Artus, Patrick - La liquidité incontrôlable

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    Patrick ArtusMarie-Paule Vi ra rdLa liquiditincontrlable

    Qui va matriser la monnaiemondiale?

    PEARSON

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    Des mmes auteurs, dans la mme collection:On comprend mieux le monde travers l'conomie,Pearson, 240 pages, 2008

    Anoter: Les astrisques * renvoient au glossaire de fin d'ouvrage.

    Mise en page: FAB Orlans 2010, Pearson Education France, ParisAucune reprsentation ou reproduction, mme partielle, autre que cellesprvues l'article L. 122-5 2 et 3 a) du code de la proprit intellectuellene peut tre faite sans l'autorisation expresse de Pearson Education Franceou, le cas chant, sans le respect des modalits prvues l'article L. 122-10dudit code.ISBN: 978-2-7440-7360-1

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    Table des matiresLes auteurs VIIIntroduction 1

    1. La politique montaire dans tous ses tats 5En accumulant des rserves de change, les pays mergents

    crent l'essentiel de la liquidit 10Quand les banques centrales font feu de tout bois pour sauver

    la croissance 16Les banques centrales endossent leur costume d' acheteusesen dernier ressort 22

    Quand la politique de money rain inonde la plantede liquidits 26

    2. Hyperliquidit contemporaine: fausses peurs et vrais dangers 31La globalisation reste un agent de dsinflation efficace 35Les banques centrales toujours complices des vieux ? 41De nouvelles bulles encore plus dangereuses 43Les banques centrales ne savent pas reprendre la liquidit 48

    3. Faut-il modifier la mission des banques centrales? 53Les banques centrales en lutte contre le risque dflationniste 55Les mfaits de l'instabilit dynamique des prix d'actifs 59Les dangers associs aux distorsions sur prix d'actifs 63Le risque de fuite devant la monnaie 65Quelle nouvelle politique pour les banques centrales? 69

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    VI - La liquidit incontrlable4. Quelle rforme du systme montaire international? 75

    Comment mieux contrler l'offre de monnaie mondiale? 80 quoi pourrait ressembler un systme montaire international optimal ? 84Le face--face Chine/Amrique, l'Europe impuissante 87Pays mergents, les corner solutions remises en cause 90

    5. Quand les banquiers centraux cherchent la sortie ... 97La stratgie de sortie n'est pas un problme technique,mais un problme de politique conomique 101Le pige des dficits publics est tendu 106Des stratgies de sortie sous hautes contraintes 109

    Conclusion 117Glossaire 121

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    Les auteursPatrickArtus est directeur de la recherche de Natixis, professeur l'cole polytechnique et professeur associ l'universit Paris 1Panthon-Sorbonne.Marie-Paule Vrrard, ancienne rdactrice en chef du magazineEnjeux-Les chos, est journaliste indpendante.

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    IntroductionLe 25 aot 2009, depuis ses vacances dans le Massachusetts, BarackObama a fini par faire de bonne grce ce que Wall Street lui rclamait avec insistance: il a reconduit le mandat de Ben Bernanke latte de la Rserve fdrale (Fed), la banque centrale des tats-Unis.Un renouvellement anticip qui avait pour objectif d'envoyer unsignal de continuit des marchs financiers encore nerveux et surtout justifi, selon le prsident amricain, par le fait que le patron dela Fed avait su loigner l'conomie du gouffre de la dpression .

    Voil en effet un homme providentiel. Pour faire face l'effondrement du crdit au dernier trimestre 2008, la Fed a inject descentaines de milliards de dollars de liquidits dans l'conomie etsauv de grands groupes financiers de la faillite. Bernanke a ainsidsamorc la spirale dpressive qui menaait la plante, tout en permettant aux banques, grce des taux d'intrt ramens zro, de serefaire une sant et d'engranger nouveau des marges considrables,suffisamment en tout cas pour les voir esprer que tout puisserecommencer comme avant. Juste assez interventionniste pour viter le dsastre, mais pas trop afin de laisser Wall Street renouer tran-quillement avec ses bonnes vieilles habitudes. Le banquier centralrv, en quelque sorte.

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    Des banquiers centraux conforts par la criseD'une manire gnrale, les banquiers centraux sortent renforcs dela crise. Ils ont plutt bien contrl la situation, sauv le systmebancaire et vit que la rcession ne se transforme en dpression face la pire crise mondiale depuis la Grande Dpression des annes 1930.Le consensus leur dcerne la plupart du temps un satisfecit etrserve le goudron et les plumes aux banquiers et autres professionnels de la finance, commencer par les traders, dont l'avidit auraitconduit la plante tout entire au bord du gouffre. De G20 en G20,les dirigeants du monde dsignent clairement les incendiaires : lesprofessionnels de la finance, leur arrogance et leur coupable industrie. Personne ne niera qu'en matire d'esprit de responsabilit et detemprance, le capitalisme a certainement connu priodes plus glorieuses que la vingtaine d'annes qui vient de s'couler et que l'utilit sociale de certaines activits financires n'a pas toujours td'une vidence cristalline. La volont des dirigeants de mieux rguler les pratiques des professionnels de la finance est donc justifie.D'autant plus sans doute leurs yeux qu'elle est, il faut bien le dire,politiquement porteuse.

    Mais rglementer les comportements ne suffit pas rsoudre lesproblmes fondamentaux auxquels l'conomie mondiale est aujourd'hui confronte. Le pire serait mme que la volont affiche de traiterquelques symptmes exonre finalement les dirigeants de la plante des'attaquer aux vritables causes de la crise. En particulier, il y a peu dechances de voir l'encadrement des rmunrations individuelles, fussentcelles de traders, produire un effet significatif sur le niveau de risquesystmique de la finance mondiale. Disons-le tout net: sans contrle dela liquidit mondiale*, il ne sert absolument rien de rguler les activits bancaires. Or, la liquidit mondiale* est devenue incontrlable et ilserait donc audacieux d'exonrer banquiers centraux (et gouvernements) de toute responsabilit. Les banquiers centraux ont certes vitla catastrophe pendant la crise, mais ils ont pris leur part dans sa gense,

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    Introduction - 3tout comme ils risquent de ne pas tre trangers, s'ils n'ajustent pas leurscritres d'apprciation, au dclenchement de la suivante .. la rentre 2009, les deux machines fabriquer la liquidit - politiques montaires des banques centrales de l'OCDE et accumulation des rserves dechange* des pays mergents - continuaient tourner plein rgime,prparant dj la prochaine secousse. Jamais en effet la croissance de labase montaire* n'a t aussi forte, sans que la moindre coordinationinternationale srieuse ne se profile l'horizon.

    Ne pas rater la sortie de criseC'est la raison pour laquelle une rflexion approfondie sur la politique montaire, ses critres, ses moyens, ses objectifs nous sembleessentielle en ce dbut d'anne 2010, au moment mme o, aprsque l'conomie-monde ait travers une des plus graves crises financires de l're moderne, politiques et experts commencent parlerde stratgies de sortie* de crise . Comprendre comment marchela politique montaire afin de mieux rflchir l'volution ventuelle de la mission des banques centrales constitue un des enjeuxmajeurs de la priode qui s'annonce. C'est ce que nous avons souhait faire ici, avec, dans notre esprit, un questionnement central:comment faut-il faire voluer le mandat des banques centrales s'ilse confirme, comme nous le pensons, que, dans une conomie globalise, qui se caractrise par un taux d'pargne* lev (et un tauxd'emploi* faible l'chelle du monde), l'excs de cration montaire ne se dverse pas dans le prix des biens et services, mais alimente en revanche la formation de bulles* sur les prix d'actifs* ? Enparticulier, jusqu'o et dans quelle mesure les banquiers centrauxpeuvent-ils jouer le rle d'acheteurs en dernier ressort*, autrementdit acheter des actifs sur le march afin d'en soutenir les prixlorsqu'ils s'effondrent ou, au contraire, prvenir la formation debulles* lorsque les prix s'envolent ? Une rflexion approfondie surles politiques des banques centrales, la question de l'volution ventuelle de leur mission tout comme le dbat autour de la rforme du

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    4 - La liquidit incontr6lablesystme montaire international sont indispensables pour mieuxcomprendre les enjeux qui vont dominer la politique conomiquedans les annes qui viennent. Une rflexion forcment place soushaute contrainte: celle de r explosion annonce de la dette publiquedans la plupart des pays dvelopps, ce qui n'est videmment passans effet sur les politiques montaires, ni, en dfinitive, sur le rle,la place et rindpendance des banques centrales.

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    La politique montairedans tous ses tatsTrop expansionniste. Deux mots suffisent rsumer le dbatcontemporain sur la monnaie. En clair, ils signifient que la liquiditmondiale*, autrement dit la monnaie cre par l'ensemble desbanques centrales de la plante (ce que l'on appelle la monnaiebanque centrale* ), est trs (trop) abondante. Par voie de consquence, le crdit devient lui aussi trop abondant. Et cette abondance,on la mesure d'abord rvolution de la base montaire*. Celle-ci aprogress de 13 % 15 % l'an depuis le dbut de la dcennie, ce quiest dj beaucoup, avant de s'envoler carrment ~ a mi-2008 sur unrythme annuel de quelque 30 0/0. Logique.

    Pour lutter contre les crises et autres rcessions, les banques centralesaugmentent toujours normment la liquidit. Mais compte tenu durythme de croisire adopt depuis dix ans, le niveau atteint aujourd'huipar la liquidit mondiale* est sans prcdent. En 1988, la base montaire* reprsentait un peu plus de 8 % du PIB mondiaP en valeur. Vmgt(1) ~ t a t s - U n i s , Canada, Union europenne 15, Japon, Chine, Inde, autres pays d'Asie,pays d'Europe centrale et orientale (PECQ), Amrique latine (y compris le Mexique),

    Russie, Norvge et l'Organisation des pays exportateurs de ptrole (OPEP).

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    QUOI SERT LA POLITIQUE MONTAIRE?La politique montaire estrensemble des mesures qui sontdestines agir sur les conditionsde financement de rconomie.Son objectif principal est lemaintien de la stabilit des prix(approche montariste), mais ellepeut aussi favoriser la croissanceet le plein-emploi (approchekeynsienne). Pour atteindre sesobjectifs, la banque centraledispose d'une srie d'outilssusceptibles de moduler lacration montaire.Pour maintenir la stabilit des prix,la banque centrale fixe la valeur deson taux d'intrt directeur*, letaux auquel elle prte la monnaiequ'elle met aux banquescommerciales un horizon dequelques jours. En temps normal,le niveau qu'elle choisit pour sontaux directeur* se transmet rconomie par l'intermdiaire deplusieurs canaux.Le premier canal de transmission dela politique montaire est celui destaux d'intrt: en contrlant lestaux d'intrt court terme*, labanque centrale a une forteinfluence sur l'offre de liquidit. ce premier canal de transmission,vient s'ajouter notamment unsecond canal, le canal du crdit, quimet en jeu le rle des banques et lefonctionnement du march ducrdit bancaire. Ce canal tend enthorie amplifier les effets desimpulsions de politique montaire,

    en agissant soit sur le cot effectifdu crdit bancaire pour les clientsdes banques, soit sur la quantit decrdit que les banques sont prtes mettre la disposition des agentsconomiques.Au total, en contrlant le tauxd'intrt nominal* de trs courtterme sur le march montaire, labanque centrale influence lesconditions de financement del'conomie, donc de la demandeagrge de biens et services et,in fine, aprs un certain dlai, leniveau de l'inflation. On parlerad'une politique montaireexpansionniste*, destine stimuler la croissance conomique,lorsqu'il y a augmentation ducrdit (grce des taux d'intrtbas) et gonflement de la massemontaire. Le risque est alors quela cration montaire soit excessiveet que l'on ait de l'inflation (dansrapproche classique) ou desbulles* sur prix d'actifs* (dansrapproche contemporaine). Dansle cas contraire, on parlera depolitique montaire restrictive*lorsque les autorits montairesdcident de restreindre l'accs aucrdit (au moyen de taux d'intrtlevs) et de faire maigrir la massemontaire. Le risque est alors quela croissance soit freine ou, pireencore, que s'enclenche unprocessus dflationniste (baissegnralise des prix, des profits etdes salaires, rcession, chmage).

    ....

    t

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 7ans plus tard, au dbut de 2008, elle tutoyait les 19 % de PIB, avec unmontant suprieur 10 000 milliards de dollars, avant de redescendrelgrement dbut 2009 un peu plus de 18 010 du PIB mondial (voirfigure 1.1).

    Figure 1. 1. volution de la base montaire mondiale(en % du PIB mondial en valeur)20

    18161412

    10

    86 + - ' - - r - r ~ ~ ~ ~ ~ r - ~ ~ ' - - r - r ~ ~ ~ - - ~ ~ ~ ~ ~1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008

    Monde =tats-Unis, Canada, UE 15, Japon, Chine, Inde, autres pays d'Asie, P E C ~ ,Amrique latine (y compris le Mexique), Russie, Norvge et OPEP.Sources: Datastream, Nat;x;s.

    L'excs de liquidit ne date pas d'hier. La liquidit mondiale* (lamonnaie banque centrale*) augmente trop vite depuis les annes1990. Il y a deux causes essentielles cette croissance trs rapide :les politiques montaires expansionnistes* menes par les grandspays de rOCDE, y compris en priode de beau temps, et l'accumu-lation des rserves de change* par les banques centrales des paysmergents et producteurs de matires premires qui, depuis la finde la dcennie 1990, cherchent ainsi limiter r pprciation de leurtaux de change*.

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    8 - La liquidit incontrlableDepuis une quinzaine d'annes, les banques centrales des grands

    pays de l'OCDE ont en effet pris l'habitude de pratiquer des politiques expansionnistes*. Ils l'ont fait mme lorsque la croissancetait au rendez-vous et que le crdit et les prix d'actifs* progressaienttrs rapidement, comme ce fut le cas la fin des annes 1990 ou surla priode 2002-2007. La machine fabriquer la monnaie s'estemballe avec la crise financire de 2007-2009, mais la liquiditmondiale* tait dj dope depuis longtemps par des taux d'intrt(le loyer de l'argent) infrieurs au taux de croissance. Un mouvement qui s'est encore acclr partir de 2002-2003 (voir figure 1.2).

    On peut certainement faire le lien entre le comportement des autorits montaires et le fait que leur politique a toujours t dicte par uneseule et unique obsession: la lutte contre l'inflation. C'est ce que l'on aappel les politiques d' nflation t a r g e t i n ~ (la banque centrale cherche contrler l'inflation future telle qu'elle l'anticipe), l'objectif principal,pour ne pas dire exclusif, de la politique montaire tant alors d'assurerla stabilit des prix. Or, comme l'inflation semblait tre sortie des radars,les banquiers centraux en gnral et Alan Greenspan, le patron de laRserve fdrale amricaine d'aot 1987 janvier 2006, en particulier, sesont progressivement convaincus qu'avec la matrise de l'inflation, ilsavaient enfin achev leur qute du saint Graal montaire. Ils ont pensqu'ils pouvaient dsormais s'abandonner sans risque aux bienfaits d'unepolitique accommodante* (c'est ainsi que l 'on qualifie gnralementune politique montaire o la distribution du crdit est facilite par lamodestie du taux d'intrt), cense installer l'conomie mondiale surun sentier de croissance optimal, une conomie mondiale dsormaisaffranchie grce eux des cycles conomiques.

    Afin de thoriser en quelque sorte leurs pratiques, les ban-quiers centraux dveloppent alors une nouvelle thorie, celle de la grande modration : c'est la crdibilit* de la politique mon-taire qui aurait permis d'obtenir, depuis le dbut des annes 1990, la fois une faible variabilit de la croissance, de l'inflation et des taux

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 9

    Figure 1.2. Taux d'intrt et taux de croissance du PIBmondial (pondrs par les PIB $PPA)

    .... '... \

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    10987

    . . . . , ....',. . . . , .... ,\ .... , , / \ ,,' ' , - - - - - ... _--\.. \ --,'"...... r - ~ . . . . . . . . ' _____ .... .".

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    .... . / ~ ~ - ~ ' "3 ~ - - - - ~ - - - r - - - - r - - - - r - - - ' , ~ ~ - - ~ - - - - ~ - - ~ - - - - ~ ~1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

    Sources: Datastream, Natixis. Lgende- - - - - - ,- - Taux d'intrt 3 moisMonde =tats-Unis, Canada, UE 15, Japon,Chine, Inde, mergents d'Asie, PECO,Amrique latine (y compris le Mexique),Australie et OPEP.- Taux d'intrt long terme- - PIS en valeur (GA en %)

    Prenons le cas d'un emprunteur.Si la croissance de ses revenus estsuprieure au niveau des tauxd'intrt, n'importe quel tauxd'endettement lui semblesupportable, car, au fi l du temps,la dette augmentant avec les tauxd'intrt mais son revenuaugmentant plus vite, son tauxd'endettement (dette 1revenu)diminue mcaniquement.Apparemment, il n'y a donc plusde contrainte de solvabilit, plus detaux d'endettement maximal nepas franchir. Voil pourquoi on ditqu'une situation o, durablement,

    le taux d'intrt est infrieur autaux de croissance est pathologique : elle incitefinalement les acteursconomiques s'endetter demanire draisonnable, au risquede se retrouver trangls lorsque lacrise financire survient et que lasituation conomique se retournebrutalement. Or, on observe quecette incitation s'endetter futomniprsente sur la premiredcennie du sicle, avec un cartparticulirement lev en 2004entre les taux d'intrt et le taux decroissance.

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    10 - La liquidit incontrdlabled'intrt ( l'exception de l'pisode de crise de 2001). Ils dfendent lathse de l'quivalence entre contrle de l'inflation et stabilit financire:en l'absence d'inflation, la politique montaire est rpute conservatriceet il ne peut yavoir de dsquilibre financier ... La ralit sera finalementmoins flatteuse, car nos banquiers centraux auront surtout contribu installer progressivement une situation trs toxique pour l'conomie.En principe, le loyer de l'argent devrait en effet toujours tre suprieurau taux de croissance, faute de quoi les emprunteurs ne voient pas deraison de limiter leur endettement. C'est ainsi que le taux d'endettement optimal devient trop lev, au risque de fabriquer des bulles*qui finiront par clater. Les prix des actifs* (actions, immobilier, matirespremires) et l'endettement ont augment de manire tout fait anormale la fin des annes 1990, puis de 2003 2007, et l'explosion desbulles* sur les prix d'actifs* a dclench les crises.

    En accumulant des rserves de change,les pays mergents crent l'essentielde la liquiditSi les banquiers centraux des grands pays de l'OCDE mritent le goudronet les plumes, ils ne sont toutefois pas les seuls responsables de la croissance de la liquidit mondiale* observe depuis une bonne dcennie. Nimme les principaux .. Celle-ci est due surtout aux politiques montairesmenes par les pays mergents et exportateurs de matires premires. TIs'agit l d'un changement structurel majeur. Depuis quelques annes,l'orientation de la politique montaire mondiale dpend en effet de moinsen moins de la politique montaire mene par les grands pays (tats-Unis,zone euro, Royaume-Uni, Japon) et de plus en plus de celles dcides parles pays mergents et producteurs de matires premires.

    Aprs la fin des crises de la priode 1997-2000, la plupart des paysmergents se sont mis accumuler d'importantes rserves dechange* en devises. Ainsi, sur plus de 6 000 milliards de dollars derserves de change* mondiales fin 2008, l'ensemble des pays

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - I l

    Figure 1.3. volution des rserves de change mondiales(en milliards de dollars)550050004500-4000350030002500

    -"

    ~ L g e n d e - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - Ensemble des mergents (y compris la Russie et l'OPEP)- OPEP -- - Russie

    - - - Amrique latine - - - ChineSources: Datastream, Nat/x/s.

    mergents, y compris la Russie et l'OPEP, en comptaient plus de4 500 milliards: un peu plus de 2 000 milliards pour la Chine,500 milliards pour les pays de l'OPEP, 420 pour l'Amrique latine (ycompris le Mexique) et 360 pour la Russie (voir figure 1.3). Les paysmergents crent donc dsormais les trois quarts de la liquidit (dela base montaire*) mondiale via l'accumulation de leurs rservesde change*, puisqu'une telle accumulation est cratrice de monnaie(voir figure 1.4). Reste comprendre pourquoi les banques centralesdes pays mergents d'Asie, des producteurs de ptrole, du Japonprouvent ainsi le besoin d'engranger depuis quelques annes desmontagnes de rserves de change*. Pour cela, un petit retour enarrire s'impose.

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    12 - La liquidit incontrdlable

    Figure 1.4. Accumulation de rserves de changeet cration montaire

    Banque centrale pays A Agent conomique priv pays BActifs endevises = Billetsrservesde changeActifs en Rservesmonnaie desnationale banques

    = Basemontaire

    Banques (pays A et B)Crdits

    Rserves Dptsauprs desbanquescentralesSources: Datastream, Natixis.

    Actifs en Ipargnemonnaiepays B (cumule)

    Dpts Crdits

    Lorsque la banque centrale du pays A (la Chine, par exemple) accrot sesrserves de change"" de 1, on a:une variation des rserves de change""(des actifs en devises) de la banque centrale chinoise

    = 1;une variation des rserves des banquesauprs de la banque centrale=1;

    une variation des dpts=1.

    Pour les agents conomiques privs du pays B (les tats-Unis, par exemple) :une variation des actifs dtenus

    = -1puisqu'ils vendent ces actifs la banque centrale chinoise;une variation des dpts=1,reu en paiement de la vente des actifs.

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 13Il Y a la fois accroissement de la base montaire"" (total du bilan de labanque centrale et rserves des banques la banque centrale) et de la massemontaire mondiale (des dpts bancaires du secteur priv).De plus, cette cration montaire circule dans le monde entier. Expliquonspourquoi avec rexemple de la Chine:- la banque centrale de Chine accrot ses rserves de change"" (en dollarsdans notre exemple) ;_ pour cela, elle cre du cash renminbi (cration de base montaire*) aveclequel elle achte du cash dollars (par exemple, auprs d'un exportateurchinois qui a reu des dollars en paiement) ;- avec le cash dollars, elle achte une obligation en dollars, par exempleauprs d'un investisseur amricain (hausse des rserves de change*) ;- cet investisseur amricain dispose donc de cash au lieu d'obligations et

    peut l'utiliser sa guise (hausse de la liquidit disponible aux :tatsUnis).La liquidit cre par une banque centrale lorsqu'elle accumule des rservesdevient bien disponible partout dans le monde.

    Pour viter une rcession mondiale aprs l'clatement de la bulleInternet, le Il Septembre et l'affaire Enron, les autorits montairesamricaines mais aussi europennes et japonaises ont l'poqueabaiss violemment leurs taux d'intrt. Avec la forte stimulationbudgtaire dcide par ailleurs par la premire administration Bush,il n'en fallait pas davantage pour que la croissance redmarre ds2003 dans les pays avancs. Une croissance qui a eu, entre autres,deux consquences: l'apparition d'un solide excdent commercialdans les comptes de la Chine, nouvelle vedette de la mondialisation,et une flambe du prix des matires premires en gnral et duptrole en particulier.

    Les pays mergents et producteurs de ptrole et de matires premires se sont ainsi retrouvs la tte d'excdents commerciauximportants C fin juin 2008, par exemple, l'excdent commercial dela Chine comme celui de l'ensemble Russie + OPEP tait de l'ordre

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    14 - La liquidit incontr81able

    de 500 milliards de dollars), dont une partie substantielle venait dudficit extrieur des tats-Unis (- 750 milliards de dollars finjuin 2008). En rgime de taux de change* parfaitement flexibles,autrement dit en rabsence de toute intervention de change desbanques centrales, cette situation se serait traduite par une forteapprciation des devises de ces pays par rapport au dollar, puisquec'est normalement par le libre mouvement des monnaies ou des fluxde capitaux que se rquilibrent les balances commerciales. Mais telne fut pas le cas, notamment en ce qui concerne la Chine. Le fait quer empire du Milieu soit devenu membre de rOrganisation mondialedu commerce (OMC) sans qu'en contrepartie, il lui ait t demandde pratiquer la libert des changes trouve sans doute ici un dveloppement dont on n'avait pas forcment mesur rampleur et les implications (voir encadr).

    CHANGES FLEXIBLES ET INTERVENTIONS DE CHANGEPrenons le cas des tats-Unis. La balance des paiements des tats-Uniss'crit: Il rserves de change des tats-Unis

    = balance courante des tats-Unis+ flux de capitaux privs vers les tats-Unis

    + achats d'actifs en dollars pour les banques centrales(= hausse des rserves de change en dollars des banques centrales).

    En changes purement flexibles, les banques centrales n'interviennent pas;on doit donc avoir:

    flux de capitaux privs vers les tats-Unis= dficit extrieur (courant) des tats-Unis.

    Les interventions de change (= pertes de rserves de change* endevises par la Rserve fdrale, achats de titres en dollars par lesautres banques centrales) soutiennent le taux de change* du dollar.L'excdent commercial chinois, notamment vis--vis des tats-Unis,

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 15

    s'est en effet trouv artificiellement gonfl en raison du lien renminbiJdollar ( la fin du premier semestre 2008, il excdait les 200 milliardsde dollars) et s'est dvers sans retenue dans les rserves de la banquecentrale chinoise qui ont prospr toute vitesse, passant d'une croissance annuelle de quelque 50 milliards de dollars en 2003 450 milliards en 2007. Neuf fois plus! Or, avec cette manne, la banque centralechinoise a tout simplement achet des obligations d'tat... amricaines.Le mcanisme vaut aussi pour les pays exportateurs de matirespremires. En contrepartie de la vente des richesses de leurs sous-sols,pays arabes, Russie et autres Venezuela reoivent en paiement des dollars qu'ils s'empressent d'accumuler dans leurs rserves de change*,donc de replacer sur les marchs financiers (le recydage* des ptrodollars a fait une entre remarque sur la scne internationale avec leschocs ptroliers des annes 1970). En quatre ans, la progression des

    rserves de change* des banques centrales des pays ptroliers est passe elle aussi d'un rythme annuel de 20 milliards de dollars plus de250 milliards en 2007.Pour limiter l'apprciation de leur monnaie, trs significativedepuis la fin 2002 (hors la parit yuan/dollar, la monnaie chinoiseayant t arrime au dollar jusqu'au 21 juillet 20052) , afin de prser

    ver leur comptitivit et leur capacit exporter, les pays mergentsdoivent acheter des actifs en dollars, autrement dit accumuler lesrserves de change*. Ceci est typiquement le cas de la Chine qui nepeut prendre le risque de voir sa croissance handicape par uneapprciation intempestive du renminbi par rapport au billet vert.Mais la question est sensible galement pour les trois autres mousquetaires des BRIC, le Brsil, la Russie et l'Inde, soucieux eux ausside ne pas trop laisser s'apprcier leur devise (plus que jamais(2) Date laquelle Pkin a assoupli l'arrimage du renminbi au dollar. cette date, le dollarachetait 8,27 yuans. Depuis la fin de 2008, il volue autour de 6,83 yuans.

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    16 - La liquidit incontr6lable

    aujourd'hui au moment o leurs exportations ptissent du ralentissement conomique mondial).

    Certains pays mergents, notamment la Russie ou les paysd'Amrique latine, chauds par les crises de la fin des annes 1990,ont aussi tendance accumuler des rserves pour dcourager lesattaques spculatives visant jouer la dprciation de leur monnaie. De ce point de vue, cette politique n'a d'ailleurs servi rien,puisqu'elle ne les a pas vraiment prmunis contre les crises dechange. Mais le fait est l : aprs une courte pause et les fortes sortiesde capitaux observes depuis certains pays mergents la fin de2008, l'accumulation des rserves a repris de plus belle avec la fin durapatriement des flux de capitaux des pays mergents vers les tatsUnis. La Chine, par exemple, a engrang 30 milliards de dollars pourle seul mois de mai 2009, afin de maintenir la stabilit de sa monnaiepar rapport au dollar. Paralllement, les pays dvelopps, tats-Unisen tte, ont mis en uvre, partir de rautomne 2008, des politiquesmontaires extraordinairement expansionnistes* afin de tenter dejuguler les effets ravageurs de la crise financire.Quand les banques centrales font feude tout bois pour sauver la croissanceLes banques centrales des grands pays de l'OCDE avaient dj prisl'habitude, on ra dit, de mener des politiques montaires accommodantes* dans les phases de croissance, mme lorsque la situationconomique ne l'exigeait pas et que le crdit et les prix d'actifs* augmentaient trs rapidement. Avec la crise financire, elles ont mmemis en place des politiques montaires exceptionnellement expansionnistes* pour soutenir les banques, tenter de faire repartir le crdit, viter l'effondrement des prix d'actifs* et l'installation d'unespirale dflationniste toujours dangereuse. En cela, elles ont agicomme une banque centrale agit toujours en pareilles circonstances:elles ont augment considrablement la liquidit en circulation.

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    C'est ce que la Banque du Japon avait tard faire, avant de finalement s'y rsoudre avec la crise bancaire japonaise de la fin desannes 1990. C'est ce que la Rserve fdrale a galement dcid plusieurs reprises avec la crise immobilire du dbut des annes 1990,puis des nouvelles technologies (2001 2003) et nouveau - on ravu - avec la crise de 2008, tout comme d'ailleurs la Banque centraleeuropenne (BCE) ou la Banque d'Angleterre. Cette fois, pour luttercontre la crise la plus dangereuse depuis 1929, les autorits montaires de la plante ont sorti l'artillerie lourde et pris des mesuresd'une nature et d'une ampleur tout fait indites. Ds r t 2007 etles premires secousses, elles ont d'abord puis dans rarsenal desmoyens d'intervention traditionnels, avant de passer un dispositifencore nettement plus offensif.

    Dans le registre du traditionnel, les banquiers centraux ont trsvite dgain l'arme des taux d'intrt, afin de limiter les effets de lacrise financire sur la croissance. La Fed a amorc, ds le dbut dela crise, une longue phase de dclration de son principal tauxdirecteur*, pass de 5,25 % au dbut de r t 2007 une fourchettede 0 % 0,25 % depuis le 16 dcembre 2008, soit une baisse de500 points de base en moins de dix-huit mois. Quant la BCE, quiavait augment rgulirement le sien jusqu' rt 2007, elle a tenule palier des 4 % jusqu' la mi-2008, avec mme une dernire augmentation 4,25 % le 3 juillet 2008, avant d'amorcer son tourune srie de baisses aprs que la faillite de Lehman Brothers enseptembre 2008 ait menac d'emporter l'ensemble du systmebancaire. Entre octobre 2008 et mai 2009, r quipe de Francfort aainsi dcid sept baisses successives pour installer finalement sonprincipal taux directeur* l'tiage de 1 % le 7 mai 2009. La Banqued'Angleterre et la Banque du Japon ont bien entendu emprunt lemme chemin (voir figure 1.5).

    Les autorits montaires sont galement intervenues massivement ds r t 2007 pour injecter des liquidits sur le march

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    Figure 1.5. Principaux taux directeurs8 Taux FF76

    432

    O ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ r r r r ~ T T T ~ ' ; I ~ ~ ~ r r r r ~ T ~ ~1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009Sources: Datastream, Nat/xis. Lgende ------------...,

    ~ - Taux Fed Funds (FF) - Taux Banque d'Angleterre (BA)- Taux zone euro (ZE) - Taux Banque du Japon (BJ)

    interbancaire*, principale source de refinancement des banques, dsqu'elles ont constat que, min par une grave crise de confiance,celui-ci tait menac d'asphyxie. Par temps calme, les taux interbancaires trois mois ne dpassent pas de plus de 20 points de base letaux directeur* de la banque centrale considr comme sans risque(cela signifie que, pour un taux directeur* de 3 % dans la zone euro,le taux Euribor trois mois devrait normalement tre gal ou infrieur 3,20 %). Mais, partir d'aot 2007, ce spread*, autrement ditce diffrentiel (cet cart) de taux, n'a cess de s'largir, pour dboucher sur une vritable pousse de fivre au second semestre 2008,signe vident que la crise financire alimentait un climat de mfianceentre les banques. Plus la crise prenait de l'ampleur, plus les unesrechignaient prter aux autres et rciproquement, ce qui poussait

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 19irrsistiblement les taux d'intrt la hausse. Trs vite, les autoritsmontaires ont donc dcid de jouer pleinement leur rle de prteusesen dernier ressort*, en intervenant massivement pour injecter desliquidits dans le systme, esprant ainsi rduire les tensions sur lemarch montaire et restaurer la confiance. Elles l'ont fait par diverscanaux: allongement de la dure des repos"'" (BeE), allongement de laliste des actifs pris en collatral* (BeE et surtout Fed), passage desrepos"'" taux fixes (BeE), utilisation de la discount window* ... Pro-gressivement, les taux d'intrt sur les titres publics court terme*comme sur les taux interbancaires court terme, aprs le rtablisse-ment de la liquidit sur le march interbancaire*, ont effectivementt ramens des niveaux trs bas (voir figure 1.6).

    Figure 1.6. cart entre le taux d'intrt interbancaire 3 moiset le taux directeur (en %)

    4

    3

    2

    - 1 ~ ~ - - - - ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ' - ~ ~ ' - r T - r ' - ~ ~ ~ r T ~2002 2003 2004Sources: Datastream, Natixis.

    2005 2006 2007 2008 2009L ~ e n d e - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - .._- tats-Unis (3 mois USI ---- Zone euro (3 mois ZEItaux Fed funds) taux repo euro)- Royaume-Uni (3 mois UKItaux de base Banque d'Angleterre)

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    20 - La liquidit incontr6lableCes diffrentes mesures de politiques montaires ont t efficaces

    pour restaurer la liquidit sur les marchs interbancaires* et assouplir les conditions de crdit, mais elles n'ont pas pour autant faitredmarrer la machine conomique. Un grand classique chaque foisque l'on se trouve confront une conjoncture o les emprunteursveulent tout prix se dsendetter. Or, c'est bien ce que montraientles enqutes ralises par les banques centrales la fin de 2008 et audbut de 2009. On ne fait pas boire un ne qui n'a pas soif dit leproverbe populaire. On pourrait ajouter que les banquiers ne se sontpas toujours presss de rouvrir en grand le robinet du crdit. Labaisse des taux d'intrt et les injections de liquidits* ont donc endfinitive surtout favoris la restauration des marges bancaires ainsique l'accumulation de rserves de liquidits dans leurs bilans. C'estainsi qu'en zone euro, par exemple, la marge sur les crdits immobiliers dix ans est passe de quelque 0,60 % en moyenne la mi-2008 1,25 % au deuxime trimestre 2009, tandis que les rserves desbanques de la zone auprs de la BCE atteignaient 220 milliards d'euros. Un record.

    Lorsque les banques accumulent les rserves, tandis que les investisseurs institutionnels comme les mnages privilgient soit les actifssans risque, soit les liquidits, l'conomie n'est pas loin de tomberdans le pige de la trappe liquidit* . Formule sibylline pourexprimer le fait que, si les taux d'intrt sont trs bas, a fortiori si letaux nominal* flirte avec le zro, les agents conomiques sont incits prfrer dtenir de la monnaie plutt que des titres, puisque, dansune telle situation, ils anticipent que les taux d'intrt ne peuventqu'augmenter (et donc que le prix des obligations ne peut que baisser, en raison de la relation inverse qui unit ces derniers aux tauxd'intrt: lorsque le taux d'intrt monte, le prix d'une obligationbaisse et inversement). Ds lors, il y a de fortes chances pour quetoute injection de monnaie supplmentaire soit thsaurise, quel'excs d'pargne ne soit pas rsorb et que l'conomie s'enlise dansla rcession. Les perfusions de liquidits, qui ont permis dans un

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 21premier temps de rtablir le fonctionnement normal du marchinterbancaire*, finissent par avoir pour seul effet d'accrotre inutilement la liquidit bancaire, tout en laissant entire la question ducot lev du financement long terme des banques, donc de celuides crdits moyen et long termes pour l'ensemble des agents conomiques. Cette situation de prfrence pour la liquidit est denature bloquer le redmarrage du crdit ou des achats d'actifs risqus. Qu'est-ce qu'une dflation* en dfinitive, sinon une forte prfrence collective pour la liquidit?

    Ceci explique pourquoi, partir du coup de tabac de l'automne 2008, toute l'attention des banquiers centraux s'est concentre sur la question du refinancement long terme des banques etdu financement long terme en gnral. Dans une situation de fortrecul de l'activit (voir figure 1.7), il peut paratre judicieux d'associer une politique budgtaire trs expansionniste et une politique de

    Figure 1.7. volution du PIB(en volume, glissement annuel en 0/0)6

    - 6 ~ - - ~ - - ~ ~ ~ - - ~ ~ ~ - - ~ - r ~ - - ~ - - ~ - - ~ - r ~ ~2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010Sources: Datastream, Natixis. Lgende- tats-Unis - Zone euro- Japon - Royaume-Uni

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    22 - La liquidit incontrlablecontrle des taux d'intrt long terme* par la banque centrale, afinde stimuler la relance en vitant que le laxisme budgtaire ne dbouchesur une envole des taux d'intrt long terme*. L'aplatissement* dela courbe des taux* apparat' en effet ce moment-l comme unmoyen de rendre la politique montaire plus accommodante*, dslors que les outils traditionnels ont dj t utiliss. Cet objectif esttout fait explicite aux tats-Unis, au Royaume-Uni et au Japon, troispays dont les banques centrales achtent dsormais des titres publics long terme. Il est moins clair dansla zone euro, mme si rengagementde la BCE de renouveler des repos* portant (entre autres) sur des obligations long terme a aussi pour effet de mieux matriser les tauxd'intrt long terme*. Que peut faire en effet une banque centralelorsque les taux d'intrt ont t ramens un niveau proche de zro(le zero bound en langage d'experts) et qu'en dfinitive, les mesuresclassiques susceptibles de fluidifier le canal du crdit touchent leurslimites?Les banques centrales endossent leur costumed' acheteuses en dernier ressortLa premire option consiste passer d'un objectif de taux d'intrt un objectif de base montaire* (quantitative easing*), autrement dit augmenter la base montaire* en laissant grossir le bilan desbanques centrales. Les Japonais, qui ont peu prs tout essay enmatire de politique montaire au cours de la dcennie 1990, yavaient eu recours massivement. Les banques centrales occidentalesont fait de mme au cours de cette crise: elles n'ont cess d'largirleurs champs d'action avec des achats (Rserve fdrale, Banqued'Angleterre) ou des prises en pension* d'actifs de toutes sortes(BCE), qu'ils soient publics et bientt privs, endossant cette foisleur costume d' acheteuses en dernier ressort* . Elles ont acclrle mouvement partir de l'automne 2008 et de l'lectrochoc de lafaillite de Lehman Brothers, afin d'accrotre fortement la liquiditdes banques pour viter que celles-ci puissent tre exposes au

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 23risque de cessation de paiements, tout en les incitant accrotrel'offre de crdit.

    Cette politique plus ou moins cible d'achats d'actifs de toutessortes prend des couleurs nuances en fonction des choix privilgispar les autorits montaires. Elle est qualifie de conventionnelle*" (achats aux banques) et de non conventionnelle (achats directssur le march). Elle peut oprer dans ce que l'on appelle le canal ducrdit si ces achats, qu'ils soient conventionnels ou non, portentsur des instruments de refinancement des banques, ou injecterdirectement des liquidits dans les bilans des non-banques (entreprises ou fonds d'investissement, par exemple) pour faciliter leurfinancement. Dans ce dernier cas, la politique montaire dlaissealors son canal de transmission traditionnel (le systme bancaire)pour intervenir directement sur le financement des entreprises oudes fonds d'investissement. Un cocktail qui se concocte notammenten fonction de la nature du financement de l'conomie.

    Les conomies amricaine et britannique sont plutt ce que nousappellerons des conomies de marchs financiers , quand l'conomie europenne (zone euro) est plutt une conomie bancaire : les entreprises anglo-saxonnes se financent en effet davantagesur les marchs financiers, o la taille des marchs d'actifs privs estsensiblement plus importante, tandis que les firmes europennesrestent largement tributaires du canal du crdit pour leur financement. De mme, aux tats-Unis comme au Royaume-Uni, le comportement des agents conomiques dpend davantage du prix desactifs*" (autrement dit de l'effet richesse*") qu'en zone euro. Enfin, latitrisation*" occupe une place beaucoup plus importante dans le refinancement des banques amricaines qu'europennes. Dans une conomie de marchs financiers, il est donc souhaitable que la politiquemontaire agisse surtout sur le prix des actifs*" et assure la liquiditdes marchs financiers, afin que les entreprises puissent se financerlibrement. Dans une conomie de crdit bancaire, elle doit surtout

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    24 - La liquidit incontr61ableveiller au cot de la ressource des banques, donc au cot du crdit,afin d'en influencer la demande.

    C'est donc tout fait logiquement que les autorits montairesamricaines et, dans une moindre mesure, britanniques ont mis enplace en 2009 un programme d'achat massif d'actifs, tandis que laBCE exprimait plusieurs reprises sa rticence procder de telsachats et se contentait d'acqurir sans prcipitation 60 milliardsd'euros de covered bonds*, ce qui explique le grand cart de croissance des bases montaires* aux tats-Unis et en zone euro. Le bilande la banque centrale amricaine est dsormais rempli la fois desactifs achets aux banques par les procdures traditionnelles (treasuries) et des actifs achets aux entreprises et aux fonds d'investissement (asset-backed commercial papers*, commercial papers*). C'estainsi, par exemple, que son encours de commercial papers est passde 40 milliards de dollars fin mai 2008 316 milliards fin janvier 2009 (voir encadr).

    LES ACHATS D'ACTIFS PAR LES BANQUES CENTRALESRserve fdrale:- programme d'achat

    d'obligations des agences et desresidential mortgage-backedsecurities* (RMBS) ;- achat de 1 250 milliards dedollars de RMBS d'agences;- achat de 200 milliards de dollarsde titres d'agences;- achat de 300 milliards de dollarsde titres du Trsor;

    - programme de financement desasset-backed securitieS* (ABS ;prts tudiants, prts auto, cartesde crdit) jusqu' 1 000 milliardsde dollars.

    Banque d'Angleterre: extension duprogramme Asset PurchaseFacility (APF ou, en franais,facilits d'achat d'actifs), qui autorisela Banque d'Angleterre acheter aumaximum pour 150 milliards delivres sterling de titres, dont50 milliards du secteur priv(commercial papers*, obligationsd'entreprises, etc.) ainsi que des gilts(obligations du Trsor britannique)mis sur le segment 5-25 ans.Banque centrale europenne:programme d'achat de coveredbondS* portant sur un montant de60 milliards d'euros.

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 25Dans tous les cas, les banques centrales ont rcupr leur bilan

    des titres publics (mis pour financer les interventions de l'tat enfaveur des banques et des agents conomiques non bancaires) et desactifs privs (qu'elles achtent soit aux banques, amliorant ainsi lastructure des bilans bancaires, soit directement au secteur priv, sesubstituant alors aux banques pour financer l'conomie). Dans largulation contemporaine des conomies par les crises financires, lesbanques centrales sont amenes adopter un comportement de prteuses*, mais aussi d'acheteuses en dernier ressort* (voir figure 1.8).Mais la diffrence d'approche sur ce que doit tre une politique mon-taire de combat de chaque ct de l'Atlantique s'explique bien par lanature du financement des conomies: la Rserve fdrale veut avanttout rtablir la liquidit sur les marchs d'actifs et permettre le redmarrage de la titrisation* ; la BCE affiche des objectifs plus modestesvisant simplement rduire le cot du financement des banques. Cettepolitique d'achat d'actifs par les banques centrales a eu des rsultatsvisibles: rduction, au moins pour un temps, des taux d'intrt sur lesobligations d'tat et sur les crdits immobiliers aux tats-Unis, resserrement des spreads* sur les covered bondS* en zone euro.

    PRTEUR ET ACHETEUR EN DERNIER RESSORTLes banques sont structurellement menaces d'une crise de liquidit*,puisqu'elles utilisent des ressources liquides ( court terme) pour financerdes actifs illiquides (prts long terme, dtention de capital.. .).Figure 1.8. Prteur et acheteur en dernier ressort

    Bilan des banquesRessourcesActifs montaires

    liquiditsDpts Ressources liquides

    Actifsilliquides Ressources long terme

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    26 - La liquidit incontrlablePour viter les crises de liquidit"" bancaire, diverses mesures ont tprises:_ l'assurance des dpts: les dposants sont rembourss en cas de faillite,

    ce qui vite les paniques bancaires qu'on appelle les runs (les coursesaux dpts bancaires) ;- le rle de la banque centrale comme prteuse en dernier ressort* : encas de besoin, la banque centrale prte aux banques en prenant engarantie des actifs illiquides que celles-ci ont en portefeuille;

    - la crise actuelle a fait aussi merger un rle nouveau pour les banquescentrales, celui d'acheteuses en dernier ressort* : en cas de crise, certains marchs d'actifs deviennent totalement illiquides et les prix de cesactifs anormalement faibles. On l'a vu notamment dans la crise rcentepour les ABS"" ou les pools de crdits hypothcaires"". En achetant cesactifs des prix raisonnables, les banques centrales restaurent un march efficace et protgent les banques de pertes anormales.

    Quand la politique de moneyrain inonde la plante de liquidits crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Les banques centrales ont globalement mobilis des moyens indits par leur natureet par leur ampleur pour tenter de stopper la spirale infernale de larcession-dflation. En l'espace de quelques mois, de septembre 2008 mars 2009, la Fed a ainsi gav son bilan de papiers de toutes sortespour un montant total qui est pass de 940 milliards de dollars environ dbut septembre 2008 un pic de 2 300 milliards la fin de2008, avant de redescendre un peu moins de 2 100 milliards dedollars l't 2009. En attendant mieux .. Une politique qualifiede money rain (littralement pluie de monnaie) o la liquiditcoule flots. La Banque d'Angleterre et la Banque du Japon ontemprunt le mme chemin. Cette stratgie tait justifie aux yeuxdes autorits montaires par la violence et la profondeur de la crisefinancire. On a beaucoup compar, parfois tort, parfois raison,la crise actuelle avec celle de 1929, mais il est incontestable qu'unedes leons tires des annes 1930, comme d'ailleurs de la dflation*

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 27japonaise des annes 1990, par les autorits politiques et montairesfut sur la ncessit d'agir massivement et rapidement, afin de ne paslaisser le systme bancaire aller dans le mur et de soutenir autant quepossible l'activit pour viter que la crise ne dgnre en dflation*.

    Il n'y a pas techniquement de limite l'augmentation du biland'une banque centrale. En revanche, il y a une limite en termes decrdibilit* de la politique montaire, car l'injection massive deliquidits* peut finir par provoquer un mouvement de dfiance l'gard de la monnaie. Par ailleurs, la mise en place de telles politiques, qu'elles soient conventionnelles* ou pas, provoque des effetspervers (voir chapitre 2). Mais avant d'approfondir la question desrisques et autres distorsions associs aux politiques montairescontemporaines, il faut commencer par poser une question toutesimple: celles-ci sont-elles aussi efficaces qu'on pouvait l'esprer,autrement dit sont-elles vraiment capables de faire repartir l'conomie mondiale?

    Jusqu' preuve du contraire, l'efficacit des politiques montairestrs expansionnistes* qui ont t mises en place depuis 2008 restemodeste, notamment dans les conomies intermdies*. C'est unedemi-surprise dans la mesure o la politique montaire a la rputation d'tre plus efficace sur les conomies lies au crdit bancaire(par le canal du crdit) que sur les conomies surtout finances parl'intermdiaire des marchs financiers (ncessairement une politique non conventionnelle* jouant sur le prix des actifs*). Or, danscette crise, on a observ que le recul de l'activit tait plus net enzone euro qu'au Royaume-Uni et a fortiori qu'aux tats-Unis etque la politique montaire n'y tait pas plus efficace. On peut risquer l'hypothse que ceci est d la nature particulire de la criseactuelle: une crise bancaire assortie d'une volont de dsendettement des agents conomiques. Si les agents conomiques privs sontobsds par le dsendettement, il est impossible de faire repartir lademande de crdit, mme si les taux d'intrt sont trs faibles, si la

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    28 - La liquidit incontr6lablesituation des banques revient la normale et si la liquidit crot trsrapidement. Le canal du crdit est impuissant faire redmarrerl'activit. La liquidit est simplement stocke par les banques (lemontant des rserves des banques commerciales amricaines estainsi pass de moins de 100 milliards de dollars la veille de l't2008 quelque 800 milliards de dollars un an plus tard), avec lerisque qu'elle soit utilise d'autres usages que la distribution ducrdit. Les politiques montaires trs expansionnistes* ne sont doncpas forcment trs efficaces. Elles ne sont pas non plus sans risque.

    La cration de liquidit est repartie de plus belle partir demai 2009, puisqu'aprs une phase d'arrt de l'accumulation desrserves de change* entre l't 2008 et le printemps 2009, du faitd'une forte aversion des investisseurs pour le risque qui les a conduits rapatrier leurs capitaux depuis les pays mergents, la croissance dela liquidit a repris son cours, dope par la prsence simultaned'une reprise de la croissance dans certains pays mergents et dumaintien d'une croissance dprime dans les pays de l'OCDE. Sicette situation persiste, ce qui est probable, on devrait observer unenouvelle fois simultanment une accumulation des rserves dechange* par des pays mergents soucieux de limiter l'apprciationde leur devise (mme s'il ne faut pas exclure que, transitoirement, lesinvestisseurs montrent nouveau de l'aversion pour le risque mergent) et le maintien de politiques montaires expansionnistes* dansles pays dvelopps. Le rythme de croissance de la liquidit n'estdonc pas prs de ralentir.

    Ds le printemps 2009, au moment o le bilan des banques centrales prenait de l'embonpoint sans limites apparentes, le dbat acommenc enfler sur les risques associs aux politiques montaires(et budgtaires) dbrides. Les autorits montaires ont rapidementt accuses d'irresponsabilit et bientt sommes de chercher (etde trouver) au plus vite la sortie (exit strategy*). Sauf prendre lerisque d'une nouvelle catastrophe pire encore peut-tre que les

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    1. La politique montaire dans tous ses tats - 29prcdentes ... Et dans l'esprit de nombreux observateurs et experts,celle-ci ne pourrait prendre que la forme d'un drapage aussi rapidequ'incontrlable dans l'inflation, voire dans l'hyperinflation. Lorsquela cration montaire est trs rapide, le rflexe consiste en effet craindre le retour de l'inflation des prix des biens et services - surtoutsi elle est associe l'explosion des dficits publics en raison de politiques budgtaires elles aussi trs expansionnistes, comme c'est le casaujourd'hui. Il nous parat toutefois impossible que l'inflation fondamentale (sous-jacente*) revienne rapidement dans les grands pays del'OCDE. Dans un deuxime chapitre, nous allons essayer d'expliquerpourquoi. Nous essaierons aussi d'identifier les risques associs 1' hyperliquidit , car l'inflation n'est pas le seul risque auquel nousexposent les politiques montaires contemporaines, loin s'en faut.

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    Hyperliquiditcontemporame :fausses peurset vrais dangers

    Le dbat s'est impos subrepticement dans les think tanks commedans les colonnes des quotidiens financiers, notamment amricains, ds que les premiers signaux faibles indiquant une amlioration de la situation conomique et financire se sont manifestsici ou l sur la plante, c'est--dire ds le dbut du printemps 2009 :alors que l'on commenait tout juste voquer les perspectivesd'une sortie de crise l'horizon 2010, certains experts l'odoratparticulirement sensible sentaient dj flotter dans l'air commeun parfum d'inflation. Les plus alarmistes ont mme commenc crier au loup en agitant le spectre du retour de l'hyperinflation plus ou moins brve chance. Un changement de climat qui s'esttraduit au tout dbut de l't par une augmentation de la volatilit* sur le march des swaps* de taux d'intrt, preuve de l'inquitude des investisseurs quant l'volution des taux d'intrt long

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    32 - La liquidit incontr61ableterme*. Dans le collimateur, le caractre excessivement inflationniste des politiques montaires et budgtaires mises en uvre dansles grands pays dvelopps pour lutter contre la crise et, en mineur,les craintes associes une nouvelle pousse de fivre sur les prixde certaines matires premires.

    La controverse sur les priorits de la politique conomique - faut-illutter vigoureusement contre la dflation* ou (dj) contre le retourde l'inflation ? - avait quelque chose de surraliste au moment o laplupart des pays dvelopps taient pris dans les filets d'une rcessiondflation en pente douce et que la crainte de voir cette situation s'installer durablement n'tait pas encore tout fait dissipe. Mme si onpeut penser que les prvisions de dcroissance du Fonds montaireinternational (FMI) pour 2009 (- 2,7 % pour les tats-Unis, - 4,2 0/0en zone euro, - 5,4 % au Japon, - 2,4 % pour la FranceI ) sont plombes par reffet de base d'un trs mauvais premier trimestre, ses prvisions 2010 sont loin d'tre blouissantes (+ 1,5 % pour les tats-Unis,+ 0,3 % pour la zone euro, + 1,7 % pour le Japon, + 0,9 % pour laFrance), avec la poursuite annonce de la hausse des dfaillancesd'entreprise en raison de la dgradation de leur situation financire,notamment en Europe, et de l'augmentation du chmage. Dans un telscnario, l'inflation n'est pas encore au coin de la rue. C'est le moinsque l'on puisse dire.Au dbut de l't, la drive mondiale des prix taittombe aux alentours de 1 0/0. Du jamais vu depuis 1945. Et dans unebonne quinzaine de pays reprsentant quelque 60 % du PIB mondial,rvolution des prix sur un an tait mme ngative. Le FMI ne la voitpas dpasser + 1,3 % en 2010 dans les pays avancs, + 5,1 % dans lespays mergents et en dveloppement2

    La controverse semble surraliste, mais est-elle pour autant pertinente ? Autrement dit, les prophtes d'un retour dvastateur del'inflation provoqu par le laxisme des politiques montaires et(1) Perspectives pour l'conomie mondiale, octobre 2009.(2) Ibid.

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    budgtaires (un grand classique des sorties de crise) ont-ils raisonde voir l le principal danger qui menace l'conomie mondiale dansles annes qui viennent? Nous allons essayer de comprendre ce quifonde leur conviction avant d'expliquer pourquoi nous ne la partageons pas.

    D'abord, peut-on carter d'un revers de main la piste de la dflation* ? Mme si le scnario japonais ne parat pas le plus probable,il est impossible d'ignorer totalement l'hypothse de l'installationd'un quilibre dflationniste* o la croissance de l'offre de monnaie serait compense par une hausse de la demande de monnaie (entermes rels), c'est--dire par une situation de forte prfrence pour laliquidit. C'est ce qu'ont vcu les Japonais de 1997 2005 et mmeau-del. Les autorits montaires nipponnes ont certes tard ragiraprs l'explosion de la bulle* financire et immobilire du dbut desannes 1990 (voir encadr), mais ensuite elles ont tout tent pourextirper l'conomie japonaise du pige dflationniste: baisse des tauxd'intrt dans un premier temps jusqu' 0,5 % puis jusqu' 0 0/0,quantitative easingt (reprises ou garanties par les banques centralesdes actifs douteux des banques, achats d'obligations d'entreprises ... ),mesures non conventionnelles... Pour autant, il ne s'est rien pass. Laprfrence des agents conomiques (banques, particuliers) pour laliquidit est reste trs forte. Dans ce type d'quilibre, il n'y a pasd'inflation, il n'y a pas non plus de bulles* sur prix d'actifs*, pas deredmarrage du crdit, pas de reprise de l'conomie... La croissancereste durablement faible et le chmage augmente. Sur la dcennie1991-2001, la croissance annuelle moyenne de l'conomie japonaisen'a pas dpass les 1,2 % et le chmage a progress lentement maissrement, accompagn d'un processus de prcarisation de l'emploid'une ampleur jusqu'alors inconnue dans l'Archipel.

    Les grandes conomies dveloppes, on l'a dit, n'en sont pas laujourd'hui. Certes, les prix ont baiss en France en mai (- 0,3 % parrapport mai 2008), puis en juin 2009 (- 0,5 % sur un an) pour la

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    DFLATION : LA LEON JAPONAISELa stratgie des autoritsmontaires et en particulier de laFed, face la crise financireactuelle, illustre les leons tires del'exprience japonaise. Avantmme son arrive la tte de laRserve fdrale, Ben Bernankeavait analys en profondeurl'impuissance de la banquecentrale lutter contre unedflation'" montaire et financirequi allait anantir la croissance del'Archipel entre 1991 et 2003a, enraison des erreurs commises dansla gestion de la crise. Erreurs quipeuvent se rsumer en deux mots :le refus de reconnatre la gravit dela crise, notamment bancaire, et laparalysie des autorits politiques etmontaires, incapables de sedonner les moyens d'intervenirmassivement.Alors que la bulle'" boursire clataiten dcembre 1989 et que le Nikkeiperdait 40 % de sa valeur en un an,la Banque du Japon a continu resserrer le crdit, augmentantencore son taux directeur* de prsde 2 points au cours des douze moissuivants. De la mme manire,Tokyo prfra tenter de soutenir lamachine par une succession de

    relances budgtaires striles (dix entout sur onze annes de crise), maisfermer les yeux sur la gravit de lasituation du systme bancaire, plomb par des dcennies depratiques financires et comptablesdouteuses, avant de se rsoudre mettre en place, partir demars 1999, un plan de stabilisationbancaire, tandis que la Banque duJapon s'engageait enfin dans unepolitique de taux zro puis, enseptembre 2001, dans la mise enuvre d'une politique montaireplus offensive de quantitativeeasin(".On connat le rsultat de cesatermoiements successifs: unecroissance annuelle moyenne de1,2 % sur les annes 1991-2001,un cot social trs lev (en 2001,environ 25 % des salaris ont unstatut prcaire contre 12 % en1990) et un cart qui se creusedangereusement depuis 1997 avecles autres pays de l'OCDE.

    (a) (( Japanese Monetary Policy: A CaseofSeif-Induced Paralysis?, in !apan'sFinandal Crisis and Its Parallels to USExperience, Princeton University,dcembre 1999.

    premire fois depuis 1957. Mais cette dsinflation doit beaucoup l'volution des prix du baril de ptrole (en mai 2009, les prix des produits ptroliers affichaient un recul de 26 % sur un an). En revanche,l'inflation sous-jacente* (ou core inflation*), c'est--dire la hausse des

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    2. Hyperliquidit contemporaine: fausses peurs et vrais dangers - 35prix hors nergie et produits alimentaires, ralentit mais reste positive(+ 1,6 % en mai 2009 en rythme annuel). De plus, l'inflation devraitglobalement tre stable sur l'ensemble de 2009 par rapport 2008.Dans les grands pays industrialiss, la photographie est grosso modola mme, avec des nuances: l'inflation devrait tre ngative aux tatsUnis (- 0,7 0/0) et en Espagne (- 0,3 0/0), mais lgrement positive auJapon (+ 0,2 %), en Allemagne (+ 0,3 0/0) et plus franchement auRoyaume-Uni (+ 2 0/0)3. Rien de catastrophique donc. Jusque-l, unercession mondiale (- 2,4 % pour la croissance et + 1,2 % pour lesprix la consommation en 20094) qui, sauf accident majeur, devraitlaisser progressivement la place une croissance modre en 2010(+ 1,6 % de croissance et + 2 % d'inflationS). La situation conomiqueactuelle est tout de mme plutt de type dflationniste, puisqu'elle secaractrise par une trs forte prfrence pour la liquidit (des banquiers, des investisseurs, des mnages). Pour autant, le grand retour del'inflation n'est-il qu'une question de temps, compte tenu de l'ampleur des dettes publiques et prives accumules et de la montagne deliquidits injectes dans le systme par les banques centrales ? Et ceuxqui ont dj commenc crier au loup en agitant le spectre de l'inflation, voire de l'hyperinflation, plus ou moins brve chance, ont-ilsraison?La globalisation reste un agentde dsinftation efficaceIl y a deux manires d'aborder cette rflexion. La premire prendcomme point de dpart la thorie quantitative de la monnaie. Depuislongtemps, on sait que lorsqu'il y a trop de monnaie en circulationet que cette monnaie veut acheter trop de biens et services, les prix semettent augmenter. En bout de course, l'excdent montaire parrapport aux besoins de la production doit forcment se dverser(3) Prvisions Natixis, septembre 2009.(4) Ibid.(5) Ibid.

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    sur les prix. Or, depuis le dbut de la crise et surtout depuis l'au-tomne 2008, les banques centrales ont effectivement cr norm-ment de monnaie banque centrale*. La taille du bilan de la Rservefdrale comme de la Banque d'Angleterre a plus que doubl (voirchapitre 1), celle du bilan de la BCE augment de moiti. Du jamaisvu en dehors des pisodes d'hyperinflation. Et ce n'est pas fini. Lesdclarations successives des grands banquiers centraux (maintiendes taux d'intrt trs bas et des politiques d'achat d'actifs ... ) lais-sent prvoir la poursuite de l'expansion montaire dans les mois venir. Ainsi, estimant qu'il demeurait un risque que la stabilisa-tion rcente de la consommation ne se rvle phmre , le prsidentde la Rserve fdrale, Ben Bernanke, a indiqu le 21 juillet 2009devant le Congrs amricain qu' une politique montaire trssouple [serait] ncessaire pendant un long moment, tout en dvoi-lant pour la premire fois les outils de politique montaire qu'ilentend utiliser le moment venu pour faire maigrir son bilan (plusde 2 100 milliards de dollars dbut juillet 2009 ; voir chapitre 5).Quant la Banque d'Angleterre, elle a annonc dbut aot uneextension de son programme d'achat d'actifs qui est pass de 50 175 milliards de livres pour stimuler l'conomie, d'o la convic-tion des tenants de l'approche montariste traditionnelle: lorsqueles liquidits qui somnolent encore dans les rserves des banques(800 milliards de dollars fin juin 2009) viendront nourrir unenouvelle expansion du crdit, l'inflation se rappellera violemment notre bon souvenir.

    La seconde manire de rflchir la question du retour de l'infla-tion est de prendre en compte deux lments spcifiques la situa-tion actuelle de l'conomie mondiale : le surendettement public etpriv et, plus encore, le fait que nous voluons dsormais dans uneconomie globalise. Deux conditions doivent en effet tre rempliespour que l'expansion montaire excessive dbouche sur une fortepousse inflationniste: elle doit stimuler la demande de biens etservices via l'augmentation du crdit et cette hausse de la demande

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    2. Hyperliquidit contemporaine: fausses peurs et vrais dangers - 37doit venir buter un moment donn sur une insuffisance des capacits de production, provoquant ainsi la hausse des prix.

    Premier lment, le niveau d'endettement des agents conomiques.Dans la plupart des pays dvelopps, il est lourd (globalement, l'endettement public et priv reprsente en 2009 l'quivalent de 190 % duPIB en zone euro, 215 % au Royaume-Uni, 260 % aux tats-Unis etprs de 290 % au Japon). Tellement lourd qu'en dpit de la croissancede la liquidit mondiale* et du fait que les autorits montaires fontl'impossible pour matriser l'ensemble de la courbe des taux*, y compris le cot de l'argent long terme, le comportement des agents conomiques privs, en particulier des mnages, est surdtermin parl'obsession du dsendettement, associe en mineur la peur du risque.L'endettement des entreprises (en Europe surtout), des mnages et destats (de chaque ct de l'Atlantique) est trop lev pour que le crditreparte et pousse les feux de la demande. Partout dans le monde en2009 et singulirement dans les grands pays de l'OCDE, c'est la soifde dsendettement qui domine. L'injection massive de liquidits*dans les bilans bancaires n'a d'autre effet que de gonfler les rservesde liquidits du systme bancaire. Mme l'efficacit des politiques dequantitative easing* et autres actions non conventionnelles* (voirchapitre 1), qui visent notamment faire baisser le cot de l'argent long terme par des politiques d'achats d'actifs, reste de ce point devue limite.

    Dans une conomie de surendettement, l'humeur individuelle etcollective n'est gure la multiplication des achats crdit. En outre,on ne peut pas dire que le systme bancaire soit particulirement soucieux de relancer la machine du crdit, plus proccup restaurer sesmarges, engranger des rserves, voire raliser de juteux profits sur lesmarchs qu' aider les entreprises faire redmarrer la machine conomique. Le ministre des Finances allemand, Peer Steinbrck, s'en estofficiellement mu au dbut du mois de juillet 2009, tandis que legouverneur de la Banque centrale europenne, Jean-Claude Trichet,

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    38 - La liquidit incontrlablerappelait les banques leurs responsabilits de prter aux entre-prises et aux mnages des taux appropris et dans des volumes suf-fisants En France, la production de crdit la consommation aenregistr un recul historique de 15,6% au premier semestre 2009: 19 milliards d'euros, la production de nouveaux crdits laconsommation a accus sur la priode la plus forte baisse depuisque la srie statistique existe, selon l'Association des socits financires qui collecte et compile ces donnes. Voil pourquoi lademande intrieure est faible ( la fin du premier semestre 2009,elle voluait en glissement annuel sur une tendance de - 3 % envolume en zone euro, - 4,5 % aux tats-Unis, - 5 % au RoyaumeUni, - 20 % au Japon), le taux d'utilisation des capacits de production* continue de chuter ( peine 70 % en moyenne dans cesdiffrents pays ou zones) et le chmage s'envole (plus de 10 % auxtats-Unis, prs de 12 % en zone euro l'horizon 2010). Cettesituation devrait perdurer et, avec elle, une grande modrationconjoncturelle dans la drive des prix.

    Second lment spcifique, plus structurel celui-l, la situation actuelle de l'conomie mondiale : sa nature est dsormaisglobale, ce qui signifie que l'quilibre conomique de la plante aprofondment chang. Les politiques montaires et budgtairesont beau tre extrmement expansionnistes*, en situation de sousemploi massif la fois des capacits de production et de la force detravail, difficile de croire un instant qu'elles puissent dbouchersur de l'inflation. La globalisation reste structurellement un agentde dsinflation durable, compte tenu de l'importance des ressources en main-d'uvre disponibles et de l'ampleur des investissements raliss dans les pays mergents. Deux chiffres valentmieux qu'un long discours: le taux d'pargne* (donc, l'quilibre,le taux d'investissement) de l'conomie mondiale est lev en raison du transfert de revenu qui s'est opr au cours des derniresannes vers des pays taux d'pargne* trs levs (Asie, pays producteurs de ptrole). Amorc en 2002, le mouvement est devenu

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    trs net au milieu de la dcennie, passant de moins de 23 % en2000 27 % la fin 2007 et plus de 25 % actuellement. En Chine,le taux d'pargne* excde les 60 % ! Quant au taux d'emploi* del'conomie-monde, il est en revanche faible - scotch aux alentours de 45 % - en raison du niveau modeste du taux d'emploi*des pays mergents (infrieur 30 0/0, Y compris en Russie et dansles pays de l'OPEP). L'conomie mondiale est donc loin de tourner pleine utilisation de ses capacits de production. Quant ses rservoirs de main-d'uvre , ils ne seront pas vides demainmatin. Dans un tel quilibre (excs d'offre de biens et services,excs d'offre de travail), appel aussi chmage keynsien* (voirfigure 2.1), il Y a la fois pression la baisse sur les prix des bienset services et sur les salaires.

    Figure 2.1. Chmage keynsien(excs d'oHre de biens et de travail)Offre de bienset services >l Demande de bienset servicesPression la baisse surles prix et les salaires

    Production dterminepar la demande

    Offre ~ Demande de travail ....CF======Emplo i dterminpar la demandeLorsqu'il y a pargne forte,accumulation rapide de capacitsde production (croissance rapidede l'investissement) et sousemploi, on se trouve dans unquilibre de sous-emploi global(excs d'offre de biens et services,excs d'offre de travail), dit encore quilibre de chmage

    keynsien'" . Dans une tellesituation, il y a pression la baissesur les prix des biens et services,puisqu'il y a excs d'offre de biens,et pression la baisse sur lessalaires, tant donn qu'il y a excsd'offre de travail, d'o une faiblehausse des salaires rels et descots salariaux unitaires.

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    En ce qui concerne la feuille de paie, les salaris des pays occidentaux en font d'ailleurs l'exprience tous les jours, depuis les navigants de British Airways jusqu'aux ouvriers de Chrysler, de FedEx oude Hewlett Packard aux tats-Unis, d'IBM France, Hertz ou Osramen France, pour ne citer que quelques exemples. Le phnomne sepropage dans tous les secteurs d'activit et vient s'ajouter la baisse naturelle des revenus variables observe elle aussi dans de nombreux secteurs, commencer par les business de l'industrie financire affects par le ralentissement de l'activit (tous les financiers netravaillent pas chez Goldman Sachs!). Aux tats-Unis, une personneactive sur quatre serait touche par une baisse de sa rmunration,sans parler de l'effet richesse* l'envers. Voil qui ne risque pas, avecou sans reprise du crdit, de soutenir la demande des mnages dansles pays dvelopps.

    Dans un monde ouvert, un excs de cration montaire ne sedverse pas dans les prix la consommation, mais dans les importations (dtrioration des comptes extrieurs) et dans les prix desactifs*, car le moment vient forcment o les investisseurs se laissenttenter nouveau par la spculation afin d'aller chercher du rendement. Nous y reviendrons. Mais pour le reste, l'exception des paysmergents qui peuvent connatre des problmes d'offre importants,la rgle de l'conomie-monde serait finalement que la crationmontaire n'entrane pas d'inflation. Le scnario d'hyperinflationsera sans fondement tant que le monde sera en situation de sousemploi, c'est--dire pour longtemps. Preuve qu'il n'y a pas (qu'il n'ya plus ?) de lien mcanique entre liquidit et inflation. Une intuitionvrifie sur le terrain : depuis plus de dix ans, l'inflation sousjacente* mondiale (le core inflation*, donc l'inflation hors prix del'nergie et des produits alimentaires) n'a pas bronch en dpit dugonflement de la base montaire*. La seule source d'inflation a tfinalement les yo-yo enregistrs sur les prix de certaines matirespremires, commencer par le ptrole en 2000, 2003, 2005 et 2007-2008. En fait, il semble bien qu'inflation et liquidit soient dsormais

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    2. Hyperliquidit contemporaine: fausses peurs et vrais dangers - 41dconnectes et que l'excs de cration montaire ne dbouche pasforcment sur une spirale inflationniste (on parle de montisationnon inflationniste* ). Le phnomne est observ depuis longtempsau Japon, mais aussi dans l'ensemble des grands pays dvelopps.Les tenants d'une lecture classique de la thorie quantitative de lamonnaie n'ont donc pas forcment raison de redouter le pire, autrement dit une violente pousse d'inflation, voire d'hyperinflation.

    Pour autant, la montisation non inflationniste* n'en dbouchepas moins sur une autre forme de taxation qui pnalise certainescatgories d'acteurs conomiques. Avant de revenir sur les grandsrisques associs l'excs de liquidit actuelle, il n'est pas inutile defaire un petit dtour par cette question.Les banques centrales toujourscomplices des vieux rOn l'a vu, dans les situations d'excs d'endettement, les banquescentrales pratiquent la montisation des dettes* , autrement dit achtent de la dette (surtout en principe de la dette publique) en crantde la monnaie. Dans le pass, cet excs de cration montaire dbouchait sur l'inflation, ce qui avait pour effet de taxer doublement lesdtenteurs d'actifs financiers : l'inflation faisait fondre la valeurrelle des actifs montaires et, en plus, elle faisait apparatre des tauxd'intrt rels* ngatifs, taxant aussi les dtenteurs d'actifs portanttaux d'intrt (obligations, crdits). Une sorte de double taxationinflationniste se substituait donc la taxation normale , puisqueles tats laissaient filer les dficits publics et renonaient augmenter les impts pour les rduire. Aujourd'hui, l'inflation (hors ptroleet matires premires) ne rapparat pas en dpit de l'norme excsde cration montaire. Cette montisation non inflationniste*ratisse moins large que la taxe inflationniste , mais n'en pnalisepas moins les acheteurs de titres publics et, d'une manire plus gnrale, les acheteurs d'actifs.

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    42 - La liquidit incontr61ableD'abord, les acheteurs de titres publics. Puisque la banque cen

    trale achte des obligations, elle fait baisser les taux d'intrt nominaux* (spcialement sur les dettes publiques), un mouvement quel'on a pu observer partir de 2008 (aux tats-Unis, les taux d'intrt dix ans sont passs d'une fourchette de 4 0/0-4,5 % au premiersemestre 2008 2 % peine au dbut de 2009, avant de remonter 3,5 % l't) et qui n'est pas contrari par des anticipations d'inflation. Il s'agit bien alors d'une taxe sur les dtenteurs de titres publicsqui amliore le dficit public, puisque les taux d'intrt bas rduisent la facture des intrts verss par les tats sur leur dette publiqueau dtriment des porteurs de cette dette. De manire quivalente, cesderniers encaisseront une moins-value en capital, lorsque les tauxd'intrt long terme* remonteront vers un tiage plus normal ,ds lors que la situation conomique s'amliorera. Preuve que l'onn'a pas besoin de l'inflation pour ruiner les prteurs, il suffit de lesconvaincre d'investir leurs conomies dans du papier public faiblement rmunr et sur une longue priode. Le prix de la peur, enquelque sorte.

    Ensuite, les acheteurs d'actifs en gnral. Pour les raisons voques prcdemment, l'excs de liquidit ne peut plus dbouchersur une augmentation gnralise des prix des biens et services (horsmatires premires) ; en revanche, il peut provoquer l'inflation desprix d'actifs* ds lors qu'il est utilis pour en acqurir. On a dj eul'occasion d'observer le phnomne, la fin des annes 1990 sur lesactions, de 2003 2007 avec les prix de l'immobilier et au dbut de2008 avec les matires premires ... Cela signifie videmment que lesacheteurs d'actifs (immobilier, actifs financiers) sont contraints depayer de plus en plus cher leurs investissements, notamment immo-biliers pour les jeunes dsireux d'accder la proprit. En raison del'envole des prix de l'immobilier, la valeur relle de leur bas de laineexprime en mtres carrs potentiels a tendance fondre, tandis queles non-acheteurs d'immobilier ne sont pas touchs et que les agentsendetts mais dtenteurs d'une maison ou d'un appartement dont

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    2. Hyperliquidit contemporaine: fausses peurs et vrais dangers - 43le prix monte sont resolvabiliss, autrement dit ceux qui ont djachet une maison ou un appartement en s'endettant voient lavaleur de leur patrimoine augmenter, ce qui allge de fait leur niveaud'endettement. D'une manire gnrale, les jeunes tant pluttacheteurs et les seniors plutt dtenteurs d'actifs, ce transfert intergnrationnel ne s'organise pas forcment dans le bon sens, car,mme si les taux d'intrt sont trs bas, les jeunes n'en doivent pasmoins s'endetter massivement pour compenser la hausse du prix desactifs* (surtout immobiliers) qu'ils achtent. Morale de rhistoire :les banques centrales sont bien restes discrtement les complicesdes vieux .

    Si l'excs de cration montaire ne va pas entraner demain leretour de rinflation, au sens du flau des annes 1970-1980 tel qu'ilest rest dans les mmoires, il n'est pas pour autant sans danger.Loin s'en faut. Dans un monde ouvert, un excs de cration montaire ne se dverse pas, on ra vu, dans les prix la consommation,mais dans les importations (dtrioration des comptes extrieurs) etdans les prix des actifs*, car le moment vient forcment o les investisseurs se laissent tenter nouveau par la spculation afin d'allerchercher du rendement. Il y aura donc formation de nouvellesbulles* sur prix d'actifs* et/ou retour de rinflation par la hausse desprix des matires premires. Et c'est bien l, tous gards, le plusinquitant.

    De nouvelles bulles encore plus dangereusesIl n'aura pas fallu longtemps pour voir resurgir les vieilles tentationsd'hier. Alors que tous les observateurs taient persuads que la criseallait provoquer une rupture durable dans les comportements et lespratiques de la plante finance, chacun a vite constat, ds le printemps 2009, aux premiers bourgeons, qu'un certain nombre d'acteurs de rindustrie financire, et non des moindres, n'avaient djplus qu'une priorit : que tout redevienne comme avant... Pour

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    44 - La liquidit incontr61ablepreuve, l'empressement de certains banquiers rembourser lesinjections de capital ralises par la puissance publique afin de neplus avoir se soumettre aux contraintes associes ces aides providentielles (rmunration des dirigeants et des oprateurs de march,rduction du volume des oprations risque et en particulier dutrading pour compte propre*), comme s'il n'y avait rien de plusurgent que de revenir un modle de banque d'investissement voisin de celui qui rgnait avant la crise. Ceci est particulirement vraipour les banques amricaines qui se sont prcipites en rangs serrssur le march la premire occasion, afin d'y lever des milliards dedollars pour satisfaire aux conditions des stress tests*, mais aussipour rembourser au plus vite les fonds injects leur capital par leTrsor amricain l'automne 2008. Le 9 juin 2009, celui-ci a donnson accord dix banques amricaines pour un remboursement quireprsentait globalement 68 milliards de dollars (dont 25 milliardspour JPMorgan Chase, 10 milliards pour Goldman Sachs ou Morgan Stanley, 6,6 milliards pour US Bancorp). Surtout, on a assisttrs vite au retour de nouvelles bulles* spculatives sur les actionsdes pays mergents ou le ptrole. Toujours aux avant-postes, Goldman Sachs, enfin seul depuis la disparition de Lehman Brothers etl'intgration de Bear Stearns et de Merrill Lynch dans le girond'autres tablissements, annonait au dbut de l't 2009 le produitnet bancaire le plus lev de son histoire 13,76 milliards de dollarset un rsultat net de 3,44 milliards pour le deuxime trimestre 2009.Dans la foule, la star de Wall Street ne cachait pas qu'elle avaitdj mis de ct 11,4 milliards de dollars au premier semestre pourrmunrer ses quipes en fin d'anne, soit une augmentation de33 % par rapport 2008. C'est dire s'il rgnait sur les marchs audbut de l't 2009 comme un parfum de dj-vu ... La preuve quela finance veut dj oublier la crise et n'attendait qu'un modesteencouragement pour remettre le couvert: le jour o la prfrencepour la liquidit (autrement dit, la peur) diminue, les investisseursrenouent illico avec leurs (mauvaises) habitudes. Et il y a plusieursraisons cela.

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    2. Hyperliquidit contemporaine: fausses peurs et vrais dangers - 45D'abord, la soif de rendement. Ce que l'on a constat au coursdes dernires annes qui ont prcd la crise sur le rendementdes fonds propres* des entreprises (15 % en zone eur06, 17 % auRoyaume-Uni, 19 % aux tats-Unis en 2007), comme sur celui del'immobilier, des hedge funcJs4" et des fonds de private equity* (20 0/0en 2006 en moyenne aux tats-Unis comme en Europe), reste globalement vrai aujourd'hui encore : les investisseurs sont en qute derendements levs, excessifs par rapport la normale (voir ce sujet

    Le capitalisme est en train de s'autodtruire, des mmes auteurs, auxditions La Dcouverte).Ensuite, ce que l'on appelle couramment le mimtisme rationnel.

    Les investisseurs portent tous leur choix sur les mmes actifs aumme moment, ce qui accrot fortement le rendement de ceux quifont l'objet d'une telle sollicitude collective. Engags la fois dansune course au rendement pour satisfaire leurs clients et dans unbenchmarking* permanent afin de prserver leurs prcieuses partsde march, voire en conqurir de nouvelles, ils ne peuvent en ralits'carter du consensus mou. Leur comportement est parfaitementoptimal dans une situation de concurrence court terme o l'cartde performance est trs rapidement et fortement pnalis. titreindividuel, tout autre comportement serait mme suicidaire. Certes,mimtisme et panurgisme ne sont pas nouveaux sur les marchsfinanciers. Mais si la puissance dvastatrice du consensus a pris unetelle ampleur lors de la dernire crise financire, c'est que, pour lapremire fois, tous les moutons de Panurge s'taient embarqus surle mme bateau en se gavant des mmes produits financiers sophistiqus. Rsultat : quand tout le monde a saut, le tsunami taitgaranti. la dcharge des professionnels, il faut souligner qu'avec lamondialisation et l'innovation technologique, les modles conusdans et pour un monde ferm les ont laisss orphelins d'outils adapts leurs besoins et la merci du buzz quotidien des marchs.(6) Par pondration des quatre grands (Allemagne, France, Italie, Espagne).

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    Dans son discours au symposium de Jackson Hole du 26 aot 2005,considr par beaucoup comme son testament , Alan Greenspanavait dj longuement insist sur ce point : Tout modle, aussidtaill, aussi bien conu et labor soit-il, n'est qu'une reprsentationdu monde trs simplifie compare toutes les complexits dont nousfaisons l'exprience quotidiennement dclarait-il devant la fine fleurde la finance mondiale, runie comme chaque anne cette poquedans le Wyoming. Et il ajoutait: Compte tenu des changements profonds qui ont lieu, nous manquons de rfrences historiques pour prvoir avec certitude les consquences de nos actions. Or, l'quation n'apas fondamentalement chang depuis le dbut de la crise. Et il fautredouter que, la peur de perdre s'tant une fois de plus dissipe, lesinvestisseurs - nouveau saisis par le syndrome de l'appt dugain - profitent de la politique de money rain mene par lesbanques centrales pour reprendre la chasse au rendement. Commesi rien ne s'tait pass. Ds lors, on peut s'attendre voir exploserbien d'autres bulles* et le paysage aprs explosion ne sera pas beau voir.

    Rsumons-nous. Nous sommes confronts la situation suivante: une croissance excessivement rapide de la liquidit avec unratio liquidit/PIB trs lev; un dsendettement durable qui devraitexclure l'utilisation de cette liquidit pour financer le retour unecroissance rapide du crdit; une absence d'inflation sur les prix desbiens et services. Dans un tel contexte, lorsque l'conomie mondialesortira de rquilibre dflationniste* soft avec forte prfrence pourla liquidit dans lequel elle s'est installe, le scnario le plus probableest celui d'une hausse trs forte de tel ou tel prix d'actift- (matirespremires, obligations d'entreprises, actions, titres des mergents) etla formation de nouvelles bulles* encore plus dangereuses que lesprcdentes. La taille de la liquidit mondiale* est devenue telle quesi elle est utilise nouveau pour acheter un actif risqu, le prix decelui-ci augmentera en effet de manire considrable. L'explosiondes bulles* qui se formeront alors pourrait bien, elle, conduire la

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    2. Hyperliquidit contemporaine: fausses peurs et vrais dangers - 47dflation* durable (voir figure 2.2), d'autant que l'excs de liquiditdcorrle de plus en plus les marchs financiers de l'conomie relle.Un engrenage extrmement malsain, qui organise une allocationinefficace de r pargne travers une prfrence pour des actifs spculatifs court terme, contribue alimenter les marchs financiersavec de mauvais signaux sur l'conomie relle et s'auto-entretient.

    Normalement, la valeur des actifs financiers devrait en effet reflter la situation de l'conomie relle (croissance, profits, inflation... )

    Figure 2.2. Mortel enchanement court terme,quilibre dflationniste

    L'quilibre conomique du mondetant, encore plus que par le pass,un quilibre de sous-emploi (voirsupra) avec le recul de l'activit due la crise, ce qui exclut pourlongtemps le retour de l'inflation,comment se terminera ladynamique explosive de l'excs deliquidit?Deux scnarios sont possibles :celui d'une dflation* permanente la japonaise si les acteurs,traumatiss par la crise, n'utilisentla liquidit que pour dtenir des

    actifs liquides et sans risque, ou legonflement de nouvelles bulles* detaille indite sur les prix