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Nos enfants sont-ils devenus fous ? Photo Thinkstock Autisme, troubles du comportement, bipolarité… Un enfant sur sept souffrirait d'un trouble du comportement en France. Autisme, troubles du comportement, bipolarité… Les diagnostics se multiplient comme si soudain, des milliers d’enfants étaient devenus toqués. Lorsque la maladie est nommée, les parents sont à la fois soulagés, mais aussi stigmatisés. Enquête. En France, 100 000 jeunes de moins de 20 ans seraient atteints d’un trouble envahissant du développement (TED) ; l’autisme infantile concernerait environ 30 000 d’entre eux ; et 15% des enfants seraient diagnostiqués avec un trouble du comportement, selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Un chiffre qui ne cesse d’augmenter comme si, brutalement, il n’y avait plus de place pour la moindre excentricité. Pour les parents, un diagnostic précis est souvent synonyme de soulagement. Mais il peut aussi s’avérer stigmatisant. Louis a 7 ans. Il sait lire depuis l’âge de 5 ans et s’intéresse particulièrement au dictionnaire, qu’il scrute pendant des heures, au point d’en oublier le monde qui l’entoure. Également passionné par l’aéronautique, il passe des après-midis entiers à dessiner des modèles d’avions et n’est absolument pas intéressé par ses petites sœurs qui réclament pourtant son attention. Louis est-il autiste ? Souffre-t-il de bipolarité ? Présente-t- il un autre trouble du comportement ? Des diagnostics difficiles à établir En un quart de siècle, l’Association américaine de psychiatrie a distingué de nouveaux critères pour diagnostiquer certaines maladies, provoquant une augmentation de 50 % de la détection de cas de troubles mentaux et une multiplication par 40 de celle de la bipolarité. Un bon exemple de cette catégorisation des symptômes concerne celui d’Asperger. Décelé en 1994, il s’applique aux personnes qui développent des intérêts qui dépassent l’entendement commun. Passionnés par les dinosaures, l’astronomie ou l’informatique, ils s’imposent également une

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Nos enfants sont-ils devenus fous ?

Photo ThinkstockAutisme, troubles du comportement, bipolarité… Un enfant sur sept souffrirait d'un trouble du comportement en France.

Autisme, troubles du comportement, bipolarité… Les diagnostics se multiplient comme si

soudain, des milliers d’enfants étaient devenus toqués. Lorsque la maladie est nommée, les

parents sont à la fois soulagés, mais aussi stigmatisés. Enquête.

En France, 100 000 jeunes de moins de 20 ans seraient atteints d’un trouble envahissant du

développement (TED) ; l’autisme infantile concernerait environ 30 000 d’entre eux ; et 15% des

enfants seraient diagnostiqués avec un trouble du comportement, selon l’Institut national de la

santé et de la recherche médicale (Inserm).  Un chiffre qui ne cesse d’augmenter comme si,

brutalement, il n’y avait plus de place pour la moindre excentricité. Pour les parents, un

diagnostic précis est souvent synonyme de soulagement. Mais il peut aussi s’avérer stigmatisant.

Louis a 7 ans. Il sait lire depuis l’âge de 5 ans et s’intéresse particulièrement au dictionnaire,

qu’il scrute pendant des heures, au point d’en oublier le monde qui l’entoure. Également

passionné par l’aéronautique, il passe des après-midis entiers à dessiner des modèles d’avions et

n’est absolument pas intéressé par ses petites sœurs qui réclament pourtant son attention. Louis

est-il autiste ? Souffre-t-il de bipolarité ? Présente-t-il un autre trouble du comportement ?

Des diagnostics difficiles à établir

En un quart de siècle, l’Association américaine de psychiatrie a distingué de nouveaux critères

pour diagnostiquer certaines maladies, provoquant une augmentation de 50 % de la détection de

cas de troubles mentaux et une multiplication par 40 de celle de la bipolarité. Un bon exemple de

cette catégorisation des symptômes concerne celui d’Asperger. Décelé en 1994, il s’applique aux

personnes qui développent des intérêts qui dépassent l’entendement commun. Passionnés par les

dinosaures, l’astronomie ou l’informatique, ils s’imposent également une routine stricte et ont le

changement en horreur. La surmédiatisation de ce syndrome, devenu « populaire » notamment

avec  la sortie du film Rain Man de Barry Levinson en 1988, a peut-être engendré de faux

diagnostics. À quel point faut-il être différent pour être Asperger ? Au vu des symptômes

associés, le jeune Louis, évoqué précédemment, en souffrirait peut-être.

Aujourd’hui, à mesure que les tests cliniques s’affinent, ce qui pouvait relever autrefois de la

bizarrerie ou d’une forme d’excentricité entre désormais dans la « case maladie ». L’autisme,

que l’on sait diagnostiquer depuis le milieu du XXe siècle, se caractérise par des altérations dans

la capacité à établir des interactions sociales et à communiquer, ainsi que par des troubles du

comportement correspondant souvent à un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé

et répétitif. Mais tandis que le débat sur les origines et les causes de l’autisme ne faiblit pas,

d’autres maladies des troubles du comportement sont pointées du doigt, telles que le trouble de

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déficit de l’attention et hyperactivité (TDAH) qui se définit, lui, par un déficit d’attention et une

hyperactivité associés à une forme d’impulsivité.

Quant à la bipolarité, elle combine des phases de dépression à des périodes hypomaniaques ou

maniaques (colères brutales, mythomanie, anxiété). Les premiers signes évocateurs de ces

comportements  pourraient apparaître dès l’âge d’un an et demi, mais le corps médical est encore

parfois indécis face à certains symptômes ou comportements. « Il faut être extrêmement vigilant,

ne pas poser un diagnostic ferme trop tôt. Car un enfant, par définition, est en pleine évolution »,

reconnaît Catherine Audibert, psychologue clinicienne et psychanalyste

Le paradoxe du diagnostic précis

 Les médecins eux-mêmes se perdent parfois au milieu de toutes ces pathologies. Olivia Cattan,

mère de Ruben, petit garçon atteint d’autisme, et auteure D’un monde à l’autre. Autisme, le

combat d’une mère, en a fait les frais. Ruben a été diagnostiqué à l’âge de 4 ans après deux

années d’un long cheminement. « Les spécialistes ont d’abord pensé à un TED puis à la

dysphasie avant de parler d’autisme », confie-t-elle. Avant d’ajouter : « Il y a de

l’incompréhension, une errance totale avant de parvenir à un diagnostic ferme ». Au bout du

tunnel, le soulagement d’avoir enfin des réponses mais parfois aussi, le risque d’une

catégorisation trop ferme.

Ruben a été diagnostiqué autiste après deux années d'un long cheminement.Photo Max Milo

Autisme, trouble de déficit de l’attention, bipolarité… Les diagnostics explosent chez les enfants,

tout en devenant dans le même temps, de plus en plus précis. Autrefois, la réponse récurrente

était celle de la déficience intellectuelle. La précision du diagnostic aujourd’hui permet qu’aucun

ne soit oublié par le système de santé ou reste démuni face à une situation cauchemardesque. Elle

permet également de guider les parents vers des solutions adaptées et des méthodes éducatives

pour soulager le mal-être chronique de l’enfant. Mais ce souci du détail génère son lot d’effets

pervers. « Il y a toujours une marge d’erreur. Et le diagnostic est tout à fait relatif et évolue tout

le temps. Par exemple, en Israël, Ruben ne serait pas considéré comme un enfant autiste mais

comme souffrant d’un trouble du comportement », souligne Olivia Cattan. Et cette distinction

peut faire la différence sur le plan médical mais aussi d’un point de vue social.

Médicalisation des profils atypiques

En France, 15 % des enfants seraient diagnostiqués avec des troubles du comportement. On

estime que 5 % sont concernés par le TDAH avec des variations qui englobent les enfants

souffrant « uniquement » d’hyperactivité. Il est étonnant de voir que la moindre originalité

sociale est aujourd’hui considérée comme une maladie. On observe une forme manifeste

d’intolérance à la différence, à la turbulence et même parfois à l’intelligence. « Nous sommes

dans une société de l’hyper-diagnostic. Les enfants doivent être « normatés » pour peu qu’ils

soient un peu dissipés. Les parents ont peur que leur enfant soit anormal mais paradoxalement ce

sont souvent eux qui le catalogue comme différent », souligne la psychologue Catherine

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Audibert. Agathe est une petite fille qui a un fort quotient intellectuel. À sept ans, elle est

scolarisée dans une classe « normale » mais adopte un comportement différent de ses petits

camarades, se replie sur elle-même, lit dans son coin et refuse de se mélanger. « Face à la

différence de notre fille, son institutrice avait pensé à différents troubles du comportement mais

après plusieurs rendez-vous médicaux, il s’est avéré qu’elle était surdouée. Et il n’y a pas de

traitement pour ça », ironise aujourd’hui Pascal, le père de l’enfant. 

La moitié d'une classe sous Ritaline

Au-delà de la catégorisation, le problème qui se pose est celui de la médicamentation de ces

troubles. S’il n’existe pas de traitement de l’autisme, une prise en charge précoce et adaptée peut

permettre d’améliorer les capacités de l’enfant à interagir avec le monde qui l’entoure. En

revanche, on observe une tendance à la médicalisation des enfants trop énergiques, à qui l’on va

prescrire des calmants et autres anxiolytiques. « Certains parents désemparés finissent par

accepter de gaver leurs enfants de ces cochonneries. Mais cela n’arrange pas le problème et les

effets sont d’autant plus néfastes lorsque l’on ne sait pas réellement de quoi souffre l’enfant »,

constate amèrement Olivia Cattan.  « Une institutrice de CM1 m’a confié que la moitié de ses

élèves étaient sous Ritaline. C’est effarant de voir que la moindre agitation peut engendrer un

traitement lourd à base de calmants ou d’antidépresseurs », déplore Catherine Audibert. 

« Je vois des parents complétement démunis, qui ne savent plus comment gérer le comportement

de leur enfant », remarque Marion, stagiaire en psychologie au sein d’un hôpital de jour. « Le

fait de nommer la maladie provoque souvent une réaction paradoxale. Il y a une forme de

soulagement après des mois voire des années d’interrogations. Mais souvent, c’est leur monde

qui s’effondre », ajoute la jeune femme. En France, lorsqu’un enfant est déclaré autiste ou

hyperactif, il devient, dans le même temps, handicapé. Et ce terme change nécessairement la

perception que l’entourage a de lui. « J’ai des amis qui m’ont tourné le dos du jour au lendemain.

Parce que je devenais la maman d’un enfant handicapé », assène Olivia Cattan. Et d’ajouter : «

On ne sortait plus parce que l’on ne trouvait plus de baby-sitter. »

Un enfant autiste est handicapé

« Le diagnostic d’un trouble du comportement, quel qu’il soit, est en permanente évolution. Le

rôle des parents est extrêmement important dans le processus d’intégration sociale de l’enfant qui

en souffre. Si on lui donne des cachets pour le calmer depuis la petite enfance et qu’on ne l’aide

pas à s’ouvrir sur le monde, on peut le condamner à un rejet encore plus violent », confirme

Marion. « Il ne faut pas coller une étiquette trop vite sur un enfant qui est encore en pleine

croissance et peut évoluer. Le stigmatiser c’est aussi le condamner », alerte Catherine Audibert.

Aujourd’hui, Ruben âgé de 8 ans, souffre d’un autisme « de haut niveau » alors qu’il avait été

diagnostiqué « autiste sévère ». Scolarisé, il mène une vie à peu près normale. Quant au petit

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Louis, il s’est avéré être un garçon particulièrement curieux et intelligent qui poursuit un grand

rêve : devenir ingénieur en aéronautique. 

Agitation à la crèche, bagarres en maternelle, mensonges fréquents… Un enfant impulsif

est-il un futur délinquant ? Dans le débat actuel sur la détection des troubles précoces, la

psychanalyste Sylviane Giampino et la neurobiologiste Catherine Vidal s’opposent à la

stigmatisation des comportements et réfutent tout déterminisme génétique. Rassurant.

Madame Figaro. – En lisant votre livre, on a l’impression que les enfants vivent l’une des

pires périodes de leur histoire : ils seraient traqués, évalués, jugés ?

Sylviane Giampino. – Nous vivons un moment très particulier, où se mettent en place des tests

et des questionnaires très intrusifs, venus des États-Unis et du Canada pour la plupart, pour

essayer de dépister les éventuels troubles du comportement chez les petits enfants. Au nom de la

santé publique, on cherche dès le plus jeune âge à distinguer ceux qui seraient susceptibles de

devenir asociaux, voire délinquants ! Les attentes des adultes à l’égard des enfants se rigidifient.

Que sont devenues leurs bêtises ? Trop tôt, mensonges et chapardages sont traités comme des

délits…

Pourquoi cette évolution ?

Sylviane Giampino. – Le désir de maîtrise et la crainte pour l’avenir laissent circuler l’idée

totalement saugrenue qu’en dépistant tôt les enfants, on pourrait les empêcher plus tard de mal

agir… Mais les enfants ne sont pas des adultes miniatures ! L’enfance est la période des

tâtonnements, des créativités, des expérimentations…

Catherine Vidal. – ...Ce qu’illustrent parfaitement les récentes découvertes sur le cerveau.

L’IRM, l’imagerie par résonance magnétique, a en effet montré l’extraordinaire plasticité du

cerveau. À la naissance, seules 10 % des connexions entre les neurones existent. Le reste va se

former ultérieurement, en fonction de l’environnement et des apprentissages. Le cerveau évolue

tout au long de la vie ! À l’œil nu, le dessin des circonvolutions du cortex cérébral est très

différent d’un individu à un autre, un peu comme une empreinte digitale. Même de vrais

jumeaux n’ont pas un cerveau identique, puisqu’ils n’ont pas vécu les mêmes événements…

Le mensonge est nécessaire

Vous avez montré combien le cerveau des musiciens, notamment, témoigne de cette

formidable plasticité...

Catherine Vidal. – Cela a été examiné chez les pianistes : leur cortex cérébral est plus épais et

plus riche en connexions dans les zones qui contrôlent les doigts et la vision. Ces modifications

sont d’autant plus grandes que l’apprentissage a commencé tôt. Mais cette plasticité du cerveau

existe aussi chez l’adulte. Le fait d’apprendre à jongler avec trois balles, par exemple, entraîne

l’épaississement des régions qui contrôlent la coordination des bras. Que l’on cesse de jouer ?

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Les zones épaissies rétrécissent. Notre circuiterie neuronale est donc en perpétuel devenir. Voilà

pourquoi avancer que tout se joue avant 6 ans est une contrevérité scientifique.

Les psys nous ont cependant appris que plus on traitait tôt les troubles, plus on était

efficace… Est-ce qu’évaluer les jeunes enfants ne peut aussi participer d’une démarche

préventive ?

Sylviane Giampino. – Certes, mais tout dépend de ce que l’on appelle « trouble ». Considérer

l’impulsivité d’un enfant de 4 ans comme facteur de risque pour l’avenir est à mon sens aberrant.

C’est nier les étapes du développement normal d’un enfant. Prenez le mensonge, qui serait, selon

les critères d’évaluation de certains tests, un indicateur de trouble de la personnalité. C’est

absurde, car c’est à cet âge que se mettent en place les catégories du réel et de l’imaginaire. C’est

une phase de construction nécessaire de l’intimité de l’enfant, une manière de protéger sa vie

intérieure, d’être moins « transparent » à l’égard de ses parents. Et de devenir moins

influençable.

De la même manière, les « petits voleurs » de bicyclettes ne sont pas des délinquants en

culottes courtes ?

Sylviane Giampino. – Certes, non ! L’enfant de 3 ou 4 ans qui chaparde le doudou de son

copain ne veut qu’une chose : entrer en relation avec l’autre ! Se bagarrer n’est pas toujours

agresser, mais se mesurer. Aurait-on oublié tout simplement que jusqu’à 5 ou 6 ans un enfant est

en priorité « psychomoteur » ? C’est à travers ses sensations, son exercice musculaire, à travers

le mouvement et le contact qu’il apprend à penser. Le goût d’apprendre débute par

l’appropriation physique des choses. L’enfant n’est pas voleur ou hyperactif pour autant !

Catherine Vidal. – Nous assistons à une évolution du lexique. Il y a encore peu de temps, on

qualifiait les enfants de « coquin », « chameau », « petit diable ». Aujourd’hui, dans le langage,

on substitue à ces mots bienveillants des termes issus du registre médical ou policier : opposant,

hyperactif, introverti… C’est stigmatisant.

De plus en plus d’enfants hyperactifs

Sylviane Giampino. – Ce vocabulaire se répand dans les crèches et dans les écoles depuis moins

de dix ans, car les professionnels sont maintenant formés aux évaluations comportementales. Si

ça n’était qu’une mode, nous n’aurions pas pris la peine d’écrire ce livre. Mais ces méthodes ont

des effets délétères, car plus vous traitez un enfant d’« opposant », d’« hyperactif », plus il risque

de le devenir. L’enfant se moule dans les mots qui le désignent. C’est ainsi que la prévention de

notre « meilleur des mondes » peut basculer très vite dans la prédiction. Et que l’on risque de

pousser les enfants à la violence à force d’en voir partout. À l’école, à force de traquer l’échec

scolaire de plus en plus tôt, on en fabrique à haute échelle !

Pourtant, les institutrices l’affirment : il y a de plus en plus d’enfants hyperactifs,

ingérables, intolérants à la frustration…

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Sylviane Giampino. – Oui, c’est vrai, mais la société s’interroge t-elle sur les conditions de cette

violence ? Et sur sa propre baisse de tolérance ? Nous faisons vivre aux enfants une vie de

zapping et de stimulations excessives. Nous ne savons plus nous asseoir à côté d’eux, être

disponibles, bienveillants. Nous leur offrons des jouets ludo-éducatifs au berceau, nous leur

demandons, quand ils sont à la crèche, de se préparer pour la maternelle ; à la maternelle,

d’apprendre à lire pour l’école élémentaire… Nous les projetons en permanence dans le futur.

Pourquoi ne seraient-ils pas agités, alors que notre monde l’est ? On leur reproche de manquer de

concentration, alors que nous les empêchons de se concentrer sur leur présent, sur leur enfance.

C’est paradoxal !

Catherine Vidal. – Puis, pour les remettre dans le droit chemin, on leur donne une « pilule de

l’obéissance » qui est de la famille des amphétamines, proche de la cocaïne… Aux États-Unis,

huit millions d’enfants soi-disant hyperactifs sont traités à la Ritaline. C’est énorme. Chez nous,

les prescriptions sont en hausse !

Pourquoi ne prenons-nous pas la peine de traiter en profondeur leurs souffrances ? Ou de

les écouter ?

Catherine Vidal. – La tendance est de chercher une solution rapide, pas chère, efficace !

Sylviane Giampino. – Notre société a un rapport pathologique au temps. Nous ne savons plus

du tout être présents auprès de nos enfants sans rien faire. On leur inculque à 7 ans la crainte du

chômage, la menace de devenir S. D. F… Subtilement, on remplace l’éducation (qui nécessite du

temps) par le conditionnement, le « dressage », voire les médicaments, qui soumettent l’enfant

au lieu de lui apprendre la vie. Les enfants ont besoin de temps pour se construire, pour créer,

pour rêver. Et leurs parents aussi. Il faut une bonne dose d’inconscience, d’utopie et de rêverie

pour grandir ! L’aurait-on oublié ? Pour les « élever », au sens propre, il ne faut pas leur couper

les ailes…

Repères

Sylviane Giampino est psychanalyste et psychologue pour la petite enfance. Elle est l’auteure

du livre Les mères qui travaillent sont elles coupables ? (éd. Albin Michel). Elle est une des

porte-parole du collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans ! », en réaction au

rapport de l’Inserm sur la violence des tout jeunes enfants.

Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche à l’Institut Pasteur, est l’auteur

deHommes, femmes, avons-nous le même cerveau ?(éd. Le Pommier).

3 dates

Octobre 2005 : la publication d’un rapport de l’Inserm sur le « trouble des conduites chez

l’enfant et l’adolescent » met le feu aux poudres. Il préconise d’améliorer le dépistage et la

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prévention du trouble des conduites (crises de colère, désobéissances répétées…) dès le plus

jeune âge, afin de mieux prévenir la délinquance.

Janvier 2006 : constitution du collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans ! » ;

200 000 signataires, dont une majorité de professionnels de l’enfance et de médecins, s’élèvent

contre la médicalisation du mal-être social.

Février 2007 : le Comité consultatif national d’éthique dénonce les problèmes éthiques posés

par le rapport de l’Inserm. Ces données, à visée préventive et médicale, pourraient être utilisées

également à des fins prédictives et judiciaires.

Une proposition de loi PS-écologiste sur « l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant » vient

d’être déposée à l’Assemblée nationale.

Les couples séparés avec enfants devront-ils à l’avenir demander l’autorisation de leur ex-

conjoint en cas de déménagement ou de changement d’école ? C’est en tout cas l’un des volets

phare de la proposition loi PS-écologistes concernant « l’autorité parentale et l’intérêt de l’enfant

», déposée à l’assemblée nationale. Comme promis après l’annonce du report sine die du projet

de loi famille, début février, les questions familiales reviennent à l’agenda par le biais de textes

spécifiques.

Faisant valoir que « le droit de la famille doit s’adapter aux nouvelles configurations familiales

», cette proposition -que les parlementaires socialistes espèrent voir examiner début mai- entend

« apporter des réponses pragmatiques et les outils juridiques pour garantir l’intérêt de l’enfant

dans les situations du quotidien comme en cas d’accident de la vie », selon l’exposé des motifs.

L'accord exprès de l’autre parent

Ainsi, « tout acte de l’autorité parentale, qu’il ait un caractère usuel ou important, requiert

l’accord des parents lorsqu’ils exercent en commun l’autorité parentale », est-il précisé. « Ce

n’est pas novateur, c’est pédagogique », commente Charlotte Robbe, avocate au sein de BWG

Associés et membre d’un groupe de travail de douze avocats parisiens qui a inspiré les

parlementaires. « Manifestement, la loi n’est pas suffisamment claire. Certains parents

outrepassent leur droits ».

Parallèlement aux « actes usuels (comme les soins de santé courants), la proposition de loi

qualifie ainsi d’« actes importants » « le changement de résidence ou d’établissement scolaire ».

Ils requièrent donc « un accord exprès de l’autre parent en cas d’exercice conjoint de l’autorité

parentale ». « Accord exprès » qui peut par exemple prendre la forme d’un mail. Une exception

cependant, en cas de violences : « l’accord de l’autre parent n’est pas requis lorsque celui-ci a été

condamné soit comme auteur, coauteur ou complice d’un crime ou délit sur la personne du

parent », explique la proposition.

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« L’objectif de cette proposition est de mettre fin à la politique du fait accompli. Un

déménagement à des kilomètres sans en informer préalablement l’autre est inacceptable. Ces

situations aboutissent bien souvent à une saisine du juge des affaires familiale », observe

Charlotte Robbe.

"Parler de la résidence de l’enfant"

Mais cette nouvelle disposition ne risque-t-elle pas d’entraver la liberté de mouvement de l’un

des conjoint ? « L’idée n’est pas d’empêcher les déménagements, les mutations, les

expatriations, mais d’anticiper en amont, à deux, ou d’avoir recours à une médiation. En cas de

conflit, il reviendra au juge de trancher », poursuit-elle.

Autre question : cette disposition ne pourra-t-elle servir d’arme dans une situation conflictuelle ?

« Certains dossiers resteront compliqués, malgré l’énergie que nous déployons et l’intelligence

des personnes concernées », commente simplement Charlotte Robbe. Plus globalement, la

proposition de loi s’inscrit dans un schéma d’« exercice conjoint de l’autorité parentale ».

Il faut parler de "résidence de l'enfant".

Ainsi l’idée de « résidence alternée », que les sénateurs souhaitaient, mais qui était rejetée par le

gouvernement Ayrault, est abordée sous un autre angle. Les députés veulent mettre « fin au

choix binaire (…) entre la résidence alternée ou la résidence au domicile d’un seul des parents,

(…) une source de conflits ». Le principe sera de fixer la résidence au domicile de chacun des

deux parents pour « traduire leur égalité ». « Il faut sortir de cette dichotomie stigmatisante et

parler de « résidence de l’enfant », martèle Charlotte Robbe. Il s’agit donc d’un changement de

terminologie.

Mais ce symbole appelle à un changement des mentalités majeur. « La demande de la résidence

alternée s’apparente bien souvent à une revendication basée sur des considérations personnelles.

Beaucoup de pères la demandent par principe, pour se positionner par rapport aux enfants »,

raconte l’avocate. « On a trop tendance à associer le temps de résidence à un temps d’exercice

exclusif de l’autorité, poursuit-elle. Les droits et obligations des parents ne doivent pas être

ponctuels, mais permanents, et ce jusqu’à la majorité de l’enfant ».

Les députés prévoient une amende de 10 000 euros maximum pour le parent empêchant

gravement l’exercice conjoint de l’autorité parentale. En revanche, la proposition ne prévoit rien

sur les obligations d’un parent défaillant, si ce n’est les traditionnelles compensations

financières. Partir à l’autre bout du monde, loin de ses enfants, ne nécessite pas une autorisation

préalable.

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Si les jeunes filles peuvent aujourd’hui passer le baccalauréat, suivre des études

supérieures, devenir avocates, médecins ou encore parlementaires, il fut un temps ou ce

n’était pas le cas… 

Certaines sont devenues célèbres, telles George Sand, Colette ou encore Simone Veil, mais

d’autres femmes d’exception sont restées dans l’ombre. Pourtant, elles ont fait avancer la

condition féminine en France. Dans Ces femmes qui ont réveillé la France (Éd. Points.), Jean-

Louis Debré et Valérie Bochenek nous livrent vingt-six portraits de pionnières. Focus sur cinq

d’entre elles, qui furent les premières dans leur domaine. 

Élisa Lemonnier (1805-1865), créatrice de la première école pour toutes

Elle a fondé, en 1862, la première école professionnelle pour jeunes filles. Épouse d’un

professeur de philosophie engagé, Elisa Lemonnier entend sortir les femmes et filles d’ouvriers

de l’illettrisme et surtout de la dépendance. Elle crée le 1er octobre 1862, la première école

accessible à toutes pour endiguer l’ignorance et la soumission.

Soutenue politiquement et surtout financièrement, l’objectif qu’elle affiche est clair : « la

fondation et l’entretien à Paris d’une école professionnelle pour les jeunes filles, et la création

d’un cours destiné à préparer aux divers emplois du commerce pour celles qui veulent suivre une

carrière et pour lesquelles aucune institution spéciale n’a encore été fondée à ce jour. » Dès sa

création, l’école connaît un rapide succès. En dix mois, plus de 80 jeunes filles sont inscrites.

Elles sont 150 au bout d’un an. On dénombrera huit écoles Lemonnier à Paris. Elisa décède le 5

juin 1865. Son combat précède de vingt ans l’action du député Camille Sée et la loi promulguée

le 21 décembre 1880 qui instaurera les lycées obligatoires pour jeunes filles.

Julie-Victoire Daubié (1824-1874), première bachelière

Le 17 aoû 1861, Julie-Victoire Daubié obtient, à 37 ans, son baccalauréat. C’est la première

bachelière en France. À cette époque, la femme est considérée dans l'Hexagone non pas comme

inférieure à l’homme, mais comme façonnée différemment par la nature. Elle a pour mission de

s’occuper de la famille et de veiller à son épanouissement. Une aberration pour Julie-Victoire qui

entreprend très vite de bousculer les traditions.

Née le 26 mars 1824, cette jeune fille issue d’une famille modeste a perdu son père peu après sa

naissance. Elevée par son grand frère, prêtre, elle aura la chance de recevoir une éducation

éclairée. Elle étudie à l’époque, l’histoire, la géographie, le latin et le grec. 

 

"Un examen réservé aux hommes"

Douée et pourvue d’une grande soif de connaissances, elle entre finalement à l’école primaire et

reçoit en 1844 le brevet de capacité pour exercer l’instruction primaire. Seul diplôme

d’enseignant auquel les femmes ont le droit de prétendre à l’époque. Ne comptant pas en rester

là, Julie-Victoire rêve d’une société égalitaire. Elle décide dès lors de rédiger un manuscrit

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qu’elle publiera des années plus tard sous le titre de La Femme pauvre au XIXe siècle. Après

avoir répondu à de nombreux concours organisés par l’Éducation nationale, dont pour certains

elle figura parmi les finalistes, Julie-Victoire passe à l’étape supérieure : le baccalauréat. Un

examen réservé aux hommes dont le titre n’est d’ailleurs pas conjugué au féminin. En 1860, elle

tente de s’inscrire à l'épreuve auprès du rectorat des académies de Paris et d’Aix. Elle se voit

refuser partout. En 1861, grâce à de nombreuses connaissances, elle obtient le droit par le recteur

de Lyon, de passer l’épreuve de Lettres, en candidature libre. Triomphante le 17 août, elle

devient la première « bachelière » de France.

Cette réussite constitue une étape essentielle dans le combat des femmes pour se voir reconnaître

des droits identiques à ceux des hommes.

Jeanne Chauvin (1862-1926), première avocat

Le combat de cette femme, première avocat, pour contraindre le monde patriarcal des magistrats

et parlementaires à autoriser les femmes à s’inscrire au barreau, fut exemplaire. Née en 1862

dans le Loiret, d’un père notaire, Jeanne est une jeune fille brillante. Obtenant le baccalauréat de

sciences et celui de lettres en même temps, elle deviendra l’une des premières « docteur en doit »

après avoir obtenu une licence de droit et une autre de philosophie. Son but est simple  : plaider

pour la bonne cause et donc devenir avocat. Malgré ses diplômes, Jeanne se voit refuser l’accès

au barreau en 1897. Le motif invoqué est tout simplement que la loi n’autorise pas les femmes à

plaider. Une plaisanterie ? Non une réalité. En 1892, elle écrira dans L’Illustration du 16 juillet

un pamphlet annonçant la fin de la supériorité. Elle sera chargée dès lors de dispenser de

nombreux cours dans plusieurs lycées pour jeunes filles. Mais sa vocation reste de plaider et de

côté-là, rien n’y fait, le corps de métier s’y oppose. Jeanne Chauvin se battra alors durant trois

ans. À coups de publications et de revendications juridiques en tout genre. C’est finalement en

1900, le 19 décembre, qu’elle prêtera serment et deviendra ainsi lapremière femme avocat en

France après le vote d’une loi le premier du même mois.

La sophistication rimerait avec solitude et obsolescence. Désormais, la mode et le monde

célèbrent les individus normaux et leur look simple, comme une nouvelle forme

d'authenticité.  

Le hipster n’est plus, c’est Internet qui l’a proclamé. Mais quand la mode enterre l'un, elle

célèbre l'autre. Cette fois, le normal, le banal, ce look global qui s'est répandu sur la planète

connaît son heure de gloire. Il s'agit du normcore. Contraction denormal et hardcore, cette

nouvelle lubie célèbre l’habit ordinaire et cultive le gout des choses simples. Là où le hipster

prêtait une attention particulière voire obsessive à son apparence, lenormcore revient au basique.

Jean, tee-shirt noir et baskets ont remplacé le pantalon velours moutarde et la chemise bariolée.

Un style ultrabanal érigé au rang de tendance mode, dont les lignes épurées des années 1990

et Steve Jobs (et son célèbre col roulé noir) sont les modèles. 

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Si le mot hipster trouvait son origine linguistique dans les années 1940 pour désigner les

aficionados de jazz, le normcore a lui conquis sa gloire sur le Web. « Même si cette tendance

était déjà présente, il fallait la nommer pour qu’elle existe », explique le sociologue Ronan

Chastellier. « Ce besoin du néologisme est nécessaire pour avoir prise sur l’anonymat, dès qu’on

met un nom sur quelque chose, il est créé », précise l’auteur de l’ouvrage Tous en Slip ! Essai sur

la frugalité contemporaine et le retour aux valeurs simples. 

Selon la journaliste Fiona Duncan qui a révélé ce style au grand public dans un article du New

York Magazine en février dernier, les looks se sont tellement uniformisés que l'on ne peut

distinguer un touriste d’un jeune New-Yorkais branché, tous étant « vêtus de jeans délavés,

d’une polaire et de chaussures de sport confortables, et ayant l’air de descendre du métro après

avoir fait du shopping sur Times Square. » De cette silhouette globalisée, serait née une mode.

Une définition retouchée

C’est le cabinet de tendance new-yorkais,  K-Hole, qui a le premier forgé le concept de cette

uniformité. Comme l’admet Fiona Duncan, il s’agissait « non pas de décrire un look particulier,

mais une attitude générale, celle d’embrasser une similitude délibérée pour avoir l’air cool, au

lieu de rechercher l’authenticité et la différence. »  Dans un article publié ultérieurement dans

le   Huffington Post,  le cabinet a tenu à repréciser que le normcore est le désir d'être vierge, de

recommencer à zéro. « Les gens avaient l'habitude d'être nés dans des communautés et devaient

ensuite trouver leur propre individualité. Aujourd’hui, c’est le contraire, les gens sont nés dans

un monde individualisé et doivent trouver leurs communautés », explique Sean Monahan de K-

Hole. Une réflexion plus profonde qui dépasse le port de parkas kakis, sweats gris et casquettes

de base-ball.

Mais ce normcore intello... a déjà évolué. Car la machine s'est emballée. Sur les réseaux sociaux,

les médias et les marques, le normcore est désormais l’objet de toutes les attentions, comme la

noté le site français   Slate . De Gap à Uniqlo en passant par la marque de baskets New Balance, le

non style devient un argument publicitaire de poids. Sur son compte Twiiter, la marque

américaine Gap revendiquait même être dans la tendance depuis 1969.

"La crise a fait office d’éveil"

Certains suggèrent encore qu’à travers le dernier « défilé supermarché » de Chanel, le

phénomène a diffusé dans les sphères les plus hautes de la mode. « Cette tendance est logique,

estime le Guardian. Autrefois confidentiel et exclusif, le monde de la mode s’ouvre aux réseaux

sociaux. Au sein même de l’industrie, certains se rebellent contre le look trop fashion et adoptent

un uniforme vierge sans plusieurs niveaux de compréhension. »

Mais si les tendances passent et s’effacent, ce retour au normal serait en réalité l’expression

symptomatique d’une époque, où la transparence et la non dissimulation se voient sanctifiées.

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« La crise n’explique par tout, mais elle a certainement fait office d’éveil  », estime Ronan

Chastellier. « On observe un mouvement de retour aux sources, aux joies simples, car les êtres se

sont rendus compte que la simplicité pouvait combler », explique-t-il. Le hispter symbolisait le

trop plein d’accessoires et d’objets. Avec lenormcore, le temps est à une véritable méditation sur

la lourdeur. « On cherche à se débarrasser de l’inutile et de l’artifice, comme si cette quête de la

liberté passe par un allègement de la vie et l’annulation d’un poids. »  

La première étude sexuée réalisée par le Centre national du cinéma (CNC) montre

l’ampleur du chemin qui reste à parcourir pour parvenir à la parité. Parmi les techniciens

comme aux postes de direction et de production, les inégalités entre femmes et hommes

sont tenaces. État des lieux.

La parité dans le milieu du cinéma, on en est loin. En France, la part de réalisatrices ne

représente que 23% de l’ensemble de la profession. Un chiffre obtenu par la première étude

sexuée, réalisée par le CNC à la demande de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Pour

Jackie Buet, fondatrice et directrice depuis trente-six ans du Festival international de films de

femmes de Créteil, ces statistiques sur la parité sont capitales. « Cela nous permet enfin d’avoir

de vrais chiffres », se réjouit-elle. Aux yeux de cette militante féministe, c'est  le signe d'une

volonté politique de faire évoluer la représentation des femmes aux postes de création et de

direction.

Car, cette étude, longuement attendue par les défenseurs de l’égalité femmes-hommes dans le

milieu du cinéma, fait suite à la signature le 10 octobre dernier par les ministres Aurélie

Filippetti et Najat Vallaud-Belkacem de la Charte pour l’égalité. Un texte dit incitatif, élaboré

par l’association Le deuxième regard, qui avait notamment pour objectif d'obtenir de telles

statistiques. Il avait également été paraphé par deux des femmes qui comptent dans l'industrie de

l'audiovisuel français : Frédérique Bredin et Véronique Cayla, respectivement présidentes

du CNC et d'Arte France. 

Le cercle devient rapidement vicieux

Pour le moment, le chemin vers l'égalité se heurte à des contradictions. Si les effectifs de

la Femis, l’école de cinéma parisienne, se révèlent paritaires depuis plusieurs années, les femmes

ne représentent que 25% des auteurs de premiers films. Un déséquilibre qui s'explique par une

répartition très nettement sexuée en fonction des filières : alors que les hommes sont plus

nombreux en réalisation, on retrouve les femmes dans les métiers traditionnellement féminins

comme celui de scripte (98,1% selon le CNC) ou en montage. Une habitude, vestige du temps où

le matériel de tournage était très lourd à porter, mais qui perdure : « La caméra pour les garçons,

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le montage pour les filles parce qu'elles ont, soi-disant, les mains fines… C'est resté un

automatisme »,  déplore Jackie Buet. 

Charlotte Silvera , elle, a réussi à tracer son sillon. Depuis son premier film, en 1984, Louise

l'insoumise, la réalisatrice de C'est la tangente que je préfère a tourné en tout sept longs-

métrages. Mais, elle explique qu'elle n'est jamais parvenue à obtenir un budget supérieur à deux

millions d'euros, alors que la moyenne pour un film français est en général le double. Les

femmes moins capables de gérer une grosse enveloppe, elle n'y croit pas : « Je ne connais aucune

femme cinéaste en France qui ait explosé un budget ou se soit à mis à dos des producteurs

successifs. »

Pourtant, le cercle devient rapidement vicieux. Certains agents et acteurs peuvent se montrer

frileux à participer s'ils sentent une réticence du producteur à s'engager sur le projet, et vice

versa. 

Réaliser sept longs métrages, comme l’a fait Charlotte Silvera, relève presque de l'exploit. En

effet, si nombre de réalisatrices parviennent à faire un premier film, elles sont beaucoup plus

rares à passer le cap de la deuxième, voire de la troisième réalisation. Un premier film reçoit de

nombreuses aides incitant les producteurs à promouvoir de jeunes talents : le CNC attribue

notamment une avance sur recettes qui peut aller jusqu'à 20% du devis. Sans ces subventions, et

si le premier film n’a pas fait un carton, il devient très difficile de convaincre un producteur, peu

enclin à miser ses fonds propres. 

La caméra pour les garçons, le montage pour les filles 

Ce manque de parité se retrouve aussi au sein des équipes de tournage. On ne compte par

exemple, en moyenne, que 10% de chef opératrices. Jeanne Lapoirie fait partie des rares. Elle a

travaillé entre autres avec André Téchiné, François Ozon ou Valeria Bruni-Tedeschi : « Les

équipes sont constituées par réseau : le réalisateur choisit son chef opérateur, le chef op son chef

machiniste, son chef électro, etc… » Les postes à responsabilités étant une nouvelle fois occupés

par des hommes, en découlent des équipes majoritairement masculines. « Certains réalisateurs ne

se sentent tout simplement pas à l'aise pour travailler avec des femmes », regrette-t-elle.

Une forme d’autocensure

Charlotte Silvera n'hésite pas à parler de combat à mener au sein d'une industrie du cinéma

qu'elle qualifie de « conservatrice, archaïque et hiérarchisée. » Elle dénonce des comportements

à la misogynie sous-jacente comme lorsque, sur son dernier tournage, des membre de l'équipe

ont taxé d'hystérie une réalisatrice avec laquelle il venait de travailler.  « Les hommes aussi sont

caractériels, mais c'est comme s’ils avaient la légitimité de l’être », s'indigne-t-elle.  Dominique

Cabrera, réalisatrice engagée dont le dernier film documentaire Grandir vient de sortir en salles,

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tempère : « On est pris dans un système de domination masculine. Mais une fois emporté dans

l'aventure de création, tout le monde va dans le même sens. » 

Manque de considération, contraintes budgétaires, les femmes ne sont pas encouragées à se

lancer dans la réalisation. Dominique Cabrera regrette que, face à cela, elles se mettent elles-

mêmes des barrières. « Ce qui est difficile, c'est de se sentir légitime de s'exprimer publiquement

alors que dans notre société, la parole féminine est traditionnellement limitée à l'espace privé.

» Des freins sociaux auxquels vient s'ajouter le manque de modèles pour inciter les jeunes

femmes à se tourner vers la réalisation. Une forme d’autocensure que regrette Jackie Buet : « Au

Festival de films de femmes, nous recevons beaucoup de groupes scolaires, explique-t-elle. Il est

important que des jeunes filles puissent se rendre compte qu'elles ne sont pas forcément

destinées à n’être que puéricultrices, mais qu'elles aussi ont un regard à elle et qu'elles peuvent le

partager. »

er, le nouveau film de Spike Jonze, raconte la naissance d’un amour entre un être humain

et son assistante virtuelle. Dans le même temps, le film propose une réflexion globale sur la

place de plus en plus prégnante de l’intelligence artificielle au sein des relations

sentimentales.  

Un homme esseulé tombe amoureux d’un « OS » (un système d’exploitation informatique) qui

répond au doux nom de Samantha. Après une rupture difficile, Theodore (Joaquin Phœnix)

trouve du réconfort auprès de cette version nettement améliorée de l’assistant personnel

d’Apple, Siri. Et pour cause, Samantha, à qui Scarlett Johansson prête sa voix sensuelle, a tout de

la femme parfaite. Douée d’une intelligence hors norme, elle est capable de lire des livres entiers

en quelques secondes et de trier les mails de Theodore. Mais, loin de ses seules aptitudes

cérébrales, elle possède également des qualités « humaines », se révélant drôle et attachante. Pas

étonnant que Theodore finisse par tomber amoureux d’elle. Petit inconvénient mais pas des

moindres : cette « femme » n’existe pas. Le film de Spike Jonze pose des questions prégnantes.

Peut-on entretenir une relation avec un objet de technologie ? Les comportements amoureux

sont-ils en train de glisser vers le terrain du « tout virtuel » voire de l’artificiel ?  

Le rapport à la machine

A priori, impossible de tomber amoureux d’une voix, d’autant plus lorsque l’on sait qu’elle

appartient à un objet de technologie, et non pas à un être humain, fait de chair et d’os. Pourtant,

dès les années 1950, l’informaticien Alan Turing a prouvé que l’on peut dialoguer avec un

ordinateur, par clavier et écran interposés, sans même réaliser qu’il s’agit en réalité d’une

machine. La technologie se développe alors comme une forme de lien social ; parce qu’elle

permet non seulement de mettre en contact deux êtres géographiquement éloignés, mais aussi

parce qu’elle vient, parfois, combler un certain manque affectif. « Certaines personnes

entretiennent déjà un lien émotif avec leur ordinateur ou leur smartphone, projetant sur leur

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machine des sentiments humains », note le britannique David Levy dans son ouvrage   Love + Sex

with robots .  L’appareil est aujourd’hui apte à simuler la pensée humaine, mais de là à tomber

sous son charme, rien n’est moins sûr.  

« Les expériences de psychologie cognitive ont permis de cerner ce qui favorise l’état

amoureux : le sentiment de proximité, la réciprocité, l’échange de récits sur son enfance, sa vie

intime, l’apparence physique… Il est tout à fait possible de programmer un humanoïde afin qu’il

reproduise tous ces éléments », avance David Levy. Ici, il n’est plus question d’un « simple »

smartphone mais d’un robot dont le comportement et l’apparence se rapprochent

progressivement de celle de l’homme. 

Fantasme de la femme fabriquée

« Il est envisageable de focaliser ses émotions sur ces machines puisqu’elles ont un visage »,

souligne Alain Cardon, mathématicien spécialisé dans le domaine de l’intelligence artificielle. Et

d’ajouter : « Des sentiments affectueux, amicaux voire amoureux pourraient tout à fait naître. »

Cette possibilité interroge également un mythe maintes fois fantasmé par les hommes, celui de la

création d’une femme totalement artificielle. Dans la mythologie grecque, Pygmalion, artiste

solitaire et misogyne, entreprend de sculpter une compagne parfaite. D’un bloc d’ivoire, il cisèle

Galatée et en tombe amoureux. La déesse Aphrodite, touchée par la solitude de Pygmalion,

donne vie à sa statue.

Des siècles plus tard, cette obsession est toujours latente comme l’illustre la série  Real

Humans du Suédois Lars Lundström diffusée sur Arte en 2013. Dépeignant une société dans

laquelle hommes et robots (au nom de Hubots)  cohabitent en (presque) harmonie et où la

question du sentiment amoureux vient, là aussi, inévitablement se poser. Léo, mi-homme mi-

robot tombe sous le charme de Mimi, une séduisante Hubot d’origine asiatique. Ici, les

humanoïdes jouissent non seulement de la capacité d’éprouver des sentiments mais ont

également une vie sexuelle épanouie. Car cet aspect physique n’est pas négligeable dans la

réussite d’une histoire d’amour.

Combiner sexe et activité cérébrale

Dans son livre, Des poupées et des hommes , Elisabeth Alexandre s’intéresse aux   real dolls , ces

poupées en silicone hyperréalistes et malléables à merci. Au Japon, des maisons de rendez-vous

leur sont même consacrées. Au « Doll No Mori », le client paie, choisit son modèle et l’utilise à

son gré. Mais le must, c’est de pouvoir combiner le sexe et l’illusion d’une activité cérébrale. Les

geeks et les chercheurs l’ont bien compris. Ainsi Le Trung, un geek canadien d’origine

vietnamienne a-t-il pour compagne Aïko, depuis 2007. Aïko n’est pas une femme comme les

autres, c’est une femme-robot. En plus de parler l’anglais et le japonais, elle sait distinguer les

couleurs et les visages familiers, cligner des yeux et servir à manger. Dans le New-Jersey

aussi, la société True Companion commercialise Roxxxy, présenté « non pas comme un robot

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sexuel mais comme une compagne » avec cinq personnalités différentes téléchargeables selon

l’humeur de son propriétaire.

 Il deviendra naturel de les aimer

Devançant le progrès, le ministre du Commerce, de l’Industrie et de l’Énergie de Corée du Sud a

même lancé la rédaction d’un code éthique destiné à réguler et à moraliser les futurs rapports

entre les personnes et les créatures artificielles. « D’ici à 2050, les êtres humains se marieront

avec des robots humanoïdes. On sera capable de construire des machines qui nous ressembleront

et reproduiront nos émotions : il deviendra quasi naturel de les aimer », assène David Levy.

Vraiment ? 

Ian Yeoman et Michelle Mars, deux chercheurs de l’université Victoria de Wellington

(Nouvelle-Zélande), vont jusqu’à imaginer la généralisation de ces humanoïdes. Et rêver que

cela mettrait fin au marché du sexe, au trafic d’êtres humains et aux maladies sexuellement

transmissibles. Dans ces conditions, il va falloir prévoir un nouvel amendement au mariage pour

tous.

Le Maghreb est l’une des régions au monde le plus touchée par l’analphabétisme et le

Maroc est particulièrement en retard. Près de 53% des marocaines ne savent ni lire, ni

écrire, révèle un rapport du Haut commissariat au plan marocain.

Au pays du royaume chérifien, l’analphabétisme est un fléau qui touche encore une grande partie

de la population. Les femmes en particulier. Dans un rapport publié par le Haut commissariat au

plan (HCP), plus de la moitié des Marocaines (âgées de plus de 15 ans) sont aujourd’hui 

analphabètes. Un taux très élevé, alors même qu’un secrétariat d’état dédié à cette problématique

ainsi que de nombreux programmes d’alphabétisation en coopération avec l’Union européenne et

diverses ONG, ont vu le jour au cours des dix dernières années. 

Entre 2009 et 2010, plus de 700 000 personnes avaient accès à ces programmes, dont plus de la

moitié des effectifs étaient féminins. « L’UE, rappelons-le, n’y va pas de main morte quand il

s’agit d’aider le Maroc dans sa lutte contre l’analphabétisme. Elle a versé pour le programme

d’alphabétisation qui s’étale de 2008 à 2013 la bagatelle de 27 millions d’euros », rappelle le site

marocain LaVieéco. Or, si ces efforts ont permis de réduire le taux d’analphabétisme, puisque 8

femmes sur 10 ne savaient pas lire en 1982… Les progrès restent lents.

Les femmes en espace rural plus touchées

Les femmes rurales sont plus touchées que les citadines selon l’étude Femmes marocaines et

marché du travail : caractéristiques et évolution du HCP. Au total, plus de sept marocaines sur

dix (71,8 %) en souffrent dans les campagnes, contre environ quatre sur dix en milieu urbain.  Le

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constat est terrible dans un pays où plus de la moitié des femmes actives exercent dans des

exploitations agricoles et commencent à travailler avant 15 ans.

En 2013, l’analphabétisme a touché 774 millions d’adultes dans le monde entier, dont les deux

tiers (493 millions) concernent les femmes.) Le Maroc et le Maghreb en général

demeurent parmi les régions les plus touchées du monde, selon les chiffres de l’Institut de

Statistiques de l’Unesco (ISU). L’analphabétisme n’est peut-être pas aussi élevé que dans

certains pays d’Afrique subsaharienne, mais  la situation au nord du continent reste préoccupante

pour les femmes. Si le Maroc fait figure de mauvais élève, les femmes sont encore 37 % à ne pas

savoir lire et écrire en Algérie, 29 % en Tunisie, et 17 % en Libye.

Si les femmes en Inde ont vu leur condition économique légèrement s’améliorer, elles

restent prisonnières d’un système de mariages arrangés et de leur clan.

Le mariage d’amour reste une exception en Inde. Seules deux femmes sur dix ont déjà aperçu

leur futur mari avant le jour de la cérémonie. Et la plupart n’ont pas pu donner leur avis. Une

enquête, publiée par le journal The Hindu, dresse un panorama inquiétant de l’égalité hommes-

femmes dans le mariage. Conduite par The National Council of Applied Economic Research, un

think-tank base à New Delhi, l’étude a interrogé plus de 40 000 épouses entre 2011 et 2012.

Mais si certains progrès sont notables, d’autres enseignements témoignent de la difficulté des

femmes au sein du mariage en Inde aujourd’hui.

Le mariage précoce recule

Les données indiquent d’abord un certain recul des mariages précoces. Depuis 2006, les unions

d’enfants sont interdites. Et le nombre de filles se mariant avant 18 ans est passé de 60 % avant

la loi à 48 % en 2011 (date à laquelle l’étude a été menée). Même si dans certaines régions où les

volontés progressistes se heurtent aux traditions culturelles et religieuses (l’adoption de la loi sur

l’interdiction du mariage des enfants a été votée en 2006). Plus de sept femmes sur dix (73 %)

indiquent s’être mariées alors qu’elles étaient mineures dans l’État agricole du Rajasthan.

À l’inverse, au Pendjab, l’une des provinces les plus riches de l’Inde, le taux de nuptialité des

mineures est faible. Seules 13 % des femmes se sont mariées avant d’avoir atteint les 18 ans. «

Des mesures ont été prises pour l'autonomisation des femmes », explique Sonalde Desai,

directrice de l’étude, « mais cette enquête montre surtout à quel point leur situation est encore

sombre. »  

Les violences domestiques encore présentes

Au pays de Sonia Gandhi, la vie à deux se révèle toujours aussi contraignante au quotidien. 

Seule une femme sur dix estime pouvoir décider d'acheter des meubles pour la maison. Moins de

deux femmes sur dix ont leur nom inscrit sur les papiers administratifs, tandis qu’elles sont à 80

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% obligées de demander l’autorisation de leur époux pour consulter un médecin. « Certains

d’entre nous, qui se sont mobilisés pour le droit des femmes, ont pensé qu’il fallait se concentrer

sur la police et la sécurité. Mais, il doit y avoir un changement à l’intérieur de la maison, dans les

écoles et au sein même des communautés », rappelle Suneeta Dhar, présidente du mouvement

Jagori,dans The Hindu.

Pourtant interdite, l’usage de la dot persiste

D’autant que la violence, si elle n’épargne aucun pays dans le monde, reste prégnante en Inde.

Ménage, dépenses, cuisines… les raisons sont malheureusement diverses et variées pour justifier

les coups. Plus de la moitié des Indiennes (54 %) estiment qu’elles se feraient battre si elles

osaient sortir sans la permission de leur conjoint. Presque la moitié du panel (46 %) confie

également que les tâches ménagères sont une source de conflit, quand trois femmes sur dix

avancent qu’une mauvaise cuisine peut conduire leurs hommes à lever la main sur elles.

Le dernier enseignement de cette enquête révèle que l'apport d'une dot est encore une pratique

largement répandue en Inde. Pourtant prohibée en 1961, cette coutume qui scelle le mariage par

l’offre de cadeaux de la famille de la mariée à son futur époux, poursuit son chemin. Les femmes

indiennes paient en moyenne plus de 30 000 roupies, soit 350 euros.