5-Dénouer les conflits relationnels en milieu de travail.pdf

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DNOUER LES CONFLITSRELATIONNELSEN MILIEU DE TRAVAILDANSLA MME COLLECTIONLe temps de l'incertitudeDu changement personnel au changement organisationnelRaymond Vaillancourt2003, ISBN 2-7605-1225-8, 232 pagesPRESSESDE L'UNIVERSIT DU QUBECLe Delta 1,2875, boulevard Laurier, bureau450Sainte-Foy(Qubec)G1V 2M2Tlphone: (418)657-4399 Tlcopieur: (418)657-2096Courriel : puq @puq.ca Internet: www.puq.caDistribution:CANADA et autres paysDISTRIBUTIONDELIVRESUNIVERSS.E.N.C.845, rue Marie- Victorin, Saint-Nicolas(Qubec) G7A 3S8Tlphone: (418)831-7474/1-800-859-7474 Tlcopieur: (418)831-4021FRANCE SUISSEDISTRIBUTIONDUNOUVEAU Mo DE SERVIDISSA30, rue Gay-Lussac, 75005 Paris, France 5, rue des Chaudronniers, CH-1211Genve 3, SuisseTlphone: 331 4354 49 02 Tlphone: 022 9609525Tlcopieur: 331 43543915 Tlcopieur: 0227763527iPHOTOCOPILLAGETUE LELIVRELa Loi sur le droit d'auteur interdit la reproduction des uvres sans autorisationdes titulaires de droits. Or, la photocopie non autorise - le photocopillage -s'est gnralise, provoquant une baisse des ventes de livres et compromettantla rdaction et la production de nouveaux ouvrages par des professionnels.L'objet du logo apparaissant ci-contre est d'alerter le lecteur sur la menaceque reprsente pour l'avenir de l'crit le dveloppement massif du photocopillage .1DENOUERLES CONfLITSRELATIONNELSEN MILIEU DE TRAVAILSolange Cormier2004IlrPresses de l'Universit du QubecLeDeltal, 2875, bau!. Laurier, bur. 450Sainte-Foy (Qubec) Canada G1V 2M2Catalogage avant publication de la Bibliothque nationale du CanadaCormier, Solange, 1941-Dnouer les conflits relationnels en milieu de travail(Collection Communication. Groupes et organisations)Comprend des rf. bibliogr.ISBN 2-7605-1232-01. Gestion des conflits. 2. Milieu de travail. 3. Conflit interpersonnel.4. Relations humaines. 5. Qualit de la vie au travail. 6. Travail-Aspect psychologique. 1. Titre. II. Collection.HD42.C67 2004 658.4'053 C2003-941895-2Nous reconnaissons l'aide financire du gouvernement du Canadapar l'entremise du Programme d'aide au dveloppementde l'industrie de l'dition (PADI) pour nos activits d'dition.Mise en pages:INFO1000MOTSINC.Couverture: RICHARDHODGSON12 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2004 9 8 7 6 5 4 3 2 1Tousdroitsdereproduction, detraduction et d'adaptationrservs2004 Pressesdel'Universit duQubecDpt lgal - 1el'trimestre2004Bibliothque nationaleduQubec / Bibliothque nationale duCanadaImprimauCanadaJe ddie ce livre mes petits-enfants,Alicia et SamuelIntroduction .CHAPITRE1Le con"flit .15CIj2.1.~2.2.2.3.2.4.2.5.1.1. Conflit latent et conflit ouvert 71.2. Les composantes du conflit 91.2.1. L'objet du conflit 101.2.2. Le pouvoir Il1.2.3. L'motion............................................... 131.3. Le conflit cognitif 141.4. Le conflit relationnel........................................ 16CHAPITRE 2Les obstacles au dnouementdes con"flits relationnels 21La pense linaire.............................................. 232.1.1. La complexit 252.1.2. La description de la ralit 272.1.3. Le paradoxe............................................ 30La recherche de la cause du conflit 32La recherche d'une solution 35Le dsir de changer l'autre 36Les biais cognitifs.............................................. 40~ CHAPITRE 3Les tapes de la gestion des conflits............................ 453.1. Analyser le conflit 473.1.1. L'objet du conflit 483.1.2. L'implication motive 493.1.3. L'impact du conflit 513.1.4. Les tentatives de solution 523.1.5. La dynamique de l'interactionconflictuelle........................................... 56x Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravail3.2. Choisir une orientation 593.2.1. L'orientation de comptition 633.2.2. L'orientation de collaboration 643.2.3. L'orientation d'vitement 653.2.4. L'orientation d'accommodement 663.3. Concevoir et appliquer une stratgie 683.3.1. La confrontation..................................................... 703.3.2. La rencontre comptitive 713.3.3. La rencontre de collaboration 713.3.4. Le recours une tierce partie 733.3.5. Le changement personnel de conduite 743.3.6. L'vitement 763.3.7. L'accommodement 783.3.8. Le lcher prise 783.4. Faire un suivi 79CHAPITRE 4La rencontre de collaboration...................................................... 834.1. Prparer la rencontre 854.1.1. L'ouverture 874.1.2. L'amnagement du temps 884.2. Mener la rencontre 894.2.1. Se placer en mode dialogique................................. 904.2.2. Saisir la vision de l'autre 914.2.3. Tenir compte de la relation 974.2.4. Adopter les comportements adquats 1004.3. Conclure la rencontre 105CHAPITRE 5Le rle de tierce partie 1075.1. L'objectif de l'intervention 1115.2. Les modalits d'intervention 1145.2.1. L'entre dans le systme 1155.2.2. Les rencontres individuelles 1195.2.3. Les rencontres de groupe 1215.2.4. La finde l'intervention 1325.2.5. Le suivi 1345.3. L'intervenant 134TabledesmatiresCHAPITRE 6xiPrvenir les conflits destructeurs 1376.1. Apprivoiser le conflit 1396.2. Formaliser les pratiques de gestion.................................... 1446.2.1. Clarifier les rles et les responsabilits 1446.2.2. Se donner des rgles de dcision 1466.2.3. Intervenir au bon niveau 1466.3. Donner et recevoir du feedback 1476.4. Mettre en place un programmede gestion des conflits 1496.4.1. Assurer des valeurs partages 1496.4.2. Mettre l'accent sur le futur et sur les ressources 1536.4.3. Intgrer le dveloppement personnel.................... 1556.4.4. Soutenir adquatement les responsables 157Bibliographie 159ANNEXE 1Style de gestion des conflits.......................................................... 179INTERPRTATION 184ANNEXE 2Liste de ractions affectives ..ANNEXE 3185Analyse d'une rencontre de collaboration difficile 187Figure 1.1 Les composantes du conflitinterpersonnel ............................................ 9Figure 1.2 Le conflit cognitif ...................................... 14Figure 1.3 Le conflit relationnel ................................. 17Figure 1.4 Les possibilits de conflit relationnel ........ 18Figure 2.1 Quelques noncs illustrantla pense paradoxale .................................. 31Figure 2.2 Pourcentage d'attribution des diffrentesapproches chacune des parties............... 41Figure 3.1 Des exemples de dynamiqueinteractive .................................................. 57Figure 3.2 Approches de la gestion des conflits......... 61Figure 3.3 Des critres de choixpour chaque approche ............................... 67Figure 3.4 Modle de causalit circulaireentre l'action et l'interprtation ................ 75Figure 4.1 Message-je / message-nous ......................... 88Figure 4.2 L'intention et l'impact ............................... 94Figure 4.3 Les climats de communicationet la dfensivit .......................................... 100Figure 4.4 Synthse des comportements .................... 105Figure 5.1 Construction partage de sens.................. 114Figure 5.2 Exemple de message destinaux protagonistes ....................................... 117Figure 5.3 Exemple de questions prparatoires .......... 118Figure 5.4 Conditions de russited'une rencontre de groupe........................ 118Figure 5.5 Exemples de questions ouvertes ................ 120Figure 5.6 Lignes de conduite ..................................... 133Mes plus sincres remerciements vont toutes les personnesqui m'ont aide, soutenue et encourage dans la rdactionde ce livre.Merci tous les participants aux sessions de forma-tion en gestion des conflits qui ont su, par leur engagement,leurs questions et leurs commentaires, stimuler mes effortsde recherche et de comprhension.Merci tous ceuxet celles qui m'ont confileurdtresse se trouver en situation de conflit et qui m'ont ainsidonn le courage de les aider.Mercigalement Danielle Maisonneuve, YvonnePoulinet RjeanCharrettequi ont prislapeinederelireet decommenter avec justesseet pertinencedes partiesimportantes du manuscrit.Je remercie particulirement Simone Landry pour sacontributioninestimablelaqualitdel'crituredecetouvrage.zoPlusieurs s'tonnent du nombre de conflits interpersonnelsqui existent dans lesorganisations. Or, le fonctionnementdesentreprisess'est considrablement modifidurant ladernire dcennie. La collaboration des personnes de tous lesniveaux est devenue indispensable en raison de la quantitimposante d'informations et de connaissances traiter, desinterdpendancescognitivesrequisesetdelacomplexifi-cation toujourscroissante destches raliser. La collabo-ration prend aussi un autre visage avec l'augmentation de ladiversit et du niveau d'instruction de la main-d'uvre. Eneffet, lamain-d'uvreest plushtrognequ'ellenel'ajamais t. Quand de nouveaux groupes sociaux entrent dansle milieu du travail et gravissent les chelons de la hirarchie,lesconflitsrelis la classesociale, l'origineethnique, l'ge, au sexe augmentent. Plus instruits, les collaborateursse soumettent moins facilement aux diktats manant de ladirection. Dans ce contexte culturel, les pralables essentiels l'efficacit et l'efficience des organisations rsident moinsdans l'exercicede l'autoritquedansl'habilet commu-niqueret favoriserla comprhension mutuelleavec unegrande varit de personnes dans l'organisation.L'augmentation de la complexit de la tche est undeuximefacteurqui peut rendrecomptedelaprsenceaccrue de conflits dans le milieu du travail. En effet, le mriteindividuel devientdeplus enplus difficilevaluer parceque le travail se complexifie et que les tches requirent deplus en plus d'interdpendance. En consquence, les valua-tionset lesattributionsdetchesoudeprojets, devenantplus subjectives, sont par le fait mme plussusceptibles deservir les biais personnels. L'ambigut de cette situation setrouve l'origine de nombreux conflits.Du ct de la gestion, il semble que les responsablesconsacrent environ 80 % de leur temps contenir, viter ougrer des conflits. Par contre, la majoritdes gestionnairesaffirment, avec sincrit, qu'il n'y a pas de conflits dans leurquipe, seulement des personnes difficiles, ou encore qu'ilsn'ont pas de vritables conflits, mais qu'ils n'arrivent pas fairetravaillerlesmembresdeleurquipeensemble. Cesaffirmations traduisent leur manire de nier le conflit parcequ'ils ignorent comment agir.2 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailPar ailleurs, dans plusieurs organisations, on dplore le nombrelevdejoursdemaladie , d'absencesprolonges, de ratsdanslatransmission de l'information, la complication de faire des horaires oAn'aura pas travailler avec Bni C avec D, etc. Comment continuer croirequecesfaitsnesont paslisdesconflits nonrgls?Etlespratiques les plus souvent utilises dans les organisations consistent viter le conflit, fournir une rponse inadquate ou renvoyer les per-sonnes elles-mmes. Nouspouvonsdoncaffirmer, sanscraintedenous tromper, que toutes les personnes qui auront russi dvelopperleur comptence en matire de prvention, de gestion ou de dnoue-ment des conflits seront hautement recherches l'avenir.Pourdveloppersescomptencesenmatiredegestiondesconflits, ilfaut lafoisdesides, desmodleset desexpriences.Comme l'affirme Tjosvold (1993, p. 7), les ides sans pratique demeu-rent lusiveset incomprises. Sansrflexionet sansides, lesgensrptent lesmmeserreurs, adinfinitum. C'est seulement traversl'exprimentation sur le terrain qu'il est possible d'acqurir la comp-tence requise pour analyser sa propre situation l'aide d'un cadre tho-rique, dcider de ce qui sera fait et mettre excution ses propres plansd'action.Plusieurs ouvrages traitent de la gestion des conflits. Toutefois,la plupart des approches proposes sont des variations de la rsolutionde problmes, reposant sur la conciliation des intrts et des besoinsdes partenaires. Selon cette perspective, les conflits apparaissent quandlasatisfactiondesintrtset desbesoinsd'unepartie est perueparcelle-ci comme tant incompatible avec ceux de l'autre. L'objectif dela gestion de conflits est alors de trouver des solutions qui conviennentaux besoins et aux objectifs des deux parties, ce qui mne, entre autres,lagestionduconflit enpartenariat (Weeks, 1992), l'approchecollaborative(Tjosvold, 1993), la ngociation(Fisher et Ury, 1982;FoucheretThomas, 1991; Sparks, 1993; Ury, 2000)etcertainesformesde mdiation (Moore, 1996; Touzard, 1977).Pourtant, malgrlarichessedela conceptualisation despro-cessus dcrits dans cesouvrages, cesformes dengociationoudemdiation s'appliquent difficilement aux conflits interpersonnels ayantune forte composante motionnelle, les conflits relationnels.Le prsent ouvrage traitedesconflits relationnels, lesconflitsdifficiles, comme lesappelleDeustch(1990), c'est--diredesconflitso les personnes ont tabli une dynamique d'interaction conflictuelle.Introduction 3Leconflit est trspersonnalis et la relationelle-mmeestdevenueconflictuelle. Nous n'aborderons pas les conflits organisationnels, lesconflits intergroupes, les relations patronales-syndicales.Dnouer les conflits relationnels requiert deux niveaux d'inter-vention diffrents:une prise de position personnelle qui va bien au-del du blme, et le recours desstratgies efficacespour minimiserles dysfonctions du conflit et en maximiser les fonctions positives, demanire favoriserl'apprentissage et l'efficacitdans l'organisation.Dnouer des conflits relationnels demande du temps et exige une cer-taine expertise, puisqu'il importe de faire face adquatement aux impli-cations motionnelles qu'ils comportent. Bienquenous traitionsprincipalement des conflits en milieu de travail, les mthodes d'analyseet d'intervention proposes dpassent largement celui-ci.Les mthodes prconises s'inscrivent dans le courant du dve-loppement personnel continu etdel'apprentissageorganisationnel.Devenir plus comptent dans la gestion des conflits est fondamentalpour touteorganisationquiapprendet prospre. Enamliorantlamanire dont elles grent les conflits, les personnes renforcent la qualitde leursliens, contribuent demanire significative laperformanceorganisationnelleet, enmmetemps, amliorentleurcomptenceindividuelle.Parce que chaque personne est unique, que chaque moment estirremplaable, il ne peut y avoir de mthode uniforme pour grer lesconflits. Aucune mthode n'est valable pour tous les individus, aucunemthode n'est pertinente pour tous les conflits, et ce qui a donn debons rsultats hier pourra s'avrer inefficace demain. D'ailleurs, vouscroyez tre le mme dans diverses situations et, pourtant, sans vous enrendrecompte, vousavezmodifi votrecomportementdemanireimperceptible pour vous adapter la situation.Ce qui est propos, c'est donc uncertain nombrede pistes etd'outils, c'est unerflexionsurlepotentieldedveloppementper-sonnel et organisationnel que prsentent les conflits.Vous aurez faire preuve de discipline et de persvrance pouramliorer vos habilets dnouer et grer les conflits de manire plusefficace et moins coteuse, tous points de vue. Gnralement, chacunestime que ses conflits sont plus complexes et plus difficiles rsoudrequeceux des autres. Il semble tellement faciledecomprendre ce quise passe dans le conflit dcrit par l'autre et, par consquent, de savoircomment en sortir. l'oppos, le fait d'tre engag dans un conflit luiconfre une complexit qui le rend, en apparence, insoluble.4 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailNotredmarcheconsistevousinformersur lesdiffrentessolutions qui existent pour dnouer des conflits relationnels afin quevous soyez en mesure de choisir celle qui, dans chaque situation, vousparat la plus approprie, pour, ultimement, avoir recours des pistesde dnouement indites.Nous n'avons pas decertitudes offrir, nous n'avonsque desavenues proposer, des expriences et des succs partager.Dans lepremierchapitre, nousprcisonscequ'estleconflitrelationnel. Dans un deuxime chapitre sont prsents les changementsdeparadigme requis pour dnouer lesconflitsrelationnels. Les deuxchapitres suivants traitent des mthodes et des outils qui s'offrent pourdnouer un conflit dans lequel on est impliqu. Le chapitre cinq fournitdesindications d'interventiondanslerledetiercepartie. Enfin, lesixime et dernier chapitre propose des pistes pour mettre en place despratiques et une culture organisationnelles qui favorisent la reconnais-sance et le traitement appropris des conflits ds qu'ils surviennent etavant qu'ils ne deviennent destructeurs.uLE CONFLIT6 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailLeconflit est une ralit sociale inluctable. Ds qu'il y a interactionentre deux personnes ou entitssociales - groupes, organisations ounations -, les possibilits de conflit mergent. Dans l'organisation, lesdiffrents niveaux d'interaction donnent lieu desconflits interper-sonnels, intragroupes, intergroupes et, bien sr, organisationnels. Cer-tains auteursdont Rahim(2001) ajoutent lapossibilitduconflitintrapersonnel. ceniveau, l'individusetrouveauxprisesavecdesdemandes qui entrent en conflit avec son expertise, ses intrts, ses butsou ses valeurs.Comme le soutient Deustch(1973), toutconflit implique desactivits, des intrts ou des besoins incompatibles. Sur le planinterpersonnel, le comportement de l'une des personnes est interprtpar l'autrecommeuneinterfrenceavecsesbutsoucommeuneatteinte ses droits (Winsdale et Monk, 2001).Les conflits interpersonnels dans le milieu du travail renvoientd'abord la zone des interactions conflictuelles entre individus. Tou-tefois, il peut arriver qu'un conflit interpersonnel merge entre deuxclans;danscecas, leconflit sejoue principalement entre les leadersdes deux groupes. Il en va de mme dans le cas des conflits opposantune personne en autorit son quipe; dans cette situation, le groupeest fortement influenc par le leader informel. On pourrait donc dire, l'instardeRondeau(1990, p. 507), que, peu importe le nombredepersonnes concernes, lejeu des coalitions ramnera, en dfinitive,tout conflit une forme dyadique .Selon Deustch (1973; 1990), le conflit merge de la dynamiqueinteractive du couple comptition-collaboration. Or, cette dynamiqueimplique un processus complexe et paradoxal. Toute situation de com-municationestpotentiellementconflictuelleencequ'elleestunengociation permanente et implicite concernant la nature de la ralit,si ce n'est celle de la vrit. Et, de manire paradoxale, seules les per-sonnescapablesd'entrer en comptition voireenconflit pourfairevaloir la pertinence de leur vision de la ralit seraient capables de col-laborer suffisamment pour intgrer unepartie dela visionde l'autreet faire durer leur relation tout en l'approfondissant. C'est ainsi que lasainecohsion d'ungroupesetrouverenforceparlacapacitdesmembres se confronter sur le plan des ides sans pour autant mettreen pril leur relation.Toutefois il arrive que le mcanisme de collaboration ncessairepour trouver des pistes de solution l'objet du conflit se bloque.Dslors, les personnes en conflit se trouvent dans un cycle de comptitionChapitre1 .:. Leconflit 7sur le plan relationnel, ce qui les mne invitablement une impasse.Leconflit peut s'exprimer rapidement au grandjour, commeil peutrester latent longtemps.1.1. CONFLITLATENTETCONFLIT OUVERT certains moments, le conflit entre deux personnes clate de manirespectaculaire. Cetteexplosiondstabiliselesystmerelationneldesdeux personnesetrequiert uneactioncompensatoirepour rtablir,entreelles,uncertain quilibre quisouventdemeureraprcaire. Detelles situations conflictuelles durent ainsi plusieurs annes en traver-sant des priodes de latence entrecoupes plus ou moins rgulirementde manifestations ouvertes.Dans d'autres contextes, les conflits restent latents. Cetteabsence apparente de conflit ne signifie nullement que les personnesne vivent pas d'hostilit, de tension ou de ressentiments. Selon Brardet Pastor (2000, p. 24), ces conflits larvs sont les pires pour l'ambiancede travail et pour le rendement. Ils absorbent beaucoup d'nergie chezles responsables et leurs subordonns. Ceux-ci ne parlent pas, ne posentpaslesvraiesquestionsparcequ'ilscraignent deblesserautrui, derompre un semblant d'harmonie ou d'entente.Ainsi, Argyris(2002), la suite d'une tude en profondeur1, atrouv que la majorit des cadres intermdiaires ont le sentiment que,dans leur organisation, les conflits sont soigneusement vits par touset que, lorsqu'ils deviennent inluctables, les mesures prises pour lesrsoudresont inappropries. Lesconflits restent latents en raisondelaforcedecontrle denombreuses barrires, dont certainessontdenature intrapsychique et se traduisent dans le style habituel de gestiondes conflits; d'autres sont extrieures l'individu, comme le manquede temps et les normes de groupe.Comme barrire externe, le manque de temps est le prtexte leplussouvent invoqupourjustifier l'vitement duconflit. Plusieursgestionnaires soutiennent que leur travail ne devrait pas tre entravpar des conflits; ils ont assez faire sans cela. Le dbordement protge1. Argyris a analys la 000 donnes comportementales de 165 dirigeants (mem-bres de conseil d'administration, de comit de direction ou cadres suprieurs)de six organisations diffrentes,et ce, l'occasion de 265 runions. Il a gale-ment interrog un certain nombre decadres intermdiaires desmmes orga-nisations.8 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailIl faudra investir plusde temps pour assumer lesconsquences des conflitsnon rglsqu'il n'en auraitfallu pour les dnouerds ledpart.lesresponsablesqui ont unesaintehor-reurdesface--faceavecleurscollabora-teurs(Servan-Schreiber, 2000, p. 125).Or, on oublie trop souvent que la gestiondes conflits fait partie intgrante de la ges-tion et qu'il faudra investir plus de tempspour assumer les consquences desconflits nonrglsquece qu'il en auraitfallu pour les dnouer ds le dpart.Les normes de groupe constituent un autre facteur extrieur l'individu qui intervient pour maintenir les conflits l'tat latent. Ainsi,la culture de certains groupes interdit l'expression de tout conflit. Dansle mme sens, plusieurs gestionnaires conoivent leur rle en dehorsde toute interaction conflictuelle, ce qui les conduit rationaliser leurcolre, leur dception, leur frustration sous toutes sortes de formes. Detels facteurs ne peuvent tre modifis que par des changements impor-tantsdansla cultureorganisationnelle, lesquels sont d'abord sous laresponsabilit de la haute direction.Parmi les facteurs internes contribuant maintenir les conflitslatentsse trouvent lesnormesfamilialesqui ont tinternalisessiprofondment qu'elles font maintenant partie du style de gestion desconflits de l'enfant devenu adulte. Les normes et le climat familial quiprvalaient au regarddel'expressiondesdivergences, dela colre etdu ressentiment ont servi de contexte l'apprentissage dans la manirede faire face au conflit l'ge adulte. Certains adultes, issus de famillestrs ouvertement conflictuelles, se sont promis de ne plus jamais vivrecessituationsexplosives. l'inverse, d'autresont t compltementtenus l'cart de tout apprentissage quant la rsolution des conflitsparce que, dans leur famille, le conflit tait compltement ni. Seulesl'harmonieet labonneententetantpermises, les chicanesentreenfants devaient se terminer par une bise. Dans uncas comme dansl'autre, l'adulte se trouvedmuni face n'importequelleexpressiondecolre et vachercher par tous lesmoyenspossibles viter touteformedeconflit. La positionadopte faceauconflit dansla familleaurait donc une incidence majeure sur la manire de ragir au conflitdans le milieu de travail. Comme le souligne Gabriel (1998a, p. 300),les relations suprieurs-subordonns sont fortement investies d'mo-tionstellesquel'anxit, la colre, l'envie, lajalousie, la culpabilit,exprimentes pour la premire fois dans la relation parent-enfant. Dece fait, les motions ressenties dans un rapport d'autorit sont souventun rappel de celles qui ont t prouves dans la petite enfance.Chapitre1 .:. Leconflit 9galement, lacrainted'treperu commeceluiquia lepro-blme, la peur de blesser l'autre, qui est souvent la projection sur autruide sa propre vulnrabilit, sont des facteurs intrapersonnels qui agissentcomme barrire l'expression du conflit. Mais qu'ils soient d'origineinterne ou externe, les obstacles l'expression des conflits ne font quecompliquer et ralentir le dnouement des conflits quand ils clatent.1.2. LESCOMPOSANTESDUCONFLITAvant d'aborder les composantes du conflit, il convient de rappeler quela communication se joue deux niveaux simultanment: la relationet le contenu.[...] d'unepart, le contenu explicite dumessagetransmetdesinformations sur des faits, des opinions, des penses,des senti-ments;d'autre part, ce message donne en mme temps des in-dices sur l'tat affectif, les motivations, les intentions et les visesdela personnequi met lemessageetsur larelationentrelesdeuxpartenaires. Cedeuximeniveaudesignificationpassesouvent parlacommunication nonverbale (Cormier, 1995,p.44).FIGURE1.1LescomposantesduconflitinterpersonnelObjetduconflitPouvoirmotionContenu10 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailMis en place, entretenu et dsamorc ncessairement traversla communication2,le conflit comporte les deux mmes niveaux: lecontenu, qui correspond l'objet officiel du conflit, et la relation, quisous-tendl'expressionduconflit (Kruse, 1995). Nousinspirant deMastenbroek (1987), nousreprsentonsleconflit interpersonnel partrois composantes: l'objet du conflit, le pouvoir et l'motion qui sontvcus travers la relation,comme le montre la figure1.1.1.2.1. L'OBJETDUCONFLITDans le milieu de travail, l'objet du conflit interpersonnel concerne latche elle-mme ou le processus selon lequel la tche est ralise. Touteslesidesoulesopinionsrelatives latchepeuventtreobjetsdeconflit. Par ailleurs, la manire dont la tche doit tre accomplie peutaussi devenir conflictuelle; c'est ce que Jehn (1997b, p. 2002)appelleles conflits de processus. Les conflits de processus dgnrent plus faci-lement en conflits personnaliss que les conflits davantage centrs surla tcheelle-mme; eneffet, lesconflitslisauxprocessus touchentplus directement leshabiletset les stylespersonnelsdecommu-nicationainsiquelesrelationsdepouvoir. Lesquestionssuivantestmoignent de cet aspect des conflits:Comment doit-on procder? Qui est responsable dequoi? Qul\st-cequi doit tre dlgu et qui? Comment slexercele contrle? Aquidoit-on rendre descomptes? queIlefrquence?Les rponses ces questions concernent donc plus directementles identits au travail des collaborateurs.Qu'il s'agisse du contenu de la tche elle-mme ou du processusncessaire son accomplissement, cette composante est l'objet officielde la msentente ou de nombreux accrochages: absences, retards, ta-blissement des priorits, performance, mthodes de travail, partage destches, degr d'autonomie,responsabilits, etc.Lesdiscussions portant sur lesvaleursou l'idologierisquentsouvent de se transformer en conflit. En effet, les valeurs et l'idologieconstituent unepart importantedel'identitpersonnelle. Dslors,contester ou rejeter les valeurs de quelqu'un risque de mettre en causeson identit et, par consquent, contribue fragiliser la relation avec2. Selon Watzlawick et al. (1972), tout comportement a valeur de message et, dslors, constitue une communication.Chapitre1 .:. Leconflit 11cette personne. C'est pourquoi lesconflitsinterpersonnelssemblentplus nombreux dans les secteurs d'activit o des idologies fortes sous-tendent les interventions, comme ceux de l'ducation et de la sant.1.2.2. LEPOUVOIRLe pouvoir donne lieu des ractions mitiges; il sduit et il effraie tout la fois. Le pouvoir est souvent associ l'ide de force, de contrle,d'intimidationet demanipulation. Vusouscet angle, ilprovoquesouvent des ractions ngatives.Cependant, on peut envisager le pouvoir dans une autre pers-pective: cellede l'autonomie. Dans cette optique, lepouvoir corres-pond la priseen charge desa viedefaonresponsable, autonomeet lucide. cette fin, le pouvoir se dfinit comme l'habilet obtenircequel'on veutdansl'environnement, compte tenudecequi estdisponible.Souscet angle, lepouvoir est vucomme unedisposition per-sonnelle impliquant que chaque personne est entirement responsablede l'atteinte de ses objectifs.Le pouvoir, alors, n'apparat pas commeune fin en soi, mais comme un processus conduisant l'obtention dersultatsvaloriss. Par consquent, la premiretapesur la routedupouvoir personnel consiste savoir prcisment ce que l'on veut. Undeuxime lment du pouvoir personnel implique que l'exercice effi-cace dupouvoir n'estpossiblequesi l'on possde uneconnaissancejuste del'environnement. Personne n'a lepouvoir detransformer laralit dumoment, pas plus quecelui de changer les autres. Parexemple, chercher des moyens d'interagir efficacement avec un patrontrs susceptible est plus fructueux que de tenter de le changer.Au niveau interpersonnel, le pouvoir est toujours prsent, desdegrs divers, dans toute relation. Selon Landry (1991, p. 42),le pouvoir est fondamental afin d'obtenir ce qu'il faut pour sur-vivre, pour sedvelopper, pourprendresaplaceauseindelafamille tout d'abord, puis des institutions et structures socialesprsentes dans son environnement, pour influencer les processussociaux et politiques dont onestpartie prenante en tantquemembre d'une socit donne.Le pouvoir social a fait l'objet de plusieurs tudes, dont celle deFrench et Raven (1965)qui proposent une taxonomie des sources depouvoir toujourspertinente. Selon cesderniers, en fonctiondesres-sourcessurlesquellesil s'appuieet quienconstituent lesbases, lepouvoir social s'exprime comme pouvoir de rcompense, pouvoir decoercition, pouvoir lgitime, pouvoir de rfrence et pouvoir de12 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailTout conflit impliqueunebataille pour dciderquelle vision de la ralitest la meilleure,la vraie.comptence. ces ressources, Folger et al. (1993) ajoutent des habiletsspciales: le pouvoir de persuasion, l'expertise relie la tche, l'ama-bilit, la sduction, la position formelle dans un groupe et la prsenced'allis loyaux. Dans lessituations conflictuelles, le pouvoir decoer-cition et le pouvoir de comptence sont particulirement en jeu.Unexemple de conflit qu10ntrouve assezfrquemment est celuideflemploy ayant plusieurs annes d1anciennet dans florganisation, quientre enconflit avec un nouveau gestionnaire plus jeune et venudeflextrieur. Le potentiel conflictuel d'une telle situation slaccrot si flem-ploy est un homme qui relve d1une gestionnaire.Le pouvoir se trouve galement au cur de la vie organisation-nelle, ce qui amne Morgan (1989) laborer l'une de ses mtaphoresde l'organisation en l'envisageant sous l'angle d'un systme politique.Cependant, cettedimensionpolitiquedelavieorganisationnelle,rgulirement voque dans les changes privs, est souvent passe soussilence dans les rencontres plus formelles.L'idequelesorganisationssontcensestredesentreprisesrationnelles au sein desquelles les membres cherchent atteindredes buts communs tend dcourager toute discussion portantsur desmotifs politiques ou sur l'attribution detels motifs. Leterme politique, autrement dit, est un mot nepas prononcer(Morgan, 1989, p.158).Quandils'agitdeconflit, lepouvoir est fondamental car lesattributionsdepouvoir sont aucurdetoutecomprhensionduconflit. Lesconflits sont un produit driv du pouvoir et desprivil-ges qui y sont associs. la limite, on pourrait voir tout conflit commeune lutte de pouvoir s'inscrivant dans un contexte social plus large derpartition des ressources, des privilges et des droits (Ury, 2000, p. 154).Les organisations peuvent trevues comme des rseaux d'individus et degroupes. Les efforts pour obtenir plusdepouvoir et contribuer de manire signifi-cativeaux dcisions concernant l'alloca-tion de ressources font partie des stratgiespolitiques. Danslemilieu dutravail, lesrles, les statuts, le contrle des ressourcesjouent unrleimportantdansladyna-mique dupouvoir. Les manuvres politiques et laformationdecoalitions font galement partie de cette dynamique.Lespersonnes enconflit, enplusdesmanuvrespolitiqueshabituelles, se livrent une guerre des vrits. la limite, tout conflitimpliqueunebataille pour dciderquellevisiondelaralitestlameilleure,la vraie.Chapitre1 .:. Leconflit1.2.3. L'MOTION13Les dimensions affectives, motionnelles et irrationnelles sont toujoursprsentes, divers degrs, dans lesconflits interpersonnels. Ds lors,il arrive que l'objet du conflit, bien que rel, ne soit que le symptmed'unfort conflit motif. Danslelangagecourant, onparle, tortd'ailleurs, de conflit de personnalit. tort, puisque les personnalitsdiffrentesouopposespeuvent donner lieuaussi bien l'attirancerciproque qu' l'antipathie. Il arrive, assez souvent, que d'anciens bonsamissoient, prsent, desennemis irrductibles. Par ailleurs, quanddeux personnes sont incapables de rgler le diffrend qui les oppose,elles deviennent hostiles tout ce que fait l'autre, ce qui les amne croire que c'est sa personnalit qui est insupportable.Les conflits qui sont en rapport avec l'identit personnelle oucollective, l'image de soi, l'estime de soi, le systme de valeurs et l'ido-logie, sontaussitrschargsd'motion(Bodtkeret ]ameson, 2001;Galtung, 1996). Lescomportementsperuscommeuneatteintel'identit professionnelle engendrent des ractions trs intenses.De plus, se retrouver en situation de conflit est, en soi, anxio-gne. Cette anxit est relie aux peurs inconscientes d'tre envahi etdtruit par l'agressivit de l'autre ou d'tre soi-mme tellement en colreet agressif qu'on pourrait dtruire l'autre (Gabriel, 1998a).De forts sentiments ngatifs indiquent que le conflit comporteunecomposantemotiveimportante. Lesractionsaffectivessontparfois rationalises sous forme de jugement ou d'indignation: C'estinacceptable, comment quelqu'un peut-il agir de la sorte? Par ailleurs,l'expressionmotivedans une situation conflictuelle varieselon lescultureset lessous-cultures. Ainsi, unepersonne peut prouver unemotion trs intense et continuer d'exercer un contrle sur son expres-sion.Le lien entre l'intensit de l'motion ressentie et son expressionest socialement appris et idiosyncratique (Jones, 2001, p. 92).Deux ractions affectives, particulirement prsentes dans uneinteraction conflictuelle, servent nourrir le processus d'escalade: lacolre et le mpris. Souvent confondues,ces deux ractions affectivessont pourtanttrsdiffrentes: lemprisest une motion froide, unsentiment par lequel l'individu assume et dmontre sa supriorit surl'autre; lacolreest une motionchaudeplussouvent associe lapeine de ne pas avoir t trait comme on estimait devoir l'tre.L'importance relativedechacune deces troiscomposantes, savoir l'objet du conflit, le pouvoir et l'motion, permet de distinguerdeux types de conflits: le conflit cognitif et le conflit relationnel.14 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravail1.3. LECONFLITCOGNITIFPlusieurs typologies ont t proposes pour dsigner les conflits rsul-tant de l'affrontement d'ides ou ceux qui portent sur les processus oule contenu du travail sans que la relation entre les protagonistes soitdtriore. Certains auteurs parlent, dans ce cas, de conflits centrs surla tche (Coser, 1965; Deustch, 1973; Pinkley,1990; Thomas, 1976).Pour Mastenbroek (1987), il s'agit de conflits instrumentaux. D'autresauteurs (Cosier et Rose, 1977; ]ehn, 1997b; Kabanoff, 1991) utilisentl'expression de conflit cognitif pour dsigner ces conflits o la dimen-sionmotive n'est pas l'enjeuprincipal. Nousretenons l'appellationde conflit cognitif pour dsigner les conflits o les enjeux de pouvoiret l'motion sont relativement faibles, comme le montre la figure 1.2.Danscescas, selonDeustch(1973), leconflitpeuttre vucommeobjectif, rationnel et analytique.FIGURE1.2Leconflit cognitifObjetdu conflitPouvoir motionDiffrentes mthodesdersolutiondece typedeconflits ontt labores et plusieurs auteurs en prsentent des synthses fort int-ressantes(Foucher et Thomas, 1991;Kwahk et Kim3, 1998;Rahim,2001;Rondeau, 1990).La plupart deces mthodes s'apparentent, deprs ou de loin, la mthode classique de rsolution de problmes.3. La mthode TCM, le modeling cognitif en deux phases.Chapitre1 .:. Leconflit 15 Dfinir le problme en faisant l'inventaire des opinions, desidesetdesinformationspertinentes. Cette tapededfi-nitiondemandeparfois beaucoup de tempset nedoit pastreescamote. Uneerreur couranteconsiste passer troprapidement aux solutions. Gnrer plusieurs solutions. La russite de cette opration faitappel la crativit et l'imagination. Analyser les solutions pour en choisir une qui soit acceptablepour les parties concernes. L'analyse des solutions doit tenircompte des contraintes et des consquences possibles. Dterminer les modalits d'implantationde la solutionchoisie.FisheretUry(1982)illustrentlamthodedersolutiondesconflits cognitifs en racontant l'histoire devenue clbre des deux indi-vidus qui argumentent au sujet dela temprature d'unepice. L'unedes personnes trouve qu'il fait trop chaud et veut ouvrir la fentre pourrafrachir la pice. L'autre n'aime pas le courant d'air ainsi cr. Fisheret Ury suggrent une solution o les deux protagonistes font un com-promis aprs avoir russi dfinir correctement les besoins sous-jacents.Danslecasprsent, il asuffi d'ouvrirunefentredansunepiceadjacente.Selon le problme, les solutions envisages peuvent tre la cla-rification des rles et des responsabilits, l'amlioration du processusdedcision, larvisiondelaplanificationoulareformulationdesobjectifs.D'un point de vue dynamique, le conflit cognitif, parce qu'il meten vidence les problmes organisationnels, constitue une occasion dedveloppement,de changement et d'innovation.Faisant appel unesaineconfrontation, il permet de dpasser le statu quoet d'imaginerdes pistes neuves. Les conflits portant principalement sur la tche sontdonc souvent bnfiques cet gard(Coser, 1965; Jehn et al., 1999;Jehn,2000; Rahim, 2000). En effet, le conflit cognitif tend favori-ser le rajustement des normes du groupe et des rapports de pouvoir l'intrieurdugroupe, conformmentauxbesoinsressentis parlesmembres individuels (Coser, 1965, p. 493).Leconflit cognitif, enfin, supposequelesprotagonistessontcapables de collaborer pour envisager des solutions leurs diffrends.16 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravail1.4. LECONFLIT RELATIONNELLe conflit interpersonnel devient un conflit relationnel quand les indi-vidusen interaction, estimant que lesautres portent atteinte leursdroits les plus fondamentaux, ont recours la colre, au blme ou labouderie pour protger ces droits. Avec le temps et en y repensant sou-vent, les personnes dveloppent une version sature du conflit, c'est--dire une version o tous les gestes de l'autre sont revus et interprtsdans le mme sens de manire se prouver que l'autre est vraiment levilain. Chacun dcrit l'autre en des termes unidimensionnels et rigides.Leconflit est cepoint rifi4que leur description prend desalluresderalit tangibleincontestable et queleur rcit duconflit n'admetaucune version alternative (Winsdale et Monk, 2001, p. 2). La prsenced'motions et de sentiments ngatifs, tels que la colre, l'envie, le m-pris,la dception, la mfiance,le ressentiment, est alors trs intense.Poursapart, Deustch(1973) renvoieauconflitsubjectif paropposition au conflit objectif, puisque ce type de conflit porte sur desdiffrences deperception, d'interprtationoudevaleur. Certainsauteurs, dont Brard et Pastor (2000), parlent de conflits irralistes, deconflitssubjectifs (commesi tousles conflitsn'taient pas, d'unecertaine manire,subjectifs).Pour Pelled et al. (1999), il s'agit de conflit motionnel. De sonct, Jehn (1997a) opte pour l'appellation de conflit affectif. l'instarde Pinkley (1990, 1994), et comme l'illustre la figure 1.3, nous retenonsl'expression de conflit relationnel quand les enjeux de pouvoir et l'mo-tionatteignent untelniveau d'intensitquel'objetduconflit n'estqu'unprtexte rejouerla dynamiquerelationnelledeplusenplusconflictuelle. D'ailleurs, il serait plus justede dire les objets duconflit , puisque, dans ce type de conflit, tout, absolument tout peutdevenir objet de conflit.C'est pourquoi il arrivefrquemment quedes observateurssoient tonns et perplexes face la futilit ou l'insignifiance de cequi oppose les personnes en conflit relationnel. Ils ont alors tendance attribuer cet tat de fait l'immaturit des personnes en cause alorsqu'il vaudrait mieuxyvoir unindice del'importanceduconflitrelationnel qui les oppose.4. Le processus de rification dsigne le traitement de relations abstraites commes'il s'agissait d'entits concrtes observables.motionChapitre1 .:. LeconflitFIGURE1.3Leconflit relationnelObjetdu conflitPouvoir17La mthode de rsolutionde problmes ne peut treutilise pour rgler unconflit qui componede fonsenjeux lis aupouvoir et cl l'motion.Par exemple, quand Coletteet Suzannes'affrontent violemment propos d'une broutille comme l'heure de la pause-sant de chacune oul'ordre de prsentation de leurs rapportsrespectifs lors d'une runionde service, c'est un signe que l'interaction entre elles est devenue trsconflictuelle, que la comptition et l'motivit y sont trsfortes.Certainsauteurs, dont Folger et al. (1993), maintiennent quetout conflit s'exprime et prend forme dans l'interaction sociale, doncqu'il est toujours, jusqu' un certain point, relationnel.Mme si le pouvoir et l'motion sont inextricablement lis danslesconflitsrelationnels, l'uneoul'autredimension peut donnersacouleur auconflit qui opposedeuxindividus, commeonpeut leconstater la figure1.4.Ainsi, unconflitrelationnel peuttre domin par les luttes de pouvoir, quise vivent principalement travers lessignes de prestige, les ractions l'autoritet l'exercice du contrle. Quand ledegrd'interdpendance entre les parties est trslev, chacun a besoin de l'autre et, enmme temps,possde un certain pouvoirsur l'autre, ce qui lui permet d'exercer defortes contraintes sur elle et d'en res-treindre l'action (Rondeau, 1990, p. 508).18 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailFIGURE1.4Les possibilits de conflit relationnelObjetdu conflitPouvoirObjetdu conflitmotionPouvoir motionPouvoirObjetduconflitmotionChapitre1 .:. Leconflit 19De mme, dans les groupes trs fusionnels ou les dyades trs prochesayant tendance supprimer toute forme d'expression du conflit, quandcelui-ci clate, il est trs intense (Coser, 1965).Entre les personnes en conflit, le processus de comptition l'em-porte sur le processus de collaboration. La comptition tend augmen-ter la sensibilit aux diffrences et aux menaces que reprsente l'autretout en minimisant la perception de leurs similitudes: tu es mauvais,je suis bon (Deutsch, 1990, p. 241). De plus, comme l'exprime Elkam(1995, p. 598), chaque personne impliquedans unconflitsemblevouloir faonner l'autre de telle sorte que les constructions du mondequ'elle a labores partir d'expriences passes rptitives soient aumaximum confortes .Les conflits ayant uneforte composanterelie aupouvoirdeviennent dysfonctionnels quand les comportements de rivalit et decomptition nelaissent plusdeplacelacoopration. Lescompor-tements de comptition ne sont pas toujours explicites. Dans certainscas, des ractions passives-agressives entretiennent la comptition demanire larve et sournoise.Parexemple! Martine! adjointeadministrative! s!organise pournepasfaire les travaux que lui demande Serge!le comptable qui occupele nouveau poste cr rcemment. Elle soupire! dit qu!elle estdborde!etc.La plupart des checs dans la gestion desconflits relationnelss'expliquent par le recours la mthodede rsolutiondeproblmespour rgler un conflit comportant de forts enjeux lis au pouvoir et l'motion. Or, le succs du processus de rsolution de problmes reposeprcisment sur laqualitdulienentrelespersonnes. Il fautque larelationentrelespersonnesencausesoitsuffisammentpositiveetempreinte de confiance et d'ouverture pour que le conflit puisse trersolu par cette mthode.De mme, plusieurs auteurs abordent la gestion des conflits sousl'angle du contenu. Ainsi Fisher et Ury (1981), mme s'ils reconnaissentl'importance des motions chez les protagonistes, mettent l'accent surla recherche de pistes de solutions par rapport au contenu du conflit;ils recommandent de veiller distinguer la personne du problme. Or,dans les conflits relationnels, la personne et l'objet du conflit ne fontqu'un: ilestdoncplus important d'habiliter lespersonnesmieuxtravailler ensemble dans le futur et grer les diffrends qui les oppo-serontencorequed'essayeren vaindersoudrel'objetexpliciteetponctuel du conflit (Kruse, 1995).20 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailLes rsultats des tudes sont contradictoires quant la relationentre la prsence de conflits relationnels dans une quipe et la perfor-mance de cette quipe. Il semble que, mme si les conflits relationnelsengendrent beaucoup d'insatisfaction,il ne soit pas dmontr claire-ment qu'ils affectent ngativement la performance Gehn, 1995, p.15).Par ailleurs, il est certain que, sur le plan personnel, lesconflits rela-tionnels sont malsains: ils entranent de la dtresse, de l'anxit et dela souffrance chez les personnes concernes, beaucoup plus qu'on nele pense gnralement (Deustch, 1973, 1990; Wilmot et Hocker, 2001).C'est ce type de conflit qui est l'objet du prsent ouvrage. Com-ment est-ilpossibledednouer unconflit relationnel?Nousdisonsdnouer, car il nous semble que ce genre de conflit ne peut tre ni grnirsoludelammemanire qu'unconflitcognitif portantsur uncontenu spcifique. Comme le laissent entrevoir les figures1.3 et 1.4,le dnouement de conflits relationnels exige que l'on se penche sur lesdimensionsdupouvoiretdel'motion. Desaspectsqui, habituel-lement, fontpeur et noustrouventdmunis. Dansleschapitresquisuivent, nousproposeronsdespistespour mieux fairefacecetypede conflit.uLESOBSTACLESAU DNOUEMENTDESCONFLITS RELATIONNELS22 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailLe droulement logique(linaire)qui viseal dfinird'abord levrai problme,pour ensuitechercher lavraie causeet, enfin,trouver la bonne solutionn'est gureutile dans leuahementdesconflhsrelationnels.Lesidessoumisesdansleprsentcha-pitre constituent la base de la mthode dednouement des conflits. En effet, lespistesconcrtesd'interventionqui sontsuggres n'ont de sens que si elles s'ins-crivent dans un cadre thorique et pist-mologique particulier. De plus, l'efficacitdecesmthodesesttributairedel'espritqui les anime, sinon elles deviennent destrucs sans valeur et sans impact. Ainsi quele remarque Farson (1997, p. 35), en com-munication, une technique devient inef-ficace partir du moment o elle est applique seulement comme unetechnique .Pour appliquer les pratiques suggres ici, il faudra donccomprendreet intgrerlapositionthoriquequi lessous-tend, demanire pouvoir se les approprier rellement, les adapter auxsituationsrencontreset, surtout, en inventer de nouvellesselon lescirconstances.Prcisonsdsmaintenant quetoutepersonnequi tentedednouer un conflit relationnel dans lequel elle est implique ou danslequel elle agit comme intermdiaire doit, au pralable, souscrire uneconception de l'interaction humaine selon laquelle tout systme quelqu'il soit (dyade, groupe ouorganisation)estd'unetellecomplexitqu'il est impossible d'en saisir tous les contours.La plupart desmodlesde gestion desconflitssurestiment ladimensionrationnelledela situationetdesenjeux encause et, parconsquent, ne prennent pas suffisamment en compte le flou, la sub-tilit, l'ambigut, leparadoxeet lacomplexitquicaractrisent lessystmes humains (Archier et Serieyx, 1986; Crozier, 1989 ; Enriquez,1992; Kets de Vrieset Balazs, 1998; Morgan, 1989; Prigogine, 2001;Tessier, 1990; Vince et Broussine, 1996).La logique linaire applique aux conflits relationnels constitueun premier obstacle, la foispour la comprhension de ce qui est enjeu et pourl'laborationdepistesdednouement. Ledroulementlogique qui vise d'abord identifier le vrai problme, puis chercherla vraie cause et ensuite trouver la bonne solution afin de rgler leproblme une foispour toutes1n'est gure utiledansle traitementdesconflitsrelationnels. Inadquatepourdnouerdesconflitsrela-1. Expression trs frquente dans le milieu du travail.Chapitre 2.:. Les obstacles au dnouement desconflits relationnels 23tionnels, cette squence logique s'applique davantage la rsolutionde problmes techniques lis la tche, problmes qui peuvent s'avrerparfois trs compliqus mais rarement complexes. Comme le remarqueGenelot (1992, p. 30), la logique est le cheval de bataille du simplismequi nous guette au dtour de toutes les situations complexes .Pour mieux situer les fondements pistmologiques de l'inter-ventiondanslednouementdesconflitsrelationnels, et dfinir lesobstaclescednouement, nousverronsd'abordleslimitesdelapense linaire associe au paradigme newtonien, puis nous montre-rons comment,dans une perspective non linaire, la recherche de lacause du conflit et, par la suite, de la meilleure solution est un objectifquelquepeufutile. Enfin, nousmettronsenvidencedeuxautresobstacles au dnouement des conflits relationnels: le dsir de changerl'autre et les biais cognitifs qui teintent la rflexion des personnes enconflit.2. t . LAPENSELINAIRELes grandes ralisations sociales,scientifiques et technologiques sontlersultatdudveloppementdelapenselogiquesystmatiqueetlinaire. Cette logique est fonde sur le principe restrictif selon lequeln'est rationnel que ce qui est analytiquement prvisible et contrlable.CommeLaplacel'voqueavecjustesse, lehasardet l'incertitudetaient vus comme les noms de l'ignorance. [... ] La logique classiqueest la logique du vrai et du faux, celle qui raisonne avec de l'informa-tion complte, correcte, qu'on peut qualifier de non ambigu(Benasayag et al., 1997, p.62).Lacrisedesfondementsdelarationalitdterministedbutevers 1900. Depuis lors, chaos, indcidabilit, imprvisibilit, alatoire,hasard,interdpendance sont autant de concepts et d'ides qui cons-tituent la trame des discours scientifiques de notre poque. Loin d'trerserve la culture scientifique, la rupture des modles, paradigmeset principes scientifiques jusque-l dominants est devenue le lot quo-tidiendetous. L'irruptiondel'incertitudea envahilarflexionetl'action dans des domaines aussi varis et multiples que la vie affectivepar l'clatement des modles familiaux, la vie au travail par la rapiditdes changements et, surtout, le rapport que chacun entretient avec lui-mme et avec le monde. Mme si les changements sociaux et culturelsdemandent chacundevivreselondesmodles pluscomplexes,24 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailplusieurs individus restent enferms dans une logique linaire,essayant,en vain, de comprendre ce qui leur arrive et ce qui se passedans leur environnement.Bien que toute notre ducation occidentale nous ait forms, demanireintensive, une logiquelinaireet rationnelle, il nousfautdpasser les limites de cette logique o les choses sont vraies ou fausses,bonnesoumauvaises, et pariersur la possibilit dudveloppementd'unepensecomplexequi inclutl'incertitudeetleparadoxe. Parailleurs, moins que les gestionnaires et tous les collaborateurs2danslesorganisations n'acceptentderemettreenquestionleurspropresmodles mentaux, il leur sera difficilede redfinir leur rleet, decefait, ils ne pourront contribuer adquatement au dnouement et laprvention des conflits relationnels. Tout conflit relationnel survientdans des dyades ou des groupes constituant des systmes ouverts dontlesprincipalescaractristiques sont: latotalit, l'autorgulationetl'quifinalit (Eoyang, 1997; Rosnay, 1975; Stacey, 1995). Par totalit,on dsigne le fait que les proprits du systme transcendent largementlescaractristiquesindividuellesdesmembres. Ds lors, toutchan-gement d'une seule partie se rpercute sur toutes les autres, les influenceet modifie l'ensemble du systme par rapport ce qu'il tait auparavant.L'autorgulation est ce qui explique le mouvement dynamique entrel'quilibre et le changement partir du processus de rtroaction. Toutsystme vivant oscille entre ces deux tendances: le maintien du statuquoet la transformation. En tant quesystmes ouverts, les systmesvivants reoivent, de l'intrieur et de l'extrieur, des stimulations latransformation: certains russissent intgrer ces deux tendances, tan-dis que d'autres, dont les dyades ou les groupes en conflit, deviennentrigidesdans leur fonctionnement; s'opposant ainsi toutetransfor-mation, ces systmes rptent le cycle de leur interaction conflictuelle.Enfin, le terme quifinalit souligne le faitque les modifications sur-venues au fil du temps l'intrieur du systme sont indpendantes desconditions initiales. Autrement dit, ce ne sont pas les conditions passesqui dterminent l'tat du systme un moment donn,mais bien lesparamtresd'organisationquiprvalentau momentprsent. Com-prendrela dynamique d'unsystmeouvertet yinterveniradqua-tement exigent, par consquent, le recours une logique non linaire.2. Dans tout l'ouvrage, le terme collaborateur dsigne tous les employs non cadres.Chapitre 2.:. Les obstacles au dnouement desconflits relationnels 25Pourmieuxsaisir lesenjeux dela pense nonlinaire, nousverrons d'abord en quoi consiste la complexit, puis nous prciseronsles conditions ncessaires pour dcrire une ralit complexe.Enfin, nousaborderonsleparadoxeet sonrledansl'analyseet lednouement des conflits relationnels.2. t . t. LACOMPLEXITLe livre de Genelot paru en 1992, Manager dans la complexit, a marquuntournant danslaprisedeconscience du phnomnedelacom-plexit des systmes humains par un nombre important de dirigeantset de cadres. Pourtant, aujourd'hui, quelque dix ans plus tard, plusieursgestionnaires et les collaborateurs de tous les niveaux raisonnent encoreselon une logique linaire qui ne tient pas compte de la complexit.Franois,directeur dans une grande entreprise,explique le conflit quis'est install entre deux des e ~ chefs de services. Il a rencontr les pro-tagonistes individuellement. A son grand tonnement, ils ont tous deuxprsent lamme situationconflictuelle selondeuxversionsdiam-tralement opposes. Selon lui: Y'en a un des deux qui ment. Fran-oisne sait pasencore, malgr ses cinquante ansdevie et sesvingtans de gestion, que les tres humains qui vivent une mme situationl'envisagent de manire personnalise. Il y a fort parier que Franois,comme plusieurs gestionnaires, pense et agit selon les paramtres d'unsystme non complexe.Pour la premire foisdans l'histoire de l'humanit, il est pos-sibledeproduireunemassed'informationquepersonnenepeutabsorber en totalit ni en complexit, de mettre en place une interd-pendance si grande que personne ne peut la grer et d'acclrer le chan-gement un point tel qu'il chappe la capacit de chacun d'y ragir.L'chelle de complexit des affaires humaines est sans prcdent.Lessystmescomplexes possdent desproprits qui rendentcaducs lesprincipes de la causalitlinaire. Toutefois, la complexitn'est pas la complication. Srieyx (voir Salvet, 1994, p. 64) illustre bienladiffrenceentre lecompliqu et lecomplexe l'aide de l'analogiedu Boeing 747 compar un plat de spaghetti:dmontez le Boeing et vous vous retrouverez avec 3S 000 com-posantes. Par la pense systmatique et de la persvrance, il vousseratoujourspossibledelereconstruireetd'arriverau mmersultat. CarleBoeing est rductible l'analyse. Il n'yapasd'incertitude dans la construction d'un Boeing. En revanche, leconvive, fourchette en main, aura beau rpter indfiniment lamme torsion du poignet, il est peu probable qu'il parviennesoulever la mme quantit de spaghetti! Il Ya dans les spaghetti26 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailPour vivre avec lacomplexit, il fautinventer de nouvellesmanires de penser,d'tre soi-mme etd'tre ensemble.une logique du chaos non prdictible. [...] Nous vivons dans unmonde de spaghetti. Ce nouveau monde commande une rvo-lution des esprits.La plupart des programmes d'ordinateur sont trs compliqus,mais non complexes. En revanche, tous les systmes vivants sont com-plexes. Lessystmes humains et sociaux sont la foiscompliqus etcomplexes. Les variations boursires constituent un exemple loquentdu fonctionnement d'un systme complexe. Comme le note Genelot(1992, p. 28), lescrises apparaissent sans que quiconque ne les pr-voit srieusement, et disparaissent tout aussi trangement .La complexit d'un systmeouvert, contrairement aux ides reues, nese mesurepas la quantitdesvariablesimpliques et des interactions qui le cons-tituent, mais bien sa capacit mmo-riser son exprience, se r-organiserets'auto-organiseren fonctiondesvo-lutions de l'environnement et de sesconditions internes de fonctionnement(Genelot, 1992, p.114). De ce fait, les sys-tmes ouverts complexes sont ncessairement soumis l'incertitude et l'indcidabilit.Eneffet, l'incertitudeet l'indcidabilitsont inhrentesauxsituationscomplexes. L'incertitude, c'est l'impossibilit deprvoirsiune chose surviendra ou non, si un phnomne se produira d'une faonou d'une autre. L'approche sereine des situations complexes consisteadmettrel'incertitudecomme unlment constitutif delaralit.Cette attitude permet de ragir aux vnements imprvus en les con-sidrant comme autant d'occasions d'apprentissage exploiter, pluttque de se buter sur ce qui devrait tre dans un monde illusoire. Commele soulignent Dionne et Ouellet, si l'incertitude est angoissante,elleest galement source de libert(1990, p. 2).L'indcidabilit, elle, n'estpasdue l'ignorancemaisaufaitqu'on sait qu'il est impossible de matriser touslesparamtres d'unesituationcomplexe, demanireJ?ouvoirdcider l'avancesi telleactionest prfrable telleautre. A unniveausuprieur, le fait desavoir qu'on ne sait pas fait partie du savoir(Genelot, 1992, p. 79).Cettereconnaissancedel'indcidabilit engendrel'humilitrequisepour s'ouvrir d'autresperspectives, et donne lecouraged'agirsansavoir de contrle sur le rsultat escompt.Chapitre 2.:. Les obstacles au dnouement desconflits relationnels 27Compte tenu de ces proprits, la complexit ne se laisse jamaisapprhender totalement. On peut acqurir une comprhension globaled'un systme complexe, mais on n'arrivera jamais en prvoir touteslesractions ni lescomportements. Pour vivreavec la complexit, ilfaut inventer de nouvelles manires de penser, d'tre soi-mme et d'treensemble. Rapidit, comprhension, capacit de dialogue, capacit d'in-novation,intgration, simplicit, autonomie et culture sont desatti-tudes, des valeurs et des ressources qui permettent de survivre dans unsystme complexe. Pour sa part, Farson (1997, p.23) ajoute que l'acceptation des dilemmes, la tolrance l'ambigut et la coexistencedesopposssontcrucialespour l'laboration d'unefaondepenserdiffrente .Intervenir3dans un systme complexe implique un changementdans la faon de penser: voir les interrelations plutt que les chanescausales; observer et comprendre les processus de changement pluttque les actions isoles (Senge, 1990). Toute intervention reste, bien sr,l'art de la planification et de la stratgie en vue d'un rsultat escompt.Mais il s'agit dsormais d'estimations dans des ensembles complexes,ouverts, incertains, paramtres multiples dont la description mmeest incertaine.2. t .2. LADESCRIPTIONDELARALITQuel est le problme exactement? Pourquoi ces deux-l ne sJentendent-ils pas?Ces ractions reviennent comme un leitmotiv chaque fois que l'on esten prsence d'une situation conflictuelle, comme si le fait de pouvoirdonner une rponse simple, sans ambigut fournissait en mme tempsdes pistes de solution au conflit.Or, detoutesles illusions, la plus prilleuse consiste penserqu'il n'existe qu'une seule ralit. En fait, ce qui existe ce ne sont quediffrentes versions d'un mme vnement dont certaines peuvent trecontradictoires, et quisont toutesdeseffetsdelacommunication,plutt que le reflet de vrits objectives et ternelles (Watzlawick, 1980).Comme l'affirment les ethnomthodologistes, une description littraled'une situation sociale est impossible parce que toute description estdj une interprtation. En effet, toute description repose sur des choix:quoidcrire, qui, quand, oet comment?SelonHeyman(1994,3. Onentendparfois grer la complexit , ce qui, par dfinition, est unnon-sens.28 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailp. 18), ces choix forment le contexte de la description et donnent ainsileur sens aux vnements dcrits . On ne dcrit pas une ralit objec-tiveexistant enelle-mme indpendamment del'observateur; nosintentions, qu'elles soient personnelles, conscientes ou inconscientes,qu'ellessoient collectives et assujetties la pensedominanted'unepoque, conditionnent [... ] et mmeconstruisent notre visiondelaralit(Genelot, 1992, p. 60).Croire qu'il existe une seule ralit, concrte et indpendantedes individus, et du mme coup imaginer que nous avons accs cetteralitconstituent unobstaclemajeurl'analysed'unconflitrela-tionnel. Cette position qui maintient chacun dans la certitude d'avoirraisonest l'unedes conditions lespluscontreproductivesdanslagestion des conflits (Kegan et Lahey,2001,p. 131).Dansuncontexte deformation, un chef de service rapporte lesfaitssuivants: ses ingnieurs, en rponse une demande de la municipalitde proposer dessolutions une situation que leslus jugent probl-matique, concluent leur analyse en affirmant qu'il n'y a pas de pro-blme. Cependant, ils prcisent que si on tient malgr tout amliorerlasituation, seloneuxnon problmatique, celacoterait auMinis-tre la sommede 500 000 $. Et lechef de serviced'ajouter: laconclusion de l'analyse est bonne, mme si elle ne convient pas lamunicipalit.Pour ce chef deservice, il existe de vraisproblmes, ceux quelui et ses confrres ingnieurs voient comme tels, et de faux problmes.Or, les problmes ne sont pas donns: ils sont construits par les treshumains qui essaient de donner un sens des situations aux contoursmaldfinis, descirconstancescomplexeset troublantes. Ajoutonsavec Dionne et Ouellet (1990,p. 42) que la manire dont on voit leproblme est le problme .Chacun construit sa vision d'une problmatique sociale traversdeuxprocessuscomplmentaires: lefait dedsigner lespointssurlesquels porter son attention (naming) et de dresser le contexte (framing)dans lequel on s'en occupera (Schon, 1994, p. 66). Ensemble, ces deuxprocessus permettent de construire un problme partir de la ralitcomplexe, vagueet indtermine. l'aidedeces deux processus, lesindividus slectionnent quelques faits et quelques relations saillants surlesquels ils porteront leur attention, partir de ce qui, autrement, seraitd'une complexit crasante. Ensuite, ils organisent les lments slec-tionns et retenus de manire cohrente, et dcrivent ce qui ne va pasdans la situation actuelle de telle faon que la transformation souhaites'imposed'elle-mme. la limite, onpourraitdireque touteobser-vationd'une situationcontient les bases d'undiagnostic et, parconsquent, de l'intervention.Chapitre 2.:. Les obstacles au dnouement desconflits relationnels 29Dans un conflit relationnel,chaque membre du groupedtient sa propre vision dela ralit, ci travers lasingularit de ses propresbesoins et de ses propresmotions. Adiculer cesdiffrentes perspectives etles intgrer aux donnesobservables constituent unlment essentiel de ladmarche de dnouementdu conflit.Dans cette perspective, dfinir un problme n'est pas seulementunetechnique: c'est unprocessuscentral la pratiquedesgestion-naires, desprofessionnels et des techniciens. Il leur fautreconnatre,comme le propose Schon(1994), que, mmesiladfinition dupro-blme est une condition ncessaire sa solution technique, cette dfi-nition elle-mme n'a rien de technique. Un problme ne se pose queparce que quelqu'un l'a pos. Et la manire dont on pose le problmedfinit par le fait mme les limites l'intrieur desquelles on pourra lersoudreetletypedesolutionsqui serontpertinentes(DionneetOuellet, 1990;Layole, 1984). Ces deux activitscognitives, nommeret encadrer, interviennent de la mme manire quand il s'agit de dfinirune situation conflictuelle. Il faut tre trs vigilant pour ne pas se laisserenfermerdansunedfinitiondonne, cequi permet dedemeurerouvert auxsourcesd'informationprovenant dediversniveauxderalit.L'attention porte aux modlesinteractifs observables ici et mainte-nant doit tre intgre aux informationslivres par les multiples versions verbalesduconflit. Lesimpactsdelacommuni-cationdoivent treintgrs auxsigni-fications que les individus, selon leurintention, donnent leurs actes. Les inter-actions objectives observables doiventtreenvisagescomme uncomplmentauxpointsde vuesubjectifsdesper-sonnesenconflitetauxractionsmo-tionnelles de l'intervenant. Tous cesaspects ainsi que les divers niveaux d'ob-servation et de collecte d'informations nesont pas en opposition maisse trouvent,au contraire, dans un rapport dialectiquede complmentarit.Dans une optique de complexit, il convient d'adhrer[... ] une vision de la ralit comme une articulation complexede multiples niveaux qui, malgr leur irrductible autonomie, seprsentent comme complmentaires et relis de faon circulaire.Une telle conception marque le passage d'une logique des oppo-sitions dichotomiques de type ou bien/ou bien une logiquedes regroupements dialectiques de type et/et . Selon cette con-ception, le prsent et le pass peuvent coexister, nonpas danslesens d'une nouvelle recherche de causes, mais en cela que lepass est dans le prsent et qu'il continue de vivre dans le prsent(Onnis, 1995, p. 579).30 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailSuivant l'exhortation deMitroff (1998, p. 25), il ne faudraitjamais accepter une seule dfinition d'un problme; il est essentiel deproduire aumoinsdeux formulationsdiffrentesden'importequelproblme relativement important . Dans un conflit relationnel,chaquemembredugroupedtient sa propre visiondelaralit, travers la singularit de ses propres besoins et de ses propres motions;articuler ces diffrentes perspectives et les intgrer aux donnes obser-vables constituent un lment essentiel de la dmarche de dnouementdu conflit.2. t .3. LEPARADOXEAu quotidien, les discussions et lacollecte de donnes additionnelles ne con-duisent pas plusdeclart, ni l'limi-nationduparadoxe; aucontraire, ellesintensifientcelui-ci, moins, commeleprtendMitroff (1998, p. 108), quelesopposants ne puissent mettre en videnceUnecertainecapacit devivre avec le paradoxepermet de mieuxcomprendre ladynamiquedes relationsconflictuelleset d'ensaisir plusrapidement les pistesd'ouverture et lesoccasions de dnouement.Parler deparadoxe est devenu un clich. Selon Davis et al. (1997), leterme paradoxe est apparu dans plus de 300 publications importantesentre 1990 et 1997; la plupart du temps, ce terme dsigne, tort, desdemandes concrtes ou des perspectives opposes. Pour donner un sensdes ralitsdeplus enpluscomplexeset mouvantes, lesindividusconstruisent une perception manichenne de la ralit qui annule lesrelations complexes. Un paradoxe est en soi l'existence simultane dedeux tats oucaractristiques incompatibles, sanspossibilit desyn-thse ou de choix (Cameron, 1986, p. 2) ; par exemple, les couples inno-vation-tradition, stabilit-changement, collaboration-comptition,discipline-crativit, rigueur-imagination correspondent des ralitsparadoxales. Par dfinition, il est impossible de rsoudre un paradoxe,surtout pas par la recherche d'un compromis. La tension qui rsulte desituations paradoxales circonscrit un espace la limite du chaos et nonun point milieu entre deux extrmes (Eisenhardt, 2000, p. 703). Les phi-losophes, lesGrecsanciens, lestaostesetlesexistentialistes voientl'existence humaine comme tant essentiellement paradoxale. Commel'affirme Sperber (1995, p. 32), la contradiction dans la nature n'estpas un hasard, c'est la loi,et elle n'est unaccidentquepour la pensequiconoitcette contradiction en termes linaires. Onsait depuis toujours que tout tre est mou-vement, processus, devenir.Chapitre 2.:. Les obstacles au dnouement desconflits relationnels 31leursvaleurs et leurs prfrences. C'est--direquec'est lamiseenlumire des critres de choix subjectifs dissimuls derrire les argumentslogiques et rationnels qui permet de faire avancer le dialogue. Le para-doxe ne se dpasse que par le passage un niveau de ralit suprieuret plus englobant.Intgrer un paradoxe commence par l'acceptation descontra-dictions comme le yin et le yang. Cette acceptation implique de main-tenir les contradictions de manire que la tension ainsi produite donnelieu la crativit et l'innovation (Simpson et al., 2000, p. 2), de vivreavec la fois la comptition et la collaboration, avec aussi la fois lestendances de l'individualisme et du collectivisme, de vivre et de grer,simultanment, dans l'ordre et dans le dsordre. Comme le mentionnePascale(1990, p. 263) lacrativitet l'adaptationnaissentaveclatension, lapassionet leconflit . Ils'agitdoncd'accepter qu' toutmoment,dans les systmes vivants, coexistent des forces de cohsionet des forces d'antagonisme; c'est un exercice difficile, car la pense tra-ditionnelleabhorrelescontradictionsetleparadoxe. La figure2.1,adaptedeClokeet Goldsmith(2000b, p. 8), metenparallledesnoncs qui, cte cte, illustrent la tension rsultant de l'acceptationdesparadoxes.FIGURE2.1Quelques noncsillustrant la pense paradoxaleD'une partIl n'y a pas de cheminLes chemins sont difficiles trouverIlest facile de se perdrePersonne ne voyage parle mme cheminLe chemin est la destinationD'autre partLes chemins se trouvent partoutLe cheminest l ovous voustrouvezOnne peut tre perduNous voyageons tous parlemme cheminLe cheminn'a pas d'importanceSelon Genelot, les situations complexes sont [... ] caractrisespar la coexistence de logiques de nature trs diffrente, qu'il n'est paspossible de rduire sans dnaturer la situation (1992, p. 82) ; l'ordresans le dsordre supprime toute possibilit de renouvellement et d'vo-lution. Mais le dsordre sans ordre ne permet d'ancrer aucune perma-nence. La vie est cette condition: la prsence conjointe de l'ordre etdu dsordre(1992,p. 132).32 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailDe mme, dans un conflit, les adversaires sont la fois trs loinet trsproches. Ilssont loinenraisondeleurincapacitsecom-prendre, mais troitement lis par leur conflit. Ensuite, d'une part, leconflit se situe entre les deux parties concernes puisque c'est la rela-tion qui est conflictuelle et, d'autre part, le conflit rside l'intrieurde chacun car leurs attitudes, leurs motions, leurs ides sont indispen-sables au maintien du conflit (Cloke et Goldsmith, 2000b, p. 8).Unecertaine capacit de vivre avec le paradoxe permet de mieux compren-dre la dynamique desrelationsconflictuelles, et d'en saisir plus rapi-dement les pistes d'ouverture et les occasions de dnouement,lesquelles s'inscrivent rarement dans une logique linaire.2.2. LARECHERCHEDELACAUSEDUCONFLITLa causalit linaire nous est familire: les causes sont antrieures auxeffetset lesproduisent defaonsystmatique. Par ailleurs, il fautremarquer avec Singer (2001, p. 37) que, bien que la causalit tant pri-se soit sans cesse djoue, nous continuons de nous y cramponner .Dans lessituationsconflictuelles, chercher l'origineduconflit pourmieux en dterminer la cause mobilise souvent, de manire indue,letemps et l'nergie des intervenants. En effet, l'explication linaire, c'est--direlarecherched'unecausequiexpliqueleconflit et, decefait,fournit des pistes intressantes d'intervention, est une ide qui a la viedure. Par exemple, c'est ce qui fait dire Rondeau (1990, p. 526)que la connaissance de l'historique du conflit et de son volution s'av-reront [sic] des lments prcieux d'intervention .Cette croyance esttrs largement partage dans le monde du travail, et la plupart des ges-tionnaires et des collaborateurs ne peuvent s'empcher de chercher lacause du conflit dans les vnements du pass.Ouilmaisconnatre[!histoireduconflit aidemieuxcomprendrepourquoiles personnes sont enconflit et aide trouver des pistes dersolution.Or, cetterecherchede l'origine duconflitcontribue peu lacomprhension de la dynamique conflictuelle prsente et encore moins l'laboration de pistes de dnouement. Nul n'est besoin de connatretoutes les tapes parcourues antrieurement par le voyageur pour l'aider trouver son chemin, moins qu'il ne dsire refaire le mme parcours rebours: il suffit de savoir o il se trouve prsentement et o il veutaller. Prenonsl'analogiedeschecs; lesjoueurs n'ontpassavoirpourquoi les picessont disposesdetellemanireaprs le xe coup,car cela ne change rien l'tat de la partie ni la ncessit pour les noirsChapitre 2.:. Les obstacles au dnouement desconflits relationnels 33ou les blancs de sortir de l'impasse.La perception de la relation entreles pices suffit pour poursuivre une partie, peu importe le moment denotre arrive sur les lieux (Dionne et Ouellet, 1990, p. 17).Bien qu'il ait eu une influence majeure sur la situation actuelle,le pass aide peu savoir ce qui doit tre fait pour modifier cette situa-tiondanslaperspectived'unfutur meilleur. Pourcomprendreouinfluencer un individu dans une situation donne, la connaissance descauses de son comportement actuel, en remontant son pass, n'est pastoujours ncessaire. En ce sens,de plus en plus de praticiens, dont DeJonget Berg(1998), DeShazer (1988), Dionneet Ouellet (1990),O'Hanlon (2000) et Watzlawick et al. (1975), estiment que la recherchedes causes peut fournir des explications intressantes un problme,maisn'apportepasbeaucoup, pour nepasdireriendutout, sarsolution.Dansl'organisationotravaillent Claude et Martin, tout lemondesait qu'il y a cinq ans, lesdeuxayant pos leur candidature pour leposte de superviseur, c'est Martin qui a obtenu le poste convoit. Acemoment-l, Claude et Martintaient de bons amis et ils se voyaienten dehors du travail. Aprs la nomination de Martin,les relations entreles deux se sont graduellement dtriores. Martin a d'abord mis beau-coup d'nergie faire comme si rien n'avait chang .Par la suite,il a fait plusieurs tentatives de mise au point avec Claude et toutes sesont soldes par un chec. Pour sa part, Claude estime que Martin estpass del'autre ct, qu'il n'est pluslemme et que sanominationlui a mont la tte. Maintenant,Claude et Martin ne se parlent plus,et Claudereproche Martinsonmanquedecomptence pour grerl'quipe et pourfairedesalliancesutilesl'quipeaveclahautedirection.Cet exemple montre bien comment la connaissance d'lmentsdupassfournit peudepistesutiles audnouement destensionsactuelles entre Claude et Martin. De plus, ce rationnel qui met l'accentsur la recherche des causes comme moyen essentiel de trouver des pistesdesolution amnesouvent, endsespoirdecause, attribuerdesindividus des motivations ou des traits de personnalit qui les rendentresponsables du conflit (Hoffman, 1981, p. 306). Enfin, la recherche dela cause du conflit s'inscrit, de manire insidieuse, dans la dynamiquedu blme. Lequel a commenc? Qui est le vrai coupable? Qui devraitfaire amende honorable? Laquelle a raison de s'indigner? Comme lesoulignent Stone et al. (1999), quand nous entrons dans la dynamiquedu blme, nous acceptons,par le fait mme, de poser un jugement deculpabilit sur les actions passes et d'imposer une punition en cons-quence. En somme, dans un systme ouvert et complexe, la dtermi-nationet l'analyse, auprsent, desinteractions, desliensentreles34 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailsous-systmesau prsentetdesrponsesquirenforcentlescompor-tementssont plusutilesquela recherchedescauses, dansletemps,selon une logique linaire.En effet, les systmes complexes en interaction obissent unecausalit circulaire et non linaire (Watzlawick et al., 1975, p. 35). Dansunsystmecomplexe, lesactionsproduisentsouventdesrsultatsinattendus et contre-intuitifs.Et la ralit n'obit pas forcment l'ide gnralement rpandueque des causes simples produisent des effets simples et des causescomplexes des effets complexes. Or des systmes simples et dter-ministes peuvent engendreruncomportement complexeetinversement des systme complexes peuvent produire un com-portement simple (Genelot, 1992, p. 58).Par ailleurs, la mmeaction peut susciter desractionsdiff-rentes selonlecontexterelationnel. Par exemple, lesflicitationspeuvent encourager, motiver, rendrearrogant, dmotiver, susciter lamfiance,etc.Sur le plan de l'intervention, les systmes complexes sont hau-tement sensibles certains changements, mais particulirement insen-sibles plusieurs autres. Ainsi, il arrive que des interventionsspectaculaires provoquent desrsultats peine perceptibles et que, l'oppos, desactionsmineuresdonnent desrsultatstonnants. Lerecours de petites modificationsconstitue, d'ailleurs, l'une des pr-misses de toutes les approches de changement centres sur les solutions.Selon ces approches, un petit changement peut transformer de faonradicale le cours d'une situation [... ] une petite modification, un petitchangement de position ou un changement minuscule dans la faonde penser peut provoquer une grande diffrence (Berg et Dolan, 2002,p. 112). De mme, danslesinteractionsconflictuelles, detrspetitschangementsserpercutentdanstoutlesystmeet ontdescons-quences beaucoup plus importantes qu'on ne peut l'imaginer (Wilmotet Hocker,2001, p. 240).Rechercher lescauses d'un conflit revient imposer un cadreexplicatif. Si l'onserefuse reconnatrel'existenced'unebonnemanire d'expliquer les vnements, d'une bonne thorie valable pourtouslesconflits, etque l'onconsidre plutt qu'aucuneexplicationn'est vraie en soi et que la recherche des causes mne une impasse,la manire d'analyser une situation conflictuelle change radicalement(Wittezaele et Garcia, 1995, p. 211). Selon l'approche systmique, lesinteractions continuelles dans notre vie et dans notre milieu de travailnous amnent affronter constamment des difficults relationnelles.Chapitre 2.:. Les obstacles au dnouement desconflits relationnels 35Une difficult, habituellement passagre, devient un conflit relationnelpersistant quand, gre de manire inadquate, elle n'a pas t rsolue,et que la mme solution inefficace est rpte encore et encore. Ind-pendammentdesonorigine, desontiologie, desanatureetdesadure, un conflit ne persiste que dans la mesure o il est maintenu parles comportements des personnes concernes et leurs interactions avecl'entourage. Si les comportementsquialimentent leconflit sontli-mins ou modifis de manire approprie, le conflit disparat peu peuou devient une simple difficult relationnelle.2.3. LARECHERCHED'UNESOLUTIONLetitred'undesouvragesdeWatzlawick, Comment russir chouer,trouver l'ultrasolution, est vocateur de cet obstacle li la recherche dela cause du conflit, qui consiste chercher dsesprment la solutionunique et parfaite. Cette conception de la bonne rponse est juste danslecasdessystmesferms, comme lespices d'uncasse-tte. Noussavons qu'il y a une seule manire d'assembler les pices pour russirlecasse-tte. Maiscommentcroirequ'iln'yaqu'uneseulebonnerponse aux situations de la vie?Lors d'entrevues individuelles visant comprendre la situationconflictuelle dansun groupe, plusieurs personnesdisent, incrdules,j'espre que vous allez trouver la solution miracle . Pourtant, il n'ya pas de solution miracle, mais il y a de nombreuses pistes de solutionque lesmembres du groupe dcouvriront ensemble.Il n'existe pas de solution miracle un conflit relationnel. Lesproblmesd'interactionhumainenesersolventpasaumoyendesolutions prcises qu'il suffit de trouver. Confrontes un problme,diffrentes personnes proposent diffrentes avenues pour sa rsolution.Il n'ya pasde bonnerponsemais uncertain nombredesolutionspossibles qui peuvent s'avrer galement satisfaisantes (Schon, 1994).Dans les situations ouvertes et complexes, on ne peut avoir entirementraison ni tout fait tort, on peut seulement avoir relativement raison(Kegan et Lahey, 2001, p. 31). Ou, comme l'affirme Le Moigne (1990),on ne peut que trouver des solutions plus ou moins satisfaisantes dessituationsproblmatiques, ce qui, dansuneperspectivesystmique,constitue le principe de l'action intelligente.Par ailleurs, pour quiconque croit qu' chaque problme il n'ya qu'une seule vrit et une seule solution optimale, il est impossiblede s'engager, de bonne foi,dans quelque forme de dialogue ou de col-laboration en vue de fairemerger des pistes de solution au conflit.36 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailUne faon de favoriser l'ouverture plusieurs pistes de dnoue-ment des situations conflictuelles est de sortir des dichotomies ou bien/ou bien en ayant recours aux options intgratives l'aide de et/et. Oubien je ne dis rien ou bien je lui dis ses quatre vrits pourrait donnerlieuje ne disrien pour le moment et je pense des moyensdeleconfronter sainement . Ainsiquel'observent Patterson et al. (2002,p. 40), on vite ainsi les de deux choses l'une ou il faut qu'une portesoit ouverteou ferme , affirmationsquitmoignent d'unepostureintellectuelle vacuant la dimensionde complexit des relationsinterpersonnelles.C'est aussi peine perdue de vouloir rgler un conflit entre despersonnes oudesgroupes en recourant uniquement desstandardstechnico-rationnels. Intervenir de manire significative dans un con-flit relationnel impliquededrangerlamatricesocialeplusieursniveaux simultanment. Comme le dit si bien Hoffman (1981, p. 525),les interventions ressemblent une sorte detricot invisible - une l'endroit, deux l'envers .Dnouer desconflits fait ncessairement appel la crativit.Selon Vail (1996, p. 45), la crativit est un mode d'apprentissage danslequel lecrateurnepoursuit pasunobjectif prdfini l'aidedemthodes et de ressources reconnues. La crativit est exploration; treun explorateur c'est littralement ne pas savoir exactement o on s'enva; voil l'essence de l'exploration.Bref, pour contribuerdemaniresignificative dnouerdesconflits relationnels, il faut dpasser la logique linaire, compter avecles principes des systmes ouverts et complexes, accepter la tension desralits paradoxales, tre capable de se mouvoir la limite du chaos etlaisser merger la crativit sinon la vie.2.4. LEDSIRDECHANGERL'AUTREEssayer dechanger l'autre est souvent la premire raction face unconflit relationnel. Pourtant cette tactique est rarement efficace. Voustes certain d'avoir de bonnes raisonsde maintenir votre position etl'autre a d'aussi bonnes raisons pour justifier la sienne. Vous apparaissezaussi draisonnable aux yeux de l'autre que lui vos yeux, et vos effortspour l'amener changer se heurteront aux siens pour vouschanger,car il essaiera tout aussi intensment de vous changer que vous le faites son endroit.Chapitre 2.:. Lesobstaclesaudnouementdesconflitsrelationnels 37Une voie plus fructueuse consiste changer votre interprtationde la situation et, consquemment, votre rle dans la communication4avec cette personne. Wilmot et Hocker (2001, p. 239) nomment cetteposition l'option de l'humilit , laquelle,selon eux, s'avre la foisla plus difficile et la plus efficace pour modifier une situation conflic-tuelle. Vous acceptez de changer unilatralement vos comportementssans attente de rciprocit; vous changez avant que l'autre ne change.Le fait de souhaiter que l'autre change de manire que le con-flit disparaisse est lgitime mais peu raliste. Rarement l'argumentationou ladiscussion amne-t-elle quelqu'un changer.Aucontraire, cesmoyens peuvent susciter l'attitude dfensive et, par la suite, conduirel'autre justifier encore plus son comportement. Ce n'est que lorsqu'ons'engage avec quelqu'un dans une exprience d'apprentissage rcipro-que que certains changements peuvent survenir.Toutefois, cet obstacle doit tre compris de faonparadoxale,car lorsque le changement ne vise pas a priori les personnes mais lesinteractions, les possibilits d'apprentissage augmentent (St-Arnaud,1999, p. 114). C'est seulement quandon nevisepasdirectementlechangement de l'autre comme personne que cet autre, parfois, modifieson comportement. Par ailleurs, en mme temps qu'il me faut renoncerchangerl'autre, jedois croirequ'il ales possibilits dechanger(Hengen, 1998; Kets de Vrieset Balazsl1998; Stone et al., 1999). Lesrsultatsdelaplupart desrecherchessurledveloppement adulteconvergent quant au changement chez l'adulte. Bien que lesadultesne changent pas de manire aussi draconienne et spectaculaire que lesjeunes enfants, certains changements demeurent possibles.Danslarecherchemenepar KetsdeVrieset Balazs(1998,p. 613), les individus qui rapportaient avoir chang considrablementaffirmaient que le maintien du statu quo tait devenu de plus en plusdifficile. Les principales rsistances au changement personnelsont constitues par les forces internes qui s'opposent auchan-gement et par les conditions de l'environnement qui maintiennent lescomportements.L'anxit associe l'incertitudelie l'engagement dansquelque chose de nouveau ou la crainte de voir resurgir d'anciennesfrayeursest un premier facteurdersistance. Dans leurseffortspourcontenir cette anxit, les individus ont recours des comportements4. Rappelons que tout comportement peru par l'autre a valeur de communica-tion(Watzlawick et al., 1972).38 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravaild'vitement qui deviennent,avec le temps, de plus en plus profond-ment ancrs. Rpter un comportement, en dpit de la souffrance qu'ilengendre, est universellement reconnucomme un moyen dematri-ser les dmons du pass. De plus, devoir reconnatreque la situationprsente n'est pas adquate peut tre en soi un facteurde rsistance.Ironiquement, nous semblons parfois prfrer une souffrance familire la promesse d'une flicit inconnue. En somme, les individusconsentent maintenir une situation pnible mais connue au lieu deprendre les actions ncessaires, mais nouvelles, pour amliorer leur sort(Kets de Vries et Balazs, 1998, p. 613).Plusieursdimensionsdecesprocessussejouent inconsciem-ment, entre autres le fait de bnficier de certains avantages secondairesrsultantdescomportementsrelationnelsdysfonctionnels, commel'illustre l'exemple suivant:Charles adopte souvent untonmprisant; il parle fort, d'unton quin'admet aucune rplique. Quand quelque chose le drange, il fait unecrise qui effraie la plupart de ses collgues. Par consquent, son sup-rieur et sescollguessemontrent trsattentifsne paslebrimer;certains redoublent mme de gentillesse son endroit.On comprendra que Charles retire des bnfices secondaires importantsde cet ensemble de comportements. Supporter, l'occasion, les remon-trances de son patron ne fait pas le poids dansla balance des gains.Par contre, sitoussescollguesle confrontaient calmement et poli-ment toutes les fois qu'il donne cours son impulsivit, il est difficilede penser qu'il pourrait continuer ainsi longtemps.Les tudes sur le changement personnel abondent. Dans le con-texteduprsentouvrage, nousnouslimitonsprsenter unebrvesynthse des tapes dcrites par Kets de Vries et Balazs (1998) parce queces auteurs proposent une vision du changement qui tient compte, demanirespcifique, del'environnementorganisationnel. Seloncesauteurs, cinq conditions sont ncessaires pour qu'advienne un chan-gement personnel. Cesont, dansl'ordre, unemotionngative, unincidentcritique, unedclarationpubliqued'intention, unvoyageintrieur et l'internalisation du changement.UnemotionngativeAu regard de la relative stabilit de la personnalit, mettre en branle leprocessus de changement requiert des facteurs incitatifs trs forts sousla forme de stress ou d'anxit caus soit par des problmes de sant,destensions familiales, dessanctionssociales, etc. L'inconfort liaucomportement drangeant doit tre plus grand que le plaisir retir desavantages secondaires. CommeleremarqueKottler (1994, p.59),Chapitre 2.:. Les obstacles au dnouement desconflits relationnels 39quand le but est un changement long terme, l'inconfort est poten-tiellement le plus grand des allis plutt qu'un ennemi .Or, dans denombreusesorganisations, desindividus, prsentant descomporte-ments trs difficiles pour leur entourage sinon inacceptables, peuventrester plusieurs annes sans qu'une intervention ne soit faite ou qu'unenotesoit verseleurdossier. Il vasansdireque, danscescas, lesfacteurs incitatifs au changement n'ont pas t trs forts.Unincident critiqueReconnatre la ncessit d'apporter des changements ne suffit pas pourentreprendre des actions concrtes. Il faut, de plus, une lgre poussedans la direction du changement travers ce que Kets de Vries et Balazs(1998, p. 614) nomment un vnement focal . En rtrospective,cetincident critique est souvent vu, par la personne elle-mme, commeun point tournant quant au changement et il a souvent voir avec unemenace perue son quilibre personnel, son travail, ou un feedbackcritique des pairs ou des suprieurs. Ici, l'absence de feedback critiquepeut tre, indirectement, unencouragementpoursuivresansrienchanger.Unengagement publicUn bonindicateur dudegrlevd'implication dansla volontdechangement est l'expression publique de son intention de changement.Communiquer ouvertement ce qu'on compte fairepour amliorer lecomportement drangeant indique unecertaine acceptation dupro-blme et une volont de prendre des initiatives en vue de s'engager suruneautre voie. L'engagement publicest important parcequ'ila undouble impact: il influe la foissur celui ou celle qui s'engage et surlestmoinsdel'engagement. Commele mentionneGentry(1999,p. 73), lechangementdecomportement estdifficile, maissanslesoutien des autres,il est aussi impossible .UnvoyageintrieurDans le contexte du travail, quelqu'un, entreprenant de modifier uncomportement, aura faire face l'attitude mfiante de ses collguesquisedisent: ane durera pas , a varapidement redevenir commeavant. Cette tape cre beaucoup d'inconfort en raison du sentimentd'tretranger soiet auxautres, d'trediffrent, nonspontanetd'tre seul. Le changement decomportement s'accompagneaussi deractions diffrentes et de sentiments nouveaux: je ne comprends pas40 Dnouer lesconflitsrelationnelsenmilieudetravailvraiment, je ne sais pas comment, mais quelque chose d'important a changen moi . C'est pourquoi la personne qui entreprend une telle dmarcheest souvent tonne de la richesse de sa vie intrieure.L'internalisationduchangementIl y a internalisation du changement quand celui-ci est intgr et quele nouveau comportement est devenu rflexe.En rsum, poser le changement de l'autre comme condition audnouement duconflitest voul'chec. Cependant, ilarriveplusfrquemment qu'on ne le croit gnralement que des individus modi-fient certainsaspects de leur comportement de manire apaiser lestensions relationnelles dans lesquelles ils voluent. On aura toutefoiscompris que de tels changements ont peu de chance de se produire silescomportementsconflictuelssontrenforcsparlesractionsdel'environnement. Enfin, comme dans tout systme, ces changementssontimprvisibles; ilssurviennent parfoisaumomento l'ons'yattend le moins.2.5. LESBIAISCOGNITIFSLa dynamiqueconflictuelle est fortement