nos différences, justement ça c’estun symbole qui pour moi est super important. »24

Enfin, pour ce qui est de la ville de Lyon à proprement parlé, il semblerait que les graffeursaient trouvé un terrain d’entente. Et malgré certaines discordes, l’atmosphère générale restepropice à la création. Comme en témoigne Osru, l’affrontement est relégué loin derrière lesimpératifs esthétiques liés à la pratique du graffiti:

« A Lyon, y’a pas trop de lutte entre les mecs qui font des trucs la nuit et lesmecs qui font des trucs le jour, on va dire, puisque finalement ça revient à ça.Dans certaines villes comme à Paris ou à Marseille, y’a beaucoup de gens quifont de trucs la nuit qui viennent saloper les boulots des mecs qui font des trucsque le jour. A Lyon, ça arrive de temps en temps, mais c’est quand même assezanecdotique, y’a quand même encore beaucoup de respect par rapport à ça,heureusement. Par rapport à ça, mais pour moi, y’a une place pour chacun. »

III. Le graffiti, de l’individu au groupeEntre logique collective et logique individuelle, les graffeurs se positionnent bien souvent dedeux manières différentes vis à vis de leur pratique.

Tout d’abord, chaque graffeur, en apposant sa signature sur ses œuvres, se distinguepar la même des autres membres de son groupe. Une fois sa création achevée, celle-citémoigne d’un travail singulier, mené généralement par une seule et même personne.

Néanmoins, la plupart des writers font partie d’un crew, sorte de groupe fédérateurdes savoirs. Chaque membre du crew apporte sa contribution à l’élaboration de projets etd’objectifs communs.

Dès lors, il n’est pas toujours aisé pour chaque writer de se situer précisément, entre,d’une part une dynamique impulsée par le phénomène de groupe, et d’autre part, unedynamique personnelle, portée par ses ambitions propres.

3.1 Une existence effective à travers l’autreUne question se pose à nous lorsque l’on observe de plus près la pratique du graffiti. Legraffeur, au delà de son identité singulière, peut il réellement exister sans la reconnaissancepréalable de ses pairs ?

Comme nous l’avons précédemment fait remarquer, les writers se trouvent dans unedouble dynamique qui ne permet pas toujours d’exister ou même de s’affirmer en tantqu’individu.

En effet, le graffeur, au sein du groupe ne se perçoit pas nécessairement comme uneentité à part entière, mais bien souvent comme un élément interne au crew.

De fait, l’existence de chacun est susceptible d’être réduite significativement.

24 Propos provenant de l’entretien d’IMPAKT

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En effet, la technique, ainsi que le savoir acquis, ne peuvent et ne doivent pas s’inscriredans une démarche personnelle. Il s’agit bel et bien de partager des connaissancescommunes, au sein d’une entité fédératrice.

Le writer est donc considéré comme le membre d’un tout, dont il ne peut quedifficilement se démarquer .

L’attitude à adopter par ce dernier au sein du mouvement graffiti se situe dans uneambivalence permanente, entre appartenance à un groupe et individualité exacerbée.

Le groupe ne peut bien sûr pas exister sans l’apport individuel de chacun, néanmoinscela pose la question de l’identité, voir même de l’identification de l’individu en tant que tel.Sans réelle conscience d’une existence propre, l’individu ne peut se figurer qu’à traversl’image du crew.

Cette forme de négation existentielle, la plupart du temps inconsciente peut aboutirsur une situation complexe pour les graffeurs : Comment est il possible de se situer entant qu’individualité au sein de l’espace public, si l’on a pas une conscience aboutit de sesparticularités?

Et le groupe, bien qu’il soit composé d’êtres conscients et « consentants », peut exercerune certaine forme de domination symbolique sur l’ensemble de ses membres. En effet,le crew n’ayant que très rarement un leader attitré, ce dernier fait office de « meneur detroupes ».

Et aussi étrange que cela puisse paraître, chaque membre constituant ce tout, exerceinconsciemment une emprise certaine sur les autres membres.

Et au delà de l’aspect fédérateur que peut apporter une dynamique de groupe, l’individune saurait être considéré sans l’apport supplémentaire du crew.

Néanmoins, il est nécessaire de nuancer ces constations, dans la mesure où le groupe,bien qu’il exerce une force dominante inconsciente sur chaque individualité, peut de lamême manière, crée un ensemble combiné d’énergies créatives.

3.2 Le groupe comme catalyseur de la créationLe crew est un ensemble regroupant des graffeurs, la plupart du temps désigné par desinitiales : ZMR, SOK, KMF….

Au sein d’un crew, le travail réalisé est collectif. En effet, il s’agit de combiner lescapacités de chacun dans la création d’objets communs ( fresques, murs, …).Une fois lacréation réalisée, chaque graffeur signe l’œuvre de son blase : Le crew lui aussi laisse unetrace commune de son passage en signant de ses initiales la peinture achevée.

Selon les crews, le graffiti prend une dimension bien spécifique. En effet, la plupartdes groupes se constituent au travers d’amitiés et d’affinités entre graffeurs. Très souvent,les writers d’un crew viennent du même quartier et partagent les mêmes idéaux. De fait,et dans ces cas bien précis, l’affectivité prend le pas sur les compétences techniques ouesthétiques.

Cette conception du graffiti met en avant la relation au sein du groupe, en tant que« catalyseur » d’énergies. Ici, l’addition de diverses personnalités est considérée commeun moyen efficace d’avancer et de se soutenir, mais avant tout comme une possibilité detravailler avec ceux que l’on affectionne.

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« Pour[..] moi, le principe du crew, c’est des gens qui peignent ensemble,voilà, pour moi, ça va pas tellement plus loin que ça. »25

Le crew doit donc être envisagé comme le lieu de convergence pour « des gens qui peignent

ensemble. » 26

D’autre part, toujours en relation avec cette dynamique de groupe, le crew peutégalement avoir pour objectif de réunir en son sein, des graffeurs ayant le même niveautechnique, ainsi que des compétences artistiques similaires. Dès lors, certains crews seconstruisent au delà de barrières géographiques : le crew peut avoir une résonance àtravers toute la planète. A titre d’exemple, certains writers français appartiennent à descrews américains.

L’objectif est de conférer au crew une dimension internationale et de la faire connaîtredans la planète entière. De cette pratique, naît une conception très élargie du groupe : ils’agit d’un ensemble de personnes déployant leur créativité pour une même entité, sanspour autant interagir directement les unes sur les autres. Dans ce cas précis, il est questionde réunir des énergies au sein d’un réseau fédérateur. Dès lors, chaque graffeur, danssa recherche personnelle de reconnaissance, travaillera de manière concomitante à faireconnaître le crew.

De fait, quelle que soit la conception que les graffeurs peuvent avoir du crew,l’essentiel est de pouvoir se référencer à un groupe d’appartenance. Travailler avec d’autrespersonnes sur des projets communs, permet d’une certaine façon de créer un phénomèned’entraînement. En effet, chaque graffeur, en cherchant à se surpasser pour faire connaîtreson crew, exécute par la même, une astucieuse opération créative.

Néanmoins, au delà de cet aspect communautariste, le graffiti, en tant que disciplineartistique, doit effectuer un savant calcul entre deux logiques contradictoires : celle del’individu et celle du groupe. Ainsi, la pratique se heurte en permanence à ce doublemouvement, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Enfin, l’essence même du graffiti setrouve peut être dans cette hérésie langagière, qui mêle à la fois singulier et collectif dansun tout répondant au nom de crew.

25 Propos provenant de l’entretien d’OSRU26 Propos provenant de l’entretien de VIOLON

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CONCLUSION

Le graffiti, tel qu’il apparaît aujourd’hui en Europe, ainsi qu’aux Etats Unis, se retrouvedans un positionnement double, entre la ville et le monde de l’art. La ville, ainsi que sapériphérie, deviennent les supports de prédilection de cette discipline en devenir. Dans sonfonctionnement, le graffiti redéfinit l’ensemble des espaces urbanisés, avec pour seul outil,la bombe de peinture.

Au delà des frontières, ce dernier laisse une trace de son passage, bien plus qu’il nerevendique l’appartenance propre d’un territoire.

Le « graff » se meut au gré des rues, et se confronte directement à la conceptionoccidentale de la sédentarité : il est omniprésent, et se décline à l’infini en une multitudecréative.

Cette calligraphie d’un nouvel âge, offre un ensemble visuel de significations, que seull’auteur peut parfaitement saisir. L’acte graphique est « exposé » aux yeux de tous, et lacréation se donne en représentation à un public nomade. Dans cette optique d’expansion,le graffiti se confronte perpétuellement à la redéfinition des frontières, qu’elles soientphysiques ou purement symboliques.

Mais au delà de ces réalités pratiques, le « graff » se constitue peu à peu en tant queculture particulière. Dès lors, on peut affilier à la discipline, des coutumes spécifiques, ainsique des habitudes langagières singulières.

Le graffiti se construit par lui même et pour lui même, dans une démarche esthétiquetrès sensible. Celui-ci, ainsi que ses « pratiquants », évoluent de manière autonome dansl’élaboration d’une discipline, centrée autour du travail de l’image. En effet, rien n’est plusimportant que l’image dans la « communauté » graffiti : l’image que peut avoir le graffeurde son activité, l’image que la pratique renvoie au reste de la population, ou encore l’imageque les graffeurs ont d’eux mêmes, sont des notions primordiales à ne pas négliger.

Mais malgré leurs talents créatifs, les writers ont à l’heure actuelle beaucoup dedifficultés à trouver leur légitimité artistique. Néanmoins, ces derniers, si ils ne peuventobtenir de réelle reconnaissance de la part des institutions officielles, créent leur propresystème de reconnaissance et inscrivent leur pratique dans une démarche artistiqueautonome, en faisant fi des lois dictées par l’ensemble de la communauté urbaine.

Le vandalisme ou le graffiti illégal permettent aux writers de fonctionner en margedes conventions, mais ne garantissent en aucun cas la légitimation du « grand public ».C’est donc l’objectif de certains graffeurs que de porter le graffiti à la connaissance du plusgrand nombre, même si cette manœuvre implique nécessairement des modifications dansla pratique, ainsi que dans les comportements.

Et devant la montée en puissance du nombre de graffeurs dans les villes, lesdivergences internes se dessinent. Parmi la multitude des techniques, le graffiti ne peutêtre considéré, ou même définit d’une manière uniforme. La pratique oscille donc enpermanence entre besoin d’autonomie, revendications des identités, dynamique de groupeet besoin de légitimation.

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CONCLUSION

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Ainsi, ces constatations témoignent de ce qui se joue entre pouvoirs publics et graffeurs,et donc entre la ville et le domaine artistique. Mais au delà de ces considérations purementthéoriques, le réel enjeu se trouve dans la nécessité des acteurs en présence, de travaillerensemble à l’élaboration d’un projet commun de construction autour de l’espace urbain.

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LEXIQUE

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LEXIQUE

Evoquer le graffiti et sa pratique, nécessite avant toute chose de maîtriser le vocabulairebien spécifique à ce domaine. Voici la définition des principaux termes utilisés tout au longdes entretiens :

D’après : *le site internet : graffiti database*les dires des graffeurs eux mêmesB.Boy-Bad Boy : personnage peint dans la plupart des fresques

Blase27 : pseudonyme utilisé par les graffeurs et taggueurs pour signer leurs peinturesBloc letters : style de lettrage simple, compact et carréCartonner, déchirer, massacrer, retourner : faire beaucoup de tags ou de graffitisChrome : graffiti réalisé entièrement avec la couleur argent/chrome pour le remplissageCrew : groupeFlop : lettrage gonflé se situant entre le tag et le graffitiGhetto blaster : poste, radio-cassette

Graffiti28 : peinture murale, ensemble de lettres contournées volumineuses et épaissesGraffeur : personne qui réalise diverses sortes de peintures, comme la fresque ou

encore le graffitiGraffiteur : personne pratiquant le graffitiHip Hop : mouvement d'expression artistique regroupant le rap, le mix, le break dance

et le graffiti. Né dans les ghettos new yorkais, au début des années quatre vingtJAM : festival autorisé qui réunit des graffeurs de divers horizons pour réaliser une

peinture communePièce : nom donné à la peinture des graffeursPerso : diminutif du personnage représenté sur la fresqueSpray : autre terme pour qualifier les bombes utilisées par les graffeurs pour grafferSpot : lieu choisit pour exécuter un graffiti ou une fresque

Tag29 : signature stylisée exécutée avec un marqueur ou une bombe

Toyer30 : principe de barrer un graffiti ou d’en poser un autre par dessusVandale : Pratique illégale du graffitiWild style : Réalisation complexe de lettres se chevauchant

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ENTRETIENS

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ENTRETIENS

(à consulter sur place au centre de documentation de l'Institut d'Etudes politiques de Lyon)

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PHOTOGRAPHIES

Les photographies qui suivent, représentent un panel de ce qui peut aujourd’hui se faire enmatière de graffiti. On retrouve ici :

du tagdu personnagedu graffiti au pochoirde la fresquedu tableau

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PHOTOGRAPHIES

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PHOTOGRAPHIES

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PHOTOGRAPHIES

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