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  • Ccile FaivreAlexandre Faivre

    La place de la femme dans le rituel eucharistique marcosien.Dviance ou innovation ?In: Revue des Sciences Religieuses, tome 71, fascicule 3, 1997. pp. 310-328.

    AbstractThe active being of women during the marcosian eucharisty could seem to modem eyes as a sign of deviancy. If we compareMarc's ritual to Didach, we find archaism signes, on the contrary. An attentive reading of Irne's critic shows that is not thewomen phrophetising which is rejected, but the phophetic spirit being under a man's will. A parallel between some theologictopics of marcosian ritual and texts from the New Testamentlet us believe in the sower of this negation of transcendance anextravagant interpretation of Psalm 8. But finaly it is translating from nuptial symbole to its realisation that will disconsidermarcosians to posterity. We can ask, thus, if the same reducing readintg has been made for the marcosian eucharistie ritual asthe one which accused Christians of anthopophagy.

    RsumLa prsence active de femmes au cours de l'eucharistie marcosienne pourrait passer, aux yeux d'un moderne, pour un signe dedviance. Si l'on compare le rituel de Marc la Didach, on y trouvera au contraire des signes d'archasmes. Une lectureattentive de la critique opre par Irne nous montre que ce n'est pas le fait que les femmes prophtisent qui est rejet, mais lefait que l'esprit prophtique soit subordonn un homme. La mise en parallle de certains lieux thologiques du rituel marcosienet des textes notestamentaires nous laisse souponner la source historique de cette ngation de la transcendance, uneinterprtation extravagante du Psaume 8. Mais c'est finalement le fait de passer de la symbolique nuptiale sa ralisation quidisqualifiera les marcosiens aux yeux de la postrit. On peut alors se demander si l'on n'a pas, pour le rituel de l'eucharistiemarcosienne, opr la mme lecture rductrice que celle qui accusait les chrtiens d'anthropologie.

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    Faivre Ccile, Faivre Alexandre. La place de la femme dans le rituel eucharistique marcosien. Dviance ou innovation ?. In:Revue des Sciences Religieuses, tome 71, fascicule 3, 1997. pp. 310-328.

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  • Revue des sciences religieuses 71 n 3 (1997), p. 310-328

    LA PLACE DES FEMMES

    DANS LE RITUEL EUCHARISTIQUE

    DES MARCOSIENS. DVIANCE OU ARCHASME ?

    Le texte de YAdversus Haereses I, 13, au travers duquel Irne de Lyon nous rapporte les pratiques liturgiques des groupes marco- siens de la valle du Rhne est bien connu (1), mais on ne lui accorde gnralement que peu d'intrt. Selon Dassmann (2) ce rcit devrait tre considr comme anecdotique et sa valeur thologique serait insignifiante tant donn le caractre aberrant des pratiques relates. Cette opinion concorde bien avec l'impression qui se dgage du ton employ par Irne. L'auteur de YAdversus Haereses n'pargne, en effet, aux marcosiens ni sa dsapprobation, ni ses critiques. Il dcrit en termes moqueurs les agissements de Marc, le comparant un prestidigitateur. L'eucharistie marcosienne ressemblerait des jongleries, aux jeux d'Anaxylaiis. Dans son ironie cinglante, Irne va pourtant moins loin qu'Epiphane (3). Selon l'vque de Salamine,

    (1) Nous ddions cet article la mmoire de C. Vogel (dcd le 24/11/82) qui nous avait rendus attentifs ce texte. Cf. Anaphores eucharistiques prcons- tantiniennes. Formes non traditionnelles, dans Augustinianum 20 (1980), p. 400- 410. On trouvera les principaux lments de bibliographie dans J. Michael Joncas, Eucharist among the Marcosians : A Study of Irenaeus' Adversus Haereses I, 13, 2 , dans Questions Liturgiques 71 (1990), p. 99-1 1 1 ; Voir galement J. E. Mnard, Les repas "sacrs" des gnostiques , dans RevSR 207 (1981), p. 43-51 et R. Joseph Hoffmann, The Eucharist of Marcus Magus : A Test-Case in Gnostic Social Theory , dans The Patristic and Byzantine Review 3 (1984). L' Adversus Haereses est cit d'aprs l'dition des SC 264 (SC 263, p. 239-260 pour la bibliographie et le commentaire).

    (2) E. Dassmann, Die fruhchristliche Tradition ber den Ausschluss der Frauen von Priesteramt , dans mter und Dienste in den fruhchristlichen Gemeinden {Hereditas 8 (1994), p. 213 ; p. 223 Was von dem Valentinschiiler Markos und den Kolyridianern berichtet wird (Irenus, Epiphanius), gehrt mehr in den Bereich der Kuriositten als der Kirchenverfassung .

    (3) Cf. J. M. Joncas, art. cit., p. 100 n. 6. A la bibliographie, on ajoutera A. Pourkier, L 'hrsiologie chez Epiphane de Salamine, Paris (Christianisme antique, 4), 1992.

  • LA PLACE DES FEMMES DANS LE RITUEL EUCHARISTIQUE 311

    infatiguable pourfendeur d'hrsies, Marc eucharistierait trois coupes en verre transparent pour faire virer l'une au rouge, l'autre au rouge fonc, la troisime au bleu. L'aspect mise en scne est vident. Dans le rcit d'Irne, c'est surtout le fait de transvaser une petite coupe dans une grande en remplissant cette dernire au point de la faire dborder qui est prsent comme destin provoquer l'tonnement et l'adhsion des assistants. Qu'importe ! Dans tous les cas, le climat est donn : il s'agirait de grossires supercheries sans aucune valeur spirituelle (4)...

    En dehors de cet aspect caricatural, la critique d'Irne porte sur trois points. Tout d'abord l'intrt accord par les marcosiens aux femmes engendre une accusation de dpravation sexuelle. On retrouve ensuite le reproche classique de cupidit : Marc s'intresserait aux femmes fortunes, celles qui portent la pourpre et qui peuvent lui apporter leurs richesses, en retour de la grce qu'il leur accorde. En troisime lieu, la critique d'Irne porte sur le refus du symbolisme du rituel marcosien. Ce rituel est effectivement dcrit en termes assez prcis, mais sans que rien ne soit fait pour qu'on puisse comprendre le sens que pourraient lui donner les hrtiques.

    Les deux premires critiques font parties du rpertoire classique anti-hrtique. Il serait vain de vouloir apprcier leur bien-fond prcis, faute d'autres textes (5). Dans cette tude, nous nous intresserons surtout au troisime aspect de la critique d'Irne, savoir la comprhension du rituel. En effet, l'eucharistie marcosienne est originale sous deux aspects : dans les textes des formules liturgiques qu'elle utilise et par ses ministres, principalement, par l'intervention des femmes.

    Du point de vue de la mthode, il nous parat important de distinguer dans le tmoignage d'Irne, ce qu'il nous dit des pratiques de Marc et de ses partisans (qui sont videmment dpeints sous leur jour le plus dfavorable) de ce qu'il rapporte de leur formules liturgiques (qu'Irne cite sans doute fidlement, mme s'il choisit les

    (4) Hippolyte, dans Philosophoumena VI, 41, explique ce phnomne par la supercherie suivante : Marcos, frotte la grande coupe vide d'une drogue qui, mle au vin et l'eau, en augmente le volume par production de gaz, et, remuant et transvasant plusieurs fois, le liquide donne l'impression de remplir la grande coupe. Aussi Marcos se htait-il de faire boire aux assistants le contenu de la coupe avant que, le liquide tant au repos, la raction ne cesse. Cf. J.M. Joncas, art. cit., p. 100.

    (5) Rappelons en effet que le texte de l'AH est le seul nous parler de Marc et de ses pratiques liturgiques. Cf. E. Griffe, Le gnostique Markos est-il venu en Gaule ? , dans BLE 54 (1953), p. 242-245. Il importe de distinguer ce que dit Irne de Marc lui-mme (qui n'est peut-tre jamais venu dans la valle du Rhne) et ce qu'il sait de ses disciples avec lesquels il a pu avoir un contact direct. Cependant, Irne peut galement avoir eu recours des sources crites.

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    citations qui lui semblent le mieux convenir son projet anti-hrtique). La tactique d'Irne semble tre de prsenter l'eucharistie mar- cosienne en s'en tenant aux apparences, la surface du rite, sans chercher pntrer l'articulation interne d'une symbolique. Parce qu'il veut disqualifier les marcosiens, Irne donne voir sans chercher comprendre.

    Nous pouvons, malgr tout, l'aide des textes qu'il nous fournit, tenter de retrouver les fondement thologiques et l'articulation symbolique sous-jacents aux formules liturgiques employes. C'est quoi nous nous attacherons dans la premire partie de cette tude. Nous chercherons ensuite prciser comment et pourquoi Irne critique l'agir des ministres. Nous esprons ainsi mieux cerner en quoi la conception de l'eucharistie marcosienne a pu apparatre Irne comme incompatible avec une conception orthodoxe de l'eucharistie.

    I. L'invocation eucharistique

    Aprs avoir demand une femme d'eucharistier en sa prsence une petite coupe, Marc, qui a vid cette petite coupe dans une grande, utilise la formule suivante : Que celle qui est avant toutes choses, l 'incomprhensible et inexprimable Grce remplisse ton homme intrieur et multiplie en toi la gnose en semant en toi le grain de snev dans la bonne terre.

    II importe tout d'abord de souligner que le texte d'Irne est le premier texte de l'histoire chrtienne employer le verbe eucharistein transitivement (6).On pourrait mme se demander si cette formule transitive ne contribue pas amplifier l'aspect magique du rituel ainsi dcrit. Nous aurions peut-tre l une allusion une premire

    (6) Pour situer cette problmatique parmi les innombrables travaux sur l'eucha- riste primitive, signalons surtout S. Giet, L 'nigme de la Didach, Paris, 1970, p. 203- 217 ; E. Mazza, Didach IX-X : Elementi per una interpretazione eucaristica , dans Ephem. liturg. 92 (1978) ; La Gratiarum Actio mystica del Libro VII dlie Costituzioni apostoliche. Una tappa nella storia dlia anafora eucaristica , dans Ephem. liturg 93 ( 1 979), p. 1 23- 137;/ 'anafora eucaristica. Studi sulle origini, Rome, 1992 ; H. Wegman, Gnalogie hypothtique de la prire eucharistique , dans Questions liturgiques (1980/4), p. 263-278 ; A. Verheul, La prire eucharistique de Adda et Mari , dans Questions liturgiques 61 (1980), p. 18-27 ; id., Les prires eucharistiques dans les Constitutions apostoliques , dans Questions liturgiques 61 (1980), p. 129-143 ; J.-M. Van Cangh, Le droulement primitif de la cne (Me 14, 18-26 et par.), dans RB 102/2 (1995), p. 193-225 ; John W. Riggs, From Gracious Table to Sacramental Elements : The Tradition-History of Didach 9 and 1 0 dans Second Century 4 (1984), p. 83-101 ; P. Bradshaw, La liturgie chrtienne en ses origines, Paris, 1995, p. 64-71 ; 99-129 et surtout p. 151-181.

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    dviance : celle qui consiste ne plus rendre grce pour ou sur , mais eucharistier quelque chose.

    L'vocation de l'homme intrieur rappelle premire vue Eph. 3, 16 qu'il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l'homme intrieur . D'ailleurs, si l'on poursuit la lecture du chapitre 3 d'Eph- siens, on trouve la mention de la gnose et mme du Plrme qui - bien qu'il n'apparaisse pas explicitement dans la formule de Marc - fait bien videmment partie de son contexte thologique. Ainsi, affirme Eph 3, 19, vous connatrez l'amour du Christ, qui surpasse toute gnose et vous entrerez par votre plnitude dans la plnitude (TrXripujfjTe... t TT\f|paj(ia) de Dieu.

    On pourrait dire que la formule marcosienne n'est ni plus, ni moins gnostique que la formule phsienne. Toutefois, il faut noter que dans l'ptre aux Ephsiens, la gnose est surpasse par l'amour du Christ. De ce point de vue, la formule marcosienne parat incomplte par rapport Ephsiens, mais on ne peut pas dire qu'elle s'y oppose. Alors que chez les marcosiens, on demande que celle qui est avant toute chose, l'incomprhensible et l'inestimable grce remplisse l'homme intrieur (x^pi TT\r)pwaai oov tv craj vOpayrrov) et multiplie la connaissance, dans Ephsiens, c'est le fait de connatre l'amour du Christ qui donne au chrtien la possibilit d'entrer par sa plnitude dans le plrme de Dieu.

    Il faut noter galement qu' Ephsiens vise tout chrtien alors que l'invocation des marcosiens est faite sur des femmes (7). Ce n'est que dans la 1 Pierre que l'on peut trouver l'application du thme de l'homme intrieur aux femmes. 1 P 3, 3-4 affirme, en effet, que la vritable parure des femmes se trouve l'intrieur du cur c'est l'homme cach dans l'incorruptibilit d'un esprit doux et calme (8).

    (7) L'incomprhensible et inestimable grce des marcosiens ressemble beaucoup la Sagesse telle qu'elle est prsente en Si 24, celle qui, issue de la bouche du Trs Haut, a couvert la terre comme une vapeur, celle qui dans l'assemble du Trs haut ouvrit la bouche, qui a habit les cieux et les abmes, la terre et la mer (Cf. Eph 3, 17 : La hauteur, la profondeur) qui a t cre avant les sicles et ds le commencement (24, 9) qui a offici dans la tente sainte qui s'est enracine dans la part du Seigneur et son hritage qui a grandi, qui invite au festin (24, 21). La mme invite se trouve en Pr o la Sagesse cratrice devient la Sagesse hospitalire (Pr 9), et dit venez, mangez de mon pain, buvez du vin que j'ai prpar 9, 3. Cf. Aussi Si 15, 1-5 : Celui qui saisit la loi reoit la Sagesse. Elle vient au devant de lui comme une mre, comme une pouse vierge elle l'accueille. Elle le nourrit du pain de la prudence, elle lui donne boire l'eau de la Sagesse... Elle s'lve au milieu de ses compagnes. Au milieu de l'assemble elle lui ouvre la bouche.

    (8) Pour les divergences d'interprtation entre 1 P et 1 Tim et leurs consquences thologiques, voir A. et C. Faivre, Les chrtiennes, entre leur devoirs familiaux et le prestige de Ypiskop. Un dilemme aux sources de la documentation canonico-

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    Aux hommes qui vivent en commun selon la gnose yvcGiv), ils est demand d'honorer ces femmes comme cohritires de la grce de Vie, ceci afin que leurs prires ne viennent pas trbucher (cf. 1 P 3, 7). Nous retrouvons ainsi dans la / Pierre comme dans l'eucharistie marcosienne un contexte la fois gnostique et liturgique travers lequel il est question de V homme prenant place dans le cur des femmes et de la grce laquelle elles participent. Et la 1 Pierre semble bien faire de la reconnaissance de cette inhabitation et de cette participation fminine une condition de la validit (de l'efficacit) de la prire commune.

    Par analogie, on peut se demander si la prsence des femmes lors de l'eucharistie marcosienne est seulement une possibilit ouverte par l'gale dignit des hommes et des femmes, si elle est indispensable la validit de la clbration, et mme si elle apporte un complment constitutif de la symbolique de communion eucharistique comme c'tait le cas, pour ces indispensables trangres si bien dcrites, pour les religions paennes, par J. Scheid (9).

    Un dernier lment symbolique mrite d'tre tudi, c'est le grain de snev. A premire vue, la seconde partie de l'invocation rituelle ( Et multiplie en toi la gnose en semant en toi le grain de snev dans la bonne terre ), semble renvoyer un ensemble de paraboles allant de la parabole du semeur dans la bonne terre (cf. Mt 13, 3-9 ; Me 4, 2-9 ; Le 8, 4-8) celle du grain de snev qui devient la plus grande de toutes les plantes potagres (cf. Me 4, 30-31 ; Mt 13, 31-32 et Le 13, 18-19). Mais le grain de snev peut galement renvoyer au logion sur la puissance de la foi. On penserait plus particulirement ici le rapprocher de la version lucanienne de Le 17, 5-6 :

    Les aptres dirent au Seigneur : "Augmente en nous la foi"

    (demande qui pourrait tre mise en parallle avec la prire des marcosiennes :

    multiplie en toi la gnose ). Le Seigneur rpondit :

    "Si vous aviez la foi gros comme un grain de snev, vous diriez ce mrier (avK\iivo) que voil, "dracine

    toi et plante-toi dans la mer" et il vous aurait obi.

    liturgique ? , dans Laval thologique et philosophique 49, 1 (fvrier 1993), p. 69-92 et Quando ' ; donne aspiravano alepiskop dans Donna e ministero, Rome, d. C. Militello, 1989, p. 324-365.

    (9) J. Scheid, D'indispensables trangres dans Histoire des femmes en Occident, I, Paris, 1990 (sous la direction de G. Duby et M. Perrot), p. 405-437.

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    Les synoptiques nous offrent plusieurs versions de ce logion (10). Dans presque toutes, c'est une montagne et non un vgtal qui se dplace et se jette la mer, mais toutes font du grain de snev le symbole de la foi. La formule marcosienne se distingue par le fait qu'elle ne met pas le grain de snev en rapport avec la foi, mais avec la gnose.

    IL L'invocation prophtique (AH I, 13, 3)

    Marc, nous dit Irne, prophtise et fait prophtiser les femmes, trs probablement dans le cadre de l'assemble eucharistique. Pour obtenir ce rsultat, il utilise une formule dont on ne sait pas trs bien s'il s'agit d'une invocation ou d'une exhortation. En effet, le Mage ne s'adresse pas la Grce comme un lment extrieur, mais prtend faire participer la femme sa Grce personnelle, lui, Marc. Il invite et incite la femme lui faire place l'intrieur d'elle- mme. La formule comprend trois mouvements : en prliminaire, l'nonc de la dcision de Marc et ses attendus thologiques, puis le dveloppement du thme de Y Un et de la symbolique de l'union nuptiale, enfin l'ordre catgorique ouvre la bouche et prophtise .

    /. Prliminaires : une rfrence scripturaire nigmatique (Mt 18, 10)

    Je veux te donner part ma Grce puisque le Pre de toutes choses voit sans cesse ton Ange devant sa face . C'est par ces mots que Marc ouvre son propos. Il applique ainsi la femme une expression que Mt 18, 10 applique aux petits (qu'il ne faut jamais mpriser). Ces mots constituent d'ailleurs la seule allusion un lment extrieur Marc et la femme dans le processus prophtique. Chez Marc comme dans Mt, l'interprtation minimum de cette formule suppose la reconnaissance d'une dignit des individus suprieure aux apparences, dignit dont tmoignent le Pre et les ralits clestes. Nanmoins cette anglologie reste assez nigmatique.

    (10) Mt place la premire version aprs la gurison d'un enfant pileptique. Les aptres demandant pourquoi ils n'ont pu oprer la gurison s'entendent alors rpondre : Mt 1 7, 20 A cause de votre peu de foi, car en vrit je vous le dis, si vous avez la foi comme un grain de snev, vous direz cette montagne "d'ici va-t-en l-bas" et elle s'en ira et rien ne vous sera impossible . Dans un second rcit Mt 21, 20-22 place le logion dans le prolongement de la parabole du figuier dessch. En vrit je vous le dis, si vous avez la foi et n'hsitez pas, non seulement vous ferez cela du figuier. Mais mme si vous dites cette montagne : soulve-toi et jette-toi dans la mer (cela) arrivera. Et tout ce que vous demanderez dans la prire en croyant cela arrivera .

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    Ceci n'empche pas, apparemment, les marcosiens de faire un usage assez abondant de cette citation et d'en donner une interprtation trs spciale. Irne en tmoigne travers plusieurs textes :

    a) Le rcit des origines : AH 1, 14, 1

    Lorsqu' l'origine, le Pre qui n'a pas de Pre, qui est inconcevable et sans substance, qui n'est ni mle ni femelle, voulut que ft exprim ce qui en lui tait inexprimable et que ret une forme ce qui en lui tait invisible, il ouvrit la bouche et profra une Parole semblable lui, cette Parole, se tenant ses cts lui manifesta ce qu'il tait en apparaissant comme la Forme de l'Invisible. Cette Parole est forme de diffrents lments ou sons qui chacun pour leur part ignorent qu'ils ne constituent qu'une partie du Tout. Tels sont donc les sons qui forment l'Eon sans substance et inengendr ; ils sont ces formes que le Seigneur a appeles Anges et qui voient sans cesse la face du Pre .

    Les Anges sont donc les lments qui sont appels composer la Parole, elle-mme manifestation visible du Pre. On remarquera, au passage, le parallle qui existe entre la faon dont le Pre qui n'est ni mle ni femelle ouvre la bouche et profre une Parole semblable lui, et celle dont la femme, aprs avoir accueilli l'poux en elle- mme et avoir en mme temps trouv place en lui (c'est dire aprs avoir, au travers de la symbolique nuptiale, dpass la division mle/ femelle) est exhorte ouvrir la bouche et prophtiser. Le rituel prophtique des marcosiens est donc mystre symbolisant les spculation cosmogoniques des gnostiques(ll).

    b) Thologie du Nom et formule de rdemption.

    Cette interprtation cosmogonique nous permet de mieux comprendre la suite de la formule profre par Marc en I, 13, 3 : Le lieu de la Grandeur est en nous, il faut nous tablir dans l'Un.

    (11) Cf. G. Mantovani, Rituale eucaristico e redenzione nello gnosticismo e nel mandeismo , dans Sangue e Antropologia Biblica nella Patristica, Rome, II, p. 878. Nous rejoignons d'une certaine faon G. Montavani lorsqu'il dit que l'eucharistie de Marc se prsente en fait comme un rite d'initiation au mystre de la prophtie. Mais, pour des raisons que nous exposerons ensuite, nous ne pensons pas qu'il s'agit d'une rinterprtation de l'eucharistie aboutissant un rite distinct et n'ayant plus de rapport avec le sacrifice chrtien. Nous pensons comme R. Joseph Hoffmann, The "Eucharist" of Marcus Magus : A Test-Case in Gnostic Social Theory , dans The Patristic and Byzantine Review 3 ( 1 984), p. 84-86, que le rituel marcosien reflte en quelque manire les mythes primordiaux. Mais nous croyons que c'est essentiellement autour de l'mission primordiale de la Parole, de sa dispersion (qui donne naissance une thologie sotrique du Nom) et de sa runion dans le Plrme que s'articule le mystre du rituel marcosien.

  • LA PLACE DES FEMMES DANS LE RITUEL EUCHARISTIQUE 317

    En effet, un peu plus loin, en AH I, 14, 4 (12), la notion de Grandeur est substitue celle d'Ange. : les Anges de chaque individu reprsentent les Grandeurs qui sont de la mme race que les ons du Plrme. Ces Grandeurs sont des ralits clestes dont les formes ou les images qui ne sont autre que nous-mmes (AH I, 13, 6) ont t mises par la Mre (correspondant sans doute Sophia. Ache- moth (13)). Au jour du jugement les gnostiques, munis de la rdemption diront cette Mre : O Assistante de Dieu et du mystique Silence antrieur aux Eons, tu es celle par qui les Grandeurs qui voient sans cesse la face du Pre (...) attirent en haut leur formes (...). Toi donc qui connait la nature des deux parties, prsente au Juge la justification de nos deux cas qui n'en font qu'un. La Mre les rend alors invisibles elle les tire elle, les introduit dans la chambre nuptiale et les donne leur poux (14).

    Dans ces trois textes marcosiens, savoir l'invocation prophtique (AH I, 13, 3), le rcit des origines (I, 14, 1 et 4), le mythe de la rdemption (I, 13, 6), on retrouve la mme articulation symbolique entre l'interprtation de Mt 18, 10 et l'image de noces qui auront pour fruit soit la rdemption issue de la re-connaissance et de l'union de deux parties, soit la rvlation primordiale soit encore la prophtie.

    2. Le lieu de la grandeur est en nous

    Toutefois, en AH 13, 3, dans l'invocation prophtique, l'quivalence entre les Anges et les Grandeurs n'est pas effectue comme en 14, 4, mais il est fait appel la notion de grandeur au singulier. Le lieu de la Grandeur est en nous , affirme Marc aux femmes qu'il exhorte prophtiser. Il est intressant de noter que, dans le Nouveau Testament, le terme nyedo constitue un hapax. Il est

    (12) Jsus, crit-il, est le nom insigne possdant les six lettres, connu de tous les appels , mais le Nom qu'il possde parmi les ons du Plrme, se compose de multiples parties, est d'une autre forme et d'un autre type et est connu de ceux-l seulement qui sont de la mme race que lui et dont les Grandeurs sont sans cesse auprs de lui .

    (13) Cf. La description de la syzygie du Sauveur et de Sagesse Achamoth en AHl, 7, 1.

    (14) Ce qu'Irne nous dit des disciples marcosiens est rapprocher de la faon dont il dcrit, en I, 4, 5, la doctrine valentinienne selon laquelle Achamoth, aprs tre pass par toutes les passions et avoir suppli que le Christ remont au Plrme, lui envoie un Paraclet, aurait obtenu satisfaction par la venue du Sauveur accompagn de ses compagnons d'ge, les anges et aurait enfant la vue de ces derniers des "fruits" pneumatiques . Plus loin, Irne nous explique comment, selon les valen- tiniens, ces pneumatiques entreront de faon insaisissable et invisible l'intrieur du Plrme pour y tre donn titre d'pouse aux Anges qui entourent le Sauveur (AH I, 7, 1). Cf aussi AH I, 7, 5 o il est prcis que c'est "tout petit" que les lments pneumatiques sont envoys .

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    employ dans un contexte qui permet certains rapprochements avec la formule marcosienne : "Daigne le Dieu de Notre Seigneur Jsus- Christ, le Pre de la gloire, nous donner un esprit de Sagesse et de rvlation... qui vous le fasse vraiment connatre. Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cur pour vous faire voir (...) quelle extraordinaire grandeur sa puissance revt pour nous les croyants selon la vigueur de sa force qu'il a dploye en la personne du Christ, le ressuscitant d'entre les morts et le faisant siger sa droite dans les cieux, bien au-dessus de toute principaut, puissance, Vertu, Seigneurerie et de tout autre nom qui pourra se nommer, non seulement dans ce sicle-ci mais encore dans les sicles venir" (Ephsiens I, 17-21).

    La fin du texte dsigne le Christ lui-mme comme Plrme (Eph 1, 22-23). II a tout mis sous ses pieds (Ps 8, 7) et l'a constitu au sommet de tout, Tte pour l'Eglise, laquelle est son corps, la Plnitude de celui qui est rempli, tout en tous. Si l'on retrouve en Ephsiens l'ide d'une rvlation d'une illumination et d'une connaissance conjugue une notion de grandeur mise en rapport avec nous , on peroit aussi une insistance sur la suprmatie et le rle unique du Christ, absente des textes marcosiens.

    On distingue mme, dans Ephsiens, une pointe polmique dans le dsir de placer le Christ au-dessus de toute Principaut, Puissance (...) et tout autre nom qui pourrait se nommer non seulement dans ce sicle, mais encore dans les sicles venir (Eph 1, 21). Voil qui irait directement l' encontre des interprtations marcosiennes selon lesquelles ce n'est pas le nom (Christ Jsus) que tu connais et que tu crois possder qui est le nom ancien, car tu ne possdes que le nom du nom et tu ignores sa puissance (AH I, 14, 4 ; SC p. 219). Le mme climat polmique transparat en Ephsiens 4, 14 o, aprs avoir exhort les ephsiens l'unit et avoir repris le thme du corps et de la Plnitude (Plrma) du Christ, voque en Eph I, 23, l'auteur dclare ainsi nous ne serons plus des enfants (vt]ttioi), nous ne nous laisserons plus balloter et emporter tout vent de la doctrine, au gr de l'imposture des hommes et de leur astuce . On retrouve encore une polmique similaire en Heb 2, 5-9, mais cette fois-ci centre directement sur la place des Anges et du Christ et non plus sur la notion de Grandeur, de Puissance, de Nom et de Plrme. Il s'agit en fait d'une polmique explicite sur l'interprtation du Ps 8, suivant la version des Septantes, dj cit en Eph I, 22 (15).

    (15) On retrouve les relents d'une polmique similaire en Col 2, 8-9 : Prenez garde qu'il ne se trouve quelqu'un pour vous rduire en esclavage par le vain leurre de la "philosophie", selon une tradition toute humaine, selon les lments du monde et non selon le Christ. Car, en lui habite corporellement toute la plnitude de la divinit, et vous vous trouverez en lui, associ sa plnitude, lui qui est la tte de

  • LA PLACE DES FEMMES DANS LE RITUEL EUCHARISTIQUE 319

    3. II faut nous tablir en l'Un

    On voit bien comment les marcosiens passent de la citation de Mt 18, 10 au thme de la Grandeur. Mais par quel cheminement est amen le thme de l'Un? En effet, la suite de l'invocation marco- sienne est centre sur l'ide d'union et la symbolique nuptiale : Le lieu de la Grandeur est en nous. Il faut nous tablir en l'Un. Reois d'abord de moi et par moi la Grce. Tiens-toi prte comme une pouse qui attend son poux, afin que tu sois ce que je suis et moi ce que tu es. Installe dans ta chambre nuptiale la semence de Lumire. Reois de moi l'Epoux, fais-lui place en toi et trouve place en lui. Voici que la Grce est descendue sur toi...

    La symbolique nuptiale, nous l'avons vu, appartient au mythe rdempteur des valentiniens et des marcosiens. Lorsque les hommes pneumatiques, formes ou images des ralits clestes, s'unissent aux Grandeurs (c'est--dire aux Anges partir desquels ils ont t engendrs) ils rejoignent le Plrme et chappent au jugement. L'union des deux parties est source de salut, c'est pourquoi il faut nous tablir en l'Un .

    Marc joue dans ce rituel le rle d'Achamoth donnant la semence spirituelle qu'elle a disperse dans le monde les anges pour poux. On retrouve l'ide du salut par l'union dans Y Evangile de Thomas et - curieusement - ce Thme est frquemment associ celui de la montagne qui se dplace pour se jeter dans la mer. Ceci nous rappelle la parabole du grain de snev dans les synoptiques, parabole laquelle la formule eucharistique marcosienne semble faire allusion. Cette conjonction du thme de l'union et de la parabole du grain de snev apparat trois reprises dans Y Evangile de Thomas. Le logion 1 06 est sans doute le plus lapidaire et le plus explicite : Lorsque vous ferez de deux un, vous serez Fils de l'Homme et si vous dites : "Montagne dplace-toi, elle se dplacera." Le logion 48 introduit une dimension morale. Il spcifie qu'il ne sagit pas seulement d'une union, mais d'une rconciliation : "Si deux font la paix entre eux dans cette mme maison, ils diront la montagne dplace-toi, et elle se dplacera." Cette conjonction du thme de la rconciliation et de la montagne n'est pas sans rappeler l'exhortation qui, dans l'vangile de Marc suit directement l'allusion la montagne (Me 11, 23- 25) : C'est pourquoi je vous le dis tout ce que vous prierez et demanderez croyez que vous l'avez reu et cela vous sera accord. Et quand vous tes debout, priant, si vous avez quelque chose contre quelqu'un,

    toute Principaut et Puissance. Cf. aussi la liaison de ce thme avec celui de l'enfance, des vfjmoL en Gai 4, 3 et Heb 5, 12.

  • 320 A. ET C. FAIVRE

    remettez, afin qu'aussi votre Pre qui est dans les cieux vous remette votre manquement.

    Pour Luc, l'exhortation pardonner prcde (Le 17, 3b-4) immdiatement la parabole du grain de snev (Le 17, 5-6) suivent deux paraboles propres Le (Le 17, 7-10 les serviteurs inutiles et 11-19 les 10 lpreux) puis un logion qui est aussi propre Le : Or, interrog par les pharisiens sur le moment o vient le royaume de Dieu, il leur rpondit et dit : "La venue du royaume de Dieu ne se laisse pas observer, ni ils ne diront : 'Voici ici ou l', car voici le royaume de Dieu est au dedans de vous" Ce logion propre Luc ne pourrait-il pas tre mis en rapport avec la prcision contenue dans l'invocation prophtique marcosienne : "Le lieu de la Grandeur est en vous" ? Luc enchane ensuite directement sur l'avnement du Fils de l'Homme. L'agencement de la squence lucanienne au chapitre 17 contient donc trois lments que l'on retrouve dans Y Evangile de Thomas : le thme du pardon rconciliation, la parabole du grain de snev, la venue du Fils de l'Homme. On y trouve galement un lment original dans l'affirmation que tout se passe "au dedans de vous". Cette affirmation concorde aussi bien avec la liturgie marcosienne qu'avec l'Evangile de Thomas puisque ce dernier fait allusion une transformation du gnostique en Fils de l'Homme plus qu' un avnement extrieur (16).

    L'originalit de Luc d'ailleurs, curieusement, ne s'arrte pas l. Nous avons dj not que, dans la parabole du grain de snev, Luc remplace la montagne par un mrier {avK&\iivo, hapax dans le Nouveau Testament). Il semble qu'il obisse un regroupement de textes et de thmes par mots raccrocs qui devaient tre l'objet d'exgses et de spculations symboliques plus ou moins pousses dans les milieux de l'apocalyptique juive d'une part, dans ceux de la gnose hellnistique d'autre part (17).

    (16) Cf. supra log. 106. (17) L' Evangile de Thomas contient une squence qui peut nous permettre de

    comprendre cette exgse tiroir qui permettait de passer d'un thme un autre : log. 20 Le royaume des cieux est semblable un grain de snev; log. 21 Les disciples ressemblent des petits enfants ; log. 22 ces petits qui ttent sont semblables ceux qui entrent dans le royaume des cieux. Les disciples dirent alors devenant petits, nous entrons dans le Royaume . Jsus leur dit : Lorsque vous ferez de deux un et que vous ferez l'intrieur comme l'extrieur, et ce qui est en haut comme ce qui est en bas, et lorsque vous ferez le mle avec la femme une seule chose en sorte que le mle ne soit pas mle et que la femme ne soit pas femme, lorsque... alors vous entrerez.

  • LA PLACE DES FEMMES DANS LE RITUEL EUCHARISTIQUE 321

    III. Protestation rituelle et contestation de la prophtie

    1. Protestation rituelle des marcosiennes.

    L'invocation prophtique de Marc se termine par ces mots : ouvre la bouche et prophtise . C'est alors que la femme, dans un premier temps proteste : je n'ai jamais prophtis et ne sais pas prophtiser . Cette protestation rappelle celle d'Amos devant le prtre de Bethel qui lui enjoignait de cesser de prophtiser dans ce sanctuaire royal. Amos rpond alors je n'tais ni prophte, ni frre prophte. J'tais berger et je grattais les mriers (auK|j.ivoi). C'est Dieu qui m'a pris de derrire le troupeau et c'est Dieu qui m'a dit : Va, prophtise mon peuple Isral (Amos 7, 14-15). On remarquera que le texte d'Amos contient le terme auK[iivoc, hapax employ dans la squence de Luc 17. Si ce terme constitue bien un mot raccroc dans l'exgse marcosienne et si c'est bien le texte d'Amos auquel se rfre la protestation rituelle de la femme, alors il faudrait voir dans cette protestation une contestation d'un culte institu et peut-tre d'une prophtie officielle, c'est--dire une justification d'une dviance et d'une marginalit dont les marcosiens seraient conscients.

    2. Vrai et faux prophte chez le Pasteur d 'Hermas et dans l 'Adversus Haereses

    La critique de Marc, le magicien, est mise par Irne dans la bouche des femmes fidles :

    Elles savaient pertinemment que le pouvoir de prophtiser n'est pas donn aux hommes par Marc le magicien, mais que ceux qui (anthropoi) Dieu a envoy d'en haut sa grce, ceux-l possdent le don divin de prophtie et ils parlent o et quand Dieu le veut, non quand Marc le commande.

    Car celui qui donne un ordre est plus grand et plus puissant que celui qui le reoit (...) alors celui qui commande sera plus grand et plus puissant que l'Esprit prophtique, bien qu'il ne soit qu'un homme, ce qui est impossible...

    Curieusement, alors qu' Irne a trait par l'ironie les rapports de Marc et des femmes, les arguments critiques ne visent pas le fait que Marc fasse intervenir des femmes dans la liturgie et les fasse prophtiser, mais le fait qu'il prtende communiquer et rguler le don de prophtie. Les femmes ne rpondent pas nous sommes femmes, il ne nous est par permis de... , mais Marc n'a pas le pouvoir de communiquer l'Esprit aux hommes (hommes et femmes) (18).

    (18) On peut se demander s'il y a possibilit d'oprer un rapport entre kl la formule de / Pierre 5, 3 :

  • 322 A. ET C. FAIVRE

    II est intressant de voir la faon dont Irne refute la pratique marcosienne : il argue non point sur une interdiction de prophtiser dans l'assemble, interdiction qui serait faite aux femmes, mais sur le fond, sur l'origine et la teneur de la prophtie (19). Il est remarquable qu'Irne de Lyon, affrontant trs concrtement une pratique gnostique qui, dit-il, fait des ravages jusque dans nos contres du Rhne , n'ait pas pens, os ou voulu se servir de 1 Co 14, 33-34 comme d'un argument disciplinaire (20).

    En fait, les critres de jugements des prophtes avancs par Irne sont fort proches de la description et des conseils prodigus par le Pasteur d'Hermas : Et ceux qui doutent viennent lui (le prophte) comme un devin et le questionnent sur leur avenir et ce faux prophte, sans avoir en lui aucune puissance d'esprit divin, leur rpond selon leur question et leur dsir du vice, et il remplit leurs mes de ce qu'ils souhaitent (Hermas 43, 2 = Prcepte 11,2). Tout esprit donn par Dieu n'a pas besoin d'tre questionn, mais possdant la puissance de la divinit, il dit tout spontanment, puisqu'il vient d'en haut, de la puissance de l'Esprit divin. Mais un esprit que l'on doit questionner et qui parle selon les dsirs des hommes est terrestre et lger, puisqu'il n'a pas de puissance, il ne dit mot que s'il est questionn {Hermas 43, 5-6 = Prceptes 1 1, 5-6). Ce n'est pas lorsque l'homme a envie de parler que parle l'Esprit Saint : il parle lorsque Dieu veut qu'il parle (43,8 = Prceptes 11, 8)). Selon le Pasteur d'Hermas, encore, cet esprit terrestre est vain, sans puissance, insens (43, 11 = Prceptes 11, 11) , terrestre et vide car il n'y a

    (2) Paissez le troupeau du Christ (3) Non pas en faisant les Seigneurs (cf. Ez 34 ; Ac 19, 16 ; Mt 20, 25)

    des klroi (wc KaraKvpievovre tv k\t\p(x>v), mais en devenant les modles du troupeau.

    B/ et la description des pratiques marcosiennes : Si donc Marc ou un autre donne des ordres, comme ont coutume de le faire

    dans leurs banquets tous ces gens-l, jouant les klrous, se donnant les uns les autres l'ordre de prophtiser et s'enseigant les uns aux autres des prdications conformes leur dsir - alors celui qui commande sera plus grand et plus puissant (kurioteros) que l'esprit prophtique, bien qu'il en soit qu'un homme.

    On pourrait galement rapprocher de / Pierre 4, 9-10 : Pratiquez l'hospitalit les uns envers les autres, sans murmurer (10) Chacun selon la grce reue, mettez- vous au service les uns des autres comme de bons intendants d'une multiple grce de Dieu. Si quelqu'un parle que ce soit comme les paroles de Dieu.

    (19) d'autres femmes, plus fidles (...) savaient pertinemment que le pouvoir de prophtiser n'est pas donn aux hommes par Marc le magicien, mais que ceux qui il a envoy d'en haut sa Grce, ceux-l possdent le don divin de la prophtie et ils parlent o et quand Dieu le veut, non quand Marc le commande (AH I, 13, 5).

    (20) 1 Co 14, 33b-34 : Comme dans toutes les Eglises des Saints que les femmes se taisent dans les assembles car il ne leur est pas permis de prendre la parole, qu'elles se tiennent dans la soumission ainsi que la Loi mme le dit.

  • LA PLACE DES FEMMES DANS LE RITUEL EUCHARISTIQUE 323

    pas de puissance en lui... (43, 17 = Prceptes! \, 17). Les esprits terrestres sont impuissants et dbiles.

    Irne, pour sa part dira que les esprits qui parlent quand ces gens l le veulent sont chtifs et dbiles encore qu'audacieux et impudents (AH I, 13, 4). A propos des femmes qui s'chauffent et s'enorgueillisent pousses pour prophtiser, il a cette citation : elle est impudente et chtive, l'me qui chauffe une vaine vapeur. C'est de la mme manire que le Pasteur qualifie l'homme qui croit possder l'esprit et s'exalte lui mme d'impudent . Irne et le Pasteur d'Hermas s'accordent, bien sr, pour dire que ceux qui restent fidles ne sont pas sduits par de tels esprits.

    Tous ces rapprochements ne peuvent tre le fruit du hasard, ils supposent, sinon une dpendance directe, du moins une source ou une tradition commune. Mais... une tradition qui, au tmoignage de la version qui nous est donne par le Pasteur d'Hermas, ne comprenait aucune instruction spcifique relative la prophtie fminine. Les critres noncs par le Pasteur sont applicables tous. Il en va de mme dans YAdversus haereses, mme si Irne, dans des circonstances particulires, est conduit les appliquer concrtement des femmes.

    3. Prophtie fminine et eucharistie dans la Didach et chez les mar- cosiens

    Quel rapport entretient la tradition relative aux prophtes dveloppe par le Pasteur d'Hermas et Irne avec le texte clbre que la Didach consacre l'accueil des prophtes ? Quant au contenu, on trouve peu de rapport, si ce n'est la prsentation du desintressement du prophte comme critre d'authenticit (21). Mais il s'agit l d'une vidence et d'un lieu commun, que d'ailleurs la Didach discute et adapte. Quant au vocabulaire, on trouve peu de rapprochements notables (22).

    (21) Cf. Did 11,9 et 12, 12 ; Pasteur d'Hermas 43, 12 (= Prceptes 11,12) et d'une faon un peu spciale, Irne AH I, 13, 3.

    (22) Tout au plus peut-on s'interroger sur un rapport possible entre l'interdiction profre par la Didach vous n'prouverez pas les prophtes et vous ne les jugerez pas non plus et l'hostilit manifeste par le Pasteur (43, 1-5 et 8) l'gard de ceux qui questionnent les prophtes comme des devins. Les deux verbes prouver et questionner sont en effet lis plusieures reprises chez Mt et Me. Ainsi Mt 16, 1 et 22, 35 ; Me 10, 2. Il s'agit de questionnement respectivement sur le signe (de Jonas), sur le divorce et sur le plus grand commandement. Il s'agit alors d'prouver, en questionnant. Il est difficile de savoir si la Didach vise ce genre d'preuve adresses aux prophtes. En tout cas, en ce qui concerne le Pasteur, il ne s'agit nullement d'un questionnement destin mettre l'preuve le prophte, mais d'un questionnement orient attendant une rponse mantique , magique, assimile aux pratiques idoltriques des paens et reprouve ce titre.

  • 324 A. ET C. FAIVRE

    En ce qui concerne l'attitude par rapport la prophtie fminine, la comparaison est plus complexe tablir. A premire vue, la Didach ne se proccupe pas plus de la question qu'Hermas, son seul but semblant tre de lgifrer sur les prophtes en gnral. Pourtant, on peut trouver dans la Didach des indications indirectes quant la prsence des femmes lors des prophties (Didach 11, 11) : En revanche, tout prophte, prouv, vrai, qui agit en vue du mystre cosmique de Yecclesia, mais qui n'enseigne pas de faire tout ce qu'il fait lui-mme, ne sera pas jug chez vous, car c'est avec Dieu qu'il a son jugement. C'est en effet de cette manire qu'agirent galement des anciens prophtes . Diverses interprtations ont t proposes : la plus large consiste voir dans l'action des prophtes en vue du mystre de l'Eglise dans le monde tous les gestes symboliques qui peuvent tre accomplis par les prophtes pour illustrer ou suggrer une interprtation (23). Harnack a avanc l'hypothse selon laquelle les prophtes exprimaient par leur conduite asctique l'union du Christ avec l'Eglise. D'autres, comme Weinel, Knopf ou Adam, ont cru discerner sous cette expression une allusion un mariage spirituel entre un prophte et une sur, l'instar de certaines figures vtro- testamentaires comme celle d'Ose. Irne nous fournit d'ailleurs une exgse chrtienne du mariage d'Ose qui va dans le sens de cette interprtation ecclsiale du mystre cosmique : voil pourquoi, crit-il en AH IV, 20, 12, Ose pousa une femme de prostitution : par cet acte, il prophtisa que la terre - c'est--dire les hommes qui l'habitent - se prostituerait loin du Seigneur (cf. Os 1,2) et que de tels hommes se plairaient former son Eglise qui serait sanctifie par son union avec le Fils de Dieu comme cette femme l'avait t par son union avec le prophte : Aussi Paul dit-il que la femme infidle est sanctifie par le mari fidle (cf. 1 Co 7, 14) . Irne poursuit en prsentant l'interprtation des enfants d'Ose (Os. 1, 6-9) par Rm 9, 25-26 et conclut : Ce que les prophtes faisaient de manire figurative par des actes, l'aptre le montre fait d'une manire relle dans l'Eglise par le Christ. Mais Irne ne nous donne pas d'exemple orthodoxe contemporain d'union prophtique symbolique.

    Il est pourtant possible que de telles pratiques symboliques aient exist et, bien que controverses par certains, aient t reconnues comme lgitimes par le rdacteur du chapitre 11 de la Didach (24).

    (23) Pour l'inventaire des interprtations donnes ce passage de la Didach, voir SC 248, p. 186-187, n. 5. J.-P. Audet, La Didach, Paris, 1958, p. 145 sq et surtout 451-453, W. Rordorf dans SC 248 p. 186-188 (note 5) et K. Niederwimmer, Die Didach, Gttingen, 1989, p. 217-223.

    (24) Les rapports qui existent dans le rituel de Marc entre eucharistie et prophtie rappellent Didach 10, 7 : Laissez les prophtes rendre grce autant qu'ils veulent , sans que l'on puisse dire si la formule de la Didach disqualifie la critique

  • LA PLACE DES FEMMES DANS LE RITUEL EUCHARISTIQUE 325

    Ce mystre prophtique pouvait s'exprimer au sein mme de l'eucharistie. La Didach tmoigne du rle liturgique rempli une certaine poque par les prophtes qu'on doit laisser rendre grce autant qu'ils veulent {Did. 10, 7). Cette surabondance de l'action de grce correspond l'attitude de Marc feignant d' eucharistier une coupe mle de vin et prolongeant considrablement la parole de l'invocation {AH I, 13, 2) (25).

    Une autre similitude entre le rituel marcosien et ce que la Didach nous laisse entrevoir de l'eucharistie peut tre vue dans l'invocation de la grce. Dans la Didach, cette invocation se fait encore, sem- ble-t-il, dans une perspective eschatologique : Que la grce vienne et que ce monde passe {Did. 10, 6). Chez les marcosiens, la perspective est plus intriorise, mais, dans les deux cas, il s'agit d'une reconstruction du cosmos. L'eucharistie est bien le lieu o doit tre figur ce qui, selon la Didach est le mystre de l'Eglise dans le monde , et selon les marcosiens, elle rassemble en quelque sorte l'me du monde visible, donnant ainsi ce monde la fois la connaissance de la Plnitude dont il est issu et les moyens de sa rdemption (cf. AH I, 14, 7). Dans une telle situation, il est non seulement permis que les femmes jouent un rle lors de l'eucharistie, mais leur prsence est requise par la symbolique nuptiale dont elles constituent en quelque sorte l'instrument.

    Le rle tenu par les femmes n'est pas ncessairement muet. Au contraire, dans la perspective marcosienne, le fruit de l'union devrait tre la reconstitution des lments disperss de la Parole, la rvlation du Nom vritable, la connaissance du Tout. Ce fruit s'exprime tout naturellement par la bouche de la femme. Mme si l'on ne tient pas compte de ces spculations gnostiques d'arrire plan, il ne semble pas qu'il soit exclu que la femme participe par la Parole. Nous avons vu qu'Irne raille non pas tant le fait que la femme prophtise que la manire dont elle le fait : quand Marc le commande {AH I, 13, 4). Si le rle de la femme, dans l'eucharistie marcosienne, n'est pas un rle muet, il reste nanmoins soumis l'esprit du liturge masculin, la Parole qui sort de la bouche de la femme est l'instrument de la Grce que lui a communique Marc. La symbolique nuptiale offre la femme la possibilit d'agir et de parler, elle ne la dgage pas du rapport de soumission.

    d'Irne l'encontre de Marc feignant d'eucharistier une coupe mle de vin et prolongeant considrablement la parole d'invocation (AH I, 13, 2).

    (25) L'improvisation liturgique restera d'ailleurs la rgle la plus gnrale au moins jusqu'au \\\c sicle et mme lorsqu'il ne sera plus question de prophtes-ministres.

  • 326 A. ET C. FAIVRE

    *

    Si l'on s'en tient strictement au rituel eucharistique marcosien, force est de constater qu'il n'est pas excessivement original et que beaucoup d'lments qui entrent dans sa compositon peuvent tre mis en parallle avec des textes gnralement considrs comme orthodoxes. Mme ce qu'Irne nous prsente comme un tour de prestidigitation destin subjuguer les nafs - la petite coupe dbordant au point de remplir la grande - peut recevoir une explication symbolique partir de l'image de la croissance du grain de snev. La mention de l'homme intrieur dans la formule eucharistique mar- cosienne peut tre rapproche de celle qu'on trouve dans la Prima Ptri. Une allusion l'homme intrieur se trouve galement dans le chapitre 3 d'Ephsiens qui dveloppe en mme temps des thmes gnostiques. Cette mme ptre aux phsiens (ch. 1) mentionne aussi les ides de grandeur et de puissance, que l'on retrouvera hyposta- sies dans l'invocation prophtique des marcosiens.

    Par ailleurs, le rituel marcosien fait allusion aux paraboles du grain de snev et cite le mme logion que Mt 18, 10. On pourrait mme tablir un parallle entre l'enchanement des thmes de l'unit, du grain de snev et de l'intriorisation du salut tel qu'on le rencontre chez Le 17 et dans les textes gnostiques. Il est en outre possible d'tablir un lien entre les pratiques prophtiques dcrites dans la Didach et la porte symbolique du rituel prophtique marcosien. Ce rituel apparat bien comme un mystre rattach aux spculations cosmiques et salvifiques des marcosiens. L'action liturgique du ministre et de la femme appele prophtiser se rapproche de celle des prophtes que la Didach autorise agir en vue du mystre cosmique de l'ecclesia .

    A la surface, il y a donc peu reprocher au rituel marcosien. C'est un regard moderne, sans doute anachronique, qui nous fait voir dans la prsence de femmes, l'essentiel de la dviation mar- cosienne alors que cette prsence pouvait tre autorise, et mme requise, par des lments symboliques traditionnels. Il semblerait alors que le principal grief demeurant F encontre des marcosiens soit d'avoir dvoy la symbolique au travers de la pratique. Sourd l'avertissement prudent de la Didach recommandant qu'on ne juge pas tout prophte prouv, vrai, qui agit en vue du mystre cosmique de Yecclesia condition toutefois qu'il n'enseigne pas de faire tout ce qu'il fait lui-mme, Marc aurait - selon Irne - abus de son image de liturge et entran les femmes dans des pratiques condamnables. Est-ce vraiment l le premier et le principal reproche qu'on peut faire aux marcosiens? C'tait en tout cas le plus facile mettre en avant, le plus efficace pour dcrier

  • LA PLACE DES FEMMES DANS LE RITUEL EUCHARISTIQUE 327

    le groupe. Ce reproche, moral et circonstantiel, est un classique de toutes les luttes anti-hrtiques.

    Cette condamnation par les uvres mauvaises - qu'elle que soit son fondement dans la ralit - pourrait encore laisser intacte la valeur thologique du rituel. Mais, ct de tous les rapprochements de thmatique et de structure que nous avons pu souligner entre le rituel marcosien et certains textes notestamentaires, on relve certaines diffrences ou plutt certains manques. Il s'agit principalement, par rapport l'ptre aux Ephsiens, de l'absence du thme de l'Amour du Christ qui surpasse toute connaissance (Eph 3, 19) et de l'affirmation de la prminence du Christ, de la suprmatie ternelle de son Nom (Eph 1, 21). Par rapport l'enchanement de lieux thologiques rvl par Le 17, il s'agit plutt de la transformation de l'ide de rconciliation ou de communion en une notion plus abstraite et plus absolue, celle de l'Un, du passage de l'ide de Royaume (Le 17, 20) celle de Grandeur intrieure. Ces manques et ces nuances recouvriraient-ils un diffrend plus profond ?

    On constate en tout cas, dans les textes notestamentaires contenant des lieux thologiques proches de la liturgie marcosienne, une proccupation polmique. Cette polmique se caractrise par l'affirmation de la prminence ternelle du Nom, par l'interprtation du Ps 8 comme preuve de la suprmatie incommensurable du Christ, Fils de l'Homme, par le rejet ou la prise de recul face l'ide que les chrtiens seraient des ut|ttlol, des tous petits (Eph 4, 14). Or sur le premier et le dernier de ces points au moins, il y a contradiction flagrante entre le Nouveau Testament et les dveloppements des spculations marcosiennes sur le Nom (26) et sur les petits enfants rvlateur des diffrents lments du nombre insigne, de la Grandeur au sept nombres. En effet, Marc se livre de nombreuses spculations grammatologiques et arithmtiques sur le Nom. Il en arrive la conclusion que les Puissances, enlaces les unes aux autres mettent sept ons, rsonnent et glorifient celui qui les a mises, et que la gloire de ce concert s'lve vers le Pro Pre. D'aprs les marcosiens, le son de cette glorification est devenu l'auteur et le gnrateur de ce qui est sur terre (AH I, 14, 8), Marc prouve cela par le fait des enfants nouveaux-ns dont l'me peine sortie du sein maternel fait entendre le son de chacun de ces lments. De mme, dit-il, que Sept puissances glorifient les Anges, ainsi l'me des petits enfants, en pleurant et vagissant glorifie Marc lui-mme. C'est parce que David a dit "de la bouche des petits enfants et de ceux qui sont la mamelle

    (26) Cf. AH I, 14, 4 qui introduit une distinction entre le Nom du Christ Jsus que nous croyons connatre et le nom ancien connue de ceux-l seulement qui sont de la mme race que lui et dont les "Grandeurs" sont sans cesse auprs de lui .

  • 328 A. ET C. FAIVRE

    tu as prpar une louange" (Ps 8, 3). La gense de ces spculations sotriques extravagantes sur le Nom, les petits , les anges et les Puissances se trouve certainement dans une discussion sur l'interprtation de certains passages du Ps 8 dans la version des Septantes : qu'il est grand ton Nom par tout l'univers. Au-dessus des cieux ta magnificence (jieyaXoiTpeTreia) que chantent des bouches d'enfants, de tout petits... qu'est-ce que l'homme que tu te souviennes de lui, ou le Fils de l'homme pour que tu le prennes en considration ? Tu l'as un moment abaiss au-dessus des anges. Tu l'as couronn de gloire et d'honneur. Tu as tout mis sous ses pieds .

    A ces spculations, Heb 2, 5 se proccupe de rpondre clairement : En effet, ce n'est pas des anges qu'il a soumis le monde venir dont nous parlons... , tandis que les marcosiens, interprtant le Ps 8 l'aide d'une lecture sotrique du logion rapport en Mt 18, 10, gardez-vous de mpriser aucun de ces petits, car je vous le dis leurs anges aux cieux se tiennent constamment en prsence de mon Pre qui est aux cieux... extrapolent une srie d'Eons et de syzigies qui dfigurent la transcendance du Fils de l'Homme.

    Le reproche principal que l'on peut faire aux marcosiens est donc christologique avant mme d'tre moral. La prsence des femmes dans le rituel, loin d'tre en soi une dviance, constitue plutt un archasme. La Didach laisse souponner une telle pratique et Irne nous dmontre que cette symbolique nuptiale peut, dans le cadre d'une interprtation prophtique, tre comprise de manire tout fait orthodoxe. La protestation rituelle des marcosiens peut tre vue comme le sentiment d'une dviance vis--vis d'autres communauts chrtiennes, mais elle peut aussi reprsenter tout simplement une contestation spirituelle par rapport au ritualisme. La vritable dviance, celle qui sans doute constitue une nouveaut dans la conception du rituel rside sans doute dans ce que nous pourrions appeler la rification du symbole. Marc ralise - et matrialise - directement l'union conjugale, tout comme il eucharistie - directement - la coupe. Mais tandis que la premire rification sera sans doute ce qui disqualifiera dfinitivement le rituel marcosien aux yeux de la postrit, la seconde allait susciter bien des dbats thologiques.

    Ccile et Alexandre Faivre Universit de Strasbourg II.

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    PlanI. L'invocation eucharistiqueII. L'invocation prophtique (AH I, 13, 3)1. Prliminaires : une rfrence scripturaire nigmatique (Mt 18, 10)a) Le rcit des origines : AH 1, 14, 1b) Thologie du Nom et formule de rdemption

    2. Le lieu de la grandeur est en nous 3. II faut nous tablir en l'Un

    III. Protestation rituelle et contestation de la prophtie1. Protestation rituelle des marcosiennes2. Vrai et faux prophte chez le Pasteur d'Hermas et dans l'Adversus Haereses3. Prophtie fminine et eucharistie dans la Didach et chez les marcosiens