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    Estudis 

    CLAIRE TORREILLES

    LES TROIS ÉDITIONS DU D ICTIONNAIRE L ANGUEDOCIEN- F RANÇAIS  DE L'ABBÉ

    BOISSIER DE SAUVAGES1

     Pour citer ce document :

    Claire Torreilles, « Les trois éditions du Dictionnaire Languedocien-Français de l'Abbé Boissier de

    Sauvages »,ccitanica!eu, "studis, #en ligne$, %is en ligne le & anvier ()*+!

     Permalien  !occitanica!eu.ca%/us.editionsBoissierdeSauvages0CTorreilles0)&)*()*+01r

    1  Sous ce titre nous reprenons et modifions une communication publiée dans les  Actes du premier Congrèsinternational de l’AIEO, édités par Peter Ricketts, London, Westfield College, 1987, p. 513-527. C.T. décembre 2013.

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    Introduction

    L'abbé Pierre-Augustin Boissier de Sauvages naquit le 27 août 1710 à Alès où il mourut le 29

    décembre 1795. Il était le cinquième des six enfants de François Boissier de Sauvages, capitaine au

    régiment de Flandres, et de Gillette Blanchier. La famille habitait depuis le début du XVII e siècle2 le

    château de Sauvages, près d’Alès. Pierre-Augustin fut, à partir de 1718, élève du petit collège des jésuites à Alès, fréquenta l’université d’Avignon (1730-1732) et termina ses études de théologie en

    1733 à la Sorbonne3. De retour à Alès, il enseigna au Séminaire d’Alès la philosophie, mais aussi

    les sciences naturelles, la botanique, la minéralogie, et la physique expérimentale . Alors que son

    frère François, de quatre ans son cadet, connut très tôt une réussite brillante dans la médecine 4, la

    reconnaissance de la vocation scientifique de Pierre-Augustin fut plus lente. Il s’était formé à la

    minéralogie auprès du docteur Salomon Lefèvre d’Uzès, « grande figure de la physique cartésienne

    à l’échelle locale »5

    ,et avait publié en 1740 des Observations lithographiques, suivies de plusieursmémoires adressés à l’Académie des Sciences de Paris publiés de 1743 à 1749 : études sur le vitriol

    de Saint-Julien près d’Alès, sur les gisements de houille, les fontaines ou sources d’eau sulfureuse.

    Il fut reçu en 1746, six ans après son frère, à la Société Royale des Sciences et Lettres de

    Montpellier comme membre associé. En 1750, sollicitant en vain une pension royale malgré

    l’entremise plusieurs savants dont Buffon, il séjourna un an à Paris, fréquenta Jussieu, Daubenton,

    Turgot, Réaumur6, le marquis de Croixmare, les aida dans l’arrangement des collections du cabinet

    du roi, de leurs  propres cabinets de sciences naturelles. Il ne revint pas à Alès les mains videspuisqu’il obtint du Contrôleur Général Trudaine une pension de six cents livres pour une mission de

    recherche sur la maladie des vers à soie qui menaçait l’économie cévenole. Il travailla intensément à

    ce sujet pendant les cinq années qui suivirent, multipliant les expériences et les publications qui le

    conduisirent aussi loin que pouvait le faire la science de son temps. Trudaine, peu satisfait du

    résultat, lui conseilla d’aller poursuivre ses recherches en Italie, mais sans lui accorder aucune aide

    supplémentaire. Dans le même temps, l’abbé de Sauvages s’était mis en relation avec les auteurs de

    2 Selon l’abbé Rafélis de Broves (1897), c’est en 1606 que « la terre et le château de Sauvages, sur le terroir de Saint-Jean-du-Pin, passa par contrat de mariage dans la famille Boissier : dame Delphine de Ussan épousa noble François deBoissier, docteur en droit et capitaine du régiment d’Auvergne-cavalerie, et lui apporta en dot la terre et la seigneurie deSauvages ».3 R. de Broves (1897). p. 72-73.4 François Boissier de Sauvages est docteur en 1726, entre à la faculté de médecine de Montpellier en 1734 ; il estnommé professeur de botanique à la suite de Chicoyneau en 1752. Il souvent appelé par ses contemporains : « le célèbreauteur de la Nosologie » pour avoir publié  Nosologia methodica sistens morborum classes, genera et species juxtaSydenham mentem et botanicorum ordinem, Amsterdam et Genève, de Tournes, 1763, 5 vol. in 8 o. L’abbé Rafélis deBroves publia aussi sa biographie : Le professeur Boissier de Sauvages, dit le médecin de l’amour , Alès, Brabo, 1897,240 p.5  François Pugnière.

    6 Selon R. de Broves (1897), Sauvages et Réaumur échangèrent une correspondance de « plus de vingt lettres »,aujourd’hui perdue. p. 263.

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    l’Encyclopédie. Il correspondit en particulier avec d’Argenville et d’Alembert et serait l’auteur des

    articles : « Toiles peintes », « Salines »  7  et de quelques autres : « Hôpital », « Infirmier »,

    « Mûrier », « Vers à soie ». Il fit le voyage d’Italie, le « grand tour », de septembre 1763 à

    septembre 1764, guidé par les conseils et les lettres de recommandations de son ami de longue date

    l’antiquaire nîmois Jean-François Séguier qui avait été secrétaire particulier du marquis Maffei à

    Vérone de 1732 à 1755. Il rapporta d’Italie, selon son biographe, outre des affiliationsacadémiques8, « une quantité prodigieuse de notes industrielles, usuelles, artistiques, ethnologiques,

    historiques 9». Il y avait notamment recueilli des observations sur les vers à soie et sur de nouvelles

    méthodes de culture du mûrier en pépinières qu’il présenta, sans succès, aux États du Languedoc. Il

    réussit mieux auprès de la duchesse d’Anville, en Angoumois, dans le domaine de qui il introduisit

    la sériciculture et grâce à laquelle il put enfin obtenir une pension royale de 1200 livres. Revenu à

    Alès, il reprit son enseignement et ses recherches, et accepta, à 61 ans, d’être ordonné prêtre en

    1771 par Mgr

     Jean-Louis de Buisson de Beauteville, évêque d’Alès depuis 1756, avec qui il était liéd’amitié10.

    Quelle est la place prise, dans ses différents travaux visant la reconnaissance scientifique, de

    l’édition de 1756 du  Dictionnaire languedocien  et des deux rééditions de 1785 et de 1820 ?

    Comment et à quel moment, parmi tant de sujets d’étude, l’abbé a-t-il choisi de privilégier un travail

    lexicographique qui fit, plus qu’aucun autre, sa réputation et qui fut, au XIX e siècle, un outil de

    connaissance et de conscience linguistique pour les occitans cultivés 11.  Nous commencerons par

    interroger les trois notices biographiques qui, au cours du XIX e  siècle, ont traité de l’abbé de

    Sauvages et qui émanent soit des cercles d’alliés et amis, soit des sociétés savantes et académies

    auxquelles l'abbé appartenait.

    7 Jacques Proust, L 'Encyclopédisme dans le Bas-Languedoc au XVIII e siècle, Faculté des Lettres et Sciences Humainesde Montpellier, 1968. « Les contributions annoncées sous le nom de Sauvages dans l’avertissement du tome IIconcernent les toiles peintes et le sel des marais. Il y a en effet dans le tome XIV un article Salines et dans le tome XV

    un article Toiles peintes imitées des indiennes. Ils ne sont pas signés mais rien ne permet de douter qu’ils soient del’abbé. » p. 19.8 Il fut membre correspondant de l’Accademia delle Scienze dell’Istituto di Bologna, de l’Accademia dei Georgofili

    et de l’Accademia degli Apatisti de Florence.9 R. de Broves (1897) p. 225.10  Jean-Louis de Buisson de Beauteville, évêque d’Alès, avait des sympathies jansénistes.  L'abbé de Sauvages lesoutiendra toujours et activement, faisant même des démarches au Vatican quand l'évêque sera soumis à un blâme papal.11 Il semble avoir eu au XVIIIe siècle une diffusion rapide et géographiquement large mais dans les milieux lettrés. Auxréponses des Languedociens fournies à la question 21 de l'enquête de l'abbé Grégoire sur les patois : « Y a-t-il desgrammaires et des dictionnaires dans votre patois ? », une seule allusion claire est faite par le Club de Carcassonne à undictionnaire languedocien, qui paraît bien être celui de Sauvages : « Le languedocien du dictionnaire imprimé à Nîmesmarque le e fermé avec un tréma ». Une autre allusion d'un correspondant anonyme est plus douteuse. Dans l'ensemble

    les Languedociens qui répondent à l’enquête disent ne pas connaître de dictionnaire, mais cette question complexe est àexaminer plus spécifiquement.

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    Les notices biographiques

    La première notice est écrite en 1818 par Louis-Augustin d'Hombres Firmas, un petit-neveu12.  Elle

    est inspirée par un concours de biographies « d'hommes mal connus ou mal appréciés de leurs

    contemporains », lancé par la Société Royale et Centrale d'Agriculture. Elle est couronnée la même

    année. Elle nous apprend surtout qu'en ce début du XIXe siècle, l'abbé de Sauvages était bien oublié,22 ans seulement après sa mort, à  la différence de son frère François. L'accent y est mis sur les

    découvertes géologiques les plus spectaculaires de l'abbé de Sauvages, comme les mines de vitriol

    de Salindres, où l'on trouve aujourd'hui un complexe industriel de chimie, sur ses travaux de

    botanique et de géologie intéressant l'économie locale (culture des mûriers, élevage des vers à soie).

    Deux ans plus tard, cette  notice servira de préface à la troisième édition du dictionnaire

    languedocien dont le même Louis-Augustin d'Hombres-Firmas, alors maire d'Alès, prend

    l'initiative. Pour cela, c'est cette notice, quelque peu édulcorée13

     qui restera pendant longtemps, etsurtout pendant la période où le dictionnaire aura le plus grand rayonnement, dans la première

    moitié du XIXe siècle, la seule source biographique de référence14.

    La seconde notice est de 1858. Elle figure dans une monographie de Junius Castelnau sur la Société

    Royale des Sciences de Montpellier dont l'abbé Boissier de Sauvages avait fait partie de 1746 à

    176615. Castelnau souhaita combler les lacunes de la notice de d’Hombres-Firmas qui faisait alors

    autorité mais qui manquait de précision, selon lui, sur le « génie particulier » et la portée de l’œuvrescientifique de l’abbé, en particulier en histoire naturelle. Il effectue un inventaire détaillé et daté 16 

    de ses travaux de 1746 à 1788, établit la chronologie de ses mémoires conservés par l’Académie et

    de ses interventions publiques17 à l’exception de la séance de 1754 où il lut des fragments de son

    dictionnaire parce que ce travail « sortait du cercle de ses travaux académiques ». On y apprend

    notamment que, jusqu’à la fin de sa vie, l’abbé de Sauvages avait envoyé des mémoires

    12  Louis-Augustin est le fils de Marie-Augustine (fille de Bernardin de Sauvages , l'un des quatre frères de Pierre-Augustin) et de Jean-Louis d'Hombres-Firmas.

    13 Le portrait final est presque hagiographique : « Il était simple, sobre et frugal dans sa manière de vivre, affable […],obligeant pour ses amis, charitable envers les pauvres. » D’Hombre-Firmas veut réhabiliter la mémoire de l’abbé auprèsd’une partie de sa famille et de la bonne société alésienne qui lui reprochaient ses opinions politiques pendant laRévolution et notamment d’avoir prêté le 3 avril 1792 le serment dit « de liberté et d’égalité » (soit le 2 nd serment à laConstitution Civile du Clergé).14  Elle fut la source de la plupart des notices bio-bibliographiques au XIXe siècle, dont Michaud , Biographie

    universelle ancienne et moderne, Paris, Desplaces, 1843 ; Quérard, La France Littéraire ou Dictionnairebibliographique des savants, Paris, Didot, vol.8,

    15 En 1766, selon Junius Castelnau, il demanda la vétérance pour être relevé de l’obligation d’assister aux séances, enraison de son changement de résidence à Alès.16 Junius Castelnau donne les thèmes et les dates de publication des mémoires (ou de composition pour les mémoiresrestés manuscrits).

    17 23 décembre 1746 : Mémoire sur les usines de vitriol des environs d’Alès ; 26 juin 1755 : Mélanges d’observationsd’histoire naturelle et de physique ; 16 décembre 1762 : Observations sur l’origine du miel. 

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    scientifiques, demeurés manuscrits, à l’académie (de 1764 à 1788) sur des phénomènes d’optique et

    notamment sur « L’atmosphère lumineuse répandue autour des objets ». Avec Castelnau le portrait

    de l’abbé perd en bonhomie et gagne en hauteur et en objectivité : « Ces mémoires sont pleins de

    faits observés mais les explications et les hypothèses sont un peu au-dessous des progrès de la

    science à son époque ».

    La plus complète et la plus vivante des notices sur l'abbé de Sauvages est sans doute celle que l'abbé

    Rafélis de Broves publie en 1897 dans les Annales de la Société Littéraire et Scientifique d'Alès.

    L'abbé de Broves proteste contre l'oubli dans lequel les félibres tiennent « un de leurs ancêtres les

    plus laborieux », et contre l'image vieillotte qu'ils s'en font et qu'ils en donnent18. En 1896, alors que

    la ville d’Alès s’apprêtait à honorer le fabuliste Florian et le savant Pasteur, l’abbé de Broves,

    membre de la Société Littéraire et Scientifique d’Alès, avait œuvré de son côté pour que l’abbé de

    Sauvages soit associé à ces commémorations. Il semble que les résistances furent surtout d’ordreidéologique. Florian, victime de la terreur était opposé à Sauvages toujours suspecté de sympathies

    révolutionnaires. On vit alors le très conservateur de Broves recevoir l’aide des « félibres rouges »

    Gaston Jourdanne, Louis Xavier de Ricard et Félix Gras. On décida d'un triple hommage qui eut

    lieu les 26 et 27 septembre 1896. Jourdanne salue en Sauvages un précurseur de la renaissance des

    lettres d’oc :

    « Ce serait une étude fort intéressante de suivre la fortune du  Dictionnaire languedociendans la période déjà longue qui a vu son apparition ... Son œuvre est une des plus

    anciennes »19

    .

    C'est l'année suivante que Rafélis de Broves publia sa biographie, en se fondant sur les lettres et

    manuscrits de Sauvages auxquels il avait eu accès20,  sur les notices de ses prédécesseurs, les

    archives des sociétés savantes, les journaux intimes de contemporains comme l'abbé Laborie, les

    archives municipales et diocésaines. Malgré le style de l’éloge et parfois du plaidoyer21, en dépit de

    18  L '  Armanà cevenòu en témoigne, comme toute la littérature félibréenne populaire : anecdotes pittoresques, proverbeset dictons, articles de botanique attribuée à l'abbé de Sauvages qui prend ainsi figure de patriarche, de bon pèreherboriste malicieux !

    19 Les cérémonies et les discours prononcés ont été publiés dans L’Union républicaine, arrondissement d’Alès, des 3 et10 octobre. Outre le discours de Jourdanne, on trouve celui du monarchiste Arnavielle qui prédit qu' « à remuer ainsi unidiome, on a agité l'état des esprits, les mœurs, les souvenirs historiques qu'il représente ». Tout cela, sur fond demouvements sociaux, en pleine grève des mineurs de l'Auzonnet et de polémique avec les journaux locaux. L'actualitéculturelle est l'occasion pour le journal de réviser son jugement sur les félibres : « Ils ne sont pas tous des orphéonisteschez qui il ne sort que du vent. Il y a parmi eux des philologues instruits qui disent que la langue doit être conservéecomme un magnifique instrument d'expression pour la pensée populaire et poétique ». Ces discours furent ensuitepubliés dans L’Armanà cevenòu de la même année.20  Des « quatre ou cinq quintaux de feuilles volantes pleines d'ordure de chat », dont Nicolas (son neveu, fils deFrançois) a hérité qu'il signale en 1810 à d'Hombres-Firmas, il ne reste plus en 1880 que « quelques liasses de lettresenfouies ». R. de Broves les a recueillies au château d’Olympie. R. de Broves (1897) p. 370.21 R. de Broves (1897) à la manière de d’Hombres-Firmas, cherche à faire le portrait d’un « prêtre vertueux » et

    charitable, à prouver sa « probité politique » et ses qualités d’homme aimable, modeste et modéré… tout en laissantéchapper, à plusieurs reprises, quelques remarques piquantes sur le maintien aristocratique et la « physionomie un peu

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    nombreuses imprécisions 22, cette étude représente encore aujourd’hui la source biographique la plus

    abondante et la mieux documentée sur l’abbé de Sauvages.

    Voyons dans quelles circonstances, dans quelles intentions, selon quelles sources, avec quelles

    références bibliographiques et quels modèles avoués ou non, ont été élaborées les trois éditions du

     Dictionnaire languedocien-français, en 1756, 1785 et 1820.

    L'édition de 1756

    L'abbé de Sauvages connaît bien les Cévennes et l'Ardèche. Il les a parcourues en tous sens dans les

    années 1750, chargé de recherches sur les maladies des vers à soie, pour le plaisir d’herboriser,

    comme Rousseau dont il est bon lecteur, pour recueillir les plantes, ramasser des pierrailles 23,

    s’instruire des usages et des paroles des hommes. En physique et en botanique, en linguistique

    aussi, c’est un empiriste, comme on l'est en ce temps où l'épistémè est nomenclature, collectage etclassement des choses et des mots. Sur le terrain, il observe, repère, ordonne. Mais c’est aussi un

    homme d’étude et de bibliothèque : il consulte également, pour l’agrément de ses lecteurs, les

    ouvrages existants de physique et d’histoire naturelle en particulier, ouvrages « que peu de

    personnes peuvent se procurer24 ». Comme cela a été souvent remarqué, les termes de botanique de

    la langue vulgaire constituent vraisemblablement le premier fonds du dictionnaire25  (environ 180

    entrées26). Chaque entrée donne l’équivalent français et parfois latin du mot ainsi qu’un

    développement plus ou moins étendu sur les applications médicinales ou pratiques de la plante.

    « Sâouvio : la sauge, sous arbrisseau dont les fleurs et la feuille prises en guise de thé sontun bon stomachique et un excellent céphalique. L’ancien dicton « Qui a sauge en son jardinn’a point besoin de médecin » et le « Cur moriatur homo cui salvia crescit in horto ? » del’école de Salerne marquent le cas qu’on a fait depuis longtemps de cette excellente plantede l’Europe qui serait plus recherchée que le thé et le café si elle venait d’aussi loin. Il vientsur une espèce de sauge une excrescence occasionnée par la piqûre d’un insecte, elle a laforme d’une pomme ; sa chair est bonne à manger ; on l’appelle pomme de sauge27. »

    Si la connaissance et l'écoute de la langue vivante sont les premières conditions de ce travail, l’abbé

    froide » de l’abbé.22 En particulier l’absence de datation des fragments cités de la correspondance aujourd’hui en grande partie perdue deSauvages.23 Lettre à Jean-François Séguier du 2 mars 1756, cité par R. de Broves (1897), p. 92 : « Je suis charmé que vousaimiez la pierraille, c’est me toucher par mon endroit sensible ; je serais flatté d’avoir un compagnon comme vous pourgravir les montagnes et pour faire quelques parties de minéralogie. »24 Préface 1756. p. XIV.25 Raynouard écrit dans le Journal des savants, mars 1824 : « Quand il composa son  Dictionnaire, l’abbé de Sauvagess’empressa de profiter des circonstances qui permettaient d’y insérer ses observations d’histoire naturelle. » p. 175.

    26 La seconde édition en ajoutera une cinquantaine. 27  Dictionnaire Languedocien, 1756, p. 427-428.

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    de Sauvages prend soin de préciser que son objectif n’est ni celui du dialectologue ni celui du

    compilateur exhaustif. Il n’a pas pour intention de « recueillir le jargon des plus petits villages ni de

    se jeter dans des détails infinis28 » et pas davantage de réaliser « un dictionnaire complet de tous les

    termes de cette Province » mais bien de s’adresser aux Languedociens qui entendent tous

    passablement et le français et « la diversité de langage de différents endroits » de cette Province. Le

    dictionnaire doit les aider à acquérir de l’aisance dans la compétence langagière la plus difficile àacquérir, celle de la conversation « honnête ». Qui peut produire un discours soutenu en français,

    dit-il, « sera souvent embarrassé s’il faut s’entretenir dans cette langue sur une infinité de choses qui

    se passent journellement sous ses yeux29. » et « finira en languedocien un récit qu’il avait

    commencé en français ». Tous les occitanophones ou « les Gascons pris dans l’étendue qu’on donne

    vulgairement à ce terme » éprouvent à cet égard « le même embarras ». Il choisira donc de donner

    de préférence les mots qui « n’ont que peu ou point d’analogie avec le français ». C’est la parole

    sociale des hommes qui lui importe autant que la désignation des choses. Le dictionnaire doit servirà faire prendre conscience de leurs méprises à ceux qui « ne se doutent pas d’en faire des fréquentes

    dans leur discours ». L’idée de répondre aux difficultés langagières de ses concitoyens lui est peut-

    être venue d’un dictionnaire « pratique » récent, le Manuel Lexique de l’abbé Prévost (1750) dont il

    est fait mention dans la préface :

    « il y a enfin beaucoup de termes que l’auteur du  Manuel Lexique avait promis de donner etdont nous souhaitons enrichir ce dictionnaire » p. XI.

    L’objectif de l’ouvrage est énoncé dans son sous-titre : « Dictionnaire portatif des mots françaisdont la signification n’est pas familière à tout le monde… » qui pourrait avoir inspiré celui de

    Sauvages : « Choix des mots languedociens les plus difficiles à rendre en français ».

    Certes le dictionnaire a aussi un autre but avoué, mais présenté comme secondaire, en tout cas dans

    la première édition, celui de constituer un conservatoire de la langue, au moins pour servir de

    référence « à ceux qui font des recherches sur les langues30 ». Ainsi recueillir la langue telle qu’elle

    est encore parlée à la campagne présente un intérêt scientifique en soi : « ces termes de l’ancien

    langage étaient prêts de tomber dans l’oubli dont cet ouvrage pourra les sauver ». Ce n’est pas dansle domaine occitan que l’auteur a trouvé ses sources31. Il en cite deux, le «petit dictionnaire de

    28 Préface 1756, p. VII.29 Préface 1756 p. VII.30 Notamment Court de Gebelin qui travaille à l’ Histoire naturelle de la parole qui constitue une partie du grandœuvre : Monde primitif analysé et comparé avec le monde moderne considéré dans son génie allégorique et dans lesallégories auxquelles conduisit ce génie, Paris, chez l’auteur, 1773-1782, 9 vol. (nouvelle édition en 1786).31 Il ne cite pas parce qu’il ne le connaît pas à ce moment-là (voir infra) le  Dictionnaire Provençal de Pellas (1732)

    dont le titre et la préface annoncent pourtant des objectifs proches de ceux de Sauvages : aider les uns à apprendre lefrançais et faire connaître aux autres le provençal.

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    Goudelin32 » et L’Histoire naturelle du Languedoc d’Astruc33 mais ces ouvrages lui ont été, dit-il, de

    peu d’utilité, l’un parce qu’il était « fait dans d’autres vues », l’autre parce qu’il n’a pas « été à

    portée de le consulter34 ».

    C’est dans la lexicographie bretonne très productive dans toute la première moitié du XVIII e siècle

    qu’il a trouvé matière à une ample réflexion sur la langue, sur sa situation, ses origines et son

    évolution. Le« Dictionnaire bas breton » qui est cité dans la préface de 1756, sans nom d’auteur, estle « Dictionnaire de la langue bretonne35 » de 1752 de Le Pelletier. Plus particulièrement, il apparaît

    que Sauvages s’est inspiré de près de la dissertation de linguistique historique que représente la

    belle préface de Taillandier. Il a comme lui ajouté à ces considérations générales un corpus de

    remarques descriptives et prescriptives sur la prononciation, la graphie et la grammaire de la langue.

    Il faut attendre une note de la deuxième édition pour en lire l’aveu à peine détourné : « Dom

    Taillandier, bénédictin, a donné un dictionnaire dans lequel nous avons souvent vu des rapports avec

    notre languedocien. » La note paraphrase à grands traits l’exposé de Taillandier sur les vicissitudesde la langue celte, « une des plus anciennes de l’univers, altérée et presque partout oubliée par la

    conquête des Romains, par la prédication de l’Évangile et le défaut de livres écrits en celtique » puis

    par la conquête des Francs...

    À la différence des dictionnaires bretons   (Rostrenen 1732, M. l’A. 1756) et en général de la

    recherche en domaine celtique dont l’édition est soutenue par les États de la Province de Bretagne36,

    la première édition du dictionnaire languedocien ne sera encouragée ni par les pouvoirs politiques ni

    par les institutions savantes. On a vu les réserves émises par les membres de la Société Royale à la

    suite de la lecture de fragments du dictionnaire en 1754.

    Sauvages a choisi Michel Gaude, éditeur à Nimes, chez qui il a publié plusieurs ouvrages

    scientifiques, pour l’édition de son dictionnaire en 1756. L’ouvrage est dédié à « Monsieur le

    chevalier de Beauteville, brigadier des armées du Roi, commandant de la ville d’Alais et du pays

    des Cévennes », qui est le frère de l’évêque.

    La première réception de l’ouvrage semble se placer dans l’ombre de la renommée scientifique que

    l’auteur avait commencé à acquérir en ce milieu de XVIII e  siècle. Sauvages s'occupe de faire

    connaître son dictionnaire au cours du « tour de France » séricicole qui le mènera à Paris, en passant

    par La Brède, chez Montesquieu37, et La Rochelle. Il l’offre à Malesherbes en lui rendant compte de

    32 Cette note est conservée dans la deuxième édition, mais le titre du dictionnaire ainsi que le nom de Goudelin sontainsi rectifiés : « Le Dictionnaire de Doujat mis à la suite des œuvres de Goudouli. »33 Jean Astruc (1737). 34 Cette note sera supprimée dans la deuxième édition.35 Dans le compte rendu du Journal des Savants de 1753, on souligne le fait que l’édition de cet ouvrage est due auxÉtats de la Province de Bretagne, p. 382.36L’ouvrage est dédié aux États de Bretagne. « C’est principalement aux États de Bretagne que le public est redevable

    de la publication de cet estimable ouvrage » Préface p.X

    .37  En septembre 1756, il y passe huit jours avec Foucard d'Olympie. Il s'intéresse à l'économie bordelaise et aux

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    ses travaux scientifiques38. Il n'obtiendra ni un appui financier ni une nouvelle mission de recherche.

    Le Secrétaire perpétuel se contentera de juger « que les travaux et le zèle des Messieurs de

    Sauvages ont été jusqu'alors mal récompensés ». La lettre de Malesherbes donne le ton de la

    réception cette première édition :

    « Je crois qu'il serait très utile à la littérature s'il y avait dans votre langue plusieurs auteurscomme Goudouli ; mais je crois en même temps que si l’on voulait posséder le jargonlanguedocien assez pour sentir tout le mérite de cet auteur, il faudrait en faire une étude aussisuivie que d’une autre langue. Voilà au moins le jugement que j’en portai dans un voyageque je fis en Languedoc, il y a seize ans, où j’eus la velléité d’apprendre à parler patois ;quoi qu’il en soit, votre ouvrage est très utile, et vous avez d’autant plus de mérite de l’avoirfait que ce travail a dû être fastidieux pour un homme accoutumé à s’occuper de choses plusagréables. »39. 

    Pour Lavirotte, dans Le Journal des Savants de février 175740, ce qui rend la lecture du dictionnaire

    « intéressante et instructive », c’est le fait que « l’auteur enrichisse souvent ses articles

    d’observations de physique et d’histoire naturelle », que d’ailleurs « ces ornements lui coûtentd’autant moins que ces sciences font l’objet de son étude ordinaire ». Il termine, en manière de

    compliment :

    « Quant à nous, il nous a paru que ce dictionnaire était fait avec autant de soin etd'intelligence que si l'abbé de Sauvages ne s'était pas toujours principalement occupéd'histoire naturelle sur laquelle il a publié tant de morceaux curieux insérés dans lesmémoires de différentes académies ».

    Pour Malhesherbes et Lavirotte, Sauvages fait une incursion surprenante dans le champ qui n’est

    pas le sien habituellement et qui est senti comme inférieur.

    La lecture de Fréron est plus attentive à la théorie linguistique et s’attache en particulier aux

    descriptions historiques et géographiques de la langue. Dans la livraison du 31 décembre 1756 de

     L’Année Littéraire, il cite sur cinq pages le début de la préface et l’article « Franchiman », en

    remplaçant toutefois le mot par « Français septentrional ». La critique est favorable : « en général je

    le trouve fort bon » malgré une pointe finale contre la prétention de l’auteur de redresser la langue

    parlée par ses compatriotes, alors qu’il est « gascon lui-même » et ne saurait posséder à la

    perfection la langue française, faute d’avoir « longtemps vécu dans les sociétés choisies de la couret de la ville »41.

    possibilités d'implantation de mûriers pour l'élevage des vers à soie.38 Ses cinq années d'observations pénibles et d'études sur les vers à soie n'ont pas abouti à une découverte décisive,mais ses mémoires ont sans aucun doute contribué à faire avancer la recherche qui ne sera reprise et conclue qu'avecPasteur.39 Cité par R. de Broves, p. 313.40 Lavirotte publie aussi dans le Journal des Savants un compte rendu du Dictionnaire breton-français de Taillandier. 41 Sauvages avait lui-même anticipé l’argument dès 1756 dans sa préface : « « Il est tout naturel qu’il se soit glissé des

    fautes du genre de celles que nous avions pris à tâche de relever, telles entre autres que les gasconnismes » l’auteur seprésentant lui-même comme « un homme de cette province habitué depuis longtemps à l’idiome du pays ». p. XII et XIII. 

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    On ne connaît pas la teneur des remarques lui avait faites Jean-François Séguier, on sait seulement

    qu’il lui en avait fait, par les remerciements que lui adresse Sauvages à la fin de sa lettre du 15 avril

    175842 :

    « Je vous remercie des remarques que vous avez faites sur mon petit dictionnaire. J’en feraipeut-être usage si j’en donne une deuxième édition. Adieu cher ami, je vous embrasse milleet mille fois. »

    Paris, le 15 avril 1758.

    Court de Gebein e re!er"ie de #aider $ #%di&i"ation de son grand 'u(re )

    * +e is (otre  Dictionnaire Languedocien, d#abord ar got, tenant singuière!ent $ "ette

    angue ro!ane us %nergi/ue /ue e &rançais, et ensuite ar n%"essit%, uis/ue e ne saurais

    r%ussir dans !on tra(ai, sans "onnatre #ense!be de toutes es angues et de tous es

    idio!es de #uni(ers 43.

    ans son  Essai sur la langue gasconne, i "ite e  Dictionnaire languedocien ar!i es ou(rages

    /u#i a "onsut%s, !ais regrette /u

    * i !an/ue un grand no!bre de !ots "e .de :au(ages, !;!e de di&&i"ies $ entendre.

    "eu= /u#i n#ait as (ouu !ieu= &aire44 .

    :au(ages ne artage au"une!ent e got de Court de Gebein our #%t?!oogie et a re"er"e de

    a angue ri!iti(e.

    L'édition de 1785Quand il se résout en 1771 à entrer dans la prêtrise, l'abbé de Sauvages ne renonce pas à ses

    activités scientifiques mais au bénéfice financier ou symbolique qu’elles pourraient encore lui

    procurer. Il ne poursuit pas le projet qu’il avait eu de publier une Flora Cebenarum sur le modèle de

    la Flora Montpelliensis  de son frère45  ni celui de publier son journal de voyage malgré les

    sollications pressantes de Séguier46. Il se consacre principalement à l'enseignement de la théologie

    et à la réédition de son dictionnaire. Le travail de compilation s’est enrichi de nombreux ouvrages

    de la seconde moitié du XVIIIe

     siècle sur la langue ou la culture d’oc, qu’ils soient imprimés ourestés manuscrits. Sauvages use et abuse de ses relations pour glaner lexiques et glossaires. Après la

    mort de l’abbé René Séguier, il demande à Jean-François de lui communiquer son dictionnaire

    42 Publiée sur le site du Comité international Séguier : www.Séguier.org.43 @ettre "it%e ar A. de Bro(es, . 313.44 Bib. !un. !es, !s 141, &D105 (D.

    45 R. de Broves, p.265.46 R. de Broves dit que « l’abbé eut jusqu’à ses derniers jours le projet de « tirer quelque chose de son journal d’Italie »

     L’illustrissimo padrone (c’est Séguier que l’abbé qualifiait ainsi) lui écrivit maintes fois : « Quand donc livrerez-vousau public les belles choses que vous remettez sans cesse sous l’enclume ? » p. 258-259.

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    manuscrit47.

    Dans la préface de la deuxième édition, il regrette le peu de succès de l’appel lancé dans la préface

    de 1756 (p. XIII) aux érudits locaux qu’il invitait à « participer au progrès des lettres dans leur pays »

    en établissant des lexiques spécifiques. Il n’a pas ménagé sa peine, semble-t-il, pour les solliciter de

    façon plus personnelle, en utilisant son réseau de correspondants :

    « Nous adressâmes des mémoires détaillés à des gens de lettres des principaux cantons de laProvince auprès de qui nous nous renommions de personnes de leur connaissance ou deleurs amis, mais ces mémoires, nos sollicitations et nos offres ne produisirent rien chez lapluplart et ne nous procurèrent de quelques uns qu’une partie de ce que nous désirions. »

    Un exemple de ce type de relation est donné par la lettre (non datée) citée par De Broves 48  du

    marquis de Calvière de Vézenobres, signée « Calvière père » qui fait état des recherches effectuées

    par son fils pour le compte de l’abbé de Sauvages :

    « M. de Calvière […] a fait la quête la plus exacte chez tous les libraires d’Avignon de

    concert avec M. de Calvet et ensuite avec M. de Boisrobert, sans pouvoir découvrirseulement une feuille du Dictionnaire provençal49  in 4o ou autrement, mais il y suppléeraabondamment par trois autres petits volumes qu’il tirera de sa bibliothèque. A l’égard desanciens troubadours, il n’en a pas un seul de manuscrit, mais il possède tout ce qui a pu êtreimprimé jusqu’à présent en ce genre. Le tout sera sans exception au service de M. l’abbédont il se fait gloire d’être l’ami et le très humble et obéissant serviteur. »

    Jean-François Séguier fut mis à contribution dans cette recherche d’ouvrages destinés à enrichir la

    deuxième édition, dans une période d’intérêt accru pour les dictionnaires « gascons ». L’un des

    concurrents déclaré de l’abbé de Sauvages était, d’une certaine façon, le baron de Servières50

    , deMende, ami de Court de Gébelin et correspondant de Séguier dans les années 1770.

    « Vous ne saurez croire combien je suis fâché de n’être point dans mes montagnes afin d’enrecueillir tous les mots et vous les envoyer afin de compléter le dictionnaire languedocienauquel je sais que vous travaillez depuis quelques années. J’ose pourtant vous assurer quesans cela il sera très imparfait, vu que les Cévennes et le Gévaudan contiennent des mots trèssinguliers et très primitifs. Un bon dictionnaire languedocien serait très utile pour connaîtreparfaitement l’origine de notre langue et en particulier il servirait beaucoup à M. de Gebelinqui m’honore de son amitié, pour son ouvrage du monde primitif analysé auquel je prends leplus vif intérêt51. » 21 février 1773.

    L’idée de Servières est de constituer un dictionnaire de tous les parlers occitans52 : « plutôt, dit-il

    47 Bibl. mun. Nîmes, ms.417. Lettre à Séguier, 23 août 1773: « Vous m'aviez promis de me communiquer le brouillondu catalogue des termes patois de Nîmes de feu Monsieur votre frère. Gaude s'en serait chargé et à son défaut bien devos marchands qui viendront incessamment pour la joie de notre foire ». Cité par François Pugnière et Claire Torreilles,Écrire en Cévennes au XVIII e siècles,  Les œuvres de l’abbé Séguier . p. 128.48 R. de Broves p. 315.49 Il fait certainement allusion au dictionnaire de Pellas (1723).50 Claude Urbain de Retz, baron de Servière, officier dans Orléans Cavalerie.51 Bibl. mun. Nîmes, ms 130.

    52 4 ans plus tard, il semble mettre son projet à exécution. Bib. mun. Nîmes, ms 130. Il écrit à Séguier : « À lasollicitation de M. de Gébelin et de St Etienne, j’ai repris l’ouvrage que je n’avois jamais perdu de vue, je veux dire le

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    dans la même lettre, un dictionnaire gascon que languedocien, y ajoutant l’auvergnat, le limousin, le

    périgourdin, l’agenais… » et les « mots du comté de Foix » que lui fournirait La Beaumelle.

    Dans cette chasse au trésor tous les moyens sont bons. Sauvages raconte à Séguier comment il

    aurait pillé les manuscrits de feu l'abbé Bonnet 53, en donnant neuf ou dix louis à sa gouvernante

    « pour pouvoir fourrager dans son manuscrit »54 si bien que son dictionnaire se serait « enrichi d'uncoup de 1500 termes du Haut-Languedoc ». C’est plus vraisemblablement, selon R. de Broves,

    l’abbé de Pérussis, Alésien ami de Sauvages et parent des Peruzzi de Florence que l’abbé avait

    fréquentés, qui lui avait fourni « des manuscrits précieux renfermant des mots originaux de l’idiome

    du Rouergue55». Servières confirme cette source dans une lettre à Séguier :

    « En conséquence des longs détails que renferme votre lettre sur le dictionnairelanguedocien de M. Bonnet, je viens d’écrire à M. de Perussis. Je le prie de me mander leprix que l’on veut avoir de l’ouvrage. S’il n’est pas exhorbitant, je l’achèterai… Je

    reprendrai un ouvrage que j’ai perdu depuis quelques temps. C’est un dictionnaire le pluscomplet qu’il sera possible de notre langue. Si cela réussit, je pense que vous aurez la bontéde me communiquer toutes les recherches que vous avez sur cette partie et surtout ledictionnaire de la langue cévenole de feu M. votre frère le prieur. » 5 août 1776 56.

    Dans ses recherches personnelles sur la langue ancienne, l’abbé de Sauvages dit avoir consulté

    « parmi de vieux titres, deux manuscrits du XII e  siècle dont l’un est un rouleau en parchemin

    intitulé  Las costumas de la villa d’Alest , l’autre est une traduction du  Nouveau Testament  »,

    « monuments précieux l’un et l’autre de la langue romance ou ancien languedocien de ce temps en

    usage dans nos Provinces. » 57

    Dans une autre note, il cite comme une de ses sources la bibliothèque de Falconet, secrétaire

    perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, son ami et celui de Jean-François

    Séguier, qui avait été, en France, à l’initiative des recherches des « Provençalistes » sur les

    manuscrits des troubadours. Il se flatte d’avoir « feuilleté » dans cette bibliothèque « une nombreuse

    collection de petits ouvrages écrits dans les différents dialectes gascons » qui lui inspirent des

    considérations sur la fluctuation de l’orthographe de la langue. (page XVI, note a). Il y a

    probablement trouvé aussi la matière de l’article Troubadour .Il n’est certes pas d’usage que les auteurs de dictionnaires découvrent toutes leurs sources, mais la

    prudence de l’abbé de Sauvages n’a d’égale que sa détermination à enrichir son dictionnaire du

    savoir de son temps.

    dictionnaire gascon dont je vous ai entretenu et dont vous aviez goûté le projet. Ci-joint une lettre qui vous développemon plan, sur lequel je vous prie de me dire votre avis ». Le 23 juillet 1778.53 Lettre à Séguier du 21 mai 1781, citée par R. de Broves, p. 325.54 Lettre à Séguier du 21 mai 1781.55 R. de Broves (1897), p. 298.

    56  Bibl. mun. Nîmes, ms 130.57 Note a, p. XI. Préface de la deuxième édition.

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    C’est ainsi qu’on peut à présent établir comme une de ses sources pour la deuxième édition le

     Dictionnaire languedocien manuscrit anonyme, resté longtemps inconnu et récemment découvert à

    Nîmes par François  Pugnière58. Ce dictionnaire, écrit dans le dernier quart du XVIII e  siècle ne

    méconnaît d’ailleurs pas la première édition du dictionnaire de Sauvages59  à laquelle il fait de

    nombreux emprunts60. Il se caractérise par une abondance de citations littéraires et scientifiques qui

    lui confèrent une dimension véritablement encyclopédique. Sauvages l’a incontestablement eu entreles mains et pratiqué. Il lui a emprunté des entrées à caractère historique ( Catarinot, Beroul, Cers,

     Revëliés…),  ethnologique (superstitions : Souco ; jeux d’enfants : Coucoumet, Brôco-kiou,

    Cambaleto, Castelet, Patëto-un…), religieux ( Amoun / Amound’âou  qui cite la traduction du

    « Notre Père » faite par « un poète de Montpellier nommé Gervais » pareillement cité par l’auteur

    anonyme61 qui y fait référence à un autre endroit  pour une traduction d’Horace 62). De façon

    générale, les emprunts de Sauvages constituent des ornements littéraires ou anecdotiques, souvent

    repérables par les citations d’auteurs du panthéon languedocien de l’auteur du dictionnaire anonyme: Bergoing (Pi ou Pigné ), Le Sage ( Muzo), Roudil, Goudouli (Pipot, Pëssamën, Tripou). Dans

    chacun de ces articles, le sens de l’emprunt ne fait aucun doute tant la source manuscrite est plus

    riche, plus respectueuse du texte original63, plus scrupuleuse dans ses références que le dictionnaire

    imprimé. 

    L’enrichissement culturel de la seconde édition infléchit le projet du dictionnaire. Si le fond

    d’encyclopédie populaire subsiste, il est insensiblement recouvert dans plusieurs articles nouveaux

    et soigneusement documentés par les références aux travaux érudits de la seconde moitié du siècle,

    58  François Pugnière a découvert en septembre 2013 le  Dictionnaire languedocien anonyme, ms 12, ArchivesDépartementales du Gard, 272 pages de « A » à « Pagadou ». La suite a été retrouvée en octobre 2013 à la BibliothèqueMunicipale de Nîmes par Didier Travier : 493 pages, de « Pagadou » à « Zou ».59 * @#abb% de :. . est "it% dans #arti"e Raioou. &o.167.

    60 Les emprunts faits à l’édition de 1756 du  Dictionnaire Languedocien-Français  appartiennent essentiellement auvocabulaire concret de la vie domestique, ou au vocabulaire technique de la botanique, de l’anatomie, de la géologie :Carel, Cassano, Carpan, Estelo, Esteve, Fato, Founzo, Mugan, Mousto, Merulié, Peiral…61  Dictionnaire languedocien anonyme, op. cit. f° 23 v°, 2e colonne : « Amoudhaou, adv. de lieu [pen.br.] h. b. idem.Gervais de Montpellier dans la traduction qu’il fait en patois de l’oraison dominicale (ms) s’est servi d’ Amoun  et

    d’ Amoudhaou dans le même sens et pour dire « au ciel » : « Nostrê Pairê quê sés amoun / Sanctificat sié vostrénoum… ».62  Dictionnaire languedocien anonyme, op. cit. L’auteur cite à nouveau Gervais de Montpellier à l’entrée « Afairê »,f°11 r°, 1ère  colonne. « Gervais de Montpellier, écrit-il, commence ainsi la traduction de l’ode d’Horace  Beatus ille :‘Bên-hurous ês aquêl qu’êscartat dais afairês / Coum’aou siéclê d’or on vivié / Laouro dambê sous bioous las têrros dêsous pairês / Sans éstrê êndêoutat d’un dinié…’». Dans les deux cas où il cite Gervais de Montpellier, l’auteur dudictionnaire donne in fine la référence : ms.63 Il arrive à Sauvages de modifier la langue de la citation ( Pi / Pigné ), de la raccourcir, de la censurer (Tripou) oumême de la recopier de façon erronée. À l’entrée Endemezi (p. 310) un vers du Testament du Sage de Montpellier  parRoudil cité dans le Dictionnaire Languedocien (ms) : « Car ieu counouissê bên …» devient chez Sauvages : « Carêiroucounouissë bë… ». À la fin de l’article Pëssamën, qui contient chez Sauvages la même définition et mêmes exemplesque dans le dictionnaire manuscrit plus quelques autres, on trouve les mêmes quatre vers d’une épigramme de Goudouli

    « Nous risen, nous cantan amasso » mais sans nom d’auteur chez Sauvages, alors que l’auteur est toujours indiqué dansle dictionnaire manuscrit.

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    dans les sciences et dans les lettres. Rafélis de Broves (1897) cite dans son intégralité une longue

    lettre de Sauvages à Séguier qui montre combien l’infléchissement savant est conscient et affiché.

    L’abbé commence par rappeler à son ami les observations qu’il lui avait communiquées « dans le

    temps » sur la première édition. Il exprime ensuite le désir de voir, avant « la fin de [sa] course » la

    publication de « cet ouvrage terminé depuis longtemps » et pour lequel il demande la protection et

    les bons offices de l’antiquaire de renommée européenne et Secrétaire permanent de l’Académie deNîmes. Il développe, sur le mode de la connivence entre gens de lettres, diverses considérations sur

    le public visé et sur la fonction « sociale » de son ouvrage. Il donne enfin, et c’est le passage le plus

    précieux à nos yeux, les arguments précis à faire valoir auprès des académiciens pour démontrer la

    supériorité de la nouvelle édition sur la précédente :

    Cette seconde édition l’emporte de beaucoup sur la première, non seulement par le nombredes articles, mais par la manière dont ils sont traités, et parce qu’il y en a environ 800 quisont enrichis d’observations de physique, d’histoire naturelle et de morale, de notes critiques

    et grammaticales fort étendues.Le tout est suivi d’un nombreux recueil de proverbes languedociens ; notes et proverbesplairont à ceux qui ne se soucieront point du fond de l’ouvrage.Le débit qui se ferait par les colporteurs, tant à Alais que dans les environs et dans lesCévennes, passerait probablement 2000 exemplaires : il n’y a pas de bourgeois ou degentilhomme campagnard, pas de paysan aisé qui se pique de savoir lire et parler français(parce qu’ils portent perruque), qui ne voudra avoir un livre à l’aide duquel il se donnera durelief dans sa paroisse, et le moyen de prendre des airs de savant : c’est pour cette classe delecteurs que j’ai destiné les observations physiques, grammaticales, historiques, critiquesetc… car, je conviens, d’ailleurs, avec le bon Horace et comme vous l’avez remarqué quenon erat hic locus.

    Il y a des Gascons en Gascogne ! Outre que cet ouvrage est de nature à intéresser lesGascons, il plaira à ceux qui sont simplement littérateurs : on m’a assuré que M. Court deGibelin avait fait usage de ma première édition.Cette seconde édition peut servir à corriger nos comprovinciaux des fautes de français, cequi est mon principal but ; elle servira aussi à donner aux habitants des autres provincesfrançaises l’intelligence des termes languedociens.Je vous prie de vouloir bien recommander mon ouvrage et pour cela de vouloir bien prendreconnaissance du manuscrit que je vous adresse par M. de Vibrac.Bornez-vous pour cela à la lecture du discours préliminaire et des articles Patoués, Roumanet Troubadour.1e – Sur les observations physiques, lisez les articles   Boûitouzêjha, Bugado, Caoudëjha,

     Mouri, Néga, Nivou.2e – Sur les notes ou observations d’histoire naturelle, lisez les articles Pougnëduro, Fëjhës,Perdigolo, Téro, Boulë.3e – Sur les observations critiques, lisez les articles  Dalmas, Esparsët, Cadolo, Touzélo, Fë,Triun.4e- Sur les remarques grammaticales, lisez les articles  Mabërna, Maizou, Co, Dëbassaire,Valmâgno, Omë, Macari, Mâïre, Pâïre, Bouissë, Massobioôu.5e - Sur les remarques historiques, lisez les articles  : Empura, Trikëto, Croupo, Mounjhôou,

     Béroul.6e - Sur les étymologies lisez les articles :  Berkieiro, Escainoun, Goudoumâro, Espenpêluga,

     Bajhâno, Sabâto, Sâlo, Sujhë, Pitanço, Majhencoulo, Sâouver.Si vous jugiez ensuite à propos de faire lecture dans vos assemblées des quelques morceaux

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    choisis précédents ou autres, que j’ai marqués de rouge et qui sont des gibiers de littérature,le témoignage de vos messieurs pourrait répandre dans le public une opinion favorable à ceDictionnaire. Je suppose que vous trouverez que cet ouvrage mérite d’être favorablementaccueilli, car autrement je le condamnerais à l’oubli et je n’aurais garde de vous prierd’étayer cette machine-là.Si elle manque de l’effet que j’en attends, ce que j’ai de la peine à croire, il resterait encorela voie des souscriptions. En ce cas je serais importun au point de vous prier de vouloir bienfaire un prospectus, car outre que je ne saurais dire du bien de mes productions, je ne mesens aucune aptitude pour ce genre de travail.J’attends avec impatience des nouvelles de ce que vous pouvez faire pour cet infortuné que

     je vous prie d’adopter comme un de vos nourrissons, et qui vous devra la vie, si vous luiprocurez celle de l’impression. Il me serait bien fâcheux de l’avoir mis au monde, avec biende la peine et un bien long travail, s’il ne remplissait pas sa destinée, s’il devenait inutilepour mes compatriotes ; ce qui ne manquerait pas d’arriver s’il ne s’imprimait de monvivant ; il serait bien difficile de trouver quelqu’un qui, étant imbu de mon systèmed’orthographe, voulût se gêner d’y veiller pendant la longue exécution qu’il demandera pourl’impression. A Dieu, Monsieur et cher confrère, je vous embrasse. » Alais, le 21 mai 1781.

    Avec un tel intercesseur, le plan éditorial de Sauvages ne pouvait que réussir.

    « Tous mes confrères, lui écrit Séguier, me témoignent un grand désir que votre dictionnaires'imprimât bientôt et ils me disent unanimement que si c'était par la voie de souscription, ilss'empresseraient d'y concourir »64.

    Mais Séguier lui-même, mort l’année précédente, n’a pu connaître ni la publication de l’ouvrage en

    1785 chez Gaude à Nîmes ni son rapide succès 65.  Au reste Sauvages n’avait-t-il pas suivi en tous

    points les conseils de Séguier. Il n’a pas abandonné dans la seconde édition la veine populaire que

    Séguier trouvait déplacée dans un dictionnaire (non erat hic locus). Non seulement Sauvages aassumé le style « almanach des familles » qui prévalait dans la première édition avec des articles sur

    l’épilepsie ( Mâou-dë-la-têro), sur l’étrange maladie des Polonais (Emboulia), sur les couvées

    artificielles inventées par Réaumur (Clouchâdo), sur le moyen de remédier aux suffocations

    (Ëngavacha), mais encore il a renforcé cet aspect d’encyclopédie populaire dans la seconde édition

    avec des entrées signalées dans la lettre à Séguier comme  Mouri, qui traite des signes non

    équivoques de la mort à connaître si on ne veut pas enterrer quelqu’un vivant,  comme Nega, qui

    indique les premiers soins à donner aux noyés, Boulë qui enseigne à reconnaître les champignons,Câoudëjha, qui explique quelle opération chimique s’opère pendant le coulage de la lessive ou

    encore Boûitouzêjha (ou Panardëjha) qui disserte de la claudication.

    Son « principal but » réaffirmé reste toutefois la correction des fautes de français commises par les

    Languedociens. Il avait expliqué dans la préface de 1756 que tous les « Gascons » faisaient à peu

    64 Lettre de Séguier à Sauvages citée par R. de Broves (1897), sans date. 

    65 

    R. de Broves (1897) : « Les trois éditions ont toutes été épuisées rapidement. Le Dictionnaire Languedocien  estaujourd’hui introuvable ». p. 318.

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    près les mêmes fautes en français que celles qu’il signalait dans son ouvrage, et il en voit la preuve

    en 1785 dans l’ouvrage de Desgrouais(1766) Les gasconismes corrigés « dont l’auteur, écrit-il en

    note et non sans malice, a relevé à Toulouse la plupart des fautes que nous avions marquées dix ans

    auparavant ».

    Mais, comme le dit une note ajoutée en 1765 66 dans la préface, le but secondaire est de « servir

    aussi » à donner « l’intelligence de nos termes les plus difficiles aux habitants des autres provinces,à ceux entre autres qui venant à s’établir chez nous, ont quelque intérêt d’apprendre, quoi

    qu’imparfaitement, une langue populaire aussi étrangère à la leur que puissent l’être celles des États

    qui confinent nos provinces. »

    La véritable portée du  Dictionnaire Languedocien-français  est cependant d’un autre ordre et

    concerne moins la connaissance du français ou de l’occitan que la représentation qui y est donnée

    des relations entre l’une et l’autre langue. Sauvages a su dire, en son temps, avec justesse etconviction, ce qu’était la situation de la langue d’oc. Dès la première préface, tout est dit en deux

    pages : l’altération de la langue issue du latin, la difficulté à la nommer, la perte des usages nobles,

    la langue du peuple. C’est la suite qui est nouvelle et qui va devenir le topos obligé de tous les

    discours sur la langue produits dans la première moitié du XIXe siècle :

    « c’est aussi celle des honnêtes gens qui ont été élevés dans cette Province, la première quise présente et qu’ils emploient plus volontiers lorsque, libres des égards que l’on doit à unsupérieur ou de la gêne que cause un étranger, ils ont à traiter avec un ami ou à s’entretenirfamilièrement dans leur domestique ».

    Cette réflexion fine sur le public visé par le dictionnaire va agir sur de nombreux lecteurs cultivé

    comme une prise de conscience de ce qu’ils vivent sans y prendre nécessairement garde : une

    situation de diglossie67. Cette prise de conscience passe par la réévaluation de l’autre langue, par la

    considération de son statut de langue. Plusieurs articles clés y contribuent.

    L’article de référence de la première édition était Franchiman, qui développait l’idée d’une

    séparation linguistique nette entre les Français du nord et les méridionaux (bande « frontière »qui va

    du Dauphiné à la Saintonge) et donc l’idée connexe d’une unité de la « langue gasconne » bienqu’elle soit divisée en dialectes selon la théorie ici exposée des « bandes transversales ».

    Dans la seconde édition, Sauvages met l’accent sur trois articles importants : Patoués,  Rouman et

    Troubadous.

    - L’article Patës  (ou Patoués) s’appuie sur l’autorité du linguiste Court de Gébelin et sur celle de

    66 Note a page VII.

    67 Hervé Lieutard, « Le système graphique de l’abbé Boissier de Sauvages : défense et illustration de la diglossiefranco-occitane », Lengas n°68, Montpellier, PULM, 2010.

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    l’historien Joseph Vaissette auteur de L’Histoire générale du Languedoc  68 pour affirmer que « le

    languedocien est une langue à part » et qu’

    « il n’a manqué à ce prétendu patois pour devenir la langue dominante du royaume que des’être trouvé dans les mêmes circonstances qui ont favorisé les progrès de la languefrançaise, ou que nos rois eussent pris pour la capitale de leur empire et leur séjour ordinaireune des villes de la Langue d’oc : c’est bien alors que la langue d’oïl eût été regardée à plus

     juste titre comme un jargon grossier et rustique. »

    Cette éloquente phrase de reformulation de la citation qui précède est promise elle-aussi à un

    brillant avenir69.

    - L’article  Rouman  argumente, à partir de Vic et Vaissette et des auteurs de la  Nouvelle

    diplomatique70  sur l’ancienneté de la langue romance et sa proximité au latin. Dans le titre de

    l’édition de 1785, le principal changement est celui du nom de la langue, ou plus exactement du

    pays de la langue. Il dit : « les Provinces Méridionales connues autrefois sous la dénomination

    générale de Langue d’Oc », alors que dans la première édition il désignait la langue du nom de seslocuteurs, les « habitants des provinces méridionales connus à Paris sous le nom de Gascons ».

    L’appellation de la langue n’est plus validée par l’écart géographique et le regard extérieur (Paris)

    mais par la distance historique (autrefois) qui confère son prestige culturel à la « la langue romane

    ou l’ancien languedocien. »

    - L’article  Troubadour polémique à propos de l’appellation de « poètes provençaux » considérée

    comme abusive si elle s’applique aux anciens troubadours, à moins que Provence ne désigne la

    « Provincia romana » dans son ensemble. Sauvages montre, en incise, qu’il connaît l’usage

    moderne du mot troubadour « nous avons vu un recueil de poésies imprimé à Aix sous le titre de

    Poètes troubadous ». Il cite toujours Dom Vaissette « ce savant bénédictin qui avait parcouru

    d’anciens manuscrits de la bibliothèque royale » et d’après lui Guillaume IX d’Aquitaine et

    « plusieurs Toulousains », reprenant l’affirmation selon laquelle « sur cent dix de ces poètes, dont il

    est fait mention dans ces recueils, à peine y en avait-il dix-huit de la Provence proprement dite ». Le

    discours sur les troubadours reflète la représentation savante qui circule à la fin du XVIII e, plus

    archéologique que littéraire. Sauvages conclut d’ailleurs sur leur réputation de « poètes

    licencieux ».

    68  L’Histoire générale du Languedoc (en cinq volumes) par Deux religieux bénédictins de la congrégation de SaintMaur [Claude de Vic et Jean-Joseph Vaissète puis celui-ci seul à partir du tome 3, 1737], Paris, Vincent, 1730-1745.Sauvages a pu consulter :Vaissète, Joseph, Abrégé de l'histoire générale de Languedoc. Paris, 1749, Jacques Vincent (en6 volumes in 12°).69 Voir le commentaire que fait Henri Boyer de l’article Patoués : « La violence symbolique au service de l’unificationlinguistique », in Dix siècles d’usages et d’images de l’occitan, coord. H. Boyer et P. Gardy, Paris, L’Harmattan, 2001.p. 151.70 Ce sont divers « Traités de diplomatique » publiés par des religieux bénédictins de la congrégation de Saint Maur,

    en plusieurs tomes. Le Dictionnaire raisonné de diplomatie de Dom de Vaines, Toulouse, 1772 est un traité d’épigraphieillustré de planches pour apprendre à lire les écritures et les alphabets de manuscrits anciens.

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    À côté de ces trois articles qui font bloc, par renvois faits de l’un à l’autre, on trouve, de façon plus

    diffuse dans l’ouvrage, diverses vues personnelles sur la langue et ses usages. De façon générale, il

    note les progrès de la francisation entre les deux éditions du dictionnaire :

    « Les fautes de cette espèce  [dire : lo, do  pour le, de] et bien d’autres qui étaient trèsfréquentes il y a vingt cinq ou trente ans ne subsistent plus dans certaines villes où les lettresont fait depuis cette époque des progrès sensibles, progrès qui se sont quelque peu répanduspar imitation parmi le peuple même le moins lettré de ces villes : nous n'avons pas crucependant devoir rayer ces fautes ou les omettre dans cette nouvelle édition : elle pourraservir dans bien d'autres endroits où les progrès ont été plus retardés dans la classe même deceux qu’on appelle « honnêtes gens ». Préface XXV a

    Dans la deuxième édition, à l’entrée Pâirë , qui est nouvelle, il revient sur les remarques

    sociolinguistiques qu’il avait faites dans la première édition à l’entrée  Mâirë : les locuteurs

    populaires du languedocien commençaient à dire pêro et mêro, utilisant dans leur discours occitan

    ces formes francisées par souci de distinction et par désir symbolique de « sortir de leur état »71. En

    1785, « pâirë  et mâirë , sôrë  et frâirë prononcés à la languedocienne ne sont plus connus que parmi

    les pauvres gens de la campagne du Bas-Languedoc et des Cévennes ».

    À l’article Triun72 , il fait une réflexion sur les mots qui correspondent à des réalités précises de la

    vie quotidienne en Languedoc et qu’il est assez ridicule de vouloir traduire en français. Dire

    « épluchures ou rebuts de châtaignes » est affecté et en ce cas le mot occitan doit être employé. Il

    faisait la même réflexion dans la préface de la première édition :

    « À l’égard des mots languedociens qui expriment des choses propres à cette province telsque Bajhâno, Cadis, Pourêto, Përaldou, etc, il était inutile de les rendre d’une autre façon etde chercher d’autres expressions. »

    Il élargit la remarque à d’autres circonstances où l’usage du français n’est pas indispensable,

    comme dans le sermon pastoral :

    « Nos prédicateurs se rendraient utiles, même dans les villes s’ils s’appliquaient à instruire

    familièrement dans l’idiome du pays (comme on les y oblige dans quelques diocèses) au lieu

    71 Les paysans prononcent mèro, disait-il en 1756, « lorsqu’ils sont pris de vin. Ce délire les met bien au-dessus de leurfortune et leur fait oublier leur misère ou leur condition présente ». Patrick Sauzet voit à l’œuvre dans cette remarquedont il montre qu’elle n’est ni anodine ni isolée, le refoulement du désir mimétique qu’il étudie sous le thème :« francofonia e embriaiguesa », « francophonie alcoolique ». Patrick Sauzet,« Delai de la diglossia. Per un modèlmimetic del contacte de lengas », Lengas, 21, 1987, p. 103-120.72  Sauvages utilise la stratégie des auteurs de l’ Encyclopédie  pour placer sous des entrées d’allure anodine des« observations critiques » comme il le dit dans la lettre à Séguier : ainsi  Mëssâjhë  , Moussëgnë, Sëgnë , évoquent avecnostalgie une société patriarcale ou maîtres et serviteurs se témoignaient estime et respect , Raiôou rappelle le bon tempsdes Cévennes royalistes , Bartas ironise sur les prétentions nobiliaires des bourgeois ,  et  Baragogno, synonyme de Roumêco ou Babâou, la bête noire dont on effraie les petits enfants, désigne ici par antiphrase la réputation faite au

     jansénisme qui n’est pas nommé autrement que : « cette prétendue hérésie qu’on ne peut définir ni montrer dans aucunlivre ».

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    de beaux discours français tissus d’allusions, de figures et de termes abstraits ce qui esttriplement du latin pour le peuple.Que si nos prédicateurs languedociens n’ont pas le talent de s’énoncer sur des sujets demorale dans leur idiome propre, ce qui demanderait de l’exercice et un certain travail, ilsdevraient du moins en garder l’accent et ne pas courir après celui des Parisiens, qui rend leurfrançais moins accessible au peuple. »

    Il y a une dimension morale dans ces dénonciations des fautes contre la langue. L’abbé condamne leLanguedocien qui, ayant séjourné à Paris, affecte à son retour au pays de :

    « franciser ou plutôt de baragouiner sa langue maternelle comme s’il en avait oublié laprononciation ou qu’elle lui fût étrangère ou qu’enfin il eût à rougir d’être de son pays, d’enparler la langue et de la prononcer. » Préface XXXII note a.

    Dans le même registre, il critique l’usage des notaires qui se croient autorisés à franciser les noms

    de personnes, comme par exemple traduire Massabiou en  Masseboeuf, ce qui ne se pratique avec

    aucune autre langue et qui va contre « la raison et le bon goût »73

    . La signification de ces noms « enlangue du pays » disparaît alors. Les entrées  Dëleouzë, Mâourél, Dalmas, montrent un intérêt

    nouveau pour les noms propres :

    « En travaillant, au reste, à découvrir la signification des noms propres, nous n’avons pasnégligé ce qui pouvait donner des lumières sur l’origine de beaucoup de nomslanguedociens. Nous en avons suivi pour ainsi dire la généalogie et la descendance… »Préface XV

    Les réflexions sur l’étymologie des noms de lieux et de famille74 ont sans doute été inspirées par

    Court de Gébelin qui au cours de ses recherches sur « la langue primitive » avait relevé de

    nombreuses racines grecques et celtiques dans son Essai sur l’origine la langue gasconne. J-F

    Séguier avait abordé le sujet dans une lettre au linguiste :

    « Un dictionnaire de la signification de tous les noms propres dans toutes les langues a dequoi lasser la patience d’un homme le plus assidu au travail. J’ai quelquefois essayé dedécouvrir l’origine de plusieurs noms de famille usités dans le patois en Languedoc, maispour quelques rapports satisfaisants, j’en ai trouvé un grand nombre d’autres qui ne meproduisaient qu’une incertitude que je ne pouvais vaincre. »75 

    Sauvages est persuadé de l'utilité d'un dictionnaire normatif, mais se méfie de l'usage abusif et

    rigide qu'on pourrait en faire. C'est un ami, dit-il, plus qu'un maître, « il corrige sans rire les fautes

    que l'on commet depuis l'enfance, même quand on est lettré ». Il met en garde les utilisateurs contre

    les hypercorrections. Si l'on force trop la nature, on adopte un « langage de cérémonie » risible.

    Les deux idiomes ont chacun son « génie ».

    73 Entrée « Touzelieiro »

    74 Préface de la seconde édition, p. EE

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    Dans la conclusion de la préface de la deuxième édition, on retrouve les deux fonctions assignées au

    dictionnaire : la correction du français et la connaissance du languedocien, mais l’ordre est

    significativement inversé :

    « Les habitants de nos Provinces méridionales pour qui nous écrivons apprendront dans cesremarques non seulement à lire couramment leur langue d’après la plus simple et la plusnaturelle des orthographes ; ils y verront encore dans les principes de la prononciation qui

    leur est propre la source des fautes où ils tombent dans la prononciation du français. »Préface XVIII

    L’abbé de Broves cite un fragment de lettre de l’abbé de Sauvages à Jean-François Séguier, sans en

    indiquer la date. Nous pensons que le propos se situe entre la première et la deuxième édition du

    dictionnaire, sans doute dans une phase de conception assez avancée de la réédition puisqu’il utilise

    la désignation de « langue romane ». Et il en parle avec la liberté de la correspondance familière,

    dans ce ton de vivacité qui était le sien, pour exprimer l’attente pleine d’humeur d’une

    reconnaissance large dont il semble avoir été frustré :« Je m’applaudis d’avoir écrit sur la langue romane lorsque je vois mon labeur recherché etvanté par M. Court de Gebelin, ce savant qui est bien plus en état d’apprécier le mérite denotre idiome que nos franchimans littérateurs, ces ingrats, qui méconnaissent leur languematernelle, qui se donnent les airs de la dédaigner parce qu’il n’en aperçoivent pas lesbeautés ou qu’ils n’ont pas le talent de les mettre en œuvre. Le monument que j’ai érigé àcette langue dans mon Dictionnaire mettra, je l’espère, tout en évidence76 ».

    L'édition de 1820

    Nous avons déjà évoqué dans quelles circonstances Louis-Augustin d'Hombres-Firmas s'était

    intéressé à l’œuvre de son grand-oncle, et avait décidé de rééditer le  Dictionnaire languedocien-

     français à Alès chez J.-J. Martin, Grand-Rue.

    Le fait nouveau est la participation du romaniste François Raynouard 77,  qui apporte la caution

    scientifique de la nouvelle linguistique romane dans une postface où il compare la langue des

    troubadours et les « patois » actuels. Le propos est modéré : « le fond de la langue est resté à peu

    près le même quant à la grammaire et quant à l’acception des mots » mais il montre que la graphie

    diffère, dans les désinences des verbes, dans les suffixes nominaux, dans la vocalisation du l final

    (ce qui est un trait cévenol : sâou, tâou, bêou, sôou). Quatre ans plus tard, Raynouard exprime une

    opinion plus tranchée78  dans  Le Journal des savants où il rend compte successivement du

     Dictionnaire du patois limousin  de Nicolas Béronie, en février182479  et du  Dictionnaire

    76 R. de Broves (1897), p. 314.77 En 1824, Raynouard a alors publié une partie importante de son œuvre, notamment Choix des poésies originales destroubadours, Paris, Didot, 6 vol., 1816-1821.78 Sur les positions de Raynouard, voir David Fabié, « Un romaniste romantique : François Raynouard », Lengas, n°

    63, Montpellier, PULM, 2008.79  Le Journal des savants , mars 1824, p. 174-180.

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    http://fr.wikipedia.org/wiki/1816http://fr.wikipedia.org/wiki/1821http://fr.wikipedia.org/wiki/1816http://fr.wikipedia.org/wiki/1821

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    languedocien de Sauvages en mars de la même année80. Dans les deux cas, il affirme que « les

    patois du Midi de la France ne sont que la langue dégénérée et altérée des anciens troubadours ». Il

    s’étonne que la langue des troubadours qui jusqu’au XIVe siècle « n’avait éprouvé aucune altération

    importante soit devenue presque méconnaissable dans les patois actuels. » Pourtant le provençal

    Raynouard est favorable à la publication de dictionnaires modernes81. Par ailleurs, il reconnaît à

    l'abbé de Sauvages le mérite d’avoir mis en évidence « l’unité fondamentale des parlerslanguedociens », en se donnant à lui-même l’avantage d’avoir « démontré l’identité primitive des

    langues de l’Europe latine » et par là la ressemblance structurelle entre l’occitan et le français.

    L’éditeur ajoute en tête d’ouvrage une notice biographique de l’abbé de Sauvages et il conserve

    l’intégralité de la préface de 1785, à une note près82 qui met en vedette un discours de l’Alésien

    Jean-Julien Trélis prononcé à l’Académie du Gard en 1807 :

    « Plus notre langue nationale s’étend, plus on devrait, à mon avis, mettre du prix à laconservation de notre idiome particulier : l’une sera la langue de l’esprit, l’autre celle ducœur ; l’une sera parlée par les hommes du monde, les gens de lettres et les artistes, l’autrepar les pères, les enfants, les frères, les amis ; l’une brillera dans la chaire, dans la tribune,dans les académies, l’autre charmera le foyer domestique. Aussi, je l’avouerai, j’éprouve unattrait singulier à l’entendre parler à l’intérieur de nos ménages et lorsqu’elle sort de labouche de nos grand-pères et de nos grand-mères qui, comme on le sait, en font un usageassez habituel, elle me semble ajouter quelque chose au respect que je sens pour eux. »

    Cette théorie de la diglossie franco-occitane - qui ne passera pas inaperçue des « amis des patois »

    au cours du XIXe siècle - a sans doute pour fonction d’apporter à la nouvelle édition du dictionnaire

    une référence moderne. Mais elle le fait au détriment de la pensée linguistique de l’abbé de

    Sauvages, en enterrant la vieille langue sous les bons sentiments au nom des progrès de la « langue

    nationale ». Ce n’était pas le langage de Sauvages. II n'y aura pas de quatrième édition malgré les

    suggestions de Rafélis de Broves83. On ne peut considérer comme telle l’édition en 1884 du

     Dictionnaire languedocien-français de Maximin d’Hombres84 et Gratien Charvet, fondée sur un

    manuscrit inachevé de La Fare Alais85 qui avait voulu faire ce que, disait-il, Sauvages n’avait pas

    80  Le Journal des savants, février 1824, p. 92-97.81 « Je désire vivement que de pareilles entreprises soient secondées quand l'occasion se présentera de les favoriserparce que  je suis convaincu qu'une réunion des vocabulaires des patois de la France serait non seulement utile àl'histoire, à l'étymologie des mots de l'idiome français mais encore à la grammaire générale ». Raynouard82 note 2 page XIV.83  R.  de Broves s'étonne de ce que « Messieurs les félibres n'aient pas fait une quatrième édition du Dictionnaire Languedocien contenant le texte « pur et intégral » de l'oeuvre de l'abbé de Sauvages. C'est en pareille matière qu'il fautprendre à la lettre la règle suum cuique. L'on a eu tort de gâter et d'interpoler les doctes et naïves fontaines de l'abbé deSauvages ».84 Petit-neveu des deux Sauvages par sa grand-mère Marie-Augustine. 85 À sa mort, en 1746, le marquis de La Fare avait laissé inachevée la nomenclature manuscrite d’un « nouveauDictionnaire Languedocien » que J-M Marette et Maximim d’Hombres s’étaient donné pour tâche de poursuivre. Après

    leur mort respectivement en 1866 et 1873, c’est le félibre Gratien Charvet qui reprit le flambeau et termina l’ouvrage endix ans, bien qu’il fût en désaccord avec l’orthographe de La Fare « défectueuse et en complète opposition avec les

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    fait, un dictionnaire de bon ton et de langue épurée 86.

    L’abbé de Sauvages se présentait, en 1756, comme le découvreur d’une langue en friche et son

    législateur :

    « Le languedocien a été pour nous une terre vacante, où comme en pays de conquête, nousavons pu à notre aise87 faire des lois ».

    Il a conservé cette remarque dans la seconde préface où il mesure le long chemin parcouru et les

    perspectives nouvelles que l’évolution des langues, des mœurs et des sciences avaient ouvertes :

    « Quelque étendu que soit notre recueil, nous voyons avec regret qu’on ne peut le regarderque comme un ouvrage, pour ainsi dire, d’attente ». p. XXI.

    On n’aurait pu mieux dire. Le Dictionnaire languedocien-français n’était ni le seul, loin s’en faut,

    ni probablement le plus complet des dictionnaires du XVIII e siècle, mais parce qu’il fut réédité à

    deux reprises en l’espace de trente-cinq ans et parce qu’il sut clairement établir, dès la premièreédition, comme principes fondateurs l’unité de la langue d’oc et la prescription d’une norme88, il

    représente, « à l’état de monument » pour citer La Fare-Alais, le soubassement de tous les grands

    travaux lexicographiques modernes en domaine occitan.

    origines et les traditions de la langue d’oc ». Au souci de purisme proprement « cévenol » de La Fare Alais, lesrédacteurs successifs du dictionnaire ont ajouté le désir d’accompagner « la renaissance des lettres méridionales ».Préface du Dictionnaire Languedocien (1984) p. 7-8.86 De l’abbé de Sauvages, il écrit dans la préface des Castagnados (1851) : « On retrouve partout le puriste français dela bonne école, sévère, rigoriste parfois. Mais plus on découvre de mérite dans cet auteur, plus on regrette qu’il se soitenfermé dans le rôle de grammairien français, alors qu’en imprimant une autre direction à son travail, il pouvait se fairele législateur suprême d'une langue à part et lui donner une portée autrement utile à l'avenir littéraire du pays » Préfacedes Castagnados, Alès, Veirun, 1851, p. XVII-XVIII. Plus loin, il lui reproche de n’avoir pas sévèrement réprouvé « ceslocutions semi-françaises qui dénaturent [l’idiome] et le font passer à l’humiliante condition de jargon » etpoursuit : « Oh ! alors notre patois aurait conservé toute sa dignité de langue morte ; alors il aurait piqué la curiosité del’étranger et l’émulation des écrivains du terroir… » p. XVII-XIX .87 L’expression « à notre aise » est supprimé dans la préface de la seconde édition.

    88 Josiane Ubaud, « Agach sus la lexicografia occitana », Lenga e País d’Òc, n°30, CRDP Montpellier, 1996. Articlerepris et actualisé sur le site www.premiumorange.com/josiane.ubaud. 

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    Ouvrages cités

    Dictionnaires

    1723, Père Sauveur-André Pellas, Dictionnaire provençal et français dans lequel on trouvera les mots provençaux etquelques phrases et proverbes expliqués en français avec les termes des arts libéraux et mécaniques ; le tout pourl’instruction des Provençaux qui n’ont pas une entière intelligence ni l’usage parfait de la langue française et pour lasatisfaction des personnes des autres provinces de France qui désirent d’apprendre l’explication des mots et des phrases provençales, Avignon, François-Sébastien Offray.

    1732, Père Grégoire de Rostrenen, Dictionnaire bas breton ou celtique.

    1750, Abbé Prévost, Manuel Lexique ou Dictionnaire portatif des mots français dont la signification n’est pas familièreà tout le monde… Paris, Didot. Supplément : Paris, Didot 1755.

    1752, Louis le Pelletier et Charles Taillandier, Dictionnaire de la langue bretonne où l’on voit son antiquité, son affinitéavec les anciennes langues, l’explication de plusieurs passages de l’écriture sainte et des auteurs profanes, avecl’étymologie de plusieurs mots des autres langues par Dom Louis Le Pelletier,  avec une préface de Charles Taillandier,Paris, François Delaguette, in-fol.

    1756, M. l’A, Dictionnaire français breton ou français celtique, enrichi de thèmes, dans lequel on trouvera les genresdu français et du breton, les infinitifs, les participes passifs, les présents de l’indicatif suivant la première façon de

    conjuguer et une orthographe facile, tant pour l’écriture que pour la composition… in 8o

    , par M. l’A, La Haye.

    1756, M. l’Abbé de S***.  Dictionnaire languedocien-français ou Choix des mots languedociens les plus difficiles àrendre en français, contenant un recueil des principales fautes que commettent dans la diction et dans la prononciation française les habitants des provinces méridionales connus à Paris sous le nom de Gascons, avec un petit traité de prononciation et de prosodie languedocienne. Ouvrage enrichi dans quelques uns de ses articles de notes historiques etgrammaticales et d’observations de physique et d’histoire naturelle. Nîmes, Michel Gaude.

    1785, Mr LDS, Dictionnaire languedocien-français, contenant un recueil des principales fautes que commettent, dansla diction et dans la prononciation françaises, les Habitants des Provinces Méridionales connues autrefois sous ladénomination générale de Langue d’Oc. Ouvrage où l’on donne avec l’explication de bien des termes de la langueromane ou de l’ancien languedocien, celle de beaucoup de noms propres, autrefois noms communs de l’ancien langageet qui est enrichi dans plusieurs de ses articles de remarques critiques, historiques, grammaticales et d’observations de

     physique et d’histoire naturelle. Nouvelle édition, corrigée d’un grand nombre de fautes, augmentée d’environ dix millearticles et en particulier d’une nombreuse collection de proverbes languedociens et provençaux. 

    1820, M. l’abbé de Sauvages, nouvelle édition par son neveu L.A.D.F.  Dictionnaire Languedocien-Français contenantun recueil des principales fautes que commettent, dans la diction et dans la prononciation françaises les habitants des provinces méridionales connues autrefois sous la dénomination générale de langue d’oc. Ouvrage où l’on donne avecl’explication de bien des termes de la langue romance ou de l’ancien languedocien, celle de beaucoup de noms propresautrefois communs de l’ancien langage et qui est enrichi dans plusieurs de ses articles de remarques critques,historiques, grammaticales, d’observations de physique et d’historie naturelle, suivi d’une collection de proverbeslanguedociens et provençaux. Nouvelle édition revue, corrigée, augmentée de beaucoup d’articles, et précédés d’unenotice biographique sur la vie de l’auteur.

    1884, Dictionnaire languedocien-français, contenant les définitions, radicaux et étymologies des mots ; les idiotismes,

    dictons, maximes et porverbes, leurs origines et celles des coutumes, usages et institutions, les noms propres de personnes et de lieux ; origines, étymologies et signification ; les termes d’agriculture, de métiers, d’arts, de professions, d’industries ; la flore et la faune méridionales, etc,  Alais, Brugueirolle, 665 pages.

    Mémoires1737, Jean Astruc, Mémoires pour l’histoire naturelle de la Province de Languedoc, Paris, Cavelier. 630 p.

    1858, Junius Castelnau, Mémoire historique et biographique sur l’ancienne Société Royale des Sciences de Montpellierprécédé de la vie de l’auteur et suivi d’une notice historique sur la Société des Sciences et Belles Lettres de la mêmeville par Eugène Thomas, Montpellier, Boehm.

    1898, Rafélis de Broves, Mémoires et comptes rendus de la Société scientifique et littéraire d’Alès , année 1897, tomeXXVIII, Alès, J. Brabro, « Biographie de l’abbé de Sauvages » p. 69-375.

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