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François Chaubet Les décades de Pontigny (1910-1939) In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°57, janvier-mars 1998. pp. 36-44. Abstract The Decades of Pontigny (1910-1939), François Chaubet. In 1910, during a time in which international scientific meetings were in great fashion, the Decades of Pontigny reflected on the role of intellectuals in a mass democratic society. These periodic residential meetings of intellectuals held in a remote place were inspired by several models of sociability and brought together a relatively big number of people, considering the subjects taken up. After the first World War, they played a non-negligible role in the European intellectual community, or at least in a Franco- German rapprochement. In the 1930s, they led to a critical reflection on totalitarian regimes. Citer ce document / Cite this document : Chaubet François. Les décades de Pontigny (1910-1939). In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°57, janvier-mars 1998. pp. 36-44. doi : 10.3406/xxs.1998.3708 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1998_num_57_1_3708

Chaubet Entretiens de Pontigny

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François Chaubet

Les décades de Pontigny (1910-1939)In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°57, janvier-mars 1998. pp. 36-44.

AbstractThe Decades of Pontigny (1910-1939), François Chaubet.In 1910, during a time in which international scientific meetings were in great fashion, the Decades of Pontigny reflected on therole of intellectuals in a mass democratic society. These periodic residential meetings of intellectuals held in a remote place wereinspired by several models of sociability and brought together a relatively big number of people, considering the subjects takenup. After the first World War, they played a non-negligible role in the European intellectual community, or at least in a Franco-German rapprochement. In the 1930s, they led to a critical reflection on totalitarian regimes.

Citer ce document / Cite this document :

Chaubet François. Les décades de Pontigny (1910-1939). In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°57, janvier-mars 1998. pp.36-44.

doi : 10.3406/xxs.1998.3708

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1998_num_57_1_3708

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LES DECADES DE PONTIGNY

(1910-1939)

François Chaubet

Pontigny, une abbaye laïque, un agreste rendez-vous mondain ou le creuset d'une Europe des esprits ? Un des hauts lieux, à tout le moins, de la sociabilité intellectuelle de la première moitié du siècle fréquenté, avec application, par le Gotha des lettres français.

Entre les études sur les khâgneux- normaliens de l'entre-deux-guerres, celles sur les intellectuels socialistes

du début du siècle, celles sur les non- conformistes des années 1930, l'histoire intellectuelle de la première moitié du siècle a livré une série de travaux importants dont la liste, ici esquissée, n'est certes pas exhaustive 1. Forts de cette accumulation de travaux pionniers, caractérisés le plus souvent par une approche sociale des intellectuels saisis dans leurs capacités à concevoir des stratégies singulières, à nouer des relations et des échanges dans le cadre des structures de la sociabilité 2, d'autres travaux pouvaient

1. Cf. les versions éditoriales de certains de ces travaux : Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle, khâgneux et normaliens dans l'entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 1988 ; Christophe Prochasson, Les intellectuels, le socialisme et la guerre, Paris, Le Seuil, 1993.

2. Cf. Nicole Racine, Michel Trebitsch (dir.), « Sociabilités intellectuelles, lieux, milieux, réseaux », Cahiers de l'IHTP, 20, mars 1992.

être tentés à partir d'autres microcollectivités intellectuelles exemplaires.

Les Décades de Pontigny, organisées de 1910 à 1913, puis de 1922 à 1939, sous la haute conduite d'un universitaire et intellectuel parisien, Paul Desjardins (1859- 1940), ont paru relever de ce type d'approche et mériter par là même un traitement d'ensemble renouvelé 3 que la glane d'archives inédites a contribué à enrichir 4. Louées en leur temps pour leur prestige intellectuel et mondain, vantées par la mémoire de nombre de leurs anciens protagonistes, reconnaissants à l'endroit de ce singulier laboratoire d'idées et de sentiments, l'image des Décades (ou Entretiens) de Pontigny offrait à la fois un grain précis et flou. Si certains premiers plans donnaient à voir, par exemple, l'éclat de gloire du groupe de la Nouvelle Revue Française

3. En 1959, la petite-fille de Paul Desjardins organisa le colloque de Cerisy, Paul Desjardins et les Décades de Pontigny, préface d'André Maurois, Paris, PUF, 1964. Le colloque fut plus disert sur le rôle de Paul Desjardins dans l'activité intellectuelle de son temps que sur les Décades proprement dites. Le vol, en 1941, des archives de Desjardins par la Gestapo limitait en partie les possibilités d'investigation ; ce dont souffrait ce premier bilan.

4. Ce travail repose sur 14 fonds inédits, dont 3 assez importants : le fonds Liliane Chomette, le fonds Guy-Grand, le fonds de Cerisy (propriété des enfants de Paul Desjardins). D'autre part, une trentaine de fonds déposés ont été étudiés. Parmi ceux-ci, le fonds Charles du Bos et le fonds Jean Schlumberger, tous deux à la Bibliothèque Jacques Dou- cet à Paris, nous ont été particulièrement utiles.

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autour d'André Gide, le «contemporain capital», il était plus délicat de cerner les contours d'ensemble du projet et d'en dégager le noyau de signification. En effet, outre la décade «littéraire», Pontigny réunissait une décade « philosophique » et une décade «politique»; dans chacune, trente à cinquante personnes, soigneusement choisies le plus souvent, menaient des conversations dialoguées pendant dix jours. Affluaient là écrivains, professeurs, journalistes, hommes politiques, mais aussi divers amateurs des choses de l'esprit, mondains ou esthètes.

Quelle pouvait donc être la fonction dévolue à cette abbaye laïque ? La réduire à une simple villégiature intellectuelle où l'on prît, par distraction, quelques amusements culturels, fausserait étrangement la perspective. Bien au contraire, les Décades posent à travers leur existence une interrogation de fond : comment, à l'ère des masses, une communauté intellectuelle parvient-elle à concilier ses convictions démocratiques, fondées sur un attachement à la Raison, au Progrès, avec des principes et un comportement élitistes qui réservent le soin à une minorité de dégager les valeurs nécessaires au bon fonctionnement de la Cité? Les Entretiens de Pontigny mirent en scène, littéralement, cette tension, à la fois dans leur façon d'organiser leur sociabilité tout comme dans leurs diverses perspectives idéologiques.

O MODÈLES DE SOCIABILITÉ

Les Décades de Pontigny s'inspirèrent de plusieurs modèles de sociabilité, les uns anciens, les autres plus contemporains et, à partir de cet éventail de références, déployèrent un souple réseau humain qui parvint à fédérer sur le long terme les déca- distes. En 1910, lors de l'ouverture des Entretiens, Paul Desjardins écrit un petit livret qui présente le dessein général de la nouvelle institution. Celle-ci était placée sous la caution des congrès internationaux,

des réunions d'été des universités anglaises, des coopératives de vacances américaines et des retraites1. L'époque était en effet à la vogue des rencontres scientifiques internationales et, après les disciplines des sciences exactes tôt réunies, la philosophie organisait, à Paris en 1900, son premier congrès. Autour de 1906, cette communauté scientifique internationale se trouve à son acmé2. Et Pontigny s'efforce, à sa façon, de prolonger ce renouveau de l'esprit cosmopolite. Mais il entendait «bannir la technicité, le programme arrêté, le défilé des communications, le protocole, les corvées officielles » ^ qui pouvaient entraver la formation des liens individuels. D'ailleurs, les références anglo-saxonnes introduisaient une note plus intimiste. Loin de se prêter à quelque confraternité abstraite, les Entretiens devaient satisfaire, certes, aux aptitudes de l'esprit, mais aussi aux exigences du cœur, afin de conjurer l'anonymat des sociétés de masses. Un peu dans la même veine, l'évocation des retraites venait rappeler que l'hybris intellectuelle et l'ambition mondaine seraient résolument écartées. Cependant, au-delà de ces références explicites, il est permis de songer à d'autres modèles de sociabilité. Pontigny décalque, à vrai dire, de près, les pratiques socio- intellectuelles qui avaient caractérisé ce que Christophe Charle a appelé la «naissance des intellectuels». À l'instar des revues intellectuelles dreyfusardes, du mouvement des Universités populaires, les Entretiens désirent fonder une libre coopération intellectuelle, ouverte au plus grand nombre et régie par «l'amour actif de la vérité et du

1. Programme des Entretiens d'été de l'abbaye de Pontigny, août-septembre 1910, Versailles, Imprimerie Centrale de Seine- et-Oise, 26 p. Chaque année, Paul Desjardins rédigeait un texte d'introduction pour chaque thème des diverses décades; ce texte plus ou moins long (d'une à six pages) posait les termes du problème à considérer afin que l'improvisation fût bornée.

2. Cf. Ch. Prochasson, Les années électriques, Paris, La Découverte, 1991, p. 223-250. Et, surtout, la thèse d'Anne Ras- mussen, «L'internationale scientifique (1890-1914)», Paris, École des hautes études en sciences sociales, décembre 1995, 816 p.

3. Programme des Entreliens d'été..., op. cit.

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droit»1. Le double mouvement de confrontation des opinions et de démarche critique à l'œuvre dans les instances de la sociabilité intellectuelle dreyfusarde des années 1898- 1905 inspire largement les Décades ; celles- ci se présentent comme un de ces lieux de médiation où des spécialistes affichent leurs compétences tout en se montrant capables de les dépasser auprès d'un public plus ou moins hétérogène. Et, par exemple, les premières décades consacrées à l'étude de la vie ouvrière, avant la guerre, purent réunir des hauts fonctionnaires (Arthur Fontaine), des publicistes compétents en la matière (Pierre Hamp, Daniel Halévy), mais aussi des syndicalistes ou des hommes issus du monde du travail. Ainsi, le projet des Décades sépare et cheville ensemble des représentations antithétiques, où se mêlent l'idéal, à la Montaigne, de l'homme de culture et de savoir qui aspire à retrouver le calme de sa «tour», et celui des intellectuels postdreyfusards qui s'attachent, à l'intérieur de nouveaux cadres de sociabilité, à tisser des liens entre les parcours singuliers des individus et l'universalité républicaine contenue dans les principes de Raison et de Progrès. Mais cette volonté de brassage socio-culturel trouva son vrai support avec le rapprochement de deux groupes, les universitaires et les hommes de lettres. Jean- Paul Aron avait déjà noté le caractère transfrontalier de Pontigny2, où ces deux catégories qui s'étaient longtemps entre- ignorées ou méprisées, s'apprivoisèrent, non sans tensions parfois ; quand

1. Ibid., p. 10. Cette invocation avait été formulée initial- lement dans le cadre de l'association parisienne que Paul Desjardins avait créée en 1892, L'Union pour l'action morale, transformée en Union pour la vérité en 1905, à la suite de l'affaire Dreyfus et de la querelle qui opposa le prêtre et savant moderniste Alfred Loisy à l'Église. Sur les relations entre Desjardins et Loisy, cf. Emile Poulat, « Néo-christianisme et modernisme autour de Paul Desjardins », dans Paul Des

jardins et les Décades de Pontigny, op. cit., p. 77-103. 2. Jean-Paul Aron, ■■ Les Décades de Pontigny et de Cerisy :

une introduction à une généalogie du temps des professeurs», dans Mélanges Robert Mandrou. Histoire sociale, sensibilités collectives et mentalités, Paris, PUF, 1985, p. 309-405.

Léon Brunschvicg, le haut dignitaire de la philosophie universitaire, participa à sa première décade littéraire en 1926, son long exposé (presque deux heures) manqua de terrasser d'ennui certains écrivains présents... Mais le plus souvent, en fait, chacun tentait de s'acclimater aux vertus du voisin : qui allégeait son savoir technique des impedimenta les plus pesants de son érudition, qui lestait sa conversation d'un surcroît de sérieux argumentatif. Un des liants essentiels, donc, de cette mutuelle exposition des uns aux autres fut l'art très français de la conversation. Celle-ci relayait les exposés préliminaires, assez courts en général (une heure au maximum), et conférait aux discussions une allure vive et familière où chacun cherchait l'assentiment de tous 3. En France, la culture dialoguée, fille de la société polie, invitait ainsi, dans la grande tradition des salons, à la politesse des êtres les uns envers les autres. Quant à la dynamique de ces relations sur l'ensemble de la période, on assiste à la montée croissante des professeurs. À mesure que la revalorisation de l'Université française, à la fin du 19e siècle 4, l'approfondissement de la scolarisation secondaire de l'entre-deux-guerres, faisaient sentir leurs effets, le monde professoral sortit du ghetto social dans lequel le siècle précédent l'avait rencoigné. À Pontigny, on distingue cependant deux types de professeurs. D'une part, une élite fortement représentée s'affiche, avec des professeurs au Collège de France (Joseph Bédier en 1911, Henri Maspero en 1925, Paul Langevin en 1929, Pierre Janet en 1930), des représentants de la Sorbonne (Léon Brunschvicg, René Poirier), de brillants normaliens-agrégés (de Henri Guillemin en 1924 à Raymond Aron et Vladimir Jankélévitch en 1928). D'autre part, Paul Desjardins convie

3. Cf. les belles analyses de Marc Fumaroli, » La conversation », dans Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire. III, La France, 2, Traditions, Paris, Gallimard, 1992, p. 679-743-

4. Cf. Ch. Charle, La République des Universitaires, Paris, Le Seuil, 1994.

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d'anciens élèves de l'École Normale de Saint-Cloud et ses chères « Sévriennes », dont il fut, jusqu'en 1926, le professeur admiré. Ce public au moindre prestige social assistait surtout aux décades consacrées aux problèmes de l'éducation. Si cette cohorte universitaire tend à dominer le Pontigny des années 1930 eu égard, notamment, à une spécialisation croissante de certains thèmes de discussion («La Volonté du Mal» en 1936, «Unité de la philosophie» en 1937), les années 1920, en revanche, furent marquées par l'emprise de la NRF, et de son groupe.

O PRESTIGE DE LA NRF

Son prestige intellectuel et mondain, Pontigny le doit sans conteste à la participation de grandes vedettes littéraires des années de l'après-guerre qui, à l'exception de Claudel, Morand, Montherlant, Giraudoux ou Céline, acceptèrent de séjourner à l'abbaye. En 1910, quand la NRF accepta de diriger la décade littéraire, il s'agissait de mieux faire connaître la revue auprès d'un public étranger et, plus généralement, de se doter «d'un réseau alternatif d'institutions - le Comptoir d'Éditions (1911), le Vieux-Colombier (1913) - capables de soutenir le triomphe de sa position»1, afin de passer outre les modes de consécration traditionnels. Quant à Paul Desjardins, amoureux averti de la chose littéraire2, il eut d'emblée la prescience de la valeur de cette nouvelle équipe, comme en témoigne cette lettre de décembre 1909 adressée à Jacques Copeau: «... Aucune ligne ou presque ne m'échappe. Quel petit groupe excellent vous formez. André Gide me semble notre

1. Anna Boschetti, «Légitimité littéraire et stratégies édito- riales », dans Roger Chartier, Henri-Jean Martin (dir.), Histoire de l'Édition française. Le livre concurrencé (1900-1950), Paris, Fayard-Cercle de la Librairie, 1991, p. 511-566.

2. Il fut, à vingt-cinq ans, un critique littéraire reconnu pour l'un des meilleurs, grâce à ses textes donnés au Journal des Débats ou à la Revue Bleue. Il abandonna peu à peu cette carrière et, à partir de 1892, avec la création de L'Union pour l'action morale, cessa d'être cet • aquarelliste limpide - dont parla un jour Proust.

plus pur écrivain et le voici à l'heure de l'épanouissement. Jean Schlumberger est le plus homme de goût que je connaisse ... Il devrait s'établir un rendez-vous où nous prendrions une conscience plus nette de notre coopération » 3. Toutefois, du côté de la NRF, des réticences ne manquèrent pas d'apparaître autour de 1912-1913; les hommes de la revue désertèrent quasiment la décade littéraire de 1913- Joue un complexe de sentiments, où entrent sans doute un certain dépit à l'égard d'une institution dont le rendement attendu déçoit un peu (trop peu d'étrangers pour les filets tendus), une méfiance aussi à l'égard de Desjafdins, dont le projet intellectuel parut peut-être trop lié à la conjoncture et à l'instant socio- politique, à rebours des préoccupations esthétiques du groupe qui lui dictaient de privilégier les valeurs de permanence artistique.

C'est alors que le journaliste et homme de lettres antidreyfusard Jean Variot prend à partie Pontigny, accusé de réactiver le «Syndicat »4. Par-delà les Décades, Variot cherchait aussi à désolidariser Claudel et Péguy de la NRF. Et cependant, en 1922, quand les Décades réouvrent, l'état-major de la NRF se trouve posté en tête de la décade littéraire, Gide et Jean Schlumberger occupent là une place centrale. Le premier jouit depuis 1921, et la parution de ses Morceaux choisis, d'une renommée aussi tardive que flamboyante. Quant au second, il demeure, après les Desjardins, le plus solide actionnaire de la Société de Pontigny créée en 1912. Derrière eux, défilent les Marcel Arland (1924), Jean Prévost et Ramon Fernandez (1925), André Malraux (1928), qui font cercle autour des aînés que sont Martin du Gard, Groethuy- sen, Gide. Surtout, la décade littéraire

3. Lettre du 11 décembre 1909, Fonds Jacques Copeau, Bibliothèque de l'Arsenal. Sur les raisons de cet accord, cf. Auguste Angles, André Gide et le premier groupe de la NRF, 3 tomes, Paris, Gallimard, 1978-1986.

4. Cf. le dossier de cette polémique qui inclut Georges Sorel dans Cahiers de l'Herne Georges Sorel, Paris, Éditions de l'Herne, 1986, p. 183-191.

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devient l'occasion de se rapprocher de la table sainte que symbolise le groupe de la NRF: les venues de Charles du Bos et d'André Maurois (1922), de François Mauriac (1925), d'André Chamson (1928) illustrent cette rémanence des rites et épreuves d'affiliation dans les milieux littéraires. Le cercle de cette décade se plaçait sous la «triple vocation de la communauté monastique (vouée à l'écriture), aristocratique (convaincue de regrouper les meilleurs) ... ésotérique enfin, traversée par la représentation que la valeur est liée au secret et la supériorité à l'initiation»1. De plus, alors que des pratiques éditoriales inédites (contrats éditoriaux spectaculaires, culte du best-seller) moulent le statut de l'homme de lettres sur celui du champion, alors que des techniques journalistiques singulières tendent «au déplacement de la médiation du texte à l'immédiateté de la présence»2, («Une heure avec» de Frédéric Lefèvre), la décade littéraire de Pontigny contrebalance l'affaiblissement des liens de groupe provoqué par le nouvel individualisme de la réussite matérielle tout en faisant communiquer l'espace littéraire et l'espace humain. Mais si la coterie gidienne menaçait de virer au club, la nécessité intellectuelle du renouvellement des personnalités impliquait d'élargir périodiquement le cercle de craie tracé par ces écrivains. En s'ouvrant à l'élite normalienne, à la jeunesse non conformiste des années 1930, les Décades devenait cette «Université raffinée» dont parla un jour Jean Tardieu. La NRF, d'ailleurs, ne devait-elle pas sa force à son «isomor- phisme, aux champs distincts de Pavant- garde esthétique, de la recherche universitaire et de l'action politique ... [en les soudant] l'une à l'autre »3, à son aptitude

1. Jean-Paul Aron, «Introduction», dans J.-P. Aron (dir.), Qu'est-ce que la culture française?, Paris, Denoël-Gonthier, 1975, p. 7-38.

2. Laurent Martin, -Littérature et journalisme: les enquêtes littéraires au principe d'une nouvelle forme de collaboration», texte dactylographié, 54 p.

3. Régis Debray, Le pouvoir intellectuel en France, Paris, Folio-Gallimard, 1986, p. 109.

à satisfaire, d'un côté, le public universitaire de Alain ou Thibaudet et, de l'autre, celui de Cingria?

O L'EUROPE DES ESPRITS

Si, le temps d'une décade, profils et intérêts sociaux perdaient leurs aspérités, si les caractères pouvaient espérer s'accrocher les uns aux autres, il importait aussi de maintenir cet ethos de groupe en dehors de Pontigny. Un véritable réseau se constitua souplement au fil des ans. Quelques demeures parisiennes accueillaient bon nombre de décadistes: le «Vaneau» de Gide, la rue Budé chez du Bos, la place Victor- Hugo chez les frères Baruzi, les domiciles d'Arthur Fontaine ou d'André Maurois ; Paul Desjardins organisait, pendant l'hiver, quatre réunions chez lui, rue de Boulain- villiers, des «Amis de Pontigny», où l'on discutait des futurs sujets des décades. Le siège de L'Union, rue Visconti, prolongeait également les débats. De même, à l'étranger, un décadiste pouvait compter sur des hôtes rencontrés en Bourgogne. Le château de Colpach, au Luxembourg, propriété de l'industriel Emile Mayrisch, Heidelberg, où séjournait le professeur et critique littéraire Ernst Robert Curtius, furent quelques-uns de ces lieux où les anciens de Pontigny trouvaient le meilleur accueil.

Car les Décades ne se cantonnèrent pas au seul registre des problèmes franco- français. D'emblée ouvert à un public d'étrangers, l'après-guerre vit Pontigny se faire le porte-parole d'un projet para- politique de restauration des valeurs européennes altérées par le premier conflit mondial. Cette prise de position idéologique ne laisse pas de trahir ses présupposés élitistes, résumés par une formule de Paul Valéry: il convenait de bâtir une «Société des Esprits au service de la nouvelle Société des Nations».

En juin 1919, Paul Valéry, dans un article fameux sur «La Crise de l'Esprit», s'inquiétait devant la fragilité de la civilisation euro-

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péenne qui avait manqué de succomber durant les années de guerre. Cette angoisse, née de la conscience de vivre une crise dramatique, beaucoup d'intellectuels la partagèrent désormais1. Mais, en contrepartie, «c'est en cessant d'être l'ombilic du monde [que] l'Europe redevient l'objet du désir: l'idée de la "patrie européenne" imprègne l'écriture de Paul Valéry comme d'un Heinrich Mann»2. Entre les tenants d'un nationalisme outrancier et les partisans de l'internationalisme prolétarien, les intellectuels de «l'Europe de l'Esprit» fondent leur perspective sur la vision d'une complémentarité des cultures européennes et sur une représentation élitiste du rôle politique des intellectuels. Cette ambition idéocratique d'une Europe à reconstruire sous la conduite d'une «République des Lettres» européennes rassembla tout un réseau de grands écrivains, dont André Gide, Charles du Bos, Ernst Robert Curtius, les frères Mann, Hugo von Hofmannsthal ou Ortega y Gasset. Ces derniers cherchèrent à influer sur la vie politique selon des modes multiples. Certains adoptent la posture du conseiller du prince (rencontre Gide-Rathenau à Colpach en 1920, voyages multiples de Valéry à l'étranger dont celui, triomphal, de 1926 à Berlin). D'autres organisent les conditions d'un rassemblement de l'Europe savante au sein de l'Organisation de coopération intellectuelle, à l'intérieur de la SDN, ou des Unions intellectuelles du prince de Rohan 3. Enfin, ces clercs peuvent se faire les relais des initiatives prises par le personnel politique. Ainsi Pontigny soutint la cause de la SDN,

1. Cf. Jean-Baptiste Duroselle, L'Europe, histoire de ses peuples, Paris, Perrin, 1990, p. 547. L'auteur cite Ortega y Gasset, Hilaire Belloc, Luigi Einaudi, Karl Jaspers, qui réfléchirent au destin de l'Europe de manière aiguë.

2. Michel Trebitsch, • Internationalisme, universalisme et cosmopolitisme : les représentations du monde dans les milieux intellectuels français d'une guerre à l'autre», Cahiers de l'IHTP, - Images et imaginaire dans les relations internationales depuis 1938», 28, juin 1994, p. 13-27.

3. Cf. la thèse de Jean-Jacques Renoliet, «l'Institut international de coopération intellectuelle (1919-1940)-, 3 volumes, Paris-I, 1995, 1 139 p.

en organisant à trois reprises un thème de discussion sur l'institution genevoise (1922, 1923, 1937). Tout en restant donc un lieu de rencontres privées et informelles, la présence de toute une série de personnalités liées au BIT (Albert Thomas, Arthur Fontaine), à POCI (Valéry, Henri Focillon), à la SDN (André Siegfried, Salvador de Mada- riaga) placent les Décades au rang d'institution officieuse et les désignent comme une quasi-annexe culturelle de l'organisation internationale sise au bord du Léman.

Mais, incontestablement, c'est en reproduisant la structure d'une République des lettres européenne au service d'une pacification du continent, et donc d'une réconciliation franco-allemande, que les Décades jouirent à bon droit de la réputation de «Thélème internationale» (Michel Trebitsch). Il fallut d'abord convier quelques intellectuels allemands avant que le «Lo- carno intellectuel» des années 1925-1930 ne banalise la démarche. L'homme clé de cette médiation franco-allemande fut Ernst Robert Curtius, professeur de littérature à Heidelberg et ami d'André Gide depuis leur rencontre à Colpach en 1921. Le 12 février 1922, le premier écrivit au second pour lui faire part de ses espoirs : «J'ai le sentiment qu'une nouvelle époque commence, une ère de la raison européenne et de bonnes mœurs. La NRF peut y jouer et y jouera un rôle de guide sous votre influence, elle deviendra un salon où les "honnêtes gens de l'Europe" se rencontreront » 4. Ce salon européen, les Décades l'organisèrent, notamment, avec le concours des Heinrich Mann (1923), Max Scheler (1924), du côté allemand, Lyt- ton Strachey (1923), Roger Fry (1925), du côté anglais, Leon Chestov (1923) ou Nicolas Berdiaev (1927) pour la partie russe. Pontigny représenta une variante informelle

4. Lettre de E.R. Curtius à André Gide, 12 février 1922 dans Ernst Robert Curtius, Deutsch- französische Gespräche (1920-1950), Correspondance avec André Gide, Charles du Bos, Valéry Larbaud, Frankfurt am Main, Vittorio Klostermann, 1980, p. 50.

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des diverses tentatives pour élaborer une nouvelle conscience européenne : soit un logis (à comparer avec le projet de Romain Rolland de créer une université internationale ou avec l'École de la Sagesse de Keyserling), la nostalgie féconde de redonner à l'Europe l'unité de ses divers savoirs et la possibilité de tisser un fin tissu d'amitiés entre hommes d'horizons géographiques spécifiques mais unis dans une commune fidélité aux grands intercesseurs du passé intellectuel de l'Europe. Or, pour renouer avec la confiance dans la possibilité de l'action, ces intellectuels faisaient fond sur le retour au grand humanisme européen dans sa polyphonique diversité. La méditation de la tradition allait donc au-delà d'une simple référence (réactionnaire) aux acquis du passé, qui eût été réduit à une simple délectation ou à une pure réserve de savoir-faire. Ainsi, la décade littéraire de 1922, «le Miroir de l'Honneur», roula en grande partie sur Dostoievsky, dont les thèmes (angoisse existentielle, rôle de la souffrance) imprégnaient les contemporains de l'immédiat après- guerre. Et Gide précisa qu'il avait aussi besoin du «modèle Goethe». Dans ce scintillement des entrelacs de la littérature européenne, les décadistes recherchaient une lumière pour la compréhension du présent. À travers l'étude de certains grands uni- versaux littéraires (décade «Romantisme» en 1927 et décade «Sur la réussite classique» en 1929), les Décades entendaient faire œuvre de restauration créatrice ; et l'appel à de jeunes auteurs comme Marcel Arland en 1924 1 révélait que l'attention au présent le plus immédiat allait enrichir la connaissance vivante de l'Europe, tout comme la reprise du passé le plus éloigné pouvait se révéler un apport de la plus grande actualité. Cette ouverture au présent eut certes ses limites. Les surréalistes ne vinrent jamais à Pontigny par exemple ; les jeunes

artistes n'y apparaissent pas plus. L'élitisme propre à cet idéal de République des lettres rejoue également, dans les années 1920, à l'intérieur des décades politiques.

O CO-ÉDUCATION DES ÉLITES

Trois types de milieux se rencontrent à Pontigny afin de discuter de thèmes tels que «La réforme de l'État» en 1926, «Les libertés nécessaires» en 1927, «Bourgeoisie» en 1929, ou «La colonisation» en 1931. On distinguait des hauts fonctionnaires (Arthur Fontaine, René Massigli, Gaston Palewski), des socialistes réformistes (Albert Thomas) ou sensibles au néo-socialisme de Henri de Man (ce dernier fut le pivot de la décade «Bourgeoisie»), des industriels saint-simoniens proches du Redressement français. Ce qui fédérait cet ensemble, assez hétérogène a priori, portait sur la reconnaissance, largement partagée, de l'importance des valeurs d'autorité et de compétence. La guerre et l'interventionnisme étatique, puis la fascination exercée par le modèle industrialiste américain, avaient mis en évidence les nécessités de recourir à des méthodes d'action plus efficaces, aussi bien dans la conduite des entreprises que dans celle de l'État2. Somme toute, dans le désarroi de l'après-guerre, alors qu'à la faveur de l'internationalisme renaissant ressurgissait la figure de l'intellectuel éducateur et guide du peuple (Rolland, Barbusse), les Décades, elles, se posaient en guide et éducateur des élites. Tel fut, sans doute, une des conséquences majeures de la guerre sur ce milieu pontignacien, où une méfiance, à l'égard sinon du suffrage universel, du moins de certains de ses effets pervers (la démagogie), gagna l'esprit de bon nombre de ces anciens dreyfusards. Félix Bertaux, l'ancien camarade, avant-guerre, du syndi-

1. Auteur d'un article qui fit date, «Sur un nouveau mal du siècle-, NRF, février 1924, p. 149-158.

2. Pour une synthèse sur ces mouvements en faveur de la modernisation de l'État et de l'économie, cf. François Monnet, Refaire la République, André Tardieu, une dérive réactionnaire (1876-1945), Paris, Fayard, 1993, p. 23-25 pour la période de la fin des années 1910 au début de la nouvelle décennie.

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LES DECADES DE PONTIGNY

caliste Albert Thierry, n'avouait-il pas à André Gide en décembre 1918 son scepticisme à l'égard de la démocratie : « Quand j'étais jeune, je croyais à la vertu du suffrage universel. Maintenant, je crois encore qu'il faut faire beaucoup pour le peuple, mais je ne crois plus qu'on puisse rien par le peuple»1. Paul Desjardins regroupa ces différents groupes politico-intellectuels, ces différentes élites (de commandement, de rayonnement), pour chercher à assurer la co-éducation mutuelle de ces minorités influentes. Cette même idée, que José Ortega y Gasset exprima dans Espana inver- tebrada en 1921, fut un peu la boussole du Pontigny des années 1920.

Mais Pélitisme n'épuise pas toutes les affirmations de Pontigny. Paul Desjardins n'abandonna jamais la conviction, chère à Condorcet, que l'homme, quand il est éclairé, même s'il ne dispose que d'un savoir élémentaire, est en mesure de discerner le vrai. La réflexion constante au sein des Décades sur les problèmes de l'éducation les ramène vers l'aire démocratique, son sol essentiel. S'il est un domaine où, de manière incontestée, Paul Desjardins donne le sentiment d'envergure, il faut aller le trouver dans tous les textes lumineux qu'il écrivit sur les questions de l'éducation. Il y défendit la nécessité de recomposer l'homme, que les techniques spéciales, de plus en plus nombreuses dans la civilisation moderne, contribuaient à démembrer2. Cet idéal unitaire devait être ouvert à tous, et non pas à une simple minorité de doctes liseurs. L'école nouvelle qu'appelait de ses vœux Paul Desjardins aurait à incarner le laboratoire où seraient expérimentées des méthodes d'étude directes et concrètes de la vie sociale (inspirées de «l'école nouvelle» de Decroly), ainsi qu'elle aurait à demeurer un conservatoire lucide des valeurs héritées. Cette école

serait conduite par une association privée, dans la mesure où sa dimension innovatrice justifiait son indépendance à l'égard de l'État.

À deux reprises, les projets de Paul Desjardins se réalisèrent. En 1914, pendant six mois, fut mise en œuvre l'Ecole de commune culture 3, pour un public de jeunes adultes. Furent étudiés les thèmes de la vie rurale et des exigences de l'alimentation urbaine, ainsi que celui du travail textile : des visites sur le terrain, sous l'éclairage des praticiens des différents métiers, complétaient les recherches plus livresques accomplies à d'autres moments. Dans les années 1920, le même projet fut élaboré, mais pour des élèves plus jeunes. Le Redressement français eut dû financer l'affaire, qui buta sur l'achat d'une demeure qui aurait abrité l'école. Dans les dernières années de sa vie, Paul Desjardins reprit une nouvelle fois l'ouvrage et créa en 1936 V Anti-Babel, formation de deux mois pour de jeunes Européens que l'on désirait initier à la culture française et à l'art de la raison critique. Car, en ces sombres temps, Paul Desjardins gardait intacte cette conviction : l'école était le théâtre patiemment réglé de l'élévation de chacun à la pleine conscience et à la liberté intérieure, d'une part, et à la vie citoyenne, de l'autre. Que ce professeur de grec en première supérieure eût conscience que les humanités classiques puissent se caricaturer elles- mêmes en de purs exercices de rhétorique et qu'il ait plaidé pour des humanités modernes où le savoir technique et sa critique soient combinés, révèle sa capacité à dépasser les multiples cloisonnements d'ordre intellectuel et social dont une vie est encombrée. Dans les années 1930, les Décades animèrent à plusieurs reprises une réflexion critique sur les régimes totalitaires ; au-delà des problèmes politiques concrets de lutte contre ces nouvelles tyran-

1. André Gide, Journal, I 1887-1925, édition établie, présentée et annotée par Eric Marty, Bibliothèque de la Pléiade, 1996, p. 1079.

2. Cf. son livre, Idée d'une École, Paris, Armand Colin, 1914.

3. Cf. Yvonne Canque, ■ Une expérience vécue : l'École de commune culture en 1914 -, dans Paul Desjardins et les Décades de Pontigny, op. cit., p. 136-142.

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FRANÇOIS CHAUBET

nies, le vrai antidote républicain à cette entreprise de destruction de l'individu qui pense, résidait, selon Paul Desjardins, dans la réaffirmation de la primauté des vertus individuelles sur les valeurs politiques, dans la subordination des formes de l'action légale à la morale, programme auquel l'École donnait, dans l'idéal, sa plus large signification.

Les Décades de Pontigny révèlent, à la fois, une institution culturelle très française et très européenne. Elles furent hexagonales dans leur façon d'organiser une communauté intellectuelle soucieuse d'assumer un rôle et un système d'attitudes orientés vers la chose politique. En défendant les valeurs universelles dénoncées par les totalitarismes, en militant pour la cause de la SDN ou pour celle des réformes socio-politiques à apporter à la démocratie libérale par le biais de l'intervention d'intellectuels- experts, Pontigny fut un acteur engagé de son temps. Elles furent européennes dans leur choix d'étayer, matériellement et spirituellement, l'idée d'Europe. Il n'y eut pas, d'ailleurs, de réelle contradiction dans les deux démarches. Dans l'après-guerre, alors que les différents gouvernements français s'efforçaient de compenser la perte de puissance financière par une mobilisation des ressources du «trésor culturel»1, les intellectuels français présents à Pontigny ne s'érigeaient-ils pas en médiateurs privilégiés de cette Europe intellectuelle aux riches harmoniques? La présence d'André Gide,

dont l'oeuvre suscitait une large ferveur en dehors de la France, celle de Charles du Bos, dont les écrits, qui mettaient en œuvre une critique assimilée à la vie spirituelle, imprégnèrent la sensibilité de nombre d'Européens de qualité, viennent rappeler le rayonnement de la culture française dans l'entre-deux-guerres.

Enfin, la tension entre universalisme d'une société de masses et élitisme pluraliste d'une communauté intellectuelle renvoie à une hésitation, moins sur les valeurs elles-mêmes que sur les moyens de les appliquer. La partition démocratique devait réserver à quelques solistes la faculté d'exposer les lignes de force d'un discours dont la totalité reprendrait par la suite les accents. Ainsi, la richesse des Décades en tant qu'institution culturelle s'inscrit dans cette polysémie active à laquelle l'observateur est convié afin de tenter de rendre compte de ce que Raymond Aron avait décrit un jour comme quelque chose « d'unique, inimitable, indéfendable, indispensable»2.

1. J.-J. Renoliet, «L'Institut internationnal de coopération intellectuelle », cité, p. 1080.

2 Raymond Aron, •■ Témoignage », dans In Memoriam Paul Desjardins (1859-1940), Bulletin de l'Union pour la vérité-Cahiers de Pontigny, Paris, Minuit, 1949, p. 25.

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Agrégé d'Histoire, François Chaubet a soutenu sa thèse «Paul Desjardins et les Décades de Pontigny » sous la direction de Jean-François Sirinelli, en novembre 1996 à Lille III. Il vient de publier «Pontigny et la NRF" dans le Bulletin des Amis d'André Gide et travaille actuellement sur les formes de la présence sociale de l'écrivain au 2(f siècle.

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