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7/25/2019 Descles - Interactions Entre Langage, Perception Et Action
1/6
Faits de langues
Interactions entre langage, perception et actionJean-Pierre Descls
Citer ce document Cite this document :
Descls Jean-Pierre. Interactions entre langage, perception et action . In: Faits de langues, n1, Mars 1993. Motivation et
tonicit. pp. 123-127.
doi : 10.3406/flang.1993.1042
http://www.persee.fr/doc/flang_1244-5460_1993_num_1_1_1042
Document gnr le 16/10/2015
http://www.persee.fr/collection/flanghttp://www.persee.fr/doc/flang_1244-5460_1993_num_1_1_1042http://www.persee.fr/author/auteur_flang_29http://dx.doi.org/10.3406/flang.1993.1042http://www.persee.fr/doc/flang_1244-5460_1993_num_1_1_1042http://www.persee.fr/doc/flang_1244-5460_1993_num_1_1_1042http://dx.doi.org/10.3406/flang.1993.1042http://www.persee.fr/author/auteur_flang_29http://www.persee.fr/doc/flang_1244-5460_1993_num_1_1_1042http://www.persee.fr/collection/flanghttp://www.persee.fr/7/25/2019 Descles - Interactions Entre Langage, Perception Et Action
2/6
Interactions
entre
langage
perception et action
JEAN-PIERRE DESCLS*
Existe-t-il
une homologie
entre les
valeurs grammaticales et les
reprsentations
dans
l espace ? Le pur
localisme
1 rpond positivement cette
question.
Nous
n y
souscrivons
pas, nous
prfrons
lui opposer
un
localisme cognitif
qui vise
un
modle interactionnel o les
catgorisations
grammaticales et lexicales seraient
le
rsultat d interactions avec
les
catgorisations opres par
les activits de perception et
d action
sur
l environnement. Notre
programme
de
travail2
revient : i) refuser toute rduction
des catgories grammaticales des langues
(prdication
et
cas en
particulier) au spatial ; H) distinguer diffrents niveaux de
reprsentations
(linguistiques,
langagires, cognitives)
;
iii)
insrer
ces
niveaux dans
une
architecture o les
catgories
du langage
entrent en
interaction
avec celles
de
la perception
et de l action ; iv)
proposer un
systme de reprsentations
spatio-temporelles
directement
compatible avec les
reprsentations
spatio-temporelles
; v) tendre, partir de primitives plus intentionnelles, ce
premier systme par
un
second systme plusieurs niveaux ;
vi)
expliquer
,
un certain
niveau
cognitif,
les
transferts entre
reprsentations
images et verbales.
Universit
de Paris-Sorbonne, gdr
Sciences
cognitives
de Paris
du cnrs.
1.
Voir les
rfrences
bibliographiques
(Serbat,
1981 ;
Parret,
1988)
et
l article de
A.
Rousseau.
2. Il s agit
de
la Grammaire
applicative
et
cognitive
que
nous dveloppons
avec
notre
quipe.
Faits de langues,
1/1993
7/25/2019 Descles - Interactions Entre Langage, Perception Et Action
3/6
124 Jean-Pierre Descls
Le localisme cognitif
nous permet
de donner
un fondement l homolo-
gie
transcatgorielle
entre
Temps,
Espace
et
Notion, homologie
qui
est
bien
exprime par les diffrentes langues1. U
ancrage
catgoriel du langage sur la
perception visuelle
et
l action
(et
non
pas
rduction
du langage la
perception et
l action
) rsulte de changements d espaces de
reprsentations2
:
1)
reprsentations analogiques
engendres
par
un
modle du
monde
physique
qualitatif
externe
; 2)
reprsentations
symboliques organises
partir
de
reprages
lmentaires
et d attributions de
qualits
des
entits ; 3)
reprsentations dialogiques gocentres
partir de l nonciateur et
de
ses co-
nonciateurs ; 4) reprsentations sous formes de schemes
intgrs
qui
rinvestissent
certains
schmas prototypiques des systmes 2) et 3)
pour mieux les
tendre
en
introduisant
des dimensions plus
intentionnelles.
1
.
L appareil
percepto-cognitif
construit un
modle
physique
qu lit tif du
monde
peru.
Ainsi,
les organes de
perception
diffrencient
le
stable
de
l instable
et opposent un objet
saillant,
mouvant et
susceptible
de
changer
de qualits
un arrire
fond
stable qui sert de rfrentiel
local.
Le
modle physique
se complique
lorsqu on
y adjoint des
interactions
entre
des vnements singuliers
(en fait des
catastrophes
au sens de
la
morphodynamique)3
et entre des
objets
du monde : certaines
entits
apparaissent et disparaissent
de notre champ de visibilit, telle
entit
agit
sur
une
autre
entit,
le
mouvement
de
tel
objet
transmet
son mouvement
un
autre
objet, tel
vnement
est responsable de
l occurrence
de tel
autre vnement postrieur, tel
vnement
est
responsable de la
situation qui en
rsulte... Les Leons
de Physique d Aristote4
exposent fort
bien les recherches
systmatiques sur une
description catgorielle de ce
qui
apparat
qualitativement...
Si la
physique
aristotlicienne n est plus,
depuis Galile,
scientifique,
elle conserve nanmoins une certaine
cohrence
et conserve
une
compatibilit directe avec les phnomnes perus.
Elle tablit les fondements des catgories les
plus
primitives des langues :
entits
individualisables,
collectives massives,
lieux..., autant
d entits qui
sont
catgorises smantiquement par
les
langues. Les catgorisations
lexicales diffrencient
le
stable (les
entits
nominales) des
entits
predicatives
qui servent reprsenter les situations
de
changements effectus
dans
un
rfrentiel
spatio-temporel. Trois
grands types
de
relations
et d oprations,
essentiellement qualitatives, contribuent structurer, par le biais des
opra-
1. B. Pottier (1987)
a
particulirement
insist sur cette homologie transcatgorielle.
Voir
son article.
2. C. Cuxac
montre
comment
notre
conception (Descls, 1991a) est compatible
avec
l analyse
du
lan-
3. Se reporter aux travaux de R. Thom
(en
particulier
:
1988) et de J. Petitot
(en
particulier :
1991).
4.
Voir particulirement
liv.
IV,
chap.
VI
;
liv.
Ill,
chap.
I,
II
et
III.
7/25/2019 Descles - Interactions Entre Langage, Perception Et Action
4/6
Langage,
perception
et
action
125
tions
linguistiques, les
rfrentiels dnotatifs
que
les discours expriment :
i) les relations
statiques
: localisation
d un
objet ou d un lieu
par rapport
un autre lieu
;
visualisation, dans son intriorit ou
extriorit
ou encore
par
ses bords, d un
lieu,
ventuellement
dtermin par un
objet...
;
attribution
de qualits
une
mme
entit, subordinations entre concepts,
ingredience (du genre partie-tout
...) entre entits... ; H) les relations cinmati-
ques des
mouvements
spatio-temporels
ou
des
changements
des
qualits
d un objet
ou
d un lieu
;
iii)
les relations
dynamiques d interactions
entre
objets
et
entre
situations
: tel objet cause
la
modification
(mouvement
ou
changement) qui
affecte
tel
autre
objet,
ou
provoque
sa
disparition
ou
son apparition...
Pour
reprsenter
un changement, les langues utilisent
trs
naturellement
une reprsentation spatiale qui nous fait passer d un ensemble de qualits
un autre, les qualits
qui
s appliquent un objet sont alors reprsentes,
par
analogie,
sous forme
de lieux abstraits
qui deviennent les
supports des
oprations.
2.
Le
second systme
n est plus constitu selon
un principe
d analogie
iconique1
:
il
substitue des
reprsentations relationnelles et symboliques
aux
reprsentations
analogiques
et iconiques des
phnomnes.
Le
mouvement
d un
objet
n est
plus
reprsent
par
un
diagramme
figuratif
ou
par
une
image
mais
par des relations symboliques de reprage2.
Pour cela, on
thma-
tise
les diffrentes
phases d un objet mouvant ou changeant par des
reprages par
rapport
des
lieux perceptivement
saillants
: lieu de dpart ou
source,
lieu d arrive ou but,
ventuels
lieux intermdiaires
par
lesquels
passe l objet au
cours
de son mouvement
ou
de
son changement.
Les
reprages constituent un
systme de coordonnes
qualitatives
d un objet O re-
prable
par
rapport
son
lieu
d origine
A, son ou
ses
lieux intermdiaires P
et son
lieu
final
de
repos
L3.
En tant
que
systmes de reprsentations
symboliques,
les
langues
enco-
dent les
relations de reprage sous forme de marqueurs
linguistiques.
Certaines
langues
utilisent
des
marquages
morphologiques
sous forme de
cas
locatifs
: l ablatif et
relatif
expriment un
mouvement
l extrieur,
respectivement
l intrieur, d un lieu
;
le prolatif exprime un
reprage
par rapport
un lieu intermdiaire ;
l allatif
et l illatif expriment le mouvement par
rapport
l extrieur, respectivement
l'intrieur, d un lieu.
Le
pur
1. Ce
principe est
explicite dans
la Grammaire
cognitive de R. Langacker
(1987).
2 Plusieurs
linguistes ont
insist sur le
reprage sous-jacent
certaines relations predicatives.
Citons
par exemple
l oprateur
epsilon
de
A.
Culioli
(voir
l article de
M.-L.
Groussier)
et
la
relation
entre
tra-
jector
et landmark
de R.
Langacker.
3.
Voir
Shaumyan (1977) et
Descls (1991a).
7/25/2019 Descles - Interactions Entre Langage, Perception Et Action
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126
Jean-Pierre
Descls
localisme
prend ce systme
qualitatif
de reprage
comme systme
prototypique des valeurs smantiques des cas et
des
prpositions. Il
tablit
une
analogie
iconique
entre
les
valeurs grammaticales
et
les
valeurs
spatiales
;
ainsi,
celui qui est
responsable
(l agent) du
mouvement
d un objet,
puis, par
gnralisation, de l action sur un objet, sera
considr comme
un lieu initial ;
l objet
intermdiaire (l instrument)
sera considr comme
un lieu
intermdiaire
par
lequel passe l objet en
mouvement
ou en
action
; le lieu
final
constitue le lieu de repos atteint par l objet
aprs
son mouvement ou
la
suite
de l action
exerce
sur
lui1.
3. Le systme
relationnel (systme
3)
rend, entre
autres,
possible
l introduction dans
les reprsentations
elles-mmes des diffrentes
relations
pragmatiques entre l nonciateur, son environnement (environnement des co-
nonciateurs,
environnement
spatio-temporel)
et
les
situations
qu il
souhaite reprsenter2. L nonciation
se
ramne alors
un ensemble
d oprations qui insrent
la
reprsentation
d une situation
dans un
rfrentiel
organis par
l nonciateur qui prend
pour
origine soit lui-mme, soit ses
co-
nonciateurs,
et non
pas
un repre objectif et absolu (comme c tait le cas
dans le systme 2).
L insertion des nonciateurs
dans les reprsentations
symboliques se manifeste dans des catgorisations spcifiques aux langues
naturelles3 :
personne, dixis, aspects-temps, thmatisation...
4. Les relations
de
reprage
des systmes 2 et 3 ne prennent pas
assez
en
compte
la
dimension de plus ou
moins grande intentionalit
planificatrice
que les langues ont tendance
grammaticaliser plus
ou moins directement.
Le localisme pur
a
eu le tord de vouloir
rduire tous les schemes
prdicatifs
aux
seules
combinaisons des
relateurs de reprage.
Outre
les
primitives
topologiques (intriorit,
extriorit,
frontire et
bords...)
et un
ar-
chirelateur de
reprage
avec ses multiples
spcifications4 (localisation
spatiale, attribution, ingredience,
possession,
identification...), il faut se donner
d autres primitives. Du modle
physique qualitatif
(systme
1),
on
peut
extraire
des
relateurs :
mouvement
spatio-temporel (mouvt) ;
changement
1. Pour une
critique
du
pur
localisme
voir,
entre
autres, Serbat
(1981) et Parett (1988).
2
Voir
Descls (1979).
3. On ne retrouve
pas
dans les systmes
d critures logiques ces
relations pragmatiques internes
aux
reprsentations (Descls, 1991 b). La description de certains marqueurs
linguistiques
fait
apparatre une
structuration cognitive
de l environnement spatio-temporel de
chaque
nonciateur.
On peut ainsi
distinguer
les
rgionnements
gocentrs et
orients
suivants
:
i) rgionnements
infracorporels ;
H) rgionnements
pricor-
porels (dtermins
autour
de
l nonciateur) ; iii)
rgionnements extracorporels (lieux et
objets
qui sont
directement atteignables par l nonciateur) ; iv)
rgionnements
extracorporels inatteignables par l nonciateur
mais
visibles par
lui
; v^ rgionnements
extracorporels et hors du domaine
de visibilit
de
l nonciateur.
Ces
rgionnements
sont congruents avec les observations
des
psychologues.
Ces rsultats
tmoignent d une ho-
mologie forte
entre
les dcoupages oprs par les langues
et
les
structurations
de
l'espace
opres par un sujet
qui dsigne et pointe des
objets
de son environnement.
4.
Sur
les diffrentes spcifications du reprage,
voir
Descls (1987).
7/25/2019 Descles - Interactions Entre Langage, Perception Et Action
6/6
Langage,
perception et action 127
d tats
(chang) et
compliquer ce systme initial en lui adjoignant des rela-
teurs plus intentionnels comme : capacit
d action
sur des
objets
(faire) ;
capacit de contrle (contr) sur
des
actions
; capacit
d anticipation
tlo-
nomique teleo)
;
capacit
d un nonciateur de se reprsenter (repre)
une
action1. Nous
avons
propos de prendre ces
relateurs
comme des
primitives
smantico-cognitives combinables2 entre elles de faon
construire
des
schemes prdicatifs
susceptibles
de
reprsenter les
significations
des
prdicats
linguistiques. Chaque scheme
rsulte
d une organisation
structure
de
primitives
smantico-cognitives3.
5.
A condition
toutefois
de poser
les
problmes
au
travers
d une
architecture cognitive mettant en jeu des niveaux de reprsentations et des
processus
d intgration et de
dcomposition entre
niveaux, les
processus de
transfert
entre
les
reprsentations
proprement
images
construites par la
perception visuelle
et
les
reprsentations symboliques construites par
une
verbalisation se dcrivent dans
une
architecture
trois niveaux de
reprsentations4.
Le premier correspond
un
niveau superficiel d observation.
C est
le niveau
des
langues directement observables. Le
second
dcrit les
catgorisations et
les oprations qui sont mises
ncessairement en
jeu
par l activit
de langage
et
ralises par les langues.
Si
l on veut prendre en
compte
les
problmes de
signification
et
les problmes de
transfert
du
verbal
l imaginai ou l inverse,
un
troisime niveau devient alors
ncessaire. Ce
dernier
est
constitu
partir
des
schemes qui
reprsentent
formellement les
significations des
prdicats linguistiques,
de faon tre compatibles
avec
les
reprsentations construites par la
perception
et par les schemes d actions
planifies5. L architecture cognitive suppose
que
les
niveaux soient relis
entre
eux
par
un processus
descendant
de runitarisation
(allant du
cognitif
au langage
puis
aux
encodages
linguistiques dans une langue spcifique)
ou
par un processus ascendant de
dcomposition
(d une langue
au cognitif)6-
1.
La
plupart
de ces
relateurs ont dj
t
proposs dans Descls
(1985,
1990a, chap.
1).
2. Sur les oprations de combinaison des primitives,
voir
Descls (1990cr).
3. Voir Descls (1990a) et les publications de notre quipe (M. Abraham, C.
Jouis).
4. Ces
trois
niveaux
sont
les
ingrdients
de
la
Grammaire
applicative
et cognitive
(GAC)
langues ph-
notypes,
langage
gnotype
et
reprsentations smantico-cognitives.
Ce
modle
tend
la
Grammaire applicative
de S. K.
Shaumyan
(1977).
5. Voir Descls
(1990a,
1991) et
Petitot
(1991).
6. Voir l hypothse
cognitive
des reprsentations intermdiaires (Descls, 19906).