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Tous droits réservés © Le Centre de diffusion 3D, 2014 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 12 avr. 2020 18:20 Espace Art actuel Confronter les destins : Pierre Huyghe-Philippe Parreno Confronting Destinies: Pierre Huyghe and Philippe Parreno Bénédicte Ramade Re-penser la sculpture ? Re-Thinking Sculpture? Numéro 107, printemps–été 2014 URI : https://id.erudit.org/iderudit/71942ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Le Centre de diffusion 3D ISSN 0821-9222 (imprimé) 1923-2551 (numérique) Découvrir la revue Citer ce compte rendu Ramade, B. (2014). Compte rendu de [Confronter les destins : Pierre Huyghe-Philippe Parreno / Confronting Destinies: Pierre Huyghe and Philippe Parreno]. Espace, (107), 50–55.

Confronter les destins : Pierre Huyghe-Philippe Parreno ...€¦ · Pierre Huyghe’s retrospective delicately manoeuvres towards a reading centred on the search for a feeling of

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Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 12 avr. 2020 18:20

EspaceArt actuel

Confronter les destins : Pierre Huyghe-Philippe ParrenoConfronting Destinies: Pierre Huyghe and Philippe ParrenoBénédicte Ramade

Re-penser la sculpture ?Re-Thinking Sculpture?Numéro 107, printemps–été 2014

URI : https://id.erudit.org/iderudit/71942ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Le Centre de diffusion 3D

ISSN0821-9222 (imprimé)1923-2551 (numérique)

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Citer ce compte renduRamade, B. (2014). Compte rendu de [Confronter les destins : PierreHuyghe-Philippe Parreno / Confronting Destinies: Pierre Huyghe and PhilippeParreno]. Espace, (107), 50–55.

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CONFRONTING DESTINIES: PIERRE HUYGHE AND PHILIPPE PARRENO

In Paris last fall, critical attention crystalized around exhibitions by two darlings of the French scene and relational aesthetics, Pierre Huyghe and Philippe Parreno. The overlapping exhibition dates unconsciously led to a sort of implicit comparison in the analysis and method of viewing, indeed even creating a rivalry between what the first-named artist had on offer at the Centre Pompidou and that of Philippe Parreno, which filled the halls of the Palais de Tokyo.

Both artists brought an intense impression of spectacle and sense of event to bear with their retrospective monographs. Each generated different, albeit strong, sensations while presenting his own particular aesthetic; but in the end, both targeted the same goal of creating a sense of community and a rather new, meaningful feeling of belonging. Clearly, in such a project, the account of the works and their experience is mediated through a particularly self-mythologizing kind of writing: the meta-account revisits prior knowledge of and discussions about the pieces in order to renew perspectives and so pronounce a new critical fate. This is accepted absolutely by Philippe Parreno whose exhibition “as automation” has a rhythm that unfolds as it follows the visitor on his or her progressive discovery of the art. Although equally true of Huyghe, such self-lionization is less frankly proclaimed; chance encounters might occur during a visit, but the artist’s work and his canonical narrative, haltingly and circuitously laid out, give the viewer a sense of writing his or her own story. This is an illusion that fails in the end.

Pierre Huyghe’s first major assertion lies in the decision to install his world in the framework of the previous exhibition dedicated to the work of Mike Kelley. Whether a position of modesty, allegiance to a Master or a frank reverence for the institution itself, the decision remains ambiguous and sets the tone for what follows. In this predetermined architectonic ambiance, the viewer finds – with nostalgia that only increases along the way – some of the artist’s most iconic images: these range from the mascot-headed figures to Atari’s pong, which is transposed to the ceiling (and one may play if so inclined). It is not so much the presence of these works that sharpens the appetite for this retrospective as the possibility of events and activities. In fact, a swarm of bees inhabits the exhibition (at a low ebb as winter came on, though the public awaits their return), along with ants, three aquariums occupied by hermit and miniature horseshoe crabs, a figure whose face is covered by a sort of luminous book, a skater on black ice, and finally Human, the pink-pawed whippet whose photograph invariably accompanied reports of Documenta 2012 in Kassel. The crowd arrives, wanders around, appears and disappears, following a script in which the viewer is not a hero, but merely a privileged witness. One must be present at exactly the right moment or risk having a disappointing visit to the exhibition, desperately waiting for one or other of the characters to appear, and contenting oneself with works that have paradoxically become more anecdotal than those longed-for presences, which in the end prove not quite so decisive. This gap between the supposedly

Confronter les destins : Pierre Huyghe-Philippe ParrenoBénédicte Ramade

L’attention critique s’est cristallisée à Paris, cet automne, autour des expositions de deux des enfants chéris de la scène française et de l’esthétique relationnelle, Pierre Huyghe et Philippe Parreno. Une concomitance de date qui a intuitivement entretenu, dans les esprits et les modalités de visite, un principe de comparaison, voire une rivalité, entre la proposition du premier à l’espace 315 du Centre Pompidou et celle de Philippe Parreno s’octroyant l’intégralité des espaces du Palais de Tokyo.

Tous deux ont déployé une spectacularité et une événementialité intenses aux prises avec l’exercice de la monographie rétrospective. Chacun s’y est adonné avec son esthétique propre et a généré des impressions fort différentes avec, au final, le même objectif : celui de créer un sens de la communauté et un sentiment d’appartenance prégnants plutôt inédits. Évidemment, dans pareil projet, la place du récit des œuvres et de leur expérience passe par l’écriture d’une auto-mythologie précise ; ce métarécit révisant les arguments préalables et la connaissance des pièces pour les revaloriser dans des perspectives renouvelées et ainsi édicter une nouvelle fortune critique. Parfaitement assumée du côté de Philippe Parreno dont l’exposition « comme automate » comporte une rythmique, un déroulé que suit le visiteur progressivement initié à son art, cette auto-héroïsation est revendiquée avec moins de franchise chez Huyghe quoiqu’elle soit tout aussi réelle. Scénarisée par le hasard des rencontres qui peuvent survenir au fil de la visite, l’histoire canonique de l’artiste et de son art s’écrit chez lui par à-coups et errements donnant ainsi l’impression au visiteur de construire sa propre histoire, un leurre qui finit par se voir.

Pierre Huyghe, comme une première assertion significative, a choisi d’installer son univers dans l’ossature de la précédente exposition consacrée à Mike Kelley. Modestie de la posture, inféodation à un maître ou franche révérence à l’institution, le choix demeure ambigu et donne le la à la suite. Dans cette ambiance architectonique prédéterminée, le spectateur retrouvera — non sans une nostalgie qui va croître chemin faisant — certaines des icônes de l’artiste depuis les personnages à tête de mascotte jusqu’au pong d’Atari transposé au plafond auquel il pourra jouer. Ce n’est pas tant la présence de ces œuvres qui fait le sel et l’attente de cette monographie que la possibilité d’événements et d’animation. En effet, dans l’exposition cohabitent un essaim d’abeilles (mal en point au seuil de l’hiver mais le public semble croire à leur retour), des fourmis, trois aquariums peuplés d’un bernard-l’hermite ou de limules miniatures, un personnage dont le visage est couvert d’une sorte de livre lumineux, une patineuse sur glace noire et enfin, Human, le whippet à patte rose dont les photographies avaient invariablement illustré les reportages

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unpredictable nature of events and the viewers’ wait is one of the first stumbling blocks that Pierre Huyghe proves unable to overcome while he carefully manipulates the strange segregation of the initiates into those who have seen, and the others, who can only hope to see. So, is the feeling of community thus founded on exclusion, or – rather – on selection as a kind of election as either witness or excluded-viewer? Is this the disaffected and cynical epilogue to the critical fate of relational aesthetics, appearing here in all its crudity and elitism? The experience takes on a peculiar intensity for those able to see everything – works and events – and a perplexity for those for whom the exhibition takes a turn towards the more traditional arrangement of various works. Pierre Huyghe’s retrospective delicately manoeuvres towards a reading centred on the search for a feeling of belonging to a community through the creation of parades, processions, celebrations, holidays, expeditions, and more or less fantastical narratives. In this work, Pierre Huyghe doesn’t positions himself as a guru, nor does he adopt sectarian structural principles though the exhibition nonetheless ends up generating that perception by its awkward segregation of initiates from mere believers.

Philippe Parreno has favoured a more programmatic and colder environment (going as far as a literal iciness in some unheated rooms). It is completely automated at some points and moments, a tempo that is characteristic of Anywhere Out of the World. Progressing through it, however, is no less physically and perceptibly intense as the body slowly becomes pitted against the immense, nearly empty spaces, barely punctuated by the presence of a work. Although heightened by scarcity, everything is there in this encounter. The sound of powerful rainfall in a staircase, a bookcase masking a hidden room, a concert of epileptic neon signs, Marilyn Monroe’s writing: Parreno painstakingly controls the viewers’ progress. Furthermore, he borrows his baseline from Stravinsky’s Petrushka (a love story about a puppet), bending to musical nomenclature in order to manage the pace of his viewers, who gradually become enthusiasts. Rather than being, like Huyghe, a priest of his own faith, Parreno is his show’s guide; his spirit singlehandedly reigns over it, but in a more fantastical way. Omniscient to the point of manipulation, Parreno has shown a singular obsession with spirits and the effects of phantom presences from his earliest works (a display of school-children bearing signs with the slogan “No More Reality,” 1991)

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consacrés à la Documenta de Kassel en 2012. Tout ce beau monde advient, déambule, apparaît et disparaît au gré d’un scénario dont le spectateur n’est pas le héros mais un simple témoin privilégié. Car il faut être là au bon moment sous peine d’accomplir l’expérience de l’exposition sur un mode déceptif, attendant désespérément que l’un ou l’autre des personnages fasse son apparition et se contentant des œuvres devenues paradoxalement plus anecdotiques que ces présences au final peu décisives. Ce décalage entre le caractère supposément éruptif des événements et l’attente des spectateurs est l’un des premiers écueils que Pierre Huyghe n’a pas résolus, ménageant une curieuse ségrégation entre ceux qui ont vu (les initiés) et les autres, ceux qui ne feront qu’espérer cette possibilité. Ainsi, le sentiment de communauté est-il fondé sur une exclusion, plutôt sur une sélection en forme d’élection, entre les témoins et le tiers-visiteur. Est-ce là l’épilogue cynique et désabusé de la fortune critique de l’esthétique relationnelle apparaissant ici dans la crudité de son élitisme ? L’expérience revêt une intensité particulière chez ceux qui ont pu tout voir - œuvres et événements -, et une perplexité chez ceux pour qui l’exposition prenait une tournure plus classique d’agencement d’œuvres diverses. La rétrospective de

Pierre Huyghe ménage une lecture centrée sur la recherche du sentiment d’appartenance à une communauté à partir de la création de parades et de processions, de célébrations et de jours fériés, d’expéditions et de récits plus ou moins fantastiques. Dans ces travaux, Pierre Huyghe ne se place pas en gourou et n’adopte pas de principes structurels sectaires alors même que l’exposition finit par générer cette perception par la ségrégation gênante qui se crée entre les initiés et les simples croyants.

De son côté, Philippe Parreno a privilégié un climat davantage programmatique et plus froid (jusqu’à la littéralité glaciale de certaines salles sans chauffage), complètement robotisé par endroits et par moments, un tempo qui caractérise tout « Anywhere Out of the World ». La progression n’en est pas moins intensément physique et sensible au fur et à mesure que le corps se mesure aux espaces immenses et presque vides, à peine ponctués par la présence d’une œuvre. Mais tout est là, dans cette rencontre intensifiée par la rareté. Le son d’une pluie battante dans un escalier, une bibliothèque dissimulant une salle secrète, un concert d’enseignes de néon épileptiques, l’écriture de Marilyn Monroe ; Parreno contrôle la progression du spectateur avec

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to the meta-work that makes up the present exhibition. Rather than engaging in an indexing of his work, one programmatically reconstituted a posteriori, Parreno picks up on one of the older components of his practice and multiplies its effects. Where Huyghe doesn’t take on directing his viewers (as one might direct actors), Parreno guides his followers’ footsteps. Scripting bodies, he carefully manages the traces of the experience and concretizes his community of initiates. Thus, after having taken in a pulsating version of Petrushka as performed by neon lights (Danny La Rue, 2013), the viewers move on to the next act as they approach the light emanating from a corridor, thus forming a line of backlit bodies that physically becomes a revelation image (by entering into the light). The silent, silhouetted procession leads to another chapter: automatic doors – in risky operating condition – open onto nothing: a film projected in front of a dirty snow bank, a speech by a young girl playing the character of Ann Lee. The viewer thus finds a certain freedom of action before the artist once again takes charge. Essentially videographic, this journey into the sprawling bowels of the Palais de Tokyo harbours the recreated works with brio. Zidane, Portrait du XXIe siècle (2006), a cinematographic opus created with Douglas Gordon and first presented in cinemas, is multiplied by as many cameras as initially were required to make the portrait of this football player. All of them being fixed on Zidane for the duration of a football game (about ninety minutes), they never filmed the action, only the icon. Immersed in the hypnotic music of the group Mogwai, the viewer wears him or herself out before the single screen, held captive by the image despite the arid restrictiveness of the whole process. Once blown apart into almost twenty screens, the film takes on a whole other dimension, becoming more engaging to the gaze and the reception of images, allowing the viewer to do his or her own editing of the flux that somehow manages to make the central character even more active. After an initial monolithic, monumentalizing, sighting of the subject, the film gains a powerful, fantastical and magnetic dimension by becoming an installation. This retrospective exhibition allowed Philippe Parreno to perfectly metabolize his works and let him lend them an exponential sense of their potential while keeping them active. The atmosphere

reigning at the Palais de Tokyo is that of an ecosystem in which each work becomes an organism and in which the viewer operates like an essential flux and not a simple testimonial anecdote whose function is to render an account of the event. Although Parreno makes no use of relational artifices, the viewer fits into his proposition perfectly and can feel his significance in the meticulous apparatus. What works astoundingly well in the almost literary, chapter-based progression is the way the viewer can move through it freely, turn back, drive the plot forward, or change his or her mind as he or she gradually gets used to Philippe Parreno’s rhythms and means. A freedom the viewer enjoys less – paradoxically – in the work of Pierre Huyghe.

If Parreno managed to formulate a hybrid and dynamogenic exhibition, masterfully re-orchestrating the issues in his work while offering a panoptical vision of his process, Pierre Huyghe seems to have arrived at a stumbling block. The feeling that emanates from the experience is that of a bygone moment, a profound nostalgia for the processes that have reached their epilogue. Already perceptible in his last films, the latent disenchantment has become blunt elegy. It’s the end of an age, and one person’s ghosts are already inventing a new world while the other bemoans its loss and celebrates its last living traces.

Translated by Peter Dubé

Bénédicte Ramade is an art critic, specializing in contemporary art with a concern for nature and ecology. Since 1999, she has been on the editorial staff of the magazine L’œil and has also written for many magazines, including Parachute and Zérodeux. As an independent curator, she looked at the artificializing of nature in Acclimatation (Villa Arson, Nice, 2008-2009) and has shown ecological interpretations of recycling in REHAB, L’art de refaire (Espace EDF, Paris, 2010-2011). A lecturer at Université Paris 1 - La Sorbonne, she recently completed her doctorate, which focused on Infortunes de l’Art écologique américain.

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minutie. Il emprunte d’ailleurs sa ligne de base au Petrouchka de Stravinsky (une histoire d’amour avec une marionnette), se conformant à la nomenclature musicale pour régler le pas des visiteurs qui se transforment progressivement en adeptes. Parreno est le cicérone de son exposition davantage que le prêtre de son propre culte comme Huyghe ; son esprit y règne sans partage mais dans une aura plus fantasmatique. Omniscient jusqu’à la manipulation, Parreno assume une obsession originelle pour les esprits et les effets de présence fantomatiques depuis ses premiers travaux (manifestation d’écoliers brandissant panneaux et slogan « No More Reality », 1991) jusqu’à cette méta-œuvre que constitue l’exposition. Plutôt que de se livrer à une indexation de ses travaux à une programmatique reconstituée a posteriori, Parreno assume une des composantes archaïques de sa démarche et en décuple les effets. Là où Huyghe n’assume pas une direction de spectateurs comme on dirige des acteurs, Parreno guide les pas de ses disciples. Scénarisant les corps, il ménage des rémanences fortes, matérialise sa communauté d’initiés. Ainsi, lorsqu’après avoir assisté à l’interprétation pulsatile d’une partie de Petrouchka par des néons (Danny La Rue, 2013), les spectateurs passent à l’acte suivant en se dirigeant vers la lumière émanant d’un couloir, se forme alors une file de corps à contre-jour qui compose physiquement l’image d’une révélation (en entrant dans la lumière). La procession silencieuse de silhouettes conduit à un prochain chapitre : des portes automatisées au fonctionnement hasardeux s’ouvrant sur rien, un film projeté à l’avant d’un banc de neige salie, le discours d’une jeune fille incarnant le personnage d’Ann Lee. Le spectateur retrouve ainsi une certaine latitude de ses faits et gestes avant d’être repris en charge par l’artiste. Essentiellement vidéographique, la plongée dans les entrailles des espaces tentaculaires du Palais de Tokyo recèle des œuvres resituées avec brio. Zidane, Portrait du XXIe siècle (2006), opus cinématographique réalisé avec Douglas Gordon et initialement diffusé dans les cinémas, se retrouve démultiplié en autant de caméras qu’il a fallu pour réaliser ce portrait du joueur de football. Toutes étaient braquées sur Zidane, le temps d’un match (soit quatre-vingt-dix minutes), ne filmant jamais l’action mais uniquement l’icône. Immergé dans la musique hypnotique du groupe Mogwai, le spectateur

s’éreintait en mono écran à demeurer captivé par l’image malgré l’aridité restrictive du procédé. Une fois éclaté en presque vingt écrans, le film revêt une tout autre dimension, engageant davantage l’observation et la réception des images, permettant au spectateur d’opérer son propre montage à partir de ce flux qui rend, du même coup, plus actif le personnage central. Depuis une première vision monolithique monumentalisant son sujet, le film a gagné en devenant installation, une dimension fantasmatique puissante et magnétique. L’exercice de l’exposition rétrospective a permis à Philippe Parreno de parfaitement métaboliser ses travaux pour les amener à procurer une vision exponentielle de leur potentiel et rester dans une dynamique active. Le climat qui règne au Palais de Tokyo est celui d’un écosystème où chaque œuvre revêt le rôle d’un organisme et où le spectateur opère comme un flux essentiel et non pas une simple anecdote testimoniale servant à relater un événement. Bien que Parreno ne se serve pas d’artifices relationnels, le spectateur s’incarne parfaitement dans sa proposition et ressent son importance dans le dispositif millimétré. Ce qui fonctionne étonnamment bien dans cette progression quasiment littéraire en chapitre, c’est que le spectateur peut s’y mouvoir librement, rebrousser chemin, devancer l’intrigue, réviser son jugement au fur et à mesure qu’il s’acclimate aux rythmes et aux façons de Philippe Parreno. Une liberté dont il jouit moins paradoxalement dans l’opus de Pierre Huyghe.

Si Parreno est parvenu à formuler un objet expositionnel hybride et dynamogène, réorchestrant avec maestria les enjeux de ses travaux tout en offrant une vision panoptique sur ses procédures, Pierre Huyghe semble être arrivé à un point d’achoppement. Le sentiment qui émane de son expérience est celui d’un temps révolu, d’une profonde nostalgie pour des procédures parvenues à leur épilogue. Déjà perceptible dans ses derniers films, le désenchantement latent s’est mû en franche élégie. La fin d’une époque avec les fantômes de l’un qui s’invente déjà un nouveau monde et l’autre qui le déplore et en célèbre les derniers vestiges vivants.

Bénédicte Ramade est critique d’art, spécialisée en art contemporain ainsi que sur les questions de nature et d’écologie. Attachée à la rédaction du magazine L’œil depuis 1999, elle a également collaboré à plusieurs revues, de Parachute à Zérodeux. Commissaire d’exposition indépendante, elle a travaillé sur l’artificialisation de la nature dans Acclimatation (Villa Arson, Nice, 2008-2009) et démonté les interprétations écologiques du recyclage dans REHAB, L’art de refaire (Espace EDF, Paris, 2010-2011). Chargée de cours à l’Université Paris 1 - La Sorbonne, elle vient d’y terminer son doctorat consacré aux Infortunes de l’Art écologique américain.