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La voie drsquoHermegraves
Nag Hammadi and
Manichaean Studies
Editors
Johannes van Oort amp Einar Thomassen
Editorial Board
JD BeDuhn AD DeConick W-P FunkI Gardner SNC Lieu A MarjanenP Nagel L Painchaud BA Pearson
NA Pedersen SG Richter JM RobinsonM Scopello JD Turner G Wurst
VOLUME 77
The titles published in this series are listed at brillnlnhms
La voie drsquoHermegraves
Pratiques rituelles et traiteacutes hermeacutetiques
Par
Anna Van den Kerchove
LEIDEN bull BOSTON2012
This book is printed on acid-free paper
Library of Congress Cataloging-in-Publication Data
Kerchove Anna Van den La voie drsquoHermegraves pratiques rituelles et traiteacutes hermeacutetiques by Anna Van den Kerchove p cm mdash (Nag Hammadi and Manichaean studies ISSN 0929-2470 v 77) Includes bibliographical references (p ) and index ISBN 978-90-04-22345-5 (hardback alk paper) 1 Hermetism I Title
BF1601K47 2012 135rsquo45mdashdc23
2011046258
ISSN 0929-2470ISBN 978 90 04 22345 5 (hardback)ISBN 978 90 04 22365 3 (e-book)
Copyright 2012 by Koninklijke Brill NV Leiden The NetherlandsKoninklijke Brill NV incorporates the imprints Brill Global Oriental Hotei Publishing IDC Publishers Martinus Nijhoff Publishers and VSP
All rights reserved No part of this publication may be reproduced translated stored in a retrieval system or transmitted in any form or by any means electronic mechanical photocopying recording or otherwise without prior written permission from the publisher
Authorization to photocopy items for internal or personal use is granted by Koninklijke Brill NVprovided that the appropriate fees are paid directly to The Copyright Clearance Center 222 Rosewood Drive Suite 910 Danvers MA 01923 USAFees are subject to change
Agrave Zeacutelia et Marcel Gaussen
TABLE DES MATIEgraveRES
Liste des tableaux xiiiRemarques preacuteliminaires xvPreacuteface par Jean-Daniel Dubois xviiRemerciements xxiAbreacuteviations et sigles xxiii
Introduction 1 I La litteacuterature hermeacutetique philosophique 2 1 Histoire de sa deacutecouverte en Occident 2 2 Datation et theacutematique des eacutecrits hermeacutetiques philosophiques 5 II Eacutetat de lrsquohistoriographie sur la litteacuterature hermeacutetique philosophique 6 1 De la lumiegravere agrave lrsquoombre 6 2 Renaissance de lrsquointeacuterecirct pour les traiteacutes hermeacutetiques 7 3 De nouveaux outils et de nouvelles approches 8 4 La place des pratiques rituelles dans la recherche 12 III Approche proposeacutee 13
PARTIE 1
LA PRATIQUE DE LrsquoENSEIGNEMENT AU CŒUR DE LA laquo VOIE DrsquoHERMEgraveS raquo
1 De Poimandregraves aux hermeacutetistes mise en place de la pratique didactique 23
I La reacuteveacutelation divine Hermegraves et ses instructeurs divins 24 1 Hermegraves Trismeacutegiste le disciple anonyme de CH I 25 2 Les trois intellects instructeurs divins drsquoHermegraves 28 II Hermegraves du disciple au maicirctre 30 1 Hermegraves lrsquoheacuteritier de toute une tradition 30 2 Hermegraves missionnaire 34 3 Hermegraves autoriteacute et modegravele des hermeacutetistes 39 a Hermegraves guide et autoriteacute 40 b Hermegraves modegravele des hermeacutetistes 43 4 CH I un rituel drsquoinvestiture 44
viii table des matiegraveres
III La chaicircne hermeacutetique 45 1 La mise en place de la chaicircne hermeacutetique 46 a Un enseignement divin reacuteserveacute agrave quelques disciples 46 b La succession mythique des maicirctres 50 2 Les relations entre le maicirctre et ses disciples 55 a Une leccedilon pour un disciple 55 b Maicirctre et disciple pegravere et fils 56 c Relation filiale relation spirituelle 58 d Lrsquoalliance entre maicirctre et disciple 61 e Ammon le roi anonyme et le prophegravete 63 f Conclusion 65 3 Les traiteacutes hermeacutetiques de nouveaux guides pour le disciple 65 a Les leccedilons et un ordo docendi hermeacutetique 66 b Un cursus hermeacutetique 71 c Le genre des traiteacutes au service de la pratique didactique 73 d La dynamique des leccedilons hermeacutetiques 76 IV Conclusion 79
2 Maicirctre disciple et enseignement 81 I Un investissement personnel de lrsquohermeacutetiste maicirctre ou disciple 82 1 Se preacuteparer agrave enseigner et agrave ecirctre instruit 82 2 Eacutecouter et ecirctre silencieux 85 3 Susciter un eacutelan inteacuterieur chez le disciple 89 a Enseignement hermeacutetique et imitation 89 b Le maicirctre et les sentiments du disciple 92 II Parole et eacutecriture 94 1 Le secret dans lrsquoenseignement hermeacutetique 94 a La pratique du secret 95 b Le secret et lrsquoeacutecriture 98 c Ecirctre ou ne pas ecirctre un διάβολος 100 2 Rendre lrsquoeacutecrit digne de lrsquoenseignement 106 a La langue de lrsquoenseignement eacutecrit entre grec et eacutegyptien 106 b Le cadre rituel de la mise par eacutecrit 110 3 Traduire ou ne pas traduire 117 a Une conception hermeacutetique de la traduction 118 b Le sens et la lettre drsquoun texte le reacuteel et lrsquoapparence 121
table des matiegraveres ix
III Lrsquoeacutecrit au centre de plusieurs exercices spirituels 128 1 Lrsquoeacutecrit et la lecture 129 2 Lrsquoeacutecrit et la meacutemoire 133 a Lrsquoacte drsquoeacutecrire un exercice de meacutemorisation et de meacuteditation 133 b Lrsquoeacutecrit laquo lieu de meacutemoire raquo 135 3 Lrsquoeacutecrit et la contemplation 141 IV La mise en corpus de textes hermeacutetiques 141 1 Des corpus hermeacutetiques antiques 143 2 Le Corpus hermeticum 146 3 Des collections drsquoextraits 150 V Conclusion 152
3 La protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 155 I Visibiliteacute de lrsquoeacutecrit sens cacheacute 155 1 Le caractegravere eacutenigmatique et obscur de lrsquoenseignement hermeacutetique 156 2 Des eacutecrits difficiles drsquoaccegraves 158 II Une recette apotropaiumlque rituelle 165 1 Utilisation de mateacuteriaux speacutecifiques 166 2 Les gardiens de la stegravele 171 a Les huit gardiens et lrsquoOgdoade hermopolitaine 171 b Les gardiennes agrave tecircte de chat 172 c Les gardiens agrave tecircte de grenouille 174 d Lrsquoassociation grenouille et chat au service de lrsquoeacutecrit 176 III Conclusion de la premiegravere partie 179
PARTIE 2
LrsquoHERMEacuteTISTE COMMUNIQUER AVEC LE DIVIN
4 Images des dieux des dieux parmi les hommes 185 I La deacutefense hermeacutetique des images des dieux 185 1 Prise de position dans le deacutebat contemporain 187 2 Lrsquohermeacutetiste admirer et croire 191 3 Respect et croyance fondeacutes sur un savoir 193 a Origine ancienne et eacutegyptienne des images de dieux 193 b Les statues des dieux miroir et reflet des incorporels 197
x table des matiegraveres
II Les images divines entre meacutemoire et culte 201 1 Meacutemoire de la fabrication des images animeacutees 201 a Une fabrication en deux phases 202 b La production artisanale des statues 203 c Lrsquoanimation des statues 207 2 Les images des dieux une voie vers le divin 214 a Rendre un culte et contempler le divin 214 b Maintenir le divin au sein de lrsquohumaniteacute 216 c Les statues de veacuteritables acteurs divins aupregraves des hommes 218 III Conclusion 221
5 Lrsquohermeacutetiste les sacrifices et les priegraveres 223 I Les sacrifices dans la Koreacute Kosmou 224 1 Les sacrifices une action civilisatrice 226 2 Les sacrifices une institution veacuteneacuterable 227 II Sacrifices et dieux 233 III Les hermeacutetistes et les priegraveres 235 1 Prier Dieu 236 a Prier et demander des bienfaits 237 b Prier et chanter Dieu 239 c Lrsquoorant un instrument de musique 242 d Louer Dieu 251 e Lrsquoexpression de la gratitude dans les priegraveres hermeacutetiques 258 2 Les priegraveres une ascension vers le divin 259 a Gradation des priegraveres hermeacutetiques 259 b Des priegraveres anagogiques 261 c Teacutemoigner et se mettre au service de Dieu 265 3 Priegraveres et fraterniteacute hermeacutetique 267 a Priegravere et repas 267 b Lrsquoembrassade 269 IV Conclusion de la deuxiegraveme partie 272
table des matiegraveres xi
PARTIE 3
LrsquoHERMEacuteTISTE FACE Agrave LrsquoINTELLECT LA PAROLE ET LA CONNAISSANCE
6 Lrsquointellect pour concevoir Dieu 279 I Preacuteliminaires historiographique et meacutethodologique 279 1 Un thegraveme discret dans la recherche contemporaine 279 2 Quelques remarques meacutethodologiques 282 II Lrsquointellect un don agrave acqueacuterir 282 1 Lrsquoacquisition de lrsquointellect dans lrsquoensemble des traiteacutes eacutetudieacutes 283 2 Lrsquoacquisition de lrsquointellect dans CH I 286 3 Lrsquoacquisition de lrsquointellect dans CH IV 287 4 Le jeu des temps et la parole divine dans CH IV 289 III Les protagonistes en preacutesence 290 1 Les protagonistes divins 291 a Dieu 291 b Lrsquointellect 292 c Le heacuteraut 293 2 Les acteurs humains 294 a Les hommes et les acircmes 294 b Le cœur des hommes 295 c Les conditions humaines pour acqueacuterir lrsquointellect 297 IV Le mode opeacuteratoire 300 1 Le baptecircme dans le crategravere 301 a Lrsquoaction le baptecircme 301 b Le lieu du baptecircme un crategravere 304 c Le baptecircme dans le crategravere rempli drsquointellect un meacutelange de deux rites 307 d Le baptecircme dans le crategravere une pratique rituelle 312 2 Lrsquoacquisition de lrsquointellect dans CH I 316 V Acqueacuterir lrsquointellect et ne pas ecirctre un homme λογικός 320 VI Conclusion 322
xii table des matiegraveres
7 La connaissance qui megravene agrave Dieu 323 I La reacutegeacuteneacuteration 324 1 Analyse structurelle des deux traiteacutes 324 a Le traiteacute CH XIII 324 b Le traiteacute NH VI 6 327 2 Les preacuteliminaires 330 a La preacuteparation anteacuterieure agrave la leccedilon 330 b Le maicirctre et la fin de la preacuteparation du disciple 333 3 Le mode de la reacutegeacuteneacuteration 339 a Les douze bourreaux 340 b Les Puissances 342 c La reacutegeacuteneacuteration une transformation radicale de lrsquohermeacutetiste 346 d Le processus de reacutegeacuteneacuteration un proceacutedeacute technique 355 II Visions et illumination 358 1 La mise en œuvre drsquoune vision 358 2 Parole et visions 362 3 (Se) voir (se) connaicirctre et le salut 366 4 Preacutefiguration du monde divin 369 III Conclusion 370
Conclusion geacuteneacuterale 373
Bibliographie 377Index des textes mentionneacutes 419Index geacuteneacuteral 437
LISTE DES TABLEAUX
1 CH I 26 et le texte lucanien Ac 16ndash9 36 2 Chaicircne de transmission hermeacutetique 50 3 Les laquo lettres de la ldquoMaison de Vierdquo raquo comparaison
grammaticale entre lrsquoeacutegyptien et le copte 112 4 Apparence et reacutealiteacute des eacutecrits eacutegyptiens et grecs 124 5 Comparaison des qualiteacutes de lrsquoeacutegyptien et du grec 124 6 Position des huit gardiens par rapport agrave la stegravele 176 7 La theacutematique de NH VI 6027ndash32 244 8 Les trois contextes drsquoeacutenonciation de la parole divine 290 9 Les occurrences de βαπτίζω dans CH IV 31310 Opposition de deux groupes drsquohommes CH IV 4 32011 Structure de CH XIII 32512 Structure de NH VI 6 328
REMARQUES PREacuteLIMINAIRES
Les traductions des traiteacutes hermeacutetiques grecs coptes et latin sont les nocirctres Pour les autres nous avons indiqueacute le(s) traducteur(s) Les cita-tions en langue originale des traiteacutes hermeacutetiques se conforment aux eacuteditions drsquoA-J Festugiegravere et drsquoAD Nock pour les textes grec et latin de J-P Maheacute pour le texte copte Si nous adoptons une autre leccedilon celle-ci est discuteacutee au cours du texte mecircme ou en note Les reacutefeacuterences aux traiteacutes hermeacutetiques sont donneacutees selon le proceacutedeacute suivant CH pour le Corpus hermeticum et NH pour les codices de Nag Hammadi suivi du numeacutero du traiteacute codex en chiffre romain et du chapitre du traiteacute pages du codex en chiffre arabe SH pour les fragments de Jean Stobeacutee suivi du numeacutero du fragment et du chapitre en chiffres arabes DH pour les Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius armeacutenien-nes avec le numeacutero du chapitre en chiffre romain et de la deacutefinition en chiffre arabe et HO pour les fragments du manuscrit drsquoOxford Clarkianus 11 suivi du numeacutero de la section en chiffre romain et de lrsquoextrait en chiffre arabe
Nous conservons le nom latin du traiteacute Ascleacutepius tandis que pour la figure drsquoAscleacutepios nous donnons le nom grec Dans les citations hermeacutetiques notamment quand il srsquoagit de dialogue nous indiquons les protagonistes par une abreacuteviation H et Ε pour Hermegraves respecti-vement en franccedilais latin et en grec T pour Tat A pour Ascleacutepios P pour Poimandregraves et N pour le narrateur de CH I
Les reacutefeacuterences aux traiteacutes de Plotin sont donneacutees selon lrsquoordre chro-nologique le numeacutero du traiteacute est suivi du chapitre et eacuteventuellement des numeacuteros de ligne Nous ajoutons entre parenthegraveses les reacutefeacuterences selon lrsquoordre systeacutematique Pour Jamblique nous nrsquoavons pas repris le titre communeacutement connu de Mystegraveres de lrsquoEacutegypte mais le titre Reacuteponse drsquoAbamon agrave la lettre de Porphyre agrave Aneacutebon abreacutegeacute en Reacuteponse drsquoAbamon dans les notes suite agrave la traduction due agrave M Broze et C Van Liefferinge 1 Le premier est le titre donneacute par Marsile Ficin agrave la paraphrase qursquoil a faite de ce texte en 1489 tandis que le second est
1 Jamblique Les Mystegraveres drsquoEacutegypte Reacuteponse drsquoAbamon agrave la lettre de Porphyre agrave Aneacutebon traduction et commentaire de M Broze et C Van Liefferinge Bruxelles Ousia 2009
xvi remarques preacuteliminaires
un abreacutegeacute du veacuteritable titre du traiteacute Reacuteponse de Maicirctre Abamon agrave la lettre de Porphyre agrave Aneacutebon et solutions des difficulteacutes qursquoelle contient2 Pour les reacutefeacuterences aux passages preacutecis citeacutes ou mentionneacutes les deux premiers chiffres correspondent agrave lrsquoeacutedition drsquoEacute des Places3 le dernier mis entre parenthegraveses permet de se repeacuterer dans la traduction de M Broze et C Van Liefferinge Quand nous citons ce texte nous donnons lrsquoeacutedition drsquoEacute des Places en indiquant quand elle diffegravere la leccedilon adop-teacutee par M Broze et C Van Liefferinge
Nous eacutecrivons les mots grecs et coptes avec les caractegraveres grecs et coptes
2 Sur ce titre HD Saffrey laquo Les livres IV agrave VII du De Mysteriis de Jamblique relus avec la lettre de Porphyre agrave Aneacutebon raquo in HD Saffrey Le Neacuteoplatonisme apregraves Plotin II Paris Vrin 2000 pp 49ndash64 et surtout pp 49ndash52 Il donne la bibliographie affeacuterente agrave ce sujet
3 Jamblique Les Mystegraveres de lrsquoEacutegypte des Chaldeacuteens et des Assyriens eacuted et traduc-tion Eacute des Places Paris Les Belles Lettres 1996 (reprise de lrsquoeacutedition de 1966)
PREacuteFACE
Anna Van den Kerchove a choisi une voie ambitieuse rendre compte drsquoun pan de la sagesse eacutegyptienne en tenant compte du monde de lrsquoAntiquiteacute tardive Passer ainsi de la Gregravece et de Rome agrave lrsquoEacutegypte et vice-versa crsquoest lrsquoobjectif qursquoelle srsquoest fixeacute en poursuivant une voie originale et peu freacutequenteacutee agrave propos des textes hermeacutetiques lrsquoeacutetude des pratiques rituelles des hermeacutetistes Dans lrsquohistoire de la recherche sur le corpus des textes hermeacutetiques lrsquoapproche drsquoun A-J Festugiegravere a longtemps encourageacute des travaux sur le contexte grec du corpus1 mais lrsquoaccent srsquoest progressivement deacuteplaceacute vers lrsquoensemble du monde meacutediterraneacuteen et particuliegraverement du cocircteacute de lrsquoEacutegypte gracircce aux publications de G Fowden2 et de J-P Maheacute3 Toutefois A Van den Kerchove va plus loin
Elle traite de lrsquoEacutegypte copte et remonte agrave lrsquoEacutegypte ancienne tout en reconnaissant que les sources grecques de lrsquohermeacutetisme reacutefractent par-fois une Eacutegypte fictive recomposeacutee agrave la grecque La mise en valeur du patrimoine eacutegyptien nrsquoa pas fait lrsquoobjet de nombreuses monographies On appreacuteciera drsquoautant plus sa souplesse et sa rigueur dans sa faccedilon de traiter des textes et des contextes qursquoelle interpregravete en particulier quand il srsquoagit de textes grecs qui soulignent la neacutecessaire transmission du contenu de la sagesse hermeacutetique sans passer par une traduction en grec ou du moins le grec de la langue commune alors que la langue drsquoHermegraves recegravele un contenu speacutecifique Anna Van den Kerchove tou-che lagrave aux questions essentielles de la litteacuterature hermeacutetique en pro-posant des voies nouvelles Attentive agrave la structure litteacuteraire drsquoun texte et la strateacutegie drsquoeacutecriture drsquoun traiteacute elle cherche agrave montrer la place que prend la pratique de lrsquoenseignement dans une eacutecole de sagesse hermeacutetique
1 La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves Trismeacutegiste IndashIV Paris Les Belles Lettres 1989ndash19902 The Egyptian Hermes A Historical Approach to the Late Pagan Mind Cambridge
1986 (maintenant traduit en franccedilais par J-M Mandosio Hermegraves lrsquoEacutegyptien Une approche historique de lrsquoesprit du paganisme tardif Paris Les Belles Lettres 2000)
3 Hermegraves en Haute-Eacutegypte IndashII QueacutebecLouvain Les presses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 1978ndash1982
xviii preacuteface
La relation maicirctre-disciple occupe ici un certain nombre de chapi-tres On y deacutecouvre la place que prend Poimandregraves ou Hermegraves dans le premier traiteacute et par-delagrave la mise en place de la chaicircne de transmis-sion du savoir hermeacutetique On repegravere ici et lagrave les traces des leccedilons hermeacutetiques avec toutes les pratiques lieacutees agrave lrsquoeacutecriture agrave la lecture agrave lrsquoapprentissage du savoir agrave la garde du secret Avec beaucoup de deacutetermination Anna Van den Kerchove reacuteussit agrave deacutemontrer que les traiteacutes hermeacutetiques servent agrave la formation spirituelle des apprentis hermeacutetistes par-delagrave les traces drsquoun enseignement oral du maicirctre les traiteacutes conservent des marques de leur performativiteacute et deviennent ainsi le support de paroles qui perdurent par-delagrave la parole initiale du maicirctre Au cœur du processus drsquoapprentissage la recherche de lrsquoeffi-caciteacute de la Parole et lrsquointervention de lrsquoIntellect constituent des don-neacutees qui inscrivent les pratiques rituelles hermeacutetiques dans le cadre des pratiques habituelles des scribes dans les temples eacutegyptiens Les traiteacutes ne sont donc pas simplement des eacutechos drsquoun enseignement oral ou des mystegraveres agrave lire ils font corps avec les rites traditionnels de com-munication avec le divin On ne srsquoeacutetonnera pas de rencontrer alors un questionnement sur les images des dieux et lrsquoanimation des statues et plus encore des pages consacreacutees aux sacrifices chez les hermeacutetistes et aux sacrifices par la parole ou les priegraveres Anna Van den Kerchove a tenu agrave exploiter les diverses sortes de priegraveres contenues dans le corpus hermeacutetique pour en tirer des indications sur la reacutealiteacute des pratiques rituelles Au terme du parcours il nrsquoest plus possible de consideacuterer les hermeacutetistes de maniegravere romantique comme srsquoil srsquoagissait drsquointellec-tuels rompus aux exercices litteacuteraires ou aux poegravetes maniant le verbe dans leur cabinet de travail Doreacutenavant les hermeacutetistes conservent une speacutecificiteacute dans leur maniegravere de communiquer avec le divin ils acquiegraverent une consistance sociale qui les place au cœur des pratiques rituelles de la transmission du savoir eacutesoteacuterique Et parfois on cocirctoie les hermeacutetistes agrave cocircteacute des philosophes theacuteurges ou des scribes prati-quant la magie
Les exercices spirituels des philosophes de lrsquoAntiquiteacute ont susciteacute de belles eacutetudes agrave la suite notamment des travaux de Pierre Hadot et des disciples qursquoil a inspireacutes Agrave sa maniegravere lrsquoouvrage drsquoAnna Van den Kerchove lui rend hommage car plusieurs chapitres sont consacreacutes aux traces de lrsquoenseignement eacutecrit et oral conserveacutees tout au long des traiteacutes hermeacutetiques Que ce soit dans la reacutedaction mecircme des traiteacutes ou par la place que jouent les priegraveres au sein des exercices spirituels des
preacuteface xix
hermeacutetistes Anna Van den Kerchove a voulu reconstituer leur emploi du temps quotidien
Agrave un moment ougrave les eacutetudes sur les textes gnostiques de lrsquoAntiquiteacute cherchent aussi agrave expliciter la dimension rituelle de la vie des gnosti-ques cette monographie vient agrave point pour redonner envie aux speacute-cialistes des courants religieux de lrsquoAntiquiteacute tardive y compris des gnostiques anciens de srsquointeacuteresser au monde sapiential des hermeacutetis-tes Apregraves tout les frontiegraveres entre les exercices spirituels des neacuteopla-toniciens les pratiques magiques des derniers precirctres eacutegyptiens et les sacrements des gnostiques ne sont pas aussi eacutetanches que nos habi-tudes universitaires ont voulu les fixer Et srsquointerroger sur le rocircle de lrsquoIntellect ou de la Parole divine dans la recherche du bonheur ou du salut nrsquoest pas le propre du monde biblique juif ou chreacutetien Anna Van den Kerchove ouvre ainsi des horizons nouveaux agrave qui srsquointeacuteresse aux pratiques spirituelles de lrsquoAntiquiteacute tardive
Jean-Daniel Dubois Eacutecole pratique des hautes eacutetudes Paris
REMERCIEMENTS
Ce livre est issu de recherches meneacutees dans le cadre drsquoune thegravese de doctorat effectueacutee agrave lrsquoEacutecole pratique des hautes eacutetudes sous la direc-tion du Professeur Jean-Daniel Dubois Qursquoil reccediloive ici mes plus vifs remerciements pour mrsquoavoir soutenue tout au long de la reacutealisation de ce travail et pour sa grande disponibiliteacute Je tiens agrave remercier eacutega-lement les membres du jury de cette thegravese Michegravele Broze Alberto Camplani Geacuterard Roquet et Jean-Pierre Maheacute dont les nombreuses remarques et critiques mrsquoont permis de transformer le travail de thegravese en livre
La reacutealisation de ce travail a beaucoup profiteacute des conseils scientifi-ques prodigueacutes par de nombreux professeurs et collegravegues notamment dans le cadre des seacuteminaires de lrsquoEacutecole pratique des hautes eacutetudes et de projets EPHE ndash CNRS Qursquoil me soit permis de citer ici entre autres Philippe Hoffmann Michel Tardieu Michela Zago Luciana Gabriella Soares Santoprete et Lucia Saudelli
Cette recherche nrsquoaurait pu ecirctre acheveacutee dans de bonnes conditions sans le deacutetachement au LEM ndash UMR 8584 (septembre 2004 ndash aoucirct 2006) Jrsquoadresse toute ma gratitude au Professeur Philippe Hoffmann directeur du LEM agrave lrsquoeacutepoque pour son soutien Je suis tregraves reconnais-sante envers lrsquoIFAO et son directeur de lrsquoeacutepoque le Professeur Bernard Mathieu de mrsquoavoir attribueacute deux anneacutees de suite une bourse afin de pouvoir beacuteneacuteficier des ressources de la bibliothegraveque Je remercie aussi beaucoup le Professeur Michegravele Broze pour son accueil lors de mon seacutejour Eacuterasmus agrave lrsquoUniversiteacute Libre de Bruxelles
Enfin je tiens agrave remercier tout particuliegraverement ma famille et en premier lieu Jean-Michel Chauvin dont la preacutesence attentionneacutee a eacuteteacute drsquoune grande aide dans les moments difficiles
ABREacuteVIATIONS ET SIGLES
ANRW = Aufstieg und Niedergang der roumlmischen Welt Berlin-New York W de Gruyter 1972ndash
ASAE = Annales du Service des Antiquiteacutes de lrsquoEacutegypte Le Caire Institut franccedilais drsquoarcheacuteologie orientale 1900ndash
Ascl = AscleacutepiusASE = Annali di storia dellrsquoesegesi Bologna Edizioni Dehoniane
1984ndashBGU II = Aegyptische Urkunden aus den Koumlniglichen Museen zu
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BIFAO = Bulletin de lrsquoInstitut Franccedilais drsquoArcheacuteologie Orientale Le Caire Institut franccedilais drsquoarcheacuteologie orientale 1901ndash
BSFE = Bulletin de la Socieacuteteacute Franccedilaise drsquoEacutegyptologie Paris Socieacuteteacute franccedilaise drsquoeacutegyptologie 1949ndash
CH = Corpus hermeticumChrE = Chronique drsquoEacutegypte Bruxelles Fondation Eacutegyptologique Reine
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Universitaumlt Goumlttingen 1972ndashHO = fragments hermeacutetiques du manuscrit drsquoOxford Clarkianus 11HThR = Harvard Theological Review New York Macmillan 1908ndashIFAO = Institut franccedilais drsquoarcheacuteologie orientale (Le Caire)IProse = A Bernand La Prose sur pierre dans lrsquoEacutegypte helleacutenistique et
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1Jeucirc 2Jeucirc = Premier et Deuxiegraveme livre de JeucircJbAC = Jahrbuch fuumlr Antike und Christentum Muumlnster Aschendorff
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xxiv abreacuteviations et sigles
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abreacuteviations et sigles xxv
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Faculteacute de theacuteologie protestante 1921ndashRHR = Revue de lrsquohistoire des religions Paris E Leroux 1880ndashSB I = F Preisigke Sammelbuch Griechischer Urkunden aus Aumlgypten
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SH = fragments hermeacutetiques de Jean StobeacuteeSyr-A et Syr-C = collections syriaques de propheacutecies de philosophes
antiquesThLZ = Theologische Literaturzeitung Leipzig Evangelische Verlags-
anstalt 1876ndashVC = Vigiliae Christianae Leiden Brill 1947ndashWB = A Erman H Grapow Woumlrterbuch der aumlgyptischen Sprache 5
Vol Leipzig JC Hinrichs 1928ndash1931ZAumlS = Zeitschrift fuumlr aumlgyptische Sprache und Altertumskunde Berlin
Akademie-Verlag 1863ndashZPE = Zeitschrift fuumlr Papyrologie und Epigraphik Bonn Rudolf Habelt
Verlag 1967ndash
INTRODUCTION
Les traiteacutes attribueacutes agrave Hermegraves Trismeacutegiste constituent un corpus lit-teacuteraire vaste dans le temps (de lrsquoAntiquiteacute jusqursquoagrave la Renaissance1) dans lrsquoespace et dans les thegravemes abordeacutes Cette immense litteacuterature est geacuteneacuteralement diviseacutee en deux sous-ensembles drsquoune part des œuvres plutocirct laquo techniques et patriciennes raquo astrologiques magiques alchimi-ques et iatromatheacutematiques drsquoautre part des traiteacutes surtout laquo theacuteori-ques ou philosophiques raquo2 Ces deacutenominations ne sont pas vraiment adeacutequates3 et ne doivent pas faire croire agrave une frontiegravere impermeacuteable ni les reacutefeacuterences agrave la magie et agrave lrsquoastrologie ni les pratiques rituelles ne sont absentes des eacutecrits philosophiques Cependant une telle distinc-tion est utile du point de vue heuristique afin de deacutebuter la recherche avec un corpus plus reacuteduit avant de lrsquoeacutelargir agrave des textes drsquoune tonaliteacute autre Crsquoest pourquoi nous nous sommes restreinte pour le moment aux textes dits laquo philosophiques raquo en prenant le qualificatif dans le sens que lui donne P Hadot qui insiste sur la philosophie comme mode de vie4
1 P Lucentini I Parri and V Perrone Compagni (eds) Hermetism from Late Anti-quity to Humanism La tradizione ermetica dal mondo tardo-antico allrsquoumanesimo Atti del Convegno internazionale di studi Napoli 20ndash24 novembre 2001 Turnhout Brepols 2002
2 La deacutenomination est celle de J-P Maheacute op cit 1982 p 22 reprise dans G Fowden op cit 2000 p 7 et dans BP Copenhaver Hermetica The Greek Corpus Hermeticum and the Latin Asclepius in a New English Translation with Notes and Introduction Cambridge Cambridge University Press 1992 p xxxii La deacutenomina-tion du premier groupe remplace celle de laquo populaire raquo preacuteceacutedemment adopteacutee par A-J Festugiegravere dans La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves Trismeacutegiste vol 1 LrsquoAstrologie et les sciences occultes Paris les Belles Lettres 1989 (reacuteimpression de la seconde eacutedition de 1950) p vii
3 P Kingsley laquo An Introduction to the Hermetica Approaching Ancient Esoteric Tradition raquo in R van den Broek and C van Heertum (eds) From Poimandres to Jacob Boumlhme Gnosis Hermetism and the Christian Tradition Amsterdam In de Pelikaan 2000 p 33
4 Pour une premiegravere approche P Hadot La Philosophie comme maniegravere de vivre Entretiens avec J Carlier et AI Davidson Paris Albin Michel 2001 p 159ndash193
2 introduction
I La litteacuterature hermeacutetique philosophique
Le corpus hermeacutetique philosophique comprend dix-huit traiteacutes et un grand nombre de fragments eux aussi drsquoampleur ineacutegale
1 Histoire de sa deacutecouverte en Occident
Le plus ancien texte connu en Occident degraves le Moyen Acircge est lrsquoAscleacute-pius transmis parmi les œuvres drsquoApuleacutee 5 Quant au Corpus hermeti-cum il a eacuteteacute redeacutecouvert agrave la Renaissance en trois temps6 En 1460 le moine Leonardo da Pistoia rapporta de Maceacutedoine un manuscrit grec contenant les quatorze premiers traiteacutes (Laurentianus 7133 ) et le remit agrave Cosme de Meacutedicis Marsile Ficin fut chargeacute par ce dernier drsquoen faire la traduction dont la premiegravere eacutedition parut en 1471 et qui connut un grand succegraves En 1507 Ludovico Lazzarelli publia la traduc-tion de CH XVI qursquoil avait deacutecouvert La troisiegraveme eacutetape est lrsquoeacutedition en 1554 par Adrien Turnegravebe des dix-sept traiteacutes grecs avec trois frag-ments de Stobeacutee Cet ensemble a eacuteteacute compleacuteteacute peu apregraves par les autres fragments de Stobeacutee
Il faut attendre le milieu du XXe siegravecle pour deacutecouvrir drsquoautres textes hermeacutetiques La date marquante est 1945 avec la deacutecouverte pregraves de
5 AD Nock laquo Introduction raquo in Hermegraves Trismeacutegiste Corpus Hermeticum t I Poimandregraves Traiteacutes IIndashXII texte eacutetabli par AD Nock et traduit par A-J Festugiegravere Paris Les Belles Lettres 1992 (cinquiegraveme tirage de lrsquoeacutedition de 1946) p 259 Apu-leacutee pourrait ecirctre le traducteur du texte grec original V Hunink laquo Apuleius and the Ascleacutepius raquo VC 50 (1996) p 288ndash308 et comparer avec M Horsfall Scotti laquo The Ascle-pius Thoughts on a re-opened Debate raquo VC 54 (2000) p 396ndash416 KH Dannenfeldt laquo Hermetica philosophica raquo in PO Kristeller Catalogus translationum et commen-tariorum Medieval and Renaissance Latin Translations and Commentaries Annota-ted Lists and Guides Washington DC Catholic University of America Press 1960 p 144ndash145 Agrave comparer avec C Moreschini laquo Per una storia dellrsquoermetismo latino raquo in C Guiffrida e M Mazza Le Trasformazioni della cultura nella tarda antichitagrave vol 1 Roma Jouvence 1985 p 541 C Gilly amp C van Heertum (eds) Magia alchimia scienza dal rsquo400 al rsquo700 Lrsquoinflusso di Ermete Trismegisto vol II Firenze Centro Di 2002 p 14ndash16 S Gentile amp C Gilly Marsilio Ficino e il ritorno di Ermete Trismegisto Marsilio Ficino and the Return of Hermes Trismegistus Firenze Centro Di 1999 par-ticuliegraverement p 40ndash43 et 128ndash131
6 A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves Trismeacutegiste vol 2 Le Dieu cosmique Paris les Belles Lettres 1990 p 1 KH Dannenfeldt op cit p 138ndash140 J-P Maheacute op cit 1982 p 3ndash5 Pour la liste des diffeacuterentes eacuteditions et traductions des textes grecs agrave la Renaissance et agrave lrsquoeacutepoque moderne A Faivre laquo La posteacuteriteacute de lrsquohermeacutetisme alexandrin raquo in A Faivre Preacutesence drsquoHermegraves Trismeacutegiste Paris Albin Michel 1988 p 15ndash16 A Gonzalez Blanco laquo Hermetism A Bibliographical Approach raquo ANRW II 174 1984 p 2261 n 62
introduction 3
Nag Hammadi en Haute Eacutegypte de treize codices (plus de cinquante traiteacutes) coptes dateacutes du milieu du IVe siegravecle Les trois derniers traiteacutes du sixiegraveme codex ont tregraves tocirct eacuteteacute identifieacutes comme hermeacutetiques7 NH VI 6 (LrsquoOgdoade et Enneacuteade = OgdEnn) est le seul agrave ecirctre ineacutedit NH VI 7 (La Priegravere drsquoaction de gracircces copte = PAGCopte) est une priegravere parallegravele agrave Ascl 41 et au PGM III 591ndash611 (P Louvre N 2391) NH VI 8 (Fragment du Discours parfait )8 est une version parallegravele agrave Ascl 21ndash29 Mecircme si un seul texte est ineacutedit ces eacutecrits coptes (traduits du grec selon lrsquoopinion commune) permettent de renouveler et de relan-cer lrsquoeacutetude de la litteacuterature hermeacutetique car ils sont laquo drsquoune orienta-tion diffeacuterente sur trois points essentiels lrsquoinspiration eacutegyptienne le contenu intellectuel de nos textes leurs rapports avec les pratiques religieuses raquo9 Peu de temps auparavant K Stahlschmidt eacutedita les sept fragments du P Berol 17 027 et elle les attribua agrave Philon drsquoAlexandrie ou agrave un de ses proches tout en eacutevoquant la possibiliteacute que des frag-ments puissent ecirctre hermeacutetiques10 Ces fragments sont depuis tombeacutes dans un oubli presque total et nous en avons proposeacute une nouvelle eacutedition11
En 1951 H Oellacher reconnut comme hermeacutetiques quatre frag-ments des P Vindob G 29 456r et 29 828r qui datent de la fin du IIe ou du deacutebut du IIIe siegravecle apregraves J-C12 J-P Maheacute les reacuteeacutedita avec des
7 J Doresse laquo Hermegraves et la gnose Agrave propos de lrsquoAscleacutepius copte raquo Novum Testa-mentum 1 (1956) p 54ndash69 idem Les Livres secrets des gnostiques drsquoEacutegypte 1 Intro-duction aux eacutecrits gnostiques coptes deacutecouverts agrave Kheacutenoboskion Paris Plon 1958 J Doresse reconnaissait cinq eacutecrits gnostiques les trois habituellement reconnus comme hermeacutetiques auxquels il ajoute NH VI 3 et 4 qursquoil intitule respectivement Discours authentique drsquoHermegraves agrave Tat et Le Sens de la compreacutehension La Penseacutee de la Grande Puissance (p 256ndash257) Agrave ces eacutecrits proprement hermeacutetiques selon lui il en ajoute drsquoautres qui feraient le lien entre la gnose et lrsquohermeacutetisme comme NH VI 5 (p 256 et p 206ndash207) Sur les relations entre gnose et hermeacutetisme (p 306ndash310) il conclut laquo lrsquoHermeacutetisme ne paraicirct-il pas ecirctre une version philosophique de la Gnose raquo (p 308) Aujourdrsquohui on ne reconnaicirct plus que trois traiteacutes hermeacutetiques NH VI 6 7 et 8
8 Les titres de ces trois traiteacutes coptes sont modernes excepteacute OgdEnn que nous trouvons mentionneacute en NH VI 6121ndash22 et qui semble se reacutefeacuterer agrave lrsquoensemble du texte
9 J-P Maheacute op cit 1978 p 2810 K Stahlschmidt laquo Ein unbekannte Schrift Philons von Alexandrien (oder eines
ihm nahestehenden Verfassers) raquo Aegyptus 22 (1942) p 161ndash17611 A Van den Kerchove laquo Redeacutecouverte de fragments hermeacutetiques oublieacutes le
P Berol 17 027 raquo Archiv fuumlr Papyrusforschung 52 (2006) p 162ndash18012 H Oellacher laquo Papyrus- und Pergamentfragmente aus Wiener und Muumlnchner
Bestanden raquo Miscellanea Giovanni Galbiati vol II Milan 1951 p 179ndash188
4 introduction
corrections13 En 1956 HH Manandyan traduisit et publia les Deacutefi-nitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius conserveacutees en armeacutenien En les reacuteeacuteditant en franccedilais en 1982 J-P Maheacute les a rendues accessibles agrave un large public14 Les derniegraveres deacutecouvertes datent des anneacutees 1990 En 1991 J-P Maheacute eacutedita avec J Paramelle de nouveaux fragments hermeacutetiques provenant des folios 79ndash82 du manuscrit drsquoOxford Clar-kianus 11 datant du XIIIe siegravecle15 Certains sont des extraits de trai-teacutes deacutejagrave connus16 drsquoautres sont ineacutedits En 1995 R Jasnow et K-Th Zauzich ont mis en relation des textes deacutemotiques avec les traiteacutes hermeacutetiques17
Tous ces textes constituent un ensemble important auxquels srsquoajou-tent les citations chez les auteurs anciens18 La majoriteacute est connue par des manuscrits Cependant les papyrus deacutecouverts permettent de remonter agrave une eacutepoque proche de celle de la reacutedaction des eacutecrits et mecircme agrave lrsquoeacutepoque de leur reacutedaction comme pour P Vindob G 29 456r et 29 828r crsquoest lagrave lrsquoun de leurs principaux inteacuterecircts malgreacute leur eacutetat fragmentaire
13 J-P Maheacute laquo Fragments hermeacutetiques raquo in E Lucchesi et HD Saffrey Meacutemorial A-J Festugiegravere Antiquiteacute paiumlenne et chreacutetienne Genegraveve P Cramer 1984 p 51ndash64
14 J-P Maheacute op cit 1982 p 355 et 405 pour le texte15 J Paramelle et J-P Maheacute laquo Extraits hermeacutetiques ineacutedits drsquoun manuscrit
drsquoOxford raquo REG 104 (1991) p 108ndash139 idem laquo Nouveaux parallegraveles grecs aux Deacutefi-nitions hermeacutetiques armeacuteniennes raquo Revue des eacutetudes armeacuteniennes 22 (1990ndash1991) p 115ndash134
16 On trouve des extraits de CH XI XII XIII XIV XVI et une version grecque des Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius armeacuteniennes
17 R Jasnow and K-T Zauzich The Ancient Egyptian Book of Thot A Demotic Dis-course on Knowledge and Pendant to the Classical Hermetica Volume 1 Text Volume 2 Plates Wiesbaden Otto Harrassowitz 2005 vol 1 p xx p 581 vol 2 p x pl 67 Voir aussi idem laquo A Book of Thoth raquo in CJ Eyre (ed) Proceedings of the seventh International Congress of Egyptologists Cambridge 3ndash9 September 1995 Leuven Pee-ters 1998 p 608ndash618 et J-P Maheacute laquo Preliminary Remarks on the Demotic Book of Thoth and the Greek Hermetica raquo VC 504 (1996) p 353ndash363
18 Nous trouvons en premier lieu les tregraves nombreux fragments de Stobeacutee deacutejagrave men-tionneacutes et eacutediteacutes dans NF III et IV Il y a ensuite les citations chez plusieurs autres auteurs comme Lactance Cyrille etc reacuteunis dans NF IV Nous pouvons ajouter les oracles attribueacutes agrave Hermegraves dans la Theacuteosophie de Tuumlbingen (Theosophorum Graecorum Fragmenta ed H Erbse StuttgartLeipzig Teubner 1995 PF Beatrice Anonymi Monophysitae Theosophia An Attempt at Reconstruction Leiden Brill 2001) et dans des collections syriaques Syr-A et Syr-C (S Brock laquo A Syriac Collection of Prophecies of the Pagan Philosophers raquo OLP 14 [1983] p 203ndash246 collection abreacutegeacutee ensuite Syr-A suivie du numeacutero de lrsquooracle S Brock laquo Some Syriac Excerpts from Greek Collections of Pagan Prophecies raquo VC 38 [1984] p 77ndash90 pour la preacutesentation des collections syriaques)
introduction 5
2 Datation et theacutematique des eacutecrits hermeacutetiques philosophiques19
Anonymes les auteurs semblent avoir eacuteviteacute toute reacutefeacuterence preacutecise agrave leur eacutepoque En geacuteneacuteral les commentateurs situent ces textes entre la fin du Ier siegravecle et la fin du IIIe siegravecle apregraves J-C20 terminus ante quem que donnent les traductions et les citations en particulier par les auteurs chreacutetiens et pour lrsquoAscleacutepius On peut preacuteciser uniquement pour quelques traiteacutes CH I est geacuteneacuteralement dateacute de la fin du Ier siegravecle ou du deacutebut du IIe siegravecle apregraves J-C21 excepteacute pour J Buumlchli qui donne une date qui nous semble trop basse le milieu du IIIe siegravecle22 afin sur-tout de faire deacutependre ce traiteacute drsquoinfluences essentiellement chreacutetien-nes J-P Maheacute fait des Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius le plus ancien texte philosophique Ier siegravecle apregraves J-C voire mecircme Ier siegravecle avant J-C23 Lrsquooriginal grec de lrsquoAscleacutepius daterait de la seconde moitieacute du IIIe siegravecle Lrsquoensemble serait posteacuterieur agrave la litteacuterature tech-nique en particulier agrave la litteacuterature magique dont les origines seraient drsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque24 ceci nrsquoexclut pas qursquoune partie remonte avant lrsquoegravere chreacutetienne mecircme si les preuves sont faibles Eacutecrite en grec pro-bablement en grande partie en Eacutegypte cette litteacuterature a eacuteteacute en partie traduite en copte en latin en armeacutenien et en syriaque au moins degraves le IIIe siegravecle
Lrsquoeacutechelonnement de la reacutedaction sur environ deux siegravecles et le fait que des ideacutees puissent ecirctre preacute-chreacutetiennes favorisent une diversiteacute des points de vue et des sensibiliteacutes drsquoun traiteacute agrave lrsquoautre voire au sein drsquoun mecircme traiteacute Pourtant trois points communs se deacutegagent 1) la preacute-sence de protagonistes reacutecurrents Hermegraves Trismeacutegiste Tat Ascleacutepios
19 Pour une preacutesentation geacuteneacuterale des textes ici eacutetudieacutes voir R van den Broek laquo Hermetic Literature I Antiquity raquo in WJ Hanegraaff (ed) in collaboration with A Faivre R van den Broek J-P Brach Dictionary of Gnosis amp Western Esotericism vol 1 Leiden Brill 2005 p 487ndash499
20 NF I p v J-P Maheacute op cit 1978 p 5ndash6 G Fowden op cit 2000 p 2921 G Fowden op cit 2000 p 29 n 53 CH Dodd The Bible and the Greeks
London Hodder and Stoughton 19542 p 99 n 1 p 203 et p 209 Quant agrave nous nous proposons une datation au IIe s A Van den Kerchove laquo Les hermeacutetistes et les conceptions traditionnelles des sacrifices raquo in N Belayche et J-D Dubois (eacuted) LrsquoOiseau et le poisson Cohabitations religieuses dans les mondes grec et romain Paris Presses de lrsquoUniversiteacute Paris Sorbonne 2011 p 80
22 J Buumlchli Poimandres ein paganisiertes Evangelium sprachliche und begriffliche Untersuchungen zum I Traktat des Corpus Hermeticum Tuumlbingen Mohr-Siebeck 1987 p 207
23 J-P Maheacute op cit 1982 p 27824 BH Stricker laquo The Corpus Hermeticum raquo Mnemosyne 2 (1949) p 79ndash80
G Fowden op cit 2000 p 18
6 introduction
et Ammon 2) lrsquoeffacement total des auteurs derriegravere ces figures et une narration quasi-absente sauf dans CH I et au deacutebut et agrave la fin de lrsquoAscleacutepius Les auteurs attribuent les traiteacutes aux protagonistes en premier lieu Hermegraves ce qui relegraveve de la laquo vraie pseudeacutepigraphie reli-gieuse raquo25 3) un enseignement ndash oral ou plus rarement eacutecrit ndash drsquoun maicirctre le plus souvent Hermegraves agrave un ou plusieurs disciple(s) princi-palement Tat et Ascleacutepios enseignement qui porte sur Dieu le salut et des thegravemes adjacents Ainsi en deacutepit de la diversiteacute ces trois points communs font des traiteacutes hermeacutetiques un ensemble coheacuterent appar-tenant agrave une mecircme tradition celle relative agrave la voie salvatrice drsquoHer-megraves cette tradition est neacuteanmoins constitueacutee de plusieurs branches en fonction de variations doctrinales selon les auteurs et les eacutepoques reacutedactionnelles
II Eacutetat de lrsquohistoriographie sur la litteacuterature hermeacutetique philosophique
1 De la lumiegravere agrave lrsquoombre
Cette litteacuterature donna lieu agrave de nombreuses eacutetudes dont nous ne donnons qursquoun aperccedilu sans preacutetendre agrave lrsquoexhaustiviteacute car cela deacutepas-serait le cadre de cette introduction Degraves leur deacutecouverte au milieu du XVe siegravecle les traiteacutes hermeacutetiques ont exerceacute un attrait consideacuterable sur les eacuterudits Pour la plupart drsquoentre eux Hermegraves Trismeacutegiste eacutetait plus ancien que Moiumlse et eacutetait la source de la penseacutee de Platon il exerccedila une influence sur nombre drsquoeacutecrits et sur lrsquoiconographie26 Cet engouement prit fin quand le Genevois Isaac Casaubon affirma que les eacutecrits hermeacutetiques de mecircme que les oracles de la Sibylle nrsquoeacutetaient pas plus anciens que les philosophes Platon et Aristote et qursquoils dateraient de lrsquoeacutepoque chreacutetienne pensant mecircme que les traiteacutes hermeacutetiques
25 Dans cette cateacutegorie nous trouverions eacutegalement les Orphica et les diffeacuterents Oracles (sibyllins chaldaiumlques etc) W Speyer laquo Religioumlse Pseudepigraphie und lite-rarische Faumllschung im Altertum raquo JbAC 8ndash9 (1965ndash66) p 88ndash125 idem laquo Faumllschung pseudepigraphische freie Erfindung und ldquoechte religioumlse Pseudepigraphierdquo raquo Pseude-pigrapha I Pseudopythagorica lettres de Platon litteacuterature pseudeacutepigraphique juive VandoeuvresGenegraveve Fondation Hardt 1972 p 331ndash366
26 A Gonzalez Blanco op cit p 2263 A Faivre laquo Visages drsquoHermegraves Trismeacutegiste (documents iconographiques) raquo in idem op cit p 49ndash87 A Roob Le Museacutee hermeacute-tique Alchimie et mystique Cologne Taschen 1997
introduction 7
auraient eacuteteacute forgeacutes par des chreacutetiens27 Cette theacuteorie drsquoIsaac Casaubon fit peu agrave peu son chemin Lrsquointeacuterecirct pour les traiteacutes diminua agrave partir de la seconde moitieacute du XVIIe siegravecle avant de reprendre durant la seconde moitieacute du XIXe siegravecle28 drsquoautant que le Genevois loin drsquoavoir reacutesolu le problegraveme des origines en concluant agrave une fabrication chreacute-tienne avait en fait ouvert la voie agrave toutes les hypothegraveses possibles
2 Renaissance de lrsquointeacuterecirct pour les traiteacutes hermeacutetiques
En 1854 lrsquoAllemand G Parthey publia la premiegravere eacutedition critique des textes grecs depuis 1630 En 1866 L Meacutenard en donna une tra-duction franccedilaise29 avec une eacutetude sur lrsquoorigine des traiteacutes hermeacuteti-ques Deacutesormais ces derniers firent partie du champ de lrsquohistoire compareacutee des religions et furent au cœur drsquoun deacutebat sur leur milieu culturel originel et sur les influences qursquoils auraient subies Le pre-mier agrave mener un reacuteel travail universitaire agrave une eacutepoque ougrave les eacutetudes sur les religions se multipliaient dans une perspective historiciste fut R Reitzenstein avec Poimandres Studien zur griechisch-aumlgyptischen und fruumlhchristlichen Literatur (Leipzig 1904) Utilisant une docu-mentation abondante et varieacutee il insistait sur le fonds eacutegyptien Cette position laquo eacutegyptianisante raquo provoqua la reacuteaction des helleacutenistes tels T Zielinski et J Kroll 30 Drsquoautres chercheurs comme W Bousset et F Braumluninger eacutetudiegraverent les liens avec les textes gnostiques31
27 Isaac Casaubon Exercitationes I 10 Citeacute dans J-P Maheacute op cit 1982 p 8ndash928 Durant cette eacutepoque nous pouvons citer les noms de D Tiedemann qui traduisit
en allemand le Corpus (Hermetis Trismegisti Poemander aus dem Griechischen uumlber-setzt und mit Anmerkungen Berlin 1781) et de IA Fabricius qui fit la bibliographie des manuscrits et des traductions du Corpus hermeacutetique (Bibliotheca graeca sive noti-tia scriptorum veterum graecorum Hambourg 1790 vol 1 p 46ndash94) Dans le mecircme temps les eacutecrits appeleacutes techniques qui nrsquoont pas subi les contrecoups de la remise en cause drsquoIsaac Casaubon continuent agrave susciter de lrsquointeacuterecirct notamment dans le monde anglo-saxon et dans les milieux eacutesoteacuteriques (A Faivre op cit p 19ndash20)
29 L Meacutenard Hermegraves Trismeacutegiste Traduction complegravete preacuteceacutedeacutee drsquoune eacutetude sur lrsquoorigine des livres hermeacutetiques Paris Didier 1866
30 T Zielinski laquo Hermes und die Hermetik 2 Der Ursprung der Hermetik raquo Archiv fuumlr Religionswissenschaft 9 (1906) p 25ndash60 J Kroll Die Lehren des Hermes Trisme-gistos Beitraumlge zur Geschichte der Philosophie des Mittelalters Muumlnster Aschendorff 1914
31 W Bousset laquo Rezension von Die Lehre des Hermes Trismegistos von J Kroll raquo Goumlttingische Gelehrte Anzeigen 76 (1914) p 697ndash755 F Braumluninger Untersuchungen zu den Schriften des Hermes Trismegistos Berlin Schulze 1926
8 introduction
Dans le mecircme temps des chercheurs srsquointeacuteressegraverent aux liens eacuteven-tuels avec le monde biblique CFG Heinrici pour le Nouveau Testa-ment et H Windisch pour la Septante 32 Toutefois dans ce domaine crsquoest le nom de CH Dodd qursquoil faut retenir33 Ce dernier relia CH I au judaiumlsme et avec CH XIII agrave Jean Il insistait sur lrsquoideacutee drsquoun fond de penseacutee commun et restait prudent quant agrave lrsquoinfluence drsquoun texte sur un autre prudence qui a ensuite eacuteteacute parfois oublieacutee Entre temps W Scott publia une traduction anglaise un commentaire et une eacutedition ougrave il nrsquoheacutesitait pas agrave bouleverser lrsquoordre des passages pour reconstruire une progression du texte qui lui convenait mieux34 Une eacutedition utili-sable manquait donc toujours
Le bilan de cette premiegravere peacuteriode est consideacuterable avec trois questions mises en avant le(s) courant(s) au(x)quel(s) rattacher les textes hermeacutetiques leur origine culturelle et la preacutesence drsquoeacuteleacutements cultuels Toutes les hypothegraveses avaient deacutejagrave eacuteteacute formuleacutees plus ou moins nettement La peacuteriode suivante ne fit que les reprendre en les deacuteveloppant
3 De nouveaux outils et de nouvelles approches
A-J Festugiegravere et ses nombreuses eacutetudes consacreacutees aux textes her-meacutetiques inaugurent une nouvelle eacutetape35 Agrave partir de 1938 avec la collaboration drsquoAD Nock il eacutedita et traduisit les textes hermeacutetiques regroupant le Corpus hermeacutetique les fragments de Stobeacutee lrsquoAscleacutepius et divers teacutemoignages antiques36 Il compleacuteta ce travail par une œuvre monumentale La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves Trismeacutegiste37 qui reacuteunit une
32 CFG Heinrici Die Hermes-Mystik und das Neue Testament Leipzig JC Hinrichs 1918 publication posthume (lrsquoauteur est mort en 1915) H Windisch laquo Urchristentum und Hermesmystik raquo Theologische Tijdschrift 52 (NF 10) (1918) p 186ndash240 Citons eacutegalement ME Lyman laquo Hermetic Religion and the Religion of the Fourth Gospel raquo JBL 49 (1935) p 265ndash276
33 Avec ses deux eacutetudes publieacutees en 1935 The Bible and the Greeks (reacuteeacutedition en 1954) et en 1953 The Interpretation of the Fourth Gospel
34 W Scott Hermetica the Ancient Greek and Latin Writings Which Contain Reli-gious or Philosophic Teachings Ascribed to Hermes Trismegistus 4 vol London Daw-sons 1924ndash1936
35 Pour connaicirctre lrsquoensemble des eacutetudes drsquoA-J Festugiegravere sur la litteacuterature hermeacute-tique consulter A Gonzalez Blanco op cit p 2274ndash2276
36 Hermegraves Trismeacutegiste Corpus Hermeticum t I-IV texte eacutetabli par AD Nock et traduit par A-J Festugiegravere Paris Les Belles Lettres 1991ndash1992 (cinquiegraveme tirage de lrsquoeacutedition de 1945ndash1954)
37 Le premier publieacute en 1944 concerne lrsquoastrologie et les sciences occultes le deuxiegraveme en 1949 le Dieu cosmique le troisiegraveme en 1953 les doctrines de lrsquoacircme le quatriegraveme en 1954 le dieu inconnu de la gnose
introduction 9
documentation grecque si vaste qursquoelle noyait parfois lrsquoanalyse des textes hermeacutetiques dont le contexte eacutetait ainsi grec sans eacuteleacutements eacutegyptiens La deacutecouverte des textes coptes pregraves de Nag Hammadi ne modifia pas son opinion drsquoautant que mecircme srsquoil y eut rapidement quelques articles la publication des codices fut retardeacutee jusqursquoaux anneacutees soixante-dix Malgreacute lrsquoampleur de ce travail beaucoup de ques-tions restaient en suspens
Lrsquoidentification de trois textes hermeacutetiques parmi les codices coptes lanccedila la recherche sur une autre voie Des traductions38 et lrsquoeacutedition fac-simileacute39 facilitegraverent le travail Cette nouvelle eacutepoque fut marqueacutee par lrsquoœuvre de J-P Maheacute Hermegraves en Haute Eacutegypte ougrave il eacutedite tra-duit et commente les trois traiteacutes coptes et les Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius armeacuteniennes Dans son eacutetude approfondie de lrsquoenvironnement litteacuteraire il met lrsquoaccent sur les liens avec lrsquoEacutegypte tout en reconnaissant aussi des influences helleacutenistiques Il parle ainsi de laquo remodelage helleacutenistique raquo pour NH VI 8 40
Cette œuvre srsquoinscrit dans un courant qui se focalise sur lrsquoarriegravere-fond eacutegyptien en premier lieu P Derchain 41 Si certains eacutemettent lrsquoideacutee
38 Entre autres M Krause und P Labib Gnostische und hermetische Schriften aus Codex II und Codex VI Gluumlckstadt JJ Augustin 1971 p 170ndash206 K-W Troumlger laquo Die sechste und siebte Schrift aus Nag Hammadi Codex VI raquo ThLZ 98 (1973) p 495ndash503 LS Keizer The Eighth Reveals the Ninth A new Hermetic Initiation Dis-course translated and interpreted Seaside (California) Academy of Arts and Humani-ties 1974 J-P Maheacute laquo La priegravere drsquoactions de gracircces du codex VI de Nag-Hammadi et le Discours parfait raquo ZPE 13 (1974) p 40ndash60
39 JM Robinson (ed) The Facsimile Edition of the Nag Hammadi Codices Codex VI Leiden Brill 1972
40 J-P Maheacute op cit 1982 p 6841 P Derchain laquo Noch einmal Hermes Trismegistos raquo GM 15 (1975) p 7ndash10
idem laquo Sur lrsquoauthenticiteacute de lrsquoinspiration eacutegyptienne dans le Corpus Hermeticum raquo RHR 1611 (1962) p 175ndash198 R Marcus laquo The Name Poimandres raquo JNES 81 (1949) p 40ndash43 TC Skeat and EG Turner laquo An Oracle of Hermes Trismegiste at Saqqacircra raquo in Meacutelanges J Černy JEA 54 (1968) p 199ndash208 J Parlebas laquo Lrsquoori-gine eacutegyptienne de lrsquoappellation Hermegraves Trismeacutegiste raquo GM 13 (1974) p 161ndash163 M Krause laquo Aumlgyptisches Gedankengut in der Apokalypse des Asclepius raquo Zeitschrift der Deutschen Morgenlaumlndischen Gesellschaft Supplementa I (1969) p 48ndash57 B van Rinsveld laquo La version copte de lrsquoAscleacutepius et la ville de lrsquoacircge drsquoor agrave propos de Nag Hammadi VI 75 22ndash761 raquo in PW Pestman (eacuted) Textes et eacutetudes de papyrologie grecque deacutemotique et copte (PL Bat 23) Leiden Brill 1985 p 233ndash242 L Kaacutekosy laquo Hermetic Obelisks raquo Studia Aegyptiaca 12 (1989) p 235ndash239 idem laquo Hermes and Egypt raquo in AB Lloyd Studies in Pharaonic Religion and Society in Honour of J Gwyn Griffiths London The Egypt Exploration Society 1992 p 258ndash261 T McAllister Scott Egyptian Elements in Hermetic Literature Cambridge Harvard University Th D Theology Cambridge 1987 UMI Ann Arbor 1991 lrsquoauteur se contente le plus souvent de juxtaposer les textes eacutegyptiens sans preacutesenter une reacuteelle analyse
10 introduction
drsquoune traduction depuis lrsquoeacutegyptien pour les textes hermeacutetiques grecs42 drsquoautres confrontent les donneacutees eacutegyptiennes et grecques S Delcom-minette eacutetudie la distorsion des ideacutees philosophiques43 G Fowden 44 envisage une influence eacutegyptienne mecircleacutee agrave drsquoautres grecques et helleacute-nistiques et il insiste sur le milieu social spirituel et geacuteographique des textes hermeacutetiques faisant une large place agrave la magie agrave lrsquoastrologie et aux textes dits techniques BP Copenhaver 45 srsquointeacuteresse eacutegalement agrave lrsquoenvironnement de ces eacutecrits
Une deuxiegraveme approche prolonge les travaux de CH Dodd et de H Windisch du cocircteacute du judaiumlsme ndash avec surtout M Philonenko 46 BA Pearson47 HL Jansen et J Holzhausen qui concluent tous les deux agrave un auteur juif pour CH I48 ndash et du christianisme ndash avec F-M Braun 49 et WC Grese Ce dernier affirme son but sans ambiguiumlteacute laquo cette eacutetude est donc une tentative pour utiliser CH XIII afin drsquoac-croicirctre notre compreacutehension de la litteacuterature chreacutetienne primitive raquo50
42 L Motte laquo La vache multicolore et les trois pierres de la reacutegeacuteneacuteration raquo Eacutetudes coptes III Troisiegraveme journeacutee drsquoeacutetudes LouvainParis Peeters 1989 p 130ndash149
43 S Delcomminette laquo Vocabulaire stoiumlcien et penseacutee eacutegyptienne dans le onziegraveme traiteacute du Corpus hermeacutetique raquo Revue de philosophie ancienne 202 (2002) p 11ndash36
44 G Fowden op cit 200045 BP Copenhaver op cit46 M Philonenko laquo Une utilisation du Shema dans le Poimandregraves raquo RHPhR 59
(1979) p 369ndash372 idem laquo Le Poimandregraves et la liturgie juive raquo in F Dunand et P Leacutevecircque Les Syncreacutetismes dans les religions de lrsquoAntiquiteacute Colloque de Besan-ccedilon (22ndash23 octobre 1973) Leiden Brill 1975 p 204ndash211 idem laquo Une allusion de lrsquoAscleacutepius au livre drsquoHeacutenoch raquo in J Neusner (ed) Christianity Judaism and other Greco-Roman Cults Studies for Morton Smith at sixty Part 2 Early Christianity Leiden Brill 1975 p 161ndash163 idem laquo La Koreacute Kosmou et les ldquoParabolesrdquo drsquoHeacutenoch raquo in S Said Helleacutenismos Quelques jalons pour une histoire de lrsquoidentiteacute grecque Actes du colloque de Strasbourg 25ndash27 octobre 1989 Leiden Brill 1991 p 119ndash124
47 BA Pearson laquo Jewish Elements in Corpus Hermeticum I (Poimandres) raquo in R van den Broek and MJ Vermaseren Studies in Gnosticism and Hellenistic Religions presented to Gilles Quispel on the Occasion of his 65th Birthday Leiden Brill 1981 p 336ndash348
48 HL Jansen laquo Die Frage nach Tendenz und Verfasserschaft im Poimandres raquo in G Windengren (ed) Proceedings of the International Colloquium on Gnosticism Stockholm August 20ndash25 1973 StockholmLeiden Almqvist amp WiksellBrill 1977 p 157ndash163 J Holzhausen Der bdquoMythos vom Menschenldquo im hellenistischen Aumlgypten Eine Studie zum bdquoPoimandresldquo (CH I) zu Valentin und dem gnostischen Mythos Boden-heim AthenaumlumHainHanstein 1994 p 69
49 FM Braun laquo Hermeacutetisme et johannisme raquo Revue thomiste 55 (1955) p 26ndash42 et p 259ndash299 Et idem laquo Esseacutenisme et hermeacutetisme raquo Revue thomiste 54 (1954) p 523ndash558
50 WC Grese Corpus Hermeticum XIII and Early Christian Literature Leiden Brill 1979 p 58 il donne une traduction anglaise de ce traiteacute WC Grese laquo The Hermetica and New Testament Research raquo Biblical Research 28 (1983) p 37ndash54
introduction 11
Srsquointeacuteressant uniquement aux parallegraveles chreacutetiens il eacuteclaire de maniegravere restreinte CH XIII J Buumlchli se rattache agrave cette tendance dans son eacutetude philologique de CH I Der Poimandres ein paganisiertes Evange-lium il veut deacutemontrer que ce traiteacute est lrsquoœuvre drsquoun paiumlen ayant subi des influences chreacutetiennes il rejette le caractegravere gnostique attribueacute par certains savants modernes sauf srsquoil faut comprendre laquo gnose raquo au sens de connaissance de Dieu Sans aller aussi loin drsquoautres chercheurs srsquointeacuteressent aux reacutefeacuterences bibliques dans les traiteacutes hermeacutetiques51 et agrave lrsquointeacuterecirct susciteacute par ces textes sur les Pegraveres de lrsquoEacuteglise52
Deacutejagrave envisageacutee avant la seconde guerre mondiale lrsquoeacutetude des liens avec les courants gnostiques srsquointensifie avec les deacutecouvertes de Nag Hammadi autour de deux tendances classement des textes selon leur caractegravere gnostique ou non53 eacutetude des points de comparaison entre les textes gnostiques et hermeacutetiques54
51 A Camplani laquo Riferimenti biblici nella letteratura ermetica raquo ASE 102 (1993) p 375ndash425
52 A Wlosok Laktanz und die philosophische Gnosis Heidelberg Winter 1960 G Sfameni Gasparro laquo Lrsquoermetismo nelle testimonianze dei padri raquo Rivista di Storia e letteratura religiosa 7 (1971) p 215ndash251 C Moreschini laquo Bregraveve histoire de lrsquoher-meacutetisme latin raquo in idem (ed) DallrsquoAsclepius al Crater Hermetis Studi sullrsquoermetismo latino tardo-antico e rinascimentale Pisa Giardini 1985 p 15ndash49 A Loumlw Hermes Trismegistos als Zeuge der Wahrheit BerlinWien Philo 2002 J Peacutepin laquo Greacutegoire de Nazianze lecteur de la litteacuterature hermeacutetique raquo VC 36 (1982) p 251ndash260
53 H Jonas The Gnostic Religion the Message of the Alien God and the Beginnings of Christianity Boston Beacon Press 1958 p 41 K Rudolph laquo Nag Hammadi und die neuere Gnosisforschung raquo in P Nagel Von Nag Hammadi bis Zypern Eine Aufsatz-sammlung Berlin Akademie-Verlag 1972 p 1ndash15 KM Fischer laquo Abstrakt The Fac-simile Edition of the Nag Hammadi Codices 1972 raquo ThLZ 982 (1973) p 106ndash108 G van Moorsel laquo Die Symbolsprache in der hermetischen Gnosis raquo Symbolon I (1960) p 128ndash137 K-W Troumlger Mysterienglaube und Gnosis in Corpus Hermeticum XIII Ber-lin Akadmie-Verlag 1971 J Shibata Cosmologie et gnose hermeacutetique Recherche sur la place de la cosmologie dans les traiteacutes hermeacutetiques Strasbourg Faculteacute de Theacuteologie protestante Th Doct Theacuteol Strasbourg 1978 RA Segal The Poimandres as Myth Scholarly Theory and Gnostic Meaning Berlin De Gruyter 1986
54 E Haenchen laquo Aufbau und Theologie des Poimandres raquo Zeitschrift fuumlr Theologie und Kirche 53 (1956) p 149ndash191 (repris dans idem Gott und Mensch Gesammelte Aufsaumltze Band I Tuumlbingen Mohr-Siebeck 1965 p 335ndash377) GG Stroumsa laquo Gnos-tic Elements in Hermetic Traditions raquo in GG Stroumsa Another Seed Studies in Gnostic Mythology Leiden Brill 1984 p 137ndash143 R van den Broek laquo Gnosticism and Hermetism in Antiquity two Roads to Salvation raquo Studies in Gnosticism and Alexandrian Christianity Leiden Brill 1996 p 3ndash21 J Peste The Poimandres Group in Corpus Hermeticum Myth Mysticism and Gnosis in Late Antiquity Goumlteborg Uni-versity of Goumlteborg 2002
12 introduction
Agrave ces grandes approches srsquoajoutent des eacutetudes theacutematiques philo-logiques etc55 et de nombreuses traductions56
4 La place des pratiques rituelles dans la recherche
Dans cette bibliographie difficile agrave maicirctriser les pratiques rituelles ont une place reacuteduite Aucune monographie en soi ne leur est consacreacutee La question est le plus souvent abordeacutee au deacutetour drsquoune conclusion de lrsquoeacutetude drsquoun traiteacute voire drsquoun extrait Elle rejoint celle de la pieacuteteacute et de lrsquoexistence drsquoune communauteacute R Reitzenstein a eacutemis lrsquohypothegravese que les textes hermeacutetiques remplaceraient les pratiques les qualifiant de Lesemysterium laquo mystegraveres agrave lire raquo57 G Sfameni Gasparro releva dans les traiteacutes hermeacutetiques ce qui ferait penser agrave une initiation58 K-W Troumlger reprit lrsquoideacutee de Lesemysterium et consideacutera la possible existence de communauteacutes hermeacutetistes sans qursquoil y ait pour autant un culte avis partageacute par G Loumlhr 59 J Peste conclut lui aussi agrave lrsquoexistence drsquoune com-munauteacute agrave partir des seuls CH I et XIII en y eacutetudiant les thegravemes mythi-ques et les symboles G Fowden eacutetablit une similariteacute des pratiques rituelles entre les milieux gnostique et hermeacutetique tout en pensant que les cultes sont censeacutes ecirctre deacutepasseacutes dans le second cas60 F Planchon consacra une bregraveve enquecircte agrave lrsquoacquisition de lrsquointellect dans CH IV
55 M Pulver laquo Die Lichterfahrung im Johannes-Evangelium im Corpus Herme-ticum in der Gnosis und in der Ostkirche raquo Eranos Jarhbuch X (1943) p 253ndash296 FN Klein Die Lichtterminologie bei Philon von Alexandrien und in den hermetischen Schriften Leiden Brill 1962 J-P Maheacute laquo Remarques drsquoun latiniste sur lrsquoAscleacutepius copte de Nag Hammadi raquo RevSR 48 (1974) p 136ndash155 idem laquo La priegravere drsquoactions raquo op cit 1974 p 40ndash60 A Camplani laquo Alcune note sul Testo del VI codice di Nag Hammadi la predizione di Hermes ad Asclepius raquo Augustinianum 263 (1986) p 349ndash368 A Camplani laquo Note di filologia ermetica raquo Augustinianum 37 (1997) p 57ndash76
56 C Colpe und J Holzhausen (bearb und hrsg) Das Corpus Hermeticum Deutsch Uumlbersetzung Darstellung und Kommentierung in drei Teilen StuttgartBad Canstatt FrommannHolzboog 1997 A Camplani Scritti ermetici in copto Brescia Paideia 2000 The Way of Hermes The Corpus Hermeticum translated by C Salaman D van Oyen and WD Wharton The Definitions of Hermes Trismegistus to Asclepius trans-lated by J-P Maheacute London Duckbacks 2001 Il existe une traduction italienne que nous nrsquoavons pas consulteacutee neacuteerlandaise tchegraveque etc
57 R Reitzenstein Die hellenistischen Mysterienreligionen nach ihren Grundgedan-ken und Wirkungen Leipzig Teubner 19273 p 51ndash52 64 et 243ndash245
58 G Sfameni Gasparro laquo La gnosi ermetica come iniziazione e mistero raquo Studi e Materiali di storia delle religioni 36 (1965) p 43ndash62
59 G Loumlhr Verherrlichung Gottes durch Philosophie Tuumlbingen Mohr-Siebeck 1997 seule eacutetude consacreacute agrave CH II
60 G Fowden op cit 2000 respectivement p 278 et p 221
introduction 13
tandis que pour les autres gestes comme le baiser il estimait laquo point nrsquoest besoin drsquoy consacrer beaucoup de place raquo car laquo il srsquoagit en fait de faits plus ou moins anodins raquo61 jugement hacirctif non argumenteacute R van den Broek eacutetudia les pratiques dans les textes coptes62 quant agrave J-P Maheacute crsquoest lrsquoeacutethique hermeacutetique qui retint son attention63 Derniegravere-ment JP Soumldergard eacutetudia les traiteacutes en srsquoaidant de la seacutemiotique64 Il srsquointerrogea sur la maniegravere dont les auteurs agissent sur lrsquoesprit du lecteur et donna une variante de la theacuteorie du Lesemysterium tout en ne reprenant pas cette expression Il nrsquoeacutetudiait pas les pratiques rituel-les en tant que telles mais les reacuteactions du lecteur face au texte
III Approche proposeacutee
Agrave la suite de ces travaux nous voudrions revenir sur les pratiques rituelles en prenant en compte lrsquoensemble de la litteacuterature philoso-phique (selon le sens et la liste donneacutes ci-dessus) Pour cette eacutetude nous reprenons la deacutefinition de J Vidal du rite laquo pratique peacuteriodique agrave caractegravere public assujettie agrave des regravegles preacutecises dont lrsquoefficaciteacute de facture lsquoextra-empiriquersquo ( ) srsquoexerce en particulier dans le monde de lrsquoinvisible raquo65 Tout rite a une efficaciteacute drsquoordre symbolique et suppose le consensus drsquoun groupe srsquoil peut ecirctre accompli individuellement il doit respecter des scheacutemas reconnus par le groupe Il est porteur de diverses fonctions en premier lieu la fonction communicative entre les humains et entre les humains et les dieux Il a une dimension sociale et identitaire car il instaure une seacuteparation entre ceux qui accomplissent le rite et ceux qui ne lrsquoont pas accompli mais eacutegalement entre ceux qui sont concerneacutes par le rite (qursquoils lrsquoaient deacutejagrave accompli ou vont le faire) et ceux qui ne le sont pas Agrave la suite de P Bourdieu nous pourrions dire que laquo tout rite tend agrave consacrer ou agrave leacutegitimer crsquoest-agrave-dire agrave faire
61 F Planchon Les Gnostiques et les sacrements Strasbourg Universiteacute de Stras-bourg 2 Th Doct Sci Relig Strasbourg 1988 p 129
62 R van den Broek laquo Religious Practices in the Hermetic ldquoLodgerdquo New Light from Nag Hammadi raquo in R van den Broek and C van Heertum (eds) op cit 2000 p 77ndash95
63 J-P Maheacute laquo Gnostic and Hermetic Ethics raquo in R van den Broek and WJ Hanegraaff Gnosis and Hermetism from Antiquity to Modern Times New York State University of New York Press 1998 p 21ndash36
64 JP Soumldergard The Hermetic Piety of the Mind A Semiotic and Cognitive Study of the Discourse of Hermes Trismegistos Stockholm Almqvist amp Wiksell 2003
65 J Vidal laquo Rite raquo in P Poupard Dictionnaire des religions Paris PUF 19933 p 1726
14 introduction
meacuteconnaicirctre en tant qursquoarbitraire et reconnaicirctre en tant que leacutegitime naturelle une limite arbitraire raquo66 Le rite peut eacutegalement ecirctre consideacutereacute comme un laquo lieu de meacutemoire raquo celui drsquoun eacuteveacutenement anteacuterieur qursquoil repreacutesente et auquel il fait participer67
Sans aller jusqursquoagrave parler de dichotomie la parole est souvent consideacute-reacutee dans le rite comme secondaire par rapport aux actes et aux gestes68 Neacuteanmoins si le geste est lui-mecircme langage la parole est aussi acte elle peut ecirctre performative69 compleacuteter remplacer les gestes assumer leur rocircle en suivant des regravegles aussi preacutecises que pour ces derniers Il existe autant une pratique de la parole qursquoune pratique gestuelle dans un rite Lrsquoideacutee de lrsquoacte agrave accomplir est capitale et crsquoest pourquoi nous parlons plutocirct de laquo pratiques rituelles raquo nous souhaitons surtout eacutetudier leur mise en application telle qursquoelle se laisse entrevoir dans les traiteacutes Une telle eacutetude revient agrave poser des questions sur la nature des pratiques rituelles dont les traiteacutes parlent sur la place qursquoils leur accordent et sur la maniegravere dont ils en parlent Srsquoagit-il de discours theacuteoriques Drsquoun manuel pratique Drsquoun simple reacutecit Une autre interrogation concerne les intentions des auteurs ce qui permettra de revenir sur le statut litteacuteraire des mentions des pratiques rituelles Neacuteanmoins saisir ces intentions est difficile car les conditions dans lesquelles les auteurs ont eacutecrit et les destinataires ne sont que partiel-lement connus Lrsquoeacutepoque agrave laquelle les traiteacutes ont eacuteteacute reacutedigeacutes est une
66 P Bourdieu laquo Les rites comme actes drsquoinstitution raquo Actes de la recherche en scien-ces sociales 43 (1982) p 58
67 G Delteil laquo Rites lieux de meacutemoire raquo Eacutetudes Theacuteologiques et Religieuses 702 (1995) p 236 Il reprend lrsquoexpression laquo lieux de meacutemoire raquo agrave lrsquoentreprise dirigeacutee par P Nora sur les lieux de meacutemoire de la Nation et de la Reacutepublique Les Lieux de meacutemoire 3 vol Paris Gallimard 1984 1986 et 1992
68 L Voyeacute laquo Le rite en questions raquo in R Devish C Perrot et alii Le Rite sources et ressources Bruxelles Faculteacutes universitaires Saint-Louis 1995 p 106ndash107
69 Sur cette notion voir lrsquoeacutetude fondamentale de JL Austin Quand dire crsquoest faire introduction traduction et commentaire de G Lane Paris Seuil 1970 en particulier le chapitre laquo les phrases performatives raquo Agrave compleacuteter avec A Reboul et J Moeschler La Pragmatique aujourdrsquohui Une nouvelle science de la communication Paris Seuil 1998 p 25ndash46 Cette theacuteorie de la performativiteacute a eacuteteacute mise en œuvre dans plusieurs travaux sur lrsquoEacutegypte P Vernus laquo ldquoRitualrdquo sdmnf and some Values of the ldquoAccom-plirdquo in the Bible and in the Koran raquo in S Israelit-Groll (ed) Pharaonic Egypt The Bible and Christianity Jerusalem The Magnes PressThe Hebrew University 1985 p 307ndash316 F Labrique laquo Le sdmnf ldquorituelrdquo agrave Edfou le sens est roi raquo GM 106 (1988) p 53ndash63 P Derchain laquo Agrave propos de performativiteacute Pensers anciens et articles reacutecents raquo GM 110 (1989) p 13ndash18 F Servajean Les Formules des transformations du Livre des Morts agrave la lumiegravere drsquoune theacuteorie de la performativiteacute Le Caire IFAO 2003
introduction 15
peacuteriode charniegravere avec des laquo mutations religieuses raquo70 ougrave le sentiment religieux et des pratiques rituelles se modifient et sont deacutebattus Les auteurs des traiteacutes prennent-ils position et si oui comment Parti-cipent-ils aux transformations de certaines pratiques Cette eacutetude a pour but drsquoesquisser des eacuteleacutements de reacuteponse
En effet les sources dont nous disposons sont essentiellement tex-tuelles71 et srsquoeacutechelonnent sur deux siegravecles Cette diversiteacute temporelle et auctoriale favorise des divergences et des variations doctrinales que lrsquoon ne peut nier Les textes hermeacutetiques ne constituent pas un systegraveme en soi ni un corps constitueacute de connaissances nous eacuteviterons donc lrsquousage de laquo hermeacutetisme raquo Cependant nous pensons que loin de se focaliser sur ces divergences il faut prendre en compte les caracteacute-ristiques communes releveacutees plus haut leacutegitimant ainsi une eacutetude de lrsquoensemble des traiteacutes Nous remplacerons laquo hermeacutetisme raquo par laquo voie drsquoHermegraves raquo variante de lrsquoexpression de J-P Maheacute laquo voie drsquoimmorta-liteacute raquo72 Ces deux expressions ont lrsquoavantage de mettre lrsquoaccent non sur lrsquoideacutee drsquoun systegraveme figeacute mais sur celles de dynamique et de voie de vie celle-ci pouvant ecirctre envisageacutee de diverses faccedilons selon les auteurs et les eacutepoques
Dans le mecircme ordre drsquoideacutee nous ne chercherons pas agrave rattacher les traiteacutes hermeacutetiques agrave tel ou tel courant de lrsquoAntiquiteacute En effet lrsquoeacutepoque de reacutedaction des traiteacutes hermeacutetiques se caracteacuterise par un pluralisme religieux une paideia toujours vivante et des eacutecoles philo-sophiques ougrave des hommes de sensibiliteacute religieuse varieacutee se cocirctoient Cette situation favorise des interactions des eacutechanges dans les deux sens73 et la constitution drsquoune culture avec un langage conceptuel et culturel commun cela srsquoaccompagne drsquoadaptations de distorsions ou
70 Cette expression est reprise du titre du livre de GG Stroumsa La Fin du sacri-fice Les mutations religieuses de lrsquoAntiquiteacute tardive Paris Odile Jacob 2005
71 Pour les sources archeacuteologiques E Tissot et J-C Goyon laquo Les tables zodiaca-les raquo Les Dossiers de lrsquoArcheacuteologie 162 (Juilletndashaoucirct 1991) p 62ndash64 A Buisson et J-H Abry Les Tablettes astrologiques de Grand (Vosges) et lrsquoastrologie en Gaule romaine Actes de la table ronde du 18 mars 1992 Universiteacute de Lyon III Lyon Universiteacute de Lyon III 1993 Sur la mosaiumlque tombale de Lambiridi en Algeacuterie J Carcopino laquo Sur les traces de lrsquohermeacutetisme africain raquo in Aspects mystiques de la Rome paiumlenne Paris LrsquoArtisan du livre 1941 p 208ndash286
72 J-P Maheacute laquo La voie drsquoimmortaliteacute agrave la lumiegravere des Hermetica de Nag Hammadi et de deacutecouvertes plus reacutecentes raquo VC 45 (1991) p 347ndash375
73 Sur les interactions et les eacutechanges bilateacuteraux voir parmi de nombreuses eacutetudes J Bingen laquo LrsquoEacutegypte greacuteco-romaine et la probleacutematique des interactions culturel-les raquo in RS Bagnall GM Browne and alii Proceedings of the Sixteenth International Congress of Papyrology New York 24ndash31 July 1980 Chico (Calif) Scholars Press
16 introduction
de reseacutemantisations selon les groupes et cercles religieux En citant de nombreux teacutemoignages antiques nous ne voulons donc pas eacutetablir systeacutematiquement un lien de deacutependance ni des influences il srsquoagira avant tout de donner une ideacutee de lrsquoenvironnement dans lequel les auteurs pouvaient eacutevoluer et ougrave ils ont pu puiser telle ideacutee avant de la reacuteameacutenager La qualiteacute de lrsquoadaptation ne relegraveve pas de notre pro-pos et surtout nous ne sommes pas qualifieacutee pour notamment dans le domaine philosophique
Ceci nous amegravene agrave un dernier point Le recours agrave lrsquoexpression laquo vraie pseudeacutepigraphie religieuse raquo eacutecarte drsquoembleacutee lrsquoideacutee drsquoune tromperie volontaire de la part des auteurs Ces derniers eacutetaient convaincus de lrsquoexistence drsquoHermegraves Trismeacutegiste Si pour nous les protagonistes des traiteacutes sont fictifs ils ne le sont pas pour les auteurs Est-on alors en droit drsquoeacutetendre ce caractegravere fictif agrave lrsquoensemble du contenu des textes Que les auteurs croyaient en lrsquoexistence drsquoau moins lrsquoun des prota-gonistes invite agrave penser qursquoils croyaient eacutegalement en ce qursquoils eacutecri-vaient Crsquoest pourquoi nous les appelons laquo auteurs hermeacutetistes raquo Dans une certaine mesure ces auteurs sont les seuls hermeacutetistes dont nous pourrions attester lrsquoexistence mecircme si nous ne savons rien drsquoeux
La strateacutegie drsquoeacutecriture est selon nous baseacutee sur cette croyance Agrave ce stade il est neacutecessaire de donner quelques indications sur ce que nous entendons par auteur lecteur et strateacutegie Nous sommes partie du modegravele drsquoUmberto Eco mecircme srsquoil lrsquoa constitueacute surtout pour les textes narratifs74 U Eco distingue deux types de lecteurs et drsquoauteurs empirique et theacuteorique Lrsquoauteur empirique du texte imagine un lec-teur theacuteorique et ceci deacutetermine en partie sa strateacutegie drsquoeacutecriture Le lecteur empirique quant agrave lui imagine un auteur theacuteorique Le lecteur empirique nrsquoeacutequivaut pas au lecteur theacuteorique et il en va de mecircme entre les deux types drsquoauteurs Seul le couple formeacute par lrsquoauteur empi-rique et le lecteur theacuteorique nous inteacuteresse ici Nous avons deacutejagrave parleacute de lrsquoauteur hermeacutetiste empirique anonyme il croit probablement en lrsquoexistence drsquoHermegraves Trismeacutegiste et son message Qursquoen est-il du lec-teur Nous savons que ces textes ont eacuteteacute lus qursquoils ont fait lrsquoobjet de
1981 p 3ndash18 G Fowden op cit 2000 p 31ndash115 L Couloubaritsis laquo La religion chreacutetienne a-t-elle influenceacute la philosophie grecque raquo Kernos 8 (1995) p 97ndash106
74 U Eco Lector in fabula Le rocircle du lecteur ou la Coopeacuteration interpreacutetative dans les textes narratifs traduction M Bouzaher Paris Grasset 1985 (eacutedition italienne de 1979) surtout le chapitre trois sur le lecteur modegravele
introduction 17
citations de paraphrases drsquoallusions en grande majoriteacute de la part de chreacutetiens La connaissance que ces derniers en ont est avant tout indirecte Leur lecture des textes ou extraits hermeacutetiques est partielle et deacutetermineacutee en fonction de leurs conceptions et de leurs intentions Lecteurs empiriques ils ne correspondent certainement pas au modegravele imagineacute par les auteurs hermeacutetistes Beaucoup de ces chreacutetiens croient en lrsquoexistence et en lrsquoautoriteacute drsquoHermegraves Trismeacutegiste ils peuvent adheacute-rer agrave certaines ideacutees (comme Lactance tregraves favorable vis-agrave-vis des textes qursquoil connaicirct) mais ils nrsquoadoptent pas la laquo voie drsquoHermegraves raquo Or adheacuterant eux-mecircmes agrave la laquo voie drsquoHermegraves raquo et mettant en scegravene un enseignement entre un maicirctre et son disciple les auteurs hermeacutetistes srsquoadresseraient avant tout agrave des lecteurs partageant les mecircmes convic-tions Nous nommons ces lecteurs theacuteoriques laquo destinataires raquo
Crsquoest sur la base de ces donneacutees meacutethodologiques que nous avons abordeacute notre recherche La liste des pratiques rituelles agrave eacutetudier est assez simple agrave circonscrire acquisition de lrsquointellect priegraveres et hym-nes reacutegeacuteneacuteration et visions baiser et repas pratiques lieacutees aux ima-ges de dieux avec drsquoautres qui seront ajouteacutees au fur et agrave mesure de la recherche Toutes ces pratiques ne sont pas agrave mettre sur le mecircme plan Certaines ne font lrsquoobjet que drsquoune ou deux mentions comme le baiser et le repas tandis que drsquoautres sont reacutecurrentes comme les priegraveres Nous pouvons eacutegalement eacutetablir deux distinctions lrsquoune en fonction de la reacutepeacutetition de ces pratiques pour un hermeacutetiste lrsquoautre en fonction de la maniegravere dont lrsquoauteur en parle preacutetendant ou non qursquoelles sont mises en œuvre par les figures des disciples et maicirctres Tout ceci a eacuteteacute agrave la base de notre recherche et pour lrsquoorganisation nous nous sommes fondeacutees sur la premiegravere distinction en terminant par les pratiques qui sont censeacutees nrsquoecirctre mises en œuvre qursquoune seule fois par lrsquohermeacutetiste En effet nous pensons que les pratiques reacutepeacute-teacutees reacuteguliegraverement sont la base de ces pratiques appliqueacutees une seule fois elles permettent de mieux les comprendre et surtout de mieux en saisir les enjeux Nous commenccedilons ainsi par eacutetudier les offrandes et les pratiques lieacutees aux images de dieux avant drsquoaborder lrsquoacquisi-tion de lrsquointellect la reacutegeacuteneacuteration et les visions Toutefois avant tout cela nous aborderons lrsquoinstruction Les pratiques rituelles mention-neacutees ci-dessus se deacuteroulent en effet au cours drsquoun enseignement et nous verrons comment lrsquoinstruction peut devenir une pratique rituelle agrave part entiegravere Cette recherche sur la pratique didactique a pris plus drsquoampleur que preacutevu au deacutepart et crsquoest pourquoi nous lui consacrons
18 introduction
toute la premiegravere partie La partie de notre thegravese consacreacutee aux priegrave-res nrsquoa pas eacuteteacute ici inteacutegreacutee dans sa totaliteacute essentiellement pour eacutevi-ter drsquoallonger trop lrsquoouvrage Une autre eacutetude leur sera consacreacutee ulteacuterieurement75
75 Nous renvoyons toutefois agrave une premiegravere eacutetude que nous leur avons consacreacutee A Van den Kerchove laquo Les priegraveres hermeacutetiques coptes Eacutetude lexicale raquo in N Bosson et A Boudrsquohors (eacuteds) Actes du Huitiegraveme Congregraves international des Eacutetudes coptes Paris 28 juinndash3 juillet 2004 Louvain Peeters 2007 vol 2 p 909ndash920
PARTIE UNE
LA PRATIQUE DE LrsquoENSEIGNEMENT AU CŒUR DE LAlaquo VOIE DrsquoHERMEgraveS raquo
laquo Maintenant que tardes-tu Ayant tout heacuteriteacute ne vas-tu pas devenir un guide pour les (hommes) dignes afin que le genre de lrsquohumaniteacute par ton entremise soit sauveacute par Dieu raquo1 crsquoest par ces mots que lrsquoecirctre ceacuteleste Poimandregraves informe segravechement le narrateur de sa nouvelle mis-sion transmettre aux hommes tout ce qursquoils doivent savoir pour ecirctre sauveacutes Avec ces deux phrases lrsquoauteur de CH I insiste sur lrsquoimportance capitale de la transmission du savoir au cœur de la voie salvatrice drsquoHer-megraves Il montre qursquoapregraves avoir eacuteteacute instruit il faut instruire agrave son tour et que la mission de lrsquoenseignement va au-delagrave de la stricte transmission du savoir celle-ci nrsquoest pas une fin en soi le but ultime est le salut Les protagonistes des traiteacutes hermeacutetiques reviennent reacuteguliegraverement sur la valeur de la connaissance et sur son acquisition Lrsquoutilisation de la forme dialogueacutee ou du genre eacutepistolaire paraicirct ecirctre en harmonie avec ce souci de la transmission Dans cette partie nous proposons drsquoeacutetudier cette transmission comme eacutetant plus qursquoune simple fiction litteacuteraire nous y deacutecelons une fonction de transformation interne du disciple et un caractegravere rituel Si lrsquoimportance de la connaissance a fait lrsquoobjet de recherches la pratique didactique est reacuteguliegraverement laisseacutee dans lrsquoombre alors qursquoelle est le cadre ougrave plusieurs pratiques rituelles se deacuteroulent et que certaines drsquoentre elles deacutependent directement de lrsquoenseignement Il ne srsquoagit donc pas ici drsquoeacutetudier le contenu du savoir hermeacutetique mais de comprendre quelle leacutegitimiteacute est accordeacutee agrave la pratique didactique et comment celle-ci est censeacutee ecirctre mise en œuvre dans lrsquoesprit de lrsquoauteur hermeacutetiste
1 CH I 26 λοιπόν τί μέλλεις οὐχ ὡς πάντα παραλαβὼν καθοδηγὸς γίνῃ τοῖς ἀξίοις ὅπως τὸ γένος τῆς ἀνθρωπότητος διὰ σοῦ ὑπὸ θεοῦ σωθῇ
CHAPITRE UN
DE POIMANDREgraveS AUX HERMEacuteTISTES MISE EN PLACE DE LA PRATIQUE DIDACTIQUE
Dans la grande majoriteacute des traiteacutes hermeacutetiques lrsquoenseignement se fait au moyen drsquoun dialogue entre un maicirctre geacuteneacuteralement Hermegraves et un disciple ndash Ascleacutepios Tat ou plus rarement Ammon Quelques trai-teacutes font intervenir drsquoautres protagonistes Poimandregraves dans CH I Isis et Horus dans plusieurs fragments transmis par Stobeacutee Osiris dans des fragments transmis par Cyrille drsquoAlexandrie lrsquoIntellect et le Bon Deacutemon dans CH XI et XII Trois drsquoentre eux ndash Hermegraves Ascleacutepios et Tat ndash sont disciples dans quelques traiteacutes et maicirctres dans drsquoautres1 La plupart porte le nom de diviniteacutes eacutegyptiennes et pour ceux qui ont un nom grec comme Hermegraves et Ascleacutepios une origine eacutegyptienne est revendiqueacutee avec un ancecirctre eacutegyptien celui drsquoAscleacutepios a un tem-ple laquo sur le mont de Libye proche de la rive des crocodiles raquo2 et celui drsquoHermegraves est celui laquo qui seacutejourne dans sa ville eacuteponyme raquo3 crsquoest-agrave-dire Hermopolis en grec Aschmounein en eacutegyptien Ce cadre eacutegyptien plus ou moins prononceacute selon les traiteacutes relegraveve drsquoune strateacutegie drsquoeacutecri-ture qui vise agrave leacutegitimer la laquo voie drsquoHermegraves raquo
La transmission du savoir est un veacuteritable leitmotiv au sein des trai-teacutes qui ne rendent compte que de scegravenes didactiques Les disciples demandent parfois au maicirctre de combler une lacune dans la somme de leurs connaissances ou de clarifier des thegravemes preacuteceacutedemment abordeacutes comme en CH I 3 XI 1 et SH 41 Quant au maicirctre il deacutebute certai-nes leccedilons en promettant qursquoil va exposer en deacutetail tel ou tel sujet par exemple en CH IX 1 Plus rarement il conclut en affirmant que le disciple est deacutesormais instruit sur tout ce qursquoil doit savoir (CH I 26 et XIII 22 ) Dans ces passages les auteurs hermeacutetistes ont deacuteployeacute une panoplie de vocables variations sur le thegraveme de la transmission
1 Hermegraves est disciple dans CH XI (et eacutegalement dans CH I srsquoil est identifieacute au nar-rateur) et maicirctre dans tous les autres Ascleacutepios et Tat sont maicirctres respectivement dans CH XVI et XVII tandis qursquoils sont disciples ailleurs
2 Ascl 37 in monte Libyae circa litus crocodillorum Voir G Fowden op cit 2000 p 71ndash72
3 Ascl 37 in sibi cognomine patria consistens
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διδάσκω μανθάνω παράδοσις παραλαμβάνω auxquels on peut ajouter παραδίδωμι γιγνώσκω ἐπιγιγνώσκω διεξέρχομαι ἐξέρχομαι ὑπομνηματίζω ἀποφαίνομαι ἀποδίδωμι et ἐκδίδωμι4 Chaque terme renvoie agrave diverses reacutealiteacutes insistant sur le contenu du savoir le mode de transmission ou la maniegravere dont celle-ci se reacutealise avec ou sans intermeacutediaire Nous ne les eacutetudierons pas tous de maniegravere systeacutemati-que mais ils nous seront utiles tout au long de ce chapitre
Drsquoune part cette varieacuteteacute lexicale confirme la place fondamentale de la pratique de lrsquoenseignement dans la vie de lrsquohermeacutetiste et dans les orientations que va prendre cette vie au cours de la transmission Drsquoautre part elle indique que cette pratique perdure tout au long de la vie de lrsquohermeacutetiste qursquoil soit maicirctre ou disciple Nous eacutetudierons tour agrave tour ces deux aspects
I La reacuteveacutelation divine Hermegraves et ses instructeurs divins
La figure que les auteurs hermeacutetistes mettent le plus souvent en scegravene est celle drsquoHermegraves celui-ci apparaicirct dans quinze traiteacutes sur dix-huit 5 et dans vingt-quatre fragments sur les vingt-huit transmis par Stobeacutee Ascleacutepios et Isis se reacuteclament de lui le premier en affirmant qursquoHer-megraves est son maicirctre διδάσκαλος la seconde en proclamant que son propre maicirctre Kameacutephis fut le disciple drsquoHermegraves6 Cependant en le preacutesentant comme un ecirctre humain les auteurs hermeacutetistes nrsquoen font pas la source mecircme du savoir Drsquoautres auteurs un peu plus tardifs en auraient eu conscience Dans son Compte final I 8 Zosime demande agrave Theacuteosobie de se reacutefugier en Poimandregraves reportant tout lrsquoenseignement agrave ce dernier et eacuteclipsant Hermegraves7 Dans une collection syriaque de cita-
4 διδάσκω I 3 24 27 29 X 1 XIII 2 3 16 SH 41 3 SH 2346 67 μανθάνω I 1 3 21 V 6 X 25 XI 1 8 XIII 1 22 XIV 1 9 SH 2b2 3 SH 44 SH 115 SH 2331 56 67 68 παραδίδωμι XIII 1 (2 fois) 15 SH 237 παράδοσις XIII 22 fragment divers 18 παραλαμβάνω I 26 γιγνώσκω I 1 3 6 31 III 3 IV 9 X 9 10 19 22 XVIII 3 SH 235 7 12 67 ἐπιγιγνώσκω III 3 IX 4 X 8 XVIII 13 SH 2322 40 66 68 70 SH 271 διεξέρχομαι V 1 IX 1 ἐξέρχομαι XII 5 ὑπομνηματίζω XIII 13 ἀποφαίνομαι IX 9 ἀποδίδωμι XII 12 ἐκδίδωμι XII 8
5 Quatorze traiteacutes grecs et le traiteacute latin Par doute nous ne consideacuterons pas qursquoHermegraves soit le personnage qui srsquoadresse aux princes dans CH XVIII Sur la position des savants modernes sur le caractegravere hermeacutetique de ce traiteacute voir BP Copenhaver op cit p 209 et ce que nous disons p 148
6 Respectivement CH XVI 1 et SH 2332 7 A-J Festugiegravere op cit 1989 p 368 pour le texte grec et p 281 pour la traduction
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tions de philosophes paiumlens8 constitueacutee probablement agrave la fin du VIe ou au deacutebut du VIIe siegravecle pour inviter les habitants de Harran agrave se convertir au christianisme le compilateur chreacutetien cite et christianise des extraits de CH XIII 1ndash4 (Syr-A 21 ) et il les attribue agrave Poimandregraves comme si celui-ci eacutetait lrsquoinstructeur par excellence Le remplacement drsquoHermegraves par Poimandregraves proviendrait soit drsquoune interpreacutetation du texte faite en fonction de CH XIII 15 mentionnant Poimandregraves soit ce qui est plus vraisemblable drsquoune confusion commise par la source grecque Il pourrait eacutegalement teacutemoigner de la conscience que le savoir remonte plus haut qursquoHermegraves agrave Dieu lui-mecircme En effet trois auteurs mentionnent des instructeurs divins intermeacutediaires de Dieu le Bon Deacutemon (CH XII 8 ) lrsquoIntellect divin (CH XI ) tous les deux instructeurs drsquoHermegraves et Poimandregraves (CH I ) instructeur drsquoun narrateur anonyme sur lrsquoidentiteacute duquel il faut maintenant srsquointerroger
1 Hermegraves Trismeacutegiste le disciple anonyme de CH I
Lrsquoauteur de CH I ne donne aucune information sur lrsquoidentiteacute du nar-rateur qui devient le disciple de Poimandregraves cette absence paraicirct tout agrave fait volontaire et aurait un rocircle agrave jouer dans lrsquoutilisation de ce texte comme nous tenterons de le montrer un peu plus loin Un seul autre passage hermeacutetique mentionne Poimandregraves CH XIII 15 ougrave lrsquoauteur le met en relation avec Hermegraves au cours drsquoun dialogue entre celui-ci et son disciple Tat
Τ ἐβουλόμην ὦ πάτερ τὴν διὰ τοῦ ὕμνου εὐλογίαν ἣν ἔφης ἐπὶ τὴν ὀγδοάδα γενομένου μου ἀκοῦσαι τῶν δυνάμεωνΕ καθὼς ὀγδοάδα ὁ Ποιμάνδρης ἐθέσπισε τέκνον καλῶς σπεύδεις λῦσαι τὸ σκῆνος κεκαθαρμένος γάρ ὁ Ποιμάνδρης ὁ τῆς αὐθεντίας νοῦς πλέον μοι τῶν ἐγγεγραμμένων οὐ παρέδωκεν εἰδὼς ὅτι ἀπ᾿ ἐμαυτοῦ δυνήσομαι πάντα νοεῖν καὶ ἀκούειν ὧν βούλομαι καὶ ὁρᾶν τὰ πάντα
T Je deacutesirerai cette louange en forme drsquohymne dont tu dis qursquoon lrsquoen-tendra des Puissances alors que je parviendrai agrave lrsquoOgdoade H Selon que Poimandregraves reacuteveacutela lrsquoOgdoade enfant tu (fais) bien de te hacircter de briser la tente car tu es pur Poimandregraves lrsquoIntellect de la Sou-veraineteacute ne mrsquoa pas transmis plus que ce qui est eacutecrit sachant que par moi-mecircme je serai capable de tout concevoir drsquoentendre ce que je veux et de voir toutes les choses
8 Pour cette collection S Brock op cit 1983 p 203ndash246 et p 203ndash210 pour la preacutesentation geacuteneacuterale S Brock op cit 1984 p 77ndash90
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Dans ce passage si nous adoptons la leccedilon des manuscrits9 Tat rap-pelle une promesse faite par Hermegraves agrave propos de lrsquohymne chanteacute par les Puissances 10 Hermegraves approuve la deacutemarche de son disciple mais avant drsquohonorer sa promesse il souligne que Poimandregraves ne lui a pas transmis les paroles de lrsquohymne Lrsquoauteur de CH XIII 15 fait reacutefeacute-rence agrave CH I 26 ougrave les paroles de lrsquohymne chanteacute par les Puissances de lrsquoOgdoade ne sont effectivement pas transmises La proposition ὁ Ποιμάνδρης [ ] τῶν ἐγγεγραμμένων οὐ παρέδωκεν semble bien iden-tifier Poimandregraves comme lrsquoinstructeur drsquoHermegraves et faire reacutefeacuterence agrave CH I Dans cette optique lrsquoauteur de CH XIII identifie le narrateur anonyme de CH I agrave Hermegraves Trismeacutegiste Nous verrons drsquoailleurs dans la deuxiegraveme partie de ce travail que plusieurs extraits de CH XIII paraissent se reacutefeacuterer agrave lrsquoexpeacuterience veacutecue par le narrateur renforccedilant lrsquohypothegravese de cette identification De plus le narrateur se preacutesente au moins au deacutebut du traiteacute comme un ecirctre humain recevant une reacuteveacutelation divine ce qui srsquoaccorde avec certaines preacutesentations drsquoHer-megraves Trismeacutegiste comme un Eacutegyptien drsquoune grande sagesse tel que cela apparaicirct en particulier dans la Chronique de Jean Malalas livre 2 26 5 ἐν τοῖς χρόνοις τῆς βασιλείας τοῦ προειρημένου Σώστρου ἦν Ἑρμῆς ὁ Τρισμέγιστος ὁ Αἰγύπτιος ἀνὴρ φοβερὸς ἐν σοφίᾳ laquo Aux temps du regravegne de Sostris deacutejagrave mentionneacute vivait Hermegraves Trismeacutegiste lrsquoEacutegyptien homme admirable dans la sagesse raquo
Toutefois le narrateur ne pourrait-il pas ecirctre un autre Hermegraves En effet selon plusieurs traditions il nrsquoy aurait pas eu un mais deux11 trois12 voire cinq Hermegraves 13 Selon lrsquoauteur drsquoAscl 37 il y aurait deux Hermegraves le maicirctre dans la leccedilon et Thot son ancecirctre eacuteponyme Ceci rejoint le teacutemoignage du chroniqueur Georges le Syncelle qui affirme rapporter le teacutemoignage de Maneacutethon de Seacutebennytos dans Ecloga chronographica 41
9 Agrave la suite drsquoA-J Festugiegravere (La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves Trismeacutegiste Vol 4 Le Dieu inconnu Paris les Belles Lettres 1990 p 206) et de la traduction anglaise de C Salaman et alii (op cit p 85) Lrsquoeacutedition franccedilaise dans NF II p 206 adopta la correction de R Reitzenstein γενομένου σου
10 Mecircme si crsquoest Tat et non Hermegraves qui prononce la proposition καθὼς ὀγδοάδα ὁ Ποιμάνδρης ἐθέσπισε (crsquoest le choix drsquoA-J Festugiegravere op cit vol 4 1990 p 206 et n 3) il ne ferait que rappeler une parole anteacuterieure drsquoHermegraves
11 Georges le Syncelle Ecloga chronographica 41 12 Hermias drsquoAlexandrie Scholies au Phegravedre de Platon 94 et 168 avec Hermegraves Tris-
meacutegiste qui aurait eu trois vies13 Ciceacuteron De natura deorum III 56 Voir aussi sur la question de la geacuteneacutealogie
drsquoHermegraves R van den Broek laquo Hermes Trismegistus I Antiquity raquo in WJ Hanegraaff (ed) op cit 2005 p 476ndash477
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ἐκ τῶν [ ] στηλῶν ἱερᾷ [ ] διαλέκτῳ καὶ ἱερογραφικοῖς γράμμασι κεχαρακτηρισμένων ὑπὸ Θῶθ τοῦ πρώτου Ἑρμοῦ καὶ ἑρμηνευθεισῶν μετὰ τὸν κατακλυσμὸν ἐκ τῆς ἱερᾶς διαλέκτου εἰς τὴν Ἑλληνίδα φωνὴν γράμμασιν ἱερογλυφικοῖς καὶ ἀποτεθέντων ἐν βίβλοις ὑπὸ τοῦ Ἀγαθοδαίμονος υἱοῦ τοῦ δευτέρου Ἑρμοῦ πατρὸς δὲ τοῦ Τᾶτ ἐν τοῖς ἀδύτοις τῶν ἱερῶν Αἱγύπτου [ ] ἱερὰ βιβλὶα γραφέντα ὑπὸ τοῦ προπάτορος τρισμεγίστου Ἑρμοῦ κτλ
Les stegraveles graveacutees dans la langue sacreacutee et dans les caractegraveres laquo hieacuterogra-phiques raquo par Thot le premier Hermegraves et interpreacuteteacutees apregraves le cataclysme de la langue sacreacutee en du son grec dans les caractegraveres laquo hieacuteroglyphiques raquo et mis par Agathodaimon fils du deuxiegraveme Hermegraves mais pegravere de Tat dans des livres (= papyrus ) (placeacutes ) dans les sanctuaires des temples de lrsquoEacutegypte [ ] Les livres sacreacutes eacutecrits par lrsquoancecirctre Hermegraves Trismeacutegiste etc
Selon ce texte dont la traduction nrsquoest pas aiseacutee il y aurait au moins deux Hermegraves le premier est Thot et serait par ailleurs surnommeacute Her-megraves Trismeacutegiste srsquoil faut bien traduire τοῦ προπάτορος τρισμεγίστου Ἑρμοῦ par laquo lrsquoancecirctre Hermegraves Trismeacutegiste raquo et non par laquo lrsquoancecirctre drsquoHermegraves Trismeacutegiste raquo ndash dans ce second cas cet Hermegraves serait le second ou mecircme un troisiegraveme Hermegraves Si lrsquoon adopte la traduction proposeacutee ci-dessus pour τοῦ Ἀγαθοδαίμονος [ ] τοῦ Τᾶτ la geacuteneacutealo-gie proposeacutee ne correspond pas agrave ce que nous lisons dans les traiteacutes hermeacutetiques ougrave Hermegraves Trismeacutegiste est instruit par le Bon Deacutemon en CH XII et enseigne Tat comme son fils ndash ce que celui-ci est selon SH 235 Si au contraire nous adoptons la traduction laquo par le fils drsquoAga-thodaimon le deuxiegraveme Hermegraves et pegravere de Tat raquo lrsquoHermegraves Trismeacute-giste des traiteacutes correspond agrave ce deuxiegraveme Hermegraves Dans les deux cas si nous nous appuyons sur ce teacutemoignage le narrateur de CH I serait plutocirct le premier Hermegraves avec une possible incertitude quant agrave la position geacuteneacutealogique du Trismeacutegiste premier second voire troisiegraveme Hermegraves Ainsi vu la difficulteacute du texte de Georges le Syncelle nous semble-t-il difficile de srsquoappuyer sur ce teacutemoignage pour identifier le narrateur de CH I De plus lrsquoHermegraves mentionneacute dans SH 23 qui est Hermegraves Trismeacutegiste est deacutecrit comme recevant la reacuteveacutelation ndash mecircme srsquoil nrsquoest pas question de Poimandregraves et mecircme si sa formation paraicirct autodidacte ndash et lrsquoancecirctre drsquoHermegraves Trismeacutegiste dans lrsquoAscleacutepius ne joue pas un rocircle tregraves important Dans toute la litteacuterature hermeacutetique eacutetudieacutee crsquoest la figure drsquoHermegraves Trismeacutegiste qui est mise en avant et seule la bregraveve mention de lrsquoAscleacutepius fait reacutefeacuterence agrave la leacutegende de plusieurs Hermegraves Ainsi rien dans cette litteacuterature ne va en faveur de lrsquoidentification du narrateur agrave un Hermegraves autre que le Trismeacutegiste et si lrsquoon suit CH XIII 15 au moins une branche de la tradition hermeacute-tique aurait identifieacute le narrateur au Trismeacutegiste Cependant dans la
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suite de ce travail nous continuerons agrave parler du laquo narrateur raquo pour ne pas occulter cet anonymat dont nous pensons qursquoil joue un rocircle important
2 Les trois intellects instructeurs divins de Hermegraves
Que lrsquoon accepte ou non cette identification Hermegraves Trismeacutegiste est le seul disciple mis en scegravene agrave avoir eu des instructeurs divins deux au cas ougrave il nrsquoy a pas identification ndash lrsquoIntellect de CH XI et le Bon deacutemon de CH XII ndash trois srsquoil y a identification ndash avec Poimandregraves en plus Il est ainsi le seul agrave pouvoir remonter agrave la source mecircme de lrsquoinstruction sans intermeacutediaire crsquoest une faccedilon drsquoattester sa leacutegitimiteacute et son autoriteacute agrave enseigner La preacutesence de deux ou trois instructeurs pour un seul disciple incite agrave se demander si les auteurs des trois trai-teacutes appartiennent agrave la mecircme branche hermeacutetique et pose la question de la relation entre eux
Poimandregraves est agrave la fois lrsquoIntellect et la Parole de la Souveraineteacute Cette double identiteacute srsquoaccorde avec la fonction de Poimandregraves et ses deux volets instruire agrave lrsquoaide drsquoune vision que le narrateur ne peut percevoir que de maniegravere noeacutetique et instruire avec la parole pour expliquer cette vision et le reste du savoir Elle serait eacutegalement fon-datrice drsquoune caracteacuteristique capitale de lrsquoenseignement hermeacutetique le rocircle compleacutementaire de la parole et de lrsquointellect
Aucune donneacutee ne permet drsquoidentifier le Bon deacutemon de CH XII agrave Poimandregraves Son enseignement est oral et selon J-P Maheacute il existe-rait une collection Les Dits du Bon Deacutemon une gnomologie qui serait une des sources possibles des eacutecrits hermeacutetiques14 Si elle existe elle appartiendrait seulement agrave la tradition orale si lrsquoon en croit lrsquoauteur de CH XII 8 Cette affirmation srsquoopposerait-elle alors agrave CH XIII 15 comme le pense A-J Festugiegravere 15 Si lrsquoauteur de CH XIII 15 semble sous-entendre qursquoil ne peut pas y avoir de tradition orale indeacutependante de toute tradition eacutecrite16 il parle essentiellement de Poimandregraves et de son enseignement et laquo ce qui est eacutecrit raquo fait sucircrement reacutefeacuterence agrave lrsquoen-seignement de Poimandregraves de CH I En lrsquoabsence drsquoautres indications
14 J-P Maheacute op cit 1982 p 307 310 et 41715 NF I p 173 lrsquoauteur de CH XIII 15 proteste laquo contre lrsquoideacutee qursquoil existe une
tradition orale (par lrsquoaffirmation mecircme que les livres de Poimandregraves contiennent toute la reacuteveacutelation anteacuterieure agrave XIII) et tenant degraves lors semble-t-il le traiteacute XII pour apocryphe raquo
16 Texte et traduction p 25
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il est difficile de geacuteneacuteraliser la phrase laquo Poimandregraves ne mrsquoa pas trans-mis plus que ce qui est eacutecrit raquo et de consideacuterer que lrsquoauteur de CH XIII rejette toute autre tradition eacutecrite ou orale De plus les auteurs de CH XII et de CH XIII peuvent appartenir agrave deux branches hermeacutetiques lrsquoune mettant lrsquoaccent sur la tradition orale du Bon Deacutemon lrsquoautre sur la tradition eacutecrite venant de Poimandregraves
Dans CH XI Hermegraves est instruit par lrsquoIntellect deacutenomination abs-traite pour une entiteacute divine indeacutependante drsquoHermegraves Cet Intellect et Poimandregraves partagent la mecircme opinion quant agrave lrsquoinstruction de leur disciple respectif Hermegraves et le narrateur anonyme elle doit ecirctre pour-suivie de maniegravere autonome gracircce agrave lrsquousage de lrsquointellect qui est sous-entendu dans le verbe νοεῖν17 Lrsquoemploi drsquoun mecircme terme νούς pour une faculteacute humaine et pour une entiteacute divine introduit une confusion volontaire entre lrsquointellect drsquoHermegraves et les Intellects que sont Poiman-dregraves et la figure du maicirctre dans CH XI
Tous les trois participent de lrsquoIntellect divin Ils nrsquoen sont pas pour autant une partie puisque cet Intellect divin Dieu est indivisible Ils diffegraverent en raison non pas de leur nature mais de leur degreacute drsquoin-dividualisation et de personnification Poimandregraves est un aspect de lrsquoIntellect divin et sa venue aupregraves du narrateur pour lrsquoenseigner per-met agrave ce dernier drsquoacqueacuterir lrsquointellect18 qui lui sera particulier tout en participant de lrsquoIntellect divin Au moins pour Hermegraves cet intellect particulier se manifesterait selon deux modaliteacutes lrsquoIntellect instructeur et lrsquointellect humain LrsquoIntellect de CH XI serait lrsquointellect en acte qui permet agrave Hermegraves de poursuivre sa propre formation et de compren-dre le monde et les choses19 De lagrave agrave consideacuterer cet intellect en acte comme lrsquoinstructeur drsquoHermegraves il nrsquoy a qursquoun pas facile agrave franchir Le
17 En CH XI 22 lrsquoIntellect conclut en disant τὰ δὲ ἄλλα πάντα ὁμοίως κατὰ σεαυτὸν νόει καὶ οὐ διαψευσθήσῃ laquo Conccedilois par toi-mecircme eacutegalement le reste et tu ne seras pas trompeacute raquo Le verbe διαψεύδεσθαι ne signifie pas exactement ici laquo ecirctre deacuteccedilu raquo comme le pensent A-J Festugiegravere (NF I p 157) et BP Copenhaver (op cit p 42) mais plutocirct laquo ecirctre trompeacute raquo comme dans la traduction anglaise dans C Salaman D van Oyen and WD Wharton op cit p 72 En effet il faut sucircrement relier cette recommandation de lrsquoIntellect agrave la plainte drsquoHermegraves au deacutebut du traiteacute sur le fait que beaucoup ne disent pas le vrai et lrsquoeacutegarent comparer avec ce que dit Hermegraves de lrsquoinstruction de Poimandregraves en CH XIII 15 ndash qui nrsquoa pas transmis plus que ce qui est eacutecrit laquo sachant que par moi-mecircme je serai capable de tout concevoir drsquoentendre ce que je veux et de voir toutes les choses raquo
18 Voir la section laquo Lrsquoacquisition de lrsquointellect dans CH I raquo p 316ndash32019 On peut consideacuterer que lrsquoauteur a gloseacute la tradition dont CH XIII teacutemoigne
relative agrave la poursuite de lrsquoinstruction et qursquoil la reprend en la mettant dans la bouche de lrsquoIntellect
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troisiegraveme intellect humain serait lrsquointellect en puissance qui nrsquoest pas actuellement utiliseacute et qui ne joue donc pas le rocircle speacutecifique drsquoins-tructeur Tous sont les lieux de formation des ideacutees et des concepts20 ils sont donc la source de la transmission du savoir Ils montrent que lrsquoinstruction nrsquoest pas limiteacutee dans le temps mais qursquoelle est un pro-cessus continu gracircce agrave la possession de lrsquointellect particulier qui prend le relais de lrsquoinstructeur Cela pourrait aussi ecirctre un moyen de justifier eacutegalement le deacuteveloppement sur la dureacutee et dans des directions diver-ses de la litteacuterature et des ideacutees hermeacutetiques Pour toute la tradition Hermegraves est neacuteanmoins le seul agrave beacuteneacuteficier drsquoune reacuteveacutelation et agrave ecirctre ainsi le premier maillon de la chaicircne hermeacutetique
II Hermegraves du disciple au maicirctre
Srsquoil faut bien identifier le narrateur de CH I agrave Hermegraves Trismeacutegiste celui-ci est lrsquounique figure mise en scegravene pour laquelle nous assistons agrave son passage du statut de disciple agrave celui de maicirctre passage qui est le thegraveme principal de CH I Ce dernier explique comment le narrateur a eacuteteacute choisi et instruit drsquoougrave le savoir provient et quel est le but de sa transmission ce qui amegravene agrave se demander dans quelle mesure ce traiteacute ne fonderait pas la leacutegitimiteacute drsquoune partie au moins des textes hermeacutetiques Agrave ce traiteacute nous devons ajouter SH 23 qui mentionne eacutegalement mais briegravevement lrsquoinstruction drsquoHermegraves Les informations de ces deux textes ne se recoupent pas en partie du fait de leur pers-pective diffeacuterente SH 23 se preacutesente comme un enseignement drsquoIsis se situant temporellement bien apregraves Hermegraves CH I comme un reacutecit du narrateur lui-mecircme lequel a pu ecirctre identifieacute agrave Hermegraves
1 Hermegraves lrsquoheacuteritier de toute une tradition
Dans les deux textes le statut drsquoHermegraves et du narrateur comme beacuteneacutefi-ciaires de lrsquoinstruction divine reacutesulte drsquoun choix divin En SH 235 Isis affirme qursquoHermegraves a eacuteteacute choisi parce qursquoil possegravede laquo le lien de sympa-thie avec les mystegraveres ceacutelestes raquo crsquoest-agrave-dire les astres τὴν συμπάθεια τοῖς οὐρανοῦ μυστηρίοις Lrsquoauteur de CH I est beaucoup plus disert
20 Ceci est parallegravele agrave ce qui se passe dans la cosmogonie ougrave lrsquoIntellect Dieu a en lui toutes les formes archeacutetypales crsquoest-agrave-dire les Puissances (CH I 7) identifieacutees comme la forme archeacutetype le preacuteprincipe (CH I 8 )
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Selon lui le choix se manifeste par lrsquoeacutepiphanie de Poimandregraves et par lrsquoappel nominatif du narrateur en CH I 1 laquo Il me sembla qursquoun ecirctre tregraves grand drsquoune mesure illimiteacutee se preacutesenta appelant mon nom raquo Comme le montre la succession narrative des faits ndash reacuteflexion seacutepa-ration de lrsquoesprit et du corps eacutepiphanie drsquoun ecirctre divin et appel ndash le choix divin est une reacuteponse agrave lrsquoattitude du narrateur qui a reacuteussi agrave seacuteparer ndash temporairement ou non ndash son corps de son esprit en mettant ses sens corporels en retrait Toutefois crsquoest moins cette performance qui provoquerait lrsquoeacutepiphanie divine que ses conseacutequences La disso-ciation temporaire du corps et de lrsquoesprit teacutemoignerait drsquoune prise de conscience drsquoun eacuteveil agrave certaines reacutealiteacutes ndash double nature de son ecirctre capaciteacute de la seule partie incorporelle agrave porter sa reacuteflexion (ἐννοία διανοία) sur certaines reacutealiteacutes neacutecessiteacute de choisir entre cette partie et le corps ndash et drsquoune capaciteacute agrave ecirctre instruit qui incitent Poimandregraves agrave faire de lui son heacuteritier sur terre lrsquointellect νοῦς qursquoest Poimandregraves reacutepond agrave la reacuteflexion ἐννοία ou διανοία du narrateur
Lrsquoappel nominatif signifie que le narrateur est personnellement reconnu par la diviniteacute Lrsquoideacutee de reconnaissance est agrave mettre en rap-port avec les conceptions antiques du nom propre deacutejagrave tregraves deacutevelop-peacutees en Eacutegypte ancienne21 et perdurant dans les premiers siegravecles de lrsquoegravere chreacutetienne22 le nom support de lrsquoessence de la personne a par-fois un caractegravere sacreacute23 et la deacutenomination nrsquoest pas toujours disso-cieacutee de la creacuteation
21 Le nom est la deacutetermination premiegravere de la personnaliteacute Cf P Derchain laquo Anthropologie Eacutegypte pharaonique raquo in Y Bonnefoy (dir) Dictionnaire des mytho-logies et des religions des socieacuteteacutes traditionnelles et du monde antique A-J Paris Flam-marion 1981 p 46 P Vernus laquo Name raquo LAuml IV 1982 col 320ndash326 J Assmann Mort et au-delagrave dans lrsquoEacutegypte ancienne traduction N Baum Paris Eacuteditions du Rocher 2003 p 74
22 Du cocircteacute chreacutetien notamment chez les gnostiques cf LrsquoEacutevangile de Veacuteriteacute NH I 2125ndash27 avec le commentaire de JEacute Meacutenard LrsquoEacutevangile de Veacuteriteacute Leiden Brill 1972 p 104 et HW Attridge and GW MacRae laquo The Gospel of Truth raquo in HW Attridge (ed) Nag Hammadi Codex I (The Jung Codex) vol 2 Notes Leiden Brill 1985 p 63 Agrave compleacuteter avec J-D Dubois laquo Le contexte judaiumlque du ldquoNomrdquo dans lrsquoEacutevangile de Veacuteriteacute raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 24 (1974) p 198ndash216 Du cocircteacute des philosophes cf Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon VII 4 (254ndash256) le nom apparaicirct comme une copie du dieu et il permet drsquoeacutelever lrsquoacircme vers le dieu par sa connaissance lrsquohomme possegravede le savoir de la puissance du dieu Voir aussi les textes magiques
23 Ceci transparaicirct dans la maniegravere dont les peuples nomment les nouveaux-neacutes L Poznanski laquo Agrave propos de la collation du nom dans le monde antique raquo RHR 194 (1978) p 113ndash127
32 chapitre un
Agrave la diffeacuterence des autres disciples mis en scegravene le narrateur reccediloit tout ce qursquoil doit connaicirctre en une seule leccedilon apocalyptique Lrsquoauteur de CH I insiste sur ce point notamment avec la bregraveve formule de Poimandregraves ὡς πάντα παραλαβών laquo ayant tout heacuteriteacute raquo (CH I 26) ougrave lrsquoadjectif πάντα deacutesigne lrsquoenseignement qui vient drsquoecirctre deacutelivreacute CH I 2ndash 26 Lrsquooccurrence de παραλαμβάνω24 est la seule des textes hermeacute-tiques agrave se rapporter agrave lrsquoenseignement Selon sa conception classique ce verbe signifie laquo heacuteriter raquo surtout dans le domaine intellectuel et scientifique avec les ideacutees de confiance25 et de deacutependance vis-agrave-vis des preacutedeacutecesseurs26 Crsquoest aussi un terme technique dans les cultes agrave mystegraveres bien que le contenu des traditions de ces cultes soit diffeacuterent et geacuteneacuteralement secret 27 Avec ce verbe lrsquoauteur hermeacutetiste deacutefinit le narrateur comme heacuteritier et deacutepositaire du savoir tout en proclamant sa deacutependance et sa confiance28 vis-agrave-vis de Poimandregraves La relation entre Poimandregraves et le narrateur nrsquoeacutequivaut pas agrave celle qui existe entre Hermegraves et ses propres disciples Si Poimandregraves connaicirct le nom de son disciple jamais il ne le prononce au cours du traiteacute et il ne lrsquoappelle jamais laquo enfant raquo seulement οὗτος que nous pourrions traduire par laquo toi raquo En contrepartie le narrateur ne lrsquointerpelle jamais laquo pegravere raquo La relation est donc loin drsquoecirctre affective et semble ne srsquoinstaurer que pour la dureacutee courte de la reacuteveacutelation Relation speacuteciale emploi drsquoun terme unique dans le corpus hermeacutetique en contexte didactique et mode didactique unique ndash vision et transmission de tout le savoir en une seule fois ndash ces trois moyens suggegraverent que lrsquoauteur de CH I a voulu mettre en exergue le caractegravere exceptionnel de lrsquoenseignement deacutelivreacute par Poimandregraves et du narrateur unique deacutepositaire terrestre de cette reacuteveacutelation
24 Les autres occurrences concernent la prise en charge du corps par les acircmes (SH 20 6) du nouveau-neacute par les deacutemons (CH XVI 15) ou lrsquoassemblage des semblables (SH 11 4)
25 G Delling laquo παραλαμβάνω raquo in G Kittel (ed) Theological Dictionary of the New Testament IV translation GW Bromiley Grand Rapids Eerdmans 1967 p 11ndash14
26 Platon Cratyle 425 e Aristote De Anima 403 b et De la geacuteneacuteration et de la corruption 323 b
27 Porphyre utilise ce terme dans le cadre des mystegraveres de Mithra dans De lrsquoabstinence IV 16 ὅ τε τὰ λεοντικὰ παραλαμβάνων περιτίθεται παντοδαπὰς ζῴων μορφάς laquo celui qui reccediloit le rang de ldquoLionrdquo se revecirct de toute sorte de formes drsquoanimaux raquo (traduction M Patillon et AP Segonds ) Il est possible que ce terme se trouve dans la lacune du P Berol 21 196 l 7 appeleacute Cateacutechisme mithraiumlque par lrsquoeacutediteur (WM Brashear A Mithraic Catechism from Egypt ltPBerol 21196gt Wien Verlag Adolf Holzhausens 1992 p 18 et 24)
28 Cf CH I 6 confiance que lrsquoon retrouve en CH XI 1
de poimandregraves aux hermeacutetistes 33
Cette relation est une conseacutequence de la mission que Poimandregraves assigne au narrateur et qursquoil ne deacutevoile qursquoagrave la fin de lrsquoinstruction en CH I 26
τοῦτό ἐστι τὸ ἀγαθὸν τέλος τοῖς γνῶσιν ἐσχηκόσι θεωθῆναι λοιπόν τί μέλλεις οὐχ ὡς πάντα παραλαβὼν καθοδηγὸς γίνῃ τοῖς ἀξίοις ὅπως τὸ γένος τῆς ἀνθρωπότητος διὰ σοῦ ὑπὸ θεοῦ σωθῇ ταῦτα εἰπὼν ὁ Ποιμάνδρης ἐμοὶ ἐμίγη ταῖς δυνάμεσιν
laquo Ceci est la bonne fin pour ceux qui possegravedent la connaissance devenir dieu Maintenant que tardes-tu Ayant tout heacuteriteacute ne vas-tu pas deve-nir un guide pour les (hommes) dignes afin que le genre de lrsquohumaniteacute par ton entremise soit sauveacute par Dieu raquo Ayant dit cela Poimandregraves se mecircla devant moi aux Puissances
Ce passage est le seul de la litteacuterature hermeacutetique qui met en avant la neacutecessiteacute drsquoinstruire les hommes et qui eacutetablit une relation entre le salut du genre humain la reacuteception des savoirs par le narrateur et son rocircle comme guide Il teacutemoigne de lrsquourgence de la mission Poiman-dregraves recourt au ton autoritaire et clocirct de maniegravere abrupte la reacuteveacutelation (dont τοῦτό ἐστι [ ] θεωθῆναι est la derniegravere phrase) et la propo-sition interrogative λοιπόν τὶ μέλλεις indique que le disciple aurait deacutejagrave ducirc partir instruire les hommes puisque crsquoest dans ce seul but que Poimandregraves lrsquoa choisi en CH I 1 instruire pour sauver Cet ordre car il srsquoagit bien de cela scelle une alliance entre les protagonistes sceau qui intervient en reacutealiteacute avant la reacuteveacutelation avec la proposition laquo je suis avec toi partout raquo (CH I 2 ) formule presque technique dans des eacutecrits juifs pour consacrer les vocations et sceller une alliance29
Acquisition du savoir et salut sont donc eacutetroitement lieacutes pour Poi-mandregraves ndash et pour lrsquoauteur hermeacutetiste ndash ce qui se veacuterifie dans drsquoautres passages hermeacutetiques30 Ayant deacutesormais la charge de la tradition et de sa transmission conscient de sa position privileacutegieacutee le narrateur srsquoempresse drsquoassumer ce rocircle apregraves avoir remercieacute Poimandregraves et reacutesumeacute les dons reccedilus il poursuit sa narration en enchaicircnant sur lrsquoins-
29 Philon drsquoAlexandrie De migratione Abrahami 27 et note correspondante de J Cazeaux
30 CH VI 5 ἐὰν περὶ τοῦ θεοῦ ζητῇς καὶ περὶ τοῦ καλοῦ ζητεῖς μία γάρ ἐστιν εἰς αὐτὸ ἀποφέρουσα ὁδός ἡ μετὰ γνώσεως εὐσέβεια laquo Si tu cherches au sujet de Dieu aussi tu cherches au sujet du bien en effet il existe un seul chemin conduisant vers lui la pieacuteteacute avec la connaissance raquo CH XI 21 τὸ δὲ δύνασθαι γνῶναι καὶ θελῆσαι καὶ ἐλπίσαι ὁδός ἐστιν εὐθεῖα ἰδία τοῦ ἀγαθοῦ φέρουσα καὶ ῥᾳδία laquo mais ecirctre capable de connaicirctre vouloir connaicirctre et espeacuterer connaicirctre est le chemin direct particulier facile conduisant vers le Bien raquo ougrave le Bien est Dieu
34 chapitre un
truction qursquoil donne Lrsquoauteur de CH XIII ne manque pas de rappeler cette position privileacutegieacutee au moment cleacute de la formation de Tat en CH XIII 15 Hermegraves se preacutesente comme celui auquel Poimandregraves a tout transmis par eacutecrit avec lrsquoaccent sur celui qui transmet il emploie παραδίδωμι31 qui avec παράδοσις est un autre terme technique pour la transmission chez les Grecs les chreacutetiens et dans les cultes agrave mys-tegraveres 32 et qui deacutesigne peu agrave peu la tradition et en particulier lrsquoensei-gnement secret33 En rappelant cette information agrave son disciple qui doit deacutejagrave connaicirctre lrsquoidentiteacute du maicirctre drsquoHermegraves Hermegraves reacuteaffirme agrave un moment important du parcours de Tat sa position drsquointermeacutediaire unique et drsquoheacuteritier son statut privileacutegieacute de maicirctre et sa capaciteacute agrave enseigner
2 Hermegraves missionnaire
Gracircce agrave lrsquoinstruction et agrave lrsquoordre divin le narrateur de disciple devient missionnaire Presque tous les autres traiteacutes et fragments hermeacutetiques conserveacutes mettent en scegravene la figure drsquoun Hermegraves instructeur Lrsquoordre de Poimandregraves a pu leur servir de fondement et de justification agrave la situation privileacutegieacutee drsquoHermegraves La reacuteveacutelation de Poimandregraves apparaicirct alors comme la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo qui fonde un cercle reli-gieux celui des hermeacutetistes Le compilateur tardif du Corpus herme-ticum tel qursquoil nous est parvenu avec ses dix-sept traiteacutes avait bien compris cela puisqursquoil placcedila ce traiteacute en premiegravere position respectant sucircrement une opinion antique comme tendraient agrave le deacutemontrer cer-tains indices CH XIII 15ndash16 dont il a deacutejagrave eacuteteacute question le passage du Compte final I 8 de Zosime ougrave Poimandregraves eacuteclipse Hermegraves et lrsquooracle Syr-A 21 qui attribue un extrait de CH XIII agrave ce mecircme Poimandregraves
31 F Buumlchsel laquo παραδίδωμι et παράδοσις raquo in G Kittel (ed) Theological Dictionary of the New Testament II translation GW Bromiley Grand Rapids Eerdmans 1964 p 169ndash173
32 W Burkert Les Cultes agrave mystegraveres dans lrsquoAntiquiteacute traduction B Deforge et L Bardollet Paris Les Belles Lettres 2003 (eacutedition anglaise de 1987) p 65
33 E Norden Agnostos Theos Untersuchungen zur Formengeschichte religioumlser Rede Berlin Teubner 1913 p 290 Selon WM Brashear (op cit 1992 p 47 n 46) il serait le premier agrave montrer que παράδοσις est un terme technique pour deacutesigner la tradition drsquoune connaissance secregravete (E Norden op cit p 288ndash293) Le P Berol 21 196 ou Cateacutechisme mithraiumlque serait laquo a rare example of an actual ancient text in the parado-sis raquo (WM Brashear op cit 1992 p 47)
de poimandregraves aux hermeacutetistes 35
Plusieurs commentateurs modernes ont rapprocheacute la mission assi-gneacutee au narrateur et le contenu de sa pareacutenegravese en CH I 27 avec une tradition juive et chreacutetienne en premier lieu les textes pauliniens34 Ces comparaisons utiles pour la contextualisation ne rendent pas vraiment justice au traiteacute hermeacutetique Le contexte immeacutediat nrsquoest pas exactement semblable avec une succession eacuteveacutenementielle diffeacuterente Seul Ac 16ndash9 que personne nrsquoa vraiment utiliseacute agrave notre connaissance traite du thegraveme de lrsquoenvoi en mission apregraves lrsquoenseignement avec une trame chronologique et narrative semblable agrave celle de CH I 26
6οἱ μὲν οὖν συνελθόντες ἠρώτων αὐτὸν λέγοντες κύριε εἰ ἐν τῷ χρόνῳ τούτῳ ἀποκαθιστάνεις τὴν βασιλείαν τῶ Ἰσραήλ 7εἶπεν δὲ πρὸς αὐτούς οὐχ ὑμῶν ἐστιν γνῶναι χρόνους ἢ καιροὺς οὓς ὁ πατὴρ ἔθετο ἐν τῇ ἰδίᾳ ἐξουσίᾳ 8ἀλλὰ λήμψεσθε δύναμιν ἐπελθόντος τοῦ ἁγίου πνεύματος ἐφ᾿ ὑμᾶς καὶ ἔσεσθέ μου μάρτυρες ἔν τε Ἰερουσαλὴμ καὶ [ἐν] πάσῃ τῇ Ἰουδαίᾳ καὶ Σαμαρείᾳ καὶ ἕως ἐσχάτου τῆς γῆς 9καὶ ταῦτα εἰπὼν βλεπόντων αὐτῶν ἐπήρθη καὶ νεφέλη ὑπέλαβεν αὐτὸν ἀπὸ τῶν ὀφθαλμῶν αὐτῶν6Assembleacutes donc ils (= les disciples) lui demandegraverent Seigneur est-ce le temps ougrave tu reacutetablis le regravegne drsquoIsraeumll 7Il leur dit Ce nrsquoest pas agrave vous de connaicirctre les temps que le Pegravere a eacutetablis de son propre pouvoir 8mais le Saint Esprit surviendra sur vous et vous en recevrez de la puissance et serez mes teacutemoins agrave Jeacuterusalem dans toute la Judeacutee et la Samarie et jusqursquoau bout de la terre 9Ce disant et sous leurs regards il fut eacuteleveacute et une nueacutee le deacuteroba agrave leurs yeux (Traduction Pleacuteiade)
Comparer ces deux textes ne signifie pas que lrsquoun est la source de lrsquoautre mais vise essentiellement agrave faire ressortir la speacutecificiteacute her-meacutetique Dans les deux cas le thegraveme est identique un ecirctre au statut singulier annonce agrave ses disciples leur nouvelle mission reacutepandre son message apregraves son deacutepart35 avec une exploitation diffeacuterente
34 J Buumlchli op cit p 147ndash148 avait deacutejagrave consideacutereacute que la reacuteception de lrsquoenseignement eacutetait influenceacutee par le christianisme et il la comparait agrave lrsquoEacutepicirctre aux Colossiens 26 (p 145ndash146) bien que lrsquoon ait du mal agrave voir le rapprochement entre ce passage de lrsquoeacutepicirctre paulinienne et CH I 26 R Reitzenstein (op cit 19273 p 120) J Kroll (op cit p 378) et E Norden (op cit p 3ndash5) eacutetablissent un lien avec le Nou-veau Testament notamment avec Ac 1722 H Windisch considegravere qursquoil faut aussi regarder du cocircteacute de la tradition juive (op cit p 196ndash204) ce que fait BA Pearson (op cit 1981 p 340ndash341)
35 Drsquoautres passages du Nouveau Testament eacutevoquent le mecircme eacutepisode en des ter-mes diffeacuterents parfois Mt 2816ndash20 Mc 1614ndash20 Lc 2436ndash53 et Jn 2019ndash23
36 chapitre un
Tableau 1 CH I 26 et le texte lucanien Ac 16ndash9
Thegravemes CH I 26 Ac 16ndash9 Parallegraveles eacutevangeacuteliques36
Temps apregraves une reacuteveacutelation etune vision Contexte atemporel
au cours drsquoun repas apregraves la passion du Christ (13ndash4) Chronologie plus preacutecise pouvant ecirctre plus ou moins bien eacutetablie agrave lrsquointeacuterieur de la vie de Jeacutesus
Mt 2816ndash20 montagne en Galileacutee
Locuteur principal
Poimandregraves ecirctre divin aux dimensionsindeacutefinies
Jeacutesus Christ fils de Dieu incarneacute en homme ressusciteacute
Interlocuteurs un seul disciple le narrateur
lrsquoensemble des disciples de Jeacutesus
Jn 2024 absence de Thomas
Activiteacute future desinterlocuteurs
ecirctre un guide καθοδηγός
ecirctre les teacutemoins du Christ μάρτυρες
Mt 2819ndash20 enseigner et peut-ecirctrebaptiser Mc 1615 precirccher Jn 2023 pardonner les peacutecheacutes
But de cette nouvelle activiteacute
sauver le genre humain (τὸ γένος τῆς ἀνθρωπότητος) Dieu eacutetant le sauveur et le narrateur son intermeacutediaire
ce nrsquoest pas explicitement dit dans lrsquoextrait mais le but peut ecirctre reconstitueacute agrave lrsquoaide drsquoautres passages des Ac teacutemoigner de la reacutesurrection de Jeacutesus (122 232 315 et 532 ) de ses actes (1039 ) et du salut (1042 )
Mc 1616 salut pour celui qui croit et qui est baptiseacute Lc 2447 repentance en vue du pardon des peacutecheacutes Jn 2023 le pardon est accordeacute Mt aucune indication
Moyen mis en œuvre
Ecirctre empli de puissance par Poimandregraves (ὑπὸ αὐτοῦ δυναμωθείς) en CH I 27
Recevoir une puissance du Saint Esprit (δύναμιν τοῦ ἁγίου πνεύματος)
Lc 2449 ecirctre revecirctu de la puissance (δύναμιν) drsquoen haut Jn 1622 recevoir lrsquoEsprit Saint Rien dans les deux autres eacutevangiles
36 On ne donne pas le texte des passages correspondants des eacutevangiles qui sont moins complets que le reacutecit des Ac Dans Mt 2819 lrsquoinjonction de baptiser avec lrsquoemploi de la formule laquo au nom du Pegravere du Fils et du Saint Esprit raquo serait interpoleacutee HB Green laquo Matthew 2819 Eusebius and the lex orandi raquo in R Williams (ed) The Making of Orthodoxy Essays in honour of Henry Chadwick Cambridge Cambridge University Press 1989 p 131ndash134 Cette hypothegravese nrsquoest pas accepteacutee par tous les exeacutegegravetes voir par exemple WD Davies and DC Allison A Critical and Exegetical Commentary on The Gospel According to Saint Matthew Edinburgh TampT Clark 1997 p 684 n 41 sans mention de lrsquoarticle de HB Green citeacute ci-dessus
de poimandregraves aux hermeacutetistes 37
Tableau 1 (cont)
TextesThegravemes
CH I 26 Ac 16ndash9 Parallegraveles eacutevangeacuteliques
Beacuteneacuteficiaires de cetteactiviteacute
Ceux des hommes qui en sont dignes (οἱ ἄξιοι)
des zones geacuteographiques Jeacuterusalem Judeacutee Samarie et jusqursquoagravelrsquoextreacutemiteacute de la terre(ἕως ἐσχάτου τῆς γῆς)
Mt 2819 et Lc 2448 toutes les nations Mc 1615 monde entier et toute la creacuteation Jn 2023 hommes
Eacuteveacutenement qui suit cette annonce
Poimandregraves retourne aux cieux lagrave ougrave sont les Puissances37
Jeacutesus srsquoeacutelegraveve vers les cieux38 Lc 2451 et Mc 1619 eacuteleacutevation de Jeacutesus versles cieux Aucuneindication dans lesdeux autres eacutevangiles
On peut relever trois points communs 1deg Les disciples ont eacuteteacute choisis par des figures au statut particulier respectivement Poimandregraves un ecirctre divin rempli des Puissances et Jeacutesus homme fils de Dieu mort et ressusciteacute 2deg Le but final de la nouvelle activiteacute des disciples est de sauver les hommes 3deg Lrsquoannonce aux disciples est instantaneacutement suivie du retour de Poimandregraves vers la sphegravere ougrave sont les Puissances et de lrsquoascension de Jeacutesus dans les cieux
Ces ressemblances ne doivent pas occulter les diffeacuterences qui reacutevegrave-lent un eacutetat drsquoesprit divergent 1deg Le lien entre lrsquoenseignement dispenseacute aux disciples et la nouvelle activiteacute est moins marqueacute dans le texte lucanien que dans le reacutecit hermeacutetique ougrave lrsquoideacutee drsquourgence est preacutesente 2deg La relation entre les disciples et le maicirctre nrsquoest pas comparable les disciples des Actes ont suivi un certain temps Jeacutesus et ont fait lrsquoexpeacute-rience traumatisante de sa mise agrave mort et reacutejouissante de sa reacutesurrec-tion au contraire le disciple de CH I fait lrsquoexpeacuterience drsquoune vision et nrsquoentretient avec son maicirctre Poimandregraves aucune relation affec-tive 3deg Le caractegravere divin du narrateur est plus accentueacute que celui des disciples de Jeacutesus mecircme si ces derniers reccediloivent une puissance du Saint Esprit 39 4deg Une divergence importante concerne le rocircle des
37 CH I 27 ταῦτα εἰπὼν ὁ Ποιμάνδρης ἐμοὶ ἐμίγη ταῖς δυνάμεσιν laquo Ayant dit cela Poimandregraves se mecircla devant moi aux Puissances raquo
38 Ac 19 καὶ ταῦτα εἰπὼν βλεπόντων αὐτῶν ἐπήρθη καὶ νεφέλη ὑπέλαβεν αὐτὸν ἀπὸ τῶν ὀφθαλμῶν αὐτῶν laquo Agrave ces mots sous leurs yeux il srsquoeacuteleva et une nueacutee vint le soustraire agrave leurs regards raquo
39 Si les deux textes emploient un mot construit sur le mecircme radical dunam- le sens nrsquoest pas exactement le mecircme Dans la penseacutee hermeacutetique ecirctre rempli de puissance revient agrave recevoir les Puissances de Dieu qui sont nombreuses en remplacement des
38 chapitre un
disciples de Poimandregraves et de Jeacutesus devenir respectivement un laquo guide raquo καθοδηγός et des laquo teacutemoins raquo μάρτυρες Ces deux termes reflegravetent des activiteacutes et des rapports diffeacuterents entre maicirctre disciples et public Les disciples de Jeacutesus doivent faire part des faits et gestes de Jeacutesus en particulier de sa reacutesurrection et de la veacuteriteacute qursquoil a transmise40 et selon les eacutevangiles synoptiques ils doivent enseigner precirccher par-donner et baptiser Leur activiteacute est donc eacutetroitement lieacutee agrave lrsquohistoire de Jeacutesus et agrave leur preacutesence agrave ses cocircteacutes pendant sa vie publique Quant au disciple de Poimandregraves il est uniquement question de transmettre et drsquoexpliquer lrsquoenseignement reccedilu et peut-ecirctre drsquoeacutevoquer les expeacuterien-ces qursquoil a veacutecues
5deg Si les disciples sont nombreux dans les Actes il nrsquoy en a qursquoun dans CH I reacuteduisant la porteacutee geacuteographique et humaine du message hermeacutetique En effet lrsquoauteur lucanien mentionne des noms geacuteographi-ques puis toute la Terre le message est universel et srsquoadresserait pres-que agrave tout ecirctre vivant41 ce qui nrsquoest pas le cas pour CH I Certes le but final hermeacutetique est que le genre humain (τὸ γένος τῆς ἀνθρωπότητος) soit sauveacute mais le narrateur doit ecirctre le guide uniquement de ceux qui sont dignes (ἄξιοι) A-J Festugiegravere puis J Buumlchli 42 avaient deacutejagrave reconnu que ces hommes ne sont pas preacutedestineacutes mais sont doteacutes de dispositions morales qui les rendent capables de precircter attention sens reacutepandu pour le terme ἄξιοι dans les cultes agrave mystegraveres de lrsquoeacutepo-que impeacuteriale Les propositions καθοδηγὸς γίνῃ τοῖς ἀξίοις et ὅπως τὸ γένος τῆς ἀνθρωπότητος διὰ σοῦ ὑπὸ θεοῦ σωθῇ ne se contredisent pas pour autant car leur theacutematique diffegravere la premiegravere concerne le guide et lrsquoenseignement la seconde le salut gracircce agrave lrsquoenseignement du
vices Cela permet alors agrave lrsquohomme drsquoecirctre capable de parler de Dieu et drsquoavoir des expeacuteriences personnelles Dans Ac 1 il srsquoagit de la puissance donneacutee agrave travers le Saint Esprit et elle permet aux apocirctres de faire un teacutemoignage oral et drsquoaccomplir des mira-cles (CK Barrett A Critical and Exegetical Commentary on the Act of the Apostles vol 1 Edinburgh TampT Clark 1994 p 79)
40 H Strathmann laquo μάρτυς raquo in G Kittel (ed) Theological Dictionary of the New Testament IV translation GW Bromiley Grand Rapids Eerdmans 1967 p 474ndash508 et surtout p 492ndash493
41 La mecircme ideacutee est preacutesente dans Mt Mc et Jn (avec le pronom indeacutefini τινων) La conclusion de cette citation de Jeacutesus est donc programmatique et fait probable-ment allusion agrave une mission aupregraves des juifs et des Gentils (B Witherington The Acts of the Apostles A Socio-Rhetorical Commentary Grand Rapids Eerdmans 1998 p 110ndash111)
42 A-J Festugiegravere La Reacuteveacutelation drsquoHermegraves Trismeacutegiste vol 3 Les Doctrines de lrsquoacircme Paris les Belles Lettres 1990 (reacuteimpression de la seconde eacutedition de 1950) p 109ndash110 J Buumlchli op cit p 146
de poimandregraves aux hermeacutetistes 39
narrateur Pour lrsquoauteur hermeacutetiste un petit nombre drsquohommes dignes suffirait pour sauver le genre humain puisqursquoil ne srsquoagit pas de sauver chaque individu Lrsquouniversaliteacute hermeacutetique diverge de la chreacutetienne Ainsi si dans les deux cas on peut parler drsquoune activiteacute missionnaire celle-ci a des caracteacuteristiques diffeacuterentes dans un cas le message a une porteacutee universelle et individuelle srsquoadresse au plus grand nombre reacutepand la bonne parole de Jeacutesus et se concreacutetise par le pardon des peacutecheacutes ou le baptecircme dans lrsquoautre le message a une porteacutee universelle et collective srsquoadresse agrave un petit nombre concerne Dieu le monde lrsquohomme ses origines et son devenir
3 Hermegraves autoriteacute et modegravele des hermeacutetistes
Si lrsquoon accepte lrsquoidentification du narrateur de CH I agrave Hermegraves Trismeacute-giste ndash ce qui semble ecirctre le cas dans une partie au moins de la tradi-tion hermeacutetique ndash en tant qursquoheacuteritier de la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo divine et en tant que missionnaire lrsquoHermegraves hermeacutetique est une figure ambigueuml laquo oscillant entre le monde divin et le monde humain raquo43 Ayant beacuteneacuteficieacute drsquoune vision dans CH I qui lrsquoa mis en contact avec le monde divin il apparaicirct comme un ecirctre humain diviniseacute De plus mecircme si nous acceptons la leccedilon des manuscrits et non celle drsquoAD Nock et A-J Festugiegravere pour CH XIII 15 citeacute ci-dessus il est sous-entendu qursquoHermegraves est parvenu dans lrsquoOgdoade Certes Poimandregraves ne fait qursquoune allusion aux chants des Puissances en CH I 26 mais gracircce agrave son intellect au faicircte de sa capaciteacute Hermegraves est capable de tout voir comprendre et drsquoacceacuteder agrave lrsquoOgdoade En SH 23 Isis occulte tout caractegravere humain elle le preacutesente comme une acircme le situe dans un temps ougrave le genre humain nrsquoexiste pas encore44 et affirme qursquoil laquo est remonteacute vers les astres pour escorter les dieux (ses) parents raquo45
43 G Fowden op cit 2000 p 5544 SH 235 τοῦτο δrsquo ἄν ὦ τέκνον ἀξιοθαύμαστον Ὧρε οὐκ ἂν ἐπὶ θνητῆς σπορᾶς
ἐγεγόνει οὐδὲ γὰρ ἦν οὐδέπω ψυχῆς δὲ τὴν συμπάθειαν ἐχούσης τοῖς οὐρανοῦ μυστηρίοις laquo Ceci enfant digne drsquoadmiration Horus nrsquoest pas advenu agrave une semence mortelle car il nrsquoen existait pas encore mais agrave une acircme ayant le lien de sympathie avec les mystegraveres ceacutelestes raquo lrsquoacircme eacutetant Hermegraves
45 SH 236 τοὺς συγγενεῖς θεοὺς δορυφορεῖν ἀνέβαινεν εἰς ἄστρα Lrsquoauteur du frag-ment exploiterait le double sens de δορυφορεῖν son sens obvie laquo ecirctre garde du corps raquo ou laquo escorter raquo et son emploi en astronomie pour deacutesigner le satellite drsquoune planegravete ou drsquoun astre Les astres vers lesquels Hermegraves remonte sont les dieux
40 chapitre un
a Hermegraves guide et autoriteacute Le narrateur a subi plusieurs modifications internes et deacutefinitives conseacutequences directes de lrsquoinstruction divine (CH I 30 ) ces transfor-mations lui confegraverent un caractegravere divin et le rapprochent de Poiman-dregraves La fonction des deux protagonistes est eacutegalement proche En tant que gardien des portes πυλωρός en CH I 22 Poimandregraves a un rocircle de berger agrave la fin de CH I le narrateur assume la fonction de laquo guide raquo καθοδηγός afin de mener les hommes sur le bon chemin qui conduit au salut Dans les deux cas il srsquoagit drsquoune fonction correspondant au dieu grec Hermegraves ce qui conforte lrsquoidentification entre le narrateur et la figure hermeacutetique drsquoHermegraves Drsquoailleurs celle-ci partage aussi des caracteacuteristiques avec Poimandregraves la reacutefeacuterence au mecircme nom (les deux expressions laquo lrsquoIntellect raquo et laquo la Parole de la Souveraineteacute raquo renvoient probablement derriegravere la figure de Poimandregraves au dieu eacutegyptien Thot46 dont Hermegraves est lrsquointerpretatio graeca) et le rapport agrave lrsquointellect et agrave la parole (Poimandregraves Intellect affirme qursquoil se tient constam-ment aupregraves du narrateur Hermegraves comme Thot est un dieu lieacute aux paroles il est le dieu de lrsquoeacuteloquence selon Atheacuteneacutee 47 et est souvent appeleacute Hermegraves Logos ou Logios 48) Lrsquoidentification les caracteacuteristiques
46 P Kingsley fit remarquer que lrsquolaquo Intellect de la Souveraineteacute raquo deacutesigne probable-ment Thot Mais Thot peut aussi ecirctre lrsquoeacutequivalent eacutegyptien de la laquo Parole de la Souver-aineteacute raquo puisqursquoil est souvent deacutesigneacute en Eacutegypte comme la langue de Recirc Recirc dont P Kinsgley pense agrave juste titre que la souveraineteacute absolue est lrsquointerpretatio graeca Voir P Kingsley laquo Poimandres the Etymology of the Name and the Origins of the Her-metica raquo Journal of Warburg and Courtauld Institutes 56 (1993) p 6ndash7 et sa nouvelle version de cet article laquo Poimandres The Etymology of the Name and the Origins of the Hermetica raquo in R van den Broek and C van Heertum (ed) From Poimandres to Jacob Boumlhme Gnosis Hermetism and the Christian Tradition Amsterdam In de Pelikaan 2000 p 41ndash76 cf aussi P Boylan Thot the Hermes of Egypt A Study of some Aspects of Theological Thought in Ancient Egypt LondonEdinburgh Oxford University Press 1922 p 103ndash106 et M-T Derchain-Urtel Thot agrave travers ses eacutepi-thegravetes dans les scegravenes drsquooffrandes des temples drsquoeacutepoque greacuteco-romaine Bruxelles 1981 p 81ndash82 De plus dans quelques textes eacutegyptiens (cf F Daumas laquo Le sanatorium de Dendara raquo BIFAO 56 [1957] p 45 et M-T Derchain-Urtel op cit 1981 p 81ndash94) il arrive que Sia et Hou ndash la compreacutehension et lrsquoexpression ndash sont reacuteunis en Thot de la mecircme maniegravere que la Parole et lrsquoIntellect de la Souveraineteacute le sont en Poimandregraves
47 Atheacuteneacutee Les Deipnosophistes I 16 b48 Entre autres Platon Cratyle 407 e Ac 1412 Plutarque Dialogue sur lrsquoamour 13
757 B Cleacutement drsquoAlexandrie Stromate VI XV 1321 Justin le Martyr Premiegravere Apo-logie 212 et 222 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon I 1 (1) Syneacutesios de Cyregravene Lettres 10168 Eunape de Sardes Vie des sophistes 10551 Dans plusieurs de ces passages il est question du laquo type raquo drsquoHermegraves Logios A-J Festugiegravere op cit 1989 p 71ndash73 G Fowden op cit 2000 p 48 et 293ndash294 M Broze et C van Liefferinge laquo LrsquoHermegraves com-mun du prophegravete Abamon Philosophie grecque et theacuteologie eacutegyptienne dans le pro-logue du De mysteriis de Jamblique raquo in F Labrique (eacuted) Religions meacutediterraneacuteennes
de poimandregraves aux hermeacutetistes 41
communes et le fait que Poimandregraves et Hermegraves renverraient agrave Thot renforcent 1deg le lien et la continuiteacute dans leur viseacutee et leur caracteacuteris-tique (union de lrsquointellect et de la parole) entre la laquo Reacuteveacutelation primor-diale raquo reccedilue par le narrateur et lrsquoinstruction qursquoil doit deacutelivrer et 2deg le prestige et lrsquoautoriteacute accordeacutee au narrateur agrave Hermegraves et agrave tous ceux qui se reacuteclament de lui
Lrsquoeacutepiclegravese Trismeacutegiste attribueacutee agrave Hermegraves dans la litteacuterature her-meacutetique accentue aussi son prestige et son statut divin Elle concreacutetise la synthegravese des dieux grec Hermegraves et eacutegyptien Thot que repreacutesente la figure hermeacutetique drsquoHermegraves 49 Elle semble ecirctre speacutecifique agrave Hermegraves puisque en dehors de lui agrave notre connaissance elle ne serait appliqueacutee qursquoune seule fois agrave un autre dieu Seacuterapis 50 Cette eacutepiclegravese apparaicirct dans lrsquoensemble de la litteacuterature hermeacutetique ndash celle eacutetudieacutee ici et les textes alchimiques et astronomiques ndash dans des documents papyrologiques et eacutepigraphiques (tels qursquoune deacutedicace drsquoun soldat romain en 238ndash244 apregraves J-C agrave Panopolis 51 un document de la Boulegrave drsquoHermopolis de 253ndash268 apregraves J-C52 une lettre drsquoun certain Anatolius agrave Ambrosius du IVe siegravecle53 et le PGM IV 886 ) et dans les teacutemoignages chreacutetiens sur Hermegraves Trismeacutegiste (dont le plus ancien est Atheacutenagore dans Suppli-que au sujet des chreacutetiens 286 ) En dehors de ces reacutefeacuterences rares dans les documents non hermeacutetiques le nom drsquoHermegraves est accompagneacute au moins trois fois de lrsquoadjectif τρισμέγας dans des papyrus drsquoHermopo-lis datant du IIIe siegravecle54 et les PGM et au moins une fois de lrsquoadjectif
et orientales de lrsquoAntiquiteacute Actes du colloque des 23ndash24 avril 1999 agrave Besanccedilon Le Caire IFAO 2002 p 35ndash44 nous pouvons ajouter le commentaire de ces deux auteurs dans leur traduction de Jamblique op cit 2009 p 179ndash184
49 G Fowden op cit 2000 p 45ndash5850 L Bricault Myrionymi les eacutepiclegraveses grecques et latines drsquoIsis de Sarapis et
drsquoAnubis StuttgartLeipzig Teubner 1996 p 12051 Eacute Bernand Inscriptions grecques drsquoEacutegypte et de Nubie reacutepertoire bibliographique
des OGIS Paris Les Belles Lettres 1982 p 55 ndeg 716 = OGIS II 7161 52 C P Herm 125 II + C P Herm 124 R col 1 8 C Wessely Corpus Papyrorum
Hermopolitanorum Teil I Leipzig E Avenarius 1905 ndeg 124 et 125 G Meacuteautis Her-moupolis-la-Grande Une meacutetropole eacutegyptienne sous lrsquoempire romain Lausanne Impri-merie la Concorde 1918 p 175ndash176 Voir aussi U Wilcken laquo Papyrus-Urkunden raquo Aegyptus 3 (1906) p 538ndash548
53 C P Herm 3 22 C Wessely op cit ndeg 354 P Flor I 5097 SB I 56596 et PGM VII 551 On pourrait ajouter le P Amh
II 982 et sa lacune πρὸς [τῷ λιθ]οστρώτῳ δρ[όμῳ Ἑρμ]οῦ θεοῦ τρισμ restitueacutee soit τρισμ[εγίστου (G Ronchi Lexicon theonymon rerumque sacrarum et divinarum ad Aegyptum pertinentium quae in papyris ostracis titulis graecis latinisque in Aegypto repertis laudantur Milano Istituto Editoriale Cisalpino 1977 p 1090) soit τρισμ[εγάλου (comme le suggegravererait le rapprochement opeacutereacute par H Schmitz entre le
42 chapitre un
μέγας tripliqueacute ndash deux fois au superlatif et la troisiegraveme fois agrave la forme simple ndash sur un ostracon deacutecouvert agrave Saqqara datant de 168ndash164 avant J-C ndash la plus ancienne attestation actuellement connue de la triplication55 Mecircme si lrsquoapparition de lrsquoadjectif τρισμέγιστος est assez difficile agrave dater celui-ci pourrait remonter au premier siegravecle avant ou apregraves J-C selon lrsquoeacutepoque agrave laquelle on situe Dorotheus qui mentionne Hermegraves Trismeacutegiste agrave propos du destin dans Fragmenta e Hephaes-tionis 2 e 312 Lrsquoorigine eacutegyptienne de lrsquoeacutepiclegravese Trismeacutegiste et de celles avec une duplication ou une triplication de lrsquoadjectif μέγας agrave la forme simple ou superlative est avanceacutee depuis J-F Champollion 56 J Quaegebeur fait un historique critique de la question qui reste tou-jours valable aujourdrsquohui aucune nouvelle eacutetude nrsquoayant eacuteteacute meneacutee depuis sur le sujet Nos propres recherches nous amegravenent agrave confirmer ses conclusions qui valident elles-mecircmes les recherches de P Derchain et M-T Derchain-Urtel 57 Ces derniers comme F Daumas 58 considegrave-rent que lrsquoadjectif eacutegyptien wr sert essentiellement agrave former un super-latif Lrsquoeacutequivalent de laquo trois fois tregraves grand raquo ne serait pas laquo ʿȝ ʿȝ wr raquo comme cela avait eacuteteacute souvent admis depuis R Pietschmann 59 mais laquo ʿȝ ʿȝ ʿȝ wr raquo Lrsquounique attestation drsquoEsna datant du regravegne de Cara-calla qursquoils en avaient trouveacutee est cependant posteacuterieure aux emplois de Trismeacutegiste dans la litteacuterature hermeacutetique Neacuteanmoins un frag-ment drsquoun naos conserveacute agrave Moscou datant probablement de la fin du IIe siegravecle avant J-C60 et provenant peut-ecirctre drsquoHermopolis confirme
P Amh II 98 et le P Flor I 50 voir la citation dans AS Hunt The Oxyrhynchus Papyri Part XVII ndeg 2065ndash2156 London Egypt Exploration Society 1927 p 256 agrave propos du P Oxy XVII 2138 )
55 ὑπὸ μεγίστου καὶ μεγίστου θεοῦ μεγάλου Ἑρμοῦ TC Skeat and EG Turner op cit p 199ndash208 cet ostracon provient des archives de Hor entiegraverement eacutediteacutees par JD Ray en 1976 Voir aussi J-P Maheacute op cit 1978 p 1 et R van den Broek laquo Hermes Trismegistus raquo op cit 2005 p 476
56 J Quaegebeur laquo Thot-Hermegraves le dieu le plus grand raquo in Hommages agrave Franccedilois Daumas vol 2 Montpellier Publication de la recherche 1986 p 525ndash544 et speacute-cialement p 526ndash531 ougrave il fait un historique de la recherche sur cette eacutepiclegravese Nous renvoyons agrave cet article pour toute la bibliographie sur le sujet
57 P Derchain op cit 1975 p 7ndash1058 F Daumas laquo Le fonds eacutegyptien de lrsquohermeacutetisme raquo in J Ries (dir) Gnosticisme et
monde helleacutenistique actes du colloque de Louvain-la-Neuve 11ndash1431980 Louvain-la-Neuve Institut orientaliste 1982 p 3ndash25 et surtout 7ndash10
59 R Pietschmann Hermes Trismegistos nach aumlgyptischen griechischen und ori-entalischen Uumlberlieferungen Leipzig W Engelmann 1875 p 35 TC Skeat and EG Turner op cit p 199ndash208 J Parlebas op cit 1974 p 161ndash163 J-P Maheacute op cit 1978 p 1ndash2
60 Il est citeacute par J Quaegebeur (op cit 1986 p 542 n 108) S Hodjash and O Berlev The Egyptian Reliefs and Stelae in the Pushkin Museum of Fine Arts
de poimandregraves aux hermeacutetistes 43
leur hypothegravese Il mentionne en effet laquo dhwtj ʿȝ ʿȝ ʿȝ wr raquo le laquo pendant eacutegyptien exact raquo61 drsquoHermegraves Trismeacutegiste Ce dossier documentaire teacutemoigne que lrsquoeacutepiclegravese grecque Trismeacutegiste serait le reacutesultat drsquoune eacutevolution eacutegyptienne drsquoun titre de Thot62 probablement durant les eacutepoques ptoleacutemaiumlque et greacuteco-romaine Cette eacutevolution aurait geacuteneacutereacute plusieurs titres grecs diffeacuterents surtout dans le nome hermopolite63 visant agrave intensifier la grandeur de Thot et sa primauteacute Avec cette eacutepiclegravese lrsquoauteur hermeacutetiste fait de lrsquoHermegraves hermeacutetique lrsquoheacuteritier de Thot avec un prestige eacutequivalent et une autoriteacute dont les hermeacutetistes se reacuteclament
b Hermegraves modegravele des hermeacutetistesHermegraves revecirct une seconde fonction celle de modegravele que les hermeacute-tistes essaient drsquoimiter au maximum il en irait de mecircme pour le nar-rateur de CH I qui imite Poimandregraves Comme eux il aurait drsquoabord eacuteteacute un humain Comme lui les hermeacutetistes espegraverent avoir des visions et subir des transformations leur permettant drsquoacceacuteder agrave un nouveau statut Le rocircle de guide drsquoHermegraves ne se restreint donc pas agrave la seule instruction de concepts mais srsquoeacutelargit au modegravele qursquoil propose En tant qursquoinstructeur et modegravele il aide les hommes qui le souhaitent agrave redeacute-couvrir leur origine et les amegravene ainsi vers le salut vers Dieu Comme Poimandregraves dont lrsquoinstruction a transformeacute le narrateur et comme la Parole creacuteatrice cosmogonique il est lieacute au passage drsquoun monde agrave un autre drsquoun eacutetat agrave un autre du disciple au maicirctre pour ses disci-ples de lrsquoignorance agrave la connaissance de Dieu du monde terrestre au monde divin et au salut Il srsquoagirait lagrave drsquoune adaptation des fonctions des dieux Thot et Hermegraves qui sont en rapport avec la frontiegravere entre deux mondes et avec leur mise en relation Le premier joue un rocircle actif dans le jugement des morts eacutegyptien64 des livres de rituel et de
Moscow Leningrad Aurora Art Publishers 1982 p 199ndash200 et reproduction p 197 ils nrsquoexcluent pas une datation plus ancienne les anneacutees 273ndash274 avant J-C
61 J Quaegebeur op cit 1986 p 52962 Sur cette eacutevolution J Quaegebeur op cit 1986 p 535ndash53663 Nous pouvons eacutegalement mentionner la deacutedicace eacuterigeacutee par les precirctres de Thot
en lrsquohonneur drsquoun strategravege du nome Hermopolite et sur laquelle nous pouvons lire Θῶυω ΩΩΩ Νοβ ζμουν ce qui serait la transcription de lrsquoeacutegyptien laquo dwt ʿȝ ʿȝ ʿȝ Nb hmnw raquo (laquo Thot trois fois grand maicirctre drsquoAshmounein raquo) V Girgis laquo A new Strategos of the Hermopolite Nome raquo Mitteilungen des Deutschen Archaumlologischen Instituts 20 (1965) p 121 Eacute Bernand Inscriptions grecques drsquoHermoupolis Magna et de sa neacutecro-pole Le Caire IFAO 1999 inscription 3
64 P Boylan op cit p 136ndash142 voir une eacutepitaphe drsquoAbydos ougrave Hermegraves serait confondu avec Anubis et exercerait aussi les mecircmes fonctions que Thot lors du
44 chapitre un
magie permettant agrave lrsquohomme de communiquer avec le divin lui sont attribueacutes Le second est le messager des dieux aupregraves des hommes65 il guide les morts vers leur nouveau seacutejour66 dieu de lrsquoinitiation il preacute-side au passage du monde de lrsquoenfance agrave celui de lrsquoadolescence67
4 CH I un rituel drsquoinvestiture
Si Hermegraves et le narrateur sont un modegravele agrave imiter pour les hermeacutetistes CH I acquiert alors une valeur particuliegravere Il deacutecrit en quelques pages lrsquoinstruction drsquoun humain le narrateur anonyme par un ecirctre divin agrave un moment indeacutefini ποτε laquo un jour raquo situeacute dans un passeacute proche ou lointain qui peut devenir celui de laquo lrsquoimmeacutediateteacute de la lecture raquo68 Avec lrsquoanonymat la narration agrave la premiegravere personne du singulier et au style direct aurait pour fonction de faciliter lrsquoidentification du des-tinataire hermeacutetiste au narrateur Le destinataire serait ainsi appeleacute agrave vivre les mecircmes expeacuteriences que ce dernier les visions lrsquoinstruction et les transformations internes
Ce traiteacute pourrait-il donc ecirctre un guide pour un rituel drsquoinvesti-ture Pour ecirctre efficace et afin que les marques eacutenoncives et narratives acquiegraverent une valeur eacutenonciative et pragmatique la mise en scegravene de ce rituel doit correspondre agrave celle de la narration Elle impliquerait un disciple et un maicirctre hermeacutetistes et probablement drsquoautres hermeacute-tistes Le maicirctre successeur drsquoHermegraves assumerait le rocircle de Poiman-dregraves identification qui serait faciliteacutee par les rapprochements eacutetablis entre Poimandregraves le narrateur et Hermegraves Le disciple prendrait la place du narrateur Comme lui il devra ecirctre precirct en ayant en fait deacutejagrave suivi une instruction Le savoir enseigneacute dans ce traiteacute ne serait alors
jugement des morts Eacute Bernand Inscriptions meacutetriques de lrsquoEacutegypte greacuteco-romaine recherches sur la poeacutesie eacutepigrammatique des Grecs en Eacutegypte Paris Les Belles Lettres 1969 p 295 et 302
65 Hymne orphique 281 messager de Zeus 66 CS Ponger Katalog der griechischen und roumlmischen Skulptur der steinernen
Gegenstaumlnde und der Stuckplastik im Allard Pierson Museum zu Amsterdam Amster-dam Noord-Hollandsche Uitgevers Maatschappij 1942 p 24 ndeg 50 A Minto laquo Fru-stulum Papyraceum con resti di figurazione dipinta Hermes Psychopompos () raquo Aegyptus 32 (1952) p 324ndash330 Eacute Bernand op cit 1969 p 80ndash83 ndeg 11
67 G Costa laquo Hermes dio delle iniziazioni raquo Civiltagrave classica e cristiana 3 (1982) p 277ndash295
68 Nous reprenons cette expression agrave C Jacob laquo Questions sur les questions archeacuteologie drsquoune pratique intellectuelle et drsquoune forme discursive raquo in A Volgers and C Zamagni (eds) Erotapokriseis Early Christian Question-and-Answer Literature in Context Leuven Peeters 2004 p 35
de poimandregraves aux hermeacutetistes 45
qursquoun rappel dogmatique des fondamentaux hermeacutetiques ndash origine du monde et de lrsquohomme veacuteritable nature et vocation de ce dernier Le nom resteacute en suspens serait remplaceacute par celui du disciple selon un proceacutedeacute analogue agrave celui employeacute dans les recettes et formules magi-ques pour qursquoelles soient applicables agrave nrsquoimporte qui laquo un tel raquo δεῖνα en grec69 ⲛⲓⲙ en copte70 Agrave la fin le disciple deviendrait agrave son tour un maicirctre un successeur du narrateur ou mecircme un nouvel Hermegraves imi-tant lrsquoaction de ce dernier ndash avoir son propre cercle de disciples et ecirctre un guide ndash devenant un nouvel laquo instrument raquo de transmission de la Parole un maicirctre dont lrsquoenseignement acquiert le statut de laquo reacuteveacutelation ulteacuterieure raquo comme pour Hermegraves Ce nouveau maicirctre jouit au sein de son cercle de la mecircme autoriteacute et de la mecircme leacutegitimiteacute qursquoHermegraves moins tant par la fonction dont il vient drsquoecirctre investi que par les expeacute-riences qursquoil a veacutecues notamment la vision et le contact avec le divin en analogie avec la notion drsquoautoriteacute chez les gnostiques71
Une chaicircne hermeacutetique se met ainsi en place remontant agrave Poiman-dregraves la source de lrsquoenseignement et au narrateur identifieacute (au moins selon une branche de la tradition hermeacutetique) agrave Hermegraves Trismeacutegiste Premier maillon humain de la chaicircne en tant que seul beacuteneacuteficiaire de la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo le narrateur Hermegraves agit un peu comme les ritualistes eacutegyptiens qui imitent lrsquoaction divine ici lrsquoinstruction deacutelivreacutee par Poimandregraves le Bon deacutemon et lrsquoIntellect
III La chaicircne hermeacutetique
La chaicircne hermeacutetique est le lieu ougrave lrsquoenseignement hermeacutetique est dispenseacute et ougrave ses proprieacuteteacutes principales sont preacuteserveacutees ndash caractegravere divin et sacreacute importance du dialogue interaction entre la parole et lrsquointellect but salvateur Chaque maillon agrave lrsquoinstar du narrateur avec Poimandregraves et drsquoHermegraves avec le Bon Deacutemon et son propre intellect
69 Parmi de nombreux exemples PGM III 6 et 10 PGM IV 323ndash328 IV 873 IV 1244
70 Exemple tardif London Ms Or 5525 71 EH Pagels laquo The Demiurge and his Archons ndash A Gnostic View of the Bishop
and Presbyters raquo HThR 69 (1976) p 301ndash324 ougrave lrsquoauteur considegravere qursquoun des points centraux de lrsquoopposition entre les gnostiques et les chreacutetiens orthodoxes est la question de lrsquoautoriteacute spirituelle et eccleacutesiastique U Neymeyr Die Christlichen Lehrer im zwei-ten Jahrhundert Ihre Lehrtaumltigkeit ihr Selbstverstaumlndnis und ihre Geschichte Leiden Brill 1989 p 203 N Deutsch Guardians of the Gate Angelic Vice Regency in Late Antiquity Leiden Brill 1999 p 143ndash144
46 chapitre un
doit y beacuteneacuteficier de deux traditions orale et eacutecrite et drsquoune forma-tion autodidacte devenu maicirctre agrave son tour et beacuteneacuteficiant de lrsquoautoriteacute du narrateur etou drsquoHermegraves il est le nouvel Hermegraves qui imite son propre maicirctre et lrsquoaction divine et son enseignement apparaicirct comme une reacuteveacutelation ulteacuterieure qui mime la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo selon diverses modaliteacutes que nous deacutetaillerons plus loin
1 La mise en place de la chaicircne hermeacutetique
Pour que la chaicircne de transmission puisse perpeacutetuer lrsquoenseignement sans ruptures et alteacuterations et que la volonteacute de Poimandregraves ecirctre laquo un guide (καθοδηγός) [ ] pour les hommes dignes (τοῖς ἀξίοις) raquo (CH I 26 ) soit toujours respecteacutee le choix des disciples doit ecirctre reacuteglementeacute
a Un enseignement divin reacuteserveacute agrave quelques disciplesDans le monde des protagonistes le choix les premiers disciples incombe agrave Hermegraves SH 23 et le traiteacute latin en donnent une liste et permettent de deacuteterminer les critegraveres qui ont preacutesideacute agrave leur choix En SH 236 Isis eacutevoque le destin drsquoHermegraves et ce qursquoil laisse derriegravere lui en remontant vers les cieux
ἀλλ᾿ ἦν αὐτῷ διάδοχος ὁ Τάτ υἱὸς ὁμοῦ καὶ παραλήπτωρ τῶν μαθημάτων τούτων οὐκ εἰς μακρὰν δὲ καὶ Ἀσκληπιὸς ὁ Ἰμούθης Πτανὸς καὶ Ἡφαίστου βουλαῖς ἄλλοι τε ὅσοι τῆς οὐρανίου θεωρίας πιστὴν ἀκρίβειαν ἔμελλον βουλομένης τῆς πάντων βασιλίδος ἱστορῆσαι προνοίας
Mais apregraves lui comme successeurs il y avait Tat son fils et en mecircme temps heacuteritier de ces enseignements puis peu apregraves Ascleacutepios Imoutheacutes selon les deacutesirs de Ptah et Heacutephaiumlstos et tous ceux qui eacutetaient sur le point de mener une enquecircte avec une rigueur sucircre selon la volonteacute de la providence reine de toute chose
En SH 2332 Isis srsquoapprecircte agrave enseigner son fils Horus au sujet de la reacuteaction des acircmes face agrave leur incorporation72 elle attribue cette doc-trine agrave son propre instructeur
ἧς ὁ μὲν προπάτωρ Καμῆφις ἔτυχεν ἐπακούσας παρὰ Ἑρμοῦ τοῦ πάντων ἔργων ὑπομνηματογράφου ltἐγὼ δὲgt παρὰ τοῦ πάντων προγενεστέρου Καμήφεως ὁπότ᾿ ἐμὲ καὶ τῷ τελείῳ μέλανι ἐτίμησε
72 Sur lrsquoensemble du passage sur les acircmes HD Betz laquo Schoumlpfung und Erloumlsung im hermetischen Fragment Kore Kosmou raquo Zeitschrift fuumlr Theologie und Kirche 63 (1966) p 171ndash174
de poimandregraves aux hermeacutetistes 47
Celle (= la doctrine secregravete) que Kameacutephis mon aiumleul a reccedilue en eacutecou-tant Hermegraves le meacutemorialiste de toutes les œuvres ltet que moigt73 (jrsquoai reccedilue) de Kameacutephis lrsquoancecirctre de tous quand il mrsquohonora du don du Noir Parfait 74
En Ascl 1 Hermegraves indique la nature de la leccedilon qui suit et justifie la preacutesence de trois disciples
laquo deus deus te nobis o Asclepi ut divino sermoni interesses adduxit [ ] tu vero o Asclepi procede paululum Tatque nobis qui intersit evoca raquo
Quo ingresso Asclepius et Hammona interesse suggessit Trismegistus ait
laquo nulla invidia Hammona prohibet a nobis etenim ad eius nomen multa meminimus a nobis esse conscripta sicuti etiam ad Tat amantissimum et carissimum filium multa physica exoticaque quam plurima tractatum hunc autem tuo scribam nomine prae-ter Hammona nullum vocassis alium ne tantae rei religiosissimus sermo multorum interventu praesentiaque violetur raquo
laquo Crsquoest Dieu oui Dieu qui trsquoa conduit Ascleacutepios pour que tu participes agrave lrsquoentretien divin [ ] Mais Ascleacutepios va pas tregraves loin appeler Tat pour qursquoil soit preacutesent avec nous raquo
Apregraves ecirctre rentreacute Ascleacutepios suggeacutera qursquoAmmon soit preacutesent Trismeacute-giste dit
laquo Nous ne sommes pas si jaloux que drsquoeacutecarter Ammon de notre groupe car il mrsquoen souvient beaucoup de mes eacutecrits lui ont eacuteteacute deacutedieacutes comme aussi agrave Tat mon fils tregraves aimant et tregraves cher beau-coup de mes traiteacutes physiques et une foule drsquoouvrages ldquodu dehorsrdquo Et jrsquoeacutecrirai ton nom (en tecircte) de ce traiteacute Nrsquoappelle personne drsquoautre qursquoAmmon un entretien si religieux et (portant) sur de tels sujets ne peut ecirctre profaneacute par lrsquointervention et la preacutesence du grand nombre raquo
Les auteurs de ces passages distinguent deux groupes de disciples les uns probablement nombreux restent anonymes quatre ont le privi-legravege drsquoecirctre nommeacutes Kameacutephis Ammon Tat et Ascleacutepios Kameacutephis ne semble ecirctre mentionneacute (SH 2332 ) que pour relier Isis agrave lrsquoenseigne-ment drsquoHermegraves Ammon intervient un peu plus souvent mais ce sont
73 La restitution proposeacutee par les eacutediteurs anteacuterieurs (apparat critique dans NF IV p 10) et sur laquelle nous nous appuyons pour dire qursquoIsis aurait eacuteteacute disciple de Kameacutephis semble tout agrave fait justifieacutee sinon la proposition est peu claire
74 Sur le don du Noir Parfait E Oreacuteal laquo ldquoNoir parfaitrdquo un jeu de mots de lrsquoeacutegyptien au grec raquo REG 1112 (1998) p 551ndash565
48 chapitre un
surtout Tat et Ascleacutepios qui sont les interlocuteurs reacuteguliers drsquoHermegraves Tat apparaissant eacutegalement dans des fragments de Stobeacutee
Par lrsquointermeacutediaire drsquoIsis lrsquoauteur de SH 236 donne de rares ren-seignements sur les raisons du choix par Hermegraves drsquoun tel comme dis-ciple et heacuteritier Le choix de Tat srsquoexpliquerait par sa relation filiale avec Hermegraves Les autres semblent ne pas avoir eacuteteacute choisis par Her-megraves Ascleacutepios Imouthegraves est un successeur laquo selon les deacutesirs de Ptah et Heacutephaiumlstos raquo75 les disciples anonymes le deviennent gracircce agrave la provi-dence divine qui les pousserait agrave mener une recherche avec rigueur et argumentation Le prologue du traiteacute latin complegravete ces indications
Si tous les traiteacutes ne font intervenir qursquoun disciple ou plus rarement deux lrsquoAscleacutepius est le seul qui teacutemoigne de cette restriction volon-taire en lrsquoopposant agrave lrsquoabsence de la foule et en justifiant la preacutesence de chaque disciple ndash exceptionnellement au nombre de trois Hermegraves leacutegitime son refus drsquoavoir plus de trois disciples en mettant en avant son souci de ne pas divulguer lrsquoenseignement agrave un trop grand nombre Ce souci renvoie agrave une isotopie qui traverse une grande partie de lrsquoAn-tiquiteacute avec notamment Platon Plotin ou Jamblique (agrave partir drsquoune paraphrase de Timeacutee 28 c )76 et aussi des chreacutetiens77 dont les gnosti-ques78 crsquoest celle du secret et de la meacutefiance envers la foule consideacute-reacutee comme inculte79 et comme pouvant profaner lrsquoenseignement en
75 Le dieu grec Heacutephaiumlstos est lrsquointerpretatio graeca du dieu eacutegyptien Ptah de mecircme qursquoAscleacutepios pour Imouthegraves version grecque de Imhotep En mettant en relation Ascleacutepios Imouthegraves et Ptah Heacutephaiumlstos lrsquoauteur hermeacutetiste serait-il au courant drsquoune tradition eacutegyptienne faisant de Ptah le pegravere drsquoImhotep Agrave ce sujet voir ci-dessous p 50
76 Texte reacuteguliegraverement paraphraseacute chez les auteurs antiques (M Zambon Porphyre et le Moyen-Platonisme Paris Vrin 2002 p 299ndash300 et p 300 n 1) notamment par Alcinoos Enseignement des doctrines de Platon XXVII H 17934ndash42 mais aussi le fragment hermeacutetique SH 11 θεὸν νοῆσαι μὲν χαλεπόν φράσαι δὲ ἀδύνατον ᾧ καὶ νοῆσαι δυνατόν laquo concevoir Dieu est difficile mais lrsquoeacutenoncer est impossible aussi pour celui qui est capable de (le) concevoir raquo (NF IV p 2 n 2 DT Runia Philo of Alexandria and the Timaeus of Plato Leiden Brill 1986 p 111 A Loumlw op cit p 186ndash195) Crsquoest ce fragment hermeacutetique et non Timeacutee 28 c qui serait citeacute par Greacutegoire de Nazianze dans son discours 284 ( J Peacutepin op cit 1982 p 251ndash260)
77 Par exemple Cleacutement drsquoAlexandrie Stromate I XII 55478 Par exemple 2Jeucirc 43 79 Ceci a conduit LH Martin agrave consideacuterer que le secret permettait en premier
lieu de maintenir les frontiegraveres sociales et non de preacuteserver des connaissances LH Martin laquo Secrecy in hellenistic Religious Communities raquo in HG Kippenberg and GG Stroumsa (eds) Secrecy and Concealment Studies in the History of Mediterra-nean and Near Eastern Religions Leiden Brill 1995 p 109ndash110 Si cette faccedilon de voir nrsquoest pas fausse il ne faut pas pour autant exclure de lrsquoexplication des consideacuterations purement culturelles
de poimandregraves aux hermeacutetistes 49
le soumettant agrave un usage humain80 Ceux qui ont eacuteteacute exclus peuvent lrsquoavoir eacuteteacute en raison de leur manque de preacuteparation et de leur inapti-tude agrave recevoir une telle instruction au contraire de Tat drsquoAmmon et drsquoAscleacutepios En effet Hermegraves justifie la preacutesence des deux premiers en eacutevoquant les nombreuses leccedilons qui leur ont deacutejagrave eacuteteacute deacutedieacutees ce que les traiteacutes veacuterifient effectivement pour Tat mais non pour Ammon La maniegravere dont Hermegraves eacutevoque ces leccedilons passeacutees reacutevegravele la faible place drsquoAmmon dans la meacutemoire hermeacutetique Hermegraves emploie le verbe memini laquo avoir agrave lrsquoesprit se rappeler raquo pour Ammon comme srsquoil avait pu lrsquooublier En effet en dehors de ce traiteacute ougrave Ammon nrsquointervient jamais il est peu mentionneacute dans la litteacuterature hermeacutetique interlocu-teur drsquoHermegraves dans SH 17 peut-ecirctre le destinataire homonyme de la lettre drsquoAscleacutepios dans CH XVI 81 et le roi anonyme interlocuteur de Tat dans CH XVII 82 dans les fragments SH 12 agrave 16 il nrsquoest nommeacute que dans le titre indiqueacute par Jean Stobeacutee La mention drsquoAmmon dans le traiteacute latin pourrait ecirctre un moyen pour une partie de la tradition hermeacutetique de justifier son insertion ulteacuterieure dans la chaicircne hermeacute-tique comme cela serait le cas drsquoIsis gracircce agrave Kameacutephis Concernant Ascleacutepios Hermegraves justifie sa preacutesence en affirmant (ce sont les pre-miers mots du traiteacute) qursquoil lui a eacuteteacute ameneacute par Dieu Hermegraves transfor-merait une rencontre due au hasard en une rencontre provoqueacutee par la volonteacute divine dont il se ferait lrsquointerpregravete Cette volonteacute rappelle les deacutesirs de Ptah mentionneacutes par Isis pour fonder le statut drsquoAscleacutepios comme successeur Ce qui se passe pour Ascleacutepios preacutesente aussi des analogies avec ce qui advient au narrateur dans CH I son instruction reacutesulte drsquoun choix divin lui-mecircme une reacuteponse agrave certaines aptitudes que le narrateur reacuteveacutela en commenccedilant agrave reacutefleacutechir
Le choix drsquoun disciple se ferait par conseacutequent selon au moins trois critegraveres compleacutementaires la filiation critegravere insuffisant et qui nrsquoest pas indispensable lrsquoaptitude agrave recevoir lrsquoinstruction un critegravere indispensa-ble mecircme srsquoil nrsquoest pas mis en avant pour Ascleacutepios la volonteacute divine dont le maicirctre se ferait lrsquointerpregravete Ces critegraveres sont applicables depuis le temps (mythique) drsquoHermegraves et agrave chaque eacutetape capitale de lrsquoinstruc-tion que seuls les disciples les plus dignes peuvent franchir
80 P Borgeaud laquo Le couple sacreacute profane Genegravese et fortune drsquoun concept ldquoopeacutera-toirerdquo en histoire des religions raquo RHR 2114 (1994) p 390
81 G Fowden op cit 2000 p 59 et 209 BP Copenhaver op cit p 200ndash20182 Crsquoest ce que pense eacutegalement BP Copenhaver op cit p 208
50 chapitre un
b La succession mythique des maicirctresLes informations susmentionneacutees permettent de reconstituer une par-tie de la chaicircne de transmission avec des variantes selon des auteurs (ajout drsquoAmmon ou de la chaicircne Kameacutephis -Isis -Horus ) repreacutesentant plusieurs branches
Tableau 2 chaicircne de transmission hermeacutetique
Plusieurs figures sont nommeacutees drsquoapregraves une diviniteacute eacutegyptienne ou ont une origine eacutegyptienne revendiqueacutee83 Que repreacutesentent ces figures pour les auteurs hermeacutetistes Pourquoi les ont-ils choisies
Nous nrsquoallons pas revenir sur Hermegraves Selon Ascl 37 lrsquoancecirctre drsquoAs-cleacutepios est laquo le premier inventeur de lrsquoart de gueacuterir raquo Il srsquoagit drsquoImho-tep grand precirctre drsquoHeacuteliopolis et architecte en chef de la pyramide agrave degreacutes du pharaon Djoser (IIIe dynastie) agrave Saqqara Il a eacuteteacute de bonne heure consideacutereacute comme une figure marquante de son temps et les nouvelles du Nouvel Empire lrsquoassignent patron des scribes en tant que personnification de la sagesse Des documents en font le fils de Ptah 84
83 Cf plus haut p 2384 Par exemple La Stegravele de la famine datant probablement de lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque
laquo le precirctre chef lecteur Imhotep fils de Ptah Sud-de-son-Mur raquo M Lichtheim Ancient Egyptian Literature III Berkeley University of California Press 1980 p 94ndash103 Pour des donneacutees geacuteneacuterales sur Imhotep N Grimal Histoire de lrsquoEacutegypte ancienne Paris Fayard 1988 p 87ndash88 G Fowden op cit 2000 p 72 et n 157 D Wildung Egyp-tian Saints Deification in Pharaonic Egypt New York New York University Press
Intellect divin sous ses trois formes Poimandregraves (CH
XIII) Intellect (CH
XI) et le Bon Deacutemon
(CH XII)
Poimandregraves (CH I)
Hermegraves = Narrateur
anonyme
Tat (CH et
SH)
Ascleacutepios
(CH et SH) Kameacutephis (SH
23)
Autres disciples (CH I et
SH 23)
Le roi
anonyme
(CH XVII)
= Ammon (Ascl
et SH)
Isis (SH)
Horus (SH)
de poimandregraves aux hermeacutetistes 51
Les premiegraveres donneacutees sur la veacuteneacuteration drsquoImhotep datent de la XVIIIe dynastie85 avec un culte86 qui perdure au moins jusqursquoau IIe siegravecle apregraves J-C et mecircme encore pendant le IIIe siegravecle87 Consideacutereacute comme magicien et sage sa populariteacute est surtout baseacutee sur la croyance qursquoil est un dieu secourant les hommes en deacutetresse
Ammon orthographieacute Hammon en latin88 serait le dieu eacutegyptien Amon Sa fonction royale dans la litteacuterature hermeacutetique serait lrsquoheacuteri-tiegravere drsquoune conception eacutevheacutemeacuteriste qui faisait de Amon lrsquoun des plus anciens rois de lrsquoEacutegypte 89 Selon Platon il est celui qui jugea de lrsquouti-liteacute des inventions de Thot et critiqua en particulier celle de lrsquoeacutecriture Cette ideacutee semble ecirctre reprise aux IVendashVe siegravecles apregraves J-C par le chreacute-tien Syneacutesios de Cyregravene 90 il range Ammon parmi les sages comme Zoroastre et Hermegraves91 Jamblique relie eacutegalement Ammon agrave la sagesse laquo Hermegraves a aussi guideacute sur ce chemin (= celui qui megravene vers le dieu et deacutemiurge au moyen de lrsquoart theacuteurgique) et le prophegravete Bitys lrsquoa interpreacuteteacute pour le roi Ammon raquo92 Jamblique exploiterait une branche
1977 p 31ndash76 K Sethe Imhotep der Asklepios der Aegypter ein vergoumltterter Mensch aus der Zeit des Koumlnigs Doser Leipzig JC Hinrichs 1902
85 J Quaegebeur laquo Les ldquosaintsrdquo eacutegyptiens preacutechreacutetiens raquo OLP 8 (1977) p 132 AH Gardiner laquo Imhotep and the Scribersquos Libation raquo ZAumlS 40 (1902ndash1903) p 146
86 JF Quack laquo Ein uumlbersehener Beleg fuumlr den Imhotep-Kult in Theben raquo RdE 49 (1998) p 255ndash256 J Quaegebeur laquo Teeumlphibis dieu oraculaire raquo Enchoria 5 (1975) p 22
87 Voir la priegravere adresseacutee agrave Imouthegraves-Ascleacutepios du P Oxy XI 1381 qui date du IIe siegravecle apregraves J-C texte et traduction dans BP Grenfell AS Hunt The Oxyrhynchus Papyri Part XI ndeg 1351ndash1404 London Egypt Exploration Society 1915 p 221ndash234 G Fowden op cit 2000 p 84ndash85 L Kaacutekosy laquo Imhotep and Amenhotep son of Hapu as patrons of the Dead raquo Selected Papers (1956ndash73) Studia Aegyptiaca 7 (1981) p 175ndash183 A Lajtar laquo Proskynema Inscriptions of a Corporation of Iron-Workers from Hermonthis in the Temple of Hatshepsout in Deir el-Bahari New Evidence for Pagan Cults in Egypt in the 4th Cent A D raquo The Journal of Juristic Papyrology 21 (1991) p 53ndash70
88 Ceci peut srsquoexpliquer par la preacutesence drsquoun esprit rude dans lrsquooriginal grec fait rare mais non impossible Aristote Fragmenta varia 1161039 et Callimaque Frag-menta grammatica 40758
89 Platon Phegravedre 274 d il en fait un roi de Thegravebes Thamous Diodore de Sicile Bibliothegraveque historique III 731 Maneacutethon fragment 328 Voir G Fowden op cit 2000 p 59
90 Dion 911ndash12 ὁποῖος Ἀμοῦς ὁ Αἰγύπτιος οὐκ ἐξεῦρεν ἀλλrsquo ἔκρινε χρείαν γραμμάτων laquo tel Amon lrsquoEacutegyptien qui ne trouva pas mais jugea lrsquoutiliteacute des lettres raquo
91 Dion 1028 G Fowden op cit 2000 p 261 il pense que la mention drsquoAmmon et drsquoHermegraves provient des Hermetica
92 Reacuteponse drsquoAbamon VIII 5 (267) ὑφηγήσατο δὲ καὶ ταύτην τὴν ὁδὸν Ἑρμῆς ἡρμήνευσε δὲ βίτυς προφήτης Ἄμμωνι βασιλεῖ (traduction M Broze et C Van Liefferinge )
52 chapitre un
de la tradition hermeacutetique diffeacuterente de celle transmise par une partie de la litteacuterature eacutetudieacutee ougrave il nrsquoest pas question de Bitys et ougrave Ammon est directement instruit par Hermegraves Ascleacutepios et peut-ecirctre Tat
Lrsquoinsertion drsquoIsis dans la chaicircne hermeacutetique de transmission93 relegrave-verait drsquoune tradition grecque qui associe Isis agrave Hermegraves notamment en faisant drsquoelle sa disciple94 ou sa fille95 (ce qui ne serait pas une inven-tion grecque96) Lrsquoauteur de SH 23 modifierait cette tradition puisqursquoil parle drsquoune filiation peacutedagogique indirecte entre Hermegraves et Isis avec lrsquointroduction de Kameacutephis disciple drsquoHermegraves (SH 2332 ) Le titre du fragment Ἑρμοῦ τρισμεγίστου ἐκ τῆς ἱερᾶς βίβλου ἐπικαλουμένης Κόρης κόσμου identifie SH 23 comme un extrait drsquoun ouvrage inti-tuleacute Κόρη κόσμου et fournit des indications suppleacutementaires sur le rocircle drsquoIsis Le titre Κόρη κόσμου peut signifier laquo fille du monde raquo ou laquo pupille de lrsquoœil du monde raquo selon les deux sens de κόρη Drsquoapregraves H Jackson 97 la seconde traduction serait preacutefeacuterable puisqursquoil srsquoagi-rait alors de lrsquoœil du soleil avec un tel titre lrsquoauteur hermeacutetiste aurait voulu rappeler le rocircle punitif drsquoIsis et son action illuminatrice gracircce agrave laquelle les hommes peuvent voir Or la vision joue un rocircle certain dans les textes hermeacutetiques et dans le salut comme en teacutemoigne CH I
Le nom Kameacutephis apparaicirct en dehors de lrsquooccurrence hermeacutetique en SH 2332 seulement chez Damascius Des Principes 1 3244ndash6 98 Selon ce philosophe Askleacutepiade aurait affirmeacute lrsquoexistence de trois Kameacute-phis et Heacuteraiumlskos aurait identifieacute le troisiegraveme au Soleil et agrave lrsquointellect intelligible Cette eacutequivalence est-elle aussi valable pour SH 23 ougrave on retrouverait ainsi lrsquoassociation entre la Parole Hermegraves et lrsquoIntellect Kameacutephis Le nom de cette figure est agrave rapprocher de Meacutephis dans
93 Elle prend la place du maicirctre dans les fragments SH 23 agrave 27 ougrave elle enseigne son fils Horus
94 Areacutetalogie de Cymeacutee 3 b Voir F Dunand Le Culte drsquoIsis dans le bassin oriental de la Meacutediterraneacutee 1 Le Culte drsquoIsis et les Ptoleacutemeacutees Leiden Brill 1973 p 138ndash139
95 Plutarque Isis et Osiris 3 352 A et 10 355 F et C Froidefond laquo note compleacute-menaire raquo op cit p 254 n 9 PGM IV 94 et suivantes avec un dialogue entre Isis et Thot qursquoelle appelle laquo mon pegravere raquo
96 J Quaegebeur laquo Diodore I 20 et les mystegraveres drsquoOsiris raquo in T DuQuesne (ed) Hermes Aegyptiacus Egyptological Studies for BH Stricker Oxford DE Publications 1995 p 178ndash179
97 H Jackson laquo Κόρη Κόσμου Isis Pupil of the Eye of the World raquo ChrE 61 fasc 121 (1986) p 116ndash135
98 Une recherche dans le TLG confirme lrsquoopinion drsquoA-J Festugiegravere qui avait deacutejagrave repeacutereacute que ce nom nrsquoeacutetait mentionneacute que par Damascius en dehors de la tradition hermeacutetique (NF III p clxii)
de poimandregraves aux hermeacutetistes 53
lrsquooracle du potier99 de Kneph 100 et de Kamoutef 101 lesquels sont parfois associeacutes agrave Agathodaimon 102 Kneph-Kematef le dieu laquo qui a accom-pli son temps raquo crsquoest-agrave-dire le laquo creacuteateur initial raquo eut laquo un vif succegraves dans la litteacuterature magique et gnostique drsquoeacutepoque greacuteco-romaine raquo103 Contrairement aux textes eacutegyptiens ougrave crsquoest plutocirct une eacutepithegravete dans les textes grecs et dans le texte hermeacutetique crsquoest une diviniteacute en tant que telle104 Jamblique se faisant lrsquoeacutecho drsquoHermegraves dont il affirme rap-porter lrsquoopinion lrsquoidentifie au chef des dieux ceacutelestes et agrave lrsquointellect qui se pense lui-mecircme105 ce qui est proche de lrsquoopinion drsquoHeacuteraiumlskos rapporteacutee par Damascius Dans SH 23 la mention laquo ancecirctre de tous raquo renvoie agrave Kneph-Kematef comme laquo creacuteateur initial raquo Neacuteanmoins le rocircle hermeacutetique de Kameacutephis est reacuteduit creacuteer un lien entre Hermegraves et Isis laquelle nrsquoest jamais mentionneacutee parmi les disciples directs drsquoHermegraves106 afin drsquointeacutegrer Isis au sein de la chaicircne hermeacutetique
Tat nrsquoest pas le nom drsquoune diviniteacute eacutegyptienne ou grecque direc-tement identifiable Selon G Fowden il srsquoagirait laquo du dieu Thot mal orthographieacute raquo107 Dans les documents grecs le nom du dieu est geacuteneacuteralement orthographieacute θώθ108 (graphie la plus commune) ou θωυθ109 tregraves rarement θουθ110 et mecircme θευθ111 Dans les papyrus grecs
99 G Fowden op cit 2000 p 45100 R Reitzenstein op cit 1904 p 137101 J Lindsay Les Origines de lrsquoachimie dans lrsquoEacutegypte greacuteco-romaine traduction
C Rollinat Paris Le Rocher 1986 (eacutedition anglaise de 1970) p 325 H Jackson op cit p 117ndash118 n 3
102 Sur tous ces noms HJ Thissen laquo ΚΜΗΦ ndash ein verkannter Gott raquo ZPE 112 (1996) p 153ndash160
103 S Sauneron Les Fecirctes religieuses drsquoEsna aux derniers siegravecles du paganisme Le Caire IFAO 1962 p 319
104 R Reitzenstein op cit 1904 p 137 HJ Thissen op cit 1996 p 156105 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon VIII 3 (262ndash263) La tradition manuscrite
donne Ἠμήφ mais il faudrait adopter la correction de W Scott Κμήφ cf les notes de M Broze et C Van Liefferinge agrave leur traduction de Jamblique op cit 2009 p 155 n 78
106 La seule mention drsquoIsis dans les leccedilons drsquoHermegraves se trouve en Ascl 37 quand Hermegraves donne des exemples de dieux terrestres
107 G Fowden op cit 2000 p 60108 Par exemple Aristoxegravene Fragment 236 Eusegravebe Preacuteparation eacutevangeacutelique I 9
247 et I 10 142 109 Plutarque Romulus 1258 Cleacutement drsquoAlexandrie Stromate I XV 6833 Eusegravebe
Preacuteparation eacutevangeacutelique I 10 142110 Dans Apotelesmata 138412 attribueacute agrave Apollonios de Tyane cette graphie inter-
vient au sein drsquoune liste de noms barbares111 Platon Phegravedre 274 c-e et Philegravebe 18 b Toutes les autres occurrences de cette
graphie viennent de citations de ces deux passages de Platon Galien De placitis
54 chapitre un
magiques nous trouvons plusieurs fois la mention de θάθ112 selon toute vraisemblance Thot cette graphie est proche du copte ⲑⲁⲧ113 qui pourrait ecirctre derriegravere la graphie des PGM ougrave plusieurs mots sont en fait du copte114 Cependant une autre explication peut ecirctre avanceacutee Quelques textes magiques attestent le vieux-copte ⲧⲁⲧ115 qui est pro-bablement la transcription de dd le pilier osirien symbole de la sta-biliteacute de la permanence et de la fixiteacute Cette symbolique conviendrait bien avec la position de Tat gracircce auquel la transmission de la reacuteveacute-lation hermeacutetique srsquoinstalle dans la dureacutee du temps historique Cette interpreacutetation nrsquoempecircche pas que le nom de Tat fasse eacutegalement eacutecho pour les auteurs hermeacutetistes ou au moins pour les lecteurs au nom de Thot eacutecho qui instaurerait alors une succession de trois Thot116 (deux par rapprochement fonctionnel et interpretatio le troisiegraveme par un jeu linguistique) et renforcerait lrsquoideacutee de la continuiteacute de la pratique de lrsquoenseignement
Ces figures doteacutees drsquoun nom divin explicite ou non confegraverent un caractegravere divin agrave la chaicircne de transmission Leur origine surtout eacutegyptienne insegravere lrsquoenseignement dans un contexte eacutegyptien Indivi-duellement chacune drsquoelles met lrsquoaccent soit sur la sagesse le salut la gueacuterison les visions ou la parole et lrsquointellect ensemble elles dres-sent une repreacutesentation divine de lrsquoenseignement La pratique didac-tique creacutee entre ces figures une communauteacute qui peut ecirctre renforceacutee par des liens de parenteacute repris des traditions religieuses eacutegyptienne et grecque et par la reacuteplication de diviniteacutes en plusieurs figures hermeacuteti-ques Cette chaicircne mythique sert de modegravele agrave la chaicircne historique dont
Hippocratis et Platonis 25322 Sueacutetone Sur les jeux chez les Grecs 115 et Jean Stobeacutee Anthologie 2415 et 18
112 PGM VII 557 XII 292 XIII 997 XIX a 3 et LXVII 8 Excepteacute la premiegravere toutes ces occurrences interviennent dans des listes de noms barbares
113 Graphie signaleacutee dans W Spiegelberg laquo Die griechischen Formen fuumlr der Namen des Gottes Thot raquo Recueil de travaux relatifs agrave la philologie et agrave lrsquoarcheacuteologie eacutegyptiennes et assyriennes Paris E Bouillon 1901 p 199ndash200
114 PGM IV 1065 et HD Betz (ed) The Greek Magical Papyri in Translation Chicago University of Chicago Press 19922 p 59 n 147 PGM IV 1323 et HD Betz (ed) op cit 19922 p 63 n 180
115 FL Griffith laquo The Glosses in the Magical Papyrus of London and Leiden raquo ZAumlS 46 (1909) p 117ndash131
116 Ceci nrsquoest pas sans eacutevoquer la leacutegende des trois Hermegraves que lrsquoon trouve notam-ment dans des sources arabes C Burnett laquo The Legend of The three Hermes and Abū Marsquosharrsquos Kitāb Al-Ulūf in the Latin Middle Ages raquo Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 39 (1976) p 231ndash234 M Sladek laquo Mercurius triplex Mercurius termaximus et les ldquotrois Hermegravesrdquo raquo in A Faivre op cit p 88ndash99
de poimandregraves aux hermeacutetistes 55
chaque membre choisi selon des critegraveres preacutecis est inviteacute agrave transmet-tre lrsquoenseignement tout en lui conservant ses proprieacuteteacutes originelles La relation entre maicirctre et disciple srsquoinsegravere dans ce cadre
2 Les relations entre le maicirctre et ses disciples
Les relations entre le maicirctre hermeacutetiste et ses disciples sont eacutetablies sur le modegravele de celles existant entre Hermegraves et ses disciples tout en srsquoadaptant agrave la nouvelle reacutealiteacute drsquoune instruction qui se prolonge dans le temps
a Une leccedilon pour un discipleDans la plupart des traiteacutes Hermegraves srsquoadresse agrave un seul disciple le caractegravere individuel de lrsquoinstruction et de la relation entre le maicirctre et son disciple est ainsi souligneacute comme dans les textes magiques117 Cependant drsquoautres disciples peuvent ecirctre preacutesents Dans lrsquoAscleacutepius trois disciples assistent agrave la leccedilon qursquoHermegraves deacutedicace pourtant au seul Ascleacutepios Quatre traiteacutes sont deacutedieacutes agrave Ascleacutepios contre cinq pour Tat mais Tat est un auditeur suppleacutementaire dans plusieurs leccedilons adres-seacutees agrave Ascleacutepios118 Ainsi la deacutedicace agrave un disciple implique unique-ment que le maicirctre srsquoentretient avec lui seul pendant toute la leccedilon lrsquoauteur de CH X 1 le confirme τὸν χθὲς λόγον ὦ Ἀσκληπιέ σοι ἀνέθηκα τὸν δὲ σήμερον δίκαιόν ἐστι τῷ Τὰτ ἀναθεῖναι ἐπεὶ καὶ τῶν Γενικῶν λόγων τῶν πρὸς αὐτὸν λελαλημένων ἐστὶν ἐπιτομή laquo La leccedilon drsquohier Ascleacutepios je te lrsquoai deacutedieacutee mais celle drsquoaujourdrsquohui il est juste de la deacutedier agrave Tat car elle est aussi un reacutesumeacute des Leccedilons geacuteneacuterales qui lui sont adresseacutees raquo Dans la suite du traiteacute Hermegraves parle au seul Tat et si Ascleacutepios est preacutesent et beacuteneacuteficie des bienfaits de lrsquoinstruction119 son nom nrsquoapparaicirct plus Dans le traiteacute latin Hermegraves srsquoadresse tout
117 A Camplani laquo Forme di rapporto maestro discepolo nei testi magici e alche-mici della tarda antichitagrave raquo in G Filoramo (ed) Maestro e discepolo Temi e problemi della direzione spirituale tra vi secolo aC e vii secolo dC Brescia Morcelliana 2002 p 112
118 Dans le prologue de la lettre drsquoAscleacutepios agrave Ammon en CH XVI 1 Ascleacutepios dit Ἑρμῆς μὲν γὰρ ὁ διδάσκαλός μου πολλάκις μοι διαλεγόμενος καὶ ἰδίᾳ καὶ τοῦ Τὰτ ἐνίοτε παρόντος ἔλεγεν laquo Hermegraves en effet mon maicirctre conversant souvent avec moi soit en particulier soit avec Tat quand il eacutetait preacutesent a dit raquo
119 En CH X 4 Tat parle en son nom et en celui drsquoAscleacutepios quand il dit ἐπλήρωσας ἡμᾶς ὦ πάτερ τῆς ἀγαθῆς καὶ καλλίστης θέας laquo tu nous as remplis pegravere de la bonne et tregraves belle vision raquo
56 chapitre un
le temps agrave Ascleacutepios et il inclut rarement les deux autres disciples120 Par conseacutequent si dans les faits lrsquoinstruction est publique se deacuterou-lant devant quelques disciples elle se veut theacuteoriquement priveacutee Ses effets agiraient personnellement sur chaque disciple ndash Tat ou Ascleacute-pios Ammon jouant un faible rocircle ndash en fonction de lrsquoavancement de chacun121 Ceci reflegravete la situation scolaire de lrsquoeacutepoque ougrave comme les eacutetudiants de mecircme niveau sont peu nombreux plusieurs niveaux se cocirctoient dans le mecircme cours122
b Maicirctre et disciple pegravere et filsLrsquoanalyse de la maniegravere dont chaque protagoniste srsquoadresse agrave lrsquoautre permet de preacuteciser ces relations Une recherche rapide montre que πατήρ laquo pegravere raquo et τέκνον laquo enfant raquo ndash en copte respectivement ⲉⲓⲱⲧ et ϣⲏⲣⲉ ndash sont courants dans la litteacuterature hermeacutetique eacutetudieacutee Lrsquoopinion geacuteneacuteralement admise est qursquoil srsquoagit drsquoune relation exclusivement spiri-tuelle et que les appellations laquo pegravere raquo et laquo fils raquo sont purement fictionnel-les123 relevant drsquoun topos courant agrave lrsquoeacutepoque des eacutecrits hermeacutetiques Ce topos reacutesulterait drsquoune eacutevolution dont le point de deacutepart est lrsquoenseigne-ment au sein du cercle familial tel que cela avait cours en Orient ougrave la sagesse et la science ndash consideacutereacutees comme des deacutepocircts sacreacutes ne devant pas sortir de la famille ndash eacutetaient transmises de pegravere en fils le pegravere eacutetant laquo lrsquoeacuteducateur neacute de son fils raquo124 Cependant rapidement125 le cercle de
120 En Ascl 16 il integravegre Ammon dans une remarque sur Dieu et lrsquoabolition du mal En Ascl 32 il inclut Ammon et Tat dans sa recommandation de conserver secret tout son enseignement
121 Selon CH XIV 1 Tat est un laquo neacuteophyte parvenu reacutecemment agrave la connaissance des choses particuliegraveres raquo νεώτερος ἄρτι παρελθὼν ἐπὶ τὴν γνῶσιν τῶν περὶ ἑνὸς ἑκάστου
122 R Cribiore Gymnastics of the Mind Greek Education in Hellenistic and Roman Egypt Princeton Princeton University Press 2001 p 42
123 A-J Festugiegravere op cit 1989 p 335 G Fowden op cit 2000 p 130 et p 232124 A-J Festugiegravere op cit 1989 p 335 LrsquoEacutegypte livra plusieurs Sagesses et autres
enseignements qui auraient eacuteteacute eacutecrits par un pegravere pour son fils Satire des meacutetiers 39 laquo commencement de lrsquoenseignement fait par lrsquohomme de Sile dont le nom est lsquoDua-Khetyrsquo agrave son fils appeleacute Peacutepi raquo (M Lichtheim Ancient Egyptian Literature I Berkeley University of California Press 1973 p 185) LrsquoEnseignement pour Meacuterikarecirc laquo deacutebut de lrsquoenseignement qursquoa fait le roi [ ] pour son fils Meacuterikarecirc raquo (P Vernus Sagesses de lrsquoEacutegypte ancienne Paris Imprimerie nationale 2001 p 138) LrsquoEnseignement Loyali-ste laquo Deacutebut de lrsquoEnseignement qursquoa fait le prince [ il dit] en tant qursquoenseignement pour ses enfants raquo (P Vernus op cit 2001 p 207)
125 Pour lrsquoEacutegypte on en aurait un teacutemoin de la VIe dynastie avec LrsquoEnseignement de Ptahhotep P Vernus op cit 2001 p 110 et Z Zaba Les Maximes de Ptahhotep
de poimandregraves aux hermeacutetistes 57
transmission srsquoest eacutelargi agrave des gens exteacuterieurs agrave la famille la relation filiale a eacuteteacute incluse dans les rapports entre un maicirctre et son disciple la parenteacute de sang passa au second plan laissant la place agrave une relation spirituelle fondeacutee sur la communauteacute de savoir et de valeurs sur leur transmission et la direction spirituelle du disciple par le maicirctre126 Une telle relation est freacutequente agrave lrsquoeacutepoque de nos traiteacutes notamment dans les Papyrus grecs magiques ougrave τέκνον est plusieurs fois employeacute par le maicirctre127 Neacuteanmoins lrsquoeacutetude de lrsquoemploi de ce terme grec dans les traiteacutes hermeacutetiques reacutevegravele quelques surprises
Hermegraves interpelle Ammon et Ascleacutepios par leur nom alors que pour Tat il recourt aussi agrave drsquoautres vocables tregraves reacuteguliegraverement τέκνον128 plus rarement παῖς129 et υἱός (CH XIV 1 ) En contrepartie seul Tat appelle Hermegraves πάτερ130 Ascleacutepios srsquoadressant agrave lui par son nom ou par son eacutepiclegravese laquo Trismeacutegiste raquo tandis qursquoAmmon nrsquointerpelle jamais Hermegraves Lrsquoemploi des termes laquo pegravere raquo et laquo fils raquo ne deacutenote donc pas seu-lement une parenteacute spirituelle car sinon pourquoi ces termes ne sont-ils pas utiliseacutes pour les autres disciples
Prague Acadeacutemie Tcheacutecoslovaque des Sciences 1956 Sur la datation de cet enseig-nement mentionnons un article qui vise agrave montrer que ce texte daterait en fait du Moyen Empire E Eichler laquo Zur Datierung und Interpretation der Lehre des Ptahho-tep raquo ZAumlS 128 (2001) p 97ndash107
126 Sur la direction spirituelle et les rapports entre le maicirctre et son disciple M Meslin laquo Le maicirctre spirituel raquo in M Meslin (dir) Maicirctre et disciples dans les traditions religieuses Actes du colloque organiseacute par le centre drsquohistoire compareacutee des religions de lrsquoUniversiteacute Paris-Sorbonne 15ndash16 avril 1988 Paris Cerf 1990 p 11ndash19 G Filoramo (ed) op cit 2002
127 PGM IV 749 VII 104 τέκνον φίλον laquo cher enfant raquo XIII 213ndash214 γνῶθι τέκνον laquo sache enfant raquo et cette relation est tregraves deacuteveloppeacutee dans le papyrus magique XIII Nous trouvons eacutegalement υἱός qui deacutesigne lrsquoapprenti PGM I 193 (HD Betz [ed] op cit 19922 p 8 n 37) et IV 2512 Voir aussi A Camplani laquo Forme di rap-porto raquo op cit 2002 p 109ndash117
128 De nombreuses occurrences dans CH IV V X XII XIII SH 2a 2b 4 agrave 6 9 et 11 tous ces traiteacutes et fragments ont Tat pour destinataire Nous trouvons eacutegalement deux occurrences dans CH VIII une dans SH 7 ndash pour ces deux textes le destinataire est anonyme ndash et une derniegravere dans CH XI adresseacute agrave Hermegraves Nous laissons de cocircteacute pour le moment les fragments adresseacutes par Isis agrave Horus
129 SH 4 23 Dans ce fragment le disciple Tat est aussi appeleacute τέκνον et une fois παῖς Ces deux termes sont aussi utiliseacutes dans CH VIII mais le disciple est anonyme Au vu de lrsquoutilisation du terme τέκνον et de son association dans SH 4 avec le mot παῖς on peut eacutemettre lrsquohypothegravese que le disciple anonyme de CH VIII est Tat lui-mecircme
130 Plusieurs occurrences dans CH IV X XII XIII SH 2a 2b 4 6 8 et 11 Les autres occurrences de ce vocatif concernent Dieu
58 chapitre un
c Relation filiale relation spirituelleTat est le seul disciple drsquoHermegraves agrave ecirctre qualifieacute par des superlatifs amantissimus laquo tregraves aimant raquo carissimus laquo tregraves cher raquo (Ascl 1) et νεώτερος laquo tregraves jeune raquo (CH XIV 1 ) Cette caracteacuteristique et lrsquoemploi des termes τέκνον et παῖς rappellent la maniegravere dont Isis srsquoadresse agrave Horus Celle-ci lrsquointerpelle tregraves souvent par son nom ajoutant reacutegu-liegraverement des superlatifs ἀξιοθαύμαστος laquo digne drsquoadmiration raquo (SH 235 ) μεγαλόψυχος laquo magnanime raquo (SH 2358 et 241 ) περιπόθητος laquo tregraves aimeacute raquo (SH 256 et 2625 ) μεγαλόδοξος laquo illustre raquo (SH 2514 et 2613 ) Or Horus est non seulement le disciple drsquoIsis mais eacutegalement selon le mythe eacutegyptien son fils et Horus interpelle Isis dans les frag-ments hermeacutetiques par le vocatif τεκοῦσα laquo megravere raquo mettant en avant la parenteacute biologique Il faudrait interpreacuteter litteacuteralement lrsquoemploi de παῖς et υἱός ce que confirmerait SH 236 citeacute plus haut ougrave Tat est dit υἱός de Hermegraves Dans ce mecircme passage lrsquoauteur dresse la liste des heacuteritiers et successeurs de Hermegraves nommant en premier Tat avant Ascleacutepios alors que juste apregraves (SH 237 ) il eacutevoque son jeune acircge jeunesse deacutejagrave mise en avant par lrsquoauteur de CH XIV131 Le critegravere de la filiation prime donc sur celui de la jeunesse pour lrsquoobtention des qua-liteacutes de παραλήπτωρ laquo heacuteritier raquo et de διάδοχος laquo successeur raquo et de lrsquoautoriteacute affeacuterente Tat se distingue ainsi des autres disciples du fait de sa filiation avec Hermegraves parenteacute qui renforcerait le lien onomastique eacutetabli par le possible jeu linguistique laquo populaire raquo sur les noms Tat et Thot dont Hermegraves est lrsquointerpretatio graeca
Cependant la dimension spirituelle ne disparaicirct pas pour autant comme le montrerait lrsquoeacutetude des termes υἱός et παῖς Dans CH XIII Tat reacutecupegravere agrave son profit la qualiteacute de υἱός αἴνιγμά μοι λέγεις ὦ πάτερ καὶ οὐχ ὡς πατὴρ υἱῷ διαλέγῃ laquo Tu me dis une eacutenigme pegravere et non comme un pegravere devrait discuter avec son fils raquo (XIII 2) ldquo ἀλλότριος υἱὸς πέφυκα τοῦ πατρικοῦ γένουςrdquo μὴ φθόνει μοι πάτερ γνήσιος υἱός εἰμι laquo ldquoJe suis neacute fils eacutetranger au genre de son pegravererdquo Ne me meacuteprise pas pegravere Je suis un fils leacutegitime raquo (XIII 3) Lrsquoassociation de γνήσιος γένος et de φύω avec υἱός incitent agrave prendre celui-ci dans
131 CH XIV 1 Ἐπεὶ ὁ υἱός μου Τὰτ ἀπόντος σοῦ τὴν τῶν ὅλων ἠθέλησε φύσιν μαθεῖν ὑπερθέσθαι δέ μοι οὐκ ἐπέτρεπεν ὡς υἱὸς καὶ νεώτερος ἄρτι παρελθὼν ἐπὶ τὴν γνῶσιν τῶν περὶ ἑνὸς ἑκάστου ἠναγκάσθην πλείονα εἰπεῖν laquo Puisque mon fils Tat alors que tu eacutetais absent a voulu apprendre la nature de lrsquounivers et il ne mrsquoa pas permis de diffeacuterer (cela) comme fils et un tout jeune parvenu reacutecemment agrave la connais-sance des choses particuliegraveres raquo Dans cet extrait comme dans SH 23 7 cette jeunesse concernerait agrave la fois le jeune acircge et un stade peu avanceacute dans lrsquoenseignement
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son sens propre Cependant ces affirmations de Tat interviennent agrave un moment important de son instruction quand il demande la leccedilon sur la reacutegeacuteneacuteration Juste apregraves avoir attesteacute qursquoil est precirct laquo ayant affermi lrsquoesprit qui est en moi contre la ruse du monde raquo132 ndash ce qui est analo-gue agrave lrsquoexpeacuterience veacutecue par le narrateur au deacutebut de CH I ndash il veut montrer qursquoil est aussi digne qursquoun fils de beacuteneacuteficier de cette leccedilon
Or dans plusieurs traiteacutes υἱός qualifie le fils de Dieu En CH I 6 Poimandregraves explique au narrateur la signification de la vision τὸ φῶς ἐκεῖνο ἔφη ἐγὼ Νοῦς ὁ σὸς θεός ὁ πρὸ φύσεως ὑγρᾶς τῆς ἐκ σκότους φανείσης ὁ δὲ ἐκ νοὸς φωτεινὸς λόγος υἱὸς θεοῦ laquo Cette Lumiegravere -ci dit-il (= Poimandregraves) crsquoest moi Intellect ton Dieu celui qui existe avant la nature humide apparue hors des teacutenegravebres Et la Parole creacutea-trice lumineuse issue de lrsquoIntellect est fils de Dieu raquo En CH I 32 le narrateur justifie sa demande agrave Dieu de lrsquoaider dans sa mission en proclamant ce qursquoil compte faire καὶ τῆς χάριτος ταύτης φωτίσω τοὺς ἐν ἀγνοίᾳ τοῦ γένους μοῦ ἀδελφούς υἱοὺς δὲ σοῦ laquo Et de cette gracircce jrsquoeacuteclairerai tous les genres (humains qui sont) dans lrsquoignorance mes fregraveres tes fils raquo En CH X 14 Hermegraves indique agrave Tat quelle est la hieacute-rarchie entre Dieu et le monde ideacutee reacutepeacuteteacutee par Hermegraves en CH IX 8 πατὴρ μὲν οὖν ὁ θεὸς τοῦ κόσμου ὁ δὲ κόσμος τῶν ἐν τῷ κόσμῳ καὶ ὁ μὲν κόσμος υἱὸς τοῦ θεοῦ τὰ δὲ ἐν τῷ κόσμῳ ὑπὸ τοῦ κόσμου laquo Donc Dieu est le pegravere du monde et le monde celui des ecirctres qui sont dans le monde le monde est le fils de Dieu et les ecirctres qui sont dans le monde sont issus du monde raquo Dans le fragment divers 28 transmis par Cyrille drsquoAlexandrie dans son Contre Julien I 46 552 D Hermegraves mentionne la pyramide et la Parole eacutetablie au-dessus de la pyramide ἐξ ἐκείνου προκύψασα καὶ ἐπίκειται καὶ ἄρχει τῶν δι᾿ αὐτοῦ δημιουργηθέντων ἔστι δὲ τοῦ παντελείου πρόγονος καὶ τέλειος καὶ γόνιμος γνήσιος υἱός laquo Eacutetant sorti de celui-ci (= Dieu) elle (= la Parole) preacuteside et elle gouverne les ecirctres produits par lui Elle est le premier-neacute qui sur-passe tous les ecirctres133 fils leacutegitime parfait et feacutecond raquo Dans ces extraits le fils de Dieu est de trois genres diffeacuterents la Parole le monde et lrsquohomme la premiegravere en tant qursquoelle est issue de Dieu le deuxiegraveme en tant qursquoil est fabriqueacute par Dieu et le troisiegraveme en tant qursquoil possegravede une
132 CH XIII 1 ἀπηνδρείωσα τὸ ἐν ἐμοὶ φρόνημα ἀπὸ τῆς τοῦ κόσμου ἀπάτης133 Avec cette peacuteriphrase laquo le premier-neacute qui surpasse tous les ecirctres raquo nous
avons voulu rendre les diffeacuterents sens possibles du preacutefixe προ- qui renvoie agrave lrsquoideacutee drsquoanteacuterioriteacute et de supeacuterioriteacute
60 chapitre un
parcelle divine134 ou qursquoil a reccedilu en lui les Puissances divines Le terme υἱός exprime une relation forte entre Dieu et son fils avec un carac-tegravere divin commun la Lumiegravere pour la Parole lrsquoimmortaliteacute pour le monde et pour lrsquohomme la parole et lrsquointellect Il acquerrait ainsi une valeur particuliegravere qui transcenderait la parenteacute biologique
Le passage CH XIII 2ndash3 ougrave Tat se proclame fils drsquoHermegraves est encadreacute par deux passages ougrave il est aussi question de fils de Dieu mais avec le terme παῖς En CH XIII 2 Tat voudrait tout savoir sur les origines de lrsquohomme engendreacute Τ καὶ ποταπὸς ὁ γεννώμενος ὦ πάτερ ἄμοιρος γὰρ τῆς ἐν ἐμοὶ οὐσίας καὶ τῆς νοητῆς Ε ἄλλος ἔσται ὁ γεννώμενος θεοῦ θεὸς παῖς τὸ πᾶν ἐν παντί ἐκ πασῶν δυνάμεων συνεστώς laquo T Et de quelle sorte est celui qui est engendreacute Car il ne participe ni de lrsquoessence ni de lrsquointellection qui sont en moi H Celui qui est engendreacute de Dieu est autre dieu fils (de Dieu) le tout dans le tout composeacute de toutes les puissances raquo En CH XIII 4 Tat questionne Hermegraves au sujet de la reacutegeacuteneacuteration Τ λέγε μοι καὶ τοῦτο τίς ἐστι γενεσιουργὸς τῆς παλιγγενεσίας Ε ὁ τοῦ θεοῦ παῖς ἄνθρωπος εἷς θελήματι θεοῦ laquo T Dis-moi encore ceci qui est lrsquoauteur de la reacutegeacuteneacute-ration H Le fils de Dieu un certain homme135 par le deacutesir de Dieu raquo Il srsquoagit peut-ecirctre de marquer la diffeacuterence avec la situation de Tat
Neacuteanmoins lrsquousage de υἱός ailleurs et cet encadrement incitent agrave voir dans lrsquoemploi de υἱός pour Tat autre chose que lrsquoeacutevocation de liens du sang De plus Tat est le seul des disciples drsquoHermegraves pour lequel nous avons des renseignements sur les expeacuteriences qursquoil vit volontaire au baptecircme dans le crategravere quand Hermegraves lui en parle dans CH IV beacuteneacute-ficiaire de la reacutegeacuteneacuteration dans CH XIII Nous pouvons donc nous demander si ces expeacuteriences veacutecues nrsquoexpliquent pas non plus lrsquousage des termes laquo pegravere raquo et laquo enfant raquo
Il existerait donc bien une relation filiale biologique dans le monde des protagonistes qui transposeacutee dans celui des destinataires ren-force la relation personnelle afin drsquoaccentuer le rocircle du maicirctre spiri-tuel comme guide et paradigme pour eacuteveiller son disciple-enfant agrave une nouvelle dimension En effet dans le monde greacuteco-romain lrsquoeacuteducation drsquoun jeune dans sa forme la plus simple se fait par lrsquoimitation de son pegravere136 Cette situation prend toute son ampleur lors des moments
134 Ce serait le cas des hommes citeacutes en CH I 32135 Nous adoptons la traduction de G Zuntz laquo Notes on the Corpus Hermeticum raquo
HThR 49 (1956) p 77136 R Cribiore op cit 2001 p 106
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clefs de lrsquoeacuteducation hermeacutetique ce qui expliquerait le nombre drsquoin-terpellations similaires dans NH VI 6 ougrave le disciple a des visions et monte vers lrsquoOgdoade La relation spirituelle existerait pour Ascleacutepios mais elle nrsquoest pas mise explicitement en avant car dans aucun des traiteacutes transmis il ne vit drsquoexpeacuterience identique agrave celle drsquoHermegraves ou de Tat Pour le destinataire crsquoest cette relation spirituelle qui prime et qui a un sens plus que la filiation biologique Lrsquoambiguiumlteacute entre les liens biologiques et spirituels reacutesulterait des deux niveaux de lecture diffeacuterents
d Lrsquoalliance entre maicirctre et discipleComme pour Poimandregraves et le narrateur la relation est fondeacutee sur une alliance137 Dans CH XIII et NH VI 6 le disciple commence la leccedilon en rappelant une promesse anteacuterieure de son maicirctre En CH XIII 3 Tat appuie ce rappel en demandant agrave Hermegraves de ne pas ecirctre jaloux (la jalousie est par excellence un vice contraire agrave Dieu) pour qursquoil soit geacuteneacutereux et ne garde pas lrsquoinstruction pour lui seul138 Crsquoest aussi une reacuteactualisation de lrsquoordre de Poimandregraves drsquoinstruire les hom-mes dignes Le contrat rempli ndash quand le maicirctre a apporteacute tout ce qursquoil pouvait et devait agrave son disciple ndash la relation deacutebouche sur la reconnaissance du disciple envers son maicirctre sur le mecircme mode que le narrateur vis-agrave-vis de Poimandregraves Que celui-lagrave remercie sans preacute-ciser le destinataire (CH I 20 ) ou qursquoil rende gracircce au Pegravere de toutes choses (CH I 27 ) il remercie en fait Poimandregraves pour la reacuteveacutelation dont il beacuteneacuteficie et pour sa patience devant certaines de ses questions De mecircme Tat remercie Hermegraves agrave la fin de sa formation apregraves avoir eacuteteacute reacutegeacuteneacutereacute et illumineacute εὐχαριστῶ σοι πάτερ ταῦτά μοι αἰνεῖν εὐξαμένῳ laquo Je te remercie pegravere de me dire cela alors que je prie raquo en CH XIII 22 Quelle que soit la traduction adopteacutee pour αἰνέω et la position syntaxique du pronom ταῦτα139 le disciple remercie Hermegraves
137 R Valantasis Spiritual Guides of the Third Century A Semiotic Study of the Guide-Disciple Relationship in Christianity Neoplatonism Hermetism and Gnosticism Minneapolis Fortress Press 1991 p 88 parle de laquo covenanted relationship raquo agrave propos du deacutebut de CH XIII
138 Comme cela est dit par ailleurs dans un texte gnostique valentinien le Traiteacute sur la Reacutesurrection JEacute Meacutenard Traiteacute sur la Reacutesurrection (NH I 4) QueacutebecLouvainParis Les Presses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 1983 p 81ndash83
139 La construction de la phrase posa problegraveme aux diffeacuterents eacutediteurs et traducteurs Certains envisagent une correction R Reitzenstein op cit 1904 p 348 W Scott op cit vol 1 p 254 et vol 2 p 407 (hypothegravese drsquoune main ulteacuterieure) Drsquoautres une restitution NF II p 218 n 92 WC Grese op cit 1979 p 32 n 6 (avec lrsquohypothegravese
62 chapitre un
pour son attitude qursquoelle concerne les conseils pour la priegravere ou la permission de prier
Agrave lrsquoarriegravere-plan de cette conception se trouverait la reacutealiteacute sociale de lrsquoeacutepoque Le pegravere et le fils avaient lrsquoun envers lrsquoautre des droits et des devoirs en partie eacutetablis leacutegalement Le pegravere devait srsquooccuper de ses enfants veiller agrave leur bien-ecirctre et agrave leur eacuteducation Dans une lettre grecque drsquoEacutegypte probablement du IIe siegravecle apregraves J-C le P Oxy III 531 140 Corneacutelius conseille son fils Hierax pour ses eacutetudes lui enjoi-gnant de consacrer toute son attention agrave ses livres il craint peut-ecirctre que son fils ne se laisse deacutetourner des eacutetudes par les plaisirs varieacutes que la ville (celle drsquoAlexandrie ) procure141 En retour drsquoautres docu-ments papyrologiques de la mecircme eacutepoque expriment un sentiment de pieacuteteacute filial de jeunes envers le parent qui les a mis au monde les a eacuteduqueacutes ou a favoriseacute leur eacuteducation dans une autre ville ils lui sont reconnaissants προέρχομαι χάριν142 le veacutenegraverent σέβομαι143 ou lui rendent hommage προσκυνῶ144 Ces termes qui peuvent ecirctre eacutequi-valents sont aussi reacuteguliegraverement utiliseacutes dans un contexte religieux la pieacuteteacute est en effet une attitude qui srsquoadresse agrave des instances supeacuterieures familiales ou divines Une reconnaissance et une pieacuteteacute filiale similaires sont transposeacutees agrave la relation hermeacutetique entre le maicirctre et son disciple le premier guidant et srsquooccupant du second comme le ferait un pegravere ndash mecircme si le maicirctre nrsquoest pas toujours appeleacute pegravere ndash et lrsquoamenant agrave une
drsquoune corruption) Les traductions de αἰνέω varient laquo conseiller raquo dans NF II p 209 laquo approuver raquo chez A-J Festugiegravere op cit vol 4 1990 p 209 n 4 BP Copenhaver op cit p 54 et 196 C Colpe und J Holzhausen (bearb und hrsg) op cit p 188 laquo permettre raquo chez C Salaman D van Oyen and WD Wharton op cit p 88
140 Texte et traduction dans BP Grenfell and AS Hunt The Oxyrhynchus Papyri Part III ndeg 401ndash653 London Egypt Exploration Society 1903 p 268ndash269
141 Voir agrave ce sujet B Legras Neacuteotecircs Recherches sur les jeunes Grecs dans lrsquoEacutegypte ptoleacutemaiumlque et romaine Genegraveve Droz 1999 p 43ndash44 qui mentionne la lettre de Corneacutelius
142 P Ryl IV 624 texte et traduction dans CH Roberts and EG Turner Catalogue of the Greek and Latin Papyri in the John Rylands Library Manchester Vol IV Docu-ments of the Ptolemaic Roman and Byzantine Periods (Nos 552ndash717) Manchester University Press 1952 p 114 Texte mentionneacute dans B Legras op cit p 49 et RS Bagnall Egypt in Late Antiquity Princeton Princeton University Press 1993 p 202 n 115 pour montrer le sentiment filial qui pouvait exister
143 SB III 6263 l 27 ensemble de deux lettres de Sempronius agrave sa megravere et agrave son fregravere (deuxiegraveme moitieacute du IIe s) Voir B Legras op cit p 48 et n 155
144 P Berol 7950 = BGU II 423 15 lettre drsquoun jeune marin de la flotte de Misegravene Apion (IIe s) agrave son pegravere Voir B Legras op cit p 46ndash47 et n 147
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vie nouvelle145 Dans le contexte hermeacutetique cette reconnaissance envers le maicirctre revecirct un caractegravere religieux en raison de la nature du maicirctre Poimandregraves et Hermegraves et elle se superpose agrave la pieacuteteacute envers les dieux
e Ammon le roi anonyme et le prophegraveteAmmon se distingue de Tat et drsquoAscleacutepios car il apparaicirct comme un laquo eacuteternel disciple raquo dont la vocation est drsquoecirctre roi et non un maicirctre her-meacutetiste Son instruction lui donnerait les moyens de gouverner correc-tement en le conseillant sur la traduction (CH XIV ) ou sur lrsquohonneur agrave rendre aux images de dieux (CH XVII ) si Ammon peut ecirctre identifieacute au roi anonyme de ce traiteacute Le roi de CH XVII interpelle Tat avec lrsquoex-pression ὦ προφῆτα προφήτης qualifie eacutegalement Bitys qui interpregravete au roi Ammon la laquo voie drsquoHermegraves raquo dans le teacutemoignage de Jambli-que 146 Il est employeacute dans deux autres passages hermeacutetiques SH 2342 et 2368 147 toujours en lien avec les dieux Dans le domaine grec148 il est en relation avec les lieux consacreacutes oraculaires ougrave le prophegravete est le porte-parole du dieu selon son sens litteacuteral Cependant Platon lrsquoa appliqueacute agrave Socrate dans Philegravebe 28 b et lrsquoidentification du philosophe agrave un prophegravete devient courante au deacutebut de lrsquoegravere chreacutetienne Le pro-phegravete philosophe ou non entretient une relation privileacutegieacutee avec le divin dont il eacuteprouve la preacutesence et avec qui il communique Il est par excellence lrsquointerpregravete de la volonteacute des dieux Ce sens traditionnel grec conviendrait agrave lrsquoemploi hermeacutetique Toutefois le terme grec est aussi utiliseacute pour deacutesigner les membres assez eacuteleveacutes des clergeacutes orientaux et il sert agrave traduire lrsquoexpression eacutegyptienne hm-ntr149 Ces hm-ntr que
145 M Meslin op cit p 17ndash18146 Reacuteponse drsquoAbamon VIII 5 (267) ὑφηγήσατο δὲ καὶ ταύτην τὴν ὁδὸν Ἑρμῆς
ἡρμήνευσε δὲ Βίτυς προφήτης Ἄμμωνι βασιλεῖ147 Quant aux prophegravetes de SH 23 68 srsquoils sont ceux qui connaissent les ecirctres ils
sont aussi verseacutes dans la philosophie la magie et la meacutedecine disciplines qui sont pratiqueacutees par de nombreux precirctres eacutegyptiens et sont du ressort de la pr-ʿnh laquo Maison de Vie raquo selon la traduction habituelle S Sauneron Les Precirctres de lrsquoancienne Eacutegypte Paris Seuil 1998 (reacuteimpression de lrsquoeacutedition de 1988) p 152ndash155 pour une premiegravere approche Nous y reviendrons p 113ndash114
148 A Motte laquo Aspects du propheacutetisme grec raquo Propheacuteties et oracles en Eacutegypte et en Gregravece Paris Cerf 1994 p 41ndash78 et p 106ndash110
149 BP Copenhaver (op cit p 209) signale lrsquoexpression eacutegyptienne sans qursquoil en tire de conclusions Voir par exemple les deux versions grecques du deacutecret de Canope du 7 mars 238 avant J-C (regravegne de Ptoleacutemeacutee III ) inscrites sur les stegraveles de Kocircm el-Hisn ( I Prose 8 l 3) et de Tanis ( I Prose 9 l 4 = OGIS I 56) voir aussi la version
64 chapitre un
les eacutegyptologues traduisent geacuteneacuteralement par laquo esclaves du dieu raquo150 ou de maniegravere plus approprieacutee par laquo serviteurs du dieu raquo151 constituent le personnel chargeacute du culte quotidien remplaccedilant le roi dans sa fonc-tion de precirctre Dans CH XVII Tat assumerait le rocircle moins du maicirctre que drsquoun serviteur de dieu qui indique au roi ce qursquoil doit faire en matiegravere de culte et de rite afin qursquoil soit un bon roi pieux 152 La prise de deacutecision passe du maicirctre au disciple situation particuliegravere due agrave la fonction royale du second En effet ce nrsquoest pas Tat qui clocirct lrsquoentretien mais le roi juste apregraves que Tat lrsquoa inciteacute agrave faire honneur aux images des dieux ὁ οὖν βασιλεὺς ἐξαναστὰς ἔφη Ὥρα ἐστίν ὦ προφῆτα περὶ τὴν τῶν ξένων ἐπιμέλειαν γενέσθαι τῇ δὲ ἐπιούσῃ περὶ τῶν ἑξῆς θεολογήσομεν laquo Donc le roi srsquoeacutetant leveacute dit ldquocrsquoest lrsquoheure prophegravete drsquoaller srsquooccuper des hocirctes demain nous continuerons de discourir sur les dieuxrdquo raquo Cette situation deacutenoterait eacutegalement de la part drsquoau moins une partie des hermeacutetistes une volonteacute de participation agrave la vie politique ce qui meacuteriterait une eacutetude plus approfondie notamment en relation avec une tradition preacutesente dans certains milieux philosophi-
grecque du deacutecret de Memphis du 27 mars 196 avant J-C (regravegne de Ptoleacutemeacutee V ) inscrite sur la pierre de Rosette ( I Prose 16 l 6 = OGIS I 90) Voir A Bernand La Prose sur pierre dans lrsquoEacutegypte helleacutenistique et romaine tome I Textes et traductions Paris Eacuteditions du CNRS 1992 respectivement p 22ndash27 p 28ndash35 et 44ndash49 et son commentaire dans La Prose sur pierre dans lrsquoEacutegypte helleacutenistique et romaine tome II Commentaires Paris Eacuteditions du CNRS 1992 respectivement p 30ndash32 p 32ndash35 et p 46ndash54 voir aussi W Dittenberger Orientis Graeci Inscriptiones Selectae vol 1 Hildesheim Georg Olms 1986 (reacuteimpression de lrsquoeacutedition de 1903) inscription 56 p 91ndash110 et plus particuliegraverement p 96 n 11 et p 140ndash166 Pour les textes deacutemo-tiques des deux deacutecrets voir W Spiegelberg Der demotische Text der Priesterdekrete von Kanopus und Memphis (Rosettana) Hildesheim G Olms 1990 (reacuteimpression de lrsquoeacutedition de 1922) Certains chercheurs jugent la traduction grecque abusive S Saune-ron op cit 1998 p 70 Drsquoautres cherchent agrave comprendre lrsquoeacutequivalence mise en place E Bresciani e P Pestman dans Papiri della Universitagrave degli studi di Milano (P Mil Vogliano) Volume terzo Milano Istituto ed Cisalpino 1965 p 186 (une compeacutetence des precirctres eacutegyptiens eacutetaient drsquointerpreacuteter des oracles et de faire connaicirctre la volonteacute divine) F Daumas Les Moyens drsquoexpression du grec et de lrsquoeacutegyptien compareacutes dans les deacutecrets de Canope et de Memphis Le Caire IFAO 1952 p 181 (hypothegravese de la disparition du sens preacutecis de prophegravete comme interpregravete)
150 E Drioton laquo Le temple eacutegyptien raquo Revue du Caire (1942) p 9 F Daumas op cit 1952 p 181 n 1 S Sauneron op cit 1998 p 70 W Helck laquo Priester Prie-sterorganisation Priestertitel raquo LAuml IV 1982 col 1086
151 E Bresciani e P Pestman op cit p 186152 La pieacuteteacute dans lrsquoexercice du pouvoir monarchique relegraveve drsquoune longue tradition
celle du roi-precirctre que lrsquoon retrouve avec des variantes dans les mondes juif et chreacute-tien avec la figure de Melchiseacutedek et en Eacutegypte ougrave le pharaon est souvent repreacutesenteacute en train drsquoaccomplir les rites
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ques selon laquelle il existe une pariteacute entre les philosophes et les rois et que la loi ne srsquoincarne pas seulement dans ces derniers
f ConclusionTout en reprenant des caracteacuteristiques de la relation entre Poimandregraves et le narrateur les rapports entre le maicirctre hermeacutetiste et son disci-ple ont leurs particulariteacutes propres notamment une dimension spi-rituelle qui permet au maicirctre de jouer au mieux son rocircle de guide et de paradigme Les disciples deviennent les heacuteritiers du savoir dont ils doivent agrave leur tour garantir la leacutegitimiteacute et preacuteserver les proprieacuteteacutes Il est remarquable que les termes techniques de la tradition et de la transmission ndash παραλαμβάνω παράδοσις et παραδίδωμι ndash concernent deux des eacutepisodes les plus importants dans la voie hermeacutetique celui de lrsquoinstruction du narrateur premier maillon de la chaicircne (en CH I 26 et rappel en CH XIII 15 ) et celui de la reacutegeacuteneacuteration du disciple Tat (en CH XIII 1 et 22 avec le mecircme verbe que pour Hermegraves en CH XIII 15 παραδίδωμι) Cependant dans le monde des destinataires un eacuteleacutement vient modifier ce qui a cours dans le monde des protagonistes ougrave lrsquoen-seignement est uniquement oral Le maicirctre hermeacutetiste nrsquoest plus seul les traiteacutes hermeacutetiques eux-mecircmes dans leur forme contribuent agrave la transmission du savoir et agrave la direction spirituelle du disciple
3 Les traiteacutes hermeacutetiques de nouveaux guides pour le disciple
Le choix des genres litteacuteraires reacutevegravele lrsquointeacuterecirct que les auteurs portent agrave la fonction didactique des eacutecrits Nous avons isoleacute trois critegraveres permettant de deacuteterminer le genre de chaque traiteacute 1deg les interven-tions du disciple sous forme interrogative ou non (ces interventions sont-elles eacutelaboreacutees Que nous apprennent-elles sur le disciple ) 2deg lrsquoexplication des ideacutees (les theacuteories sont-elles avanceacutees sans argu-mentation ou bien font-elles lrsquoobjet de deacuteveloppement ) 3deg le desti-nataire auquel le maicirctre srsquoadresse La juxtaposition de ces trois critegraveres conduit agrave distinguer cinq cateacutegories de textes hermeacutetiques
ndash discours harangues CH VII XVIII ndash eacutepicirctres CH XIV XVI ndash recueils de sentences SH 11 DH ndash leccedilons orales dialogueacutees avec a) une question unique CH VIII IX
XI SH 8 11 24 25 DH VII 1 P Vindob G 29 456r et 29 828r fragment A b) des questions banales CH XVII SH 2a 2b 4 6 26 c) une implication du disciple CH I II IV X XII XIII SH 23
66 chapitre un
ndash leccedilons orales non dialogueacutees CH III V VI SH 1 3 5 7 9 10 12ndash22 153 27 agrave 29 P Vindob G 29 456r et 29 828r fragment B 154
Les trois premiers genres sont peu exploiteacutes dans la litteacuterature eacutetudieacutee CH VII et XVIII sont des harangues agrave une foule composeacutee respective-ment drsquohommes ordinaires et de princes CH XIV et XVI sont preacutesen-teacutes comme des eacutepicirctres bien qursquoils ne suivent pas toutes les regravegles du genre eacutepistolaire SH 11 et DH ont la forme drsquoun recueil de sentences ce qui nrsquoexclut pas des interventions du disciple dans les deux cas en SH 115 et en DH VII 1 Les deux derniegraveres cateacutegories les leccedilons dialogueacutees et non dialogueacutees regroupent la grande majoriteacute de la lit-teacuterature eacutetudieacutee Nous parlons de dialogues degraves qursquoil y a au moins une intervention du disciple et cette cateacutegorie est la plus importante de toutes Ces interventions sont de tout ordre simples questions ques-tions plus eacutelaboreacutees de la part du maicirctre ou du disciple remarques ou commentaires sur les dispositions internes du disciple ou sur lrsquoattitude du maicirctre La cinquiegraveme cateacutegorie est constitueacutee par les extraits ougrave le disciple nrsquointervient jamais Toutefois il est agrave noter que certains sont trop courts pour avoir conserveacute ne serait-ce qursquoune seule intervention du disciple Il est donc difficile de tirer des conclusions de cette der-niegravere cateacutegorie
Quelle que soit la cateacutegorie le point commun de tous ces textes est lrsquoadresse directe agrave un destinataire preacutecis qursquoil soit individuel ou collectif et nous pouvons tous les regrouper sous un mecircme vocable celui de λόγος
a Les leccedilons et un ordo docendi hermeacutetiqueLes auteurs hermeacutetistes et les protagonistes emploient parfois λόγος pour deacutesigner les traiteacutes en particulier dans les prologues et les conclu-sions et pour en intituler certains qui ne nous sont pas parvenus (srsquoils ont eacuteteacute mis par eacutecrit) les γενικοὶ λόγοι Dans ce dernier cas les traduc-tions de λόγος varient laquo leccedilon raquo laquo enseignement raquo ou laquo discours raquo155 pour les autres occurrences elles se limitent geacuteneacuteralement au voca-
153 Lrsquoeacutetat actuel des fragments ne permet pas de dire si la version longue contenait un dialogue
154 Nous ne tenons pas compte des autres fragments de Vienne ni de ceux de Berlin car ils sont beaucoup trop courts (aucune phrase entiegravere) pour que nous puissions en tirer des conclusions
155 A-J Festugiegravere traduit par laquo Leccedilons geacuteneacuterales raquo (NF I p 113) comme C Colpe et J Holzhausen (op cit p 174) laquo Allgemeinen Lehren raquo BP Copenhaver par laquo General
de poimandregraves aux hermeacutetistes 67
ble laquo discours raquo156 Ces occurrences renvoient agrave un enseignement deacuteli-vreacute en une seacuteance la traduction laquo leccedilon raquo nous semble donc la plus approprieacutee mecircme srsquoil existe un eacutequivalent grec σχολή157 laquo Leccedilon raquo a lrsquoavantage drsquoecirctre souple convenant agrave un enseignement aussi bien oral qursquoeacutecrit ndash qursquoil prenne ou non la forme drsquoune lettre ndash agrave un dialogue agrave un cours magistral ou agrave un recueil de sentences comme SH 11 et les Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius Enfin excepteacute CH VII et XVIII qui seraient des leccedilons publiques avec une harangue les leccedilons sont priveacutees deacutelivreacutees agrave un petit nombre drsquoeacutelegraveves mais deacutedieacutees agrave un seul disciple lrsquointerlocuteur du maicirctre158
Les leccedilons hermeacutetiques sont parfois relieacutees agrave drsquoautres traiteacutes Le maicirc-tre peut ainsi rattacher la leccedilon qursquoil va dispenser agrave celle qui preacutecegravede laquo Hier Ascleacutepios jrsquoai transmis la Leccedilon parfaite mais maintenant je pense qursquoil est neacutecessaire comme une suite agrave celle-ci drsquoexposer la leccedilon sur la sensation raquo159 laquo La leccedilon drsquohier160 Ascleacutepios je te lrsquoai deacutedieacutee mais celle drsquoaujourdrsquohui il est juste de la deacutedier agrave Tat car elle est aussi un reacutesumeacute des Leccedilons geacuteneacuterales qui lui sont adresseacutees raquo161 ougrave la reacutefeacuterence agrave la laquo leccedilon drsquohier raquo servirait uniquement agrave justifier la deacutedicace agrave Tat Le maicirctre peut aussi simplement raviver la meacutemoire de son disciple
Discourses raquo (op cit p 30) C Salaman D van Oyen et WD Wharton par laquo general teaching raquo (op cit p 55)
156 Par exemple en CH X 1 les traducteurs donnent comme eacutequivalent de λόγος le laquo discours raquo (NF I p 113 C Salaman D van Oyen and WD Wharton op cit p 55 BP Copenhaver op cit p 30 C Colpe und J Holzhausen [bearb und hrsg] op cit p 100 laquo Gespraumlch raquo) En CH IX 1 les traductions sont laquo teaching raquo (C Sala-man D van Oyen and WD Wharton op cit p 51) laquo discours raquo (NF I p 96 et BP Copenhaver op cit p 27) ou laquo leccedilon raquo laquo Lehre raquo (C Colpe und J Holzhausen [bearb und hrsg] op cit p 84)
157 σχολή signifie aussi laquo groupe drsquoeacutetudiants raquo ou laquo place drsquoinstruction raquo Cf R Cri-biore op cit 2001 p 20ndash21
158 Ci-dessus p 55ndash56159 CH IX 1 Χθές ὦ Ἀσκληπιέ τὸν τέλειον ἀποδέδωκα λόγον νῦν δὲ ἀναγκαῖον
ἡγοῦμαι ἀκόλουθον ἐκείνῳ καὶ τὸν περὶ αἰσθήσεως λόγον δειξελθεῖν que la Leccedilon parfaite soit ou non le Discours parfait dont parle Lactance (Institutions divines IV XII 4 ) et dont lrsquoAscleacutepius serait une traduction latine Voir les opinions divergentes drsquoA-J Festugiegravere et AD Nock (NF I p 96 n 2 et NF II p 277 et 285 n 3) drsquoune part et de C Salaman D van Oyen et WD Wharton (op cit p 51) drsquoautre part qui semblent eacuteviter tout rapprochement avec le Discours parfait de Lactance et avec lrsquoAscleacutepius laquo Yesterday O Asclepius I spoke about the teaching as a whole raquo G Fowden op cit 2000 p 29 n 53
160 Cette laquo leccedilon drsquohier raquo pourrait ecirctre celle transmise par CH IX 161 CH X 1 Τὸν χθὲς λόγον ὦ Ἀσκληπιέ σοι ἀνέθηκα τὸν δὲ σήμερον δίκαιόν ἐστι
τῷ Τὰτ ἀναθεῖναι ἐπεὶ καὶ τῶν Γενικῶν λόγων τῶν πρὸς αὐτὸν λελαλημένων ἐστὶν ἐπιτομή
68 chapitre un
sur un point de doctrine utile pour la suite de la leccedilon laquo Toute acircme est immortelle et toujours en mouvement En effet dans les Leccedilons geacuteneacuterales nous avons dit que des mouvements les uns viennent des forces agissantes les autres des corps raquo en SH 31 162 Une doctrine deacutejagrave enseigneacutee peut agrave nouveau ecirctre eacutevoqueacutee lorsqursquoelle semble ecirctre remise en cause laquo Alors pegravere la doctrine sur la destineacutee que tu mrsquoas exposeacutee auparavant risque drsquoecirctre contredite raquo163 il srsquoagit drsquoune invitation agrave preacute-ciser un point doctrinal en fonction de ce qui vient drsquoecirctre dit Enfin le disciple demande agrave son maicirctre drsquohonorer une promesse eacutenonceacutee anteacute-rieurement laquo Puisque dans les Leccedilons geacuteneacuterales tu mrsquoas promis de fournir des explications sur les trente-six deacutecans maintenant donne-moi des explications sur eux et sur leur eacutenergie raquo en SH 61164 ideacutee que nous retrouvons dans les passages NH VI 522ndash4 CH XIII 2 et 15165 La plupart de ces renvois interviennent au deacutebut des traiteacutes dans ce qui pourrait ecirctre un prologue166
Ces informations ont parfois eacuteteacute neacutegligeacutees et on a surtout mis en avant leur caractegravere litteacuteraire167 Cependant leur inteacuterecirct est renouveleacute avec les informations fournies par des papyrus des ΙΙΙendashΙVe siegravecles Le fragment B de P Vindob G 29 456r et 29 828r livre une numeacutero-tation des leccedilons qui deacutetermine une progression entre elles avec au moins dix leccedilons168 Le fragment P Berol 17 027 A verso conserve un
162 ψυχὴ πᾶσα ἀθάνατος καὶ ἀεικίνητος ἔφημεν γὰρ ἐν τοῖς Γενικοῖς κινήσεις τὰς μὲν ὑπὸ τῶν ἐνεργειῶν τὰς δὲ ὑπὸ τῶν σωμάτων Voir aussi CH X 7 οὐκ ἤκουσας ἐν τοῖς Γενικοῖς ὅτι ἀπὸ μιᾶς ψυχῆς τῆς τοῦ παντὸς πᾶσαι αἱ ψυχαί εἰσιν αὗται ἐν τῷ παντὶ κόσμῳ κυλινδούμεναι ὥσπερ ἀπονενεμημέναι laquo Nrsquoas-tu pas entendu dire dans les (Leccedilons) geacuteneacuterales que sont issues drsquoune unique acircme celle du tout toutes ces acircmes qui vont et viennent dans tout le monde comme seacutepareacutees raquo
163 CH XII 5 Ἐνταῦθα ὦ πάτερ ὁ περὶ τῆς εἱμαρμένης λόγος ὁ ἔμπροσθέν μοι ἐξεληλυθὼς κινδυνεύει ἀνατρέπεσθαι
164 ἐπεί μοι ἐν τοῖς ἔμπροσθεν Γενικοῖς λόγοις ὑπέσχου δηλῶσαι περὶ τῶν τριάκοντα ἓξ δεκανῶν νῦν μοι δήλωσον περὶ αὐτῶν καὶ τῆς τούτων ἐνεργείας
165 Lire les textes respectivement p 156 et p 25166 Sur lrsquoimportance des prologues dans lrsquoantiquiteacute P Hoffmann laquo Eacutepilogue sur les
prologues ou comment entrer en matiegravere raquo in J-D Dubois et B Roussel Entrer en matiegravere les prologues Paris Cerf 1998 p 485ndash506 Les traiteacutes hermeacutetiques nrsquoont pas tous des prologues mais certains contiennent quelques caracteacuteristiques des prologues mise en place du contexte eacutenonciatif ou annonce du thegraveme
167 NF I p 113 n 1 laquo Il nrsquoy a rien agrave tirer de ces renvois formels qui au deacutebut surtout drsquoun traiteacute peuvent ecirctre dus agrave un reacutedacteur raquo Sans contester le fait que ces informations ont eacuteteacute forgeacutees agrave un stade ulteacuterieur de la transmission leur attestation dans des papyrus drsquoeacutepoque montre qursquoelles seraient dues agrave une eacutevolution au sein de la tradition hermeacutetique eacutevolution dont il faudrait preacuteciser les modaliteacutes
168 P Vindob G 29 456r et 29 828r fragment B l 4ndash6 4λόγος θ 5λόγος ῑ6 [ἐν τοῖς] γενικοῖς laquo leccedilon 9 Leccedilon 10 [dans les] (Leccedilons) geacuteneacuterales raquo Sur ce papyrus J-P Maheacute op cit 1984 p 51ndash64
de poimandregraves aux hermeacutetistes 69
extrait de lrsquointroduction drsquoun traiteacute intituleacute περὶ θεοῦ dans laquelle le maicirctre se reacutefegravere aux Leccedilons geacuteneacuterales 169 Si ces renvois servent agrave jus-tifier la leccedilon qui va suivre170 et agrave introduire le(s) thegraveme(s) dont il sera question ils visent eacutegalement agrave inscrire les traiteacutes au sein drsquoune progression peacutedagogique et agrave imiter la situation de lrsquoenseignement de leur eacutepoque
Dans ce dernier les nouveaux eacuteleacutements sont toujours introduits selon un ordre speacutecifique qui tient compte de la progression des dif-ficulteacutes lrsquoordo docendi des auteurs anciens171 Dans les textes her-meacutetiques le maicirctre semble suivre un ordo docendi ndash expression dont lrsquoeacutequivalent hermeacutetique pourrait ecirctre ⲧⲁⲝⲓⲥ ⲛⲧⲡⲁⲣⲁⲇⲟⲥⲓⲥ laquo ordre de la transmission raquo (NH VI 527 ) ndash pour expliquer progressivement des points difficiles ou obscurs agrave lrsquoeacutecrit cette progression est rendue soit par une numeacuterotation soit par un renvoi agrave une leccedilon anteacuterieure Elle est marqueacutee par des paliers comme cela ressort de plusieurs passages Dans sa lettre agrave Ascleacutepios en CH XIV 1 Hermegraves eacutecrit que Tat est arriveacute reacutecemment agrave la connaissance des choses particuliegraveres Dans le traiteacute copte NH VI 6 il est question de laquo degreacute raquo ⲃⲁⲑⲙⲟⲥ172
Lrsquoordo docendi hermeacutetique semble ecirctre preacutedeacutefini et doit ecirctre respecteacute par le maicirctre et le disciple drsquoautant plus que le caractegravere initiatique de la pratique didactique173 est explicite En effet les auteurs hermeacutetistes utilisent des termes courants dans les cultes agrave mystegraveres παράδοσις ⲡⲁⲣⲁⲇⲟⲥⲓⲥ ou ⲃⲁⲑⲙⲟⲥ De mecircme que les cultes agrave mystegraveres possegravedent souvent un laquo discours sacreacute raquo qui peut se preacutesenter sous forme de livre174 de mecircme la laquo voie drsquoHermegraves raquo a son laquo discours sacreacute raquo son ἱερὸς λόγος CH III Enfin Hermegraves qualifie parfois une partie de sa leccedilon de laquo mystegravere raquo (μυστήριον mysterium) en CH I 16 ndash sur la geacuteneacuteration des sept hommes par la Nature ndash en CH XVI 2 pour toute la leccedilon qui suit
169 περὶ θεοῦ [ ] ἐν τοῖς γενικοῖς ὦ Τ[άt ] laquo Sur Dieu [ ] dans les (Leccedilons) Geacuteneacute-rales T[at] raquo Sur ce fragment K Stahlschmidt op cit p 161ndash176 A Van den Ker-chove op cit 2006 p 167 172ndash174
170 WC Grese op cit 1979 p 70171 R Cribiore op cit 2001 p 161ndash170172 NH VI 5213 VI 5427ndash28 (ⲡⲕⲱⲧrsquo ⲉⲣϣⲱ28ⲡⲉ ⲛⲁⲕ ⲕⲁⲧⲁ ⲃⲁⲑⲙⲟⲥ laquo la forma-
tion srsquoest reacutealiseacutee en toi degreacute par degreacute raquo sur ⲕⲱⲧ A Camplani Scritti op cit 2000 p 139 n 25) et NH VI 639ndash11 (ⲁⲗⲗⲁ ⲕⲁⲧⲁ ⲃⲁⲑⲙⲟⲥ 9ⲉϥⲙⲟⲟϣⲉ ⲉϥⲛⲛⲏⲩ ⲉϩⲟⲩⲛ 10ⲉⲑⲓⲏ ⲛⲧⲙⲛⲧrsquoⲁⲧrsquoⲙⲟⲩ laquo mais degreacute par degreacute il avance et il entre dans le chemin de lrsquoimmortaliteacute raquo)
173 G Sfameni Gasparro op cit 1965 p 43ndash62 et surtout p 43ndash46174 A-J Festugiegravere LrsquoIdeacuteal religieux des Grecs et lrsquoEacutevangile Paris J Gabalda 1981
p 121 et note 4 W Burkert op cit 2003 p 65
70 chapitre un
(semble-t-il ) en Ascl 19 pour la hieacuterarchie divine en Ascl 22 pour la reproduction175 en Ascl 32 probablement pour le passage sur les diffeacute-rents intellects176 et en SH 2511 sur les divisions de lrsquoespace Loin de simplement reprendre un usage philosophique courant depuis Platon en passant par Alcinoos et les ritualistes 177 des Papyrus grecs magi-ques 178 les auteurs hermeacutetistes veulent ainsi souligner le caractegravere sacreacute et secret de certains savoirs ils identifient le maicirctre agrave un mystagogue et assimilent le disciple agrave un initieacute mecircme si μύστης est rarement employeacute deux fois au positif179 et deux fois au neacutegatif180 Lrsquousage de ce langage ajouteacute agrave la progression codifieacutee avec des eacutetapes preacutedeacutefinies concourt agrave la ritualisation de la pratique didactique au cours de laquelle le
175 J-P Maheacute laquo Le sens des symboles sexuels dans quelques textes hermeacutetiques et gnostiques raquo in JEacute Meacutenard (eacuted) Les Textes de Nag Hammadi Colloque du Centre drsquohistoire des religions Strasbourg 23ndash25 octobre 1974 Leiden Brill 1975 p 123ndash145 R Valantasis op cit p 76ndash86
176 Sur lrsquoutilisation du terme mysterium dans le traiteacute latin M Bertolini laquo Sul les-sico filosofico dellrsquoAsclepius raquo Annali della Scuola normale superiore di Pisa Lettere 3 serie 154 (1985) p 1172ndash1177
177 Suite agrave une suggestion du professeur Michegravele Broze en 2004 nous preacutefeacuterons utiliser le terme laquo ritualiste raquo agrave laquo magicien raquo
178 Eacute des Places laquo Platon et la langue des Mystegraveres raquo Eacutetudes platoniciennes Lei-den Brill 1981 p 83ndash97 P Boyanceacute laquo Sur les mystegraveres drsquoEacuteleusis raquo REG 75 (1962) p 460ndash482 ARD Sheppard Studies on the 5th and 6th essays of Proclusrsquo Commen-tary on the Republic Goumlttingen Vandenhoeck amp Ruprecht 1980 p 145ndash150 HD Betz laquo Magic and Mystery in the Greek Magical Papyri raquo in CA Faraone and D Obbink Magika Hiera Ancient Greek Magic and Religion Oxford Oxford University Press 1991 p 244ndash259 (= Hellenismus und Urchristentum Gesammelte Aufsaumltze I Tuumlbingen Mohr-Siebeck 1990 p 209ndash229) F Graf laquo The Magicianrsquos Initiation raquo Helios 21 (1994) p 163ndash165 M Zambon op cit p 51ndash52 et p 301 W Burkert op cit 2003 p 87ndash89 et p 62ndash63 ougrave il estime que la prolifeacuteration des termes lieacutes aux mystegraveres dans les textes gnostiques et hermeacutetiques laquo entraicircne une deacutevaluation du sens raquo Si nous sommes drsquoaccord avec lui pour dire que ces textes ne peuvent ecirctre vraiment une laquo source immeacutediate de connaissance agrave propos des mystegraveres paiumlens raquo nous estimons pouvoir en parler en terme non de laquo deacutevaluation de sens raquo mais de reseacutemantisation Voir R Valantasis op cit p 79ndash80
179 En SH 25 la premiegravere occurrence (251) intervient quand Horus deacuteclare agrave sa megravere et instructrice Isis vouloir la remercier laquo eacutetant devenu le myste de cette doc-trine raquo celle qui concerne la creacuteation des acircmes par Dieu la seconde (254 ) quand Isis lui deacuteclare qursquoelle est laquo initieacutee [ ] agrave la nature immortelle raquo
180 Lrsquoune des deux occurrences deacutesigne les hommes qui ne peuvent recevoir lrsquoenseignement fragment divers 23 (= Cyrille Contre Julien I 556 A) laquo car il nrsquoest pas permis drsquoexposer de tels mystegraveres aux non initieacutes raquo La seconde occurrence au neacutegatif deacutesigne le disciple qui ne peut rester dans lrsquoeacutetat de non initieacute CH V 1 καὶ τόνδε σοι τὸν λόγον ὦ Τάτ διεξελεύσομαι ὅπως μὴ ἀμύητος ᾖς τοῦ κρείττονος θεοῦ ὀνόματος laquo Je vais trsquoexposer cette leccedilon en deacutetail afin que tu ne sois pas non inititeacute au sujet de Dieu trop grand (pour avoir) un nom raquo (pour cette traduction laquo trop grand [pour avoir] un nom raquo NF I p 60 n 1 et CH V 10 )
de poimandregraves aux hermeacutetistes 71
disciple devient un initieacute ritualisation que nous avons deacutejagrave eacutevoqueacutee en avanccedilant lrsquoideacutee drsquoimitation de lrsquoaction divine
b Un cursus hermeacutetique Nous pouvons alors nous demander srsquoil est possible de laquo retracer un cursus coheacuterent des ldquoeacutetudes hermeacutetiquesrdquo raquo181 R Reitzenstein 182 en avait deacutejagrave donneacute une eacutebauche consideacuterant que la Leccedilon parfaite conduit agrave la laquo perfection raquo (Vollkommenheit) au mecircme titre que les teleia teletegrave Toutefois si le titre de cette leccedilon va bien dans ce sens le contenu non LS Keizer distingua quatre eacutetapes la conversion lrsquoinstruction avec les Leccedilons geacuteneacuterales la progression dans la remonteacutee agrave travers lrsquoOgdoade et la liturgie mystegravere drsquoHermegraves183 Cependant J-P Maheacute juge de telles entreprises impossibles184 En effet les donneacutees actuelles invitent agrave la prudence mecircme si lrsquoexistence drsquoun cursus paraicirct sucircre
Les protagonistes se reacutefegraverent souvent agrave des γενικοὶ λόγοι Leccedilons geacuteneacuterales citeacutees parfois sous la forme simple γενικοί Le pluriel indi-querait que ces Leccedilons geacuteneacuterales forment un tout constitueacute de plusieurs chapitres Agrave cocircteacute de cet ensemble il en existerait un autre sembla-ble Cyrille drsquoAlexandrie mentionne en effet des διεξοδικά185 tandis qursquoHermegraves parle de traiteacutes intituleacutes exotica en Ascl 1 et ⲉⲝⲱⲇⲓⲁⲕⲟⲥ en NH VI 633 Bien qursquoils ne soient pas eacutecrits dans la mecircme langue et que lrsquoOgdEnn donne le titre au singulier ndash comme il le fait aussi pour les Leccedilons geacuteneacuterales avec γενικὸς λόγος en NH VI 632ndash3 ndash les trois titres preacutesentent une grande similitude entre eux Selon Cyrille drsquoAlexandrie et lrsquoauteur du traiteacute latin ces leccedilons sont adresseacutees agrave Tat Lrsquoauteur copte ne mentionne pas le destinataire mais cette absence ne prouve rien puisqursquoil omet aussi le deacutedicataire des Leccedilons geacuteneacuterales alors que nous savons par ailleurs qursquoil srsquoagit de Tat Le latin exotica serait une trans-cription de ἐξοδικά (singulier ἐξοδικός) et correspondrait agrave διεξοδικά (singulier διεξοδικός) titre donneacute par Cyrille drsquoAlexandrie les deux termes grecs ont la mecircme signification laquo eacutetendu raquo laquo deacuteveloppeacute raquo le premier eacutetant plus rare que le second Le copte pourrait transcrire
181 J-P Maheacute op cit 1978 p 132182 R Reitzenstein op cit 19273 p 47183 LS Keizer op cit p 58184 J-P Maheacute op cit 1978 p 132185 Cyrille Contre Julien I 46 553 A = fragment divers 30 Cyrille dans le mecircme
ouvrage II 30 588 B (= fragment divers 33) donne une nouvelle citation de la mecircme source tout en la preacutesentant leacutegegraverement diffeacuteremment ὁμοίως ὁ αὐτὸς ἐν τοῖς πρὸς τὸν Τὰτ διεξοδικῷ λόγῳ πρώτῳ φησίν
72 chapitre un
ἐξοδιακός186 qui nrsquoest pas attesteacute en grec mais qui est proche des deux vocables grecs deacutejagrave mentionneacutes et drsquoun troisiegraveme rare ἐξοδία ἐξωδία qui signifie laquo deacutepart raquo ou laquo voyage raquo Faut-il corriger le terme copte187 ou le garder tel qursquoil est orthographieacute Nous preacutefeacuterons adopter cette der-niegravere position agrave la suite des traducteurs anglais188 ils estiment que ce serait un adjectif non attesteacute deacuteriveacute du grec ἐξοδία et qursquoil signifierait laquo guidant raquo qualifiant ainsi des leccedilons qui doivent aider le disciple dans son voyage spirituel vers la lumiegravere toutefois ces leccedilons ne permet-tent pas au disciple drsquoatteindre la lumiegravere drsquoecirctre sauveacute car pour cela il faut laquo ecirctre neacute en Dieu raquo crsquoest-agrave-dire avoir beacuteneacuteficieacute drsquoune geacuteneacuteration spirituelle et celui qui nrsquoest pas neacute en Dieu doit en rester aux Leccedilons geacuteneacuterales et aux leccedilons Exocircdiakos Ces derniegraveres sont donc reacuteserveacutees agrave une eacutetape intermeacutediaire de lrsquoinstruction du disciple probablement agrave la suite des Leccedilons geacuteneacuterales Nous avons ainsi les grandes lignes du laquo cur-sus raquo de lrsquoordo docendi hermeacutetique en premier les Leccedilons geacuteneacuterales propeacutedeutiques ensuite les leccedilons Exocircdiakos peut-ecirctre lrsquoeacutequivalent des Exotica et des Diexodika 189 enfin toutes les autres leccedilons proba-blement la plupart de celles qui nous sont parvenues Parmi elles nous trouverions celles ougrave le disciple passe drsquoun eacutetat agrave un autre ou souhaite le faire crsquoest-agrave-dire des leccedilons plus proprement initiatiques CH I IV XIII et NH VI 6 Si nous acceptons lrsquohypothegravese interpreacutetative pour CH I 190 celui-ci se situerait agrave la fin de lrsquoenseignement ndash au moins pour une partie de la tradition hermeacutetique ndash permettant au disciple de devenir un maicirctre hermeacutetiste
186 Le passage de lrsquoomicron grec agrave lrsquoomeacutega copte srsquoexplique assez facilement187 M Krause et P Labib (op cit p 183) en font des livres exoteacuteriques laquo den
zum Ausgang gehoumlrigen (ἐξοδικός) raquo J-P Maheacute op cit 1978 p 87 (ⲉⲝⲱⲇⲓⲁⲕⲟⲥ dans lrsquoeacutedition et ltDigtxodica dans la traduction) et p 132 pour le commentaire ougrave il serait plus prudent que dans sa traduction LS Keizer op cit p 83ndash86 conclut que le terme copte doit ecirctre laquo exōtikos raquo crsquoest-agrave-dire exoteacuterique A Camplani Scritti op cit 2000 p 153 et 177 reste prudent en proposant agrave la fois la lecture du codex et la correction K-W Troumlger laquo Uumlber die Achtheit und Neunheit (NHC VI6) raquo in H-M Schenke H-G Bethge und UU Kaiser (hrsg) Nag Hammadi Deutsch Berlin De Gruyter 2003 p 517 adopte la mecircme traduction qursquoil avait donneacutee op cit 1973 p 502 laquo gewoumlhnlichen raquo et il fait de ces livres des livres exoteacuteriques
188 J Brashler PA Dirkse and DM Parrott laquo The Discourse of the Eighth and Ninth raquo dans DM Parrott (ed) Nag Hammadi Codices V 2ndash5 and VI with Papyrus Berolinensis 8502 1 and 4 Leiden Brill 1979 p 371
189 Sur le lien entre les Leccedilons geacuteneacuterales et les exotica voir aussi R van den Broek laquo Hermetic Literature raquo op cit 2005 p 496ndash497 qui traduit les exotica par laquo Detailed discourses raquo
190 Ci-dessus p 44ndash45
de poimandregraves aux hermeacutetistes 73
c Le genre des traiteacutes au service de la pratique didactiqueExcepteacute la plupart des fragments de Stobeacutee (trop courts pour qursquoil soit possible drsquoen tirer des conclusions) la majoriteacute des traiteacutes se preacute-sente comme une simple mise par eacutecrit drsquoun dialogue oral Ils srsquoins-crivent ainsi dans une longue tradition ougrave de nombreux auteurs eacutecrivent leurs traiteacutes sous forme de dialogue autour de questions phi-losophiques ou religieuses Trois modegraveles eacutetaient agrave la disposition des auteurs hermeacutetistes les dialogues philosophiques ceux appartenant au genre des questions-reacuteponses ou erotapokriseis ndash deux modegraveles qui sont assez proches lrsquoun de lrsquoautre ndash et les dialogues faisant partie drsquoune reacuteveacutelation191
Le dialogue entretien fictif ou reacuteel entre deux ou plusieurs person-nes est avant tout employeacute en philosophie Son usage remonte agrave Pla-ton qui agrave cocircteacute du genre eacutepistolaire192 lrsquoadopte pour un grand nombre de ses eacutecrits Le Socrate de Platon utilise le dialogue pour atteindre la veacuteriteacute gracircce agrave la science rationnelle193 et en posant une seacuterie de questions agrave ses disciples pour les amener agrave deacutecouvrir eux-mecircmes les difficulteacutes et les moyens de les reacutesoudre194 Une telle maniegravere de pro-ceacuteder est aux antipodes de celle de lrsquoenseignant un διδάσκαλος (en lrsquooccurrence Protagoras selon Socrate dans Theacuteeacutetegravete 161 d ) qui assegravene une veacuteriteacute au disciple sans que ce dernier ne la cherche en lui-mecircme Agrave partir de Platon la forme dialogueacutee dans un cadre philosophique est adopteacutee par drsquoautres philosophes comme Plutarque Ciceacuteron et par les chreacutetiens
Cependant les leccedilons hermeacutetiques y compris celles ougrave le dialogue est eacutelaboreacute (comme CH XII et XIII ) ne ressemblent pas agrave ce genre de dialogue On nrsquoy retrouve pas lrsquoaptitude du maicirctre agrave questionner son
191 P Perkins The Gnostic Dialogue The early Church and the Crisis of Gnosticism New YorkRamseyToronto Paulist Press 1980 p 25
192 Concernant lrsquoauthenticiteacute des Lettres cf L Brisson laquo Tableau reacutecapitulatif sur les prises de position concernant lrsquoauthenticiteacute des Lettres attribueacutees agrave Platon raquo (laquo Introduction raquo in Platon Lettres Paris Flammarion 1987 p 72) Dans le cours de ce preacutesent travail agrave chaque fois que nous mentionnerons une lettre attribueacutee agrave Platon nous ne nous interrogerons pas sur son authenticiteacute Durant lrsquoeacutepoque antique la grande majoriteacute des philosophes ne doutait probablement pas de leur authenticiteacute excepteacute peut-ecirctre pour la douziegraveme lettre ( J Souilheacute laquo Notice geacuteneacuterale raquo in Platon Lettres Paris Les Belles Lettres 1997 p vi)
193 H-I Marrou Histoire de lrsquoeacuteducation dans lrsquoAntiquiteacute Tome I le monde grec Paris Seuil 19816 p 109ndash110 et 111
194 Il srsquoagit en particulier de la τέχνη μαιευτική laquo lrsquoart drsquoaccoucher raquo voir Theacuteeacutetegravete 151 bndashc 161 e 184 b et 210 b
74 chapitre un
disciple pour lrsquoamener peu agrave peu agrave trouver par lui-mecircme la veacuteriteacute et le disciple pose tregraves peu de questions Quand le thegraveme de la reacuteminis-cence est preacutesent (par exemple CH XIII 2 195) il concerne la plupart du temps un savoir deacutejagrave enseigneacute par Hermegraves et non un savoir inneacute Crsquoest le maicirctre qui eacutenonce ce qursquoil faut savoir et le disciple hermeacutetiste excepteacute dans de rares traiteacutes est agrave priori tregraves peu actif Les occurren-ces de διαλέγω signifient simplement laquo parler agrave raquo et nrsquoont pas un sens philosophique (comme art drsquointerroger et de reacutepondre pour faire pro-gresser un raisonnement)
Les leccedilons hermeacutetiques ne relegraveveraient-elles pas alors du genre des erotapokriseis196 qui traite drsquoun sujet agrave lrsquoaide de questions et de reacuteponses afin drsquoinitier des eacutecoliers ou de reacutesoudre des problegravemes Peu employeacute en philosophie il apparaicirct surtout en philologie jurisprudence dans les matiegraveres scientifiques et dans la litteacuterature de reacuteveacutelation Pourtant ce genre ne serait pas reacuteellement devenu populaire avant les IVendashVe siegravecles apregraves Jeacutesus -Christ et Eusegravebe de Ceacutesareacutee serait le premier chreacute-tien de la Grande Eacuteglise agrave utiliser ce genre peut-ecirctre sous lrsquoinfluence de Philon et de lrsquoheacuteritage grec197 K Rudolph considegravere toutefois qursquoil est typique des eacutecrits gnostiques en particulier du Livre des secrets de Jean de la Pistis Sophia et des Kephalaia manicheacuteens Il ajoute agrave sa liste les textes hermeacutetiques que H Doumlrrie donnait deacutejagrave en exemple198 tout en admettant que le caractegravere oraculaire y est plus marqueacute et que le cadre du dialogue y est tregraves rarement expliciteacute199
Cependant il semble difficile drsquoassimiler totalement les traiteacutes her-meacutetiques agrave ce genre ougrave le disciple pose des questions souvent preacuteci-ses sur un sujet diffeacuterent de lrsquoexplication preacuteceacutedente mecircme srsquoil peut y avoir un lien laquo Matthieu lui dit ldquoSeigneur Sauveur comment
195 τοῦτο τὸ γένος ὦ τέκνον οὐ διδάσκεται ἀλλ᾿ ὅταν θέλῃ ὑπὸ τοῦ θεοῦ ἀναμιμνήσκεται laquo Ce genre enfant nrsquoest pas lrsquoobjet drsquoune instruction mais il est objet de souvenir gracircce agrave Dieu degraves que (celui-ci) le deacutesire raquo Voir lrsquoopinion de WC Grese sur cette question de la reacuteminiscence (op cit 1979 p 82ndash83)
196 H Doumlrrie laquo Erotapokriseis raquo RAC 6 1966 col 342ndash347 K Rudolph laquo Der gno-stische Dialog als literarisches Genus raquo in P Nagel Probleme der koptischen Literatur HalleSaale Martin Luther Universitaumlt HalleWittenberg 1968 p 85ndash107 (repris dans Gnosis und spaumltantike Religionsgeschichte Gesammelte Aufsaumltze Leiden Brill 1996 p 103ndash122) A Volgers and C Zamagni (eds) op cit
197 C Zamagni laquo Une introduction meacutethodologique agrave la litteacuterature patristique des questions et reacuteponses le cas drsquoEusegravebe de Ceacutesareacutee raquo in A Volgers and C Zamagni (eds) op cit p 7ndash24 Pour Philon dans le mecircme volume PW van der Horst laquo Philo and the Rabbis on Genesis Similar Questions Different Answers raquo p 55ndash70
198 K Rudolph op cit 1968 p 88 et 104 H Doumlrrie op cit col 346ndash347199 K Rudolph op cit 1968 p 105
de poimandregraves aux hermeacutetistes 75
lrsquoHomme srsquoest-il manifesteacute rdquo raquo (La Sagesse de Jeacutesus NH III 10016ndash19 ) ou laquo mais moi je dis ldquoSeigneur qursquoest-ce que lsquoplanerrsquo rdquo raquo (Livre des secrets de Jean B 456ndash7 en relation avec Gn 12 ) questions qui entraicirc-nent des reacuteponses courtes (La Sagesse de Jeacutesus ) ou longues (Livre des secrets de Jean ) reacuteguliegraverement introduites de la mecircme faccedilon laquo le Sau-veur parfait dit raquo (La Sagesse de Jeacutesus ) ou laquo il sourit et dit raquo (Livre des secrets de Jean ) Lrsquoensemble suit donc un scheacutema assez rigoureux que nous retrouvons aussi dans les Kephalaia manicheacuteens coptes et dans le P Berol 21 196 intituleacute Cateacutechisme mithraiumlque par lrsquoeacutediteur WM Brashear et ougrave les questions sont introduites par ἐρεῖ laquo il dira raquo et les reacuteponses par lrsquoimpeacuteratif λέγε laquo reacuteponds raquo ou laquo dis raquo200
Dans les traiteacutes hermeacutetiques rien nrsquoest aussi rigoureux Les ques-tions ne sont pas systeacutematiques et ne suivent aucune regravegle fixe La plu-part du temps les interventions du disciple consistent simplement agrave demander un compleacutement drsquoinformations reacuteveacutelant que le disciple nrsquoa pas bien saisi la penseacutee du maicirctre (laquelle est en effet parfois loin drsquoecirctre claire) πῶς λέγεις ὦ τρισμέγιστε laquo Comment dis-tu Trismeacutegiste raquo en CH II 11 ou πῶς τοῦτο λέγεις laquo Comment dis-tu cela raquo question qui est reacutecurrente dans CH X et qui instaure ainsi une sorte de litanie Les questions plus preacutecises ndash comme τίς δέ ἐστιν οὗτος ὦ πάτερ laquo Et quel est celui-ci raquo en CH X 9 ou X 20 ndash ont toujours un rapport tregraves eacutetroit avec lrsquoenseignement preacuteceacutedant Elles auraient essentiellement une dimension phatique visant agrave maintenir le contact entre les inter-locuteurs Il est donc difficile de conclure que les textes hermeacutetiques relegravevent du genre des questions-reacuteponses le questionnement serait plutocirct simplement un proceacutedeacute litteacuteraire employeacute occasionnellement
Sans srsquoaffilier agrave un modegravele preacutecis la mise en scegravene de dialogues (mecircme agrave peine esquisseacutes) insegravere les leccedilons hermeacutetiques dans le cadre didactique de lrsquoAntiquiteacute ougrave lrsquoenseignement se faisait essentiellement sous forme dialogueacutee avec des questions poseacutees par le maicirctre ou le disciple et drsquoautres poseacutees sur le texte eacutetudieacute201 La pratique hermeacuteti-que propose son propre mode drsquoenseignement autour drsquoun dialogue ougrave la plus belle part revient au maicirctre et dont la source et le modegravele seraient lieacutes au dialogue apocalyptique entre le narrateur et Poiman-dregraves La plupart des questions ont une dimension phatique rappelant la preacutesence du disciple que son silence aurait pu faire oublier Elles
200 WM Brashear op cit 1992 p 18ndash19 Ce document daterait du IVe siegravecle201 P Hadot op cit 2001 p 94ndash96
76 chapitre un
permettent aussi de rompre avec le caractegravere magistral de certaines leccedilons Pour autant ce proceacutedeacute relegraveve aussi drsquoune strateacutegie drsquoeacutecriture en creacuteant une dynamique utile dans les traiteacutes initiatiques ougrave le dis-ciple intervient le plus par ses questions ou lrsquoexpression de ses eacutetats drsquoacircme
d La dynamique des leccedilons hermeacutetiquesDans le monde des protagonistes la leccedilon orale teacutemoigne drsquoune proxi-miteacute spatio-temporelle entre le maicirctre et son disciple avec une relation intime entre eux ougrave le premier laquo ldquolitrdquo la voix du maicirctre raquo202 Le genre eacutepistolaire permet eacutegalement de creacuteer une proximiteacute avec le destina-taire en abolissant la distance geacuteographique entre lui et lrsquoauteur laquo La lettre fonctionne comme une preacutesence deacuteleacutegueacutee un lieutenant raquo et laquo vaut elle-mecircme comme une preacutesence raquo203 drsquoautant que la lecture est souvent effectueacutee agrave haute voix204 Drsquoailleurs agrave part le preacuteambule rien ne la distingue des leccedilons orales notamment de celles ougrave le disciple nrsquointervient jamais Avec les lettres la frontiegravere entre lrsquooral et lrsquoeacutecrit devient floue
Il en va diffeacuteremment pour les traiteacutes eacutecrits205 Dans lrsquooptique des auteurs hermeacutetistes ils ne seraient que la transcription des leccedilons ora-les et CH XIV et XVI ne seraient que la publication de lettres originel-les proceacutedeacute courant comme le montrent les lettres ciceacuteroniennes ou celles de lrsquoapocirctre Paul Cependant la publication des dialogues et des lettres modifie la situation laquo reacutefeacuterentielle raquo drsquoeacutenonciation La nouvelle situation met en place une relation agrave trois pocircles les sujets discursifs individualiseacutes mis en scegravene ndash maicirctre et disciples ndash lrsquoauteur et le des-tinataire des traiteacutes eacutecrits et elle deacuteconnecte la leccedilon drsquoun contexte drsquoeacutenonciation preacutecis Alors que la leccedilon orale deacutepend de facteurs non linguistiques tels que sociaux par exemple la leccedilon eacutecrite est inseacute-reacutee exclusivement dans un contexte linguistique ougrave les mots nrsquoont de
202 M Meslin op cit p 13203 R Burnet La Pratique eacutepistolaire au 1er et 2e siegravecle de Paul de Tarse agrave Polycarpe
de Smyrne Paris EPHE ldquoSciences des religionsrdquo Th Doct Sci Rel Paris 2001 p 34 Voir aussi W Kelber Tradition orale et eacutecriture traduction J Prignaud Paris Cerf 1991 (eacutedition anglaise de 1983) p 203
204 Ci-dessous p 128 n 167205 Pour ce qui suit nous nous sommes inspireacute des reacuteflexions de plusieurs auteurs
S Rabau Fictions de preacutesence La narration orale dans le texte romanesque du roman antique au XXe siegravecle Paris Honoreacute Champion eacutediteur 2000 en particulier lrsquointroduction C Jacob op cit p 25ndash54
de poimandregraves aux hermeacutetistes 77
relation qursquoavec les autres mots eacutecrits Cette deacutelocalisation lui permet drsquoacqueacuterir une porteacutee plus grande le public srsquoeacutelargit et les notions enseigneacutees par leur aspect deacutesormais figeacute dans lrsquoeacutecriture deviennent une sorte de savoir imposeacute Le rapport au public se transforme Si lors de lrsquoeacutenonciation orale de la leccedilon le public est preacutesent et influe sur le cours de la leccedilon par ses reacuteactions seul lrsquoauteur maicirctrise lrsquoeacutecrit qursquoil produit en fonction de lrsquoimage qursquoil se fait du public206 Neacuteanmoins une fois lrsquoeacutecrit produit le public srsquoen empare deacutefinitivement et lrsquoouvrage megravene une vie indeacutependante de son auteur Cette situation peut ecirctre accentueacutee par des pheacutenomegravenes de laquo deacutebrayage eacutenoncif raquo ougrave lrsquoauteur srsquoefface complegravetement derriegravere les protagonistes Tout ceci contribue agrave abolir la distance spatio-temporelle afin de creacuteer une certaine proxi-miteacute entre le destinataire des traiteacutes et les protagonistes comme si le premier eacutetait un spectateur de lrsquoenseignement des seconds de la mecircme faccedilon qursquoil le serait drsquoune piegravece de theacuteacirctre Nous pouvons cependant pousser lrsquoanalyse plus loin
Dans le cas des (pseudo-)lettres le destinataire des traiteacutes hermeacute-tiques devient dans une certaine mesure celui de la lettre crsquoest-agrave-dire Ascleacutepios et Ammon respectivement dans CH XIV et XVI Nous avons deacutejagrave vu comment dans CH I le destinataire srsquoidentifierait au disciple et quelle utilisation serait faite de ce traiteacute Gracircce agrave lrsquoeffacement de toute situation laquo reacutefeacuterentielle raquo une telle identification serait eacutegalement preacutesente dans les autres traiteacutes surtout srsquoils sont lus dans le but drsquoac-queacuterir un savoir le destinataire se trouverait dans la mecircme position envers les traiteacutes que le disciple vis-agrave-vis des leccedilons orales Malgreacute lrsquoin-dividualisation des protagonistes lrsquoemploi agrave dimension phatique de nombreux impeacuteratifs vocatifs et du style direct renforcerait lrsquoidenti-fication Le maicirctre srsquoadresse ainsi au disciple et au destinataire et la chaicircne hermeacutetique integravegre tous les destinataires des traiteacutes
La mimeacutesis inaugureacutee par Hermegraves mimant la laquo Reacuteveacutelation primor-diale raquo est prolongeacutee tout au long de la chaicircne hermeacutetique SH 23 en offre un bon exemple Isis leacutegitime sa fonction drsquoinstructrice hermeacuteti-que en se rattachant agrave Hermegraves par lrsquointermeacutediaire de Kameacutephis et en se reacutefeacuterant constamment agrave la laquo Premiegravere fois raquo Gracircce agrave la figure de la prosopopeacutee207 elle srsquoefface reacuteguliegraverement derriegravere Hermegraves et derriegravere
206 Pour ce qui preacutecegravede W Kelber op cit p 164ndash173207 B Schouler La Tradition helleacutenique chez Libanios Paris les Belles Lettres 1984
p 393
78 chapitre un
les voix des acircmes des Eacuteleacutements (Feu Terre Eau et Air ) et de figures divines telles que le Dieu Monarque lui-mecircme constituant ainsi une veacuteritable cascade vocale elle rapporte les propos drsquoHermegraves qui lui-mecircme rapporte ceux du Dieu Monarque par exemple le tout au style direct Il est alors parfois difficile de savoir qui parle exactement Isis Hermegraves ou une autre voix La distance entre Horus et les faits dont il est instruit (et entre le destinataire et ces mecircmes faits) srsquoen trouve reacuteduite
Le recours au style direct pour les paroles divines srsquoobserve ailleurs en CH I pour Poimandregraves en CH I 18 et IV 4 pour Dieu208 Agrave chaque fois il srsquoagit de preacuteserver lrsquointeacutegriteacute de la Parole divine et drsquoinstituer une situation performative ougrave chaque eacutenonciation renouvelle lrsquoeffica-citeacute des paroles comme srsquoil srsquoagissait de la parole eacutenonceacutee originelle-ment Chaque eacutenonciation serait une laquo reacuteveacutelation ulteacuterieure raquo qui mime la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo Cela conforterait lrsquohypothegravese du maicirctre comme support drsquoune parole divine qui perdure et conserve son effi-caciteacute au-delagrave de lrsquoindividu qursquoest le maicirctre En srsquoeffaccedilant les auteurs hermeacutetistes poursuivraient le mecircme but La parole didactique devient une laquo parole commune raquo le long drsquoune chaicircne hermeacutetique jusqursquoagrave la reacutedaction des traiteacutes seule compterait cette parole avec son contenu et non son support (lettre ou leccedilon orale) du moment que celui-ci appartient agrave la chaicircne Il ne srsquoagirait pas seulement du λόγος κοινός laquo parole raquo ou laquo raison commune raquo209 mais drsquoune reacutefeacuterence particuliegravere agrave un proverbe sur lrsquoHermegraves commun deacutesignant une trouvaille qursquoil faut partager proverbe exploiteacute de maniegravere speacutecifique par Jamblique et par Proclus 210 Cette laquo parole commune raquo hermeacutetique regrouperait des notions des ideacutees des expeacuteriences partageacutees dont chaque hermeacute-tiste deviendrait agrave son tour le porte-parole En permettant une identi-fication entre le destinataire et les protagonistes et en ne se reacutesumant pas agrave un simple compte-rendu drsquoun enseignement passeacute les traiteacutes
208 Seules les paroles du Bon Deacutemon dans CH XII seraient rapporteacutees au style indirect
209 Nous la trouvons deacutejagrave chez Heacuteraclite (fragment 2 Diels = fragment 119 Pra-deau) puis chez les Stoiumlciens (Marc Auregravele Penseacutees VII 9 ) Elle aurait eacuteteacute reprise par lrsquoauteur de CH XII 13 avec une interpreacutetation speacutecifique (nous reviendrons sur ce passage ci-dessous p 125ndash126)
210 M Broze et C van Liefferinge op cit 2002 p 35ndash44 nous pouvons ajou-ter le commentaire de ces deux auteurs dans leur traduction de Jamblique op cit 2009 p 179ndash184 Eacute des Places laquo Notes compleacutementaires raquo in Jamblique op cit 1996 p 197 pour p 38
de poimandregraves aux hermeacutetistes 79
eacutetendent la fonction didactique des leccedilons du monde des protagonistes (maicirctre et disciples) agrave celui du destinataire
IV Conclusion
Lrsquoanalyse de la reacuteveacutelation divine et de la chaicircne hermeacutetique montre combien la pratique didactique apparaicirct fondamentale Elle est la base de la vie de tout hermeacutetiste de disciple il est destineacute agrave devenir maicirctre ce qui ne signifie pas que son instruction prend alors fin elle doit se poursuivre de maniegravere autonome gracircce agrave son intellect Tout hermeacute-tiste est ameneacute agrave se sentir partie constituante de la chaicircne hermeacutetique qui remonte pour au moins une partie de la tradition hermeacutetique au narrateur le beacuteneacuteficiaire de la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo deacutelivreacutee par Poimandregraves Les proceacutedeacutes drsquoeacutecriture permettent une identification du destinataire agrave lrsquoun des protagonistes Dans ce contexte Hermegraves qursquoune partie de la tradition hermeacutetique a identifieacute au narrateur de CH I serait un modegravele agrave imiter et CH I pourrait ecirctre interpreacuteteacute comme un rituel drsquoinvestiture faisant du disciple un maicirctre Ce caractegravere rituel de lrsquoenseignement semble perdurer tout au long de la chaicircne hermeacutetique notamment gracircce agrave la mimeacutesis de maniegravere eacutequivalente agrave ce que font en particulier les ritualistes eacutegyptiens En effet agrave travers les geacuteneacutera-tions de maicirctres les leccedilons eacutecrites et orales apparaissent comme des reacuteveacutelations ulteacuterieures qui miment la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo211
211 Sur ces reacuteveacutelations ulteacuterieures notre article laquo Le mode de reacuteveacutelation dans les Oracles chaldaiumlques et dans les traiteacutes hermeacutetiques raquo in H Seng und M Tardieu Die Chaldaeischen Orakel Kontext ndash Interpretation ndash Rezeption Heidelberg Winter 2011 p 145ndash162
CHAPITRE DEUX
MAIcircTRE DISCIPLE ET ENSEIGNEMENT
Origine divine caractegravere initiatique but salvateur Hermegraves comme modegravele telles sont les principales proprieacuteteacutes de la pratique didactique Agrave cela srsquoajoute lrsquoaspect non monolithique du savoir transmis Certaines connaissances comme la reacutegeacuteneacuteration le genre de lrsquohomme reacutegeacuteneacutereacute et lrsquohymne entendu en parvenant dans lrsquoOgdoade sont lrsquoobjet drsquoune trans-mission (παραδόσις CH XIII 1 et 22 ) mais non drsquoun enseignement (διδάσκω CH XIII 2 3 et 16)1 car la parole ne peut en circonscrire le contenu2 elles doivent ecirctre expeacuterimenteacutees sous la houlette du maicirc-tre Drsquoautres connaissances srsquoacquiegraverent gracircce au don et agrave lrsquoutilisation adeacutequate de lrsquointellect et de la raison les auteurs mettent alors lrsquoaccent sur le disciple sujet des verbes μανθάνω γιγνώσκω et ἐπιγιγνώσκω3 le maicirctre passe au second plan mecircme srsquoil est souvent sous-entendu et est toujours un guide qui conseille (CH XIII 21 ) De plus la pieacuteteacute est tout aussi importante que le savoir elle est drsquoailleurs deacutefinie comme la connaissance de Dieu en CH IX 4 4 Par conseacutequent plus qursquoun instruc-teur le maicirctre hermeacutetiste est un guide spirituel qui aide son disciple agrave acqueacuterir autrement des connaissances et des pratiques qui ne peuvent pas passer par la parole Cela exige des laquo contraintes raquo sur la maniegravere dont la leccedilon hermeacutetique doit ecirctre dispenseacutee et reccedilue preacuteparation des protagonistes et modaliteacutes (oral eacutecrit expeacuterience personnelle) de la transmission
1 Lrsquoauteur reacutepegravete agrave chaque fois la mecircme expression τοῦτο οὐ διδάσκεται laquo ce nrsquoest pas objet drsquoinstruction raquo en 2 3 et 16 Il ne reacutepercute pas lrsquoeacutequivalence que Platon a eacutetablie entre παραδίδωμι et διδάσκω dans Theacuteeacutetegravete 198 b
2 Agrave rapprocher de CH X 9 ὁ γὰρ θεὸς καὶ πατὴρ καὶ τὸ ἀγαθὸν οὔτε λέγεται οὔτε ἀκούεται laquo En effet Dieu pegravere et le bien nrsquoest objet ni de discours ni drsquoaudition raquo
3 μανθάνω CH I 1 et V 6 γιγνώσκω CH I 3 19 et 31 SH 23 7 et SH 2367 ἐπιγιγνώσκω CH III 3 IX 4 et SH 2370
4 εὐσέβεια δέ ἐστι θεοῦ γνῶσις laquo Et la pieacuteteacute est la connaissance de Dieu raquo
82 chapitre deux
I Un investissement personnel de lrsquohermeacutetiste maicirctre ou disciple
Les vocatifs et les impeacuteratifs par leur dimension phatique montrent que les protagonistes et les destinataires ne peuvent demeurer eacutetran-gers agrave ce qui est enseigneacute Il ne srsquoagit pas drsquoacqueacuterir intellectuellement au sens moderne du terme un savoir mais de transformer son acircme comme cela est de plus en plus le cas dans lrsquoAntiquiteacute5 Maicirctre et dis-ciple doivent srsquoimpliquer lrsquoun pour exhorter convaincre lrsquoautre pour adopter de nouvelles attitudes et faccedilons de penser
1 Se preacuteparer agrave enseigner et agrave ecirctre instruit
Maicirctre et disciple doivent adapter leur comportement agrave la pratique didactique de maniegravere provisoire ou deacutefinitive La relation au corps peut ecirctre modifieacutee afin de permettre agrave lrsquointellect de se consacrer entiegrave-rement au savoir sans entraves mateacuterielles En CH I 1 le narrateur eacutetablit un lien entre son activiteacute reacuteflexive la mise en sommeil de ses sens et la venue de Poimandregraves De mecircme en CH XIII 1 Tat affirme qursquoil peut connaicirctre la leccedilon sur la reacutegeacuteneacuteration puisqursquoil a suivi la recommandation drsquoHermegraves de devenir eacutetranger au monde
ἐμοῦ τε σοῦ ἱκέτου γενομένου ἐπὶ τῆς τοῦ ὄρους καταβάσεως μετὰ τὸ σὲ ἐμοὶ διαλεχθῆναι πυθομένου τὸν τῆς παλιγγενεσίας λόγον μαθεῖν ὅτι τοῦτον παρὰ πάντα μόνον ἀγνοῶ καὶ ἔφης ὅταν μέλλῃς κόσμου ἀπαλλοτριοῦσθαι παραδίδοναι μοι ἕτοιμος ἐγενόμην καὶ ἀπηνδρείωσα τὸ ἐν ἐμοὶ φρόνημα ἀπὸ τῆς τοῦ κόσμου ἀπάτης
Eacutetant devenu ton suppliant lors de la descente de la montagne apregraves que tu as converseacute avec moi demandant drsquoapprendre la leccedilon de la reacutegeacuteneacutera-tion la seule que jrsquoignore de toutes (les leccedilons) et tu as dit aussi que tu me la transmettras laquo degraves que tu seras sur le point de te rendre eacutetranger au monde raquo Je suis precirct et jrsquoai affermi lrsquoesprit qui est en moi contre la ruse du monde
Les auteurs de CH I 1 et XIII 1 mentionnent diffeacuteremment le mecircme thegraveme se rendre eacutetranger au monde ou ne plus ecirctre lieacute au monde par les sensations pour ecirctre mieux agrave lrsquoeacutecoute de la leccedilon sur le divin Ils ne font qursquoappliquer lrsquoideacutee courante drsquoun accord neacutecessaire avec
5 P Hadot Qursquoest-ce que la philosophie antique Paris Gallimard 1995 en par-ticulier p 239 et p 244ndash245 GG Stroumsa laquo Appendice Du maicirctre de sagesse au maicirctre spirituel raquo in idem op cit 2005 p 187ndash214
maicirctre disciple et enseignement 83
le divin pour pouvoir en ecirctre instruit ideacutee tregraves bien expliciteacutee entre autres par Salluste dans son ouvrage Des dieux et du monde 11 laquo Ceux qui veulent ecirctre instruits de ce qui touche aux dieux doivent avoir reccedilu degraves lrsquoenfance une bonne direction et ne pas avoir eacuteteacute nourris dans des doctrines malsaines ils doivent aussi ecirctre naturellement bons et intelligents pour avoir quelque point de ressemblance avec le sujet raquo6 Cette action sur soi est neacutecessaire puisque comme le dit Hermegraves en CH IV 6 laquo il est impossible mon enfant de srsquooccuper des deux ordres agrave la fois de ce qui est mortel et de ce qui est divin raquo7 variante de lrsquoideacutee commune selon laquelle lrsquohomme ne peut choisir et servir deux maicirctres conjointement8 La question se pose alors de lrsquoexistence drsquoun moyen de controcircler les dires du disciple affirmant ecirctre parvenu agrave se deacutetacher du monde comme le fait Tat en CH XIII 1 Dans CH I Poimandregraves sait tout et sa venue atteste de la pleine reacuteussite du narrateur en ce domaine Il en irait de mecircme dans CH XIII quand Hermegraves accepte de reacutepondre aux questions de son disciple mecircme si la suite montre qursquoil parachegraveve le deacutetachement9 Ainsi le moyen de controcircle pourrait-il ecirctre limiteacute agrave une deacuteclaration solennelle du disciple en preacutesence du maicirctre lequel serait suffisamment clairvoyant pour en discerner la veacuteraciteacute10
La preacuteparation concerne aussi la parole LrsquoOgdEnn commence par une longue introduction ougrave le disciple rappelle agrave son maicirctre Hermegraves une promesse qursquoil lui a faite et ougrave il est question des fregraveres du disciple Il lui demande ensuite de commencer sa leccedilon En NH VI 5327ndash31 Hermegraves obtempegravere et enjoint son disciple de prier ⲙⲁⲣⲛϣⲗⲏⲗ 28ⲱ ⲡⲁϣⲏⲣⲉ ⲁⲡⲉⲓⲱⲧ ⲙⲡⲧⲏ29ⲣϥ ⲙⲛ ⲛⲉⲕⲥⲛⲏⲟⲩ ⲉⲧⲉ ⲛⲁ30ϣⲏⲣⲉ ⲛⲉmiddot ϫⲉⲕⲁⲁⲥ ⲉϥⲁϯ ⲙ31ⲡⲡⲛⲁ ⲛϯϣⲁϫⲉmiddot laquo Prions fils le Pegravere du Tout avec tes fregraveres afin qursquoil accorde le souffle et que je parle raquo La priegravere elle-mecircme nrsquoest
6 La traduction est drsquoA-J Festugiegravere 7 ἀδύνατον γάρ ἐστιν ὦ τέκνον περὶ ἀμφότερα γίνεσθαι περὶ τὰ θνητὰ καὶ τὰ θεῖα 8 Cette ideacutee apparaicirct dans plusieurs milieux diffeacuterents philosophiques (par exem-
ple Eacutepictegravete Manuel I 4 voir I et P Hadot Apprendre agrave philosopher dans lrsquoAnti-quiteacute Lrsquoenseignement du ldquoManuel drsquoEacutepictegraveterdquo et son commentaire neacuteoplatonicien Paris Librairie Geacuteneacuterale Franccedilaise 2004 p 99) chreacutetiens (Mt 624 et Lc 1613 ) et gnostiques (par exemple Le Teacutemoignage veacuteritable NH IX 2924ndash25 laquo car ils ne pourront pas ser-vir deux maicirctres raquo et LrsquoEacutevangile selon Thomas NH II 4112ndash17 qui serait plus proche de la source de Lc que de celle de Mt A DeConick Original Gospel of Thomas in Translation With a Commentary London TampT Clark 2005 p 173ndash174)
9 Lagrave-dessus voir p 333ndash33810 Drsquoougrave lrsquoimportance de la notion de confiance que nous avons deacutejagrave eacutevoqueacutee agrave pro-
pos de la relation maicirctre ndash disciple
84 chapitre deux
pas transmise11 Lrsquoinjonction aurait deux fonctions dans la progres-sion didactique de la leccedilon elle serait un preacutetexte pour la premiegravere question du disciple sur la maniegravere de prier (NH VI 5332ndash34 ) au niveau des expeacuteriences veacutecues par les protagonistes Hermegraves demande agrave Dieu le pneuma laquo souffle raquo ndash probablement divin ndash dont le don dote-rait le beacuteneacuteficiaire de la capaciteacute agrave bien parler12 En effet la parole de lrsquoenseignement hermeacutetique ne peut plus ecirctre exactement celle de tous les jours mais doit avoir un pouvoir particulier afin drsquoexprimer des choses incompreacutehensibles et inconcevables du commun des mortels Comme pour la preacuteparation mateacuterielle il srsquoagit de seacuteparer la parole des contingences mateacuterielles au moins temporairement
Sans eacutenoncer une telle demande deux autres leccedilons deacutebutent par une courte priegravere en CH III 1 ougrave la bregraveve glorification de Dieu est suivie sans transition par une cosmologie
δόξα πάντων ὁ θεὸς καὶ θεῖον καὶ φύσις θείαἀρχὴ τῶν ὄντων ὁ θεός καὶ νοῦς καὶ φύσις καὶ ὕλη σοφία εἰς δεῖξιν ἁπάντων ὤνἀρχὴ τὸ θεῖον καὶ φύσις καὶ ἐνέργεια καὶ ἀνάγκη καὶ τέλος καὶ ἀνανέωσιςἦν γὰρ σκότος ἄπειρον ἐν ἀβύσσῳ καὶ ὕδωρ καὶ πνεῦμα λεπτὸν νοερόν δυνάμει θείᾳ ὄντα ἐν χάει
Gloire de tous est le Dieu et divin et nature divinePrincipe des ecirctres est le Dieu et intellect et nature et matiegravere eacutetant sagesse pour lrsquoexposition de toutPrincipe est le divin et nature et force et neacutecessiteacute et renouvellementEn effet lrsquoobscuriteacute eacutetait sans limite dans lrsquoabicircme avec de lrsquoeau et un souf-fle leacuteger et intelligent existant dans le chaos par la puissance divine
et en CH XVI 3
ἄρξομαι δὲ τοῦ λόγου ἔνθεν τὸν θεὸν ἐπικαλεσάμενος τὸν τῶν ὅλων δεσπότην καὶ ποιητὴν καὶ πατέρα καὶ περίβολον καὶ πάντα ὄντα τὸν ἕνα καὶ ἕνα ὄντα τὸν πάντα τῶν πάντων γὰρ τὸ πλήρωμα ἕν ἐστι
11 Nous ne pensons pas que cette priegravere soit la grande priegravere drsquoHermegraves en NH VI 5524ndash5725
12 Les eacutediteurs ne srsquoaccordent pas sur la leccedilon ⲛϯϣⲁϫⲉ ils la corrigent (J-P Maheacute op cit 1978 p 67 et 95 A Camplani Scritti op cit 2000 p 137 et p 172 n 12 K-W Troumlger op cit 2003 p 510) ou ils considegraverent ⲛ comme une particule geacuteni-tivale (J Brashler PA Dirkse and DM Parrott op cit p 351) Nous estimons qursquoil nrsquoest pas neacutecessaire de corriger le texte et que ⲛϯϣⲁϫⲉ serait ici un conjonctif avec un sens final Nous retrouvons la mecircme forme dans LrsquoEacutepicirctre apocryphe de Jacques NH I 1023 ⲛϯⲃⲱⲕ laquo et je partirai raquo que D Rouleau corrige en ⲛltⲧⲁgtⲃⲱⲕ
maicirctre disciple et enseignement 85
καὶ ἐν ἑνί οὐ δευτεροῦντος τοῦ ἑνός ἀλλ᾿ ἀμφοτέρων ἑνὸς ὄντος καὶ τοῦτόν μοι τὸν νοῦν διατήρησον ὦ βασιλεῦ παρ᾿ ὅλην τὴν τοῦ λόγου πραγματείαν
Je commencerai ici le discours en invoquant Dieu maicirctre de lrsquoensemble producteur pegravere et enceinte et lrsquoun eacutetant le tout et le tout eacutetant un en effet le pleacuterocircme de tout est un et dans lrsquoun nrsquoeacutetant pas le second apregraves lrsquoun mais les deux eacutetant un Et conserve cette maniegravere de penser pour toute lrsquoeacutetude de la leccedilon
Dans les deux cas la priegravere rend effective la preacutesence divine notamment dans CH III ougrave Dieu reacuteapparaicirct seulement agrave la fin du traiteacute Dieu se trouve en toile de fond des leccedilons qui sont ainsi placeacutees sous son auto-riteacute Rappelant les opinions principales sur Dieu la priegravere introductive conditionne conjointement la leccedilon et le disciple Lrsquoinvocation agrave Dieu peut eacutegalement intervenir au cours drsquoune leccedilon agrave un moment parti-culiegraverement important En Ascl 19 avant drsquoaborder la hieacuterarchie des dieux enseignement qualifieacute de mysteria Hermegraves demande la faveur divine pour qursquoil puisse reacuteveacuteler ces laquo veacuteriteacutes secregravetes et divines raquo
Ces priegraveres placent la leccedilon qui suit sous la protection divine et lui accordent une dimension religieuse deacutejagrave entrevue avec le vocabulaire des cultes agrave mystegraveres Elles nrsquoapparaissent que dans quelques traiteacutes et il est difficile de geacuteneacuteraliser Cependant ces informations sont en parfait accord avec les ideacutees de lrsquoeacutepoque car elles teacutemoignent que celui qui va parler du divin est pieux une opinion commune exprimeacutee dans une sentence de Sextus est ainsi mise en pratique laquo Sois drsquoabord convaincu drsquoecirctre pieux aupregraves de ceux que tu veux convaincre (puis) parle au sujet de Dieu raquo13
2 Eacutecouter et ecirctre silencieux
La preacuteparation se prolonge durant lrsquoenseignement lui-mecircme avec lrsquoeacutecoute et le silence En CH XIII 22 Hermegraves conclut sa leccedilon sur la reacutegeacuteneacuteration par ces mots ἱκανῶς γὰρ ἕκαστος ἡμῶν ἐπεμελήθη ἐγώ τε ὁ λέγων σύ τε ὁ ἀκούων laquo Car chacun de nous a eacuteteacute suffisam-ment occupeacute moi agrave parler toi agrave eacutecouter raquo Cette reacutepartition des tacircches caracteacuterise assez bien la situation geacuteneacuterale drsquoeacutenonciation au sein des leccedilons hermeacutetiques le maicirctre deacutetient la majoriteacute du temps de parole
13 Sextus Sentence 258 πεισθεὶς πρότερον θεοφιλὴς εἶναι πρὸς οὓς ἂν πεισθῇς λέγε περὶ θεοῦ Voir H Chadwick The Sentences of Sextus A Contribution to the History of Early Christian Ethics Cambridge Cambridge University Press 1959
86 chapitre deux
tandis que son disciple prend assez peu la parole excepteacute dans de rares traiteacutes CH II XIII et NH VI 6
Lrsquoeacutecoute joue un rocircle important dans lrsquoAntiquiteacute Il ne faut pas se meacuteprendre sur son sens il srsquoagit drsquoune veacuteritable activiteacute car celui qui eacutecoute est censeacute srsquoimpreacutegner de ce qursquoil eacutecoute Une telle eacutecoute exige donc le silence qursquoil ne faut pas reacutesumer agrave une absence de son Plusieurs silences existent14 et celui du disciple diffegravere de celui de lrsquoorant ou de celui qursquoil faut garder sur le contenu didactique avec des causes une signification et des buts diffeacuterents
Le silence du disciple a essentiellement deux fonctions lrsquoune neacutega-tive laquo se garder de raquo lrsquoautre positive laquo permettre de raquo Il permet de se concentrer de reacutefleacutechir agrave ce qui vient ou va ecirctre dit et de relier entre elles les informations reccedilues afin drsquoeacuteviter de poser des questions maladroites ou pire mauvaises comme le disciple le fait parfois En CH I 20 apregraves une telle question le narrateur se voit reprocher par Poimandregraves son manque de reacuteflexion drsquoattention ἔοικας ὦ οὗτος τούτων μὴ πεφροντικέναι ὧν ἤκουσας laquo Toi tu sembles ne pas avoir meacutediteacute sur ce que tu as entendu raquo Lrsquoexiger revient ainsi sou-vent agrave demander agrave ecirctre attentif comme en Ascl 28 (avec lrsquoimpeacuteratif audi laquo eacutecoute raquo par lequel Hermegraves deacutebute sa reacuteponse agrave une question drsquoAscleacutepios )
Selon lrsquoauteur de CH X 17 la reacuteflexion reacutesultat du silence et de lrsquoeacutecoute doit ecirctre agrave lrsquounisson avec celle du maicirctre συννοεῖν δεῖ ὦ τέκνον τὸν ἀκούοντα τῷ λέγοντι καὶ συμπνέειν καὶ ὀξυτέραν ἔχειν τὴν ἀκοὴν τῆς τοῦ λέγοντος φωνῆς laquo Il faut enfant que celui qui eacutecoute reacutefleacutechisse avec celui qui parle et qursquoil srsquoaccorde avec lui et qursquoil ait une ouiumle plus fine que la voix de celui qui parle ou une ouiumle plus prompte (agrave entendre) que la voix de celui qui parle (ne lrsquoest pour par-ler) raquo La reacuteflexion commune doit conduire agrave un accord plus profond faire que lrsquoauditeur et le locuteur soient laquo animeacutes raquo15 des mecircmes ideacutees la parole prononceacutee creacutee une laquo communauteacute raquo une κοινωνία entre celui qui parle et celui qui eacutecoute16 Si nous appliquons ce passage agrave la pratique didactique lrsquoinstruction serait ce qui anime drsquoun mecircme
14 Chez les hermeacutetistes comme chez les pythagoriciens il y a plusieurs silences Sur les pythagoriciens A Petit laquo Le silence pythagoricien raquo in C Leacutevy et L Pernot Dire lrsquoeacutevidence philosophie et rheacutetorique antiques Paris LrsquoHarmattan 1997 p 287ndash296
15 Le grec συμπνέειν signifie laquo souffler avec raquo laquo ecirctre en accord raquo laquo ecirctre animeacute des mecircmes sentiments raquo Voir LSJ 1684 b
16 W Kelber op cit p 212
maicirctre disciple et enseignement 87
souffle les protagonistes le transmettant du maicirctre au disciple Cette ideacutee srsquoaccorde avec le fait que le maicirctre et son enseignement guident le disciple vers le salut Le silence du disciple permettrait de mettre en place cette communion
Eacutecouter faire silence pour reacutefleacutechir revient aussi agrave faire un exer-cice de meacutemoire En CH XI 1 lrsquoIntellect lie implicitement lrsquoeacutecoute et la meacutemoire quand il conseille agrave Hermegraves κατάσχες οὖν τὸν λόγον ὦ Τρισμέγιστε Ἑρμῆ καὶ μέμνησο τῶν λεγομένων laquo Retiens bien la leccedilon Hermegraves Trismeacutegiste et meacutemorise les choses qui vont ecirctre dites raquo et juste avant le deacutebut de sa leccedilon il ajoute en CH XI 2 ὁ χρόνος ἄκουε ὦ τέκνον ὡς ἔχει ὁ θεὸς καὶ τὸ πᾶν laquo Eacutecoute enfant ce qursquoil en est sur le temps Dieu et le tout raquo17 Or nous verrons dans une autre section toute lrsquoimportance de lrsquoacte de meacutemoire
Le silence permet de se maicirctriser en particulier de controcircler son impatience Au cours du reacutecit de Poimandregraves sur la destineacutee de lrsquoHomme son union agrave la Nature et la conseacutequence de cette union le narrateur fait part deux fois (CH I 16) de son impatience en eacutevoquant son amour et son deacutesir pour ce reacutecit Poimandregraves reacuteagit agrave la seconde intervention ἀλλὰ σιώπα οὔπω γάρ σοι ἀνήπλωσα τὸν πρῶτον λόγον laquo Mais tais-toi car je ne trsquoai pas expliqueacute le premier point raquo lui deman-dant implicitement de reacutefreacutener son impatience et de mieux controcircler ses sentiments La maicirctrise de soi par le silence concerne eacutegalement le discours pour eacuteviter de prononcer des ideacutees ou des mots incorrects ideacutee que nous retrouvons dans le silence pythagoricien mecircme si le silence hermeacutetique paraicirct beaucoup moins rigoureux que ce dernier18 Le maicirctre dit souvent agrave son disciple εὐφήμει ou εὐφήμησον impeacutera-tifs que nous pouvons le plus souvent traduire par laquo fais silence raquo ou laquo tais-toi raquo19 Excepteacute une fois20 le maicirctre donne cet ordre apregraves une question irreacutefleacutechie de son disciple21
17 Nous choisissons de conserver ὁ χρόνος de la leccedilon des manuscrits agrave la suite de C Salaman D van Oyen and WD Wharton op cit p 64 et 114 En effet la notion de temps a une place importante dans la suite du traiteacute
18 En effet selon Jamblique Pythagore imposait un silence de cinq ans agrave ses dis-ciples Vie de Pythagore [17] 72 Voir eacutegalement Vie de Pythagore [31] 195 A Petit op cit p 289
19 CH I 22 II 10 VIII 5 XI 22 XII 16 XIII 8 et 14 20 CH XIII 8 cette injonction intervient juste avant la venue des Puissances qui
reacutegeacutenegraverent le disciple Le contexte nrsquoest plus alors simplement didactique Ci-dessous p 342
21 En CH XI 22 il ne srsquoagit pas drsquoune question du disciple lui-mecircme mais drsquoune question que le maicirctre lrsquoIntellect anticipe avant que le disciple ait pu la poser
88 chapitre deux
Cependant dans le cadre drsquoun enseignement drsquoorigine divine de tels appels au silence peuvent acqueacuterir une dimension religieuse εὐφημῶ ne doit pas ecirctre confondu avec σιγῶ et σιωπῶ qui impliquent le silence comme absence de paroles audibles Lrsquoauteur du Second Alcibiade 149ndash150 oppose dans un contexte cultuel lrsquoeupheacutemia des Laceacutedeacutemoniens agrave la blaspheacutemia des Grecs qui offrent et demandent nrsquoimporte quoi La blaspheacutemia revient agrave dire des paroles dommageables et inconvenantes lrsquoeupheacutemia agrave srsquoen abstenir et elle peut donc aller jusqursquoau silence dans les cas extrecircmes22 Cela deacutenote une certaine reacuteserve dans la parole ougrave lrsquoon se contente drsquoen dire le moins possible du mieux possible Lors des ceacutereacutemonies religieuses avant les priegraveres et tout acte drsquooffrande lrsquoofficiant reacuteclame le silence en employant εὐφημῶ agrave lrsquoimpeacuteratif ndash et non σιγῶ ni σιωπῶ23 ndash ou εὐφημία suivi drsquoun autre verbe agrave lrsquoimpeacutera-tif Le silence nrsquoa pas uniquement une valeur neacutegative24 il srsquoagit aussi drsquoappeler agrave une attitude reacuteveacuterencieuse et pieuse25 et au recueillement Ainsi εὐφημῶ est-il parfois traduit par laquo se recueillir raquo comme cela a eacuteteacute proposeacute pour Eacutepictegravete dans ses Entretiens I 16 ὑμνεῖν τὸ θεῖον καὶ εὐφημεῖν καὶ ἐπεξέρχεσθαι τὰς χάριτας laquo Ceacuteleacutebrer la diviniteacute en nous recueillant et en eacutenumeacuterant ses gracircces raquo26
Ceci nrsquoest pas eacuteloigneacute de ce que nous trouvons dans les traiteacutes her-meacutetiques ougrave εὐφημῶ est parfois associeacute agrave la louange de Dieu (CH X 21 et CH XVIII ) Cette dimension religieuse semble ecirctre particuliegraverement sous-jacente agrave lrsquoappel au silence en CH XIII 14
Τ εἰπέ μοι ὦ πάτερ τὸ σῶμα τοῦτον τὸ ἐκ δυνάμεων συνεστὸς λύσιν ἴσχει ποτέΕ εὐφήμησον καὶ μὴ ἀδύνατα φθέγγου ἐπεὶ ἁμαρτήσεις καὶ ἀσεβηθήσεταί σου ὁ ὀφθαλμὸς τοῦ νοῦ
22 B Laurot dans F Chapot et B Laurot Corpus de priegraveres grecques et romaines Turnhout Brepols 2001 p 378 D Zeller laquo La priegravere dans le Second Alcibiade raquo Ker-nos 15 (2002) p 57
23 W Burkert Homo Necans the Anthropology of Ancient Greek Sacrificial Ritual and Myth translation P Bing Berkeley University of California Press 1983 (eacutedition allemande 1972) p 4 D Aubriot-Seacutevin Priegravere et conceptions religieuses en Gregravece ancienne jusqursquoagrave la fin du Ve siegravecle av J-C Lyon Maison de lrsquoOrient meacutediterraneacuteen 1992 p 152ndash155
24 Crsquoest en particulier lrsquoopinion de D Aubriot-Seacutevin contre O Casel qui accordait une valeur positive agrave lrsquoeupheacutemia Elle affirme laquo sorte de ldquotoile de fondrdquo de la priegravere officielle lrsquoεὐφημία nrsquoest rien drsquoautre qursquoune preacutecaution contre les accidents possibles qui nrsquoaboutit agrave lrsquoabsence de sons profeacutereacutes que par deacutefiance raquo (op cit 1992 p 152)
25 Lire les textes reacuteunis dans F Chapot et B Laurot op cit Eschyle Les Eumeacutenides v 287ndash289 (= G 52) et Euripide Iphigeacutenie agrave Aulis v 1563ndash1564 (= G 64)
26 Traduction B Laurot dans F Chapot et B Laurot op cit Texte G 81 J Souilheacute traduit quant agrave lui laquo chanter la diviniteacute la ceacuteleacutebrer eacutenumeacuterer tous ses bienfaits raquo
maicirctre disciple et enseignement 89
T Dis-moi pegravere ce corps qui est constitueacute de puissances empecircche-t-il la dissolution H Tais-toi et ne prononce pas des choses impossibles car tu ferais une erreur et lrsquoœil de ton intellect serait rendu impie
Lrsquoeacutenonciation de paroles incorrectes serait performative pouvant don-ner existence agrave ce qui est impur et donc souiller lrsquointellect 27 Le silence eacutevite une telle impureteacute Il serait aussi le milieu qui permet un nouveau contact avec le divin et une attitude reacuteveacuterencieuse Avec ce verbe le maicirctre hermeacutetiste assimilerait son disciple agrave une personne participant agrave une ceacutereacutemonie religieuse lui-mecircme eacutetant alors lrsquoofficiant qui impose un tel silence Cela renforce eacutegalement lrsquoideacutee qursquoune partie si ce nrsquoest lrsquoensemble de lrsquoinstruction est un mystegravere28 et accentue agrave nouveau la dimension religieuse de la pratique didactique hermeacutetique
Le silence est eacutegalement important pour le maicirctre Ce dernier tout en eacutetant surtout occupeacute agrave instruire son disciple doit aussi poursuivre seul son instruction (voir CH XI 22 et CH XIII 15 ) ce qui est rendu possible gracircce agrave la protection de Poimandregraves agrave lrsquoidentiteacute entre lrsquoin-tellect humain et lrsquoIntellect divin ou agrave un silence laquo plein de bien raquo ou laquo feacutecond de bien raquo29
La preacuteparation qui libegravere temporairement de lrsquoemprise du corps met le disciple dans les dispositions approprieacutees pour qursquoil puisse beacuteneacutefi-cier des bienfaits de lrsquoinstruction Avec la parole et le silence (dans sa dimension religieuse) elle semble inscrire la pratique didactique dans un contexte rituel
3 Susciter un eacutelan inteacuterieur chez le disciple
Srsquoappuyant sur les bonnes dispositions dans lesquelles le disciple se trouve deacutesormais le maicirctre peut lrsquoinciter agrave srsquoinvestir davantage La relation personnelle qursquoil a eacutetablie avec lui facilite cette action et y trouverait lrsquoune de ses raisons drsquoecirctre
a Enseignement hermeacutetique et imitationLa notion de modegravele a deacutejagrave eacuteteacute eacutevoqueacutee agrave propos drsquoHermegraves Nous voulons y revenir drsquoautant plus que dans lrsquoAntiquiteacute le principe de
27 Dans la conception philosophique la souillure reacutesulte du meacutelange de choses de genres diffeacuterents Voir Porphyre De lrsquoabstinence IV 20
28 G Sfameni Gasparro op cit 1965 p 52ndash5329 CH I 30 ἐγκύμων τοῦ ἀγαθοῦ
90 chapitre deux
lrsquo imitation nrsquoa pas cesseacute drsquoecirctre une laquo guiding force raquo30 Proposeacutes tout au long de lrsquoeacuteducation depuis le moment ougrave les jeunes apprennent agrave eacutecrire31 les modegraveles paradeigmata prennent des formes multiples litteacuteraire32 artistique33 ou vivant34 Tous fournissent des exemples positifs ou neacutegatifs de comportements et drsquoattitudes agrave adopter ou agrave eacuteviter de valeurs agrave suivre etc Le but est drsquoencourager la vertu et de deacutecourager le vice Comme le dit Seacutenegraveque dans sa Lettre 94 agrave Lucilius les hommes ont besoin qursquoon leur montre la route de la mecircme maniegravere que les enfants apprennent agrave eacutecrire gracircce agrave un modegravele il conclut laquo En se faccedilonnant sur un modegravele notre acircme est aideacutee de la mecircme sorte raquo35 Les hermeacutetistes ne deacuterogent pas agrave cette tendance geacuteneacuterale de la παιδεία grecque et greacuteco-romaine et nous pouvons distinguer trois types de modegraveles proposeacutes aux disciples Hermegraves les pieux ou les fregrave-res ndash mentionneacutes dans NH VI 6 ndash et la figure du disciple
Hermegraves est le premier modegravele du disciple et du destinataire Il agit comme la plupart des maicirctres de sagesse quelle que soit lrsquoeacutecole phi-losophique36 qui sont un modegravele par leurs paroles et actes lrsquoensei-gnement philosophique suscite tout autant lrsquoadheacutesion agrave des doctrines qursquoagrave un mode de vie personnifieacute par le maicirctre37 Selon au moins une branche de la tradition hermeacutetique Hermegraves est par excellence le dis-ciple hermeacutetiste qui beacuteneacuteficie de visions apocalyptiques et qui devient maicirctre Il repreacutesente donc le salut le contact avec le divin le savoir et la parole maicirctriseacutee Chaque disciple hermeacutetiste ulteacuterieur chercherait agrave imiter son parcours mecircme si lrsquoimitation ne peut ecirctre qursquoimparfaite puisque contrairement agrave Hermegraves son instruction ne se deacuteroule pas
30 R Cribiore op cit 2001 p 106 (pour la citation) p 132 et p 220ndash244 C Skid-more Practical Ethics for Roman Gentlemen The Work of Valerius Maximus Exeter University of Exeter Press 1996 p 3ndash21
31 R Cribiore Writing Teachers and Students in Graeco-Roman Egypt Atlanta Scholars Press 1996 p 121ndash128
32 Les poegravemes homeacuteriques offrent les premiers modegraveles jusqursquoagrave la fin de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine drsquoautres modegraveles sont proposeacutes par les trageacutedies la poeacutesie et lrsquohistoire (agrave partir drsquoIsocrate ) Les Vies parallegraveles de Plutarque sont plus des exemples de vie morale que des biographies agrave proprement parler
33 Les repreacutesentations iconographiques des ancecirctres sont drsquoautres modegraveles34 Le jeune est placeacute aupregraves drsquoun individu pour lrsquoimiter individu qui concreacutetiserait des
ideacuteaux abstraits ce qui permet aux enfants de se les approprier degraves un acircge preacutecoce35 Seacutenegraveque Lettres agrave Lucilius livre XV lettre 9450ndash51 9451 sic animus noster
dum eruditur ad praescriptum ivvatur (traduction H Noblot )36 GG Stroumsa op cit 2005 p 201ndash20537 P Hadot op cit 1995 voir index sv laquo mode de vie raquo idem 2001 p 164 et
p 177ndash181
maicirctre disciple et enseignement 91
en une seule fois Cette imitation drsquoHermegraves trouverait son achegravevement dans lrsquoutilisation de CH I pour introniser un disciple en tant que nou-veau maicirctre si on accepte de voir en ce texte un possible rituel drsquoin-vestiture et drsquoidentifier le narrateur agrave Hermegraves Trismeacutegiste
Agrave cocircteacute de ce paradigme drsquoautres sont mentionneacutes occasionnelle-ment Le maicirctre se reacutefegravere aux hommes pieux notamment en CH I 22 IV 4 et 5 et X 21 Il en cite les caracteacuteristiques (ils ont acquis lrsquointellect ils sont bons possegravedent la connaissance et louent Dieu leur destin apregraves la mort est drsquoabandonner leur corps pour remonter vers Dieu) et les oppose aux hommes impies dans leur comportement et leur destin en CH I 22 IV 4 et X 21 Cette opposition vise agrave rehausser le cocircteacute posi-tif des premiers et le cocircteacute neacutegatif des seconds Le maicirctre oppose ainsi une liste de vertus et une liste de vices et il incite son disciple agrave vouloir imiter les hommes pieux et agrave eacuteviter drsquoaccomplir les meacutefaits eacutenumeacutereacutes Dans deux cas en CH I 22ndash23 et IV 4ndash5 il relie cette opposition au don de lrsquointellect comme une incitation agrave recevoir lrsquointellect surtout en CH IV 4ndash5 38
Les fregraveres mentionneacutes dans NH VI 6 pourraient eacutegalement ecirctre interpreacuteteacutes comme un modegravele proposeacute au disciple Hermegraves en parle seulement au deacutebut de sa leccedilon (NH VI 52ndash54 ) Ces fregraveres seraient les hermeacutetistes qui sont deacutejagrave parvenus agrave lrsquoOgdoade et lrsquoEnneacuteade silen-cieux ils assistent probablement agrave lrsquoinitiation du disciple et constitue-raient laquo la foule drsquoinitieacutes destineacutee peut-ecirctre agrave symboliser la foule des eacutelus qui accueilleront lrsquoacircme dans lrsquoempyreacutee raquo39 Lrsquoeacutetonnement du disci-ple drsquoavoir beaucoup de fregraveres en NH VI 5227ndash28 est surprenant il pourrait ecirctre codifieacute ne prenant tout son sens que dans la suite du dia-logue Le maicirctre explique agrave leur sujet ndash malheureusement le deacutebut de la page 53 du codex est lacunaire ndash comment issus du mecircme Pegravere ils sont engendreacutes et il demande agrave son disciple de les honorer La question des megraveres eacutetant laisseacutee en suspens le disciple srsquoeacutemeut et il apprend qursquoelles sont pneumatiques et spirituelles En NH VI 5324ndash27 il demande ⲱ ⲡⲁⲉⲓⲱⲧ ⲉⲣⲓⲁⲣⲭⲉⲥⲑⲁⲓ ⲙⲡ25ϣⲁϫⲉ ⲛⲧⲙⲁϩϣⲟⲩⲛⲉ ⲙⲛ26ⲧⲙⲁϩⲯⲓⲧⲉmiddot ⲛⲅⲟⲡⲧ ϩⲱⲱⲧ 27ⲙⲛ ⲛⲁⲥⲛⲏⲟⲩ laquo Pegravere commence la leccedilon sur lrsquoOgdoade et lrsquoEn-neacuteade et compte-moi avec mes fregraveres raquo en assistant agrave cette leccedilon il parviendrait agrave lrsquoOgdoade et lrsquoEnneacuteade qursquoont deacutejagrave atteint ses fregraveres et il deviendrait lrsquoun drsquoeux Ces fregraveres interviennent deux autres fois en
38 Nous reviendrons sur ce passage dans le chapitre sur lrsquoacquisition de lrsquointellect 39 J-P Maheacute op cit 1978 p 91
92 chapitre deux
NH VI 5329 et 5421 agrave propos de la priegravere qursquoil faut dire avec eux Leur mention viserait donc agrave inciter le disciple agrave deacutesirer imiter leur destin et agrave affermir sa demande de la leccedilon sur lrsquoOgdoade et lrsquoEnneacuteade qursquoil avait deacutejagrave exprimeacutee au tout deacutebut du traiteacute avec le rappel de la promesse drsquoHermegraves
Ces modegraveles fregraveres et hommes pieux sont preacutesenteacutes seulement aux moments cleacutes de lrsquoinstruction du disciple en rapport avec lrsquoacquisition de lrsquointellect ou lrsquoaccession agrave la vraie vie et au monde divin Ils ren-forceraient le modegravele permanent qursquoest Hermegraves Actifs dans le monde des protagonistes ils le sont aussi vis-agrave-vis du destinataire dont nous avons deacutejagrave dit qursquoil eacutetait ameneacute agrave intervenir dans la scegravene du dialogue Cependant pour ce dernier un nouveau modegravele intervient le disci-ple Le rocircle paradigmatique de ce dernier acquiert toute sa force dans les traiteacutes ougrave le disciple intervient par ses questions lrsquoexpression de sa volonteacute ou simplement par des remarques sur la maniegravere dont il ressent les choses
Ces trois modegraveles sont des incitations agrave deacutesirer lrsquoinstruction sal-vatrice agrave adopter un comportement pieux envers les autres hommes (en eacutevitant meurtres colegravere et autres passions) et envers Dieu (en le priant le louant lui chantant des hymnes et en eacutevitant tout blasphegraveme agrave son eacutegard) Lrsquoimportance du modegravele serait une nouvelle preuve que lrsquoinstruction hermeacutetique ne se limite pas agrave un apprentissage de notions intellectuelles mais srsquoeacutetend agrave lrsquoadoption drsquoun mode de vie comme le sont lrsquoeacuteducation antique en geacuteneacuteral et la philosophie en particulier
b Le maicirctre et les sentiments du discipleTout en proposant des modegraveles le maicirctre met reacuteguliegraverement agrave contri-bution les sentiments du disciple Dans un premier temps en utili-sant un vocabulaire emprunteacute aux cultes agrave mystegraveres et en rappelant le caractegravere divin de lrsquoenseignement (comme en Ascl 1 ) il lui demande implicitement toute son attention respectueuse et un comportement digne drsquoun initieacute
Il suscite ensuite lrsquoenvie de connaicirctre et il lrsquoentretient de deux maniegrave-res 1deg Lrsquoobscuriteacute de ses propos et ses promesses qursquoil nrsquoa pas encore tenues obligent dans une certaine mesure le disciple agrave manifester clairement son souhait de combler ses lacunes comme en CH XIII 2 et NH VI 522ndash4 Il en va de mecircme avec la longueur de certains propos qui provoque lrsquoimpatience du disciple ainsi en CH I 16 et 18 ou Ascl 9 sed o Asclepi animadverto ut celeri mentis cupiditate fes-tines audire quomodo homo laquo Mais Ascleacutepios je constate que sous lrsquoeffet drsquoun prompt deacutesir de lrsquoesprit tu as hacircte drsquoentendre comment
maicirctre disciple et enseignement 93
lrsquohomme raquo Les indications sur le deacutesir du disciple en Ascl 9 CH I 16 et 1840 auraient une action performative sur le destinataire en creacuteant chez lui ce mecircme deacutesir et attirent son attention sur le point qui suit 2deg Agrave plusieurs reprises le maicirctre loue le but ultime de lrsquoapprentis-sage la connaissance Deacutesigneacutee par les termes γνῶσις et plus rarement ἐπιγνῶσις souvent sans compleacutement il faut la comprendre dans un sens absolu elle est la connaissance par excellence celle du tout et de Dieu Le maicirctre en vante les qualiteacutes et les conseacutequences soit direc-tement en exposant les qualiteacutes de la connaissance (CH X 9 et IX 4 ) et celles acquises par ceux qui savent soit indirectement en deacutecrivant lrsquoignorance comme le pire vice qui entraicircne lrsquohomme vers les passions corporelles et drsquoautres vices (CH X 21 )
Gracircce agrave la preacutesentation attractive de la connaissance du tout et de Dieu du savoir et de toutes les conseacutequences positives qui leur sont associeacutees le disciple prend conscience de leur caractegravere indispensable srsquoil veut atteindre Dieu et de leur place privileacutegieacutee dans la laquo voie drsquoHer-megraves raquo et dans sa vie Au vu de cette importance de la connaissance A-J Festugiegravere consideacutera qursquoil nrsquoy avait pas de sauveur hermeacutetique puisque seule la connaissance eacutetait neacutecessaire41 En effet les auteurs nrsquoemploient ni le terme de sauveur42 ni de peacuteriphrases eacutequivalentes et ils ne semblent pas avoir consideacutereacute Hermegraves comme un sauveur Dieu eacutetant en reacutealiteacute lrsquounique sauveur Toutefois Hermegraves a un rocircle impor-tant en tant qursquointermeacutediaire vers le salut messager de Dieu et guide pour toutes les deacutemarches menant agrave lui
Pour tout ce qui concerne lrsquoinvestissement personnel du disciple nous avons surtout insisteacute sur lrsquoenseignement oral en lrsquoenvisageant sous lrsquoangle des protagonistes mecircme si nous avons eacutegalement montreacute comment lrsquoeacutecrit permet de prolonger cet enseignement Ce passage de lrsquooral agrave lrsquoeacutecrit est loin drsquoecirctre aussi eacutevident il modifie la situation drsquoeacutenonciation drsquoautant plus que les auteurs hermeacutetistes srsquoeffacent derriegravere les protagonistes laissant le destinataire seul face agrave ces der-niers et agrave leur enseignement Cela aboutit agrave un premier paradoxe les traiteacutes hermeacutetiques sont transmis par eacutecrit sans assumer clairement ce caractegravere sauf pour CH XIV et XVI preacutesenteacutes comme des lettres Cette situation paradoxale invite agrave revenir sur la relation entre lrsquooral
40 CH I 18 ἄκουε λοιπόν ὃ ποθεῖς λόγον ἀκοῦσαι laquo Eacutecoute le reste de la leccedilon que tu deacutesires tant entendre raquo
41 A-J Festugiegravere op cit vol 3 1990 p 10342 Cela ne signifie pas que le thegraveme du salut soit absent Voir CH I 26 29 VII 1
et XIII 1
94 chapitre deux
et lrsquoeacutecrit en particulier sur les conditions du passage du premier au second et sur la conception hermeacutetique de lrsquoeacutecrit
II Parole et eacutecriture
Les donneacutees hermeacutetiques sur les conditions de la transmission des trai-teacutes semblent ecirctre contradictoires agrave la fois entre elles et avec la reacutealiteacute historique Deux paradoxes caracteacuterisent en effet la transmission de lrsquoenseignement hermeacutetique 1deg Le secret est souvent mis en avant mais Hermegraves conclut NH VI 6 par lrsquoinjonction agrave son disciple de publier la leccedilon de plus certains traiteacutes ont eacuteteacute lus par des gens non hermeacutetis-tes notamment des chreacutetiens 2deg Lrsquoauteur de CH XVI teacutemoigne drsquoune opposition agrave la traduction en grec et pourtant les traiteacutes nous ont eacuteteacute transmis surtout en grec leur langue originelle avant drsquoecirctre pour certains traduits en copte latin armeacutenien et syriaque Nous avons aussi deacutejagrave eacutevoqueacute lrsquoideacutee drsquoune strateacutegie drsquoeacutecriture alors que lrsquoimpres-sion ressort parfois drsquoune opposition hermeacutetique agrave lrsquoeacutecrit en geacuteneacuteral La dialectique entre ce qui est manifeste et ce qui est cacheacute permet-trait drsquoeacuteclairer les deux volets de la deacutemarche hermeacutetique drsquoune part lrsquoinsistance sur le secret tout en mettant par eacutecrit lrsquoinstruction et en justifiant cette eacutecriture et drsquoautre part la mise par eacutecrit tout en pro-teacutegeant lrsquoeacutecrit des hommes indignes
1 Le secret dans lrsquoenseignement hermeacutetique
Agrave partir de la conception hermeacutetique de lrsquoenseignement (reacutealiseacute en vue du salut de lrsquohumaniteacute par celui des hommes les plus dignes) nous pouvons deacutegager deux ideacutees essentielles pour la mise en œuvre de lrsquoinstruction atteindre les hommes dignes et dissimuler le contenu didactique aux autres Le secret est donc une donneacutee incontournable en phase avec la culture antique notamment avec les cultes agrave mystegrave-res 43 et les auteurs hermeacutetistes ont tregraves bien pu connaicirctre la sentence 350 de Sextus transmise eacutegalement en copte laquo Ne communique pas agrave tout un chacun une parole qui concerne Dieu raquo44 Le secret est la contrepartie de la diffusion aupregraves des hommes dignes
43 W Burkert op cit 2003 p 1044 Sextus Sentence 350 λόγου περὶ θεοῦ μὴ παντὶ κοινώνει = Sentences de Sextus
NH XII 3022ndash23 P-H Poirier Les Sentences de Sextus (NH XII 1) QueacutebecLouvainParis Les Presses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 1983 p 6ndash94
maicirctre disciple et enseignement 95
a La pratique du secretLe champ lexical hermeacutetique du secret tourne essentiellement autour de deux termes le nom commun μυστήριον et lrsquoadjectif κρυπτός Nous avons deacutejagrave rencontreacute le premier il qualifie toute une leccedilon CH XVI 2 ou simplement une connaissance bien preacutecise comme les quatre intellects en Ascl 32 ou la division de lrsquoespace en SH 252 le maicirctre indique alors implicitement agrave son disciple qursquoil ne doit pas les reacuteveacuteler agrave nrsquoimporte qui Les auteurs hermeacutetistes lui associent parfois un terme de la famille de κρυπτός afin de souligner le caractegravere secret du mys-tegravere reacuteveacuteleacute comme crsquoest le cas en CH I 16 τοῦτό ἐστι τὸ κεκρυμμένον μυστήριον μέχρι τῆσδε τῆς ἡμέρας laquo Voici le mystegravere qui a eacuteteacute cacheacute jusqursquoagrave ce jour raquo Employeacutes le plus souvent seuls κρυπτός et les ter-mes apparenteacutes plus neutres que μυστήριον deacutesignent un plus grand nombre de reacutefeacuterents des veacuteriteacutes divines ndash les lois de SH 2368 ou le contenu des livres drsquoHermegraves en SH 2366 ndash des objets ndash des stegraveles en SH 2367 ou les objets indeacutefinis drsquoOsiris en SH 237 ndash des pratiques rituelles comme des paroles de formules et des priegraveres ndash en SH 2314 2318 2368 et dans lrsquohymne de lrsquoOgdoade en CH XIII 16 Agrave ces ter-mes nous pourrions ajouter ceux concernant la diviniteacute de la leccedilon comme dans le prologue Ascl 1 ougrave Hermegraves insiste sur le caractegravere eacuteminemment divin de la leccedilon
Ces deacutesignations laquo mystegravere raquo laquo cacheacute raquo et laquo divin raquo impliquent que le maicirctre doit faire attention agrave son public agrave son importance numeacuterique et agrave sa qualiteacute Ceci est particuliegraverement clair dans le prologue du traiteacute latin
Nrsquoappelle personne drsquoautre qursquoAmmon un entretien si religieux et (por-tant) sur de tels sujets ne peut ecirctre profaneacute par lrsquointervention et la preacute-sence du grand nombre En effet publier aupregraves de la foule un traiteacute rempli de toute la majesteacute divine teacutemoigne drsquoun esprit irreacuteligieux (trac-tatum enim tota numinis maiestate plenissimum inreligiosae mentis est multorum conscientia publicare)
Hermegraves limite volontairement son auditoire agrave trois disciples Ascleacutepios Tat et Ammon et justifie cette restriction en invoquant le caractegravere divin et majestueux de lrsquoenseignement incompatible avec la preacutesence drsquoun grand nombre de personnes45 Le secret mis en œuvre ici pourrait donc relever du troisiegraveme type de secret distingueacute par JN Bremmer qui donne lrsquoexemple des mystegraveres ougrave selon lui le secret nrsquoest pas
45 Voir plus haut p 48
96 chapitre deux
eacutesoteacuterique mais trop saint pour pouvoir ecirctre divulgueacute46 Mais comme lrsquoattitude drsquoHermegraves teacutemoigne aussi drsquoune meacutefiance vis-agrave-vis de la foule un tel secret reacuteserveacute uniquement aux hommes dignes devient eacutesoteacuterique
La restriction de lrsquoauditoire implique une seacutelection fondeacutee sur deux critegraveres preacuteparation didactique anteacuterieure et envoi par Dieu47 Elle explique aussi neacutegativement les propos drsquoIsis sur Hermegraves en SH 237 Ἑρμῆς μὲν οὖν ἀπελογεῖτο τῷ περιέχοντι ὡς οὐδὲ τῷ παιδὶ παρέδωκεν ὁλοτελῆ θεωρίαν διὰ τὸ ἔτι τῆς ἡλικίας νεοειδές laquo Hermegraves donc plaida devant le monde environnant qursquoil nrsquoavait pas transmis agrave son fils la totaliteacute de la meacuteditation en raison de sa grande jeunesse encore raquo ougrave le jeune acircge de Tat reacutevegravele son manque de preacuteparation didactique
Les disciples doivent prendre conscience de lrsquoimportance du secret En Ascl 32 agrave la fin du passage sur les quatre intellects Hermegraves srsquoadresse en ces termes agrave ses disciples (la seule fois ougrave il srsquoadresse nominativement aux trois montrant ainsi lrsquoextrecircme importance de ce qursquoil va dire) et vos o Tat et Asclepi et Hammon intra secreta pectoris divina mysteria silentio tegite et taciturnitate celate laquo Et vous Tat Ascleacutepios et Ammon dans les secrets de (votre) cœur recouvrez de silence les divins mys-tegraveres et tenez-les cacheacutes raquo De mecircme en CH XIII 22 Hermegraves conclut la leccedilon sur la reacutegeacuteneacuteration en demandant τῆς ἀρετῆς σιγὴν ἐπάγγειλαι μηδενί τέκνον ἐκφαίνων τῆς παλιγγενεσίας τὴν παράδοσιν ἵνα μὴ ὡς διάβολοι λογισθῶμεν laquo Promets le silence de la vertu enfant ne deacutevoilant agrave personne la transmission de la reacutegeacuteneacuteration afin que nous ne soyons pas compteacutes comme diffamateurs48 raquo lrsquoordre porte ici non pas sur lrsquoacte mecircme de faire silence ndash comme crsquoest le cas dans le traiteacute latin ndash mais sur une promesse Lrsquoimpeacuteratif ἐπάγγειλαι dont le sens premier est laquo deacuteclarer raquo notamment en public49 a ici un sens fort le disciple doit promettre solennellement de garder le silence peut-ecirctre en invoquant une diviniteacute de maniegravere analogue au ritualiste de PGM IV 50 Avec cette promesse un contrat lie deacutesormais le disciple au
46 JN Bremmer laquo Religious Secrets and Secrecy in Classical Greece raquo in HG Kip-penberg and GG Stroumsa op cit p 61ndash78
47 Pour plus de deacutetails p 4948 Sur la traduction de διάβολοι par laquo diffamateurs raquo voir ci-dessous49 J Schniewind und G Friedrich laquo ἐπαγγέλω raquo in G Kittel (ed) Theological Dic-
tionary of the New Testament II translation GW Bromiley Grand Rapids Eerd-mans p 576ndash586
50 PGM IV 852ndash856 ὄμνυμί σοι θεούς τε ἁγίους καὶ θεοὺς οὐρανίους μηδενὶ μεταδοῦναι τὴν Σολομῶνος πραγματείαν μηδὲ μὴν ἐπὶ τοῦ εὐχεροῦς πράττειν εἰ μή
maicirctre disciple et enseignement 97
maicirctre Ne pas garder le silence revient agrave rompre ce contrat rupture dont les conseacutequences seraient importantes51 mecircme srsquoil nrsquoen est pas question ici
Ce silence diffegravere de celui que le disciple doit observer au cours de lrsquoenseignement Il se pratique face agrave ceux qui nrsquoont pas accegraves agrave lrsquoensei-gnement et il est tel un voile qui recouvre les veacuteriteacutes reacuteveacuteleacutees en Ascl 32 il est une cachette comme dans lrsquoEacutelenchos V 87 (laquo mystegravere cacheacute dans le silence raquo τὸ κεκρυμμένον μυστήριον ἐν σιωπῇ) ou dans le Livre des secrets de Jean (NH II 12ndash3 laquo les mystegraveres et les choses qui sont cacheacutees dans le silence raquo ⲙⲙⲩⲥⲧⲏⲉⲣⲓⲟⲛ [ⲙⲛ ⲛⲉ]ⲧϩⲏⲡ ϩⲛ ⲟⲩ3ⲙⲛⲧⲕⲁⲣⲱϥ) Pour ce dernier texte M Tardieu souligne que lrsquoexpression laquo cacheacutes dans le silence raquo indique la laquo transtemporaliteacute raquo du contenu de lrsquoenseignement qui reste eacutesoteacuterique malgreacute son entreacutee dans le temps par la parole de la reacuteveacutelation52 Lrsquoauteur hermeacutetiste du passage latin a pu vouloir expri-mer une ideacutee analogue le silence des disciples permettrait drsquointeacutegrer lrsquoenseignement dans un autre monde Il insiste sur lrsquoimportance du silence puisqursquoil juxtapose des termes qui sont proches seacutemantique-ment et se renforcent mutuellement les verbes tego laquo recouvrir raquo et celo laquo cacher raquo les noms communs secretum laquo secret raquo ou laquo lieu eacutecarteacute raquo silentium laquo silence raquo et taciturnitas laquo discreacutetion raquo ou laquo silence raquo il les associe au pectus qui deacutesigne geacuteneacuteralement la laquo poitrine raquo mais qui serait plutocirct le laquo cœur raquo ici Ce dernier est preacutesenteacute comme la meilleure retraite et cachette pour les mystegraveres divins le lieu ougrave la discreacutetion et le silence regravegnent Lrsquoexpression laquo dans les secrets de (votre) cœur raquo eacutevo-que lrsquoideacutee courante selon laquelle le cœur est le lieu des secrets notam-ment ceux drsquoune vie et reacuteveacuteler ces derniers revient agrave ouvrir son cœur53 Hermegraves attribue ainsi au cœur la fonction de laquo gardien des secrets raquo dont les laquo divins mystegraveres raquo font partie Cette fonction rappelle celle de laquo gardien des portes raquo πυλωρός assumeacutee par Poimandregraves Intellect
σε πρᾶγμα ἀναγκαῖον ἐπείξῃ μὴ πῶς σοι μῆνις τηρηθείη laquo Je te jure par les dieux saints et les dieux ceacutelestes de ne communiquer agrave personne le proceacutedeacute de Solomon ni de lrsquoappliquer sans scrupule agrave moins qursquoune affaire neacutecessaire ne te presse afin que la colegravere te preserve raquo
51 Punition par la mort pour les mystegraveres agrave Eacuteleusis F Graf laquo The Magicianrsquos raquo op cit 1994 p 165 Meacutecontentement des dieux Numeacutenius fragment 55
52 M Tardieu op cit 1984 p 23953 H Brunner laquo Das Herz als Sitz des Lebensgeheimnisses raquo in W Roumlllig (ed) Das
houmlrende Herz Kleine Schriften zur Religions- und Geistesgeschichte Aumlgyptens Goumlttingen Vandenhoeck amp Ruprecht 1988 p 6ndash7 H Brunner laquo Herz raquo LAuml II 1977 col 1165
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divin Or le cœur est souvent consideacutereacute comme le siegravege de lrsquointellect ou identifieacute agrave lrsquointellect54
La promesse de garder le silence et la pratique du secret sont donc des obligations auxquelles le disciple hermeacutetiste doit absolument se soumettre comme tout initieacute dans les cultes agrave mystegraveres ou comme tout ritualiste55 Il doit agir ainsi autant envers la foule des hommes indignes qursquoenvers les hermeacutetistes qui nrsquoont pas assez progresseacute dans la laquo voie drsquoHermegraves raquo Ce secret semble donc prendre un tour radical Srsquooppose-t-il alors agrave toute production eacutecrite
b Le secret et lrsquoeacutecritureBien que la soteacuteriologie hermeacutetique ne soit pas universelle les trai-teacutes laissent entrevoir une expansion humaine spatiale et temporelle de lrsquoenseignement Cette situation pose la question de la mise par eacutecrit Celle-ci ne srsquooppose pas en theacuteorie au secret ni agrave lrsquointerdiction de deacutevoiler Un eacutecrit peut ecirctre secret ce qui exige un controcircle tregraves strict de la diffusion eacuteditoriale et de la consultation de cet eacutecrit Si ce controcircle est probablement difficile agrave effectuer rigoureusement il est certainement plus facile dans un temps ougrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoeacutecrit et les canaux de diffusion sont limiteacutes et ougrave la copie prend du temps et coucircte cher De plus il existe plusieurs degreacutes dans le secret Le secret le plus absolu se rencontre en particulier dans les cultes agrave mystegraveres dont les membres ne devaient rien divulguer ni agrave lrsquooral ni agrave lrsquoeacutecrit Ainsi dans le livre XI 23 de ses Meacutetamorphoses Apuleacutee annonce clairement qursquoil ne donnera aucune information preacutecise sur lrsquoinitiation de Lucius mais unique-ment sur lrsquoitineacuteraire nocturne et la priegravere finale de remerciement Ce silence absolu a parfois si bien fonctionneacute que nous savons toujours tregraves peu de choses sur les mystegraveres notamment ceux drsquoEacuteleusis 56 Un seul auteur hermeacutetiste eacutevoque ce silence celui de SH 23 en 2314 et 18
54 En effet pour les auteurs anciens le cœur est le siegravege de lrsquointellect ou lrsquointellect lui-mecircme G Posener laquo Cœur raquo in S Sauneron et J Yoyotte Dictionnaire de la civi-lisation eacutegyptienne Paris Hazan 1959 p 60ndash61 M Tardieu Codex de Berlin eacutecrits gnostiques Paris Cerf 1984 p 232
55 Par exemple PGM XII 32256 En revanche les auteurs chreacutetiens ne devaient pas se sentir astreints agrave respecter
le secret des mystegraveres qursquoils critiquent Ainsi Cleacutement drsquoAlexandrie fait-il un long deacuteveloppement tregraves critique et partial sur les mystegraveres et laquo reacutevegravele raquo-t-il en particulier le mot de passe des mystegraveres drsquoEacuteleusis Protreptique II 1ndash24 et II 212 Voir F Graf laquo The Magicianrsquos raquo op cit 1994 p 165 W Burkert op cit 2003 p 87 il souligne toutefois que si le secret drsquoEacuteleusis a parfois eacuteteacute trahi les informations reacuteveacuteleacutees cou-peacutees de leur contexte ont peu de valeur
maicirctre disciple et enseignement 99
quand Isis mentionne des paroles secregravetes sans en donner la teneur et en 237 quand elle parle des laquo objets cacheacutes raquo drsquoOsiris sans preacuteciser en quoi ils consistent
Drsquoautres passages hermeacutetiques semblent relever drsquoune tradition ougrave le secret autorise un eacutecrit dont le sens veacuteritable serait dissimuleacute et qui exigerait une interpreacutetation alleacutegorique ou qui est cacheacute avant drsquoecirctre redeacutecouvert Nous ne trouvons nulle part une opposition claire agrave lrsquoeacutecrit analogue agrave celle de Platon dans deux de ses eacutecrits Phegravedre 274 c ndash 276 d avec le mythe de Theuth et les diffeacuterences entre lrsquoenseignement oral et lrsquoenseignement eacutecrit et la Lettre VII 341ndash344 d 57 Comme nous le deacutetaillerons ci-dessous CH XVI ne srsquooppose pas agrave la mise par eacutecrit mais agrave la traduction en grec ce qui relegraveve drsquoune autre optique En revanche plusieurs passages montrent que la production eacutecrite est envisageacutee degraves les premiers temps de lrsquoenseignement hermeacutetique dans le monde des protagonistes En NH VI 61ndash62 Hermegraves ordonne agrave son disciple de graver sur une stegravele la leccedilon qui se termine58 CH XIV est une lettre drsquoHermegraves agrave Ascleacutepios pour pallier lrsquoabsence de ce disciple lors drsquoune leccedilon En CH XII 8 Hermegraves se plaint que le Bon Deacutemon nrsquoait pas mis par eacutecrit son enseignement oral59 En CH I 30 le narra-teur conclut le reacutecit de sa propre instruction en eacutenumeacuterant les bienfaits qui lui sont advenus et il commence par dire ἐγὼ δὲ τὴν εὐεργεσίαν τοῦ Ποιμάνδρου ἀνεγραψάμεν εἰς ἐμαυτόν laquo Et quant agrave moi je gravai en moi-mecircme le bienfait de Poimandregraves raquo agrave savoir la laquo Reacuteveacutelation pri-mordiale raquo Mecircme si le sens meacutetaphorique est agrave envisager60 ce passage montre une certaine importance de lrsquoeacutecrit Cela est plus clair ailleurs En SH 235 238 et 2367 Isis fait mention des eacutecrits qursquoHermegraves a graveacutes (peut-ecirctre sur des stegraveles ) apregraves avoir tout appris et compris qursquoil cacha sur lesquels il fit une priegravere et dont Isis et Osiris ont pris
57 En particulier M Vegetti laquo Dans lrsquoombre de Thoth Dynamiques de lrsquoeacutecriture chez Platon raquo in M Deacutetienne (dir) Les Savoirs de lrsquoeacutecriture en Gregravece ancienne Lille Presses Universitaires de Lille 1988 p 387ndash419 Voir aussi J Derrida laquo La pharmacie de Platon raquo in La Disseacutemination Paris Seuil 1972 p 77ndash213 avec la notion ambi-gueuml de pharmakon A Lefka laquo Pourquoi des dieux eacutegyptiens chez Platon raquo Kernos 7 (1994) p 161ndash162
58 NH VI 6118ndash19 18ⲱ ⲡⲁϣⲏⲣⲉ ⲡⲉⲉⲓϫⲱⲙⲉ 19ⲥⲁϩϥ ⲁⲡⲉⲣⲡⲉ ⲛⲇⲓⲟⲥⲡⲟⲗⲓⲥ laquo Mon fils ce livre eacutecris-le dans le temple de Diospolis raquo
59 CH XII 8 διὸ καὶ τοῦ Ἀγαθοῦ ∆αίμονος ἐγὼ ἤκουσα λέγοντος ἀεί καὶ εἰ ἐγγράφως ἐκδεδώκει πάνυ ἂν τὸ τῶν ἀνθρώπων γένος ὠφελήκει laquo Crsquoest pourquoi moi jrsquoai toujours entendu aussi le Bon Deacutemon dire ndash srsquoil lrsquoavait transmis par eacutecrit il aurait vraiment rendu service au genre des hommes raquo
60 Voir p 133ndash134
100 chapitre deux
connaissance Ceci srsquoapparente aux reacutecits eacutegyptiens dont le plus connu est celui de Setne-Khaemouas (Setne 1 61) ou greacuteco-romains relatant la deacutecouverte de textes cacheacutes dans des tombes (comme celle du roi romain Numa 62) dans des temples aupregraves de dieux (comme Aphrodite Ourania agrave Aphroditopolis dans le PGM VII 862ndash864 ) ou mecircme dans des laquo archives raquo (PGM XXIVa 1ndash2 63) Hermegraves ne fait donc pas partie de ces philosophes qui ont refuseacute drsquoeacutecrire64
c Ecirctre ou ne pas ecirctre un διάβολοςDans ce contexte ougrave il nrsquoy a pas drsquoopposition nette agrave lrsquoeacutecrit comment interpreacuteter le passage probleacutematique CH XIII 13 Tat vient drsquoecirctre puri-fieacute et reacutegeacuteneacutereacute par les dix Puissances divines et il beacuteneacuteficie drsquoune per-ception visuelle nouvelle Reacutejoui de cette expeacuterience il proclame agrave voix haute le contenu de la vision et Hermegraves lui en explique la nature
Τ πάτερ τὸ πᾶν ὁρῶ καὶ ἑμαυτόν ἐν τῷ νοίΕ αὕτη ἐστὶν ἡ παλιγγενεσία ὦ τέκνον τὸ μηκέτι φαντάζεσθαι εἰς τὸ σῶμα τὸ τριχῇ διαστατόν διὰ τὸν λόγον τοῦτον τὸν περὶ τῆς παλιγγενεσίας εἰς ὃν ὑπεμνηματισάμην ἵνα μὴ ὦμεν διάβολοι τοῦ παντὸς εἰς τοὺς πολλούς ltἀλλ᾿gt εἰς οὓς ὁ θεὸς αὐτὸς θέλει
T Pegravere je vois le tout et moi-mecircme dans lrsquointellect H Crsquoest la reacutegeacuteneacuteration enfant ne plus srsquoimaginer en un corps en trois dimensions par lrsquoentremise de la leccedilon celle au sujet de la reacutegeacuteneacuteration dont jrsquoai fait un commentaire afin que nous ne soyons pas des calom-niateurs du tout aupregraves de la foule ltmaisgt (que nous ne deacutevoilons) qursquoagrave ceux que Dieu a lui-mecircme choisis
Le terme διάβολος nrsquoest utiliseacute que deux fois dans la litteacuterature her-meacutetique eacutetudieacutee en CH XIII 13 et 22 en relation avec une eacutetape capitale du parcours du disciple celle de la reacutegeacuteneacuteration Il rappelle le rite de la διαβολή preacutesent dans quelques textes magiques conserveacutes uniquement sur papyrus65 Avec ce rite dangereux le ritualiste veut
61 M Lichtheim op cit 1980 p 127ndash138 C Lalouette Textes sacreacutes et textes profanes de lrsquoancienne Eacutegypte II Mythes contes et poeacutesies Paris Gallimard 1987 p 190ndash205
62 W Speyer Buumlcherfunde in der Glaubenswerbung der Antike Goumlttingen Vanden-hoeck amp Ruprecht 1970 p 51ndash55
63 Nous avons repris pour le terme ταμίοις la traduction de HD Betz laquo archives raquo (op cit 19922 p 264) et non le sens geacuteneacuteral laquo treacutesor raquo Il pourrait srsquoagir eacutegalement drsquoune cache ougrave sont entreposeacutes les livres qui doivent ecirctre proteacutegeacutes de toute divulgation
64 Par exemple Socrate ou beaucoup plus tard Ammonios 65 S Eitrem laquo Zusatz Der διάβολος und die magischen Elemente im NT raquo Sym-
bolae Osloenses 2 (1924) p 59ndash61 F Graf La Magie dans lrsquoAntiquiteacute greacuteco-romaine Paris Hachette 1994 p 205ndash209
maicirctre disciple et enseignement 101
eacuteveiller la colegravere drsquoun dieu contre une personne qursquoil accuse drsquoavoir mal agi envers ce dieu crsquoest-agrave-dire drsquoavoir διαβάλλειν des mystegraveres saints aupregraves des hommes comme dans PGM IV 2474ndash2561 La suite de ce papyrus et drsquoautres passages donnent une meilleure ideacutee de la nature de lrsquoaction de διαβάλλειν divulguer de maniegravere neacutegative affir-mer des ideacutees ou des faits erroneacutes sur le dieu prononcer des paroles diffamatoires agrave son propos maltraiter des images et des statues de dieu (PGM III 5 et 113ndash114 ) ou enfin faire de mauvaises offrandes (PGM IV 2574 et suivants ) Celui qui accomplit lrsquoune de ces actions est un διάβολος laquo quelqursquoun qui agit mal raquo envers le dieu En dehors de ces textes ce terme apparaicirct reacuteguliegraverement dans la litteacuterature grec-que avec le sens de laquo diffamateur raquo et de laquo calomniateur raquo aux eacutepoques classique avec Thucydide dans La Guerre du Peacuteloponnegravese VIII 91 et greacuteco-romaine avec Plutarque 66 et Jamblique 67 Les traducteurs de la Septante lrsquoempruntent pour deacutesigner lrsquoennemi ou lrsquoaccusateur et ce terme en vient peu agrave peu agrave qualifier Satan Ce contexte seacutemantique incite agrave se demander si lrsquoauteur de CH XIII pensait au sens courant en grec classique et dans les Papyrus grecs magiques Or la plupart des traducteurs du passage hermeacutetique srsquoen tiennent agrave un sens geacuteneacuteral laquo traicirctre raquo laquo deacutenonciateur raquo ou laquo divulgateur raquo68 sans la connotation particuliegravere de calomnie laquelle nrsquoest pas loin du blasphegraveme Si quel-ques-uns prennent en compte lrsquoideacutee de calomnie ils le font soit en note comme WC Grese et AD Nock 69 soit uniquement pour lrsquoune
66 Parmi de nombreuses occurrences Propos de table VIII 72 727 D et Sur la disparition des oracles 48 436 E
67 Vie de Pythagore [27] 125 et 129 [35] 258 et 261 Reacuteponse drsquoAbamon X 3 (287) Protreptique 13 Dans Reacuteponse drsquoAbamon VIII 1 (261) il nrsquoest pas certain que διαβάλλειν signifie calomnier contrairement agrave ce que semble indiquer AD Nock dans NF II p 219 n 96 mais ce verbe serait agrave prendre dans le sens de laquo discuter raquo (voir la traduction drsquoEacute des Places de M Broze et de C Van Liefferinge )
68 R Reitzenstein op cit 19273 p 140 n 1 anzeigen verbreiten laquo reacutepandre raquo laquo divulguer raquo A-J Festugiegravere laquo divulgateur raquo (NF II p 206 et 209) dans op cit vol 4 1990 p 205 n 1 il exclut la traduction de W Scott laquo calomniateur de lrsquounivers raquo refu-sant lrsquointerpreacutetation laquo univers raquo pour τὸ πᾶν et semble-t-il le rapport entre laquo calomnie raquo et silence WC Grese op cit 1979 p 21 et 33 betray betrayers laquo deacutenonciateur raquo BP Copenhaver op cit casting it all laquo jeter le tout raquo pour CH XIII 13 (p 52) et betrayers pour CH XIII 22 (p 54) C Salaman D van Oyen and WD Wharton op cit p 88 betrayers pour CH XIII 22 C Colpe und J Holzhausen (bearb und hrsg) op cit p 182 Verraumltern pour CH XIII 13 et 22
69 WC Grese op cit 1979 agrave sa traduction betray betrayers il ajoute en note (p 21 n c et p 33 n i) celle de slander slanderers laquo calomniateur raquo NF II p 215 n 62 et p 219 n 96 AD Nock propose aussi la traduction de laquo calomniateur raquo et laquo ceux qui discreacuteditent raquo
102 chapitre deux
des deux occurrences comme A-J Festugiegravere pour CH XIII 22 et les traducteurs anglais pour CH XIII 13 70
Pourtant le διάβολος dans le traiteacute hermeacutetique ne serait pas seu-lement celui qui reacutevegravele des secrets mais aussi selon le sens classique celui qui les deacuteforme et les discreacutedite sens qui srsquointeacutegrerait bien dans le contexte geacuteneacuteral des traiteacutes hermeacutetiques En effet le maicirctre rappelle freacutequemment agrave lrsquoordre son disciple lui demandant de faire attention agrave ne pas exprimer des ideacutees erroneacutees Cela revient la plupart du temps agrave lui imposer le silence comme nous lrsquoavons vu avec des occurrences de lrsquoimpeacuteratif drsquoεὐφημῶ71 Cette intervention du maicirctre est souvent suivie drsquoune seconde explication pour eacuteviter toute nouvelle erreur CH I 21 VIII 5 XII 16 ndash en association avec le fait drsquoecirctre laquo induit en erreur raquo πλανώμενος ndash et Ascl 41 Dans ce dernier passage le maicirctre en vient agrave parler de sacrilegravege ou en CH IX 4 et 9 de blasphegraveme quand on exprime de fausses ideacutees Toutefois la limite entre la veacuteriteacute et lrsquoerreur est parfois fragile en CH IX 9 Hermegraves indique que lrsquoexcegraves de respect peut inciter agrave avoir une fausse opinion72 le vocabulaire lui-mecircme joue des tours aux hommes en geacuteneacuteral et aux disciples hermeacutetistes en parti-culier par exemple la confusion entre la mort et la dissolution en CH XII 16 certaines ideacutees hermeacutetiques mal interpreacuteteacutees conduisent agrave des erreurs ainsi pour la relation entre le mal la terre et le monde (CH VI 4 et IX 4 ) Ces passages hermeacutetiques permettent de preacuteciser en quoi consiste ne pas ecirctre διάβολος en CH XIII 22 il srsquoagit drsquoeacuteviter au moins quatre eacutecueils 1deg divulguer 2deg exprimer des ideacutees fausses sur Dieu 3deg dire des opinions qui seraient mal interpreacuteteacutees ce qui reviendrait agrave eacutenoncer des conceptions erroneacutees sur Dieu et 4deg placer la leccedilon dans le domaine public ce qui ocircterait au contenu tout caractegravere divin
Une telle interpreacutetation de διάβολος permet de mieux comprendre CH XIII 13 qui dans lrsquoeacutetat actuel de la transmission textuelle pose des
70 Dans son article laquo Lrsquoexpeacuterience religieuse du meacutedecin Thessalos raquo Revue biblique 48 (1949) p 51 A-J Festugiegravere eacutecrit laquo livrer inducircment le secret aux profanes crsquoest ecirctre un διάβολος une sorte de blaspheacutemateur raquo et en note il fait reacutefeacuterence agrave CH XIII 22 (mais non agrave XIII 13 peut-ecirctre parce qursquoil exclut une telle interpreacutetation pour ce passage) C Salaman D van Oyen and WD Wharton op cit p 85 misrepresent laquo deacuteformer raquo en XIII 13
71 Par exemple CH I 22 ou CH XIII 1472 Cette conception est eacutequivalente agrave celle de certains anciens vis-agrave-vis du culte et de
ces excegraves comme la superstition Platon Lois X et Plutarque Sur la superstition
maicirctre disciple et enseignement 103
problegravemes exeacutegeacutetiques73 quel est le rocircle du λόγος dans le fait de ne plus srsquoimaginer en un corps tridimensionnel Est-il possible de mettre par eacutecrit ce λόγος question qui est en rapport avec lrsquointerpreacutetation du terme διάβολος Quel est lrsquoanteacuteceacutedent du relatif οὕς dans la proposi-tion relative εἰς οὓς ὁ θεὸς αὐτὸς θέλει
La premiegravere difficulteacute concerne la relation entre trois syntagmes la proposition infinitive substantiveacutee τὸ μηκέτι φαντάζεσθαι εἰς τὸ σῶμα τὸ τριχῇ διαστατόν le compleacutement circonstanciel de cause διὰ τὸν λόγον τοῦτον τὸν περὶ τῆς παλιγγενεσίας et la proposition relative εἰς ὃν ὑπεμνηματισάμην Agrave la suite de R Reitzenstein et drsquoA-J Festugiegravere plusieurs traducteurs excepteacute Cl Salaman D van Oyen et W D Wharton 74 envisagent une lacune avant le compleacutement circonstanciel de cause sous preacutetexte que selon Hermegraves lui-mecircme la reacutegeacuteneacuteration serait un acte de Dieu et non du discours WC Grese se reacutefegravere ainsi agrave CH XIII 2 et 875 ougrave Hermegraves enseigne que Dieu donne le ressouvenir de ce qursquoest lrsquoengendreacute et qursquoil envoie les Puissances reacutegeacute-neacuteratrices Cependant si la reacutegeacuteneacuteration est bien un acte de Dieu dans le sens ougrave crsquoest Dieu qui en est la source la restreindre agrave cela diminue lrsquointeacuterecirct mecircme de la leccedilon hermeacutetique et revient agrave oublier CH I 26 (que lrsquoauteur de CH XIII connaicirct probablement) ougrave Poimandregraves affirme que les hommes sont sauveacutes par (ὑπό) Dieu par lrsquoentremise (διά) du nar-rateur En CH I 26 le narrateur est lrsquointermeacutediaire de Dieu de mecircme que la leccedilon orale deacutelivreacutee par Hermegraves en CH XIII 13 Vu sous cet angle aucune correction nrsquoest neacutecessaire gracircce agrave la leccedilon le disciple parvient agrave ne plus srsquoimaginer en un corps tridimensionnel
Le deuxiegraveme problegraveme concerne la possibiliteacute de produire une ver-sion eacutecrite de la leccedilon Drsquoapregraves la structure de la phrase lrsquoanteacuteceacutedent du relatif ὅν dans la proposition εἰς ὃν ὑπεμνηματισάμην est λόγος Neacuteanmoins plusieurs traducteurs76 considegraverent que de tels enseigne-ments ne peuvent ecirctre mis par eacutecrit srsquoappuyant sur la proposition finale ἵνα μὴ ὦμεν διάβολοι τοῦ παντὸς traduite geacuteneacuteralement ainsi laquo afin que nous ne divulguions pas le tout raquo Tout deacutepend du sens de διάβολος
73 WC Grese (op cit 1979 p 146ndash148) a bien reacutesumeacute ces problegravemes74 C Salaman D van Oyen and WD Wharton op cit p 85 laquo no longer to pic-
ture oneself with regard to the three dimensional body This is the gift of the teaching on rebirth raquo
75 WC Grese op cit 1979 p 14676 Ceci est bien rappeleacute par WC Grese op cit 1979 p 146
104 chapitre deux
Srsquoil signifie simplement laquo divulgateur raquo lrsquointerdiction de divulguer (μὴ ὦμεν διάβολοι laquo que nous ne soyons pas des divulgateurs raquo) contredit effectivement la mise par eacutecrit (εἰς ὃν ὑπεμνηματισάμην laquo que jrsquoai mise par eacutecrit raquo) des traducteurs ont donc corrigeacute le texte en ajoutant soit la neacutegation οὐκ77 (laquo que je nrsquoai pas mise par eacutecrit raquo) soit lrsquoexpression εἰς σὲ μόνον78 (laquo que jrsquoai mise par eacutecrit seulement pour toi raquo) Cette derniegravere correction reconnaicirct lrsquoexistence de la mise par eacutecrit mecircme si celle-ci est limiteacutee au seul disciple Si διάβολος signifie laquo calomnia-teur raquo laquo diffamateur raquo ou laquo celui qui deacutecrie raquo aucune correction nrsquoest neacutecessaire pour eacuteviter de diffamer ou de parler neacutegativement du tout Hermegraves eacuteprouve le besoin de commenter et drsquoexpliquer ou simple-ment de mettre par eacutecrit une version controcircleacutee et authentifieacutee de la leccedilon donnant agrave son eacutecrit valeur drsquoautoriteacute Le besoin de proteacuteger le savoir de toute interpreacutetation deacuteviante79 ne se ferait donc pas seule-ment gracircce au silence mais aussi gracircce agrave la mise par eacutecrit qui dans une optique eacutegyptienne fixerait pour lrsquoeacuteterniteacute le contenu et lui confegrave-rerait un caractegravere sacreacute Par conseacutequent en CH XIII 13 et 22 tout en mentionnant lrsquoimpeacuteratif du secret Hermegraves nrsquointerdirait pas le recours agrave lrsquoeacutecriture Eacutecrit et secret se conjuguent pour assurer la peacuterenniteacute et la sacraliteacute de lrsquoenseignement hermeacutetique Il en irait comme pour les Papyrus grecs magiques livres de recettes et de formules agrave reacuteciter ora-lement dont la mise par eacutecrit eacutevite erreur et eacutechec en rendant possible la reacuteiteacuteration drsquoune recette rituelle toujours efficace et en autorisant la reproduction agrave lrsquoidentique de figurines dans le cadre des rituels Ces recettes sont aussi secregravetes et elles doivent ecirctre cacheacutees dans des endroits secrets comme les temples ou les tombes
Publication donc mais pas dans nrsquoimporte quelle condition lrsquoauteur drsquoAscl 1 semble aussi accepter la publication et il nrsquointerdit que celle qui pourrait ecirctre destineacutee au grand public laquo En effet publier aupregraves
77 R Reitzenstein op cit 1904 p 344 εἰς ὃν ltοῦκgt ὑπεμνηματισάμην78 NF II p 206 et p 215 n 61 WC Grese op cit 1979 p 21 et n b p 20
n 1 et p 147 BP Copenhaver op cit p 52 et 192 Seule fait exception la traduction anglaise de C Salaman D van Oyen and WD Wharton op cit p 85 ougrave il nrsquoy a pas cet ajout Il est donc vraiment dommage que leur traduction ne soit pas accompagneacutee drsquoun bref commentaire permettant drsquoargumenter leur traduction
79 Cette donneacutee nrsquoest pas neacutegligeable et beaucoup drsquoauteurs deacuteploraient cette situa-tion Ainsi Galien srsquoen plaint-il dans la preacuteface de son traiteacute Sur ses propres livres 198ndash9 T Dorandi Le Stylet et la tablette Dans le secret des auteurs antiques Paris Les Belles Lettres 2000 p 107ndash108 Les premiers Pegraveres de lrsquoEacuteglise eacuteprouvent eacutegale-ment une certaine reacuteticence vis-agrave-vis de lrsquoeacutecrit qui leur eacutechappe apregraves sa production W Kelber op cit p 138
maicirctre disciple et enseignement 105
de la foule un traiteacute rempli de toute la majesteacute divine teacutemoigne drsquoun esprit irreacuteligieux raquo En CH XIII 13 il est eacutegalement question de la foule avec le terme πολλοί et la meacutefiance envers la foule inculte serait la cleacute interpreacutetative du passage lrsquoauteur hermeacutetiste semble ainsi avoir voulu justifier lrsquoeacutecrit en peu de mots tout en tenant compte drsquoimpeacuteratifs le secret la meacutefiance de la foule et la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter toute deacuteformation de lrsquoenseignement
Il nrsquoy aurait donc aucune opposition agrave lrsquoeacutecrit en tant que tel Il aurait eacuteteacute drsquoailleurs eacutetonnant que lrsquoauteur hermeacutetiste exploite les liens entre Hermegraves Trismeacutegiste et le dieu eacutegyptien Thot sans reacuteutiliser et mettre agrave profit le rocircle de Thot comme inventeur de lrsquoeacutecriture et comme dieu des scribes et de la science Selon SH 2332 et 44 Hermegraves est appeleacute le laquo meacutemorialiste de toutes les actions raquo ou celui des dieux80 fonction qursquoil exercerait vraisemblablement au moyen de lrsquoeacutecrit comme lrsquoindiquerait le terme ὑπομνηματογράφος Cette production eacutecrite est probablement diffuseacutee selon des critegraveres eacutequivalents agrave ceux utiliseacutes pour seacutelectionner les disciples En CH XIII 13 agrave la fin du passage citeacute ci-dessus Hermegraves parle de laquo ceux que Dieu veut raquo εἰς οὓς ὁ θεὸς αὐτὸς θέλει ce qui pose le troisiegraveme problegraveme souleveacute ci-dessus Selon la structure de la phrase preacutesente dans tous les manuscrits81 et qui remonterait agrave lrsquoarcheacutetype ἵνα μὴ ὦμεν διάβολοι τοῦ παντὸς εἰς τοὺς πολλούς εἰς οὓς ὁ θεὸς αὐτὸς θέλει lrsquoanteacuteceacutedent de οὕς serait πολλούς ce qui donnerait la traduction suivante laquo afin que nous ne soyons pas des calomniateurs du tout aupregraves de la foule celle que Dieu lui-mecircme veut raquo Bien que le reacutesultat soit le mecircme ce serait une faccedilon curieuse et unique de parler du choix divin Il est donc probable que le texte soit agrave cet endroit cor-rompu et doive ecirctre corrigeacute ajouter une conjonction ἄλλα ou δέ agrave la suite des diffeacuterents eacutediteurs et traducteurs82 ou la neacutegation οὐκ
Cependant lrsquoauteur de CH XII 8 en affirmant agrave propos du Bon Deacutemon que laquo srsquoil lrsquoavait transmis par eacutecrit il aurait vraiment rendu ser-vice au genre humain raquo srsquoopposerait-il agrave la restriction de la diffusion Nous pouvons rapprocher lrsquoexpression τὸ τῶν ἀνθρώπων γένος de celle employeacutee en CH I 26 τὸ γένος τῆς ἀνθρωπότητος comme en I 26 elle
80 SH 2332 Ἑρμοῦ τοῦ πάντων ἔργων ὑπομνηματογράφου SH 2344 ὦ Ἑρμῆ θεῶν ὑπομνηματογράφε
81 La seule variante est la preacuteposition πρός au lieu de εἰς82 Lrsquoajout de la conjonction permet drsquoopposer les laquo nombreux raquo et ceux que Dieu
a choisis Tous les traducteurs ajoutent la conjonction laquo mais raquo en franccedilais but en anglais ou nur en allemand
106 chapitre deux
indiquerait lrsquoutiliteacute universelle du message eacutecrit laquelle serait atteinte par le petit nombre de beacuteneacuteficiaires les plus dignes
Par conseacutequent la pratique du secret et la production eacutecrite srsquoac-commoderaient lrsquoune de lrsquoautre Lrsquoeacutecrit nrsquoempecircche rien ni lrsquoobliga-tion de garder le secret ni le manque drsquoexhaustiviteacute des eacutecrits83 ni la restriction du nombre de beacuteneacuteficiaires restriction drsquoautant plus facile que les moyens de diffusion drsquoun eacutecrit restent limiteacutes agrave lrsquoeacutepoque et sont donc plus facilement controcirclables En faisant drsquoHermegraves soit celui qui regrette lrsquoattitude du Bon Deacutemon face agrave lrsquoeacutecrit soit celui qui eacutecrit une lettre agrave un disciple absent agrave la leccedilon soit celui qui eacutecrit un commen-taire pour eacuteviter une deacuteformation malveillante du contenu les her-meacutetistes lui attribuent diffeacuteremment la deacutecision de la mise par eacutecrit Quelle que soit la tradition agrave laquelle ils appartiennent ils placent ainsi sous son autoriteacute la production eacutecrite ce qui est une faccedilon de leacutegitimer et de justifier cette nouvelle pratique
2 Rendre lrsquoeacutecrit digne de lrsquoenseignement
Si la deacutecision de mettre par eacutecrit nrsquoest pas anodine lrsquoactiviteacute de lrsquoeacutecri-ture lrsquoest encore moins puisque lrsquoeacutecrit devient un nouveau vecteur de transmission agrave cocircteacute du maicirctre hermeacutetiste et de sa voix Cette activiteacute doit ainsi tenir compte de trois impeacuteratifs agrave priori contradictoires respecter le caractegravere quasi sacreacute de lrsquoenseignement ne pas le divulguer agrave nrsquoim-porte qui tout en permettant une diffusion assez large pour atteindre les hommes les plus capables repreacutesentants du genre humain Un vecteur scripturaire capable de remplir ces conditions est neacutecessaire
a La langue de lrsquoenseignement eacutecrit entre grec et eacutegyptien Les textes hermeacutetiques eacutetudieacutes ont eacuteteacute eacutecrits en grec vecteur linguis-tique permettant drsquoatteindre le plus grand nombre de personnes Cependant le grec nrsquoest pas une langue sacreacutee comme le reconnais-sent les Grecs et agrave priori il ne convient donc pas agrave lrsquoenseignement hermeacutetique Dans ces conditions comment donner de la leacutegitimiteacute agrave
83 Crsquoest ce que laisserait entendre Isis en SH 235 quand elle affirme qursquoHermegraves garda le silence sur certaines choses au lieu de les mettre par eacutecrit Cette interpreacutetation deacutepend de la traduction adopteacutee καὶ χαράξας ἔκρυψε τὰ πλεῖστα σιγήσας ἀσφαλῶς ἢ λαλήσας laquo Lrsquoayant graveacute il le cacha gardant fermement un silence sur la plupart des choses plutocirct que de parler sur elles raquo Cette traduction diffegravere de celle drsquoA-J Festugiegravere (NF IV p 2) Que lrsquoeacutecrit ne soit pas exhaustif ne doit pas eacutetonner Ainsi Cleacutement drsquoAlexandrie affirme que son propre eacutecrit ne dit pas tout car une partie doit rester cacheacutee Stromate I I 143
maicirctre disciple et enseignement 107
des eacutecrits en grec Au moins deux auteurs ceux de CH XVI et NH VI 6 semblent avoir tenteacute de reacutesoudre ce problegraveme
Dans sa lettre au roi Ammon 84 Ascleacutepios commence par parler de la clarteacute apparente des leccedilons hermeacutetiques qui sont en reacutealiteacute obscures et il poursuit καὶ ἔτι ἀσαφεστάτη τῶν Ἑλλήνων ὕστερον βουληθέντων τὴν ἡμετέραν διάλεκτον εἰς τὴν ἰδίαν μεθερμηνεῦσαι laquo Et qursquoelle (= la composition des leccedilons) sera encore beaucoup plus obscure quand les Grecs voudront plus tard traduire de notre langue vers la leur propre raquo Dans NH VI 6118ndash621 Hermegraves fournit agrave son disciple de nombreuses indications pour qursquoil puisse inscrire correctement sur des stegraveles la leccedilon qui vient de srsquoachever
18ⲱ ⲡⲁϣⲏⲣⲉ ⲡⲉⲉⲓϫⲱⲙⲉ 19ⲥⲁϩϥ ⲁⲡⲉⲣⲡⲉ ⲛⲇⲓⲟⲥⲡⲟⲗⲓⲥmiddot 20ϩⲛ ϩⲉⲛⲥϩⲁⲓ ⲛⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲛϣ 21ⲉⲕⲣⲟⲛⲟⲙⲁⲍⲉ ⲉⲑⲟⲅⲇⲟⲁⲥ 22 ltⲉⲧgtⲟⲩⲱⲛϩ ⲉⲃⲟⲗ ⲛⲑⲉⲛⲛⲁⲥ [ ]28ⲡⲉⲉⲓϫⲱⲙⲉ ϣϣⲉ ⲉⲥⲁϩϥ 29ⲉϩⲉⲛⲥⲧⲏⲗⲏ ⲛⲕⲁⲗⲗⲁⲉⲓⲛⲟⲥ 30ϩⲛ ϩⲛⲥϩⲉⲉⲓ ⲛⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲉⲓϣmiddot 31ⲡⲛⲟⲩⲥ ⲅⲁⲣ ⲟⲩⲁⲁϥ ⲛⲧⲁϥ 32ϣⲱⲡⲉ ⲛⲛⲉⲡⲓⲥⲕⲟⲡⲟⲥ 621ⲛⲛⲁⲓ
Mon fils ce livre eacutecris-le dans le temple de Diospolis dans des let-tres graveacutees de lrsquoeacutecrit de la laquo Maison de Vie raquo (livre) que tu appelleras LrsquoOgdoade reacuteveacutelant lrsquoEnneacuteade [ ] Ce livre il convient de lrsquoeacutecrire sur des stegraveles turquoise dans des lettres graveacutees de lrsquoeacutecrit de la laquo Maison de Vie raquo car crsquoest lrsquointellect lui-mecircme qui est devenu un protecteur pour elles
Les deux auteurs preacutetendent que la reacutedaction originelle est en eacutegyptien le grec nrsquointervenant que dans un second temps drsquoapregraves CH XVI
Dans les deux textes citeacutes lrsquoangle drsquoapproche est diffeacuterent Hermegraves parle de lrsquoeacutegyptien en tant qursquoeacutecriture caractegravere graveacute sur de la pierre avec lrsquoexpression copte rare ϩⲉⲛⲥϩⲁⲓ ⲛⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲛϣ en NH VI 6120 (et ses deux variantes en 6130 et 6215 ) laquo les lettres graveacutees de lrsquoeacutecrit de la ldquoMaison de Vie rdquo raquo Ascleacutepios utilise le terme technique linguistique des grammairiens grecs διάλεκτον dans le sens de langue nationale85 avec la mecircme connotation que Jamblique dans sa Reacuteponse drsquoAbamon agrave la lettre de Porphyre agrave Aneacutebon VII 4 (256) 86 ougrave il srsquoagit de la langue
84 Il est eacutetonnant que T McAllister Scott dans sa thegravese Egyptian Elements in Her-metic Literature op cit nrsquoa jamais abordeacute ce passage sur la traduction et la langue eacutegyptienne
85 Il srsquoagit drsquoune deacutefinition stoiumlcienne qui opegravere un changement par rapport agrave la deacutefinition aristoteacutelicienne ougrave il srsquoagit de la langue articuleacutee W Ax Laut Stimme und Sprache Studien zu drei Grundbegriffen der antiken Sprachtheorie Goumlttingen Van-denhoeck amp Ruprecht 1986 p 137 201 et 210 idem laquo ψόφος φωνή und διάλεκτος als Grundbegriffe aristotelischer Sprachreflexion raquo Glotta 56 (1978) p 245ndash271 repris dans Lexis und Logos Studien zur antiken Grammatik und Rhetorik Stuttgart Franz Steiner Verlag 2000 p 19ndash39
86 Sur ce passage de Jamblique J Assmann laquo Appendice La theacuteorie de la ldquoparole divinerdquo (mdw ntr) chez Jamblique et dans les sources eacutegyptiennes raquo in Images et rites
108 chapitre deux
des peuples sacreacutes celle qui est lieacutee agrave une eacutecriture traditionnelle et ancienne les hieacuteroglyphes dans le cas de lrsquoEacutegypte Le rapprochement avec le texte de Jamblique fait ressortir le point de vue particulier de lrsquoauteur hermeacutetiste Dans les deux cas le locuteur est censeacute ecirctre eacutegyp-tien Ascleacutepios pour le texte hermeacutetique le precirctre Abamon pour le texte de Jamblique87 Pourtant alors qursquoAbamon crsquoest-agrave-dire Jamblique parle de laquo tout le langage des peuples sacreacutes (τῶν ἱερῶν ἐθνῶν [ ] τὴν ὅλην διάλεκτον) comme les Assyriens et les Eacutegyptiens raquo eacutenonceacute qui instaure une certaine distance entre le locuteur et lrsquoobjet de son eacutenonceacute Ascleacutepios dit τὴν ἡμετέραν διάλεκτον laquo notre langue raquo en CH XVI 1 ou πατρῴα διάλεκτος laquo langue paternelle raquo en CH XVI 2 Avec ces deux locutions Ascleacutepios et lrsquoauteur srsquoimpliquent dans ce qursquoils disent et adoptent le point de vue eacutegyptien88
Le choix de lrsquoeacutegyptien est coheacuterent dans la recherche de leacutegitimiteacute En effet au contraire du grec la sacraliteacute traditionnelle de lrsquoeacutegyptien hieacuteroglyphique ou hieacuteratique sacerdotal est reconnue par tous Les Eacutegyptiens eux-mecircmes utilisent lrsquoexpression mdw ntr traduite geacuteneacute-ralement par laquo paroles divines raquo pour deacutesigner les hieacuteroglyphes les deacutefinissant ainsi comme une parole inaudible qui eacutemane du divin et se transmet dans le monde humain gracircce aux signes hieacuteroglyphi-ques89 Ceux-ci sont le substitut de la parole de Recirc quand ce dieu srsquoeacuteloigna des hommes apregraves avoir pris connaissance du complot fomenteacute contre lui90 Lrsquoeacutecriture hieacuteroglyphique nrsquoest donc pas un simple vecteur graphique elle a aussi le statut de science avec son
de la mort dans lrsquoEacutegypte ancienne Lrsquoapport des liturgies funeacuteraires 4 seacuteminaires agrave lrsquoEacutecole Pratique des Hautes Eacutetudes Section des sciences religieuses 17ndash31 mai 1999 Paris Cybegravele 2000 p 107ndash127
87 Voir le scholion preacuteliminaire au texte de Jamblique provenant drsquoune notice de Michel Psellus Sur le sens du nom HD Saffrey laquo Reacuteflexions sur la pseudonymie Abammocircn-Jamblique raquo in HD Saffrey op cit 2000 p 39ndash48 HJ Thissen laquo Aumlgyp-tologisches Beitraumlge zu den griechischen magischen Papyri raquo in U Verhoeven and E Graefe (eds) Religion und Philosophie im Alten Aumlgypten Festgabe fuumlr Philippe Derchain Leuven Peeters 1991 p 293ndash302 M Broze et C van Liefferinge op cit 2002 p 37 et le commentaire de ces deux auteurs dans leur traduction de Jamblique op cit 2009 p 185
88 Tout terme renvoyant explicitement aux hieacuteroglyphes ou agrave lrsquoeacutegyptien est absent du traiteacute mais la description de cette langue et le contexte eacutegyptien revendiqueacute impli-que qursquoil srsquoagit bien de lrsquoeacutegyptien
89 M Broze laquo La reacuteinterpreacutetation du modegravele hieacuteroglyphique chez les philosophes de langue grecque raquo in L Morra and C Bazzanella (eds) Philosophers and Hieroglyphs Torino Rosenberg amp Sellier 2003 p 39ndash40 agrave comparer avec J Assmann op cit 2000 p 117
90 Crsquoest ce que raconte le Mythe de la Vache du Ciel plus particuliegraverement 237ndash250 et pour le pouvoir des hieacuteroglyphes 265ndash267 E Hornung Der aumlgyptische Mythos
maicirctre disciple et enseignement 109
mystegravere et ses secrets 91 Cependant lrsquoauteur hermeacutetiste srsquoil partage ce lieu commun nrsquoen reste pas lagrave il srsquoattache agrave justifier le choix de la laquo langue paternelle raquo en mettant en avant une particulariteacute eacutegyptienne agrave lrsquoaide drsquoun vocabulaire technique emprunteacute aux grammairiens grecs (CH XVI 2)
ὁ δὲ λόγος τῇ πατρῴᾳ διαλέκτῳ ἑρμηνευόμενος ἔχει σαφῆ τὸν τῶν λόγων νοῦν καὶ γὰρ αὐτὸ τὸ τῆς φωνῆς ποιὸν καὶ ἡ τῶν Αῖγυπτίων ὀνομάτων ἐν ἑαυτῇ ἔχει τὴν ἐνέργειαν τῶν λεγομένων
Et lrsquoeacutenonceacute exprimeacute dans la langue paternelle possegravede le signifieacute des mots clair en effet la qualiteacute du son et lrsquo(eacutenonciation 92) des mots eacutegyptiens possegravedent en elles-mecircmes la force des choses signifieacutees
Ascleacutepios parle ici de lrsquoeacutegyptien hieacuteroglyphique et met en avant non le caractegravere lineacuteaire du texte eacutegyptien mais la valeur performative du signe93 Il y a une adeacutequation entre le son φωνή et le sens νοῦς le son eacutetant la force eacutevocatrice du signifieacute Lrsquoideacutee sous-jacente est celle des mots qui se reacutefegraverent aux choses par nature et non par convention ideacutee qui est eacutegalement partageacutee par Jamblique mais qui srsquooppose agrave la position drsquoAristote 94 Lrsquoauteur hermeacutetiste rend assez bien compte de la penseacutee eacutegyptienne ougrave il existe une association eacutetroite entre la laquo chose raquo et le laquo signe raquo et ougrave les signes hieacuteroglyphiques sont des images tjt de ce qui est95 Lrsquoeacutecriture hieacuteroglyphique apparaicirct ainsi la plus proche de la reacutealiteacute mecircme des choses et cette particulariteacute justifie que lrsquoauteur preacutetende lrsquoutiliser pour transcrire lrsquoenseignement hermeacutetique
Pour le lecteur moderne ce renvoi agrave lrsquoeacutecriture eacutegyptienne dans les deux traiteacutes copte et grec est une fiction En effet mecircme si lrsquoexistence drsquoun texte deacutemotique hermeacutetique est possible96 les textes grecs ne sont pas des traductions de lrsquoeacutegyptien mais ont eacuteteacute eacutecrits agrave lrsquoorigine en grec Toutefois il ne faut pas lire ces donneacutees uniquement en les
von der Himmelskuh Eine Aumltiologie des Unvollkommenen Goumlttingen Vandenhoeck amp Ruprecht 1982
91 P Vernus laquo Les espaces de lrsquoeacutecrit dans lrsquoEacutegypte pharaonique raquo BSFE 119 (1990) p 37
92 Un terme feacuteminin est ici sous-entendu peut-ecirctre ἡ φράσις laquo eacutenonciation raquo93 Sur ce passage M Broze laquo La reacuteinterpreacutetation raquo op cit 2003 p 4394 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon VII 5 (257) J Assmann op cit 2000 p 110
R Mortley From Word to Silence vol 1 The Rise and Fall of Logos Bonn P Hanstein 1986 p 96ndash101
95 J-P Allen Genesis in Egypt The Philosophy of Ancient Egyptian Creation Accounts New Haven Yale University Press 1988 p 91 voir le deacutecret de Canope dans la version de la stegravele de Tanis l 64 pour le texte hieacuteroglyphique et l 29ndash30 pour le texte deacutemotique dans W Spiegelberg op cit 1990
96 Voir lrsquointroduction pour la bibliographie
110 chapitre deux
confrontant au monde reacuteel il faut aussi les replacer dans le monde du destinataire envisageacute par lrsquoauteur hermeacutetiste97 Elles acquiegraverent alors une dimension nouvelle et ont des implications agrave la fois sur le cadre religieux de la mise par eacutecrit sur la valeur accordeacutee agrave lrsquoenseignement et sur le problegraveme de la traduction
b Le cadre rituel de la mise par eacutecritLes auteurs de CH XVI et NH VI 6 mettent en place ce cadre gracircce agrave un choix lexical preacutecis ndash notamment pour deacutesigner lrsquoeacutecriture eacutegyp-tienne dans lrsquoOgdEnn ndash et agrave une mise en situation avec lrsquoaffirmation de lrsquoautoriteacute drsquoHermegraves
Lrsquoauteur du traiteacute copte deacutesigne trois fois lrsquoeacutecriture eacutegyptienne au moyen drsquoune expression copte rare avec une variation orthographi-que en NH VI 6120 ϩⲉⲛⲥϩⲁⲓ ⲛⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲛϣ en NH VI 6130 ϩⲛⲥϩⲉⲉⲓ ⲛⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲉⲓϣ et en NH VI 6215 ϩⲛⲥϩⲁⲉⲓ ⲛⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲉⲓϣ E Lucchesi 98 a agrave juste titre rapprocheacute ⲡⲣⲁⲛϣ de ⲥⲫⲣⲁⲛϣ que nous lisons agrave deux reprises dans la version bohaiumlrique de Gn 41 99 soulignant que cela confirmait lrsquointuition de B Gunn ce dernier avait relieacute les ⲛⲓⲥⲫⲣⲁⲛϣ eacutegyptiens de Gn 41 agrave la laquo Maison de Vie raquo eacutegyptienne100 faisant deacuteri-ver eacutetymologiquement ⲡⲣⲁⲛϣ de lrsquoeacutegyptien laquo pr ʿnh raquo et soulignant que lrsquointerpreacutetation des recircves eacutetait une fonction des precirctres eacutegyptiens Lrsquoexpression hermeacutetique signifie ainsi litteacuteralement laquo les lettres graveacutees de lrsquoeacutecrit de la ldquoMaison de Vie rdquo raquo crsquoest-agrave-dire les hieacuteroglyphes qui eacutetaient graveacutes La reacutefeacuterence aux hieacuteroglyphes explique pourquoi des savants traduisent par laquo caractegraveres hieacuteroglyphiques raquo101 cette traduction seacutemantiquement correcte a le deacutesavantage de privileacutegier une tournure drsquoorigine grecque agrave une drsquoorigine eacutegyptienne Or la traduction devrait rester litteacuterale comme celle proposeacutee ci-dessus102 et lrsquoindication qursquoil
97 Sur cette probleacutematique S Rabau op cit p 30ndash31 98 E Lucchesi laquo Agrave propos du mot copte ldquoSphranshrdquo raquo JEA 61 (1975) p 254ndash256 99 Gn 418 ⲁϥⲟⲩⲱⲣⲡ ⲁϥⲙⲟⲩϯ ⲉⲛⲓⲥⲫⲣⲁⲛϣ ⲛⲧⲉ ⲭⲏⲙⲓ ⲛⲉⲙ ⲛⲓⲥⲁⲃⲉⲩ ⲧⲏⲣⲟⲩ laquo il fit
appeler tous les interpregravetes de lrsquoEacutegypte et tous les sages raquo et 4124 ⲁⲓϫⲉ [thinspthinsp] ⲟⲩⲛ ⲛⲛⲓⲥⲫⲣⲁⲛϣ laquo jrsquoai [ ] donc dit aux interpregravetes raquo Voir MKH Peters A Critical Edition of the Coptic (Bohairic) Pentateuch Vol 1 Genesis Atlanta Scholars Press 1985
100 B Gunn laquo Interpreters of Dreams in Ancient Egypt raquo JEA 4 (1917) p 252101 J-P Maheacute op cit 1978 p 83 et 85 J Brashler PA Dirkse and DM Parrott
op cit p 367 et 369 A Camplani Scritti op cit 2000 p 152 et 153102 Crsquoest la traduction adopteacutee par K-W Troumlger op cit 1973 col 501 et 502 reprise
dans K-W Troumlger op cit 2003 p 516 et n 118 laquo Schriftzeicher der Schreiber des Lebens-Hauses raquo H-M Schenke laquo Faksimile Ausgabe der Nag Hammadi Schriften Nag Hammadi Codex VI raquo OLZ 69 (1974) col 241ndash242 laquo Schrift der Gelehrten des
maicirctre disciple et enseignement 111
srsquoagit des hieacuteroglyphes ecirctre mise dans les notes ou le commentaire et non lrsquoinverse Quant agrave E Lucchesi il preacutefegravere traduire laquo en lettres (caractegraveres) de scribe de la maison de ʿnh raquo103 car il se demande de quel ʿnh il srsquoagit la laquo vie raquo ou le laquo serment raquo qui en eacutegyptien se dit eacutegalement ʿnh et en copte ⲁⲛⲁϣ104 G Roquet se pose la mecircme ques-tion et propose de traduire par laquo le domaine bureau maison des deacutecrets raquo105 Toutefois P Derchain a releveacute dans le Papyrus Salt 825 V 5 et suivantes une glose qui explique la graphie singuliegravere avec quatre signes P disposeacutes selon les quatre points cardinaux et un signe œ au centre il srsquoagit des corps de bacirctiments et du vivant Osiris en fait le lieu ougrave la figurine momiforme de ce dieu est conserveacutee106 Nrsquoayant pas meneacute une recherche speacutecifique sur le terme ʿnh nous continuerons par commoditeacute de parler de laquo Maison de Vie raquo
Cette expression est tregraves proche drsquoun syntagme eacutegyptien utiliseacute dans le texte du deacutecret de Canope du 7 mars 238 avant J-C laquo tjtw m sšw [nw pr-ʿnh ] raquo en eacutegyptien hieacuteroglyphique (l 64 de la version de la stegravele de Tanis ) laquo nȝ tjtȝ nȝ shw pr-ʿnh raquo en deacutemotique ( l 29ndash30 de la mecircme version) expression traduite en grec par τὰ ἐπίσημα τῆς ἱερᾶς γραμματικῆς (aussi bien dans la version de la stegravele de Kocircm el-Hisn IProse 8 l 54 que dans celle de la stegravele de Tanis IProse 9 l 64 )107 et que nous pourrions traduire par laquo les empreintes des scribes de la ldquoMaison de Vie rdquo raquo108 Nous retrouvons presque la mecircme structure grammaticale dans les versions hieacuteroglyphique deacutemotique et copte comme le montre le tableau suivant
Lebenshauses raquo M Krause und P Labib op cit p 181 et 182 leur traduction nrsquoest pas si eacuteloigneacutee avec Meisterbuchstaben laquo Lettres du maicirctre raquo
103 E Lucchesi laquo Agrave propos raquo op cit 1975 p 255104 E Lucchesi laquo Agrave propos raquo op cit 1975 p 255 n 3105 Cette remarque a eacuteteacute faite lors de la soutenance de thegravese le 5 janvier 2006106 P Derchain Le Papyrus Salt 825 (BM 10051) rituel pour la conservation de la
vie en Eacutegypte Bruxelles Palais des Acadeacutemies 1965 p 48ndash49 et p 167 n 72 Voir aussi idem laquo Le tombeau drsquoOsymandyas et la maison de la vie agrave Thegravebes raquo Nachrichten der Akademie der Wissenschaften in Goumlttingen I Philo-Historische Klasse 8 (1965) p 168
107 Pour les stegraveles de Kocircm el-Hisn et de Tanis donnant le deacutecret de Canope voir les reacutefeacuterences donneacutees ci-dessus
108 A Bernand op cit t I 1992 p 26 et p 32 lrsquoauteur donne la traduction sui-vante laquo les caractegraveres de lrsquoeacutecriture sacreacutee raquo Sur le terme laquo tjt raquo pour deacutesigner les hieacutero-glyphes L Motte laquo Lrsquohieacuteroglyphe drsquoEsna agrave lrsquoEacutevangile de Veacuteriteacute raquo in Deuxiegraveme journeacutee drsquoeacutetudes coptes Strasbourg 25 mai 1984 LouvainParis Peeters 1986 p 114
112 chapitre deux
Cependant lrsquoOgdEnn est une traduction du grec et nous pouvons nous demander quelle serait la reacutetroversion grecque Cela pourrait ecirctre lrsquoexpression grecque habituelle ἱερὰ γράμματα elle-mecircme une traduc-tion interpreacutetative de lrsquoeacutegyptien hieacuteroglyphique laquo m sš n pr-ʿnh raquo et du deacutemotique laquo n sh pr-ʿnh raquo ou bien un syntagme analogue agrave celle de la version grecque des stegraveles de Kocircm el-Hisn et de Tanis τὰ ἐπίσημα τῆς ἱερᾶς γραμματικῆς ou drsquoautres similaires Quoi qursquoil en soit il ne srsquoagirait pas drsquoune expression traduite litteacuteralement des diffeacuterentes expressions eacutegyptiennes car une telle traduction ne semble pas avoir existeacute ou du moins nous nrsquoen avons aucune attestation Ainsi quelle que soit la version grecque originale109 elle-mecircme une interpreacutetation de lrsquoeacutegyptien le fait que le traducteur copte lrsquoait reacuteinterpreacuteteacutee en sens inverse fait de lui un bon connaisseur des reacutealiteacutes traditionnelles eacutegyp-tiennes110 et pose la question de ses relations possibles avec le milieu de la precirctrise eacutegyptienne111 Une telle hypothegravese sur le traducteur nrsquoest
109 J-P Maheacute a opteacute pour la premiegravere hypothegravese estimant qursquolaquo il faut se garder drsquoattribuer agrave notre texte une preacutecision qursquoil ne comportait pas primitivement du moins dans lrsquointention du reacutedacteur grec raquo op cit 1978 p 34
110 Agrave ce sujet N Foumlrster laquo Zaubertexte in aumlgyptischen Tempelbibliotheken und die hermetische Schrift ldquoUumlber die Achtheit und Neunheitrdquo raquo in M Immerzeel and J van der Vliet (eds) Coptic Studies on the Threshold of a new Millennium II- Proceedings of the Seventh International Congress of Coptic Studies Leiden 2000 LeuvenParis Peeters 2004 p 723ndash737 N Foumlrster montre que lrsquoexistence de livres dans les temples eacutegyptiens et leur contenu geacuteneacuteral sont connus des contemporains grecs et romains agrave travers les reacutecits de voyageurs et les eacutecrits de precirctres comme Cheacutereacutemon drsquoAlexan-drie Il estime que lrsquoOgdEnn appartient agrave lrsquohistoire de lrsquoinfluence des temples et est un teacutemoin du prestige dont jouit leur bibliothegraveque
111 La preacutesence de ⲡⲣⲁⲛϣ dans des traductions de textes bibliques incite eacutegalement agrave srsquointerroger sur les relations entre le milieu des traducteurs coptes et celui de la precirctrise eacutegyptienne
Tableau 3 Les laquo lettres de la ldquoMaison de Vie rdquo raquo comparaison grammaticale entre lrsquoeacutegyptien et le copte
Eacutecriture Nom 1 Marque dugeacutenitif
Nom 2 compleacutement du nom 1
Marque du geacutenitif
Nom 3 compleacutement du nom 2
Hieacuteroglyphe tjtw m sšw nw pr-ʿnh
deacutemotique nȝ tjtȝ nȝ sh w pr-ʿnh
Copte ϩⲉⲛⲥϩⲁⲓ ϩⲛⲥϩⲉⲉⲓ
ⲛ ⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲛϣ ⲡⲣⲁⲉⲓϣ
maicirctre disciple et enseignement 113
pas vraiment remise en cause par la variation orthographique ⲡⲣⲁⲛϣ ⲡⲣⲁⲉⲓϣ qui serait tout agrave fait normale112
Avec cette preacutetention drsquoune reacutedaction originelle en eacutegyptien et la mention drsquoune laquo Maison de Vie raquo les auteurs hermeacutetistes preacutesentent donc Hermegraves (NH VI 6 ) et Ascleacutepios (CH XVI ) comme des scribes qui deacutependent de la laquo Maison de Vie raquo et comme des laquo speacutecialistes en science sacerdotale raquo113 crsquoest-agrave-dire des precirctres puisque eux seuls apprennent lrsquoeacutecriture hieacuteroglyphique et lrsquoutilisent preacuteciseacutement au sein de la laquo Maison de Vie raquo Cette derniegravere preacutesente probablement dans chaque temple eacutegyptien114 joue un rocircle important dans leur vie Selon AH Gardiner laquo la ldquoMaison de Vie rdquo nrsquoa jamais eacuteteacute une eacutecole ou une universiteacute mais eacutetait plutocirct un scriptorium ougrave les livres lieacutes agrave la religion et matiegraveres connexes eacutetaient compileacutes raquo et lrsquoaspect productif de la laquo Maison de Vie raquo eacutetait important puisque laquo crsquoeacutetait lrsquoatelier ougrave la plupart des livres et ins-criptions sacreacutes eacutetaient composeacutes et eacutecrits raquo115 Les eacutetudes ulteacuterieures ont montreacute que lrsquoon ne peut restreindre ainsi les fonctions de la laquo Maison de Vie raquo116 Partie inteacutegrante du temple la laquo Maison de Vie raquo est un
112 J-P Maheacute op cit 1978 p 125 Quant agrave E Lucchesi laquo Agrave propos raquo op cit 1975 p 255 il en tire une conclusion neacutegative sur le copiste laquo la transition de ⲛ agrave ⲉⲓ nrsquoest pas chose bien compliqueacutee surtout en preacutesence drsquoune locution qui eacutechappait sucircrement agrave la compreacutehension du copiste raquo Si le copiste peut ne pas avoir eacuteteacute aussi bien renseigneacute que le traducteur il ne faut pas forceacutement conclure agrave une erreur de sa part Vu la proximiteacute des diffeacuterentes occurrences les unes des autres il est diffi-cile de croire que le copiste ne srsquoen serait pas aperccedilu De plus on peut observer des variations analogues pour des mots courants comme le ⲥϩⲁⲓ de cette expression eacutecrit agrave chaque fois de maniegravere diffeacuterente Il nrsquoest pas toujours neacutecessaire drsquoappliquer nos propres conceptions de lrsquoorthographe agrave la situation antique On pourrait parler drsquoune laquo variation libre raquo pour reprendre une expression utiliseacutee par G Roquet laquo Variation libre tendance dureacutee De quelques traits de langue dans les Nag Hammadi Codices raquo in Eacutecritures et traditions dans la litteacuterature copte Journeacutee drsquoeacutetudes coptes Strasbourg 28 mai 1982 Louvain Peeters 1983 p 28ndash36
113 P Vernus op cit 1990 p 39114 K Nordh Aspects of ancient Egyptian Curses and Blessings Conceptual Back-
ground and Transmission Uppsala Acta Universitatis Upsaliensis 1996 en particulier p 109 et 110 et Appendice I
115 AH Gardiner laquo The House of Life raquo JEA 24 (1938) p 175 laquo the PœP was neither a school nor a university but was rather a scriptorium where books connected with religion and cognate matters were compiled raquo et p 176 laquo this was the workshop where most sacred books and inscriptions were composed and written raquo Plus geacuteneacute-ralement p 157ndash179
116 A Volten Demotische Traumdeutung (Pap Carlsberg XIII and XIV verso) Kopenhagen E Munksgaard 1942 p 17ndash44 P Derchain Le Papyrus op cit 1965 M Weber laquo Lebenshaus raquo LAuml III 1980 col 954ndash958 K Nordh op cit p 106ndash130 + Appendices I-III
114 chapitre deux
microcosme ougrave sont regroupeacutees des activiteacutes drsquoeacuterudition117 (une biblio-thegraveque118) de production (comme la composition et la copie) et les pratiques rituelles119 Un de ses buts est de maintenir et de reacutepandre Maacirct structure de la vie ordonneacutee et aussi de proteacuteger le pharaon et les dieux au moyen de ceacutereacutemonies dont le Papyrus Salt 825 serait une sorte drsquolaquo aide-meacutemoire raquo pour le ceacutereacutemoniaire chargeacute de ces rites120 Le personnel de la laquo Maison de Vie raquo constitue lrsquoeacutelite des hommes eacutedu-queacutes en Eacutegypte 121 et son principal patron est Thot Les centres drsquointeacute-recirct sont multiples rites mythes meacutedecine astrologie et astronomie magie interpreacutetation des recircves etc La laquo Maison de Vie raquo est donc un des lieux les plus importants pour la transmission des textes en Eacutegypte En tant que bacirctiment elle est laquo une meacutetaphore du monde raquo122 Affirmer donc qursquoil faut eacutecrire en hieacuteroglyphes ou de maniegravere plus preacutecise en caractegraveres employeacutes par les scribes de la laquo Maison de Vie raquo place dans le cadre religieux et sacreacute de ce lieu les activiteacutes de composition et drsquoeacutecriture des textes hermeacutetiques et pourquoi pas lrsquoenseignement lui-mecircme ce qui correspondrait aux fonctions de la laquo Maison de Vie raquo eacutenumeacutereacutees ci-dessus Crsquoest faire de la stegravele graveacutee (NH VI 61ndash62 ) et des eacutecrits hermeacutetiques (CH XVI 1ndash2 ) des produits de la laquo Maison de Vie raquo et crsquoest leur accorder une valeur religieuse et rituelle En effet laquo la gravure [des inscriptions hieacuteroglyphiques] constitue un acte cultuel permanent raquo123 et lrsquoeacutecriture hieacuteroglyphique est lrsquoune des laquo marques positives raquo qui confegraverent la sacraliteacute au document124
Par conseacutequent dans les mondes des protagonistes et du destinataire placer la reacutedaction des eacutecrits hermeacutetiques dans le cadre de la laquo Maison
117 A Volten op cit p 37ndash38 K Nordh op cit p 108118 V Wessetzky laquo Die aumlgyptische Tempelbibliothek Der Schluumlssel der Loumlsung liegt
doch in der Bibliothek des Osymandyas raquo ZAumlS 100 (1973) p 54ndash59 P Derchain laquo Le tombeau raquo op cit 1965 p 165ndash171
119 En particulier le reacutecit de la Stegravele de la famine M Lichtheim op cit 1980 p 94ndash103
120 P Derchain Le Papyrus op cit 1965 p 19 Voir aussi F-R Herbin laquo Les pre-miegraveres pages du papyrus Salt 825 raquo BIFAO 88 (1988) p 95ndash112 + pl VII
121 K Nordh op cit p 108 et Appendice II122 K Nordh op cit p 112123 P Derchain laquo Les hieacuteroglyphes agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque raquo in C Baurain C Bonnet
et V Krings Phoinikeia Grammata Lire et eacutecrire en Meacutediterraneacutee Actes du colloque de Liegravege 15ndash18 novembre 1989 Namur Socieacuteteacute des Eacutetudes Classiques 1991 p 253
124 Sur les marques de la sacraliteacute P Vernus op cit 1990 p 42ndash43 (il en deacutenombre quatre) idem laquo Supports drsquoeacutecriture et fonction sacralisante dans lrsquoEacutegypte ancienne raquo in Le Texte et son inscription Paris Eacuteditions du CNRS 1989 p 26 F Servajean op cit p 81 n 84 il ajoute une cinquiegraveme marque de sacraliteacute
maicirctre disciple et enseignement 115
de Vie raquo revient agrave leur confeacuterer une grande autoriteacute faisant drsquoeux de veacuteritables livres de Thot patron des scribes de la laquo Maison de Vie raquo et auteur preacutesumeacute de nombreux livres produits dans ce microcosme En Eacutegypte Thot agit aussi parfois agrave lrsquoinstigation drsquoautres dieux125 notam-ment de Recirc Celui-ci en fait son remplaccedilant et scribe126 et les eacutecrits de Thot deviennent les remplaccedilants de la parole deacutesormais inaudible du dieu Recirc Ces eacutecrits sont drsquoailleurs parfois appeleacutes laquo bꜢw (eacutemanations) de Recirc raquo ils permettent au dieu de se faire voir ou entendre gracircce aux eacutecrits127 Dans les traiteacutes hermeacutetiques les auteurs ne font aucune reacutefeacute-rence claire agrave une autoriteacute supeacuterieure qui ordonnerait agrave Hermegraves de mettre son enseignement par eacutecrit Dans NH VI 61ndash62 lrsquoinitiative appartient agrave Hermegraves crsquoest eacutegalement le cas dans SH 235 quand Isis enseigne agrave Horus qursquoHermegraves laquo grava (ἐχάραξε) les choses sur lesquelles il avait reacutefleacutechi raquo Lrsquoeacutecriture est donc reacutealiseacutee sous lrsquoautoriteacute de celui qui reccedilut la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo Hermegraves Cependant nrsquoy aurait-il pas une variante de lrsquoideacutee de remplacement Les traiteacutes hermeacutetiques eacutecrits par Hermegraves etou placeacutes sous son autoriteacute transcrivent pour le destinataire du traiteacute sa parole gracircce agrave la mise en scegravene drsquoune leccedilon orale ou drsquoune lettre qui serait deacutelivreacutee par Hermegraves cette transcription remplacerait Hermegraves en son absence notamment quand il remonte au ciel selon le reacutecit drsquoIsis au deacutebut de SH 23
Lrsquoauteur de lrsquoOgdEnn ajoute un eacuteleacutement il fait de lrsquoaction drsquoHermegraves lrsquoeacutequivalent de celle du clergeacute eacutegyptien de lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque avec la mecircme autoriteacute et la mecircme capaciteacute agrave prendre des deacutecisions et agrave don-ner des ordres En effet il a structureacute son traiteacute de maniegravere analogue aux diffeacuterents deacutecrets tri- ou bilingues issus de synodes de precirctres tels que le deacutecret de Canope de mars 238 avant J-C ou celui dont il ne subsiste que quelques fragments dans le dromos de Karnak et qui date de Ptoleacutemeacutee V 128 eacutevidemment sans la formule de datation Certes ces documents sont anteacuterieurs agrave lrsquoeacutepoque preacutesumeacutee de la reacutedaction de NH VI 6 mais cela pose agrave nouveau la question du lien entre le traducteur lrsquoauteur et les milieux de la precirctrise eacutegyptienne avec leurs archives Le
125 S Schott laquo Thot als Verfasser heiliger Schriften raquo ZAumlS 99 (1972) p 20ndash25 et plus particuliegraverement p 22ndash23 J Quaegebeur op cit 1995 p 167 et suivantes ougrave lrsquoauteur montre qursquoil faut diffeacuterencier le reacutedacteur et lrsquoauteur drsquoun texte
126 Mythe de la Vache du Ciel 237ndash250 E Hornung op cit 1982 p 45127 La Stegravele de la famine 5 M Lichtheim op cit 1978 p 101 n 8 M Broze laquo La
reacuteinterpreacutetation raquo op cit 2003 p 40 P Derchain Le Papyrus op cit 1965 p 19128 G Wagner laquo Inscriptions grecques du temple de Karnak A- Le deacutecret ptoleacutemaiuml-
que du dromos de Karnak raquo BIFAO 70 (1971) p 1ndash21
116 chapitre deux
corps du texte des deacutecrets consiste dans le reacutecit des deacutecisions prises129 tandis que dans lrsquoOgdEnn il srsquoagit de lrsquoenseignement oral Ce corps fait ensuite place agrave lrsquoordre de graver crsquoest-agrave-dire drsquoafficher130 ce reacutecit avec le mecircme scheacutema dans les deux cas 1deg indication du type de sup-port stegravele de pierre στήλη λιθίνη (dure ou bronze) pour les deacutecrets et stegraveles de pierres de nature diffeacuterente dans le texte copte 2deg indica-tion de lrsquoeacutecriture employeacutee deux dans les deacutecrets (le grec et lrsquoeacutegyptien) ou trois (quand les eacutecritures eacutegyptiennes sont diffeacuterencieacutees) une seule pour le traiteacute copte lrsquoeacutegyptien hieacuteroglyphique 3deg indication du lieu ougrave les stegraveles seront deacuteposeacutees le lieu le plus accessible et le plus en vue des temples dans les deacutecrets et le ⲡⲁⲟⲩⲱⲡⲉ ⲟⲩⲱⲡⲉ131 drsquoun seul temple celui de Diospolis dans lrsquoOgdEnn Il existe cependant une diffeacuterence majeure dans le cas des deacutecrets synodaux ptoleacutemaiumlques les stegraveles elles-mecircmes ont eacuteteacute preacuteserveacutees souvent en fragments132 tandis que dans le cas hermeacutetique crsquoest le document laquo originel raquo qui a eacuteteacute conserveacute et non la stegravele (qui nrsquoa vraisemblablement jamais existeacute)
Les hermeacutetistes ont donc tout fait pour que la production eacutecrite soit digne de lrsquoenseignement hermeacutetique et en harmonie avec son caractegravere divin Lrsquoeacutecriture hieacuteroglyphique laquo paroles divines raquo est celle qui pouvait le mieux convenir agrave cet enseignement eacutetant elle-mecircme drsquoorigine divine et le plus en adeacutequation avec les choses creacuteeacutees Affirmer eacutecrire en eacutecri-ture hieacuteroglyphique implique eacutegalement tout un cadre rituel au sein drsquoun temple avec des precirctres Dans ces conditions lrsquoenseignement hermeacutetique acquiert une efficaciteacute et une valeur performative Nous pouvons men-tionner agrave ce sujet lrsquoeacutetude de JP Sorensen sur CH XVI 133 qui srsquointeacuteresse agrave la penseacutee eacutegyptienne qui serait agrave lrsquoarriegravere-plan du texte Il estime ainsi en donnant des exemples eacutegyptiens que CH XVI ne relegraveve pas drsquoune penseacutee philosophique ou religieuse structureacutee mais qursquoil a une efficaciteacute
129 Voir lrsquoexamen de la composition des deacutecrets par W Clarysse laquo Ptoleacutemeacutees et temples raquo in D Valbelle et J Leclant (dir) Le Deacutecret de Memphis Colloque de la Fon-dation Singer-Polignac agrave lrsquooccasion de la ceacuteleacutebration du bicentenaire de la deacutecouverte de la Pierre de Rosette Paris De Boccard 1999 p 48ndash50
130 D Valbelle laquo Les deacutecrets eacutegyptiens et leur affichage dans les temples raquo in D Valbelle et J Leclant (dir) op cit p 67ndash90
131 Nous eacutetudions la signification de ce syntagme p 160ndash163132 Plusieurs copies ont donc eacuteteacute conserveacutees Voir la liste fournie par W Clarysse
op cit 1999 p 42ndash46 Dans le cas des deacutecrets anteacuterieurs quelques-uns ont eacuteteacute conser-veacutes sur leur support originel le papyrus D Valbelle op cit 1999 p 67
133 JP Sorensen laquo Ancient Egyptian Religious Thought and the XVIth Hermetic Tractate raquo in G Englund The Religion of the Ancient Egyptians Cognitive Structures and Popular Expressions Uppsala University of Uppsala 1989 p 41ndash57
maicirctre disciple et enseignement 117
rituelle avec une conseacutequence structurelle le texte est composeacute de plu-sieurs seacuteries drsquoimages qui se reflegravetent les unes les autres
Cette preacutetention est affirmeacutee dans deux traiteacutes seulement Srsquoil est difficile de tirer des conclusions geacuteneacuterales le cadre eacutegyptien drsquoautres traiteacutes et le rappel des ancecirctres eacutegyptiens pourraient indiquer que cette preacutetention se trouve aussi agrave lrsquoarriegravere-plan drsquoautres traiteacutes drsquoautant plus qursquoelle est utile pour rehausser le prestige de lrsquoenseignement et de lrsquoeacutecrit Cependant elle contraste avec la reacutealiteacute historique puisque ces textes ont eacuteteacute composeacutes et transmis en grec et que le destinataire les lit en grec Comment les auteurs hermeacutetistes peuvent-ils justifier ce contraste Une solution est drsquoenvisager une traduction et seul lrsquoauteur de CH XVI en parle
3 Traduire ou ne pas traduireLe grec et la traduction sont neacutecessaires pour une diffusion mecircme limi-teacutee Pour le lecteur moderne cette question est paradoxale puisque dans les faits la traduction nrsquoa pas eu lieu (du moins pas de lrsquoeacutegyptien vers le grec) la reacutedaction originelle eacutetant en grec En revanche dans le monde du destinataire ce paradoxe nrsquoexiste probablement pas En effet comme plusieurs de ses contemporains le destinataire antique est probablement convaincu qursquoHermegraves Trismeacutegiste est lrsquoEacutegyptien par excellence134 et qursquoil est verseacute dans les hieacuteroglyphes Pour lui la preacute-tention drsquoune production eacutegyptienne originelle renvoie agrave une reacutealiteacute aveacutereacutee Cependant des hermeacutetistes dont le porte-parole est lrsquoauteur de CH XVI 135 sont loin de justifier la traduction un nouveau paradoxe survient alors ndash le second pour le lecteur moderne mais le premier pour le destinataire ndash le texte est preacutetendument traduit en grec alors que ce mecircme texte interdit la traduction Il ne suffit pas drsquoexpliquer ces paradoxes en affirmant que lrsquoopposition au grec est un lieu commun136 ou que lrsquoauteur obligeacute drsquoeacutecrire en grec tout en partageant lrsquoopinion
134 Porphyre De lrsquoabstinence II 471 et A-J Festugiegravere laquo Une source hermeacutetique de Porphyre lrsquoEacutegyptien du De abstinentia raquo REG 49 (1936) p 586ndash595 Ceci a eacuteteacute repris par J Bouffartigue et M Patillon laquo Notices raquo in Porphyre De lrsquoabstinence Paris Les Belles Lettres 1977 p 37ndash39 et les auteurs parlent drsquoune relation laquo non pas lineacuteaire mais triangulaire (sources communes) raquo (p 39) Jean Lydus De mensibus IV 32 Jean Damascegravene La Passion de saint Arteacutemius 2810 PG 961277 AG Fowden op cit 2000 p 48
135 Sur lrsquoinspiration eacutegyptienne dans ce traiteacute P Derchain op cit 1962 p 178ndash179136 A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 17 il estime qursquoil y a laquo un lieu commun
en accord avec la mode de lrsquoorientalisme raquo et il srsquoeacutetend moins sur le sujet
118 chapitre deux
commune sur la traduction adopte lrsquoattaque comme la meilleure deacutefense possible de sa tradition137 Ces paradoxes ont une fonction speacutecifique vis-agrave-vis du destinataire mecircme si ce dernier nrsquoest conscient que drsquoun seul et pour les comprendre il est utile de replacer CH XVI dans le deacutebat contemporain sur la traduction
a Une conception hermeacutetique de la traductionLrsquoauteur de CH XVI construit une mise en scegravene reacutealiste il mecircle des eacuteleacutements passeacutes de lrsquohistoire eacutegyptienne (rocircle des protagonistes) et preacute-sents (deacutebat sur la traduction) avec la propheacutetie drsquoAscleacutepios au roi Ammon il projette dans le futur des protagonistes une situation qui est deacutejagrave preacutesente dans son propre monde Ascleacutepios apparaicirct comme le conseiller du roi Ammon au mecircme titre que son homologue eacutegyp-tien Imouthegraves aupregraves de Djoser Le roi 138 auquel Ascleacutepios conseille fortement de ne pas traduire les eacutecrits drsquoHermegraves (agrave moins que cela ne soit les siens) est preacutesenteacute comme celui qui a autoriteacute sur les ouvrages pouvant interdire leur traduction Il apparaicirct comme le protecteur des ouvrages contre toute deacuteteacuterioration dont lrsquoune des plus importantes est certainement la perte drsquoefficaciteacute due agrave une traduction inadeacutequate Ce rocircle fait songer agrave celui divergent de Ptoleacutemeacutee II dans la leacutegende sur la Septante rapporteacutee par la Lettre drsquoAristeacutee agrave Philocrate139 Ptoleacutemeacutee II ou son bibliotheacutecaire Deacutemeacutetrios de Phalegravere fit traduire les cinq livres du Pentateuque et reacuteunit pour cette entreprise soixante-douze traducteurs
laquo Puisses-tu conserver la leccedilon non traduite raquo lrsquoauteur hermeacutetiste transpose dans le monde des protagonistes le deacutebat sur la traduction de textes religieux Ces derniers sont en hieacuteroglyphes ou en hieacuteratique sacerdotal or ces eacutecritures sont de moins en moins eacutecrites lues et comprises aux alentours de lrsquoegravere chreacutetienne et ce seulement par une infime minoriteacute de lettreacutes eacutegyptiens les precirctres de la laquo Maison de Vie raquo Des textes religieux et des rituels funeacuteraires sont alors traduits en
137 G Fowden op cit 2000 p 67ndash68138 Ce rocircle du roi nrsquoest pas abordeacute par T McAllister Scott dans le chapitre qursquoil
consacre agrave la royauteacute dans la litteacuterature hermeacutetique aux pages 72ndash96 de sa thegravese139 Lettre drsquoAristeacutee agrave Philocrate II sect 11 IV et V Sur ce texte laquo La lettre drsquoAristeacutee raquo
in A-M Denis et collaborateurs Introduction agrave la litteacuterature religieuse judeacuteo-helleacutenis-tique Pseudeacutepigraphes de lrsquoAncien Testament t II Turnhout Brepols 2000 ndeg 31 p 911ndash946 avec une synthegravese reacutecente et des notes bibliographiques abondantes
maicirctre disciple et enseignement 119
deacutemotique 140 avant que le deacutemotique ne fasse lui aussi lrsquoobjet de tra-duction en grec141 ce qui conduit agrave des interactions culturelles greacuteco-eacutegyptiennes142 Dans ce contexte le grec a un certain pouvoir attractif dont lrsquoauteur hermeacutetiste est conscient En effet agrave partir de lrsquoeacutepoque helleacutenistique143 le grec srsquoimpose jusque dans les plus bas eacutechelons du fonctionnement local conduisant agrave un bilinguisme oral et eacutecrit144 des lettreacutes utilisant aussi bien le grec que le deacutemotique dans leur correspondance Cependant face agrave la traduction de textes religieux les milieux sacerdotaux eacutegyptiens sont diviseacutes en fonction de diffeacuterentes
140 Crsquoest le cas par exemple du rituel funeacuteraire des deux papyrus Rhind de lrsquoan 9 av J-C G Moumlller Die beiden Totenpapyrus Rhind des Museums zu Edinburg Leipzig JC Hinrichs 1913 Bien que le deacutemotique soit un heacuteritier de la langue eacutegyptienne classique on peut vraiment parler de traduction car la grammaire lrsquoeacutecriture et la vocalisation des mots ont changeacute Un lettreacute lisant le deacutemotique ne connaicirct pas forceacute-ment le hieacuteratique ni les hieacuteroglyphes
141 Par exemple le Songe de Nectaneacutebo et le Mythe de lrsquoœil du Soleil Cf M Chau-veau laquo Bilinguisme et traductions raquo in D Valbelle et J Leclant (dir) op cit p 36 et 38 B Rochette laquo La traduction de textes religieux dans lrsquoEacutegypte greacuteco-romaine raquo Kernos 8 (1995) p 162 Sur le pheacutenomegravene de la traduction en geacuteneacuteral en Eacutegypte aussi avec le latin B Rochette laquo Traducteurs et traductions dans lrsquoEacutegypte greacuteco-romaine raquo ChrE 69 fasc 138 (1994) p 313ndash322
142 Si ceux-ci sont essentiellement attesteacutes dans un seul sens on a pu toutefois deacutece-ler des influences grecques dans certaines œuvres eacutegyptiennes HJ Thissen laquo ldquoDer Grosse Pan ist gestorbenrdquo Anmerkungen zu Plutarch ldquoDe def or c 17rdquo raquo in F Labri-que (eacuted) op cit p 177ndash183 M Broze laquo Le rire et les larmes du deacutemiurge La cosmo-gonie de Neith agrave Esna et ses parallegraveles en grec raquo Eacutegypte Afrique et Orient 29 (2003) p 5ndash10 Voir eacutegalement des textes magiques deacutemotiques tardifs ougrave des mots grecs sont transcrits en deacutemotique lrsquoindex de JF Quack laquo Griechische und andere Daumlmonen in den spaumltdemotischen magischen Texten raquo in T Schneider (hrsg) Das Aumlgyptische und die Sprachen Vorderasiens Nordafrikas und der Aumlgaumlis Akten des Basler Kolloquiums zum aumlgyptisch-nichtsemitischen Sprachkontakt Basel 9ndash11 Juli 2003 Muumlnster Ugarit-Verlag 2004 p 489 dans le mecircme volume F Feder laquo Der Einfluss des Griechischen auf das Aumlgyptische in ptolemaumlisch-roumlmischer Zeit raquo p 509ndash521 Lire les reacuteflexions sti-mulantes de RK Ritner laquo Implicit Models of Cross-Cultural Interaction a Question of Noses Soap and Prejudices raquo in JH Johnson (ed) Life in a Multi-cultural Society Egypt from Cambyses to Constantine and Beyond Chicago The Oriental Institute of the University of Chicago 1992 p 283ndash290
143 Pour ce qui suit W Peremans laquo Le bilinguisme dans les relations greacuteco-eacutegyptien-nes sous les Lagides raquo in E Vanrsquot Dack P Van Dessel and W Van Gucht Egypt and the Hellenistic World Proceedings of the International Colloquium Leuven 24ndash26 May 1982 Louvain Publications Universitaires de Louvain 1983 p 254ndash280 P Vernus op cit 1990 p 35ndash56 idem laquo Langue litteacuteraire et diglossie raquo in A Loprieno Ancient Egyptian Literature History and Forms Leiden Brill 1996 p 555ndash567 M Chauveau op cit p 25ndash39 Voir aussi W Clarysse op cit p 53ndash58
144 Le bilinguisme grec ndash eacutegyptien srsquoajoute dans le cas des precirctres au bilinguisme ou mecircme agrave la diglossie interne agrave la culture eacutegyptienne avec drsquoune part les hieacuterogly-phes et le hieacuteratique pour la science sacreacutee et drsquoautre part le deacutemotique pour la vie quotidienne et les tacircches administratives
120 chapitre deux
conceptions de lrsquoeacutecrit et de son efficaciteacute145 Lrsquoauteur hermeacutetiste relegrave-verait du groupe condamnant la traduction et semble vouloir conjurer la reacutealiteacute Il serait probablement drsquoaccord avec ces quelques mots de B Rochette laquo Faire passer un texte religieux dans une autre langue crsquoest faire perdre aux mots leur force et faire disparaicirctre lrsquoaureacuteole que confegravere agrave la civilisation eacutegyptienne lrsquoancienneteacute raquo146 En substance crsquoest exactement ainsi qursquoil justifie sa position dans sa lettre au roi Ammon il juge seacutevegraverement la langue des Grecs simple bruit de mots lesquels nrsquoont aucune efficaciteacute Ce jugement neacutegatif et lrsquoopposition agrave la tra-duction sont partageacutes par des auteurs tels Flavius Josegravephe Jamblique et Origegravene pour qui la traduction de textes sacreacutes ou de noms divins annule leur efficaciteacute leur puissance et leur sens147
Cependant dans le contexte hermeacutetique une telle opinion neacutegative conduit agrave un second paradoxe pour le destinataire (corollaire du pre-mier) elle reviendrait agrave affirmer que CH XVI tout entier lu en grec par le destinataire nrsquoest qursquoun bruit de mots et nrsquoa aucune efficaciteacute ce qui ne ferait qursquoinvalider lrsquoenseignement en question Il est donc difficile de reacutesoudre le premier paradoxe du destinataire (un texte en grec qui interdit la traduction en grec) en se contentant de dire que la traduction est le reacutesultat du non-respect de lrsquointerdiction Pour lrsquoauteur comment rendre valide pour le destinataire un eacutecrit invalideacute par lrsquoemploi du grec Reacutepondre agrave cette question neacutecessite selon nous de prendre en compte une conception de la traduction en relation avec la diffeacuterence entre drsquoune part la lettre drsquoun texte (la λέξις) et drsquoautre
145 C Preacuteaux laquo De la Gregravece Classique agrave lrsquoEacutegypte Helleacutenistique Traduire ou ne pas traduire raquo ChrE 42 fasc 84 (1967) p 369ndash383 Lrsquoauteur relie la deacutecision de tra-duire ou non au degreacute de rationaliteacute ou drsquoefficaciteacute accordeacute au texte DN Wigtil The Translation of Religious Texts in the Greco-Roman World Thegravese 1980 Min-nesota University of Minnesota 1980 UMI Ann Arbor 1980 lrsquoauteur fait une revue rapide des diffeacuterentes positions face agrave la traduction (p 19ndash22) B Rochette op cit 1995 p 151ndash166
146 B Rochette op cit 1995 p 152147 J Dillon laquo The Magical Power of Names in Origen and Later Platonism raquo in
R Hanson and H Crouzel (eds) Origeniana tertia The Third International Collo-quium for Origen Studies (University of Manchester September 7thndash11th 1981) Roma Edizioni dellrsquoAteneo 1985 p 203ndash216 S Inowlocki laquo rsquoNeither Adding nor Omit-ting Anythingrsquo Josephusrsquo Promise not to Modify the Scriptures in Greek and Latin Context raquo Journal of Jewish Studies 561 (2005) p 48ndash65
maicirctre disciple et enseignement 121
part son contenu son sens (autour de notions comme νοῦς δύναμις ἐνεργεία etc) approche deacutejagrave mise en œuvre reacutecemment148
b Le sens et la lettre drsquoun texte le reacuteel et lrsquoapparenceAvant toute chose analysons lrsquoarchitecture du deacutebut de CH XVI Les premiers mots sont une preacutesentation de la lettre envoyeacutee au roi Ammon
μέγαν σοι τὸν λόγον ὦ βασιλεῦ διεπεμψάμην πάντων τῶν ἄλλων ὥσπερ κορυφὴν καὶ ὑπόμνημα οὐ κατὰ τὴν τῶν πολλῶν δόξαν συγκείμενον ἔχοντα δὲ πολλὴν ἐκείνοις ἀντίδειξιν φανήσεται γάρ σοι καὶ τοῖς ἐμοῖς ἐνίοις λόγοις ἀντίφωνος
Roi je te transmets cette importante leccedilon comme point drsquoorgue et aide-meacutemoire nrsquoeacutetant pas composeacutee selon lrsquoopinion de la plupart mais ayant beaucoup (drsquoopinions) contradictoires avec ceux-ci En effet elle te paraicirctra reacutesonner en deacutesaccord aussi avec quelques-unes de mes leccedilons
Ascleacutepios situe sa lettre par rapport aux autres leccedilons donneacutees au roi tant du point de vue du contenu que de celui de la progression didac-tique elle est une synthegravese de ce qursquoil a deacutejagrave enseigneacute et elle paraicirct contredire des opinions communes et des ideacutees hermeacutetiques eacutenonceacutees anteacuterieurement Un lecteur moderne relegraveverait certainement plusieurs contradictions au sein de lrsquoensemble des traiteacutes (et il ne manque pas de le faire) et agrave lrsquointeacuterieur drsquoun mecircme traiteacute Cependant il ne faut pas oublier que les philosophes de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine recherchent la symphonia entre des doctrines parfois contradictoires comme celles de Platon avec certaines theacuteories drsquoAristote ils justifient leur attitude en arguant que les doctrines ne sont contradictoires qursquoen apparence et que celui qui comprend bien srsquoaperccediloit de leur accord De plus il ne faut pas consideacuterer la philosophie et encore moins la laquo voie drsquoHer-megraves raquo comme un systegraveme de penseacutee avec une deacutemarche purement theacuteorique et abstraite149 Il est donc possible qursquoune ideacutee identique soit sous-jacente agrave la phrase drsquoAscleacutepios comme lrsquoindiquerait lrsquoemploi de φαίνομαι qui renvoie agrave lrsquoapparence plutocirct qursquoagrave la reacutealiteacute drsquoautant que ces contradictions apparentes devaient ecirctre favoriseacutees par lrsquoaspect syn-theacutetique et concis du contenu de la lettre
148 M Broze laquo La reacuteinterpreacutetation raquo op cit 2003 p 35ndash49 S Inowlocki op cit 2005 p 48ndash65 Les deux auteurs font reacutefeacuterence agrave CH XVI
149 Voir ce que nous avons deacutejagrave dit lagrave-dessus dans lrsquointroduction
122 chapitre deux
Ascleacutepios appelle agrave bien distinguer entre deux sens un apparent et lrsquoautre cacheacute Il explique cela dans les phrases suivantes
Ἑρμῆς μὲν γὰρ ὁ διδάσκαλός μου πολλάκις μοι διαλεγόμενος καὶ ἰδίᾳ καὶ τοῦ Τὰτ ἐνίοτε παρόντος ἔλεγεν ὅτι δόξει τοῖς ἐντυγχάνουσί μου τοῖς βιβλίοις ἁπλουστάτη εἶναι ἡ σύνταξις καὶ σαφής ἐκ δὲ τῶν ἐναντίων ἀσαφὴς οὖσα καὶ κεκρυμμένον τὸν νοῦν τῶν λόγων ἔχουσα καὶ ἔτι ἀσαφεστάτη τῶν Ἑλλήνων ὕστερον βουληθέντων τὴν ἡμετέραν διάλεκτον εἰς τὴν ἰδίαν μεθερμηνεῦσαι ὅπερ ἔσται τῶν γεγραμμένων μεγίστη διαστροφή τε καὶ ἀσάφεια
En effet Hermegraves mon maicirctre conversant souvent avec moi soit en particulier soit quelquefois quand Tat eacutetait preacutesent a dit laquo Agrave ceux qui lisent mes livres la composition semblera tregraves simple et claire alors qursquoau contraire elle est obscure et a le signifieacute des mots cacheacute et qursquoelle sera encore beaucoup plus obscure quand les Grecs voudront plus tard traduire de notre langue vers la leur propre ce qui serait une tregraves grande distorsion et une tregraves grande obscuriteacute des eacutecrits raquo150
Par ces quelques mots Ascleacutepios met en avant le deacutecalage entre ce qui se donne agrave lire au premier abord (composition simple et claire) et le sens veacuteritable du texte (obscur et cacheacute) il oppose ainsi la lettre du texte la λέξις et son contenu le signifieacute deacutesigneacute ici par le terme νοῦς Il justifie les contradictions apparentes dans ses eacutecrits par ce qui se passe dans les livres drsquoHermegraves de mecircme que certains ont lrsquoimpression de les comprendre alors que le signifieacute des mots est cacheacute de mecircme ils croiront deacutetecter des contradictions dans les discours drsquoAscleacutepios alors que le sens veacuteritable laquo symphonique raquo est cacheacute Lrsquoobscuriteacute des eacutecrits semble reacutesulter de lrsquoemploi de mots ou drsquoagencements de mots qui voilent la reacutealiteacute laquelle ne peut pas toujours ecirctre exprimeacutee par des vocables encore moins srsquoils sont grecs Il est remarquable que mecircme lrsquoeacutegyptien hieacuteroglyphique soit consideacutereacute comme obscur dans sa composition151 En CH XVI 2 Ascleacutepios explique alors cette gradation dans lrsquoobscuriteacute avec une comparaison entre lrsquoeacutegyptien et le grec
150 Il nrsquoest pas clair si Ascleacutepios parle de ses propres eacutecrits au style indirect il aurait donc commenceacute agrave eacutecrire alors qursquoil eacutetait toujours un disciple ce qui serait eacutetonnant Il parlerait plutocirct des eacutecrits drsquoHermegraves au style direct eacutecrits qui sont les seuls connus et qui ont la reacuteputation drsquoecirctre parfois obscurs (selon les propres dires de Tat en CH XIII 1)
151 Lrsquoauteur hermeacutetiste ne ferait-il pas ici allusion aux textes ptoleacutemaiumlques dans lesquels les scribes font des jeux de mots et de signes Sur ces jeux A Loprieno laquo Le signe eacutetymologique le jeu de mots entre logique et estheacutetique raquo in idem La Penseacutee et lrsquoeacutecriture Pour une analyse seacutemiotique de la culture eacutegyptienne Paris Cybegravele 2001 (eacutedition revue par C Zivie-Coche ) p 129ndash158
maicirctre disciple et enseignement 123
ὁ δὲ λόγος τῇ πατρῴᾳ διαλέκτῳ ἑρμηνευόμενος ἔχει σαφῆ τὸν τῶν λόγων νοῦν καὶ γὰρ αὐτὸ τὸ τῆς φωνῆς ποιὸν καὶ ἡ τῶν Αἰγυπτίων ὀνομάτων ἐν ἑαυτῇ ἔχει τὴν ἐνέργειαν τῶν λεγομένων ὅσον οὖν δυνατόν ἐστί σοι βασιλεῦ πάντα δὲ δύνασαι τὸν λόγον διατήρησον ἀνερμήνευτον ἵνα μήτε εἰς Ἕλληνας ἔλθῃ τοιαῦτα μυστήρια μήτε ἡ τῶν Ἑλλήνων ὑπερήφανος φράσις καὶ ἐκλελυμένη καὶ ὥσπερ κεκαλλωπισμένη ἐξίτηλον ποιήσῃ τὸ σεμνὸν καὶ στιβαρόν καὶ τὴν ἐνεργητικὴν τῶν ὀνομάτων φράσιν Ἕλληνες γάρ ὦ βασιλεῦ λόγους ἔχουσι κενοὺς ἀποδείξεων ἐνεργητικούς καὶ αὕτη ἐστὶν Ἑλλήνων φιλοσοφία λόγων ψόφος ἡμεῖς δὲ οὐ λόγοις χρώμεθα ἀλλὰ φωναῖς μεσταῖς τῶν ἔργων
Et lrsquoeacutenonceacute exprimeacute dans la langue paternelle possegravede le signifieacute des mots clair En effet la qualiteacute du son et lrsquo(eacutenonciation 152) des noms eacutegyptiens possegravedent en elles-mecircmes la force des choses signifieacutees Ocirc roi autant que cela trsquoest possible153 mais tu peux tout puisses-tu conser-ver non traduite la leccedilon afin que de tels mystegraveres nrsquoaillent pas chez les Grecs ni que lrsquoeacutenonciation orgueilleuse des Grecs affranchie et embellie en quelque sorte ne conduise agrave lrsquoaffaiblissement de sa puissance agrave ce qui est majestueux et ferme et agrave lrsquoeacutenonciation efficace des noms En effet ocirc roi les Grecs ont des mots vides producteurs de deacutemonstrations et telle est la philosophie des Grecs un bruit de mots Nous au contraire nous nrsquoutilisons pas des mots mais des sons pleins drsquoactions
Dans ces passages il y a certainement des reacutefeacuterences aux theacuteories clas-siques du langage qui ont cours agrave lrsquoeacutepoque Lrsquoauteur emploie un lexique emprunteacute au langage linguistique technique des grammairiens grecs λόγος φωνή διάλεκτος ψόφος νοῦς λέξις et des rheacuteteurs σεμνόν στιβαρόν καλλός Il reprend eacutegalement la distinction entre φωνή et ψόφος drsquoAristote mais pas son opposition entre λόγος et ψόφος154 puisqursquoil associe ces deux termes Lrsquoutilisation de ce vocabulaire tech-nique nrsquoest pas rigoureuse mais elle permet de distinguer le grec et lrsquoeacutegyptien dans une comparaison deacutefavorable au premier
Cette comparaison conduit agrave lrsquointerdiction de traduire lrsquoenseignement en grec Ainsi de fil en aiguille par une seacuterie de transitions passe-t-on de la question de la relation entre plusieurs eacutecrits agrave celle du contenu des eacutecrits puis agrave la traduction et agrave sa condamnation Nous pouvons reacutesumer les informations fournies par lrsquoauteur dans les deux tableaux suivants
152 Voir plus haut p 109153 On pourrait rapprocher cette proposition de lrsquoexpression κατὰ τὸ δυνατόν for-
mule courante agrave la fin des traductions qui indique les limites de la science du traducteur Avec cette proposition Ascleacutepios semble douter de la reacutealiteacute du pouvoir du roi en ce domaine mais ce doute serait conjureacute par la proposition suivante laquo tu peux tout raquo
154 W Ax op cit 2000 p 19ndash39 = op cit 1978 p 245ndash271
124 chapitre deux
Le grec est deacutepreacutecieacute car il preacutefegravere au contenu et au signifieacute lrsquoapparence avec les ornementations stylistiques qui embellissent le mot grec est laquo vide raquo il est une laquo coquille raquo155 Il srsquoaffranchit de toute contrainte se permettant des innovations Lrsquoeacutegyptien au contraire privileacutegie
155 M Broze laquo La reacuteinterpreacutetation raquo op cit 2003 p 43
Tableau 4 Apparence et reacutealiteacute des eacutecrits eacutegyptiens et grecs
Lettre au roi Eacutecrits hermeacutetique
en eacutegyptien en grec
Ce qui est apparent aux yeux du commun des lecteurs
opposition agrave drsquoautres eacutecrits hermeacutetiques
clair et simple
Ce qui est reacuteel et perccedilu seulement par un petit nombre
accord entre tous ces eacutecrits obscur et signifieacute cacheacute
tregraves obscur
Tableau 5 Comparaison des qualiteacutes de lrsquoeacutegyptien et du grec
Eacutegyptien Grecleccedilon ἑρμηνευόμενος leccedilon ἀνερμήνευτος
nature de lrsquoeacutenonciation
son φωνή bruit de mots λόγων ψόφος
qualiteacute de lrsquoeacutenonciation (φράσις)
son posseacutedant une force et rempli drsquoactions ἐνέργεια et μεσταῖς τῶν ἔργων
mots producteurs de deacutemonstration vides et affaiblissement de la puissance de lrsquoeacutenonciation efficace des noms ἀποδείξεων ἐνεργητικούς κενοὺς et ἐξίτηλον τὴν ἐνεργητικὴν τῶν ὀνομάτων φράσινorgueilleuse ὑπερήφανοςaffranchie ἐκλελυμένηembellie κεκαλλωπισμένηaffaiblissement de la puissance de ce qui est majestueux et ferme ἐξίτηλον τὸ σεμνὸν καὶ στιβαρόν
Clarteacute de la parole
obscur et signifieacute cacheacute (ἀσαφὴς et κεκρυμμένον τὸν νοῦν τῶν λόγων) dans lrsquoabsolu clair (σαφῆ τὸν τῶν λόγων νοῦν) par rapport au grec
tregraves obscur ἀσαφεστάτη
maicirctre disciple et enseignement 125
toujours le contenu le signifieacute preacuteservant ainsi sa force et son effica-citeacute Ceci est en accord avec la conception des hieacuteroglyphes comme laquo paroles divines raquo mais eacutegalement avec des conceptions grecques sur la langue des dieux qui est reacuteduite au signifieacute156 Comme beaucoup de ses contemporains lrsquoauteur hermeacutetiste srsquointeacuteresse avant tout agrave ce qui est dit et non agrave la maniegravere dont cela est dit Une telle position reviendrait alors agrave consideacuterer que tant que le contenu est preacuteserveacute la langue utiliseacutee ou les mots importent peu ils ne sont que des outils drsquoexpression Ainsi paradoxalement la traduction serait-elle reconnue tant qursquoelle maintient intact le signifieacute du texte original Le terme tech-nique μεθερμήνευω qui exprime la notion de laquo traduction raquo157 et qui est employeacute en CH XVI 2 est construit sur ἑρμήνευω laquo interpreacuteter raquo laquo exposer raquo La traduction hermeacutetique pourrait ecirctre analogue agrave celle des interpregravetes actuels qui srsquoattachent moins au mot agrave mot qursquoau sens geacuteneacuteral
Nous pouvons confronter ce passage agrave CH XII 13 qui parle de la tra-duction dans un autre contexte puisqursquoil srsquoagit de la diffeacuterence entre le son φωνή et la parole λόγος
Ε ὁ μὲν γὰρ λόγος κοινὸς πάντων ἀνθρώπων ἰδία δὲ ἑκάστου φωνή ἐστι γένους ζῴουΤ ἀλλὰ καὶ τῶν ἀνθρώπων ὦ πάτερ ἕκαστον κατὰ ἔθνος διάφορος ὁ λόγοςΕ διάφορος μέν ὦ τέκνον εἷς δὲ ὁ ἄνθρωπος οὕτω καὶ ὁ λόγος εἷς ἐστι καὶ μεθερμηνεύεται καὶ ὁ αὐτὸς εὑρίσκεται καὶ ἐν Αἰγύπτῳ καὶ Περσίδι καὶ ἐν Ἑλλάδι
H La parole est commune agrave tous les hommes mais le son est propre agrave chaque genre vivantT Mais la parole nrsquoest-elle pas diffeacuterente eacutegalement selon chaque peu-ple chez les hommes H Elle diffegravere enfant mais lrsquohomme est un de la mecircme maniegravere la parole est une et elle est interpreacuteteacutee et elle se trouve ecirctre la mecircme en Eacutegypte en Perse et en Gregravece
156 On trouverait un eacutecho de ces theacuteories chez Plutarque Sur les oracles de la Pythie 7 397 B-C les oracles reacutesultent drsquoune interaction entre le dieu et la pythie lrsquoaction du premier est de signifier σημαίνειν de donner le signifieacute et les visions tandis que la seconde offre la voix le son et le mot
157 S Inowlocki op cit 2005 p 54ndash55
126 chapitre deux
Le λόγος κοινός dont il est question est probablement une reacutefeacuterence au λόγος κοινός drsquoHeacuteraclite158 philosophe dont deux fragments ont eacuteteacute attribueacutes au Bon Deacutemon 159 La parole commune transcende les par-ticularismes linguistiques et est la mecircme quelle que soit la maniegravere dont elle est interpreacuteteacutee ou traduite160 Lrsquoauteur de CH XII envisage donc positivement la traduction ou lrsquointerpreacutetation drsquoune langue agrave une autre Cependant il ne contredit pas CH XVI 2 Reconnaicirctre lrsquouniteacute du λόγος nrsquoempecircche pas que des langues comme lrsquoeacutegyptien soient plus aptes agrave exprimer la parole commune en respectant mieux son sens et le fait que lrsquoeacutegyptien soit le plus approprieacute nrsquointerdit pas finalement la traduction en grec puisque le λόγος est identique dans les deux cas mecircme srsquoil est plus obscurci en grec Lrsquoobscuriteacute des leccedilons grecques est ainsi en quelque sorte justifieacutee
Nous pouvons aller plus loin en changeant de point de vue et en ayant recours agrave un jeu de mot autour du nom drsquoHermegraves et autour de deux polyseacutemies celle de λόγος et celle hypotheacutetique de deux expressions employeacutees par Ascleacutepios ἡ ἡμετέρα διάλεκτος et ἡ πατρῴα διάλεκτος Dans les passages citeacutes de CH XVI λόγος a trois sens 1deg laquo leccedilon raquo celle transmise par la lettre envoyeacutee au roi Ammon et les autres anteacuterieu-res 2deg laquo mots raquo toujours au pluriel avec une valeur neacutegative dans le cas des mots grecs 3deg laquo eacutenonceacute raquo laquo ce qui est exprimeacute raquo dans telle ou telle langue Les deux expressions drsquoAscleacutepios peuvent deacutesigner soit la langue maternelle ndash lrsquoeacutegyptien ndash soit la langue drsquo Hermegraves ndash si nous
158 Heacuteraclite fragments 1 et 2 Diels = fragments 77 et 119 Pradeau M Fattal Pour un nouveau langage de la raison convergences entre lrsquoOrient et lrsquoOccident Paris Beauchesne 1987 p 45 voir aussi L Couloubaritsis Aux origines de la philosophie europeacuteenne de la penseacutee archaiumlque au neacuteoplatonisme Bruxelles De Boeck-Wesmael 19942 p 53 J-F Pradeau (Heacuteraclite Fragments citations et teacutemoignages trad introd notes et bibliog par J-F Pradeau Paris Flammarion 20042 p 300ndash301) estime qursquoHeacuteraclite a une conception eacutepisteacutemologique du λόγος et non une concep-tion cosmologique
159 En CH XII 1 et 8 lrsquoauteur attribue au Bon deacutemon deux citations drsquoHeacuteraclite respectivement le fragment 50 Diels = fragment 28 Pradeau (on retrouve cette cita-tion leacutegegraverement modifieacutee en CH X 25 ) et le fragment 26 Diels = fragment 79 Pra-deau Sur Heacuteraclite dans les traiteacutes hermeacutetiques R Reitzenstein op cit 1904 p 127 NF I p 186 n 21 J Peacutepin Ideacutees grecques sur lrsquohomme et sur Dieu Paris Les Belles Lettres 1971 p 45 J-P Maheacute op cit 1982 p 307 Voir aussi L Saudelli Eraclito ad Alessandria Studi e ricerche intorno alla testimonianza di Filone Turnhout Brepols agrave paraicirctre
160 Il srsquoagit drsquoune parole qui eacutechappe au caractegravere tangible de la parole humaine au contraire du son qui renvoie agrave la mateacuterialiteacute Toute cette question meacuteriterait un deacuteveloppement plus important en relation avec les theacuteories du langage chez Platon Aristote et les Stoiumlciens deacuteveloppement qui excegravederait le cadre de lrsquoeacutetude meneacutee ici
maicirctre disciple et enseignement 127
nous placcedilons du point de vue de la chaicircne hermeacutetique Lrsquoaccent serait alors moins mis sur lrsquoeacutegyptien en tant que tel que sur lrsquoimportance de posseacuteder la langue drsquoHermegraves Cette derniegravere un laquo grec hermeacuteti-que raquo autorise des modifications seacutemantiques ndash qui respecteraient le signifieacute et le contenu de la leccedilon hermeacutetique ndash par rapport au grec commun qui selon Hermegraves ne respecterait pas les signifieacutes veacuterita-bles (voir le cas de θάνατος dans CH VIII et XII ) Agrave cela srsquoajoute un jeu de mot possible entre ἑρμήνευω au positif ou au neacutegatif et le nom Hermegraves161 en exposant la leccedilon hermeacutetique dans la langue grecque commune lrsquohermeacutetiste agit contre Hermegraves en lrsquoexprimant dans la laquo langue paternelle raquo ndash celle des Eacutegyptiens et celle drsquoHermegraves ndash il agit selon Hermegraves et srsquoinsegravere parmi ceux qui possegravedent lrsquoHermegraves commun162 Ce ne serait donc pas tant une opposition entre lrsquoeacutegyp-tien et le grec qursquoune opposition entre la langue drsquoHermegraves et celle du commun des mortels La position de Jamblique est comparable selon lrsquoanalyse de M Broze 163 les Grecs sont incompeacutetents parce qursquoils ne sont pas lieacutes agrave Hermegraves (avec un jeu de mot entre ἕρμα laquo lest raquo laquo assise raquo laquo point drsquoancrage raquo et Hermegraves164) seuls sortent du lot des philosophes comme Pythagore et Platon qui tirent leur science drsquoEacutegypte et des stegrave-les drsquoHermegraves 165 Comme chez Jamblique ce nrsquoest plus la langue elle-mecircme qui compte mais le fait drsquoappartenir agrave la chaicircne hermeacutetique et de posseacuteder la parole hermeacutetique remplissant de force et drsquoefficaciteacute ce que lrsquohermeacutetiste dira La langue nrsquoest plus qursquoun simple instrument et lrsquousage du grec est ainsi valideacute de mecircme qursquoest justifieacutee lrsquoobscuriteacute originelle de lrsquoenseignement
Ceci relegraveve du processus geacuteneacuteral de validation de la mise par eacutecrit eacutecrit qui ne srsquooppose pas agrave lrsquoobligation du secret et qui dans une cer-taine mesure protegravege lrsquoenseignement puisqursquoil en fixe le contenu et lrsquointerpreacutetation La preacutetention drsquoeacutecrire en eacutegyptien et le cadre geacuteneacuteral eacutegyptien avec le rappel des ancecirctres eacutegyptiens des protagonistes dans drsquoautres traiteacutes font de lrsquoeacutecrit un acte rituel comme lrsquoest la production de textes hieacuteroglyphiques dans les temples eacutegyptiens Cette preacutetention permet aux auteurs de transfeacuterer toutes les qualiteacutes de lrsquoeacutegyptien agrave la
161 Ce jeu de mot ancien est courant Platon Cratyle 407 e Hymne orphique 28 Hymne agrave Hermegraves v 6 Diodore de Sicile Bibliothegraveque historique I 16 Eusegravebe de Ceacutesa-reacutee Preacuteparation eacutevangeacutelique IX 27 6
162 M Broze et C van Liefferinge op cit 2002 p 35ndash44163 M Broze laquo La reacuteinterpreacutetation raquo op cit 2003 p 50ndash51164 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon VII 5 (259)165 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon I 2 (5ndash6)
128 chapitre deux
langue drsquoHermegraves celle-ci comme les hieacuteroglyphes donnerait accegraves au monde divin Lrsquoeacutecriture pareacutee de ces qualiteacutes devient un vecteur nouveau et convenable de la parole hermeacutetique Gracircce agrave elle lrsquoensei-gnement est prolongeacute dans le temps et lrsquoespace et lrsquoeacutecrit est lrsquooccasion pour le destinataire de pratiquer plusieurs activiteacutes cognitives intel-lectuelles (au sens moderne du terme) et noeacutetiques qui auraient eacuteteacute difficiles avec une transmission uniquement orale166
III Lrsquoeacutecrit au centre de plusieurs exercices spirituels
Avec le passage de lrsquooral agrave lrsquoeacutecrit le rapport du destinataire au pro-ducteur et agrave lrsquoenseignement change il devient lecteur sans que lrsquoaudi-tion soit pour autant absente167 Dans le monde des protagonistes la leccedilon orale permet une interaction vivante le maicirctre est sensible aux questionnements aux besoins et agrave la progression de son disciple et ce dernier a la possibiliteacute drsquointervenir les questions sont un moteur de lrsquoacquisition du savoir et mettent en œuvre la reacuteflexiviteacute du disciple lrsquoinvitant agrave mobiliser un savoir acquis168 le maicirctre peut ainsi veacuterifier ce que son disciple sait et comprend se donnant la possibiliteacute de reacutea-juster la suite de sa leccedilon en fonction des reacuteponses du disciple Avec la mise par eacutecrit cette activiteacute devient impossible Les traiteacutes miment imparfaitement une leccedilon orale le temps de la lecture diffegravere de celui de la leccedilon orale pauses et interruptions sont impossibles De plus le destinataire est mis en preacutesence drsquoune interaction figeacutee ougrave questions et reacuteponses sont fournies il se trouve de fait face agrave un savoir codifieacute ayant valeur drsquoautoriteacute dans ce contexte hermeacutetique
166 Sur ce thegraveme M Deacutetienne laquo Lrsquoeacutecriture et ses nouveaux objets intellectuels en Gregravece raquo in idem (dir) op cit p 7ndash26
167 Il ne faut pas oublier que dans lrsquoAntiquiteacute la lecture se faisait le plus souvent agrave voix haute le lecteur eacutetant alors eacutegalement un auditeur De plus les lectures publiques drsquoœuvres sont courantes moyen de diffusion agrave cocircteacute des copies eacutecrites Le moment ougrave la lecture silencieuse srsquoest deacuteveloppeacutee est lrsquoobjet de deacutebat BMW Knox laquo Silent Reading in Antiquity raquo Greek Roman and Byzantine Studies 94 (1968) p 421ndash435 J Svenbro Phrasikleia Anthropologie de la lecture en Gregravece ancienne Paris Eacuteditions la Deacutecouverte 1988 RJ Starr laquo Lectores and Roman Reading raquo The Classical Journal 864 (1991) p 337ndash343 MF Burnyeat laquo Postscript on Silent Reading raquo The Classical Quarterly n s 47 (1997) p 74ndash76 AK Gavrilov laquo Techniques of Reading in Classi-cal Antiquity raquo The Classical Quarterly n s 47 (1997) p 56ndash73 T Dorandi op cit p 115
168 Par exemple en CH I 20 les questions poseacutees par Poimandregraves au narrateur agrave la suite drsquoune question malheureuse de ce dernier
maicirctre disciple et enseignement 129
Cependant lrsquoeacutecrit permet la mise en œuvre de nouvelles activiteacutes cognitives veacuteritables laquo exercices spirituels raquo Nous empruntons cette expression agrave P Hadot 169 qui deacutesigne ainsi laquo des pratiques qui pou-vaient ecirctre drsquoordre physique comme le reacutegime alimentaire ou discursif comme le dialogue et la meacuteditation ou intuitif comme la contempla-tion mais qui eacutetaient toutes destineacutees agrave opeacuterer une modification et une transformation dans le sujet qui les pratiquait raquo170 modifications et transformations qui sont au cœur de la laquo voie drsquoHermegraves raquo Les exer-cices spirituels sont ici lieacutes soit agrave lrsquoacte drsquoeacutecrire soit agrave la lecture qui est lrsquoun des exercices spirituels comme lrsquoatteste Philon171 Dans ce dernier cas il est difficile de trouver des indices sur les strateacutegies de lecture car les seuls lecteurs empiriques que nous connaissons sont essentiel-lement chreacutetiens et peu drsquoentre eux semble avoir eu directement accegraves aux traiteacutes hermeacutetiques De plus leur strateacutegie de lecture ndash trouver des teacutemoignages de la sagesse passeacutee et ou de la fameuse accusation du larcin grec ndash a peu de chance de correspondre agrave celle imagineacutee par les auteurs hermeacutetistes Pour le moment seule la lecture telle que les auteurs la concevaient peut nous ecirctre accessible agrave travers leurs stra-teacutegies drsquoeacutecriture
1 Lrsquoeacutecrit et la lecture
Lrsquoeacutecrit nouveau moyen de transmission et guide pour la laquo voie drsquoHer-megraves raquo se situe dans le prolongement de lrsquoenseignement oral Deacutejagrave dans le monde des protagonistes gracircce agrave la prosopopeacutee et au style direct ce dernier cultive lrsquoimmeacutediateteacute172 malgreacute la diachronie entre les faits narreacutes et le temps de lrsquoenseignement lui-mecircme Ce proceacutedeacute se poursuit avec la mise par eacutecrit avec un texte qui mime un dialogue et se veut une
169 P Hadot laquo La physique comme exercice spirituel ou pessimisme et optimisme chez Marc Auregravele raquo Revue de theacuteologie et de philosophie 22 (1972) p 225ndash239 repris dans idem Exercices spirituels et philosophie antique Paris Albin Michel 20024 p 145ndash164 Dans ce mecircme volume de reacuteeacutedition lire laquo Exercices spirituels raquo p 19ndash74 idem op cit 1995 voir index sv laquo exercices spirituels raquo idem op cit 2001 p 144ndash158 Voir eacutegalement P Rabbow Seelenfuumlhrung Methodik der Exerzitien in der Antike Muumlnchen Koumlsel Verlag 1954
170 P Hadot op cit 1995 p 22171 Philon est le seul agrave dresser une liste des diffeacuterents exercices spirituels dans
Legum allegoriae III 18 et dans Quis rerum divinarum heres sit 253 ces deux passages diffegraverent un peu lrsquoun de lrsquoautre
172 W Osterreicher laquo Types of Orality in Text raquo in E Bakker and A Kahane Written Voices Spoken Signs Tradition Performance and the Epic Text Cambridge (Mass) Harvard University Press 1997 p 190ndash214 et surtout p 191 et 205
130 chapitre deux
repreacutesentation de lrsquooral173 Les auteurs hermeacutetistes construisent lrsquoeacutecrit comme une extension de la voix et un substitut drsquoHermegraves deacutesormais absent et aussi de la parole divine notamment gracircce au style direct abondamment utiliseacute la valeur performative de ces paroles est ainsi preacuteserveacutee comme en CH I 18 Ces paroles surtout celle drsquoHermegraves srsquoadressent au disciple et au destinataire nouveau beacuteneacuteficiaire de la reacuteveacutelation ulteacuterieure et des bienfaits de lrsquoenseignement drsquoHermegraves
Agrave priori les traiteacutes se suffisent agrave eux-mecircmes et invitent agrave une lec-ture solitaire La plupart du temps le disciple signale son intervention avec le vocatif laquo pegravere raquo et le maicirctre souligne sa reprise de parole avec le vocatif laquo enfant raquo ou celui du nom du disciple les interventions de chacun sont ainsi deacutelimiteacutees ce qui facilite la lecture des traiteacutes174 Toutefois plusieurs interpellations vocatives interviennent eacutegalement au cours drsquoune longue tirade et auraient une fonction phatique elles permettraient de retenir lrsquoattention du disciple (celui mis en scegravene et le destinataire) drsquoinsister sur un point important et de souligner lrsquointeacuterecirct drsquoun passage ou drsquoune ideacutee175 Elles peuvent aussi marquer le passage drsquoun point doctrinal agrave un autre176 ou souligner une opposition reacuteveacutelant au disciple ce qursquoil (ne) doit (pas) faire dire177 Cette inci-tation agrave agir selon certaines regravegles est agrave lrsquoarriegravere-plan de lrsquoemploi des impeacuteratifs dont plusieurs sont renforceacutes par des vocatifs qui teacutemoi-gnent que le recours agrave la deuxiegraveme personne du singulier a une valeur exhortative178 En employant des vocatifs le disciple souligne ses pro-pres eacutemotions inquieacutetude gratitude sentiment drsquoecirctre perturbeacute etc179 Lrsquoensemble contribue agrave guider le destinataire pour qursquoil reconnaisse les points importants ou qursquoil adopte une attitude similaire agrave celle du disciple
173 S Rabau op cit p 35ndash36174 Sauf en cas drsquoerreur comme cela serait le cas en NH VI 61 voir p 166 n 51175 En CH IV 3 5 VI 4 et SH 23 8 il srsquoagirait de souligner les reacutesumeacutes et les conclu-
sions bregraveves Voir aussi en CH XI 13176 Crsquoest essentiellement le cas dans SH 23 en particulier en 2338 et 2343 Voir
aussi les extraits SH 25 11 et 2514 177 Par exemple en CH IV 5 VI 3 et IX 9178 Par exemple CH V 2 8 XII 23 XVII SH 5 etc179 Dans CH I le narrateur interpelle deux fois Poimandregraves laquo Intellect raquo ou laquo mon
Intellect raquo quand il est inquiet sur la maniegravere dont il pourra acceacuteder agrave la vie en CH I 21 et quand il le remercie pour lrsquoenseignement en CH I 24 Dans CH XIII Tat interpelle Hermegraves laquo Trismeacutegiste raquo en relation avec son eacutetat interne en CH XIII 6 et 11 Voir aussi CH X 15
maicirctre disciple et enseignement 131
Des informations descriptives acquiegraverent une force exhortative et srsquoadressent moins au disciple qursquoau destinataire180 Agrave travers la voix du maicirctre les auteurs deacutecrivent parfois la reacuteaction du disciple En SH 2347 apregraves avoir deacutetailleacute ce qui advient aux hommes Isis dit λυπῇ τέκνον Ὧρε τάδε ἑρμηνευούσης σοι τῆς τεκούσης οὐ θαυμάζεις οὐ καταπλήσσῃ πῶς ὁ τάλας ἄνθρωπος ἐβαρήθη τὸ δεινότερον ἐπάκουσον laquo Tu souffres mon fils Horus alors que ta megravere trsquoexpose ces choses Nrsquoes-tu pas eacutetonneacute nrsquoes-tu pas frappeacute de stupeur ldquocomme lrsquohomme infortuneacute est accableacute drsquoun poids important rdquo181 Eacutecoute le plus terrible raquo Elle enchaicircne ensuite sur le thegraveme de la contrainte dans lrsquounivers Lrsquoauteur drsquoAscl 25 reprend le mecircme scheacutema apregraves avoir raconteacute lrsquoinvasion de lrsquoEacutegypte et ses conseacutequences tragiques en parti-culier pour le culte Hermegraves demande agrave Ascleacutepios quid fles o Asclepi laquo Pourquoi pleures-tu Ascleacutepios raquo et il poursuit en affirmant que lrsquoEacutegypte se laissa elle-mecircme aller Dans les deux exemples la descrip-tion des sentiments du disciple intervient au cours drsquoun passage sur les malheurs survenus aux hommes ou agrave lrsquoEacutegypte et elle fait transi-tion avec lrsquoeacutevocation drsquoeacuteveacutenements pires Elle a une valeur informative mais aussi et surtout performative vis-agrave-vis du lecteur auditeur
Ce dernier est ainsi transformeacute agrave deux titres par son identification agrave la figure du disciple et par lrsquoexercice de la lecture des traiteacutes dont les dialogues agissent conjointement sur les protagonistes et sur le destinataire Devons-nous alors parler de Lesemysterium agrave la suite de R Reitzenstein 182 pour qui les textes remplaceraient le culte et la lecture provoquerait une illumination salvatrice chez le lecteur modegravele Cette approche est critiqueacutee par G Fowden 183 critique que JP Soumldergard juge trop dure184 Celui-ci concilie les positions de R Reitzenstein G Fowden et JP Sorensen tout en refusant le concept de laquo mystegraveres
180 Un peu comme les lignes eacutecrites sur le papyrus repreacutesenteacute dans une scegravene drsquoeacutecole sur une coupe agrave boire de Douris la lecture de ce papyrus soustraite aux personnages figureacutes est directement preacutesenteacutee au destinataire de la coupe agrave ce sujet C Calame Masques drsquoautoriteacute fiction et pragmatique dans la poeacutetique grecque antique Paris Les Belles Lettres 2005 p 173ndash179
181 Il est possible que la proposition laquo comme lrsquohomme infortuneacute est accableacute drsquoun poids important raquo puisse ecirctre une phrase qursquoIsis attribue agrave son disciple stupeacutefait
182 R Reitzenstein op cit 19273 p 51ndash52 64 et 243ndash245 K-W Troumlger op cit 1971 p 21 35 50 et 82
183 G Fowden op cit 2000 p 221 et p 231 n 3 ougrave il souligne la contradiction entre la position de R Reitzenstein en 1904 agrave propos de CH I et celle dans Mysterien-religionen agrave propos de CH XIII
184 JP Soumldergard op cit p 114
132 chapitre deux
agrave lire raquo et le fait que la lecture puisse remplacer les actes cultuels185 Il srsquoaide des outils de la seacutemiotique pour mettre en avant le rocircle de lrsquointellect et pour consideacuterer les traiteacutes hermeacutetiques comme des textes performatifs qui ne deacutecrivent pas un acte de parole mais fonctionnent comme la performance de cet acte laquo La lecture active est une fonction performative latente du texte raquo et laquo La lecture etou la reacutecitation agis-sent comme un rite de passage raquo186 la lecture recreacuteerait dans lrsquointellect du lecteur le monde des protagonistes et le lecteur est initieacute en lisant les priegraveres et les reacutecits des visions Ceci rejoint ce que nous avons deacutejagrave dit sur lrsquointellect et sur la performativiteacute Neacuteanmoins nous pouvons nous demander quelle place JP Soumldergard accorde vraiment aux actes rituels quand il parle de la lecture comme initiation et srsquoil ajoute rapi-dement que la lecture peut se faire en petit groupe187 il nrsquoinsiste pas suffisamment sur lrsquoimportance du groupe ni sur la neacutecessiteacute drsquoun guide en chair et en os
Le groupe a pourtant un rocircle capital reflet de la situation deacutecrite dans les textes il est le milieu ougrave la relation entre le maicirctre et son disci-ple se deacuteveloppe et ougrave les mecircmes conceptions sont partageacutees De plus dans le monde des protagonistes le maicirctre est aussi important que le disciple188 ses interventions nrsquoexpliquent pas tout des explications sont laisseacutees dans lrsquoombre et drsquoautres ne semblent pas ecirctre agrave priori en rapport avec lrsquointervention du disciple189 Un maicirctre reacuteel dont Hermegraves serait le modegravele est neacutecessaire Lui seul peut attester que les condi-tions pour la performativiteacute de la lecture sont bien reacuteunies et valider lrsquoavancement du disciple Il est fort probable que la lecture accom-pagne et vienne apregraves un enseignement oral creacuteant un partenariat190 entre lrsquoeacutecrit et lrsquooral cela permet ainsi une meilleure identification du
185 JP Soumldergard op cit p 112ndash120186 JP Soumldergard op cit respectivement p 68 laquo reading activates a latent per-
formative function of the text raquo et p 120 laquo reading andor recitation act as a rite of passage raquo
187 JP Soumldergard op cit p 118ndash120188 Cette objection agrave la theacuteorie du Lesemysterium a deacutejagrave eacuteteacute avanceacutee par G Fowden
(op cit 2000 p 221)189 Ainsi en CH IV 6190 Nous empruntons le terme laquo partenariat raquo (partnership) agrave EA Havelock (The
Muse Learns to Write Reflections on Orality and Literacy from Antiquity to the Pre-sent New HavenLondon Yale University Press 1986 p 111) mecircme si celui-ci estimait qursquoapregraves Platon le partenariat entre lrsquoeacutecrit et lrsquooral nrsquoexiste plus En effet il semble consideacuterer ce partenariat surtout pour le cas de textes eacutecrits destineacutes agrave ecirctre lus publiquement Cependant de tels textes ne se limitent pas agrave la peacuteriode anteacuterieure agrave Platon
maicirctre disciple et enseignement 133
destinataire au disciple du traiteacute tous deux beacuteneacuteficiant drsquoune relation personnelle avec un maicirctre
2 Lrsquoeacutecrit et la meacutemoire
Dans toute pratique didactique dans la mesure ougrave la meacutemoire fait reculer lrsquoignorance elle joue un rocircle important surtout dans une culture qui ne peut pas se baser sur des livres facilement consulta-bles agrave chaque eacutetape de son eacuteducation lrsquoeacutetudiant devait renforcer sa meacutemoire lrsquolaquo entrepocirct de lrsquoeacuteducation raquo191 avec des exercices de gym-nastique mentale192 Lrsquoexercice de meacutemorisation est eacutegalement fonda-mental dans la pratique didactique hermeacutetique mecircme si les auteurs hermeacutetistes ne srsquoeacutetendent pas beaucoup sur ce thegraveme Ce caractegravere fon-damental transparaicirct dans lrsquoordre mis dans la bouche de Poimandregraves au deacutebut de la reacuteveacutelation primordiale ἔχε νῷ σῷ ὅσα θέλεις μαθεῖν κἀγώ σε διδάξω laquo Garde dans ton intellect ce que tu deacutesires appren-dre et moi je trsquoenseignerai raquo (CH I 3 ) lrsquoexpression laquo garder dans son intellect raquo signifiant ici laquo meacutemoriser raquo Lrsquoauteur drsquoAscl 32 transmet un ordre identique quand Hermegraves demande agrave ses trois disciples de cacher lrsquoenseignement laquo dans les secrets du cœur raquo intra secreta pectoris ougrave le cœur est agrave la fois le lieu des secrets et celui de la meacutemoire dans la droite ligne de la tradition eacutegyptienne193 Ces ordres duratifs invitent agrave une veacuteritable activiteacute mentale pour entretenir la meacutemoire
a Lrsquoacte drsquoeacutecrire un exercice de meacutemorisation et de meacuteditationEn CH I 30 le narrateur conclut le reacutecit de son instruction en affirmant ἐγὼ δὲ τὴν εὐεργεσίαν τοῦ Ποιμάνδρου ἀνεγραψάμην εἰς ἐμαυτόν laquo Et quant agrave moi jrsquoinscrivai en moi-mecircme le bienfait de Poimandregraves raquo crsquoest-agrave-dire la reacuteveacutelation qursquoil vient de recevoir Selon A-J Festugiegravere et M Philonenko cette proposition peut avoir un sens litteacuteral le pre-mier propose une traduction litteacuterale laquo jrsquoenregistrai par eacutecrit pour moi-mecircme raquo194 le second y voit une allusion agrave la pratique juive des phylactegraveres sur lesquels des versets de lrsquoEacutecriture eacutetaient inscrits195 Agrave lrsquoinverse J Buumlchli et J Holzhausen rejettent le sens litteacuteral faisant
191 laquo Storehouse of education raquo R Cribiore op cit 2001 p 167192 R Cribiore op cit 2001 p 166 Pour les textes anciens sur lrsquoimportance de la
meacutemoire Quintilien Institution oratoire I 1 19 Plutarque De lrsquoeacuteducation des enfants 13 9 EndashF Jamblique Vie de Pythagore [29] 164
193 Instructions drsquoAmenopeacute 310 et suivants Sagesse drsquoAni 74ndash5194 NF I p 26 n 75 a195 M Philonenko op cit 1979 p 372
134 chapitre deux
remarquer que lrsquoexpression τὴν εὐεργεσίαν ἀναγράφω se trouve deacutejagrave dans des inscriptions helleacutenistiques196 et chez Platon197 en rapport avec une liste de bienfaits ou de bienfaiteurs Le premier considegravere que le narrateur repreacutesente le livre ou la stegravele sur laquelle est inscrit lrsquoensei-gnement le second que le nom du bienfaiteur Poimandregraves est inscrit en ce narrateur
Cependant choisir entre une interpreacutetation meacutetaphorique et une autre litteacuterale nrsquoest pas neacutecessaire La proposition hermeacutetique est proche drsquoune image lrsquoinscription dans le cœur courante chez les philosophes depuis Platon 198 dans le monde juif 199 chez Paul 200 et les chreacutetiens de la Grande Eacuteglise ou gnostiques201 Dans le cas hermeacutetique il srsquoagit avant tout de la meacutemorisation activiteacute mentale qui srsquoaccorde parfaitement avec les transformations inteacuterieures survenues au narrateur Lrsquoauteur de CH I esquisse deacutejagrave le portrait drsquoune figure meacutemorialiste des savoirs transmis par Poimandregraves et dans ce contexte le sens litteacuteral est possi-ble drsquoautant que lrsquoeacutecriture occupe une place fondamentale dans lrsquoeacutedu-cation antique en particulier dans lrsquoeacuteducation rheacutetorique202
Nous pouvons rapprocher la proposition de CH I de NH VI 6118ndash22 ougrave Hermegraves ordonne agrave son disciple drsquoafficher la leccedilon Hermegraves lui preacutesente un cahier des charges preacutecis quant agrave lrsquoeacutecriture et aux mateacute-riaux utiliseacutes mais il ne dit rien sur la pratique de lrsquoeacutecriture elle-mecircme et tout ce que nous pouvons dire est hypotheacutetique Dans une certaine mesure le disciple doit laquo eacutediter raquo deacutefinitivement un texte et dans lrsquoAntiquiteacute lrsquoeacutecrit est soit autographe soit reacutealiseacute sous la dicteacutee cas le plus reacutepandu203 Concernant lrsquoOgdEnn il est difficile drsquoimaginer le
196 J Buumlchli op cit p 163197 J Holzhausen (bearb und hrsg) op cit 1993 p 7 n 2 le rapprochement qursquoil
fait avec Gorgias 506 c lrsquoamegravene agrave donner une traduction plus interpreacutetative laquo und Poimandres wurde bei mir als mein Wohltaumlter angeschreiben raquo (laquo et Poimandregraves a eacuteteacute inscrit en moi comme mon bienfaiteur raquo)
198 Platon Philegravebe 38 e ndash 39 a Agrave une eacutepoque contemporaine de certains traiteacutes hermeacutetiques Porphyre Lettre agrave Marcella 32 Eacute des Places laquo Notes compleacutementaires raquo in Porphyre Lettre agrave Marcella Paris Les Belles Lettres 1982 p 124 n 4
199 Jeacutereacutemie 3833 Proverbes 73200 2 Co 31ndash2 Eacutepicirctre aux Heacutebreux 810201 Hymne de la perle dans Actes de Thomas 111 55 Valentin fragment 6 = Cleacute-
ment drsquoAlexandrie Stromate VI VI 524 (citation de Eacutepicirctre aux Romains 215) C Markschies Valentinus Gnosticus Untersuchungen zur valentianischen Gnosis mit einem Kommentar zu den Fragmenten Valentins Tuumlbingen Mohr-Siebeck 1992 p 200ndash201
202 R Cribiore op cit 2001 p 231203 Ciceacuteron Lettre DCLXXXIII Att XIII 253 P Petitmengin et B Flusin laquo Le livre
antique et la dicteacutee Nouvelles recherches raquo in E Lucchesi et HD Saffrey (eacuteds) op cit
maicirctre disciple et enseignement 135
disciple en train drsquoeacutecrire sous la dicteacutee du maicirctre le contenu mecircme de la leccedilon agrave eacutediter ne srsquoy precircte guegravere Il ne srsquoagirait pas non plus drsquoun eacutecrit autographe Le disciple a pu aussi accomplir cette tacircche agrave partir de notes comme le font quelques-uns de ses contemporains204 Neacuteanmoins malgreacute lrsquoabsence drsquoindications preacutecises cela semble diffi-cile vu la meacutethode peacutedagogique drsquoHermegraves avec les expeacuteriences que le disciple doit vivre et les priegraveres Il aurait pu utiliser les notes de son maicirctre mais celles-ci si elles existaient ne contiendraient que les thegravemes principaux abordeacutes quelques sentences mais en aucun cas des donneacutees sur les expeacuteriences Toutes ces remarques sont eacutegalement valables pour CH I si nous comprenons litteacuteralement la proposition ἐγὼ δὲ τὴν εὐεργεσίαν τοῦ Ποιμάνδρου ἀνεγραψάμην εἰς ἐμαυτόν le narrateur nrsquoest pas preacutevenu de lrsquoenseignement et avec la meacutethode peacutedagogique incluant une vision il lui est difficile de prendre des notes Par conseacutequent dans les deux cas pour reacutealiser cet exercice drsquoeacutecriture le disciple est obligeacute de srsquoappuyer essentiellement sur ses propres souvenirs lrsquoeacutecriture exercice de remeacutemoration devient aussi un veacuteritable exercice de meacuteditation Le disciple hermeacutetiste se comporte ainsi comme plusieurs philosophes qui pratiquent gracircce agrave lrsquoeacutecriture lrsquoexercice spirituel de la meacuteditation205
b Lrsquoeacutecrit laquo lieu de meacutemoire raquo 206
Exercice de meacutemorisation et de meacuteditation la mise par eacutecrit fait eacutega-lement de lrsquoeacutecrit stegravele ou livre le porteur de la meacutemoire drsquoun fait et drsquoideacutees Nous avons suggeacutereacute que lrsquoauteur de CH I 30 pourrait esquisser
p 247ndash262 T Dorandi op cit p 51 et suivantes Voir eacutegalement M Richard laquo ἀπὸ φωνῆς raquo Byzantion 20 (1950) p 191ndash222 mecircme si cet article concerne une expression qui apparaicirct tardivement agrave partir du ive s apregraves J-C et qui signifie laquo drsquoapregraves lrsquoensei-gnement oral raquo ou laquo pris au cours de raquo
204 Arrien a eacutecrit les Entretiens drsquoEacutepictegravete agrave partir de notes prises en cours En preacute-face aux Entretiens dans une lettre agrave Lucius Gellius Arrien deacuteclare laquo jrsquoaffirme ne pas mecircme les avoir reacutedigeacutes (les Entretiens) mais avoir transmis du mieux possible la penseacutee drsquoEacutepictegravete raquo (traduction J Souilheacute )
205 Meacuteditations Penseacutees de lrsquoempereur philosophe Marc Auregravele les Consolations de Ciceacuteron I Hadot Le Problegraveme du neacuteoplatonisme alexandrin Hieacuteroclegraves et Simplicius Paris Eacutetudes augustiniennes 1978 p 165 I et P Hadot op cit p 53ndash54 citent Simplicius dans sa preacuteface agrave son Commentaire au Manuel (p 54) laquo car celui qui eacutecrit un commentaire srsquoaccordera inteacuterieurement de plus en plus avec ces sentences et en mecircme temps il deviendra de plus en plus conscient de leur veacuteriteacute raquo P Hadot La Citadelle inteacuterieure introduction aux ldquoPenseacuteesrdquo de Marc Auregravele Paris Fayard 1992 p 9ndash10
206 Nous reprenons cette expression agrave lrsquoentreprise dirigeacutee par P Nora sur les lieux de meacutemoire de la Nation et de la Reacutepublique citeacutee ci-dessus
136 chapitre deux
le portrait drsquoune figure meacutemorialiste Agrave lrsquoarriegravere-plan se trouve une reacutefeacuterence probable agrave lrsquoune des fonctions de Thot laquo le chroniqueur par excellence raquo 207 qui inscrit les noms des rois sur des feuilles de lrsquoarbre Isched reacutefeacuterence qui conforte lrsquoidentification entre le narrateur de CH I et Hermegraves Cette reacutefeacuterence serait eacutegalement derriegravere le qualificatif ὑπομνηματογράφος laquo meacutemorialiste raquo attribueacute agrave Hermegraves en SH 2332 et 2344 Hermegraves est celui qui eacutecrit (-γράφος) pour garder la meacutemoire (ὑπομνηματο-) de faits drsquoeacuteveacutenements et de gestes agrave lrsquoaide drsquoannales probablement208
Les deux auteurs hermeacutetistes se situent alors dans les traditions eacutegyp-tienne et grecque Dans une inscription drsquoune scegravene de preacutesentation des instruments de lrsquoeacutecriture agrave Edfou le pharaon srsquoadresse aux Djaisou personnifications de la parole performative par ces mots laquo Car vous ecirctes les dieux qui reacutepartissez la terre ceux qui ont fait commencer la meacutemoire parce qursquoils avaient eacutecrit raquo Edfou 38917ndash18 209 Le deacutecret de Memphis dans la version hieacuteroglyphique de la pierre de Rosette utilise
le terme Oslash sš pour deacutesigner les eacutecritures hieacuteroglyphique et deacutemotique 210
mais pour lrsquoeacutecriture grecque il a recours agrave SwyW shꜢy un terme pro-venant du causatif signifiant laquo rappeler raquo laquo faire souvenir raquo mettant ainsi en relation lrsquoeacutecriture grecque avec lrsquoideacutee de meacutemoire211 Du cocircteacute grec Platon qui ne tient pas toujours lrsquoeacutecrit en haute estime considegravere qursquoune de ses rares utiliteacutes est drsquoecirctre un laquo aide-meacutemoire raquo ὑπόμνημα temporaire212 Ce terme est proche du titre donneacute agrave des eacutecrits antiques les ἀπομνημονεύματα laquo Meacutemoires raquo qui deviennent laquo un veacuteritable genre
207 K Nordh op cit p 123 laquo the chronicler par excellence raquo Pour une repreacutesenta-tion HH Nelson and WJ Murnane The Great Hypostyle Hall at Karnak vol 11 The Wall Reliefs Chicago The Oriental Institute of the University of Chicago 1981 planche 192 ougrave Thot inscrit le nom de Seacutethi Ier D Kurth laquo Thot raquo LAuml VI 1986 col 508
208 Parmi de nombreuses attestations ce terme qualifie aussi le magistrat drsquoAlexandrie chargeacute de lrsquoenregistrement et des archives dont Strabon parle dans sa Geacuteographie XVII 112 Strabon Le Voyage en Eacutegypte Un regard romain traduction P Charvet commen-taires de J Yoyotte et S Gompertz Paris Nil eacuteditions 1997 p 96 n 141 et p 97
209 P Derchain laquo Des usages de lrsquoeacutecriture Reacuteflexions drsquoun savant eacutegyptien raquo ChrE 72 fasc 143 (1997) p 10ndash15 et surtout p 14ndash15
210 Respectivement dans les expressions laquo eacutecriture des paroles divines raquo et laquo eacutecriture des documents raquo
211 S Quirk and C Andrews The Rosetta Stone Facsimile Drawing with an Intro-duction and Translation London The Trustees of the British Museum 1988 F Dau-mas op cit 1952 p 188
212 Platon Lettre VII 344 d M Vegetti op cit p 404 et suivantes A-M Richard LrsquoEnseignement oral de Platon une nouvelle interpreacutetation du platonisme Paris Cerf 1986 p 52ndash55
maicirctre disciple et enseignement 137
litteacuteraire caracteacuteriseacute par le fait que leur auteur est un disciple qui a vu suivi et eacutecouteacute son maicirctre de philosophie dont il rapporte les paroles et les gestes raquo et qui en vient agrave deacutesigner les eacutevangiles chez Justin 213
Lrsquoeacutecrit hermeacutetique en mimant des dialogues et en reacuteduisant au mini-mum la preacutesence de lrsquoauteur apparaicirct comme le lieu de la meacutemoire hermeacutetique assurant ainsi la peacuterenniteacute de la laquo voie drsquoHermegraves raquo en lrsquoab-sence de ce dernier et de disciples dignes En SH 236ndash7 Isis apprend agrave Horus qursquoHermegraves grava sur des stegraveles tout ce qursquoil avait compris et qursquoil les cacha avant de remonter vers les cieux Les stegraveles apparaissent ici comme les porteurs de la meacutemoire drsquoHermegraves eacutevitant agrave ses deacutecouvertes de tomber dans lrsquooubli Crsquoest par ailleurs ce qursquoAscleacutepios deacuteclare au roi Ammon dans sa lettre il annonce que cet eacutecrit sera le laquo point drsquoor-gue raquo κορυφή et lrsquolaquo aide-meacutemoire raquo ὑπόμνημα crsquoest-agrave-dire la synthegravese et la touche finale de tous les autres eacutecrits adresseacutes agrave ce roi Il classe aussi son eacutecrit parmi le genre des ὑπομνήματα en en faisant un eacutecrit que le destinataire doit meacutediter En CH XIII 13 passage dont il a deacutejagrave eacuteteacute question lrsquoauteur utilise ὑπομνηματίζομαι Selon A-J Festugiegravere ce serait une attestation de la deuxiegraveme des trois eacutetapes qursquoil distingue dans les pratiques scolaires de lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine en srsquoappuyant sur les teacutemoignages de Jamblique et de Proclus 214 lrsquoenseignement oral preacutesent dans une grande partie des traiteacutes hermeacutetiques en particulier avec le proceacutedeacute des questions et des reacuteponses les cours eacutecrits et A-J Festugiegravere mentionne la lettre drsquoHermegraves agrave Ascleacutepios et CH XIII 13 la mise au net et lrsquoeacutedition drsquoeacutecrits composeacutes Le savant dominicain traduit ὑπομνηματίζομαι par laquo consigner sur des cahiers de cours raquo215 Cependant cette traduction est-elle vraiment la plus adeacutequate dans le contexte hermeacutetique de CH XIII 13 et nrsquoest-elle pas trop restrictive
Ce verbe comme ὑπόμνημα dont il deacuterive est reacuteguliegraverement utiliseacute dans le contexte de lrsquoenseignement scolaire antique216 Son sens obvie est
213 G Aragione laquo Justin ldquophilosopherdquo chreacutetien et les ldquoMeacutemoires des Apocirctres qui sont appeleacutes Eacutevangilesrdquo raquo Apocrypha 15 (2004) p 41ndash56 et p 43 pour la deacutefinition De maniegravere plus geacuteneacuterale pour la relation entre eacutecrit et meacutemoire chez les chreacutetiens E Norelli laquo La notion de ldquomeacutemoirerdquo nous aide-t-elle agrave mieux comprendre la forma-tion du canon du Nouveau Testament raquo in PS Alexander et J-D Kaestli (eacuteds) The Canon of Scripture in Jewish and Christian Tradition Lausanne Eacuteditions du Zegravebre 2007 p 169ndash206 et surtout p 196ndash206
214 A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 28ndash50215 A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 41216 LSJ 1889 J Ruumlpke laquo Commentarii raquo in H Cancik und H Schneider (hrsg) Der
Neue Pauly Enzyklopaumldie der Antike Band 3 Stuttgart-Weimar JB Metzler 1997 col 99ndash100 F Montanari laquo Hypomnegravema raquo in H Cancik und H Schneider (hrsg)
138 chapitre deux
laquo noter pour meacutemoire raquo laquo eacutecrire des meacutemoires ou des annales raquo laquo enre-gistrer raquo217 ὑπόμνημα possegravede un champ seacutemantique vaste laquo meacutemo-rial raquo laquo notes pour un meacutemorandum raquo laquo minutes raquo laquo les directives raquo laquo notices raquo laquo comptes raquo il indique aussi parfois des listes de choses et de personnes Agrave lrsquoeacutepoque helleacutenistique il deacutesigne le laquo traiteacute raquo le laquo texte (drsquoun livre) raquo ou le commentaire exeacutegeacutetique continu avec preacutesence des lemmes commenteacutes composeacute par les savants drsquoAlexandrie qui eacuteditent eacutetudient et commentent les œuvres des auteurs anciens218 Lrsquoeacuteventail des documents eacutecrits inclus dans la cateacutegorie des ὑπομνήματα est donc large Leur caracteacuteristique principale est leur non-diffusion aupregraves drsquoun large public219 Si lrsquoὑπόμνημα peut repreacutesenter pour son auteur une version deacutejagrave acheveacutee de son œuvre son style laisserait parfois agrave deacutesirer220 Certains auteurs anciens en viennent ainsi agrave utiliser ce terme pour qualifier une œuvre dont ils critiquent le manque de style crsquoest le cas de Longin pour les œuvres de Plotin221 Ces indications per-mettent de mieux comprendre lrsquoemploi hermeacutetique Le but de lrsquoac-tiviteacute du maicirctre ainsi deacutesigneacutee est drsquoeacuteviter que lui et son disciple ne diffament le tout et Dieu aupregraves de la foule εἰς ὃν ὑπεμνηματισάμην ἵνα μὴ ὦμεν διάβολοι τοῦ παντὸς εἰς τοὺς πολλούς222 Ce risque de diffamation est encouru notamment quand lrsquoenseignement est laisseacute agrave
Der Neue Pauly Enzyklopaumldie der Antike Band 5 Stuttgart-Weimar JB Metzler 1998 col 813ndash815 T Dorandi op cit p 91 et 127 M Armisen-Marchetti laquo Intro-duction raquo in Macrobe Commentaire au songe de Scipion Livre I Paris Les Belles Lettres 2001 p xxndashxxiv
217 Cette traduction est adopteacutee par P Peacutedech en 1961 dans sa traduction de Polybe Histoires V 335 οἱ τὰ κατὰ καιροὺς ἐν ταῖς χρονογραφίαις ὑπομνηματιζόμενοι πολιτικῶς εἰς τοὺς τοίχους laquo ceux qui sont chargeacutes [ ] drsquoenregistrer les eacuteveacutenements successifs en des tableaux chronologiques sur les murs raquo
218 H Maehler laquo Lrsquoeacutevolution mateacuterielle de lrsquohypomnegravema jusqursquoagrave la basse eacutepoque raquo in M-O Goulet-Cazeacute (dir) Le Commentaire entre tradition et innovation Actes du colloque international de lrsquoInstitut des traditions textuelles (Paris et Villejuif 22ndash25 septembre 1999) Paris Vrin 2000 p 29ndash36 et surtout p 29 et 35
219 Galien distingue les eacutecrits destineacutes agrave une diffusion large les συγγράμματα πρὸς ἔκδοσιν et ceux destineacutes agrave un public restreint les ὑπομνμήματα οὐ πρὸς ἔκδοσιν dans le prologue de Sur ses propres livres Voir aussi Jamblique Vie de Pythagore [23] 104 ndash qui transpose de maniegravere anachronique les pratiques de son temps agrave celui des disciples directs de Pythagore ndash et Marinus Proclus ou sur le bonheur 3 Τ Dorandi op cit p 78ndash81
220 Τ Dorandi op cit p 77ndash101221 Longin fragment 11 32ndash34 = Porphyre Vie de Plotin 1932ndash34 L Brisson et
AP Segonds laquo notes raquo in L Brisson M-O Goulet-Cazeacute et alii Porphyre La Vie de Plotin t 2 Eacutetudes drsquointroduction texte grec et traduction franccedilaise commentaire notes compleacutementaires bibliographie Paris Vrin 1992 p 283
222 La construction de ce verbe avec la preacuteposition εἰς est courante Polybe Histoi-res V 335 Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres IX 109
maicirctre disciple et enseignement 139
la libre interpreacutetation des disciples qui devaient srsquoaider seulement de leur meacutemoire ou de leurs propres notes srsquoils pouvaient en prendre Le meilleur moyen drsquoeacutecarter ce danger est de fixer par eacutecrit les ideacutees et opinions avec des commentaires sur les termes et notions difficiles Il srsquoagirait moins de notes de cours ndash qui seraient surtout destineacutees agrave aider le maicirctre dans son enseignement ndash que drsquoaide-meacutemoire et de commentaires au sens eacutetymologique de ce terme ougrave lrsquoaccent est mis sur la meacutemoire223 Ils eacutevitent de diffamer Dieu aupregraves de la foule tout en permettant drsquoinculquer agrave ceux qui sont choisis les opinions correc-tes puisqursquoils ont eacuteteacute composeacutes soit par le maicirctre lui-mecircme soit sous son autoriteacute
Ces eacutecrits pourraient deacutejagrave constituer une version acheveacutee dans lrsquoes-prit du maicirctre et ne pas avoir un style eacuteleacutegant En effet lrsquohermeacutetiste est inteacuteresseacute non par la lettre la forme la λέξις drsquoun texte mais par son contenu et son sens son νοῦς De plus agrave lrsquoinverse de plusieurs philosophes224 il semble mettre en avant le caractegravere obscur et secret de lrsquoeacutecrit En CH XVI 1 si Ascleacutepios critique lrsquoeacutecriture grecque qui obscurcit il reconnaicirct que les eacutecrits drsquoHermegraves en eacutegyptien sont deacutejagrave obscurs En CH XIV 1 Hermegraves preacutesente agrave Ascleacutepios la nature de la lettre qursquoil lui adresse σοὶ δὲ ἐγὼ τῶν λεχθέντων τὰ κυριώτατα κεφάλαια ἐκλεξάμενος δι᾿ ὀλίγων ἠθέλησα ἐπιστεῖλαι μυστικώτερον αὐτὰ ἑρμηνεύσας ὡς ἂν τηλικούτῳ καὶ ἐπιστήμονι τῆς φύσεως laquo Mais pour toi ayant choisi les points essentiels les plus importants de ce qui a eacuteteacute dit jrsquoai voulu te les envoyer en peu de mots les exposant de maniegravere tregraves secregravete puisque tu es aussi acircgeacute et que tu as la science de la nature raquo Hermegraves annonce clairement que la suite de la lettre ne sera pas aussi claire en raison de lrsquoavancement drsquoAscleacutepios225 Cette lettre est une seacuterie de κεφάλαια terme qui renvoie ici au contenu des points essentiels de lrsquoenseignement anteacuterieur226 Ce terme est eacutegalement
223 Le latin commentarius qui donna le franccedilais laquo commentaire raquo est lieacute eacutetymologi-quement au verbe commentor (laquo avoir ou se remettre dans lrsquoesprit raquo) et au substantif mens Cf M Armisen-Marchetti op cit p xx
224 Plotin reproche aux gnostiques drsquoemployer une profusion lexicale et de ne pas avoir recours comme les Grecs agrave des ideacutees claires et des termes simples traiteacute 33 (Enn II 9) 6
225 Nous retrouvons signaleacutee par A-J Festugiegravere dans NF II p 220 n 2 une dis-tinction analogue chez Proclus Commentaire sur la Reacutepublique I 7912 et suivants et 8113 et suivants agrave propos de deux types de mythes en fonction de lrsquoavancement du disciple
226 Sur les diffeacuterents sens de κεφάλαιον M-O Goulet-Cazeacute laquo Lrsquoarriegravere-plan sco-laire de la Vie de Plotin raquo in L Brisson M-O Goulet-Cazeacute et alii Porphyre La
140 chapitre deux
utiliseacute par Hermegraves dans SH 11 pour qualifier ce qui ressemble agrave de courtes maximes ou sentences analogues aux Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius conserveacutees en armeacutenien νῦν δέ ὦ τέκνον ltἐνgt κεφαλαίοις τὰ ὄντα διεξελεύσομαι νοήσεις γὰρ τὰ λεγόμενα μεμνημένος ὧν ἤκουσας laquo Mais maintenant enfant je vais exposer les ecirctres au moyen de sentences en effet tu comprendras mes paroles en te remeacutemorant ce que tu as entendu (auparavant) raquo
Le genre des sentences ou maximes est couramment utiliseacute dans lrsquoenseignement antique notamment dans les premiers stades car elles frappaient le disciple en raison de leur concision227 Cependant les courtes sentences hermeacutetiques ne sont pas propeacutedeutiques Leur uti-lisation serait analogue agrave celle des Penseacutees de Marc Auregravele qui ont eacuteteacute eacutecrites pour aider lrsquoempereur en ne preacutesentant que les points prin-cipaux le maicirctre hermeacutetiste oblige son disciple agrave combler les vides agrave revenir sur les acquis anteacuterieurs et agrave se les meacutemoriser228 leur mise par eacutecrit attesteacutee dans le monde des protagonistes seulement pour la lettre CH XIV permet un retour continuel agrave ces sentences ou points prin-cipaux stimulant et ravivant la meacutemoire tout en approfondissant la meacuteditation Avec le caractegravere obscur en particulier pour les κεφάλαια de CH XIV le maicirctre incite son disciple agrave mener solitairement un tra-vail drsquoexeacutegegravese afin de deacutecouvrir le sens cacheacute de ce qui est eacutecrit
Lrsquoeacutecrit entretient ainsi un rapport tregraves eacutetroit avec la meacutemoire Lrsquoactiviteacute mecircme drsquoeacutecrire est un exercice de meacutemorisation pour le scrip-teur hermeacutetiste puisqursquoil doit se rappeler et remettre en forme ce qursquoil a entendu vu et veacutecu Cette activiteacute drsquoeacutecriture acheveacutee lrsquoexercice de la meacutemoire se poursuit en permettant au scripteur et au destinataire de revenir reacuteguliegraverement sur le contenu de lrsquoenseignement Cela geacutenegravere chez les hermeacutetistes diffeacuterentes activiteacutes noeacutetiques comme la reacuteflexion et la meacuteditation Ainsi il ne srsquoagit pas simplement de la meacutemoire qui fait reculer les frontiegraveres de lrsquooubli mais drsquoune pratique inteacuterieure qui agit en profondeur sur lrsquohermeacutetiste
Vie de Plotin t 1 Travaux preacuteliminaires et index grec complet Paris Vrin 1982 p 317ndash320
227 I Hadot op cit 1978 p 161ndash163228 E von Ivanka laquo κεφάλαια Eine byzantinische Literaturform und ihre anti-
ken Wurzeln raquo Byzantinische Zeitschrift 47 (1954) p 285ndash291 P Hadot op cit 1972 p 225ndash239 P Hadot op cit 2001 p 100ndash102 M Alexandre laquo Le travail de la sentence chez Marc-Auregravele philosophie et rheacutetorique raquo La Licorne 3 (1979) p 125ndash158
maicirctre disciple et enseignement 141
3 Lrsquoeacutecrit et la contemplation
Lrsquoexpression latine laquo secrets du cœur raquo deacutejagrave eacutetudieacutee est analogue agrave celle drsquoApuleacutee laquo secret de mon cœur raquo dans les Meacutetamorphoses XI 25 laquo Tes traits divins ta personne sacreacutee je les garderai enfermeacutes agrave jamais dans le secret de mon cœur et en esprit je les contemplerai raquo Agrave cocircteacute des ideacutees du silence et de la meacutemorisation Apuleacutee ajoute celle de la contemplation Si le lien entre contemplation et la mention du cœur est possible en Ascl 32 il est explicite en CH IV 11
αὕτη οὖν ὦ Τάτ κατὰ τὸ δυνατόν σοι ὑπογέγραπται τοῦ θεοῦ εἰκών ἣν ἀκριβῶς εἰ θεάσῃ καὶ νοήσεις τοῖς τῆς καρδίας ὀφθαλμοῖς πίστευσόν μοι τέκνον εὑρήσεις τὴν πρὸς τὰ ἄνω ὁδόν μᾶλλον δὲ αὐτή σε ἡ εἰκὼν ὁδηγήσει
Voici donc Tat lrsquoimage de Dieu esquisseacutee pour toi selon ce qursquoil eacutetait possible si tu la contemples scrupuleusement et si tu la conccedilois avec les yeux du cœur crois-moi enfant tu trouveras le chemin vers les choses drsquoen haut ou plutocirct lrsquoimage elle-mecircme te guidera
Lrsquoimage de Dieu dont Hermegraves parle correspond agrave la leccedilon qui preacutecegravede et ne peut ecirctre contempleacutee que de maniegravere noeacutetique gracircce aux yeux du cœur Une telle contemplation est anagogique et agrave la suite du maicirctre et de sa leccedilon guide le disciple vers les choses drsquoen haut et vers Dieu229
Gracircce agrave la mise en œuvre de plusieurs laquo exercices spirituels raquo (lec-ture meacutemorisation meacuteditation et contemplation) lrsquoeacutecrit est impor-tant pour la transmission des savoirs ougrave il complegravete lrsquoenseignement oral sans le remplacer Ce rocircle de lrsquoeacutecrit pose la question de lrsquoexistence de collections ou de corpus hermeacutetiques antiques
IV La mise en corpus de textes hermeacutetiques
Lrsquoeacutepoque ougrave la majoriteacute des traiteacutes ont eacuteteacute reacutedigeacutes entre le Ier et la fin du IIIe siegravecle est prolifique en matiegravere de corpus et de collec-tions regroupant soit des genres courts chries ou sentences tels les Sentences de Sextus 230 soit des traiteacutes drsquoun mecircme auteur tels les Lettres
229 Pour plus drsquoinformations sur ce passage voir A Van den Kerchove laquo Lrsquoimage de Dieu lrsquoaimant et le fer La repreacutesentation du divin dans le traiteacute hermeacutetique CH IV raquo Mythos Rivista di Storia delle Religioni nuova serie 2 (2008) p 77ndash86
230 H Chadwick op cit dont lrsquoopinion est reacuteviseacutee leacutegegraverement par P-H Poirier op cit 1983 p 12 et suivantes
142 chapitre deux
socratiques 231 les lettres pauliniennes232 ou les canons bibliques en cours de formation233 Mentionnons eacutegalement les diffeacuterents codices de Nag Hammadi qui rassemblent des eacutecrits drsquohorizons divers pour former ce qui est souvent appeleacute la laquo bibliothegraveque raquo copte de Nag Hammadi234 Ces collections permettent de laquo rationaliser raquo la diffusion de traiteacutes de codifier dans une certaine mesure le texte et de contribuer agrave la forma-tion drsquoune tradition qui fait autoriteacute 235 Elles sont eacutegalement utiles pour lrsquoenseignement en particulier les genres courts employeacutes comme pro-peacutedeutique agrave lrsquoenseignement philosophique Dans ce contexte geacuteneacuteral lrsquoexistence de collections ou de corpus hermeacutetiques est envisageable
Lrsquoadjectif hermeacutetique peut se comprendre en deux sens un regrou-pement de textes ou drsquoextraits hermeacutetiques reacutesultat drsquoune volonteacute non hermeacutetique ou bien un regroupement de textes et drsquoextraits drsquohori-zons divers reacuteunis par des hermeacutetistes ndash ce qui nrsquoempecircche pas une utilisation ulteacuterieure de ces collections par des lecteurs non hermeacutetis-tes Crsquoest surtout ce dernier sens qui va nous inteacuteresser dans les pages qui suivent La question de collections hermeacutetiques a deacutejagrave eacuteteacute abordeacutee par J-P Maheacute et G Fowden pour eacutetudier respectivement le passage
231 L Brisson op cit 1987 p 14232 H Gamble laquo The Redaction of the Pauline Letters and the Formation of the
Pauline Corpus raquo JBL 94 (1975) p 403ndash418 Voir aussi idem laquo The New Testa-ment Canon Recent Research and the Status Quaestionis raquo in LM McDonald and JA Sanders The Canon Debate Peabody (Mass) Hendrickson Publishers 2002 p 282ndash287
233 Y-M Blanchard Aux sources du canon le teacutemoignage drsquoIreacuteneacutee Paris Cerf 1993 A Le Boulluec laquo Le problegraveme de lrsquoextension du canon des Eacutecritures aux pre-miers siegravecles raquo Recherches de science religieuse 921 (2004) p 45ndash87 PS Alexander et J-D Kaestli (eacuteds) op cit
234 MA Williams laquo Interpreting the Nag Hammadi Library as ldquoCollection(s) in the History of Gnosticism(s)rdquo raquo in L Painchaud et A Pasquier Les Textes de Nag Hammadi et le problegraveme de leur classification Actes du colloque tenu agrave Queacutebec du 15 au 19 septembre 1993 QueacutebecLouvainParis Les Presses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 1995 p 3ndash50 ML Turner The Gospel According to Philip the Sources and Coherences of an Early Christian Collection Leiden Brill 1996 S Emmel laquo Religious Tradition Textual Transmission and the Nag Hammadi Codices raquo in A McGuire and JD Turner (eds) The Nag Hammadi Library after Fifty Years Proceedings of the 1995 Society of Biblical Literature Commemoration Leiden Brill 1997 p 34ndash43
235 Ce serait en particulier le cas des ritualistes qui collecteraient des formules et nous trouverions dans les PGM les deacutebuts de systegravemes de classification HD Betz laquo The Formation of Authoritative Tradition in the Greek Magical Papyri raquo in BF Meyer and EP Sanders (ed) Jewish and Christian Self-Definition vol 3 Self-Definition in the Graeco-Roman World London SCM Press 1982 p 161ndash170 et 236ndash38
maicirctre disciple et enseignement 143
drsquoune seacuterie de sentences agrave lrsquoeacutecriture de tout un traiteacute236 et lrsquohistoire et la transmission des textes237 Revoir cette question semble neacutecessaire au vu de documents nouveaux et cela en se placcedilant dans lrsquooptique de la pratique didactique La documentation hermeacutetique agrave notre dis-position provient de deux types de sources 1deg les sources indirectes avec les citations ou paraphrases de textes hermeacutetiques par des auteurs contemporains surtout des chreacutetiens en premier lieu Jean Stobeacutee et son Anthologie 2deg les sources directes que nous pouvons subdiviser en deux groupes 2deg- a- les papyrus drsquoeacutepoque en nombre reacuteduit et 2deg- b- les manuscrits du Moyen-Acircge et de la Renaissance crsquoest-agrave-dire surtout lrsquoactuel Corpus hermeticum
1 Des corpus hermeacutetiques antiques
Comme la mise par eacutecrit reacuteunir des textes en collection ou en corpus laquo modifie le statut des textes qursquoon y inclut raquo238 et suppose une orga-nisation et un classement Les titres des œuvres peuvent parfois ecirctre lrsquoindice drsquoune telle organisation drsquoautant plus que dans lrsquoAntiquiteacute comme aujourdrsquohui beaucoup de titres ne sont pas lrsquoœuvre de lrsquoauteur lui-mecircme239 La mise en corpus ou en collection reacutepond agrave des critegrave-res preacutecis qui deacutependent du but assigneacute au regroupement et qui en orientent le contenu Avec sa Vie de Plotin chapitre 24 Porphyre est un bon teacutemoin de ce travail effectueacute sur les traiteacutes au moment de leur insertion dans un corpus adoption drsquoun agencement theacutematique qui suit la progression didactique et ougrave la premiegravere place est laisseacutee aux
236 J-P Maheacute op cit 1982 p 308 et suivantes237 G Fowden op cit 2000 p 19 et suivantes238 A Desreumaux laquo Les titres des œuvres apocryphes chreacutetiennes et leurs cor-
pus le cas de la ldquoDoctrine drsquoAddaiumlrdquo syriaque raquo in M Tardieu (eacuted) La Formation des canons scripturaires Paris Cerf 1993 p 205
239 J-D Dubois laquo Les titres du Codex I (Jung) de Nag Hammadi raquo in M Tardieu (eacuted) op cit 1993 p 219ndash235 P Tombeur laquo Le vocabulaire des titres problegravemes de meacutethode raquo in J-C Fredouille M-O Goulet-Cazeacute et alii Titres et articulations du texte dans les œuvres antiques Actes du colloque international de Chantilly 13ndash15 deacutecembre 1994 Paris Institut drsquoEacutetudes augustiniennes 1997 p 559 P-H Poirier laquo Titres et sous-titres incipit et desinit dans les codices de Nag Hammadi et de Ber-lin Description et eacuteleacutements drsquoanalyse raquo in J-C Fredouille M-O Goulet-Cazeacute et alii op cit p 339ndash383 A Desreumaux op cit p 204ndash205
144 chapitre deux
questions les plus simples240 ajout drsquoune ponctuation correction des fautes241 Qursquoen est-il pour les hermeacutetistes
Les leccedilons hermeacutetiques conserveacutees mentionnent plusieurs fois lrsquoex-pression γενικοὶ λόγοι Leccedilons geacuteneacuterales CH X 1 et 7 XIII 1 SH 31 SH 61 NH VI 632ndash3 P Berol 17 027 A 242 et P Vindob G 29 456r et 29 828r fragment B Le pluriel indique qursquoil srsquoagit drsquoune seacuterie de leccedilons dont aucune nrsquoaurait drsquoexistence autonome Les Leccedilons geacuteneacute-rales concerneraient des sujets varieacutes la diviniteacute les acircmes le mouve-ment les deacutecans etc Tous ces thegravemes sont probablement abordeacutes de maniegravere geacuteneacuterale les preacutecisions eacutetant apporteacutees lors des leccedilons plus particuliegraveres consacreacutees chacune agrave un ou deux thegravemes Adresseacutees agrave Tat disciple jeune et moins avanceacute qursquoAscleacutepios selon SH 237 et CH XIV 1 ces Leccedilons geacuteneacuterales seraient avant tout destineacutees agrave des deacutebu-tants Malgreacute les nombreuses mentions il nous est difficile de leur rat-tacher lrsquoun ou lrsquoautre des traiteacutes conserveacutes Certains savants ont donc douteacute de leur existence Srsquoil est impossible pour le moment de trancher deacutefinitivement la question on ne peut en revanche douter de lrsquoexis-tence drsquoautres corpus hermeacutetiques antiques
P Vindob G 29 456r et 29 828r fragment B donne le texte de la fin drsquoun traiteacute hermeacutetique et le deacutebut drsquoun autre adresseacute agrave Tat La transi-tion entre les deux est marqueacutee par un espace vide et une numeacuterota-tion λόγος θ en conclusion drsquoun traiteacute et λόγος ῑ comme titre du traiteacute suivant Nous aurions lagrave affaire aux restes drsquoune collection hermeacutetique de leccedilons Cyrille drsquoAlexandrie dans son Contre Julien cite plusieurs
240 Porphyre choisit lrsquoordre theacutematique en imitant des preacutedeacutecesseurs comme Apol-lodore drsquoAthegravenes et Andronicus le Peacuteripateacuteticien consideacuterant que les traiteacutes ont eacuteteacute chronologiquement produits laquo pecircle-mecircle raquo (φύρδην) Les eacutediteurs contemporains com-mencent agrave revenir agrave lrsquoordre chronologique qui reacutevegravele souvent une coheacuterence dans lrsquoeacutecriture des traiteacutes comme A Schniewind le montre pour le traiteacute 46 (Enn I 4) et ceux eacutecrits avant et apregraves celui-ci (A Schniewind LrsquoEacutethique du sage chez Plotin Le paradigme du spoudaios Paris Vrin 2003 p 54ndash55) Voir aussi la question du laquo Grand Traiteacute raquo avec les traiteacutes 30 agrave 33 mise en avant la premiegravere fois dans R Har-der laquo Ein neue Schrift Plotins raquo Hermegraves 71 (1936) p 1ndash10 et reprise reacutecemment par P Hadot dans sa communication laquo Le plan du traiteacute 33 et lrsquohypothegravese du ldquoGrand Traiteacuterdquo raquo lors du seacuteminaire-colloque laquo Thegravemes et problegravemes du traiteacute 33 de Plotin contre les gnostiques raquo organiseacute par M Tardieu avec la collaboration de P Hadot au collegravege de France les 7 et 8 juin 2005 Sur le classement adopteacute par Porphyre HD Saffrey laquo Pourquoi Porphyre a-t-il eacutediteacute Plotin Reacuteponse provisoire raquo in idem op cit 2000 p 3ndash26 et surtout p 17ndash19
241 Vie de Plotin 26242 Selon la nouvelle eacutedition que nous en donnons A Van den Kerchove op cit
2006 p 162ndash180
maicirctre disciple et enseignement 145
fois des passages hermeacutetiques et pour quelques-uns il donne une numeacuterotation ὁ αὐτός ἐν λόγῳ πρώτῳ τῶν πρὸς τὸν Τὰτ διεξοδικῶν οὕτω λέγει περὶ θεοῦ laquo Celui-ci (Hermegraves) dans la premiegravere leccedilon de ses Leccedilons deacutetailleacutees agrave Tat parle ainsi au sujet de Dieu raquo (Contre Julien I 46 553 A repris dans Contre Julien II 30 588 B ) λέγει δὲ καὶ Ἑρμῆς ἐν λόγῳ τρίτῳ τῶν πρὸς Ἀσκληπιόν laquo Et Hermegraves dit aussi dans la troi-siegraveme leccedilon agrave Ascleacutepios raquo (Contre Julien I 48 556 A et eacutegalement dans Contre Julien I 49 556 B) Les citations qursquoil introduit ainsi nrsquoont pas de parallegraveles directs avec les papyrus et les traiteacutes hermeacutetiques conserveacutes par ailleurs La numeacuterotation chez Cyrille drsquoAlexandrie teacutemoigne que ces extraits proviendraient de traiteacutes inseacutereacutes au sein de deux corpus lrsquoun adresseacute agrave Tat serait appeleacute διεξοδικά lrsquoautre serait une seacuterie de leccedilons deacutedieacutees agrave Ascleacutepios Avec le teacutemoignage du fragment de Vienne B cela ferait trois corpus diffeacuterents agrave moins de consideacuterer que les fragments de Vienne ne fassent partie des διεξοδικά puisqursquoils sont extraits de traiteacutes adresseacutes agrave Tat mais cela est de la pure speacuteculation Chacun de ces corpus regrouperait des leccedilons simplement numeacuteroteacutees et seraient adresseacutees agrave un seul disciple Tat ou Ascleacutepios La numeacuterota-tion tendrait agrave montrer que ces leccedilons nrsquoont pas drsquoexistence autonome ndash ou du moins qursquoelles lrsquoont perdue au moment de leur insertion dans le corpus ndash et elle instaure une progression didactique De tels cor-pus ont probablement eacuteteacute constitueacutes par des hermeacutetistes pour drsquoautres hermeacutetistes ce qui nrsquoempecirccherait pas qursquoulteacuterieurement ils aient eacuteteacute utiliseacutes par des personnes non hermeacutetistes
Le nombre de leccedilons est variable La collection viennoise en contient au moins dix tandis que Cyrille drsquoAlexandrie mentionne une collection de quinze livres πεποίηται δὲ καὶ τούτου μνήμνη ἐν ἰδίαις συγγραφαῖς ὁ συντεθεικὼς Ἀθήνησι τὰ ἐπίκλην Ἑρμαϊκὰ πεντεκαίδεκα βιβλία laquo Celui qui a reacuteuni agrave Athegravenes les quinze livres portant le titre drsquoHer-maiumlques fait mention de celui-ci (= Hermegraves) dans ses propres eacutecrits raquo243 Sur cet homme aucune donneacutee nrsquoa eacuteteacute conserveacutee Cependant le nom-bre quinze que donne Cyrille drsquoAlexandrie plaiderait en lrsquoexistence de cette compilation En effet crsquoest un nombre tout agrave fait raisonnable au regard de la simple mention laquo des livres drsquoHermegraves raquo lrsquoimpreacutecision soulignant le grand nombre244 ou des tregraves grands nombres parfois
243 Cyrille drsquoAlexandrie Contre Julien I 41 548 B244 Eusegravebe de Ceacutesareacutee Preacuteparation eacutevangeacutelique I 9 24 il rapporte les propos de
Philon de Byblos au sujet du pheacutenicien Sanchuniathon qui aurait deacutecouvert les livres de Taautos (Thot ) Plutarque Isis et Osiris 61 375 F
146 chapitre deux
avanceacutes (vingt mille livres selon Seacuteleucos et trente-six mille cinq cent vingt-cinq selon Maneacutethon 245) De plus ce nombre quinze est assez proche du nombre de traiteacutes conserveacutes dans le Corpus hermeticum mais comme lrsquoa deacutejagrave noteacute A-J Festugiegravere 246 il est difficile drsquoidentifier ces quinze livres hermaiumlques au Corpus hermeticum ou agrave une partie aucune donneacutee nrsquoallant dans ce sens
Concernant les traiteacutes citeacutes ou mentionneacutes avec un titre et sans numeacuterotation il est difficile de conclure srsquoils proviennent de corpus hermeacutetiques ou srsquoils ont une existence indeacutependante Ceci nous amegravene agrave parler du Corpus hermeticum tel qursquoil est eacutediteacute par AD Nock et A-J Festugiegravere
2 Le Corpus hermeticum
En 1554 agrave Paris A Turnegravebe eacutedite pour la premiegravere fois un manus-crit grec contenant les 17 traiteacutes247 auxquels il ajoute trois extraits de Stobeacutee qursquoil place apregraves CH XIV comme appendice248 En 1574 Franccedilois Foix de Candalle (Flussas) publie une traduction de lrsquoeacutedition drsquoA Turnegravebe avec quelques modifications il attribue le numeacutero XV agrave un ensemble composeacute des trois extraits de Stobeacutee auxquels il ajoute un autre de Suidas et le numeacutero XVI agrave lrsquoancien XV omettant CH XVI et XVII des eacuteditions preacuteceacutedentes (actuellement CH XVII et XVIII )249 Depuis lrsquoensemble des quatre extraits a eacuteteacute abandonneacute dans les eacutedi-tions modernes notamment par W Scott et AD Nock mais chacun conserva la numeacuterotation de Flussas Ceci explique lrsquoeacutecart actuel entre la numeacuterotation (1 agrave 18) et le nombre de traiteacutes (17) En revanche comme CH II porte le titre DrsquoHermegraves agrave Tat discours universel alors qursquoil donne Ascleacutepios comme interlocuteur drsquoHermegraves250 un traiteacute man-que reacuteellement au deacutebut du Corpus Cette lacune se retrouve dans tous
245 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon VIII 1 (261)246 A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 3247 Les eacuteditions preacuteceacutedentes de Marsile Ficin ne contenaient que quatorze traiteacutes248 A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 1 J-P Maheacute op cit 1982 p 5 et n 11249 Voir les reacutefeacuterences de la note preacuteceacutedente KH Dannenfeldt op cit p 140
H Hornik laquo The Philosophical Hermetica their History and Meaning raquo Atti della Accademia delle Scienze di Torino 109 (1975) p 354 Cette attitude de Franccedilois Foix de Candalle nrsquoest pas isoleacutee Fabricius Patricius ne se comporte pas autrement quand dans sa traduction de 1591 il ajoute des extraits et eacutecrits hermeacutetiques pour aller jusqursquoagrave 21 eacutecrits qursquoil reacuteameacutenage Voir KH Dannenfeldt op cit p 141
250 Voir J-P Maheacute op cit 1982 p 5 n 13 il signale bien agrave la suite drsquoA-J Festu-giegravere (op cit 1989 p 107 n 1 ndeg9) un codex (Athegravenes 1180) qui contient un traiteacute ineacutedit avec ce titre mais ce ne serait qursquoune laquo compilation drsquohermeacutetisme technique raquo
maicirctre disciple et enseignement 147
les manuscrits comme celle entre CH XVI interrompu abruptement et CH XVII dont seule la fin est conserveacutee Ces lacunes251 provien-nent probablement de lrsquoarcheacutetype dont deacutependent tous les manuscrits et seraient donc largement anteacuterieures au XIVe siegravecle date des plus anciens manuscrits
La premiegravere traduction latine par Marsile Ficin ne contenait que les quatorze premiers traiteacutes Le manuscrit grec utiliseacute252 ne contenait ainsi que les eacutecrits ougrave Hermegraves est le protagoniste principal sauf en CH I mais le compilateur a pu identifier le narrateur agrave Hermegraves Cette compilation suit une organisation coheacuterente en premier un traiteacute qui explique comment le narrateur a obtenu tout son savoir de la part drsquoun ecirctre divin Poimandregraves au moyen drsquoune vision et drsquoune reacuteveacutelation en avant-dernier un traiteacute sur la reacutegeacuteneacuteration du disciple et sa divinisa-tion clocircturant ainsi toute sa formation peacutedagogique entre les deux le compilateur a placeacute une seacuterie de traiteacutes dont la relation entre eux nrsquoest pas toujours eacutevidente et ougrave il est difficile de distinguer une progression didactique les rares indications sur cette progression se reacutefegraverent agrave des traiteacutes qui nrsquoapparaissent pas dans le Corpus hermeticum les Leccedilons geacuteneacuterales et la Leccedilon parfaite Cette Leccedilon parfaite serait la leccedilon qui preacutecegravede CH IX selon CH IX 1 mais il ne peut pas srsquoagir de CH VIII Le seul lien entre deux traiteacutes du Corpus hermeticum entre CH IX et CH X est incertain la phrase introductive et impreacutecise de CH X ndash τὸν χθὲς λόγον ὦ Ἀσκληπιέ σοι ἀνέθηκα τὸν δὲ σήμερον δίκαιόν ἐστι τῷ Τὰτ ἀναθεῖναι laquo La leccedilon drsquohier Ascleacutepios je te lrsquoai deacutedieacutee mais celle drsquoaujourdrsquohui il est juste de la deacutedier agrave Tat raquo ndash peut srsquoappliquer aussi bien agrave CH IX traiteacute effectivement adresseacute agrave Ascleacutepios qursquoagrave tout autre traiteacute adresseacute agrave ce disciple De mecircme nous comprenons difficilement lrsquoemplacement de CH XI une leccedilon deacutelivreacutee par lrsquoIntellect agrave Hermegraves et placeacutee parmi les leccedilons drsquoHermegraves agrave ses disciples et non apregraves CH I il srsquoagirait peut-ecirctre de montrer qursquoHermegraves continue sa formation tout
251 NF I p xiiindashxiv252 Marsile Ficin avait en effet en sa possession le manuscrit apporteacute agrave Florence
par le moine Leonardo da Pistoia (Laurentianus 7133 ) qui ne contenait pour les textes hermeacutetiques que les quatorze premiers traiteacutes Agrave la mecircme eacutepoque le car-dinal Bessarion faisait lrsquoacquisition du Cod marc Gr Z 242 (=993) qui contenait lrsquoensemble des textes hermeacutetiques Voir C Gilly amp C van Heertum (eds) op cit vol II 2002 p 14ndash16 JR Ritman laquo Bessarione e lrsquoinfluenza di Ermete Trismegisto Bessarion and the influence of Hermes Trismegistus raquo in C Gilly amp C van Heertum (eds) Magia alchimia scienza dal lsquo400 al lsquo700 Lrsquoinflusso di Ermete Trismegisto vol I Firenze Centro Di 2002 p 1520ndash21 S Gentile amp C Gilly op cit p 40ndash43 et p 128ndash131
148 chapitre deux
en eacutetant lui-mecircme un instructeur En dernier le compilateur a placeacute CH XIV peut-ecirctre parce qursquoil srsquoagit drsquoune lettre
Les trois autres traiteacutes (CH XVI XVII et XVIII ) semblent avoir eu une transmission plus autonome le premier fut deacutecouvert par Ludovico Lazarelli et les deux autres furent eacutediteacutes par A Turnegravebe Il srsquoagit de trois eacutecrits ougrave Hermegraves est absent Deux sont des leccedilons don-neacutees par ses anciens disciples Ascleacutepios pour CH XVI Tat pour CH XVII Le dernier CH XVIII nrsquoa pas toujours eacuteteacute consideacutereacute comme un texte hermeacutetique253 R Reitzenstein lrsquoaccepte comme tel car il pense que la position finale de ce traiteacute est tout agrave fait justifieacutee et a un rocircle preacute-cis le but de son auteur serait de deacutemontrer la loyauteacute de la religion eacutegyptienne ndash et donc des Eacutegyptiens ndash envers le pouvoir en place crsquoest-agrave-dire les empereurs romains qui seraient Diocleacutetien et Maximien 254
Par conseacutequent si la mise en corpus de ces diffeacuterents traiteacutes res-pecte une organisation geacuteneacuterale logique et coheacuterente sa viseacutee ne paraicirct pas reacuteellement peacutedagogique Pour en dire plus il faudrait pou-voir deacuteterminer lrsquoeacutepoque et lrsquoidentiteacute du compilateur Michel Psellus a eu connaissance du Corpus hermeticum mais rien ne prouve qursquoil en soit lui-mecircme lrsquoauteur ou que son exemplaire soit lrsquoarcheacutetype dont deacuterivent les manuscrits connus255 Michel Psellus donne un terminus ante quem Pour A-J Festugiegravere il est difficile de remonter au-delagrave opinion partageacutee par J-P Maheacute 256 et le Corpus ne peut pas ecirctre laquo une
253 W Scott op cit vol 2 p 461 A-J Festugiegravere dans NF II p 244 parle de laquo lrsquoimpeacuteritie drsquoun reacutedacteur raquo A-D Nock est moins cateacutegorique NF II p 244 n 3 BP Copenhaver op cit p 209ndash210 ne prend pas position se contentant de reacutesumer les diffeacuterentes positions Il est vrai que le nom drsquoHermegraves ou de lrsquoun de ses disciples est absent et que le style est diffeacuterent de celui des autres traiteacutes Cependant nous y ferons reacutefeacuterence parfois puisqursquoil a eacuteteacute transmis par certains manuscrits du Corpus hermeticum
254 R Reitzenstein op cit 1904 p 199ndash208 Consideacuterer que lrsquoauteur srsquoadresse agrave Diocleacutetien date le traiteacute aux environs de 300 apregraves J-C W Scott est drsquoaccord avec cette datation (op cit vol 2 p 462) Le rapport agrave lrsquoEacutegypte mis en avant pas R Reit-zenstein est confirmeacute par les analyses agrave propos de la royauteacute de P Derchain (op cit 1962 p 181ndash182 et p 184ndash185) et T McAllister Scott (op cit p 72ndash79) Ce traiteacute pourrait reacutesulter drsquoun deacuteveloppement ulteacuterieur de la voie hermeacutetique
255 A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 2 Comparer avec H Hornik op cit p 351ndash352 et KH Dannenfeldt op cit p 137 H Hornik pense que Michel Psellus trouva un codex grec et srsquoen servit pour en faire une eacutedition et que ce codex est celui que le moine Leonardo da Pistoia rapporta de Maceacutedoine et qui servit agrave Marsile Ficin ce serait alors le Laurentianus 7133 Cependant H Hornik nrsquoeacutetaye pas ses dires KH Dannenfeldt considegravere que la forme preacutesente du Corpus est due agrave M Psellus et lagrave non plus il nrsquoargumente pas sa position
256 J-P Maheacute op cit 1982 p 19
maicirctre disciple et enseignement 149
creacuteation originale de lrsquohermeacutetisme raquo257 pour AD Nock en revanche il serait plutocirct lrsquoœuvre drsquoun deacutevot et un livre eacutesoteacuterique258
Les fragments hermeacutetiques deacutecouverts dans un manuscrit de la Bodleacuteienne agrave Oxford le Clarkianus 11 folios 79v-82 (XIIIe siegravecle) par J-P Maheacute et J Paramelle 259 peuvent aider Les folios 79v-82 trans-mettent un laquo florilegravege hermeacutetique raquo avec des extraits des traiteacutes CH XII agrave XIV des Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius ndash dont nous nrsquoavions jusque lagrave qursquoune version armeacutenienne ndash de CH XVI et un ensemble drsquoextraits hermeacutetiques inconnus jusqursquoagrave preacutesent Ce florilegravege succegravede agrave un autre laquo sacro-profane raquo260 qui srsquoachegraveve avec CH XI 22 et la formule τέλος τοῦ κονδακίου Le copiste deacutesigne par cette expression lrsquouniteacute litteacuteraire du laquo florilegravege sacro-profane raquo261 Lrsquoisolement de CH XI 22 pourrait confirmer qursquoil circulait de maniegravere autonome262 Dans le laquo florilegravege hermeacutetique raquo lrsquoordre des fragments respecte celui des traiteacutes dans le Corpus hermeticum 263 excepteacute pour les fragments grecs des Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius inseacutereacutes avant lrsquoextrait issu de CH XVI (un ensemble de deacutefinitions drsquoAscleacutepios ) Lrsquoordre suit ainsi une chronologie valable dans le monde des protagonistes ndash extraits drsquoHermegraves puis drsquoAscleacutepios ndash et tient compte des genres ndash des dia-logues puis des deacutefinitions Comme lrsquoauteur du laquo florilegravege sacro-pro-fane raquo celui du laquo florilegravege hermeacutetique raquo travaillerait sur des florilegraveges anteacuterieurs et non sur des textes complets264 Si parfois la tradition de ce florilegravege est mauvaise dans certains cas elle permet drsquoameacutelio-rer lrsquoeacutedition drsquoAD Nock 265 Elle ne deacutependrait donc pas du Corpus hermeticum mais plutocirct drsquoune source commune avec ce Corpus et Michel Psellus ne serait pas le compilateur du Corpus Cependant cela ne permet pas de remonter au-delagrave Dans tous les cas lrsquoorganisation
257 A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 5258 NF I p xlviindashxlviii259 J Paramelle et J-P Maheacute op cit 1991 p 108ndash139260 Nous reprenons les deacutenominations laquo florilegravege sacro-profane raquo et laquo florilegravege her-
meacutetique raquo agrave J Paramelle et J-P Maheacute 261 J Paramelle et J-P Maheacute op cit 1991 p 116 et n 16262 J Paramelle et J-P Maheacute op cit 1991 p 119 laquo on ne saurait affirmer que
les extraits hermeacutetiques qui figurent en 79v-82 juste avant les Deacutefinitions parallegraveles agrave lrsquoarmeacutenien soient puiseacutes agrave la mecircme source que le fragment de CH XI 22 raquo
263 Notons que les fragments des traiteacutes CH XII et XIII sont transmis sous un mecircme titre
264 J Paramelle et J-P Maheacute op cit 1991 p 115ndash116 (pour le laquo florilegravege sacro-profane raquo) et p 119 (pour le laquo florilegravege hermeacutetique raquo)
265 J Paramelle et J-P Maheacute op cit 1991 p 121ndash122
150 chapitre deux
adopteacutee suggegravere qursquoil ne srsquoagirait pas drsquoun hermeacutetiste mais plutocirct drsquoun homme cultiveacute inteacuteresseacute par le contenu de ces traiteacutes et qui tente de recreacuteer une coheacuterence
3 Des collections drsquoextraits
Les collections drsquoextraits sont eacutegalement nombreuses agrave lrsquoeacutepoque de reacutedaction des eacutecrits hermeacutetiques Utiles pour lrsquoenseignement elles lrsquoeacutetaient eacutegalement pour lrsquoeacutecriture de traiteacutes fournissant agrave lrsquoauteur des ideacutees dont il pouvait srsquoinspirer et qursquoil pouvait deacutevelopper agrave sa guise Les auteurs hermeacutetistes nrsquoeacutechapperaient pas agrave ce pheacutenomegravene Agrave partir de lrsquoeacutetude des rapports entre les Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius conserveacutees en armeacutenien et les sagesses eacutegyptiennes J-P Maheacute conclut laquo La premiegravere source des eacutecrits philosophiques drsquoHermegraves a consisteacute en une ou plusieurs gnomologies adresseacutees par Hermegraves ou tel autre personnage mythique de lrsquohermeacutetisme agrave divers interlocuteurs raquo et expliqua ensuite le passage de la sentence agrave la leccedilon continue266 Lrsquoauteur de CH XII en serait un bon exemple il cite des sentences qursquoil attribue au Bon Deacutemon alors que deux sont des citations un peu modifieacutees drsquoHeacuteraclite Lrsquoune drsquoelles est agrave nouveau citeacutee en CH X 25 en eacutetant inteacutegreacutee agrave la penseacutee mecircme de lrsquoauteur du traiteacute Ces citations proviendraient drsquoun recueil Les Dits du Bon Deacutemon 267 mecircme si le seul indice de leur existence est CH XII En CH X 24 quelques lignes avant la citation drsquoHeacuteraclite lrsquoauteur cite Theacuteognis 177ndash178 lagrave aussi sans mentionner le nom du poegravete Une telle absence est courante dans le cas hermeacutetique elle permettrait de tout attribuer agrave une autoriteacute hermeacutetique le Bon Deacutemon ou Hermegraves Les recueils utiliseacutes regroupe-raient des conceptions hermeacutetiques et des sentences provenant drsquoautres auteurs lrsquoensemble eacutetant probablement mis en forme par un hermeacute-tiste agrave partir drsquoautres recueils anteacuterieurs Les Deacutefinitions drsquoHermegraves Trismeacutegiste agrave Ascleacutepius connues dans une version armeacutenienne avec quelques passages en grec dans le Clarkianus 11 seraient un exem-ple de recueil composeacute par des hermeacutetistes de mecircme que SH 11 La sentence 19 de SH 11 ndash ὁ θεὸς ἀγαθός ὁ ἄνθρωπος κακός laquo Dieu est bon lrsquohomme mauvais raquo ndash ressemble agrave deux expressions que Tertullien mentionne dans son De lrsquoacircme 22 deus bonus et sed homo malus
266 J-P Maheacute op cit 1982 p 407ndash436 et p 409 pour la citation267 Ci-dessus p 28
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G Quispel 268 considegravere que la sentence hermeacutetique serait le seul paral-legravele antique des expressions latines A Loumlw estime au contraire que la litteacuterature hermeacutetique ne pouvait ecirctre aussi diffuseacutee au temps de Tertullien pour autoriser une telle utilisation269 mais il ne propose aucun parallegravele aux expressions employeacutees par Tertullien La sentence 19 est courte facile agrave retenir et agrave reacuteutiliser dans des contextes culturels diffeacuterents Elle pourrait ecirctre issue drsquoune source commune agrave Tertullien et agrave lrsquoauteur de SH 11 mecircme si Tertullien est le premier chreacutetien agrave faire une allusion preacutecise agrave une doctrine drsquoHermegraves dans De lrsquoacircme 332 allusion qui pourrait provenir drsquoun intermeacutediaire270
Agrave cocircteacute de ces recueils il y en a probablement drsquoautres consti-tueacutes agrave partir des traiteacutes hermeacutetiques sans que lrsquoon puisse dire srsquoils ont eacuteteacute eacutelaboreacutes par des hermeacutetistes Certains regrouperaient seule-ment des extraits hermeacutetiques comme cela semble ecirctre le cas pour la source du laquo florilegravege hermeacutetique raquo de Clarkianus 11 Drsquoautres ras-semblent des extraits hermeacutetiques et non hermeacutetiques Ces recueils ont eacuteteacute largement utiliseacutes par les chreacutetiens comme Didyme lrsquoAveugle Cyrille drsquoAlexandrie Fulgence Ceci nrsquoempecircche pas que des chreacutetiens aient eu directement accegraves agrave des textes hermeacutetiques comme Lactance pour le Discours parfait ou qursquoils aient repris des passages drsquoautres auteurs271 La diffusion de tels recueils et des ideacutees hermeacutetiques pour-rait ecirctre assez importante En effet un papyrus drsquoHermopolis dateacute du IIIe siegravecle mentionne Hermegraves Trismeacutegiste et donne tregraves certainement une reacuteminiscence sinon une citation de CH I la proposition τοῦ δὲ πατρῴου ἡμῶν θεοῦ τρισμεγίστου Ἑρμοῦ ὅς παρίσταταί σοι πα[ν]
268 G Quispel laquo Hermes Trismegistus and Tertullian raquo VC 43 (1989) p 189269 A Loumlw op cit p 47 n 180270 G Fowden op cit 2000 p 287ndash288 A Loumlw op cit p 59ndash63 pense que Ter-
tullien tiendrait une partie de ses informations drsquoAlbinus et se base pour cela sur De lrsquoacircme 281 Cependant il est difficile de savoir si la source de Tertullien pour les thegraveses hermeacutetiques est bien Albinus en raison de lrsquoaspect fragmentaire de son œuvre et de lrsquoabsence drsquoallusion agrave Hermegraves Trismeacutegiste
271 Certaines citations sont communes au Pseudo-Justin Didyme lrsquoAveugle et Cyrille drsquoAlexandrie Cependant ce dernier ne peut deacutependre seulement de ses preacutedeacutecesseurs puisqursquoil donne drsquoautres citations Les extraits de la Theacuteosophie de Tuumlbingen et de la Chronique de Jean Malalas seraient agrave relier agrave Cyrille De mecircme les deux collections syriaques Syr-A et Syr-C seraient lieacutees agrave Malalas sans en deacutependre totalement puisque Syr-A 21 et 19 nrsquoont aucun parallegravele chez Malalas Cf N Zeegers-Vander Vorst laquo Une gnomologie drsquoauteurs grecs en traduction syriaque raquo in Symposium Syriacum 1976 Roma Pontificium Institutum Orientalium Studiorum 1978 p 163ndash177 S Brock op cit 1983 p 203ndash246 idem laquo Some Syriac Excerpts from Greek Collections of Pagan Prophecies raquo VC 38 (1984) p 77ndash90
152 chapitre deux
ταχοῦ laquo Quant au dieu de notre citeacute Hermegraves Trismeacutegiste celui qui se tient aupregraves de toi partout raquo272 est proche drsquoune phrase prononceacutee par Poimandregraves en CH I 2 σύνειμί σοι πανταχοῦ laquo Je suis avec toi partout raquo ceci est drsquoautant plus inteacuteressant qursquoil ne srsquoagit pas drsquoune œuvre litteacuteraire273 mais drsquoune lettre de bienvenue eacutemanant de la βουλή drsquoHermopolis et adresseacutee agrave Aureacutelios Ploution
V Conclusion
Le savoir hermeacutetique drsquoorigine divine ne peut ecirctre divulgueacute nrsquoim-porte comment et agrave nrsquoimporte qui Maicirctre et disciples doivent respec-ter certaines exigences pour ecirctre le plus en accord avec lrsquoenseignement agrave deacutelivrer ou agrave recevoir Lrsquoune de ces exigences est le secret qursquoils ont lrsquoobligation de mettre en œuvre lrsquoun par le choix des disciples lrsquoautre par le silence qui prend parfois un caractegravere religieux Toutefois secret et silence ne srsquoopposent pas agrave la mise par eacutecrit de lrsquoenseignement Cette derniegravere est leacutegitimeacutee par les auteurs elle est mise sous lrsquoauto-riteacute drsquoHermegraves (avec sa preacutetendue lettre destineacutee agrave Ascleacutepios ) crsquoest un moyen drsquoeacuteviter la diffusion de propos faux et blaspheacutematoires envers Dieu les auteurs des traiteacutes CH XVI et OgdEnn preacutetendent que la reacutedaction se fait en eacutegyptien et le premier qursquoil est interdit de traduire en grec Ces preacutetentions font de la reacutedaction un acte rituel la placcedilant dans le contexte du temple et notamment de la laquo Maison de Vie raquo et elles permettent de transfeacuterer au grec ou plutocirct agrave la langue drsquoHermegraves toutes les qualiteacutes de lrsquoeacutecrit hieacuteroglyphique La langue drsquoHermegraves qui se distingue du grec courant par un champ seacutemantique diffeacuterent est apte agrave lrsquoinstar de lrsquoeacutegyptien agrave rendre compte drsquoun savoir drsquoorigine divine La mise par eacutecrit a pu favoriser la constitution de recueils et de corpus hermeacutetiques agrave but didactique Il est difficile cependant de parler de canon hermeacutetique et de faire le lien entre ces corpus antiques dont des extraits ont eacuteteacute conserveacutes dans des papyri et le Corpus hermeticum
272 CP Herm 125 II + CP Herm 124 R col 1 7ndash8 C Wessely op cit ndeg 124 et 125 p 67ndash68 G Meacuteautis op cit p 175ndash177 date le document de 266 267 apregraves J-C et est le seul (agrave notre connaissance) agrave faire ce rapprochement Srsquoil y a reprise de la phrase prononceacutee par Poimandregraves le contexte drsquoutilisation est diffeacuterent puisqursquoil srsquoagit de souhaiter agrave Aureacutelios Ploution un bon voyage de retour en mer Toutefois comme le fait remarquer G Meacuteautis (p 177) laquo cela jette un jour nouveau sur la diffu-sion des doctrines hermeacutetiques raquo
273 Ceci ne signifie pas lrsquoabsence de preacutetentions litteacuteraires il y aurait eacutegalement une citation tronqueacutee drsquoEuripide agrave la ligne 7 Voir G Meacuteautis op cit p 176ndash177
maicirctre disciple et enseignement 153
Gracircce agrave la mise par eacutecrit drsquoautres pratiques laquo veacuteritables exercices spirituels raquo se mettent en place et renforcent le contenu de lrsquoenseigne-ment pour transformer le disciple La place du maicirctre et de son ins-truction orale ne disparaicirct pas pour autant Le maicirctre est en particulier important pour attester que lrsquohermeacutetiste disciple est precirct agrave aborder une nouvelle eacutetape et surtout pour expliquer le sens des eacutecrits qui est loin drsquoecirctre clair Le respect des exigences eacutenonceacutees ci-dessus pour la transmission du savoir hermeacutetique peut srsquoaccompagner dans certains cas de mesures de protection
CHAPITRE TROIS
LA PROTECTION DU SAVOIR UN DEVOIR DE LrsquoHERMEacuteTISTE
Plusieurs auteurs hermeacutetistes proposent des mesures de protection diffeacuterentes pour eacuteviter une utilisation indue par tout homme indi-gne (celui qui se situe en dehors de la laquo voie drsquoHermegraves raquo et celui qui bien que suivant la laquo voie drsquoHermegraves raquo nrsquoa pas assez progresseacute) tout en permettant de seacutelectionner ceux qui perseacutevegraverent et sont dignes drsquoecirctre instruits
I Visibiliteacute de lrsquoeacutecrit sens cacheacute
Ascleacutepios preacutevient son destinataire le roi Ammon laquo Agrave ceux qui lisent mes livres la composition semblera tregraves simple et claire alors qursquoau contraire elle est obscure et a le signifieacute des mots cacheacute raquo1 Il rapporte les propos de son maicirctre Hermegraves probablement en les citant2 et les laquo livres raquo seraient ceux drsquoHermegraves qursquoAscleacutepios preacutetend ecirctre eacutecrits en eacutegyptien Ces propos caracteacuterisent bien les traiteacutes hermeacutetiques ougrave Hermegraves ne se prive pas de jouer sur la dialectique entre ce qui se donne agrave voir et ce qui est cacheacute lui qui conserve en son for inteacuterieur la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo et nrsquoen deacutevoile qursquoune partie au greacute de lrsquoinstruction Cette obscuriteacute des eacutecrits a du reste eacuteteacute bien perccedilue agrave travers les siegravecles puisque agrave partir du XIXe siegravecle lrsquoadjectif laquo hermeacute-tique raquo deacutesigne au sens figureacute tout ce qui est clos et impeacuteneacutetrable3 Lrsquoauteur de CH XVI par cette deacuteclaration appelle le lecteur agrave la vigi-lance laquelle concerne aussi les lecteurs des autres traiteacutes
1 CH XVI 1 δόξει τοῖς ἐντυγχάνουσί μου τοῖς βιβλίοις ἁπλουστάτη εἶναι ἡ σύνταξις καὶ σαφής ἐκ δὲ τῶν ἐναντίων ἀσαφὴς οὖσα καὶ κεκρυμμένον τὸν νοῦν τῶν λόγων ἔχουσα
2 Sur la citation ou la paraphrase en CH XVI 1 ci-dessus p 122 et n 1503 P Robert Dictionnaire alphabeacutetique et analogique de la langue franccedilaise Paris
Safor 1957 t 3 p 491 b Lrsquoadjectif hermeacutetique est apparu en 1610
156 chapitre trois
1 Le caractegravere eacutenigmatique et obscur de lrsquoenseignement hermeacutetique
Le caractegravere obscur des traiteacutes hermeacutetiques ndash ou au moins de quelques passages ndash peut ecirctre imputeacute agrave deux facteurs le caractegravere divin de lrsquoen-seignement hermeacutetique qui est une suite de laquo reacuteveacutelations ulteacuterieures raquo imitant agrave des degreacutes divers la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo et la langue utiliseacutee comme cela ressort bien du preacuteambule de CH XVI avec lrsquoideacutee sous-jacente que les mots sont inadeacutequats pour exprimer des reacutealiteacutes divines Hermegraves relegraveve plusieurs fois cette incapaciteacute de la langue des hommes et met en garde ses disciples contre elle CH XII ougrave lrsquoauteur est preacuteoccupeacute par le problegraveme lexicologique en est un bon exemple Hermegraves rectifie lrsquoopinion de son disciple sur la mort qui est en fait laquo dissolution du meacutelange raquo (κράματος διάλυσις XII 16 ) et il lrsquoexhorte deux fois agrave ne pas ecirctre troubleacute (emploi de ταράττω) par les deacutenomina-tions (XII 11 et 18 ougrave srsquoil parle des hommes en geacuteneacuteral ce qursquoil en dit est aussi valable pour le disciple) Avec lrsquoobscuriteacute des propos lrsquoauteur hermeacutetiste a pu souhaiter montrer que le langage utiliseacute par Hermegraves et ses successeurs nrsquoest plus vraiment humain et qursquoil srsquoapparenterait au langage des dieux4
De ce fait le vrai objet de lrsquoinstruction ne peut ecirctre facilement transmis Cleacutement drsquoAlexandrie lrsquoaffirme quand il eacutecrit que lrsquoobscu-riteacute de ses Stromates est volontaire et que le vrai ne se laisse deacutevoiler qursquoapregraves un grand travail5 Nous aurions la mecircme ideacutee dans les trai-teacutes hermeacutetiques ougrave le maicirctre parle en eacutenigmes ce que lui reproche le disciple en CH XIII ἐν τοῖς γενικοῖς ὦ πάτερ αἰνιγματωδῶς καὶ οὐ τηλαυγῶς ἔφρασας περὶ θειότητος διαλεγόμενος laquo Dans les (Leccedilons) geacuteneacuterales crsquoest par eacutenigmes et pas clairement que tu as fourni des explications au sujet de la diviniteacute en conversant agrave ce sujet raquo (XIII 1) αἴνιγμά μοι λέγεις ὦ πάτερ καὶ οὐχ ὡς πατὴρ υἱῷ διαλέγῃ laquo tu me dis une eacutenigme pegravere et tu ne parles pas comme un pegravere converse avec son fils raquo (XIII 2) et ἀδύνατά μοι λέγεις ὦ πάτερ καὶ βεβιασμένα ὅθεν πρὸς ταῦτα ὀρθῶς ἀντειπεῖν θέλω laquo ἀλλότριος υἱὸς πέφυκα τοῦ πατρικοῦ γένους raquo μὴ φθόνει μοι πάτερ γνήσιος υἱός εἰμι laquo Pegravere tu me dis des choses impossibles et forceacutees drsquoougrave agrave ces paroles je deacutesire
4 Lrsquoideacutee de deux langages est courante On la retrouve en particulier chez Zosime dans son traiteacute Meacutemoires authentiques I Sur la lettre omeacutega quand il distingue le lan-gage corporel et le langage incorporel que seul Nicotheacuteos connaicirct Voir M Mertens laquo Notes raquo in Zosime de Panopolis Meacutemoires authentiques traduction M Mertens Paris Les Belles Lettres 1995 p 55 n 3
5 Cleacutement drsquoAlexandrie Stromate I II 201
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 157
reacutepondre justement ldquoje suis neacute fils eacutetranger agrave la famille paternellerdquo Ne me meacuteprise pas pegravere je suis un fils leacutegitime raquo (XIII 3) Les Leccedilons geacuteneacuterales dont parle Tat sont situeacutees au deacutebut du parcours didacti-que et CH XIII agrave la fin Ce nrsquoest qursquoagrave la fin que le disciple demande des explications sur un thegraveme abordeacute beaucoup plus tocirct en termes eacutenigmatiques Figure litteacuteraire deacutefinie par les rheacuteteurs6 lrsquo αἴνιγμα est couramment utiliseacutee dans les commentaires alleacutegoriques Plutarque lrsquoemploie agrave propos des reacutecits et mythes eacutegyptiens7 Le mot caracteacuterise aussi lrsquoenseignement de certains philosophes tels Pythagore 8 et Platon 9 et Cleacutement drsquoAlexandrie rappelle que la strateacutegie de lrsquoeacutenigme est une pratique courante pour obscurcir certains enseignements sur Dieu10 ideacutee qui est appuyeacutee en CH XIII 1 par lrsquoexpression οὐ τηλαυγῶς Lrsquoeacutenigme comme la meacutetaphore agrave laquelle elle est lieacutee11 est un des moyens pour diviser lrsquohumaniteacute elle rebute un grand nombre de per-sonnes qui nrsquoessaient pas de comprendre et elle incite un petit nombre agrave la reacutesoudre12 Le disciple hermeacutetique appartient agrave ce second groupe un disciple qui aspire agrave des explications claires13 et qui se reacutejouit quand le maicirctre les lui fournit14 Le destinataire appartient aussi agrave ce second groupe le caractegravere eacutenigmatique de lrsquoenseignement oral eacutetant transfeacutereacute au texte eacutecrit Comme le disciple des traiteacutes il aura une longue route agrave parcourir sous la houlette drsquoun maicirctre hermeacutetiste Chacun devra se doter peu agrave peu drsquoun bagage lexical speacutecifique agrave la pratique didactique
6 Aeacutelius Theacuteon Progymnasmata 74 Rhetores Graeci 3 περὶ ποιητικῶν τρόπων 6 209ndash211
7 Plutarque Isis et Osiris 9 354 BndashC 8 Jamblique Vie de Pythagore [25] 103 9 Plutarque Isis et Osiris 48 370 E Cleacutement drsquoAlexandrie Stromate V X 65110 Cleacutement drsquoAlexandrie Stromate V IV 19ndash2111 Aristote Rheacutetorique III 1405 A-B laquo Et en geacuteneacuteral on peut tirer de bonnes meacuteta-
phores des eacutenigmes bien faites car les meacutetaphores impliquent des eacutenigmes raquo12 Cette ideacutee de lrsquoeacutenigme divisant lrsquohumaniteacute en deux groupes ineacutegaux apparaicirct deacutejagrave
tregraves bien chez Platon Theacuteeacutetegravete 152 c τοῦτο ἡμῖν μὲν ᾐνίξατο τῷ πολλῷ συρφετῷ τοῖς δὲ μαθηταῖς ἐν ἀπορρήτῳ τὴν ἀλήθειαν ἔλεγεν laquo nrsquoa-t-il (= Protagoras) donneacute lagrave qursquoeacutenigmes pour la foule et le tas que nous sommes tandis qursquoagrave ses disciples dans le mystegravere il enseignait la veacuteriteacute raquo (traduction A Diegraves ) On la retrouve eacutegalement dans le domaine chreacutetien chez Origegravene Contre Celse III 19 H Crouzel Origegravene et la lsquoconnaissance mystiquersquo Paris Descleacutee de Brouwer 1961 p 228ndash229
13 Voir ses questions τί οὖν ou τί δέ laquo quoi donc raquo ( CH I 6 et SH 2a 8) πῶς τοῦτο λέγεις laquo comment dis-tu cela raquo ( CH II 9 IV 6 X 23 et SH 49) ou la variante laquo que dis-tu raquo ( CH II 11 X 7 XII 7) et ἐκεῖνο δέ μοι ἔτι διασάφησον laquo mais eacuteclaire-moi encore agrave ce sujet raquo ( CH XII 10)
14 σαφὲς τὸ παράδειγμα laquo crsquoest un exemple clair raquo ( CH II 8) σαφέστατα ὦ πάτερ τὸν λόγον ἀποδέδωκας laquo tu as expliqueacute le sujet tregraves clairement raquo ( CH XII 12)
158 chapitre trois
hermeacutetique15 se seacuteparant ainsi progressivement des autres hommes et entraicircnant leur incompreacutehension
2 Des eacutecrits difficiles drsquoaccegraves
Agrave la suite drsquoautres groupes16 les auteurs hermeacutetistes veulent restreindre lrsquoaccegraves agrave leurs eacutecrits Seuls les auteurs de SH 23 et NH VI 6 exploitent partiellement le thegraveme des livres cacheacutes et redeacutecouverts longtemps apregraves leur premiegravere reacutedaction il nrsquoa en effet pas vraiment sa place dans la trame narrative des traiteacutes ougrave les disciples (le narrateur de CH I Tat Ascleacutepios et Ammon ) ont accegraves agrave la source mecircme de lrsquoinformation En SH 235 Isis eacutevoque le lien de sympathie entre Hermegraves et les laquo mystegraveres du ciel raquo ndash agrave savoir les astres ndash ce qui permet agrave Hermegraves de tout comprendre
ὃς καὶ εἷδε τὰ σύμπαντα καὶ ἰδὼν κατενόησε καὶ κατανοήσας ἴσχυσε δηλῶσαί τε καὶ δεῖξαι καὶ γὰρ ἃ ἐνόησεν ἐχάραξε καὶ χαράξας ἔκρυψε τὰ πλεῖστα σιγήσας ἀσφαλῶς ἢ λαλήσας ἵνα ζητῇ ταῦτα πᾶς αἰὼν ὁ μεταγενέστερος κόσμου
Et il (= Hermegraves) vit ensemble tout et voyant il comprit et ayant com-pris il eut la force de manifester et de montrer En effet ce qursquoil a perccedilu il le grava et lrsquoayant graveacute il le cacha gardant fermement un silence sur la plupart des choses plutocirct que de parler sur elles afin que les cherchacirct toute geacuteneacuteration neacutee apregraves le monde
En SH 237 Isis narre les derniegraveres actions drsquoHermegraves avant qursquoil ne remonte dans les cieux
Ἑρμῆς μὲν οὖν ἀπελογεῖτο τῷ περιέχοντι ὡς οὐδὲ τῷ παιδὶ παρέδωκεν ὁλοτελῆ θεωρίαν διὰ τὸ ἔτι τῆς ἡλικίας νεοειδές ἔγνω δὲ τῆς ἀνατολῆς γενομένης τοῖς πάντα βλέπουσιν ὀφθαλμοῖς τὰ τῆς ἀνατολῆς θεωρήσας τι ἀειδές καὶ ἐπισκοποῦντι βραδέως μὲν ἀλλ᾿ οὖν ἦλθεν ἡ ἀκριβὴς διάγνωσις πλησίον τῶν Ὀσίριδος κρυφίων ἀποθέσθαι τὰ ἱερὰ τῶν κοσμικῶν στοιχείων σύμβολα ἐπικατευξάμενον δὲ καὶ τοὺς λόγους τούσδε εἰπόντα εἰς οὐρανὸν ἀπελθεῖν
Hermegraves donc plaida devant lrsquoespace environnant qursquoil nrsquoavait pas trans-mis agrave son fils la totaliteacute de la (sa ) meacuteditation en raison de sa grande jeu-nesse encore alors que le (soleil) eacutetait en train de se lever ayant regardeacute
15 La mecircme ideacutee drsquoune langue speacutecifique drsquoenseignement diffeacuterente de la langue commune se retrouve pour les pythagoriciens selon le teacutemoignage de Jamblique Vie de Pythagore [23] 103
16 Parmi de nombreux exemples voir les Esseacuteniens selon le teacutemoignage de Por-phyre dans De lrsquoabstinence IV 11
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 159
avec les yeux qui voient tout ce qui est agrave lrsquoorient il prit conscience de quelque chose drsquoimmateacuteriel et tout en observant (cela) lui vint lente-ment le discernement preacutecis de deacuteposer les symboles sacreacutes des eacuteleacutements cosmiques agrave proximiteacute des secrets drsquoOsiris et de remonter vers les cieux apregraves avoir fait des vœux et dit de telles paroles
En NH VI 6118ndash22 Hermegraves conclut sa leccedilon par lrsquoordre suivant 18ⲱ ⲡⲁϣⲏⲣⲉ ⲡⲉⲉⲓϫⲱⲙⲉ 19ⲥⲁϩϥ ⲁⲡⲉⲣⲡⲉ ⲛⲇⲓⲟⲥⲡⲟⲗⲓⲥmiddot 20ϩⲛ ϩⲉⲛⲥϩⲁⲓ ⲛⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲛϣ 21ⲉⲕⲣⲟⲛⲟⲙⲁⲍⲉ ⲉⲑⲟⲅⲇⲟⲁⲥ 22ltⲉⲧgtⲟⲩⲱⲛϩ ⲉⲃⲟⲗ ⲛⲑⲉⲛⲛⲁⲥmiddot laquo Mon fils ce livre eacutecris-le dans le temple de Diospolis dans des let-tres graveacutees de lrsquoeacutecrit de la ldquoMaison de Vie rdquo (livre) que tu appelleras LrsquoOgdoade reacuteveacutelant lrsquoEnneacuteade raquo avant de donner en NH VI 621ndash4 une nouvelle indication sur lrsquoemplacement de la stegravele 1ⲉⲧⲃⲉ ⲡⲁⲓ ϯⲣⲕⲉⲗⲉⲩⲉ 2ⲁⲧⲣⲉⲩϣⲟϫⲧ ⲙⲡⲉⲉⲓϣⲁϫⲉ 3ⲁⲡⲱⲛⲉ ⲛⲅⲕⲁⲁϥ ⲛϩⲟⲩⲛ [ⲙ]4ⲡⲁⲟⲩⲱⲡⲉ laquo Crsquoest pourquoi jrsquoordonne que lrsquoon grave cette parole sur la pierre et que tu la places agrave lrsquointeacuterieur du ldquocentre drsquoarchives ( )rdquo raquo
Les lieux de deacutepose sont sacreacutes Les indications donneacutees par Isis semblent au premier abord eacutenigmatiques Hermegraves place les laquo symbo-les sacreacutes des eacuteleacutements cosmiques17 raquo aupregraves des laquo secrets drsquoOsiris raquo τῶν Ὀσίριδος κρυφίων en SH 237 Du fait de la mention drsquoOsiris le contexte est funeacuteraire Le mot eacutegyptien correspondant agrave laquo secret raquo sštꜢ est aux eacutepoques ptoleacutemaiumlque et romaine utiliseacute dans le culte funeacuteraire et le temple18 avec des significations varieacutees places sacreacutees dans la neacutecropole ou dans un temple lieux ougrave des rites peuvent ecirctre prati-queacutes19 documents20 repreacutesentations rituelles statuettes21 lrsquoensemble des fecirctes drsquoOsiris et objets attacheacutes agrave ces ceacutereacutemonies commeacutemorant la
17 Les laquo eacuteleacutements cosmiques raquo deacutesigneraient les astres comme cela est le cas dans PGM IV 1126
18 KT Rydstroumlm laquo hry sštꜢ ldquoin charge of Secretsrdquo The 3000-Year Evolution of a title raquo Discussions in Egyptology 29 (1994) p 53ndash94
19 JK Hoffmeier Sacred in the Vocabulary of Ancient Egypt The Term dsr with Special Reference to Dynasties IndashXX Goumlttingen Vandenhoeck amp Ruprecht 1985 p 91ndash97 Voir aussi P Louvre 3284 l 1ndash3 (2nde moitieacute du IIe s avant J-C) et P Leyde T 32 I 23ndash24 (65 apregraves J-C) dans F-R Herbin Le Livre de parcourir lrsquoeacuteter-niteacute Leuven Peeters 1994 respectivement p 76ndash77 (sigle N) et p 47ndash72 (sigle A)
20 P Leyde T 32 I 28 (65 apregraves J-C) dans F-R Herbin op cit 1994 p 47ndash72 (sigle A) Papyrus Salt 825 V 10 (probablement XXXe dynastie) dans P Derchain Le Papyrus op cit 1965
21 E Chassinat Le Mystegravere drsquoOsiris au mois de Khoiak Le Caire IFAO 1966ndash1968 fasc I p 249ndash253 fasc II p 587ndash588
160 chapitre trois
destineacutee du dieu22 formes ou noms des dieux23 aspect astral drsquoun dieu24 et enfin peut-ecirctre une partie du corps du dieu25 voire les reliques du dieu dans un sanctuaire ou les formes du dieu sorties chaque anneacutee et cacheacutees ensuite26 Dans le contexte hermeacutetique il srsquoagirait de repreacutesen-tations de documents ou drsquoobjets concernant Osiris placeacutes dans un lieu qui lui est consacreacute et ougrave se deacuterouleraient les mystegraveres drsquoOsiris Ce lieu pourrait aussi ecirctre lrsquoabaton bosquet sacreacute abritant le tombeau et si inaccessible que pas mecircme les oiseaux nrsquoy parviendraient27 Agrave lrsquoeacutepoque tardive chaque grand temple possegravederait son abaton traditionnelle-ment accessible seulement agrave une minoriteacute de precirctres La proximiteacute des laquo secrets raquo drsquoOsiris accentuerait ainsi la sacraliteacute des documents drsquoHer-megraves tout en indiquant que la cachette est un lieu sacreacute temple ou chapelle et que peu de personnes y ont accegraves
Dans lrsquoOgdEnn le lieu de deacutepose est le temple de Diospolis 28 (NH VI 6119 ) avec une preacutecision donneacutee en NH VI 624 laquo Jrsquoordonne [ ] que
22 E Chassinat op cit 1966ndash196823 Formes de dieux P Leyde T 32 II 20 Noms de dieux Edfou VIII 75 Texte
E Chassinat Le Temple drsquoEdfou t 8 Le Caire IFAO 1933 et traduction D Kurth laquo ldquoAlpha kai O-Megardquo Uumlber eine Formel in den aumlgyptischen Tempelinschriften griechisch-roumlmischer Zeit raquo in W Clarysse and H Willems (eds) Egyptian Religion The Last Thousand Years Studies Dedicated to the Memory of J Quaegebeur vol 2 Leuven Peeters 1998 p 875ndash882
24 Edfou II 17 dans A Gutbub Textes fondamentaux de la theacuteologie de Kom Ombo Le Caire IFAO 1973 F-R Herbin laquo Un hymne agrave la lune croissante raquo BIFAO 82 (1982) p 237ndash282 + pl XLVII
25 Papyrus BM 10 208 II 2ndash3 dans FMH Haikal Two Hieratic Funerary Papyri of Nesmin 2 Parts Bruxelles Fondation Eacutegyptologique Reine Eacutelisabeth 1970ndash1972 p 60 n 24
26 Signalons les figurines drsquoOsiris retrouveacutees agrave Karnak dans la zone Nord-Est de lrsquoenceinte sacreacutee dont certaines remontent agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque et drsquoautres agrave lrsquoeacutepo-que saiumlte F Leclegravere laquo A Cemetery of Osiris Figurines at Karnak raquo Egyptian Archaeo-logy 9 (1996) p 9ndash12
27 J Assmann op cit 2001 p 28928 Plusieurs localiteacutes antiques ont porteacute ce nom en Eacutegypte et deux sont particu-
liegraverement inteacuteressantes 1deg Diospolis Parva eacutegalement appeleacutee Hou et situeacutee dans le septiegraveme nome de Haute-Eacutegypte au sud de Cheacutenoboskion ougrave les codices de Nag Hammadi ont eacuteteacute deacutecouverts (J Ball Egypt in the Classical Geographers Le Caire Government Press 1942 p 63 78 et 112 P Montet Geacuteographie de lrsquoEacutegypte ancienne Premiegravere partie To-mehou la Basse-Eacutegypte Paris Klincksieck 1957 carte planche II S Sauneron laquo Villes et leacutegendes drsquoEacutegypte raquo BIFAO 64 (1966) p 185ndash191 et surtout p 187ndash189 K Zibeacutelius laquo Hu raquo LAuml III 1980 col 64) 2deg Diospolis Magna crsquoest-agrave-dire Thegravebes Si Hou peut eacuteventuellement convenir (G Fowden op cit 2000 p 250 et n 59) Thegravebes serait cependant la plus approprieacutee En effet elle est le plus souvent appeleacutee simplement Diospolis dans les sources grecques (Diodore de Sicile Bibliothegrave-que historique I 151ndash2 454 et 971 Strabon Geacuteographie XVII 127 et 46) de plus Thot est preacutesent agrave Thegravebes et il est la diviniteacute tuteacutelaire du temple de Qasr el Agouz
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 161
tu la (= la leccedilon) places dans ⲡⲁⲟⲩⲱⲡⲉ raquo lrsquointerpreacutetation du passage deacutepend de la compreacutehension du syntagme ⲡⲁⲟⲩⲱⲡⲉ un hapax pour le moment ⲡⲁ est-il le possessif laquo mon raquo et le ⲟⲩⲱⲡⲉ le laquo temple raquo le laquo sanctuaire raquo ou lrsquolaquo enceinte raquo29 Cette derniegravere traduction est celle adopteacutee par A Camplani qui justifie son choix agrave lrsquoaide de lrsquoeacutetymologie proposeacutee par E Lucchesi suivi par W Vycichl 30 Alors que les pre-miers traducteurs ont penseacute que ⲟⲩⲱⲡⲉ deacuterivait de ⲟⲩⲟⲡ laquo ecirctre pur ecirctre saint raquo et qursquoil remontait agrave lrsquoeacutegyptien wʿb31 E Lucchesi proposa lrsquoeacutegyptien wbꜢ Ce terme attesteacute dans des documents hieacuteroglyphiques depuis la XVIIIe dynastie et dans des documents deacutemotiques32 est diversement traduit laquo sanctuaire raquo laquo cour ouverte raquo laquo avant-cour raquo en anglais forecourt en allemand Vorhof plus reacutecemment laquo teacutemeacutenos raquo et laquo entreacutee raquo33 Du fait des deacuteterminatifs de lrsquoœil ouvert et du signe de
situeacute pregraves de Meacutedinet Habou pour une premiegravere approche JF Quack op cit 1998 p 255ndash256 et Y Volokhine laquo Le dieu Thoth au Qasr el-Agoucircz dd-hr-pꜢ-hb dhwty-stm raquo BIFAO 102 (2002) p 405ndash423
29 M Krause and P Labib op cit p 182 laquo Heiligtum () raquo J-P Maheacute op cit 1978 p 85 laquo temple raquo J Brashler PA Dirkse and DM Parrott op cit p 369 laquo sanctuary raquo A Camplani Scritti op cit 2000 p 152 laquo recinto raquo
30 A Camplani Scritti op cit 2000 p 152 et 176 E Lucchesi laquo Essai de traduction drsquoun mot copte nouveau raquo Le Museacuteon 88 (1975) p 371ndash373 W Vycichl Dictionnaire eacutetymologique de la langue copte Leuven Peeters 1983 p 235
31 H-M Schenke laquo Zur Facsimile-Ausgabe der Nag-Hammadi-Schriften Nag-Hammadi-codex VI raquo OLZ 69 (1974) col 242 laquo und ⲟⲩⲱⲡⲉ duumlrfte dem aumlgyptischen wʿb ldquodie reine Saumltterdquo = Heiligtum (WB I 284) entsprechen raquo J-P Maheacute op cit 1978 p 126 reprend cette eacutetymologie et la confirme en faisant appel agrave F Daumas
32 P Spencer The Egyptian Temple A Lexicographical Study London Kegan Paul International 1984 p 4ndash13 et p 27 note toutefois un document de la XIe dynastie Srsquoil srsquoaveacuterait que le terme copte remonte bien agrave wbꜢ il faudrait corriger lrsquoaffirmation de P Spencer (op cit p 13) selon laquelle ce terme nrsquoapparaicirct pas en copte et qui expli-que cette absence par lrsquoarrecirct des constructions et freacutequentations des temples auxquels ce terme est tregraves fortement lieacute De plus cette situation nrsquoempecircche pas forceacutement un auteur drsquoutiliser ce terme en reacutefeacuterence agrave un temps certes reacutevolu mais dont le souvenir peut subsister chez un petit nombre de lettreacutes
33 laquo Sanctuaire raquo LA Christophe laquo Le vocabulaire drsquoarchitecture monumentale drsquoapregraves le Papyrus Harris I raquo in Meacutelanges Maspeacutero 1 Orient ancien fasc 4 Le Caire IFAO 1961 p 24 laquo Forecourt raquo WA Ward The Four Egyptian Homographic Roots bꜢ Etymological and Egypto-Semitic Studies Rome Biblical Institute Press 1978 p 60 laquo Vorhof raquo G Roeder laquo Zwei hieroglyphische Inschriften aus Hermopolis (Ober-Aumlgypten) raquo ASAE 52 (1954) p 347 et p 348 n 1 laquo teacutemeacutenos raquo P Spencer op cit p 13 et 27 et P Grandet Le Papyrus Harris (BM 9999) I vol 1ndash3 Le Caire IFAO 1994 et 1999 pour le Papyrus Harris 61 274 2811 (entre autres) agrave cocircteacute de celle de laquo sanctuaire raquo (Papyrus Harris 77 287 295) laquo entreacutee raquo C Wallet-Lebrun laquo Agrave propos drsquowbꜢ Note lexicographique raquo GM 85 (1985) p 78 cet auteur four-nit par ailleurs une revue rapide des diffeacuterentes traductions et plusieurs reacutefeacuterences bibliographiques
162 chapitre trois
lrsquooutil qui sert agrave percer34 J Quaegebeur estime que ce vocable rend les notions drsquolaquo espace ouvert raquo et de laquo zone situeacutee aux abords des tem-ples raquo35 et deacutesigne le laquo parvis raquo traduction reprise par P Vernus pour qui lrsquowbꜢ est lrsquolaquo interface entre le sanctuaire divin reacuteserveacute agrave quelques initieacutes et la foule des fidegraveles raquo36 Plus reacutecemment A Cabrol ajoute qursquoil faut moins tenter de faire coiumlncider ce terme avec des zones architec-turales preacutecises que mettre lrsquoaccent sur son aspect fonctionnel wbꜢ deacutesigne un laquo espace ouvert raquo deacutependant du domaine moral du tem-ple et sa principale fonction est drsquoecirctre un lieu de contact et drsquoaccueil un espace de communication entre la population et lrsquoinstitution du temple37 Selon cette hypothegravese les stegraveles seraient situeacutees dans un lieu accessible agrave tous les fidegraveles la laquo cour raquo du temple38 faisant penser aux deacutecrets trilingues de lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque dresseacutes agrave lrsquoendroit le plus en vu (ἐν τῷ ἐπιφανεστάτῳ τόπῳ) des temples39 lrsquoeacutecrit hermeacutetique est toutefois proteacutegeacute par lrsquousage des hieacuteroglyphes
G Roquet 40 proposa une autre hypothegravese agrave partir drsquoune nouvelle interpreacutetation du syntagme ⲡⲁⲟⲩⲱⲡⲉ ⲡⲁ laquo celui de raquo lrsquoarticle indeacute-fini ⲟⲩ et le nom commun ⲱⲡⲉ ce dernier deacuteriverait de lrsquoeacutegyptien ỉp laquo compter raquo qui donna en copte ⲱⲡ41 Que ⲡⲁ laquo celui de raquo soit suivi drsquoun groupe nominal deacutetermineacute par un indeacutefini est rare mais attesteacute en copte La traduction du syntagme serait donc laquo celui drsquoun comptage raquo et renverrait agrave la zone drsquoenregistrement soit la bibliothegraveque soit le centre drsquoarchives Lrsquoeacutecrit serait ainsi dissimuleacute aux regards du grand
34 WB I p 290ndash29135 J Quaegebeur laquo La justice agrave la porte des temples et le toponyme Premit raquo dans
C Cannuyer et J-M Kruchten Individu socieacuteteacute et spiritualiteacute dans lrsquoEacutegypte pharao-nique et copte Meacutelanges eacutegyptologiques offerts au professeur A Theacuteodoridegraves Bruxelles Association montoise drsquoEacutegyptologie 1993 p 204
36 P Vernus laquo La grotte de la valleacutee des reines dans la pieacuteteacute personnelle des ouvriers de la tombe (BM 278) raquo in RJ Deacutemareacutee and A Egberts (eds) Deir el-Medina in the Third Millennium AD a Tribute to JJ Janssen Leiden Nederlands Instituut voor het Nabije Oosten 2000 p 332
37 A Cabrol Les Voies processionnelles de Thegravebes Leuven Peeters 2001 p 82ndash84 et p 87
38 laquo Cour raquo du temple plutocirct que laquo teacutemeacutenos raquo qui eacutevoque un espace trop grand39 G Wagner op cit 1971 p 1ndash21 fragments C-D l 19ndash20 drsquoun deacutecret trilingue
datant de Ptoleacutemeacutee V Eacutepiphane et de Cleacuteopacirctre fragments qui ont eacuteteacute retrouveacutes dans le dromos de Karnak Sur les correspondants eacutegyptiens de cette expression et leur inexactitude F Daumas op cit 1952 p 169ndash171
40 Lors de la soutenance de thegravese du 5 janvier 200541 WB I 66
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 163
nombre et son emplacement serait en accord avec le lien entre lrsquoeacutecrit et la laquo Maison de Vie raquo dans lrsquoOgdEnn
Il est cependant difficile pour le moment de trancher deacutefinitivement entre ces hypothegraveses mecircme si nous penchons plus pour la seconde drsquoougrave la traduction laquo centre drsquoarchives raquo En effet si lrsquoarsenal protec-teur deacuteployeacute se conccediloit pour un eacutecrit visible de tous en particulier les gardiens qui rappellent ceux des portes du laquo teacutemeacutenos raquo wbꜢ drsquoHeacutelio-polis chargeacutes de surveiller lrsquoaccegraves42 il se conccediloit eacutegalement pour un eacutecrit deacutejagrave dissimuleacute agrave la vue du grand nombre Quoi qursquoil en soit le caractegravere sacreacute obtenu par la localisation des stegraveles et lrsquoeacutecriture font de la mise par eacutecrit et de lrsquoeacuterection des stegraveles un acte rituel Lrsquoauteur de lrsquoOgdEnn preacutetend que ces indications sont mises en œuvre dans le monde des protagonistes Srsquoil est vraisemblable qursquoaucune stegravele nrsquoa eacuteteacute deacuteposeacutee dans la cour ou la bibliothegraveque drsquoun temple le destinataire peut quant agrave lui penser que de telles stegraveles ont reacuteellement eacuteteacute eacuterigeacutees ou du moins que cela est possible
Les deux auteurs de SH 23 et de lrsquoOgdEnn associent le thegraveme du livre cacheacute agrave celui de lrsquoeacutecriture conccedilue comme un voile Hermegraves exige de son disciple drsquoeacutecrire la leccedilon en laquo lettres graveacutees de lrsquoeacutecrit de la ldquoMaison de Vie rdquo raquo crsquoest-agrave-dire en hieacuteroglyphes Ce systegraveme drsquoeacutecriture confegravere agrave lrsquoeacutecrit un caractegravere sacreacute43 et est un excellent moyen pour empecirccher un deacutechiffrement inducirc peu de personnes eacutetant capables de le lire et le comprendre Le traducteur copte eacutevoque la gravure des hieacuteroglyphes avec le verbe ϣⲟϫⲧ autre forme de ϣⲟⲧϣⲧ laquo graver raquo dont un eacutequivalent grec est χάραγμα44 Or Isis emploie χαράσσω pour deacutesigner lrsquoactiviteacute drsquoHermegraves en 235 sans preacuteciser le systegraveme drsquoeacutecri-ture employeacute Le verbe grec signifie aussi bien laquo graver raquo laquo marquer drsquoune empreinte raquo (comme sur une monnaie) laquo peindre raquo laquo figurer raquo et il renvoie donc agrave des documents de nature diffeacuterente eacutecrits gra-veacutes stegraveles figures ou dessins Isis qualifie les gravures drsquoHermegraves par
42 Papyrus Harris 287 laquo jrsquoai organiseacute les gardiens de porte en compagnies doteacutees de personnel afin de surveiller et drsquointerdire strictement lrsquoaccegraves agrave ton teacutemeacutenos raquo ἰrhἰ ἰryw-ʿꜢ m sꜢw ʿpr(w) m rmt r sʿšꜢ sdsrsdsr pꜢyk wbꜢ (traduction P Grandet )
43 Voir la section laquo Le cadre rituel de la mise par eacutecrit raquo dans le chapitre deux44 Ac 1729 WE Crum op cit 1939 p 599 a Le verbe copte apparaicirct seulement
cinq fois dans la traduction sahidique du Nouveau Testament toujours pour traduire un terme grec diffeacuterent Voir R Draguet Index copte et grec-copte de la concordance du Nouveau Testament Sahidique Louvain Secreacutetariat du CorpusSCO 1960 M Wilmet Concordance du Nouveau Testament sahidique II Les mots autochtones vol 3 Lou-vain Secreacutetariat du CorpusSCO 1959
164 chapitre trois
lrsquoexpression laquo symboles sacreacutes des eacuteleacutements cosmiques raquo en SH 237 Le terme σύμβολον courant dans lrsquoalleacutegorie et la theacuteurgie 45 est tout ce qui est visible et entretient un lien avec le monde cosmique Dans la theacuteurgie les symboles secrets permettent au theacuteurge de srsquoeacutelever vers Dieu46 Ils peuvent renvoyer agrave des rites et dans les Papyrus grecs magiques agrave des objets des formules47 En tant que gravure laquo symboles sacreacutes des eacuteleacutements cosmiques raquo et laquo livres raquo (SH 238 ) ce que grave Hermegraves peut ecirctre une suite de lettres48 et des dessins Un teacutemoignage arabe plus reacutecent irait dans ce sens dans la notice qursquoil consacre agrave Hermegraves Trismeacutegiste Shams al-Din al Shahrazuri rapporte que Hermegraves laquo construisit le sanctuaire qui se trouve dans la montagne du temple drsquoAkhmicircm Il y repreacutesenta lrsquoensemble des arts et des productions en les gravant ainsi que lrsquoensemble des outils des artisans Il indiqua les caracteacuteristiques des sciences par des dessins raquo49 Srsquoil en va bien ainsi lrsquoeacutecriture qui au deacutepart permet la divulgation et lrsquoaccegraves agrave tous devient ainsi une cachette en deacuterobant lrsquoeacutecrit agrave la compreacutehension des lecteurs par le recours agrave des figures et des signes incompreacutehensibles au premier abord ou agrave une langue peu connue
Les indications dans les deux traiteacutes permettent donc de recreacuteer un contexte rituel plausible et de transfeacuterer aux eacutecrits hermeacutetiques le caractegravere sacreacute de documents placeacutes dans un lieu consacreacute agrave une divi-niteacute Ces indications sont le pendant laquo concret raquo de lrsquoassociation entre la forme visible et le contenu cacheacute et eacutenigmatique de lrsquoenseignement Les deux auteurs se conforment ainsi agrave lrsquoordre de Poimandregraves en
45 H Crouzel op cit p 225ndash228 J Dillon laquo Image Symbol and Analogy Three Basic Concepts of Neoplatonis Exegesis raquo in RB Harris The Significance of Plato-nism Norfolk International Society for Neoplatonic Studies 1976 p 247ndash262 ARD Sheppard op cit p 146ndash145 et 151 et suivantes L Cardullo Il linguaggio del simbolo in Proclo analisi filosofico-semantica dei termini symbolon-eikocircn-synthecircma nel Com-mentario alla Repubblica Catania Universitagrave di Catania 1985 C van Liefferinge La Theacuteurgie Des Oracles Chaldaiumlques agrave Proclus Liegravege Centre international drsquoEacutetude de la Religion Grecque Antique 1999 Lrsquoemploi de ce terme dans la theacuteurgie remonte aux Oracles chaldaiumlques fragment 108
46 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon IV 2 (184) C van Liefferinge op cit 1999 p 56 et 161
47 C van Liefferinge op cit 1999 p 57 PGM IV 2290 et 2304 48 Mecircme si les lettres peuvent ecirctre deacutesigneacutees par le terme στοιχεῖον et que les sept
voyelles renvoient souvent aux sept planegravetes49 E Cottrell Le Kitab Nazhat al wa Rawdat al-Afrah de Shams al-Din al Shahra-
zuri ( fin du 13e siegravecle) Paris EPHE Section ldquoSciences des religionsrdquo Th Doct Sci Rel Paris 2004 p 79 Nous remercions E Cottrell de nous avoir communiqueacute les pages concernant Hermegraves Trismeacutegiste
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 165
CH I 26 et aux premiers temps de lrsquoenseignement du narrateur quand celui-ci srsquoadressait agrave tous et que seul un petit nombre le suivait (CH I 27ndash29 ) Le langage speacutecifique ajouteacute aux eacutenigmes et lrsquoeacutecriture hieacutero-glyphique ou figureacutee permettent de proteacuteger lrsquoenseignement eacutecrit et de seacutelectionner les hommes dignes surtout en lrsquoabsence du maicirctre ce seront ceux qui auront voulu pourront et fourniront les efforts neacuteces-saires Ce seront aussi ceux qui se seront purifieacutes pour acceacuteder agrave ces eacutecrits
Dans lrsquoOgdEnn lrsquoauteur hermeacutetiste ne srsquoen tient pas lagrave et propose un arsenal technique rituel pour augmenter le niveau de protection
II Une recette apotropaiumlque rituelle
En NH VI 61ndash63 Hermegraves renforce les mesures deacutejagrave prises en donnant des informations suppleacutementaires quant aux mateacuteriaux agrave lrsquoornemen-tation des stegraveles et au moment adeacutequat pour les eacuteriger Ces indications sont fondeacutees sur des donneacutees historiques en particulier eacutegyptiennes sans ecirctre pour autant le compte-rendu drsquoune situation reacuteelle
Selon ces informations la reacutealisation des stegraveles supposerait lrsquointer-vention de quatre corps de meacutetiers (qui dans le contexte religieux eacutegyptien deacutependent de la laquo Maison de Vie raquo) des tailleurs de pierre des deacutecorateurs (sculpteurs ou peintres) des scribes et des astrolo-gues Le nombre drsquointervenants est toutefois reacuteduit au minimum puisqursquoHermegraves srsquoadresse agrave son disciple comme si ce dernier doit tout reacutealiser En reacutealiteacute le disciple apparaicirct plutocirct comme le maicirctre drsquoœuvre qui supervise lrsquoensemble des travaux il ne srsquoimpliquerait directement que dans lrsquoeacutecriture du texte et peut-ecirctre dans la mise en place des stegrave-les Ceci suppose qursquoil connaisse exactement la valeur des mateacuteriaux qursquoil ait quelques connaissances astrologiques en plus de savoir eacutecrire en hieacuteroglyphes Il ressemble agrave un precirctre bien avanceacute dans le cursus tandis qursquoHermegraves est lrsquoeacutequivalent drsquoun chef ritualiste dont la preacuteoccu-pation principale est drsquoassurer aux stegraveles et agrave leur contenu une aura et une protection sacreacutees Rappelons que selon lrsquoAscleacutepius Hermegraves est eacutegalement celui qui sait fabriquer une statue animeacutee Avec cette seacuterie drsquoindications Hermegraves donne agrave son disciple une laquo recette raquo rituelle apo-tropaiumlque qui pourrait provenir drsquoun recueil rituel Hermegraves lirait agrave son disciple cette laquo recette raquo afin que celui-ci lrsquoexeacutecute ou la fasse exeacutecuter correctement un peu comme ce que nous dit Plutarque agrave propos de la preacuteparation du kyphi laquo le meacutelange des ingreacutedients (= ceux du kyphi)
166 chapitre trois
ne srsquoeffectue pas au hasard mais selon des recettes sacreacutees qursquoon lit aux parfumeurs pendant la preacuteparation raquo50 Son ton diffegravere de celui adopteacute lors de son enseignement plus solennel et injonctif avec ϣϣⲉ (laquo il convient raquo en NH VI 6128 ) ϯⲣⲕⲉⲗⲉⲩⲉ (laquo jrsquoordonne raquo en NH VI 621 ) et la seacuterie drsquoimpeacuteratifs De plus Hermegraves nrsquoheacutesite pas agrave reacutepeacuteter51 certaines informations pour en souligner lrsquoimportance Muni de tous ces renseignements avec son propre savoir agrave lrsquoarriegravere-plan le disciple peut accomplir lrsquoacte rituel qursquoest la production des stegraveles
1 Utilisation de mateacuteriaux speacutecifiques
Hermegraves commence la laquo recette raquo en preacutecisant la nature du mateacuteriau utiliseacute ⲱ ⲡⲁϣⲏ28ⲣⲉ ⲡⲉⲉⲓϫⲱⲙⲉ ϣϣⲉ ⲉⲥⲁϩϥ 29ⲉϩⲉⲛⲥⲧⲏⲗⲏ ⲛⲕⲁⲗⲗⲁⲉⲓⲛⲟⲥ 30ϩⲛ ϩⲛⲥϩⲉⲉⲓ ⲛⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲉⲓϣ laquo Mon fils ce livre il convient de lrsquoeacutecrire sur des stegraveles de turquoise dans des lettres graveacutees de lrsquoeacutecrit de la ldquoMaison de Vie rdquo raquo (NH VI 6127ndash30) indications reprises en NH VI 6210ndash15 ⲕⲱ ⲛⲇⲉ ⲛⲟⲩⲱⲛⲉ 11ⲛⲅⲁⲗⲁⲕⲧⲓⲧⲏⲥ ⲙⲡⲓⲧⲛ ⲛⲛ12ⲡⲗⲁⲝ ⲛⲕⲁⲗⲗⲁⲉⲓⲛⲏ ⲉϥⲉ ⲛⲧⲉ13ⲧⲣⲁⲅⲱⲛⲟⲛ ⲛⲅⲥϩⲁⲓ ⲡⲣⲁⲛ ⲉⲧ14ⲡⲗⲁⲝ ⲛⲱⲛⲉ ⲛⲥⲁⲡⲡⲉⲓⲣⲓⲛⲟⲛmiddot 16ϩⲛ ϩⲛⲥϩⲁⲉⲓ ⲛⲥⲁϩ ⲡⲣⲁⲉⲓϣ laquo Et place une pierre de galactite en dessous des tables de turquoise qui soit carreacutee et eacutecris le Nom sur la table de pierre saphir dans des lettres graveacutees de lrsquoeacutecrit de la ldquoMaison de Vie rdquo raquo
Hermegraves agit comme un precirctre de la laquo Maison de Vie raquo qui connaicirct la valeur symbolique et estheacutetique de chaque mateacuteriau meacutetal mineacuteral ou
50 Plutarque Isis et Osiris 80 383 E συντίθενται δ᾿ οὐχ ὅπως ἔτυχεν ἀλλὰ γραμμάτων ἱερῶν τοῖς μυρεψοῖς ὅταν ταῦτα μιγνύωσιν ἀναγινωσκομένων (tra-duction C Froidefond ) Voir P Derchain laquo La recette du kyphi raquo RdE 28 (1976) p 61ndash65
51 Ceci nrsquoest valable que si lrsquoon accepte de corriger le texte agrave la page 61 Agrave la ligne 23 le codex donne ⲡⲁϣⲏⲣⲉ or il est difficile de penser qursquoHermegraves dit laquo je le ferai comme tu lrsquoas ordonneacute raquo lrsquoordre se reacutefeacuterant aux indications concernant la production eacutecrite en caractegraveres hieacuteroglyphiques Tous les eacutediteurs et traducteurs ont donc corrigeacute le texte remplaccedilant ⲡⲁϣⲏⲣⲉ par ⲡⲁⲓⲱⲧ Cette correction en entraicircne une seconde aux lignes 25 et 26 qui diffegravere selon les eacutediteurs et traducteurs Les uns (J-P Maheacute op cit 1978 p 82 et p 125 et K-W Troumlger op cit 1973 col 201 et 2003 p 516) corrigent lrsquoimpeacuteratif ⲥⲁϩϥ de la ligne 26 en un conjonctif futur ⲧⲁⲥⲁϩϥ ce serait donc toujours le disciple qui parle et il demanderait agrave Hermegraves srsquoil doit eacutecrire le texte sur des stegraveles de turquoise Les autres (M Krause and P Labib op cit p 181 J Brashler PA Dirkse and DM Parrott op cit p 366 A Camplani Scritti op cit 2000 p 152 et p 175ndash176) corrigent plutocirct le vocatif ⲡⲁⲓⲱⲧ agrave la ligne 25 en ⲡⲁϣⲏⲣⲉ crsquoest le maicirctre qui reprendrait alors la parole ordonnant agrave son disciple drsquoeacutecrire sur des stegraveles de turquoise Crsquoest eacutegalement notre position consideacuterant qursquoil srsquoagit simplement drsquoune erreur de vocatifs interchangeacutes plutocirct qursquoune erreur drsquointervention et de temps verbal Voir A Camplani Scritti op cit 2000 p 175ndash176 cela se serait produit en deux temps dans la tradition grecque
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 167
veacutegeacutetal utile pour la production de monuments et drsquoobjets religieux Ces mateacuteriaux allient leur efficience pour proteacuteger les ecirctres qui en sont enveloppeacutes ou revecirctus laquo comme une sorte drsquoenduit drsquoinvincibiliteacute raquo52 Parmi les mineacuteraux53 les pierres jouent un rocircle fondamental avec des proprieacuteteacutes symboliques et estheacutetiques qui deacutependent aussi de leur cou-leur il est drsquoailleurs possible drsquoexploiter ces proprieacuteteacutes sans recourir agrave ces pierres le plus souvent preacutecieuses agrave lrsquoeacutepoque54 car il suffit drsquoavoir un substitut de mecircme couleur Hermegraves se place dans la droite ligne des ritualistes eacutegyptiens en ordonnant drsquoemployer trois pierres diffeacuterentes ou leur substitut pour capter la valeur symbolique attacheacutee agrave chacune la turquoise le saphir et la pierre de lait
La turquoise est destineacutee agrave ecirctre le support de la leccedilon sur lrsquoOgdoade et lrsquoEnneacuteade Le traducteur emploie un terme copte drsquoorigine grecque ndash avec plusieurs orthographes ⲕⲁⲗⲁⲉⲓⲛⲟⲥ ⲕⲁⲗⲗⲁⲉⲓⲛⲟⲥ et ⲕⲁⲗⲗⲁⲉⲓⲛⲏ ndash lrsquoancien nom eacutegyptien mfkꜢt55 ou mfkj en deacutemotique nrsquoa pas laisseacute drsquoattestation en copte56 Pierre de couleur bleu ciel se deacuteteacuteriorant souvent en bleu-vert ou mecircme en vert 57 elle est traditionnellement employeacutee pour ornementer les diviniteacutes et les membres de lrsquoeacutelite pour colorer les verres et les peintures et surtout pour les bijoux jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine Pierre la plus connue pour son symbolisme elle est associeacutee agrave Hathor Selon des textes eacutegyptiens la couleur verte de la turquoise serait celle du disque solaire qui se legraveve avant lrsquo apparition
52 SH Aufregravere laquo Lrsquoecirctre glorifieacute et diviniseacute dans les rites de passage vers lrsquoau-delagrave raquo Eacutegypte Afrique et Orient 5 (juin 1997) p 3 Voir aussi F Daumas laquo Sur un scara-beacutee portant une inscription curieuse raquo in Hommages agrave la meacutemoire de Serge Sauneron 1927ndash1976 t 1 Le Caire IFAO 1979 p 160
53 SH Aufregravere laquo Caractegraveres principaux et origine divine des mineacuteraux raquo RdE 34 (1982ndash1983) p 4
54 Mecircme si de nos jours la plupart de ces pierres sont seulement semi-preacutecieuses55 G Roquet preacutefegravere translitteacuterer mfkit qui alterne dans les Textes des Pyramides
avec une graphie sans m initial fkἰt G Roquet laquo Seacuteminaire agrave lrsquoEacutecole Pratique des Hautes Eacutetudes Section des Sciences historiques et philologiques raquo Paris 8 deacutecembre 2004 JR Harris Lexicographical Studies in Ancient Egyptian Minerals Berlin Aka-demie-Verlag 1961 p 106ndash110 pour lrsquoidentification de la mfkꜢt agrave la turquoise et non agrave toutes les pierres de couleur verte SH Aufregravere LrsquoUnivers mineacuteral dans la penseacutee eacutegyptienne vol 2 Le Caire IFAO 1991 p 491ndash492 et p 491ndash517
56 Le dictionnaire de WE Crum et les dictionnaires eacutetymologiques de J Černy et de W Vycichl ne donnent aucun terme copte pour la turquoise WE Crum donne une occurrence mais avec le terme emprunteacute au grec (op cit 1939 p 23 b)
57 A Lucas and JR Harris Ancient Egyptian Materials and Industries London E Arnold 19624 p 404 Pline lrsquoAncien Histoire naturelle livre XXXVII VIII 110ndash112 (33)
168 chapitre trois
de lrsquoaurore rougeoyante58 La turquoise est ainsi une promesse drsquoespoir et de renaissance et est reacuteguliegraverement utiliseacutee dans le domaine funeacute-raire ougrave avec drsquoautres pierres comme le lapis-lazuli elle aide le deacutefunt agrave franchir les dangers Elle est aussi lieacutee agrave lrsquoideacutee de fertiliteacute et agrave Basse Eacutepoque agrave la joie59 Tout objet vert est une meacutetaphore pour la joie et signifie aussi fraicirccheur croissance et bonne santeacute60
Ces qualiteacutes de la turquoise sont agrave lrsquoarriegravere-plan du passage hermeacute-tique Elles srsquoaccordent avec le contenu de la leccedilon (vision du divin par le disciple expeacuterimentation drsquoautres dimensions corporelles et reacutegeacuteneacuteration ) qursquoelles renforcent Lrsquoemploi de la turquoise dans ce contexte teacutemoignerait que sa valeur religieuse nrsquoavait pas eacuteteacute totale-ment oublieacutee61 au moins dans certains milieux eacutegyptiens Pour rendre compte de toute cette symbolique le disciple nrsquoa pas besoin drsquoutili-ser la pierre elle-mecircme Il lui suffit drsquoemployer une pierre courante recouverte de turquoise de la faiumlence artificielle ou de la pacircte de verre couleur turquoise qui sont couramment utiliseacutees comme substituts agrave la turquoise en Eacutegypte 62 car selon Pline lrsquoAncien laquo il nrsquoy a point de pierre plus facile agrave contrefaire avec du verre raquo63
En compleacutement de la turquoise Hermegraves ordonne drsquoutiliser du saphir pour la pierre sur laquelle sera graveacute le Nom probablement celui de Dieu Le saphir est certainement le lapis-lazuli 64 qui est identifieacute agrave la pierre eacutegyptienne hsbd 65 Il est utiliseacute pour les amulettes pour les yeux
58 E Brunner laquo Die gruumlne Sonne raquo in M Goumlrg und E Pusch Festschrift E Edel Bamberg M Goumlrg 1979 p 54ndash59 SH Aufregravere op cit 1991 p 496ndash498 Ce pheacute-nomegravene est actuellement connu sous le nom de lumiegravere zodiacale voir en particulier D Benest et C Froeschleacute (dir) Asteacuteroiumldes meacuteteacuteores et poussiegraveres drsquoeacutetoiles Paris Eska 1999 chapitre six
59 La turquoise reacutejouit la deacuteesse Hathor de la mecircme faccedilon que le soleil apparaissant agrave lrsquohorizon reacutejouit Agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque les precirctres font un jeu de mot entre mfk laquo se reacutejouir raquo et le nom de la turquoise SH Aufregravere op cit 1982ndash83 p 11
60 E Brunner-Traut laquo Farben raquo LAuml II 1977 col 12561 Nous ne souscrivons donc pas agrave lrsquoaffirmation de SH Aufregravere laquo il semble qursquoagrave
lrsquooubli du nom ait eacutegalement correspondu celui de sa valeur religieuse en Eacutegypte mecircme raquo (op cit 1991 p 491)
62 Cf M Errera laquo Deacutetermination spectroradiomeacutetrique du mateacuteriau de deux objets pharaoniques ldquoturquoisesrdquo raquo in C Karlshausen et T De Putter (eacuteds) Pierres eacutegyp-tiennes Chefs-drsquoœuvre pour lrsquoeacuteterniteacute Mons Faculteacute Polytechnique de Mons 2000 p 107ndash109
63 Pline lrsquoAncien Histoire naturelle livre XXXVII VIII 112 (33) neque est imita-bilior alia mendacio vitri (traduction E de Saint-Denis )
64 A Lucas and JR Harris op cit p 398 Pline lrsquoAncien Histoire naturelle livre XXXVII IX 119 (38) et 120 (39)
65 JR Harris op cit p 124ndash129 et surtout 124ndash125 SH Aufregravere op cit 1991 p 463ndash465
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 169
des statues divines et les barbes et cheveux de diviniteacutes comme crsquoest le cas du Serpent du Conte du naufrageacute de Recirc dans le Mythe de la Vache du Ciel 66 Avec lrsquoor il est la pierre la plus valoriseacutee et la plus symboli-que jusqursquoagrave la fin de la civilisation eacutegyptienne De couleur bleue som-bre parsemeacutee de pyrite doreacutee 67 il est associeacute au ciel nocturne avec ses constellations drsquoeacutetoiles et aux eaux primordiales Ses proprieacuteteacutes sont de purifier68 proteacuteger les dieux et les deacutefunts contre leurs ennemis69 et il est une garantie de devenir cosmique apregraves la mort70 De plus il serait le symbole de la diviniteacute qui se manifeste et ecirctre en possession de ce mineacuteral revient agrave posseacuteder une parcelle de divin Agrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine sa couleur est celle du prestige par excellence surtout dans un contexte religieux En utilisant le saphir Hermegraves mobilise son prestige ses qualiteacutes apotropaiumlques et purificatrices au profit du Nom Il ne lui est pas neacutecessaire drsquoutiliser reacuteellement cette pierre drsquoautant plus que selon Pline les lapis-lazuli laquo ne valent rien pour la gravure agrave cause des nodositeacutes cristallines qui se preacutesentent agrave lrsquointeacuterieur raquo71 et que les Eacutegyptiens eux-mecircmes en faisaient des imitations en faiumlence
Le disciple doit placer sous les stegraveles de turquoise une laquo pierre de lait raquo quadrangulaire et aneacutepigraphe probablement de la galactite Celle-ci ressemble agrave la pierre šs lrsquoalbacirctre eacutegyptien72 ou onyx marbreacute qursquoil faut diffeacuterencier de lrsquoalbacirctre actuel ou marbre 73 il srsquoagit drsquoailleurs plutocirct de calcite En Eacutegypte pierre reacutesistante74 la calcite est couramment
66 C Lalouette op cit 1987 p 154 pour le Conte du naufrageacute Mythe de la Vache du Ciel 7 E Hornung op cit 1982 p 52 n 6 Pour le rapport entre le lapis-lazuli et la pilositeacute SH Aufregravere op cit 1991 p 467
67 Pline lrsquoAncien Histoire naturelle livre XXXVII IX 119 (38) aurum punctis conlucet laquo lrsquoor brille en pointilleacutes raquo (traduction E de Saint-Denis ) Theacuteophraste De Lapidibus 23 αὕτη δrsquo ἑστὶν ὥσπερ χρυσόπαστος laquo celle-ci (le saphir = lapis-lazuli ) est comme saupoudreacute drsquoor raquo E Brunner-Traut op cit col 125
68 Dendera VIII 92 precirctre XVIII colonne 89 le second precirctre drsquoHathor devait laquo purifier Sa Majesteacute au moyen du lapis-lazuli qui est dans sa main raquo citation chez SH Aufregravere op cit 1982ndash83 p 6
69 Lapidaire latin Damigeacuteron Evax XIV 2ndash3 les rois la portent au cou laquo car crsquoest une tregraves grande protection raquo maximum enim est tutamentum
70 Pour ce qui suit SH Aufregravere op cit 1991 p 474 p 465 et p 468ndash46971 Pline lrsquoAncien Histoire naturelle livre XXXVII IX 120 (39) praetera inutiles
scalpturis interrienientibus crystallinis centris (traduction E de Saint-Denis )72 JR Harris op cit p 77ndash78 SH Aufregravere op cit 1991 p 696ndash69873 A Lucas and JR Harris op cit p 59 Pline lrsquoAncien Histoire naturelle livre
XXXVII X 143 (54) et p 169 n 6 lrsquoalabastritis dont parle Pline est lrsquoalbacirctre eacutegyptien qursquoil faut diffeacuterencier de lrsquoalbacirctre moderne
74 Cette reacutesistance nrsquoempecircchait pas des deacuteteacuteriorations naturelles Le dallage en albacirc-tre du temple funeacuteraire de Teacuteti agrave Saqqara montre des traces de rapieacuteccedilage J-P Lauer et
170 chapitre trois
employeacutee dans la construction pour recouvrir les sols de cours agrave ciel ouvert ou les murs Elle sert aussi agrave la fabrication des autels solaires exteacuterieurs75 et des objets comme les vases canopes Elle est la couleur des fecirctes des fastes et de la pureteacute76 Elle a la particulariteacute de suinter le liquide qui en reacutesulte a eacuteteacute assimileacute au lait77 qui jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine est lrsquoobjet drsquooffrandes aux dieux et aux morts pour leur purification et leur rajeunissement78 Porteacutee au cou cette pierre eacuteloignerait des enfants le laquo mauvais œil raquo79 Dans la recette hermeacutetique lrsquoutilisation de cette pierre est agrave mettre en rapport avec lrsquoemplacement de lrsquoensemble du monument elle est le socle sur lequel doivent ecirctre poseacutees les stegraveles de turquoise et probablement aussi la pierre en saphir ou lapis-lazuli leur assurant une fondation reacutesistante et protectrice
Chaque pierre a donc un rocircle particulier par rapport agrave lrsquoutilisation qui en est faite elle confegravere un caractegravere peacuterenne agrave lrsquoenseignement qursquoelle protegravege contre lrsquoaction des hommes et des intempeacuteries et est une marque de sacralisation80 De plus la succession de la turquoise du saphir et de la galactite fait penser agrave un groupement de trois pierres dans le culte religieux eacutegyptien la turquoise le lapis-lazuli et la pierre-thnt 81 qui pour L Motte serait la galactite et lrsquoalbacirctre crsquoest-agrave-dire la calcite 82 Ce groupement symboliserait les joies de la fecircte du Nouvel An et les couleurs correspondantes sont celles que Mout prend suc-cessivement lors de son enfantement quotidien du soleil Lrsquoassociation des trois pierres est donc lieacutee agrave la naissance du soleil ce qui est en par-faite harmonie avec la leccedilon graveacutee puisque celle-ci guide le disciple vers la reacutegeacuteneacuteration 83 Hermegraves mobilise au profit de lrsquoenseignement le symbolisme de chacune des pierres et de leur reacuteunion
J Leclant Mission archeacuteologique de Saqqarah I- Le temple haut du complexe funeacuteraire du roi Teacuteti Le Caire IFAO 1972 p 23
75 E Barre Choix et rocircle de la pierre dans la construction des temples eacutegyptiens Paris 1993 ouvrage eacutetabli drsquoapregraves le meacutemoire de lrsquoEacutecole du Louvre p 132
76 E Brunner-Traut op cit col 12377 Pline lrsquoAncien Histoire naturelle livre XXXVII X 162 (59) sur la galactitis in
attritu lactis suco ac sapore notabilem laquo elle a cette particulariteacute drsquoeacutemettre quand on la frotte une humeur ayant la saveur du lait raquo et il ajoute plus loin qursquoelle se liqueacute-fie (liquescere) dans la bouche (traduction E de Saint-Denis ) Lapidaire orphique v 201ndash203
78 W Gugliemi laquo Milchopfer raquo LAuml IV 1982 col 127ndash128 et surtout col 12779 Lapidaire orphique v 224ndash225 80 Crsquoest le cas dans lrsquoEacutegypte pharaonique P Vernus op cit 1989 p 24ndash2581 L Motte op cit 1989 p 135ndash136 SH Aufregravere op cit 1991 p 50982 L Motte op cit 1989 p 136ndash14083 L Motte op cit 1989 p 144ndash148
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 171
2 Les gardiens de la stegravele
a Les huit gardiens et lrsquoOgdoade hermopolitaine Pour compleacuteter le dispositif preacuteceacutedent Hermegraves assigne huit gardiens en NH VI 621ndash11
ⲉⲧⲃⲉ ⲡⲁⲓ ϯⲣⲕⲉⲗⲉⲩⲉ 2ⲁⲧⲣⲉⲩϣⲟϫⲧ ⲙⲡⲉⲉⲓϣⲁϫⲉ 3ⲁⲡⲱⲛⲉ ⲛⲅⲕⲁⲁϥ ⲛϩⲟⲩⲛ [ⲙ]4ⲡⲁⲟⲩⲱⲡⲉmiddot ⲉⲩⲛ ϣⲙⲟⲩ[ⲛ ⲛ]5ⲫⲩⲗⲁⲝ ⲣⲟⲉⲓⲥ ⲉⲣⲟϥ ⲙⲛ [thinspthinspthinsp] 6ⲙⲫⲏⲗⲓⲟⲥmiddot ⲛϩⲟⲟⲩⲧ ⲙ[ⲉ]ⲛ 7ϩⲓ ⲟⲩⲛⲁⲙ ⲉⲩⲉ ⲙⲡⲣⲟⲥⲱ8ⲡⲣⲟⲛ ⲛⲕⲣⲟⲩⲣ ⲛϩⲓⲟⲙⲉ ⲇⲉ 9ϩⲓ ϭⲃⲟⲩⲣ ⲉⲩⲉ ⲙⲡⲣⲟⲥⲱⲡⲟⲛ 10 ⲛⲉⲙⲟⲩmiddot
Crsquoest pourquoi jrsquoordonne que lrsquoon grave cette parole sur la pierre et que tu la places agrave lrsquointeacuterieur du ldquocentre drsquoarchives ( )rdquo il y a huit gardiens qui la gardent avec [ ] du soleil les macircles agrave droite sont agrave tecircte de grenouille tandis que les femelles agrave gauche sont agrave tecircte de chat
Il srsquoagit probablement drsquoornementations ndash sculpteacutees graveacutees ou pein-tes ndash preacutesentes sur les stegraveles ou agrave cocircteacute Le chiffre huit eacutevoque tout agrave la fois lrsquoOgdoade hermeacutetique ndash la huitiegraveme sphegravere et le titre de la leccedilon ndash le nom drsquoHermopolis en eacutegyptien Aschmounein et enfin lrsquoOgdoade eacutegyptienne avec les huit dieux primordiaux de la cosmologie drsquoHer-mopolis84 Les gardiens hermeacutetiques sont reacutepartis entre macircles et femel-les et particulariteacute eacutegyptienne sont theacuterioceacutephales85 tecircte de grenouille pour les macircles de chat pour les femelles Lrsquoauteur hermeacutetiste fait donc surtout allusion agrave lrsquoOgdoade hermopolitaine Celle-ci constitueacutee de huit diviniteacutes quatre macircles agrave tecircte de grenouille et quatre femelles agrave tecircte de serpent 86 est la personnification de lrsquoeacutetat originel du monde avant la creacuteation et lrsquoensemble des puissances primordiales avant lrsquoapparition du Soleil et drsquoune nouvelle geacuteneacuteration de dieux Cependant lrsquoauteur hermeacutetiste introduit une variante en attribuant aux gardiennes une tecircte de chat Des chercheurs87 donnent une reacutefeacuterence iconographique
84 J-P Maheacute op cit 1978 p 37 L Motte laquo Lrsquoastrologie eacutegyptienne dans quelques traiteacutes de Nag Hammadi raquo Eacutetudes Coptes IV Quatriegraveme journeacutee drsquoeacutetudes Strasbourg 26ndash27 mai 1988 LouvainParis Peeters 1995 p 97 et suivantes
85 Cette particulariteacute suscita chez les non Eacutegyptiens des sentiments varieacutes cf A Charron Les Animaux et le sacreacute dans lrsquoEacutegypte tardive Fonctions et significa-tion Paris EPHE Section ldquoSciences des religionsrdquo Th Doct Sci Rel Paris 1996 p 151ndash162 Il explique le meacutepris des juifs et chreacutetiens par une mauvaise compreacutehen-sion de la part de ces auteurs Mais les premiers chreacutetiens pouvaient-ils ecirctre agrave mecircme de comprendre ces pratiques Et le voulaient-ils reacuteellement Voir parmi les multiples teacutemoignages Philon De Vita Mosis II 162 et Origegravene Contre Celse VIII 53
86 Voir J Parlebas laquo Die Herkunft der Achtheit von Hermopolis raquo in W Voigt Deutscher Orientalistentag Wiesbaden Franz Steiner Verlag 1977 p 36
87 L Motte op cit 1995 p 85ndash102 Il est suivi par A Camplani Scritti op cit 2000 p 152 C Leitz et alii Lexikon der aumlgyptischen Goumltter und Goumltterbezeichnungen
172 chapitre trois
agrave Edfou ougrave les femelles de lrsquoOgdoade hermopolitaine auraient une tecircte de feacutelin mais cette repreacutesentation est en fait tregraves endommageacutee Une autre repreacutesentation iconographique proche de la description drsquoHermegraves et mieux conserveacutee se trouve dans le sanctuaire A du tem-ple drsquoHibis au cinquiegraveme registre scegravene 13 Recirc-Horakhty nu avec un disque sur la tecircte est assis sur une fleur de lotus et est adoreacute par quatre dieux agrave tecircte de lion (le cocircteacute agressif du feacutelin) et quatre deacuteesses agrave tecircte de serpent88
Les dieux eacutegyptiens changent souvent drsquoapparence selon leur acti-viteacute leur humeur et le pouvoir qursquoils exercent agrave un moment donneacute Les huit dieux primordiaux peuvent ainsi avoir plusieurs repreacutesenta-tions quand ils adorent le soleil ils sont repreacutesenteacutes sous la forme de babouins dans le temple drsquoHibis lrsquoOgdoade est repreacutesenteacutee sous la forme de Thot affubleacute de huit tecirctes humaines89 La deacutecision de lrsquoauteur hermeacutetiste de figurer les gardiennes avec une tecircte de chat nrsquoest pas une fantaisie de sa part Mecircme srsquoil a repris une repreacutesentation deacutejagrave existante mais rare il reste agrave deacutecouvrir les raisons drsquoun tel choix
b Les gardiennes agrave tecircte de chatLe chat occupe une place de choix dans lrsquounivers religieux eacutegyptien contrairement au monde greacuteco-romain En tant que chasseur de sou-ris de scorpions et de serpents il a une fonction apotropaiumlque notam-ment sur les stegraveles magiques les statues gueacuterisseuses et dans le monde funeacuteraire90 Agrave chaque fois le chat assume une fonction de combat et est lieacute agrave la renaissance en permettant au soleil de reacuteapparaicirctre agrave lrsquohori-zon apregraves son cheminement long et difficile dans le monde souterrain Il est aussi lieacute agrave la justice comme dans les Litanies agrave Recirc 91 Animal
Band IV Nbt ndash h Leuven Peeters 2002 p 520 b Ikonographie B a pour Nỉwt p 550 b Ikonographie B a pour Nwnt op cit Band V p 472 b Ikonographie B a pour hht et op cit Band VII p 298 a Ikonographie B a pour Kkt
88 N de Garis Davies (eds L Bull and LF Hall ) The Temple of Hibis in el Khargeh Oasis Part III the Decoration New York The Metropolitan Museum of Art 1953 Sanctuaire 1 planche 4 registre V scegravene 13 + p 11 pour la description
89 N de Garis Davies op cit 1953 sanctuaire A planche 4 registre V scegravene 2090 Voir par exemple E Hornung (hrsg) Das Buch der Anbetung des Re im Wes-
ten (Sonnenlitanei) Nach den Versionen des Neuen Reiches Genegraveve Eacuteditions de Belles-Lettres 1975ndash76 vol 1 p 39 et vol 2 appel 33 figure 33 momie agrave tecircte de chat H Junker und E Winter Das Geburtshaus des Tempels der Isis in Philauml Wien H Boumlhlaus Nachf 1965 photo 916 C Karlshausen laquo Le chat dans la mythologie les deacutemons-chats raquo in L Delvaux et E Warmenbol (ed) Les Divins Chats drsquoEacutegypte un air subtil un dangereux parfum Leuven Peeters 1991 p 101ndash105
91 E Hornung op cit 1975ndash76 vol 1 p 41 et vol 2 appel 56 figure 56 grand chat
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 173
solaire lorsqursquoil repreacutesente Recirc et qursquoil est associeacute agrave Heacutelios dans les Papyrus grecs magiques 92 il est aussi un animal lunaire en particulier dans le culte de Bastet Plutarque reprend cette caracteacuteristique dans Isis et Osiris 63 376 E 93 ougrave lrsquoœil du chat est compareacute agrave la lune et ougrave le chat devient un symbole de la lune Le chat est eacutegalement associeacute agrave la mort dont le nom mwt est rapprocheacute de celui du chat mἰt94
En dehors de ces repreacutesentations le chat est souvent lieacute agrave la femme95 et agrave des deacuteesses comme Maacirct Mout 96 Neith Tefnut Hathor (en tant que gardienne de bonne augure97) et surtout Bastet Il en incarne la forme apaiseacutee agrave cocircteacute de la lionne pour lrsquoaspect furieux98 une image qui connaicirct une grande fortune agrave la Basse Eacutepoque et surtout agrave lrsquoeacutepoque romaine Il arrive mecircme que des scribes utilisent le signe du chat au lieu de celui de la lionne99 Comme drsquoautres animaux il peut ecirctre le
92 PGM III 1ndash164 III 484ndash611 IV 1596ndash1715 etc93 Voir J Hani La Religion eacutegyptienne dans la penseacutee de Plutarque Paris Les Belles
Lettres 1976 p 289ndash291 et p 395ndash396 SH Aufregravere laquo Notes et remarques au sujet du chat En marge de lrsquoouvrage de J Malek The Cat in Ancient Egypt raquo Discussions in Egyptology 44 (1999) p 7 n 13
94 Mythe de lrsquoœil du Soleil 15 24ndash26 laquo Je sais que ton nom est la chatte crsquoest-agrave-dire celle sur laquelle la vengeance nrsquoa pas de pouvoir Je sais qursquoelle est lrsquoinstrument de la mort et qursquoelle est aussi celle qui ne meurt jamais jamais raquo SH Aufregravere op cit 1999 p 7 Sur ce mythe F de Cenival Le Mythe de lrsquoœil du soleil Translitteacuteration et traduction avec commentaire philologique Sommerhausen G Zauzich Verlag 1988 E Bresciani Il mito dellrsquoOcchio del Sole I dialoghi filosofici tra la Gatta Etiopica e il Piccolo Cinocefalo Brescia Paideia 1992
95 Il est souvent repreacutesenteacute sous les siegraveges des deacutefuntes et des deacuteesses J Malek The Cat in Ancient Egypt London The British Museum Press 1993 p 57 fig 32 p 60 fig 34 p 61 fig 36 p 62 fig 37 et p 63 fig 38 et 39 Voir aussi E Warmenbol et F Doyen laquo Le chat et la maicirctresse les visages multiples drsquoHathor raquo in L Delvaux et E Warmenbol op cit p 55ndash67
96 Le nom eacutegyptien de la chatte mἰwt ndash masculin mἰw en copte ⲉⲙⲟⲩ ndash a eacuteteacute rappro-cheacute de mwt la laquo megravere raquo de MꜢʿt et de Mwt Η Te Velde laquo The Cat as Sacred Animal of the Goddess Mut raquo in ΜΗ van Voss DJ Hoens G Mussies and alii Studies in Egyptian Religion Dedicated to Professor Jan Zandee Leiden Brill 1982 p 135 Pour lrsquoassociation agrave Mout Α Charron op cit p 48 71 73
97 SH Aufregravere laquo Le ldquoChamp divinrdquo de Bastet agrave Bubastis lrsquoalbacirctre les parfums et les curiositeacutes de la mer Rouge raquo in R Gyselen (eacuted) Parfums drsquoOrient Bures-sur-Yvette Groupe pour lrsquoEacutetude de la civilisation du Moyen-Orient 1998 p 69
98 Mythe de lrsquoœil du Soleil 12 13ndash26 en particulier 13ndash18 Voir une amulette de la Basse Eacutepoque du Museacutee Gueacuteret qui repreacutesente Bastet avec une tecircte de lionne pieacute-tinant les ennemis de lrsquoEacutegypte et avec agrave ses pieds une petite chatte P Germond et J Livet Bestiaire eacutegyptien Paris Citadelle amp Mazenod 2001 ndeg 60
99 E Drioton laquo Hermopolis et lrsquoeacutecriture eacutenigmatique du tombeau Petekem raquo in S Gabra Rapport sur les fouilles drsquoHermoupolis Ouest (Touna El-Gebel) Le Caire IFAO 1941 p 31ndash32
174 chapitre trois
reacuteceptacle temporaire drsquoun dieu Cette croyance explique que des chats ont pu ecirctre momifieacutes100 ce qui faisait drsquoeux des ecirctres sacreacutes
c Les gardiens agrave tecircte de grenouilleSi dans quelques teacutemoignages antiques la grenouille a une image neacutegative101 elle est geacuteneacuteralement perccedilue plutocirct positivement Animal aquatique elle est lieacutee agrave lrsquoeau qursquoelle symbolise102 Dans le monde grec elle est mise en rapport avec les nymphes les diviniteacutes des sources et Apollon 103 et serait capable de preacutedire le temps104 En Haute Eacutegypte agrave partir du IIIe siegravecle (peu avant lrsquoeacutecriture du traiteacute copte) de nom-breuses lampes avec des grenouilles deviennent populaires chez les non chreacutetiens et les chreacutetiens (qui ajoutent parfois une croix105) la plupart provenant de tombes Sur lrsquoune drsquoelles conserveacutee au museacutee de Turin lrsquoinscription ἐγώ εἰμι ἀνάστασις106 associe la grenouille agrave la
100 La premiegravere chatte inhumeacutee dans un sarcophage daterait drsquoAmenhotep III A Charron op cit p 46ndash47 le premier cimetiegravere drsquoanimaux de chats en lrsquooccurrence daterait de la XXIIe dynastie si lrsquoon suit E Naville et se trouve agrave lrsquoouest de Tell Basta A Charron op cit p 82 et 86ndash87
101 Source de deacutesastres Diodore de Sicile Bibliothegraveque historique III 303 Pline lrsquoAncien Histoire naturelle livre VIII XLIII 104 (29) Exode 83ndash4 Doteacutee de deacutefauts Eacutesope Fables 69 191 201 et 244
102 Heacuterodote Enquecirctes IV 131ndash132 quelle que soit lrsquointerpreacutetation finale de lrsquoen-semble du message deacutelivreacute par les Scythes aux Perses
103 Aristophane Les Grenouilles v 229ndash234 Plutarque Le Banquet des sept sages 21 164 AndashB agrave propos de lrsquoex-voto de Cypseacutelos agrave Delphes C Huumlnemoumlrder laquo Frosch raquo in H Cancik und H Schneider (hrsg) Der Neue Pauly Enzyklopaumldie der Antike Band 4 StuttgartWeimar JB Metzler 1998 col 682 A Motte Prairies et Jardins de la Gregravece Antique De la religion agrave la philosophie Bruxelles Palais des Acadeacutemies 1973 p 179 n 66 L Bodson Ἱερα ζῳα Contribution agrave lrsquoeacutetude de la place de lrsquoani-mal dans la religion grecque ancienne Bruxelles Palais des Acadeacutemies 1978 p 60 J Leclant laquo La grenouille drsquoeacuteterniteacute des pays du Nil au monde meacutediteacuterraneacuteen raquo in MB de Boer et TA Edridge Hommages agrave Maarten J Vermaseren vol 2 Leiden Brill 1978 p 568 W Deonna laquo Lrsquoex-voto de Cypseacutelos agrave Delphes le symbolisme du palmier et des grenouilles raquo RHR 139 (1951) p 162ndash207 et laquo Lrsquoex-voto de Cypseacutelos agrave Delphes le symbolisme du palmier et des grenouilles (suite) raquo RHR 140 (1951) p 5ndash58
104 Virgile Geacuteorgiques I 378 Pline lrsquoAncien Histoire naturelle livre XVIII LXXXVII 361 (35)
105 C Georges laquo Les lampes raquo in J-Y Empereur et M-D Nenna Neacutecropolis 1 Le Caire IFAO 2001 p 424 P Hombert laquo Description sommaire drsquoune collection drsquoan-tiquiteacutes greacuteco-romaines raquo ChrE 21 fasc 42 (1946) p 257
106 J Leclant op cit 1978 vol 2 p 565 C Muumlller laquo Frosch raquo LAuml II 1977 col 336 Pour les tombes C Georges op cit p 424 A Abd el-Fattah laquo Fouilles du Service des Antiquiteacutes sur le site de Gabbari (1996ndash1997) raquo in J-Y Empereur et M-D Nenna op cit 2001 p 25ndash41 Pour des exemples P Graindor Terres cuites de lrsquoEacutegypte greacuteco-romaine Antwerpen de Sikkel 1939 p 163ndash165 ndeg 77 et pl xxv
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 175
reacutesurrection une association qui remonterait agrave lrsquoEacutegypte ancienne La grenouille a eacuteteacute mise en relation avec deux symboles de vie le soleil et lrsquoeau107 et elle symbolise la feacuteconditeacute108 la nouvelle naissance109 la protection110 lrsquoeacuteterniteacute le renouvellement et le rajeunissement111 La grenouille servit donc comme ideacuteogramme pour lrsquoexpression whm ʿnh laquo reacutepeacuteter la vie raquo112 utiliseacutee comme eacutepithegravete de noms de personne agrave partir de la XVIIIe (ou XIXe) dynastie utilisation noteacutee agrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine par Cheacutereacutemon drsquoAlexandrie 113 Les valeurs symboliques de la grenouille sont donc nombreuses et toutes excepteacute la feacuteconditeacute
FW Robins laquo Graeco-roman Lamps from Egypt raquo JEA 25 (1939) p 49 et pl XI ndeg 8 9 10 13 14 15
107 W Wreszinski Atlas zur altaumlgyptischen Kulturgeschichte Erster Teil GenegraveveParis Slatkine Reprints 1988 (reacuteimpression de lrsquoeacutedition de 1923)
108 Elle est souvent associeacutee agrave Heacuteqet la deacuteesse qui preacuteside aux accouchements et aux naissances W Deonna laquo La femme et la grenouille raquo Gazette des Beaux-Arts 40 (1952) p 229ndash240 H Wrede laquo Aumlgyptische Lichtbraumluche bei Geburten Zur Deutung der Froschlampen raquo JbAC 1112 (19681969) p 87 Voir aussi P Derchain laquo Miet-tes sect 10ndash Agrave propos drsquoune grenouille raquo RdE 30 (1978) p 65ndash66 pour la grenouille comme symbole de la continuation de la vie F Daumas Les Mammisis de Dendara Le Caire IFAO 1959 pl II 2e registre tableau E pl IV 2e registre tableau E La grenouille nrsquoapparaicirct que cinq fois dans les Papyrus grecs magiques en particulier dans une recette pour devenir temporairement steacuterile PGM XXXVI 320ndash322
109 Il existe de nombreuses amulettes en formes de grenouille dans les tombes ou temples RV Lanzone Dizinario di mitologia egizia Torino Litografia Fratelli Doyen 1881 p 852 Tav cclxxxv fig 5 Tav cclxxxvii fig 4 tav Cclix fig 5 avec lrsquohydrie drsquoEgyed drsquoeacutepoque romaine deacutecrite aussi par V Wessetzky Die aumlgyptischen Kulte zur Roumlmerzeit in Ungarn Leiden Brill 1961 WMF Petrie Amulets illustrated by the Egyptian Collection in University College London London Constable amp Com-pany LTD 1914 p 12 et pl II J Leclant op cit 1978 p 563 Voir aussi F Sbordone Hori Apollinis Hieroglyphica Naples L Loffredo 1940 p 68 SH Aufregravere op cit 1991 p 417
110 Dendara V 1 p 141 Dendara V2 pl CCCCXXXIII Traduction S Cauville Dendara VndashVI Traduction Les cryptes du temple drsquoHathor vol 1 Leuven Peeters 2004 p 237
111 La grenouille apparaicirct dans lrsquoeacutecriture des termes hfnw laquo centaines de milliers raquo et hh laquo eacuteterniteacute raquo Pour hfnw P Wilson A Ptolemaic Lexikon A Lexicographical Study of the Texts in the Temple of Edfu Leuven Peeters 1997 p 642 Edfou vol 32 pl LXI 3e registre pl LXXV frise pl LXXXII vol 101 pl LXXXVII 2e registre 14e et 16e tableaux Pour hh Esna III inscription 24226 F Daumas op cit 1959 pl IX 2e registre 2e tableau
112 H Milde The Vignettes in the Book of the Dead of Neferrenpet Leiden Neder-lands Instituut voor het Nabije Oosten 1991 p 79ndash81 eacutetude des diffeacuterentes repreacute-sentations de la vignette du chapitre 94 du Livre des Morts
113 Cheacutereacutemon fragment 1 PW van der Horst Chaeremon Egyptian Priest and Stoic Philosopher The Fragments Leiden Brill 1984 p 63 n 14 A Jacoby und W Spiegelberg laquo Der Frosch als Symbol der Auferstehung bei den Aegyptern raquo Sphinx 7 (1903) p 217ndash218 donnent des exemples dont lrsquoun provient de lrsquoEmpire romain
176 chapitre trois
reacutepondraient agrave lrsquoobjectif de lrsquoauteur et lrsquoauraient deacutecideacute agrave choisir la repreacutesentation de la grenouille son rocircle de protecteur permet de pro-teacuteger les stegraveles son rapport agrave la nouvelle naissance et agrave lrsquoimmortaliteacute srsquoaccorde bien avec la fonction de lrsquoenseignement faire acceacuteder le dis-ciple agrave lrsquoOgdoade et aider agrave sa reacutegeacuteneacuteration
d Lrsquoassociation grenouille et chat au service de lrsquoeacutecritHermegraves indique aussi lrsquoemplacement des gardiens par rapport aux stegrave-les les macircles agrave droite des stegraveles les femelles agrave gauche Si le chat est parfois lieacute au soleil et agrave lrsquoœil droit de Recirc il lrsquoest aussi tregraves souvent agrave la lune et agrave lrsquoœil gauche de Recirc La grenouille quant agrave elle est reacuteguliegravere-ment mise en rapport avec le soleil Ceci donne les correspondances suivantes
Hermegraves ne se contente pas de reprendre une ideacutee anteacuterieure car les exemples drsquoassociation du chat et de la grenouille sont rares dans le domaine religieux 1) la repreacutesentation iconographique endommageacutee de lrsquoOgdoade agrave Edfou dont nous avons parleacute 2) la formule du PGM III 494ndash611 (qui se termine par la priegravere hermeacutetique drsquoaction de gracircces dont nous avons une version copte et une autre latine) dans laquelle le ritualiste eacutenumegravere les noms signes symboles et formes que prend Heacutelios agrave chaque heure de la journeacutee114 agrave la troisiegraveme heure Heacutelios a lrsquoaspect drsquoun chat et il produit sur terre la grenouille 3) et la momie en forme de chat deacutecouverte agrave Saqqara agrave lrsquointeacuterieur de laquelle a eacuteteacute retrouveacute le squelette drsquoune grenouille115 Ces deux derniers exemples restent sans explication
114 Cette suite drsquoeacutenumeacuterations de formes et de noms drsquoHeacutelios fait songer aux Lita-nies agrave Recirc ougrave lrsquoon a aussi une eacutenumeacuteration des 75 noms et formes de Recirc dans le monde souterrain
115 A Charron op cit p 404ndash405 Si la preacutesence drsquoun autre animal agrave lrsquointeacuterieur de la momie drsquoun chat est une pratique courante que ce soit celle drsquoune grenouille eacutetonne On ne connaicirct pas par ailleurs de momie de grenouille
Tableau 6 Position des huit gardiens par rapport agrave la stegravele
Gauchelune gardiens femellestecircte de chat
Stegravele
enseignement drsquoHermegraveseacutecriture hieacuteroglyphique
Droitesoleil gardiens macirclestecircte de grenouille
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 177
Les gardiennes agrave tecircte de chat avec leur caractegravere dissuasif se char-geraient drsquoeacuteloigner tout ennemi Ce rocircle peut ecirctre doubleacute par celui de la lune du fait de sa ressemblance agrave un couteau lors de certaines pha-ses de son eacutevolution les Eacutegyptiens la considegraverent comme gardienne de la justice celle qui punit les coupables116 Les gardiens agrave tecircte de grenouille gracircce au lien avec lrsquoeau pourraient eacuteviter toute mauvaise utilisation des stegraveles En Eacutegypte les mots et les signes ont un pouvoir acquis soit en mangeant le support des mots et signes soit en buvant lrsquoeau qui a preacutealablement couleacute sur ce support Les magiciens ont reacutegu-liegraverement recours agrave cette pratique pour srsquoapproprier un texte et son pouvoir117 et les stegraveles gueacuterisseuses ou cippi drsquoHorus qui ont probable-ment eacuteteacute utiliseacutes jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque romaine sont drsquoexcellents teacutemoins de cette pratique118 La grenouille lieacutee agrave lrsquoeau et agrave la purification pour-rait eacuteviter le recours agrave cette pratique par des gens mal intentionneacutes et assurerait agrave lrsquoeacutecrit sa peacuterenniteacute son laquo immortaliteacute raquo contre les outra-ges du temps et des hommes Lrsquoensemble des gardiens srsquoils eacutevoquent bien la lune pour les femelles et le soleil pour les macircles protegravegeraient les stegraveles continucircment tout en contribuant eacutegalement au pouvoir de lrsquoinscription En effet les gardiens agrave tecircte de grenouille pourraient aussi renforcer la proprieacuteteacute de lrsquoenseignement qui permet drsquoacceacuteder agrave laquo une nouvelle naissance raquo Enfin la preacutesence des huit gardiens eacutevoque lrsquoOgdoade 119 objectif du disciple Cependant le bon accomplissement
116 P Derchain op cit 1962 p 32117 D Frankfurter laquo The Magic of Writing and the Writing of Magic the Power of
the Word in Egyptian and Greek Traditions raquo Helios 21 (1994) p 196ndash198 Cf lrsquohis-toire de Setne-Khaemouas reacutefeacuterences donneacutees ci-dessus p 100 n 61
118 L Kaacutekosy laquo Le statue maghiche guaritrici Some Problems of the Magical Hea-ling statues raquo in A Roccati e A Siliotti La Magia in Egitto ai tempi dei Faraoni Atti convegno internazionale di Studi Milano 29ndash31 ottobre 1985 Milano Arte e natura libri 1987 p 171ndash186 id Egyptian Healing Statues in Three Museums in Italy (Turin Florence Naples) Torino Ministero per i Beni e le Attivitagrave Cultu-rali 1999 p 32ndash33 note que ces statues devaient ecirctre connues des non Eacutegyptiens H Satzinger laquo Acqua guaritrice le statue e stele magiche ed il loro uso magico-medico nellrsquoEgitto faraonico raquo in A Roccati e A Siliotti op cit p 189ndash204 I Gamer- Wallert Vermerk Fundort unbekannt Aumlgyptologische Entdeckungen bei Pri-vatsammlern in und um Stuttgart Tuumlbingen Attempto Verlag 1997 p 253 donne le scheacutema (ndeg 109) drsquoune stegravele gueacuterisseuse C Ziegler laquo Notice sur la statue Tyszkiwicz E 10 777 raquo in G Andrieu M-H Rutschowscaya et C Ziegler LrsquoEacutegypte ancienne au Louvre Paris Hachette 1997 p 203ndash204
119 J-P Maheacute op cit 1978 p 38 L Motte op cit 1995 p 99ndash102 montre le lien entre les huit gardiens les huit sphegraveres hermeacutetiques et les huit dieux-hhw eacutegyptiens
178 chapitre trois
de toutes ces fonctions suppose que les gardiens sculpteacutes ou peints soient animeacutes Crsquoest probablement sous-entendu puisqursquoHermegraves parle de ces gardiens non comme des repreacutesentations imageacutees mais comme de veacuteritables ecirctres animeacutes
Hermegraves mentionne drsquoautres gardiens qui deacutependraient du soleil dans un passage lacunaire NH VI 625 J-P Maheacute agrave la suite de M Krause et P Labib complegravete par le chiffre neuf mais agrave la diffeacute-rence de ces derniers il traduit non pas par les laquo neuf soleils raquo mais par laquo les neufs du soleil raquo suite agrave une suggestion de T Saumlve-Soumlderbergh 120 A Camplani preacutefegravere ne faire aucune suggestion121 La restitution laquo neuf raquo est tentante car elle pourrait renvoyer agrave lrsquoEnneacuteade La mention des huit gardiens et des neuf du soleil ferait ainsi allusion au titre de la leccedilon et aux deux sphegraveres que le disciple est censeacute avoir atteintes Cependant ceci reste hypotheacutetique et aucune unanimiteacute ne se deacutegage agrave propos de cette lacune le texte ne donnant aucune information sup-pleacutementaire Ce dispositif protecteur est compleacuteteacute par des indications astrologiques qui renverraient au thegraveme de la naissance du monde122 et par une formule impreacutecatoire
En livrant la laquo recette raquo apotropaiumlque lrsquoauteur hermeacutetiste est loin drsquoutiliser un topos litteacuteraire de reprendre une repreacutesentation figureacutee anteacuterieure (reprise drsquoailleurs incertaine) ou drsquoassocier arbitrairement des repreacutesentations Comme tout bon ritualiste eacutegyptien il choisit les mateacuteriaux et leur utilisation le nombre les formes et lrsquoemplacement des repreacutesentations figureacutees de maniegravere reacutefleacutechie tout en supposant lrsquoanimation de ces derniegraveres La construction du monument apparaicirct ainsi comme un acte rituel ndash ougrave Hermegraves est le ritualiste en chef et son disciple un precirctre maicirctre drsquoœuvre ndash qui renforce le contenu en le prolongeant avec les mateacuteriaux les gardiens et les indications astrolo-giques et qui de maniegravere reacutetroactive le protegravege Cette laquo recette raquo nrsquoest probablement pas agrave ecirctre mise en œuvre dans le monde du destinataire son efficaciteacute est certainement indeacutependante de toute mise en appli-cation comme les recettes des Papyrus grecs magiques ougrave le fait de les prononcer est aussi efficace que lrsquoaction elle-mecircme
120 J-P Maheacute op cit 1978 p 85 et p 127121 A Camplani Scritti op cit 2000 p 152 et p 176122 L Motte op cit 1995 p 88ndash96
la protection du savoir un devoir de lrsquohermeacutetiste 179
III Conclusion de la premiegravere partie
La pratique didactique est veacuteritablement au cœur de la laquo voie drsquoHer-megraves raquo avec la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo et les reacuteveacutelations ulteacuterieures qui miment la premiegravere Elle met en relation deux pocircles le disciple et le maicirctre agrave propos drsquoun troisiegraveme Dieu et tout ce qui permet de mieux le connaicirctre en vue drsquoune transformation progressive du disciple ce dernier parcourt la laquo voie drsquoHermegraves raquo pour devenir maicirctre en imitant Hermegraves notamment lors de ce que nous pourrions consideacuterer comme un rituel drsquoinvestiture avec CH I Si le disciple doit mener un travail sur lui-mecircme le rocircle du maicirctre est indispensable Les enseignements oral et eacutecrit se complegravetent et en ce sens les traiteacutes ne sont pas que des laquo mystegraveres agrave lire raquo Cette voie nrsquoest pas ouverte agrave tous drsquoougrave lrsquoimpor-tance du secret et la preacutetention drsquoun arsenal protecteur dans lrsquoOgdEnn Dans ce dernier cas elle aurait une valeur performative elle souligne la diviniteacute du contenu et de lrsquoeacutecrit et elle permet de les proteacuteger aussi bien que si cet arsenal eacutetait concregravetement appliqueacute
Les auteurs recourent plusieurs fois agrave des donneacutees eacutegyptiennes dans le cadre drsquoune strateacutegie de leacutegitimation de lrsquoenseignement oral et eacutecrit et de sacralisation de lrsquoeacutecrit Toutes les qualiteacutes drsquoun savoir eacutegyptien issu du temple et de la laquo Maison de Vie raquo sont transfeacutereacutees agrave la pratique didactique hermeacutetique avec lrsquoattribution de son origine agrave Poimandregraves qui pourrait ecirctre Thot patron des scribes de la laquo Maison de Vie raquo et avec une reacutedaction placeacutee dans le cadre rituel de cette ins-titution Nrsquooublions pas que lrsquoenseignement est plusieurs fois com-pareacute au deacutevoilement drsquoun mystegravere Dans ces conditions lrsquoinstruction et la parole prononceacutee dans ce cadre entrent veacuteritablement laquo dans le champ du sacreacute raquo Le maicirctre assume le rocircle drsquoun mystagogue le disci-ple celui drsquoun myste et la parole du maicirctre acquiert un nouveau sta-tut Cette parole reproduit celle de Poimandregraves lors de la laquo Reacuteveacutelation primordiale raquo elle investit et anime les diffeacuterents maicirctres hermeacutetis-tes Indeacutependante des aleacuteas drsquoune instruction laquo profane raquo elle suit des regravegles strictes Dans les traiteacutes les interventions du disciple jouent un rocircle preacutecis deacutefini agrave lrsquoavance Enfin le silence du disciple prend une valeur religieuse et contribue agrave ritualiser la parole du maicirctre assimileacutee agrave celle drsquoun officiant dans une ceacutereacutemonie religieuse et agrave la diffeacuterencier de la parole de la vie quotidienne Lrsquoutilisation drsquoun vocabulaire speacute-cifique renforce cette diffeacuterenciation laquelle concerne en fait moins le lexique que le champ seacutemantique Crsquoest un marqueur identitaire qui diffeacuterencie les hermeacutetistes des autres hommes
180 chapitre trois
Lrsquoenseignement avec la parole ritualiseacutee du maicirctre est le cadre rituel dans lequel se deacuteroulent ou sont mentionneacutees drsquoautres pratiques rituelles Certaines ont pour but drsquoeacutetablir une communication avec le divin les autres ont pour fonction de provoquer une transformation plus radicale de lrsquohermeacutetiste
PARTIE DEUX
LrsquoHERMEacuteTISTE COMMUNIQUER AVEC LE DIVIN
En srsquoappuyant sur le socle didactique lrsquohermeacutetiste relaye lrsquoenseigne-ment reccedilu et les exercices qui lui sont lieacutes par drsquoautres pratiques reacutepeacute-titives Celles-ci ont la mecircme fonction que lrsquoenseignement srsquoapprocher progressivement du divin avec une perspective autre car le divin est deacutesormais le destinataire ou le partenaire drsquoune communication directe ou indirecte avec lrsquohermeacutetiste Dans lrsquoAntiquiteacute plusieurs pratiques permettent drsquoeacutetablir un tel contact la priegravere la divination le sacrifice1 et les pratiques lieacutees aux images des dieux2 Elles ont une place impor-tante dans les cultes traditionnels mais elles suscitent aussi critiques et deacutebats et des auteurs leur consacrent plusieurs pages voire des traiteacutes entiers tels le De la divination de Ciceacuteron ou le De lrsquoabstinence de Porphyre Des groupes religieux comme les juifs et les chreacutetiens en refusent cateacutegoriquement certaines ainsi les images des dieux et la divination au profit des priegraveres pour les premiers si cette attitude est adopteacutee assez tocirct elle se geacuteneacuteralise apregraves la destruction du second Temple en 70 apregraves J-C et la disparition conseacutecutive des sacrifices Toutes ces pratiques constituent une toile de fond au quotidien des hermeacutetistes qursquoils y participent ou non et il serait inteacuteressant de pou-voir les situer dans ce panorama et ces deacutebats religieux
Les hermeacutetistes font reacutefeacuterence agrave ces pratiques sans les mettre sur le mecircme plan Les priegraveres sont les plus reacuteguliegraverement mentionneacutees voire sont parfois au premier plan comme dans lrsquoOgdEnn et peuvent ecirctre mises en œuvre par les protagonistes Cette situation nrsquoest pas en soi eacutetonnante puisque les priegraveres sont une des pratiques les plus facile-ment reacutecupeacuterables et transformables selon les contextes et le lexique employeacute Les autres pratiques ndash sacrifices divination et images des dieux ndash font lrsquoobjet de mentions plus courtes et plus rares ndash dans lrsquoAs-cleacutepius CH XVII et SH 23 ndash ce qui ne reflegravete pas leur importance agrave lrsquoeacutepoque Les unes semblent ecirctre rejeteacutees les autres sont eacutevoqueacutees au passeacute ou de maniegravere geacuteneacuterale sans indication sur une eacuteventuelle mise
1 JN Bremmer laquo Modi di comunicazione con il divino la preghiera la divinazione e il sacrificio nella civiltagrave greca raquo in S Settis (ed) I Greci Storia cultura arte societagrave vol 1 Noi e i Greci Torino G Einaudi p 239ndash283
2 L Hartman laquo The Human Desire to Converse with the Divine Dio of Prusa and Philo of Alexandria on Images of God raquo in P Schalk ldquoBeing Religious and Living through the Eyesrdquo Studies in Religious Iconography and Iconology A Celebratory Publication in Honour of Professor J Bergman Uppsala Almqvist amp Wiksell 1998 p 163ndash171
184 chapitre quatre
en œuvre Ces remarques brossent un premier tableau contrasteacute des pratiques traditionnelles de communication chez les hermeacutetistes Elles nous amegravenent agrave partager le point de vue de G Fowden qui appelait agrave deacutepasser le clivage opeacutereacute par certains chercheurs qui laquo ont eu tendance agrave surestimer tantocirct le caractegravere (preacutetendument) pur et spirituel de la ldquovoie drsquoHermegravesrdquo tantocirct lrsquoindeacuteniable inteacuterecirct de certains Hermetica phi-losophiques pour le culte religieux traditionnel Lrsquoacceptation de lrsquoune de ces thegraveses entraicircne immeacutediatement pense-t-on le rejet de lrsquoautre ndash avec comme il fallait srsquoy attendre des reacutesultats peu convaincants raquo3 La situation nrsquoest en effet pas aussi simple
Mener agrave bien lrsquoeacutetude de ces pratiques traditionnelles dans les traiteacutes hermeacutetiques neacutecessite de prendre en compte le contexte peacutedagogique dans lequel elles sont mentionneacutees crsquoest-agrave-dire le thegraveme de la leccedilon les intentions du maicirctre des auteurs et le statut du destinataire de la leccedilon Les eacutecrits eacutetudieacutes dans cette partie occupent une place particu-liegravere dans la litteacuterature hermeacutetique CH I serait lrsquoinstruction drsquoHermegraves et pourrait ecirctre utiliseacute comme finale agrave lrsquoenseignement drsquoun futur maicirc-tre au moins dans une branche de la tradition hermeacutetique lrsquoAscleacute-pius CH XIII et NH VI 6 sont des leccedilons drsquoHermegraves qui contiennent notamment des priegraveres dites par les protagonistes CH XVII et SH 23 sont des leccedilons drsquoanciens disciples devenus maicirctres agrave leur tour Tat et Isis Ces textes ne se situent donc pas au mecircme moment de la chaicircne hermeacutetique de transmission Toute cette eacutetude permettrait drsquoeacuteclairer la conception hermeacutetique de la progression vers Dieu sur la dureacutee et de la replacer correctement dans son environnement religieux et cultuel
3 G Fowden op cit 2000 p 211
CHAPITRE QUATRE
IMAGES DES DIEUX DES DIEUX PARMI LES HOMMES
Les images des dieux ne sont pas une preacuteoccupation majeure des auteurs hermeacutetistes seuls les auteurs de CH XVII et du Discours par-fait avec les versions latine Ascleacutepius et copte NH VI 8 en parlent Il est donc remarquable que lrsquoauteur de lrsquoAscleacutepius y revienne deux fois aux chapitres 23ndash24 et 37ndash38 et que le seul fragment conserveacute drsquoun traiteacute de Tat devenu maicirctre concerne preacuteciseacutement ce thegraveme En Ascl 23ndash24 apregraves avoir deacutecrit lrsquoeacutemerveillement que chacun doit eacuteprouver devant les prouesses de lrsquohomme creacuteateur de dieux terrestres Hermegraves explique la nature et les activiteacutes de ces dieux En Ascl 37ndash38 il apporte des eacuteleacutements nouveaux sur leur composition fabrication et activiteacutes Ces deux sections se complegravetent et J-P Maheacute a montreacute qursquoelles appartiennent agrave une source commune qui serait la source prin-cipale du traiteacute latin1 En CH XVII lrsquoauteur explique pourquoi il faut rendre hommage aux images des dieux Les trois passages diffegraverent sur les explications theacuteoriques les pratiques affeacuterentes et le statut accordeacute agrave ces images (images de culte pour Tat statues animeacutees pour Hermegraves) Ensemble ils eacuteclairent la conception de quelques hermeacutetistes sur les images des dieux en relation avec la pratique didactique et la maniegravere dont ces hermeacutetistes srsquoinsegraverent dans leur paysage contemporain
I La deacutefense hermeacutetique des images des dieux
Les images des dieux permettent de reacutepondre au deacutesir drsquoun grand nombre de srsquoapprocher au plus pregraves des dieux Cependant elles font aussi lrsquoobjet de critiques Celles-ci sont anciennes deacutejagrave aux VIendashVe siegrave-cles avant J-C Heacuteraclite srsquoinsugeait contre ceux qui prient des statues tout en ignorant la vraie nature des dieux2 Cette opinion traverse les
1 J-P Maheacute laquo Appendice Le Discours parfait drsquoapregraves lrsquoAscleacutepius latin utilisation des sources et coheacuterence reacutedactionnelle raquo in B Barc (eacuted) Colloque international sur les textes de Nag Hammadi QueacutebecLouvainParis Les Presses de lrsquoUniversiteacute LavalPeeters 1981 p 412
2 Heacuteraclite fragment 5 Diels = fragment 141 Pradeau
186 chapitre quatre
siegravecles puisque drsquoapregraves Origegravene dans Contre Celse VII 62 Celse lrsquoaurait reacuteutiliseacutee au IIe siegravecle apregraves J-C ndash pour affirmer que les chreacutetiens ne sont pas plus sages qursquoHeacuteraclite ndash ainsi que Cleacutement drsquoAlexandrie qui en reprend la premiegravere partie dans Protreptique IV 504 et en fait un argument pour critiquer les dieux grecs Drsquoautres auteurs comme Plutarque 3 relayent cette opinion Les Stoiumlciens ne sont pas en reste et Seacutenegraveque dans une lettre agrave Lucilius 4 srsquooppose au fait de prier les statues car Dieu est immanent et ne peut ecirctre cantonneacute agrave une statue ou agrave un lieu preacutecis Les juifs ont eacutegalement critiqueacute ces pratiques se fondant sur le commandement mosaiumlque de ne pas adorer les ido-les et de ne pas repreacutesenter Dieu au moyen drsquoimages5 Ces critiques augmentent avec lrsquoapparition et le deacuteveloppement des communauteacutes chreacutetiennes et des chreacutetiens poleacutemiquent contre les images des dieux comme Cleacutement (dans le passage mentionneacute ci-dessus) Origegravene dans son Contre Celse VII 64 ou Lactance dans Eacutepitomeacute des Institutions divines XX 7 et 11
Ces critiques concernent la repreacutesentation anthropomorphique des dieux le rocircle meacutediateur des statues pour progresser vers le divin le culte dont elles sont lrsquoobjet ou encore la croyance en leur ancienneteacute et leur diviniteacute Elles sont surtout verbales avant de devenir physiques avec la destruction de statues faciliteacutee par le triomphe du christianisme au IVe siegravecle apregraves J-C6 Ce contexte poleacutemique a conduit des penseurs agrave affirmer que si ces images ne sont pas des dieux elles sont quand mecircme autre chose que de la simple matiegravere Crsquoest la position de lrsquoempereur Julien dans sa Lettre 89 et sa source serait Porphyre qui pense que les statues faccedilonnent les choses obscures en choses claires7 De nom-breux teacutemoignages surtout du IIe au Ve siegravecle attestent neacutegativement
3 Isis et Osiris 71 379 CndashE4 C Guittard Recherches sur le ldquocarmenrdquo et la priegravere dans la litteacuterature et la religion
romaine Lille Atelier national de reproduction des thegraveses Th Eacutetat Eacutetudes latines Paris IV 1996 p 344 Cette critique du culte des images conduit parfois agrave une inter-preacutetation alleacutegorique H Cancik and H Cancik-Lindemaier laquo The Truth of Images Cicero and Varro on Image Worship raquo in J Assmann and AI Baumgarten Repre-sentation in Religion Studies in Honor of Moshe Barasch Leiden Brill 2001 p 43ndash61 en particulier p 43ndash49
5 Voir lrsquoattitude de Philon L Hartman op cit p 163ndash171 en particulier p 168ndash1716 Ces destructions drsquoimages des dieux ou de temples ont commenceacute bien avant
lrsquoavegravenement politique du christianisme Cf D Frankfurter Religion in Roman Egypt Assimilation and Resistance Princeton Princeton University Press 1998 p 68
7 Porphyre Sur les statues 1 C van Liefferinge op cit 1999 p 91ndash92
images des dieux des dieux parmi les hommes 187
ou positivement de la croyance en lrsquoexistence des statues animeacutees8 LrsquoAscleacutepius constitue comme beaucoup de chercheurs lrsquoont deacutejagrave noteacute un texte important dans le dossier textuel concernant de telles images9
Face agrave une situation aussi contrasteacutee les hermeacutetistes qui mettent en avant un Dieu ineffable sans pour autant renier les dieux traditionnels10 ont la possibiliteacute soit de tenir compte de ces critiques de deacutefendre et de justifier les images des dieux soit de les ignorer Il semble que les auteurs de CH XVII et de lrsquoAscleacutepius ont adopteacute la premiegravere attitude et ce qursquoils eacutecrivent pourrait ecirctre lu en fonction drsquoune grille de lecture justifiant des pratiques lieacutees aux images des dieux
1 Prise de position dans le deacutebat contemporain
Dans CH XVII Tat expose une theacuteorie sur la relation entre les ecirctres corporels et les incorporels qui deacutebouche sur les images des dieux Avec lrsquoadverbe διό ce deacuteveloppement est preacutesenteacute comme une justification de lrsquohonneur agrave rendre agrave ces images διὸ προσκύνει τὰ ἀγάλματα ὦ βασιλεῦ ὡς καὶ αὐτὰ ἰδέας ἔχοντα ἀπὸ τοῦ νοητοῦ κόσμου laquo Crsquoest pourquoi roi fais honneur aux statues (de dieux) puisqursquoelles possegrave-dent elles aussi11 des formes du monde intelligible raquo Le terme ἄγαλμα deacutesigne ici vraisemblablement les statues de dieux comme crsquoest reacutegu-liegraverement le cas12 Lrsquoimpeacuteratif προσκύνει est plutocirct un conseil Tat
8 C van Liefferinge op cit 1999 p 88 P Boyanceacute laquo Theacuteurgie et teacutelestique neacuteo-platoniciennes raquo RHR 1472 (1955) p 208
9 W Scott op cit vol 3 p 151 et 157 C van Liefferinge op cit 1999 p 95ndash96 P Hoffmann laquo Seacuteminaire theacuteologie et mystique de la Gregravece helleacutenistique et de la fin de lrsquoantiquiteacute raquo Eacutecole Pratique des Hautes Eacutetudes Section des sciences religieuses 2002ndash2003
10 Agrave ce sujet il est neacutecessaire de revenir sur les cateacutegories conceptuelles de laquo mono-theacuteisme raquo et de laquo polytheacuteisme raquo Concernant les hermeacutetistes il serait plus juste de parler de laquo monotheacuteisme non exclusif raquo car leur Dieu ineffable nrsquoest pas un dieu jaloux
11 Selon I Leacutevy laquo Statues divines et animaux sacreacutes dans lrsquoapologeacutetique greacuteco- eacutegyptienne raquo Annuaire de lrsquoInstitut de philologie et drsquohistoire orientales et slaves 3 (1935) p 297ndash300 la locution καὶ αὐτά deacutesigne ici les animaux sacreacutes car ils sont souvent mis en parallegravele avec les statues dans les eacutecrits drsquoauteurs juifs et chreacutetiens qui srsquoopposent aux cultes paiumlens Cependant rien dans le texte ne corrobore cette interpreacutetation
12 Cf Porphyre Sur les statues J Bidez Vie de Porphyre le philosophe neacuteo-platoni-cien Avec les fragments des traiteacutes περὶ ἀγαλμάτων et De Regressu Animae Hildesheim G Olms 1964 L Robert laquo Inscription drsquoAthegravenes raquo REA 62 (1960) p 316ndash324 diffeacute-rencie les ἀγάλματα des εἰκόνες sur la base de la nature du modegravele (dieux ou hom-mes) distinction remise en cause par SRF Price dans Rituals and Power The Roman Imperial Cult in Asia Minor Cambridge Cambridge University Press 1984 p 178
188 chapitre quatre
eacutetant plus un guide un conseiller qursquoun maicirctre Tat semble surtout vouloir rassurer le roi sur le bien-fondeacute du culte aux images des dieux ou lrsquoinciter agrave ne pas lrsquoabandonner en avanccedilant des arguments drsquoordre philosophique
Lrsquoatmosphegravere dans lrsquoAscleacutepius est diffeacuterente Les deux passages sur les images des dieux encadrent le reacutecit de lrsquoapocalypse en Eacutegypte 13 Lrsquoauteur se fait ici un devoir drsquoemployer deus et non statua excepteacute dans la question du disciple et la reacuteponse drsquoHermegraves en Ascl 24 A Statuas dicit o Trismegiste H Statuas o Asclepi Videsne quate-nus tu ipse diffidas Statuas animatas sensu et spiritu plenas laquo A Veux-tu dire des statues Trismeacutegiste H Des statues Ascleacutepios Ne vois-tu pas combien toi-mecircme tu te deacutefies Ce sont des statues animeacutees et pleines drsquoacircme et drsquoesprit raquo La version copte eacutequivalente NH VI 6927ndash34 est ⲁ ⲱ ⲧⲣⲓⲥ28ⲙⲉⲅⲓⲥⲧⲉ ⲙⲏ ⲉⲕϣⲁϫⲉ ⲁⲛⲧⲟⲩⲱⲧ ⲉ 29ⲱ ⲁⲥⲕⲗⲏⲡⲓⲉ ⲉⲕϣⲁϫⲉ ⲛⲧⲟⲕ 30ⲉⲛⲧⲟⲩⲱⲧmiddot ⲕⲛⲁⲩ ϫⲉ ⲛⲧⲟⲕ ϩⲱ31ⲱⲕ ⲟⲛ ⲱ ⲁⲥⲕⲗⲏⲡⲓⲉ ⲕⲉ ⲛⲛⲁ32ⲧⲛⲁϩⲧⲉ ⲉⲡϣⲁϫⲉmiddot ⲉⲕϣⲁϫⲉ 33ⲉⲛⲉⲧⲉ ⲟⲩⲛ ⲯⲩⲭⲏ ⲙⲙⲟⲟⲩ ϩⲓthinsp34ⲛⲓϥⲉ ϫⲉ ⲛⲧⲟⲩⲟⲧⲉ laquo A Ocirc Trismeacutegiste nrsquoest-ce pas des statues dont tu parles H Ascleacutepios crsquoest toi qui parles de statues Tu vois comme toi aussi Ascleacutepios tu ne crois pas agrave la parole quand tu parles de ceux qui possegravedent une acircme en eux et souffle agrave savoir les statues raquo Hermegraves critique lrsquoopinion de son disciple qui ne voit que des statuas Or ce mot latin est rarement employeacute pour deacutesigner les images des dieux14 et son emploi revient agrave insister sur le caractegravere essentielle-ment mateacuteriel de ces images Hermegraves le reprend pour le corriger et en infleacutechir le sens initial en affirmant que ces statues sont animeacutees Il considegravere qursquoil faut aller au-delagrave de lrsquoaspect mateacuteriel et il enchaicircne sur les activiteacutes de ces images Il partagerait donc lrsquoopinion de lrsquoempereur
Plus reacutecemment K Konce (laquo ἄγαλμα and εἰκών raquo American Journal of Philology 109 [1988] p 108ndash110) appelle agrave un reacuteexamen complet du dossier puisqursquoune inscription de Thessalonique montre que les agalmata ne sont pas reacuteserveacutees aux seuls lieux sacreacutes Toutes ces donneacutees ne remettent pas en cause le fait que dans CH XVII il srsquoagirait de statues des dieux probablement situeacutees dans un lieu sacreacute puisqursquoil est question de leur rendre un culte
13 Cf HW Attridge laquo Greek and Latin Apocalypses raquo in JJ Collins (ed) Apo-calypse the Morphology of a Genre Semeia 14 (1979) p 170 qui pense que lrsquoapoca-lypse de lrsquoAscleacutepius relegraveverait de la propheacutetie eschatologique J Schwartz laquo Notes sur la ldquopetite apocalypserdquo de lrsquoAscleacutepius raquo RHPhR 62 (1982) p 165ndash169 A Camplani laquo Alcune note sul Testo del VI codice di Nag Hammadi la predizione di Hermes ad Asclepius raquo Augustinianum 263 (1986) p 349ndash368
14 Exemples chez Pline lrsquoAncien Histoire naturelle en particulier dans le livre XXXIV IV 15 (9) et VII 39 (18) Dans ce mecircme livre en IVndashVI Pline emploie plus souvent statua pour les hommes que pour les dieux
images des dieux des dieux parmi les hommes 189
Julien qui considegravere que les images sont plus que de simples statues15 Lrsquoauteur semble ainsi vouloir reacutepondre aux critiques qui ravalent les images des dieux au rang de simple matiegravere et il affirme que ces statues sont des dieux Mais ne tomberait-il pas alors sous le coup des repro-ches concernant lrsquoeacutequivalence entre les images des dieux et les dieux eux-mecircmes Il paraicirct vouloir srsquoen garder puisqursquoil ajoute le qualificatif laquo terrestres raquo invitant agrave distinguer ces dieux des dieux ceacutelestes
Agrave la diffeacuterence du traiteacute grec Hermegraves souhaite que son disciple croie non seulement en lrsquoexistence de ces dieux crsquoest-agrave-dire en celle de statues animeacutees mais eacutegalement en la possibiliteacute humaine de les fabriquer Il ne srsquoagirait plus seulement de rassurer mais de reacutetablir une pratique menaceacutee Ces deux passages de lrsquoAscleacutepius devraient donc ecirctre lus directement en rapport avec les attaques visant les images des dieux En effet lrsquoauteur y ferait allusion (lagrave aussi contrairement agrave CH XVII ) quand Hermegraves demande agrave Ascleacutepios en Ascl 23 miraris o Asclepi an numquid et tu diffidis ut multi laquo trsquoeacutetonnes-tu Ascleacutepios Ou as-tu de la deacutefiance comme beaucoup raquo avec la version parallegravele copte en NH VI 6834ndash36 ⲕⲣⲑⲁⲩⲙⲁ35ⲍⲉ ⲱ ⲁⲥⲕⲗⲏⲡⲓⲉ ⲛⲧⲟⲕ ϩⲱ36ⲱⲕ ⲕⲉ ⲛⲛⲁⲧⲛⲁϩⲧⲉ ⲛⲑⲉ ⲛϩⲁϩ laquo Est-ce que tu trsquoeacutetonnes Ascleacutepios Toi aussi es-tu incroyant comme beaucoup raquo Hermegraves oppose agrave lrsquoeacutetonnement et lrsquoadmiration la deacutefiance de la foule les multi en latin les ⲛϩⲁϩ en copte le terme grec original eacutetant probablement οἱ πόλλοι
Qui sont ces laquo nombreux raquo qui ne croient pas que les statues sont des dieux Comme lrsquoexpression οἱ πόλλοι tregraves courante dans les textes grecs le terme multi dans lrsquoAscleacutepius deacutesigne la laquo masse raquo des hom-mes non eacuteduqueacutes ignorants et impies il srsquooppose au petit nombre des hommes eacuteduqueacutes qui savent et sont pieux 16 Cette opposition est deacutejagrave preacutesente chez Platon 17 et est reacuteguliegraverement reprise ensuite18 Nous avons eacutevoqueacute ci-dessus les critiques vis-agrave-vis de la croyance en lrsquoeacutequi-valence entre statues et dieux croyance attribueacutee agrave la foule et agrave ceux qui manquent drsquoeacuteducation comme crsquoest le cas chez Plutarque dans
15 Cyrille drsquoAlexandrie considegravere lrsquoempereur Julien comme lrsquoun des principaux dis-ciples spirituels drsquoHermegraves (Contre Julien II 41ndash42 597 D) Cependant lrsquoinfluence des traiteacutes hermeacutetiques sur Julien nrsquoest pas certaine Ce dernier mentionne une seule fois le Trismeacutegiste (laquo Hermegraves qui est la troisiegraveme manifestation raquo) dans son pamphlet Contre les Galileacuteens 176 B Sinon aucune des autres mentions drsquoHermegraves dans son œuvre ne concernerait Hermegraves Trismeacutegiste Voir G Fowden op cit 2000 p 293 n 35
16 Par exemple Ascl 2217 Platon Criton 44 b et 48 a Pheacutedon 64 a et 69 c Theacuteeacutetegravete 170 endash171 a18 Par exemple Plotin Traiteacute 33 (Enn II 9) 9
190 chapitre quatre
Isis et Osiris 71 379 CndashD Or lrsquoauteur hermeacutetiste opegravere une inversion ce sont les laquo nombreux raquo qui ne croient pas Ajoutons agrave cela la deacutefense des statues par des hommes cultiveacutes tels Dion Chrysostome 19 Julien lrsquoempereur20 et les neacuteoplatoniciens apregraves Porphyre qui srsquoengagent dans une veacuteritable entreprise de deacutefense et de reacutecupeacuteration Ceci inciterait agrave donner une autre signification agrave ces laquo nombreux raquo
Agrave lrsquoeacutepoque de la reacutedaction de lrsquooriginal grec de lrsquoAscleacutepius (seconde moitieacute du IIIe siegravecle apregraves J-C) les chreacutetiens deviennent plus nom-breux et ils srsquoopposent aux statues de culte et encore plus aux statues animeacutees ce qursquoavait deacutejagrave perccedilu Celse au IIe siegravecle21 Cette opposition est eacutegalement preacutesente dans des cercles gnostiques comme celui de LrsquoEacutevangile selon Philippe (NH II 3) 22 Il serait donc aussi possible de lire les chreacutetiens derriegravere les multi ou les ⲛϩⲁϩ lrsquoauteur ayant alors repris un terme typique du lexique chreacutetien En effet le terme laquo nombreux raquo est laquo un seacutemitisme reccedilu par les chreacutetiens comme autodeacutenomination attesteacutee comme telle dans le Nouveau Testament et en particulier dans les Lettres pauliniennes raquo23 Si du temps de la mise par eacutecrit de ces textes le mot est une hyperbole dans la seconde moitieacute du IIIe siegravecle ce nrsquoest plus le cas comme en teacutemoigne Porphyre dans son Contre les chreacutetiens24 Au Ve siegravecle Proclus deacutesigne avec ce terme les chreacutetiens dans les rares passages ougrave il parlerait drsquoeux25 Il est donc leacutegitime de se demander si lrsquoauteur hermeacutetiste ne fait pas ici une allusion anti-chreacutetienne en reprenant une autodeacutenomination propre aux chreacutetiens comme Porphyre le fait deacutejagrave dans sa Vie de Plotin 16 quand il rend compte laquo de la deacutechirure en train de srsquoopeacuterer agrave lrsquointeacuterieur de lrsquo Empire romain raquo26 Agrave lrsquoincroyance de ce grand nombre Hermegraves oppose la croyance ou la foi dont son disciple devrait ecirctre doteacute
19 Discours 12 citeacute dans W Scott op cit vol 3 p 15220 Julien Discours VIII Sur la Megravere des Dieux 2 160 andashb21 Selon les extraits de son œuvre conserveacutes par Origegravene dans Contre Celse VII 38
et VIII 41 22 NH II 721ndash4 ⲧⲁⲉⲓ ⲧⲉ ⲑⲉ ϩⲙ ⲡⲕⲟⲥ2ⲙⲟⲥ ⲉⲛⲣⲱ[ⲙ]ⲉ ⲧⲁⲙⲓⲉ ⲛⲟⲩⲧⲉ ⲁⲩⲱ ⲥⲉⲟⲩ3ⲱϣⲧ
ⲛⲛⲟⲩⲧⲁⲙⲓⲟ ⲛⲉ ϣϣⲉ ⲉⲧⲣⲉ ⲛⲛⲟⲩ4ⲧⲉ ⲟⲩⲱϣⲧ ⲛⲣⲣⲱⲙⲉ laquo Il en va ainsi dans le monde ce sont les hommes qui fabriquent des dieux et ils adorent leurs creacuteations il conviendrait que les dieux adorent les hommes raquo
23 M Tardieu laquo Les gnostiques dans la Vie de Plotin raquo in L Brisson M-O Goulet-Cazeacute et alii op cit 1992 p 512
24 Porphyre Contre les chreacutetiens 80 citeacute par Eusegravebe Preacuteparation eacutevangeacutelique V 1 1025 HD Saffrey laquo Allusions antichreacutetiennes chez Proclus le diadoque platonicien raquo
Revue des sciences philosophiques et theacuteologiques 59 (1975) p 553ndash56326 M Tardieu op cit 1992 p 510 Porphyre Vie de Plotin 16 γεγόνασι δὲ κατ᾿
αὐτὸν τῶν Χριστιανῶν πολλοὶ μὲν καὶ ἄλλοι αἱρετικοὶ δέ laquo florissaient de son temps
images des dieux des dieux parmi les hommes 191
2 Lrsquohermeacutetiste admirer et croire
La question de la croyance et de la foi est au cœur des chapitres 23ndash24 avec une premiegravere mention apregraves un deacuteveloppement comparatif entre Dieu et les hommes et une seconde pour introduire lrsquoexplication sur la vraie nature des laquo dieux terrestres raquo Au-delagrave de ce passage sa reacuteap-parition reacuteguliegravere dans le traiteacute latin27 montre qursquoelle est une preacuteoccu-pation majeure de lrsquoauteur qui srsquoen sert pour poursuivre lrsquoobjectif du traiteacute laquo justifier les rites du polytheacuteisme eacutegyptien raquo28 et plus geacuteneacutera-lement ceux du polytheacuteisme greacuteco-romain contemporain Renforccedilant lrsquouniteacute du traiteacute deacutejagrave mise en eacutevidence par J-P Maheacute 29 les diffeacuterentes mentions de lrsquoincroyance sont situeacutees autant dans les parties prove-nant de la source principale (chapitres 1ndash13 20ndash27 et 37ndash38 ) que dans les additions du dernier reacutedacteur (chapitres 14ndash19 28ndash36 et 38ndash40 ) selon le deacutecoupage proposeacute par J-P Maheacute Dans tous ces passages le thegraveme de lrsquoincroyance concerne la foule de ceux qui ne sont pas hermeacutetistes et relegraveve parfois drsquoune loi du genre comme pour le juge-ment des acircmes30 En Ascl 23 il en va tout autrement pour les statues puisque Hermegraves suggegravere que son disciple peut lui-mecircme ne pas croire De quelle foi srsquoagit-il alors exactement
Les traducteurs des deux versions de lrsquoalternative proposeacutee par Hermegraves ont employeacute un terme construit avec une particule priva-tive ou neacutegative dif-fido en latin ⲁⲧ-ⲛⲁϩⲧⲉ en copte31 avec peut-ecirctre dans la version originale grecque ἀπιστεῖν32 Chaque verbe est opposeacute agrave un autre qui signifie laquo srsquoeacutetonner raquo et laquo admirer raquo (en latin miror et en copte ⲣⲑⲁⲩⲙⲁⲍⲉ construit agrave partir du grec θαυμάζειν) Lrsquoeacutetonnement qui conduit agrave lrsquoadmiration tient un grand rocircle en philosophie il
(celui de Plotin) parmi les chreacutetiens drsquoune part des nombreux autres (que les sui-vants) drsquoautre part des heacutereacutetiques raquo (traduction M Tardieu op cit 1992 p 507)
27 Ascl 10 12 24 27 28 37 avec le verbe diffidere et lrsquoadjectif incredibilis voir NF II p 385 n 237 En Ascl 21 lrsquoideacutee est implicite avec les railleries de lrsquohomme de la rue vis-agrave-vis du laquo mystegravere raquo de la procreacuteation en revanche elle est explicite dans la version copte ougrave le traducteur a employeacute le mot ⲁⲧⲛⲁϩⲧⲉ
28 J-P Maheacute op cit 1982 p 41329 J-P Maheacute op cit 1981 p 419 laquo Mais nrsquoexageacuterons pas le nombre de ses sources
ni la graviteacute des contradictions En fait le dernier reacutedacteur du DP a amplifieacute un seul traiteacute parfaitement reconnaissable par des additions drsquoun type particulier qui nrsquoen deacutetruisent pas la signification raquo
30 J-P Maheacute op cit 1982 p 265ndash26631 NH VI 6836 et 6931ndash32 32 WE Crum op cit p 246 b
192 chapitre quatre
est agrave lrsquo origine du savoir33 et est un moteur pour la contemplation Lrsquoalternative entre srsquoeacutetonner et manquer de foi signifie que lrsquoeacutetonne-ment et lrsquoadmiration conduisent agrave la foi Celle-ci paraicirct avoir peu de rapport avec le sens classique de πίστις34 Relieacutee agrave lrsquoeacutetonnement et agrave lrsquoadmiration elle permettrait agrave lrsquoesprit de srsquoeacutelever vers une autre reacutea-liteacute dissimuleacutee au-delagrave de ce qui est apparent aux yeux35 Une telle conception est confirmeacutee par le court eacutechange deacutejagrave citeacute entre Hermegraves et Ascleacutepios le premier parle de deus le second de statuas si le reacutefeacute-rent est le mecircme deux conceptions srsquoopposent selon la preacutesence ou le manque de foi concernant la nature des images des dieux La foi dont il est question est ainsi le fruit drsquoune attitude vis-agrave-vis drsquoun objet ou drsquoun fait qui permet drsquoy voir autre chose que ce que les apparences reacutevegravelent sans qursquoil y ait eu de reacuteelle deacutemonstration Elle nrsquoest pas pour autant irrationnelle elle nrsquoest pas situeacutee en deccedilagrave de la parole et de la raison mais au-delagrave
Cette foi a une dimension religieuse36 Le traiteacute latin relie reacuteguliegravere-ment lrsquoincroyance agrave lrsquoimpieacuteteacute 37 La foi est en revanche le moteur de la pieacuteteacute et de la bonne conduite agrave tenir envers les dieux et les hommes38 Indispensable pour se rapprocher du divin elle serait le teacutemoin drsquoun culte rendu au divin En demandant agrave son disciple srsquoil croit et en fai-sant remarquer qursquoil pourrait manquer de foi Hermegraves missionnaire lui-mecircme39 se comporte comme beaucoup de missionnaires de cultes
33 Lrsquoimportance de lrsquoeacutetonnement et de lrsquoeacutemerveillement remonte agrave Platon Theacuteeacutetegravete 155 d
34 Sur les sens de πίστις DM Hay laquo Pistis as ldquoGround for Faithrdquo in Hellenized Judaism and Paul raquo JBL 1083 (1989) p 461ndash476 et speacutecialement p 461ndash462 R Bult-mann laquo πίστις raquo in G Kittel (ed) Theological Dictionary of the New Testament VI translation GW Bromiley Grand Rapids Eerdmans 1968 p 177 et suivantes Voir aussi les remarques de P Hoffmann lors de son seacuteminaire donneacute agrave lrsquoEPHE en 2001 et de sa confeacuterence de 2003 au Laboratoire drsquoeacutetude sur les monotheacuteismes (CNRS-EPHE) ainsi que celles dans laquo La foi chez les neacuteo-platoniciens paiumlens raquo in La Croyance reli-gieuse Paris Fonds Inseec pour la recherche 2004 p 9ndash25
35 Il faudrait peut-ecirctre donner une valeur forte aux adverbes vero et verum utiliseacutes en Ascl 23 (NF II p 32511 et 20) il srsquoagit drsquoinsister sur le caractegravere veacuteritable de la production des dieux par les hommes Dans la version copte lrsquoideacutee de veacuteritable serait rendue par lrsquoutilisation du preacutesent
36 Lrsquousage religieux de πίστις srsquoest deacuteveloppeacute agrave lrsquoeacutepoque helleacutenistique R Bultmann op cit 1968 p 179 Plutarque De la supersition 11 170 F
37 Ascl 28 les increacutedules sont ceux qui ont lrsquoacircme laquo enduite des souillures des fautes et salie de vices raquo delictorum inlitam maculis vitiisque oblitam
38 Cette conception de la pistis est preacutesente chez Porphyre dans sa Lettre agrave Mar-cella 21
39 Voir CH I 26 et ci-dessus le chapitre un si on accepte lrsquoidentification du narra-teur agrave Hermegraves Trismeacutegiste
images des dieux des dieux parmi les hommes 193
contemporains notamment celui drsquoIsis 40 qui demandaient agrave leurs disciples de croire en la diviniteacute qursquoils proclamaient Hermegraves rencon-tre une certaine reacuteussite puisque en Ascl 37ndash38 le disciple parle de laquo dieux terrestres raquo et non de laquo statues raquo Il adhegravere deacutesormais agrave la posi-tion de son maicirctre et agrave la croyance en lrsquoexistence de tels dieux et en leur fabrication humaine
Les deux auteurs hermeacutetistes srsquoinsegraverent donc dans le deacutebat contem-porain sur les images des dieux en eacutetant en leur faveur41 ils reacuteaffir-ment lrsquoutiliteacute de leur culte et de la croyance en elles mecircme agrave un stade avanceacute des relations avec le divin puisque lrsquoAscleacutepius drsquoapregraves son pro-logue intervient apregraves plusieurs leccedilons Ils expliquent aussi pourquoi les disciples doivent agir ainsi
3 Respect et croyance fondeacutes sur un savoir
Lrsquoobjectif eacutetant tout autre ndash deacutefendre le culte des statues dans le traiteacute grec affirmer la capaciteacute humaine agrave fabriquer des images animeacutees dans le latin ndash lrsquoargumentaire diffegravere mecircme si chacun doit ecirctre resi-tueacute dans le cadre geacuteneacuteral de la reacuteaction des philosophes contemporains ou posteacuterieurs qui ont tenteacute de donner un fondement philosophique agrave des pratiques religieuses42 Le maicirctre hermeacutetiste utilise des argu-ments eacutetablissant lrsquoautoriteacute des pratiques deacutefendues et drsquoautres plus theacuteoriques43
a Origine ancienne et eacutegyptienne des images de dieuxDans lrsquoAscleacutepius lrsquoauteur semble reacutepondre agrave des critiques visant agrave deacutenoncer la maniegravere dont des pratiques anciennes auraient eacuteteacute peu agrave peu deacutetourneacutees de leur pureteacute et simpliciteacute originelles44 En Ascl 37 Hermegraves apprend agrave son disciple
40 R Bultmann op cit 1968 p 181 W Burkert op cit 2003 p 17 Voir Apuleacutee Meacutetamorphoses XI 28 et lrsquoinvocation agrave Isis du P Oxy XI 1380 col VII l 152 Sur ce dernier texte voir A-J Festugiegravere laquo Foi ou formule dans le culte drsquoIsis raquo Revue biblique 41 (1932) p 257ndash261 Pour lrsquolaquo activiteacute missionnaire raquo agrave propos de lrsquoexpan-sion du culte isiaque F Dunand laquo Cultes eacutegyptiens hors drsquoEacutegypte Nouvelles voies drsquoapproche et drsquointerpreacutetation raquo in E Vanrsquot Dack P Van Dessel and W Van Gucht op cit p 79
41 I Leacutevy (op cit p 301) considegravere que CH XVII est une laquo apologie raquo42 J-P Maheacute op cit 1982 p 10143 Crsquoest ce que laisse entendre J-P Maheacute op cit 1982 p 101ndash10244 Dans De lrsquoabstinence II 5ndash8 Porphyre adresse ce genre de critiques quand il parle
des sacrifices
194 chapitre quatre
omnium enim mirabilium vincit admirationem quod homo divinam potuit invenire naturam eamque efficere quoniam ergo proavi nostri mul-tum errabant circa deorum rationem increduli et non animadvertentes ad cultum religionemque divinam invenerunt artem qua efficerent deos
Ce qui surpasse lrsquoadmiration de toutes les choses admirables crsquoest que lrsquohomme a eacuteteacute capable de trouver la nature divine et de la produire Donc apregraves que nos premiers ancecirctres aient beaucoup erreacute au sujet de la doctrine sur les dieux increacutedules et ne se souciant ni du culte ni de la religion divine ils inventegraverent lrsquoart de produire des dieux
La tregraves haute antiquiteacute et le caractegravere originel de lrsquoart de fabriquer des images animeacutees sont clairement affirmeacutes cet art nrsquoest ni une deacuteviation ni une deacuteformation ni encore une innovation reacutecente Or agrave lrsquoeacutepoque de la reacutedaction des eacutecrits hermeacutetiques lrsquoinnovation avec les adjectif καινός et nom καινότης est mal perccedilue notamment dans le domaine religieux45 car elle ne srsquoenracine pas dans le terreau culturel des tra-ditions et des autoriteacutes bien eacutetablies Ceci va de pair avec la convic-tion que les ancecirctres deacutetiennent la veacuteriteacute ideacutee qui remonte au Philegravebe de Platon du cocircteacute grec46 mais qui est eacutegalement un fondement de la culture eacutegyptienne Pour lrsquoauteur hermeacutetiste lrsquoart de fabriquer des sta-tues animeacutees eacutetant aussi vieux que la religion leurs destins sont lieacutes Critiquer le premier revient agrave critiquer la seconde et agrave ecirctre impie
Cet argument est lieacute agrave un second celui de lrsquoautoriteacute Lrsquoautoriteacute drsquoune personne ou drsquoun groupe est reacuteguliegraverement brandie comme un eacuteten-dard pour affirmer la veacuteriteacute de ce que lrsquoon veut deacutefendre Dans lrsquoAs-cleacutepius Hermegraves place la fabrication des images animeacutees sous lrsquoautoriteacute des Eacutegyptiens47 Dans les chapitres 37 et 38 lrsquoEacutegypte fournit des exem-ples (personnages et lieux mecircme impreacutecis48) pour lrsquoargumentation dans les chapitres 23 et 24 le discours sur lrsquoEacutegypte est relieacute agrave celui sur
45 Jamblique sous le pseudonyme Abamon dans sa Reacuteponse drsquoAbamon VII 5 (257ndash259) critique les Hellegravenes qui ne conservent pas telles quelles les priegraveres en raison de leur laquo innovation raquo καινοτομία et de leur laquo teacutemeacuteriteacute raquo παρανομία Plotin traiteacute 33 (Enn II 9) 6 accuse ses adversaires gnostiques drsquoinnover et il eacutetablit lrsquoeacutequation suivante καινοτομέω laquo innover raquo = ἰδέα φιλοσοφία laquo philosophie particuliegravere raquo = ἔξω τῆς ἀληθείας laquo (ecirctre) hors de la veacuteriteacute raquo Voir aussi Julien Discours VIII Sur la Megravere des Dieux 1 159 andashb
46 Platon Philegravebe 16 c Parmi de nombreux exemples voir Celse qui pose comme fondement de son argumentation contre les chreacutetiens lrsquoautoriteacute drsquoun παλαιὸς λόγος laquo discours antique raquo ou laquo enseignement antique raquo Origegravene Contre Celse I 49
47 Sur lrsquoinspiration eacutegyptienne dans ce passage P Derchain op cit 1962 p 186ndash18748 Plusieurs commentateurs ont essayeacute de situer preacuteciseacutement les lieux citeacutes mais
sans reacuteel succegraves W Scott op cit vol 3 p 242ndash243 NF II p 394 n 317 BP Copen-haver op cit p 245 B van Rinsveld op cit p 233ndash242
images des dieux des dieux parmi les hommes 195
les images des dieux gracircce 1deg agrave la question an ignoras o Asclepi quod Aegyptus imago sit caeli laquo mais ignores-tu Ascleacutepios que lrsquoEacutegypte est lrsquoimage du ciel raquo et 2deg agrave la reprise de thegravemes identiques temple image lien entre le ceacuteleste et le terrestre Dans la Citeacute de Dieu VIII 23 la cita-tion faite par Augustin drsquoAscl 24 49 confirme ce lien puisqursquoelle srsquoeacutetend jusqursquoaux premiers mots de lrsquoapocalypse
Dans ce contexte lrsquoexpression laquo nos premiers ancecirctres raquo drsquoAscl 37 a deux significations (analogues agrave celles avanceacutees pour le syntagme πατρῴα διάλεκτος de CH XVI 2 ) lrsquoune restreinte les ancecirctres homo-nymes de la ligneacutee drsquoHermegraves et de ses disciples lrsquoautre plus geacuteneacuterale les ancecirctres eacutegyptiens Il est courant agrave lrsquoeacutepoque drsquoaffirmer que des rites en particulier ceux qui sont lieacutes aux statues proviennent drsquoautres peuples les Eacutegyptiens le plus souvent50 ou les mages51 Cependant P Boyanceacute se fondant sur Plotin qui agrave propos de lrsquoinstauration des temples et des statues parle des laquo anciens sages raquo πάλαι σοφοί traiteacute 27 (Enn IV 3) 11 sans preacuteciser leur origine considegravere qursquoil srsquoagit de la tradition grecque il deacutenonce laquo lrsquoerreur qui chercherait du cocircteacute de ce qursquoil peut y avoir de speacutecifiquement eacutegyptien lrsquoorigine de celles-ci dans lrsquoAscleacutepius ou chez Numeacutenius raquo52 Pourtant il ne faut pas oublier que Plotin est originaire drsquoEacutegypte que lrsquoAscleacutepius aurait eacuteteacute eacutecrit en Eacutegypte et qursquoil y a dans ce pays une longue tradition concernant les statues des dieux leur fabrication et leur animation Si lrsquoauteur hermeacutetiste a de fait pu exploiter une double tradition grecque et eacutegyptienne il est plus prestigieux agrave lrsquoeacutepoque de tout faire remonter agrave lrsquoEacutegypte53
En Ascl 24 lrsquoauteur qualifie lrsquoEacutegypte de mundi totius templum laquo temple du monde entier raquo Il srsquoagit drsquoune variante (nationaliseacutee) drsquoune meacutetaphore tregraves commune du monde comme temple54 et elle est
49 NF II p 326 l 10 et p 327 l 350 Reprenant lrsquoopinion de neacuteoplatoniciens qui mettent en relation Orpheacutee et les
statues (Jamblique Vie de Pythagore [28] 151 voir P Boyanceacute op cit 1955 p 200) Eusegravebe de Ceacutesareacutee considegravere qursquoOrpheacutee a apporteacute drsquoEacutegypte lrsquoart des teletai et de lrsquoeacuterec-tion des statues Preacuteparation eacutevangeacutelique X 4 4
51 Minucius Feacutelix Octavius 27152 P Boyanceacute op cit 1955 p 204 et p 20653 Heacuterodote Enquecirctes II 37 II 49ndash50 II 58 Diodore de Sicile Bibliothegraveque histo-
rique I 96 Porphyre De lrsquoabstinence II 51 reprenant Theacuteophraste SH 24 11 laquo notre tregraves saint pays raquo et 2413 laquo puisque le pays tregraves saint de nos ancecirctres est eacutetabli au milieu de la terre que le milieu du corps humain est lrsquoenceinte du seul cœur raquo Cette liste est loin drsquoecirctre exhaustive Drsquoougrave aussi le traditionnel voyage en Eacutegypte Diodore de Sicile Bibliothegraveque historique I 69 2ndash4 et 96 1ndash4 Voir A Bernand Leccedilon de civi-lisation Paris Fayard 1994 p 135ndash158
54 Cf A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 233ndash238
196 chapitre quatre
parallegravele agrave la meacutetaphore qualifiant de temple certaines communauteacutes55 Elle eacutevoque la reacuteputation courante chez les Grecs de lrsquoEacutegypte comme terre sacreacutee56 Cependant elle ne renvoie pas seulement agrave la tradition grecque ni mecircme juive57 elle est aussi ancreacutee dans la reacutealiteacute eacutegyptienne de nombreux temples et neacutecropoles jalonnent lrsquoEacutegypte et ont une forte emprise territoriale mecircme si leur situation eacuteconomique connaicirct un deacuteclin durant les premiers siegravecles de lrsquoegravere chreacutetienne58 Or ces deux types de lieux sont reacuteguliegraverement qualifieacutes de dsr laquo sacreacute raquo59 qui plus geacuteneacuteralement deacutesigne toute place mise agrave lrsquoeacutecart60 La meacutetaphore her-meacutetique eacuteclaire une autre qualification de lrsquoEacutegypte imago caeli laquo la copie du ciel raquo avec une sorte de syllogisme implicite lrsquoEacutegypte est le temple du monde or le temple eacutegyptien est lui-mecircme une image du ciel car il est la demeure divine61 lrsquoEacutegypte est donc lrsquoimage ou la copie du ciel Cependant comme le fait remarquer J-P Maheacute 62 Hermegraves fournit une explication personnelle pour cette identification lrsquoEacutegypte est une image du ciel aut quod est verius translatio aut descensio
55 E Puech laquo Les Esseacuteniens et le temple de Jeacuterusalem raquo in J-C Petit A Charron et A Myre (eacuteds) ldquoOugrave demeures-tu rdquo (Jn 138) La maison depuis le monde biblique En hommage au professeur Guy Couturier agrave lrsquooccasion de ses soixante-cinq ans Montreacuteal Fides 1994 p 287 C Boumlttrich laquo lsquoIhr seid der Tempel Gottesrsquo Tempelmetaphorik und Gemeinde bei Paulus raquo in B Ego A Lange und P Pillhofer Gemeinde ohne Tempel Community without Temple Zur Substituierung und Transformation des Jerusalemer Tempels und seines Kults im Alten Testament antiken Judentum und fruumlhen Christen-tum Tuumlbingen Mohr-Siebeck 1999 p 411ndash425
56 Porphyre De lrsquoabstinence II 5157 Pour OF Riad la meacutetaphore hermeacutetique est de tradition juive laquo Les sources
drsquoAscleacutepius 21ndash29 raquo in M Immerzeel and J van der Vliet (eds) op cit p 805 Agrave propos de lrsquoEacutegypte comme temple du monde lrsquoauteur renvoie agrave Moiumlse et agrave Israeumll lrsquoexpression laquo terra nostra raquo teacutemoignerait de la nationaliteacute (juive ) de lrsquoauteur hermeacute-tiste Cependant elle nrsquoargumente pas son opinion et ne justifie pas la relation qursquoelle eacutetablit entre le passage hermeacutetique et Moiumlse
58 Les derniegraveres allocations territoriales accordeacutees aux temples remontent agrave Pto-leacutemeacutee VI (170ndash145 avant J-C) G Houmllbl A History of the Ptolemaic Empire trans-lation T Saavedra London Routledge 2001 (eacutedition allemande de 1994) p 257 RS Bagnall op cit p 263 et suivantes D Frankfurter op cit 1998 p 27ndash30 et voir index sv laquo temple ndash economic decline of raquo
59 JK Hoffmeier op cit p 85ndash8760 JK Hoffmeier op cit p 89ndash101 et p 171ndash19861 P Derchain op cit 1962 p 190ndash191 JK Hoffmeier op cit p 191 Le temple
est lui-mecircme une image du monde avec tout un symbolisme reacutepondant agrave des regravegles preacutecises J Hani laquo Le temple eacutegyptien raquo Les Eacutetudes philosophiques 1987 p 143ndash144 et p 150 P Derchain laquo Rituels eacutegyptiens raquo in Y Bonnefoy (dir) Dictionnaire des mythologies et des religions des socieacuteteacutes traditionnelles et du monde antique KndashZ Paris Flammarion 1981 p 330
62 J-P Maheacute op cit 1982 p 95
images des dieux des dieux parmi les hommes 197
omnium quae gubernantur atque exercentur in caelo laquo ou ce qui est plus vrai le transfert ou la descente de tout ce qui est gouverneacute et mis en mouvement dans le ciel raquo63
Des deux meacutetaphores deacutecoulent deux faits lrsquoEacutegypte doit avoir des dieux comme le ciel et comme dans le ciel lrsquoordre qui regravegne sur terre et en Eacutegypte doit ecirctre immuable ce que les rites assurent64 en se perpeacutetuant drsquoune geacuteneacuteration agrave lrsquoautre Ce caractegravere conservateur avait tregraves tocirct frappeacute les Grecs65 Jamblique lrsquoadmire il critique la teacutemeacuteriteacute des Grecs et preacuteconise de conserver les rites eacutegyptiens notamment les priegraveres laquo les conserver toujours les mecircmes et de la mecircme maniegravere sans en rien retrancher sans y rien ajouter qui provienne drsquoailleurs raquo66 Avec lrsquoancrage eacutegyptien lrsquoauteur hermeacutetiste renverrait eacutegalement agrave cette ideacutee de conservation immuable qui renforce lrsquoideacutee selon laquelle les images animeacutees ne sont pas une innovation QursquoAscl 23ndash24 soit suivi par une apocalypse sur le devenir deacutesastreux du pays est eacutegale-ment signifiant Lrsquoarrecirct de lrsquoaccomplissement des rites entraicircne la mort du temple celle de lrsquoEacutegypte et le bouleversement de lrsquoordre ceacuteleste Ainsi puisque les statues entretiennent dans lrsquooptique hermeacutetique une relation forte avec le culte le manque de foi dans leur fabrication et animation est implicitement mis en relation avec lrsquoarrecirct des rites et lrsquoapocalypse
b Les statues des dieux miroir et reflet des incorporelsLrsquoauteur de lrsquoAscleacutepius renforce les arguments preacuteceacutedents par drsquoautres plus philosophiques Il affirme que lrsquohomme est capable de creacuteer des images animeacutees gracircce agrave des rapports de parenteacute avec le divin expri-meacutes avec les termes cognatio laquo parenteacute raquo consortium laquo communauteacute raquo ou laquo participation raquo en Ascl 23 et ⲕⲟⲓⲛⲱⲛⲓⲁ en NH VI 6821
Ce lexique eacutevoque le thegraveme grec de la συγγένεια entre les dieux et les hommes67 gracircce agrave ce qursquoil y a de plus divin en lrsquohomme lrsquo intellect
63 Voir P Derchain op cit 1962 p 19164 P Derchain op cit 1962 p 191ndash194 idem 1965 Le Papyrus Salt 825 est une
laquo sorte drsquoaide-meacutemoire raquo pour le ceacutereacutemoniaire chargeacute des rites qui visent agrave maintenir la vie de lrsquounivers par des gestes et des paroles (p 10 et 19) D Kurth laquo Aumlgypter ohne Tempel raquo in B Ego A Lange und P Pillhofer op cit p 136
65 Heacuterodote Enquecirctes II 79 Platon Lois II 656 dndash657 a66 Reacuteponse drsquoAbamon VII 5 (2593ndash5) τηρεῖσθαι κατὰ τὰ αὐτὰ καὶ ὡσαύτως μήτε
ἀφαιροῦντάς τι ἀπ᾿ αὐτῶν μήτε προστιθέντας τι αὐταῖς ἀλλαχόθεν (traduction Eacute des Places)
67 Cf Platon Timeacutee 90 andashb A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 242ndash259 et surtout p 258 Eacutepictegravete Entretiens I 33 et 37 Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des
198 chapitre quatre
qui lui permet de participer au divin Lrsquoauteur reprend ce thegraveme en Ascl 37 juste avant la nouvelle section sur les statues quand il rap-pelle que lrsquohomme est en possession drsquoun don divin la raison Srsquoil se place essentiellement dans la tradition grecque lrsquoexpression laquo nos ancecirctres raquo fait intervenir lrsquoEacutegypte et la question de la parenteacute acquiert une autre dimension
En Eacutegypte les statues animeacutees existent gracircce agrave une minoriteacute les precirctres laquo initieacutes raquo bs crsquoest-agrave-dire laquo (quelqursquoun) qui ouvre les portes du ciel pour voir ce qui srsquoy trouve raquo68 Admis au sein du monde divin ils sont les seuls agrave pouvoir pratiquer les ultimes rites pour animer les images des dieux comme le disent des inscriptions de laquo lrsquoAtelier des Orfegravevres raquo agrave Dendara laquo Quand on en vient agrave lrsquoœuvre secregravete en toute chose crsquoest lrsquoaffaire des officiants initieacutes aupregraves du dieu qui sont membres du clergeacute laveacutes par la purification de la grande ablution qui agiront sans qursquoaucun œil ne les observe sous lrsquoautoriteacute du preacuteposeacute aux rites secrets scribe du livre sacreacute chancelier pegravere divin ritualiste en chef raquo et laquo Ne laisse entrer personne dans le ldquochacircteau de lrsquoOrrdquo sauf le Grand-pur qui contemple le ritualiste en chef savant compeacutetent preacuteposeacute aux rites secrets qui donne les instructions agrave celui qui peut entrer69 raquo Ainsi ce que lrsquoauteur hermeacutetiste exprime avec des termes relevant de la tradition grecque a aussi un eacutecho en Eacutegypte Srsquoil parle de lrsquohomme au sens geacuteneacuterique il est eacutevident que dans la pratique seule une minoriteacute ceux qui ont maintenu intact la parenteacute avec le divin est capable de fabriquer les statues animeacutees Cette minoriteacute est lrsquoeacutequiva-lent des precirctres eacutegyptiens et des theacuteurges de la fin de lrsquoAntiquiteacute
Gracircce agrave cette parenteacute les hommes imitent Dieu qui produit des dieux ceacutelestes (Ascl 23 et NH VI 6824ndash34 70) imitation qui se prolonge
philosophes illustres VII 83 Eacute des Places Syngeneia La parenteacute de lrsquohomme avec Dieu drsquoHomegravere agrave la patristique Paris Klincksieck 1964
68 Inscription de lrsquolaquo atelier des Orfegravevres raquo de Dendara J-M Kruchten Les Annales des precirctres de Karnak (XXIndashXXIIIemes dynasties) et autres textes contemporains relatifs agrave lrsquoinitiation des precirctres drsquoAmon Leuven Departement Orieumlntalistiek 1989 p 195
69 P Derchain laquo LrsquoAtelier des Orfegravevres agrave Dendara et les origines de lrsquoAlchimie raquo ChrE 65 fasc 130 (1990) p 234 La mecircme ideacutee se retrouve dans des inscriptions plus anciennes qui datent du regravegne de Thoutmosis III dans le temple drsquoAmon agrave Karnak cf J-M Kruchten op cit p 166
70 Ascl 23 Dominus et pater vel quod est summum deus ut effector est deorum cae-lestium ita homo fictor est deorum qui in templis sunt humana proximitate contenti laquo le Seigneur et Pegravere ou ce qui est plus illustre Dieu de mecircme qursquoil est le producteur des dieux ceacutelestes de mecircme lrsquohomme est le sculpteur des dieux qui sont dans les temples et sont satisfaits de la proximiteacute humaine raquo La version copte eacutetant (NH VI 6824ndash31 ) ⲛ25ⲑⲉ ⲅⲁⲣ ⲙⲡⲓⲱⲧ ⲡϫⲟⲉⲓⲥ ⲙ26ⲡⲧⲏⲣϥ ⲉϥⲧⲁⲙⲓⲉ ⲛⲟⲩⲧⲉmiddot 27ⲧⲁⲓ ⲧⲉ ⲑⲉ ϩⲱⲱϥ ⲟⲛ
images des dieux des dieux parmi les hommes 199
au niveau de la participation du produit agrave la nature du producteur71 Lrsquoimportance de cette imitation srsquoenracine en Eacutegypte ougrave les precirctres initieacutes srsquoaident de livres ougrave ce sont les dieux qui agissent elle repose aussi sur lrsquoideacutee drsquoun dieu artisan Ptah ou Khnum en Eacutegypte Dieu chez les platoniciens du deacutebut de lrsquoegravere chreacutetienne72 Pour lrsquoauteur her-meacutetiste comme pour les Eacutegyptiens lrsquohomme est artisan comme Dieu lrsquoest le modegravele de toutes les activiteacutes humaines remonte au monde suprasensible
Lrsquoauteur de CH XVII a aussi recours au paradigme du monde ceacuteleste comme outil explicatif ce que fait eacutegalement Plotin dans le mecircme contexte de justification des statues animeacutees dans le traiteacute 27 (Enn IV 3) 1173 Probablement influenceacute par des textes platoniciens74 Plotin se sert du miroir pour expliquer la maniegravere dont lrsquoAcircme uni-verselle peut ecirctre attireacutee dans les corps et la relation entre lrsquoimage et son paradigme lrsquointelligible Il rend compte ainsi de lrsquounion entre le sensible et lrsquointelligible gracircce agrave lrsquoacircme et lrsquoaspiration du sensible vers
ⲙⲡⲣⲱⲙⲉ 28ⲡⲉⲓⲍⲱⲟⲛ ⲉⲧϩⲓϫⲙ ⲡⲕⲁϩ ⲛ29ⲣⲉϥⲙⲟⲩmiddot ⲡⲁⲓ ⲉⲧⲧⲛⲧⲱⲛ ⲁⲛ 30ⲉⲡⲛⲟⲩⲧⲉmiddot ⲛⲧⲟϥ ϩⲱⲱϥ ⲟⲛmiddot 31ϥⲧⲁⲙⲓⲉ ⲛⲟⲩⲧⲉmiddot laquo en effet de mecircme que le Pegravere Seigneur du Tout fabrique (des) dieux telle est la maniegravere aussi dont lrsquohomme cet animal mortel qui est sur terre celui qui nrsquoeacutegale pas Dieu lui aussi fabrique (des) dieux raquo Pour la comparaison entre les deux passages A Camplani Scritti op cit 2000 p 182 n 17
71 Ascl 23 deorum genus omnium confessione manifestum est de mundissima parte naturae esse prognatum [ ] species vero deorum quas conformat humanitas ex utra-que natura conformatae sunt ex divina quae est purior multoque divinior et ex ea quae intra homines est id est ex materia qua fuerint fabricatae laquo crsquoest une croyance universelle que la race des dieux est issue de la partie la plus pure de la nature [ ] Mais les images des dieux que faccedilonne lrsquohomme ont eacuteteacute formeacutees des deux natures de la divine qui est plus pure et infiniment plus divine et de celle qui est en deccedilagrave de lrsquohomme je veux dire de la matiegravere qui a servi agrave les fabriquer raquo
72 J Peacutepin Theacuteologie cosmique et Theacuteologie chreacutetienne (Ambroise Exam I 1ndash4) Paris PUF 1964 p 35
73 καὶ μοι δοκοῦσιν οἱ πάλαι σοφοί [ ] ἐν νῷ λαβεῖν ὡς πανταχοῦ μὲν εὐάγωγον ψυχῆς φύσις δέξασθαί γε μὴν ῥᾷστον ἂν εἴη ἁπάντων εἴ τις προσπαθές τι τεκτήναιτο ὑποδέξασθαι δυνάμενον μοῖράν τινα αὐτῆς προσπαθὲς δὲ τὸ ὁπωσοῦν μιμηθέν ὥσπερ κάτοπτρον ἁρπάσαι εἶδός τι δυνάμενον laquo et les anciens sages me paraissent [ ] avoir compris que puisque la nature de lrsquoacircme est facilement partout ce serait la chose la plus facile de toutes de la retenir si on fabriquait un objet approprieacute capable de rece-voir une part de celle-ci (la nature) La repreacutesentation imageacutee est en quelque faccedilon impressionnable comme un miroir capable de saisir une forme raquo (traduction Eacute Breacute-hier modifieacutee)
74 Platon Reacutepublique 484 c et 500 e Ces extraits platoniciens srsquoeacutecartent drsquoautres passages ougrave Platon affirme que les œuvres drsquoart ne peuvent ecirctre que des imitations de choses sensibles Reacutepublique 597 dndash598 a ougrave le peintre imite les objets reacutealiseacutes par des ouvriers professionnels drsquoapregraves la reacutealiteacute
200 chapitre quatre
lrsquointelligible75 Lrsquoauteur hermeacutetiste utilise aussi le miroir pour expliquer la preacutesence drsquoun incorporel ndash lrsquoimage qui est dans le miroir ndash dans le corporel ndash le miroir lui-mecircme Il eacutevoque ensuite les formes ἰδέαι incorporelles des objets corporels Il emploie le terme platonicien ἰδέα non dans son sens le plus classique de laquo forme intelligible raquo mais plutocirct dans celui de laquo forme qui srsquoimprime ou qui se reacutealise dans la matiegravere raquo76 Il termine avec le thegraveme du reflet des incorporels ou des intelligibles sur lrsquoobjet corporel exprimeacute gracircce au terme ἀντανάκλασις Ce dernier eacutetant en geacuteneacuteral utiliseacute pour la lumiegravere lrsquoauteur suggegravere probablement lrsquoideacutee que lrsquoillumination par les intelligibles relie la source agrave ce qui est illumineacute et permet au second de participer du premier Ainsi selon lrsquoauteur de CH XVII la matiegravere des statues est le reacuteceptacle des for-mes et un miroir qui reflegravete les intelligibles Lrsquoauteur nrsquoest pas tregraves eacuteloigneacute de ce que dit plus tard Proclus dans son Commentaire sur le Timeacutee II 252 laquo Ils (= les mots laquo masse visible raquo) sont la masse qui tout en eacutetant mue drsquoun mouvement irreacutegulier et inordonneacute nrsquoen a pas moins participeacute deacutejagrave aux formes et en porte quelques traces et quel-ques reflets77 raquo Plus loin Proclus eacutevoque lrsquoillumination qui provient du divin Neacuteanmoins lrsquoauteur hermeacutetiste parle drsquoun reflet reacuteciproque du monde sensible dans le monde intelligible peut-ecirctre pour mon-trer une aspiration vers lrsquoincorporel Il en va de mecircme pour Plotin et Jamblique ils pensent que les ecirctres supeacuterieurs illuminent ce qui est infeacuterieur et que la matiegravere participe au supeacuterieur78 Dans le cas hermeacute-tique au lieu drsquoune participation qui reacutepond agrave lrsquoillumination ce serait un reflet qui reacutepond agrave un premier reflet permettant un mouvement de retour vers Dieu et une eacuteleacutevation vers lrsquointelligible
Lrsquoargumentation theacuteorique qui renforce dans lrsquoAscleacutepius les argu-ments drsquoancienneteacute et drsquoautoriteacute montre que les images des dieux ani-meacutees ou non sont plus que de la simple matiegravere Images au sens plein du terme avec un modegravele sous-jacent et la participation agrave la nature de ce modegravele elles sont le point de contact entre deux mondes et on pourrait leur appliquer ce que dit A de Buck agrave propos du temple eacutegyptien laquo lrsquoendroit ougrave le monde de lrsquoinfini et le monde du corporel se
75 Plotin dans le traiteacute 27 (Enn IV 3) 11 eacutevoque cela en utilisant lrsquoexemple du soleil
76 Cette ideacutee qui est exprimeacutee normalement avec εἶδη apparaicirct deacutejagrave chez Platon avec ἰδέα dans Timeacutee 50 e J Peacutepin op cit 1964 p 496 I Leacutevy (op cit p 297) considegravere que ἰδέαι dans le traiteacute latin doit ecirctre entendu au sens de δυνάμεις
77 Traduction A-J Festugiegravere 78 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon V 23 (233)
images des dieux des dieux parmi les hommes 201
trouvent en contact raquo79 Les statues apparaissent comme la contrepartie terrestre des dieux ceacutelestes le reacuteceptacle du divin Nous trouvons une conception analogue dans le traiteacute gnostique Zostrien NH VIII 1306 quand Zostrien parle de la laquo statue raquo ⲧⲟⲩⲱⲧ qursquoil reacuteintegravegre quand il redescend sur terre Or en Eacutegypte les statues tjt sont les images du dieu sur terre80 et les hieacuteroglyphes appeleacutes tjt sont la contrepartie terrestre des paroles de Recirc de mecircme que le pharaon deacutesigneacute parfois aussi avec le terme tjt est la contrepartie de la diviniteacute81 Tout ceci implique de la part du disciple et du destinataire une attitude speacutecifi-que qursquoil faut maintenant preacuteciser
II Les images divines entre meacutemoire et culte
Seul Tat dans CH XVII demande explicitement agrave son interlocuteur drsquoadopter une attitude respectueuse Dans lrsquoAscleacutepius il semblerait que la croyance demandeacutee en Ascl 23ndash24 conduise en Ascl 37ndash38 sinon agrave un culte du moins agrave la neacutecessiteacute de perpeacutetuer le savoir de leur fabrication
1 Meacutemoire de la fabrication des images animeacutees
Apregraves avoir obtenu de son disciple la croyance en lrsquoexistence des images animeacutees et en la capaciteacute de lrsquohomme agrave les fabriquer Hermegraves expose en Ascl 37ndash38 la fabrication que contrairement agrave lrsquoOgdEnn le disciple ne met pas en œuvre Les mots drsquoHermegraves rappellent beaucoup la pratique des temples eacutegyptiens et le contenu des inscriptions de sal-les qui se preacutesentent comme le lieu de fabrication des images animeacutees mais qui ne peuvent pas lrsquoecirctre en raison de leur dimension82
79 Citeacute dans J Hani op cit 1987 p 14780 D Lorton laquo The Theology of Cult Statues in Ancient Egypt raquo in MB Dick (ed)
Born in Heaven Made on Earth The Making of the Cult Image in the Ancient Near East Winona Lake (Indiana) Eisenbrauns 1999 p 131 Lrsquoeacutegyptien tjt est lrsquoeacutetymon du copte ⲧⲟⲩⲱⲧ
81 E Iversen Egyptian and Hermetic Doctrine Copenhagen Museum Tusculanum Press 1984 p 38
82 Ce serait en particulier le cas de la salle appeleacutee Atelier des Orfegravevres agrave Dendara et de la salle 2 du programme drsquoagrandissement engageacute par Thoutmosis III dans le temple drsquoAmon agrave Karnak Voir P Derchain op cit 1990 p 219ndash242 C Traunecker laquo Le ldquoChacircteau de lrsquoOrrdquo de Thoutmosis III et les magasins nords du temple drsquoAmon raquo CRIPEL 11 (1989) p 89ndash111
202 chapitre quatre
a Une fabrication en deux phasesEn Ascl 37 Hermegraves brosse de maniegravere succincte le mode de fabrica-tion des images animeacutees
Invenerunt artem qua efficerent deos cui inventae adiunxerunt virtu-tem de mundi natura convenientem eamque miscentes quoniam ani-mas facere non poterant evocantes animas daemonum vel angelorum eas indiderunt imaginibus sanctis divinisque mysteriis per quas idola et bene faciendi et male vires habere potuissent
Ils (= les ancecirctres) inventegraverent lrsquoart de faire les dieux Lrsquoayant inventeacute ils y ajoutegraverent la vertu approprieacutee qui provient de la nature du monde et qursquoils meacutelangent comme ils ne pouvaient pas faire des acircmes apregraves avoir eacutevoqueacute les acircmes de deacutemons ou drsquoanges ils les introduisirent dans les images (des dieux)83 au moyen de mystegraveres saints et divins pour que les idoles puissent avoir la force de faire le bien et le mal
Nous pouvons distinguer deux phases elles-mecircmes subdiviseacutees en deux opeacuterations 1deg le faccedilonnement mateacuteriel des statues (de invene-runt agrave miscentes) avec a) le choix des mateacuteriaux selon la vertu issue de la nature et b) la fabrication elle-mecircme 2deg lrsquoanimation des statues (de quoniam agrave potuissent) avec a) lrsquoeacutevocation des acircmes ceacutelestes et b) leur introduction dans les statues Comme le fait remarquer C van Liefferinge ces deux phases sont deacutejagrave attesteacutees dans le fragment 33 de Numeacutenius 84 Le philosophe drsquoApameacutee attribue la reacutealisation de chaque phase agrave des speacutecialistes diffeacuterents drsquoun cocircteacute des sculpteurs ou autres artisans et de lrsquoautre ceux que Numeacutenius appelle laquo magiciens raquo Une reacutepartition analogue des tacircches avait deacutejagrave cours en Eacutegypte les arti-sans se chargeant de la fabrication mateacuterielle des statues les precirctres et les lettreacutes deacutepositaires des secrets srsquooccupant des rites drsquoanimation 85 Ces deux phases srsquoaccordent avec la nature double des images des dieux la premiegravere artisanale pour la nature mateacuterielle la seconde attirer lrsquoincorporel dans les mateacuteriaux crsquoest-agrave-dire lrsquoanimation rituelle pour la nature immateacuterielle Cette seconde phase est celle que Proclus appelle τελεστική notamment dans son Commentaire sur le Timeacutee I 330 ou son Commentaire au Cratyle 5133ndash36 et 17481ndash83 Proclus
83 Le latin imago correspondrait au grec ἄγαλμα et deacutesigne plutocirct les repreacutesen-tations de dieux ce qui convient parfaitement au contexte Voir K Konce op cit p 108
84 Origegravene Contre Celse V 38 C van Liefferinge op cit 1999 p 94ndash9585 C Traunecker op cit 1989 p 108
images des dieux des dieux parmi les hommes 203
reprend un terme rare chez Platon86 et le reacuteinterpregravete pour deacutesigner drsquoune part lrsquoart de consacrer87 et drsquoanimer les statues et drsquoautre part ce qui permet agrave lrsquoacircme drsquoaccomplir le mouvement de retour vers les dieux88 Mecircme si ce terme est absent du texte hermeacutetique latin lrsquoideacutee est preacutesente
Il semble difficile de parler comme le fait C van Liefferinge drsquoune laquo premiegravere phase profane raquo89 La distinction entre ce qui serait profane et ce qui ne le serait pas ndash distinction qui nrsquoest pas toujours appro-prieacutee pour lrsquoAntiquiteacute sauf agrave bien deacutefinir ce que les auteurs anciens entendaient par les termes sacer et profanus90 ndash nous semble lrsquoecirctre encore moins pour la production des statues animeacutees Les deux pha-ses principales sont distinctes mais lieacutees la fabrication artisanale est accomplie en vue de la seconde et elle deacutepend drsquoimpeacuteratifs imposeacutes par les besoins de cette seconde phase en particulier pour tout ce qui concerne les mateacuteriaux
b La production artisanale des statuesLrsquoauteur emploie le terme ars au deacutebut du passage citeacute ci-dessus Bien que ars puisse deacutesigner lrsquoensemble du processus de fabrication la premiegravere phase correspond parfaitement agrave un art une τέχνη vrai-semblablement la sculpture En Ascl 38 Ascleacutepios manifeste enfin son inteacuterecirct avec une question sur la nature de ces ouvrages drsquoart En reacuteponse Hermegraves eacutenumegravere trois mateacuteriaux91 les herbes les aromates
86 Phegravedre 248 e et 265 b Le terme nrsquoapparaicirct qursquoune fois avant Platon dans une inscription datant des environs de 500 avant J-C trouveacutee agrave Olympie Dans Phegravedre 248 d il deacutesigne la cinquiegraveme existence que lrsquoacircme peut adopter apregraves avoir perdu ses ailes Les teacutelestes seraient des personnes pouvant sauver les malheureux poursuivis par le courroux divin O Balleacuteriaux laquo φιλοσόφων τὰ θεουργικὰ ἐξετάζειν Syrianus et la teacutelestique raquo Kernos 2 (1989) p 13ndash25 idem laquo Mantique et teacutelestique dans le Phegravedre de Platon raquo Kernos 3 (1990) p 35ndash43 C van Liefferinge op cit 1999 p 93ndash97 et p 268ndash273
87 Chez Maxime de Tyr dans Dissertations 412 les teacutelestes consacrent les statues tandis que chez les neacuteoplatoniciens tardifs ils animent aussi les statues de dieux Conseacutecration et animation sont deux activiteacutes qursquoil ne faut pas confondre P Boyanceacute op cit 1955 p 199ndash201 et C van Liefferinge op cit 1999 p 94
88 Crsquoest notamment lrsquoopinion drsquoO Balleacuteriaux op cit 1990 p 13 qui srsquooppose ainsi agrave ER Dodds qui restreignait la teacutelestique agrave la conseacutecration et lrsquoanimation des statues opinion partageacutee par C van Liefferinge op cit 1999 p 273
89 C van Liefferinge op cit 1999 p 95 lrsquoauteur oppose la laquo phase profane du sculpteur raquo et la laquo phase effectueacutee par des magiciens raquo
90 P Borgeaud op cit p 387ndash41891 Lrsquoauteur utilise qualitas pour parler de ces mateacuteriaux Selon A-J Festugiegravere (NF
II p 396 n 325) ce terme deacutesignerait les ingreacutedients magiques Cela pourrait faire
204 chapitre quatre
et des pierres Jamblique mentionne ces mateacuteriaux dans un passage assez proche laquo Lrsquoart theacuteurgique [ ] aussi entrelace-t-il souvent pier-res herbes ecirctre vivants aromates et autres choses de ce genre sacreacutees et acheveacutees et speacutecifiquement divines et ensuite reacutealise agrave partir de tout cela un reacuteceptacle complegravetement acheveacute et pur raquo92 Ce rapprochement a ameneacute A-J Festugiegravere agrave parler de theacuteurgie pour lrsquoAscl 37 93 ce que reacutecuse C van Liefferinge 94 agrave juste titre En effet comme lrsquoa deacutejagrave noteacute P Boyanceacute 95 la teacutelestique nrsquoest pas speacutecifique agrave la theacuteurgie Pour pouvoir parler de theacuteurgie agrave propos de lrsquoAscleacutepius ou de la laquo voie drsquoHermegraves raquo en lrsquoabsence du mot laquo theacuteurge raquo et des termes apparenteacutes il faudrait trouver drsquoautres eacuteleacutements caracteacuteristiques ce qui deacutepasserait le cadre de cette eacutetude
Les trois mateacuteriaux sont choisis parce qursquoils contiennent en eux laquo une force naturelle de la diviniteacute raquo divinitatis naturalem vim (Ascl 38) ce qui reacutepond agrave lrsquoideacutee que les ancecirctres attachegraverent agrave lrsquoart de laquo faire des dieux raquo laquo la vertu provenant de la nature du monde raquo virtutem de mundi natura (Ascl 37 ) Selon A-J Festugiegravere 96 les termes natura et naturalis renvoient aux laquo sciences occultes raquo Ils correspondraient au grec φυσικός qui deacutesigne celle des trois branches de la philosophie qui concerne la nature97 et qui ndash au pluriel ndash est le titre de nombreux ouvrages98 qui visent agrave rechercher les diffeacuterents secrets de la nature Srsquoils se distinguent des ouvrages philosophiques sur la physique qui
reacutefeacuterence aux proprieacuteteacutes naturelles de ces ingreacutedients en relation avec la sympathie universelle dont il va ecirctre question dans les pages qui suivent
92 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon V 23 (23311ndash16) ἡ θεουργικὴ τέχνη [ ] συμπλέκει πολλάκις λίθους βοτάνας ζῷα ἀρώματα ἄλλα τοιαῦτα ἱερὰ καὶ τέλεια καὶ θεοειδῆ κἄπειτα ἀπὸ πάντων τούτων ὑποδοχὴν ὁλοτελῆ καὶ καθαρὰν ἀπεργάζεται (traduction M Broze et C Van Liefferinge)
93 A-J Festugiegravere op cit vol 2 1990 p 22 laquo crsquoest une digression sur la theacuteurgie (confection de statues animeacutees et pourvues de vertus divines) qui ressortit au mecircme cercle de penseacutee que la digression anteacuterieure sur les chaicircnes sympathiques entre le ciel et la terre raquo Il semble difficile de restreindre la theacuteurgie agrave la seule confection de statues animeacutees comme le laisserait entendre la phrase citeacutee ci-dessus
94 C van Liefferinge op cit 1999 p 9695 P Boyanceacute op cit 1955 p 191 Agrave compleacuteter avec C van Liefferinge op cit
1999 p 97 et p 268ndash27396 NF II p 394 n 315 et p 32697 Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres III 56 voir L Brisson
laquo Introduction raquo in Diogegravene Laeumlrce Vie et doctrines des philosophes illustres traduction sous la direction de M-O Goulet-Cazeacute Paris Le Livre de Poche 1999 p 379ndash380
98 Plusieurs ouvrages antiques srsquointitulent φυσικά qursquoils soient drsquoauteurs philo-sophiques comme Aristote son disciple Theacuteophraste (ἐκ τῶν θεοφράστου φυσικῶν δόξων) Chrysippe (φυσικά) Plutarque (αἰτία φυσικά) ou non comme Bolos de Men-degraves (φυσικὰ καὶ μυστικά) Cf J Bidez et F Cumont Les Mages helleacuteniseacutes Zoroastre
images des dieux des dieux parmi les hommes 205
recherchent plutocirct des causes rationnelles99 tous les auteurs ndash phi-losophes100 laquo mages raquo ou laquo Chaldeacuteens raquo101 comme Zoroastre Ostanegraves et ceux qui en revendiquent lrsquoheacuteritage102 ndash se fondent sur laquo la sympa-thie qui unit toutes les choses visibles entre elles et avec les puissances invisibles raquo103 ougrave le monde constitue un tout dont chaque partie est lieacutee aux autres et ils en exploitent le systegraveme compliqueacute des affiniteacutes et des antipathies en particulier entre les diffeacuterents regravegnes du monde sensible
Lrsquoauteur hermeacutetiste exploite ce mecircme systegraveme pour deacutefinir les cri-tegraveres de seacutelection des mateacuteriaux ndash ce qui nrsquoimplique pas lrsquoabsence de consideacuterations estheacutetiques il se concentre sur les affiniteacutes entre les regravegnes veacutegeacutetal et mineacuteral et entre ces deux regravegnes et le monde supra-sensible Pour comprendre lrsquointeacuterecirct de ces liens sympathiques drsquoautres textes antiques plus prolixes peuvent aider en premier lieu la Reacuteponse drsquoAbamon agrave la lettre de Porphyre agrave Aneacutebon V 23 (23216ndash2337) de Jamblique
μὴ δή τις θαυμαζέτω ἐὰν καὶ ὕλην τινὰ καθαρὰν καὶ θείαν εἶναι λέγωμεν ἀπὸ γὰρ τοῦ πατρὸς καὶ δημιουργοῦ τῶν ὅλων καὶ αὕτη γενομένη τὴν τελειότητα ἑαυτῆς ἐπιτηδείαν κέκτηται πρὸς θεῶν ὑποδοχήν [ ] οὐδὲ τὴν ὕλην οὖν ἀφίστησιν οὐδὲν τῆς τῶν βελτιόνων μετουσίας ὥστε ὅση τελεία καὶ καθαρὰ καὶ ἀγαθοειδὴς ὑπάρχει πρὸς θεῶν ὑποδοχήν ἐστιν οὐκ ἀνάρμοστος
Que lrsquoon ne srsquoeacutetonne pas si nous disons encore qursquoune certaine matiegravere est pure et divine en effet celle-ci aussi engendreacutee agrave partir du pegravere et deacutemiurge du tout possegravede sa propre perfection qui la rend apte agrave la
Ostanegraves et Hystaspe drsquoapregraves la tradition grecque 2 vol Paris Les Belles Lettres 1973 (reacuteimpression de lrsquoeacutedition de 1938)
99 Voir aussi A-J Festugiegravere op cit 1989 p 189100 Selon la compilation du Xe s intituleacutee les Geoponica Plutarque est lrsquoun de ceux
qui auraient dit qursquoil y avait de nombreuses antipathies et sympathies dans la nature (Geoponica XV 15) cf aussi Jamblique dans un fragment transmis au sein des scho-lies du Sophiste de Platon et signaleacute dans J Bidez et F Cumont op cit vol 1 Intro-duction p 147
101 Philon De migratione Abrahami 178ndash179 il reacutesume la doctrine des laquo Chal-deacuteens raquo sur les relations existant entre les choses ceacutelestes et ce qui est sur terre
102 J Bidez et F Cumont op cit103 Proclus Sur lrsquoart hieacuteratique 1485ndash6 ἀπὸ τῆς ἐν τοῖς φαινομένοις ἅπασι
συμπαθείας πρός τε ἄλληλα καὶ πρὸς τὰ ἀφανεῖς δυνάμεις (traduction A-J Fes-tugiegravere op cit 1989 p 134) Cf A Breacutemond laquo Notes et documents sur la religion neacuteo-platonicienne 1ndash Texte reacutecemment eacutediteacute de Proclus ldquoSur lrsquoArt hieacuteratique des Grecsrdquo raquo Recherches de science religieuse 23 (1933) p 102ndash106 J Bidez laquo Proclus Peri tes hieratikes teknes raquo in Meacutelanges Franz Cumont Bruxelles Universiteacute libre de Bruxelles 1936 p 85ndash100
206 chapitre quatre
reacuteception des dieux [ ] Donc rien non plus nrsquoeacuteloigne la matiegravere de la participation aux meilleurs de sorte que toute matiegravere parfaite pure et speacutecifiquement bonne nrsquoest pas inadapteacutee agrave la reacuteception des dieux104
Dans son traiteacute 27 (Enn IV 3) 11 sans donner de deacutetails aussi concrets et avec des preacuteoccupations diffeacuterentes Plotin insiste sur lrsquoideacutee du reacuteceptacle approprieacute Plus tard Proclus revient sur lrsquoimportance des mateacuteriaux dans lrsquoart hieacuteratique et sur la neacutecessiteacute pour les ἱερατικοί laquo initiateurs aux saints mystegraveres raquo105 drsquoexploiter les lois de la sympathie universelle Gracircce agrave celles-ci les mateacuteriaux possegravedent des qualiteacutes les rendant aptes agrave recevoir le divin Le choix de mateacuteriaux speacutecifiques deacutepend donc de la destineacutee finale des statues de la diviniteacute que le ritualiste veut attirer en elles et des puissances qursquoil souhaite invoquer Il faut aussi proceacuteder agrave des meacutelanges ce que dit bien Proclus dans son traiteacute Sur lrsquoart hieacuteratique
Srsquoils (= les maicirctres de lrsquoart hieacuteratique) meacutelangent crsquoest pour avoir observeacute que chacun des eacuteleacutements seacutepareacutes possegravede bien quelque proprieacuteteacute du dieu mais neacuteanmoins ne suffit pas pour lrsquoeacutevoquer aussi par le meacutelange drsquoun grand nombre drsquoeacuteleacutements divers ils unifient les effluves susdits et de cette somme drsquoeacuteleacutements composent un corps unique ressemblant agrave ce tout qui preacutecegravede la dispersion des termes106
Quand Hermegraves deacutecrit la composition des statues animeacutees comme un ensemble de veacutegeacutetaux et de mineacuteraux il sous-entend un tel meacutelange En Eacutegypte les statues de culte situeacutees dans lrsquoendroit le plus sacreacute et secret du temple eacutetaient geacuteneacuteralement en bois avec incrustation de mineacuteraux Les aromates sont une constante Naturels ou fumigeacutes ils deacutegagent une odeur agreacuteable trait caracteacuteristique ndash dans plusieurs milieux culturels107 ndash de la nature divine et de tout ce qui a un rap-port temporaire ou non avec le divin Leur utilisation apporterait une touche de divin aux statues
104 Traduction M Broze et C Van Liefferinge 105 οἱ ἱερατικοί selon la traduction drsquoA-J Festugiegravere dans op cit 1989 p 134106 Sur lrsquoart hieacuteratique 15026ndash30 ἡ δὲ μῖξις διὰ τὸ βλέπειν τῶν ἀμίκτων ἕκαστόν
τινα ἔχον ἰδιότητα τοῦ θεοῦ οὐ μὴν ἐξαρκοῦν πρὸς τὴν ἐκείνου πρόκλησιν διὸ τῇ μίξει τῶν πολλῶν ἑνίζουσι τὰς προειρημένας ἀπορροίας καὶ ἐξομοιοῦσι τὸ ἐκ πάντων ἓν γενόμενον πρὸς ἐκεῖνο τὸ πρὸ τῶν πάντων ὅλον (traduction A-J Festugiegravere )
107 Chez les Grecs Aeacutelius Aristide Discours sacreacute II 41 Plutarque Sur la dispa-rition des oracles 21 421 B Chez les Eacutegyptiens SH Aufregravere laquo Parfums et onguent liturgiques du laboratoire drsquoEdfou composition codes veacutegeacutetaux et mineacuteraux raquo in R Gyselen (eacuted) op cit p 29ndash64 Chez les gnostiques LrsquoExposeacute valentinien NH XI 2534
images des dieux des dieux parmi les hommes 207
Le choix des mateacuteriaux ne relegraveve pas des compeacutetences des artisans sculpteurs ou autres mais de celles des laquo magiciens raquo selon Numeacutenius des laquo initiateurs aux saints mystegraveres raquo selon Proclus ou des theacuteurges Ce choix deacutecoule en effet drsquoun savoir secret qui ne doit pas ecirctre divul-gueacute agrave la foule en raison des risques drsquoerreur108
En Eacutegypte les sculpteurs ou artisans suivent probablement les indi-cations fournies par des ritualistes et provenant drsquoun livre de fabrica-tion des statues semblable agrave celui que P Derchain pense reconnaicirctre derriegravere les inscriptions de la salle appeleacutee laquo atelier des orfegravevres raquo agrave Dendara 109 Bien que lrsquoauteur hermeacutetiste ne dise rien agrave ce sujet il est plausible que dans son optique ceux qui reacutealisent mateacuteriellement les images aient recours aux speacutecialistes verseacutes dans les secrets de la nature pour savoir quels mateacuteriaux utiliser et comment les agencer ensemble Or nous avons deacutejagrave observeacute la mecircme chose pour la mise en place des stegraveles eacutepigraphiques mentionneacutees dans lrsquoOgdEnn ougrave agrave cocircteacute du sculpteur et du graveur interviendrait un speacutecialiste du symbolisme des pierres Srsquoil en est reacuteellement ainsi et les documents non hermeacuteti-ques avanceacutes penchent dans ce sens il est difficile de consideacuterer cette premiegravere phase comme profane puisqursquoelle se reacutealiserait finalement sous la conduite de speacutecialistes deacutetenteurs drsquoun savoir secret sur la nature
Les artisans reacutealisent des œuvres drsquoart anthropomorphes laquo Ils (= les dieux terrestres) sont repreacutesenteacutes par un corps tout entier non seule-ment avec des tecirctes seules mais aussi avec tous les membres raquo et non solum capitibus solis sed membris omnibus totoque corpore figurantur en Ascl 23 Fabriqueacutees selon des principes artistiques et estheacutetiques et selon drsquoautres qui reacutegissent la sympathie universelle ces œuvres sont precirctes agrave recevoir le divin Degraves lors les artisans laissent la place aux ritualistes speacutecialistes de lrsquoanimation Pour cette seconde phase lrsquoauteur est aussi avare en indications que pour la premiegravere mais lagrave comme ici il se reacutefegravere agrave des pratiques bien attesteacutees dans drsquoautres sources
c Lrsquoanimation des statuesUne fois la sculpture ou la production artisanale acheveacutee Hermegraves enseigne comment faire de ces simulacres des laquo dieux raquo De nouveau Ascl 23ndash24 et Ascl 37ndash38 sont compleacutementaires
108 Cf ce que dit le ritualiste dans PGM XII 401ndash406109 P Derchain op cit 1990 p 219ndash242
208 chapitre quatre
En Ascl 23 lrsquoauteur se contente agrave priori de parler du reacutesultat de cet acte agrave savoir que les statues possegravedent deacutesormais les deux natures divine et mateacuterielle qursquoelles sont pleines de laquo souffle raquo ndash spiritus en latin et probablement πνεῦμα en grec ndash et qursquoelles peu-vent accomplir de nombreuses actions bonnes ou mauvaises La seule information sur lrsquoacte drsquoanimer viendrait de la mention de la lumiegravere au deacutebut du passage et non solum inluminatur verum etiam inlumi-nat nec solum ad deum proficit verum etiam confirmat110 deos laquo Et non seulement il reccediloit vraiment la lumiegravere mais il la dispense aussi Non seulement il progresse vers Dieu mais aussi il donne force aux dieux raquo ndash la version copte NH VI 6831ndash34 eacutetant ⲟⲩ ⲙⲟⲛⲟⲛ 32ϥⲧⲁϫⲣⲟ ⲁⲗⲗⲁ ⲥⲉⲧⲁϫⲣⲟ ⲙⲙⲟϥ 33ⲟⲩ ⲙⲟⲛⲟⲛ ϥⲣ ⲛⲟⲩⲧⲉ ⲁⲗⲗⲁ 34ϥⲧⲁⲙⲓⲉ ⲛⲟⲩⲧⲉ laquo Non seulement il rend fort mais il est rendu fort non seulement il devient (un) dieu mais il fabrique (des) dieux raquo Selon J-P Maheacute 111 la version copte serait inverseacutee par rapport agrave la version latine illuminare serait lrsquoeacutequivalent de ⲣ ⲛⲟⲩⲧⲉ et la version grecque originale serait ἀποθεοῦσθαι et non φωτίζεσθαι comme le suggeacuterait A-J Festugiegravere 112 J-P Maheacute propose ainsi la traduction suivante pour le texte latin laquo non seulement il entre en gloire mais il donne la gloire non seulement il progresse vers Dieu mais il donne force aux dieux raquo Cependant la proposition drsquoA-J Festugiegravere qui insiste sur lrsquoillumination meacuterite que nous y revenions
La phrase eacutetudieacutee ici introduit toute la section sur lrsquohomme pro-ducteur de statues animeacutees Lrsquoillumination est un thegraveme reacutecurrent de lrsquoenseignement hermeacutetique en liaison avec lrsquoacquisition de la connais-sance et de la vie et avec la mise en contact avec le divin113 Elle a eacutegalement toute une histoire dans les cultes agrave mystegraveres avec lrsquo eacutepoptie 114 et dans la philosophie ougrave la meacutetaphore de lrsquoillumination avec le terme
110 Contre AD Nock (in NF II p 325) qui adopte la leccedilon du manuscrit B1 confor-mat J-P Maheacute (op cit 1982 p 224) sur la base du texte copte adopte celle des autres manuscrits confirmat Il a eacuteteacute suivi par A Camplani (Scritti op cit 2000 p 192 avec la traduction ma anche dagrave forza agli dei) et par BP Copenhaver (op cit p 81 agrave comparer avec son commentaire p 237 ougrave il note que le verbe conformare apparaicirct plusieurs fois en relation avec les dieux faits par lrsquohomme) Nous suivons eacutegalement J-P Maheacute et A Camplani la leccedilon confirmat paraicirct mieux reacutepondre au premier membre de la comparaison nec solum ad deum proficit ougrave la progression vers Dieu revient pour lrsquohomme agrave affermir et agrave consolider la partie divine qui est en lui
111 J-P Maheacute op cit 1982 p 163 et p 224ndash225112 NF II p 378 n 193113 CH XIII 9 et 21ndash22 CH I 4 CH XIII 21 OgdEnn114 W Burkert op cit 2003 p 49 87 et 89
images des dieux des dieux parmi les hommes 209
ἔλλαμψις deacutesigne couramment la contemplation remontant peut-ecirctre agrave Aristote 115 Les neacuteoplatoniciens parlant de theacuteurgie ont abondam-ment recours agrave ce vocable116 ou agrave des mots apparenteacutes pour eacutevoquer lrsquoillumination par la diviniteacute de lieux drsquoeacuteleacutements ndash comme lrsquoeau dans les pratiques divinatoires117 ndash drsquoacircmes118 ndash pour lesquelles lrsquoillumination a une fonction anagogique119 ndash et de statues des dieux Cette illumi-nation divine vivifie anime et creacutee un lien entre celui qui illumine et ce qui est illumineacute120 et permet au second de participer au premier121 Proclus teacutemoigne de cette animation et de cette vivification dans son Commentaire au Cratyle 1784ndash9
πᾶν δὲ τὸ ζωογόνον φῶς ἐκπέμπει αὕτη ἡ θεός φωτίζουσα τάς τε τῶν θεῶν νοερὰς οὐσίας καὶ τοὺς ψυχικοὺς διακόσμους καὶ τελευταῖον τὸν αἰσθητὸν οὐρανὸν πάντα καταλάμπει ἀπογεννήσασα τὸ περικόσμιον φῶς [ ] πᾶσι τὸ νοερὸν καὶ ζωογόνον φῶς ἐναστράπτουσα
Et cette deacuteesse (= Leacuteto) reacutepand toute la vie geacuteneacuteratrice de vie illuminant les essences intelligibles des dieux les cohortes des animeacutes et finalement elle eacuteclaire tout le ciel sensible engendrant la lumiegravere qui embrasse le monde [ ] en tous elle fait briller une lumiegravere intelligible et geacuteneacutera-trice de vie
Dans son Commentaire sur la Reacutepublique III 197 Proclus reprend la mecircme ideacutee en associant la lumiegravere agrave la vie et au mouvement Lrsquoideacutee de la lumiegravere vivifiante est courante dans le monde antique122 notamment en Eacutegypte avec les statues des dieux dans les temples des eacutepoques
115 P Boyanceacute op cit 1962 p 464ndash465116 C van Liefferinge op cit 1999 p 268 A-J Festugiegravere dans une note agrave Pro-
clus Commentaire sur le Timeacutee I p 188 n 1 laquo αἰ τῶν θεῶν ἐλλάμψεις (I 13918) est quasi-terme technique en ces pratiques pour indiquer la venue drsquoun πνεῦμα qui fait sentir sa preacutesence raquo
117 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon III 11 (124ndash125) lrsquoeau est divinatrice non au moyen drsquoun souffle propheacutetique ndash πνεῦμα μαντικόν ndash mais parce que le divin a illu-mineacute ndash ἐπιλάμπειν ndash lrsquoeau Voir aussi Reacuteponse drsquoAbamon III 14 (134)
118 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon II 2 (69) Proclus Commentaire sur la Reacutepublique III 139 et III 258 idem Commentaire sur le Parmeacutenide 67924ndash30 et 94920ndash28
119 Proclus Commentaire sur la Reacutepublique III 138ndash139 ougrave les acircmes remontent participent toujours plus au Soleil et reccediloivent des illuminations plus divines et accomplissent le reste du chemin tregraves rapidement
120 Proclus Commentaire sur la Reacutepublique III 136121 Proclus Commentaire sur le Timeacutee I 188 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon V 23 (233)122 Hymne orphique 818 PGM VII 529 A-J Festugiegravere laquo Hermetica raquo HThR
311 (1938) p 16ndash18 (repris dans A-J Festugiegravere Hermeacutetisme et mystique paiumlenne Paris Aubier-Montaigne 1967 p 116ndash117) Apuleacutee transpose cela agrave la lune quand dans Meacutetamorphoses XI 1 Lucius dit laquo que non seulement les animaux domestiques et les becirctes sauvages mais les ecirctres inanimeacutes sont vivifieacutes par la divine influence de
210 chapitre quatre
helleacutenistique et greacuteco-romaine chaque matin la diviniteacute est reacuteveilleacutee par des hymnes et par la lumiegravere du soleil levant les statues sont reacutegu-liegraverement ameneacutees sur les toits des temples ougrave elles sont exposeacutees un moment aux rayons du soleil pour reacutegeacuteneacuterer leur vitaliteacute
Lrsquoopinion de A-J Festugiegravere ne contredit donc pas autant celle de J-P Maheacute et le traducteur latin a pu traduire par illuminare un verbe grec relatif agrave la lumiegravere tel φωτίζεσθαι que lrsquoauteur hermeacutetiste aurait utiliseacute pour introduire lrsquoanimation des statues degraves le deacutebut de sa sec-tion sur ce thegraveme La proposition laquo il (= lrsquohomme) la (= la lumiegravere) dispense aussi raquo indique que lrsquoecirctre humain donne agrave son tour la vie crsquoest ce qursquoil fait en produisant des dieux terrestres ou des statues ani-meacutees imitant les dieux ousiarques 123 agrave propos desquels lrsquoauteur drsquoAscl 19 dit laquo chacun drsquoeux illuminant son œuvre raquo uniusquisque opus suum inluminans en particulier Jupiter lrsquoousiarque du ciel qui dispense la vie agrave tous les ecirctres Une cascade de lumiegravere se met ainsi en place ougrave chaque producteur illumine sa creacuteation
En Ascl 37 lrsquoauteur ne parle pas de lrsquoillumination mais des acircmes drsquoanges ou de deacutemons qursquoil faut attirer dans les images des dieux Crsquoest la phase drsquoanimation elle-mecircme subdiviseacutee en deux eacutetapes La pre-miegravere est exprimeacutee agrave lrsquoaide du verbe evocare W Scott 124 pense que lrsquoeacutevocation revient agrave faire migrer lrsquoacircme du monde ceacuteleste vers le monde terrestre En effet lrsquoemploi drsquoevocare avec le preacutefixe e- montre qursquoil ne srsquoagit pas strictement drsquoinvoquer les esprits ou les acircmes ceacutelestes125 mais de leur faire quitter leur lieu drsquoorigine Cette eacutevocation bien que cela ne soit pas preacuteciseacute peut se faire gracircce agrave des priegraveres mecircme courtes appelant les acircmes ceacutelestes agrave venir aupregraves de lrsquoorant
La seconde eacutetape consiste agrave introduire au sein de la statue lrsquoacircme eacutevo-queacutee crsquoest lrsquoanimation proprement dite qui selon Hermegraves est reacutealiseacutee au moyen de laquo mystegraveres saints et divins raquo sancta divinaque mysteria Hermegraves ne preacutecise pas la teneur de ces mystegraveres et nous ne pouvons que proposer des hypothegraveses Ils pourraient ecirctre des priegraveres invoquant les acircmes dans les statues126 au moyen de la parole performative sans
sa lumiegravere (= celle de la lune) raquo nec tantum pecuina et ferina verum inanima etiam divino eius luminis numinisque nutu vegetari (traduction P Vallette )
123 Sur ces dieux ousiarques A-J Festugiegravere laquo Les dieux ousiarques de lrsquoldquoAscleacute-piusrdquo raquo Recherches de science religieuse 28 (1938) p 175ndash192 (repris dans A-J Festu-giegravere op cit 1967 p 121ndash130)
124 W Scott op cit vol 3 p 222ndash223125 Comme on peut le voir dans les PGM par exemple PGM XIII 278 et 525 126 Ideacutee deacutejagrave avanceacutee par J-P Maheacute op cit 1982 p 100
images des dieux des dieux parmi les hommes 211
les restreindre agrave cela puisqursquoils sont distingueacutes de lrsquoeacutevocation des acircmes On peut regarder du cocircteacute de lrsquoEacutegypte et notamment de lrsquoun des rituels eacutegyptiens les plus importants celui de lrsquoouverture de la bou-che Datant au moins de lrsquoAncien Empire et pratiqueacute vraisemblable-ment jusqursquoau deacutebut de lrsquoeacutepoque romaine127 il est exeacutecuteacute sur tout ce qui pouvait recevoir une parcelle divine les statues128 les objets de culte129 les deacutefunts130 les temples131 et mecircme des reliefs132 Les precirctres effectuent ce rituel dans un atelier sacreacute du temple assez grand pour pouvoir accueillir les objets de toutes tailles agrave animer133 Le nom de cet atelier communeacutement translitteacutereacute hwt-nbw134 et geacuteneacuteralement traduit par le laquo Chacircteau drsquoOr raquo ou la laquo Demeure de lrsquoOr raquo135 (traduction que nous preacutefeacuterons) teacutemoigne que les activiteacutes srsquoy deacuteroulant sont lieacutees agrave la symbolique de lrsquoor 136 matiegravere consideacutereacutee comme divine dont lrsquoeacuteclat eacutetait rapprocheacute de celui du soleil lrsquoor entre dans la composition des statues destineacutees agrave ecirctre animeacutees afin drsquoattirer le ba divin eacutemanation
127 AM Roth laquo Opening of the Mouth raquo in DB Redford (ed) The Oxford Ency-clopedia of Ancient Egypt II Oxford Oxford University Press 2001 p 605 et 608 D Lorton op cit p 149 G Daressy laquo Fragments drsquoun livre de lrsquoouverture de la bouche raquo ASAE 22 (1922) p 193ndash198 E Schiaparelli Il libro dei funerali degli Antichi egiziani vol I et II RomaToriniFirenze E Loescher 1882ndash1890 vol I p 19 et vol II p 308 ndeg 35
128 Voir N de Garis Davies The Tomb of Rekh-mi-Re at Thebes New York Arno Press 1973 (reacuteimpression de lrsquoeacutedition de 1943) planche LX pour la fabrication des statues du temple et planches XCVIndashCVII pour les rites pratiqueacutes sur la statue de Rekh-mi-Recirc HW Fischer-Elfert Die Vision von der Statue im Stein Studien zum altaumlgyptischen Mundoumlffnungsritual Heidelberg Winter 1998 p 5 et suivantes
129 Voir C Traunecker op cit 1989 p 102130 E Otto Das aumlgyptische Mundoumlffnungsritual vol I Wiesbaden O Harrassowitz
1960 p 1 selon lui le rite aurait une origine funeacuteraire C Traunecker op cit 1989 p 106 pense autrement Voir la position de compromis dans D Lorton op cit p 151ndash152
131 AM Roth op cit p 605132 H Junker Die Stundenwachen in den Osirismysterien nach den Inschriften von
Dendera Edfu und Philae Wien A Houmllder 1910 p 6133 Voir C Traunecker op cit 1989 p 107 et P Derchain op cit 1990 p 224ndash225134 G Roquet remet en cause cette translitteacuteration car il nrsquoy a pas de preuve de la
preacutesence du w Il se fonde sur le nom drsquoHathor pour montrer qursquoil faudrait trans-litteacuterer hἰt et non hwt G Roquet laquo Seacuteminaire agrave lrsquoEacutecole Pratique des Hautes Eacutetudes Section des Sciences historiques et philologiques raquo Paris 13 avril 2005 Agrave comparer avec E Otto op cit 1960 vol II p 26 ht-nb
135 Traduction adopteacutee par F Daumas laquo Quelques textes de lrsquoatelier des orfegravevres dans le temple de Dendara raquo in J Vercoutter (dir) Livre du centenaire 1880ndash1980 Le Caire IFAO 1980 p 102 Cependant E Schott laquo Das Goldhaus in der aumlgyptischen Fruumlhzeit raquo GM 2 (1972) p 37ndash41 considegravere qursquoil srsquoagirait du treacutesor
136 F Daumas laquo La valeur de lrsquoor dans la penseacutee eacutegyptienne raquo RHR 149 (1956) p 1ndash17
212 chapitre quatre
(qui ne correspond pas tout agrave fait agrave ce que nous appelons laquo acircme raquo) qui permet agrave la diviniteacute de se manifester en drsquoautres entiteacutes ou objets137 et qui assure la continuiteacute par-delagrave les diffeacuterentes manifestations138 Les ritualistes procegravedent au rituel de lrsquoouverture de la bouche en sui-vant les informations donneacutees par le ritualiste en chef selon les livres de Thot 139 Ils utilisent des instruments preacutecis tels que lrsquoherminette qursquoils appliquent sur les ouvertures du visage pour les ouvrir Lrsquoacte mecircme drsquoouvrir la bouche est accompagneacute de lrsquooffrande drsquoune cuisse et du cœur drsquoun taureau ndash communiquant ainsi force et conscience agrave la statue140 ndash de libations de lrsquoapplication drsquoonguents et huiles au pouvoir rajeunissant141 de fumigation Par ce rite la statue inani-meacutee devient le support du ba drsquoun dieu ou mecircme drsquoun ecirctre humain mort et appartient deacutesormais agrave la sphegravere divine Les laquo mystegraveres saints et divins raquo hermeacutetiques pourraient donc faire reacutefeacuterence au rituel de lrsquoouverture de la bouche et les ancecirctres seraient lrsquoeacutequivalent du precirc-tre eacutegyptien laquo initieacute raquo bs Certes lrsquoauteur hermeacutetiste parle des acircmes et non du ba nous aurions alors une attestation de lrsquoidentification entre laquo acircme raquo et ba eacutegyptien anteacuterieure agrave celle explicite que nous trouvons chez Horapollon 142
Lrsquoacircme que selon Hermegraves les ancecirctres introduisent dans les statues est celle des deacutemons et des anges ecirctres divins intermeacutediaires entre les dieux et les hommes Hermegraves cite ensuite les aiumleux drsquoAscleacutepios drsquoIsis et le sien Il les considegravererait donc tous comme des deacutemons Concernant Isis cela est courant agrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine comme en teacutemoigne Plutarque dans son traiteacute Isis et Osiris En parlant de son propre ancecirctre Hermegraves se reacutefegravere agrave Thot en se placcedilant du point de vue grec quand il dit que cet ancecirctre laquo reacutesidant dans sa ville homonyme [ ] donne aide et salut raquo in sibi cognomine patria consistens [ ] adivvat atque conservat
137 LV Zabkar A Study of the Ba Concept in Ancient Egyptian Texts Chicago The Oriental Institute of the University of Chicago 1968 p 12ndash14
138 P Derchain laquo Anthropologie raquo op cit 1981 p 48139 P Derchain op cit 1990 p 219ndash242140 D Lorton op cit p 165141 SH Aufregravere laquo Agrave propos des reacutesultats obtenus sur les eacutechantillons conserveacutes au
Museum drsquoHistoire naturelle de Lyon raquo in SH Aufregravere Encyclopeacutedie religieuse de lrsquounivers veacutegeacutetal Croyances phytoreligieuses de lrsquoEacutegypte ancienne I Montpellier Uni-versiteacute Paul Valeacutery 1999 p 533ndash547 MA-H Shimy Parfums et parfumerie dans lrsquoancienne Eacutegypte (de lrsquoAncien Empire agrave la fin du Nouvel Empire) Villeneuve drsquoAscq Presses Universitaires du Septentrion Th Doct Eacutegyptologie Universiteacute Lumiegravere Lyon 2 1997 p 93
142 LV Zabkar op cit 1968 p 112 F Sbordone op cit p 15
images des dieux des dieux parmi les hommes 213
en Ascl 37 il srsquoagit drsquoAschmounein mentionneacutee ici drsquoapregraves le dieu Hermegraves Hermopolis Au sujet de lrsquoancecirctre drsquoAscleacutepios Imhotep lrsquoauteur hermeacutetiste se fait lrsquoeacutecho de la croyance en sa deacuteification et reprend ses fonctions de gueacuterisseur en mentionnant son art meacutedical et peut-ecirctre eacutegalement celles de magicien et de sage143 Imhotep fait partie des laquo saints eacutegyptiens raquo serviteurs de dieu qui sont consideacutereacutes comme eacutetant plus proches de la population que les laquo dieux de lrsquoEacutetat raquo et qui font ainsi lrsquoobjet drsquoune grande veacuteneacuteration populaire144 Isis elle-mecircme est devenue populaire et son culte srsquoest largement reacutepandu dans le bassin meacutediterraneacuteen attirant de plus en plus de fidegraveles Lrsquoauteur hermeacutetiste rendrait compte de cet engouement pour des morts deacuteifieacutes et aussi de celui pour les animaux sacreacutes tout en meacutelangeant ce qui est propre aux uns et aux autres145 Les statues dont il parle seraient donc moins celles des dieux laquo eacutetatiques raquo que celles drsquoecirctres divins ou deacuteifieacutes consideacutereacutes comme eacutetant plus proches de la population
Toutefois ces laquo mystegraveres raquo sont-ils identiques aux laquo rites ceacutelestes raquo drsquoAscl 38
Et propter hanc causam sacrificiis frequentibus oblectantur hymnis et laudibus et dulcissimis sonis in modum caelestis harmoniae concinenti-bus ut illud quod caeleste est caelestius et frequentatione inlectum in idola possit laetum humanitatis patiens longa durare per tempora
Pour cette raison on les charme par de freacutequents sacrifices hymnes louanges et sons tregraves doux chanteacutes selon lrsquoharmonie ceacuteleste pour que ce qui est ceacuteleste attireacute reacuteguliegraverement dans les idoles par des (rites) ceacutelestes puisse supporter avec joie son long seacutejour parmi lrsquohumaniteacute
Le but de ces laquo rites ceacutelestes raquo reacuteguliegraverement reacuteiteacutereacutes est moins drsquoat-tirer que de maintenir intact lrsquoeacuteleacutement divin dans les statues Il fau-drait alors comprendre que les rites drsquoanimation sont compleacuteteacutes par drsquoautres rites pour revigorer lrsquoeacuteleacutement divin
Malgreacute lrsquoabsence de deacutetails preacutecis justifieacutee par le qualificatif mysteria les quelques donneacutees sur la fabrication des statues reposent donc sur des traditions grecque et eacutegyptienne en particulier sur ce qui concerne
143 D Wildung op cit 1977 p 76144 J Quaegebeur op cit 1977 p 129ndash143 Voir plus haut p 51145 En effet en Ascl 37 la phrase laquo et qursquoils adorent dans chaque ville les acircmes de
ceux qui ont eacuteteacute consacreacutes vivants raquo (colique per singulas civitates eorum animas quo-rum sunt consecratae viventes) srsquoappliquerait aux morts deacuteifieacutes alors que cette phrase est inseacutereacutee dans un passage sur les animaux sacreacutes Ceci a bien eacuteteacute vu par BP Copen-haver op cit p 256
214 chapitre quatre
le rituel eacutegyptien de lrsquoouverture de la bouche Dans un certain sens ce qursquoeacutecrit lrsquohermeacutetiste reacutepond agrave une volonteacute de justifier et de sauvegar-der des pratiques et de les reacutecupeacuterer Rien nrsquoindique que les pratiques de fabrication et drsquoanimation des images des dieux sont effectivement reacutealiseacutees il srsquoagit plutocirct drsquoen perpeacutetuer la meacutemoire et donc de main-tenir la potentialiteacute de les reacutealiser Pouvons-nous aller plus loin et dire que le traiteacute latin eacutetant un laquo entretien divin raquo les actions de parler correctement de ces rites et de les garder en meacutemoire permettent de les maintenir laquo vivants raquo et efficaces Ces deux actions seraient alors de veacuteritables exercices spirituels agrave lrsquoinstar de ceux eacutetudieacutes dans la pre-miegravere partie et seraient une contrepartie au reacutecit de lrsquoapocalypse reacutecit que les deux sections sur les images des dieux encadrent
2 Les images des dieux une voie vers le divin
Lrsquoexercice de la meacutemoire nrsquointerdit pas que les statues puissent aussi ecirctre lrsquoobjet de pratiques cultuelles qui eacutetablissent une continuiteacute spa-tiale et ontologique entre les mondes terrestre et suprasensible
a Rendre un culte et contempler le divinTat invite le roi agrave rendre un culte aux statues et Hermegraves mentionne quelques rites que les hommes accomplissent en faveur des statues animeacutees Le ton est diffeacuterent puisque dans le premier cas il srsquoagit drsquoexhorter tandis que dans le traiteacute latin le disciple ne paraicirct pas ecirctre impliqueacute par les rites eacutenumeacutereacutes par Hermegraves
Comme nous lrsquoavons dit ci-dessus lrsquohomme est un artisan comme Dieu lui-mecircme de plus selon une affirmation freacutequente dans la pen-seacutee grecque laquo lrsquoart est une imitation de la nature raquo ce qui signifierait que lrsquoart explique la nature ndash et non lrsquoinverse ndash lrsquoanalyse drsquoune œuvre artistique permettant drsquoeacuteclairer les secrets de la nature 146 Les œuvres qui imitent par excellence la nature sont les images de dieux car elles met-tent en jeu la matiegravere et les lois de la sympathie universelle unissent les diffeacuterents regravegnes de la nature entre eux et le monde terrestre au monde suprasensible Ces images sont donc un pont avec le monde divin
146 J Peacutepin op cit 1964 p 35ndash36 Voir aussi A Grabar laquo Plotin et les origines de lrsquoestheacutetique meacutedieacutevale raquo Cahiers archeacuteologiques 1 (1945) p 15ndash34 (repris dans A Grabar Les Origines de lrsquoestheacutetique meacutedieacutevale Paris Macula 1992 p 29ndash87) il montre les incidences des conceptions plotiniennes sur les œuvres drsquoart dont la mis-sion est drsquoimiter la nature
images des dieux des dieux parmi les hommes 215
Eacutetablir un tel contact crsquoest ce que demanderait Tat au roi anonyme de CH XVII Il emploie προσκυνέω dont le sens premier est encore controverseacute chez les linguistes147 Litteacuteralement il signifie laquo embrasser sur raquo (κυνέω + πρός) ou bien laquo baiser avec ferveur raquo selon lrsquohypothegravese drsquoA Delatte 148 Il exprime un acte drsquoadoration qui se manifeste aussi bien par un baiser que par un agenouillement149 Il deacutesigne plus tard laquo saluer raquo laquo respecter raquo puis par extension toute activiteacute drsquoadora-tion Lrsquoattitude physique est toujours agrave lrsquoarriegravere-plan de ses emplois Lrsquoauteur de CH XVII ne fournit aucune preacutecision sur ce qursquoil entend par ce verbe Celui de lrsquoAscleacutepius mentionne des offrandes des hymnes et des louanges que les hommes adressent aux statues Il est possible mais non certain que cela soit aussi le cas dans CH XVII car la ges-tuelle nrsquoest vraisemblablement pas primordiale srsquoadressant aux formes intelligibles preacutesentes dans les statues lrsquoattitude du roi doit avant tout ecirctre inteacuterieure peut-ecirctre un sentiment de respect qui pourrait eacuteven-tuellement se mateacuterialiser par des gestes
Nous pouvons aller plus loin les images rendant visible le divin lrsquoacte drsquoadoration a eacutegalement une dimension visuelle et poursuit le thegraveme du miroir et du reflet exploiteacute dans le traiteacute grec Dans les cultes agrave mystegraveres les mystes contemplent des images divines pour contem-pler la diviniteacute ce qui produit un eacutetat drsquoexaltation chez le contem-plateur150 Certains philosophes relient lrsquoeacutepoptie des cultes agrave mystegraveres
147 MI Gruber Aspects of non-verbal Commmunication in the Ancient Near-East Roma Biblical Institute Press 1980 p 243
148 A Delatte laquo Le baiser lrsquoagenouillement et le prosternement de lrsquoadoration (προσκύνησις) chez les Grecs raquo Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques 5e seacuterie 37 (1951) p 426 considegravere que laquo le preacuteverbe ajoute une nuance de reacutepeacutetition ou drsquointensiteacute raquo
149 A Delatte op cit p 426ndash436 Pour la proskuneacutesis perccedilue comme une coutume orientale voir Heacuterodote Enquecirctes I 119 et VIII 118 Pour autant lrsquoacte drsquoadoration avec agenouillement nrsquoest pas absent des cultes grecs (A Delatte op cit p 438 D Aubriot-Seacutevin op cit 1992 p 134 Voir les occurrences chez Jamblique Vie de Pythagore [22] 105 [24] 108 [30] 185 Porphyre Vie de Pythagore 14) sans ecirctre cou-rant (quelques exemples du IVe s av J-C reacuteunis par O Walter laquo Kniende Adoranten auf attischen Reliefs raquo Jahreshefte Oumlsterreicher Archaumlologischer Institutes 13 [1910] col 228ndash244 fig 141ndash150) il en va de mecircme dans le monde latin et chez les chreacutetiens (F de Ruyt laquo Lrsquoagenouillement dans lrsquoiconographie antique de la priegravere agrave propos drsquoun ex-voto romain deacutecouvert agrave Alba Fucens en 1970 raquo Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques 5e seacuterie 57 [1971] p 207ndash211 et p 214ndash215)
150 Apuleacutee Meacutetamorphoses XI 24 Lucius contemple la statue avec laquo un plaisir inef-fable raquo inexplicabili voluptate Voir plus geacuteneacuteralement W Burkert op cit 2003 p 110ndash113
216 chapitre quatre
au deacutevoilement des statues151 et chez Plotin la contemplation drsquoune image est le point de deacutepart drsquoune expeacuterience meacutetaphysique ougrave le spectateur est absorbeacute par sa vision Gracircce agrave celle-ci le spectateur srsquounit non agrave la statue mais au dieu lui-mecircme et il devient semblable agrave lrsquoobjet vu152 Dans CH XVII le roi en contemplant avec ses yeux corporels lrsquoimage du dieu pourrait ecirctre ameneacute agrave contempler avec les yeux de lrsquointellect les formes intelligibles contenues dans lrsquoimage et donc le divin lui-mecircme Dire qursquoil entrerait en extase ou vivrait une expeacuterience meacutetaphysique serait preacutematureacute Il nrsquoen reste pas moins que lrsquoimage du dieu au mecircme titre que le monde dans CH V serait un moyen drsquoatteindre le divin et un preacutelude agrave des visions du divin sans intermeacutediaire que nous eacutetudierons dans la troisiegraveme partie Les ima-ges instaurent ainsi un mouvement cyclique avec lrsquoideacutee drsquoun retour au point de deacutepart le divin forme intelligible ou acircmes divines se reflegravete ou descend dans les statues ces reflets ou ces acircmes amegravenent lrsquoadora-teur et le contemplateur agrave faire le chemin inverse
b Maintenir le divin au sein de lrsquohumaniteacuteTout ce qui a eacuteteacute dit dans la section preacuteceacutedente est valable pour les statues animeacutees drsquoautant plus qursquoelles contiennent en elles une eacutema-nation du divin Cependant dans leur cas au mouvement ascendant de lrsquoadorateur vers le divin srsquoajoute la venue du divin vers lrsquohomme Celle-ci est accomplie par les rites drsquoanimation par les laquo rites ceacuteles-tes raquo qui revigorent lrsquoeacuteleacutement divin et par le culte adresseacute aux statues animeacutees
En Ascl 38 Hermegraves preacutecise en quoi consiste ce culte drsquoune part des sacrifices (sacrificia) drsquoautre part des hymnes (hymni) des louanges (laudes) et des sons doux (soni dulcissimi) Ce passage est agrave lire en ayant agrave lrsquoesprit lrsquoeacutepisode apocalyptique qui preacutecegravede ougrave les dieux ont quitteacute la terre Avec les statues animeacutees et le culte il srsquoagit de contre-carrer cet eacuteveacutenement en faisant venir et en maintenant sur terre le divin crsquoest-agrave-dire de perpeacutetuer lrsquoordre ougrave lrsquohumain peut dans une cer-taine mesure cocirctoyer le divin
Cet objectif suppose une conception speacutecifique de lrsquoeacuteleacutement divin preacutesent dans les statues Trois ideacutees srsquoentremecirclent le manque le
151 Cette comparaison conduit les philosophes agrave conclure que la philosophie est meilleure car elle permet la contemplation des vraies statues crsquoest-agrave-dire les astres P Boyanceacute op cit 1962 p 469ndash471
152 Plotin traiteacute 1 (Enn I 6) 9 et traiteacute 9 (Enn VI 9) 11
images des dieux des dieux parmi les hommes 217
souvenir et la prise de conscience Nous ne ferons qursquoune eacutebauche de lrsquoeacutetude du thegraveme de la meacutemoire et du souvenir chez les acircmes ceacuteles-tes et les ecirctres divins153 pour ne pas deacutepasser le cadre eacutetudieacute Estimer que lrsquoeacuteleacutement divin ne puisse pas supporter son seacutejour sur terre sup-pose qursquoil se souvient de sa situation anteacuterieure dans le sens non pas ougrave il pourrait lrsquooublier mais ougrave prenant conscience drsquoune diffeacuterence entre elle et sa situation preacutesente il en eacuteprouve un manque Il nrsquoest pas sucircr que la meacutemoire soit deacutejagrave preacutesente dans le monde divin elle reacutesulterait plutocirct au moins en Ascl 38 du transfert de lrsquoeacuteleacutement divin vers le monde terrestre Deux moyens peuvent combler le manque eacuteprouveacute son remplacement ou le retour vers le lieu drsquoorigine154 Dans le cas des statues animeacutees les hommes comblent le manque par des chants et des hymnes qui sont chanteacutes sur le mode de lrsquoharmonie ceacuteleste il srsquoagit drsquoune reacutefeacuterence agrave la musique des sphegraveres et agrave lrsquoimi-tation qursquoen fait la musique humaine ce qui explique lrsquoobjectif de ces chants permettre agrave lrsquoeacuteleacutement divin de supporter son seacutejour sur terre en imitant du mieux possible la musique ceacuteleste et drsquoecirctre proche de son eacutetat originel tout en demeurant dans son reacuteceptacle mateacuteriel Ainsi retrouvons-nous lrsquoideacutee deacutejagrave abordeacutee dans la premiegravere partie de la parole (ici chanteacutee) qui remplace Ce rapport entre meacutemoire et parole est donc diffeacuterent de celui qui est preacutesent dans les textes gnos-tiques ougrave la parole suscite le souvenir155 Cependant dans les deux cas la parole exerce une action non contraignante sur lrsquoeacuteleacutement divin Dans le passage hermeacutetique elle agit sur lrsquoalternative partir ou rester influant en faveur de la seconde solution Les contraintes qui existent concernent lrsquohomme un eacutechec une erreur et il risque drsquoune part que la statue devienne une coquille vide une matiegravere sans vie et drsquoautre part une rupture entre le monde divin et le sien Les hymnes et les chants complegravetent donc les rites drsquoanimation et de revitalisation Ils sont certainement tregraves freacutequents tandis que les rites drsquoanimation sont
153 Pour aller plus loin voir Plotin traiteacute 28 (Enn IV 4 ) 31 32 et 37 et le dossier de textes plotiniens et gnostiques deacutejagrave reacuteuni par M Zago dans sa communication laquo Incantations magiques et theacuterapeutiques raquo lors du seacuteminaire-colloque laquo Thegravemes et problegravemes du traiteacute 33 de Plotin contre les gnostiques raquo organiseacute par M Tardieu avec la collaboration de P Hadot au Collegravege de France les 7 et 8 juin 2005 agrave paraicirctre
154 Comme cela est le cas chez les gnostiques valentiniens chez qui la meacutemoire recegravele les eacuteleacutements du salut avec lrsquoeacuteon Sophia Cf Cleacutement drsquoAlexandrie Peacutedagogue I 6 321 quand il se reacutefegravere aux Valentiniens Ireacuteneacutee de Lyon Adversus Haereses I 111 Voir aussi M Zago op cit 2005
155 En particulier Le Traiteacute Tripartite NH I 821ndash9
218 chapitre quatre
effectueacutes une fois et les laquo rites ceacutelestes raquo probablement renouveleacutes agrave intervalles de temps plus longs
Le culte rendu aux statues est donc bi fonctionnel aider lrsquohomme agrave srsquoeacutelever vers le divin et maintenir la preacutesence du divin parmi les hom-mes Dans les deux cas les statues sont lrsquoobjet drsquoune action humaine Toutefois elles peuvent aussi ecirctre les acteurs drsquoune mise en relation de lrsquohomme avec le divin
c Les statues de veacuteritables acteurs divins aupregraves des hommesSeul lrsquoauteur du traiteacute latin envisage lrsquoideacutee de statues acteurs il y revient deux fois agrave la fin de chacune des deux sections sur les statues et contrairement agrave ce que nous avons preacuteceacutedemment observeacute pour ce traiteacute il se reacutepegravete un peu Lrsquoactiviteacute est en effet lrsquoargument final qui prouve que agrave la diffeacuterence des autres statues celles qui sont animeacutees ne sont pas de la matiegravere morte Crsquoest notamment le cas des statues des hommes diviniseacutes dont elles prolongent lrsquoactiviteacute qursquoils exerccedilaient de leur vivant Hermegraves cite ainsi lrsquoexemple drsquoImhotep lrsquoancecirctre drsquoAscleacute-pios en Ascl 37 une fois mort il continue agrave gueacuterir Concernant son propre ancecirctre Hermegraves ne donne aucune indication Isis quant agrave elle reacutepand bienfaits et maux Lrsquoaction des statues apparaicirct en effet ambi-valente comme le preacutecise lrsquoauteur en Ascl 24 ougrave les statues procurent douleur et joie maladies et gueacuterisons Cette ambivalence deacutepend de lrsquohumeur des laquo dieux terrestres raquo que sont les statues ce qui implique que lrsquohomme agisse comme les diviniteacutes le souhaitent pour beacuteneacuteficier de leur action positive Celle-ci srsquoexerce dans trois domaines la divi-nation (Ascl 24 et 38 ) la thaumaturgie (Ascl 24 et 37 ) et un troisiegraveme domaine regroupant les autres actions eacutenumeacutereacutees (bienfaits assistance joie etc en Ascl 24 37 et 38 )
Il se peut que lrsquoauteur parle explicitement de pratiques divinatoires et de thaumaturgie alors qursquoil est impreacutecis pour le reste du fait de la connexion qui est souvent eacutetablie dans lrsquoAntiquiteacute entre ces deux acti-viteacutes notamment dans le cadre du rite de lrsquoincubation156 La mention
156 Sur cette connexion G Sfameni Gasparro laquo Ispirazione delle Scritture e Divina-zione Pagana Aspetti della Polemica fra Origene e Celso raquo in G Dorival et A Le Boul-luec Origeniana Sexta Origegravene et la Bible Origen and the Bible Actes du Colloquium Origenianum Sextum Chantilly 1993 Leuven University Press 1995 p 297 A Bou-cheacute-Leclercq Histoire de la divination dans lrsquoAntiquiteacute Divination helleacutenique et divi-nation italique Paris Jeacuterocircme Millon 2003 (reprend le texte de lrsquoeacutedition de 1879ndash1882 avec une preacuteface de S Georgoudi) p 735 pour Ascleacutepios p 782 797ndash798 et 804 pour Seacuterapis Voir aussi F Graf laquo Inkubation raquo in H Cancik und H Schneider (hrsg) Der
images des dieux des dieux parmi les hommes 219
du rocircle thaumaturgique drsquoImhotep dont Ascleacutepios est lrsquointerpretatio graeca devrait ecirctre relieacutee agrave lrsquoimportance accordeacutee agrave Ascleacutepios en parti-culier au IIe siegravecle apregraves J-C157 En attribuant lrsquoactiviteacute thaumaturgique aux statues animeacutees Hermegraves se reacutefegravere agrave plusieurs pratiques couran-tes dans les temples grecs dont ceux drsquoAscleacutepios et eacutegyptiens dont plusieurs ont un sanatorium comme celui de Dendara 158 Les statues drsquoAscl 24 qui apportent maladies et gueacuterison sont certainement des reacutefeacuterences aux statues laquo gueacuterisseuses raquo eacutegyptiennes dont lrsquoutilisation aurait perdureacute jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque romaine et qui sont probablement animeacutees au moyen du rituel de lrsquoouverture de la bouche159
Agrave cocircteacute de la thaumaturgie Hermegraves mentionne lrsquoactiviteacute divina-toire laquo la chose du monde la mieux partageacutee raquo160 Lrsquoauteur hermeacute-tiste prend position en faveur de cette pratique une prise de position importante au regard de la situation aux premiers siegravecles apregraves J-C En effet la divination est lrsquoobjet de nombreuses critiques161 Le pou-voir impeacuterial romain interdit la divination priveacutee sans teacutemoin qui risquerait de porter atteinte agrave lrsquoautoriteacute impeacuteriale et au IVe siegravecle les empereurs chreacutetiens poursuivent cette politique reacutepressive pour les mecircmes raisons162 Les critiques viennent aussi des philosophes comme Ciceacuteron 163 ou Porphyre 164 Face agrave elles la deacutefense srsquoorganise
Neue Pauly Enzyklopaumldie der Antike Band 5 StuttgartWeimar JB Metzler 1998 col 1006ndash1007
157 Voir les discours sacreacutes drsquoAelius Aristide Origegravene Contre Celse III 3 et 24 Por-phyre Contre les chreacutetiens 80 = Eusegravebe Preacuteparation eacutevangeacutelique V 1 10 G Sfameni Gasparro op cit 1995 p 292 L Couloubaritsis op cit 1995 p 104ndash106 agrave propos de Julien dans son Contre les Galileacuteens 191 D 200 AndashB et 205 E
158 F Daumas op cit 1956 p 35ndash57159 H Satzinger op cit p 189ndash204 L Kaacutekosy op cit 1999 surtout p 30ndash31 ougrave
lrsquoauteur rapproche les cippi drsquoAscl 24 160 J-P Vernant laquo Parole de signes muets raquo in J-P Vernant L Vandermeersch
J Gernet et alii Divination et rationaliteacute Paris Seuil 1974 p 9161 A Boucheacute-Leclercq op cit p 45ndash85 pour les philosophes et la divination et
p 85ndash92162 D Grodzynski laquo Par la bouche de lrsquoempereur Rome IVe siegravecle raquo in J-P Ver-
nant L Vandermeersch J Gernet et alii op cit p 267ndash294 Sur le lien entre la divination et lrsquoEacutetat Ciceacuteron De la divination I II 4
163 Ciceacuteron De la divination F Guillaumont Le ldquoDe divinationerdquo de Ciceacuteron et les theacuteories antiques de la divination Lille Atelier national de reproduction des thegraveses Th Doct Eacutetudes latines Paris IV 2000 J Kany-Turpin laquo Introduction raquo in Ciceacuteron De la divination Paris Flammarion 2004 p 70
164 Si dans son traiteacute La Philosophie tireacutee des oracles il parle avec respect des prati-ques traditionnelles et des oracles cela nrsquoest plus le cas dans la Lettre agrave Aneacutebon Voir J Carlier laquo Science divine et raison humaine raquo in J-P Vernant L Vandermeersch J Gernet et alii op cit p 252ndash256
220 chapitre quatre
notamment avec Jamblique et sa Reacuteponse drsquoAbamon agrave la lettre de Porphyre agrave Aneacutebon165 et lrsquoauteur hermeacutetiste En Ascl 38 ce dernier semble distinguer la divination des sorts quaedam sortibus et divi-natione praedicentes laquo certaines (statues) faisant des preacutedictions avec des sorts et la divination raquo En Ascl 24 il dresse une liste des diffeacuteren-tes pratiques divinatoires sous le mecircme label la divination statuas futurorum praescias eaque sorte vate somniis multisque aliis rebus praedicentes laquo des statues qui preacutevoient le futur et qui font des preacutedic-tions par les sorts par les prophegravetes les songes et les nombreux autres moyens raquo Cette liste rappelle celle de Joseph de Tibeacuteriade dans son Hypomnesticon chapitre 143 166 ndash liste dont la grande majoriteacute serait tireacutee de la Lettre agrave Aneacutebon de Porphyre ndash mais elle est loin drsquoecirctre aussi complegravete
Malgreacute la briegraveveteacute de la liste hermeacutetique on y retrouve la divi-sion antique entre divination laquo technique raquo ou laquo artificielle raquo et divi-nation laquo inspireacutee raquo ou laquo naturelle raquo selon lrsquoappellation ciceacuteronienne167 Cette division a eacuteteacute maintenue et preacuteciseacutee par A Boucheacute-Leclercq qui parle respectivement de laquo divination inductive raquo et de laquo divination intuitive raquo168 expressions qui sont devenues depuis des lieux communs Dans le texte hermeacutetique la divination laquo technique raquo se reacuteduit aux sorts la cleacuteromancie169 La divination laquo inspireacutee raquo comprend les songes crsquoest-agrave-dire lrsquooniromancie 170 et lrsquoinspiration propheacutetique (avec la men-tion des prophegravetes)171 Lrsquoauteur hermeacutetiste fait de ces deux types deux
165 Cette reacuteponse de Jamblique occupe une grande partie de son ouvrage III 1ndash31 (99ndash180) Voir HD Saffrey laquo Analyse de la Reacuteponse de Jamblique agrave Porphyre connue sous le titre De Mysteriis raquo in idem op cit 2000 p 86ndash92
166 Ce texte attribueacute agrave Joseph de Tibeacuteriade qui aurait veacutecu au IVe siegravecle est conserveacute dans un seul manuscrit dateacute du Xe siegravecle le Cod Cambridge University Library 1157 HD Saffrey laquo Porphyre dans la Patrologie de Migne Sur la divination raquo in idem op cit 2000 p 27ndash36
167 Cette bipartition est ancienne mais les Stoiumlciens seraient les premiers agrave lrsquoavoir systeacutematiseacutee Sur cette distinction et la position particuliegravere de Ciceacuteron J Kany- Turpin op cit p 11ndash25 A Boucheacute-Leclercq op cit p 95ndash96
168 A Boucheacute-Leclercq op cit p 96 p 97ndash203 laquo divination inductive raquo p 205ndash278 laquo divination intuitive raquo
169 Il srsquoagit du numeacutero 7 de la liste de Joseph de Tibeacuteriade selon la numeacuterotation donneacutee par HD Saffrey Cf A Boucheacute-Leclercq op cit p 151ndash156
170 Il srsquoagit du numeacutero 3 de la liste de Joseph de Tibeacuteriade Cf A Boucheacute-Leclercq op cit p 213ndash246
171 Ce sont les numeacuteros 47 agrave 57 de la liste de Joseph de Tibeacuteriade Cf A Boucheacute-Leclercq op cit p 257ndash276
images des dieux des dieux parmi les hommes 221
sous-cateacutegories de la divination par les statues172 alors que dans la liste transmise par Joseph de Tibeacuteriade cette derniegravere est une cateacutegorie parmi drsquoautres laquo (27) celle (= divination) par les statues porteacutees par un attelage raquo ἡ διὰ τῶν ζυγοφορουμένων ἀγαλμάτων En attribuant tou-tes les pratiques divinatoires aux statues laquo dieux terrestres raquo lrsquoauteur hermeacutetiste semble reacutepondre agrave certaines critiques Pensons agrave Porphyre qui attribue la divination aux deacutemons dans son traiteacute De lrsquoabstinence173 et mecircme aux mauvais deacutemons dans sa Lettre agrave Aneacutebon174 car il estime qursquoelle est indigne de Dieu175 La reacuteponse hermeacutetique serait un moyen de preacuteserver Dieu de toute implication directe dans la vie humaine et de conserver intacte sa digniteacute tout en mettant en avant comme Jamblique 176 lrsquoorigine divine de ces pratiques divinatoires Il partage-rait le mecircme but que le philosophe de Chalcis preacuteserver une pratique traditionnelle
III Conclusion
Peut-on donc conclure que lrsquohermeacutetiste recourt aux pratiques divina-toires Lrsquoauteur du traiteacute latin nrsquoa pas exactement le mecircme objectif que celui de CH XVII Dans les deux cas lrsquoargumentation vise agrave persuader le destinataire antique de la leacutegitimiteacute des images de dieux pour mettre en relation avec le divin il srsquoagit drsquoun laquo faire-croire raquo177 le tout dans une entreprise de sauvegarde des images de dieux et des pratiques affeacute-rentes ndash animation culte et divination Mais cela nrsquoimplique pas for-ceacutement leur mise en œuvre Si celle-ci est neacutecessaire pour le commun des mortels et pour le roi anonyme de CH XVII dont le devoir est
172 Cette pratique divinatoire serait drsquoorigine eacutegyptienne HD Saffrey op cit 2000 p 36 A Boucheacute-Leclercq op cit p 148ndash149 Voir aussi J Černy laquo Egyptian Ora-cles raquo in RA Parker A Saite Oracle Papyrus from Thebes in the Brooklyn Museum (Papyrus Brooklyn 472183) Providence Brown University Press 1962 p 35ndash48 M-A Bonhecircme laquo Pouvoir preacutedestination et divination dans lrsquoEacutegypte pharaonique raquo in E Geny et E Smadja (eacuteds) Pouvoir divination preacutedestination dans le monde antique Actes des tables rondes internationales de Besanccedilon Feacutevrier 1997 mai 1998 Besanccedilon Presses universitaires franc-comtoises 1999 p 157
173 Porphyre De lrsquoabstinence II 384 et 413ndash5 174 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon III 31 (175ndash176)175 J Carlier op cit p 254176 Jamblique Reacuteponse drsquoAbamon III 7 (1148ndash9) οὔτε δαιμόνων θεῶν δὲ γίγνεται
ἐπίπνοια laquo Lrsquoinspiration ne vient pas des deacutemons mais des dieux raquo Voir J Carlier op cit p 257 et suivantes
177 Pour reprendre une expression de C Calame op cit p 130
222 chapitre quatre
de preacuteserver la tradition elle lrsquoest moins pour les hermeacutetistes elle est alors remplaceacutee par lrsquoexercice spirituel de la meacutemoire de ces pratiques et peut-ecirctre aussi par drsquoautres modes de communication plus directs avec le divin Lrsquoeacutetude des sacrifices va nous permettre drsquoapprofondir cette ideacutee de sauvegarde associeacutee agrave une transformation des pratiques traditionnelles
CHAPITRE CINQ
LrsquoHERMEacuteTISTE LES SACRIFICES ET LES PRIEgraveRES
Lrsquoauteur de lrsquoAscleacutepius nrsquoincite pas son lecteur agrave rendre un culte aux images des dieux ni agrave leur faire des offrandes et des sacrifices Cela pose la question plus geacuteneacuterale de la place que les hermeacutetistes accordent aux sacrifices dans la laquo voie drsquoHermegraves raquo1 Une recherche lexicale reacuteserve quelques surprises dans lrsquoensemble de la litteacuterature hermeacutetique eacutetu-dieacutee seuls dix passages mentionnent les sacrifices Cinq concernent les offrandes et sacrifices traditionnels et sont des reacutecits au passeacute SH 2356 et 65 CH XVIII 15 et Ascl 38 et 41 les cinq autres concernent des priegraveres appeleacutees λογικὴ θυσία laquo sacrifice de la parole raisonna-ble raquo2 et prononceacutees par les protagonistes CH I 31 XIII 18 19 et 21 et NH VI 7418ndash19 La diffeacuterence entre les deux groupes laisse envisager que les sacrifices traditionnels ne sont pas mis en œuvre par les her-meacutetiques ce que drsquoautres eacuteleacutements semblent conforter
En effet agrave premiegravere vue la theacuteologie hermeacutetique avec une divi-niteacute ineffable situeacutee au-delagrave de tout sans nom connu des hommes srsquooppose agrave lrsquoexeacutecution des sacrifices et mecircme de toute offrande Crsquoest ainsi drsquoailleurs qursquoAscl 41 a eacuteteacute interpreacuteteacute par A-J Festugiegravere quand il refuse lrsquoideacutee drsquoune confreacuterie ou de confreacuteries hermeacutetiques Il avance plusieurs arguments dont lrsquoun est lrsquoabsence de laquo ceacutereacutemonies particu-liegraveres raquo laquo Bien mieux nous avons la preuve par un traiteacute hermeacutetique (Ascl 41) que lrsquohermeacutetisme reacutepugne explicitement aux actes mateacute-riels du culte raquo3 Cependant le contexte permet de donner une autre interpreacutetation qui relativise la condamnation du sacrifice veacutegeacutetal en la
1 Nous avons deacutejagrave eacutecrit agrave ce sujet deux articles A Van den Kerchove laquo La voie drsquoHermegraves la question des sacrifices et les ldquocultes orientauxrdquo raquo in C Bonnet S Ribichini D Steuernhagel (eds) Religioni in contatto nel Mediterraneo antico Modalitagrave di dif-fusione e processi di interferenza Atti del 3deg incontro su laquo Le religioni orientali nel mondo greco e romano raquo (Loveno di Menaggio Como 26ndash28 maggio 2006) Roma Isti-tuti Editoriali e Poligrafici Internazionali 2007 p 191ndash204 et laquo Les hermeacutetistes raquo op cit 2011 p 61ndash80 Nous ajoutons des compleacutements par rapport agrave ces deux articles en particulier pour SH 2356 et 2365
2 Sur cette expression voir A Van den Kerchove laquo Les hermeacutetistes raquo op cit 2011 p 70 et p 74ndash77
3 A-J Festugiegravere op cit 1989 p 83
224 chapitre cinq
restreignant aux sacrifices destineacutes au Dieu tregraves haut4 De plus lrsquoauteur eacutevoque agrave cocircteacute du Dieu que lrsquoon ne peut nommer les dieux ceacutelestes avec une hieacuterarchie au sein drsquoeux On retrouve une ideacutee eacutequivalente dans drsquoautres traiteacutes Ayant conserveacute les dieux traditionnels et ayant entrepris de sauvegarder les images de dieux les hermeacutetistes ou du moins certains drsquoentre eux nrsquoauraient-ils pas fait de mecircme pour les sacrifices agrave une eacutepoque ougrave cette pratique joue un rocircle capital tout en eacutetant la cible de critiques parfois violentes5
I Les sacrifices dans la Koreacute Kosmou
Peu drsquoauteurs exposent leur position sur les sacrifices traditionnels Seul celui de SH 23 un reacutecit mythologique voire mecircme un mythe de fondation donne des explications sur les sacrifices dans deux extraits situeacutes au deacutebut et agrave la fin de la section sur le passage de la vie sau-vage agrave la vie civiliseacutee (SH 2353ndash69 ) La preacutesentation mythologique a lrsquoavantage deacutejagrave rencontreacute agrave propos des images des dieux drsquoaccorder un caractegravere veacuteneacuterable agrave ce qui est affirmeacute
Le premier extrait SH 2356 intervient quand Isis explique que lrsquoIgnorance regravegne sur le monde Cet eacutetat ne convient agrave aucun des Eacuteleacutements6 (SH 2355ndash61 ) Le Feu est le premier agrave exposer ses doleacutean-ces7 aupregraves du Dieu Monarque doleacuteances qui concernent notamment les hommes
4 A Van den Kerchove op cit 2007 p 195ndash196 et idem laquo Les hermeacutetistes raquo op cit 2011 p 71
5 Sur la critique des sacrifices et sur leur laquo spiritualisation raquo voir V Nikiprowetzky laquo La spiritualisation des sacrifices et le culte sacrificiel au temple de Jeacuterusalem chez Philon drsquoAlexandrie raquo Eacutetudes philoniennes Paris Cerf 1996 p 79ndash96 GG Stroumsa op cit 2005 p 115ndash119 Malgreacute la poleacutemique chreacutetienne et les condamnations les sacrifices auraient reacutesisteacute un certain temps C Grottanelli laquo Appunti sulla fine dei sacrifici raquo Egitto e Vicino Oriente 12 (1989) p 175ndash192 KW Harl laquo Sacrifice and Pagan Belief in Fifth- and Sixth-Century Byzantium raquo Past and Present 128 (1990) p 7ndash27 GG Stroumsa op cit 2005 p 105ndash144
6 Comme A-J Festugiegravere nous mettons une majuscule aux Eacuteleacutements et agrave lrsquoIgno-rance En effet le passage preacutesente les premiers comme des ecirctres doueacutes de parole et dans une certaine mesure divins puisqursquoils ont la possibiliteacute (et lrsquoaudace) de srsquoadresser au Dieu suprecircme Quand agrave lrsquoIgnorance elle est presque lrsquoeacutegale drsquoune entiteacute (mais ne peut ecirctre divine)
7 Sur le style du discours du Feu et des autres Eacuteleacutements A-J Festugiegravere laquo Le style de la Koreacute Kosmou raquo Vivre et Penser Recherches drsquoexeacutegegravese et drsquohistoire 2 (1942) p 32ndash45 Sur les priegraveres des Eacuteleacutements HD Betz op cit 1966 p 180ndash182
lrsquohermeacutetiste les sacrifices et les priegraveres 225
μαθέτωσαν εὐεργετηθέντες εὐχαριστῆσαι ἵνα χαῖρον παρὰ λοιβαῖς παρὰ θυσίαις ὑπηρετήσω τὸ πῦρ ἵν᾿ εὐώθεις ἀτμοὺς ἀπ᾿ ἐσχάρας προπέμψω σοι μιαίνομαι γάρ ὦ δέσποτα μέχρι νῦν καὶ ὑπὸ τῆς τῶν γενομένων ἀνθρώπων ἀθέου τόλμης σάρκας ἀναγκάζομαι τήκειν οὐκ ἐῶσί τε μένειν εἰς ὃ πέφυκα παραχαράσσοντες οὐ καθηκόντως τὸ ἄφθαρτον
Qursquoils (= les hommes) apprennent alors qursquoils ont reccedilu des bienfaits agrave remercier afin que moi le Feu jrsquoassiste reacutejoui aux libations aux sacri-fices8 pour que depuis les autels je trsquoenvoie des fumeacutees odorifeacuterantes En effet Maicirctre jusqursquoagrave aujourdrsquohui je suis souilleacute et je suis contraint par lrsquoaudace atheacutee des hommes engendreacutes de consumer des chairs ils ne mrsquoautorisent pas agrave demeurer tel que je suis neacute falsifiant de maniegravere inconvenante lrsquoincorruptible
Le second extrait SH 2365 intervient quand Isis refusa de reacuteveacuteler agrave son fils lrsquoorigine de sa naissance Elle lui deacutecrit comment envoyeacutes par le Dieu Monarque les dieux Osiris et Isis ont apporteacute au monde ce qui lui manquait Elle parle agrave la troisiegraveme personne mecircme drsquoelle-mecircme ce qui instaure une distance entre le temps mythique objet de son reacutecit et le temps de son enseignement agrave Horus
οὗτοι βίου τὸν βίον ἐπλήρωσαν οὗτοι τὸ τῆς ἀλληλοφονίας ἔπαυσαν ἄγριον τεμένη προγόνοις θεοῖς οὗτοι καὶ θυσίας καθιέρωσαν νόμους οὗτοι καὶ τροφὰς θνητοῖς καὶ σκέπην ἐχαρίσαντο
Ce sont eux qui ont accompli la vie9 par la Vie ce sont eux qui ont mis un terme agrave la sauvagerie des meurtres reacuteciproques ce sont eux qui pour les dieux ancecirctres ont deacutedieacute des espaces sacreacutes10 et des sacrifices ce sont eux qui ont donneacute des lois de la nourriture et un abri aux mortels
8 AD Nock estime que lrsquoexpression παρὰ θυσίαις est douteuse (NF IV p 19 apparat critique) et A-J Festugiegravere ne lrsquoa pas traduit Il y a effectivement une rupture de construction cependant lrsquoassociation du feu et des bonnes odeurs implique bien que quelque chose est brucircleacute crsquoest-agrave-dire un sacrifice agrave cocircteacute des libations
9 Il srsquoagirait de la vie humaine A Camplani laquo Il sacrificio come problema in alcune correnti filosofiche di etagrave imperiale III raquo ASE 191 I Cristiani e il sacrificio pagano e biblico (2002) p 83 Voir eacutegalement ci-dessous p 226 n 14
10 Traduire τεμένη par laquo temples raquo comme le fait A-J Festugiegravere ne rend pas tota-lement compte du sens du texte Le temple est le bacirctiment qui abrite lrsquoimage de la diviniteacute crsquoest-agrave-dire une construction architecturale plus ou moins eacutelaboreacutee τέμενος qui viendrait du verbe τέμνω laquo couper trancher fendre raquo (P Chantraine Dictionnaire eacutetymologique de la langue grecque Paris Klincksieck 1968 p 1103ndash1104) est lrsquoespace deacutecoupeacute seacutepareacute du reste et le plus souvent consacreacute agrave une diviniteacute il est deacutelimiteacute soit par de simples bornes soit par une clocircture leacutegegravere ou encore par un mur drsquoenceinte il peut ecirctre seulement boiseacute ou avoir une construction culturelle Crsquoest un sanctuaire selon le sens de ce dernier terme en architecture religieuse Mais eacutetant donneacute que laquo sanctuaire raquo est geacuteneacuteralement employeacute dans un sens plus vague aussi bien pour un autel que pour un temple ou pour tout autre lieu sacreacute nous adoptons la traduc-tion laquo espace sacreacute raquo afin de ne laisser place agrave aucune ambiguiumlteacute Pour lrsquoarchitecture
226 chapitre cinq
Les deux extraits expliquent respectivement pourquoi selon le Feu les sacrifices doivent ecirctre fondeacutes (ont eacuteteacute fondeacutes du point de vue du des-tinataire) et qui les a fondeacutes Le second extrait est ainsi la reacuteponse agrave la demande exprimeacutee par le Feu Lrsquoauteur exprime deux ideacutees majeures le caractegravere veacuteneacuterable et lrsquoaction civilisatrice des sacrifices
1 Les sacrifices une action civilisatrice
Lrsquoaction civilisatrice des sacrifices est affirmeacutee en inteacutegrant leur instau-ration au sein drsquoune liste de bienfaits qui visent agrave transformer en trois eacutetapes le monde des hommes11 Les sacrifices relegravevent de la deuxiegraveme eacutetape qui consiste agrave laquo consacrer raquo (καθιεροῦν) agrave rendre sacreacute ἱερός des espaces des gestes et des objets afin qursquoils passent dans le domaine divin qursquoils acquiegraverent une puissance extra humaine et au moins pour les espaces qursquoils soient sous la deacutependance et la protection divine12 Cette eacutetape deacutefinit donc les nouvelles modaliteacutes des relations entre les dieux et les hommes 1deg au sein de lieux strictement deacutelimiteacutes per-mettant au divin drsquoecirctre durablement eacutetabli dans le monde terrestre (crsquoeacutetait la demande principale des Eacuteleacutements13) et 2deg gracircce agrave des hon-neurs reacuteduits ici aux seuls sacrifices Elle acquiert toute sa signification avec lrsquoaccomplissement de la troisiegraveme eacutetape Deacutesormais le monde est ordonneacute et est un veacuteritable kosmos Le mode de vie anteacuterieur est rem-placeacute par un autre ougrave le divin a une place bien deacutefinie14 La loi du plus
religieuse R Ginouvegraves et alii Dictionnaire meacutethodique de lrsquoarchitecture grecque et romaine Tome III espaces architecturaux bacirctiments et ensembles Eacutecole franccedilaise drsquoAthegravenes de Rome 1998 p 34 et 185 et aussi JM Peacuterouse de Montclos Architec-ture Vocabulaire Paris Imprimerie nationale 1993 p 402 Pour une discussion sur lrsquoideacutee de sanctuaire M Morani laquo Sullrsquoespressione linguistica dellrsquoidea di lsquosantuariorsquo nelle civiltagrave classiche raquo in M Sordi Santuari e politica nel mondo antico Milano Vita e pensiero 1983 p 3ndash32 surtout p 14ndash17 B Bergquist The Archaic Greek Temenos A Study of Structure and Function Lund CWK Gleerup 1967 p 1ndash6
11 Cf A Van den Kerchove op cit 2007 p 19712 Sur la conseacutecration J Rudhardt Notions fondamentales de la penseacutee religieuse et
actes constitutifs du culte dans la Gregravece classique Paris Picard 19922 p 223ndash23113 SH 2355 lrsquoEacuteleacutement Feu parle ainsi μέχρι πότε ὦ δαῖμον ἄθεον καταλεῖψαι
τὸν θνητῶν βίον προαίρεσιν ἔχεις laquo Jusqursquoagrave quel moment divin as-tu lrsquointention de laisser sans dieu la vie des mortels raquo Plus loin en SH 2361 lrsquoEacuteleacutement Terre termine la seacuterie des plaintes par cette demande χάρισαι τῇ γῇ κἂν οὐ σεαυτόν οὐ γὰρ σὲ χωρεῖν ὑπομένω σαυτοῦ τινα ἱερὰν ἀπόρροιαν laquo Accorde agrave la terre sinon toi-mecircme ndash en effet je nrsquoose pas te contenir ndash (du moins) une eacutemanation sacreacutee (issue) de toi raquo
14 La proposition en SH 2365 οὗτοι βίου τὸν βίον ἐπλήρωσαν pourrait avoir deux significations selon le sens donneacute agrave βίος En effet βίος deacutesigne parfois la nourriture Heacutesiode Les Travaux et les Jours 42ndash47 et J-P Vernant laquo Mythes sacrificiels raquo in J-P Vernant et P Vidal-Naquet La Gregravece ancienne 1ndash Du mythe agrave la raison Paris Seuil
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fort (SH 2353 ) a ceacutedeacute la place agrave la loi drsquoinspiration divine fondeacutee sur la justice15 et lrsquoIgnorance qui laquo au deacutebut eacutetait en toute chose raquo (SH 2353 ἦν κατ᾿ ἀρχὰς παντάπασι) agrave une ignorance individuelle Celle-ci est deacutesormais uniquement lrsquoapanage de ceux qui choisissent drsquoignorer les regravegles eacutetablies et le divin Le monde et les hommes ne sont plus atheacutees au sens eacutetymologique du terme mais ils sont soit pieux soit impies selon la vie choisie et la connaissance acquise Ainsi pour ecirctre pieux tout homme (et tout hermeacutetiste) doit sacrifier reacuteguliegraverement affirmant par cette pratique son choix et sa connaissance (plus ou moins affineacutee) de Dieu et des dieux
2 Les sacrifices une institution veacuteneacuterable
Le caractegravere veacuteneacuterable de ces rites est affirmeacute agrave travers 1deg la preacuteten-tion drsquoune fondation voulue par le Dieu Tregraves Haut ndash appeleacute ici Dieu Monarque ndash qui mandate Isis et Osiris pour reacutepondre positivement aux doleacuteances des Eacuteleacutements16 et 2deg le recours agrave des dieux eacutegyptiens reprenant une ideacutee selon laquelle lrsquoEacutegypte est le lieu drsquoorigine de
1990 p 142 la proposition hermeacutetique pourrait alors ecirctre traduite laquo ce sont eux qui remplissent la vie de nourriture raquo Cependant elle renvoie au premier des bienfaits accordeacutes par les dieux Isis et Osiris et βίος peut aussi deacutesigner agrave chaque fois un mode de vie diffeacuterent vie sauvage vie civiliseacutee et ou selon la proposition de HD Betz (op cit 1966 p 184) vie mortelle vie divine agrave ce sujet voir ci-dessous p 312 sur CH I 6 et la vie
15 SH 2367 οὗτοι πρῶτοι δείξαντες δικαστήρια εὐνομίας τὰ σύμπαντα καὶ δικαιοσύνης ἐπλήρωσαν laquo Ce sont eux qui les premiers agrave avoir montreacute les tribunaux ont rempli toute chose drsquoeacutequiteacute et de justice raquo Ce lien entre Isis et δικαιοσύνη se retrouve dans les diffeacuterents areacutetalogies et hymnes (Cymeacutee 4 16 et 38 et Maroneacutee 24 et 29ndash30 avec lagrave aussi un mot de la famille de δίκαιος Hymne drsquoIsidore I 6 avec θεσμός) Mais ce lien est encore plus ancien remontant agrave lrsquoEacutegypte deacutejagrave dans le Livre des Morts Isis a un aspect punitif Alors que la figure greacuteco-romaine drsquoIsis est souvent assimileacutee agrave Deacutemeacuteter dans la plupart des areacutetalogies elle en est distingueacutee en raison de lrsquoemploi de δίκαιος et des termes parenteacutes qui ne sont jamais associeacutes agrave Deacutemeacuteter ndash crsquoest plutocirct θεσμός qui est associeacute agrave cette derniegravere deacuteesse Avec δίκαιος on aurait le concept grec qui rendrait le mieux celui de la Maacirct eacutegyptienne lire la discussion de JG Griffiths laquo Isis as Maat Dikaiosuneacute and Iustitia raquo in C Berger G Clerc et N Grimal Homma-ges agrave Jean Leclant vol 3 Eacutetudes isiaques Le Caire IFAO 1994 p 255ndash269 et surtout p 259ndash262 T McAllister Scott (op cit p 110) estime que nous avons lagrave laquo the most authentically Egyptian statement in the aretalogy raquo
16 SH 2364 πλὴν ὅτι γε ὁ μόναρχος θεός ὁ τῶν συμπάντων κοσμοποιητὴς καὶ τεχνίτης τι τὸν μέγιστόν σου πρὸς ὀλίγον ἐχαρίσατο πατέρα Ὄσιριν καὶ τὴν μεγίστην θεὰν Ἶσιν ἵνα τῷ πάντων δεομένῳ κόσμῳ βοηθοὶ γένωνται laquo Je ne peux dire que ceci le Dieu Monarque le creacuteateur et lrsquoartisan de toutes choses accorda pour quelque temps ton pegravere tregraves grand Osiris et la deacuteesse tregraves grande Isis afin qursquoils deviennent les sauveurs pour le monde ayant besoin de tout raquo
228 chapitre cinq
plusieurs rites tels les sacrifices17 Neacuteanmoins agrave la diffeacuterence des auteurs grecs qui se placent dans une perspective grecque celui de SH 23 (comme ceux de lrsquoAscleacutepius et de CH XVI ) adopte le point de vue eacutegyptien en preacutesentant son eacutecrit sous la forme drsquoun enseignement authentiquement eacutegyptien entre Isis et Horus
Le choix par lrsquoauteur drsquoIsis et drsquoOsiris comme fondateurs des sacrifi-ces et autres bienfaits srsquoaccorde avec la place que plusieurs hermeacutetistes leur reacuteservent surtout agrave Isis Celle-ci dans Ascl 37 est citeacutee apregraves les ancecirctres drsquoAscleacutepios (Imhotep ) et drsquoHermegraves (Thot ) comme un exem-ple de laquo dieux terrestres raquo fabriqueacutes et elle tient une place assez conseacute-quente dans la chaicircne hermeacutetique des maicirctres Pour sa part Osiris apparaicirct au second plan absent de la plupart des eacutecrits hermeacutetiques les seules indications le concernant sont sa qualiteacute drsquoeacutepoux drsquoIsis ndash laquo quant agrave Isis vraiment (eacutepouse) drsquoOsiris nous savons combien de bienfaits propice elle accorde et agrave quel point en colegravere elle est nuisi-ble raquo18 ndash le fait que ses objets sacreacutes soient cacheacutes (SH 237 ) et que le Bon Deacutemon aurait eacuteteacute son instructeur selon les fragments divers 29 31 et 32 b
Lrsquoauteur profite aussi du statut des deux dieux eacutegyptiens agrave lrsquoeacutepoque greacuteco-romaine dont teacutemoignent les cultes isiaques 19 et les areacutetalogies compositions qursquoil est plus prudent pour le moment de consideacuterer comme ayant une inspiration eacutegyptienne20 SH 2365ndash68 a des points
17 Heacuterodote Enquecirctes II 58 Porphyre De lrsquoabstinence II 51 cite le peacuteripateacuteticien Theacuteophraste
18 Ascl 37 Isin vero Osiris quam multa bona praestare propitiam quantis obesse scimus iratam
19 F Dunand op cit 1983 p 87 Pour une mise au point sur le concept drsquoIsis depuis lrsquoEacutegypte ancienne jusqursquoagrave lrsquoeacutepoque romaine R Schulz laquo Warum Isis Gedan-ken zum universellen Charakter einer aumlgyptischen Goumlttin im Roumlmischen Reich raquo in M Goumlrg und G Houmllbl Aumlgypten und der oumlstliche Mittelmeerraum im 1 Jahrtausend v C Wiesbaden Otto Harrassowitz 2000 p 251ndash279 + 3 Tafeln Areacutetalogies drsquoIsis Diodore de Sicile Bibliothegraveque historique I 27 celles drsquoAndros de Cymeacutee drsquoIos de Maroneacutee et de Salonique L Bricault Isis Dame des flots Liegravege Universiteacute de Liegravege ndash Faculteacute de philosophie et lettres 2006 p 36 n 2 Hymnes agrave Isis les quatre hymnes drsquoIsidore hymne agrave Isis de Cyregravene etc liste dans Y Grandjean Une nouvelle areacutetalogie drsquoIsis agrave Maroneacutee Leiden Brill 1975 p 10ndash11 Sur la datation des hym-nes drsquoIsidore VF Vanderlip The Four Greek Hymns of Isidorus and the Cult of Isis Toronto AM Hakkert Ltd 1972 p 85 agrave comparer avec J Bolloacutek laquo Du problegraveme de la datation des hymnes drsquoIsidore raquo Studia Aegyptiaca I (1974) p 27ndash37 dont la datation tardive ne semble pas avoir eacuteteacute reprise agrave notre connaissance
20 Pour une mise au point sur les diffeacuterentes positions SK Heyob The Cult of Isis among Women in the Graeco-Roman World Leiden Brill 1975 LV Zabkar Hymns to Isis in her Temple at Philae Hanover University Press of New England 1988 p 135 et suivantes M Gustafon laquo The Isis Hymn of Diodorus of Sicily (1273) raquo in
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communs avec ces areacutetalogies et pourrait ecirctre lui-mecircme une areacutetalo-gie21 liste drsquoactions bienfaitrices introduction par une formule reacutecur-rente (ἐγώ εἱμι pour les areacutetalogies οὗτοι dans lrsquoextrait hermeacutetique) thegravemes communs22 Il y a cependant des diffeacuterences en relation avec lrsquoobjectif de lrsquoauteur hermeacutetiste ndash montrer pourquoi et comment les hommes ont acquis une vie civiliseacutee ougrave le respect des dieux joue un rocircle important ndash introduction de thegravemes absents dans les areacutetalogies tel lrsquoensevelissement des morts qui eacutevoque des rites funeacuteraires 23
De mecircme si la fondation de lieux sacreacutes est agrave chaque fois mention-neacutee le lexique diffegravere τεμένη laquo espaces sacreacutes raquo pour SH 2365 et la plupart des areacutetalogies et ναοί laquo temples raquo (ou plutocirct la partie la plus sacreacutee du temple celle ougrave reacuteside le dieu et ougrave seul un petit nombre de personnes peut entrer) pour Diodore de Sicile et lrsquohymne drsquoAndros La fondation du culte associeacutee agrave celle de ces lieux dans le texte hermeacute-tique nrsquoapparaicirct ailleurs que dans le texte de Diodore qui nrsquoen preacutecise cependant pas la nature Ces deux actions fondatrices rejoignent le rocircle drsquoIsis dans le mythe drsquoOsiris et drsquoIsis apregraves la mort de son mari elle institua en son honneur et dans les diffeacuterents lieux ougrave elle avait trouveacute une partie de son corps des cultes avec toute une precirctrise Une autre divergence entre ces teacutemoignages concerne les dieux impliqueacutes Les
M Kiley Prayer from Alexander to Constantine A critical Anthology London Rout-ledge 1997 p 155ndash158 Voir aussi R Harder Karpokrates von Chalkis und die memphi-tische Isispropaganda Berlin 1944 J Bergman Ich bin Isis Studien zum memphitischen Hintergrund der griechischen Isisaretalogien Uppsala Berlingska Boktryckeriet 1968 Y Grandjean op cit JF Quack laquo ldquoIch bin Isis die Herrin der beiden Laumlnderrdquo Ver-such zum demotischen Hintergrund der Memphitischen Isisaretalogie raquo in S Meyer (ed) Egypt Temple of the Whole World Aumlgypten-Tempel der gesammten Welt Stu-dies in Honour of Jan Assmann Leiden Brill 2003 p 319ndash365 A-J Festugiegravere laquo Agrave propos des areacutetalogies drsquoIsis raquo HThR 424 (1949) p 209ndash234 AD Nock laquo Karpokrates von Chalkis und die memphitische Isispropaganda by R Harder raquo Gno-mon 21 (1949) p 221ndash228 D Muumlller Aumlgypten und die griechischen Isis-Aretalogien Berlin Akademie-Verlag 1961 reconnaicirct que certains attributs viennent drsquoEacutegypte
21 A-J Festugiegravere op cit 1942 p 50ndash53 idem laquo Lrsquoareacutetalogie isiaque de la ldquoKoreacute Kosmourdquo raquo in Meacutelanges drsquoarcheacuteologie et drsquohistoire offerts agrave Charles Picard Paris PUF 1949 p 376ndash381 repris dans Eacutetudes de religion grecque et helleacutenistique Paris Vrin 1972 p 164ndash169
22 Cf A Van den Kerchove op cit 2007 p 198ndash19923 Cet ajout pourrait ecirctre ducirc agrave lrsquoambiance eacutegyptienne du texte Rappelons le rocircle de
ces deux dieux particuliegraverement Osiris dans les rites funeacuteraires J Bergman laquo Isis raquo LAuml III 1980 col 191 R Schulz op cit p 254ndash256 En relation avec le contexte eacutegyp-tien il pourrait srsquoagir de la momification comme le pensent T McAllister Scott op cit p 213 n 158 et HD Betz op cit 1966 p 184 Toutefois nrsquooublions pas non plus que Moschion consideacuterait lrsquoensevelissement comme un des progregraves de la civilisation A-J Festugiegravere laquo Lrsquoareacutetalogie raquo op cit 1949 p 379 = op cit 1972 p 167
230 chapitre cinq
auteurs des areacutetalogies insistent uniquement sur le rocircle fondamental drsquoIsis Quant agrave Diodore il attribue les deux fondations agrave Osiris Une des sources possibles pour toute la partie eacutegyptienne de son œuvre dont ce passage serait Heacutecateacutee drsquoAbdegravere 24 qui visita lrsquoEacutegypte au IIIe siegrave-cle avant J-C et qui se serait lui-mecircme inspireacute drsquoEacutevheacutemegravere (deuxiegraveme moitieacute du IVe siegravecle ndash premiegravere moitieacute du IIIe avant J-C) pour lrsquoinsti-tution du culte tout en modifiant une donneacutee il mentionne Osiris au lieu de Zeus 25 Plutarque reprend la mecircme ideacutee dans son traiteacute Isis et Osiris 13 356 AndashD ougrave il rapporte qursquoOsiris apprit aux hommes com-ment honorer les dieux (θεοὺς διδάξαντα τιμᾶν) Ces auteurs attri-buent un rocircle de second ordre agrave Isis elle apparaicirct souvent comme la remplaccedilante drsquoOsiris lorsque ce dernier part en voyage Lrsquoauteur de la Koreacute Kosmou place les deux dieux sur le mecircme plan sans preacuteeacuteminence de lrsquoun sur lrsquoautre pour ce qui concerne leurs actions beacuteneacutefiques Sur tous ces points lrsquoauteur de SH 23 semble faire une synthegravese de ce que nous trouvons dans les autres teacutemoignages avec un objectif preacutecis en reacuteduisant lrsquoensemble des rites et honneurs rendus aux dieux aux seuls sacrifices il en proclame le caractegravere fondamental
Cet accent sur les sacrifices provient drsquoune volonteacute de deacutefense de ce rite tregraves critiqueacute agrave lrsquoeacutepoque et cette volonteacute inscrit lrsquoauteur dans une continuiteacute de penseacutee avec lrsquoEacutegypte pharaonique Srsquoil est difficile drsquoeacutetablir des influences textuelles nous pouvons toutefois rapprocher la Koreacute Kosmou de plusieurs textes eacutegyptiens mentionnant lrsquoinstitution divine de pratiques rituelles et drsquohonneurs divins La stegravele de Shabaka plus connue sous le nom de Theacuteologie memphite26 est peut-ecirctre le texte
24 Diodore de Sicile mentionne une fois Heacutecateacutee drsquoAbdegravere (Bibliothegraveque histori-que I 468) La coheacuterence interne du texte et les parallegraveles avec des fragments venant drsquoautres auteurs permettent de penser que Heacutecateacutee dont lrsquoœuvre (Aegyptiaca F16 Jacoby III ndeg 264) est aujourdrsquohui perdue en tregraves grande partie serait bien la source agrave cocircteacute drsquoAgatharchides de Cnide et drsquoHeacuterodote Cependant A Burton (Diodorus Siculus Book I A Commentary Leiden Brill 1972) souligne que la question est bien plus com-plexe Deacutejagrave CH Oldfather (dans sa traduction de Diodorus of Sicily The Library of History Book I London W Heinemann 1968 p xxvi) considegravere que Diodore aurait aussi meneacute une enquecircte personnelle
25 Eacutevheacutemegravere consideacuterait que Zeus avait institueacute son culte dans lrsquoicircle de Panchaia selon trois fragments de son reacutecit utopiste Ἱερὰ ἀναγραφή rapporteacutes par Lactance dans Institutions divines I XXII 21ndash27 et I XI 33 et Eacutepitomeacute des Institutions divines XIX 4 respectivement les teacutemoignages T 64 A 65 et 64 B (Evhemerus Messenius Reli-quiae ed Winiarczyk M StuttgartLeipzig Teubner 1991) Concernant Eacutevheacutemegravere et lrsquoeacutevheacutemegraverisme R Goulet laquo Eacutevheacutemegravere de Messine raquo in R Goulet (dir) Dictionnaire des philosophes antiques III drsquoEcceacutelos agrave Juveacutenal Paris CNRS 2000 p 403ndash411
26 H Junker Die Goumltterlehre von Memphis (Schabaka-Inschrift) Berlin Akademie der Wissenschaften 1940 JH Breasted laquo The Philosophy of a Memphite Priest raquo
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qui deacuteveloppe le plus cette ideacutee Ptah deacutemiurge et dieu creacuteateur des dieux est aussi celui qui produit les images (crsquoest-agrave-dire les statues de ces dieux creacuteeacutes) qui instaure des lieux de culte et le service agrave leur rendre laquo Ainsi Ptah en vint agrave se reposer apregraves avoir fait chaque chose et chaque discours divin ayant donneacute naissance aux dieux ayant fait leurs villages ayant fondeacute leurs nomes ayant eacutetabli les dieux dans leurs lieux de culte ayant assureacute les offrandes de pain ayant fondeacute leurs sanctuaires ayant rendu parfait leur corps pour la satisfaction de leurs deacutesirs raquo27 Le mecircme thegraveme sans ecirctre aussi deacuteveloppeacute est preacutesent sur des monuments eacutegyptiens ptoleacutemaiumlques Agrave Edfou sur la premiegravere porte du vestibule des offrandes un precirctre est repreacutesenteacute adressant au dieu une priegravere celle qui laquo eacutelegraveve lrsquooffrande raquo Plus loin lrsquooffrande est dite celle qui laquo est ce qui est fait par les mains drsquo(Isis -)hbit raquo28 Un hymne agrave Isis29 situeacute dans la chambre X du temple drsquoIsis agrave Philaeuml pro-clame qursquoIsis est celle laquo qui fournit des offrandes divines aux dieux et des offrandes prt-m-h rw aux Transfigureacutes ( ȝhw)30 raquo Toujours dans ce mecircme temple dans la chambre V dans un hymne Osiris est qualifieacute de laquo celui qui inaugure les offrandes raquo31 Th McAllister Scott a releveacute plusieurs passages eacutegyptiens ougrave Isis et Osiris sont preacutesenteacutes comme les fondateurs de temples32 Ces rapprochements pourraient confirmer lrsquoopinion deacutejagrave avanceacutee selon laquelle lrsquoattribution agrave Isis (et Osiris) de la
ZAumlS 39 (1901) p 39ndash54 + 2 Tafeln J-P Allen op cit Le recours agrave ce texte est en partie justifieacute par le fait qursquoil eacutetait encore connu agrave lrsquoeacutepoque ptoleacutemaiumlque et au deacutebut de lrsquoeacutepoque romaine en Eacutegypte ou au moins les ideacutees qursquoil veacutehicule Crsquoest ce que laisse penser la preacutesence drsquoun papyrus de langue ptoleacutemaiumlque retrouveacute sur une momie datant de lrsquoeacutepoque drsquoAuguste et qui reproduit un fragment de la Theacuteologie memphite W Erichsen und S Schott Fragmente memphitischer Theologie in demotischer Schrift (Pap demot Berlin 13 603) MainzWiesbaden Akademie der Wissenschaften und der Literatur 1954 p 303ndash394 (= 5ndash96) + 6 Tafeln
27 Theacuteologie memphite col 59ndash6028 Edfou II 1556 citeacute dans M Alliot Le Culte drsquoHorus agrave Edfou au temps des Ptoleacute-
meacutees Le Caire IFAO 1949 p 58 n 2 M Alliot ajoute que crsquoest vraisemblablement une priegravere conserveacutee telle quelle depuis lrsquoancien rite royal de Bouto que les deux diviniteacutes creacuteatrices de lrsquooffrande sont Osiris de Bouto et Isis de Chemnis
29 Crsquoest lrsquohymne IV dans LV Zabkar op cit 1988 p 51 laquo who provides divine offerings for the gods and invocation ndash offerings for the Transfigured Ones raquo
30 Sur le sens du terme eacutegyptien ȝh RJ Deacutemareacutee The ȝh ἰkr n Rʿ-stelae on Ances-tor worship in Ancient Egypt Leiden Nederlands Instituut voor het Nabije Oosten 1983 en particulier p 194ndash198
31 La plus ancienne version connue de cet hymne date de la XXVIe dynastie Voir LV Zabkar laquo A Hymn to Osiris Pantocrator at Philae A Study of the main Functions of the sd mnf form in Egyptian religious Hymns raquo ZAumlS 108 (1981) p 141ndash171
32 T McAllister Scott op cit p 104ndash110
232 chapitre cinq
fondation drsquoespaces sacreacutes et drsquooffrandes pourrait avoir au moins de faccedilon indirecte une origine eacutegyptienne33
La phrase laquo ce sont eux qui pour les dieux ancecirctres ont deacutedieacute des espaces sacreacutes et des offrandes raquo a ainsi une porteacutee consideacuterable Elle vise agrave apprendre ou agrave rappeler le prestige consideacuterable des sacrifices ndash drsquoorigine divine et eacutegyptienne ndash qui lrsquoest drsquoautant plus si nous com-parons avec les images des dieux Dans les deux cas leur institution intervient apregraves une errance humaine ndash qui donne lieu aux doleacuteances des Eacuteleacutements dans SH 23 ndash cependant cette invention est due aux hommes pour les images tandis qursquoelle est le fait des dieux pour les sacrifices et les lieux sacreacutes Les sacrifices remontent ainsi aux origines mecircmes de la religion Srsquoopposer aux sacrifices revient donc agrave srsquoopposer agrave la religion et agrave faire acte drsquoimpieacuteteacute envers les dieux fondateurs des actes religieux La phrase citeacutee ci-dessus apparaicirct donc comme une reacuteponse en faveur des sacrifices en ce temps de critiques seacutevegraveres
Lrsquoargumentation deacuteveloppeacutee par lrsquoauteur autour des ideacutees drsquoancienneteacute drsquoautoriteacute de lrsquoorigine divine et de lrsquoaction bienfaitrice au sein drsquoun reacutecit mythologique de fondation relegraveve drsquoune entreprise de justification des sacrifices Elle vise agrave convaincre le destinataire de leur bien-fondeacute et de leur utiliteacute Il srsquoagit drsquoun laquo faire-croire raquo en le caractegravere veacuteneacuterable et primordial des sacrifices pour les relations de lrsquohomme avec le divin Toutefois le parallegravele fait avec les images des dieux nous amegravene agrave poser la mecircme question que pour ces derniers la justification des sacrifices implique-t-elle neacutecessairement leur mise en œuvre La conclusion agrave laquelle nous sommes arriveacutee pour les images et les remarques deacutejagrave faites sur la maniegravere dont lrsquoauteur discourt sur les sacrifices incitent agrave reacutepondre neacutegativement mais une telle reacuteponse meacuterite drsquoecirctre approfondie
33 D Muumlller (op cit p 50) pensait deacutejagrave que la version grecque M 23ndash24 (Ἐγὼ ἀγάλματα θεῶν τειμᾶν ἐδίδαξα Ἐγὼ τεμένη θεῶν ἱδρυσάμην laquo moi jrsquoai enseigneacute comment honorer les images des dieux Moi jrsquoai fondeacute les espaces sacreacutes des dieux raquo) eacutetait deux des quelques phrases pouvant avoir une origine eacutegyptienne tout en ayant subi une helleacutenisation LV Zabkar (op cit 1988 p 152) pensait que si M 23 avait pu subir une helleacutenisation M 24 eacutetant authentiquement drsquoorigine eacutegyptienne Cependant dans son argumentation il cite le fragment de la Koreacute Kosmou texte beaucoup plus tardif et dont lrsquoorigine eacutegyptienne est loin de faire lrsquounanimiteacute Voir aussi J Bergman op cit 1968 p 152 n 3 et F Dunand Isis Megravere des Dieux Paris Eacuteditions Errance 2000 p 84