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VALLÉE DES BELLEVILLE PORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE ~ PORTRAIT OF AN ALPINE VALLEY éditions inverse /// SAINT-MARTIN / LES MENUIRES / VAL THORENS

Belleville portrait d'une haute vallée

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La plus grande des 3 Vallées, les Belleville est un endroit unique dans le monde des sports d'hiver, avec trois stations de ski internationales.

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VALLÉE DES BELLEVILLE

PORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE

~ PORTRAIT OF AN ALPINE VALLEYéditions inverse ///

SAINT-MARTIN / LES MENUIRES / VAL THORENS

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VALLÉE DES BELLEVILLE

PORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE

~ PORTRAIT OF AN ALPINE VALLEYéditions inverse ///

SAINT-MARTIN / LES MENUIRES / VAL THORENS

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~ CONTENTTO LIVE IN THE BELLEVILLE VALLEY

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L’ÉTÉ EN PENTE DOUCEIl n’y a pas que l’hiver en montagne : l’été, la nature se réveille. Promenade estivale dans les reliefs accueillants en compagnie du crayon d’une artiste.

~ SUMMER ON A GENTLE SLOPE There is not just winter in the mountains: in summer nature wakes up. A summertime walk on the welcoming slopes drawn by an artist.

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PISTES AUX ÉTOILESQuand l’accueil, la cuisine, la décoration atteignent quatre étoiles...

~ MOUNTAIN STARS When hospitality, cooking and interior design attain four stars...

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PROTÉGER LA CHLOROPHYLLEPréserver l’équilibre d’une vallée de montagne touristique n’est pas une mince affaire : on reboise, on engazonne, on recycle, on économise et on embellit.

~ GREEN IS THE COLOUR Preserving the ecological balance of a touristic mountain valley is no mean feat: it takes a great deal of reforesting, planting of grass on the pistes, recycling, smartening up, reducing the business footprint and embellishment. The marmot, the new mascot representing these efforts, can now awaken each spring in a cleaner valley. Here are eight great ideas to help the flowers bloom in the valley.

SOMMAIREPARTIE 1 : VIVRE DANS LA VALLÉE DES BELLEVILLE

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TÉMOINS CAPITAUXC’était un autre temps, celui que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître, celui d’avant les stations de ski. On vivait noué à la montagne, mère nourricière pas toujours clémente. Les derniers témoins de cette vie racontent.

~ KEY WITNESSES It was another time, a time before ski resorts. People’s lives were tied to the mountain which nourished them but which was not always kind to them. The last surviving witnesses tell us what life was like in those days.

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BAROQUE D’ALTITUDEAngelots souriants, dorures, profusion de couleurs, de roses et de bleus, le tout rehaussé de tableaux, de colonnes torses et autres stucs… Le baroque, tel qu’il s’exprime en Savoie et dans la vallée des Belleville, ressemble à un avant-goût du paradis.

~ BAROQUE AT ALTITUDE Smiling cherubs, gilt, a profusion of colour, pinks and blues, an abundance of paintings, barley-sugar columns and stucco… Baroque, as expressed in Savoy and the Belleville valley, gives us an inkling of what paradise is like.

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LE NOUVEAU VISAGE DE LA VALLÉEEn une génération, la vallée des Belleville s’est complètement transformée. Photographier un même lieu à 20, 40 ou 60 ans d’écart donne la mesure de l’évolution. La preuve par l’image !

~ THE NEW FACE OF THE VALLEY In just a single generation, the Belleville valley has been completely transformed. Photographs of the same place at intervals of 20, 40 or 60 years provide a measure of the radical change that has taken place. The proof is in the pictures !

6 7 SOMMAIREPORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE

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~ CONTENTTO SKI IN THE BELLEVILLE VALLEY

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LES ANGES GARDIENSDE VAL THORENSSur un domaine skiable comme celui de Val Thorens, les employés des remontées mécaniques, les pisteurs et les conducteurs de dameuses se relaient pour préparer le passage des skieurs. Reportage dans les coulisses du domaine.

~ THE GUARDIAN ANGELS OF VAL THORENS In a skiing area such as Val Thorens, the ski lift employees, the piste workers and the snow-grooming machine (or ‘piste basher’) drivers are busy in the background preparing the slopes for the thousands of skiers who pass through the gates every day. So, let’s have a peek behind the scenes.

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INFORMATIONS PRATIQUES

~ PRACTICAL INFORMATION

SOMMAIREPARTIE 2 : SKIER DANS LA VALLÉE DES BELLEVILLE

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LES PIONNIERS DU NOUVEAU SKILe défi semblait impossible et pourtant des personnalités comme Nicolas Jay, Joseph Fontanet, Maurice Michaud et Georges Cumin ont sorti de terre trois stations internationales en haute altitude : les Menuires, Val Thorens et Saint-Martin, et sauvé la vallée de la désertification. 1955-1985 : récit de trente ans d’une épique aventure.

~ THE NEW SKI PIONEERS Joseph Fontanet, Maurice Michaud, Georges Cumin, Nicolas Jay and others succeeded in overcoming a seemingly impossible challenge of developing three internationally known ski resorts at high altitude, namely: Les Menuires, Val Thorens and Saint-Martin. As a result, they saved the valley from becoming a wilderness. It was an epic adventure covering the 30 year period from 1955 to 1985.

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LES MENUIRES,MONUMENT HISTORIQUEL’architecture, c’est la grande affaire des Menuires. Modèle de fonctionnalisme sévère, la station divise depuis ses débuts. Elle donne pourtant à lire, sur ses murs, toute l’histoire d’une époque.

~ LES MENUIRES, AN HISTORICAL MONUMENT Everyone has something to say about the architecture of Les Menuires. Functional in the extreme, the ski resort has split opinion since its inception. Its walls, however, tell the full story of an era.

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LA GLISSE VERSION GRAND FORMATLa vallée des Belleville est un immense studio photo. L’hiver est le moment esthétique par excellence où la montagne se révèle intense, sportive. Un portfolio au cœur du monde qui glisse.

~ SKIING ON A GRAND SCALE The Saint-Martin valley is one huge photo studio. Winter is the aesthetic moment par excellence when, far from disappearing beneath the snowflakes, the mountain reveals its intense, sporty side. Here is a portfolio at the heart of the freeride and freestyle action.

8 PORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE 9 SOMMAIRE

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LA RISSOLE DE PROUST~ PROUST’S “RISSOLE”

On y accède par une route délicate et suspendue qui traverse plusieurs gorges, accrochée à flanc de montagne comme un pied de vigne. On distingue déjà le Cochet, motte ronde qui nous dit que là-haut, la montagne devient plus accueillante et on garde en vue son sommet inoffensif. En passant le pont de la Combe, vertigineuse entaille dans les chairs noires de charbon, on entre sur le territoire de la commune. La route continue à monter en lacets étirés jusqu’à Saint-Martin-de-Belleville. À droite, la longue et sauvage vallée des Encombres s’enfonce derrière le Châtelard. Saint-Martin est confortablement installée dans la pente qu’elle tente d’équilibrer avec son clocher scintillant qui pointe du doigt vers le ciel. Un appel au marcheur qui traverse depuis des siècles la vallée pour se rendre en Italie le long d’une ligne Moûtiers – Saint-Martin-de-Belleville – col des Encombres – Saint-Martin-la-Porte - Saint-Michel-de-Maurienne – col du Télégraphe – Valloire – col du Galibier – descente sur le Briançonnais – col du Montgenèvre.

~ You make your way there along a narrow road hanging in space as it spans several gorges, clinging to the side of the mountain like a grapevine. By now, we can distinguish ‘le Cochet’, with its rounded top, which tells us that up there, the mountain becomes more welcoming. The gentle slopes of this summit remain in view. As we cross the bridge at ‘la Combe’, a deep gash in the coal-black flesh of the mountain, we enter the confines of the district of Saint-Martin-de-Belleville. The road stretches onwards and upwards like a taut ribbon until we reach Saint-Martin. To the right, the long wild valley of the Encombres plunges down behind the Châtelard. Saint-Martin sits comfortably on the slope with its eye-catching bell tower pointing its finger heavenwards and acting as a counterpoise. It beckons walkers who have been crossing the valley for centuries en route to Italy, following the path which threads its way through Moutiers - Belleville – the Encombres pass– Saint-Martin-la-Porte - Saint-Michel-de-Maurienne –the Télégraphe pass – Valloire – the Galibier pass– the descent to le Briançonnais – the Montgenèvre pass and, finally, into Italy.

texte / Guillaume Desmurs

La vallée des Belleville vue de 5 000 m d’altitude, en direction du sud. ~ The Belleville valley seen from a height of 5 000 m, looking south.

photo / Jean-Pierre Noisillier

Même quand on habite ailleurs, on vit toujours dans les Belleville.~ Even when we live elsewhere, our hearts are in Belleville.

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Même quand on habite ailleurs, on vit toujours dans les Belleville. Je n’ai pas eu à apprendre à aimer cette vallée. Elle est une langue maternelle, un goût inné, un copeau de mon ADN. Elle était là avant nous et restera longtemps après. Nous profitons tous aujourd’hui des efforts de toutes les générations précédentes dont les poignes solides ont fignolé ce que les tempêtes du temps géologique et le rabot des glaciers avaient commencé, il y a quelques dizaines de millions d’années. Montagnes jeunes poussées à l’ère tertiaire, les Alpes sont constituées de sédiments marins chamboulés. Le « chevauchement pennique frontal » connu des géologues, limite géologique importante entre Alpes internes (est) et Alpes externes (ouest), parcourt la vallée entre le col de la Lune, Béranger et le Grand-Perron des Encombres. Une zone de gypses très raide, lissée par la pluie en grandes pentes avalancheuses, aux crêtes percées par les infiltrations au-dessus de La Gittaz, le hameau perché. L’érosion glaciaire de l’époque Würm modèle les paysages. « Dans ces grès, ces schistes tendres, ces conglomérats sans cohésion, l’érosion a pu ouvrir les larges brèches du berceau tarin et des Trois Vallées, préparant les douces pentes favorables aux skieurs. Dans la masse ont été exhumées quelques veines de charbon, témoins d’antiques forêts englouties à l’ère primaire. » (Lucien Chavoutier, Saint-Bon Courchevel, de la cellule rurale à la station phare, 1978).

Even when we live elsewhere, our hearts are in Belleville. I have not had to learn to love this valley. It is like a mother tongue, something inbred, a piece of my DNA. It was here long before us and will be here long after we have gone. We all benefit today from the unstinting labour of earlier generations whose solid fists rounded off what the glaciers and geological upheavals had begun millions of years ago. The Alps are relatively young mountains, marine sediments, which rose in the tertiary era. Later the glaciers gave shape to the landscape. “In these sandstones and soft shale, erosion opened up the vast chasms of the Tarentaise and the Three Valleys providing the gentle slopes for skiers. In the process, coal seams were revealed, evidence of an ancient forest swallowed up in the primary era,” as Lucien Chavoutier explains in his book Saint-Bon Courchevel, de la cellule rurale à la station phare, 1978.

Les pentes de Val Thorens et une partie du panorama qui se déploie quand on se trouve sur l’un des sommets de la vallée : Caron, Péclet, la Masse ou la Chambre.~ The Val Thorens slopes and part of the panorama which unfolds beneath us from one of the valley summits : Caron, Péclet, la Masse or la Chambre.

photo / Jean-Pierre Noisillier

La route continue jusqu’au point d’équilibre de la vallée, centre de gravité à défaut d’être géographique : Notre Dame de la Vie. Une église aux origines miraculeuses dit la légende. Les villageois voulaient remplacer un oratoire situé plus bas, mais les matériaux de construction remontaient chaque nuit à l’endroit où est construite l’église aujourd’hui. Une statue trouvée sur une branche de sureau a parachevé le miracle et les villageois décident de suivre le signe du destin (le patrimoine baroque de la vallée est à découvrir page 32). « Il doit bien y avoir quelque chose de vrai, parce que cette branche de sureau a été mise dans le mur, côté façade est. Il faut enfiler tout le bras et on sent bien le bois qui est là-dedans », raconte l’ancien curé de la vallée, l’abbé Romanet. C’est aussi, plus prosaïquement, à égale distance entre Saint-Marcel et Saint-Martin, les deux principaux villages de la vallée. Les petits arrangements humains sont parfois mieux acceptés déguisés en miracles.

C’est autour de cette église que se dessine la vallée. La route la contourne pour déplier soudain le paysage. Elle est là, enfin, cette vallée en forme de « v » alangui qui s’ouvre pour nous accueillir. Deux paumes regardant le ciel, couvertes de pâturages et dont les doigts ferment le cirque par des sommets pierreux d’où l’eau cascade jusqu’au Doron, rivière furieuse qui coule en mêlant neige et glace fondues dans une eau métallique. C’est une vallée qu’on aime (« On a tout ici, on reste », lance un jeune Bellevillois) ou qu’on apprend à aimer (comme ce Parisien, locataire à Praranger : « J’aime cette vallée, cinq heures après avoir quitté Paris, je me retrouve devant Caron, c’est magnifique. »). Et devant la piste de Boismint, si délicieuse pour les skieurs, qui remonte jusqu’à la cime de Caron, fermeture éclair qui boucle la vallée.

~ The road continues till it reaches the heart, though not the geographical centre, of the valley: Notre Dame de la Vie. This is a church with miraculous origins, or so legend has it. The villagers wanted to replace an oratory which was situated lower down the mountain, but each night the building materials moved back up to where the church now stands. A statue found on an elderberry branch confirmed the miracle and the villagers decided to follow the signs of destiny (the valley’s baroque heritage is on page 32). “There must be some truth in the story because the elderberry branch had been put in the wall, facing east. You need to put your whole arm right inside the wall and you can feel the wood quite clearly,” the former local priest, abbot Romanet, explains. More prosaically, the spot is also equidistant between Saint-Marcel and Saint-Martin, the two main communities in the valley. Certain human arrangements are often more acceptable when disguised as miracles.

It is around this church that the valley is designed. The road skirts it and then suddenly the landscape unfolds before our eyes. At that point, the sleepy v-shaped valley opens up to welcome us. It is as if the pastures are being cradled and held aloft by two cupped hands, and the rocky summits in the background form the enclosing fingers. From those summits the water cascades all the way down to the Doron, the turbulent river blending melted snow and ice in its gunmetal waters. It is a valley the people love (“We’ve got everything we want; we’re staying here,” a young man from Belleville says firmly) or that we learn to love (like this Parisian who is renting in Praranger: “I love this valley. Five hours after leaving Paris, I find myself looking up at Caron; it’s magnificent.”). And facing us, the Boismint piste, a skier’s delight, climbs right to the top of Caron, as if zipping the valley up tight.

Saint-Martin est confortablement installée dans la pente qu’elle tente d’équilibrer avec son clocher scintillant qui pointe du doigt vers le ciel.~ Saint-Martin sits comfortably on the slope with its eye-catching bell tower pointing its finger heavenwards.

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La pointe de la Masse, à 2 804 mètres, regarde sur la vallée des Belleville, la vallée des Encombres et le vallon du Lou, trois territoires de grand ski. ~ La Masse peak at 2,804 m, overlooks the entire Belleville valley, the Encombres valley and the Lou ravine, three extensive off piste skiing areas.

photo / Dom Daher

âGE DE FER, âGE DE NEIGE

L’homme n’arrive que bien tardivement, une fois ces bouleversements passés. Vers 800 av. J.-C., la population quitte les fonds de vallées soumis aux caprices et crues de l’Isère et cherche l’altitude. Elle crée les alpages, forme d’exploitation avant l’arrivée des Romains, fruit du travail humain et non pas don gratuit de la nature. Les Ceutrons, peuple celtique, acclimatent la « petite vache rousse de Darantasia » (notre vache tarine) et laissent la pierre à cupules de Villarenger. Ce serait le latin qui aurait donné le nom de Belleville (Bella Villa, « la belle exploitation, les beaux pâturages ») et de certains villages comme Villarabout, venu de Villarium, « une petite exploitation », accolée au nom du propriétaire, Rabodius. « Saint-Jean-de-Belleville et Saint-Martin-de-Belleville s’appellent encore Saint-Jean et Saint-Martin de essertis (essarter : défricher) dans l’acte de partage de saint Pierre II de Tarentaise en 1170 et dans la bulle du pape Honorius III en 1226 : les moines à qui l’on avait donné ces terres les ont conquises sur les broussailles. » (Ibid.)

Habitée de 2 500 habitants en 1830, la vallée va se dépeupler lentement : 1 612 en 1901 et 1 123 en 1959. Avec l’arrivée des stations de ski (lire l’histoire des Menuires et de Val Thorens page 90), l’exode est inversé et aujourd’hui plus de 3 000 Bellevillois vivent à l’année. Dans son histoire, la vallée n’a jamais été aussi active. Domaine de ski unique au monde, les Trois Vallées, dont celle des Belleville est la plus grande, ont vu leur potentiel touristique identifié il y a presque un siècle, en 1925. Un groupe hétéroclite d’Anglais skieurs, hommes d’affaires et architectes prospectent méthodiquement les Alpes dauphinoises et savoyardes. Les Anglais, qui avaient lancé les sports d’hiver en Autriche et en Suisse, cherchent à créer dans les Alpes françaises une station à l’image de celles du Tyrol ou des Grisons. Ils identifient les vallées de Saint-Bon, des Allues et de Saint-Martin-de-Belleville.

~ IRON AGE, SNOW AGE

Man arrived much later, once all the upheaval had passed. Around 800 BC, the people left the bottom of the valleys, which were subject to flooding and went up in search of high ground. They created pastures, which was the way the land was exploited before the Romans arrived. They enjoyed the fruits of their labours rather than the product of nature’s bounty. The Celtic people, the Ceutrons, domesticated the “little red cow from Darentasia” (now known as the Tarine breed). The name Belleville comes from Latin (Bella Villa, “charming estate, beautiful pastures”) like the names of other villages. Villarabout derives from Villarium, “a small country estate”, combined with the name of its owner, Rabodius. “Saint-Jean-de-Belleville and Saint-Martin-de-Belleville were still referred to as Saint-Jean and Saint-Martin de essertis (meaning to clear a terrain) in certain ecclesiastical texts of 1170 and 1226, because the monks had cleared the scrub from the valley.” From 2,500 inhabitants in 1830, the valley slowly began to lose its population, which had dropped to 1,734 by 1841 and to about 1,000 by 1940. With the arrival of the ski resorts (read the history of Les Menuires and Val Thorens on page 90), the exodus was reversed and today more than 3,000 people live in the Belleville valley all year round. At no time in its history, has the valley ever been so active. A skiing domain unlike any other in the world, the Three Valleys, of which the Belleville is the largest, identified its tourist potential nearly a century ago, in 1925. An odd assortment of English skiers, businessmen and architects systematically explored the Dauphin and Savoy Alps. The English, who had already started up winter sports in Austria and Switzerland, were looking for a similar spot in France to create a resort. They identified the Saint-Bon valley (Courchevel), Les Allues (Méribel) and Saint-Martin-de-Belleville.

Dans ces grès, ces schistes tendres, l’érosion glaciaire a préparé des douces pentes favorables aux skieurs. ~ In these sandstones and soft shale, erosion opened up the vast chasms of the Tarentaise and the Three Valleys providing the gentle slopes for skiers.

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Les Trois Vallées n’étaient alors parcourues en hiver que par quelques fanatiques du ski de randonnée et, en été, par les chasseurs de chamois et de coqs de bruyère. L’idée des Trois Vallées se concrétise pendant la guerre, grâce à deux initiatives indépendantes, mais qui arriveront curieusement à peu près aux mêmes conclusions. La première est celle de Laurent Chappis, jeune architecte passionné de ski, et Maurice Michaud, ingénieur des Ponts et Chaussées, homme-clé de l’aménagement des stations de ski en France jusqu’à la fin des années soixante, tous deux prisonniers en Autriche pendant la seconde guerre mondiale. Se basant sur ses souvenirs de randonneur et des cartes au 1/50 000e fournies à grand-peine par la Croix-Rouge, ils réfléchissent aux aménagements possibles et découvrent qu’on peut relier par téléphérique le plateau des Tovets (Courchevel 1850), le plateau de Tuéda (Méribel-Mottaret) et la Chasse (entre Val Thorens et les Menuires). Le projet est grandiose. En prolongeant d’un côté, on atteint Bozel (offrant un accès routier), de l’autre Saint-Michel-de-Maurienne (et sa liaison ferroviaire). La seconde initiative vient du gouvernement de Vichy qui travaille lui aussi, aussi étonnant que cela puisse paraître en pleine collaboration, à l’aménagement des Trois Vallées. C’est la première étude officielle sur la question. Elle est datée de 1942.

C’est ainsi qu’à la place des deux granges du plateau des Tovets (Courchevel), du hameau de Mussillon (Méribel) et du plateau austère des Boyes (les Menuires), on va construire des stations de ski dédiées au tourisme hivernal, à près de 1 800 m d’altitude. Les stations des Menuires et de Val Thorens vont révolutionner la vie de la communauté bellevilloise installée dans ses alpages, loin du monde, depuis l’âge de fer. L’âge de la neige va les projeter brutalement dans la modernité, où la richesse ne se mesure pas en terres ni en bêtes, où l’on gagne de l’argent en glissant sur des planches de bois, où l’électricité et l’eau potable sont dans toutes les maisons (le ski aujourd’hui est dans le portfolio page 122). Le père de mon voisin a grandi dans les champs, il est devenu moniteur de ski, son fils est ingénieur. Ils ont sauté les étapes, vécu dans le futur sans attendre qu’il n’arrive. Un plongeon radical dans l’inconnu que les Bellevillois ont su transformer en bain de jouvence.

~ Only a handful of touring ski enthusiasts skied on the snowy slopes of the Three Valleys at the beginning of the 20th century. The idea of an interconnected ski area was really born during the Second World War, thanks to two independent initiatives which, nonetheless, reached the same conclusions. The first one involved Laurent Chappis, a young architect and passionate skier, and Maurice Michaud, a civil engineer who would become the key figure in ski resort development up until the 1960s. They met in a prison camp in Austria and worked on a map given to them by the Red Cross. They found that with a gondola lift, they could link up les Tovets (Courchevel 1850), Tuéda (Méribel-Mottaret) and La Chasse (between Val Thorens and les Menuires). It was a large scale project. On both sides the link could be extended to Bozel at one end and to Saint-Michel-de-Maurienne (for the train connection) at the other. In the same year,1942, at the height of one of the most difficult periods in French history, the “collaboration” with the Nazi occupying forces, the Vichy government sent a study group to the Three Valleys with a view to building ski resorts there. This was the first official study of its kind.

And so, after the war, the ski resorts were built in the mountains, at an altitude of 1500m. Les Menuires and Val Thorens revolutionised the ancestral farming community of Belleville, which had nestled among its mountain pastures since the Iron Age. The snow age pitched them headlong into the modern world where wealth is not measured in land or cattle, where you can earn money sliding on two planks of wood, where electricity and running water reach every house. My neighbour’s father grew up working in the fields, but became a ski instructor and his son is an engineer. The people of Belleville have lived through accelerated evolutionary change, jumping into the future without waiting for it to arrive. A leap in the dark that turned into a rejuvenating experience.

Le village de Saint-Marcel où la première étude d’aménagement, datée de 1942, avait prévu la construction de la station de ski de la vallée des Belleville. ~ The village of Saint-Marcel, where the first development study, dating from 1942, had anticipated the construction of a ski resort in the Belleville valley.

photo / Jean-Pierre Noisillier

L’âge de la neige va projeter la communauté bellevilloise dans la modernité, où la richesse ne se mesure pas en terres ni en bêtes, où on gagne de l’argent en glissant sur des planches de bois.

~ The snow age pitched them headlong into the modern world where wealth is not measured in land or cattle, where you can earn money sliding on two planks of wood.

16 PORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE 17 LA RISSOLE DE PROUST

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~ PROUST’S “RISSOLE”

The “rissole” is a square fritter filled with cream and then deep fried. It is one of the local delicacies. My nanny, Bernadette, used to flatten the dough into large squares on the kitchen table, cut them up and deep fry them. Resisting the urge to taste them, we had to wait for the “rissoles” to cool down but, more often than not, we burned our tongues trying to reach the creamy inside. The “rissole” is the tasty symbol of the changing times that Bernadette, whose family were firmly rooted in the valley, used to slip into the mouths of the children she looked after. The parents of these children had moved in to work in the ski resort, a seed of modernity germinating in the mountains. And their children were being given a taste of the place. With this “rissole” more than just calories were being passed on: the old era was nourishing the children of tourism, offering them a gift from the valley and its traditions.

And then there is serac, a cheese made in a steep street in Les Granges, where Denise and Denis kept a few cattle steaming by the door in the winter. The cheese smelled strong but it was not disagreeable. The serac had the colour of a whitewashed wall and followed the old saying that “French cheese tastes a good deal better than it smells”. There is also genepi, an alcohol made by everyone with 40 twigs of the genepi plant and 40 lumps of sugar left for 40 days in a bottle. “I’m inspired by the valley, especially the herbs. In spring, I use pine tree shoots, in July, wild strawberries, in winter, hay,” says Maxime Meilleur, chef of La Bouitte restaurant where, with his father, he gives a modern twist to local ingredients. The scent of herbs hangs in the air in summer time and in the houses in autumn. “In the past, in the spring, we used to pick lime, mint, camomile and large mountain violets. We tied them to the ceiling, let them dry and used them as a herbal tea,” remembers Charles Borrel from Villarenger.

You can discover the valley through your taste buds, but you explore it with your feet. My favourite season is autumn with its dark, overcast skies, its golden light flowing over pastures the colour of leather and tobacco just before it snows. Pierre Lecomte used to be the valley’s forest warden and coach of the cross-country skiing club. He used to take us running in autumn across the fields baked by the heat of the sun, through the brittle grass that scratched our legs, among the last cows nibbling on the remains of the summer feast. Before the ski resort, Joachim Charvin roamed the same fields as a boy, stick in hand, to prod the cattle. “We could play all day long. The cows were grazing, we could take it easy, play marbles even. We also used to make holes in the ground and, used the stick to knock a stone into them, a bit like golf. We made whistles or decorated sticks, things like that, when we found bits of wood.”

Summer, autumn, winter… we usually say that there isn’t any spring in the mountains, just an unsettled period when the temperature rises despite the snowfalls, when the days grow longer but the cold can still nip you unawares. The ground is a sponge and the first flowers spring up. It is what we call “intersaison” (an in-between season). The chairlifts swing on motionless cables, the curtains are drawn in the shop windows after the five hectic months of the tourist season. Spring is when we slow down, take a deep breath and look at our valley again. We put the car away and walk. A day on “le Cochet”. A walk to the “col de la Lune”, an afternoon with the children at the Lac du Lou. In the past, the rhythms of life were the reverse: hibernating in the winter and waking up in the spring. “When the snow was gone, they used to drag us out of school to work in the fields,” recalls Edouard Laissus from Saint-Marcel.

LA RISSOLE DE PROUST

La rissole est un petit beignet de forme carrée avec de la crème à l’intérieur, c’est l’un des délices locaux. Ma nounou, Bernadette, étalait ses carrés de pâte sur la table de la cuisine et les découpait pour les plonger dans l’huile chaude. Luttant contre l’impatience de l’âge, on attendait qu’elles refroidissent, mais plus souvent, cédant à la tentation, on s’y brûlait la langue pour accéder au cœur fondant de crème tiède. La rissole est un savoureux symbole de ce changement d’époque que Bernadette, issue d’une famille enracinée dans la vallée, glissait dans la bouche des enfants qu’elle gardait, enfants de commerçants venus s’installer dans la nouvelle station, noyau de modernité lâché en pleine nature, pour leur donner le goût d’ici. Par cette rissole passait beaucoup plus que des calories : c’était l’époque ancienne qui nourrissait les enfants du tourisme. Un cadeau de la vallée et de ses traditions.

Il y a aussi le sérac, préparé dans la ruelle en pente des Granges, où Denise et Denis avaient encore quelques bêtes qui fumaient par la porte l’hiver. Ça sentait fort, ça piquait le nez sans être désagréable. Le sérac, qui avait la couleur d’un mur passé à la chaux, respectait la vieille sagesse qui dit que « les fromages français goûtent bien meilleurs qu’ils ne sentent ». Il y a le génépi que tout le monde prépare, avec quarante brins et quarante sucres à laisser reposer quarante jours. « La vallée m’inspire surtout dans les herbes. Au printemps, ce sont les bourgeons de sapin ; en juillet, les fraises des bois ; en hiver, le foin », raconte Maxime Meilleur qui, avec son père René, modernisent les ingrédients locaux dans leur cuisine de La Bouitte. Les herbes embaument la vallée en été et les maisons à l’automne. « Dans le temps, il y avait le tilleul, la camomille, la menthe, de grosses violettes de montagne qu’on allait ramasser au printemps. Ça faisait un gros bouquet. Puis on les attachait au plafond, on les laissait sécher, puis de temps en temps, si on avait envie d’en boire, ça faisait une tisane », se souvient Charles Borrel de Villarenger.

Si la vallée se découvre avec les papilles, elle s’explore avec les pieds. L’automne a ma préférence, avec ses sombres plafonds et sa lumière d’or qui coule sur les alpages couleur cuir et cigare d’avant la neige. Pierre Lecomte, tronc jurassien au feuillage bellevillois, était garde forestier et entraîneur du club de ski de fond. Il nous emmenait courir à cette saison dans les champs dorés par la cuisson du soleil d’été, dans l’herbe cassante qui griffait les mollets, au milieu des derniers troupeaux grignotant les restes du festin estival. Avant la station, c’étaient les alpages qu’on parcourait à pied, bâton en main pour discipliner les vaches. Joachim Charvin était un petit berger qui passait l’été en altitude : « On pouvait s’amuser toute la journée ; les bêtes étaient en train de pâturer, on était bien tranquilles. On jouait même aux billes, on faisait des trous dans la terre, et puis avec le bâton, on mettait un caillou, un peu comme le golf. On faisait des sifflets, des choses comme ça, quand on trouvait des bouts de bois. On s’amusait à faire des bâtons qu’on décorait un peu avec des marques dessus. »

Été, automne, hiver… on a coutume de dire qu’il n’y a pas vraiment de printemps en montagne. Juste une période un peu confuse où la température augmente, mais où il neige encore, où les jours s’allongent, mais où le froid frappe encore sans prévenir. Les sols sont des éponges, les premières fleurs s’étirent. C’est l’intersaison, avec ses télésièges qui se balancent sur leurs câbles immobiles et les rideaux tombés sur les vitrines des magasins après cinq mois intenses. On souffle et on rouvre les yeux sur sa vallée, on laisse la voiture et on marche. Une journée au Cochet. Une balade au col de la Lune. Une après-midi avec les enfants au lac du Lou. Les rythmes étaient inversés à l’époque : on hibernait l’hiver, on se réveillait au printemps ; « Quand il n’y avait plus de neige, ils nous enlevaient de l’école pour aller en champ », témoigne Édouard Laissus de Saint-Marcel.

L’idée des Trois Vallées se concrétise pendant la seconde guerre mondiale, grâce à deux initiatives indépendantes.~ The idea of an interconnected ski area was really born during the Second World War, thanks to two independent initiatives.

18 PORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE 19 LA RISSOLE DE PROUST

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~ DOUBLE LIVES

Our modern lives unfolding in the valley follow and overlap those of our ancestors. The orange stone taken from the Cochet quarry and the slates, dark as a crow’s wing, are still found on houses today. It is just that now we tend to add a satellite dish, a neat lawn and somewhere to park the car. In the villages, as well as those comfortable modern houses, we still see the old roughstone dwellings with tiny doors and rickety roofs clinging to the mountainside. “In winter time, everybody used to stay in the stables. There was only a partition wall between us and the cows, but some families didn’t even have that. The cows were on one side, the people on the other. There you had the table and then the beds,” Olympe Chavoutier, from le Mas explains.

The two ways of life ran in parallel for a while: the farmers with their habit of self-sufficiency and the holidaymakers with their festive atmosphere. The first way of life has slowly disappeared. “Now we live here the same as in a city,” says Marie-Michel Laissus from Béranger, “but in the old days we had no water, no electricity, not even roads. We were cut off in the winter time. We had to make a path through the snow with mules between here and Saint-Martin. When there was too much snow, we used shovels. Everyone had to take turns with snow clearing and it was the village councillor’s job to ring the bell and shout, ‘Er, right, today, it’s the young ones’ turn to clear a path!’”

There is a feeling now that an age is passing away. It is not only a generation that is dying out, taking their way of life with them; it is several centuries of mountain life, country wisdom, intimate knowledge of the place, slipping away before our eyes. “Today we can’t understand how we used to live without running water. We would go to the fountain to fetch water, sometimes a drop at a time. We had everything we wanted, we were satisfied with little, we weren’t as happy but we weren’t as stressed as we are now,” Marie-Thérèse Borrel says. With each year that passes, the memories become fainter. These weatherbeaten faces, with the map of the mountains etched into their skin by the sun; the black berets; the thick wool jackets; words pared down to the bone by weariness: all this will soon belong to the past.

The valley has changed a good deal since my childhood (as you can see in the portfolio on page 40). I sometimes have trouble finding my way round now because of the new ski lifts, buildings which have been renovated, demolished or replaced, and the sports centre and the bowling alley that have shot up in less than a year. Then there is the Val Thorens bypass, the housing development in Saint-Marcel, faces that are getting older and others that have just arrived. Sixty years after Les Menuires was created, two of its very first buildings, le Solaret and les Clarines, were demolished. Sixty years after Les Menuires came into being and thirty years after Val Thorens, two cameramen, a sound engineer and a journalist have made a documentary to record the memories of the old people from the area and show the film in the Saint-Martin Museum. These two events symbolise the way in which a new generation is taking a firm grasp on the valleys’ heritage, to protect it and hold it up for all to see. It is also another way of getting ready for the future.

Next to the empty crater where the Solaret building once stood, a small, rickety summer chalet (montagnette) made of grey stone still holds its ground. It survived the construction of Solaret, one of the first buildings in Les Menuires, and survived its destruction.The past has a tough hide. Everything is transformed, yet nothing changes. Even Bernadette’s deep-fried delicacies still taste the same!

À côté des habitations modernes, on trouve encore dans les villages ces maisons bancales accrochées à la pente, aux portes minuscules, aux toits arthritiques et aux murs de pierre brute. ~ As well as those comfortable modern houses, we still see the old roughstone dwellings with tiny doors and rickety roofs clinging to the mountainside.

DOUBLES VIES

Nos vies modernes suivent et croisent celles, ancestrales, qui déroulaient leur pelote dans cette vallée, se superposant l’une à l’autre. Les pierres orange détachées de la carrière du Cochet, les ardoises noires comme une aile de choucas, habillent toujours les maisons auxquelles on ajoute une antenne satellite, une pelouse rase et un parking. À côté de ce confort moderne, on trouve encore dans les villages ces maisons bancales accrochées à la pente, aux portes minuscules, au toit arthritique et aux murs de pierre brute. « En hiver, tout le monde restait dans les écuries. Il y avait une cloison avec les vaches, mais dans certaines familles, il n’y avait pas de cloison. Il y avait les vaches d’un côté et puis les gens de l’autre, il y avait la table puis les lits », raconte Olympe Chavoutier, du Mas.

Deux vies se sont côtoyées, les habitudes paysannes d’autosuffisance alimentaire et l’ambiance festive des vacances (un concept que ne connaissaient pas les paysans), pour finalement voir la première disparaître (témoignages à lire page 20). « Maintenant, on vit ici bientôt comme au temps de la ville. Mais à cette époque, il n’y avait ni eau, ni électricité, ni même seulement des routes, on était bloqués l’hiver. On faisait un chemin avec les mulets d’ici à Saint-Martin, quand il y avait trop de neige, on le faisait à la pelle. On mettait une corvée pour déneiger, c’est le conseiller du village qui tirait la cloche, il disait : “ Ben aujourd’hui, allez tous les jeunes, il faut aller ouvrir le chemin ! », se souvient Marie-Michel Laissus de Bérenger.

On a le sentiment d’une époque qui passe. Ce n’est pas seulement une génération qui est en train de mourir en emportant avec elle son mode de vie, ce sont plusieurs siècles d’une vie avec la montagne, d’astuces, de connaissance intime du terrain, qui est en train de s’effilocher. « Aujourd’hui, on n’arrive pas à comprendre comment on vivait sans eau courante, on allait la chercher à la fontaine, parfois au goutte-à-goutte. On avait tout ce qu’on voulait, on se contentait de peu, on était moins heureux mais moins stressés que maintenant », raconte Marie-Thérèse Borrel. Chaque année dilue le souvenir, emporte ces visages au relief creusé par le soleil qui imprime sur leur peau la carte du pays. Le béret noir et la veste de laine solide. Les mots rabotés par la fatigue jusqu’à leur cœur incassable. Bientôt du passé.

La vallée a beaucoup changé depuis mon enfance (en témoigne le portfolio page 40). J’ai parfois du mal à m’y retrouver dans les nouvelles remontées, les immeubles ravalés, détruits, remplacés, le centre sportif et le bowling apparus en moins d’un an, la déviation des Menuires et les nouveaux quartiers de Saint-Marcel, entre les visages qui vieillissent et les nouveaux venus. Quarante ans après la création des Menuires, on a détruit les premiers bâtiments de la station, le Solaret et les Clarines. Trente après celle de Val Thorens, au deuxième étage du musée de Saint-Martin, deux cameramen, une ingénieure du son et un journaliste enregistrent la mémoire des anciens pour un film projeté dans ces murs. Ces deux événements sont symboliques d’une nouvelle génération qui prend en main son passé, le protège, lui plonge dans les yeux. Une façon aussi de préparer l’avenir.

Près du cratère stérile de l’immeuble disparu du Solaret, une petite montagnette persiste et signe, toujours debout avec ses pierres grises bancales. Elle a survécu à la construction, elle a survécu à la destruction : le passé a la peau dure. Tout se transforme, mais rien ne change, et les rissoles de Bernadette, elles, ont toujours le même goût.

Sculpture spontanée dans les champs. ~ Spontaneous sculpture in the fields.

photo / Marc Muller

20 PORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE 21 LA RISSOLE DE PROUST

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La Gittaz, le village le plus surprenant de la vallée, suspendu à l’entrée de la vallée des Encombres. ~ La Gittaz, the most surprising village in the valley, poised on the edge of the Encombres valley.

photo / Marc Muller

ET DEMAIN ?

« C’est la fin de la vague, explique Georges Cumin, on ne construira plus de stations nouvelles, le marché est trop faible, les obstacles administratifs trop grands et la volonté politique absente. Les stations des Trois Vallées ne pourraient plus se construire aujourd’hui, il faudrait des années de parlote pour protéger toutes les petites bêtes. » Les Menuires et Val Thorens, fruits d’une époque où tout (ou presque) était possible, doivent maintenant être peaufinées (voir les efforts environnementaux page 74), modernisées, adaptées aux goûts (en poussant l’art de recevoir à ses sommets, page 64), au confort, agrandir les parkings, en creuser sous terre, refaire les façades avec de la pierre et du bois, construire un clocher.

La problématique est identique pour le domaine skiable : il faut moderniser puisqu’il est impossible de s’étendre par volonté politique. Les remontées mécaniques sont plus rapides (machines débrayables et à double embarquement), plus grandes (télécabines), plus résistantes aux intempéries (Funitel bi-câble stable au vent). Les stations de la vallée des Belleville sont les plus en pointe sur la question (en témoigne le reportage page 138). En 1985, on comptait 9 millions de passages par saison pour un parc de 36 remontées mécaniques. À Val Thorens en 2007, ce sont plus de 20 millions de passages sur… 29 remontées (y compris Orelle).

Bâtir les stations des Menuires, Val Thorens et les Trois Vallées fut une aventure unique, mais que reste-t-il à la génération suivante ? Raconter encore et encore cette histoire, relater ces hauts-faits pour les congeler en légendes ? Se contenter de gérer l’existant en rentiers ternes ? Tous les pionniers ont donné leurs réponses. Nous commençons seulement à proposer les nôtres. ///

~ AND TOMORROW ?

“It’s the end of a wave of development,” explains Georges Cumin. “We won’t be building new ski resorts, the market’s too small, the administrative hurdles too high and there’s no political will. The Three Valleys ski resorts couldn’t be built today, as you need years of debate to protect all the little creatures.” Les Menuires and Val Thorens were created in an era when anything, (or almost anything), was possible. Both have now had to be refined (by paying special attention to the environment, see page 74), modernised, adapted to modern tastes (by pushing standards of hospitality to new heights, page 64), the car parks extended, stone and wood added to the building façades, and a bell tower built.

The situation is the same for the ski area: as it is impossible to grow, it needs to be more efficient. Ski lifts are now faster, longer, of larger capacity, and more resistant to the wind. In Val Thorens, the most modern ski resort when it comes down to lifts (as you can see in the reportage on page 138), 9 million skiers were transported on 36 lifts in 1985. 22 years later, 20 million skiers are transported on 29 lifts !

Building the ski resorts of Les Menuires, Val Thorens and the Three Valleys was a unique adventure. What is left for the next generation to do? Tell the story again and again and freeze it into a legend? Be content to manage the wealth without imagination? All the pioneers have given their solutions. We are only just beginning to propose our own.///

Bâtir les stations des Menuires, Val Thorens et les Trois Vallées fut une aventure unique. ~ Building the ski resorts of Les Menuires, Val Thorens and the Three Valleys was a unique adventure.

22 PORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE 23

Page 13: Belleville portrait d'une haute vallée

VIVRE DANSLA VALLÉE DES BELLEVILLE

PAGE 24Quand les anciens se racontent. ~ Village elders recount their memories.

PAGE 36Le patrimoine baroque. ~ The Baroque heritage.

PAGE 46Portfolio : le nouveau visage de la vallée.~ The new face of the valley in pictures.

PAGE 68Carnet de voyage estival. ~ A summer sketchbook.

PAGE 76L’art de vivre quatre étoiles. ~ Four star living.

PAGE 86Protéger la chlorophylle. ~ Green is the colour.

photo / Marc Muller

24 25 PARTIE 1 : VIVRE DANS LA VALLÉE DES BELLEVILLEPORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE

Page 14: Belleville portrait d'une haute vallée

C’était un autre temps, celui que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître, celui d’avant les stations de ski. On vivait noué à la montagne, mère nourricière pas toujours clémente. Les derniers témoins de cette vie se racontent au micro d’un chercheur de l’université de Grenoble.

~ It was another time, a time before ski resorts. People’s lives were tied to the mountain which nourished them but which was not always kind to them. The last surviving witnesses tell us what life was like in those days.Interviews réalisées par Claude Viard Portraits / Marc Muller

TÉMOINS CAPITAUX~ KEY WITNESSES

Mme Julie Ulliel, avec son petit-fils Vincent (3è à partir de la gauche) et ses arrière-petits-enfants, Julia et Léonie, Hugo et Erwan. Quatre générations qui vivent toujours dans la vallée.~ Mrs Julie Ulliel, with her grandson Vincent (3rd from the left) and her great-grandchildren Julia and Léonie Hudry, Hugo and Erwan. Four generations who still live in the valley.

Photo / Dom Daher

Page 15: Belleville portrait d'une haute vallée

La plus grande des 3 Vallées, les Belleville est un endroit unique dans le monde des sports d’hiver, avec trois stations de ski internationales. En deux générations, elle a profondément changé, troquant ses faux et ses vaches pour des skis et des télésièges. En tendant l’oreille, en prenant le temps de regarder, la vallée des Belleville révèle ses visages. Ce livre est le carnet de voyage, richement illustré et passionnément écrit, du destin inattendu de ce territoire de haute montagne.

30 eurosImprimé en France ~ Printed in FranceISBN : 2-916416-04-8

~ The largest of the three valleys, the Belleville valley, with its three international ski resorts, is unique in the world of winter sports. In the space of two generations the valley has completely changed, trading in its scythes and cows for skis and chair lifts. If we open our eyes and take the time to look, the Belleville valley reveals its many faces. This book is a travel diary, richly illustrated and written with passion, about the surprising destiny of this high mountain landscape.

éditions inverse /// www.inverse.frphoto de couverture / Jean-Pierre Noisillierau dos / photo Marc Muller

VALLÉE DES BELLEVILLE

PORTRAIT D’UNE HAUTE VALLÉE SAINT-MARTIN / LES MENUIRES / VAL THORENS~ PORTRAIT OF AN ALPINE VALLEY - FULL ENGLISH VERSION

9 782916 416045