Educationet

éducateurschrétiens

sous la direction de

Hervé PasquaAvec la collaboration de Marie-Thérèse Bellocq

L’Harmattan

L’éducation au service de la vocation divine de l’homme selon saint Josémaria Escriva

Josémaria Escriva de Balaguer (1902-1975),fondateur de l’Opus Dei (1928), fut avant tout un saintprêtre344 ; le premier, il sut promouvoir d’une manièreexceptionnelle une spiritualité fondée sur « l’affirmationde l’appel universel à la sainteté, de la valeur chrétiennedu travail et des réalités terrestres345 ». Son enseignement344 A. Vázquez de Prada, Le fondateur de l’Opus Dei. Vie de JosemaríaEscrivá, Le Laurier – Wilson & Lafleur, Paris – Montréal (3 volumes:2001, 2003, 2005). Siervo de Dios Mons. Álvaro Del Portillo, Entrevistasobre el fundador del Opus Dei, Mons. Javier Echevarria, Memoria delbeato Josemaría Escrivá (entrevista con Salvador Bernal), Rialp, Madrid2000. F. Gondrand, Au pas de Dieu. Josemaría Escrivá de Balaguerfondateur de l’Opus Dei, France-Empire, Paris 1992.www.josemariaescriva.info . 345 J.L., Illanes, Datos para la comprensión histórico-espiritual de una fecha,en: «Cuadernos del Centro de Documentación y Estudios JosemaríaEscrivá de Balaguer» VI (2002) 105. Cf. J.L., Illanes, op. cit., p. 65-108.Con palabras de San Josemaría: «Depuis 1928, je n’ai cessé de prêcherque la sainteté n’est pas réservé à des privilégiés et que tous leschemins de la terre peuvent être divins »; « le but, auquel aspire l’OpusDei, est de favoriser la recherche de la sainteté et l’exercice del’apostolat parmi les chrétiens qui vivent au milieu du monde, quelsque soient leur état et leur condition » (J. Escrivá de Balaguer,Entretiens avec Mgr. Escriva de Balaguer, Fayard, Paris 1969, n° 34 et 60).

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n’était pas seulement destiné à répandre un message maisaussi à fonder une institution qui prolonge ce messagedans le temps346.

Quand il commença à prêcher, cette doctrine del’appel universel à la sainteté - considérée de nos jourscomme « l’élément caractéristique de tout le Magistèreconciliaire347 » - fut perçue comme une vraie nouveauté.On ne trouvait dans la Théologie et dans le Droitcanonique de l’époque, ni les exposés, ni les cheminsnécessaires à sa reconnaissance. Il dut par conséquentélaborer toute une doctrine théologique, pastorale etjuridique348. Depuis le 2 octobre 1928 jusqu’à sa mort en1975, il consacra sa personne et toute son énergie àdiffuser la conscience de l’appel à la sainteté que Dieu aadressé à tous les hommes. Tous les aspects de sonexistence furent liés à cette mission349. On peut alors toutnaturellement se demander s’il est possible de parler dece qui ne se confond pas avec cette réalité à laquelle ilidentifia sa vie. Cela a-t-il encore un sens de rechercherdans sa vie et ses écrits une pensée pédagogiqueparticulière ou un style éducatif propre ? Saint Josémaria

346 «Nous ne pouvons pas oublier que l’importance de la personne duBienheureux Josemaría Escrivá vient non seulement de son message,mais aussi de la réalité apostolique pour laquelle il a donné sa vie.Dans les 65 années passées depuis sa fondation, la prélature de l’OpusDei, indissoluble unité de prêtres et de laïcs, a contribué à fairerésonner en beaucoup de milieux, l’annonce salvatrice du Christ. »Jean-Paul II, Discours aux participants du congrès théologique sur lesenseignements du Bienheureux Josemaría Escrivá, 14-X-1993, n° 4. 347 Paul VI, Motu proprio Sanctitas clarior, 19-III-1969. Cf. ConcileVatican II, Const. Dog. Lumen gentium, nn° 11, 39-41. 348 E. Baura, (dir.), Études sur la Prélature de l’Opus Dei, Wilson &Lafleur, Montréal 2009. 349 Cf. Echevarria, J., Memoria del beato Josemaría Escrivá, op. cit., p. 61.

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a-t-il été un éducateur, un pédagogue ? Que nous a-t-iltransmis sur le plan éducatif ?Pour répondre à ces questions il me paraît opportun dedistinguer tout d’abord deux manières d’aborder le sujetde l’éducation : l’une vaste et générale, l’autre plusrestreinte. Éduquer dans son sens le plus large et enaccord avec l’acception gréco-socratique signifie amenerl’homme à être lui-même, donc l’aider à atteindre saperfection propre en tant qu’homme350. Nous connaissonstrès bien les difficultés insurmontables que rencontra laconception grecque du terme « soi-même351 ». C’estseulement dans la révélation hébraïque que l’hommetrouva la réponse exacte à sa grandeur et à sa fragilité,pouvant ainsi déchiffrer sa propre énigme qu’il neparvenait pas à résoudre, se percevant lui-même commeune contradiction vivante.Le christianisme situa la perfection de l’homme commeune vie en communion avec Dieu352, comme une vied'enfant de Dieu dans le Christ. En même temps il ne secontenta pas d’indiquer le chemin pour acquérir lebonheur suprême, mais il offrit aussi les moyens pour y

350 Les œuvres contemporaines de philosophie et de pédagogiegénérale expriment habituellement en termes semblables l’essence del’action éducative. Cf. V. García Hoz, Principios de Pedagogía sistemática,Rialp, Madrid 1960, p. 25; A. Millán Puelles, La formación de lapersonalidad humana, Rialp, Madrid 1981, p. 27; M. García Amilburu,Aprendiendo a ser humanos. Una antropología de la educación, Eunsa,Pamplona 1996, p. 18; F. Altarejos, C. Naval, Filosofía de la educación,Pamplona, Eunsa, 2011, p. 26351 Cf. Ch. Moeller,, Sagesse grecque et paradoxe chrétien, , Paris,Casterman –Tournai, 1948.352 « Dieu invisible, de l’abondance de son amour, parle aux hommescomme à des amis, habite en eux pour les inviter à entrer encommunion avec lui. » Concilie Vatican II, Const. Dog. Dei Verbum, n°2. Cf. Concile Vatican II, Const. Gaudium et spes, n° 19.

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parvenir. En effet, la régénération par la grâce, de lanature humaine blessée par le péché, a délivré l'hommede la servitude dans laquelle il se trouvait, en supprimantla difficulté insurmontable qu’il connaissait pour choisirlibrement et avec l’aide de la raison, la vérité sur le bien353.À la base de cette vision de l’homme, le christianisme aélaboré une doctrine de l’éducation dont la finalité est laperfection de la personne humaine en tant que telle danstoutes ses dimensions, concevant l’action éducativecomme une collaboration avec la grâce et avec la libertéde l’individu, dans le but de construire la personne danssa vérité. Dans la pédagogie chrétienne, l’action éducativeatteint son sens ultime lorsqu’elle se conçoit comme uneaide pour que chaque personne apprenne à vivre enenfant de Dieu, chacun imitant l’homme parfait qu’est leChrist354, malgré les facultés, les qualités et les faiblessesde chacun.Il est évident, sous ce rapport, que saint Josémaria a étéun grand pédagogue, un pasteur rempli de zèle qui aconduit des milliers de personnes à vivre en plénitude cetappel à l’identification au Christ, base essentielle de lavocation chrétienne. Son œuvre d’éducateur se révèlenotamment chez les dizaines de milliers de personnes qui,au milieu du monde, se considèrent comme ses enfantsspirituels, chez les dizaines de milliers de professionnels

353Cet esclavage de la liberté, introduit par le péché, explique la limitede tout intellectualisme pédagogique, de toute réduction del’éducation à l’instruction.354 « Celui qui suit le Christ, homme parfait, se perfectionne chaquefois plus en sa propre dignité d’homme ». Concile Vatican II, Const.Gaudium et spes, n° 41. Cf. V. García Hoz, Tras las huellas del BeatoJosemaría Escrivá de Balaguer. Ideas para la educación, Rialp, Madrid 1997,p. 179; Mons C. Caffarra, L’apporto cristiano all’educazione:www.caffarra.it/educ0901.php (consulté le 16-VI-2011).

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qui ont accédé à la prêtrise, les millions de personnes, deconditions les plus diverses, qui ont été et sont encoremarquées par ses paroles et ses écrits et qui, attirées parson idéal de service, ont mené leur vie professionnelledans le monde de l’éducation. Il faut aussi considérer tousles collèges, universités, centres de formationprofessionnelle, mouvements d’orientation familiale(fruits de la ténacité de pères et mères de famille fidèlesde la Prélature ou sans aucun lien avec elle) qui, inspiréspar l’idéal chrétien de formation prêché par saintJosémaria, ont promu et promeuvent aujourd’hui encoredans le monde entier des activités éducatives aux profilstrès variés355.En revanche, si nous considérons l’éducation dans unsens plus restreint, c'est-à-dire sous ses aspectsméthodologiques et techniques, saint Josémaria ne nous alaissé aucune indication spécifique, les laissant à ladécision libre et responsable des professionnels à qui cettetâche était confiée. Contrairement à d’autres éducateurschrétiens célèbres des quatre derniers siècles comme saintJoseph Calasanz (pionnier de l’école privée), saint JeanBaptiste de La Salle (précurseur des écolesprofessionnelles), saint Jean Bosco (formateur de lajeunesse), Eugène Dévaud (qui s’est efforcé d’intégrer desprincipes chrétiens au mouvement pour la NouvelleEcole) ou encore Maria Montessori (promotrice d’uneméthode destinée spécialement aux enfants de niveau

355 Dans ce contexte, David Mejia professeur d’Université maintenantdécédé et qui vécut entre 1958 et 1960 à Rome aux côtés de saintJosémaria le qualifia comme étant l’un des éducateurs les plus fécondset lumineux du XXème siècle. Cf. D. Mejía, El pensamiento educativo deSan Josemaría Escrivá de Balaguer, en: San Josemaría y la Universidad,Universidad de La Sabana, Bogotá 2009, p. 221.

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pré-scolaire), on ne peut attribuer à saint Josémariaaucune spécialisation dans ce domaine.Il est inexact aussi de dire qu’il a été à l’origine d’uneécole pédagogique ou d’une méthodologie didactiquepropre à l’institution qu’il a fondée. Bien sûr, saintJosémaria avait son point de vue sur cette question dutravail de formation humaine et chrétienne comme surtant d’autres questions, mais il s’agissait de son opinionpersonnelle356. Sa contribution s’est opérée non pas tant àpartir d’un travail académique mais elle reflète plutôt lasagesse chrétienne. Tout ceci ne veut pas dire par ailleursqu’il n’existe pas chez saint Josemaria une conceptionbien précise qui se reflète dans les nombreuses initiativesde formation animées par son esprit. Cette physionomie bien particulière et en même tempstrès riche se manifeste entre autres par le désir ardent deceux qui y travaillent, de cultiver les vertus humaines etde proposer un enseignement ou une formation de qualitéet très concrète. Ils se distinguent aussi par la façon dontils s’efforcent de susciter l’amour du travail bien fait et lesoin apporté aux détails matériels. Dans ces centres,l’éducation de la liberté et par conséquent de laresponsabilité personnelle ont une place centrale. Et dans

356 « L’Œuvre ayant un objectif exclusivement divin, son esprit est unesprit de liberté, d’amour pour la liberté personnelle de tous leshommes. Et comme cet amour de la liberté est sincère et n’est pas unsimple énoncé théorique, nous aimons la conséquence nécessaire decette liberté : c’est-à-dire le pluralisme. Dans l’Opus Dei ‘le pluralismeest voulu et aimé’, non pas simplement toléré et en aucune façonentravé. Quand j’observe, parmi les associés de l’Oeuvre, tant d’idéesdiverses, tant d’attitudes divergentes –concernant les questionspolitiques, économiques, sociales ou artistiques, etc. – ce spectacle meréjouit, car c’est le signe que tout fonctionne à la face de Dieu comme ilse doit ». Entretiens, n° 67. Voir aussi n° 76.

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chacun d’eux on perçoit l’effort fourni pour que toutes lesrelations soient marquées par une tonalité optimiste etque soit créée une ambiance de confiance et d’amitié.Chacun s’efforce aussi de rendre tangible dans chaqueactivité, l’identité chrétienne et le désir de servir. Enfin laconsidération théorique et pratique des parents en tantque premiers et principaux éducateurs de leurs enfants357

est une autre caractéristique clairement présente danstoutes ces initiatives. Saint Josemaria fut sans aucun doute un éducateur. Sa vieet ses enseignements sont imprégnés d’un style éducatifqui « est le fidèle reflet de l’esprit de l’Opus Dei qu’ilincarne. Il est donc logique également que dans lesactivités éducatives animées de ce même esprit, on puissetoucher du doigt une empreinte caractéristique. Il s’agitcependant d’une pédagogie qui ne provient pas de

357 Saint Josemaría eut une profonde perception de l’importance de laprimauté du rôle des parents dans l’éducation. Dans une vision large,il enseigna cette vérité avec une insistance particulière à partir desannées 50, poussant quelques pères de famille et professionnels del’éducation à fonder quelques collèges. Dans un centre d’éducation, «D’abord les parents, ensuite les professeurs et enfin les élèves ». Onpeut affirmer qu’il s’agissait d’une intuition quasi prophétique, si l’onconsidère que, dans les années 50, la conviction qui dominait était queles problèmes de l’humanité pourraient se résoudre par l’éducationscolaire sans l’intervention de la famille ; et la décade suivante, surtoutà partir de mai 68, passa dans l’histoire pour le mouvement anarchistedu refus de toute autorité traditionnelle. Le fameux « Il est interditd’interdire » du mois de mai français, parcourut le monde et en amenatant à confondre la liberté et le libertinage. Cf. V. García Hoz, Tras lashuellas del Beato Josemaría Escrivá de Balaguer. Ideas para la educación , op.cit., p. 140-154; M.A., Tamés, Aproximación al pensamiento pedagógico delbeato Josemaría Escrivá de Balaguer, in: Memoria del CongresoHispanoamericano “Hacia una nueva educación más humana: en torno alpensamiento de Josemaría Escrivá”, Promesa, San José de Costa Rica,2002, p. 35-47.

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principes d’école, ni de l’étude de quelques auteurs enparticulier, mais qui est profondément inspirée del’Evangile dont l’ancienneté, liée à la nouveauté, a surévéler tout son attrait. Je pense qu’il est opportun, après ces premièresconsidérations, de donner quelques indications sur les«milieux» où est vécue la pensée de saint Josémaria surl’éducation. Mentionnons tout d’abord qu’on ne trouvepas parmi ses ouvrages, de manuels ni de traités surl’éducation. Dans son vaste enseignement comme dansson activité intense, aucune théorisation plus ou moinssystématique sur ce thème. Son apport dans ce domaine,comme dans les autres, surgit naturellement de sonactivité sacerdotale. Ses écrits sont de ce fait en rapportétroit avec à la fois son expérience spirituelle, son activitéapostolique et sa tâche de gouvernement de l’institutionqu’il fonda. Ce qu’il faut considérer par conséquent cesont ses homélies, ses entretiens, ses méditations, sesretraites spirituelles, ses notes concernant legouvernement de l’Œuvre, les documents destinés àstimuler la vie spirituelle de ses enfants, les entrevuesaccordées à quelques responsables de presse, ses discourslors de cérémonies académiques ou de reconnaissanceshonorifiques, etc. Il écrit « pour servir ce qui constitue lefondement et le but de toute sa vie : sa condition de prêtreet l’accomplissement de la mission reçue le 2 octobre 1928(…) ». Il écrit de ce fait non seulement en fonction dudéroulement de sa vie et de sa mission mais en étroiterelation avec les exigences inhérentes à cette vie et à cettemission358.

358 J. L., Illanes, Obra escrita y predicación de san Josemaría Escrivá deBalaguer, “Studia et Documenta» n° 3 (2009), p. 205.

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Pour ce qui est du Fondateur de l’Opus Dei, il fautajouter aux modalités courantes de sa prédication quieurent une grande importance dans son activitésacerdotale et spirituelle, les réunions à caractère familialet aimable, souvent de nature très variée où il abordaitdes thèmes de toutes sortes. Son action éducative estmarquée également par l’usage des moyens les plusdivers de communication orale personnelle : laconversation jointe à un conseil stimulant, les remarques,l’indication précise ou la correction fraternelle, laconversation au cours de la direction spirituelle, etc. Deplus, ceux qui ont eu le bonheur de le connaîtresoulignent d’habitude avec la plus grande énergie que« ce n’est pas tellement ce qu’il a dit sur ces thèmes quicompte, mais l’exemple de sa vie personnelle entièrementconvertie en une tâche éducatrice grandiose, multiformeet constante. Ce qui ressort peut être le plus clairement estle fait qu’il a été un éducateur exceptionnel qui a consumétoute sa vie en s’efforçant de manière passionnée dedonner sans cesse de la doctrine par son exemple et parses paroles359 ». La vie et l’activité de saint Josémaria vontbien au delà du contenu de ses écrits. Par conséquent,pour connaître ses enseignements sur l’éducation, il estimportant de consulter non seulement ce qu’il a écrit maisencore la vie et l’empreinte qu’il a laissée dans l’Eglise etdans la société, surtout chez les personnes qui ont

359 « Il n’a jamais enseigné quelque chose qu’il n’avait pas d’abordexpérimenté dans sa propre vie ». A. Del Portillo, L’eredità di unfondatore, in L’Osservatore Romano, 26-VI-1976). « El Fundador delOpus Dei vivía lo que decía y hablaba de lo que vivía ». S. Bernal,Mons. Josemaría Escrivá de Balaguer. Apuntes sobre la vida del Fundador delOpus Dei, Madrid, Rialp, 1976, p. 87.

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assimilé et continuent à assimiler son esprit enprofondeur.Une fois mentionnés ces préliminaires, j’en viensmaintenant à exposer quelques enseignements de saintJosémaria sur l’éducation. Ma présentation se fera endeux parties. Dans la première, je proposerai une clé delecture de ces enseignements : l’estime qu’il portait àl’universalité de la vocation chrétienne, noyau dumessage qu’il transmit et donc de l’esprit qui charpentel’institution qu’il a fondée, réalités auxquelles il identifiapleinement sa vie. J’évoquerai aussi quelques traits de cetesprit, marqués des principales connotations à caractèrepédagogique. Dans la seconde partie puisqu’il s’agit d’uncolloque universitaire, je m’attacherai particulièrement àla conception qu’avait saint Josémaria de la missionéducative de l’Université, institution qu’il aimaitpassionnément360.

I. Vocation universelle à la sainteté et tâche éducative

Tous les saints ont reçu des charismes particuliers pournous aider à pénétrer la richesse de la personne et desenseignements du Christ. C’est pourquoi sa vie, véritableévangile vivant, et ses écrits, transmettent de nouvelleslumières qui méritent d’être considérées361. Sur quoi la vie

360 «Tout ce qui regarde l’Université, me passionne » (Entretiens, n°77).

361 Cf. J. Ratzinger, Message inaugural du Symposium théologique surles enseignements du Bienheureux Josemaría Escrivá de Balaguer(Rom, 12-X-1993), in M. Belda et al.,Santidad y Mundo. Estudios en tornoa las enseñanzas del beato Josemaría Escrivá, Pamplona, Eunsa, 1996, pp.27-32. Mons. Álvaro del Portillo relate que lors de l’audience accordéepar Paul VI, le 5 mars 1976, le Saint Père « affirma qu’il considérait le

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et les écrits ont-ils mis l’accent au sein de cet océan deconnaissance et d’amour donné en plénitude et pourtoujours qu’est la Révélation chrétienne ? J’ai déjàmentionné le fait que le noyau du message de l’Opus Deiest l’affirmation de l’appel universel à la sainteté, cettevérité évangélique que saint Josémaria perçut avec uneprofondeur toute particulière. Il se réfère au sensvocationnel chrétien de l’existence c'est-à-dire à l’appeldivin adressé à tous les hommes pour les inviter à être età vivre en enfants adoptifs de Dieu dans le Christ 362;disons plus précisément : au dessein de Dieu sur lamanière particulière propre à chacun, de parcourir lechemin ordinaire de la sainteté. Cette révélation du projetéternel de Dieu sur le sens total et concret de l’existence -qui doit se réaliser avec la collaboration de notre liberté -c’est ce que nous appelons la vocationpersonnelle. « Dieu, insistait Josémaria, ne laisse aucuneâme abandonnée à un destin aveugle ; Il a pour toutes unprojet, Il les appelle toutes au moyen d’une vocation toutà fait personnelle, sans transfert possible363 ». Bien que d’un point de vue humain le fait d’exister, denaître, est chronologiquement antérieur, la vocationpersonnelle garde une absolue priorité puisqu’elledétermine le seul fait d’exister : « Dieu appelle à

Fondateur de l’Opus Dei comme l’un de ces hommes qui a reçu le plusde grâces dans l’histoire de l’Eglise et qui a répondu avec la plusgrande générosité aux dons de Dieu”. Il témoigne que ces idées ont étéreprises lors de l’audience du 19 juin 1978 (A. Del Portillo, Entretienssur le Fondateur de l’Opus Dei, Paris, Édition Le Laurier, 1986). 362 “Audace vraiment incroyable, si elle n’avait pour fondement ledécret salutaire de Dieu le Père, si elle n’avait été confirmée par le sangdu Christ et réaffirmée et rendue possible par l’action permanente duSaint Esprit.» Quand le Christ passe, Paris, Le Laurier, 1987, n° 133. 363 Entretiens, n° 106.

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l’existence et à la sainteté, puisque la sainteté est la finalitéde l’existence »364. « Nous avons été établis sur la Terre, ditsaint Josémaria, pour entrer en communion avec DieuLui-même365 ». Pour chaque homme, seul compte le faitque Dieu l’a créé, la vie humaine n’a pas d’autre sens quede connaître peu à peu et de réaliser librement cettevolonté divine. Compte tenu de cette vérité essentielle,tout dans notre vie trouvera son sens ultime à partir de lavocation personnelle, telle une lumière qui intègre toutesles facettes de l’existence et permet d’apprécier et de gérerles diverses situations avec pour objectif la plénitude de lavie chrétienne qu’est la charité. Saint Josémarias’exprimait en ces termes :

La lumière que nous donne la vocation nous fait reconnaître lesens de notre existence. C’est la conviction, avec la splendeur dela foi, de la raison d’être de notre réalité terrestre. Notre vietoute entière, présente, passée, future, acquiert un nouveaurelief et une profondeur auparavant insoupçonnée. Tous lesfaits, tous les évènements, occupent maintenant leur véritableplace : nous comprenons où le Seigneur veut nous conduire etnous nous sentons comme entraînés par cette charge qui nousest confiée366.

Il n’y a donc aucune perspective plus radicale et unifianteque de considérer la vie et toutes choses à partir duprisme de la vocation, centrant ainsi notre propreexistence en Dieu et faisant de la volonté divine la normede toutes nos actions. Ainsi saint Josémaria conçut le faitd’être chrétien en termes d’appel puis de réponse, pours’identifier avec le Christ dans la vie quotidienne, en

364 F. Ocáriz, Naturaleza, gracia y gloria, Pamplona, Eunsa, 2000, p. 231. 365 Quand le Christ passe, op. cit., n° 64.366 Ibid., n° 45.

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termes de vocation367. Et cette perspective envisagée defaçon exhaustive fit qu’il considéra l’éducation à sa racineet sous tous ses aspects, sans simplifications niréductionnismes, sans la dissoudre non plus en desobjectifs déconnectés entre eux.En outre, le fait de considérer, à la lumière de la vocationpersonnelle, l’éducation comme une aide pour celui quel’on cherche à éduquer afin de réaliser pleinement sonexistence, permet aussi à l’éducateur de se situer de façonplus précise et efficace au second plan° Cela facilite ainsila réception de l’appel et de la réponse, puisque l’élèvedoit répondre librement. L’éducation est ainsi considéréesous son aspect le plus noble ; c’est-à-dire, commecontribution à la découverte et à l’accomplissementprogressif du plan de Dieu par celui qui en bénéficie.Ainsi se trouve éloigné le danger toujours possible pourl’éducateur de réaliser en fait ses propres projets dans lavie de ceux qu’il doit aider à se former (les enfants, lesélèves368). L’attitude personnelle de saint Josémaria sur cepoint et donc son enseignement sont exemplaires : d’unecertaine manière, il considérait les personnes dans uneperspective éducative avec cordialité et respect, ens’efforçant de les placer face à leur liberté personnelle.

367 «La foi nous apprend que tout a un sens divin, cat tout relève del’appel qui nous conduit vers la demeure du Père. Cette manièred’entendre surnaturellement l’existence terrestre du chrétien nesimplifie pas la complexité humaine ; mais elle assure à l’homme quecette complexité peut être traversée par le nerf de l’amour de Dieu, parce câble, robuste et indestructible, qui relie notre vie sur terre à la viedéfinitive dans la Patrie». Ibid., n° 178. 368 « Les parents doivent résister à la tentation de se réaliser indûmenteux-mêmes dans leurs enfants – de les modeler selon leurs proprespréférences – ils ont à respecter les inclinations et les aptitudes queDieu donne à chacun ». Entretiens, n° 104.

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Si mon témoignage personnel peut être de quelque intérêt, jepeux dire que j’ai toujours conçu mon travail de prêtre et depasteur d’âmes comme une tâche visant à situer chacun en facede toutes les exigences de sa vie, en l’aidant à découvrir ce queDieu lui demande concrètement, sans mettre aucune limite àcette sainte indépendance et à cette bienheureuse responsabilitéindividuelle qui sont les caractéristiques d’une consciencechrétienne369.

L’objectif de l’éducation, considérée sous la perspectivede la vocation chrétienne, peut se confondre avec l’unitéde vie que saint Josémaria vécut et enseigna avec une trèsgrande originalité. L’unité de vie consiste en fin decompte à ne pas organiser toutes nos actions commeautant de « mondes séparés », même si elles se déroulentsur différents plans, parce que dans chacune d’elles onrecherche la véritable perfection, l’identification auChrist370. Dans une homélie prononcée au Campus del’Université de Navarre en 1967, saint Josémaria disaitavec force et conviction :

J’avais l’habitude de dire à ces étudiants et à ces ouvriers, qui sejoignaient à moi vers les années trente, qu’ils devaient savoirmatérialiser la vie spirituelle. Je voulais de la sorte éloignerd’eux la tentation, si fréquente alors comme aujourd’hui, demener une espèce de double vie : d’un côté la vie intérieure, lavie de relation avec Dieu ; de l’autre, une vie distincte et à part,la vie familiale, professionnelle, sociale, pleine de petitesréalités terrestres ». Non, mes enfants ! Non, il ne peut y avoirde double vie, nous ne pouvons être pareils aux schizophrènessi nous voulons être chrétiens ; il n’y a qu’une seule vie, faite de369 Quand le Christ passe, n° 99.370 Quand le Christ passe, n° 58 ; Saint Josémaria, Amis de Dieu, Paris,Fayard, 1981, n° 110.

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chair et d’esprit et c’est cette vie là qui doit être, corps et âme,sainte et pleine de Dieu : ce Dieu invisible, nous le découvronsdans les choses les plus visibles et les plus matérielles371.

Après un tel exposé, on peut dire véritablement quel’homme qui vit l’unité de vie ne reste étranger à rien dece qui est humain, et tout ce qui est de Dieu lui appartienten propre. Nous sommes donc devant la cohérence laplus complète du processus éducatif qui s’efforce de toutmener à sa perfection définitive c’est à dire à la sainteté.

Saint Josémaria répéta à diverses occasions que lasource et le fondement de cette unité de vie est le sens dela filiation divine, la conscience d’être fils de Dieu dans leChrist. Il la décrivait d’ordinaire comme une « démarcheprofonde de l’âme qui finit par transformer l’existencetoute entière ; elle imprègne toutes les pensées, tous lesdésirs, tous les élans du cœur372 ». C’est ainsi une manièrede regarder les personnes et les évènements.« Précisément parce que nous sommes enfants de Dieu,cette réalité nous pousse aussi à contempler avec amouret admiration toutes les choses qui ont jailli des mains deDieu, le Père créateur. Et ainsi nous sommes descontemplatifs au milieu du monde, en aimant lemonde373 ». La filiation divine constitue le fondementcentral de son esprit et donc de son enseignement374. SaintJosémaria reçut personnellement des grâcesextraordinaires pour comprendre qu’il est fils de Dieudans le Christ ; toute sa doctrine porte l’empreinte de cet

371 Entretiens, n° 114.372 Amis de Dieu, n° 146.373 Quand le Christ passe, n° 65.374 « La filiation divine est le fondement de l’esprit de l’Opus Dei ».Ibid., n° 64.

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esprit filial375 : il vécut et enseigna à toujours vivre enprésence d’un Dieu qui est Père et aime les hommes à lafolie376.

La dimension la plus intime du chrétien repose sur lafiliation divine, et la conscience de cette réalité est ce quipeut le plus efficacement conduire à l’unité de vie. Decette doctrine anthropologique découlent de nombreusesimplications pour la tâche éducative. Je me limiterai à endonner quelques unes. La conscience claire de la dignitéadmirable de chaque personne - car tous sont ou peuventêtre ou devenir fils de Dieu - suscite une attitude deprofond respect et une approche délicate de chaquepersonne, comme dans toutes les relations humaines etdonc dans la relation éducative parents et enfants,professeurs et élèves. D’où l’intérêt et l’effort à faire dansle domaine de la formation et des relations de personne àpersonne, considérant chacune comme un joyau précieux.

On ne peut pas traiter les âmes en bloc ! Il n’est pas licited’offenser la dignité humaine ni la dignité des enfants de Dieu,sans s’occuper personnellement de chacun (…) car chaque âmeest un merveilleux trésor ; chaque homme est unique,irremplaçable. Chacun d’eux vaut tout le sang du Christ377.

Voilà la racine très profonde qui définit les relations entreles personnes dans les tâches éducatives nées sous

375 Jean Paul II, dans l’homélie de la messe de béatification deJosémaría Escrivá de Balaguer, le 17-V-1992, affirme que « la viespirituelle et apostolique du nouveau bienheureux est fondée sur lefait de se savoir, par la foi, fils de Dieu dans le Christ ».376 Cf. Saint Josémaría, Chemin, Montréal, Du Méridien, 1984, n° 267 etpassim.377 Quand le Christ passe, n° 80.

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l’impulsion de l’esprit transmis par saint Josémaria378. Lesens de la filiation divine qu’il sut inculquer chez sesenfants est aussi la source permanente de la joie et del’optimisme qui se perçoivent dans ces centreséducatifs379.À cet exposé quasi schématique, dans lequel j’ai tentéd’indiquer quelques unes des conséquences concernant ledomaine de l’éducation dans la perspective de la vocationchrétienne, il manque cependant quelque chosed’essentiel : celui de la libre réponse à cet appel. Dieun’impose pas sa volonté à l’homme ; il l’invite à partagerson amitié en attendant de le voir accueillir librement soninitiative. La liberté à laquelle se réfère le fondateur del’Opus Dei est avant tout la liberté chrétienne, celle que leChrist nous a obtenue sur la Croix : le grand don d’êtrefils du Père et de pouvoir aimer Dieu et tous ceux qu’Il acréés :

Nous sommes sortis des mains de Dieu, nous sommes l’objet dela prédilection de la Très Sainte Trinité, nous sommes lesenfants d’un Père si grand. Je demande à mon Seigneur quenous nous décidions à nous en rendre compte, à nous en réjouirjour après jour, car nous agirons ainsi comme des personneslibres380.

Saint Josémaria perçut avec une grande acuité l’essencemême de la liberté, non pas l’indifférence face au bien ou

378 « La primauté que, dans l’organisation de nos travaux, nousaccordons à la personne, à l’action de l’Esprit-Saint dans les âmes, aurespect de la dignité et de la liberté, découle de la filiation divine duchrétien ». Entretiens, n° 22. 379 Amis de Dieu, n° 116.380 Amis de Dieu, n° 26.

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au mal, mais la possibilité de vouloir le Bien Absolu ouinfini, la capacité de s’ouvrir à Dieu, d’aimer381.

La liberté acquiert son sens authentique lorsqu’on l’exerce auservice de la vérité qui rachète, lorsqu’on en use pourrechercher l’amour infini d’un Dieu qui nous libère de toutesles servitudes382.

Selon la perspective vocationnelle dans laquelle nousétudions l’éducation, nous pouvons dire que la réponsede l’homme à sa vocation personnelle devant être uneréponse libre383, la formation à la liberté et dans la libertéconstituera un des piliers de l’action éducative. Et commela liberté grandit avec l’acquisition des vertus, l’éducationconduira principalement à acquérir ces vertus grâce àl’énergie spirituelle qui fait que l’homme soit capable deréaliser volontairement le bien. Saint Josémaria considérale sens de la filiation divine comme inséparablement uni àla conscience de la liberté, comme le point de départ de lacroissance des vertus qui configurent le chrétien auChrist. « Il n’y a pas de véritable éducation sansresponsabilité personnelle ni de responsabilité sans

381 Cornelio Fabro, grand philosophe du XXe siècle, a consacré denombreux ouvrages au thème de la liberté ; il souligne la profondeur etl’originalité de la compréhension de la liberté chez Saint Josémaria ,sur le plan naturel et plus encore dans l’ordre de la grâce. Cf. C. Fabro,El temple de un Padre de la Iglesia, Madrid, Rialp, 2002, pp. 188 y 191.382 « C’est seulement en aimant que nous parvenons à la liberté la pluspleine : celle de ne vouloir abandonner jamais, pour toute l’éternité,l’objet de nos amours. » Amis de Dieu, n° 38. 383 « Notre Sainte Mère l’Eglise s’est toujours prononcée pour la libertéet a rejeté tous les fatalismes, anciens et moins anciens. Elle a soulignéque chaque âme est maîtresse de son destin, pour le bien ou pour lemal. » Amis de Dieu, n° 33.

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liberté384 ». Le fondateur de l’Opus Dei s’efforça depromouvoir une éducation fondée sur l’activité libre etresponsable de l’éducateur dans le but de préparer deshommes et des femmes épris de leur liberté et de leurresponsabilité personnelle, des chrétiens capables d’agiren vrais citoyens pour résoudre les grands problèmes del’humanité en témoignant du Christ385.On comprend alors pourquoi le grand pédagogue GarciaHoz, suivant les enseignements de saint Josémaria,affirmait que « l’éducation (...) est le moyen d’aider unepersonne à devenir vraiment libre386 ». La liberté est certesun don de Dieu et a une dimension innée mais ellecomprend aussi un aspect moral en ce sens qu’elle peutgrandir et se fortifier elle-même au moyen des vertus. Lafinalité la plus claire de l’éducation est donc de stimuler etd’orienter la capacité de chacun à faire un usageresponsable de la liberté à travers laquelle l’homme dirigesa vie, en accord avec les exigences de la dignité de lapersonne humaine »387. De cette perception de la libertédécoule entre autres le fait de comprendre la relationd’éducation et de formation en termes de confiance,d’amitié et non d’imposition autoritaire. S’adressant auxparents, bien que ces propos conviennent aussi à d’autrescontextes, saint Josémaria disait :

Je conseille toujours aux parents de s’efforcer de devenir amisde leurs enfants. On peut parfaitement harmoniser l’autoritépaternelle, que l’éducation même requiert, avec un sentimentd’amitié qui exige de se mettre, d’une façon ou d’une autre, auniveau des enfants. (…) Le secret réside en général dans la

384 Quand le Christ passe, n° 27.385 Cf. García Hoz, V., Tras las huellas…, op. cit., p. 74. 386 Ibid., p. 79. 387 Ibid., p. 78.

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confiance : que les parents sachent élever les enfants dans unclimat de familiarité, qu’ils ne leur donnent jamais l’impressionde se méfier, qu’ils leur accordent des libertés et qu’ils leurapprennent à en user sous leur responsabilité personnelle388.

La confiance est en effet une exigence naturelle del’exercice de la liberté personnelle dans les rapportshumains, une conséquence de la capacité à donner et à sedonner. Elle est pour cette raison la disposition sociale debase qui doit constituer les relations humaines, lacondition de l’efficacité de la relation formative. SaintJosémaria s’efforça de son mieux dans ses rapports avecles autres d’avoir confiance et de faire confiance.Monseigneur Xavier Echevarria disait : « Sa conduites’inspirait du principe suivant : ‘Je préfère que quelqu’un metrompe que de blesser ceux qui viennent me trouver’. Ilrésumait ainsi sa conviction : ‘ Si le Seigneur, malgré mamisère personnelle, qui est immense, me traite avecconfiance, je dois faire de même avec toutes les âmes etplus encore, s’il est possible, envers mes enfants389’ ».Cet esprit de liberté qu’enseignait saint Josémaria seretrouve dans différents contextes éducatifs (académique,social, familial, professionnel) et touche aussi desdomaines très divers : liberté de l’enseignement à tous lesniveaux et pour tous, liberté des familles de choisir le lieudans lequel elles désirent que leurs enfants soient élevés,liberté des centres éducatifs de choisir leur personnel etleurs enseignants, de choisir les programmes qu’ilsjugeront opportuns, liberté pour les élèves et leursprofesseurs de promouvoir des associations où laformation humaine, culturelle et spirituelle puisse se

388 Entretiens, n° 100 ; Cf. Quand le Christ passe, n° 27, 29.389 J. Echevarría, Memoria del Beato Josemaría Escrivá, op. cit., p. 150.

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développer. Dans ses enseignements sur la liberté,l’affirmation d’un pluralisme légitime dans les questionsd’ordre temporel, dans le domaine des opinions, occupeune place centrale, et la responsabilité qui en découle doits’exercer en pleine cohérence avec la foi chrétienne et enfidélité loyale avec le Magistère de l’Église.Le concept de liberté et la formation à la liberté estprobablement l’aspect de ses enseignements surl’éducation sur lequel il a écrit le plus abondamment, tantd’un point de vue strictement pédagogique quephilosophique et théologique. Sa doctrine sur ce pointpossède une ampleur et une profondeur remarquables ;elle mérite d'être finement étudiée et méditée.

II. Quelques aspects des enseignements de saintJosémaria sur la formation universitaire

J’en viens maintenant à commenter quelques uns desenseignements de saint Josémaria sur la formationuniversitaire, en me limitant à deux sources : l’entrevuepubliée dans la « Gazette Universitaire » (Madrid) en1967, puis recueillie ainsi que d’autres entrevues, dans lelivre intitulé Entretiens avec monseigneur Escriva deBalaguer, et un ensemble de quatre discours prononcés àl’occasion de diverses manifestations académiques quiont eu lieu à l’Université de Navarre où , en tant quegrand Chancelier, il accorda de nombreuses distinctions« honoris causa » à quelques professeurs de grand renom.La première de ces entrevues composant le livre desEntretiens fut publiée précisément dans un journalfrançais, le Figaro (5-V-1966) et, au cours de trois desquatre cérémonies académiques que j’ai évoquées, ce

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furent des professeurs français qui reçurent cettedistinction. En 1967, Jean Roche (célèbrebiologiste-chimiste et Recteur de la Sorbonne) ; en 1972 leprofesseur Paul Ourliac, expert en Histoire du Droit, et en1974, au cours d’une cérémonie à laquelle j’ai eu la joie departiciper, au Professeur Jérôme Lejeune dont saintJosémaria vanta les mérites scientifiques et la défense trèsferme de la vie promue par son travail et son action.Les aspects de la vie et du message de saint Josémaria quej’ai évoqués antérieurement gardent bien entendu touteleur valeur. Si l’on peut dire qu’il considérait touteschoses dans la perspective de l’éducateur, ceci estspécialement vrai en ce qui concerne l’Université. Sonsuccesseur, Monseigneur Alvaro del Portillo, celui quicertainement a le mieux connu saint Josémaria disait : « Ilfut conscient, dès qu’il commença à fréquenter le milieuuniversitaire, de l’importance capitale de cette institutiondans la christianisation de la culture et de la société, deson influence décisive dans la transmission des idées etdans la formation de la mentalité des peuples.Conséquence logique de sa conception de l’apostolat del’intelligence, il portait un intérêt tout particulier àl’Université390 ». C’est ce qui le poussa à promouvoir avecardeur des institutions d’enseignement supérieur animéespar la conscience du lien profond entre vocationchrétienne et vocation humaine. La première de cesUniversités fut l’Université de Navarre dont il suivitattentivement les débuts et le développement. Comment saint Josémaria conçoit-il l’Alma MaterStudiorum ? Nous pouvons dire pour résumer que dans

390 A. Del Portillo, Josemaría Escrivá de Balaguer y la Universidad, op. cit.,p. 19. Cf. F. Ponz Piedrafita, La educación y el quehacer educativo en lasenseñanzas de Mons. Josemaría Escrivá de Balaguer, op. cit., p. 120.

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ses écrits et ses discours, l’Université qu’il nous proposese caractérise par l’amour de la vérité et très fortementaussi par un esprit de bonne entente mutuelle, desolidarité et de service, aspirations qui furent en effet auxorigines de cette institution académique. Nous savons quel’Université a vu le jour en tant qu’Universitas Scientiarum,c'est-à-dire comme une communauté de savoirs et donccomme lieu de recherche et de transmission de la vérité.Elle est née aussi comme Universitas magistrorum etalumnorum, mettant ainsi l’accent sur la communauté despersonnes engagées dans cette recherche. Saint Josémariaconsidère l’Université avec ses caractéristiquestraditionnelles et l’envisage avec le regard profond de lafoi qui favorise et développe la dynamique d’amour et deservice qui en est l’essence. Je m’arrête ici sur quelquesuns de ses enseignements que je considère commeparticulièrement significatifs du contexte actuel del’Université. Saint Josémaria contribua à avoir toujours à l’esprit cettecaractéristique essentielle de l’Université, commeUniversitas Studiorum : la recherche et la transmission dela vérité. Si tous les hommes, dit Aristote au début de saMétaphysique, en tant qu’êtres intelligents, désirentnaturellement connaître la vérité, et une fois qu’ils l’onttrouvée doivent y adhérer et la communiquer, cettepréoccupation doit revêtir une importance encore plusgrande chez ceux qui se destinent au milieu universitaire.L’étude et la recherche passionnée de la vérité, jointes àune grande exigence personnelle et un sens profond de laresponsabilité doivent constituer dans cette institutionacadémique un engagement commun et permanent chezles professeurs et les élèves.

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L’Université sait que la nécessaire objectivité scientifique rejetteà juste titre toute neutralité idéologique, toute ambiguïté, toutconformisme et toute lâcheté : l’amour de la vérité concernetoute la vie, tout le travail du scientifique, et soutient saconstante honnêteté devant d’éventuelles situations délicates,car cette ferme détermination constante n’a pas toujours uneimage favorable dans l’opinion publique391.

Être Universitas Studiorum exige qu’on cultive en son seinl’universalité des savoirs ou au moins que tous soientsuffisamment représentés.

L’Université (….) doit rechercher la vérité dans tous lesdomaines, depuis la Théologie, cette science de la foi appelée àconsidérer les vérités toujours actuelles, jusqu'aux autressciences de l’esprit et de la nature392.

Philosophie et Théologie, savoirs traditionnellement liés àla sagesse, qui illuminent et donnent leur sens à la vieentière, doivent être bien présents dans une Universitésoucieuse d’offrir une formation complète. Ces textescomme ceux d’autres auteurs parmi lesquels nous devonsmentionner John Henry Newman, dont nous parlonsaussi dans ce colloque, insistent sur la nécessaire présencede la Théologie à l’Université, sachant bien qu’elle est uneréalité essentielle dans la vie de l’homme. Il écrit ainsi :

La religion, est la plus grande rébellion de l’homme qui ne veutpas vivre comme une bête, qui ne se résigne pas, n’est passatisfait s’il ne fréquente ni ne connaît le Créateur : l’étude de lareligion est une nécessité fondamentale. Un homme à qui

391 A. Del Portillo, Josemaría Escrivá de Balaguer y la Universidad, op. cit.,p. 106-107. 392 Ibid., p. 90.

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manque une formation religieuse n’est pas entièrementformé393.

La place centrale de la religion dans la vie de l’hommeréclame que la Théologie soit enseignée à l’Université.

La religion doit être présente à l’Université et doit êtreenseignée au niveau supérieur, scientifique, d’une bonnethéologie. Une Université dont la religion est absente est uneUniversité incomplète car elle ignore une dimensionfondamentale de la personne humaine, ce qui n’exclut pas maisau contraire exige les autres dimensions394.

La théologie apparaît ainsi comme « le fondementarchitectonique » de l’ensemble des connaissances, maissaint Josémaria personnellement ne la considérait passeulement comme une discipline académique, maiscomme une dimension de la vie chrétienne qui éclaire etdonne sens à toute chose. C’est pour cela qu’en tant quepromoteur de centres de recherche et d’enseignementsupérieur, il encouragea le travail interdisciplinaire avecun profond sens chrétien et stimula les échanges entreuniversités de professeurs de différentes disciplines, ycompris la Théologie.

Grâce à la Théologie Sacrée, sommet et perfection de la véritéscientifique, nous pouvons parvenir à la synthèse ordonnée detoutes les sciences humaines. Ordre et synthèse correspondent àl’union entre la nature et la grâce395.

393 Entretiens, n° 73. 394 Ibid., n° 73.395Cité dans F. Ponz Piedrafita, La educación y el quehacer educativo…, op.cit., p.127.

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Les échanges interdisciplinaires auxquels se réfère saintJosémaria travaillent à cette synthèse et à cette unité maissans se confondre, avec un profond respect des frontièresépistémologiques de chaque discipline. « Le chrétien, ditil dans une des ses homélies, quand il travaille, comme ilen a l’obligation, ne doit ni esquiver ni se moquer desexigences propres à l’ordre naturel396 ». La signification de ces enseignements dans le contexteuniversitaire actuel est évidente, devant la tendance àcultiver les sciences indépendamment les unes des autressans aucun dialogue entre elles. Il en résulte lafragmentation qui transforme l’Université comme lesouligne de manière graphique MacIntyre, en uneMultiversité397 ; c'est-à-dire la négation même de ce qu’estla mission de cette institution académique depuis qu’elleexiste. Saint Josémaria concevait dans une vraie synergiel’étude des sciences humaines et celle de la théologie. Ilaimait le monde passionnément car il nous vient duCréateur, il est un effet de la Parole divine. SaintJosémaria admirait la science qu’il voyait comme unetentative de déchiffrer la pensée divine dans l’ordrenaturel. Dans un discours prononcé au cours d’unecérémonie académique, il disait :

Je suis prêtre de Jésus Christ et je contemple avec joie lesréalisations merveilleuses du savoir humain. Le Seigneur aaccordé à l’homme, comme preuve de son amour deprédilection, le privilège de cette étincelle de l’intelligencedivine qu’est l’entendement. Il est merveilleux de voir commentDieu vient en aide à l’intelligence humaine dans ses

396 Quand le Christ passe, n° 184.397 Cf. A. MacIntyre, God, Philosophy, Universities: A Selective History ofthe Catholic Philosophical Tradition, Lanham, Md., Rowman & Littlefield,2009.

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investigations, qui doivent nécessairement conduire à Dieu, carsi elles sont véritablement scientifiques, elles contribuent à nousrapprocher du Créateur398.

Pour sa part, l’intérêt qu’il portait à l’étude de laThéologie est fondé sur sa passion pour la vérité, celle quiest ordonnée à Dieu et celle qui nous parle du monde,celle qui appartient à l’ordre naturel et celle qui nous a étéofferte d’une manière doublement gratuite dans laRévélation historique.

Notre zèle pour acquérir cette science théologique, la bonne etsolide doctrine chrétienne, vient d’abord du désir de connaître etd’aimer Dieu, et ensuite de la préoccupation de toute âme fidèled’atteindre la signification la plus profonde de ce monde qui estl’œuvre du Créateur399.

Rien de plus éloigné de sa pensée que la crainte dedissocier ou d’opposer foi et raison, science et Théologie.

Périodiquement, certains tentent, de façon monotone deressusciter une soi-disant incompatibilité entre la foi et lascience, entre l’intelligence humaine et la Révélation divine.Cette incompatibilité ne peut être qu’apparente, et elles’explique par une connaissance incomplète des données réellesdu problème. Puisque le monde est sorti des mains de Dieu,puisque Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblanceet qu’Il lui a donné une étincelle de sa lumière, notreintelligence doit s’attacher, fut-ce au prix d’un rude effort, àdégager le sens divin qui réside naturellement en toutes choseet, à la lumière de la foi, à en percevoir aussi le sens surnaturel,celui qui résulte de notre élévation à l’ordre de la grâce. Nous

398 A. Del Portillo, Josemaría Escrivá de Balaguer y la Universidad, op. cit.,p. 98. 399 Quand le Christ passe, n° 10.

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n’avons pas à avoir peur de la science, car tout travail, s’il estvéritablement scientifique, tend vers la vérité. Et Jésus, a dit :Ego sum veritas : Je suis la Vérité400.

J’ai jusqu’à présent fait référence à l’Universitéprincipalement sous l’angle de Universitas Studiorum.Mais pour saint Josémaria la mission de l’Université ne selimite pas à dispenser l’universalité des savoirs ni mêmede tous les savoirs, y compris la théologie. L’idéaluniversitaire ne consiste pas simplement à offrir uneformation technique et professionnelle. Dans la ligne del’esprit qui inspira l’érection de Alma mater Studiorum, ilconçut l’Université comme une institution de formationau sens complet du terme401. Cet aspect desenseignements de saint Josémaria est particulièrementfrappant aujourd’hui quand on considère la tendance àtransformer l’Université en écoles professionnelles,délaissant la formation humaine culturelle et spirituelledes étudiants. On lit dans un discours prononcé enNovembre 1964 :

Il n’y a pas d’Université à proprement parler dans lesEtablissements où n’est pas également dispensée une formationentière et complète de la personnalité des jeunes générations.L’humanisme hellénique en était déjà conscient de cette richessede nuances. Mais une fois arrivée la plénitude des temps, le

400 Ibid.401 García Hoz, se référant aux aspects d’une éducation complèteaffirme: «On ne peut parler d’éducation au sens propre , d’uneéducation réelle et authentique seulement si celle-ci remplit lacondition de perfectionner toutes les manifestations de la naturehumaine , rendre l’homme capable de répondre à toutes les exigencesde sa vie et de développer la personne du sujet avec toutes sespossibilités et ses limites, en donnant une unité à sa vie». V. GarcíaHoz, Tras las huellas…, op. cit., p. 78.

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Christ illumine pour toujours les horizons lointains de notredestinée éternelle ; un ordre à la fois humain et divin fut établi,au service duquel l’Université trouve toute sa grandeur402.

Elle doit donc former des professionnels animés devertus, capables de répondre aux engagements de la vie etde servir les autres. L’acquisition et la communication dessavoirs doivent l’une et l’autre être proposées en mêmetemps que les enseignements scientifiques, sapientiaux etmoraux destinés aux élèves.

L’Université (…) doit contribuer de façon éminente au progrèshumain. Parce que les problèmes qui se posent dans la vie despeuples étant multiples et complexes, à la fois spirituels,culturels, sociaux, économiques, etc…, la formation que l’onattend de l’Université doit englober tous ces aspects. Il ne suffitpas de vouloir travailler pour le bien commun ; pour le faireefficacement il est nécessaire de former des hommes et desfemmes capables d’acquérir une solide formation et d’endonner aux autres le fruit403.

Comment l’Université atteint-elle cet idéal de formation ?Ni les aspects d’organisation ni le contexte architectural nile règlement, même s’ils sont importants, ne suffisent eneux-mêmes à garantir ce résultat. La formation parfaiteest principalement le fruit de l’esprit et de l’ardeur quianiment ceux qui travaillent dans l’institutionuniversitaire. Les professeurs sont bien sûr la piècemaîtresse pour tout ce qui est du travail d’éducation ;cependant on remarque que, tant dans ses écrits que dansses prédications ou encore dans sa vie, saint Josémaria

402 A. Del Portillo, Josemaría Escrivá de Balaguer y la Universidad, op. cit.,p. 77.403 Entretiens, n° 73.

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pense non seulement aux professeurs mais à tous ceuxqui d’une manière ou d’une autre collaborent dansl’Université à cette dimension d’éducation et deformation.

La vie de ce centre universitaire [il parlait de l’Université deNavarre] se doit principalement au don de soi, à l’énergie, à lajoie et au travail que les professeurs, les élèves, les employés, lesappariteurs, ces merveilleuses femmes de Navarre qui prennentsoin du ménage, tous sans exception ont mis dans l’Université.Sinon cette Université ne pourrait pas tenir404.

Dans l’esprit de saint Josémaria, le professeur contribue àla formation de ses élèves avec des cours théoriques etpratiques, avec le travail en séminaire, etc. Mais sa tâche,même si elle est due à un souci académique, dépasselargement cette simple perspective. Les implicationséducatives de son travail dépendent en principe de sesconnaissances, de son prestige professionnel mais ausside son envergure humaine et de la cohérence entre sesidées et sa conduite. Avec son sens de la justice dansl’évaluation des données, par sa façon d’aborder lesélèves et de les conseiller, dans sa tâche d’assesseur aucours d’une conversation cordiale et aimable, leprofesseur peut faire réfléchir, découvrir des horizonsinsoupçonnés, apprendre à mettre en perspectiveplusieurs points de vue, pointer certaines incohérences.La vie universitaire offre de nombreuses opportunités dedialogue sur des sujets humains éthiques et personnels aucours duquel le professeur peut contribuer à la croissancedes différentes vertus humaines chez les élèves ainsi qu’à

404 Entretiens, n° 83.210

la formation d’un jugement droit en ce qui concerne lesquestions fondamentales. Mais dans la pensée de saint Josémaria, la conception del’Universitas Magistrorum et Alumnorum s’élargit pourconstituer une communauté plus vaste : tous ceux qui enfont partie, les professeurs, mais aussi les élèves, ont àcœur de collaborer en vue des finalités, des idéaux etéducatifs de l’institution universitaire. La manière d’agird’un appariteur, d’un agent administratif, d’un employéau ménage sera différente de celle du professeur. Maisleur comportement, leur attitude, leur conduite, comme lesoin des choses matérielles, ce champ d’action splendidepour l’exercice des vertus humaines et surnaturelles, toutcela aura une influence sur l’éducation, contribuant à lafavoriser ou à lui nuire. L’éducation se fait par exempleen prenant soin du jardin et des plantes, en soignant lesdétails de propreté, en décorant les lieux avec goût, enréparant rapidement une erreur, en préservant le bon étatdes installations ; pour l’appariteur ou l’agentadministratif, en répondant aux sollicitations, encataloguant correctement un livre, en réalisant desdémarches pour obtenir des fonds qui permettentd’améliorer les instruments de travail, en traitantrapidement les dossiers, en faisant des photocopies et aucours de multiples activités qui ne font pas l’objetd’enseignements mais qui ont clairement valeuréducative. L’efficacité et l’intensité de toute cette actionéducative au sens large du terme est amplifiée parl’ambiance sereine et joyeuse de liberté et deresponsabilité, que saint Josémaria voulut aussi pour laformation universitaire. L’Université insistait-il, doitfournir « une éducation à la liberté personnelle ainsi qu’àla responsabilité personnelle. Avec la liberté et la

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responsabilité, on travaille avec joie, (…) parce quechacun se sent « chez soi405 ». À d’autres moments ilévoquait ce climat de liberté propre à tout travail éducatifpromu dans cet esprit :

Nous aimons et respectons la liberté, nous croyons à sa valeuréducative et pédagogique. Nous sommes convaincus que c’estdans un tel climat que l’on peut former des âmes possédant unevraie liberté intérieure et que se forgent des hommes capablesde vivre de manière responsable la doctrine du Christ, demettre en pratique leur foi de manière virile (…) capablesd’aimer de tout leur cœur et de toutes leurs forces l’Eglise deDieu et le Pape de Rome406.

Tout ce travail de formation réalisé dans un espritd’amitié et de collaboration aboutit à la formation depersonnes capables de servir efficacement.

Il faut que l’Université forme les étudiants dans un esprit deservice : service de la société, promotion du bien commun,grâce à leur travail professionnel et à leur action civique. Lesétudiants doivent être responsables, manifester une saineinquiétude pour les problèmes d’autrui et un esprit généreuxqui les pousse à affronter ces problèmes et à tâcher de leurtrouver la meilleure solution possible. Offrir tout cela àl’étudiant, telle est la tâche de l’Université (…). Bref, elle doitêtre ouverte à tous, et d’autre part, elle doit former sesétudiants de telle manière que leur futur travail professionnelpuisse être mis au service de tous407.

405 Entretiens, n° 84.406 A. Del Portillo, Josemaría Escrivá de Balaguer y la Universidad, op. cit.,p. 83-84. 407 Entretiens, n° 74. « L’université ne doit pas former des hommes qui,par la suite, se réservent avec égoïsme les bénéfices acquis au cours deleurs études. Elle doit, au contraire, les préparer à une activité faite

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Saint Josémaria qui évoquait souvent cette mission deservice de l’Université précisa ainsi la manière de mener àbien l’institution universitaire.

L’Université ne vit pas en tournant le dos à toute incertitude, àaucune inquiétude, à aucune des nécessités de l’homme. Samission n’est pas d’offrir des solutions toutes faites. Mais enétudiant avec une profondeur scientifique chaque problème,elle touche aussi les cœurs, stimule la passivité, réveille lesforces endormies et forme des citoyens désireux de construireune société plus juste408.

Le service est effectivement le concept qui, en un certainsens, résume la manière juste de se situer face à l’homme.Celui qui considère l’homme dans sa dignité, le sert. Je considère que ces enseignements que saint Josémariasut transmettre avec force et qui ont leur fondementultime au plus profond de son esprit, tel le sens de lafiliation divine, l’amour de la liberté, l’importanceaccordée au travail bien fait et au soin des petites choses,ont réussi à faire de l’Université une maison et de sonactivité éducatrice une prolongation du foyer familial.Ceux qui ont assisté à des cérémonies académiquessolennelles à l’Université de Navarre, comme l’ouverturedes cours ou l’acte d’investiture de Docteurs Honoriscausa, ont immédiatement compris la synthèseharmonieuse d’un ton aimable et familier et du protocoleacadémique le plus exquis. Je conclus sur quelques

d’aide généreuse envers le prochain et de fraternité chrétienne.»Entretiens, n° 75.408 A. Del Portillo, Josemaría Escrivá de Balaguer y la Universidad, op. cit.,p. 98.

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phrases de saint Josémaria prononcées précisément aucours d’une cérémonie académique :

Ceux qui changeront le monde, permettez-moi de le rappeler,ne seront pas ceux qui prétendent étouffer la vie de l’esprit, laréduisant à des questions d’ordre économique ou de bien-êtrematériel, mais ceux qui croient en Dieu et au destin éternel del’homme, ceux qui savent accueillir la vérité du Christ commeune lumière en vue de l’action et de la conduite. Parce que leDieu de notre foi n’est pas un être lointain qui contemple avecindifférence le sort des hommes. C’est un Père qui aimeardemment ses enfants, un Dieu créateur qui déborde detendresse pour ses créatures. Il accorde à l’homme l’immenseprivilège de pouvoir aimer, transcendant ainsi l’éphémère et letransitoire409.

María Ángeles VitoriaFaculté de Philosophie de la Sainte Croix, Rome

L’Eglise et l’université en Europe

409 A. Del Portillo, Josemaría Escrivá de Balaguer y la Universidad, op. cit.,p. 108.

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SOMMAIRE

Hervé Pasqua :La fin de l’éducation 5

Jean-François Mattéi : Éducation et barbarie 11

Hélène Michon :Saint de François de Sales et la faculté d’attention : de lapédagogie à la spiritualité 27

F. Jacques d’Huiteau :L'école lasallienne : la fraternité vécue pour une fraternitéapprise 45

Ludovic Laloux :Don Bosco : un éducateur confronté aux enjeux d’unesociété anticléricale 63

Karin Ueltschi :

251

Les enseignements d’un mari à sa femme (1393) :catéchisme et savoir-vivre 73

Maud Besnard :L’Idée d’université selon le Bx John Henry Newman : unepensée au service de la formation humaine 97

Eric de Rus :Le geste éducatif selon sainte Thérèse de la Croix (EdithStein) : un art intégral 141

Keith Beaumont :La « Pédagogie spirituelle » de Philippe Neri et de JohnHenry Newman 117

María Ángeles Vitoria : L’éducation au service de la vocation divine de l’hommeselon saint Josémaria Escriva 183

Jean-Dominique Durand :L’église et l’Université en Europe de la mémoirehistorique aux défis d’aujourd’hui 217

BIBLIOGRAPHIE 243

INDEX 249

252