255

 · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from
Page 2:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

H . F. STEWART,

ARTHUR TILLEY,

4l

J

v . 9 O .

oo !

0

0 0 0 0 0 v 0 41OJ

O .

J J J J J 4 J J J J J

J J J ! JJ

‘J J Ÿ;

J a . 6 ‘ ü O ‘

Page 3:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from
Page 4:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

PREFACE

OME critics of our book, Tire Romantic Movementin French Literature having suggested that we

should prepare a companion volume of selections fromRomantic writers by way of i l lustration to their theories,we have carried out their suggestion. The presentvolume difi‘

ers from most, if not all other anthologies,first ly in confining itself to a single l iterary period, andsecondly in .presen ting within a small compass both theverse and the prose of that period. As regards theverse, we have made it a rule to give all pieces inentirety

,_

a rule from which we have only departed inthe case of the well - known passage, so important in thehistory of the Romantic Movement, from Victor Hugo’slong and unequal poem

,Réponse à un acte d

accusation.

In our prose selections it has of course been impossible to adhere to this rule, but we have included twocomplete stories, one from Balzac, and the otherfrom Mérimée, and we have given substantial portionsof Thierry’s account of St Radegund, of Michelet ’s

enthrall ing narrative of Joan of Arc, and of Victor

Referred to as R. M . in the following pages.

330474

Page 5:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

vi PREFACE

Hugo’s wonderful description of Paris as seen from thetowers of Notre-Dame. Examples of the prose of

Vigny and Musset,and a more adequate presentation

of Sainte-Beuve and Gautier wi l l be found in thecompanion volume. The selection from Chateaubriand,consisting of a number of short passages, has beenmade with a view to illustrate the new style which hein itiated

,and which has profoundly influenœd the whole

later development of French prose. There is nothingfrom A tala orRené, for the reason that they both shou ldbe read in entirety by every student of the RomanticMovement, or, indeed, of French literature in general.We have b een very sparing with notes, except in the

case of pieces like Hugo's Grenade or the passage fromNotre—Dam, which are full of topographical references.

July 1914.

Page 6:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from
Page 7:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

CONTENTS

Page 8:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

CONTENTS

Page 9:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from
Page 10:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LAMARTINE

1 .

Le solei l de nos jours pâlit dès son aurore ;Sur nos fronts languissants à peine il jette encoreQuelques rayons tremblants qui combattent la nuitL’ombre croît

,le jour meurt

,tout s’efface et tout fuit.

Qu’un autre à cet aspect frissonne et s’at tendrisse,Qu ’i l recule en tremblant des bords du précipice,Qu’i l ne puisse de loin entendre sans frémirLe triste chant des morts tout prêt à retentir,Les soupirs étoufl'és d ’une amante ou d ’un frèreSuspendus sur les bords de son l it funéraire,Ou l ’airain gémissant

,dont les sons éperdus

Annoncent aux mortels qu ’un malheureux n ’est plus !

Je te salue, 6 mort ! Libérateur célest e,Tu nem’apparais point sous .

cet aspect funesteQue t’a prêté longtemps l'épouvante ou l

’erreur;Ton bras n ’est point armé d ’un glaive destructeur,Ton front n’est point cruel, ton œi l n’est point perfideAu secours des douleurs un Dieu clément te guide ;Tu n

anéantis pas,tu dél ivres : ta main,

Céleste messager, porte un flambeau divin ;FromPremière: Medi… (x820 ).written at Paris during the winter of 1 8 16—7, It

ex ample of Lamarüne’smastery of the long phrase and ofargumentin verse. lines 80 fi'.

n . p.

“Je te salue, heureuse et profitablemort, Ronsard, ”yum:

Page 11:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

2 LAMARTINE

Quandmon œi l fatigué se ferme à la lumière,Tu viens d ’un jour plus pur inonder ma paupière ;Et l ’espoir près de toi, rêvant sur un tombeau,Appuyé sur la foi, m ’ouvre un monde plus beau.

Viens donc , viens détacher mes chaînes corporelles !Viens

,ouvre ma prison ;viens, prête-moi tes ailes !

Que tardes- tu ? Parais ;que jem’élance enfinVers cet être inconnu, mon princ ipe et ma fin !

Qui m’en a détaché ? Qui suis-je, et que dois-je être ?Je meurs, et ne sais pas ce que c

’est que de naître. 30

Toi qu’en vain j’

interroge, esprit, hôte inconnu ,Avant dem’

animer, quel c iel habitais- tu ?Quel pouvoir t’a jeté sur ce globe fragile ?Quelle main t

enferma dans ta prison d ’argile ?Par quels nœuds étonnants, par quels secrets rapportsLe corps tient-il à toi comme tu tiens au corps ?Quel jour séparera l ‘âme de la matière ?Pour quel nouveau palais quitteras- tu la terre ?As- tu tout oublié ? Par delà le tombeau,Vas—tu renaître encor dans un oubli nouveau ?Vas—tu recommencer une semblable vie ?Ou

,dans le sein de Dieu

,ta source et ta patrie

,

Afi'

ranchi pour jamais de tes l iens mortels,Vas- tu j ouir enfin de tes droits éternels ?

Oui, tel estmon es ir, ô moitié de ma vie !C’est par lui que d jà mon âme rafl

'

ermieA pu voir sans efl

roi sur tes traits enchanteursSe faner du printemps les brillantes couleurs ;C’est par lui que, percé du trait qui me déchire,Jeune encore, en mourant vous me verrez sourire, 50

Et que des pleurs de joie, à nos derniers adieux ,

A ton dernier regard, brilleront dans mes yeux.

Vain espoir !” s'écriera le troupeau d ’Épicure

Et celui dont la main disséquant la nature,

Dans un coin du cerveau nouvellement décritVo itipenser

lamat ière et végéter l ’esprit

Page 12:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

L’

IMMORTALITÉ 3

Insensé, diront—ils que tr0p d’

orgueil abuse,Regarde autour de toi: tout commence et tout s’use,Tout marche vers un terme et tout naît pour mourirDans ces prés jaunisænts tu vois la fleur languir, 6

Tu vois dans ces forêts le cèdre au front superbeSous le poids de ses ans tomber

,ramper sous l ’herbe;

Dans leurs lits desséchés tu vois les mers tarir ;Les cieux même

, les c ieux commencent à pâlir ;Cet astre dont le temps a cache la naissance,Le soleil, comme nous, marche à sa décadence,Et dans les cieux déserts les mortels éperdusLe chercheront un jour et ne le verront plus !Tu vois autour de toi dans la nature entièreLes siècles entasser poussière sur poussière,Et le temps, d ’un seul pas confondant ton orgueil ,De tout ce qu’il produit devenir le cercueil.Et l ’homme, et l ’homme seul, 6 sublime folie !Au fond de son tombeau croit retrouver la vie,Et dans le tourbillon au néant em rté,Abattu par le temps

,rêve l ’étemit

Qu’un autre vous réponde, ô sages de la terre!Laissez-moi mon erreur : j ’aime, il faut que j ’espère ;Notre faible raison se trouble et se confond.

Oui, la raison se tait ;mais l’instinct vous répond. 80

Pour moi, quand je verrais dans les célestes plainesLes astres, s‘écartant de leurs routes cert aines,Dans les champs de l ’éther l ’un par l ’autre heurtés,Parcourir au hasard les cieux épouvantés ;

Se perdre dans les champs de l ’étemel le nuit ;Et quand, dernier témoin de ces scènes funèbres

,

Entouré du chaos,de la mort, des ténèbres,

Seul je serais debout : seul , malgrémon efi‘

roi,

Ê tre infail l ible et bon, j’

espèrerais en toi,Cp. Pml

s“ h m amnüoæ que h mücn ne cænfl t

pomt. ’

1 — 2

Page 13:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

4 LAMAR'

I‘

INE

Et, certain du retour de l ’étemel le aurore,Sur les mondes détruits je t ’attendmis encore !Souvent, tu t’en souviens, dans cet heureux séjourOù naquit d ’un regard notre immortel amour,Tantôt sur les sommets de ces rochers antiques,Tantôt aux bords déserts des lacs mélancoliques

,

Sur l ’aile du désir,loin du monde emportés

,

Je plongeais avec toi dans ces obscurités.

Les ombres, à longs plis descendant des montagnes,Un moment à nos yeux dérobaient les campagnes ;Mais bientôt, s’avançant sans éclat et sans bruit,Le chœur mystérieux des astres de la nuit

,

Nous rendant les objets voilés à notre vue,

De ses molles lueurs revêtait l ’étendue.Telle, en nos temples saints le jour éclairés,Quand les rayons du soir pâ issent r degrés,La lampe

,répandant sa pieuse lumiîîe,

D ’un jour plus recueill i remplit le sanctuaire.Dans ton ivresse alors tu ramenais mes yeuxEt des cieux à la terre, et de la terre aux cieuxDieu caché, disais—tu, la nature est ton temple !L’esprit te voit partout quand notre œi l la contemple;De tes perfect ions, qu ’i l cherche à concevoir,Ce monde est le reflet, l ’image, le miroir ;Le jour est ton regard, la beauté ton sourire ;Partout le cœur t’adore et l ‘âme te respire ;ternel , infini, tout-puissant et tout bon,Ces vastes attributs n

achèvent pas ton nom ;Et l ’esprit, accablé sous ta sublime essence,Célèbre ta grandeur jusque dans son silence.Et cependant, 6 Dieu ! par sa sublime loi,Cet esprit abattu s’élance encore à toi,Et

,sentant que l ’amour est la fin de son être,

Impat ient d ’aimer, brûle de te connaître.”

Tu disais ;et nos cœurs unissaient leurs soupirsVers cet être inconnu qu

attestaient nos désirsA genoux devant lui, l ’aimant dans ses ouvrages,Et l ’aurore et le soir lui portaient nos hommages, 1 30

Page 14:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

L’

IMMORTALITÉ 5

Et nos yeux enivrés contemplaient tour à tourLa terre notre exil

,et le ciel son séjour.

Ah ! si dans ces instants où l ’âme fugitiveS

élance et veut briser le sein qui la captive,

Ce Dieu, du haut du ciel répondant à nos vœux,D ’un trait l ibérateur nous eût frappés tous deux ;Nos âmes

,d ’un seul bond remontant vers leur source,

Ensemble auraient franchi les mondes dans leur course ;A travers l ’infini

,sur l ’aile de l ’amour

,

Elles auraient monté comme un rayon du jour,

Et,jusqu’à Dieu lui-même arrivant éperdues

,

Se seraient dans son sein pour jamais confondues !Ces vœux nous trompaient- ils ? Au néant destinés

,

Est—cc pour le néant que les êtres sont nés ?Partageant le destin du corps qui la recèle

,

Dans la nuit du tombeau l ’âme s’

engloutit- elle ?

Tombe—t—el le en poussière ? ou,prête à s’envoler,

Comme un son qui n’est plus va- t-elle s’

ex haler ?

Après un vain soupir,après l ’adieu suprême

De tout ce qui t ’aimait , n’est- il plus rien qui t’aime ? l 50

Ah ! sur ce grand secret n ’

interroge que toi !Vois mourir ce qui t'aime, Elvire, et réponds-moi !

I I . LE LAC'

Ainsi,toujours poussés vers de nouveaux rivages,

Dans la nuit éternelle emportés sans retour,Ne pourrons—nous jamais sur l'océan des âges

Jeter l ’ancre un seul jour ?0 lac ! l ’année à peine a fini sa carrière,Et près des flots chéris qu’elle devait revoir,Regarde ! je viens seulm’

asseoir sur cette pierreou tu la vis s’asseoir !

L. !52. ForEl vire sæ R. M p. œ.

Pr:män sMM… .written in the autumn of 1 8r7. The lake isthe Lae

du Bourget nearAix -en -Savoie, cp.Raphaël . The theme of Le Lacis theme as tbfl offi ten fifi ù h Naærz;see b elow, p. n .

Page 15:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

6 … u ne

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes ;Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés ;Ainsi le vent jetait l ’écume de tes oncles

Sur ses pieds adorés.Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;On n

entendait au loin, sur l ’onde et sous les c ieux,Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence

Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terreDu rivage charmé frappèrent les échos ;Le flot fut attentif, et la voix qui m’est chère

Laissa tomber ces mots0 temps

,suspends ton vol !et vous

,heures propices

,

Suspendez votre cours !Laissez- nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours !Assez de malheureux ici-bas vous implorent

Coulez,coulez pour eux ;

Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;Oubliez les heureux .

Mais je demande en vain quelques moments encore,Le tempsm’échappe et fuit ; 30

Je dis à cette nuit : ‘ Sois plus lente ’

;et l'aurore

Va dissiper la nuit.Aimons donc

,aimons donc ! de l‘heure fugitive,

Hâtons-nous, jouissons !L’homme n ’a point de port

,le temps n’a point de rive

I l coule,et nous passons !”

Temps jaloux, se peut- i l que ces moments d ivresse,Où l ’amour à longs flots nous verse le bonheur,S'envolent loin de nous de la même vitesse

Que les jours de malheur ? 40

Hé quoi ! n ’en pourrons—nous fixer au moins la trace ?Quoi ! passés pour jamais ? quoi !tout entiers perdus ?Ce temps qui les donna, ce temps qui les efl

'

aœ,

Ne nous lè s rendra plus ?

Page 16:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE LAC 7

É temité, néant, passé, s ombres abîmes,Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?Parlez : nous rendrez- vous ces extases sublimes

Que vous nous ravissez ?O lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !Vous que le temps épargne ou qu’i l peut rajeunir, 50

Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,Au moins le souvenir !

Qu’il soit dans ton repos, qu ’i l soit dans tes orages,Beau lac

,et dans l ‘aspect de tes riants coteaux,

Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvagesQui pendent sur tes eaux !

Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,

Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,Dans l ’astre au front d ’argent qui blanchit ta surface

De ses molles clartés !e vent qui gémit

,le roseau qui soupire,

ue les parfums légers de ton air embaumé,ue tout ce qu’on entend

,l’

on voit ou l ’on respire,Tout dise ° “ I ls ont aimé !”

I I I . L’ISOLEMENT‘

Souvent sur la montagne,à l’ombre du vieux chêne,

Au coucher du soleil,tristement jem’assieds;

Je promène au hasard mes regards sur la plaine,Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;I l serpente, et s’enfonce en un lointain obscurLà le lac immobile étend ses eaux dormantesOù l ’étoile du soir se lève dans l’azur.Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres

,

Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;Et le char vaporeux de la reine des ombresMonte, et blanchit déjà les bords de l’horizon.

Première: Méditaäm. Written in September 1 8 18, not t 8 19asstated by the author in his “

commentaire.

”See R. M p.

Page 17:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

8 LAMARTINE

Cependant, s’

élançant de la flèche gothique,

Un son religieux se répand dans les airs :Le voyageur s’arrête

,et la c loche rustique

Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.Mais à ces doux tableaux mon âme indifférenteN

’éprouve devant eux ni charme ni transports ;Je contemple la terre ainsi qu

’une ombre erranteLe soleil des v ivants n

échaufl'

e plus les morts.De colline en coll ine en vain portant ma vue

,

Du sud à l ’aquilon,de l ’aurore au couchant

,

Je parcours tous les points de l’immense étendue

,

Et je dis : “Nulle part le bonheur ne lpîattend.

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,

Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?Fleuves

,rochers

,forêts

,solitudes si chères

,

Un seul être vous manque,et tout est dépeuplé !

Que le tour du so lei l ou commence ou s‘achève,

D’un œi l indifférent je le suis dans son cours ; 30

En un c iel sombre ou pur qu ’i l se couche ou se lève,

Qu importe le soleil ? je n’

at tends rien des jours.Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière

,

Mes yeux verraient partout le vide et les désertsJe ne désire rien de tout ce qu

’ i l éclai re ;Je ne demande rien à l

’immense univers.Mais peut—être au delà des bornes de sa sphère

,

Lieux où le vrai soleil éclaire d ’autres cieux,

Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,

Ce que j ’ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !Là

,jem’enivrerais à la source où j ’aspire ;

Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour

,

l. 4! H. C& est l e bien que tout espritLe, le repos ou tout lemonde aspire,La est l’amour, la le plaisir encore.La, 6mon âme, au plus haul t ciel guidée !Tu recognoistre 1

’IdéeD e Œuté, qu’en cemonde j ’adore.

Du Bellay, L’0h‘

œ, Sonnet cxm.

Page 19:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

IO LAMARTINE

Le vent qui caressait sa tête écheveléeMe montrait tour à tour ou me voilait ses traits

,

Comme l ’on voit flotter sur un blanc mausoléeL’ombre des noirs cyprès.

Un de ses bras pendait de la funèbre couche ;L’autre, languissamment replié sur son cœur,Semblait chercher encore et presser sur sa bouche

L’image du Sauveur.Ses lèvres s

entr’

ouvraient pour l ’emb rasser encore ;Mais son âme avait fui dans ce divin baiser,Comme un léger parfum que la flamme dévore

Avant de l'emb raser.Maintenant tout dormait sur sa bouche glacée,Le souffle se taisait dans son sein endormi,Et sur l ’œi l sans regard la paupière affaissée

Retombait à demi.Etmoi, debout, saisi d'une terreur secrète,Je n

'osaism’approcher de ce reste adoré

,

Comme si du trépas la majesté muetteL'eut déjà consacré.

Je n’

osais le prêtre entenditmon silence,Et, de ses doigts glacés prenant le crucifixVoilà le souvenir, et voil à l ’espérance :

Emportez- les, mon fi ls !”

Oui, tu me rest eras, ô funèbre héritage !Sept fois

,depuis ce jour

,l ’arbre que j ’ai planté

Sur sa tombe sans nom a changé de feuil lageTu ne m ’as pas quitté.

Placé près de ce cœur,hélas ! où » tout s’efface,

Tu l ’as contre le tem défendu de l ’oubl i,

Et mes yeux goutte goutte ont imprimé leur traœSur l ’ivoire amolli.

0 dernier confident de l ’âme qui s’envole,Viens

,reste sur mon cœur !parle encore

,et dis-moi 5o

Ce qu’elle te disait quand sa faible paroleN

arrivait plus qu’à toi;

Page 20:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE CRUCIFIX I I

A cette heure douteuse où l ’âme recuei l l ie,

Se cachant sous le voile épaissi sur nos yeux,Hors de nos sens glacés pas à pas se replie,

Sourde aux derniers adieuxAlors qu‘entre la vie et la mort incertaine

,

Comme un fruit par son poids détaché du rameau,Notre âme est suspendue et tremble à chaque haleine

Sur la nuit du tombeau ; 60

Quand des chants, des sanglots la confuse harmonieN

éveil le déjà plus notre esprit endormi,Aux lèvres du mourant collé dans l 'agonie,

Comme un dernier amiPour éclaircir l ’horreur de 'cet étroit passage

,

Pour relever vers Dieu son regard abattu,Divin consolateur

,dont nous baisons l ’image

,

Réponds, que lui dis- tu ?Tu sais, tu sais mourir ! et tes larmes divines,Dans cette nuit terrible où tu prias en vain

,

De l ’olivier sacré baignèrent les racinesDu soir jusqu’au matin.

De la croix, où ton œil sonda ce grand mystère,Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil ;Tu laissas comme nous tes amis sur la terre,

Et ton corps au cercueil !Au nomde cette mort, que ma faiblesse obtienneDe rendre sur ton sein ce douloureux soupir :Quandmon heure viendra, souviens- toi de la tienne,

O toi qui sais mourir ! 80

Je chercherai la place où sa bouche expiranteExhala sur tes pieds l ’in évocab le adieu,Et son âme viendra guidermon âme errante

Au sein du même Dieu.

Ah ! puisse, puisse alors sur ma funèbre couche ,Triste et calme à la fois, comme un ange éploré,Une figure en deuil recueill ir sur ma bouche

L’héritage sacré !

Page 21:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

I2 LAMARTINE

Soutiens ses derniers pas,charme sa dernière heure ;

Et, gage consacré d ’espérance et d ’amour, 90

De celui qui s’éloigne à celui qui demeurePasse ainsi tour à tour,

Jusqu’au jour où,des morts perçant la voûte sombre,

Une voix dans le ciel,les appelant sept

Ensemble éveil lemceux qui dorment à l ’ombreDe l ’étemel le croix !

v . ÉTERNITÉ DE LA NATURE ‘

BRIÈVETÉ DE L’HOMME

CANTIQUE

Roulez dans vos sentiers de flamme,

Astres, rois de l'immensité !Insultez

,écrasez mon âme

Par votre presque éternité !Et vous, comètes vagabondes,Du divin océan des mondesDébordement prodigieux,Sortez des limites tracées

,

Et révélez d’autres penséesDe Celui qui pensa les cieux !Triomphe

,immortel le nature

,

A qui la main pleine de joursPrête des forces sans mesure,Des temps qui renaissent toujours !La mort retrempe ta puissance ;Donne, ravis, rends l'existenceA tout ce qui la puise en toi !Insecte éclos de ton souri re,

je regarde et j’

ex pire

et ne pense plus àmoi!

LeLämm‘

n M r‘

çw : et reb‘

gr‘

ewex The theme is that of

Page 22:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

ÉTERNITÉ DE LA NATURE 1 3

Viei l Océan, dans t es rivagesFlotte comme un ciel écumantPlus orageux que les nuages,Plus lumineux qu’un firmament !Pendant que les empires naissent,Grandissent, tombent, disparaissentAvec leurs générations,Bresse tes bouillonnantes crêtes,Bats ta rive, et dis aux tempêtesOù sont les nids des nations ? ”

Toi qui n ’es pas lasse d ’éc loreDepuis la naissance des jours,Lève—toi , rayonnante aurore,Couche—toi, lève- toi toujoursRéfléchissez ses feux sublimes,Neiges éclatante: des cimes,Où le jour descend comme un roi!

Brillez , brillez pour me confondre,Vous qu’un rayon du jour peut fondre,Vous subsisterez plus que moi

Et toi qui t ’abaisse et t ’éléveComme la poudre des chemins,Comme les vagues sur la grève,Race innombrable des humains,Survis au temps qui me consume,Engloutis-moi dans ton écumeJe sens moi—mêmemon néant.Dans ton sein qu’est—cc qu’une vie ?Ce qu ’est une goutte de luieDans les bassins de l ’O an.

Vous mouriez pour renaître encore,Vous fourmillez dans vos sillons :Un soq e du soir à l ’auroreRenouvelle vos tourbillons ;Une existence évanouieNe fait pas baisser d

’une vie

Page 23:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LAMARTINE

Le flot de l‘être toujoursdplein

;I l ne vous manque, quan j

ex pire,Pas plus qu’à . l ’homme qui respireNe manque un souffle de son sein.

Vous allez balayer ma cendre ;L’homme ou l

insecte en renaîtra.

Mon nombrûlant de se répandreDans le nom commun seI l fut ! voilà tout. Bientôt mêmeL

oui couvre ce mot suprême,Un siècle ou deux l ’auront vaincu ;Mais vous ne uvez, ô nature,Effacer une cr ature.Je meurs ;qu

’importe ? j ai vécu !

Dieu m ’a vu ! le regard de vieS ’est abaissé sur mon néant;Votre existence rajeunieA des siècles, j ’eusmon instant !Mais dans la minute quiL

infini de temps et d ’

ce

Dansmon regard s’est r£;étéEt j ’ai vu dans ce point de l êtreLa même imagem’

apparaître

Que vous dans votre immen

Distances incommen5 urab les,Abîmes des monts et des c ieux ,

Vos mystères inépuisablesSe sont révélés à mes yeuxJ ’ai roulé dans mes vœux sublimesPlus de vagues que tes abîmesN

en roulent, ô mer en courroux !Et vous, soleils aux yeux de flamme,Le regard brûlant demon âmeS ’est élevé plus haut que vous !

Page 24:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

ÉTERNITÉ DE LA NATURE 1 5

D e l’Etre universel, unique,

La splendeur dansmon ombre aEt j ’ai bourdonnémon cantiqueDe joie et d ’amour devant lui ;Et sa rayonnante penséeDans la mienne s ’est retracée,Et sa parole m ’a connu ;Et j ’ai monté devant sa face,Et la nature m’a dit : “ Passe ;Ton sort est sublime, i l t’a vu !

Vivez donc vos jours sans mesure,Terre et ciel, céleste flambeau ,Montagnes, mers ! et toi, nature,Souris longtemps sur mon tombeau !Efl

'

acé du livre de vie,Que le néant mêmem’

oub lie !

J’admire et ne suis point jaloux.

Ma pensée a vécu d’avance,Et meurt avec une espérancePlus impérissable que vous !

ALFRED DE V IGNY

I . MOÏSE ‘

Le soleil prolongeait sur la c ime des tentesCes obl iques rayons, ces flammes éclatan tes

,

Ces larges traces d’or qu’il laisse dans les airs,Lorsqu ’en un lit de sable i l se couche aux déserts.

La pourpre et l ’or semblaient revêtir la campagne.Du st érile Nébo gmvissant la montagne,Moïse, homme de Dieu, s

’arrête,et

,sans orgueil,

Sur le vast e horizon promène un long coup d ’œil .

Poênmw t îqmet C D ent . x x x iv. The pœmwritten in 1849, symbol izes the isolation ofgen

‘ius

Page 25:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

16 ALFRED DE VIGNY

I l voit d ’abord Phasga, que des figuiers entourent ;Puis, au delà des monts que ses regards parcourent , roS

étend tout cum,Éphraïm, Manassé,

Dont le pays ferti le à sa droite est placé ;Vers le Midi

,Juda, grand et stérile, étale

Ses sables où s‘endort la mer occ identale ;Plus loin

,dans un vallon que le so ir a pâli

,

Couronné d’

olivîers, se montre Ne htaliDans des plaines de fleurs magni ques et calmes,Jéricho s

’aperçoit : c’est la ville des palmes ;Et, prolongeant ses bois, des plaines de Phogor,Le lentisque touffu s’étend jusqu ’à Ségor.I l voit tout Chanaan

,et la terre promise

,

ou sa tombe, i l le sait, ne sera point admise.

I l voit sur les Hébreux étend sa grande main,Puis vers le haut du mont il reprend son chemin .

Or,des champs de Moab couvrant la vaste enceinte

,

Pressés au large pied de la montagne sainte,

Les enfants d’

Israël s’

agitaient au vallonComme les blés épais qu

agite l’

aquilon.

Dès l’heure où la rosée humect e l ’or des sablesEt balance sa perle au sommet des érables

,

Prophète centenaire, environné d ’honneur,

Moïse était parti pour trouver le Seigneur.On le suivait des yeux aux flammes de sa tête,Et, lorsque du grand mont i l atteignit le faite,Lorsque son front perça le nuage de DieuQui couronnait d’

éclairs la c ime du haut l ieu,L

encens brûla partout sur les autels de pierre.

Et six cent mille Hébreux, courbés dans la poussière,A l’ombre du parfum par le soleil doré,Chantèrent d’une voix le cantique sacré ;Et les fils de Lévi, s’élevant sur la foule,Tels qu’un bois de cyprès sur le sable qui roule,Du peuple avec la harpe accompagnant les voix,D irigeäent vers le ciel l

’hymne du Roi des Rois.

Et,debout devant Dieu, Moïse ayant

pris place

Dans le nuage obscur lui parlait face face.

Page 27:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 8 ALFRED DE VIGNY

J'élève mes regards, votre esprit me visite ;La terre alors chancelle et le soleil hésite

,

Vos anges sont jaloux etm'admirent entre eux.

Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux ;Vous m ’avez fait vieil l ir uissant et solitaire

,

Laissez-moi m’endormir u sommeil de la terre !

Sitôt que votre soufll e a rempli le berger,

Les hommes se sont dit : ‘ I l nous est étranger ’;Et les yeux se baissaient devant mes yeux de flamme

,

Car ils venaient, hélas ! d ’y voir plus quemon âme.

J ’ai vu l ’amour s’éteindre et l ’amitié tarir;Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.M’

enveloppant alors de la colonne noire,’ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,t j ’ai dit dans mon cœur : ‘Que vouloir à présent ? ’Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant

, roo

Ma main laisse l ’eflmi sur la main qu ’elleL'orage est dans ma voix, l

'éclair est sur ma bouche ;Aussi

,loin de m’aimer, voilà qu ’i ls tremblent tous,

Et,quand j ’ouvre les bras, on tombe à mes genoux.

O Seigneur ! j ’ai vécu puissant et solitaire,

Laissez-moi m ’endormir du sommeil de la terre !

Or,le peuple attendait, et, craignant son courroux

,

Priait sans regarder le mont du Dieu jaloux ;Car

,s’i l levait les yeux, les flancs noirs du nuage

Roulaient et redoublaient les foudres de l'orage, n o

Et le feu des éclairs, aveuglant les regards,Enchaînait tous les fronts courbés de toutes parts.Bientôt le haut du mont reparut sans Moïse.Il fut pleuré.— Marchant vers la terre promise

,

Josué s’

avançait pensif, et pâl issant,Car il était déjà l ’élu du Tout-Puissant.

Page 28:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE COR 19

I I. LE COR !

J'aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,Soit qu’i l chante les pleurs de la biche aux abois

,

Ou l ’adieu du chasseur que l'écho faible accueil le,

Et que le vent du nord porte de feuille en feuil leQue de fois, seul, dans l

‘ombre à minuit demeuré,

J ’ai souri de l ’entendre, et plus souvent pleuré !Car je croyais cuir de ces bruits prophétiquesQui précédaient la mort des Paladins antiques.O montagne d ’azur !6 pays adoré !Rocs de la Frazona, c irque du Marboré,Cascades qui tombez des neiges ent raînées,Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ;Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,Dont le front est de glace et le lcd de gazons !C’

est là qu’i l faut s’asseoir, c’est qu ’i l faut entendre

Les airs lointains d ’un Cor mélancolique et tendre.Souvent un voyageur, lorsque l'air est sans bruit,De cette voix d ’aimin fait retentir la nuit ;A ses chants cadencés autour de lui se mêleL

’harmonieux grelot du jeune agneau qui bêle.

Une biche attentive, au lieu de se cacher,Se suspend immobile au sommet du rocher,Et la cascade unit, dans une chute immense,Son éternelle plainte aux chants de la romance.Ames des Cheval iers, revenez—vous encor ?Est —cc vous qui parlez avec la voix du Cor ?Roncevaux ! Roncevaux ! dans ta sombre val léeL’ombre du grand Roland n’est donc pas consolée !

FromPæ‘merd … n“

,Le Cor” is a free paraphmæof

a pamge in the C… ù koM aümwfiflmh 1 81 5 , when the

authœmin garflmat the fœt of tb e Pyænœ& See R.M p. r7r.

2— 2

Page 29:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

20 ALFRED D E VIGNY

Tous les preux étaient morts, mais aucun n’avait fui.I l reste seul debout, Olivier près de lui ; 30

L’

Afrique sur le mont l’entoure et tremble encore.

Roland, tu vas mourir, rends- toi, criait le More;Tous tes pairs sont couchés dans les eaux des torrents.I l rugit comme un tigre, et dit : “ Si je me rends,Africain, ce sera lorsque les Pyrénées

“ Sur l ’onde avec leurs corpsmuleront entraînées.

Rends—toi donc, répond- il,ou meurs

,car les voil à.

Et du plus haut des monts un grand rocher roul a.I l bondit

,i l roula jusqu’au fond de l ’abime

,

Et de ses pins, dans l’onde, i l vint briser la cime. 40

Merci,cria Roland ; tu m’as fait un chemin.

Et jusqu’au pied des monts le roulant d ’une main,Sur le roc afl

'

ermi comme un géant s’élance,Et

,prête à fuir, l’armée à ce seul pas balance.

Tranquil les cependant, Charlemagne et ses preuxDescendaient la montagne et se parlaient entre eux.

A l ’horizon déjà, par leurs eaux signalées,De Luz et d’

Argelès se montraient les vallées.L’armée applaudissait. Le luth du troubadourS'accordait pour chanter les saules de l ’AdourLe vin français coulait dans la coupe étrangère ;Le soldat, en riant, parlait à la bergère.

Roland gardait les monts ; tous passaient sans effroi.Assis nonchalamment sur un noir palefroi

Qui marchait revêtu de housses violettes,urpin disait, tenant les saintes amulett esSire

,on voit dans le ciel des nuages de feu;

“ Suspendu votre marche ;il ne faut tenter Dieu.Par monsieur saint Den is, cert es ce sont des âmesQui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes. 60

Page 30:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE COR 2 I

Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor.Ici l

on entendit le son lointain du Cor.L

Empereur étonné, se jetant en arrière,Suspend du destrier la marche aventurière.

Entendez-vous ? dit- iL— Oui, ce sont des pasteursRappel ant les troupeaux épars sur les hauteurs,”Répondit l ’archev ue,

“ou la voix étouffée

“ Du nain vert 0 ron, qui parle avec sa Fée .

Et l ’Empereur poursuit ;mais son front soucieuxEst plus sombre et plus noir que l'orage des cieux. 70

I l craint la trahison,et, tandis qu’i l y songe,

Le Cor écl ate et meurt, renaît et se prolonge.

Malheur ! c’est mon neveu ! malheur! car, si Roland

Appelle à son secours,ce doit être en mourant

Arrière, chevaliers, repassons la montagne !Tremble encor sous nos pieds

,sol trompeur de

l’

Espagne

IV

Sur le plus haut des monts s’arrêtent les chevaux ;L'écume les blanchit ; sous leurs pieds, Roncevaux

Des feux mourants du jour à ine se colore.

A l‘horizon lointain fuit l ’éten ard du More.

Turpin, n ’as—tu rien vu dans le fond du torrent ?“ J ’y vois deux chevaliers : l ’un mort, l ’autre expirant.Tous deux sont écrasés sous une roche noire ;Le plus fort , dans sa main, élève un Cor d

’ivoire,Son âme en s

ex halant nous appela deux fois.”

Dieu ! que le son du Cor est triste au fond des bois !

80 . The victorious assailants of Charles’s remguard at Roncesml lesop 1 8 August 778, when Hruod land,

“govemor of the Breton March,” was

lulled, were not Samoens at al l , b utWascones (Basques). SeeEgginhard,Wa 1, for this, the only historicalmention of Roland. apart from

Page 31:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

22 ALFRED DE VIGNY

I I I . LA MORT DU LOUP“

I

Les nuages couraient sur la lune enflamméeComme sur l ’incendie on voit fuir la fumée,Et les bois étaient noirs jusques à l’horizon.

Nous marchions,sans parler, dans l ’humide gazon,

Dans la bruyère épaisse et dans l es hautes brandes,Lorsque

,sous des sapins pareils à ceux des Landes,

Nous avons aperçu les grands ongles marquésPar les loups voyageurs que nous avions traqués.Nous avons écouté, retenant notre haleineEt le pas suspendu. Ni le bo is ni la plaineNe poussaient un soupir dans les airs;seulementLa girouette en deuil criait au firmament;Car le vent, élevé bien au—dessus des terres,N

’eflieurait de ses pieds que les tours solitaires,

Et les chênes d ’en bas,contre les rocs penchés,

Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.Rien ne bruissait donc

,lorsque

,baissant la tête,

Le plus v ieux des chasseurs qui s’étaient mis en quêteA regardé le sable en s’y couchant ;bientôt,Lui que jamais ici l ’on ne vit en défaut,A déclaré tout bas que ces marques récentesAnnonçaient la démarche et les griffes puissantesDe deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.

Nous avons tous alors préparé nos couteaux,

Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,Nous allions pas à pas en écartant les branches.Trois s’arrêtent, et moi, cherchant ce qu’i ls voyaient,J’aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient ,Et je vois au delà quatre formes légèQui dansaient sous la lune au milieu des bruyères

, 30

Comme font chaque jour,à grand bruit sous nos yeux

,

Quand le maître revient, les lévriers joyeux.

Leur forme était semblable et semblable la danse ;Mais les enfants du Loup se jouaient en silence

,

This poemmfirst ted in the Rev. ùrpr1n

Mondes forFeb . 1 , 1 843, under the title of “Poèmes philosophiques, I I, LaMort du Loup

Page 32:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA MORT DU LOUP 23

Sachant bien qu’

à deux pas, ne dormant qu’à demi,Se couche dans ses murs l'homme

,leur ennemi.

Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,Sa louve reposait comme celle de marbreQu

adoraient les Romains, et dont les flancs velusCouvaient les demi—dieux Rémus et Romulus. 40

Le Loup vient et s’assied, les deux jambes dressées,Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.I l s’est jugé perdu

,puisqu’i l était surpris,

Sa retraite coupée et tous ses chemins pris ;Alors i l a saisi , dans sa gueule brûlante,Du chien le plus hard i la gorge pmtelante,Et n’a pas desserré ses mâchoires de fer,Malgré nos coups de feu, qui traversaient sa chair,Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles, 50

Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,Mort longtemps avant lui , sous ses pieds a roulé.Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.Les couteaux lui restaient au flanc jusqu ’à la garde

,

Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang;Nos fusils l ’entouraient en sinistre croissant.I l nous r arde encore

,ensuite i l se recouche,

Tout en 1 haut le sang répandu sur sa bouche,Et, sans daigner savoir comment i l a péri

,

Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri. 60

J a: reposé mon front sur mon fusil sans poudre,Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudreA poursuivre sa Louve et ses fils, qui, tous trois,Avaient voulu . l

at tendre, et, comme je le crois,Sans ses deux louveteaux. la bell e et sombre veuveNe l ’eût pas laissé seul subir la grande épreuveMais son devoir était de les sauver, afinDe pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim

,

entrer dans le pacte des villesa fait avec les animaux servi lesdevant lui

,pour avoir le coucher,

Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Page 33:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

24 VICTOR HUGO

III

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nomd’Hommes,

Que j ’ai honte de nous, débiles que nous sommes !Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,C ’est vous qui le savez, sublimes animaux !A voir ce que l ’on fut sur terre et ce qu ’on laisse,Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,

Et ton dernier regard m ’est allé jusqu’au cœur ! 80

I l d isait : “ Si tu peux, fais que ton âme arrive,A force de rester studieuse et pensive,Jusqu’à ce haut d de stoï ue fiertéOù, naissant dans es bois, j

ai tout d ’abord monté.Gémir

,pleurer

,prier, est également lâche.

Fais énergiquement ta longue et lourde tâcheDans la voie où le sort a voulu t ’appeler,Puis, après, commemoi, souffre et meurs sans parler.

V ICTOR H UGO

I . AUX RUINES DE MONTFORT-L’AMAURY’

La vera—wwmûre

La tour du vieux cloître,Et le grandmur noir

D u royal manoir ?ALFRED D Emi.

Je vous aime, ô débris ! et surtout quand l ’automneProlonge en vos échos sa plainte monotone.Sous vos abris croulants je voudrais habiter,Vieil les tours, que le temps l ’une vers l ’autre incline,Et qui semblez de loin sur le haute colline,

Deux noirs géants prêts à lut ter.

et…: Book v. The castle of Montfort - l’Amaury

(mins of the Kl th and XVth'

ng about 30miles west of Paris,belonged to the famous family of the omtes de Montfort , of which SimonEarl of Leicester wus a selon. Pœms of a similar character to this areMusset

’s

“ Stances ”and t ier’s “ Moyen -Age

”and “

La Basilique”

(M er ( M W , pp. 10 and

Page 35:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

26 VICTOR HUGO

II. LES DJ INNS'

E come caMaædo [or lai,

Et comme le::mad : , l a

Dans la laineNaît un ruitC ’est l ’haleineDe la nuit.

Comme une âme

D ’un nain qui sauteC’est le galopI l fuit, s’élance,Puis en cadenceSur un pied danseAu bout d’un flot.

Le: Oriental e:

Page 36:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LES DJINNS 27

La rumeur a procheL’écho la it.C’

est comme la clocheD ’un couvent maudit,Comme un bruit de fouleQui tonne et qui roule,Et tantôt s’écroule,Et tantôt grandit.

Dieu ! la voix sépulcraleDes Djinns !— Quel bruit ils font !Fuyons sous la spiraleDe l ’escal ier profond !Déjà s’éteint ma lampe ;Et l ’ombre de la rampe,Qui le long du mur rampe

,

Monte jusqu‘au plafond

C’est I’essaimdes Dj inns qui passe,Et tourbil lonne en sifllant .

Les ifs, que leur vol fracasse,Craquent comme un pin brûlant.Leur troupeau lourd et rapide,Volant dans l‘espace vide,Semble un nuage l ivideQui porte un éclair au flanc.

I ls sont tout près !Cette sal le Où nous les narguons.Quel bruit dehors ! hideuse arméeDe vampires et de dragons !La poutre du toit desœl léePloie ainsi qu’une herbe mouillée,Et la vieil le porte roui lléeTremble, à déraciner ses gonds !

Cris de l ’enfer! voix qui hurle et qui pleure !L

horrib le essaim,poussé par l

aquilon,Sans doute, ô ciel ! s’abat sur ma demeure.Le mur fléchit sous le noir batail lon.

Page 37:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

VICTOR HUGO

La maison crie et chancel le penchée,Et l ’on dirait que, du sol

Ainsi qu’i l chasse une feui l le séchée,Le vent la roul e avec leur tourbil lon !

Prophète ! si ta main me sauveDe ces impurs démons des soirs,J ’irai prostemermon front chauveDevant tes sacrés encensoirs !Fais que sur ces portes fidèlesMeure leur soq e d

étincel les,Et qu‘en vain l ’ongle de leursGrince et crie à ces vi traux noirs !

I ls sont passés — Leur cohorteS

envole et fuit, et leurs piedsCesœnt de battre ma porteDe leurs coups multipl iés.L’air est plein d ’un bruit deEt dans les forêts prochaines

chênes,Sous leur vol de

De leurs ailes lointainesLe battement décroît,Si confus dans les plaines

,

Si faible,que l ’on croit

Ouïr la sauterelleCrier d ’une voix grêle,Ou pét i ller la grêleSur le plomb d ’un vieux toit.

D’

étranges syllabesNous viennent encor;Ainsi, des ArabesQuand sonne le cor,Un chant sur la grèvePar instants s’élève

,

Et l'enfant qui rêveFait des rêves d’

or!

Page 38:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LES DJINNS

Pressent leurs pas ;Leur essaim grondeAinsi, profonde,Mumure une ondeQu ’on ne voit pas.

Ce bruit vagueQui s’endort,C ’est la vagueSur le bord ;

Le bruit.

I I I . GRENADE“

Soit lointaine,soit voisine,sarrasine,

Page 39:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

30 VICTOR HUGO

La pomme de la beauté,Et qui, gracieuse, étalePlus de pompe oriental eSous un ciel plus enchanté.

Cadix a les palmiers;Murc ie a les oranges ;Jaën, son palais goth aux tourelles étranges ;Agreda

, son couvent bâti par saint Edmond;Ségovie a l

’autel dont on baise les marches,Et l ’aqueduc aux trois rangs d

'arches

Qui lui porte un torrent pris au sommet d’un mont.

Llers a des tours ; BarcelonneAu faîte d’une colonneLève un phare sur la mer ;Aux rois d’Aragon fidèle

,

Dans leurs vieux tombeaux, Tudè leGarde leur sceptre de ferTolose a des forges sombresQui semblent

,au sein des ombres

,

Des soupiraux de l ’enfer.

Le poisson qui rouvrit l’œi l mort du vieux TobieSe joue au fond du golfe Où dort Fontarab ie ;Alicante aux clochers mêle les minarets ;Compostel le a son saint ;Cordoue aux maisons vieillesA sa mosquée où l’œi l se perd dans les merveilles

Madrid a le Manzanarès.

ra. It seems a connex ion between any SaintEdmund and of St Edmund Richwho died at are often due to

There is no place of this name in theGazetteer ofMado:but Leyre in Navarre has a great Cistercian abbey.

a

g. Cp. Tobit x i. 8—1 3.

1. a Fontamb ia, where Milton places the defeatAgramonte, P. L. I

Æ7.

Compost , also cal led Santiago afier its

Page 40:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

GRENADE 31

Bilbao, des flots couverte,Jette une pelouse vert eSur ses murs noirs et caducsMedina la Cheval ière,Cachant sa pauvreté fièreSous le manteau de ses ducs,N’a rien que ses sycomores,Car ses beaux ponts sont aux Maures,Aux Romains ses aqueducs.

Valence a les c lochers de ses trois cents églises;L

austère Alcantara livre au souffle des brisesLes drapeaux turcs, pendus en foule à ses pil iers ;Salmanque en riant s

assied sur trois coll ines,

S'endort au son des mandolines

,

Et s’éveille en sursaut aux cris des écol iers.

Tortose est chère à saint Pierre ;Le marbre est comme la pierreDans la riche Puycerda;De sa bastille octogoneTuy se vante

,et Tarragone

De ses murs qu’un roi fonda ;Le Douro coule à Zamoœ;Tolède a l ’alcazar maure,Sévi lle a la giralda.

Burgos de son chapit re étale la richesse ;Pefiaflor est marquise, et Girone est duchesse ;Bivar est une nonne aux sévères atours ;Toujours prête au combat, la sombre Pampelune,Avant de s’endormir aux rayons de la lune,

Ferme sa ceinture de tours.

34. MedinaCel l , the city, not of heaven but of Selim, was aMoorishW old gave the ducal t itle to the great family of Cerda. Here tsa great

l . .46.aqThe ra l Sah t ofTæoæ is the Virgin Mary.

. 53. Al can r: Al Kasr, house ofCaesar.l. 54. LaGirfl da, so cal led fromits vane (çuegr

‘m, “whichis theMoorüh tower of Seville cathedral . It was once pafl of themæquewhich stood on the site of the church.

Page 41:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

3: VICTOR HUGO

Toutes ces vil les d’

Espagne

S’

épandent dans la campagneOu hérissent la SierraToutes ont des citade ll esDont sous des mains infidèlesAucun beffroi ne vib ra ;Toutes sur leurs cathédralesOnt des clochers en spirales;Mais Grenade a l ’A l hambra.

L’

Alhamb ra! l ’A1hamb ra! palais que les GéniesOnt doré comme un rêve et rempli d’

harmonies,Forteresse aux créneaux festonnés et croulants

,

Où l ’on entend la nuit de magiques syllabes,

Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes ,5 ème les murs de trèfles blancs !Grenade a plus de merveil lesQue n’a de graines vermeillesLe beau fruit de ses val lonsGrenade

,la bien nommée,

Lorsque la guerre enflamméeDéroule ses pavillons

,

Cent fois plus terrible éclateQue la grenade écarlateSur le front des bataillons.

I l n’est rien de plus beau ni de plus grand au monde,

Soit qu’à Vivataub in Vivacon lud réponde,Avec son clair tambour de clochettes orné ;Soit que

,se couronnant de feux comme un calife,

L’

éb louissant Généralife

É lève dans la nuit son faîte illuminé.

Les clairons des Tours-Vermeil lesSonnent comme des abeilles

l. 86. The Bib-staubin is one of Granada’s twenty gates. Vivaconludis perhaps adistort ion ofBib —al bolut .

e General ife,“ the garden of the architect,” is a Moorish

vil la in the vicinity of the Alhambra.

91 . The Vermilion Towers (Torres Bermejas) are Il sort of outWorksto the Alhambra, to which they have given their name— Al -hambra,meaning “ the red.

Page 43:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

34 VICTOR HUGO

Sur un fougueux cheval , nourri d’herbes marines,

Qui fume, et fait jaill ir le feu de ses narinesEt le feu de ses pieds ;

uand i l s’est dans ses nœuds roulé comme un reptile,

u’ i l a bien réjoui de sa rage inuti leSes bourreaux tout joyeux

,

Et qu 11 retombe enfin sur la croupe farouche,

La sueur sur le front, l ’écume dans la bouche,Et du sang dans les yeux ;

Un cri part, et soudain voilà que par la plaineEt l’homme et le cheval, emportés, hors d

haleine,Sur les sables mouvants,

Seuls,emplissant de bruit un tourbillon de poudre

Pareil au noir nuage Où serpente la foudre,

Volent avec les vents !I ls vont. Dans les vallons comme un orage i ls passent

,

Comme ces ouragans qui dans les monts s’

entæsent ,Comme un globe de feu;

Puis déjà ne sont plus qu’un point noir dans la brume,

Puis s’

eflacent dans l ’air comme un flocon d’

écumeAu vaste océan bleu .

I ls vont. L’espace est grand. Dans le désert immense,

Dans l ’horizon sans fin qui toujours recommence,

I ls se plongent tous deux.

Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes,Vil les et tours, monts noirs l iés en longues chaînes,

Tout chancelle autour d’eux. 30

Et si l ’infortuné, dont la tête se brise,Se débat, le cheval, qui devance la brise,

D’un bond plus effrayé,S

enfonce au désert vaste, aride, infranchissable,Qui devant eux s’étend, avec ses pl is de sable,

Comme un manteau rayé.

Tout vac il le et se peint de couleurs inconnuesIl voit courir les bois, courir les larges nues,

Le vieux donjon détruit,

Page 44:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

MAZEPPA 35

Les monts dont un rayon baigne les intervalles ;Il - voit ;et des troupeaux de fumantes cavales

Le suivent à grand bruit !Et le ciel, Où déjà les pas du soir s’al longent,Avec ses océans de nuages Où plongent

nuages encor,Et son soleil qui fond leurs vagues de sa proue

,

Sur son front ébloui t ourne comme une roueDe marbre aux veines d’

or!

Son œi l s’égare et luit, sa chevelure traîne,Sa tête pend ;son sang rougit la jaune arène,

Les buissons épineux ;Sur ses membres gonflés la corde se replie,Et comme un long serpent resserre et multiplie

Sa morsure et ses nœudsLe cheval, qui ne sent ni le mors ni la selle,Toujours fuit, et toujours son sang coule et ru isselle

,

Sa chair tombe en lambeauxHélas ! voic i déjà qu ’aux cavales ardentesQui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes,

Succèdent les corbeaux ! 60

Les corbeaux, le grand—duc à l’œil rond, qui s’efl'

raie,L’aigle efl

'

aré des champs de bataille, et l’

orfraie,Monstre au jour inconnu,

obliques hiboux, et le grand vautour fauveQui fouil le au flanc des morts, où son col rouge et chauve

Plonge comme un bras nu !Tous viennent élargir la funèbre volée ;Tous quittent ur le suivre et l ’yeuse isolée

Et es nids du manoir.Lui

,sanglant

,éperdu

,sourd à leurs cris de joie, 70

D emande en les voyant : “

Qui donc là-haut déploieCe grand éventail noir ? ”

La nuit descend lugubre, et sans robe étoilée.L

essaims’acharne, et suit, tel qu’une meute ai lée,Le voyageur fumant.

Page 45:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

36 VICTOR HUGO

Entre le ciel et lui, comme un tourbillon sombre,I l les voit,

puis les perd, et les entend dans l ‘ombreoler confusément.

Enfin,après trois jours d’une course insensée,

Après avoir franchi fleuves à l ’eau glacée,Steppe5 , forêts, déserts,

Le cheval tombe aux cris des mille oiseaux de proie.

Et son ongle de fer sur la pierre qu’i l broieteint ses quatre éclairs.

Voilà l ’infortuné, gisant, nu, misérable,Tout tacheté de sang, plus rou que l ’érable

Dans la saison des curs.Le nuage d’oiseaux sur lui tourne et s’arrête;Maint bec ardent aspire à ronger dans sa tête

Ses yeux brûlés de pleurs.

Eh bien ! ce condamné qui hurle et qui se traîne,

Ce cadavre vivant, les tribus de l ’UkraineLe feront prince un jour.

Un jour, semant les champs de morts sans sépultures,

I l dédommagera par de larges pâturesL

orfraie et le vautour.

Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice ‘

Un jour, des vieux hetmans i l ceindra la pel isse,Grand à l ’œi l ébloui ;

Et quand il passera, ces peuples de la tente,Prostemés, enverront la fanfare éclatante

Bondir autour de lui !

Ainsi,lorsqu ’un mortel, sur qui son dieu s’étale,

S ’e5 t vu lier vivant sur ta croupe fatale,

Génie,ardent coursier,

En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l’

emportesHors du monde réel , dont tu brises les portes

Avec tes pieds d’acier!

Page 46:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

MAZEPPA 37

Tu franchis avec lui déserts,c imes chenues

Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues,De sombres régions;

Et mille impurs esprits que ta course réveilleAutour du voyageur

,insolente merveil le,

Pressent leurs légions !

I l traverse d’un vol, sur tes ailes de flamme,Tous les champs du possible, et les mondes de

Bol t au fleuve éternel ;Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée

,

Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée,

Flamboie au front du ciel.

Les six lunes d’

Herschel, l’anneau du vieux Saturne,

Le pôle, arrondissant une aurore nocturneSur son front boréal

,

I l voit tout ; et pour lui ton vol, que rien ne lasse,De ce monde sans borne à chaque instant déplace

L’horizon idéal.

Qui peut savoir, hormis les démons et les anges,Ce qu'i l souffre à te suivre

,et quels éc lairs étranges

A ses yeux reluiront,

Comme il sera brûlé d’

ardentes étincelles,Hélas ! et dans la nuit combien de froides ailes

Viendront battre son front ?

I l crie épouvanté, tu poursuis implacable.Pâle

,épuisé, béant, sous ton vol qui l

'accab le

I l ploie avec efl'

roi;Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe.Enfin le terme il court

,il vole, il tombe,

Et se relève roi !Mai 1848.

Page 47:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

38 VICTOR HUGO

V. CE QU’ON ENTEND SUR LA MONTAGNE“

0 alätudo!

Avez- vous quelquefois,calme et silencieux,

Monté sur la montagne, en présence des cieux ?Était-cc aux bords du Sund ? aux côtes de Bretagne ?Aviez-vous l ’Océan au pied de la montagne ?Et là

,penché sur l ’onde et sur l ’ immensité,

Calme et silencieux, avez-vous écouté ?Voici ce qu’on entend, du moins un jour qu

’en rêveMa pensée abattit son vol sur une grève,Et, du sommet d ’un mont plongeant au gouffre amer,Vit d ’un côté la terre et de l ’autre la mer ;J'écoutai, j

entendis,et jamais voix pareil le

Ne sortit d’une bouche et n ’

émut une oreille.

Ce fut d ’abord un bruit large,immense, confus,

Plus vague que le vent dans les arbres touflus,

Plein d'accords éc latants,de suavesmumures,

Doux comme un chant du soir,fort comme un choc

d’

armure3Quand la sourde mêlée étreint les escadronsEt souffle, furieuse, aux bouches des c lairons.C’était une musique inefl'ab le et profonde,Qui

,fluide

,osc illait sans cesse autour du monde

,

Et dans les vastes cieux, par ses flots rajeunis,Roulait élargissant ses orbes infinisJusqu'au fond Où son flux s

al lait perdre dans l’ombreAvec le temps, l’espace et la forme et le nombre !Comme une autre atmosphère, épars et débordé,L’hymne éternel couvrait tout le globe inondé.

Le monde, enveloppé dans cet te symphonie,Comme il vogue dans l ’air, voguait dans l

’harmonie.

Et pensif, j’

écoutais ces harpes de l ’éther,Perdu dans cette voix comme dans une mer.

La Feuil le: d‘Automne

Page 48:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

CE QU’

ON ENTEND SUR LA MONTAGNE 39

Bientôt je distinguai, confuses et voilées,Deux voix dans cette voix l’une à l ’autre mêlées

,

De la terre et des mers s’

épanchant jusqu’au ciel

,

Qui chantaient à la fois le chant universel ;Et je les distinguai dans la rumeur profonde,Comme on voit deux courants qui se croisent sous

l’onde.

L’une venait des mers;chant de gloire!hymne heureux!C’était la voix des flots qui se parlaient entre euxL’autre, qui s’élevait de la terre Où nous sommes

,

tait triste : c’était le murmure des hommes ; 40

Et dans ce grand concert, qui chantait jour et nuit,Chaque onde avait sa voix et chaque homme son bruit.

%r, comme je l’ai dit, l ’Océan magnifiquepandait une voix joyeuse et pac ifique,Chantait comme la harpe aux temples de Sion

,

Et louait la beauté de la création.

Sa c lameur, qu

emportaient la brise et la rafale,I ncessamment vers Dieu montait plus triomphale

,

Et chacun de ses flots, que Dieu seul peut dompter,Quand l’autre avait fini, se levait pour chanter. 50

Comme ce grand lion dont Daniel fut l ’hôte,L

Océan par moments abaissait sa voix haute,Et moi je croyais voir

,vers le couchant en feu

,

Sous sa crinière d ’or passer la main de Dieu.

Cependant, à côté de l ’anguste fanfare,

L’autre voix, comme un cri de coursier qui s ’effare,Comme le gond rouil lé d ’une porte d’enfer

,

Comme l ’archet d’

airain sur la lyre de fer,Grinçait ; et pleurs, et cris, l

injure, l’

anathème ,Refus du viatique et refus du baptême

,

Et malédiction, et blasphème, et clameur,Dans le flot toumoyant de l ’humaine rumeur,Passaien t, comme le soir on voit dans les valléesDe noirs oiseaux de nuit qui s’en vont par volées.Qu’êtait-ce que ce bruit dont mille ' échos vibraient ?Hélas ! c’était la terre et l’homme qui pleuraient.

Page 49:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

40 VICTOR HUGO

Frères ! de ces deux voix étranges,inouïes,

Sans cesse naissant, sans cesse évanouies,Qu

écoute temel durant l ’éternité,L’une disait : NATURE ! et l ’autre : HUMANITE! 70

Alors je méditai ; car mon esprit fidèle,

Hélas ! n ’avait jamais déployé plus grande aile,

'

Dans mon ombre jamais n’avait lui tant de jour,

Et je rêvai longtemps, contemplant tour à tour,Après l’abime obscur que me cachait la lame

,

L’autre abîme sans fond qui s’ouvrait dans mon âme.

Et je me demandai pourquoi l’on est ici,Quel peut être après tout le but de tout ceci

,

Que fait l’âme, lequel vaut mieux d’être ou de vivre,

Et pourquoi le Seigneur, qui seul l it à son l ivre, 80

Mêle éternellement dans un fatal hymenLe chant de la nature au cri du genre humain ?j uil let 1 829.

ANDRÉ GREN IER.

Lorsque l ’enfant paraît, le cerc le de famil leApplaudit à grands cris ;son doux regard qui brille

Fait bril ler tous les yeux,

Et les plus tristes fronts, les plus souil lés peut—être,Se dérident soudain à voir l ’enfant paraître

,

Innocent et joyeux.

Soit que juin ait verdi mon seuil , ou que novembreFasse autour d ’un grand feu vaci l lant dans la chambre

Les chaises se toucher,

Quand l’enfant vient , la joie arrive et nous éclaire. 1 0

On rit,on se récrie

,on l ’appelle, et sa mère

Tremble à le voir marcher.uelquefois nous parlons, en remuant la flamme

,

et de Dieu, des poètes, de l’âmeQui s’élève en priant ;

Le: Feuil le: d’Automne.

Page 51:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

42 VICTOR HUGO

Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j aime,Frères

,parents

,amis

,et mes ennemis même 50

Dans le mal triomphants,De jamais voir, Seigneur ! l ’été sans fleurs vermeilles,La cage sans oiseaux

,la ruche sans abeil les,

La maison sans enfants !

VI I . SOLEILS COUCHANTS ’

Merveil leux tab leaux çae lamdécouvre à la pensée.

J'aime les soirs sereins et beaux,j’aime les soirs,

Soit qu’ils dorent le front des antiques manoirsEnsevelis dans les feuillages ;

Soit que la brume au loin s’al longe en bancs de feu ;Soit que mille rayons brisent dans un ciel bleu

A des archipel s de nuages.Oh ! regardez le ciel ! cent nuages mouvants,Amoncelés là-haut sous le souffle des vents,

Groupent leurs formes inconnues ;Sous leurs flots par moments flamb oie un pâle éc lair, 1 0

Comme si tout à coup quelque géant de l’airTirait son glaive dans les nues.

Le soleil, à travers leurs ombres, bril le encor ;Tantôt fait, à l'égal des larges dômes d

’or,Luire le toit d’une chaumière ;

Ou dispute aux brouil lards de vagues horizons ;Ou découpe

,en tombant sur les sombres gazons,

Comme de grands lacs de lumière.

l. I . Cp.

“Les soirées de cette belle saison des Orientale: se passaientinnocemment à aller voir coucher le soleil dans la plaine, à contempler duhaut des tours de Notre-Dame les reflets sanglants de l

ast re sur les eaux

du fleuve ;puis, au retour, à se lire les vers qu’on avait composés, Sainte

Beuve, Portrait : contemporains, Victor Hugo en 1 831 ( I ).

Page 52:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

SOLEILS coucwmrs 43

Puis voilà qu’on croit voir, dans le c iel balayé,Pendre un grand crocodile au dos large et rayé,

Aux trois rangs de dents acérées ;Sous son ventre plombé glisse un rayon du soir,Cent nuages ardents luisent sous son flanc noir

Comme des écailles dorées.

Puis se dresse un pal ais, puis l ’air tremble et tout fuit.L’édifice effrayant des nuages détruit

S’

écmule en ruines presséesI l jonche au loin le ciel , et ses cônes vermeilsPendent

,la pointe en bas, sur nos têtes, pareilsA des montagnes renversées .

Ces nuages de plomb, d’or, de cuivre, de fer,

ou l’ouragan, la trombe, et la foudre et l'enfer

Dorment avec de sourds murmures,C'est Dieu qui les suspend en foule aux cieux profonds

,

Comme un guerrier qui pend aux pout res des plafondsSes retentissantes armures !

Tout s’en va ! Le soleil, d’en haut préc ipité,

Comme un globe d’

airain qui, rouge, est rejetéDans les foumai5e5 remuées,

En tombant sur leurs flots , que son choc désunit,Fait en flocons de feu jaill ir jusqu’au zénith

L’

ardente écume des nuées !

Oh ! contemplez le ciel ! et dès qu’a fui le jour,En tout temps, en tout lieu, d’un ineffable amour,

Regardez à travers ses voiles ;Un mystère est au fond de leur grave beautéL’hiver, quand ils sont noirs comme un linceul ; l

’été .

Quand la nuit les brode d’étoiles.

[vin 1 828.

Page 53:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

44 VICTOR HUGO

VI I I . PAN ‘

!

OM: v6os, Ska: W W…C t.£ u . Au x .

Si l ’on vous dit que l’art et que la poésieC’est un flux éternel de banale ambroisie,Que c'est le bruit, la foule, attachés à vos pas,On d ’un salon doré l'oisive fantaisie,Ou la rime en fuyant par la rime saisie

,

Oh ! ne le croyez pas !0 poètes sacrés, échevelés, sublimes,Allez

,et répandez vos âmes sur les c imes

,

Sur les sommets de neige en butte aux aquilons,

Sur les déserts pieux où l ’esprit se recueille,

Sur les bois que l’automne emporte feuille à feuil le,Sur les lacs endormis dans l'ombre des vallons !Partout où la nature est grac ieuse et belle

,

Où l’herbe s’

épaissit ur le troupeau qui b è le,Où le chevreau lasci mord le cytiseOù chante un pâtre assis sous une antique arcade,Où la brise du soir fouette avec la cascade

Le rocher tout en pleurs ;Partout où va la plume et le flocon de laine

,

Que ce soit une mer, que ce soit une plaine,Une vieille forêt aux branchages mouvants,I les au so l désert, lacs à l ’eau solitaire,Montagnes, océans , neige ou sable, onde ou terre,Flots ou sillons, partout où vont les quatre vents ;Partout où le couchant grandit l ’ombre des chênes ,Partout où les coteaux croisent leurs molles chaînes

,

Partout où sont des champs , des moissons, des cités,Partout où pend un fruit à la branchePartout où l’oiseau boit des gouttes de

Allez, voyez, chantez l

L aFeuil le: d‘Automne. M roOs Stromata vii. 5 , taken by

Clement fromXen0phanes.

Page 54:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

PAN 45

Al lez dans les forêts, al lez dans les val lées,Faitæ- vous un concert de notes isolées !Cherchez dans la nature, étalée vos yeux,Soit que l’hiver l ’attriste ou que l’été l ’égaye,mot mystérieux que chaque voix bégayecontez ce que dit la foudre dans les cieux !C’est Dieu qui remplit tout. Le monde, c ’est son temple !Œuvre vivante, où tout l ’écoute et le contemple !Tout lui parle et le chante. I l est seul , i l est un !Dans sa création tout est joie et sourire ;L’étoile qui regarde et la fleur qui respire,

Tout est flamme ou parfum !

Enivrez—vous de tout ! enim-vous, poè tes,Des gazons, des ruisseaux, des feuilles inquiètes,Du voyageur de nuit dont on entend la voix,De ces premières fleurs dont février s’étonne,Des eaux, de l’air, des prés, et du bruit monotoneQue font les chariots qui passent dans les bois !

Frères de l’aigle ! aimez la montagne sauvageSurtout à ces moments où vient un vent d ’orage

, 50

Un vent sonore et lourd qui grossit par degrés,Emplit l’espace au loin de nuages et d ’ombres,Et penche sur le bord des préc ipices sombres

arbres efl'

arés !

Contemplez du matin la pureté divine,

la brume en flocons inonde la ravine,

le soleil, qui cache à demi la forêt,Montrant sur l ’horizon sa rondeur échancrée,Grandit comme ferait la coupole doréeD’un palais d’

Orient dont on approcherait !

Enivrez—vous du soir ! à cette heure où, dans l'ombreLe“pays

ageobscur, plein de formes sans nombre,

S’e ace, des chemins et des fleuves rayé ;Quand le mont, dont la tête à l ’horizon s’élève,Semble un géant couché qui regarde et qui rêve,

Sur son coude appuyé !

Page 55:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

46 VICTOR HUGO

Si vous avez en vous, vivantes et pressées,Un monde intérieur d’images

,de pensées

,

De sentiments, d ’amour, d’

ardente passion,

Pour féconder ce monde, échangez- le sans cesseAvec l’autre univers visible qui vous presse !Mêlez toute votre âme à la création !Car, ô poetes saints ! l

’art est le son sublime,

Simple, divers, profond, mystérieux, intime,Fugitif comme l ’eau qu’un rien fait dévier,Redit par un écho dans toute créature

,

Que sous vos doigts puissants exhale la nature,

Cet immense c lavier !

Novembre 1 831 .

IX. LA VACI—IE ‘

Devant la blanche ferme oùparfois vers midiUn v ieillard vient s’asseoir sur le sol attiédi,Où cent poules gaîment mêlent leurs crêtes rouges,

gh,gardiens du sommeil

,les dogues dans leurs bouges

coutent les chansons du gardien de leur réveil,Du beau coq vemissé qui reluit au soleil,Une vache était là tout à l‘heure arrêtée.Superbe, énorme, rousse et de blanc tachetée,Douce comme une biche avec ses jeunes faons,Elle avait sous le ventre un beau groupe d ’enfants, ro

D’

enfants aux dents de marbre,aux cheveux en brous

sail les,

Frais,et plus charbonnés que de v ieil les murail les,

Qui, bruyants, tous ensemble, à grands cris appelantD'autres qui, tout petits, se hâtaient en tremb lanhDérobant sans pitié quelque laitière absente,Sous leur bouche joyeuse et peut- être blessanteEt sous leurs doigts pressant le lait par mille trousTiraient le pis fécond de la mère au poil roux.

La voix

Page 56:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA VACHE 47

Elle, bonne et puissante, et de son trésor pleine,Sous leurs mains par moments faisant frémirSon beau flanc plus ombré qu’un flanc de léoDistraite

,regardait vaguement quelque part.

Ainsi , Nature, abri de toute créature !O mère universelle, indulgente Nature !Ainsi , tous à la fois, mystiques et charnels,Cherchant l ’ombre et le lait sous tes flancs éternels,Nous sommes là, savants, poè tes, pêle-mêle

,

Pendus de toutes parts à ta forte mamelle !Et tandis qu

afl'

amés, avec des cris vainqueurs,

A tes sources sans fin désaltérant nos cœurs,

Pour en faire plus tard notre sang et notre âme,

Nous aspirons à flots_

ta lumière et ta flamme,

Les feuillages, les monts, les prés verts, le c iel bleu,

Toi sans te déranger, tu rêves à ton Dieu !Mai 1 837.

X. UNE NUIT QU ’ON ENTENDAIT LAMER SANS LA VOIR”

sont ces bruits sourds ?

Cette voix profondeQui pleure toujoursEt qui toujours grond ,Quoiqu

un son plus c lairParfoisLe vent de la merSouffle dans sa trompe !

Comme il pleut ce soir !N ’est—cc pas mon hôtel ,à -bas

,à la côte

,

Le ciel est bien noir,La mer est bien haute !

Le: w ix inün‘

emr.

Page 57:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

VICTOR HUGO

On dirait l ‘hiver ;Parfois on s’y tromLe vent de la merSouffle dans sa trompe.

Oh ! marins perdus !Au loin, dans cette ombre

,

Sur la nef qui sombre,

Que de bras tendusVers la terre sombre !Pas d ’ancre de ferQue le flot neLe vent de la merSoufll e dans sa trompe.

Nochers imprudents !Le vent dans la voileDéchire la toileComme avec des dentsLà-haut pur d’étoile !L’un lutte avec l ’air,L’autre est à laLe vent de la merSoufl‘le dans sa trompe.

C'est toi,c’est ton feu

rêve,

s’élève,

Pose sur la grève,Phare au rouge éc lairQue la brumeLe vent de la merSouffle dans sa trompe.

j uil let 1 836.

Page 59:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

VICTOR HUGO

Un chapelet du temps de CharlemagneOmait son

Le vent qui vient à travers la montagneMe rendra fou!

Le roi disait, en la voyant si bel le,

Pour un baiser, pour un sourire d’elle,

Pour un cheveu,

‘ I nfant don Ruy, je donnerais l’

Espagne

Et le Pérou!’Le vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou!“

j e ne sais pas si j'aimais cette dame,

Mais je sais bienQue

,pour avoir un regard de son âme,

J ’aurais gaiement passé dix ans au bagneSous le

Le vent qui vient à travers la montagneMe rendra fou!

Un jour d’été que tout était lumière,Vie et douceur,

Elle s’en vint jouer dans la rivièreAvec sa sœur ;

Je vis le pied de sa jeune compagneEt son

Le vent qui vient à travers la montagneMe rendra fou!

Quand je voyais cette enfant,moi le pâtreDe ce canton

,

Je croyais voir la belle Cléopâtre,Qui, nous dit—on,

Menait César, empereur d’

Al lemagne,Par le

Le vent qui vient à travers la montagneMe rendra fou!

Page 60:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

GUITARE 5 1

Dansez,chantez

,villageois, la nuit tombe!

Sabine un jourA tout vendu, sa beauté de colombe,

Et son amour,Pour l’anneau d’

or du comte de Sal dagne,Pour un

Le vent qui vient à travers la montagneMe rendra fou!

Sur ce vieux banc souffrez que jem’appuie,Car je suis las.

Avec ce comte elle s’est donc enfuie !Enfuie

,hélas !

Par le chemin qui va vers la Cerdagne,

Je ne saisLe vent qui vient à travers la montagne

Me rendra fou !“ Je la voyais passer de ma demeure,

Et c’était tout.Mais à présent je m ’ennuie à toute heure

,

Plein de dégoût,

Rêveur oisif, l’âme dans la campagne

,

Le vent travers la montagneM ’a rendu fou !”

Mar: 1 837.

XI I . OCEANO NOX ‘

Oh ! combien de marins, combien de capitaines,Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines

,

Dans ce morne horizon se sont évanouis lCombien ont disparu, dure et triste fortune !Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,Sous l’aveugle Océan à jamais enfouis !

Page 61:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

5: VICTOR HUGO

Combien de patrons morts avec leurs équipages !L

ouragan de leur vie a pris toutes les pages,Et d’un souffle i l a tout dispersé sous les flots !Nul ne saura leur fin dans l ’abime plongée.

Chaque vague en passant d’un butin s’est chargée;L’une a sais i l ’esquif, l

’autre lesmatelots lNul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !Vous roulez à travers les sombres étendues

,

Heufi ant de vos fronts morts des écuei ls inconnus.Oh !que de vieux parents, qui n

’avaient plusSont morts en attendant tous les jours sur

Ceux qui ne sont pas revenus !On s’entret ient de vous parfois dans les veillée5 .

Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées, ao

Mêle encor quelque temps vos noms,d’ombres couverts,

Aux rires,aux refrains, aux récits d

'aventures,

Aux baisers qu’on dérobe à vos bel les futures,Tandis que vous dormez dans les goëmons verts !On demande : Où sont- i ls ? sont—i ls rois dans quelque

îleNous ont - ils délaissés pour un bord plus fertile ? ”Puis votre souvenir même est enseveli.Le corps se perd dans l’eau, le nomdans la mémoire.Le temps, ui sur toute ombre en verse une plus noire,Sur le somre Océan jette le sombre oubl i. 30

Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.L’un n’a- t -il pas sa barque, et l

’autre sa charrueSeules, durant ces nuits Où l ’orage est vainqueur,Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,Parlent encor de vous en remuant la cendre

De leur foyer et de leur cœur !Et quand la tombe enfin a fermé leur paupiè re,Rien ne sait plus vos noms

,pas même une humble

Dans l’étroit cimetière Où l ’écho nous réPas même un saule vert qui s’efl‘

euil le à l’automne, 40

Pas même la chanson naïve et monotoneQue chante unmendiant à l’angle d’un vieux pont !

Page 62:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

OCEANO nox 53

Où sont- i ls les marins somb rés dans les nuits noires ?O flots, que vous savez de lugubres histoires !Flots profonds, redoutés des mères à genoux !Vous vous les racontez en montant les marées,Et c’est ce qui vous fait ces voix déses

yæaza 1 836.

XI I I . CHANSON ‘

Nous nous promenions parmi les décombres,A Rozel—Tower,

Et nous écoutions les paroles sombresQue disait la mer.

L’énorme Océan— car nous entendîmes

Ses vagues chansonsDisait , Paraissez, vérités sublimes

Et bleus horizons !“Le monde captif

,sans lois et sans règles,

Est aux oppresseurs;Volez dans les cieux

,ailes des grands aigles,

Esprits des penseurs !

Naissez, leva —vous sur les flots sonores,Sur les flots vermeils,

Faites dans la nuit poindre vos aurores,Peuples et soleils !

“Vous— laissez passer le foudre et la brume,Les vents et les cris,

Afl'

rontez l’orage, afl'

rontez l’

écume,Rochers et proscrits

Jersey, j anvier 1 859.

is plaœ of uüeact 3 D ecember t

present ly Emperor.

Page 63:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

VICTOR HUGO

XIV. LE CHASSEUR NOIR ’

Qu’es tu, passant, le bois est sombre.corbeaux volent en grand nombre,

I l va pleuvoir.Je suis celui qui va dans l

'ombre,Le Chasseur Noir !

Les feuilles du bois, du vent remuées,dirait

Qu’un sabbat nocturne emplit des huéesToute la forêt

Dans une clairière au sein des nuées,La lune apparaît.

Chasse le daim, chasse la biche,Cours dans les bois, cours dans la friche.

Voici le soir.Chasse le czar, chasse l

Autriche,O Chasseur Noir !

feui l les du boisSouffle en ton cor, bouche ta guêtre,Chasse les cerfs qui viennent paîtœ

Près du manoir,Chasse le roi, chasse le prêtre,

O Chasseur Noir !

feuil les du boisIl tonne, i l pleut, c’estLe renard fuit, pas de

Et pas d’espoir !Chasse l ’espion, chasse le juge,

O ‘ Chasseur Noir !

La Châh‘mü. For the leænd of the Wild Huntsman cp. Scott ’s

note to his translation of Bürger‘a ilà ]äger.

Page 64:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE CHASSEUR NOIR 55

feui l les du boisTous les démons de saint AntoineBondissent dans la fol le avoine

Sans t ’émouvoir;Chasse l ’abbé, chasse le moine,

O Chasseur Noir !feuilles du boisChasse les ours

,ta meute jappe.

Que pas un sanglier n‘échappe !Fais ton devoir !

Chasse César, chasse le pape,O Chasseur Noir !

Les feuil les du boisLe loup de ton sentier s’écarte.Que ta meute à sa suite parte !

Cours ! fais- le choir !Chasse le brigand Bonaparte,

O Chasseur Noir!feuilles du bois, du vent remuées,

diraitQue le sabbat sombre aux rauques huées

A fui la forêt;Le clair chant du coq perce les nuées ;

Ciel ! l’aube apparaît !Tout reprend sa force première

,

Tu redeviens la France altière,Si belle à voir,

L’

Ange blanc vêtu de lumière,0 Chasseur Noir !

Les feuilles du bois, du vent remuées,dirait

Que le sabbat sombre aux rauques huéesA fui la forêt;

Le c lair chant du coq a percé les nuées,Ciel ! l’aube apparaît !

Jersey, septembre 1 853.

Page 65:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

VICTOR HUGO

XV. CHANSON ‘

Sa grandeur éblouit l’histoireQuinze ans il fut

Le Dieu qui traînait la victoireSur un afl

'

ût ;L

Europe sous sa loi guerrière

Napoléon dans la batai l le,Grave et serein,

Guidait à travers la mitrai l leL'aigle d’

airain.

I l entra sur le pont d’

Arcole,

Voici de l ’or, viens, pille et vole,Petit, petit

Berlin, Vienne étaient ses maîtresses ;les

corset ;mpha de cent batai llesQu’i l invertit.

Voici pour toi, voic i des fill es,

I l passait les monts et les plaines,

Tenant en mainLa palme, la foudre et les rênes

Du genre humain;ivre de sa gloireQui retentit.

Voici du sang, accours, viens boire,Petit, petit.

La CM imü.

Page 67:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

58 VICTOR HUGO

Sans perruque;créés pour la prose ou la farcePo ulace du style, au fond de l

’ombre éparse ;Vi ains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chefDans le bagne Lexique avait marqués d’une F ;N ’exprimant que la vie abjecte et familière ;Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.Racine regardait ces marauds de travers ;Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,I l le gardait

,trop grand pour dire : “Qu’ il s’en aille

Et Voltaire criait : “ Corneil le s’

encanail le !”

Le bonhomme Corneil le,humble, se tenait coi.

Alors,brigand

,je vins ; jem’écriai: Pourquoi

Ceux- ci toujours devant, ceux- là toujours derrière ?Et sur l ’Académie

,aïeule et douairière,

Cachant sous ses jupons les tropes efl'

arés,

Et sur les bataillons d’

a1ex andrins carrés,

Je lis souffler un vent révolutionnaire.

Je mis un bonnet rouge au v ieux dictionnaire.

Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !

XVI I . CHANSON“

Si vous n’avez rien à me dire,

Pourquoi ven ir auprès demoi?Pourquoi me faire ce sourireQui tournerait la tête au roi ?Si vous n'avez rien à me dire,Pourquoi venir auprès de moi ?

Si vous n ’avez rien àm’

apprendre,Pourquoi me pressez-vous la mainSur le rêve angélique et tendre

,

Auquel vous songez en chemin,Si vous n’avez rien àm’apprendre,Pourquoi me pressez-vous la main ?

a3. Vaugelas was the first editor of the D ictionnaire de l‘Académie,

w

Ëich was notmuchmore than half completed at the t ime of his death in50La vol . I .

Page 68:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

CHANSON 59

Si vous voulez que je m’en ail le,Pourquoi passez-vous par iciLorsque je vous vois, je tressail leC’

est ma joie et c’est mon souci.Si vous voulez que je m ’en aille

,

Pourquoi passez- vous par iciMai

XV I I I . SATURNE !

I

I l est des jours de brume et de lumière vague,ù l’homme, que la vie à chaque instant confond

,

tudiant la plante, ou l ’étoile, ou la vague,S

’accoude au bord croulant du problème sans fond

ou le songeur, pareil aux antiques augures,Cherchant Dieu, que jadis plus d’un voyant surprit,Médite en regardant flx ement les figures

Qu'on a dans l ’ombre de l ’esprit ;Où, comme en s

éveil lant on voit, en reflets sombresDes spectres du dehors errer sur le plafond ,I l sonde le destin, et contemple les ombresQue nos rêves jetés parmi les choses font !Des heures où

,pourvu qu’on ait à sa fenêtre

Une montagne, un bois, l’

Océan qui dit tout,Le jour prêt à mourir ou l ’aube prête à naître,

En soi-même on voit tout à coupSur l’amour, sur les biens qui tous nous abandonnent,

Êur l’homme, masque vide et fantôme rieur,clore des clartés efl

'

ra tes, qui donnentDes éblouissements à l œil intérieur;De sorte qu’une fois que ces visions glissentDevant notre paupière en ce vallon d’exil,Elles n ’en sortent plus et pour jamais emplissent

L'arcade sombre du sourc i l !

La: Contoufl atîm, vol. I .

Page 69:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

60 VICTOR HUGO

Donc,puisque j ’ai parlé de ces heures de doute

Où l’un trouve le calme et l'autre le remords,Je ne cacherai pas au peuple quim’

écoute

Que je songe souvent à ce que font les morts ;Et que j ’en suis venu— tant la nuit étoil éeA fatigué de foismes etmes vœux,Et tant une pensée inqui te est mêlée

Aux racines de mes cheveux

A croire qu ’à la mort, continuant sa route,L’âme

,se souvenant de son humanité,

Envolée à jamais sous la céleste voûte,A franchir l’ infini passait l’éternité;Et que les morts voyaient l ’ex tase et la prière,Nos deux rayons

,pour eux grandir bien plus encore,

Et qu ’i ls étaient pareils à la mouche ouvrièreAu vol rayonnant

,aux pieds d’or,

Qui, visitant les fleurs pleines de chastes gouttes,Semble une âme visible en ce monde réel,Et, leur disant tout bas quel que _

mystère à toutes,Leur laisse le parfum en leur prenant le miel ;Et qu'ainsi, faits vivants par le sépulcre même,Nous irions tous, un jour, dans l ’espace verme i l,Lire l’œuvre infinie et l ’étemel poème,

Vers à vers,soleil à soleil

,

Admirer tout syst ème en ses formes fécondes,Toute création dans sa variété,Et, comparant à Dieu chaque face des mondes

,

Avec l ’âme de tout confronter leur beauté ;Et que chacun ferait ce voyage des âmes

,

Pourvu qu ’i l ait souffert,pourvu qu’ il ait pleuré.

Tous ! hormis les méchants,dont les esprits infâmes

Sont comme un l ivre déchiré.

Page 70:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

SATURNE 6I

Ceux- là ! Saturne, un globe horrible et sol itaire,prendra pour le temps où Dieu voudra punir,

Châtiés à la fois par le c iel et la terre,Par l ’aspiration et par le souvenir !

Saturne! sphère énorme ! astre aux aspects funèbres !Bague du ciel ! prison dont le soupirail luit lMonde en proie à la brume, aux sonfll es, aux ténèbres !

Enfer fait d’hiver et de nuit !

Son atmœphère flotte en zones tortueuses.Deux anneaux flamboyants, tournant a vec fureur,Font

,dans son ciel d’

airain, deux arches monstrueusesD

où tombe une éternelle et profonde terreur.

Ainsi qu’une araignée au centre de sa toile,I l tient sept lunes d ’or qu’ il lie à ses essieux ;Pour lui, notre soleil, qui n

’est plus qu’une étoile,Se perd

,sinistre, au fond des c ieux !

Les autres univers, l ’entrevoyant dans l'ombre,

Se sont épouvantés de ce globe hideux.

Tremblants,ils l ’ont peuplé de chimères sans nombre,

En le voyant errer formidable autourd ’eux !

Oh ! ce serait vraiment un mystère sublimeQue ce c iel si profond

,si lumineux

,si beau

,

Qui flamboie à nos yeux ouvert comme un abîme,

Fût l ’intérieur d ’un tombeau ! 80

tout se révélât à nos paupières closes !morts, ces grands destins nous fussent réservés

Page 71:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

62 VICTOR HUGO

I l est certain aussi que,jadis, sur la terre,

Le patriarche,ému d ’un redoutable effroi,

Et les saints qui peuplaient la Thébaïde austèreOnt fait des songes comme moi ;

Que,dans sa solitude auguste, le prophète

Voyait,pour son regard plein d’étranges rayons,

Par la même fêlure aux réalités faite,S

ouvrir le monde obscur des pâles visions ;

Et qu’à l ’heure où le jour devant la nuit recule,Ces sages que jamais l ’homme

,hélas ! ne comprit,

Mêlaient,silencieux, au morne crépuscule

Le trouble de leur sombre esprit ;

Tandis que l ’eau sortait des sources cristal lines,Et que les grands lions

,de moments en moments

Vaguement apparus au sommet des coll ines,Poussaient dans le désert de longs rugissement5 ! 1 00

Avril 1 839.

XIX ‘

Elle était pâle, et pourtant rose,Petite avec de grands cheveux.

Elle disait souvent : Je n'ose

,

Et ne disait jamais “ Je veux.

Le soir,elle ma Bible

Pour y faireEt, comme une lampe paisible

,

Elle éclairait ce jeune cœur.’ Le: . 1 1 . This, and the two

ter Léopoldine, who wasVœquerie in the Seine

Page 72:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

ELLE ETAIT 63

Sur le saint l ivre que j'admireLeurs yeux purs venaient se fixer ;Livre où l ’une apprenait à l ire,Où l’autre apprenait à penser !

Sur l ’enfant, qui n ’eut pas lu seule,Elle penchait son front charmant,Et l’on aurait dit une ai

eule,Tant el le parlait doucement !

Elle lui disait : “ Sois bien sage !Sans jamais nommer le démon ;Leurs mains erraient de page en pageSur Moïse et sur Salomon,

Sur Cyrus qui vint de la Perse,Sur Moloch et Leviathan,Sur l ’enfer que Jésus traverse,Sur l ’Éden où rampe Satan !

Moi,

— O joie immenseDe voir la sœur près de la sœur !Mes yeux s

enivraient en silenceDe cette ineffable douceur.

Et dans la chambre humble et déserteOù nous sentions, cachés tous trois,Entrer par la fenêtre ouverteLes souffles des nuits et des bois,

Tandis que, dans le texte auguste,Leurs cœurs

,l isant avec ferveur,

Puisaient le beau, le vrai , le juste,I l me semblait, à moi, rêveur,

Entendre chanter des louangesAutour de nous

,comme au saint l ieu,

Et voir sous les doigts de ces angesTressaill ir le livre de Dieu !

Page 73:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

64 VICTOR HUGO

XX. VENI , VIDI , VIXI‘

J ’ai bien assez vécu, puisque dans mes douleursJe marche sans trouver de bras qui me secourent,Puisque je ris à peine aux enfants quim’

entourent ,

Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs;Puisqu

au printemps, quand Dieu met la nature en fête,J’

assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ;Puisque je suis à l ’heure où l ’homme fuit le jour

,

Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ;Puisque l ’espoir serein dans mon âme est vaincu ;Puisqu

en cette saison des parfums et des roses,

0 ma fi l le !j’

aspire à l’ombre où tu reposes ;

Puisque mon cœur est mort, j ’ai bien assez vécu .

Je n’ai pas refusé ma tâche sur la terre.

Mon sil lon ? Le voilà. Ma gerbe ? La voic i .J ’ai vécu souriant, toujours plus adouc i,Debout

,mais incl iné du côté du mystère.

J ’ai fait ce que j ’ai pu; j ’ai servi, j ’ai veillé,Et j ’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine.Je me suis étonné d

’être un objet de haine,Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.Dans ce bagne terrestre Où ne s’ouvre aucune aile,Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,J ’ai portémon chaînon de la chaîne étemefle.

Maintenant, mon regard ne s’ouvre qu ’à demi ;Je ne me tourne plus même quand on me nomme;Je suis plein de stupeur et d

ennui, comme un hommeQui se lève avant l ’aube et qui n’a pas dormi.

Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,Répondre à l ’envieux dont la bouche me nuit.0 Seigneur !ouvrez-moi les port es de la nuit

,

Afin que je m ’en aille et que je disparaisse !Avril 1 848.

Le: Contemfl aäonr, vol . II.

Page 75:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

66 VICTOR HUGO

Je dis que le tombeau qui sur les morts se fermeOuvre le firmament,

Et que ce qu’ici—bas nous prenons pour le terme

Est le commencement ;

Je conviens à genoux que vous seul , père auguste,Possédez l ’infini, le réel , l ’absolu ;Je conviens qu’i l est bon, je conviens qu I l est justeQuemon cœur ait saigné, puisque Dieu l ’a voulu !Je ne résiste plus à tout ce qui m

’arrivePar votre volonté.

L’âme de deuils en deuils, l ’homme de rive en rive,Roule à l'éternité. 40

Nous ne voyons jamais qu’un seul côté des choses ;L’autre plonge en la nuit d ’un mystère effrayantL’homme subit le joug sans connaître les causes.Tout ce qu ’i l voit est court, inuti le et fuyant.

Vous faites revenir toujours la solitudeAutour de tous ses pas.

Vous n’avez pas voulu qu’ i l eût la certitudeNi la joie ici-bas !

Dès qu I l possède un bien, le sort le lui ret ire.R ien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,Pour qu I l s’en puisse faire une demeure

,et dire

“ C ’

est ici ma maison, mon champ et mes amours !”

I l doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient;I l vieil l it sans soutiens

Puisque ces choses sont, c’est qu’i l faut qu’elles soient ;J ’en conviens, j ’en conviens !

Le monde est sombre, 6Dieu !1 1mmuab le harmonieSe compose des pleurs aussi bien que des chants ;L’homme n’est qu ’un atome en cette ombre infinie

,

Nuit où montent les bons, où tombent les méchants. 60

Page 76:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

A VILLEQUIER 67

Je sais que vous avez bien autre choæ à faireQue de nous pl aindre tous,

Et qu’un enfant quimeurt, désespoir de sa mère,Ne vous fait rien, à vous !

Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue ;Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ;Que la création est une grande roueQui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu ’un;

Les mois, les jours, les flots desmers, les yeux quipleurent ,

Passent sous le ciel bleu ;I l faut que l ’herbe pousse et ne les enfants meurent ;

Je le sais, 6mon ieu !

Dans vos c ieux , au delà de la sphère des nues,Au fond de cet azur immobile et dormant

,

Peut—être faites- vous des choses inconnuesOù la douleur de l’homme entre comme élément.

Peut—être est- i l uti le à vos desseins sans nombreQue des êtres charmants

S ’en aillent, emportés par le tourbil lon sombreD es noirs événemen ts.

Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses

‘Oîue rien ne déœncerte et que rien n

at tendrit.

ous ne pouvez avoir de subites clémencesQui dérangent le monde, 6 Dieu, t ranqui l le esprit !

Je vous supplie, 6 Dieu ! de regardermon âme,Et de considérer

Qu’

humb le comme un enfant et doux comme une femmeJe viens vous adorer !

Considérez encor que j’avais, dès l'aurore,

Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,Expl iquant la nature à l‘homme qui l ’ignore,Éch irant toute chose avec votre clarté ;

Page 77:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

68 VICTOR HUGO

Que j'avais, affrontant la h aine et la colère,

Fait ma tâche ici-bas ,Que je ne pouvais pasm’attendre à ce salaire,

Que je ne pouvais pas

Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploieVous appesantiriez votre bras triomphant,Et que

,vous qui voyez comme j ’ai peu de joie,

Vous me reprendriez si vitemon enfantQu

une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,Que j ’ai pu blasphémer

,

Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jetteUne pierre à la mer !

Considérez qu ’on doute, 6mon Dieu !quand on souffre,

Que l ’œi l qui pleure trop finit par s’

aveugler,Qu’un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,

Et qu Il ne se peut pas ne l ’homme, lorsqu I l sombreDans les aäictions,

Ait présente à l’esprit la sérénité sombreDes constellations !

Aujourd’hui, moi qui fus faible comme une mère,

Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.Je me sens éclairé dans ma douleur amèrePar un meil leur regard jeté sur l ’univers.

Seigneur, je reconnais que l ’homme est en délireS ’i l ose murmurer ;

Je cesse d’accuser, je cesse de maudire,Mais laissez-moi pleurer !

Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière,

Puisque vous avez fait les hommes pour cela !Laissez-moi me pencher sur cette froide pierreEt dire à.mon enfant : Sens—tu que je suis là ?

Page 78:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

A VILLEQUIER 69

Laissez—moi lui parler, incl iné sur ses restes,Le soir, quand tout se tait,

Comme si, dans sa nuit œuvrant ses yeux célestes,Cet angem’

écoutait !

Hélas ! vers le passé tournant un œi l d ’envie,

Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler,Je regarde toujours ce moment de ma vieOù je l ’ai vue ouvrir son aile et s’envoler !

Je verrai cet instant jusqu’à ce que je meure,

L’instant, pleurs superflus !

Où je criai : “ L’enfant que j ’avais tout à l ’heure,

Quoi donc ! je ne l ’ai plus !

Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,

0 mon Dieu ! cette plaie a si longt emps saigné !L

angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné. 140

Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame,Mortels sujets aux pleurs

,

I l nous est malaisé de retirer notre âmeD e ces grandes douleurs.

Voyez-vous,nos enfants nous sont bien nécessaires,

Seigneur;quand on a vu dans sa vie, un matin,Au milieu des ennuis

,des peines, des misères

Et de l ’ombre que fait sur nous notre destin ,

Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,Petit être joyeux,

Si beau,qu’on a cru voir s’ouvrir à son entréeUne porte des c ieux

Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-mêmeCroître la grâce aimable et la douce raison ;Lorsqu’on -a reconnu que cet . enfant qu’on aimeFait le jour dans notre âme et dans notre maison,

Page 79:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

7o VICTOR HUGO

Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste

De tout ce qu'on rêva,Considérez que c

’est une chose bien tristeDe le voir qui s’en va !

Villequier, 4uptmbn 1 847.

XXI I . BOOZ ENDORMI !

Booz s’était couché de fatigue accablé ;I l avait tout le jour travaillé dans son aire,Puis avait fait son lit à sa place ordinaire ;Booz dormait auprès des boisseaux pleins de blé.

Ce vieillard possédait des champs de blés et d ’orge ;I l était, quoique riche, à la justice enclin ;I l n ’avait pas de fange en l’eau de son moulin ;I l n’avait pas d ’enfer dans le feu de sa forge.

Sa barbe était d ’argent comme un ruisseau d ’avril.Sa gerbe n ’était point avare ni haineuse ;Quand il voyait passer quelque pauvre glaneuseLaissez tomber eXprès des épis,

” disait- il .

Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,

Vêtu de probité candide et de lin blanc ;Et, toujours du côté des pauvres ru isselant,Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

Booz était bon maître et fidèle parent ;I l était généreux, quoiqu’i l fût économe ;Les femmes regardaient Booz plus qu ’un jeune homme,Car le jeune homme est beau , mais le vieillard est grand

9vol . I;the succeedin volumes appa rede conten ts of the t ree volumes were

in Hugo’s work .

Page 80:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

BOOZ ENDORMI 71

Le v ieil lard,qui revient vers la source première, 1 1

Entre aux jours éternels et sort des jours changeants ;Et l ’on voit de la flamme aux yeux des jeunes gens,Mais dans l ’œil du vieil lard on voit de la lumière.

Donc, Booz dans la nuit dormait parmi les siens.Près des meules

,qu’on eût prises pour des décombres

,

Les moissonneurs couchés faisaient des groupes sombres ;Et ceci se passait dans des temps très—anc iens

Les tribus d ’

Israel avaient pour chef un juge ;La terre

,où l’homme errait sous la tente

,inquiet 39

Des empreintes de pieds de géants qu ’il voyait,

Etait encor mouillée et molle du déluge.

Comme dormait Jacob,comme dormait Judith,

Booz, les yeux fermés, gisait sous la feuilléeOr, la porte du ciel s’étant entre-bai lléeAu-dessus de sa tête, un songe en descendit.

Et ce songe était tel , que Booz vit un chêneQui, sorti de son ventre, al lait jusqu ’au ciel bleu ;Une race y montait comme

,une longue chaîneUn roi chantait en bas, en haut mourait un Dieu . 40

Et Booz murmurait avec la voix de l ’âmeComment se pourrait—il que de moi ceci vint ?Le chiffre de mes ans a passé quatre—vingt

,

Et je n’ai pas de fils, et je n ’ai plus de femme.

“Voilà longtemps que celle avec qui j ’ai dormi,O Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre;Et nous sommes encor tout mêlés l ’un à l ’autre,Elle à demi v ivante et moi mort à demi.

Une race naîtrait de moi ! Comment le croire !Comment se pourrait- i l que j

eusse des enfants ? 50

Quand on est jeune,on a des matins triomphants

Le jour sort de la nuit comme d’une victoire ;

Page 81:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

72 VICTOR HUGO

Mais, vieux , on tremble ainsi qu’à l’hiver le bouleau

Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe,Et je courbe, 6 mon Dieu !mon âme vers la tombe

,

Comme un bœuf ayant soif penche son front vers‘ l ’eau.

Ainsi parlait Booz dans le rêve et l ’ex tase,

Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;Le cèdre ne sent pas une rose à sa base,Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.

Pendant qu’il sommeillait, Ruth, une Moabite,S

était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,Espérant on ne sait que! rayon inconnu,Quand viendrait du réveil la lumière subite.

Booz ne savait point qu’une femme était là,

Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d ’el le.

Un frais parfum sortait des touffes d ’

æphodèle ;Les souflies de la nuit flottaient sur Galgala.

L’ombre était nuptiale,auguste et solennelle ;

Les anges y volaient sans doute obscurément,Car on voyait passer dans la nuit, par moment,Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

La respiration de Booz qui dormaitSe mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.On était dans le mois où la nature est douce

,

Les col lines ayant des lys sur leur sommet.

Ruth songeait et Booz dormait ; l’herbe était noire ;Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement ;Une immense bonté tombait du firmament ;C’était l’heure tranquille Où les l ions vont boire.

Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth;Les astres émaillaient le c iel profond et sombre;Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l ’ombreBrillait à l’occident, et Ruth se demandait,

8 1 . There is no such place asJerimadethmentioned in the Bible.

Page 83:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

VICTOR HUGO

Un bagage est nécessaireNous emporterons nos vœux

,

Nos bonheurs, notre'misère

,

Et la fleur de tes cheveux.

Viens, le soir brunit les chênes,Le moineau rit ;ce moqueurEntend le doux bruit des chaînesQue tu m’as mises au cœur.“ Ce ne sera point ma fauteSi les forêts et les monts,En nous voyant côte à côte,Ne murmurent pas : ‘Aimons !’

Viens,sois tendre, je suis ivre.

0 les verts taill is mouillés !Ton soufl‘le te fera suivreDes papil lons réveillés.

L’

envieux oiseau nocturne,Triste, ouvrira son œil rond ;Les nymphes, penchant leur urne,Dans les grottes souriront,

Et diront : Sommes—nous folles ?C ’est Léandre avec Héro ;En écoutant leurs parolesNous laissons tomber notre eau.

Allons—nous—en par l ’Autriche !Nous aurons l'aube à nos fronts ;Je serai grand , et toi riche,Puisque nous nous aimerons.

Allons-nous-en par la terre,Sur nos deux chevaux charmants,Dans l’azur, dans le mystère,Dans les éblouissements !

Page 84:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

UN PEU D E MUSIQUE 75

Nous entrerons à l ’aub erge,Et nous payerons l ’hôtelierD e ton sourire de vierge,Demon bonjour d’

écolier.

“Tu seras dame, et moi comte ;Viens,mon cœur s

épanouit ,Viens, nous conterons ce conteAux étoiles de la nuit.”

La mélodie encor quelques instants se traîneSous les arbres bleuis par la lune sereine,Puis tremble, puis expire ; et lav oix qui chantait 70

S’

éteint comme un oiseau se pose; tout se tai t.

XXIV. LA ROSE DE L’ INEANTE ‘

Elle est toute petite ; une duègne la garde.

Elle tient à la main une rose et regarde.

Quoi ? que regarde—t -elle ? Elle ne sait pasUn bassin qu

assomb rit le pin et le bouleau ,Ce qu ’elle a devant el le;un cygne aux ailes blanches,Le bercement des flots sous la chanson des branches,Et le profond jardin rayonnant et fleuri .Tout ce bel ange a l ’air dans la

neige pétri.On voit un grand palais comme au fond d ’une gloire,Un parc, de clairs Viviers Où les biches vont boire, 10

Et des paons étoilés sous les bois chevelus.L

innocence est sur elle une blancheur de plus ;Toutes ses grâces font comme un faisceau qui tremble.

Autour de cette enfant l ’herbe est splendide et semblePleine de vrais rubis et de diamants fins ;Un jet de saphirs sort des bouches des dauphins.

Elle se tient au bord de l ’eau ;sa fleur l ’occupe ;Sa bæquine est en point de Gênes; sur sa jupeUne arabesque

,errant dans les pl is du satin,s

.

599

Page 85:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

76 VICTOR HUGO

Suit les mille détours d ’un fi l d’

or florentin.

La rose épanouie et toute grande ouverte,Sortant du frais bouton comme d’une urne verte,Charge la petitesse exquise de sa main ;Quand l ’enfant, al longeant ses lèvres de carmin,Fronce

,en la respirant, sa riante narine,

La magnifique fleur,royal e et purpurine,

Cache plus qu’à demi ce visage charmant,Si bien que l ’œi l hésite

,et qu’on ne sait comment

Distinguer de la fleur ce bel enfant qui joue,

Et si l ’on voit la rose ou si l ’on voit la joue. 30

Ses yeux bleus sont plus beaux sous son pur sourcilbrun.

En el le tout est joie, enchantement, parfum ;Quel doux regard

,l ’azur ! et que!doux nom

,Marie !

Tout est rayon ;son œi l éclaire et son nomprie.Pourtant

,devant la vie et sous le firmament

,

Pauvre être ! elle se sent très—grande vaguement;Elle assiste au printemps

,à la lumière

, à l’ombre,Au grand soleil couchant horizontal et sombre,A lamagnificence éc latante du soir,Aux ruisseaux murmurants qu’on entend sans les voir,Aux champs

,à la nature éternelle et sereine,

Avec la gravité d ’une petite reine;Elle n ’a jamais vu l ’homme que se courbant ;Un jour elle sera duchesse de Brabant ;Elle gouvemera la Flandre ou la Sardaigne.Elle est l ’infante, elle a cinq ans, elle dédaigne.Car les enfants des rois sont ainsi;leurs fronts blancsPortt un cerc le d ’ombre

,et leurs pas chancelants

Sont des commencements de règne. Elle respireSa fleur en attendant qu’on lui cueille un empire; 50

Et son regard, déjà royal, dit : “ C ’est à moi.”I l sort d ’elle un amour mêlé d ’un vague efl

'

roi.

Si quelqu ’un la voyant si tremblante et si frêle,

Fût- cc pour la sauver, mettait la main sur el le,

33. Philip II (see lines 7o ff.) had two daughters, neither of whomwas named Mary.

Page 86:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA ROSE DE L’

INFANTE 77

Avant qu Il eût pu faire un pas ou dire un mot,I l aurait sur le front l ’ombre de l ’échafaud.

La douce enfant sourit,ne faisant autre chose

Que de v ivre et d ’avoir dans la main une rose,

Et d ’être là devant le c iel,parmi les fleurs.

Le jour s’éteint ; les nids chuchotent,querelleurs ; 60

Les pourpres du couchant sont dans les branches d’arbre;La rongeur monte au front des déesses de marbreQui semblent palpiter, sentant venir la nuit ;Et tout ce qui planait redescend ;plus de bruit,Plus de flamme ; le soir mystérieux recueilleLe soleil sous la vague et l ’oiseau sous la feuil le.

Pendant que l ’enfant rit, cette fleur à la main,

Dans le vaste palais cathol ique romainDont chaque ogive semble au soleil une mitre

,

Quelqu’un de formidable est derrière la vitre ;On voit d’en bas une ombre

,au fond d ’une vapeur

,

De fenêtre en fenêtre errer,et l ’on a peur;

Cette ombre au même endroit,comme en un c imetière

,

Parfois est immobile une journée entière;C’est un être effrayant qui semble ne rien voir ;I l rôde d ’une chambre à l ’autre

,pâle et noir ;

I l colle aux vitraux blancs son front lugubre,et songe;

Spectre b lème ! Son ombre aux feux du soir s’allonge ;Son pas funèbre est lent comme un glas de beffroi ;Et c

’est la Mort, à moins que ce ne soit le Roi. 80

C ’est lui ; l’homme en q ui vit et tremble le royaume.

Si quelqu ’un pouvait voi dans l ’Œil de ce fantômeDebout en ce moment, paule contre un mur,Ce qu’on apercevrait dans cet abîme obscur,Ce n’est pas l ’humb le enfant, le jardin, l ’eau moiréeReflétant le ciel d ’or d’une claire soirée,Les bosquets, les oiseaux se becquetant entre eux,Non : au fond de cet œil comme l’onde vitreux,Sous ce fatal sourcil qui dérobe à la sondeCette prunelle autant que l ’Océan profonde,

Page 87:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

78 VICTOR HUGO

Ce qu’on distinguerait, c’est, mirage mouvant,Tout un vol de vaisseaux en fuite dans le vent,Et dans l ’écume, aux pl is des vagues, sous l ’étoile,L

immense tremblement d ’une flotte à la voile,Et

,là-bas , sous la brume, une île, un blanc rocher,

Écoutant sur les flots ces tonnerres marcher.Telle est la vision qui

,dans l ’heure où nous sommes

,

Emplit le froid cerveau de ce maître des hommes,

Et qui fait qu’i l ne peut rien voir autour de lui.L

’armada, formidable et flottant point d ’appui

Du levier dont il va soulever tout un monde,

Traverse en ce moment l ’obscurité de l ’onde ;Le roi

,dans son esprit, la suit des yeux , vainqueur,

Et son tragique ennui n ’a plus d ’autre lueur.Philippe deux était une chose terrible.Ibl is dans le Coran et Caïn dans la BibleSont à peine aussi noirs qu ’en son EscurialCe royal spectre, fi ls du spectre impérial.Phil ippe deux était le Mal tenant le glaive.I l Occupait le haut du monde comme un rêve.I l vivait : nul n’

osait le regarder ; l’

effroi

Faisait une lumière étrange autour du roi ;On tremblait rien qu’à voir passer ses majordomes

,

Tant il se confondait, aux yeux troublés des hommes,Avec l ’abime, avec les astres du c iel bleu !Tant semblait grande à tous son approche de Dieu !Sa volonté, fatale, enfoncée, obstinée,tait comme un crampon mis sur la destinée ;I l tenait l ’Amérique et l ’Inde, i l s’appuyaitSur l ’Afrique, il régnait sur l

Europe, inquietSeulement du côté de la sombre Angleterre ;Sa bouche était silence et son âme mystère;Son trône était de piège et de fraude construit;I l avait pour soutien la force de la nuit ;L'ombre était le cheval de sa statue équestre.

Toujours vêtu de noir, ce Tout-Puissant terrestreAvait l ’air d ’être en deuil de ce qu’i l existait ;I l ressemblait au sphinx qui digère et se tait,Immuable ; étant tout, i l n’avait rien à dire

Page 88:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA ROSE DE L’

INFANTE 79

Nul n ’avait vu ce roi sourire, le sourireN ’étant pas plus possible à ces lèvres de ferQue l ’aurore à la grille obscure de l ’enfer.S ’i l secouait parfois sa torpeur de couleuvre,C'était pour assister le bourreau de son œuvre

,

Et sa prunelle avait pour clarté le refletDes bûchers sur lesquels par moments i l soufflait .I l était redoutable à la pensée, à l ‘homme,A la vie

,au progrès

,au droit, dévot à Rome;

C’était Satan régnant au nom de Jésus—Christ;Les choses qui sortaient de son nocturne esprit 140

Semblaient un glissement sinistre de vipèœsL

Escurîal , Burgos, Aranjuez, ses repaires,Jamais n

il luminaient leurs l ivides plafonds ;Pas de festins

,jamais de cour, pas de b oufl

'

ons;Les trahisons pour jeu, l ’auto- da- fé pour fête.

rois troublés avaient au -dessus de leur têteSes projets dans la nuit obscurément ouverts ;Sa rêverie était un poids sur l ’univers ;I l pouvait et voulait tout vaincre et tout dissoudre ;Sa prière faisait le bruit sourd d ’une foudre;De grands éclairs sortaient de ses songes profondsCeux auxquels il pensait disaient : “ Nous étouEt les peuples, d ’un bout à l ’autre de l’empire

,

Tremblaient, sentant sur eux ces deux yeux fixes luire.Charles fut le vautour, Philippe est le hibou.

Morne en son noir pourpoint, la toison d ’or au co n,

On dirait du dest in la froide sentinelle.Son immobil ité commande ;sa prunelleLuit comme un soupirail de caverne ; son doigtSemble, ébauchant un geste obscur que nul ne voit, 160

ner un ordre à l ’ombre et vaguement l’écrireChose inouïe ! i l vient de grincer un sourire,Un sourire insondable, impénétmb le, amer.C ’est que la vision de son armée en merGrandit de plus en plus dans sa sombre pensée ;

Page 89:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

80 VICTOR HUGO

C ’est qu Il la voit voguer par son dessein poussée,Comme s’i l était là, planant sous le zénith ;Tout est bien ; l ’Océan docile s

aplanit ;L

armada lui fait peur comme au déluge l ’arche;La flotte se déploie en bon ordre de marche,t,les vaisseaux gardant les espaces fixés,

chiquier de tillacs, de ponts, de mâts dressés,Ondule sur les eaux comme une immense claie.

Ces vaisseaux sont sacrés, les flots leur font la haieLes courants

,pour aider ces nefs à débarquer

,

Ont leur besogne à faire et n ’y sauraient manquer ;Autour d ’elles la vague avec amour déferle

,

L’

écueil se change en port , l ’écume tombe en perle.Voici chaque galère avec son gastadour;Voilà ceux de l ’Escaut , voilà ceux de l ’Adour;Les cent mestres de camp et les deux connétables ;L

Al lemagne a donné ses ourques redoutables,Naples ses brigantins

,Cadix ses gal ions

,

Lisbonne ses marins,car i l faut des lions.

Et Philippe se penche,et, qu’importe l ’espace ?

Non- seulement il voit, mais i l entend. On passe,

On court,on va. Voic i le cri des porte—voix

,

Le pas des matelots courant sur les pavois,

Les moços,l ’amiral appuyé sur son page,

tamb ours, les siffl ets des maîtres d ’équipage, 190Les signaux pour la mer, l ’appel pour les combats

,

Le fracas sépulcral et noir du branle—bas.Sont—cc des cormorans ? sont-ce des citadelles ?Les voiles font un vaste et sourd battement d’ailes;L’eau gronde, et tout ce groupe énorme vogue, et fuit ,Et s’enfle et roule avec un prodigieux bruit.Et le lugubre roi sourit de voir groupéesSur quatre cents vaisseaux quatre-vingt mille épées.O rictus du vampire assouvissant sa faim !Cette pâle Angleterre, i l la tient donc enfin ! 400

Qui pourrait la sauver ? Le feu va prendre aux poudres.Philippe dans sa droite a la gerbe des foudres ;Qui pourrait délier ce faisceau dans son poingN ’est-il pas le seigneur qu ’on ne contredit point ?

Page 91:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

82 VICTOR HUGO

Toute la auvre rose est éparse sur l'onde;Ses cent euil les que noie et roule l ’eau profonde,Tournoyant, naufrageant, s’en vont de tous côtésSur mille petits flots par la brise irrités ;On croit voir dans un gouffre une flotte qui sombre.

“Madame,

” dit la duègne avec sa face d ’ombreA la petite fil le étonnée et rêvant,

sur terre appartient aux princes, hors le vent.

XXV. DE LA FEMME AU CIEL“

L’âme a des étapes profondes.On se laisse d ’abord charmer

,

Puis convaincre. Ce sont deux mondes.Comprendre est au delà d ’aimer:

Aimer,comprendre : c’est le faite.

Le Cœur,cet oiseau du val lon,

Sur le premier degré s’arrête ;L

Esprit vole à l’autre échelon.

A l ’amant succède l ’archange ;Le baiser

,puis le firmament ;

Le point d’

obscurité se changeEn un point de rayonnement.

Mets de l ’amour sur cette terreDans les vains brins d ’herbe flottants

,

Cette herbe devient, ô mystère

Le nid sombre au fond du printemps.

Ajoute, en écartant son voile,De la lumière au nid béni

,

Et le nid deviendra l ’étoileDans la forêt de l ’infini.

Chanson: de:maot dex ôoz‘

: A volume ofpœms in quatu ins.

Page 92:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

SAISON DES SEMAILLES, LE SOIR 83

XXVI . SAISON DES SEMAILLES, LE SOIR“

C’est le moment crépusculaire.J’

admire, assis sous un portail,Ce reste de jour dont s’éc laireLa dernière heure du travai l.

Dans les terres, de nuit baignées,Je contemple, ému, les hai!lonsD ’un vieillard qui jett e à poignéesLa moisson future aux sillons

Sa haute silhouette noireD omine les profonds labours.On sent à quel point il doit croireA la fuite utile des jours.

I l marche dans la plaine immense,Va

,vient

,lance la graine au loin

,

Rouvre sa main, et recommence,Et je médite

,obscur témoin

,

Pendant que déployant ses voiles,L'ombre, où se mêle une rumeur,Semble élargir jusqu‘aux étoilesLe geste auguste du semeur.

XXVI I . QUATR IÈME PROMENADE?Dieu !que les monts sont beaux avec ces taches d ’ombre!Que la mer a de grâce

,et le c iel de clarté !

De mes jours passagers que m ’importe le nombre !Je touche l

’infini,je vois l ’éternité.

Orages ! passions ! taisez- vous dans mon âme !Jamais si près de Dieu mon cœur n ’a pénétré.Le couchant me regarde avec ses yeux de flamme

,

La vaste mer me parle,et je me sens sacré.

*…mmdamrd da

La qnatre ventrde l‘Exprit 3rd part ,

“Livre lyrique.

6— 2

Page 93:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

84 VICTOR HUGO

Bén i soit qui me hait, et béni soit qui m’aime !A l ’amour

,à l ’esprit , donnons tous nos instants.

Fou qui poursuit la gloire,ou qui creuse un problème!

Moi,je ne veux qu

aimer, car j ’ai si peu de temps !L’étoile sort des flots où le soleil se noie ;Le nid chante ; la vague àmes pieds retentit ;Dans toute sa splendeur le solei l se déploie.Mon Dieu!que l ’âme est grande, et que l ’homme est petit!Tous les objets créés

,feu qui luit , mer ui tremble,

Ne savent qu’à demi le grand nom du rès—Haut.I ls jettent vaguement des sons que seul j

'assemb le ;

Chacun dit sa syllabe, etmoi je dis le mot. »1 0

Ma voix s’élève aux cieux, comme la tienne, abîme !Mer

,je rêve avec toi! monts, je prie avec vous !

La nature est l ’encens, pur, éternel , subl ime;Moi

,je suis l ’encensoir Intell igent et doux .

THÉOPH ILE GAUT IER

I. SOLEIL COUCHANT!

Que c’est beau!

VICTOR HUGO.

En passant sur le pont de la Toumel le, un soir,Je me suis arrêté quelques instants pour voirLe Soleil se coucher derrière Notre—Dame.

Un nuage splendide à l’horizon de flamme,

Tel qu’un oiseau géant qui en prende l‘essor,

D ’un bout du ciel à l ’autre ouvrait ses ail es d ’or,

Et c’étaient des clartés à baisser la paupière.

wo). For the subject see above p. 42 . Thede la Tournelle, so

.

ed froma fortress of that name built by Phil ipAugustus and demohshed in 1Œz, connects the I le de Saint—Louis with theleft bank of the Seme. It is erefore just to the east of Notre—Dame, of

Page 94:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

SOLEIL COUCHANT 85

Les tours au front orné de dentelles de pierre,Le drapeau que le vent fouette, les minaretsQui s‘élèvent pareils aux sapins des forêts.

Les pignons tail ladéc que surmontent des angesAux corps roidœ et longs, aux figures étranges,D

un fond clair ressortaient en noir ;l ’archevêché,Comme au pied de sa mère un jeune enfant couché,Se dessinait au pied de l ’église, dont l’ombreS'al longeait à l

’entour mystérieuse et sombre.— Plus loin, un rayon rouge al lumait le carreauxD’une maison du quai — l ’air était doux : les eauxSe plaigmüent contre l’arche à doux bruit, et la vagueDe la vieille c ité berçait l’ image vague ; ao

Et moi, je regardais toujours, ne songeant pasQue la nuit ét oilée arrivait à grands pas.

Il . PAN DE MUR!

Lamousse de: nimr j our: ça:‘ émail sa surface,E t d

'àiwr en h iver incrusté:

D omen let tre w

P1mws BORBL.

De la maison momie enterrée au MaraisOù, du monde cloîtré, jadis je demeuraisL’un a pour perspective une muraille sombreOù des pignons voisins tombe, à grands ang les, l

’ombre.

A ses flancs dégradés par les pluies et les ans,Pousse dans les gravois l ’ortie aux feux cuisants,Et sur ses pieds moisis, comme un tapis verdâtre,La mousse se déploie et fait

gercer le plâtre.

— Une treil le stérile avec ses ras grimpantsu’au premier étage en festonne les pans ;

Le leu volubil is dans les fentes s’accroche,FromAth—m, ou l

‘Amel le Pic/31 0833). Petrus Borel, le Lycan

cuhivated eccentrîcity, but his verse and prosetalent . Lamartine, fl ammia N igu r

Page 95:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

86 THÉOPH ILE GAUTIER

La capucine rou

lgeépanouit sa cloche,

Et,mariant en l an leurs tranchantes couleurs,A sa fenêtre font comme un cadre de fleurs .

Car elle n ’en a qu’une, et sans cesse vous lorgneDe son regard unique ainsi que fait un borgne.Allumant aux b raisiers du soir, comme autant d’yeux ,

Dans leurs mailles de plomb ses carreaux chassieux.

—Une caisse d’œil lets, un pot de girofléeQui laisse choir au vent sa feuille étiolée,Et du soleil oblique implore le regard,Une cage d’osier où saute un geai criard,

C’est un tableau tout fait qui vaut qu’on l ’étudie ;Mais il faut pour le rendre une touche hardie

,

Une palette riche où luise plus d’un ton,Celle de Boulanger ou bien de Bonnington.

I I I . LE POT DE FLEURS ‘

Parfois un enfant trouve une petite graine,Et tout d’abord, charmé de ses vives couleurs

,

Pour la planter, i l prend un pot de porcelaineOrné de dragons bleus et de bizarres fleurs.

I l s’en va. La racine en couleuvres s’allonge,Sort de terre, fleurit et devient arbrisseauChaque jour, plus avant, son pied chevelu plongeTant qu’ i l fasse éclater le ventre du vaisseau

L’enfant revient ;surpris, i l voit la plante grasseSur les débris du pot brandir ses verts poignards ; : o

I l la veut arracher, mais la tige est tenace;Il s

ob stine, et ses doigts s’

ensanglantent aux dards.

ForBoulanger see abovepgngand R. M. p. 63 . Richard Parker

Bon ington (not Bonnigg ton) was an l ish genre and landscä>e painter

of greatmerit, who diedm1 81 8mhisngtwenty

-seventh year e

f1flaeen_

to Paris, where he won a considerab e reputation especial l withthe rising Romantic School He is represented best in the al laoecol lection, where there are thirty five of his works.

FromLa Coml dùde laMort

Page 96:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE POT DE FLEURS 87

Ainsi germa l’amour dans mon âme surprise ;Je croyais ne semer qu’une fleur de printempsC’est un grand aloès dont la racine briseLe pot de porcelaine aux dessins éclatants.

IV. SYMPHONIE EN BLANC MAJEUR ‘

De leur col blanc courbant les l ignes,On

_

voit dans les contes du Nord ,

Sur le v ieux Rhin, des femmes- cygnesNager en chantant près du bord.

Ou, suspendant à quelque brancheLe plumage qui les revêt,Faire luire leur peau plus blancheQue la neige de leur duvet.

De ces femmes il en est une,Qui chez nous descend quelquefois,Blanche comme le clair de luneSur les glaciers dans les c ieux froids ;

Conviant la vue enivréeDe sa boréale fraîcheurA des régals de chair nacrée,A des débauches de blancheur !

Son sein, neige moulée en globe,Contre les camélias blancsEt le blanc satin de sa robeSoutient des combats insolents.

Dans ces grandes batailles blanches,Satins et fleurs ont le dessous,Et

,sans demander leurs revanches,

Jaunissent comme des jaloux.

FromEmaux et Caml a

Page 97:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

THÉOPHILE GAUTIER

Sur les blancheurs de son épaule,Parcs au grain éblouissant,Comme dans une nuit du pôle,Un givre invisible descend.

De quel mica de neige vierge,De quelle moelle de roseau,De quel le hostie et de quel c iergeA- t -on fait le blanc de sa peau ?

A- t -ou pris la goutte lactéeTachant l'azur du ciel d’

h iver,Le lis à la pulpe argentée,La blanche écume de la mer ;

Le marbre blanc, chair froide et pâle,Où vivent les divinitésL’argent mat, la laiteuse opaleQu

irisent de vagues clartés ;

L’ivoire, oùses mains ont des ailes,

Et, comme des papil lons blancs,Sur la

{pointedes notes frêles

Suspen ent leurs baisers tremblants

L’

hermine vierge de souil lure,Qui

,pour abriter leurs frissons,

Ouate de sa blanche fourrureLes épaules et les blasons ;

Le vif-argent aux fleurs fantasquesDont les vitraux sont ramagés ;Les blanches dentel les des vasques

,

Fleurs de l ’ondine en l ’air âgés

L’

aub épine de mai qui pl ieSous les blancs frimas de ses fleurs;L

al b âtre où la mélancol ieAime à retrouver ses pâleurs ;

Page 99:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

THÉOPHILE GAUTIER

Statuaire, repousseque pétritpouce

Quand flotte ailleurs l’esprit ;

Avec le parcs durEt rare,

Gardiens du contour pur ;

Emprunte à SyracuseSon bronze où fermement

S’

accu5e

Le trait fier et charmant ;

D ’une main délicatePoursuis dans un filon

D’

agate

Le profi l d’

Apol lon.

Peintre, fuis l’

aquare l le,Et fixe la couleur

Trop frêleAu four de l ’émail leur.Fais les sirènes bleues,Tordant de cent façons

Leurs queues,Les monstres des blasons;

Dans son nimbe tri lobeLa Vierge et son Jésus,

Le globeAvec la croix dessus.

passe. L’art robusteSeul a l’éternité.

Le busteSurvit à la cité.

Page 100:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

L’ART 91

Et la médaille austèreQue trouve un laboureur

Sous terreRévèle un empereur.

Les dieux eux-mêmes meurent.Mais les vers souverains

DemeurentPlus forts que les airains.

Sculpte, l ime, c isèle;Que ton rêve flottant

Se scelleDans le bloc résistant !

GÉRARD D E NERVAL

NOTRE-DAME DE PAR I S‘

Notre—Dame est bien vieille ;on la verra peut—êtreEnterrer cependant Paris qu’elle a vu naître.

Mais, dans quelque mille ans, le temps fera broncherComme un lou fait un bœuf, cette carcasse lourde,

ne s de fer, et puis d’

une dent lourdeRongera tristement ses vieux os de rocher.

Bien des hommes de tous les pays de la terreViendront pour contempler cette ruine austère

,

Rêveurs, en relisant le livre de— Alors ils croiront voir la vieil le basil ique

,

Toute ainsi qu’elle était puissante et magnifique,

Se lever devant eux comme l’ombre d ’un mort !

FromPo£rùs comäle‘te: The was written in 1 83I , just

after the publication of ugo’s novel. For de Nerval , see R.M p. 1 85 .

Page 101:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

92 ALFRED DE MUSSET

ALFRED D E MUSSET

I . CHANSON‘

A Saint—Blaise, à la Zuecca,Vous étiez, vous étiez bien aise

A Saint—Blaise.A Saint-Blaise, à la Zuecca,Nous étions bien là.

Mais de vous en souvenirPrendrez—vous la peine ?

Mais de vous en souvenirEt d ’y revenir.

A Saint-Blaise,à la Zuecca,

Dans les prés fleuris cueill ir laA Saint-Blaise, à la Zuecca,Vivre et mourir là !

Venise, 3 février I834.

II. LA NUIT D E MAH

LA MUSE.

Poè te, prends ton luth et me donne un baiser ;La fleur de l ’églantier sent ses bourgeons éclore.Le printemps naît ce soir; les vents vont s’emb ra5erEt la bergeronnette, en attendant l ’aurore,Aux premiers buissons verts commence à se poser.Poè te, prends ton luth et me donne un baiser.

LE POETE .

Comme il fait noir dans la vallée !J ’ai cru qu’une forme voiléeFlottait là—bas s ur la forêt.

“L;Nuit de Mai” written twomonths after

Page 103:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

94 ALFRED DE MU3SET

Ah !je t’ai consolé d ’une amère souffrance !Hélas !bien jeune encor, tu te mourais d ’amour.Console-moi ce soir

,je me meurs d’espérance ;

J ’ai beso in de prier pour vivre jusqu'au jour.

LE POETE.

Est-ce toi dont la voix m ’appelle,

0 ma pauvre Muse ! est- ce toi ?0 ma fleur !6 mon immortel le lSeul être pudique et fidèleOù vive encor l ’amour de moi !Oui

,te voilà

,c’est toi

,ma blonde

,

C’est toi,ma maîtresse et ma sœur !

Et je sens,dans la nuit profonde

,

De ta robe d ’or quim’

inonde

Les rayons glisser dans mon cœur.LA MUSE.

prends ton luth ;c ’est moi,ton immortelle

,

Qui t’ai vu cette nuit triste et silencieux

,

Et qui,comme un oiseau que sa couvée appelle

,

Pour pleurer avec toi descends du haut des c ieux.

Viens,tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire

Te ronge, quelque chose a gémi dans ton cœur ;

8uelque amour t

’est venu, comme on en voit sur terre,ne ombre de plaisir, un semblant de bonheur.

Viens,chantons devant Dieu;chantons dans tes pensées,

Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées;Partons

,dans un baiser, pour un monde inconnu.

veillons au hasard les échos de ta vie,

Parlons- nous de bonheur, de gloire et de folie,Et que ce soit un rêve, et le premier venu.

l nventons quelque part des lieux où l ’on oublie ;Partons

,nous sommes seuls, l ’univers est à nous.

Voic i la verte cesse et la brune Ital ie,

Et la Grèce,ma mère, où le miel est si doux,

Argos,et Ptéléon, vil le des hécatombes ;

Et Messa, la divine, agréable aux colombes ;74(l

. Musset had evidently been reading I l iad, b le II (the catalogue

Page 104:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA NUIT DE MAI 95

Et le front chevelu du Pél ion changeantEt le bleu Titarèse, et le golfe d

‘argentQui montre dans ses eaux , où le cy e se mire,La blanche Oloossone à la blanche amyre.

Dis-moi,quel songe d’or nos chants vont—ils bercer ? 80

D ’où vont venir les pleurs que nous allons verser ?Ce matin

,quand le jour a frappé ta paupière,

Quel séraphin pensif,courbé sur ton chevet

,

Secouait des l ilas dans sa robe légère,Et te contait tout bas les amours qu’i l rêvait ?Chanterons- nous l ’espoir, la tristesse ou la joie ?Tremperons-nous de sang les bataillons d'ac ier ?Sœpendrons-nous l ’amant sur l ’échelle de soie ?Jett erons-nous au vent l ’écume du coursier ?Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombreDe la maison céleste

,allume nuit et jour

L‘huile sainte de vie et d’

éternel amourCrierons-nous à Tarquin : “ I l est temps

,voic i l ’ombre!

Descendrons-nous cueil l ir la perle au fond des mers ?Mènerons -nous la chèvre aux ébéniers amer3 ?Montrerons-nous le c iel à la Mélancolie ?Suivrons-nous le chasseur sur les monts eæarpés ?La biche le regarde;elle pleure et supplie;Sa bruyère l ’attend;ses faons sont nouveau-nés;I l se baisse, i l l ’égorge, il jette à la curéeSur les chiens en sueur son cœur encor vivant.Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée,S’en allant à la messe

,un page la suivant,

Et d’un regard distrait,à côté de sa mère,

Sur sa lèvre entr’ouverte oubliant sa prière ?Elle écoute en tremblant, dans l ’écho du pil ier,Résonner l ’éperon d

’un hardi cavalier.

of ships), where al l the places which hementions here occur and nearlyal l with he gives them. Thus Messa is “ home of doves,

with leaves,” Oloossonos is “white” and Kameiros 1:“Now stole upon the time the dead of nightWhen ' heavy sleep had closed upmorts!eyes.

Rap: M eme.

Page 105:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

96 ALFRED DE MUSSET

Dirons-nous aux héros des vieux temps de la FranœDe monter tout armés aux créneaux de leurs toursEt de ressusciter la naïve romanceQue leur gloire oubliée apprit aux troubadours ?Vêtirons-nous de blanc une mol le élégie ?L’homme de Waterloo nous dira- t—il sa vie,Et ce qu’i l a fauché du troupeau des humainsAvant que l ’envoyé de la nuit éternelleVint sur son tertre vert l ’abat tre d ’un coup d ’aile

,

Et sur son cœur de fer lui croiser les deux mains ?Clouerons-nous au poteau d ’une satire altièreLe nom

î-Ït fois vendu d’un pâle pamphl étaire

,

Qui, pou par la faim,du fond de son oubli

,

S'en vient, tout grelottant d

’envie et d’

impuissance,Sur le front du génie insulter l ’espérance

,

Et mordre le laurier que son souffle a sal i ?Prends ton luth!prends ton luth!je ne peux plus me

taireMon ail e me soulève au souffle du printemps.Le vent vam’

empœter;je vais quitter la terre.Une larme de toi! Dieum’

écoute;il est temps.LE PORTE.

S I!ne te faut,ma sœur chérie

,

Qu’un baiser d ’une lèvre amieEt qu’une larme de mes yeux,Je te les donnerai sans peine ;De nos amours qu’i l te souvienne

,

Si tu remontes dans les c ieux.

Je ne chante ni l’espérance

,

Ni la gloire,ni le bonheur,

Hélas ! pas même la souffrance.La bouche garde le silencePour écouter parler le cœur.

LA MUSE.

Crois - tu donc que je sois comme le vent d ’automne,Qui se nourrit de pleurs jusque sur un tombeau

,x ço

Et pour qui la douleur n ’est qu’une goutte d ’eau ?0 poète! un baiser, c ’est moi qui te le donne.

Page 107:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

98 ALFRED D E MUSSET

I l craint que ses enfants ne le laissent vivant;Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,Et se frappant le cœur avec un cri sauvage

,

I l pousse dans la nuit un si funèbre adieu,Que les oiseaux des mers désertent le rivage

,

Et que le voyageur attardé sur la plage,Sentant passer la mort, se recommande à DieuPoè te, c’est ainsi que font les grands poètesI ls laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ;Mais les festins humains qu ’ils servent à leurs fêtesRœsemb lent la plupart à ceux des pélicans.Quand ils parlent ainsi d’

espérances trompées,De tristesse et d'oubli , d ’amour et de malheur

,

Ce n ’est pas un concert à dilater le cœur.Leurs déclamations sont comme des épéesElles tracent dans l ’air un cerc le éblouissant,Mais il y pend toujours quelque goutte de sang.

LE POÈTE .

0 Muse! spectre insatiable,

Ne m ’en demande pas si long.

L’homme n’

écrit rien sur le sableA l ’heure où passe l ’aquilon.

J ’ai vu le temps où ma jeunesseSur mes lèvres était sans cessePrête à chanter comme un oiseau ;Mais j ’ai souffert un dur martyre

,

Et le moins que j ’en pourrais dire,

Si je l ’essayais sur ma lyre,La briserait comme un roseau.

1 835 .

Page 108:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA NUIT DE DECEMBRE 99

III. LA NUIT D E DÉCEMBRE“

LE POÈ'

I‘

E.

Du temps que j ‘étais écolier,Je restais un soir à veillerDans not re sal le sol itaire.

Devant ma table v int s’asseoirUn pauvre enfant vêtu de noir,Qui me ressemblait comme un frère

Son Visage était triste et beauA la lueur de mon flambeau,Dans mon livre ouvert il vint l ire.I l pencha son front sur ma main,Et resta jusqu ’au lendemain,Pensif, avec un doux sourire.

Comme j ’allais avoir quinze ans,Je marchais un jour, à pas lents,Dans un bois

,sur une bruyère.

Au pied d’un arbre vint s’asseoir

Un jeune homme vêtu de noir,Qui me ressemblait comme un frère.

Je lui demandai mon chemin ;I l tenait un luth d ’

une main,De l ’autre un bouquet d’

églantîne.

I l me fit un salut d’ami,

Et,se détournant à demi,

Me montra du doigt la coll ine.

Poésies Nouvel les. For the visions described in this poern cp.

“ Ilavait eu une avait vu passer devant lui un homme qui

et les cheveux au a passé'dit -il ,

hébété, hideux , et enme faisant une laide grimacegeur et jeme suis jeté la face contreSand, El l e et Lm‘

.

Page 109:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

ALFRED D E MUSSET

A l ’âge où l’

on croit à l ’amour,J ’étais seul dans ma chambre un jour,Pleurant ma première misère.Au coin de mon feu vint s’asseoirUn étranger vêtu de noir,Qui me ressemblait comme un frère.

I l était morne et soucieux ;D ’une main il montrait les c ieux

,

Et de l ’autre il tenait un glaive.De ma peine il semblait souffrir,Mais il ne poussa qu’un soupir

,

Et s’évanouit comme un rêve.

A l ’âge où l ’on est l ibertin,Pour boire un toast en un festin

,

Un jour je soulevai mon verre.En face de moi vint s’asse0 1rUn convive vêtu de noir,Qui me ressemblait comme un frère.I l secouait sous son manteauUn hail lon de pourpre en lambeau.

Sur sa tête un myrte stéri le,Son bras maigre cherchait le mien

,

Et mon verre, en touchant le sien,Se brisa dans ma main débile.Un an après

,i l était nuit,

J ’étais à genoux près du litOù venait de mourirmon père.Au chevet du lit vint s‘asseoirUn orphelin vêtu de noir,Quime ressemblait comme un frère.Ses yeux étaientComme les angesI l était couronné d’

épine ;Son luth à terre était gisant,Sa pourpre de couleur de sang,Et son glaive dans sa poitrine.

Page 111:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

ALFRED DE MUSSET

Partout Où, le long des chemins,J ’ai posé mon front dans mes mains

,

Et sangloté comme une femme ;Partout où j ’ai, comme un moutonQui laisse sa laine au buisson,Senti se dénuermon âme ;Partout où j ’ai voulu dormir,Partout où j ’ai voulu mourir

,

Partout Où j'ai touché la terre,Sur ma route est venu s’asseoirUn malheureux vêtu de noir

,

Qui me ressemblait comme un frère.

Qui donc es- tu, toi que dans cette vieJe vois toujours sur mon chemin ?

Je ne puis croire, à ta mélancol ie,Que tu sois mon mauvais Dest in.

Ton doux sourire a trop de patience,

Tes larmes ont trop de pitié.En te voyant, j ’aime la Providence.Ta douleur même est sœur de ma souffrance;Elle ressemble à l ’Amitié.

Qui donc es—tu — Tu n ’es pasmon bon ange;Jamais tu ne viensm’

avefl ir.

Tu vois mes maux (c’est une chose étrange l),

Et tu me regardes souffrir.Depuis vingt ans tu marches dans ma voie

,

Et je ne saurais t ’appeler.Qui donc es- tu, si c'est Dieu qui t‘envoie ?Tu me souris sans partager ma joie

,

Tu me plains sans me consoler !

Ce soir encor je t’ai vum’apparaître.

C ’était par une triste nuit.L’aile des vents battait à ma fenêtre ;J'

étais csçul , courbé sur mon lit.

Page 112:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA NUIT DE DECEMBRE 103

J’

y regardais une place chérie,

Tiède encor d ’un baiser brûlant;Et je songeais comme la femme oublie

,

Et je sentais un lambeau de ma vie,

Qui se déchirait lentement.

Je rassemblais des lettres de la veille,Des cheveux

,des débris d ’amour.

Tout ce passé me criait à l'oreilleSes éternels serments d ’un jour.

Je contemplais ces reliques sacrées,

Qui me faisaient trembler la mainLarmes du cœur par le cœur dévorées

,

Et que les yeux qui les avaient pleuréesNe reconnaîtront plus demain!

J’

enveloppais dans un morceau de bureCes ruines des jours heureux.

Je me disais qu’ ic i -bas ce qui dure,

C ’est une mèche de cheveux.

Comme un plongeur dans une mer profonde,

Je me perdais dans tant d’oubl i.

De tous côtés j ’y retoumais la sonde,Et je pleurais seul , loin des yeux du monde,Mon pauvre amour enseveli.

J ’allais poser le sceau de ci re noireSur ce fragile et cher trésor.

J ’allais le rendre, et n ’y pouvant pas croire,En pleurant j ’en doutais encor.

Ah! faible femme, orgueil leuse insensee ,Malgré toi

,tu t’en souviendras !

Pourquoi, grand Dieu !mentir à sa pensée ?Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,Ces sanglots, si tu n

aimais pas ?Oui , tu languis, tu souffres , et tu pleuresMais ta chimère est entre nous.

Eh bien, adieu !Vous compterez les heuresQui me séparemnt de vous:

Page 113:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

ALFRED D E MUSSET

Partez,partez, et dans ce cœur de glace

Emportez l ’orgueil satisfait.Je sens encor le mien jeune et v ivace,Et bien des maux pourront y trouver placeSur le mal que vous m ’avez fait.

Partez,partez ! la Nature immortelle

N ’a pas tout voulu vous donner.Ah ! pauvre enfant, qui voulez être bel le,Et ne savez pas pardonner !

Allez,allez

,suivez la destinée ;

Qui vous perd n’a pas tout perdu.

Jetez au vent notre amour consumée;ternel Dieu ! toi que j ’ai tant aimée.Si tu pars

,pourquoim’

aimes—tuMais tout à Coup j ai vu dans la nuit sombreUne forme glisser sans bruit.

Sur mon rideau j ’ai vu passer une ombre;Elle v ient s’asseoir surmon l it.

Qui donc es- tu,morue et pâle visage,Sombre portrait vêtu de noir ?

Que me veux- tu,triste oiseau de passage ?

Est—ce un vain rêve? est- ce ma propre imageQue j

aperçois dans ce miroir ?

Qui donc es- tu, spectre de ma jeunesse,Pèlerin que rien n’a lassé ?

Dis—moi pourquoi je te trouve sans cesseAssis dans l ’ombre où j ’ai passé.

Qui donc es- tu , visiteur sol itaire,Hôte assidu de mes douleurs ?

Qu’as—tu donc fait pour me suivre sur terre ?Qui donc es- tu

,qui donc es- tu , mon frère,

Qui n'apparais qu’au jour des pleurs ?

LA VISION.

— Ami, notre père est le tien.

Je ne suis ni l’ange gardien,

Ni le mauvais destin des hommes.

Page 115:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

106 ALFRED DE MUSSET

Vous veniez d’essayer pour la première foisCe beau luth éploré qui vibre sous vos doigts.La Muse que le c iel vous avait fiancéeSur votre front rêveur cherchait votre pensée,Vierge craintive encore, amante des lauriers.Vous ne connaissiez pas

,noble fils de la France,

Vous ne connaissiez pas , sinon par sa souffrance,Ce sublime orgueil leux à qui vous écriviez.De quel droit osiez-vous l ’ab order et le plaindre ? ao

Quel aigle, Ganymède, à ce Dieu vous portait ?

Presœntiez—vous qu ’un jour vous le pourriez atteindre,Celui qui de si haut alors vous écoutait ?Non, vous aviez vingt ans, et le cœur vous battait.Vous aviez lu Lara

,Manfred et le Corsaire,

Et vous aviez écrit sans essuyer vos pleursLe souffle de Byron vous soulevait de terre,Et vous alliez à lui, porté par ses douleurs.Vous appeliez de loin cette âme désolée ;Pour grand qu’i l vous parût, vous le sentiez am1Et, comme le torrent dans la verte vallée,L’écho de son génie en vous avait gémi.

Et lui,lui dont l ’Europe, encore toute armée,

contait en tremblant les sauvages concerts ;Lui qui depuis dix ans fuyait sa renommée,Et de sa solitude emplissait l ’univers ;Lui, le grand inspiré de la Mélancolie,Qui , las d’être envié, se changeait en martyr ;Lui, le dernier amant de la pauvre Ital ie,Pour son dernier exil s’apprêtant à partir ;Lui qui, rassasié de la grandeur humaine,Comme un cygne

,à son chant sentant sa mort pro

chaine,

Sur terre autour de lui cherchait pour quiI l écouta ces vers que lisait sa maîtresse,

5 . Cquelques fragments traduitsivre de cette poésie .

Page 116:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LETTRE A LAMARTINE 1 07

Ce doux salut lointain d ’un jeune homme inconnu.

Je ne sais si du style il comprit la richesse;I l laissa dans ses yeux sourire sa tristesse :Ce qui venait du cœur lui fut le bienvenu.

Poè te,maintenant que ta muse fidèle,

Par ton pudique amour sûre d ’être immortelle,De la verveine en fleur t ’a couronné le front,A ton tour

,reçois-moi comme le grand Byron.

De t ’égal er jamais je n’ai pas l ’espérance ;

Ce que tu tiens du c iel , nul ne me l’a promis,Mais de ton sort au mien plus grande est la distance.

Meilleur en sera Dieu qui peut nous rendre amis .Je ne t

adresse pas d’

inutiles louanges,Et je ne songe point que tu me répondra3 ;Pour être proposés

,ces i l lustres échanges

Veulent être signés d ’un nom que je n ’ai pas. 60

J ’ai cru pendant longtemps que j ’étais las du monde ;J ’ai dit que je niais, croyant avoir douté,Et j ’ai pris

,devant moi, pour une nuit profonde

Mon ombre qui passait pleine de vanité.

Poè te, je t ’écris pour te dire que j ’aime,Qu’un rayon du soleil est tombé jusqu’à moi,Et qu’en un jour de deuil et de douleur suprême,Les pleurs que je versais m’ont fait penser à toi.

Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse,Ne sait par cœur ce chant, des amants adoré ,u’

un soir, au bord d’un lac, tu nous as soupiré ?

lu mille fois,qui ne relit sans cesse

ystérieux où parle ta maîtresse,Et qui n’a sangloté sur ces divins sanglots

,

Profonds comme le c iel et purs comme les flots ?Hélas !ces longs regrets des amours mensongères,Ces ruines du temps qu’on trouve à chaque pas

,

Ces sil lons infinis de lueurs éphémères,Qui peut se dire un homme et ne les connaît pas ?

48. As amat ter of fact Byron wanted to burn the “portrait, which

he does not appear to have read .

Page 117:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

108 ALFRED DE MUSSE'

I‘

Quiconque aima jamais porte une cicatrice ;Chacun l’a dans le sein, toujours prête à s

’ouvrir;Chacun la garde en soi

,cher et secret suppl ice,

Et mieux il est frappé, moins i l en .veut guérir.

Te le dirai-je, à toi, chantre de la souffrance,Que ton glorieux mal , je l ’ai souffert aussi ?Qu’un instant, comme toi, devant ce c iel immense,J ’ai serré dans mes bras la vie et l’espérance,Et qu’ainsi que le tien ,mon rêve s’est enfui ?Te dirai-je qu

’un soir, dans la brise embaumée,Endormi, comme toi, dans la paix du bonheur,Aux célestes accents d’une voix bien-aimée

,

J ’ai cru sentir le temps s’arrêter dansmon cœur ?Te dirai -je qu

’un soir, resté seul sur la terre,Dévoré, comme toi, d

’un affreux souvenir,Je me suis étonné de ma propre misère,Et de ce qu ’un enfant peut souffrir sans mourir ?Ah ! ce que j ’ai senti dans cet instant terrible,Oserai-je m

’en plaindre et te le raconter ?Comment exprimerai-je une peine indic ible ?Après toi, devant toi , puis—je encor le tenter ?Oui

,de ce °

our fatal,plein d’horreur et de charmes ,

Je veux fid lement te faire le récit ;Ce ne sont pas des chants, ce ne sont que des

larmes,Et je ne te dirai que ce que Dieu m’a dit.

Lorsque le laboureur, regagnant sa chaumière,Trouve le soir son champ rasé par le tonnerre,I l croit d’abord qu'un rêve a fasciné ses yeux,Et

,doutant de lui-même, interroge les cieux.

Partout la nuit est sombre,et la terre enflammée.

I l cherche autour de lui la place accoutuméeOù sa femme l ’attend sur le seuil entr’ouvert ;I l voit un peu de cendre au milieu d’un désert.Ses enfants demi-nus sortent de la bruyère,Et viennent lui conter comme leur pauvre mèreEst morte sous le chaume avec des cris affreux;Mais maintenant au loin tout est si lencieux.

Page 119:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 10 ALFRED D E MUSSET

On eut dit un portrait de la débauche antique,Un de ces soirs fameux chers au peuple romain ,Où des temples secrets la Vénus impudiqueSortait échevelée, une torche à la main.

Dieu juste ! pleurer seul par une nuit pareille !0 mon unique amour ! que vous avais-je fait ?Vousm’

aviez pu quitter, vous qui juriez la veil leQue vous étiez ma vie et que Dieu le savait ?Ah ! toi, le savais—tu, froide et cruelle amie,Qu’à travers cette honte et cette obscurité,J'étais là, regardant de ta lampe chérie,Comme une étoile au c iel

,la tremblante clarté ?

Non, tu n’en savais rien,je n’ai pas vu ton ombre ;

Ta main n‘est pas venue entr’ouvrir ton rideau.

Tu n'as pas regardé si le c iel était sombre ;Tu ne m'as pas cherché dans cet affreux tombeau !

Lamartine, c ’est là, dans cett e rue obscure,Assis sur une borne

,au fond d ’un carrefour,

Les deux mains sur mon cœur, et serrant ma blessure,Et sentant y saigner un invincible amour ;C ’est là, dans cette nuit d’horreur et de détresse,Au milieu des transports d’un peuple furieuxQui semblait en passant crier à ma jeunesse :“Toi qui pleures ce soir, n’as—tu pas ri comme eux ?C’est là, devant ce mur, où j ’ai frappé ma tête,Où j ’ai posé deux fois le fer sur mon sein nu;C'est là, le croiras- tu ? chaste et noble poè te,Que de tes chants divins je me suis souvenu.

O toi qui sais aimer, réponds, amant d’

Elvire,Comprends- tu que l ’on parte et qu’on se dise adieuComprends- tu que ce mot, la main puisse l ’écrire,Et le cœur le signer, et les lèvres le dire,Les lèvres, qu’un baiser vient d ’

unir devant Dieu ?Comprends- tu qu’un lien qui, dans l

’âme immortel le,Chaque jour plus profond, se forme à notre insu ;Qui déracine en nous la volonté rebelle,Et nous attache au cœur son merveil leux tissu;

Page 120:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LETTRE A LAMARTINE I I I

Un lien tout- puissant dont les nœuds et la trameSont plus durs que la roche et que les diamants ;Qui ne craint ni . le temps, ni le fer, ni la flamme

,

Ni la mort elle—même, et qui fait des amantsJusque dans le tombeau s’aimer les ossements ;Comprends—tu que dix ans ce l ien nous enlace,Qu’i l ne fasse dix ans qu’un seul être de deux,Puis tout à coup se brise

,et, perdu dans l ’espace,

Nous laisse épouvantés d’avoir cru vivre heureux

O poete ! il est dur que la nature humaine,Qui marche à pas comptés vers une fin certaine

,

Doive encor s’y traîner en portant une croix,

Et qu’ i l faille ici-bas mourir plus d’une fois.Car de quel autre nom peut s’appeler sur terreCette nécessité de changer de misè re,Qui nous fait, jour et nuit, tout prendre et tout

quitter,Si bien que notre temps se passe convoiter ?Ne sont- cc pas des morts, et des morts efl

'myab lesQue tant de changements d’êtres si variables

,

Qui se disent toujours fatigués d’espérer,

Et qui sont toujours prêts à se transfigurer?Quel tombeau que le cœur, et quelle solitude !Comment la passion devient—elle habitude

,

Et commen t se fait- i l que, sans y trébucher,Sur ses propres débris l ’homme puisse marcher ?y marche pourtant ; c

’est Dieu qui l ’y convie.

I l va semant partout et prodiguant sa vie :Désir

,crainte, colère, inquiétude, ennui,

Tout passe et disparaît, tout est fantôme en lui.Son misérable cœur est fait de telle sorte,Qu’i l faut incessamment qu’une ruine en sorte;Que la mort soit son terme, i l ne l ’ignore pas,Et

,marchant à la mort, i l meurt à chaque pas.

I l meurt dans ses amis, dans son fils, dans son père.I l meurt dans ce qu ’i l pleure et dans ce qu’i l espère;Et

,sans parler des corps qu’ i l faut ensevel ir

,

Qu’est—cc donc qu’

oub lier, si ce n'est pas mourir

Page 121:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 1 2 ALFRED D E MUSSET

Ah! c’est plus que mourir, c’est survivre à soi-même.

L’âme remonte au c iel quand on perd ce qu’on aime.I l ne reste de nous qu’un cadavre vivant ;Le désespoir !’habite, et le néant l

’attend.

Eh bien! bon ou mauvais, inflex ib le ou fragile,

Humble ou fier, t riste ou gai, mais toujours gémiæant ,Cet homme, tel qu ’i l est, cet être fait d ’argile

,

Tu l ’as vu, Lamartine, et son sang est ton sang.

Son bonheur est le tien ;sa douleur est la tienne ;Et des maux qu’ici - bas i l lui faut endurer,Pas un qui ne te touche et qui ne t ’appartienne ;Puisque tu sais chanter, ami, tu sais pleurer. 040

Dis-moi, qu’en penses- tu dans tes jours de tristesse ?Que t’a dit le malheur, quand tu l ’as consulté ?Trompé par tes amis, trahi par ta maîtresse,Du ciel et de toi—même as—tu jamais douté ?

Non, Alphonse, jamais. La triste expérienceNous apporte la cendre, et n ’

éteint pas le feu.

Tu respectes le mal fait par la Providence,Tu le laisses passer et tu crois à ton Dieu.

Quel qu’i l soit, c’est le mien;i l n’est pas deux croyances .

Je ne sais pas son nom , j ’ai regardé les c ieux; 050

Je sais qu 113 sont à lui, je sais qu’ils sont immenses,

Et que l’ immensité ne peut pas être à deux.

J'ai connu, jeune encor, ‘ de sévè res souffrances ;vu verdir les bois

,et j ’ai tenté d ’aimer.

ais ce que la terre engloutit d'espérances,Et

,pour y recueillir, ce qu

’i l y faut semer.Mais ce que j ’ai senti, ce que je veux t

écrire,C’est ce que m ’ont appris les anges de douleur ;Je le sais mieux encore et puis mieux te le dire,Car leur glaive, en entrant, l’a gravé dansmon cœur.

Créature d’un jour qui t ’agites une heure,De quoi viens- tu te plaindre et qui te fait gémir ?Ton âme t’inquiète, et tu crois qu’elle pleure :Ton âme est immortell e, et tes pleurs vont tarir.

Page 123:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 14 ALFRED DE MUSSET

Du mal qu’une amour ignoréeNous fait souffrir,

J ’en porte l’âme déchiréeJusqu’à mourir.

Mais j a1me t rop pour que je dieQui j ’ose aimer

,

Et je veux mourir pour ma mieSans la nommer.

VI . LA NUIT D’

OCTOBRE ‘

LE POÈTE.

Le mal dont j a1 souffert s’est enfui comme un rêve;Je n

’en puis comparer le lointain souvenirQu’à ces brouillards légers que l ’aurore soulève,Et qu ’avec la rosée on voit s’évanouir.

LA MUSE

Qu’aviez—vous donc, 6mon poè te !

Et quelle est la peine secrèteQui de moi vous a séparé ?Hélas ! je m’en ressens encore.

Quel est donc ce mal que j ’ignoreEt dont j ’ai si longtemps pleuré ?

LE POETE.

C'était un mal vulgaire et bien connu des hommes ;Mais, lorsque nous avons quelque ennui dans le cœur,Nous nous imaginons, pauvres fous que nous sommes,Que personne avant nous n’a senti la douleur.

LA MUSE.

I l n ’est de vulgaire chagrinQue celui d’une âme vulgaire.Ami, que ce triste mystèreS

échappe aujourd‘hui de ton sein.

Page 124:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA NUIT D’

OCTOERE 1 1 5

Crois-moi, parle avec confiance ;Le sévère dieu du silenceEst un des frères de la Mort ;En se plaignant on se console,Et quelquefois une paroleNous a délivrés d ’un remord.

LE POETE.

S’i l fallait maintenant parler de ma souffrance,Je ne sais trop quel nom elle devrait porter,Si c’est amour, folie, orgueil . expérience,Ni si personne au monde en pourrait profiter.Je veux bien toutefois t

’en raconter l’histoire,Puisque nous voilà seuls, assis près du foyer.Prends cette lyre, approche, et laisse ma mémoireAu son de tes accords doucement s’éveil ler.

LA MUSE.

Avant deme dire ta peine,

0 poè te ! en es- tu guéri ?Songe qu’i l t’en faut aujourd’huiParler sans amour et sans haine.S ’i l te souvient que j ’ai reçuLe doux nom de conœlatrice,Ne fais pas demoi la compliceDes passions qui t’ont perdu.

LE POETE.

Je suis si bien guéri de cette maladie,Que j'en doute parfois lorsque j ’y veux songer ;Et quand je pense aux lieux où j ’ai risqué ma vie,J’

y crois voir à ma place un visage étranger.Muse, sois donc sans crainte;au souffle qui t

inspire

Nous pouvons sans péri! tous deux nous confier.I l est doux de pleurer, i l est doux de sourireAu souvenir des maux qu’on pourrait oubl ier.

LA MUSE.

Comme une mère vigilanteAu berceau d’un fi ls bien - aimé,Ainsi je me penche tremblanteSur ce cœur qui m’était fermé.

Page 125:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 16 ALFRED DE MUSSET

Parle, ami,— ma lyre attentiveD’une note faible et plaintiveSuit déjà l ’accent de ta voix,Et dans un rayon de lumière,Comme une vision légère,Passent les ombres d ’autrefois.

LE POÈTE.

Jours de t ravai l ! seuls jours où j ’ai vécu !0 trois fois chère sol itude !

Dieu soit loué, j’y suis donc revenu ,

A ce vieux cabinet d ’étude !Pauvre réduit, murs tant de fois déserts,Fauteui ls poudreux, lammfidèle,

0 mon palais,mon petit univers,Et toi, Muse, 0 jeune immortelle,

Dieu soit loué,nous al lons donc chanter !

Oui, je veux vous ouvrir mon âme,Vous saurez tout , et je vais vous conterLe mal que peut faire une femme ;

Car c’en est une, 6 mes pauvres amis(Hélas ! vous le saviez peut—être) !

C’est une femme à qui je fus soumis,Comme le serf l ’est à son maître.

Jong détesté ! c’est par là quemon cœur

Perdit sa force et sa jeunesseEt cependant

,auprès de ma maîtresse,

r{avaisentrevu le bonheur.

P s du ruisseau , quand nous marchions ensemble,Le soir

,sur le sable argentin

, 80

Quand devant nous le blanc spec tre du trembleDe loin nous montrait le chemin

Je vois encore, aux rayons de la lune,Ce beau corps plier dans mes

N ’en parlons — je ne prévoyais pasOù me conduirait la Fortune.

Sans doute alors la colère des dieuxAvait besoin d’une

,victime ;

Car elle m’a puni comme d ’un crimeB

’avoir essayé d’êt re heureux.

Page 127:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 1 8 ALFRED DE MUSSET

Me semblait un destin plus affreux que la mort.Je me souviens pourtant qu

’en cette nuit cruellePour brisermon l ien je fis un long effort.Je la nommai cent fois perfide et déloyale,Je comptais tous les maux qu'elle m’avait causésHélas ! au souvenir de sa beauté fatale,Quels maux et quels chagrins n’étaient pas apaisés lLe jour parut enfin.

— Las d’une vaine attente,Sur le bord du balcon je m ’étais assoupi;Je rouvris la aupière à l ’aurore naissante,Et je laissai otter mon regard ébloui.Tout à coup, au détour de l

étroite ruelle,J ’entends sur le gravier marcher à petitGrand Dieu!préservez-moi!je l ’aperçois, c’est elle;Elle entre — D

oùviens—tu ? qu ’as- tu fait cette nuit ?Réponds, que me veux- tu ? qui t ’amène à cette heure?Ce beau corps, jusqu’au jour, où s

’est-il étendu ? 141

Tandis qu’à ce balcon, seul, je veille et je pleure,En quel l ieu, dans quel l it, à qui soudais—tu ?Perfide! audac ieuse! est—il encor possibleQue tu viennes offrir ta bouche à mes baisers ?Que demandes - tu donc ? par quelle soif horribleOS!S - tum’attirer dans tes bras épuisés ?Va—t’en, retire—toi, spectre de ma maîtresse!Rentre dans ton tombeau , si tu t’en es levé;Laisse—moi pour toujours oublier ma jeunesse,Et, quand je pense à toi, croire que j ’ai rêvé!

LA MUSE.

Apaise—toi , je t’en conjure;Tes paroles m’ont fait frémir.0 mon bien -aimé! ta blessureEst encor prête à se rouvrir.Hélas! elle est donc bien profonde ?Et les misères de ce mondeSont si lentes à s

effacer!

Oublie,enfant, et de ton âme

Chasse le nom de cette femme,Que je ne veux pas prononcer.

Page 128:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA NUIT D’

OCTOBRE 1 19

LE POÈTE.

Honte à toi qui la premièreM’as appris la trahison

,

Et d'horreur et de colèreM ’as fait perdre la raison!Honte à toi, femme à l ’œil sombre

,

Dont les funestes amoursOnt enseveli dans l’ombreMon printemps et mes beaux jours!C’est ta voix, c’est ton sourire,C’est ton regard compteur,Qui m’ont appris àmaudit eJusqu’au semblant du bonheur;C’est ta jeunesse et tes charmesQui m’ont fait désespérer,Et si je doute des larmes

,

C ’est que je t’ai vu pleurer.Honte à toi, j ’étais encoreAussi simple qu’un enfant;Comme une fleur à l’aurore

,

Mon cœur s’ouvrait en t ’aimant.Certes, ce cœur sans défensePut sans peine être abusé;Mais lui laisser l’innocencetait encor plus aisé.

Honte à toi! tu fus la mèreDe mes premières douleurs,Et tu fis de ma upière

Jail l ir la source dPeî pleurs!Elle coule, sois—en sûre,Et rien ne la tarira ;Elle sort d’une blessureQui jamais ne guériraMais dans cette source amèreDu moins je me laverai

,

Et j ’y laisserai, j’espère,

Ton souvenir abhorré!

Page 129:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 20 ALFRED D E MUSSET

LA MUSE.

Poete,c’est assez. Auprès d’une infidèle,

Quand ton illusion n'aurait duré qu’un jour,N ’outrage pas ce jour lorsque tu parles d’elle;Si tu veux être aimé, respecte ton amour.Si l’effort est trop grand pour la faiblesse humaineDe pardonner les maux qui nous viennent d’autrui ,pargue- toi du moins le tourment de la haine;A défaut du pardon, laisse venir l

'oubli.Les morts dorment en paix dans le sein de la terreAinsi doivent dormir nos sentiments éteints .

Ces rel iques du cœur ont aussi leur pouss ière;Sur leurs restes sacrés ne portons pas les mains.Pourquoi, dans ce récit d’une vive souffrance, 0 10

Ne veux- tu voir qu’un rêve et qu’un amour trompé ?Est- ce donc sans motif qu

agit la Providence ?Et crois- tu donc distrait le Dieu qui t’a frappé ?Le coup dont tu te plains t’a préservé peut—être,Enfant ; car c

’est par là que ton cœur s’est ouvert.L’homme est un apprenti

,la douleur est son maître

,

Et nul ne se connaît tant qu’i l n ’a pas souffert.C’est une dure loi, mais une loi suprême,Vieille comme le monde et la fatalité,Qu’ i l nous faut du malheur recevoir le baptême,Et qu'à ce triste prix tout doit être acheté.

Les moissons pour mûrir ont besoin de rosée ;Pour vivre et pour sentir

,l ’homme a besoin des pleurs;

La joie a pour symbole une plante brisée,Humide encor de pluie et couverte de fleurs.Ne te disais- tu pas guéri de ta fol ie ?N'es- tu pas jeune

,heureux, partout le bienvenu,

Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie,

Si tu n’avais pleuré, quel cas en ferais- tu ?Lorsqu

au déclin du jour, assis sur la bruyère,Avec un vieil ami, tu bois en lib erté,Dis-moi, d

’aussi bon cœur lèverais- tu ton verre,

Si tu n’avais senti le prix de la gaîté ?Aimerais- tu les fleurs

,les prés et la verdure

,

Page 131:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 22 ALFRED D E MUSSET

LE POETE.

Tu dis vrai : la haine est impie.Et c

’est un frisson plein d’horreurQuand cette vipère assoupiedéroule dans notre cœur.coute-moi donc, 6 déesse !Et sois témoin de mon sermentPar les yeux bleus de ma maîtresseEt par l’azur du firmament ;Par cette étincelle brillanteQui de Vénus porte le nom,

Et , comme une perle tremblante,Sc intille au loin sur l’horizon;Par la grandeur de la nature

,

Par la bonté du Créateur,

Par la c larté tranquil le et pureDe l ’astre cher au voyageur,Par les herbes de la prairie

,

Par les forêts,par les prés verts

,

Par la puissance de la vie,Par la sève de l ’univers,Je te bannis dema mémoire,Reste d’un amour insensé,Mystérieuse et sombre histoireQui dormiras dans le passé !Et toi qui, jadis, d

’une amiePortas la forme et le doux nom

,

L’instant suprême où je t ’oub lieDoit être celui du pardon.

Pardonnons- nous — je romps le charmeQui nous unissait devant Dieu.

Avec une dernière larmeR ois un éternel adieu .

t maintenant,blonde

Maintenant, Muse, à nos amours !Dis-moi quelque chanson joyeuse

,

Comme au premier temps des beaux jours.

Page 132:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LA NUIT D’

OCTOBRE 1 23

Déjà la pelouse embaumée

Et cueil l ir les fleurs du jardin.

Viens voir la nature immortel leSortir des voiles du sommeil ;Nous allons renaître avec elleAu premier rayon du soleil !

Octobre 1837.

VI I . TR ISTESSE “

J ’ai perdu ma force et ma vie,Et mes amis et ma gaîté;J ’ai perdu jusqu'à la fiert éQui faisait croire à mon génie.

Quand j’ai connu la Vérité,

J ’ai cru que c’était une amie

Quand je l’ai comprise et sentie,J ’en étais déjà dégoûté.

Et pourtant elle est éternelle,Et ceux qui se sont passés d’elleIci- bas ont tout ignoré.

il faut qu’on lui réponde,11 qui me reste au mondequelquefois pleuré.

Poésies Nouvel les. Writ ten at the country house of his friend AlfredTattet .

Page 133:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

124 ALFRED DE MUSSET

VI I I . SOUVENIR'

J’

espérais bien pleurer, mais je croyais souffrirEn osant te revoir, place à jamais sacrée,0 la plus chère tombe et la plus ignorée

Où dorme un souvenir !

Que redoutiez- vous donc de cette sol itude,

Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main ?Alors qu’une si douce et si v ieil le habitude

Me montrait ce chemin

Les voilà , ces coteaux, ces bruyères fleuries,Et ces pas argentins sur le sable muet,Ces sentiers amoureux , rempl is de causeries,

Où son brasm’enlaçait .Les voilà, ces sapins la sombre verdure,Cette gorge profonde aux nonchalants détours,Ces sauvages amis, dont l’antique murmure

A bercé mes beaux jours.

Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse,Comme un essaim d’oiseaux chante au bruit de mes pas.Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse,

Nem’

attendiez-vous pas ? 00

Ah ! laissez- les couler, elles me sont bien chères ,Ces larmes que soulève un cœur encor blessé !Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières

Ce voile du passé !

Je ne viens point jeter un regret inutileDans l ’écho de ces bois témoins demon bonheur.Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille

,

Et fier aussi mon cœur.

Po!sies Nouvel l es. Written, almost at one sit t ing, immediate! aftermeeti George Sand for the first time for nearly six years at thedes I iens. For the theme, cp. Lamartine’s Le Lac (see above p. 5 )and Hugo’

s La Tristesse «l‘

Olympia (Les Rayons et les 0môres,

Page 135:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 26 ALFRED DE MUSSET

En est- il donc moins vrai que la lumière existe,Et faut- i l l ’oubl ier du moment qu’i l fait nuit ?Est- ce bien toi, grande âme immortel lement triste,

Est—ce toi qui l ’as dit ?

Non,par ce pur flambeau dont la splendeurm’éc laire,

Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur.Un souvenir heureux est peut—être sur terre

Plus vrai que le bonheur.

quoi ! l ’infortuné qui trouve une étincelleDans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle

Ses regards éblouis ;Dans ce passé perdu quand son âme se noie

,

Sur ce miroir brisé lorsqu’ il rêve en pleurant,Tu lui dis qu’i l se trompe, et que sa faible joie

N’est qu’un affreux tourment !

Et c’est à ta Françoise,à ton ange de gloire,

Que tu pouvais donner ces mots à prononcer,Elle qui s’interrompt , pour conter son histoire,

D ’un éternel baiser !

Qu ’est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,Et qui pourra jamais aimer la vérité,S’ il n’est joie ou douleur si juste et si certaine

Dont quelqu’un n’ait douté ?

Comment vivez- vous donc, étranges créatures ?Vous riez, vous chant ez, vous marchez à grandsLe c iel et sa beauté, le monde et ses souil lures

Ne vous dérangent pas

Mais,lorsque par hasard le destin vous ramène

Vers quelque monument d’un amour oublié,

Ce caillou vous arrête, et cela vous fait peineQu’i l vous heurte le pié.

“Quesfi chemaidame non fia diviso h hoccami baciè tutto

tremante (Inf . v.

Page 136:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

SOUVENIR 1 27

Et vous criez alors que la vie est un songe ;Vous vous tordez les bras comme en vous réveillant,Et vous trouvez fâcheux qu’un si joyeux mensonge

Ne dure qu ’un instant.

Malheureux !cet instant où votre âme engourdieA secoué les fers qu ’elle traîne ici-bas,Ce fugitif instant fut toute votre vie

Ne le regrettez pas !

Regrettez la torpeur qui vous c loue à la terre,Vos agitations dans la fange et le sang,Vos nuits sans espérance et vos jours sans lumière

C’est là qu’est le néant !

Mais que vous revient- il de vos froides doctrines ?Que demandent au ciel ces regrets inconstantsQue vous allez semant sur vos propres ruines,

A chaque pas du Temps ?

ui,sans doute

,tout meurt;ce monde est un grand

rêve,t le peu de bonheur qui nous vient en chemin, 1 1 0

s n ’avons pas plus tôt ce reseau dans la main,Que le vent nous l 'enlève.

Oui,les premiers baisers

,oui, les premiers serments

Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,Ce fut au pied d ’un arbre effeuillé par les vents,

Sur un roc en poussière.

I ls prirent à témoin de leur joie éphémèreUn c iel toujours voilé qui change à tout moment,Et des astres sans nom que leur propre lumière

Dévore incessamment.

Tout mourait autour d’eux , l’oiseau dans le feuillage,La fleur entre leurs mains, l ’insecte sous leurs piés,La source desséchée où vacil lait l’image

De leurs traits oubliés ;

Page 137:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 28 ALFRED DE MUSSET

Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile,Étourdis des éclairs d’un instant de plaisir,I ls croyaient échapper à cet Ê tre immobile

Qui regarde mourir !

— l nsensés ! dit le sage.— Heureux ! dit le poète.Et quels tristes am0urs as - tu donc dans le cœur, 1 30

Si le bruit du torrent te trouble et t’inquiète,

Si le vent te fait peur ?

J ’ai vu sous le soleil tomber bien d ’autres chosesQue les feuilles des bois et l ’écume des eaux,Bien d’autres s’en al ler que le parfum des roses

Et le chant des oiseaux.

Mes yeux ont contemplé des objets plus funèbresQue Juliette morte au fond de son tombeau

,

Plus affreux que le toast à l ’ange des ténèbresPorté par Roméo.

Ja1 vu ma seule amie,à jamais la plus chère

,

Devenue elle-même un sépulcre blanchi,Une tombe vivante où flottait la poussière

De notre mort chéri,

De notre pauvre amour, que, dans la nuit profonde,Nous avions sur nos cœurs si doucement bercé !C’était plus qu’une vie

,hélas ! c’était un monde

Qui s’était effacé !

Oui,jeune et belle encor, plus belle, osait-ou dire,

Je l’ai vue, et ses yeux brillaient comme autrefois. 1 50

Ses lèvres s’

entr’

ouvraient , et c’était un sourire,Et c’était une voix

Mais non plus cette voix, non plus ce doux langage,Ces regards adorés dans les miens confondusMon cœur, encor plein d ’elle, errait sur son visage,

Et ne la trouvait plus.

Page 139:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 30 CHATEAUBRIAND

CHATEAUBRIAND

NATURE IN THE NEW WORLD'

Un soir je m’étais égaré dans une forêt, à quelquedistance de la cataracte du Niagara;bientôt je vis lejour s’éteindre autour de moi

,et je goûtai, dans toute sa

solitude, le beau spectacle d’une nuit dans les déserts duNouveau -Monde.

Une heure après le coucher du so lei l, la lune se

montra au -dessus des arbres à l ’horizon opposé. Unebrise embaumée, que cette reine des nuits amenait del ’orient avec elle, semblait la précéder dans les forêts

1 0 comme sa fraiche haleine. L’astre sol itaire monta peu àpeu dans le ciel : tantôt il suivait paisiblement sa courseazurée ;tantôt i l reposait sur des groupes de nues quiressemblaient la c ime de hautes montagnes couronnéesde neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voi les,se déroulaient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersaient en légers flocons d’

écume, ou formaient dansles c ieux des bancs d ’une ouate éblouissante, si douxà l’œil, qu’on croyait ressentir leur mollesse et leurélastic ité.

La scène sur la terre n ’était pas moins ravissante : lejour bleuâtre et velouté de la lune descendait dans lesinterval les des arbres et poussait des gerbes de lumièrejusque dans l ’épaisseur des pl us profondes ténèbres. La

rivi re qui coulait à mes pieds tour à tour se perdaitdans le bois, tour à tour reparaissait bril lante des con

stel lations de la nuit, qu’elle répétait dans son sein.

FromLe Génie du Ckrisùb uùm 1 . livre v. ch. XII,Le Génie du Chfi d iauisme fut utile en ce u i! contribua à rétablir le

respect pour l e Christianisme considéré ement et

I.ittémirement , il ouvrit une foule d’aspects nouveaux et de perspectives,qui son t devenues de grandes routes battues etmême rebattues de

t du Moyen-Age, du gothique,°

e et génie de l’histoire nafionÆ l

anna l ’impulsion à ces trains d ’id modernes oùla science est intervenueensuite, mais ne l’inst inct du grand art iste avait d‘abord devinées.”Sante-Bean , et son groupe l id lmin , 340 .

Page 140:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

NATURE IN THE NEW’ WORLD 131

Dans une savane, de l'autre côt é de la rivière, la clartéde la lune dormait sansmouvement sur les gazons ;desbordeaux agités par les brises et dispersés çà et làformaient des îles d’ombres flottantes sur cette mer im30mob ile de lumière. Auprès, tout aurait été silence etrepos, sans la chute de quelques feuil les, le passage d

un

vent subit, le gémissement de la hulotte ;au loin , parintervall es, on entendait les sourds mugissements de lacataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, seprolongeaient de désert en désert et expiraient à traversles forêts sol itaires.La grandeur, l

étonnante mélanc ol ie de ce tableau,ne sauraient s'exprimer dans les langues humaines ;lesplus bel les nuits en Europe ne peuvent en donner une 40idée. En vain dans nos champs cultivés l’ imaginationcherche à s’étendre;elle rencontre de toutes parts leshabitations des hommes : mais dans ces rég ions sauvagesl’âme se plaît à s’enfoncer dans un océan de forêts, àplaner sur le gouffre des cataractes, à méditer au borddes lacs et des fleuves, et, pour ainsi dire, à se trouverseule devant Dieu.

THE CHRISTIAN SOUL BEFORETHE UNIVERSE ‘

Pénétrez dans ces forêts américaines auss i vieil les quele monde : que!profond silence dans ces retraites quandles vents reposent ! quelles voix inconnues uand lesvents viennent à s’élever ! tes-vous immo ile, toutest muet ; faîtes-vous un pas, tout soupire. La nuits'approche, les ombres s

épaississent : on entend lestroupeaux de bêtes sauvages passer dans les ténèbres ;la terre murmure sous vos pas ; quelques coups defoudre font mugir les déserts ;la forêt s

’agite,

tombent, un fleuve inconnu coule devant vous. La lune 1 0

sort enfin de l ’Orient ;à mesure que vous passez au pieddes arbres, elle semble errer devant vous dans leurs

W e, pu fie 11. hwe % ch h

Page 141:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

I32 CHATEAUBRIAND

cimes et suivre t ristement vos yeux. Le voyageurs‘

assied sur le tronc d’un chêne pour attendre le jour ;i l regarde tour à tour l ’astre des nuits, les ténèbres, lefleuve ; i l se sent inquiet, agité, et dans l ’attente dequelque chose d’

inconnu; un plaisir inouï, une crainteextraordinaire, font palpiter son sein, comme s’il al laitêtre admis à quelque secret de la Divinité : i l est seul

00 au fond des forêts ;mais l’esprit de l’homme ra nplit

aisément les espaces de la nature, et toutes les sol itudesde la terre sont moins vastes qu ’une seule pensée de soncœur.Oui

,quand l ’homme renierait la Divinité

,l’être

pensant, sans cortëge et sans spectateur, serait encore

plus auguste au milieu des mondes sol itaires que s’ i ly paraissait environné des petites déités de la Fable ;ledésert vide aurait encore quelques convenances avecl ’étendue de ses idées, la tristesse de ses passions, et le

30 dégoût même d’une vie sans illusion et sans espérance.

I l y a dans l’homme un instinct qui le met enrapport avec les scènes de la nature Eh !qui n’a passédes heures entières assis sur le rivage d’

un fleuve, à voirs’écouler les ondes ! Qui ne s’est plu , au bord de la mer,à regarder blanchir l ’écueil éloigné ! I l faut plaindre lesanciens

,qui n’avaient trouvé dans l ’Océan que le palais

de Neptune et la grotte de Protée;i l était dur de nevoir que les aventures des tritons et des néréides danscette immensité des mers, qui semble nous donner une

40 mesure confuse de la grandeur de notre âme ;dans cetteimmensité qui fait naître en nous un vague désir dequitter la vie pour embrasser la nature et nous confondreavec son auteur.

I I I . CHR ISTIAN ARCH ITECTURE ?

Les forêts des Gaules ont passé à leur tour dans lestemples de nos pères, et nos bois de chênes ont ainsimaintenu leur origine sacrée. Ces voûtes ciselées en

part ie III. livre 1. ch. VII.

Page 143:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

134 CHATEAUBRIAND

I ls y puisaient une profonde vénération pour la France,et s

en retoumaient en disant en dedans d’eux-mêmes,

comme saint Grégoire : Ce royaume est réel lement le plusgrand parmi les nations ;mais i l s’est élevé un vent deco lère autour de l ’édifice de la Mort ; les flots des

peuples ont été poussés sur lui ;et les hommes étonnéero se demandent encore comment le temple d ’

AMMON a

disparu sous les sab les des dl serta

L’abbaye gothique où se rassemblaient ces grandsvassaux de la mort ne manquait point de gloire : lesrichesses de la France étaient à ses portes ; la Seinepassait à l’extrémité de sa plaine;cent endroits célèbresremplissaient, à quelque distance, tous les sites de beauxnoms

,tous les champs de beaux souven irs ; la vil le

d’

Henri IV et de Louis le Grand était assise dans levoisinage

,et la sépulture royale de Saint-Denis se

00 trouvait au centre de notre puissance et de notreluxe, comme un trésor où l

on déposait les débris dutemps et la surabondance des grandeurs de l ’empire

ne venaient, tour à tour, s’engloutir les roisde la France. Un d ’entre eux, et toujours le dernierdescendu dans -ces abîmes, restait sur les degrés dusouterrain

, comme pour inviter sa postérité à descendre.Cependant Louis XIV a vainement attendu ses deuxderniers fi ls l ’un s'est préc ipité au fond de la voût e, en

30 laissant son ancêtre sur le seuil ;l ’autre, ainsi qu’Œdipe,

a disparu dans une tempête. Chose digne de méditation!le premier monarque que les envoyés de la justice divinerencontrèrent fut ce Louis si fameux par l

’obéissance que

queens, and princesses, wereinto a common grave ou

Themins of Karnac and Lux or attest the former splendourofThebes, whose supreme God was Amon (or Amen).

l’un etc. Louis XVI, ex ecutedJan . 2 1 , 1 793, was hast ily buried

in the cemetery of IamMadeleine In the Rue d’

An ou

30 . l’autre. unhao

pfiyDauphin died In the prison of the Temple

111111 8 , 1 795 . He was sa1d t ve been buried 111 the œmetery of Sainteb ut no trace of his body was foundm18 16, when search was

Page 144:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

SAINT—DENIS 135

les nations lui portaient. I l était encore tout entier dansson cercuei l. En vain , pour défendre son trône, i l parutse lever avec la majesté de son sièc le et une arrière—gardede huit sièc les de rois ; en vain son geste menaçantépouvanta les ennemis des morts, lorsque, préc ipité dansune fosse commune, i l tomba sur le sein de Marie deMéd icis : tout fut détruit. Dieu, dans l ’effusion de sa 40colère

,avait juré par lui-même de châtier la France : ne

cherchons point sur la terre les causes de pareils événements ;elles sont plus haut.Dès le temps de Bœ3uet, dans le souterrain de ces

princes anéantis, on pouvait à peine déposer madameHenriette

, tout les rangs y sont pressés ! s’

écrie le pluséloquent des orateurs

,tant lamort est prompte à remplir

cesplaces En présence des âges, dont les flots écouléssemblent gronder encore dans ces profondeurs, les espritssont abattus par le poids des pensées qui les oppressent. 50L’

âme entière frémit en contemplant tant de néant ettant de grandeur. Lorsqu’on cherche une expressionassez magnifique pour peindre ce qu’ il y a de plus élevé,l’autre moitié de l ’objet soll ic ite le terme le plus bas,pour exprimer ce qu’i l y a de plus vil . I ci les ombresdes viei lles voûtes s

abaissent pour se confondre avecles ombres des vieux tombeaux; là des gri lles de ferentourent inutilement ces bières, et ne peuven défendrela mort des empœssements des hommes. contez lesourd travail du sépulcre, qui semble fi ler dans ces ôo

cercueils les indestructibles réseaux de la mort ! Toutannonce qu’on est descendu à l ’empire des ruines ;et , àje ne sais quelle odeur de vétusté répandue sous ces

arches funèbres, on croirait, pour ainsi dire , respirer lapoussière des temps passés.

urs chrétiens, pardonnez aux larmes qui coulentde nos yeux en errant au milieu de cette famille de saint

34. Quelques uns de ces corps étaient bien conservés, surtout

Louis XIII , reconnaissable à samoustache. Louis XIV l’était aussi par sesgrands traits. Mais il était noir comme de l ’encre etc.

46. Henriette of England, da hter of Charles 1 and Henriet taMaria, first wife ofMonsieur, only b ro r of LouisXIV.

46. Op. Bossuet, 0ra£sonfimäre de Henriette cfAngIe£are.

Page 145:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 36 CHATEAUBRIAND

Louis et de Clovis. Si tout à coup, jetant à l’écart le

drap mortuaire qui les couvre, ces monarques allaient70 se dresser dans leurs sépulcres, et fixer sur nous leursregards

,à la lueur de cette lampe l— Oui, nous les voyons

tous se lever à demi, ces spec tres des rois ; nous les

reconnaissons, nous osons interroger ces majestés dutombeau . Eh bien

,peuple royal de fantômes

,dites - le

nous : voudriez—vous revivre maintenant au prix d ’unecouronne ? Le trône vous tente- t - il encore ? Mais d ’

oùvient ce profond silence ? D ’où vient que vous êtes tousmuets sous ces voûtes ? Vous secouez vos têtes royales,d ’où tombe un nuage de poussière; vos yeux se re

80 ferment, et vous vous recouchez lentement dans vos

cercuei ls !Ah !si nous avions interrogé ces morts champêtres ,

dont naguère nous visitions les cendres , i ls auraient percéle gazon de leurs tombeaux ;et, sortant du sein de laterre comme des vapeurs brillantes, i ls nous auraientrépondu : Si Dieu l ’ordonne ainsi, pourquoi refuserionsnous de revivre ? Pourquoi ne passerions—nous pas encoredes jours résignés dans nos chaumières ?n ’était pas si pesant que vous le pensez ;nos sueurs

90 mêmes avaient leurs charmes , lorsqu’elles étaient essuyées

par une tendre épouse ou bénies par la rel igion.

Mais où nous entraîne la description de ces tombeauxdéjà effacés de la terre ? Elles ne sont plus, ces sépultures ! Les petits enfants se sont joués avec les osdes puissants monarques : Saint-Denis est désert;l

’oiseaul ’a pris pour passage

,l ’herbe croît sur ses autels brisés

et au l ieu du cantique de la mort,qui retentissait sous

ses dômes, on n’entend plus que les gouttes de pluie quitombent par son toit découvert, la chute de quelque

1 00 pierre qui se détache de ses murs en ruine, ou le son deson horloge, qui va roulant dans les tombeaux vides etles souterrains dévasté5 .

Page 147:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 38 CHATEAUBRIAND

30 purpurine. Quelquefois de beaux nuages comme deschars légers, portés sur le vent du soir avec une grâceinimitable, font comprendre l ’apparition des habitan tsde l ’O lym sous ce ciel mytholo

(gique; quelquefois

l ’antique l£Ême semble avoir éten u dans l ’occ identtoute la pourpre de ses consuls et de ses Césars

,sous les

derniers pas du dieu du jour. Cette riche décoration nese retire pas aussi vite que dans nos c l imats : lorsquevous croyez que ses teinteS vont s’efi'acer, elle se ranimesur quel

que autre point de l ’horizon ; un crépuscule

4°succède un crépuscule, et la magie du couchant seprolonge. I l est vrai qu’à cette heure du repos descampagnes, l ’air ne retentit plus de chants b uœliques;les bergers n’y sont plus, D ulcio [inquimus arva maison voit encore les grandes victimes du C{ytmnne, desbœufs blancs ou des troupeaux de cavales demi- sauvagesui descendent au bord du Tibt e et viennent s’ab reuverans ses eaux.

VI. THE FRANKS ‘

Parés de la dépouil le des ours, des veaux marins,des urochs et des sangliers, les Francs se montraient deloin comme un trou u de bêtes féroces. Une tuniquecourte et serrée la1ssait voir toute la hauteur de leurtaille, et ne leur cachait pas le genou. Les yeux deces Barbares ont la couleur d’unemer orageuse; leurchevelure blonde, ramenée en avant sur leur poitrine,et teinte d’une liqueur rouge, est semblable à du sang età du feu. La plupart ne laissent croître leur barbequ’au- dessus de la bouche, afin de donner à leurs lèvresplus de ressemblance avec lemufle des dogues et des

FromLes MW : ou le Triomphe de la Rel :gwn‘

Cfirl tiemul ivre v1. The scene of La Marÿrs n laid durîng the persecution of D io

cl etian towards the end of the third century. Th is passage describing thebatt le of the Franke and Romans is fromthe aub hiogmphy of the heroEudore, which occupiesmost of the book . Chateaubriand was at to

read up his subject , and justifies his description by reference to aut‘

t ies,Tacitus, Strabo, the H istoria Augusta, etc.

Page 148:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

rnamuss 139

loups. Les uns chargent leur main droite d’une longuefmmée, et leur main gauche d’un boucl ier qu’i ls tournentcomme une roue rapide;d

’autres, au lieu de cetiennent une espèce de javelot, nommé angon , oùs

en

foncent deux fers recourbés mais tous ont à la ceinturela redoutable franc isque, espèce de hache à deux tranchants , dont lemanche est recouvert d ’un dur acier;arme funeste que le Franc jette en poussant un cri de

mort, et qui manque rarement de frapper le but qu’un ao

œil intrépide a marqué.Ces Barbare5 , fidèles aux usages des anciens

Germains, s‘étaient formés en coin, leur ordre accoutuméde batai lle. Le formidable triangle, où l’on ne distinguaitqu’une forêt de framées, des peaux de bêtes et des corpsdemi- nus, s

avançait avec impétuosité, mais d’un mouve

ment égal, pour percer la ligne romaine. A la pointe dece triangle étaient placés des braves qui conservaientune barbe longue et hérissée, et qui portaient au bras unanneau de fer. I ls avaient juré de ne quitter cesmarques 30de servitude qu’après avoir sacrifié un Romain. Chaquechef, dans ce vaste corps , était environné des guerriersde sa famille, afin que, plus ferme dans le choc, il remportât la victoire ou mourût avec ses amis. Chaque tribuse ral l iai t sous un symbole : la plus noble d’

entre ellesse distinguait par des abeil les ou trois fers de lance. Levieux roi des Sicamb res, Pharamond , conduisait l ’arméeentière, et laissait une partie du commandement à son

petit—fi ls Mérovéc . Les caval iers francs, en face de lacavalerie romaine, couvraient les deux côtés de leur ,ainfantefie : à leurs casques en forme de gueules ouvertesomb ragéæ de deux ailes de vautour, à leurs corselets defer, à leurs boucliers blancs, on les eût pris pour des

3 The Sicambri were one of the “ frank and free ”tribes of the

As their name suited Lat in verse endings well, it wasgenerally adopted to designate the I°

‘mnks as a whole.Il y aura iciana

'

chronisme si l ‘on vent, ou l 'on dira que c’est unPharamond, un Mérovée, un Clodion , ancêtre des princes de ce nomque nous

voyons dans l‘histoire. On sait d’ailleurs qu

’il

dy a en

plusieurs Phaumond,

et_peut

—être ce nomn'était -il que celui de la ignité. Note of Chateau

Page 149:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

140 CHATEAUBRIAND

fantômes ou pour ces figures bizarres que l ’on aperçoitau milieu des nuages pendant une tempête. C lodion,fi ls de Pharamond et père de Mérovée , brillait à la têtede ces cavaliers menaçants.Sur une grève, derrière cet essaim d ’ennemis

,on

apercevait leur camp, semblable à un marché deso laboureurs et de pêcheurs ; il était rempl i de femmeset d ’enfants, et retranché avec des bateaux de cuir etdes chariots attelés de grands bœufs. Non loin de cecamp champêtre

,trois sorcières en lambeaux faisaient

sortir de jeunes poulains d’un bois sacré,afin de dé

couvrir par leur course à quel parti Tuiston promettaitla victoire. La mer d’un côté

,des forêts de l'autre,

formaient le cadre de ce grand tableau.

Le soleil du matin , s’

échappant des replis d’unnuage d’or, verse tout à coup sa lumière sur les bois,

60 l’

Océan et les armées. La terre paraît embrasée du feudes casques et des lances, les instruments guerrierssonnent l ’air antique de Jules César partant ur lesGaules. La rage s’empare de tous les cœurs, lèî yeuxroulent du sang, la main frémit sur l'épée. Les chevauxse cabrent, creusent l'arène, secouent leur crinière,frappent de leur bouche écumante leur poitrine enflammée, ou lèvent vers le ciel leurs naseaux bril lants,pour respirer les sons bell iqueux . Les Romains commencent le chant de Probus

7°“Quand nous aurons vaincu mille guerriers francs,

combien ne vaincrons- nous pas de mill ions de Perses !Les Grecs répètent en chœur le Pæan , et les

Gaulois l ’hymne des Druides . Les Francs répondentà ces cantiques de mort : i ls serrent leurs boucl ierscontre leur bouche

,et font entendre un mugisæment

semblable au bruit de la mer que le vent brise contre

55 . Cp. Celem earmr‘niôus an tiq Tuistonemdevan , Tac .

II.

Probus, Emperor 276— 282 A.D . , the“hammer” of the bar

cp. his e‘

taph, Victormnimgænt iæmbar… .

7e. Mille mecs,mil le Sumatos sexuel occidimus,

Page 151:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

142 CHATEAUBRIAND

caval iers haussaient et baissaient leurs boucl iers b lancsen cadence;et à chaque refrain, i ls frappaient du fer d ’unjavelot leur poitrine couverte de fer.

VI I . THE RUINS OF SPARTA ‘

I l y avait déjà une heure que nous courions par unchemin uni qui se dirigeait droit au sud—est, lorsqu’aulever de l ’aurore j

aperçus quelques débris et un longmur de construction antique . le cœur commence àmebattre. Le janissaire se tourne vers moi, et me montrantsur la droite

,avec son fouet

,une cabane blanchâtre, il

me crie d’un air de satisfaction : Palæochôri j e medirigeai vers la principale ruine que je découvrais surune hauteur. En tournant cette hauteur par le nord

1 0 ouest afin d ’y monter,jem’

arrêtai tout à coup à la vued ’

une vaste enceinte,ouverte en demi- cercle, et que je

reconnus à l ’instant pour un théâtre. j e ne puis peindreles sentiments confus qui vinrentm’

assiéger. La collineau pied de laquelle je me trouvais était ‘donc la coll inede la c itadelle de Sparte

,puisque le théâtre était adossé

à la citadelle ; col l ineétait donc lecelui—ci était dque

se tribu des Cynosure3 , puisque cette tribu était au nord dela ville : Sparte était donc sous mes yeux;et son théât re,que j ’avais eu le bonheur de découvrir en arrivant , medonnait sur—le-champ les positions des quartiers et des

FromI tinérairede Paris à]l n csaJemet de!äusalemParisChateaubriand visited Sparta on August

7. Palæochôri=— Modern Greek ra.w épcov, in actual pronunciationmÀmow a derelict or ruined village.

17. The temple of Athena of the brau n house (xeM‘oæor) wasfamousmantiquity . It was probably not built of bronze but hned withb ro

pse

platÈs

riginal l separate after…floao yuosura was 0 a vil rmingone of the wards or quarters of theycity.

age

Page 152:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

THE RUINS OF SPARTA 143

monuments. Je mis pied à terre, et je montai en courantsur la coll ine de la citadelle.Comme j ’arrivais à son sommet, le soleil se levait

derrière les monts Ménéla‘

1‘

ons. Quel beau spectacle !mais qu’il était triste !L’

Eurota5 coul ant solitaire sousles débris du pont Babyx des ruines de toutes parts

,et

pas un homme parmi ces ruines !Je restaidans une espèce de stupeur, à contempler cette scène.Un mélange d ’admiration et de douleur arrêtait mes paset ma pensée ;le silence était profond autour de moi :je voulus du moins faire parler l ’écho dans des }ieux oùla voix humaine ne se faisait plus entendre, et je criaide toute ma force : Léonidas !Aucune ruine ne répétace grand nom

,et Sparte même sembla l'avoir oublié.

Si des ruines où s’attachent des souven irs il lustresfont bien voir la vanité de ‘ tout ici-bas

,i l faut pourtant

convenir que les noms ui survivent à des empires et 40qui immortal isent des mps et des l ieux sont quelquechose. Après tout

,ne dédaignons pas trop la irc ;rien

n ’est plus beau qu’elle,si ce n ’est la vertu.

gLe comble

du bonheur serait de réunir l ’une à l ’autre dans cette vie ;et c

’était l ’objet de l ’unique prière que les S rtiates

adressaient aux dieux : Ut puklzra boni: ent !

“il était midi ;le soleil dardait à plomb ses rayonssur nos têtes. Nous nous mîmes à l ’ombre dans un coindu théâtre

,et nous mangeâmes d ’un grand appétit du

pain et des figues sèches que nous avions apportés de 5°Misit ra;Joseph s ’était emparé du reste des provisions. ujanissaire se rejouissait ;i l croyait en être quitte, et

se préparait à partir ;mais il vit bientôt, à son granddéplaisir, qu ’il s’était trompé. Je me mis à écrire desnotes et à prendre la vue des lieux : tout cel a dura deuxgrandes heures, a rês quoi je voulus examiner les monuments à l ’ouest e la citadelle. C’était de ce côté quedevait être le tombeau de Léonidas. Le janissaire

Plata, .Aldb fl . a.ag

aœl .

_58. The walls of what is popularlyÏ

knomas the tamb of Læuidasmflmdiug, in one place to tb e heig t oüo fœt

Page 153:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

144 CHATEAUBRIAND

m’

accompagna tirant les chevaux par la bride ; nousal lions errant de ruine en ruine. Nous étions les deuxseuls hommes v ivants au milieu de tant de morts illustres :tous deux barbares, étrangers l ’un à l

’autre ainsi qu ’à laGrèce, sortis des forêts de la Gaule et des rochers duCaucase, nous nous étions rencontrés au fond du Péloponèse, moi pour passer, lui pour vivre sur les tombeauxqui n‘étaient pas ceux de nos aïeux.

VI I I . ATHENS ‘

I l faut maintenant se figurer tout cet espace tantôtnu et couvert d ’une bruyère jaune

,tantôt coupé par des

bouquets d ’

oliviers,par des carrés d ’orge

,par des sil lons

de vignes ;il faut se représenter des fûts de colonnes etdes bouts de ruines anc iennes et modernes, sortant dumilieu de ces cultures ;des murs blanchis et des clôturesde jardins traversant les champs : il faut répandre dansla campagne des Albanaises qui tirent de l ’eau ou quilavent à des puits les robes des Turcs ;des paysans qui

1 0 vont et v iennent,conduisant des ânes, ou portant sur

leur dos des provisions à la vil le i l faut supposer toutesces montagnes dont les noms sont si beaux

,toutes ces

mines si célèbres, toutes ces îles, toutes ces mers non

moins fameuses, éclairées d’une lumière éclatante. J ’aivu

,du haut de l ’Acropol is, le soleil se lever entre les

deux cimes du mont Hymette : les corneilles qui nichentautour de la c itadelle

,mais qui ne franchissent jamais

son sommet, planaient au-dessous de nous ;leurs ailesnoires et lustrées étaient glacées de rose par les premiers

sa reflets du jour ;des colonnes de fumée bleue et légèremontaient dans l ’ombre le long des flancs de l ’Hymet te,et annonçaient les parcs ou les chalets des abeilles ;Athènes, l ’Acropolis et les débris du Parthénon se coloraient de la plus bel le teinte de la fleur du pêcher les

IHM .

Page 155:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

146 CHATEAUBRIAND

IX. THE VALLEY OF JEHOSHAPHAT ‘

La vallée de Josaphat est encore appelée dans l ’Écriture val l ée de Sam!

,val lée du Roi, val lée de Mde]: zÏr£dec/r.

Ce fut dans la vallée de Me lchisédech que le roi deSodome chercha Abraham pour le féliciter de la victoireremportée sur les cinq rois Moloch et Béel phégorfurent adorés dans cette même vallée. Elle prit dansla suite le nom de j os@lmt, parce que le roide ce nomy fit élever son tombeau. La vallée de Josaphat sembleavoir toujours servi de cimetière à Jérusalem ; on y

10 rencontre les monuments des siècles les plus reculés etdes temps les plus modernes : les Juifs viennent ymourir des quatre parties du monde ;un étranger leurvend au poids de l ’or un peu de terre pour couvrir leurscorps dans le champ de leurs aïeux. Les cèdres dontSalomon planta cette vallée

,l’ombre du temple dont elle

était couverte, le torrent qui la traversait, les cantiquesde deuil que David y composa, les lamentations queJérémie y fit entendre, la rendaient propre à la tristesseet à la paix des tombeaux. En commençant sa Passion

sa dans ce l ieu solitaire, Jésus-Christ le consacra de nouveauaux douleurs : ce David innocent y versa

, poun effacer

nos crimes, les larmes que le David coupable y répanditpour expier ses propres erreurs. I l y a peu de noms quiréveillent dans l ’imagination des pensées à la fois plustouchantes et plus formidables que celui de la vallée deJosaphat : vallée si pleine de mystères que

,selon le

prophète Joël, tous les hommes y doivent comparaîtreun jour devant le juge redoutable : Congregubo owner

gmtes, et daducamea: in valkmj osa} lzat , et drivæptaboI tinéraire.

1. 2 .

“The vale of Shaveh the same is the King’s Vale) — the sceneof Abraham’smeeting withMel izedeh (Gen. x iv. 1 7fl

'

. is not called theVale of Melchiu delr in the Bible. According toJe tradit ion it is theval ley between the Temple Mount and Mount Olivet.l. 5 . Rather in the valley ofH innom, which runs at ht les to the

valley ofJehoshang eng

l. 28. Joe l ii i. a.

Page 156:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

THE VALLEY or JEHOSHAPHAT 147

mmei: ibi. I l est raisonnable, dit le père Nan,que 30

l ’honneur de Jésus- Christ soit réparé publiquement dansle l ieu où il lui a été ravi par tant d‘

approb res et d’igno

minies,et qu ’i l juge justement les hommes où ils l’ont

jugé si injustement.”L

’æpect de la vallée de Josaphat est désolé le côtéoccidental est une haute falaise de craie qui soutient lesmurs gothiques de la ville

,au-dessus desquels on aperçoit

Jérusalem ;le côté oriental est formé par le mont desOliviers et par la montagne du Scandale,mons 0fi ‘

erm‘

onir,ainsi nommée de l ’idolâtrie de Salomon. Ces deuxmontagnes

,qui se touchent, sont presque nues et d’une

couleur rouge et sombre : sur leurs flancs déserts on voitçà et là quelques vignes noires et brûlées, quelques bouquets d

oliviers sauvages, des friches couvertes d ’

hysope,des chapelles, des oratoires et des mosquées en ruine.Au fond de la vallée on découvre un pont d ’une seulearche

,jeté sur la ravine du torrent de Cédron. Les

pierres du c imetière des Juifs se montrent comme unamas de débris au pied de la montagne du Scandale

,

0

sous le village arabe de Siloan on a peine à distinguer 50les masure5 de ce village des sépulcres dont elles sontenvironnées. Trois monuments antiques

,les tombeaux

de Zacharie, de Josaphat et d’

Ab salon,se font remarquer

dans ce champ de destruction. A la tristesse de Jérusalem,

dont il ne s’élève aucune fumée,dont il ne sort aucun

bruit à la sol itude des montagnes où l ’on n’

aperçoit pasun être vivant ;au désordre de toutes ces tombes fracasséec, brisées, demi- ouvertes, on dirait que la trompet tedu jugement s’est déjà fait entendre, et que les mortsvont se lever dans la vallée de Josaphat.

l . 30 . Michel Nau ( 1631 a esuit missionary, whose Voyage

Nouveau en Terre Sainte appœœd in 1 79.

I O— 2

60

Page 157:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

148 CHARLES NOD IER

CHARLES NOD IER

THE NIGHTMARE'

Tandis que je me débattais contre la terreur dontj étais accablé, et que j

’essayais d’

arracher de mon seinquelque malédiction qui réveillât dans le ciel la ven

geance des dieux — Misérab le l s‘

écriaMéroé, sois puni àjamais de ton insolente curiosité tu oses violerles enchantements du parles, tu cries ettu bien

,tu ne parleras plus que pour te

plaindre, tu ne crieras plus que pour implorer en vainla sourde pitié des absents

,tu ne verras plus que des

to scènes d ’horreur qui glaceront ton âme.— Et , en s’exprimant ainsi avec une voix plus grêle et plus déchirante que cel le d’une hyène égorgée ui menace encoreles chasseurs, elle détachait de son oigt la turquoisechatoyante qui étincelait de flammes variées comme lescouleurs de l ’arc- en - ciel, ou comme la vague qui bandita la marée montante, et réflechit en se roulant sur el lemême les feux du soleil levant. Elle presse du doigt unressort inconnu qui soulève la pierre merveilleuse sur sacharnière invisible, et découvre dans un écrin d

’or je nesa sais quel monstre sans couleur et sans forme

,qui bondit

,

hurle,s’élance

,et tombe accroupi sur le sein de la mag1

cienne. — Te voilà,dit - elle

,mon cher Smarra, le bien

aimé,l ’unique favori de mes pensées amoureuses

,toi que

la haine du cie l a choisi dans tous ses trésors pour ledésespoir des enfants de l ’homme. Va

,je te l ’ardonne

,

spectre flat teur,ou décevant ou terrible, va tourmenter

FromSw rn ou le: démon: de lema‘

! a tale which reflectsone of the prevaili tastes of the Romantic school and forms part of akind ofman1festo in avour of the fantast ic in literature. The episode hereprinted is a nightmare within a nightmare.

l . 4. Méroé is the Thessalian sorceress— the name and character beingborrowed fromthe Golden Arr of A eius, the writer far whomNodierhad an unbouuded admiration. For Nodier see R. AJ. p. 59.

Pol l. sa. Smarra is the Slavonic far nightmare. The speaker is one

emon.

Page 159:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

CHARLES NOB IER

les monstres sont là, comme à lmstant oùje les ai vuss’échapper avec Smarra de la bague magique de Méroé.

I ls courent en cercle autour de moi,m’

étourdissent deleurs cris

,m’efl'rayent de leurs plaisirs et souillent meslèvres frémissantes de leurs caresses de harpie. Méroé

70 les conduit et plane au-dessus d ’eux, en secouant salongue chevelure, d ’où s’échappent des éclairs d ’un bleulivide. H ier encore— elle était bien plus grande queje ne l’ai vue autrefois— c

étaient les mêmes formes e tles mêmes traits

,mais sous leur apparence séduisante

je discemaïs avec effroi, comme au travers d’une gazesubtile et légère, le teint plombé de la magicienne etses membres couleur de soufre : ses yeux fixes et creuxétaient tout noyés de sang, des larmes de sang sillonnaient ses joues profondes, et sa main, déployée dans

80 l ’espace, laissait imprimée sur l ’air même la trace d ’unemain de Viens

,me dit—elle en m’

eflieurant

d ’un signe du doigt qui m’aurait anéanti s’i l m ’avaittouché

,viens visiter l ’empire que je donne àmon époux

,

car je veux que tu connaisses tous les domaines de laterreur et du Et, en arlant ainsi

,elle

volait devant moi, les pieds à pe ine <îétachés du sol,et

s‘

approchant ou s’éloignant alternativement de la terre

,

comme la flamme qui danse au-dessus d ’une torcheprête à s’éteindre Oh ! que l ’aspect du chemin que

9°nous dévorions en courant était afl'

reux à tous les sens !Que la magic ienne elle-même paraissait impatiente d ’entrouver la fin ! Imagine—toi le caveau funèbre où ellesentæsent les débris de toutes les innocentes v ictimes deleurs sacrifices, et, parmi les plus imparfaits de ces

restes mutilés, pas un lambeau qui n’ait conservé unevoix, des gémissements et des pleurs ! Imagine- toi desmurailles mobiles, mobiles et animées, qui se resserrentde part et d ’autre auodevant de tes pas, et qui embrassent11 à peu tous tes membres de l'enceinte d’une prison

1 oo étroite et glacée — Ton sein oppressé qui se soulève,qui

tressail le,qui b ondit pour aspirer l ’air de la vie à travers

la poussière des ruines, la fumée des flambeaux , l’

humidité des catacombes, le soufl‘l e empoisonné des morts

Page 160:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

THE NIGHTMARE 1 5 1

et tous les démons de la nuit qui crient, qui sifflent, hurle

l

nt

qu rugissent à ton oreil le épouvantée : tu ne respireras

p usEt

,pendant que je marchais

,un insecte mille fois plus

petit que celui qui attaque d’

une dent impuissante le tissudélicat des feuilles de rose ;un atome disgrac ié qui passemille ans à imposer un de ses pas sur la sphère universell e des c ieux, dont la matière est mille fois plus dureque le diamant — Il marchait

,il marchait aussi ;et la

trace obstinée de ses pieds paresseux avait divisé ce

globe impérissable jusqu’à son axe.Après avoir parcouru ainsi

,tant notre élan était ra

pide,une distance pour laquelle les langages de l ’homme

n’ont point de terme de comparaison,je vis jai ll ir de la

bouche d ’un soupirail,voisin comme la plus éloignée

des étoiles,quelques traits d ’une blanche clarté. Pleine

d’espérance,Méroé s

élança, je la suivis, entraîné parune puissance invinc ible ;et d ’ailleurs le chemin du retour, effacé comme le néant, infini comme l ’éternité,venait de se fermer derrière moi d ’une manière impénétrahle au courage et à la patience de l ’homme. I l y avaitdéjà entre Larissa et nous tous les débris des mondesinnombrables qui ont précédé celui—ci dans les essaisde la création , depuis le commencement des temps, etdont le plus grand nombre ne le surpassent pas moinsen immensité qu ’i l n ’excède lui-même de son étendueprodigieuse le nid invisible du moucheron. La portesépulcrale qui nous reçut ou plutôt qui

' nous aspira ausortir de ce gaufre s

ouvrait sur un champ sans horizon,qui n ’avait jamais rien produit. On y distinguait à peinedans un . coin reculé du c iel le contour indéc is d’un astreimmobile et obscur, plus immobile que l ’air, plus obscurque les ténèbres qui règnent dans ce séjour de désolation.

C'était le cadavre du plus anc ien des soleils, couché surle fond ténébreux du firmament, comme un bateausubmergé sur un lac grossi par la fonte des neiges. . Lalueur pâle qui venait de frapper mes yeux ne provenait 140point de lui. On aurait dit qu’elle n ’avait aucune origineet qu'elle n’était qu’une couleur particul ière de la nuit,

Page 161:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 52 CHARLES nomERà moins c ne résultât de l ’incendie de quelquemonde 6 dont la cendre brûlait encore. Alors,le croirais- tu ? elles v inrent toutes, les sorcières deThessal ie, escortéæ de ces nains de la terre qui travail lant dans les mines, qui ont un visage comme lecuivre et des cheveux bleus comme l ’argent dans lafournaise ;de ces salamandres aux longs bras, à la queue

1 50 aplatie en rame, aux couleurs 1nconnues, qui descendentvivantes et agi les du milieu des flammes, comme deslézards noirs à travers une poussière de feu;elles vinrent suivies des Aspioles , qui ont le corps si frêle

,si

élancé, surmonté d’une tête difl‘

orme, mais riante, etqui se bal ancent sur les ossements de leurs jambes videset grêles, semblables à un chaume stéri le agité par levent ;des Achrones, qui n

’ont point de membres,point

de voix,point de figure

,point d’

âge, et qui bondissenten pleurant sur la terre gémissante, comme des autres

160 gonflées d ’air ; des Psyl les, qui sucent un venin cruel,et qui, avides de poisons, dansent en rond en poussan tdes sifliements aigus pour éveil ler les serpents, pour lesréveil ler dans l ’asile caché

,dans le trou sinueux des ser

pents. I l y avait là jusqu’aux Morphoses, que vous aveztant aimées, qui sont belles comme Psyché, qui jouentcomme les Grâces

,qui ont des concerts comme les Muses,

et dont le regard séducteur, plus pénétrant, plus enve

nimé que la dent de la vipère, va incendier votre sanget faire bouill ir la moelle dans vos os calcinés. Tu les

170 aurais vues, enveloppées dans leurs linceuls de pourpre ,

promener autour d ’elles des nuagesplus bri llants que

l’

Orient, plus parfumés que l ’encens d’

Arab ie, plus harmonieux que le premier soupir d ’une vierge attendriepar l

’amour, et dont la vapeur en ivrante fascinait l ’âmepour la tuer. Tantôt leurs yeux roulent une flammehumide qui charme et qui dévore ;tantôt elles penchentla tête avec une grâce qui n ’appartient qu’à elles, enI. 1 53. oles, seek. M. p. 1 37.

dxpæœ= timeless.

Ps l les, see R. M p.

164. rphosea Mapälfi = sha ly) was one of the e thets ofAphrodite.

pe P!

Page 163:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 54 LAMENNA1S

Et l ’un de ces deux hommes s’inquiétait en lui-même,disant : Si je meurs ou que je tombe malade, que dev iendront ma femme et mes enfants ?Et cett e pensée ne le quittait point , et elle rongeait

son cœur comme un ver ronge le fru it oùi l est caché.

Or, bien que la même pensée fût venue également1 0 à l ’autre père, i l ne s’y était point arrêté ;car, disait-il ,Dieu, qui connaît toutes ses créatures et qui veil le surelles, veillera aussi sur moi , et sur ma femme, et sur mesenfants.Et celui—ci vivait tranqu il le

,tandis que le premier

ne goûtait pas un instant de repos ni de joie intérieurement.Un jour qu 11 travail lait aux champs, triste et abattu

à cause de sa crainte,i l vit quelques oiseaux entrer

dans un buisson, en sortir, et puis bientôt y revenirco encore.

Et, s'étant approché, i l vit deux nids posés côte àcôte, et dans chacun plusieurs petits nouvellement éc loset encore sans plumes.Et quand i l fut retourné à son travail, de temps en

temps i l levait les yeux,et regardait ces oiseaux qui

al laient et venaient portant la nourriture à leurs pet its.Or, voilà qu’au moment où l

’une des mères rentraitavec sa becquée, un vautour la saisit, l ‘enlève, et lapauvre mère, se débattant vainement sous sa serre, jetait

30 des cris perçants.A cette vue l ’homme qui travail lait sentit son âme

plus troublée qu'auparavant car,pensait—il , la mort

de la mère, c’est la mort des enfants. Les miens n ’ontque moi non plus. Que deviendront- i ls si je leur manque ?Et tout le jour i l fut sombre et triste, et la nuit i l ne

dormit point.Le lendemain, de retour aux champs, i l se dit : Je

veux voir les petits de cette pauvre mère, plusieurs sans4°doute ont déjà péri . Et il s ’achemina vers le buisson.

Et, regardant, i l vit les petits bien partants ;pas unne semblait avoir pâti.

Page 164:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

PARABLE 55

Et, ceci l'ayant étonné, i l se cacha pour observer ce

qui se passerait.Et

,après un peu de temps, i l entendit un léger cri,

et il aperçut la seconde mère rapportant en hâte lanourriture qu’elle avait recueil l ie, et el le la distfihuaà tous les petits indistinctement, et il y en eut pourtous, et les orphel ins ne furent point délaissés dans leurmisère.Et le père qui s’était défié de la Providence raconta

le soir à l ’autre père ce qu’il avait vu.

Et celui—ci lui dit : Pourquoi s 1nquiéter ? JamaisDieu n

abandonne les siens Son amour a des secretsque nous ne connaissons point. Crayons, espérons,aimons, et poursuivons notre route en paix.

Si je meurs avant vous, vous serez le père de mesenfants ;si vous mourez avant moi , je serai le père desvôtresEt si, l

’un et l ’autre, nous mourons avant qu’i ls soient 60en âge de pourvoir eux-mêmes à leurs nécessités, ilsauront pour père le Père qui est dans les cieux.

I l . MOTHER AND CH ILD ’

C’était une nuit d ’hiver. Le vent soufflait au dehors,et la neige blanchissait les toits.Sous un de ces toits, dans une chambre étroite,

étaient assises, travaillant de leurs mains, une femme àcheveux blancs et une jeune fi lle.Et de temps en temps la vieil le femme réchaufl

'

ait

à un petit brasier ses mains pâles. Une lampe d’argileéclairait cette pauvre demeure, et un rayon de la lampevenait expirer sur une image de la Vierge suspendue aumur.Et la jeune fil le, levant les yeux, regarda en silence

,

pendant quelques moments,la femme à cheveux blancs;

puis el le lui dit : Ma mère, vous n’avez pas été toujoursdans ce dénûment .

Parole: d’un Croyant , x x v.

Page 165:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

20

30

50

1 56 LAMENNAIS

Et il y avait dans sa voix une douceur et une tendresse inexprimables.Et la femme aux cheveux blancs répondit : Ma fi l le,

Dieu est le maître ce qu’ i l fait est bien fait.Ayant dit ces mots, elle se tut un peu de temps ;

ensuite elle reprit :Quand je perdis votre père, ce fut une douleur que je

crus sans consolation cependant vous me restiez;maisje ne sentais qu’une chose alors.Depuis

,j ’ai pensé que s’i l vivait et qu’ il nous vit en

cette détresse,son âme se briserait ;et j

'ai reconnu queDieu avait été bon envers lui.La jeune fi l le ne répondit rien, mais elle baissa la

tête, et quelques larmes, qu ’elle s’

efforçait de cacher,tombèrent sur la toile qu’elle tenait entre ses mains.La mère ajouta : Dieu, qui a été bon envers l ui, a été

bon aussi envers nous. De quoi avons—nous manqué,tandis que tant d ’autres manquent de tout ?I l est vrai qu’il a fallu nous habituer à peu, et, ee peu,

le gagner par notre travail mais ce peu ne suffi t - il pas ?et tous n’

ont - ils pas été dès le commencement condamnésà vivre de leur travail ?Dieu, dans sa bonté, nous a donné le pain de chaque

jour ;et combien ne l’ont pas !un abri, et combien nesavent où se retirer ?I l vous a, ma fil le, donnée à moi : de quoi me plain

drois-ja?A ces dernières paroles. la jeune fil le, tout émue,

tomba aux genoux de sa mère, prit ses mains, les baisa,et se pencha sur son sein en pleurant.Et la mère, faisant un effort pour élever la voix : Ma

fille, dit-elle, le bonheur n’est pas de posséder beaucoup,mais d’espérer et d ’aimer beaucoup.

Notre espérance n’est pas ici-bas, ni notre amour nonplus, ou, s’ i l y est, ce n’est qu’en passant.Après Dieu, vousm’

êtes tout en ce monde mais cemonde s’évanouit comme un songe, et c’est pourquoi monamour s’élève avec vous vers un autre monde.Lorsque je vous portais dans mon sein

,un jour

Page 167:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 58 AUGUSTIN THIERRY

1 0 et des prisonniers. Dans le lot du roi de Neustrie tomb èrent deux enfants de race royale, le fi ls et la fi l le deBerther

,l ’avant- dernier roi des Thuringiens. La jeune

fi l le (c’était Radegonde) avait à peine huit ans ;mais sa

grâce et sa beauté précoce pmduisirent une tel le impression sur l’âme sensuelle du prince frank, qu’i l réso lutde la faire élever à sa guise, pour qu’elle devînt un jourune de ses femmes

Radegonde fut gardée avec sain dans l’une desmaisons royales de Neustrie, au domaine d ’

Aties sur20 la Somme. Là , par une louable fantaisie de son maîtreet de son époux futur, el le reçut, non la simple éducationdes fi lles de race germanique, qui n’

apprenaient guèrequ’à fi ler et à suivre la chasse au galop, mais l’éducationraffinée des riches Gauloises. A tous les travauxélégants d'une femme civi lisée, on lui fit joindre l ’étudedes lettres latines et grecques, la lecture des poè tesprofanes et des écrivains ecclésiastiques. Soit que son

intell igence fût naturellement ouverte à toutes les impressions délicates, soit que la ruine de son pays et de

30 sa famille, et les scènes de la vie barbare dont elle avaitété le témoin , l ’eussen t frappée de tristesse et de dégoût,el le se prit à aimer les l ivres comme s’ ils lui eussentouvert un monde idéal meil leur que celui qui l ’entourait.En lisant l ’Écriture et les VieS °des Saints, elle pleuraitet souhaitait le martyre ; et probablement aussi desrêves moins sombres, des rêves de paix et de l iberté,accompagnaient ses autres lectures Mais l ’enthousiasmerel igieux, qui absorbait alors tout ce qu

’i l y avait denoble et d'élevé dans les facultés humaines

,domina

40 bientôt en elle, et cette jeune barbare, en s’

at tachant auxidées et aux mœurs de la civilisation

,les embrassa dans

leur type le plus pur, la vie chrétienne.Détournant de plus en plus sa pensée des hommes et

des choses de ce siècle de violence et de brutal ité,el le

vit approcher avec terreur l ’âge nubile et le momentd’apparten ir comme femme au roi dont el le était lacaptive. Quand l'ordre fut donné de la faire venir àla résidence royale pour la célébration du mariage

,

Page 168:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

SAINT RADEGUND I 59

entraînée par un instinct de répugnance invincible, el leprit la fuite ;mais on l

'atteignit , on la ramena , et, malgré 5°

elle épousée à Soissons,elle devint reine

,ou plutôt l’une

des reines des Franks neustriens, carChlother, fidèle auxmœurs de la viei lle Germanie,ne se contentait pas d ’

uneseule épouse, quoiqu ’i l eût aussi des concubines. D ’

inex

primab les dégoûts que ne pouvait atténuer, pour une âmecomme celle de Radegonde

,l’attrait de la puissance et

des richesses,suivi rent cette union forcée du roi barbare

avec la femme qu’

éloignaient de lui, sans retour possible,toutes les perfections morales que lui-même s’était réjouide trouver en elle, et qu’ i l lu i avait fait donner. 6°

Pour se dérober,en partie du moins

,aux devoirs de

sa condition, qui lui pesait comme une chaîne, Radegonde s’en imposait d ’autres plus rigoureux en apparence;elle consacrait tous ses loisirs à des œuvres de charité oud

austérîté chrétienne;elle se dévouait personnellementau service des pauvres et des malades. La maison royaled

Aties, où elle avait été élevée, et qu'elle avait reçue en

présent de noces,devint un hospice pour les femmes

indigentes. L’un des passe- temps de la reine était de s’yrendre

, non pour de simples visites , mais pour remplir 7°l’offi ce d ’infirmière dans ses détai ls les plus rebutants.Les fêtes de la cour de Neustrie, les banquets bruyants,les chasses péril leuses

,les revues et les joutes guerrières,

la soc iété des vassaux à l’esprit inculte et à la voix rude,la fatiguaient et la rendaient triste. Mais s’i l survenaitquelque évêque ou quelque clerc pieux et lettré, unhomme de paix et de conversation douce

,sur—le—champ

elle abandonnait toute autre compagnie pour la sienne;elle s ’

at tachait à lu i durant de longues heures,et quand

venait l’ instant de son départ,elle le chargeait de cadeaux 80

en signe de souvenir, lui disait mil le fois adieu, et ratambait dans sa tristesse.

L’heure des repas qu ’elle devait prendre en communavec son mari la trouvait toujours en retard, soit paroubli, soit à dessein, et absorbée dans ses lect ures ou sesexercices de piété. I l fal lait qu’on l ’avertît plusieursfois, et le roi, ennuyé d

'attendre,lui faisait de violen tes

Page 169:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

160 AUGUSTIN TH IERRY

querelles, sans réussir à la rendre plus empressée ni plusexacte. La nuit, sous un prétexte quel conque, el le se

90 levait d’

auprès de lui et s’en allait se coucher à terre sur

une simple natte ou un cil ice, ne revenant au l it conjugalque transie de froid, et associant d’une manière bizarreles mortifications chrétiennes au sentiment d’

aversion

insurmontable qu’elle éprouvait pour sonmari. Tant designes de dégoût ne lassaient pourtant pas l’amour duroi de Neustrie. Chlother n’était pas hommesur ce point des scrupules de dél icatesse ;pourvu que lafemme dont la beauté lui plaisait demeurât en sa possession, i l n

’avait nul souci des violences morales qu ’i l1 00 exerçait sur el le. Les répugnances de Rad ondel’

impatientaient sans lui causer une véritable sou rance,et, dans ses contrariétés conjugales, i l se bornait à direavec humeur : C’est une nonne que j ’ai là, ce n

'est pasune reine.”Et en effet, pour cette âme froissée par tous les l iens

qui l ’at tachaient au monde, i l n’y avait qu’un seul refuge,

la vie du c loître. Radegonde y aspirait de tous ses vœuxmais les obstacles étaient grands, et six années se passèrent avant qu’el le osât les braver. Un dernier malheurde famille lui donna ce courage. Son frère, qui avaitgrandi à la cour de Neustrie, comme otage de la nat ionthuringienne, futmis à mort par l ’ordre du roi, peut—êtrepour quelques regrets patriotiques ou

‘ quelques menacesinconsidérées. Dès que la reine apprit cette horriblenouvelle, sa résolution fut arrêtée ;mais elle la dissimula.

Feignant de n’

al ler chercher que des consolations rel igieuses, et cherchant un homme capable de devenir sonl ibérateur, elle se rendit à Noyon

,auprès de l ’évêque

Médard, fi ls d ’un Frank et d ’une Romaine,personnage

1 1 0 célèbre alors dans toute la Gaule par sa réputation desainteté. Chlother ne conçut pas le moindre soupçon decette pieuse démarche, et non—seulement il ne s’y opposapoint, mais i l ordonna lui -même le départ de la reine

l. 1 19. St Médard’s remains were transported fromNoyon to

Sois;ons,md s gœfl Ab beb mch.now dæùoy« l , was emted over his

tam

Page 171:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

162 AUGUSTIN THIERRY

du vieil évêque,et ranimèrent tout à coup en lu i la

volonté défaillante. Élevant sa consc ience de prêtreau—dessus des craintes humaines et des ménagementspolitiques

,i l ne balança plus . et de son autorité propre,

i l rompit le mariage de Radegonde, en la consacrant diacanesse par l’ imposition des mains. Les seigneurs et lesvassaux franks eurent aussi leur part d ’entraînement

1 70 i ls n’

osèrent ramener de force à la résidence royale cellequi avait désormais pour eux le double caractère de reineet de femme consacrée à Dieu .

La première pensée de la nouvelle convertie (c’était le

nom qu’on employait alors pour exprimer le renoncementau monde) fut de se dépouiller de tout ce qu

’elle port aitsur elle de joyaux et d ’objets précieux. Elle couvrit l ’autelde ses ornements de tête

,de ses bracelets, de ses agrafes

de pierreries,de ses franges de robe tissues de fi l d ’

or etde pourpre ;elle brisa de sa propre main sa riche cein

1 80 ture d ’or massif en disant : “ Je la donne aux pauvrespu is elle songea à se mettre à l ’abri de tout danger parune prompte fuite. Libre de choisir sa route, elle se dirigea vers le Midi, s

’éloignant du centre de la dominationfranke par l ’instinct de sa sûreté, et peut- être aussi parun instinct plus délicat qui l ’att irait vers les régions de laGaule où la barbarie avait fait le moins de ravages ;el legagna la vi l le d’

Orl éans, et s’y embarqua sur la Loire,

qu ’elle descendit jusqu ’à Tours. Là, elle fit halte pourattendre, sous la sauvegarde des nombreux asiles ouverts

190 près du tombeau de saint Martin, ce que déciderait àson égard l’époux qu ’elle avait abandonné. Elle menaainsi quelque temps la vie inquiète et agitée des prosc ritsréfugiés à l ’ombre des basil iques

,envoyant au roi des

requêtes, tantôt fières, tantôt suppl iantes, le conjurant,

par l ’entremise des p lus saints personnages, de renoncerla voir et de lui permettre d ’accomplir ses vœux de

religion .

Chlother se montra d’abord sourd aux prières et auxsollicitations ;i l revendiquait ses droits d ’

époux en attes000 tant la loi de ses ancêtres

,et menaçait d’al ler lui -même

saisir de force et ramener la fugitive. Frappée de terreur

Page 172:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

SAINT RADEGUND 163

quand le bruit public ou les lettres de ses amis lui appartaient de pareil les nouvelles, Radegonde se livrait alors àun redoublement d’

austérités, au jeûne, aux veil les, auxmacérations par le cilice

,dans l ’espoir

,tout à la fois,

d’obtenir l ’assistance d ’en haut,et de perdre ce qu ’elle

avait de charme pour l ’homme qui la poursuivait de son

amour. Afin d ’augmenter la d istance qui la séparait delui, elle passa de Tours à Poitiers, et, de l'asile de saintMartin, dans l ’asile non moins révéré de saint H i laire.

Le roi pourtant ne se découragea pas, et, une fois, i l vintjusqu’à Tours sous un faux prétexte de dévotion ;maisles rernontrances énergiques d’un évêque l ’empêchèrentd’aller plus loin. Enlacé, pour ainsi dire, par cette puissance morale contre laquelle venait se briser la volontéfaugueuse des rois barbares, i l consentit à ce que la fi l ledes rois thuringiens fondât à Poitiers un monastère defemmes, d’après l ’exemple donné dans la ville d’

Arlespar une i llustre gallo—romaine, Cæsaria, sœur de l

'évêqueCæ3arius au saint Césaire.

Tout ce que Radegonde avait reçu de son mari , selonla coutume germanique, en dot et en présent du matin,fut consacré par elle à l ’établissement de la congrégationqui devait lu i rendre une famille de choix, à la place decelle qu’elle avait perdue par les désastres de la conquêteet la tyrannie soupçonneuse des vainqueurs de son paysSur un terrain situé aux portes de la ville de Poitiers

,

ell e fit creuser les fondements du nouveau monastère,

asile ouvert à celles qui voulaient se dérober par la retraite aux séduct ions mondaines et aux envahissementsde la barbarie. Malgré l ’empressement de la reine etl. 3 10. The influence of St H ilary of Poitiers whomust not be

confused with St H ilary ofArles in the Church of Gauiwas hardlyless than that of his contemporary, t Martin of Tours. His numerouswrit ings aremarked by great learning and eloquence. He is one of the

greatest Fathers of the western Church , a thinker of rare depth and independence , to whomAmbrose and Augustine owemuch , andmaster of anex cellent literary st le.1. n o .

! Saint ëaesan‘

us for 41 years bishop of Arles, was a

chief agent in organizing the national Church. Hewas besidesdistinguishedby his austerity and simple eloquence.

I I — 2

Page 173:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

164 AUGUSTIN THIERRY

l ’ass istance que lui prêta l ’évêque de Poitiers, Pientius,

plusieurs années s’écoul èrent , à ce qu’i l semble, avant quele bâtiment fût achevé;c’était une habitation romaineavec toutes ses dépendances des jardins, des portiques ,des sal les de bains et un oratoire. Par une dispositionbizarre, l ’enceinte du monastère fut tracée en partie audedans de la vil le et en partie au dehors ;une portiondes murail les avec plusieurs tours

,s’y trouvait comp

140 et, servant aux édifices claustraux de façade sur l esjardins et la campagne, donnait un aspect militaire à cepaisible couvent de femmes. Ces préparatifs de réclusionfaits par une personne royale, frappaient vivement lesespri ts, et l

’annonce de leurs progrès courait au loincomme une grande nouvel le : “Voyez

,disait—ou dans le

langage mystique de l ’époque,voyez l ’arche qui se bâtit

près de nous contre le déluge des passions et contre lesorages du mondeLe jour oùtout fut prêt, et où la reine entra dans ce

050 refuge, d ’où ses vœux lui prescrivaient de ne plus sort irque morte, fut un jour de joie populaire. Les placeset les rues de la vil le qu ’elle devait parcourir étaientrempl ies d ’une foule immense ;les toits des maisons seœuvraient de spectateurs avides de la voir passer, ou devoir se refermer sur el le les portes du monastère. El lefit le trajet à pied , escortée d’un grand nomb re *

de jeunesfi l les qui allaient partager sa réclusion , attirées auprèsd ’elle par le renom de ses vertus chrétiennes et peut- êtreaussi par l ’éclat de son rang. La lupart étaient de race

060 gauloise et fi l les de sénateurs ;c étaient celles qui , parleurs habitudes de retenue et de tranquil l ité domestique,devaient le mieux répondre aux soins maternels et auxpieuses intentions de leur directrice ;car les femmes derace franke portaient jusque dans le c loître quelque chosedes vices originels de la barbarie. Leur zèle était fougueux, mais de peu de durée ;et, incapables de garderni règle ni mesure, elles passaient brusquement d ’unerigidité intraitable à l ’oubl i le plus complet de tout devoiret de toute subordination.

070 Ce fut vers l ’année 555 que commença pourRadegonde

Page 175:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

166 AUGUSTIN TH IERRY

310 cette apparence d’égalité, elle était reine dans le couventpar le prestige de sa naissance royale, par son titre defondat rice, par l

ascendant de l’esprit, du savoir et de labonté. C ’était elle qui maintenait la règle ou lamodifiaità son gré

,elle qui raffermissait les âmes chancelantes par

des exhortations de tous les jours, elle qui expl iquait etco

gnmentait , pour ses jeunes compagnes, le texte de

l ’ criture sainte, entremêlant ses graves homélies depetits mots empreints d ’une tendresse de cœur et d'unegrâce toute féminine : Vous, que j ’ai choisies mes fi l les;vous

,jeunes plantes

,objets de tous mes soins ; vous,

mes yeux,vous , ma vie

,vous

,mon repos et toutmon

JULES MICHELET‘

1. FRANCE“

Qui dit Paris dit la monarchie tout entière. Comment s’est formé en une ville ce grand et completsymbole du pays ? I l faudrait toute l ’histoire du payspour l ’expliquer la description de Paris en serait ledernier chapitre. Le génie parisien est la forme la pluscomplexe à la fois et la plus haute de la France. I lsemblerait qu ’une chose qui résultait de l ’annihilation detout esprit local

,de toute provincial ité, dût être purement

négative. I l n'en est pas ainsi. De toutes ces négations1 0 d ’idées matérielles

,locales, particulières, résulte une

généralité vivante,une chose positive

,une force vive.

Nous l’avons vu en Juillet.1. 32 1 . Thierry’s chiefauthorityfor the life ofSt Radegund is Fortunahm

Avantius, an Italian who sett led at Poitiers in 567as chapia‘mand almoner

to themonastery of Sainte-Croix . He wrote also lives of St H ilary andSt Médard , andmuch Lat in verse, including the great hymns, Ponge, l inguaand Vm‘

l Ia regir. On August 1 3, the Romanesque church of Sainte-Radegonde at Poitiers used to be thronged with devotees who came to kiss theempty coflin of the saint . Her fame spread toE land ;it was a dissolvedmonastery ofSt Rad that was converted into esus College, Cambridge,by Bishop Al cock of ly.

Fro

dthe fam

jp{us T

ïlæzr

gHidoü*e rance, aymgr 1 - 1 843

l. 1 2 . July 1 7, 28, and 29,‘3‘Les trois joumeés, when Paris rose

against Charles X and drove himfromthe thmne.

Page 176:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

FRANCE 167

C ’est un grand et merveilleux spectacle de promenerses regards du centre aux extrémités, et d ’embrasser del ’œil ce vaste et puissant organisme où les parties diversessont si habilement rapprochées opposées, assoc iées, lefaible au fort

,le négatif au positif de voir l ’éloquente

et vineuse Bourgogne entre l ’ironique naïveté de laChampagne

,et l ’âpreté critique, polémique, guerrière,

de la Franche—Comté et de la Lorraine ; de voir lefanatisme languedocien entre la légèreté proven ale etl ’indifférence gasconne ;de voir la convoitise

, l’espritconquérant de la Normandie contenus entre la résistanteBretagne et l ’épai33e et massive FlandreConsidérée en longitude

,la France ondule en deux

longs systèmes organiques comme le corps humain estdouble d ’appareil

,gastrique et cérébro- spinal . D ’une

part, les provinces de Normandie, Bretagne et Poitou,Auvergne et Guyenne ;de l

’autre, cel les de Languedocet de Provence, Bourgogne et Champagne, enfin celles 30de Picardie et de Flandre

,où les deux systèmes se rat

tachent. Paris est le sensorium .

La force et la beauté de l ’ensemble consistent dansla réciprocité des secours

,dans la solidarité des parties

,

dans la distribution des fonctions,dans la division du

travai l social . La force résistante et guerrière,la vertu

d’action est aux extrémités,l ’intell igence au centre ;le

centre se sait lui-même et sait tout le reste. Les provinces frontières

,coopérant plus directement à la défense

,

gardent les traditions mil itaires continuent l ’héroïsme 40barbare et renouvellent sans cesse d ’une papulationénergique le centre énervé par le froissement rapide dela rotation soc iale. Le centre

,abrité de la guerre, pense,

innove dans l ’industrie,dans la science

,dans la politique;

i l transforme tout ce qu’i l reçoit. I l boit la vie brute,et

elle se transfigure. Les provinces se regardent en lui ;en lui elles s ’aiment et s’admirent sous une forme supérieure elles se reconnaissent à peine

Miranturque novas fraudes et non sua poma.l. 32 . Sensorium= b rain .

Page 177:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

168 JULES MICHELET

50 Cette belle central isation, par quoi la France est laFrance

,elle attriste au premier coup d ’œi l . La vie est

au centre,aux extrémités ;l

’intermédiaire est faible etpâle. Entre la riche banlieue de Paris et la riche Flandre

,

vous traversez la vieille et triste Picardie ;c’est le sort

des provinces œntralisées qui ne sont pas le centremême. I l semble que cette attraction puissante les aitaffaibl ies

,atténuées . Elles le regardent uniquement

,ce

centre,elles ne sont grandes que par lui. Mais plus

grandes sont—elles par cette préoccupation de l’intérêt

60 central,que les provinces excentriques ne peuvent l ’être

par l ’original ité qu ’elles conservent. La Picardie centralisée a donné Condorcet, Fay, Béranger, et bien d

'autres,dans les temps modernes La riche Flandre

,la riche

Alsace,ont—elles eu de nos jours des noms comparables

à leur opposer ? Dans la France,la première gloire est

d’être Fmnçais. Les extrémités sont opulentes fortes,héroïques

,mais souvent el les ont des intérêts différents

de l ’intérêt national ;elles sont moins françaises. LaConvention eut à vaincre le fédéral isme provincial avant

7°de vaincre l ’Europe.

C’est néanmoins une des grandeurs de la France quesur toutes ses frontières elle ait des provinces qui mêlentau génie national quelque chose du génie étranger.A l

Al lemagne elle oppose une France allemande ; àl’

Espagne une France espagnole ;à l’

Italie une Franceital ienne. Entre ces provinces et les pays voisins

,i l

y a analogie et néanmoins opposition. On sait que lesnuances diverses s’accordent souvent moins que lescouleurs 0 posées; les grandes hostil ités sont entre

80 parents. insi la Gascogne ibérienne n ’aime pas l ’ibérienne Espagne. Ces provinces analogues et difl'

éren tes

6a. Jean-Antoh e—Nicolas de Caritat , Marquis de Condorcet (1 7431

29a typical philoroplw, author ofProgrès de f : ri!àumaiær. President

a the Nat1onal Assembly in 1 793, he was co emned to death by theex treme party, and died in prison.

Max imilien-Sébastien Foy ( 1775— 1 81Ësoldier, orator, patriot . H e

commanded a division at Waterloo, and 111 1 8 19to his death p layed a

prominent part on the liberal side in the Cfiamôre de: députés.

Far Béranger see R. M . p. 67.

Page 179:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

170 JULES MICHELET

1 1. JOAN OF ARC”

Née sous les murs mêmes de l ’église, bercée du sondes cloches et nourrie de légendes, elle fut une légendeelle—même, rapide et pure, de la naissance à la mort.Elle fut une légende vivant.— Mais la force de vie,

exaltée et concentrée, n’en devint pas moins créatrice.

La jeune fi l le,à son insu

,créait , pour ainsi parler, et

réal isait ses propres idées, elle en faisait des êtres, el leleur communiquait, du trésor de sa vie virginale, unesplendide et toute—puissante existence, à faire pâl ir les

1 0 misérables réal ités de ce monde.

Si poésie veut dire création, c’est là sans doute la

poésie suprême. I l faut savoir par quels degrés el le envint jusque—là

,de quel humble point de départ.

Humble à la vérité,mais déjà poétique. Son v i llage

était à deux pas des grandes forêts des Vosges. De laporte de la maison de son père, elle voyait le vieux bo isdes chênes. Les fées hantaient ce bois ;elles aimaientsurtout une certaine fontaine près d’un grand hêtrequ’on nommait l’arbre des fées

,des dames. Les petits

00 enfants y suspendaient des couronnes, y chantaient. Cesanciennes dames et maîtresses des forêts ne pouvaientplus, disait—on, se rassembler à la fontaine ; elles enavaient été exclues pour leurs péchés. Cependantglise se défiait toujours des vieil les divinités locales ;

le curé,pour les chasser, allait chaque année dire une

messe à la fontaine.Jeanne naquit parmi ces légendes , dans ces rêveries

populaires. Mais le pays ofl’

rait à côté une tout autrepoésie, celle—ci

,sauvage

,atroce

,trop réel le, hélas! la

30 poésie de la guerre.— La guerre ! ce mot seul dit toutes

les émotions ; ce n’est pas tous les jours sans doute

l ’assaut et le pil lage,mais bien plutôt l ’attente, le tocsin,

le révei l en sursaut, et dans la plaine au loin le rougesombre de l ’incendie.

— État terrible, mais poétique ; lesplus prosaïques des hommes, les Écossais du pays bas,

Page 180:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

JOAN OF ARC 171

se sont trouvés poètes parmi les hasards du border;dece désert sinistre, qui semble encore maudit, ont pourtantgermé les ballades

,sauvages et vivaces fleurs.

Jeanne eut sa part dans ces romanesques aventures .Elle vit arriver les pauvres fugitifs, elle aida, la bonne 40fil le, à les recevoir ; elle leur cédait son l it et al laitcoucher au grenier. Ses parents furent aussi une foisobl igés de s’enfuir. Puis, quand le flot des brigands futpassé, la famille rev int et retrouva le vi llage saccagé,la maison dévastée

,l ’égl ise incendiée.

Elle sut ainsi ce que c’est que la guerre. Elle

comprit cet état antichrétien, el le eut horreur de cerègne du diable

,où tout homme mourait en péché

mortel . Elle se demanda si Dieu permettrait celatoujours

,s’ i l ne mettrait pas un terme à ces misères,

s’i l n’

enverrait pas un l ibérateur, comme il l ’avait faitsouvent pour Israël

,un Gédéon,

une Judith — Ellesavait que plus d’une femme avait sauvé le peuple deDieu

,que dès le commencement i l avait été dit que la

femme écraserait le serpent. Elle avait pu voir auportai l des égl ises sainte Marguerite, avec saint Michel,foulant aux pieds le dragon — Si

,comme tout le monde

disait, la perte du royaume était l'œuvre d ’une femme,d’une mère dénaturée, le salut pouvait bien venir d ’unefi l le. C’est justement ce qu

annonçait une prophétie de 60Merlin ; cette prophétie, enrichie, modifiée selon lesprovinces

,était devenue toute lorraine dans le pays de

Jeanne Darc. C ’était une pucelle des marches deLorraine qui devait sauver le royaume. La prophétieavait pris probablement cet embell issement, par suitedu mariage récent de René d ’

Anjou avec l’héritière du

duché de Lorraine, qui, en effet, était très heureux pourla France.

Un jour d’été,jour de jeûne, à midi, Jeanne étant

au jardin de son père, tout près de l ’église, elle vit de Cecôté une éblouissante lumière

,et elle entendit une voix

Jeanne,sois bonne et sage enfant ;va souvent à l

’égl ise.

La pauvre fi l le eut grand’

peur.

Une autre fois,elle entendit encore la voix , vit la

70

Page 181:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

172 JULES MICHELET

clarté, mais dans cette c larté de nobles figures dontl ’une avait des ailes et semblait un sage prud ’homme.I l lui dit : Jeanne

, va au secours du roi de France,et tu lui rendras son royaume.

” Elle répondit , toutetremblante : Messire

,je ne suis qu’une pauvre fi l le ;je

80 ne saurais chevaucher, ni conduire les hommes d’armes.”

La voix répliqua : Tu iras trouver M . de Baudricourt,capitaine de Vaucouleurs

,et i l te fera mener au roi.

Sainte Catherine et sainte Marguerite viendront t’assister.” Elle resta stupéfaite et en larmes, comme si el leeût déjà vu sa destinée tout entière.

Le prud’homme n ’était pas moins que saint Michel,le sévère archange des jugements et des batai l les . I lrevint encore

,lu i rendit courage, et lu i raconta la

pitié qui estoit au royaume de France. Puis vinrent90 les blanches figures des saintes , parmi d 1nnomb rab leslumières, la tête parée de riches couronnes la voixdouce et attendrissante

,à en pleurer. Mais Jeanne

pleurait surtout quand les saintes et les anges la qu ittaient . “ J ’aurais bien voulu

,dit—elle

,que les anges

m’eussent emportéeSi elle pleurait, dans un si grand bonheur, ce n

’étaitpas sans raison . Quelque belles et glorieuses que fussent ces visions

, sa vie dès lors avait changé. Elle qu in ’avait entendu jusque- là qu’une voix, celle de sa mère,

1 00 dont la sienne était l ’écho,elle entendait maintenant la

puissante voix des anges — Et que voulait la voixcéleste ? Qu’elle délaissât cette mère, cette doucemaison. Elle qu’un seul mot déconcertait, i l lu i fal laital ler parmi les hommes, aux soldats I l fallait qu’ellequittât pour le monde, pour . la guerre, ce petit jardinsans l ’ombre de l ’église, où elle n

'entendait que les

cloches et où les oiseaux mangeaient dans sa main.

Car tel était l ’attrait de douceur qui entourait la jeunesainte ; les animaux et les oiseaux du ciel venaient à

1 1 0 elle,comme jadis aux Pères du désert, dans la con

fiance de la paix de Dieu.

Jeanne ne nous a rien dit de ce premier combatqu ’elle soutint. Mais il est évident qu’ i l eut l ieu et

Page 183:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

174 JULES MICHELET

mais, pour sa grande amie et campagne, Haumet te, cellequ ’elle aimait le plus, elle aima mieux partir san s lavou .

Elle arriva donc dans cette vil le de Vaucouleurs,avec ses gros habits rouges de paysanne, et alla logeravec son onc le chez la femme d'un charron, qui la priten amitié. Elle se fit mener chez Baudricourt

,et lu i d it

160 avec fermeté “ qu’elle venait vers lu i de la part de sonSeigneur, pour qu’i l mandât au Dauphin de se bienmaintenir

,et qu ’ i l n

’assignât point de bataille à ses

ennemis ;parce que son Seigneur lui donnerait secoursdans la mi-carême.

— Le royaume n'appartenait pas au

Dauphin , mais à son Seigneur ;toutefois son Seigneurvoulait que le Dauphin devint roi, et qu’i l eût ceroyaume en dépôt.” Elle ajoutait que malgré lesennemis du Dauphin , i l serait fait roi, et qu ’elle lemènerait sacrer.

1 70 Le capitaine fut bien étonné ;i l soupçonna qu’i l yavait là quelque diablerie. I l consulta le curé

,qu i

apparemment eut les mêmes doutes. Elle n ’avait parléde ses visions à aucun homme d’Église . Le curé v intdonc avec le capitaine dans la maison du charron

,i l

déploya son étale et adjura Jeanne de s’éloigner, si el leétait envoyée du mauvais esaMais le peuple ne doutait pôint ; il était dans

l’admiration. De toutes parts on venait la voir. Ungentilhomme lui dit, pour l

éprouver :“ Eh bien ! ma

1 80 mie, i l faut donc que le roi soit chassé et que nousdevenions Anglais.” Elle se plaign it à lu i du refusde Baudricourt : “ Et cependant, dit—elle, avant qu’ i lsoit la mi-carême, i l faut que je sois devers le roi

,

dussé-je, pour m’y rendre, usermes jambes jusqu’aux

genoux. Car personne au monde, ni roi, ni ducs, °nifi l le du roi d ’Écosse, ne peuvent reprendre le royaumede France

,et il n’y a pour lui de secours que moi

même,quoique j

aimasse mieux rester à fi ler près dema pauvre mère ;car ce n ’

est pas là mon ouvrage ;190 mais i l faut que j ’aille et que je le fasse, parce quemon Seigneur le veut. — Et que!est votre Seigneur ?

Page 184:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

JOAN OF ARC

C’est Dieu Le gentilhomme fut touché. I l luipromit “ par sa foi, la main dans la sienne, que sous laconduite de Dieu , i l la mènerait au roi.” Un jeunegentilhomme se sentit aussi touché

,et déclara qu ’ i l

suivrait cette sainte fi l le.

I l paraît que Baudricourt envoyer demander l ’autorisation du roi. En attendant, i l la conduisit chezle duc de Lorraine, qui était malade et voulait la con

sulter. Le duc n ’en tira rien que le conseil d’

apaiser

Dieu en se réconc il iant avec sa femme. Néanmoinsil l ’encouragea.

De retour à Vaucouleurs, elle y trouva un messagerdu roi qui l ’autorisait à venir. Le revers de la journéedes harengs décidait à essayer de tous les moyens. Elleavait annoncé le combat le jour même qu ’i l eut l ieu.

Les gens de Vaucouleurs, ne doutant point de sa mission, se cotisèrent pour l

équiper et lui acheter un cheval.Le capitaine ne lui donna qu’une épée.

Elle eut encore en ce momen t un obstacle à surmonter.Ses parents, instruits de son prochain départ, avaientfaill i en perdre le sens ils firent les derniers efforts pourla retenir ;i ls ordonnèrent, ils menacèrent. Elle résistaà cette dernière épreuve et leur fit écrire qu’elle les priaitde lui pardonner.C ’était un rude voyage et bien périlleux qu’elle en

treprenait . Tout le pays était parcouru par les hommesd ’armes des deux partis. I l n ’y avait plus ni route nipont, les rivières étaient grosses ; c

’était au mois defévrier 1429.

S ’en aller ainsi avec c inq ou six hommes d’armes,

i l y avait de quoi faire trembler une fi l le. Une Anglaise,

une Allemande,ne s’y fût jamais risquée ;l ’indél ieatesse

d ’une telle démarche lui eût fait horreur. Celle- ci nes’en émut pas ;elle était justement t rop pure pour riencraindre de ce côté. Elle avait pris l'habit d ’homme

,et

elle ne le quitta plus ;cet habit serré, fortement attaché,était sa meilleure sauvegarde. Elle était pourtant jeuneet belle. Mais i l y avait autour d ’elle, pour ceux mêmequi la voyaient de plus près

,une barrière de rel igion et 1 30

Page 185:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

176 JULES MICHELET

de crainte ;le plus jeune des gentilshommes qui la conduisirent déclare que, couchant près d ’elle

,i l n'eut jamais

l'ombre même d ’une mauvaise pensée.Elle traversait avec une sérénité héroïque tout ce pays

désert au infesté de soldats Ses compagnons regrettaient bien d'être partis avec elle;quelques—uns pensaientque peut—être el le était sorcière ;i ls avaient grande enviede l'abandonner. Pour el le elle était tel lement paisible,qu’à chaque vi l le el le voula1t s’arrêter pour entendre la

140 messe : Ne craignez rien, disait- elle, Dieu me fait maroute ;c’est pour cela que je suis née.” Et encore : Mesfrères de paradis me disent ce que j ’ai à faire.

La cour de Charles VI I était loin d’être unanime enfaveur de la Pucelle. Cette fi l le inspirée qui arrivait deLorraine et que le duc de Lorraine avait encouragée

,ne

pouvait manquer de fortifier près du roi le parti de lareine et de sa mère, le parti de Lorraine et d ’

Anjou.

Une embuscade fut dressée à la Pucel le à quelquedistance de Chinon , et el le n’y échappa que par miracle.

1 50 L’opposition était si forte contre elle que,lorsqu’elle

fut arrivée, le conseil discuta encore pendant deux jourssi le roi la verrait. Ses ennemis crurent ajourner l ’affaireindéfiniment en faisant décider qu’on prendrait des informations dans son pays. Heureusement, elle avaitaussi des amis, les deux reines, sans doute, et surtout leduc d’

Alençon, qui, sorti récemment des mains desAnglais

,était fort impatient de porter la guerre dans

le Nord pour recouvrer son duché. Les gens d’

Orléans,à qui

,depuis le 1 2 février, Dunois promettait cemerveil

160 leux secours, envoyèrent au roi et réc lamèrent la Pucelle.Le roi la reçut enfin, et au milieu du plus grand

appareil ;on espérait apparemment qu’elle serait décan

certée. C ’était le soir, c inquante torches éclairaient lasalle

,nombre de seigneurs, plus de trois cents cheval iers

étaient réunis autour du roi. Tout le monde était cu rieuxde voir la sorc ière ou l ’inspirée.

La sorcière avait dix- huit ans ;c’était une belle fi l leet fort désirable, assez grande de taille, la voix douce etpénétrante.

Page 187:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

178 JULES MICHELET

sumatnrel le, cet ange ou ce démon, qui, selon quelquesuns

,devait s’envoler un matin, i l se trouva que c ’était une

3 10 jeune femme, une jeune fi l le, qu’elle n ’avait point d'ailesqu

at tachée comme nous à un corps mortel , elle devaitsouffrir, mourir, et de quelle affreuse mort !Mais c’est justement dans cette réal ité qui semble

dégradante, dans cette triste épreuve . de la nature, quel ’ idéal se retrouve et rayonne. Les contemporains euxmêmes y reconnurent le Christ parmi les pharisiensToutefois nous devons y voir encore autre chose, lapassion de la Vierge, le martyre de la pureté.I l y a eu bien des martyrs ; l

’histoire en c ite d ’ in300 nombrables, plus ou moins purs, plus ou moins glorieux .

L’

orgueil a eu les siens, et la haine et l’esprit de dispute.

Aucun siècle n’a manqué de martyrs batailleurs, qui sansdoute mouraient de bonne grâce quand ils n’avaient putuer.— Ces fanatiques n’ont rien à voir ici. La saintefi l le n’est point des leurs, el le eut un signe à part : Bonté,charité

,douceur d ’âme.

Elle eut la douceur des anc iens martyrs, mais avecune différence. Les premiers chrétiens ne restaient douxet purs qu’en fuyant l ’action , en s

épargnant la lutte et330 1

’épreuve du monde. Celle—ci fut douce dans la plusâpre lutte

,bonne parmi les mauvais, pacifique dans la

guerre même ;la guerre, ce triomphe du diable, el le yporta l ’esprit de Dieu.

Elle prit les armes quand el le sut la pitié qu’ i l yavait au royaume de France. Elle ne pouvait voi r“ couler le sang français.

” Cette tendresse de cœur,elle l ’eut pour tous les hommes ;elle pleurait après lesvictoires et soignait les Anglais blessésPureté

,douceur, bonté héroïque, que cette suprême

340 beauté de l’âme se soit rencontrée en une fi l le de France

,

cela peut surprendre les étrangers qui n’aiment à jugernotre nation que par la légèreté de ses mœurs Disonsleur (et sans partial ité, aujourd

’hui que tout cela est s iloin de nous) que sous cette légèreté, parmi ses folies etses vices mêmes, la vieil le France n ’en fut pas moins lepeuple de l’amour et de la grâce.

Page 188:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

JOAN OF ARC 179

Le sauveur de la France devait être une femme.

La France était femme el le-même. Elle en avait lamobil ité, mais aussi l’aimable douceur, la pitié fac ileet charmante

,l ’excellence au moins du premier mouve 350

ment. Lors même qu’el le se complaisait aux vainesélégances et aux raffinements extérieurs , elle restait aufond plus près de la nature. Le Français, mêmevicieux, gardait plus qu’aucun autre le bon sens et lebon cœur.Puisse la nouvelle France ne pas oublier lemot de

l ’ancienne : I l n’y a que les grands cœurs qui sachentcombien i l y a de gloire à être bon L’être et rester tel ,entre les injustices des hommes et les sévérités de laProvidence, ce n ’est pas seulement le don d’une heureuse 360nature, c’est de la force et de l

héroïsme. Garder ladouceur et la bienveillance parmi tant d’

aigres di5 putes,traverser l ’expérience sans lui permett re de toucher à cetrésor intérieur

, cela est divin. Ceux qui persistent etvont ainsi jusqu ’au bout sont les vrais élus. Et quandmême ils auraient quelquefois heurté dans le sentierdifl‘icil e du monde

,parmi leurs chutes, leurs faiblesses et

leurs enfoncer, i ls n’en resteront pas moins les enfants de

Dieu !

EDGAR QU INET

THE MEANING OF ART“

Quel est, en effet, le but de l’art ? Je réponds : la

beauté solution trop élémentaire,dites-vous

,et surtout

trop antique. Essayons cependant de nous y attacher ;elle peut nous mener plus loin qu’ il ne paraît. Car la

FromLeg!niedes Rel igions EdgarQuinet ( 1 80 3— 187 half

philosopher, halfmystic, the close friend of Michelet and his y andel low sufl

'

erer in the cause offreedomof thought . Both were deprived oftheir chairs at the Collège de France, Quinet in 1 846, Michelet in 1 850 .

1 2— 2

Page 189:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 80 EDGAR QUINET

beauté, où est- elle ? Dans une fleur, reprenez- vous,dans un rayon de soleil, dans le sourire d ’une créaturemortelle. Oui, sans doute, elle est dans toutes ceschoses. Mais qu ’el le y est incomplète puisqu’elle y estpérissab le l Au l ieu de ces objets qui ne vivent qu ’un

ro jour, au lieu de cette lueur qui n ’a qu’une splendeurempruntée, que serait- ce, si l ’on rencontrait quelquepart la fleur qu i ne se fane jamais, le parfum qui ne sedissipe jamais, le sourire qui jamais ne se convertit enpleurs Alors seulement, ne le pensez—vous pas ? noustoucherions à la beauté, principe et fin de toutes lesautres. Or, cette beauté, qui se communique sanss’

épuiser, cette splendeur souveraine, sans lever et sanscoucher, sans jeunesse et sans vieil lesse, quel le peut- el leêtre, si ce n'est l

’ image même que vous vous faites de laco perfection, que rien ne peut ni outrepaæer ni

'

altérer.c’est—à-d ire l’ idée par laquel le vous vous repréœntez Dieului-même ? Oui, n’

al lons pas plus loin le Dieu—Esprit,voilà l ’éternel modèle qui , sous une forme ou sous uneautre

,pose éternellement devant la pensée de tout artiste

qui mérite ce nom . Ce qui rev ient à dire que l ’art a pourbut de représenter par des formes la beauté infinie

,de

saisir l ’immuab le dans l ’éphémère, d ’embrasser l ’éternitédans le temps, de peindre l’ invisible par le visible.Arrêtons-nous à cette idée et voyez combien de consé

30 quences en jaill issent comme d’un foyer ardent.

Premièrement, pour exister, l’art n’a pas besoin de

l ’homme. Avant l’apparition du genre humain sur laterre

,l ’univers était un grand ouvrage d’art qui publ iait

la gloire de son auteur. La beauté avait été réal isée etcomme incarnée dans la nature naissante. Non, non , necroyez pas que les premiers poèmes aient été ceuxd'Homère ou de Moïse ne croyez pas davantage que lœpremières sculptures aient été faites par une main mortel le.

Le plus ancien constructeur du temple est celui qui a40 bâti le monde. De même, voulez- vous savoir quels ontété le premier poème et la première peinture ? Il estfacile de le dire. Ce furent le premier lever du solei l ausortir du chaos, le premier murmure de la mer en

Page 191:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 82 EDGAR QUINET

immortelle beauté. C ’est là l ’échelle de Jacob sur laquel les’élèvent constamment les rêves de l ’esprit de l ’homme .

D ’un côté,elle s ’appuie sur la terre ;de l

’autre,el le

touche au ciel . Mais sont—cc là, en effet, tous les ârt spar lesquels on peut gravir vers la beauté Je crains biend ’avoir omis le premier et le plus important de tous. L esmodernes n’y pensent guère dans leurs théories : l es

9°anciens n’avaient garde de l'oubl ier jamais. Et cet artsouverain, quel peut i l être, si ce n

’est celui de le sagesse ,de la justice, de la vertu, ou, pour tout comprendre à l afois, l

’art de la vie ? En effet, toute vie humaine n’es tel le pas en soi une œuvre d ’art ? Chaque homme en

naissant n’

apporte- t - il pas dans son cœur un certain

idéal de beauté morale qu’i l doit peu à peu révéler,exprimer, réal iser par ses œuvres ? Je ne cacherai pasla moitié de ma pensée ;oui

, i l y a du Phidias dan schacun de nous, parce qu’i l y a du Phidias dans toute

t oo créature morale. Oui, chaque homme est un sculpteurqui doit corriger son marbre ou son l imon jusqu’

à ce qu’ i lait fait sortir de la masse confuse de ses instinctsgrossiers une personne intel ligente et libre. Le juste

,

c’est- à-dire celui qui règle ses actions sur un modè ledivin

,celui qui sait, quand il le faut, dépouil ler la vie

mortell e,comme le sculpteur dépouille le marbre, pour

atteindre la statue intérieure, Socrate buvant la c iguë ,Saint Louis sur le l it de cendre, Jeanne d’

Arc dansla mêlée ; qui nommerai-je encore ? Napoléon , ditesvous ? Non pas Napoléon empereur, mais Napoléon sur

le pont d’

Arcole en unmot , quelque nomque vous leurdonniez, le héros et le saint, voilà le dernier terme et lecomble de la beauté sur terre. Voilà le poème, le tableau ,l’harmonie par excellence ; car c'est une harmonievivante

,un poème v ivant. L‘œuvre et l'ouvrier sont

intimement unis et confondus ; i l n’y a rien au delà

,

si ce n’est Dieu lui—même.

Page 192:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

L’

ENLÈVEMENT DE LA REDOUTE 1 83

PROSPER MÉRIMÉE

L’

ENLÈVEMENT D E LA REDOUTE “

Un militaire de mes amis, qui est mort de la fièvreen Grèce il y a quelques années

,me conta un jour la

première affaire à laquelle i l avait ass isté. Son récit mefrappa tellement

,que je l ’écrivis de mémoire aussitôt que

j ’en eus le loisir. Le voici“ Je rejoignis le régiment le 4 septembre au soir. Je

trouvai le colonel au bivac. I l me reçut d ’abord assezbrusquement ;mais après avoir lu la lettre de recommandation du général i l changea de manières, etm’adressa quelques paroles obligeantes.

Je fus présenté par lui à mon capitaine,qui revenait

à l ’instant même d ’une reconnaissance. Ce capitaine,

que je n ’eus guère le temps de connaître,était un grand

homme brun, d’une physionomie dure et repoussante.I l avait été simple soldat

,et avait gagné ses épaulettes

et sa croix sur les champs de bataille. Sa voix, qui étaitenrouée et faible

,contrastait singulièrement avec sa

stature presque antesque. On me dit qu I l devaitcette voix étrange une balle qui l ’avait percé de parten part à la bataille d’

Iéna.

En apprenant que je sortais de l ’école de Fontainebleau

,il fit la grimace et dit : Mon lieutenant est mortJe compris qu ’i l voulait dire : ‘ C ’est vous qui

devez le remplacer, et vous n’en êtes pas capable. ’ Un

mot piquant me vint sur les lèvres, mais je me contins.La lune se leva derrière la redoute de Cheverino

,

située à deux portées de canon de notre bivac . Elleétait large et rouge comme cela est ordinaire à son lever.Mais ce soir el le me parut d ’une grandeur extraordinaire.Pendant un instant la redoute se détacha en noir sur le 3°disque éc latant de la lune. Elle ressemblait au côned ’un volcan au moment de l ’éruption .

L’En làœmm!de la Raimi: first zid in the Rmæj ‘mnçaz‘se for

Sept .—Oct . 1 829. It was reprinted in the volume entitled Moraïqw ( 1 833) .

Page 193:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 84 PROSPER MÉRIMÉE

Un vieux soldat, auprès duquel je me trouvais,remarqua la couleur de la lune. Elle est bien rouge, ’dit- i l c

’est signe qu ’i l en coûtera bon pour l ’avoir, cette

fameuse redoute J ’ai toujours été superstitieux, et cetaugure, dans ce moment surtout, m’

affecta. Je mecouchai

,mais je ne pus dormir. Je me levai, et je marchai

quelque temps,regardant l ’immense l igne de feux qui

40 couvrait les hauteurs au delà du vil lage de Cheverino .

Lorsque je cms que l ’air frais et piquant de la nu itavait assez rafraîchi mon sang, je revins auprès du feu ;jem’

enve10ppai soigneusement dans mon manteau, et jefermai les yeux

,espérant ne pas les ouvrir avant le jour.

Mais le sommeil me tint rigueur. Insensiblementmespensées prenaient une teinte lugubre. Je me disais queje n ’avais pas un ami parmi les centmil le hommes quicouvraient cette plaine. Si j ’étais blessé

,je serais dans

un hôpital,traité sans égards par des chirurgiens

50 ignorants. Ce que j ’avais entendu dire des opérationschirurgicales me revint à la mémoire. Mon cœur battaitavec violence

,et machinal ement je disposais comme une

espèce de cuirasse le mouchoir, et le portefeuil le quej ’avais sur la poitrine. La fatiguem’

accab lait , je m ’assoupissais à chaque instant, et à chaque instant quelquepensée sinistre se reproduisait avec plus de force et meréveillait en sursaut.

“ Cependant la fatigue l ’avait emporté,et quand on

battit la diane j ’étais tout à fait endormi. Nous ñous60 mîmes en batail le, on fit l ’appel

,puis on remit les armes

en faisceaux,et tout annonçait que nous allions passer

une journée tranquille.Vers trois heures un aide de camp arriva

,apportant

un ordre. On nous fit reprendre les armes ;nos tirailleurs se répandirent dans la plaine ;nous les suivîmeslentement, et au bout de vingt minutes nous vîmes tousles avant—postes des Russes se replier et rentrer dans laredoute.

Une batterie d ’artillerie vint s’établir à notre droite,

70 une autre à notre gauche, mais toutes les deux bien enavant de nous. Elles commencèrent un feu très—vif sur

Page 195:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

1 86 PROSPER MÉRIMÉE

la c irconstance,parut excellente. ‘ Je vous félicite,’

reprit le capitaine, ‘ vous n’aurez rien de plus,et vous

commanderez une compagnie ce soir ;car je sens bienque le four chauffe pour moi. Toutes les fois que j ’aiété blessé

,l ’offi cier auprès de moi a reçu quelque balle

morte,et,’ ajouta—t - il d’un ton plus bas et presque

honteux, leurs noms commençaient toujours par un P .

“ Je fis l ’esprit fort ; bien des gens auraient faitcomme moi ; bien des gens auraient été aussi bien

n e que moi frappés de ces paroles prophétiques. Conscri tcomme je l ’étais

,je sentais que je ne pouvais confier mes

sentiments à personne,et que je devais toujours paraître

froidement intrépide.Au bout d ’une demi - heure

,le feu des Russes

diminua sensiblement ; alors nous sortîmes de notrecouvert pour marcher sur la redoute.

“ Notre régiment était composé de trois batail lons .

Le deuxième fut chargé de tourner la redoute du côtéde la gorge ;les deux autres devaient donner l

’assaut.1 30 J ’étais dans le troisième batai llon.

En sortant de derrière l ’espèce d’

épaulement quinous avait protégés

,nous fûmes reçus par plus ieu rs

décharges de mousqueterie qui ne firent que peu de

mal dans nos rangs. Le sifflement des balles mesurprit : souvent je tournais la tête, et jem’

attirai ains iquelques plaisanteries de la part de mes camarades plusfamiliarisés avec ce bruit. ‘A tout prendre,’ me dis—je ,une bataille n ’est pas une chose si terrible. ’

Nous avancions au pas de course, précédés deMO tirailleurs : tout à coup les Russes poussèrent troishourras

,trois hourras distincts

,puis demeurèren t

silenc ieux et sans tirer. ‘ Je n’aime pas ce silence, ’ d i tmon capitaine ;‘

cela ne nous présage rien de bon .

Jetrouvai que nos gens étaient un peu trop bruyants , e tje ne pus m ’empêcher de faire intérieurement la comparaison de leurs clameurs tumultueuses avec le silenceimposant de l ’ennemi .

Nous parvînmes rapidement au pied de la redoute,

les palissades avaient été brisées et la terre bouleversée

Page 196:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

L’

ENLÈVEMENT DE LA REDOUTE 1 87

par nos boulets. Les soldats s’

élancèrent sur ces ruines 1 50

nouvelles avec des cris de Vive l ’empereur! plus fortsqu’on ne l ’aurait attendu de gens qui avaient déjà tant

Je levai les yeux, et jamais je n’oubl ierai le spectacle

que je vis. La plus grande partie de la fumée s’étaitélevée et restait suspendue comme un dais à vingt piedsau-dessus de la redoute. Au travers d ’une vapeurbleuâtre on apercevait derrière leur parapet à demidétruit les grenadiers russes

,l ’arme haute

,immobiles

comme des statues . Je crois voir encore chaque soldat,l ’œi l gauche attaché sur nous, le droit caché par son fusilélevé. Dans une embrasure

,à quelques pieds de nous,

un homme tenant une lance à feu était auprès d ’uncanon.

“ Je frissonnai, et je crus que ma dernière heure étaitvenue. ‘Voilä la danse qui va commencer, s’écria moncapitaine. Bonsoir.’ Ce furent les dernières paroles queje l ’entendis prononcer.

Un roulement de tambours retentit dans la redoute.

Je vis se baisser tous les fusils. Je fermai les yeux, et 170j’

entendis un fracas épouvantable, suiv i de cris et degémissements. J

ouvrîs les yeux,surpris de me trouver

encore au monde. La redoute était de nouveau en

veloppée de fumée. J ’étais entouré de blessés et demorts. Mon capitaine était étendu à mes pieds : sa têteavait été broyée par un boulet

,et j ’étais couvert de sa

cervel le et de son sang. De toute ma compagnie i l nerestait debout que six hommes et moi.

“A ce carnage succéda un moment de stupeur. Lecolonel

,mettant son chapeau au bout de son épée, gravit

le premier le parapet en criant : Vive l ’empereur i l futsuivi aussitôt de tous les survivants. Je n

’ai presqueplus de souvenir net de ce qui suivit. Nous entrâmesdans la redoute, je ne sais comment . On se battit corpsà corps au mil ieu d ’une fumée si épaisse que l ’on nepouvait se voir. Je crois que je frappai, car mon sabrese trouva tout sanglant. Enfin j

'entendis crier victoire !

et la fumée diminuant, j’

aperçus du sang et des morts

60

Page 197:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

188 PROSPER MÉRIMÉE

sous lesquels disparaissait la terre de la redoute. Les190 canons surtout étaient enterrés sous des tas de cadavresEnviron deux cents hommes debout, en uniformefrançais

,étaient groupés sans ordre

,les uns chargeant

leurs fusils, les autres essuyant leurs baïonnettes. Onzeprisonniers russes étaient avec eux.

Le colonel était renversé tout sanglant sur uncaisson brisé, près de la gorge. Quelques soldats s ’empressaient autour de lui : je m’

approchai:‘Où est le

plus ancien capitaine ? ’ demandait—il à un sergent — Le

sergent haussa les épaules d ’une manière t rès—expres s ive.

Et le plus anc ien lieutenant — Voici monsieu r quiest arrivé d’

hier,’ dit le sergent d’

un ton tout à fait ca lme.— Le colonel sourit amèrement. Allons, monsieur, ’ medit- i l, ‘

vous commandez en chef;faites promptementfortifier la gorge de la redoute avec ces chariots , car

l ’ennemi est en force ; mais le général C‘“ va vousfaire soutenir.’ Colonel

,

’ lui dis—je, ‘ vous êtes grievement blessé ? ’ mon cher, mais la redoute estprise.

SA INTE -BEUVE

RACINE ‘

D'après le peu qu ’on vient de l ire sur le caractère,les

mœurs et 1e3‘

hab itudes d'esprit de Rac ine, i l serait déjàaisé de présumer les qualités et les défauts essentiels deson œuvre, de prévoir ce qu’i l a pu atteindre, et en mêmetemps ce qui a dû lui manquer. Un grand art de comb inaison, un calcul exact d’

agencement , une constructionlente et successive

,plutôt que cette force de conception

,

simple et féconde,qui agit simultanément et comme par

voie de cristallisation autour de plusieurs centres dansles cerveaux naturellement dramatiques ;de la présence

The art icle fromwhich this e is taken appeared in the Revuede Paris for6D ec. 1 839, and was erwards reprinted 1n vol . 1Läl ôm‘

r n 1 8

Page 199:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

190 SAINTE- BEUVE

50 Sénèque a prêté son ministère à cette honteuse intrigue ;Agrippine s’est révoltée d ’abord, puis a fini par embrasser son fi ls et par lui offrir sa maison pou r lesrendez-vous. Agrippine

,mère

,petite- fi lle

,sœur

,n ièce

et veuve d’

empereurs, homicide, incestueuse, prostituée àdes affranchis, n ’a d

’autre crainte que de voir son fi ls luiéchapper avec le pouvoir. Telle est la situation d'espritdes trois personnages principaux au moment oùRacinecommence sa pièce. Qu ’a- t - il fait ? I l est allé d ’abordau plus simple, i l a trié ses acteurs ;Burrhus l ’a dispensé

60 de Sénèque, et Narcisse de Pallas . Othon et Sénécion,j eunes voluptueux qui perdent le prince, sont à peinenommés dans un endroit. I l rapporte dans sa préfaceun mot sanglant de Tacite sur Agrippine : Quæ, cunctz

r

bmPrdlwztem, et il ajoute : “ Je ne dis que ce motd

Agrippine, car i l y auroit trop de choses à en dire.

C ’est elle que je me suis surtout efforcé de bien exprimer

, et ma tragédie n ’est pas moins la disg râced

Agrippine que la mort de Britannicus.” Et mal gré

7°ce dessein formel de l'auteur, le caractère d’

Agfi ppine

n ’est exprimé qu’

imparfaitement : comme il fal laitintéresser à sa disgrâce, ses plus odieux vices sontrejetés dans l ’ombre ; elle devient un personnage peuréel, vague, inexpliqué, une manière de mère tendre etjalouse ;i l n

'est plus guère question de ses adultères etde ses meurtres qu’en allusion, à l ’usage de ceux quiont lu l ’histoire dans Tac ite. Enfin

,à la place d’

Acté,

intervient la romanesque Junie. Néron amoureux n’est

plus que le rival passionné de Britannicus,et les côtés

80 hideux du tigre disparaissent, ou sont touchés délicate

ment à la rencontre. Que dire du dénouement ? deJunie réfugiée aux Vestales

,et placée sous la protection

du peuple, comme si le peuple protégeait quelqu ’un sousNéron Mais ce qu’on a droit surtout de reprocher àRac ine, c

’est d ’avoir soustrait aux yeux la scène dufestin. Britannicus

est à table, on lui verse à boire;quelqu ’un de ses domestiques goûte le breuvage

,comme

c’est la coutume, tant on est en garde contre un crime :

Page 200:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

RAC1NE 191

mais Néron a tout prévu ;le breuvage s’est trouvé trop

chaud , i l faut y verser de l ’eau froide pour le rafraîchir,90et c ’est cette eau froide qu ’on a eu le soin d ’

empoisonner.L’effet est soudain ce poison tue sur l ’heure, et Locusteété chargée de le préparer tel, sous la menace du

supplice. Soit dédain pour ces circonstances, soit difficul té de les exprimer en vers

,Rac ine les a négligées dans

le récit de Burrhus : i l se borne à rendre l ’effet moral del’

empoisonnement sur les spect ateurs, et il y réussit ;mais on doit avouer que même sur ce po int il a rabattude la brièveté incisive

,de la conc ision éclatante de

Tacite.

V ICTOR HUGO

PAR I S I N 1482“

Au quinzième siècle,Paris était encore divisé en trois

vil les tout à fait distinctes et séparées, ayant chacuneleur physionomie

,leur spéc ial ité, leurs mœurs, leurs

coutumes,leurs priviléges, leur histoire : la Cité, l

Uni

versité, la Ville. La Cité, qui occupait l’île, était la plus

ancienne, la moindre et la mère des deux autres, resserréeentre elles (qu

'on nous passe la comparaison) comme unepetite vieille entre deux grandes belles fi l les. L

Univer

sité couvrait la rive gauche de la Seine, depuis laToumel le jusqu ’à la tour de Nesle, points qui corre

FromNoire—D ame dePM : This famous descript ion of Parisas seen fromthe towers of Notre-Dame (livre 1 1 1 . chap. ii) together wi ththe chapter which precedes it— the descript ion of Notre-Dame— and the

one ent it led Cm“

tuera cela (v. ii) first appeared in the eighth edition of the

book (October These Chapters were omitted fromthe first edit ion(March not because they were not writ ten then , b ut because VictorHugo had lost themanuscript of them.

n spite of a few ht anachronisn æthese passages give a wonderfullytrue dœcñ pfion of 111 ieval Paris. They stand the test of com 11

with the latest research as shewu e.g . in P. Champion’s François il le» et

son temps

Page 201:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

192 VICTOR HUGO

spondent , dans le Paris d’aujourd’hui , l ’un à la Halle

aux-Vins,l ’autre à la Monnaie. Son enceinte échancrait

assez largement cett e campagne oùJul ien avait bâti sesthermes. La montagne de Sainte-Geneviève y étai trenfermée. Le point culminant de cette courbe demurailles était la porte Papale

,c’est-à-dire à peu res

l ’emplacement actuel du Panthéon. La Vi l le, qui tai tle plus grand des trois morceaux de Paris

,avait la rive

droite. Son quai, rompu toutefois ou interrommen

00 plusieurs endroits, courait le long de la Seine, de la tou rde Billy à la tour du Bois

,c’æt - à-dire de l ’endroit oùest

aujourd’hui le Grenier—d ’

Ab ondance à l ’endroit où sontaujourd’hui les Tuileries. Ces quatre points , où la Seinecoupait l ’enceinte de la capitale, la Toumel le et la tourde Nesle à gauche, la tour de Billy et la tour du Bois àdroite

,s’

appelaient par excellence les quatre tours de

Paris. La Ville entrait dans les terres plus profondément encore que l ’Université. Le point culminant de laclôture de la Vil le (celle de Charles V) était aux portes

30 Saint-Denis et Saint—Martin, dont l’emplacement n’

a pas

changé

Vus à vol d ’oiseau,ces trois bourgs

,la Cité

,l’

Uni

versité, la Ville, présentaient chacun à l’œi l un tricot

inextricable de rues bizarrement brouillées. Cependan t,au premier aspect, on reconnaissai t que ces trois fragments de c ité formaient un seul corps. On voyait toutde suite deux longues rues paral lèles, sans rupture, san s

rturbat ion, presque en l igne droite, qui traversaient àlÎ fois les trois vi l les d ’un bout à l’autre

,du midi au nord ,

40 perpendiculairement à la Seine, les liaient, les mêlaien t,infusaient, versaient, transvasaient sans relâche le peuplede l ’une dans les murs de l ’autre

,et des trois n

en

l. 1 The EmperorJulian did not build the Palais des Thermes— ao

called romthe remains of the baths— hut he resided there forthree winters, and was ere proclaimed Empüorin A.D . 360 by the legions

s r. The Tour de Bil ly was accidentsl lyblown up in 1 538 the Tour

du Bois was built in 1 383 and was standing , just above the present Pontde: Arts, long after 1481 .

Page 203:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

194 VICTOR HUGO

navire enfoncé dans la vase et ( chou!au fi l de l’

eau vers

lemil ieu de la Seine. Nous venons d ’expl iquer qu'auquinzième siècle ce navi re était amarré aux deux rivesdu fleuve par c inq ponts. Cette forme de vaisseau avaitaussi frappé les scribes héral diques ;car c’est de là, etnon du siége des Normands, que vient, selon Favyn et

Pasquier,le nav ire qui blasonne le vieil écusson de Paris.

Pour qui sait le déchiffrer, le blason est une algèbre,l e

blason est une langue. L’histoire en t ière de la seconde90 moitié du moyen âge est écrite dans le blason, commel ’h istoire de la première moitié dans le symbolisme deséglises romanes Ce sont les hiéroglyphes de la féodali téaprès ceux de la théocratie.

La Cité donc s’ofi'

rait d ’abord aux yeux avec sa poup eau levant et sa proue au couchant. Tourné vers la proue ,on avait devant soi un innombrable troupeau de vieuxtoits, sur lesquels s

arrondissait largemen t le cheve tplombé de la Sainte-Chapel le, pareil à une crouped ’éléphant chargé de sa tour. Seulement ici cette tou r

1 00 était la flèche la plus hardie, la plus ouvrée, la plusmenuisée, la plus déchiquetée qui ait jamais laissé voirle ciel à travers son cône de dentelle. Devant NotreDame, au plus près, trois rues se dégorgeaient dans l eparvis, belle place à vieilles maisons. Sur le côté sudde cett e place se penchait la façade ridée et rechignéede l ’Hô tel -Dieu , et son toit qui semble couvert d e

et de ven ues. Puis, à droite, à gauche, àà l ’occident

,dans cette enceinte si étroi te

pourtant de la Cité,se dressaient les clochers de ses

1 1 0 vingt et une églises de toute date,de toute forme

, detoute grandeur, depuis la basse et vermoulue campanil l e

86. André Favyn, authorÉtienne Pasquier ( 1 519 author of Le: Rx Àercfia de la

Built by St Louis, 1 145— 1 248;one Of themost perfect ofGoth icchu es.

1. 1 06. The foundation of this hospital is attn’

b nted to St Landry,Paris in the seventh century. Greatly enlarged by Ph il 1p

Augustus and St Louis, it stood till 1 878, when it was rebuilt on its presentsite on the north side of the Parvis deNotre—Dame.

Page 204:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

PARIS IN 1482 195

romane de Saint-Denis du Pas, career Glaucini, j usqu’aux

fines aiguilles de Saint- Pierre aux Bœufs et de SaintLandry. Derrière Notre-Dame se déroulaient, au nord,le cloître avec ses galeries gothiques ;au sud, le palaisdemi- roman de l ’évêque ;au levant, la pointe déserte duTerrain . Dans cet entassement de maisons, l

’œi l distinguait encore, à ces hautes mitres de pierre percéesà jour qui couronnaient alors sur le toit même lesfenêtres les plus élevées des palais

,l ’hôtel donné par la n o

vil le,sous Charles VI , à Juvéna1 des Ursins ; un peu

plus loin,les baraque5 goudronnées du marché Palus ;

ail leurs encore,l'abs ide neuve de Saint-Germain le Vieux,

rallongée en 1458 avec un bout de la rue aux Febves ;et puis

,par places

,un carrefour encombré de peuple, un

pilori dressé à un coin de rue,un beau morceau du pavé

de Phil ippe—Auguste,magnifique dal lage rayé pour les

pieds des chevaux au milieu de la voie et si mal remplacéau seizième siècle par le misérable cailloutage dit pavéde la L igue, une arrière—cour déserte avec une de ces 1 30

diaphanes tourelles de l ’escalier comme on en faisaitau quinzième siècle, comme on en voit encore une rue

des Bourdonnais. Enfin,à droite de la Sainte—Chapelle,

vers le couchant, le Palais de Justice asseyait au bord del ’eau son groupe de tours. Les futaies des jardins du

,qui couvraient la pointe occidentale de la Cité,

masquaient l ’îlot du passeur. Quant à l ’eau, du hautdes tours de Notre—Dame

,on ne la voyait guère des

deux côtés de la Cité ; la Seine disparaissait sous lesponts, les ponts sous les maisons.Et quand le regard passait ces ponts, dont les toits

verdissaient à l ’œ il, moisis avant l ’âge par les vapeursde l ’eau

,s’i l se dirigeait à gauche vers l ’Université, le

premier édifice qui le frappait, c’était une grosse et basse

1. 1 1 2 . The Marché Palu (not Palm) was continuation of the PetitPont towards the N. Its provision-mu ket was celebrated.

l

1. 1 33. Sold and demolished 111 1 796.'

I‘

he Palais de laCité, as it was yœfled.was built byRobert 11 Ficus, son ofHugh Capet , early in e el e

yventh century.

1 3— z

Page 205:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

196 VICTOR HUGO

gerbe de tours, le Petit-Châtelet , dont le porche béantdévorait le bout du Petit- Pont ;puis, si votre vue parcourait la rive du levant au couchant, de la Toumel leà la tour de Nesle, c’était un long cordon de maisonsà sol ives sculptées, à vitres de couleur, surplomban t

1 50 d’étage en étage sur le pavé, un interminable zigzag depignons bourgeois

,coupé fréquemment par la bouche

d ’une rue, et de temps en temps aussi par la face ou

par le coude d ’un grand hôtel de pierre, se carrant àson aise

,cours et jardins

,ailes et corps de logis, parmi

cett e populace demaisons serrées et étriquées , commeun grand sei eur dans un tas de manants. I l y avaitcinq ou six e ces hôtels sur le quai

,depuis le logis de

Lorraine,qui partageait avec les Bemardins le grand

enclos voisin de la Toumel le,jusqu’à l ’hôtel de Nesle,

160 dont la tour princ ipale bomait Paris, et dont les toitspointus étaient en possession pendant trois mois del ’année d’

échancrer de leurs triangles noirs le disqueécarlate du soleil couchant.Ce côté de la Seine, du reste, était le moins marchan d

des deux les écoliers y faisaient plus de bruit et de fou leque les artisans, et il n

’y avait, à proprement parler, dequai que du nt Saint-Michel à la tour de Nesle. Le

reste du bor de la Seine était tantôt une grève nue,

comme au delà des Bemardins,tantôt un entassement

1 70 de maisons qui avaient le pied dans l ’eau, comme entreles deux ponts. I l y avait grand vacarme de blanch isscuses ;elles criaient

,parlaient

,chantaient du matin au

soir le long du bord,et y battaient fort le l inge

,comme

de nos jours. Ce n ’est pas la moindre gaieté de Paris.L

Université faisait un bloc à l ’œ il. D ’un bout àl ’autre c ’était un tout homogène et compacte. Ces mi l letoits

,drus

,anguleux, adhérents, composés presque tous

du même élément géométrique, offraient, vus de hau t,l ’aspect d ’une cristal l isation de la même substance. Le

The Petit Châtelet was built to defend the Petit Pont , and theGrand Châtelet to defend the Grand Pont (now the Pont a— u-Change) whenthese were the only two bri es at Paris.

The Pont Saint ichel connected the Cité with the right bankof the Seine

Page 207:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

2 1 0

230

240

198 VICTOR HUGO

dentelure de ce côté de Paris,à partir de l ’occident.

Les col léges, qui sont en effet l’anneau intermédiaire du

c loître au monde,tenaient le mil ieu dans la série monu

mentale entre les hôtels et les abbayes, avec une

sévérité pleine d ’élégance, une sculpture moins évaporéeque les palais

,une architecture moins sérieuse que les

couvents . I l ne reste malheureusement presque rien deces monuments oùl ’art gothique entrecoupait avec tan tde précision la richesse et l ’économie. Les églises (e tel les étaient nombreuses et splendides dans l ’Université;et elles s

échelonnaient là aussi dans tous les âges del'architecture

,depuis les pleins cintres de Saint—Jul ien

jusqu’aux ogives de Saint-Séverin), les égl ises dominaient le tout, et, comme une harmonie de plus dan scette masse d’

harmonies,el les perçaient à chaque instan t

la découpure multiple des pignons de flèches tail ladées ,de clochers à jour, d’aiguil les dél iées dont la l igne n’éta i taussi qu’une magn ifique exagérat ion de l ’angle aigu destoits.Le sol de l ’Université était montueux. La montagne

Sainte-Geneviève y faisait au sud—est une ampou l eénorme ;et c’était une chose à voir du haut de NotreDame que cette foule de rues étroites et tortues(aujourd

’hui le pays latin), ces grappes de maisons qui,répandues en tout sens du sommet de cette éminence ,

se préc ipitaient en désordre et presque à pic sur ces

flancs jusqu’au bord de l ’eau, ayant l’

ai r, les unes d etomber

,les autres de regrimper

,toutes de se retenir l es

unes aux autres. Un flux continuel de mil le pointsnoirs qui s

entre- croisaient sur le pavé faisait toutremuer aux yeux ;c

’était le peuple vu ainsi de hautet de loin.

Enfin,dans les interval les de ces toits, de ces flèches

,

de ces acc idents d ’édifices sans nombre qui pliaien t ,tordaient et dentelaient d ’une manière si bizarre la l igneextrême de l ’Université, on entrevoyait, d

’espace en

l . 222 . Saint—Julien -le Pauvre, of the twelfih centuryBuil t 1n the thirteenth cenæq and grœfly efih rgeäsæn

1482 , 1t is omof themostmteæsfing chuæhes in h fis

Page 208:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

PARIS IN 1482 199

espace, un gros pan de mur moussu, une épaisse tourronde, une porte de vil le crénelée, figurant la forteresse ;c’était la c lôture de Philippe-Auguste. Au delà verdoyaient les prés , au delà s

enfuyaient les routes, lelong desquelles traînaient encore quelques maisons defaub ourg

,d ’autant plus rares qu’elles s

éloignaient plus.Quelques—uns de ces faubourgs avaient de l’ importance.C ’était d’abord, à partir de la Toumel le, le bourg Saint

avec son pont d ’une arche sur la Bièvre, sonabbaye

, où on l isait l ’épitaphe de Louis le G ros, epit@lu

urn Ludoviei Grosri, et son ég l ise à flèche octogoneflanquée de quatre clochetons du onzième siècle (on enpeut voir une pareille à Étamœs

,elle n ’est pas encore

abattue) ;puis le bourg Saint-Marceau, qui avait déjàtrois églises et un couvent ;puis en laissant à gauche lemoul in des Gobel ins et ses quatre murs blancs, c

’était lefaubourg Saint—Jacques avec la belle croix sculptée deson carrefour ; l

’église de Saint—Jacques du Haut- Pas,qui était alors gothique, pointue et charmante ;SaintMagloire

,belle nef du quatorzième siècle, dont Napoléon

fit un grenier à foin ;Notre-Dame des Champs, où i l yavait des moza‘

1‘

ques byzantines. Enfin, après avoirlaissé en plein champ le monastère des Chartreux, richeédifice contemporain du Palais de Justice, avec ses petitsjardins à compartiments

,et les ruines mal hantées de

Vauvert, l ’œi l tombait à l'occident, sur les trois aiguil lesromanes de Saint-Germain-des—Prés. Le bourg SaintGermain, déjà une grosse commune, faisait quinze ou

vingt rues derrière. Le clocher aigu de Saint- Sulpicemarquait un des coins du bourg. Tout à côté on

distinguait l ’enceinte quadrilatérale de la foire Saint

1. 256. Founded in 1 1 1 3 for canons regular by Guil laume de Champeaux , the scholast ic philosopher whose lectures in the school of NotreD ame attracted crowds of students. It became celebrated as the home ofthemyst ical theology of Hugues and R ichard de Saint—Victor.

260 . I t should be Saint -Marcel.269. A foundation of St Louis, who endowed it with his château of

Vauvert .272.

l. 273.

250

Page 209:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

200 VICTOR HUGO

Germain,où est aujourd ’hui le marché ; uis le pilori

de l ’abbé,jol ie pet ite tour ronde, bien coi ée d’un cône

280 de plomb. La tuilerie était plus loin, et la rue du Four,qui menait au four banal , et le moul in sur sa butte, et lamaladrerie

,maisonnette isolée etmal vue. Mais ce qui

attirait surtout le regard et le fix ait longtemps sur cepoint

,c’était l’abbaye el le-même. I l est certain que ce

monastère, qui avait une grande mine et comme égliseet comme seigneurie, ce palais abbatial , où les évêquesde Paris s

estimaient heureux de coucher une nuit, ce

réfectoire auquel l ’architecte avait donné l ’air, la beautéet la splendide rosace d ’une cathédrale, cette élégante

290 chapelle de la Vierge, ce dortoir monumental, ces vastesjardins

,cette herse, ce pont- levis, cette enveloppe de

créneaux qui entaillait aux yeux la verdure des présd

alentour,ces cours où reluisaient des hommes d ’

armesmêlés à des chapes d ’or, le tout groupé et rall ié autourdes trois hautes flèches à plein cintre

,bien assises sur

une abside gothique,faisaient une magnifique figure à

l ’horizon .

Quand enfin, après avoir longtemps considéré l ’Université, vous vous toumiez vers la rive droite, vers la

300 Ville, le spectacle changeait brusquement de caractère.La Ville, en effet, beaucoup plus grande que l

Université,était aussi moins une. Au premier aspect

,on la voyait

se diviser en plusieurs masses singulièrement distinctes.D ’abord, au levant, dans cette partie de la Ville qu ireçoit encore aujourd’hui son nom du marais oùCamulogène embourba César, c

’était un entassement de palais.Le pâté venait jusqu’au bord de l ’eau . Quatre hôtelspresque adhérents, Jouy, Sens, Barbeau, le logis de laReine

,miraient dans la Seine leurs combles d ’

ardoise

31 0 coupés de sveltes tourelles. Ces quatre édifices empl issaient l ’espace de la rue des Nonaindières à l ’abbayedes Célestins, dont l ’aigui l le relevait gracieusement leur

284. Begun cire. 1000 and dedicated 1 163.

l . 308. The Hôtel de Sens st ill ex ists in amut ilatedCélestms.

The church of the Célestins was begun in 1 378. Its cloisterthe finest in Paris.

Page 211:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

20 2 VICTOR HUGO

longues galeries à. vitraux et à colonnettes, les trois hôtelsque Charles V avait amalgamés à son palais

,l ’hôtel du

Petit-Muce, avec la balustrade en dentel le qui ourlaitgracieusement son toit ;l

’hôtel de l ’abbé de Saint-Maur,ayant le rel ief d ’un château fort, une grosse tour, desmâchicoulis

,des meurtrières

,des moineaux de fer, et sur

la large porte saxonne l ’écusson de l ’abbé entre les deuxentailles du pont- levis l ’hôtel du comte d’Étampes, dontle donjon , ruiné à son sommet, s’arrondissait aux yeux ,

360 ébréché comme une crête de coq çà et là, trois ou quatrevieux chênes faisant touffe ensemble comme d’énormeschoux-fleurs, des ébats de cygnes dans les c laires eauxdes viviers

,toutes plissées d ’ombre et de lumière ;force

cours dont on voyait des bouts pitt oresques ;l’hôtel desLions avec ses ogives basses sur de courts piliers saxon5 ,ses herses de fer et son rugissement perpétuel ;tout àtravers cet ensemble la fl èche écai l lée de l ’Ave—Mariaà gauche

,le logis du prévôt de Paris, flanqué de quat re

tourel les finement évidées ;au milieu, au fond , l’hôtel

370 Saint—Pol proprement dit, avec ses façades multipl iées, sesenrichissements successifs depuis Charles V, les ex croissauces hybrides dont la fantaisie des architectes l ’avaitchargé depuis deux siècles, avec toutes les absides de seschapelles, tous les pignons de ses galeries, mille girouettesaux quatre vents, et ses deux hautes tours configuës dontle toit conique

,entouré de créneaux à sa base, avai t l

’airde ces chapeaux pointus dont le bord est relevé.En continuant de monter les étages de cet amph i

théâtre de palais développé au loin sur le sol , après avoir380 franchi un ravin profond creusé dans les toits de la Vi lle

,

lequel marquait le passage de la rue Saint—Antoine,l'œ i l

arrivait au logis d ’

Angoulême, vaste construction deplusieurs époques, où il y avait des parties toutes neuveset très blanches, qui ne se fondaient guère mieux dansl’ensemble qu’une pièce rouge à un pourpoint bleu .

Cependant le toit singul ièrement aigu et élevé du pal ais

353. OrPute-

y-Muce.

382. The Hô tel d’A ulêmewas b uil t byof Henri I I, and therefore di not ex ist in 1482 .

Page 212:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

PAR IS IN 1482 203

moderne, hérissé de gouttières cisel ées, couvert de lamesde plomb où se roulaient en mi l le arabesques fantasquesd

étince lante5 incrustat ions de cuivre doré, ce toit sicurieusement damasquiné s'élançait avec grâce du milieu 390des brunes ruines de l ’ancien édifice, dont les vieillesgrosses tours, bombées par l

’âge comme des futai l les,s’

affaissant sur el les-mêmes de vétusté et se déchiœnt

du haut en bas,ressemblait à de gros ventres dé

boutonnés. Derrière,s’élevait la forêt d’aiguilles du

palais des Toumel les. Pas de coup d’œi l au monde, nià Chambord, ni à l

A lhamb ra, plus magique, plus aérien ,plus prestigieux que cette futaie de flèches, de clochetons,de cheminées

,de girouettes

,de spirales, de vis, de

lanternes trouées par le jour qui semblaient frappées à 400l’

emporte—pièce, de pavillons, de tourelles en fuseaux, ou,

comme on disait alors,de tournelles, toutes diverses de

formes,de hauteur et d’attitude. On eût dit un gigan

tesque échiquier de pierre.

A droite des Tournelles, cette botte d’énormes toursd’un noir d ’encre

,entrant les unes dans les autres

,et

ficelées pour ainsi dire par un fossé c irculaire , ce donjonbeaucoup plus percé de meurtrières que de fenêtres

,ce

pont- levis toujours dressé, cette herse toujours tombée,c’est la Basti l le. Ces espèces de becs noirs qui sortent 41 0d ’entre les créneaux , et que vous prenez de loin pour desgouttières

,ce sont des canons

Sous leur boulet, au pied du formidable édifice, voicila porte Saint-Antoine, enfouie entre ses deux toursAu delà des Tournelles, jusqu’à la murai l le de

Charles V, se déroulait, avec de riches compartimentsde verdure et de fleurs

,un tapis velouté de cultures et

de parcs royaux, au mil ieu desquels on reconnaissait

,à son labyrinthe d ’arbres et d ’allées

,le fameux

jard in D édalus que Louis X I avait donné à Coictier. 420

l. 396. Built the Duke of Bedford . Charles VII made it the

principal royal resi ence in lace of the Hôtel de Saint-Pol .410 . Begun 1 3 0 au used as a state prison from141 8.

l. 420 . acques ictier was physician to Louis XI, over whomhehad great in uence.

Page 213:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

204 VICTOR HUGO

L’observatoire du docteur s’élevait au-dessus du dédalecomme une grosse colonne isolée ayant une maisonnettepour chapiteau. I l s’est fait dans cette offic ine deterribles ætrologies.

Là est aujourd ’hui la place Royale.Comme nous venons de le dire

,le quartier de pala is

dont nous avons tâché de donner quelque idée au lec teu r,en n

indiquant néanmoins que les sommités, empl issaitl ’angle que l ’enceinte de Charles V faisait avec la Seine

430 à l'orient. Le centre de la Ville était occupé par unmonceau de maisons à peuple. C'était là en effet quese dégorgeaient les trois ponts de la Cité sur la rivedroite

,et les ponts font des maisons avant des palais.

Cet amas d ’habitations bourgeoises,pressées comme les

alvéoles dans la ruche, avait sa beauté. I l en est destoits d'une capitale comme des vagues d’une mer

,cela

est grand . D ’abord les rues croisées et broui l l ées,

faisaient dans le bloc cent figures amusantes. Autourdes halles

,c’était comme une étoile à mille raies. Les

440 rues Saint—Denis et Saint-Martin, avec leurs innomb rables ramifications

,montaient l ’une auprès de l’autre

comme deux gros arbres qui mêlent leurs branches . Etpuis, des l ignes tortues, les rues de la Plâtrerie, de laVerrerie, de la Tix eranderie, etc serpentaient sur letout. I l y avait aussi de beaux édifices qui perçaientl’

ondulation pétrifiée de cette mer de pignons. C’était, àla tête du pont aux Changeurs

,derrière lequel on voyait

mousser la Seine sous les roues du pont aux Meuniers,

c’était le Châtelet,non plus tour romaine comme sous

450 Jul ien l ’Apostat , mais tour féodale du treizième sièc le, etd ’une pierre si dure, que le pic en trois heures n’enlevait pas l ’épaisseur du poing. C ’était le riche clochercarré de Saint-Jacques-de- la- Boucherie

,avec ses angles

tout émoussés de sculptures,déjà admirable

,quoiqu ’i l ne

fût pas achevé au quinzième siècle. I l lui manquai t enparticul ier ces quatre monstres qui

,aujourd ’hui encore

,

425 . Now called the Place des Vosges;Victor Hugo went to livethere in Cp. R. M . p. 20 2 .

l. 453. ot begun t ill 1 508 .

Page 215:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

206 V1CTOR HUGO

maisons, le troisième élément de l ’aspect qu’

offrait l aVille

, c’était une longue zone d’

ab b ayes qui la b ordai tdans pre ue tout son pourtour

,du levant au couchant,

et, en arri re de l ’enceinte de fortifications qui fermai tParis, lui faisait une seconde enceinte intérieure de

490 couvents et de chapelles. Ainsi,immédiatement à côté

du parc des Tournelles , entre la rue Saint-Antoine et l avieille rue du Temple

,i l y avait Sainte- Catherine avec

son immense culture, qui n’était bornée que par l a

murail le de Paris. Entre la v iei l le et la nouvel le rue

du Temple , i l y avait le Temple, sinistre faisceau detours

,haut, debout et isolé au milieu d’un vaste enc los

crénelé. Entre la rue Neuve—du-Temple et la rue SaintMartin, c

’était l ’abbaye de Saint-Martin , au mil ieu deses jardins, superbe égl ise fortifiée, dont la ceinture de

500 tours, dont la tiare de c lochers,ne le cédaient en forc e

et en Splendeur qu’à Saint—Germain -des- Prés. Entre lesdeux rues Saint-Martin et Saint—Denis , se développaitl’enclos de la Trinité. Enfin, entre la rue Saint-Den iset la rue Montorgueil , les Filles-Dieu . A côté, on d istinguait les toits pourris et l

’enceinte dépavée de la Courdes Miracles. C’était le seul anneau profane qui se mêlâtà cette dévote chaîne de couvents.Enfin , le quatrième compartiment qui se dessinait de

lui-même dans l’agglomération des toits de la rive droite,5 1 0 et qui occupait l

’angle occidental de la clôture et le bordde l’eau en aval , c

’était un nouveau nœud de palais etd ’

hôtels serrés aux pieds du Louvre. Le vieux Louvrede Phil ippe-Auguste, cet édifice démesuré dont la grossetour ral l iait vingt—trois maîtresses tours autour d’elle, sanscompter les tourelles

,semblait de loin enchâssé dans

les combles gothiques de l’hôtel d’

A lençon et du Petit

l . 492 . Sainte Catbefine-du-Val -dœ-ÉœüemFoundedm1 060 .

l . A foundation ofSt Louis.

I. A sanctuary for criminals, like Alsatia in London it isin liv. IV.

B n in 1 204.

l . 5 16. Ca led after Pierre, Comte d ’

Al ençon, fifth son of Louis IX ;was demolishedm1 728.

Page 216:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

PARIS IN 1482 207

Bourbon. Cette hydre de tours,gardienne géante de

Paris, avec ses vingt—quatre têtes toujours dressées,

avec ses croupes monstrueuses,plombées ou écaillées

d’

ardoises, et toutes ruisselantes de reflets métal l iques, 520

terminait d’une manière surprenante la configuration dela Ville au couchant.Ainsi , un immense pâté, ce que les Romains ap

pelaient insula, de maisons bourgeoises, flanqué à droiteet à gauche de deux blocs de palais, couronnés, l

’un parle Louvre, l’autre par les Tournelles, bordé au nordd'une longue ceinture d’

ab b ayes et d’

enc los cultivés, letout amalgamé et fondu au regard sur ces mille édificesdont les toits de tuiles et d ’

ardoises découpaient les unssur les autres tant de chaînes bizarres

,les c lochers 530

tatoués, gaufrés et guil lochés des quarante—quatre églisesde la rive droite ;des myriades de rues au travers ;pourl imite, d

’un côté, une clôture de hautes murailles à tourscarrées (celle de l

Université était à tours rondes) del ’autre, la Seine coupée de ponts et charriant forcebateaux ;voilà la Ville au quinzième siècle.

HONORE D E BALZAC

LE REQUIS ITIONNA 1RE*

Par un soir du mois de novembre 1793, les principauxpersonnages de Carentan se trouvaient dans le salon demadame de Dey

,chez laquelle l 'assemb le‘e se tenait tous

les jours. Quelques c irconstances qui n ’

eussent pointattiré l'attention d’une grande ville, mais qui devaientfortement en préoccuper une petite, prêtaient à ce rendez

Between the “Vieux Louvre ”and Saint -Germain l ’Aux errois,

iate south of the Hôtel d'Alençon. It was rebuilt cire. 1 390 ,œnfisœted by Francis 1 after the treason of the Constable de Bourbon,and demolished in 1660 . It was in one of its apartments that Molière andhis company performed fromNov. 2, 1658, till 1ts demolition.

Le Rl çm… re was first published in 1831 .

Page 217:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

208 HONORE DE BALZAC

vous habituel un intérêt inaccoutumé. La surveil le,madame de Dey avait fermé sa porte à sa société

,qu’el le

s’était encore dispensée de recevoir la veil le,en prétextant

10 d ’une indisposition. En temps ordinaire,ces deux évé

nements eussent fait à Carentan le même effet queproduit à Paris un relâche à tous les théâtres. Ces jourslà , l ’existence est en quel ue sorte incomplète. Mais ,en 1793, la conduite de ma ame de Dey pouvait avoir lesplus funestes résultats. La moindre démarche hasardéedevenait alors presque toujours pour les nobles une

question de vie ou de mort. Pour bien comprendre lacuriosité vive et les étroites finesses qui animèren tpendant cette so irée les physionomies normandes de

20 tous ces personnages, mais surtout pour partager lesperplexités secrètes de madame de Dey, i l est nécessaired ’expliquer le rôle qu ’elle jouait à Carentan . La positioncritique dans laquelle el le se trouvait en ce momentayant été sans doute celle de bien des gens pendant laRévolution, les sympathies de plus d

’un lecteur achèveront de colorer ce récit.Madame de Dey, veuve d ’un l ieutenant-général

,

chevalier des ordres, avait quitté la cour au commencement de l ’émigration. Possédant des biens considérables

30 aux environs de Carentan, elle s’y était réfugiée, enespérant que l’influence de la terreur s’y ferait peu sentir.Ce calcul, fondé sur une connaissance exacte du pays,était juste. La Révolution exerça peu de ravages enBasse-Normandie. Quoique madame de Dey ne vit

jadis que les famil les nobles du pays quand el le y venaitvisiter ses propriétés, elle avait, par pol itique, ouvert samaison aux principaux bourgeois de la vil le et auxnouvelles autorités, en s

efforçant de les rendre fiers desa conquête

,sans 1‘éveil ler chez eux ni haine ni jalousie.

4°Grac ieuse et bonne, douée de cette inexprimable douceurqui sait plaire sans recourir à l'abaissement ou à la prière

,

elle avait réussi à se concilier l ’estime générale par untact exquis dont les sages avertissements lui permettaien tde se tenir sur la l igne délicate oùelle pouvait satisfai reaux exigences de cette société mêlée

,sans humil ier l e

Page 219:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

2 10 HONORE DE BALZAC

Elle était malheureuse loin de lui , inquiète pendan t sesabsences, ne le voyait jamais assez, ne vivait que par lu iet pour lui. Afin de faire comprendre aux hommes laforce de ce sentiment, i l suffi ra d ’ajouter que ce fi ls éta itnon—seulement l ’unique enfant de madame de Dey, mais

90 son dernier parent, le seul être auquel elle pût rattacherles craintes, les espérances et les joies de sa vie. Le feucomte de Dey fut le dernier rejeton de sa famil le, commeelle se trouva seule héritière de la sienne. Les calcu lset les intérêt s humains s’étaient donc accordés avec lesplus nobles besoins de l ’âme pour exalter dans le cœurde la comtesse un sentiment déjà si fort chez les femmes.Elle n’avait élevé son fi ls qu’avec des peines infinies, quile lui avaient rendu plus cher encore ; vingt fois lesmédecins lu i en présagèrent la perte ;mais, confiante en

100 ses pressentiments,en ses espérances

,elle eut la joie in

exprimable de lui voir heureusement traverser les péri lsde l ’enfance, d ’admirer les rogrès de sa constitution, endépit des arrêts de la Fac té.

Grâce à des soins constants,ce fi ls avait grandi et

s’était si gracieusement développé,qu’à vingt ans

, il

it pour un des cavaliers les plus accomplis deVersailles. Enfin, par un bonheur qui ne couronne pasles efl

'

orts de toutes les mères, elle était adorée de son

fi ls;leurs âmes s’entendaient par de fratemel les sympa1 1 0 thies. S ’i ls n ’

eussent pas été l iés déjà par le vœu de lanature, i ls auraient instinctivement éprouvé l’un pourl’autre cette amitié d ’homme à homme

,si rare à ren

contrer dans la vie. Nommé sous- l ieutenant de dragonsà dix-huit ans, le jeune comte avait obéi au pointd’honneur de l ’époque en suivant les princes dans leu rémigration.

Ainsi madame de Dey , noble, riche, et mère d’unémigré, ne se dissimulait int les dangers de sa cruel lesituation. Ne formant ’autre vœu que celui de con

1 20 server à son fils une grande fortune,elle avait renoncé

au bonheur de l ’accompagner ;mais en lisant les loisrigoureuses en vertu desquelles la Répub li ue confisquaitchaque jour les biens des émigrés à Carentan

,elle

Page 220:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE RÉQUISITIONNAIRE 2 1 1

s’

applaudissait de cet acte de courage. Ne gardait-ellepas les trésors de son fi ls au péri l de ses jours ? Puis,en apprenant les terribles exécutions ordonnées par laConvention, elle s

endormait heureuse de savoir sa seulerichesse en sûreté, loin des dangers, loin des échafauds.Elle se complaisait à croire qu’elle avait pris le meilleur

parti pour sauver à la fois toutes ses fortunes. Faisantcette secrète pensée les concessions voulues par le

malheur des temps, sans compromettre ni sa dignitéde femme ni ses croyances aristocratiques, elle en

veloppait ses douleurs dans un froid mystère. Elleavait compris les difficultés qui l ’att endaient à Carentan.

Venir y occuper la première place,n

était—ce pas y défierl’

échafaud tous les jours ? Mais,soutenue par un

courage de mère, elle sut conquérir l’affection despauvres en soulageant indifféremment toute les misères

,

et se rendit nécessaire aux riches en veil lant à leursplaisirs. Elle recevait le procureur de la commune

,

le maire, le président du district, l'accusateur public

,et

même les juges du tribunal révolutionnaire. Les quatrepremiers de ces personnages

,n'étant pas mariés

,la

courtisaient dans l’espoir de l ’épouser, soit en l’

effrayant

qu’ ils pouvaient lui faire,soit en lui offrant

ion. L’

accusateur publ ic, ancien procureur àCaen , jadis chargé des intérêts de la comtesse

,tentait

de lui inspirer de l ’amour par une conduite pleine dedévouement et de générosité ; finesse dangereuse ! I létait le plus redoutable de tous les prétendants. Luiseul connaissait à fond l’état de la fortune considérablede son anc ienne cliente. Sa passion devait s’accroîtrede tous les désirs d ’une avarice qui s’appuyait sur unuvoir immense, sur le droit de vie et de mort danse district. Cet homme, encore jeune, mettait tant denoblesse dans ses procédés

,que madame de Dey n’avait

pas encore pu le juger. Mais, méprisant le danger qu’i ly avait à lutter d’adresse avec des Normands, elle employait l’esprit inventif et la ruse que la nature a départisaux femmes pour opposer ces rival ités les unes auxautres. En gagnant du temps, elle espérait arriver saine

14— 2

Page 221:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

2 1 2 HONORE DE BALZAC

et sauve à lafin des troub les. A cet te époque, les royalistesde l’ intérieur se flattaient tous les jours de voir la Révolution terminée le lendemain ;et cette conviction a étéla perte de beaucoup d’entre eux.

Malgré ces obstacles,la comtesse avait assez hab ile

ment maintenu son indépendance jusqu ’au jour où, parune inexplicable imprudence

,elle s

’était avisée de fermer1 70 3a porte. Elle inspirait un intérêt si profond et s ivéritable, que les personnes venues ce soir—là chez e l leconçurent de vives inquiétudes en apprenant qu

’ il lu idevenait impossib le de les recevoir ; puis, avec cet tefranchise de curiosité empreinte dans lesmœurs provinciales, elles s

enquirent du malheur, du chagrin,de

la maladie qui devait affliger madame de Dey. A cesquestions une vieille femme de charge, nommée Brig itte,répondait que sa maîtresse s’était enfermée et ne voulaitvoir personne, pas même les gens de sa maison.

1 80 L’ex istence, en quelque sorte claust rale, que mè nentles habitants d’une petite vil le crée en eux une hab ituded’analyser et d ’expl iquer les actions d’autrui si naturellement invinc ible qu ’après avoir plaint madame de D ey,

sans savoir si elle était réellement heureuse ou chagri ne,chacun se mit à rechercher les causes de sa soudaineretraite.

Si el le était malade ,dit le premier curieux , elle

aurait envoyé chez le médecin mais le docteur est rest épendant toute la journée chezmoi à jouer aux échecs .

190 I l me disait en riant que, par le temps qui court, il n ’ya qu ’une maladie . . et qu’elle est mal heureusementincurable.Cette plaisanterie fut prudemment hasardée. Femmes

,

hommes, vieil lards et jeunes fi l les se mirent alors à parcourir le vaste champ des conjectures. Chacun c rutentrevoir un secret, et ce secret occupa toutes les imagination3. Le lendemain les soupçons s

envenimèrentComme la vie est à jour dans une pet ite vi lle, les femmesappriren t les premières que Brigitte avait fait au marché

000 des provisions plus considérables qu’à l’ordinaire. Cefait ne pouvait êt re contesté. L

’on avait vu Brigitte de

Page 223:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

2 14 HONORE DE BALZAC

Les amis sincères de la comtesse s’

alarmèrent tellement pour elle que

,dans la matinée du troisième jour

,le

procureur—syndic de la commune lui fit écrire par safemme ‘un mot pour l ’engager à recevoir pendant l asoirée comme à l ’ordinaire. Plus hardi, le vieux négocian tse présenta dans la matinée chez madame de Dey. Fortdu service qu’ i l voulait lui rendre, il ‘ ex igea d

’être introduit auprès d ’elle, et resta stupéfait en l

apercevan t

dans le jardin, occupée à couper les dernières fleurs de1 50 ses plates-bandes pour en garnir des vases.

Elle a sans doute donné asile à son amant, se d itle vieil lard pris de pitié pour cette charmante femme.

La singul ière expression du visage de la Comtesse l econfirma dans ses soupçons. Vivement ému de ce

dévouement si naturel aux femmes,mais qui nous

touche toujours, parce que tous les hommes sont flattéspar les sacrifices qu ’une d’elles fait à un homme, l enégociant instru isit la comtesse des bruits qui couraien tdans la ville et du danger où elle se trouvait. Car

,l u i

260 dit—il en terminant, si, parmi nos fonctionnaires, i l en estquelques- uns assez disposés à vous pardonner un héroïsmequi aurait un prêtre pour objet, personne ne vous plaindrasi l ’on v ient à découvrir que vous vous immolez à desintérêts de Cœur.A ces mots , madame de Dey regarda le vieil lard

avec un air d’

égarement et de folie qui le fit frissonner,

lui , v ieil lard.

Venez,lui dit—e l le en le prenant par la main pour

le conduire dans sa chambre,où , après s

’être assurée270 qu’i ls étaient seuls, el le tira de son sein une lettre sale et

chiffonnée z Lisez,s’

écria- t - elle en faisant un violenteffort pour prononcer ce mot.Elle tomba dans son fauteuil, comme anéantie.

Pendant que le vieux négociant cherchait ses lunetteset les nettoyait, elle leva les yeux sur lui, le contemplapour la première fois avec curiosité ;puis, d

’une voixaltérée : Je me fie à vous

,lu i dit—elle doucement.

Est- ce que je ne viens pas partager votre crime ?répondit le bonhomme avec simpl icité.

Page 224:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE REQUISITIONNA1RE 2 1 5

Elle tressail l it. Pour la première fois, dans cette 280

petite ville, son âme sympathisait avec celle d’un autre.

Le vieux négociant comprit tout à coup et l ’abattementet la joie de la comtesse. Son fi ls avait fait partie del’expédition de Granville

,i l écrivait à sa mère du fond

de sa prison, en lui donnant un triste et doux espoir.Ne doutant pas de ses moyens d'évasion

,i l lu i indiquait

trois jours pendant lesquels il devait se présenter chezelle, déguisé. La fatale lettre contenait de déchirantsadieux au cas où il ne serait pas à Carentan dans lasoirée du troisième jour

,et i l priait sa mère de remettre 290

une assez forte somme à l ’émissaire qui s’était chargé delui apporter cette dépêche, à travers mille dangers. Lepapier tremblait dans les mains du vieillard.

Et voic i le troisième jour, s

écria madame de Deyqui se leva rapidement, reprit la lettre, et marcha.

Vous avez commis des impmdences, lui dit lenégoc iant. Pourquoi faire prendre des provisions ?

Mais il peut arriver,mourant de faim

,exténué de

fatigue, Elle n’acheva pas.

Je suis sûr de mon frère, reprit le vieillard, je vaisal ler le mettre dans vos intérêts.Le négociant retrouva dans cette circonstance la

finesse qu ’il avait mise jadis dans les affaires, et lui dictades conseils empreints de prudence et de sagac ité. Aprèsêtre convenus de tout ce qu’ils devaient dire et faire l ’unou l ’autre, le vieillard alla, sous des prétextes habilementtrouvés, dans les principales maisons de Carentan, oùil annonça que madame de Dey qu ’ i l venait de voir,recevrait dans la soirée

,malgré son indisposition.

Luttant de finesse avec les intell igences normandes dans 31 0l’

interrogatoire que chaque famil le lui imposa sur lanature de la maladie de la comtesse

,i l réussit à donner

le change à presque toutes les personnes qui s’occupaientde cette mystérieuse affaire. Sa première visite fit merveil le. I l raconta devant une vieille dame goutteuseque madame de Dey avait manqué périr d ’une attaquede goutte à l ’estomac ; le fameux Tronchin lui ayantrecommandé jadis, en pareille occurrence, de se mettre

Page 225:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

2 16 HONORE DE BALZAC

sur la poitrine la peau d ’un lièvre écorché vif, et de320 rester au lit sans se permettre le moindre mouvement,la comtesse, en danger de mort il y a deux jours, se

trouvait, après avoir suivi ponctuellement la bizarreordonnance de Tronchin, assez bien rétabl ie pou rrecevoir ceux qui viendraient la voir pendant la soirée.

Ce conte eut un succès prod igieux, et le médecin deCarentan

,royaliste in pettc , en augmenta l

’effet par l ’importance avec laquelle il discuta le spécifique. Néanmoinsles soupçons avaient trop fortement pris rac ine dan sl'esprit de quelques entêtés ou de quelques philosophes

330 pour êt re entièrement dissipés ; en sorte que, le soi r,ceux qui étaient admis chez madame de Dey vinrentavec empressement et de bonne heure chez elle

,les uns

pour épier sa contenance,les autres par amitié

,la plupart

saisis par le merveilleux de sa guérison. I ls trouvèrentla comtesse assise au coin de la grande cheminée de son

salon, à peu près aussi modeste que l’étaient ceux deCarentan ;car, pour ne pas blesser les étroites penséesde ses hôtes , elle s

'était refusée aux jouissances de luxeauxquelles elle était jadis habituée, elle n’avait donc rien

34°changé chez elle. Le carreau de la salle de réceptionn’était même pas frotté. Elle laissait sur les murs devie il les tapisseries sombres, conservait les meubles dupays, bril lait de la chandel le, et suivait les modes de lavi lle, en épousant la vie provinciale sans reculer ni devan tles petitesses les plus dures, ni devant les privations lesplus désagréables. Mais sachant que ses hôtes lui pardonneraient lesmagnificence5 qui auraient leur bien—êtrepour but, elle ne négligæit rien quand il s

’agissait deleur procurer des jouissances personnelles. Aussi leu r

350 donnait—el le d ’excellents dîners. Elle al lait jusqu’àfeindre de l ’avarice pour plaire à ces esprits cal culateurs ;et, après avoir eu l

’art de se faire arracher certaines con

cessions de luxe, elle savait obéir avec grâce. Donc, verssept heures du soir

,la meil leure mauvaise compagnie

de Carentan se trouvait chez elle, et décrivait un grandcercle devant la cheminée. La maîtresse du logis

,

soutenue dans son malheur par les regards compatissant s

Page 227:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

HONORE DE BALZAC

des moindres détails ;et ses espérances se trahissaientdans les soins délicats qu i paraissaient avoir été pri sdans cette chambre où se respiraient et la gracieuse

400 douceur de l ’amour et ses plus chastes caresses dans lesparfums exhalés par les fleurs . Une mère seule pouvai tavoir prévu les désirs d ’un soldat et lui préparer de s icomplètes satisfactions. Un repas exquis

,des vins

choisis, la chaussure, le l inge, enfin tout ce qui devaitêtre nécessaire ou agréable à un voyageur fatigué, se

trouvait rassemblé pour que rien ne lui manquât, u rque les dél ices du chez—soi lui révélassent l ’amour ’unemère

Brigitt e ? dit la comtesse d’un son de voix dé41 0 chirant en allant placer un siégé devant la table, commepour donner de la réal ité à ses vœux

,comme pour

augmenter la force de ses illusions.Ah !madame

,i l viendra. I l n’est pas loin. Je

ne doute pas qu ’ i l ne vive et u’ i l ne soit en marche ,reprit Brigitte. J ’ai mis une c le dans la Bible, et je l

ai

tenue sur mes doigts pendant que Cottin l isait l ’Evangil ede Saint et, madame !la clef n’

a pas tournéEst- ce bien sûr ? demanda la comtesse.Oh !madame, c ’est connu. Je gagerais mon salut

420 qu’ i l vit encore. Dieu ne peut pas se tromper.Malgré le danger qui l ’attend ici

,je voudrais bien

cependant l’y voir.Pauvre monsieur Auguste, s’écria Brigitte, il est

sans doute à pied , par les chemins.Et voilà huit heures qui sonnent au c locher, s

écria

la comtesse avec terreur.Elle eut peur d ’être restée plus longtemps qu’el le ne

le devait,dans cette chambre où elle croyait à la vie de

son fi ls,en voyant tout ce qui lui en attestait la vie

,

430 elle descendit ;mais avant d ’entrer au salon, elle restapendant un moment sous le péristyle de l ’escal ier

,en

écoutant si quelque bruit ne réveil lait pas les silencieuxéchos de la vi l le. Elle sourit au mari de Brigitte, qui setenait en sentinel le

,et dont les yeux semblaient héb étés

à force de prêter attention aux murmures de la place et

Page 228:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE RÉQUISITIONNAIRE 2 19

de la nuit. Elle voyait sons fi ls en tout et partout. Ellerentra bientôt

,en affectant un air gai, et se mit à jouer

au loto avec des petites fi l les ;mais, de temps en temps,elle se plaignit de souffrir

,et revint occuper son fauteui l

auprès de la cheminée .

Telle était la situation des choses et des esprits dansla maison de madame de Dey

,pendant que, sur le

chemin de Paris à Cherbourg,un jeune homme vêtu

d’une carmagnole brune,costume de rigueur à cette

époque, se dirigeait vers Carentan. A l ’origine desréquisitions

,i l y avait peu ou point de discipl ine. Les

exigences du moment ne permettaient guère à la République d ’équiper sur- le- champ ses soldats

,et i l n’était

pas rare de voir les chemins couverts de réquisitionnairesqui conservaient leurs habits bourgeois. Ces jeunes gens 450devançaient leurs batail lons aux lieux d’étape

,ou restaient

en arrière,car leur marche était soumise à leur manière

de supporter les fatigues d’une longue route. Levoyageur dont il est ici question se trouvait assez enavant de la colonne de réquisitionnaires qui se rendait àCherb ourg, et que le maire de Carentan attendait d

’heureen heure, afin de leur distribuer des billets de logement.Ce jeune homme marchait d ’un pas alourdi, mais fermeencore, et son al lure semblait annoncer qu’il s’étaitfamil iarisé depuis longtemps avec les rudesses de la vie 460militaire. Quoique la lune éclairât les herbages quiavoisinent Carentan

,i l avait remarqué de gros nuages

blancs prêts à jeter de la neige sur la campagne ;et lacrainte d’être surpris par un ouragan animait sans doutesa démarche

,alors plus vive que ne le comportait sa

lassitude. I l avait sur le dos un sac presque vide, ettenait à la main une canne de buis, coupée dans leshautes et larges haies que cet arbuste forme autour de laplupart des héritages en Basse—Normandie. Ce voyageursolitaire entra dans Carentan

,dont les tours

,bordées de 47°

lueurs fantastiques par la lune,lu i apparaissaient depuis

un moment. Son pas réveilla les échos des rues silencieuses, où i l ne rencontra personne ;i l fut obl igé de demander la maison du maire à un tisserand qui travail lait

Page 229:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

220 HONORE DE BALZAC

encore. Ce magistrat demeurait à une faible distance,et le réquisitionnaire se vit bientôt à l

’abri sous le porchede la maison du maire, et s

’y assit sur un b anc de pierre,en attendant le billet de logement qu

’ i l avait réc lamé.Mais mandé par ce fonctionnaire, i l comparut devant

480 lui, et devint l ’objet d’

un scrupul eux examen . Lefantassin était un jeune homme de bonne mine qu iparaissait appartenir à une fami l le distinguée. Son airtrahissait la noblesse. L’ intell igence due à une bonn eéducation respirait sur sa figure.

Comment te nommes- tu ? lui demanda “le maireen lui jetant un regard plein de finesse.

Ju l ien Jussieu, répondit le réquisitionnaire.

Et tu viens ? dit le magistrat en laissant échapperun sourire d’

incrédulité.

490 De Paris.Tes camarades doiven t êt re loin, reprit le Normand

d ’un ton rai l leur.J ’ai trois l ieues d ’avance sur le b atai llon.

Quelque sentiment t ’attire sans doute à Carentan ,

ci toyen réquisitionnaire ? dit le maire d’un air fin. C ’

estb ien, ajouta—t il en imposant silence par un geste de mainau jeune homme prêt à parler, nous savons oùt’envoyer.Tiens, ajouta- t - il en lui remettant son billet de logement

,

Une teinte d’

ironie se fit sentir dans l ’accent aveclequel le magistrat prononça ces deux derniers mots, entendant un billet sur lequel la demeure de madame deDey était indiquée. Le jeune homme lut l ’adresse avecun air de curiosité.

I l sait bien qu il n’a pas loin à al ler. Et quand i lsera dehors, i l aura bientôt traversé la place !s’écria l emaire en se parlant à lu i-même pendant que le jeunehomme sortait. I l est jol iment hardi ! Que Dieu leconduise ! I l a réponse à tout. Oui

,mais si un autre

5 1 0 que moi lui avait demandé à voir ses papiers , i l étaitperdu !En ce moment, les horloges de Carentan avaien t

sonné neuf heures et demie ;les fal lots s'al lumaient dan s

Page 231:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

222 HONORE DE BALZAC

Je démontrerai, poursuivit- il d’une voix douce

,la

fausseté de la dénonciation par d’

ex actes perquisitions,

et vous serez, par la nature de mon rapport, à l ’abri detous soupçons ultérieurs. Je parlerai de vos dons patriotiques , de votre c ivisme, et nous serons tous sauvés.Madame de Dey craignait un piége, elle restai t

immobile, mais son visage était en feu et sa langue560 glacée. Un coup de marteau retentit dans la maison .

Ah cria la mère épouvantée,en tombant à genoux .

Le sauver, le sauver !Oui, sauvons- le !reprit l

accusateur public, en lu i

}ançant un regard de passion, dût—il nous en coûterame.

Je suis perdue, s’

écria- t - elle pendant que l 'accusateur la relevait avec pol itesse.

Eh !madame, répondit- il par un beau mouvemen toratoire, je ne veux vous devoir à qu ’à vous

570 même.Madame, le vo1 s

écria Brigitte qui croyait sa

maîtresse seuleA l ’aspect de l ’accusateur public, la v ieil le servante,

de rouge et joyeuse qu’elle était,devint immobile et

b l ème.

Qui est- ce, Brigitte ? demanda le magistrat d ’

un

air doux et intelligent.Un réquisitionnaire que le maire nous envoie à

loger, répondit la servante en montrant le billet.C’est vrai, dit l

accusateur après avoir lu le papier.I l nous arrive un batail lon ce soir !Et i l sortit.La comtesse avait trop besoin de croire en ce

moment à la sincérité de son ancien procureur pourconcevoir le moindre doute ; elle monta rapidementl’escal ier, ayant à peine la force de se soutenir ; pu is ,elle ouvrit la porte de sa chambre, vit son fi ls

,se pré

cipita dans ses bras, mourante : Oh !mon enfant,mon

enfant ! s’

écria- t -elle en sanglotant et le couvrant debaisers empreints d’une sorte de frénésie.

Madame,dit l ’inconnu .

Page 232:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

LE RÉQUISITIONNAIRE 223

Ah ! ce n ’est pas lui,cria—te l le en reculant d ’é

pouvante et restant debout devant le réquisitionnaire

qu’elle contemplait d ’un air hagard .

O saint bon Dieu, quelle ressemblance ! ditBrigitte.

I l y eut un moment de silence, et l'étranger lui-même

tressai ll it à l ’aspect de madame de Dey.

Ah !monsieur, dit-el le en s’appuyant sur le mari

de Brigitte, et sentant alors dans toute son étendue une 600douleur dont la première atteinte avait faill i la tuer ;monsieur, je ne saurais vous voir plus longtemps, souffrezquemes gens me remplacent et s’occupent de vous.Elle descendit chez el le, à demi portée par Brigitte et

son Vieux serviteur.Comment, madame, s

'écria la femme de charge en

asseyant sa maîtresse, cet homme va- t—il coucher dansle l it de monsieur Auguste, mettre les pantoufles demonsieur Auguste, manger le pâté que j

’ai fait pourmonsieur Auguste !quand on devrait me guil lotiner, 61 0

Brigitte ! cria madame de Dey.

Brigitte resta muette.

Tais- toi donc, bavarde, lui dit son mari à voixbasse

,veux- tu tuer madame ?

En ce moment, le réquisitionnaire fit du bruit danssa chambre en se mettant à table

Je ne resterai pas ici, s’

écria madame de Dey,j 1rai dans la serre d

où j’

entendrai mieux ce qui sera au dehors pendant la nuit.Elle flot tait encore entre la crainte d ’avoir perdu son 620

fi ls et l’espérance de le voir reparaître. La nuit futhorriblement silencieuse. I l y eut, pour la comtesse, unmoment affreux

,quand le batail lon des réquisitionnaires

vint en vil le et que chaque homme y chercha son logement. Ce fut des espérances trompées à chaque pas

chaque bruit : puis bientôt la nature reprit un calmeefl

rayant . Vers le matin, la comtesse fut obligée deren trer chez elle. Brigitte, qui suweil lait les mouvementsde sa maîtresse, ne la voyant pas sortir, entra dans lachambre et y trouva la comtesse morte.

Page 233:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

224 HONORE DE BAL2AC

El le aura probablement entendu ce réquisitionnaire qui achève de s’habiller et qui marche dans lachambre de monsieur Auguste en chantant leur damnéeMarseil laire, comme s’i l était dans une écurie, s

écria

Brigitte. !a l’aura tuée !

La mort de la comtesse fut causée par un sentimentplus grave

,et sans doute par quelque vision terrible.

A l’heure précise madame de Dey mourait à Carentan ,son fi ls était fusi l lé dans le Morbihan. Nous pouvons ‘

640 joindre ce fait tragique à toutes les observations sur lessympathies qui méconnaissent les lois dedocuments que rassemblent avec une savante cunos1té

quelques hommes de sol itude,et qui serviront un jour à

asseoir les bases d’une science nouvell e à l aquell e il amanqué jusqu ’à ce jour un homme de génie.

Paris, fl vrier 1 831 .

GEORGE SAND

I . A LOVE LETTER ’

Eh bien !oui, c’est de l’amour, c’est de la fol ie, c’estce que tu voudras, un crime peut—être ! Peut—être que jem'en repentirai et qu’ i l sera trop tard peut—être aurai—jefait deux malheureux au l ieu d’un ;mais i l n’est déjàplus temps : la pentem’

entraîne et me précipite j ’aime,

From/aq ua “j acques est un conseil donné aux maris qui

gênent leurs femmes, de se tuer pour les laisser libres. Ce lièvre—l à n’est

dangereux . Vous écriviez dix foismieux si vous faisiez un romanres. Celui—là est vide et faux d’

un bout à l’autre. Une jeune fi lle naïvequitte, après six mois demariage, un homme supérieur pourun freq uet ,un homme important , passionné, amoureux , ur un dandy, sans aucune

raison physiologique n1morale ”

(Let tre: FË ‘

trangire, Oct. 19,The pas given above is froma letter by the “ dandy” whose name isOctave. acqueais the husband.

Page 235:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

226 GEORGE SAND

I l . THE PLOUGHMAN'

A h aueur de toævisaigeTugg

nerois ta auvre vie,Apr ong tra et

Voicy 1amfl qui te conm.

Le quatrain en vieux français , p lacé au-dessousd ’une composition d’

Hol bein, est d’une tristesse pro

fonde dans sa naïveté La gravure représente un

laboureur conduisant sa charrue au milieu d ’un champ.

Une vaste campagne s’étend au loin, on y voit deuvres cabanes ;le solei l se couche derrière la col l ine.

est la fin d’une rude journée de travai l . Le paysanest vieux, trapu, couvert de hai l lons. L

at telage de

quatre chevaux qu'i l pousse en avant est maigre, ex1 0 ténue; le sec s‘enfonce dans un fonds raboteux et

rebelle. Un seul être est allègre et ingambe dans cettescène de sueur et arciga. C

’est un personnage fantastique, nu squelette armé d

’un fouet, ui court dans l es il lon à côté des chevaux efl

rayés et es frappe, servantainsi de valet de charrue au vieux laboureur. .C’est lamort, ce spectre qu

Hol bein a introduidans la succession .de sujets philoso hà la fois lugubres et bouffons, intitul

Je venais de r arder longtemps et avec une

fonde mélancoliee

%e laboureur d’

Holbein, et je mepromenais dans la campagne, rêvant à la Vie deschamps et à la destinée du cultivateur. Sans doutei l est lugubre de consumer ses forces et ses jours àfendre le sein de cette terre jalouse, qui se fait arracherles trésors de sa fécondité, lorsqu ’un morceau de painle plus noir et le plus grossier est, à la fin de la journée

,

FromLa Mare au D iab le (1846) whichmarks the beginning of a

new phase in George Sand’s artist1c career, that of the rustic tales, or prose

idylls. It had been foreshadowed byj eanne 1 844) and by certain chaptersofLeMeunier d

'Angiôaul t See for this passage M. Arnold, George

Sand, inMix ed Ermyr.

Page 236:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

THE PLW MAN 223

l’

unique récompense et l ’unique profi t attachés à un sidu: r. Ces richesses qui couvrent le 561, cesmoissons, ces fruit s, ces bestiaux orguei l leux qui s’engœissent 30dans les longuesherbes, sont la propriete de quelques -upset les instruments de la fatigue et de l’esclavage du plusgrand nombre. L

’homme de loisir n ’aime en généralpour eux -mêmes ni les champs, ni les prairies, ni lespectacle de la nature, ni les animaux superbes quidoivent se convertir en pièces d

'or pour son usage.

L'homme de loisir vient chercher un peu d’air et desant é dans le séjour de la campagne, puis i l retournedépenserdans les grandes vil les le fruit du travail de ses

4

De son côté, l’

homme du travail est trop accablé,tmpmalheureux , et trop effrayé de l

’avenir, pour joui rde la beauté des campagnes et des charmes de la vierustique. Pour lui aussi les champs dorés, les bellesprairies, les animaux superbes, représentent des sacsd’

ecus dont i l n ’

aura qu’une faib le part, insuffisante à

ses besoins, et que, pourtant, i l faut remplir, chaqueannée, ces sacs maudits, pour satisfaire le maître etpayer le droit de vivre parcimoniœsement etmisérablenrent surson domaine.

Et pourtant, la nature est éternellement jeune, bel leet généreuse. Elle verse la poésie et la beauté à tousles êtres, à toutes l es plantes , qu’on laisse s

y dévelo perà souhait . Elle possède le secret du bonheur, et nu n

’asu le lui ravir. Le plus heureux des hommes serait celuiqui, possédant lascience de son lab eur, et travail lant deses mains, puisant le b ien—ê tre et la l iberté dans 1

ex ercicede sa force intell igente, aurait le temps de vivre par lecœur et par le cerveau, de comprendre son œuvre etd

’aimer cel le de Dieu. L’

artiste ades p uissances de ce 60genre, dans la contempl ation et la reproduction desbeautés de la nature ;mais, en voyant la douleur deshommes quipeuplent ce paradis de la terre, l ’artiste aucœur droit et humain est t roublé aumi lieu de sasance. Le bonheur serait là où l

eses

üp: it , le cœur

bm. travai llent de concert sous .

lœ d: la Pr9v.i5— 2

Page 237:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

228 GEORGE SAND

une sainte harmonie existerait entre lamunificence deDieu et les ravissements de l ’âme humaine. C’est alorsqu’au lieu de la piteuse et afi'

reuse mort, marchant dans70 son sillon, le fouet à la main, le peintre d’

al légorîes

pourrait placer à ses côtés un ange radieux,semant à

pleines mains le blé béni sur le sil lon fumantEt le rêve d ’une existence douce

,l ibre

,poétique

,

laborieuse et simple pour l ’homme des champs, n

est

pas si diffic i le à concevoir qu’on doive le reléguer parmiles chimères. Le mot triste et doux de Virgile : “ Oheureux l’homme des champs

,s’i l connaissait son b on

heur est un regret ;mais, comme tous les regrets, c’estaussi une prédiction. Un jour viendra où le laboureur

8°pourra être aussi un artiste, sinon pour exprimer (ce quiimportera assez peu alors) , du moins pour sentir le beau.

Croit—on que cette mystérieuse intu it ion de la poésie nesoit pas en lui déjà à l'état d’

instinct et de vague rêverie ?Chez ceux qu’un peu d’

aisance protège dès aujourd ’hui ,et chez qui l ’excès du malheur n’

étoufi'

e pas tout développement moral et intellectuel , le bonheur pur, sentiet apprécié est à l ’état élémentaire ;et, d

’ailleurs, si dusein de la douleur et de la fatigue, des voix de poetes sesont déjà élevées

,pourquoi dirait—on que le travai l des

90 bras est exclusif des fonctions de l ’âme ? Sans doutecette exclusion est le résultat général d’

un travail excessif et d ’une misère profonde ;mais qu’on ne dise pasque quand l ’homme travail lera modérément et uti lementi l n ’y aura plus que de mauvais ouvriers et de mauvaispoè tes Celui qui puise de nobles jouissances dans lesentiment de la poésie est un vrai poè te, n

eût - il pas faitun vers dans toute sa vie.

Mes pensées avaient pris ce cours, et je ne m ’apercevais pas que cette confiance dans l ’éducab ilité de

1 00 l ’homme était fortifiée en moi par les influences extérieures. j e marchais sur la l isière d

’un champ quedes paysans étaient en train de préparer pour la semail lerochaine. L

arène était vaste comme celle du tableaud

Holb ein . Le paysage était vaste aussi et encadrait deg randes l ignes de verdure, un peu rougie aux approches

Page 239:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

ago GEOfiG‘

E SAND

véritablement un beau spectacl e, un nob le sujet pourl ’aut re ex trémit é de la plaine…ab l è ,

uiSait un attelagegnifiquè : quatre paires de jeunes animaux à robe

somb remêléeq de noir fauve à reflet s de feu“

, avec ces

1 50 têtes courtes et frisées qui sentent encore le taureauSauvage, ces gros yeux fat oud 1es, ces

brusques, ce travai l nerveux et saccadé qui s’

irrit e

encore dujoug et de l’

aiguil ldn et n’

ob éit qn’

ën frémissant de colère à la dominat ion n…l

lemä t imposée.

C ’

est Ce qu’on appelle des bœufs fl air… M .

L’homme qui les gouvernait avait à défricher rmcoinnaguère ab andonné au pâturage et remp li deséculaires, travail d’

athl èœ auquel suflîsaient à peineson énergie, sa jeunesse et ses htflt animaux quasi

160 îñdompté&Un enfant de six à sept ans, beau comme un ange,

et les épaules couvertes, sur sa blouse, d‘

une peaud ’

agneau qui le faisait ressembler au petit saint JeanBaptiste des peintres de la Renaissance, M archait dansle si l lon parallèle à la charrue piquait le flanc desboeufs av<æc fine gaule longue et légère, armee d‘unaigu il lon peu acéré. Les fiers animæ x frémiæaien“

t“sous la petitemain de l’enfant, et faisaierü grincer le‘

s

jougs et les courroies l iés à leur front , en imprinænt au1 70 timon de violentes secoussæ. Lorsqu

une racine arrêtaitle soc

,le laboureur criait d ’

une voix puissante,appelant

chaque bête par son nom,mais plutôt pour calme r quepour exciter ; car les bœufs, i rrités par cette brusquerésistance, bondissaient, creusaien

‘t la t erre de leurslarges pieds fOurchus

,et se seraient jet és de côté em

portant l’areau à travers champs, si, de la voix et de

l ’aiguillon, le jeune homme n’

eût maintenu les quat repremiers, tandis que l ’enfant gouvernait l es quatreautres. I l criait aussi, le pauvret , d

’une voix qu

’ i l!80 Voulait rendre terrible et qui restait douœ comme sa

figure angélique. Tout cela était beau de'fb rœ ou degrâce : le paysage, l

’homme,l'enfant

,les taureaux sous

l e jOug et, malgré c ette lutte puissante, oùla terre-était

Page 240:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

THE PLOUGHMAN 231

vaincue, il y avait un sentiment de douceur et de calmeprofond qui planait sur toutes choses. Quand l'obstac leétait surmont é et que l

attel age reprenait sa marcheégale et solennelle, le laboureur, dont la feinte violencen ’était qu ’un exercice de vigueur et une dépensed’activité, reprenait tout à coup la sérénité des âmessimples et jetait un regard de cont enæment paternel surson enfant, qui se retoumait pour lui sourire. Puis lavoix mâle de ce jeune père de famil le entonnait le chantsolennel et mélancolique que l'antique tradition du paystransmet, non à tous les laboureurs indistinctement ,mais aux pl us consommés dans l’ art d’

ex citœ e t desout enir l ’ardeur des bœufs de travai l . Ce chant , dontl’origine fut peut—être considérée comme sacrée, etauquel de mystérieuses influenc es ont dû être attribuéesjadis, est réputé encore aujourd’hui posséder la vertud ’ent retenir le courage de ces animaux, d’

apaiser leursmécontentements et de charmer l ’ennui de leur longuebesogne. I l ne suffi t pas de savoir bien les condui re entraçant un sil lon parfaitement recti ligne, de leur allégerpeine en soulevant ou enfonçant à poin t le fer dans la

t erre : on n ’est poin t un parfait laboureur si on ne saitchanter aux bœufs, et c

'est là une science à part qui

ex ige un goût et des moyens particul iers

III. BERRY!

On m ’a fait l ’honneur ou plutôt l ’amit ié de me direquel quefois (car l

’amitié seule peut trouver de pareillescomparaisons) que j ’avais été le Walter Scott du Berry.

Plût à Dieu que je fusse le Walter Scott de n’importequelle local ité !Je consentirais à être celui de QuimperC orentin , pourvu que je pusse mériter la moitié dul èle.

— Mais ce n’est pas la faute du Berry, s

il n

FromPromada autour d’un Vil lage

I. 5 . Chief town of the department of Finistère, themost westerl ydepartment ofBrittany.

5

Page 241:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

232 GEORGE SAND

trouvé son Walter Scott. Toute province, explorée avecsoin ou révélée à l ’observation par une longue habitude,

t o offre certainement d’

amples sujets au chroniqueur, aupeintre

,au romancier, à l ’archéologue. I l n ’est point de

paysage si humble, de bourgade si ignorée, de populationsi tranquille

,que l ’artiste n ’y découvre ce qui échappe

au regard du passant indifférent ou désœuvré.

Le Berry n’est pas doué d’une nature éc latante. Nile paysage ni l’habitant ne sautent aux yeux par le côtépittoresque, par le caractère tranché. C’est la patrie ducalme et du sang—froid . Hommes et plantes, tout y esttranquil le, patient, lent àmûrir. N'y al lez chercher n i

se grands effets ni grandes passions. Vous n ’y trouverezde drames ni dans les choses ni dans les êtres. I l n ’y alà ni grands rochers, ni bruyantes cascades, ni sombresforêts, ni cavernes des brigands encoremoins ! Mais des travail leurs paisibles, des pastouresrêveuses

,de grandes prairies désertes oùrien n ’

interrompt ,ni le jour ni la nuit, le chant monotone des insectes;desvi l les dont les mœurs sont stationnaires

,des routes où,

après le coucher du soleil , vous ne rencontrez pas uneâme

,des pâturages oùles animaux passent au grand air

30 la moitié de l’année, une langue correcte qui n’a d’

inusité

que son ancienneté, enfin tout un ensemble sérieux , tristeou riant, selon la nature du terrain, mais jamais disposépour les grandes émotions ou les vives impressions ex térieures. Peu de goût, et plutôt, en beaucoup d

’endroits,

une grande répugnance pour le progrès. La prudenceest partout le caractère distinctif du paysan. En Berry

,

la prudence va jusqu'à la méfianceLe Berry offre, dans ces deux départements, des con

trastes assez tranchés, sans sortir cependant du caractère40 général. I l y a là, comme dans toutes les étendues depays un peu considérables, des landes, des terres fert i les ,des endroits boisés, des espaces découverts et nuspartant

,des difl'érences dans les types d‘habitants

,dans

l . 38. Cher and Indre : G. Sand ’s home, the château dea plain house by the road-side, with a walled garden”— is in the lat ter

Page 243:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

234 THÉOPH ILE GAUTIER

THÉOPH ILE GAUTIER

I. ASCENT OF THE MULAHACÉN‘

Chaque fois que nos bêtes s’arrêtaient pour reprendrehaleine, nous nous retoumiôns sur nos selles pour contempler l ’immense panorama formé par la toile circu

lai re de l ’horizon. Les crêtes surmontées se dessinaientcomme dans une grande carte géographique. La Vegade Grenade et toute l ’Andalousie se déployaient sousl ’aspect d’une mer azurée où quelques points blancs ,frappés par le soleil, figuraient les voiles. Les cimesvoisines, chauves, fendillées et lézardées de haut en bas ,

1 0 avaient dans l ’ombre des teintes de cendre verte,de bleu

d’Égypte, de l ilas et de gris de perle, et dans la lumièredes tons d’

écorce d’orange, de peau de l ion, d’

or bruni ,les plus chauds et les plus admirables du monde. R ienne donne l’idée d ’un chaos, d

’un univers encore aux

mains du Créateur, comme une chaîne de montagnesvue de haut On dirait qu’un peuple de Titans a essayéde bâtir là une de ces tours d’

énormités, une de ces

prodigieuses Ly lacqs qui alarment Dieu ;qu’i ls en ont

entassé les matériaux, commencé les terrasses gigantesao ques, et qu’un souffle inconnu a renversé et agité commeune tempête leurs ébauches de temples et de palais. Onse croirait au milieu des décombres d’une Babyloneantédiluvienne

,dans les ruines d’une vil le préadamite.

Ces blocs énormes, ces entassements pharaoniens réveillent l ’ idée d ’une race de géants disparus, tant la vieil lessedu monde est l isiblement écrite en rides profondes sur lefront chenu et la face ræhignée de ces montagnesmillénaires.Nous avions atteint la région des aigles. De loin en

30 loin, nous apercevions un de ces nobles oiseaux perchésur une roche sol itaire, l’œ i l tourné vers le soleil, et dans

FromVoyage en Espagne, first published in 1 843 under the t it le of

1. 18. The sense is clear, but we do not know whenœ Gautier got theword Ly lacq.

Page 244:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

ASCENT OF THE MULAHACÉN 235

cet état d’

ex ta3e contemplative qui remplace la penséechez les animaux. L’un d’

eux planait à une grandehauteur et semb lait immobile au mil ieu d’un océan delumière. Romero ne put résist er au plaisir de lui envoyerune bal le en manière de carte de visite. Le plombemporta une des grandes plumes de l ’ail e, et l ’aigle,avec une majesté indicib le, continua sa route comme s

’i lne lui était rien arrivé. La plume toumoya longtempsavant d ’arriver à terre, oùel le fut recueil l ie par Romero, 40qui en oma son feutre.

Les neiges commenn aient à se montrer par mincesfi lets, par plaques diss minées, à l

’ombre des rochesl ’air se raréfiait ;les escarpements devenaient de plus enplus abrup ts ;bientôt ce fut par nappes immenses, partas énormes, que la neige s

ofi‘

rit à nous, et les rayonsdu soleil n’avaient plus la force de la foudre. Nousétions au-dessus des sources du Genil , que nous apercevions, sous la forme d’

un ruban bleu glacé d ’argent, seprécipiter en tout e hâte du côté de sa vil le bien—aimée. 5°Le plateau sur l equel nous nous trouvions s’élève environà neufmil l e pieds au—dessus du niveau de la mer, et n ’

est

dominé que par le pic de Veleta et le Mulhacen , qui sehaussent encore d’unmil lier de pieds vers l’abime insondab le du ciel .

1 1. THE ALHAMBRA ‘

L’

on pénètre dans l ’Al hamb ra par un corridor situédans l ’angle du pal ais de Charles—Quint, et l

’on arrive,

après quelques détours, à une grande cour désignée indifféremment sous le nom de Patio de los Arrayanes

(cour des Myrtes) , de l’

A[berce (du Réservoir), ou duMezouar,mot arabe qui signifie bain des femmes 5

En débouchant de ces couloirs obscurs dans cettelarge enceinte inondée de lumière, l’on éprouve un effet1. The Mulahaoén takes its name fromthe father of Boabdil, the

last Nfoorish king ofGranada. Its height is feet.

FromVoyage en Erpagm.

Aücrca and Barra are bot h eon uptious of the trueBerÆafi= the Blessing. Bœrkcfi=a tank. whence A

Page 245:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

236 THÉOPHILE GAUTIER

analogue à celui du Diorama. I l vous semble que le1 0 coup de baguett e d ’un enchanteur vous a trans rté enplein Orient, à quatre ou cinq siècles en arri re. Letemps, qui change tout dans sa marche, n

’a modifié enrien l ’aspect de ces l ieux , où l’apparition de la sultaneChaîne des cœurs et du More Tarfé, dans son manteaublanc, ne causerai t pas la moindre surprise.Au milieu de la cour est creusé un grand réservoir

de trois ou quatre pieds de profondeur, en forme deparallélogramme

,bordé de deux plates- bandes de myrtes

et d ’arbustes,terminé à chaque bout par une espèce de

galerie à colonnes fluet te3 supportant des arcs moresquesd ’une grande dél icatesse. Des bassins à jet d’eau, dontle trop lein se dégorge dans le réservoir par une rigolede mar re, sont placés sous chaque galerie et complètentla symétrie de la décoration. A gauche se trouvent lesarchives et la pièce où

,parmi des débris de toutes sortes,

est relégué, i l faut le dire à la honte des Grenadins, lemagnifique vase de l ’A lhamb ra, haut de près de quatrepieds

,tout couvert d’

omements et d ’inscriptions, monument d ’une rareté inestimable

,qui ferait à lui seul la

30 gloire d’un musée, et que l ’incurie espagnole laisse se

dégrader dans un recoin ignoble. Une des ailes quiforme les anses a été cassée récemment. De ce côté sontaussi les passages qui conduisent à l’ancienne mosquée,convertie en église, lors de la conquête, sous l

invocation

de sainte Marie de l ’Alhamb ra. A droite sont les logements des gens de service, où la tête de quelque bruneservante andalouse

,encadrée par une étroite fenêtre

moresque, produit un effet oriental assez satisfaisant.Dans le fond , au-dessus du vilain toit de tuiles rondes

,

40 qui a remplacé les poutres de cèdre et les tuiles doréesde la toiture arabe, s

’élève majestueusement la tour deComares

,dont les créneaux découpent leurs dentelures

vermeilles dans l ’admirab le l impidité du ciel . Cette tourrenferme la sal le des Ambassadeurs, et communiqueavec le Patio de la: Arrayanes par une espèce d

’antichambre nommée la Barra, à cause de sa forme.

1. 46. See above, note on p. 235.

Page 247:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

238 T1Œ0PHILE GAUTIER

motif de décoration i l est vrai que l ’écriture arabe avecses formes con toumées et mystérieuses se prêtemerveilleusement à cet usage. Les inscriptions , qui son t presquetoujours des sara: du Coran ou des éloges aux différents

œpfinces qui ont bât i et décoré les sal les, se démulent leong des frises, sur les jambages des portes, autour del ’arc des fenêtres, entremêl ées de fleurs, de rinceaux , delacs et de toutes les richesses de la call igraph ie arabe.

Cel les de la sal le des Ambassadeurs signifient Gloire àD ieu

, puissance et richesse auxman“, ou contiennentles louanges d ’

Abu Nazar, qui, s’

il eût été transport! toutmf damk aäé eüt gfiaä fäiat a‘

a äox‘

la d des piænèæ: ;assertion hyperboliqne qui nous paraît un peu trop orientale . D ’autres bandes sont chargées de l

éloge d’

Ab u

1 00 Abd Al lah,autre sultan qui fi t travail ler à cet te partie

du pal ais. Les fenêtres sont chmarrées de pièces devers en l ’honneur de la l impid it é des eaux du réservoir,de la fraîcheur des arbustes et du parfum des fleurs quiornent la cour du Mezouar, qu'on aperçoit, en eŒet , dela sal le des Ambassadeurs à travers la porte et les colonnettes de la gal erie .

Les meurtrières à bal con intérieur percées à une

grande hauteur du so l , l e plafond en charpente sans

emms décorations que des sigms et des enlacements1 1 0 formés par l

’ajustement des pièces, donnent à la sal ledes Ambassadeurs un aspect plus sévè re qu’aux autressal les du palais, et plus en harmonie avec sa dest ination.

D e la fenêtre du fond, l’

on jouit d ’une vue merveil leusesur le ravin du Barre .

Cette descript ion terminée, nous devons encore détraire une i llusion : toutes cesmagnificenœs ne sontm‘en marbre ni en albâtre, nimême en pierre,mais t outbonnement en plâtre ! Ceci contrarie beaucoup les idéesde luxe féerique que le nœn seul de l 'Alhamb ra éveil ledans les imaginafi on5 l es plus positives ;mais rien n?estpl us vrai : à l ’ex ception des colonnes ordinairunent

t ournées d ’un seul morceau et dont la hauteur ne dépasse guère six à huit pieds , de quelques dalles dans lepavage , des q des bassins, des petit es chapel les à

Page 248:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

mALHAMBRA 239

déposer les babouches, i l n’y a pas un seulmorceaudemarbre employé dans la construction intérieure del’

A lhamb ra. I l en est de même du Général ife : nul

peuple d’ail leurs n ’a poussé plus loin que les Arabesl ’art de mou ler, de durc ir et de ciseler le plâtre, quiacquiert entre leurs mains la duret é du stuc sans en 1 30

avo ir le luisant désagréable.

p de ces ornements sont donc faits avecdes moules, et répétés sans grand travail toutes les foisque la symétrie l ’exige. R ien ne seraitreproduire ident iquement une sal le de l ’Alhamb ra; i lsuffirait pour cela de prendre les empreintes de tousles motifs d’ornement. Deux arcades de la sal le duTribunal, qui s’étaient écroulées, ont été refaites par desouvriers de Grenade avec une perfection qui ne laisserien à désirer. Si nous ét ions un peu mill ionnaire, une 140

de nos fantaisies serait de faire un duplicata de la courdes Lions dans un de nos parcs.De la sal le des Ambassadeurs, l’on va, par un corridor

de construction relativement moderne,au tocador, ou

toi lette de la re ine. C’est un petit pavillon situé sur

le haut d’

une tour d’

où l’

on jouit du plus admirablepanorama, et qui servait d’

oratoire aux sul tæmes. Al ’entrée, l

’on remarque une dalle de marbre blanc percéede petits trous pour laisser passer la fumée des parfumsque l ’on brûlait sous le plancher. Sur les murs

,l’

on voit 1 50encore des fresques fantasques exécutées par Bartoloméde Ragis, Alonzo Perez et Juan de La Fuente. Sur lafrise s

entrelacent , avec des groupes d ’amours,les chiffres

d’

Isab el le et de Phi lippe V. I l est diffic i le de rêver quelque chose de plus coquet et de plus charmant que cecabinet aux petites colonnes moresques

,aux arceaux

surbaissés, suspendu sur un abîme azuré dont le fondest papelonné par les toits de Grenade, où la briseapporte les parfums du Général ife, énorme touffe delauriers- roses épanouie au front de la coll ine prochaine

,160

et le miaulement plaintif des paons qui se promènent surles murs démantelés. Que d ’heures j ’ai passées là, danscette mélancolie sereine si différente de la mélancol ie

Page 249:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

240 THÉOPH ILE GAUTIER

du Nord, une jambe pendante sur le gouffre, recommandant à mes yeux de bien saisi r chaque forme

,

chaque contour de l ’admirab le tableau qui se déployaitdevant eux, et qu ’i ls ne reven ont sans doute plus !Jamais description, jamais peinture ne pourra approcherde cet éclat, de cette lumière, de cette vivacité de

no nuances. Les tons les plus ordinaires prennent la valeurdes pierreries, et tout se soutient dans cette gamme.Vers la fin de la journée, quand le solei l est oblique, i lse produit des effets inconcevables : les montagnes étincel lent comme des entassements de rubis, de topazes etd

escarboucle3 ;une poussière d’or baigne les intervalles

,

et si, comme cela est fréquent dans l ’été, les laboureursbrûlent le chaume dans la plaine, les flocons de fuméequi s’élèvent lentement vers le c iel empruntent aux feuxdu couchant des reflets magiques. Je suis étonné que

1 80 les peintres espagnols aient,en général

,si fort rembruni

leurs tableaux,et se soient jetés presque exclusivement

dans l ’imitation du Caravage et des maîtres sombres.Les tableaux de Decamps et de Marilhat , qui n ’ontpeint que des sites d’

Asie ou d’

Afrique, donnent del’

Espagne une idée bien plus juste que tous les tableauxrapportés à grands frais de la Péninsule.

1 82. Michelangelo da Caravaggio ( 1 569 au art ist whose

gi{

ldlpassions and tempestuous life were in kœping with his pictures !

ug er).1. 1 83. Alex andre Decamps ( 1 803— 1860) was the greatest of Frenc h

painters ofOriental subjects. He is well represented at Chantilly, but bes tof al l in the Wallace Collect ion . Prosper Marilhat ( 1 8!I- IS47), who in1 83! accompanied the eminent explorer and naturalist, Charles von Hügel,to Greece, Syria, and Egypt , wasmsome respects the ual ofDecamps asa painter of the East . There are fine ex amples of his wor both at Chant illyand in the Wallace Collection. Gautier has written a charming appreciat ion ofhimin his Portraits contemporains.

Page 251:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

242

Dante(son of Louis XVI)

CX.

of HenryIl )se

Du Bellay, Joachim

Theme of.

Fontana , Marquis deFontarrabmFor EvêqueFortunatus AvantiusFoy, GeneralFrancis

Génie du Cônkflhnisme, SainteBeuve on

Golden Ass

Granada, descript ions ofGrand Châtelet see Châtelet

Guiccioli, Countess

Halles, Pilori desHenrietta, of Englandrietta

l ‘l

>{aria

HenryHilary, SaintH innom, Valley ofH istoria AugustaHôtel de Sens see SensHôtel de VilleHôtel—DieuHruodland see RolandH ttgel , Charl es vonHugh Capet

Hen

INDEX TO NOTES

accuracy of

Huntsman, the WildIle de Saint -Louis

journées dem

La , Le, theme ofof Lamart ine‘ fi

'

Leconte de LisleLtgeud

e des siècles, date ofLe NêtreLeo XIILeonidas, Tomb of

Page 252:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

INDEX TO NOTES 243

Notre—Dame

Octave

Madoz, Gazetteer

Palais de la Cité

Mmau D iable, LaParvis de N.

-D

Pascal

Petit -BourbonPetit-Chatelet see Châtelet

Medina Cel lSe Pharamond

rl atMe ch elc, Vale ofMéroé Pons Mulvius see Ponte—Malle

äérové£

î

Meunier d‘Ann , Le (C . Sand)

Michelet

martine)Probus

MonsieurMontfort l

’Ama

Mont t t , Simon e

Page 253:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

244 INDEX ro NOTES

d‘accusation Suger, Abbot

Roland, Chanson de see Chan sonde R. Tattet, Alfred

Thebes

Thermes, Palais des

Saint—Germin - le-Vieux

Towers, Vermilion see Torres Ber

Saint -SulpiceSd nt-Victor, A b b aye deSainte-Beuve and Hugo and

on Génie du

Sainte Cathedne- duLVÆ -des-Éæ

Sainte-ChapelleSainte—Crow ,monastery

and Alfred deil…Vivaconlud

Sens, Hôtel de Place des

Sommerard, M. de

Strabo Xm0phmes

CAMBRIDGE : PRINTED BY JOHN CLA‘I , M.A. AT THE UNIVERS ITY PRESS

Page 255:  · PREFACE OME criti cs of our book, Tire Rom antic Movem ent in French Literature having suggested that we should prepare a companion volume of selections from

STAMPED BBLOW

AN INITIAL FINE OF 25 GENTSW ILL BE ABBEBBED FO R FAILURE TO RETURNTH IS BOO K ON THE DATE D UE. THE PENAL

I‘

Y

W II—L INC REAS E TO 5 0 C ENT“! ON THE FOUR…D AY AND TO .I .OO ON THE S EVENTH DAY

OVΠDUE.