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  • Comprendre les Cultural Studies: une approche d'histoire des savoirsAuthor(s): Stphane Van DammeSource: Revue d'histoire moderne et contemporaine (1954-), T. 51e, No. 4 bis, Supplment:Bulletin de la Socit d'Histoire Moderne et Contemporaine (2004), pp. 48-58Published by: Societe d'Histoire Moderne et ContemporaineStable URL: http://www.jstor.org/stable/40588396 .Accessed: 02/03/2014 08:18

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  • Table ronde: Faut-il avoir peur des Cultural Studies!

    Comprendre les Cultural Studies: une approche d'histoire des savoirs

    Stphane Van Damme

    L'ide de cette table ronde1 tait au dpart d'organiser une discussion sur les tendances actuelles de l'histoire culturelle anglo-saxonne, dans une perspec- tive comparable aux rcents dbats engags par la revue. Esprant identifier un objet d'tude plus prcis et trouver un mode d'entre problmatique sur ce ter- rain, le projet s'est dplac peut-tre un peu htivement sur le champ des Cultural Studies qui constitue un des ples o viennent s'agrger des disciplines diverses (anthropologie, sociologie, histoire, Gender Studies, histoire de l'art, etc.) et se croiser des approches multiples autour des questions culturelles. Outre le fait que l'argument de l'conomie d'chelles escompte a perdu trs vite de sa ralit, le choix des Cultural Studies impliquait un double renonce- ment. En premier lieu, son caractre pluridisciplinaire rend impossible un point de vue historiographique, et exige d'adopter d'autres dmarches d'analyse. J'ai choisi de me situer dans une approche d'histoire des sciences sociales voire d'histoire culturelle des savoirs en essayant de comprendre l'extension referen- tielle de ces tudes culturelles au-del de toute cohrence disciplinaire et inter- disciplinaire. En second lieu, il commande de s'inscrire dans une gographie universitaire mondialise et non plus simplement amricaine et britannique.

    Il s'agit pour nous de comprendre un phnomne qui aujourd'hui prend de l'ampleur et de saisir dans sa complexit des pratiques intellectuelles qui sont de moins en moins exotiques mesure que se dveloppe une internationalisation de la recherche en histoire. La constitution de regroupement disciplinaire autour d'objets-frontires partir d'un cadrage acadmique et intellectuel, les Studies, n'est pas anecdotique mais relve de processus profonds qui ont des effets en retour sur les dcoupages des savoirs, leur stabilisation et leur transmission (apparition de rayon de bibliothque, mais aussi mode de lectures nouveau avec l'mergence du genre du reader2) dans l'univers de l'universit de masse.

    1. Communication d'ouverture de la table ronde organise par la SHMC le 15 mai 2004. 2. Il existe plusieurs compilations sur ce thme, par exemple S. During, The Cultural Studies

    Reader, Londres, Routledge, 1993.

    RliVUH n'HiSTOIRK MODERNE HT CONTRMPORAINH 51-4 bis, supplment 2004.

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  • COMPRENDRE LES CULTURAL STUDIES 49

    Moins qu'une sance d'autosatisfaction critique o l'on va pouvoir cl- brer les vertus du blocus continental contre les drives communautaristes de tous les afterologues et autres post-modernistes selon les mots de l'anthro- pologue Marshal Sahlins, on souhaiterait prendre aux srieux ces dynamiques transdisciplinaires et les saisir dans leur contexte.

    Trajectoires et tensions interdisciplinaires

    Afin de donner quelques repres chronologiques pour engager le dbat, la dmarche implique de retracer brivement la trajectoire des Cultural Studies, d'autant plus brivement que deux ouvrages rcents en restituent le rcit.

    Armand Mattelart et Erik Neveu ont propos rcemment une histoire de ce courant en signalant trois phases3. En premier lieu, les Cultural Studies au sens strict naissent en 1964 l'universit de Birmingham sous l'impulsion de trois pres fondateurs: Richard Hoggart, Raymond Williams (1923-1988) et Edward Thompson (1924-1993). Le premier fait paratre en 1957 son ouvrage traduit en franais sous le titre de La culture du pauvre4 o il aborde l'tude de l'influence de la culture diffuse par la classe ouvrire par les moyens de communication moderne. Le second publie en 1958 un livre important, Culture and Society : 1 780-1950, et le dernier en 1 963, The Making of the English Working Class. Ces auteurs s'inscrivent dans le cadre de la renaissance des analyses marxistes et sont proches du courant politique de la New Left. Ils ont en communs de combler un silence de Marx sur l'analyse des systmes de valeurs 5 (Thompson) et proposent de centrer leur approche de la culture de masse sur une histoire sociale de longue dure por- tant sur les pratiques de rsistances des classes populaires et sur les luttes sociales. Un de leur dfi consistera d'emble surmonter le dterminisme conomique des analyses traditionnelles des catgories socio-culturelles en essayant de retrouver les formes spcifiques du mouvement social en Grande-Bretagne6. Autre trait qui caractrise cette priode de fondation des Cultural Studies, c'est la volont de situer l'entreprise intellectuelle aux marges des limites institutionnelles et disciplinaires. La cration Birmingham en 1964 du Centre for Contemporary Cultural Studies s'accompagne de strat- gies extraterritoriales dans le choix des implantations universitaires qui privi- lgie les institutions spcifiques (Open University ou Polytechnics Institute) ou les petites universits comme Warwick o s'installe Thompson. Cependant, cette stratgie d'vitement des grands centres universitaires ne

    3. Armand Mitklart, Erik Neveu, Introduction aux Cultural Studies, Paris, La Dcouverte, 2003 et on lira aussi la discussion collective propose par Andr Kaenel, Catherine Lejeune et Marie- Teanne Rossignol. Cultural Studies. tudes culturelles. Nancv. Presses Universitaires de Nancv. 2003.

    4. R. Hoggart, Im culture du pauvre, Paris, ditions de Minuit, [1957], 1970. 5. Cit par E. Neveu et A. Mattelart, Introduction aux Cultural Studies, op. cit., p. 23. 6. Ibid., p. 23.

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  • 50 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

    conduit pas une marginalisation acadmique, car elle est relaye par des revues actives telles que Past and Present ou History Workshop.

    Le projet de Hoggart est de dplacer les outils de la critique littraire sur le terrain des produits de la culture de masse. Entre 1964 et 1980, plusieurs thmes vont structurer les programmes de recherche dvelopps par les cher- cheurs de ce centre : l'tude des sociabilits ouvrires, des sous-cultures et des marginaux7 (rockers, punks... ), des milieux immigrs ou des pratiques cultu- relles du quotidien et influences des nouveaux mdias, enfin, dveloppement des tudes sur le genre et les races. Les problmatiques conduisent ce moment-l une discussion de la notion d'idologie en tentant de complexi- fier le modle dominant /domins en faisant de ces derniers des consomma- teurs actifs. Les mthodes d'enqute sont aussi rsolument tournes vers l'ethnographie, l'histoire sociale et la mise au jour des archives des domins. Enfin, les premires Cultural Studies se signalent par une recherche continue de nouveaux outils thoriques, en particulier ils ont t trs permables l'in- teractionisme de l'cole de Chicago autour de la figure centrale d'Howard Becker dont l'ouvrage Outsiders devient une rfrence constante8.

    partir des annes 1980, les Cultural Studies s'exportent dans le monde anglo-saxon, d'abord par le relais des enseignants britanniques, mobiles au sein des institutions acadmiques du Commonwealth, puis s'installent aux tats-Unis dans les universits de l'Illinois et de l'Iowa9. L'explosion des Cultural Studies apparat plus prcisment la fin de la dcennie, avec un pic dans la production editoriale en 1991. Comme le rappelle Franois Cusset, le courant amricain va dplacer le questionnaire d'origine en le confrontant la caution thorique franaise. Les travaux de Lyotard, Derrida, mais surtout Barthes, Foucault, Deleuze et de Certeau deviennent des textes canoniques dans le paysage des Cultural Studies. Linvention du quotidien, publi en France en 1980 dans la collection 10/18, est traduit en anglais en 1984 et se vend 30000 exemplaires la premire anne. Cette seconde priode se caractrise par un tournant ethnographique qui contribue valoriser parmi les objets d'tudes, outre les mdias et les consommations culturelles, les pratiques iden- titaires, la construction de collectifs. Plusieurs thmes polarisent l'attention aux tats-Unis comme en Grande-Bretagne. D'abord, merge le problme de la globalisation qui rend de plus en plus difficile l'analyse de cultures natio- nales et remet en cause les reprsentations de l'tat-Nation. Tout un dbat surgit autour des nationalismes et des communauts imagins o les tudes sur les emblmes de la Nation et les consommations identitaires vont fleurir sur l'Europe et sur les aires culturelles la fin des annes 1980. Ensuite, la

    7. Voir le livre classique de David Hebdige, Subcultures. The Meaning of Style, Londres, Routledge, 1979.

    8. Howard Becker, Outsiders, Paris, Mtaill, [1963], 1985. 9. Franois CUSSET, French Theory, toucault, Derrida, Deleuze et Cie et les mutations de la vie intel-

    lectuelle aux tats-Unis, Paris, La Dcouverte, 2003, p. 145.

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  • COMPRENDRE LES CULTURAL STUDIES 5 1

    dislocation des solidarits ouvrires et la mutation sociale des socits post- industrialises entranent l'analyse de micro-communauts ou de trajectoires individuelles. Enfin, au cours des annes 1980 et du dbut des annes 1990, l'importance des migrations, de la mobilit et de la transnationalit deviennent des thmes majeurs.

    Si la France comme d'autres pays europens sont rests l'cart de cette rception, la mondialisation des Cultural Studies semble patente dans les annes 1990. Elle met en vidence un rseau dense d'universits principale- ment anglo-saxonnes, mais aussi des traductions et des adaptations du modle amricain en Amrique du Sud ou en Inde. En Amrique latine, le courant rencontre les centres d'intrts des Estudios culturales qui fleurissaient depuis les annes 1960 dans le sillage d'une importation du concept d'hgmonie de Gramsci. La recherche sur les cultures populaires contemporaines s'est ici enrichie d'autres apports thoriques, que ce soient les approches phnomno- logiques de Paul Ricur, la sociologie de Bourdieu ou les uvres d'Alberto Cirese. On peut citer ici quatre noms importants : le Colombien Jesus Martin Barbero; l'Argentin Nestor Garcia Canclini, le Brsilien Renato Ortiz ou encore le Mexicain Jorge Gonzalez10. En Inde, l'mergence du collectif edito- rial des Subaltern Studies en 1982 sous l'impulsion de l'historien bengali Ranajit Guha (n en 1923) a tir parti la fois d'une forte tradition critique marxiste inspire du modle gramscien d'hgmonie, des travaux de Thompson, et de la mobilit thorique et gographique de ces Traveling Scholars indiens qui frquent temporairement ou dfinitivement depuis les annes 1960 les grandes universits amricaines et britanniques11. Ces trois composantes sont l'origine de tensions qui aboutiront une scission l'oc- casion de l'introduction des thses post-modernistes et du post-colonialisme la fin des annes 1980. De la critique d'une vision hirarchique de l'histoire coloniale de l'Empire britannique, de l'attention porte aux interactions ido- logiques et culturelles entre les lites et les classes populaires dans leurs rsis- tances, on passe une critique plus radicale de la modernit. Or, cette dernire ne se situe plus sur le terrain de l'histoire conomique et sociale, mais se dplace dans le champ culturel et prend la forme d'une polarisation sur les discours et la textualit coloniale, dmatrialisant ainsi la porte du premier mouvement historiographique subalterniste12.

    Ce dveloppement mondial d'un cadre de recherche trs lastique a entran de priodiques tentatives de dfinition et de cartographie des associa- tions disciplinaires impliques dans ce mouvement. titre d'exemple, l'diteur anglais Blackwell publie depuis 1999 un portail internet intitul Cultural

    10. On suit ici A. Mattelart et E. Neveu, Introduction..., op. cit., p. 78-79. 11. Voir Jackie Assayag et Vronique Benei (dir.), At Home in Diaspora. South Asian Intellectuals

    and the West, Delhi-Bloomington, Permanent Black /Indiana University Press, 2003. 12. Voir la mise au point de Jacques Pouchepadass, Les Subaltern Studies ou la critique post-

    coloniale de la modernit, L'Homme, n 156, 2000, p. 161-186.

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  • 52 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

    Studies Resources qui vise permettre la visualisation de ces champs de recherche, des revues, des mta-sites et des diteurs concerns par les Cultural Studies^. Rdige par deux enseignants du dpartement de Cinema Studies de New York University, l'introduction du site propose une dfinition liminaire des Cultural Studies. Concernant la manire dont les sujets humains sont models ou exprimentent leurs vies dans un contexte culturel et social , les Cultural Studies s'appuient sur les mthodes

    de l'conomie, des sciences politiques, des tudes sur la communication et les mdias, de la sociologie, de la littrature, de l'ducation, du droit, des tudes sur la science et la tech- nologie, de l'anthropologie et de l'histoire avec une attention particulire au genre, aux races, aux classes et la sexualit dans la vie quotidienne. Elles reprsentent en termes larges, la combinaison des thories textuelles et sociales, place sous le signe de l'engage- ment pour le changement social. Plus qu'un regard limit aux uvres canoniques sur l'art, l'histoire politique des tats, ou les donnes sociales quantitatives, les Cultural Studies sont tournes vers l'tude des sous-cultures, des mdias populaires, de la musique, du vtement et du sport. En examinant comment la culture est utilise et transforme par des groupes sociaux "ordinaires" et "marginaux", les Cultural Studies les considrent non plus simple- ment comme des consommateurs, mais comme des producteurs potentiels de nouvelles valeurs et de langages culturels. Cet accent mis sur les relations de consommation et de socialisation des biens met au premier plan la centralit des mdias de communication dans la vie quotidienne.

    Les aires de recherche regroupent six rubriques: art, architecture, musique, culture et musum; politique culturelle; Science Studies; Gender, Race and Sexuality ; travail, classe et mouvements sociaux ; mdias. Le portail inventorie quelque quatre-vingts revues au carrefour de la sociologie, de l'his- toire des sciences (Perspective in Science, Science in Context, etc.), de l'anthro- pologie culturelle, de l'histoire de l'art, mais aussi des revues plus directement spcialises dans les Cultural Studies. Outre le renvoi aux mta-sites, le portail donne une liste des organisations et associations professionnelles qui soutien- nent un programme d'tudes culturelles (American Anthropological Association, American Sociological Association, etc.). Enfin, Blackwell publie la liste des diteurs qui ont dvelopp une collection en ce domaine, soit vingt- trois maisons d'ditions principalement universitaires et nord-amricaines (Columbia, Harvard, Johns Hopkins, ou encore New York University) l'ex- ception d'Oxford et de Cambridge.

    On le voit, ce phnomne d'expansion gographique et thmatique a pour consquence une recomposition permanente des limites et des objets que recouvrent les Cultural Studies car elles se dfinissent avant tout comme une anti-discipline. La dynamique d'amplification et d'agrgation explique la force d'attraction du label qui pse la fois sur le march de l'innovation scien- tifique avec la cration de centres de recherche, sur le march de l'dition et fixe les contours de l'offre pdagogique. Le modle de diffusion n'est cependant

    13. blackwellpublishing. com/cultural.

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  • COMPRENDRE LES CULTURAL STUDIES 53

    pas vertical des tats-Unis vers le reste du monde. La naturalisation des Estudios Culturales sous l'appellation Latin American Cultural Studies dans les dpartements de littrature ibro-amricaine tmoigne en retour de cette capacit d'intgration des exceptions acadmiques sur le sol amricain. Les changements de nom des revues signalent enfin un dplacement d'un horizon disciplinaire spcifique une conception plus englobante. Ainsi, la revue African Languages and Cultures fonde en 1988 au sein du dpartement des Langues et cultures africaines de la School of Oriental and African Studies Londres, choisit dix ans plus tard de s'intituler The Journal of African Cultural Studies.

    l'issue de cette description, il faut se garder de plusieurs tentations : ri- fier et durcir le partage entre courants britannique et amricain, et surtout s'en tenir une vision purement anglo-saxonne. Au contraire, il faut s'attacher restituer la multiplicit des hritages et des appropriations qui se dploient l'chelle plantaire.

    Impasses, crises et dplacements: la gnralisation de la critique

    Cette trajectoire ne peut nanmoins s'apparenter la conqute irrsistible d'un territoire, et il faut rappeler que depuis leurs origines, les Cultural Studies ont toujours t confrontes la critique. Hritires d'un espace de recherche dont la multiplicit dborde toute dfinition a priori, les Cultural Studies posent un problme de dlimitation d'autant plus important que la dynamique d'exportation a encourag l'extension du champ de rfrences. On a affaire un savoir dont l'identit reste en fait toujours construire parce que les concepts, les mthodes, les institutions qui relvent des Cultural Studies ont une faible autonomie, et forment plutt des nuds ou des carrefours entre des espaces htrognes14. D'o cette impression d'un savoir qui semble la fois partout et nulle part. D'o aussi la prolifration de controverses externes et internes qui visent produire a posteriori une rationalisation de ce savoir, dfendre des lieux stratgiques disputs. Deux formes de critiques peuvent tre distingues.

    Critiques externes: dnoncer le culturalisme

    D'abord, les travaux du courant des Cultural Studies se caractrisent globale- ment par un loignement progressif des approches sociologiques qui avaient dfini le questionnaire des pionniers britanniques. L'tiquette d'tude des rsis- tances culturelles fait souvent l'conomie d'une dfinition plus large des sous- cultures et pose le problme du point de vue misrabiliste dnonc jadis par

    14. Bernadette Bensaudh- Vincent et Isabelle Stengers, Histoire de la Chimie, Paris, La Dcouverte, [1992], 2001, p. 9.

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  • 54 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

    Passeron et Grignon. Ensuite, l'conomie des biens culturels s'est trouve peu peu vacue du projet contrairement aux travaux sur la culture matrielle promus par Thompson. Le refus du rductionnisme conomique a conduit les Cultural Studies produire une forme d'autonomie des objets culturels sans porter atten- tion leur contexte de production et de circulation. Une des critiques classiques a port ainsi sur l'absence de prise en compte aussi bien du monde social des pro- ducteurs que des industries culturelles. En troisime lieu, dans les annes 1980, le glissement de l'ancrage dans les sciences sociales et la progressive annexion des Cultural Studies par les dpartements de littrature a eu pour consquence de rduire les enqutes de terrain ou dans les archives au profit de pratiques exg- tiques de textes canoniques, et donc de contribuer une textualisation du savoir ainsi produit. Le texte devient alors l'objet et le support de ces tudes. L'absence d'une identit disciplinaire ouvre la voie des rappropriations et des investissements trs divers. Elle implique le dveloppement d'un langage et d'un systme de rfrences intellectuels communs qui ne sont pas exempts de cri- tiques. On a souvent stigmatis une ftichisation des rfrences thoriques et dnonc l'usage d'un jargon. Aux lectures de Marx et de Weber trs prsentes dans les premires dcennies succdent en effet les auteurs de la French Theory. Ce tropisme philosophique et littraire conduit une opacit plus grande des dbats au sein des Cultural Studies, dsormais arbitrs par une discussion sans fin des autorits philosophiques et la production d'un lexique thorique commun. L encore il faut nuancer les effets de centralit du modle amricain. La mondialisa- tion des Cultural Studies a aussi permis des centres de recherche asiatiques ou sud-amricains de voir leurs approches reconnues sur le plan international. Elle a suggr aussi une survivance, une transmission et une discussion de l'hritage britannique des premires Cultural Studies souvent loin des bastions amricains.

    Il faut signaler un dernier problme qui est soulev par l'extension de la surface sociale et intellectuelle. En apparence, l'engagement des premiers his- toriens ou des spcialistes a cd la place une circulation large dans le grand public. preuve, dans les grandes chanes de librairies britanniques ou amri- caines, le rayon Cultural Studies a absorb la production sociologique, anthro- pologique et les tudes sur le genre. La prolifration des usages seconds voire tertiaires de ces Cultural Studies est aussi vidente. On peut donner ici l'exemple de l'usage quasi magique des notions de rhizome ou de machines empruntes Gilles Deleuze, ou encore de celle de cyborg forge en 1985 par la sociologue des sciences Donna Haraway pour dsigner les constructions sociales de la nature telles que le primate dans la science bio- logique du XIXe sicle15. Ces concepts, qui connaissent aujourd'hui des rem- plois divers aussi bien dans les uvres artistiques que fictionnelles, jouissent

    15. Donna Haraway, A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist Feminism, in the Late Twentieth Century , in Donna Haraway, Simians, Cyborgs, and Women : the Reinvention of Nature, Londres, Routledge, 1991, p. 149-182.

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  • COMPRENDRE LES CULTURAL STUDIES 55

    d'une totale autonomie par rapport aux thories qui les ont labores. L'outil thorique devient alors un objet culturel part entire, voire l'emblme d'une nouvelle sous-culture. l'oppos du constat trs ngatif de Neveu et Mattelart, cette dispersion, me semble-t-il, n'a rien d'anecdotique ou de dri- soire, mais signale au contraire deux tropismes vidents de l'identit des Cultural Studies auprs d'un large public : le maintien d'un lien avec les pra- tiques artistiques et militantes; l'incarnation d'un domaine d'expertise. Cependant, on peut se demander si cette prsence extensive sert directement la connaissance, la clbration des Cultural Studies y circulant souvent comme une rfrence incantatoire sans lien avec la recherche.

    Controverses internes: les nouvelles alliances

    Mais il faut se dpartir d'une reprsentation d'un champ interdisciplinaire sauvage offert tous les excs et libre de toute police disciplinaire. Au contraire, l'espace public des Cultural Studies est un champ de forces travaill par de fortes turbulences o les concepts sont discuts et priodiquement redfinis. J'en donnerai quatre exemples. En 2004, Donna Haraway a publi un Reader de ces articles les plus utiliss par le grand public et les groupes fministes en raf- firmant les limites et le sens de ces interprtations contre des usages non contrls16. De mme, l'un des tenants des Cultural Studies dans les milieux de l'anthropologie culturelle, George E. Marcus, souligne la ncessit d'oprer des distinctions fortes entre les diffrentes approches en rapatriant les analyses anthropologiques sur le sol amricain17. L'anthropologue des mdias, Sherry Orner va plus loin, et dnonce l'illusion de la prtendue mthode ethnogra- phique des Cultural Studies ou des Media Studies qui ont laiss penser que la comprhension des reprsentations culturelles pouvait se faire par le seul prisme de l'interprtation /dconstruction des reprsentations18. Enfin, l'an- thropologue James Clifford dans son ouvrage Routes souvent prsent en France comme un des reprsentants des post-modernistes et transnationa- listes, se dit inquiet des tendances l'esthtisation des approches culturelles qui conduisent privilgier la valeur, la hirarchie, et les continuits histo- riques au dtriment des processus impurs et non rgls d'inventions collec- tives19. mon sens, l'occupation de l'espace polmique par l'anthropologie

    16. Donna Haraway, The Haraway Reader, Londres, Routledge, 2004. Dans son introduction, elle revient sur les lectures sauvages de son manifeste : Too many people, forgetting the discipline of love and rage, have read the "Manifesto" as the ramblings of a blissed-out, technobunny, fembot. For me, the ''''Cyborg Manifesto" was a nearly sober socialist-feminist statement written for the Socialist Review to try to think through how to do critique; remember war and its offspring, keep ecofeminism and technoscience joi- ned in the flesh, and generally honor possibilities that escape unkind origins. (p. 3).

    17. George E. Marcus (ed.), Critical Anthropology Now. Unexpected Contexts, Shifting Constituencies, Changing Agendas, Santa Fe, School of American Research Press, 1999, d. 3-28.

    18. Sherry B. Orner, Generation X. Anthropology in a Media-Saturated World, in G. E. Marcus (d.), Critical Anthropology Now..., op. cit., p. 55-87.

    19. James CLIFFORD, Routes, travel and Iranslation in the late lwentieth Century, Cambridge, Harvard University Press, 1997, p. 2.

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  • 56 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

    signifie un transfert de polarit des Cultural Studies d'une dfinition plus his- torienne une conception plus anthropologique. Le changement des configu- rations qui associent et relient diffrentes disciplines et diffrentes institutions, entrane une crise des anciennes alliances et des mcanismes d'intressement. L'intrt des historiens me semble aujourd'hui moins marqu par ces dbats l'exception de l'histoire des sciences o les Cultural Studies rejouent sur les fractures et les frontires internes.

    On touche l un des effets indirects de ces thories frontires qui per- mettent dans un premier temps de favoriser la circulation des savoirs et des rfrences en dsignant des lieux o se cristallisent les interactions entre les scientifiques et leurs partenaires. Elles ont une double vertu la fois sociale et cognitive. Sociale car elles permettent de concilier des intrts sociaux locaux qui peuvent tre multiples et contradictoires : spcialistes des tudes cultu- relles, collectifs politiques, institutions universitaires, diteurs, grand public. Cognitive, car ces thories frontires fdrent des problmatiques et des approches divergentes, crent un nouvel espace spcifique de rflexion tout en permettant aux divers acteurs (historiens, anthropologues, sociologues, linguistes, etc.) de garder leurs comptences20. Pour les uns, les Cultural Studies reprsentent un courant artistique, un objet de divertissement ou encore une pratique militante, alors que pour les autres, elles constituent un nouveau domaine de savoir. Paradoxalement, c'est la faible homognit de ces thories frontires , leur dispersion et leur flou, qui apparat comme un facteur de robustesse et leur permet de maintenir une convergence des points de vue et des connaissances sans que les acteurs aient renoncer leurs propres savoirs21.

    Au total la dimension polmique qui touche la gnralisation des Cultural Studies doit tre prise au srieuse, comme l'un des enjeux de la qute identi- taire. Et dans une certaine mesure, elle confre aux Cultural Studies une dfi- nition minimale comme champ polmique.

    Des ressources pour l'historien?

    Au-del de ces critiques abondantes, on peut suggrer quelques lments positifs sur l'volution de ce champ de recherche.

    Du point de vue des thmatiques, les Cultural Studies ont depuis quarante ans permis un renouvellement des objets et des questionnements en matire

    20. Sur les objets-frontires, voir Susan Lkigh Star et James Griesemer, Institutional Ecology. Translation and Boundary Objects: Amateurs and Professionals in Berkeley's Museum of Vertebrate Zoology, 1907-1939, Social Studies of Science, 1989, vol. 19, p. 387-420 et Joan Fujimura, Crafting Science: Standardized Packages, Boundary Objects and Translation, in Andrew Pickering (ed.), Science as Pratice and Culture, Chicago, University of Chicago Press, p. 1 68-2 1 1 .

    2 1 . Pour une mise en uvre de cette notion en sociologie des sciences voir Isabelle Baszanger, Douleur et mdecine, la fin de l'oubli, Paris, Le Seuil, 1995 et la discussion d'Olivier Martin, lui socio- logie des sciences, Paris, Nathan, 2000, p. 111-113.

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  • COMPRENDRE LES CULTURAL STUDIES 57

    d'analyse des pratiques culturelles et on peut reconnatre en cho des dbats qui ont agit l'histoire socio-culturelle sur la culture populaire, sur les consommations ou sur les intellectuels organiques. Elles ont aussi postul un refus des patriotismes des disciplines universitaires et autoris un dsenclave - ment. C'est particulirement vrai des travaux en anthropologie qui ont remis en cause et propos une discussion des fondements de la discipline anthropo- logique (critique de la construction des terrains, de la clbration de la loca- lit; opposition la dmarche structurale, remise en cause des pratiques d'criture et de la rhtorique de l'anthropologie classique, etc.)22. De mme que le croisement de disciplines telles que la linguistique, la sociologie, l'an- thropologie et l'histoire a permis la redcouverte nouveaux frais d'objets d'tudes condamns une marginalit disciplinaire. On peut songer ici aux analyses des diasporas, des groupes nomades jusque-l tudis en contrepoint de l'histoire politique ou de la dmographie historique et qui accde un statut privilgi. On pourrait continuer l'inventaire, mais l'important est de noter la proximit avec des thmes qui ont structur les dbats historiogra- phiques depuis vingt ans.

    Ainsi, en proposant de dplacer l'interrogation de la description mono- graphique de sites singuliers, de situations locales, pour analyser les circula- tions culturelles d'objets, de savoirs, de mtaphores, de groupes, d'identits, les Cultural Studies ont aussi contribu faire merger le paradigme de la mobilit qui semble aujourd'hui traverser l'ensemble des sciences sociales. Dans cette perspective, elles ont promu toute une srie d'instruments mtho- dologiques qui visent l'analyse de la construction des mondes sociaux dans une dimension spatiale23 partir de techniques de traabilit.

    Les identits, les groupes apparaissent toujours en mouvement, en action. George Marcus dcrit ainsi quatre techniques de traabilit24. Une premire consiste suivre des personnes qui elles-mmes sont mobiles (plerinages, perigrinatio acadmica, cosmopolitisme, mais aussi diaspora, etc.). En second lieu, cette mthode ethnographique entend suivre des objets (machines, pompes air, sucre, microbes, etc.). Marcus souligne aussi l'importance des discours, et propose une traabilit des mtaphores. partir du travail sur la mtaphore de l'immunit de l'ge de la polio la dtection du sida, Emily Martin repre la varit des espaces sociaux o se dploient les interprtations et les usages de cette mtaphore et des associations qui se tissent autour

    22. Sur ces dbats, voir les critiques de Jonathan Fridkman, Des racines et (d)routes. Tropes pour trekkers, L'homme, n 156, 2000, p. 187-206 et Jean-Loup Amselle, Branchements. Anthropologie de l'universalit des cultures, Paris, Flammarion, 2001.

    23. Jonathan Fridkman, The Hybridization of Roots and the Abhorrence of the Bush, in M. Fkatherstone et S. Lash eds, Spaces of Culture: City, Nation, World, Londres, Sage, 1999, p. 230- 256.

    24. George E. Marcus, Ethnography in/of the world system: The Emergence of Multi-Sited Ethnography, Annual Review of Anthropology, W. Durham, E. V. Daniel et B. Schieefelin (eds), 1995, 24, p. 95-117.

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  • 58 REVUE D'HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

    d'elle25. Enfin, l'tude longitudinale des conflits est une technique d'enqute utilise par ces approches multi-situes pour comprendre dans les socits modernes la mobilisation collective ou les effets de fragmentation des espaces publics. travers toutes ces techniques, l'importance accorde la matrialit, la production sociale de la trace, aux chelles, aux temporalits de l'action, aux discours ou interprtations des acteurs sociaux comprises comme des pra- tiques localises, vise conforter une description horizontale du monde social qui aligne l'enquteur et l'enqut. Ces nouvelles mthodes d'enqute me semblent mriter discussion dans le paysage historiographique actuel dans la mesure o elles reconfigurent aussi notre approche du social.

    Stphane Van Damme Maison Franaise d'Oxford - CNRS

    Norham Road Oxford, OX2 6SE

    [email protected]

    25. Emily Martin, Anthropology and Cultural Study of Science: From Citadels to String Figures, in Akhil Gupta et James Fhrguson (eds), Anthropological Locations. Boundaraies and Grounds of Field Science, Berkeley, University of California Press, 1997, p. 131-146.

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    Article Contentsp. [48]p. 49p. 50p. 51p. 52p. 53p. 54p. 55p. 56p. 57p. 58

    Issue Table of ContentsRevue d'histoire moderne et contemporaine (1954-), T. 51e, No. 4 bis, Supplment: Bulletin de la Socit d'Histoire Moderne et Contemporaine (2004), pp. 1-112Front MatterHistoire, historiographie et sciences sociales. Table ronde: Autour de livre Penser avec, penser contreRemarques pour un dbat [pp. 7-17]Ne pas se tromper de cible [pp. 18-22]Sur la crise de l'histoire, II? [pp. 23-27]L'itinraire d'un historien. De la communaut savante la subjectivit productive [pp. 28-33]Grard Noiriel lecteur de Rorty: l'histoire face la philosophie pragmatiste [pp. 34-42]Littrature et histoire: interprter l'interprte [pp. 43-47]

    Table ronde: Faut-il avoir peur des Cultural Studies?Comprendre les Cultural Studies: une approche d'histoire des savoirs [pp. 48-58]Histoires du genre en Grande-Bretagne, 1968-2000 [pp. 59-70]Les Gypsy Studies et le droit europen des minorits [pp. 71-86]Post-Colonial et Colonial Studies: enjeux et dbats [pp. 87-95]

    Assemble gnrale du la SHMC, 15 mai 2004 [pp. 96-101]Back Matter