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Université Jean-Moulin Lyon 3 THESE DE DOCTORAT en Sciences de l’Information et de la Communication LA CONSTRUCTION MEDIATIQUE DE VAULX-EN-VELIN M : pour une écologie de l’information Présentée par Pierre GANDONNIERE Sous la direction de M. le Professeur Jean-Paul METZGER TOME 1 1

ANAMNESE DE VAULX-EN-VELINddata.over-blog.com/.../Publications/THESE-FINAL.doc  · Web viewLe scénario dure beaucoup moins longtemps que la dernière fois puisque très rapidement

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ANAMNESE DE VAULX-EN-VELIN

Université Jean-MoulinLyon 3

THESE DE DOCTORAT en Sciences de l’Information et de la Communication

LA CONSTRUCTION MEDIATIQUEDE VAULX-EN-VELINM:

pour une écologie de l’information

Présentée parPierre GANDONNIERESous la direction de M. le Professeur Jean-Paul METZGER

TOME 1

Jury : Jean Caune, Professeur, Université Stendal Grenoble 3, rapporteur, Bernard Lamizet, Professeur Institut d’Etudes Politiques de Lyon, rapporteur, Jean-Pierre Esquenazi, Professeur, Université Jean-Moulin Lyon 3,Guy Lochard, Maître de Conférences, (H.D.R.), Université Paris 3, Jean-Paul Metzger, Professeur, Université Jean-Moulin Lyon 3.

TABLE DES MATIERES

Introductionp. 7PREMIERE PARTIE : La Construction Médiatique de Vaulx-en-Velinp. 10Chapitre 1 Anamnčse de Vaulx-en-Velin objet médiatiquep. 11Chapitre 2 Comment on devient un objet médiatique. La construction de Vaulx-en-Velin dans les médias d’octobre 90 ŕ avril 94p. 321. Actes de naissancep. 321.1 Premiers crisp. 321.2 Premiers pas :p. 331.2.1 Dans le monde de la réalitép. 331.2.2. Dans le monde médiatiquep. 342. Croissance et stabilisationp. 382.1 S’intégrer dans le temps du(des) monde(s)p. 382.2 S’intégrer dans l’espace des mondesp. 412.2.1 Dans la réalité de l’objet médiatiquep. 412.2.2 Le monde décrit par les médiasp. 422.2.3 Le monde oů vivent les médiasp. 432.3 S’intégrer un contenu stablep. 452.3.1 Institutionnalisation du discoursp. 452.3.2 Elimination des dissonancesp. 472.3.3 Adoption d’un mode de fonctionnement privilégiép. 502.3.4 Glissement vers une position d’objet/sujet médiatiquep. 552.3.5 Constitution d’un noyau durp. 60Chapitre 3 L’Affaire Kelkal. Construction d’un deuxičme objet médiatique en creux du premierp. 621. Actes de naissance au forcepsp. 622. Une stabilisation menée tambour battantp. 643. Comment Vaulx en VelinM contribue ŕ construire Khaled KelkalM ŕ son corps défendantp. 724. Khaled KelkalM, un épisode de plus dans la construction de Vaulx-en-VelinMp. 74Conclusion. Bilan de l’objet médiatique Vaulx-en-Velin aprčs l’affaire KelkalDescription d’un objet médiatique in situp. 861. Le médianômep. 861.1 Quatre états possibles pour Vaulx-en-VelinMp. 861.1.1 Etat émergent : une bulle médiatiquep. 871.1.2 Etat caractérisant : se singulariserp. 881.1.3 Etat structurant : au c?ur de l’organisation du champp. 881.1.4 Etat référentiel : entrée dans le monde symboliquep. 891.1.5 Un non-état : l’immersionp. 901.1.6 L’objet dans tous ses états : Vaulx-en-VelinMp. 901.1.7 L’objet du tiers-état : Khaled KelkalMp. 911.2 L’intérieur de l’objet : tout en résonancep. 921.3.Le moteur de l’objet : six ressorts dramatiquesp. 941.3.1 Les trois ressorts du temps linéaire (Crisis) : le paradoxe, la paroxysme, la fin(début)p. 951.3.2 Les trois ressorts du temps cyclique (Chronos) : le retournement, la propagation, le recyclagep. 961.3.3 Un ressort dramatique dominant caractérise l’objetp. 981.4 Trois pôles sur lesquels s’articulent les le scénarios : le triangle dramatique Persécuteur / Victime / Sauveurp. 991.5 De l’objet médiatique au sujet indirect : le médianômep. 101Conclusion : le médianôme entité médiatiquep. 1042. L’environnement du médianômep. 1052.1 Un écosystčme : la télévision. Credo des 3 OMNIsp. 1052.2 L’habitat du médianôme : l’actualité téléviséep. 1072.2.1 Le médianôme pris dans des échelles de temps cycliquesp. 1072.2.2 L’actualité abolit le tempsp. 1082.2.3 le médianôme écrasé par l’effet de surfacep. 1082.2.4 Le médianôme inscrit dans son habitat. La transcription intra-média des 5 Wp. 1092.3 La niche du médianôme, une forme de transitionnalité socialep. 111Chapitre 5 Vivre avec un médianôme. La construction médiatique vue de Vaulx-en-Velinp. 1161. Relations avec le médianômep. 1171.1. Le médianôme est attaquép. 1171.1.1 Il est rejetép. 1171.1.2 Il est montré du doigtp. 1181.2 Le médianôme est récupérép. 1191.2.1 Il sert de drapeau noirp. 1191.2.2 Il joue le rôle de la fatalitép. 1201.3 Le médianôme est exploitép. 1202. Relations avec les médiasp. 1222.1 Des médias stigmatisésp. 1222.2 Une stigmatisation surdéterminéep. 1222.2.1 Ce qui est en cause, ce n’est pas la presse, mais l’idée qu’on s’en faitp. 1232.2.2 Les articles ne sont pas d’égal poids selon la place qu’ils occupentp. 1242.2.3 Seuls les faits divers sont universelsp. 1242.2.4 Seuls les faits divers sont authentiquesp. 1253. La résistance contre le médianômep. 1263.1 Occulter les sourcesp. 1263.2 Produire ses propres images, ses propres informationsp. 1273.3 Dissuader ce qui n’est pas under controlp. 1283.4 Communiquer ou non, l’ambiguďté des choixp. 1294. Pour faire le portrait d’une villep. 1314.1 Une ville “ mčre d’asile ”p. 1314.2 Une mosaďque humainep. 1324.3 Une ville volontaire, humanistep. 1334.4 Etre de Vaulx-en-Velinp. 1354.5 Sortir et s’en sortirp. 1364.6 Vaulx-en-Velin l’éternelle genčsep. 1374.7 Quatre temps et pas de mesurep. 1374.7.1 Le temps de la nostalgiep. 1384.7.2 Le temps de l’errancep. 1384.7.3 Le temps des agendasp. 1384.7.4 Le temps virtuelp. 138DEUXIEME PARTIELa Construction du projet d’actionp. 140Chapitre 1 Des origines du premier projet de film aux derničres propositions d’intervention, comment et pourquoi le projet évolue.p. 1411. Départ du projetp. 1421.1. Premiers contactsp. 1421.2 Et si on faisait un filmp. 1431.3 Une thčsep. 1431.4 Postulats de départp. 1441.5 Premičres évolutionsp. 1461.6 Premičres difficultés p. 1492 Démarche modifiée : Projet N°3p. 1512.1 On crée une associationp. 1522.2 On teste une nouvelle méthodep. 1532.2.1 Recueil d’histoires brutes, ça marchep. 1532.2.2 Passage du “ brut ” au scénario, ça marchep. 1532.2.3 Tournage d’un bout d’essai, ça marchep. 1543. Critique de la méthodep. 1553.1 Validation d’une partie de la démarchep. 1553.2 Du récit brut jusqu’au film, trois transformationsp. 1553.3 Difficultés liées au tournagep. 1573.4 Difficultés liées ŕ la préparation du tournagep. 1583.5 Difficultés liées ŕ la confrontation d’objectifsp. 1583.6 Remise en cause de la fictionnalisationp. 1583.7 Les risque du partenariat T.V.p. 1594 Projet finalp. 1604.1 Relations de la ville avec les médiasp. 1614.2 Relations entre la ville et son image (médianôme)p. 1624.3 Relations avec le magma médiatique qui produit de tels objetsp. 1644.3.1 Les participantsp. 1664.3.2 La méthodep. 1664.3.3 Le dogmep. 1664.3.4 L’émissionp. 1674.3.4 Moyens ŕ mobiliserp. 168Conclusionp. 169Chapitre 2 Le projet et ses partenairesp. 1721. Des relations marquées par la dépendancep. 1722. L’exigence professionnellep. 1733. Les effets de la précaritép. 1753.1 Le temps et l’espace déstructurésp. 1753.2 Un tissu social en permanente recompositionp. 1773.3 Une personnalité As Ifp. 1774. Jeu de séduction/esquive avec la Mairiep. 1805. Recherche de financementp. 1836. Analyse des blocagesp. 1866.1 Du fonctionnement des groupes décisionnairesp. 1866.2 De l’attitude du demandeurp. 1876.3 Position ambiguë vis ŕ vis de la communicationp. 188Conclusionp. 189TROISIEME PARTIEMéthodologiep. 191Chapitre 1 Méthodologie Généralep. 1921 Origines de la recherchep. 1921.1 Une volonté d’actionp. 1931.2 Une volonté de compréhensionp. 1931.3 Un postulat de départp. 1931.4 Et pas de problématique ?p. 1942. Implications multiples du chercheurp. 1952.1 Comme militantp. 1952.2 Comme “ stigmatisé ” expérimentép. 1962.3 Comme “ client ” des médiasp. 1973. Bases méthodologiquesp. 1983.1 Une approche cliniquep. 1983.2 Une approche constructivistep. 1993.3 Une recherche-actionp. 199Conclusion : une méthodologie en perpétuel réaménagementp. 199Chapitre 2 Travail sur les images d’actualitép. 2011. Premičre série d’imagesp. 2011.1 Analyse du contenu des séquencesp. 2011.2 Datation des séquencesp. 2041.3 Construction de tableauxp. 2041.3.1 Tableau généralp. 2051.3.2 Anonymatp. 2081.3.3 Hiérarchisationp. 208 1.3.4 Légitimationp. 2091.3.5 Quelques tableauxp.2091.4 Classement Passé / Futurp. 2102 Deuxičme série d’imagesp. 2113. Discussion méthodologique sur l’analyse d’imagesp. 213Chapitre 3 Méthodologie d’actionp. 2171. Expression de la demande d’interventionp. 2171.1 Du côté des habitantsp. 2171.2 Du côté de la Mairiep. 2182. Evolution de la proposition d’interventionp. 2193. Analyse des propositions d’interventionp. 2203.1 Une intervention sur l’image de soi de la villep. 2203.2 Une intervention sur les relations locales avec les médiasp. 2213.3 Une émission “ Carrefour de la vidéo ”p. 2213.3.1 En finir avec l’objectivitép. 2223.3.2 Construire du tempsp. 2223.3.3 Construire de l’espacep. 2233.3.4 Ouvrir une voie vers le professionnalismep. 2234. Recueil d’informations par entretiensp. 2244.1 Typologie d’entretiensp. 2244.2 Méthodologie d’entretiensp. 2254.2.1 Des effets pervers de l’enregistrementp. 2254.2.2 Du caractčre volatil de la richessep. 2264.2.3 Du procčs d’intentionp. 2274.2.4 De l’entretien d’accompagnement ŕ la dimension hologrammique : les techniques d’entretienp. 2285. De la position franginalep. 2326. De la progression sur le terrain, erratique et itinérantep. 2357. Intervenir ? Ou laisser faire pour observer ? De l’ambiguďté de la recherche-actionp. 2358. De l’impossible négociationp. 237QUATRIEME PARTIEPour une écologie de l’information. Construction de repčres théoriquesp. 238Chapitre 1 Informer, produire de l’informationp. 2391. Le médianôme est un objet journalistiquep. 2391.1 L’objet doit ętre objectifp. 2401.2 La subjectivité de l’objetp. 2411.3 L’angle, comme marque du sujetp. 2421.4 Le sujet et l’objetp. 2432. L’information est construitep. 2452.1 Modčle simplifié de l’empreinte. Quatre mouvements : émergence, construction, consolidation, intégrationp. 2462.2 Modélisation de la construction d’un objet complexe. Quatre régimes de causalité.p. 2482.2.1 Les causalités efficientesp. 2482.2.2 Les causalités matériellesp. 2502.2.3 Les causalités de finalitép. 2522.2.4 Les causalités de formep. 2543. L’objet journalistique est co-construitp. 2593.1 Les co-construitsp. 2593.2 Les co-constructeurs internesp. 2603.2.1 Les effets de hiérarchiep. 2603.2.2 Les effets de circularitép. 2623.3 Les co-constructeurs externesp. 2653.3.1 Les logiques politico-économiquesp. 2653.3.2 L’inclusion des effets externes dans le média, la récursivitép. 2663.3.3 L’inclusion des effets médiatiques dans les évčnements extérieurs, la récursivitép. 2683.3.4 L’inclusion de discoursp. 270Chapitre 2 S’informer, consommer l’information télévisuellep. 2721. Comment le téléspectateur “ produit ” sa télévisionp. 2721.1. Les études d’audiencep. 2731.2 La réception comme une transaction intentionnellep. 2731.3 La réception comme une lecturep. 2751.4 La réception comme processus de sélectionp. 2761.5 La réception comme engrammage de la mémoirep. 2771.6 La réception comme expérience affectivep. 2781.7 La réception comme une construction activep. 2792. Comment la télévision “ produit ” son téléspectateurp. 2812.1 La presse municipale le fait bienp. 2822.2 La télévision reproduit le téléspectateurp. 2842.3 La télévision induit le téléspectateurp. 2842.4 La télévision produit son téléspectateurp. 285Chapitre 3 Penser l’écosystčme médiatiquep. 2921. S’inspirer de la démarche écologique, de ses modčlesp. 2921.1 Médiatypes, communauté, colonie, population ?p. 2921.2 La niche médiatiquep. 2951.3 L’habitatp. 2971.4 Le médiatopep. 2981.5 Le principe d’associationp. 3021.6 Le médiasystčmep. 3031.7 La chaîne informationnelles (recyclage permanent)p. 3042. Des bases pouvant servir ŕ construire un modčle de médiasystčmep. 3072.1 Du dispositif télévisuel au dispositif médiatique, le médiatopep. 3072.2 La nécessité l’élaborer la complexitép. 3102.3 De la nature du médiasystčmep. 3113. Proposition de modélisation d’un médiasystčmep. 3163.1 Les sous-systčmes de transmissionp. 3163.2 Le fonctionnement général du systčme, son économiep. 3184. Modélisation du médianômeCONCLUSIONp. 3261. La construction du médianômep. 3262. Le médianôme in situp. 3283. La méthodologiep. 3304. Les aspects théoriquesp. 332Sortir de la notion d’imagep. 332Redéfinir la notion d’informationp. 333Penser l’information dans et par le systčme dans lequel elle est prisep. 335Textes complémentairesp. 337Réalité, réalité médiatiquep. 338La vengeance des anonymesp. 342L’étrange miroir : comment la télévision induit son téléspectateurp. 351Peut-on réhabiliter l’image de Vaulx-en-Velin sans passer par la démocratie ?p. 363BIBLIOGRAPHIEp. 375

Introduction

Tout le monde connaît Vaulx-en-Velin. Il ne m’est jamais arrivé, en prononçant ce nom de m’entendre répondre : qu’est-ce que c’est, oů est-ce ? Tout le monde sait, ou tout le monde croit savoir. Savoir quoi ? Quelle est cette connaissance issue de la médiatisation massive par les télévisions au moment des évčnements d’octobre 90 ? En tous cas les habitants que je côtoyais depuis cette période, ceux que j’ai rencontrés depuis dénoncent, tous, cette construction médiatique comme ŕ la fois fallacieuse (“ Vaulx-en-Velin ce n’est pas cela ”) et stigmatisante (on souffre de discriminations liées ŕ ce seul nom). Le premier mouvement qui m’a poussé ŕ vouloir entreprendre un travail sur cette ville était justement un désir de venir en aide, de chercher des moyens de corriger cette image, de défendre ce que je considérais comme une injustice.

C’est un acte militant, ce qui n’est pas neutre. Cela signifie un engagement sur un projet destiné ŕ faire changer les choses. Mais cela suppose aussi un regard trčs particulier, une maničre de percevoir la réalité centrée sur l’expérience militante au moins autant que sur la capacité d’analyse, et orientée par la volonté d’agir plutôt que par le seul désir de comprendre. Un exemple de cette différence de regard peut ętre donné ŕ travers un texte de Pierre Bourdieu� sur la stigmatisation, p. 554 :“ La logique du stigmate rappelle que l’identité sociale est l’enjeu d’une lutte dans laquelle l’individu ou le groupe stigmatisé et, plus généralement tout sujet social en tant qu'il est un objet potentiel de catégorisation, ne peut riposter ŕ la perception partiale qui l’enferme dans une de ses propriétés qu’en mettant en avant, pour se définir, la meilleure de ses propriétés ou encore pour donner au systčme de classement dominant le contenu le mieux fait pour mettre en valeur ce qu’il est .”

Le militant reste interloqué devant ces propos parce qu’il n’a jamais vu quelqu’un réagir ainsi ŕ une stigmatisation. Tout d’abord la personne stigmatisée serait souvent bien en peine de mettre en avant “ la meilleure de ses propriétés ” pour lutter contre celle qui la stigmatise. Le principe męme du catégorčme, c’est de désigner une personne par une seule de ses caractéristiques : “ tu n’est qu’un(e)… (sale arabe, sale juif, sale gonzesse, sale pédé…). Il n’y en a pas de deuxičme. Ensuite parce que combattre une propriété négative par une propriété positive ne l’effacerait pas. Cela donnerait une rhétorique du genre : “ je suis peut-ętre un(e) sale(…), MAIS…. ” ? Mais quoi ? “ Je suis bien gentil(le) quand męme ? ”. Militer ce n’est jamais ętre gentil, c’est plutôt revendiquer le stigmate lui-męme et s’en servir comme un arme en le retournant contre ses adversaires C’est se révolter, c’est prendre la parole qu’on ne vous donne pas.

Bien évidemment cette façon de raisonner induit chez moi ŕ la fois des comportements dans l’action et des maničres d’observer qui ne sont pas neutres et avec lesquelles on peut ne pas ętre d’accord. Je suis le premier, d’ailleurs, ŕ vouloir m’en affranchir en recherchant la confrontation avec des points de vue différents du mien. Il reste que cette capacité de révolte accompagne en permanence ma démarche et l’influence, mais que sans elle il n’y aurait pas de démarche du tout. En fin de parcours tout de męme il apparaît justement qu’il y a bien eu une démarche, c’est ŕ dire que l’idée premičre selon laquelle il existerait une stigmatisation de la ville qui serait de la responsabilité des médias a volé en éclats. L’implication des différents acteurs dans cette construction se révčle beaucoup plus ambiguë que ce qu’on aurait pu penser.

Entre-temps, le projet d’action a dű se résoudre ŕ se transformer en projet de compréhension, en attendant des jours meilleurs. Les différentes propositions d’intervention qui ont été élaborées n’ont pas pu ętre mises en ?uvre avant la fin de la rédaction de cette thčse. J’ai donc pu pousser plus loin les analyses, ne serait-ce que pour tenter de discerner ce qu’étaient les difficultés que je rencontrais. On a alors dépassé la conception de l’image d’une ville qu’il s’agirait d’améliorer pour proposer un modčle explicatif structuré autour de la notion de médianôme et destiné ŕ rendre compte d’une réalité plus vaste, plus complexe. On est sorti du cadre purement médiatique pour s’intéresser ŕ l’environnement des productions médiatiques, aux échanges dans le domaine de l’information, aux phénomčnes de cyclage et de recyclage. Bref, lŕ oů je croyais n’avoir qu’ŕ faire quelques emprunts dans le domaines de l’écologie, simplement pour décrire tel ou telle observation qui n’entrait pas dans les modčles habituels, je me suis aperçu que c’était l’ensemble de la démarche depuis le début qui relevait de l’écologie. Elle visait ŕ penser l’objet médiatique dans la logique de son environnement et les phénomčnes comme étant liés les uns aux autres. Elle envisageait les structures comme pouvant ętre des cycles et des chaînes. Elle tendait vers une écologie de l’information. Il ne me restait plus qu’ŕ en tirer les conclusions et ŕ essayer de théoriser dans ce sens.

Au cours de cette recherche, j’ai croisé quelques points particuliers de théorie qu’il m’a paru nécessaire d’approfondir. Ils sont regroupés dans le chapitre Textes Complémentaires-Annexe 1 en fin de ce volume. Il peut ętre avantageux de commencer la lecture par eux, car ils éclairent un certain nombre de notions qu’on rencontre tout au cours du texte principal, comme par exemple : qu’est-ce qu’on entend par “ réalité ” ?

PREMIERE PARTIELa construction médiatique de Vaulx-en-Velin

Chapitre 1Anamnčse de Vaulx-en-Velin objet médiatique

Il a paru nécessaire de commencer par une anamnčse. Relater les principaux évčnements qui ont marqu2 Vaulx-en-Velin, non pas la ville appartenant ŕ la réalité, mais celle appartenant ŕ l’univers médiatique. C’est donc une histoire reconstituée ŕ partir des images de télévision.

Deux séries ont été examinées. La premičre, composée de huit cassettes vidéo, retrace l’actualité d’octobre 90 ŕ avril 95, toutes chaînes confondues. Elle provient du service Communication de la Mairie de Vaulx-en-Velin. La deuxičme, sur une seule cassette regroupe de maničre moins systématique les reportages liés ŕ l’affaire Kelkal, en septembre-octobre 95. Elle a été établie par l’Espace Ville de l’ENTPE (Ecole Nationale des Travaux Publics de l’Etat)

Ce premier balayage des évčnements doit permettre de poser le postulat de base : on s’en tient, dans un premier temps, aux faits médiatiques pour voir ce qu’ils construisent. Il doit aussi servir, avant d’entamer l’analyse, ŕ fournir quelques repčres évčnementiels, une chronologie de référence. Enfin, dans cette sorte de résumé, quelques singularités vont déjŕ apparaître, qu’on trouvera plus détaillées ensuite. A noter que certaines datations sont ŕ prendre avec prudence. Les cassettes sont constituées de compilations dans lesquelles sont consignés uniquement les reportages qui concernent Vaulx-en-Velin. Le reste du J.T. n’y apparaît pas, et notamment pas le générique de début qui donne la date du jour. Beaucoup de dates ont donc du ętre déterminées par déduction, ou par approximation.

EVENEMENTS D’OCTOBRE 90Samedi 6 octobre 1990 Deux jeunes circulent avenue Maurice Thorez, ŕ Vaulx-en-Velin, sans doute sans casque. Une voiture de police banalisée leur coupe la route. La moto ne parvient pas ŕ l’éviter et c’est le choc. Le pilote, Laurent Assebille, s’en tire indemne. Son passager, Thomas Claudio, un jeune polio, tombe. Sa tęte heurte le trottoir. Il meurt sur le coup. Dans l’aprčs midi, la colčre gronde parmi les jeunes. Pour eux, c’est la onzičme victime d’altercations avec la police ou avec des vigiles en dix ans. Dans la soirée de samedi ŕ dimanche, vers 21 heures 30, les premiers incidents éclatent : casses, incendies de voitures. Les affrontements avec la police débutent vers minuit et durent jusqu’ŕ deux heures du matin.

Une semaine avant les événements, on inaugurait ŕ Vaulx-en-Velin, au Mas du Taureau, un mur d'escalade. Les officiels venus sur place, dont Claude Evin, Ministres des Affaires Sociales, visitaient la ville en bus touristique. On leur montrait les réalisations de réhabilitation. Vaulx-en-Velin était alors l’exemple de la banlieue qui avait su s’en sortir, ŕ la différence de Vénissieux-Les-Minguettes, qui s’était fait connaître dans les années 80 par des rodéos et des incendies de voitures, et d’oů était partie la marche des beurs en 83.

Dans la journée de dimanche, les incidents reprennent. Deux cents policiers sont présents dans les quartiers. Les affrontements se caractérisent par des jets de pierres et de cocktails molotov d’un côté, des charges et des lancers de grenades lacrymogčnes de l’autre. Les témoins parlent déjŕ de provocations par des gens extérieurs ŕ la ville, venus en découdre avec la police en profitant de la situation pour se livrer ŕ des pillages. Dans la nuit, les incidents s’aggravent. L’Intermarché est pillé, plusieurs boutiques dévastées ou incendiées. Les commerçants se sentent maintenant visés. Quatre journalistes (ainsi que sept pompiers) ont été blessés pendant la nuit. Ils se protčgent désormais pour pouvoir continuer ŕ tourner des images, derričre les forces de l’ordre. Le maire, les commerçants, dénoncent la lenteur avec laquelle les policiers sont intervenus. Les premiers appels au calme sont lancés par des leaders de quartier et par des officiels.

Dans la nuit de lundi, les incidents se poursuivent, mais, semble-t-il, moins violemment.

MardiLe maire Maurice Charrier est reçu par la préfet du Rhône Paul Bernard. Le procureur intervient également sur l’aspect judiciaire. On commence ŕ parler de réhabilitation et de moyens nécessaires. Hubert Bonnemaison, Claude Evin, Michel Noir, se déplacent ŕ Vaulx. L’aprčs-midi est considérée comme plutôt calme, mais le témoignage du pilote de la moto passe au J.T. du soir. Laurent Assebille y déclare que la voiture de police a provoqué délibérément l’accident. Dans la nuit, de nouveaux incidents violents éclatent : une école maternelle saccagée, un incendie dans le centre commercial du Grand Vire, un débit de tabac ravagé, de nouvelles scčnes de pillage. Sept cents policiers déployés ŕ l’intérieur de la ville n’ont pu l’empęcher. Les incidents se répandent également dans les communes environnantes : Meyzieu, Décines. Une premičre estimation des dégâts est esquissée, elle s’élčve déjŕ ŕ 25 millions de francs.

Mardi soirFrance 3 Rhône-Alpes organise un débat télévisé entre des représentants des jeunes du quartier, (leaders positifs, médiateurs), le maire, un îlotier, Azouz Bégag. Le męme soir, Ciel Mon Mardi a fait venir sur son plateau des jeunes présentés comme “ de Vaulx-en-Velin ”, pris un peu au hasard dans la journée. L’un, notamment manifestement ivre, tiendra des propos assez décousus et outranciers. Les jeunes réagiront trčs négativement� ŕ cette image renvoyée d’eux.

Sur A2 et TLM, des journalistes vont enquęter ŕ Vénissieux pour voir s’il ne se passe rien. Le journaliste de T.L.M. a fini par se faire “ expulser ”. Dans la nuit, un supermarché des Minguettes est attaqué.

Mercredi Le matin a lieu la reconstitution de l’accident. Laurent Assebille revient sur ses déclarations. Il déclare maintenant que la man?uvre de la voiture de police n’était pas volontaire et que sa version concorde ŕ présent avec celle de la police. (On apprendra plus tard que la veille, il a été interpellé pour un vol ŕ l’étalage puis relâché. Cette information ne sera divulguée qu’aprčs la reconstitution). Les policiers, quant ŕ eux, reconnaissent avoir coupé la route ŕ la moto, ce qu’ils avaient nié dans un premier temps. Dans la męme journée, une manifestation de 300 jeunes appelle au calme. Un comité de soutien est créé pour venir en aide ŕ la famille de Thomas Claudio. Pour la premičre fois, une chaîne (La 5*) présente le point de vue des policiers, dans un reportage sur le commissariat de Vaulx-en-Velin.

Dans la nuit, le calme se maintient ŕ Vaulx-en-Velin, notamment parce que, ŕ l’appel d’Abdelkrim Belmokkadem�, des jeunes patrouillent dans les quartiers pour maintenir la tranquillité et inviter les jeunes ŕ rentrer chez eux .

Mais des incidents éclatent tout de męme ŕ Meyzieu, Saint-Priest, Vénissieux.

L’idée selon laquelle les troubles seraient fomentés par des trafiquants de drogue se répand. Elle semble provenir d’une dépęche de Associated Press, reprise et renforcée par des propos du maire. Seule, la 5* cherchera ŕ vérifier cette information et d’ailleurs la démentira. Mais dčs le lendemain, elle se calera sur la męme ligne que ses cons?urs.

Dans l’aprčs-midi, ŕ l’Assemblée Nationale, les questions écrites au gouvernement donnent l’occasion d’interpeller le premier ministre Michel Rocard, lequel affirme le caractčre involontaire de l’accident. Personne ne contredira plus cette version. FR 3 parle de polémique ŕ propos de politique de la ville. Dans la matinée, au Conseil des Ministres, François Mitterrand a évoqué Vaulx-en-Velin en dénonçant les cités dortoirs. Le procureur de la république intervient, lui aussi, pour affirmer le caractčre accidentel de la mort de Thomas Claudio.

L’idée selon laquelle les incident sont le fait de casseurs désireux de se livrer au pillage se renforce de plus en plus.

Jeudi matinOn apprend que Laurent Assebille a été interpellé par les gendarmes dans la matinée pour un vol ŕ l’étalage commis deux jours auparavant, c’est ŕ dire la veille de la reconstitution, ŕ moins que l’interpellation ait eu lieu mardi et que ce soit seulement l’information qui ait été retardée jusqu’ŕ ce jour. D’une chaîne ŕ l’autre, les interprétations divergent.

La répression contre les casseurs se met en place. On dénombre 30 interpellations. Le dispositif de contrôle sur la ville s’allčge mais se maintient.

La thčse de commandos liés au milieu qui chercheraient ŕ déstabiliser la police est maintenant dominante. Les T.V. font état d’un sondage dans lequel 83 % des français se déclarent contents de leur police. Chiffres repris par TF1 et la 5*.

T.L.M. diffuse, elle aussi, un reportage sur le commissariat de Vaulx-en-Velin, sur le thčme: “ ceux qui ont la haine de la police sont peut-ętre ceux qu’on dérange ”, suivi d’un autre intitulé : “  Profession casseur ”.

VendrediLa version des évčnements semble se stabiliser : samedi, il s’agissait de manifestations spontanées, mais les jours suivants, ce sont des groupes organisés qui ont profité de la colčre des jeunes, des éléments extérieurs, sans doute proches des milieux de la drogue. Le bilan des dégâts se chiffre ŕ 40 millions de francs. Il y a eu 35 interpellations.

On parle de calme revenu, ŕ peu prčs.

Dans l’aprčs-midi ont lieu des obsčques de Thomas Claudio. Deux cents jeunes de toutes origines et de toutes confessions l’accompagnent. Le prętre lit un passage de l’Evangile et un passage du Coran (Thomas Claudio, “ espagnol ”, était chrétien). Maurice Charrier, Maire de Vaulx-en-Velin, s’abstient de venir pour ne pas risquer d’ętre accusé de récupération. Il lance des initiatives de dialogue avec la population. On parle aussi d’améliorer le dialogue entre les jeunes et la police.

SamediT.L.M. propose une rétrospective de l’actualité de la semaine du lundi au vendredi.

Samedi toujoursFR3 reprend dans son émission “ Rencontres ” l’ensemble des reportages diffusés par cette chaîne, mais présente aussi beaucoup d’images nouvelles. L’émission démarre par l’inauguration médiatisée du mur d’escalade. Le point de vue “ des  jeunes ” est largement représenté, notamment dans la revendication de justice et de dialogue.

DimancheSur TF1, 7/7 revient sur les évčnements de Vaulx-en-Velin qu’Edouard Balladur, un des leaders de l’opposition, commente par des généralités.

Puis Vaulx-en-Velin sort de la télévision nationale.

LundiT.L.M. et FR3 parlent lundi d’un week-end calme.Aprčs les évčnements, les pompiers de Lyon portent plainte : pour la premičre fois depuis mai 68, ils ont été pris pour cible par des émeutiers. On parle de reconstruction, de créer un lycée, de 80 MF de dégâts. Maurice Charrier demande au préfet de région Paul Bernard une augmentation des effectifs d’îlotiers. Il propose une initiative pour favoriser le dialogue entre les jeunes et la police. Il parle de reconstruire, de relancer au plus vite l’activité commerciale. Un syndicat de policiers fait connaître son amertume : il refuse que la police soit rendue responsable des émeutes.

Une polémique est lancée par Robert Marmoz, de Lyon-Libération : des policiers auraient été aperçus cagoulés et armés de battes de base-ball. Elle fera long feu.

Quelques incidents comme le saccage de classes de maternelle donneront lieu ŕ des sujets dans les T.V. locales.

26 novembre 1990Vaulx-en-Velin réapparaît dans les médias nationaux le 26 novembre 90, par l’intermédiaire de son maire qui est reçu par le premier ministre Michel Rocard. Dans l’actualité, on parle de loi anti-ghetto pour le début de l’année 1991 et d’un colloque qui doit se tenir ŕ Bron le 4 décembre et qui sera ouvert par François Mitterrand.

Les T.V. locales font état de l’embauche par Maurice Charrier de vigiles privés pour garder les bâtiments publics, dans l’attente de l’augmentation des effectifs d’îlotiers.

A l’ouverture du colloque de Bron, les 3čmes Assises Banlieues 89 depuis 1993. Bron est présentée comme : la ville voisine de Vaulx-en-Velin. François Mitterrand annonce la création d’un Ministčre de la Ville, chargé d’une mission de coordination, d’un systčme de compensations entre communes riches et communes pauvres, et d’une concertation d’efforts sur 400 quartiers. Michel Noir, en tant que maire de Lyon, Charles Million en tant que président de Rhône-Alpes, interviennent dans les médias. Michel Rocard clôt le colloque en précisant les propositions de François Mitterrand, puisque les effets d’annonce ont déjŕ été déflorés par ce denier.

Nationaux ou locaux, on voit surtout apparaître des experts : Roland Castro, architecte urbaniste, chargé par François Mitterrand du projet Banlieue 89, une responsable des centres Léo Lagrange, un architecte, la secrétaire générale de Banlieue 89, des politiques, des personnalités comme Harlem Désir qui doivent plus leur légitimité aux médias qu’au terrain�, mais aussi le Pčre Delorme et l’archevęque Mgr Decourtray.

Vaulx-en-Velin n’apparaît alors, nationalement, que comme un élément d’une problématique plus vaste, celle de la politique de la ville, fortement labellisée “ Banlieue 89 ”.

Puis Vaulx-en-Velin sort ŕ nouveau du champ national. Localement, on montre un reportage sur une initiation ŕ la moto organisée par le commissariat de Vaulx-en-Velin ŕ l’intention des jeunes. La volonté d’affichage médiatique de l’opération paraît évidente, il semble y avoir plus de caméras que de jeunes concernés.

Fin d’année 90T.L.M. revient sur les images d’octobre, dans sa rétrospective de 90. FR 3 Rhône-Alpes, parmi les v?ux pour la nouvelle année reprend des images du Mas du Taureau pour signifier le mal des banlieues.

Début 1991Une rixe débutée ŕ Décines se poursuit par quelque incidents au centre culturel Charlie Chaplin de Vaulx-en-Velin. Maurice Charrier dénonce le fait que les médias en profitent pour que sa ville soit une nouvelle fois “ montrée du doigt ”. Sur T.L.M., simple brčve.

Février Maurice Charrier écrit au préfet de région Paul Bernard, pour demander la création de 30 postes de policiers. Il indique qu’il pourrait aller jusqu’ŕ fournir une liste de personnes ŕ surveiller ou ŕ arręter dans sa commune.

Mars Une opération policičre d’envergure ŕ Vaulx-en-Velin. Trois cent cinquante gendarmes et policiers fouillent les parkings. Dix personnes sont arrętées. Dans le lancement du reportage qui suit, le journaliste annonce : “ Vaulx-en-Velin fait des émules, une agression ŕ la voiture bélier contre le commissariat de Saint-Etienne ” ;

De nouveaux incidents, rodéos, incendie d’une dizaine de voitures, le fait d’une bande d’une vingtaine de jeunes, au Mas du taureau, pendant le week-end de Pâques. On parle de tension entre communautés noire et arabe.Couverture locale et régionale seulement.

Mars toujours. T.L.M. diffuse un reportage “  Six mois aprčs ”. On repart des images de voitures qui brűlent, de jour. On explique que 6 commerçants seulement sur 17 ont pu rouvrir. Traitement local seulement.

Juin 91T.F.1 diffuse un reportage “  9 mois aprčs, donc en juin 91, sans doute. On parle de reconstruction, de dialogue nécessaire. On voit le maire Maurice Charrier, Jérôme Fa˙nel (animateur M.J.C.), un jeune du nom de : Ahmed, Azouz Begag.

Juin toujours T.F.1, encore, avec une réunion d’associations de banlieues, en région parisienne, dans le but de créer une fédération. Michel Delebarre, Ministre de la Ville, intervient sur le thčme “ Donner espoir ”. Jérôme Fa˙nel est interrogé. On est toujours dans une phase marquée par la problématique de la réparation.

Un an aprčs (les évčnements)Dépôt d’une gerbe-souvenir. Quelques images locales qui reprennent celles d’octobre 90, parlent des plaies ŕ peine refermées et de l’attente du procčs.

Décembre 91 L’instruction est achevée. Laurent Assebille et le sous-brigadier Guy Auriol sont poursuivis par le męme chef d’inculpation “ homicide involontaire et défaut de maîtrise de véhicule ”. Images de reconstruction de la ville, suivies d’images de destruction, en rappel, et conclusion : “ passions apaisées aprčs les tensions ”. traitement local seulement. (T.L.M. + FR 3 Rh-A).

Octobre 1992Bourgoin-Jallieu. Les gendarmes tendent une souricičre ŕ des jeunes qui circulent dans une B.M.W. volée. Les jeunes forcent le barrage. Sommation. Tirs. Le chauffeur de la voiture est tué. Un passager mineur est blessé. Tous deux habitent Vaulx-en-Velin. Trois jours d’incidents s’ensuivent avec agression contre le commissariat de Vaulx. Des voitures sont incendiées. On parle de plusieurs dizaines de jeunes, par petits groupes informels. Les T.V. font référence ŕ “ un certain anniversaire ”, au souvenir des émeutes de 90. Elles disent pourtant que c’est sans commune mesure, que des précautions ont été prises pour empęcher les casseurs de s’organiser ŕ Vaulx-en-Velin et ŕ Vénissieux. Maurice Charrier dénonce les agissements de “ dealers non-consommateurs organisés en réseaux mafieux ” Il demande de respecter le travail des vaudais de reconstruction de leur ville. Des images montrent les habitants désolidarisés de la violence, excédés. Traitement national.

Printemps 93 France 2 diffuse un reportage sur les difficultés sociales ŕ Vaulx-en-Velin, qui persistent malgré les ZUP, ZEP, DSQ. Le reportage précédent se situait ŕ Dreux. Il parlait d’échec scolaire, de chômage, de tensions avec les policiers, d’une ville toute basée sur la rénovation de l’habitat, de la délinquance d’une minorité qui empoisonne tout.

Printemps 93 toujours, mais plus tard Changement de majorité parlementaire. Le nouveau Premier Ministre Edouard Balladur lance un débat parlementaire sur les banlieues. On parle de “  méthode Balladur appliquée aux banlieues ”. TF1 diffuse un portrait croisé de Sartrouville, administrée par un Maire divers-droite, et de Vaulx-en-Velin.

F3. Christine Ockrent interviewe en duplex Pierre Cardo (Maire de Chanteloup-les vignes) et André Gérin (Maire de Vénissieux) nouveaux députés : “ tous deux hommes de terrain ” sur le thčme : “ qu’attendez-vous du nouveau gouvernement ? ”

F3 Rh-A décline le plan Balladur/Veil pour les banlieues : un chčque de 14 milliards, 11 sites en G.P.U. (Grand Projet Urbain), parmi lesquels Vénissieux et Vaulx-en-Velin.

F3 nationale revient aux Biscottes ŕ Roubaix oů elle avait montré une mobilisation de la population contre la drogue, pour dire que le trafic s’est simplement fait plus discret et que “ ça bouge pas, ça va recommencer ”.

Mercredi 3 avril 1994A nouveau des incidents ŕ Bron et ŕ Vaulx-en-Velin qui se terminent par l’incendie du gymnase de Vaulx. Deux jeunes gens ont été tués ŕ Bron dans un accident de la route, sur les 4 occupants d’une BMW volée qui avait tenté de forcer un barrage de police. Aprčs quelques échauffourées dans les deux villes, le gymnase de Vaulx est incendié ŕ coups de cocktails molotov. Le gardien du gymnase parle de cris de rage d’une soixantaine de jeunes. Maurice Charrier parle d’acte criminel et demande que les coupables soient châtiés. Les T.V. citent les actes de violence ŕ Bron et ŕ Vaulx-en-Velin, mais ne montrent que des images de l’incendie du gymnase de Vaulx. Toutes les chaînes nationales couvrent. F3 accroche sur “ Vaulx-en-Velin , souvenez-vous il y a quatre ans ” et décroche sur “ la vie et les traditions continuent ”, avec des images du Mas du Taureau et du centre commercial incendiés ŕ l’époque.

Samedi Nouveaux incidents ŕ Bron, Vaulx-en-Velin mais aussi Rillieux. Dans la nuit, aprčs la levée du dispositif policier, le gymnase de Bron est ŕ son tour incendié. Les journaux télévisés nationaux ouvrent alors sur Bron. Jean-Jack Queyranne, Maire de Bron, parle de bandes qui essaient de semer la perturbation. Djida Tazdaďt, députée européenne, fait remarquer que les gymnases ne sont pas des lieux de pouvoir, elle dit qu’il faut chercher du côté des extrémistes de droite et des extrémistes religieux. Jean-Pierre Calvel, nouveau député de la circonscription qui vient de ravir le sičge ŕ Jean-Jack Queyranne, dénonce le laxisme des maires de gauche.

La nuit suivante, encore quelques incidents. Dans une interview ŕ F 2, Maurice Charrier désigne comme responsables ceux qui ont intéręt ŕ “ déstructurer le tissu social pour entretenir des trafics ou répandre des idéologies d’exclusion ”. Il avance que chaque fois que la ville cherche ŕ s’en sortir, il y a “ des forces  qui viennent contrecarrer ses efforts ”.

TF1 relate les réactions des proches d’une des victimes qui contestent qu’on l’ait présentée comme un délinquant.

Lundi Alors que les travaux de reconstruction commencent ŕ Vaulx, le président du Conseil Général Michel Mercier, nomme le maire de Rillieux, Marcel André, Monsieur Banlieue. Des appels sont lancés par les maires de Bron et de Vaulx-en-Velin ŕ se mobiliser contre “ les terroristes ”. Des incidents continuent.

F2, ŕ son tour, rappelle les évčnements de Vaulx-en-Velin de 90, mais pour mettre l’accent sur le travail de réparation effectué depuis, notamment ŕ travers les associations.

Mardi 19avril 94Un nouvel incident vient d’avoir lieu. Un “ jeune adolescent ” poursuivi par une voiture de police est allé s’écraser contre un bus ŕ Vaulx-en-Velin. France 3 rappelle que quelques jours avant, la mort de deux jeunes avait causé de violents incidents. Les T.V. qualifient les faits “ d’incidents, de rodéos tragiques ”, “ d’accident tragique ” et de “ gâchis humain ” ce dernier terme étant repris du préfet de police Marcel Leclerc. Bron et Vaulx-en-Velin sont dites “ sous haute surveillance ”. On est ŕ la quatričme nuit d’incidents dans les banlieues lyonnaises. Cinq cents habitants de Bron manifestent contre la violence. Mais l’ambiance semble avoir été tendue entre les partisans de Jean-Jack Queyranne de ceux de Jean-Pierre Calvel qui en seraient “ presque venus aux mains ”. Un appel est lancé pour un rassemblement du męme type ŕ Vaulx-en-Velin le lendemain. F2 choisit de montrer le collectif d’associations Agora qui interpelle sur les causes des destructions et s’indigne qu’on manifeste pour le gymnase et pas pour les morts.

Mercredi 20 avril 1994T.L.M. Quatre cents enfants sont réunis ŕ Vaulx-en-Velin devant le Palais des Sports dans une ambiance plus calme qu’ŕ Bron. Mise en scčne de témoignages d’enfants. F 3 Rh-A parle d’un millier d’enfants. Cinq cents personnes dans l’aprčs-midi se sont réunis devant la Préfecture de Région. Le préfet Paul Bernard reçoit le maire Maurice Charrier et s’engage ŕ ce que le gymnase soit reconstruit “ en un temps record ” On montre ŕ nouveau des images des dégâts.

F2 diffuse les images des rassemblements et enchaîne sur le thčme “ violences organisées délibérément par des hommes pour transformer ces cités en ghettos et s’y livrer au trafic de drogue ”qui lui permet de lancer ensuite un sujet sur l’économie parallčle.

Jeudi 24 avril 94F3 Rh-A ouvre sur une vague d’actes de vandalisme sur les bus ŕ Bron et ŕ Vaulx-en-Velin et Décines. Le reportage montre une opération des T.C.L. pour sensibiliser les jeunes dans les écoles. Le procureur de la République fait connaître les résultats de l’enquęte sur le deuxičme accident ŕ la BMW : les deux jeunes sont morts accidentellement.

TF1 annonce la consultation des jeunes lancée par Edouard Balladur, et interroge cinq garçons et une fille ŕ Lyon.

Localement, on continue de parler des suites de l’enquęte, des interpellations, des commerces qui ferment ŕ La Darnaise (Vénissieux), de l’insertion, du chômage, des initiatives qui sont prises en faveur de l’emploi.

Dans une séance de questions au gouvernement (donc un mercredi) ŕ l’Assemblée Nationale, le 20 avril, Jean-Pierre Calvel interpelle le Ministre de l’Intérieur Charles Pasqua sur les actes criminels que constituent l’incendie des deux gymnases. Il parle de l’impunité dont bénéficie cette délinquance. Charles Pasqua répond que les évčnements n’avaient rien de spontané, qu’ils étaient organisés par des meneurs qui souhaitaient s’en prendre aux institutions pour provoquer une réaction violente de la population et de la jeunesse de ces communes. Il annonce le maintien d’un dispositif policier et la volonté que “ dans le respect de nos lois, les tribunaux fassent preuve de la plus grande rigueur ”.AFFAIRE KELKAL

Samedi 9 septembre 1995On va reparler de Vaulx-en-Velin. Une vague d’attentats se développe en France depuis l’été.

Principales datesLe 11 juillet 95, l’imam Sahraoui est assassiné rue Myrrha (quand c’est ŕ Paris, les journalistes ne précisent généralement pas le nom de la ville).Le 16 juillet, fusillade ŕ Bron et Ternay, dans la région lyonnaise, entre des policiers et les occupants d’une voiture qui forcent un barrage.Le 25 juillet, une bombe explose ŕ la station Saint Michel du RER parisien, faisant 7 morts et 92 blessés.Le 25 aoűt, une bombe est découverte sur la ligne TGV Paris-Lyon ŕ Caillou-sur Fontaine. Par chance, elle n’a pas explosé.Le 4 septembre, une bombe est découverte dans une sanisette, rue de la Convention (donc ŕ Paris)(date ?) Une bombe explose rue Jean-Claude Vivant, ŕ Villeurbanne, devant une école juive, quelques minutes avant la sortie des élčves. Il n’y a pas de victimes.

Ce samedi 9 septembre, la France fait connaissance avec le Plan Vigipirate. Une véritable “ psychose ” de l’attentat s’est installée dans le pays, surtout ŕ Paris. Pour la premičre fois, ce jour lŕ, les T.V. diffusent le portrait anthropométrique d’un suspect, qui leur été communiqué par le Ministčre de l’Intérieur (dirigé par Jean-Louis Debré). Il s’agit d’un “  jeune algérien de 24 ans habitant Vaulx-en-Velin ”. Ses empreintes ont été retrouvées sur l’adhésif de la bonbonne de gaz qui contenant la bombe de l’attentat manqué de Caillou-sur-Fontaine. Il est soupçonné d’avoir participé ŕ la fusillade de Ternay. Le ministčre annonce que le suspect “ n’est pas inconnu des services de police ” et qu’un avis de recherche a été lancé contre lui.

Le męme jour, un “ coup de filet ” est organisé en présence des médias dans les “ milieux islamistes ” des villes de la région lyonnaise parmi lesquelles Vaulx-en-Velin. Trente personnes sont interpellées, une vingtaine d’appartements sont fouillés. Les policiers présentent cette opération comme étant simplement une mesure de prévention contre d’autres attentats et n’aurait pas de lien direct avec l’enquęte.Ces nouvelles sont, d’emblée, traitées par les chaînes nationales, comme le sont, depuis le début, toutes les informations qui concernent les attentats. Khaled Kelkal est alors nommé par France 2 : “ le suspect N° 1 ”. Les premiers reportages qui le présentent établissent le lien avec Vaulx-en-Velin et reprennent les images caractéristiques de la Place du Mas du Taureau. Ils reviennent ensuite sur le passé délinquant de Khaled Kelkal. Dans une interview, son avocat de l’époque le présente comme un bon élčve en rupture avec la société, depuis sa condamnation qu’il jugeait trop lourde, pour des faits de délinquance remontant ŕ 1991 (date des photos anthropométriques fournies par le Ministčre de l’Intérieur).

Les tentatives des journalistes pour faire confirmer un lien avec l’islamisme tournent court. Khaled Kelkal ne semble pas intéressé par la religion. Seule la caractéristique “ délinquant ” se confirme, encore que Khaled Kelkal ne soit pas décrit comme un caďd .

Dimanche 10 septembre“  Toutes les polices de France sont ŕ la recherche de Khaled Kelkal ”, “  Khaled Kelkal, l’homme le plus recherché de France ”. L’armée vient renforcer le dispositif policier en Rhône-Alpes. Peu ŕ peu le portrait d’un Khaled Kelkal pourtant bon élčve, intégré, mais petit délinquant en rupture avec la société pour des raisons assez vagues, se dessine. Parallčlement sont présentées des hypothčses de liens avec l’assassinat de l’imam Sahraoui, l’attentant du RER ou celui de l’école juive de Villeurbanne. On construit l’image d’un Khaled Kelkal terroriste. Des rumeurs rapportées parlent de fréquentations de “ certaines figures du milieu lyonnais autour de la mosquée ” et de “ religieux venus d’Algérie ” qui se seraient “ intéressés peu ŕ peu aux jeunes des quartiers ŕ problčmes ”. Les deux portraits s’étoffent peu ŕ peu.

A 7/7, le président de la République Jacques Chirac a parlé de guerre contre le terrorisme

Mercredi 27  septembreLors d’un banal contrôle prčs de Vaugneray, Rhône, les “ occupants d’une Renault 9  rouge ” ouvrent le feu sur les gendarmes. Un des passagers est gričvement blessé : Karim Koussa, deux sont interpellés : “ les deux Abdel ”. Le quatričme est en fuite. Dans la voiture, on retrouve des armes et des écrits de propagande islamiste. Deux cent cinquante gendarmes quadrillent la région.

Vendredi 29Les forces de l’ordre ont encore été étoffées (environ 700 hommes). Un homme avait été repéré prčs de Vaugneray, mais il a réussi ŕ prendre la fuite. Khaled Kelkal est alors appelé “  le terroriste le plus recherché de France ” par France 3 Rhône-Alpes.

Aux alentours de 20 heures, suite ŕ un signalement fait par une habitante, un suspect est repéré prčs d’un arręt d’autobus, au lieu-dit La Maison Blanche. Les gendarmes de l’EPIGN (Escadron de Parachutistes et d’Intervention de la Gendarmerie Nationale) l’interpellent, lancent les sommations d’usage, en l’occurrence : “  Halte au feu ”. Khaled Kelkal tire ŕ nouveau. Les gendarmes ripostent. Khaled Kelkal, ŕ terre, fait encore un geste et saisit son arme qu’il pointe en direction d’un gendarme. Celui-ci fait feu une derničre fois. Sur les images d’M6, on verra cette scčne, puis celle oů le gendarme s’approche du cadavre et le retourne du pied. Les autres cadreurs, n’étant pas pręts ŕ tourner, ne pourront que recueillir des images de Khaled Kelkal mort, aprčs la fusillade. Pour France 3 national, il est alors “ l’ennemi public N° 1 ”.

Dčs samedi matin, Jean-Louis Debré donne une conférence de presse ŕ la Préfecture du Rhône, en compagnie de Charles Millon, Ministre de la Défense. Il déclare : “  En ce qui concerne l’attentat commis le 25 juillet (…) j’ai maintenant le sentiment, pour ne pas dire plus encore une fois, que c’est la męme équipe ”. Il attribue ŕ cette équipe 7 attentats ou tentatives d’attentats.

Un reportage de F 3 Rh-A indique que Vaulx-en-Velin a été “ relativement calme ”. Il montre quelques dégâts : voitures incendiées, cabine téléphonique saccagée, mais qualifie de “ scčne ordinaire de la vie ŕ Vaulx-en-Velin ” Il montre aussi des gens qui refusent de parler, ŕ La Grappiničre, quartier de Khaled Kelkal.

F3 Rh-A interroge Kamel Mansour, aumônier des prisons. Il aurait été accusé d’avoir converti Khaled Kelkal ŕ l’islam. Kamel Mansour dément l’avoir jamais rencontré.

Dimanche 1er octobreTF1 parle de nuit agitée dans la banlieue lyonnaise, de 36 véhicules incendiés, de 19 interpellations. “ Cette voiture qui brűle ŕ l’entrée d’une résidence, nous sommes ŕ Vaulx-en-Velin ”. Un reportage raconte que les gens refusent de parler au journaliste . Il relate męme comment le reporter s’est fait chasser du quartier de La Grappiničre par des jeunes. Conclusion : “ Ceux-lŕ auraient quelque chose ŕ dire, mais ne parlent pas ”.

Les reportages donnent surtout la parole aux victimes, propriétaires des voitures incendiées ou habitants. On y voit aussi, paradoxalement, des gens qui demandent aux T.V. d’arręter de “ faire de la publicité ” ŕ ce genre d’incidents, messages que les T.V. relaient complaisamment.

Dans la nuit de samedi ŕ dimanche, les incidents démarrent ŕ Vaulx-en-Velin oů environ deux cents jeunes affrontent les forces de l’ordre par petits groupes, puis s’étendent aux communes voisines. Le lien avec la mort de Khaled Kelkal est mis en doute par certains qui pensent qu’il pourrait s’agir d’un prétexte.

Canal +, dans “ La Grande Famille ”, revient sur les évčnements en attaquant par un reportage qui annonce : “ A Vaulx-en-Velin, un cadavre, ça se respecte… ”, puis elle relate une double polémique :1. sur le rôle exact de Khaled Kelkal, qui aurait été pour le moins exagéré par le Ministre de l’Intérieur,2. sur l’opportunité de diffuser les images de la mort de Khaled Kelkal.

Lundi 2 octobreLes T.V. reprennent les images des incidents, mais mettent davantage l’accent sur les suites de l’enquęte. Les deux complices arrętés sont transférés ŕ Paris, tandis que Karim Koussa est toujours hospitalisé au C.H.U. de Lyon-Sud. Les journalistes s’en tiennent maintenant aux certitudes concernant le rôle exact de Kelkal. Pour France 3, Kelkal est redevenu “ le suspect N°1 de l’attentat manqué ”.

De nouveaux incidents ont éclaté dans la nuit de dimanche ŕ lundi. T.L.M. fait le lien avec les évčnements de 90 pour en montrer la différence. Elle donne la parole au représentant de l’Union des Familles Musulmanes de France, qui tente de corriger l’image négative qui a été donnée de l’islam.

TF1 interroge Kamel Mansour. Celui-ci banalise ces évčnements en les assimilant aux incidents antérieurs. Le journaliste reviend alors sur ce qui s’était passé en 1990, pour conclure sur “ l ‘aspiration ŕ la tranquillité de l’immense majorité des communautés musulmanes de France ”(sic).

France 2 met l’accent sur les suites de l’enquęte, les ramifications, les recherches ŕ Chasse-sur-Rhône ou dans le Vaucluse. La nuit est annoncée comme particuličrement agitée ŕ Vaulx-en-Velin, en dépit d’une journée calme. Daniel Bilalian reçoit le Pčre Christian Delorme, en duplex de Lyon.

Mardi 3 octobreDes incidents ont encore éclaté la nuit précédente. Ils ont touché les villes environnantes, “ mais pas Vaulx-en-Velin ” qui est pourtant citée par F3, Canal +, F2, TF1 (au moins), comme un événement en creux, justement pour dire qu’il ne s’y passe rien, alors que le nom des villes oů il s’est passé quelque chose ne sont cités, eux, que par une seule chaîne.

La polémique sur l’opportunité de montrer les images se poursuit. Celle sur le rôle de Kelkal ne semble pas durer. Par contre, les conditions de sa mort sont mises en question.

Mercredi 4 octobreAlain Juppé, ŕ la tribune de l’Assemblée Nationale prend la défense des forces de l’ordre et affirme qu’il y a bien eu légitime défense.

La juge Laurence Le Vert se rend au C.H.U Lyon-Sud pour signifier ŕ Karim Koussa sa mise en examen. Elle est montrée sous bonne escorte de gardes du corps, poursuivie par des cadreurs et des photographes.

TF1, tout en affirmant que “ Vaulx-en-Velin se passerait bien de ce coup de projecteur médiatique ” revient ŕ la charge par un reportage oů il est question du silence des habitants d’une “ cité oů tout le monde se connaît ”, oů la mauvaise image de cette ville dont on dit que pourtant elle refait surface, pčse sur la vie quotidienne.

Le Magazine de l’Info de LCI revient sur les évčnements de l’affaire Kelkal, rediffuse des images męlées ŕ de nouveaux reportages. Il présente le cycle des évčnements comme démarrant ŕ la mort de l’imam Sahraoui, ŕ un moment oů personne ne se doutait de la vague d’attentats qui allait suivre, et en terminant par la mort de Kelkal, présentée comme “ un nouveau début d’enquęte ,” dans lequel trouvent leur place les polémiques sur l’interprétation audacieuse de Jean-Louis Debré et sur le diffusion des images d’M6.

Vendredi 6 octobre 1995 Khaled Kelkal est enterré dans le cimetičre de Rillieux, et non pas rapatrié en Algérie, comme sa famille l’avait initialement souhaité. L’enterrement est filmé de loin par les T.V.,au téléobjectif. Une interview resurgit, celle que Keklal avait donnée ŕ un sociologue allemand en 1992,et que le journal Le Monde publie. Kelkal y affirmait avoir découvert l’islam en prison grâce ŕ un codétenu. Sont présents ŕ la cérémonie : le Grand Mufti de la Mosquée de Lyon, Kamel Mansour, et le Pčre Delorme.

Dans les journaux du soir, on apprendra l’explosion d’une bombe dans une station de métro appelée Maison-Blanche, comme le lieu-dit oů Kelkal a été tué, un vendredi également.

Ce vendredi 6 octobre, avec l’enterrement se ferme un cycle d’évčnements qui avait commencé en 1990 et propulsé Vaulx-en-Velin sous le feu des projecteurs médiatiques. C’était aussi un 6 octobre, mais un samedi. Un cycle d’exactement cinq ans, donc.

Deux autres séquences sont présentes dans les extraits. Elles parlent d’interpellations ŕ Vaulx-en-Velin, ŕ Paris, ŕ Lille, sans qu’il soit possible de les dater. Sporadiquement, d’autres informations seront données, d’autres évčnements évoqués dans lesquels Vaulx-en-Velin pourra se trouver impliquée, mais sans commune mesure. La sélection de séquences s’arręte lŕ, sur des images de France 3 Rhône-Alpes et T.L.M.

Chapitre2Comment on devient un objet médiatiqueLa construction de Vaulx-en-Velin dans les médias d’octobre 90 ŕ avril 94

1. Actes de naissance1.1 Premiers crisLe phénomčne Vaulx-en-Velin surgit sur les écrans le dimanche 7 octobre 1990�, c’est-ŕ-dire au lendemain des premičres émeutes. Il envahit d’emblée l’ensemble des chaînes nationales. Avant cette date, on considérera que médiatiquement, Vaulx-en-Velin n’existe pas. Pourtant, dčs le départ, il est fait référence ŕ un passé. Cette ville n’est pas née du néant, elle provient de la destruction de quelque chose qui a existé antérieurement : la réhabilitation. C’est-ŕ-dire quelque chose qui était en re- comme la destruction est en dé-. Quelque chose qui n’a de sens qu’articulé ŕ un passé. Détruire suppose un état antérieur : 1 construire, (2 détruire). Réhabiliter en suppose deux : 1 habiliter , 2 déshabiliter, (3 réhabiliter). Réhabilitation ruinée en suppose trois : 1 habiliter, 2 déshabiliter, 3 réhabiliter, (4 réhabilitation ruinée). Construction en miroir. Miroir aux alouettes, peut-ętre d’une réhabilitation qu’on voulait présenter comme une réussite exemplaire. Le ręve s’effondre avec les premičres images de destruction. Destruction sur laquelle se bâtit une construction médiatique. Dans la réalité, la réhabilitation n’est en rien la cause des émeutes. Pas plus qu’elle n’est compromise par les destructions, bien au contraire. Mais le média a besoin d’un scénario-patatras, il va donc chercher le thčme de la réhabilitation pour dire : on croyait la réhabilitation réussie, mais tout est ruiné .

1.2 Premiers pas 1.2.1 Dans le monde de la réalitéLa construction de cet objet médiatique Vaulx-en-VelinM �débute par les opérations de lancement, comme on lance un projet, un nouveau produit, une mode. On ne part pas de rien. Comme dans un portrait robot, on compose peu ŕ peu un visage ŕ partir de formes, de stéréotypes. Tout ce que le média prétend connaître, toutes les images, les clichés, les modčles, les histoires, qu’il a en stock et dans lesquels il trouve des traits communs avec le nouvel objet. Ce sont les thčmes comme : la réhabilitation des banlieues, la violence dans les cités, les conflits entre les jeunes et la police. Ce sont les images de rodéos, de voitures qui brűlent, de casses, d’affrontements. Ce sont les clichés comme l’appellation “ cité dortoir ” plaquée sur Vaulx-en-Velin, mais aussi des barres de béton, des “ grands ensembles porteurs de désespérance ”. Cette série de traits provient de l’univers du média lui-męme. Elle est le fait des journalistes de plateau ou des reporters envoyés spéciaux avec une commande de la rédaction nationale, beaucoup plus rarement de journalistes de terrain, en tous cas de maničre moins caricaturale. Le modčle pré-existe ŕ l’objet. Comme une forme, comme un moule. L’objet est convié ŕ s’y inscrire.

Recherche de filiationUne autre man?uvre de lancement consiste ŕ présenter Vaulx-en-VelinM comme un élément d’une lignée d’objets qui pourrait s’appeler : les banlieues. On y trouve notamment et qui occupe une place toute particuličre : Vénissieux-les-Minguettes. Elle avait défrayé la chronique en 1981 en inaugurant une saga de rodéos de voitures. Elle était aussi ŕ l’origine de la Marche de Beurs vers Paris en 1983, le lancement d’une militance issue des banlieues. Vaulx-en-Velin est présentée comme reprenant le rôle, au moins dans la partie violente. Aujourd’hui un chaînage des banlieues passe par Toulouse-Le-Mirail, les quartiers Nord de Marseille, Strasbourg, Chanteloup-les-Vignes, les Tarteręts, Sarcelles, etc. Mais la relation entre Vénissieux et Vaulx-en-Velin reste de nature privilégiée. Elle sont souvent présentées comme deux s?urs. Elle semblent posséder un contenu symbolique que les autres n’ont pas.

Quand il se définit ŕ partir de qualificatifs, images, clichés, on peut dire que l’objet se construit par intension. Quand il se définit comme élément au milieu d’autres appartenant ŕ la męme classe, qu’il se construit en extension.

1.2.2. Dans le monde médiatiqueCes man?uvres de lancement concernaient l’objet lui-męme. Elle tendaient ŕ enraciner l’objet dans la réalité reconnue par le média ŕ le faire exister en tant qu’objet. Il en existe d’autres qui concernent le média lui-męme et qui visent ŕ construire cet objet en tant que médiatique, ŕ justifier sa présence dans le média, ŕ l’introniser dans le monde médiatique.

Un sujet journalistique…Lŕ encore, plusieurs man?uvres de lancement. Vaulx-en-VelinM est construit ŕ travers un évčnement considéré par le média comme d’envergure nationale. On justifie qu’un sujet journalistique “ Vaulx-en-velin ” soit présent dans un média national d’abord par la violence particuličre des émeutes. Elle se mesure notamment ŕ travers des chiffres qui sont  donnés : le nombre de manifestants 250, le nombre de policiers qui va passer de 150 ŕ 300, puis ŕ 500, puis ŕ 700, le nombre de voitures incendiées, 10, 20, 27 en une seule nuit. Ensuite l’intéręt journalistique est justifié par la durée exceptionnelle des faits, sur cinq jours. L’information n’est plus constituée par les violences elles-męmes, qui sont déjŕ connues, mais par le fait qu’elles ne sont toujours pas terminées. Enfin le troisičme caractčre est la récurrence, qui est autre chose que la durée. Les “ męmes scénarios se répčtent ”, comme ils le feront ŕ nouveau en d’autres temps et en d’autres lieux, comme ils l’ont déjŕ fait par le passé. Des incidents localisés ŕ Vaulx-en-Velin, sporadiques, n’auraient eu droit qu’ŕ un traitement local. Considérés comme une péripétie arrivant ŕ l’ensemble d’objets : les banlieues, comme la réactualisation d’une problématique d’envergure nationale, ils prennent la dimension du média et y justifient leur présence.

Un sujet journalistique domicilié dans une rubrique…Une deuxičme construction fait exister l’objet journalistique dans l’espace médiatique : le rubriquage. Etre rubriqué, c’est ętre classé dans un genre journalistique appartenant ŕ un média, une chaîne de télévision, c’est ętre attribué ŕ un journaliste, ŕ un service qui est en charge de suivre ce sujet. C’est avoir recours ŕ des experts-plateau, dans le domaine défini par la rubrique, qui vont apporter leur éclairage sur cette question, donc la faire exister. On trouve couramment des rubriques comme : justice, social, politique, faits de société, faits divers.  Mais Vaulx-en-VelinM va souvent rentrer dans des genres journalistiques pour lesquels il n’existe pas d’expert identifiable, pour lesquels le rubriquage hésite : judiciaire ? social ? politique ? immigration ?

Lundi 8 octobre, dans le journal du soir de Guillaume Durand (La 5*) l’expert-plateau qui est invité ŕ s’exprimer est Paul Lefčvre, chroniqueur judiciaire habituel de la chaîne. On s’attendrait ŕ ce qu’il intervienne sur les aspects judiciaires du dossier, l’analyse des témoignages, la comparaison avec des affaires similaires. Mais pas du tout, il parle de “ marmite pręte ŕ exploser ”, de “ politique aberrante d’urbanisme concentrationnaire ”, de “ véritables ghettos ”, de  ”crise économique ”, de “ banlieues oů personne en se parle ”, de banlieues oů “  toute institution est vue comme un oppresseur et toute rčgle sociale est vue comme une barričre ”. Autant de sujets sur lesquels on se demande bien quelle expertise il peut revendiquer. Il semble puiser une suite de lieux communs dans l’imaginaire du média, mais sans grand rapport avec Vaulx-en-VelinV.

Un sujet journalistique domicilié dans une rubrique avec un thčme de fond.Un troisičme type d’opérations vise ŕ faire exister médiatiquement l’objet. Comme on a parlé de rubriquage, il faudrait parler de “ thématiquage ”. Il s’agit de définir le sujet général dont on parle, celui sur lequel on tient un propos, comme, par exemple : “  Le mal des banlieues ”, ou “ les violences urbaines ”. C’est beaucoup plus éphémčre, plus labile, moins construit qu’une rubrique. C’est un étiquetage qui ne correspond pas aux structures de l’organisation médiatique. Il n’y a pas de service “ violences urbaines ” comme il y a un service “Politique”. Mais ce marquage produit un effet de surtitrage, comme pour renforcer la portée de l’évčnement.

Construire un regard d’oů il puisse ętre vuL’objet a donc été construit comme élément d’un ensemble, d’une classe. Il vient d’ętre intégré au monde médiatique. Il restait ŕ définir un point de vue ŕ partir duquel il puisse ętre perçu, ŕ construire le regard du téléspectateur. Le média télévisé utilise pour cela des techniques de cadrage, au sens propre et au sens figuré.

Au sens propre, le cadrage est évidemment une technique de traitement d’image. Il consiste ŕ choisir ce qu’on montrera et ce qu’on laissera hors-cadre, qu’on ne montera pas. Il sert aussi ŕ déterminer sous quel angle on montre les choses, quel point de vue on adopte, quelle place on assigne au téléspectateur.Le dimanche qui suit les premičres émeutes, le 7 octobre 1990, les images sont tournées au milieu de ceux qu’on appelle alors “les manifestants”. Trčs rapidement, ŕ partir du dimanche 7 octobre, oů il y a eu des agressions de journalistes et de pompiers, les journalistes se protčgent systématiquement derričre les forces de l’ordre. Le regard qui est construit alors du côté du téléspectateur est un regard abrité derričre la police, donc du côté de la police, voyant venir vers lui les jets de pierre et de cocktails molotov. Un regard agressé. S’il avait été placé de l’autre côté, on aurait vu des jets de grenades lacrymogčnes, une masse de policiers armés de boucliers et de matraques, des charges contre les jeunes. Le point de vue adopté induit donc bel et bien une lecture de l’évčnement.

Au sens figuré, on pourrait parler aussi de cadrage dans le lancement des sujets par les journalistes de plateau ou par les commentaires des reportages, dans la mesure oů ils induisent aussi un certain regard en laissant de côté une partie de la réalité et en donnant de celle qu’ils montrent une interprétation privilégiée. Dans le commentaire de FR3 Rhône Alpes du dimanche 7 octobre, on trouve : “Vaulx-en-Velin crie sa haine”, “les CRS ont dű charger” (présenté comme une obligation ou une nécessité), “ Thomas Claudio passager sans casque ”, trois éléments qui sont déjŕ, avant le lancement du sujet, une interprétation des faits. Dans le journal d’Antenne 2 le męme jour : “ Vaulx-en-Velin cité dortoir ”, “ la tension ne fait que croître ”, “ quatre journalistes ont été molestés ”. Le journaliste de plateau ne se contente pas d’attirer l’attention sur deux ou trois éléments qui lui paraissent essentiels, mais il propose une interprétation, un regard sur ce qui va suivre : la diffusion du reportage.

2.Croissance et stabilisationAprčs cette phase de lancement, l’objet va chercher ŕ se stabiliser dans le temps, ou plutôt dans différentes temporalités imbriquées, et dans l’espace, lŕ encore, plusieurs espaces ou mondes.

2.1 S’intégrer dans le temps du(des) monde(s)La construction du temps de l’objet apparaît comme complexe. Elle s’appuie ŕ la fois sur des mouvements cycliques et sur des mouvements linéaires.

Le temps des cyclesCycles courtsDu côté des mouvements cycliques on trouve en premier des cycles courts qui peuvent se constituer en séries, comme pendant les cinq premiers jours, oů les évčnements “ émeutes ” se répčtent d’un jour sur l’autre, avec le męme type d’images et des titres du genre :  “ deuxičme nuit d’émeutes ”, “ calme revenu aprčs trente-six heures d’émeutes ”. Pendant tout le temps de sa présence médiatique, c’est le mouvement cyclique du média lui-męme, ses rendez-vous d’actualité réguliers, qui remettent en scčne l’objet, comme s’il s’agissait de répondre sans cesse ŕ la question bugsbunnienne : “ Quoi de neuf (Doc) ? ” L’objet est actualisé par le média, ou disparaît.

Cycles moyensOn trouve ensuite des cycles moyens ou longs, allant de quelques semaines ŕ quelques mois ou quelques années. Un premier cycle tend ŕ se boucler. Il y a un moment ou l’évčnement “ émeutes ” commence, et il y a un moment oů il est terminé, il sort du jeu médiatique. Ce cycle bouclé est alors appelé “ les évčnements (d’octobre 90) ” et constitue un tout autonome. On peut repérer des tentatives de bouclage, en cours de construction, comme par exemple : “ l’heure des comptes : bilan 20 millions de francs ”, “résultat de la colčre des jeunes ”, “calme relatif ”, dans lequel on peut voir ŕ la fois un horizon d’attente sur l’éventualité de nouveaux évčnements, ou au contraire la clôture du cycle.

Reprises de cyclesEnsuite, ce premier cycle d’évčnements originaires est continuellement réactualisé, Il peut s’agir d’évčnements du męme type, de nouvelles émeutes, dont on peut dire qu’ŕ elles toutes seules elles ne devraient pas justifier un traitement par les chaînes de télévisions nationales : quelques voitures brűlées, quelques escarmouches avec la police, rien de commun avec octobre 90. Mais cela se passe ŕ Vaulx-en-Velin et cela semble suffire ŕ rendre les choses intéressantes. D’autres fois, ce qui fait évčnement, c’est donc la réactualisation de l’évčnement mais atténué, comme un rappel, comme une reprise en mode mineur d’un air connu, comme le remake d’un scénario ŕ succčs. A nouveau, par trois fois, il est question d’un jeune homme mort dans une altercation avec la police et de quelques émeutes qui suivent.

Cycles revisitésD’autres fois enfin l’objet sera réactualisé par simple effet de rétrospective, sans qu’il ne se passe rien dans la réalité, rien d’autre qu’un événement de calendrier. Dčs l’émission 7/7 le dimanche 14 octobre 1990, on revient sur ces images simplement parce que cette émission fonctionne sur le principe d’un rendez-vous hebdomadaire qui re-brasse des informations déjŕ diffusées par la chaîne, sans actualité nouvelle. Il y a également les rétrospectives, comme par exemple celles de fin d’année, oů chaque chaîne propose un florilčge (un “ Best Of ” ?). Parmi ces réactualisations dictées par le temps, certaines ne trouvent aucune justification dans le calendrier. C’est le média lui-męme qui les provoque : “  six mois aprčs les évčnements on a voulu savoir oů en était ….”Ici c’est le journal lui-męme qui passe commande d’un reportage. Cette construction temporelle semble marquer une préférence pour les cycles mensuels du type : trois mois, six mois, neuf mois, un an. Magazines réguliers, rétrospectives, retours sur évčnements, on est en tout cas dans des cycles de cycles, puisqu’il s’agit de reprendre des séries closes, de les recycler.

Le temps linéaireLa construction progresse aussi par mouvements temporels linéaires, itératifs. Dčs l’origine, Vaulx-en-Velin s’appuie sur un passé absent, mais considéré comme existant : c’est tout le travail de réhabilitation dont on dit qu’il s’effondre et qui était peu médiatisé, alors que la destruction va l’ętre fortyement. Il y a donc un appui sur ce passé hors-champ, et, ŕ partir de lŕ, une sorte de propulsion permanente de l’objet vers l’avenir. La quasi-totalité des reportages, et surtout ceux des premiers jours, concluent par la construction dramatique d’un horizon d’attente. “ Un calme précaire semble revenu ”.C’est la 5* le lundi 8 octobre :  “ Un calme précaire, mais la situation reste tendue ”. C’est M6 le męme jour, avec un commentaire de fin de reportage : “ mais espoir quand męme ”. La 5*, dans le journal du soir avec Guillaume Durand, termine un reportage par un commentaire sur la crainte que cela fasse la męme chose que pour les noirs aux USA.

Ce qui va faire exister l’objet médiatique Vaulx-en-Velin, c’est sa linéarité, sa capacité de durer. Elle tient au fait que le cycle originaire “  les évčnements d’octobre 1990 ”, constitué avec un commencement un déroulement et une fin, va continuer d’avoir une vie au delŕ du cycle. Il va acquérir la capacité ŕ ętre relancé réguličrement, soit par d’autres évčnements, soit par des effets de calendrier, c’est-ŕ-dire la capacité ŕ ętre percuté ŕ nouveau par l’actualité, ŕ se réveiller, et ŕ ętre réactivé. Il est construit comme un objet du passé, bouclé sur une totalité, une unité de récit, une globalisation d’évčnements passés, mais ancré dans le futur, parce que capable de se réveiller, de rencontrer ŕ nouveau l’actualité, donc situé en avant.

La phase de stabilisation montre donc non seulement l’acquisition de la durée, mais aussi l’intégration du mode temporel du média lui-męme, l’objet se met ŕ fonctionner temporellement comme le média. Il adopte une temporalité essentiellement cyclique pour la télévision qui se structure autour d’une grille de programme. Aucun journal de presse écrite ne pourrait ętre ŕ la fois du matin, du soir, du midi et de la nuit. La télévision, si. Elle parvient ŕ diffuser des informations ŕ rendez–vous réguliers qui couvrent le cycle de 24 heures, voire męme, dans le cas de LCI, ŕ jet continu, comme une agence de presse. Pour y parvenir, elle męle en permanence d’une édition ŕ l’autre des informations nouvelles et des reprises, elle cycle et recycle.

2.2 S’intégrer dans l’espace des mondesDe męme qu’il y a une stabilisation dans le temps, il y a une stabilisation dans l’espace, encore faut-il envisager plusieurs spatialités, selon le monde auquel on se réfčre.

2.2.1 Dans la réalité de l’objet médiatiqueIl y a, tout d’abord, l’espace de la réalité de l’objet lui-męme. L’objet va s’intégrer ŕ son environnement, grâce, notamment ŕ des passerelles. Si, en phase de lancement on utilisait des passerelles pour construire Vaulx-en-VelinM ŕ partir d’autres objets comme Vénissieux, lŕ c’est ŕ partir de Vaulx-en-VelinM que des évčnements vont essaimer dans d’autres cités comme Vénissieux, Meyzieu, Décines, Bron. Il y a également des passerelles lancées par le média lui-męme, d’un objet ŕ l’autre, sans justification d’évčnement. TF1, le lundi 8 octobre, lance un sujet en disant : “ On a voulu savoir si le quartier de la Castellane, ŕ Marseille, ressemblait ŕ Vaulx-en-Velin ”. Suit : un reportage sur ce quartier de Marseille.

Ces passerelles créent des liens entre des objets, des lieux, des évčnements, des thématiques. Elles permettent de complexifier l’objet, au fur et ŕ mesure qu’il va se construire. Elles ont aussi pour effet de réveiller des objets médiatiques endormis (Vénissieux), ou chercher ŕ en susciter de nouveaux (Bron).

2.2.2 Le monde décrit par les médiasLe deuxičme espace de stabilisation se fait dans le monde médiatique lui-męme, ŕ travers la proximité entre Vaulx-en-VelinM et les autres sujets d’actualité. Le repérage des sujets� qui se situent juste avant et juste aprčs les reportages sur Vaulx-en-Velin, donne, par ordre d’importance :

12 sujets liés ŕ une thématique judiciaire, soit qu’il s’agisse de procčs, soit qu’il s’agisse d’enquętes avec intervention de la police ou de la gendarmerie, 11 sujets impliquant des ressortissants maghrébins, étrangers ou immigrés en France,10 sujets concernant des faits de violence avec mort, meurtre, assassinat, agression, 10 sujets traitant soit de délinquance, soit de faits de violence sans mort,9 sujets liés ŕ la guerre ou au terrorisme, 7 sujets liés ŕ des manifestations,5 sujets ayant un rapport avec l’Algérie.

Certains peuvent ętre cités plusieurs fois lorsqu’ils recouvrent plusieurs thčmes possibles. Parmi les sujets revenant avec la plus grande insistance, notamment au moment de la construction de Vaulx-en-VelinM, d’octobre 90 ŕ début 91, on trouve la montée en puissance des évčnements qui vont entraîner la guerre du Golfe. A l’époque, un des thčmes anxiogčnes préféré de certains médias était de savoir si les banlieues risquaient ou non de se solidariser avec Saddam Hussein, par réflexe communautariste arabe. On se souvient męme d’un reportage bidonné montrant des armes dans une cité. Il y a donc, en 1991, ce climat de tension internationale trčs fort, trčs présent dans l’actualité, et souvent contigu aux sujets liés ŕ Vaulx-en-Velin. On remarque aussi le nombre important de faits violents impliquant de jeunes maghrébins, comme victimes ou comme auteurs, et les sujets ayant un rapport avec le terrorisme ou avec l’Algérie. Ces chiffres ne peuvent pas ętre considérés comme absolument précis puisque l’échantillon ne permettait pas un repérage exhaustif. Mais ils donnent une petite indication du climat environnant. Il faudra se souvenir de certains de ces thčmes dans la sélection suivante.

2.2.3 Le monde oů vivent les médiasLe troisičme espace de stabilisation est constitué par l’espace médiatique lui-męme, dans la “ géographie des médias ” dans lequel l’objet va ętre amené ŕ se situer. L’espace médiatique télévisuel est structuré ŕ l’échelon le plus petit, par :des chaînes locales, avec diffusion sur l’agglomération lyonnaise : T.L.M. (Télé Lyon Métropole) et puis plus tard, M6 Lyon, une chaîne régionale : France 3 Rhône-Alpes (+Auvergne), qui constitue une assez curieuse région. En 1990, on dit F.R.3,l’ensemble des chaînes nationales : TF1, Antenne 2 (puis France 2), La 5* (disparue depuis), F.R.3 national (puis : France 3), occasionnellement Canal + ou LCI. On considérera que leur couverture de diffusion correspond au territoire français.

Un espace hiérarchiséLe mouvement entre les informations nationales locales et régionales varie en fonction de l’importance qui est accordée ŕ ces évčnements par les directions de chaînes. Certains médias, comme France Télévision, ont des correspondants régionaux, qui peuvent faire remonter l’information. On note des emprunts d’images de F.R. 3 par Antenne 2 ou TF1, mais jamais de la chaîne locale, comme si les autres ne la considéraient pas comme un confrčre. Il y a également pour ce qui concerne TF1 une agence qui lui sert de relais localement et qui s’appelle Lyon Caméra. Mais sitôt que le sujet leur paraît suffisamment important les chaînes dépęchent leur propres reporters de Paris, court-circuitant donc les locaux.

Un espace structuré selon plusieurs échellesVaulx-en-VelinM s’inscrit dans cette spatialité médiatique, en męme temps, ŕ plusieurs échelles différentes, plus ou moins locales, plus ou moins nationales. On ne peut tenir compte de la dimension internationale, qui pourtant existe, puisque des chaînes étrangčres ont couvert certains évčnements, bien que cela ait contribué, sans doute, ŕ accroître l’importance de l’objet. Cet espace télévisuel est fortement hiérarchisé. Des commandes viennent fréquemment des rédactions centrales parisiennes avec une grande précision d’exigences en matičre d’images, de thčmes, de reportages, d’angles. De plus, l’univers médiatique n’est pas cloisonné. Bien au contraire, les liens entre les différentes chaînes, que ce soit par les journalistes locaux qui se connaissent (ou reporters nationaux) ou que ce soit par les chaînes qui s’observent les unes les autres, l’univers télévisuel fonctionne par conformisation.

Mercredi 9 octobre dans le journal du soir de la 5*, Guillaume Durand fait état d’une dépęche de l’Agence Associated Press selon laquelle des trafiquants de drogue seraient ŕ l’origine des événements. Il précise “  il faut vérifier, ŕ prendre avec précautions ”. C’est alors la seule chaîne qui mette en question cette dépęche d’Associated Press, toutes les autres la reprenant ŕ leur compte. Guillaume Durand interpelle alors, en direct l’envoyé spécial de la chaîne ŕ Lyon, lequel oppose un démenti. Le lendemain, dans le męme journal du soir, Guillaume Durand revient sur ses propos et se range ŕ la version des autres chaînes de télévision, aprčs une pirouette : “  comme nous nous le présentions dčs hier soir, le scénario se complique. Des commandos liés au milieu … ”Sur la 5* toujours, en fin de reportage des obsčques de Thomas Claudio au journal de 13 heures, c’est le vendredi 12, “  Le pilote de la moto a été arręté mardi matin la veille de la reconstitution, ce qui expliquerait la modération des propos de Laurent Assebille ŕ l’égard de la police ”. C’est la seule chaîne qui défendra cette hypothčse de maničre aussi claire. Isolée, elle abandonnera cette piste.

Un espace découpé par les médiasMęme si la presse écrite n’a pas été étudiée ici, il faut tout de męme en dire deux mots ŕ propos de spatialisation. On ne peut ignorer les autres organisations spatiales crées par les médias et qui existent dans la ville. Le journal de référence Le Progrčs, trčs décentralisé puisqu’il dispose de correspondants locaux dans chaque commune de l’agglomération, présente une découpe particuličre du territoire. L’édition de Lyon diffuse des informations qui couvrent Lyon, Villeurbanne et les banlieues Ouest. Mais l’édition qu’on trouve ŕ Vaulx-en-Velin ne comporte pas ces pages. On y trouve, en revanche celles des banlieues Est : Vénissieux, Bron, Rillieux, Décines… Il y a donc bel et bien un lien, une passerelle médiatique institutionnalisée par le journal de PQR de référence (sans concurrent) entre ces villes qu’on ne cesse de retrouver liées dans l’actualité. Un des effets de cette organisation du Progrčs comme un espace cloisonné, mais aussi hiérarchisé, c’est que lorsqu’une information remonte en page régionale, elle sera publiée dans toutes les éditions du Progrčs. Quand elle reste en page locale, elle ne sera lue que par les gens qui habitent sur place. Plus une image est violente plus elle remonte vers les pages régionales, ou męme vers la Une.

Un espace marqué de repčresEnfin, le dernier aspect de la construction spatiale médiatique de l’objet est dű ŕ l’effet de récurrence. Les images des télévision reviendront en permanence sur les męmes lieux pour les revisiter, en les cadrant de la męme maničre. Des chaînes différentes filmeront pourtant, sous plusieurs éclairages. Le Mas du Taureau sera tourné de jour, de nuit, sous toutes les coutures. Mais peu ŕ peu les męmes images vont s’imposer. Ces sont ces images-lŕ, petit ŕ petit, par leur récurrence, qui vont constituer des lieux symboliques particuliers et finit par caractériser l’objet médiatique Vaulx-en-Velin, le rendre reconnaissable, le singulariser, le stabiliser autour de caractčres permanents.

2.3 S’intégrer un contenu stableAprčs l’environnement spatio-temporel, dans lequel il a trouvé ŕ s’inscrire, l’objet voit également son contenu se stabiliser.

2.3.1. Institutionnalisation du discoursLa stabilisation passe notamment par un procédé d’institutionnalisation, parce qu’elle fait jouer l’argument d’autorité. Dans un premier temps, le discours sur Vaulx-en-Velin est le fait de paroles directes d’habitants, de témoins, de jeunes, impliqués ou se disant impliqués dans les évčnements, soit pour y avoir participé soit pour en avoir été témoins. C’est le cas pendant la journée de dimanche, le lendemain des émeutes. Au fur et ŕ mesure que les évčnements se développent, les paroles se redistribuent, elles s’institutionnalisent. Pour certaines, c’est le fait des médias eux-męmes. Parce que des chaînes auront donné la parole ŕ tel ou tel témoin, d’autres T.V. reviendront voir les męmes personnes. Parce que certaines personnes auront été vues ŕ l’émission Ciel Mon Mardi qui suit le premier week-end d’émeutes (le 9 octobre 90), leur simple présence les légitimera au point qu’elles pourront ętre recherchées ŕ nouveau par d’autres médias. Elles seront en quelque sorte institutionnalisées par le média.

Certaines personnalités sont déjŕ médiatiques, ayant gagné leurs galons sous d’autres cieux mais sur des thčmes liés. C’est le cas d’Harlem Désir et d’Azouz Bégag. En ce qui concerne le Pčre Christian Delorme, c’est plus trouble. Il n’incarne pas la population concernée, mais la majorité du public auquel on s’adresse : blanc, français, catholique ouvert au dialogue avec les immigrés / l’islam / les jeunes / les banlieues. D’autres existent, comme Abdekrim Belmokkadem, parce qu’ils ont joué un rôle de leader ŕ l’occasion de ces évčnements.

Des représentants des institutionsMais de plus en plus, ce sont des leaders institutionnels, des représentants officiels de la ville, du pouvoir politique local qui prennent le dessus. Par l’intermédiaire des députés qui sont ŕ la fois locaux et nationaux, une passerelle va permettre de monter dans la hiérarchie jusqu’au plus haut niveau de l’Etat (c’est peut-ętre surtout ŕ cause de la résonance médiatique plus grande quand un personnage important prend la parole). Dčs le mercredi 10, au Conseil des Ministres le matin, et l’aprčs-midi lors des questions au gouvernement ŕ l’Assemblée Nationale, se seront exprimés sur ces évčnements le Président de la République et le Premier Ministre (La rivalité entre François Mitterrand et Michel Rocard est peut-ętre pour quelque chose dans cette surenchčre. Comme on le verra ŕ l’occasion des Assises Banlieues 89, le président de la République ouvre en déflorant totalement le sujet, et en ne laissant au chef du gouvernement que des commentaires et des précisions de moindre importance).

Une institutionnalisation horizontaleEn dehors de cette institutionnalisation politique, il y a aussi une institutionnalisation non plus verticale ascendante, mais horizontale. Elle déborde de la parole directe qui serait témoignage ŕ une parole indirecte, une parole sur, un commentaire ou une explication, par une source légitime, bref : une parole institutionnalisée, celle des travailleurs sociaux, des spécialistes du social, ou des experts en politique de la ville.

A chaque entrée en scčne de Vaulx-en-VelinM, ce mouvement se répčte. Le résultat en est que, une fois institutionnalisée, une parole n’est plus remise en doute. A partir du moment oů Michel Rocard aura donné la version officielle du gouvernement comme quoi l’accident de Thomas Claudio est fortuit, qu’il n’y a pas d’acte de malveillance ou de bavure de la part de la police, cette version-lŕ s’imposera en quelque sorte d’elle męme, simplement par l’argument d’autorité. L’institutionnalisation du discours sur Vaulx-en-VelinM a pour effet d’assujettir cet objet au pouvoir médiatique qui est de détenir la parole.

2. 3.2. Elimination des dissonancesLa stabilisation passe aussi par tout