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I/ART ET LE VIVANT HORACE : ODE À PYRRHA Loris CALLEBAT l'Hîrersité de Caen Quis multa gracilis le puer in rosa perfusus liquidis urgel odoribus grato, Pyrrha, sub antro? cui flauam religas comam, Simplex munditiis? heu quotiens fidem mutaiosque deus llebit et aspera nigris acquora uentis emirabitur insolens qui nunc te fruilur. credulus, aurea, qui semper uacuam. scmper amabilem sperat, nescius aurae fallacis ! Miseri quibus intemptata niies. Me tabula sacer uotiua paries indicat uuida suspendisse potenti uestimenta maris deo I NTRODUISANT le commentaire qu'il proposai! de l'Ode 5 du livre 1 d'Horace, ode dite -à Pyrrha-, Viklor Pôschl (1970: 20-28), rappelait la référence qu'en donnait Goethe 1 comme source d'inspiration d'un de ses lieder (elle le fut aussi pour bien d'autres écrivains: Cowley, La Fontaine, Milton...), soulignait l'exceptionnel engouement quelle suscita chez les traducteurs (près de 500 [1] Cf. K. Muas (1926: 68-92). Obras protegidas por direitos de autor

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I/ART ET LE VIVANT HORACE : ODE À PYRRHA

Loris CALLEBAT l'Hîrersité de Caen

Quis multa gracilis le puer in rosa perfusus liquidis urgel odoribus grato, Pyrrha, sub antro? cui flauam religas comam,

Simplex munditiis? heu quotiens fidem mutaiosque deus llebit et aspera nigris acquora uentis emirabitur insolens

qui nunc te fruilur. credulus, aurea, qui semper uacuam. scmper amabilem sperat, nescius aurae fallacis ! Miseri quibus

intemptata niies. Me tabula sacer uotiua paries indicat uuida suspendisse potenti uestimenta maris deo

I NTRODUISANT le commentaire qu'il proposai! d e l'Ode 5 du livre 1 d'Horace, ode dite - à Pyrrha-, Viklor Pôschl ( 1 9 7 0 : 20-28) , rappelait la référence qu'en donnait Goethe 1 c o m m e source d'inspiration d'un de ses lieder (elle le fut

aussi pour bien d'autres écrivains: Cowley, La Fontaine, Milton.. . ) , soulignait l'exceptionnel engouement q u e l l e suscita chez les traducteurs (près de 500

[1] Cf. K. Muas (1926: 68-92).

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versions) (R. Storrs, 1959), mais la rareté aussi des commentaires qui lui furent consacrés. La séduction même exercée par cette oeuvre induit à s'interroger cepen­dant sur la nature de cet attrait, sur les fondements (artistiques, théoriques, moraux) qui le déterminent, sur l'éventuel message aussi que le poème implique.

Je placerai cette étude dans une double perspective : celle, d'une part, des réactions personnelles d'un lecteur qui cherche à reconnaître, par une enquête, non pas érudite, mais intéressée, ce qu'il aime et s'approprie dans une œuvre, dans ses thèmes, dans son traitement par l'auteur; celle, d'autre part, de l'analyste pour qui la séduction exercée relève d'une utilisation spécifique des structures du langage, utilisation elle-même soumise à une préhension particulière de l'art et du monde.

L'intérêt qu'éveille I' -ode à Fyrrha- est, pour le lecteur, celui d'abord, esthète et sensible, d'une histoire d'amour, saisie à travers quelques tableaux et esquisses qui en suggèrent, sans didactisme, les séductions, les illusions ou incertitudes et les souffrances.

Un environnement de douceur sensuelle entoure le premier tableau, qui est celui des séductions de l'amour. Les composantes de ce cadre convergent vers la représentation d'une plénitude harmonieuse : jeunesse des amants (choix de puer, caractérisé par gracilis, - mince -, «élancé-, qui accentue l'idée de jeunesse; coiffure favorite des jeunes filles romaines pour Pyrrha, qui rejette, en les nouant en arrière, ses cheveux); parfums (liquidis odoribus) : couleurs: flauam déno­tant l'or de la chevelure de Pyrrha, dont le nom même évoque le feu ; abon­dance de fleurs: multa rosa, -dans une profusion de roses-. Le singulier renvoie, dans ce groupe, à la fois à un effet de naïveté (par référence aux emplois de ce type dans la langue paysanne) et à une vision individualisante de poète. La rose elle même est la fleur préférée de Vénus (L. Callebai, 1992 : 21-29), symbole de réjouissances et d'une vie agréable et heureuse. L'intimité des amants dans l'abri d'une grotte, dont l'adjectif grato à la fois dénote le charme et connote la perception qu'en a le jeune couple, est déjà suggérée par l'ordonnance des mots du premier vers: le pronom te, qui désigne la jeune fille, est inséré entre les deux termes (qualificatif et substantif : gracile puer) qui s'appliquent à son partenaire. Et le groupe ainsi formé est encadre lui-même dans le paysage idéal de la rencontre: multa [...] in rosa. Paysage idéal sans doute, tel qu'en peindra plus tard Watteau, mais qu'en peignaient déjà les peintres campaniens, et nulle­ment étranger à la réalité de la civilisation romaine : il fut celui, en effet, qui inspira nombre de jardins romains conçus comme une représentation sublimée de la nature (P. Grimai, 1969 (1949))- La vision esthète, fugitive, de Pyrrha nouant sa chevelure eût pu être l'esquisse d'un tableau tel que celui de la -Jeune fille aux parfums · de la Farnésine. Et c'est encore un trait vivant de civilisation que rappelle l'évocation des parfums, très en vogue auprès de la jeunesse élégante de l'époque augustéenne et impériale.

Le geste de Pyrrha nouant sa chevelure, rappel possible d'une attitude aimée, source de nostalgie ou de souffrance, détermine un glissement de l'énoncé vers

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le locuteur-, en retrait clans la première scène qu'envahissait le paysage, mais dont les signes de présence étaient déjà perceptibles dans l'emploi répété du pronom (quis, eut) interrogeant sur l'identité — d a n s une fonction d'abord incer­taine: curiosité mondaine? inquiétude jalouse?— et par l'apostrophe directe (pronom te, puis désignation cognitive : Pyrrha).

Le glissement vers c e nouveau plan cle représentation passe par le rejet : simplex munditiis. -simple dans ses raffinements", oxymore^ qui. à un premier niveau de lecture, transcrit une appréciation esthète et l'imprégnation aussi d'un contexte cle civilisation : celui d'une société sensible à la légèreté élégante et au raffinement imutiditiis capimur, écrit Ovide (tf /N.3-313) en prélude à une longue description des coiffures féminines). Mais l'oxymore introduit également un doute sur la personnalité authentique de la femme aimée. C'est ainsi par un enchaîne­ment affectif, marqué par le non dit. qu'est ouvert un second plan cle représen­tation : celui des illusions cle l'amour, l 'n soupir résume la nature d e cet enchaînement thématique : heu ! expression de la douleur. Cette transition par enchaînement n'exclut pas cependant un elfet de rupture, conséquence d e l'asyn-dète, de la situation cle heu après la coupe et de l'introduction d'un terme à connotation morale : ficies. dénotation communément appliquée en latin à un engagement réciproque, solennel, mais valorisé aussi par la poésie catullienne c o m m e expression de la foi donnée et de la fidélité en amour. Il amène ici. par association, le syntagme mutâtes deos, qui recrée le groupe usuel liant le parti­cipe de mutare au pluriel ô'animus {mutatis attimis). Dans cette seconde strophe, où les enjambements prolongent l'effet initial de plainte dont l'exclamation hetts porte la charge et où la souffrance se matérialise dans les pleurs (jlebit), la notion d e foi trahie, d'abord énoncée sous une forme abstraite, se trouve immédiate­ment recouverte et transposée par l'image. Oflert à une actualisation à la fois abstraite ( c e qui est mauvais, ce qui fait mal) et concrète ( c e qui est raboteux, hérissé), aspera assurait la fusion d e ces deux modes d'énoncé. L'image évoquée dans cette phrase, à laquelle les enjambements donnent un mouvement enve­loppant, est celle de la tempête, thème traditionnel clans la poésie latine depuis Enntus, image symbolique aussi d'une vie tourmentée et de l'agitation des passions. Le relief du tableau, en opposition avec la représentation harmonieuse et paisible de la grotte abritant les amants, est accentué par un effet de contraste : contraste entre le caractérisant aspera. qualifiant la mer hérissée de vagues, et cteqttor, qui s'applique proprement à une surface plane et identifie chez les poètes la - plaine de la mer-. Cet effet d'opposition est lui même souligné par la disjonction établie entre aeqttora et son caractérisant, par l'entrelacement aussi à ces deux mots d'une nouvelle image, en m ê m e temps abstraite et concrète, également vivifiée

|2| J e retiens ici le t e r m e cle - locuteur - qui permet d e signifier la distanciation à établir entre le p o è t e m ê m e et s o n œ u v r e , quelle q u e soit l'implication cle l'auteur clans cet te œ u v r e . 131 N o u s reviendrons iiifm sur l ' importance cle c e t t e ti^ure.

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par une disjonction : nigris uentis. La vision matérielle qu'appelle cette expres­sion est celle de l'orage"1, souvent associée à celle d'une mer déchaînée1*. Sa fonc­tion abstraite est l'évocation du malheur et de la mort (nigra bora, chez Tibulle 6).

Le mouvement de l'énoncé est ici affectif. C'est après seulement te tableau projeté de la mer en tempête, et suivant l'ordre même des sensations perçues, qu'est consignée, par un verbe de sens fort, l'impression ressentie : emirabitur, création d'Horace, à partir du verbe ni ira ri et du préverbe e(x) à valeur inten­sive accusant, après le rêve, l'effet d'inattendu.

L'emploi du futur, déjà attesté, au second vers de la strophe, dans l'emploi de flebii, signale la présence d'un locuteur qui, insensiblement, occupe la scène et oriente l'énoncé : un message est transmis, qui donne au texte une valeur exemplaire, porte un conseil moral que fonde l'expérience. Insolens, dont l'effet de sens est, dans ce contexte, celui de - qui n'a pas l'habitude-, de - novice», • naïf-, suggère ainsi une intervention de «celui qui sait», intervention explica­tive et affective, nuancée de commisération, prolongée par credulus. au premier vers de la troisième strophe et. dans la dernière strophe, par intemptata, (- qui n'a pas été mis à l'épreuve-).

Marquée par un retour au présent, cette troisième strophe ne restitue nulle­ment le moment idyllique de la scène initiale: le présent, dont sont encore perçues cependant, avec acuité, les sensations de plaisir et de beauté (fruitur fait écho à urgel ; atirca connote, comme flatta m, éclat et beauté ; uaciiam implique disponibilité, don de soi ; amabilem résume ces valeurs: -digne d'être aimée»), n'est ici posé qu'en référence à un avenir incertain. L'inanité même du rêve entrevu est soulignée par le relief accordé à sperai, devant la coupe et en correspon­dance verticale avec fallacis, adjectif de caractère abstrait, mais incarné dans la vieille comparaison de l'instabilité des valeurs d'amour avec la brise.

Déjà suggérée dans la répétition, insistante et impatiente, du relatif à l'initiale des deux premiers vers de la strophe, l'implication du locuteur au thème traité s'affirme dans le court énoncé en enjambement : Miseri quibus intemptata nites, énoncé dont la fonction est celle d'un message de portée universelle, mais dont l'expression affective (phrase exclamative introduite par miseri ; rappel obses­sionnel des séductions de l'amour : nites, et de leurs incertitudes que. seule, révèle l'expérience : intemptata, probable création qui se retrouve chez Tacite) recentre l'éclairage sur le locuteur, en effaçant d'abord, dans une perspective élargie, le personnage du puer.

Une dimension nouvelle est ainsi donnée à la mise en scène commentée de la rencontre d'un couple. Elle est celle d'une expérience humaine, vécue par le locuteur, et génératrice d'une leçon personnelle, philosophique et humaine.

U] Cf. VLRC;. Ci. 3 278-2"9: nigerrimus Auster / nascitur cl pluuio contristat frigore caelum. \=>\ Cf. CATH. 68b. 6 3 ; Luc. 5. 564-565. Voir L. Callebat (2003 : 62-63). 161 Cf. TIB. 1. 3. 4 -5 ; 3- 5. 5.

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première décantation. La récurrence des strophes, construites sur un schéma iden­tique, et dont sont exclues les substitutions rythmiques, accuse l'effet itératif des séquences, impose une cohérence de base au message, établit une contiguïté prolongée entre ses constituants.

C'est en s'appuyant sur la cohérence m ê m e cle cette structure contraignante, mais en s'écartant aussi, dans la limite des lois rythmiques imposées, de ses schèmes conventionnels, en construisant un réseau complexe de correspon­dances. qu'Horace a écrit un poème qui n'est pas seulement une nostalgique histoire d'amour, mais qui assume surtout une fonction de recréation du langage poétique ouverte sur une vision spécifique cle l'homme et du monde.

L'ne ligne de force est d'abord tendue dans le texte, appuyée sur deux points parallèles du schéma métrique récurrent. Elle établit une relation privilégiée entre deux protagonistes identifiés à la première et à la seconde personne du pronom personnel : te (i.e. Pyrrha), mis en relief par sa position après la diérèse du premier vers cle la première strophe: me, occupant une position identique au premier vers de la dernière strophe. Traversant Iode entière, cette ligne relationnelle centre l'axe actantiel du texte sur une figure féminine. Pyrrha. dont l'image proposée est celle essentiellement que réfléchit le moi du locuteur. La fonction d'agent du puer se révèle en regard éphémère : etfet du passage de la cliathèse externe, urget. à la diathèse interne < emirabitur. fruitttr). et de la charge sémantique passive de Jlehit et de sperat, transformant la fonction active en rêve d'action, avant que la généralisation, miseri ne marque l'effacement total du puer.

La représentation elle même est située clans le temps, à partir également de points de repère métriques analogues. Au deuxième vers de chacune des quatre strophes, est placée, après la diérèse, une dénotation temporelle : urget. présent de valeur ponctuelle, au vers 2 : jlehit, futur prophétique, au vers 6 ; semper. atemporel, au vers 1 0 ; indicat. présent cluratif. en relation avec un perfectum, suspendisse, au vers U . Les oscillations marquées dans le système temporel, dont les futurs d'avertissement constituent le nœud et où le seul perfectum utilisé, suspendisse, signe apparent d'apaisement des passions, se trouve mcxlifié par l'hypotaxe qui en affaiblit l'effet de complétude. accusent le caractère émotif de l'énoncé, plus nettement explicité par les deux termes exclamatifs, heu et credu-lus. également mis en relief, dans une position analogue, au premier vers de le deuxième strophe et au premier vers de la troisième. Les écarts rythmiques enchaî­nés accentuent encore cet effet: rejet (simplex munditiis). rallonges (strophe 3*. enjambements, dont l'eltet peut être pittoresque (ainsi c o m m e suggestion du gros­sissement de la tempête, dans l'enjambement du vers 2 sur le vers 3 de la seconde strophe), mais fonctionnant essentiellement c o m m e (acteur de déséquilibre des vers et des strophes.

L'ensemble du poème se trouve ainsi situé sur un plan actantiel et temporel qui n'est pas celui d'une pure construction esthète ou d'une réflexion morale, mais relève d'abord du discours" au sens défini par Benveniste ( 1 9 6 6 : 2-ïl ss.) d'une • énonciation supposant un locuteur et un auditeur, et, chez le premier.

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mais niées par le caractérisant credulus et le choix fait, en fin du vers 3 d'un mot paronyme de aurea, aurai*, symbole de la fragilité, de l'éphémère. Nites enfin rappelle une fois encore l'éclat de la beauté, mais participe du processus de modulation par lequel est à la fois rejetée (effet négatif de intemptata) et toujours obsédante l'image de la femme aimée.

Pour construire ce langage polysémique et enrichir le vocabulaire utilisé d'une force et d'une vie nouvelles, Horace propose dans VÉpitre aux Pisons^ un art nouveau à la fois d'enchaînement et d'isolement des mots ; la callida iunctura. Convergeant avec les procédures étudiées supra, cette - alchimie du verlx? · s'ap­puie plus particulièrement sur deux types de structures : la relation tout d'abord établie entre dissociation et diffusion ; l'oxymore d'autre part.

La première structure est celle de la constaiction d'une mosaïque de mots dont chaque pièce à la fois conserve, par sa place, son propre éclat et le diffuse de proche en proche, mais en réfléchissant à son tour l'éclat des autres. Cette construction peut être analysée dans la première strophe de l'ode : dissociés par l'interposition de urget. l'adjectif liquidis et le substantif odoribus isolent ainsi deux composantes distinctes, dont l'une, liquidis, relève d'une perception visuelle et l'autre, odoribus, transcrit une perception surtout olfactive. La relation gram­maticale rapprochant les deux éléments détermine une recomposition par inter­pénétration et ouvre un nouveau plan de représentation: parfum du fluide, fluidité et évanescence de l'odeur, linserré entre ces deux mots, le verbe urget, qui dénote à un premier niveau l'ardeur amoureuse (emploi courant dans le langage erotique), est lui même contaminé par la proximité de liquidis qui. impliquant la notion d'écoulement (πάντα ρεΤ). l'infléchit vers une autre acception, familière à Horace, celle de l'emprise du temps. Cet effet de fluidité, d'écoulement, de dissolution était déjà suggéré dans le premier vers de la strophe où la notion de profusion établie à l'initiale par multa se trouvait immédiatement affaiblie par l'adjectif graci-lis, porteur du sème - frêle-, caractérisation prolongée par rosa, fleur de l'éphé­mère, puis par perfusus, porteur de la notion de profusion, mais aussi d'écoulement. L'autonomie et l'entrelacement des mots tendent, dans ces staictures, à abolir les pourtours nettement définis des choses pour recréer une réalité complexe, plurielle et fluide. Le mot poétique devient substitut authentique de la réalité.

La seconde structure est celle des anomalies combinatoires, plus particulière­ment de l'oxymore, alliance de termes contradictoires, créatrice d'une réalité nouvelle. Un projet esthétique peut orienter sans doute le choix de ces alliances: recherche d'artiste peignant par touches contrastées (aspera aeqnora), suggérant l'harmonie d'une dissonance (simp/ex munditiis). Mais l'oxymore tend à révéler aussi, et plus profondément, la contradiction perpétuelle de l'existence humaine, l'ambiguïté des comportements et des attitudes, les incertitudes entre l'être et du paraître, entre la vision perçue des choses et leur signification authentique.

[ 8 1 Cf. HOK.. Ars -i(> s.v Sur le c o n c e p t d e callicUi Imicfum, voir M . Ruch 11963: 2·ι6-269ι.

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Évoquant avec finesse, sensualité, humanité les séductions, illusions, et souf­frances de l'amour, l'Ode à Pyrrha révèle, à l'analyse, un travail conscient, savamment élaboré d'artiste, nourri par une réflexion personnelle, approfondie, sur le langage, ambitionnant de construire ce qui, en d'autres temps, sera défini comme - l'alchimie du verbe •·. Cette construction sur le langage, qui à la fois isole et enchaîne, se révèle elle même fondée sur une vision spécifique du monde, assurément largement ouverte à ses séductions, mais oscillant également entre des pôles contraires, entre flux et reflux (Ep. 1.1.99), et entraînant en consé­quence ambiguïtés et doutes.

L'Ode à Pyrrha est beaucoup plus qu'une simple histoire d'amour. Pièce toute imprégnée de vie, mais fruit d'un travail très conscient et élaboré, cette ode porte un témoignage exceptionnel sur la complexité des attitudes humaines, sur les fausses apparences du réel, sur ses contradictions, sur la vocation enfin et la capacité du langage poétique à découvrir le - mystère des choses

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