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Bio Fausse Promesse Vrai Marketing

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DU MÊME AUTEUR

Abeilles, l’imposture écologique (2006)

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GIL RIVIÈRE-WEKSTEINEN COLLABORATION AVEC VALÉRIE RIVIÈRE-

WEKSTEIN

BIO FAUSSES PROMESSES ETVRAI MARKETING

Préface de Jean de Kervasdoué

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ISBN : 978-2-35061-019-1

© GIL RIVIÈRE-WEKSTEIN, 2011

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À nos enfants, Samuel et Eyal

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PRÉFACE AUX SOURCES

TROUBLES DU BIO

Le label « bio » s’accole à des produits deplus en plus nombreux. Les produits« naturels » vendus autrefois dans quelquesboutiques spécialisées dont, il y a une décen-nie à peine, la grande majorité des consom-mateurs ne franchissaient jamais la porte, nesont plus réservés à une clientèle marginale.Ils trônent, s’affichent, prennent de la place,disposent de leurs rayons spécifiques dansles grandes surfaces et donc, à l’évidence, sevendent, malgré leur prix. Ils sont en effetlargement plus onéreux en moyenne que lesproduits comparables en non bio.

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Baguette bio, yaourt bio, légume bio, fruitbio, lessive bio, huile bio, pommade bio,savon bio, œuf bio, vin bio, menu bio,boutique bio, etc., difficile d’échapper à ce la-bel. Difficile également de ne pas être séduittant il semble naturel, si j’ose dire, tant il est« évident » que ces produits onéreux sontmeilleurs – meilleurs au goût, meilleurs pourla santé et surtout meilleurs, sans contesta-tion possible, pour l’environnement. Maisqu’en est-il vraiment ? Faut-il recommander,notamment aux gens de milieu modeste queje croise lors de mes courses hebdomadairessur les marchés de l’Est parisien, d’acheterbio ? L’une ou l’autre des raisons alléguéespar les partisans de cette nouvelle mode a-t-elle un incontestable fondement empirique ?

Fin connaisseur des travaux les plus ré-cents en la matière, Gil Rivière-Wekstein ré-pond à ces questions et fait ainsi œuvre utile.Avec talent et clarté, il passe de l’agronomieà la toxicologie, n’oublie pas les travaux de

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médecine, et notamment les recherches ennutrition, pour démontrer que, études aprèsétudes, non, définitivement non, il n’est pasprouvé que ces produits ont un quelconqueeffet bénéfique pour la santé. Quant à leurgoût, en aveugle, même les experts avertis nefont pas la différence entre un produit bio etun produit qui ne l’est pas. L’auteur souligned’ailleurs en passant que, pour le vin notam-ment, le label bio ne garantit en rien les qual-ités gustatives de ce précieux nectar. Ilmontre aussi, et cela en étonnera plus d’un,que les cultures bio ne respectent pas dav-antage l’environnement du fait de la dé-couverte de nouveaux pesticides, plus ciblés,moins toxiques, que ceux autorisés en agri-culture biologique. L’agriculture« raisonnée » et les produits qui en sont is-sus seraient donc plus « écoresponsables »que ceux qui suivent une réglementationparticulière pour obtenir le label bio !

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Le lecteur sceptique dira déjà – au mieux– « je ne suis pas convaincu » ou – plusvraisemblablement – « je n’y crois pas ».Mais Gil Rivière-Wekstein n’est pas, lui, unreligieux. Il ne parle donc pas de croyance,mais de résultats de travaux de rechercheconvaincants, répliqués dans plusieurs payset qui lui permettent d’affirmer avec forceces vérités. Pourtant, elles ne pénètrent pasdans l’opinion. Non seulement nous croisonschaque jour des acheteurs toujours plusnombreux de produits bio, mais nous con-naissons tous des partisans de la biodynamieou des croyants en une « force vitale » quiserait transmise par ce que nous ingérons.Pourquoi ? Comment se fait-il que ces idéesd’un autre âge trouvent de nouveaux ad-eptes ? C’est la grande originalité de cet ouv-rage que d’apporter une réponse à cettequestion. Fascinant !

Ainsi, le lecteur découvrira que l’agricul-ture bio s’enracine dans les courants

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agrariens de l’entre-deux-guerres et dans lesmouvements poujadistes des années cin-quante, dont on sait qu’ils ont été proches del’extrême droite. La sélection « naturelle »n’est pas loin de l’eugénisme et des thèsesdéfendues par Alexis Carrel. Ce n’est quedans les années soixante-dix que ces thèmessont devenus ceux des mouvements d’ex-trême gauche, puis des altermondialistes.L’écologie, de réactionnaire, devient alors ré-volutionnaire. Cela ne doit rien au hasard.Gil Rivière-Wekstein en analyse les mécan-ismes et en donne les raisons. Qui sont lesennemis de la notion moderne du progrès ?Pourquoi sont-ils partisans de la décrois-sance ? Comment se rejoignent lespourfendeurs de la mondialisation et les par-tisans de la théorie du complot ? Pourquoi,pour certains, la nature devrait triompher dela culture, autrement dit de la sociétéhumaine ?

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Dans cette période où les écologistes poli-tiques deviennent l’allié « naturel » de lagauche démocratique, la lecture de cet ouv-rage s’impose, d’autant que les jeunesgénérations semblent avoir oublié ce quiétait évident il y a moins d’un demi-siècle, etque les denrées bio sont de plus en plusproduites dans de grandes exploitations.Très vite, le bio ne sera même plus une man-ière de défendre la survie des petites exploit-ations françaises. Le filon se déplace enUkraine. Et, déjà en Allemagne, des exploita-tions bio de plus de 15 000 hectares inond-ent les marchés mondiaux de leurproduction.

Terminons alors cette préface, pour lessceptiques de gauche et d’ailleurs, par unecitation de Jean Jaurès. Elle est tirée de « Lahouille et le blé » (La Petite République, 31juillet 1901).

« Mais n’est-ce pas l’homme aussi quicréa le blé ? Les productions que l’on appelle

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naturelles ne sont pas pour la plupart […]l’œuvre spontanée de la nature. Ni le blé nila vigne n’existaient avant que quelqueshommes, les plus grands des génies incon-nus, aient sélectionné et éduqué lentementquelque grain ou quelque cep sauvage. C’estl’homme qui a deviné dans je ne sais quellepauvre graine tremblant au vent des prair-ies, le trésor futur du froment. C’est l’hommequi a obligé la sève de la terre à condensersa plus fine et savoureuse substance dans legrain de blé ou à gonfler le grain de raisin.

Les hommes oublieux opposent au-jourd’hui ce qu’ils appellent le vin naturel auvin artificiel, les créations de la nature auxcombinaisons de la chimie. Il n’y a pas devin naturel ; il n’y a pas de froment naturel.Le pain et le vin sont un produit du génie del’homme. La nature elle-même est un mer-veilleux artifice humain.

L’union de la terre et du soleil n’eût passuffi à engendrer le blé. Il y a l’intervention

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de l’homme, de sa pensée inquiète et de savolonté patiente. […] Que la science soit prèsdu moissonneur. »

On ne saurait mieux dire. Comme en té-moigne la lecture du livre de Gil Rivière-Wekstein.

Jean de Kervasdoué, ingénieuragronome.

Professeur titulaire de la chaire d’Economie etGestion des services de santé au Conservatoire

national des arts et métiers (Cnam).Directeur de l’école Pasteur-Cnam de Santé

publique.

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INTRODUCTION VIVE LE

BIO !

De la cosmétique à l’alimentaire enpassant par les produits ménagers, jamais lebio n’a autant fait partie de notre univers.Que ce soit pour sauver la planète oupréserver notre santé (et surtout celle de nosenfants !), quoi de mieux qu’un yaourt bio de« L’univers merveilleux des 2 Vaches » deDanone ou un panier de légumes bio achetédans une Amap, ce réseau de production-dis-tribution en direct si prisé dans les grandesvilles ? Après le sans sucre, le sans matièregrasse, le sans colorant et le sans conser-vateur, le bio est aujourd’hui considérécomme le n° 1 des aliments de qualité. Et

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consommer bio représente l’acte responsablepar excellence, celui qui répond au souci éco-citoyen de transmettre aux prochainesgénérations une planète verte.

Côté production, l’agriculteur bio est luiaussi convaincu que son métier s’inscrit dansune démarche responsable. Son mode detravail ne préserve-t-il pas la nature ? Trèssouvent, il récuse la simple logique du profit– même s’il lui faut bien gagner sa vie – pourlui préférer celle de la solidarité. À la limitedu militantisme, il est généralement un pas-sionné, désireux de partager son universavec le consommateur. D’où la création detrès nombreux réseaux, formels ou in-formels, qui rassemblent producteurs etconsommateurs.

C’est en 1981, avec la parution du premierdécret relatif au cahier des charges définis-sant l’agriculture biologique, que cette agri-culture a conquis ses lettres de noblesse.L’agriculture bio serait aujourd’hui la Rolls-

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Royce de l’agriculture, le modèle idéal, laligne d’horizon à suivre pour une agricultureconventionnelle en pleine métamorphose.Finie l’époque où les instituts agronomiqueset les organismes officiels regardaient d’unœil méprisant les premiers pionniers de l’ag-riculture bio, comme Raoul Lemaire, lecréateur du fameux pain Lemaire, et AndréBirre, le fondateur de Nature & Progrès !Finie aussi l’époque où les adeptes du NewAge ou de la mouvance Peace and Love deJohn Lennon côtoyaient quelques nostal-giques de « la terre qui ne ment pas » dansles rares boutiques de La Vie Claire ou deBiocoop ! Aujourd’hui, la centaine d’opérat-eurs certifiés bio sont rassemblés au sein duSyndicat national des entreprises bio (Syna-bio), tandis qu’un institut technique digne dece nom, l’institut technique de l’agriculturebiologique (Itab), permet aux agriculteurs debénéficier d’une aide technique efficace, not-amment à travers la revue Alter Agri. Depuis

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1986, des organismes de certification commeEcocert offrent aux producteurs la possibilitéd’afficher un label qui distingue clairementleurs produits des produits non biologiques.Et depuis 2001, la filière peut compter surl’Agence Bio, un groupement d’intérêt publicqui associe des organismes publics et despartenaires professionnels afin de garantir lapromotion de l’agriculture biologique. Lesdifférents syndicats départementaux de pro-ducteurs bio sont regroupés au sein de laFédération nationale d’agriculture biolo-gique (Fnab), tandis que l’Association per-manente des chambres d’agriculture (Apca)commence à s’intéresser au monde du bio.Enfin, en avançant un objectif de 6 % dessurfaces agricoles consacrées au bio en2012[1] et de 20 % en 2020, contre moins de2 % en 2010[2], le Grenelle de l’environ-nement a donné à l’agriculture bio une en-vergure nationale. Bien que hors de portée,cet objectif a été applaudi par l’ensemble des

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parlementaires, toutes tendances confon-dues. Les acteurs du monde agricole l’ontdonc bien compris : le bio est devenuincontournable.

Aujourd’hui, le consommateur disposed’une très large gamme de produits bio,disponibles dans les grandes surfaces ali-mentaires comme dans les boutiques spécial-isées. Les géants de la grande distributioncomme Auchan, Carrefour, Monoprix, Le-clerc ou Super U, ont d’ailleurs créé leurpropre marque bio, imposée par la déferlanteverte. L’enjeu est de taille : rien que pour l’al-imentation, le marché s’élève à 3 milliardsd’euros ! Depuis 1999, ce secteur connaîtmême une croissance à deux chiffres, et cer-tains experts pronostiquent que le marchépourrait atteindre à terme 15 milliardsd’euros, soit 10 % de notre consommation.C’est pourquoi les grandes enseignes déploi-ent des trésors d’imagination pourpromouvoir leurs produits phares. Ainsi,

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elles réaménagent leurs rayons autour du bioou installent des espaces « snacking » pro-posant des produits bio branchés (bière auxalgues, smoothie acerola-carotte, etc.). Par-fois, elles créent même de véritables espacesbio, à l’instar du Géant Casino de Montpelli-er qui a ouvert une mini-boutique bio de 130

m2 à l’entrée de son magasin ; lorsqu’elles nes’emparent pas directement des magasinsspécialisés, comme les 38 magasins de lachaîne Naturalia, entrés dans le giron dugroupe Casino en juillet 2008 à travers sa fi-liale Monoprix.

Cette intense activité autour du bio estlargement saupoudrée d’une publicité visantà donner aux géants de la distributionagroalimentaire une image de « durabilité »,de modernité et d’écologisme, si politique-ment correcte. Ce qui permet à « l’individuCO2-correct, qui n’a pas l’intention d’aller seréfugier dans le Larzac, de flâner en toutebonne conscience dans les centres

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commerciaux[3] », comme l’observe avecjustesse Doan Bui, du Nouvel Observateur.

Ces consommateurs toujours plus fidèlesproviennent de milieux sociaux de plus enplus variés. Aux adeptes de la premièreheure s’ajoutent en effet les « créa cul »(pour « créatifs culturels »), également ap-pelés « Lohas[4] ». Cette nouvelle catégoriede citoyens a été décrite pour la premièrefois par deux chercheurs américains, Paul H.Ray et Sherry Ruth Anderson, à la fin des an-nées quatre-vingt-dix[5]. Ne cherchant pas àconsommer moins mais à consommermieux, les « créa cul » se démarquent desfanatiques de la décroissance et de l’écologieradicale. « C’est pour cela que nous parlonsd’egologie », explique François Lamotte, del’Agence W & Cie. Moins engagés politique-ment, ils vouent une admiration sans bornesà Al Gore, Leonardo DiCaprio, Nicolas Hulotet Yann Arthus-Bertrand, les nouvelles starsdu green business. Et lorsqu’ils recherchent

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l’âme sœur, ils préfèrent aller surfer sur lessites de rencontres certifiés « écosexuels »,comme Earth Wise Singles, qui garantit derencontrer « des amis de notre mère Terre »et des fans de « jardinage organique ».Dotés d’un important pouvoir d’achat, les« créa cul » font l’objet d’une très grande at-tention de la part des géants de ladistribution.

Vaguelette ou lame de fond ?

Le bio n’est donc plus une simple mode.Pour preuve, selon le baromètre 2010 del’Agence Bio[6], environ un Français surquatre consomme régulièrement un ouplusieurs produits bio, et une large majoritéde la population française se déclare enfaveur du développement du bio. Un souhaitpartagé par la première dame des États-Unis, Michelle Obama, qui avait promis denourrir sa progéniture des produits de son

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jardin potager bio situé dans le parc de laMaison Blanche. Mais faute de faisabilité,elle a dû rapidement abandonner son projet.En guise de consolation, son époux lui a of-fert un dîner d’anniversaire chez Nora, l’undes plus célèbres restaurants bio de la cap-itale américaine. À croire que les post-soixante-huitards n’ont vraiment plus l’ex-clusivité des plaisirs des céréales complètes…

Toutefois, l’importance de la vague biodemande à être relativisée. En effet, lemarché des produits bio – certes en pleineexpansion – représente moins de 2 % dumarché alimentaire global. Ce qui veut direque 98 % de tout ce que consomment lesFrançais n’est pas bio ! Traduite en termesfinanciers, cette consommation représenteun budget annuel moyen consacré par mén-age aux produits d’alimentation et d’hygiènebio d’à peine 50 euros[7]. Soit beaucoupmoins que ce que débourse un foyer poursurfer sur Internet. En réalité, les achats bio

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ne sont pas très fréquents. Selon le Syndicatnational de l’industrie des viandes, les vi-andes bio françaises ont représenté, en 2007,0,6 % des abattages de gros bovins, 0,21 %des abattages de veaux et 0,7 % de ceux d’ag-neaux. D’après une enquête de TNS World-panel, les consommateurs responsablesfrançais, c’est-à-dire ceux « qui ont fait dubio leur mode de vie », consacrent à l’en-semble de leurs produits bio et équitables unbudget inférieur à 150 euros par an, alorsque le budget annuel moyen consacré parfoyer français aux produits de grande con-sommation s’élève à 2 700 euros. Ces citoy-ens « responsables » consacrent donc enmoyenne 5,4 % de leur budget aux produitsbio. Bref, même pour les plus « accros », en-viron 95 % du budget est encore et toujoursdédié à la nourriture issue de l’agricultureconventionnelle.

Un marché de luxe

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C’est que le bio reste un marché de luxe,ou du moins un marché dont les produitssont bien plus onéreux que leurs équivalentsnon bio. « Il n’y a pas à tortiller : le bio esthors de prix », conclut le quotidien Libéra-tion, qui rappelle que « s’approvisionner enbio dans les grandes surfaces reste horsd’atteinte pour la plupart des consom-mateurs[8] ». Et si l’Agence Bio avance unsurcoût inférieur à 30 % par rapport auxproduits conventionnels, la réalité est biendifférente. C’est ce qu’a révélé une étude dumagazine spécialisé Linéaires, publiée ennovembre 2009. Selon Florent Vacheret, sonrédacteur en chef, « manger bio revient enmoyenne 72 % plus cher » ! Cette enquête,qui a provoqué une réaction frisant l’hystérieau sein des dirigeants de la Fnab, a été con-firmée trois mois plus tard par une autre in-vestigation, réalisée par l’association deconsommateurs UFC-Que Choisir.« Produits bio, beaucoup trop chers ! », titre

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Que Choisir dans son numéro de février2010. Selon le mensuel, le panier bio serait57 % plus cher que le panier conventionnelcorrespondant. Que Choisir pointe du doigtles marges abusives réalisées sur les produitsbio par la grande distribution. Des margesqui seraient largement supérieures à celles,déjà élevées, pratiquées sur les produits nonbio. Cependant, cette explication reste trèspartielle et n’élucide qu’une partie duproblème. Car comme le remarque avec per-tinence Florent Vacheret, « si Biocoop et LaVie Claire étaient moins chers que lesgrandes surfaces, ça se saurait ! ».

Depuis 2010, les études démontrant queles produits bio sont hors de portée du con-sommateur moyen s’accumulent. À son tour,la fédération Familles rurales a annoncé enaoût 2010 un surcoût des produits bio de 70%, titrant ainsi « Fruits et légumes bio, desproduits inaccessibles[9] ».

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Les raisons d’un surcoût

Ce surcoût est parfaitement logique. Carqui dit bio dit nécessairement davantage demain-d’œuvre et de contraintes tout au longde la chaîne de production et de distribution.C’est que la non-utilisation des produitschimiques de synthèse (engrais et produitsphytosanitaires) a un coût. Les engrais, enparticulier azotés, constituent en effet avec lagénétique et les conditions hydriques l’undes plus puissants facteurs de rendement, etles produits phytosanitaires préservent le po-tentiel de rendement en cas d’attaque de bio-agresseurs[10]. Or, comme l’admet l’AgenceBio, à structure d’exploitation identique,l’agriculture biologique emploie plus demain-d’œuvre par hectare, car la mise enœuvre de techniques alternatives auxproduits chimiques de synthèse nécessitedavantage de temps[11]. « Avec la chimie, ondésherbe un champ de carottes pour 1 euro.En bio, il me faut quatre heures de main-

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d’œuvre, soit charges et congés compris, 60euros[12] », témoigne Jean-Pierre Bourven,un maraîcher bio installé dans le Val-d’Oise.Selon une étude réalisée en 2004 sur un pan-el de fermes de grandes cultures situées enMidi-Pyrénées, l’agriculture biologique exi-gerait 30 % d’emplois de plus qu’une struc-ture conventionnelle équivalente. Des don-nées que confirme l’Agence Bio dans sondossier de presse d’octobre 2010. Pour palli-er le problème du coût de la main-d’œuvre,qui pénalise davantage la France qued’autres régions du monde, un certainnombre d’exploitations agricoles bio ont re-cours au « Wwoofing ». Le principe estsimple : les « Wwoofers », membres de laWorld Wide Opportunities in Organic Farm-ing (souvent des jeunes désireux de découv-rir un pays ou une région), travaillent béné-volement dans des fermes biologiques enéchange d’un hébergement et de la nourrit-ure. Cette formule basée sur le donnant-

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donnant est plutôt sympathique et con-viviale. Mais surtout, elle permet à l’agricul-teur bio de bénéficier d’une main-d’œuvred’appoint exonérée de charges sociales.

Le faible volume de la production bioconstitue un autre handicap de la filière. Lalogistique (transformation, transport, stock-age, contrôle) est lourde, et les problèmes dedisponibilité pour les circuits courts sontréels. C’est ce qu’illustre le cas de la municip-alité de Saintes (Charente-Maritime), qui adû renoncer, faute de faisabilité, à fournir àses 1 600 écoliers des steaks hachés bio. « Sije décide un service de steaks, cela re-présente trois vaches à abattre pour mes1 600 repas. Que fait le producteur desautres morceaux ? Il faudrait qu’en mêmetemps, il ait une commande de bourguignonou autre[13] », explique Carine Chevalier, ladiététicienne du service de restauration scol-aire. De plus, la modicité des quantités ven-dues pose un problème pour le distributeur,

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notamment pour les produits frais. « Le tauxde casse [c’est-à-dire les produits abîmés oupérimés] sur le frais bio reste sans communemesure avec le reste de l’offre, vu la mod-estie des rotations », confirme FlorentVacheret.

La faible production bio ne permet doncpas de rentabiliser correctement la filière. Leproblème des économies d’échelle se pose icipleinement. Dans le cas du blé tendre, lafilière bio française doit disposer d’infra-structures spécifiques (silos, transport,usines de traitement, etc.) pour faire face àune production annuelle moyenne de 70 000tonnes, alors que la filière conventionnellebénéficie d’infrastructures capables detraiter une production annuelle de 37 mil-lions de tonnes. Entre les deux filières, le ra-tio est de l’ordre de 500 ! De même, un col-lecteur de céréales bio regroupait en 2007 enmoyenne 960 t sur 44 exploitations, tandisque son homologue conventionnel collectait

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en moyenne 70 000 t sur 271 exploita-tions[14]. Ces chiffres soulignent un réelmanque de concentration dans la collectebio, qui entraîne inévitablement des sur-coûts, liés notamment au transport. Ainsi,certains départements n’ont toujours pas decoopérative bio, ce qui constitue un véritablecasse-tête pour les producteurs, obligés d’in-vestir dans des espaces de stockage spéci-fiques. En Seine-et-Marne, les producteursbio sont même contraints de faire livrer leurproduction aux coopératives bio de Bour-gogne, de Haute-Normandie et du Centre !« Aujourd’hui, le bio, c’est trop souvent despetits producteurs et entreprises artisanalesqui travaillent chacun dans leur coin. Celadonne une noria de petits camions quitransportent de petits volumes, vers depetites unités de triage qui ne tournent pas àtemps plein[15] », note Le Canard Enchaîné.« Si l’agriculture biologique veut être une al-ternative à la conventionnelle, ce sera au

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prix d’une certaine industrialisation », con-clut l’hebdomadaire satirique. Mais est-cevraiment ce que veulent les producteurs bio ?

L’autre inconvénient notable de l’agricul-ture bio – et notamment de sa production decéréales – est la faiblesse de ses rendements(entre 25 et 30 quintaux à l’hectare en moy-enne en France pour le blé bio, contre 70 à90 q/ha pour le blé conventionnel). Récem-ment, l’institut national de la recherche agro-nomique (Inra) a signalé des écarts de rende-ments entre cultures bio et conventionnellesde l’ordre de 80 % pour les pois, 70 % pour lecolza, 60 % pour l’orge et les pommes deterre, 50 % pour le blé dur et 40 % pour letournesol[16]. Pour les pommes, des essaiscomparatifs ont été réalisés par la Fédérationdes Centres d’initiatives pour valoriser l’agri-culture et le milieu rural (Civam) et l’Associ-ation agrobiologique d’Aquitaine, avec lavariété Smoothee bio en 1996 et 1997[17]. Ilsont montré des différences de production

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entre les deux années d’environ 7 000 kg(11 500 kg en 1996 contre 4 800 kg en 1997),soit un écart de 70 % pour un même type deproduction ! Toujours en 1996 et 1997, lavariété Smoothee, cultivée cette fois-ci enconduite intégrée[18], a donné respective-ment 19 900 kg et 23 500 kg. Non seulementl’écart entre ces deux années tombe à 23 %,mais la différence entre pommes bio etpommes en production intégrée est stupéfi-ante : jusqu’à 18 000 kg, soit 390 % !

Ce faible rendement est conforme à l’es-prit de l’agriculture bio, opposé au « pro-ductivisme » et ses hauts rendements. Maisce choix implique la nécessité de vendre saproduction plus cher. Ainsi, en mai 2010, leblé bio se vendait à plus de 350 euros latonne, alors que le blé conventionnels’écoulait aux alentours de 120 euros/t, soitpresque trois fois moins. Toutefois, le calculn’est pas toujours aussi simple. En 2002,Jean-Paul Maviel, un agriculteur et éleveur

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de brebis installé dans l’Aveyron, s’est vuproposer une conversion en bio pour sa pro-duction de lait destinée à la fabrication deroquefort. « À l’époque, les ÉtablissementsCoulet voulaient produire un roquefort bio.Ils envisageaient de nous payer environ 1,30euro le litre de lait bio, soit environ 0,40euro de plus par rapport à ce que j’avaisjusque-là. Ce qui était en effet très tentant.Cependant, il faut faire un calcul trèsrigoureux, car la différence du coût d’achatentre l’aliment conventionnel et l’aliment biopour mes brebis peut aller du simple audouble », relativise l’éleveur, qui ne s’est fi-nalement lancé dans l’aventure que pour sescultures. « En blé, les coûts de production sesituent autour de 380 euros/tonne, contre lamoitié en conventionnel (toutes chargescomprises, dont les amortissements et lamain-d’œuvre). Si on ajoute à ce constat lavolatilité des prix du bio (365 euros/t en2002, 255 euros/t en 2005 et entre 340 et

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400 euros/t en 2007), on comprend que lamajorité des agriculteurs n’aient pas enviede passer à la bio, et que ceux qui ont fait cechoix s’interrogent[19] », confirme PhilippeViaux, ingénieur à l’institut du végétalArvalis.

Enfin, les marges pratiquées sur le biosont plus confortables à tous les stades de lafilière (production, transformation, etc.), etpas seulement à la distribution. Certes, il ex-iste des circuits parallèles qui évitent cer-tains intermédiaires, comme les Associationspour le maintien d’une agriculture paysanne(Amap). Ce système lie par contrat les con-sommateurs aux producteurs – les premierss’engageant à acheter aux seconds chaque se-maine, pour un montant fixe et mensualisé,un panier de produits frais de saison, le plussouvent bio, et dont ils ne connaissent pas àl’avance la composition. Sympathique ? Sansdoute. Convivial ? Sûrement. Mais est-cevraiment le modèle idéal à proposer aux

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producteurs ? Rien n’est moins sûr. En effet,malgré la présence de débouchés, les Amappeinent à trouver de nouveaux producteurs.« Les agriculteurs, souvent dubitatifs, nesont pas très chauds pour se convertir dansle bio du fait en particulier d’un lobby agri-cole qui demeure figé sur la question[20] »,explique Perrine Feutry, coordinatrice del’Amap de La Madeleine, située dans le nordde la France. La responsable oublie juste dementionner que ce modèle d’agriculturepaysanne assure rarement plus d’un Smic àses producteurs qui, de plus, ne comptentpas leurs heures de travail. Benoît, ancienprofesseur d’histoire-géographie reconvertien fournisseur de légumes bio pour deuxAmap parisiennes, gagne en moyenne 5euros de l’heure pour dix heures de travailpar jour (quatorze au printemps), avec pourseules vacances quatre semaines en janvi-er[21]. Pas de quoi faire rêver ! C’est pourtant

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ce modèle que souhaite généraliser le députéécologiste Yves Cochet[22].

Peut-on sérieusement prétendre que cetype de circuit commercial pourrait nourrirune population plus importante que lesquelques citadins nostalgiques des fruits etlégumes du jardin potager de leur enfance ?Que pèsent économiquement l’ensemble desréseaux alternatifs, comme les Amap, lesGroupements d’achats solidaires et éthiquesbretons ou les réseaux Marché paysan etJardins de Cocagne, face à la distributiontraditionnelle, y compris les petits commer-çants ? Pas grand-chose ! En région parisi-enne, il existe environ 150 Amap, qui fourn-issent chaque semaine des paniers delégumes pour… moins de 7 500 foyers ! C’estla raison pour laquelle la revue spécialiséeLibre Service Actualité (LSA) n’a pas tortlorsqu’elle affirme que l’avenir du biopassera par la grande distribution[23]. Cetteperspective laisse perplexes les acteurs

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historiques de l’agriculture bio. « L’agricul-ture biologique s’est développée avec desprofessionnels qui partageaient un certainnombre de valeurs, estimant qu’elle nepouvait se résumer à la simple définition dela réglementation[24] », rappelle Henri dePazzis, président de ProNatura. Il est vraique le souci des grands distributeurs resteavant tout économique, les consommateursétant de plus en plus nombreux à comparerles prix. Ce qui explique la montée en puis-sance des marques de distributeur bio, lesfameuses MDD, dont l’objectif à terme est depouvoir afficher des prix aussi proches quepossible de ceux des produits convention-nels. Une équation bien difficile à résoudre,sauf à compter sur les importations ou à ex-ercer une pression inacceptable sur les pro-ducteurs bio français.

L’émergence des MDD sur le marché dubio a fait exploser les importations deproduits bio, soulevant l’inquiétude des

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producteurs bio français. « Les fruits etlégumes bio français boudés par la grandedistribution[25] », titrait l’agence de presseagricole Agrapresse en mars 2010. Au mêmemoment, cinq associations françaises de pro-ducteurs de fruits et légumes bio rappelaientque le marché bio avait déjà connu une situ-ation de « surproduction » en fruits etlégumes[26]. « C’est ainsi que l’été dernier,en pleine saison de production française, lamajorité des fruits et légumes biologiquesprésents dans certaines enseignes de grandedistribution étaient importés. Cet état de faitrépond aux engagements pris par ces ensei-gnes de fournir à leurs consommateurs desproduits bio à bas prix[27] », expliquaient lessignataires. En effet, il est impossible pourles producteurs bio français de rester com-pétitifs face à leurs collègues étrangers, quibénéficient d’une main-d’œuvre beaucoupmoins onéreuse et font appel à des travail-leurs saisonniers exerçant dans un cadre

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social très différent. De quoi handicaper dur-ablement la filière AB française, exigeante enmain-d’œuvre ! « Le soin que nous appor-tons à nos cultures et notre volonté depratiquer une agriculture durablement bio-logique ne nous permettent pas d’être com-pétitifs pour répondre à ces demandes », ad-mettent les professionnels du bio.

Et ce n’est pas tout. « L’importation nevient pas combler le manque chronique devolumes, qui devraient, dans ce cas, pro-gressivement être remplacés par des pro-ductions françaises. Elle répond à une de-mande en produits exotiques, hors saison ouà bas prix, que nous ne pouvons et nevoulons pas proposer aux consommateurspour des raisons éthiques, techniques ouéconomiques », expliquent les producteursbio. C’est que les consommateurs de produitsbio n’achètent pas que des radis noirs enhiver et des courgettes en été. Ils veulent

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aussi des tomates en plein mois dedécembre !

Manger local est-il toujours un boncalcul ?

On peut s’interroger sur la pertinence deretrouver dans nos magasins des noixproduites en France mais décortiquées enMoldavie ou en Ukraine, où la main-d’œuvreest moins chère. On peut également déplorerque la viande d’agneau de Nouvelle-Zélandeait supplanté celle du Berry, des Causses oudes Pré-Alpes. Comme le note Que Choisir,« rien ne vaut les fruits et légumes de saisonayant poussé le plus près possible du lieu deconsommation, dans le respect del’environnement ». Mais faut-il pour autantse priver de tous les produits d’importation ?Certes non ! Comme le rappelle une étude del’Observatoire bruxellois de la consomma-tion durable portant sur les fruits et légumes,

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des tomates ayant parcouru entre 4 000 et8 000 km par voie maritime consommentmoins d’énergie que des tomates amenées àmaturité sous serre dans nos régions ! Desconclusions que confirme un article du Cour-rier de l’Environnement de l’Inra, qui rap-porte les résultats d’études sur le bilan éner-gétique global de différents produits im-portés ou de proximité. « Les produits ré-gionaux, par rapport aux produits mondi-aux, n’ont pas nécessairement une consom-mation d’énergie finale inférieure, commeon a souvent tendance à le croire[28] », in-dique l’article. Explication : « L’avantageapparent de distances moindres car limitéesà la région peut être vite annulé par desfaiblesses logistiques, par une utilisation in-suffisante des capacités de production et detransport et par des processus inefficaces ».Calculer le véritable bilan énergétique n’estpas aussi simple qu’il y paraît, car de mul-tiples paramètres interfèrent. Même pour le

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bilan carbone, les choses ne sont pasévidentes. Comme le rappelle Que Choisir,les haricots du Kenya sont transportés ensoute sur des vols de passagers qui auraientlieu même sans marchandise. Pourquoi s’enpriver ? La défense du commerce de proxim-ité n’est donc pas incompatible avec le com-merce international.

En dépit de ces réalités objectives, les ad-eptes les plus radicaux du « manger local »s’interdisent tout produit ayant parcouruplus de 160 km. Réunis au sein de commun-autés d’internautes – qui ne se privent pasdes autoroutes mondialisées de l’inform-atique ! –, ces « locavores » doivent la con-ceptualisation de leur mode de vie à l’activ-iste écologiste américaine Jessica Prentice,auteur de Full Moon Feast (2006). Les ad-eptes français du « locavorisme »préféreront ainsi la chicorée au café de Co-lombie ou d’Éthiopie, de même qu’ils ban-niront de leur régime alimentaire ananas,

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bananes et autres fruits exotiques. « Commenos ancêtres, manger est un besoin primaireet nous devons avoir ce réflexe de nousnourrir avec des produits issus de la prox-imité. Cela est sain pour nous car nous fa-vorisons la fraîcheur des produits, sain pourl’environnement car nous ne faisons pasparcourir des distances démesurées auxproduits. Cela contribue également àl’économie de proximité en favorisant lescircuits courts, le direct producteur », peut-on lire sur le site jesuislocavore.com.

Pour Yves Cochet, député écologiste etancien ministre de l’Environnement, il nefaut « consommer que des produits qui vi-ennent de moins de 500 km de chez soi », etrejeter « tout ce qui vient d’au-delà des mers[chocolat, café, thé, poivre, etc.] [29] ». Adieudonc oranges, citrons, riz ou huile d’olivedans les assiettes de la moitié nord du pays…Comme le souligne Nature & Progrès, cetterelocalisation de l’économie constitue le

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point cardinal du projet politique de l’agri-culture biologique. Ce qui explique le refussystématique par certains partisans du biodes circuits mondialisés de distribution, quisont bel et bien en train de s’emparer d’unepart considérable du marché émergeant desproduits bio.

Acheter bio est-il justifié ?

La vraie question reste de savoir si achet-er bio en vaut vraiment la peine. Car payerun peu plus, pourquoi pas, mais pour quelbénéfice ? Dans sa brochure Oui au bio dansma cantine !, le WWF avance trois argu-ments en faveur de l’alimentation bio : « Lebio, c’est bon pour la santé car riche en élé-ments nutritifs, mais surtout exemptd’OGM, de pesticides et de conservateurspotentiellement nocifs pour l’organisme. Lebio, c’est bon pour l’environnement en priv-ilégiant un mode de production qui respecte

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les ressources naturelles, les sols et la biod-iversité. Enfin, le bio, c’est bon pour les fin-ances ! En bio, les agriculteurs touchent unrevenu décent, la production locale bio crée20 à 30 % d’emplois supplémentaires et per-met de faire économiser aux contribuablesles frais de décontamination et frais médi-caux générés par l’utilisation des pesti-cides. » En achetant bio, le consommateurest donc convaincu de toucher le tiercé gag-nant : meilleure santé, meilleur respect del’environnement et solidarité envers la petiteagriculture. Mais le bio peut-il réellementtenir ses promesses ?

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PARTIE I

LA NUTRITION

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I – AU CŒUR DES FORCES VITALES

Pour les partisans de l’AB, les produitsbio possèdent de plus grandes vertus nutri-tionnelles, ce qui les rendrait meilleurs pourla santé. « Un aliment bio a une densité nu-tritionnelle plus importante. Il n’est pas gor-gé d’eau comme beaucoup de produits con-ventionnels. Plus riche en nutriments, il estdonc plus goûteux et plus apte à rassasi-er[30] », explique le Dr Lylian Le Goff,membre de la Fondation Nicolas Hulot et deFrance Nature Environnement. MathieuLancry, président du Groupement des agri-culteurs biologiques du Nord-Pas-de-Calais(Gabnor), rapporte de son côté les résultatsd’une étude de l’institut de recherche en agri-culture biologique FiBL (Suisse), qui aurait

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démontré qu’« en matière nutritionnelle, lesproduits biologiques se distinguent par desteneurs plus élevées en métabolitessecondaires et en vitamine C ». « Le bio estbon pour l’homme[31] », en conclut-il. Sousle titre « Le bio, c’est bien », Que Choisir en-tonne le même refrain : « Petit à petit, desétudes sont publiées et elles tendent àmontrer une supériorité du bio par rapportaux aliments conventionnels[32]. »

La question de la supériorité nutrition-nelle des aliments bio est essentielle pour lafilière, car elle représente un argument im-portant pour son développement. Selon ladernière enquête réalisée pour l’Agence Bio,ceux qui choisissent de consommer desproduits bio le font à 91 % pour préserverleur santé[33]. Ce n’est pas le fruit du has-ard : depuis ses débuts, l’agriculture biolo-gique a placé la relation nourriture-santé aucœur de ses préoccupations. Dès la fin de laSeconde Guerre mondiale, la revue La Vie

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Claire (créée en 1946 par Henri-Charles Gef-froy) a renforcé ce lien de manière décisivedans l’esprit collectif. D’autres associations yont contribué, comme Vie et Action, fondéepar le naturopathe André Passebecq, et l’As-sociation française pour la recherche d’unealimentation normale (Afran), créée en 1952par le Dr Jacques-William Bas. Ces pionniersdu bio se sont inspirés du courant hygiénistede l’entre-deux-guerres, incarné par le DrPaul Carton et le Prix Nobel de médecineAlexis Carrel, de même que des thèses del’anthroposophe Rudolf Steiner, fondateurde l’agriculture biodynamique.

Des souris du Dr Pfeiffer aux ratonslaveurs de Jane Goodall

En 1970, le jeune agronome ClaudeAubert, alors premier secrétaire général del’association Nature & Progrès, se référait àplusieurs expériences effectuées sur des

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souris par Ehrenfried Pfeiffer (1899-1961),chef de file de l’école biodynamique[34], afinde soutenir la supériorité des aliments bio.Dans l’une d’entre elles, les souris, qui dispo-saient d’une quantité illimitée de blé courantet de blé biodynamique, avaient presque ex-clusivement choisi le blé biodynamique, « ycompris celles qui, depuis six générations,n’avaient consommé que du blé courant ».Dans une autre expérience, le Dr Pfeiffermettait en évidence un taux de mortalité« deux fois plus faible chez les souris nour-ries au blé biologique [que chez les sourisnourries au blé conventionnel], ce qui in-dique une plus grande vigueur ». L’agro-nome avançait d’autres preuves, notammentles observations faites par un agriculteurbavarois pratiquant la méthode biody-namique, qui affirmait que des cerfs venaientpériodiquement dévaster ses cultures sansjamais toucher à celles de son voisin, quipratiquait l’agriculture classique. Autrement

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dit, les cultures conventionnelles n’étaientpas assez appétissantes pour les cerfs, qui sedélectaient en revanche de la bonne nourrit-ure biodynamique…

Quarante ans plus tard, la célèbre prim-atologue Jane Goodall ne dit rien de trèsdifférent lorsqu’elle affirme que « les ratonslaveurs dévastent les champs bio, pas lesautres[35] ». Plus impressionnant, les oies,les vaches et les porcs seraient capables,grâce à leur instinct, de détecter la présenced’un ADN modifié. « Les oies sauvages nevont jamais dans les champs de colza àgraines modifiées. En Amérique, deséleveurs ont constaté que les vachespréfèrent le maïs naturel au maïs Bt, et lesporcs dédaignent les rations OGM », pour-suit la spécialiste des chimpanzés.

Grâce à leur instinct du danger, les an-imaux ne s’y tromperaient donc pas. Or, au-jourd’hui, cette conviction d’une nourrituresaine parce que naturelle est plus que jamais

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enracinée. Elle confère à l’agriculture bio uneexcellente image de marque, que la filièren’hésite pas à valoriser dans sa communica-tion. Et ça marche ! Beaucoup de femmes semettent ainsi à acheter du lait bio quandelles deviennent mamans, car cet achat estlié à la symbolique forte du lait, considérécomme aliment nourricier premier. « Lesmamans veulent offrir un produit sain àleurs enfants[36] », résume Anne Richard,du Centre national interprofessionnel del’économie laitière.

Que disent les études scientifiques ?

Sans surprise, toute remise en cause dudogme de la supériorité nutritionnelle des al-iments bio est vécue comme un véritablecasus belli par la filière. C’est ce qu’a con-staté à ses dépens le Dr Alan Dangour, co-auteur d’une méta-analyse publiée dans laprestigieuse revue American fournal of

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Clinical Nutrition[37]. Suite à ses recherches,le nutritionniste britannique avait osé con-clure que « du point de vue de la nutrition, iln’y a actuellement aucun élément en faveurdu choix de produits bio plutôt que d’ali-ments produits de manière convention-nelle ». Après cette publication, il a fait l’ob-jet d’une campagne de harcèlement sur In-ternet. « J’ai reçu beaucoup d’e-mails nég-atifs, dont certains étaient très injurieux,mettant en cause mon intégrité et mon in-dépendance », témoigne-t-il. De son côté, leDaily Mail a publié une virulente critique deson étude, la plaçant au cœur d’une « con-spiration cancéreuse pour empoisonnernotre foi dans la nourriture bio ». Plussérieusement, la Soil Association (qui re-présente le lobby du bio outre-Manche) en acontesté les conclusions, arguant que sesauteurs n’avaient pas pris en compte l’étudeeuropéenne du Pr Carlo Leifert, plus favor-able aux aliments bio. Sauf que cette étude,

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censée « être rendue publique à la fin del’année 2009[38] », est toujours en attente depublication…

En France, l’étude du Dr Dangour aégalement fait fleurir les critiques. Le cardi-ologue et nutritionniste Michel de Lorgeril ya vu la main invisible du lobby agroali-mentaire. « Y aurait-il quelque part et àl’approche des grandes négociations surl’avenir de l’agriculture européenne unestratégie visant à décrédibiliser une agricul-ture qui ne soit pas industrielle et productiv-iste, exportatrice (plutôt que locale),prédatrice des ressources naturelles etdévastatrice pour l’environnement[39] ? »,s’est-il interrogé. La Fnab a elle aussi verte-ment réagi, déclarant que l’étude du DrDangour « constitue une quasi-escroquerieintellectuelle ». Pour Générations Futures(ex-Mouvement pour les droits et le respectdes générations futures ou MDRGF), elle esttout simplement « tronquée ».

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Or, le Dr Dangour ne dit rien de plus quel’Association française des diététiciens nutri-tionnistes (AFDN), qui rappelle dans uncommuniqué de presse que « manger bio nesignifie pas nécessairement manger équilib-ré[40] ». « Les bénéfices santé d’une aliment-ation bio ne sont pas scientifiquement dé-montrés. Ainsi, concernant les apports envitamines ou minéraux, les résultats sontcontradictoires selon les études car les ten-eurs sont variables en fonction de la qualitéet de la nature du sol. S’ils contiennentmoins de pesticides, on note un plus grandnombre de contaminations par différentsmicrobes ou champignons car ils ne subis-sent pas de traitements antifongiques etdonc les produits bio se conservent moinslongtemps », poursuit l’AFDN. De très nom-breux travaux abondent dans ce sens. En2003, l’Agence française de sécurité sanitairedes aliments (Afssa, aujourd’hui intégréedans l’Anses) a publié un important rapport

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sur ce sujet[41], dont les conclusions sontsans appel : « L’ensemble des données exam-inées dans le cadre de cette évaluation amontré, de manière générale, peu dedifférences significatives et reproductibles,entre la composition chimique des matièrespremières issues de l’agriculture biologiqueet de celles issues de l’agriculture conven-tionnelle. Les résultats des études sont par-fois contradictoires. Les nombreux facteursde variation intervenant dans la composi-tion chimique et la valeur nutritionnelle desaliments (variété/race, saison, climat, stadede maturité ou de développement, stockage,conduite d’élevage…) sont souvent plus im-portants que l’impact des facteurs liésstrictement au mode d’agriculture (naturede la fertilisation, des traitementssanitaires…). » L’étude de l’Afssa vient d’êtreréactualisée par le nutritionniste LéonGuéguen et le toxicologue Gérard Pascal, dir-ecteurs de recherches honoraires de l’Inra.

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« En Europe du Sud, la principale motiva-tion d’achat de produits AB demeure la pro-tection de la santé. Pourtant, la vocationpremière de l’AB, reconnue par ses protag-onistes officiels, est la préservation del’environnement, et non pas la nutrition etla santé des consommateurs. L’AB a une ob-ligation de moyens mais pas de résultatsconcernant les qualités nutritionnelles,sanitaires et gustatives de ses produits »,notent-ils en guise d’introduction. « Face àla cacophonie actuelle des messages qui cir-culent, à tous les niveaux, vantant la qualitésupérieure des aliments bio, il nous a sembléutile de refaire le point à partir du rapportde l’Afssa publié en 2003, et en y ajoutantles données nouvelles publiées (plus de 100références) », expliquent les deux experts,qui relèvent quelques différences dans cer-tains fruits et légumes bio, comme « des ten-eurs plus élevées en vitamine C et en poly-phénols, mais plus faibles en caroténoïdes ».

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« L’un des points forts de la bio, c’est larichesse en antioxydants », affirme BrunoTaupier-Létage, responsable-qualité à l’Itab.« La plante produit ces micro-constituantsen réaction à certains stress, comme l’at-taque des ravageurs. En bio, elle doit sedéfendre par ses propres moyens[42] »,explique-t-il. « Ce qui est parfaitement vrai.Toutefois, il faut également préciser que laformation des polyphénols s’accompagne decelle de centaines de métabolitessecondaires, qui sont pour certains des tox-ines à action insecticide ou fongicide, et dontseulement quelques-uns ont été étudiés pourleur toxicité, notamment les glycoalcaloïdesde la pomme de terre et de la tomate », re-lativisent Léon Guéguen et Gérard Pascal.Pour eux, « les faibles différences observéesentre aliments Agriculture Biologique etAgriculture Conventionnelle n’ont aucunerépercussion significative sur la nutrition etla santé[43] ».

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Leurs conclusions corroborent celles del’équipe du Dr Crystal Smith-Spangler, del’université de Stanford (États-Unis). Afin dedéterminer s’il existe une différence nutri-tionnelle entre les aliments conventionnelset les aliments bio, les chercheurs américainsont passé à la loupe plus de 200 études. Ilsconcluent que les consommateurs de fruits,de légumes et de céréales biologiques réduis-ent sensiblement leur exposition aux pesti-cides par rapport aux groupes se nourrissantde manière classique. En revanche, ils nepeuvent pas compter sur une qualité nutri-tionnelle supérieure, ni sur une meilleure sé-curité alimentaire, y compris en ce qui con-cerne le risque de contamination par desbactéries, des métaux lourds et des mycotox-ines[44]. Bref, les travaux français de l’Afssa– confirmés par ceux de l’Académie d’Agri-culture de France –, la méta-analyse britan-nique du Dr Alan Dangour et les recherchesaméricaines du Dr Smith-Spangler

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convergent vers une même conclusion : agri-culture biologique ne rime pas plus avec pro-tection de la santé qu’agricultureconventionnelle.

Des forces invisibles

« C’est la énième étude qui arrive à cetteconclusion du fait qu’elle se limite à l’ana-lyse des nutriments[45] », rétorque ClaudeAubert, commentant l’étude du Dr Dangour.Un reproche invariablement formulé depuisquarante ans ! « Aucun critère analytique(chimique ou autre) ne peut rendre comptede la notion de qualité biologique, car tropde facteurs (dont certains sont à peine con-nus) entrent en jeu[46] », écrivait-il dès 1970.« La science moderne nous enseigne quenous nous nourrissons des composéschimiques que contiennent les aliments,[mais] rien ne prouve que la force vitale desplantes et des animaux ne participe pas

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également, d’une manière ou d’une autre, ànotre nourriture », avançait-il. Aujourd’hui,le Dr Lylian Le Goff tient des propos simil-aires : « Ce “plus bio” nous permet de renou-veler notre potentiel vital. Les alimentsdoivent en effet nous apporter à la fois desmatériaux et de l’énergie, qui n’est pas –seulement – celle que libère la combustiondes sucres, des graisses et des protéines (no-tion classique), mais qui est aussi – et sur-tout – une “énergie vitale” restituée par l’ali-ment sous forme de composés à haut poten-tiel d’énergie (particulièrement les vitam-ines et oligo-éléments catalyseurs des réac-tions biochimiques cellulaires) [47]. »

Des « forces vitales » pour Claude Aubert,une « énergie vitale » pour Lylian Le Goff.Bigre, voilà une bien curieuse affaire !D’autant plus que ces forces, ou cette éner-gie, sont impossibles à mesurer. Sauf à util-iser des méthodes alternatives comme la« cristallisation sensible », la

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« morphochromatologie » et la « méthode dela goutte sensible ». « Ces trois méthodes ontpour but de donner une image visible desforces contenues dans toutes les substances,et en particulier dans leur matièrevivante », explique doctement ClaudeAubert. Pour Lylian Le Goff, « le test descristallisations sensibles, qui révèle la “vital-ité” des aliments corrélée à leur teneur enéléments à haut potentiel d’énergie, té-moigne nettement en faveur des produitsbio ». Seul inconvénient de ces méthodes,elles « ne peuvent donner lieu à aucunemesure quantitative et conservent une partde subjectivité dans leur interprétation »,doit néanmoins reconnaître Claude Aubert.

Une croyance très ancienne

La controverse sur les supposés bienfaitsde l’alimentation biologique se nourrit enréalité d’une croyance irrationnelle qui vient

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du fond des âges. Et aucun argument sérieuxne pourra jamais y changer quoi que ce soit !Pour bien comprendre ce qui est en jeu, il estnécessaire de faire un détour par lasociologie.

Comme le rappelle le sociologue ClaudeFischler, il y a toujours eu quelque chose demagique, ou de sacré, dans le rapport del’homme à son alimentation. Que ce soitdans le domaine religieux ou mythologique,l’alimentation a toujours joué un rôle essen-tiel, souvent lié à un rite sacrificiel. « La ritu-alisation offre un double avantage : par lesacrifice, elle détermine notre relation avecle surnaturel et, grâce au partage, elle sym-bolise et cristallise les rapports entre l’indi-vidu et les institutions religieuses et poli-tiques[48] », explique-t-il. L’aliment parti-cipe donc à la formation de notre identité, àtel point que s’établit avec notre nourritureune relation particulière. « Une étude amontré que les gens ont tendance à qualifier

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“d’agressif et rapide à la course” un peuplequ’on leur a décrit en indiquant, parmi lesnombreuses informations, qu’il se nourris-sait de sanglier. En revanche, ceux à qui l’onavait décrit exactement le même peuple endisant qu’il se nourrissait de tortue, le quali-fiaient de “très lent et jamais pressé” ! »,note Claude Fischler. Or, si nous croyons quenous sommes ce que nous mangeons, il estfondamental que nous ayons la maîtrise denotre alimentation. « L’alimentation indus-trielle nous pose un problème d’identité rad-ical : comment savoir qui je suis, si je suis ceque je mange mais j’ignore de quoi ce que jemange est fait ? Les produits viennent “d’ail-leurs”, ils n’ont pas d’histoire », explique lesociologue.

Ce problème radical d’identité liée à l’ali-mentation a toujours existé. Cependant, il apris une tournure nouvelle à partir de l’in-dustrialisation de la nourriture, qui remontedéjà à plus d’un siècle et qui a permis à cette

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peur irrationnelle de s’affirmer. Pour l’an-thropologue Jack Goody, la révolution ali-

mentaire du XXe siècle se traduit parl’avènement de la conserve (grâce au« procédé Appert »), par la mécanisation, letransport sur de longues distances et les nou-velles structures de commercialisation ;quatre composantes qui ont transformé lesproduits alimentaires en « objets comestiblesnon identifiés », comme les qualifie ClaudeFischler.

En réaction aux premiers bouleverse-ments de nos habitudes alimentaires a émer-

gé au début du XXe siècle un mouvements’appuyant sur les travaux du Dr Paul Carton(1875-1947). Ce naturopathe hygiéniste a étél’un des premiers à développer le concept de« forces vitales », contenues notamment,mais pas exclusivement, dans l’alimentation.En 1924, il a fondé la Revue naturiste et, au-jourd’hui encore, ses ouvrages font référencedans les milieux des thérapies naturelles.

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« La force vitale n’est pas une puissancesurnaturelle et mystérieuse. Elle est une desmodalités de l’Énergie cosmique, qui n’estpas sans analogie avec le fluide élec-trique[49] », explique le Dr Carton. « Lesdifférents milieux terrestres et les êtres quiles peuplent sont imprégnés de force vitale.Elle est répandue surtout dans l’air, dont lespropriétés vivifiantes ne sont pas un vainmot. Elle est l’essence même des rayons sol-aires qui apportent la vie à la nature en-tière. Elle abonde dans les effluves mag-nétiques du sol », ajoute-t-il. Le naturopathepréconise trois règles d’hygiène : « Vivre leplus possible à la campagne […] et dormir lanuit au bon air ; si l’on travaille dans uneville ; éviter de séjourner en pièces closes[…] ; exécuter le matin une série de respira-tions profondes, accompagnées d’exercicesphysiques éducatifs[50]. » Les « bains d’air »et les bains de soleil sont également recom-mandés. Néanmoins, il faut « se garder de

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tomber dans les exagérations et les im-pudicités (nudité totale, sexes mélangés) dunudisme, entreprise païenne de culte char-nel et de relâchement moral qui n’a rien àvoir avec la sage méthode de santéhippocratique-cartonienne [sic] ».

« Ce qui crée la santé et la force despaysans, c’est l’imprégnation incessante deleurs organismes par les forces vitales del’air qui tonifie, du soleil qui réconforte, dela terre qui magnétise, de l’eau qui rev-igore ; c’est aussi la nourriture simple, pure,fraîche, et en partie crue (vitamines). C’est,en résumé, la vitalisation totale del’individu[51] », enseigne le Dr Paul Carton.Le naturopathe met en garde ses lecteurscontre l’éloignement de la vie naturelle, « caril ne saurait exister de résistance organiqueni de réconfort mental, sans réception et as-similation des forces vitales de la nature ».Il est sage, « [si l’on tient] à la pureté de sonétat humoral et à l’équilibre de son

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caractère, de s’abstenir d’aliments carnés etde boissons fermentées. […] L’alcool ravageles viscères et rend fou, tuberculeux ou can-céreux. […] L’excès de sucre surmène le foie,acidifie et congestionne l’organisme, [et] laviande est un aliment de fatigue, d’intoxica-tion et de déviation mentale », avertitl’auteur du Décalogue de la Santé, qui n’hés-ite pas à établir un lien de causalité entrenourriture et santé mentale.

Le blé d’Osiris de Geffroy

Henri-Charles Geffroy (1895-1981), lefondateur de La Vie Claire, est l’un des ad-eptes du Dr Carton. Dans Osiris, le miracledu blé (1949), il retrace l’histoire mi-raculeuse de quelques épis de blé retrouvésdans le sarcophage d’une reine d’Égypte. Cesépis, qui dateraient « de sept mille ans[sic] », ont été offerts au frère de PierreSauvageot, l’auteur de la préface d’Osiris. Ce

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dernier les a cultivés jusqu’à ce qu’Henri-Charles Geffroy prenne l’affaire en main etdistribue aux lecteurs de sa revue des sachetsde ce blé aux vertus extraordinaires.

C’est de ces blés que « [jaillira] une vérit-able révolution », s’enthousiasme PierreSauvageot. « La civilisation du blé àlaquelle, de bonne foi, le funeste Parmentieravait porté deux coups dangereux, l’un dir-ect, par l’introduction du pain blanc dansl’armée, l’autre indirect, par l’introductionfrauduleuse d’une solanée toxique de lamême famille que le tabac, cette civilisationdes mystères d’Osiris, d’Éleusis et de Beth-léem, peut et va enfin renaître[52] », seréjouit-il en 1949. Osiris, le miracle du bléconstitue un véritable panégyrique des blésantiques à l’origine des grandes civilisations.Ceux-ci auraient nourri les forces del’homme, lui conférant une vigueur à touteépreuve, et ce, précisément grâce aux« forces vitales » qu’ils contenaient. « S’il y a

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une race française, on le doit au blé. Si lepain ne contient plus tous les éléments es-sentiels du blé, on diminue la vitalité de larace française. C’est la conséquence desprocédés de la minoterie actuelle[53] »,déplore le Dr Lenglet, président du Conseilsupérieur d’hygiène publique de Franceentre 1940 et 1946.

« Donnez aux hommes la nourriture quileur convient, c’est-à-dire les fruits et le blé,à l’état le plus près possible de l’état naturel,et immédiatement toutes les infirmités dis-paraissent comme par enchantement, et ja-mais plus ils ne connaissent ni maladie nifaiblesse[54] », affirme de son côté Geffroy,convaincu que seule une alimentation à basede ces blés « antiques » peut enrayer ladégénérescence de l’espèce humaine. « Dansla course descendante que suit actuellementl’humanité, et avec elle tout ce qui a vie surterre, végétaux ou animaux, entraînée,comme un obus qui a dépassé le sommet de

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sa trajectoire, à une vitesse sans cesse ac-célérée vers un abîme dont il nous est im-possible de mesurer la profondeur, l’inter-vention d’un blé auquel sept mille ans desommeil ont épargné la régression de septmille générations [sic] est seule capable deprovoquer ce rebondissement miraculeuxdes hommes vers les sommets d’un progrèsréel, qui doit nous permettre d’échapper auplus épouvantable des cataclysmes »,s’enflamme-t-il. « Car le blé d’Osiris, qu’on leveuille ou non, recèle en sa substance, seulsur toute la terre, l’élan vital, le potentielbiodynamique, qu’avait la matière vivante ily a sept mille ans, à l’époque qui vit fleurir,chez les peuples qui s’en alimentèrent, unedes plus magnifiques civilisations de tous lestemps », explique le fondateur de La VieClaire.

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Le pain naturel de Raoul Lemaire

Ce discours aux relents ésotériques n’estpas sans rappeler celui d’un autre pionnierdu bio : l’agronome et chef d’entrepriseRaoul Lemaire (1884-1972). Dès 1931, ce filsde négociant – et ami du Dr Carton – fondel’une des premières maisons de produitsnaturels. Son réseau, qui comptera unecentaine de boulangeries à Paris, distribue le« pain naturel Lemaire ». Quelques annéesplus tard, le pain Lemaire sera égalementvendu dans les magasins La Vie Claire.

Issu de blés conçus et développés parRaoul Lemaire, le pain naturel Lemaire pos-séderait, lui aussi, des vertus miraculeuses.En effet, il permettrait rien moins que demettre un terme au déclin de notre civilisa-tion ! « La méconnaissance de la force dublé depuis plus de deux cents ans est à l’ori-gine de la dégénérescence de notre civilisa-tion occidentale, dégénérescence qui ad’abord touché la classe aisée, l’aristocratie,

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puis les citadins, et s’attaque depuis cin-quante ans à ce qu’il y avait de plus solideen France et dans le monde : la paysanner-ie[55] », affirme Jean Boucher, l’un desproches collaborateurs de Raoul Lemaire.« [Le pain naturel Lemaire] est capable denous détacher de la cupidité caractéristiquede notre époque et de nous affranchir desbesoins matériels », poursuit-il. Car « le bonpain permet de se satisfaire de peu, au lieud’exaspérer les besoins. [Il] nourrit le corpscomme il nourrit l’esprit ». Bref, « c’est luiqui régénère l’humanité ! », conclut JeanBoucher.

Steiner et les forces cosmiques

Autre grande figure de l’agriculture biolo-gique, Rudolf Steiner (1861-1925) a lui aussicontribué à vulgariser ce concept de forcesoccultes. Dès les années vingt, il affirme quel’alimentation naturelle possède des vertus

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en raison des « forces cosmiques » qui l’im-prègnent. Ces forces exerceraient une telleinfluence sur la santé humaine que certainsfruits et légumes pourraient être soitbénéfiques, soit au contraire dangereux,selon la pathologie en cause. « Dans cer-taines conditions, la consommation de to-mates à titre de régime a un effet bénéfiquesur les personnes qui ont une tendance àune maladie de foie, parce que le foie est ce-lui de nos organes qui a le fonctionnement leplus autonome dans l’organisme[56] », ex-plique Steiner, qui ajoute qu’en revanche « ilfaudrait immédiatement interdire de con-sommer des tomates à une personne quisouffre d’un cancer, puisqu’un cancer crée apriori dans l’organisme humain […] unezone d’autonomie ». « La tomate ne veut ab-solument pas sortir d’elle-même, sortir de saforte vitalité, elle s’y refuse. Elle y est, elle yreste », commente-t-il.

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L’anthroposophe se montre égalementtrès sévère à l’égard de la pomme de terre :« La pomme de terre a aussi des tendancessemblables [à celles de la tomate]. Elle aaussi un comportement indépendant, in-dépendant au point de traverser depréférence tout le processus de la digestionsans aucun mal, de pénétrer dans le cerveauet de le rendre indépendant, indépendantmême de l’action des autres organes hu-mains. » D’où il conclut que « si les hommeset les animaux sont devenus matérialistesdepuis l’introduction de la pomme de terreen Europe, c’est entre autres parce qu’ilsconsomment trop de pommes de terre,précisément ».

Toute la philosophie de l’agriculturesteinerienne – ou agriculture biodynamique– repose encore aujourd’hui sur l’existenceprésumée de ces forces cosmiques. Une agri-culture correctement pratiquée saurait entirer profit, estiment les biodynamistes.

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Notamment grâce à quelques recettesésotériques, dont la « Préparation 500 » estde loin la plus répandue. Cette méthode con-siste à enfouir dans la terre une corne devache remplie de fumier afin de conserver« les forces que la corne de vache avaitl’habitude d’exercer à l’intérieur même de lavache, à savoir réfléchir l’éthérique etl’astral », explique Steiner. « [La corneétant] entourée de terre, tous les rayons quivont dans le sens de l’éthérisation et de l’as-tralisation convergent et pénètrent dans lacavité qu’elle constitue », ajoute-t-il.

De nos jours, ces notions de forces cos-miques ou vitales des aliments n’ont pas dis-paru du discours officiel de la filière bio. En2009, Bruno Taupier-Létage, de l’Itab, aréalisé un rapport sur « les méthodes glob-ales d’analyse de la qualité » dans lequel ilprésente les idées agronomiques de Steinercomme une alternative sérieuse. « Les pro-moteurs de l’agriculture biologique et

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biodynamique considèrent que dans un ali-ment, il y a bien sûr une composante“biochimique”, indispensable à l’entretien ducorps biologique de l’homme. Mais il yaurait aussi une autre composante aussi es-sentielle, en lien avec cette notion de vitalité,qui contribuerait à nourrir d’autres aspectsplus subtils de l’être humain. C’est ainsi quetoute la biodynamie a été mise en place dansle but de favoriser cette vitalité des ali-ments : utilisation de compost, utilisation depréparations biodynamiques pouvant êtreconsidérées comme des levains biologiquespour les sols et/ou les composts, prise encompte des influences planétaires au mêmetitre que l’influence de la lune courammentadmise sur l’eau terrestre, etc. », explique-t-il, avant de conclure : « Il semblerait que cesméthodes représentent un fort potentield’innovation pour la bio [car elles] con-tribuent à porter un regard nouveau sur levivant. » D’autant plus qu’il existe « une

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demande forte chez le consommateur, sens-ible aux produits porteurs de vitalité », notele rapport. Bref, les idées de Geffroy et Stein-er ont encore de belles heures devant elles…

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II – LES CHEVALIERS DEL’APOCALYPSE : BAS, GEFFROY ET

PASSEBECQ

Les partisans du bio ne se contentent pasde vanter les valeurs nutritionnelles de cesproduits, censées être supérieures à cellesdes produits issus de l’agriculture conven-tionnelle. Pour attirer le consommateur, ilsaffirment que les produits« conventionnels » sont dangereux pour lasanté. Ainsi, médecins et nutritionnistes« indépendants » font régulièrement la unedes médias avec leur discours anxiogène surla nourriture. Pour eux, l’industrie agroali-mentaire fait « n’importe quoi », d’où le faitque ses produits altèrent notre santé.

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Le cancérologue Dominique Belpommedoit ainsi sa réputation à son livre Ces mal-adies créées par l’homme, devenu depuis saparution en 2004 la référence obligée des as-sociations écologistes et des médias enmanque de scandales. Cependant, celui quela revue L’Ecologiste considère comme l’undes génies de sa génération est loin d’être leseul à alimenter ce discours alarmiste.Laurent Chevallier, médecin nutritionnisteau CHU de Montpellier, déclare en une duNouvel Observateur : « Il y a les résidus depesticides dans certains fruits et légumes :ce sont des perturbateurs endocriniens, quipeuvent provoquer des troubles du métabol-isme difficilement réversibles. Une exposi-tion prolongée – pour certains d’entre eux–, même à faible dose, peut favoriser l’émer-gence de divers cancers, dont ceux du sein.Ils peuvent aussi provoquer des anomaliesde la reproduction – malformations gén-itales, infertilité, dysmorphies sexuelles – et

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modifier les commandes de l’appétit ». Cetexercice médiatique lui a permis au passagede faire la promotion de son dernier livre,Mes ordonnances alimentaires – dont letitre n’est pas sans évoquer le Décalogue dela Santé du Dr Carton. Et le nutritionnisten’en est pas à son coup d’essai : en 2009, ilavait déjà publié Les 100 meilleurs alimentspour votre santé et la planète, dans lequel ilavertissait que les enfants risquent d’être enmoins bonne santé que leurs parents. Despropos que tenait précisément ClaudeAubert en… 1979 ! « De nombreux indicesmontrent que, en dépit des progrès de lamédecine, l’état de santé général de la popu-lation ne cesse de se dégrader et que cetteévolution va en s’accélérant[57] », assurait lesecrétaire général de Nature & Progrès(N&P).

Or, comme l’a démontré un groupe dechercheurs travaillant dans le cadre de l’Ob-servatoire européen des espérances en santé,

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on vit aujourd’hui sans incapacité jusqu’à 68ans en moyenne dans l’Union européenne.En France, grand pays agricole, ces chiffress’élèvent à 68 ans pour les hommes et 69 anset 8 mois pour les femmes, alors qu’en Alle-magne, ils se situent respectivement à 63 anset 62 ans.

Toujours dans l’Hexagone, l’espérance devie atteint 77,5 ans pour les hommes et 84,4ans pour les femmes (chiffres de 2007), alorsqu’en 1979, elle n’était respectivement quede 70 ans et 78 ans. En trente ans, elle n’adonc cessé d’augmenter, infirmant toutes lesprédictions pessimistes de Claude Aubert,qui déclarait que « la mortalité, qui avaitnettement diminué entre 1950 et 1971, re-commence à augmenter légèrement ».

Quant à la progression du cancer, elle estattribuée sans hésitation par ces « lanceursd’alerte » à la dégradation de l’environ-nement. Ainsi, le chimiste André Cicolella,responsable du Réseau Environnement

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Santé et membre de la commission santé desVerts, estime que 35 % de l’augmentation dunombre de cancers sont liés à l’environ-nement. Il précise que « la progression [ducancer] n’est pas due uniquement auphénomène de vieillissement de la popula-tion, comme on l’a affirmé pendantlongtemps. […] Preuve que le phénomènen’est pas seulement un effet du vieillisse-ment, les cancers de l’enfant progres-sent[58] ». Et lorsqu’on demande au Pr Bel-pomme quels sont les principaux facteurs derisques du cancer, il cite en premier les pesti-cides[59]. Une fois de plus, les deux scienti-fiques chantent une vieille antienne ! En1964, il y a plus de quarante-cinq ans, onpouvait en effet lire dans La Vie Claire : « Lecancer se répand de plus en plus. Mais safréquence de plus en plus grande pourrait àla rigueur s’expliquer par l’augmentation dela longévité moyenne. Ce qui est grave, c’estque le cancer frappe des êtres de plus en

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plus jeunes, ce qui prouve que l’homme y estplus réceptif qu’autrefois à âge égal, et quele vieillissement de la population n’est pasune explication suffisante de la diffu-sion[60]. » Parmi les principales causes fa-vorables à l’extension du cancer, l’auteur del’article citait la pollution atmosphérique et« l’alimentation malsaine ».

Le Dr Bas à la recherche d’une« alimentation normale »

Les prédictions de Claude Aubert surl’état de santé et l’espérance de vie de la pop-ulation s’appuyaient notamment sur lesthéories d’un certain Dr Jacques-WilliamBas (1899-1974). Trente ans auparavant,dans les années cinquante, le Dr Bas, présid-ent de l’Association pour la recherche d’unealimentation normale (Afran) et cofondateurde N&P, tenait en effet des proposanxiogènes sur la toxicité de l’alimentation

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« moderne » et la « diminution du potentielvital ». « Huit fois sur dix, il faut déplorerune diminution manifeste du potentiel vital.Du grand-père au petit-fils, la courbe derésistance est descendante[61] », expliquait-il au cours de ses nombreuses conférences.L’auteur des Sources de la Vie s’inquiétait luiaussi de la dégénérescence de l’espèce hu-maine : « Les hommes, les animaux, lesplantes, la terre, sont en voie de dégénéres-cence. Cette dégénérescence est rapide et larésistance vitale de nos contemporains estdéjà gravement atteinte[62]. » « Si l’on veutbien se reporter par la mémoire au-delà desvingt dernières années et comparer au pointde vue biologique comme au point de vue in-tellectuel et moral les deux générations, ilest impossible de ne pas avouer qu’il y adéchéance », concluait-il.

Les théories du Dr Bas s’inscrivent dansla mouvance de l’hygiénisme vital du Dr Car-ton. Ce mouvement est à distinguer de la

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grande entreprise d’assainissement conduite

en France au XIXe siècle, grâce notammentaux découvertes de Pasteur, à la vulgarisa-tion de l’hygiène corporelle et à la mise enplace de structures de propreté publiquecomme les réseaux d’égouts et la gestioncommune des déchets[63]. L’hygiénisme vi-tal, lui, lie la santé mentale et physique àl’hygiène de vie à partir de considérationsqui frisent l’eugénisme. « Au cours de la vieintra-utérine […] se constitue un capital deforces vitales puisées par les parents dansles réserves vitales collectives de l’espèce.Ces énergies impondérables, qui provi-ennent des entités invisibles […], traversentles canaux de la race, de la famille et desgéniteurs, s’y imprègnent, au passage, desparticularités ethniques et familiales quiconstituent les caractères héréditaires[64] »,explique le Dr Carton. Pour lui, l’hommepossède une immunité génétiquement ac-quise, qui peut être altérée par son mode de

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vie (société industrielle), par la médecine(vaccinations) ou par la nourriture (aliment-ation industrielle).

« On a fait croire au public que le painblanc est supérieur au brun. La farine a étéblutée de façon de plus en plus complète, etprivée ainsi de ses principes les plus utiles.[…] Et dans tous les pays où le pain est lapartie principale de l’alimentation, les popu-lations dégénèrent[65] », note de son côté leDr Alexis Carrel, autre figure majeure de cemouvement hygiéniste. L’auteur deL’homme, cet inconnu va jusqu’à suggérer larésolution des problèmes de son époquegrâce à « l’établissement, par l’eugénisme,d’une aristocratie biologique héréditaire ».« Par une éducation appropriée, on pour-rait faire comprendre aux jeunes gens àquels malheurs ils s’exposent en se mariantdans des familles où existent la syphilis, lecancer ; la tuberculose, le nervosisme, lafolie ou la faiblesse d’esprit. De telles

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familles devraient être considérées par euxcomme au moins aussi indésirables que lesfamilles pauvres », assure-t-il. Un discoursrepris à son compte par le Dr Bas : « Lasanté de l’homme est-elle aujourd’hui com-promise par les effets conjoints des perturb-ations multiples et manifestes que nousavons reconnues à notre alimentation ? Jeveux répondre maintenant à cette question.Alexis Carrel, dont le nom semble être ig-noré en France alors qu’il fait autorité àl’étranger, me paraît avoir pris à cet égardune position très juste : “L’homme est incap-able de suivre la civilisation dans la voie oùelle s’est engagée. Parce qu’il dégénère”[66]

[…]. » En postulant que l’accroissement de lataille des hommes et des femmes signe ladégénérescence de l’espèce humaine, le DrBas se réfère encore à Alexis Carrel. « Engénéral, les individus les plus sensibles, lesplus alertes et les plus résistants, ne sont pasgrands. Il en est de même pour des hommes

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de génie. Mussolini est de taille moyenne, etNapoléon était petit[67] », écrivait le PrixNobel de médecine. Ce qui donne, sous laplume du Dr Bas : « L’accroissement de lataille d’une génération sur celle qui laprécède est tenue pour un symptôme dedégénérescence. […] On sait que cette per-manence des caractères biologiques est undes critères les meilleurs pour juger de lastabilité d’une espèce et par conséquent deson évolution ascendante ou régressive. […]Le déséquilibre des sécrétions hormonales etglandulaires qui préside à cette évolutionnouvelle trouve nécessairement son originedans une perturbation récente et générale.Où découvrir cette origine sinon dans lesanomalies d’une alimentation rigoureuse-ment bouleversée dans son équilibre[68] ? »

Dès 1960, le Dr Bas affirme que l’abandonde l’alimentation traditionnelle est la causede cette « dégénérescence ». « Les modifica-tions modernes apportées aux procédés de

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la culture traditionnelle, en conférant cer-tains avantages substantiels, ont trans-formé radicalement le rendement, la naturede la production et […] la qualité fonda-mentale de l’aliment », écrit-il. Il ajoute :« Après s’être soustraits, souvent par néces-sité, aux conditions de la vie naturelle, noscontemporains perdent actuellement leurcapital de santé et de résistance biologiqueparce que l’alimentation est adultérée. Lessubstances alimentaires ont perdu leurqualité essentielle. » Pour lui, seulesquelques peuplades primitives jouissent en-core d’une santé correcte. « Notons que cespeuplades retranchées de la vie modernepeuvent continuer à protéger leur santé enrestant fidèles à la tradition alimentaire deleurs pères », analyse-t-il.

Basé sur ce qu’il appelle « les sources devie » – sa propre version des sources vitalesde Carton –, son raisonnement n’a pas plusde fondement scientifique que celui de son

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maître à penser. « Les sources de vie nousapparaissent d’abord de nature matérielle.Elles se trouvent confiées au sol, à l’air, auxradiations solaires qui nous enveloppent detoute part. […] Les sources de la viephysique sont presque exclusivement con-tenues dans la terre. […] Il est certain quedans la mesure où les êtres humains aban-donnent la terre, s’en séparent en se confin-ant dans les villes, échappant ainsi à la vienaturelle pour laquelle ils ont été faits, ilsperdent le contact direct avec les sources devie. […] L’aliment est à distance le don de laterre. Il peut entretenir le contact perdu,mais il en peut aussi consommer la ruptureselon son efficacité nutritive », écrit le DrBas.

La Vie Claire de Geffroy

Autre figure marquante du mouvementhygiéniste de l’après-guerre, Henri-Charles

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Geffroy, fortement inspiré par Alexis Carrel,tient également un discours apocalyptiquesur les « nouvelles maladies » et les« désordres mentaux » qui seraient généréspar l’alimentation courante de son époque.« Toutes ces maladies, extrêmement graves,sont uniquement causées par la mauvaisealimentation habituelle de l’enfant. […] Maisil y a aussi d’autres signes […]. Cette fois, cene sont plus des maladies, mais ce que l’onappelle des défauts, des vices : la paresse, lagourmandise, le mensonge, la dissimula-tion, la nervosité extrême, provoquant descolères subites ou, au contraire, un état dedépression […]. Tous ces désordres […] ré-sultent de quelques insuffisances ali-mentaires[69] », écrit-il dès 1950 !« Longtemps, le pain entra pour trois-quarts dans la nourriture des hommes denotre pays. Dans le même temps, ils igno-raient les maladies de carence. Or, depuis50 ans que l’industrie s’est permis de

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toucher à ce pain ancestral, en le privantdes qualités essentielles de la graine, notrerégression biologique a pris des proportionstelles qu’il sera bientôt impossible d’en ar-rêter les effets si une intervention énergiquene se produit pas[70] », avertit Geffroy. Pourlui, la dégénérescence des hommes a donccommencé au début du siècle dernier ! « Sil’on abandonne brusquement l’aliment qui aconcouru pendant des millénaires à la form-ation de notre corps et de notre esprit, LEBLÉ, pour en adopter d’autres, ou même sil’on continue à l’utiliser mais en le dénatur-ant, en lui enlevant ses éléments indispens-ables, on altère progressivement les cara-ctères de la race et l’on voit peu à peu ap-paraître ces symptômes de dégénérescenceque sont les maladies, les vices, le fléchisse-ment du niveau intellectuel, les anomaliesdans la descendance, l’affaiblissement desfacultés génésiques, la diminution de lalactation chez les mères, fonction qui

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conditionne la conservation des caractèresraciaux chez l’enfant, etc. [71] », affirme-t-il.

Fléchissement du niveau intellectuel,mais aussi dégénérescence de la race : voilà àquoi mène l’abandon du bon vieux pain deFrance ! « Il faut se pénétrer de ce principequ’un aliment ne convient pas à un êtrevivant parce qu’il reproduit la compositionde cet être, mais que c’est au contraire l’êtrequi présente une composition identique àcelle de l’aliment, dont sa race s’est nourriependant des millénaires[72] », explique lefondateur de La Vie Claire. « Cela signifieque toutes les caractéristiques physiques etmorales de notre race, aussi bien en ce quiconcerne la forme de nos dents, la dimen-sion de nos organes, le rythme de nos fonc-tions, que le développement de nos facultéscérébrales, la qualité de notre intelligence,notre degré de sensibilité et l’orientation denos activités spirituelles, nous les devons aublé », martèle-t-il.

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« La civilisation, le machinisme, ledéveloppement du commerce et de l’indus-trie, ont peu à peu modifié la compositiondes aliments de base, enlevant ceci, ajoutantcela, et il en est résulté des troubles profondsdans les diverses fonctions de l’organismehumain, dont la maladie est le signe[73] »,explique Geffroy en 1960. Il accuse les indus-triels d’avoir transformé le pain en « paincadavre » : « C’est un véritable crime contrel’homme que d’avoir attenté à la qualité denotre pain, et les savants qui se rendentcomplices des consortiums industriels re-sponsables de ce crime, en déconseillant oumême en combattant l’usage du pain com-plet, sont les malfaiteurs. » Pour lui, l’ori-gine des cancers se trouve dans ces « ali-ments artificiels comme le pain blanc, lesucre blanc, l’huile raffinée, le sel blanc, lesconserves et tous les aliments dans lesquelssont introduits des colorants ou des arômessynthétiques ». Cinquante ans avant le Pr

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Belpomme, Geffroy s’insurge donc contre« [ces aliments responsables du] cancer, quitue un Français toutes les sept minutes ».« Autrefois considéré comme une maladiede vieux, le cancer frappe maintenantjusque dans les berceaux », affirme le « spé-cialiste », qui n’étaie cependant ses propossur aucune étude scientifique sérieuse.Néanmoins, grâce à sa revue et à son réseaude boutiques, il a réussi à vulgariser l’hygién-isme de Carton et Carrel auprès de centainesde milliers de Français à partir de 1948.Souvent même sans que ces derniers s’enrendent compte…

André Passebecq et la fin de lasanté

Autre figure de proue de la croisade pourune alimentation saine, le naturopatheAndré Passebecq (1920-2011) a fondé en1960 l’association Vie et Action, dont le but

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est de faire connaître la « médecine naturellefondamentale ». « La plupart des alimentsqui nous sont offerts de nos jours sont tox-iques, carencés, dévitalisés, déséquilibrés.Ils ne peuvent plus assurer qu’une santéprécaire chez les animaux et les hommes »,affirme-t-il en 1975 dans La fin de la santé.Preuve ultime de son argumentation, lestribus primitives jouiraient d’un excellentétat de santé : « L’observation morpholo-gique des tribus vivant éloignées de la civil-isation révèle […] un remarquable équilibremorphologique et morpho-psychologique.Les individus y sont dotés d’une large im-munité naturelle à la maladie et à la cariedentaire. […] La situation change lorsque lacivilisation fait son apparition. Les civilisésapportent avec eux les techniques d’hygiènesuppressive et palliative et bien d’autresvices. » Plus radical que ses confrères ad-eptes des médecines à base de plantes, AndréPassebecq est convaincu que l’hygiène vitale

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– à ne pas confondre avec l’hygiène naturelle– permet de se passer de tout remède, artifi-ciel comme naturel. Pour lui, « l’individudoté d’une bonne puissance vitale est, parcela, “immunisé” contre les microbes[74] ».« La maladie aiguë […] est un processus vi-tal de désintoxication. Il n’y a pas lieu de latraiter ; il faut seulement lui permettre desuivre son cours naturel », estime-t-il. D’oùson intérêt particulier pour l’agriculture bio-logique. « Une culture biologique, ou plutôtorthobiologique, scientifique, respectant leséquilibres naturels, est de plus en pluspratiquée dans les pays anglo-saxons, ainsiqu’en France, en Suisse. […] L’initiateur decette culture fut un agronome anglais, sirAlbert Howard, dont l’ouvrage magistralTestament Agricole représente la base laplus sûre, la plus précise et la plus convain-cante, des bienfaits d’une culture conformeaux lois de l’équilibre[75] », affirme-t-il.

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Restons sérieux !

Tout au long de son histoire, l’agriculturebiologique a été présentée comme l’alternat-ive à une agriculture productrice d’alimentstoxiques, dangereux, contaminés. C’est-à-dire à une alimentation non naturelle, à l’ori-gine de toutes sortes de dégénérescences. Bi-en avant le grand tir croisé du Dr Bas,d’André Passebecq et d’Henri-Charles Gef-froy – qui ont abreuvé pendant plus detrente ans la population française de proposapocalyptiques concernant l’état épouvant-able de notre nourriture –, le Dr Carton etRudolf Steiner tenaient le même langage.« Telle quelle est actuellement, la nourriturene donne plus à l’être humain la force demanifester l’esprit dans le physique. […] Lesplantes alimentaires ne contiennent plus lesforces qu’elles devraient donner auxgens[76] », expliquait Steiner dans les annéesvingt.

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Les discours de Cassandre des Bel-pomme, Chevallier et consorts n’ont donc ri-en de nouveau. Sauf en ce qui concerne lesraisons pour lesquelles la nourriture seraitmauvaise pour la santé. L’époque moderneétant trop rationaliste pour croire en d’ob-scures forces venant du cosmos, il n’est eneffet plus question de « vitalisme ». D’ail-leurs, ni Bas, ni Passebecq, ni Geffroy, ni en-core moins les docteurs Carrel et Carton(dont les orientations eugénistes ne sont audemeurant plus très en vogue) ne font au-jourd’hui partie du panthéon de l’agriculturebiologique. Celle-ci a clairement pris ses dis-tances avec l’hygiénisme vital. Signe destemps, l’expression « hygiène biologique » amême disparu du nom officiel de N&P,baptisée à l’origine « Nature & Progrès, asso-ciation européenne d’agriculture et d’hygiènebiologique ». Seule la biodynamie de RudolfSteiner a survécu.

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Aujourd’hui, les grands criminels ont unautre nom : les pesticides – talonnés par lesOGM. Ce sont ces « redoutables » produits,issus des grands laboratoires de la chimie,qui polluent notre nourriture, devenuesource d’angoisse. Raison pour laquelle ilfaut opter pour les bons produits naturelsproposés par l’agriculture biologique. Sur-tout pour les plus faibles d’entre nous, les en-fants… qui sinon risquent de nous accuser !

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III – AGRICULTURE BIOLOGIQUE ETPESTICIDES

Si rien ne prouve que les produits biolo-giques ont une valeur nutritionnellesupérieure aux produits conventionnels –sauf à souscrire à la thèse des mystérieusesforces vitales –, du moins sont-ils sans pesti-cides. C’est en tout cas ce que soutient lelobby du bio. Ainsi, chaque année, Généra-tions Futures (GF) organise sa « Semainesans pesticides » afin de propager l’idéeselon laquelle l’usage des pesticides ne seraitpas une fatalité. « Nous avons décidé deprouver par l’exemple que l’on peut et quel’on doit se passer de ces toxiques ! »,martèle l’association. « Qu’est-ce qu’un pesti-cide ? Un pesticide a pour vocationd’éliminer ce qu’on appelle les

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“ravageurs” », indique le site de GF. Le mes-sage est clair : en bio, on n’utilise pas deproduit éliminant les ravageurs. Et ce type decommunication, superficielle, fonctionne !Tellement bien d’ailleurs qu’elle a même étéreprise telle quelle dans le mensuel de laFNSEA… « L’alimentation bio connaît unsuccès qui s’amplifie avec les années. Il estdonc naturel que cette nourriture, qui n’apas été fabriquée avec l’aide de produitsphytosanitaires [souligné par nous], intègrel’alimentation des tout-petits mais aussi desplus grands en restauration scolaire », écritainsi Jean-Christophe Luclaise dans L’in-formation agricole[77].

Bref, la voie est ouverte pour sortir de la« dictature chimique » imposée à l’agricul-ture à la fin de la Seconde Guerre mondiale.C’est contre cette « puissance » que Jean-Paul Jaud, le réalisateur du documentaireantipesticides Nos enfants nous accuseront,est vaillamment parti en guerre. « Mon papa

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a 87 ans ; quand il était gamin, il mangeaitbio, il mangeait naturel Aujourd’hui, ceuxqui ont entre 80 et 100 ans ont mangé bio àla cantine scolaire[78] », explique-t-il. « Lescentenaires d’aujourd’hui sont nés avant laguerre, ils n’ont pas connu la pollution[79] »confirme le cancérologue Dominique Bel-pomme. Un argument repris par FrançoisVeillerette, le porte-parole de GF, qui n’hés-ite pas à affirmer que « les personnes quisont nées dans les années 1920-1930 n’ontpas connu, pendant leurs vingt premièresannées, l’exposition aux produits chimiquesde synthèse, ni d’ailleurs aux radiations ion-isantes, ni à tout un tas d’autres trucs,pratiquement, ni une alimentationraffinée[80] ».

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Les bons pesticides du début du

XXe siècle

Le hic, c’est que cette agriculture ditesans pesticides, qui aurait alimenté lesgénérations du père et du grand-père deJean-Paul Jaud, n’a jamais existé. Pour s’enconvaincre, il suffit de lire les revues syn-dicales des années 1890-1900. « Voici lasaison d’emploi de tous les insecticides :charbon-engrais insecticides contre le phyl-loxéra ; capsules Jamin au sulfure de car-bone et à la benzine : désinfectant Moride,Compost, etc. », annonce le Bulletin deL’Union des Syndicats en… mai 1891 ! Troisans plus tard, la revue propose de désinfecterles vignes et les arbres fruitiers avec duLysol, une solution à base d’huiles lourdes degoudron de houille qui assure un traitementréparateur contre le phylloxéra. Dans sonédition de 1900, elle conseille d’utiliser l’Oc-cidine : « Là où on applique de l’Occidine, lesinsectes meurent ou s’empressent d’aller

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chercher un sol plus hospitalier. Tous ceuxqui devinent le danger préfèrent à la mortl’hospitalité du propriétaire voisin[81]. » Etsi déjà à l’époque, la fameuse bouillie bor-delaise est amplement recommandée (not-amment en traitement contre le mildiou dela pomme de terre), bien d’autres bouilliessont commercialisées, comme la bouilliebourguignonne, la bouillie Perdoux, la bouil-lie de Rassuen, la bouillie Michel Perret ouencore la bouillie Eclaire. Ces mélanges sontgénéralement à base de sulfate de cuivre.Mais il existe également des bouillies à basede mercure, comme la bouillie mercurielle, leMercurior ou le Sublimol. « Nous laissons àchacun le soin de décider dans quellemesure il doit faire emploi des bouillies mer-curielles, mais à tous nous conseillons defaire des essais : il serait très utile de savoirsi les sels de mercure peuvent être régulière-ment employés dans la suite ou s’il estpréférable de les abandonner

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complètement[82] », peut-on lire dans leBulletin du syndicat central en 1898.

Et ce n’est pas tout. D’autres solutionssont utilisées, comme les mélanges à base detérébenthine ou de savon (saponine), les« jus de tabac ou nicotine » ou encoredifférentes poudres, dont celles à la colo-phane. Quoi que prétendent Jean-Paul Jaudet François Veillerette, il n’a donc jamais étéaisé de se passer des pesticides… Certes, cer-tains ravageurs peuvent être maîtrisés grâceà des mesures préventives ou à la lutte biolo-gique. Mais d’autres nécessitent des inter-ventions spécifiques, comme les pucerons,les chenilles de noctuelles, le carpocapse, latordeuse orientale ou encore les mineuses,qui se régalent de fruits et de légumes. Etcomment combattre les infestations de tave-lure, d’oïdium ou de mildiou, des maladiescapables de réduire à néant toute une cul-ture, si l’on ne dispose pas de produitsadéquats ? De tout temps, l’agriculture a subi

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les assauts des ravageurs. C’est d’ailleurs laraison pour laquelle les pesticides – littérale-ment les tueurs de ravageurs – ont été misau point. « Limaces et pucerons n’ayant tou-jours pas appris à reconnaître un champbio, les agriculteurs engagés dans cette dé-marche sont eux aussi, parfois, obligés detraiter leurs végétaux[83] », rappelle nonsans ironie le mensuel Que Choisir. Autre-ment dit, l’agriculteur bio utilise, lui aussi,des pesticides ! « Il est impossible, dansl’état actuel de nos connaissances, de sedébarrasser de certains parasites sans avoirrecours à des pesticides[84] », reconnaissaitd’ailleurs Claude Aubert en 1970. Une véritétoujours d’actualité.

Les industries chimiques,fournisseuses de pesticides bio

La nécessité de recourir aux pesticides ex-plique pourquoi la majorité des produits

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phytosanitaires utilisés par les producteursbio sont fabriqués… par les multinationalesde la chimie (Syngenta, Dow, Bayer, BASFAgro, etc.). Le phénomène est d’ailleurs loind’être marginal, puisque ces firmes pro-posent à la filière AB non moins d’unecentaine de spécialités chimiques ! Parmielles, le Spinosad, un insecticide développépar le chimiste américain Dow, a récemmentreçu son homologation. Ce composé très ef-ficace, obtenu par fermentation, est dérivédu mélange de deux toxines sécrétées parune bactérie vivant dans le sol. Il provoquechez l’insecte une excitation du systèmenerveux et des contractions musculaires in-volontaires, survenant quelques minutes àpeine après l’ingestion et entraînant uneparalysie, puis la mort dans un délai d’un àtrois jours. Peu dangereux pour les mammi-fères, les oiseaux, les poissons et les crus-tacés, le Spinosad est en revanche très tox-ique pour certains invertébrés aquatiques

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ainsi que pour les abeilles. Il est donc forte-ment recommandé de ne pas l’utiliser sur lescultures en pleine floraison.

C’est également grâce aux géants de lachimie que les agriculteurs bio peuvent con-tinuer à utiliser les formulations à base decuivre. Celles-ci étaient menacées par laCommission européenne, qui voulait en lim-iter considérablement l’usage pour des rais-ons d’environnement et de santé. Elles ontété sauvées grâce à la mise en place d’unetask force des plus grands producteurs depesticides, qui a géré le dossier permettantl’inscription du cuivre parmi les substancesautorisées en Europe. Certes, il n’est pasquestion d’autoriser des bouillies comport-ant des quantités de cuivre aussi importantes

que celles utilisées au début du XXe siècle.Mais la bouillie bordelaise reste un fongicidedisponible, et massivement utilisé en viticul-ture biologique.

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Enfin, il existe de nombreuses formula-tions à base de plantes possédant des pro-priétés insecticides et répulsives vis-à-vis deplus de 200 espèces d’insectes. C’est le casdes extraits de fleurs de pyrèthre, très actifscontre de nombreux insectes, ou de l’azadir-achtine, la substance active de l’huile deneem.

À partir des années cinquante, les insect-icides naturels ont progressivement disparude la palette des produits phytosanitaires.Les agriculteurs leur préféraient en effet desproduits de synthèse plus performants. Seulsles « bio » ont continué à les utiliser, quitte àrecourir à certains produits interdits depuislors, compte tenu de leur toxicité. C’est le casde la nicotine, un alcaloïde dont les pro-priétés insecticides sont bien connues et quia été autorisé en agriculture biologiquejusque dans les années quatre-vingt-dix… al-ors qu’il est 40 fois plus toxique pourl’homme que le DDT ! C’est aussi le cas de la

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roténone, un produit issu de plantes trop-icales, très toxique pour les poissons etdivers insectes – qu’il paralyse –, et qui estprobablement à l’origine de certains cas demaladie de Parkinson.

Car qui dit pesticides naturels ne dit paspesticides sans danger ! Ce qui est assezcompréhensible, puisque ces produits onteux aussi pour fonction d’éliminer les rav-ageurs. D’ailleurs, dans de nombreux cas, lespesticides naturels ont servi de modèle pourles pesticides de synthèse. Ainsi, la moléculedes pyréthrinoïdes est voisine de celle dupyrèthre naturel : le mode d’action est lemême, mais la persistance d’action dequelques jours, recherchée et obtenue dansle produit de synthèse, permet d’éviter lamultiplication des traitements. Autre ex-emple, l’abamectine, un insecticide de syn-thèse largement utilisé pour protéger les to-mates, les haricots verts et certains arbresfruitiers contre les ravageurs (mineuses,

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thrips, acariens), s’inspire du mode d’actiondes avermectines, substances isolées debactéries du sol (Strepto-myces sp.). Con-trairement aux préparations phytosanitairesà base de plantes, qui contiennent unequantité non déterminée de matière active,variant en fonction de la croissance desplantes et de nombreuses impuretés parfoisnocives, les produits issus de la chimie desynthèse sont parfaitement dosés, la nature,le titre et la qualité de leurs substances act-ives étant totalement contrôlés enlaboratoire.

Des produits jamais évalués

Depuis plusieurs années, certainsproduits naturels suscitent non sans raisonl’inquiétude au sein des instances chargéesde la protection de la santé. En effet, la plu-part d’entre eux n’ont pas fait l’objet d’étudesde toxicité sur l’environnement et la santé

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aussi approfondies que dans le cas desproduits de synthèse. Certains ont même étémaintenus à la vente sous le seul prétextequ’ils étaient utilisés depuis longtemps. Maisles exigences sanitaires étant de plus en plusrigoureuses, ces produits doivent aujourd’huifaire l’objet d’une réelle évaluation. Uneétape très difficile à franchir pour certainsd’entre eux. Après le retrait de produitsminéraux comme l’arsénite de sodium et lepermanganate de potassium, la roténone aété interdite d’usage en Europe le 10 octobre2009. Suite à cette décision, les associationsen faveur de l’agriculture biologique se sontmobilisées pour obtenir une dérogation per-mettant de bénéficier d’un délai supplé-mentaire pour l’usage sur pommes, pêches,cerises, vignes et pommes de terre. EnFrance, l’emploi de la roténone est encore ac-cordé aux utilisateurs professionnels munisd’un équipement de protection appropriéjusqu’au 31 octobre 2011. Curieusement, les

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adeptes du principe de précaution ont ici ré-pondu absents ! Pourtant, dès 2005, l’insti-tut technique d’agriculture biologique (Itab)mettait en garde les utilisateurs contre les ef-fets non intentionnels de la roténone sur lafaune auxiliaire. « Homologuée contre la ci-cadelle de la flavescence dorée, l’impact dela roténone sur la faune auxiliaire est peuconnu, en particulier son impact sur lesacariens phytoséides régulateurs naturels,qui jouent un rôle très important dans lesagro-écosystèmes[85] », avertissait KrotoumKonaté, la directrice de l’Itab, dans AlterAgri. « Son emploi pose quelques soucistechniques : il nécessite notamment cinq ap-plications dans la saison et surtout, enlaboratoire, il a montré des effets néfastessur la faune auxiliaire[86] », pouvait-on liredans un autre article d’Alter Agri. Dans lemême numéro de la revue de l’Itab,l’agronome Sophie-Joy Ondet commentaitles essais réalisés par le Groupe de recherche

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en agriculture biologique (Grab) dans lecadre de la lutte contre Metcalfa pruinosa,une petite cicadelle blanche présente surplus de 200 espèces végétales du sud de laFrance et de la vallée du Rhône. « Les troisinsecticides à retenir pour lutter directe-ment sur Metcalfa pruinosa sont lepyrèthre,le neem et la roténone », résumait la spécial-iste, qui recommandait toutefois aux viticul-teurs bio de ne pas abuser de ces produits :« Il serait judicieux d’alterner entre les troissi la pression parasitaire n’est plus tolér-able, afin d’éviter l’apparition de résistanceschez ce ravageur vis-à-vis des principes ac-tifs de l’un de ces produits. Mais attention,aucun de ces insecticides n’est encore homo-logué sur Metcalfa pruinosa. […] De plus,une attention toute particulière doit êtreportée sur les effets non désirés de cesproduits sur les abeilles. En effet, l’analysedes données toxicologiques des produitstestés dans les essais présentés montre qu’ils

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sont connus pour leur toxicité vis-à-vis desabeilles, ou qu’ils ne sont pas renseignés. Ilest donc impératif de traiter hors période defloraison et avant l’excrétion de miellat. »En clair, voilà une publication tout droitsortie d’un organisme technique officiel etqui préconise l’usage de produits non homo-logués et entraînant des effets non désiréssur les abeilles !

Interdits mais utilisés

On ne sera donc pas surpris de constaterque certains agriculteurs bio utilisent despréparations interdites. Ils ne s’en cachentd’ailleurs pas, évoquant même dans certainscas un acte volontaire de « désobéissancecivile ». C’est ce dont témoigne le courrier del’Association Rhône-Loire de développementde l’agriculture biologique (Ardab), adresséaux arboriculteurs de la région du Rhône.Résumant une rencontre organisée en mars

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2010 avec des représentants du Service ré-gional de l’alimentation de Rhône-Alpes(SRA), l’Ardab souligne : « Nous avonsexprimé avec beaucoup de déterminationque nous voulions vivre de notre activité, etque cela passait pour l’instant par l’utilisa-tion de ces produits [interdits], particulière-ment la bouillie sulfo-calcique (BSC) et lesproduits à base de neem[87]. » Or, nonseulement l’Ardab exprime son souhait depouvoir utiliser ces insecticides, mais elle in-forme le SRA que le neem, bien qu’interditd’usage en France, est déjà largement utilisépar les arboriculteurs bio, qui sont biendéterminés à continuer à enfreindre la loi ! Ilest vrai que plusieurs pays européensautorisent cet insecticide. D’où le fait que lesproducteurs bio français se sentent lésés parcette évidente distorsion de concurrence.Tout comme le sont d’ailleurs les produc-teurs de maïs français face à leurs collèguesespagnols, qui cultivent le maïs MON 810…

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Mais la loi reste la loi, que les représent-ants du SRA sont censés appliquer. Or, « lescontrôleurs ferment les yeux », constate QueChoisir. La raison de cette indulgence, in-voquée par la revue des consommateurs,vaut son pesant d’or : « On ne peut pas sefixer l’objectif de 20 % de la surface agricolecultivée en bio d’ici 2020 et empêcher lamise en œuvre concrète de ce vœu[88]. »Dans ces conditions, on comprend que lesassociations de producteurs bio n’hésitentpas à encourager leurs adhérents à en-freindre la loi : « Notre position est claire,nous continuerons en 2010 à utiliser cesproduits. » Le 3 avril 2010, une manifesta-tion a d’ailleurs été organisée à Saint-Chamond (Loire) afin d’obtenir des pouvoirspublics l’autorisation d’utiliser – entre autres– l’huile de neem. La communication faiteautour de cette action de sensibilisation estextraordinaire. Dans un communiqué depresse cosigné par Jean Sabench, en charge

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du dossier pesticides pour la Confédérationpaysanne, et Guy Kastler, porte-parole deN&P, il est indiqué que « les agriculteurs nepourront pas respecter les engagements dugouvernement de limiter l’usage des pesti-cides si les alternatives naturelles sont, ellesaussi, considérées comme des pesticides etne sont pas autorisées à cause de con-traintes administratives stupides ». En clair,les « alternatives naturelles », baptisées pré-parations naturelles peu préoccupantes(PNPP), ne devraient pas être considéréescomme des pesticides précisément parcequ’elles sont « naturelles » ! À croire que lanature protégerait systématiquement dudanger…

On a beau prétendre que ces préparationsdites naturelles présentent a priori peu derisques pour le consommateur, « on estcependant en droit de préférer les certitudesaux a priori », rappelle avec pertinence lemensuel Que Choisir. Car soit ces

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préparations sont efficaces, et elles nécessit-ent une véritable évaluation, soit elles nesont que de la poudre de perlimpinpin, sansrisque pour la santé publique, et donc d’unintérêt bien limité pour l’agriculture. C’estd’ailleurs le point de vue du ministère del’Écologie, qui résume parfaitement laproblématique en déclarant que « les PNPPrevendiquent de pouvoir agir et protéger lesplantes contre des pathologies, définitionqui les fait entrer de plain-pied dans la lé-gislation des phytopharmaceutiques à us-age agricole[89] ».

Les toxiques naturels

La position du ministère est très raison-nable. En effet, le monde végétal fabrique unredoutable arsenal de dizaines de milliers desubstances toxiques. « De nombreuses tox-ines végétales donnent immédiatement lamort, d’autres en revanche causent des

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malaises chroniques, qui s’insinuent lente-ment[90] », rappelle le Pr Peter R. Cheeke,de l’université de l’État de l’Oregon. D’ail-leurs, qui ne connaît la dangerosité de la so-lanine, un alcaloïde toxique contenu dans lapeau de la pomme de terre, à l’origine detroubles digestifs et de perturbations del’activité nerveuse ? De même, l’acide ox-alique contenu dans la rhubarbe et l’oseillepeut entraîner des crises de spasmes. Et cer-taines toxines ont même des effetsmutagènes et peuvent provoquer des can-cers. Heureusement, notre foie est un re-marquable organe de détoxification, qui peutrendre inoffensives de très nombreuses tox-ines naturelles. Ce qui explique qu’en senourrissant normalement, nous arrivons àsurvivre alors même que l’organisme ingèrequotidiennement 1,5 g de substancesvégétales potentiellement toxiques. Soit unequantité dix mille fois supérieure à celle despesticides de synthèse absorbés par notre

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organisme ! Cette estimation, réalisée en1990 par le toxicologue Bruce N. Ames, del’université de Berkeley (Californie), se basesur le contenu en pesticides naturels desprincipales plantes consommées dans lecadre de notre alimentation. Le chercheur acalculé que 13 g de café torréfié par personneet par jour contiennent 765 mg d’acidecaféique et de caféine. Les flavonoïdes etglucosinolates représentent plusieurscentaines de milligrammes, et les toxines dela tomate et de la pomme de terre, une autrecentaine. Vingt-sept pesticides naturels(acide caféique, d-limonène, safrole, es-tragole, psoralène, acrylate d’éthyle, sin-igrine, hydrazino-benzoate, sésamol, acétatede benzyle, acide chlorogénique, hy-droquinone, furfural, etc.), cancérogènespour les rongeurs, sont présents dans denombreux fruits et légumes, tels quepommes, abricots, bananes, cerises,pamplemousses, raisins, pêches, poires,

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oranges, melons, basilic, brocolis, choux deBruxelles, choux-fleurs, carottes, céleris, en-dives, laitues, thé, etc. [91]. « Ceux qui con-somment des aliments “sains et naturels”doivent savoir que ce faisant, ils absorbentune étonnante variété de substances quirendent malignes les cellules vivantes… Lacrainte superstitieuse des produitschimiques artificiels est largement répan-due, alors que les substances chimiquesnaturelles sont toujours jugéesbénéfiques[92] », remarque avec raison l’éco-logiste James Lovelock, éminent membre dela Royal Society.

En raison de la présence de toxines dansles produits naturels, l’excès de certainsd’entre eux peut vite tourner à la cata-strophe. C’est ce qu’ont appris à leurs dépens

vingt-trois participants du 7e Congrèseuropéen du végétarisme, qui s’est tenu àWidnau (Suisse) en 1999. Pris de crampesd’estomac et de vertiges au point de devoir

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être conduits d’urgence à l’hôpital, ilsvenaient de manger des haricots crus, richesen inhibiteurs d’enzymes, qui stoppent la di-gestion des protéines. De même, une femmequi avait consommé 450 g de céleri avant dese rendre dans un solarium s’est retrouvéehospitalisée pour brûlures[93]. En effet, l’ex-position aux UV après absorption de cou-marines et de psoralènes – contenus dans lecéleri – provoquent des lésions de la peau.

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IV – DES RÉSIDUS DE PESTICIDES DANSLE BIO

N’en déplaise à certains, l’agriculture bio-logique utilise bel et bien des pesticides. Cequi n’empêche pas la plupart des médias deseriner que pour éviter toute contamination,il suffit de manger bio. Parallèlement, lesmêmes ne manquent pas de signaler lesétudes montrant la présence de résidus depesticides dans l’alimentation convention-nelle. Ainsi, le consommateur est conduit àcroire que seuls les aliments issus de l’agri-culture biologique en sont exempts.

Pourtant, lors d’un séminaire sur l’ana-lyse des résidus dans l’agriculture biologiqueorganisé par le laboratoire belge Fytolab enoctobre 2009, de très nombreuses

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interventions ont fait apparaître qu’il n’étaitpas rare de retrouver des matières actives in-attendues dans les produits bio. Que ce soi-ent des résidus de pesticides autorisés en bioou des traces de produits interdits. C’est ceque rapporte la revue de la filière fruits etlégumes FLD Magazine, seule revuefrançaise à avoir couvert l’événement’. Lesresponsables de l’agriculture biologiquefrançaise ont préféré décliner l’invitation deleurs voisins belges, tandis que plus de 150spécialistes venus de Belgique, des Pays-Bas,du Luxembourg, de France, d’Allemagne etd’Espagne ont participé au séminaire.

En janvier 2009, une étude de la Direc-tion générale de la concurrence, de la con-sommation et de la répression des fraudes(DGCCRF) [94] avait déjà signalé la présencede résidus de pesticides dans des produitsbio d’origine française. Or, la presse n’a ja-mais eu accès à cette étude. Elle s’est simple-ment vu destiner un communiqué de presse

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sur « le programme 2007 de surveillance etde contrôle des résidus de pesticides dans lesproduits d’origine végétale », très vague ence qui concerne la présence de pesticidesdans les produits bio. L’étude de la DGCCRF– dont nous avons pu nous procurer un ex-emplaire – révèle pourtant que 21 % desproduits issus de l’agriculture biologiquecontiennent des résidus de pesticides. Soitun produit sur cinq ! « Sur 256 échantillonsde produits biologiques, 203 échantillons neprésentent aucun résidu de pesticide, 45échantillons sont positifs en dessous de laLMR [limite maximale de résidus] et 8échantillons sont positifs au-dessus des ten-eurs maximales autorisées. En tenantcompte de l’ensemble des échantillons posi-tifs, le taux de non conformité est de 20,7% », note le document.

Certes, ces pourcentages ne concernentque 256 échantillons. Il serait donc abusifd’en tirer des conclusions générales. Mais

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certaines études réalisées à l’étranger con-firment ces données, notamment les travauxconduits entre 2002 et 2008 par l’équipe al-lemande d’Eberhard Schüle, qui relèvent uneprésence de résidus détectables dans les den-rées bio comprise entre 23 % et 30 %[95].Toutefois, les études portant sur la présencede résidus de pesticides dans les produits bione sont pas très courantes. « Pour la France,les données publiées au sujet des enquêtesnationales sont d’une grande sobriété, fortpeu explicites et de parution tardive. Laseule étude conséquente que nous connais-sions (Setrab) est extrêmement orientée etcomporte des imprécisions considér-ables[96] », indique Jean-Louis Bernard,membre de l’Académie d’agriculture. Ilsouligne un autre problème considérable : lemanque d’analyses portant sur les résidus decuivre et de soufre. « Le fait qu’une majoritéd’études analytiques – tant AC que AB – nesemble pas rechercher ces substances crée

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un biais évident lorsqu’il s’agit d’apprécierla présence de résidus dans les denrées agri-coles, et une distorsion importante favor-able à l’AB, où leur usage est massif »,explique-t-il.

Si la présence de résidus de cuivre et desoufre n’est pas synonyme de risque pour lasanté, les produits bio n’en sont pas moins« déloyaux », puisqu’ils ne sont pas con-formes aux attentes des consommateurs ! Eneffet, quand ces derniers achètent un produitbio, ils sont persuadés d’acheter un produitsans résidus de pesticides.

Suite à son étude de janvier 2009, laDGCCRF a décidé de poursuivre son enquêteafin de déterminer la part entre pratiquesfrauduleuses, négligences fautives et con-taminations fortuites. Or, à ce sujet, le si-lence est total ! À croire qu’aujourd’hui, il estpolitiquement incorrect de toucher à lafilière bio.

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Haro sur la fraise espagnole !

En revanche, lorsqu’il s’agit de jeter lasuspicion sur certains produits issus de l’ag-riculture conventionnelle – au risque demettre en difficulté des filières agricoles en-tières –, ce ne sont pas les candidats quimanquent ! À tel point que cette pratique estpresque devenue un sport national.

Champion de la discipline, Claude-MarieVadrot, journaliste à Politis et membre del’Association des journalistes de l’environ-nement, s’est illustré en 2010 avec un docu-mentaire à charge sur les fraises espagnoles,diffusé sur plusieurs chaînes de télévision.La rançon de la fraise est un parfait exempled’information alarmiste, visant à montrer lesdégâts environnementaux, sanitaires et soci-aux causés par la production de fraises es-pagnoles (essentiellement destinées à l’ex-portation). Or, un auditeur non informé desréalités du terrain n’a pas les moyens dejuger de la pertinence du message. D’autant

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plus que toutes les ficelles classiques de lamanipulation sont utilisées – du gros plansur une montagne de bidons en plastique, enréalité regroupés en vue de la prochaine col-lecte, au discours apocalyptique de l’incon-tournable Pr Belpomme sur le rôle des cock-tails de pesticides –, alors qu’aucun avis con-tradictoire n’est présenté en regard. Cerisesur le gâteau, le réalisateur, qui s’est vu ouv-rir les portes de la plus grande plateforme dedistribution de fruits et légumes française,connue pour être l’une des plus rigoureusesd’Europe, ne trouve rien de mieux que d’in-stiller le doute quant à son très performantsystème de contrôle sanitaire.

Certes, on peut reprocher aux fraises es-pagnoles d’être « dures, croquantes oufarineuses, et sans véritable goût[97] ».

On peut aussi s’interroger sur la pertin-ence de manger des fraises neuf mois surdouze. Enfin, il existe incontestablement desdérives d’agriculteurs qui ne respectent pas

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l’environnement (en Espagne comme ail-leurs). Leurs agissements sont condam-nables, et sont d’ailleurs combattus par lesautorités. Cependant, forcer le trait engénéralisant ne relève pas d’une démarchesérieuse et responsable, et ne fait qu’abuserle consommateur.

Qu’est-ce que la LMR ?

Pourquoi ne pas plutôt informer lesFrançais sur l’extrême précision des moyensde vérification offerts par les méthodesd’analyse modernes, qui permettent d’effec-tuer des contrôles de résidus de pesticidestout au long de la chaîne alimentaire ? Au-jourd’hui, nous sommes en mesure dedétecter des résidus « au ppb près », c’est-à-dire de déceler la présence d’un millionièmede gramme d’une substance dans un kilo-gramme de produit analysé[98]. Cette finessed’analyse explique pourquoi toutes les

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denrées alimentaires – bio comme conven-tionnelles – peuvent se révéler touchées parune « contamination », sans que cela nedevienne pour autant source d’inquiétude.D’autant plus que les résidus de pesticidesfont l’objet d’une surveillance toujours plusrigoureuse de la part des autorités sanitairesfrançaises et européennes.

Diverses normes, assez complexes au de-meurant, permettent de mesurer les niveauxde risque. La LMR (limite maximale derésidus) correspond à la quantité maximalede résidus de pesticides autorisée dans unproduit destiné à l’alimentation. Toutes lesautorités internationales s’accordent à direque la présence d’un pesticide en dessous desa LMR implique une alimentation sansrisque pour la santé. De même, un dépasse-ment de la LMR n’implique pas nécessaire-ment un danger. « La LMR ne représentepas une limite toxicologique, et son dépasse-ment ne doit pas nécessairement être cause

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d’inquiétude pour la santé publique[99] »,précise la Direction générale de la santé del’Union européenne (DG Sanco). En réalité,la LMR représente un indicateur de « bonnespratiques agricoles ». Ainsi, un produitphytosanitaire dont l’usage est limité à 40jours avant la récolte aura une LMR prochede la limite de détection, puisque après cedélai, il ne devrait plus en subsister lamoindre trace dans l’alimentation. En re-vanche, un produit utilisé pour le stockaged’une récolte (notamment pour lutter contreles mycotoxines) aura une LMR plus élevée,malgré un profil toxicologique moins favor-able. Bien entendu, le calcul des LMR prenden considération les aspects toxicologiques,évalués entre autres grâce à la DJA (dosejournalière admissible), à la DSE (dose sanseffet) et à l’ARfD (dose de référence aiguë).Toutes ces normes sont calculées avec descoefficients de sécurité. Ce qui fait qu’au fi-nal, une exposition à 1 % de la DJA

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correspond à une exposition 10 000 fois in-férieure à la plus faible dose toxique pourl’animal de laboratoire le plus sensible. Or,aucune LMR ne peut être établie sans qu’uncoefficient de sécurité supplémentaire entrela LMR et la DJA, d’un facteur de 100 auminimum, n’ait été retenu. Ce qui expliquepourquoi un dépassement de la LMR n’a ja-mais été une source d’inquiétude sanitairepour les autorités.

Au-delà des LMR

En revanche, il n’est pas souhaitable deretrouver dans les aliments des résidus depesticides qui présentent des taux dépassantleur LMR. Ce qui arrive aussi dans le bio ! En2002, une étude italienne a ainsi mis enévidence la présence de roténone dans del’huile d’olive bio, avec un taux de contamin-ation de l’ordre de 500 ppb, soit un dépasse-ment de plus de 10 fois la LMR (0,04 mg/

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kg[100]). Toutefois, aucune ONG ne s’en estinquiétée. De son côté, le mensuel QueChoisir a démontré en 2008 la présence decuivre et de soufre au-delà des limites autor-isées dans des échantillons de raisins bioanalysés. « Quant aux pesticides naturels, ilssont omniprésents[101] », commente la re-vue, qui souligne même un cas de dépasse-ment de la LMR pour le cuivre (17 mg/kgcontre 15 mg/kg autorisés). Et c’est encorepire pour le soufre ! « Tous les échantillonsdépassent la LMR, qui est de 50 mg/kg »,note Que Choisir. Certains échantillonsprésentent même « des pointes [de résidus]au-dessus de 140 mg/kg », précise la journ-aliste, qui conclut néanmoins que cette« présence de résidus de pesticides naturelsne paraît pas inquiétante. […] Pour lecuivre, les teneurs sont suffisamment faiblespour ne pas poser a priori de problèmes desanté ». Il est curieux de voir comme les

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médias restent zen lorsqu’il s’agit de pesti-cides naturels…

Pas de quoi fouetter un chat

Même en acceptant l’idée que d’infimesquantités de produits issus de la chimie desynthèse circulent dans notre organisme – etsauf cas exceptionnels –, on peut affirmerqu’aujourd’hui, l’alimentation commercial-isée est parfaitement saine. De très nom-breuses études ont été publiées à ce sujet, etcontinuent de l’être régulièrement. L’uned’entre elles a consisté à évaluer le risqued’exposition de l’homme aux pesticides à tra-vers l’alimentation, en Suisse et aux États-Unis. Utilisant une nouvelle approche met-tant en œuvre un important travail de mod-élisation, l’équipe helvétique du Dr RonnieJuraske[102] a calculé l’impact sur la santéhumaine de l’exposition aux résidus de trèsnombreuses molécules (jusqu’à 440 aux

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États-Unis), à partir de la consommation defruits et de légumes. Les chercheurs ont en-suite converti cet impact en termes d’es-pérance de vie. Ils sont parvenus à la conclu-sion que l’exposition aux pesticides, durantla vie d’un individu, réduisait son espérancede vie de 4,2 minutes dans le cas de la Suisse,et de 3,2 minutes dans celui des États-Unis.Une perte potentielle largement compenséepar les bénéfices nutritionnels qu’apporte laconsommation de fruits et de légumes ! Aufinal, le consommateur peut donc êtrerassuré : les résidus de pesticides présentsdans l’alimentation – bio comme conven-tionnelle – ne représentent pas de risquepour sa santé. Ce qui explique pourquoi letrès médiatique Dr David Servan-Schreiber,peu connu pour ses positions favorables auxpesticides, concède qu’« il vaut mieuxmanger des brocolis avec des pesticides des-sus que de ne pas manger de brocolis àcause des pesticides[103] ! ». Des propos

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partagés par les militants antipesticides lesplus radicaux, forcés d’admettre que laprésence de résidus de pesticides en dessousdes normes légales ne constitue aucundanger pour la santé. Lors d’une émissionsur Europe 1, François Veillerette, le porte-parole de GF, a tenu à le rappeler : « Jamaisnous n’avons dit qu’il ne fallait pas mangerdes fruits et des légumes. Je tiens à lesouligner, ce serait un discours irrespons-able, mais ce n’est pas le nôtre[104]. » Si lemilitant avait été convaincu de la nocivitédes résidus de pesticides présents dans lesfruits et légumes, n’aurait-il pas prôné l’ab-stention pure et simple de ces aliments ?

Bio ne veut pas dire équilibré

En encourageant la consommation defruits et légumes, même contenant desrésidus de pesticides, François Veilleretteconfirme la clé d’une alimentation saine, à

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savoir un régime équilibré. Or, dans l’espritdu consommateur règne souvent la confu-sion entre alimentation bio et régime équi-libré, voire fraîcheur des produits. C’est cedont témoignent les propos du responsablede la cantine scolaire bio de Barjac. « Per-sonnellement, je pense que je ne ferai pas leretour en arrière, d’être un ouvreur de sacssurgelés et un ouvreur de boîtes quoi[105] »,confie ce dernier. Comme s’il n’existait niproduits frais non bio, ni produits biosurgelés…

Certains produits bio font même concur-rence à la « malbouffe ». C’est le cas de lasoupe bio « Jardinière de légumes » d’ungrand nom de l’agroalimentaire, présentéede manière attractive comme « sans color-ant et sans graisse de palme », alors qu’ellen’est rien d’autre qu’une insipide préparationaux légumes contenant la bagatelle de 900mg de sodium, soit quatre fois plus que ceque préconise l’Organisation mondiale de la

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santé (OMS), qui fixe les besoins physiolo-giques en sodium entre 184 et 230 mg parjour[106].

Même dans les grandes boutiques bio, ontrouve tout « un tas de cochonneries[107] ».C’est en tout cas l’avis de John Mackey, ledirecteur général de la plus grande chaîneaméricaine de produits bio, Whole FoodsMarket, Inc. « Ce que John Mackey a vouludire, c’est que manger trop de chips ou degâteaux, même bio, ce n’est pas la meilleuremanière de rester en bonne santé », préciseJeff Turnas, le directeur de sa filiale britan-nique. Christophe Barnouin, PDG de Distri-borg, est encore plus radical. S’en prenant àla grande distribution, qui mise sur sesmarques de distributeur pour rendre le bioplus accessible au grand public, il n’hésitepas à décréter que « les MDD bio ne sont quedes logos, et [qu’] on risque de devenir obèseen abusant de certains de cesproduits[108] ». Il est vrai que les premiers

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hamburgers bio sont déjà arrivés chezQuick ! Et comme le montre avec pertinenceune enquête de l’association Consumers In-ternational[109], les produits de la restaura-tion rapide – notamment ceux qui figurentdans certains menus pour enfants – présen-tent, même dans leur version bio, une teneuren matières grasses, en sucres et en sel, équi-valant à 40 voire 50 % des repères nutrition-nels journaliers (RNJ). Résultat : un seul re-pas dans ces fast-foods et la boussole nutri-tionnelle s’affole !

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V – VOUS AVEZ DIT GOÛT ?

Si les produits bio ne sont pas meilleurspour la santé, ils sont réputés pour avoirmeilleur goût. C’est que le goût aurait étéperdu avec les produits de l’« agro-indus-trie ». « On a peu à peu perdu un paradisterrestre[110] », regrettait Jean Giono dès lesannées cinquante, réalisant qu’il n’avait plusjamais mangé de pommes de terre nouvellescomme celles que son père rapportait dujardin qu’il cultivait à temps perdu, et qu’ilmangeait dans son enfance. « Et ceux quisont nés après l’instauration de l’industriepaysanne ? Ils sont à plaindre. Ils ne saur-ont jamais ce que sont une vraie pêche, devraies pommes de terre, de vrais artichauts,une vraie nourriture. Car il en est de même

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pour tout : pour les poulets, pour les truites,les écrevisses, les cochons, les laitages, lesbeurres, les huiles, les farines, etc. »,déplorait-il. Un témoignage qui montre quela nostalgie de la nourriture « d’avant » n’estpas un phénomène récent.

Une nouvelle relation aux aliments

Il est vrai que depuis l’après-guerre, la re-lation entre le consommateur et son aliment-ation a radicalement changé. Aujourd’hui,l’essentiel de ce que nous mangeons estpassé à la moulinette de l’industrie, à quinous avons confié la mission de nous pré-parer nos repas quotidiens. Après l’ère duprêt-à-porter, voici celle du prêt-à-manger !Les salades sont désormais triées, lavées,essorées puis conditionnées dans leurssachets refermables, les crudités prêtes àcroquer attendent sagement l’acheteur dansleur barquette, tandis que la dinde farcie

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d’un grand nom du surgelé ne demande plusqu’à passer au four… Côté fruits et légumes,on observe une standardisation de l’aspectgénéral, qui privilégie les couleurs vives, lesformes régulières et l’homogénéité globale.En effet, pour certains consommateurs, unproduit frais légèrement abîmé ou irrégulierpeut perdre de son attrait, même s’il est sa-voureux. Ainsi, le calibre et la texture desfruits et légumes sont devenus les principauxcritères de sélection non pas des produc-teurs, mais des consommateurs.

Paradoxalement, le budget moyen con-sacré par ménage à l’alimentation a con-sidérablement chuté. De 35 % du budgettotal en 1955, on est passé à moins de 20 %en 2007. Aujourd’hui, « si l’on compare lagénération “réfrigérateur” (1927-1936) à lagénération “Internet”, on s’aperçoit que si lapremière consacre 15 à 16 % de son pouvoird’achat à l’alimentation, dans le second cas,le chiffre tombe à moins de 10 %[111] »,

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observe Gabriel Tavoularis, chargé d’étudesau Centre de recherche pour l’étude et l’ob-servation des conditions de vie (Crédoc). Ilnote que le comportement alimentaire s’ori-ente vers une simplification du menu, avecsouvent un plat préparé unique. Ainsi, entrente ans, les achats de plats surgelés ontpratiquement doublé. Championne toutescatégories des plats uniques, la pizza a vu sesachats multipliés par 17 en version surgeléeet par 3,4 en version fraîche[112]. LesFrançais, deuxièmes consommateurs mondi-aux de pizzas après les Américains, englou-tissent la bagatelle de 3,5 milliards de pizzaschaque année, soit 10 tonnes de cettespécialité !

L’imaginaire prend le dessus

Alors même que tendent à disparaîtrevolonté, plaisir et art de cuisiner, les ventesde livres de recettes de cuisine ne se sont

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jamais mieux portées ! En France, plus de 10millions d’exemplaires ont été écoulés en2009 (+ 17,8 % par rapport à 2008), parmilesquels quelque 1 500 nouveautés. C’est quel’imaginaire prend la place du réel, commel’illustre l’émission télévisée « Vivement di-manche » au cours de laquelle l’éminem-ment charismatique Jean-Pierre Coffes’amuse, d’un coup de spatule magique, àtransformer des produits alimentaires brutsen petites merveilles culinaires devantplusieurs millions de téléspectateurs. Grâce àcette exceptionnelle rampe de lancement,M. Coffe est devenu « le roi du marché[113] »des livres de cuisine. Son ouvrage Le Plaisirà petit prix : bien manger en famille pourmoins de 9 euros par jour s’est vendu à300 000 exemplaires, surpassant même leGuide Michelin, pourtant n° 1 historique dela catégorie, avec ses 137 000 exemplaires !Bref, grâce à Jean-Pierre Coffe, il devient fa-cile de se convertir en maître queux sans

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plomber son budget, grâce à des recettessimples inspirées de l’authentique cuisine denos grand-mères.

Il est vrai qu’en matière d’authenticité,aucun produit alimentaire ne peut prétendrerivaliser avec le bio. L’AB remet en effet augoût du jour potimarrons, topinambours, vi-telottes, rutabagas, romanescos, scorsonères,panais, choux-raves et autres trésors per-dus… « L’agriculture biologique a l’ambitiond’apporter des solutions aux inconvénientsde la standardisation, de l’uniformisation etde l’appauvrissement de l’alimentation », af-firme Philippe Desbrosses, fondateur d’intel-ligence Verte. À son initiative, PascaleFromonot, « adepte du bio depuis bientôt 30ans et passionnée par la recherche d’unenouvelle cuisine », propose des stages deformation à sa « Nouvelle Cuisine Bio » afinde faire découvrir comment remplacer « lesteak haché-frites ou les saucisses par unplat de quinoa », une céréale déjà cultivée il

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y a plus de cinq mille ans par les civilisationsprécolombiennes des hauts plateauxd’Amérique du Sud. Heureusement, pours’adonner à cette passion, on pourra trouverfacilement les ingrédients de base dans lesmagasins bio spécialisés, qui regorgent deces produits venus des quatre coins dumonde (comme les baies de goji aux puis-santes vertus antioxydantes ou le wakameconnu pour sa richesse en calcium). Or, cettediversité est paradoxalement le produitd’une mondialisation souvent accusée par lesmilitants du bio d’être à l’origine du malheurdes paysans du monde entier.

Certes, les bio « purs et durs » se conten-teront des produits issus des Amap, seulescapables de répondre à un double cahier descharges : celui de la proximité et du respectdes saisons. Mais ce, au prix d’une mono-tonie certaine ! « Il faut manger du chou, duchou-fleur. L’année dernière, on a eu uneoverdose de betteraves. Au bout d’un

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moment, ça lasse. On a eu aussi une over-dose de radis. On n’a pas le choix dans leslégumes, on prend ce qu’on nous donne »,reconnaît un certain Sébastien, adhérentd’une Amap de la région parisienne, dansune interview pour un documentaire de Cap-ital Terre diffusé sur M6.

En revanche, jamais dans l’histoire del’humanité l’offre alimentaire n’a été aussivariée. Aujourd’hui, de très nombreuxartisans-boulangers proposent un largeéventail de pains (polka, intégral, àl’épeautre, au seigle, au maïs, aux graines delin, etc.), tandis que les linéaires des grandessurfaces regorgent de yaourts aux textures etsaveurs multiples ou de biscuits salés etsucrés… La mondialisation et l’industrialisa-tion de la chaîne alimentaire ont égalementpermis l’émergence de l’ethnie-food, avec sesproduits chinois, japonais, indiens, libanaisou tex-mex. Devant ce choix pléthorique, à lalimite du vertige, la nouvelle tendance est au

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contraire de rechercher des saveurs« brutes », c’est-à-dire simples, combinées lemoins possible et en nombre restreint.Autrement dit, les saveurs qui faisaient lequotidien de nos arrière-grands-parents. Etque propose précisément l’agriculturebiologique.

C’est bon, donc c’est bio

Il est vrai que certains des produits del’agriculture biologique présentent une qual-ité gustative sans commune mesure avec lesaliments standardisés. Cette exigence dequalité justifie d’ailleurs à elle seule l’exist-ence d’une filière bio, qui mérite sa place auxcôtés des filières proposant des produitsbénéficiant de labels (comme le LabelRouge), d’appellations d’origine contrôlée(AOC) ou d’indications géographiquesprotégées (IGP). Toutes ces filières sont néesde la passion d’agriculteurs qui ont opté pour

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un mode de culture fidèle aux traditions deleur région. Nombre de ces produits es-tampillés (qui représentent presque 10 % del’activité agricole française) sont déjà dispon-ibles un peu partout. C’est le cas des œufs is-sus de poules élevées en plein air ou despoulets Label Rouge (dont le fameux pouletde Loué, qui réalise à lui seul 150 millionsd’euros de chiffre d’affaires). « Il est évidentque l’on ne peut comparer le bio et le non-bio si les autres facteurs sont différents : parexemple, comparer un poulet “industriel” de40 jours à un poulet bio de 80 jours n’a pasde sens, le degré d’engraissement étant trèsdifférent[114] », fait justement remarquerLéon Guéguen, directeur de recherches hon-oraire de l’Inra et spécialiste de la nutrition.Pour les fruits et légumes, les qualités organ-oleptiques sont conditionnées par la fraîch-eur et la variété. Pour les produits d’origineanimale, ce sont le choix de la race, l’âge, lestade de maturité, la ration alimentaire et

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surtout le parcours agronomique, qui entrenten jeu dans la notion de goût.

L’originalité des produits est un autreatout majeur du bio. C’est ce qu’a parfaite-ment compris Xavier Mathias, maraîcher bioinstallé près de Loches, et qui fait revivre lapoire de terre (un légume qui a connu sonheure de gloire lorsque le mildiou menaçaitla pomme de terre) ainsi que le haricot vertContender « au parfum d’herbe coupée » ouencore une trentaine de variétés de courges.Cette recherche de « saveurs perdues » oud’un ancrage régional rompt avec la stand-ardisation des aliments industriels, et semblerépondre à la palette gustative des fins gour-mets. Néanmoins, on la retrouve dansd’autres types de productions non biolo-giques, comme les haricots tarbais ou la vi-ande de bœuf Fin Gras du Mézenc, princip-alement écoulés en vente directe. Qu’ils trav-aillent en bio ou en conventionnel, les pro-ducteurs engagés dans la recherche de la

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qualité et du goût méritent donc d’être re-connus pour leur savoir-faire. Quant au bio,il n’a le monopole ni du goût, ni del’originalité.

Le goût, absent du cahier descharges bio

Le cahier des charges de l’agriculture bio-logique ne mentionne aucune exigence relat-ive aux qualités organoleptiques des produitsfinis. Dans le cas des produits d’origine ani-male, il contraint les éleveurs à donner àleurs animaux une ration alimentaire issue à95 % de cultures biologiques. Dans ces con-ditions, peut-on imaginer que l’œuf d’unepoule nourrie au maïs bio aura meilleur goûtque l’œuf de la même poule, mais nourrie aumaïs conventionnel ? Rien n’est moins sûr !Une enquête réalisée par 60 millions de con-sommateurs a d’ailleurs démontré le con-traire. Lors de quatre séances de

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dégustation, soixante consommateurs ontété invités à communiquer leur impressiongénérale sur le goût et la texture de plusieurssortes d’œufs. « Les résultats de notredégustation vont en décevoir plus d’un »,avertit le mensuel. Et pour cause ! Les œufsde poules élevées en cage obtiennent la meil-leure note, avec les œufs Label Rouge. Quantà l’œuf le moins apprécié, il s’agit d’un œufbio[115] ! « Nos fidèles abonnés, eux, neseront pas surpris, car l’essai de 2010 con-firme les conclusions de 2001 : quel que soitleur mode de production, il y a peu dedifférence de goût entre les œufs », poursuitle magazine. « N’en déplaise à certains, lapoule est ainsi faite que, en plein air ou encage, elle pond un œuf qui a toujours plus oumoins la même composition », conclut-il.

Le constat est le même pour les tomates,dont les variétés modernes sont unanim-ement considérées comme insipides. D’où lafloraison de variétés de tomates dites

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rustiques sur les étals des marchés. Pourtant,« nous avons fait des tests en aveugle quimontrent que, contrairement à un préjugébien installé, les variétés anciennes de to-mates ne sont pas les plus appréciées, carelles ne sont pas assez fermes[116] », ex-plique Mathilde Causse, directrice de l’unitéGénétique et amélioration des fruits etlégumes de l’Inra d’Avignon. Elle confirmequ’en matière de qualité organoleptique, leschoses sont moins évidentes qu’on ne lepense. C’est ce qu’a pu observer de son côtéIsabelle Vanston, responsable chez Candia.« Nous avons lancé un lait bio en 2003. Or,nous avons été surpris par l’imaginaire dugoût chez les clients, qui le trouvaient meil-leur alors que ce n’était pas une réalité tan-gible[117] », déclare-t-elle.

Pire, certains produits bio sont même trèsdécevants, notamment ceux qui exigent unvéritable savoir-faire, comme le fromage oule vin. C’est ce qu’a constaté Périco Légasse,

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redoutable critique de l’alimentation bas degamme à l’hebdomadaire Marianne : « Il ex-iste à Paris certains bars à vins de laditeobédience [bio], qui relèvent davantage dela vinaigrerie que du comptoir à nectars.Faisant un jour remarquer à l’un de ces ten-anciers que le jus qu’il venait de servir dé-gageait une aigreur suspecte, il fut réponduà l’auteur de ces lignes : “Oui, mais c’est unejolie volatile qui prouve que le vin estnaturel”[118]. »

Le goût a ses raisons que la raison ne con-naît pas…

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PARTIE II

l’environnement

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VI – LE BIO FACE AUX AUTRES MODESDE PRODUCTION

Indépendamment de ses vertus sanitairesréelles ou supposées, l’agriculture biologiquerespecte mieux l’environnement que l’agri-culture « classique ». C’est en tout cas ce quepense une large majorité de la population,renforcée dans sa conviction par la commu-nication de l’Agence Bio, qui ne cessed’égrener le chapelet des vertus de l’AB enmatière d’environnement en mettant notam-ment en avant le recyclage des matières or-ganiques et, bien entendu, la lutte biolo-gique. Même le directeur de recherches hon-oraire de l’Inra Léon Guéguen reconnaît desmérites à ce mode de production. À la ques-tion « l’agriculture biologique est-elle re-spectueuse de l’environnement ? », il répond

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sans équivoque : « Indéniablement oui, etcela devrait être la seule allégation re-vendiquée, comme cela est le cas dans lespays anglo-saxons. »

Avec un cahier des charges très restrictif,l’AB nécessite incontestablement une plusgrande réflexion sur les itinéraires tech-niques, le choix des variétés et les moyens deprotéger les cultures contre les ravageurs.« L’agriculture biologique servira de faitd’aiguillon pour la profession. Les exemplessont d’ailleurs nombreux, comme le désh-erbage mécanique ou l’utilisation des com-posts qui, initiés chez les bio, se développentsur d’autres exploitations », note l’ancienprésident de l’Apca Luc Guyau. Signe del’évolution de la perception du bio par lemonde agricole, la revue de l’Apca titrait en2009 : « La bio, un atout pour l’agriculturefrançaise[119]. » De son côté, Stéphane Bel-lon, coordinateur du programme Agribio ausein de l’Inra, considère « l’agriculture

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biologique comme le prototype le pluspoussé d’agriculture durable[120] ». À encroire les différents propos glanés ici et là,agriculture biologique rimerait donc néces-sairement avec respect de l’environnement.Il est vrai que les agriculteurs bio nerépandent pas de produits phytosanitaires desynthèse dans la nature, ce qui diminued’autant l’impact sur la faune et la flore, ainsique sur la santé.

Les limites écologiques du bio

Mais ce mode de production comporte luiaussi ses limites. Avec des chutes de ren-dement de l’ordre de 30 à 50 % pour le blé,les conséquences sur l’usage des sols et le cli-mat ne sont pas négligeables. Ces chutes en-traînent en effet une augmentation propor-tionnelle des surfaces cultivées, et par con-séquent, des émissions de gaz à effet deserre. « Les effets climatiques de

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l’agriculture bio sont une question trèsépineuse, politiquement incorrecte àévoquer », rappelle le Pr Claus Felby, del’université de Copenhague, dans un articleparu en 2010 dans Courrier international.Les partisans de l’agriculture biologique ac-ceptent très mal ce genre de critiques. « Cetarticle me révolte, bien sûr », s’indigne surle Net Maryvonne Le Hir, docteur en océano-graphie biologique. « Le passage à la con-sommation bio engendre moins de consom-mation carnée, donc moins d’élevage à vi-ande, donc moins de céréales et oléagineuxpour le bétail, et plus de surfaces pour l’ali-mentation humaine », argumente-t-elle.« Rien de neuf ou de très intéressant… tou-jours les mêmes arguments bidon à réfuter.[…] On pourra comparer l’AB à l’agricultureclassique quand (et seulement quand) onaura investi les mêmes moyens dans larecherche et le développement que ceuxqu’on a mis depuis 1950 dans l’agriculture

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“moderne” », renchérit François Warlop, duGroupe de recherche en agriculture biolo-gique (Grab) d’Avignon. « Et ce jour-là, labio n’aura pas à rougir de quoi que ce soit,par contre les inquisiteurs défenseurs duvieux modèle en seront pour leurs frais (etceux de leurs sponsors) », conclut Domi-nique Marion, le président de la Fnab.

Impact sur les sols

On comprend que François Warlop nesouhaite pas comparer le modèle bio à l’agri-culture conventionnelle. Car le résultat n’estpas toujours à l’avantage du bio ! Et passeulement en ce qui concerne les chutes derendements. En effet, l’impact sur les sols etla faune n’est pas toujours aussi parfait qu’iln’y paraît.

Dominique Forget, directeur de ChâteauCouhins, un domaine expérimental viticolede l’Inra situé en Gironde, a réalisé entre

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2001 et 2004 une évaluation agro-environ-nementale de la conduite de la vigne en agri-culture biologique et en production inté-grée[121]. « L’impact environnemental de laproduction intégrée est plus favorable quecelui de l’agriculture biologique, notammentau niveau des indicateurs phytosanitaires »,conclut-il. Surprenant ? Pas vraiment, selonlui. Le spécialiste invoque pour principaleraison le nombre de passages pour les ap-plications de cuivre, qui a un impact import-ant sur le sol mais aussi sur les eaux de pro-fondeur et l’air. En effet, pour faire face auxattaques de mildiou ou d’oïdium, les agricul-teurs bio sont bien obligés de traiter. Commeils ne disposent pas de produits de synthèse,ils ne peuvent utiliser que des formulations àbase de soufre ou de cuivre. Or, l’efficacité deces produits n’étant pas extraordinaire, lesdoses utilisées sont importantes – jusqu’àplusieurs kilos à l’hectare – et les passages,fréquents.

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C’est ce qu’a constaté Christian Linder, dela station de recherche suisse AgroscopeChangins-Wàdenswil. Entre 1998 et 2004, lechercheur a observé une parcelle de chas-selas conduite en bio sur une partie, et enproduction intégrée sur l’autre. Il a remarquéque dans plus de 50 % des contrôles, lestyphlodromes[122] étaient plus nombreuxdans les parcelles intégrées. « Ce constats’explique par la répétition quasi hebdoma-daire des traitements soufre en bio. Cesderniers freinent le développement destyphlodromes », note-t-il, tout en concluantà l’avantage de la production intégrée. Sansparler du fait que ce soufre est issu duraffinage de gaz et de pétrole. L’agriculturebiologique utilise donc massivement undéchet lourd de la pétrochimie.

Le Comité interprofessionnel du vin deChampagne, qui a étudié depuis 1998 uneparcelle conduite moitié en biodynamie,moitié en viticulture raisonnée[123], parvient

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aux mêmes conclusions. Si dans les deux cas,l’activité biologique des sols s’améliore signi-ficativement par rapport aux pratiques con-ventionnelles, le bénéfice reste plus import-ant en viticulture raisonnée, comme en té-moigne la présence nettement plus abond-ante de lombrics et de biomasse dans lamoitié « raisonnée ».

Contrairement à une idée reçue, la viticul-ture bio peut nécessiter davantage de traite-ments que la viticulture intégrée. C’est ce queconfirme une étude de l’Inra parue en janvier2010[124]. Ses auteurs notent qu’en bio, l’in-dicateur de fréquence de traitements (IFT)s’élève à 9,4, contre 8,4 en culture intégrée.Dans certaines régions, la différence peutêtre encore plus forte (18 en bio contre 12 enintégrée dans le Beaujolais, 11,6 contre 5,7 enCharente).

Et le problème est encore plus sensible ence qui concerne le désherbage, qui nécessitedavantage de passages dans les rangs de

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vignes. Étienne Sipp, viticulteur bio à Ri-beauvillé, l’admet sans difficulté : « Le trav-ail du sol 100 % mécanique entraîne un sur-coût qu’il nous faut répertorier sur leproduit final. » Un surcoût que ce produc-teur de vins classés parmi les meilleurs deFrance peut se permettre sans difficulté…

L’arboriculture bio

La supériorité des systèmes de produc-tion raisonnée et intégrée sur le bio est égale-ment valable en arboriculture. Dans les an-nées quatre-vingt-dix, une étude du Centreinterrégional d’expérimentation arboricolecouvrant des essais effectués entre 1994 et1998 sur des pommes Smoothee, a démontréque la protection fongicide en culture biolo-gique nécessitait 14 fois plus de matière act-ive qu’en production raisonnée (86,4 kg/hacontre 6 kg/ha), avec 23 passages en biocontre 12 en raisonnée[125]. De son côté, le

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site de l’université de Cornell (États-Unis)mentionne une comparaison de plusieursmodes de production dont les résultats sontsans appel, la note la plus favorable allantaux vergers en production intégrée. « L’im-pact pour les vergers en AB est dix fois plusfort, en raison principalement de la toxicitédes traitements fongicides à base de soufre,appliqués à doses et fréquencesélevées[126] », commente Benoît Sauphanor,de l’Inra d’Avignon. L’agronome a réalisé desessais pour savoir si le cahier des charges ABgarantissait réellement une meilleure préser-vation de la biodiversité en milieu agricole. Ila étudié deux zones de production, l’unesituée dans la vallée de la Durance, prèsd’Avignon, l’autre dans la vallée du Rhône,près de Valence. Cinq vergers étaient con-duits en AB et dix en production fruitière in-tégrée (PFI). « Les vergers de pommiers enAB ont reçu en moyenne 29,9 traitementsinsecticides et fongicides, valeur proche de

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celle des vergers conventionnels », avec desvolumes appliqués « plus de deux fois plusélevés » qu’en conventionnel, note BenoîtSauphanor. « La note d’impact [selon l’indic-ateur EIQ] est significativement plus élevéeen AB qu’en conventionnel » en raison del’utilisation importante de cuivre et desoufre, précise-t-il. « La persistance dusoufre explique l’impact de systèmes en ABsur certaines communautés biologiques desvergers, que notre étude semble confirmer ;sur les hyménoptères et les prédateursd’acariens », poursuit l’agronome, qui con-state en revanche que les parcelles ABprésentent « la plus grande abondance et laplus forte richesse spécifique en arthropodesphytophages et auxiliaires » et qu’elles ac-cueillent mésanges bleues et moineaux fri-quets, qui « ne s’installent que dans les ver-gers AB ». Le résultat final est donc mitigé.Ce qui l’amène à conclure que « le cas desvergers de pommiers illustre bien le fait que

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l’innocuité sur l’environnement des systèmesagricoles en AB n’est que partielle ».

Le fameux problème du cuivre

« Environ 8 500 tonnes de cuivre sontutilisées chaque année par l’agriculturefrançaise, dont la moitié pour fabriquer labouillie bordelaise[127] », rappelle RémiChaussod, chercheur à l’Inra, qui ajoute que« contrairement aux pesticides organiquesqui peuvent être dégradés, le cuivre s’accu-mule dans le sol ». Résultat, les concentra-tions observées par l’Inra dans les premierscentimètres du sol de parcelles situées enChampagne sont supérieures à 200 mg/kg,soit 4 à 100 fois les teneurs naturelles encuivre des sols français ! Or, l’excès de cuivreentraîne une diminution radicale de la bio-masse microbienne – qui fait pourtant lebonheur des partisans de l’agriculture biolo-gique. C’est pourquoi, depuis 1992, le cuivre

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est dans la ligne de mire de la Commissioneuropéenne. En 2002, puis en 2009, les for-mulations à base de cuivre ont failli être in-terdites en Europe au motif qu’elles posaientun souci pour l’environnement. Même pourGreenpeace – pourtant plutôt favorable àl’agriculture biologique –, le cuivre est un« problème bien connu ». « Ce métalrougeâtre n’est pas biodégradable. Au con-traire, il se cumule dans le sol et porte préju-dice aux organismes qui y vivent. Il réduit labiodiversité et fait disparaître les animauxutiles tels que les vers de terre », peut-on liredans Greenpeace Magazin. Consultantchimiste pour la multinationale verte, Man-fred Krautter affirme qu’« un métal lourd nepeut simplement pas être une solution pourl’agriculture biologique ». Même critique dela part des autorités sanitaires allemandes :« L’agence fédérale pour l’Environnement[considère] que l’usage du cuivre représenteun risque inacceptable pour

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l’environnement, en particulier pour lesoiseaux, les petits mammifères, les vers deterre et les organismes aquatiques[128]. »

À l’heure actuelle, l’agriculture biologiquepeut pourtant difficilement se passer ducuivre. « Le cuivre est le seul fongicideréellement efficace contre le mildiou de lavigne et autorisé au règlement européen2092/91, paru en 1991, régissant l’agricul-ture biologique[129] », confirme l’Itab.« Mais compte tenu de ses risques de tox-icité, notamment sur le sol, ce règlementprévoyait l’interdiction totale de son usage àl’horizon 2002 », rappelle l’institut tech-nique. Depuis, plusieurs pays ont franchi lepas, comme le Danemark – où les cultures devignes sont inexistantes – et les Pays-Bas,qui ont retiré l’usage du cuivre dès 1999 eninvoquant prioritairement les risques pour lasanté de l’utilisateur. « Même en utilisantdes mesures de protection adéquates, l’us-age de l’oxychlorure de cuivre présente un

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risque pour l’utilisateur s’il subit une exposi-tion cutanée ou par inhalation », justifie leministère de l’Environnement hollandais.Aux Pays-Bas, cette interdiction n’estcependant valable que pour les agriculteursconventionnels : le cuivre est toujours ac-cepté en agriculture biologique, notammentpour la production de pommes de terre bio !

En réalité, les autorités sanitaires com-munautaires sont mal à l’aise avec ce dossier.Il est vrai que l’on ne peut indéfiniment dé-verser des produits non biodégradables surles sols. « Épandre cinq kilos par an corres-pond à déverser sur les sols une demi-tonnede cuivre sur chaque hectare au bout d’unsiècle », explique Denis Dubourdieu, profes-seur d’œnologie à l’université de Bordeaux.« Imaginez l’état des sols si l’on avait utiliséle cuivre depuis le début de la culture de lavigne, c’est-à-dire au moins deux milleans ! », poursuit-il. « Il existe de nombreuxexemples où, dans des sols acides, les

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quantités de cuivre fongicide accumuléesdepuis un siècle d’usage empêchent au-jourd’hui l’herbe, le blé ou même des arbresfruitiers, de pousser », confirme ThierryCoulon, directeur technique de l’institutfrançais de la vigne.

Paradoxalement, si le cuivre est toujoursautorisé aujourd’hui, c’est grâce aux « en-nemis » du monde du bio : les géants de lachimie. En effet, ceux-ci ont fourni un effortconsidérable pour soumettre aux autoritéseuropéennes un dossier aussi convaincantque possible. Ce travail a été effectué par unetask force regroupant un consortium de onzesociétés privées, dont DuPont, NuFarm,Isagro et Cerexagro. « Il fallait trouver uncompromis afin de satisfaire les exigencesdes pays-membres, dont certains insistaientsur la nécessité du cuivre[130] », explique laDG Sanco. Toutefois, la Commissioneuropéenne a assorti cette fois-ci son autor-isation (accordée en janvier 2009) de

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quelques restrictions, notamment d’unevalidité de sept ans et non de dix, commec’est le cas habituellement.

L’Afssa, elle, recommande une applica-tion n’excédant pas 4 kg/ha/an (soit 500g/ha pour huit applications par an), contre 6kg/ha/an autorisés aujourd’hui. Ce qui estloin de satisfaire le lobby du bio, qui refusede limiter à ce point les dosages à l’hectare !« La limitation à 4 kg/ha/an d’apports decuivre métal n’est pas compatible avec lesbesoins de renouvellement montrés par lesétudes sur le lessivage (étude IFV) et l’ana-lyse de la pluviométrie (étude AIVB LR) »,indique l’Itab. « Les nombreuses rechercheset expérimentations menées depuis dix anssur les réductions et les alternatives aucuivre montrent qu’il n’existe pas de matièreactive compatible avec le cahier des chargesAB, susceptible de se substituer au cuivre oumême de permettre de réduire son utilisa-tion dans la limite des 4 kg/ha/an[131] »,

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ajoute l’institut technique. Les années à fortepression de maladies, les agriculteurs biopeuvent en effet être conduits à traiter entre9 et 12 fois en moyenne (voire jusqu’à 30 foisen cas de pluies abondantes comme en 2007et 2008). Tout ceci n’est ni très « durable »,ni très « respectueux de l’environnement »…

Les grandes cultures

En grandes cultures (blé, orge, maïs, etc.),le problème de la protection phytosanitairese pose différemment. Contrairement auxcultures pérennes, les grandes cultures dis-posent en effet de plus de solutions pourcombattre les maladies. Ainsi, les agricul-teurs peuvent choisir des variétés moinssensibles – lorsqu’elles existent ! –, ou gérerla pression des bioagresseurs en optant pourune rotation des cultures, ce qui permet decasser le cycle des maladies ou desmauvaises herbes. Ainsi, on évitera de

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cultiver un blé après un maïs afin de limiterles attaques de fusariose, responsables de laformation de dangereuses mycotoxines. Enrevanche, il n’y a pas grand-chose à faire encas de propagation de la carie du blé. L’agri-culture biologique ne dispose non plusd’aucune solution contre le rhizoctone et lagale argentée, deux maladies qui, avec le mil-diou, affectent les cultures de pommes deterre et sont à l’origine de graves chutes derendements.

Reste le problème du désherbage. Privésd’herbicides, les agriculteurs bio utilisent es-sentiellement des solutions mécaniques(comme le binage) ou agronomiques (commele faux-semis ou le décalage des dates desemis). Mais ces solutions nécessitentsouvent plus de passages dans les champs.« J’ai cultivé mes prairies selon le cahier descharges de l’agriculture biologique jusqu’en2009. Mes rendements ont chuté de 30 % encéréales et de 20 % en prairie par rapport à

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ce que j’obtenais en conventionnel. Maissurtout, je ne suis pas certain que mon bilancarbone était meilleur », relativise Jean-PaulMaviel, cultivateur et éleveur de brebis dansl’Aveyron, qui s’est converti au bio en 2002.« Avant 2002, je pouvais faire un labour su-perficiel, suivi d’un simple passage avec undésherbant. Ce qui n’est plus possible en bio.En conséquence, les passages sur mon trac-teur ont été plus nombreux, car il fallait re-venir plusieurs fois sur les champs pouréliminer les adventices », témoigne-t-il.

Pour Didier Leprêtre, agriculteur biodans le Cher, le constat est identique. « Pourles adventices, nous disposons de moyens delutte mécanique. Cela prend du temps, etsurtout, il faut intervenir selon ce que per-met le climat. Mais il est possible de s’ensortir. En revanche, c’est très différent en cequi concerne les maladies et les ravageursdes cultures », déclare-t-il, reconnaissantêtre bien démuni lorsque des maladies

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apparaissent. « C’est pourquoi nous privilé-gions des variétés plus résistantes aux mal-adies, quitte à perdre en rendements,comme la variété de blé Renan, très priséecar elle résiste bien à la fusariose »,explique-t-il. « Non seulement nous devonsaccepter des rendements très inférieurs auxblés conventionnels, mais en plus noussubissons de très fortes variations », ajoutel’agriculteur. Selon la pression parasitaire,ses rendements varient en effet de 25 à 50q/ha, soit du simple au double ! « L’Inra,comme d’ailleurs d’autres organismes scien-tifiques, n’ont pas été très prolifiques en cequi concerne la mise au point de techniquespour la défense de nos cultures bio », re-grette Didier Leprêtre.

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L’agriculture bio doit-elle se priverdes techniques modernes ?

Certes, se priver de solutions chimiquesrelève d’une conviction. Mais est-ce pourautant la meilleure façon de respecter l’en-vironnement ? Le philosophe écologisteBernard Charbonneau (1910-1996), ardentopposant à l’industrie agroalimentaire, n’enest pourtant pas convaincu. « Plutôt que desîlots d’agriculture et d’alimentation “bio”,c’est toute la production agrochimique qu’ilfaut rendre progressivement à l’agriculture,même si ce retour à la terre n’est que partiel,la mécanique et la chimie conservant leurutilité lorsque leur innocuité estévidente[132] », écrit-il. « Le but n’est pas unÉden dont les pommes pourraient être con-sommées en toute innocence parce que par-faitement naturelles, mais une terre où l’onpourrait au moins les manger avec leurpeau », poursuit-il.

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Or, c’est bien ce que permet l’agriculturemoderne telle qu’elle est pratiquée au-jourd’hui dans les pays développés. En effet,l’époque où le « tout chimique » prévalait estrévolue depuis longtemps. Ne serait-ce quepour des raisons financières, la très grandemajorité des agriculteurs raisonnent leurstraitements. Ce qui leur est facilité par lesnouveaux outils dont ils disposent, notam-ment ceux qui permettent un pilotage plusfin en termes de quantités. Philippe Dele-fortrie, agriculteur dans la Somme, est ainsipassé de 9 traitements contre le mildiou à 5ou 6 grâce à Mileos R, un outil d’aide à la dé-cision qui calcule le risque d’attaque de mil-diou à partir des données fournies par l’agri-culteur et des prévisions météo[133]. Maispour lui, pas question de se priver desproduits phytosanitaires lorsqu’ils s’avèrentnécessaires ! En effet, une seule attaque demildiou non contrôlée peut faire considér-ablement chuter les rendements. C’est ce

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qu’a constaté à ses dépens Albert Bernard,producteur de pommes de terre bio depuis1999. En 2007, année de forte pression para-sitaire, il a vu ses rendements divisés par 2,avec une chute de 23 t/ha à 12 à 15 t/ha[134] !

Afin de moduler les doses d’engrais surplusieurs petites zones d’une même parcelle,certains agriculteurs ont recours à Farmstar,un système de pilotage géré par satellite.« Mes sols sont très hétérogènes sur unepartie de l’exploitation, et je me retrouveparfois avec de fortes variations de doses ausein d’une même exploitation », témoigneMathieu Cocagne, céréalier en Seine-Mari-time[135]. Cette gestion très proche du ter-rain lui permet d’augmenter ses rendementsavec les mêmes quantités d’engrais, voiremoins.

Connues sous le nom d’« agriculture éco-logiquement intensive » et défendues parMichel Griffon, président du comité scienti-fique du Fonds français pour

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l’environnement mondial, ces pratiques agri-coles acceptent l’usage de la chimie tout enessayant d’utiliser au maximum les mécan-ismes biologiques naturels. Or, cette ap-proche – au final très raisonnable – n’est pasacceptée par les partisans sectaires du bio.Leur positionnement repose sur la convic-tion selon laquelle l’agriculture biologiqueserait la seule bonne agriculture, puisqu’elleseule « [respecterait] les lois de la vie[136] »,comme l’affirme l’agronome Claude Aubert.Un point de vue partagé en leur temps parsir Albert Howard, Hans Peter Rusch, RudolfSteiner, Mattéo Tavera et Raoul Lemaire, quiont décliné chacun à leur manière ce postu-lat. Ainsi, non seulement l’agriculture biolo-gique ne polluerait pas l’environnement,mais elle se conformerait aux lois de lanature.

Pour bien comprendre cet ancrage dog-matique, il faut revenir aux pionniers de l’ag-riculture biologique. S’opposant à la

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révolution des engrais chimiques, cesderniers ont développé différentes concep-tions, pour le moins surprenantes – quandelles ne sont pas totalement farfelues –, des« lois de la vie ».

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VII – LA RÉVOLUTION DES ENGRAISCHIMIQUES

Les pionniers du bio partagent une mêmecrainte envers tout ce qui n’est pas« naturel ». C’est ce que confirme ClaudeAubert lorsqu’il prétend, sans le moindre élé-ment de preuve, que « seuls les micro-or-ganismes, qui sont les intermédiaires nor-maux entre le sol et les plantes, sont cap-ables de fournir aux plantes une nourritureéquilibrée ». D’où il conclut que « la fertil-isation fera une place prépondérante auxapports organiques (sous une formeadéquate) et éliminera les engrais minérauxdirectement assimilables (formes solubles).[Car] tout apport extérieur ; ayant pour ef-fet, soit de fournir aux plantes des élémentsdirectement assimilables (engrais solubles),

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soit de modifier l’équilibre biologique du sol(pesticides, désherbants, etc.), risque de per-turber la nutrition des plantes ».

Henri-Charles Geffroy ne dit rien de trèsdifférent lorsqu’il affirme que « le sol, organ-isme vivant, perd sa fertilité lorsquel’homme intervient artificiellement dans sacomposition ou qu’il le violente au moyen demachines trop puissantes[137] ». Le fond-ateur de La Vie Claire va même jusqu’à étab-lir un parallèle avec la médecine, affirmantque « tous les insuccès en agriculture provi-ennent comme en médecine, de l’interven-tion maladroite de l’homme dans des événe-ments naturels [souligné dans le texte], dontil ne comprend ni le sens, ni le but ».

Désobéissance aux lois naturelles

Ce parallèle n’est pas fortuit. En effet, ilexiste de très nombreuses similitudes deraisonnement entre les fondateurs de

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l’agriculture biologique et le courant hygién-iste des docteurs Carton et Carrel. Alors queces derniers estiment que les maladies deshommes sont les conséquences de la« désobéissance aux lois naturelles, qui aamené la maladie de la civilisation[138] »,les agrobiologistes sont convaincus que lesmaladies des plantes ne résultent que d’unmauvais choix de pratiques agricoles. « In-sectes et champignons ne sont pas la causevéritable de la maladie des plantes. Ils nes’attaquent qu’aux espèces mauvaises ouaux plantes cultivées incorrectement. Leurrôle véritable, c’est celui du censeur quimaintient notre agriculture à un niveau suf-fisant en déterminant les produits mal ali-mentés. En d’autres mots, les agents patho-gènes doivent être considérés comme lesprofesseurs de la nature, un élément inté-gral de tout système agricole ration-nel[139] », écrit Albert Howard. MattéoTavera estime pour sa part que « l’état

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sanitaire de l’animal à l’état sauvage est ex-cellent, surtout si son domaine n’a pas étésouillé par l’Homme. Malgré ses conditionsde vie inconfortables à nos yeux, et prob-ablement pour cette raison même, il ne con-naît pas la maladie ». Des propos que con-firme Matthieu Calame, ancien président del’Itab : « Dans la continuité de cette réflex-ion, les tenants de l’agronomie biologiqueconsidèrent que la maladie n’est pas un étatnormal de la plante, mais traduit un dys-fonctionnement de l’ensemble de la pratique(sélection, agencement spatial du territoire,fumure, travail du sol, assolement, etc.).C’est pourquoi les agronomes tenants del’agronomie biologique considèrent que lefait d’avoir recours à un traitement est unéchec agronomique et non une pratique nor-male[140]. »

Ainsi, une culture « normale », en bonnesanté, n’aurait besoin ni d’engrais, ni depesticides. Et si par malheur un traitement

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devait s’avérer nécessaire, il devrait être aus-si léger que possible. À l’instar des traite-ments homéopathiques et des préparations àbase de plantes, qui remplacent en médecineles médicaments sortis des laboratoires del’industrie pharmaceutique (en tout cas, tantque la pathologie n’est pas trop grave !).

Rejet de la sélection variétale

Howard et Geffroy poussent même leraisonnement plus loin. Pour eux, l’améliora-tion variétale est superflue, voiredangereuse, car elle entraîne une altérationde la composition des plantes. « À l’heure ac-tuelle, les variétés résistantes aux maladies[…] sont un remède très en vogue, en par-ticulier contre la rouille du blé. Comme on lesait bien, les cultivars de la culture de blédiffèrent beaucoup dans la résistance à larouille, En substituant une culture généralemixte par une variété résistante à la rouille,

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on peut parfois réussir à échapper à la mal-adie. Si, toutefois, on poursuit un peu plusloin, on se rend compte que ce qui apparais-sait à première vue comme une solution àun problème n’est rien de plus qu’une ampli-fication de ce problème. Il a vite été établique la résistance à la rouille variait selon lelieu et la façon dont on cultive[141] », ex-plique Howard. Exit donc la sélection var-iétale, qui ne ferait que repousser lesproblèmes !

Ce que propose l’agronome britannique,c’est de choisir les graines adaptées auterroir dans lequel elles seront cultivées. Celadevrait suffire à assurer des récoltes de qual-ité année après année. L’observation de ré-coltes constantes prouvera que les pratiquesagricoles sont adéquates, estime-t-il.« Seules quelques variétés de graines serontnécessaires lorsque les sols redeviendrontfertiles », assure Howard, qui ajoute : « Uneautre méthode valable pour tester nos

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pratiques, c’est d’observer l’effet du tempssur la variété. S’il apparaît une tendance àl’épuisement, quelque chose ne va pas. S’ilsemble qu’il y ait une constance, nosméthodes sont correctes. L’efficacité de l’ag-riculture du futur se mesurera donc à l’aunede la réduction du nombre de sélection-neurs. » Howard reproche à la recherche ag-

ronomique d’avoir, à la fin du XIXe siècle,« été conçue pour faire du paysan un banditplus habile, plutôt qu’un producteur de meil-leurs aliments[142] ». « On lui a appris com-ment il peut acquérir des avantages audétriment de ses descendants », conclut-il.

Ce discours n’est pas sans rappeler celuid’Henri-Charles Geffroy, qui juge lui aussiinutile la recherche de variétés plus perform-antes. « Cette graine [de blé] forme un toutharmonieux dans lequel les diverses sub-stances se trouvent dans un état d’équilibrequi représente, pour la cellule humaine, laperfection ; il est facile de comprendre que,

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si l’on y touche, si l’on en retire la moindrechose, cet état d’équilibre est rompu et, nonseulement les substances soustraites font dé-faut, mais celles qui restent perdent tout oupartie de leur activité par la suite de l’ab-sence des corps nécessaires à leur digestion,leur assimilation ou même à leur actiondans le sérum sanguin[143] », avertit-il. Lepatron de La Vie Claire s’insurge contre « lestraitements modernes que le blé a subis etqui [entraînent] de graves altérations danssa composition ». « Ces nouveaux blés, cul-tivés à l’engrais chimique, permettent de ré-colter, dans certaines régions, 40 quintaux àl’hectare, au lieu de 15 ou 20. Triste victoireen vérité ! », se désole-t-il en 1949. Uneréflexion savoureuse quand on sait que cesvariétés des années quarante et cinquantesont aujourd’hui appréciées des nostalgiquesdes plantes anciennes en tant que variétés« rustiques » et « authentiques »…

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Le discours sur la nécessité de la sélectionvariétale a néanmoins beaucoup évolué.Après s’être opposée à la sélection durantplus d’un demi-siècle, la nouvelle générationd’agriculteurs biologiques déplore au-jourd’hui le manque de recherches effectuéesdans ce domaine. Elle estime même qu’ellesont été honteusement négligées au profit desrecherches réalisées dans le cadre de l’agri-culture conventionnelle. Certes, mais à qui lafaute ? Cette insuffisance mérite d’autantplus d’être soulignée que le refus sys-tématique des OGM – qui a désormais sup-planté celui de la sélection variétale – pour-rait bien à son tour susciter les regrets desagriculteurs bio…

Retour vers le passé

Ni engrais chimiques, ni pesticides pourcette agriculture dont Geffroy établit dès1949 les grandes orientations. « Il faut

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refaire en sens inverse tout le chemin par-couru par l’humanité, depuis l’époque où lacivilisation a commencé à être dominée ex-clusivement par les forces matérielles…Pour notre malheur, cette orientation re-monte à plusieurs siècles, et les fruits amersque nous récoltons depuis cent cinquanteans sont ceux d’une plante dont les racinesplongent très profondément dans lepassé[144] », écrit le fondateur de La VieClaire. Ce retour passe par l’application detrois principes : « le respect des loisnaturelles », « comprendre ce qui se passe »et « s’intégrer dans l’immense harmonie detout ce qui est, de tout ce qui vit ». Il s’agitd’« exercer le culte de la terre, mission sac-rée, dans laquelle chaque geste est un actede foi et chaque pensée une action de grâces,puisqu’il ne s’agit rien de moins que d’en-tourer des soins les plus attentifs en cher-chant sans cesse à aller au devant de sesmoindres désirs, cette terre dont nous avons

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tous été pétris et à laquelle nous sommes en-chaînés par des liens invisibles, aussi solidesque les racines d’un chêne », poursuit-il.D’où la nécessité de mettre en place de« nouvelles méthodes de cultures », qui nesont en réalité « qu’un retour aux usages an-cestraux, découlant d’observations accu-mulées au fil des siècles, à une époque oùl’intuition n’avait pas encore été complète-ment abolie par le développement de cer-taines autres facultés de l’esprit ».

L’origine de la théorie de l’humus

Les « usages ancestraux » auxquels Gef-froy veut revenir sont pour l’essentiel lespratiques répandues avant l’utilisation de la

chimie de synthèse, au début du XXe siècle.À cette époque, l’agriculture paysanne tra-verse une grande révolution. Plus que lespesticides, ce sont alors les nouveaux engraisqui suscitent une très virulente critique de la

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part des premiers « agrobiologistes », qui serévoltent contre l’« irruption de la chimiedans le domaine de la vie[145] ». Pour com-prendre les fondements de cette révolte, ilfaudrait revenir à… Aristote !

Selon le pédologue Jean Boulaine, Aris-tote défendait en effet le principe de similit-ude selon lequel les êtres vivants se nourris-sent de leurs semblables, avec l’idée queseule la vie peut engendrer la vie. D’où ceprincipe simple : les plantes poussant dans lesol, celui-ci contient tous les éléments néces-saires à la vie. Autrement dit, seul le solnourrit la plante. Partant de ce postulat, l’ag-ronome allemand Albert Thaer (1752-1828)et le chimiste-minéralogiste suédois JohanWallerius (1709-1785) ont développé une« théorie de l’humus » qui lie fécondité dusol et croissance de la plante, l’humus [146]

étant considéré comme ce qui fournit lanourriture aux plantes. « Si l’on exceptel’eau, c’est la seule substance qui, dans le sol,

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fournisse un aliment aux plantes », écritThaer. Or, le sol exige à son tour d’êtrenourri, c’est-à-dire que l’on doit lui restituerce qu’absorbent les cultures.

Ces travaux sur l’humus ont été d’une im-portance capitale pour l’évolution de l’agri-culture. En effet, pendant très longtemps,l’agriculteur s’est borné à utiliser le sol sansintervenir pour reconstituer le stock dematières utiles qu’il renfermait. La jachèreétait alors la seule solution permettant depérenniser les cultures. La déforestationfrançaise, qui a été pratiquée jusqu’au début

du XXe siècle, est d’ailleurs l’une des tristesconséquences de ce mode de culture primitifqui épuisait les sols. À partir du moment oùl’agriculteur a compris qu’il pouvait « pré-parer » le sol, notamment en lui restituantdes matières fertilisantes, un nouveau sys-tème de culture a pu être pratiqué. « L’ex-traordinaire développement de la pro-ductivité du sol résulte presque uniquement

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d’une meilleure succession des récoltes etd’un apport plus considérable de matièresfertilisantes produites sur place par le bé-tail[147] », explique l’historien-agronomeDaniel Zolla en 1913.

Des fientes et des os

Pendant très longtemps, les paysans n’ontpas disposé de grand-chose pour nourrirleurs sols en dehors du fumier, du purin desétables et des déchets végétaux. Certes,depuis l’Antiquité, on avait constaté les effetsbénéfiques des déjections d’oiseaux, appré-ciées comme excellents engrais. D’où les in-cursions régulières et systématiques dans lesgrottes et les caves afin de récolter les fientesd’oiseaux et de chauves-souris. Le commercede fiente a même connu une expansion re-

marquable au début du XIXe siècle, avec desimportations considérables de fientesd’oiseaux marins et de chauves-souris du

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Pérou (le fameux guano), dont des quantitésimportantes avaient été accumulées au coursdes siècles. Ce commerce était facilité par ledéveloppement du trafic maritime à partir del’Amérique du Sud.

Mais cela ne suffisait pas. D’où l’intérêtde chercher d’autres solutions. Suite à la dé-couverte d’Henri-Louis Duhamel du Mon-ceau, qui avait constaté en 1762 que lesdéchets d’utilisation artisanale d’os etd’ivoire constituaient d’excellents engrais, lesagriculteurs ont commencé à rechercher desossements partout, y compris sur les champsde bataille ! À l’époque, on supposait que lesos apportaient au sol des matières grasses etde la gélatine. « La science, après avoirlongtemps tâtonné, sait aujourd’hui que leplus fécondant et le plus efficace des en-grais, c’est l’engrais humain. […] Unegrande ville est le plus puissant des sterco-raires. Employer la ville à fumer la plaine,ce serait une réussite certaine[148] », écrivait

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Victor Hugo dans Les Misérables. Or, les dé-couvertes de la chimie, notamment celles deBoussingault et de Liebig, ont totalementchangé la donne.

La grande rupture de Boussingaultet Liebig

Auteur d’un important traité agricole, Ag-ronomie, chimie agricole et physiologie, lechimiste français Jean-Baptiste Boussingault(1802-1887) démontre qu’un végétal cultivédans un sable stérile se développe nor-malement dès lors qu’on lui apporte certainséléments essentiels, comme le phosphate etla potasse. Il met également en évidence lacapacité des plantes à assimiler l’azote àpartir de nitrates. Parallèlement, le chimisteallemand Justus von Liebig (1803-1873)rédige en 1850 un Traité de chimie orga-nique dans lequel il démontre que l’humus sedécompose en sels minéraux, et que ce sont

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les produits de cette décomposition qui con-stituent les véritables éléments nutritifs desplantes. Liebig et Boussingault en concluentque la plante tire sa croissance non pas d’or-ganismes vivants, mais de sels minéraux. Ilsapportent ainsi un démenti définitif à l’af-firmation d’Aristote selon laquelle les êtresvivants ne se nourrissent que de leurssemblables. En établissant le caractère pure-ment minéral de l’alimentation des plantes,ils ruinent la théorie de l’humus telle quel’avait élaborée Thaer. L’origine – naturelleou de synthèse – de ces multiples nutriments(y compris les micronutriments comme lemagnésium, le manganèse, le cuivre et lenickel) n’a donc aucune influence sur ledéveloppement des plantes.

Sachant ce qui est utile aux plantes, les

agronomes du début du XIXe siècle com-prennent vite que les ossements constituentun excellent engrais en raison de leur teneuren phosphate. La découverte simultanée de

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gisements de phosphate de chaux en Angle-terre, en France et en Espagne, permet uneexploitation du phosphate d’origine fossile.En 1816, le chimiste écossais James Murrayréussit la transformation du phosphate –d’origine fossile ou osseuse – en « super-phosphate », par action de l’acide sulfurique.Ce « superphosphate » fournit à l’agricultureun engrais d’une extraordinaire efficacité. Àpartir de 1850, phosphates fossiles et osse-ments sont ainsi les engrais les plus recher-chés. En 1856, un correspondant de la So-ciété d’Agriculture de France propose mêmed’utiliser la terre des cimetières ! La nais-sance des engrais de synthèse permet derendre moins indispensable ce qui est d’ori-gine organique, que ce soient les déjectionsd’animaux, les ossements ou même le sang etla viande séchés, vendus par wagons entiers

comme engrais jusqu’au début du XXe

siècle ! La potasse provient désormais desmines allemandes de Stassfurt (environ

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10 000 tonnes par an y sont extraites à la fin

du XIXe siècle), tandis que le phosphore estproduit en Picardie et dans le Quercy, àpartir de dépôts de phosphate fossile. Dès1880, l’industrie de l’acier produit des scor-ies de déphosphoration, et la vente de « su-perphosphates » se généralise grâce à la So-ciété de Saint-Gobain, qui investit massive-ment dans le secteur en construisant 15usines d’engrais chimiques. En 1914, la firmefournit à elle seule 40 % de la productionfrançaise ! Le reste est assuré par la Sociétébordelaise de produits chimiques, les so-ciétés Kuhlmann, Alès Froges et Camargue,Péchiney et par la Société algérienne deproduits chimiques, qui exploitent les gise-ments d’Afrique du Nord. La production et laconsommation d’engrais chimiques serépandent sur le continent avec une extrêmerapidité. « Dans l’Europe entière, une partiedes phosphates de chaux est transformée ensuperphosphate par un traitement spécial à

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l’acide sulfurique », note Daniel Zolla, quiexplique que « la matière fertilisante ob-tenue est plus facilement assimilée par lesvégétaux[149] ».

Parallèlement, la connaissance du rôledes éléments nutritifs des végétaux s’affine.En 1903, le chimiste-biologiste Gabriel Ber-trand met en évidence le rôle des oligo-élé-ments. « Depuis 1850, on avait perçu le be-soin de fournir aux êtres vivants des élé-ments dits “plastiques” ou “mineurs” commele magnésium, le calcium, le soufre, la silice.Les travaux de Sachs, de Knopp et, à côté dePasteur, de son élève Raulin, avaient mis aupoint des mélanges destinés à fournir ceséléments aux cultures in vitro », rappelleJean Boulaine. À cette époque, la composi-tion des engrais se complexifie pour intégrerun ensemble de matières indispensables auxplantes.

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Les rendements explosent

Les fournitures de nitrates provenant duChili étant limitées, il devient nécessaire detrouver une autre solution : c’est l’azote nonorganique, synthétisé pour la première fois àpartir de l’ammoniac par le chimiste alle-mand Fritz Haber (1868-1934). Suite àl’armistice de 1918, le brevet de l’azote nonorganique est acquis par la France en com-pensation des dommages de guerre. Ce quipermet à l’Hexagone de créer sa propre in-dustrie de production d’azote. Avec l’Officenational industriel de l’azote (Onia), les agri-culteurs français disposent enfin d’engrais dequalité. Production et commerce des engraissont placés sous la tutelle de l’État, qui con-trôle la production des phosphates d’Afriquedu Nord et possède des gisements de potasseen Alsace.

Cette industrialisation de la productiondes engrais est salutaire pour la France, carses terres étaient littéralement épuisées

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depuis la fin du XVIIIe siècle ! « Cinquantesiècles d’agriculture pour nourrir une popu-lation très nombreuse ont entraîné la perteinévitable de 25 à 40 % des éléments nutri-tifs à chaque culture. La faiblesse des resti-tutions a été la règle, tout autant que l’ab-sence de compensations, sauf à les trouverchez le voisin ou en forêt, ou dans les pâtur-ages lointains, qui de toute façon s’appauv-rirent à la longue », relate Jean Boulaine.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les rendementsde blé ont d’ailleurs très rarement dépasséles 15 quintaux à l’hectare[150]. En 1898, leBulletin du syndicat central des agriculteursde France se félicite de cette révolution ap-portée par les engrais chimiques : « Il estuniversellement reconnu aujourd’hui quel’emploi judicieux des engrais en agricultureélève de beaucoup les rendements obtenus etrend possibles des récoltes qui auraient étéconsidérées comme fabuleuses il y a quelquetemps. Le moindre cultivateur fait

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maintenant son profit des expériences ex-écutées par les agronomes les plus renom-més, qui ont répandu l’usage des engrais etqui ont montré leur efficacité[151]. »

Grâce aux engrais chimiques, les rende-ments explosent. Dans la station expéri-mentale de Grignon, ils atteignent des som-mets jamais vus : 42 q/ha en 1902 pour dublé Massy et 49 q/ha pour du blé Japhet !Certes, il faudra attendre encore quelquesannées avant que ces bons rendements segénéralisent dans les campagnes. Mais la ré-volution agricole est bel et bien en marche,apportant un démenti radical aux prévisionsdu pasteur et économiste britannique Tho-mas Malthus, qui soutenait au début du

XIXe siècle que l’agriculture était incapablede faire face à la demande d’une populationen croissance exponentielle. « Depuis unsiècle, la productivité de l’agriculturefrançaise a quadruplé[152] », indique DanielZolla. Il précise que durant la même période,

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la population française a augmenté de 50 %(26,5 millions en 1789 contre 40 millions en1911).

L’historien fournit quelques chiffres trèspertinents sur la réalité économique agricole

du début du XXe siècle. Il relève qu’en 1905,la production annuelle de céréales s’élève àplus de 263 millions d’hectolitres, contre 198millions en 1830. Entre 1862 et 1909, la pro-duction totale de viande a doublé (2,3 mil-lions de tonnes contre 1,1), permettant ainsiun doublement de la consommation annuellede viande par tête d’habitant (57 kg en 1909contre 26 kg en 1862). « On observe desaméliorations analogues en ce qui concernela production des vins », ajoute l’historien.« Il en a été de même pour la production siintéressante des animaux de basse-cour,pour la fabrication des beurres et des fro-mages. Sous toutes les formes, la richesse del’agriculture a grandi et sa productivité aété marquée par les caractères dont nous

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parlions au début même de cette étude : lavariété, l’abondance, la spécialisation intel-ligente, l’adaptation aux facultés naturellesdes sols aussi bien qu’aux exigences desclimats », conclut-il.

De 3 milliards de francs au début du XIXe

siècle, l’ensemble des produits agricoles ven-dus s’élève à 12 milliards de francs un siècleplus tard. Un chiffre qui équivaut à larichesse créée par l’ensemble de l’industriefrançaise, qui doit, elle aussi, son essor auxprogrès réalisés en agriculture. En effet,d’une part la mécanisation libère une main-d’œuvre indispensable aux manufacturesnaissantes, d’autre part les agriculteurs devi-ennent des consommateurs à part entière,élargissant ainsi les débouchés commerciauxde l’industrie.

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L’opposition aux engrais chimiques

Pourtant, l’usage des engrais minérauxn’est pas adopté sans résistance. Dès 1903,un agronome américain s’oppose virulem-ment à cette innovation. Le Pr Milton Whit-ney, directeur du Bureau des sols (Soil Sur-vey) à Washington, soutient que les engraischimiques ne remplissent aucun rôle ali-mentaire essentiel pour les plantes, qui « nepeuvent vivre que dans un milieu sain ». Leprofesseur insiste sur l’existenced’« excreta », c’est-à-dire de rejets toxiquesdes plantes, similaires aux déjections des an-imaux. Seule la vie bactérienne des sols per-mettrait de débarrasser les sols de ces sub-stances toxiques. Sans quoi les sols devi-ennent infertiles, affirme-t-il. « La matièreorganique du fumier et des engrais verts,pouvant se transformer facilement en hu-mus, semble purifier la terre arable, enmodifiant ou en enlevant les substances or-ganiques toxiques laissées par les récoltes

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précédentes[153] », écrit le Pr Milton Whit-ney. En revanche, ce processus ne serait paspossible avec l’emploi des engrais chimiques.« Il y a, par exemple, dans nos États de l’Est,des régions de terres épuisées, que l’emploides engrais salins ne peut fertiliser »,argumente-t-il. En France, sa théorie estprise très au sérieux. En 1906, un Comité desétudes scientifiques du ministère de l’Agri-culture est chargé de vérifier ses propos. Deson côté, l’Académie des Sciences analyse sestravaux… pour finalement les réfuter !

Si l’usage des engrais chimiques estd’abord contesté en raison de son incapacitéà « purifier » les sols, il est ensuite rejeté àcause de ses prétendus effets de contamina-tion du sol. Dans la filiation de Whitney, l’ag-ronome britannique sir Albert Howard(1873-1947), que l’on peut considérer commel’un des pères de l’agriculture biologique,soutient que « les bases d’une bonne culturerésident non pas tant au niveau de la plante

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qu’au niveau du sol lui-même : il y a unecorrélation si intime entre l’état du sol, c’est-à-dire sa fertilité, et la croissance et la santéde la plante, qu’elle l’emporte sur chaqueautre facteur[154] ». Convaincu qu’un bonhumus renforce la fertilité du sol et par con-séquent garantit la santé des plantes, du bé-tail et du genre humain, Howard concentreses travaux sur le développement d’un com-post idéal, obtenu par la « méthode Indore ».Il élabore ainsi sa « grande loi du retour »,qui édicté la nécessité d’un retour de tous lesdéchets d’origine biologique à la nature,étape indispensable pour clore le « cycle dela vie ». À partir des années trente, sir AlbertHoward devient le principal opposant auxengrais chimiques. « Le long empoison-nement de la vie du sol par des engrais arti-ficiels est l’une des pires calamités qui aientpu arriver à l’agriculture et àl’humanité[155] », estime-t-il.

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VIII – LE CYCLE DE LA VIE

« Face à cet immense mouvement de lasociété, il fallait beaucoup de culot, de con-viction et peut-être d’arrogance, pour laiss-er entendre une voix discordante. Et pour-tant, les réflexions de l’agronomie biolo-gique n’étaient pas dénuées de fondement etde pertinence. Elles pouvaient se prévaloir

de tout le progrès agronomique des XVIIIe

et XIXe siècles. Des preuves tangibles ap-portées par une expérience séculaire. Rienn’y fit en son temps. Elles ne résistèrent pasà la puissance prométhéenne du projettechno-industriel », déplore l’ancien présid-ent de l’Itab Matthieu Calame, dont la réflex-ion s’inscrit clairement dans l’héritage de sirAlbert Howard.

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La critique howardienne des engraischimiques peut se résumer de la sorte : pourgarantir une croissance convenable auxplantes, il importe de ne pas perturber le« cycle de la vie », d’où l’impérative nécessitéde ne recourir qu’aux déchets organiques etsurtout pas à des éléments inertes comme lesminéraux et les engrais chimiques. Seul cetapport naturel permet au sol de ne pas se dé-grader, et donc de ne pas perdre sa fertilité.Autrement dit, remplacer la fertiliténaturelle (comme la fumure animale) pardes fertilisants artificiels n’est non seulementpas suffisant pour apporter tous les élémentsnécessaires à la croissance des plantes, maispeut même être nuisible. Certes, l’agronomereconnaît que l’agriculture moderne, qui util-ise des engrais minéraux, donne d’excellentsrésultats. Mais « les sols du mondes’épuisent, sont laissés en ruine ou sontlentement empoisonnés. Partout dans lemonde, notre capital se dilapide. La

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restauration et l’entretien de la fertilité dessols sont devenus un problème universel »,avertit-il dès les années trente ! Sa critiquerappelle celle du Pr Whitney. Elle serareprise quatre-vingts ans plus tard par l’ag-ronome Claude Bourguignon, dont les pro-pos sur la mort des sols sont régulièrementrelayés par les médias…

Pourtant, depuis les mises en garde deHoward et Whitney, ces fameux sols préten-dument morts continuent de donner des ré-coltes dont les rendements ne cessent d’aug-menter ! Pour prendre l’exemple du blé, iln’est pas rare que l’on atteigne aujourd’hui100 q/ha, contre 10 q/ha en moyenne à la fin

du XIXe siècle. Soit dix fois plus.

Une conception vitaliste

Ces résultats n’empêchent pas les partis-ans de l’agriculture biologique de continuer às’appuyer sur les thèses de Howard, fascinés

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qu’ils sont par la conception « vitaliste » dumonde qui en est à l’origine. Celle-ci apparaîtde manière plus évidente chez l’un de sescontemporains, le père de l’agriculture bio-dynamique Rudolf Steiner. « Aujourd’huichacun pense tout simplement, eh oui, lacroissance des plantes demande une cer-taine quantité d’azote, et les gens trouventtout à fait indifférentes la manière dont cetazote est préparé et son origine. Or ; cetteorigine n’est pas indifférente, au contraire ;ce qui importe, c’est qu’il y a azote et azote,et qu’entre l’azote qui est dans l’air etmélangé à l’oxygène, entre cet azote mort etl’autre, il y a une grande différence », écritl’anthroposophe dans Fondements de laméthode biodynamique. « Vous ne nierezpas, chers amis, qu’il y a une différenceentre un homme vivant, qui va et qui vient,et un cadavre, le cadavre d’un être humain.L’un est mort, l’autre est vivant et il a uneâme. Il en va de même par exemple pour

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l’azote et les autres substances. Il existe unazote mort ». Sans commentaire.

Ce que sous-entendent Steiner etHoward, c’est qu’il existerait une séparationradicale entre le vivant et l’inerte, l’un nepouvant se nourrir de l’autre. D’où le fait quela vie ne puisse tolérer l’intrusion d’élémentsinertes dans un cycle qui doit rester aussinaturel que possible. « Toute modificationn’est pas mauvaise : seules les perturba-tions, c’est-à-dire les interventions con-traires aux lois biologiques, doivent être re-jetées ; par exemple l’emploi de substanceschimiques étrangères aux cycles biolo-giques[156] », confirme l’agronome ClaudeAubert, quarante ans après Howard.

Cette séparation artificielle entre le vivantet l’inerte séduit l’intellect, mais ne résistepas à l’analyse scientifique. En effet, lanature ne fonctionne pas de cette manière,car le vivant se nourrit aussi de minéraux, demétaux et de molécules chimiques. Or, à

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force de vouloir absolument incarner ce dis-cours « vitaliste », les pionniers de l’agricul-ture biologique en sont arrivés à inventer desthéories particulièrement loufoques, quin’ont fait que marginaliser l’agriculture bio-logique durant près d’un siècle.

Les solutions du Dr Rusch

Le Dr Hans Peter Rusch (1906-1977),dont l’approche holistique a marqué lesmouvements biologiques français et suissedans les années soixante et soixante-dix, estl’un d’entre eux. Son abscons traité La fécon-dité du sol (1968) a fait référence dans lesmilieux du bio. Claude Aubert, qui l’a traduiten 1972, estime qu’il révolutionne « nonseulement l’agriculture, mais toute la biolo-gie[157] ». « Plus d’un millier d’exploitationsagricoles pratiquent actuellement cetteméthode, en Suisse et dans une quinzained’autres pays, avec des résultats contraires

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à toutes les théories agronomiques ad-mises : l’abandon des engrais chimiques etdes pesticides conduit à une augmentationdes rendements et de la rentabilité, ainsiqu’une diminution des attaques parasitaireset des maladies du bétail », se félicite-t-il.Bref, « la luxuriance de la végétation, laqualité des produits, la santé du bétail et laprospérité des exploitations biologiques sontles preuves tangibles de la valeur desméthodes mises au point par H. P. Rusch »,conclut Claude Aubert.

Il est vrai que la force du Dr Rusch con-siste à proposer une théorie fascinante,d’autant plus vraisemblable qu’elle prétends’inspirer des théories sur la biosphèredéveloppées par le grand chercheur russeVladimir Vernadski (1863-1945). Plutôt quede s’appuyer sur Howard, le Dr Rusch seréfère en effet au concept de « matièrevivante » de Vernadski, qu’il traduit par l’ex-pression de « substance vivante ». Une

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pirouette linguistique qui lui permet de s’en-gager dans la recherche d’une « loi de la con-servation de la substance vivante ». L’inven-tion de Rusch consiste à soutenir que laquantité de cette « substance vivante »n’aurait pas varié au cours de l’évolution.Selon lui, non seulement la substancevivante circulerait en un cycle – sous formesaine ou malade – entre le sol, les plantes,les animaux et les hommes, mais elle ne sedécomposerait jamais réellement. Il en tiredeux principes essentiels à son édifice agro-nomique : d’une part, le total des « sub-stances vivantes » reste perpétuellementstable, d’où la nécessité du recyclage de lamatière organique ; d’autre part, cette stabil-ité est rendue possible grâce à des « muta-tions » qui se produiraient au niveau infra-cellulaire. Sur cette base, le Dr Rusch pro-pose un modèle agronomique excluant la fer-tilisation chimique, dont il se pose en redout-able adversaire. « La fertilisation chimique

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constitue une partie de l’édifice technique etindustriel. À l’aide du concept minéral, onsimplifia un problème d’une extrême com-plexité, celui de la fertilité du sol, ce qui per-mit de l’intégrer sans difficulté dans l’organ-isation industrielle. La transformation d’uneferme en une exploitation industrielle en dé-coule naturellement », explique-t-il dans Lafécondité du sol. « Il existe des techniquesagricoles plus simples, plus rentables et plussaines, que celles basées sur la chimie ; cestechniques montrent que pour faire sonmétier d’agriculteur ou de jardinier, on n’anullement besoin des innombrables produitsque fournit l’industrie », affirme le médecinallemand.

Le problème, c’est que le Dr Rusch a toutfaux ! Car sa « substance vivante », dont laquantité serait préservée depuis la nuit destemps, n’existe pas. En outre, les mutationsinfracellulaires, c’est-à-dire entre chromo-somes, virus et mitochondries, sont

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impossibles en raison de la différence de lastructure biochimique de ces derniers. Bienentendu, ces théories – comme le modèleagrobiologique qui en découle – n’ont pasrésisté au temps.

La « loi de la conservation » du Dr Ruschn’est pas le seul modèle farfelu défendu parles pionniers de l’agriculture biologique. Ladéroutante « hypothèse sur la loi du Cos-mos » formulée par Mattéo Tavera, cofond-ateur de Nature & Progrès, a elle aussi eu sesthuriféraires.

L’agriculture cosmotellurique duprésident de Nature & Progrès

« L’agriculture biologique s’appuie surdes découvertes révolutionnaires mod-ernes », affirme Mattéo Tavera dans une in-terview accordée au Midi Libre en octobre1969. Pour le viticulteur et arboriculteur nar-bonnais, l’agriculture biologique est

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innovante et scientifique. D’où ses nom-breuses références à « l’agrobioélectroniquedu Pr Louis-Claude Vincent et aux transmu-tations biologiques du Pr Louis Kervran ».Toutefois, il développe sa propre théorie –signe d’une imagination débordante –, qu’ilrésume en un recueil de trente lettres intituléLa Mission Sacrée, une hypothèse sur ledroit à la vie et à la santé. « Mattéo Taveraa terminé un ouvrage qu’il nous promettaitdepuis longtemps et qui a trait aux influ-ences qu’ont sur tous les êtres vivants denotre planète les courants d’électriciténaturelle tant de la terre que du cos-mos[158] », explique son ami André Louis,vice-président de N&P, qui recommandechaudement la lecture de La Mission Sacréeaux adhérents.

Pour Mattéo Tavera, l’homme « participeau gigantesque travail de transmission desrayonnements naturels qui joignent la Terreet le Cosmos afin d’assurer la constance de

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l’État électrique de la biosphère[159] ». Enclair, il se produirait un échange électriqueentre le cosmos et la Terre, dont l’hommeserait un élément clé. Cet échange a lieu « àl’aide de pointes », représentées par « les élé-ments pointus des végétaux : feuilles, poils,épines, aiguillons, yeux terminaux », ex-plique l’auteur de La Mission Sacrée. Il pré-cise : « Les poils des animaux sont autant depointes qui jouent leur rôle sacré de conduc-tion et d’échange terre-cosmos[160]. » Cephénomène expliquerait pourquoi on ob-serve une plus grande incidence de cas decancers à New York et à Chicago. Cette surin-cidence serait en effet proportionnelle aunombre de bâtiments en pan de fer ou enbéton armé édifiés dans ces deux villes ! Cesbâtiments formant des cages de Faraday, ilsprivent l’homme des courants électriques fa-vorables, assure le co-fondateur de N&P.« Non content d’avoir par sa bêtise perduses poils, donc ses pointes, voilà l’Homme

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qui s’isole de la terre par des chapeaux, dessemelles de caoutchouc ! Ne va-t-il pasjusqu’à ne se plaire qu’en cage deFaraday ! ! ! Mais oui, les voitures automo-biles, les avions, sont des cages de Faradayprivées de tout champ électrique. […] Toutceci est infiniment triste, infinimentangoissant », déplore-t-il.

Néanmoins, Mattéo Tavera doit admettreque les cas de cancers augmentent aussi dansles campagnes. Les coupables ? Le tracteur etla botte de caoutchouc isolante. « Dans lemême temps, le cheval et le bœuf laissèrentla place au tracteur, ce qui a valu au paysande s’isoler encore davantage du sol. Lepaysan trahit la Nature en ne voulant plusaccomplir sa Mission Sacrée, la Nature sevengea », explique-t-il dans sa vingt-sixièmelettre. Quant à la botte, elle a eu la mauvaiseidée de remplacer « le godillot à semelle decuir, clouté, bon conducteur, et le bon sabot

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de bois », soumettant ainsi l’homme à de ter-ribles maladies.

Et ce n’est pas tout. Afin de permettre auxforces électriques de bien circuler, il faut,« chaque fois que possible, exposer sa peaunue au contact du cosmos, de la terre et desvégétaux ».

C’est-à-dire se promener pieds nus ouchaussé d’espadrilles à semelle de corde. Ilfaut garder un lien direct avec la terre, à l’in-star de l’animal sauvage, qui jouit d’unebonne santé car « il a les pieds nus au con-tact de la terre, de l’humus, de la forêt, de lasavane, de la lande ou de la grande prairie,transmettant ainsi au globe terrestre lescourants de conduction que, tous poils de-hors, il capte dans l’atmosphère ». Voilàégalement pourquoi il est indispensable dene consommer que des produits issus de l’ag-riculture biologique. À la rigueur, MattéoTavera veut bien reconnaître quelques vertusà ce qu’il appelle l’agriculture de négligence :

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« Je le répète encore, aucune denrée n’a devaleur, malgré les qualités quelle peut avoirpar ailleurs, si elle n’est pas issue d’une agri-culture biologique, ou de la nature sauvage,ou encore d’une agriculture de négligence,ce qui revient presque au même, pour leconsommateur tout au moins. » Non seule-ment les denrées issues de ces modes d’agri-culture sont exemptes de tout produitchimique, mais elles contiennent « unevaleur potentielle de vie », puisqu’elles ontparfaitement accompli leur Mission Sacrée.Bref, voilà la version tavérienne des « forcesvitales » de Steiner…

Bien entendu, pour ne pas perturber le« concert électrobiologique de la Nature », ilfaut s’interdire tout engrais chimique. Car s’ilne prend garde, « l’homme peut tout modifi-er, jusqu’à faire tourner la roue à l’envers »,avertit l’arboriculteur. « Bien que souventapparemment en bonne santé, les arbres quipeuplent la quasi-totalité des vergers ne

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sont en vérité que de grands malades. Cesont des êtres anormaux parce qu’au lieud’humus, il leur est prodigué pour nourrit-ure des engrais chimiques que la nature ig-nore et dont elle réprouve l’emploi. Ce sontdes êtres artificiels dont la nature n’a quefaire dans le grand concert qu’elle con-duit[161] », poursuit-il.

Cette mise en garde contre toute inter-vention dans le « grand concert de laNature » est poussée jusqu’à l’extrême, c’est-à-dire jusqu’à l’interdiction de la lutte contreles insectes nuisibles, source de désorganisa-tion de la nature. « À chaque insectevégétalien (donc dit “nuisible”) correspond-ent un ou plusieurs insectes antagonistes,chargés par la nature de faire disparaîtreceux-là, chaque fois qu’ils tendraient à proli-férer et à déborder de leur cadre d’ex-écuteurs d’arbres à bon escient, donc à serendre nuisibles par ce biais, et à se mettrehors-la-loi en s’attaquant à des arbres bien

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portants qui ont le droit à la vie », affirmeMattéo Tavera. L’ardent défenseur de la« lutte non violente contre les parasites desarbres fruitiers » préfère dialoguer avec lesarbres. « Je suis convaincu que, cette année,j’ai perdu dans un de mes vergers de poiri-ers la quasi-totalité de ma récolte parce quej’ai eu une congestion pulmonaire au moisde juillet, et que j’ai été obligé d’abandonnermon verger pendant quarante-cinq jours. Etje n’y étais pas, je n’étais pas dans mon ver-ger pour converser avec mes poiriers et leurtémoigner de ma présence[162] », confie-t-il.

Même face à des phénomènes naturelscomme la sécheresse, il est préférable delaisser faire la nature, estime Mattéo Tavera.« Là où l’homme voit un accident, il n’y aqu’une manifestation biologique et physiolo-gique d’autodéfense de la plante, réglée defaçon précise par le jeu de la Mission Sac-rée, dans le cadre du climat électrobiolo-gique du moment particulier », explique-t-il

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dans sa douzième lettre. « Si pour parer à lasécheresse, l’Homme supplée la pluie pardes arrosages, des irrigations, alorsd’autres désordres surviennent, anormauxceux-là, et inverses de ceux qui résultent dela sécheresse », avertit-il. Prenant la sagesseancestrale à témoin, il ajoute : « Nos aïeuxne disaient-ils pas : l’eau du ciel est meil-leure que celle de l’arrosoir ? »

Aujourd’hui, ces théories pour le moinsextravagantes semblent témoigner d’un es-prit soit très imaginatif, soit très perturbé.Est-ce la raison pour laquelle le nom de Mat-téo Tavera, l’un des deux fondateurs de N&P,n’apparaît plus dans les textes de l’associ-ation ? Plus aucun de ses dirigeants nesemble en effet revendiquer cet héritage unpeu gênant. Il est vrai qu’il est difficile deprendre au sérieux l’agriculture biologiquelorsqu’elle s’appuie sur de telles théories…

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IX – LE TRIOKERVRAN-LEMAIRE-BOUCHER

L’interdiction de l’usage des produits is-sus de la chimie – engrais et pesticides –prônée par l’agriculture biologique ne reposepas uniquement sur les curieuses théories deHoward, Rusch, Steiner et Tavera. D’autresagronomes et scientifiques ont apporté leurjustification à cette contrainte. Parmi eux fig-ure Louis Kervran, chroniqueur régulier aujournal La Vie Claire et auteur d’un traité in-titulé Transmutations biologiques en agro-nomie, également très en vogue dans lemonde de l’agriculture biologique françaisdes années soixante.

Pour faire simple une théorie complexe,Louis Kervran prétend démontrer l’existence

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de transmutations biologiques à faible éner-gie. Pour lui, des éléments simples (sodium,calcium, potassium) pourraient être fab-riqués les uns à partir des autres. Ainsi, enajoutant un noyau d’hydrogène (proton), onobtiendrait du magnésium à partir du sodi-um, et du calcium à partir du potassium.Plus fort, en ajoutant un noyau d’oxygène, onobtiendrait du potassium à partir du sodiumet du calcium à partir du magnésium. Unevéritable alchimie moderne ! « Du calciumpeut naître là où il n’y en avait pas aupara-vant, sous l’effet de la vie[163] », affirmeLouis Kervran. « Les transmutations biolo-giques apportent l’explication du processusde base de l’agriculture biologique, quelleque soit la méthode, même s’il s’agit de celledite “bio dynamique” », ajoute-t-il.

Cette théorie de la transmutation biolo-gique est au cœur du dispositif du Service devente des blés Lemaire, le fameux SVB Le-maire. Réputé pour sa « méthode Lemaire-

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Boucher », qui consiste à utiliser un engraisorganique à base d’algue censé redonner auxsols leur vitalité, le SVB Lemaire constitue,avec l’association Nature & Progrès, le prin-cipal mouvement de défense de l’agriculturebiologique des années soixante et soixante-dix. Son importance dans l’histoire de l’agri-culture biologique française est essentielle.En effet, il a lui aussi participé à la justifica-tion du refus de l’usage de la chimie. En1968, non moins de 80 000 à 100 000 hasont cultivés selon la méthode Lemaire-Boucher[164]. Ce qui représente l’essentieldes surfaces cultivées en bio !

Grâce à son entreprise, Raoul Lemairedispose d’un vaste réseau de clients dans lemonde agricole. Il s’agit pour l’essentiel depaysans qui ne se reconnaissent pas dans legrand mouvement de modernisation de l’ag-riculture prôné par les chambres d’agricul-ture, les instituts techniques et les syndicatsagricoles. Se présentant comme la seule

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alternative à cette évolution, Raoul Lemaireet ses proches collaborateurs sillonnent laFrance afin de promouvoir leur méthode.« Dans toutes les régions de France, desgens sont en place et ce sont des centainesou plus exactement des milliers d’agricul-teurs qui assistent aux conférences du PrBoucher et aux exposés fougueux de GeorgesRacineux, pionnier indiscutable dans cegenre d’exercice mobilisateur[165] », peut-onlire dans un texte signé des « Pionniers del’agriculture biologique ».

À cette époque, Raoul Lemaire lance lepremier mensuel dédié à l’agriculture biolo-gique : Agriculture et Vie. Rapidement,celui-ci devient un véritable organe de pro-pagande. Son rédacteur en chef, Pierre-Bern-ard Lemaire, y tient un langage de militant,mélangeant savamment discours moral-isateurs, sujets agronomiques et publicitésen faveur des produits du SVB Lemaire.« Face aux arguments de la chimie, la

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méthode Lemaire-Boucher impose la véritébiologique », écrit-il en décembre 1971. Pourle SVB Lemaire, « le vrai progrès » (c’est-à-dire la science du Pr Kervran) s’oppose à« cette course frénétique a la surproduction,encouragée par ceux à qui profite l’emploiexcessif et anarchique des engrais chimiqueset des produits de synthèse, [et qui] est entrain d’aboutir à un inextricable fiasco ».« Mal conseillé par les mafias de l’argent, lepaysan ne pense plus qu’à produire dans lapoursuite unique du profit », indique la re-vue. Bien entendu, les pages d’Agriculture etVie sont ouvertes aux principaux soutiens dela société Lemaire. Ainsi, Louis Kervran yrédige une Lettre ouverte à M. Bizet, députéde la Manche, dans laquelle il déclarequ’« on a fait fausse route, on est dansl’impasse ». « Si on peut faire avaler n’im-porte quoi à des gamins des lycées agricoles,à des adolescents des écoles d’ingénieurs ag-ronomes qui n’ont encore aucune

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expérience, ceux qui sont en contact avec laréalité quotidienne de la terre constatent lesrésultats, à leurs dépens », ajoute-t-il. Pourlui, cela fait cent cinquante ans que l’on estdans l’erreur. Or, « si l’erreur est humaine,persévérer (et 150 ans…) dans l’erreur estdiabolique » ! Raoul Lemaire reprend cetteanalyse dans son message de Noël de 1972 :« Au fur et à mesure que tu te rapprocherasde la terre, Papa Noël, tu remarqueras quepartout dans le monde, nous vivons sous lerègne du mensonge et de l’erreur qui fontcommettre à l’homme de la civilisation in-dustrielle les pires péchés mortels : pollutionde l’air, de l’eau, de l’alimentation, de laterre, des corps et des esprits. Bref le péchécontre nature, celui que Dieu ne pardonnepas ! »

Ainsi, notre terre est malade. Maisheureusement, le SVB Lemaire détient lasolution ! « Devant les néfastes effets de l’in-commensurable bêtise, bêtise dangereuse

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par surcroît, de l’homme qui détruit incon-sciemment, parfois en toute connaissance decause, tel le Diable, il faut réagir sainement.Nous avons la certitude d’apporter une solu-tion. La solution, c’est la culture biologiqueavec Calmagol[166] », affirment les bro-chures du SVB Lemaire. Face à une« dégénérescence accélérée du mondevivant », le Calmagol est présenté comme leremède absolu ! « Nous pouvons maintenantaffirmer que la méthode de culture biolo-gique Lemaire-Boucher permet d’arrêter netl’exode rural, de sauver la civilisation chré-tienne, l’âme paysanne, nos libertés, nosâmes, l’agriculture et le monde en péril »,s’enflamme Jean Boucher.

La méthode Lemaire-Boucher

Certes, cette « méthode-miracle » ne seréduit pas au simple usage du Calmagol, unengrais à base de lithothamne (une algue

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calcaire fossile présente dans l’AtlantiqueNord et plus particulièrement dans les Glén-ans). Les livres publiés par Raoul Lemaireévoquent également l’amélioration de lastructure des sols, les pratiques de compost-age, le rôle des assolements et les rotationsdes cultures. C’est ce qu’explique JeanBoucher dans son Précis de culture biolo-gique, qui se termine par une section sur« les outils recommandables en culture bio-logique ». Les 270 pages de ce manuel fourn-issent matière à donner une idée très re-spectable de la méthode Lemaire-Boucher,dont les bases scientifiques sont régulière-ment rappelées. Mais dans les faits, l’affaireest beaucoup plus simple. Elle se résume es-sentiellement à la vision binaire de JeanBoucher, pour qui « la vie est une lutte entreforces adverses : d’un côté, la Vitalité,l’épanouissement de la Vie saine ; de l’autrecôté, la dégénérescence, la dégradation, levieillissement, la maladie, la mort ». Afin de

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favoriser les forces de vie, il faut s’appuyersur les nombreux macro et micro-organ-ismes présents dans les sols, c’est-à-dire« développer cette énorme quantité dematière vivante ». Dans la pratique, il suffitde respecter quelques règles simples, à sa-voir assurer des apports d’humus et de li-thothamne Calmagol, supprimer les apportsd’engrais chimiques et surtout, surtout,suivre l’un des nombreux itinéraires agro-nomiques proposés par le duo Lemaire-Boucher, exclusivement basés sur l’usage dulithothamne et déclinés en plusieurs versions(Dynam Action, Super Dynam Action,Calmagol P, Calmagol H, etc.).

Riche en calcium et en magnésium –comme d’ailleurs tout maërl de bonne qual-ité –, le lithothamne de l’équipe Lemaire-Boucher n’est pas commercialisé commesimple amendement calcaire, mais comme« catalyseur et rééquilibreur ». Sa principalefaculté consisterait à favoriser les fameuses

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« transmutations biologiques » du Pr Kerv-ran ! Cette « nouvelle propriété de lamatière est la découverte fondamentale duprofesseur Kervran, une découverte quebeaucoup de scientifiques refusent d’ad-mettre, car tellement contraire à tout ce quiest officiellement admis jusqu’à maintenant,contraire également à certains intérêts puis-sants de l’industrie et du commerce[167] »,écrit Jean Boucher, qui sent lui aussi le be-soin d’asseoir sa légitimité sur des « dé-couvertes » que la science officielle ne recon-naît pas.

« On remarque que tout l’édifice [de laméthode Lemaire-Boucher] repose sur lesthéories scientifiques de M. Kervran, qui necherche pas à démontrer ses affirmations,mais simplement à indiquer la possibilité deleur existence », peut-on lire dans le compterendu d’une réunion de l’Association de co-ordination technique agricole (Acta) de juin1970. Or, « si l’on indique les imperfections

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et le peu de rigueur scientifique de ces ex-périences, il ne reste plus de base scienti-fique pour les agrobiologistes », souligne letexte. Car les fameuses transmutations biolo-giques du Pr Kervran n’ont jamais existé !C’est ce que Léon Guéguen, maître derecherches à l’Inra, a brillamment démontréau début des années soixante-dix.

Kervran réfuté

Dans le sillage de la revue américaineNew Scientist, qui avait publié en avril 1970un article démontant l’un des principaux ar-guments de Louis Kervran, Léon Guéguen afait paraître un texte intitulé L’agriculture a-t-elle besoin de transmutations biologiques ?dans lequel il réfute un par un tous les argu-ments de l’ami de Raoul Lemaire. « Cettethéorie a déjà fait l’objet de nombreuses cri-tiques, le mécanisme même de telles trans-mutations n’étant pas imaginable. Kervran

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lui-même ne cherche pas à analyser cemécanisme, mais se contente d’énumérerune série de faits ou d’observations “prouv-ant” que ce phénomène est très courant, à telpoint, dit-il par extrapolation abusive, que“personne ne le nie plus”[168] », rapporte-t-il. « Plusieurs centaines de chercheurs, dansle monde entier ; font actuellement chaquejour des bilans minéraux sur animaux dansdes conditions expérimentales trèsrigoureuses et, à notre connaissance, aucunn’a encore eu besoin des transmutationspour interpréter les résultats obtenus (peut-être par manque d’imagination !) », pour-suit Léon Guéguen, pour terminer sa démon-stration sur une note d’humour. Six ans plustard, il persiste et signe : « M. Kervran s’esttrompé et a trompé le lecteur non spécial-iste[169]. »

« Il a fallu attendre la fin des annéesquatre-vingts pour que Claude Aubert, lorsd’un entretien privé, admette finalement que

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cette théorie n’était pas fondée[170] », confieLéon Guéguen. « Il y a eu également beauc-oup d’erreurs faites dans le bio, [comme]cette fameuse méthode qui préconisait demettre des algues calcaires partout, mêmesur des sols calcaires… une aberra-tion[171] ! », reconnaissait d’ailleurs ClaudeAubert lors d’une interview donnée en 2000.Et pourtant, pendant plus de vingt ans, desdizaines de milliers d’agriculteurs se sontlaissé piéger par le SVB Lemaire et safameuse « méthode-miracle », censéepouvoir remplacer la chimie de synthèse…

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X – LES ÉGAREMENTS CONTINUENT

On pourrait croire que ces théories far-felues n’appartiennent qu’aux premiers pasde l’agriculture biologique. Or, il n’en est ri-en. Pour s’en convaincre, il suffit de sillonnerles allées du Salon Marjolaine, rendez-vousannuel obligé de l’agriculture biologique.Fondé il y a trente-quatre ans par Nature &Progrès, Marjolaine – qui se veut « la plusgrande vitrine bio de France » – permet au-jourd’hui à quelque 80 000 consommateurs« responsables » d’approfondir leur éco-atti-tude. Ce qui peut passer par l’adoption d’unsystème d’échange solidaire, avec pour mon-naie le piaf (une heure de bénévolat valant60 piafs), ou par la « guérilla jardinière »,une pratique qui consiste à « se réappropri-er les friches et interstices urbains en y

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plantant illégalement des fleurs, voire deslégumes ». Marjolaine permet aussi à ses vis-iteurs de découvrir une sélection de produitsbio « innovants », comme le caviar d’œufsd’escargots Perle & Saveurs, vendu la baga-telle de 1 800 euros le kilo et déjà distribuédans les hôtels 5 étoiles du Proche-Orient.« C’est à Dubaï que j’ai débuté la promotionde ce nouveau produit auprès de potentielsdistributeurs », explique Patrice Lambert,fondateur de la Ferme aux Escargots, quidistribue ce « must » certifié bio

Marjolaine ou le lucratif businessde la santé et du bien-être

Mais surtout, Marjolaine perpétue la tra-dition liant agriculture biologique etpratiques thérapeutiques et de bien-êtrepour le moins singulières. Ici, la jeune so-ciété Nature in Design propose un voilage as-sociant des fibres naturelles (coton et lin

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certifiés bio) à une technique de protectioncontre les ondes électromagnétiques ; là, un« bio-énergéticien guérisseur » offre ses ser-vices de « réflexologie énergétique sensit-ive », tandis que des hôtesses en blouseblanche proposent aux visiteurs de « corri-ger ou maintenir l’équilibre vital à partir del’alimentation et des compléments ali-mentaires à base d’algues ». Entre la mag-nétothérapie (qui « utilise la force invisibleet inépuisable des aimants permanents pourrenforcer l’énergie et apaiser les maux »),l’olfactothérapie, l’iridonévraxologie ou l’aro-mathérapie, le choix est vaste. Pour les plustéméraires, Marjolaine propose mêmel’urinothérapie ! Si « la bio souffre encore deson image floue », comme le remarqueClaude-Marie Vadrot[172], journaliste àPolitis (mensuel également présent auSalon), ce n’est sûrement pas Marjolaine quiva rassurer le consommateur un tant soit peucartésien !

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La présence de stands aussi extravagantsau Salon Marjolaine n’est pas une nouveauté.En effet, dès sa fondation, il mêlait « la bio etdes pratiques farfelues, [ce qui] desservaitles agriculteurs et les transformateurs »,rappelle Claude-Marie Vadrot. La SPAS, quiorganise Marjolaine depuis 1991, « n’a pasencore totalement exilé les produits et les of-fres qui flirtent parfois avec le charlatan-isme dans les autres manifestations qu’elleorganise, comme le Salon Zen ou le Salon duBien-être », note le journaliste. Sur les 550exposants de Marjolaine, non moins de 130exploitent encore le filon très lucratif de lasanté et du bien-être ultra-alternatifs ! Ainsi,une petite centaine d’ateliers sont organiséspour initier les écovisiteurs à la « nouvelleapithérapie énergétique » ou à la « chro-mothérapie et à la luminothérapie ». Lesgourous du « jardinage bio-holistique »prodiguent de leur côté leurs conseils auxcitadins en manque de verdure, tandis que

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les héritiers spirituels de Mattéo Tavera,soucieux de remplir la Mission Sacrée del’homme en assurant le nécessaire transfertélectromagnétique entre le cosmos et laTerre, pourront toujours se procurer lessabots en bois stylisés, robustes et confort-ables, de la marque Woodstock, vendus pourla modique somme de 120 euros la paire parl’un des exposants de Marjolaine, KenkaChaussures écologiques…

Plus que jamais, Marjolaine est donc bienle Salon du business bio, chic et cher, prin-cipalement destiné aux bobos en quête d’unenouvelle spiritualité. Et nul doute que sanouvelle patronne, Patricia Berthomier-Massip (ex-DG du Groupe Psychologies)saura persévérer dans cette voie. L’ancienneDGA du groupe Industrie Services Info (quipossède des titres tels que L’Usine Nouvelle,Emballages magazine, Néo Restauration,etc.) est en effet une spécialiste de

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l’événementiel et des salons « spécialisés endéveloppement personnel »…

La quête spirituelle de PhilippeDesbrosses

Autre grand rendez-vous annuel des ad-eptes du bio, les Entretiens de Millançayconstituent depuis 1991 une tribune de choixpour les stars de l’écologie. Ainsi, Jean-MariePelt, Corinne Lepage, François Veillerette ouencore Nicolas Hulot sont régulièrement in-vités à venir discourir devant un parterre deconvaincus. Toutefois, l’ambiance par-ticulière de ces rencontres tient en grandepartie à la démarche spirituelle de leur or-ganisateur, Philippe Desbrosses. Membre deNature & Progrès dans les années soixante-dix, ce militant a fait partie des fondateurs dela Fédération nationale d’agriculture biolo-gique (Fnab) en 1978. Il a ensuite étéprésident-fondateur du Comité

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interprofessionnel national de l’agriculturebiologique (Cinab) et a négocié l’officialisa-tion de la certification de l’AB auprès despouvoirs publics. Il intervient en tant qu’ex-pert auprès des instances européennes et aprésidé jusqu’en 2007 la section agriculturebiologique de la Commission nationale deslabels et certification de conformité. Avec sacasquette d’homme de dialogue, le pro-priétaire de la Ferme de Sainte-Marthe faitincontestablement partie des grandes figureshistoriques de l’agriculture biologique.

« Ce qui m’a ramené à l’agriculture bio-logique, c’est la lecture d’un livre un peudécrié mais qui moi m’a fait passer uneétape au-dessus, c’était Le Matin des magi-ciens de Pauwels et Bergier en 1968. J’ai faitma petite crise mystique à cette époque etj’ai découvert l’alchimie. De l’alchimie au re-tour à la terre – l’alchimie de la terre, l’ornoir des étables – l’importance de cetterichesse qui est pourtant une matière

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nauséabonde, m’est apparue de manièreflagrante et c’est comme ça que j’ai quitté lecostume à paillettes pour revenir avec lesbottes dans le fumier en août 1973 », confie-t-il au site Planète Écologie[173]. Cette« petite crise mystique » a profondément etdurablement marqué le président d’intelli-gence Verte. « Tout mon parcours estémaillé de cette recherche mystique etspirituelle, que je n’ai jamais dévoilée parceque c’est plutôt contre-productif si vousdéfendez des idées très sérieuses, très ra-tionnelles, et qu’en même temps vous ymêlez une quête spirituelle, vous êtes vitecatalogué comme dépendant d’une secte ouanimateur d’une secte », explique-t-il.

Dans ses nombreux ouvrages, Desbrossesn’hésite pas se référer aux théories éthéréesde la biodynamie ainsi qu’à l’alchimie.« L’état de la matière est sans cesse enchangement et obéit aux cycles sur lesquelsse fonde l’équilibre de l’univers. Tout est

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cycle, et selon le principe d’Hermès Tris-megiste[174], “ce qui est en haut est pareil àce qui est en bas et vice versa. Tout estrythme, tout est vibration. Tout a une causeet un effet.”, etc. [175] », explique-t-il.

Le président d’intelligence Verte accordeaussi crédit aux thèses selon lesquelles lesconfigurations planétaires – et pas seule-ment la Lune – auraient une influence surles plantes. « Quand on sème, ce n’est pas lehasard qui préside à la destinée des plantes,mais un jeu subtil d’énergies qui auront uneinfluence déterminante sur leur développe-ment et leur vitalité pendant toute leur ex-istence. Chaque intervention de l’agriculteurou du jardinier est ainsi renforcée positive-ment ou négativement selon l’heure et lesconfigurations planétaires. En d’autres ter-mes, la plante reçoit les forces ou les faib-lesses des “musiques célestes” du mo-ment[176] », affirme-t-il. Cette vision mys-tique de l’agriculture biologique transparaît

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de façon éclatante à chaque édition des En-tretiens de Millançay.

Une « nouvelle foi écologique »

Le rendez-vous automnal de PhilippeDesbrosses permet aux participants de com-munier spirituellement autour de grandsthèmes comme Santé et modes de vie : lesmédecines et l’alimentation du futur, Le re-tour à la terre ou encore Des solutions inat-tendues pour une Terre d’Avenir. Néan-moins, cette communion écospirituelle n’ade sens que si elle s’étend à la société toutentière. « Notre époque devra redéfinir lescritères d’une nouvelle culture humaine.Après les égarements rationalistes, matéri-alistes, après les utopies marxistes, lesdécadences des religions, les erreurs capit-alistes, l’humanité a besoin de nouvellesvoies, de nouvelles croyances, de nouvellescathédrales. C’est peut-être l’émergence

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d’une nouvelle foi écologique dans une vis-ion globale de l’univers, d’une nouvelle ap-proche scientifique, d’un nouveau contratentre les hommes et leur environ-nement[177] », explique Philippe Desbrosses.

Le programme des 19es Entretiens de

Millançay, qui ont eu lieu du 1er au 3 octobre2010 sur le thème Guérir la terre enéduquant les humains, est assez révélateurde cette volonté de changer spirituellementla société. Ainsi, le premier forum était con-sacré à « l’écologie intérieure », un conceptinspiré des travaux du psychothérapeuteYann Thibaud (présent aux Entretiens). « Cen’est pas par quelques ajustements ou ra-valements de façade que l’on se dirigeravers une société authentiquement écolo-gique ; une mutation ou transformationradicale de l’être humain lui-même est pourcela nécessaire : aussi longtemps quel’homme craindra et voudra dominer sa

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nature intérieure (c’est-à-dire ses émotions,ses instincts, ses désirs et ses rêves), il re-doutera et voudra également contrôler etsoumettre les autres êtres, qu’ils soient hu-mains, animaux ou végétaux[178] », ex-plique le psychothérapeute. Afin que cette« écologie intérieure » et cette « foi écolo-gique » ne restent pas purement théoriques,les Entretiens de Millançay ont proposé auxparticipants des découvertes, à jeun, de la« Forêt du Hui Chun Gong », dirigées par unprofesseur de Qi Qong, des massages ayur-védiques en liberté conduits par des spécial-istes du Centre Tapovan et une initiation à larespiration proposée par un professeur deyoga. Frédérique Pichard, créatrice d’élixirsoriginaux, a également pris la parole afin defaire connaître son art. Sur son site, cetteamie de Philippe Desbrosses promeut sesélixirs floraux et animaux, et ses essences« créées dans la nature par un rituel en in-voquant l’esprit de l’animal en question ».

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Toutefois, « le liquide qui en résulte ne con-tient aucune matière de l’animal, mais justeson énergie[179] », précise la spécialiste.

On l’aura compris, l’ambiance à Millançayest plutôt bon enfant. Sauf que derrière cettefaçade écolo-rétro se cachent des discoursplutôt musclés, dont le contenu révèle unevision apocalyptique et messianique. « L’ag-riculture industrielle, c’est le Titanic denotre civilisation », déclarait Philippe Des-brosses en 2005. À cette époque, il militaitau sein de son mouvement Objectif Bio2007, expliquant ici et là que l’électionprésidentielle de 2007 serait « peut-êtrenotre dernier rendez-vous démocratique »avant qu’on ne « nous impose l’écologie demanière dictatoriale, parce qu’on ne pourrapas faire autrement ». « Les pesticidesseront décrétés crime contre l’humanité »,prophétisait-il, tout en se félicitant de voirdes milliers de personnes commencer à semobiliser. À l’instar des Faucheurs

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volontaires, sur qui il porte « le même re-gard que [ses] parents sur la résistancecontre le nazisme ». En matière de dérapageverbal et d’amalgame déplacé, on fait diffi-cilement mieux.

L’Université du Vivant

Le Salon Marjolaine et les Entretiens deMillançay ne sont pas – et de loin – les seulslieux où se mêlent agriculture biologique etthéories fantaisistes. Certaines initiativesprennent même des apparences plussérieuses. Ainsi, depuis 2004, la Fondationpour le progrès de l’homme (FPH) tente deréhabiliter les théories d’Albert Howard et deRudolf Steiner à travers un projet pompeuse-ment dénommé « Université du Vivant ».Afin de lui donner une image respectable, laFPH le présente comme une alternative à larecherche actuelle, accusée d’être « réduc-tionniste ». « Les modèles actuels de la

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recherche scientifique privilégient la recher-che en laboratoire, inspirée de la physiqueet la chimie. Ils sont mal adaptés à l’ap-proche des systèmes complexes, en particuli-er des systèmes vivants. La plupart des in-stitutions scientifiques et universitairesétant fondées sur ces modèles, les cherch-eurs qui préconisent d’autres approchessont marginalisés[180] », explique MatthieuCalame, l’actuel directeur de la FPH. En réal-ité, l’expression savante d’« approche duvivant et de la complexité » recouvre rienmoins que le refus de la recherche tellequ’elle s’est construite depuis le milieu du

XIXe siècle. Dans Une agriculture pour le

XXIe siècle, manifeste pour une agriculturebiologique[181], Matthieu Calame rejette « lanouvelle agronomie mise en place dans l’eu-phorie industrielle », c’est-à-dire dans lesannées 1850 ! Pour lui, c’est à ce momentque s’est élaborée une « idéologie bello-mécaniste », qu’il attribue aux influences

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néfastes de Descartes, Darwin, Pasteur etLiebig. « Je me suis permis de créer un néo-logisme. Bello renvoie au latin Bellum – laguerre – et mécaniste à la mécanique dansle sens de la construction d’automates etd’horloges », explique le directeur de la FPH.Or, l’agriculture biologique est née du refusde cette vision « mortifère » du monde. « Cerefus n’était pas celui du progrès en général,mais le refus d’un projet et d’une vision par-ticulière du vivant et de sa gestion, née pro-gressivement et développée en Occident »,poursuit-il. Matthieu Calame propose doncde développer une « agronomie de la vie ».Une idée séduisante ! Sauf qu’il s’agit ni plusni moins d’une agronomie qui « se réclamesoit de Steiner, soit de Rusch, soit deHoward ». On ne saurait être plus clair !

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Des associations mobilisées

Ce sont ces théories farfelues, chasséespar la grande porte des sciences, que Mat-thieu Calame souhaite faire rentrer par lafenêtre, à travers une nouvelle structurebaptisée « Pour l’émergence d’une universitédu vivant » (PEUV[182]). Pour mener à bienson projet, il s’appuie sur une kyrielle depetites associations comme Inf’OGM, Gey-ser, Biodiversité : échanges et diversité d’ex-périences (Béde), le Réseau SemencesPaysannes, le Groupe international d’étudestransdisciplinaires (Giet) ainsi que surquelques acteurs importants du bio commela Fnab, N&P, l’Itab et surtout, un organismeprivé lyonnais sur le déclin : l’institut Kepler.« Tout a commencé le jour où deux cherch-eurs [Christine Ballivet et Jean-Paul Gelin]reconnaissent l’évidence : il va falloir fer-mer l’institut Kepler, le laboratoire associ-atif qu’ils ont créé ensemble il y a plus devingt ans dans la banlieue lyonnaise »,

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explique Sylvie Pouteau, l’actuelle présidentede PEUV. Or, l’institut Kepler abrite deuxlaboratoires spécialisés, l’un en cristallo-graphie, l’autre en morphochromatographie,deux « disciplines » au cœur de l’anthropo-sophie steinerienne. Développée par Ehren-fried Pfeiffer, un disciple de Steiner, lacristallisation sensible est censée permettrela visualisation des fameuses forces que lepère de l’anthroposophie qualifie de« formatrices ». Ces forces proviendraientde la modification du rayonnement desplanètes (Saturne, Jupiter, Mars), due aupassage de ces dernières devant les constel-lations d’étoiles fixes. Elles exerceraient uneinfluence telle sur les plantes qu’elles leurpermettraient « d’élaborer les substancesqui constituent des aliments et [contribuer-aient] à structurer la matière vivante » ! Pasétonnant que l’institut Kepler n’ait jamaisbénéficié de financements publics… « Il a étéponctuellement suspecté de sectarisme »,

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doit même reconnaître Jean-Michel Florin,responsable du Mouvement de culture bio-dynamique (MCBD) et vice-président dePEUV[183].

Au sein de la nouvelle association, laphilosophie ésotérique steinerienne est prisetrès au sérieux. C’est ce dont témoigne unrapport sur « les méthodes globales d’ana-lyse de la qualité » rédigé en 2009 à la de-mande de l’Itab par Bruno Taupier-Létage,responsable de la commission qualité de l’in-stitut technique, ainsi que de PEUV. « Lespromoteurs de l’agriculture biologique etbiodynamique considèrent que dans un ali-ment, il y a bien sûr une composante“biochimique”, indispensable à l’entretien ducorps biologique de l’homme. Mais il yaurait aussi une autre composante aussi es-sentielle, en lien avec cette notion de vitalité,qui contribuerait à nourrir d’autres aspectsplus subtils de l’être humain[184] », peut-onlire dans le rapport. C’est cette mystérieuse

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vitalité, qui échappe à l’analyse scientifique,que doivent mettre au jour la cristallographieet la morphochromatographie. « Il sem-blerait que ces méthodes représentent unfort potentiel d’innovation pour la bio »,conclut Bruno Taupier-Létage, persuadé parailleurs qu’il existe « une demande forte chezle consommateur, sensible aux produits por-teurs de vitalité ».

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PARTIE III

AGRICULTURE BIO ET

PROJET DE SOCIÉTÉ

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XI – L’AGRICULTURE BIO FRANÇAISE,UN PROJET POLITIQUE

« Manger est un acte éminemment poli-tique[185] », affirme Philippe Desbrosses,l’initiateur d’Objectif Bio[186], un collectifqui prône l’idée d’une « agriculture 100 %biologique sur l’ensemble du territoirefrançais ». Pour le Dr Lylian Le Goff, deFrance Nature Environnement, « mangerbio, en toute cohérence, c’est donner du sensà un véritable développement soutenablepar le contenu de l’assiette : ce n’estvraiment pas du luxe, c’est une urgence. […]Notre comportement de consommateur con-tribue à orienter l’évolution de la société. Iln’y a pas d’achats innocents car ceux-ci con-ditionnent les modes de production et

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l’organisation de la société[187] ». Même dis-cours du côté de Nature & Progrès : « La bioselon Nature & Progrès n’est pas une simpleliste de produits autorisés ou interdits, c’estun projet de société durable, basé sur des re-lations de convivialité et de proximité entreles hommes et leur milieu : une société hu-maniste, écologique et alternative[188]. »

Consommer bio relève donc bien d’unacte politique, ou plutôt d’une remise encause de la société actuelle. Ce qui expliqueque pour les plus convaincus, l’agriculturebiologique n’est pas seulement un type d’ag-riculture différent, qui pourrait cohabiteravec l’agriculture conventionnelle, mais unesolution à part entière. Pour Marc Dufumier,professeur à AgroParisTech et proche de Nic-olas Hulot, l’agriculture biologique doit rem-placer l’agriculture conventionnelle, vouée àterme à disparaître : « C’est un virage à 90°qu’il faut négocier ; avec des objectifs ex-trêmement ambitieux et, pourquoi pas, viser

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une agriculture 100 % biologique à l’horizon2050[189]. » Bien entendu, ce virage ne serapossible qu’en changeant le modèle de so-ciété, afin de permettre l’émergence d’unmodèle plus sobre et surtout moins « de-structeur » que le modèle actuel.

Le bio au secours de la société

Notre société moderne est jugée incom-patible avec l’agriculture biologique. Ainsi,Philippe Desbrosses fustige « le culte du pro-grès et du profit, engendré par nos économ-ies modernes hyperindustrialisées, hyper-concentrées, hyperurbanisées ». Pour lui, lasociété industrielle est malade, comme lessols : « De la même façon que le sol n’est pasun milieu inerte, la société n’est pas unemasse informe et hasardeuse. Tout affaib-lissement d’un facteur essentiel aux sys-tèmes vitaux produit un effet déstructurant,une baisse des immunités, dans les sols

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comme dans les sociétés, et si les désertssuccèdent aux terres fertiles, les ruines suc-cèdent aux hommes[190]. » Au sein de laConfédération paysanne, Guy Kastler dressele même constat : « La société industrielle,depuis qu’elle existe, fait tout pour rendretout homogène dans le but de faire desmarchandises et de pouvoir mettre desétiquettes. Ce fondement nous amène àavoir des produits toxiques et à dérégler leséquilibres naturels[191]. » D’où la nécessitéde proposer une autre société, basée sur desvaleurs différentes de celles de la société in-dustrielle et de son matérialisme. Bien en-tendu, c’est ce que propose l’agriculture bio-logique. Optimiste, Philippe Desbrosses af-firme même que « l’agriculture biologique,biodynamique, écologique, anticipe depuisun quart de siècle les changements inéluct-ables de la société industrielle[192] » etquelle répond à la volonté d’« échapper à laspirale du factice, [pour mieux] retrouver

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l’authentique, le “mieux-vivre”, le “bien-vivre” ».

Cette quête d’authenticité passe par undésir de purification du corps, qui flirte par-fois avec la détoxification, et dont l’alimenta-tion constitue un élément clé. En effet, laconsommation d’une nourriture « saine »,produite sans intervention chimique et sansavoir été « contaminée » par la société pro-ductiviste, industrielle et moderne, est indis-pensable à sa réalisation. C’est pourquoi cedésir va souvent de pair avec l’aspiration àun changement radical de mode de vie, dansle but d’éliminer tout élément jugé superflu.Il s’agit de (re) trouver un savoir-vivre, qu’ilimporte de généraliser ensuite à la sociététout entière. Ce « bien-vivre » passe par unretour aux « vérités premières » qui, face auxmensonges de la société – considérés commeautant d’« impuretés » –, donnent lacohérence et l’orientation nécessaires à unmonde qui semble les avoir perdues. Car le

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monde d’aujourd’hui, trop global, trop rap-ide, ne fournit plus de repères. L’agriculturebiologique, au contraire, plante des jalonssimples et lisibles, qui permettent de répon-dre au désir de purification à la fois sur lesplans physique, comportemental et sociétal.

C’est donc assez naturellement que l’agri-culture biologique est devenue une com-posante essentielle d’un projet écologiquepartageant les mêmes constats et les mêmesvaleurs. Feu Edouard (Teddy) Goldsmith, lefondateur franco-britannique de The Ecolo-gist, a promu dès les années soixante-dix unprojet de société compatible avec l’agricul-ture biologique : « Petit à petit, je me suisrendu compte que nous détruisions lemonde, et que ce n’était pas normal que lasociété traditionnelle était beaucoup moinsdestructrice que la nôtre. Que c’était doncnotre société moderne, industrielle, qu’il fal-lait mettre en cause […]. Il faut donc la re-jeter et revenir à une société qui a beaucoup

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plus en commun avec la société tradition-nelle[193]. » Selon lui, la société actuelle con-duit à des « mal-ajustements sociaux, dontles symptômes sont la délinquance, lacriminalité, l’alcoolisme, la drogue, laschizophrénie et les suicides, auxquels selivrent des populations désespérées, incap-ables de s’adapter à un milieu social intolér-able ». Ses préoccupations rejoignent cellesde Philippe Desbrosses, pour qui la crise ac-tuelle est avant tout une « crise de con-science ». Le patron de la Ferme de Sainte-Marthe se félicite que l’on « retrouve l’im-portance des traditions, des racines, duterroir et de ceux qui l’entretiennent[194] ».

Retour sur les origines

Ce retour à l’authenticité et aux valeurstraditionnelles est aujourd’hui au cœur duprojet politique de l’agriculture biologique.Or, pendant plus de cinquante ans, ce

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message a été formulé par des personnalitésplutôt conservatrices, voire totalement réac-tionnaires ! Le terme « conservatisme » n’estpas ici à prendre au sens classique d’un posi-tionnement à droite sur l’échiquier politique,mais au sens d’une philosophie politique quis’oppose au progressisme. Ce conservatisme– qui peut être de droite comme de gauche –rejette tout ce qui bouleverse l’ordre social.Au contraire, il défend les traditions et lesvaleurs propres à chaque terroir, c’est-à-diretout ce qui permet de maintenir une société« stable ». Le prince Charles en est un parfaitreprésentant. Fervent défenseur de l’archi-tecture traditionnelle et des coutumes cam-pagnardes, mais aussi des Rolls, des Jaguarset des costumes croisés sortis tout droit deSavile Row, le prince de Galles est par ail-leurs adepte du bio et passionné par les spir-itualités New Age. En Grande-Bretagne, celien originel entre l’agriculture biologique etune certaine aristocratie très conservatrice

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va bien au-delà du cas de l’héritier de lacouronne. Il a d’ailleurs fait l’objet d’un re-marquable ouvrage signé de l’historien brit-annique Philip Conford, The Origins of theOrganic Movement.

Paru en 2001, ce livre décrit la création dela Soil Association, première association enfaveur de l’agriculture biologique. Le 30 mai1946, la réunion fondatrice rassemblait es-sentiellement des membres de l’aristocratiebritannique. Sa fondatrice, lady Eve Balfour

(1899-1990), n’est autre que la fille du 2e

comte de Balfour et la nièce de l’ancienPremier ministre lord Arthur Balfour. LadyBalfour s’est fait connaître en 1943 avec lapublication, en pleine Seconde Guerre mon-diale, de l’un des premiers ouvrages sur l’ag-riculture biologique, The Living Soil (un livrequi vulgarise l’essentiel des thèses deHoward et Steiner). Le baron Northbourne(1896-1982), autre grande figure de l’agricul-ture biologique, est pour sa part le premier à

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avoir utilisé l’expression organic farming,terme anglais désignant l’agriculture biolo-gique. Son manifeste Look to the Land, pub-lié en 1940, constitue un véritable réquis-itoire contre l’« agriculture chimique », qu’ilaccuse d’incarner les « forces de lamort[195] ».

Lady Balfour et le baron Northbourne siè-gent au conseil d’administration de la jeuneSoil Association aux côtés d’autres person-nalités très conservatrices comme RolfGardiner, le fondateur de Kinship in Hus-bandry, une association qui promeut unegestion de la terre en opposition à l’exploita-tion des ressources naturelles faite par l’in-dustrialisme. À l’instar de lord Northbourne,Rolf Gardiner – qui gardera des fonctions ausein de la Soil Association jusqu’à sa mort en1971 – est convaincu que la nation ne peutêtre restaurée que dans la mesure où elle ret-rouve ses véritables racines paysannes et saculture traditionnelle. « La société moderne,

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industrielle et urbanisée, […] refuse l’OrdreNaturel », déplore-t-il.

Philip Conford rappelle également que larédaction de la revue de la Soil Association,Mother Earth, a été confiée au sulfureuxjournaliste Jorian Jenks, membre fondateurde l’association et directeur de la revuejusqu’à son décès en 1963. Or, Jorian Jenks aété longtemps l’une des figures de proue dela British Union of Fascists, le parti fascistebritannique fondé en 1932 par Oswald Mos-ley (et dont il a rédigé le programmeagricole).

Le livre de Conford mentionne biend’autres personnalités embarrassantes ausein de la Soil Association. Si son contenu apu surprendre la majorité de ses membres,l’ouvrage a néanmoins été bien accueilli parJonathan Dimbleby, qui présidait la Soil As-sociation au moment de sa publication. Fais-ant preuve d’une grande honnêteté intellec-tuelle, ce dernier a même accepté de préfacer

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l’ouvrage, estimant que « Philip Conford[avait] rendu un grand service aumouvement bio d’aujourd’hui : il est de loinpréférable de laver son linge sale en publicplutôt que de blanchir le passé ».

Une histoire qui reste à écrire

Il est regrettable qu’en France, un teltravail de recherche sur les origines poli-tiques de l’agriculture biologique n’ait jamaisété effectué. Certes, on peut trouver ici et làquelques allusions à ses débuts, qui sont peuglorieux, comme le rappelle Claude-MarieVadrot, journaliste à Politis. « La bio, qui neporte pas encore ce nom, commence plutôtmal son parcours[196] », commente le spé-cialiste des questions d’écologie au mensuelaltermondialiste, qui explique comment lebio s’est tout d’abord inscrit « dans une ré-volte contre l’État laïc collecteur d’impôts etdans un mouvement de retour “aux rythmes

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naturels”, qui condamne la ville et sesturpitudes fantasmées ». Entre les deuxguerres, les premiers agriculteurs dissidents,établis surtout dans l’ouest de la France (not-amment en Vendée), commencent par re-fuser la vaccination du bétail. Ils finissent,« au cours des années 1930, dans les rangsdes Chemises vertes, puissant et éphémèremouvement paysan fascisant d’inspirationmussolinienne, fondé et animé par HenriDorgères, dont la carrière se porte ensuite,avec une partie de ses troupes paysannes,au service du maréchal Pétain », poursuit lejournaliste.

« Cette origine trouble ne s’améliore pasaprès la guerre, avec la création, en 1948,du premier magasin bio par Henri-CharlesGeffroy », continue Claude-Marie Vadrot,qui relève au passage l’admiration de Geffroypour Alexis Carrel. Après une brève évoca-tion du parcours de Raoul Lemaire, le journ-aliste passe rapidement à la création de

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l’Association française de l’agriculture biolo-gique en 1962, puis à celle de Nature & Pro-grès deux ans plus tard. Les « néoruraux del’après-Mai 68 prendront le relais des pion-niers de l’agriculture bio », poursuit-il, sanstoutefois expliquer ce singulier passage de ladroite radicale aux néoruraux. Il conclut sim-plement que ces derniers « voient [dans l’ag-riculture biologique] non seulement unesource de nourriture plus saine et une meil-leure préservation des écosystèmes, maisaussi une façon de remettre en cause la so-ciété de consommation et le capitalisme ». Ilpasse ainsi totalement sous silence les simil-itudes frappantes qui relient le projet de so-ciété de ces pionniers de l’agriculture biolo-gique de la droite radicale à celui de lagénération post-68.

Pourtant, ces similitudes sont nom-breuses. En témoigne l’histoire politique del’agriculture biologique, qui traverse troispériodes successives. La première,

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antérieure aux années soixante, pose lesfondements idéologiques de l’agriculturebiologique. La deuxième, qui couvre essenti-ellement la période 1960-1975, correspond àla création des premières associations enfaveur du bio. La troisième, postérieure à1975, signe la reprise en main de l’agriculturebiologique par les « néoruraux de l’après-Mai 68 ». Si à chaque période correspondentdes acteurs bien différents, les discours re-spectifs de ces derniers laissent transparaîtreune surprenante continuité. Retour auxsources…

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XII – N’ÉCOUTEZ PAS « CES BEAUXMESSIEURS AVEC LES LIVRES » !

En France, la défense d’une agriculture« saine » et « naturelle » s’enracine dans lecourant agrarien antimoderniste qui émergedans les années trente. Ce courant se définità la fois par une critique de la ville, symbolede l’industrie et de la modernité, par un né-cessaire retour à la terre et par un rejetcatégorique de la mondialisation del’économie. À l’époque, cette mondialisationest représentée par deux tendances : le mer-cantilisme capitaliste, incarné par la stand-ardisation et la mécanisation croissantes, enplein essor aux États-Unis, et le socialismede Jean Jaurès et Léon Blum, considéré alorspar certains comme une forme d’impérial-isme de la classe ouvrière hostile au monde

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paysan. Entre les deux guerres, la société esten pleine mutation. Dans Regards sur lemonde actuel, Paul Valéry décrit parfaite-ment cette France agitée où « les échangestrop rapides sont fièvres ».

L’écrivain n’est pas le seul à s’inquiéter.Jean Giono s’interroge lui aussi sur la« santé » de la France. Dans Regain, publiéen 1930, l’année où les villes deviennent pluspeuplées que les campagnes, il décrit lesprincipales lignes de force de ce courantagrarien de l’entre-deux-guerres à traversl’histoire de Panturle, dernier habitant d’unvillage provençal laissé à l’abandon. Après sarencontre avec Arsule, qui a connu ladéchéance en ville, le héros troque sa condi-tion de chasseur contre celle de paysan. Ildécide alors d’ensemencer sa terre avec desgraines de blé local, contrairement auxpaysans des villages alentour, qui se sontlaissés aveugler par les promesses d’un blévenu d’ailleurs. « On a voulu faire de ce blé

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dinde ; c’était nouveau encore, ça, et tu voismaintenant[197] », se désole l’un d’eux endésignant sa récolte balayée par un orage.« Si on avait fait du blé de notre race, du bléhabitué à la fantaisie de notre terre et denotre saison, il aurait peut-être résisté. Tusais, l’orge couche le blé. Faut pas croire quela plante, ça raisonne pas. Ça se dit : bon,on va se renforcer et petit à petit, ça sedurcit la tige et ça tient debout à la fin mal-gré les orages. » Heureusement, Panturlen’a pas écouté « ces beaux messieurs avec leslivres ». Il n’est pas allé « chercher deschoses de l’autre côté de la terre ». Ses se-mences sont françaises, et son blé est « beauet solide comme un homme ». Il pourra doncsans difficulté nourrir l’enfant qu’Arsuleporte en son sein. Regain de la terre, regainde l’Humanité.

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L’arrière-plan idéologique ducourant agrarien

À première vue, rien de très politiquedans l’intrigue de ce dernier opus de la Trilo-gie de Pan. Regain ne laisse d’abord trans-paraître que la nostalgie d’un passé antimod-erne et rural tel que le célébraient certainscourants des arts français depuis la fin du

XIXe siècle. « Mais ce serait ignorer des as-pects du roman qui constituent une sorted’arrière-plan idéologique qui, lui, reflèteune vision fixe et nettement réactionnairedu monde – une vision bien proche au boutdu compte de celle du pétainisme[198] », es-time avec raison l’historien Richard Golsan.« Ce que le roman partage le plus directe-ment avec le discours pétainiste, c’est lacélébration du rapport quasi mystique entreles gens et une terre non seulement sacrée,mais presque magique dans sa fécondité »,analyse-t-il. Le message de Jean Giono estbeaucoup plus explicite dans sa Lettre aux

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paysans sur la pauvreté et la paix (1938).L’écrivain déplore de voir que les paysans« s’empressèrent vers les villes ; vers de l’ar-tifice ; abandonnant le naturel ; avides defacilité et de profit. Les chemins noirs demonde asséchaient les champs. […] Lesvilles s’engraissaient[199] ». S’adressant àceux qui sont restés dans les champs, ildéclare : « Vous descendez de ceux qui n’ontjamais eu confiance dans la technique in-dustrielle mais se sont toujours confiés à lagraine. » « La France redeviendra ce quellen’aurait jamais dû cesser d’être : une nationessentiellement agricole. Comme le géant dela fable, elle retrouvera toutes ses forces enreprenant contact avec la terre. Elle res-taurera les antiques traditions artisanales[…] [200] », déclarera quelques années plustard le maréchal Pétain, en écho à Giono.Son fameux discours de Tulle, prononcé le20 avril 1941, est en effet directement inspiré

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des écrits de l’auteur de Regain, ainsi que deceux de l’écrivain auvergnat Henri Pourrat.

Le célèbre auteur de Vent de Mars (1941)est le lauréat du dernier prix Goncourt àavoir été décerné pendant la guerre. Lors dela remise de son prix, en février 1942, PierreCaziot, alors ministre de l’Agriculture dugouvernement de Vichy, souligne l’import-ance de ce roman dans le projet politique duMaréchal : « Henri Pourrat a bien raison.C’est l’homme à la bêche [titre d’un autreouvrage de Pourrat], l’homme à la charrue,qui a toujours sauvé et qui une fois de plussauvera le pays. Et c’est pour cela que leMaréchal a placé à la base de son œuvre derestauration poursuivie avec patience etténacité, la renaissance de la paysanneriefrançaise. […] À cet effort de redressementindispensable, de grands écrivains se sontassociés depuis longtemps pour faire ret-rouver à la paysannerie son vrai vis-age[201]. »

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Les écrivains ne sont pas les seuls à prôn-er un redressement passant par « l’homme àla bêche ». L’agronome Pierre Sauvageotlance en octobre 1942 une « croisade dublé » à l’intention de « ceux, chercheurs,réalisateurs, propagandistes… qui veulentsauver le Sol et la race de France par l’ali-ment “christique”[202] ». « Les profondesvertus françaises ressusciteront par le re-tour à un aliment véritable, naturel et com-plet, disparu depuis cinquante ans »,affirme-t-il. Inspiré par le courant hygiénistede l’entre-deux-guerres, Pierre Sauvageot ex-plique comment « dresser un premier bar-rage contre la dégénérescence de la civilisa-tion du blé, en remplaçant les succédanés,carencés et toxiques, par des alimentsphysiologiques et sains ».

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Un rejet du capitalisme et dumarxisme

À l’instar de nombreux théoriciens ducorporatisme, Henri-Charles Geffroy etHenri Pourrat renvoient dos à dos marxismeet libéralisme, qui bouleversent à leurs yeuxl’ordre naturel des choses. Pire, selon eux,ces deux doctrines poussent l’humanité dansune course effrénée au matérialisme, voire àl’aliénation. « Esclave de la misère sous lerégime capitaliste qui le traite comme unemarchandise, l’homme est peu à peu rem-placé par la machine, plus docile, qui ne serévolte pas contre ses maîtres. L’ouvrierdevient bientôt l’esclave de la machine »,écrit Geffroy, qui en appelle à la « déconcen-tration industrielle [grâce à laquelle] le sangcirculera à nouveau dans tous les petitsvaisseaux de cet immense corps qu’est laNation[203] ».

« Capitalisme et marxisme sont l’un etl’autre étrangleurs d’abondance. Il faut

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trouver autre chose[204] », écrit de son côtéHenri Pourrat. « L’Economie Politique, laBanque, la Bourse, tout cela, c’est le diable.[…] L’argent, c’est toute la civilisation méca-nique. Il force à ne voir dans les créaturesque des quantités chiffrables. Il les tue. Toutdevient problème de rendement, dont lesdonnées ne peuvent êtrequ’économiques[205] », n’hésite-t-il pas à af-firmer. Pourrat oppose deux conceptions del’agriculture : l’une qui relève de la paysan-nerie, l’autre, de type industriel. Il prend àtémoin le cas du Canada, qui héberge cesdeux types d’agriculture : « On trouve à l’Est,sur les fermes, celle de la paysanneriefrançaise, d’esprit chrétien ; à l’Ouest, enpays de monoculture, celle des agriculteursanglo-saxons, de mentalité industrielle.L’Ancien Monde et le Nouveau, la miche depain et le dollar. Ici, on exploite pour s’en-richir. Là, on fait valoir pour vivre. Vivre,mais en trouvant dans ce travail des

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champs, dans cet accord avec la créationmême, une vitalité tellement bonne. » Cespropos ne sont pas sans rappeler ceux des al-termondialistes d’aujourd’hui, qui ont toute-fois ajouté à leur longue liste luciférienneMonsanto, Bayer, DuPont, BASF, Nestlé,Danone et consorts. Naturellement, ce rejetde la « civilisation mécanique » s’accom-pagne du refus de la ville, symbole de cettemodernité qu’abhorrent les représentants ducourant agrarien.

Les campagnes, proies des villes

« L’homme n’est pas fait pour vivre dansles villes : il y est malheureux[206] », affirmeHenri-Charles Geffroy en écho à Alexis Car-rel, pour qui « la civilisation moderne setrouve en mauvaise posture parce qu’elle nenous convient pas[207] ». Geffroy stigmatisela ville, source de tous les maux. Cette pureconstruction humaine engendre

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dégénérescence physique et dégénérescencemorale, et tel un monstre tentaculaire,dépeuple la campagne. « C’est que la ville, lesystème industriel, le monde enfin tel qu’ilroule aujourd’hui, ont vidé et abîmé les cam-pagnes[208] », explique de son côté HenriPourrat. « La civilisation urbaine a pris songrand vol. Elle est venue trouver le terrienchez lui, entre le talus aux noyers et la mareà rouir le chanvre. L’immémorial paysan acessé d’être l’homme du pays. Cet être, enra-ciné sur son champ comme le pommier, quien tire tout par sa racine, est entré dans lacité. Il a accepté de vendre et d’acheter.D’homme de la création, il s’est fait citoyendu Système Industriel. L’honneur avait étéde ne jamais mettre la main à la bourse, dene rien demander qu’à la terre et à Dieu.Désormais il s’agissait d’être producteur etvendeur afin de pouvoir être acheteur. Del’ère de la vie sans argent, on passait de l’èrede la vie toute faite par l’argent[209] »,

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déplore le Prix Goncourt. Autrement dit, decompagnon de route de la nature, le paysanest devenu le rouage insignifiant d’un sys-tème économique anonyme.

Voilà pourquoi le retour aux campagness’impose. « Le salut des hommes est dans leretour à la terre[210] », affirme Pourrat.« C’est dans les maisons, au fond du grandpays, par les simples besognes et la chauderègle familiale, que se referont des Françaiset que se refera la France », ajoute-t-il. Aumythe de l’unité ouvrière cher au Front pop-ulaire, il oppose une vision très idéaliséed’une paysannerie unie et solidaire, véritablerempart contre la corruption de la sociétécitadine. La famille paysanne y représenteune unité organique naturelle, qui doitformer la cellule de base de la nouvelle so-ciété. Pour Henri Pourrat, le retour à la terren’est pas seulement un impératif moral, c’estaussi une nécessité économique. L’écrivaintient un discours qui ne détonnerait pas

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aujourd’hui : « Avec sa grange, son fenil,avec son jardin où sont les ruches de paille,avec ses hangars et ses fagotiers autour dequoi quêtent les poules, chacune de ces fer-mes est organisée pour nourrir une familleet fournir quelque peu de son surplus auxgens du bourg ou de la ville. Sait-on que cespetits biens produisent autant, à surfaceégale, que la grande exploitation équipée àla moderne ? »

Henri-Charles Geffroy défend lui aussi lanécessité de relocaliser l’économie. Lors d’undiscours prononcé en pleine Occupation, le 8mai 1943, il prophétise : « Ce sera la Résur-rection de l’industrie locale, du commercelocal, de l’artisanat local, de l’art local et del’agriculture familiale, tués depuis plus d’undemi-siècle. […] La Province française verrarenaître des Industries et des Commercesvéritablement nationaux, c’est-à-dire servis,exercés, dirigés et financés uniquement pardes hommes de chez nous [souligné par

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l’auteur] [211]. » Geffroy est convaincu quecet indispensable retour à la terre se fera delui-même, « car les ouvriers, au lieu de s’em-piler dans les immeubles de faubourgs sansair et sans lumière, seront disséminés auxabords de leurs petites usines à travers lacampagne, et chacun pourra cultiver sonjardin ».

Le régionalisme, sourced’exaltation de Vichy

Cette défense du monde rural s’inscritdans un désir de renaissance du pouvoir desprovinces historiques, témoins d’un passéglorieux, et que la Révolution de 1789 asupprimées. « Parce que les provincestiennent plus d’une réalité naturelle, géo-graphique, que d’un découpage arbitrairede législateurs, il faut les préférer aux dé-partements[212] », estime Pourrai, qui an-nonce déjà le courant du régionalisme, exalté

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par le nationalisme cher au gouvernement deVichy. En effet, c’est dans la juxtaposition deces terroirs, liés les uns aux autres, que s’in-scrit l’histoire de la France. « L’histoire pro-fonde de la France est dans cette rencontre.L’alliance de la loi terrienne et de l’idée chré-tienne explique le paysan français », analysel’écrivain auvergnat. Pas étonnant que dansLe Chef Français (1942), il loue la figure pa-ternaliste et patriarcale du maréchal Pétain,ce chef d’une nation qu’il souhaite agraire,hiérarchisée, stable et chrétienne…

Enfin, la régionalisation et l’autarcieéconomique auxquelles aspire Pourrat con-stituent la seule protection possible contreles échanges commerciaux, responsables desdépressions économiques affectant les na-tions modernes. Conjugués à l’industrialisa-tion, ces échanges internationaux, fruits dusystème politique libéral, sont à l’origine dela destruction de l’Allemagne : « On leur acrié : Voyez ce que cent ans de libéralisme et

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d’industrie ont fait de l’Allemagne : ce paysà peine paysan pour un quart, maintenant,et ruiné tout à fait, avec des milliers dejeunes gens sans travail et sans espérance.Aucune civilisation n’a commis de plusgrand crime contre l’homme. À bas la ma-chine ! À bas l’usine, à bas la ville ! Suivez-nous. Nous changerons si terriblement l’Étatqu’avant cinquante ans, pour repeupler lescampagnes, nous aurons fait disparaître lesgrandes villes inhumaines[213]. » SelonPourrat, le succès du discours national-so-cialiste tient au fait qu’« il a soulevé lesmasses contre les dirigeants invisibles de laBanque et de la Bourse. Il a juré qu’il af-franchirait le peuple de l’esclavage des in-térêts pour le rendre à la terre, à la vie saineet verte ». Analyste perspicace, l’écrivainnote que la doctrine paysanne du national-socialisme n’est pas tant sortie de MeinKampf que des livres de Walter Darré, min-istre de l’Agriculture du régime nazi. Ce

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dernier aurait en effet compris qu’il « ne fal-lait pas craindre même d’aller contre ce quisemblait la fatale évolution libérale etéconomique, [mais] s’aider de la conditionrurale et des antiques valeurs paysannes.Revenir au paysan, créature du sol qui,comme l’arbre et comme la plante, a conser-vé à travers les siècles quelque chosed’organique ».

Critique de « l’homme moderne »

L’air du temps est donc à la critique de lamodernité. « Si le progrès est une marche enavant, le progrès est le triomphe de lamort[214] », affirme Jean Giono dans Le tri-omphe de la Vie, paru en 1942. Ses écritssuscitent alors l’admiration de la presse col-laborationniste parisienne. L’écrivainprovençal tient par ailleurs un Journal del’Occupation (publié seulement en 1995),dans lequel il condamne tant « notre monde

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moderne et machinal » que la civilisation« technicienne et urbaine[215] ».

Cette critique de la modernité figuraitdéjà chez Alexis Carrel (1873-1944). Certesplus connu pour ses théories eugénistes, lePrix Nobel de médecine considérait que lasociété moderne est inadaptée à l’homme :« L’homme moderne donna la primauté à lamatière et sacrifia le spirituel àl’économique. Il préféra le bien-être à laforce et à la joie. Il abandonna la terre deses ancêtres et ses humbles amis, les an-imaux, pour vivre parmi les peuples sansâme des machines. Il oublia les blés ondu-lant sous le soleil, le recueillement de laforêt, la paix de la nuit, l’harmonieuse beau-té des plantes, des arbres et des eaux. […] Ilse dépersonnalisa dans le monotone travaildes usines. Il viola, sans s’en douter ; toutesles lois de la vie. Alors, se consomma notredivorce de la réalité[216]. »

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« La civilisation moderne se trouve enmauvaise posture parce quelle ne nous con-vient pas », estime Carrel dans son bestsellerL’homme, cet inconnu. « L’adoption uni-verselle de l’avion, de l’automobile, ducinéma, du téléphone, de la radio, et bientôtde la télévision, est due à une tendance aussinaturelle que celle qui, au fond de la nuit desâges, a déterminé l’usage de l’alcool. Lechauffage des maisons à la vapeur, l’éclair-age électrique, les ascenseurs, la morale bio-logique, les manipulations chimiques desdenrées alimentaires, ont été acceptésuniquement parce que ces innovationsétaient agréables et commodes », admet-ilavant de lancer ce redoutable avertissement :« Mais leur effet probable sur les êtres hu-mains n’a pas été pris en considération. »

Quelle raison pousse le Prix Nobel à con-sidérer l’éclairage électrique, le téléphone etles ascenseurs, comme des sources deproblèmes ? C’est qu’en facilitant l’existence

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humaine, ils soustraient l’homme aux lois dela sélection naturelle !

« Ce n’est pas la richesse qui est nuisible,mais la suppression de l’effort », expliqueCarrel. Or, « la loi de l’effort, surtout, doitêtre obéie. La dégénérescence du corps et del’âme est le prix que doivent payer les indi-vidus et les races qui oublient cette néces-sité[217] », poursuit le médecin. « L’hommeatteint son plus haut développement quandil est exposé aux intempéries, quand il estprivé de sommeil et qu’il dort longuement,quand sa nourriture est tantôt abondante,tantôt rare, quand il conquiert par un effortson abri et ses aliments », explique-t-il,ajoutant : « On sait combien sont solides,physiquement et moralement, ceux qui, dèsl’enfance, ont été soumis à une discipline in-telligente, qui ont enduré quelques priva-tions et se sont accommodés à des condi-tions adverses. »

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En supprimant l’effort physique, ou dumoins en le diminuant, la révolution indus-trielle a favorisé l’émergence d’une catégoriede « sous-hommes », estime Carrel. « Il y a,parmi nous, une catégorie d’individus qui sedéveloppent incomplètement ou de façon dé-fectueuse : c’est un fait que beaucoup decivilisés sont dépourvus de raison. Ceproblème de sous-hommes ne se posait pasà l’époque de la fondation des grandes

démocraties […]. [Les philosophes du XVIIIe

siècle] ne se doutaient pas des conséquencesfutures de la révolution industrielle surl’état physiologique et mental de la popula-tion. […] À présent, nous sommes envahispar la multitude des barbares engendréspar les nations civilisées elles-mêmes, bar-bares que leurs déficiences intellectuelles etaffectives empêchent de devenir civil-isés[218] », s’insurge-t-il.

Une telle prose semble prouver que l’ad-hésion de Carrel au parti fasciste de Jacques

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Doriot, le Parti populaire français, n’est pasune simple erreur de parcours. Après samort en 1944, le Prix Nobel est d’ailleursplus ou moins tombé dans l’oubli. Jusqu’à ceque Bruno Mégret, membre-dirigeant duFront national, le présente en 1991 comme le« premier Français vraiment écologiste »lors d’une controverse avec les Verts…

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XIII – LES PIONNIERS FRANÇAIS

Si la fin du régime vichyste entraîne unrejet décisif des thèses agrariennes antimod-ernistes, la Libération et le triomphe desÉtats-Unis inaugurent une époque de recon-struction et de progrès, particulièrementsensible dans le monde agricole. C’est l’heureoù les tracteurs du plan Marshall (JohnDeere, Massey-Harris, Ford) débarquent enEurope, et où l’on commence à cultiver dessemences vraiment productives, comme lafameuse variété de blé Cappelle. En France,la révolution des maïs hybrides transformeles campagnes. Saluées comme un progrèsextraordinaire, les premières matières act-ives organiques de synthèse remplacent peuà peu l’arsenic, la nicotine, les goudrons, les

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huiles et les acides, pesticides utilisés pourun résultat très modeste.

Alors qu’en Angleterre, la Soil Associationde lady Balfour et lord Northbourne sedresse contre cette marche vers le progrès, laFrance l’accueille à bras ouverts. Du moinsjusqu’à la fin des années cinquante, où ap-paraît pour la première fois une associationrevendiquant explicitement l’expressiond’« agriculture biologique ». Il s’agit duGroupement des agriculteurs biologiques del’Ouest (Gabo), fondé en 1958 par JeanBoucher, André Birre, André Louis et MattéoTavera, pionniers français de l’agriculturebiologique. Raoul Lemaire, le patron du SVBLemaire, les rejoindra quelques années plustard. Durant plus de deux décennies, c’est cepetit groupe qui présidera aux destinées del’agriculture biologique française.

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Birre et Louis dans le sillage dePierre Sauvageot

Inspirés par les écrits de Pierre Sauvageotet d’Henri Pourrat, André Birre et JeanBoucher avaient déjà fondé en 1948 l’associ-ation L’Homme et le Sol, qui s’était fixéepour principale tâche de « lancer la Croisadepour l’Humus[219] » (clin d’œil à la « crois-ade du blé » initiée cinq ans auparavant parPierre Sauvageot). « Je dois [à PierreSauvageot], plus qu’à tout autre, d’avoir ret-rouvé le sens de l’harmonie de la vienaturelle », reconnaît André Birre dans Unepolitique de la terre, qu’il dédie à l’agronomefrançais. « C’était en ces heuresdouloureuses de la Deuxième Guerre mon-diale qui allait, par-delà les malheurs qu’ellecausa, provoquer, à l’échelle planétaire,cette nouvelle réflexion de l’humanité sur lerespect de la vie qui maintenant la gagnesouterrainement, et dont ce propos n’est quele modeste reflet », rappelle-t-il.

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Birre ne cache pas sa tentation pétain-iste : « J’ai notamment suivi le phénomène[du retour à la terre] durant la DeuxièmeGuerre mondiale, alors que les appels deJean Giono, et ceux d’ailleurs du maréchalPétain, sensibilisaient les cœurs pour ce re-tour à la terre nourricière. Dirais-je quel’idée m’avait séduit ? » Heureusement, il asu résister : « Mais en raison de mon instinctdemeuré paysan, je mesurais avec tropd’acuité les risques d’échec pour me laisserentraîner[220]. » Pourtant, c’est bien la vis-ion agricole défendue par les « amis » dumaréchal Pétain qui se trouve au cœur descolloques organisés par André Birre après laSeconde Guerre mondiale (« Journées del’Humus » en 1948, Congrès de la « Cultureen Bon Père de famille » en 1950, etc.). En1952, l’agronome rejoint l’Association pourla recherche d’une alimentation normale,que le Dr Bas vient de créer. Six ans plustard, il publie son traité d’agronomie

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biologique Un grand problème humain,l’humus, qui reprend pour l’essentiel lesthèses de Sauvageot, néanmoins revisitéespar les écrits de Howard et de Pfeiffer, le dis-ciple de Steiner.

C’est au cours d’un de ces colloquesqu’André Birre rencontre André Louis, fonc-tionnaire en charge des questions agricoles.« Issu d’une famille de vignerons, c’est unhomme de la terre, avec un ancrage trèsmarqué dans le catholicisme, d’où le regardpositif qu’il porte sur Alexis Carrel, l’une destrois références qu’il cite avec Steiner etCarton[221] », explique l’historien GéraldGobbi, qui travaille sur une biographied’André Louis. C’est grâce à la lecture de Tri-ade, la revue de l’anthroposophie (dont ilpossède la collection complète), qu’il dé-couvre la philosophie ésotérique de RudolfSteiner. Avec les Psaumes, celle-ci devientl’un des piliers de sa pensée religieuse. Mais« si le protestantisme – auquel il s’est

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converti après la guerre – apporte une ré-ponse à ses attentes écologiques, AndréLouis a plutôt une approche déiste mystiqueque chrétienne », analyse son biographe.« C’est pourquoi il trouve dans Howard etSteiner un champ d’expression qui corres-pond à sa sensibilité », ajoute-t-il. Une sens-ibilité qu’il partage avec son ami MattéoTavera, arboriculteur et vigneron à sesheures.

Jean Boucher et Raoul Lemaire, quant àeux, restent plus « classiques », inscrivantleur spiritualité davantage dans le mysti-cisme chrétien de Pourrat et de Giono quedans celui de Steiner.

Raoul Lemaire s’engage enpolitique

Fils d’un négociant en spiritueux et engrains, Raoul Lemaire inaugure sa carrièreen 1931 en fondant à Paris l’une des

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premières maisons de produits « naturels ».On y trouve son fameux « pain Lemaire »,confectionné à partir de blés qu’il sélectionnelui-même. De tous les pionniers de l’agricul-ture biologique, Raoul Lemaire est celui dontl’engagement politique est le plus affirmé ; etce, dès les années vingt, époque à laquelle ildevient l’ami du Dr Paul Carton, « son grandmaître incontesté[222] ».

Fervent admirateur de Barrés et Maurras,le Dr Carton aspire au retour de la monarch-ie. Il exprime régulièrement son indignationcontre la société moderne et sa croyance enun vaste complot dans les colonnes du journ-al de l’Action française. « Tout cela est or-chestré de main de maître par une organ-isation secrète, dirigée de l’étranger. Sous lecouvert de la spiritualité et de la main ten-due aux catholiques, elle travaille hypocrite-ment à la paganisation, à la contaminationet à l’effondrement moral de la race, enhaine de l’ordre unitaire politique et de

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l’esprit unitaire religieux, chrétien qui,pourtant, constituent les deux colonnesprincipales du temple humain[223] », écrit-ilen 1935. « La France, devenue le paillassondes métèques et des interdits de séjour desautres nations et la victime des agents desociétés secrètes, chargés de propager la dé-molition de la race, par la cobaïnisation desenfants, au nom de la Santé sociale, laFrance devra se nettoyer des parasites quila vampirisent », déclare-t-il en guised’avertissement.

Comme le relate Jean Boucher, l’engage-ment politique de Raoul Lemaire s’inscrit es-sentiellement en réaction au Front populaire(1936), alors que « la mainmise de l’État surle blé (Office du blé) est décrétée ». « Lapuissance des trusts financiers [sic] accen-tua son travail de pourrissement en essay-ant de ruiner et de déshonorer cet homme,qui se dévoue corps et âme pour la cause na-tionale », poursuit son proche collaborateur.

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C’est alors que Lemaire, « s’insurgeant, devi-ent un homme politique […]. Il s’attaque seulaux trusts et se présente à Nice contre Drey-fus ». Mais en raison de la Seconde Guerremondiale, il doit arrêter « momentanémentcette lutte sans merci et inégale ».

Quelques années plus tard, Raoul Le-maire se rapproche de Pierre Poujade, dont ilporte les couleurs aux élections législativesde 1956 et de 1958. En 1957, il préside leRassemblement paysan créé à l’initiatived’Henri Dorgères, autre figure historique dela droite radicale française. Raoul Lemaireécrit d’ailleurs régulièrement dans sa revueLa Gazette agricole[224].

En raison de la chute du mouvementpoujadiste, Raoul Lemaire met un terme àson engagement politique en 1958. Néan-moins, son opinion sur le rôle des « trusts »n’a pas changé. En témoigne cette lettre ad-ressée à cette figure de l’extrême droitefrançaise, Henry Coston[225], dans laquelle il

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écrit : « Je vais à Paris vendredi. J’aimeraisvous y rencontrer pour que nous causionsensemble de la situation actuelle qui meparaît grave… Le complot contre la France,qui remonte à plus de 50 ans, s’aggrave à telpoint que je suis persuadé qu’à aucun mo-ment de notre histoire, nous n’avons couruun plus grand péril[226]. »

En renonçant à la politique, Raoul Le-maire peut consacrer tous ses efforts à lapromotion de « sa » version de l’agriculturebiologique. Officiellement, il se bat pour« préserver la santé des consommateurs parune alimentation naturelle[227] ». En réalité,ses diverses activités lui permettent surtoutde diffuser sa fameuse méthode Lemaire-Boucher et de promouvoir sa société, le SVBLemaire. Aidé par Georges Racineux[228],l’un de ses agents commerciaux, il cible lafrange de la population agricole composéedes paysans qui ne se reconnaissent pas dansl’extraordinaire mouvement de

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modernisation que connaît alors la France.Tel un patriarche, Raoul Lemaire poursuitses prêches, naturellement publiés dans sarevue Agriculture et Vie, le « seul mensuelpour l’agriculture biologique ». Car le pat-ron du SVB Lemaire ne fait rien moins quesauver l’humanité ! « Les forces bénéfiquesdont nous disposons sont capables de rendrela fertilité à des terres abandonnées, sousréserve de consacrer à cet effort le travailmatériel et mental indispensable. Tout serasauvé[229] », affirme son collaborateur JeanBoucher.

L’aventure de Nature & Progrès

Au sein de la petite communauté nais-sante de l’agriculture biologique, les ficellesde Raoul Lemaire apparaissent cependanttrop grosses. Dès 1964, André Birre, AndréLouis et Mattéo Tavera décident de créerleur propre structure en faveur de

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l’agriculture biologique : Nature & Progrès,Association européenne d’agriculture etd’hygiène biologique – dont le siège socialest établi au domicile de Mattéo Tavera. Letrio fondateur recrute un jeune assistant,l’agronome Claude Aubert, qui devientpremier secrétaire général de l’association etprend en charge la rédaction de sa revue.Nature & Progrès (N&P) se veut alors apoli-tique et ouverte à tous les courants philo-sophiques. « Ici, le communiste comme leroyaliste, l’agriculteur comme le citadin, leprêtre comme le libre-penseur, le végétariencomme l’omnivore, le buveur d’eau commele buveur de boissons fermentées, le richecomme le pauvre, se vouent une affectiontotale et s’embrassent. Ils sont tousamoureux de la nature[230] ! », se féliciteMattéo Tavera, son premier président. Dès lacréation de N&P, le ton est donné : « Notrebut reste, avant toutes choses, de dénoncerles dangers d’une alimentation faite de

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denrées provenant d’une agriculturechimique, à base notamment d’engraischimiques, de pesticides, d’hormones. » Con-trairement au SVB Lemaire qui cible les agri-culteurs, N&P s’adresse principalement auxconsommateurs motivés par une nourriture« saine » et « naturelle » – pour reprendreles termes du Dr Bas, membre de son conseild’administration. « Au début, Nature & Pro-grès était constituée d’adhérents provenantdu monde urbain, essentiellement de laclasse moyenne et aisée, avec pas mal d’in-stituteurs et même quelques généraux »,rappelle Gérald Gobbi. Le biographe d’AndréLouis estime que le monde agricole ne re-présentait alors pas plus que 10 à 15 % dutotal des 750 adhérents de l’association.

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Vie et Action ou la défense d’unenourriture saine

La nourriture saine et l’hygiène biolo-gique occupent une très grande place dansles publications de N&P. Très vite, l’associ-ation se rapproche du naturopathe AndréPassebecq et de son association Vie et Ac-tion. « La chimie et la “religion des ersatz”sont à la source de la dévitalisation des ali-ments[231] », affirme Passebecq en 1962.« La plupart des aliments qui nous sont of-ferts de nos jours sont toxiques, carencés,dévitalisés, déséquilibrés. Ils ne peuvent plusassurer qu’une santé précaire chez les an-imaux et les hommes[232] », en déduit-il.

Le naturopathe tient un discours encoreplus radical que les hygiénistes des annéestrente. Ainsi, il souligne les différences fon-damentales entre l’hygiène vitale – dont ilest un adepte –, l’hygiène naturelle et l’hy-giène artificielle. L’hygiène artificielle setraduit par « l’emploi de principes, forces et

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agents artificiels (donc non naturels) dansle but de prévenir et “guérir des maladies” »,explique-t-il. L’hygiène naturelle, elle, « con-siste en l’utilisation instinctive et intelligentedes forces et agents naturels, dans le but depréserver et restaurer la santé ». Quant àl’hygiène vitale, elle « n’admet aucun re-mède[233] ». C’est le laisser-faire complet !Pour Passebecq, l’avantage de cette dernièreconsiste à permettre, grâce à la sélectionnaturelle, le maintien d’une haute « qualitébiologique » de l’espèce humaine. « Dans lepassé de l’espèce humaine, la sélectionnaturelle faisait disparaître impitoyable-ment les sujets débiles ou tarés, à cause derudes conditions d’existence. De nos jours,l’expansion des moyens médicaux va à l’en-contre des effets épurateurs de la sélectionnaturelle. Ils aboutissent à faire survivredes êtres qui, jadis, n’auraient pas survécu,à faire durer jusqu’à l’âge de la reproduc-tion des hommes qui jadis ne se fussent pas

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reproduits. Myopie, bassin étroit, tempéra-ment tuberculinique, diabète, tout cela per-siste, qui était éliminé dans l’état sauvage »,écrit le naturopathe, qui en tire cette redout-able conclusion : « En même temps que laquantité de vies humaines s’accroît, la qual-ité biologique se réduit[234] »…

Mais ces propos n’embarrassent pas ladirection de N&P, qui entretient avec Vie etAction des liens tellement étroits qu’en 1970,un tiers des adhérents de N&P sont égale-ment membres de l’association d’AndréPassebecq. « C’est dire que cette associationet sa revue […] défendent les méthodesnaturelles de protection de la vie, […] trav-aillant dans le même sens et le même espritque nous[235] », peut-on lire dans la revue deN&P. André Louis et Mattéo Tavera sontrégulièrement sollicités par Passebecq etparticipent à ses nombreuses conférences.C’est d’ailleurs au retour de l’une d’elles

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qu’ils trouveront la mort, au cours d’un acci-dent de voiture.

La ville dévore la substance desnations

Le SVB Lemaire et N&P ne partagent passeulement la même vision hygiéniste : ils ontles mêmes références idéologiques, notam-ment en ce qui concerne le monde rural. Unmonde qu’ils verraient bien tout droit sortides écrits d’Henri Pourrat ou de Jean Giono.En effet, Birre, Lemaire et Boucher souscriv-ent au retour massif à la terre. « Pour satis-faire à l’obligation de la vie à proximité dusol nourricier, il nous faut saisir la nécessitéd’un retour massif des populations au seind’un monde rural totalement renouvelé »,affirme André Birre, qui explique sans am-biguïté que le redressement de la France nepourra se faire que grâce à « la reconstitu-tion des communautés de base : la famille,

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le village, le pays, la région, par transfert depopulations vers les espaces ruraux, exacte-ment à l’opposé de ce qui se fait au-jourd’hui ». En effet, sans ancrage dans laterre, l’homme est en perdition. « L’homme,usé par la ville, devra, pour reconstituer sonorganisme, adopter un mode de vie plusconforme aux lois physiologiques, dans le-quel le travail manuel et une alimentationmoins artificielle retrouveront leurplace[236] », estime-t-il. Ces arguments sontrepris presque mot pour mot par ClaudeAubert, le secrétaire de N&P. « Nous bénéfi-cions de la vigueur de la race paysanne dontnous sommes issus. Rares sont ceux d’entrenous qui n’ont pas un grand-père ou unarrière-grand-père paysan. […] Commentl’organisme humain réagira-t-il à long ter-me aux conditions de vie de plus en plus ar-tificielles du monde industriel et urbain ? Ilsemble bien que l’on assiste à unedégénérescence progressive dont les signes

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visibles sont les maladies dites de civilisa-tion », écrit-il en 1970. Il ajoute : « Lespaysans ayant disparu, il n’y aura plusd’endroit où trouver des hommes ayant con-servé intact leur potentiel vital[237]. » Mêmediscours de la part du duo Lemaire-Bouch-er : « Le rural transplanté à la ville reçoitune instruction peut-être favorable à sonnouvel emploi d’ouvrier ; mais sûrement pasà son ascension morale et à sa dignitéd’homme[238]. » C’est que contrairement à lacampagne, la ville corrompt l’âme du paysan,explique le compagnon de route de Raoul Le-maire. « Par nature, vivant en harmonieavec le monde vivant, le paysan respecte laCréation, il est honnête, il est charitable et al’esprit d’entraide. Que reste-t-il de tout celaaprès plusieurs années passées en ville ? »,s’inquiète-t-il.

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Les mirages de la technologieindustrielle

Vingt ans après Carrel, Raoul Lemaire etAndré Birre s’insurgent encore et toujourscontre ce progrès qui réduit l’homme à unsimple élément d’une communauté techni-cienne. « Hier le paysan pouvait nourrir safamille s’il possédait seulement deux bœufs,une charrue et un coin de terre qu’ilgouvernait à son gré. Aujourd’hui, le mêmepaysan ne le peut plus que de façon pré-caire, malgré l’aide des engins mécaniques.Dès qu’il entre dans le progrès, l’homme dela terre n’est plus, comme celui de la villequ’il envie, rouage d’une communauté tech-nicienne[239] », déplore Birre en 1957.

Au sein de N&P, ces propos sont con-stants. En témoigne l’ouvrage de ClaudeAubert L’industrialisation de l’agriculture,dans lequel l’auteur compare cette évolutionà un « suicide de l’homme ». Sous le titre Lamécanisation de l’agriculture biologique,

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N&P publie en 1975 un article traitant de « ladouble face du progrès matériel : pour lemeilleur et pour le pire », qui est très inspiréde Claude Aubert. « La mécanisation del’agriculture n’a pas échappé à cette dualitéet finit par aboutir au pire », peut-on y lire.« Si l’homme croit que [la machine] est sadestinée, il restera au siège de son tracteurjour et nuit, au lit, à table, devant le tiroirdes factures de ses fournisseurs et jusqu’à ceque sa colonne vertébrale s’y refuse », préditson auteur, qui conclut : « L’industrialisa-tion de l’agriculture est une erreur parceque son outil de production est vivant : le solet l’animal. »

Certes, Claude Aubert admet que « grâceaux machines, le travail sera moins pénible.L’agriculteur pourra plus facilement partiren week-end et prendre des vacances. Sesrevenus seront plus élevés. Sa femme dis-posera de plus de temps pour son foyer etses occupations personnelles ». Mais « quel

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prix faudra-t-il payer ces avantages ? »,s’interroge-t-il. « Traditionnellement trèsvarié, [le travail de l’agriculteur] deviendrade plus en plus monotone » et l’usage dutracteur permettra de tenir « de moins enmoins compte des rythmes naturels : quandle jour tombe, on allume les phares et oncontinue, toute la nuit s’il le faut[240] »,poursuit-il.

Le duo Lemaire-Boucher partage ce pointde vue. « L’homme est esclave d’un moteursans réactions vivantes et son esprit s’entrouve avili », explique le collaborateur deRaoul Lemaire. « Le plus grave, à mes yeux,est l’engourdissement mental, la passivité,qu’il provoque chez son conducteur »,ajoute-t-il, avertissant : « Le paysan d’autre-fois chantait sa joie dans le travail deschamps, son esprit pouvait s’élever ; le con-ducteur de tracteur ne peut qu’être diminué,s’il n’y prend garde, par l’emprise d’une

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machine trop parfaite, et qui bientôt, même,n’aura plus besoin de sa présence[241]. »

La revue La Vie Claire, diffusée jusqu’à500 000 exemplaires, combat elle aussi latechnologie industrielle. « La civilisation, lemachinisme, le développement du com-merce et de l’industrie ont peu à peu modifiéla composition des aliments de base, enl-evant ceci, ajoutant cela, et il en est résultédes troubles profonds dans les diverses fonc-tions de l’organisme humain, dont la malad-ie est le signe[242] », explique son fondateurHenri-Charles Geffroy. Ce dernier aspire luiaussi à un changement en profondeur de lasociété. Ou plutôt à un retour en arrière,comme il l’admet lui-même : « Ce qui rendextrêmement difficile l’application de solu-tions d’ensemble au problème de dégénéres-cence physique et morale des peuples civil-isés, c’est que ces solutions constituent unevéritable révolution, une révolution dans le

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sens le plus strict du mot, c’est-à-dire un re-tour en arrière[243]. »

Mêmes idées, même combat

Comme Raoul Lemaire, Henri-CharlesGeffroy est un grand ami d’Henry Coston,adversaire convaincu du grand capital et destrusts en tout genre. Dans un opuscule con-sacré aux racines de l’écologie, l’auteur deLes Juifs et leurs crimes fait l’éloge du « pèrevéritable de ce qu’on nomme aujourd’huiécologie, Henri-Charles Geffroy, le créateurde La Vie Claire[244] ». « Nous avons faitconnaissance, Henri-Charles Geffroy et moi,un jour de 1958. Je venais de faire paraîtreLa haute banque et les trusts, et il vint mevoir, rue de la Harpe, où j’avais alors monbureau. […] “Nous avons les mêmes en-nemis !”, me dit-il tout de go en pénétrantdans mon bureau. Ce que vous écrivez, jesouhaite que mes lecteurs le sachent », écrit

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Henry Coston. Un mois plus tard, La hautebanque et les trusts était distribué dans lesmagasins La Vie Claire, à côté des courgesbio et du pain Lemaire… « C’est par milliersd’exemplaires que le réseau La Vie Clairediffusa ce livre – et aussi plusieurs autres –pendant une vingtaine d’années », se réjouitHenry Coston. L’auteur reçoit des centainesde lettres de fidèles de La Vie Claire, qui sontreconnaissants de leur avoir enfin donné laclé du mystère. Geffroy et Coston n’ont passeulement les mêmes ennemis : ils ont desidées très voisines. « Il était de droite,comme on l’était dans la première moitié du

XXe siècle, c’est-à-dire fermement attaché ànotre sol et à nos traditions, et non moinsfermement hostile aux puissancesd’argent », poursuit Coston.

En 1978, alors que La Vie Claire traverseune période financière critique (le réseausera ensuite racheté par Bernard Tapie),Henry Coston impute la responsabilité de

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cette situation à un complot de« gauchistes ». Pour lui, La Vie Claire a été« insidieusement attaquée par des forces ob-scures ». « Des éléments anti-VC (VieClaire), infiltrés, grâce à l’on ne sait quellecomplicité, se trouvaient à pied d’œuvre »,commente-t-il, déplorant l’émergence d’unenouvelle génération d’écologistes, ces« gauchistes qui dirigent aujourd’hui les di-verses associations et la plupart des public-ations “écologistes”, qui ne sont pas lesvéritables initiateurs de la défense de laNature et de la Vie ». « Les “écolos” qui sontdevenus la piétaille des politiciens de lagauche, doivent redevenir, en même tempsque les protecteurs de notre environnement,les défenseurs de notre alimentation, doncles promoteurs de l’agriculture biologique,exempte de produits chimiques », estimeHenry Coston.

Son vœu s’est formidablement réalisé !Reste à comprendre comment « la défense

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de la “terre qui ne ment pas” est passée dupétainisme à l’extrême gauche », pourreprendre les termes du philosophe BernardCharbonneau…

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XIV – ANNÉES SOIXANTE-DIX :LA GRANDE MUE DE L’ÉCOLOGIE

Avant d’avoir lieu en France, le grandchassé-croisé droite-gauche de l’écologie seproduit aux États-Unis dans les années soix-ante. Il se traduit par l’émergence d’une« Nouvelle Gauche » – la New Left –, qui sedistingue de la gauche traditionnelle pro-gressiste et pro-industrielle par l’adoption dece que le sociologue américain TheodoreRoszak nomme la « contre-culture ». Cemouvement se manifeste entre autres parune opposition radicale à la société industri-alisée, considérée comme liberticide.

L’auteur britannique Aldous Huxley(1894-1963) est l’une des grandes figures decette mutation. Dès les années trente, il se

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révolte contre la société industrialisée, not-amment à travers son roman d’anticipationLe meilleur des mondes (1932). Installé auxÉtats-Unis à partir de 1937, il réussit à tran-scrire cette critique de la société industrial-isée, formulée habituellement par le courantidéologique ultratraditionaliste, dans un lan-gage acceptable par la gauche. Pour ce faire,il dénonce l’annihilation de l’individu pro-voquée par l’excès d’organisation de la so-ciété industrielle, permis par les progrès dela technique : « Pour s’intégrer dans ces or-ganisations, les personnes ont dû se déper-sonnaliser, renier leur diversité native, seconformer à des normes standardisées,faire de leur mieux, en bref, pour devenirdes automates » Or, « toute civilisation qui,soit dans l’intérêt de l’efficacité, soit au nomde quelque dogme politique ou religieux, es-saie de standardiser l’individu humain,commet un crime contre la nature biolo-gique de l’homme », affirme Huxley en 1958.

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Au thème de la chute de la civilisationcausée par les excès de la science s’ajoute ce-lui des communautés primitives considéréescomme un modèle. « La Nouvelle Gauche,qui se rebelle contre la manipulation tech-nocratique au nom d’une démocratie departicipation, se rattache souvent, sans s’enrendre compte, à une tradition anarchistequi a toujours exalté les vertus de la horde,de la tribu, du village primitif[245] », écritTheodore Roszak. Ces deux aspects se ret-rouvent en France chez l’écrivain René Bar-javel, notamment dans son roman Ravage(1943) – dont les relents pétainistes, éman-ant de tout ce qui a trait à la vénération duchef et de la famille, sont néanmoins absentsde l’œuvre de Huxley[246].

Les années Fournier

C’est dans le sillage de Mai 68 que débar-quent en France la Nouvelle Gauche et la

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contre-culture américaines. Apparaît alorsun écologisme hexagonal, baptisé « les an-nées Fournier » par le responsable Vert YvesFrémion. Rédacteur de chroniques pourCharlie Hebdo, puis fondateur de La Gueuleouverte et organisateur de la premièregrande manifestation antinucléairefrançaise, Pierre Fournier (1937-1973) est unpersonnage clé des débuts de l’écologismefrançais. Il incarne mieux que quiconquecette ambivalence de l’écologisme mêlantconservatisme et gauchisme libertaire. « Sij’étais “de droite” il y a vingt ans, c’est parceque l’irréalisme intégral des idéologues degauche m’écœurait […]. Si je suis “degauche” quinze ans plus tard, c’est parce quela droite appelle “faits” le simple “état defait”[247] », se justifie-t-il.

Pierre Fournier est conscient des originesréactionnaires de l’écologie. « À la fin del’autre siècle, le retour à la nature était unmythe anar. Sa décadence a suivi celle de

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son support et, tandis que la gauche struc-turée récupérait l’anarchisme, la droite tra-ditionnelle récupérait l’utopie naturiste. Ri-en d’étonnant à ce que le regroupement sesoit opéré autour de la mémoire de genscomme Alexis Carrel ou ce génie méconnuque fut le docteur Carton », rappelle-t-il. « Ilétait bien normal que, face à ce front com-mun, à peu près sans faille, de la Gauche etdu messianisme industriel, la réaction desminorités conscientes d’assister à un proces-sus de dégradation ait été un mouvement derecul, de raidissement, un appel a la résist-ance des “vieilles valeurs” qui avaient fondé,avant l’ère industrielle, un monde stable »,poursuit-il. C’est ce qui explique pourquoi« les premières manifestations d’un éveil dela conscience écologique […] ont rencontréun accueil favorable d’abord et surtout dansles milieux de droite et d’extrême droite ».

En 1972, Fournier pense que la NouvelleGauche est capable de changer la situation

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mieux que ne peut le faire l’extrême droite.Grâce à « l’adoption de la revendication éco-logique par la “new left” américaine », […]de socialement réactionnaire, l’écologie estdevenue socialement révolutionnaire[248] »,explique-t-il. La critique de l’écologie degauche porte alors essentiellement sur l’én-ergie nucléaire, symbole de la toute-puis-sance industrielle. Rien de très significatifn’est en revanche reproché à la chimie, quireste le thème favori de l’écologie de droite.« On vit alors paraître de nombreux ouv-rages “écologistes” très prolixes sur les mé-faits du nucléaire et absolument muets surceux des produits chimiques dans l’industriealimentaire et dans l’agriculture[249] », té-moigne le militant d’extrême droite HenryCoston, qui déplore la reprise en main del’écologie par « de grands intérêtséconomiques affichant des tendances deGauche ».

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Pourtant, Fournier ne cache ni sa sym-pathie pour La Vie Claire de Geffroy, ni sonintérêt pour les écrits d’Alexis Carrel. À l’in-star du Prix Nobel, il justifie la révolutionécologique par la nécessité d’accepter un« ordre biologique » qui s’enracinerait dansla nature. Une « révolte de l’instinct vital »est à l’œuvre, déclare-t-il, car « en détruisantles liens organiques qui nous unissaient auxautres hommes et à la nature […], la sociétéindustrielle […] a fait de nous des êtresatomisés[250] ».

Les communautés libertaires

L’arrivée en France de la contre-culturedonne naissance à un grand courantlibertaire, qui participe à l’émergence de l’ag-riculture biologique et se trouve à l’origine dela création de nombreuses communautésnéorurales. Bien que très impliqué dans cescommunautés, Pierre Fournier reste mal à

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l’aise avec l’hédonisme antibourgeois prônépar certaines d’entre elles. Il critique notam-ment les communautés « incapables de con-cevoir que la famille […] n’est pas une struc-ture sociale, mais le contraire : l’émanationorganique, le prolongement biopsycholo-gique de l’être humain socialisé ». À sesyeux, n’ont de légitimité que les commun-autés qui « ne cherchent pas à détruire la fa-mille, mais au contraire à retrouver l’au-thenticité du lien familial, que la sociétémarchande a détruit ». Dans un courrier ad-ressé en 1972 à Nouvelle École, le journal dela Nouvelle Droite, Fournier reconnaît queson propre projet de village communautaire« doit beaucoup plus à Lanza del Vasto[251]

qu’aux idéaux anarchistes ». Pour lui, ils’agit « de recréer un “clan”, et non de faireune “communauté” au sens gauchiste du ter-me ». Sans ambiguïté, il affiche la colorationgénérale de son projet : « Je suis, profondé-ment, avec mon obsession de

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l’enracinement, de la fidélité, de la péren-nité, un type de droite. »

De toutes ces communautés, celles del’Arche sont presque les seules à avoir sur-vécu. Précisément parce qu’elles ont adoptéun mode de fonctionnement conservateur,que les sociologues Bertrand Hervieu et Dan-ièle Hervieu-Léger ont parfaitement identi-fié. Ces communautés véhiculent des valeursqui « non seulement cherchent à reconstit-uer, mais à revaloriser la répartition tradi-tionnelle des rôles masculins et féminins, lafidélité monogamique, voire l’autorité pa-ternelle dans la famille, […] tout comme si lasymbolique de la famille rurale tradition-nelle l’emportait[252] », écrivent les soci-ologues. En clair, en renouant les liens tradi-tionnels unissant l’homme à la terre, ellesrecherchent « quelque chose d’une sociétéprécapitaliste où un individu pouvait êtreson propre maître ».

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Cette aspiration à la société pré-capital-iste doit beaucoup à l’influence de trois pen-seurs français : Jacques Ellul, Bernard Char-bonneau et Denis de Rougemont.

L’Ordre Nouveau

Dès les années trente, Ellul, Charbonneauet Rougemont rejoignent le courant depensée dit personnaliste, qui comporte troistendances : celle d’Emmanuel Mounier,fondateur de la revue Esprit ; la « JeuneDroite », incarnée par des personnalités plusou moins dissidentes de l’Action française ;et L’Ordre Nouveau[253], fondé par ungroupe de jeunes intellectuels : AlexandreMarc, Arnaud Dandieu et Robert Aron. C’estprincipalement à cette dernière tendance quese rattachent Ellul, Charbonneau etRougemont.

Pour L’Ordre Nouveau, tout ce qui peutaliéner ou standardiser la personne humaine

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représente un danger ; que ce soit l’État cent-ralisateur, la société productiviste ou le ma-chinisme. Ellul et Charbonneau considèrentle personnalisme comme une révolution« contre la grande usine, […] contre lagrande ville, […] contre l’État totalitaire,quel qu’il soit, [et] contre la nation ». Ils re-jettent aussi bien capitalisme que commun-isme, ces deux doctrines faisant l’apologie duprogrès industriel et du nationalisme.

Influencés par les penseurs anarchistes etse revendiquant du « ni gauche ni droite »,les personnalistes défendent néanmoins desidées profondément conservatrices. En té-moignent leur insistance sur l’attachementde l’individu à sa terre et leur rejet de tout cequi peut véhiculer des valeurs universelles.Pour Ellul et Charbonneau, la société doittendre vers une « cité ascétique » et enracin-er de nouveau l’homme dans une commun-auté restreinte. « L’homme ne peut se sentirpleinement homme que dans un groupe

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étroit – là seulement il est en contact avecdes personnes et avec des objets ayant leurcaractère propre. La grande agglomérationfait l’homme déraciné partout. Il faut quel’homme soit à un moment, dans un pays,chez lui – il n’est jamais citoyen du monde –ceci est un mensonge[254] », affirment-ils.« L’universalisme, c’est-à-dire la tendance àrendre universel un type donné de civilisa-tion, recouvre d’un vernis étouffant les par-ticularités de race et de sol ; elle fait, contrenature, tous les hommes différents dans desmoules identiques », avertissent Ellul etCharbonneau.

Comme Henri Pourrai mais aussi commel’anarchiste Proudhon, L’Ordre Nouveaudéfend un régionalisme très « charnel » :« La patrie, la terre des pères, est en effetune réalité d’ordre sensible, charnel, réalitérattachée de la façon la plus immédiate àdes facteurs physiologiques, aux puissancestroubles et fécondes du sol et du sang. C’est

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pourquoi la patrie appartient au même or-dre que la famille. Comme elle, elle doit rest-er à l’échelle de l’homme. […] De même qu’iln’y a de famille que groupée autour d’unfoyer, de même il ne peut y avoir de vérit-able patrie que régionale[255]. »

La révolte de ce petit groupe de non-con-formistes contre les principes de laTroisième République s’accompagne d’unecertaine fascination pour le national-social-isme. Ils en apprécient l’antimatérialisme etpartagent sa croyance en une décadence dumonde occidental, dont la pire image seraitl’American way of life. En 1931, Dandieu etAron rédigent un ouvrage intitulé Le canceraméricain dans lequel ils dénoncent lematérialisme des valeurs libérales et démo-cratiques ainsi que « la suprématie de l’in-dustrie et de la banque sur la vie entièred’une époque ». Pour les fondateurs deL’Ordre Nouveau, les Américains sont des« nomades », des « déracinés… assujettis

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seulement à l’impératif barbare de la pro-duction et de la spéculation ». À l’inverse,« sur le plan culturel et spirituel, lenational-socialisme manifeste une volontéde rupture avec le matérialisme… Il combattous les sous-produits de la libre-pensée ets’élève avec véhémence contre l’immoralitédécadente, la licence, l’avilissement desmœurs », peut-on lire dans leur revue. Ennovembre 1933, les membres de L’OrdreNouveau signent collectivement une Lettre àAdolf Hitler, Chancelier du Reich, danslaquelle ils n’hésitent pas à écrire : « Votreœuvre est courageuse, elle a de lagrandeur… Votre mouvement possède, dansson fondement, une grandeur authentique,[qui est] d’être, par l’héroïsme, le sacrifice etl’abnégation qu’il enseigne, une protestationcontre le matérialisme contemporain. »

Toutefois, leur attrait pour le national-so-cialisme ne fait pas long feu. Dès 1933, ilscondamnent les brutalités auxquelles se livre

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le régime nazi. Mais ils estiment surtout quele productivisme et le mode de gouvernancetotalement centralisateur prônés par Hitlertrahissent le national-socialisme en ne lais-sant aucun espace de liberté à la personne.

Ellul et le refus du progrèstechnologique

Jacques Ellul a également inspiré lesthéories justifiant le refus du progrès techno-logique en soutenant dans ses écrits que seseffets néfastes sont inséparables de ses effetsfavorables. « Bien entendu, la techniquen’est pas la cause directe et immédiate […]des horreurs de notre siècle. Mais c’est ellequi, d’une part, a rendu possible l’extensiondes désastres et qui, d’autre part, a induit ladécision politique. […] Elle donnait tant depossibilités d’action aux organismes poli-tiques que ceux-ci étaient induits à devenirtotalitaires. Aucune des atrocités de notre

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temps n’eût été possible sans les tech-niques[256] », assure-t-il. Ellul ne rejette pastoutes les formes de progrès technique, maisil souhaite que ces progrès s’opèrent lente-ment, avec des contraintes fortes, commedans les sociétés traditionnelles : « Dans cer-taines civilisations, on n’avait pas le droitpar exemple de labourer la terre avec desinstruments en fer, parce que la terre étaitconsidérée comme la mère, et qu’il ne fallaitpas la blesser avec un outillage tropdur[257]. » Il estime que la technique dessiècles passés n’était pas problématique carelle « était relativement stable, [et] nechangeait pas beaucoup. […] C’était unetechnique qui restait la même de générationen génération, avec très très peu de modific-ations. […] Il y avait bien évidemment unélément d’efficacité qui existait, mais il yavait l’élément de stabilité qui compensaitcomplètement ».

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Dans les années d’après-guerre, lemouvement personnaliste de Charbonneau,Ellul et Rougemont subit toutefois le mêmesort que le courant agrarien : il est balayé parla politique de reconstruction. Néanmoins,les écrits d’Ellul trouvent un écho favorableoutre-Atlantique, grâce à… Aldous Huxley,qui fait connaître aux États-Unis La tech-nique ou l’enjeu du siècle, traduit en 1964sous le titre The Technological Society.

L’écologie politique dans la lignéede L’Ordre Nouveau

Alors que l’écologie politique fait son ap-parition en France, les idées des personnal-istes sont redécouvertes dans les annéessoixante-dix, puis vulgarisées. Cependant, àla grande surprise d’Ellul, Charbonneau etRougemont, cette résurgence ne s’opère pasau sein de la tendance politique dont ils sonteux-mêmes issus. « Tenez, en Mai 68, ça m’a

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fait une bien curieuse impression de voirtant de jeunes gens – qui n’avaient prob-ablement pas lu une seule ligne de moi, nid’Arnaud Dandieu, ni de Robert Aron –reprendre en chœur ce que nous écrivions, àl’époque, dans “L’Ordre Nouveau”[258] »,s’amuse Denis de Rougemont, quis’empresse de rapprocher les écologistes desmouvements régionalistes : « Je vois […] uneprofonde analogie de structure entre agres-sion industrielle contre la Nature et agres-sion stato-nationale contre les commun-autés locales ou ethniques. La réactioncontre l’agression industrielle s’appelle Eco-logie. La réaction contre l’agression stato-nationale s’appelle Région[259]. » C’estpourquoi il appelle de ses vœux une allianceentre écologistes et régionalistes. Alliancesurprenante, que décrit parfaitement AndréReszler, le directeur du Centre européen dela culture fondé par Rougemont : « Regar-dons bien ces photos de famille. Sur la

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première, nous voyons le théoricien du so-cialisme libertaire en compagnie de soncousin féru d’un fédéralisme du type “ActionFrançaise”. Ils ont l’air gênés d’être embar-qués dans la défense d’un environnementmenacé. […] Ils partagent néanmoins lamême défiance fondamentale à l’égard de larévolution industrielle qui fait bon ménageavec l’esprit centralisateur du siècle […].Pour l’un et l’autre, le respect de l’autonomielocale – communale et régionale – va depair avec l’image ineffable d’une nature dé-centralisée et fédérative[260]. » Parmi lesmilitants de cette époque, José Bové est celuiqui revendique le plus ouvertement son affil-iation à Ellul et Charbonneau. « J’ai rencon-tré Ellul en 1970 dans le cadre de notregroupe à Bordeaux, le groupe de soutienaux objecteurs et en même temps un groupede réflexion et d’action non-violente […].Jacques Ellul venait à nos réunions, peut-être une fois par mois, et on discutait à la

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fois sur l’État, sur l’armée, sur la technique.[…] Ensuite, Jacques Ellul m’a suivi quandje suis allé sur le Larzac[261] », se souvientl’ancien leader syndical. Le courant gauchisteanti-progressiste était alors très mal con-sidéré par la gauche traditionnelle, reconnaîtBové. « Il y a eu de vraies polémiques parceque dans beaucoup de mouvements degauche, que ce soit le PSU ou les chrétiens degauche, Jacques Ellul n’était pas du toutquelqu’un qui était une référence. Et on s’estaffronté de manière très forte, à cetteépoque-là dans les années 70-74, avec desgens de ces mouvements […], qui avaienttoujours un culte de l’État absolument ex-traordinaire », se souvient-il.

Nature & Progrès prend le virage àgauche

À la même époque, Nature & Progrès con-naît elle aussi ce renversement droite-

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gauche, facilité par la forte aversionqu’éprouvent la majorité de ses adhérentsenvers la science, l’État et le productivisme.

Suite au décès tragique du président deN&P Mattéo Tavera, Roland Chevriot prendla présidence de l’association en 1970. N&Ps’ouvre alors aux grandes causes qui animentla société, comme le nucléaire, la surpopula-tion, le Larzac, les nouvelles communautés…En 1972, le Club de Rome publie son fameuxrapport Halte à la Croissance ?, qui marquedurablement les esprits. Deux ans plus tard,un candidat écologiste se présente pour lapremière fois à l’élection présidentielle :René Dumont.

Au sein de N&P, la part des adhérents ex-erçant la profession d’agriculteurs n’excèdetoujours pas les 20 % (soit moins de 800 ad-hérents sur 4 000). Ce qui explique que la re-vue de l’association – comme d’ailleurs l’es-sentiel de son activité – s’adresse principale-ment à un public non agricole. Lors des

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congrès de N&P, les problèmes agricoles(travaux du sol, techniques d’élevage outraitements contre les parasites en agricul-ture biologique) font certes l’objet de tablesrondes. Cependant, des thèmes plusgénéraux y sont abordés, comme les thèmessociétaux. En 1974, pour son dixième con-grès, l’association loue le Centre internation-al de Paris, situé Porte Maillot. Certains ad-hérents ironisent sur ce choix du « symboledu délire de l’ère pompidolienne[262] », quijure avec le thème du congrès « Commentchanger ? » (clin d’œil à Changer ou dis-paraître ?, le best-seller de TeddyGoldsmith).

Les éditoriaux de Nature & Progrès trait-ent alors volontiers d’énergie, de famine, dequalité alimentaire, mais rarement d’agro-nomie. Ce qui renforce la désaffection dulectorat agricole. « N&P ne serait-il qu’unerevue d’information écologique ? À quand lafusion avec la Gueule ouverte ? », s’interroge

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un lecteur. Quant aux rares articles sur l’ag-riculture, ils restent trop théoriques. « Cedernier numéro correspond certainementaux désirs et aux possibilités du comité dir-ecteur, mais en tant que paysan, je ne m’yreconnais plus ; cette revue n’est pas faitepour moi, ne s’adresse pas à moi. Devient-on paysan avec un microscope (Rusch)[263] ? », écrit un autre adhérent. « Lenombre d’agriculteurs biologiques a atteintactuellement un palier, duquel il peine à dé-coller », doit reconnaître Roland Chevriot,qui justifie néanmoins sa ligne directrice :« De plus en plus de Français s’inquiétaientde la voie dans laquelle s’est engagée notresociété, et un grand nombre d’entre eux as-piraient à vivre différemment et àchanger[264]. »

En 1976, lors du rapport moral de N&P, leprésident ne cache pas les problèmes de l’as-sociation, faisant état de « la difficilepénétration [de l’agriculture biologique]

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dans le monde agricole ». L’association s’ap-prête à traverser sa plus grave crise iden-titaire, avec une cohabitation difficile entreles différents courants politiques qui s’ycroisent. À côté de la génération des fond-ateurs, on trouve en effet un nouveau typed’adhérents, plutôt de tendance anarchiste(comme Daniel Caniou, membre de la com-munauté libertaire du Planel del Bis et dugroupuscule Survivre et vivre). Lesdifférentes sensibilités politiques de l’associ-ation reflètent l’ébullition intellectuelle alorsà l’œuvre dans la société. « Dans ce meltingpot, l’on trouve de tout. La jeunesse derniercri qui lit Hara-Kiri et Pilote y rencontreparfois les survivants de la “terre qui nement pas”, remis sur orbite par les avatarsde l’Histoire. […] On trouve des écolos detout poil, même ras[265] », commente Bern-ard Charbonneau. « Nature & Progrès desannées soixante-dix illustre bien cette confu-sion intellectuelle dans laquelle on retrouve

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des courants aussi opposés que celui de l’an-archie libertaire et antimilitariste, re-présenté notamment par Survivre et vivre,et celui des héritiers d’un conservatisme trèstraditionnel[266] », note l’apiculteur Phil-ippe Lecompte, à l’époque membre de N&Pet de Survivre et vivre.

Afin de « trouver la sérénité indispens-able pour que Nature & Progrès conserveson unité et continue d’avoir une action dy-namique », Roland Chevriot organise unegrande consultation générale en 1982. C’estle congrès d’Issy-les-Moulineaux, quidébouche sur un changement total del’équipe dirigeante. Marc Trouilloud, le nou-veau président, tente de rassembler lesdifférents courants. Cependant, le tempsaidant, la génération des fondateurs dis-paraît peu à peu pour laisser place à unenouvelle équipe. Depuis, rares sont les re-sponsables de N&P qui citent encore en

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public les noms d’André Birre, de MattéoTavera et d’André Louis. On peut lescomprendre.

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XV – L’ÉCOLOGIE :UNE « RÉVOLUTION CONSERVATRICE »

Dans les années soixante-dix, les derniershéritiers du courant agrarien antimodernistede l’entre-deux-guerres cèdent la place à unenouvelle génération de militants. Issus desmouvements contestataires de l’après-Mai68, ces derniers sont libertaires, antiracisteset antiautoritaires. Ils rejettent nationalismeet militarisme, et dénoncent bien entenduavec force toute dérive eugéniste. Leurdéfense de la communauté locale – et ducommunautarisme hippie – se veut ouvertesur le monde extérieur, et non pas exclusive.Enfin, ils sont souvent de tous les combatsen faveur de la liberté et de la justice sociale.Bien qu’ils aient assimilé les théories d’Ellul,de Charbonneau et de Rougemont, ils

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n’accepteraient sûrement pas d’être qualifiésde conservateurs ou de réactionnaires. Aucontraire, ils se voient plutôt du côté du pro-grès, voire de l’avant-garde. « Pour nous, ilva de soi que, sur notre planète dégradée,où les forces de production alimentaire con-ventionnelle ont dominé pendant un demi-siècle, le mouvement bio est du côté du pro-grès. Comment quiconque pourrait penserautrement face à une telle évidence[267] ? »,s’interroge ainsi Jonathan Dimbleby, ancienprésident de la Soil Association.

Pourtant, le projet politique de ces milit-ants sur l’agriculture biologique n’a pas fon-damentalement changé : il prône toujours unretour à des valeurs très traditionnelles. C’estle syndrome du « bon vieux temps » ! « Touten recrutant ses militants dans un milieugauchiste qui rêve de société parfaite, sur leterrain, le mouvement écologique défend cequi est : ces arbres, ces villages, cette cul-ture. Il est à la fois révolutionnaire parce

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qu’il réclame un changement de sens radicalde la société, et conservateur : à tout instantnous le découvrons dans le paradoxe »,commente le philosophe Bernard Charbon-neau. « Il ne doit pas avoir honte d’être con-servateur, loin de là, il doit arracher ce ter-me à une droite qui ne conserve plus rien dutrésor accumulé par la terre et leshommes », poursuit-il avant de conclure :« L’entreprise écologique peut être qualifiéede révolution conservatrice[268]. »

Une société stable

« Je n’accepte pas la notion moderne duprogrès. Je crois que ce progrès dont onnous rebat les oreilles est la source de nosproblèmes. Même l’explosion démograph-ique est attribuable au progrès[269] »,déplorait l’écologiste franco-britanniqueTeddy Goldsmith. En 2009, la disparition decette figure incontournable de l’écologie

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moderne suscite les éloges des militants éco-logistes français. Ainsi, Philippe Desbrossessalue la mémoire d’« un militant, un human-iste, un visionnaire, [un] être d’exceptionpour alerter les peuples des dangers qu’ilscourent et pour les entraîner à plus de sa-gesse et de raison ». François Veillerette re-connaît sa dette intellectuelle envers Gold-smith, dont les œuvres ont « façonné sa vis-ion du monde » et à qui il doit « une bonnepart de [ses] connaissances et convictionsprésentes sur la nécessité d’une relocalisa-tion de l’économie dans un monde basé surdes communautés[270] ». Le journaliste Her-vé Kempf souligne pour sa part l’influence deTeddy Goldsmith sur son parcours, notam-ment à travers la participation de ce dernier« au réseau d’intellectuels Ecoropa (avecDenis de Rougemont, Jean-Marie Pelt ouAgnès Bertrand), qui allait devenir un desrouages discrets mais importants dumouvement alter-mondialiste[271] ».

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Pourtant, le discours de Goldsmith re-vendique une radicalité conservatrice qui semarie difficilement avec le discours tradi-tionnel de gauche. Goldsmith croit en effet« à la famille, à la communauté, à la tradi-tion et à l’importance de la religion[272] ». Ildistingue son conservatisme de celui du particonservateur britannique, adepte du progrèsscientifique, technologique et industriel.« Les conservateurs favorisent ce qui nousmène aujourd’hui à une économie globale,qui par sa nature même ne peut que détru-ire ce qui reste de la famille, de la commun-auté, de la religion traditionnelle et del’environnement », s’insurge-t-il. Ce qui n’apas empêché son héritier spirituel, Zac Gold-smith (l’actuel propriétaire de The Ecologist)d’être élu député de Richmond Park sur laliste de David Cameron en 2010 !

Le fondateur de The Ecologist s’inspirefortement du modèle des sociétés tradition-nelles. « Le développement impose des

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changements de direction continuels, pours’adapter aux progrès réputés désirables.Or ; 99 % peut-être de l’expérience humainesur la planète s’est déroulée dans des com-munautés tribales dédiées, au contraire, aumaintien de la stabilité face au change-ment[273] », explique Teddy Goldsmith.« Nous devrions être capables de produirenotre nourriture et nos outils de base, […] degérer nos affaires, d’éduquer nos enfants, denous occuper de nos vieillards, soigner ceuxd’entre nous qui tombent malades, bref d’as-sumer toutes ces fonctions qui, dans notresociété, ont été usurpées par l’État[274] »,estime-t-il. Un discours antiétatique quereprend par son neveu Zac : « L’État tel qu’ilexiste aujourd’hui est une structure très peulégitime, corrompue et/ou corruptible, nonreprésentative et sans droit moral ou socialpour agir au nom des personnes et des com-munautés auxquelles il a progressivementôté le pouvoir[275]. » À l’inverse, les petites

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sociétés permettraient un meilleur maintiende l’ordre public, notamment grâce à ce quele fondateur de The Ecologist appelle « lepotin méchant » : « Seule l’opinion publiquereflétant les valeurs traditionnelles, ali-mentée par “le potin méchant”, est capablede maintenir l’ordre public. Ceci n’est pos-sible que dans une communauté cohésive.Dans une grande ville, les gens sont large-ment à l’abri de l’opinion publique. Ils fontce qu’ils veulent[276]. » Le modèle favori desGoldsmith est donc sans ambiguïté celui descommunautés tribales qui, à la différence denos sociétés modernes, constituent un mod-èle de stabilité et d’harmonie[277].

Bien entendu, ni Zac, ni Teddy n’invitentexplicitement à revenir à l’âge préindustriel,ni à remodeler la France en groupements depetits villages gaulois. Ils souhaitent simple-ment s’inspirer des sociétés traditionnellesafin de réorganiser l’économie mondiale, etnotamment l’économie agricole. Comme

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l’affirme Thierry Jaccaud, rédacteur en chefde l’édition française de The Ecologiste ilfaut « vivre et travailler au pays ». Cette né-cessaire relocalisation de l’économie passepar le retour de droits de douane élevés surtous les produits et par la constructiond’« écorégions ». Des mesures qui per-mettraient à la France de compter au minim-um 1,2 million d’exploitations agricoles,contre 600 000 aujourd’hui ; ce qui sup-poserait un retour à 2 millions d’agriculteursdans l’Hexagone.

Le retour à la terre est également au pro-gramme de Nature & Progrès. « Imaginonsle bouleversement de notre monde si chacunde nous pouvait s’engager dans la voie de laproximité », rêve l’association. Car « pour-quoi acheter des tomates venues d’Espagneou d’Israël, alors que se rendre chez le pro-ducteur le plus proche et lui acheter desproduits de saison contribue au maintiendes agricultures locales et préserve

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l’environnement de la pollution des trans-ports[278] ? », s’interroge-t-elle. « Réap-prenons à nous rendre chez le paysan pro-ducteur ; pour connaître sa vie et son méti-er ; pour choisir des produits de saison etretrouver la diversité », conseille donc N&P,dont le discours sur l’économie locale n’a pasvarié depuis quarante ans. Dans la mêmeveine, Guy Kastler, de la Confédérationpaysanne et N&P, veut « remettre en grandnombre des femmes et des hommes dans leschamps, [d’autant plus qu’] il ne manque pasen France de chômeurs qui ne demandentqu’à avoir accès aux terres en friches pourvivre ». Pour lui, la décroissance, « dans unpays comme la France, cela veut dire redis-tribuer des terres à plusieurs millions de fa-milles[279] ! ». Le message est clair.

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Du rejet de la mondialisation…

Le rejet du commerce international et dela mondialisation a pour corollaire la volontéde revenir à une économie locale. Il ne relèveni d’une question sanitaire, ni d’une questionécologique mais s’inscrit dans une démarchepurement politique. Pour Guy Kastler, nesont valables que « l’échange et le commercede proximité, [car] il n’y a pas d’autonomiepossible si on travaille sur le marché mondi-al[280] ». Cette autonomie devrait permettreun meilleur partage de la plus-value au profitdes agriculteurs, estime-t-il. Pourtant, « unouvrier agricole brésilien qui travaille dansune grande ferme exportatrice de viande debœuf est souvent bien mieux rémunéréqu’un petit fermier brésilien local[281] »,doit admettre Philippe Collin, porte-parolede la Conf’.

Or, comme le rappelait l’écrivain PaulValéry dans les années trente, les échangesmondiaux permettent également les

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échanges culturels. « Le même navire, lamême nacelle, apportaient les marchandiseset les dieux ; les idées et les procédés[282] »,écrit l’auteur de Regards sur le monde ac-tuel. « La liberté d’esprit et l’esprit lui-mêmeont été le plus développés dans les régionsoù le commerce en même temps se dévelop-pait. À toute époque, sans exception, touteproduction intense d’art, d’idées, de valeursspirituelles, se manifeste en des points re-marquables par l’activité économique quis’y observe », ajoute-t-il. Ainsi, le bassinméditerranéen, où se sont associés com-merce, culture et esprit, a été selon lui « unevéritable machine à fabriquer de la civilisa-tion ». Et « tout en créant des affaires, cettecivilisation créait nécessairement de laliberté », conclut l’écrivain.

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… aux théories du complot

Hélas, pour de nombreux partisans del’agriculture biologique, l’idée d’une perted’autonomie due à la mondialisation tournevite à la théorie du complot. Un complot quiserait orchestré par les multinationales.« L’érosion de la diversité cultivée est le ré-sultat du monopole de quelques multina-tionales qui veulent contrôler l’ensemble dela chaîne alimentaire, de la semencejusqu’au droit des peuples à se nour-rir[283] », affirme Guy Kastler. Pour sa part,Philippe Desbrosses se demande si « nousvoulons une société totalement artificialiséeet inféodée aux cartels anonymes quimettent la planète en coupe réglée etprivatisent nos ressources com-munes[284] ». Évidemment, il ne s’agit plusde la conspiration des Coston, Carton et decertains précurseurs de l’agriculture biolo-gique française dans laquelle juifs, francs-maçons et grands trusts tiraient les ficelles

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du monde afin de l’asservir. Aujourd’hui, lesmaîtres de la nouvelle conspiration ont pournom Monsanto, Bayer, BASF, Pioneer, Rock-efeller, Bill Gates, etc. Cependant, le schémade pensée paranoïaque reste similaire, demême que les expressions utilisées. Dansleur ouvrage Pesticides, Révélations sur unscandale français, François Veillerette etFabrice Nicolino s’attachent ainsi à « dé-monter un système et démontrer que l’in-dustrie a pénétré jusqu’au cœur des servicesd’un État qu’on croyait impartial ». « Deslobbyistes astucieux, redoutablement ef-ficaces, parviennent à convaincre que l’in-térêt privé se confond avec l’Histoire enmarche et le bien commun. Ils vont s’empa-rer en dix années de tous les leviers depouvoir ; de tous les centres de décision »,écrivent-ils. Reprenant une image très envogue durant la Seconde Guerre mondiale,ils ajoutent que « le lobby des pesticides avisiblement choisi la stratégie de l’araignée.

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Tisser des toiles, relier des points, tenirl’espace. » Seule la cible aurait changé[285].

Le thème de la conspiration est égale-ment au cœur de l’enquête de Marie-Mo-nique Robin Le monde selon Monsanto.Pour la journaliste, le semencier américainserait à l’origine « d’un vaste projet hégémo-nique menaçant la sécurité alimentaire dumonde, mais aussi l’équilibre écologique dela planète ». Tout en se défendant d’être« un adepte de la théorie du complot », Nic-olas Hulot, qui a préfacé le livre éponyme(sorti comme le film en 2008), se demande« s’il faut continuer à permettre à une so-ciété comme Monsanto de détenir l’avenirde l’humanité dans ses éprouvettes et d’im-poser un nouvel ordre agricole mondial ».

Pour Raoul Jacquin, responsable de l’as-sociation spécialiste des semences anciennesKokopelli, c’est un complot visant à affamerla population mondiale qui est à l’œuvre.« Sans entrer dans les notions de nouvel

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ordre mondial ou de théorie du complot, onpeut quand même se demander si tout n’estpas mis en place pour affamer la populationmondiale, sachant que ce qui vaut pour lemaïs, existe pour le blé, le riz, et le soja,quatre piliers de l’alimentation del’humanité ! », s’enflamme-t-il dans la revueNexus. Le président de Kokopelli, Domi-nique Guillet, explique quant à lui que « lamafia semencière contre laquelle Kokopellidéfend son droit d’exister, c’est cette mêmemafia qui contrôle la pharmacie, et qui con-trôle l’agrochimie, et qui contrôle les chaînesde distribution alimentaire. Ce sont les mul-tinationales des Sciences de la Mort quistérilisent, qui virtualisent et qui synthétis-ent le Vivant[286] ». Sans craindre le ri-dicule, il ajoute même que « le Nouvel OrdreMondial est maintenant au grand jour et[que] tous les joueurs de ce monopoly ali-mentaire planétaire ne se donnent mêmeplus la peine d’occulter leurs liaisons

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intimes. La règle de base de ce grand jeu estsimple, et elle fut dictée par Henry Kissing-er, en 1970, un acteur clé du grand terror-isme mondial : “Contrôlez le pétrole et vouscontrôlez les nations ; contrôlez la nourrit-ure et vous contrôlez les peuples” ». Au cœurde la nouvelle pieuvre planétaire setrouveraient ainsi les héritiers d’Henry Kis-singer, c’est-à-dire les grandes entreprises dela chimie et des semences ! « Ces monstresde la chimie (qui s’autoproclament les “sci-ences de la vie”), Monsanto, Bayer, BASF,DuPont, Syngenta, Dow… sont ceux-làmêmes qui sont en train de terroriser l’hu-manité avec leurs chimères génétiques.Avec, comme cheval de Troie, la FondationRockefeller[287]. » Bref, le grand complot estde retour ! Face à cette mainmiseéconomique des multinationales et de cer-taines fondations privées, le seul rempartpossible serait la pratique et surtout ledéveloppement de l’agriculture biologique.

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Pas de vrai bio sans décroissance

Enfin, l’agriculture biologique s’accom-pagne de l’invariable discours sur la sobriété.On y retrouve, une fois encore, l’esprit dePourrat et Giono, qui furent en leur tempsconduits à la frugalité en raison de leur hos-tilité au matérialisme. Mais à leur ancragedans un certain mysticisme – à l’origine decette exigence – s’est substituée l’idée que lasobriété est nécessaire à la survie de laplanète. Qu’elle soit soutenable ou solidaire,« la décroissance n’est pas un gros mot »,affirme aujourd’hui Nicolas Hulot. D’autantplus que « nous sommes entrés dans l’ère dela rareté[288] ». Au sein de la Fondation Nic-olas Hulot (FNH) – une institution financéepar quelques grands du CAC-40 –, les thèsesde la décroissance remplacent désormaiscelles du développement durable. Ainsi,Jean-Paul Besset, ancien journaliste auMonde et ex-porte-parole de la FNH, estconvaincu de leur bien-fondé, tout comme le

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philosophe Dominique Bourg, ancien papedu « dédé » (développement durable) etmentor de l’écologiste de TF1. « Le défi de ladécroissance ne peut plus être esquivé, ils’impose comme une nécessitéphysique[289] », affirme Nicolas Hulot.« Nous croyons à la nécessité d’une décrois-sance soutenable et d’une croissance pro-gressive du vivre mieux en vivant et travail-lant autrement[290] », renchérit DanielCohn-Bendit. Pour les principaux dirigeantsd’Europe Ecologie-Les Verts (Noël Mamère,Yves Cochet, Denis Baupin, Marie-ChristineBlandin, Marie-Anne Isler-Béguin et AlainLipietz), il faut pratiquer une « décroissancesolidaire[291] ».

« Selon moi, pour avoir une civilisationplus calme, plus pacifique, il n’y a que ladécroissance qui puisse être efficace », sou-tient Yves Paccalet. L’auteur malthusien deL’humanité disparaîtra, bon débarras !porte un regard nostalgique sur l’agriculture

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du XIXe siècle, qu’il déclare avoir connue« dans [son] hameau natal des Alpes, […]avec le mulet, les vaches traites à la main –et trente à quarante familles [qui] vivaientsur des lopins minuscules, ce qui leur interd-isait un accroissement démographique im-portant. Il y avait équilibre entre capacitésnaturelles et besoins[292] ».

Bien qu’il n’utilise que très rarement leterme de décroissance, José Bové en est luiaussi un adepte. Ce lecteur assidu de JacquesEllul a tenté à une époque de vivre selon lesprincipes de cette fameuse « cité ascétique »imaginée par Ellul et Charbonneau en 1935.« Une véritable prise de conscience de cesproblèmes implique un changement de vieradical, un renoncement à des facilités, etpourquoi le cacher ; un retour à une cer-taine frugalité[293] », avertissait d’ailleursEllul. Mais comme le confie sa fille MarieBové, l’expérience a été plutôt rude ! « Ladécroissance, j’ai testé pour vous ! Petite, à

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cause du froid, j’étais tout le temps malade.Je me souviens de la pénibilité du travail demes parents qui élevaient des brebis. Trav-ailler à la ferme quand on n’a pas d’outilsmodernes, c’est dur. Il fallait porter l’eau àbout de bras, l’hiver elle était parfoisgelée[294] », témoigne l’ancienne candidated’Europe Écologie.

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XVI – QUAND LE TOTALITARISMEGUETTE

« Les fondamentalistes de l’écologiedéveloppent des tendances proprement reli-gieuses ; ils diffusent un millénarisme cata-strophiste et inquisitorial qui transforme letri sélectif des ordures ménagères en reli-gion de salut[295] », s’indigne Jacques Jul-liard dans Le Nouvel Observateur. Com-mentant l’affrontement théorique entre laNature (le donné) et la Culture (le construit)qui a commencé à partir de Rousseau, l’édit-orialiste s’interroge sur les conséquences decette grande nouveauté que représente l’ir-ruption au sein de la gauche « d’une philo-sophie conservatrice comme l’écologie ».« Pour la première fois dans l’histoire surgit

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un parti de gauche qui ne se réclame pasprincipalement de la transformation de lanature mais de sa préservation. Il y a désor-mais deux écologies : l’une qui s’efforce deconcilier la sauvegarde de la nature avec leprogrès ; l’autre qui constitue un véritabletête-à-queue par rapport à l’humanisme oc-cidental classique », écrit-il avant de lancerce très sévère avertissement : « On sesouviendra que dans sa phase ascendante,le nazisme s’est complu dans un bric-à-bracnaturiste, sur fond de forêt primitive et desources sacrées, de Wandervögel, deWalkyries et de Walhalla. Et il n’est guèrede secte New Age qui ne s’adonne au culte dela Lune, Soleil ou des étoiles. » Si JacquesJulliard ne s’oppose pas à une « écologie ra-tionnelle, à un nouveau pacte entrel’homme, la nature et l’animal », il met enrevanche en garde contre « la réintroductionen contrebande d’une philosophie

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irrationaliste, anti-industrialiste, réaction-naire, à relents fascistes ».

L’éditorialiste exagère-t-il ? Perçoit-il undanger là où il n’y a rien à craindre ? Certes,il ne s’agit pas de suggérer que l’écologie ver-sion Europe Écologie se rapproche de cettetendance extrême. Cependant, il est indéni-able que les partisans du slogan soixante-huitard « il est interdit d’interdire » sontdevenus quarante ans plus tard les plusvirulents porte-parole de toutes sortes d’in-terdictions, souvent présentées sous la formeédulcorée de moratoires (interdiction desOGM, des pesticides, de l’irrigation, des 4 x4, du nucléaire, des nanotechnologies, d’unaéroport, d’une autoroute, etc.). Toujours aunom de l’urgence écologique, des militantstoujours plus nombreux laissent entendreque sauver la planète nécessite une régle-mentation contraignante. Quitte à devoirs’interroger sur le bien-fondé de ladémocratie…

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Dominique Bourg et la tentationtotalitaire

Pour le très respectable philosophe dudéveloppement durable Dominique Bourg,membre du Comité de veille écologique de laFondation Nicolas Hulot (FNH), la démo-cratie représentative n’est pas le systèmeadéquat car elle ne répond pas aux grandsenjeux environnementaux. « Il existe pour lemoment une incompatibilité entre le fonc-tionnement de nos démocraties et la con-sidération des problèmesd’environnement[296] », affirme-t-il. Car lesystème représentatif et démocratique n’a decritère d’action que le court terme, et non lesgénérations futures, voire la survie de labiosphère. Il n’est donc plus adapté à la situ-ation actuelle où, pour la première fois dansl’histoire de l’humanité, l’homme interfèredirectement avec la biosphère. En témoigneselon lui le fait que le climat se trouve modi-fié par l’action de l’homme.

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Un changement radical de comportementest donc nécessaire. Pendant longtemps, lephilosophe a cru au développement durable.Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. « Lerêve d’un découplage entre la croissance deséconomies et la consommation de res-sources a fait long feu. Il convient donc derefermer la parenthèse du développementdurable. […] Finissons-en avec la rhétoriquedes trois piliers et d’un équilibre aussitrompeur que mensonger entre les dimen-sions économique, sociale et écologique »,écrit Dominique Bourg, qui est persuadé que« la décroissance n’est pas un choix idéolo-gique, mais une nécessité ». C’est pourquoi ilrevient aux fondamentaux de l’écologie poli-tique, c’est-à-dire à ceux des années soixanteet soixante-dix. « Repensons à ce quedisaient les grands textes fondateurs de laréflexion écologique des années 70, ceux d’Il-lich, des époux Meadows, les auteurs durapport de Club de Rome, de Georgescu-

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Roegen, Goldsmith ou Gorz. Tous n’envis-ageaient d’autre possibilité qu’une décrois-sance des économies. Or, nous sommesdésormais contraints de considérer à nou-veau cette perspective », assure-t-il.

Bien entendu, le philosophe préfère unetransition « volontaire » et en douceur, afinque les populations acceptent ce « mondeplus rude[297] » qu’il appelle de ses vœux.Un monde qui restreindra les déplacementset diminuera radicalement le pouvoird’achat. Mais contrairement au père spiritueldu principe de précaution, Hans Jonas, il neva pas jusqu’à proposer un « environ-nementalisme autoritaire ». Suffisammentlucide, Dominique Bourg sait qu’un tel dis-cours est aujourd’hui inaudible. « Nous af-firmons donc, on ne peut plus clairement,qu’une politique écologique doit resterdémocratique », rassure-t-il. Pour fairesimple, sa propre version de la démocratieconsiste à laisser les ONG

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environnementales bloquer toutes les dé-cisions qu’elles jugent non conformes à lasurvie de la planète. Car seules les ONG éco-logistes pourraient prétendre « parler aunom du bien public, pour une cause, et nonpour quelques intérêts aussi limités queprivés, sans pour autant être électoralementvalidés ». Des associations comme le WWFou la FNH, « sensibles à la beauté et à l’inté-grité des choses naturelles », auraient ainsiune sorte de droit de veto sur toutes les dé-cisions essentielles, c’est-à-dire toutes cellesqui menacent la biosphère.

Comme le remarque avec pertinenceÉtienne Dubuis, journaliste au quotidiengenevois Le Temps, ce que propose Domi-nique Bourg « n’est pas une démocratie,comme prétendu, mais une dictature ». Ils’explique : « Le peuple n’est plus souverainlorsqu’une institution non issue de lui a lepouvoir de décider des lois. Or, c’est bien cequi est prévu. Les sénateurs sont choisis par

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une minuscule minorité de militants écolo-gistes, qui ne peuvent en rien prétendre re-présenter l’ensemble des citoyens. Et avecleur droit de veto, ils ont la capacité detrancher sur toutes les questions environ-nementales. Ce qui signifie qu’ils décident detout, puisque l’environnement concerne deprès ou de loin les domaines de l’existenceles plus variés, de l’alimentation à la mor-ale, en passant par les transports, la santé,l’éducation, etc. [298] »

On pourrait même ajouter tout ce quiconcerne la biodiversité, et plus largement,la nature. En effet – et c’est bien là qu’appar-aît la queue du diable –, Dominique Bourgreconnaît avoir certaines difficultés avec lerapport nature-liberté. « La liberté dans sonessence même dresse l’intelligence humaineet le raisonnement moral contre la nature »,affirme le philosophe. Or, il a clairement prisson parti : celui de la nature. Pour lui,« l’homme et la technique ne sauraient

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s’élever au-dessus de la nature, ils lui sontau contraire totalement immanents, et sou-mis ». Aucun dépassement de la nature n’estpossible, ni par le biais de l’art, qui« n’aboutit pas à une surnature quiviendrait compléter et parachever, et encoremoins menacer ou dépasser, la nature », nipar celui de la technique, qui « ne saurait ri-en produire de réellement extraordinaire ».

À l’instar des fondateurs de l’écologiepolitique, c’est donc bien la fin du triompheprovisoire de la culture – c’est-à-dire de lasociété humaine – sur la nature que souhaiteDominique Bourg. Ce renversement devaleurs prôné par l’écologie moderne est par-faitement décrit – et décrié – par l’écrivainIegor Gran, dans sa critique du film Home deYann Arthus-Bertrand. « Quand il entend lemot culture, Yann sort son hélicoptère.Produit par Luc Besson, grand pourvoyeurde finesse devant l’Éternel, il nous assènequelques vérités grosses comme Las Vegas.

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Imagine-t-on combien il a fallu gaspiller deressources fossiles pour construire cette villeinutile ? Terrifiantes images de mégalo-poles : la bande-son devient angoissante,tendue. Los Angeles – quelle horreur ! NewYork, Dubaï – monstrueux ! Ne dirait-onpas des monolithes extraterrestres, de vil-aines colonies venues de l’espace ? Et l’île dePâques ? Ses habitants auraient mieux faitde s’occuper de leur forêt en péril plutôt quede perdre du temps avec de stupides statues.Regardez comme leur caillou est invivablemaintenant ! […] Tous les Homère, Newton,Brunelleschi du monde ne sont rien à côté dela beauté sauvage d’une chute d’eau. Lacivilisation peut aller se rhabiller devant unéléphant gabonais galopant dans labrousse[299] », ironise l’écrivain.

Or, Iegor Gran ne dit rien de très différentque le fort raisonnable Bernard Charbon-neau qui soulignait le risque de tomber dansun trop fort asservissement à la nature. « La

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valorisation de la nature sans le contrepoidsde la liberté mène tôt ou tard à un détermin-isme biologique dont la conclusion est un“écofascisme” qui s’apparenterait d’ailleursplus au nazisme qu’à la tragi-comédie mus-solinienne. Si on place la nature au-dessusdes raisons et des valeurs humaines, on estramené au Blut und Boden et à la lutte pourl’espace vital, c’est-à-dire le territoire[300] »,avertissait le philosophe en 1980.

Inquiétudes

Les relents cœrcitifs de certains discoursenvironnementalistes soulèvent de nom-breuses inquiétudes, y compris dans lesrangs des écologistes. En réaction au Syn-drome du Titanic, le film apocalyptique deNicolas Hulot – qui a repris à son compte lediscours de Dominique Bourg –, le libertaireDaniel Cohn-Bendit a tiré la sonnetted’alarme : « Si Hulot continue comme cela,

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où va le conduire la radicalité de sa pensée ?Dire qu’il y a urgence, cela ne veut pas direqu’il faut imposer. Le danger d’un certainargumentaire de la radicalité écologique,comme de la radicalité sociale, c’est demettre entre parenthèses la démo-cratie[301]. » Un avertissement égalementformulé par le philosophe et biologiste HenriAtlan, qui estime que « la religion écolo-gique du “sauver la planète” risque de nousemporter dans des débordements idéolo-giques, non sans danger de totalitarisme,comme certaines gouvernances mondialesqui sont déjà préconisées ; tout cela évidem-ment pour le bien de l’humanité et au nomde “la science”, comme ce fut le cas des idéo-

logies totalitaires du XXe siècle[302] ».

La philosophe Élisabeth Badinter est elleaussi très préoccupée. Dans Le conflit, lafemme et la mère, elle pousse un violent cride colère. « Il se livre depuis près de troisdécennies une véritable guerre idéologique

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souterraine dont on ne mesure pas encorepleinement les conséquences pour lesfemmes. Le retour en force du naturalisme,remettant à l’honneur le concept bien uséd’instinct maternel et faisant l’éloge du mas-ochisme et du sacrifice féminins, constitue lepire danger pour l’émancipation desfemmes et l’égalité des sexes. Les partisansde cette philosophie, plusieurs foismillénaire, détiennent une arme incompar-able pour faire évoluer les mœurs dans ladirection qu’ils souhaitent : la culpabilitédes mères[303] », écrit-elle, dans un appel àla raison à l’intention des « bonnes mèresécologiques » hostiles à la pilule, à lapéridurale et aux couches-culottes jetables,mais dévouées corps et âme à leur progén-iture, au risque de porter atteinte à leur viede couple et à leur vie professionnelle.

La philosophe a visé juste. Car la femmeau foyer est bel et bien au programme del’écologie version Teddy Goldsmith.

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« Dans presque toutes les sociétés tradi-tionnelles, les autres fonctions accompliespar les femmes, et qui ne sont pas directe-ment reliées à élever leurs enfants, tendent àêtre dans leur maison ou dans son voisin-age, alors que l’homme se balade davantageau loin[304] », se réjouit l’écologiste franco-britannique, qui conclut que la quête d’égal-ité entre l’homme et la femme « ne peutqu’aggraver l’effondrement de l’unité fa-miliale qui dépend pour sa survie d’une divi-sion claire du travail parmi ses membres ».En clair : à l’homme le grand large et l’aven-ture, à la femme le retour au foyer, l’éduca-tion des enfants et la popote bio ! Précisé-ment le modèle qu’applique aujourd’hui… lafamille Hulot. En tout cas à en croire ma-dame Hulot, qui décrit de la sorte l’emploidu temps de son mari : « Les enfants, il s’enoccupe assez peu. Il les adore, mais il n’estguère présent dans le quotidien. Papa trèsclassique, qui ne connaît pas les horaires de

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leurs activités. Mais qu’importe. Il estmacho, et alors ? J’ai décidé de ne plus mebattre pour que mon mec retienne tout ça,ou qu’il fasse la vaisselle ou lescourses[305]. » Même le mensuel LaDécroissance s’indigne : « On apprend quemadame Hulot a renoncé à son mandatpolitique pour la carrière de son mari etpour rentrer à sa cuisine s’occuper desgosses… C’est donc ça, le syndrome du Tit-anic[306] ? »

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CONCLUSION

QUEL AVENIR POUR

L’AGRICULTURE

BIOLOGIQUE ?

Aujourd’hui, l’agriculture biologique a levent en poupe. Pour de nombreux produc-teurs, elle est source d’espoirs, comme en té-moigne l’augmentation des conversions en-registrées (en moyenne 300 par mois depuisle début de 2009). Ces nouveaux« convertis » sont en grande majorité des ag-riculteurs professionnels qui ont choisi l’ABpour répondre à une demande sociétalecroissante, ou pour mettre en pratique destechniques agronomiques qu’ils considèrent

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comme plus respectueuses de l’environ-nement. Nombre d’entre eux n’opposent pasl’agriculture biologique à l’agriculture con-ventionnelle. Certains pratiquent même lesdeux modèles sur leur exploitation.Indifférents aux discours des écologistes rad-icaux, ils bénéficient aujourd’hui des mêmesstructures logistiques que leurs collègues« conventionnels » (chambres d’agriculture,coopératives, syndicats agricoles, réseaux dedistribution, fournisseurs d’intrants, etc.).De plus, l’État et les régions leur apportentun soutien important et constant, qui se chif-fre en millions d’euros.

Et pourtant, l’avenir de l’agriculture bio-logique n’est pas aussi serein qu’il n’y paraît.En tout cas, pas sous la forme souhaitée parles pionniers de l’agriculture biologique !Comme le reconnaît Dominique Marion,président de la Fnab, l’objectif de 6 % dessurfaces agricoles cultivées en agriculturebiologique en 2012 « n’est pas

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atteignable[307] ». Et si de nouvelles filièresfrançaises voient le jour, des filières d’im-portation beaucoup plus concurrentielless’imposent aujourd’hui dans les grandes sur-faces. Ainsi, en 2010, la France a importé 25% de son lait, 30 % de sa charcuterie et plusde 60 % des fruits et légumes estampillésbio. En outre, rien ne garantit que ces chif-fres diminueront au fil des conversions. Caril ne s’agit pas simplement d’une question devolumes de production. Comme le soulignePhilippe Collin, porte-parole de la Con-fédération paysanne et producteur decéréales bio, « aucun agriculteur biofrançais ne pourra résister face à un agri-culteur bio ukrainien qui gère 10 à 20 foisplus de surfaces, ou face à un éleveur biobrésilien qui produit par ailleurs une vianded’une qualité irréprochable[308] ». Or, cetteconcurrence existe déjà à nos frontières.

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De 8 000 à 15 000 hectares… enbio !

Propriétaire d’une exploitation de 8 000ha, Semen Antoniets exerce exclusivementen bio près de Poltava, à trois heures de lacapitale ukrainienne. Il cultive blé, orge,maïs, tournesol et avoine tout en élevant1 880 vaches laitières et 800 cochons. Enthéorie, quinze fermes de la taille de la si-enne suffiraient à couvrir les besoins dumarché français en céréales bio ! D’ailleurs,depuis qu’il a obtenu la certification Ecocert,plus rien ne l’empêche d’écouler sa produc-tion en France, ses prix de revient étantlargement inférieurs à ceux des agriculteursbio français…

Pour les fruits et légumes, le problème estencore plus sensible. Un producteur biofrançais ne peut en effet pas rester compétitifface, par exemple, à un producteur maro-cain, en raison de la différence du coût de lamain-d’œuvre. Précisément le point faible du

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bio ! Il est vrai que l’indication de la proven-ance des produits permet au consommateurde privilégier un agriculteur de l’Unioneuropéenne. Mais déjà au sein de l’UE, laconcurrence est rude, la structure des ex-ploitations bio françaises limitant considér-ablement leur rentabilité. Ainsi, un produc-teur de légumes bio français cultive en moy-enne 3,1 ha (12 681 ha pour 4 052 exploita-tions selon les chiffres 2009 de l’AgenceBio), et rares sont ceux qui dépassent les 10ha de serres ou les 100 ha de cultures enplein champ. En revanche, ces cas de figuresont très fréquents en Hongrie, en Répub-lique tchèque, mais aussi en Espagne, enGrande-Bretagne et en Allemagne.

Outre-Rhin, le maraîcher Rainer Carstenscultive des légumes bio sur 800 ha. Installé àFriedrichsgabekoog, non loin de la mer duNord, il produit une gamme de légumes quiva des aubergines aux choux en passant parles carottes, les échalotes, les betteraves, les

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oignons et les petits pois. M. Carstens pos-sède sa propre unité de conditionnement, etil livre sa production à la grande distribution.Toujours en Europe, le groupe Behr, pro-priétaire de plus de 5 000 ha en Allemagne,en Europe centrale et en Espagne (dont 400ha en bio outre-Rhin), est aujourd’hui leprincipal fournisseur européen de salades etde brocolis bio. Comme le souligne DietmarLuz, le numéro deux du géant allemand KTGAgrar, « bio ne rime pas forcément avec ex-ploitation de petite taille ». Et pour cause !L’ancien avocat d’affaires dirige une galaxiede fermes implantées sur 30 000 ha, dont lamoitié est consacrée aux céréales bio. « Il y adouze ans, note-il, nous sommes allés voir lagrande distribution pour leur demander s’ilsétaient prêts à vendre des produits bio. Leurréponse a été sans équivoque. Il leur fautune qualité constante, des volumes import-ants, et ils demandent à être livrés à l’heuredite. Toutes conditions que des petites

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exploitations ne sont pas capables de remp-lir », explique Dietmar Luz. Success story àl’allemande, KTG Agrar représente au-jourd’hui 20 % de la productioneuropéenne ! Quant à Dietmar Luz, il « secontente de… 300 ha, où il produit descéréales et des pommes de terre bio, desbovins et des oies, comme un artisan », iron-ise le journaliste Jean-Claude Jaillette dansMarianne, qui note que sur les 9 millionsd’euros de bénéfices réalisés en 2009 par legroupe KTG, « 8 millions d’euros provi-ennent de subventions allemandes eteuropéennes ». Or, dans les magasins, rienne distingue ses produits de ceux des petitsproducteurs…

Les agriculteurs français convertis au bione pourront pas se soustraire aux lois dumarché. Certes, ils bénéficient encore au-jourd’hui d’une situation très favorable, not-amment en raison d’une demande forte. Cer-tains d’entre eux profitent également de la

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vogue des circuits courts et de la vente dir-ecte, qui durera un certain temps, mais nesuffira pas à assurer un développement plusgénéral du bio. C’est pourquoi de plus enplus d’exploitations bio misent sur lesmarchés d’expédition. Elles se retrouventainsi en concurrence avec les producteursbio du monde entier. Développées princip-alement autour des villes de Nantes et de Ly-on, ces exploitations affichent des surfacessimilaires à celles des exploitations conven-tionnelles, et leurs gérants sont plus prochesde la FNSEA que de la Confédérationpaysanne. Autrement dit, acheter bio assurede moins en moins de revenus aux petitsproducteurs traditionnels…

Cette évolution embarrasse l’associationNature & Progrès, qui regrette que « l’agri-culture biologique [soit] actuellement dansune phase de récupération marchande,comme l’illustre l’arrivée de la bio dis-count[309] ». Fin 2010, N&P a lancé un cri

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d’alarme, en réaffirmant « la nécessité deproduire et de consommer locale-ment[310] ». « 65 % des fruits et légumes bioproposés sur les étals français en 2009proviennent de l’importation (Italie,Espagne, Maroc) », note l’association, qui sedemande s’« il n’y a pas là une véritable ab-erration, un détour scandaleux éloignanttoujours plus la bio de ses principes fonda-mentaux ». « N&P s’inquiète […] du dévelop-pement d’une bio “industrielle”, porteuse desmêmes effets pervers que l’agriculture dontelle se veut l’alternative[311] », déclare deson côté Guy Kastler. Philippe Collin, de laConfédération paysanne, est lui aussi très in-quiet. « La grande distribution va se servirdu bio comme d’un produit d’appel, pour re-gonfler ses marges, sans se soucier desdégâts sociaux que ça peut entraîner[312] »,avertit-il. Une déclaration qui montre bienau passage qu’il est parfaitement conscientdu fait que les produits bio n’apportent pas

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de réelle valeur sanitaire ajoutée aux con-sommateurs. Sinon, comment pourrait-ildéplorer que la grande distribution permetteà des milliers de personnes d’avoir accès àune meilleure alimentation ?

Concurrence avec une agriculturede plus en plus propre

Autre difficulté à laquelle est confrontéel’agriculture biologique : les nouvellesformes d’agriculture conventionnelle, certesintensives, mais qui sont de plus en plus re-spectueuses des exigences environ-nementales et qui finiront par rendre inaud-ible tout discours sur les prétendus avant-ages environnementaux de l’agriculture bio-logique. Comme le reconnaît MartinBortzmeyer, du Commissariat général audéveloppement durable, il est indispensableque le bio mette au point des indicateurs per-tinents, fiables et synthétiques, afin de

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pouvoir apprécier correctement ses impactspositifs. Or, tout le problème est qu’« il n’y apas une agriculture conventionnelle et uneagriculture biologique, mais bien une di-versité de démarches[313] », comme lerésume avec justesse Alain Delebecq, del’Itab. En effet, qu’elle porte le nom de« raison-née », d’« écologiquement intens-ive » ou de « haute valeur environ-nementale » (HVE), l’agriculture conven-tionnelle vit depuis quelques années unegrande mutation, rendue possible grâce auxprogrès fulgurants des sciences de la biologieet de l’agronomie. Ces progrès lui permettentde produire plus et mieux, ce qui est incon-testablement une bonne nouvelle pour l’en-vironnement. Or, paradoxalement, ceux-cisont très mal acceptés par les militants dubio, qui ne se réjouissent pas de voir appar-aître sur le territoire national une agricultureconventionnelle qui marche sur leurs plates-bandes. Lors de la dernière assemblée

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générale du Syndicat national des entre-prises bio (Synabio), la certification HVE aainsi été au cœur des débats. Redoutant une« distorsion de concurrence », Maria Pelleti-er, l’une des influentes administratrices deSynabio (et par ailleurs présidente de l’asso-ciation antipesticides Générations Futures),a déclaré : « Le terme HVE lui-même estsource de confusion : il laisse croire que lesproduits polluants pour l’environnementsont interdits, ce qui n’est pas le cas[314]. »Toujours le même discours fallacieux : seul lebio respecterait l’environnement, qui seraitson monopole !

Pourtant, dans son numéro d’octobre2010, Que Choisir, habituellement guère fa-vorable aux pesticides, cite une étude qui dé-montre que certains nouveaux pesticides desynthèse présentent un profil toxicologiqueplus respectueux de l’environnement que lespesticides utilisés par les producteursbio[315]. En ce qui concerne la lutte contre le

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puceron du soja, des chercheurs canadiensont testé l’impact de six insecticides : deuxanciens, deux nouveaux et deux biologiques.Leurs résultats sont sans équivoque : « Lesdeux produits bio sont moins efficaces sur lepuceron mais plus nocif pour les insectesnon cibles que les spécialités chimiques. » Enréalité, l’étude est plus nuancée dans lamesure où elle conclut que les produits biosont plus respectueux de l’environnementque les deux anciens produits de synthèse(cyhalothrine et diméthoate), mais plus tox-iques que les deux nouveaux (lespirotétramat de Bayer et le flonicamide dela société japonaise ISK Biosciences).

La pensée unique se fissure

Enfin, tôt ou tard, le consommateur finirapar reconnaître que les multiples vertus dubio sont chimériques, et que le matraquagemédiatique autour du bio n’est que le fait

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d’une propagande habilement entretenuedepuis plusieurs décennies par les vendeursde produits bio. D’ailleurs, de plus en plus devoix s’élèvent pour mettre en doute les vertusdu bio. Jean-Paul Géné, chroniqueur gastro-nomique pour le magazine Le Monde 2, es-time que le bio n’est pas toujours à lahauteur. Après avoir testé la baguette biod’un boulanger du deuxième arrondissementde Paris et celle, classique, d’un autreboulanger situé quelques mètres plus loin,l’amateur de bonne chère a vite déchanté :« La baguette de Kayser qui n’est pas bio estmeilleure que celle de Monge qui l’est[316]. »Même analyse de la part de Laurent Kahn,directeur général de la restauration rapidehaut de gamme Exki, qui utilise pourtant 30% d’ingrédients bio dans la composition deses salades, sandwiches et autres tartessalées : « Il existe de bons fromages AOC parexemple, dont la version bio ne justifie pasla différence de prix[317]. » Les

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consommateurs ne sont pas forcément prêtsà payer plus pour une valeur ajoutée quis’avère au final nulle, explique-t-il. VirginieGarin, journaliste en charge de la chroniquedéveloppement durable sur RTL, apporteelle aussi une note dissonante au concert delouanges en faveur de l’agriculture biolo-gique. « Un hamburger bio, ça contientautant de gras et de calories qu’un ham-burger normal, donc qu’on ne nous fassepas croire que c’est meilleur pour lasanté[318] », déclare-t-elle. « Quand onprend produit par produit, et qu’on com-pare des œufs ou un yaourt bio à des œufsou à un yaourt conventionnel, et bien,aucune étude n’a prouvé jusqu’à présent quec’était meilleur pour la santé », rappelle lajournaliste, qui rejette également l’argumentselon lequel la présence de pesticides dansles produits conventionnels représente unfacteur de différence : « Il faudrait enmanger des kilos [de pesticides] selon les

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scientifiques. Des petites doses, même tousles jours, ça ne rend pas malade. » Bref, les2 % de produits issus de l’agriculture biolo-gique n’assurent pas une meilleure alimenta-tion du point de vue de la santé que les 98 %restants, conclut-elle. Fort heureusement !

À la croisée des chemins

L’agriculture biologique, qui exige unsavoir-faire et une technique sans faille, setrouve aujourd’hui à la croisée des chemins.Car soit elle s’intégrera dans un modèleéconomique global, qui prend en compte lesréalités du marché et les progrès de la sci-ence, soit elle décidera de rester dans la mar-ginalité en s’accrochant au modèle politiquehistorique dans lequel l’écologie politiqueveut la contenir, tout en s’appuyant sur uncahier des charges basé sur des connais-sances scientifiques qui datent du début du

XXe siècle ; c’est-à-dire en s’obstinant à se

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définir en opposition au reste du mondeagricole.

Pour l’Union européenne, l’AB doit évolu-er. Dans le but de favoriser son développe-ment, les États membres ont décidé de re-fondre le cahier des charges bio en adoptantun modèle moins restrictif que celui du labelfrançais. L’Agence Bio s’en est félicitée, esti-mant que cela « renforçait le processusd’harmonisation entre les États membres etfacilitait l’identification de l’origine desproduits[319] ». En revanche, certains irré-ductibles du bio se sont enfermés dans unelogique d’isolement. Ainsi, la Fnab a contestéle label à la feuille d’arbre étoilée dès sa miseen application, déplorant que le producteurne soit plus obligé de produire une partie del’alimentation animale sur sa ferme et qu’ilne soit plus soumis à des contraintes con-cernant le nombre de traitements antipara-sitaires administrés à ses animaux. En réac-tion à la proposition de l’Union européenne,

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les associations les plus endurcies ont mêmelancé leur propre label bio, Bio Cohérence,destiné à des produits issus d’un mode deproduction « plus bio que bio ». Cette guerrepicrocholine entre faux amis peut-elleaboutir à autre chose qu’un renforcement dela confusion chez les consommateurs, déjàlargement dépassés par la multitude deslogos ?

Cette dérive est d’autant plus regrettableque comme toute production de qualité, l’ag-riculture biologique a sa place dans l’éventaildes productions agricoles. En effet, l’AB resteun élément essentiel pour rappeler que l’ag-riculture est avant tout la science de l’agro-nomie. Elle ne se résume pas à l’exclusiondes produits de synthèse, mais choisit des’appuyer sur la science du vivant – à condi-tion de ne pas s’égarer dans des théories far-felues ou ésotériques. Tout ceci afin de com-poser davantage avec la nature pour s’effor-cer d’en retirer le meilleur, en utilisant à la

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fois des rotations plus longues, des culturesassociées, des engrais verts et, de plus enplus, divers auxiliaires… Mais tout cela exigeun savoir-faire et, surtout, plus de recherche,comme l’admet Dominique Marion, bienconscient que sans recherche, le futur del’agriculture biologique demeure incertain.Déjà aujourd’hui, l’Inra est fortement mobil-isé pour apporter des solutions là où lemonde du bio est confronté à des impassestechniques. C’est également le cas des entre-prises chimiques, qui diversifient leursproduits afin de mieux répondre aux besoinsdes agriculteurs bio (palette de plus en plusétendue d’auxiliaires, qui supplantent chezbeaucoup de serristes les insecticides tradi-tionnels, élaboration d’agents fongicides àbase de bactéries ou de champignons antag-onistes, relance de travaux sur la stimulationde la résistance naturelle des végétaux, etc.).

Plutôt que de s’accrocher de manière nos-talgique à une époque révolue, l’agriculture

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biologique aurait tout avantage à regarderl’avenir de façon positive. Notamment en ad-optant un discours rationnel surl’innovation. Un premier pas a déjà été fran-chi avec l’abandon des théories sulfureusesde certains de ses fondateurs, qui ont beauc-oup nui aux premiers agriculteurs bio. C’estce que rappelle André Louis, qui évoque lesinnombrables victimes « plus ou moins ru-inées et dégoûtées à tout jamais de la cul-ture biologique[320] » par la méthodeLemaire-Boucher.

Et les biotechnologies ?

Cependant, à terme, un deuxième passera nécessaire. En effet, tôt ou tard, les par-tisans du bio seront conduits à considérerdifféremment les apports possibles des bio-technologies, qui pourraient bien leur ouvrirun nouvel univers. On peut comprendre quecertains OGM soient proscrits en bio, comme

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ceux qui facilitent l’usage d’un herbicide.Mais rejeter en bloc un espace de rechercheentier au motif qu’il intègre dans son champd’application des modifications visant lesgènes d’une plante n’est pas raisonnable. Lesbiotechnologies sont d’autant plus compat-ibles avec l’agriculture biologique qu’il s’agitd’une science du vivant. Le décryptage dugénome – pour ne prendre que cette tech-nique – permet ainsi de mieux connaîtrel’histoire des variétés et leur fonctionnement,et par conséquent d’obtenir des variétés éco-logiquement avantageuses.

Fortuna, la pomme de terre résistante aumildiou, illustre parfaitement ces propos.Pendant plus de quarante ans, on a essayé,au moyen de croisements classiques entrepommes de terre, d’obtenir une variété quisoit en même temps comestible et résistanteau mildiou. La tâche s’est avérée impossible.Or, les biotechnologies ont changé la donne.Dans un premier temps, il a été possible

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d’identifier chez certaines souches depommes de terre les gènes précis qui leurconféraient cette résistance. Dans un secondtemps, on a réussi, grâce à la transgenèse, àimplanter ces gènes dans des variétés com-mercialisables. Dans moins de cinq ans, For-tuna sera disponible pour les agriculteurs,qui pourront ainsi cultiver des pommes deterre sans utiliser de fongicide. Alors queleurs collègues bio continueront à déverserdes kilos de cuivre dans les sols afin de com-battre le mildiou…

Aujourd’hui, nous sommes égalementcapables de bloquer l’expression de certainsgènes afin d’obtenir des caractéristiques spé-cifiques. Grâce au blocage – par insertiond’un gène inversé – du gène permettant laproduction de l’enzyme catalysant la biosyn-thèse de l’amylose (l’un des deux composantsde l’amidon), on a déjà réussi à obtenir unepomme de terre qui ne contienne que del’amylopectine (l’autre composant). Ce qui

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est très utile, notamment pour l’industrie dupapier. Cette technique, baptisée« antisens », pourra demain être utiliséepour éliminer la synthèse de protéines con-nues pour leurs propriétés allergéniques parles plantes. « Mieux encore, il sera possibled’obtenir des végétaux dont les facteurs an-tinutritionnels perturbant grandement ladigestion des protéines et des sucres aurontété neutralisés. Ce qui permettra d’aug-menter considérablement la masse nutritiveconsommable d’une plante, et donc de ré-duire les besoins en eau, en énergie et enintrants », explique le Dr Jean-Louis Thilli-er, conseiller scientifique de l’instituteuropéen de l’expertise et de l’expert (IEEE).

Grâce au séquençage récent du génomedu maïs, l’équipe de Patrick Schnable, del’université de l’Iowa, a découvert que cer-tains gènes présents dans des maïs anciensavaient disparu du génome. Car la nature,loin d’être parfaite, provoque elle aussi des

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accidents ! Lors de la reproduction cellulaire,des erreurs de transmission peuvent en effetinduire des pertes dans le patrimoinegénétique ou, pire, des modifications en-traînant des conséquences létales pour l’or-ganisme qui en est porteur. La transgenèsepermettra de réintroduire ces gènes dans leslignées récentes de ces variétés, ou de rendresilencieux ces gènes créés accidentellementpar la nature. Autrement dit, elle pourra ré-parer les erreurs de reproduction cellulairequi se produisent à l’état naturel. L’agricul-ture biologique proscrira-t-elle égalementcette technique réparatrice ?

Rien n’est inscrit dans le marbre.Réfléchir sur l’apport du génie génétique, etplus généralement sur l’apport des sciencesdu vivant, ne représente en aucun cas unetrahison de la longue histoire de l’agriculturebiologique. Il s’agit au contraire de pouvoirdisposer d’un outil particulièrement per-formant au service de ceux qui désirent

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s’affranchir de la chimie et souhaitent priv-ilégier les sciences du vivant.

Cette réflexion est déjà en cours dans lespays anglosaxons. Lord Peter Melchett, ex-dirigeant de Greenpeace et actuel respons-able de la Soil Association, a d’ores et déjàindiqué qu’il soutenait certaines techniquesissues des biotechnologies comme la sélec-tion assistée par marqueurs (SAM). « Il y aparmi nous un grand mouvement poursoutenir une méthode de sélection variétaleintitulée la sélection assistée par marqueurs(SAM), qui permet d’utiliser la connaissancede l’ADN pour rendre plus rapide et plus ef-ficace la sélection conventionnelle[321] », a-t-il déclaré lors du deuxième Forum PlanèteDurable, organisé à Lyon par le quotidienLibération en 2010.

Cette opinion est partagée par certainshauts responsables du WWF. « Puisque noussommes face à ce défi de produire deux foisplus de nourriture avec les mêmes quantités

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de terre et d’autres intrants comme l’eau,etc., nous devrons intensifier la productionde nourriture. Les biotechnologies devien-dront certainement l’une des façons d’y par-venir[322] », affirme Jason Clay, l’un de sesvice-présidents. « Je pense personnellementque les gains les plus importants que peutnous apporter la génétique ne viendrontsans doute pas, au départ, de l’insertion detraits d’une espèce dans une culture ali-mentaire essentielle, mais plutôt de l’utilisa-tion de nouvelles biotechnologies, de l’identi-fication et de l’amélioration des traitsexistants dans le génome, qu’ils concernentla productivité, la tolérance à la sécheresse,la production ou la capture de nutriments.L’université de Davis (Californie) travaillesur une variété de maïs d’Oaxaca (Mexique)qui produit son propre azote. Cela permetde changer la donne de façon globale, sansnécessiter de modifications génétiques. Mais

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cela implique des techniques de géniegénétique très sophistiquées », ajoute-t-il.

En France, le mentor de Nicolas Hulot,Dominique Bourg, n’exclut pas par principeque les biotechnologies puissent répondreaux défis posés par les enjeux environ-nementaux. « Je n’ai pas d’a priori contre.Quelle est en effet la différence entre une se-mence obtenue avec la transgenèse et unesemence générée par une exposition à unrayonnement, sinon que la première estrégulée alors que la seconde ne l’estpas[323] ? », s’interroge-t-il avec raison.

Faciliter l’accès aux biotechnologiesvégétales permettra à ces techniques d’êtreutilisées par davantage d’opérateurs. Ce quiaura pour conséquence la perte du monopoledétenu par les grandes sociétés multina-tionales. Un monopole paradoxalement en-tretenu par la pression exercée par lesécologistes.

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[1] L’objectif était prévu à l’origine pour 2010. Anne-Laure Robert, « La filière bio s’efforce de rattraper son re-tard », La Tribune, 2 octobre 2007.

[2] Selon les chiffres de l’Agence Bio de février2011,576 000 ha étaient exploités en bio en 2010, soit1,96 % des 29 millions d’hectares de la SAU (surface agri-cole utile) française, hors surfaces en cours de conversion,qui représentent 1 % supplémentaire.

[3] Doan Bui, « Consommer intelligent ! », Le NouvelObservateur, juillet 2007.

[4] L’acronyme pour Lifestyles of Health and Sustain-ability, désignant les personnes qui ont adopté un mode devie axé sur la santé et le développement durable.

[5] Dans leur livre L’émergence des créatifs culturels,Editions Yves Michel, 2001. Depuis, les « créatifs culturels »ont fait l’objet de plusieurs ouvrages, comme celui de l’Asso-ciation pour la biodiversité culturelle, Les Créatifs culturelsen France, Editions Yves Michel, 2006.

[6] CSA-Agence Bio, Baromètre de consommation etde perception des produits biologiques en France, Rapportn° 1001174, Edition 2010.

[7] Chiffres tirés d’une étude de consommation réaliséepar TNS Worldpanel en janvier 2009, cités par Agriculture& Environnement, n° 67, février 2009.

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[8] Emmanuèle Peyret, « C’est bien bio, mais c’estcher », Libération, 27 janvier 2010.

[9] Observatoire des prix des « fruits et légumes », Fa-milles rurales, 24 août 2010.

[10] Le terme « bioagresseurs » recouvre l’ensembledes champignons, bactéries, insectes, mauvaises herbes,etc., qui entrent en compétition avec les plantes cultivées,quel que soit le système de production.

[11] Lettre d'information, Agence Bio, n° 14, été 2010.

[12] « Pourquoi le bio est dans les choux », Le CanardEnchaîné, juillet 2007.

[13] Agnès Marroncle, « Manger bio à la cantine, unpari difficile à tenir », La Croix, 26 janvier 2010.

[14] Pauline Crepeau, « La filière céréales bio enFrance », Chambres d’agriculture, n° 988, décembre 2009.

[15] « Bio : les carottes ne sont pas cuites », Le CanardEnchaîné, juillet 2007.

[16] Écophyto R&D, janvier 2010.

[17] Michel Reigne, « Pommes biologiques,économiquement intéressant, mais risqué… », Revue Fruitset légumes, mars 1998.

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[18] La conduite intégrée est une productionéconomiquement viable de haute qualité, qui donne prioritéà des méthodes écologiquement plus saines, minimisant leseffets non intentionnels indésirables et l’utilisation deproduits phytopharmaceutiques en vue de préserver l’en-vironnement et la santé humaine. D’après l’Organisation in-ternationale pour la lutte biologique et la productionintégrée.

[19] Philippe Dubœlle, « Blé bio : la filière a encore dupain sur la planche », Agriculture Horizon, 16 novembre2007.

[20] Philippe Dubœlle, « Des Amapiens à la recherchede producteurs locaux », Agriculture Horizon, 9 avril 2010.

[21] Morgane Bertrand, « C’est l’heure des biomasses », Le Nouvel Observateur, 30 août 2006.

[22] Yves Cochet, « Il existe un modèle qui fonctionne,ce sont les Amap », Marianne, 5 décembre 2008.

[23] « L’avenir du bio passera par la grande distribu-tion », LSA, n° 2047,29 mai 2008.

[24] Fabienne Maleysson, « Un boom à risque », QueChoisir, juin 2010.

[25] Agrapresse, 1er mars 2010.

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[26] Il s’agit de l’Association des producteurs de fruitset de légumes biologiques de Bretagne (APFLBB), Bio LoireOcéan, Mediterrabio, Solébio et Verte Provence.

[27] « Achetez des fruits et légumes bio oui ! Mais pas àn’importe quel prix ! », Notre-planète. info, 24 février 2010.

[28] Elmar Schlich, « La consommation d’énergie fi-nale de différents produits alimentaires : un essai de com-paraison », Le Courrier de l’Environnement de llnra, n° 53,décembre 2006.

[29] Cité par Maël Thierry, « Le bilan carbone deséléphants verts », Le Nouvel Observateur, 3 décembre2009.

[30] Entretien avec Lylian Le Goff, « On peut mangerbio sans dépenser plus », Libération, 9 novembre 2006.

[31] Entretien avec Mathieu Lancry, Agriculture Hori-zon, 13 juillet 2007.

[32] « Le Bio, c’est bien », Que Choisir, mai 2007.

[33] CSA-Agence Bio, Baromètre de consommation etde perception des produits biologiques en France, Rapportn° 1001174, Edition 2010.

[34] Claude Aubert, L’agriculture biologique, une ag-riculture pour la santé et l’épanouissement de l’homme, Lecourrier du livre, 1970.

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[35] Citée par Frédéric Joignot, « Chaque bouchéechange le monde », Le Monde, 29 février 2008.

[36] Elsa Casalegno, « L’argument bio bu comme dupetit lait », Libération, 9 novembre 2006.

[37] Alan D. Dangour, Sakhi K. Dodhia, ArabellaHayter, Elizabeth Allen, Karen Lock et Ricardo Uauy,« Nutritional quality of organic foods : a systematic re-view », American Journal of Clinical Nutrition, juillet2009.

[38] Rafaële Rivais, « Les défenseurs du bio rappellentson rôle écologique », Le Monde, 5 août 2009.

[39] Michel de Lorgeril, « Manger bio, sage précau-tion », Le Monde, 14 août 2009.

[40] « Manger bi.. o, manger bi.. en ? », communiquéde presse de l’AFDN, 2 février 2009.

[41] Evaluation nutritionnelle et sanitaire des alimentsissus de l’agriculture biologique, rapport de l’Afssa, 2003.

[42] Fabienne Maleysson, « Un boom à risque », QueChoisir, juin 2010.

[43] Léon Guéguen et Gérard Pascal, « Le point sur lavaleur nutritionnelle et sanitaire des aliments issus de l’ag-riculture biologique », Cahiers de Nutrition et deDiététique, 20 avril 2010.

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[44] Crystal M. Smith-Spangler, Vandana Sundaram,James C. Bavinger, Paul Esch-bach, Margaret L. Brandeauet Dena M. Bravata, séminaire « Is There a Différencebetween Organically and Conventionally Grown Food ? ASystematic Review of the Health Benefits and Harms »,Center for Health Policy, Stanford University, 21 avril 2010.

[45] Rafaële Rivais, « Les défenseurs du bio rappellentson rôle écologique », Le Monde, 5 août 2009.

[46] Claude Aubert, L’industrialisation del’agriculture, salut ou suicide de l’homme ?, Le courrier dulivre, 1970.

[47] Lylian Le Goff, dans Aliments irradiés : atome,malbouffe et mondialisation, Edition Golias, juin 2008.

[48] Entretien avec Claude Fischler, Nouvelles Clés,www. nouvellescles. com/ article. php3 ? id_article=785.

[49] Paul Carton, Les Lois de la vie saine, édité parl’auteur, 1922.

[50] Paul Carton, Le Décalogue de la Santé, édité parl’auteur, 1922.

[51] Paul Carton, Les Lois de la vie saine, édité parl’auteur, 1922.

[52] Henri-Charles Geffroy, Osiris, le miracle du blé,Edition La Vie Claire, 1949.

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[53] Cité par Henri-Charles Geffroy dans Osiris, le mir-acle du blé.

[54] Henri-Charles Geffroy, op. cit.

[55] Jean Boucher, Précis de culture biologique, Edi-tion Agriculture et Vie, 1968.

[56] Rudolf Steiner, Agriculture, fondements spirituelsde la méthode bio-dynamique, Editions anthroposophiques

romandes, 6e édition, 2002.

[57] Claude Aubert, Une autre assiette, Edition De-bard, 1979.

[58] André Cicolella, Alertes Santé, Fayard, 2005.

[59] Entretien avec Dominique Belpomme, Le Télé-gramme, 17 mars 2009.

[60] Michel Remy, « Un entraînement anticancer », LaVie Claire, février 1964.

[61] Cité par André Birre dans Une autre révolution,Edition Delarge, 1976.

[62] Jacques-William Bas, Les sources de la vie,Imprimerie Serres, 1949.

[63] À noter que le terme « hygiène » vient du nom dela déesse grecque de la santé et de la propreté Hygie. Fille

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d’Asclépios, dieu de la médecine, Hygie symbolise laprévention, alors que sa sœur Panacée est la déesse« guérisseuse ».

[64] Dr Paul Carton, Les Lois de la vie saine, édité parl’auteur, 1922.

[65] Alexis Carrel, L’homme, cet inconnu, LibrairiePion, 1935.

[66] Jacques-William Bas, op. cit.

[67] Alexis Carrel, op. cit.

[68] Jacques-William Bas, op. cit.

[69] Henri-Charles Geffroy, Nourris ton corps, précisd’hygiène alimentaire, Edition La Vie Claire, 1950.

[70] Henri-Charles Geffroy, Parlons clair, Edition LaVie Claire, 1963.

[71] Henri-Charles Geffroy, PDG, mon frère, La Tableronde, 1972.

[72] Henri-Charles Geffroy, Osiris, le miracle du blé,Edition La Vie Claire, 1949.

[73] Henri-Charles Geffroy, Le secret de la santé, éditépar l’auteur, 1960.

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Page 426: Bio Fausse Promesse Vrai Marketing

[74] André Passebecq, Initiation à la santé intégrale,Vie et Action, 1975.

[75] André Passebecq, La fin de la santé, Edition Asso-ciation Vie et Action, 1975.

[76] Rudolf Steiner, Agriculture, fondements spirituelsde la méthode bio-dynamique, Editions anthroposophiques

romandes, 6e édition, 2002.

[77] Jean-Christophe Luclaise, « La restauration scol-aire, première adepte », L’information agricole, mars 2010.

[78] Jean-Paul Jaud, sur le plateau de Revu & Corrigé,France 5,3 mars 2009.

[79] Cité par Marie-France Bayetti, « Au secours, le

monde est devenu fou ! », La Provence, 1er décembre 2008.

[80] Propos tenus dans le film de Jean-Paul Jaud Nosenfants nous accuseront, 2008.

[81] « L’Occidine », Bulletin du syndicat des agricul-teurs de France, 16 mai 1900.

[82] « La bouillie mercurielle », Bulletin du syndicat

des agriculteurs de France, 1er juillet 1898.

[83] « Pesticides bio, en quête d’homologation », QueChoisir, juin 2010.

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Page 427: Bio Fausse Promesse Vrai Marketing

[84] Claude Aubert, L’agriculture biologique, une ag-riculture pour la santé et l’épanouissement de l’homme, Lecourrier du livre, 1970.

[85] Krotoum Konaté, « Cuivre et roténone : deuxproduits sur la sellette », Alter Agri, n° 70, mars-avril 2005.

[86] Eric Maille, Florence Hivert, Lionel Delbac etMichel Clerjeau, « Influence des traitements à base deroténone sur les populations de typhlodromes au vign-oble », Alter Agri, n° 70, mars-avril 2005.

[87] Courrier de l’Ardab, 23 mars 2010.

[88] « Pesticides bio : en quête d’homologation », QueChoisir, juin 2010.

[89] Cité par Sophie Chapelle, « Ces plantes qui aimentles plantes », Politis, 6 mai 2010.

[90] Cité par Rudolf Degen, « Les plantes intelligentesse protègent », Tabula n° 4, octobre 1999.

[91] Bruce N. Ames, Compte-rendu de l'Académie desSciences des États-Unis, 1990.

[92] James Lovelock, La Revanche de Gaïa, Flammari-on, 2007.

[93] Selon Otto Daniel, du service de toxicologie del’Office fédéral de la santé publique de Zurich. Cité par

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Rudolf Degen, « Les plantes intelligentes se protègent »,Tabula, n° 4, octobre 1999.

[94] DGCCRF, Note d’information n° 2009-02,12 jan-vier 2009.

[95] Eberhard Schiile, « Pesticides residues monitoringof organic food and crops », Séminaire Fytolab, 20 octobre2009.

[96] Jean-Louis Bernard, dans Agriculture biolo-gique : regards croisés dun groupe de travail del'Académie d'Agriculture de France, septembre 2008-mai2010.

[97] Aurel et Pierre Daum, « Et pour quelques tomatesde plus », Le Monde Diplomatique, mars 2010.

[98] Cela équivaut à un sucre dissous dans la consom-mation d’eau d’une famille pendant 35 ans ou, en termes delongueur, à un millimètre sur la distance Dunkerque-Marseille.

[99] Rapport annuel de la DG Sanco sur la surveillancedes pesticides dans l’UE, 2008.

[100] Paolo Cabras et al., « Rotenone residues onolives and in olive oil », Journal of Agricultural and FoodChemistry, Vol. 50, n° 9,2002.

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[101] Fabienne Maleysson, « Les raisins n’ont pas lapatate », Que Choisir, février 2008.

[102] Ronnie Juraske, Christopher L. Mutel, FranziskaStœssel et Stefanie Hellweg, « Life cycle human toxicity as-sessment of pesticides : comparing fruit and vegetable dietsin Switzerland and the United States », Chemosphere, Vol.77, n° 7, novembre 2009.

[103] « L’alimentation qui protège du cancer », entre-tien avec le Dr David Servan-Schreiber, www. doctissimo. fr.

[104] Cité dans la plaidoirie de maître Faro lors duprocès opposant la Fédération des producteurs de raisins detable au MDRGF, janvier 2010.

[105] Propos tenus dans le film de Jean-Paul Jaud Nosenfants nous accuseront, 2008.

[106] Colette Roos, « Liebig lance une soupe bien biomais bien trop salée », Rue89, 18 mars 2010.

[107] John Mackey, « We sell a bunch of junk, saysWhole Foods boss », The Guardian, 5 août 2009.

[108] Ivan Letessier, « Les hypermarchés font sortirles produits bio de leur ghetto », Le Figaro, 5 mars 2010.

[109] Consumers International, Fried and tested, Anexamination of the marketing of fast food to children,septembre 2009.

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[110] Jean Giono, Les trois arbres de Palzem, recueilde 29 textes rédigés entre 1951 et 1965, Gallimard, 1984.

[111] Entretien avec Gabriel Tavoularis, AgricultureHorizon, 26 mars 2010.

[112] Jean-François Munster, « Nos assiettes, trenteans en arrière », Le Soir, 13 octobre 2009.

[113] Jean-Paul Géné, « Les recettes font leur festiv-al », Le Monde Magazine, 20 février 2010.

[114] Léon Guéguen, « Que penser de l’agriculture bio-logique et des aliments bio ? », Sciences et pseudo-sciences,n° 276, mars 2007.

[115] « Œufs : tous dans le même panier ? », 60 mil-lions de consommateurs, n° 446, février 2010.

[116] Citée dans « Fruits & Légumes : l’Inra jette unpavé dans la mare », A&E, n° 54, décembre 2007.

[117] Elsa Casalegno, « L’argument bio bu comme dupetit lait », Libération, 9 novembre 2006.

[118] Périco Légasse, « Attention, un vin bio peut encacher un autre », Marianne, septembre 2006.

[119] Editorial de Jean-Louis Cazaubon, RevueChambres d’Agriculture, décembre 2009.

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[120] Scholastie d’Herlincourt, « La bio, prototype del’agriculture durable », Agriculture Horizon, 31 août 2007.

[121] La production intégrée se distingue de l’agricul-ture biologique par le non-abandon des méthodeschimiques. Elle favorise néanmoins l’utilisation de tech-niques alternatives comme la lutte biologique et l’utilisationde zones de compensation écologique {cf. « Le bio sauvé parl’industrie chimique », A&E, n° 68, mars 2009).

[122] Les typhlodromes sont un ensemble d’espècesd’acariens prédateurs, dont la disparition dans les vignobleset les vergers, aggravée par des traitements acaricides sys-tématiques, a causé par le passé de graves déséquilibres af-fectant les récoltes.

[123] La production raisonnée met en œuvre, en con-sidérant l’ensemble de l’exploitation, des moyens tech-niques et des pratiques agricoles conformes aux exigencesd’un référentiel spécifique comportant des mesures à re-specter concernant le respect de l’environnement, lamaîtrise des risques sanitaires, la santé et la sécurité autravail, le bien-être animal (cf. décret n° 2002-631 paru auJ. O. du 28 avril 2002). Elle met en avant la prévision desrisques, l’utilisation des produits phytosanitaires n’étantconseillée que si le risque est avéré, alors que la productionintégrée privilégie d’entrée la combinaison de mesures pro-phylactiques et alternatives, réservant une priorité à la miseen œuvre délibérée des éléments naturels de limitation duparasitisme et la notion de seuil de tolérance, et n’excluant

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nullement le recours aux produits phytopharmaceutiques siles mesures déjà prises sont insuffisantes.

[124] Ecophyto R&D, Inra, janvier 2010.

[125] « Comparaison production raisonnée et produc-tion biologique », Réussir Fruits & Légumes, décembre1998.

[126] Benoît Sauphanor et al., « Protectionphytosanitaire et biodiversité en agriculture biologique ; lecas des vergers de pommiers », Innovations agronomiques,Vol. 4, janvier 2009.

[127] Rémi Chaussod, « Effets des traitements ausulfate de cuivre sur les sols viticoles », Presse Info, Inra,octobre 2000.

[128] Compte rendu de la réunion du 29 janvier 2008,rassemblant autorités sanitaires allemandes, instituts tech-niques et responsables politiques.

[129] Nicolas Constant, « Réduction des doses decuivre pour lutter contre le mildiou en viticulture biolo-gique : synthèse des essais 2001-2005 du groupe de travailde l’Itab », Alter Agri, n° 80, novembre-décembre 2006.

[130] Entretien avec l’auteur, février 2009.

[131] Monique Jonis, Usage du cuivre en agriculturebiologique. Résultats d’enquête, Itab, septembre 2009.

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[132] Bernard Charbonneau, Le Feu vert, autocritiquedu mouvement écologique, Parangon, 2009.

[133] Philippe Delefortrie, « Le mildiou sous haute sur-veillance », La France agricole, 7 mai 2010.

[134] Béatrice Rousselle, « Le mildiou, mon pire en-nemi », La pomme de terre française, novembre-décembre2007.

[135] Mathieu Cocagne, « Observer ses cultures depuisl’espace », La France agricole, 7 mai 2010.

[136] Claude Aubert, L’agriculture biologique, une ag-riculture pour la santé et l’épanouissement de l’homme, Lecourrier du livre, 1970.

[137] Henri-Charles Geffroy, Osiris, le miracle du blé,Edition La Vie Claire, 1949.

[138] Alexis Carrel, Réflexions sur la conduite de lavie, Librairie Pion, 1950.

[139] Sir Albert Howard, An Agricultural Testament,Oxford University Press, 1940. Matthieu Calame, Une agri-

culture pour le XXIe siècle, Edition Charles Léopold Mayer,2007.

[140] Matthieu Calame, Une agriculture pour le XXIe

siècle, Edition Charles Léopold Mayer, 2007.

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Page 434: Bio Fausse Promesse Vrai Marketing

[141] Cité par Louise E. Howard, Sir Albert Howard inIndia, Faber and Faber, 1953.

[142] Sir Albert Howard, op. cit.

[143] Henri-Charles Geffroy, op. cit.

[144] Ibidem.

[145] Expression du Dr Hans Peter Rusch, un agrobio-logiste allemand qui a théorisé le cahier des charges de l’ag-riculture biologique {cf. Hans Peter Rusch, La fécondité dusol, Le courrier du livre, 1968).

[146] L’humus désigne la couche supérieure du sol,créée et entretenue par la décomposition des matières orga-niques, essentiellement par l’action combinée des animaux,des bactéries et des champignons du sol.

[147] Daniel Zolla, L’Agriculture moderne, Flammari-on, 1913.

[148] Passage repris par André Birre dans Un grandproblème humain, l’humus, Edition OSE, 1959. Selon unecommunication de François LeTacon à l’Académied'Agriculture (6 avril 2001), les rendements moyens en blé

au milieu du XIXe siècle étaient de 11 quintaux à l’hectare.

[149] Daniel Zolla, L’agriculture moderne, Flammari-on, 1913.

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[150] Selon une communication de François LeTacon àl’Académie d'Agriculture (6 avril 2001), les rendements

moyens en blé au milieu du XIXe siècle étaient de 11 quin-taux à l’hectare.

[151] A. Hébert, « Les engrais en horticulture », Bullet-

in du syndicat des agriculteurs de France, 1er juillet 1898.

[152] Daniel Zolla, L'agriculture moderne, Flammari-on, 1913.

[153] Cité par Daniel Zolla, L’agriculture moderne,Flammarion, 1913.

[154] Sir Albert Howard, Farming and Gardening forHealth or Disease, Faber and Faber, 1945.

[155] Sir Albert Howard, An Agricultural Testament,Oxford University Press, 1940.

[156] Claude Aubert, Une autre assiette, Édition De-bard, 1979.

[157] Hans Peter Rusch, La fécondité du sol, Le courri-er du livre, 1986. Nature & Progrès, n° 3,1969.

[158] Nature & Progrès, n° 3, 1969.

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[159] Mattéo Tavera, La Mission Sacrée, une hypo-thèse sur le droit à la vie et à la santé, préface d’AndréPassebecq, Edition Ocia, 1969.

[160] Cette théorie n’est pas très éloignée de celle del’agriculture biodynamique. En effet, Rudolf Steiner ex-plique que « la vache a des cornes afin d’envoyer dans sonpropre corps les forces formatrices astrales et éthériquesqui doivent déployer tous leurs efforts dans ce sens pourprogresser jusqu’au système digestif de telle manière quedans ce système se développe un travail intense par l’inter-médiaire précisément du rayonnement en provenance descornes et des sabots ». Cité par André Birre dans Une poli-tique de la Terre, Edition Vie et Action, 1968.

[161] Cité par André Birre dans Une politique de laTerre, Edition Vie et Action, 1968.

[162] Cité dans Quand Mattéo nous contait une his-toire, extrait d’une conférence donnée en 1968 à Paris,Fiches écologiques de Daniel Fargeas.

[163] Louis Kervran, « Application à l’agriculture bio-logique, La substitution », Agriculture et Vie, novembre1971.

[164] Pierre Cadiou, André Lefebvre, Yves Le Pape,François Mathieu-Gaudrot et Stéphane Oriol, L’agriculturebiologique en France, écologie ou mythologie, Presses

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universitaires de Grenoble, 1975. Sur le lien www.loalabouche. org/histoire_agribio. html.

[165] Sur le lien www.loalabouche.org/his-toire_agribio.html.

[166] Jean Boucher, Précis de culture biologique, Edi-tion Agriculture et Vie, 1968.

[167] Ibidem.

[168] Léon Guéguen, « L’agriculture a-t-elle besoin detransmutations biologiques ? », Revue Agriculture,septembre 1972.

[169] « Les transmutations biologiques contestées »,Le Télégramme, 17 février 1976.

[170] Entretien avec l’auteur, 20 janvier 2010.

[171] Sur le lien www. satoriz. fr/les-entretiens/Claude-Aubert/article-sat-info-259-5. html. Henri-Charles Geffroy,op. cit..

[172] Claude-Marie Vadrot, « Ombres et lumières de labio », Politis, 4 novembre 2010.

[173] Déclaration effectuée en marge du Forum Ecolo-gie et Spiritualité, organisé en octobre 2004 par le WWF.

[174] Personnage mythique de l’Antiquité gréco-égyp-tienne, Hermès Trismegiste serait l’auteur d’un ensemble de

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textes appelé Hermetica, dont les plus connus sont La tabled’émeraude et le Corpus Hermeticum, recueil de traitésmystico-philosophiques.

[175] Philippe Desbrosses, L’Intelligence Verte, l’agri-culture de demain, Editions du Rocher, 1997.

[176] Philippe Desbrosses, Agriculture Biologique,préservons notre futur, Éditions du Rocher, 1998.

[177] Philippe Desbrosses, L’Intelligence Verte, l’agri-culture de demain, Editions du Rocher, 1997.

[178] Programme des 19es Entretiens de Millançay.

[179] Sur le lien www. institutdony. com/fre-derique_pichard. html.

[180] Fondation pour le progrès de l’homme,« Rechercher des démarches scientifiques adaptées à l’ap-proche du vivant et de la complexité », Fiche ac-tion 2006-2007. Matthieu Calame, Une agriculture pour le

XXIe siècle, manifeste pour une agriculture biologique,Editions Charles Léopold Mayer, 2007.

[181] Matthieu Calame, Une agriculture pour le XXIe

siècle, manifeste pour une agriculture biologique, EditionsCharles Léopold Mayer, 2007.

[182] Bulletin de liaison, PEUV, février 2010.

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[183] Robert Ali Brac de la Perrière et Frédéric Prat, Lamise en place d’un mécanisme financier indépendant pourle développement des recherches et de la formation sur lesapproches globales du vivant, Béde-Geyser, mai 2008.

[184] Bruno Taupier-Létage, Méthodes globales dana-lyse de la qualité, Itab, 2009. Ce rapport a été financé parSynabio, le syndicat regroupant les transformateurs deproduits biologiques.

[185] Philippe Desbrosses, « 100 % bio », L’Ecologiste,n° 15, avril-mai-juin 2005.

[186] Ce collectif est composé notamment de laFédération nationale d’agriculture biologique, de Synabio,du Mouvement de culture biodynamique, de Biocoop, duMouvement pour le droit et le respect des générations fu-tures, de Nature & Progrès et d’Ecocert.

[187] Lylian Le Goff, Aliments irradiés : atome, mal-bouffe et mondialisation, Edition Golias, juin 2008.

[188] Nature & Progrès, dossier de presse 2007.

[189] Marc Dufumier, « Viser une agriculture 100 %biologique d’ici à 2050, c’est possible et nécessaire », LaTribune, 21 février 2009.

[190] Philippe Desbrosses, L’Intelligence Verte, l’agri-culture de demain, Editions du Rocher, 1997.

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[191] Entretien avec Guy Kastler, dans Ensemblesauvons notre planète, Guy Trédaniel Éditeur, 2005.

[192] Philippe Desbrosses, op. cit.

[193] Entretien de Laurent Ozon avec Teddy Gold-smith, propos recueillis le 25 novembre 1994.

[194] Philippe Desbrosses, op. cit. Lord Northbourne,Look to the Land, Edition Basis Books, 1940.

[195] Lord Northbourne, Look to the Land, EditionBasis Books, 1940.

[196] Claude-Marie Vadrot, « Comment la bio a ger-mé ? », Politis, avril-mai 2007.

[197] Jean Giono, Regain, Editions Bernard Grasset,1930.

[198] Richard Golsan, « Jean Giono et la “collabora-tion” : nature et destin politique », Mots, n° 54, mars 1998.

[199] Jean Giono, Lettre aux paysans sur la pauvretéet la paix, B. Grasset, 1938.

[200] Monique et Jean Paillard, Messages d’outre-tombe du maréchal Pétain, NEL, 1983.

[201] La Croix d’Auvergne, 15 février 1942.

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[202] Pierre Sauvageot et Paul Grillo, La culture fa-miliale du blé, facteur de renaissance française, EditionsSequana, 1943.

[203] Au chevet de la France, retranscription d’un dis-cours intitulé « La résurrection des élites », prononcé parHenri-Charles Geffroy le 8 mai 1943.

[204] Henri Pourrat, Vent de Mars, Gallimard, 1941.

[205] Henri Pourrat, L’homme à la bêche, Flammari-on, 1940.

[206] Henri-Charles Geffroy, op. cit..

[207] Alexis Carrel, L’homme, cet inconnu, LibrairiePion, 1935. Henri Pourrat, L’homme à la bêche, Flammari-on, 1940.

[208] Henri Pourrat, Vent de Mars, Gallimard, 1941.

[209] Henri Pourrat, L’homme à la bêche, Flammari-on, 1940.

[210] Henri Pourrat, Vent de Mars, Gallimard, 1941.

[211] Au chevet de la France, retranscription d’un dis-cours intitulé « La résurrection des élites » prononcé parHenri-Charles Geffroy le 8 mai 1943. Dans ce même dis-cours, Geffroy exprime son adhésion à l’air du temps. Il ydévoile ses pensées sur l’actualité politique, demandant aux

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Français de suivre l’exemple du peuple allemand qui, aprèssa défaite en 1914, « accepta son sort avec dignité et, dansla douleur, puisa sa force morale qui devait lui permettre[…] de recevoir pour chef le Guide qu’il avait mérité parson attitude. C’est ainsi que l'Allemagne allait préparerl’extraordinaire mission qui lui a été dévolue ». Deux ansauparavant, il avait fait paraître son premier ouvrage, Nour-ris ton Corps (éditions Jean-Renard, 1941), un opuscule quidispense des conseils sur l’hygiène physique et présenteégalement quelques réflexions sur la situation politique, quilaissent peu de place à l’ambiguïté. En effet, l’auteur se ditscandalisé du fait que « l’on [soit] arrivé à cette gageure deplacer à la tête de l’Education nationale française un juifmal élevé, qui avait, quelques années auparavant, traité ledrapeau de 1914 de “torche-cul” ». Geffroy fait allusion ici àJean Zay (cette phrase ne figure que dans l’éditionoriginale).

[212] Henri Pourrat, op. cit.

[213] Henri Pourrat, L'homme à la bêche, Flammarion,1940.

[214] Jean Giono, Récits et essais, Gallimard, 1989.

[215] Jean Giono, Journal de l'Occupation, dansJournal, poèmes, essais, Gallimard, 1995.

[216] Alexis Carrel, Réflexions sur la conduite de la vie(œuvre posthume), Librairie Pion, 1950.

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[217] Alexis Carrel, L’homme, cet inconnu, LibrairiePion, 1935.

[218] Alexis Carrel, Réflexions sur la conduite de la vie(œuvre posthume), Librairie Pion, 1950.

[219] André Birre, Une politique de la Terre, Vie et Ac-tion, 1968. André Birre, « Recherche communautaire et re-tour à la terre », Nature & Progrès, n° 3,1971.

[220] André Birre, « Recherche communautaire et re-tour à la terre », Nature & Progrès, n° 3, 1971.

[221] Entretien avec l’auteur, 7 juin 2010.

[222] Jean Boucher, Précis de culture biologique, Edi-tion Agriculture et Vie, 1968.

[223] Paul Carton, Enseignements et traitements na-turistes, édité par l’auteur, 1935.

[224] Dès 1940, Henri Dorgères rejoint le maréchalPétain, qui le nomme délégué général à l’organisation et à lapropagande de la Corporation paysanne. En 1943, il publieRévolution paysanne, où apparaissent déjà un certainnombre de thèmes annonçant le poujadisme comme « lefonctionnaire, voilà l’ennemi » ou encore les attaquescontre l’école républicaine, baptisée « école du déracine-ment ». Dans le droit fil de la pensée de Pétain (qu’il désignecomme le « chef robuste et protecteur, le vieux chêne in-déraciné »), Dorgères insiste sur le lien quasi sacré unissant

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le paysan et la terre. « Le fils [du paysan] doit succéder aupère selon une chaîne ininterrompue qui remonte dans lepassé le plus lointain », affirme-t-il. Ses positions, trop rad-icales aux yeux des grands propriétaires présents dans laCorporation, finissent toutefois par le marginaliser. À partirde 1950, il reprend son militantisme politique. En 1956, il seprésente en Ille-et-Vilaine à la tête de la liste d’Union pourle salut de la patrie (Groupement pour la réforme de l’Étatet la défense des libertés électorales, Défense paysanne etdes classes moyennes). Un an plus tard, il se rapproche dePierre Poujade et lance son Rassemblement paysan, dont ilconfie la présidence à Raoul Lemaire.

[225] Dans les années trente, Henry Coston a été direc-teur de publication de La Libre parole, une revue résolu-ment antisémite. En 1941, il fonde le Centre d’action et dedocumentation, qui s’occupe des problèmes raciaux, de pro-pagande antisémite et d’information antimaçonnique. L’an-née suivante, il cofonde la Commission d’études judéo-maçonniques du lieutenant SS Moritz et devient présidentdes admissions au Cercle aryen. Après la guerre, il sera con-damné pour faits de collaboration.

[226] Lettre adressée à Henry Coston le 19 février1958. Citée par Henry Coston dans Non ! L’écologie n’estpas de gauche, Publications Henry Coston, 1995.

[227] Fonds Raoul Lemaire, Germain Dufay, octobre2008.

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[228] Autodidacte, Georges Racineux (1922-1988) esttour à tour ouvrier agricole, électricien et apiculteur, avantde devenir l’un des principaux animateurs de l’entreprise deRaoul Lemaire. Comme lui, il porte les couleurs de PierrePoujade lors des élections législatives de Loire-Atlantiqueen 1958. L’année du décès de son mentor, en 1972, GeorgesRacineux décide de voler de ses propres ailes en fondantl’Union française d’agriculture biologique (Ufab) et en dé-posant sa marque, Le paysan biologiste. Fidèle à son an-crage dans la droite traditionnelle, il participe jusque dansles années quatre-vingts aux Journées Chouannes, organ-isées par la maison d’édition Diffusion de la PenséeFrançaise (SADPF), spécialisée dans l’édition d’ouvragespolitiques, religieux, familiaux et historiques appartenant àdivers courants de la droite radicale, voire de l’extrêmedroite française contemporaine (nationalistes, royalistes,etc.).

[229] Jean Boucher, op. cit.

[230] « Rapport moral de l’assemblée générale du 8mai 1966 », Nature & Progrès, n° 2, avril-mai-juin 1966.

[231] André Passebecq, « Cours de santé physique etmentale par l’hygiène naturelle », Vie et Action, n° 5,1962.

[232] André Passebecq, « La fin de la santé, civilisationet dégénérescence », Vie et Action, 1975.

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[233] André Passebecq, Initiation à la santé intégrale,Vie et Action, 1975.

[234] André Passebecq, « L’évolution et l’avenir del’homme », Vie et Action, n° 4,1961.

[235] Nature & Progrès, n° 2, avril-mai-juin 1969.

[236] Cité par Claude Aubert dans L’industrialisationde l’agriculture, Le courrier du livre, 1970.

[237] Claude Aubert, op. cit.

[238] Jean Boucher, op. cit.

[239] André Birre, Un grand problème humain,l’humus, Entretien de la Vie, 1959.

[240] Claude Aubert, op. cit.

[241] Pierre Cadiou, André Lefebvre, Yves Le Pape,François Mathieu-Gaudrot et Stéphane Oriol, L’agriculturebiologique en France, écologie ou mythologie, Presses uni-versitaires de Grenoble, 1975.

[242] Henri-Charles Geffroy, Le secret de la santé,édité par l’auteur, 1960.

[243] « Utilité d’un cours d’alimentation saine », con-férence d’Henri-Charles Geffroy donnée en mai 1957.

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[244] Henry Coston, Non ! L’écologie riest pas degauche, Publications Henry Coston, 1995.

[245] Théodore Roszak, Vers une contre-culture,Stock, réédition 1980.

[246] Aldous Huxley a joué un rôle important dans lacontre-culture, notamment à travers ses expériences de con-sommation de drogues psychédéliques, décrites dans sonlivre Les portes de la perception, ainsi que par son intérêtpour les spiritualités orientales. Néanmoins, son idéologieest réactionnaire. Il va même jusqu’à défendre les théorieseugénistes dans Retour au meilleur des mondes. « Danscette seconde moitié du vingtième siècle, nous n’interven-ons pas scientifiquement dans notre reproduction, mais anotre manière anarchique et chaotique, nous ne sommespas seulement en train de surpeupler notre planète, nousavons Tair de faire en sorte que ces êtres sans cesse plusnombreux soient d’une qualité biologique inférieure. Aumauvais vieux temps, les enfants souffrant de viceshéréditaires graves ou même bénins survivaientrarement ; aujourd’hui, grâce à l’hygiène, à la pharma-ceutique et à la conscience modernes, la plupart de ces di-minués atteignent la maturité et propagent leur espèce »,écrit-il, avant de conclure qu’« un déclin de l’intelligencemoyenne pourrait bien accompagner cette détérioration ».

[247] Y’en a plus pour longtemps, recueil de textes dePierre Fournier parus dans HaraKiri Hebdo, Charlie-

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Hebdo et La Gueule Ouverte, de 1969 à 1973, Édition duSquare, 1975.

[248] Pierre Fournier, « La gauche et l’écologie », op.cit.

[249] Henry Coston, Non ! L’écologie riest pas degauche, Publication Henry Coston, 1995.

[250] De la même façon, Fournier assimile le nazismeà une « poussée irrationnelle d’instinct vital, […], un réflexecollectif (un réflexe collectif est forcément “monstrueux”, entout cas inhumain, et forcément inadéquat), une réponsede défense de l’homme sauvage (chacun de nous), encerclépar la technologie ». Op. cit.

[251] Fondateur des Communautés de l’Arche, Lanzadel Vasto (1901-1981) s’est beaucoup inspiré des philo-sophies orientales, en particulier de Gandhi. En pleineguerre mondiale, il a publié Le Pèlerinage aux sources(1943) aux éditions Robert Denoël, l’éditeur collaboration-niste de Brasillach, Céline et Mussolini. Il y décrit notam-ment « les points communs du régime de Gandhi avec lestrois qui se disputent l’hégémonie en Occident » : « Avec lerégime libéral : la liberté politique telle que les libéraux laconçoivent. Le respect de l’opinion de l’opposant. Le senti-ment que même le bien des gens ne peut leur être imposépar la force. Avec le régime communiste, ceci : la primautédu travail. Le devoir pour tous du travail manuel. L’égalitédes devoirs et des droits dans la diversité des fonctions et

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quelle que soit l’inégalité des aptitudes. Avec le régimenazi-fasciste, ceci : l’autarchie. Le principe de solidaritécorporative substitué à celui de concurrence commerciale.L’affirmation du vouloir de l’homme comme indépendantdes conditions économiques. Le recours à la personne et àson autorité. La formation des cadres et des chefs. »

[252] Bertrand Hervieu et Danièle Hervieu-Léger, Re-tour à la Nature ; au fond de la forêt, Édition Aube, 2005.

[253] À ne pas confondre avec le mouvement d’ex-trême droite du même nom, actif dans les années soixante-dix.

[254] Jacques Ellul et Bernard Charbonneau, « Direct-ives pour un manifeste personnaliste », 1935, réédité dansCahiers Jacques Ellul, n° 1,2003.

[255] « Lettre à Adolf Hitler », signée L’OrdreNouveau, dans L’Ordre Nouveau, n° 5,15 novembre 1933.

[256] Jacques Ellul, Le bluff technologique, Hachettelittératures, 2004.

[257] Entretien avec Jacques Ellul pour la télévisionhollandaise, « Het verraad van de techniek », ReRun Pro-ducties, 1993.

[258] Entretien au Nouvel Observateur, 3 oc-tobre 1977. Denis de Rougemont, « Écologie, régions,

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Europe fédérée : même avenir », Cadmos, n° 5, prin-temps 1979.

[259] Denis de Rougemont, « Écologie, régions,Europe fédérée : même avenir », Cadmos, n° 5, prin-temps 1979.

[260] André Reszler, « Ecologie et histoire », Cadmos,n° 5, printemps 1979.

[261] Propos tenus lors de l’émission « Là-bas si j’ysuis », France Inter, 14 avril 2003.

[262] Bernard Charbonneau, Le Feu vert, autocritiquedu mouvement écologique, Parangon, 2009.

[263] Courrier des lecteurs, Nature & Progrès, n° 2,juin 1974.

[264] Roland Chevriot, « Comment changer ? »,Nature & Progrès, n° 3,1974.

[265] Bernard Charbonneau, op. cit.

[266] Philippe Lecompte, entretien avec l’auteur.

[267] Philip Conford, The Origins ofthe OrganicMovement, Floris Books, 2001.

[268] Bernard Charbonneau, Le Feu vert, autocritiquedu mouvement écologique, Parangon, 2009.

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[269] Entretien de Laurent Ozon avec Teddy Gold-smith, propos recueillis le 25 novembre 1994.

[270] François Veillerette, « L’organisation merveil-leuse du vivant », L’Ecologiste, n° 30, hiver 2009.

[271] Hervé Kempf, « Teddy Goldsmith, écologiste etaltermondialiste », Le Monde, 28 août 2009.

[272] Entretien de Laurent Ozon avec Teddy Gold-smith, propos recueillis le 25 novembre 1994.

[273] Teddy Goldsmith, « Avant le développement »,dans Défaire le développement, refaire le monde,Parangon, 2003.

[274] Teddy Goldsmith, « La société écologique »,Cadmos, n° 5, printemps 1979.

[275] Zac Goldsmith, « La démocratie passe-t-elle parla communauté ? », L’Ecologiste, n° 18, mars-avril-mai2006.

[276] Entretien de Laurent Ozon avec Teddy Gold-smith, propos recueillis le 25 novembre 1994.

[277] Bernard Charbonneau a toujours mis en gardeses amis écologistes contre le danger que représente cetteidéalisation des sociétés primitives. « L’intégriste de lanature en vient à proposer les sociétés animales commemodèle humain. Ou les microsociétés subsistant dans une

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nature invincible et à peu près intacte : les Indiens de laprairie ou de la forêt amazonienne, les Esquimaux del'Arctique. En dépit des récits favorables des ethnologues,on peut se demander si un Occidental pourrait s'en accom-moder autrement qu'en passant. La situation de la femmen'y est pas exactement conforme à Tidéal du MLF ; ni lespratiques sanglantes imposées par la religion ou la disetteà celui des écologistes non-violents. Quant au marginal quiprétendrait toucher aux coutumes et refuser l'autorité deschamanes et le pouvoir des chefs, il le paierait probable-ment de l'exclusion et même de la vie », rappelle le philo-sophe dans Le Feu vert.

[278] Nature & Progrès, dossier de presse 2007.Sachant qu’Israël exporte en France moins de 10 000tonnes de tomates, alors que le Maroc – pour ne citer que cepays – en exporte 250 000, on peut légitimement s’interro-ger sur les motivations de cette mise à l’index…

[279] Entretien avec Guy Kastler, dans Ensemblesauvons notre planète, Guy Trédaniel Éditeur, 2005.

[280] Guy Kastler, Ibidem.

[281] Entretien avec l’auteur, 14 juin 2010.

[282] Paul Valéry, « La liberté de l’esprit », dansRegards sur le Monde Actuel, Librairie Stock, 1931.

[283] Guy Kastler, « Menaces sur la biodiversité »,www. semencespaysannes. org, 8 juin 2009.

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[284] Philippe Desbrosses, « 100 % bio », L’Ecologiste,n° 15, avril-mai-juin 2005.

Dominique Guillet, « Le mot du président » sur le lienhttp : // www. kokopelli. asso. fr/divers/mot-president.html.

Dominique Guillet, « Effet de “serres” et révolutionverte eugénique », sur le lien http : //www. liberterre. fr/gaiasophia/gaia-climats/généraux/eugenique. html.

[285] Sans dresser de procès d’intention, il est troub-lant de constater que Fabrice Nicolino et François Veiller-ette, dans leur livre, commencent le portrait de Fritz Haber- un pionnier de la mise au point des pesticides - par les ter-mes de « ce juif allemand », et qu’ils l’achèvent en signalantqu’Haber « a également contribué à la création du ZyklonB, utilisé dans les chambres à gaz nazies » ; alors que la re-ligion d’aucun autre personnage mentionné dans le livren’est précisée et que par ailleurs, Haber est mort en 1934,bien avant l’utilisation du Zyklon B dans les camps de lamort...

[286] Dominique Guillet, « Le mot du président » surle lien http://www.kokopelli.asso.fr/divers/mot-presid-ent.html.

[287] Dominique Guillet, « Effet de “serres” et révolu-tion verte eugénique », sur le lien http://www.liberterre.fr/gaiasophia/gaia-climats/généraux/eugenique.html.

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[288] Entretien avec Christophe Barbier, LExpress.fr,4 juin 2008.

[289] Patrick Piro, « La décroissance : on n’y couperapas ! », Politis, 15 mars 2007.

[290] Tchat sur Rue89, 26 août 2008.

[291] « Pour une décroissance solidaire », tribune col-lective parue dans Les Echos le 20 août 2008.

[292] Entretien avec Nouvelles Clés, http : //www.nouvellescles. com/Entretiens/Seule-une-frugalite-drastique.

[293] Patrick Troude-Chastenet, Entretiens avecJacques Ellul, La Table Ronde, 1994.

[294] « Portrait de campagne : Marie Bové », Le blogde Sonia Moumen, 29 janvier 2010.

[295] Jacques Julliard, « Non à la déesse Nature ! », LeNouvel Observateur, 3 décembre 2009.

[296] Dominique Bourg, « L’écoscepticisme et le refusdes limites », Etudes, juillet-août 2010.

[297] Entretien avec Dominique Bourg, « Arrêtons lafarce du développement durable ! », www.bretagnedecrois-sance.fr, 27 juillet 2010.

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[298] Etienne Dubuis, « Vers une dictature écolo-gique », Le Temps, 13 novembre 2010.

[299] Iegor Gran, « Home ou l’opportunisme vu duciel », Libération, 4 juin 2009.

[300] Bernard Charbonneau, Le Feu vert, autocritiquedu mouvement écologique, réédité chez Parangon en 2009.

[301] « Cohn-Bendit passe aux aveux », Marianne, n°650, 3 octobre 2009.

[302] Henri Atlan, « La religion de la catastrophe », LeMonde, 28 mars 2010.

[303] Elisabeth Badinter, Le conflit, la femme et lamère, Flammarion, février 2010.

[304] Edward Goldsmith, « Education – what for ? »,The Ecologiste janvier 1974.

[305] Cité par Bérengère Bonté dans Sain Nicolas,Pion, 2010.

[306] Sophie Divry, « Sauvons madame Hulot », LaDécroissance, juin 2010.

[307] « Bio : la demande et la production augmentent,les importations aussi », Terraeco. net, 20 mai 2010.

[308] Entretien avec l’auteur, 14 juin 2010.

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[309] Nature & Progrès, dossier de presse, 2007.

[310] « Halte à la bio importée et à ses dérives ! »,communiqué de presse de Nature & Progrès, 23 novembre2010.

[311] Entretien avec Guy Kastler, dans Ensemblesauvons notre planète, Guy Trédaniel Éditeur, 2005.

[312] « France, la grande distribution popularise le bio,au risque de la dénaturer », AFP, 31 mai 2010.

[313] Cité par Référence Environnement, 4 octobre2010.

[314] Rapporté par Agrapresse, « HVE : la transform-ation bio redoute des distorsions de concurrence », 20septembre 2010.

[315] Christine A. Bahlai, Yingen Xue, CaraM. McCreary et al« Choosing Organic Pesticides over Syn-thetic Pesticides May Not Effectively Mitigate Environment-al Risk in Soybeans », PLoS ONE, 22 juin 2010.

[316] Jean-Paul Géné, « Le bio à géométrie variable »,Le Monde Magazine, 2 octobre 2010.

[317] « Le bio manque dans la restauration de chaîne», AFP, 22 septembre 2010.

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[318] Virginie Garin, « Les produits bio meilleurs pourla santé ? », RTL, chronique du 28 septembre 2010.

[319] Constance Molle-Proudhon, « Un label bioeuropéen », La Vie, 30 septembre 2010.

[320] Correspondance personnelle d’André Louis àMaurice Houbre, 17 mars 1970.

[321] Propos tenus lors du Forum Libération, débat« Un menu sans OGM », 28 septembre 2010.

[322] Entretien de Marc Gunther avec Jason Clay, pro-ducemoreconservemore.com, 10 juin 2010.

[323] Entretien avec Dominique Bourg, Agriculture &Environnement, n° 85, octobre 2010.

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