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BEP/GPI/7
A LA RECHERCHE D'UNE SAGESSE POUR LE MONDE
QUEL ROLE POUR LES VALEURS ETHIQUES
DANS L'EDUCATION?
Réflexion collective - (février-octobre 1986)
Rapport de Bertrand SCHNEIDER
BEP-87/WS/8
Septembre 1987
Dans la même série/In the same series
1. Le monde à l'horizon 2000/The world by the year 2000
2. World modeling
3. Pour une éducation aux valeurs éthiques
4. Evaluating long-term developments by using global models
5. Development theories revisited: requiem or rethinking?
6. L'Afrique centrale, stratégies de développement et perspectives
7. A la recherche d'une sagesse pour le monde, quel rôle pour les valeurs éthiques dans l'éducation?
PRESENTATION
L1Unesco, dans le cadre des activités du programme pour
1986-87, a demandé au Club de Rome de proposer une réflexion
internationale sur les valeurs éthiques de l'homme du XXIème
siècle à la lumière des évolutions rapides et parfois violentes
qu'a connu la société au cours de ce dernier quart de siècle.
Cette étude se propose d'orienter les responsables des
programmes scolaires, les éducateurs et les administrateurs de
l'éducation dans la problématique des valeurs éthiques et les
invite à prolonger et situer cette réflexion au niveau des
systèmes éducatifs des différents pays, là où est ressenti
parmi les jeunes un besoin d'éducation morale. Par ailleurs,
l'Unesco a publié une recherche documentaire sur les travaux de
l'Organisation relative à l'éducation aux valeurs éthiques
(Série: Etudes et documents du Grand Programme I, numéro 3).
Les opinions exprimées dans la présente étude sont celles de
l'auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de
1'Unesco.
(1)
SOMMAIRE
page
Avant Propos : 5
Introduction : Une cause désespérée ? 9
Chapitre I : Se situer dans la réalité d'un monde en
mutation 16
Chapitre II : Valeurs éthiques, cultures et humanisme 21
Chapitre III : Les nouvelles missions de l'éducation 32
Chapitre IV : Essai en vue de définir ce que sont les valeurs
éthiques .43
Chapitre V : Place de valeurs éthiques traditionnelles 49
Chapitre VI : Notre époque est-elle en train d'inventer de
nouvelles valeurs- universelles ? 52
Chapitre VII : Comment peuvent coexister dans les sociétés
plusieurs systèmes de valeurs, traditionnelles
et modernes, collectives et individuelles ? ...56
Chapitre VIII : Comment communiquer les valeurs éthiques afin
qu'elles inspirent les comportements des indivi
dus, des groupes et des sociétés ? De la éduca
tion d'aujourd'hui à l'apprentissage du monde
de demain 59
Conclusion : Mettre en oeuvre les valeurs éthiques 67
Annexe : - Déclaration finale du Colloque de Royaumont..71
- Membres du Comité de Coordination et de
Réflexion 82
- Liste des personnalités ayant contribué à
l'élaboration du rapport 84
(3)
AVANT-PROPOS
Le rapport qui suit est une oeuvre collective : c'est le
résultat d'un processus de réflexion qui, pendant neuf mois, a
associé à une recherche commune sous la responsabilité du Club
de Rome des personnalités des cinq continents représentant des
familles de pensée et des disciplines les plus diverses. Il
s'agit d'un outil de travail, destiné à provoquer un débat.
Pour donner tout son sens à ce document, il est
certainement utile de présenter la méthodologie qui a été
adoptée et les différentes étapes qui ont jalonné ce parcours.
Un comité de pilotage permanent a été constitué dès le
départ, sous la présidence d'Alexander KING, avec Umberto
COLOMBO, André DANZIN, Edem KODJO, Federico MAYOR et Bertrand
SCHNEIDER. Ce comité de pilotage s'est réuni lors de chacune
des quatre phases de travail.
Io- Un premier document, élaboré par le comité de
pilotage, proposant une analyse de la problématique : "Valeurs
Ethiques, Humanisme Moderne et Education" et assorti d'un
questionnaire, a été adressé en janvier 1986, en anglais et
français, à 137 personnes, membres du Club de Rome et
d'organisations diverses : Université des Nations-Unies, Arab
Thought Forum, Commission des Communautés Européennes,
Organisation de l'Unité Africaine, Institut Gottlieb Dutweiller
ou personnalités choisies en fonction de leur compétence.
2°- Au cours des mois de mars et d'avril, des interviews
en profondeur ont été menées par téléphone ou en direct auprès
d'un certain nombre de personnalités afin de recueillir de vive
voix leurs réactions : Bertrand SCHWARTZ, Pierre PIGANIOL,
(5)
Ricardo DIEZ-HOCHLEITNER, J.R. ARMOGATHE, R.K. SINGH, Adam
SCHAFF, Mme PARONETTO VALLIER.
3°- Les 41 contributions reçues au cours des mois de mars
et avril ont permis d'élaborer un rapport introductif proposant
une synthèse des divers points de vue recueillis. Ce rapport de
69 pages a été, à son tour, adressé en anglais et en français
aux 137 personnes qui avaient déjà été destinataires du premier
document.
4°- Un colloque a réuni à la Fondation Royaumont le 25, 2 6
et 27 juin 1986 les personnalités suivantes : Mmes M.L.
PINTASILGO (Portugal) et V. PARTHASWARATHI (Inde) et MM.
Umberto COLOMBO (Italie), André DANZIN (France), Saad Eddin
IBRAHIM (Egypte), Federico MAYOR (Espagne), J. PAJESTKA
(Pologne), Bertrand SCHNEIDER (France), Chandra SOYSA (Sri
Lanka), et A.F. VILLON (USA). Une déclaration finale a été
adoptée à l'unanimité par les participants. Le dernier jour du
colloque, un échange de vues particulièrement fructueux a eu
lieu entre les participants au colloque et un certain nombre de
personnalités de 1'UNESCO : Mme CATTARINI LEGER, MM. CLERGERIE,
HUYN CAO TRI, MORSI, RICHARDSON et SINACEUR.
5'- Un rapport final a été établi sous le titre : "A la
recherche d'une sagesse pour le monde, le rôle des valeurs
éthiques dans l'éducation". Ce rapport s'est efforcé de prendre
en considération l'ensemble des idées qui se sont exprimées
lors des rencontres, des discussions, du colloque et également
par le biais des contributions écrites. La liste des nombreuses
personnalités qui ont bien voulu participer à cette recherche
et l'enrichir par leur vision personnelle figure en annexe, car
si toutes n'ont pu être citées, chacune d'entre elles a apporté
sa pierre à cette première construction.
La méthode suivie nous a conduit à respecter le parcours
suivi pendant neuf mois qui a permis à cette réflexion de mûrir
dans certains de ses aspects, tout au moins selon la dynamique
d'une spirale ascendante.
(6)
Le rapport a souligné avec intérêt certaines convergences
de pensée, mais il s'est toujours efforcé de relater les
différences et les contradictions avec le plus grand respect.
N'est-ce pas là une condition déterminante pour progresser dans
cette quête d'une sagesse pour le monde ?
Bertrand SCHNEIDER
Secrétaire Général du
Club de Rome
(7)
INTRODUCTION
UNE CAUSE DESESPEREE ?
Discours, débats et textes sur les valeurs éthiques et
l'éducation se succèdent dans l'histoire et surabondent. Mais,
ont-il jamais eu un impact significatif ?
Devant une telle avalanche de mots, on est en droit de se
demander pourquoi l'ensemble des valeurs et des principes ainsi
rassemblés, votés, proclamés, ont si peu d'effet sur le
comportement des hommes et des nations, pourquoi il existe un
tel fossé entre le discours et le vécu ?
Le contre-témoignage des adultes vis-à-vis des jeunes, ou celui
des dirigeants politiques à l'égard des citoyens mettent en
cause leur crédibilité ainsi que la validité qu'ils proclament,
et illustrent les contradictions majeures qui ébranlent les
sociétés, et perturbent les jeunes qui ne savent plus que
croire, ni qui croire. Comment, alors, échapper dans ce vide
aux vertiges, à la tentation des nihilismes ou au recours aux
fondamentalismes et aux intégrismes ?
Mais au-delà de ces réactions, il existe une quête profonde,
souvent peu visible, car elle possède peu de moyens de
s'exprimer. Dans des sociétés menacées d'éclatement, des hommes
morcelés, tiraillés dans tous les sens, cherchent à trouver des
valeurs communes, des projets compatibles. Dans la lassitude du
monde, ils ont un besoin vital de reconstruire, de réconcilier,
de se libérer de la surabondance d'absurdités qui entravent
leur recherche de l'unité : en bref d'ouvrir la voie à une
(9)
renaissance de l'humanité dans la vérité de son nouvel
environnement.
Ce nouvel enfantement ne peut se faire sans douleur ni sans
délai. Il ne peut ignorer les diversités des sociétés et des
cultures, négliger le poids des traditions, oublier que les
mots et les concepts n'ont pas toujours la même signification
selon les langues. Une telle recherche ne peut s'abandonner à
la tentation de 1'unanimisme, au mépris des désaccords, ni
s'avouer vaincue d'avance à la vue des périls que suscite
l'ambition d'une si difficile entreprise.
Dans ces conditions, évoquer le rôle des valeurs éthiques dans
l'éducation ne peut passer pour une provocation ; c'est tenter
en réalité de répondre aux interrogations innombrables qui
s'élèvent dans tous les types de sociétés, au malaise qui se
fait jour partout dans le monde, devant l'éclatement des
systèmes de valeurs traditionnels.
Les points de référence que constituent, dans la plupart de ces
sociétés, les parents et les enseignants n'ont guère été
préparés par leur éducation, à s'adapter à la nouvelle donne
qui s'impose à eux aujourd'hui. Comme le disait la sociologue
américaine aujourd'hui disparue Margaret MEAD " les jeunes sont
les indigènes de ce monde dans lequel, nous les adultes, sommes
des immigrants ". Certains iront même avec elle jusqu'à
observer que " nulle part dans le monde, n'existent d'adultes
qui sachent ce que les enfants savent, aussi éloignées ou
simples que soient les sociétés dans lesquelles vivent les
enfants. Dans le passé, il y avait toujours quelques aînés qui
savaient davantage - en termes d'expérience ou de pratiques
d'un système dans lequel on avait grandi - que n'importe quel
enfant. Aujourd'hui il n'y en a plus".
Cela ne signifie pas seulement que les parents ne sont plus des
guides, mais qu'il n'y a plus de guides, dans le vieux sens du
terme, qu'on les cherche dans son propre pays, en Chine, en
Inde, ou ailleurs.
(10)
Ainsi, comme nous l'écrivions en 1971 (1) , non seulement
l'enfant n'est pas uniquement objet d'enseignement, mais il est
au centre d'un des éléments de cet apprentissage permanent que
l'économiste indienne Ika PAUL-PONT appelait l'éducation
ascendante, particulièrement dans les pays développés.
La rapidité des communications aidant, la jeunesse a de plus en
plus d'exemples qui l'amènent à considérer ses aines comme des
irresponsables, inconscients des dangers massifs tels que
l'holocauste nucléaire, la pollution ou le massacre de
l'environnement. Ce sont les adolescents qui connaissent et
alimentent les grands courants transnationaux, qui s'affirment
face à ces dangers, leurs parents, eux, étant amenés à
solliciter leur consentement et à négocier là où jadis ils
imposaient leur volonté.
Comment réagissent les parents, mais aussi les enseignants,
devant ce renversement de situation qui bouscule l'exercice de
l'autorité et ne reconnaît plus le "maitre" ?
Certains d'entre eux, qui n'ont pas dépassé le stade de
l'adolescence sur le plan émotionnel ou sur celui de la
maturité intérieure et affective, adoptent la mode
vestimentaire, le langage et les marottes des jeunes.
Ceux qui perdent toute autorité sur leurs enfants sont
habituellement peu assurés de leur propre identité et de leurs
propres valeurs. Ils ne peuvent fournir l'humus, indispensable
à la croissance harmonieuse de leurs enfants, que constitue une
force aimante contre laquelle se rebeller.
De leur côté, les jeunes n'ont pas acquis automatiquement pour
autant, en dépit de leur savoir, une nouvelle autorité morale,
mais leurs parents découvrent qu'ils ne peuvent plus rétablir
la leur par la dictature. Il ne reste plus qu'une issue à ces
parents perturbés d'enfants perturbés : écouter et s'instruire
(1) B. Schneider, L'homme morcelé, la Nef. (11)
à l'école de leurs enfants, même si les théories professées
leur semblent de prime abord inacceptables, irréalisables ou
impraticables. Ils sont fortement conviés à faire des efforts
pour comprendre leurs enfants, et quand ces efforts sont
sincères et intelligents, ils aboutissent à rétablir la
communication.
"Apprendre à être", tel était le titre du rapport de la
Commission Internationale de l'UNESCO (1972), sur le
développement de l'éducation, présidée par Edgar FAURE. Mais
comment être, telle est la question qui se pose dans chaque
société, dans chaque civilisation, à chacune des générations
qui vivent ensemble et différemment, la grande mutation qui
déferle. Question toujours renouvelée à travers l'Histoire et
les continents et qui appelle des réponses toujours
réinventées.
Comment réfléchir aujourd'hui sur les valeurs éthiques, sur
l'éducation et sur leur interaction, sans les resituer dans la
réalité d'un monde en mutation. Quel est, notamment, l'impact
sur leur définition, sur leur évolution, des situations
nouvellement suscitées par le profond et rapide changement qui
affecte le monde et bouscule les habitudes ?
En quoi les grands humanismes, les grandes cultures, qui ont
fait la richesse du patrimoine humain, vont-ils à la rencontre
les uns des autres pour esquisser les grandes lignes d'un
humanisme plus vaste ?
En quoi s'opposent-ils au contraire, par leurs particularismes,
à cette aspiration profonde vers davantage d'unité et de
solidarité, qui se fait entendre de tous les coins et les
recoins de la planète ?
(12)
HUYN CAO TRI a bien mis en valeur (1) certaines de ces
différences de conceptions des systèmes éducatifs qui cependant
tendent à se rapprocher : "l'éducation orientale est
traditionnellement axée sur des préoccupations morales (comme
en Chine) et spirituelles (Inde) au détriment du savoir
théorique et du savoir-faire.
Les systèmes d'éducation du Vieux Continent, fidèles à la
tradition grecque de "l'art pour l'art, la science pour la
science", accordent la primauté au savoir désintéressé et ne
dispensent souvent qu'un corps de connaissance théoriques et
générales, assez éloignées du monde de la réalité et de
l'efficacité pratique.
Le système d'éducation du Nouveau Monde par contre, étant le
sous-système d'une société de pionniers, composée d'émigrés
provenant des classes laborieuses de l'Ancienne Europe et dont
le souci principal est l'exploitation des immenses richesses
d'un continent nouvellement découvert, doit être forcément
pragmatique, technique et spécialisé. D'autant plus qu'il
hérite du modèle d'éducation de la métropole britannique,
lequel subit fortement 1'influence des philosophes de
l'utilitarisme du XVIIIème siècle tels que John STUART, Jérémie
BENTHAM, etc.."
Au cours de ces trente dernières années, remarque HUYN CAO TRI
"on a assisté à un rapprochement mutuel de ces trois grands
modèles d'éducation dans le monde. L'éducation européenne est
en train de se frayer une voie plus pratique, plus ouverte au
monde quotidien du concret et de l'utile. Les programmes
d'enseignement aux Etats-Unis, inversement, accordent une place
de plus en plus grande aux humanités et à la culture générale.
L'éducation en Chine, tout en gardant la note morale dominante
(1) Culture, Education et Développement endogène (Aspects philosophiques comparés de l'Education traditionnelle en Extrême-Orient et l'Occident Moderne), PARIS, UNESCO.
(13)
(sacrifice et savoir-vivre) sait allier le travail intellectuel
(savoir) au travail manuel et pratique (savoir-faire) ".
Ces trois exemples limités et qui ne prennent pas en compte
d'autres cultures essentielles, telles que l'arabe,
l'africaine, ou la latino-américaine, montrent bien que le choc
des cultures, la confrontation des humanismes dans un monde
d'information provoque des ruptures ou des évolutions
auxquelles les systèmes éducatifs n'échappent pas.
Rien n'est encore résolu et il faut s'interroger sur la mission
des systèmes éducatifs aujourd'hui, sur leurs capacités, leurs
inadéquations par rapport aux besoins des jeunes et des
sociétés qui les accueillent. Car l'éducation n'est pas
seulement un lieu de transmission des valeurs éthiques et
d'élaboration permanente d'un humanisme. Elle n'est pas neutre
dans cette affaire dans la mesure où elle est outil et valeur
tout à la fois. Elle n'appartient pas à un seul groupe où,
reconnus, souhaités comme tels ou non, familles, media,
communautés de vie ou de travail, pouvoirs publics, en sont
devenus les partenaires inévitables.
Quelle est la place des valeurs éthiques traditionnelles dans
le systèmes des valeurs auquel l'humanité en recherche peut se
référer ?
Ces valeurs sont-elles encore capables de répondre à des
situations inconnues jusqu'ici ? Quelles sont-elles ?
N • observe-t-on pas l'émergence de nouvelles valeurs
universelles? Lesquelles ?
Comment peuvent coexister dans les sociétés et chez l'individu
plusieurs systèmes de valeurs, traditionnelles et modernes,
collectives et individuelles ?
Comment promouvoir, par l'éducation, des valeurs éthiques qui
prennent en charge le monde d'aujourd'hui dans sa globalité,
dans sa complexité, dans sa diversité et ses contradictions, et
qui soient porteuses d'un avenir commun ?
(14)
Vers quelle direction le concept même d'éducation doit-il
s'orienter sous l'influence combinée des besoins de la société,
des mutations du monde et des aspirations des individus ?
Tel a été l'objet du large débat que le Colloque de Royaumont
(1) organisé par le Club de Rome à la demande de l'UNESCO, a
voulu lancer.
Les réflexions et les discussions se sont appuyés sur un
rapport introductif proposé par le Club de Rome, après
consultation de ses membres et d'un certain nombre de
personnalités compétentes dans les cinq continents. Nous allons
essayer d'en exposer les principales conclusions et d'en
rapporter les hypothèses formulées par les participants : tous
en effet sont conscients de l'importance et de la difficulté de
la tâche et bien convaincus qu'il s'agit là d'un maillon dans
un large processus de recherche et de dialogue dont on ne peut
prévoir le terme.
(1) Participants au Colloque de Royaumont (25-27 juin 1976) Mmes V. PARTHASWARATHI (Inde), M.L PINTASILGO (Portugal), MM. U. COLOMBO (Italie), A. DANZIN (France), S.E. IBRAHIM (Egypte), F. MAYOR (Espagne), J. PAJESTKA (Pologne), B. SCHNEIDER (France), Ch. SOYSA (Sri Lanka), A.F. VILLON (USA).
(15)
CHAPITRE I
SE SITUER DANS LA REALITE D'UN MONDE EN MUTATION
La réflexion sur les valeurs éthiques et sur l'éducation ne relève
guère de la spéculation intellectuelle.
C'est tenter de répondre à la multitude de questions qui, de toutes
parts, montent et convergent dans une même angoisse.
C'est, au moins dans un premier temps, reconnaître ce que certains
appellent une crise, d'autres une mutation des valeurs. Elles ne
constituent certes pas un phénomène récent, mais de nombreux
observateurs pensent que, sous des formes diverses, elle atteint
aujourd'hui une ampleur qui autorise à affirmer qu'il s'agit d'un
phénomène global.
Deux séries de problèmes doivent être pris en considération.
Tout d'abord certains problèmes anciens mais qui se posent avec une
ampleur et une acuité nouvelles, même s'ils sont perçus de façon
différente ou même contradictoire par les uns et par les autres.
Le défi fondamental de notre temps est de savoir comment accueillir
sur terre, dans les quinze années à venir, six milliards d'hommes,
comment les loger, les éduquer, leur fournir les moyens de
subsistance, le travail et les occupations dont ils auront besoin
pour survivre. Mais dans l'immédiat, il est impératif de réduire les
inégalités entre les Etats en luttant contre les facteurs de
sous-développement, de promouvoir la paix malgré la course aux
armements, de s'attaquer aux causes du terrorisme et de la violence,
de protéger et de reconstituer l'environnement, afin de transmettre
aux générations à venir le patrimoine qui leur revient, d'assurer
(16)
l'exercice des droits de l'homme ; tels sont quelques uns des
éléments essentiels de la problématique mondiale.
Il convient ensuite de prendre en considération des données
nouvelles, dont les richesses et les dangers interpellent la
conscience contemporaine et qui, par leur importance, donnent à la
problématique sa dimension mondiale.
Le monde aborde une phase de son évolution qui n'est comparable à
aucune autre. Après une période de l'histoire au cours de laquelle
l'homme a cru pouvoir dominer la planète, il se trouve aujourd'hui
confronté à une vision du monde faite de globalité : le monde est un
système fini, traversé par les courants de la communication et de
1'audio-visuel qui en resserrent la trame. De ce fait, naissent de
nouvelles solidarités, des interactions, des émulations entre les
hommes et entre les pays.
Le monde aborde non seulement l'ère de la globalité, mais également
le temps de l'incertitude. Cette incertitude, qui peut faire peur à
des hommes trop souvent habitués par leur éducation à camper dans
les certitudes, est sans précédent. Mais cette incertitude est riche
en possibilités grâce aux progrès de la science et de la
technologie, à condition d'être guidée par des considérations
éthiques.
Aujourd'hui, l'accélération des transformations scientifiques et
technologiques, leur impact sur les comportements et les cultures,
sur les individus et les sociétés plongent l'humanité dans des
perturbations et une précarité qui rendent encore plus nécessaire le
recours aux valeurs. Une culture universelle, et son articulation
sur les cultures régionales, nationales et locales commence à
émerger, sans qu'on en saisisse encore toutes les promesses.
Ce monde voit apparaître des situations qui ne s'étaient jamais
présentées jusqu'ici dans l'histoire de l'humanité. Cet ensemble de
situations nouvelles remet en cause les valeurs traditionnelles qui
ne sont plus capables d'en rendre compte. Et ce tête-à-tête de
l'homme avec ce qu'il a créé et qu'il ne sait pas toujours maîtriser
suscite désarroi et inquiétude.
(17)
Remettons-nous pour un instant face à ces réalités.
Pour la première fois dans son histoire, l'homme peut faire sauter
sa propre planète. Mais son pouvoir s'étend également aux
manipulations génétiques ; le voilà capable de se programmer
lui-même pour améliorer ses performances ou pour faire naitre un
monstre. Des embryons congelés, être vivants sans âge, attendront
des mois ou des années la chance d'une implantation dans un utérus
inconnu, ou d'être jetés à la poubelle. Rien ne dit que le clonage,
technique déjà appliquée avec succès à la reproduction des veaux, ne
sera pas utilisée un jour pour créer une série d'hommes, tous
identiques entre eux. Alors que la loi biologique a reconnu
jusqu'ici la singularité de chaque être humain dans l'Histoire.
Ces quelques faits illustrent l'épreuve à laquelle sont soumis les
esprits d'aujourd'hui. Les Eglises, les Comités d'éthique se sentent
dépassés par l'irruption à un rythme accéléré d'avancées
technologiques et leurs conséquences. Les milieux scientifiques
eux-mêmes semblent souvent aussi désorientés qu'une opinion privée,
à l'évidence, de tout moyen de jugement. Peut-on discerner ce qui
est bien et ce qui est mal, ou encore les conséquences heureuses ou
négatives de ces inventions scientifiques et technologiques selon
leur usage, sans de nouvelles références, ou une réactualisation des
références traditionnelles ? Tout au plus peut-on dire que ces
situations posent toutes la question de la responsabilité de la
science et des scientifiques et de ses limites. C'est substituer une
interrogation à une autre interrogation, mais ce n'est pas y
répondre.
D'autres progrès technologiques vont marquer leur empreinte de façon
irréversible sur les cultures et les civilisations,
l'universalisation des technologies, la conquête de l'espace,
n'auront pas seulement des conséquences économiques inestimables.
Ils seront source d'une modification profonde des comportements et
des sociétés, et vont induire des modèles culturels, dont nous ne
pouvons encore prévoir la nature. Chaque aspect de la vie humaine en
est d'ores et déjà affecté, sans que nous en ayons vraiment
conscience.
(18)
Un exemple nous aidera à mieux prendre l'exacte mesure de la
confusion dans laquelle nous sommes plongés.
L'exemple de la cellule familiale apparaît, dans toutes les
civilisations, comme une valeur fondamentale. Il est vraisemblable
qu'elle continue à l'être, mais dans des circonstances nouvelles :
famille éclatée, brisée par la vie urbaine, l'exode rural,
l'émigration, les conflits; famille rendue différente par
l'existence de la maîtrise de la fécondité et couple humain établi
dans la précarité, famille fonctionnant sur un nouveau modèle de
relations, se substituant à l'autorité parentale jusqu'alors
incontestée, famille au sein de laquelle les affrontements se
multiplient entre les partisans de la fidélité aux traditions, et
ceux de la modernité américaine.
"En Inde, la crise est là (1) . Les jeunes sont engagés dans une
expérience périlleuse, déchirés entre les valeurs traditionnelles et
les valeurs nouvelles, soumis à des pressions contradictoires. Ils
doivent sans arrêt se déterminer et prendre des décisions : la
famille décidait collectivement et le dernier mot appartenait au
patriarche. Les plus anciens étaient plus importants que les plus
jeunes et ce qui comptait avant tout, c'était les traditions, la
religion, la position de la famille dans la société.
Au milieu de cette organisation stricte, que devient la vie de la
personne ? Un enfant regarde la télévision, apprend les droits de
l'homme, apprend à être une personne avec ses choix, ses goûts, ses
libertés. Il y a un tel antagonisme entre les valeurs héritées et
les valeurs apprises que si un jeune veut mettre en pratique une
certaine indépendance de pensée, il lui faut beaucoup de courage ou
il s'effondre. Si bien que le jeune tend à suivre les normes
familiales pour les grandes décisions, et intériorise ses
transformations qui ne s'expriment que sur des points limités et
superficiels : là est la crise qui va bien au-delà de la crise des
générations". La valeur du travail constitue sans doute un autre
domaine dans lequel tout se trouve aujourd'hui "chamboulé".
(1) A.PARTHASWARATHI (19)
Dans les pays industrialisés le nombre des chômeurs a atteint un
chiffre insupportable; nous attendons la création de postes de
travail dans de nouveaux domaines d'activité mais nous sommes devant
l'inconnu. Un tiers environ des activités professionnelles qui
existeront dans vingt ans ne sont même pas imaginables aujourd'hui.
Les plaies du chômage s'impriment dans la chair des sociétés dites
industrialisées; il devient impossible de fournir des moyens
d'existence aux jeunes que les vagues successives d'une démographie
galopante poussent sur le marché du travail. Ainsi se créent, au
Nord, comme au Sud, des situations pré-révolutionnaires. Les jeunes
sont placés en face d'un avenir souvent sombre, sollicités par des
esquives qui se nomment délinquance, drogue, terrorisme...
Faut-il s'étonner que des sociétés qui ne sont plus en état
d'accueillir, de nourrir leurs jeunes, de reconnaître leur dignité
et d'alimenter leurs espérances, sécrètent des anti-valeurs ? Même
si tous les esprits ne s'accordent pas à reconnaître la notion
puritaine de "valeur sacrée" du travail, ils s'entendront facilement
pour reconnaître la lumière rouge du clignotant qui indique une
crise des valeurs provoquée par l'absence de travail.
Pour ceux qui trouveraient que ce tableau noircit excessivement la
réalité, prenons l'exemple des secteurs les plus porteurs d'emplois
ceci pour montrer que les notions même de profession, de
compétence sont en cours de transformation. L'évolution et le
vieillissement des métiers, l'apparition incessante de nouvelles
activités requérant de nouvelles compétences exigent désormais que
les hommes se mettent en apprentissage permanent et sachent
s'adapter aux changements qui semblent désormais la loi. Il est
vraisemblable qu'à l'avenir, chaque homme changera de métiers trois
fois au moins au cours de son existence.
En tout état de cause, à la notion de travail stable, se substitue
peu à peu la notion de travail précaire, dans sa nature, dans son
organisation, dans le temps et dans l'espace. Que l'on considère le
travail comme une valeur en soi ou non, cette situation nouvelle ne
peut qu'engendrer un bouleversement des comportements, des
psychologies et des relations humaines.
(20)
CHAPITRE II
VALEURS ETHIQUES, CULTURES ET HUMANISME (1)
Il est assez curieux que l'on soit obligé de proclamer aujourd'hui,
au plus aigu de la transition vers une nouvelle civilisation,
l'évidence qu'il n'y a pas de culture possible s'il n'y a pas accord
sur une fondation, sur une base solide de valeurs éthiques communes.
Cette recherche vers des règles du jeu fondamentales a été une
constante du passé historique et, probablement, préhistorique. La
démarche s'est faite dans la patience d'une longue gestation,
parfois éclairée par le génie d'un penseur, parfois placée dans la
lumière d'une révélation divine. Le philosophe allemand Jaspers a
remarqué qu'un message presque identique avait été émis quelques
siècles avant notre ère en quatre points du monde, sans
communications directes entre eux, la Chine, l'Inde, le
Proche-Orient et la Grèce, comme s'il traduisait une convergente
maturité de la pensée de l'homme sur lui-même.
La forme la plus récente de cette préoccupation de disposer d'un
ensemble d'images mentales cohérentes est représentée par les
"Droits de l'Homme".
Rappelons la parenté exprimée par les textes saints des Veddas, de
la Gita, de la Bible et du Coran. Aux dix Commandements confiés à
Moïse répond l'écho himalayen des dix vertus de la doctrine
bouddhisme tantrique, transmise par Milarepa : ne pas tuer, ne pas
prendre ce qui n'est pas donné, observer la pureté et la morale,
dire la vérité, parler avec respect, ne pas rompre sa parole, ne pas
(1) Chapitre dû pour l'essentiel à André DANZIN,et qui a fait l'objet d'une intervention au Colloque de Royaumont.
(21)
médire ni calomnier, ne pas s'appropier le bien des autres, ne pas
causer de blessure ou de tort à autrui, observer la pure Doctrine.
Aucune de ces formules, tout comme aucun des dix Commandements dont
Moïse aurait reçu le message direct de Yahvé, ne se réduit à un
interdit strict. Chacune contient toute une philosophie du
comportement de l'homme avec ses proches, ainsi qu'avec l'Humanité
dans son ensemble et avec la Nature. Ces philosophies du
comportement constituent des critères de référence auxquels tout
jugement doit se référer. Faute de système de référence de base, il
n'y a ni possibilité de consensus, ni même de possibilité de
contestation, de réfutation : les interlocuteurs ne peuvent
communiquer que dans le vide. Perdre ces valeurs de base, ou ne pas
les remplacer par d'autres plus efficaces, serait une régression
tragique.
L'évolution, y compris l'évolution sociale, est à coup sûr une
"destruction-créatrice" au sens où le dieu hindou Shiva détruit pour
construire ou au sens où Schumpeter le comprenait pour l'économie.
Ce processus de destruction-création ne peut éviter de mettre en
cause nos modèles mentaux, mais il devient destruction pure s'il
annihile les fondations éthiques qui ont permis à l'humanité de
construire son histoire et sa cohérence. Dans tous les phénomènes
physiques, biologiques et sociaux que nous pouvons observer, il y a
certes un jeu du hasard et de la nécessité, mais on ne peut nier
qu'il y ait, simultanément, une force d'harmonie qui assure le
progrès des structures vers la conscience. Pour l'histoire humaine,
les valeurs éthiques sont les constituants de cette force d'harmonie
et l'homme est responsable de leur transition. Il doit les regarder
comme un héritage précieux qu'il lui faut enrichir, faire évoluer et
exprimer sous des formes qui lui permettent de les communiquer.
LA VISION DU MONDE
Les valeurs éthiques sont vivement attaquées aujourd'hui par la
contagion d'une révolution, inévitable celle-là et globalement
heureuse, qui concerne notre "vision du monde", laquelle entre dans
(22)
une véritable métamorphose. En tous temps, la modification de la
perception de la planète a retenti sur le contenu du système de
valeurs éthiques et morales. L'un des épisodes parmi les plus connus
dans le monde européen a été la découverte par Copernic, proclamée
plus tard par Galilée, que la terre n'était pas le centre de
l'Univers, mais une planète parmi d'autres qui tournait autour du
soleil. La certitude que le monde avait été crée pour l'Homme
subissait une atteinte cruelle. Le système des valeurs éthiques et
morales qui s'identifiait au message religieux était remis en
question. Luther et Calvin, suivis plus tard par les
encyclopédistes, ne sont pas dissociables de Copernic, pas plus
qu'ils ne le sont du transfert en Europe des trois inventions
chinoises fondamentales : la boussole, la poudre à canon et
l'imprimerie. La contagion de la remise en cause concernant la
vision du monde est d'autant plus active à l'époque actuelle que les
deux porteurs traditionnels de la transmission des valeurs éthiques,
les religions et les systèmes éducatifs, sont eux-mêmes l'objet
d'une vive contestation.
Si cette hypothèse des répercussions sur les valeurs morales du
bouleversement de notre appréhension des rapports de l'Homme avec
l'Univers est acceptée, il nous faut examiner la profondeur de cette
révolution, avant de revenir sur les valeurs éthiques fondamentales.
La manière dont nous voyons le monde est, en effet, riche d'images
mentales qui s'imposent à tous nos raisonnements, le plus souvent
sans que nous en ayons conscience, et peuvent être rattachés à trois
catégories de connaissances :
1. Celles que nous assimilons à la "réalité physique" (monde
réel);
2. les connaissances liées à l'affectivité et à la
psychologie (monde affectif);
3. les modèles mentaux du domaine de l'abstraction forgés
pour nous donner des représentations théoriques du réel
(monde des modèles théoriques).
(23)
Ces trois pôles ne diffèrent en rien des "trois mondes" chers à Karl
Popper.
Le "monde réel" contient ce qui nous est directement perceptible par
nos organes de sens, les minéraux, les plantes, les animaux, les
rues de nos villes et nos outils familiers. Au cours des dernières
décennies, cette perception s'est profondément transformée. Un
enfant né à Manhattan, à Tokyo ou dans le quartier parisien de la
Défense a perdu le contact direct avec la Nature. Son univers est
fait.de béton, d'aluminium, de verre et de bitume. Il entend par son
poste de radio; il voit par son téléviseur. A son contact local avec
certaines réalités, il ajoute une connaissance instantanée et quasi
universelle des événements sportifs ou encore des catastrophes et
des attentats qui se produisent dans tous les points du globe, comme
aussi des images données par les sondes spatiales. Ses contacts avec
l'extérieur - en langage informatique, on dirait son "interface"- ne
passent plus directement par sa vue, son odorat ou son toucher, mais
par des instruments placés sous le contrôle des grands systèmes
d'information que l'on appelle les media. S'il ne s'agit plus d'un
enfant mais au contraire d'un professionnel d'une technique, ou d'un
chercheur scientifique, le contact avec le réel, lui aussi, n'a lieu
qu'au travers d'instruments de plus en plus complexes et
perfectionnés d'années en années. Nous sommes en présence d'une
véritable révolution en ce qui concerne notre dialogue avec le monde
physique. Les images mentales que nous créons, pour nous en rendre
compte, ne sont plus celles du passé. Il y a rupture de continuité.
Le "monde affectif", celui de la psychologie est, bien entendu,
profondément touché par les transformations du monde, mais ses
caractères profonds, le fait qu'une personne est une personne
humaine et non pas un autre être animé, comporte une "identité" qui
est marquée par des "in-variants" psychologiques. Mais cette
identité peut être altérée, déviée. Le passage vers une autre
civilisation n'est évidemment pas vécue sans rupture. A titre
d'exemple, on peut retenir la revendication d'une métamorphose de la
condition féminine qui remet notamment en question et la fécondité
et la structure familiale sur lesquelles était jusqu'ici construite
la Société.
(24)
Le monde des modèles théoriques de représentation est une troisième
source de modèles mentaux, d'autant plus puissants qu'ils sont
revêtus du prestige de la connaissance scientifique et que, par la
vulgarisation - souvent simplificatrice, réductionniste et
déformante - ils envahissent les media. L'ensemble des abstractions
disponibles aujourd'hui dans les domaines des sciences et des
techniques constitue une immense "banque d'informations". La pensée
philosophique, littéraire, politique, en est imprégnée. Par chance,
dans cette mutation de toutes les branches de la recherche
scientifique, une convergence des tendances est en train de se
produire. Il est sans doute possible de considérer cette convergence
comme une source à partir de laquelle il sera possible de connaître
et reconnaître le cours de l'évolution actuelle de la Société. A
partir de cette nouvelle "vision du monde", par quelques points
analogues à une "vérité révélée du sens profond des choses", il est
raisonnable de cultiver l'espérance qu'il sera possible de
reconquérir une vue assainie et utilisable du monde affectif, du
monde réel, et finalement de refaire alliance avec un système de
valeurs éthiques fondamentales.
En nous appuyant sur une image tirée de 1•informatique nous pouvons
décrire le processus culturel à la- manière dont on décrirait un
"système expert" global, gouvernant les connaissances disponibles.
Le système opérationnel central est représenté, en approche
simplifiée, par le cerveau avec ses spécialisations logiques et
affectives. Les données du problème à résoudre sont introduites afin
de parvenir à l'énoncé des conclusions. Le système opérationnel
appelle les données des trois mondes, mais il ne peut en faire un
traitement utilisable que si intervient ce qu'en matière de "système
expert", on désigne sous le terme de "moteur d'inferences". C'est ce
moteur d'inferences qui, à tout instant, détermine les règles
applicables, choisit la règle à appliquer, déclenche et effectue les
modifications de la "base de faits" (données utiles au traitement du
problème posé) qui seront retenues pour effectuer le traitement
final de l'information. La question de savoir comment le cerveau
agit pour assurer ces missions reste encore mystérieuse. Il est
clair qu'il procède par "comparaison de formes" et non par une
exploration logique de tous les cas possibles. Une telle méthode le
(25)
conduirait à ce qu'en terme technique, on appelle "l'explosion
combinatoire" qui sauterait tous ses circuits. Le cerveau ne
travaille certainement pas comme nos machines électroniques,
organisées en traitement séquentiel, par une suite d'opérations de
logique mathématique, pas même comme les machines les plus récemment
imaginées dites à architectures parallèles. Nous ne pouvons
évidemment pas fermer la porte aux possibilités qui seraient
offertes par deux progrès scientifiques décisifs, l'un en provenance
d'une meilleure connaissance du jeu des neurones et de leurs
interconnexions, l'autre dont la source serait, un perfectionnement
décisif des conceptions qui détermineraient le fonctionnement de
nouvelles générations d'ordinateurs, mais pour ce qui ressort de
l'état de l'art, il serait léger de penser qu'à court terme les
technologies de l'information fourniront des systèmes de traitement
- si prétentieux que soit le terme de "système expert"- capables de
se substituer, même pour partie, au système de traitement culturel
de 1'homme.
Il ne faut d'ailleurs pas être dupe de nos descriptions sommaires.
Il est peu légitime de s'en tenir à la simplification d'une
centralisation purement cérébrale. Le cerveau est conditionné par
des molécules spécifiques, porteuses de messages émis par toutes les
cellules, spécialement par le système des glandes à sécrétion
interne; il est sous l'influence de la composition du sang qui
change selon l'état d'excitation, de désir, de peur ou de sérénité.
C'est tout l'être charnel qui est impliqué dans le processus
culturel de jugement ou de prise de décision. Il n'y a pas "d'âme
separable du corps" qui serait impliquée dans la responsabilité ;il
n'y a pas d'esprit sans matière; il n'y a pas de matière plus ou
moins noble dans l'Homme.
LES MODELES DE COMMUNICATION
Mais il n'y a pas davantage de possibilité d'émettre un jugement ou
de faire exécuter une décision, si la réponse n'est pas
communicable. La personne humaine n'est rien en elle-même, au point
de vue pratique, pas davantage au point de vue moral, si elle
s'enferme dans son isolement; elle ne vaut que par ses relations
avec les autres; elle n'agit ou ne peut agir que dans la
(26)
11 communication". Cette communication n'est possible que s'il existe
une base large de valeurs communes aux individus qui sont impliqués
dans cette communication.
C'est pourquoi, que nous le voulions ou non, nous devons accorder
une place spéciale, comme base de données fondamentales, au "système
de valeurs éthiques et morales". Ce partage d'une base commune ne
suffit toutefois pas encore; il faut y ajouter la disponibilité d'un
ensemble de modèles de représentation des règles, qui vont permettre
de communiquer, avec soi-même en premier lieu pour avoir une
compréhension complète de la réponse, avec les autres,
impérativement, si l'on veut obtenir un effet ou exercer une
influence. Nous sommes donc conduits à compliquer un peu plus encore
le schéma de description des organes principaux du système de
traitement qui assure le processus culturel (cf.shéma p.28), en
assignant un rôle spécial aux modèles de communication.
Ces modèles de représentation de la communication font une place
essentielle, bien entendu, au langage, à la syntaxe et à la
sémantique. D'où est confirmée l'importance d'une maîtrise très
poussée de la langue maternelle et d'autres langues dont les
langages techniques spécialisés. Mais la communication soulève aussi
le problème absolument fondamental de l'organisation des circuits de
circulation de l'information, au sein de la Société, de leur
hiérarchie et de leur situation par rapport aux différentes formes
de pouvoirs. Car nous rencontrons l'obstacle que "l'information est
pouvoir" et que, de ce fait, elle n'est jamais neutre. La question
de ces images mentales relatives à la communication s'est
radicalement modifiée au cours du dernier demi-siècle par la poussée
de deux phénomènes interconnectés, l'importance nouvelle des media
de masse, d'une part, et d'autre part, le seuil franchi par la
complexité.
Les media interposent une interface de nouvelle nature entre nos
perceptions et leur objet. Ils agissent comme des modificateurs
d'information, car ils filtrent les messages, les amplifient ou les
réduisent, les dramatisent ou les banalisent. Cette présence d'un
filtre sur l'accès à la connaissance est de tous les temps, mais
jamais la puissance évocatrice de l'image et la présence
omniprésente des sons n'avaient agi à ce degré de puissance sur la
conscience des hommes.
(27)
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(28)
La poussée de la complexité est un phénomène plus subtil, mais d'une
importance philosophique beaucoup plus grande encore, car elle est
le signe même d'une marche en avant de l'évolution. Le tissu des
relations sociales s'est brusquement modifié. Rien dans la
communication interpersonnelle, surtout si le sujet est de nature
technique ou commercial, n'obéit plus aux règles simples du passé.
Il faut parler d'un seuil d'où l'on découvre une autre vision du
monde des échanges, à la manière dont un voyageur gravissant un col
aperçoit tout à coup un nouveau paysage.
Une telle plongée dans la genèse et la contestation des valeurs
éthiques permet de mieux saisir comment cette force d'harmonie
qu'elles constituent devient faiblesse à certains moments du
processus historique. Elle montre le rôle des valeurs éthiques et
morales comme base de données fondamentales dans l'élaboration de
processus culturels, des humanismes et de leur communication. Or
cette communication s'appelle avant tout éducation.
Dans la déclaration finale qu'ils ont adoptée, les participants au
Colloque de Royaumont ont ainsi défini leur position commune :
"Nous croyons que les valeurs humaines universelles sont trop
absentes des grands débats, des grandes décisions. Dans notre
société d'information, elles sont oubliées ou insuffisamment
communiquées. Et les peuples n'ont plus l'occasion d'incorporer ces
valeurs dans leur culture de base. C'est une fonction qui n'est pas
réservée aux seules organisations confessionnelles et éducatives,
mais qui appartient tout autant à l'ensemble des institutions qui
gouvernent la société.
Nous croyons que, parmi les valeurs universelles qui s'affirment, il
convient de mettre 1'accent sur :
. le respect de la diversité des cultures;
. la protection de la richesse du patrimoine génétique et
biologique;
. la protection de la qualité de l'environnement;
. la prévention des effets nuisibles à long terme sur le climat
dûs à la main de l'homme.
(29)
Autant l'esprit de compétition renforce la créativité et incite au
progrès, autant l'agressivité excessive doit être tempérée, car elle
tend à élargir les brèches que nous cherchons à réduire. En fait, la
compétition devrait être vue comme une émulation plutôt que comme
une sorte de violente confrontation sur les marchés et de
sublimation de la guerre.
Nous croyons aussi qu'à tout être humain doit être reconnu le droit
au travail qui lui permet de contribuer activement au progrès de la
société. Cette conviction entraîne de profondes conséquences tant en
ce qui concerne les politiques économiques et les politiques de
l'emploi qu'en matière de justice internationale.
Nous avons ainsi vu dans quelle mesure le concept même d'éducation
est substantiellement modifié par l'émergence de valeurs
universelles, et par une prise de conscience plus aiguë du caractère
interdépendant de notre planète, de la mutation accélérée due aux
nouvelles technologies, de la responsabilité essentielle de chaque
citoyen de prendre des initiatives et de peser sur les décisions qui
le concernent.
Des valeurs telles que la survie de L'espèce humaine, la primauté de
la vie humaine et sa protection, la dignité de l'homme, la
préservation de la nature, la justice, la liberté, l'équité, forment
déjà le noyau de valeurs universellement acceptées, sur lequelles un
réel consensus s'est dégagé parmi les peuples, sinon parmi les
gouvernements. Cependant que se développe dans nombre de sociétés un
antagonisme croissant entre certaines de ces valeurs nouvelles,
véhiculées par les mass media, et les valeurs traditionnelles
héritées.
Il n'est plus question aujourd'hui de fermer les frontières
culturelles si aisément franchies par les télévisions, par le
tourisme et les échanges commerciaux. Le droit des cultures entraîne
un choc des valeurs et dans un même pays, des systèmes de valeurs
différents coexistent de façon non pacifique. La confusion est
encore accentuée par l'assimilation faite entre les valeurs
éthiques, présentées comme objectifs, et les moyens, les
comportements nécessaires pour les atteindre, tels que : solidarité,
(30)
entraide, développement socio-économique, eradication de la pauvreté
et de la misère humaine, adaptabilité, innovation, créativité,
responsabilité et autosuffisance. Cette entreprise peut être
réalisée dans un climat d'honnêteté, de démocratie et de
participation.
(31)
CHAPITRE III
LES NOUVELLES MISSIONS DE L'EDUCATION (1)
La valeur de l'éducation doit-elle être remise en cause puisqu'on ne
peut plus apprendre une fois pour toute ?
L'éducation doit surtout apprendre à apprendre.
C'est prononcer une évidence que de dire que l'Education est la clé
de la qualité de la ressource humaine à la condition, toutefois, de
comprendre l'Education comme "l'ensemble des processus qui
concourent à la formation des qualifications professionnelles et
aussi à l'acquisition et à la maîtrise de facteurs culturels qui
permettent l'expression de l'infinie dignité de la personne
humaine."
Malheureusement, dans l'état actuel de développement de la
complexité des connaissances et des relations sociales, le système
éducatif est frappé par nature de trois malédictions : la pléthore,
l'anachronisme et la désadaptation.
La pléthore a pour source l'immensité du réservoir des connaissances
accumulées dans tous les domaines. Dans ces conditions, on ne sait
plus comment choisir ce que l'on doit transmettre aux enfants et aux
étudiants. Pour en donner un seul exemple, en 1986, la masse des
publications scientifiques et techniques atteindra un volume au
(1) Chapitre dû pour une grande part à André DANZIN et qui a fait l'objet d'une présentation au Colloque de Royaumont.
(32)
moins égal au volume des papiers légués par les savants et les
techniciens depuis le passé le plus lointain jusqu'à la seconde
guerre mondiale. Comment trier dans ce flux d'information ? Comment
le transmettre ? Que transmettre ?
L'anachronisme est lié au fait que ce flux d'information est
constamment renouvelé. Or, les professeurs et les instituteurs ne
sont pratiquement nulle part recyclés. Ils enseignent ce qu'ils ont
appris il y a vingt ans dans un environnement changé. Seraient-ils
recyclés - ce qui serait un immense progrès - que ce serait de toute
façon un retard, car on ne peut céder à autrui qu'une connaissance
mûrie, décantée. Cette décantation demande du temps.
La désadaptation est un sentiment confus des enfants et des
adolescents qu'il n'y a pas de cohérence entre les enseignements
classiques qu'ils reçoivent et le monde qu'ils doivent affronter.
"B.D." et "T.V.", bandes dessinées et télévision, les romans et les
films de science-fiction, les univers de béton, de verre et
d'aluminium semblent très loin de ce qui est enseigné à l'école. La
formation professionnelle, trop souvent, ne prépare pas à la
véritable demande du marché du travail et parfois forme à l'exercice
de métiers disparus. Il est très difficile de remédier à cette
situation car les conséquences d'une réforme des structures et des
programmes, avec tous leurs effets pervers, ne s'apprécient que dans
le long terme, au bout de dix à quinze ans au moins. Or ce long
terme est imprévisible.
CONCLUSION SUR LES TROIS MALEDICTIONS
La conclusion n'est nullement désespérante, mais elle exige une
révision déchirante de notre vision du système éducatif. L'enfance
et l'adolescence ne peuvent plus être la période pendant laquelle on
engrange les connaissances qui serviront pour le reste de la vie,
mais seulement le temps où l'on "apprend à apprendre". Ce que l'on
doit savoir s'acquerra tout au long de la vie. Il faut revenir au
vieux concept de nos ancêtres où Vie et Education forment un
"continuum" depuis la naissance jusqu'à la mort.
(33)
LA REFORME DE LA PENSEE SUR L'EDUCATION DOIT PRECEDER LA REFONTE DES
SYSTEMES D'EDUCATION
Cette refonte résulte de ce qui vient d'être dit.
1. Programmes et structures d'enseignement doivent être basés sur
l'objectif "apprendre à apprendre".
2. . On ne saura jamais tout. Il faut donc "apprendre à ne pas
savoir", c'est-à-dire apprendre à savoir demander leurs
connaissances à ceux qui en ont le besoin.
Il y a donc une priorité qui s'impose : "développer les aptitudes à
la communication", notamment dans la profession, entre les
différents "spécialistes" et dans la communication intra-européenne
par la bonne maîtrise d'au moins deux langues étrangères.
3. Organiser l'acquisition permanente des connaissances par des
formations post-scolaires et post-universitaires :
. chez soi, pendant les périodes de loisirs,
. au travail, pendant la formation permanente
systématique de toutes les catégories de personnels.
En conclusion, il faut procéder à une repensée fondamentale du
système éducatif dans ses valeurs beaucoup plus que dans ses
programmes et aller jusqu'au bout de cette repensée, ce qui appelle
l'abolition de toutes classifications :
. il n'y a plus un temps à l'école et un temps au travail
mais un continuum;
. il n'y a plus des "enseignants" et des "apprenants" mais
un apprentissage réciproque par échanges communicatifs de
compétences;
. il n'y a plus de "diplômés" ayant acquis des droits défini
tifs mais des "autodidactes" en constant perfectionnement;
(34)
. il n'y a plus de "disciplines nobles" et de "disciplines
mineures" mais une priorité à "l'interdisciplinarité"
par le travail en équipe".
DES ACTIONS COMPLEMENTAIRES ET CONVERGENTES DE LA FAMILLE. L'ECOLE
ET LES MEDIAS
Parler d'éducation telle qu'elle existe au Nord et au Sud, à l'Est
et à l'Ouest apparaît comme un véritable défi tant semblent
considérables les variations existantes entre les situations, les
cultures, les sociétés, les économies environnantes.
Sans prétendre rendre compte de la totalité du problème, les
participants au Colloque de Royaumont, quelquefois à leur surprise,
se sont sentis proches les uns des autres dans leurs observations
critiques comme dans leur souhait de voir évoluer le concept
d'éducation vers une définition plus conforme aux besoins du monde
moderne et à la communication des valeurs éthiques.
Comme nous l'avons rappelé dans l'introduction, la confrontation des
humanismes, et quelquefois leur dialogue, dans un monde où
l'information ne cesse d'imprégner les sociétés et les esprits,
provoque des ruptures ou des évolutions, des rapprochements,
auxquels les systèmes éducatifs n'échappent pas.
L'apprentissage nécessaire au sein de la société moderne exige
beaucoup plus que dans le passé des connaissances profondes plutôt
que des règles et des normes.
Il faut observer que dans une société ouverte, tous les aspects et
les points de repère du système social ont de 1'influence sur
l'éducation, avec un rôle déterminé par le type de relation et par
les "feed-back" que ces aspects ont avec l'éducation ou plutôt avec
les éduqués. Il est donc difficile, pour ne pas dire impossible,
d'indiquer des rôles généraux (parce qu'il sont surtout spécifiques
des individus et des groupes) . On peut toutefois dire que, tandis
que la famille représente l'aspect des relations avec les personnes
que l'on aime, que l'on connaît le mieux, qui assurent, protègent et
(35)
donnent des garanties d'amour et de ressources, l'école représente
surtout un instrument de socialisation et de transfert de
connaissances codifiées, et les mass média l'ouverture vers le monde
(vu comme un système politique, économique et social - la culture et
le sport donnent un exemple - aussi bien que dans son acception plus
ample d'univers).
L'incertitude, l'insécurité, le manque de compréhension,
l'insuffisance dans le développement humain, l'incapacité à
structurer l'éducation dans une direction qui permette de mieux
répondre aux besoins d'égalité, l'absence de conscience de la
nécessité de cultiver une vie intérieure ont fait de l'éducation un
instrument pur et simple de "réussite de la vie" au sens le pire du
terme. C'est là que naissent individuellement et collectivement les
aliénations, les frustrations, les colères et les tourments.
"Je ne vois aucune objection à ce que l'éducation enseigne aux gens
une variété de façons de s'adapter à l'incertitude qui caractérise
le monde moderne. Au contraire, j'ai plutôt tendance à critiquer les
insuffisances de l'éducation dans ce domaine. C'est pourquoi
l'élargissement des connaissance devient une condition encore
essentielle de cette adaptation" (1) •.
"Si une éducation dispensée en vue de l'acquisition d'une compétence
et d'une culture (2) rend les individus capables de maîtriser les
vicissitudes de la vie de manière à ce qu'eux-mêmes et les autres en
éprouvent de la satisfaction ou soient heureux, une telle éducation
atteint certainement son but. Mais on peut toujours s'interroger sur
les dimensions de la sphère communautaire à envisager dans chaque
cas : la famille (qui peut être menacée par le divorce), la commune
(qui peut être menacée par la recherche du profit, par exemple la
création de complexes de loisirs), l'Etat (qui peut être menacé par
des partis en proie à l'idéologie) ou encore l'économie mondiale
(1) D. FREI
(2) G. VON KORZFLEISCH
(36)
(qui peut être menacée par des répartitions inégales imposées par
des systèmes économiques et politiques) .
"Garder le traditionnel en éliminant le superflu (1) pour faire
place aux valeurs innovatrices. La cellule familiale, le système
scolaire, les media ont chacun un rôle essentiel dans l'éducation,
mais il faudrait qu'ils suivent une même ligne de pensée et de
conduite".
On constate actuellement un éclatement de la cellule familiale qui
n'a plus autant d'emprise sur l'éducation de l'enfant. Cette
situation est due à notre système social dans lequel de plus en plus
de mères travaillent à l'extérieur. Ce travail professionnel est
leur première occupation au détriment du travail d'éducation des
enfants. Dans ce cas, l'enfant n'a plus d'image parentale à imiter
ou à viser, puisqu'il est soit laissé à lui-même, soit à des
personnes étrangères au noyau familial, soit à l'école où le maître
ne peut dispenser une éducation individuelle s'adaptant à chaque
situation familiale.
L'éducation par la famille ne doit en aucun cas aller à 1'encontre
de l'éducation dispensée à l'école. Il y a nécessité d'une
collaboration et d'un dialogue entre enseignants et parents qui ne
doivent pas démissionner de leurs responsabilités.
"Les media (2) ont une très grande responsabilité, pareille à leurs
possibilités. Presque tout reste à faire dans ce domaine qui, pour
les enfants, est source d'agressivité et de consumérisme, dans les
pays "libres". Dans les autres, 1'endoctrination a aussi envahi les
media qui sont à l'origine de la désinformation et de la déformation
politique aussi bien que morale".
Les média ont leur rôle à jouer. Ils ne doivent pas seulement
distraire, mais aussi enseigner à l'enfant d'une manière attractive
(1) H. THIEMANN
(2) F.MAYOR (37)
(films concernant d'autres cultures, géographie, histoire,
mathématique moderne sous forme visuelle, connaissance de notre
corps et médecins, etc...)- E n résumé, les trois facteurs (famille,
école,media) se complètent en ouvrant les yeux de l'enfant face aux
responsabilités et valeurs nouvelles qui l'entourent. Le monde est
en mutation, l'éducation doit l'être aussi, avec le but de former
des êtres créateurs.
L'USAGE DES OUTILS NOUVEAUX
Les outils nouveaux de la communication - électronique,
télécommunication, informatique - semblent faire peur. Or ils se
placent en parfaite continuité historique avec ce qu'ont toujours
souhaité les hommes. Nos ancêtres se sont toujours appliqués à
saisir, transmettre, traiter, convertir, mémoriser l'information.
Dans ce but, ils ont inventé successivement, en quelques dizaines de
millénaires, le langage articulé, puis en environ deux millénaires,
l'écriture. L'imprimerie a pris deux à trois siècles pour donner son
plein effet. Les technologies de l'information explosent en moins de
deux générations. Elles sont beaucoup plus puissantes, des millions
de fois, en capacité et en vitesse de traitement et en possibilités
de mémorisation.
ACQUERIR LA FAMILIARITE
Il ne semble pas qu'ils s'agisse pour la plupart des hommes
d'aujourd'hui, de savoir ce qui se passe dans la boite noire des
ordinateurs, pas plus qu'il n'est nécessaire de savoir comment on
imprime un livre, mais il est indispensable que les nouvelles
générations acquièrent la familiarité d'usage :
. avec les claviers d'ordinateurs,
. avec les terminaux de banques de données,
. avec l'accès aux systèmes experts,
(38)
. avec les nouveaux moyens de télécommunications (messagerie
électronique, téléconférences, télécopie, traitement
des images...)
Par familiarité d'usage, nous entendons la même capacité que l'on
acquiert d'utiliser une bicyclette et même d'y faire des acrobaties,
sans rien savoir des lois de l'équilibre dynamique, ou encore, la
même capacité que celle qui conduit à utiliser sa langue maternelle,
sans nécessairement en avoir appris les lois de la syntaxe et
l'origine de la sémantique.
Bien entendu, cela suppose que l'on dispose d'une gamme
d'instruments parfaitement adaptés à leurs usages dans les
conditions locales et régionales.
DEVELOPPER LE PROFESSIONNALISME
Bien entendu, pour certaines catégories de personnels, la
familiarité ne suffit pas et des enseignements spécialisés,
constamment renouvelés à cause de la vitesse d'évolution des
techniques, devront donner un haut degré de professionnalisme (aux
spécialistes T.J. et aussi à certains spécialistes de leurs
applications, notamment la CAO, la FAO et la construction des
Banques de Données et des Systèmes Experts).
DEVELOPPER L'INTERACTION TECHNOLOGIES NOUVELLES-PEDAGOGIE ANCIENNE
Les méthodes pédagogiques confirmées par l'expérience doivent
s'enrichir des ressources procurées par les technologies nouvelles,
notamment en matière de modélisation, d'usage des Systèmes Experts,
d'aide à l'enseignement par ordinateurs (EAO), de dictaticiles, de
combinaisons "audio-visuel-ordinateur", d'usage des réservoirs de
savoirs (Banques de Données).
En tout cela, les espoirs sont grands, l'expérience est faible.
(39)
Il faut progresser par croisements d'expériences, échanges de
résultats, chantiers d'expérimentation et entraînement du corps
enseignant.
C'est une véritable révolution dans le concept d'éducation qui nous
est aujourd'hui imposée par les nouvelles missions qui lui
reviennent.
Les participants au Colloque de Royaumont se sont mis d'accord dans
la déclaration finale qu'ils ont publiée sur un certain nombre
d'affirmations et d'interrogations qui viennent conclure ce
chapitre sans prétendre couvrir l'ensemble des problèmes posés.
Traditionnellement, l'éducation désignait essentiellement la
fonction d'enseigner. Aujourd'hui, et demain encore bien davantage,
le terme d'éducation va définir le processus permanent d'acquisition
des connaissances et d'apprentissage de chaque être humain dans son
milieu.
Cet apprentissage commence dès l'enfance où le petit d'homme agit,
participe, expérimente, observe sans être passif. Dès l'enfance,
l'homme apprend à devenir acteur et non spectateur. C'est dans cette
relation d'acteur avec son environnement humain naturel et matériel,
et dans cette relation seulement, que vont se développer et
s'épanouir sa liberté, son autonomie, sa personnalité, sa
créativité. Encore convient-il de rappeler que le fait d'être acteur
n'entraîne pas l'abolition des règles ou le refus des contraintes.
L'éducation comporte désormais vis-à-vis de chaque être humain de
multiples missions qui balisent et orientent ce processus
d'apprentissage vers le futur immédiat avec pour objectifs :
. acquérir les connaissances ;
. structurer l'intelligence et développer les facultés
critiques ;
. apprendre à se connaître soi-même avec ses dons et ses
limites ;
. apprendre à maîtriser ses pulsions et ses comportements
destructeurs ;
(40)
. éveiller en permanence les capacités personnelles de
créativité et d'imagination ;
. apprendre à participer de façon responsable à la vie de la
société ;
. apprendre à communiquer avec les autres ;
. aider à s'adapter et à se préparer au changement ;
. donner à chacun la possibilité d'aquérir une vision globale du monde.
L'éducation doit devenir de façon consciente et affirmée un
processus permanent qui prend sa source dans la vie familiale,
s'appuie sur des systèmes scolaires plus ou moins adaptés, se
poursuit dans le cadre de la vie professionnelle, des loisirs, de la
participation à des communautés religieuses ou des groupes
associatifs, à la vie syndicale et politique et peut se prolonger
après la retraite dans des activités personnelles ou altruistes.
Plus concrètement, cette conception nouvelle et plus large de
l'éducation conduit à nombre de questions qu'il conviendrait
d'étudier, car il n'existe pas, pour le moment, de données qui
justifieraient telle ou telle recommandation particulière.
A titre d'exemple :
A quel point la mère joue-t-elle un rôle essentiel dans
l'épanouissement affectif et psychologique d'un enfant, tant pendant
la période de gestation que lors de la première enfance ? Ce rôle
peut-il être particulièrement délégué à des organisations et à des
structures d'aide sociale ? Quelle fraction de ce rôle demeure
strictement personnel ? Si ce rôle est reconnu comme une vraie
valeur, en quoi peut-il modifier la place des femmes dans la société
telle qu'elle est conçue aujourd'hui ?
Comment introduire des actions de concentration et de
coopération en matière d'éducation entre enseignants, parents
d'élèves, média, afin de mettre sur pied un système symbiotique ?
comment la famille et l'école peuvent-elles utiliser les media,
particulièrement la télévision ? Il ne suffit pas de dire que la
(41)
télévision exerce souvent dans les foyers une influence abrutissante
et destructive, promeut des contre-valeurs telles que la violence
gratuite, le pouvoir de l'argent, la pornographie et la marginalité
de toutes sortes. Familles et systèmes éducatifs doivent prendre des
initiatives en vue d'une utilisation positive de la télévision dans
le sens des valeurs.
(42)
CHAPITRE IV
ESSAI EN VUE DE DEFINIR CE QUE SONT LES VALEURS ETHIQUES
"La notion de valeur peut se situer aux deux extrêmes (1) : on parle
de valeurs économiques basées sur des produits, des richesses, des
prix, des choses très concrètes. Dans un autre contexte, le terme
valeur revêt une signification abstraite, un aspect intangible, non
mesurable, : liberté, paix, justice, équité, révèlent de ces valeurs
de l'esprit. Un système de valeurs est un groupe de valeurs
interconnectées qui forment un système et se soutiennent les unes
les autres. Elles puissent leur source dans les religions ou les
humanismes. Pour être précis, il est nécessaire de bien faire la
distinction entre les valeurs et les moyens de les atteindre.
Souvent, il n'y a pas de désaccord sur les buts éthiques mais des
divergences sur les règles de conduite...Vous ne pouvez fermer vos
frontières culturelles, car les transports, le tourisme, les mass
media sont là. C'est ainsi que dans une même société, vous trouverez
désormais plusieurs systèmes de valeurs qui coexistent, mais non
pacifiquement".
Peut-on arriver à une définition globale universelle, acceptable du
terme : valeurs éthiques ?
Le dictionnaire suggère que son sens exprime ce qui est vrai, beau,
bien, selon un jugement personnel plus ou moins en accord avec celui
de la société de l'époque. Par l'aspect "personnel" qu'elle suppose,
cette définition est la source d'inévitables clivages. Il en serait
d'ailleurs de même pour toute autre qui viendrait la corriger ou la
(1) S.E. IBRAHIM (43)
contredire. En effet, dès que l'on touche à la notion d'éthique,
c'est toute la conception de l'homme et de sa relation avec la
société qui se trouvent en jeu. Nous savons combien les cultures
diffèrent les unes des autres, non seulement dans leur
représentation du couple personne-collectivité, mais aussi dans leur
façon de le vivre.
"N'oublions pas que le contexte détermine les valeurs (1) . Il n'y a
pas de valeurs absolues. Le Sri Lanka est une île, mais nous
importons notre poisson, car pêcher est très mal vu dans une société
comme la nôtre imprégnée de bouddhisme".
"Les visions (2) diffèrent si radicalement... Dans la vision
méditerranéenne, l'homme est fait pour conquérir le monde. En Inde,
l'homme apprend à respecter la nature comme une mère et à vivre avec
elle. On appartient à la nature, on joue avec elle, on lui voue un
culte".
L'extrême valorisation accordée à l'individu, à l'homme-personne,
dans le cadre occidental diverge à 180° de la vision orientale.
Cette dernière reconnaît la primauté de la communauté, l'Umma
islamique par exemple. La personne n'existe d'abord que par rapport
au groupe, comme membre d'un ensemble.
Cependant les progrès accomplis par la biologie plaident en faveur
du caractère unique de chaque homme et cette idée imposée par la
science fait son chemin :
"Après Bergson, Teilhard de Chardin, Prigogine (3) , il faut
réaffirmer hautement le caractère unique de chaque être humain. Rien
n'est biologiquement déterminé. Nous sommes uniques et devons agir
selon ce que nous décidons. La souveraineté est un attribut de la
personne avant d'être celui d'une nation ou d'une organisation. Il
(1) Ch. SOYSA
(2) V. PARTHASWARATHI
(3) F. MAYOR
(44)
faut donner à chaque homme la capacité de décider, lui restituer sa
liberté de décision. S'il n'y a pas de déterminisme biologique, il
faut par contre reconnaître le déterminisme culturel : l'histoire
que nous enseignons est celle de nos conflits, de nos jeux de
pouvoir, de nos conquêtes, pas tellement celle de nos progrès, de
nos efforts pour savoir plus".
Nous nous limiterons volontairement aux pratiques qu'inspirent ces
visions apparemment contradictoires mais qui tendent à se
rapprocher. En effet, que les valeurs éthiques soient d'abord
individuelles avant de conduire les sociétés, ou qu'elles trouvent
leur source dans l'organisation sociale avant de s'imposer aux
personnes, il faut reconnaître qu'elles se situent à ces deux
niveaux et que, si les mouvements se font en sens inverse, cela ne
s'oppose pas, en principe, à toute convergence des exigences qui en
résultent. C'est ainsi que les libertés individuelles et les
libertés collectives semblent liées entre elles par une interaction
permanente, sans qu'il soit vraiment utile, ni toujours possible
d'en analyser les origines.
Il est un second débat fondamental qui ne peut être ni évacué, ni
résolu, mais qui ne cessera de nous accompagner tout au long de
cette réflexion et qui rejoint, bien entendu, les grandes questions
qui portent sur la conception de l'homme.
Des savants reconnaissent que "la connaissance scientifique (1)
demeure tout à fait inapte à répondre à nos besoins profonds de
transcendance". D'autres vont plus loin et considèrent que "le sacré
(2) est un élément dans la structure de la conscience et non pas un
stade dans l'histoire de cette conscience". Ainsi la présence de
Dieu ou son absence dans la vie des hommes, la reconnaissance ou non
de la primauté des valeurs spirituelles par rapport aux valeurs
morales inspirent des courants irréductibles dans les applications,
au moins en apparence. Mais sont-ils irréductibles et n'y a-t-il pas
(1) Jean HAMBURGER ( La Raison et la Passion)
(2) Mircea ELIADE (45)
des valeurs morales qui, pour certains, puisent leurs sources dans
le sacré, dans une religion, tandis que pour d'autres ces mêmes
valeurs trouvent leurs origines en l'homme lui-même ? Pour aider
notre réflexion, puisons dans les remarques diverses et parfois
divergentes de personnalités que le Club de Rome a consultées sur
cette question et qui apportent leur définition de ce que sont les
valeurs ou leurs points de vue sur le rôle de ces valeurs.
"Une prise de conscience croissante (1) se fait jour dans la jeune
génération (18-30 ans) , à la fois dans les pays industrialisés et
dans les pays en voie de développement, des grands problèmes du
monde tels que les inégalités entre pays et à l'intérieur de chaque
pays, les menaces pesant sur l'environnement ou sur une vie
paisible. Cependant des jeunes appartenant à la même génération font
l'expérience de leur incapacité à exercer leur influence sur les
problèmes. Discussions et décisions se font au dessus, à côté d'eux,
en dehors d'eux. D'autres appartenant à cette même génération,
spécialement dans le Tiers-Monde, sentent la colère monter en eux
contre les pays industrialisés et leurs habitants. Tout se produit
en même temps et avec de bonne raisons : quel rapport existe-t-il
entre ces comportements, les raisons qui inspirent ces comportements
et les valeurs éthiques ?"
Les préoccupations matérialistes, qui dictent aux leaders politiques
et aux décideurs de toute idéologie leurs décisions, conduisent à
une impasse. Le besoin qui se fait sentir est celui d'une
revitalisation de la prise de conscience de la dimension morale à la
fois de nos problèmes et de leurs solutions.
Cette recherche doit associer des scientifiques, des spécialistes en
sciences sociales et des artistes d'une façon multidisciplinaire.
Mais il est aussi important d'y impliquer des philosophes et des
hommes de spiritualité. Ce qui importe est de favoriser la
résurgence de la philosophie morale qui a été tellement érodée par
l'évolution de la philosophie moderne et de la science.
(1) Eleonora MASINI (46)
Le sens des valeurs et l'engagement éthique que l'avenir réclame de
chacun d'entre nous et de nous tous pourrait bien provenir de la
revitalisation des. dimensions morales de l'existence humaine et de
notre prise de conscience de la signification transcendante" de cette
existence et de toutes ses implications morales. Cette recherche
suppose une rencontre, un dialogue entre quantité de cultures et de
concepts religieux : ce n'est pas une tâche facile"(1)
"La question fondamentale (2) est celle de l'origine ou de la raison
d'être des valeurs éthiques. Je pense que quelle que soit l'origine
directe, mythique, religieuse, caractère arbitraire, etc.. la
raison d'être des valeurs éthiques ne peut être trouvée que dans la
réponse à la question : comment servent-elles les besoins des êtres
humains vivant en société dans des conditions déterminées par
l'environnement mondial naturel et par des exemples vivants produits
par l'histoire? Dans cette hypothèse, les facteurs qui déterminent
les modifications dans les valeurs éthiques devraient être
recherchés principalement dans les changements qui affectent
l'environnement de l'humanité".
"La sagesse des religions (3) ne réside pas tellement dans la
création de nouvelles règles morales que dans la reprise de celles
déjà existantes en les sanctifiant. Cela a représenté une façon
intelligente de prendre en compte l'expérience morale acquise
empiriquement et la société moderne devrait suivre cet exemple".
En conclusion, on peut considérer avec Donald Michael que "nous ne
savons pas ce que ces valeurs sont en tant que systèmes de valeurs.
Il n'est pas certain qu'on puisse établir un ensemble consistant et
obtenir un accord sur cet ensemble".
(1) SOEDJATMOKO (Recteur de l'Université des Nations Unies)
(2) J. PAJETSKA
(3) M. GHEORGHIU (Président de l'Académie des Sciences Sociales et Politiques de Roumanie)
(47)
Et cependant, nous, avons la conviction qu'il faut tendre de toutes
nos forces vers une telle recherche. Car. la construction d'un seul
monde ne serait qu'une illusion fragile si les hommes ne
construisaient en même temps le socle des valeurs qui sont la
condition de son harmonie.
(48)
CHAPITRE V
PLACE DES VALEURS ETHIQUES TRADITIONNELLES
Les valeurs traditionnelles sont-elles désormais oubliées ? ou
sont-elles devenues incapables de répondre aux interrogations des
hommes d'aujourd'hui pris dans cette vaste mutation planétaire ?
"Nous avons besoin d'un système de valeurs (1) qui corresponde à un
monde systémique, et capable de s'ouvrir à un avenir systémique.
Mais agir en fonction de telles valeurs signifie renoncer à d'autres
valeurs. Et quelles sont les valeurs qui vont convaincre les gens
d'abandonner ce à quoi ils attachent du prix maintenant ?"
"D'abord quelles valeurs éthiques ?" (2) Quelles sont les valeurs
"traditionnelles" par rapport aux "valeurs d'avenir" ? Les valeurs
ne changent pas, c'est leur champ d'application "physique" qui
s'élargit. Certains problèmes, tel que celui des manipulations
génétiques, sont nouveaux, mais pas l'approche éthique. La ténacité,
la responsabilité, le courage, la véracité, la solidarité, la
justice... sont des valeurs permanentes, capables de faire face
aujourd'hui, dans le cadre d'une problématique plus vaste, plus
complexe, à toute situation. Les valeurs modulent les attitudes, la
volonté de faire face aux défis, la fermeté morale pour y répondre".
(1) D. MICHAEL
(2) F. MAYOR (49)
"Les relations (1) entre les systèmes de valeurs antérieurs
(traditionnels) et postérieurs (modernes) sont toujours caractéri
sées par le fait que les systèmes les plus anciens ne disparaissent
jamais tout à fait, mais se trouvent intégrés dans les systèmes les
plus récents. Ainsi, les valeurs éthiques fondamentales gardent leur
importance dans toutes les situations, parce que sans ces valeurs,
la vie en commun et, partant, la survie, serait inconcevable".
"L'équilibre (2) entre humanité et environnement physique est soumis
à une vive tension. Pour éviter les dangers d'une éruption, il faut
changer les modèles de comportement humains dans deux domaines
principaux : celui des relations de l'humanité avec son environ
nement et celui des relations entre les hommes".
"Une partie considérable des valeurs éthiques (3) traditionnelles
reste valable de nos jours, même sous des formes différentes à cause
du changement des conditions de référence. La société actuelle est,
presque partout, plus ouverte et plus riche ou, en tout cas, elle
aspire au bien-être diffusé. Elle est aussi plus informée. Ainsi, à
titre d'exemple, la solidarité passe d'une conception familiale ou
même tribale à une conception beaucoup plus vaste, tandis que
l'aspect strictement tribal peut carrément être perçu comme
négatif".
"A cette fin, des valeurs éthiques pertinentes (4) peuvent être
définies et acceptées; on distingue les valeurs permanentes de
celles qui sont nouvelles. Parmi les valeurs permanentes, je
suggérerais la liberté, l'amitié, la vie familiale, la loyauté à
l'égard de son pays, la recherche de la vérité, le respect de la
vie, la paix.
(1) G. VON KORZFLEISH
(2) J. PAJESTKA
(3) U. COLOMBO
(4) R. DIEZ-HOCHLEITNER
(50)
Parmi les nouvelles valeurs, je proposerais la démocratie, la
compétence professionnelle, le progrès technologique, le respect de
la nature, l'innovation, l'anticipation, la tolérance, la
solidarité."
Les avis diffèrent sur valeurs traditionnelles et valeurs nouvelles.
Mais un assez large consensus semble se dégager pour affirmer que la
plupart des valeurs traditionnelles n'ont pas perdu leur
signification. Mais la forme sous laquelle elles sont exprimées
semble les frapper d'obsolescence par rapport aux sensibilités
d'aujourd'hui. Il est certainement nécessaire de les repenser en
termes contemporains pour qu'elles deviennent des valeurs
renouvelées, sinon nouvelles, et des valeurs de référence.
(51)
CHAPITRE VI
NOTRE EPOQUE EST-ELLE EN TRAIN D'INVENTER DE NOUVELLES VALEURS
UNIVERSELLES ?
"Certains (1) pensent qu'il s'agit des mêmes valeurs, mais qui
s'appliquent à un monde plus global, plus dynamique. C'est alors la
portée des valeurs qui change et non les valeurs elles-mêmes._Pour
d'autres (2) , "nous assistons à la naissance d'un nouvel ordre de
valeurs universelles, puisque - en raison de la réduction de toutes
les distances de communication - les valeurs éthiques fondamentales
prônées par les grandes religions mondiales sont pratiquement
identiques. Cela constitue non pas un plus petit dénominateur
commun, mais une large base de traits communs, dont les
interprétations divergent cependant beaucoup."
"Nouvelles valeurs" (3) : droit à la dignité humaine, droit au
travail, droit à la libre expression, droit à la nourriture, droit à
la propriété acquise par le travail, paix, environnement, refus de
la passivité, les libertés.
"Nous assistons à l'émergence de valeurs universelles, mais surtout
parmi des élites qui s'alimentent les unes les autres. Les "valeurs"
(1) F. MAYOR
(2) G. VON KORZFLEISCH
(3) H. THIEMANN (52)
ne font pas partie des préoccupations premières des peuples. Il y a
là une distorsion qu'il ne faut pas négliger." (1)
Si la paix semble constituer une valeur prioritaire aux" yeux de
tous, "les conditions qui prévalent dans le monde d'aujourd'hui ont
changé la définition de la paix : non plus l'absence de guerre, mais
la menace de destruction mutuelle garantie. La paix devient quelque
chose de trop fragile. Nous avons besoin d'apprendre à nous adapter
au changement de façon plus humaine, et d'adopter la paix comme une
culture et une façon de vivre, de se comporter, et non comme
l'équilibre de la terreur. Il doit être possible de maintenir la
paix malgré des changements sociaux rapides et leur inévitable
cortège de conflits. Nous avons besoin de rechercher de nouvelles
voies pour surmonter nos différences, pour délimiter et même
ritualiser les conflits. Avec les armes de destruction massive que
nous possédons aujourd'hui et placés comme nous le sommes dans un
maillage de plus en plus serré d'interdépendance, la paix est
indispensable à la survie de la humanité." (2)
"Notre conception trop anthropocentrique de l'univers nous a conduit
à ne reconnaître aux autres créatures vivantes qu'une valeur
instrumentale. Le monde occidental a dans ce domaine beaucoup à
apprendre des traditions africaines et asiatiques". (3)
"Plutôt que de nouvelles valeurs, il s'agit d'une évolution des
valeurs traditionnelles. En ce contexte, la "culture du changement"
gagne en importance. L'homme, tout en conservant le souvenir et les
aspects saillants du passé, tend à placer le problème du changement
et de la diversité toujours davantage au centre de son activité et
de sa pensée, ce qui signifie création, capacité d'intervention,
tolérance, moins de fatalisme. La société de l'incertitude est donc
(1) R. THAPAR
(2) SOEDJATMOKO
(3) CH. BIRCH
(53)
formée par ceux qui consciemment essaient de construire leur
lendemain sans se limiter à le subir." (1)
"Peut-on parler de l'émergence d'un nouvel ordre de valeurs
universelles et, si oui, lesquelles ? Supposez que par valeurs
éthiques, nous comprenions croyance, convictions, ce qui est bon ou
mauvais, approprié ou non... Cela indique que, derrière les valeurs
éthiques, il y a une certaine philosophie de la vie, c'est-à-dire
une façon de comprendre la vie et les relations humaines dont
dérivent les valeurs éthiques : les principaux éléments sont les
suivants :
. les êtres humains ne sont rien d'autre qu'une partie
intégrante de la nature; s'ils la détruisent, il se
détruisent eux mêmes ;
. les êtres humains forment une sorte de famille extensive, ce
qui veut dire que chaque individu a certains devoirs dans ses
relations avec d'autre membres de la famille ;
. les êtres humains peuvent se comporter rationnellement,
c'est-à-dire qu'ils basent leurs activités sur la
connaissance et la raison, ce qui leur permet d'anticiper sur
les effets futurs. La raison peut être appliquée non
seulement à l'individu et au groupe, mais aussi aux problèmes
globaux ;
. Enfin, les êtres humains portent la responsabilité de
l'avenir, étendue à tous les membres de la famille humaine.
La formulation des éléments d'une philosophie de la vie constitue le
point de départ pour réfléchir aux valeurs du futur".(2)
(1) U. COLOMBO
(2) J. PAJESTKA
(54)
Il semble bien que les valeurs traditionnelles réagissent ainsi en
dimension et en qualité devant une double prise de conscience : un
monde divisé mais en train de se construire, et la prise de
conscience que la survie de l'humanité, par exemple, passe a la fois
par la valeur "paix" et par la valeur "protection de
1'environnement".
La prise de conscience de ces nouveaux défis s'élargit à travers les
cultures et les civilisations et les valeurs qui tentent d'y
répondre s'universalisent. Il reste que les valeurs universelles
franchissent les frontières des nations mais plus difficilement les
fossés qui trop souvent séparent les élites et les peuples auxquels
elles appartiennent.
On voit ainsi comme moyen de franchir ces fossés se profiler le rôle
des valeurs éthiques dans l'éducation et le rôle de l'éducation dans
la diffusion des valeurs éthiques.
(55)
CHAPITRE VII
COMMENT PEUVENT COEXISTER DANS LES SOCIETES ET CHEZ LES INDIVIDUS
PLUSIEURS SYSTEMES DE VALEURS, TRADITIONNELLES ET MODERNES,
COLLECTIVES ET INDIVIDUELLES ?
L'émergence de certains valeurs universelles, telles que les Droits
de l'Homme ou le respect de la nature n'entraîne pas pour autant
l'abolition des valeurs ancestrales. A la contradiction qui peuvent
les opposer comme nous l'avons fait remarquer précédemment par
l'exemple de la société indienne, il faut ajouter les antagonismes
qui séparent parfois les valeurs individuelles et collectives ou les
valeurs entre elles.
Comment ne pas souligner, par exemple, le conflit qui oppose la
vente d'armes, source de profits pour un Etat et de travail pour de
nombreux individus, et la volonté de paix de ce même Etat ?
"Il s'impose de bien distinguer le niveau de l'individu et celui de
la collectivité. Le cas de la lutte contre la pollution en
fournirait de bons exemples. En ce sens, les relations
individus-collectivités sont probablement en train d'évoluer". (1)
"La coexistence harmonieuse (2) des valeurs les plus diverses n'est
pas nouvelle. Si on pense à Tolède au Moyen-Age, on s'aperçoit d'une
(1) P. PIGANIOL
(2) F. MAYOR (56)
convivialité parfaite entre des civilisations très diverses, avec,
bien entendu, de remarquables similitudes dans beaucoup de valeurs
essentielles. C'est plutôt l'interprétation du poids relatif des
valeurs qui change, selon le cadre idéologique ou religieux, selon
l'époque. Chaque personne étant biologiquement et
socio-culturellement unique, c'est sur l'aspect individuel qu'il
faut mettre l'accent. Les valeurs "collectives" sont très souvent le
résultat du choix fait - ou encore pire, imposé - par ceux qui
détiennent le pouvoir. Les valeurs "collectives" ne peuvent être
prises en considération que dans un cadre de vraie liberté,
accompagnée d'un haut niveau culturel".
Les élites trouvent facilement à s'entendre, même si des
controverses les opposent superficiellement. Les peuples, eux, ne
sont pas impliqués, mais objets, lors des débats de ce type. Le
fossé entre la réflexion des élites et la réflexion au niveau
populaire est considérable. C'est là que se situent des distorsions
et des tensions difficiles ou même impossibles à surmonter (1) ".
"Des transformations et des contradictions dans les ordres de
valeurs revêtent un caractère dramatique pour les individus et les
collectivités lorsqu'elle sont exagérées par l'agitation, dans le
but d'éveiller des émotions nécessaires pour atteindre des buts
politiques. Dans ce cas, les émotions servent à déclencher et à
rendre possible un comportement irrationnel ou immoral, donc
humain".(2)
"Comment réconcilier des systèmes de valeurs qui coexistent et sont
contradictoires ? Nous ne devrions pas y attacher trop d'importance
car les systèmes de valeurs n'agissent pas comme des systèmes
logiques. Les esprits humains ont la capacité d'absorber des
systèmes qui contiennent à la fois des éléments traditionnels et
d'autres qui relèvent d'aspects modernes et futurs, aussi bien que
des critères individuels et collectifs. Sans cette capacité, les
(1) R. THAPAR
(2) G. VON KORZFLEISCH (57)
êtres humains ne survivraient pas. En considérant l'émergence de
nouveaux systèmes de valeurs, il faut poser des questions
importantes :
. comment développer le concept de rationalité globale comme
une idée directrice de la philosophie de la vie ?
. comment développer la compréhension de ce fait que toute
l'espèce humaine ne constitue qu'une seule famille ?
. comment accroître le sens de la responsabilité à l'égard de
l'avenir ?".(1)
On peut conclure avec Umberto COLOMBO en observant que l'aspect
important et intéressant est la coexistence effective de plusieurs
systèmes de valeurs, même si parfois elle est accompagnée de
contrastes et de méfiance. D'ailleurs, plutôt que de la coexistence
de systèmes contradictoires, il s'agit de la coexistence de mêmes
valeurs, lues en langages différents. Tout compte fait, l'instrument
qui permet la coexistence, le pluralisme des interprétations, la
société de l'incertitude, est la capacité de dialogue.
(1) J. PÀJESTKA
(58)
CHAPITRE VIII
COMMENT COMMUNIQUER LES VALEURS ETHIQUES AFIN QU'ELLES INSPIRENT LES
COMPORTEMENTS DES INDIVIDUS. DES GROUPES ET DES SOCIETES ?
DE L'EDUCATION D'AUJOURD'HUI A L'APPRENTISSAGE DU MONDE DE DEMAIN
"Fais ce que je dis, ne fais pas ce que fais". Les parents de jeunes
enfants ou d'adolescents savent à quel point la valeur du témoignage
est décisive en matière de comportement. Les jeunes sont imbattables
et impitoyables pour discerner chez leurs parents comme chez les
enseignants le moindre flottement entre le beau discours moral dont
on leur rabat les oreilles et des modes de vie qui sont en pleine
contradiction avec ces beaux discours.
Communiquer des valeurs devient ainsi une des missions fondamentales
de l'éducation dans toutes les acceptions de ce terme : de
l'éducation telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui par le canal des
systèmes traditionnels à l'apprentissage continu tel qu'il devrait
s'imposer dans l'avenir.
"L'éducation pour inculquer des valeurs conformes aux normes
authentiquement démocratiques de la vie en société" réclame un
apprentissage profond des questions essentielles pour
l'épanouissement humain, des droits et devoirs, des responsabilités
à assumer, des activités visant au bien-être social à entreprendre.
L'éducation, en général, doit être dépourvue de références abusives
aux conflits et doit montrer la beauté immense de la bataille
quotidienne que l'humanité a menée pendant des siècles, tout en
soulignant le rôle des grands créateurs et non pas tellement celui
(59)
des hommes au pouvoir. L'éducation doit se personnaliser autant que
possible, de façon à développer les potentialités intellectuelles et
créatrices de l'enfant, lui faire connaître les "langages de base"
(de l'expression de la pensée maternelle, nationale, étrangère, de
la biologie, de la chimie, de la physique...) et lui fournir
finalement des connaissances spécialisées, mises à jour.
"L'éducation désormais permanente (1) doit préparer pour participer:
on est citoyen, on existe du point de vue social, dans la mesure où
on participe. Bref, l'éducation doit aider à bien "apprendre à
être", dans le cadre conceptuel d'un monde immense mais limité ("The
Limits to Growth") (2) ) avec une capacité humaine infinie ("No
Limits to Learning") (3)
"Les créateurs d'éthiques fondamentales jouent le rôle de modèles et
ainsi d'éducateurs.Des éthiques (ou des morales) moins fondamentales
sont divulguées par des publications facilement assimilables, qui
répondent à l'esprit de l'époque et sont, pour cette raison, plus ou
moins discutées par un grand nombre d'individus. Le contenu de
telles publications influence les attitudes par l'internationalisa
tion des énoncés en vue de l'évaluation éthique ou morale de proces
sus, d'états, de développements, etc.. "(4)
"Il faut former les enseignants (5) et les parents dans une nouvelle
forme de pensée. L'éducation ne consiste pas seulement à apprendre
de nouvelles notions, mais aussi à apprendre à réfléchir d'une façon
logique. Or la logique est commune à toute intelligence humaine,
c'est la valeur principale sur laquelle doit se baser une éducation
universelle qui englobe aussi des sentiments, par exemple amour et
respect du prochain. Une autre valeur d'éducation doit être
(1) F. MAYOR
(2) Halte à la Croissance, Rapport au Club de Rome
(3) No Limits to Learning, Rapport au Club de Rome
(4) G. VON KORZFLEISCH
(5) H. THIEMANN
(60)
développée, c'est l'émulation. Il ne suffit pas seulement
d'apprendre, tout le monde le peut, il faut mettre l'enfant en face
de situations, de. cas pratiques où sa capacité d'adaptation et
d'émulation est mise à l'épreuve."
"Des vues globales (1) au sens strict du terme ne sont pas d'abord
question de valeurs mais de connaissance. Cependant l'éducation
devrait mettre l'accent sur les aspects cognitifs du globalisme. En
d'autres termes, l'éducation devrait s'efforcer de changer le cadre
cognitif de la perception du monde. Cela n'implique pas nécessaire
ment de "prêcher" des valeurs globales. La montée d'une conscience
globale est plutôt une conséquence d'un déplacement d'accent. Il va
sans dire que l'un des préalables à une telle ouverture est
l'existence d'un flux libre d'information. Comme dans l'Acte final
d'Helsinki de 1975, le problème de la libre circulation de
l'information devrait devenir une norme internationale
contractuelle".
"L'introduction de l'enseignement (2) de l'éthique à tous les
niveaux d'éducation, du jardin d'enfants à la formation permanente
des adultes, est d'une importance cruciale, si nous devons créer la
base d'une meilleure symbiose entre, l'homme et son environnement,
une meilleure relation entre les peuples, entre les sociétés et
l'émergence éventuelle d'un nouvel ordre mondial".
Ceci est particulièrement important, car l'enseignement religieux
dans les écoles a été éliminé ou considérablement réduit,
particulièrement dans les sociétés occidentales. La position de la
famille comme source de principes moraux et éthiques s'est
affaiblie.
En ce qui concerne le contenu d'un tel enseignement, quelques
remarques s'imposent :
(1) D. FREI
(2) B. HAWRYLYSHYN (61)
. les valeurs à enseigner devraient permettre la réconciliation
entre la notion des responsabilités, et des libertés de
l'individu, et la notion de symbiose avec la nature,
d'interdépendance entre les individus et la société; cet
effort de conciliation inclut cependant les contraintes
inévitables qui pèsent sur la relation de l'individu avec la
nature et avec les autres ;
. les valeurs appropriées devraient être tirées de tous les
courants religieux, philosophiques, humanistes, afin que des
gens nourris de culture, de religion et d'humanismes
différents puissent envisager l'harmonie, plutôt que
1'inévitabilité des conflits.
Quelques idées peuvent être ainsi suggérées à titre d'exemple :
les êtres humains sont partie de la création ;
le sentiment des droits, des moyens de satisfaire les
besoins physiques et spirituels de chacun doit être
contrebalancé par le sentiment d'obligation envers
les autres, envers la société, afin que les besoins
des autres puissent aussi être satisfaits ;
la dignité individuelle, le respect de soi-même va de
pair avec la reconnaissance de la dignité des autres
et le respect à leur témoigner. La race humaine est
caractérisée par une incroyable diversité et
hétérogénéité qu'il nous faut accepter, plutôt que
d'en rechercher 1'homogénisation ou la suppression ;
il faut considérer comme naturel le désir de chacun
de s'exprimer, de parvenir à la satisfaction de ses
besoins et à son épanouissement, mais cette attitude
n'est compatible avec les conditions préalables au
fonctionnement de toute société humaine que si nous
reconnaissons l'autodiscipline, la loyauté et le
sens du devoir comme des vertus fondamentales.
Je crois que le défi majeur auquel l'éducation doit faire face dans
ce domaine est aider les individus à ne pas se laisser emprisonner
par leurs pulsions et leurs désirs personnels et de faire place à
(62)
leurs obligations envers les autres, envers la société, envers
1'humanité.
L'ECOLE ET LES VALEURS
J. PAJESTKA insiste de son côté sur un autre aspect essentiel, celui
de l'ensemble des partenaires qui doivent concourrir à la
transmission des valeurs : "le système est supposé remplir des
fonctions qui ont été assumées dans le passé par les religions, la
littérature, les familles, etc..Il semble important d'indiquer que
l'éducation, en tant que système scolaire, ne peut suffire à nourrir
de nouveaux systèmes de valeurs, à moins d'être soutenue par la
littérature, les mass media, les familles, etc.. Les êtres humains
sont éduqués par tout l'environnement humain et non seulement par un
système scolaire. Sommes-nous cependant en mesure d'orienter
l'ensemble de ce système vers un même objectif et développer de
nouvelles valeurs éthiques ? C'est un dilemme crucial".
"Hier et aujourd'hui (1) - au risque de tomber dans la banalité -
les systèmes éducatifs les plus efficaces ont été et sont ceux qui
s'inspirent de la vie quotidienne, de l'acquisition d'expérience, de
la référence précise à ce qui a lieu autour de nous. En ce sens,
dans le bien et dans le mal, les leçons les plus significatives
dérivent justement de ce que font nos semblables"
"La diffusion des valeurs, comme de tout autre sujet, doit
bénéficier des nouveaux systèmes d'éducation (notamment en ce qui
concerne les moyens didactiques). Mais les valeurs ne "s'enseignent"
pas à l'école comme les mathématiques. Les valeurs se forgent par
l'exemple, dans la famille, dans l'école, dans la rue, dans les
media. Ce sont les parents, en collaboration avec les professeurs
les plus directement impliqués dans le design de la stratégie
éducative, et particulièrement pour faire face d'une façon
(1) U. COLOMBO
(63)
appropriée aux circonstances souvent très négatives qui encadrent la
vie collective" (1) .
Les systèmes scolaires traditionnels tentent difficilement
d'accompagner le monde dans sa mutation et de répondre aux
sensibilités nouvelles des jeunes, aussi bien qu'aux besoins sans
cesse en évolution des sociétés. Les tentatives innovatrices
viennent se superposer plus qu'elles ne se substituent aux systèmes
en place qui résistent...C'est ainsi que les stratifications
s'accumulent, mais ce sont évidemment aux enseignants qu'il est
demandé le plus : s'adapter à des tâches nouvelles auxquelles ils
n'ont pas été préparé.
"Des systèmes d'éducation novateurs (2) se caractérisent par le fait
qu'ils divulgent de la façon la plus efficace un savoir nécessaire à
l'acquisition d'une culture. Pour déterminer si de tels systèmes
constituent une amélioration par rapport aux systèmes traditionnels,
il faut se demander s'ils favorisent - au-delà de leur efficacité -
l'acquisition d'une compétence (savoir) ou l'acquisition d'une
culture (éthique). Des systèmes novateurs semblent pouvoir être
décrits en terme de méthodes, permettant aux individus de se rendre
compétents (d'acquérir un savoir) et de se cultiver (d'intérioriser
une morale)".
"Le système traditionnel d'éducation a sa valeur comme base sur
laquelle doit s'adapter un système innovateur d'éducation, plus
souple avec une permissivité contrôlée, afin de ne pas tuer la
créativité chez l'enfant. Un moyen de diffusion consiste dans les
contacts et le dialogue entre école, université et professions. Les
associations professionnelles devraient organiser des rencontres".
Une autre forme de diffusion de ces valeurs innovatrices pourrait
être réalisée par 1'audio-visuel (regardons la fascination des
enfants en face des émission TV)."
(1) F. MAYOR
(2) G. VON KORZFLEISCH
(64)
LA TELEVISION, POUR LE MEILLEUR OU POUR LE PIRE
En effet la télévision se trouve au centre du débat sur l'éducation
et sur la communication des valeurs. L'expansion du phénomène
"télévision" dans le monde conduit à un ensemble d'observations
critiques, mais aussi à la prise en compte d'un phénomène
irréversible, dont la jeunesse ne permet pas encore une analyse
rigoureuse des effets.
"Les fonctions éducatives de la télévision (1) débordent largement
l'utilisation que l'on fait de ce media à l'intérieur des structures
formelles, même s'il ne faut pas sous-estimer son rôle dans ce
domaine. L'attrait que le petit écran exerce sur le public est
immense, irrésistible. Partout où la télévision est apparue, elle
est entrée dans les foyers à une vitesse fulgurante. Dans les pays
développés, la pénétration de la télévision est passée de zéro à
quasiment 100% en une seule décennie. Nulle autre invention ne s'est
propagée aussi loin et aussi vite. Il suffit de regarder ce qui se
passe en ce moment en Chine pour se rendre compte de l'attrait que
présente ce media de communication. Longuement retardé par des
restrictions politiques, le nombre des téléspectateurs de la
télévision chinoise s'est accru de façon impressionnante au cours
des dernières années.
Les Canadiens passent plus de la moitié de leur temps de loisirs à
regarder la télévision - une moyenne de plus de trois heures et
demie par jour... A l'âge de 12 ans les enfants canadiens ont passé
à peu près autant de temps devant le petit écran que sur les bancs
de l'école. Les chiffres sont comparables aux Etats-Unis et une
recherche révélerait certainement des habitudes semblables dans bien
d'autres pays.
La télévision divertit et facilite l'évasion. Elle véhicule sans
aucun doute les valeurs et les contre-valeurs des sociétés dont
elles sont en quelque sorte le miroir. Le succès, l'argent, le sexe,
(1) P. JUNEAU (65)
la société de consommation confirmée par les séquences
publicitaires, la violence et la mort, les guerres, les ingrédients
sont mélangés à des doses diverses. Comment le tout est-il reçu,
digéré, intégré ? Comment se mélangent en chacun les valeurs
héritées et les valeurs étrangères ? Quelles sont celles qui
engendrent des fantasmes durables, sources de ruptures et de
déshérence ? Et quelles sont celles qui conduisent au dépassement de
soi, à l'aventure créatrice ?
Cette même télévision se permet, à ses heures, de diffuser des
programmes d'information scientifique, des documentaires sur les
grandes cultures et les civilisations de l'histoire humaine, des
problèmes de société et peuvent convier les téléspectateurs à la
réflexion, à l'élargissement de leurs connaissances, à la rencontre
de pays et de groupes humains encore inconnus.
La télévision peut ainsi souvent exercer, comme l'ont déclaré les
participants au Colloque de Royaumont une influence abrutissante et
destructive, capable de promouvoir des contre-valeurs telles que la
violence gratuite, le pouvoir de l'argent, la pornographie et les
marginalités de toutes sortes.
Le véritable défi de la télévision, c'est qu'elle mette son pouvoir
d'influence au service des valeurs dans un projet éducatif commun
aux diverses instances concernées.
(66)
CONCLUSION
METTRE EN OEUVRE LES VALEURS ETHIQUES
Nous revenons à l'une de nos questions initiales, jamais résolue
mais qui ne peut rester sans réponse, quelles que soient la
complexité de cette réponse et la multiplicité des réponses.
Comment passer du discours sur les valeurs éthiques au vécu ? Est-il
illusoire de penser qu'aux progrès de la science et de la
technologie, à une meilleure connaissance des conditions de survie
sur la planète, qu'aux expériences accumulées des chocs de
l'Histoire pourrait correspondre un progrès de la sagesse humaine ?
SOEDJATMOKO propose un exemple des possibilités aux innombrables
facettes qu'offre la Révolution de la communication. La réussite du
développement est intimement liée à la capacité d'apprendre d'une
société. Cette capacité peut, bien entendu, être multipliée par
l'aptitude à absorber et à utiliser à bon escient la vaste panoplie
des nouvelles technologies de l'information.
Les outils et les techniques de l'Age de la communication sont des
éléments essentiels du développement vu comme processus
d'apprentissage. Cependant le développement ne se limite pas à
l'acquisition de technologie et à l'accès à des réseaux croissants
de communications. Ces outils, pour constituer des éléments
effectifs de développement, doivent être utilisés avec créativité
dans le cadre intellectuel et culturel revêt une signification pour
les publics qu'ils tentent d'atteindre. Il va sans dire que les
messages véhiculés doivent être eux-même parfaitement adaptés et
accessibles à leurs destinataires. Cela semble évident, mais le
(67)
monopole des chaînes de télévision constitue un des leviers les plus
puissants de l'élite pour se saisir du pouvoir.
Ce qui est vraiment en cause dans le développement, c'est la
libération des énergies des gens qui forment la base de la société.
C'est eux qui sont les réels décideurs. Le petit fermier villageois
pauvre qui décide de couper un arbre de plus pour alimenter son
foyer, le berger qui décide de faire paître ses chèvres sur une
colline déjà pelée, le pêcheur qui décide de garder les poissons
trop petits pour nourrir sa famille, le marchand de légumes en ville
qui décide d'avoir un enfant de plus pour l'aider : voilà quelques
unes des décisions importantes de notre temps qui vont déterminer le
cours du développement et la future santé de notre planète.
Cependant ces petits décideurs individuels sont les gens qui sont en
dangers d'être laissés en arrière par la Révolution de la
Communication, condamnés à prendre leurs décisions sans
connaissances scientifiques, sans information sur les conditions
extérieures qui peuvent les affecter directement, sans voies ni voix
pour exprimer les problèmes qu'ils rencontrent ou les solutions
ingénieuses qu'ils inventent...
Le rôle de la communication et la révolution qu'elle entraîne dans
le domaine de la transmission des idées peuvent changer complètement
la problématique des valeurs éthiques. Encore faut-il y réfléchir et
le vouloir.
Y réfléchir ? Il s'agit là d'une oeuvre collective, d'une recherche
qui associe des hommes et des femmes de tous les pays, de toutes les
disciplines, car c'est un grand projet, un grand dessein qui est en
cause. Le jeu des évidences n'est pas identique pour chacun et il
faut y apporter beaucoup de patience et de tolérance.
L'objectif ne s'impose pas non plus à l'évidence pour tous : la
recherche de la sagesse dans les conditions du monde moderne
n'apparaîtra pas forcément comme une priorité et suscite volontiers
le scepticisme ou l'ironie. Tous sont pourtant conviés à construire
le socle du nouvel humanisme qui permettra aux peuples de demain de
respirer ensemble au même rythme.
(68)
Mais ce souffle ne peut naître des tâtonnements de quelques uns. Les
gouvernements ont leur part de responsabilité dans cette recherche
et c'est eux qui, par leurs décisions et leur volonté politique,
disent s'ils veulent soutenir ou entraver un tel élan.
C'est donc à un vaste mouvement de recherche et de discussion que
les participants du Colloque de Royaumont ont souhaité donner
l'impulsion afin que cette première pierre lancée bien modestement,
tel un silex de la préhistoire, indique une trajectoire et devienne
signe mobilisateur.
(69)
COLLOQUIUM AT ROYAUMONT ABBEY
25-27 June, 1986
THE ROLE OF ETHICAL VALUES IN EDUCATION
The participants in the Royaumont Colloquium, organized by
the Club of Rome at the request of Unesco, expressed the wish that
they could help stimulate thought and wide-ranging debate on the
role of ethical values in education. A preliminary report was
prepared by the Club of Rome which served as a background paper for
the colloquium. The work of the colloquium itself was centered
around the following concerns :
- The fact that the world is changing at a dramatic pace
demands that the role of ethical values be given adequate
importance, especially for education.
- It is necessary to apprehend with greater precision what
the term "education" actually implies for the generations which will
reach adulthood in the 21st century, and also in relation to the
still prevalent traditional concepts of education.
(71)
- Are we witnessing the re-emergence of traditional values
expressed in different forms in the face óf entirely new situations,
or of new and universal values ?
- Starting with this effort at understanding, how can one
conceive of the role of ethical values in education ?
TAKING STOCK OF A CHANGING WORLD
Two different sets of problems must be considered.
Firstly, there are the perennial problems which assume greater
urgency with each passing day while they are subject to widely
diverging interpretations in different quarters. The fundamental
challenge of our time is how to provide a sustainable existence
shelter, means of subsistence and education for a world population
which will reach six billion people within the next fifteen years.
There is also urgency in dealing with a whole series of familiar
problems : reducing inequalities among nations by overcoming factors
of underdevelopment, promoting peace by stopping what appears as the
spiralling arms race and addressing the deep causes of spreading
terrorism and violence, protecting and enhancing the environment so
that coming generations may truly "inherit the earth", upholding
human rights and dignity. These are but a few of the issues at the
core of what we call the global "problématique".
A second group of challenges has emerged only recently,
with even greater implications for the future of our planet. The
(72)
world is entering an unprecedented phase of its evolution. After a
long period of history in which mankind sought above all to extend
its dominion over the earth, today human beings have to face living
together on a shrinking planet in a time of uncertainty, which
however offers unprecedented opportunities due to the progress of
science and technology if adequate guidance is given by ethical
considerations. This awareness is made even more acute by the
constant bombardment of information to which we are subjected
through a tightening grid of communications which instantaneously
flashes images and sounds around the globe. As a result, new
solidarities have been forged between nations and peoples while
rapid scientific and technological changes continue to profoundly
alter cultures and patterns of behavior and deeply impact the lives
of individuals and societies, subjecting mankind to inprecedented
disquiet and unpredictability in an interdependent world. Never
before has the need for unique human values been so imperative. A
universal culture with regional, national and local differentiations
and expressions is beginning to take form while we are as yet unable
to measure the promise or consequences this development may hold for
the future.
Today we are witnessing the emergence of situations
hitherto unknown in the history of mankind. Growing disparities in
the socio-economic levels of development increase tensions and
divisiveness among nations. Reversing this trend requires that
economic and institutional measures be based on greater justice
within the international context, and on shifting ethical values of
brotherhood and solidarity from the narrow national scope to the
far-sigthed global dimension. In the face of unprecedented
developments mankind must continuously adapt the value systems which
(73)
provide it with guidance, and understanding. Face to face with his
creations which he realizes can have disastrous effects of a global
nature, man retreats into uncertainty and disquiet, his conventional
wisdom in disarray. Let us consider these realities for a moment.
For the first time in history, man has the power and capacity
to destroy the planet. He has extended his empire even further to
the very blueprint of life itself : he is now capable of genetically
manipulating his own cells. His perennial dream of unlocking the
secrets of creation has brought him to the edge of mastery over his
own potential : he can either program himself for perfection or
produce monsters. Frozen embryos, ageless living beings, now await
months or even years before they are anonymously implanted in an
unknown uterus, or end up in the garbage. There is no reason why one
day cloning, which has already been successfully used in breeding
cattle, should not be tried on human beings in order to create a
strain of identical humans without regard for universally accepted
biological and moral principes upholding the uniqueness of each and
every human being. Hence there is a need for an open debate within
society on the ethical implications of the numerons changes
introduced by scientific and technological advances.
These examples illustrate some of the dilemmas of our time.
Religious forums, governmental and non governmental councils on
ethics have been overtaken by the rapid succession of technological
advances and their consequences. In most instances they have yet to
take a position. The scientific community must be more responsible
for the ethical implications of its research and work and inform the
public which is otherwise left to its own devices without clearcut
standards by which to form an opinion. How can one decide what is
(74)
beneficial or harmful or even the future consequences of
technological or scientific breakthroughs without new guidelines or,
at least, a reappraisal of traditional frames of reference ?
At the very best all one can affirm with certainty is that these
situations underscore the responsibility of scientists and moral
"outer limits" of science in final analysis we can only answer this
with yet another question, but no ready answer can be provided to
the moral implications of scientific and technological advances.
Other profound technological changes will no doubt
continue to rapidly affect cultures and civilizations. As computer
technology and bioengineering continue to spread around the world
and man advances in his conquest of outer space, there are certain
to be unpredictable consequences that transcend purely socio
economic repercussions. Individual and social behavior patterns will
be profoundly modified and unforeseable cultural forms are sure to
emerge.
Hence a new and unpredictable future has been thrust upon
us tot which the industrialized nations in particular are utterly
unprepared. After a long phase of incremental progress, we have
entered a new era of uncertainty affecting every aspect of human
life without the necessary awareness.
Understanding ethical values and education is not merely
an intellectual pursuit. It implies addressing a multitude of
questions which converge on all sides into a universal feeling of
uncertainty and anguish. We must begin by recognizing what in some
quarters is regarded as a crisis, while in others a mutation of
(75)
values which is not a recent development, but which is now reaching
global proportions.
EDUCATION FOR THE 21st CENTURY
Education has been traditionally considered
essentially as a function of teaching. Today and even more in the
future, education means first and foremost the permanent process of
learning of each person in society. From its very infancy, a human
being begins to learn by acting and participating and not merely
looking on passively. In contemporary society the education
(learning) of each and every individual should encompass multiple
functions such as :
- acquiring knowledge ;
- structuring intelligence and critical faculties and
developing the individual's sense of responsible
participation in society ;
- developing self-knowledge and awareness, personal
insight and originality ;
- helping overcome negative impulses and destructive
drives and behavior by developing ethical values ;
- learning to communicate with others ;
- permanently awakening each person's creative and
imaginative faculties ;
- helping people to adapt to and prepare for change ;
(76)
- and most important, enabling one to acquire a
global view of the world
Education should consciously and decisively involve an
individual in a permanent lifelong process beginning in the home and
family, continuing in turn in the appropriate scholastic setting and
the in the workplace, in leisure activities, in the religious
environment as well as in the community and in other organized
groups such as trade unions, in political life, and extending right
through the retirement years in personal and altruistic pursuits.
Moreover, this new and broader vision of education raises
a number of questions which should be explored further, since
precise recommendations have purposely not been put forth on account
of a lack of concrete data such queries might include :
- How can ethical values be transmitted through education?
- How essential is the role of the mother in ensuring the
harmonious emotional and psychological development of a child,
especially in the formative prenatal and infant stages of childhood,
as well as in later life ? Can this role be partly delegated to
societal organizations and structures ? How much of it is strictly
personal ? If this role is recognized as a true value, what changes
can be inferred regarding the part women presently play in society ?
- What could be done to promote concerted and cooperative
educative action among teachers, parents and the media in order to
form a symbiotic system ?
(77)
- How can the media, particularly television which is
often a destablizing, brutalizing influence in the home, be prompted
to consciously and systematically fulfill its educational mission,
rather than promote counter-values such as gratuitous violence, the
power of money, pornography and deviance ?
ETHICAL VALUES IN THE WORLD OF TODAY
Commonly shared ethical values are essential for meeting
the difficult challenges facing an even more interdependent world.
This issue is of critical importance and should provide the basis
for education. From early times mankind's religions and philosophies
have fostered systems of values and precepts which continue to
haunt, if not to inspire mankind. The commandments to be found in
holy books, the Bible, the Qur'an, the Vedas, etc..., are echoed by
the great Himalayan yogi Milarepa.
More recently, the United Nations Charter, the Universal
Declaration of Human Rights embody a nascent system of planetary
values which only fall short of their lofty goal because they are
generally either unknown or ignored by the peoples and citizens of
many countries, if not always by governments. Likewise, the
Recommendations of Unesco for International Understanding,
Cooperation, Peace and Education on Human Rights and Fundamental
Liberties. Not to speak of the Declaration of Unesco on the
Fundamental Principes Relating to the Contribution of the Media of
Mass Communication to the Strengthening of Peace and International
(78)
Understanding, to the Promotion of Human Rights and the Struggle
against Racism, apartheid and the Incitement to War. There is no
dearth of well meaning texts and exalted discourse.
Yet one is bound to wonder why most of the values and
principles which have been so carefully collected, voted upon and
proclaimed have had practically no effect on the behavior of
nations. We believe there is an increasing gap between declarations
of principles and real behavior. And this issues needs to be
promptly addressed. The answer will be complex and will reguire the
increasing participation of all citizens. We believe that human,
universal values have not been properly communicated and that people
have not had the opportunity of incorporating these values in their
basic culture. This is a function which implies the active role of
all institutions governing society and not only of religious and
educational organizations.
The group convened at Royaumont believes that amongst the
emerging universal values one should consider :
- the respect of cultural diversity
- the protection of the richness of biological genoma
- the protection of environmental quality
- the prevention of adverse man-made long-term effects on
climate.
The group further believes that whereas peaceful
competition enhances creativity and thereby constitutes a positive
element in itself, excessive aggressiveness must be tempered because
it might tend to increase the very gaps we seek to reduce. Hence,
(79)
competition should be regarded as emulation rather than as a sort of
violent confrontation in the marketplace and a sublimation of war.
The group also believes that every human being must be given the
right to work and thus to feel that he or she is actively
contributing to the progress of society. This has profound
implications on economic and employment policies, as well as on
international justice.
We have thus seen to what extent the very concept of
education is being substantially modified by the emergence of
universal values and a greater awareness of the finite nature of our
planet, its interdependence, as well as the disruptions, caused by
rapid technological change coupled with the basic responsibility of
each citizen in taking initiatives and having a say in the decisions
which affect his or her life.
Values such as collective human survival, the primacy and
protection of human life, the preservation of nature and the dignity
of humankind, justice, freedom and equity, already form the nucleus
of universally accepted values upon which a real consensus has
formed among peoples, but alas not among governments. To achieve or
further these values, a whole series of norms or instrumentalities
could be cited : solidarity, mutual help, socio-economic
development, eradication of poverty and human misery, adaptability,
innovativeness, creativity, critical skills, responsibility and self
reliance. This can be achieved in a climate of honesty, democracy
and participation.
The participants in the Royaumont Colloquium are aware of
the limitations of this first attempt to apprehend the problem of
(80)
ethical values in education, but feel that the issue itself is of
fundamental importance to mankind, and that it must be tackled in a
spirit of tolerance and respect for mutual differences as well as
contradictions.
It remains obvious that neither the new concepts of
education envisaged here nor the ethical values upon which they are
based can be unilaterally decreed. For this reason, we are appealing
to all interested educators, families, public and private
institutions, including the mass media, to all concerned informal
groups and, above all, to decision-makers and those responsible for
the welfare of rural and urban populations, in order to promote a
global debate.
As a first step, the group recommends that Unesco create a
task force with the aim of further studying the problem and
gradually establishing a network to provoke thought and debate and
to gather ideas and proposals in ad hoc reports. The same task force
could also be responsible for producing the studies required for the
dissemination and better understanding of the Universal Declaration
of Human Rights with the help of modern communications instruments.
The group further recommends that Unesco assign the
highest order of priority to the undertaking in the near future of a
thorough examination of the very concept of education, in
cooperation with the governments of member states as well as with
concerned non-governmental organizations.
(81)
COLLOQUE VALEURS ETHIQUES, EDUCATION
ET HUMANISME MODERNE ( 25-26-27 juin 1986 )
ABBAYE DE ROYAUMONT
LES MEMBRES DU COMITE DE COORDINATION ET DE REFLEXION
Alexander King U.K
Bertrand Schneider
Federico Mayor, Espagne
Umberto Colombo, Italie
- André Danzin, France
- Edem Kodjo, Togo
- Albert Tévoédjré, Bénin
- Saad Eddine Ibrahim, Egypte
- Mihnea Gheorghiu, Roumain
- Maria de Lourdes Pintasilgo,
Portugal
- Jozef Pajestka, Pologne
- Mme Vibha Parthaswarathi,
Inde
Président du Club de Rome
Secrétaire général du club de Rome
Ancien Ministre de l'Education
Président du Comité des Nations
Unies pour la science et la
technique au service du
développement
Vice Président de la Commission
nationale française
Président de l'Association
internationale pour le progrès des
sciences
Secrétaire général de l'ONG
"Arab thought Forum"
Président de l'Académie des sciences
de Roumanie
Ancien Premier Ministre
Membre de l'Académie des Sciences de
Pologne
Ancien ministre de l'Education
(82)
- Chandra Soysa, Sri Lanka - Helio Jaguaribe, Brésil
- Bohdan Hawrylyshyn, Canada
: Président de 1'Institut Marga
: Prof, de Sciences Politiques à
l'Université de Rio de Janeiro
: Directeur de 1'Institut
"International Management".
(83)
LISTE DES PERSONNALITES AYANT CONTRIBUE
A L'ELABORATION DE CE RAPPORT
Timo
J.R.
Christian
Charles
Bernard
Umberto
André
Henri
Ricardo
Daniel
Minhea
Jarmen
Bohdan
J.
Felipe
Saad Eddin
Ronald
Jaako
Helio
Vuokko
Pierre
Esko
Cherif
Alexander
André
Edem
Ervin
C.
Pentti
Eleonora
AIRAKSINEN
ARMOGATHE
BEULLAC
BIRCH
CLERGERIE
COLOMBO
DANZIN
DIEUZEIDE
DIEZ-HOCHLEITNER
FREI
GHEORGHIU
GVISHIANI
HAWRYLYSHYN
HEBENSTREIT
HERRERA
IBRAHIM
IDE
ITALA
JAGUARIBE
JARVA
JUNEAU
KALIMO
KHAZNADAR
KING
KIRCHBERGER
KODJO
LASZLO
LUTZ
MALASKA
MASINI
(84)
(FINLANDE)
(FRANCE)
(FRANCE)
(AUSTRALIE)
(FRANCE)
(ITALIE)
(FRANCE)
(FRANCE)
(ESPAGNE)
(SUISSE)
(ROUMANIE)
(URSS)
(CANADA)
(FRANCE)
(CHILI)
(EGYPTE)
(CANADA)
(FINLANDE)
(BRESIL)
(FINLANDE)
(CANADA)
(FINLANDE)
(FRANCE)
(UK)
(FRANCE)
(TOGO)
(USA)
(SUISSE)
(FINLANDE)
(ITALIE)
Federico
Donald
Paolo
Michio
Thomas
Josef
Mika
Mme
Vibha
Pierre
Maria Lourdes
Edgar
Juan
Jörgen
Auvo
Adam
Bertrand
-
Chandra
Albert
Romesh
Hugo
Dan
André
A.F.
Gert
MAYOR
MICHAEL
MOURA
NAGAI
ODHIAMBO
PAJESTKA
PANTZAR
PARONETTO VALLIER
PARTHASWARATHI
PIGANIOL
PINTASILGO
PISANI
RADA
RANDERS
SARMANTO
SCHAFF
SCHWARTZ
SOEDJATMOKO
SOYSA
TEVOEDJRE
THAPAR
THIEMANN
TOLKOWSKY
VAN DAM
VILLON
VON KORZFLEISCH
(ESPAGNE)
(USA)
(BRESIL)
(JAPON)
(KENYA)
(POLOGNE)
(FINLANDE)
(ITALIE)
(INDE)
(FRANCE)
(PORTUGAL)
(FRANCE)
(CHILI)
(NORVEGE)
(FINLANDE)
(POLOGNE)
(FRANCE)
(INDONESIE)
(SRI LANKA)
(BENIN)
(INDE)
(SUISSE)
(ISRAEL)
(ARGENTINE)
(USA)
(RFA)
(85)