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Santé publique volume 25 / N° 1 - janvier-février 2013 101 1 Service de Médecine Préventive et Santé Publique – Université Cheikh Anta Diop (UCAD) – BP 16390 – Dakar – Sénégal. 2 Institut Santé et Développement (ISED) – Sénégal. 3 Service de Médecine Interne de l’hôpital Aristide Le Dantec /UCAD. Correspondance : M.-M.-M. Leye Réception : 17/07/2012 – Acceptation : 11/11/2012 [email protected] Afrique, santé publique & développement Recherche originale Analyse du fonctionnement du plan de prise en charge gratuite des soins chez les personnes âgées « Plan Sésame » au Sénégal Analysis of free health care for the elderly in the context of the “Plan Sésame” in Senegal Mamadou Makhtar Mbacké Leye 1, 2 , Mayassine Diongue 1, 2 , Adama Faye 1, 2 , Mamadou Coumé 3 , Abdoulaye Faye 2 , Alioune Badara Tall 2 , Khadim Niang 1, 2 , Issa Wone 1, 2 , Ibrahima Seck 1, 2 , Papa Ndiaye 1, 2 , Anta Tal-Dia 1, 2 û û Résumé Introduction : Au Sénégal, l’accès aux soins pose toujours problème surtout auprès des groupes vulnérables comme les personnes âgées. Face à cette situation, l’État a mis en place en 2006 un plan national de gratuité dénommé « Plan Sésame ». L’objectif de cette étude était d’analyser le fonctionnement du Plan Sésame au niveau des hôpitaux nationaux du Sénégal après quatre ans de mise en œuvre (2006-2009). Méthodes : Une approche qualitative par des entretiens indivi- duels a été menée du 15 mars au 14 mai 2010 auprès de cinq populations cibles : les directeurs des hôpitaux, les prestataires de soins, les responsables du Plan Sésame au niveau des bureaux des entrées des hôpitaux, les contrôleurs de gestion et les bénéfi- ciaires. L’analyse du contenu a été utilisée. Résultats : De 2006 à 2008, le niveau de fréquentation des hôpi- taux nationaux croissait d’année en année. Mais à partir de l’année 2009, ce niveau a baissé sauf au niveau de l’hôpital Principal. Face aux remboursements insuffisants des dépenses des prestations du Plan Sésame, l’État contractait une dette qui s’accumulait au fil du temps. Cette situation obligeait les hôpi- taux nationaux à restreindre certaines prestations du Plan Sésame voire arrêter la prise en charge gratuite des personnes âgées. Par conséquent, ces problèmes vont compromettre la pérennité du Plan Sésame. Conclusion : Il importe aux autorités sanitaires d’auditer le Plan Sésame, de respecter les procédures par un suivi régulier et de recadrer les conditions d’accès. Mots-clés : Analyse ; Fonctionnement ; Gratuité des soins ; Sénégal. û û Summary Introduction: Access to health care remains a major problem in Senegal, particularly among vulnerable groups such as the elderly. In 2006, the Senegalese government introduced a national plan for the provision of free health care known as “Plan Sésame” to improve access to care. The purpose of this study was to examine the current state of the “Plan Sésame” in national hospitals four years after its implementation (2006-2009). Methods: A qualitative study using individual interviews was conducted between 15 March and 14 May 2010 among five target populations: hospital directors, health care providers, managers of the “Plan Sésame” in hospital admission services, management accountants, and beneficiaries. Content analysis was used. Results: Between 2006 and 2008, hospital attendance rates increased every year. However, attendance rates began to decrease in 2009, except in the main hospital. The state has been left with a growing debt because of issues surrounding the reim- bursement of expenses related to the “Plan Sésame”. As a result, national hospitals have been forced to restrict certain services included in the “Plan Sésame” and even to withdraw free health care for the elderly. These difficulties are likely to undermine the sustainability of the “Plan Sésame”. Conclusion: The health authorities need to audit the “Plan Sésame”, to comply with standard procedures through regular monitoring and to redefine conditions of access. Keywords: Analysis; care provision and management; free health care; Senegal.

Analysis of free health care for the elderly in the ... · Après quatre ans de mise en œuvre (2006-2009), ce travail se proposait d’ana-lyser le fonctionnement du Plan Sésame

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Santé publique  volume 25 / N° 1 - janvier-février 2013 101

1 Service de Médecine Préventive et Santé Publique – Université Cheikh Anta Diop (UCAD) – BP 16390 – Dakar – Sénégal.2 Institut Santé et Développement (ISED) – Sénégal.3 Service de Médecine Interne de l’hôpital Aristide Le Dantec /UCAD.

Correspondance : M.-M.-M. Leye Réception : 17/07/2012 – Acceptation : 11/11/2012 [email protected]

Afrique, santé publique & développement Recherche originale

Analyse du fonctionnement du plan de prise en charge gratuite des soins chez les personnes âgées « Plan Sésame » au SénégalAnalysis of free health care for the elderly in the context of the “Plan Sésame” in SenegalMamadou Makhtar Mbacké Leye1, 2, Mayassine Diongue1, 2, Adama Faye1, 2, Mamadou Coumé3, Abdoulaye Faye2, Alioune Badara Tall2, Khadim Niang1, 2, Issa Wone1, 2, Ibrahima Seck1, 2, Papa Ndiaye1, 2, Anta Tal-Dia1, 2

ûûRésuméIntroduction : Au Sénégal, l’accès aux soins pose toujours problème surtout auprès des groupes vulnérables comme les personnes âgées. Face à cette situation, l’État a mis en place en 2006 un plan national de gratuité dénommé « Plan Sésame ». L’objectif de cette étude était d’analyser le fonctionnement du Plan Sésame au niveau des hôpitaux nationaux du Sénégal après quatre ans de mise en œuvre (2006-2009). Méthodes : Une approche qualitative par des entretiens indivi-duels a été menée du 15 mars au 14 mai 2010 auprès de cinq populations cibles : les directeurs des hôpitaux, les prestataires de soins, les responsables du Plan Sésame au niveau des bureaux des entrées des hôpitaux, les contrôleurs de gestion et les bénéfi-ciaires. L’analyse du contenu a été utilisée. Résultats : De 2006 à 2008, le niveau de fréquentation des hôpi-taux nationaux croissait d’année en année. Mais à partir de l’année 2009, ce niveau a baissé sauf au niveau de l’hôpital Principal. Face aux remboursements insuffisants des dépenses des prestations du Plan Sésame, l’État contractait une dette qui s’accumulait au fil du temps. Cette situation obligeait les hôpi-taux nationaux à restreindre certaines prestations du Plan Sésame voire arrêter la prise en charge gratuite des personnes âgées. Par conséquent, ces problèmes vont compromettre la pérennité du Plan Sésame. Conclusion : Il importe aux autorités sanitaires d’auditer le Plan Sésame, de respecter les procédures par un suivi régulier et de recadrer les conditions d’accès.

Mots-clés : Analyse ; Fonctionnement ; Gratuité des soins ; Sénégal.

ûûSummaryIntroduction: Access to health care remains a major problem in Senegal, particularly among vulnerable groups such as the elderly. In 2006, the Senegalese government introduced a national plan for the provision of free health care known as “Plan Sésame” to improve access to care. The purpose of this study was to examine the current state of the “Plan Sésame” in national hospitals four years after its implementation (2006-2009).Methods: A qualitative study using individual interviews was conducted between 15 March and 14 May 2010 among five target populations: hospital directors, health care providers, managers of the “Plan Sésame” in hospital admission services, management accountants, and beneficiaries. Content analysis was used. Results: Between 2006 and 2008, hospital attendance rates increased every year. However, attendance rates began to decrease in 2009, except in the main hospital. The state has been left with a growing debt because of issues surrounding the reim-bursement of expenses related to the “Plan Sésame”. As a result, national hospitals have been forced to restrict certain services included in the “Plan Sésame” and even to withdraw free health care for the elderly. These difficulties are likely to undermine the sustainability of the “Plan Sésame”. Conclusion: The health authorities need to audit the “Plan Sésame”, to comply with standard procedures through regular monitoring and to redefine conditions of access.

Keywords: Analysis; care provision and management; free health care; Senegal.

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M.-M. Mbacké Leye, M. Diongue, A. Faye, et al.

Introduction

Selon l’OMS, le sujet âgé se définit comme étant la personne dont l’âge civil dépasse 65 ans [1]. Dans la plupart des pays, notamment au Sénégal, la personne âgée est définie par rapport à l’âge de la retraite qui est de 60 ans [2]. La proportion de personnes de 60 ans et plus augmente plus rapidement que n’importe quelle autre tranche d’âge. En 2025, le monde comptera environ 1,2 milliard d’habi-tants de plus de 60 ans [3]. Le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans en Afrique est estimé à 36 747 000 soit (3 %) par rapport à la population mondiale [4]. En 2010, le Sénégal comptait 12 500 000 habitants et les personnes âgées de plus de 65 ans représentent les 2 % [5]. Parmi ces personnes âgées, seules 30 % bénéficient d’une « couver-ture sociale » répartie entre l’Institut de Prévoyance de Retraite du Sénégal (IPRES) et le Fond National de Retraite (FNR). Les 70 % restants n’ont pas de retraite, donc pas de couverture sociale. En outre, c’est dans ces 70 % que l’on retrouve la population la plus démunie car constituée en majorité d’agriculteurs, d’éleveurs, de pêcheurs etc. Ces populations vivent souvent en zone rurale ou semi-urbaine où les conditions de vie surtout sanitaires sont très précaires. Face à cette situation, le ministère de la Santé et de la Prévention du Sénégal a mis en place en 2006 un plan national de gratuité des soins aux personnes âgées dénommé « Plan Sésame » en vue de leur faciliter l’accès aux soins sur l’ensemble de structures sanitaires publiques (postes, centres de santé et hôpitaux). Après quatre ans de mise en œuvre (2006-2009), ce travail se proposait d’ana-lyser le fonctionnement du Plan Sésame au niveau des hôpi-taux nationaux.

Cadre d’étude, matériels et méthodes

Cadre d’étude

L’étude s’était déroulée au niveau des sept (07) hôpitaux nationaux du Sénégal et le Centre gériatrique et de géron-tologie de Ouakam (CGG0).

La région de Dakar, capitale du Sénégal, abrite l’essentiel des hôpitaux nationaux (hôpital Principal, hôpital LeDantec, hôpital Grand Yoff, hôpital Fann, hôpital Pikine et hôpital Thiaroye) et le CGGO. Quant à la région de Diourbel, située au centre-ouest du pays, à 146 km de Dakar, elle abrite

l’hôpital Matlaboul Fawzeyni de Touba. Le choix de ces derniers (hôpitaux nationaux) est lié au fait qu’ils consti-tuent les structures de dernier recours en matière de réfé-rence du fait de leur haute spécialisation et de leur plateau technique élevé, d’où une fréquentation plus importante des populations notamment les personnes âgées.

Le bureau de coordination du Plan Sésame est logé à la direction de la santé du ministère de la Santé, de la Prévention et de l’Hygiène publique (MSPHP). Les décisions de gestion sont prises par le coordonnateur avec l’appro-bation du Directeur de la santé [6]. Les hôpitaux parte-naires du Plan sont chargés de recevoir tous les patients du Plan à condition qu’ils soient référés par un district ou reçus en urgence [6]. Au cas où la personne est référée dans un hôpital, il doit se munir de sa carte d’identité nationale attestant son âge supérieur ou égal à 60 ans et du bulletin de référence avec le cachet nominatif du médecin du district [6]. Quant aux procédures de prise en charge, les hôpi-taux ne reçoivent, sauf urgence, que les références des districts ; ils transmettent leurs états récapitulatifs à la région médicale et sont remboursés par transferts [7]. En 2006, tous les hôpitaux étaient préfinancés mais les responsables du bureau de coordination ont instauré les remboursements à la place du préfinancement à partir de l’année 2007 pour une bonne maîtrise des hôpitaux. De septembre 2006 à juillet 2009, toutes les prestations étaient incluses. Á partir d’août 2009, par arrêté ministériel, certaines prestations sont exclues du Plan Sésame. Il s’agit des évacuations sanitaires, du pace maker, des soins de dialyse, des implants sauf ceux oculaires, de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), du scanner sauf urgence, des médicaments de spécialité, de la chirurgie esthétique, des prothèses (dentaires, hanches etc.), des soins de beauté, du bilan systématique et des hospitalisations de 1re et 2e catégories [8].

Matériels et méthodes

Pour mieux comprendre et analyser les perceptions des différents acteurs ainsi que les raisons profondes qui expliquent la restriction voire l’arrêt de la prise en charge des personnes âgées par le Plan Sésame, une approche qualitative a été menée du 15 mars au 14 mai 2010. L’étude a porté sur cinq populations cibles : les directeurs des hôpi-taux ; les prestataires de soins ; les contrôleurs de gestion ; les responsables du Plan Sésame au niveau du bureau des entrées et les bénéficiaires. Dans chaque hôpital, un entre-tien individuel a été effectué avec le directeur ; le contrôleur de gestion ; le responsable du Plan Sésame au niveau du

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Plan SéSame au Sénégal

bureau des entrées ; les prestataires de soins et au niveau du CGGO avec les bénéficiaires du Plan Sésame.

Un recrutement exhaustif des prestataires et des bénéfi-ciaires qui venaient en consultation a été effectué respecti-vement au niveau des services des hôpitaux nationaux et au niveau du CGGO durant la période de collecte. Ainsi, le nombre de prestataires et bénéficiaires enquêtés n’a pas tenu compte du principe de saturation.

Les rendez-vous ont été pris auprès de chaque directeur d’hôpital pour une autorisation d’enquête. Ainsi, un papier administratif attestant la permission a été présenté auprès du personnel administratif et des chefs de services le jour de l’enquête. Au niveau des hôpitaux et du CGGO, les personnes interviewées ont toutes donné leur consente-ment verbal. Les entretiens d’une durée moyenne de 10 mn ont tous été enregistrés. Ils avaient pour objectif principal de recueillir les perceptions et les représenta-tions que ces différents acteurs avaient de la baisse du niveau de fréquentation des hôpitaux par les bénéficiaires du Plan Sésame, de leur prise en charge et de la dette contractée par l’État au niveau des hôpitaux nationaux du Sénégal.

Ainsi, les données relatives à la fréquentation des struc-tures ont été obtenues auprès des responsables de bureau des entrées, celles concernant les difficultés de prise en charge et les avantages du Plan Sésame étaient recueillies auprès des bénéficiaires du Plan Sésame. Pour les direc-teurs, les prestataires de soins et les contrôleurs de gestion, les informations recueillies portaient sur les problèmes des hôpitaux et les avantages du Plan Sésame.

Nous avons également effectué une analyse documen-taire à partir d’une sélection d’articles de presse et de rapports du ministère de la Santé sur le Plan Sésame au Sénégal.

L’analyse du contenu des discours illustrés par les propos, mis entre guillemets, des personnes enquêtées a été effec-tuée et portait sur la fréquentation des hôpitaux, les diffi-cultés des bénéficiaires lors de la prise en charge, les problèmes des hôpitaux liés au Plan Sésame et les avan-tages du Plan Sésame.

Résultats

Les entretiens individuels intéressaient : 7 directeurs d’hôpitaux, 7 contrôleurs de gestion, 7 responsables du Plan Sésame au niveau du bureau des entrées, 225 presta-taires et 208 bénéficiaires du Plan Sésame.

Fréquentation des hôpitaux

Á part l’hôpital Principal, les responsables de bureau des entrées ont remarqué qu’à partir de l’année 2009, le niveau de fréquentation des personnes âgées bénéficiaires du Plan Sésame a chuté. Ils affirmaient : « C’est à partir de l’année 2009 que le nombre des personnes âgées bénéficiaires du Plan Sésame commençait à baisser. » En revanche, le respon-sable de bureau des entrées de l’hôpital Principal disait : « Depuis la mise en œuvre du Plan Sésame, tous les jours, des personnes âgées bénéficiaires ne cessaient de fréquenter l’hôpital. »

Deux responsables de bureau des entrées (hôpitaux LeDantec et Principal) constataient que le nombre de personnes âgées ayant une couverture retraite (IPRES ou FNR) a baissé car celles-ci préféraient le Plan Sésame pour bénéficier d’une prise en charge totale au lieu de recourir à leur institution de couverture retraite. Mais à partir de l’année 2009, la responsable de bureau des entrées de LeDantec remarquait le contraire. Elle affirmait : « Depuis que l’hôpital a restreint certaines prestations couvertes par le Plan Sésame voire arrêter ce plan de gratuité, les bénéficiaires ayant une couverture retraite (IPRES ou FNR) allaient chercher une lettre de garantie auprès de leur institution de retraite. »

Difficultés des bénéficiaires lors de la prise en charge

Les bénéficiaires (23,3 %) éprouvaient d’énormes diffi-cultés (temps d’attente assez long, non-application des procédures du Plan Sésame) pour pouvoir bénéficier du Plan Sésame. Une personne âgée disait : « Au début de mise en œuvre de ce plan, nous préférions payer le ticket de consul-tation à 3000 FCFA que d’aller chercher un bulletin de réfé-rence au centre de santé pour bénéficier du Plan Sésame car il y avait une longue queue. » Une autre affirmait : « Lors de ma dernière consultation, je n’étais pas pris en charge par le Plan Sésame car le surveillant de service m’a signifié que les documents fournis étaient incomplets (il n’y avait pas le cachet du médecin dans le bulletin de référence). »

Les bénéficiaires (13,4 %) n’étaient pas satisfaits de la durée d’attente, elle était généralement longue. Une personne enquêtée l’a estimée une fois à 4 h de temps. Ainsi, elle disait : « ma dernière consultation aux urgences de l’hôpital principal a été difficile car j’ai attendu plus de 4 heures de temps avant d’être consulté par un médecin ».

Les bénéficiaires (97 %) déclaraient que la prise en charge n’était pas totalement gratuite car les médicaments posaient un vrai souci. Une personne affirmait : « Nous avions des problèmes pour nous faire soigner car les

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M.-M. Mbacké Leye, M. Diongue, A. Faye, et al.

médicaments de spécialité n’étaient pas couverts par le Plan Sésame et ils coûtaient chers. » D’autres disaient : • « Nous, les personnes âgées, nous ne pouvions plus être

pris en charge. Nous étions partis à Le Dantec en consul-tation au cours de l’année 2009 mais le responsable du bureau des entrées nous avait signifié qu’il y avait arrêt de prise en charge par le Plan Sésame et certains parmi nous étaient obligés d’aller chercher une lettre de garantie en qualité de retraités de l’IPRES. »

• « Un ami venait d’être opéré à l’hôpital Fann mais il avait payé l’opération malgré une prise en charge par le Plan Sésame. » Une autre personne disait : « J’étais hospitalisé le dernier mois à Principal mais j’avais payé le lit d’hos-pitalisation (8600FCFA/j) malgré ma prise en charge par le Plan Sésame. » Les bénéficiaires (10 %) remarquaient que dans leur

entourage, certaines personnes continuaient toujours à se faire soigner en payant leurs propres frais parce qu’elles méconnaissaient ce plan de gratuité.

Problèmes des hôpitaux liés au Plan Sésame

La quasi-totalité (6/7) des directeurs des hôpitaux disait que le Plan Sésame avait un impact financier négatif car les remboursements annuels de l’État restaient très insuffisants par rapport aux dépenses. Deux directeurs des hôpitaux disaient qu’après plus de trois années de mise en œuvre du Plan Sésame, l’hôpital est confronté à des ruptures fréquentes de consommables. Ils avaient cité certains problèmes du Plan Sésame au niveau des hôpitaux comme l’endettement de l’État, l’affluence des personnes âgées, la rupture de consom-mables. En revanche, le directeur de l’hôpital de Thiaroye précisait que : « Le Plan Sésame n’avait pas un impact financier négatif car la structure est sous-fréquentée par les personnes âgées et le préfinancement de l’année 2006 couvrait toutes les dépenses effectuées jusqu’en 2009. »

Les contrôleurs de gestion expliquaient que la dette de l’État augmentait d’année en année et contribuait au dysfonctionnement des hôpitaux.

Tous les prestataires des services d’aide au diagnostic avaient fait des remarques relatives aux abus de bulletins d’examens paracliniques à leurs confrères prescripteurs. Ainsi, un chef de service de laboratoire a souligné : « Nous recevions fréquemment des bulletins d’analyse de plus de 15 paramètres biologiques avec des marqueurs les plus coûteux pour une seule personne bénéficiaire du Plan Sésame. Cette pratique est très néfaste au fonctionnement du service car elle impactait négativement sur les prévisions et la gestion des stocks. »

Avantages du Plan Sésame

Un directeur d’hôpital et quelques (2/7) contrôleurs de gestion affirmaient que le Plan Sésame avait un impact financier positif car ils disaient : « Les dépenses du Plan Sésame ont amélioré le budget de fonctionnement de leur hôpital car elles rentraient dans le cadre des recettes. »

Les prestataires (11 %) avaient constaté que grâce au Plan Sésame, beaucoup de pathologies chez les personnes âgées ont été diagnostiquées. Un chef de service d’ORL affirmait : « Avec le Plan Sésame des pathologies ORL de toutes sortes ont été diagnostiquées et elles étaient dominées par les cancers avec la résurgence de certaines formes tumorales. »

Les bénéficiaires (61,8 %) affirmaient que leur prise en charge était bonne, grâce au Plan Sésame. Une personne âgée disait : « En 2005 je souffrais d’une baisse de la vision et après consultation en ophtalmologie de l’hôpital LeDantec, le médecin m’a dit qu’il s’agissait d’une cataracte. Par manque de moyen financier, j’ai traîné cette maladie pendant une année et grâce à une prise en charge gratuite de l’opé-ration par le Plan Sésame, j’ai recouvré une vision normale. » Un autre bénéficiaire disait : « Nous les personnes âgées, nous étions très satisfaites du Plan Sésame car il a entière-ment contribué à l’amélioration de notre état de santé. »

Discussion

La principale limite de l’étude était la non prise en compte du principe de saturation. Celui-ci aurait permis de déter-miner les tailles d’échantillon des prestataires et des béné-ficiaires. Mais, le nombre important de ces cibles (prestataires et bénéficiaires) enquêtées était dans un souci d’avoir une variété de données permettant ainsi d’enrichir les contenus dans la recherche. Malgré cette limite, les résultats obtenus ont permis d’établir les discussions suivantes.

En Afrique, la prise en charge médicale des personnes âgées est peu développée. Au Sénégal, les autorités ont opté pour la gratuité des prestations pour les personnes âgées de 60 ans et plus. Cette solution a l’avantage d’accroître la fréquentation des structures de soins [9,10]. Ainsi, de 2006 à 2008, on assistait à une affluence accrue des personnes âgées au niveau des différents hôpitaux nationaux. Ceci s’expliquait par la grande campagne nationale de sensibili-sation sur la gratuité des prestations du Plan Sésame menée par le MSPHP. Cet état de fait est retrouvé dans d’autres

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Plan SéSame au Sénégal

politiques d’exemption des frais de santé comme celle du Niger où les taux de fréquentation des formations sani-taires ont été multipliés par sept dans les deux districts de Mayahi, Téra et Keita [11]. Mais, avec le Plan Sésame, à partir de l’année 2009, le niveau de fréquentation des béné-ficiaires décroissait au niveau des hôpitaux. Plusieurs facteurs pouvaient expliquer ce phénomène : par l’applica-tion de la note circulaire du MSPHP avec l’exclusion de certaines prestations comme le bilan systématique et les scanners sauf urgence [8], le non-respect des procédures comme le retrait de certaines prestations du Plan Sésame voire l’arrêt de prise en charge gratuite des personnes âgées pendant une période au cours de l’année 2009, au niveau des hôpitaux. Ces facteurs ont contribué à une dimi-nution du rythme d’utilisation des services des hôpitaux par les personnes du 3e âge. Malgré le refus d’être pris en charge au niveau de certains hôpitaux, ces personnes âgées faisaient le tour des structures sanitaires à la recherche de satisfaction. Les personnes âgées ayant une couverture retraite comme celles de l’IPRES étaient obligées de cher-cher une lettre de garantie pour une prise en charge. Par ailleurs, les bénéficiaires et les prestataires n’étaient pas bien informés sur le Plan Sésame. Toutes ces difficultés étaient liées à la non-implication des acteurs dans la mise en œuvre de ce plan de gratuité. Cette situation est retrouvée en Afrique du sud où l’implication des acteurs du système ne s’est apparemment pas faite à tous les étages de la pyra-mide sanitaire, ce que plusieurs d’entre eux déplorent, à l’instar des infirmières et des coordinateurs interrogés [12]. Ceci a des répercussions graves sur le fonctionnement des structures sanitaires concernées. Ainsi, dans le cadre du Plan Sésame, l’État remboursait annuellement mais il accusait un retard et le montant des remboursements restait insuffisant et ne parvenait pas à couvrir les dépenses. Cette situation est retrouvée dans l’étude de Kafando [13] au Niger où les retards de remboursement du coût des actes fournis gratuitement par l’État ont entraîné des incidences négatives sur la capacité financière des districts qui a connu une baisse assez importante. L’application de la gratuité a également engendré, ou accentué, des problèmes de ruptures de stock au niveau des structures [13].

En Ouganda, malgré l’augmentation des budgets accordés, les structures sanitaires perdent leurs revenus [14,15] et sont incapables d’assumer les dépenses récurrentes [16], ce qui a un impact négatif sur la disponibilité des médicaments, l’approvisionnement des laboratoires, la motivation et la qualification du personnel, et a contribué semble-t-il au recours aux pharmacies et laboratoires privés [15]. Ces mêmes facteurs sont évoqués au Kenya pour comprendre pourquoi 14 des 20 formations sanitaires évaluées

n’appliquent pas les réglementations de l’exemption [17]. Face aux remboursements insuffisants de l’État ayant contribué au dysfonctionnement des services, les procédures de prise en charge gratuite des personnes âgées n’étaient plus respectées dans la majeure partie des structures. Ceci traduit toute la difficulté rencontrée par les structures sani-taires dans l’application des plans de gratuité aux soins dans les pays en développement de manière générale et plus parti-culièrement au Sénégal. Face à l’endettement de l’État au niveau des hôpitaux nationaux, il importe au Ministère ayant en charge la santé, de promouvoir la mutualisation et le déve-loppement des mécanismes de prépaiement en vue d’amé-liorer l’accessibilité financière des populations notamment des personnes âgées au niveau des structures sanitaires [18]. Ainsi, au Rwanda, pour contribuer à l’amélioration de l’accès aux soins, le ministère de la Santé a mis en place un projet pilote. Il s’agit d’un système de prépaiement instauré dans trois districts en collaboration avec le projet « Partner-ships for Health Reform » (PHR) et l’État souhaite généraliser ce système suite à l’évaluation des performances d’un tel projet [19]. La facilité d’accès aux soins de santé permet aux mutua-listes de recourir facilement et dans le meilleur délai à ces services, bien avant que la maladie devienne grave ; ce qui minimise les dépenses des mutualistes. Le système d’assu-rance maladie a donc un impact positif sur les dépenses des soins des membres de la mutuelle, sur leur santé et peut-être même sur l’économie du ménage [20,21]. Certains auteurs comme Ndiaye O, Dieme EJG stipulent qu’une réorientation du Plan Sésame s’impose pour parer à certaines difficultés tout en préservant les acquis. Ainsi, pour amoindrir le rush observé dans les hôpitaux, les bénéficiaires doivent utiliser les services de base de leur lieu de résidence habituelle, poste ou centre de santé et la référence normale du médecin de district qui ne peut être à l’hôpital de sa région, sauf pour les patients suivis dans un centre hospitalier universitaire. Il est important aussi de faire bénéficier ce plan de gratuité qu’aux personnes démunies dans le but d’amoindrir le poids de la dépense au niveau des structures sanitaires surtout en milieu hospitalier [22].

Conclusion

Au Sénégal, le Plan Sésame est une bonne politique de gratuité pour les personnes âgées. L’analyse de son fonc-tionnement appelle alors à repenser en profondeur les poli-tiques de gratuité en santé au Sénégal. Elle nous édifie sur les perceptions que les différents acteurs ont de ce Plan.

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M.-M. Mbacké Leye, M. Diongue, A. Faye, et al.

L’impact financier négatif traduit par des remboursements insuffisants des dépenses du Plan Sésame était le principal problème des hôpitaux. Cette situation pousse ces struc-tures sanitaires à restreindre voire arrêter la prise en charge des personnes âgées par le Plan Sésame. Ainsi, face à ce dysfonctionnement des structures sanitaires menaçant la pérennité du Plan, l’État du Sénégal est en train de trouver des alternatives comme un fond d’équité nationale en santé qui permettra de prendre en charge gratuitement les indi-gents via les mutuelles de santé.

Aucun conflit d’intérêt déclaré

Références

1. OMS. Rapport sur la santé dans le monde. Genève : OMS ; 2006 : 215 p.

2. Faye A, Diousse P, Seck I, Diongue M, Ndiaye P, Diagne-Camara M, et al. Prise en charge des patients du 3e âge en Afrique : étude des implications financières du plan SESAME sur le budget du centre hospitalier régional de Thiès (Sénégal). Med Trop. 2010 Apr;70(2):205-7.

3. ONU. World population prospects: the 2000 revision. New York : ONU ; 2001: 182 p.

4. Dupaquier J. Vieillissement de la population dans le monde. Association des Anciens et des Amis du CNRS. 2006:5-53.

5. ONU. World population prospects: the 2009 revision. New York : ONU. 2010: 47 p.

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