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É DITORIAL 2 LA LETTRE - N° 16 Le 29 novembre dernier, dans l’amphithéâtre Marguerite de Navarre, a été projeté un film de 52 minutes consacré à André Miquel. Non, la formule est inexacte : durant ces 52 minutes, c’est André Miquel qui s’est exprimé face à une caméra qui le fixait impitoyablement, le réalisateur se contentant de varier légèrement les plans. Le public fut littéralement fasciné. Par le contenu, d’abord : André Miquel racontait les principales étapes de sa vie profes- sionnelle et scientifique, tout en livrant quelques confi- dences ou anecdotes plus personnelles. Mais aussi les expressions, le phrasé, une touchante sincérité teintée d’humour et de poésie vous atteignaient en plein cœur. Tous repartirent enchantés. Cette projection représente le premier aboutissement d’un pari. Depuis plusieurs années, planait l’idée (lancée par Pierre-Gilles de Gennes) de constituer des “archives du Collège”, à partir d’interviews de professeurs. Certes, l’Institut national de l’audiovisuel conservait des entretiens, des reportages sur certains laboratoires, voire quelques docu- ments sur le Collège lui-même. Mais, pour l’essentiel, il s’agissait d’œuvres de circonstance liées à un événement ou à un thème : Lévi-Strauss et le structuralisme, tel ou tel prix Nobel, Coppens et Lucy, Bourdieu et les média, etc. Il y a trois ans, la décision fut prise de lancer une “série” d’interviews. Une petite commission fut constituée autour de Pierre Bourdieu et se mit à réfléchir sur la formule à adopter. Fallait-il, comme le suggérait Bourdieu, orga- niser les questionnaires selon des “grilles” qui s’appli- queraient à chaque entretien ? Ou bien laisserait-on au réalisateur une relative liberté ? La disparition de notre collègue conduisit à choisir le second parti. Se posa alors une question plus terre à terre, celle du financement. Cher lecteur, ne faites pas les yeux ronds, admettez la triste réalité : les producteurs ne se précipi- tèrent pas pour “couvrir” le Collège de France. Aussi hallucinant qu’il paraisse, les télévisions préfèrent Zinédine Zidane à Claude Cohen-Tannoudji, Johnny Hallyday à Christine Petit ou Monica Bellucci à Jean- Pierre Changeux (exemples purement arbitraires) ! Comme souvent, survint un hasard (heureux). Un réali- sateur nommé Ramdane Issaad, qui avait auparavant suivi une filière scientifique, était en train de tourner un reportage sur un des laboratoires du Collège. Ayant eu vent du projet “Mémoire”, il en parla à un producteur de ses relations, Jean-Marc Robert, directeur de la société de production Media Vidéo Compagnie, lequel fut aussitôt séduit et se lança dans l’aventure, avec l’aide de la Fondation Hugot qui apporta un co-financement. Ainsi furent réalisés par R. Issaad les interviews d’Emmanuel Le Roy Ladurie, Jean Delumeau, Marc Fumaroli, André Miquel et François Jacob. Puis Jean-Marc Robert intéressa à l’entreprise Philippe Chazal, qui dirigeait, il y a deux ans, la chaîne de télévi- sion câblée L’Histoire. Fut tournée une série d’entretiens avec Étienne-Émile Baulieu, Claude Cohen-Tannoudji, Jean Dausset, Pierre-Gilles de Gennes et Nicole Le Douarin, entretiens diffusés sous le titre “Les aventuriers de la science”. Au printemps dernier, conforté par la qualité de ces réali- sations et par l’estime qu’elles rencontraient, le Collège tenta de pérenniser l’entreprise en recherchant d’autres partenariats. Divers contacts furent pris, notamment avec La Cinq – mais les changements survenus dans le Service public de la télévision ont retardé (espérons qu’il ne s’agit que d’un retard) la conclusion d’un accord. En revanche, une convention de coproduction vient d’être signée entre le Collège, MVC et le SCEREN (ancien Centre national de la documentation pédagogique), ce dernier apportant ses moyens techniques et assurant une vaste diffusion sur ses sites numériques. Pour l’année en cours, ont été tour- nées ou vont l’être (si les professeurs donnent leur accord) les interviews d’Anatole Abragam, Jacqueline de Romilly, Françoise Héritier, Pierre Joliot, Philippe Nozières et Paul Veyne. Les discussions avec ces institutions ont amené à réviser – ou plutôt à diversifier – les choix initiaux. Des inter- views de trois ou quatre heures sont nécessaires pour permettre à chaque professeur de retracer sa carrière et d’exprimer ce qui lui tient à cœur. Ces documents sont précieux pour la “mémoire du Collège”, ils sont et seront archivés, ils peuvent être diffusés sur des supports spécia- lisés. Mais, si l’on veut toucher un public plus large, on ne saurait dépasser le format 52 minutes. C’est pour- quoi, grâce à Gilles L’Hôte, responsable du service audio- visuel du Collège, qui assume une part croissante dans la réalisation, certains des films précédemment tournés ont été “réduits”, et, désormais, chaque interview fera systé- matiquement l’objet d’un 52 minutes. Donc, l’entreprise (au départ difficile), semble trouver sa vitesse de croisière, et d’autres ambitions ne sont pas exclues. Pour en juger (et en discuter), rendez-vous le 27 février (autour de Marc Fumaroli) et le 3 mai (autour de Claude Cohen-Tannoudji), à 19 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre ! Christian Goudineau titulaire de la chaire d’Antiquités nationales

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ÉDITORIAL

2 LA LETTRE - N° 16

Le 29 novembre dernier, dans l’amphithéâtre Margueritede Navarre, a été projeté un film de 52 minutes consacréà André Miquel. Non, la formule est inexacte : durant ces52 minutes, c’est André Miquel qui s’est exprimé face àune caméra qui le fixait impitoyablement, le réalisateurse contentant de varier légèrement les plans. Le publicfut littéralement fasciné. Par le contenu, d’abord : AndréMiquel racontait les principales étapes de sa vie profes-sionnelle et scientifique, tout en livrant quelques confi-dences ou anecdotes plus personnelles. Mais aussi lesexpressions, le phrasé, une touchante sincérité teintéed’humour et de poésie vous atteignaient en plein cœur.Tous repartirent enchantés.

Cette projection représente le premier aboutissement d’unpari. Depuis plusieurs années, planait l’idée (lancée parPierre-Gilles de Gennes) de constituer des “archives duCollège”, à partir d’interviews de professeurs. Certes,l’Institut national de l’audiovisuel conservait des entretiens,des reportages sur certains laboratoires, voire quelques docu-ments sur le Collège lui-même. Mais, pour l’essentiel, ils’agissait d’œuvres de circonstance liées à un événement ouà un thème : Lévi-Strauss et le structuralisme, tel ou tel prixNobel, Coppens et Lucy, Bourdieu et les média, etc.

Il y a trois ans, la décision fut prise de lancer une “série”d’interviews. Une petite commission fut constituée autourde Pierre Bourdieu et se mit à réfléchir sur la formule àadopter. Fallait-il, comme le suggérait Bourdieu, orga-niser les questionnaires selon des “grilles” qui s’appli-queraient à chaque entretien ? Ou bien laisserait-on auréalisateur une relative liberté ? La disparition de notrecollègue conduisit à choisir le second parti.

Se posa alors une question plus terre à terre, celle dufinancement. Cher lecteur, ne faites pas les yeux ronds,admettez la triste réalité : les producteurs ne se précipi-tèrent pas pour “couvrir” le Collège de France. Aussihallucinant qu’il paraisse, les télévisions préfèrentZinédine Zidane à Claude Cohen-Tannoudji, JohnnyHallyday à Christine Petit ou Monica Bellucci à Jean-Pierre Changeux (exemples purement arbitraires) !

Comme souvent, survint un hasard (heureux). Un réali-sateur nommé Ramdane Issaad, qui avait auparavantsuivi une filière scientifique, était en train de tourner unreportage sur un des laboratoires du Collège. Ayant euvent du projet “Mémoire”, il en parla à un producteurde ses relations, Jean-Marc Robert, directeur de la sociétéde production Media Vidéo Compagnie, lequel futaussitôt séduit et se lança dans l’aventure, avec l’aide dela Fondation Hugot qui apporta un co-financement.

Ainsi furent réalisés par R. Issaad les interviewsd’Emmanuel Le Roy Ladurie, Jean Delumeau, MarcFumaroli, André Miquel et François Jacob.

Puis Jean-Marc Robert intéressa à l’entreprise PhilippeChazal, qui dirigeait, il y a deux ans, la chaîne de télévi-sion câblée L’Histoire. Fut tournée une série d’entretiensavec Étienne-Émile Baulieu, Claude Cohen-Tannoudji,Jean Dausset, Pierre-Gilles de Gennes et Nicole LeDouarin, entretiens diffusés sous le titre “Les aventuriersde la science”.

Au printemps dernier, conforté par la qualité de ces réali-sations et par l’estime qu’elles rencontraient, le Collègetenta de pérenniser l’entreprise en recherchant d’autrespartenariats. Divers contacts furent pris, notamment avecLa Cinq – mais les changements survenus dans le Servicepublic de la télévision ont retardé (espérons qu’il ne s’agitque d’un retard) la conclusion d’un accord. En revanche,une convention de coproduction vient d’être signée entrele Collège, MVC et le SCEREN (ancien Centre nationalde la documentation pédagogique), ce dernier apportantses moyens techniques et assurant une vaste diffusion surses sites numériques. Pour l’année en cours, ont été tour-nées ou vont l’être (si les professeurs donnent leur accord)les interviews d’Anatole Abragam, Jacqueline de Romilly,Françoise Héritier, Pierre Joliot, Philippe Nozières et PaulVeyne.

Les discussions avec ces institutions ont amené à réviser– ou plutôt à diversifier – les choix initiaux. Des inter-views de trois ou quatre heures sont nécessaires pourpermettre à chaque professeur de retracer sa carrière etd’exprimer ce qui lui tient à cœur. Ces documents sontprécieux pour la “mémoire du Collège”, ils sont et serontarchivés, ils peuvent être diffusés sur des supports spécia-lisés. Mais, si l’on veut toucher un public plus large, onne saurait dépasser le format 52 minutes. C’est pour-quoi, grâce à Gilles L’Hôte, responsable du service audio-visuel du Collège, qui assume une part croissante dans laréalisation, certains des films précédemment tournés ontété “réduits”, et, désormais, chaque interview fera systé-matiquement l’objet d’un 52 minutes.

Donc, l’entreprise (au départ difficile), semble trouver savitesse de croisière, et d’autres ambitions ne sont pasexclues. Pour en juger (et en discuter), rendez-vous le27 février (autour de Marc Fumaroli) et le 3 mai (autourde Claude Cohen-Tannoudji), à 19 heures, amphithéâtreMarguerite de Navarre !

Christian Goudineautitulaire de la chaire d’Antiquités nationales

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LEÇONS INAUGURALES

Christian de Portzamparc

a donné sa leçon inaugurale le2 février 2006Son cours intitulé “figures du monde,figures du temps”, a commencé le 24 février 2006.

Extrait de la leçon inaugurale :

“Peut-on enseigner la création ?

On peut témoigner d'une expérience. Ce qui anourri la mienne, c'est le fait de construire, dedessiner, écrire, réfléchir, peindre même, pourconstruire ou faire construire les autres, avec entête une question : quel sens a l'architecture ?L'architecture concrétise le temps. Pour l'évoquer,on a l'habitude de présenter les chefs d'œuvres, lespreuves héroïques de l'existence de la discipline, lesmodèles. Mais pour parler de la création, de ce quenous pouvons rêver et calculer aujourd'hui, ce seraitprendre une voie très académique. Le monde n'estplus le même. Au contraire de la démarchescientifique qui définit son corpus au sein d'unsystème général repéré, il nous faut ici pourpercevoir notre époque, pour créer, élargirconsidérablement le regard.

Cherchant à dire ce qu'est l'architecture, cequ'elle transforme, cherchant à cerner quel est leterritoire de la pensée qu'elle soulève, je voudraisévoquer tout ce vaste champ qui nous estaccessible et s'ouvre à notre regard sur la surface

de la terre… Là où nous sommes apparus, làoù nous marchons, respirons et œuvrons. Cechamp qui nous rend visibles toutes choses, cellesqui étaient déjà là et celles que nous produisons,nos habitats, nos objets, nos millions d'objetsdisséminés sur les plaines au milieu des arbres etdes fleuves. Tout cet espace que nous modelonssans cesse, ce milieu sensible, transformé, produitpar l'homme sur la planète, est un artéfact, undouble artificiel de la nature, fait pour nousservir. Et il nous échappe de plus en plus. [...]Pour moi c'est bien cette production, ce dialogueincessant de l'homme avec son milieu quidéfinirait notre intérêt pour l'architecture. [...]

L'engagement dans la production caractérisel'architecture et la distingue de la science. Maisc'est avant tout notre relation à la vérité qui estfondamentalement différente dans l'un et l'autrecas. [...]

Réfléchir à ce que nous apprend l'architectureaujourd'hui, dans ses effets comme dans saproduction, est saisissant. C'est une figure dumonde.

“Je voudrais ne jamais cesser d'être étonné envoyant une locomotive” disait GuillaumeApollinaire. Je crois que l'étonnement est ladémarche heuristique dans toute création, et cetétonnement est le même que celui du savant : ladécouverte, et du philosophe : la questionexistentielle. Avec l'architecture, dans les villes, lesbâtiments, je suis curieux et je suis étonné, ce sontcomme des livres dirais-je, mais non, cela ne secontente pas de raconter, cela me met en situation,mon corps est autre. Je suis étonné à Pékin, et parles berges de la Seine, par Manhattan, le cieldécoupé jusqu'au sol par la perspective de ses ruesverticales, et par Sao Paulo, sa plaine sans fin depetites tours et ses rues comme des fresquesnarratives de vitrines et de maisons. Je suis étonnéque la symétrie ait été une sorte de dogme nonprononcé pendant des siècles d'architecture, quel'idée même d'architecture survive, et je suis étonnéde voir les villes devenues comme des pays.

Je n'envisage pas l'architecture comme penséesans comprendre cette condition urbaine élargiedans son entier...”

CHAIRE DE CRÉATION ARTISTIQUE 2005-2006

Premier titulaire dela chaire de

Création artistique,architecte.

Pritzker Price,1994,

Grand prix del’urbanisme, 2004.

La leçon inauguralesera disponibleprochainement

aux éditions Fayardet en vidéo (coproduction

Collège de France/CNED)

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Jon ELSTERprofesseurtitulaire de la chaire Rationalité et sciences sociales.Leçon inaugurale : 1er juin 2006.Sujet du cours : La faiblesse de volonté

NOMINATIONS DE PROFESSEURS

Jon Elster a été, entre autres,directeur de recherches à l’Institutde recherches sociales d’Oslo,professeur de science politique etde philosophie aux universités deChicago et Columbia. C’est l’au-teur d’une œuvre considérable,impressionnante par son volumeet par son audience. Sans doute lafaçon la plus simple de témoignerde la nature et de l’ampleur de sanotoriété est-elle d’évoquer la listedes conférences prestigieuses qu’ila été amené à prononcer danstoutes les parties du monde aucours des 25 dernières années. Unbref échantillon souligne, sibesoin était, la dimension trèsinternationale et transatlantique,l’ancienneté de la notoriété, (laGeorge Lurcy lecture à Chicago etla Gareth Evans memorial lectureà Oxford, prononcées dans lesannées 80), mais aussi la largeurdes publics savants touchés : lescommanditaires sont aussi biendes juristes (John Dewey lecturein the philosophy of law, àHarvard), des économistes (laSchumpeter lecture de l’EuropeanEconomic Asso-ciation), des poli-tologues (Stein Rokkan lecture àCopenhague), des spécialistes dessciences cognitives et des philoso-phes (conférence Jean Nicod àParis).

Cette évocation témoigne del’écho dans le monde savant d’uneœuvre qui se situe aux interfacesde la sociologie, de la science poli-tique, mais aussi de la philoso-phie, de l’économie et du droit. Cesuccès appelle explication. Car sesituer aux interfaces n’est pas en

soi original : la posture suscitebeaucoup de vocations, mais laréussite est rarement au rendez-vous, tant il est vrai que l’organi-sation disciplinaire, matrice d’unsavoir plus cumulatif sur lasociété, ne se laisse pas facilementtransgresser. L’étonnante audiencede l’œuvre d’Elster, aux interfacesde plusieurs sciences sociales,trouve sans doute son originedans la conjonction d’un talentrare et d’une carrière riche enrencontres et confrontationsimprobables. Rappelons lesgrandes étapes d’un parcoursintellectuel particulièrement ori-ginal et fécond en retenant, à titred’exemple plus que dans uneperspective exhaustive, quelques-unes des réalisations les plus signi-ficatives.

Jon Elster est né à Oslo en 1940.Son père, de formation scienti-fique, qui a enseigné quelquetemps le norvégien à la Sorbonneest l’auteur d’un dictionnairefranco-norvégien. Jon Elster aainsi dans sa période de forma-tion, subi une triple influence,celle, via sa famille, de la culturefrançaise, qui en fera un familierdes grands auteurs de Montaigneet Stendhal sans oublierTocqueville, celle de la philoso-phie, au travers de son mentor àl’université d’Oslo, DagfinnFollesdal, qui s’était fixé commeprogramme de traiter “lesproblèmes de la philosophiecontinentale, avec les méthodesde la philosophie analytique” etqui lui fera approfondir Hegel, etenfin celle du marxisme, une

influence que souligne le choixultérieur de faire une thèse d’Étatsur Marx, projet qu’il mènera àbien à Paris.

En effet, Jean Hyppolite avaitinvité Elster à venir à l’Écolenormale supérieure commepensionnaire étranger et avaitaccepté de diriger ses travaux.Mais Jean Hyppolite étant décédéau moment de son arrivée, il setournera en 1968 vers RaymondAron qui sera son directeur dethèse. C’est une étape décisive dela construction de sa personnalitéintellectuelle, une période où ilélargira ses horizons et s’ouvriraà la sociologie comparée et à lascience politique.

Convaincu que pour comprendrela pensée de Marx il fallaitmaîtriser les schémas intellectuelsdes économistes, il s’initiera aussialors à l’économie et en viendra àconcentrer son énergie intellec-tuelle sur l’étude d’une piècefondatrice des théories écono-miques les plus influentes : lathéorie du choix rationnel.

C’est à Chicago, en dialoguantavec Gary Becker un professeurdu département de sociologie,mais économiste, ou avec lesautres collègues de Becker, unsociologue, James Coleman ou unjuriste, Richard Posner, et en sefrottant aux thèses quelque peuprovocatrices sur la rationalité enhonneur là-bas, qu’il va déve-lopper sa propre démarche. Entrel’affrontement et le compromis,cette démarche va déboucher sur

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un renouvellement de la réflexionsur la rationalité et interpeller unpublic large dans le domaine dessciences sociales.

Des multiples publications de JonElster, la plus connue est certaine-ment son ouvrage Ulysse et lessirènes. Un des thèmes centrauxqu’il développe, celui de la valeurde l’engagement préalable, n’estpas en un sens inédit. ThomasSchelling avait déjà souligné lalogique de l’action apparemmentinsensée du capitaine qui brûle sesvaisseaux et se coupe touteretraite. Pourtant, l ’ imaged’Ulysse attaché à son mât, rusantavec les faiblesses de sa volonté, afait le tour du monde intellectuelet a eu un écho dont il est peud’exemples dans nos disciplines.Cet ouvrage a été le point dedépart de tout un champ d’étude,l’étude de la cohérence temporelle,qui est aujourd’hui en plein essor.S’y retrouvent économistes, psy-chologues, théoriciens des jeux ;il intéresse au premier chef lesspécialistes de science politique etles sociologues.

Un second livre Sour grapes (lesraisins verts), très connu aussimais sans doute moins embléma-tique que le premier, met au centrede l’analyse ce que l’auteurappelle les préférences adapta-tives, c’est-à-dire la tendance àaligner le souhaitable sur lepossible (ils sont trop verts). Ilsouligne ce qu’il appelle les effetsessentiellement secondaires, fai-sant écho à une thématique déjàprésente dans les travaux d’unhistorien, professeur du Collègede France, Paul Veyne, dont Elsterreconnaît et revendique l’in-fluence.

Sa réflexion sur la rationalité sefocalisera alors sur la triade del’intérêt, de la raison et desémotions et sur l’analyse de ladynamique de leurs interactions.L’économie n’est ici qu’en seconde

ligne, alors que la sociologie et lascience politique, voire le droitsont directement interpellés. Salecture des normes sociales est àla fois très fine et très forte : ildémontre comment à l’intersec-tion de la raison, de la passion etde l’intérêt, elles viennent, nonplatement masquer ni tout à faitsupplanter, mais déplacer, sansl’annuler, le jeu des stratégiesrationnelles. Il devient l’interlocu-teur obligé de tous ceux qui comp-tent sur le sujet. En témoigne,exemple parmi beaucoup d’autres,la conférence intitulée “raison etémotions” qu’il avait organiséeconjointement avec PierreBourdieu.

On se limite bien entendu ici àquelques-uns des grands ques-tionnements de l’œuvre d’Elsteret on ne prétend aucunement àl’exhaustivité. Mais sans doutene peut-on terminer cette évoca-tion sans signaler son analyse dela façon dont la raison, éven-tuellement perturbée par l’in-térêt et les émotions, produit lesconceptions de justice locale, lafaçon dont elle transmute lesémotions de vengeance en désirde justice.

Il y a donc pleine cohérence entrel’intitulé de la chaire et l’œuvre dupostulant ; comme cela avaitsouligné lors de la présentation dela chaire, le positionnement desdisciplines des sciences socialesvis-à-vis de l’hypothèse de ratio-nalité, en particulier celui de lasociologie, de l’anthropologie etbien entendu de l’économie, estconstitutif de leur identité intel-lectuelle. C’est en ce sens que laréflexion de Jon Elster, en faisantune critique de la rationalitééconomique, a constitué une sortede retour aux sources de la diffé-renciation originelle des sciencessociales.

Il faut ensuite redire que J. Elsterest une personnalité d’une visibi-

lité exceptionnelle, dont la cultureest nourrie d’improbables rencon-tres, celles des moralistes françaiset de la philosophie analytique, dumarxisme et de l’économie poli-tique, du droit et de la psycho-logie expérimentale. Il a uneœuvre, centrale et d’une rare visi-bilité, irriguée à la fois de culturehumaniste et scientifique. Il estune des figures emblématiquesd’un domaine qui à la fois est stra-tégique pour les sciences socialeset ouvre un espace de dialogueavec les sciences plus dures. �

Roger Guesneriechaire de Théorie économique et

organisation sociale

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HISTOIRE DE L’ART EUROPÉEN MÉDIÉVAL ET MODERNE

Les leçons de Wilhem Schlink sur “Jacob Burckhardt historien de l’art”

ACTUALITÉ DES CHAIRES

Sur la proposition du professeur RolandRecht, les professeurs du Collège deFrance ont invité le professeur WilhelmSchlink à donner, du 3 au 24 novembre2005, quatre leçons sur “JacobBurckhardt, historien de l’art”. Rappelonsqu’il est à l’heure actuelle sans doute lemeilleur connaisseur de cette grande figuredu XIXe siècle dont il prépare le volume18 des Œuvres complètes, consacré auxcours sur “L’art moderne depuis 1550”.

La réputation de La civilisation de laRenaissance en Italie est telle, aujourd’huiencore malgré l’âge de ce maître livrepublié en 1860, que l’on oublie parfoisqu’à côté de son activité d’historien, JacobBurckhardt (1818-1897) a pratiqué aumême titre l’histoire de l’art, disciplineencore toute nouvelle qui était à larecherche d’un statut scientifique. Lepremier manuel d’histoire de l’art est eneffet paru en 1841-42 et son auteur, leBerlinois Franz Kugler y célèbre l’idéeromantique de l’universalité de l’art.Collaborateur de Kugler, Burckhardtprocède à un élargissement de ce livre envue de sa deuxième édition qui témoignede sa connaissance profonde de nombreuxaspects de l’art, aussi bien byzantinqu’espagnol.

C’est à lui aussi que l’on doit une réflexionà partir de Cosmos, d’Alexander vonHumboldt : c’est l’esprit qui met de l’ordreet qui déduit des lois à partir de la descrip-tion et de l’histoire du monde. Dans sarévision radicale des chapitres de Kugler,Burckhardt introduit l’idée que l’art doitêtre mis en relation avec l’état de la sociétédu moment, même s’il se révèle être encontradiction apparente avec elle. Tout enétant la manifestation la plus éclatante dela liberté de l’esprit, l’art est cependant liéà sa réception, donc à un public capabled’éprouver la beauté.

Parmi les exigences méthodologiques dontse soucie Burckhardt, il y a la nécessité de

déterminer une chronologie, une attribu-tion, les conditions historiques d’uneœuvre ou d’une époque, les tâches(Aufgaben) de l’art, la responsabilité del’historien de l’art envers son public, sansnégliger d’apprécier la valeur artistiqued’une œuvre. Comme Winckelmann, lesavant bâlois considère que le voyage, lavisite des monuments et des musées, estun effort primordial. Et l’on peut dire qu’ilcherche dans un premier temps à donnerde lui l’image d’un amateur, au sens nobledu terme.

En réalité, il accumule notes de lecture etcommentaires personnels durant sesvisites, redistribuant mainte et mainteécole ou attribution. Tout cela a donnénaissance en 1855 à son ouvrageCicerone, sous-titré “un guide pour l’ap-préciation des œuvres d’art en Italie”.Nommé professeur d’histoire à l’univer-sité de Bâle en 1858, il sera également titu-laire de la chaire d’histoire de l’art en1874. Bien avant un autre bâlois, HeinrichWölfflin, Burckhardt a exposé les grandeslignes d’une histoire de l’art sans nomspropres. Il subordonne l’esthétique à laconnaissance des œuvres mais il en attendla possibilité non négligeable d’établir, surcette base, des lois communes. Son efforttend à coordonner les intentions artis-tiques d’une époque donnée avec les typeslégués par la tradition, tout en accordantleur autonomie aux différents genres ouaux techniques – l’architecture n’évoluepas de la même façon que la sculpture oula peinture. Dans son cours à partir de1873, à la différence de ce qui était lanorme académique en Allemagne, il nemet pas l’accent sur l’art antique et leMoyen Âge surtout, mais il procède à unesorte de réévaluation de l’art après 1550 :l’art des Pays-Bas, en particulier celui d’unRubens, occupe une place centrale, ce quiest alors une nouveauté.

Aux yeux de Burckhardt, le style élevéd’un grand artiste concentre l’art d’une

Wilhelm Schlink

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RELIGIONS, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE

M. Werner Eck est Professeur d’Histoireancienne à l’Université de Cologne depuis1979. Il est à l’heure actuelle universellementreconnu comme le plus grand connaisseur del’Empire romain, de son administration, deses élites, de son épigraphie. À ce titre, il colla-bore avec des collègues du monde entier, etnotamment avec les historiens et épigra-phistes français. On lui doit une série de livressur ce sujet et sur les sources qui soutiennentces recherches, ainsi qu’une très longue séried’études détaillées qui constituent le socle detoute recherche contemporaine dans lamatière. Il y a deux ans, il a fait au Collègeune conférence remarquée sur les diplômesmilitaires (certificats de naturalisation dessoldats auxiliaires) et sur tout ce qu’ils nousapprenaient sur l’administration romaine.

Mais les intérêts de Werner Eck vont bien au-delà. Après un travail de plusieurs années, ilvient de terminer une monumentale histoirede Cologne à l’époque romaine (862 p.), quirenouvelle complètement nos connaissancessur cette ville majeure de l’époque romaine. Il

a accepté de donner quatre conférences, enmars prochain (voir agenda), qui examine-ront les grandes étapes dans la vie del’Oppidum Ubiorum, devenu en 50 ap. J.-C.la Colonia Claudia Ara Agrippinensium,entre sa fondation et l’époque de Constantin.

Titre des conférences :

1. Auguste et l’oppidum des Ubiens : la nais-sance d’une capitale provinciale.2. L’empereur Trajan sur le Rhin : la crise del’année 97/98 ap. J.-C.3. La Cologne romaine et sa base écono-mique : une position privilégiée.4. Un tournant historique : l’évêque Maternusde Cologne et l’Empereur Constantin. �

Pr John Scheid

époque mais aussi d’un peuple ou d’unenation. Une notion qu’il a maintes foisutilisée, et dans une acception très subtile,est celle de “tâches”. Par ce mot,Burckhardt veut caractériser aussi bien lacommande spécifique à l’origine de telleœuvre, que le type (d’une architecture parex.) ou le genre (en peinture : le portrait,le paysage) dont on s’empare à unmoment donné, dans tel contexte, pour luidonner forme nouvelle. Il n’est pas aber-rant de voir en Burckardt, nourri deSchiller et de Winckelmann, et qui consi-dérait la liberté comme le véritableferment de la civilisation et donc des arts,une sorte de “républicain élitaire”. LaFrance de la monarchie ne pouvait doncproduire qu’un art insuffisant oudépourvu d’intérêt ; tout à l’opposé desPays-Bas, où une bourgeoisie cultivéesavait apprécier la valeur des œuvres queles artistes lui destinaient. L’élévationmorale dont témoigne un art est ainsi le

vrai critère de sa valeur artistique. Il fautdonc se tourner vers la figure de l’histo-rien de l’art comme véritable médiateurentre l’art et le public : “Seule la connais-sance du passé peut libérer un peuple dessymboles qui l’enchaînent…”. Mais cetteconnaissance est aussi d’ordre sensible :l’œuvre d’art, à la différence de l’histoireévénementielle, suscite un dialogue entrel’artiste et le spectateur.

À la suite de ces conférences, qui ont cons-titué une admirable introduction au maîtrebâlois, il faut souhaiter que les éditeursfrançais ne s’intéresseront plus exclusive-ment au Burckhardt historien : ses recher-ches sur l’histoire de l’art ne sont nicomplémentaires ni marginales. Elles cons-tituent au XIXe siècle un ensemble de révi-sions et de changements de paradigmes,de réflexions méthodologiques aussi, duplus grand intérêt. �

Les conférences de M. Werner Eck au Collège de France

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Tout jeune, Patrick Suppes servit dansl’armée américaine lors de la secondeguerre mondiale, en Asie, dans les servicesde la météorologie. Sa formation enphysique et mathématiques lui avait permisde suivre une formation militaire spécia-lisée en hydrodynamique. La manière dontles météorologistes synthétisent desdonnées empiriques complexes à l’aide del’outil mathématique reste l’un de sesmodèles scientifiques de référence. Après laguerre, il fit un doctorat de philosophie àl’université Columbia, New York ; sondirecteur de recherche fut Ernest Nagel.Depuis cinquante ans il enseigne la philo-sophie des sciences à l’université Stanford,Californie. Il est l’un des rares philosophescontemporains à avoir une œuvre scienti-fique : ses articles publiés sur la théorie dela mesure, sur le traitement des variablescachées en mécanique quantique, sur lesmodèles linéaires d’apprentissage utiliséspar les psychologues, ont eu une largeinfluence. Il pense que le rôle d’un philo-sophe n’est pas de concurrencer les scienti-fiques sur leur propre terrain, mais declarifier les présupposés inhérents au travailscientifique. Il a ainsi participé au granddébat des années 1970 sur les “fonde-ments” de la théorie mathématique desensembles, et à la réflexion sur les“axiomes” de la décision rationnelleproposés pour formaliser le comportementdes acteurs de la vie économique.

Très tôt intéressé par l’usage de l’ordinateurà des fins d’enseignement, il avait monté surle campus de Stanford un laboratoire où semettaient à l’étude des logiciels d’apprentis-sage de la logique et des langues. Ce mêmelaboratoire est aujourd’hui engagé dans unprogramme de recherche en neurosciences,qui se propose de cerner, par des méthodesd’enregistrement et d’analyse statistique, lescorrélats cérébraux des représentationsmentales. Parallèlement, Patrick Suppes lephilosophe réfléchit depuis plusieurs annéessur le vieux problème du “libre arbitre”, etsur la façon dont ce problème est radicale-ment modifié par le fait que l’on sait aujour-d’hui définir des situations empiriques dans

lesquelles il est impossible de trancher entrel’hypothèse déterministe et celle d’uncomportement aléatoire.

Le Pr Suppes a été plusieurs fois invité auCollège de France. D’aucuns se souviennentdes conférences qu’il fit en 1979, à l’invitationdu Pr Vuillemin, et qui donnèrent lieu à lapublication du livre Logique du probable(Flammarion, 1981). En novembre 2005,invité cette fois à l’initiative du Pr Fagot-Largeault, il a donné une conférence publiqueintitulée “Neuropsychological foundations ofphilosophy”. Dans le sillage de cette confé-rence, la chaire de Philosophie des sciencesbiologiques et médicales a organisé deuxséances de séminaire avec l’équipe duPr Olivier Dulac (Hôpital Necker) et duDr Catherine Chiron (Inserm U663, ‘Épilep-sies de l’enfant et plasticité cérébrale’), quitravaille sur le retentissement cognitif decertaines épilepsies sur le cerveau en dévelop-pement. Le Pr Patrick Suppes a présenté auxcliniciens quelques éléments des recherchespoursuivies dans son laboratoire sur lesisomorphismes structuraux entre les mots etleurs représentations cérébrales. De leur côté,les Drs Lucie Hertz-Pannier (Inserm U663 etHopital Necker), Christine Bulteau (InsermU663 et Fondation Rothschild), Mathieu Milh(Inserm U29), et Isabelle Jambaqué (Institutde psychologie de Boulogne – Université Paris5) ont donné respectivement des présentationssur l’apport de l’imagerie à la visualisation desréseaux neuronaux normaux et pathologiquesau cours du développement du langage chezl’enfant, le développement cognitif aprèshémisphérectomie, le développement desréseaux sensori-moteurs, et le développementde la mémoire. À la discussion fort animée quia suivi ont participé les Prs Henri Korn, PierreBuser, Robert Naquet (Académie des sciences)et le Pr Alain Leplège (Université Paris 7).Enfin, comme il l’avait fait de façon informellelors d’un de ses passages à Paris en 2002, lePr Suppes s’est de nouveau prêté au jeu desquestions et des réponses avec les jeunes docto-rants du Groupe de travail sur l’éthique et laphilosophie des sciences (GTEPS). À l’occa-sion de cette nouvelle visite, le Pr Suppes s’estvu remettre la médaille du Collège de France.�

PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES

Conférence de Patrick Suppes : Neuropsychological Foundations of Philosophy

Patrick Suppes

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La célébrité de ce chef-d’œuvre d’amour pur,au sens fénelonien du terme, précéda de long-temps sa publication ; il en alla de l’Histoirede Seroux comme des Antichità d’Ercolano,publiées à Naples entre 1757 et 1792, vingtans après que la rumeur des fouilles entre-prises en 1738, et le bruit de découvertesmerveilleuses jalousement cachées aux curieuxpar le gouvernement napolitain, eurent émul’Europe littéraire […].

Pour Seroux, la remémoration méthodique dela longue corruption des arts européens, depuisle VIe siècle, relevait de l’éthique scientifique ; iln’en attendait d’autre bienfait pour les arts etpour le goût européens que la preuve de légiti-mité de leur premier “renouvellement” dansl’Italie du XVIe siècle, et du second qu’avaitamorcé le récent “retour à l’antique” : il avaitété lui-même témoin à Paris et à Rome de cette“Renaissance” moderne, parmi les artistes del’Académie royale persuadés par les enseigne-ments du comte de Caylus et enthousiasméspar la lecture de l’Histoire de l’Art de l’Antiquitéde Winckelmann. Mais le déploiement de“l’atelier” romain de Seroux, puis la publicationposthume de son œuvre et sa traduction enplusieurs langues européennes, créèrent chezcertains artistes et amateurs, contre ses inten-tions, un appétit de “renouvellement” allantbien au delà d’un “retour à l’antique” sebornant à répéter, pour ainsi dire, celui qui avaitmis en mouvement la Renaissance italienne.Désormais, une suite ininterrompue de “révo-lutions”, primitivistes, voire décadentistes, dugoût européen n’a plus cessé de faire trembler

le sol sous l’édifice des Académies héritières desAcadémies italiennes de la Renaissance, ébran-lant même celle que David et Quatremère deQuincy voulurent fonder à Paris et à Rome surle granit du “retour à l’antique” winckelman-nien ; l’atelier de David eut ses dissidents “primi-tivistes”, les “Barbus” de Maurice Quaï,célébrés par Charles Nodier et traités de hautpar Delécluze. La mode, puis la passion de l’ar-chitecture gothique, de la peinture pré-raphaé-lite, de la peinture pré-giottesque, de l’artroman, de l’art romain tardif, de l’art grecarchaïque, de l’art des Cyclades, autant devagues de fond déclenchées successivement auXIXe et au XXe siècle par les érudits et lesarchéologues, et embrassées par les artistes dansune quête inverse de celle des Académies issuesde la Renaissance : celles-ci avaient demandé àl’“Antique” et à ses normes universelles debeauté les moyens de guérir les arts de leurlongue décadence médiévale ; les artistesromantiques et modernes vont demander auMoyen Âge et aux époques archaïques unepureté de formes qu’ils estimaient corrompuesdans la tradition académique.

Cette remontée toujours plus loin dans lepassé de l’Europe et de l’humanité s’estassortie de mouvements centrifuges qui ontprojeté les artistes, à la suite des mission-naires, des voyageurs, des explorateurs, destroupes coloniales, des ethnologues vers desrégimes de formes inédites, orientales etextrême-orientales, américaines, polyné-siennes, africaines. Seroux n’est qu’un mailloninvolontaire dans cet extraordinaire enchaî-nement, mais un maillon de départ décisif. �

Marc Fumaroli

LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE

Seroux d’Agincourt, Histoire de l’art par les monumens : la réimpression de ce chef-d’œuvre del’histoire de l’art a été publiée dans la collection “Europa restitua” de la chaire de Littératures modernesde l’Europe néolatine et est précédée d’une préface de Marc Fumaroli, dont nous publions ici un extrait.

Pr Carlo Ossola

Seroux d’Agincourt,Histoire de l’art par lesmonumens7 vol., Collège deFrance, chaire deLittératures modernesde l’Europe néolatineTurin, Nino AragnoEditore, 2005.

Pr Marc Fumaroli

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PROFESSEURS INVITÉS

Au cours du XXe siècle, l’enquête et lacompréhension historiographique desLumières ont accompli des progrèsconsidérables. On dispose désormaisd’une riche bibliographie internationale,encore destinée à s’accroître, en particu-lier en Amérique et hors d’Europe. Dansla perspective de cette nouvelle phased’études qui partout dans le mondeattend les nouvelles générations, il paraîtnécessaire de s’exercer aux tentatives debilan. Fruit d’un quart de siècle dedépouillements d’archives et de recher-ches personnelles, ces leçons ont princi-palement deux objectifs : 1) indiquerquelles sont les conquêtes les plus impor-tantes inscrites à l’actif de notre connais-sance historique par l’œuvre de grandschercheurs du passé et du présent, touten présentant les questions inédites quisemblent s’annoncer à l’horizon ; 2) iden-tifier avec clarté et faire apparaître lesconditionnements de nature historiqueet idéologique que notre image actuelledes Lumières a subis au cours du lentprocessus de sa formation. Si, en effet,comme le disent les épistémologues, lechoix d’un problème, la manière mêmede le poser et de “l’interroger”, ont poureffet d’influencer le type de réponse quilui sera donnée, alors la vieille distinc-tion historiciste, énoncée par JohnGustav Droysen dans sa célèbreHistorik : Vorlesungen über Enzyklo-pädie und Methodologie der Geschichte(1867), entre res gestae et historia rerumgestarum, et donc, dans notre cas, entrehistoire et historiographie des Lumières,peut encore s’avérer un précieux instru-ment d’enquête. Telle est la manière deréfléchir sur la connaissance historique,pratiquée de longue date en Italie à lafaveur de “l’historicisme absolu” théorisé

par Benedetto Croce, qui, dans cesquatre leçons sur Les Lumières dansl’Europe d’Ancien Régime, nous permetde revivre de l’intérieur la constructiondu monde historique des Lumières.comme héritage des grands maîtres duXXe siècle.

À cette fin, la première leçon examine ladifférence entre les Lumières des philo-sophes et les Lumières des historiens.Cette différence a dominé la recherchejusqu’à nos jours. Les philosophes ontfait des Lumières une catégorie, profon-dément marquée par les différentesinterprétations de Kant, de Hegel, puispar les commentaires de Marx,Nietzsche, Dilthey, jusqu’aux travauxplus récents de Koselleck, et où domine,cachée entre les lignes, la dialectique desLumières comme rapport entre lacritique des Lumières et la naissance dela crise politique et sociale de l’Occident.Au contraire, les Lumières des histo-riens sont fondées sur une consciencede plus en plus vive de la priorité ducontexte et de la reconstruction empi-rique des événements, de l’autonomiedu phénomène historique par rapportaux lectures téléologiques (dans le cadredu paradigme Lumières - Révolutionfrançaise) ou aux procès et auxcondamnations sommaires, de natureidéologique, prononcées par les histo-riographies nationalistes des XIXe etXXe siècles en France, en Allemagne, eten Italie.

La deuxième leçon, entièrement consa-crée à une réflexion sur le lien entreLumières et Ancien Régime, vise àsoutenir les raisons des historiens enfaveur du primat de l’analyse du

contexte. Seul un examen des institu-tions, des pratiques, des langages, desvaleurs, des discours et des logiquesmêmes de l’Ancien Régime dans chaquecoin de l’Europe permettra de rendreévidente l’interprétation du phénomènehistorique des Lumières comme critiqueet volonté politique de dépassement d’untel monde : projet ambitieux et désespéréd’un nouvel humanisme entièrement àredéfinir dans ses rapports avec l’histoiresacrée et profane, avec la légitimité et l’ef-ficacité des pouvoirs existants, avec laprésence inéluctable du mal, mais ausside la vocation humaine à la recherchedu bonheur. La troisième leçon donneraun exemple de la façon dont les Lumièressont parvenues à transformer le langagejuridique et moral de la tradition du droitnaturel et de repenser la politique demanière originale grâce au langage desdroits de l’homme, au républicanisme etau “constitutionalisme des modernes”.En suivant les événements qui ontmarqué la vie de Vittorio Alfieri, grandhomme de lettres italien qui vécut inten-sément l’expérience des Lumières, laquatrième leçon permet d’examinerd’importantes questions apparues dansle débat historiographique international,telles que le nouveau rôle politique deshommes de lettres dans la création del’espace public, la transformationprofonde de l’industrie culturelle euro-péenne dans le cadre de la production etde la consommation, les nouvellesformes de la sociabilité urbaine. �

Vincenzo FERRONE

Professeur à l’Université de Turin (Italie),a été invité par le professeur Daniel Rocheà donner un enseignement au Collège de France en 2005.

Il a donné quatre leçons intitulées “Les Lumières dans l’Europe d’AncienRégime entre histoire et historiographie”.

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Frédéric Joulian mène depuis une ving-taine d’années des travaux visant àrapprocher éthologie, anthropologie etpréhistoire. Il a choisi cette triple approcheméthodologique afin de contourner lesclivages disciplinaires et institutionnels etd’aborder des objets de recherche qui nepeuvent se réduire à une seule dimension.À l’occasion de la remise du prix Delwart,synthétisons quelques grands axes de sestravaux. Venant de la préhistoire, il ad’abord développé une nouvelleapproche comparative des premièressociétés humaines et des primates qu’il aqualifiée “d’étho-archéologie” (sur lemodèle de l’ethnoarchéologie qui existaitdéjà). Ce projet partait du constat quel’archéologie préhistorique des périodesanciennes était essentiellement descriptiveet manquait de modèles d’interprétation,et que les hominidés du plio-pléistocènesur lesquels on s’interrogeait répondaientdavantage (par leurs capacités physiquesou cognitives et par leurs activités écono-miques ou sociales) aux comportementsdes anthropoïdes qu’aux Homo sapiensd’aujourd’hui.

Pour mettre en œuvre ce programme,Frédéric Joulian a choisi d’aborder desobjets comparables chez les primates etles préhumains et a commencé dès 1988à étudier sur le terrain les techniques ettraditions des chimpanzés. Ces primatesutilisent des outils en pierre comparablesà ceux que l’on trouve dans les sitesarchéologiques. La comparaison desassemblages lithiques des hominidés d’ily a 2 millions d’années et des chimpanzésd’aujourd’hui a permis de mettre enévidence des analogies fonctionnellesentre ces outillages et de révéler un para-doxe majeur pour la paléoanthropo-logie : il existe des traditions techniquesanimales alors qu’elles sont absentes chezles premiers artisans Australopithèques etHomo (entre 2,6 Ma – apparition despremiers outils taillés – et 1,6 Ma - débutde l’acheuléen et des premières standar-disations régionales).

Ces conclusions lançaient un défi auxsciences de l’homme, mais impliquaientégalement une symétrie de traitement desprimates humains et non-humains. Si onutilise un type de définition et de méthodeen zoologie et un autre en anthropologie,on se condamne au malentendu –au sujetdes “cultures animales” par exemple.C’est pourquoi F. Joulian a appliqué àl’éthologie des primates les mêmesméthodes et théories qu’on emploie enanthropologie, notamment à propos del’émergence du phénomène culturel. Cettedémarche, justifiée par l’existence decomportements analogues chez leshommes et les anthropoïdes, conduisaitdonc à suivre les comportementsanimaux à la façon des anthropologues.Ses enseignements et ses recherches se sontdonc progressivement orientés vers uneanthropologie évolutionnaire qui de sonpoint de vue doit associer positivementles forces des deux traditions, l’une étho-logique (anglo-saxonne et continentale),l’autre anthropologique et historienne(francophone). Cette proposition peutsembler anodine, mais suppose derenvoyer dos-à-dos les culturalismes etbiologismes réducteurs. Faire cohabiterau sein d’un même projet, à égalité de trai-tement, archéologues, anthropologues,éthologues, sociologues et psychologues,a conduit à de nouvelles formes de travailinterdisciplinaire (cf. La Lettre du Collègede France n° 11). C’est ainsi que ce cher-cheur a lancé de nouvelles recherches deterrain (en zoo et dans la nature), cons-truisant avec une équipe de spécialistesconfirmés les objets étudiés.

Cette construction ou reconstructiond’objets de recherche qui ont pourcertains (outils, carnivorie, socialité, etc.)circulé du monde de la Culture à celui dela Nature n’allait pas de soi ; il était refusépar bien des disciplines – l’outil étanttoujours “le propre de l’homme” pour lamajorité des préhistoriens par exemple.Pour trouver de nouveaux objets derecherche, plus en adéquation avec les

avancées de l’éthologie de terrain et l’an-thropologie moderne ce chercheur s’estorienté vers l’étude des relations inter-spécifiques entre les hommes et lesanimaux dans différents contextes cultu-rels et conceptuels. Comment leshommes et les singes, aujourd’hui et dansle passé, interagissent-ils, cohabitent-ils,co-évoluent-ils ?

Plus concrètement, s’il a travaillé sur lestechniques et les traditions des chim-panzés, c’est aussi parce que, plus encoreque l’espèce elle-même, ces conduitessont sujettes à la disparition en mêmetemps que les habitats forestiers de cesanimaux. Plutôt que d’étudier un groupeparticulier, il a développé une éthologie“de sauvetage” dans différentes régionsd’Afrique de l’Ouest afin de documenterau plus vite ces comportements récem-ment découverts. Cette démarche exten-sive a révélé des variations inédites dansles activités techniques et montré unevariabilité et une flexibilité comporte-mentale étonnantes de ces primates. Parexemple en 2000, avec son équipe il adécouvert des chimpanzés de savaneétendant leur registre alimentaire etcomportemental jusqu’à chasser collec-tivement le python (dans la région de laComoé, en Côte d’Ivoire).

Un autre constat motivant de sonapproche est qu’une éthologie, mêmede sauvetage, ne peut être menée endehors des contextes humains. Laplupart des éthologues de terrain

CHERCHEURS ET ÉQUIPES DE RECHERCHE

Frédéric JoulianLaboratoire d’Anthropologie sociale/ SHADYC EHESS-Marseille. Équipe “Évolution, natures et cultures” EHESS.

Prix d’éthologie et d’anthropologie 2005, Fondation Jean-Marie DelwartAcadémie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique

Chimpanzés Parc National de Taï, Côted’Ivoire. © F. Joulian

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L’une des caractéristiques des animauxest la capacité à se déplacer vers l’en-droit qu’ils désirent atteindre : un oiseaucherchant son nid, un rongeur rejoi-gnant son terrier, un homme condui-sant sa voiture pour se rendre chez lui.Cette faculté à se rendre là où on lesouhaite – la navigation spatiale – estun phénomène complexe étudié parl’équipe du Dr Laure Rondi-Reig aulaboratoire de Physiologie de la percep-tion et de l’action (LPPA, chaire duPr Alain Berthoz).

Naviguer nécessite de collecter desinformations sur le monde qui nousentoure : l’animal doit se représenterson environnement pour se situer danscelui-ci et pouvoir actionner les musclesappropriés au bon moment pour sedéplacer vers l’endroit qu’il désireatteindre. En d’autres termes, on doitse situer par rapport aux portes, auxtables et aux chaises pour pouvoir serendre directement de la cuisine ausalon en évitant de se cogner au mobi-lier. Éric Burguière, de l’équipe duDr Rondi-Reig a montré qu’un méca-nisme cellulaire localisé dans le cervelet,une structure du cerveau située enarrière du tronc cérébral, est nécessairepour réaliser ce type de trajectoire opti-misée. Ce mécanisme cellulaire appelédépression synaptique à long terme

(DLT) est observé au niveau de synapsesdu cortex du cervelet (zone de contactentre les cellules nerveuses, ici les fibresparallèles et les cellules de Purkinje), eta pour effet une baisse de l’efficacité dela transmission d’informations entre lesneurones. Ce type de mécanisme pour-rait être à la base de propriétés telles quel’apprentissage et la mémoire.

En utilisant une lignée de souris (appeléeL7-PKCI, développée par le Pr DeZeeuw à Rotterdam) dites “transgé-niques” qui ne possèdent plus ce méca-nisme de DLT, les chercheurs ont étudiéles capacités de ces animaux à retrouverun endroit donné lorsqu’ils étaientplacés dans un labyrinthe. Ils ontmontré que ces animaux étaient capa-bles de localiser la zone de la récom-pense, mais sans pouvoir optimiser leurtrajectoire pour s’y rendre. Ces résul-tats montrent que sans mécanisme deDLT, les animaux savent où ils veulentaller, mais sont incapables de suivre lameilleure trajectoire lorsque celle-ci n’estpas guidée. Comme un individu ivreincapable de marcher droit pouratteindre le comptoir du bar.

Ce travail s’inscrit dans la thématiqueplus générale de l’équipe du Dr LaureRondi-Reig qui cherche à mieuxcomprendre les bases neuronales de la

navigation spatiale. La mise en place deprotocoles chez l’animal, puis leur adap-tation à l’homme, permet d’étudier endétail leurs capacités à naviguer et dedéceler d’éventuels déficits. La naviga-tion spatiale étant une des fonctionscognitives affectée lors du vieillissementou du développement de maladiesneurodégénératives, cette approche apour but de fournir des outils permet-tant le dépistage précoce de ces patho-logies. �

Eric Burguiere et Laure Rondi-Reig

Références :“Spatial navigation impairment in micelacking cerebellar LTD : a motor adapta-tion deficit ?”, Nature Neuroscience, 8,1292-4. E. Burguière, A. Arleo,M.R. Hojjati, Y. Elgersma, C.I. De Zeeuw,A. Berthoz and L. Rondi-Reig

Éric Burguière et Laure Rondi-ReigLaboratoire de Physiologie de la perception et de l’action

Comment réaliser une trajectoire optimale pour atteindre son but ?

travaillent en parc protégé, dans desconditions idéales pour l’observation,mais qui ne reflètent que partiellementles relations que ces animaux entre-tiennent ou ont entretenu avec lespopulations humaines. C’est pourquoiF. Joulian a enquêté dans différentescultures (Baoulé, Wobé, Koulango,Landouma, etc.) sur les conceptionsde l’animal et les connaissances queles populations ouest-africaines ontdéveloppé à l’endroit des primates. Letravail sur les interactionshomme/animal a été mené dans lecadre de l’équipe “Évolution, Natureset Cultures” qu’il coordonne, avec des

terrains en Europe, en Asie et enAfrique de l’Ouest.

Selon lui, il y a désormais aussi égalementun impératif d’ethnologie de sauvetagevisant à enregistrer les savoirs sur la naturepeu investis par les études africanistes. Lescultures africaines traditionnelles seconfrontent de nos jours à des universmodernes et occidentalisés et à différentesconceptions de la nature mais de façonbrutale et peu féconde. Les conceptionsnaturalistes et conservationnistes quel’Occident exporte en Afrique ou en Asie(et qui mettent parfois les chimpanzés oules orang-outans sur le même plan que

les hommes) sont vouées à l’échec fauted’intégrer le point de vue des populationslocales et de les associer aux savoirs desnaturalistes. Les ONG conservationnisteset conservatrices sont mises en avant parles médias, Jane Goodall reçoit aujour-d’hui la légion d’honneur, mais l’éthologiede terrain et l’anthropologie de la naturerestent inexplicablement sous-développésen France.�

Liens Web :Delwart :http://www.fondationdelwart.org/Joulian :http://shadyc.ehess.fr/document.php?id=77

Laure Rondi-Reig et Éric Burguière

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Les professeurs du Collège de Franceont souhaité mieux cerner les préoccu-pations des dirigeants du secteur écono-mique et les grandes perspectives dedéveloppement qu’ils envisagent. Ils ontpensé que des échanges directs avec cespersonnalités pouvaient enrichir leursréflexions sur la formation et l’orienta-tion des étudiants et des chercheurs, lesrelations entre la recherche fondamen-tale et la recherche appliquée, l’innova-tion technologique, la valorisation de larecherche, l’organisation générale de larecherche en France et en Europe, et pluslargement sur l’évolution de notresociété dans les secteurs politiques,économiques et sociaux. Une vision plusprécise des enjeux de la société civile leurparaît indispensable pour faire face auxdéfis que représente l’accélération desdéveloppements des politiques derecherche américaine ou japonaise et àleurs nombreuses répercussions.

De plus, par leurs réflexions, la diversitéde leurs compétences, leurs contactsinternationaux et les fonctions déci-sionnelles dans lesquelles ils sont souventimpliqués, les Professeurs du Collège de

France pensent qu’ils peuvent apporterde nouveaux éclairages aux dirigeantsdes entreprises et des institutions finan-cières. Ils ont le sentiment que l’origina-lité et les potentialités de leur institutionne sont pas assez connues et il leur paraîtnécessaire d’accroître les échanges entreles universitaires et les principaux acteursde la société civile, comme cela sepratique avec une grande efficacité dansd’autres pays

Réciproquement, les chefs d’entrepriseont pensé que des échanges avec desscientifiques de très haut niveau étaientsusceptibles d’enrichir leur réflexion, demieux leur faire comprendre les ressortsqui sous-tendent les développements dela science et des technologies, et donc le

monde dans lequel les entreprisestravailleront demain. Et ils ont étécurieux de découvrir cette institution siancienne, et qui a su si bien se moder-niser.

La première initiative dans cettedémarche collective a été la tenue derencontres trimestrielles, dites“Entretiens du Comité Budé”.

Le premier entretien du Comité Budés’est tenu, en mars 2005, dans un espritd’ouverture, élément fondateur de ceComité qui souhaite favoriser ledialogue entre le monde scientifique et lemonde de l’économie.

Le Pr Henri Laurens a brillammentouvert cette voie en abordant l’histoiredu monde arabe contemporain et leschemins empruntés pour sa recompo-sition. Par un essai de prospective, lePr Laurens a présenté les conditionsnécessaires qui permettraient derépondre à un des grands enjeux denotre temps : le passage progressif dela culture de guerre à la culture de paixau Moyent-Orient.

LES ENTRETIENS DU COMITÉ BUDÉ

Pr Édouard Bard

LE COMITE BUDE

UN LIEU D’INFORMATION ETDE CONFRONTATIONS

D’IDEES ENTRE DESDIRIGEANTS DU SECTEUR

ÉCONOMIQUE ET DESPROFESSEURS DU COLLÈGE

DE FRANCE.

Louis Schweitzer, François Rousselyet Serge Tchuruk

� Le Professeur Michael Edwards,titulaire de la chaire d’Étude de lacréation littéraire en langue

anglaise, a été nommé, par la reineElisabeth II Officier de l’Ordre duBritish Empire. �

PRIX ET DISTINCTIONS

Pr Michael Edwards

Bertrand Collomb

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En juin, Le Pr Pierre Louis Lions lui asuccédé faisant valoir l’apport desmathématiques à l’innovation et aumonde industriel ainsi que son caractèreincontournable et déterminant dans lesévolutions à venir, suivi, en septembre,par le Pr Claude Cohen-Tannoudji quia relevé le défi de mettre à la portée detous, l’enjeu de la recherche dans lacompréhension de la nature et despropriétés de la lumière pour les annéesà venir. Il a rappelé que la découverte dulaser, dont nous connaissons maintenanttous quelques-unes de ses multiplesapplications qui ont révolutionné nosmodes de vie, provenait d’une recherchelibre, soulignant au passage l’impor-tance de la recherche fondamentale etde la place qui doit lui être accordée.

Enfin, cette première année d’exercices’est terminée par un entretien animé parle Pr Édouard Bard, titulaire de la chaireÉvolution du climat et de l’océan, sur lethème du développement durable qui asuscité des échanges animés entre profes-seurs et dirigeants d’entreprises.

Le bilan est très positif et nous nous féli-citons de cette initiative qui permet laconfrontation d’idées de personnalitésévoluant dans des “mondes” différentset néanmoins complémentaires, sourced’innovation.

De même, cette initiative favorise dessynergies entre les missions du Collège etl’expertise des membres du Comité.

Pour exemple, sous l’impulsion duPr Lions, un projet est à l’étude avec lasociété Alcatel. Il permettra la diffusionen direct et en interactif des cours etmanifestations scientifiques de profes-seurs du Collège de France vers desuniversités en province.

La complémentarité des relations devraitaussi se retrouver à l’international endéveloppant des synergies dans les rela-tions engagées, de part et d’autre àl’étranger, sur des projets ou l’apport dusavoir faire et la recherche sont auservice du rayonnement de l’excellencefrançaise.

Des colloques scientifiques multidisci-plinaires se tiendront dans de grandesvilles d’Europe avec la participation auxdébats de responsables d’entreprises. Lepremier se déroulera en mars à Bruxelleset abordera les enjeux du développe-ment durable : “Un monde meilleurpour tous : projet réaliste ou rêveinsensé ?”.

L’année 2006 confortera l’espritd’échange qui anime le Comité Budé.Quelques-uns des Entretiens à venirseront animés avec la participationconjointe d’un professeur et d’un chefd’entreprise. Les points de vue del’homme d’entreprise rejoindront-ilsceux du chercheur et de leurs intérêtsrespectifs ? L’ambition du Comité Budéest grande. La richesse des débats et deséchanges durant cette première annéeest la preuve du succès de cette initia-tive, que nous appelons tous à se pour-suivre, à s’enrichir de nouveaux projetset à se développer. �

Bertrand CollombPrésident, Lafarge

Président du Comité Budé

Membres du Comité BudéBernard ARNAULT

Président Directeur Général, LVMHJean-Paul BAILLY

Président, LA POSTEJean Louis BEFFA

Président, SAINT GOBAIN Bernard CHARLES

Directeur Général, DASSAULT SYSTÈMESJérôme CLEMENT

Président, ARTEBertrand COLLOMB

Président, LAFARGE, Président du Comité BudéJean-François DEHECQ

Président Directeur Général, SANOFI-AVENTISGuy DOLLE

Président Directeur Général, ARCELORGilles DUPONT

Président, CHOLET DUPONTSerge FERRÉ

Président, NOKIA FranceNoël FORGEARD

Président, EADS Pierre GADONNEIX

Président, EDF Françoise GRI

Président Directeur général, IBM FranceChristian JOURQUIN

Président, SOLVAYMarc LADREIT de LACHARRIÈRE

Président, FIMALAC

Philippe LEMOINEPrésident Directeur Général, LASERCOFINOGA

Maurice LEVYPrésident du Directoire, PUBLICIS CONSEIL

Gérard MESTRALLETPrésident Directeur Général, SUEZ

Bernard MIRATCHOLET DUPONT

Patrick de MAISTREDirecteur, Fondation BETTANCOURT-SCHULLER

Jean MONVILLEPrésident, AMEC SPIE

Georges PAUGETDirecteur général, CRÉDIT AGRICOLE S.A.

Benoît POTIERPrésident, AIR LIQUIDE

Henri PROGLIOPrésident Directeur Général, VEOLIA

François ROUSSELYPrésident, CRÉDIT SUISSE FIRST BOSTON

Louis SCHWEITZERPrésident du Conseil, RENAULT

Dominique SIMONNETGroupe EXPRESS

Jean Cyril SPINETTAPrésident Directeur Général, AIR France

Serge TCHURUKPrésident Directeur Général, ALCATEL

Marc TESSIERDirecteur général, NETGEM

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Sur les Anges Gardiens, SermonBossuetPréface de Carlo OssolaParis, Payot & Rivages, poche/petite bibliothèque, 2005.

Les Anges Gardiens sont notre ombre quoti-dienne, nos serviteurs et ministres, chaque jouret pour l’éternité. “Parce que chaque hommeeut, a, et aura son gardien distinct, il s’ensuit

que – son ministère achevé – celui-ci n’a été,n’est, ni ne sera employé à en garder unautre.” Tuteurs du jour humain, puissanceséternelles réduites à ce si bref instant de notrevie mortelle, les Anges Gardiens deviennentl’exemple le plus éloquent de l’immensegratuité du divin et de la largesse fulguranteque déploie l’âge baroque, âge mouvant de la“floraison du possible” : “Ils recueillentjusqu’à nos désirs”, souligne Bossuet.

ACTUALITÉ LITTÉRAIRE

Les langues ouralienne aujourd’hui.Approche linguistique et cognitivesous la direction de Jocelyne Fernandez-VestPréface de Claude HagègeParis, Éditions Honoré Champion, 2005.

Cet ouvrage est la première présentationbilingue (français-anglais) des langues oura-liennes qui, avec une trentaine de languesrépertoriées et plusieurs centaines de dialectes,constituent le territoire linguistique le plusétendu de l’Eurasie septentrionale. Le livrerassemble et actualise les données éparses surcette grande famille méconnue de langues nonindo-européennes, et dresse par ailleurs unbilan de l’apport potentiel des langues oura-liennes aux sciences du langage et aux sciencescognitives. Plus de 40 auteurs parmi les spécia-listes mondiaux du domaine ont été réunis àcet effet, originaires d’Europe (Allemagne,Autriche, Estonie, Finlande, France, Hongrie,

Italie, Russie, Suède) et d’Amérique du Nord.Plusieurs des neuf chapitres sont consacrés àdes sujets classiques : la typologie ouralienne,les problèmes spécifiques des trois grandeslangues finno-ougriennes d’État (estonien,finnois, hongrois) ou l’ancrage des languesouraliennes dans leur environnement arctique– avec un détour par les langues eskaléoutes etpaléo-sibériennes. Les chapitres les plus nova-teurs pour la théorie linguistique traitent desdébats actuels sur l’origine controversée deslangues ouraliennes – en particulier la placedes langues samoyèdes (et la préface de ClaudeHagège rappelle l’hypothèse eurasiatique) ; duplurilinguisme ouralien (langues en contact etdiaspora) ; des processus de structurationinformationnelle de ces langues comparées àd’autres langues du monde. Trois indexdétaillés (auteurs, langues, matières) et unrésumé bilingue de chaque contribution faci-litent l’accès à ce volumineux ouvrage.

L’Orient arabe à l’heure américaineDe la guerre du Golfe à la guerre d’Irak Henry LaurensParis, Armand Colin, 2005.

Désordre installé en Irak, violence extrême etquotidienne entre Israéliens et Palestiniens,terrorisme endémique, onde de choc étendueà tous les États de la région.

Le Proche-Orient est bien devenu, au fil desannées, la zone la plus instable et la plusdangereuse de la planète, où la guerre estpromue, par tous les acteurs et irrémédiable-ment semble-t-il, comme l’ultime avatar de lapolitique.

Dans ce paysage compliqué, comment trouverdes points de repères, des éléments de réflexionet de comparaison ? Quel pronostic porter surl’avenir ?

À travers la chronique précise et documentéedes événements qui se sont succédé depuis laguerre du Golfe jusqu’à la guerre d’Irak,Henry Laurens nous donne les clefs pourcomprendre les enjeux de ces conflits à répé-tition, et les mécanismes qui leur permettentde se perpétuer.

À l’heure de la domination américaine, lesréflexions d’un historien sur un chaos érigé ensystème géopolitique.

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Le pluralisme ordonnéLes forces imaginantes du droit (II)Mireille Delmas-MartyCollection La couleur des idéesParis, Seuil, 2006.

Crise européenne, enlisement des réformesonusiennes, difficultés à mettre en place le proto-cole de Kyoto ou la Cour pénale internationale,tensions entre droits de l’homme et droit ducommerce : le paysage juridique de ce début duXXIe siècle est dominé par l’imprécis, l’incertain,l’instable. Nous sommes à l’ère du granddésordre : celui d’un monde tout à la fois frag-menté à l’excès par une mondialisation anarchiqueet trop vite unifié par une intégration hégémo-nique, dans le silence du marché et le fracas des

armes. Comment y construire un ordre sans l’im-poser, comment, par-delà le relatif et l’universel,admettre le pluralisme sans renoncer à un droitpartagé ?

Ni fusion utopique ni autonomie illusoire, le“pluralisme ordonné”, véritable révolution épis-témologique, est l’art de dessiner un espace juri-dique commun, par un équilibrage progressif quipréserve la diversité du monde et en accompagnele mouvement. Car les forces imaginantes du droitdoivent pouvoir, à défaut d’instaurer un ordreimmuable, inventer une harmonisation souple,propre à laisser espérer la refondation de valeurscommunes.

Shakespeare et l’œuvre de la tragédie Michael Edwards Paris, Belin, 2005.

Après Shakespeare et la comédie de l’émerveille-ment, qui offre une idée nouvelle de la comédie etdu rire, et Racine et Shakespeare, qui poursuitsous un angle inédit la comparaison que Stendhalavait amorcée, voici un troisième livre de MichaelEdwards sur Shakespeare, une réflexion poétiqueet originale sur l’œuvre de la tragédie, sur cequ’elle accomplit au-delà de la catastrophe. SiShakespeare descend dans l’abîme de la condi-tion humaine, en s’aventurant plus loin, peut-être,qu’aucun autre écrivain, c’est parce qu’il a la force

de voir, en effet, à la fin de l’action quand tout sedénoue, des ressources neuves de vie et de poésie.

Issu d’un cours prononcé au Collège de France en2003-2004, le livre cherche à élucider l’ensembledes tragédies de Shakespeare dans leur rapportavec la crise intellectuelle de son époque et avecla tragédie en général – avec la nature tragique duréel, la forme tragique de l’histoire. Fondée surune érudition discrète et éclairante, cette penséevigoureuse revient sans cesse à la grande ques-tion ontologique, aux enjeux du verbe être, telsque Shakespeare les approfondit pièce aprèspièce, en faisant rayonner dans son théâtre lecélèbre monologue d’Hamlet.

Le roman d’Apollonius de TyrVersion française du XVe siècle del’Histoire d’Apollonius de Tyr, publiée ettraduite par Michel Zink d’après lemanuscrit Vienne, Nationalbibliothek3428, avec une introduction, des notes etdes extraits d’autres versions du mêmeromanCollection “Lettres gothiques”dirigée par Michel ZinkParis, Le Livre de Poche, 2006.

L’inceste sur lequel s’ouvre ce roman en fixe eten fausse tout à la fois le déroulement. Endéchiffrant l’énigme qui révèle les amourscriminelles d’un roi et de sa fille, le héros secondamne, de tempêtes en naufrages, à unevie d’errance sans cesse affrontée à d’autresénigmes et menacée par l’ombre de l’incesteinitial.

Durant tout le Moyen Âge et bien au-delà, ceroman de l’Antiquité tardive a connu unimmense succès. Il a été adapté du latin dansla plupart des langues européennes.Shakespeare l’a porté au théâtre avec sonPériclès, prince de Tyr.

L’histoire d’Apollonius de Tyr, dont la gloire aégalé celle de Tristan, est aujourd’hui bienoubliée. On se propose ici de la faire redécou-vrir en la donnant à lire dans une version fran-çaise du XVe siècle, qui amplifie et modifie defaçon originale une traduction littérale anté-rieure. On y a joint, à titre de comparaison,des extraits de deux autres versions.

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L’archéologie de l’empire achéménide :nouvelles recherchesSous la direction de Pierre Briant et RémyBoucharlatActes du colloque organisé au Collège deFrance par le “Réseau internationald’études et de recherches achéménides”(GDR 2538 CNRS),21-22 novembre 2003, Persika 6Paris, De Boccard, 2005.

“Un empire insaisissable” (an elusive empire)disait, non sans un humour distancié, HeleenSancisi-Weerdenburg à propos de l’empire aché-ménide, en observant les difficultés à en repérerles témoignages sur le terrain. Dans quelle mesureet selon quelles conditions d’observation l’ar-chéologie peut-elle identifier le fait impérial aché-ménide, qui se situe, d’abord, dans l’ordre del’analyse politique et culturelle ? Quels sont lesmarqueurs de la présence achéménide sur leterrain ? Ces questions peuvent être aujourd’huirenouvelées grâce à l’intérêt croissant que susci-tent les périodes “récentes”, dont l’histoire, entreAsie centrale et pays riverains de la Méditerranée,fut longtemps écrasée sous le prestige conjugué del’“Orient millénaire” et de la “Grèce éternelle”.

L’archéologie peut apporter des éléments de réponseà la compréhension et à la reconstruction de l’his-

toire de l’empire. Certes, elle n’informe guère surl’histoire politique, sur l’institution impériale ni surles institutions provinciales. En revanche, elle estindispensable à qui réfléchit sur les forces produc-tives et sur les structures et le développement desrelations sociales et économiques. Elle permet d’ob-server les changements qui interviennent entre le 6e

et le 4e siècles avant J.-C., y compris dans le domainedes influences culturelles. Ces changements sont trèsvariables d’une région à l’autre, parce que, toutsimplement, leur mise en évidence et leur analysesont conditionnées par l’état des connaissances trèsinégal entre Asie Mineure et Asie Centrale, et entreÉgypte et Caucase.

C’est autour de cette problématique que PierreBriant (Collège de France, Paris) et Rémy Boucharlat(Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon)ont réuni des collègues pour faire le point des recher-ches et des réflexions, qui sont également au cœur duprogramme du GDR 2538 du CNRS. À partir depublications de fouilles et de prospections, de bilanspréliminaires et de nouveaux programmes, les onzecontributions réunies ici offrent un état des lieux etun bilan qui nourrissent la réflexion sur l’impact del’empire achéménide dans les régions. Les réponses,encore très partielles, constituent une prise de cons-cience et invitent à définir et à fixer des directions derecherche pour le futur.

L’homme et le climatUne liaison dangereuseÉdouard BardParis, Découvertes Gallimard, 2005.

La canicule de 2003, les inondations régulières enEurope ou les cyclones tropicaux hors normesKatrina et Rita sont-ils des aléas naturels du climatou, déjà, les prémices d’un changement annoncé ?Étudié depuis plus de deux siècles par les scientifiques,le climat de la Terre est une énorme machine, diffi-cile à appréhender. L’atmosphère, les calottes de glace,les océans, les continents et le monde vivant en sont

les rouages qui déterminent son équilibre, amplifientou atténuent ses variations. L’histoire climatique denotre planète est ainsi jalonnée de glaciations et depériodes chaudes qui affectent toute la biosphère,sans épargner le genre humain. Mais si l’humanité atoujours subi l’emprise du climat, elle a acquis aujour-d’hui le redoutable pouvoir de le perturber à son tour.La mise en œuvre du protocole de Kyôto en 2005laisse espérer qu’elle aura la sagesse de réviser sesmodèles de développement pour assurer son avenir.Spécialiste de l’évolution du climat, Édouard Barden raconte les tumultes passés et présents, et livre lesenjeux du réchauffement climatique.

Alexandre Le GrandPierre BriantParis, Presses Universitaires de France,2005.

Ce livre n’est pas une biographie d’Alexandre leGrand, empereur (né en 356 av. J.-C.) célèbrepour ses conquêtes et l’empire qu’il parvint àédifier. Il tente d’exposer les principaux aspects

d’un phénomène historique qui ne peut pas êtreréduit à sa seule personne, quelle que soit sonimportance. Il est donc consacré à l’examen desgrandes questions que le sort de ce personnagefascinant suscite, les origines de la domination etles objectifs d’Alexandre, la nature et l’impor-tance des résistances auxquelles elle se heurta,l’organisation des territoires conquis, les rapportsentre conquérants et populations conquises.

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L’Homme face au climatSous la direction d’Édouard BardParis, Odile Jacob, 2006.

Que savons-nous du climat de la Terre et deses changements dans le passé, aux échellesgéologiques comme à l’échelle de nos vies ?Pouvons-nous prévoir ceux des prochainesdécennies et leurs effets sur nos existences etnos sociétés ? Quelle part les activitéshumaines ont-elles dans ces évolutions ?

Que pouvons-nous faire? Que devons-nousfaire ?

Ces questions sont complexes parce qu’ellesmettent en jeu une grande diversité de facteursnaturels et humains. Il reste bien des incerti-tudes, mais nous disposons désormais deconnaissances de mieux en mieux fondées qu’ilserait irresponsable de négliger ou d’étouffer.

En octobre 2004, le Collège de France a réuniune vingtaine de chercheurs de haut niveau,travaillant dans des disciplines physico-chimiques, biologiques et environnementalesainsi qu’en sciences humaines, pour dresserl’état de nos connaissances sur le climat et sesinteractions avec la vie des hommes. Ce livreest le fruit de leurs travaux.

Contributions de Édouard Bard, Ofer Bar-Yosef, André Berger, Anny Cazenave, MireilleDelmas-Marty, Jean-Pierre Dupuy, Aryan E.V. van Engelen, Francesco d’Errico, RogerGuesnerie, Jean-Marc Jancovici, Jean Jouzel,Yvon Le Maho, Emmanuel Le Roy Ladurie,Joël Ménard, Dominique Michelet, Nathaliede Noblet-Ducoudré, Dominique Raynaud,Bernard Saugier, Gavin A. Schmidt, BernardSeguin, Alain-Jacques Valleron.

Nietzsche, moraliste françaisRobert PippinParis, Odile Jacob, 2006.

On comprendra bien mieux Nietzsche si,cessant de voir en lui un métaphysicien alle-mand ou le défenseur d’une doctrine natura-liste des instincts, on le considère comme undes grands moralistes français. Comme eux,il est d’une totale lucidité sur la fragilité et lesdéfauts humains, mais sans le désespoir dePascal et sans le mépris glacial de LaRochefoucauld pour “l’humain, trophumain”.

À l’instar de Montaigne, il a voulu devenir unesprit sensé, férocement honnête et joyeux,quelqu’un qui parvienne à “s’acclimater surterre”.

Robert Pippin enseigne la philosophie àl’Université de Chicago. Sa réflexion portenotamment sur la tradition philosophique alle-mande depuis Kant et sur la modernité.

Il est l’auteur de Modernism as a PhilosophicalProblem et de Idealism as Modernism :Hegelian Variations.

Du Sahara au NilPeintures et gravures d’avant les pharaonsJean-Loïc Le Quellec,Pauline et Philippe de FlersPréface de Nicolas GrimalChaire de Civilisation pharaonique,Études d’égyptologie 7Paris, Fayard/Soleb, 2005.

De magnifiques photographies, un texte alerteet dense emmènent le lecteur dans le mondefascinant du Sahara oriental, aux confins del’Egypte, de la Libye et du Soudan, au-delà desgrandes barrières dunaires qui protègent l’undes berceaux de la civilisation pharaonique.L’aventure est omniprésente : par la magie des

espaces, par l’évocation de leurs premiersdécouvreurs, par la démarche même desauteurs. Elle se double d’une réflexion savantesur cette culture des origines et ses résurgencesdans la grande civilisation des bords du Nil.De larges perspectives, très neuves, s’ouvrentsur les relations de l’Afrique présaharienneavec les grands fleuves, jadis considéréscomme source unique des civilisations qu’ilsont abritées. Ils ne sont, en fait, que des creu-sets, dans lesquels sont venues se fondre deplus anciennes sociétés. Ces racines présaha-riennes profondes nous rapprochent desorigines de l’Homme et mettent en lumièrel’imaginaire de ces ultimes prédécesseurs despharaons.

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Chaque année, le Collège de Franceorganise un colloque consacré àl’examen d’un grand problème desociété. Le colloque de Bruxelles, quisera suivi d’autres colloques du mêmetype organisés chaque fois dans un payseuropéen différent, s’inscrit dans lamême optique et le thème choisi illustrépar les sujets traités témoigne de cettevolonté d’envisager sans complaisanceun sujet d’importance majeure pourl’humanité. L’expression “un mondemeilleur pour tous” signifie clairement

que les thèmes traités concernent toutautant le futur des pays dits développésque l’avenir des pays en voie de déve-loppement. Ce problème est d’uneacuité particulière en raison notammentdes modifications structurelles de l’éco-nomie mondiale, du prix croissant descombustibles fossiles, de la rareté del’eau douce qui se manifeste dans denombreuses régions du monde, dudéveloppement de nouvelles technolo-gies et des problèmes que posent leuracceptation mais aussi et peut êtresurtout en raison des changementsclimatiques que nous vivons déjà maisqui pourraient prendre une plus grandeampleur dans un avenir proche. Il fautavoir le courage de ne pas se bercerd’illusions et le sous titre du colloqueest là pour nous le rappeler. Est-ce un

projet réaliste ou un rêve insensé qued’envisager que le futur soit meilleurnon seulement pour les Européens maisaussi pour les habitants des autrescontinents ? Tout le monde voudraitcroire au projet réaliste mais lesmembres du comité scientifique ducolloque considèrent que la questiondoit être posée sans préjuger de laréponse, sans exclure a priori que celle-ci ne soit pas conforme à nos espoirs.C’est ainsi qu’est né ce projet consistantà demander à d’éminents spécialistesdes sciences de la nature comme dessciences de l’homme de se poser la ques-tion formulée dans l’intitulé du colloqueet de nous dire comment ils voient lefutur de nos sociétés. �

Jacques ReisseProfesseur émérite de l’Université libre de

Bruxelles

COLLOQUES

PREMIER COLLOQUE DU COLLÈGE DE FRANCE

À L’ÉTRANGER

“UN MONDE MEILLEUR POUR TOUS :PROJET RÉALISTE OU RÊVE INSENSÉ”

Premier colloque du Collège deFrance à l'étranger organisé avecl'Académie royale de Belgique,l'Université libre de Bruxelles etl'Université catholique de Louvain.Palais des Académies (Bruxelles)8 et 9 mars 2006

8 mars9h30 Jacques REISSE, Université Libre de Bruxelles

Pourquoi un tel colloque sur un tel thème9h45 Edwin ZACCAI, Université Libre de Bruxelles

Développement durable : un projet et ses résonances 10h15 Jacques LIVAGE, Collège de France

Les matériaux : de l’art du feu à la chimie douce11h15 Marc VAN MONTAGU, Université de Gand

De la nécessité des plantes transgéniques11h45 Roger GUESNERIE, Collège de France

La gouvernance dans un marché mondialisé12h15 Christine TAHON, Solvay S.A. Belgique

Développement et impacts industriels14h30 Jean-Marie LEHN, Collège de France et Université

Louis Pasteur, StrasbourgChimie et auto-organisation ; information, dessein, sélection

15h00 Paul-F. SMETS, Université Libre de BruxellesGendarmes et valeurs, ou comment promouvoir la respon-sabilité sociale et le développement durable des entreprises

15h30 Édouard BRÉZIN, École Normale Supérieure, ParisLa liberté, c’est le pouvoir de la démocratie plus l’électrification

16h00 Pause-café16h30 Pierre de MARET, Université Libre de Bruxelles

Le défi africain17h00 Jean-Louis MANDEL, Collège de France, IGBMC, Illkirch

Individualité du génome humain et médecine prédictive :des applications à espérer ou à craindre ?

17h30 Discussion générale animée par Jacques REISSE18h30 Fin de la séance de l’après-midi

9 mars9h00 André BERGER , Université Catholique de Louvain

Le climat du XXIe siècle sous l’influence des activités humaines9h30 Jean BARTHÉLEMY, Faculté Polytechnique de Mons

Un urbanisme au service de la diversité culturelle etdu développement durable

10h00 Pierre ROSANVALLON, Collège de FranceLes métamorphoses de la notion d’utopie

11h00 Françoise BARTIAUX, Université Catholique de LouvainPopulation, sociétés et environnement : quelles relationset quels mythes ?

11h30 Arsène BURNY, Facultés Agronomiques de GemblouxDes souris et des hommes

14h00 Thierry PAIRAULT, École des Hautes Études en Sciences Sociales, ParisLes souliers rouges de l’économie chinoise

14h30 Gilbert HOTTOIS, Université Libre de BruxellesLa bioéthique à l’épreuve de la philosophie

15h00 Gilles BŒUF, Université Pierre et Marie Curie, ParisQuel avenir pour la biodiversité ?

15h30 Mireille DELMAS-MARTY, Collège de FranceHumanisme juridique et mondialisation

16h00 Discussion générale animée par Jean-Pierre CHANGEUX

Contact : Madame M. Vander GeetenUniversité Libre de BruxellesAvenue F. Roosevelt, 50 - 1050 BruxellesTél. : +32 (0)2 6502048courriel : [email protected]

PROGRAMME

Jacques Reisse

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PRIX INSERM 2005

La cérémonie de remise des Prix Inserm 2005 s’est déroulée le 19 octobre 2005 au Collège de France,en présence de Xavier Bertrand, ministre de la Santé et des Solidarités, François Goulard, ministredélégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, Ketty Schwartz, vice-présidente du conseil d’ad-ministration de l’Inserm, et Christian Bréchot, directeur général de l’Inserm.

Grand Prix de la recherche médicale décerné à Bernard MALISSEN, directeur de l’UnitéInserm 631 “centre d’immunologie Inserm-CNRS-Université de la Méditerranée de MarseilleLuminy”, pour l’ensemble de ses travaux en immunologie. Spécialisé dans l’étude du récepteurpour l’antigène des lymphocytes T (TCR), ses recherches ont permis de nombreuses avancées surla compréhension de la cascade de signaux intracellulaires déclenchée au niveau du TCR.

Prix d’Honneur remis à Jacques GLOWINSKI, directeur de l’Unité Inserm 114 “neuropharmaco-logie” et administrateur du Collège de France, pour l’ensemble de ses travaux sur la neurotransmissionet les mécanismes d’action des substances psychotropes. Depuis 40 ans, il a fortement contribué au formi-dable développement des connaissances sur le métabolisme des neurotransmetteurs. De renommée inter-nationale, ses recherches sur la dopamine ont permis de mieux comprendre les mécanismes impliqués dansdes pathologies telles que la maladie de Parkinson, la schizophrénie et les processus de toxicomanie.

Prix étranger décerné à Sir David LANE, directeur au Cancer Research Center du CellTransformation Group, Ninewells Hospital and Medical School, Dundee (GB), pour ses travauxsur le gène p53. Ce gène est impliqué dans les systèmes naturels de lutte contre la proliférationdes cellules cancéreuses. Ses recherches visent donc à utiliser ces connaissances afin de déve-lopper de nouveaux traitements contre le cancer.

Prix de rechercheRecherche en physiologie/physiopathologie : Pascale COSSART, directrice de l’Unité Inserm 604 “interactionsbactéries-cellules”, Paris.Recherche clinique et thérapeutique : Pierre DESREUMEAUX, directeur de l’Équipe Inserm 114 “physiopatho-logie des maladies inflammatoires de l’intestin”, Lille. Recherche en santé publique : François CAMBIEN, directeur de l’Unité Inserm 525 “génétique épidémiologique etmoléculaire des pathologies cardiovasculaires”, Paris.Prix “accompagnement de la recherche”Georges ISSA, ingénieur d’étude à l’Inserm, Marseille.Reine BAREILLE, ingénieur de recherche, Unité Inserm 577, Bordeaux. �

L’Inserm est le seul organisme public français entièrement dédiéà la recherche biologique, médicale et en santé des populations.

Le Grand Prix Inserm de la recherche médicale rend hommage à unscientifique français dont les travaux ont permis des progrès remar-quables dans la connaissance de la physiologie humaine, en théra-peutique, et plus largement, dans le domaine de la santé. Les Prixde recherche distinguent des chercheurs qui ont marqué la recherchefondamentale, la recherche clinique et thérapeutique ou la rechercheen santé publique. Les Prix de l’innovation récompensent des ingé-nieurs, techniciens ou administratifs pour des réalisations originalesau service de la recherche. Le Prix d’honneur et le Prix étrangersont attribués à des personnalités particulièrement éminentes del’Institut et de la communauté scientifique internationale.

En honorant ces talents, souvent mal connus du grand publiccomme de la communauté scientifique elle-même, l’Insermentend montrer la diversité et la richesse des métiers de larecherche biologique et médicale, et saluer la créativité et lapassion des hommes et des femmes qui l’animent. Ces distinc-tions sont également une reconnaissance du savoir-faire et del’implication d’équipes entières qui, au travers de la trace laisséepar un seul, s’inscrivent elles aussi dans l’histoire de la connais-sance. Emblématiques de l’excellence de l’Inserm, ces prix souli-gnent l’importance de la contribution de l’Institut à laconnaissance du vivant et à la recherche de moyens concretspour dépister, prévenir, diagnostiquer et soigner toutes lesmaladies humaines, des plus fréquentes aux plus rares.

De gauche à droite : Reine Bareille, Georges Issa, François Cambien, Ketty Schwartz, Pierre Desreumaux, François Goulard, Xavier Bertrand, Pascale Cossart, Bernard Malissen, Christian Bréchot et Jacques Glowinski.

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21N° 16 - LA LETTRE

Pour marquer la rentrée de son cycled’études spécialisées 2005-2007, leCentre des hautes études de Chaillot(CEDHEC) a invité l’architectePatrick Berger à prononcer sa“leçon inaugurale”. Elle s’est tenuele 15 novembre 2005 dans l’amphi-théâtre Marguerite de Navarre duCollège de France.

L’“École de Chaillot” est née il y aenviron 120 ans, lorsque Anatole deBaudot, disciple de Viollet-le-Duc,se voit confier une chaired’“Histoire de l’architecture”,destinée à former des experts pourla restauration des édifices que leservice des monuments historiques,alors en cours de constitution, esten train de protéger. En août 2004,l’École a intégré la Cité de l’archi-tecture et du patrimoine, dont elleest devenue le département forma-tion. Le CEDHEC propose égale-ment aujourd’hui des formationspour les architectes qui souhaitentse spécialiser dans le domaine dupatrimoine architectural, urbain etpaysager, dans le cadre d’undiplôme de spécialisation et d’ap-profondissement (DSA), mention“architecture et patrimoine”.

Patrick Berger – Grand Prixnational de l’architecture 2004,docteur en urbanisme – est unani-mement salué dans le monde de l’ar-chitecture. Parallèlement à sapratique de maître d’œuvre, il seconsacre à l’enseignement et à larecherche, à l’École polytechniquefédérale de Lausanne et à l’Écoled’architecture de Paris-Belleville.

Après les introductions de Françoisde Mazières, président de la Cité del’architecture et du patrimoine, etde Mireille Grubert, directrice duCEDHEC, Patrick Berger a expliqué

les liens qu’il entretenait, en tantqu’architecte, avec l’histoire. Propo-sant une alternative à l’oppositionentre création et conservation, il aprésenté ses travaux sur la villecontemporaine, sa formation et sareprésentation.

“La culture architecturale est avanttout une culture de la résolution…Comment décider et agir entre laformation, c’est à dire la création deformes et la conservation, comprisecomme protection de formes ? Cettetension conflictuelle entre la créa-tion et la protection est actuelle maiselle est aussi ancienne. Elle est déjàinscrite dans les mythes antiques.L’art en a toujours fait un aspectimportant de ses expressions et deses positions. Mais ce qui distinguel’architecture des autres arts, c’estqu’elle a pour vocation de soumettresa concrétisation à une formevivante du monde, celle de la ville.”P. Berger nous invite à prendre “unedistance vis-à-vis d’un point de vuetrop convenu qui conçoit la relationde la formation et de la conserva-tion comme une simple dualitéstatique arrêtée sous les termespatrimoine et architecture contem-poraine”.

P. Berger s’appuie sur ses travauxpour illustrer son propos, avec,d’abord, l’étude de la ville dePanauti au Népal, menée dans lesannées 1970 avec une équipe d’eth-nologues du CNRS. Il expose égale-ment ses interventions dans lesconcours dont il fut lauréat : le siègede l’Union européenne de football(UEFA) en Suisse, le parc AndréCitroën, le viaduc de la Bastille àParis, ou la revitalisation du centrehistorique de Samarkand. Sesprojets en cours – à Paris, l’exten-sion de l’Hôpital Cochin et uncomplexe sportif ; la maroquineriedes Ardennes à Bogny-sur-Meuse etl’Hôtel d’agglomération deRennes – ainsi que ses recherches

sur la “morphogenèse des villes”posent les jalons d’une réinventionde la production urbaine.

Reprenant les termes de sonouvrage écrit avec Jean-PierreNouhaud, Formes cachées, la Ville,Patrick Berger nous alerte sur le faitqu’aujourd’hui, “l’homme coupé[…] d’une relation à l’Histoire […]et à la nature ne reconnaît plus dansla ville les éléments fondamentauxdu sol et du milieu dans lequel ilvit”. Pour “éviter que toutes lesurbanités actuelles ne soient solu-bles dans des situations imprévisi-bles” il appelle “la puissancepublique à maîtriser les valeursphysiques et symboliques des sols etdes programmes”. “Une histoire del’architecture et de la ville commehistoire des programmes reste àfaire. La stabilité, la réinterprétationou l’invention des programmes sontdes facteurs déterminants de lamorphogenèse urbaine.”

La conférence a été suivie d’undébat. Le public – près de 300personnes – rassemblait le mondeprofessionnel et celui de l’enseigne-ment de l’architecture, ouvrant trèslargement les portes de l’École deChaillot. Le texte de la conférencesera publié en 2006. �

CEDHEC58 rue de Richelieu - 75002 ParisTél. 01 58 51 52 96www.citechaillot.org

L’ÉCOLE DE CHAILLOT AU COLLÈGE DE FRANCE

Patrick Berger

Journée organisée parl’École de Chaillot15 novembre 2006

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La Théorie des couleurs(Farbenlehre) de Goethe, que celui-ci publia en 1810 et dont il décla-rait, au soir de sa vie, qu’elle étaitavec le Faust son œuvre la plusimportante, a connu un destin para-doxal. Alors qu’elle avait été conçuepar son auteur comme une théoriescientifique alternative à celle deNewton (qu’il jugeait purement etsimplement fausse), les savants n’ontpas seulement tranché en sa défa-veur : ils l’ont tenue quasi unanime-ment pour étrangère aux méthodesexpérimentales et au cadre concep-tuel de la physique moderne. Enrevanche, elle n’a cessé de jouirauprès des peintres, des artistes engénéral, et de nombreux philosopheset théoriciens de l’art d’un prestige etd’une autorité incomparables ; lesnéo-impressionnistes, mais aussiItten, Kandinsky ou Klee – pour neciter qu’eux – s’en sont réclamésouvertement.

Ce partage (trop) bien établi depuisdeux siècles semble ces dernierstemps remis en question. D’une part,certains commentateurs commeDennis Sepper (Goethe contraNewton, 1988) estiment que “mêmesi l’explication que Goethe donne dela couleur est loin d’être satisfai-sante”, les progrès les plus récentsde l’optique et de la théorie ondula-toire de la lumière sont “compati-bles avec le projet goethéen d’unechromatique, d’une science physique(c’est-à-dire naturelle) de lacouleur”. D’autre part, des travauxrécents en histoire de l’art invitent àvoir la théorie goethéenne non pluscomme “un rocher erratique” maiscomme “le fruit d’une longue tradi-tion” (R. Rosenberg) de réflexionsur le coloris(1) chez les théoriciensde la peinture et parmi les peintreseux-mêmes ; ce qui conduit à sedemander si l’influence de sa lecturesur la pensée et surtout sur lespratiques de ces derniers a été aussieffective qu’on l’a dit.

Le moment paraît donc venu derouvrir le dossier non plus en oppo-sant mais en articulant entre elles lesapproches des historiens de l’art, deshistoriens des sciences et des philo-sophes. C’est ce qu’ont entreprisJacques Bouveresse et Roland Recht– qui enseignent respectivement laPhilosophie du langage et de laconnaissance, et l’Histoire de l’arteuropéen médiéval et moderne auCollège de France – en réunissantcette année leurs séminaires sous untitre commun : La Théorie descouleurs de Goethe. Origines etinfluences, problèmes et contro-verses. La première journée(2) s’esttenue le 25 novembre 2005.

Examinant attentivement lacorrespondance de Goethe, notam-ment avec Schiller, premier lecteurdes premières ébauches, ainsi quecertains de ses textes autobiogra-phiques comme la Confession del’auteur sur laquelle l’œuvres’achève, Roland Recht a mis enévidence le rôle décisif du voyage enItalie (1786-8) dans la genèse decelle-ci : vivant comme une révéla-tion sa découverte des paysagesitaliens et de la peinture italienne,Goethe s’interroge sur les mystèresdu coloris ; ne trouvant la réponseni dans les œuvres ni dans les traités,il la cherche alors dans l’étude desphénomènes naturels, c’est-à-diredans la physique. Mais l’expériencedes couleurs est celle du visible. Sielle veut être fidèle aux phénomènes,la physique des couleurs ne peutreposer sur un dispositif expéri-mental faisant appel à des hypo-thèses mathématiques portant surdes processus cachés, comme celuidu prisme de Newton ; elle ne peutavoir pour source et pour critère quela seule expérience du regard. “Toutregard, écrit Goethe, se transformeen une observation ; toute observa-tion en une réflexion ; touteréflexion en une mise en relation. Etainsi peut-on dire qu’à l’occasion de

LA THÉORIE DES COULEURS DE GOETHE

Entre science, art et philosophie

Séminaire commun des chairesd’Histoire de l’art européenmédiéval et moderne et dePhilosophie du langage et de laconnaissanceCollège de France25 novembre 2005

Pr Roland Recht Pr Jacques Bouveresse

1. On distingue traditionnellement les couleurs dont le peintre dispose pour peindre sa toile (les couleurs de sa palette) et le coloris qui estl’effet visuel résultant du choix, du mélange et de l’emploi des couleurs dans le tableau ; le clair-obscur, par exemple, relève de la “sciencedu coloris”.2. Les deux autres journées auront lieu les 15 et 16 juin 2006.

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chaque regard attentif nous théori-sons le monde.”

Concentrant son attention sur lafameuse expérience du prisme deNewton, Michel Blay (CNRS, Paris)s’est attaché à montrer pourquoiGoethe et de nombreux auteurs duXVIIIe siècle comme Marat ou lepère Castel se trouvèrent dans l’in-capacité de la comprendre etcondamnés à échouer dans leurstentatives de la reproduire. Dans saLettre à Henry Oldenburg, secré-taire de la Royal Society, qui cons-titue le compte rendu officiel de sonexpérience (1672), Newton seconforme aux canons de l’empi-risme inductiviste baconien : il faitcomme s’il avait tiré sa théorie del’observation. L’étude de ses Carnetsmontre qu’il n’en est rien : l’expé-rience du prisme est une expérienceconstruite selon un dispositif trèsparticulier pour développer unehypothèse formulée antérieurement.Le fait général mis en évidence parNewton – la multiplicité deslumières homogènes ou monochro-matiques – n’est pas livré par lasimple observation ; la reconnais-sance de ce fait présuppose l’adop-tion d’un nouveau regard sur lalumière. Les critiques de Gœthe relè-vent “d’une réflexion naïve sur lestatut mal compris de l’expériencenewtonienne du prisme. Elles mont-rent, a contrario, dans une perspec-tive épistémologique, ce qu’est laspécificité d’un fait en sciencephysique : il n’y a pas de pur empi-risme”.

Si la conception goethéenne de ceque doit être une théorie de lacouleur tourne le dos à qu’étaitdevenue la science de son temps, elleest néanmoins, comme l’a montréJacqueline Lichtenstein (universitéParis 4) prise dans “l’illusion quiconsiste à croire qu’il n’y aurait pasd’autre forme de rationalité que larationalité scientifique, déniant ainsià l’art d’être une capacité intrinsè-quement cognitive”. Dans laThéorie des couleurs, fait-elle

observer, les analyses des peintres,et celles des auteurs qui, commeRoger de Piles, réfléchissent directe-ment à partir des pratiques de l’ate-lier, ont certes leur place dans lapartie consacrée à l’histoire ducoloris ; mais elles sont absentes deschapitres consacrés aux théories dela couleur proprement dites. “Lesanalyses des peintres sont exclues duchamp théorique de la connaissance.[…] Au regard des critères épisté-mologiques qui déterminent l’idéemoderne de théorie, ces ensemblessouvent assez hétéroclites deréflexions et d’analyses qu’onregroupe sous le vocable de théoriesde l’art sont de véritables monstres,puisque ce sont des ‘théories prati-ques’.” Pourtant, précise-t-elle,“d’une certaine manière, l’analysede Goethe s’inscrit dans une étrangecontinuité avec celle des théoriciensdu coloris”.

C’est cette continuité qu’a mise enévidence Raphaël Rosenberg(Université d’Heidelberg) en faisantressurgir deux figures aujourd’huipratiquement oubliées : celle d’unjésuite fort célèbre en son temps,Louis Bertrand Castel, concepteurd’un Clavecin pour les yeux (1725)capable de transformer toute piècede musique en un jeu de couleurs, etcelle de Mary Gartside, auteur d’unmanuel destiné à l’apprentissage dela peinture des fleurs, l’Essay onLight and Shade, on Colours, andon Composition in general (1805).L’un et l’autre s’intéressent avanttout aux effets de la couleur.L’invention du Père Castel ne reposepas comme les théories tradition-nelles de l’harmonie sur des prin-cipes pythagoriciens mais sur “unevéritable phénoménologie del’effet” : celui que produisentcertaines couleurs sur le spectateurpeut être le même que celui decertaines notes sur l’auditeur. Quantà Mary Gartside, elle est sans doutela première à avoir fait le constat(dont on attribue à tort la paternitéà Goethe) que “les couleurs lumi-neuses s’avancent vers l’œil et les

froides s’en éloignent”. Pour étayerses explications sur les contrastes etles harmonies entre couleurs, elleinclut dans son livre une étonnantesérie de huit aquarelles entièrementabstraites.

C’est à l’aune des travaux scienti-fiques et philosophiques contempo-rains que Jacques Bouveresse aentrepris à son tour d’évaluer lestatut de la théorie goethéenne,examinant successivement cinqpossibilités : “(1) qu’elle soit unethéorie scientifique défendable (ceque pratiquement aucun scientifiquen’a jamais consenti à croire) ; (2)qu’elle soit une théorie scientifiquequi a été réfutée (ce que croit proba-blement une minorité de scienti-fiques qui comptent parmi les pluscharitables) ; 3) qu’elle soit non pasune théorie scientifique fausse, maisune théorie pseudo-scientifique (cequ’a toujours cru une majorité écra-sante de scientifiques) ; 4) qu’elle nerelève pas du tout de la science, nonpas parce qu’elle est pseudo-scienti-fique, mais parce qu’elle appartienten réalité à la catégorie de la poésieou de l’art, même si ce n’est pas dutout de cette façon que Goethe lui-même la considérait ; (5) qu’elle soiteffectivement non scientifique, maiscela non pas parce qu’elle relève dela spéculation métaphysique ou del’art, mais parce que (comme l’asoutenu Wittgenstein) elle s’appa-rente finalement nettement plus à laphilosophie, comprise comme uneentreprise d’analyse et de clarifica-tion conceptuelles, qu’à la scienceproprement dite.” �

Jean-Jacques Rosat

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Renouant avec une initiative prise en2001, le Collège de France a accueilli,le 18 novembre, la cérémonie d’ins-tallation des 14e et 15e promotions del’Institut universitaire de France (IUF),placée sous le haut patronage duPremier ministre et présidée parMonsieur Gilles de Robien, ministrede l’Éducation nationale, del’Enseignement supérieur et de laRecherche et Monsieur FrançoisGoulard, ministre délégué àl’Enseignement supérieur et à laRecherche.

À travers les trente-trois lauréatsseniors et les cinquante lauréatsjuniors mis à l’honneur, près de lamoitié des universités françaisesétaient ainsi distinguées par la nomi-nation à l’IUF d’un ou plusieurs deleurs enseignants chercheurs. Tous lesgrands champs de la recherche scien-tifique étaient représentés, des sciencesexactes et naturelles aux lettres,sciences humaines et sciences sociales.

On sait que l’IUF a été créé en 1991,dans le contexte du double défi auquelétait confrontée l’université française

– faire face à la démocratisation del’enseignement supérieur, mais êtreaussi le moteur d’une recherche dehaut niveau, capable de soutenir lacompétition internationale –, pourrenforcer l’attractivité du métier d’en-seignant chercheur et montrer que larecherche ne se fait pas seulement dansles organismes, que des liens souventétroits unissent d’ailleurs aux univer-sités.

Ouvrant la cérémonie, le professeurJacques Glowinski a soulignécombien, en tant qu’administrateur,il s’attachait au renforcement desliens du Collège de France avec lesuniversités en général, et avec l’IUFen particulier. Ces relations se sontdéjà traduites à de nombreusesreprises par la participation deprofesseurs du Collège aux jurys del’IUF. Jacques Glowinski a expriméle souhait qu’elles s’amplifient dansla conduite de projets communsd’envergure.

Avant de tracer les perspectives d’évo-lution pour développer le rayonne-ment international de l’IUF et en faireun creuset de l’interdisciplinarité ausein des futurs pôles universitaires, sonadministrateur, le professeur Marie-Paule Pileni, tout en remerciant lesministres d’avoir accepté d’augmentersignificativement, dès 2006, le nombrede membres juniors, a renouvelé sespropositions de mesures nouvelles enfaveur des seniors.

Réaffirmant le lien indissociable entrerecherche et enseignement supérieur,et insistant sur le rôle essentiel de l’IUFpour la reconnaissance d’unerecherche d’excellence présente danstoutes les universités et toutes les disci-plines, le ministre délégué, MonsieurFrançois Goulard, a assuré l’admi-nistrateur qu’elle avait été entendue etque l’effectif des membres seniors, quiseront secondés par des chercheursassociés, serait également augmenté dedeux-tiers.

Pour conclure la cérémonie, à l’issued’une brève présentation de l’activitéscientifique des lauréats, MonsieurGilles de Robien a confirmé lesoutien de son ministère, en souli-gnant la contribution essentielle del’IUF pour la vitalité de la rechercheuniversitaire française, la richesse etla diversité qu’il représente, maiségalement son caractère prémoni-toire, puisque son fonctionnementfondé sur l’excellence, l’évaluation etla logique de projet a été l’une dessources d’inspiration pour la prépa-ration du Pacte pour la Recherche.

La matinée s’est poursuivie par troisconférences scientifiques d’intérêtgénéral. Le professeur Bernard Bigot,Haut-commissaire à l’énergie ato-mique, a présenté un exposé sur lafusion nucléaire, mettant à la portéede tous les éléments nécessaires pourcomprendre la portée et les enjeuxdu projet ITER. Venu pour l’occa-sion de Suède, Bengt Norden, profes-seur à l’université de Chalmers, aéclairé l’auditoire sur la procédured’attribution des prix Nobel et lescritères utilisés pour identifier la créa-tivité et l’excellence, son collègueKrister Holmberg clôturant cettesérie d’exposés par une présentationdes expériences suédoises d’interac-tions scientifiques entre le mondeacadémique et l’industrie.

Conférenciers, lauréats, personnalitésscientifiques, membres et anciensmembres de l’Institut universitaire deFrance – on rappellera que, parmi eux,Edouard Bard, Mireille Delmas-Marty, Anne Fagot-Largeault, SergeHaroche, Jacques Livage, Jean-LouisMandel, Jean-Christophe Yoccoz sontà présent professeurs au Collège deFrance – se retrouvèrent ensuiteautour d’un buffet, la journée s’ache-vant en plus petit comité par l’assem-blée générale des membres del’Institut. �

Françoise Chambon

JOURNÉE ANNUELLE DE L’INSTITUT UNIVERSITAIRE DE FRANCE

Marie-Paule Pileni, Gilles de Robien etFrançois Goulard

Journée organisée par l’InstitutUniversitaire de France18 novembre 2005

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LES DICOS D’OR

L’idée de demander au Collège deFrance d’accueillir la dictée de lafinale des Dicos d’or me trottaitdans la tête depuis plusieurs années.Mais, par crainte de me voiropposer un refus, je remettais à plustard. Une compétition orthogra-phique serait forcément jugée déri-soire par rapport à la complexité età l’érudition des matières ensei-gnées, une émission de télévisionincompatible avec le prestige del’institution. Cela ne serait possibleque si les professeurs avaient beau-coup d’indulgence et beaucoupd’humour.

Pour la dernière dictée, la superfi-nale, c’était le moment ou jamais.Je tentai ma chance, qui était aussicelle de tous les partenaires associésdepuis vingt ans dans l’aventure :Lire, France 3, Larousse et le Créditagricole. Le professeur John Scheidme transmit la réponse del’Assemblée des professeurs duCollège de France. Ceux-ci ont donctrès majoritairement beaucoup d’in-dulgence et beaucoup d’humour.

Je me suis senti honoré et flatté defaire dans la même journée monentrée et mes adieux au Collège deFrance. À l’émotion de lire l’ultime

dictée s’ajoutait le délicieux troubled’être dans un lieu historique dusavoir et de la recherche où beau-coup d’écrivains, invités dans mesémission Apostrophes et Bouillonde culture, avaient pris ou conti-nuaient de prendre la parole. Dansle désordre : Claude Lévi-Strauss,Umberto Eco, Georges Duby,Georges Dumézil, Pierre Bourdieu,Jean-Pierre Changeux, ClaudeHagège, Jean Delumeau, MarcFumaroli, François Jacob,Jacqueline de Romilly, EmmanuelLe Roy Ladurie, Michel Foucault,etc. À la fois ravi et confus, je leurdisais : pardonnez mon imposture,ce n’est l’affaire que de quelquesheures…

La plupart des quatre-vingtschampions de la superfinalen’étaient jamais entrés au Collègede France. Beaucoup en ignoraientmême l’existence. Ils avaientimaginé un bâtiment austère,solennel, sinistre, sombre. Ils ont étéstupéfaits de découvrir que lessiècles et la modernité, la mémoireet l’innovation, la très vieille pierreet le bois neuf, le monument histo-rique et l’architecture d’espacesinédits, s’étaient conjugués, mêlés,harmonisés, pour recréer un

Collège de France digne d’un passéauquel il continue de s’identifier etapte désormais à bénéficier desavantages des nouvelles technolo-gies et des nouveaux conforts.

Il me semble que l’administrateur etprofesseur Jacques Glowinski, et leprofesseur Michel Zink, n’étaientpas mécontents de se faire lesguides, pour les téléspectateurs etpour nous, d’un bâtiment dont, avectous leurs confrères, ils sont légiti-mement fiers.

Merci à tous pour cette journée queje dois qualifier, parce que c’est lavérité, d’inoubliable. �

Bernard Pivot

Dictée finale des Dicos d’orFrance 326 novembre 2005

Bernard Pivot et le Pr Jacques Glowinski Pr Michel Zink et Bernard Pivot

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Ce petit chef-d’œuvre de poésie baroqueest dû à la plume d’Antoinette desHoulières (1637-1694). Lors de laprésentation publique organisée dansl’amphithéâtre Maurice Halbwachs le15 novembre dernier, on a pu l’en-tendre, avec plusieurs autres poésies,interprété de deux façons. Dans uneversion enregistrée d’abord, où sur desmusiques de sa composition, Jean-LouisMurat accompagné d’Isabelle Huppert(CD-Virgin, 465365), chante les vers deMme des Houlières, faisant revivre cettepoétesse célèbre sous Louis XIV ; sur

scène, ensuite, dans une lecture donnéepar le comédien Xavier Gallais.

Jonathan Dunford, joueur de viole degambe de renommée internationale, apermis de recréer autour de ces lecturesl’ambiance musicale de l’époque ; tandisque des documents iconographiques,projetés en toile de fond, complétaientl’atmosphère.

Catherine Fabre et Pierre-Eugène Leroysont à l’origine de cette manifestation.Ils sont tous deux maîtres de confé-rences, rattachés aujourd’hui à la chairede Littératures de la France médiévale(M. Zink), après avoir collaborépendant plus de dix ans à la chaire deRhétorique et société aux XVIe et XVIIesiècles (M. Fumaroli).

Répondant à la proposition des éditionsBartillat, ils ont joint leurs efforts pourproduire ce volume de 774 pages,résultat de trois années de recherches demanuscrits et d’éditions anciennes, detranscriptions et de mise en forme.

L’originalité de cette réédition, lapremière depuis près de deux siècles, estde présenter ces poésies classées pargenre : fables animales, poésies desociété, poésies inspirées par la nature,

par le roi, œuvres plus personnelles…Cette méthode de classement permet dese rendre compte de la diversité d’inspi-ration de cette femme poète. Pour célé-brer la parution de l’ouvrage et rendrehommage à Antoinette des Houlières,Catherine Fabre et Pierre Leroy onttenu à en faire une présentationpublique, alliant à la lecture la musiqueet l’image pour mieux restituer l’at-mosphère de ces textes et en souligner larichesse.

Malgré la différence entre la sociétédu XVIIe siècle et la nôtre, cette poésiepeut encore toucher aujourd’hui. Iln’est pas indifférent par exemple deconstater, comme le faisait le profes-seur Michel Zink à la fin de la séance,qu’une femme poète dont la vie a étéaventureuse, a trouvé dans la poésieun moyen pour enchanter sa vie etmême ses chagrins. �

L’ENCHANTEMENT DES CHAGRINS

L’enchantement des Chagrins,nouvelle édition des Poésiescomplètes d’Antoinette desHoulières établie et présentée parCatherine Hémon-Fabre et Pierre-Eugène Leroy, aux éditions Bartillat. Présentation publique :chaire de Littératures de la Francemédiévale - Collège de France15 novembre 2005

Rondeau

Entre deux draps de toile belle et bonne,Que très souvent on rechange, on savonne,La jeune Iris au cœur sincère et haut,Aux yeux brillants, à l’esprit sans défaut,Jusqu’à midi volontiers se mitonne.

Je ne combats, de goûts, contre personneMais franchement sa paresse m’étonne,C’est demeurer seule plus qu’il ne faut

Entre deux draps.

Quand à rêver ainsi l’on s’abandonne,Le traître amour rarement le pardonne ;À soupirer on s’exerce bientôtEt la vertu soutient un grand assaut,Quand une fille avec son cœur raisonne

Entre deux draps.(O.C., 5, XXI, p. 475)

* Antoinette des Houlières, d’après le portrait d’Élisabeth Chéron, gravé par van Schuppen en 1695 et publié pour la première fois dansl’édition des poésies de 1705.

Catherine Fabre et Pierre-Eugène Leroy

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Caprice Vers les bords d’un ruisseau dont l’onde vive et pureDes arbres d’alentour entretient la verdure,Iris dont les chansons, Iris dont les appâts,Ont fait voler le nom de contrée en contrée

D’un profond ennui pénétréeConduisait lentement ses pas

Ni le naissant émail d’une jeune prairie,Ni le doux murmure des eaux,Ni le tendre chant des oiseauxNe dissipait sa rêverie.

[…](O.C., 3, XXV, p. 282)

“Caprice” Clément-Pierre Marillier (1740-1808), Nicolas Ponce (1746-1831) coll. part.

Le ruisseau, Ruisseau, nous paraissons avoir le même sort, […]Idylle (1684) Mais, hélas, que d’ailleurs je vois peu de rapport

Entre votre course et la nôtre ! […]Courez, ruisseau, courez, fuyez-nous, rapportezVos ondes dans le sein des mers dont vous sortez […]Nous irons reporter la vie infortunée

Que le hasard nous a donnéeDans le sein du néant d’où nous sommes sortis.(O.C., 5, XLI, p. 526-529)

“Le ruisseau” Clément-Pierre Marillier (1740-1808), Emmanuel-Jean-N. de Ghendt (1738-1815) coll. part.

Les moutons, Hélas ! petits moutons que vous êtes heureux !Idylle (1674) Vous paissez dans nos champs sans souci, sans alarmes ;

Aussitôt aimés qu’amoureux,On ne vous force point à répandre des larmes ;Vous ne formez jamais d’inutiles désirs.Dans vos tranquilles cœurs l’amour suit la nature :Sans ressentir ses maux vous avez ses plaisirs.[…](O.C., 3, I, p. 247)

“Mes moutons” Clément-Pierre Marillier (1740-1808), Jean Dambrun (1741-ap. 1808) coll. part.

Xavier Gallais Jonathan Dunford

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28 LA LETTRE - N° 16

par Armand de Ricqlès, Professeur au Collège deFrance, titulaire de la chaire de Biologie historiqueet évolutionnisme

Ce texte reprend certains éléments d’une allocution pronon-cée au Collège de France lors de la remise de la Légiond’Honneur à Armand de Ricqlès par Jacques Glowinski, admi-nistrateur, le16 Juin 2005

DE L’HISTOIRE NATURELLE

À LA BIOLOGIE DE L’ÉVOLUTION

PETIT RETOUR EN ARRIÈRE ET ESPOIRS POUR DEMAIN

Pourquoi suis-je d’abord un natura-liste ? Passionné dès l’enfance par labeauté et la diversité des organismes,j’ai toujours été plus attiré par les for-mes et les structures du vivant que parl’élucidation de son fonctionnement.En cela je suis, par goût profond, unstructuraliste ou un morphologiste plu-tôt qu’un fonctionnaliste ou un physio-logiste, même si je demeure fasciné parl’éternel dialogue entre la structure etla fonction que propose le vivant, à tou-tes les échelles de perception.

La révélation fondamentale que m’ontapportée mes études universitaires, c’estdonc la notion d’homologie. Pourquoicette mystérieuse correspondance struc-turale entre organes et tissus chez desorganismes fonctionnellement très dif-férents ? Et pourquoi ces parties répé-tées au sein du même organisme, maisvariant subtilement de l’avant à l’ar-rière du corps ? Les réponses que pou-vait apporter la biologie du début desannées soixante étaient bien incomplè-tes, mais il était déjà évident pour moiqu’elles participaient des domaines del’évolutionnisme (j’y inclus, bien sur, lapaléontologie), de la systématique et dela biologie du développement. Ensomme, les disciplines classiques de

l’histoire naturelle étaient capables deposer les bonnes questions sans pou-voir encore y répondre. En attendant, lamorphologie offrait encore de trèsriches perspectives de recherche. Toutn’était pas décrit ni compris en anato-mie comparée, en histologie ni surtouten paléontologie (c’est toujours vrai !).J’optais alors pour une spécialisationpeu connue, la paléohistologie, quiconciliait à la fois mes goûts pour lamorphologie fine, pour la comparai-son et pour la paléontologie.

La suite de l’histoire révéla que c’étaitun bon choix même si, à l’époque, cen’était certainement pas un choix“porteur” selon tous les “critèresobjectifs” décidant pour beaucoup dejeunes de leur “stratégie de carrière” !La fin des années soixante, c’était eneffet l’époque de la montée en puis-sance de la biochimie, vite relayée parla biologie moléculaire. La morpholo-gie semblait alors avoir dit son derniermot avec la cytologie ultrastructurale.La pression était forte, de la part desorganismes de tutelle, pour mettre aurancart les “vieilles lunes” de l’anato-mie comparée et de la systématiqueafin de se jeter à corps perdu dans la“nouvelle biologie” parée alors de tout

le prestige qu’apportait une cascade dedécouvertes importantes sur le fonc-tionnement intime de la machineriebiologique.

Pourtant, quitter la morphologie com-parative pour se lancer, qui dans labiochimie, qui dans la génétique, quidans la physiologie cellulaire, c’eût ététrahir un domaine de la connaissancequi passionnait certains d’entre nous.On sentait bien combien ce domaineétait pertinent – même si, à l’époque,il était encore à peu près impossibled’établir des liens significatifs entre cequi nous intéressait en “histoire natu-relle” et la “nouvelle biologie” alorsen plein essor.

Ainsi quelques jeunes morphologistes,dont j’étais, restèrent à leur poste, etmalgré des difficultés de travail et decarrière souvent inouïes, ils surent parla suite, ici et là, assurer la défense etl’illustration des savoirs morpholo-giques et systématiques. Il ne s’agissaitnullement d’un combat d’arrière-garde,il s’agissait de renouveler et de trans-mettre aux nouvelles générations uneculture qui allait se révéler éminem-ment précieuse pour les synthèses àvenir – mais n’anticipons pas.

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Je ne peux évoquer toutes ces annéessans dire un mot du contexte institu-tionnel. Suite à ce que l’on appelleencore pudiquement les “événements”de 1968, l’encore prestigieuse Facultédes Sciences de l’Université de Paris futdépecée entre les Universités de Paris 6et Paris 7 qui durent se partager le cam-pus de Jussieu. À mes yeux, cette déci-sion fut catastrophique, découpant defaçon absurde et fort coûteuse discipli-nes, équipes, laboratoires, biblio-thèques et collections. Mais au-delà deces difficultés, les décennies soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt dixfurent passionnantes, entraînant unrenouvellement extraordinaire desdivers domaines de l’histoire naturelle.

D’abord, il y eut la prise de consciencedes problèmes de l’environnement. Dèsles années soixante, il devenait évidentque le style de développement de typeoccidental, considéré jusque-là commeun indiscutable progrès dans tous sesaspects, y compris par les Soviétiquesqui tentaient d’y parvenir par d’autresmoyens, allait mener tôt ou tard à uneimpasse. Faire de la biologie intégréecertes, mais il fallait donc aussi la recen-trer, à partir des organismes, vers l’é-tude des populations, des écosystèmes,vers la systématique d’inventaire et labiologie de la conservation…

À cet égard, un des seuls bons aspects de1968 fut d’ouvrir à l’écologie scientifiquequelques rares cursus et quelques modes-tes débouchés dans l’université, qui fini-rent par s’amplifier avec le temps, tout enconstituant un frêle tuteur de survie insti-tutionnelle pour les disciplines naturalis-tes, à mesure que celles-ci disparaissaientde la plupart des autres cursus de biolo-gie universitaire…

Ensuite, les années soixante-dix et qua-tre-vingt furent celles de la diffusion etde la montée en puissance d’une nou-velle vision de la classification biolo-gique, désormais connue sous le nomde cladistique ou de cladisme. Ce futun bouleversement d’ordre pour ainsidire philosophique apporté par lesmorphologistes, précisément à l’époqueoù ils traversaient un épisode particu-

lièrement sombre de leur survie insti-tutionnelle. La cladistique renouvela defaçon décisive une discipline, la systé-matique, que beaucoup tenaient pourmoribonde, si tant est qu’elle ait étémême considérée à l’époque commeune science par certains zélateurs lesplus intransigeants de la biologie réduc-tionniste. En fait, c’est une véritablescience phylogénétique à part entièrequi prit alors son essor. Les progrèsinouïs de l’informatique n’y furent pasétrangers. Pourtant, la plus grandeavancée de ces années sera le rappro-chement foudroyant des centres d’in-térêt que vont désormais partager lesmorphologistes et les biologistes molé-culaires. Les avancées dans l’analysedes protéines et dans le séquençage desgènes vont en effet bientôt constituerune véritable “anatomie comparéemoléculaire”, riche d’une fantastiqueinformation systématique. Enfin lestechniques moléculaires deviennentopérationnelles pour les problèmesintéressant les naturalistes ! Enfin lesproblématiques des naturalistes devien-nent fréquentables pour les molécula-ristes ! Ces rapprochements, cesretrouvailles, vont bientôt permettre defascinantes confrontations entre molé-cules et morphologie… À conditiontoutefois que la sociologie des com-munautés concernées le permette...

Enfin, les années quatre-vingt-dix ver-ront d’autres aspects de la génétiquemoléculaire devenir opérationnels dansles domaines de la morphologie. Ladécouverte des gènes à homéodomai-nes, de leurs fonctions dans le “patter-ning” de l’organisme en construction,et de l’évolution de ces gênes eux-mêmes au sein des métazoaires, allaitfavoriser un rapprochement boulever-sant entre molécules, morphologie etsystématique, au travers cette fois d’unebiologie du développement entièrementrenouvelée. La théorie synthétique del’évolution s’en trouva elle-même méta-morphosée sous la forme de la nouvellesynthèse évolution-développement(evo-devo), où l’organisme et samorphologie retrouvaient enfin touteleur place. Dans cette mouvance, l’in-fluence intellectuelle d’un Steve Gould

fut importante comme le fut aussi, plusprès de nous, l’action du regretté AndréAdoutte.

Certes, dans le creux de la vague desannées quatre-vingt, en l’absencepresque totale de bourses et de postespour nos étudiants, je me souviens decertains soirs de déprime où nous nousdemandions vraiment si, après notregénération, il y aurait encore, dansnotre pays, dans notre langue, desmorphologistes évolutionnistes.Heureusement les choses ont com-mencé à bouger à partir des années1995, et désormais la relève est assu-rée, ne serait-ce que très modestement.

À l’heure actuelle, nous vivons uneétape particulièrement heureuse et sti-mulante de la biologie évolutionniste,où une multitude de disciplines jadisséparées et souvent violemmentconcurrentes, découvrent enfin leursévidentes complémentarités. Désor-mais, entre biologistes du développe-ment, molécularistes, généticiens,paléontologues, histo-cytologistes, sys-tématiciens, anatomistes, écologistes,épistémologues…, nous avons tant dechoses à nous dire et à partager !

Il demeure que pour développer lanouvelle biologie moléculaire enFrance, tout s’est passé comme s’il avaitd’abord fallu, pendant trente ans, dés-espérer et pratiquement réduire à néantune communauté scientifique qui véhi-culait deux siècles d’acquisition desavoirs naturalistes parfaitement légiti-mes et utiles. Nous n’avons pas fini depayer le prix fort pour ce sectarismestupide, en ce vingt et unième siècle quisera celui des grands défis de la biodi-versité et de l’environnement !

Intégrer, pour demain, le grand mes-sage naturaliste à la biologie moderne,c’est enfin comprendre qu’au delà dela génomique et de la protéomique ,notre société aura besoin – en perma-nence – d’une connaissance du vivant àtous les niveaux d’organisation spatio-temporels : de la molécule à l’écosys-tème, comme des pôles à l’équateur et

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Bernard Delavault est mort le 16décembre 2005 à l’âge de 78 ans. Ilavait été étudiant à l’École deslangues anciennes de l’Institutcatholique de Paris, puis il fut élèvetitulaire de l’École pratique deshautes études dans les sections dessciences religieuses et des scienceshistoriques et philologiques. Aprèsquelques années comme chercheurau CNRS, il avait été nommébibliothécaire de l’Institut d’étudessémitiques de la Sorbonne. Lorsquecet institut fut rattaché au Collègede France le 4 janvier 1973, suite àun décret du ministère del’Éducation nationale qui avait tenucompte des délibérations del’assemblée des professeurs duCollège en mars et juin 1972, tousles livres de l’institut, sauf ceuxconcernant le judaïsme post-biblique et médiéval, furent

transférés dans les locaux deMarcelin Berthelot, constituantainsi la “bibliothèque de l’Institutd’études sémitiques du Collège deFrance” dont Bernard Delavaultdevint le bibliothécaire jusqu’en1993. Il sut transformer labibliothèque en un centre derayonnement international, un outilde travail unique en France, enrichiau fil des années par différents donset legs, visité périodiquement parsavants européens, américains et duProche-Orient. À l’étendue de sagrande érudition s’ajoutait chezBernard Delavault son étonnantedisponibilité professionnelle, sesconnaissances profitant largementaux savants et aux moins savants.Maints chercheurs lui ont laissé letémoignage de leur gratitude pourson dévouement dans la préface deleurs livres. Complémentaire de son

travail au Collège de France fut laremise en ordre du Cabinet duCorpus des inscriptions sémitiquesde l’Académie des inscriptions etbelles-lettres dont BernardDelavault fit un centre dedocumentation historique incom-parable pour les études sémitiques.En 1993, il reçut le Cristal duCNRS en reconnaissance desservices qu’il avait rendus à ces deuxgrandes institutions françaises. Lesmultiples témoignages envoyés à labibliothèque de l’Institut d’étudessémitiques et la fierté de ceux quiont eu l’honneur d’être son amimontrent bien la douleur causée parsa disparition. �

À Bernard Delavault

par Javier TeixidorProfesseur,

chaire d’Antiquités sémitiques

Bernard Delavault

Le Collège de France a latristesse d’annoncer le décès deM. Jean IRIGOIN, professeurhonoraire titulaire de la chaire

de Tradition et critique destextes grecs (de 1986 à 1992),survenu le 28 janvier 2006, àl’âge de 85 ans.

Jean Irigoin

Disparition

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Le Collège de France possède une magnifique mappe-monde, chef d’œuvre de la cartographie du XIXe siècle,constituée d’un globe de plus d’un mètre de diamètredisposé sur un socle de bois massif. Le fond cartogra-phique, rédigé en allemand, fait immédiatement penserà Alexandre von Humboldt. Outre une géographiephysique très détaillée, comportant notamment leschaînes de montagne à l’échelle planétaire, on peut yvoir les itinéraires des grands voyages de découverte,depuis Magellan jusqu’au Capitaine Cook. Surtout, unensemble complexe de grands cercles de diversescouleurs (noir, rouge, vert, bleu) y sont tracés d’unemain sûre. Aucune indication particulière, si ce n’estquelques lettres (D,t) à certains nœuds d’intersection.Peu de géologues aujourd’hui peuvent deviner qu’ils’agit d’une représentation, sans aucun doute la plusachevée qui ait jamais été faite, du “réseau pentagonal”

de Léonce Elie de Beaumont, professeur au Collège deFrance, titulaire de la chaire d’Histoire naturelle descorps inorganiques, de 1832 jusqu’à sa mort en 1874.Dès l’origine, la théorie d’Elie de Beaumont a fait l’objetde vives controverses. Elle n’est plus connue aujour-d’hui que des spécialistes de l’histoire des sciences. Iln’en demeure pas moins que ce modèle, comme on l’ap-pellerait aujourd’hui, a représenté un courant de penséemajeur au XIXe siècle et, surtout, constitué un premieressai de “tectonique globale” un siècle avant que XavierLe Pichon et quelques autres ne découvrent les plaques.

Jean Baptiste Armand Louis Léonce Elie deBeaumont : le grand homme de la géologiefrançaise au XIXe siècle

C’est peu dire que Jean Baptiste Armand Léonce Éliede Beaumont (1798-1814) aura cumulé les postes lesplus prestigieux au cours de sa longue carrière : profes-seur (1827), puis directeur de l’École des Mines, ingé-nieur en chef des mines (1832), professeur au Collège deFrance (à la mort de Cuvier en 1832), inspecteur généralen 1845, membre de l’Institut (1835), puis secrétaireperpétuel de l’Académie des Sciences à partir de 1853 etenfin, pour couronner le tout, sénateur en 1852. Majorde Polytechnique et de l’École des Mines, il entre en1820 au Corps des Mines où, après un bref voyage enAngleterre, il est chargé avec Armand Dufrénoy deréaliser une carte géologique de notre pays sur le modèleanglais. Il déploiera alors une activité inlassable, parcou-rant des milliers de kilomètres à pied ou à cheval, multi-pliant les observations de terrain qui en feront l’un desgéologues les plus expérimentés de son temps. Ce travailaboutira en 1841 à la publication des six feuilles de la

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L E G L O B E D ’ É L I E D E B E A U M O N T ( 1 7 9 8 - 1 8 7 4 )

A U C O L L È G E D E F R A N C E

par Jacques TOURET

Professeur émérite (Pétrographie-minéralogie),université libre d’Amsterdam (Pays Bas),Membre de l’Académie Royale des Sciences et Lettresdes Pays Bas

Musée de MinéralogieÉcole des Mines60 boulevard Saint-Michel, Paris 6e

Buste d’Élie de Beaumont à l’École des Mines

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“Carte Géologique de la France, sous la direction deM. Brochant de Villiers, inspecteur général des mines,par MM Dufrénoy et Élie de Beaumont, ingénieurs desmines”. Travail d’une facture singulièrement moderne,dont les grandes lignes – en particulier la structure desassises sédimentaires du Bassin Parisien – sont toujoursd’actualité. C’est au cours de ces levés que Élie deBeaumont développe une idée qui marquera toutes sesactivités ultérieures : les structures en relief à la surfacedu globe, volcans et chaînes de montagne notamment,sont dues à la poussée en profondeur de liquidesmagmatiques qui tendent à soulever une mince écorce(ou croûte) solide. La forme typique des volcans estdonc un “cratère de soulèvement” ponctuel, alors queles chaînes de montagne correspondent à un soulève-ment linéaire, le long de grandes fractures réparties defaçon homogène sur toute la surface du globe terrestre.Dans tous les cas, les causes profondes sont identiques :elles sont liées à un refroidissement, donc à une contrac-tion séculaire de la terre au cours des temps géologiques.L’hypothèse de départ est que le globe se refroidit et secontracte, créant des protubérances en surface, “compa-rables à celles d’une pomme qui se ride”.

À partir de ce résumé sommaire, il est facile aujour-d’hui de souligner les erreurs d’un raisonnement qui,notamment pour les cratères de soulèvement, contreditl’observation immédiate. Dès l’origine, les idées d’Éliede Beaumont ont été critiquées, notamment par CharlesLyell et les tenants de l’hypothèse des “causesactuelles”. Il s’est vaillamment défendu, soutenu parquelques disciples du Collège de France et de l’École desMines. L’autorité que lui valaient ses fonctions offi-cielles a permis à ses idées de connaître un grand reten-

tissement. Bien après la première guerre mondiale,beaucoup de cartes géologiques mentionnaient encoreles principales directions des “systèmes de montagnes”,et ce n’est guère que dans la seconde moitié duXXe siècle que le nom d’Élie de Beaumont et son réseaupentagonal passeront aux oubliettes de l’histoire. Oubliaussi immérité que l’adulation du siècle précédent car,comme l’a magistralement montré Celal Sengör en2005 dans ses leçons de la Chaire internationale duCollège de France, tout n’était pas mauvais dans lemode de pensée complexe patiemment élaboré par legroupe parisien. C’est le cas notamment pour la notionde géosynclinal, qui dominera toute la pensée géolo-gique jusqu’à l’avènement de la tectonique des plaques.C’est l’américain James Hall qui a trouvé le nom etendossé la paternité du concept – surtout dans lemonde anglo-saxon –, mais la définition qu’il en donne(dans le préambule d’un traité de paléontologie !) setrouvait déjà chez Élie de Beaumont.

Le réseau pentagonal

Polytechnicien, Élie de Beaumont est féru de mathéma-tiques qui, estime-t-il, doivent gouverner l’ordre dumonde naturel (Auguste Comte n’est pas loin). Il estimedonc que les fissures résultant de la contraction séculairede la Terre doivent se disposer de façon rationnelle, defaçon à couvrir toute sa surface. Toutes les montagnesne sont pas contemporaines, donc l’apparition des frac-tures se fait par vagues successives, mais “il est dans lalogique des choses”que deux fractures immédiatementsuccessives soient orthogonales. Affirmation qui relèved’une pure intuition, ainsi que la façon de découper lasphère de référence en un certain nombre de secteursidentiques, qui doivent diviser sa surface de façoncontinue et homogène. L’analogie avec le mode deraisonnement cristallographique est évidente – et souli-gnée par Élie de Beaumont lui-même.

Il commence par envisager le système le plus simple :8 triangles sphériques découpés sur la sphère par unsystème d’axe trirectangle. Les plans tangents à chacun deces triangles définissent un octaèdre régulier circonscrit,sur lesquels il est possible de projeter tout point de la surfacesphérique par projection gnomonique (intersection du planavec le rayon de la sphère passant par le point considéré).

Ce réseau octaédrique, trop simple, est vite abandonné.Élie de Beaumont procède alors par complicationssuccessives, et il constate qu’un réseau constitué de15 grands cercles, dits “primitifs”, se coupant de façonà dessiner 12 pentagones sphériques réguliers, permet dedessiner une grille dont la complexité répondra à tousses désirs. D’autres figures se dérivent par permutationsur les sommets ou les milieux des arêtes (octaèdres,

Éléments géométriques du réseau pentagonal(d’après A. Vézian, 1863, p. 32). Traitscontinus : cercles primitifs, tireté long :octaédriques, tireté ponctué : dodécaédriquesréguliers, tireté court : dodécaédriquesrhomboïdaux, trait double : Méridien deRemda.

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dodécaèdres réguliers et rhomboïdaux). Au total, unensemble de 61 grands cercles, dont l’intégralité cons-titue le “réseau pentagonal”.

Cette définition est purement théorique, mathématique.Si l’intuition de Beaumont est exacte, les directions duréseau doivent coïncider avec les directions, mesuréessur le terrain, des différents “systèmes de montagne”.L’approche d’Élie de Beaumont découle directement deses propres observations sur le terrain ou de ses analysescartographiques. Les premières observations, présen-tées oralement devant l’Académie des Sciences en 1829,portent sur 4 systèmes qui ont effectivement unecertaine homogénéité temporelle et directionnelle, aumoins à l’échelle des pays européens (Ardennes,Cornouailles, Alpes, Pyrénées). La chaîne des Pyrénées,en particulier, est effectivement très rectiligne, et il estcertain que cet exemple a joué un grand rôle pourconforter Élie de Beaumont dans ses certitudes. Aprèsla publication (Annales des Sciences Naturelles, Paris,1830), très rapidement, le nombre des directions carac-téristiques passe à 12 (1833), puis à 15, pour atteindre96 en 1852, dans sa Notice sur les chaînes de montagne(“et j’ai loin d’avoir terminé”, ajoute-t-il).

Reste maintenant à faire coïncider les directions deschaînes de montagne avec celles du réseau pentagonal.Élie de Beaumont s’explique sur ce point-clé de sonédifice : “J’ai pensé que si les grands cercles primitifs duréseau pentagonal représentaient ce qu’on pourraitappeler la forme primitive de la configuration extérieuredu globe, il suffirait de placer sur un globe terrestre leréseau formé par ces 15 cercles pour rendre possible àla vue de rencontrer la position dans laquelle il devraitêtre placé pour se trouver en harmonie avec l’ensembledes configurations géographiques ; que, si une pareilleposition existait, et que si en effet il la saisissait, le prin-cipe même de mon travail serait sanctionné ipso facto,et la possibilité de son établissement assurée. En consé-quence, j’ai placé sur un globe de 50 cm de diamètreun filet mobile formé par une partie des cercles princi-paux du réseau, et composé de manière à s’appliquerexactement sur cette sphère en l’embrassant avec uneprécision rigoureuse. Quelques tâtonnements prélimi-naires m’ont conduit à installer tout simplement ceréseau sur le triangle trirectangle résultant de l’entre-croisement des grands cercles de comparaison dessystèmes du “Tenare”, des “Andes” et de “l’axe volca-nique méditerranéen”. D’autres écrits font état d’autresdirections de référence, en particulier le “méridien deRemda” en Saxe, qu’Élie de Beaumont, peut être enlointaine référence à Werner, semble considérer commeune sorte de méridien origine pour tout son système.Quoi qu’il en soit, le résultat est là : il y a bien coïnci-dence entre le réseau théorique et les faits de terrain,donc l’ensemble ne peut être qu’exact.

Le globe du Collège de France

D’après ce qui précède, il est bien évident que la repré-sentation du relief terrestre et du réseau pentagonalen trois dimensions constitue un élément essentiel duraisonnement et de la démonstration. Jouant de sadouble appartenance à l’École des Mines et au Collègede France, Élie de Beaumont répartit soigneusementle travail, fixant à chacun des objectifs bien précis. Sesmultiples activités l’empêchant d’assurer lui mêmetoutes ses fonctions, il se fait suppléer dans chaqueétablissement par un collaborateur. À l’École desMines, c’est Alphonse Béguyer de Chancourtois,d’abord professeur de topographie, puis adjoint aucours de géologie, Élie de Beaumont se contentantchaque année de délivrer une leçon inaugurale sur lerefroidissement du globe. Au Collège de France, c’estCharles Sainte Claire Deville, suppléant reconduitpendant dix sept années consécutives. Originaire desAntilles, chargé après quelques années de l’organisa-tion de stations météorologiques dans le monde,Deville est quelquefois amené à se faire lui mêmesuppléer... Ces collaborateurs connaîtront l’honneurde la titularisation à la mort d’Élie de Beaumont, maischacun pour une durée bien courte : trois ans pourBéguyer de Chancourtois, dix huit mois à peine pourSainte Claire Deville, pendant lesquels il pourra assurerun seul cours, heureusement fidèlement recueilli etpublié par les soins de son successeur au Collège,F. Fouqué.

À l’École des Mines, Béguyer de Chancourtois faitréaliser toute une série de globes de petite dimensions(20 à 50 cm de diamètre environ), dont quatre exem-plaires ont été préservés (Bibliothèque de l’École desMines). Il s’agit de globes de travail, indiquant pour lesplus petits quelques éléments du réseau pentagonal surun fond blanc ou, surtout, pour le plus gros (50 cm),

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matérialisant sur un fond topographique les élémentsdu réseau au moyen d’épingles reliées par des fils.

Mais, pour le Collège de France, il veut réaliser un globespectaculaire, représentation la plus achevée de sonmodèle. Il en fait la demande auprès de l’Administrateurle 28 janvier 1850.

Nous avons cherché en vain d’autres informations surce “globe de Grinum” mentionné dans la lettre d’Éliede Beaumont. On était au temps des grandes décou-vertes sur la planète, et plusieurs firmes allemandesfabriquaient alors des globes, notamment à Berlin et àDresde, sur la lancée des travaux d’Alexandre vonHumboldt. Le fabricant le plus célèbre est CarloAdami, auquel succèdera en 1844 Hans Kiepert, quitravaillera à partir de 1852 dans la firme de C. Reimer.Le globe du Collège de France a probablement étéréalisé en 1850 ou 1851 : il est probable qu’il ait étéconfectionné par H. Kiepert avant que celui-ci n’entreau service de Reimer. Il s’agit sans aucun doute d’unecommande particulière, ce qui peut expliquer l’absencede mention du constructeur. Quoi qu’il en soit, l’ad-ministrateur ayant accédé aux désirs d’Élie deBeaumont, une note de l’administration des Douanespour l’année 1851 exempte le globe de droits d’entrée.C’est donc à cette époque qu’il a dû arriver à Paris.Là, il fut adapté et Élie de Beaumont y fit inscrire lesgrands cercles du réseau pentagonal, travail d’uneperfection graphique exemplaire, probablement réaliséau Collège. Comme sur les globes de l’École des Mines,certaines lettres indiquent la nature des grands cercles.Un code de couleurs correspond probablement auxdifférents types de cercles. Les tracés sont très régu-liers, bien que manifestement effectués à la main, sansdoute avec le secours de règles sphériques. Peu despécialistes étaient capables d’exécuter un tel travail,et il est plus que probable que les artistes mentionnéspar Béguyer de Chancourtois ont été sollicités :Bertaut, et surtout E. Picart, le dessinateur émérite quientrera en 1868 au Service de la Carte géologiquedétaillée de la France.

Une conclusion nostalgique

Ce chef d’œuvre une fois réalisé, qu’en a-t-on fait ?Les globes de travail de l’École des Mines portent lestraces d’un travail intensif et ont servi à l’élaborationde cartes gnomoniques, embryon du grand systèmedont Béguyer de Chancourtois avait rêvé. Aucontraire, le globe du Collège de France est resté àl’état neuf : il semble n’avoir pas beaucoup servi. Iln’a sans doute jamais quitté le Collège, à la diffé-rence des globes de l’École des Mines, exposésnotamment lors d’une Exposition universelle. Après1852, Élie de Beaumont donne des cours sansrapport direct avec le réseau pentagonal : Émana-tions volcaniques et métallifères (1853-54) ; Rochesd’origine ignée du triple point de vue de leur compo-sition, classification et gisement (1854-55) ;Phénomènes volcaniques en général (1855-56).Ensuite, il se fait remplacer jusqu’à sa mort parSainte Claire Deville, dont les cours sont orientés

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à Monsieur Barthélémy Saint Hilaire,Administrateur du Collège de France

Monsieur l’Administrateur,

J’ai été dans le cas de faire usage, presque tous les ans, d’un Globeterrestre pour les démonstrations que j’ai eu à faire dans mes leçons degéologie au Collège de France. J’ai pu jusqu’à présent me servir, pour cetobjet, d’un globe de dimension médiocre qui m’appartient ; mais ayantété obligé d’employer ce globe pour un travail spécial, je me suis vu cetteannée dans la nécessité d’en emprunter un autre, emprunt qui ne peutêtre que momentané.

Cette circonstance m’a fait penser, Monsieur l’Administrateur, que ladépense d’acquisition du globe destiné au cours d’histoire naturelleinorganique du Collège de France serait suffisamment justifiée, mais ilme semble en même temps que le Collège de France ne peut faire quel’acquisition d’un globe d’une très belle exécution.

D’après les informations que j’ai prises, je crois que le “Globe deGrinum”, d’environ un mètre de diamètre, publié à Berlin il y a quelquesannées, remplirait très bien l’objet que j’ai en vue. Le prix de ce globe,joint aux frais de transport et aux droits d’entrée, monterait à460 francs. Il y aurait en outre quelques frais accessoires à faire pour enrendre le maniement commode. Il s’agit donc d’une dépense totaled’environ 500 francs.

Je ne pourrais, Monsieur l’Administrateur, prélever cette dépense sur uneseule année de nos frais de cours, et en la répartissant même sur deuxannées elles en seraient fortement entamées. Je prends en conséquence laliberté de vous demander s’il ne vous serait pas possible d’accorder pourcet objet spécial un crédit extraordinaire de 500 francs au coursd’histoire naturelle des corps inorganiques.

J’ai l’honneur d’être, avec la plus haute considération, Monsieurl’Administrateur, votre très humble serviteur et dévoué collègue.

Léonce Elie de Beaumont

Le globe de 50 cm de l’École des Mines.

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selon ses propres intérêts (la volcanologie, notam-ment). Ce n’est que lors du seul cours qu’il donneraen tant que professeur titulaire (1875-76) qu’il ferale panégyrique de son maître, donnant en particu-lier une description très complète du réseau penta-gonal. Mais, dans ses leçons, publiées ensuite parson successeur, F. Fouqué, pas une seule figure, etsurtout pas un mot du globe. Fouqué deviendra luimême professeur au Collège de France en 1877, maisc’est avant tout un minéralogiste et pétrographe,ainsi que son disciple et successeur, Auguste MichelLévy. Aucun, semble-t-il, n’a donc trouvé de motifd’utiliser le globe. Ce n’est qu’à la veille de laseconde guerre mondiale que la chaire reviendra ànouveau à un tectonicien, Paul Fallot. Dans sa leçoninaugurale, celui ci se livre certes à un vibrant éloged’Élie de Beaumont, mais il ne mentionne jamaisl’existence du globe, qu’il devait pourtant connaîtrepuisqu’il en a hérité dans son service.

Sans doute Élie de Beaumont tenait-il ce globemagistral en réserve pour le jour où il aurait produitla preuve irréfutable et évidente de la coïncidenceparfaite entre directions des systèmes de montagneset réseau théorique. Comme le dit Paul Fallot, qui l’abien connu du temps de ses études : “Quand j’allaisle voir, je le trouvais toujours à son cabinet detravail, au bout d’une enfilade de petites pièces,devant une table chargée de cartes et occupé à tracerdes alignements nouveaux”. Ce jour tant attendun’est jamais arrivé, et Élie de Beaumont, de plus enplus isolé au sein de son dernier quarteron de fidèles,est mort un matin de 1874 dans son château deCarnon, seul avec ses certitudes. �

Lettre manuscrite d’Élie de Beaumont à Barthélémy Saint Hilaire, le 28 janvier 1850. (Archives du Collège de France). Texte reproduitpage 34.

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U N A U D I T E U R I N S O L I T E A U C O L L È G E D E F R A N C E :

P I E R R E L A R O U S S E *

C’est sans doute à la fin de l’été 1840 que Pierre Larousse(1817-1875) quitta son village natal de Toucy, enBourgogne, et son métier d’enseignant pour s’installer àParis. Logé en plein quartier latin, avide de savoir, celuidont le nom allait devenir l’un des plus forts symboles dela lexicographie commence à glaner inlassablement tousles éléments qui pourront nourrir l’ambitieux projet quidonna naissance au Grand Dictionnaire Universel du XIXe

siècle, français, historique, géographique, mythologique,bibliographique, littéraire, artistique, scientifique, etc., etc(GDU), publié de 1866 à 1876(1). Pour réaliser cette oeuvre,Larousse emploie ses journées à suivre les cours del’Observatoire, du Conservatoire National des Arts etMétiers, du Muséum d’Histoire naturelle, de la Sorbonneet du Collège de France, complétant, le soir, ses notes decours par des lectures à la Bibliothèque Sainte-Geneviève(2).

Larousse aurait fréquenté les cours du Collège de Francedès 1840. Autodidacte passionné, décidé à transmettre auxlecteurs quelques-unes de ses convictions les plus profondes,politiques et éducatives, il nous permet de retrouver avecbonheur, à travers les articles du GDU, la mémoire desheures passées comme auditeur des cours du Collège deFrance et de l’intérêt qu’il porta à cette institution.

La lecture du GDU, même si Larousse s’entoura d’uneéquipe de rédacteurs, peut être entreprise comme celle d’uneœuvre autobiographique et d’un témoignage historiqueprécieux. La curiosité du lexicographe pour tous lesdomaines intellectuels et son ouverture à la société le firents’intéresser, entre autres, au Collège de France. Une prome-nade à travers les quinze volumes du GDU, et, accessoire-ment, les deux suppléments ajoutés après la disparition deLarousse, offre un passionnant témoignage sur la vie decette institution pendant des années qui restent parmi lesplus tourmentées de son histoire. L’intérêt de ces évoca-tions est d’ordre historique et intellectuel, tout en étantbiographique, notamment par leur richesse anecdotique.

L’accès le plus direct se trouve à l’entrée COLLÈGE (GDU,t. IV, pp. 602-605). Dans cet article de quatorze colonnes, le“Collège de France” n’occupe pas moins de deux colonnes. Àune première partie consacrée à l’historique de l’institution,

des origines à 1831, font suite des considérations sur le rôle jouépar le Collège de France, notamment à l’époque de Larousse.Sont ensuite évoqués le rattachement institutionnel du Collègede France, quelques notations historiques et, enfin, les élémentsremarquables de son patrimoine.

La lecture du GDU permet de reconstituer l’historiquedes différentes chaires, par époque ou par discipline, deretrouver ceux des professeurs qui en devinrent admi-nistrateurs (Jean-Antoine Letronne, Barthélemy-Saint-Hilaire, Stanislas Julien, E.-R. Lefebvre de Laboulaye,Ernest Renan...) ou de démêler d’intéressantes filiations(filiations familiales ou intellectuelles).

Larousse met fort bien en valeur l’une des principales carac-téristiques des disciplines enseignées au fil des ans au

* Cette recherche a fait l’objet d’une communication au Colloque Pierre Larousse qui s’est tenu à Toucy les 16 et 17 mai 2004 et d’unarticle à paraître aux éditions Honoré Champion, “Histoire d’une institution à travers le Grand Dictionnaire universel de PierreLarousse : le Collège de France”, in Jean Pruvost et Micheline Guilpain, Pierre Larousse et l’art : de la littérature à la gastronomie. Actesdu 2e Colloque Pierre Larousse, Toucy, 16-17 mai 2003.1. Deux suppléments seront ajoutés à cette somme, l’un en 1878, l’autre en 1890.2. La Bibliothèque Sainte-Geneviève était la seule bibliothèque ouverte le soir à Paris, par ordonnance du 1er janvier 1838 du ministre del’Instruction publique, N. A. de Salvandy.

Reproduction du buste en bronze qui orne lemonument funéraire de Pierre Larousse aucimetière du Montparnasse. Ce buste a été

réalisé par Jean-Joseph Perraud en 1875. Il enexiste une réplique en pierre, à Toucy, datant

de 1894 (avec l’aimable autorisation del’Association Pierre Larousse).

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Collège de France : leur originalité, insistant autant de foisque les circonstances le lui permettent sur le fait qu’il s’agittoujours d’une création exceptionnelle :

[...] on créa [en 1814] pour lui [Antoine-Léonardde Chézy] une chaire de sanscrit au Collége(3) deFrance, la première consacrée à cet enseignement en Europe. (GDU, t. IV, p. 78)

De nombreux articles évoquent la vie institutionnelledu Collège de France, en particulier ses relations oucelles de certains de ses professeurs avec le pouvoir poli-tique. Certaines ont été directement vécues parLarousse, par exemple la révocation de Michelet,Quinet et Mickiewicz, par décret du 12 avril 1852, ouencore celle de Renan en 1864, rétabli dans ses fonc-tions en 1870. À cette date – changement de paysagepolitique oblige – c’est E.-R. Laboulaye, titulaire de lachaire de Législation comparée, qui doit “suspendre soncours au Collége de France, pour mettre un terme auxscènes tumultueuses qui s’y passaient et dont il étaitl’objet” (GDU, t. X, p. 13). Cette implication, souventvécue avec passion, des professeurs dans la vie politiquefait écho à l’insistance de Larousse sur l’indépendancedes idées affirmées dans les cours qu’ils dispensent auCollège de France :

Un enseignement conçu d’après un plan si large, etfait par des hommes éminents, sans autre ambitionque de répandre les lumières, ne pouvait manquerde blesser plus d’une fois les idées reçues, les puis-sances établies et les convenances transitoires desgouvernements. L’absolu des idées devait inévita-blement se heurter aux contingences des faits. Aussile Collége de France, que nous avons vu dès lespremiers jours en butte aux persécutions de l’espritde parti et de l’envie, eut-il à se défendre plus d’unefois contre des attaques de l’esprit religieux ou poli-tique, et même à se garantir du reproche de troublerl’ordre en disant tout haut ce qu’un grand nombremurmuraient tout bas. (GDU, t. IV, p. 605).

Les relations du Collège de France avec les principales insti-tutions d’enseignement supérieur font, elles aussi, l’objetd’une attention toute particulière. Ainsi est-il précisé, dansl’article ÉCOLE, que les conférences données à l’ÉcoleNormale sont “destinées à réviser et compléter”, pour lesélèves de la section des sciences de première année, les coursde la Sorbonne et du Collège de France. C’est toujours dansce même esprit de collaboration et d’échanges intellectuelsde haut niveau qu’il est très souvent fait mention des coursprestigieux que les savants ont suivis à Paris, notamment àla Sorbonne et au Collège de France, le lexicographe asso-ciant très volontiers ces deux établissements.

L’ouverture du Collège de France sur le monde est une autrecaractéristique qu’aime à souligner Larousse. L’accueil desavants étrangers est reconnu comme l’une des premièresmanifestations du Collège royal et assura, à travers toutesles époques, le rayonnement international de l’institution.Parmi de nombreux exemples, citons celui du poète polo-nais Mickiewicz, chef de file des romantiques, qui occupaune chaire de littérature slave de 1840 à sa révocation, en1844 :

Les cours qu’il y fit excitèrent en peu de temps l’at-tention universelle : Français, Polonais, étrangers detoutes les nations se pressèrent bientôt autour delui, séduits par l’étendue de son érudition et par lecharme quelque peu étrange de sa parole dans unelangue qui n’était pas la sienne. (GDU, t. XI, p, 227)

ou encore la richesse des échanges internationaux dans lelaboratoire de Claude Bernard :

[...] Le laboratoire de Claude Bernard, situé auCollége de France, est l’endroit où l’illustre physio-logiste a fait ses grands travaux. C’est le même labo-ratoire où Magendie avait entrepris ses recherches.Plusieurs étrangers y travaillent et en sortent pouraller porter dans leur pays le flambeau de la physio-logie expérimentale. (GDU, LABORATOIRE,t. VIII, p. 10)

Le fonctionnement du Collège de France, note Larousse,assurait les meilleures conditions à une transmission idéaledu savoir. Retenons l’exemple des leçons de A.-L. De Chézy,titulaire, de 1814 à 1832, d’une chaire de Langue etLittérature sanscrites, qui ont “formé d’illustres orienta-listes, Loiseleur, Deslongchamps, Burnouf, Bopp, Lasser”.(GDU, t. IV, p. 78). Cette transmission du savoir est miseen valeur par les références bibliographiques nombreuses etminutieuses des cours ou des ouvrages publiés par lesprofesseurs du Collège de France : citons pour exemple lesdeux colonnes consacrées au compte de l’ouvrage deMichelet et Quinet, Des Jésuites (1843) (GDU, t. IX,p. 965).

L’intérêt de Larousse pour le Collège de France concerneégalement le domaine artistique.

La statuaire apparaît comme un élément représentatif del’architecture à la fois intérieure et extérieure de l’établis-sement. Sont notamment évoquées la statue en bronze deDante sculptée en 1879 par Jean-Paul Aubé et placée dansle square situé face au Collège de France, la statue enmarbre de Champollion réalisée par Bartholdi. Larousse n’aomis aucun détail, mentionnant minutieusement les bustesde Rémusat, Vauquelin, Ampère, Sylvestre de Sacy,

3. Nous avons conservé l’orthographe en usage à l’époque de Larousse.

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Daunou, Portal et Jouffroy sans oublier le buste “Scienceet Littérature” disposé dans la cour de l’entrée Saint-Jacques.

L’art pictural répond à une volonté tout aussi affirmée d’uneénumération exhaustive, à travers différents articles, notam-ment l’article COLLEGE DE FRANCE :

Dans la salle de physique, un tableau de Lethièrereprésente François Ier signant l’acte d’établissementdu Collége Royal de France, et un tableau deThévenin, Henri IV dotant les chaires du collége[sic]. Dans la salle des Langues Orientales, Camusa peint la Mort de Delille. (GDU, t. IV, p. 605)

S’agissant de l’emblème du Collège de France, “d’azur, àtrois fleurs de lis d’or, et en coeur un livre ouvert d’argentavec ces mots : Docet omnia, de sable” (GDU, t. VIII,p. 473), nous le trouvons à l’article FLEUR, parmi la longueliste des “Familles, villes, établissements civils et religieux,corporations qui portent des fleurs de lis dans leurs armes”.

Ailleurs, ce sont les aquariums d’eau marine ou encore lesbassins destinés à des expériences de pisciculture qui béné-ficient de longues notices. L’article PISCICULTURE, trèsdétaillé, fait une large place à la fécondation artificielle,exposant sur deux colonnes les recherches développéesaprès 1848 :

Pour faire une fécondation artificielle, on se procureau moment du frai quelques mâles et femelles de

l’espèce qu’on a choisie. On les conserve dans desréservoirs convenablement disposés ou bien on lesmet dans une huche dite boutique à poisson. Cettehuche est une espèce de caisse en bois percée detrous et baignant dans l’eau [...] nous citerons l’ap-pareil à ruisseaux factices et à courants continusinventé par M. Coste et employé par lui au Collégede France. Cet appareil est formé par l’assemblagede canaux parallèles, disposés en gradins de chaquecôté d’un canal supérieur et central qui les alimente.On garnit chacun de ces canaux ou ruisseaux arti-ficiels d’une claie en osier ou en verre placée àenviron 0m,02 ou 0m,03 au-dessous de la surface del’eau. C’est sur cette claie que sont placés les oeufsfécondés. [...] Au Collége de France, l’eau arrive parun robinet à l’autre extrémité du canal supérieur.Des expériences furent instituées dans un labora-toire du Collége de France pour étudier toutes lesconditions qui entravent ou favorisent le succès desopérations. [...] (GDU, t. XII, p. 1072)

Si le GDU nous donne, à travers plus de vingt-quatre millepages, une représentation assez bien répartie diachroni-quement de l’histoire du Collège de France, le rédacteurs’attarde plus volontiers sur l’époque contemporaine avectoujours le souci de puiser dans le passé ce qui peut enri-chir le présent. C’est ainsi qu’il relève systématiquementles éléments biographiques qui lui permettent d’indiquerque telle personnalité a, souvent très jeune, nourri sonsavoir en fréquentant les cours du Collège de France. Parmiles nombreux exemples donnés par Larousse citons l’orien-

Gravure représentant l’angle de la rue St-Jacques et de la place Marcelin-Berthelot en cours d’aménagement auXIXe siècle (cliché Collège de France, J.-P. Martin).

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taliste Stanislas Julien (1799-1873), dont il a suivi les courset qui aurait appris le chinois en suivant lui-même ceuxd’Abel Rémusat ; ou encore Juan Diaz, martyr espagnoldu XVIe siècle, qui “fit ses études à l’université d’Alcala,alors dans toute sa splendeur, puis à Paris, au Collége deFrance, où il rencontra Ignace de Loyola, Calvin et Servetaux leçons de Vatable et de Danès”. (GDU, t. VII, p. 745).

Nous réserverons une place de choix à la belle histoire dumathématicien Sylvestre-François Lacroix (1765-1843).Originaire d’une famille extrêmement pauvre, c’est en lisantRobinson Crusoé qu’il se serait prit de passion pour lesvoyages. Mais, incapable d’interpréter les traités de navi-gation qu’il s’était empressé d’acquérir, “l’enfant alla furti-vement suivre, au Collége de France, les cours de Monge”,qui le remarqua et lui ouvrit les portes d’une brillantecarrière. (GDU, t. X, p. 40).

La touche personnelle apparaît également dans l’enthou-siasme que Larousse ne cherche pas à déguiser dans nombred’articles. Son éloge concerne soit l’institution elle-même :

On peut dire, en un mot, que le Collége de Franceest le temple des connaissances humaines. Aucunétablissement d’instruction ne lui est supérieur aumonde. (GDU, t. IV, p. 605)

soit l’un de ses professeurs, par exemple Claude Bernardpour avoir “beaucoup contribué par ses cours et par sesouvrages à populariser cet enseignement [de la médecineexpérimentale]”. (GDU, t. II, p. 598).

C’est aussi l’enthousiasme de l’homme politique et social dela République, intarissable sur des valeurs telles que laliberté de penser :

Edgar Quinet, de concert avec ses deux amisMichelet et Mickiewicz, prit pour mission d’être leguide de la jeunesse française vers la liberté. [...] ildéploya le drapeau de la liberté religieuse et philo-sophique [...]. (GDU, t. XIII, p. 550)

Mais Larousse sait aussi, à l’occasion, donner de sérieuxcoups de griffes à cette institution. Ainsi, dans un longarticle qu’il consacre au FLANEUR, proposant une typo-logie de l’espèce, il note que certains “s’imposent la tâchede suivre régulièrement tous les cours de la Sorbonne et duCollége de France, bonne aubaine pour certains profes-seurs qui n’ont jamais eu d’auditeurs d’un autre genre.”(GDU, t. VIII, p. 436) ! Ailleurs, s’intéressant au titulairede la chaire de poésie latine de 1781 à 1813, Jacques Delille,connu sous le nom de “abbé Delille” pour avoir reçu desordres mineurs, il consacre un article savoureux à JeanneVaudchamp, sa “compagne” :

Fille d’un musicien, elle apprit un peu de musique etvint à Paris, où Delille la rencontra un jour, dansantet jouant de la guitare près de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois (1786). L’académicien causa avec lajeune fille qui lui plut, et peu après celle-ci étaitinstallée chez lui, au Collége de France. [Elle le suitdans ses voyages]. Réinstallé dans sa chaire auCollége de France, Delille reprit ses travauxpoétiques à l’instigation de Jeanne Vaudchamp, quiprit, à partir de 1806, le nom de Mme Delille et luifit une vie des plus dures. On raconte qu’elle l’en-fermait pour qu’il travaillât, qu’elle lui imposait uncertain nombre de vers à faire par jour, qu’elle leprivait d’un plat ou deux s’il n’avait pas fait sa tâche,et qu’il lui arrivait même de le battre s’il tentait derésister [...] (GDU, t. XV, p. 810)

En l’absence de documents qui nous permettent deconnaître avec exactitude quels cours Laroussefréquenta au Collège de France, certains articles duGDU nous livrent donc de précieux renseignements.Nous savons, par exemple, qu’il a suivi les cours dechinois de Stanislas Julien, ceux de Coste, de Daunou,de Michelet, de Quinet, de Mickiewicz… Certainesanecdotes ont été de toute évidence vécues en direct,ainsi cette scène où, après la création en mai 1882 de laSociété française contre la vivisection(4), Mlle MarieHuot défendit “à coups d’ombrelle au Collége de Franceun singe contre le scalpel” du physiologiste Brown-Séquard (GDU, VIVISECTION, t. XVII, p. 1993).

Si le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle nousoffre de multiples facettes du Collège de France – que noussommes bien loin d’avoir toutes épuisées –, il n’est pas lepremier ouvrage de Pierre Larousse à le mettre à l’honneur.L’intérêt du célèbre lexicographe pour cette institution esttel qu’il la mentionne sous l’entrée COLLEGE dès sonpremier dictionnaire, publié en 1856, le NouveauDictionnaire de la langue française en un seul volume. Puis,en 1858, Larousse mentionnait, dans un petit manueldidactique de lexicologie, le Jardin des racines grecques,un des endroits du Collège de France qui, nous l’avons vu,l’a fasciné :

[…] nous n’oublierons pas d’aller voir, au Collége deFrance, les collections que l’ichtyologie présente auxpisciculteurs. (op. cité, Introduction)

Ainsi le Collège de France s’inscrivit dans la tradition desdictionnaires Larousse. �

Christine Jacquet-PfauMaître de conférences au Collège de France

chaire de Littératures modernes de l’Europe néolatine

4. Le président d’honneur n’en était autre que Victor Hugo et le président effectif Alphonse Karr.

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A G E N D A

La Lettre du Collège de FranceDirecteurs de la publication : Jacques GLOWINSKI, Administrateur du Collège de France et

Florence TERRASSE-RIOU, Directrice des Affaires culturelles et relations extérieures

Direction éditoriale : Marc KIRSCH - Patricia LLEGOU

Conception graphique : Patricia LLEGOU - Relectrice : Céline VAUTRIN

Crédits photos : © Collège de France, PATRICK IMBERT - Reproduction autorisée avec mention d’origine.

ISSN 1628-2329 - Impression : CAPNORD&AUGUSTIN

11 place Marcelin-Berthelot – 75231 Paris cedex 05Prix :

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TOUTETOUTE LL’’ ACTUALITÉACTUALITÉ SURSUR WWWWWW.. COLLEGECOLLEGE -- DEDE -- FRANCEFRANCE .. FRFR

CONFÉRENCES

� M. Antonio PRETELa pensée de la poésie dans le Zibaldone de Leopardi3 mars 2006, de 10h00 à 12h00

�M. Hans BOTSUne communication culturelle en Europe à l’Âgeclassique : France/Pays-Bas 1550-17506, 13, 20 et 27 mars 2006, à 14h30

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24, 31 mai, 7 et 14 juin 2006, de 14h00 à 16h00

MANIFESTATIONS

� Premier colloque du Collège de Franceà l’étranger : Un monde meilleur pour tous :projet réaliste ou rêve insensé ?8-9 mars 2006Collège de FranceAcadémie royale de BelgiqueUniversité catholique de LouvainUniversité libre de Bruxelles

� Colloque : Centre et périphérie31 mai et 1er juin 2006Prs Jean-Marie Durand et Michel Tardieu

� Colloque : Abraham Ecchellensis et lascience de son temps9-10 juin 2006Pr Henry Laurens

� Congrès Alzheimer Europe30 juin 2006Union Nationale des Associations Alzheimer

LEÇONS INAUGURALES

Maurice BLOCH �Chaire européenne 2005-2006

23 février 2006, 18 heures

Thomas PAVEL �Chaire internationale 2005-2006

16 mars 2006, 18 heures

Stanislas DEHAENE �Chaire de Psychologie cognitive expérimentale

7 avril 2006, 18 heures

Jon ELSTER �Chaire de Rationalité et sciences sociales

1er juin 2006, 18 heures

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IN° 16 - LA LETTRE

Marie Thérèse Maury, née le 8 mars1929, décédée le 17 septembre 2005à Montauban, a fait toute sacarrière au Collège de France, de1951 à 1989, date de son départ enretraite.

Diplômée de l’école de notariat,licenciée en droit, Madame Maury aété recrutée en 1951 par le CNRSpour être mise à la disposition duCollège de France en qualité debibliographe adjointe spécialisée.Après une interruption de fonctionsde deux ans et demi, elle a étéréintégrée au sein des servicesadministratifs du Collège de France.

Placée à la tête de la Division desAffaires générales et de la gestiondes services généraux, elle a sudonner la pleine mesure de sonefficacité.

Promue ingénieur d’études de2e classe, elle a été élevée au graded’officier dans l’ordre des Palmesacadémiques.

Mme Maury était appréciée pourson sens exceptionnel des relationshumaines, son sens des respon-sabilités, son dévouement et sescompétences. �

HOMMAGE

INFOS C.L.A.S.

Le 17 décembre dernier, les enfants des personnels duCollège de France se sont retrouvés dans l’amphithéâtreMarguerite de Navarre transformé en salle de spectacle,pour assister au spectacle intitulé “Robin des Bois” dela compagnie “Dans les décors”.

Ils ont pu ensuite apprécier un goûter offert par le CLASà l’occasion des fêtes de Noël. �

Noël des enfants

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II LA LETTRE - N° 16

Depuis son élection, le nouveau bureau du CLAS aproposé :

- la fête des enfants : le 17 décembre 2005 ;- des places pour l’exposition “Vienne 1900, Klimt,Schiele, Moser Kokoschka” au Grand Palais ;- des conférences de professeurs :

� 14 novembre 2005 : Daniel Roche“Voyages du XVIIe au XVIIIe siècles "� 2 février 2006 : Jean Yoyotte“Canope, un homme, une ville, une étoile”

Pour l’année 2006, le CLAS propose :

une série de conférences de professeurs :

� Christian GoudineauLe vin en Gaule21 février

� Carlo OssolaEurope, le chef d’œuvre inconnu17 mars

� Yves CoppensTitre non communiqué4 avril

� Michel ZinkLa lettre et le livre au Moyen Âge5 mai

� Emmanuel Le Roy LadurieFluctuations historiques du climat et de lamétéorologie aux XIIIe et XXIe siècles16 mai

� M. John ScheidL’archéologie du rituel6 juin

des entrées pour les expositions suivantes :

� “L’âge d’or des sciences Arabes”Institut du monde arabe28 février

� “Phillips collection Washington”Musée du Luxembourg 7 mars

� ”Le douanier Rousseau”Grand Palais26 avril �

Activités du CLAS

Daniel RocheJean Yoyotte