Blanchot - L'EÌcriture du desastre

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MAURICE

BLANCHOT

L'CRITURE DU DSASTRE

G A L L I M A R D

Il a t tir de l'dition orignale de cet ouvrage vingt exemPlaires sur vlin d'Arches Aromari-Prioux numrots de 1 20.

ditons Gamrd, 1980.

Le dsastre ruine tout en laissant tout en l'tat. Il n'at teint pas tel ou tel, je ne suis pas sous sa menace. C'est dans la mesure o, pargn, laiss de ct, le dsastre me menace qu'il menace en moi ce qui est hors de moi, un autre que moi qui deviens passivement autre. Il n'y a pas atteinte du dsastre. Hors d'atteinte est celui qu'il menace, on ne saurait dire si c'est de prs ou de loin - l'infni de la menace a d'une certaine manire rompu toute limite. Nous sommes au bord du dsastre sans que nous puissions le situer dans l'avenir : il est plutt toujours dj pass, et pourtant nous sommes au bord ou sous la menace, toutes f o n u l a rions qui impliqueraient l'avenir si le dsastre n'tait ce qui ne vient pas, ce qui a arrt toute venue. Penser le dsastre (si c'est possible, et ee n'est pas possible dans la mesure o nous pressentons que le dsastre est la pen se), c'est n'avoir plus d'avenir pour le penser. Le dsastre est spar, ce qu'il y a de plus spar. Quand le dsastre surient, il ne vient pas. Le dsastre est son imminence, mais puisque le futur, tel que nous 7

le concevons dans l'ordre du temps vcu, appartient au dsastre, le dsastre l'a toujours dj retir ou dissad, il n'y a pas d'avenir pour le dsastre, comme il n'y a pas de temps ni d'espace o il s'accomplisse.

Il ne croit pas au dsastre, on ne peut y croire, que l'on vive ou que l'on meure. Nulle f o i qui soit sa mesure, et en mme temps une sorte de dsintrt, dsintress du dsastre. Nuit, nuit blanche - ainsi le dsastre, cette nuit laquelle l'obscurit manque, sans que la lumire l'claire.

Le cercle, droul sur une droite rigoureusement pro longe, reforme un cercle ternellement priv de centre.

La fausse unit, le simulacre d'unit la compro mettent mieux que sa mise en cause directe qui au reste n'est pas possible.

crire, serait-ce, dans le livre, devenir lisible pour cha cun, et, pour soi-mme, indchifrable? (abs ne nous l'a-t-il pas presque dit?)

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Si le dsastre signife tre spar de l'toile (le dclin qui marque l'garement lorsque s'est interrompu le rapport avec le hasard d'en haut), il indique la chute sous la ncessit dsastreuse. La loi serait-elle le dsastre, la loi suprme ou extrme, l'excessif de la loi non codifable : ce quoi nous sommes destins sans tre concer ns? Le dsastre ne nous regarde pas, il est l'illimit sans regard, ce qui ne peut se mesurer en t e r e d'chec ni comme la perte pure et simple. Rien ne s u f t au dsastre; ce qui veut dire que, de mme que la destruction dans sa puret de ruine ne lui convient pas, de mme l'ide de totalit ne saurait mar quer ses limites : toutes choses atteintes et dtruites, les dieux et les hommes reconduits l'absence, le nant la place de tout, c'est trop et trop peu. Le dsastre n'est pas majuscule, il rend peut-tre la mort vaine; il ne se superpose pas, tout en y supplant, l'espacement du mourir. Mourir nous donne parfois ( tort, sans doute) le sentiment que, si nous mourions, nous chapperions au dsastre, et non pas de nous y abandonner - d'o l'illusion que !c slicide libre (mais la conscience de l'illusion ne la djss!pe pas? ne nous laisse pas nous en dtourner). Le dsastre dont il faudrait attnuer - en la renforant - la couleur noire, nous expose une cer taine ide de la passivit. Nous sommes passifs par rap port au dsastre, mais le dsastre est peut-tre la passi vit, en cela pass et toujours pass. 9

Le dsastre prend soin de tout.

Le dsastre : non pas la pense devenue folle, ni peuttre mme la pense en tant qu'elle porte toujours sa folie.

Le dsastre nous tant ce refuge qu'est la pense de la mort, nous dissuadant du catastrophique ou du tra gique, nous dsintressant de tout vouloir comme de tout mouvement intrieur, ne nous p e r e t pas non plus de jouer avec cette question : qu'as-tu fait pour la connaissance du dsastre?

Le dsastre est du ct de l'oubli; l'oubli sans mmoire, le retrait immobile de ce qui n'a pas t trac - l'imm morial peut-tre; se souvenir par oubli, le dehors nouveau.

Est-ce que tu as soufert pour la connaissance? Cela nous est demand par Nietsche, condition que10

nous ne nous mprenions pas sur le mot soufrance : le subissement, le pas du tout fait passif en retrait par rapport toute vue, tout connatre. A moins que la connaissance ne nous porte, ne nous dporte, tant connaissance non pas du dsastre, mais comme dsastre et par dsastre, frapps par elle, cependant non tou chs, face face avec l'ignorance de l'inconnu, ainsi oubliant sans cesse.

Le dsastre, souci de l'infme, souverainet de l'acci dentel. Cela nous fait reconnatre que l'oubli n'est pas ngatif ou que le ngatif ne vient pas aprs l ' a f r a tion ( a f r a t i o n nie), mais est en rapport avec ce qu'il y a de plus ancien, ce qui viendrait du fond des ges sans jamais avoir t donn.

Il est vrai que, par rapport au dsastre, on meurt trop t r d . Mais cela ne nous dissuade pas de mourir, cela nous invite, chappant au temps o il est toujours trop tard, supporter la mort inopportune, sans rapport avec rien que le dsastre comme retour.

Jamais du, non par faute de dception, malS la dception tant toujours insufsante.11

Je ne dirai pas que le dsastre est absolu, au contraire il dsoriente l'absolu, il va et vient, dsarroi nomade, pourtant avec la soudainet insensible mais intense du dehors, comme une rsolution irrsistible ou imprvue qui nous viendrait de l'au-del de la dcision.

Lire, crire, comme on vit sous la sureillance du dsastre : expos la passivit hors passion. L'exalta tion de l'oubli. Ce n'est pas toi qui parleras; laisse le dsastre parler en toi, ft-ce par oubli ou par silence.

Le dsastre a dj dpass le danger, mme lorsque nous sommes sous la menace de - . Le trait du dsastre est qu'on n'y est jamais que sous sa menace et, comme tel, dpassement du danger.

Penser, ce serait nommer (appeler) le dsastre comme arrire-pense. Je ne sais comment j'en suis venu l, mais il se peut que j'en arrive la pense qui conduit se tenir dis tance de la pense; car elle donne cela: la distance. Mais12

aller au bout de la pense (sous l'espce de cette pense du bout, du bord), n'est-ce pas possible seulement en changeant de pense? De l cette injonction : ne change pas de pense, rpte-la, si tu le peux.

Le dsastre est le don, il donne le dsastre: c'est comme s'il passait outre l'tre et au non-tre. Il n'est pas avnement (le propre de ce qui arrive) - cela n'arrive pas, de sorte que je n'en arrive mme pas cette pen se, sauf sans savoir, sans l'appropriation d'un savoir. Ou bien est-il avnement de ce qui n'arrive pas, de ce qui viendrait sans arive, hors tre, et comme par drive? Le dsastre posthume?

Ne pas penser: cela, sans retenue, avec excs, dans la fuite panique de la pense.

Il se disait : tu ne te tueras pas, ton suicide te prcde. Ou bien : il meurt inapte mourir .

L'espace sans limite d'un soleil qui tmoignerait non pour le jour, mais pour la nuit libre d'toiles, nuit multiple.13

q Connais quel rthme tient les hommes. (Archiloque.) Rythme ou langage. Promthe : ( Dans ce rthme, je suis pris . Confguration changeante. Qu'en est-il du rythme? Le danger de l'nigme du rythme.

q A moins que n'existe l'esprit de quiconque a rv les humains jusqu' soi rien qu'un compte exact de purs moti rthmiques de l'tre, qui en sont les reconnaissables signes. (Mallarm.)

Le dsastre n'est pas sombre, il librerait de tout s'il pouvait avoir rapport avec quelqu'un, on le connatrait en terme de langage et au terme d'un langage par un gai savoir. Mais le dsastre est inconnu, le nom inconnu pour ce qui dans la pense mme nous dissuade d'tre pens, nous loignant par la proximit. Seul pour s'ex poser la pense du dsastre qui dfait la solitude et dborde toute espce de pense, comme l'afrmation intense, silencieuse et dsastreuse du dehors.

Une rptition non religieuse, sans regret ni nostalgie, retour non dsir; le dsastre ne serait-il pas alors rp14

tltIOn, afrmation de la singularit de l'extrme? Le dsastre ou l'invrifable, l'impropre.

Il n'y a pas de solitude si celle-ci ne dfait pas la soli tude pour exposer le seul au dehors multiple.

L'oubli immobile (mmoire de l'immmorable) : en cela se d-crit le dsastre sans dsolation, dans la passi vit d'un laisser-aller qui ne renonce pas, n'annonce pas, sinon l'impropre retour. Le dsastre, nous le connaissons peut-tre sous d'autres noms peut-tre joyeux, dclinant tous les mots, comme s'il pouvait y avoir pour les mots un tout.

Le calme, la brlure de l'holocauste, l'anantissement de midi - le cale du dsastre .

.

Il n'est pas exclu, mais comme quelqu'un qui n'entre rait plus nulle part.

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Pntr par la passive douceur, ainsi il a comme un pressentiment - souvenir du dsastre qui serait la plus douce imprvision. Nous ne sommes pas contemporains du dsastre : c'est l sa difrence, et cette difrence est sa menace fraternelle. Le dsastre serait en plus, en trop, excs qui ne se marque qu'en impure perte.

Dans la mesure o le dsastre est pense, il est pense non dsastreuse, pense du dehors. Nous n'avons pas accs au dehors, mais le dehors nous a toujours dj touchs la tte, tant ce qui se prcipite. Le dsastre, ce qui se dstend, la dstendue sans l'astreinte d'une destruction, le dsastre revient, il serait toujours le dsastre d'aprs le dsastre, retour silencieux, non ravageur, par o il se dissimule. La dissimulation, efet de dsastre.

Mais il ny a, mes yeux, de grandeur que dans la dou ceur. (S.W.) Je dirai plutt: rien d'extrme que par la douceur. La folie par excs de douceur, la folie douce. Penser, s'efacer: le dsastre de la douceur.

Il n'est d'exPlosion qu'un livre. (Mallarm.) 16

Le dsastre inexpriment, ce qui se soustrait toute possibilit d'exprience - limite de l'criture. Il faut rpter : le dsastre d-crit. Ce qui ne signife pas que le dsastre, comme force d'criture, s'en exclue, soit hors criture, un hors-texte.

C'est le dsatre obscur qui porte la lumire.

L'horreur - l'honneur - du nom qui risque toujours de devenir sur-nom, vainement repris par le mouvement de l ' a n o n y e : le fait d'tre identif, unif, fx. arrt dans un prsent. Le commentateur - critique, louanged i t : c'est cela que tu es, que tu penses; la pense d'cri: ture, toujours dissuade, attendue par le dsastre, voici qu'elle est rendue visible dans le nom, surnomme, et comme sauve, pourtant livre la louange ou la critique (c'est le mme), c'est--dire promise une sur vie. Le charnier des noms, l s ttes jamais vides.

Le fragmentaire, plus que l'instabilit (la non-fation), promet le dsarroi, le dsarrangement.17

Schleiermacher : en produisant une uvre, je renonce me produire et me formuler moi-mme, m'accomplissant en quelque chose d'extrieur et m'inscrivant dans la continuit anonyme de l'humanit - d'o le rapport u v e d'art et rencontre avec la mort : dans les deux cas, nous nous approchons d'un seuil prilleux, d'un point crucial o nous sommes brusquement retours. De mme, Frdric Schlegel : aspiration se dissoudre dans la mort : L'humain est partout le plus haut, et plus haut mme que le divin . Passage la limite. Il reste possible que, ds que nous crivons et si peu que nous crivions - le peu est seulement de trop - , nous sachions que nous approchons de la limite - le seuil prilleux - o le retournement est en jeu. Pour Novalis, l'esprit n'est pas agitation, inquitude, mais repos (le point neutre sans contradiction), pesan teur, lourdeur, Dieu tant d'un mtal infniment compact, le plus lourd et le plus corporel de tous les tres. L'artiste en immortalit doit travailler l'accomplissement du zro o me et corps deviennent mutuellement insensibles. L'apathie, disait Sade .

La lassitude devant les mots, c'est aussi le dsir des mots espacs, rompus dans leur pouvoir qui est sens, et dans leur composition qui est syntaxe ou continuit du 18

systme ( condition que le systme ait t en quelque sorte pralablement achev, et le prsent, accompli). La folie qui n'est jamais de maintenant, mais le dlai de la non-raison, le il sera fou demain , folie dont on ne doit pas se serir pour en agrandir, alourdir ou all ger la pense.

La prose bavarde : le babil de l'enfant, et pourtant l'homme qui bave, l'idiot, l'homme des l a r e s , qui ne se retient plus, qui se relche, sans mots lui aussi, dnu de pouvoir, mais tout de mme plus proche de la parole qui coule et s'coule, que de l'criture qui se retient, ft-ce au-del de la matrise. En ce sens, il n'y a silence qu'crit, rsere dchire, entaille qui rend impossible le dtail.

Pouvoir = chef de groupe, il drive du dominateur. Macht, c'est le moyen, la machine, le fonctionnement du possible. La machine dlirante et dsirante essaie en vain de f i r e fonctionner le non-fonctionnement; le nonpouvoir ne dlire pas, il est toujours dj sorti du sillon, du sillage, appartenant au dehors. Il ne s u f t pas de dire (pour dire le non-pouvoir) : on a le pouvoir, condi tion de n'en pas faire usage, car c'est la dfnition de la divinit; l'abstention, l'loignement de la tenue, n'est pas sufsante, si elle ne pressent pas qu'elle est, par19

avance, signe du dsastre. Seul le dsastre tient dis tance la matrise. Je souhaite (par exemple) un psycha nalyste qui le dsastre ferait signe. Pouvoir sur l'ima ginaire, condition d'entendre l'imaginaire comme ce qui se drobe au pouvoir. La rptition comme nonpouvoir .

Nous avons constamment besoin de dire (de penser) : il m'est arriv l quelque chose (de trs important), ce qui veut dire en mme temps, cela ne saurait tre de l'ordre de ce qui arrive, ni de l'ordre de ce qui importe, mais plutt exporte et dporte. La rptition .

Chez certains sauvages (socit sans tat), le chef doit prouver sa domination sur les mots: pas de silence. En mme temps, la parole du chef n'est pas dite pour tre coute - personne ne prte attention la parole du chef, ou plutt on feint l'inattention; et le chef, en efet, ne dit rien, rptant comme la clbration des normes de vie traditionnelles. A quelle demande de la socit primitive rpond cette parole vide qui mane du lieu apparent du pouvoir? Vide, le discours du chef l'est justement parce qu'il est spar du pouvoir - c'est la socit elle-mme qui est le lieu du pouvoir. Le chef doit se mouvoir dans l'lment de la parole, c'est--dire l'oppos de la violence. Le devoir de parole du chef,20

ce fux constant de parole vide (non vide, traditionnelle, de transmission) qu'il doit la tribu, c'est la dette infnie, la garantie qui interdit l'homme de parole de deve nir homme de pouvoir.

Il Y a question, et cependant nul doute; il Y a question, mais nul dsir de rponse; il Y a question, et rien qui puisse tre dit, mais seulement dire. Questionnement, mise en cause qui dpasse toute possibilit de question.

Celui qui critique ou repousse le jeu est dj entr dans le jeu.

Comment peut-on prtendre : Ce que tu ne sais en aucune manire, en aucune manire ne saurait te tour menter? Je ne suis pas le centre de ce que j'ignore, et le t o u r e n t a son savoir propre qui recouvre mon ignorance. .

Le dsir : fais que tout soit plus que tout et reste le tout.21

crire peut avoir au moins ce sens: user les erreurs. Parler les propage, les dissmine en faisant croire une vrit. Lire: ne pas crire; crire dans l'interdiction de lire. crire: refser d'crire - crire par refus, de sorte qu'il s u f t qu'on lui demande quelques mots pour qu'une sorte d'exclusion se prononce, comme si on l'obligeait surivre, se prter la vie pour continuer mourir. crire par dfaut.

Solitude sans consolation. Le dsastre immobile qui pourtant s'approche.

Comment pourrait-il y avoir un devoir de vivre? La question plus srieuse : le dsir de mourir serait trop fort pour se satisfaire de ma mort comme de ce qui l'puiserait, et il signife paradoxalement : que les autres vivent sans que la vie leur soit une obligation. Le dsir de mourir libre du devoir de vivre, c'est--dire a cet efet qu'on vit sans obligation (mais non sans respon sabilit, la responsabilit tant au-del de la vie).

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L'angoisse de lire: c'est que tout texte, si important, si plaisant et si intressant qu'il soit (et plus il donne l'im pression de l'tre), est vide - il n'existe pas dans le fond; il faut franchir un abme, et si l'on ne saute pas, on ne comprend pas.

Le myStICIsme de Wittgenstein, en dehors de sa confance dans l'unit, viendrait de ce qu'il croit que l'on peut montrer l o l'on ne pourrait parler. Mais, sans langage, rien ne se montre. Et se taire, c'est encore par ler. Le silence est impossible. C'est pourquoi nous le dsirons. criture (ou Dire) prcdant tout phnomne, toute manifestation ou monstration : tout apparatre.

Ne pas crire - quel long chemin avant d'y parvenir, et cela n'est jamais sr, ce n'est ni une rcompense ni un chtiment, il faut seulement crire dans l'incertitude et la ncessit. Ne pas crire, efet d'criture; comme une marque de la passivit, une ressource du malheur. Que d'eforts pour ne pas crire, pour que, crivant, je n'crive pas, malgr tout - et fnalement je cesse d'crire, dans le moment ultime de - concession; non pas dans le dsespoir, mais comme l'inespr : la faveur du dsastre. Le dsir non satisfait et sans satisfaction et cependant sans ngatif. Rien de ngatif dans ne pas crire, l'intensit sans matrise, sans souverainet, l'obsession du tout fait passif.23

Dfaillir sans faute: marque de la passivit.

Vouloir crire, quelle absurdit : crire, c'est la dchance du vouloir, comme la perte du pouvoir, la chute de la cadence, le dsastre encore.

Ne pas crire: la ngligence, l'incurie n'y sufsent pas; l'intensit d'un dsir hors souverainet peut-tre - un rapport de submersion avec le dehors. La passivit qui p e n e t de se tenir dans la familiarit du dsastre. Il met toute son nergie ne pas crire, pour que, crivant, il crive par dfaillance, dans l'intensit de la dfaillance.

Le non-manifeste de i'angoisse. Angoiss, tu ne le serais pas.

Le dsastre, c'est ce qu'on ne peut pas accueillir, sauf comme l'imminence qui gratife, l'attente du nonpOUVOIr.24

Que les mots cessent d'tre des a r e s , des moyens d'action, des possibilits de salut. g' en remettre au dsar roi. Quand crire, ne pas crire, c'est sans importance; alors l'criture change - qu'elle ait lieu ou non; c'est l'criture du dsastre.

Ne nous confons pas l'chec, ce serait avoir la nos talgie de la russite.

Au-del du srieux, il y a le jeu, mais au-del du jeu, cherchant ce qui djoue : le gratuit, auquel on ne peut se drober, le casuel sous lequel je tombe, toujours dj tomb. Il passe des jours et des nuits dans le silence. C'est la parole, cela.

Dtach de tout, y compris de son dtacheIeit.

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Une ruse du m o i : sacrifer le moi empirique pour prs e r e r un Je transcendantal ou formel, s'anantir pour sauver son me (ou le savoir, y compris le non-savoir).

Ne pas crire ne devrait pas renvoyer un ne pas vouloir crire , ni non plus, quoique cela soit plus ambigu, un Je ne puis pas crire qui la vrit marque encore, d'une manire nostalgique, le rapport d 'un je avec la puissance sous la forme de sa perte. Ne pas crire sans pouvoir, ce qui suppose le passage par l'criture.

O y a-t-il le moins de pouvoir? Dans la parole, dans l'criture? Quand je vis, quand je meurs? Ou bien quand mourir ne me laisse pas mourir.

Est-ce un souci thique qui t'loigne du pouvoir? Le pouvoir lie, le non-pouvoir dlie. Parfois le nonpouvoir est port par l'intensit de l'indsirable.

Sans certitude, il ne doute pas, il n'a pas l'appui du doute.26

La pense du dsastre, si elle n'teint pas la pense, nous rend insouciants l'gard des suites que peut avoir pour notre vie cette pense mme, elle carte toute ide d'chec et de russite, elle remplace le silence ordinaire, celui auquel manque la parole, par un silence part, l'cart, o c'est l'autre qui s'annonce en se taisant.

Retirement et non pas dveloppement. Tel serait l'art, la manire du Dieu d'Isaac Louria qui ne cre qu'en s'excluant.

crire est videmment sans importance, il n'importe pas d'crire. C'est partir de l que le rapport l'cri ture se dcide.

La question qui porte sur. le dsastre lui appartient dj : elle n'est pas interrogation, elle est prire, demande, appel au secours, le dsastre en appelle au dsastre pour que l'ide de salut, de rdemption, ne s'afrme encore, faisant pave, maintenant la peur. Le dsastre : contretemps.27

C'est l'autre qui m'expose l'unit , me faisant croire une singularit irremplaable, comme si je ne devais pas lui manquer, tout en me retirant de ce qui me rendrait unique : je ne suis pas indispensable, n'im porte qui est, en moi, appel par l'autre comme celui qui lui doit secours - le non-unique, le toujours subs titu. L'autre est .lui aussi toujours autre, cependant se prtant l'un, autre qui n'est ni celui-ci ni celui-l et, toutefois, chaque fois, le seul, qui je dois tout, y compris la perte de moi. La responsabilit dont je suis charg n'est pas la mienne et fait que je ne suis plus moi.

Sois patient. Parole simple. Elle exigeait beau coup. La patience m'a dj retir non seulement de ma part volontaire, mais de mon pouvoir d'tre patient : si je puis tre patient, c'est que la patience n'a pas us en moi ce moi o je me retiens. La patience m'ouvre de part en part jusqu' une passivit qui est le pas du tout fait passif , qui a donc abandonn le niveau de vie o passif serait seulement oppos actif : de mme que nous tombons en dehors de l'inertie (la chose inerte qui subit sans ragir, avec son corollaire, la spontanit vivante, l'activit purement autonome). c Sois patient. c Qui dit cela? Personne qui puisse le dire et personne28

qui puisse l'entendre. La patience ne se recommande ni ne s'ordonne: c'est la passivit du mourir par laquelle un moi qui n'est plus moi rpond de l'illimit du dsastre, cela dont nul prsent ne se souvient.

Par la patience, je prends en charge le rapport l'Autre du dsastre qui ne me permet pas de l'assumer, ni mme de rester moi pour le subir. Par la patience s'interrompt tout rapport de moi un moi patient.

Depuis que le silence imminent du dsastre immmo rial l'avait fait, a n o n y e et sans moi, se perdre dans l'autre nuit o prcisment la nuit oppressante, vide, jamais disperse, morcele, trangre, le sparait et le sparait pour que le rapport avec l'autre l'assiget de son absence, de son infni lointain, il fallait que la pas sion de la patience, la passivit d'un temps sans prsent - absent, l'absence de temps - ft sa seule identit, res treinte une singularit temporaire.

S'il Y a rapport entre criture et passivit, c'est que l'une et l'autre supposent l'efacement, l'extnuation du sujet : supposent un changement de temps : supposent qu'entre tre et ne pas tre quelque chose qui ne s'ac29

complit pas arrive cependant comme tant depuis tou jours dj s u r e n u - le dsuvrement du neutre, la rup ture silencieuse du fragmentaire .

La passivit: nous ne pouvons l'voquer que par un langage qui se renverse. Autrefois, j'en appelais la soufrance: soufrance telle que je ne pouvais la soufir, de sorte que, dans ce non-pouvoir, le moi exclu de la matrise et de son statut de sujet en premire personne, destitu, dsitu et mme dsoblig, pt se perdre comme moi capable de subir; il y a soufrance, il y aurait souf france, il n'y a plus de c je soufrant, et la soufance ne c se prsente pas, n'est pas porte (encore moins vcue) au prsent, c'est sans prsent, comme c'est sans commen cement ni fn, le temps a radicalement chang de sens. Le temps sans prsent, le moi sans moi, rien dont on puisse dire que l'exprience - une forme de connaissance - le rvlerait ou le dissimulerait. Mais le mot soufrance est par trop quivoque. L'qui voque ne sera jamais dissipe, puisque, parlant de la passivit, nous la faisons apparatre, ft-ce dans la nuit o la dispersion la marque et la dmarque. Il nous est trs d i f c i l - et d'autant plus important - de parler de la passivit, car elle n'appartient pas au monde et nous ne connaissons rien qui serait tout fait passif (le connaissant, nous le transformerions invitablement). La passivit oppose l'activit, voil le champ toujours restreint de nos rfexions. Le subir, le subissement

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- pour f o n e r ce mot qui n'est qu'un doublet de subite ment, le mme mot cras - , l'immobilit inerte de cer tains tats, dits de psychose, le ptir de la passion, l'obissance serile, la rceptivit nocturne que suppose l'attente mystique, le dpouillement donc, l'arrachement de soi soi-mme, le dtachement par lequel on se dtache, y compris du dtachement, ou bien la chute (sans initiative ni consentement) hors de soi - toutes ces situations, mme si certaines sont la limite du connaissable, et qui dsignent une face cache de l'humanit, ne nous parlent presque en rien de ce que nous cher chons entendre en laissant se prononcer ce mot dconsidr : passivit.

Il y a la passivit qui est quitude passive (fgure peut-tre par ce que nous savons du quitisme), puis la passivit qui est au-del de l'inquitude, tout en rete nant ce qu'il y a de passif dans le mouvement fvreux, ingal-gal, sans arrt, de l'erreur sans but, sans fn, sans initiative.*

Le discours sur la passivit la trahit ncessairement, mais peut ressaisir certains des traits par lesquels il est infdle : non seulement le discours est actif, il se dploie, se dveloppe selon les rgles qui lui assurent une cer31

taine cohrence, non seulement il est synthtique, rpon dant une certaine unit de parole et rpondant un temps qui, toujours mmoire de soi-mme, se retient en un ensemble synchronique - activit, dveloppement, cohrence, unit, prsence d'ensemble, tous caractres qui ne peuvent se dire de la passivit, mais il y a plus : le discours sur la passivit la fait apparatre, la prsente et la reprsente, alors que, peut-tre (peut-tre), la pas sivit est cette part inhumaine de l'homme qui, des titu du pouvoir, cart de l'unit, ne saurait donner lieu rien qui apparaisse ou se montre, ne se signalant ou ne s'indiquant pas et, ainsi, par la dispersion et la dfection, tombant toujours au-dessous de ce que l'on peut annoncer d'elle, ft-ce titre provisoire. D'o il rsulte que, si nous nous sentons tenus de dire quelque chose de la passivit, c'est dans la mesure o cela importe l'homme sans le faire passer du ct de l'important, dans la mesure aussi o la passivit, chap pant notre pouvoir d'en parler comme notre pouvoir d'en faire l'preuve (de l'prouver), se pose ou se dpose comme ce qui interromprait notre raison, notre parole, notre exprience .

Ce qui est trange, c'est que la passivit n'est jamais assez passive : c'est en cela qu'on peut parler d'un infni; peut-tre seulement parce qu'elle se drobe toute for mulation, mais il semble qu'il y ait en elle comme une exigence qui l'appellerait toujours en venir en de32

d'elle-mme - non pas passivit, mais exigence de la passivit, mouvement du pass vers l'indpassable. Passivit, passion, pass, pas ( la fois ngation et trace ou mouvement de la marche), ce jeu smantique nous donne un glissement de sens, mais rien quoi nous puissions nous fer comme une rponse qui nous contenterait.

Le refus, dit-on, est le premier degr de la passi vit - mais s'il est dlibr et volontaire, s'il exprime une dcision, ft-elle ngative, il ne permet pas encore de trancher sur le pouvoir de conscience, restant au mieux un moi qui refuse. Il est vrai que le r e f s tend l'absolu, une sorte d'inconditionnel : c'est le nud du refus que rend sensible l'inexorable je prerais ne pas (le faire) de Bartleby l'crivain, une abstention qui n'a pas eu tre dcide, qui prcde toute dcision et qui est plus qu'une dngation, mais plutt une abdication, la renonciation (amais prononce, jamais claire) rien dire - l'autorit d'un dire - ou encore l'abngation reue comme l'abandon du moi, le dlaissement de l'identit, le refus de soi qui ne se crispe pas sur le refus, mais ouvre la dfaillance, la,erte d'tre, la pense. Je ne le ferai pas , aurait encore signif une dter mination nergique, appelant une contradiction ner gique. Je prerais ne pas ... appartient l'infni de la patience, ne laissant pas de prise l'intervention dia lectique : nous sommes tombs hors de l'tre, dans le33

champ du dehors o, immobiles, marchant d'un pas gal et lent, vont et viennent les hommes dtruits.

La passivit est sans mesure : c'est qu'elle dborde l'tre, l'tre bout d'tre - la passivit d'un pass rvolu qui n'a jamais t : le dsastre entendu, sous-entendu non pas comme un vnement du pass, mais comme le pass immmorial (Le Trs-Haut) qui revient en disper sant par le retour le temps prsent o il serait vcu comme revenant.

La passivit : nous pouvons voquer des situations de passivit, le malheur, l'crasement fnal de l'tat concentrationnaire, la seritude de l'esclave sans matre, tomb au-dessous du besoin, le mourir comme l'inat tention l'issue mortelle. Dans tous ces cas, nous reconnaissons, ft-ce d'un savoir falsifant, approxima tif, des traits communs : l ' a n o n y a t , la perte de soi, la perte de toute souverainet mais aussi de toute subordi nation, la perte du sjour, l'erreur sans lieu, l'impos sibilit de la prsence, l dispersion (la sparation).

Dans le rapport de moi (le mme) Autrui, Autrui est l1e lointain, l'tranger, mais si je renverse le rapport, 34

Autrui se rapporte n o i comme si j'tais l'Autre et me fait alors sortir de mon identit, me pressant jusqu' l'crasement, me retirant, sous la pression du tout proche, du privilge d'tre en premire personne et, arrach moi-mme, laissant une passivit prive de soi (l'altrit mme, l'autre sans unit), l'inassujetti, ou le patient.

Dans la patience de la passivit, je suis celui que n'im porte qui peut remplacer, le non-indispensable par dfnition et qui toutefois ne put se dispenser de rpondre par et pour ce qu'il n'est pas : une singularit d'em prunt et de rencontre - celle de l'otage en efet (comme parle Levinas), qui est le garant non consentant; non choisi, d'une promesse qu'il n'a pas faite, l'irrempla able qui ne dtient pas sa place. C'est par l'utre que je suis le mme, l'autre qui m'a toujours retir de moimme. L'Autre, s'il a recours moi, c'est comme quel qu'un qui n'est pas moi, le premier venu ou le dernier des hommes, en rien l'unique que je voudrais tre; c'est en cela qu'il m'assigne la passivit, s'adressant en moi au mourir mme. (La responsabilit dont je suis charg n'est pas la mienne et fait que je ne suis pas moi.)

Si, dans la patience de la passivit, le moi sort du moi de telle sorte que, dans ce dehors, l o manque l'tre 35

sans que se dsigne le non-tre, le temps de la patience, temps de l'absence de temps, ou temps du retour sans prsence, temps du mourir, n'a plus de support, ne trouve plus quelqu'un pour le porter, le supporter, par quel langage autre que fragmentaire, celui de l'clate ment, de la dispersion infnie, le temps peut-il tre marqu, sans que cette marque le rende prsent, le pro pose une parole de nomination? Mais le fragmentaire dont il n'y a pas d'exprience nous chappe aussi bien. Le silence n'en tient pas lieu, peine la rticence de ce qui ne sait plus se taire, ne sachant plus parler.

La mort de l'Autre : une double mort, car l'Autre est dj la mort et pse sur moi comme l'obsession de la mort.

Dans le rapport de moi Autrui, Autrui est ce que je ne puis atteindre, le Spar, le Trs-Haut, ce qui chappe mon pouvoir et ainsi le sans-pouvoir, l'tranger et le dmuni. Mais, dans le rapport d'Autrui moi, tout semble se retourner : le lointain devient le prochain, cette proximit devient l'obsession qui me lse, pse sur moi, me spare de moi, comme si la sparation (qui mesurait la transcendance de moi Autrui) faisait son uvre en moi-mme, me dsidentifant, m'abandonnant une passivit, sans initiative et sans prsent. Et alors 36

autrui devient plutt le Pressant, le Surminent, voire le Perscuteur, celui qui m'accable, m'encombre, me dfait, celui qui m'oblige non moins qu'il ne me contra rie en me faisant rpondre de ses crimes, en me char geant d'une responsabilit sans mesure qui ne saurait tre la mienne, puisqu'elle irait jusqu' la substitu tion. De telle sorte que, selon cette vue, le rapport d'Autrui moi tendrqit apparatre comme sado masochiste, s'il ne nous faisait tomber prmaturment hors du monde - de l'tre - o seulement n o r a l et anomalie ont un sens. Il reste que, selon la dsignation de Levinas, l'autre remplaant le Mme, comme le Mme se substitue l'Autre, c'est en moi dornavant - un moi sans moi que les traits de la transcendance (d'une transdescen dance) se marquent, ce qui conduit cette haute contra diction, ce paradoxe d'un haut sens : c'est que l o la passivit me ds uvre et me dtruit, en mme temps je suis contraint une responsabilit qui non seulement m'excde, mais que je ne puis exercer, puisque je ne puis rien et que je n'existe plus comme moi. C'est cette passivit responsable qui serait Dire, parce que, avant tout dit, et hors de l'tre (dans l'tre il y a passivit et il y a activit, en simple opposition et corrlation, inertie et dynamisme, involontaire et vol6ntaire), le Dire donne et donne rponse, rpondant l'impossible et de l'im possible. Mais le paradoxe ne suspend pas une ambigut : si moi sans moi je suis l'preuve (sans l'prouver) de la passivit la plus passive lorsque autrui m'crase jusqu' 37

l'alination radicale, est-ce autrui que j'ai encore afaire, n'est-ce pas plutt au je du matre, l'absolu de la puissance goste, au dominateur qui prdomine et qui manie la fo rce jusqu' la perscution inquisitoriale ? Autrement dit, la perscution qui m'ouvre la plus longue patience et qui est en moi la passion anonyme, je ne dois pas seulement en rpondre en m'en chargeant hors de mon consentement, mais je dois aussi y rpondre par le refus, la rsistance et le combat, revenant au savoir (revenant, s'il est possible - car il se peut qu'il n'y ait pas de retour), au moi qui sait, et qui sait qu'il est expos, non Autrui, mais au Je adverse, la ToutePuissance goste, la Volont meurtrire. Naturellement, par l, celle-ci m'attire dans son jeu et elle me fa it son complice, mais c'est pourquoi il fa ut toujours qu'il y ait au moins deux langages ou deux exigences, l'une dia lectique, l'autre non dialectique, l'une o la ngativit est la tche, l'autre o le neutre tranche sur l'tre et le non-tre, de mme qu'il fa udrait la fo is tre le sujet libre et parlant et disparatre comme le patient-passif que traverse le mourir et qui ne se montre pas .

La faiblesse, c'est le pleurement sans larmes, le mur mure de la voix plaintive ou le bruissement de ce qui parle sans paroles, l'puisement, le tarissement de l'ap parence. La faiblesse se drobe toute violence qui ne peut rien (serait-elle la souverainet oppressive) sur la passivit du mourir.38

Nous parlons sur une perte de parole - un dsastre imminent et immmorial - , de mme que nous ne disons rien q l e dans la mesure o nous pouvons faire entendre pralablement que nous le ddisons, par une sorte de prolepsie, non pas pour fnalement ne rien dire, mais pour que le parler ne s'arrte pas la parole, dite ou dire ou ddire : laissant pressentir que quelque chose se dit, ne se disant pas : la perte de parole, le pleurement sans larmes, la reddition qu'annonce, sans l'accomplir, l'invisible passivit du mourir - la faiblessehumaine .

Qu'autrui n'ait pas d'autre sens que le recours infni que je lui dois, qu'il soit l'appel au secours sans terme auquel nul autre que moi ne saurait rpondre, ne me rend pas irremplaable, encore moins l'unique, mais me fait disparatre dans le mouvement infni de serice o je ne suis qu'un singulier temporaire, un simulacre d'unit : je ne puis tirer aucune justifcation (ni pour valoir ni pour tre) d'une exigeQe qui ne s'adresse pas une particularit, ne demande rien ma dcision et m'excde de toutes manires jusqu' me dsindividualiser.

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L'interruption de l'incessant, c'est le propre de l'cri ture fragmentaire : l'interruption ayant en quelque sorte le mme sens que cela qui ne cesse pas, tous deux efet de la passivit; l o ne rgne pas le pouvoir, ni l'initiative, ni l'initial d'une dcision, le mourir est le vivre, la passivit de la vie, chappe elle-mme, confondue avec le dsastre d'un temps sans prsent et que nous supportons en attendant, attente d'un malheur non pas venir, mais toujours dj survenu et ne pou vant se prsenter : en ce sens, futur, pass sont vous l'indifrence, puisque l'un et l'autre sans prsent. De l que les hommes dtruits (dtruits sans destruction) soient comme sans apparence, invisibles mme lors qu'on les voit, et que s'ils parlent, c'est par la voix des autres, une voix toujours autre qui en quelque sorte les accuse, les met en cause, les obligeant rpondre d'un malheur silencieux qu'ils portent sans conscience.

C'est comme s'il disait : Puisse le bonheur venir pour tous, condition que, par ce souhait, j'en sois exclu.

Si Autrui n'est pas mon ennemi (comme il l'est par fois chez Hegel - mais un ennemi bienveillant - et sur tout chez Sartre dans sa premire philosophie), com ment peut-il devenir celui qui m'arrache mon identit40

et dont la pression en quelque sorte de position - celle du prochain - me blesse, me fatigue, me poursuit en me tounentant de telle sorte que moi sans moi je devienne responsable de ce t o u n e n t , de cette lassitude qui me destitue, la responsabilit tant l'extrme du subissement : ce de quoi il me faut rpondre, alors que je suis sans rponse et que je suis sans moi, sauf d'em prunt et de simulacre ou le tenant lieu du mme : le tenant lieu canonique. La responsabilit, ce serait la culpabilit innocente, le coup depuis toujours reu qui me rend d'autant plus sensible tous les coups. C'est le traumatisme de la cration ou de la naissance. Si la cra ture est celui qui doit sa situation la faveur de l'autre , je suis cr responsable, d'une responsabilit antrieure ma naissance, comme elle est extrieure mon consentement, ma libert, n, par une faveur qui se trouve tre une prdestination, au malheur d'autrui, qui est le malheur de tous. Autrui, dit Levinas, est encombrant, mais n'est-ce pas nouveau la perspective sartrienne : la nause que nous donne, non pas le manque d'tre, mais le trop d'tre, un surplus dont je voudrais me dsinvestir, mais dont je ne saurais me dsintresser, car, jusque dans le dsintrt, c'est encore l'autre qui me voue tenir sa place, n'tre plus que son lieu-tenant? .

Voici peut-tre une rponse. Si Autrui me met en question jusqu' me dnuer de moi, c'est parce qu'il est41

lui-mme l'absolu dnuement, la supplication qui dsavoue le moi en moi jusqu'au supplice.

Le non-concernant (en ce sens que l'un [moi] et l'autre ne peuvent tenir ensemble, ni se rassembler dans un mme temps : tre contemporains), c'est d'abord autrui pour moi, puis moi comme autre que moi, cela qui en moi ne concide pas avec moi, mon ternelle absence, ce que nulle conscience ne peut ressaisir, qui n'a ni efet ni efcace et qui est le temps passif, le mourir qui m'est, quoique sans partage, commun avec tous.

Autrui, je ne puis l'accueillir, ft-ce par une accepta tion infnie. Tel est le trait nouveau et difcile de l'in trigue. Autrui, comme prochain, est le rapport que je ne puis soutenir et dont l'approche est la mort mme, le voisinage mortel (qui voit Dieu meurt : c'est que mou rir est une manire de voir l'invisible, une manire de dire l'indicible - l'indiscrtion o Dieu, devenu en quelque sorte et ncessairement dieu sans vrit, se rendrait la passivit).

Si je ne puis accueillir l'Autre dans la sommation que son approche exerce jusqu' m'extnuer, c'est bien par la seule faiblesse maladroite (le malgr tout malheu reux, ma part de drision et de folie) que je suis appel entrer dans ce rapport autre, avec mon moi gangren42

et rong, alin de part en part (ainsi, c'est parmi les lpreux et les mendiants sous les remparts de Rome que les Juifs des premiers sicles pensaient dcouvrir le Messie) .

Tant qu'autrui est le lointain (le visage qui vient de l'absolument lointain et en porte la trace, trace d'ter nit, d'immmorial pass), seul le rapport auquel m'or donne l'autrui du visage, dans la trace de l'absent, est au-del de l'tre - ce que n'est pas alors le soi-mme ou l'ipsit {Levinas crit: au-del de l'tre, est une Troisime personne qui ne se dfnit pas par le soimme ). Mais quand autrui n'est plus le lointain, mais le prochain qui pse sur moi jusqu' m'ouvir la radi cale passivit du soi, la subjectivit en tant qu'exposi tion blesse, accuse et perscute, en tant que sensibi lit abandonne la difrence, tombe son tour hors de l'tre, signife l'au-del de l'tre, dans le don m m e la donation de signe - que son sacrifce dmesur livre autrui : elle est, au mme titre qu'autrui et que le visage, l'nigme qui drange l'ordre et tranche sur l'tre: l'exception de l'extraordinaire, la mise hors ph. nomne, hors exprience.

La passivit et la question : la passivit est peut-tre au bout de la question, mais lui apparJient-elle encore? Le 43

dsastre peut-il tre interrog? O trouver le langage o rponse, question, afrmation, ngation, inter viennent peut-tre, mais sont sans efet? O est le dire qui chappe toute marque, celle de la prdiction, comme celle de l'interdiction?

Quand Levinas dfnit le langage comme contact, il le dfnit comme immdiatet, et cela est lourd de cons quences; car l'immdiatet est l'absolue prsence, cela qui branle tout et renverse tout, l'infni sans approche, sans absence, et non plus une exigence, mais le rapt d'une fusion mystique. L'immdiatet n'est pas seule ment la mise l'cart de toute mdiation, mais l'imm diat est l'infni de la prsence dont il ne peut plus tre parl, puisque la relation elle-mme - qu'elle soit thique ou ontologique - a d'un seul coup brl dans une nuit sans tnbres : il n'y a plus de termes, il n'y a plus de rapport, il n'y a plus d'au-del - Dieu mme s'y est ananti. Ou bien il faudrait pouvoir entendre l'immdiat au pass. Ce q u rend le paradoxe presque insoutenable. C'est ainsi que nous pourrions parler de dsastre. L'im mdiat, nous ne pouvons pas plus y penser que nous ne pouvons penser un pass absolument passif dont la patience en nous face un malheur oubli serait la marque, le prolongement inconscient. Lorsque nous sommes patients, c'est toujours par rapport un malheur infni qui ne nous atteint pas au prsent, mais en nous44

rapportant un pass sans mmoire. Malheur d'autrui et autrui comme malheur.

Responsabilit : ce mot banal, cette notion dont la morale la plus facile (la morale politique) nous fait un devoir, il faut essayer d'entendre comme Levinas l'a renouvel, l'a ouvert jusqu' lui faire signifer (au-del de tout sens) la responsabilit d'une philosophie autre (qui reste cependant, bien des gards, la philosophie ternelle *). Responsable : cela qualife, en gnral, pro saquement et bourgeoisement, un homme mr, lucide et conscient, qui agit avec mesure, tient compte de tous les lments de la situation, calcule et dcide, 1 'homme d'action et de russite. Mais voici que la responsabilit - responsabilit de moi pour autrui, pour tous, sans rciprocit - se dplace, n'appartient plus la cons cience, n'est pas la mise en uvre d'une rfexion agis sante, n'est mme pas un devoir qui s'imposerait du dehors et du dedans. Ma responsabilit pour Autrui suppose un bouleversement tel qu'il ne peut se marquer que par un changement de statut de c moi n, un chan c gement de temps et peut-tre un changement de lan gage. Responsabilit qui me retire de mon ordre i. Note plus tardive. Qu'i1 n'y ait pas trop d'quivoque : la philosophie ter nelle , dans la mesure o 1 n'y a pas rupture d'apparence avec le langage dit grec 1 o se garde l'exigence d'universalit; mais ce qui s'nonce ou plutt s'annonce avec Levinas, c'est un surplus, un au-del de l'universel, une singularit qu'on peut dire juive et qui atend d'tre encore pense. En cela prophtique. Le judasme comme ce qui dpasse la pense de toujours pour avoir t toujours dj pens, mais porte cependant la responsabilit de la pense venir, voil ce que nous donne la philo sophie autre de Levinas, charge et esprance, charge de l'esprance.

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peut-tre de tout ordre - et, m'cartant de moi (pour autant que moi, c'est le matre, le pouvoir, le sujet libre et parlant), dcouvrant l'autre au lieu de moi, me donne rpondre de l'absence, de la passivit, c'est--dire de l'impossibilit d'tre responsable, laquelle cette res ponsabilit sans mesure m'a toujours dj vou en me dvouant et me dvoyant. Mais paradoxe qui ne laisse rien intact, pas plus la subjectivit que le sujet, l'in dividu que la personne. Car si, de la responsabilit, je ne puis parler qu'en la sparant de toutes les formes de la conscience-prsente (volont, rsolution, intrt, lumire, action rfexive, mais peut-tre aussi le nonvolontaire, l'inconsenti, le gratuit, l'inagissant, l'obscur qui relve de la conscience-inconscience), si elle s'enra cine l o il n'y a plus de fondement, o nulle racine ne peut se fxer, si donc elle traverse toute assise et ne peut tre prise en charge par rien d'individuel, comment, autrement que comme rponse l'impossible, par un rapport qui m'interdit de me poser moi-mme, mais seulement de me poser comme toujours dj suppos (ce qui me livre au tout fait passif, soutiendrons-nous l'nigme de ce qui s'annonce, en ce vocable dont le lan gage de la morale ordinaire fait l'usage le plus facile en le mettant au service de l'ordre? Si la responsabilit est telle qu'elle dgage le moi du moi, le singulier de l'in dividuel, le subjectif du sujet, la non-conscience de tout conscient et inconscient, pour m'exposer la passivit sans nom, au point que c'est par la passivit seulement que je dois rpondre l'exigence infnie, alors je puis certes l'appeler responsabilit, mais par abus et, aussi46

bien, par son contraire et tout en sachant que le fait de se reconnatre responsable de Dieu n'est qu'un moyen mtaphorique d'annuler la responsabilit (l'obligation d'tre dsoblig), de mme que, dclar responsable du mourir (de tout mourir), je ne puis plus en appeler nulle thique, nulle exprience, nulle pratique, quelle qu'elle soit - sauf celle d'un contre-vivre, c'est--dire d'une non-pratique, c'est--dire (peut-tre) d'une parole d'criture. Reste que, tranchant sur notre raison et sans toutefois nous livrer aux facilits d'un irrationnel, ce mot respon sabilit vient comme d'un langage inconnu que nous ne parlons qu' contre-cur, contre-vie et dans une inustifcation semblable celle o nous sommes par rapport toute mort, la mort de l'Autre comme la ntre toujours impropre. Il faudrait donc bien se tour ner vers une langue jamais crite, mais toujours pres crire, pour que ce mot incomprhensible soit entendu dans sa lourdeur dsastreuse et en nous invitant nous tourner vers le dsastre sans le comprendre, ni le sup porter. De l qu'elle soit elle-mme dsastreuse, la res ponsabilit qui jamais n'allge Autrui (ni ne m'allge de lui), et nous rend muets de la parole que nous lui devons. Reste encore que la proximit du plus lointain, la pression du plus lger, le contact de ce qui n'atteint pas, c'est par l'amiti que je puis y rpondre, une amiti sans partage comme sans rciprocit, amiti pour ce qui a pass sans laisser de traces, rponse de la passivit la non-prsence de l'inconnu. 47

La passivit est une tche - cela dans le langage autre, celui de l'exigence non dialectique - , de mme que la ngativit est une tche: cela quand la dialectique nous propose l'accomplissement de tous les possibles, pour peu que nous sachions (en y cooprant par le pouvoir et la matrise dans le monde) laisser le temps prendre tout son temps. La ncessit de vivre et de mourir de cette double parole et dans l'ambigut d'un temps sans pr sent et d'une histoire capable d'puiser (afn d'accder au contentement de la prsence) toutes les possibilits du temps : voil la dcision irrparable, la folie invi table, qui n'est pas le contenu de la pense, car la pense ne la contient pas, pas plus que la conscience ni l'in conscience ne lui ofrent un statut pour la dterminer. D'o la tentation de faire appel l'thique avec sa fonc tion conciliatrice Gustice et responsabilit), mais quand l'thique son tour devient folle, comme elle doit l'tre, que nous apporte-t-elle sinon un sauf-conduit qui ne laisse notre conduite nul droit, nulle place, ni aucun salut : seulement l'endurance de la double patience, car elle est double, elle aussi, patience mondaine, patience immonde .

L'usage du mot subjectivit est aussi nigmatique que l'usage du mot responsabilit - et plus contestable, car c'est une dsignation qui est comme choisie pour sauver notre part de spiritualit. Pourquoi subjectivit, sinon afn de descendre au fond du sujet, sans perdre le privi48

lge que celui-ci incarne, cette prsence prive que le corps, mon corps sensible, me fait vivre comme mienne? Mais si la prtendue subjectivit est l'autre au lieu de moi, elle n'est pas plus subjective qu'objective, l'autre est sans intriorit, l ' a n o n y e est son nom, le dehors sa pense, le non-concernant son atteinte et le retour son temps, de mme que la neutralit et la passivit de mou rir serait sa vie, si celle-ci est ce qu'il faut accueillir par le don de l'extrme, don de ce qui (dans le corps et par le corps) est la non-appartenance .

Passivit n'est pas simple rception, pas plus qu'elle ne serait l'informe et l'inerte matire prte toute fo rme - passives, les pousses de mourir (le mourir, silencieuse intensit ; ce qui ne se laisse pas accueillir ; ce qui s'ins crit sans parole, le corps au pass, corps de personne, le corps de l'intervalle : suspens de l'tre, syncope comme coupure du temps et que nous ne pouvons voquer que comme l'histoire sauvage, innarrable, n'ayant pas de sens prsent). Passif : le non-rcit, ce qui chappe la citation et que le souvenir ne rappellerait pas - l'oubli comme pense, c'est--dire ce qui ne saurait tre oubli parce que toujours dj tomb hors . mmoire .

J'appelle dsastre ce qui n'a pas l'ultime pour limite : ce qui entrane l'ultime dans le dsastre. 49

Le dsastre ne me met pas en question, mais lve la question, la fa it disparatre, comme si avec elle je disparaissais dans le dsastre sans apparence. Le fa it de disparatre n'est prcisment pas u n fa it, u n vne ment, cela n'arrive pas, non seulement parce que - il Y va de la supposition mme - il n'y a pas de je p o u r en subir l'exprience, mais parce qu'il ne saurait y en avoir une exprience, si le dsastre a toujours lieu aprs avoir eu lieu.

Lorsque l'autre se rapporte moi de telle sorte que l'inconnu en moi lui rponde ma place, cette rponse est l'amiti immmoriale qui ne se laisse pas choisir, ne se laisse pas vivre dans l'actuel : la part oferte de la passivit sans sujet, le mourir hors de soi, le corps qui n'appartient personne, dans la soufrance, la jouis sance non narcissiques.

L'amiti n'est pas un don, une promesse, la gnrosit gnrique. Rapport incommensurable de l'un l'autre, elle est le dehors reli dans sa rupture et son inaccessi bilit. Le dsir, pur dsir impur, est l'appel fra nchir la distance, appel mourir en commun par la spara tion.

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La mort tout coup impuissante, si l ' a i t i est la rponse qu'on ne peut entendre et fa ire entendre qu'en mourant incessamment.

Garder le silence. Le silence ne se garde pas, il est sans gard pour l'uvre qui prtendrait le garder - il est l'exigence d'une attente qui n'a rien attendre, d'un langage qui, se supposant totalit de discours, se dpen serait d'un coup, se dsunirait, se fr agmenterait sans fn.

Comment avoir rapport avec le pass passif, rapport qui lui-mme ne saurait se prsenter dans la lumire d'une conscience (ni s'absenter de l'obscurit d'une inconscience)?

Le renoncement au moi-sujet n'est pas un renonce ment volontaire, donc non plus . ne abdication invo lontaire ; quand le sujet se fa it absence, l'absence de sujet ou le mourir comme sujet subvertit toute la phrase de l'existence, fa it sortir le temps de son ordre, ouvre la vie sa passivit, l'exposant l'inconnu de l'amiti qui jamais ne se dclare.51

La fa iblesse ne saurait tre qu'humaine, mme si c'est en l'homme la part inhumaine, la gravit du nonpouvoir, la lgret insouciante de l'amiti qui ne pse, ne pense pas - la non-pense pensante, cette rserve de la pense qui ne se laisse pas penser. La passivit ne consent, ne refuse : ni oui ni non, sans g , -eul lui conviendrait l'illimit du neutre, la patience immatrise qui endure le temps sans lui rsister. La condition passive est une incondition : c'est un incondi tionnel que nulle protection ne tient sous abri, que n'atteint nulle destruction, qui est hors soumission comme sans initiative - avec elle, rien ne commence; l o nous entendons la parole toujours dj parle (muette) du recommencement, nous nous approchons de la nuit sans tnbres. C'est l'irrductible-incompatible, ce qui n'est pas compatible avec l'humanit (le genre humain). La fa iblesse humaine que mme le malheur ne divulgue pas, ce qui nous transit du fa it qu' chaque instant nous appartenons au pass immmorial de notre mort - par l indestructibles en tant que toujours et infniment dtruits. L'infni de notre destruction, c'est la mesure de la passivit .

Levinas parle de la subjectivit du sujet ; si l'on veut maintenir ce mot - pourquoi ? mais pourquoi non ? - ,52

il fa udrait peut-tre parler d'une subjectivit sans sujet, la place blesse, la meurtrissure du corps mourant dj mort dont personne ne saurait tre propritaire ou dire : moi, mon corps, cela qu'anime le seul dsir mor tel : dsir de mourir, dsir qui passe par le mourir impropre sans s'y dpasser. La solitude ou la non-intriorit, l'exposition au dehors, la dispersion hors clture, l'impossibilit de se tenir fe rme, fe rm - l'homme priv de genre, le sup plant qui n'est supplment de rien .

Rpondre : il y a la rponse la question - , la rponse qui rend la question possible - , celle qui la redouble, la fa it durer et ne l'apaise pas, au contraire lui accorde un nouvel clat, lui assure un tranchant - , il Y a la rponse interrogative ; enfn, la distance de l'absolu, il y aurait cette rponse sans interogation laquelle nulle question ne conviendra, rponse dont nous ne savons que fa ire, si seule peut la recevoir l'amiti qui la donne. L'nigme (le secret), c'est prcisment l'absence de question - l o il n'y a mme pas la place pour intro duire une question, sans que celendant cette absence fa sse rponse. (La parole cryptique.)

La patience du concept : d'abord renoncer au commen cement, savoir que le Savoir n'est jamais jeune, mais 53

toujours au-del de l'ge, d'une snescence qui n ' a p partient pas la vieillesse ; ensuite qu'il n e fa ut pas f n i r t r o p vite, que la f n est toujours prmature, qu'elle est la hte du Fini auquel une fo is p o u r toutes on veut se confer sans pressentir que le Fini n'est que le replie ment de l'Infni .

Ne pas rpondre ou ne pas recevoir de rponse est la rgle : cela ne s u f t pas arrter les questions. Mais quand la rponse est l'absence de rponse, la question son tour devient l'absence de question (la question mortife), la parole passe, fa it retour un pass qui n'a jamais parl, pass de toute parole. C'est en cela que le dsastre, quoique nomm, ne fgure pas dans le langage .

Bonaventura : A plusieurs reprises, on m'expulsa des glises parce que j ' y riais, et des lupanars parce que je voulais y prier. Le suicide : Je ne laisse rien derrire moi, et c'est plein de d f que je pars ta rencontre, Dieu - ou Nant. La Vie n'est que la casaque grelots que porte le Nant . . . Tout est nant. . . Par cet arrt du Temps, les fo us entendent l'ternit, mais en vrit c'est le Nant parfait, et la mort absolue, puisq u ' a u contraire la vie ne nat q u e d'une mort ininter rompue {si l'on s'avisait de prendre ces ides cur, 54

cela nous mnerait promptement chez les fous, mais, quant moi, je ne les prends qu'en polichinelle ... ). F i c h t e : Dans la nature, toute mort est en mme temps naissance et c'est dans la mort prcisment que la vie arrive son apoge , et Novalis : Une liaison conclue pour la mort est une noce qui nous accorde une compagne p o u r la nuit , mais Bonaventura n'en visage jamais la mort comme le rapport avec un espoir de transcendance : Dieu soit lou! Il Y a une mort, et aprs, il n'y a pas d'ternit.

La patience est l ' u r g e n e extrme : je n'ai plus le temps, dit la patience (ou le temps qui lui est laiss est absence de temps, temps d'avant le commencement temps de la non-apparition o l'on meurt non phnomnalement, l'insu de tous et de soi-mme, sans phrases, sans laisser de traces et onc sans m o u n r : patiemment) .

Bonaventura : Je me vis seul 'avec moi-mme dans le Nant ... Avec le Temps, tout