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Russie Des intellectuels avec Poutine Tibet Un reportage en zone interdite Invention Une horloge pour dix mille ans courrierinternational.com N° 1112 du 23 au 29 février 2012 Corée du Nord Cet homme mettra-t-il fin à la guerre froide ? Dossier Nourrir la planète en 2050

Courrier International 2012

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Sélection du Magazine par ComPOny Episode 1

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RussieDes intellectuels avec Poutine

TibetUn reportage en zone interditeInventionUne horloge pour dix mille ans

courrierinternational.comN° 1112 � du 23 au 29 février 2012

Corée du Nord

Cet homme mettra-t-il

fin à la guerrefroide ?

Dossier Nourrir la planète en 2050

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Editorial

De la guerrefroide au Grand Jeu

Veto russe et chinois sur laSyrie, menace israélienne defrappes en Iran, tergiversa-tions occidentales, succes-sion périlleuse en Corée duNord… L’actualité en 2012est décidément géostra-tégique, après avoir étépolitique en 2011 avec les

“indignés” et les “printemps arabes”. Pour com-prendre ce qui se passe, un retour en arrière s’impose.Car la situation présente évoque ce qu’on a appeléle Grand Jeu, une lutte sourde entre la Russie et laGrande-Bretagne tout au long du XIXe siècle. Ces deuxpuissances coloniales voulaient alors contrôler l’Asiecentrale, ses richesses minières et, pour Moscou, sonaccès à la mer. Coups bas, espionnage, renversementsde potentats locaux étaient le lot commun de cescontrées, avec la Perse déjà au cœur du conflit. Et ceGrand Jeu avait aussi son prolongement en Extrême-Orient, où chacun à l’époque voulait profiter de lafaiblesse du monde chinois… Aujourd’hui, le GrandJeu se joue principalement entre les Etats-Unis et laChine, avec la Russie comme appoint. Il ne s’agit plusde coloniser des territoires, ni de richesses minières,mais de zones d’influence et de pétrole. Les régionsen jeu sont presque les mêmes qu’autrefois : l’Iranet le Moyen-Orient, et dans une moindre mesurel’Asie centrale. Mais d’autres zones peuvent intéres-ser les puissances, l’Afrique notamment et toujoursl’Extrême-Orient.On comprend dès lors pourquoi Pékin garde dans samanche cet allié incommode et nécessiteux qu’estla Corée du Nord. Cet ultime vestige de l’ancienneguerre froide peut toujours servir dans les futurs brasde fer du Grand Jeu. Vous découvrirez dans notredossier (pp. 14-19) comment des experts allemandsaident Séoul à se préparer en vue d’une éventuelleréunification des Corées. Cette hypothèse, pour lesraisons géostratégiques que l’on vient de rappeler,n’est pourtant pas pour demain.Alors, se demande-t-on, ce Grand Jeu peut-ildéboucher sur un embrasement de la régionmoyen-orientale, voire sur un conflit plus généra-lisé ? Peu de chances. Car chacun des protagonistes,en particulier Pékin et Washington, sait qu’uneguerre, même limitée à la Syrie, à l’Iran et au détroitd’Ormuz (par où passent 30 % du pétrole consommédans le monde), aurait des effets absolument dévas-tateurs sur le prix de l’or noir, donc sur l’économiedes pays développés. Or la Chine, où l’agitationsociale ne cesse pas, n’a aucun intérêt à une dépres-sion mondiale qui l’appauvrirait. Philippe Thureau-Dangin

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� En couverture : le “leader suprême” Kim Jong-un. Photo Sinopix/Réa.

n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

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Sommaire

6 Planète presse7 A suivre11 Les gens13 Controverse

En couverture14 Corée du Nord : la fin de la guerre froide ?Avec l’accession du jeune Kim Jong-unau pouvoir à Pyongyang et les électionsprochaines au Sud, les cartes sontrebattues entre les deux Corées. Séoul, conseillé par l’Allemagne, prépare une hypothétique réunification.Tout est donc en place pour que le dialogue entre les frères ennemisreprenne. D’ailleurs, ce 23 février, la Corée du Nord et les Etats-Unis se retrouvent à Pékin pour parler de l’arsenal nucléaire coréen. La Chine,en effet, reste la clé de ce dossier chaud.

D’un continent à l’autre 20 FranceEnvironnement Des as de l’agriculturedurable... sur le papierCampagne Outre-Manche, Sarko ne fait plus recetteRégions Lyon, la ville que nous envie la Finlande24 EuropeAllemagne Consensus pour un président conservateurPays-Bas Geert Wilders et la haine des immigrés de l’EstRussie Comment Poutine resserre ses réseaux et mobilise des intellectuelsPortugal La misère ordinaire des usagers de la Sécu30 AmériquesEtats-Unis Rick Santorum en croisadepour la Maison-BlancheEtats-Unis L’extrême droite prospèredans le Nord-OuestColombie ”Si légaliser la cocaïne est souhaitable...”33 Asie Japon Rire pour combattre le lobbynucléaire

Tibet Une répression hors de la vue des journalistes35 Moyen-OrientSyrie Le pays se désintégrera, comme l’IrakSyrie Téhéran a des raisons de s’inquiéterArabie Saoudite La liberté avant la religionPalestine A l’heure de la realpolitik38 AfriqueMozambique Contre la crise, une solution : les crocodiles !Maroc Jusqu’où ira la contestation ?41 MédiasCensure Les internautes iraniens pris au piège42 Dossier AgricultureEnquête Nourrir la planète en 2050, un casse-tête pour l’humanité

Long courrier 50 Invention Un tic-tac pour l’éternité54 Goût Le chat à toutes les sauces55 Pop culture Zombies, strophes et catastrophes56 Le livre Chad Harbach59 Insolites Pologne : parlez de sexe,votre banquier préfère

26RussieComment Poutine resserre ses réseaux

42Dossier AgricultureNourrir la planète en 2050, un casse-tête

35SyrieLe pays se désintégrera,comme l’Irak

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Planète presse6 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Ha’Aretz 80 000 ex., Israël,quotidien. Premier journalpublié en hébreu sous le mandat britannique, en 1919, “Le Pays” est le journal de référence chez les politiques et les intellectuels israéliens.The Economist1 337 180 ex., Royaume-Uni,hebdomadaire. Grandeinstitution de la pressebritannique, le titre, fondéen 1843 par un chapelierécossais, est la bible de tousceux qui s’intéressent à l’actualité internationale.Ouvertement libéral, il se situe à l’“extrêmecentre”. Imprimé dans six pays, il réalise environ 85 % de ses ventes à l’extérieur du Royaume-Uni.Al-Eqtisadiah (aleqt.com)Arabie Saoudite.“L’Economique”, journaléconomique en ligne est clair et facile à consulter.Il fournit une multituded’informations sur le royaume et traduitquotidiennement des articles du FinancialTimes. Il offre aussi des rubriques Politique,Société, Sport, People.The Dominion Post100 000 ex., Nouvelle-Zélande, quotidien. En juillet 2002, deuxjournaux néo-zélandais,The Dominion, un quotidienrégional du centre du pays,fondé en 1906 et de gauche,et The Evening Post,quotidien de Wellington,fondé en 1865 et de droite,fusionnent pour devenir The Dominion Post.The Ecologist(theecologist.org) Royaume-Uni. Réputé pour sesenquêtes, le titre a, depuis1970, abordé des sujets aussivariés que le financement de l’armée zapatiste ou les enjeux économiques de la fécondation in vitro.En juillet 2009, la versionpapier a cessé de paraître.

Expert 85 000 ex., Russie,hebdomadaire. La rédaction,issue de celle du journalKommersant, a fondé le titre en 1995. Le contenuest orienté vers le mondedes affaires, de l’économieet des finances.Expresso 140 000 ex.,Portugal, hebdomadaire.Lancé en 1973 par un députésalazariste “libéral”, le premier journal modernepour Portugais cultivés a séduit par sa qualité et son indépendance. Sa principale originalitévient de son format, proche de celui d’unquotidien. L’“Express” est l’hebdomadaire le plus lu du pays.Gazeta Wyborcza396 000 ex., Pologne,quotidien.

“La Gazette électorale”,fondée par Adam Michniken mai 1989, est devenue un grand titre malgré ses faibles moyens. Son ambition est d’offrir un journal informatif et laïc.Son supplément du jeudi,Duzy Format, cultive la tradition du reportagelittéraire à la polonaise.Huanqiu Shibao (Global Times)2 000 000 ex., Chine,quotidien. Publication du groupe Renmin Ribao, le Global Times(son sous-titre) a,depuis 1993, un lectoratfriand de reportages et d’analyses sur l’actualitéinternationale. Diffusé nationalement, il utilise son réseau de correspondants à l’étranger pour produireune information de qualité,même si elle n’est pastoujours indépendante.

El Malpensante,18 000 ex., Colombie,mensuel. “Le mal-pensant”paraissait au départ tous les deux mois et sort aujourd’hui tous les quarante-cinq jours.Cette belle revue, fondée et dirigée par l’écrivaincolombien Andrés Hoyos, a un ton volontiersirrévérencieux.Mardomak(mardomak.org) Iran.Malgré une liberté de ton limitée, ce webzineinstallé en Iran depuis 2007publie régulièrement des informations qui sontrarement relayées par la presse locale.Mother Jones 180 000 ex.,Etats-Unis, bimestriel. Lancé en 1976 par quelquespassionnés de journalismed’investigation, MotherJones revendique fortementson identité progressiste et contestataire. Ce magazine de gauche,d’envergure nationale, traite de l’actualité ainsi quedes grands enjeux de notretemps : environnement,justice sociale, etc.Novaïa Gazeta 530 000 ex.,Russie, bihebdomadaire. En 1993, des journalistesclaquent la porte de la Komsomolskaïa Pravdaavec l’ambition de lancer un grand quotidienindépendant, influent et riche. Ce ne sera pas toutà fait le cas, mais ils ont au moins réussi à imposerun journal de qualité, quidénonce sans complaisanceles failles de la société russe.Now Lebanon(nowlebanon.com) Liban.Créé en 2007, le site proposeune couverture del’actualité, des analyses et une base documentaire– ainsi que des cartes –concernant la vie politiquedu Liban sur le planintérieur et international.Une version anglaisereprend certaines de ses rubriques.OhmyNews(ohmynews.com) Corée du Sud. Créé en 1999, le siteest aujourd’hui l’un des organes de presse les plus influents en Coréedu Sud. Quelques

journalistes développent les actualités, tandis que des non-professionnels sontinvités à écrire sur diverssujets de la vie quotidienne.Onearth Magazine175 000 ex., Etats-Unis,trimestriel. Créé en 1979 (à l’époque sous le nom The Amicus Journal) parl’ONG américaine NaturalResource Defense Council, le titre est aujourd’hui l’un des médias écologistes leplus influents de la planète.The Press 90 000 ex.,Nouvelle-Zélande,quotidien. On n’a pas tousles jours 150 ans. Pourtant,le titre n’a pas beaucoupchangé. Il a maintenu sa ligne conservatrice, touten étant novateur, utilisant à ses débuts des pigeonsvoyageurs, puis le télégraphe, avant d’êtreen 1995 le premier en Nouvelle-Zélande à se doter d’un site Internet.Proceso 100 000 ex.,Mexique, hebdomadaire.Créé en 1976 par JulioScherer García, vieux routierdu journalisme mexicain, le titre reste fidèle à son engagement à gauche.Ses reportages et sonanalyse de l’actualité en fontun magazine de qualité.Southeast Asia Globe15 000 ex., Cambodge,mensuel. Indépendance de vue, qualité d’analyse et originalité des sujets,telles sont les ambitions de ce titre créé en 2007 etqui couvre l’actualitépolitique, sociale,économique et culturelle dela partie continentale del’Asie du Sud-Est.TelQuel 20 000 ex., Maroc,hebdomadaire.

Fondé en 2001, cenewsmagazine francophone

s’est rapidement distingué deses concurrents marocainsen faisant une large place aux reportages et aux faits de société. Se méfiant du dogmatisme, il délaisse la politique politicienne et s’attaque à des sujetstabous tels que la sexualité.Tokyo Shimbun 1 585 000ex. (éd. du matin), Japon,quotidien. Né en 1942, en pleine guerre, d’unefusion du Miyako Shimbunet du Kokumin Shimbun,le “Journal de Tokyo” étaitalors conservateur. Depuissa reprise, en 1963, par le groupe Chunichi Shimbunde Nagoya, il affirme une ligne éditoriale de centre gauche, mieuxaccueillie par les Tokyoïtes.Vzgliad (vzglyad.ru) Russie.Créé en mai 2005, le site se distingue par une granderéactivité à l’actualité. Sansdoute la clé de son succès. Il mêle avantageusementactu et analyses, réaliséespar des auteurs de talent.Weekly Kyunghyang92 000 ex., Corée du Sud,hebdomadaire. Le titre a étécréé en 1992 sous le nom de Newsmaker par le quotidien KyunghyangSinmun. S’affichant“progressiste modéré”, ilveut se démarquer des titresconservateurs du pays maisaussi de l’hebdo de gaucheHankyoreh 21, en traitant denombreux sujets autres quepolitiques. Le magazine apris son nom actuel en 2007.Wired 750 000 ex., Etats-Unis, mensuel. Fondée en 1993, cette revue à la maquette détonante estune référence internationalede la culture technophile.“Câblé” couvre sanscomplaisance l’actualitéinternationale en mettantl’accent sur les nouvellestechnologies et les sciences.Sans équivalent en Europe.Yediot Aharonot400 000 ex., Israël,quotidien. Créé en 1939,“Les DernièresInformations” appartientaux familles Moses etFishman. Ce quotidienmarie un sensationnalismevolontiers populiste à unjournalisme d’investigationet de débats passionnés.

Parmi nossources cettesemaine

courrierinternational.comSur le

web

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international.comCourrier international n° 1112

Edité par Courrier international SA, société anonyme avecdirectoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €.Actionnaire Le Monde Publications internationales SA.Directoire Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication, Eric Chol. Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président. Dépôt légal février 2012 Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02Site web www.courrierinternational.comCourriel [email protected] de la rédaction Philippe Thureau-DanginAssistante Dalila Bounekta (16 16)Rédacteurs en chef Eric Chol (16 98), Odile Conseil (web, 16 27)Rédacteurs en chef adjoints Isabelle Lauze (16 54), CatherineAndré (16 78), Raymond Clarinard (16 77), Jean-Hébert Armengaud(édition, 16 57). Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)Conception graphique Mark Porter AssociatesEurope Jean-Hébert Armengaud (coordination générale, 16 57), DanièleRenon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,16 22), Chloé Baker (Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70),Lucie Geffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias (Portugal, 16 34), IwonaOstapkowicz (Pologne, 16 74), Marie Béloeil (chef de rubrique France, 17 32), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer(Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas(Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède),Mélodine Sommier (Finlande), Alexandre Lévy (Bulgarie, coordinationBalkans), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), MiroMiceski (Macédoine), Martina Bulakova (Rép. tchèque, Slovaquie), KikaCurovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau(Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe LaurenceHabay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), LarissaKotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service,Amérique du Nord, 16 14), Marc-Olivier Bherer (Canada, Etats-Unis, 16 95),Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie AgnèsGaudu et Franck Renaud (chefs de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39),Naïké Desquesnes (Asie du Sud, 16 51), François Gerles (Asie du Sud-Est),Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié(chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (16 35),Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), PierreVanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29),Hoda Saliby (Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon(Afrique du Sud) Economie Pascale Boyen (chef de service, 16 47)Sciences Anh Hoà Truong (chef de rubrique, 16 40) Médias MounaEl-Mokhtari (chef de rubrique, 17 36) Long courrier Isabelle Lauze (1654), Roman Schmidt (17 48) Insolites Claire Maupas (chef de rubrique,16 60) Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, 17 33),Mouna El-Mokhtari (rédactrice, 17 36), Catherine Guichard (rédactrice,16 04), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Mathilde Melot, AlbaneSalzberg (marketing), Paul Blondé (rédacteur, 16 65)

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97)

Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 1677), NathalieAmargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), Isabelle Boudon(anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), CarolineLee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), JulieMarcot (anglais, espagnol, portugais), Daniel Matias (portugais), Marie-Françoise Monthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol),Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol), Leslie TalagaRévision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau,Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, PhilippePlanche, Emmanuel Tronquart (site Internet)

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53)

Maquette Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia,Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet,Alexandre ErrichielloCartographie Thierry Gauthé (16 70)

Infographie Catherine Doutey (16 66)

Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon)

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe) et Sarah Tréhin(responsable de fabrication). Impression, brochage Maury, 45330Malesherbes. Routage France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Edwige Benoit, Manon Bertheau, Jean-Baptiste Bor, Valentin Boretti, Hortense Boullier, Aurélie Carrier,Axelle Choffat, Sophie Courtois, Bernadette Dremière, ArnaudDubois, Gabriel Hassan, Nathalie Kantt, Andréa Khoshkhou,Virginie Lepetit, Julien Levesque, Carole Lyon, Miriam Manfrini,Céline Merrien, Tarik Meziani, Valentine Morizot, Carla Mourtoux,Edouard Ohleyer, Lara Tantawi, Isabelle Taudière, Elsa Thiaville,Tian Jing, Laurie Tierce, Wu HuiyiSecrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes : NatachaScheubel (16 52), Sophie Nézet (Partenariats, 16 99), Sophie Jan. GestionJulie Delpech de Frayssinet (responsable, 16 13), Nicolas Guillement.Comptabilité : 01 48 88 45 02. Responsable des droits Dalila Bounekta(16 16). Ventes au numéro Responsable publications : Brigitte Billiard.Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chef de produit :Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusion internationale :Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22). Promotion : Christiane MontilletMarketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91).

Publicité M Publicité, 80 boulevard Blanqui, 75013 Paris, tél. : 0140 39 13 13. Directrice générale : Corinne Mrejen. Directrice déléguée :Brune Le Gall. Directeur de la publicité : Alexandre Scher([email protected], 13 97). Directrice de clientèle : SandrineLarairie ([email protected], 13 47), Kenza Merzoug ([email protected], 13 46), Hedwige Thaler ([email protected], 1407).Littérature : Béatrice Truskolaski ([email protected], 13 80).Régions : Eric Langevin ([email protected], 14 09). Annoncesclassées : Cyril Gardère ([email protected], 13 03). Exécution :Géraldine Doyotte (01 57 28 39 93) Site Internet Alexandre deMontmarin ([email protected], 01 53 38 46 58).

Modifications de services ventes au numéro, réassortsParis 0805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146

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Ce numéro comporte un encart Abonnement broché sur les exemplaireskiosque France métropolitaine, ainsi qu’un encart France AbonnementsEntreprises et un encart Coffret Atlas Courrier international sur lesexemplaires abonnés France métropolitaine.

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A suivreCourrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 7

Inde-Italie

Tensions diplomatiquesLe meurtre de deux pêcheurs indiens,mercredi 15 février, par deux marinsitaliens a provoqué une vive crisediplomatique entre l’Inde et l’Italie. A bord du pétrolier Enrica Lexie, à une soixantaine de kilomètres des côtes du Kerala (Inde), les deuxmilitaires italiens ont tiré parce qu’ilsavaient pris les deux pêcheurs indienspour des pirates. Interpellés par lapolice indienne, ils risquent la prison à vie, annonce Il Giornale. Mais, selon Rome, ils pourraient bénéficier d’une immunité juridique car le navirese trouvait dans les eaux internationalesau moment de la fusillade.

Iran

Londres et Paris privés de pétrole

Le gouvernement iranien a décidé le 19 février “de couper le robinet”de son pétrole vers la France et le Royaume-Uni, “en réponse aux sanctions européennes”, commente le quotidien ultraconservateurKayhan. L’Union européenne a voté fin janvier un embargo sur les exportations pétrolières de l’Iran qui doit prendre effet en juillet. Avec cette mesure, la République islamique devance donc les projets européens et menaced’élargir cette coupure à d’autres payscomme l’Italie (13 % de sesimportations), l’Espagne (12 %) et la Grèce (30 %).

Etats-Unis

BP va devoir payer pour la marée noireLe procès civil de BP doit s’ouvrir le 27 février à la Nouvelle-Orléans, un peu moins de deux ans aprèsl’explosion de la plate-forme de forageDeepwater Horizon qui avait causé la mort de 11 personnes et provoqué une gigantesque marée noire dans le golfe du Mexique. La compagnie pétrolière britanniquepourrait toutefois préférer conclure un accord avec la justice afin d’échapperau procès, estime le Financial Times.Robert Dudley, directeur général de BP, qui négocie avec les autorités, a récemment affirmé qu’il était prêt à un règlement à l’amiable “sur la base de termes justes et raisonnables”. Le groupea engrangé près de 24 milliards de dollars de bénéfices en 2011.

Haïti

Bienvenue dans l’Union africaine !Haïti deviendra officiellement membrede l’Union africaine (UA) au prochainsommet de l’organisation régionale quidoit se tenir en juin au Malawi. La “perledes Antilles” y troquera son statutd’observateur pour celui de membreassocié, devenant le premier pays nonafricain à intégrer l’UA. Une premièresaluée par Francis Kpatindé, célèbrejournaliste béninois, qui a écritdans lesenegalais.net qu’ilétait grand temps que les Etatsafricains fassent un geste fortenvers la première Républiquenoire. “Car, rappelle-t-il, dans le passé, Haïti a souvent soutenu les Etatsafricains en quêted’indépendance”,

et c’est aussi, selon les mots du poèteAimé Césaire, “là où la négritude se mitdebout pour la première fois”.

Lettonie

Un “non massif” à la langue russeLes électeurs lettons ne s’étaient pasmobilisés aussi massivement depuis1993, date des premières électionslégislatives qui ont suivi l’éclatement de l’URSS. “Même le référendum sur l’intégration à l’Union européenne, en 2003, n’avait pas suscité un telengouement”, souligne le quotidien russeKommersant. Les chiffres parlentd’eux-mêmes : 70 % de participation,75 % de non. Les trois quarts des électeurs de cette république balte de 2 millions d’habitants ont refusé, le 18 février, l’octroi du statut de seconde langue nationale à la languerusse, parlée par un tiers de la population[lire CI n°1111]. “Les résultats du scrutinrenforcent le système de division de lapopulation lettone entre citoyens et ‘non-citoyens’”, annonce le titre.

Grèce

Sauvetage in extremis“Le prix sera lourd à payer”, a réagi lequotidien Ethnos après l’accord sur un plan de sauvetage de la Grèce, arraché au forceps, dans la nuit du 21 février. Il comprend un volet d’aide publique de 130 milliards d’euros, et l’effacementde 107 milliards de la dette grecque. De son côté, le gouvernement de LucasPapademos (photo) s’est engagé à maintenir les mesures d’austérité.

Un plan d’économies de 3,3 milliardsd’euros a été voté pour cette année,prévoyant une réduction du salaireminimum et une limitation desretraites. Ethnos appelle aussi tous

les acteurs de la crise à se “comporteravec plus de gravité et de

responsabilité” car la situation de la Grèceest “bien pire que prévu”,selon le quotidien.

Etats-Unis

La France aux Oscars26 février. 84e Cérémoniedes Oscars de Hollywood.Avec dix nominations, le long-métrage françaisThe Artist est l’un des favoris pour l’Oscar dumeilleur film. Un film mueten noir et blanc, hommage

à Hollywood, certes, mais bien loin des canons de la production américaine. Sa victoire serait une première

historique : aucun film étrangern’a jamais remporté cette récompense. Ses concurrents ? Des pointures comme HugoCabret, de Martin Scorseseou Cheval de guerre, de Steven Spielberg.

23 février. Conférenceinternationale sur la Somalieorganisée à Londres à l’initiativedu Premier ministre DavidCameron, en présence desreprésentants d’unecinquantaine de pays.Mogadiscio espère un “planMarshall” pour lareconstruction du pays.

23 février. Manifestation despartisans de Vladimir Poutineà Moscou. Les organisateursespèrent mobiliser200 000 personnes.

24 février. Conférence des Amis du peuple syrien en Tunisie. La Russie et la Chine, qui s’opposent à la condamnation du régimesyrien, sont invitées à cetteréunion. Pour Tunis, il s’agit de faire pression sur le régimesyrien afin de mettre un terme à la répression sans intentionde soutenir une interventionétrangère en Syrie.

26 février. A Moscou et dans les grandes villesrusses, nouvelles

manifestations dumouvement Pour desélections honnêtes, contreVladimir Poutine.

26 février. Le magnat des médias Rupert Murdochcontre-attaque en lançant une édition dominicale de The Sun, baptisée The Sunon Sunday. Cinq employés du tabloïd britannique (fleurondu groupe News International)avaient été arrêtés le 11 février pour corruption de fonctionnaires.SY

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Troubles. A l’approche de l’élection présidentielle, les violences ont fait au moins six morts depuis le 27 janvier, date de la validation par le Conseil constitutionnel de la candidature du président Abdoulaye Wade prochain.“Confronté aux heures les plus troubles de son histoirepostindépendance”, selon le journal Sud Quotidien, le pays est toujours secoué par d’importantes manifestations.

Sénégal

Agenda

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Page 11: Courrier International 2012

déjeuner chez lui vers 12 h 30 ou 13 heures. Il fait la sieste – une autre tradition héritée de son père – et parfois il travaille l’après-midi,de 16 heures à 19 heures. Il accorde moins de cinq heures par jour à la gestion de tous les biens fonciers des Kirchner et cette“fainéantise” s’avère payante : d’année enannée, le patrimoine familial lui donne raison.Máximo n’a jamais été très sportif. “On faisaitdu handball. Il était gardien de but et, pour pouvoirarrêter les ballons, il mettait des culs-de-bouteille(il souffrait de strabisme) qui tenaient grâce à un élastique blanc, c’était très marrant”,a raconté au journal Libre [du même groupeque le journal Perfil] l’un de ses ancienscamarades de classe du Colegio República de Guatemala, qui l’appelle encore “le Gros”.Exclu des activités sportives, il avait plutôtl’habitude de participer avec son père à desmatchs de foot amicaux à Olivos [résidenceprésidentielle argentine]. En revanche,l’héritier de la lignée Kirchner est un pro de la PlayStation. Selon des révélations du magazine Revista Noticias [du même groupeque le journal Perfil], rien ne lui plaît davantageque rester chez lui et jouer au foot sur saconsole. Cet introverti grille aussi les Marlboroà la chaîne, comme sa sœur Florencia. Pendantson temps libre, qui ne manque pas, Máximoexamine toutes les critiques adressées contre le modèle K sur Twitter. Et il ne s’arrête pas là :chaque fois qu’un blogueur à la botte du pouvoir se lance dans une discussion avecun journaliste “ennemi”, le fils de la présidentele félicite par un tweet. Il a même envoyé desSMS à des blogueurs influents qui soutiennentles K [les Kirchner] pour leur dire“Heureusement que vous êtes là !” après uneréplique bien sentie. Tout le monde sait qu’ils’est créé un compte Twitter sous une fausseidentité pour suivre en détail toutes ces bataillesvirtuelles. Pourtant, ce militantisme 2.0

ne s’est jamais concrétisé par de véritablesactions sur la scène politique.

Il n’a jamais prononcé de discours lors des rassemblements du mouvement La Cámpora [fondé en 2003 par Máximo, il regroupe les jeunesmilitants “kirchnéristes”] ni proposésa candidature à quoi que ce soit(même s’il a croulé sous les offres).“C’est un renégat de la politique :c’est ce qui le distingue de ses parents”, selon toutes les personnes qui ontdéjà eu affaire à lui. Si beaucoup le considèrent comme le dauphin,l’intéressé a d’autres projets : se reposer sur ses lauriers.

Pablo Javier Blanco

Les gens

Máximo Kirchner

Le dauphinaime surtoutsa PlayStationDiario Libre Buenos Aires

Le silence est sa marque de fabrique, cette façon d’êtreénigmatique qui lui a donné la réputation d’éminence grise du modèle K [pour Kirchner]. Mais la vie quotidienne du jeune homme

le plus influent de la scène politique argentineest en réalité bien plus simple qu’il n’y paraît.Máximo aime faire la grasse matinée, jouer à la PlayStation et, tout comme ses parents,Néstor [ancien président entre 2003 et 2007,décédé le 27 octobre 2010] et Cristina[présidente de l’Argentine depuis 2007, elle a entamé son second mandat (2011-2015) en décembre dernier], il surveille de façonobsessionnelle (presque pathologique) tout ce qui se dit sur lui et sa famille, en particulier

sur les réseaux sociaux. C’est l’agentpanoptique du pouvoir, qui peut tout voir sans être vu. Máximo est né le 16 février 1977 à La Plata [capitale de la province de BuenosAires, située à 60 kilomètres au sud de la ville],par une “nuit d’orage terrible” et en l’absence de son père, comme le raconte Cristina dans une biographie écrite par la journalisteSandra Russo [Histoire d’une vie, éditionsSudamericana]. “J’ai poussé trois fois et il était là”, lit-on. Pourtant, la vitesse à laquelle il est venu au monde ne s’estjamais plus manifestée par la suite.“Maximito”, comme l’appelle sa mère, ne sort jamais de sa maison de Río Gallegos[capitale de la province patagonique de Santa Cruz, où son père a été gouverneurentre 1991 et 2003] avant 10 h 30. Il se lèvetard, enfile la première tenue qu’il trouve et monte dans son pick-up Honda pour allerà toute allure jusqu’à l’agence immobilière où il gère les propriétés de la famille Kirchner[selon la dernière déclaration sur l’honneurde la présidente, présentée en août 2011,son patrimoine s’élève à 79 millions de pesos – 18,1 millions de dollars – et compte27 propriétés]. Sonrythme de travailn’est pas tropintense. Il arriveau bureau vers 11 heures,puis rentre

Ils et elles ont ditDanuta Walesa,épousede Lech Walesa� Libérée“Je prie pour que ças’arrange. Maisje ne vivrai plusdans l’esclavage.”Son mari, symbole dela lutte pour la libération de la Pologne, avec lequel elle a euhuit enfants, veut quitter le domicileconjugal, supportant mal l’écho que suscite le livre biographique de son épouse. “C’est une invention”,réplique M. Walesa.(Viva, Varsovie)

Adriano Celentano, star de la chanson italienne� Incontrôlable“On devrait définitivement fermerles journaux catholiques commeAvvenire ou Famiglia Cristiana”,a-t-il dit lors du one-man-show qu’il a présenté à l’occasion du 63e Festival de la chanson italienne de San Remo. La surprise étaitd’autant plus grande qu’il avait refuséde dévoiler le texte de son spectacle.La presse catholique proteste.(La Repubblica, Italie)

Dmitri Medvedev, président de la Russie sortant� Inoxydable“Je n’ai pas l’intention de disparaître de la circulation.

Mieux : j’ai l’intentionde me présenter

de nouveau à la présidentielle[dans six ans].”Il ajoute qu’il auraitalors plaisir à rencontrer

ses adversaires pour débattre avec

eux dans le cadre de la campagneélectorale.(RBC Daily,Moscou)

Alexandre Loukachenko, dictateur biélorusse� Farceur“On veut juste être comme vous :épris de liberté, indépendants et responsables devant notrepeuple.” L’Union européenne vientde durcir les sanctions économiquescontre son pays, en vigueur depuis la présidentielle truquée du 19 décembre 2010.(Agence Interfax-Zapad, Moscou)

Mark Post, professeur à l’université de Maastricht (Pays-Bas)� InnovateurSon laboratoire va bientôt fabriquerle premier hamburger artificiel à partir de cellules souches. Il s’agit de réduire de 60 % l’empreinteécologique de la production de la viande. “Au début, on la trouvera un peu fade, reconnaîtle professeur. Je crois qu’on vadevoir travailler sur la saveur.”(BBC, Londres)

Aung San Suu Kyi, opposante birmane et Prix Nobelde la paix� OptimisteComment voit-elle son pays dans dix ans ? “Devant tous lespays de l’Asean”, répond-elle.Aujourd’hui, la Birmanie est le paysle plus pauvre de l’Asie du Sud-Est.(The Sun, Malaisie)

En coulisse et sur Twitter, le fils de la présidenteargentine veille au grain

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� Máximo KirchnerDessin de Langer(Buenos Aires) pour Courrierinternational.

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 11

Page 12: Courrier International 2012

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Le 1er mars avec

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Controverse

PourCamarades chinois, bienvenue !La loi sur l’investissement étranger ne tolère aucune discrimination. Elle s’applique à tous les investisseurs. Qu’ils soient blancs ou jaunes.

The Dominion Post Wellington

C e serait bien d’imaginer que le tollé provoqué par la ventedes seize fermes laitières du groupe Crafar au groupe chi-nois Shanghai Pengxin n’a rien à voir avec la nationalitéde l’acquéreur. C’est cependant fort peu probable. Depuisjuillet 2005, les étrangers ont été autorisés à acheter – entotalité ou en partie – 254 548 hectares de terres agricoles.

Cette superficie comprend les élevages de moutons, qui font paraîtretout petits les 7 885 hectares occupés par les seize fermes Crafar. Aucunede ces transactions n’a cependant attiré autant l’attention que la ventedes fermes Crafar.

Cette polémique rappelle celle provoquée par la vente du golfWairakei de Taupo [sur l’île du Nord de la Nouvelle-Zélande] à des entre-prises japonaises il y a un peu plus de vingt ans. Le projet avait fait naîtreune telle controverse que Peter Tapsey, à l’époque ministre des Terres,y avait opposé son veto à la veille des élections législatives de 1990.

Ce n’est que plus tard qu’on s’aperçut que les vendeurs étaient eux aussiétrangers : c’était un groupe américain qui avait racheté le golf à la TouristHotel Corporation sans le moindre problème. Si les Néo-Zélandais fonda-mentalement n’aiment pas beaucoup qu’on vende des terres à des intérêtsétrangers, certains, minoritaires mais virulents, n’apprécient pas du toutqu’on cède des terres à des étrangers qui ne leur ressemblent pas.

Pourtant, la proposition de Shanghai Pengxin remplit toutes les condi-tions requises. La société, qui appartient à Jiang Zhaobai, un magnat del’immobilier classé au 284e rang des fortunes chinoises, s’est engagée àinvestir au moins 14 millions de dollars néo-zélandais [8,8 millions d’eu-ros]. Cette somme est destinée à financer les sites, établir un centre deformation pour les salariés, assister Landcorp, l’entreprise publique quigérera les fermes à sa place, étendre son activité en Chine, clôturer desvoies d’eau pour les protéger du cheptel, créer des sentiers de randon-nées accessibles au public dans deux des fermes ou encore protéger unpa [forteresse maorie] historique. De plus, l’entreprise apporte avec elleune connaissance sans pareille du deuxième plus grand marché de laNouvelle-Zélande [la Chine, après l’Australie].

Il serait très surprenant que le nouvel investisseur ne parvienne pasà mieux gérer l’entreprise que le groupe Crafar. Ce dernier, qui était sous-capitalisé, avait été placé sous administration judiciaire faute de pouvoirrembourser ses dettes et attirait régulièrement l’attention des fonc-tionnaires chargés de la protection animale, ainsi que des autorités localesà cause des pratiques douteuses observées sur ses sites.

On pourrait avancer qu’il faudrait garder les terres agricoles entre desmains néo-zélandaises. Les bénéfices expédiés à l’étranger ne peuvent pasêtre dépensés à Hamilton, Te Kuiti ou Palmerson North. Sir Michael Fay,le patron du consortium qui a fait une offre misérable pour les fermes Crafaret tente de jouer la carte du patriotisme économique, n’est cependant pasle mieux placé pour invoquer cet argument de façon crédible. Au cas où onl’aurait oublié, sir Michael est un millionnaire qui a fait fortune en servantd’intermédiaire lors de ventes de biens publics à des sociétés étrangères,puis s’est exilé en Suisse pour éviter de payer des impôts dans son pays.

Si les personnes qui sont opposées à la cession des fermes Crafar veu-lent débattre du bien-fondé de la vente de terres agricoles à des étran-gers, elles devraient parler de vente à tous les étrangers, et pas seulementaux Chinois et aux Japonais. Cette offre remplit les conditions de la loisur l’investissement étranger. C’est elle qui génère le meilleur retourpour les créanciers de Crafar. Elle lie la Nouvelle-Zélande encore plusétroitement à cette région d’Asie qui est notre avenir. Nous devrionsaccueillir chaleureusement le Shanghai Pengxin Group. �

ContreNe cédons rien aux multinationales !Les investisseurs étrangers ne se contentent pas… d’investir.De fait, avec leur argent, ils prennent le contrôle du pays.

The Press (extraits) Christchurch

A lors, quel est le problème avec les investissements étran-gers ? Tout se résume à la différence entre le fait de détenirou de louer une maison. La propriété, c’est le pouvoir – lespropriétaires prennent les décisions, les propriétaires empo-chent les bénéfices. Pour les locataires, la situation peut êtretrès confortable, mais tout peut changer sur un coup de tête

du propriétaire. La sécurité à long terme n’existe pas dans la location. Orles politiques actuelles sur les investissements étrangers sont bien partiespour transformer les Néo-Zélandais en locataires de leurs propres terres.

La plupart des “investissements” étrangers ne sont absolument pasdes investissements, mais des prises de pouvoir, qui ne créent pas de nou-veaux biens. L’un des grands mythes sur ce sujet soutient que nous aurionsbesoin de cet argent. Mais les multinationales font d’immenses bénéficesen Nouvelle-Zélande ; elles ont donc davantage besoin de notre argent quenous du leur. Leurs défenseurs disent qu’elles paient des impôts chez nous.En aucun cas, ne prenez cela pour argent comptant. En 2009, les quatregrandes banques australiennes ont obtenu un arrangement amiable avecles services fiscaux néo-zélandais pour s’être dispensées de payer 2,2 mil-liards de dollars néo-zélandais [près de 1,4 milliard d’euros] d’impôt.

Bien évidemment, les prises de contrôle étrangères qui attirent le plusl’attention de la population – et suscitent le plus d’oppositions – sont cellesqui concernent les terres rurales. En témoigne l’attention portée récem-ment aux exploitations de Crafar. Mais c’est la prise de contrôle dePGG Wrightson [l’une des grandes entreprises du pays, qui fournit le sec-teur agricole] par des multinationales chinoises qui est bien plus impor-tante. La récompense n’est pas la société en elle-même, mais le fait qu’elledétienne 90 % des droits commerciaux sur les technologies à la base del’industrie néo-zélandaise des graines de graminées. Pour citer le direc-teur d’une société de graines : “Laisser le contrôle de cette technologie à l’étran-ger revient à vendre 5 000 exploitations aux acheteurs étrangers.”

Si nous n’y prenons garde, l’agriculture néo-zélandaise prendra le mêmechemin que le secteur viticole : il a fait de gros efforts pour devenir unepierre angulaire de l’économie, pour finalement être progressivementracheté par des multinationales et se trouver aujourd’hui réduit au statutde grossiste en raisin pour des géants étrangers de l’alcool. Savoir quidétient nos banques, nos médias, nos télécommunications, nos compa-gnies d’assurances et nos supermarchés, etc. et en profite est une ques-tion d’importance nationale qui touche tout le monde. Murray Horton** Secrétaire de Campaign Against Foreign Control of Aotearoa (nom maori de la Nouvelle-Zélande),qui lutte contre la vente d’entreprises et de biens néo-zélandais à des sociétés transnationales.

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 13

La Nouvelle-Zélande aux mains des étrangers ?� ContexteEn Nouvelle-Zélande,l’achat par un étrangerde terres d’unecertaine surface ousituées dans une zonedite “sensible” (uneréserve naturelle, parexemple), est soumis à un accord de l’Officedes investissementsétrangers (OverseasInvestment Office, ouOIO). Et il y a étranger et étranger. LesAustraliens détiennentplus de 80 milliardsd’actifs néo-zélandais(plus de 51 milliardsd’euros) sans quequiconque y trouve àredire. Le réalisateur James Cameron vientd’acheter deux fermesavec l’aval du principallobby agricole. Selon les sondages, ce qui dérange 85 %des Néo-Zélandais,c’est le fait quedes groupes chinoiscomme ShanghaiPengxin décident de racheter seizefermes laitières en faillite. La HauteCour de justice néo-zélandaise vientde jeter un pavé dansla mare : elle a estiméque les critères utilisés par l’OIOétaient défaillants et a demandé au gouvernement dereconsidérer la vente.Celui-ci se retrouvecoincé. S’il redonneson aval au rachat desfermes par ShanghaiPengxin, il risque fortde le payer auxprochaines élections ;mais, s’il change d’avis,il faudra pouvoirl’expliquer auxinvestisseurs chinois.

Page 14: Courrier International 2012

En couverture 14 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Coréedu Nord

� Avec l’intronisation de Kim Jong-un à Pyong yanget les élections prochaines au Sud, les cartes sont redistribuées entre les deux Corées. Séoul, conseillépar l’Allemagne, prépare une hypothétique réunification. � Tout est en place pour que ledialogue reprenne. D’ailleurs, le 23 février,la Corée du Nord et les Etats-Unis seretrouvent à Pékin pour parler del’arsenal nucléaire nord-coréen.

La fin de la guerre froide ?

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� Dans le tramwayà Pyongyang,octobre 2010.

Page 15: Courrier International 2012

Séoul

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PanmunjeomVers Pyongyang (160 km)

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Zone industriellede Kaesong

CORÉE DU SUD

CORÉE DU NORD

“DMZ” : zonedémilitarisée

Voir carte de situation p. 16

MER DEL’OUEST

(MER JAUNE)

Han

Une zone industrielle intercoréenne

Superficie actuelle : 43 km2 (élargissement envisagé à 65 km2) • Nombre d’entreprises sud-coréennes présentes : 123 • Nombre de travailleurs nord-coréens employés : 50 000 (+ 500 Sud-Coréens) • Montant des échanges : 1,1 milliard d’euros, soit 76 % du commerce entre les 2 pays.

Ouvriers du Nord, entrepreneurs du Sud : à un jet de pierre de lafrontière, au Nord, le parc industrielde Kaesong résiste à toutes les crises.

Chugan Kyunghyang Séoul

Si la Bourse n’a pas trop bougé, c’estgrâce à la zone industrielle spécifiquede Kaesong”, a déclaré en décembrele député Chung Dong-young, quifut ministre de la Réunification de2004 à 2006. Cette zone de coopé-

ration intercoréenne, créée en 2004, a démontréune fois de plus son utilité lors du décès de KimJong-il [survenu le 17 décembre 2011, selon l’an-nonce officielle nord-coréenne].

Dans cette ville nord-coréenne [située à 10 kilo -mètres de la frontière], quelque 50 000 ouvriersnord-coréens travaillent dans des usines, auxcôtés d’un millier de Sud-Coréens. La disparitiondu “Cher dirigeant” n’a presque rien changé auquotidien de ces derniers, puisqu’ils continuentde franchir le 38e parallèle matin et soir. PourM. Chung, si la population sud-coréenne et lesinvestisseurs étrangers ont su garder leur calme,ce contact y est pour quelque chose. “La situationn’est pas la même qu’en 1994, lors de la mort de KimIl-sung. Depuis qu’il existe, le site de Kaesong assurenotre sécurité à chaque crise.” Les employés sud-coréens n’ont jamais cessé de se rendre dans cettezone spéciale, même après le naufrage de la cor-vette sud-coréenne Cheonan [mars 2010] et aprèsle bombardement de l’île sud-coréenne de Yeon-p yeong [novembre 2010, les deux événementsayant été imputés à Pyongyang].

”Kaesong nous rassure”Le 20 décembre dernier, le centre de rechercheSegyo, à Séoul, organisait son forum mensuel surla paix dans la péninsule. Ce jour-là, les partici-pants devaient parler de l’état d’avancement dela zone de Kaesong, mais, vu le contexte, le sujetphare a été la mort du dirigeant nord-coréen. KimJin-hyang, directeur de la Commission de gestionde la zone de Kaesong, a déclaré : “Nous sommesen crise, mais Kaesong dissuade les deux gouverne-ments de prendre des mesures susceptibles d’aggra-ver la situation et freine réellement la montée de latension.” Un avis que partage Ko Kyong-bin, ancienchargé de communication du ministère de laRéunification. “L’existence de Kaesong nous rassure.Depuis l’arrivée au pouvoir du président Lee Myung-bak [conservateur], les relations intercoréennes sontmarquées par l’absence de dialogue, le conflit et lesaffrontements. Je n’ose imaginer jusqu’où les chosesseraient allées sans Kaesong.”

Que va devenir la zone après la disparition deKim Jong-il ? Les analystes s’accordent à dire que,dans un premier temps, Kim Jong-eun respecterales volontés de son père. Récemment, le RodongSinmun, journal du Parti du travail [nord-coréen],s’est mis à employer l’expression “selon les der-nières volontés du camarade Kim Jong-il”. La poli-tique nord-coréenne au sujet de Kaesong nedevrait donc pas être bouleversée. Kim Jong-ils’était montré très volontariste sur ce projet qu’ilavait mis en place malgré l’opposition de l’armée,et son fils devrait poursuivre son œuvre, estime

Kim Jin-hyang. “La Corée du Nord a toujours sou-haité élargir la zone et ce principe sera maintenu”,ajoute de son côté M. Ko. Selon Yang Mujin, professeur de l’Ecole des études nord-coréennes[à Séoul], le nouvel homme fort de Pyongyangva d’abord se concentrer sur quelques dossiersessentiels : le maintien de Kaesong, la reprise dudialogue avec Washington et la poursuite des pour-parlers à six [sur le nucléaire, avec les deux Corées,les Etats-Unis, la Chine, le Japon et la Russie].

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 15

La preuve en est que, à Kaesong, le deuil n’apas interrompu les machines. Même si la nouvelle,parvenue aux ouvriers nord-coréens à l’heure dudéjeuner, a transformé les réfectoires en autantde vallées des larmes, le calme a régné. Dans l’après-midi, ils sont retournés à leur travail, l’air mélan-colique. Les jours suivants, leur temps de travaila été réduit de deux heures pour leur permettrede rendre un dernier hommage au défunt, mais,dès le 21 décembre, tout est redevenu normal.

Nord et Sud y trouvent leur compteSi le bilan de Kaesong n’est pas entièrement satis-faisant, Séoul en est plus responsable que Pyong -yang. Depuis l’arrivée au pouvoir du présidentLee Myung-bak [en 2008], c’est le statu quo. “Onen est encore au premier stade”, commente M. Yang.Le gouvernement considère ce dossier commeun legs des gouvernements progressistes [au pou-voir de 1997 à 2007]. Depuis bientôt quatre ans,les autorités dépensent moins d’énergie pourencourager l’investissement des entreprises qu’àsurveiller celles présentes dans la zone. Elles n’ontpas su faire de cette coopération un tremplin pouraméliorer les relations avec Pyongyang. “Si le dos-sier avait suivi le plan initial, cela aurait permis auSud de se rapprocher du Nord, au lieu de devoir comp-ter sur la Chine comme maintenant”, expose M. Ko.

Le travail des 50 000 ouvriers nord-coréenssur le site [700 000 prévus initialement] repré-sente 40 millions de dollars par an. Le Nord nevoudra pas renoncer à cette source de devises,quasiment la seule dont il dispose. Quant aux123 sociétés sud-coréennes, elles profitent d’unemain-d’œuvre bon marché et économisent lescoûts de transport. Le Nord et le Sud y trouventleur compte, même si les entrepreneurs sud-coréensattendent davantage de soutien de leur gouver-nement. Chong Ki-sop, vice-président du Conseildes entrepreneurs de la zone, déplore : “Noussommes venus parce que le gouvernement nous avaitpromis des aides. Aucune de ces promesses n’a été res-pectée par l’actuel gouvernement !” Pak Song-il

Fils de Kim Jong-il et de Ko Yong-hi,danseuse née au Japon et deuxième“concubine” dudictateur, Kim Jong-una eu 30 ans le 8 janvierdernier. Le jeune“Leader suprême”avait été officiellementmis sur les rails de la succession enseptembre 2010, enétant promu général.Un an et demi plustôt, L’Hebdo avaitrévélé que Kim Jong-un avait été scolarisédurant deux ans enSuisse, à l’InternationalSchool of Bern. “Tousles vendredis, KimJong-un enfilait sesskis et partait dévalerles pistes avec sescamarades de classe”,détaille le journal.

“C’était un jeunehomme timide et introverti, mais quiappréciait les sportsd’équipe. Il admiraitbeaucoup [lebasketteur] MichaelJordan et Jean-Claude Van Damme

[acteur belge de filmsd’action]”, ajoute un Canadien quipratiquait le basket et la natation avec lui.Les médias sud-coréens scrutentaujourd’hui chaquegeste de Kim Jong-un

et tentent de lesinterpréter. “Ils ont notammentremarqué son penchant pour le contact physiqueavec le peuple, ce quile rapproche plus deson grand-père [Kim Il-sung, décédéen 1994] que de sonpère”, relève le journalen ligne Pressian.Un autre site webd’information,Newdaily, préciseque “cette image du dirigeant qui va à la rencontre de sonpeuple montre que lasociété nord-coréenneévolue. Les gensveulent désormaismoins un souverainsublimé qui règne sureux qu’un dirigeantqui soit proche d’eux.”

Héritier

Kim Jong-un : des pistes suisses au trône

� Kim Jong-un. Sur le drapeau : “Nord”. Dessin de Yang Man-kum paru dans Maeil Kyongje, Séoul.

Là où s’usine le dialogue

Soixante ans de tensions

1950-1953 La guerre de Corée fait 1 à2 millions de victimes. Un armistice entre le Nord et le Sud estsigné le 27 juillet 1953.1994 Mort de Kim Il-sung, fondateur de la République populairedémocratique de Corée ; son fils KimJong-il lui succède.2000 Dégel Nord-Sudavec la rencontre à Pyongyang de KimJong-il et du présidentsud-coréen Kim Dae-jung.2003 Le Nord se retiredu Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.2005 Pyongyangaffirme détenir des armes nucléaires.2006 Le premier essainucléaire nord-coréenentraîne des sanctionsde l’ONU.2009 Deuxième essainucléaire souterrain du Nord.2010 Torpillage de lacorvette sud-coréenneCheonan, attribué à Pyongyang, en mars(46 morts) ; tirsd’artillerie nord-coréenssur l’île de Yeonpyeong,en mer Jaune, en novembre (4 morts).2011 Mort de KimJong-il le 17 décembre ;son fils Kim Kong-unprend la relève.

Page 16: Courrier International 2012

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CORÉE DU NORD

CORÉEDU SUD

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200 km

Villes de plus de 1 million d’habitants

Sites nucléaires

Bases américaines (environ 24 600 soldats)

DMZ**

* Terminologie utilisée par les deux Corées** Zone coréenne démilitarisée (zone tampon entre les deux Corées)

Les deux Corées divisées depuis 1953

Superficie (km2)

Population(1)

Espérance de vie

IDH(2)

PIB par hab.(3)

Croissance(4)

CORÉEDU SUD

CORÉEDU NORD

99 720

48,9

79,3

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31 700

3,9

120 538

24,6

69,2

nd

1 800

4(1) En millions d'habitants, 2012, estimations. (2) Indice de développement humain : rang dans le classement, 2011.(3) En dollars à parité de pouvoir d'achat, 2011, estimations.(4) Taux de croissance réel du PIB en %, 2009 et 2011, estimations.

1 475

3 488

2 235

CORÉEDU NORD

CORÉEDU SUD

Importations(2009, en millions de dollars)

Exportations(2009, en millions de dollars)

Investissements étrangers directs(2010, en millions de dollars)

127 047

323 082

363 531

Sources : ONU, International Trade Centre, Congressional Research Service

Sources : The World Factbook (CIA), PNUD

D’anciens hauts dirigeants d’Allemagnede l’Est et de l’Ouest aident la Corée du Sud à préparer ses retrouvailles avec le Nord : comment prévoir l’imprévisible.

Der Spiegel (extraits) Hambourg

Fin 2011, quelques semaines avant queKim Jong-il ne succombe à une crisecardiaque, un avion de la Lufthansadécollait d’Allemagne avec à sonbord Lothar de Maizière, dernierPremier ministre d’ex-Allemagne de

l’Est, et Rainer Eppelmann, son dernier ministrede la Défense. L’appareil, à destination de la Coréedu Sud, emmenait les deux hommes pour un nou-veau saut dans l’Histoire.

Agé de 71 ans, de Maizière a pris quelques kilosdepuis l’automne 1989 [qui marque la chute dumur de Berlin]. Quant à Eppelmann, 68 ans, ilporte désormais le même genre de casquette quetous les retraités allemands. A les voir tous lesdeux, on pouvait craindre qu’ils ne se perdent aumilieu des vastes avenues de la capitale sud-coréenne. Heureusement, ils ne partaient pas toutseuls. De Maizière et Eppelmann faisaient partied’une délégation conduite par Christoph Bergner,membre du gouvernement chargé des relationsavec les anciens pays de l’Est.

Qu’étaient venus faire ces ex-révolutionnaireset spécialistes allemands de la réunification enCorée du Sud ? La réponse tient en quelquesmots : pour que l’Histoire se répète. Et aussi parcequ’ils répondaient à l’invitation de Kim Chun-sig,vice-ministre de l’Unification. Soixante ans aprèsla partition de la péninsule, la Corée rêve de réuni-fication. Il y a un peu plus d’un an, le gouverne-ment allemand a approuvé la composition decette délégation au titre ronflant – Commissionde consultation germano-coréenne sur la réuni-fication – et a mis à disposition ses meilleurs spé-cialistes de l’Est et de l’Ouest. Leur mission :expliquer aux Coréens comment réussir leurréunification. “Aucune nation ne comprend notredésir de réunification aussi bien que les Allemands”,explique Kim Chun-sig. Le vice-ministre accueilleses hôtes épuisés dans le luxueux hôtel Lotte. Ilsresteront à Séoul trois jours pour parler de l’ave-nir des deux Corées. Le lendemain, un premiergroupe de travail se réunit au 36e étage. Le sujetdu jour : “La réunification et l’unité allemandes :conditions préalables, déroulement, résultats et diffi-cultés”. Tous sont assis autour d’une grande table,face à face. La scène évoque quelques clichés his-toriques, comme la rencontre entre Helmut Kohl[chancelier de 1982 à 1998] et Mikhaïl Gorbatchevdans le Caucase, en juillet 1990. Les deux hommesavaient discuté de l’unité allemande.

Ce qui est étrange, c’est qu’à aucun momentla réunification coréenne n’a semblé à l’ordre dujour. Ni à court terme ni à moyen terme. Pyong -yang a-t-il entamé sa glasnost [transparence] ?

Pour Eppelmann, c’est presque une insultepersonnelle. Ancien Allemand de l’Est, il se sentquelque affinité avec les Nord-Coréens. De Mai-zière garde les yeux rivés sur sa bière. “La com-mission est censée se réunir au cours des cinq prochainesannées, alors j’ai posé la question à nos interlocuteurscoréens : est-ce que vous voulez vraiment attendre silongtemps avant la réunification ? Est-ce que voussavez ce que veulent les Nord-Coréens ? Ils n’en saventrien, explique de Maizière. Ils disent que c’est auxSud-Coréens de régler le problème de la réunification,que c’est eux qui ont l’argent. C’était pareil pour nous.C’était aussi ça le problème. Cela peut créer un fortsentiment de colonisation.” “Chaque rupture histo-rique crée sa génération perdue”, conclut-il.

Nouvelle journée, nouvelle discussion. Auprogramme : “Comment Allemands et Coréens peu-vent-ils œuvrer ensemble pour la réunification de lapéninsule ?” Les employés du ministère de l’Uni-fication s’agitent de tous côtés. Mais à quoi faire ?“Nous faisons des projections sur l’avenir de la Coréeaprès la réunification. Et nous nous occupons aussides transfuges du nord”, explique Kim Chun-sig.

“Vous comprenez, nous avons besoin de l’expé-rience des Allemands. Comment faire pour accorderdeux systèmes séparés ? Pour que les citoyens s’en-tendent bien ? Que fait-on des armées ? Les Allemandsont bien réussi tout cela, mais il aurait été possible defaire encore mieux. Il faut toujours être bien préparéau cas où cela arrive.” Mais quand “cela” arrivera-t-il ? Le vice-ministre sourit. “Je serai encore là pourvivre cet événement”, assure-t-il. Mais commentcela va-t-il se passer ? “Notre plan prévoit d’abordla paix, ensuite la coopération, puis une confédéra-tion et enfin l’unité.” Jochen-Martin Gutsch

En couverture Corée du Nord : la fin de la guerre froide ?16 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Petits conseilsallemands pour se retrouver

Le précédentallemand

Pour la réunificationallemande, le contexteinternational étaitfavorable : MikhaïlGorbatchev était au pouvoir en Unionsoviétique, et la frontièreaustro-hongroise s’étaitouverte en août 1989.En Républiquedémocratiqueallemande (l’ancienneAllemagne de l’Est),une forte mobilisationà partir de septembreaboutit à la chute du Mur, à Berlin, le 9 novembre. Sous la houlette de Helmut Kohl, le “chancelier del’unité”, le processusd’unifications’enclenche à marchesforcées : 1er juillet 1990 :union monétaire ;3 octobre :proclamation del’unité ; 2 décembre :premières électionsgénérales ; 20 juin1991 : transfert de la capitale de Bonn à Berlin adopté au Bundestag.Vingt ans après la chutedu Mur, le coût del’unification est estiméà 1 600 milliardsd’euros et un “pacte de solidarité” estreconduit jusqu’en 2019.

Rien ne semble l’indiquer. La Corée du Nord estprobablement le pays le plus mystérieux de la pla-nète. Y compris pour la Corée du Sud.

Séoul n’est pas non plus Berlin-Ouest, hautlieu de la guerre froide. Néanmoins, le territoireennemi est tout aussi proche. À Berlin-Ouest, onpouvait regarder les programmes télévisés del’Est ; en Corée du Sud, impossible de regarder lamoindre émission nord-coréenne. Tout est bloqué,par crainte de la propagande. Il n’existe pas deservice postal entre les deux pays, ni de liaisontéléphonique directe. En 2010, près de 130 000 Sud-Coréens se sont rendus chez leur voisin du Nord ;seuls 132 Nord-Coréens ont fait le chemin inverse.On disait l’Allemagne divisée par un rideau de fer.Comparé à la situation coréenne, il s’agissaitplutôt d’un store à lattes de bois.

Le soir, Lothar de Maizière dîne dans un res-taurant anonyme du centre de Séoul. “Moi-même,je ne croyais pas à l’unité allemande. Jusqu’à ce qu’ellearrive”, explique-t-il. L’ancien Premier ministres’est déjà rendu cinq fois en Corée du Sud. “C’estle quatrième ou le cinquième ministre de l’Unificationque je rencontre. Je n’arrive plus à me souvenir deleurs noms”, confie-t-il. “Les mêmes questions revien-nent sans cesse, poursuit de Maizière. Les Sud-Coréens veulent surtout que la réunification ne leurcoûte pas trop cher. Je leur explique qu’elle leur coû-tera plus que ce qu’ils peuvent imaginer.” RainerEppelmann opine du chef. “Une chose est sûre, lesSud-Coréens cherchent un moyen de faire rester lesNord-Coréens au nord après la réunification,explique Eppelmann. Ils parlent de contrôles à lafrontière. Bon sang ! Ils veulent sérieusement fermerla frontière une fois que le mur sera tombé !”

A la une

L’hebdomadaire Timedaté du 27 février reprend la photoofficielle de Kim Jong-un en couverture et titre sur “Lil’Kim”(Petit Kim), allusion à la chanteuseaméricainede hip-hop Lil’Kim.

Page 17: Courrier International 2012

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 17

Plus on attend, plus l’unité coréennecoûtera cher. Seule solution pour réduire la note : engager le dialogue au plus tôt.

Chugan Kyunghyang (WeeklyKyunghyang) [extraits] Séoul

Le 19 décembre, les autorités nord-coréennes ont annoncé que KimJong-il venait de succomber à unecrise cardiaque, dans son train per-sonnel. Sous-entendu : le “Cher diri-geant” travaillait jour et nuit pour

son peuple ! L’économie constituait sa grandepréoccupation. Il avait promis de faire de son paysune “nation puissante et prospère”, et ce en 2012,année où l’on fêterait le centenaire de la naissancede Kim Il-sung, son père.

Cependant, malgré les grands travaux lancésun peu partout, l’économie de la Républiquepopulaire reste généralement morose. La crois-sance est négative depuis quelques années, sil’on excepte une embellie en 2008. Le com-merce extérieur a toujours été déficitaire durantle règne de Kim Jong-il. La triste situation duNord devrait préoccuper la Corée du Sud, carelle influe sur la politique extérieure de Pyong -yang et sur le coût pour le Sud d’une éventuelleréunification.

Le Nord, un nain économiqueEn 2010, le produit intérieur brut du Nord n’aatteint que 2,4 % de celui du Sud. Son revenunational brut le positionne parmi les pays lesplus pauvres de la planète. Son commerce exté-rieur représente 0,4 % de celui du Sud. L’éco-nomie du Nord en est où en était le Sud dansles années 1970, et l’écart ne cesse de se creuserdepuis 2005.

Par ailleurs, les infrastructures sont insuffi-santes pour répondre à des situations d’urgence

et aux catastrophes naturelles. L’association Germanwatch a dénombré pour ce pays trente-trois épisodes d’inondation ou de sécheressedepuis 1991. La Corée du Nord serait le neuvièmepays le plus fragile du monde. Dans une écono-mie où l’agriculture, la sylviculture et la pêchefournissent 23 % du PIB, ces catastrophes consti-tuent autant d’obstacles au développement.

Pourtant, redresser l’économie était unimpératif pour assurer la succession dynastique.Une réforme monétaire a été mise en place en2009, mais a malheureusement échoué. Début2011, Pyongyang en est arrivé à conclure unaccord avec la Chine pour la mise en place dezones économiques spéciales à Hwanggum-pyong et à Rason. La bouderie se prolongeantentre les deux Corées, c’est en effet de plus enplus vers la Chine que le Nord se tourne poursortir de cette impasse. En 2010, 83 % de soncommerce extérieur se faisait vers la Chine.

A la suite du naufrage de la corvette sud-coréenne Cheonan [en mars 2010] et du bom-

bardement de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong[en no vembre 2010], les échanges entre les deuxCorées ont chuté. Ils ont connu en 2011 une baissede 12 % par rapport à l’année précédente.

La morosité de l’économie nord-coréenne etsa dépendance à l’égard de la Chine constituentdes facteurs inquiétants pour le gouvernementde Séoul. La Corée du Sud voit s’éloigner la pers-pective d’un accord en vue de la réunification,dont le coût prévisible ne cesse d’augmenter.

”Aider le Nord dès maintenant”Il faudrait entre 500 et 700 milliards d’euros,soit l’équivalent de deux ou trois années dubudget national du Sud, pour hisser le revenupar habitant du Nord à la moitié de celui du Sud.Le ministère de la Réunification estime que, sila réunification se réalisait en 2030, le coûtatteindrait 2 000 milliards d’euros.

C’est à peu près ce que l’Allemagne a dépensépour sa propre réunification entre 1999 et 2010.L’écart entre l’Est et l’Ouest n’était pourtantpas aussi grand que celui qui existe entre lesdeux Corées. “La réunification n’est pas une obli-gation, mais, si on veut la faire, il faut dès mainte-nant aider le Nord afin de réduire son coût sur lelong terme”, déclare une source anonyme dugouvernement de Séoul. “On ne peut en tirer quedu bénéfice, même sur le court terme, car, le risquegéopolitique étant réduit, les taux de change et laBourse seraient stabilisés, ce qui attirerait les inves-tisseurs étrangers.”

Le monde a de nouveau le regard tourné versla Corée du Nord et l’orientation que va prendreson nouvel homme fort pour sauver l’économiede son pays. Selon certains, comme il a étudiéen Suisse, il va opter pour des réformes ou uneouverture sur le modèle chinois. Mais il ne serapas si facile de passer un cap aussi radical pourun régime qui doit sa survie à son isolement. KimJong-il lui-même n’avait pas réussi à aller très loindans sa volonté de réforme et d’ouverture, à causede l’opposition de l’armée.

Yi Myong-hwal, de l’Institut des finances sud-coréen, affirme que, “tant que les deux Corées resteront hostiles l’une à l’autre, les réformes et l’ou-verture du Nord ne profiteront qu’à la Chine. Legouvernement de Séoul doit absolument dialogueravec le Nord.” Pak Pyong-ryul

Une réunification hors de prix

Après la mort de Kim Jong-il,seules trois délégations ont été autorisées à allerprésenter leurs condoléancesà Pyongyang – se rendre en Corée du Nord est interditpar la loi aux ressortissantssud-coréens. Les troispersonnes qui les conduisaientétaient liées au défunt parleur beau-père, mari ou père.

Hyun Jeong-eun(née en 1955), présidente du groupe HyundaiEpouse de Chung Mong-hun, filsdu fondateur de Hyundai(automobile, constructionnavale…), elle a succédé à sonmari à la tête du groupe en 2003,après le suicide de ce dernier.

Elle a hérité du même coup du dossier des relations

économiquesavec le Nord,

amorcées en1998 par sonbeau-père.

C’est en cettequalité de chef

d’entreprise qu’elle a rencontré Kim Jong-il quatrefois à partir de 2009. Chacunede ces visites était scrutée par ses compatriotes, qui guettaient une détente entre les deux Corées.

Lee Hee-ho (née en 1922),veuve de l’ancien présidentKim Dae-jungElle a voulu rendre un dernier

hommage à celui qui lui avaitenvoyé ses condoléances lorsdu décès de son mari, en 2009.Emblème de la dissidence, KimDae-jung avait été élu présidentde la République en 1997, dix ansaprès le début de ladémocratisation de la Corée du Sud. Premier chef de l’Etatsud-coréen à rencontrer, en juin 2000, son homologue du Nord, il avait entamé le processus de réconciliationentre les deux Corées et obtenule Prix Nobel de la paix. Sonimage s’est ternie quand un

versement secretaux autorités

nord-coréennes, via le groupe

Hyundai, a été révélé. C’est au cours de l’enquête sur cetteaffaire que le patron de Hyundai,Chung Mong-hun, s’est suicidé.

Moon Hyung-jin(né en 1979), président de l’Eglise de l’unificationLa composition de la troisièmedélégation autorisée par Séoul n’a été découvertequ’a posteriori. Les troisbénéficiaires étaient desAméricains d’origine coréenne :Moon Hyung-jin, fils du révérendMoon, qui a succédé à son pèreen 2008 à la tête de l’Eglise de l’unification, accompagné du patron de Pyeonghwa Motors,un constructeur automobilecréé par les Moon au Nord, et de

celui du Washington Times,quotidien américain proche

des républicains,propriété de la

secte. Le jeuneMoon s’étaitrendu en Corée

du Nord avantla mort de Kim

Jong-il, pour y fêter le vingtième anniversaire de la première visite de son père.Il en était reparti la veille mêmedu décès du “Cher dirigeant”.Depuis 1991, le patriarche Moon Sun-myung entretient des relations très amicales avec Pyongyang, alors quel’anticommunisme constitue le fondement idéologique de l’Eglise qu’il a fondée.

Contacts

La femme d’affaires, la veuve et le gourou

� Des ouvrièresnord-coréennesdans la zoneindustrielle de Kaesong, au Nord, où les entreprises du Sud ont investi.

SIPA

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Page 18: Courrier International 2012

Source : Congressional Research Service

Exportations nord-coréennes(par pays de destination, 2009,en millions de dollars)

Importations nord-coréennes(par pays d’origine, 2009,en millions de dollars)

Deux partenaires s’imposent

Total2 235

Total3 488

ChineChine

Brésil

VenezuelaAllemagne

Autres Autres

Coréedu Sud

Coréedu Sud

Afrique du Sud Brésil

Inde

745

315

119104

1 888934

793

96

6040

La mort de Kim Jong-il n’a pas entraînéle chaos. Avec son fils aux commandes,le pays bénéficie d’une situationéconomique “moins pire” que prévu.

OhmyNews Séoul

Démentant les pronostics pessi-mistes de l’opinion internationaleà la suite du décès de Kim Jong-il, la vie semble avoir retrouvéson cours normal en Coréedu Nord. Promu “Commandant

suprême” le 30 décembre, Kim Jong-un a depuismultiplié les déplacements en tant que nouveauchef de l’Etat. Le 8 janvier, date officielle de sonanniversaire [il serait né en 1982], les autoritésont diffusé un documentaire qui le montrait aumilieu du peuple alors qu’il n’était encore que ledauphin, pour promouvoir son image de “diri-geant préparé”. La succession semble se déroulersans accroc, alors que beaucoup d’analystesavaient prédit le chaos du fait de son jeune âge.

Ce qui tendrait à prouver que la transition aété mieux organisée qu’on ne le pensait. Le décèsde Kim Il-sung en 1994 avait été subit, mais celuide Kim Jong-il [victime d’une attaque cérébraleen 2008] était annoncé, donc préparé. Quand ilaura hérité de tous les titres de son père, KimJong-un pourra régner en tant que chef incon-testé. La longue tradition “combinant le statut sin-gulier du leader et la collégialité de la plus hauteinstance de décision [le bureau du Parti du travail]”,selon Alexander Vorontsov, professeur de l’Aca-démie des sciences de Russie, sera ainsi pérennisée.Il est peu probable que le régime de Kim Jong-unconnaisse des troubles dans un avenir proche.

Les rations prennent du poidsCertains affirment que les difficultés écono-miques du pays, notamment les pénuries ali-mentaire et énergétique, vont menacer sa stabilité.Cependant, ce pronostic est contredit par lesimpressions que nous rapportent tous ceux quivisitent le pays depuis quelques années et quisemblent confirmer certaines données officielles.

En effet, d’après le rapport rendu public ennovembre dernier par l’Organisation des Nationsunies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)et le Programme alimentaire mondial (PAM),la production de céréales de la Républiquepopulaire démocratique de Corée aurait atteint4,66 millions de tonnes (après décorticage), soit8,5 % de plus qu’en 2010. Les besoins du pays sontestimés à 5,4 millions de tonnes. Il y aurait doncun déficit de 740  000  tonnes, mais, avec les320 000 tonnes importées et les aides chinoiseset américaines prévues, la situation ne devrait pasêtre catastrophique. On apprend en effet queles rations distribuées ont légèrement augmentéà la fin de l’année dernière.

Côté électricité, il y a également du mieux.Les Nord-Coréens ont augmenté leur productionde charbon pour rentabiliser leurs centrales ther-miques et de grandes centrales hydrauliques ontété mises en service pour résoudre le problèmedu manque d’électricité dans des villes impor-tantes comme Wonsan ou Kanggye. Avec la nou-velle centrale Hichon 2, attendue en octobre

prochain, les environs de la capitale devraientaussi bénéficier d’une amélioration. Les usinestournent plus qu’avant. Le Complexe du 8 février,récemment modernisé, produit à nouveau la fibresynthétique vinalon et approvisionne les grandsmagasins de Pyongyang. En matière d’engrais, laproduction devrait également suffire aux besoinsnationaux. L’hôtel Ryugyong [à Pyongyang], consi-déré jusqu’à présent comme le symbole de lafaillite de la Corée du Nord, a enfin terminé sestravaux extérieurs et va bientôt commencer àlouer certains étages [sa construction avait débutéen 1987]. Si l’ambitieux projet de construction de100 000 logements dans les environs de Pyong -yang n’a pas été réalisé, des gratte-ciel vont voirle jour en avril prochain à Mansudae, au centrede la capitale, et le nom de Kim Jong-un sera asso-

En couverture Corée du Nord : la fin de la guerre froide ?18 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

L’implosion du Nord n’est pas à l’ordre du jour

Des législatives le 11 avril et laprésidentielle en décembre :la Corée du Sud connaîtradeux échéances en 2012 quiconditionneront ses relationsavec le Nord, selon que lesconservateurs garderont lepouvoir ou que l’oppositionl’emportera. Avec l’installationde Kim Jong-un, Séoul lui a timidement tendu une perche. Mais la Corée du Nord ne manque pas une occasion de manifester son hostilité et de traiter le président Lee Myung-bakde “traître”, notammentdans le Rodong Sinmun, le journal du Parti du travail.La raison en serait que laCorée du Sud n’a pas envoyéde délégation officielle auxobsèques de Kim Jong-il. Le Nord exige encore que le Sud cesse de lui réclamerdes excuses pour le torpillage de la corvetteCheonan, en mars 2010,pour lequel il nie toute

responsabilité, et pour le bombardement de l’île de Yeonpyeong, ennovembre 2010, présentécomme une réactionjustifiée à une “provocation”,en l’occurrence les exercicesmilitaires du Sud. Exigencesque ne peuvent accepter le président Lee Myung-bak et son gouvernement, dontl’électorat est majoritairementconservateur. “Il ne se

passera probablement pasgrand-chose avant la fin de son mandat. La Corée du Nord attendra de voir les résultats de l’électionprésidentielle de décembre”, répond au quotidien HankyorehBruce Cumings, de l’université de Chicago,spécialiste de la Corée. Ungouvernement progressistedevrait permettre la reprise

du rapprochement engagélors du sommet intercoréende 2000, aujourd’huisuspendu. Or, si aucunefigure de l’opposition ne parvient à émerger, lesincertitudes qui planent surle pouvoir réel de Kim Jong-un et les craintes qu’ellespeuvent susciter chez lesSud-Coréens pourraientdonner une nouvelle victoireau Grand Parti national, déjà au pouvoir. “Lacapacité des candidats àgérer les éventuelles crisesdevient un nouveau facteurclé pour les élections”,affirme l’hebdomadaireChugan Kyunghyang.Un sondage du journalMaeil Kyongje après lamort de Kim Jong-il donnaitgagnante la conservatricePark Geun-hye devant sonchallenger Ahn Cheol-soo, la nouvelle star politique. [Voir CI n° 1108, du 26 janvier 2012.]

Elections

La droite sud-coréenne toujours intraitable

cié à cet exploit. Par ailleurs, le nombre d’usagersde téléphones mobiles a dépassé le million.

Certes, l’économie va mal selon les critèresextérieurs, mais de nombreuses conditions sontréunies pour donner à la population locale l’im-pression que les choses s’améliorent avec l’arrivéeau pouvoir de Kim Jong-un. Ainsi du rôle de laChine, dont la proximité assure la stabilité durégime. Vers la fin de son règne, Kim Jong-il s’étaitrésigné à suivre partiellement le modèle chinois.Les hauts fonctionnaires nord-coréens parlent sou-vent de l’“expérience chinoise qu’il faut étudier avecsérieux dans le cadre du projet d’une nation puissanteet prospère”. Si l’ouverture paraît inévitable dans laperspective de la stabilisation d’une économieviable sur le long terme, la Corée du Nord, fidèleaux volontés de Kim Jong-il, ne s’ouvrira pas desitôt, malgré le jeune âge de son nouveau chef.

Renoncer à mettre le Nord à genouxC’est pourquoi la Corée du Sud doit renoncer àl’hypothèse d’un effondrement du Nord et doitmettre en place une politique cohérente. Il fautcesser d’imaginer que les difficultés économiquesvont finir par la pousser à implorer le Sud. LaCorée du Sud a un programme chargé avec lesommet sur la sécurité nucléaire (en mars, à Séoul),les législatives (en avril) et la présidentielle (endécembre). La paix et le dialogue entre les deuxpays sont plus que jamais nécessaires. Il est urgentque le gouvernement du Sud renonce à l’idée demettre à genoux le Nord via l’embargo et les pres-sions. Il doit au contraire développer les échangeset la coopération afin d’amener progressivementle Nord à s’ouvrir. Chong Chang-hyon

� Le “Cher dirigeant” décédé part vers la mort et laisse la paix enotage. Dessin de Park Yong-suk paru dans Joongang Ilbo, Séoul.

Page 19: Courrier International 2012

Le Cambodge compte deuxrestaurants ouverts par Pyongyang.Des lieux très appréciés par les touristes du Sud.

The New York Times (extraits) New York

A u Cambodge, près des ruines dutemple d’Angkor, se trouve unrestaurant où les touristes sud-coréens défilent par bus entierspour assister à un spectaclede danse à l’exotisme décalé,

mêlant des ballades sirupeuses au flamboyantCarmen de Bizet, exécuté par des Nord-Coréennesau visage de poupée.

Toujours figées dans les glaces de la guerrefroide, les relations entre Corée du Nord etCorée du Sud se réchauffent sous les latitudescambodgiennes, et notamment dans ce restau-rant nord-coréen où les frères ennemis frater-nisent joyeusement, comme si la réunificationde la péninsule n’était plus qu’une affaire dejours. “Tout le monde est très excité, reconnaît JungMyong-ho, guide touristique sud-coréen. En Coréedu Sud, on ne peut pas rencontrer de gens du Nord.”

A voir tous ces visages radieux, la pluie d’ap-plaudissements sous laquelle se retirent les dan-seuses et les innombrables photos prises après lespectacle, on en oublierait presque que les deuxCorées sont techniquement toujours en guerre.Nord-Coréens et Sud-Coréens posent bras dessusbras dessous, avec les derniers gadgets électro-niques du Sud, pour immortaliser ce moment defraternité. Baptisé Pyongyang, ce restaurant faitpartie d’un projet dont plusieurs antennes ontdéjà ouvert dans des pays aussi inattendus que leBangladesh, Dubaï, le Laos et le Népal, expliqueBertil Lintner, auteur du livre Great Leader, Dear

Leader: Demystifying North Korea under the KimClan [Grand Leader, Cher Leader : une démysti-fication de la Corée du Nord des Kim]. Pour lui,l’ouverture de ces restaurants ces dix dernièresannées constitue une “expérience capitalistenord-coréenne”, où les bouteilles de vin sont ven-dues 30 dollars pièce [23 euros] et un repas peut atteindre les 100 dollars [76 euros] par convive.

Vêtues de longues robes coréennes – le tra-ditionnel hanbok –, les danseuses nord-coréennessourient en permanence et se relaient discrète-ment à la batterie, à la guitare électrique ou à l’ac-cordéon. L’une d’elles se met à tourner commeun derviche, sa grand robe en polyester se gonf-lant comme un parachute sous les cris et lesapplaudissements de Sud-Coréens déchaînés.

Au menu, on trouve des spécialités allant duplus attendu (le kimchi) au plus mystérieux (leragoût de chien), préparées par une équipe decinq chefs nord-coréens. Les danseuses, qui offi-cient également comme serveuses, expliquentavoir été envoyées ici pour une durée de trois ans.Elles ne diront toutefois pas un mot sur le restau-rant lui-même ou son propriétaire. Des souvenirsde Corée du Nord sont disséminés partout dansle restaurant. Les murs sont couverts de tableauxcensés représenter des paysages de montagne duNord, et plusieurs thés et autres herbes médici-nales sont exposés dans des vitrines.

Dans cette décoration, le plus frappant esttoutefois ce qui y manque. Aucune affiche depropagande, aucun slogan, aucun portrait deKim Jung-un, de son père ou de son grand-père,Kim Il-sung. Les serveuses évitent égalementtoute discussion politique. Jung Myong-ho, leguide sud-coréen, nous explique que ce restau-rant est comme une zone neutre où les Coréenspeuvent se rencontrer. A l’intérieur de ces murs,“la politique n’existe plus, déclare-t-il. Nous sommesune famille.” Thomas Fuller

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 19

Source : Congressional Research Service

Echanges commerciaux de la Corée du Nord avec la Chine (en millions de dollars)

Sous perfusion chinoise

Importations

Exportations0

500

1 000

1 500

2 000

2 500

Importationsp

Exportations

20092005 2007

1 888 millionsde dollars

793 millionsde dollars

Nord et Sud fraternisent…à Angkor !

L’ami chinois

Pantins du Sud

Les Nord-Coréensn’ont pas digérél’absence de délégation du gouvernement du Sud aux obsèquesde Kim Jong-il. Ils le font savoir dans lescolonnes de l’organeofficiel RodongSinmun. “Après avoircommis envers le peuple en deuil une faute que le ciel ne leur pardonnerapas, les pantinsconservateurs [du Sud] s’agitentmaladroitement, tels des corbeauxsingeant les hérons. Yu Woo-ik, à la tête du ministère fantochede la Réunification, est le protagoniste de cette mauvaisepièce. L’individu a récemment débité des balivernes en disant que ‘le Sudlaisse[rait] la porteouverte au Nord et continue[rait] à observer sonattitude en maintenant une politique souple’.En résumé, eux voudraient une amélioration des relations : nous devrions donc nous calmer et répondre à leurvolonté de dialoguer !N’est-ce pas là une manœuvresournoise et éhontée dont le but est de masquer leur responsabilitédans l’échec desrelations intercoréenneset de tromper l’opinionpublique ? Notre colèrene saurait se dissiper,même si Lee Myung-baket sa bande nousdemandaient pardon,les deux mains jointes.”

ADAM

FER

GU

SON

/NYT

Certes, soutenir la Corée du Nordn’est pas facile ni gratuit, mais c’estun “pourboire” nécessaire dans le jeude la Chine, explique le quotidien de Pékin Huanqiu Shibao.

Huanqiu Shibao (extraits) Pékin

La Chine se doit de protéger de façonclaire et déterminée l’indépendanceet l’autonomie de la Corée du Nord,en garantissant la non-ingérence deforces extérieures dans le processusde transition du pouvoir. Le nouveau

dirigeant nord-coréen Kim Jong-un étant assezjeune, certains Etats nourrissent l’espoir de voirla Corée du Nord changer profondément et ilspourraient engager différentes actions pour favo-riser une telle évolution. La Chine doit résolu-ment chercher à contrebalancer les pressionsexercées de l’extérieur. Elle doit se poser en sou-tien solide du pouvoir coréen pour contribuer àune transition sans soubresauts et pour le proté-ger contre les éléments déchaînés en ce momentcrucial. La Corée du Nord est un partenaire stra-tégique particulier pour la Chine. Malgré les dif-férents ennuis qu’elle lui a causés, notamment enraison de la question du nucléaire, la Chine conti-nue d’entretenir avec elle des relations amicales,ce qui constitue un facteur de stabilité aux fron-tières extrêmement important pour la Chine etcontribue à accroître sa capacité d’initiative stra-tégique en Asie du Nord-Est et dans l’ensemblede l’Asie orientale. En Chine, il existe toujoursdes personnes qui jugent exagéré le prix payé parla Chine pour le maintien de ses relations avecla Corée du Nord. Mais ce n’est qu’un pourboiredonné à la grande stratégie d’émergence de laChine. En fait, cela fait plusieurs dizaines d’an-nées que la Chine a œuvré pour aboutir aux rela-tions sino-coréennes d’aujourd’hui. Si elle laissaitdes Etats ou des forces extérieures ébranler lesfondements de sa stratégie de coopération avecla Corée du Nord, elle réduirait à néant tous lesefforts diplomatiques antérieurs et serait la riséede tous les observateurs des politiques desgrandes puissances. La Chine doit donc oser assu-mer ses amitiés et ne peut se dérober dans lesmoments critiques. C’est ainsi que la Chineaura de plus en plus d’amis. Dans le cas contraire,son nombre d’alliés diminuerait.

� Au restaurantPyongyang, à Angkor, les touristes sud-coréens sontservis par desNord-Coréennes.

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20 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Un blogueur américaindécouvre que la France veutréduire son utilisation de pesticides, au détriment des intérêts de l’industrieagrochimique. Un exemple à suivre, selon lui.

Mother Jones San Francisco

�U n agriculteur françaisvient d’obtenir gainde cause en justice

contre Monsanto, pourempoisonnement auxpesticides. L’intéresséaffirme souffrir de touteune série de troublesneurologiques aprèsavoir inhalé de l’herbicideLasso en nettoyant sa cuved’épandage. La décision du tribunalpourrait faire pencher la balance dansd’autres affaires judiciaires concernant lespesticides, estime Reuters. Tout cela esttrès intéressant, mais ce qui a attiré monattention, c’est ce qu’on explique à la finde la dépêche : “La France, principal pro-ducteur agricole de l’Union européenne, visedésormais une réduction de 50 % de l’utilisa-tion des pesticides entre 2008 et 2018.”

Attendez un peu. La France a une poli-tique pour faire chuter l’utilisation des pes-ticides en moins d’une décennie ? Premièrenouvelle. J’ai fouiné un peu et découvertqu’en 2008 le gouvernement français avaitsorti un plan baptisé Ecophyto 2018, sui-

France

vant une directive adoptée par l’Unioneuropéenne en 2006 qui appelait les paysde l’UE à concocter des politiques natio-nales pour réduire l’utilisation des pesti-cides. Ecophyto fixait un programmeambitieux à l’agriculture française : réduire

l’utilisation des pesticides tout en mainte-nant les niveaux de production.

Et ce n’est pas tout. Après avoir lancéEcophyto en 2008, le gouvernement fran-çais l’a amendé en 2009 pour ajouter desobjectifs encore plus ambitieux : la Francea désormais pour politique officielle defaire passer la superficie certifiée bio de2 % des terres agricoles en 2009 à 20 %

en 2020, d’inciter au moins la moitié desexploitations du pays à obtenir la cer-tification “haute valeur environne-mentale” (HVE) –  qui exige uncertain niveau de biodiversité et uneréduction de l’utilisation des engrais –et de retirer de la vente 40 pesticidestoxiques. Ces objectifs n’ont pas force d’obliga-

tion, et il faut que je creuse un peu poursavoir comment le gouvernement français

compte s’y prendre exactement pour lesat teindre. Mais, en les fixant, il crée lesconditions pour des innovations agricolesqui ne passent pas par les produits chi-

miques. Les semenciers françaischerchent déjà à produire des

variétés qui résistent bienà l’invasion des mauvaisesherbes, pour réduire lesbesoins en herbicide.Pendant ce temps, lesentreprises transnatio-n a l e s qui dominentl’agriculture américainecherchent avant tout àproduire des se mencesrésistantes aux cock-tails d’herbicides.

En tant qu’Américain du début duXXIe siècle, je trouve remarquable qu’ungouvernement intervienne explicitementcontre les intérêts de l’industrie agro-chimique. Notre loi quinquennale surl’agriculture, qui doit être renouveléecette année, incite les agriculteurs à pro-duire un faible nombre de produits (maïs,soja, coton) en très grande quantité (leplus possible) –  au diable l’environne-ment ! Notre ministère de l’Agriculture,même sous la présidence de BarackObama, homologue en général sansdiscuter les projets de marketing d’her-bicides concoctés par Monsanto et sesrares consorts.

Dans le même temps, il considèrel’agriculture bio comme une simpleniche marketing. Il ne viendrait jamaisà l’idée des décideurs politiques améri-cains d’inciter à une expansion specta-culaire du bio.

En Europe, évidemment, on fait leschoses autrement. Vous savez, cet herbi-cide accusé d’avoir empoisonné l’agricul-teur français en  2004 et qui a valu cejugement à Monsanto, son nom chimiqueest alachlor ; le Pesticide Action Network[réseau d’ONG écologiques] le considèrecomme un “mauvais acteur” et le soup-çonne de provoquer des cancers et de per-turber le système endocrinien. L’Unioneuropéenne l’a interdit en  2007. Cheznous, aux Etats-Unis, Monsanto continueà le vendre allégrement. Tom Philpott

première dans le secteuragroalimentaire. Autre coup durpour le géant agrochimique : le même jour, le Conseil d’Etat a exigé que la toxicité de sonproduit phare, le Round-up, soitréévaluée dans un délai de six mois.

Les faits Le lundi 13 février, le tribunal de grande instance de Lyon a reconnu Monsantoresponsable des problèmes de santérencontrés par un agriculteurfrançais qui utilisait l’herbicideLasso. Cette décision est une

Campagne

Outre-Manche, Sarko ne fait plus recetteLes Français de Londres sont unenjeu électoral important, surtoutdepuis la création, en 2008, d’une circonscription “Europe du Nord”, dont ils représententdeux électeurs sur trois.

The Guardian (extraits) Londres

�W elcome to “Londres”. Dans cettecampagne âprement disputée,les Français vivant dans la capi-

tale britannique sont courtisés commejamais. La loi votée par le Parlement fran-çais en 2008 donne aux ressortissants del’étranger le droit d’élire leurs propresreprésentants, dans des circonscriptionscréées spécialement pour eux. Pour lapremière fois cette année, à l’issue desélections législatives organisées en juin,les Français du Royaume-Uni auront

effectivement un député à l’Assembléenationale. Dans ces conditions, on nes’étonnera guère du vif intérêt suscité àLondres par l’élection présidentielle quiaura eu lieu le mois précédent.

“Londres pèse très lourd sur le plan élec-toral”, indique Axelle Lemaire, la candidatedu Parti socialiste pour l’Europe du Nord,une circonscription qui englobe dix pays,dont le Royaume-Uni et les Etats baltes.“80 % de l’électorat de ces dix pays vit auRoyaume-Uni, dont 80 % à Londres.”

On compte 102 470 électeurs françaisinscrits dans le royaume, et François Hol-lande devrait se rendre à Londres finfévrier. Le nombre de Français établis surle territoire britannique n’a cessé d’aug-menter chaque année depuis 1991, avec unbond de 10 000 enregistré en 2006, soit lahausse la plus importante en vingt ans.

Le quartier de South Kensington – sur-nommé “Frog Alley” [allée des grenouilles]

en raison d’un nombre disproportionné decafés, écoles et magasins d’habillementfrançais – est un terrain de premier choixpour la chasse aux voix. Devant la salle deconcert du Royal Albert Hall, Mme Lemairepasse ses soirées à distribuer des tractsappelant à voter Hollande. “Les réactionssont généralement positives, rapporte-t-elle.L’antisarkozisme a manifestement traversé laManche. Même les partisans de Sarko sontdéçus : certains pensent qu’il n’est pas allé assezloin dans la réforme du marché du travail ;d’autres estiment au contraire qu’il en a faittrop, de manière incohérente.”

En 2007, au moment de la dernière pré-sidentielle, M. Sarkozy avait été le premiercandidat à faire campagne de l’autre côtéde la Manche, tâchant de reconquérir descompatriotes qui avaient fui en masse versla City pour profiter d’une économie alorsflorissante et d’une bureaucratie peu enva-hissante. Il avait promis d’instaurer la

méritocratie et de libéraliser l’économie.Au lieu de cela, celui qui a été surnommé“président bling-bling” n’a apporté, semble-t-il, que l’aggravation du chômage desjeunes, une crise de la dette dans la zoneeuro et un penchant à porter des talonshauts et des montres Rolex en public. “J’aiquitté la France il y a quinze ans parce que jesuis mieux payé ici”, confie Frank Toban, chefpâtissier de 47 ans chez Belle Epoque Pâtis-serie, dans le nord de Londres. “Et ça n’a paschangé.” Votera-t-il aux prochaines élec-tions ? “Oui, mais je ne sais pas encore pourqui. En tout cas, pas pour Sarkozy.”

Fata, originaire d’Algérie mais installéà Londres depuis vingt-deux ans, estimeque le président a été handicapé par sonincapacité à assouplir le marché du travail.“Pour obtenir un emploi chez MacDo enFrance, il faut remplir 20 000 formulaires.C’est pourquoi nous sommes si nombreux ànous installer ici.” Elizabeth Day

� Dessin de Walenta, Pologne.

Environnement

Des as de l’agriculture durable… sur le papier

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22 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Helsinski suit de près la politique culturelle menéedans la capitale de la régionRhône-Alpes. Elle a décidé des’en inspirer, avec l’ambition de devenir une cité des arts à visage humain.

Helsingin Sanomat Helsinki

�H elsinki se rêve en centre euro-péen de la culture, des scienceset des arts. La capitale de la Fin-

lande veut gagner en visibilité sur la scèneinternationale, mais la concurrence estrude dans ces disciplines. Depuis quelquetemps déjà, la ville se cherche donc desmodèles parmi les métropoles reconnuescomme des capitales culturelles, et cealors qu’elle fait face à d’importantes déci-sions concernant le développement deprojets artistiques [le conseil municipalde la ville doit se prononcer fin février surla construction d’un musée Guggenheim].

L’exemple lyonnais, notamment,éveille l’intérêt. Développé au début desannées 2000, il a peu à peu inspiré d’autresvilles de France. Il repose sur cette idée :impliquer les associations culturelles quidépendent des subventions publiques

France

dans le développement de la ville. Uneattention particulière est accordée auxquartiers sensibles et aux populationsqui habituellement restent en marge desmanifestations culturelles. Toutefois, lesprojets organisés ne se limitent pas audomaine culturel ; ils englobent égale-ment le travail social, le secteur écono-mique et la planification urbaine.

En France, la politique de la ville s’ap-puie depuis quelques années sur lescontrats urbains de cohésion sociale quel’Etat, les conseils régionaux et les muni-cipalités développent conjointement[appelés Cucs, ils sont entrés en vigueurdébut 2007]. Dans le cadre de ces con -trats, l’Etat a donné aux villes la liberté dechoisir leurs priorités, et Lyon a choisi demiser sur la culture. Un accord spécial aété passé entre la municipalité et vingt-deux institutions culturelles de la ville.Les musées, les théâtres, la Maison de ladanse, l’opéra, la bibliothèque municipale,l’Auditorium-Orchestre national de Lyonou encore les archives municipales tra-vaillent désormais en étroite collabora-tion. Ces institutions ont pour missiond’élargir leurs publics et de se construireune réputation à Lyon et au-delà.

Cette nouvelle manière de procédera permis d’atteindre des publics plus

divers. Ce qui est remarquable dans lemodèle lyonnais, c’est l’importance accor-dée aux habitants et la place octroyée à laculture dans le développement des quar-tiers. Les institutions culturelles multi-plient les partenariats avec toutes sortesde structures locales, comme les com-munautés de résidents ou les servicesmunicipaux.

L’organisation de la Biennale d’artcontemporain de Lyon est ainsi répartieentre plusieurs quartiers de la ville. Desmanifestations sont proposées jusque surl’ancienne commune industrielle deVaulx-en-Velin, dans le nord-est de l’ag-glomération [lors de la dernière édition,qui s’est tenue du 15 septembre au 31 dé -cembre 2011, des installations étaient ainsià découvrir sur le site de l’usine Tase, uneancienne fabrique de soie artificielle ins-crite au patrimoine industriel].

Le financement de la Biennale est enpartie assuré par des entreprises de tra-vaux publics, qui profitent en retour de lavisibilité croissante de la région. Car untravail culturel digne d’intérêt au niveaulocal permet d’attirer l’attention à l’échelleinternationale. Si Lyon véhicule une imagepositive, c’est aussi pour sa capacité àbriser les normes. La Biennale de la danseque la ville organise en est un bon exemple.

A l’occasion de cet événement, une grandeparade chorégraphiée déambule dans laville, conduite par les élèves des écoles dedanse et les habitants. Peu à peu, ce défilés’est imposé comme l’attraction la plusvisible de la Biennale, suivie par les médiasinternationaux.

La population de Lyon [480 000 habi-tants] équivaut à celle d’Helsinki [584 000],mais, entre les deux villes, les différencesen matière de politique culturelle sautentaux yeux. Et Helsinki doit se préparer à

revoir sa stratégie dans ce domaine. Lapolitique culturelle qu’a décidé de suivrele conseil municipal pour la période 2012-2017 constitue un pas dans le bon sens,inspiré du modèle lyonnais. Elle prévoit,par exemple, d’accroître la qualité de viedes habitants, de promouvoir un senti-ment de communauté, de lutter contrel’exclusion sociale et d’accorder davan-tage d’attention au multiculturalisme. Elleaffirme aussi la nécessité d’étendre lespolitiques culturelles à d’autres secteurs.Il s’agit de changer les us et coutumes.Dans les banlieues d’Helsinki, il existe déjàplusieurs associations ou structures quirendent possible la création de projetsinteractifs proches des habitants et acces-sibles à tous.

Alors qu’Helsinki s’apprête à lancer laconstruction d’un nouveau musée, il estbon de se rappeler que, dans les pays tra-ditionnellement culturels, la culture vabien au-delà des expositions proposéesdans quelques établissements élégants ducentre-ville. Nous devons nous inspirer devilles comme Lyon pour examiner com-ment la culture peut être produite etapportée au plus près des habitants.Sara Kuusi et Ari Tolvanen

Régions

Lyon, la ville que nous envie la Finlande

espagnol saluent son sens de l’innovation, son dynamisme.(Supplément à CI n° 1070, du 5 mai 2011.)

Les

archives

www.courrier

international.com Lyon, le renouveau Pour la presseétrangère, pas de doute : la capitale de la région Rhône-Alpes est tournéevers l’avenir. Des quotidiens allemand,irlandais, belge, danois ou encore

Plus qu’un réveil, c’est“une résurrection”,s’enthousiasme la FrankfurterAllgemeine Zeitung.Longtemps, pour le visiteur étranger, lenom de Lyon a surtoutévoqué le souvenir despremières émeutesurbaines françaises,survenues en 1970-1980 dans les villespériphériques

de Vénissieux ou Vaulx-en-Velin. Tout le reste n’étaitqu’embourgeoisement,torpeur et placideennui. “De 1905 à 1989,Lyon n’a connu quetrois maires”, relève lequotidien de Francfort.Mais voilà que toutchange. Au tournantdes années 1990, la ville a commencéà sortir de sa torpeur.

La FAZ en veut poursignes visibles, entreautres, “la Biennaled’art contemporain et celle de la danse, la Fête des lumières ou la construction de nouveaux théâtreset musées”. “A l’échelon européen, le vaste projet de rénovation urbainelancé tient sans rougirla comparaison avec

ceux de Hambourg et de Barcelone”,poursuit le journalallemand, qui salue la culture du compromisanimant le Grand Lyon. Dans la communautéurbaine, la culture et les infrastructuressociales restent du ressort desmunicipalités – doncd’acteurs politiques.

Experts et autres“inventeurs deconcepts” n’ont qu’unrôle de second plan.“Cette répartition destâches n’engendre pasde bouleversementsthéoriques en matièrede politique urbaine,mais reste fidèle à l’esprit pragmatiquede la ville, autrefois citéde commerces et d’usines.”

Vu d’Allemagne

Une calme résurrection

Examiner comment laculture est apportée auplus près des habitants

� Dessin de Cost paru dans Le Soir,Bruxelles.

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Joachim Gauck : une réputationd’homme intègre

Né en 1940 à Rostock,au bord de la Baltique,Joachim Gauck est unthéologien de formation et a longtemps exercé comme pasteur en RDA. Il a été l’un des fondateurs du Neues Forum, un mouvement de citoyens qui a largementcontribué à la chute du mur de Berlin, en 1989. Nommé à la tête des Archives de la Stasi, la police politique est-allemande,il a dirigé cette institution de 1992 à 2000 et lui a laissé une si forte empreinte qu’elle a longtemps été appelée “instance Gauck”(“Gauck-Behörde”). Attaché à la démocratieoccidentale, aux droits de l’homme et à la liberté – ce que confirme la parution,le 20 février, de son nouvel opus, Freiheit. Ein Plädoyer [Liberté. Un plaidoyer, Kösel Verlag, Munich], Joachim Gauck jouitd’une réputation d’homme intègre. En 2010,c’est le quotidien conservateur Die Weltqui le premier avait évoqué son nom après la démission du président Horst Köhler.Considéré aujourd’hui comme l’homme idéalpour une présidence au-dessus des partis, il est, selon l’hebdomadaire Die Zeit, créditéde 54 % d’opinions favorables pour prendre

la succession de Christian Wulff.L’Assemblée fédérale, composée des

membres des deux Chambres, le Bundestaget le Bundesrat, sera prochainement

convoquée pour procéder à son élection. La majorité

des voix lui est désormaisacquise.

24 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Pressée de tous côtés de nommer Joachim Gauckcandidat à la succession du président Christian Wulff,démissionnaire, la chancelièrecède et évite une crise politique. Une volte-face dont ellepourrait tirer profit en 2013.

Die Tageszeitung Berlin

�A vec la nomination de JoachimGauck, la chancelière a dû faireune chose à laquelle elle n’est

guère habituée : elle a cédé à la pressiondes libéraux du FDP [partenaire junior desa coalition gouvernementale], et s’est diteprête à accepter que cet ancien activisteest-allemand devienne président [voir ci-contre]. A première vue, c’est une défaitepour Angela Merkel. Après tout, en 2010,c’était elle qui avait personnellementinsisté pour que sa coalition penche enfaveur de Christian Wulff (CDU), le can-didat de son parti [chrétien-démocrate],contre Gauck [déjà favori des sociaux-démocrates et des Verts à l’époque].

Or, les choses sont loin d’être sisimples. Autrement dit, un parti à 2 %[score actuel des libéraux du FDP dans lesintentions de vote] n’a pas pu soudain bou-leverser l’équilibre des pouvoirs, et encoremoins décider du destin de la Répu-blique. Non, Merkel a analysé la situa-tion et compris qu’un retournementsurprenant serait encore pour elle lameilleure des solutions.

Il fallait d’abord songer en termesde majorité : Gauck était le candidat quiremportait le plus d’adhésions de la partde l’opposition. D’une part, en faisantmarche arrière, Merkel évite la crise au seinde la coalition et, d’autre part, elle reprenddu même coup à son compte le slogan quiavait été le sien durant la campagne : le

consensus avant tout. C’est l’oppositionqu’elle vise, non les libéraux du FDP.

De plus, quand leur fierté d’avoir rem-porté une prétendue victoire sera retom-bée, les libéraux du FDP se souviendrontd’un fait essentiel : Gauck à la présidenceest un signal pour une future grande coa-lition. Tout comme elle a su intégrer àplusieurs reprises le SPD [Parti social-démocrate] et les Verts au Parlement, quece soit sur les questions européennes ousur les énergies renouvelables, elle parvientencore à une intégration – après un tempsd’hésitation – pour l’élection présidentielle.Elle-même pourrait profiter de ce rappro-chement habilement dosé en 2013 [lors desprochaines élections législatives].

Ce qui ne sera certainement pas le casdes libéraux du FDP. Enfin, même les Vertset les sociaux-démocrates du SPD neseront peut-être pas si heureux qu’ils pré-tendent l’être pour l’instant avec ce prési-dent qu’ils appelaient de leurs vœux. Lefutur président de la République fédéraledécrit son action par l’expression “liberté

et responsabilité”. Or le manque de libertén’est pas vraiment le problème le plus pres-sant de notre société. Au regard des agis-sements des marchés financiers et desbanques, on aurait même tendance à sou-haiter un peu moins de liberté.

C’est là que le brillant orateur qu’estJoachim Gauck a tendance parfois à lancerces formules qui l’ont rendu si populaireau FDP. Il a sèchement décrit le mouve-ment Occupy comme “d’une bêtise indi-cible”. Rejet étonnant de ces centaines demilliers de gens qui expriment par desmanifestations leur malaise face à desmarchés financiers débridés. Gauck aimeaussi à pérorer sur la responsabilité dontmême les bénéficiaires de l’aide sociale(Hartz-IV) devraient faire preuve dansleur vie. Les mères célibataires des quar-tiers difficiles qui se démènent en vainpour trouver un emploi lui en sauront grésans aucun doute…

Le président désigné a eu cette phrasedigne d’être soulignée à l’occasion de sanomination. Sa principale mission seraitd’être proche de “ceux qui disent oui à laresponsabilité”. Il n’y a plus qu’à espérerqu’il n’oublie pas ceux qui n’ont même pasassez de souffle pour clamer un ouienthousiaste tant ils se battent pour leursurvie au quotidien.

Quant au SPD et aux Verts, qu’ils lesachent : si, ces dernières années, ils onteux-mêmes effectué un virage à gauchedans leurs programmes, c’est à un prési-dent tout à fait conservateur qu’ils ontdroit aujourd’hui. Et il n’y en a qu’une quecela ne dérangera pas  : la chancelièreAngela Merkel. Ulrich Schulte

Allemagne

Consensus pour un président conservateur

A la une “Le procureur de laRépublique contre le président de laRépublique. La démission inévitable”,titre Der Spiegel le 18 février. La veille, Christian Wulff a annoncéson départ. Depuis le 13 décembre,date à laquelle le tabloïd Bild révélait

une affaire de prévarication le concernant, la crédibilité deChristian Wulff, devenu, en juin 2010,président avec le soutien d’AngelaMerkel, n’avait cessé de décliner. Quela justice demande la levée de sonimmunité l’a conduit à jeter l’éponge.

�L e très populiste et très xénophobeParti pour la liberté (PVV),dirigé par Geert Wilders, vient

d’inaugurer, rapporte le quotidien NRCHandelsblatt, un site Internet où lesNéerlandais sont invités à dénoncer “lesnuisances et la pollution” provoquées parles immigrés de l’est de l’Europe. Lachose pourrait rester anecdotique sile PVV ne soutenait pas l’actuelle coali-tion au pouvoir. Le Premier ministre, lelibéral Mark Rutte, se contente d’expli-quer que le contenu de ce site ne reflètepas l’opinion du gouvernement sur lesujet. Mais la Commission et le Parle-

ment européens ne l’entendent pas decette oreille et condamnent cette initia-tive discriminatoire, tout comme lesambassadeurs à Bruxelles de dix pays del’Europe centrale qui ont envoyé unelettre de protestation.

Pour la presse polonaise, il est clairque le site du PVV vise avant tout lesPolonais : avec 200 000 travailleurs,employés surtout dans l’agriculture, ilsconstituent la première communautéimmigrée de l’est de l’Europe aux Pays-Bas. “Cette fois, Wilders a dépassé les bornes,car il s’agit d’une incitation à la haine. Mêmeles Néerlandais s’en rendent compte. Les gens

indignés nous envoient des messages surTwitter”, affirme Malgorzata Bos-Karc-zewska, qui dirige un journal en ligne des-tiné aux Polonais des Pays-Bas. “Ils veulentsavoir ce que va être l’étape suivante. Lesmarquer d’une étoile jaune ?”

Face au silence du Premier ministrenéerlandais, l’eurodéputé polonais JacekSaryusz-Wolski et son collègue roumainSebastian Bodu vont encore plus loin etappellent au boycott des marques hol-landaises, parmi lesquelles Shell, Heine-ken, Lipton et Knorr. “Quand la diplomatieest impuissante, les citoyens peuvent s’ex-primer grâce à la liberté de choix. Nous

devons envoyer au gouvernement néerlan-dais un signal fort de notre unité et montrerqu’il a autant besoin de nous que nous de lui”,affirment-ils dans leur message.

“Des milliers de plaintes sont parvenuesau chef de l’Office de l’antidiscrimination auxPays-Bas, mais il n’ira vraisemblablementpas au procès parce qu’il n’a pratiquementaucune chance de gagner, explique le quo-tidien Gazeta Wyborcza. L’incitationà la délation d’immigrés délinquants, quiposent des problèmes de voisinage, des SDF,de ceux qui jettent des ordures n’importe où,tout cela ne constitue pas une violation de laloi européenne.” �

Europe

Pays-Bas

Geert Wilders et la haine des immigrés de l’Est

� L’ex-président Wulff s’accrocheà son “Ehrensold”, une retraiteannuelle de 199 000 euros qui faitpolémique. Dessin d’Oliver Schopf, paru dans la Süddeutsche Zeitung, Munich.

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26 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Europe

Les opposants parviennent à organiser de grandesmanifestations. Mais le candidatPoutine demeure favori pour la présidentielle du 4 mars.Prochain bras de fer entre lesdeux camps : les 23 et 26 février.

Expert.ru Moscou

�L a campagne pour la présiden-tielle 2012 ne se déroule pas dansles circonstances habituelles.

Dans la capitale, se succèdent des mani-festations de dizaines de milliers de per-sonnes. Des personnalités communémentappelées “leaders de l’opposition hors sys-tème” [opposition non représentée au Par-lement, mouvements issus de la sociétécivile récemment encore marginalisés]sont désormais invitées sur les plateaux detélévision, où on les laisse dire ce que bon

leur semble, ou presque. Lors des débatsentres candidats au poste suprême (ouavec des “émissaires” de Vladimir Poutine)[celui-ci a refusé de débattre avec ses chal-lengers pour cause d’emploi du tempschargé. 499 “émissaires” issus du gratinculturel, scientifique et sportif le font à saplace] retentissent des déclarations detoutes sortes sur le sort à réserver au sys-tème actuel en général, et à certains de sesreprésentants en particulier.

Mikhaïl Prokhorov [droite ultralibé-rale], Guennadi Ziouganov [Parti commu-niste] et Sergueï Mironov [parti Russiejuste, centre gauche], trois des quatre can-didats outre Poutine, assurent à leurs élec-teurs potentiels qu’en cas de victoire ilsn’occuperont pas le fauteuil présidentieldurant les six années imparties [la duréedu mandat, renouvelable une fois, passe àpartir de ce scrutin de quatre à six ans],mais le libéreront bien plus tôt, après avoirrestauré tout un ensemble de libertés et

confié d’importants pouvoirs au nouveauParlement [élu le 4 décembre]. De son côté,Vladimir Poutine s’entretient avec sesreprésentants, des équipes de politologues,des organisations d’observateurs du scru-tin (pas toutes, évidemment), et exposeassez ouvertement son opinion sur les pro-blèmes auxquels le pays est confronté. Ilpublie dans les principaux journaux desarticles détaillant les grandes lignes de sonprogramme. Cela a-t-il un impact sur lasituation pré-électorale ? Certaines ten-dances inhabituelles ces dernières semainesdans les déclarations des électeurs pour-raient offrir des éléments de réponse.

Faute d’alternative crédiblePour la Fondation opinion publique (FOP),la cote de popularité de Vladimir Poutinen’a cessé de baisser tout au long de 2011,atteignant son plancher mi-novembre, à42 %. Depuis, elle remonte, et se situait à47 % d’opinions favorables le 4 février. Le

Centre d’étude de l’opinion enregistre luiaussi une tendance à la hausse, et donne54 % d’opinions favorables le 9 février. Pourles autres candidats à la présidence, leschiffres varient très peu, Ziouganov et Jirinovski se maintenant autour des 10 %,Mironov à 5 % et Prokhorov à 4 %. La FOPdonne les mêmes chiffres, sauf pour Sergueï Mironov, qu’il crédite de 2  % seulement.

On voit ainsi que le contexte danslequel se déroule cette campagne n’a guèred’influence sur la relation des électeursavec les candidats. Le fait que la cote dePoutine monte doucement alors que celledes autres ne bouge presque pas doit doncs’expliquer par d’autres facteurs.

Commentant ces bons chiffres du Pre-mier ministre, le président de la FOP,Alexandre Oslon, assure qu’il ne faut pasforcément chercher à les relier à certainesde ses initiatives récentes. La raison prin-cipale de l’amélioration de sa cote de popu-

Russie

Comment Poutine resserre ses réseaux et mobilise des intellectuels

� Manifestation pro-Poutine à Moscou le 4 février 2012.

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larité serait l’absence d’alternative crédible.“Concernant Poutine, l’élément déterminantest que les électeurs se demandent qui d’autre,à part lui, peut occuper le fauteuil, et cela lespousse tout droit vers la réponse”. Selon cetexpert, leur relation aux autres candidatsest fonction d’une série complexe de rai-sons, l’une d’elle étant le “sérieux” de lacandidature de tel ou tel.

A bonne distance des politiquesValeri Fiodorov, directeur général duCentre d’étude de l’opinion, estime que lesrésultats finaux des candidats de l’opposi-tion seront meilleurs que leurs cotes depopularité actuelles : “Traditionnellement,les candidats de l’opposition recueillent plus devoix que ce qu’avaient indiqué les sondages.Les explications sont multiples. Certaines per-sonnes refusent de confier leur choix lorsqu’onles interroge, et les hommes d’âge moyen, quiconstituent l’essentiel des protestataires, sontpeu pris en compte dans les sondages par télé-phone parce qu’ils se trouvent rarement chezeux quand on les appelle ou n’ont pas le tempsde répondre à une enquête d’une demi-heure.”Concernant Poutine, le résultat définitifne devrait pas être meilleur que les son-dages, car “son électorat, surtout passif, peutdécider de ne pas aller voter, il n’obtiendra doncpas un score plus élevé que prévu”.

Pendant ce temps, nous sommestémoins d’une politique d’un nouveaugenre, qui s’élabore dans la rue et nesemble pas liée au calendrier électoral. Le4 février, un mois jour pour jour avant laprésidentielle, Moscou a connu deuxgrandes manifestations. L’une reliait l’ave-nue Iakimanka à la place Bolotnaïa pourréclamer des élections honnêtes, et l’un deses mots d’ordre était “Pas une seule voixpour Vladimir Poutine”. L’autre, sur la buttePoklonnaïa, avait pour slogan “Nous avonsbeaucoup à perdre”. Les décomptes officielset officieux du nombre de manifestants depart et d’autre vont de 35 000 à 135 000personnes, mais tout le monde reconnaîtqu’il y avait foule des deux côtés.

Quoi qu’il en soit, il faut noter quetous les participants à la manifestationd’opposition ne sont pas restés pour les

prises de parole des personnalités atten-dues, non seulement à cause de la tem-pérature de ce samedi-là (– 25 °C), maisaussi parce que certains n’avaient pasenvie d’entendre les orateurs, uniquementintéressés par la participation à la marcheoù tout le monde est à égalité. Le phéno-mène avait déjà été observé lors de la pre-mière manifestation [le 10 décembre] : lapartie cortège et la partie discours sontdeux entités séparées. Cette fois tout avaitété organisé pour qu’on puisse prendrepart au défilé et ne pas rester pour les dis-cours sans avoir l’impression de trahir lacause. Autre curiosité intéressante : aucuncandidat à la présidence ne se trouvaitparmi les orateurs. Prokhorov a défilécomme un manifestant ordinaire, SergueïMironov n’est pas venu, déclarant qu’iln’avait “rien à faire” aux côtés des libé-raux. Alexeï Navalny [le célèbre militantblogueur anticorruption, lire CI n°1109],qui a certaines ambitions politiques, n’apas non plus prononcé de discours. Ainsi,le mouvement de protestation de la rue

tient à éviter de se mélanger à la cam-pagne politique. Ou, plus exactement, ilsait quoi penser de Poutine mais ne jugepas indispensable de définir sa position àl’égard des autres candidats.

La protestation demeure au niveau del’émotion, s’arrête à la conviction que leslégislatives n’ont pas été légitimes, et queles scrutins en général ne le sont pas. Dansl’ensemble, les contestataires s’accordentà dire que telles qu’elles sont organisées àce jour en Russie, les élections ne consti-tuent pas un moyen d’entière légitimationpour ceux qui se présentent. Cela vautaussi pour la présidentielle qui arrive, etqui verra sans doute la victoire de Vladi-mir Poutine. Reste à savoir si cet état d’es-prit sera alors partagé par de largescatégories de la population. Car c’est

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Nikolaï Kolyada, directeur de théâtre à Ekaterinbourg, est confronté, comme d’autrespersonnalités de la culture, à une campagne de persécutionsdepuis qu’il a rendu public son soutien à Poutine.

Vzgliad Moscou

�A u sein de la société russe, leconflit politique s’envenimede jour en jour. Ces derniers

temps, les artistes qui déclarent publi-quement qu’ils voteront Poutine [à la pré-sidentielle du 4  mars] font l’objetd’injures. La réprobation s’est intensifiéeune nouvelle fois après la publication desnoms de personnalités du monde de laculture soutenant la candidature du Pre-mier ministre [499 “émissaires” chargésde le représenter lors de débats et d’in-terventions publiques]. Les clips de cam-pagne du candidat Poutine, diffusés parla télévision, dans lesquels figurent entreautres le directeur de théâtre Oleg Taba-kov, la comédienne Alissa Freindlikh, lecomédien Evgueni Mironov [voir p. 28],constituent une nouvelle cible pour lescommentateurs implacables.

Nikolaï Kolyada, célèbre dramaturgeet metteur en scène d’Ekaterinbourg, aété l’un des premiers pris sous le feu etla glace de l’ostracisme.

Vzgliad En tant que personnedirectement concernée par ces attaques, que pouvez-vous dire de cette situation ?Nikolaï Kolyada Je passe beaucoup detemps sur Internet, et je peux vous direque je suis totalement sous le choc aprèsce que j’ai lu sur les réseaux sociaux. J’ail’impression qu’ils ont commencé parmoi. En janvier, j’ai écrit sur ma page quej’avais voté pour Russie unie [aux légis-latives de décembre]. Je disais que, sansêtre membre de ce parti, je l’avais choisiet que je n’appréciais pas que mes cama-rades de l’opposition qua -lifient les gens de NijniTaguil [ville de l’Oural oùa eu lieu une manifesta-tion pro- Poutine] de“bétail”. Au début, j’ailaissé passer les insultesselon lesquelles j’étaisune pute, un salopard,une vermine, puis j’aibloqué l’accès de ma pageà une cinquantaine de per-son nes. Je me suis fâchéavec beaucoupde gens quiétaient mes

amis depuis vingt ans. Et voilà mainte-nant qu’apparaît une liste de 499 per-sonnes devenues émissaires de Poutine.

Liste dans laquelle votre nom nefigure pas…Effectivement, je ne suis pas l’émissairede Poutine, je fais simplement partie del’une de ses équipes régionales de soutien.Mais je continue à suivre ce qui se passepour les autres personnes qui ont mani-festé leur soutien à Poutine, en particu-lier depuis la publication de cette liste.Ainsi, sur Facebook, j’ai pu lire “AdieuAlissa Freindlikh”, et c’était ce qu’il y avaitde plus poli. J’en ai froid dans le dos. Ils’agit de l’une des plus grandes actricesdu XXe siècle, on devrait baiser la trace deses pas. Concernant la liste, j’ai lu : “Laliste des plus gros salauds de cette saloperiede Russie a été rendue publique, c’est le palmarès de la honte.” Parmi les “salauds”en question, on trouve Anna Netrebko,grande cantatrice s’il en est. Je n’en croispas mes yeux. Et le pire, c’est que per-sonne ne riposte à ceux qui traînent dansla boue la fine fleur de notre culture.

Pourquoi, à votre avis ?Par peur ! Les gens ont peur d’être prispour cible, peur qu’on se jette sur eux etqu’on leur hurle “Comment peux-tu ne pasêtre du côté de ceux qui se situent à l’avant-garde de la pensée progressiste ?” Aujour-d’hui, partout, que ce soit à Moscou, àEkaterinbourg, où vous voudrez, la modeest à l’opposition au pouvoir en place. Ilsdisent tous la même chose  : “Noussommes contre Poutine, un point c’est tout.Et tous ceux qui sont pour lui sont des misé-rables et des brutes.”

Des affichettes insultantes ont été placardées sur votrethéâtre d’Ekaterinbourg. Vous avez porté plainte et, entre-temps, les auteurs de ces “œuvres” les ontrevendiquées. Comment cettehistoire s’est-elle terminée ?

Pour l’instant, elle n’est pas termi-née. L’affaire judiciaire suit son

cours. En tout cas, lorsqu’il a étéannon cé que j’avais déposéplainte auprès de cinq instancesdifférentes, les choses se sontcalmées et je n’ai plus eu à lireque Kolyada devrait être pendu

à un réverbère.Kirill Rechetnikov

Pour Poutine

“S’opposer, c’est à la mode”

� Les opposants Sergueï Oudaltsov et Evguenia Tchirikova lors dumeeting “Pour des élections honnêtes” à Moscou le 4 février 2012.

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Les pro-Poutine sont peu actifs sur les réseaux sociaux

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Europe

D’après les sondages de la FOP, le sou-tien aux manifestations protestatairesserait en train de s’éroder. Fin décembre, ils’établissait à 34 %, contre moins de 25 %aujourd’hui. Alexandre Oslon a sa petiteidée sur la question : “Avant, quand on inter-rogeait les gens sur leur envie d’aller manifes-ter, ils donnaient une réponse théorique. Aprésent, ils ont pu voir à la télé comment celase déroulait. Il est possible que, du coup, beau-coup ne soient pas tentés d’adhérer à ces actionsdevenues très concrètes.”

Au sujet des articles dans lesquels Pou-tine expose son programme, le politologueValeri Fiodorov ne croit pas qu’ils puissentavoir une réelle influence sur les intentionsde vote : “La presse est un média secondaire,et en outre ceux qui lisent les journaux sontgénéralement opposés à Poutine. Ces articlessont une simple tentative pour sortir le débatde la logique des rassemblements de rue et nes’adressent qu’à une catégorie sociale minime.”Cela n’a pas empêché ces articles de pro-voquer de vives réactions. Ainsi VladimirPoutine a fourni la preuve qu’il était capable

de mener campagne dans les registres lesplus divers, qualité qui confirme qu’il resteun homme politique de premier plan. Etc’est l’une des raisons qui font que beau-coup de gens ont une réponse toute prêteà la question : “Qui sinon Poutine ?”

Fiodorov ne prédit ce que deviendra sapopularité après la présidentielle. “Il a déjàfait toutes sortes de promesses, et s’il les oubliedès le lendemain de son élection, sa cote bais-sera.” L’optique des citoyens qui manifes-tent depuis décembre est moins laprésidentielle elle-même que ce qui se pas-sera après. Ils réclament plus d’influencesur les processus à l’œuvre dans le pays. Leslogan “Une Russie sans Poutine” peut mêmeêtre mis de côté pour un temps. L’impor-tant, c’est de savoir en quoi va consister,dans les circonstances actuelles, une “Russieavec Poutine”. Stanislav Kouvaldine

Russie

cela qui va contribuer à déterminerl’évolution de la vie politique. C’est là queréside le grand pari des militants actuels.

Concernant la manifestation pro-Pou-tine, les vidéos consultables sur YouTubemontrent que les discours enflammés desorateurs ne soulèvent aucun enthousiasme,tandis que les incitations à scander des slo-gans restent ignorées ou suivies par unepartie réduite du public. En d’autrestermes, le bilan est le même que dans lecamp d’en face : un fossé entre les masseset les personnalités qui s’expriment de latribune. Mais avant d’établir des analogiesil faut étudier la nature de ce fossé.

La manifestation des protestataires etle rassemblement des pro-Poutine figurentde façons très dissemblables sur les réseauxsociaux. Concernant les seconds, il estpresque impossible de trouver des photos,des réflexions sur l’événement, deséchanges sur le sujet. On peut dès lors for-muler deux hypothèses : soit les manifes-tants de ce camp ne sont pas de grandsutilisateurs des réseaux sociaux, soit ils nesont pas enclins à considérer le fait d’avoirassisté à ce meeting comme quelque chosequi mérite d’être largement signalé. Quelleque soit la raison, le tableau est radicale-ment différent en ce qui concerne la mani-festation de l’opposition, diffusée à grandeéchelle sur Internet.

La façon de mobiliser a aussi été toutautre. “Nous avons des accords de coopéra-tion avec plus de quarante associations,explique Andreï Ilnitski, responsable desrelations avec les associations au Comitéexécutif de Russie unie [le parti au pou-voir]. Bien sûr, nous leur avons passé des coupsde fil pour leur proposer d’envoyer du monde.Je pensais que nous réunirions dans les200 personnes, mais la veille, mes collabora-teurs m’ont appelé pour me dire qu’il y enaurait 1 500. C’est là que j’ai compris qu’il yaurait foule.” Sur Internet, on peut lire denombreux témoignages anonymes de par-ticipants affirmant qu’on leur a forcé lamain. En tout cas, le parti au pouvoir amontré qu’il pouvait, sans trop de pro-blèmes, organiser une action de masse, cequi constitue une nouveauté dans notrepolitique de la rue.

27 �

Le pianiste Mikhaïl Arkadievdénonce le cynisme des grandsartistes qui soutiennent unpouvoir criminel, et coupable à ses yeux de chercher àprovoquer un schisme au seinde l’intelligentsia.

Novaïa Gazeta (extraits) Moscou

�J e sais que je ne suis pas EmileZola et que ma voix sera peuentendue. Mais ce que je m’ap-

prête à dire maintenant doit absolumentêtre dit, et par un musicien classique vivanten Russie. J’accuse ce pouvoir, le pouvoirde Poutine et de l’élite régnante, de ladégradation irréversible du pays, et duschisme moral criminel qui déchire laRussie. Aujourd’hui, ce schisme, cettefêlure, traverse les cœurs et les âmes detous ceux qui vivent en Russie. Ou qui déjàn’y vivent plus, mais qui sont intimementliés à la Russie par la naissance, la langueet l’éducation.

Le 4 février 2012, j’ai compris, le cœurlourd, que les deux manifestations [de l’op-position et pro-Poutine] qui s’étaientdéroulées simultanément à Moscou sym-bolisaient cette rupture dans l’âme dupeuple. Aujourd’hui, j’ai pleuré de chagrin,de pitié, d’impuissance, en voyant le nomd’Alissa Freindlikh dans la liste de soutienau candidat Poutine. A ses côtés, j’ai vu éga-lement les noms des artistes de renomméemondiale que sont l’altiste Iouri Bashmetet le chef d’orchestre Valeri Guerguiev. Cene sont pas mes confrères musiciens quim’ont tiré des larmes, mais la grandeactrice classique Alissa Freindlikh, qui pourun certain nombre de générations fut unmodèle de talent, de pureté d’âme et dedévouement au théâtre – à ce métier quedepuis Eschyle il est impossible de se figu-

Contre Poutine

“J’accuse mes collègues”

Quand le visage de TchoulpanKhamatova, beau et triste, est apparu sur tous les petitsécrans russes et que la jeuneactrice, adulée pour sontalent mais aussi pour sonengagement auprès desenfants atteints de leucémie,a déclaré : “Je vote Poutine,parce qu’il a toujours tenu sespromesses”, cela a déclenchél’indignation dans les milieuxde l’opposition. La douceTchoulpan a-t-elle été priseen “otage” par le pouvoir,

qui a abondammentsubventionné son associationcaritative, comme le pense le site culturel très branchéOpenspace.ru ? Ou a-t-elle parlé en son âmeet conscience, commel’affirme la Novaïa Gazeta(titre farouchement anti-Poutine s’il en est), qui qualifie cette levée de boucliers contre elle de “manifestationd’intolérance”, voire de“totalitarisme infantile” ?

Scandale

Libre ou otage ?

La légitimité de lavictoire de Poutinepourrait être contestée

rer hors du service de la vérité, du verbe,de la pensée et de la conscience humaine.

J’accuse mes collègues, “mafiosi de lamusique”, héros de l’establishment clas-sique contemporain – Valeri Guerguiev etIouri Bashmet, qui vivent sur des cachetsmondiaux presque mérités (s’il n’y avait lesoutien indéfectible du système étatique,d’abord soviétique puis postsoviétique) etsur les énormes aumônes du pouvoir lar-gement moins méritées. Je les accuse sinond’avoir contribué, du moins de n’avoirempêché en rien l’avènement dans lamusique classique d’un pouvoir de l’argentcorrompu et d’une protection personnelle,familiale et mafieuse ; d’avoir enseigné auxjeunes que l’important est de tirer profitde leur art immortel au nom d’un succèsglamour et dans une indifférence cyniqueà l’égard du politique. Je parle de l’indiffé-rence aux faits criants de violence étatique,d’arbitraire, et de pillage absolu par labureaucratie, qui condamnent la popula-tion du pays à une vie sans avenir, etnotamment les milliers de musiciens clas-siques russes à une misère dégradante.

En un clin d’œil, vous, représentantsde l’un des arts les plus élevés et les plusdésintéressés, vous êtes transformés nonen politiciens, oh non, mais en serviteursde l’un des régents les plus cyniques et lesplus criminels de l’histoire de la Russie, dupremier simulateur politique à échelle glo-bale de l’histoire russe.

Je vous accuse, vous, confrères derenommée mondiale impliqués dans le sys-tème, de ne trouver ni le courage intellec-tuel de comprendre que le poutinisme estcondamné, ni le courage personnel derésister à Poutine. Non seulement vousbénéficiez des faveurs d’un système cri-minel, mais encore vous jouez les laquaiscomplaisants pour sa conservation à unmoment où votre voix pourrait résonner– dégrisante, forte et audible – dans lemonde entier. Mais vous êtes loin de cela.Je vous rappelle qu’il existe des musicienscomme Arvo Pärt, qui a dédié une sym-phonie à Mikhaïl Khodorkovski [ancienPDG de Ioukos, en prison depuis 2003,considéré comme prisonnier politique parAmnesty International], et Gidon Kremer,qui a refusé de prendre part à la pratiqued’une musique mondiale marchande.

Je sais que ma survie physique et créa-trice, comme celle de mes amis, est direc-tement liée à la façon dont nous considèrece système criminel dont vous êtes partieintégrante. Mais, paraphrasant un apho-risme célèbre, je veux vous dire ceci enface : celui qui n’est pas prêt, au nom de laliberté et de la création, à sacrifier sa pros-périté dans les conditions d’un pouvoir cri-criminel et cynique, celui-là n’est digne nide la liberté, ni de la prospérité, ni de lacréation. Mikhaïl ArkadievD

R

Ambiance Le chef de campagne de Vladimir Poutine, StanislavGovoroukhine, cinéaste populaire,n’est pas le dernier à entretenir un climat délétère au sein de l’intelligentsia russe.

“Je déconseillerai au futur présidentde chercher le soutien del’intelligentsia libérale, de tous ces écrivains lauréats du Booker,dont les livres sont illisibles”, a-t-il déclaré à Lenta.ru.

“C’est cette partie vendue de l’intelligentsia dont Lénine disait qu’elle n’était pas le cerveau mais la merde de la nation.”

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L’accès aux services publicsdevient un enfer à Lisbonne.Devant les centres de Sécuritésociale, les plus courageuxarrivent à l’aube pour espérerêtre reçus.

Expresso Lisbonne

�L ’astuce de la femme obèse a faitlong feu dès l’entrée dans lecentre de Sécurité sociale

d’Areeiro [un des centres destinés auxhabitants de Lisbonne]. Bien qu’apparue,l’air malade, en train de boiter avec unebéquille, elle a commis une erreur de base :cesser de boiter à mi-chemin de la distancela séparant du comptoir d’accueil. L’agentde sécurité a vite compris et l’a empêchéede récupérer un ticket prioritaire qui luiaurait permis de passer devant plusieurscentaines de personnes, alors que la queuedans la rue courait sur des centaines demètres. Il était environ 9 heures du matin.[A la Sécurité sociale, 5 000 postes ont étésupprimés en six ans.]

300 personnes attendent“Le coup de la béquille est assez classique. Maisc’est aussi l’un des plus faciles à débusquer”,souligne un employé qui reçoit tous lesjours une centaine de personnes venantdéposer des dossiers pour pervevoir leurallocation-chômage ou l’allocation handi-capé. Voici quelques mois, une autrefemme a été découverte avec un bébé enplastique dans la couverture censée le pro-téger. D’autres usagers viennent avec lesbébés de leurs voisines. “On a des doutessur des mères qui viennent nous voir, mais quefaire ? Prétendre que ce n’est pas leur enfant ?”

Au centre d’Areeiro, il y a deux façonsd’augmenter ses chances de s’asseoir faceà un conseiller : soit en trompant les em -ployés pour passer avant les autres, soiten venant à l’aube. Il est 7 h 30 ce matin-là, et Rosa Augusto, 35 ans, tente de ré sisterau froid en s’enroulant dans une couver-ture. “J’en ai marre de venir m’occuper desallocations familiales et de repartir les mainsvides. Aujourd’hui, je me suis levée à 4 heureset je ne partirai pas avant que tout soit résolu.”A ses côtés, Maria de Sá, 42 ans. Elle estarrivée devant le centre à 5 heures, aprèsavoir pris deux bus. Maria va émigrer enAllemagne dans les jours qui viennent eta besoin de toute urgence de sa carte euro-péenne d’assurance-maladie. Son “salairede merde” de caissière ne lui permettait pasde nourrir correctement ses trois filles.Ses derniers espoirs se sont évanouis avecl’augmentation des impôts et des prix. “Jen’ai rien de concret en vue, mais je suis déjàinscrite dans une agence pour l’emploi àMunich.” Derrière les deux femmes, lespremières arrivées ce jour-là, plus de300  personnes attendent  : immigrés,

voudrais payer moins de cotisations parce queje gagne très peu d’argent et je ne sais mêmepas si un jour j’aurai une retraite.” Au final,elle a pu rentrer chez elle vers 17 heures,son dossier traité malgré quelques ques-tions encore en suspens. Hugo Franco

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retraités et chômeurs majoritairement.Malgré le grand nombre de personnesdans la rue, le silence est quasi général. Onentendra seulement un léger murmure àl’ouverture des portes, à 9 heures, quandla longue queue commencera à entrer aucompte-gouttes.

Contrairement à Rosa et à Maria,beaucoup de ceux qui ont attendu desheures dans le froid ne seront pas reçus.Le ticket “demande d’informations” n’estplus disponible au bout de deux heures. Etcelui des allocations familiales se volati-lise encore plus vite. Une douche froidepour les usagers, qui se montrent peuconvaincus par les paroles apaisantes desemployés rappelant qu’il pourrait y avoird’autres tickets disponibles l’après-midi.

Les plaintes et les insultes se multi-plient. Le seul policier présent sur les lieuxne cache pas sa tension. La veille, la situa-tion était pire encore, raconte-t-il : le sys-tème informatique avait planté en pleinematinée, et durant près d’une heure aucunemployé n’avait pu s’occuper des dossiersde RMI ou d’allocation de solidarité auxpersonnes âgées. “Je n’ai jamais vu autantde gens que ces derniers mois. L’augmentationdes demandes d’aides liées à la crise et le faitque des personnes ne savent pas qu’elles pour-raient traiter certains dossiers ailleurs expli-quent cet afflux.”

“Revenez demain”Vers midi, tout redevient normal. Oupresque. Plus de queue mais pas davan-tage de tickets pour la majorité des services. “Revenez demain, mais plus tôt. Ouessayez dans un autre centre”, répète inlas-sablement la “dame des tickets”. C’estainsi qu’est surnommée l’employée quiaffronte quotidiennement la colère, lemépris et l’ironie de centaines de per-sonnes à bout de patience.

Les plus résistants restent pourtantsur place. Comme Maria, une femme deménage de 50 ans qui garde à la main l’undes derniers tickets disponibles. “Je

Portugal

Misère ordinaire des usagers de la Sécu

� Dessin de Ham paru dans The Guardian, Londres.

La Sécurité sociale portugaise a décidé de réclamer à 1 million de foyers le remboursement d’aidessociales indûment perçues, selonl’organisme public, pour un total de 570 millions d’euros et ce enremontant dans certains cas jusqu’en2004. Ceux qui refuseront devrontprouver leur bonne foi en passant par un véritable parcours du combattant administratif. De nombreuses voix à gauche ont dénoncé cette attaque contre les plus pauvres, en stigmatisant a contrario l’inaction dugouvernement face aux 4,9 milliardsd’euros de dette des entreprises à l’égard de la Sécurité sociale.

Aides sociales

La chasse aux usagers

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Catholique intégriste,ultraconservateur sur lesquestions sociales, l’ex-sénateurde Pennsylvanie croit en ses chances. Il compte damerle pion à Mitt Romney dans la course à l’investiturerépublicaine.

The Washington Post (extraits)Washington

�S oudain, voilà que le candidat àl’investiture républicaine RickSantorum se retrouve au coude-

à-coude avec Mitt Romney en tête des son-dages. Et maintenant, il est confronté à unnouvel obstacle : donner de lui-même uneimage positive avant que ses concurrentsne s’empressent de le dénigrer. Rick San-torum se présente comme un conserva-teur engagé, d’origine populaire et auxconvictions inébranlables – justement legenre de candidat dont les républicainsont besoin pour électriser leur basedans une campagne contre le présidentObama qui pourrait se jouer dans lecœur industriel du pays. Les con -seillers d’Obama et les démocrates,eux, le dépeignent comme trop conser-vateur. Avec son parcours, disent-ils,il ne peut que faire fuir les élec-teurs indécis, en particulierles femmes. Un avis que parta-gent certains républicains.

L’entourage de Santorumreconnaît que le candidat estentré dans une nouvelle phasede sa campagne et ils sontconscients des difficultés qui lesattendent. Ils affirment toutefoisque si l’on se penche avec honnêtetésur le passé de l’ancien sénateur dePennsylvanie, il s’en dégage un profil plusséduisant. Mais ils admettent que c’est àSantorum et à son équipe d’expliquer ceparcours, afin d’apaiser les craintes quantà ses capacités à l’emporter lors de l’élec-tion présidentielle de novembre prochain.

Contre les gays et l’avortementVoici quelques-uns des sujets qui pour-raient lui porter tort aux yeux des élec-teurs. Comme la plupart des républicains,il est contre l’avortement, mais il affiche,en la matière, des positions particulière-ment extrêmes. Il y est opposé dans tousles cas, sauf quand les jours de lamère sont en danger. Il ne feraitd’exception ni en cas de viol, ni encas d’inceste et se dit en faveur delois qui permettraient de poursuivreen justice les médecins pratiquant

Amériques

des avortements. Sa candidature pourraitégalement se trouver prise au piège dequestions plus générales liées aux droitsdes femmes. S’il a voté en faveur de lacontraception, il a dit du contrôle des nais-sances : “Je ne pense pas que ce soit sain pournotre pays.” Il a ajouté que c’était “néfastepour les femmes, […] néfaste pour la société”.

En ce qui concerne le rôle des femmes,il a écrit, dans It Takes a Family [Il faut unefamille], son livre publié en 2005, “les fémi-nistes radicales sont parvenues à saper lafamille traditionnelle et à convaincre lesfemmes que la réussite professionnelle était laclé du bonheur”. Rick Santorum est, de sur-croît, farouchement opposé au mariagehomosexuel, comme d’autres membresdes deux partis. Il y a quelques années, il

avait même accusé les chefs de file de lacommunauté gay de mener un véritable“djihad” contre lui, après des déclarationsoù il mettait sur un même pied les rela-tions homosexuelles, la bigamie et la poly-gamie. Ces commentaires étaient tirésd’un entretien accordé en 2003, au lende-main d’une décision de la Cour suprêmecontre les lois antisodomie. “Si la Coursuprême dit que vous avez le droit d’avoirdes relations [homosexuelles] entre adultesconsentants chez vous, alors, vous avez le droitd’être bigame, vous avez le droit d’être poly-game, vous avez le droit de commettre uninceste, de commettre l’adultère, avait-il lancé.Vous avez le droit de faire ce que vous voulez.”Sur les questions environnementales,enfin, non seulement il s’est dressé contrela loi sur les quotas d’émissions de gaz àeffet de serre visant à lutter contre leréchauffement climatique, mais il a égale-ment affirmé que le réchauffement étaitune “supercherie”.

Santorum s’est efforcé d’expliquer cer-taines de ses saillies. Replacées dans leurcontexte, elles paraissent parfois un peumoins incendiaires, mais il a malgré toutlaissé échapper de telles énormités queses adversaires ont beau jeu de s’atta-quer à lui.Tout au long de sa carrière, il a été un

homme pressé. En 1990, donné vaincud’avance, il est pourtant élu à la Chambredes représentants et réélu en 1992 avec61 % des voix. Santorum y est devenu l’undes membres du gang des Sept , ungroupe de jeunes républicains dont fai-

sait partie John Boehner, député del’Ohio et actuel présidentrépublicain de la Chambre.Ensemble, ils ont con tribué àfragiliser la majorité démo-crate et préparé le terrain à lavictoire républicaine lors desélections législatives de mi-mandat de 1994, durantlesquelles les républicainsont regagné la majoritéau Congrès.Mais, à peine entré à laChambre des représen-tants, Santorum rêvaitd’aller plus loin. En 1994,il a vaincu le sénateurdémocrate de Pennsylva-nie Harris Wofford. Unefois au Sénat, brandissantdes causes de droite, il asuscité le ressentiment parses méthodes brutales et

partisanes. Réélu en 2000,il décroche le poste de

numéro  trois aux com-mandes du parti. Dès lors,le sénateur ne mâche plusses mots sur les ques-tions sociales, un peucomme s’il se sentait

investi d’une mission. Mais le plus remar-quable, à ce moment de son parcours, c’estque quelqu’un d’aussi conservateur ait pucontinuer à remporter des élections dansun Etat aussi profondément divisé sur leplan idéologique que la Pennsylvanie. Maisplus il a gagné en notoriété, plus le climatpolitique s’est retourné contre lui, jusqu’àce que son idéologie finisse par le rattra-per. Ainsi, en 2006, il se retrouve en licecontre Robert P. Casey Jr., trésorier del’Etat et fils d’un ancien gouverneur trèsapprécié. Casey est un démocrate opposéà l’avortement et à la législation sur lesarmes. Santorum est balayé, battu de18 points, la plus lourde défaite enregis-trée par un républicain cette année-là.

Un conservateur pur et durUn stratège républicain et son homologuedémocrate nous ont expliqué que la cam-pagne de 2006 n’était peut-être pas lemeilleur moyen d’évaluer la viabilité deSantorum en tant que candidat, comptetenu des circonstances particulières quiprévalaient à ce moment-là. Ils voient dansses campagnes précédentes la preuve qu’ilest un fin tacticien, acharné et efficace.D’autres, en revanche, considèrent qu’il asurtout eu de la chance, n’étant tombé quesur de faibles adversaires jusqu’en 2006.

En privé, cependant, les spécialistesdes deux camps lui prédisent les pires diffi-cultés. Un stratège de droite prévient queSantorum se ferait “éviscérer” par lesdémocrates s’il venait à remporter l’in-vestiture républicaine. “J’adore Rick San-torum, commente-t-il, mais ils ne vont paslui faire de cadeau. Ils vont lui tailler un cos-tume si vite qu’il n’aura même pas le temps decomprendre.” Terry Holt, un autre stratègerépublicain, estime que Santorum n’estpeut-être pas plus conservateur que beau-coup d’autres dans son parti, “mais il a ditet fait des choses” qui ont torpillé sa capa-cité à rassembler. “Pour lui, c’est le momentde briller, conclut Holt. Mais, maintenant,c’est moins une affaire d’idéologie que de ton.C’est un conservateur pur et dur, la questionne se pose pas. C’est la façon dont il varépondre aux questions soulevées par son par-cours qui va tout déterminer.” Dan Balz

� Rick Santorum. Sur l’auréole : Foi, Famille, Liberté. Dessin de Randall Enos, Etats-Unis.

Etats-Unis

Rick Santorum en croisade pour la Maison-Blanche

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Primaires cruciales

La primaire républicaine du Michigan du 28 février sera un test crucial pour MittRomney. C’est là qu’il est né, à Detroit, le 12 mars 1947, et c’est aussi là que sonpère, George, a été gouverneur de 1963à 1969. Pourtant, à en croire les dernierssondages, Rick Santorum pourraitl’emporter dans cet Etat. Il est égalementbien placé pour le prochain grand rendez-vous de la course à l’investiturerépublicaine, le Super-Mardi du 6 mars, où des primaires et caucus serontorganisés simultanément dans 11 Etats.

Page 31: Courrier International 2012

lant à “reconquérir notre pays et faire en sortequ’il soit de nouveau grand, propre et beau”.

En octobre, Wayde Kurt, un habitantde Spokane, a été jugé coupable de déten-tion illégale d’armes à feu, dans une affairequi, selon les procureurs, est liée à l’ap-partenance de Kurt à l’organisation suprémaciste Vanguard Kindred. Dans leurplaidoirie, les procureurs fédéraux ont rap-porté une conversation entre le prévenuet un informateur du FBI relative à unprojet d’attentat qualifié par Kurt d’acteterroriste “de la pire espèce”, comparableà l’attentat d’Oklahoma City [qui a fait168 victimes en avril 1995].

Une petite Europe de pionniersPar ailleurs, nationalistes blancs, consti-tutionnalistes radicaux et autres apôtresde l’extrême droite ont établi des têtesde pont dans le nord-ouest du Montana.Parmi eux figurent la militante néonazieApril Gaede, qui exhorte les “réfugiés”blancs à créer une “petite Europe de pion-niers”, et Karl Gharst, un ancien membredes Nations aryennes qui a projeté desfilms négationnistes à la bibliothèquemunicipale. Le pasteur et animateur deradio ultraconservateur Chuck Baldwin,candidat du Parti de la Constitution àl’élection présidentielle de 2008, a quittéla Floride pour s’installer dans le Montanaen 2010 afin d’y participer à la création d’un“refuge américain” pour les “camaradesamoureux de la liberté”. Il brigue désormaisle poste de vice-gouverneur de l’Etat sousles couleurs du Parti républicain. “Noussavons qu’il va falloir nous battre et nous vou-lons nous trouver au bon endroit. C’est nullepart ailleurs qu’ici, au Montana, que se situele terrain idéal”, a-t-il lancé à ses partisansl’année dernière.

Au lieu de faire du prosélytisme prin-cipalement sur Internet comme par lepassé, explique M. McAdam, ces groupesorganisent des réunions publiques, en invi-tant des intervenants comme David Irving,un écrivain célèbre dans le monde entierqui conteste l’Holocauste, et le CanadienPaul Fromm, un suprémaciste blanc bienconnu. “Ils veulent, paraît-il, simplement s’ins-taller ici et qu’on les laisse tranquilles. Maisnous voyons bien que ce n’est pas vrai. Ce queveulent ces gens, c’est défendre leurs idéeset essayer de recruter des partisans”, préciseM. McAdam.

Le type même du loup solitaireLa catastrophe évitée de justesse lors dudéfilé de la Journée Martin Luther King àSpokane fait immanquablement penserà un autre extrémiste, Timothy McVeigh,inconnu des forces de l’ordre avant de com-mettre l’attentat d’Oklahoma City. KevinHarpham “était le type même du ‘loup soli-taire’, ce que nous craignions le plus”, com-mente l’agent du FBI Frank Harrill. “Rienne permettait de prévoir qu’il tenterait de com-mettre un acte aussi odieux.”

Lors de son procès, Kevin Harpham aprétendu avoir simplement eu l’intentionde faire voler en éclats les vitres d’un centremédical voisin et de provoquer une alertegénérale. “C’était juste pour protester contrece genre de concepts sociaux : unité, multicul-turalisme… C’était une manière d’affirmer qu’ily a des gens qui ne sont pas d’accord avec cesidées” a-t-il soutenu.

Son père, Cecil Harpham, assure queson fils était “vraiment un brave gosse”, quis’est lié avec des skinheads quand il étaitdans l’armée. “Ils ont soumis mon fils à unlavage de cerveau et l’ont convaincu que cegroupe haineux allait rendre l’Amériquemeilleure et toutes sortes de trucs de ce genre,se lamente-t-il. Il n’a qu’à s’en prendre à lui-même. Je lui ai dit de couper les ponts avec cesskinheads. Mais il ne m’a pas écouté.” Kim Murphy

Etats-Unis

L’extrême droite prospère dans le Nord-Ouest

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 31

Suprémacistes blancs, milicesextrémistes et patriotes de toutpoil n’ont pas renoncé à leur rêve de fonder une enclave à cheval entre l’Idaho, l’Etat de Washington et le Montana.

Los Angeles Times (extraits) Los Angeles

�T rois employés des servicessanitaires l’ont trouvée sur leparcours d’un défilé prévu à l’oc-

casion de la Journée Martin Luther King,en janvier 2011. C’était une bombe artisa-nale remplie de plombs de pêche enduitsde mort-aux-rats. L’équipe de déminage ducomté de Spokane l’a désamorcée quelquesheures avant que les rues ne soient enva-hies par les participants au défilé. Si l’en-gin avait explosé et que les plombs eussentpénétré dans le corps des passants, lepoison aurait empêché leur sang de coa-guler, entraînant une mort certaine.

L’intense chasse à l’homme qui a suivia conduit les autorités à une cabane isolée,dans les collines au nord de Spokane. C’estlà que vivait Kevin Harpham, un vétéranqui, depuis des années, postait des mes-sages haineux sur un site Internet prônantla suprématie blanche, le Vanguard NewsNetwork. “Ceux qui prétendent qu’on ne peutpas gagner une guerre avec des attentats n’ontjamais essayé, écrivait-il. J’attends avec impa-tience le jour où je ferai tout sauter.” Au termed’une enquête tendue et rondement me -née, Kevin Harpham a plaidé coupable detentative d’usage d’arme de destructionmassive, ainsi que de crime motivé par lahaine. En décembre, il a été condamné àtrente-deux ans de prison.

Dix ans après le démantèlement du QGdes Nations aryennes dans le nord del’Idaho et l’arrestation des membres de lamilice d’extrême droite des Montana Free-men, des tenants de la suprématie blancheet des patriotes semblent renouer avec leurrêve de fonder leur propre Etat dans lenord-ouest des Etats-Unis. Un matin de2010, les habitants de plusieurs coins del’Idaho ont découvert à leur réveil des œufsde Pâques dans leurs jardins. Ces œufs,offerts par les Nations aryennes, conte-naient des bonbons et un message appe-

Dans un récent rapport, le SouthernPoverty Law Center [SPLC, une fondationspécialisée dans la veille des groupes extré-mistes] relève un “regain d’opposition augouvernement fédéral” dans le nord-ouestdu Montana, en particulier dans les envi-rons de la petite ville de Kalispell. “Nousassistons à une véritable résurgence de l’idéede retraite dans la région nord-ouest”, noteMark Potok, chercheur au SPLC.

Les nouveaux venus n’ont proféréouvertement aucune menace de violences.Nombre d’entre eux assurent qu’ils sontvenus établir une ligne de défense pacifiquecontre l’augmentation de la criminalitédans les villes du Sud. Il n’empêche que ladroite militante pose un problème d’ungenre nouveau, estime Travis McAdam,le directeur du Montana Human RightsNetwork, une organisation de défense desdroits de l’homme du Montana.

Exposition coproduite par le Fotomuseum Winterthur et le Jeu de Paume, Paris.

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Refuge pour extrémistes

� Dessin de Faber paru dans Le Jeudi, Luxembourg.

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32 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Amériques

flou. Personne ou presque ne dit queconsommer de la drogue est bon pour lasanté. Et, surtout, il est impossible d’éta-blir une limite objective à partir de laquelleune drogue est trop nocive ou entraîne unetrop grande dépendance. En réalité, cettelimite relève des conventions sociales  :l’opium n’a pas toujours été interdit, tandisque la consommation de chocolat, de caféou d’alcool l’a parfois été. D’un point devue éthique, il n’y a que deux positions sus-

ceptibles de résoudre de manière catégo-rique le “problème de la drogue” : d’un côtél’ascétisme, qui interdit le recours aumoindre stupéfiant, et, de l’autre, le liber-tarisme, qui rejette toute interférence del’Etat avec notre libre arbitre.

Certains mettent en avant les der-nières découvertes scientifiques, ainsi quela valeur des expériences effectuées danscertains pays pour réclamer une révisiondes traités internationaux actuels. Laguerre contre la drogue lancée par Nixonen 1971 fut un échec retentissant et, actuel-lement, les propositions ne manquent pasen matière de légalisation, dépénalisationet régulation des drogues. En Amériquelatine, Cardoso (ex-président du Brésil),Zedillo (ex-président du Mexique) et Gavi-ria (ex-président de la Colombie) se sontprononcés sur la question il y a deux ans.En juillet dernier, ce sont Kofi Annan etses collègues de la Commission mondialede lutte contre la drogue qui ont pris parti[cf. CI n° 1076, du 9 juin 2011]. Il y a unmois, c’est Vicente Fox, dont les déclara-tions ont fait beaucoup de bruit auMexique. Et Obama lui-même a évoqué àplusieurs reprises la possibilité de rouvrirle débat. Le président Santos n’est doncpas isolé.

Mais, dans les faits, la situation resteau point mort : Obama comme Santos et

le reste du monde continuent à s’enferrerdans les mêmes politiques de lutte anti-drogue. Et, récemment, un nouveau pro-gramme de lutte contre le trafic de droguesen Amérique centrale est venu s’ajouter auplan Colombie et au plan Mérida  ; auxEtats-Unis, cette année, 1 633 582 per-sonnes ont été arrêtées pour consomma-tion de stupéfiants et le pays a dépensé plusde 40 milliards de dollars (soit presque lamoitié du PIB de la Colombie) pour luttercontre la drogue ; les traités internationauxrestent immuables (même la tolérance dela Bolivie à l’égard du mambeo [la mastica-tion des feuilles de coca] n’a pas faitd’émules) et, en Colombie, on annoncetoujours triomphalement que le nombred’hectares de coca cultivés est en baisse.Même la Californie des hippies vient d’en-terrer un projet de loi visant à légaliser laproduction de marijuana [par référendumle 2 novembre 2010].

Un tabou brisé Ce projet de loi avorté était pourtant desplus intéressant puisqu’il concernait pourune fois l’offre, c’est-à-dire la vente des stu-péfiants. En matière de consommation dedrogue, les seules politiques progressistesconsistent à dépénaliser l’usage personnelde certaines drogues dures grâce à unaccompagnement par l’Etat des personnestoxicomanes (comme aux Pays-Bas, auPortugal ou en République tchèque) ; maisla Colombie n’exporte pas de marijuana,et autoriser la consommation – et non laproduction – de cocaïne serait un véritablecadeau pour les trafiquants, qui auraientalors plus de clients. Cette politique nonseulement n’aiderait pas la Colombie, maiselle lui porterait préjudice.

Le président Santos est doublementméritant : non seulement il est un chefd’Etat en exercice (les autres acteurs dudébat ne le sont plus), mais en outre il aévoqué la question de la cocaïne et pas seu-lement de la marijuana. Or il savait bienque ses propos ne changeraient pas grand-chose (de fait, ses propos n’ont suscité niadhésion ni scandale). Et son intentionn’était pas de faire avancer le débat de lalégalisation, mais de montrer à quel pointla Colombie avait changé.

Santos, en effet, a brisé un tabou qui,ces dernières décennies, contraignait nosgouvernements au silence. Décrédibiliséspar les accusations ou les rumeurs sur leursliens avérés ou non avec les trafiquants dedrogue, les dirigeants colombiens devaientse montrer intraitables sur la question dela drogue. Et, donc, s’il se risque à parlerde légalisation, c’est le signe que la Colom-bie refuse désormais d’être considéréecomme un narco-Etat, comme ce fut le caspendant tant d’années.Hernando Gómez Buendía**  Philosophe, sociologue, économiste et avocatreconnu. Directeur de la revue Razón Pública.

Colombie

“Si légaliser la cocaïne est souhaitable…”

dans cette région déchirée par la guerre que se livrent plusieurscartels mexicains pour contrôler les routes du trafic vers les Etats-Unis, souligne El Faro.

Stratégie Début février, les présidents du Guatemala et du Salvador ont annoncé tour à tourqu’ils ne refusaient pas de discuterde la légalisation des drogues. Un “changement de stratégie”

Pour la première fois, un président de la Colombie en exercice accepte d’ouvrir le débat sur la légalisation des drogues. La question fait lentement son chemin sur la scène internationale.

El Malpensante Bogotá

�L a Colombie, selon les Nationsunies, produit la moitié de lacocaïne consommée dans le

monde et, selon la CIA, les deux tiers. Letrafic de drogue brasse 250 milliards de dol-lars par an, dont 15 milliards reviennent àla Colombie, soit un septième de notre PIB.Le président Juan Manuel Santos a raisond’oser affirmer qu’il est grand temps derevoir la politique internationale de luttecontre la drogue. Il le fait prudemment.“Si pour [mettre fin à la violence liée au traficde drogue] il faut légaliser et que le reste dumonde pense que c’est la solution, je ne suispas contre. [Je ne vais pas] devenir un ardentdéfenseur de cette cause, [mais] je participe-rais volontiers à ces discussions.” L’argumentmajeur en faveur de la légalisation est sur-tout d’ordre économique : interdire unproduit en fait grimper le prix ; le légali-ser a l’effet inverse et met donc un termeaux juteux bénéfices qui financent la cor-ruption et la violence.

Mais, si les prix baissent, la consom-mation augmente, et c’est la motivationprincipale de l’interdiction des drogues :si on les légalise, la consommation vaatteindre des sommets.

Conventions socialesPour prendre une décision responsable, ilfaut donc évaluer dans quelle mesure laconsommation de drogues augmente si lesprix baissent ; or, actuellement, ce para-mètre – “élasticité-prix de la demande”,selon le terme technique employé – reste

À RETROUVER SUR leblogueur.arte.tv

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LE BLOGUEUR, LE MAGAZINE DE TOUS LES EUROPÉENSPRÉSENTÉ PAR ANTHONY BELLANGER

DIFFUSION LE 26 FÉVRIER À 20.10

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� Dessin d’Ares, Cuba.

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Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 33

Une vidéo réalisée par ungroupe d’humoristes fait fureursur la Toile. En parodiantférocement les partisans del’atome, ces comiques essaientd’alerter les jeunes générations.

Tokyo Shimbun (extraits) Tokyo

�T rois superhéros font tour à tourleur apparition en s’exclamant :“Force rouge Tepco ! Force bleue

ministère de l’Economie  ! Force blanchemédias !” Chacun d’eux incarne un organedu lobby nucléaire : Tepco [l’opérateur dela centrale de Fukushima], le ministère del’Economie, du Commerce et de l’Indus-trie, et, pour finir, les médias. Dans le scé-nario, ces héros, baptisés “partisangers”,c’est-à-dire “partisans de l’énergie nucléaire”,doivent combattre le méchant monstreantinucléaire, tout de noir vêtu, qui chercheà démanteler les réacteurs de la planète.Le générique, qui présente les personnagesà la manière des séries télévisées appeléessuper sentai [émissions japonaises desti-nées aux enfants, dans lesquelles des hérosdotés de superpouvoirs combattent lesforces du mal], est en soi suffisammentcaustique, mais la chanson qui a été com-posée spécialement pour ces sketchs nemanque pas de sarcasmes non plus : “Cer-tains vivent dans l’angoisse (Don’t mind! [N’yfaites pas attention !]) Mais c’est pour la bonnecause que nous nous battons. (L’argent ! Lessponsors !)” Cette vidéo, postée sur Inter-net le mois dernier, fait un véritable carton.“C’est à mourir de rire !” “Superbe !” Visionnéplus de 90 000 fois, le clip suscite un véri-table engouement chez les internautes, quilaissent des commentaires encourageants.“Dans la mesure où notre combat contre lespartisangers risque de durer longtemps, l’hu-mour est un élément essentiel pour ne pasperdre courage”, s’enthousiasme l’un d’entreeux. Même ceux qui s’autoproclament pronucléaire se montrent emballés.

Cette vidéo, qui dure environ deuxminutes trente, a été réalisée par OkomeTakeru no ichiza [littéralement “la troupequi peut cuire du riz”], un groupe de jeunescomédiens, tous techniquement au chô-mage, vivant essentiellement de petits bou-lots. S’ils étaient jusqu’alors indifférentsà la polémique à propos de l’énergienucléaire, l’accident de Fukushima Daiichileur a ouvert les yeux. “Lorsque j’ai apprisque le silence du gouvernement soviétique aprèsl’accident de Tchernobyl n’avait fait qu’am-plifier les dégâts, j’ai eu soudainement peur dela manière dont la presse japonaise couvraitla catastrophe [de Fukushima]. Ça ne tour-nait pas rond, tant du côté des hommes poli-tiques que de celui des experts et des médias.Dans notre métier, on dit qu’ils sont boke,c’est-à-dire complètement à côté de la plaque”,explique Hirohito Naka, un jeune humo-

Asie

riste tokyoïte de 34 ans qui est à l’originede ce projet. A mesure que le temps passe,la fièvre médiatique est retombée et lesinformations sur la centrale se sont faitesplus rares. “L’accident est encore loin d’êtreterminé. Rien n’est réglé et, pourtant, l’intérêtde la population s’émousse”, s’inquièteM. Naka. C’est pour cette raison qu’il s’estlui-même remis en cause : sachant perti-nemment que le public serait réticent, ilévitait d’aborder la question du nucléairedans ses sketchs : “J’avais le sentiment departiciper moi-même à l’indifférence généraleen évitant le sujet.” Il a voulu agir d’une façon

ou d’une autre, et c’est ainsi que l’idée defaire cette saynète antinucléaire lui estvenue. “Cela faisait des décennies que cer-taines personnes nous mettaient en gardecontre les dangers de l’atome, et ce bien avantl’accident de Fukushima. Malheureusement,nous vivions sans avoir la chance de côtoyerces personnes. Je me suis demandé si la comé-die ne pouvait pas porter la voix des antinu-cléaires au public”, poursuit-il. Décidé, il aquitté le groupe d’humoristes dont il fai-sait alors partie pour se consacrer à l’écri-ture de nouveaux sketchs.

C’est en juillet dernier que les quatremembres d’Okome Takeru no ichiza sesont réunis pour la première fois. Leurobjectif était d’organiser un festival desketchs antinucléaires dans la capitale.Pour cela, ils ont lancé un appel à candi-dature dans leurs réseaux d’humoristes ;cependant, peu d’entre eux étaient tentéspar l’aventure, compte tenu du caractèretabou du nucléaire. Yukihiro Takekawa*,l’humoriste de 29 ans qui tient le rôle de

Force rouge Tepco, se souvient avec tristessede l’insensibilité des jeunes de sa généra-tion lorsqu’il évoquait la question dunucléaire. Décidé à alerter le public à toutprix, il a confectionné tout seul le costumede son personnage, au détriment de sontravail à temps partiel. Quant à SakaguchiSou*, comédien et musicien qui joue le rôledu monstre antinucléaire, il est tombéamoureux des scripts de M. Naka. Depuis,il incarne avec passion le militant solitaireet a composé la chanson du générique. Il afallu au groupe six mois pour préparer lefestival au cours duquel il a présenté septsketchs antinucléaires. On pouvait égale-ment apprécier une autre série de gagsmettant en scène un commercial qui essaiede vendre des minicentrales nucléaires auxparticuliers. Malgré le titre de festival,toute la logistique a dû être assurée parles acteurs eux-mêmes, qui se sont répartisles tâches sur scène et dans les coulisses.M. Naka se souvient de leur tout premierspectacle, pour lequel ils avaient énor-mément travaillé. “L’ambiance était hostile.Ne voulant pas paraître trop prétentieux,nous avions réservé une petite salle de120 places, mais elle ne se remplit qu’à moitié.Non seulement nous étions dans le rouge,mais nos blagues ne faisaient même pas rire…Les plus avisés auraient certainement com-pris, mais la plupart restaient hermétiquesau jargon nucléaire.” Leur objectif était jus-tement de combler ce fossé, mais la tâcheétait ardue. Cependant, ce premier échecne suffit pas pour décourager le quatuordans la poursuite de son “noir dessein”antinucléaire. “Le jour où le public rira ànos sketchs, cela voudra dire qu’il aura plei-nement pris conscience du problème. Ce jour-là, le monde va changer. Dans un avenir passi lointain, nous espérons pouvoir rire de l’attitude scandaleuse du lobby nucléaire.”Yoko Nakagawa* Noms de scène.

Japon

Rire pour combattre le lobby nucléaire

Le masque porté par Force blanche se réfère au logo du tout-puissantgroupe de médias Fuji-Sankei,considéré comme très proche dumilieu des affaires et de l’industrie. Le quotidien conservateur SankeiShimbun, qui appartient à ce dernier,

est l’un des titres qui reste le plusouvertement pronucléaire aprèsl’accident de Fukushima. Le TokyoShimbun (voir l’article ci-dessous) est quant à lui un quotidien de centregauche qui, depuis le 11 mars, milite pour une sortie du nucléaire.

Le mot de la semaine

� Scène du clip d’Okome Takeru no ichiza : “Nous n’abandonneronspas l’énergie nucléaire !”

“L’humour est unélément essentiel pourne pas perdre courage”

DR

“warai”Le rireQu’il y ait, pour les Japonais, un avant etun après le 11 mars 2011 est une évidence.Cela est vrai pour le littoral du Tôhoku,entièrement défiguré, les familles qui pleurent leurs morts, les sinistrés de Fukushima. Pour les plantes et les animaux qui toujours, en pareillescirconstances, souffrent et meurent ensilence. Pour tous ceux qui, de près ou deloin, ont soutenu ou dénoncé la politiquenucléaire du pays. Le tsunami bouleverseles façons de faire et de penser de toutun peuple. Mais on constate égalementune rupture sur un autre plan, celui du rire : depuis onze mois, l’humour et la dérision ont disparu. Pour être précis, la société japonaise continue certes à semoquer de tout, mais évite soigneusementde prendre pour cible le 11 mars en tant que tel. Aucune caricature dans les journaux – si l’on excepte celles,convenues, qui croquent les responsablesde Tepco et du gouvernement, pointés du doigt pour leur incompétence. Pas le moindre propos déplacé de la part des très nombreux comiques qui envahissent nuit et jour le petit écran. En effet, la série de catastrophes, tragédienationale, a tôt fait d’être transformée enune sorte de forteresse du politiquementcorrect qui, dictant ce qui peut ou ne peut pas être dit, trace une frontièreentre les individus convenables et lesautres. Parmi ceux qui se sont insurgéscontre cet état de fait, on trouve le romancier Gen’ichirô Takahashi, dont le dernier opus, Koisuru genpatsu(La centrale amoureuse), ose parodier,dans un style burlesque, obscène et jubilatoire, l’élan de solidarité envers les victimes de Fukushima. Une tentativecourageuse de réinventer le rire, dans un moment – la célébration du premier anniversaire du séisme – où la communion dans le recueillement sera de rigueur. Kazuhiko YatabeCalligraphie de Kyoko Mori-Rufin

Page 34: Courrier International 2012

34 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Alors que les immolations par lefeu se multiplient dans les zonestibétaines, la Chine cherche à faire taire les contestataires.Pékin sort ses vieilles recettes :sécurité, propagande et “rééducation”.

The Guardian (extraits) Londres

�S ur le Toit du monde, les forcesparamilitaires chinoises tententd’éliminer la résistance tibétaine

au pouvoir de Pékin à coups de bâtons poin-tus, d’armes semi-automatiques et d’ex-tincteurs. Tous les vingt mètres, le long dela route principale vers Aba [Ngawa en tibé-tain], ville perdue sur le plateau du Tibet[dans le nord-ouest de la province duSichuan] qui se trouve au cœur de la nou-velle vague de contestation, des policiers etdes responsables communistes munis debrassards rouges font le guet, à la recherchede manifestants éventuels. Des dizainesd’autres, dans le cadre d’une démonstra-tion de force impressionnante, sont assisen rangs devant les boutiques et les res-taurants. Dans le monastère voisin de Kirti,des soldats chinois montés sur des camionsde pompiers surveillent de près les pèlerinsqui se prosternent, au cas où leur dévotionse transformerait en immolation.

Autant de choses que les étrangersne sont pas censés voir. Les autorités chi-noises ont fait tout leur possible pourinterdire l’accès à Aba, où vivait plus de lamoitié des 23 moines, nonnes et boud-dhistes laïcs qui, ces deux dernièresannées, se sont immolés par le feu en signede protestation contre le Parti commu-niste. Pékin a bloqué Internet et les télé-phones portables. Des barrages ont étédressés sur les routes des environs pourtenir à l’écart les observateurs extérieurs.

Mais, au bout de dix heures de voyagepar des vallées montagneuses et des pla-teaux enneigés, une équipe du Guardian aété en mesure de pénétrer dans Aba, oùelle a pu voir comment les autorités chinoises s’efforçaient de neutraliser ladissidence à l’aide d’une campagne desécurité, de propagande et de “rééduca-tion”. Sans grand succès : elles ont eu beaumultiplier les effectifs de sécurité dans laville, les manifestations se poursuivent.

Les suicides et les automutilations se multiplient. Les tensions font tached’huile. A Chengdu, la capitale de la pro-vince, des unités de police antiémeuteéquipées d’extincteurs ont placé la foulesous surveillance dans le quartier com-merçant de Chunxi. Hors de leur vue, unmoine tibétain de la province du Qinghainous a glissé que la situation s’était aggra-vée. “Maintenant, c’est difficile pour les Tibétains. Les contrôles sont très stricts. Il ya beaucoup plus de police.”

Asie

“C’est difficile de parler. C’est très délicat.Ils disent que des gens sont morts”, raconteun commerçant d’Aba. Ailleurs dans larégion, les gens attendent désespérémentdes informations en provenance des zonesverrouillées sur le plateau tibétain. “Mamère, mon père et mon mari sont encore là-bas. Ça m’inquiète. Ça fait plus d’une semaineque je ne peux plus les appeler”, confie la pro-priétaire d’un restaurant de Seda [dans laprovince du Sichuan]. “Le gouvernementdit qu’il n’y a eu qu’une personne de tuée, maison a appris que des dizaines avaient été emme-nées et on ne sait pas ce qui leur est arrivé.”

Chen Quanguo, chef du Parti commu-niste du Tibet, a ordonné aux membres desforces de sécurité de se préparer à “uneguerre contre le sabotage sécessionniste”,d’après un article récent du [quotidien officiel] Tibet Daily. La violence fait appa-remment partie intégrante de la panopliedes mesures prises par les autorités. Destroubles ont éclaté dans plusieurs endroits,mais les plus durs ont eu lieu dans la pré-fecture d’Aba, qui résiste au pouvoir com-muniste depuis des décennies. En 2008,elle a été le théâtre d’affrontements san-glants avec les forces de sécurité.

Mais, ici, la violence est pour l’essentielauto-infligée. Et l’on ne se bat pas pour unterritoire, mais pour conquérir les cœurset les esprits. Les habitants sont poussés àmanifester leur loyauté envers les autori-tés. Tous les édifices publics sont pavoisésde drapeaux chinois. Des affiches clamentque le développement économique passe

par la stabilité et l’harmonie. Quant à lacommunauté tibétaine, elle est divisée.

“Nous sommes tous bouddhistes, mais jen’approuve pas les immolations. Ce sont desactes extrémistes, nous affirme un moine surla route près d’Aba. Nous avons besoin depaix.” D’autres, en revanche, sont exaspé-rés par le durcissement des restrictions et la perspective d’un règlement négociéqui s’éloigne. Le dialogue est rompu entrePékin et les émissaires du dalaï-lama depuis2010. Dans l’intervalle, les autorités ont ren-forcé la sécurité et les contrôles dans lesmonastères. De longues “campagnes derééducation” visent les moines, qui sontcontraints de renoncer publiquement audalaï-lama, présenté comme un traître réac-tionnaire, et de professer leur patriotisme

et leur loyauté envers la Chine. Ces mesuressont justement l’une des principales sour -ces du mécontentement. “Ils appellent ça dela rééducation, mais en réalité ça veut dire desmenaces et de l’intimidation. Les moines pré-féreraient mourir plutôt qu’accepter ça”, assureKanyag Tsering, un moine qui vit en exildepuis treize ans. “Je redoute que, sans unchangement de politique, on n’assiste à une aug-mentation des immolations, et même à desformes de contestation plus terrifiantes.”

Aba a toujours abrité la plus forteconcentration de moines et de monastèresdu plateau tibétain. Compte tenu de sonimportance, le régime tient la région d’unemain de fer, explique Kate Saunders, de laCampagne internationale pour le Tibet(ICT). “Au Tibet, les monastères jouent lerôle d’universités. Ce qui se passe, c’est commesi Oxford et Cambridge étaient victimes d’unblocus militaire. Comme si le Royaume-Unicherchait à empêcher les étudiants d’étudierautre chose que ce que veut le gouvernement.”

Du côté chinois, on maintient que cesmesures sont nécessaires car les troublessont fomentés par le dalaï-lama et ses par-tisans. “Du fait de la violence des incidents,des émeutes et des déprédations, le gouverne-ment chinois a pris des mesures appropriéespour répondre au désir de stabilité des com-munautés tibétaines”, déclare Liu Weimin,porte-parole du ministère des Affairesétrangères chinois.

Il semble peu probable que le calmerevienne. Un professeur de l’université desMinorités, qui a préféré garder l’anonymat,nous a avoué que les forces de sécuritéétaient plus nombreuses cette année quelors du soulèvement meurtrier de 2008. “Ily a de graves problèmes dans les relations entreles Hans [qui représentent 92 % de la popu-lation chinoise] et les Tibétains. En quatre ans,ça a empiré.” Jonathan Watts

Détournement Le site officiel chinoisChina Tibet Online a cru bon, le 16 février, de citer Courrierinternational comme l’auteur d’unreportage dénonçant les viséessécessionnistes des Tibétains en exil.La propagande est à l’œuvre puisque

Tibet

Une répression hors de la vue des journalistes

BH.INDE

INDE

C H I N E

XIZANGRégion autonome du Tibet

XINJIANG QINGHAI

SICHUAN

GANSU

YUNNAN

U- T S A N G

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K H A M

Lhassa

Xining

Chengdu

Monastèrede Kirti

Seda (Serthar)Rangtang (Dzamthang)

Aba (Ngaba)

NÉPAL

500 km

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AMDO Les trois régions historiques du TibetEntre parenthèses : toponymes tibétains

Cas d’immolations depuis début février

Limites actuelles des provinces chinoises

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Le Tibet historique5 416 000 Tibétains (recensement 2000)

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Pékin

Le Tibet historique sous pression chinoise

De plus en plus de Tibétains sacrifientleur vie pour défendre un Tibet libre.Plusieurs se sont immolés par le feu au cours des derniers jours : dimanche19 février, un moine âgé de 18 ans,Nangdrol, s’est ainsi donné la mortdevant le monastère de Rangtang(Dzamthang, pour les Tibétains) dans lapréfecture d’Aba (Ngaba, en tibétain),rapporte Phayul, le site d’informationde la communauté en exil. Alors que les flammes le dévoraient, il aurait crié :“Liberté pour le Tibet”. Les moines ontensuite empêché les forces de sécuritéchinoises de récupérer son corps et l’ont emmené à l’intérieur du monastère. Vingt-trois Tibétains sesont immolés, depuis 2009, pour exigerle retour du dalaï-lama et dénoncer la répression, selon l’administrationcentrale tibétaine (en exil), citée par Phayul. Les tensions culminent alors que le nouvel an tibétain, célébrédepuis le 22 février, dure deuxsemaines. De discrètes actions derésistance avaient déjà été organiséeslors du nouvel an chinois, fin janvier. DesTibétains avaient dédié leurs prières à celles et ceux qui s’étaient immolés.

Immolations

Des sacrifices quotidiens

ce reportage n’existe pas. Notre journaln’a fait que traduire sur son site web, le 1er février, un éditorial sur le Tibet du quotidien Huanqiu Shibao,porte-voix des autorités chinoises, afin que nos lecteurs puissent découvrirla rhétorique en vigueur à Pékin.

“La rééducation, ça veut dire menaces et intimidations”

Page 35: Courrier International 2012

Moyen-Orient

groupes armés opèrent également dans labanlieue de Damas, et c’est pour con jurercette menace que l’armée syrienne a décidéde réduire sa présence aux portes du Golan,c’est-à-dire face à l’armée israélienne.

Les services de renseignements occi-dentaux estiment que plusieurs centainesd’officiers des gardiens de la révolutionislamique auraient été dépêchés par l’Iranpour venir épauler les renforts déjà four-nis par le Hezbollah libanais pour écraserl’insurrection syrienne. Le Hezbollah etles gardiens de la révolution entendents’assurer que les militaires syriens deconfession sunnite exécutent les ordres etne rechignent pas à traquer les insurgésissus de leur communauté. Désormais, lescasernes de l’armée syrienne font l’objetd’attaques quotidiennes, et la seule unité

Syrie

Le pays se désintégrera, comme l’Irak

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 35

La prolongation du conflit mènetout droit à un éclatementde la Syrie en plusieurs régions autonomes et hostiles, estime l’analyste militaireisraélien Ron Ben-Yishaï.

Yediot Aharonot Tel-Aviv

�P lus le président Bachar El-Assads’accroche au pouvoir, plus l’Etatsyrien se décompose. C’est pour -

quoi les responsables des services de ren-seignements occidentaux jugent de plusen plus probable la perspective de voir laSyrie éclater en plusieurs cantons eth-niques après la chute du régime baasiste.En fait, ils considèrent que le proces-sus est déjà enclenché. Tout commel’Irak il y a une décennie, la Syrie sedivisera sans doute en régions auto-nomes et hostiles. Les scénarios évoquentun canton kurde au nord-est, un cantonalaouite au nord-ouest, une région druzedans le sud et le reste du pays lui-mêmedémembré entre clans sunnites.

Un des indices de la désintégrationen cours est l’ampleur des défectionsde la part des chefs d’importants clansalaouites, qui rechignent de plus en plusà faire allégeance au président. Et, dansl’armée, les défections, même si elles semultiplient, ne sont pas encore massives.

Certes, ce sont quelque 3 000 soldatssyriens qui ont déserté, y compris des offi-ciers supérieurs. Mais le fait le plus saillantreste que l’armée syrienne est en train deréduire sa présence aux frontières [où setrouvent les régions kurde et alaouite] etde redéployer de plus en plus d’unités pourécraser les rebelles armés dans les régionsd’Idlib, de Homs et de Deraa, des zonescontrôlées par des clans sunnites armés etqui lui échappent de plus en plus. Les

� Bachar El-Assad. Dessin d’Arend, Pays-Bas.

Les dirigeants israéliensse déchirent à propos de la réaction à adopterface aux événements qui ensanglantent la Syrie.Pour le ministre des Affaires étrangèresAvigdor Lieberman,l’heure est venue pourIsraël de condamner sanséquivoque les massacresperpétrés par le régimesyrien et d’appeler audépart de la famille Assad,alors que le Premierministre Nétanyahoupréfère s’en tenir à la ligne

traditionnelle d’ambiguïtédestructive. Pour les diplomates israéliens,Israël ne peut se montrerfrileux quand la Liguearabe, les Etats-Unis et l’Union européenneimposent des sanctions à la Syrie et exigent la démission d’Assad.Lieberman est convaincuqu’en s’enfermant dans leur mutisme les Israéliens risquentd’alimenter les théoriesdu complot en voguedans le monde arabe,

selon lesquelles Israëlpréfère les tyrans aux insurgés. Quant à Nétanyahou et à EhoudBarak [ministre de laDéfense], ils rétorquentque c’est précisémentpour empêcher Assad de recourir à la théorie du complot en invoquantl’œuvre d’Israël dans l’insurrectionsyrienne que les Israéliensdoivent s’abstenir de tout commentaire.Barak Ravid Ha’Aretz(extraits) Tel-Aviv

Stratégie

Un casse-tête pour Israël

armée à ne pas être encore impliquée direc-tement dans des combats est la garde répu-blicaine, qui protège le palais présidentielainsi que les infrastructures vitales etnévralgiques de Damas et de sa région.La situation économique de la Syrie

s’effondre à toute vitesse, ce quipourrait encourager la classemoyenne sunnite des grandesvilles à renoncer à son appui

tacite au régime baasiste. Le taux dechange de la livre syrienne a été divisé

par deux depuis le début de l’insurrection[mars 2011]. Les denrées de base com-mencent à manquer, en particulier le car-burant, le pain et l’électricité. Le prix del’essence a augmenté de 12 % en quelquessemaines et, au plus fort de l’offensivehivernale, le prix de la bonbonne de gaz aaugmenté de 60 %, contraignant le régimeà organiser des coupures de courant, alorsque les réserves de carburant s’épuisent.

En outre, il semble que les combats quifont rage en Syrie opposent essentielle-ment les ressortissants de la communautéalaouite aux membres des clans sunnites,

tandis que les autres ethnies et confessionsse contentent d’observer et d’attendre quele régime tombe, avec le secret espoir qu’unnouveau régime syrien leur permettra deréaliser leurs aspirations à l’autonomie.

Pour l’heure, les services occidentauxne voient pas de signe de livraisons d’armesde l’armée syrienne à destination du Hez-bollah libanais. Les craintes restent néan-moins fortes de voir le Hezbollah profiterparadoxalement de l’anarchie croissanteen Syrie et de la multiplication de celluleséconomiques mafieuses pour se fournir,officiellement ou par la contrebande, enbatteries de missiles sol-air récemmentvendues à la Syrie par la Russie.

Beaucoup craignent aussi que le Hez-bollah puisse profiter de la décompositionsyrienne pour se doter d’armes chimiqueset biologiques. En Israël, il ne s’agit pourl’heure que de craintes, en l’absence d’in-dices probants. Ce qui semble certain,c’est que le président syrien n’a pour l’ins-tant pas l’intention d’organiser une diver-sion en provoquant un affrontement avecIsraël. Ron Ben-Yishaï

Sur le w

eb

www.courrier

international.com A lire Le chroniqueur JonathanFreedland approuve, dans les pagesdu Guardian, une interventionétrangère à l’encontre du régimesyrien. En 2003, il s’était opposé à la guerre américaine en Irak.

Page 36: Courrier International 2012

36 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Si le régime de Bachar El-Assadfinit par tomber, le nouveaupouvoir ne maintiendraprobablement pas l’allianceentre Damas et la Républiqueislamique.

Mardomak New York, Téhéran

�L e soutien sans faille des res-ponsables iraniens vis-à-visde Bachar El-Assad puise bien

entendu ses racines dans les intérêtsstratégiques, géopolitiques et éco-nomiques de la Républiqueislamique. Les deux pays se sou-tiennent mutuellement dansleur conflit avec Israël et lesEtats-Unis, dans leur oppositionà la communauté internationaleet dans leur non-respect des droitsde l’homme.

Un éventuel changement à la tête dela Syrie inquiète donc particulièrementTéhéran. Si le pouvoir change de mains àDamas sans guerre civile, deux scénariossont possibles pour les Iraniens. Dans lepremier, la Syrie post-Assad suit le mêmechemin que les autres pays du “printempsarabe”, où les partis islamistes sont deve-nus les principales forces politiques. Celapourrait tourner à l’avantage des conser-vateurs sunnites et des partis salafistes.Il est évident qu’un tel scénario n’est pasdans l’intérêt des dirigeants iraniens. Cesgroupes sunnites, qui ont subi la répres-sion de la part du gouvernement alaouite

Moyen-Orient

[branche du chiisme] d’Assad, ne vou-dront pas se lier au régime chiite de Téhé-ran, mais plutôt avec les pays musulmanssunnites de la région, le Qatar, Oman, laJordanie, les Emirats arabes unis et l’Ara-bie Saoudite. Le soutien financier del’Iran à la Syrie seraremplacé par l’ar-gent du pétroledes pays arabes.Mais cela ne cou-pera pas totalement

Syrie

Téhéran a des raisons de s’inquiéterArabie Saoudite

La liberté avant la religionDans la presse saoudienne,rares sont les articles qui prennent la défense du journaliste Hamza Kashgari,accusé de blasphème et qui risque la peine de mort.

Al-Eqtisadiah Riyad

�A u sein d’une société [saoudienne]qui n’a pas encore trouvé sonéquilibre, Hamza Kashgari,

consciemment ou inconsciemment, s’estinvité dans le vieux débat toujours d’ac-tualité : la liberté passe-t-elle avant la reli-gion  ? Cela nous rappelle Spinoza. Cephilosophe hollandais du XVIIe siècle avaitprovoqué rejet et crispations en mettantau centre de sa pensée le thème de laliberté. Il considérait que la société couraitun danger face à des esprits étroits et into-lérants au sein de l’Eglise catholique, quivoulaient restreindre la liberté afin decontrer la Réforme [le protestantisme].

Pour Spinoza, la liberté trouve sasource dans le droit naturel, puisqu’il estimpossible de dominer la pensée de quel-qu’un et de le forcer à adopter telle ou telleconviction. Le Coran l’a dit avant lui, dansla sourate “La Génisse”, verset 256 : “Pointde contrainte en religion.” Aux yeux de Spi-noza, la restriction des libertés a pour seulrésultat de pousser les gens à se rebiffer.Par ailleurs, une société sans libertés seprive in fine des moyens de se développer.Car la vivacité du marché des idées favo-rise l’innovation, les sciences, les arts et lacroissance économique. Aussi n’y a-t-il pascrime quand on propose de nouvelles idées.

Spinoza nous rappelle également qu’iln’y a pas de liberté absolue. Il appartientdonc à l’Etat (gouvernement et société) detrouver l’équilibre adapté aux conditionsde l’époque, sans sacrifier la liberté au pro-grès, ni le progrès à la stabilité.

L’apport de l’humanité, les expériencesd’autres cultures, les urgences du temps,l’accumulation rapide des connaissancesont créé de nouvelles réalités face aux-quelles il faut accepter les défis avec unesprit d’ouverture et en sériant les priori-tés. De ce point de vue, le cas de Hamzapourrait être, ou ne pas être, une étapedans l’histoire des idées et servir à affirmerla centralité du contrat social. Il ne faudrapas s’y attarder trop longtemps. L’époquene le permet pas. Il semble que Hamza sesoit retrouvé au centre de ce débat sans yavoir été préparé. Nous serions bien avisésd’accepter sa repentance et de lui tendrela main. Fawaz Hamad Al-Fawaz

la relation entre Téhéran et Damas carles deux pays resteront d’accord sur laquestion israélienne.

Dans le second scénario, les groupesd’opposition classiques, comme le Conseilnational syrien (CNS), et les groupes popu-listes gagnent en influence dans la Syriepost-Assad. Etant donné le soutien de l’Iranà la répression, il n’y pas de futur amicalpossible dans ce cas de figure entre les deuxpays. Burhan Ghalioun, chef du Conseilnational syrien, a déclaré que “l’Iran, en sou-tenant Assad, est complice de la répression dupeuple”. Dans la rue, les contestatairessyriens ont montré leur rejet du pouvoir

iranien. Des drapeaux iraniens et des por-traits du guide suprême Ali Khame-

nei ont été brûlés.Si le pouvoir change en Syrie,

Téhéran devra investir beau-coup d’argent pour séduireles nouveaux dirigeants du

pays qui était son allié. Auvu de sa situation écono-mique fragile, il est peu

probable que la Républiqueislamique puisse trouver les res-

sources pour cela. Elle continuedonc à œuvrer pour que surtoutrien ne change. Majid Rafizadeh** Analyste irano-syrien, spécialiste de lapolitique américaine au Moyen-Orient.

Ce n’est pas un crime de proposer de nouvelles idées

Le romancier espagnolJuan Goytisolo, grandconnaisseur du mondearabo-musulman, dénonce les atrocités de la répression en Syrie.

Comme à Sarajevo, ils subissent lesbombardements quotidiens,les tirs de mortier de l’arméeet les attaques des snipers.Comme en Tchétchénie, ils doivent cacher les blessésdans des abris improvisés ou dans des sous-solsdépourvus de matérielmédical de peur que les victimes ou les personnesqui les soignent ne soientarrêtées et disparaissentdans de sinistres centres de détention secrets.Je veux parler des habitants

de Homs, de ce que nouslisons jour après jour dans lapresse, voyons sur Internetou à la télévision grâce à l’héroïsme de quelquescorrespondants qui risquentleur vie à chaque instantdans la ville assiégée par les troupes de Bachar El-Assad et les miliciens à son service, sans que lacommunauté internationaleparvienne à se doter desmoyens nécessaires pourmettre fin au supplice.Il y a exactement trente ans,la mort de plus de20 000 habitants de la villevoisine de Hama, dont futresponsable Hafez El-Assad,père de l’actuel dictateur,avait été soigneusementdissimulée grâce à une censure implacable. La nouvelle avait à peine

filtré : si l’information est un pouvoir, l’absenced’information impliquel’existence d’un pouvoirinfiniment plus grand.Aujourd’hui, les imagesprises par les téléphonesmobiles et diffusées sur lesréseaux sociaux, ainsi que lecourage de ceux qui serisquent à dénoncer à visagedécouvert la brutalité aveclaquelle le pouvoir syriens’acharne sur sesconcitoyens sont exposés à la vue de centaines demillions de téléspectateurs,lecteurs et internautes du monde entier.Et pourtant, le massacre se poursuit : chaque jourapporte son lot de nouvellesimages d’horreur. L’an dernier, en évoquantdans les pages de ce journal

la répression des révoltestunisienne, égyptienne et libyenne, je faisaisremarquer ironiquementque l’amour que les dictateurs portent à leurs peuples se mesureaux armes qu’ils emploientpour les faire taire : des gazlacrymogènes à l’artillerielourde. Vu ce qui se passe en Syrie, il ne fait aucundoute que le premier prix de ce singulier concoursrevient à Bachar El-Assad,l’Amoureux de Homs**. Juan Goytisolo*El País (extraits) Madrid

* Ecrivain espagnol. L’Exilé d’ici etd’ailleurs (Fayard, 2010) est sondernier roman traduit en français.

** Asma El-Assad, l’épouse duprésident syrien, est née AsmaFawaz Al-Akhras, dans une famillesunnite de Homs.

Réactions

Il faut sauver Homs !

� Bachar El-Assad à Ahmadinejad : “Nous sommes de bons alliés.” Dessin de Khalil paru dans Al-Quds, Jérusalem-Est.

Sur le w

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www.courrier

international.com A voir Avant les élections législativesdu 2 mars en Iran, l’écrivain en exilAmir, auteur du roman graphiqueZahra’s Paradise (Casterman, 2011), analyse la situation de son pays dans un entretien vidéo accordé à Courrier international.

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Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 37

vis d’Israël et de s’engager dans la voie del’unité palestinienne. Cela s’est reflété dansl’attitude du chef de son bureau politique,Khaled Mechaal, qui a demandé à l’aile mili-tante du parti de cesser les attaques contreIsraël. Téhéran a réagi en jetant tout sonpoids derrière le mouvement rival duHamas à Gaza, le Djihad islamique, dontles membres se convertissent au chiismeet qui ébranle de plus en plus le pouvoir duHamas dans son fief.

Certes, l’accord d’union pourrait per-mettre au Hamas de s’imposer sur la scèneinternationale. Mais, en perdant l’aurarévolutionnaire qui le distingue du Fatah,il risque de s’affaiblir. S’il n’arrive pas àprendre assez d’envergure sur le plan diplo-matique pour qu’un tel sacrifice en vaillela peine, il pourrait se faire damer le pionpar d’autres organisations militantes – outout simplement par le Fatah.

Luttes intestinesDe son côté, le Fatah a été incapable desortir de l’impasse les négociations de paixavec Israël. Il a fait le choix de la réconci-liation au moins en partie pour justifier sonmaintien au pouvoir en attendant unerelance des pourparlers, qui piétinentdepuis près d’un an. Les discussions qui sesont tenues en Jordanie le mois dernier [3et 4 janvier] n’ont pas donné beaucoup derésultats. Par conséquent, on peut inter-préter la décision du Fatah de se réconci-lier avec le Hamas comme mo tivée enpartie par la conviction que les négocia-tions de paix ne reprendront pas de sitôt.

Mais le rapprochement n’est pas nonplus dépourvu de risques pour l’Autoritépalestinienne. Car les Etats-Unis et l’Unioneuropéenne, où toute assistance financièreà une organisation terroriste est interditepar la loi, pourraient réduire considéra-blement leur aide. D’ailleurs, cela expli-querait peut-être le changement de nomenvisagé par le Hamas, pour devenir labranche palestinienne des Frères musul-mans. En remportant les élections législa-tives égyptiennes en janvier, les Frèresmusulmans ont acquis une légitimité popu-laire qui échappe toujours au Hamas.

D’autant plus que le mouvement isla-miste est en proie à des luttes intestinesentre les partisans du pragmatisme poli-tique tels que Khaled Mechaal, et son ailedure, dont fait partie le Premier ministreIsmaïl Haniyeh. L’important pour la com-munauté internationale est de faire ensorte que les pragmatiques l’emportent etd’empêcher une reprise de la guerre civilede 2007 ou des violences contre Israël.

Cet accord de réconciliation n’est peut-être qu’un arrangement permettant àchacun des deux camps de gagner du tempspour procéder à un réajustement de leurspositions respectives. Mais en attendanton risque d’assister sur le plan politique auretour à la stagnation qui a caractérisél’époque d’Arafat. Houriya Ahmed

Palestine

A l’heure de la realpolitikL’accord entre le Fatah, reconnu par la communautéinternationale, et le Hamas, au ban des nations, ne résoutpas tout, tant s’en faut.

Now Lebanon (extraits) Beyrouth

�L ’accord de réconciliation signéle 6 février, sous les auspices duQatar, entre l’Autorité palesti-

nienne (AP), dominée par le Fatah, et l’or-ganisation islamiste Hamas renforce lespouvoirs de Mahmoud Abbas. Selon cetaccord, Abbas devrait assumer les fonc-tions de Premier ministre par intérim, enplus de la présidence de l’AP et de celle del’Organisation de libération de la Pales-tine (OLP). Le gouvernement qu’il diri-gera serait chargé d’expédier les affairescourantes, car ni la Cisjordanie adminis-trée par l’Autorité palestinienne, ni labande de Gaza sous contrôle du Hamasn’ont organisé d’élections depuis 2006,lorsque l’issue du scrutin avait entraîné unbref épisode de partage du pouvoir, avantque n’éclate la guerre civile en 2007.

Cet accord a aussi fixé les conditionsde la formation d’un gouvernement d’uniontransitoire, précisant que Mahmoud Abbasaura sous sa responsabilité des “techno-crates indépendants… dont la mission sera defaciliter la tenue d’élections [prévues en maiprochain], et de commencer la reconstructionde Gaza”, selon la déclaration officielle [laformation de ce cabinet, initialementprévue le 18 février, a été reportée]. SalamFayyad, un indépendant soutenu par l’Oc-cident, qui s’était efforcé de bâtir un Etatet de combattre la corruption héritée del’ère Arafat dans les rangs du Fatah, se voitécarté du poste de Premier ministre del’Autorité palestinienne.

Cesser les attaques contre IsraëlMalgré leur rivalité historique, le Fatah etle Hamas ont annoncé depuis mai 2011 leurintention de poursuivre le processus deréconciliation. Il ne s’agit pas d’une embel-lie dans leurs relations. Ils sont plutôt moti-vés par le besoin qu’ils ont l’un de l’autreen raison de l’érosion de leurs bases poli-tiques traditionnelles provoquée par le“printemps arabe”. La chute du présidentégyptien Hosni Moubarak a affaibli leFatah. Quant au Hamas, il a été obligé dechercher d’autres soutiens alors que le sou-lèvement populaire en cours en Syriemenace de renverser le régime de BacharEl-Assad. Devant la réticence de l’organi-sation islamiste à défendre son protecteursyrien, l’Iran lui aurait coupé les vivres.

Pour compenser cette perte de res-sources, le Hamas s’est tourné vers la Tur-quie. Mais l’aide financière d’Ankara (onparle également du Qatar) a probablementété assortie de conditions, notammentl’obligation d’assouplir sa position vis-à-

Page 38: Courrier International 2012

38 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Des élevages de sauriens ont vu le jour sur les bords du deuxième lac artificield’Afrique, Cahora Bassa. Un développement rapide dont le Mozambique ne tire pas assez parti.

Público (extraits) Lisbonne

�C ahora Bassa n’est pas unique-ment synonyme d’énergie élec-trique. En amont de l’énorme

barrage s’est constituée une gigantesqueretenue d’eau où se sont développéesd’autres activités économiques – notam-ment la pêche de la kapenta [appelée éga-lement sardine du Tanganyika], un petitpoisson très apprécié en Afrique. Cetteactivité a pris une dimension industrielle.Sur la rive, quelques lieux de séjours tou-ristiques ont vu le jour, presque toujoursà l’initiative d’entrepreneurs blancsd’Afrique du Sud et du Zimbabwe. Plusrécente, mais certainement plus pro-metteuse en termes de rentabilité, estl’apparition d’élevages de crocodiles,dont la peau est toujours très recherchée.Actuellement, il existe trois fermes decrocodiles installées sur les bords de laretenue d’eau, un lac long de 240 kilo-mètres et d’une largeur maximale de30 kilomètres [c’est le plus grand barragehydroélectrique d’Afrique par sonvolume en béton et le deuxième aprèsAssouan par la superficie de son lac arti-ficiel (2 700 km2)]. Le bateau est le seulmoyen d’accès à ces authentiques viviersde crocodiles. A partir de Songo – la villela plus proche du barrage –, le visiteurdevra emprunter une route jusqu’à la rivedroite et de là louer un canot à moteur.Mateus Lourenço, 26  ans, est notreguide. Son père est décédé et sa mère auchômage ; il doit donc, en tant que filsaîné, subvenir aux besoins de ses troisfrères. Ses revenus mensuels sontfaibles : 2 700 meticais, un peu plus de60 euros [différents niveaux de salaireminimum existent en fonction de l’acti-vité, les fonctionnaires perçoivent 2 380meticais et les employés du secteur finan-cier 5  320 meticais]. Avec ses patrons,Mateus parle anglais. Avec ses collègues,sa famille et ses amis, il emploie sa languematernelle, le chichewa. Le portugais estdonc sa troisième langue, forcément unpeu approximative… Pendant le trajet,nous croisons de temps en temps unpêcheur. Sur la rive, un groupe nous faitsigne. Ce n’est pas par sympathie mais parnécessité : ici, on fait du stop pour traver-ser le lac. Cahora Bassa n’a pas un seulpont. La traversée dure une bonne heurejusqu’à la première ferme, dénomméeNova Chicoa, propriété d’un Mozambicainet gérée par un Zimbabwéen. Wonder

Afrique

Chuma, 29 ans, est un des employés lesplus expérimentés. Il n’a aucun problèmeà “élever des crocodiles pour qu’ils finissenten sacs à main, en ceintures ou en belles chaus-sures”, comme il dit. Au contraire ! “Unebonne ceinture de crocodile dure toute la vieet on peut même la laisser en héritage à sonpetit-fils !” Bien qu’il cohabite au quotidienavec les reptiles, Wonder ne possèdequ’une ceinture. Il aimerait bien avoiraussi une paire de chaussures, “mais monsalaire ne me le permet pas. C’est très cher !”Cela fait maintenant neuf ans qu’il travailledans ce secteur.

Crocodylus iloticus, plus connu sous lenom de crocodile du Nil, est l’espèceconcernée par l’élevage. C’est le saurienle plus grand et le plus courant enAfrique. Wonder a appris son métier auZimbabwe, où l’activité remonte auxannées 1960. Dans ce pays, Hermès a sespropres producteurs. Nova Chicoacompte 17 300 crocodiles : 13 500 bébéset 3 800 âgés d’environ 18 mois. A 2 ans,ils auront atteint l’âge d’être vendus

–  vivants  – en Afrique du Sud, où ilsseront alimentés jusqu’à leurs 3 ans avantleur dernier voyage : Singapour, l’Italie,la France ou le Japon et leurs industriesde tannage. Les crocodiles finiront tousdans les boutiques de luxe des grandesmarques internationales ou bien dansune boutique duty free d’un aéroport,lieu de prédilection pour l’achat de pro-duits de luxe en peau de crocodile.

Mozambique

Contre la crise, une solution : les crocodiles !

Chronologie 1505 Colonie portugaise.1975 Indépendance. Samora Machel,leader du Front de libération du Mozambique (Frelimo), devientprésident et instaure le socialisme.1976 Création de la Résistance

� Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

Un lac artificiel menacé

Cahora Bassa signifie “où se termine le travail”, en hungué. Jusqu’en 2007, le barrage hydroélectrique de CahoraBassa était détenu majoritairement par le Portugal. L’ancienne puissancecoloniale pourrait céder prochainement sa participation de 15 % qu’elle possède encore au sein de l’entreprisepublique mozambicaine. En 2011, le journal mozambicain O País pointaitl’inefficacité du contrôle de la pêche à Cahora Bassa. Il existe seulement trois agents et une embarcation pour les 250 kilomètres de rives. Les autorités se montrent inquiètes face au nombre croissant de pêcheursclandestins d’origine étrangère.

“Une bonne ceinture de crocodile dure toute la vie”

Geniando António Salukani, âgé de24 ans, est ramasseur d’œufs de croco-dile. Lorsqu’il était chômeur, l’un de sesoncles l’a amené à Nova Chicoa. Il vit avecd’autres travailleurs dans un campementproche de la ferme. A la fin du mois d’oc-tobre, avant la saison des pluies, arméd’une sagaie, Geniando et ses collèguesse rendent en canot jusqu’aux plages oùles crocodiles pondent leurs œufs. Pen-dant quelques jours, ils campent près desendroits choisis par les femelles pourpondre. Une femelle adulte pond, unefois dans l’année, entre 80 et 90 œufs, àraison de un par minute en moyenne.Avec adresse et beaucoup de soin,Geniando et ses compagnons ramassentles œufs qui resteront ensuite sous cou-veuse pendant trois mois. Chacun d’entreeux rapporte à la direction provinciale del’Agriculture du Mozambique près de1,5 metical (4 centimes d’euro). Un œufcoûte donc le même prix qu’une photo-copie à Maputo. Un crocodile chassé légalement coûte 3 500 meticais. “Noustravaillons actuellement à la définition d’unepolitique nationale et à l’actualisation destaxes, qui sont réellement trop basses parrapport à celles pratiquées dans les pays voi-sins”, affirme Marcelino Foloma de laDirection nationale des terres et des

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forêts. Le quota d’exportation duMozambique, fixé par la Convention surle commerce international des espècesde faune et de flore sauvages menacéesd’extinction [CITES], est de seulement1 800 crocodiles par an. “Plusieurs entre-prises étrangères et nationales souhaitentinvestir plus. Un de nos projets passe par latransformation locale des peaux, de façon àaugmenter le nombre d’emplois et les pro-fits”, précise Marcelino Foloma. Un pour-centage des revenus est obligatoirementreversé aux habitants de la région où sontramassés les œufs. Geniando parle diffi-cilement le portugais. Originaire deMarara (à 34 kilomètres à l’ouest de Tete,capitale de la province), il était déjà habi-tué aux crocodiles, qui sont nombreuxdans sa région et constituent une menacepour la population. Selon un recense-ment de 2010, on estime entre 35 000 et40 000 le nombre de crocodiles “sau-vages” dans le lac de Cahora Bassa et lefleuve Zambèze. Cette même année, auMozambique, 76 personnes ont été tuéespar des crocodiles et 200 d’entre eux ontété abattus.

Dans les fermes d’élevage, les croco-diles vivent dans des réservoirs entourésde murs de ciment de 1 mètre de haut.Dans chaque réservoir de 100 bêtes, un

système de chauffage maintient l’eauconstamment à la température de 32 °C.Leur quotidien est une routine rigou-reuse. Dès 7 heures du matin, ils sontlavés avec du détergent (identique auproduit vaisselle) pour prévenir les infec-tions et lutter contre les bactéries. Puisils sont nourris avec une bouillie com-posée de kapenta et d’une ration deviande hachée à laquelle on ajoute ungâteau enrichi à la vitamine B. Cemélange laisse dans l’air une odeur

quelque peu pestilentielle. “Quand ilsmangent, personne ne peut s’approcher,parce que le moindre bruit provoque chezeux du stress et ils ne s’alimentent plus”, sou-ligne Wonder. Chaque travailleur a lacharge d’un réservoir. Quand les bêtesatteignent un âge et une taille détermi-nés, on les transfère dans d’autres réser-voirs, plus spacieux. En juin prochain, lesplus grands d’entre eux partiront enAfrique du Sud. Transportés dans descaisses, les crocodiles sont emmenés en

bateau jusqu’à Songo, où ils prennentl’avion. Le trafic de l’aéroport de Songoest très calme : en moyenne, un aviontous les deux jours. Les vols transportentdes employés du barrage, quelques tou-ristes – des chasseurs ou des adeptes dela pêche sportive – et… des crocodiles.Leur destination est la ville de Pieter-maritzburg, près de Durban, où il existed’importants élevages de poulets, dontles restes servent à alimenter les reptilesjusqu’à ce que leur peau soit considéréecomme idéale pour le tannage.

En Afrique du Sud, il est facile de trou-ver des restaurants où l’on sert des platsà base de crocodile. Au Mozambique laviande de crocodile est consommée enquantité réduite dans les régions rurales.Dans les quelques restaurants de Songo,pas de viande ni d’œufs au menu. Le bra-connage est interdit au Mozambique, maisles contrôles sont peu efficaces faute demoyens et d’une réglementation spéci-fique. Les plus importants élevages de cro-codiles sont situés au Zimbabwe, où laréglementation et le commerce sont bienstructurés. “D’ici cinq à dix ans, certains éle-vages du Mozambique seront capables de faireaussi bien”, prédit le gourou du crocodile,le Zimbabwéen Richard Ferguson.José Pedro Castanheira

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 39

nationale du Mozambique(Renamo), mouvement armé contre le régime soutenu par la Rhodésie (aujourd’hui Zimbabwe). Début de la guerre civile.1986 Décès du président Samora

Machel dans un accident d’avion.Joaquim Chissano lui succède.1990 Adoption d’une nouvelleConstitution instaurant le multipartisme.1992 Signature d’une déclaration

de paix entre le président Chissanoet la Renamo.1994 Réélection du présidentChissano.2004 Victoire d’Armando Guebuzaà l’élection présidentielle.

500 km

Zambèze

Zambèze

OCÉANINDIEN

Maputo

Lac de Cahora-Bassa

NovaChicoa

Zumbo Songo

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Province de TETE

Tete

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Le lac aux crocodiles

Les plus importantsélevage de crocodilessont situés au Zimbabwe

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40 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Les affrontements entremanifestants et forces de l’ordre à Taza ont fait plus de 200 blessés depuisdébut janvier. Une colère qui risque de se propager à travers le pays.

TelQuel (extraits) Casablanca

�T out a commencé le 4 janvier. Cejour-là, 70 membres de l’Asso-ciation nationale des diplômés

chômeurs décident d’organiser un sit-indevant le siège de la province et de deman-der une audience avec le gouverneur. Mais,ne réussissant pas à arracher des pro-messes d’embauche, certains parmi euxdécident d’investir les locaux de la préfec-ture, avant d’être délogés rapidement parles forces de l’ordre. “Certains témoins affir-ment qu’une femme enceinte aurait été blesséelors de cette opération, ce qui a provoqué lacolère des habitants du quartier Al-Koucha,qui n’ont pas hésité à se joindre aux manifes-tants”, raconte Mohamed Boudiki, militantdu Mouvement du 20 février. Une bataillerangée entre les forces de l’ordre et lesmanifestants va faire plusieurs blessés etoccasionner de nombreux dégâts matériels.

La spirale de la violence est enclen-chée et, rapidement, cet événement varéveiller les frustrations quotidiennes desTazaouis. Avec une population estimée à300 000 habitants, Taza [située dans lenord-est du Maroc, à 120 kilomètres deFès] a longtemps servi de réservoir derecrutement pour les forces arméesroyales ou de candidats à l’émigration versl’Europe. Mais, avec la crise, les transfertsde fonds se sont raréfiés alors que l’arméerecrute peu ou plus du tout dans la région.“La ville subit une vague d’exode rural depuisquinze ans. Malheureusement, l’urbanisation

Afrique

galopante qui en résulte ne s’est pas accom-pagnée des infrastructures nécessaires”, sou-ligne un militant de l’Association localedes diplômés chômeurs.

Pour ne rien arranger, les facturesd’électricité vont déclencher la colèredes habitants. Et pour cause : la régielocale d’eau et d’électricité ne dis-pose que de six personnes pourrelever les compteurs de la région.Pendant des mois, elle a eu recoursà des estimations de la consommationde la population. Quand les habitants ontreçu leurs factures, ils se sont trouvés dansl’incapacité de les payer. La ville est au bordde l’explosion et l’arrestation de cinq per-sonnes par les autorités, à la suite dela marche du 4 janvier, n’arrange pasles choses. Pour apaiser la colère deshabitants, la régie de distribution de la villepropose un échelonnement des paiementsdes factures, mais les habitants refusent.Ils exigent l’annulation pure et simple desfactures couvrant les mois de novembre etdécembre 2011.

La tension monte, les manifestationsse multiplient et visent de plus en plus lessymboles de l’autorité. Les autoritéslocales densifient le dispositif sécuritairede la ville en faisant appel à des renfortsvenant de Fès. Il y a comme de l’électri-cité dans l’air. Le 27 janvier, la défaite duMaroc contre l’équipe du Gabon va pous-ser quelques jeunes à caillasser les forcesde l’ordre. “Taza est une petite ville et lesgens ne comprennent pas la présence de cedispositif impressionnant de forces de l’ordre.Le message des autorités a été mal perçu par

la population”, souligne un commerçant de l’ancienne médina.

Le 31 janvier, des milliers de manifes-tants organisent un sit-in devant le tribu-nal de première instance de la ville pourdemander la libération des personnes arrê-tées par la police. La colère de la popula-tion touche maintenant plusieurs quartiersde la ville. Le clash entre les forces del’ordre et la population semble de plus enplus inévitable. Il aura lieu le 1er février.

Les premiers heurts commencent vers15 heures dans le quartier Al-Koucha, àproximité du siège de la province. Plusieurs

divisions de la Brigade légère d’interven-tion rapide (Blir) et du Corps mobile d’in-tervention (CMI) chargent pas moins de

600 personnes, qui leur répondent pardes jets de pierres et de projectiles. “C’estla première fois de notre vie que nous

voyons des bombes lacrymogènes”, confieun habitant du quartier.

L’affrontement, d’une rare violence, vafaire près de 70 blessés parmi les forces del’ordre et une centaine d’autres parmi lesmanifestants. La situation s’aggrave à latombée de la nuit. Les forces de l’ordre qua-drillent le secteur et lancent un assaut dansle quartier Al-Koucha vers 22 heures. “Plu-sieurs jeunes se sont réfugiés sur la colline quidomine le quartier pour éviter d’être arrêtés”,indique une habitante, dont le fils a étéarrêté le lendemain de la manifestation.Vers minuit, des dizaines de membres desforces de l’ordre passent le quartier aupeigne fin, laissant derrière eux d’énormesdégâts matériels.

Le lendemain, dans les ruelles d’Al-Koucha, le constat est affligeant : destruc-tion de compteurs d’électricité, bris devitres de voitures, fenêtres et portes de plu-sieurs maisons défoncées… “J’ai fourni uneassistance médicale à certains jeunes qui ontété blessés lors des affrontements. Quelquespoliciers sont venus chez moi pendant la nuit.Ils m’ont maltraitée et ont cassé la télévisionet les ordinateurs de mes filles”, confie uneinfirmière encore sous le choc. “Noussommes des gens conservateurs. Le fait de voirdes agents d’autorité casser les portes des mai-sons où vivent des mères de famille et des jeunesfilles a profondément choqué la population”,regrette ce militant de l’Association maro-caine des droits humains (AMDH). Et leprocès des 13 personnes arrêtées lors deces journées de violence risque de ruinerles appels au calme et de parasiter la com-munication entre la population et les auto-rités locales. Hicham Oulmouddane

Repères Le 20 février 2011, les manifestations organisées dansles grandes villes du Maroc pourdénoncer la corruption et appeler à une monarchie parlementairemarquent la naissance du Mouvement du 20 février (M20).

Le 9 mars, Mohammed VI annoncele lancement d’un chantier pour une “réforme constitutionnelleprofonde”. Le 17 juin, le nouveautexte constitutionnel est présenté.Il prévoit notamment le renforcement du rôle du Premier

ministre. Le 1er juillet le texte est approuvé à 98,5 % par voieréférendaire. Le 25 novembre,des élections législatives anticipéesdonnent la victoire au Parti de la justice et du développement,islamiste.

Le chef du gouvernement,Abdelilah Benkirane [Parti de la justice et dudéveloppement, islamiste,vainqueur du scrutin du25 novembre 2011], découvreles “charmes” de la presseindépendante marocaine qui a trouvé refuge dans le cyberespace. Il faitconnaissance, au passage,avec les pressions du gouvernement de l’ombre,les conseillers du roi quimanœuvrent pour que le jovialbarbu montre les dents,menace et exécute. Dans

un communiqué publié parl’agence de presse officielleMAP, Benkirane expose en quatre points sa vision des émeutes de Taza, cette citépaupérisée et abandonnée du Prérif. Le primat se manifeste après, dit-il, un “examen approfondi des développements et des conséquences de cesincidents”. Un communiqué quia tout l’air d’avoir été écrit sousla dictée d’une éminence noiredu palais, avec des messagesdu genre “maintien de l’ordre”,“stabilité”, “violation de la loi”,

“violation de l’ordre public” et“atteinte aux forces de sûreté”.Puis viennent les menaces :“poursuites” et “soumission à la justice”. Un point est dédiéà la presse électronique, qu’ilmenace des foudres de la loipour avoir fait son travail :informer sur ce qui se passedans cette ville et dénoncer les abus des forces de l’ordre.[Selon le communiqué, la presse électronique aurait“inventé des événements et amplifié ces incidents en véhiculant de faussesinformations, induisant ainsi

en erreur l’opinion publique”].Par contre, Benkirane fait uneseule fois référence au “droit”de manifester, qui est reconnupar la loi. Il n’a aucun mot deréconfort pour les victimes des brutalités policières, nepromet aucune enquête sur lesdestructions des biens privésdes citoyens par les forces de l’ordre, et bien entendu ne dénonce pas les menaces et les injures dont ont étéabreuvés les habitants de Taza.Rien. Pour le barbu, qui était un fort en gueule au Parlementquand il siégeait sur les bancs

de l’opposition, les torts ne sont pas partagés. Il y a d’un côté les mauvais, des Marocains va-nu-pieds qui sortent dans la rue pourmanifester leur ras-le-bol et leur désespoir ; et de l’autreles bons, les policiers qu’onramène d’autres régions du Maroc pour contourner la fraternisation des flics locauxavec les Tazaouis, mais aussipour leur permettre de tabasser, casser, menacer et injurier sans états d’âme et…au nom de la loi. Ali LmrabetDemainonline (extraits) Rabat

Réaction

Les vieilles recettes ont la peau dure

Maroc

Jusqu’où ira la contestation ?

� La liberté d’expression !Mohammed VI vu par Khalid dans Akhbar Al-Youm, Casablanca.

La tension monte, les manifestations se multiplient

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A l’approche des électionslégislatives du 2 mars, Téhéran renforce le contrôled’Internet et s’apprête à lancer son propre réseau.

Financial Times (Londres)De Téhéran

�L e renforcement de la censured’Internet va profiter aux fournisseurs de messagerie élec-

tronique iraniens puisque les servicesétrangers appréciés comme Gmail et Hotmail sont de plus en plus difficilementaccessibles. Les services de messagerielocaux, comme Mihanmail, Sabamail etMailfa, ainsi qu’un service public déficient,étaient rarement utilisés jusqu’à ce quetous les sites étrangers utilisant desconnexions cryptées soient subitementbloqués par le filtre national. Dans l’im-possibilité d’accéder à leurs fournisseurshabituels, les utilisateurs se sont tournésvers les sites locaux, mais leurs commen-taires ne sont pas vraiment élogieux. “Com-parer les systèmes de messagerie iraniens auxsystèmes de messagerie mondiaux, c’est commecomparer une Paykan (une voiture en formede boîte inspirée de la Hillman Hunter desannées 1960) à une Mercedes Benz”, déclareun internaute qui utilise à contrecœur unservice iranien. “Elles vous emmènent toutesdeux à destination mais avec des degrés deconfort et de sécurité très différents.”

Il y a longtemps que les plus de 30 mil-lions d’internautes iraniens jouent au chatet à la souris avec les censeurs de la Toileet s’adaptent aux nouvelles méthodes defiltrage en recourant à des logiciels spé-cialement conçus pour contourner le sys-tème. L’astuce la plus courante est de faireappel à des réseaux privés virtuels (VPN)

Médias

qui acheminent via des canaux sûrs le traficvers le monde extérieur [par l’intercon-nexion de deux réseaux locaux différents].

Les internautes ont cependant cons -taté depuis le 9 février que même les VPNne fonctionnaient plus. “Tous les gens queje rencontre me demandent des infos sur ledernier VPN”, affirme un ingénieur infor-matique, qui utilise un nouveau VPN luipermettant d’échapper à la dernière miseà jour du filtre national.

Le gouvernement iranien accuse régu-lièrement les puissances occidentales, enparticulier les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, de pousser les gens à la déso-béissance civile pour renverser le régimeislamique, et considère Internet commel’un des incubateurs de ces complots.

Pour garder le contrôle des commu-nications, il a introduit un service officiel

de messagerie nationale l’année dernière.Baptisé mail.iran.ir, ce système s’est jus-qu’à présent avéré décevant. Les utilisa-teurs reçoivent parfois un messageautomatique sinistre qui déclare : “Il y aun problème avec le certificat de sécurité dece site.” D’autres services nationaux exis-tent mais on ignore combien d’utilisateursactifs les emploient.

La page d’accueil de Mailfa proclamevouloir “révolutionner la messagerie, que cesoit en farsi ou en anglais” et promet d’amé-liorer ses services dans les deux mois.Sabamail.com annonce que “son produitexclusif est le premier au monde”.

On ne sait pas à qui appartiennent cesserveurs de messagerie. Il est fort pro-bable qu’ils soient contrôlés par l’Etat, cequi inquiète beaucoup de gens. La récentesérie d’interruptions d’Internet est inter-

venue quelques jours avant une manifes-tation qui devait avoir lieu le 14 février.

La jeunesse iranienne a su utiliserInternet de façon novatrice pour le mili-tantisme politique quand elle a menéd’énormes manifestations contre laréélection du président Mahmoud Ahma-dinejad en 2009.

La vitesse à laquelle informations,vidéos et images des manifestations sesont propagées dans le monde grâce auxmédias sociaux donne un aperçu de l’ave-nir au Moyen-Orient.

Ahmad Tavakkoli, un membre influentdu Parlement, a déclaré que si le récentrenforcement du filtrage était “irritant”,il était peut-être raisonnablement “justifié sur le plan de la sécurité”. Il ajoutecependant que les autorités auraient dûexpliquer ces nouvelles restrictions avantde les mettre en application et s’assurerqu’il existait des alternatives viables.“Cette façon de filtrer pousse les gens à violerla loi et à continuer de faire appel à des mé -canismes antifiltrage.”Najmeh Bozorgmehr

Censure

Les internautes iraniens pris au piège

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 41

Substituer un Internet local au réseau international : c’est le pari que va relever dans lesprochaines semaines le régimeiranien. En avril 2011, AliAghamohammadi, conseillerde la présidence iranienne sur les affaires économiques,annonçait la future mise enplace d’un Internet en accordavec les valeurs morales de la République islamique. En créant leur propre systèmede gestion des DNS (noms de domaine), les autoritésiraniennes souhaitent créer un réseau débarrassé del’influence occidentale, comme

l’a fait la Chine. La proliférationdu persan fait aussi partie des objectifs de l’initiative.Cette année, le projet seconcrétise, notamment avecl’augmentation des effectifs de la cyberpolice qui opèredepuis Téhéran. Mais, avec36 millions d’internautes pour 75 millions d’habitants,le gouvernement prévoitd’étendre des unités dans toutle pays. La mise en place de cetInternet “propre” commencepar l’isolement et desrestrictions de plus en plusfréquentes : l’accès auxréseaux sociaux (Facebook,

Twitter), aux sites étrangerscomme YouTube, est presqueimpossible à l’approche des élections législatives. Les autorités ont égalementbloqué le réseau desmessageries de type Gmail et Hotmail, et intercepté desdonnées sécurisées (commecelles transitant par desadresses HTTPS, souventutilisées par les banques, et desadresses IP). De plus en plus deVPN (Virtual Private Network),qui permettaient aux Iraniensde se connecter de manièredécentralisée, sont découvertset considérablement ralentis

pour empêcher leur utilisation. Le processus de fermeture est déjà bien avancé : les autorités ont annoncé avoirrapatrié 90 % de leurs sitesofficiels. Mais la mise en placede cet “Intranet” pourrait avoirdes effets néfastes sur le planéconomique, en particulierpour les échanges financiers etles investissements étrangers.En Iran, les entrepreneurss’inquiètent pour leur activité,explique le site TehranBureau (site d’informationirano-américain). Ramin, un jeune ingénieur, écrit : “Ce système est idiot, je ne sais

pas ce qui va se passer, mais je sais que je ne pourraiplus travailler.” Malgré lesefforts du gouvernementiranien, il existe une aideextérieure : le projet “Internetin a suitcase” (Les valisesInternet), financé par legouvernement américain,permet de contourner la censure et les systèmes de filtrage en passant par un réseau indépendant, via notamment des connexionssatellites. Car rester connectéau monde est essentiel pour la majorité des internautes en Iran.

Projet

Un réseau “halal” en service au printemps

� Dessin de Kianoush, Iran.

Elysée 2012 vu d’ailleurs

La campagne présidentielle vue de l’étrangerchaque semaine avec

avec Christophe MoulinVendredi 14 h 10, samedi 21 h 10 et dimanche 17 h 10

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42 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Dossier Agriculture

Dans moins de quarante ans,la terre comptera 9 milliardsd’habitants, soit 2 milliards de plus qu’aujourd’hui. Or, à l’heure actuelle, plus de 900 millions de personnessouffrent déjà de la faim.� Doper les rendements et investir dans l’agriculture ne suffira pas à relever le défi, explique le FinancialTimes, car les obstacles sontnombreux : réchauffementclimatique, mauvaiserépartition des stocks,gaspillage, agrocarburants…Mais aussi défaillance des politiques, comme au Mexique (voir p. 45).� A l’échelon local, lesinitiatives ne manquent pas*.L’agriculture urbaine se développe, notamment en Afrique (voir p. 46), et l’on cherche aussi à améliorer la qualité des aliments pour luttercontre la malnutrition, commele montre The Economist.� Ce dossier est réalisé à l’occasion du 22e Carrefour de la pensée qui se tiendra au Mans du 9 au 11 mars. Ces rencontres, fruit d’une collaboration entrel’association Carrefours de la Pensée, l’Université du Maine, la Ville du Mans et Courrier international,porteront cette année surl’alimentation mondiale. Nousconvions tous nos lecteurs à ces trois jours de débats.**

* Voir aussi p. 20 : “Des as de l’agriculture durable”.** Le programme est disponible surcarrefoursdelapensée.univ-lemans.fret sur courrierinternational.com

L’amélioration des rendementsagricoles ne suffira pas à assurerla sécurité alimentaire. Il faut aussi lutter contre la spéculation, mettre un frein au protectionnisme, réduire le gaspillage – et manger moins de viande.

Financial Times (extraits) Londres

�E n 2050, prévoit l’ONU, notreplanète comptera 2 milliardsd’habitants de plus. Pour nour-

rir tout le monde, la production alimen-taire devra augmenter de 70 %. Le défiest d’autant plus grand que la terre quenous cultivons depuis si longtemps estelle-même confrontée à une révolution.

L’agriculture, dont vivent 2,5 milliards depersonnes, ne suit pas le rythme de lacroissance démographique.

Pour contrer cette tendance, de nom-breux experts affirment qu’une nouvelle“révolution verte” –  comme celle desannées 1960 et 1970, où les progrès de lascience ont permis d’accroître les rende-ments  – est nécessaire. Elle pourraitinclure le développement des plantesgénétiquement modifiées, une techniquequi, à l’instar du nucléaire pour les besoinsénergétiques, fait partie de la solutionpour ses partisans mais représente, aux

yeux de ses détracteurs, une menace pourl’humanité et pour l’environnement.

“Le problème se pose dès aujourd’hui”,affirme Paul Polman, PDG du groupeagroalimentaire Unilever, qui a présidéle groupe de travail sur la sécurité ali-mentaire du Business  20, comité ras-semblant les représentants de grandesentreprises des pays du G20. “Toutes lessix secondes, un enfant meurt de faim. Lenombre de personnes qui vont se coucher lafaim au ventre est plus élevé qu’il y a deuxou trois ans, avant la crise.”

Dans le monde entier, les gouverne-ments, l’industrie et la société civile cher-chent des solutions. En Inde, où l’onrecense le plus grand nombre d’affamés dela planète, le gouvernement a approuvé endécembre dernier un ambitieux projet deloi sur la sécurité alimentaire garantissant

Enquête

Nourrir la planète en 2050, un casse-tête pour l’humanité

Constat

Une affaire de technique et d’écologie

� “Messieurs, nous avons une crise alimentaire.” Dessin de Gado paru dans The East African, Nairobi.

“Un enfant meurt de faim toutes les six secondes ”

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la distribution de céréales subventionnéesà toutes les familles pauvres. Cette mesureconcernera 60 % du 1,2 milliard d’habitantsque compte le pays.

L’industrie s’est elle aussi attelée à latâche. Dans les pays en développement,des entreprises comme Unilever, Nestléet PepsiCo fournissent aux agriculteursdes semences, des engrais, voire desmicrocrédits. Elles s’assurent ainsi, selonles termes du brasseur britannique d’ori-gine sud-africaine SABMiller, une “licencecommerciale” qui garantit leur approvi-sionnement en matières premières.

Les ONG mènent des projets simi-laires. Mais qu’elles viennent du secteurprivé ou de l’humanitaire, toutes ces ini-tiatives demeurent fragmentaires. “Nousdevons accélérer et intensifier notre actionen travaillant ensemble”, affirme PaulPolman, qui propose une injection de 70à 80 milliards de dollars [53 à 61 milliardsd’euros] d’aides pour rattraper les annéesde déclin des investissements agricolesfinancés par la Banque mondiale etd’autres prêteurs ou donateurs.

Pour obtenir davantage de denréesà partir d’une superficie égale – voireinférieure, étant donné l’urbanisationgalopante –, il faut des cultures plus pro-ductives. Mais l’exemple de l’Inde montreque l’investissement dans l’agriculturen’est qu’une partie de la solution. La pro-duction de céréales dans le pays le pluspeuplé au monde après la Chine a atteintun niveau record : 245 millions de tonnesentre avril 2011 et mars 2012, ce qui suffitamplement à couvrir une demande de220 millions de tonnes.

Ce constat vaut aussi à l’échelle mon-diale. “Aujourd’hui, l’approvisionnement nepose pas de problème”, assure ShenggenFan, directeur général de l’Institut inter-national de recherche sur les politiquesalimentaires (Ifpri), à Washington.Comme l’explique Gary Markham, direc-teur du département agriculture au cabi-net d’audit Grant Thornton, “la nourriturese trouve au mauvais endroit”. Alors quedans certaines régions d’Afrique on meurtde faim, les entrepôts chinois débordent,tout comme les tables occidentales – dontun tiers des aliments finissent à la pou-belle, à la maison comme au restaurant.Selon Shenggen Fan, les distorsions créées

par la constitution de stocks sont un pro-blème que les gouvernements doiventrésoudre par une plus grande transpa-rence. “Nous ignorons de combien de céréalesdispose la Chine, ajoute-t-il. Probablementde 50 à 300 millions de tonnes.”

En Inde et dans la plus grande partiede l’Afrique, ce sont surtout la logistiqueet le gaspillage qui posent problème.Chaque année, reconnaît New Delhi, jus-qu’à 40 % des fruits et légumes indienspourrissent dans les champs ou pendantleur transport au marché. Plusieurs mil-liers de tonnes de blé et de riz deviennentégalement impropres à la consommation,faute d’avoir été stockés dans des endroitsfrais et à l’abri des rongeurs.

Selon les estimations du gouverne-ment, le coût de ces gaspillages atteintpratiquement 20  milliards de dollars[plus de 15 milliards d’euros]. C’est l’unedes raisons pour lesquelles beaucoup seréjouissent des récents projets d’ouver-ture du commerce de détail à la concur-rence [étrangère] dans l’espoir que lesgrandes chaînes de supermarchés met-tent en place un meilleur réseau de dis-tribution. [Cette réforme très contestéea été suspendue début décembre.]

Enfin, il y a les politiques publiques etles forces du marché qui, aux dires de cer-tains, exacerbent les difficultés d’appro-visionnement. Les agrocarburants sont aucœur du problème. Si les Etats-Unis ontcessé de subventionner l’éthanol et le bio-diesel, d’autres pays continuent à encou-rager leur production, une politiqueaccusée d’affamer les populations pourfaire rouler des voitures.

Des récoltes plus abondantes ne ren-dent pas nécessairement la nature plusgénéreuse. Une très forte fertilité peutaussi dégrader la qualité des sols et lesmoyens de subsistance de ceux qui les cul-tivent. Vandana Shiva, écologiste [etscientifique indienne], qui conseille

actuellement le roi du Bhoutan sur laconversion du pays himalayen à l’agricul-ture biologique, affirme que la révolutionverte a ruiné les écosystèmes mondiaux.“Elle a épuisé les terres, gorgé d’eau desdéserts, livré les cultures aux parasites etconduit les agriculteurs à s’endetter.”

Pour John Beddington, conseillerscientifique en chef du gouvernement

britannique, il est toutefois possible derégler les deux problèmes à la fois.“L’agriculture, dit-il, peut atténuer les effetsdu changement climatique.” Pour cela, ilfaut recourir à des pratiques qui accrois-sent la productivité tout en réduisant lesémissions de gaz à effet de serre, commel’enfouissement dans le sol de légumi-neuses qui piègent le dioxyde de carboneet fournissent de l’azote.

Bien loin des champs, la responsabilitédes déséquilibres actuels incombe aussi àdes gouvernements et à des banques quine pensent qu’à leurs intérêts et qu’il esttemps, selon certains, de rappeler à l’ordre.Il faudrait ainsi mettre fin au protection-nisme et aux interdictions d’exporter tellesque celle imposée par la Russie en 2010,après la canicule et les incendies qui ontravagé les récoltes du pays.

Il faudrait également mettre un termeà la spéculation qui, conjuguée à certainesdécisions politiques, entraîne une envo-lée des prix des matières premières.

Le groupe Glencore [dont le siège esten Suisse], premier courtier en

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 43

ANGOLA

RCA

TCHAD

ZAMBIEBOLIVIE

MOZAMBIQUE

ÉTHIOPIE

HAÏTI

ÉRYTHRÉE

MONGOLIECORÉEDU NORD

PAKISTAN

YÉMEN

BURUNDI

BOTSWANA

S.-LEONELIBERIA

TOGO

ZIMBABWE

MADAGASCAR

CAMBODGE

Proportion de population sous-alimentée par Etat dans les pays en développement (2006-2008)En %

0 5 15 25 35Données indisponibles

Sour

ce :

FAO

, 201

1.

Un monde affamé

� 44

Source : Organisation des Nations unies pour l’alimentationet l’agriculture (FAO)

Indice FAO des prix réels* des produits alimentaires (base 100 : 2002-2004)

Renchérissement

* Indice des prix nominaux ajusté d’après l’indice de la valeur unitaire des produits manufacturés publié par la Banque mondiale.

1990 1995 2000 2005 2012

50

100

150

200

En Inde, jusqu’à 40 % des fruits et légumespourrissent dans les champs ou pendant leurtransport au marché

et

Nourrir la planète

Un événement

3 jours de débats, de films, d’expositionPalais des congrès et de la culture – Lycée agricole de Rouillon – Entrée libre

Sur le w

eb

www.courrier

international.com A la une Le 17 février 2011, Courrier international consacrait son numéro 1059 à l’agriculture et à la crise alimentaire. Dans le magazine Foreign Policy,le célèbre écologiste américain Lester Brown affirmait notamment

que, pour éviter la catastrophe, il fallait que le monde réduise les émissions de CO2 , que la population mondiale soit stabiliséeet les écosystèmes restaurés.Retrouvez cet article et bien d’autressur notre site Internet.

Le Mans – Du 8 au 11 mars 2012

22e Carrefour de la pensée

Page 44: Courrier International 2012

44 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Dossier Agriculture

matières premières au monde, areconnu en avril dernier avoir spéculé surla hausse des prix du blé et du maïs audébut de la sécheresse de 2010, tout enincitant publiquement la Russie à impo-ser un embargo sur les exportations deblé. Quelques jours plus tard, Moscou asuivi ce conseil, provoquant [comme l’es-pérait Glencore] une flambée du coursdes céréales [qui a causé d’énormes pro-blèmes dans les pays pauvres].

Nicolas Sarkozy n’a pas mâché sesmots au sujet de la spéculation  : “Unmarché qui n’est pas régulé est une loterie oùla fortune sourit aux plus cyniques”, a-t-ildéclaré [lors d’une réunion du G20 consa-crée à l’agriculture, en juin dernier]. Leprésident français souhaite limiter lerecours aux embargos sur les exportationset réclame la création d’une base de don-nées commune qui rassemblerait desinformations sur les réserves de nourri-ture. Mais, s’il bénéficie du soutien dequelques Etats, d’une bonne partie de l’in-dustrie et de la plupart des ONG, il lui seradifficile de persuader certains puissantsopérateurs – qu’il s’agisse de la branchede négoce des matières premières de labanque Goldman Sachs ou des hauts fonc-tionnaires chinois – de faire preuve deplus de transparence.

Des efforts sont également faits ducôté de la demande. Au Royaume-Uni, descampagnes officielles appellent la popula-tion à jeter moins de nourriture. Dansd’autres pays, les citoyens sont encoura-gés à consommer des produits cultivés demanière écologique ou de se passer deviande pendant une semaine.

Plus radical, Shenggen Fan, de l’Ifpri,appelle à l’instauration d’une taxe sur

la viande qui intégrerait le coût social duchangement climatique, de l’eau et dessoins de santé. “Si l’on prenait tous ces fac-teurs en considération, explique-t-il, lebœuf serait probablement dix fois pluscher.” Mais cette idée sera difficile àmettre à exécution. Les gouvernementsont déjà été critiqués pour avoir intro-duit des taxes bien moins lourdes sur lesucre et les matières grasses.

Il sera plus facile de profiter des pro-grès – fussent-ils minimes – réalisés parl’agriculture pour accroître les récolteset réduire le nombre de personnes quisouffrent de la faim. Prenons le riz : auBangladesh, grâce à l’aide financière etscientifique de pays étrangers, certains cul-tivateurs ont pu réfuter la sombre théoriede Malthus. Après être resté immergé pen-dant deux semaines, le riz “scuba” peuttout de même se développer une fois quel’eau s’est retirée. Après dix-sept joursd’inondation, Biplob Sarker, un petitpaysan, avait perdu tout espoir. “Mais, àma grande surprise, raconte-t-il, les jeunesplants ont poussé après la décrue. Je n’arrivetoujours pas à croire que j’ai pu récolter 672 kgde paddy.” Le défi que le monde doit rele-ver est de multiplier les surprises de cegenre. Louise Lucas et James Fontanella-Khan

43 �

Production céréalière mondiale, utilisation et stocks (en millions de tonnes)

Source : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)

Indice des prix internationaux des denrées alimentaires (base 100 : 2002-2004)

1 800

2 000

2 200

2 400

200

400

600

800

2001/2002 2011/2012Pr

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Production StocksUtilisation

2011125

200

275

350

425

2012

Sucre

Huiles et mat. grasses

Viande

Produits laitiers

Céréales

Rebond de l’offre et baisse des prix en 2011 Il faudrait intégrer dansle prix de la viande le coûtsocial de l’élevage enmatière de changementclimatique, d’eau et de soins de santé

Page 45: Courrier International 2012

et les prix des produits alimentaires ontdoublé, comme dans plusieurs autresrégions frappées par la catastrophe.

“Nous continuons de recevoir des enfants.Au cours des tout derniers jours, il en estarrivé vingt-quatre, souffrant de dénutritionà divers degrés, et nous en avons hospitalisétrois”, raconte le jésuite José GuadalupeGasca, directeur de la clinique Santa Tere-sita de Creel, qui fait office de baromètrede la situation dans ces montagnes. Lepremier enfant est décédé en novembre.Avant cela, six adultes étaient morts defaim à Carichí.

En février 2011 – une forte gelée avaitbrûlé la couverture végétale et la séche-resse s’annonçait déjà –, les organisationspaysannes du bloc El Campo No AguantaMás [Les campagnes n’en peuvent plus]se sont rendues au ministère de l’Agricul-ture, à la Chambre des députés et au Sénatpour exiger des mesures préventives etl’instauration de l’état d’urgence dans plu-sieurs centaines de communes.

“Les agriculteurs avaient baptisé leur ini-tiative ‘La faim n’attend pas’”, expliqueVictor Suárez, directeur exécutif de l’As-sociation nationale des entreprises de com-mercialisation des produits des champs(Anec). “Nous sommes arrivés avec des docu-ments, nous avons organisé des conférences de

presse, rencontré des législateurs et des hautsfonctionnaires. Lors d’une réunion au Sénat,le président de la commission de l’Agriculture,Alberto Cárdenas, a déclaré : ‘Au Mexique,personne ne meurt de faim, mais ce qui estsûr, c’est que celui qui ne travaille pas nemange pas’, minimisant ainsi le problème,comme continuent de le faire les ministres del’Economie et de l’Agriculture”, déplore-t-il.

A l’époque déjà, les organisations pay-sannes avaient formulé plusieurs reven-dications urgentes  : constitution deréserves alimentaires ; développement desmises en culture sur l’Altiplano et dans lesprovinces du sud-ouest et du sud-est dupays, afin de compenser les pertes derécoltes du nord ; programmes d’emploissaisonniers pour compenser les pertes derevenu des paysans affectés par la séche-resse ; extension des programmes de dis-tribution de lait Liconsa [subventionnéspar l’Etat] et des magasins communau-taires Diconsa (pour éviter une flambéedes prix), et mise en place de soupes popu-laires. Tous ces documents datent defévrier 2011, soit un an avant que le prési-dent ne fasse partir des camions-citerneset des hélicoptères d’aide humanitaire.

“Nous avions tiré la sonnette d’alarmedepuis longtemps, mais le gouvernement a faitla sourde oreille aux mises en garde, auxsignaux et aux propositions qui permettaientde faire face à l’urgence et de poser les basesd’un changement de modèle. Nous voyions déjàvenir non seulement la sécheresse et les gelées,mais aussi le doublement ou le triplement descours des produits alimentaires sur les mar-chés internationaux”, souligne Suárez.

La sécheresse a affecté 1 213 com-munes dans 19 Etats, les plus gravementtouchés étant ceux de Chihuahua [nord],Durango [nord-ouest], San Luís Potosí[nord-est] et Zacatecas [nord].

Cette absence de planification a étéaggravée par la lenteur des décisions etles luttes partisanes. En janvier, le prési-

dent a opposé son veto au versement des10 milliards de pesos [600 millions d’eu-ros] que le Congrès fédéral avait allouésà l’aide d’urgence, sous prétexte que la sta-bilité financière du pays était menacée.

Ni les critiques des partis politiquesqui se sont élevés contre ce veto, ni lesmarches des paysans, ni l’annonce despremiers décès par dénutrition n’ont faitchanger d’avis l’exécutif. Il a fallu, pourfaire réagir Calderón, que les réseauxsociaux diffusent la vidéo du leaderpaysan de Chihuahua Ramón Gardeaannonçant le suicide de cinquante Rará-muris désespérés (information ultérieu-rement démentie par les autorités), cequi a provoqué un grand élan de solida-rité citoyenne et l’ouverture de centresde réserves alimentaires.

Le 25 janvier, Calderón a lancé un pro-gramme d’“actions visant à pallier les effetsde la sécheresse”, débloquant 33 milliardsde pesos [1,9 milliard d’euros] d’aide auxrégions sinistrées. Il a également ordonnéle déploiement de brigades sanitaires,l’approvisionnement permanent en eaudes fermes laitières, le creusement depuits et l’accélération de la distributiondes ressources des programmes sociaux.

Selon Carlos Zarco, directeur d’Ox-fam Mexique, la famine qui sévit dans laSierra Tarahumara est due à tout un fais-ceau de causes : absence de précipitations,

manque d’équipements de récupérationde l’eau (95 % des eaux pluviales se per-dent par infiltration ou ruissellement),surexploitation des sols et déforestation.S’il est effectivement urgent de distribuerles réserves, souligne-t-il, il faut égale-ment mettre en œuvre avant le mois dejuillet divers projets de préservation dessols et de rétention des eaux par le biaisde petites infrastructures communau-taires. Il faut aussi créer des potagers des-tinés à l’autoconsommation afin que lespopulations disposent de réserves ali-mentaires pour le prochain cycle. Chaqueprojet coûterait dans les 300 000 pesos[18 000 euros].

Reste à savoir si le gouvernement fédé-ral et les gouvernements locaux saurontcoordonner leurs actions pour affronterl’urgence et continuer à fournir des vivreset de l’eau même après les élections [pré-sidentielle et législatives du 1er juillet 2012].La survie de milliers de familles en dépend.Marcela Turati

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 45

La famine qui sévit chez les Indiens Rarámuris de la Sierra Tarahumara auraitpu être évitée. Mais les autorités ont attendu que des enfantsmeurent pour se mobiliser.

Proceso (extraits) Mexico

�L es décès liés à la dénutritionenregistrés dans la Sierra Tara-humara [au cœur de la chaîne de

la Sierra Madre occidentale, dans l’Etat deChihuahua] constituent l’épilogue d’unelongue série d’erreurs commises par le gou-vernement fédéral. En effet, alors qu’il étaitinformé du risque de pénurie depuis ledébut 2011, ce n’est qu’à la dernière minuteet sous la pression sociale qu’il a enfin misen place un plan d’urgence humanitairepour les Etats du nord-ouest du pays tou-chés par une sécheresse sans précédent.

Le 2 février, coiffé de son béret de chefdes forces armées, le président Calderóns’est donc rendu dans la Sierra Tarahu-mara, où il a participé au déchargementd’un hélicoptère rempli de vivres et d’eaupotable, et a donné l’ordre à l’armée d’ap-provisionner les villages en détresse.

Pourtant, au début de son mandat [quia débuté fin 2006], l’une des premièresinitiatives de son gouvernement avait étéd’exclure les Indiens Rarámuris du pro-gramme d’aide prioritaire aux cent vingt-cinq municipalités les plus pauvres, alorsmême que, sur les dix communes les plusmisérables identifiées par les Nationsunies, six étaient occupées par des com-munautés rarámuries, et qu’il est de noto-riété publique que ces situations d’urgencereviennent de façon cyclique.

Le journal Milenio rapporte par ailleursque, depuis le début du mandat de Cal-derón, 20 000 Rarámuris ont été exclusdu dispositif Oportunidades, principal pro-gramme mexicain d’assistance aux plusdémunis, sous prétexte qu’ils ne respec-taient pas l’obligation, prévue par celui-ci,de se rendre dans des écoles ou des centresde santé à plusieurs jours de marche dechez eux. Pour ne rien arranger, le gou-vernement de l’Etat de Chihuahua a réduitcette année de 14 % le budget déjà trèsmodeste de la Coordination étatique de laSierra Tarahumara, agence chargée de dis-tribuer les aides aux Indiens Rarámuris,Pimas et Guarojíos des montagnes.

La négligence et l’indifférence desautorités vont avoir des conséquences dif-ficiles à assumer. Celles-ci commencentdéjà à se faire sentir : les hôpitaux desmontagnes voient affluer des enfants souf-frant de dénutrition. La pénurie d’eaupotable a provoqué la première épidémied’hépatite dans un centre d’accueil de l’en-fance ; faute de conditions d’hygiène élé-mentaires, des cas de gale ont été détectés,

Mexique

Ils auraient pu ne pas mourir de faim

ÉTATS-UNIS

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MEXIQUE

Chihuahua

Golfedu Mexique

OcéanPacifique

Mexico

Sierra Tarahumara

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800 km

Au pays des Raramuris

� Des Indiens Rarámuris dans la Sierra Tarahumara, en janvier dernier.

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“Le gouvernement a fait la sourde oreilleaux mises en garde et aux propositions qui auraient permis de faire face à l’urgence”

Sur le w

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www.courrier

international.com Contexte Pour en savoir plus sur les Rarámuris, rendez-vous sur notre site. Et dans nos archives :“Consommer moins d’eau pour récolter plus de riz”, un article de Down to Earth,

le magazine écologiste de New Delhi. Désireuse d’intensifier sa production agricole, l’Inde explore de nouvelles voies, plus respectueuses des ressources naturelles.

Page 46: Courrier International 2012

Les supermarchés britanniquesdestinent de plus en plus leurs déchets alimentaires à la production d’énergie. Ce sont autant de produitsperdus pour les plus démunis,dénoncent les associations.

The Ecologist (extraits) Londres

�P our 4 livres [4,80 euros], on peutse faire servir un bon repaschaud, avec entrée, plat et des-

sert, au Station House Community Cafe deHaringey, à Londres. Tous les aliments quicomposent ce déjeuner végétarien ont étédonnés par le Sainsbury’s [grande chaînede supermarchés britannique] voisin. Il

s’agit de fruits et de légumes parfaitementfrais, que le magasin ne peut plus vendreet qui autrement seraient gâchés.

Ces “cafés” se font fort de réutiliserles quelque 361 800 tonnes de déchets ali-mentaires que produisent chaque annéeles supermarchés britanniques, selon leWaste & Resources Action Programme[Wrap, autorité administrative indépen-dante chargée de promouvoir une meil -leure gestion des déchets]. Jusqu’à unedate très récente, l’essentiel des déchetsétait envoyé à la décharge, alors que lesassociations d’aide alimentaire ont unbesoin urgent de dons pour servir desmilliers de repas gratuits (ou presque).Or les efforts de ces établissements ris-quent d’être réduits à néant. En effet, lessupermarchés recherchent le moyen le

plus rentable de se débarrasser desdéchets alimentaires, ce qui les amène àprivilégier la digestion anaérobie (ouméthanisation), destinée à produire desénergies renouvelables, au détriment dela redistribution.

“Ces dernières années, les supermarchésbritanniques ont commencé à mener une ges-tion des déchets plus volontariste”, expliqueTristram Stuart, militant [écologiste] etauteur de Waste: Uncovering the GlobalFood Scandal [Déchets : le scandale ali-mentaire mondial]. “Notre campagne apour principal objectif de montrer qu’on amieux à faire avec la nourriture que de pro-duire de l’énergie.” Le mois dernier, l’asso-ciation de Stuart, Feeding the 5,000[Nourrir les 5 000], a rassemblé près de5 000 personnes à Trafalgar Square

(Londres) et leur a proposé gratuitementun repas fraîchement cuisiné. Cet événe-ment avait pour but de montrer que lagrande distribution jetait des fruits et deslégumes parfaitement comestibles, sou-vent sur des critères d’aspect.

Le Dr Richard Swannell, du Wrap,explique que la meilleure manière pour lessupermarchés de réduire leurs déchetspasse par la prévention du gaspillage. “C’estainsi qu’on obtient les meilleurs résultats dupoint de vue de l’environnement, fait-il valoir.Mais, si les supermarchés n’arrivent pas àvendre une partie de leurs produits, il fautqu’ils les distribuent à des organisations cari-tatives. Ensuite seulement, et si c’est possible,ils peuvent les destiner à l’alimentation ani-male, aux centres de méthanisation, et en der-nier lieu au compostage.” Matilda Lee

46 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Dossier AgricultureAfrique

Savez-vous planter les choux… en ville ?

Polémique

Quand fruits et légumes partent en fumée

� Dessin de Vlahovic, Serbie.

De Nairobi à Kampala, potagers et poulaillersimprovisés poussent à foison. D’ici 2020, la survie de 40 millions d’Africainspourrait dépendre de cette agriculture urbaine.

OnEarth Magazine (extraits)New York

�A lors que nous nous rendons àKibera, bidon ville tristementcélèbre de Nairobi, la capitale

kényane, notre chauffeur fait grise mine.Mary Njenga, notre guide, vient de suggé-rer aux hommes de notre groupe de resterà l’arrière de la voiture. Les gens de Kiberan’ont souvent plus rien à perdre, et il arrivequ’on vous menace sans prévenir, d’unearme ou d’un couteau. “S’ils ne voient quedes femmes, explique Njenga, ils saurontqu’on vient juste pour rencontrer les fermiers.”

Nous arrivons dans une zone déga-gée, en périphérie du bidonville. Njenga,en tête du groupe, nous fait descendreune route de terre, l’artère principale du“quartier informel” (ainsi nomme-t-on,avec un certain euphémisme, le bidon-ville), puis un étroit sentier qui serpenteentre les baraques faites de boue, fer-blanc, carton et bouts de bois.

Njenga connaît le secteur comme sapoche. Spécialiste de l’environnement,féministe farouche, cette scientifiqued’une quarantaine d’années se rend régu-lièrement sur les lieux depuis dix ans afind’aider les habitants à découvrir des stra-tégies durables pour subvenir à leursbesoins et à ceux de leur famille. �

Page 47: Courrier International 2012

Selon une étude récente, plus de 95 %des habitants de Kibera interrogés ontcraint, au cours des douze derniers mois,de manquer de vivres. En effet, contrai-rement aux Kényans qui vivent à la cam-pagne et cultivent des terres, les citadinsdoivent payer leur nourriture. Ils dépen-sent ainsi jusqu’à 80 % de leur salaire.

Mais, comme Njenga est très fière deme le montrer, il existe aujourd’hui denouvelles façons de s’en sortir. Nous fai-sons la rencontre de Catherine Wangui.Elle est âgée d’une vingtaine d’années, elleest charmante et porte un béret.

Elle nous raconte comment, il y a envi-ron quatre ans, les membres de l’ONGfrançaise Solidarités International – quiorganise des projets d’aide humanitaired’urgence et de reconstruction à traversle monde – sont venus ici et ont distribuéde vieux sacs de farine à certaines femmes.Ils leur ont ensuite expliqué la façon de lesremplir avec de la terre et des cailloux, puisde les cribler de trous sur les côtés et d’yfaire germer des graines.

Wangui, qui a grandi à Kibera, s’ar-rête en face de trois de ces “jardins verti-caux” – des sacs de 1,20 m de haut remplisde terre et de vrilles élancées et bour-geonnantes de choux verts et d’épinards.Njenga nous présente aussi à des gensqui, dans des emplacements à peine plusgrands qu’un placard, élèvent des poulespour gagner de l’argent.

Il y a trois ans, pour la première foisdans l’histoire de l’humanité, le nombrede personnes vivant en ville a dépassé lenombre des personnes vivant en zonerurale, et ce à l’échelle mondiale. Selonles projections des Nations unies, en 2050,près de 65 % de la population mondialevivra en zone urbaine. Le taux d’exoderural est particulièrement élevé en Afriquesubsaharienne, où 15  millions de per-sonnes quittent les campagnes, chaqueannée, pour rejoindre les villes. Le chan-gement climatique va aggraver cette ten-dance, à mesure que les phénomènesextrêmes – tels que les sécheresses quisévissent actuellement dans la Corne del’Afrique – augmenteront en fréquence eten intensité.

D’ailleurs, selon les modèles clima-tiques, dans les années à venir, la super-ficie des zones arides et semi-aridesd’Afrique subsaharienne pourrait aug-menter de 900 000 kilomètres carrés,une étendue équivalant à la taille duNigeria. Périodes sèches plus longues etplus chaudes et précipitations imprévi-sibles compliquent déjà la tâche des fer-miers. Ces derniers ne savent plus quandsemer et quand récolter. Et le challenge

d’Africains dépendra exclusivement descultures vivrières qui pousseront dans lescentres urbains.

En octobre 2011, UN-HABITAT, l’orga-nisation des Nations unies chargée de lapromotion des villes durables, a publiéun rapport intitulé “Villes et réchauffe-ment climatique”. Celui-ci préconise“d’incorporer l’agriculture urbaine à la poli-tique internationale sur le changement cli-matique et la sécurité alimentaire”. Etrécemment, en grande partie grâce autravail d’organisations telles que Mazin-gira, Urban Harvest ou IWMI [Institutinternational de gestion de l’eau], desgouvernements de toute l’Afrique ontcommencé à mettre en place des poli-tiques de soutien à l’agriculture et à larécupération des ressources en ville.

En 2009, le programme de politiqueagraire du Kenya comprenait une sectiondédiée à l’agriculture urbaine – Njenga aelle-même participé à sa rédaction. Deplus, le pays étudie actuellement un toutpremier projet de politique nationale surl’agriculture et l’élevage d’animaux enville. Du côté de Kampala, capitale del’Ouganda, le conseil municipal s’estrécemment doté d’un département con -sacré à la culture urbaine. D’autres com-munes commencent à accorder des

exonérations d’impôts à certains pro-priétaires : ceux qui autorisent les fer-miers à utiliser des terres en friche. Lesplans d’aménagement de quelques muni-cipalités incluent aussi des parcelles des-tinées à être mises en culture. Au Kenya,il y a peu, on a introduit un système deprêts pour les petites exploitations agri-coles urbaines. D’autres villes ont réduitles tarifs de l’eau d’irrigation et plan-chent sur des mesures d’incitation à laréutilisation et au compostage desdéchets ménagers.

Les bidonvilles des pays en voie dedéveloppement méritent leur réputationd’enfers sur terre, mais le plus frappant,c’est que sur bien des plans ils sont à lapointe. En sachant qu’en 2050 la planètedevrait compter 9,1 milliards d’habitants,nous ferions bien d’y prêter attention.Jocelyn C. Zuckerman

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 47

800 millions d’individuspratiquent aujourd’huil’agriculture urbaine,assurant 15 à 20 % de la production mondialede nourriture

est d’autant plus grand dans cette partiedu monde, où les technologies de l’irri-gation sont presque inexistantes.

Moins de terres agricoles – et moinsd’agriculteurs  –, c’est aussi moins denourriture : d’après le groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution duclimat [Intergovernmental Panel on Cli-mate Change], le rendement des terresagricoles irriguées par l’eau de pluie pour-rait être réduit de moitié d’ici 2020. Etselon l’Ifpri [Institut international derecherche sur les politiques alimentaires],établi à Washington, d’ici 2050 le ré -chauffement climatique pourrait fairechuter de 22 % la production d’alimentsde base comme le manioc ou le blé.

Population affamée et villes saturées,voilà qui donne un mélange à coup sûrexplosif. Pas plus tard qu’en 2008 le prixastronomique des denrées de premièrenécessité, poussé vers le haut par la spé-culation sur les marchés des produitsagricoles de base, a conduit à des émeutesdans pas moins de 36 pays – dont 21 surle seul continent africain.

La bonne nouvelle, c’est que les jar-dins urbains comme ceux de CatherineWangui font bouger les choses. Ainsi, àKibera, on estime que 5 000 foyers envi-ron expérimentent d’ores et déjà la cul-ture de jardins verticaux.

Et dans les villes d’autres pays en voiede développement, des projets du mêmetype sont en marche : les habitants utili-sent tout ce qu’ils trouvent, vieux sacs degrains ou pneus usés, pour planter etentretenir des microcultures. Selon lesdonnées récentes du Pnud [Programmedes Nations unies pour le développe-ment], 800 millions d’individus prati-quent aujourd’hui l’agriculture urbaine,assurant 15 à 20 % de la production mon-diale de nourriture. Parmi ces gens, beau-coup vivent en Asie, où la culture agricolecitadine existe depuis longtemps.

Sous les lignes électriques, le long desroutes, au bord des fleuves, partout où ily a des terrains à l’abandon, les citadinssaisissent leur pelle et travaillent la terre.Rien qu’en Afrique subsaharienne, la partde la population qui exploite des culturesen ville est passée de 20 % il y a vingt ans,à près de 70 % aujourd’hui. Et d’ici 2020,l’alimentation de quelque 40 millions

Des gouvernements detoute l’Afrique mettenten place des politiquesde soutien à l’agricultureet à la récupération des ressources en villeKENYA

ÉTHIOPIESOUDAN

RDC

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SOM

ALI

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OUGANDA

Nairobi

Kampala

Kibera

500 km

Potagers africains

Lesarchives

www.courrier

international.com Gâchis A retrouver sur notre siteInternet : “En finir avec le gaspillagealimentaire”. Chaque année dans le monde, un tiers de la nourriture part à la poubelle, rappelle The NewYork Times.

Page 48: Courrier International 2012

48 � Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012

Dossier Agriculture

Gouvernements et ONGrelèvent un nouveau défi :combattre les carences en micronutriments,responsables chaque année de plusieurs millions de mortsdans le monde.

The Economist (extraits) Londres

�E ldorado, l’une des favelas lesplus pauvres et les plus malnommées de São Paulo. Des

garçons d’une dizaine d’années jouent aufootball sur le terrain d’un quartier jus-qu’ici plutôt connu pour sa misère et sesdealers. Les enfants ont l’air d’être enpleine forme. Ils ne le sont pas. Après lematch, ils se rassemblent autour d’un sacde bananes en bordure du terrain.

“A l’école, les enfants ont un repas com-plet par jour”, explique Jonathan Hannay,secrétaire général d’une association locale,la Children at Risk Foundation. “Mais pen-dant les vacances ils arrivent sans avoir rienmangé. Alors nous leur donnons des bananes.C’est nourrissant, bon marché, et c’est bonpour le cerveau.”

Si les enfants d’Eldorado sont mieuxnourris aujourd’hui, c’est en partie grâceà José Graziano da Silva. Initiateur de lacampagne Fome Zero [Faim zéro], qui apermis de réduire la malnutrition de plusd’un tiers au Brésil, Graziano espèremaintenant appliquer plus largement sonexpérience. Il a récemment été nommédirecteur général de l’Organisation desNations unies pour l’alimentation etl’agriculture (FAO).

Les gouvernements du monde en-tier portent une attention croissante auxproblèmes de nutrition. En 2010,quelques organisations humani-taires ont fait paraître une chartepour l’amélioration de la nutrition(Scale Up Nutrition, SUN). Le mi-nistère britannique du Développe-ment international et plusieursagences con sacrent de plus en plusde fonds à des projets de nutrition.La Banque mondiale s’est jointe aumouvement en publiant un rapportintitulé “Repositioning Nutrition asCentral to Development” [Replacer lanutrition au cœur du développement]. L’ONG internationale Save the Childrenparle aussi de donner une “impulsion auxpouvoirs politiques”. Cette tendance s’ap-puie sur une évolution de la façon deconcevoir une bonne nutrition : aujour-d’hui, il ne s’agit pas tant d’augmenter laquantité de nourriture que d’améliorer saqualité en apportant davantage de micro-nutriments comme le fer et les vitamines.

Dans les pays en développement, plusde 160 millions d’enfants souffrent decarence en vitamine A ; 1 million d’entre

eux meurent à cause de déficiences de leursystème immunitaire et près de 500 000perdent la vue chaque année. Les carencesen fer sont cause d’anémie, une affectiondont souffrent près de la moitié des en -fants des pays pauvres et 500 millions defemmes, dont 60 000 meurent chaqueannée pendant leur grossesse. Chaqueannée, 18 millions de bébés naissent avecun handicap mental en raison d’un défi-cit en iode qu’un apport supplémentaireau stade fœtal suffirait à combler.

La malnutrition cause plus d’un tiersdes décès d’enfants dans le monde etconstitue le principal facteur de risquedans l’apparition de nombreuses mala-dies. Un tiers des enfants de la planèteont un poids ou une taille inférieurs à lamoyenne normale à leur âge, symptômesclassiques de la malnutrition.

Au cours des mille premiers jours dela vie, la malnutrition peut provoquer desdommages irréversibles. D’après uneétude publiée par la revue médicale TheLancet, les enfants malnutris ont (touteschoses égales par ailleurs) moins dechances d’aller à l’école, moins de chancesd’y rester et plus de difficultés d’appren-tissage. Ils gagnent tout au long de leurvie moins d’argent que leurs pairs biennourris et meurent plus jeunes.

Malnutris mais obèsesParadoxalement, la malnutrition peut éga-lement être un facteur d’obésité à l’âgeadulte. Dans le ventre de la mère et durantles premières années de la vie, l’organismes’adapte à un régime alimentaire pauvreen amassant tout ce qu’il peut sous formede graisse (c’est-à-dire de réserves d’éner-gie). Le métabolisme ne change pas parla suite, ce qui explique l’explosion dutaux d’obésité dans les pays sortis de la

pauvreté. Au Mexique par exemple, l’obé-sité n’existait pratiquement pas dans lesannées 1980. Aujourd’hui, 30 % des adultessont cliniquement considérés commeobèses et 70 % sont en surpoids, des tauxparmi les plus élevés au monde.

La bonne nouvelle est qu’une amé-lioration de la nutrition est un investis-sement particulièrement profitable. Il nefaut pas grand-chose pour prévenir lescarences en micronutriments. Les sup-pléments vitaminés ne coûtent presquerien et apportent des bénéfices durables.Chaque dollar dépensé pour la promo-tion de l’allaitement dans les hôpitauxrapporte entre 5 et 67  dollars [3,8 et51 euros]. Chaque dollar dépensé pourdonner du fer aux femmes enceintes enrapporte entre 6 et 14. Aucune autre poli-tique de développement ne peut se tar-guer d’un tel retour sur investissement.

Entre 1986 et 1996, le nombre de per-sonnes en surpoids a reculé de 0,7  %chaque année au Brésil, tandis que les casde retard de croissance diminuaient de1,9 % par an. Au Bangladesh, ces deuxindicateurs ont baissé de 2  % par anentre 1994 et 2005.

Le groupe de recherche [international]HarvestPlus a mis au point des semences“biofortifiées” [par croisement] permet-tant d’augmenter la teneur en micronutri-ments de certaines cultures de subsistance.En 2011, HarvestPlus a proposé au Nigeriaun manioc enrichi en vitamine A ; cetteannée, il fournira du maïs riche en vita-mine A à la Zambie, ainsi que des grainesde haricots et de millet enrichis en fer auRwanda et à l’Inde. Certaines entreprisesfont la même chose avec les produits trans-formés, comme le groupe Kraft, dont lesbiscuits Biskuat (vendus en Indonésie)contiennent 9 vitamines et 6 minéraux.

Il existe bien d’autres moyens d’amé-liorer la nutrition, par exemple en amé-liorant les installations sanitaires – ce quiréduit les maladies intestinales et permetainsi à l’organisme d’absorber davantagede nutriments –, en investissant dansl’agriculture sur petites surfaces – pouraugmenter la diversité des récoltes –, envaccinant les enfants et en incitant lesfemmes à allaiter plus longtemps pourrenforcer le système immunitaire de leurenfant. Marie Ruel, l’une des directricesde l’Institut international de recherchesur les politiques alimentaires (Ifpri), àWashington, pointe les tâches à accom-plir : se concentrer sur les mille premiersjours de la vie (grossesse incluse) ; ren-forcer les programmes de soins à lamaternité et enseigner les bonnes pra-tiques alimentaires ; mettre l’accent surles pauvres ; mesurer et surveiller l’évo-lution de la situation.

Des bienfaits à long termeCela signifie que, pour réussir, toute ten-tative d’amélioration de la nutrition dansle monde doit mettre en œuvre toutesces mesures à la fois. Au Brésil, la cam-pagne Fome Zero compte 90 dispositifssupervisés par 19 ministres différents.Elle embrasse tous les aspects du pro-blème, du programme conditionnel BolsaFamilia [qui accorde par exemple desaides aux familles pauvres dont les enfantssont scolarisés et vaccinés] aux projetsd’irrigation en passant par le soutien despetits paysans. Une telle entreprise néces-site beaucoup d’efforts d’organisationet ne peut pas fonctionner sans soutienpolitique. “Pour réduire la malnutrition, ilfaut que les grands et les puissants qui saventcomment faire avancer les choses au gouver-nement arrêtent de faire de l’obstruction etfinissent le travail”, déclare Lawrence

Haddad, directeur de l’Institutbritannique des études pour le

développement.D’où l’importance de la nomina-

tion de José Graziano à la tête de laFAO. Les gouvernements sont rétifs

au changement et demandent despreuves concrètes. Or, de même que

les dégâts de la malnutrition s’accu-mulent au cours de la vie, les bienfaits

d’une bonne nutrition apparaissent aufil des années : à mesure que des femmesbien nourries transmettent une bonnesanté à des enfants bien nourris.

Lors d’une récente conférence de laFAO, quelqu’un a déclaré : “Les nutrition-nistes sont aujourd’hui dans la même posi-tion que les écologistes dans les années 1990.”C’est déprimant, car cela signifie que lesprogrès seront lents. Mais c’est aussiencourageant, car cela signifie qu’il y aurades progrès tôt ou tard. �

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Cure de fer et de vitamines pour tout le monde

� Dessin de Vlahovic, Serbie.

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Invention

Un tic-tacpourl’éternitéLe milliardaire américain Jeff Bezosfinance la construction au Texas d’unehorloge monumentale capable d’indiquerl’heure pendant dix mille ans. Uneprouesse technologique, mais aussi uneréflexion sur notre rapport au temps.

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Wired (extraits) San Francisco

Au sommet d’une crête rocheuse,dans le désert du Texas, en sur -plomb d’une base spatiale désaf-fectée, se trouve la partie supé- rieure d’une horloge qui fonc-tionne depuis des millénaires. Elle

a été financée par un milliardaire dont on adepuis longtemps oublié le nom.

L’essentiel du mécanisme est logé à l’intérieurde la montagne, sous la ligne de crête. Pour l’at-teindre, il faut marcher plusieurs heures dans lachaleur. Le bourdonnement des mouches et lemurmure de la brise sont les seuls bruits alentour.Il faut grimper à travers les broussailles � 52

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MécèneAvec son projet d’horlogemultimillénaire, Jeff Bezos, patronde la librairie en ligne Amazon, veut inciter les générations futuresà penser à long terme.

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jusqu’à une porte secrète, qui débouche surla cavité plongée dans l’obscurité et le silence oùse trouve l’horloge. Dans le noir, bien au-dessusde la tête du visiteur, un immense balancieroscille lentement produisant un tic-tac toutesles dix secondes. Personne ne sait qui a fabriquécette horloge ni pourquoi, mais c’est un instru-ment remarquable qui donne encore aujourd’huil’heure exacte. Tout ce que l’on sait de ses créa-teurs, c’est qu’ils étaient obsédés par le futur.

42 millions de dollarsRetour au présent. Le milliardaire en questionest Jeff Bezos, fondateur de la librairie en ligneAmazon, et il a effectivement entrepris de faireconstruire une horloge censée fonctionnerdurant dix mille ans. Dans l’esprit de Bezos, cettehorloge n’est pas seulement le summum de laperfection en matière de mesure du temps ; ellesymbolise aussi la puissance de la réflexion à longterme. Il espère que ce projet changera la concep-tion que l’humanité se fait du temps et inciteranos descendants à raisonner à plus longueéchéance que nous.

Une chose est sûre, en tout cas : Bezos seprojette dans un avenir bien plus lointain que laplupart des patrons des grandes entreprises amé-ricaines. “Au cours de l’existence de cette horloge,les Etats-Unis disparaîtront, m’assure le patrond’Amazon. Des civilisations entières apparaîtrontet s’évanouiront. De nouveaux systèmes politiquesverront le jour. Nul ne peut imaginer ce que traver-sera cette horloge.”

Pour accomplir la mission qu’il s’est donnée,Jeff Bezos a lancé en juin 2011 un site Internet :10,000 Year Clock [10000yearclock.net], destinéà promouvoir son projet. Les personnes dési-reuses d’aller voir l’horloge peuvent s’inscriresur une liste d’attente en ligne, mais elles ris-quent d’attendre un moment, car l’instrumentne sera pas achevé avant plusieurs années.

C’est une entreprise colossale, que le patrond’Amazon et l’équipe chargée de concevoir et decons truire l’horloge se plaisent à comparer auxpyramides d’Egypte. Et, comme dans le cas despharaons, il faut un sacré ego (un orgueil déme-suré même) pour envisager de bâtir un tel monu-ment. Le projet pose aussi aux ingénieurs un défisans précédent  : comment s’assurer qu’une

machine pourra rester intacte, fonc-tionnelle et exacte plus long-temps que tout autre objetjamais conçu par l’être humain ?Remettons les choses en pers-pective : il y a dix mille ans, nosancêtres commençaient à peineà abandonner la chasse et lacueillette au profit de l’agricultureet venaient tout juste de trouvercomment cultiver des calebassesdestinées à servir de récipients. S’ilsavaient construit une machine,s’ils l’avaient mise en route et qu’ellefonctionnât encore aujourd’hui, sau-rions-nous quel usage en faire ? Quenous dirait-elle de nos aïeux ? Et, sur-tout, changerait-elle l’idée que nous nousfaisons de notre avenir ?

L’idée de cette horloge était dans l’airdepuis plusieurs années. L’ingénieur etinventeur Danny Hillis l’a évoquée pour lapremière fois en 1995 dans le magazine

Wired. Depuis lors, il a construit des prototypesavec son équipe et créé une association, la LongNow Foundation [voir encadré ci-contre], dans lebut de travailler sur l’horloge et de promouvoirla réflexion à long terme. Personne, toutefois,n’avait entrepris la construction d’un modèlegrandeur nature avant que Jeff Bezos n’inves-tisse dans le projet une toute petite partie de safortune – 42 millions de dollars [31 millions d’eu-ros], selon ses dires.

Je demande à Jeff Bezos comment il justifiela dépense d’autant d’argent dans une entrepriseaussi chimérique La pensée à long terme, me dit-il, est à ce point importante que le jeu en vaut lachandelle. Mais il existe une autre raison, m’ex-plique-t-il : c’est un projet unique en son genre.Bill Gates consacre des fonds à la recherche surle paludisme, George Soros promeut les droitsde l’homme dans le monde, Warren Buffettfinance la santé génésique et la cause antinu-cléaire. Mais aucun autre milliardaire neconstruit une horloge de ce type, à seule fin dechanger le rapport de l’humanité au temps. Etpuis il y a un troisième aspect. “C’est un défi tech-nique formidable et cela m’enchante.”

Cette horloge pourrait être la première d’unesérie d’horloges millénaires qu’espère construirela Long Now Foundation. Si elle parvient à trou-ver des mécènes, la fondation installera undeuxième instrument du même type dans l’undes musées de la Smithsonian Institution [éta-blissement public américain regroupant desmusées et des centres de recherche] à Washing-ton. Et puis elle a acquis un site reculé dans leNevada qui pourrait accueillir un autre exem-plaire de l’horloge.

Fabriquer une horloge censée fonctionnerpendant dix millénaires n’est pas une minceaffaire. En 2010, des prestataires extérieurs ontcommencé à usiner certaines pièces, parexemple trois roues dentées en acier de2,40 mètres de diamètre et les croix de Malte[ou roues de Genève] qui déclenchent lescarillons. Parallèlement, les calculateurs du JetPropulsion Laboratory [centre de recherche dela Nasa spécialisé dans l’exploration robotiquedu système solaire] ont fourni la position dusoleil à son zénith chaque jour des dix mille pro-chaines années. Grâce à ces données, l’horlogepourra rester précise.

Jamais deux fois la même mélodieLes travaux d’excavation ont débuté l’an dernierau Texas, sur le site où sera enchâssé l’instru-ment. Les ouvriers ont commencé à forer untunnel d’accès horizontal, à la base de l’arête oùsera logée l’horloge. Ensuite, à partir du sommetde la montagne, ils perceront un trou d’implan-tation de plus de 150 mètres de profondeur quicommuniquera avec le tunnel. Puis, avec unemèche de près de 4 mètres de long, ils forerontde bas en haut un puits vertical. L’étape suivanteconsistera à installer une plate-forme mobilemunie d’un bras mécanique de 2,5 tonnes dotéà son extrémité d’une scie à tailler la pierre afind’aménager un escalier en colimaçon dans lepuits vertical. L’horloge, composée d’immensesengrenages en métal, d’un gigantesque poids enpierre et d’un échappement [mécanisme per-mettant d’entretenir les oscillations du balan-cier] en titane protégé par un boîtier en quartz,sera assemblée sur place et installée dans le fonddu puits.

Pour accéder à l’horloge, il faudra gravir uncol rocailleux jusqu’à une porte en acier inoxy-dable avec des panneaux de néphrite verte. Cetteporte mène à un tunnel qui aboutit à la base dupuits vertical, plongé dans l’obscurité. Avec une

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Eclairage

La Long NowFoundationAvancées technologiques incessantes,obsession de la rentabilité immédiate,démocraties focalisées sur la prochaineéchéance électorale : dans notre mondeactuel, tout va très vite. Trop vite, de l’avis de la Long Now Foundation, uneassociation qui s’est donné pour objectifde “fournir un contrepoint à notre cultureen pleine accélération et encouragerla réflexion à long terme”, comme elle l’indique sur son site Internet<longnow.org>. La Long Now Foundation,créée en 1996 aux Etats-Unis par le penseur Stewart Brand et l’inventeurDanny Hillis, a lancé à cet effet plusieursprojets. Le plus colossal est l’horloge de dix mille ans. A peine moins ambitieux,le projet Rosetta fait collaborer deslinguistes du monde entier en vue de créerune sorte de pierre de Rosette destinée à préserver la mémoire de 1 500 languesmenacées de disparition au cours du prochain siècle. Ce document seradisponible pour les générations futuressur un disque de nickel consultablependant deux mille ans. La Long Now Foundation organise aussi de nombreux séminaires autour de la réflexion à long terme et lance desparis sur des événements qui n’arriverontpas avant plusieurs années, les “LongBets”. Parmi ses administrateurs figurentdes personnalités comme Chris Anderson,rédacteur en chef de la revue Wired, le neuroscientifique et écrivain DavidEagleman, l’entrepreneuse du Net EstherDyson et le musicien Brian Eno.

Le mécanisme de l’horloge sera logédans un puits vertical creusé à

l’intérieur de la montagne. Les visiteurs accéderont jusqu’au

cadran par un escalier en colimaçon.

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lampe torche, on pourra monter l’escalier encolimaçon le long de la paroi extérieure du puitset observer au passage les différentes parties del’horloge.

On verra d’abord le système d’entraînement[mécanisme qui donne le mouvement à l’hor-loge], composé d’énormes poids en pierre sus-pendus et d’un cabestan permettant de souleverles poids et de remonter l’horloge. On passeraensuite devant le calculateur mécanique (unensemble complexe de leviers et d’engrenages)qui fait sonner les carillons, avant d’arriver auxcarillons eux-mêmes.

Si elle a été remontée, l’horloge pourrasonner une fois par jour sans jouer deux fois lamême mélodie. Le calculateur mécanique seracapable de recomposer les notes de façon à créerune mélodie différente pour chacun ou presquedes 3 650 000 jours suivants. (Le musicien BrianEno participe à la composition des timbres descarillons.)

Etant donné les dimensions de l’horloge, ilsera impossible d’en avoir une vue d’ensemble :il faudra monter une soixantaine de mètres pourvoir ses différentes parties une à une, en termi-nant par le cadran, situé dans la partie supérieure.

L’horloge se réajustera en permanence pourdonner l’heure exacte : un balancier en titanede près de 2 mètres de haut, pesant 135 kg, four-nira par le biais des poids l’énergie nécessaireà l’échappement, pour que l’aiguille avance d’uncran toutes les dix secondes. Une coupole ausommet de la montagne collectera l’énergiesolaire destinée à alimenter le système d’en -traînement et à réajuster l’horloge en prenant le

soleil à son zénith. (Remontée entièrement,l’horloge devrait pouvoir marcher pendant plusd’un siècle sans énergie solaire.) Pour écono-miser l’énergie et inciter les visiteurs à partici-per, la plupart du temps le cadran n’indiquerapas l’heure locale ; à la place, c’est l’heure et ladate de passage du dernier visiteur qui s’affi-chera, qu’il s’agisse de la veille ou de trois sièclesplus tôt. Pour lire l’heure actuelle, il faudra tour-

ner une roue près du cadran. L’horloge avanceradans le temps et s’arrêtera automatiquement àl’instant présent.

En contrebas de l’horloge sera aménagée unebase spatiale. On ne sait pas grand-chose de BlueOrigin, le projet spatial dans lequel Jeff Bezos ainvesti. L’entreprise travaille à la conception defusées qui décollent et atterrissent à la verticale,comme dans les films de science-fiction desannées  1950. Il s’agit de concevoir un engincapable de mettre des humains sur orbite.

Un peu de poésieLa société dispose d’une rampe de lancement eta obtenu le feu vert de l’aviation civile américaine(FAA) pour l’utiliser. On ignore toutefois ce quise passe à l’intérieur des hangars blancs de BlueOrigin. Le patron d’Amazon est avare d’infor-mations, mais il précise qu’il n’y a pas de lienentre l’horloge et la base spatiale. “Je trouve trèspoétique qu’un symbole du temps long surplombe unerampe de lancement destinée à permettre auxhommes d’aller dans l’espace, confie Jeff Bezos. Unpeu de poésie ne peut pas faire de mal.”

A la fin de notre entretien, je retourne avecJeff Bezos dans l’atelier où sont fabriquées lespièces de l’horloge. Il jette un coup d’œil auxengrenages et autres composants prêts à êtrephotographiés, puis discute avec les opérateurs.Je le remercie de m’avoir présenté ce projetinsensé. “Je n’ai jamais rien entrepris d’aussi senséde ma vie”, me corrige-t-il, avant de prendrecongé. Me voilà seul dans cet atelier de Seattle,à faire tourner une roue géante qui, si tout vabien, continuera de tourner lentement bienaprès ma mort. Dylan Tweney

Courrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 53

Je n’ai jamais rien entrepris d’aussi sensé de ma vie”, me corrige Jeff Bezos, avant de prendre congé.

ChantierLes travaux d’excavation ont débuté en 2011 dans ce désertau Texas.

A lire

Comment construireune icône censéedurer dix mille ans et nous inciter à penser à long terme ?C’est ce qu’expliquel’écrivain etfuturologue américainStewart Brand,cofondateur et président de la LongNow Foundation dans L’Horloge du long maintenant :l’ordinateur le plus lentdu monde, à paraîtreen avril 2012 aux éditions Tristram.

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nisme. En outre, en consommer en début d’annéeou de mois est censé éloigner la malchance. Lesavis des environs, eux, sont d’un tout autre avis.Nguyen Phan Tien, 42 ans, exploite 0,18 hectarede rizière aux abords de Thai Binh. En 2010, lesrongeurs ont détruit un cinquième de ses récolteset un peu plus encore en 2011. “J’ai perdu 1,8 mil-lion de dongs [65 euros] l’année dernière”, déplore-t-il, ce qui correspond à près de 10 % du revenuannuel moyen au Vietnam. “La situation ne seraitpas aussi grave s’il y avait davantage de chats. D’ac-cord, leur viande est réputée nourrissante, mais ona tort d’en manger.” Son voisin, Luong Thanh, unagriculteur à la retraite, raconte que sa famille adépensé l’équivalent de 10 euros pour faire ins-taller une clôture antirats autour de ses cultures.“Ça fait des années que ça dure parce que tous leschats sont tués pour être mangés. Et on ne compteplus ceux qui se sont fait voler leur animal.”

Les autorités, qui distribuent gratuitementchaque année des produits antirongeurs aux cul-tivateurs, assurent toutefois que le problème aété résolu. “Il n’y a plus autant de rats qu’avant”,affirme Nguyen Quang Ming, l’ancien directeurdu service de la protection des végétaux du minis-tère de l’Agriculture.

Tandis qu’autorités, cultivateurs et consom-mateurs débattent du pour et du contre, un fonc-tionnaire de la province donne sa vision deschoses sous couvert d’anonymat. “N’oublions pasqu’auparavant les chats pullulaient ici : c’est pour celaque l’on s’est mis à les tuer pour les manger. Et puison a découvert que leur chair avait un goût exquis.”Marianne Brown et Pham Bac (© dpa)

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Goût

Le chat à toutes lessaucesLe “petit tigre” est un mets de plus en plus prisé par les classesmoyennes vietnamiennes. Au grand dam des paysans, dont lescultures sont ravagées par les rongeurs.

Southeast Asia Globe Phnom Penh

Par un après-midi ensoleillé,Nguyen Thi Thanh Hang, 35 ans, jouedu hachoir sur un tas de carcasses fraî-chement dépouillées. Elle s’attend àune forte affluence ce soir. Elle pro-pose tous les jours la même spécialité

et les affaires marchent bien, nous dit-elle, mêmesi tout le monde ne partage pas sa passion pourla viande de chat.

Les Vietnamiens ne consomment du chat quedepuis une vingtaine d’années, mais ils sont deplus en plus friands de ce mets, longtemps inter-dit. Les aficionados apprécient les qualités gus-tatives et les vertus médicinales du “petit tigre”.Les autres trouvent que l’animal serait mieuxemployé à pourchasser les rats.

La province de Thai Binh, située dans le norddu Vietnam, à une centaine de kilomètres au sud-est de la capitale, Hanoi, dans le delta du fleuveRouge, est l’une des grandes régions rizicoles dupays. Elle est réputée pour sa production agricoleet pour sa cuisine à base de chat, venue de Chineau début des années 1990. Les rues de la capitalede la province, Thai Binh, où Hang exerce sestalents depuis douze ans, sont bordées de res-taurants arborant sur leurs menus des images defélins.

Impressionner les amisLes clients n’hésitent pas faire des kilomètrespour acheter des plats de chat à emporter, pourles mariages ou d’autres occasions festives. “Beau-coup de gens de Hanoi viennent se fournir ici en viandede chat pour en offrir à leurs proches. A Thai Binh,on la prépare tellement bien que nos clients saventqu’ils ne manqueront pas d’impressionner leurs amis.”

Les autorités ne sont pas aussi enthousiastesque les clients de Hang. En 1995, le gouverne-ment provincial a interdit les plats à base deviande de chat, craignant qu’une pénurie de félinsne favorise la prolifération des rats. Deux ansplus tard, elles ont mis sur pied un programmed’élevage de chats pour tenter d’enrayer le pro-blème. L’interdiction a cependant été impossible

En Europe aussi

Si les Asiatiques sont aujourd’hui les principauxconsommateurs dechat, l’animal fait aussipartie de la traditionculinaire de nombreuxpays d’Europe. Une recette de chat rôtifigure dans le Libro de cozina, célèbre traitéculinaire espagnol du XVIe siècle. En Italie,quelque 7 000 félinspasseraient à la casserole chaqueannée dans les régionsdu Nord, dénoncel’association de défensedes animaux Aidaa. En 2010, un chef avaitd’ailleurs fait scandaleen donnant une recettede chat à la télévision. La consommation de cette viande est interdite partout enEurope, sauf en Suisse.“Jusqu’au début des années 1960, le chatétait régulièrement au menu de certainesfamilles dans le Jura, en Valais et dans les Grisons”, rappelleL’Hebdo de Lausanne, qui livre le témoignaged’Alexine Guinchard,une Valaisannesexagénaire. “Dans lesannées 1950, les chatsfaisaient beaucoup de petits. Alors les gensdu village les amenaientà mon père, qui les tuaitau fusil. Puis il les découpait, et les cuisinait en sauce.”A en croire L’Hebdo,cette pratique est aujourd’hui“extrêmementmarginale”.

à appliquer, confie Nguyen Van Hoang, de ladirection provinciale du Commerce et de l’In-dustrie. “Les inspecteurs étaient impuissants parcequ’aucune sanction ou amende n’était prévue en casd’infraction.”

Faute de dispositions véritablement dissua-sives, les lois du marché jouent en défaveur deschats, qui valent plus cher morts que vivants.Hang dit en abattre dix à quinze par jour. Elle lesachète l’équivalent de 3 euros pièce “à des gens ducoin ou à des revendeurs qui en achètent dans les pro-vinces du Sud”. Un animal pèse 1,5 kg à 2 kg enmoyenne et sa viande cuisinée est vendue l’équi-valent de 5 euros le kilo, précise-t-elle.

Aliment “chaud”Il y a différentes façons de préparer la viande dechat : coupée en morceaux, puis sautée, ou cuitedans un bouillon, ou encore cuisinée avec deslégumes. Quelle que soit la recette, on l’accom-pagne presque toujours de copieuses rasadesd’alcool de riz. “Le chat se marie très bien avec l’al-cool, explique Hang. Les gens aiment venir ici passerun bon moment avec leurs amis et se régaler avec unbon repas.” Certains sont également convaincusque la viande de chat est bonne pour la santé,explique Hoang Van Nam, directeur des servicesvétérinaires du ministère de l’Agriculture. “Ilspensent qu’elle fortifie et aide à être en meilleure santé.”A l’instar de la viande de chien, celle de chat estconsidérée comme un aliment “chaud”, dans lamédecine traditionnelle chinoise, qui classe lesaliments en fonction de leurs effets sur l’orga-

SpécialitéNguyen Thi Thanh Hangsert des plats à base de chat dans sonrestaurant de Thai Binh,dans le nord du Vietnam.

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The New York Times New York

Les temps sont peut-être durs, mais sivous êtes un zombie, l’avenir voussourit. Jamais les non-morts n’ont étéaussi en forme. Que ce soit dans desséries télévisées comme The WalkingDead ou dans des jeux vidéo comme

Zombie Panic, le monde est infesté de cadavrestitubants qui se gorgent de chair humaine. La ter-reur des zombies, fantasme apocalyptique où lesmorts se mettent à chasser les vivants pour leurdévorer le cerveau, contamine aujourd’hui l’ima-ginaire populaire comme le faisait la menace d’unholocauste nucléaire dans les années 1950.

Des auteurs comme Max Brooks, dans sonGuide de survie en territoire zombie [Calmann-Lévy,2009], se sont chargés de nous régaler des détailsles plus répugnants, et même les CDC [Centrespour le contrôle et la prévention des maladies,institution gouvernementale américaine de la

Pop culture

Zombies, strophes et catastrophesJamais les morts-vivants et autres cadavres ambulants n’ont été aussià la mode. Et ils suscitent désormais une poésie pleine de surprises et de chairs décomposées…

posthumain], un recueil d’essais. “A quoi ressemble,vu de l’intérieur, le fait d’être en mort cérébrale maisde continuer à se balader ?” A rien de plaisant. DansMy Zombie Journal, de Matt Bett, paru dans l’an-thologie Vicious Verses and Reanimated Rhymes(Vices en vers et autres rimes ranimées), on peut lire :

“Je le sais,J’en avais deux,Des bras,En arrivant,Mais j’ai dûEn perdre unQuelque part.”Une chair en décomposition, une personna-

lité qui se désagrège, une faim insatiable de cer-velle : voilà l’ordinaire du mort-vivant, bien queles poètes zombies les plus audacieux s’autori-sent des états d’âme complexes comme l’aliéna-tion et le deuil. Dans Rebirth Is Always Painful [Larenaissance est toujours souffrance], Evan Peter-son se demande :

“Eternelle question :Quand les morts marchent, parlent-ils de poésie ?Ou n’est-ce que faim, cervelle et viande ?Ne vous leurrez pas, le zombie souffre,C’est la souffrance elle-même qui n’a plus de sens.”Megan Thoma s’attaque au sujet de façon

encore plus saignante. “Et si on jouait au sexezombie… écrit-elle dans Sexy Zombie Haiku #2. Tumanges. Je gémis. Et nous ne sentons rien ni l’un nil’autre.”

Certains poètes zombies envisagent quel’amour reste possible, à un ou deux détails peuragoûtants près.

“Il n’y a pas de meilleure illustration du mot‘inconditionnel’Que la fille qui t’offre son cœurSachant parfaitement ce que tu vas en faire”,

écrit Chad Anderson dans Ten Things You

santé publique], voyant là un outil didactiqueidéal, ont décidé d’évoquer la menace zombie. Enmai dernier, ils ont publié, en guise de supportpédagogique, un roman graphique sur les moyensde résister à une invasion de morts-vivants.

Des poètes s’y intéressent aussi, la plupartgeeks fiers de l’être ou nourris de slams, de per-formances et de culture alternative. Les œuvresde plus d’une trentaine de poètes zombies ont étérassemblées récemment dans le recueil Aim forthe Head [Visez la tête]. En tant que sourced’inspiration, les humanoïdes amateursde cervelle fraîche constituent unmatériau inépuisable.

“C’est un peu un défi”,explique Sarah JulietLauro, qui, avec DeborahChristie, s’est chargée del’édition de Better Off Dead:The Evolution of the Zombie asPost-Human [Même pas mort :l’évolution du zombie en tant que

“The Walking Dead”Cette série télé américaine diffuséedepuis 2010 est adaptée du romangraphique du même nom.

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Didn’t Know About Being a Zombie [Dixchoses à savoir sur la vie d’un zombie].

En termes poétiques, être un mort-vivantn’est pas rose tous les jours. Pâles et séduisants,les vampires jouissent d’un cachet littérairedepuis bientôt deux siècles. Les zombies, eux,certes blafards mais plutôt repoussants, pâtissentd’un incontestable problème d’image. Dans I HateZombies Like You Hate Me [Je hais les zombiescomme vous me haïssez], Scott Woods lance :

“Soyons honnêtes, nous n’aimons pas le zombie.Le zombie n’est pas classe.Ni comte ni amant, personne ne rêve avec luiD’un sandwich à la Tom Cruise-Brad Pitt.”Le mort-vivant n’a pas la classe, mais il n’en

interpelle pas moins. Et, en fin de compte, peut-être est-il plus propice à l’imagination. “J’ai écritquelques poèmes de vampire, mais j’ai toujours penséque les vampires étaient trop personnalisés”, déclareVictor Infante, créateur du journal de poésie enligne radiuslit.org. “Il faut presque toujours qu’ilsdeviennent des personnages. Par définition, un zombien’a pas de personnalité, on peut donc se concentrersur la métaphore.”

Peur primaleDans Zombie, de George Romero (1978), lesmorts-vivants envahissent un centre commercialet s’y livrent à une lugubre parodie d’un consu-mérisme décérébré. Pour les poètes, le zombieest une métaphore du préjugé de classe, duracisme, du colonialisme. Les critiques davantagetournés vers la psychanalyse voient dans la peurprimale du cadavre ambulant une sorte de cul-pabilité du survivant, que ressentent les vivantsen présence des morts. Pour les critiques influen-cés par le marxisme, le zombie incarne les vic-times économiques du capitalisme.

D’autres poètes n’associent pas l’apocalypsezombie à des interrogations cosmiques. Pour eux,les non-morts qui grouillent en gémissant sontdes nuisibles, comme les termites. Dans The LastHipster [Le dernier hipster], Brennan Bestwickconsidère les hordes de zombies comme uneoffense au style, un hideux défilé de clichés. Autre-ment dit, ils sont comme tout le monde. “En toutehonnêteté, je ne vois pas en quoi les zombies sont piresque la plupart des gens, constate le narrateur,assiégé. Ils sont tout aussi ennuyeux et prévisibles.”

Avec Aim for the Head, la poésie zombie s’ef-force pour la première fois d’attirer l’attentionsous une forme imprimée. Dans l’ensemble, legenre a du mal à se distinguer du carnage écœu-rant où l’on baigne dans les bandes dessinées etles jeux vidéo, à l’exception du Little Book of ZombiePoems [Le petit livre des poèmes zombies].

Zombie Haiku (2008), un journal de l’apoca-lypse tenu par Ryan Mecum en strophes de troisvers qui claquent comme des rafales, se vautredans la chair en putréfaction, les yeux qui pen-dent, les membres arrachés et les viscères déver-sés. Enfin, la poésie zombie souffre d’une tropgrande tendance à la comédie, sous la forme delimericks [épigrammes ironiques de cinq vers] etde parodies comme The Zombie Night BeforeChristmas [Une visite de saint Zombie].

Pour la nouvelle vague de poètes zombies, lesujet recèle un humour différent, sombreet absurde. Et, alors qu’approche la findu monde, même cette profession soli-taire par excellence qu’est le comiquesolo pourrait se ménager un créneau.Dans Zombie Stand-Up, Shappy Sea-sholtz dépeint les affres d’un humo-riste qui se décompose littéralementsous les yeux de son public :

“Moi pas forcément le plus rigolo desmacchabs,Mais faut bien vivre, ou presque !”

William Grimes

Le livre

D’amour et de base-ballLa critique américaine s’estenthousiasmée pour “The Art ofFielding” de Chad Harbach. Un premier roman un peu désuet qui raconte de façon originale une histoire vieille comme le monde.

The Guardian Londres

Le premier roman de Chad Harbach, TheArt of Fielding* [L’Art du jeu défensif],une histoire de base-ball, d’amour etd’amitié, a rencontré un grand succèsaux Etats-Unis. Promu avec enthou-siasme par toute une série d’écrivains

dont Jonathan Franzen et John Irving, porté auxnues par la presse et les émissions littéraires, ilfigurait aussi sur la liste des dix meilleurs livresde 2011 établie par The New York Times. KeithGessen, ami de Harbach et auteur de La Fabrique

des jeunes gens tristes [L’Olivier, 2009], a donnéen octobre un gros coup de pouce à cette cam-pagne publicitaire en racontant dans un longarticle paru dans le magazine Vanity Fair l’his-toire poignante de la genèse du livre. Harbach,un jeune auteur discret et sans prétentions ori-ginaire de Racine, dans le Wisconsin, a trimépendant dix ans sur son roman et connu le sortde l’écrivain crève-la-faim – il travaillait à unprojet de petite revue littéraire et gagnait sa viecomme rédacteur publicitaire tout en repous-sant les assauts des huissiers. En 2009, après unnombre incalculable d’échecs et de refus, le livreest accepté par un jeune agent littéraire. Uneguerre d’enchères s’ensuit et l’éditeur Little,Brown finit par cracher un à-valoir de665 000 dollars. Depuis sa parution en sep-tembre dernier, le livre caracole en haut deslistes de classement des meilleures ventes auxEtats-Unis.

On comprend aisément les raisons du succèsde The Art of Fielding. Il est très difficile de nepas aimer ce livre plein de charme, chaleureuxet prenant. Le récit s’ouvre sur un tournoi debase-ball amateur à Peoria, dans l’Illinois. MikeSchwartz, un athlète étudiant taillé comme unearmoire à glace remarque “un drôle de bloqueurtout maigre” – le bloqueur occupe une positiondéfensive cruciale, juste derrière la ligne de tirdes batteurs droitiers – qui s’entraîne à stopperles balles avec une grâce quasi surhumaine. C’estHenry Skrimshander, le plus petit joueur par lade taille d’une équipe insignifiante de garçonsde ferme du Dakota du Sud. Schwartz, unMachiavel du base-ball en devenir, discerneimmédiatement en lui “un talent transcendant”et décide de lui mettre le grappin dessus pourson université, Westish, un établissement (fictif)idyllique bien que peu glorieux du Wisconsin.Sous la tutelle de Schwartz, Henry tient ses pro-messes. Il galvanise l’équipe de base-ball, lesWestish Harpooners, qui obtiennent lesmeilleurs résultats de leur histoire, et réussit la

Voir, lire, jouer

Plutôt récent comparéaux vampires, loups-garous et fantômes, le mort-vivant connaît depuis unequarantaine d’annéesune véritableexplosion. Inspiré à l’origine des ritesvaudous, le zombieprend la forme qu’onlui connaît – démarchehésitante,décomposition et cannibalisme – avecLa Nuit des morts-vivants, de GeorgeRomero, en 1968. Il est ensuite décliné à merci, tant parRomero lui-même, quiy consacre l’essentielde son œuvre, que pard’autres réalisateurs.Le monde du jeu vidéos’en empare en 1996avec Resident Evil,de Capcom, qui donnelieu à plus d’unequinzaine de suites et à des adaptations au cinéma. La bandedessinée, par le biaisde romans graphiquescomme The WalkingDead (Delcourt, à partir de 2007),devenu une sérietélévisée à succès(diffusée en Francedepuis 2011), a nettement contribuéà la popularité du sujet. La littératurea été plus lente à s’attaquer au phénomène, maiss’est rattrapée depuisavec, entre autres, les livres de MaxBrooks, dont WorldWar Z (Livre de poche,2010), bientôt porté à l’écran par Brad Pitt.

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plus longue série de matches sans faute depuisle grand Aparicio Rodriguez (lui aussi fictif ),auteur d’un ouvrage quasi philosophique inti-tulé The Art of Fielding.

Henry est sur le point de se faire recruterpar une équipe de première division pour unesomme à six chiffres quand il connaît une baissede forme aussi soudaine qu’inexplicable. Ceciest annoncé dans une scène marquante qui a desconséquences cruciales sur l’autre intrigue prin-cipale du roman : Guert Affenlight, le présidentde l’université, un spécialiste de Herman Mel-ville, réalise qu’après une vie passée à baiser desfilles, il est tombé fou amoureux d’Owen, unjoueur de l’équipe de Henry. Parallèlement, lafille d’Affenlight, Pella, a décidé de s’installer àWestish pour oublier son mariage malheureuxavec un homme plus âgé, et tombe amoureusede Schwartz. Tout cela arrive très vite, dans les80 premières pages. Le reste du livre en exploreles répercussions.

Un grand roman de la vieille écoleThe Art of Fielding ressemble à un roman d’unautre temps, d’une époque plus innocente. Il sedélecte de thématiques passées de mode depuisdes générations dans la littérature – l’espritd’équipe, l’amitié masculine, le dépassement desoi. Avec son optimisme et son absence decynisme, sa célébration des grands espaces duMidwest et sa foi en la signification profonde dubase-ball, c’est un grand roman américain de lavieille école. Aussi bien Schwartz, le self-made-man de Chicago, que Henry, le fils superdouéd’un métallo d’un trou perdu du Dakota du Sud,sont des incarnations du rêve américain, demême que les Harpooners – un ensemble har-monieux de jeunes Juifs, Asiatiques, Latinos et

Noirs – est un microcosme idéalisé des Etats-Unis. Le livre parvient à rendre convaincantstous ces thèmes, potentiellement gnangnan,même pour des Européens décadents qui neconnaissent rien au base-ball. Les détails rela-tifs au jeu posent parfois quelques problèmes,mais dans l’ensemble on arrive à suivre.

A en croire l’article de Gessen, Harbachavait conçu au départ son histoire comme unconte postmoderne dans la veine du roman deDavid Foster Wallace Infinite Jest, d’où, sansdoute, les maniérismes baroques et les nomspropres loufoques. La deuxième mouture,écrite dans un style beaucoup plus simple, l’as-similait dangereusement à un film de Disney.La version finale se situe quelque part entre lesdeux, et fait penser à un film indépendant amé-ricain : une histoire vieille comme le monderacontée de façon originale, sincère mais déca-lée, avec des dialogues percutants, des prota-gonistes sympathiques et des personnagessecondaires amusants.

L’intrigue colle peut-être trop aux conven-tions du film de sport : l’action, les personnageset même la prose, qui verse parfois dans les cli-chés de commentateur sportif : “Rick avait sauvéla mise. Ils menaient 2 à 0…” – mais l’effet estplutôt irrésistible en général. Plusieurs critiquesont comparé l’écriture de Chad Harbach à cellede Jonathan Franzen pour sa simplicité directeet intelligente. The Art of Fielding possède aussile côté postmoderne, postironique des romansde Franzen : il crée un univers riche que l’on peuthabiter mentalement et dans lequel on a hâte deretourner une fois qu’on l’a quitté.Theo Tait* Ed. Little, Brown & Company, New York, 2011. Pas encoretraduit en français.

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Biographie

Un enfant de la balleChad Harbach, 36 ans, a joué au base-ball toute son enfance et son adolescence à Racine, la petite ville du Middle West où il a grandi. Après le lycée, il part faire des études de littérature à Harvard. C’est là qu’il rencontre les écrivainsBenjamin Kunkel et Keith Gessen, avec lesquels il fondera en 2004, à New York, la revue de littérature, de politique et de culture n + 1, dont nous reprenons parfois des articles. Son premier roman, The Art of Fielding,figure, six mois après sa parution, parmi les dix meilleures ventes aux Etats-Unis. Il a été couronné par le Prix desbibliothécaires américains 2011.

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En voyant l’identité “Cuba libre” dans larubrique “Motif du virement”, les employésde la banque ING, en Belgique, ont cru quele transfert était destiné à Cuba – pays sousembargo. Convoquée, l’émettrice du vire-ment a dû s’expliquer pendant des heures.Ce n’était qu’une plaisanterie : elle voulaitjuste payer son voyage à Cuba. “Vous auriezmieux fait de mettre ‘Pour le sexe’, commebeaucoup de nos clients. Il n’y aurait pas eu deproblème”, lui a-t-on dit à sa banque.La mode des virements aux intitulés tota-lement fantaisistes continue. Le plus sou-vent les émetteurs jouent sur le registreérotique. “Pour le meilleur sexe de ma vie”,“En paiement d’une médiocre prestationsexuelle” ou “Pour notre dernière nuit, pour-boire non compris” : ces motifs de virementlaissent les banquiers de marbre. Les Polo-nais ne manquent pas d’humour : ils sontcapables d’écrire “Va t’acheter quelque chosede présentable” en effectuant un virementde… 10 zlotys [2,40 euros]. “Il y a aussi desordres plus explicites, comme ‘Pour m’avoirgratouillé le dos’ ou ‘Pour tes lèvres brû-lantes’”, explique-t-on au guichet d’unebanque de Lódz. “J’ai aussi vu passer desordres comme ‘Epilation des zones intimes’ou ‘Recherche de poux’“, précise l’em-ployée. “Nous ne disposons d’aucune étude surce phénomène, mais cela doit être lié à un besoininconscient de désacraliser cette opération ban-caire, qui avait autrefois un côté très solennel”,commente Jakub Krys, psychologue à l’Aca-démie des sciences et à l’Ecole supérieurede psychologie sociale. “Pour les gens, labanque est un endroit très sérieux. C’est l’oc-casion rêvée de casser les conventions.”Les Polonais ont habitué les banques à unegrande tolérance. Mais un intitulé comme“Pour le rein” peut inciter votre banquier àréagir, car il évoque un crime. Pour les vire-ments à l’étranger, le risque est plus grand,car la transaction est soumise à une régle-mentation internationale très stricte. “Unordre de virement apparemment innocentcomme ‘Cadeau pour Cuba’ contient un motclé qui peut stopper l’opération. En Pologne, lesvirements ne sont pas contrôlés aussi minu-tieusement. Mais les banques luttent contre leblanchiment. Une phrase humoristique peutdonc retarder la transaction”, explique Katar-zyna Walewska, de la banque Raiffeisen.Les systèmes informatiques laissent toutefois passer des ordres baptisés “Unpatriote polonais mourrait plutôt que de se faireenterrer dans un cercueil russe [l’avion du pré-sident Lech Kaczynski s’est crashé en Russie]”ou “Il n’y a pas que l’argent dans la vie”. “Nosclients ont toute liberté pour rédiger leur ordrede virement, c’est pourquoi les intitulés sontparfois insolites. Mais cela n’influe en rien surle transfert des fonds sur le compte du bénéfi-ciaire”, assure Krzysztof Olszewski, porte-parole de la mBank. Michal FrakGazeta Wyborcza (extraits) Varsovie

InsolitesCourrier international | n° 1112 | du 23 au 29 février 2012 � 59

Villageois, dehors ! Place aux tigresEn Inde, tout un village a été délogé pour faire place à des tigres. Les 250 habitantsd’Umri ont quitté définitivement leurs maisons de la réserve de Sariska, au Rajasthan, pour accroître la zone d’habitat de ces félins en voie de disparition.C’est le deuxième village à quitter les lieux pour permettre la reproduction destigres, indique The Hindu. “C’est un long processus, car les villageois doivent êtred’accord pour partir. On ne peut pas les forcer, on ne peut que les convaincre.”

Les villageois déracinés sont dédommagés avec du bétail, de l’argent et des terres. Quant aux félins, ils semblent apprécier

l’initiative : deux tigres baptisés ST4 et ST5 ont déjà investi les lieux désertés par les villageois et leur bétail, assure

M. Shekhawat, le directeur de la réserve. “Ils se sontprécipités là […] comme s’ils attendaient

que les humains s’en aillent”, a-t-il confié au quotidien indien. En 2011, environ 1 700 tigres

étaient recensés en Inde. Cette populationétait estimée à 100 000 voilà un siècle,

précise la BBC.

Il s’appelle Kivi. Enfin, non, elles’appelle Kivi. Euh… non, à vrai dire, Kivi n’a pas de sexe. Le héros(l’héroïne) du livre suédois pourenfants Kivi & Monsterhund n’estdésigné ni par le pronom personnelhan (il), ni par le pronom hon (elle),mais par un mot “neutre” – hen. Avec ce néologisme, l’auteur entendbriser le carcan des stéréotypes liés au sexe et offrir “une figure neutre àlaquelle s’identifier”. Jesper Lundqvista lu son livre à des enfants. Selon lui, ce pronom neutre a laissé sonauditoire de marbre ; seul le terrible“Monsterhund” – le chien-monstre –l’a fait frémir. Le mot “hen”est utilisé dans les milieuxféministes et gays depuis les années 1960, note Aftonbladet.Aujourd’hui,certainescrèchestentent ausside privilégierl’usage de henet de reléguer hanet hon aux oubliettes,afin d’élever les bambinshors des considérations de genres.

Pologne : parlezde sexe, votrebanquier préfère

Un héros ni garçon ni fille

Depuis le vol de son permis deconduire, la vie de Steven BenitoRomet avait viré au cauchemar.Usurpant son identité, des malfratsavaient enregistré 1 737 véhicules à son nom. Poursuivi pour plusieursinfractions et accidents, l’infortunéNéerlandais s’était vu infliger plusieursamendes et s’était même retrouvéderrière les barreaux pour défaut de paiement. La Cour européenne des droits de l’homme a finalementcondamné les Pays-Bas pour avoirlaissé durer cette usurpationd’identité. Romet avait signalé le vol de son permis en novembre 1995, or le document n’a été invalidé qu’enmars 1997. Le plaignant s’est vuoctroyer 9 000 euros pour dommagemoral, indique Le Soir.

Un permis de conduire,

1 737 voitures et plein d’ennuis

A la frontière, l’a

rgent a une odeur

Les douanes argentines ont un moyen

au poil pour lu

tter contre la fu

ite des

capitaux : le

chien renifleur de billets

verts. Une armée de 300 quadrupèdes

a été déployée aux frontières pour

repérer les résidents cherchant

à quitter le pays avec des dolla

rs non

déclarés. En un semestre, la

bradors

et golden retrievers ont permis de

récupérer 1 millio

n et demi de dolla

rs

à bord de bateaux en partance pour

l’Uruguay, in

dique La Nación.

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