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La morale féminine dans "Delphine" et "Corinne"
de Madame de Staël
by
Bernadette Slosmanis
A thes is submi tted to the
Faculty of Graduate S tudies and Research
in partial fulfillment of the requirements
for the degree of
Master of Arts
Depa r tmen t of Fr e nch Languag e and Li tera t ure
McGill University, Montreal
November 1990
Bernade t te S losman is 1990
-------------------
REMERCIEMENTS
Ces quelques mots de remerciements me donnent
l'occasion d'exprimer une reconnaissance des plus
cinc~res à tous ceux et celles ~ui, au cours de la
rédaction et de la révision de ce mémoire, se sont
montrés ouverts, intéressés et généreux de leurs
connaissances et de leurs encouragements.
Tout d'abord, je tiens à citer "Madame de Stael"
elle-même. Sa passion pour la liberté et sa vie
extraordinaire ont capté mon intérêt et ma curiosité
BU point de choisir, comme sujet de mon mémoire, le
thème de la r:1orale féminine dans Corinne et De.!:..Ehine.
Au professeur Jean Ethier-Blais, mon directeur
de thèse, je dis MERCI. Il m'a respec tée dans mes idées
et m'a témoignée une grande confiance jusqu'au bout de la
la réalisation de ce mémoire. Il m'a pous s ée il donner
le meilleur de moi-même.
Je remercie ma famille pour s a pa tience, sa
tolérance et son encouragement à mon égard. Je dédie
mon mémoi re à ma nièce, Giulia Cos tan tini, car je
vois en elle la réalisation du rêve de Mme de Staël.
Étudiante en droit au collège de Christchurch, de
l'uni vers i t é de Ox f ord en Ang le terre, elle i ncar ne,
dans tous les sens du mot, le rêve de la sibylle de
Madame de Staël.
1 1 RESUME
Le :h~me de l'héroine souffrante et tragique
inspire Delphine et Corinne, deux romans de Mme de Staël.
Les héroines meurent pour les idéaux de la liberté et des
passions généreuses. Mme de Staël déclare que pour la
femme de son temps, la morale, dont la liberté est le point
de départ, n'existe pas. Dans une série de portraits de
fe&mes autour de l'héroine dans Delphine, Mme de Staël met
en accusation la société dont les préjugés et les
conventions sont responsables du malheur et des souffrances
de ces femmes. Dans Corinne, elle projette sa vision de
la femme de génie, sibylle et muse, a~tiste réussie et
acclamée. L'héroine s'identifie avec l'Italie, pays qui
représente l'art et la liberté. Dans les deux romans,
abandonnée par le héros (son amant) qui représente la société,
l'héroine meurt. Le th~me du héros fatal inspire la
littérature du romantisme naissant. Mme de Staël introduit
les traits essentiels du romantisme dans la société
française. Le drame de ses héroines est le sien. Ce mémoire
étudie les sources et l'inspiration des idées de Mme de Staël
et les influences qui l'ont guidée, afin d'établir le
bien-fondée de sa pensée.
t
ABSTRACT
The central theme in ~lphine and Corin~, two
novels by Madame de Staël, i9 that of the tragic and
sufferin~ heroin. The heroins die for id~als: those of
freedom and the right to live their lives according to
moral principles of the highest order. For Madame de
Staël, the Parisian society she lives in, allows women
no real freedom and therefore, there is no sense of
morals where they are concerned. In Delphin~, she
draws a series of portraits of unhappy and psychologica~ly
scarred women, and she shows how prejudice and social
convention brought this about. In Corinne, Madame de
Staël's imagination exp10des into her vision of the
performing heroin who dazz1es not on1y her fe1low fiction
characters but contemporary literary women. In both
novels, the hero abandons the heroin and she dies. The
theme of the tragic hero inspires early romantic
literature. Madame de Staël introduces the essential
characteristics of romanticism to the French in From
Germany. The heroins' drÂma is her own. This thesis
studies the guiding influences, the sources and the
inspiration of Madamede Staël's ideas which led her to
( state that moral principles dtd not exist for women
. in the society of her day.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION. ... . . . • . .. .. . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . .. . . . . l
Madame de Staël - L'importance de son rôle et de ses idies au XVIIIe et au XIX e si~cles: discussion de la morale ~n ginéral et en particulier, au XVIIIe siècle..................................... 6
CHAPITRE 1 •..... ,................................. 8
La loi à l'égard de la femme aristocrate et du mariage au XVIIIe si~cle --- La réalité féminine: le mariage, la femme de la Cour, le roman, genre dit "fiminin" et la critique à son égard --- Les idies morales et littéraires de Mme de StaëL.... 27
CHAPITRE II ............. .
Sources et influences:
a)
b)
c)
d)
Les Lurni~res, Rousseau, la littérature du Nord, les philosophes romantiques allemands ..
Le père, la m~re, l'éducation, le mariage ....
Son rôle dans la politique (Narbonne, Ta11eyrand, Ribbing, Constant); l'Italie .....
Amitié, surtout celle avec Madame Récamier ...
31
44
57
74
78
(
{
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE III.................................... 85
Analyse de la morale féminine dans Corinne et Delphine:
a) La réception de Delphine et le cad"'e de sa conception.................................. 87
b) La femme mondaine et la société •.....•...... 99
c) Les amants et la sociécé .........•.....•.... 105
d) La femme-artiste et la société; fatalité dans la pensée de Corinne; le th~me de la destruction est-il évident? ............... 124
d) Critique de la presse de l'époque ........... 131
CONCLUSION ...................•.................. 145
BIBLIOGRAPHIE .....•.......•....•...•.•.......... i-vi
INTRODUCTION. . . . . .. . • . . . . . . . • . . . • . . . . . ... . . . . . . . . l
Madame de Staêl - L'imgortance de son raIe et de ses idées au XVIII et au XIX e siècles: discussion de la morale en général et en particulier, au XVIIIe siècle .....•..........•... 6
(
,(
Mme de Staèl est une des grandes figures littéraires
de l'époque pré-romantique. Héritière des Lumières, disciple
de Rousseau, elle introduit en France les traits essentiels
du romantisme naissant. Son oeuvre, acclamée par ses
contemporains, influencera plusieurs générations avant que
sa popularité ne s'estompe. La haine que lui portait
Napoléon et les passions politi~ues auront fait leur oeuvre.
Nonobstant le rôle qu'elle a joué dans ces temps bouleversés,
une image stéréotypée de Mme de Staël demeure - celle d'une
femme volage. Depuis une vingtaine d'années, cependant,
des recherches sur le groupe de Coppet ont ouvert de
nouvelles perspectives sur sa vie.
Durant la dictature de Napoléon, le château de Coppet
fut le plus brillant lieu de rendez-vous de savants allemands
et genevois. Coppet apparaît comme le "bastion du droit au
1 milieu d'une Europe asservie " En m~me temps q~e d'une
grande activité politique, Coppet est le berceau d'une
production littéraire importante. En 1807, Mme de Staël
publie Corinne, en 1809 Prosper de Barante, Tableau de la
littérature française au XVIIIe siècle, 3enjamin Constant,
Wallstein. C'est Mme de Staél qui publie et écrit la préface
des Lettres et pensées du prince de Ligne. Le château,
auréolé par une sorte de légende, commença de rayonner
doucement dans les esprits, et Sainte-Beuve en 1835, put
déclarer qU'il avait été comme "l'Elysée intellectuel de
toute une génération 2 ."
Pour Mme de Staël, le principe de la liberté consLituc
le point de départ de sa pensée philosophique, morale et
politique. Elle publie ses livres à une époque où la France
est déchirée par la Révolution, avant d'être subjuguée
par Napoléon. Dans ce climat, ses ouvrages, qui exaltent
la liberté et condamnent le despotis~~. remportent un grand
succès.
Malgré cela, Mme de Staël est calomniée et ridiculisée
pour ses activités sur la scène politique. En parlant de
ses romans, Delphine et Corinne, Mme de Staël déclare que,
pour la femme, la morale n'existe pas.
Comme introduction à notre étude sur la morale féminine,
dans Delphine et Corinne, nous examinerons la notion de
morale en général, et au XVIIIe siècle en particulier, afin
de mieux situer les idées morales de Mme de Staël, qui
constituent le point de dép~rt de la conception de ses romans.
Dans une première partie, nous considérerons la
disposition de la loi, au XVIIIe siècle, portant sur la femme
~t le mariage; puis, nous analyserons le rôle de la femme
dans la société, et l'attitude de la société à l'égard du
roman dit "f éminin" • En étudiant les oeuvres théorique8 de
Mme de Staël, nous tenterons de préciser dans quelle mesure
ses idées morales et littéraires furent influencées par les
idées morales et littéraires de son temps. Par la suite,
nous rapprocherons les idées morales de Mme de Staël de la
situation faite à la femme, dans Delphine et Corinne.
3 •
( Dans une deuxième partie, nous essaierons de cerner
1 ' in f 1 u e n ce des Lu m i ère set des phi los 0 ph e s r 0 1-1 a nt i que s
allemands sur la pensée de Mme de Staël, ainsi que celle de
son père et de sa mère, de son éducation et d~ ~0~ mariage.
Une étude de ses rapports avec les hommes qui tinrent une
place importante dans sa vie, expliquera l'importance de
ses idées sur la liberté, l'amitié et l'amour. Son ami tié
avec Mme Récamier illustrera l'importance de ce sentiment
dans la vie de Mme de Staël.
Dans une troisième partie, nous examinerons le
portrait de la femme mondaine dans Delphine, et la société
qui l'entoure, afin de compren1re les problème~ qui amènent
l'héroine à se suicider. Ce portrait inc1uera les rappolts
homme-femme en tant qu'amants et en tant qu'époux. A
l'époque, l'institution sociale du mariage détermine, de façon
pré-éminente, le destin heureux ou malheureux de la femme.
L'étude de Corinne, femme amoureuse, relève de la même
problématique. Nous considérerons le rôle de la femme-artiste
dans la société. Nous essaierons de relever des indices de
la fatalité dans la pensée de Corinne, afin de voir si le
thème de Id destruction est évident et nécessaire.
Dans une quatrième partie, nous examinerons un aspect
représentatif de la critiqnc .!.:! la presse de l'époque. Nous
essaierons de voir dans quelle ~esure cette critique se
concilie avec l'attitude de Mme de Sta~l, ou en diffère.
( ..
• "" , "
1 4 .
Dans notre conclusion, nous tenterons d'établir dans
quelle mesure la morale féminine de Mme de Staël est, d'une
part, le résultat de son vécu et, d!autre part, un reflet
de la réalité féminine de l'époque.
Science du bien et du mal, la morale n'est pas absolue.
Elle remplit une fonction sociale en ce qu'elle constitue un
ensemble de règles, inscrites dans la loi ou bie~ prescrites
par la religion, au moyen desquelles on essaie de vivre en
harmonie avec son prochain. L'étude de l'histoire démontre
que, à une époque donnée, selon les exigences d'une société
et de son environnement, selon le stade d'évolution de tel ou
tel groupe, la morale est établie d'après des critères qui
assurent le bien-être du groupe en question.
La définition du bien a toujours été débattue. La
philosophie morale de l'Antiquité s'est beaucoup intéressée
à cette question. Platon a posé le problème "en toute
clarté 311 • A son point de départ, le platonisme, qui
s'inspire des dialogues de Platon, soutient "l'existence
de valeurs absolues qui trouvent leur source dans
une dimension éternelle et immuable indépendamment des
sens4
". L'Antiquité a subi l'influence de Platon, non
seulement pour répondre à la question du bien, mais à son
interprétation de l'homme. Le problème est le suivant:
" ... le vrai bien de l'homme, de tout homme ••• sera découvert
quand on aura déterminé la nature de l'homme en déterminant
! '.
S.
sa place dans le cosmos, cette totalité vivante, structurée,
organisée, compréhensièle qu'est la nature. L'homme possède
une essence ••• il suffit que l'individu la reconnaisse pour
pouvoir se sauver de l'état d'insatisfaction, de déchirement,
de malheur intérieur qui sera le sien aussi longtemps qU'il
ne vivra pas selon sa vraie natureS".
Au dix-huitième siècle, les morales du sentiment
prévalent. Shaftesbury et Hutcheson définissent le sens
moral comme "un instinct de bienveillance 6 ". Adam Smith
soutient un système basé sur "la sympathie entendue comme
l'émotion communiquée â notre âme par toutes les émotions
d 'autrui 7". J J R' i 1 • • ousseau epouse cette not on et a
développe. A son avis, le sentiment de "sympathie et de
pi t:f.é es t en nous naturel et primitif" et cela témoigne "de
la bonté essentielle de la natureS". Kant précise cette
intuition du "sens moral qu'avait adopté tout le XVIIIe
Il élabore ses principes â partir de la raison.
Pour lui, la volonté n'est pas dans le sentiment; elle est
soumise au devoir. Et le but de la morale n'est pas le
bonheur, mais la vertu. Il épouse les notions de "liberté,
d'immortalité de l'âme et de Dieu10".
Nos commentaires sur la morale nous permettront de
mieux situer les idées morales de Mme de Staël. Dans la
mesure où la moralp est un idéal, un bref aperçu de la
disposition de la loi, au XVIIIe siècle, â l'égard du mariage
et du rôle de la femme, nous permettra d'établir le rapport
6 .
entre la pratique de la loi et la réalité féminine, et en
particulier, l'attitude des gens de lettres concernant le
roman, genre grandement apprécié par la femme à cette
époque.
NOTES
INTRODUCTION
1 Levail1ant, Maurice "Le Groupe de Coppet: une appellation reconnue?" Colloque de Coppet 1977, Paris, Slatkine, Genève, 1977, p.377
2 Encyc10paedie Universa1is, Corpus 12, Editeur à Paris 1985, p.164
3 Ibid, pn614
4 Ibid, p.614
7 •
5 Dictionnaire encyclopédique Quillet K-M, Librairie Aristide Quillet, 278 bou1. St-Germain~ Paris~ p.4376
6 Ibid, p.4375
7 Ibid, p.4376
8 Ibid, p.4376
9 Ibid, p.4376
C HAP l T RE 1 .•...•••.•. # • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• 8
La loi à l'égard de la femme aristocrate et du mariage au XVIIIe siècle --- La réalité féminine: le mariage, la femme de la Cour, le roman, genre dit "féminin" et la critique à son égard --- Les idées morales et littéraires de Mme de Staël ...•......•...••. 27
{
.... . ,
e ~ 1 Au XVIII siec1e, la oi favorise l'homme au dépens
de la femme. Elle semble avoir plusieurs buts: la protection
de la société contre la participation de la femme à la vie
publique; l'assujettissement de la femme, corps et biens, à
son mari, le chef de la famille, celle-ci étant la base de
l'État; la protection de la femme contre elle-même, c'est-à-
dire contre son tempérament irréfléchi et passionné, et la
méconnaissance de ses propres intérêts. La lettre de la loi
est celle-ci: " ••• le mari a pleins pouvoirs sur sa femme et
sur les biens de sa femme. Il a le droit d'exiger tous les
devoirs de soumission qui sont dus'-à un être supérieurl".
La loi n'admet pas le divorce, mais elle reconnaît la
séparation de corps, pour mauvais traitements et diffamation.
Si la vie de la femme est menacée, elle peut réclamer la
sépara tion de son mari. Si, par de faux témOignages, le
mari obtient la séquestration de sa femme dans un couvent,
celle-ci peut intenter une action en séparation contre lui.
En suivant les événements les plus importants qui
jalonnent l'existence de la femme aristocrate au XVIIIe
siècle, nous constaterons combien la réalité sociale est un
reflet de la disposition de la loi.
Dès sa naissance, la femme est conditionnée, corps et
âme, à l'image que la société s'est faite d'elle. Sa
naissance n'est pas un événement heureux car, selon la loi
salique, c'est le mâle qui continue la lignée:
Quand, au dix-huitième siècle la femme naît, elle n'est pas reçue dans la vie par la joie d'une famille 2 •
9.
Dès le début, on engage une nourrice; c'est ensuite
une gouvernante qui s'occupe de l'enfant. La jeune fille ne
voit sa mère qu'une fois par jour, pendant quelques minutes,
lors du lever de celle-ci. Donc, pas d'intimité entre la
mère et sa fille.
La gouvernante lui apprend la lecture et l'écriture,
les éléments très rudimentaires de la géographie. Elle lui
enseigne en outre à marcher avec élégance, à se tenir droite
et à faire la révérence. On n'encourage pas la jeune fille
à jouer. Ses vêtements, d'ailleurs, sont contraignants. Par
exemple, lorsque elle assiste à un bal d'enfants, elle porte
un corset à baleines - sorte de cuirasse conçue pour façonner
une taille artificielle. Cette pratique suscite de vives
polémiques, et on la tient responsable de la mort d'un
grand nombre d'enfants, et de jeunes femmes, entre autres,
celle de la duchesse de Mazarin. La toilette de la jeune
fille, réplique de celle de sa mère, est élégante, fastueuse,
et ornée de bijoux et de perles. Elle est l'indice d'un
système qui limite et restreint la jeune fille, tout comme
les pieds bandés de la femme chinoise soulignent sa servitude.
A l'âge de sept ans, on envoie la jeune fille au
couvent, où elle reste jusqu'à son mariage. Seule institution
pédagogique pour les filles, le couvent est aussi l'asile
s
10.
des femmes rejetées par la société, comme celles qui sont
défigurées par la petite vérole, car "une femme laide est
un être qui n'a point de rang dans la nature ni de place
dans le monde 3". La veuve voulant acquitter les dettes de
son mari s'y retire ainsi que les maîtresses des princes
qui vont se marier. On enseigne à la jeune fille le
catéchisme, le clavecin, la danse et le chant. On marie
certaines pensionnaires dès l'âge de douze ou treize ans,
mais la plupart resteront au couvent jusqu'à leur adolescence.
Selon la coutume, on marie la jeune fille immédiatement à
sa sortie du couvent, à un parti agréé par la familie. La
jeune fille n'ebt pas consultée. Son éducation l'ayant
rendue docile, elle se soumet sans discussion à la volonté de
ses parents car elle avait attendu avec impatience sa
libération du couvent pour aller dans le monde. DanR une lettre
à Sophie Volland, Diderot cite Mme d'Houdetot: "Je me mariai pour
aller dans le monde et voir le bal, la promenade, l'opéra
et la comédie 4 ".
Selon les frères Goncourt, le vice est dans la
séparation de la fille et de la mère. La vie au couvent est
une espèce de banissement de la vraie vie. L'imagination des
jeunes filles se gonfle, et lorsqu'elles sortent du couvent,
la réalité fait éclater le plus follement des désirs qu'on
aurait satisfaits facilement à la maison paternelle.
11.
Les conventions dictent que la f~mme ait un amant, et
le mari, une maîtresse. Après le mariage, la mariée est
présentée à la Cour. C'est la consécration sociale. Elle
sort de cette situation équivoque des femmes non présentées,
qui doivent vivre dans les limbes, hors de la Cour.
Dans le schéma de l'existence, la femme noble continue
une tradition établie par Lo~is XIV. De façon lucide et
délibérée, il a fait construire le monde artificiel de
Versailles, dont l'abondance de miroir5, d'or, de lustres et
d'opulence caractérisent le décor. Par les règles de
l'étiquette, il rend ses nobles inoffensifs. Dans le
registre des cérémonies protocolaires de la Cour, pas moins
de soixante-dix pages sont consacrées à des discussions sur
la procédure à suivre lors des funérailles de la mère du Roi.
Louis XIV prive ses nobles de pouvoir politique mais il les
comble de spectacles fastueux, de cadeaux et de vêtements.
Dan& la mesure où le gentilhomme est le reflet du Roi Soleil,
la femme noble agrémente la Cour par son élégance, sa beauté,
son raffinement, sa délicatesse et sa sensibilité. Ainsi,
dans les Lettres persanes, Montesquieu compare la femme de
la Cour à une concubine orientale. Parée de bijoux, de soie
et de perles, baignée d'huiles précieuses et de parfums,
instruite en l'art d'aimer, la concubine s'offre au Sultan.
De même, la femme noble étale sa beauté, son esprit, son
raffinement pour plaire au monde artificiel de la Cour.
(
12.
Au siècle des Lumières, les bals, les réceptions, les
visites, le spectacle et l'amour sont les principales
distractions de la noblesse. Pas de repos; toujours d~
l'agitation et du bruit. Mais c'est dans le libertinage que
cette dissipation atteint son paroxysme. L'idéal de l'amour,
c'est le désir; et l'amour, c'est la volupté, un jeu ... ou
règne le cynisme. La femme est la proie que lea h0Dmes
convoitent. Peu l peu, la facilité des approches, l'atmosphère
de sensualité et d'érotisme, les corruptions de la société
et du mariage, l'irrespect de l'homme à l'égard de la femme,
tout cela attaque et d~chire ~ 'innocence et la candeur de la
chasteté chez la je~ne femme, Duis, la pureté de l'honneur
chez l'épouse. L'amour se vid~ de son élément spirituel.
Il devient "l'ecnange de deux f.3ntai.sies et le contact de r:;
deux épidermes'''. La libertine est aussi dépouillée de
sentiment que l'homme. Elle a plus d'imagination que de
passion; elle est plus calculatrice qu'amante. La conscience
et la sincérité s'éteignent sous "la ::isée suprême de la
parodie 6 1/.qu'est devenu l'amour.
Ultime raffinement de la cor~uption chez l'homme, la
mode est de se faire aimer de la femme, pour la quitter
en&uite, afin de confonare son amour-p:opre. Dans le but de
la détruire, l'homme provoque chez elle, non seulement le
déshonneur, mais ses souffrances. D'abDrd blessée profondément,
la femme devient peu à peu aussi libertine que l'homme.
13 •
Parfois même, elle le surpasse dans le libertinage. Leur
plaisir est de détruire CeuX et celles qui les entourent.
Lors de sa publication, en 1782, ~es Liaisons
dangere\.'~~ de Laclos f ai t scandale. Lac los démon t re que
le système d'éducation et le rôle de la femme dans la
société ne font que réprimer et étouffer l'intégrité de
la fE'mme et tp .. e, dans cette perspective, le libertinage
constitue non s~ulement l'aboutissement inévitable d'une
situation vicieu~e, mais aussi le seul moyen, pour la femme,
d'affirmer sa libArté.
Dans la vie politique, la femme a beaucoup d'influence.
À côté de la puissance royale, une autre force appara!t:
celle de l'opinion d~ la Cour et de la Ville. Elle se
manifeste dans les non.inations aux ministères, aux charges
de la Cour, aux postes de l'administration provincial~;
car il n'existe ni lois constitutionnelles, ni règlements
d'administration qui puissent limiter l'arbitraire. Le monde
de la Cour intervient dans le fonctionnement de la machine
administrative. Les femmes lntriguent pour faire obtenir à
leurs protégés des charges et des emplois de l'Etat. Elles
utilisent leur influence pour obtenir des situations
lucratives. À la Cour, elles constituent l'opposition dans
bien des coteries. Elles se passionnent pour les questions
de droit constitutionnel, pour les Idées libérales; mais,
selon Ségur, leur influence est néfaste:
{
t
A la veille de la Révolution, tous les partis, parti Calonne, parti Necker, parti Brienne, parti novateur, tous sont soutenus par des femmes. Ce sont elles qui font l'opinion publique et qui, par conséquent, disposent du sort des ministres. Mais elles n'ont aucune grande idée, aucune passion noble ••• leur influence s'exerce pour des buts mesquins. Comme le reste de la société, elles ont rapetissé et leur règne est sans éclat 7 •
Si la liberté dont jouit la femme de la Cour a un
aspect négatif et destructeur, elle a d'heureux résultats
dans le domaine des Lettres. Une production littéraire
14.
féminine se développe. Les vies intellectuelle et mondaine
sont étroitement liées. Les femmes exercent une influence
considérable sur la vie littéraire et sur toutes les
manifestations intellectuelles. Par le biais des salons,
l'action des femmes contribue à répandre les idées lancées
par les philosophes et à pénétrer peu à peu l'opinion. Elles
excellent dans le genre romanesque.
Dans L'Histoire de la littérature féminine, Jean
Larnac parle d'une "armée de romancières S" et déclare que le
genre romanesque est "un fief des femmes 9". En lS86,
Brunetière affirme "que l'on commettrait un inexcusable oubli
si l'on ne reportait à l'influence des salons et des femmes
10 une part des origines du drame et du roman moderne ".
Cependant, on attaque le roman pour des raisons
esthétiques et morales. Du point de vue esthétique, le genre
romanesque cons ti tue une rupture avec le classicisme et les
règles de la bienséance, qui sont fondées sur le respect du
bon sens et du goût. De point de vue moral, on condamne la
J
15.
peinture de l'amour. qui joue un rôle privilégié dans le
roman, comme influence corruptrice. Les attaques dirigées
sur le roman visent simultanément la femme. Certains des
commentaires font écho au préjugé selon lequel la femme
est faible d'esprit. On s'indigne de l'influence qu'elle
exerce sur les hommes. Son rôle, au dire de certains, doit
être passif. Elle n'a qu'à être belle et avoir de l'esprit -
("Sois belle et tais-toi"). Son influence suscite beaucoup
de méfiance. Les commentaires de Rousseau rév~lent son
égoïsme, et peut-être aussi sa peur des femmes. Il reconna!t
le besoin qu'a l'artiste de la reconnaissance mais il la
déplore à l'égard de la femme qui, lui semble-t-il. exerce
trop d'influence sur les hommes dans les domaines littéraires
et politiques. Les commentaires de l'abbé Jacquin évoquent
l'ancien préjugé, selon lequel Dieu aurait décidé de la
hiérarchie sociale en y installant l'homme au sommet de la
pyramide.
Parmi les critiques, Mme de Benonville dit: "Il est
sûr que quand on en fait (de cette lecture) son capital et
son entière occupation, elle affaiblit le coeur et dégrade
Il l'esprit ". Dans l'Encyclopédie, le chevalier de Jaucourt
écrit: "Mais la plupart des autres romans (ceux de Mme de
Lafayette et de Hamilton) qui leur ont succédé dans ce
siècle, sont ou des productions dénuées d'imagination, ou
des ouvrages propres à gâter le goût ou ••• des peintures
b .. 12" o scenes... • La marquise de Lambert, femme éclr~rée,
16.
dans son Avis d'une mère à sa fille, déclare: "La lecture
des romans est ••. dangereuse ••• elle met du faux dans l'esprit •.•
allume l'imagination, affaiblit la pudeur, met le désordre
dans le coeur; et pour peu qu'une jeune personne ait de la
disposition à la tendresse, 13
hâte et précipite son penchant ".
Voltaire dit: " .•• les femmes surtout donnent la vogue à
ceB ouvrages, qui les entretiennent de la seule chose qui
les intéresse •.• ils ont presque tous été des productions
d'esprits faibles qui écrivent avec facilité des choses
14 indignes d'être lues par les esprits solides ". Dans la
préface de .~!a Nouvelle Héloise, Rousseau affirme: "Jamais
fille chaste n'a lu de romanIS". Il élabore sa pensée:
Tout artiste veut être applaudi. Les éloges de ses contemporains sont la partie la plus précieuse de sa récompense. Que fera-t-il donc pour les obtenir s'il a le malheur d'~tre né chez un peuple et dans des temps où les savants devenus à la mode ont mis une jeunesse frivole en état de donner le ton, où les hommes ont sacrifié leur goût aux tyrans de ~eur liberté où l'un des sexes, n'osant approuver que ce qui est proportionné à la pusillanimité de l'outre, on laisse tomber des chefs-d'oeuvre de poé~ie dramatique et des prodiges d'harmonie sont rebutés. Ce qU'il fera, Messieurs, il rabaissera son g~nie au niveau de son sièclel6 •
L'abbé Jacquin assure que la manifestation du roman
constitue une remise en question de l'ordre établi et que
la femme, désignée par Dieu comme "la compagne de l'homme et
l'ornement de l'ultivers l711 dérange la société en écrivant des
romans.
Chez les critiques, le roman a ses défenseurs. Selon
Fénelon, on devrait encourager les femmes à lire des histoires
1
17.
utiles et agréables. Laclos prône la lecture des romans, pour
agrémenter l'étude de l'histoire qui traite d'événements
publics et politiques. Il dit: "C'est aux romans de suppléer
à cette insuffisance de l'histoire et sous ce point de vue,
ils peuvent être d'une grande utilité18
".
Marivaux, féministe, relève la flagrante inégalité
des règles prescrites aux hommes et aux femmes à l'égard
de la fidélité conjugale. Dans ses pièces de théâtre, 11
exalte l'amour. Les discours des héros aux hérolnes
témoignent de l'âme sensible et de l'esprit perspicace de
Marivaux. Il connait le coeur humain. D~ns Le Jeu de l'amour
et du hasard, Dorante dévoile ses sentiments à Lisette:
Ah~ ma chère Lisette, que Viens-je d'entendre? tes paroles ont un feu qui me pénètre; je t'adore, je te respecte. Il n'est ni rang, ni naiu3cnce, ni fortune qui ne disparaisse devant une fime comme la tienne; j'aurais honte que mon orgueil tint contre toi; et mon coeur et ma main t'appartiennent 19 •
On a souvent peur de l'inconnu et du mystérieux, et
pour nombre d'hommes, la femme est tout cela. La femme est
généralement guidée par son intuition, son imagination et ses
sentiments, facultés de l'âme qui s'opposent à la raison
et à la logique. On ne peut ni les mesurer ni les
soumettre à l'examen de la raison. C'est cet aspect de la
psyché féminine que redoute l'homme, guidé, lui, par la
raison et la logique. Son raisonnement est linéaire, ce qui
crée une dichotomie. Marivaux épo~e la cause féminine car
il comprend et accepte la femme telle qu'elle est;
( 18.
Les hommes disent que les femmes ont la faiblesse en partage; cela peut être vrai en soi. Mais avons-nous le droit de le dire, ou même de le croire? Examinons, par exemple, la distribution des devoirs que nous avons faits dans le mariage entre des créatures si faibles, et nous qui sommes si forts, et nous verrons si la balance est égale 20 •
Après quoi~ Marivaux rejette sur les hommes la responsabilité
de la coquetterie, de la fourberie et de la méchanceté que
ceux-ci reprochent aux femmes.
Contrairement à cette position favorable à la femme, les
premières tentatives de la femme pour se libérer du joug de son
rôle traditionnel dans la société rencontrent souvent une
critique hostile et acerbe. Certains commentaires reflètent
d'anciens préjugés que nous avons relevés dans la disposition
de la loi en vigueur au XVIIIe siècle. D'autres reflètent
l'hostilité de l'homme face à la femme, être qui lui est
incompréhensible à certains égards, et dont il redoute
l'influence importante dans le domaine de la politique et des
lettres. On condamne le roman pour des raisons morales.
Même les femmes désapprouvent la peinture qu'on y fait de
l'amour. Il semble que la manifestation de cette hostilité soit
l'indice d'une société rigide et conventionnelle, dont parlera
Mme de Staël dans Delphine et Corinne. La critique n'est pas
unanime à l'égard du roman et de la femme, ce qui témoigne d'une
prise de conscience face au rôle de la femme à l'époque.
Le phénomène du libertinage est l'apothéose de la
vie dissipée de la noblesse. Laclos en ~ttribue la cause à
l'éducation de la femme, qui la contraint à dissimuler.
, l
1 19.
Dans Delphine et Corinne, Mme de Staël s'en prend au système
d'iducation des fenmes, le trouvant insuffisant et limitant.
Elle a des idies pricises sur la morale. Au départ,
elle croit à l'existence de l'âme, de Dieu et de l'éternité.
L'homme est doui d'une conscience qui le guide dans la vie.
Si L'homme veut être heureux, il doit écouter sa conscience,
dont l'origine est divine. En disciple de Montesquieu,
Mme de Staël reconnatt l'importance du devoir. Le devoir
de l'homme, c'est la poursuite de la vertu. Pou r Mme de
Staël, les sentiments jouent un rôle capital dans l'accom-
plissement du devoir. Parlant de celui-ci, elle dit:
•• •• 1a conduite d'un homme n'est vraiment morale que quand il ne compte jamais pour rien les suites heureuses ou malheureuses de ses actions, lorsque ces actions sont dictées par le devoir ••• tout ce qui est vraiment beau est inspiré, tout ce qui eGt désintéressi est religieux 21 •
La conduite de l'homme est dictie par un sentiment qui
vient "d'une source plus élevée" qui "nous force aux sacrifices
de nos intérêts personnels22 "
Accomplir son devoir, c'est la façon dont l'individu
utilise et développe ses dons et ses facu1tis. Pour illustrer
les notions de vertu et de devoir, Mme de Staël cite l'exemple
de Thomas More. Homme de la Renaissance, érudiL. croyant,
ami d'Erasme, auteur de l'Utopie, Thomas More, au comble ùe
la gloire, est nommé chancelier du royaume par Henri VIII
d'Angleterre. Comme sa conscience ne lui permet pas de nier
la suprématie du pape, il meurt sur l'échafaud.
r .
20.
Pour Mme de Staël, une action sublime, comme celle
de Thomas More, permet à l'individu de se tran-
scender. Il semble que, p our Mme de S taêl, la mor t, comme
la naissance, doit avoir une signification. Pour elle,
mourir en paix avec sa conscience, donc avec Di.eu, est d'une
importance primordiale, la mort constitl\':'Tlt l'apothéose de
la lutte engagée dans la vie à la poursuite de la vertu.
A propos de cette action sublime, Mme de Staël écrit:
Nous pensons que (l' homme généreux) immole tous les pla:!.sirs, tous les avantages de ce monde, mais qu'un rayon divin descend dans son coeur, pour lui causer un genre de félicité qui ne ressemble pas plus à tout ce que nous revêtons de ce nom, que l'immortalité à la vie 23 •
Elle reconnaît que l'impulsion vers le bonheur est la
plus forte tendance chez l'homme. c'est "le plus universel
et le plus actif mobile du comportement de 1 'homme 24n • Les
grands ph i losop he s des ci vi 1isa tions ori en tale et oc c iden tale
partagent cette idée. Les Upanishads af firmen t que l' homme
est doué d'un grand potentiel. Il doit le développer, afin
d'être en paix avec lui-même et de pouvoir s'unir à l'Absolu.
Ar is tote reconnai t la tendance de tout or ganisme à a t teind re
le maximum de ses puissances et soutient que l' homme trouve
la bon té morale et le bonheur suprême en développant le plus
possible ses facultés et ses dons. Spinoza "découvre" le
même phénomène qU'il appellp. "connatus" ou "la force de
l' existence 2S ". Déjà à son époque, grâce à son intuition et
son intelligence profonde du coeur humain, Mme de Sta~l
'.
· , 21.
reconnaît que le désir de déve:.oppe r son po ten t i el au
maximum constitue le devoir qui rend 1 'homme heureux.
L'attitude de l'individu, dans cette entreprise, est
aussi importante que l'acte en soi. Sans la joie et
l'enthousiasme, l'accomplissement du devoir devient une
formule stérile, car l'essence de l'individu n' y est pas
impliquée. En effet, 1'énergie d'un être heureux
s'harmonise avec l'univers, créant ainsi la plénitude, la
paix et la joie • Selon Mme de Staël:
••• l'enthousiasme se rallie à 1 'harmonie universelle; c'est l'amour du beau, l'élévation de l'âme, la jouissance du dévouement, réunis dans un même sentiment qui a de la grand eur et du calme ••• Le sens de ce mo t chez les Grecs en est la plus noble définition; l'enthousiasme signifie "Dieu en nous". En effet, quand l' exis tence de l' homme est expans ive, e Ile a que1que chose de divin ••• l'enthousiasme est à la cons c ience ce que l' honneur es t au devoi r 27.
Mme de Staël précise donc l'importance de l'individu
en quête de perf ec tionnemen t moral, dans la pe r spec t ive de
la société et de l'humanité. L'idée de la perfectibilité de
l'espèce humaine est répandue au XVIIIe siècle et au début
e du XIX •
, S e10n Emile Fague t, le Français de cet te époque
"croit à 1a perfectibi1ité indéfinie, et croit que savoir
est la clef de tous les progrès, et l'élément unique de
28 toute civi1isation ". Pour Mme de Staël, qui adhère li
cette notion, la littérature est un moyen d'y parvenir.
Elle l'envisage du point de vue des sentiments qui doivent
l' .
22.
émouvoir l'individu pour qu'il puisse saisir et comprendre
la vérité qu'on lui transmet. La littérature, dit-elle,
doi t "émouvo i r l'âme en l' ennob lissan t 29". En exaltant
l'importance de l'imagination, des sentiments et du rêve,
Mme de Staël s'éloi8ne du classicisme et s'inscrit dans
le courant des idées nouvelles du XIXe siècle. Dans son
Essai sur les fictions, elle écrit: " ••• il n'y a de
faculté plus précieuse à l'homme que son imagination" et, à
cet t!gard, les fictions "ont une grande inf luence sur toutes
les idées morales lorsqu'elles émeuvent le coeur; et ce
talent es t peut-être le moyen le plus puissant de diriger
ou d'éclairer30
".
En ef f et, touj ours selon Émile Fague t, ses romans
sont "des effusions, des demi-confidences, qUI~lque chose
comme des romans lyriques. Ils ne sont pas vivants mais
ils sont vrais. Il Y a bien des personnes dans Mme de
Staël: à côté de la femme romanesque et passionnée, il y
a un moraliste très pénétrant, une élève des Lettres
Persanes autant que de La Nouvelle Héloïse31
". Dans ses
romans, philosophie et sentiment s'inspirent l'un de
l'autre.
Dans De la littérature considérée dans ses rapports
avec les ins ti tutions so c iales, une étude de na tu re
historique et littéraire, Mme de Staël développe davantage
-.
23.
la notion de la perfectibilité. Elle écrit: "En étudiant
l'histoire, il me semble qu'on acquiert la conviction que tous
les événements principaux tendent vers un même but, la
civilisation universelle3Z
", et elle montre "le rapport qui
existe entre la littérature et les institutions sociales de
33 chaque siècle et de chaque pays "et, malgré les vicissitudes
de l'histoire, le progrès lent mais sûr de l'esprit humain qui
s'enrichit du savoir des générations précédentes, pour
l'augmenter à son tour et le transmettre aux suivantes.
En suivant le cours de l'histoire, ù?puis la
civilisation grecque jusqu'à la Révolution, Mme de Stael
défend la thèse de la perfectibilité de l'homme. La
philosophie et la morale des Romains étaient supérieures à
celle des Grecs: Aristoce ne considérait pas les ~sclaves
comme des êtres humains; Sénèque, si. Contrairement à
l'opinion des philosophes de l'époque, Mme de Sta~l, qui
préfigure Chateaubriand, considère qu'au cours du Moyen
Age, la civilisation n'avait pas sombré dans l'ignorance et
l'obscurantisme. Le christianisme avait aidé au progrès
de l'esprit humain. "L'art du christianisme fut de canaliser
la force des passions" dit-elle, car si "la raison les combats,
34 l.es religions s'en servent ". Elle admire le civisme et le
1
stolcisme des patriciens romains: "".le bonheur des
êtres n'est point l'objet de la morale des Anciens. Ce
n'est pas les servir, c'est se rendre indépendant d'eux
qui est le but principal de tous les conseils des
35 ph i losophes ".
A partir de la Réforme, le protestantisme a eu
un effet bienfaisant mais, selon Mme de Staël, le
"papisme" a étouffé les Lumières. Elle n'essaie pas de
24.
concilier la Renaissance et la décadence du catholicisme.
Elle se contente d'expliquer que:
Les Italiens ont frayé les premiers pas dans la carrière où l'esprit humain a fait depuis de si immenses progrès, mais ils ont été condamnés à ne point avancer dans la route qu'ils avaient ouverte. La subdivision des Etats en Italie •• n'a point produit son effet naturel; le despotisme des prêtres, pesant sur toutes les parties du pays, a détruit la plupart des heureux résultats que doit avoir le gouvernement fédéral ••• 36 ,
Dans une perspective de perfectibilité, la Révolution
constitue un flagrant démenti. Elle était due, pense
Mme de Staël, à un manque du sens de la responsabilité
dans les classes aisées, et à l'ignorance et à la
misère du peuple. Dans son Traité des passions, Mme de
Staël précise cette idée en accusant "l'ambition des
démagogues et le fanatisme de l'esprit de parti 37 ", et
,
dans De la littérature elle démontre que "les masses
n'avaient pas atteint le niveau de la raison et de la
sensibilité de l'élite38
". Elle en voit une des causes
dans l'ignorance et l'abrutissement où on avait jeté
les masses. Elle continue:
25.
La misère accroit l'ignorance, l'ignorance accrott la misère; et quand on se demande pourquoi le peuple français a été si cruel dans la Révolution, on ne peut en trouver la cause que dans l'absence
3§u
bonheur qui conduit à l'absence de moralité •
Mme de Staël va plus loin. Les écrivains n'avaient
pas préparé la société au bouleversement social qui s'était
produit, et dont les indices étaient évidents à travers les
changements politiques et sociaux qui s'étaient dérculés
en Europe, et surtout en Angleterre. Elle signale Voltaire
qui, dans une nation "plus accessible au ridicule qu'au
raisonnement" s'était servi de "plaisanterie au lieu d'armes
plus sérieuses ••• Ce sont les philosophes qui ont fait
40 la Révolution, ce sont eux qui la termineront "
Mme de Staël condamne l'esprit de conquête, parce
qu'une discipline qui exige l'obéis~ance aveugle de chaque
individu est nécessairement despo~ique, la liberté individuelle
étant sacrifiée. L'armée en e€fet, devient un ~tat dans
26.
l'Ét'lt, et abuse de son pouvoir:
Rien n'est plus contraire à la liberté que l'esprit ~ilitaire. Une guerre longue et violente est à peine ~onciliable avec le maintien d'une constitution quelconque; et tout ce oui assure les triomphes de la gu~rre est subversif du règne de la loi •.. L'esprit milltaire fait halr le raisonnement comme un commencement d'indiscipline, la liberté fond l'autorité sur la convi~tion ... Les armées prennent toujours à la longue un esprit de corporaLion, qui les rend semblables l ... une confédération d~ prêtres. L'armée qui se bat pour la liberté, doit avoir, pour triompher, des moeurs et des idées despotiques4l
Pour Mme de Sta~l, les triomphes militaires des armées
républicaines ne valent rien par rapport au bonheur, à la
liberté et à une constitution qui assure la paix.
En vain vous irez porter au bout du monde le re~om de la puissance française. Vous étonnerez, mais vous n'obtiendrez rien qui ressemble à ce que l'histoire nous raconte de l'enthousiasme des nations pour quelques noms célèbres, de cet amour divin, permis aux hommes sur la terre: l'amour, la reconnaissance, le culte de leurs concitoyens ••. Honneur à ceux qui tiendraient de leur courage, cie leur énergie républicaine le droit de parler de bonheur plutôt que de conquête, de liberté plutôt que de soupçon ••. de pitié plutôt que de vengeance! On a si besoin d'être heureux que rien, rien que cela peut émouvoir la France 42 •
Dans la perspective de la société de son époque, les
idées morales de Mme de Staël, surtout à l'égard de la femme,
sont d'une conception radicale. En tant qu'institution en voie
de disparition, la société ressemble à l'un de ces organismes
dans la Nature, figé et fossilisé dans le temps, incapable à
jamais de changer, dont le phénomène du libertinage apparaît
comme l'ultime paroxysme. Son Essai sur les fictions constitue
une défense rigoureuse du genre romanesque et, par le fait
même, de la cause féminine.
27.
1 En établissant un lien entre l~s s~ntiments ct la
raison, Mme de Staël fraie un nouveau chemin car, comme
nous l'avons démontré, la société de l'époque ignore les
sentiments - pas de rapports affectifs entre mère et fille,
non plus qu'entre mari et femme.
Dans la conception de ses hérolnes, Delphine et Corinne,
Mme de Staël transpose et modifie ses idées morales; elle
les oppose à la société telle qu'elle la conçoit, c'est-à-dire,
conventionnelle, rigide et réactionnaire.
'" \.
(
28.
NOTES
CHAP 1 TRE 1
1 Pothier Traité de la puissance maritale. Orléans 1774 2 vol, in-12. cité par Abensour, Léon La femme et le féminisme au dix-huitième siècle, Ed.Ernest Leroux, Paris, 1923, p.8
2 Goncourt, Edmond et Jules de La femme au dix-huitième siècle, v.l, Ernest Flammarion et Fasquelle, Paris, 1882, p .11
3 Ibid, p.15
4 Diderot, Denis Correspondance, vol.3 1759 1761, annotée par Georges Roth, Editions Minuit, Paris 1957, p.113
5 Goncourt, Edmond et Jules de Op.cit. p.172
6 Ibid, p.192
7 Ségur (Vicomte Alexandre de) Les femmes: leur condition, leurs moeurs et leur influence dans l'ordre social chez les différents peuples, Paris, 1803, 3 vol, in-8 Q cité par Abensour, Léon Op.cit. p.l05
8 Le dilemme du roman, Yale University Press, May, Georges 1963, p.205
9 Ibid, p.206
10 Ibid, p.206
Il Ibid, P .10
12 Ibid, p.10
13 Ibid, p.13
14 Ibid, p.210
15 Ibid, p.21l
16 Ibid, p.212
17 Ibid, p.215
18 Ibid, p.231
19 Marivaux, Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux: théâtre complet, Editions du Seuil, 1964, p.291
29 .
20 May, Georges Op.cit. p.242
21 Mme de Staël De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales, Edition critique par Paul Van Tiegham, Genève, Oroz, 1959 cité par Simone Balayé Lumières et liberté, K1incksieck, 1979, p.97
22 Mme de Staël De l'Allemagne, Oeuvres complètes, Slatkine reprints, Genève, 1967, V.2, p.203
23 Ibid, p.20S
24 Ibid, p.207
25 Sassoon,Joseph Self-Actualisation, Humanica Press, Montreal 1988, p.4
26 Ibid, p.4
27 Mme de Staël De l'Allemagne, Oeuvres complètes, Slatkine Reprints, Genève, 1967, p.186
28 Faguet, Émile Politique et Moralistes, T.l, Poitiers, Société française de l'imprimerie de librairie, 1890-1900, p.120
29 Balayé, Simone Lumières et liberté, Klincksieck 1979, p.53
30
31
32
33
Mme de Staël Oeuvres complètes, 1,62 cité par Simone Balayé Lumières et liberté, K1incksieck 1979, p.52
, Faguet, Emile Op.cit., p.vii
Herold, Christopher J. Germaine Necker de Staël Plon, Paris 1961, traduit de l'anglais par Michelle Maurois, p.2l4
Diesbach, Ghislain de Madame de Staël Librairie Académique Perrin, 8 rue Garancière, Paris, p.2l8
34 Ibid, p.2l9
35 Ibid, p.2l9
36 Mme de Staël De la littérature le ptie., Ch.X cité par Ghislain de Diesbach, Op.cit·., p.22i
37 Hero1d, Christopher J. Op.cit., p.2l9
38 Ibid, p.2l9
39 Mme de Staël Considérations sur la Révolution française le ptie., Ch.VI cité par Simone Balayé, Op.cit., p.37
(
40 Diesbach, Ghislain de Op.cit., p.21S
41 Mme de Staël De la littérature p.290 cité par Simone Balayé, Op.cit., p.72
42 lb id, p. 73- 7 3
30 •
c
"
CHAPITRE II...................................... 31
Sources et influences:
a) Les Lumières, Rousseau, la littérature du Nord, les philosophes romantiques allemands.. 44
b) Le père, la mère, l'éducation, le mariage.... 57
c) Son r61e dans la politique (Narbonne, Ta11eyrand, Ribbing, Constant); l'Italie..... 74
d) Amitié, surtout celle avec Madame Récamier... 78
--------------
a) Les Lumières, Rousseau, la littérature du Nord, les philosophes romantiques allemands, son exil.
Dans la vie de Mme de Staël, philosophie, morale et
littérature sont intimement liées. Ses idées s'inspirent
en grande partie des philosophes des Lumières. Essentielle-
ment, les philosophes, guidés par la raison, voulaient faire
le bonheur de tous les homrees en les libérant du joug d'une
monarchie absolue. Ils revendiquaient l'égalité et toutes
les libertés: religieuse, politique, économique et civile.
Voltaire et Montesquieu lui ont appris que les institutiona,
les lois, les moeurs, toutes les manifestations de l'esprit
humain sont, d'abord, les produits de l'environnement de
l'homme, et deuxièmement, sont en relation les uneS avec les
autres. Cette idée est élaborée dans De la littérature dans
ses rapports avec les institutions sociales et inspire
l'association de l'héroine avec l'Italie et du héros avec
l'Angleterre dans Corinne. L'idée de liberté pousse Mme de
Staël à résister au despotisme de Napoléon, résistance qui
l'a rendue célèbre, et constitue le point de départ de son
oeuvre. Sous un régime où la presse est censurée et l'oeuvre
des écrivains supprimée, elle vit difficilement. En 1803,
elle reçoit l'ordre de s'exiler à quarante lieues de Paris.
Objet d'une surveillance constante par la police de Napoléon,
elle quitte la France. L'expérience de ses voyages
32.
extraordinaires est ~ la source de De l'Allemagne, des
Dix Années d'exil et de Corinne.
Le germe de ses idées morales et littéraires se
trouve dans les écrits de Rousseau. Avec lui, Mme de Sta~l sent
une affinité dans l'importance qu'il attache aux sentiments
et à la nature. Il "influencera toute son oeuvre non par
un mouvement de sensibilité plus ou moins factice, mais par
une émotion vive et vraie 1 ". Pour Mme de Staël, Rousseau
se range parmi les éc,ivains qui se sont libérés des
rigueurs du classicisme et qui "puisent leur talent dans le
fond de leur âme2". Les thèmes de la rêverie, de la nature,
de la mélancolie et du besoin d'infini, exprimés dans
Les Rêveries d'un Promeneur solitaire (1782), font de lui le
précurseur du romantisme. Sa psychologie constitue un
point tournant dans l'histoire des idées, au XVIIIe siècle,
dont l'influence se fera sentir dans les oeuvres de Mme
de Staël, dans le Werther de Goethe, dans Atala/René (1801)
et le Génie du christianisme (1802) de Chateaubriand.
Mme de Staël retrouve dans la littérature du Nord la
spontanéité et la mélancolie qu'elle avait senties dans l'oeuvre
de Rousseau. Les poèmes épiques de Homère inspirent la li tt~rpt""re
du Midi tandis que la poésie mélancolique est a la source de celle
du Nord, poésie qui se prête 3 l'expression des sentiments intimes et
de la philosophie. Le sentiment de mélancolie, dit Mme de
Staël, pousse l'homme à la réflexion et par conséquent,
lui permet de donner le meilleur je lui-même.
(
r .
1
l
33.
Le climat et la nature sont les principales sources
d'inspiration chez les écrivains du Nord:
Le spectacle de la nature agit fortement sur eux; elle agit comme elle se montre dans leur~ climats, toujours sombre et nébuleuse ••• Leur imagination se plait sur le bord de la mer, au bruit des vents, dans les bruyères sauvages" .• e1le .•. "porte vers l'avenir, vers un autre monde, l'âme fatiguée de sa destinée ••.•• Toutes mes impressions, mes idées me portent de préférence vers la littérature du Nord 3 .
Dans ce passage, on relève les caractéristiques du
mouvement romantique naissant, à savoir, la rêverie dans la
nature, la mélancolie, l'inquiétude et le besoin d'infini.
Dans le romantisme naissant, on assiste non seulement
à un éloignement du classicisme, mais aussi à la déception
profonde causée par la Révolution qui avait bouleversé et
démoralisé la société française, tant par la brutalité et la
férocité de son irruption que par le brusque anéantissement
de tant d'espoirs qui devaient déboucher sur une société
nouvelle. c'est Mme de Staël qui introduit les traits
essentiels du romantisme dans la société française, au début
du XIX e siècle, dans De l'Allemagne (1804); c'est
Chateaubriand qui les incarnera. Il vit ces traits pendant
son enfance et sa jeunesse et les exprime dans son oeuvre -
la rêverie, la mélancolie et l'inquiétude, caractéristiques
de l'âme romantique. Il est hanté par le désir de la mort
et le besoin d'amour et d'infini. D'une certaine manière,
il est un personnage de Mme de Staël, et c'est à ce titre
34.
que son périple nous intéresse ici.
Dans la mesure où l'enfant est le père de l'homme,
on dirait que l'enfance et la jeunesse de Chateaubriand
avaient préparé le poète. Il passe son enfance à Combourg 1
en Bretagne, pays pauvre et sauvage. C'est une petite ville
Où encore aujourd'hui tout édifice est construit en granit,
matériau lourd et s0~bre, tant par sa couleur que par sa
densité. Selon Chateaubriand, Combourg est son donjon.
Élevé par un père taciturne et une mère janséniste, le
jeune René tombe amoureux de sa soeur Lucile. "Seule,
désespérée et belle, attachée à son frère par une passion
muette" .•. elle ... "est l'image romantique de génie et du
4 malheur ". L'ambiance, composée d'éléments naturels, le
froid, le tonnerre, la mer orageuse, les roches grises,
était maléfique mais psychologiquement créatrice.
Jeune homme, la Révolution le marquera profondément.
Sur la guillotine, Il voit périr des membres de sa famille
~t des amis, il souffre l'humiliation de la défaite de
l'armée royaliste, la fuite, la maladie, la faim, la
solitude, l'exil en Angleterre, et enfin, de retour en
France, il connait la gloire. Tout, dans sa vie, est
extrême: l'amour, la gloire, la souffrance. Il dit: "Le
chagrin est mon élément: je ne me retrouve que quand je
5 suis malheureux ". Jean d'Ormesson voit dans cet état
35.
d'esprit "un immense espace vide, une espèce de désert,
d'où surgissaient la lassitude, la mélancolie et le rôle
qu'il jouait. Seuls la douleur et le chagrin pouvaient
parvenir à combler cette distance 6".
Le spectacle de la nature l'émeut; la mort le
fascine. Lors d'un voyage entre Alexandrie et Malte,
Chateaubriand a~oue: "Les nuits passées au milieu des vagues
sur un vaisseau battu de la tempête ne sont pas st{riles;
l'Incertitude de notre avenir donne aux objets leur
véritable prix: la terre, contemplée du milieu d'une mer
orageuse, ressemble à la vie considérée par un homme qui
7 va mourir".
La personne et le personnage se confondent dans les
mots de René. Tourmenté et solitaire, il s'abandonne aux
délices de la nature et s'identifie à elle:
Levez-vous vite, orages désirés, qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie! Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon coeur .... Hélas! J'étais seul, seul sur la terre. Une langueur secrète s'emparait de mon corps. Ce dégoût de la vie que j'avais ressentie dès mon enfance, revenait avec une force nouvelle. Bientôt mon coeur ne fournit plus d'aliment à ma pensee, et je ne m'apercevais de mon existence que par un profond sentiment d'ennuiS.
La mélancolie qui baigne Atala/René de Chateaubriand
est en train de "devenir une mode, une vague, une scie,
p resq ue une 1 i 9" p a e... . Chateaubriand s'en plaint: "Si René
n'existait pas, je ne l'écrirais plus, s'il m'était possible
de le détruire, je le détruirajslO". L'idée du désespoir et
" <
• , Î
r 36 •
du suicide se concilie mal avec celle du christianisme,
ce qui explique le regret que Chateaubriand éprouve de
l'influence de son René. Malgré la déception de
Chateaubriand d'avoir contribué à ce qu'on appelle le "mal
du siècle", son livre témoigne d'un mouvement général qui
emportait l'âme européenne, car le romantisme, "allemand
ou anglais, fait de la mort la plus formidable aventure
de la vie11
". Cependant, si Chateaubriand éprouve du
regret à l'égard de son René, le succès remporté par son
Génie du chris tian.Lsme rouvre "en même temps que Bonapar te,
les vieilles cathédrales longtemps fermées", et fait de
Chateaubriand, "le poète des temps 12 nouveaux ". Jean
d'Ormesson pourra écrire que "tout le romantisme français ...
de Benjamin Constant à Hugo, de Vigny à Musset et à
L i ' b" 13" amart ne, s a reuvera a cette source .
Au cours de ses entretiens avec les Schlegel, Goethe,
Schiller et Humboldt, lors de son voyage en Allemagne, en
1803, Mme de Staël se familiarise avec la philosophie et la
littérature allemandes. L'occasion lui permet de "réexaminer
et de cristalliser sa pensée14
". Elle est fascinée par les
profondeurs de la spéculation métaphysique allemande, même
si son esprit cartésien en refuse certains aspects. Pour les
(
~----------
37.
romantiques allemands:
... l'acte poétique, les états d'inconscience, d'extase ..• , les singuliers discours dictés par l'être secret, (prennent) rang de révélations sur le réel et de fragments de la seule connaissance authentique ... 1a vie obscure est (en) incessante communication avec une autre réalité, plus vaste, antérieure et supérieure à la vie individuelle qu'il faut chercher dans les images mêmes morbides, le chemin qui conduit aux régions ignorées de l'âme IS •
De cette conception de l'art, deux critères
s'imposent. D'abord, l'artiste est un être inspiré, "un
prophète et un médiateur de l'infini 16 ", donc, nulle
contrainte ne doit lui être imposée. Ensuite, l'artiste
se transcende par l'acte de création.
Avec De l'Allemagne, Mme de Staël fait sienne et
développe cette conception de l'art. Dans les chapitres
"De la poésie" et "De la pot-sie classique et de la poésie
romantique", elle dresse "la charte du renouveau romantique 17 ".
Elle vante le rôle du poète. Chez l'individu commun, le sens
du divin est inné mais inexprimable. C'est le spectacle de
la nature, la musique, l'art, bref, tout ce qu'on aime, qui
éveille un sens d'émerveillement:
Ce qui est vraiment divin dans le coeur de l'homme ne peut être défini. S'il y a des mots pour quelques traits, il n'yen a point pour exprimer l'ensemble, et surtout, le mystère de la véritable beauté dans tous les genres •••• si l'on veut comprendre ce qu'est la poésie •.. il faut appeler à son secours les impressions qu'excitent une belle contrée, une musique harmonieuse ... La poésie est le langage naturel de tous les cultes 18 •
Le poète établit le lien ressenti par l'individu entre l'univers
et lui-même. Cette conception mystique fait écho aux
-------. 1
38.
théories sur les correspondances, théories qui inspirent
les po~tes symbolistes. Mme de Sta!l écrit:
c'est l'alliance secrète de notre être avec les merveilles de l'univers qui donne à la poésie sa véritable grandeur. Le poète sait rétah1ir l'unité du monde physique avec le monde moral; son imagination forme un lien entre l'un et l'autre ... L'univers entier est comme un symbole des émotions de l'âme 19 •
L'idée d'un lien spirituel sert à compléter celle du
lien physique, proposée par Léonard de Vinci, entre l'homme _
microcosme, et l'univers - macrocosme. En effet, la totalité
de l'individu est la totalité de l'univers en microcosme. Nous
exprimons cette réalité du point de vue nucléaire, anatomique
et cosmique.
Pour Mme de Staël, comme pour toute la génération des
romantiques, la mort revêt une signification profonde. La
conscience de la mort donne un sens d'urgence, de valeur et
de beauté à chaque jour de la vie. Pour Mme de Staël, c'est
par l'intermédiaire du poète que la vie renaît de la mort.
L'art, expression de l'inspiration divine, éclaire et inspire,
et la poésie lyrique est la forme qui se prête le mieux à
l'exultation du poète dont l'imagination transcende la durée
et l'espace:
L'énigme de la destinée humaine n'est de rien pour la plupart des hommes; le poète l'a toujours présente à l'imagination. L'idée de la mort qui décourage les esprits vulgaires, rend le génie plus audacieux, et le mélange des beautés de la nature et des terreurs de la destruction excitent je ne sais quel délire de bonheur et d'effroi, sans lequel on ne peut ni comprendre ni décrire le spectacle de ce monde •• (La poésie lyrique) ne raconte rien, ne s'astreint en rien à la succession des temps, ni aux limites des lieux ... (L'homme) se sent .. à la fois créateur et créé, qui doit mourir et ne peut cesser d'être •• dont le coeur ..• s'enorgueillit en lui-même et se prosterne devant Dieu 20 •
39.
( Ainsi le poète prend conscience de sa mortalité et
de son immortalité. Créé, il devient créateur. L'art est
plus qu'un simple reflet de la vie. L'artiste est un être
inspiré, un prophète, une sibylle que le génie éclaire de sa
fulgurance. Pourtant, tout est discipliné et contrôlé chez
Mme de Staël. Elle n'envisage pas le génie de l'artiste
sans le frein de la morale. Cette conception mystique de
l'artiste est manifeste dans Corinne, dont l'héroïne, po~te
et improvisatrice, est symbolisée par la sibylle.
Dans le contexte de la situation féminine à l'époque,
cette conception de la femme est géniale. Elle franchit
toutes les limites imposées par la société à la femme. Au
cours de l'histoire, aucune femme-artiste n'a laissé sa marque.
Des femmes écrivains, si. Pourtant, par rapport aux succès
remportés par leurs homologues masculins, cette reconnaissance
est négligeable. L'imagination de Mme de Staël a pris des
ailes au contact des philosophes allemands. Corinne, femme
de génie, préfigure la femme moderne qui cherche, non seulement
à se transcender par son travail, mais aussi à se faire
reconnattre en tant qu'individu par la société. Mme de Staël
exprime ses propres aspirations et en même temps, celles des
femmes de son temps.
La philosophie kantienne soutient l'existence de l'âme
et de Dieu, premisse qui permet à Mme de Staël de réfuter le
matérialisme de Locke et de justifier ses propres idées morales.
Selon Kant, les mathématiques offrent une preuve irréfutable
...
•
40 •
de l'existence de l'âme et de Dieu. Les mathématiques,
"une science synthétique, positive, créatrice et certaine
par elle-même" ... affirment la présence de "lois immuables
en nous-mêmes et non pas en dehors de nous .. toutes nos
perceptions sont soumises à deux formes impératrice& de notre
esprit, à savoir, l'espace et le temps ... elles sont en nous
et non pas dans les objets, et qu'à cet égard, c'est notre
entenaement qui donne des lois à la nature extérieure, au
lieu d'E:.n recevoir d'e11e 21 ".
A propos du sublime et du but de l'existence, idées
déve10pées par Kant dans La Critique du jugement, Mme de
Staël fait ce commentaire: "Il fait consister le sublime
dans la liberté morale aux prises avec le destin ou avec la
nature .•• une étincelle du feu dans notre sein triomphe de
l'univers, puisqu'il suffit de cette étincelle pour résister
à ce 22
que toutes les forces du monde pourraient exiger de nous Il
Pour lui, le sentiment du devoir est "la condition nécessaire
de notre être moral, la loi par laquelle il existe" et qui
vient "du fond de l'âme 23 ". Ce constat offre "la preuve et
24 la garantie de l'indépendance métaphysique de l'homme ". Au
philosophe Gérando, Mme de Staël fait part de son enthousiasme
pour la philosophie kantienne: " •.• i1 Y a chez Kant une idée
première qui me frappe 2S ", cette idée étant "la faculté intérieure
qui modifie les idées que nous recevons du dehors ... Le système
de Kant m'offre une lueur de plus sur l'Lmmortalité et j'aime
mieux cette lueur que toutes les clartés matérielles26
".
(
(
41.
c'est cette manière de voir qui devait influer sur les idées
littéraires de Mme de Staël. En écrivant à Mme de Staël,
Wilhelm von Humboldt lui f~ra part du jugement de Schiller
sur son livre De la littérature:
Il a observé que vous sortez entièrement dans cet ouvrage du cercle étroit de la plupart des littérateurs français, que vous n'établissez vos jugements que sur des principes premiers et indépendants et que vous ne mettez point le mérite d'un ouvrage dans sa convenance avec quelques règles arbitrairement établies, mais surtout dans la force qu'il a de remplir l'âme du lecteur et de l'élever au-dessus de lui-même après s'en être rendu le mattre 27 •
Dans De l'Allemagne, Mme de Sta~l réfute le
classicisme, dont les règles entravent la libre expression de
l'inspiration dramatique et littéraire. Le classicisme
représente le passé, séparé du présent par l'abîme qu'était
la Révolution. La Révolution avait détruit l'Ancien R~gime
et Mme de Staël, dont l'évolution personnelle suit de près
la réalité changeante de l'époque, est la première à signaler
aux Français la nouvelle direction à prendre.
La poésie romantique s'inspire des "sources primitives
de l'imagination et de la pensée28
", tandis que la poésie
classique "imitée des Grecs et des Romains, tient à un temps
, ~ ~ 29" ou a un evenement . Limitée par ces conventions, la poésie
classique nous fait perdre "les émotions intimes et multipliées
dont notre âme est susceptib1e •.• La question pour nous n'est
pas entre la poésie classique et la poésie romantique, mais
30 entre l'imitation de l'une et l'inspiration de l'autre ".
l '; 1
"
l
', . . '
42.
Mme de Staël fait l'éloge des opéras comiques et
des comédies, dans lesquels les Français "montrent une
sagacité et une grâce que seuls ils possèdent à ce degré 3l ",
mais elle condamne "la rigidité des genres 32 ", la règle
des trois unités et les alexandrins. Les étrangers trouvent
l'illusion théatrale dans "la vérité du langage, l'observation
des moeurs du siècle et d'un pays, la représentation des
unités rend impossible la traduction littéraire de tout ce
qui concerne une évolution dans le temps et dans l'espace,
et la pompe des alexandrins empêche l'expression des
sentiments 33 ".
A la génération romantique de la France, Mme de
Staël présente des analyses de pièces de théâtre ainsi que
des traductions d'extraits de plusieurs écrivains allemands
parmi les plus importants: Goethe, Schiller, Schelling,
Lessing, Winckleman, Werner, Wieland, etc. Les pièces de
théâtre dont elle choisit de parler lui permettront de
démontrer que la richesse de la vie, le passé et les
profondeurs du coeur humain peuvent être représentés sur
la scène, sans 'e frein des conventions héritées des Grecs:
Le caractère distinctif de la littérature allemande est de tout rapporter à l'existence intérieure, et comme c'est là le mystère des mystères, une curiosité sans bornes s'y attache •.• Schiller est le premier, parmi les disciples de Kant, qui ait appliqué sa philosophie à la littérature, et en effet, partir de l'âme pour juger les objets extérieurs pour savoir ce qui se passe dans l'âme, c'est une marche si différente que tout doit s'en ressentir ... rls excellent dans la peinture des affections douloureuses et des images mélancoliques. A cet égard~ ils se rapprochent de toutes les littératures du Nord 4.
43.
Mme de Staël admire Werther, malgré la vague de
suicides lors de sa publication. Ses commentaires révèlent
l'influence de ce livre sur sa conception de Delphine et
de Corinne. Elle s'en explique:
Le livre par excellence que possèdent les Allemands et qu'ils peuvent opposer aux chefs-d'oeuvre des autres langues, c'est Werther. Mais je n'en connais point qui renferme une peinture plus frappante et plus vraie des égarements de l'enthousiasme, une vue plus perçante dans le malheur, dans cet abîme de la nature, où toutes les vérités se découvrent à l'oeil qui sait les y chercher ..• son caractère représente dans toute sa force le mal que peut faire un mauvais ordre social à un esprit énergique. Ce n'est pas Goethe qui l'a créé, c'est lui qui l'a su peindre 35 .
Dans le panorama des influences sur la p~nsée de
Mme de Staël, le principe de la liberté guide et éclaire
chaque étape de son évolution, et il constitue l'étendard
sous lequel elle déploie son immense talent et sa solide
énergie. Elle exalte l'imagination, l'intuition et les
sentiments, en leur donnant une importance que les principes
des Lumières avaient bannis, parce qu'ils les associaient à
la superstition, au culte de la religion, à l'idee du
Paradis et de l'Enfer. En lisant les oeuvres de Mme de Staël,
à cette époque de riche production, nous avons l'impression
d'être témoins d'un grand dessein. L'enthousiasme, la
curiosité intellectuelle et les convictions inébranlables
de Mme de Staël aboutissent à son exil, mais en même temps,
ils lui dévoilent des horizons illimités. Elle illustre sa
propre observation: le malheur est parfois et souvent même
nécessaire pour notre développement spirituel et intellectuel.
44.
Dans Corinne, Mme de Staël réitère sa critique du
classicisme et de la rigidité des genres en mettant en scène
une héro1ne dont le génie d'improvisation étonne et
éblouit les spectateurs. Son héro1ne incarne ses propres
idéees concernant la liberté d'expression dramatique et
artistique.
Nous verrons que l'influence de sa mère, Suzanne
Curchod et de son père, Jacques Necker, sur ses idées morales
et politiques fut considérable. Les conséquences de son
malheureux mariage se feront sentir dans Delphine et Corinne.
l
b) Sa m~re, son p~re, son éducation.
Mml:! Necker est "l'âme d'un des salons parisiens les
mieux fréquentés et les plus brillants de son temps35". Elle
est femme de lettres, passionnée de sciences, généreuse envers
les pauvres et les malheureux et fondatrice de nombreuses
oeuvres pieuses et charitables. En dépit de son succès
mondain, Mme Necker est un personnage tendu et angoissé. Un
de ses contemporains a fait ce commentaire d'elle: "Dieu,
apr~s avoir créé Mme Necker, l'enduisit d'empois en dedans
et en dehors 36". Obsédée par la notion du devoir et de la
morale, deux penchants qui se concilient mal avec un tempérament
passionne, Mme Necker, comme éducatrice, réussit brillamment
la formation intellectuelle de Germaine mais. comme mère
qui doit offrir amour, compréhension et co~n~ssin~,
elle échoue.
Seule, elle entreprend l'éducation de Germaine.
Lorsque Germaine a 29 mois et commence à parler et à
comprendre, sa Q~re commande une Bible, un catéchisme et
d'autres livres de piété. En dépit de ce commencement hâtif
et intense, Mme de Staël n~ devient pas bigote. L'instruction
religieuse, semb1e-t-i1, est libérale. Elle la verra comme
"une religion du coeur, dictee par la conscience, une foi
r sans dogmes ni miracles, associée aux impératifs d'une nature
37 tenue pour bonne et pure ". Dès son enfance, la religion de
t Mme de Sta~l est une affaire personnelle et son hostl1it~
à l'égard de la religion vise la superstition et le
fanatisme.
En outre, Mme Necker, qui entend suivre les
préceptes de Rousseau, dont les idées dans le domaine de
l'éducation des jeunes sont à la mode, donne à Germaine
des leçons de latin et d'anglais et lui fait faire des
synthèses d'extraits de livres. Al' âge où Émile ne
savait pas encore lire, Germaine aura lu "toute une
bib1iothèque 38 ". Toutefois, elle ignore ce qui concerne
le développement physique de l'enfant. "L'exercice, la
promenade, tout ce qui amuse et fortifie les enfants
n'entrait pour rien dans le plan de Mme Necker; aussi sa
46.
fille savait danser et non pas courir; elle récitait Les
Saisons de Thomson et ne distinguait pas bien sûrement une
jacinthe d'un~ tUbéreuse39
". Le salon de Mme Necker où se
réunit "une élite de noms et de talents, de gloires
politiques, littéraires et mondaines 40 " est la salle de
récréation de Germaine. Chaque vendredi, Germaine prendra
sa place sur un tabouret au pied du fauteuil de sa mère.
Lorsque les visiteurs s'approchent de la maîtresse de
mal.son pour la saluer, ils bavardent un instant avec l'enfant.
Germaine est en termes familiers avec les habitués du salon.
Parmi les noms célèbres qui représentent "la société la
plus spirituelle et distinguée de paris 41 ", on note Diderot,
d'Alembert, Gibbon, Buffo~, d'Holbach, Marmontel, l'abbé Reynal
<f" 1
47.
et des étrangers~ Grimm, Franklin et Jefferson. Sa mère
correspond avec Voltaire qui lui adresse des vers et l'a
baptisée du nom d'Hipatie.
Aux réunions de Mme Necker, on discute et analyse
l'amour. L'amour est 1.e thème des romans préférés de
Germaine adolescente. Les 0 euvres de Rac ine, Richar dson
et Rousseau contribuent à son éducation sentimentale.
L' amou r es t sur tou tes les 1. èvres, mais Germaine es t privé e
d'affection. Lors d'une absence de sa mère,
Germaine lui écrit la 1.ettre suivante. Elle a 13 ans:
Ma chère maman, j'ai besoin de vous écrire, mon coeur est resserré; je suis triste, et, dans cette vaste maison qui renfermait, il y a si peu de temps ce qui m'était cher, où se bornait mon univers et mon avenir, je ne vois plus qu'un désert. Je me suis aperçue pour la première fois que cet espace étai t trop grand pour moi, et j'ai couru dans ma petite chambre pour que ma vue pû contenir le vide qui m'environnait. Cette abseQce momentanée m'a fait trembler sur ma destinée 42 •
La ré panse de Mme Necker es t dénué e de sen timen t:
Ton style est un peu trop monté. Ne sors point au-dehors de toi pour me louer et me caresser. C'est un dé fau t de goû tasse z commun à ton âge. Quand on a plus vécu, on s'aperçoit que la véritab le manière de plaire et d'in téres s er es t de pe indre exac t ement sa pensée s ans charge et sans emphase ••• T a le t t re à ton père était simple et bien 43 •
Déchirée non seu1.ement entre la tension émotive et
l'activité intel1ectue1.le constante, mais aussi entre l'éclat
du monde et l' aus téri té religieuse de sa mère, Germaine
tombe sérieusement malade. Elle manif es t e les
symp tômes d'un "é ta t de cyc10 thimie; pér iodes de langueur
48.
al te rnant avec une exci ta tion nerve us e 44" . Le docteur
Tronchin prescrit le repos absolu et un séjour à la
campagne. Ainsi le rôle de Mme Necker dans l'éducation
de Germaine se termine. Lorsqu'on croyait lui faire un
compliment sur l'esprit brillant de sa fille, Mme Necker
répondait: "Ct:! n'est rien, absolument rien à côté de ce
que je voulais en faire 45 ".
Aux yeux de ses contemporains, Germaine est une
enfant prodige. Aux environs de 1788, elle compose des
pièces de théâtre dont une comédie intitulée Les Inconvénients
de Paris. Henri Meister la résume et la fait publier dans
la Correspondance littéraire46 qu'il rédige avec Grimm.
Leur journal a une grande diffusion, jusqu'à la cour de
Cathe rine II.
Son éducation, ses discussions avec les philosophes
au salon de sa mère avaient fait de Germaine une "idéologue,
femme de conversation mondaine, femme de sentiment exalté47
".
Le commentaire de Benjamin Constant éclipse cette observation:
"Enfin, c'est un Être à part, tel qU'il s'en rencontre
peut-être un par siècle, et tel que ceux qui l'approchent,
le connaissent et sont de ses amis, doivent ne pas exiger
d'autre bonh~ur .•• Si elle avait su se gouverner, elle aurait
gouverné le monde48
".
L'image du suicide "traverse l'oeuvre entière49
" de
Mme de Staël et dans ses Réflexions sur le suicide, elle
analyse l'origine de sa mélancolie. Elle reconnatt l' exis tence
r
49 •
dans sa personnalité de deux forces, à savoir, les
facultés dont la richesse débordante exige l'expansion la
plus libre et la plus vaste,et le sentiment de l'incomplet
qui la pousse au désespoir et a pour effet "la totale
impossibilité d'en rester à l'existence personnelle isolée 50"
Puisque le bonheur le plus sûr consiste dans la parfaite
au tonomie et dans l' indépendanc2 intérieure, la vie de
Mme de Staël, "incapable de ne tenir qu'à soi et de ne se
tenir que de soi, n'est pas faite pour le bonheur SI ".
D'une part, la générosité la pousse à se donner aux
autres et d'autre part, l'avidité la pousse à vouloir posséder
autrui et à être possédée par eux. L'utopie de Mme de StatU
est "d'aimer sans mesure et être aimé sans mesure, se
déposséder en autrui, pour recevoir en retour le don total
d'une conscience fascinée ••• tel est l'idéal passionnel qui •.•
ne peut que faire surgir sans fin la suspicion et la St" terreur •
don t la 53
formule serait "l'attachement ou la mort ".
Pour Mme de Staël et pour ses hérolnes, l'univers que
l'amour avai t élargi "se retrouve rédui t à la d imens ion
étriquée . 54" de la conscience solita1re • Mme de Staêl sera
condamnée à revivre "un nombre incalculable de fois la réaction
d , b d t d' ~ 1 i d id . -. 55" a an on, e eprouver a rena ssance u v e 1nter1eur .
Dans l'oeuvre de Mme de Staël, il y a plusieurs
figures maternelles qui évoquent les aspects les plus sévères
et les plus injustes de Mme Necker. Ces femmes ne sont pas
", .'
50.
les mères des héroïnes, qui sont d'ailleurs orphelines,
mais la mère de l' homme aimé, ou la seconde femme du père.
Leur place dans la constellation familiale est telle qu'on
n'éprouve pour elles aucun amour et on peut les décrire
sans scrupule. Elles assument le mauvais rôle en séparant
ceux qui s'aiment. Corinne, adolescente, sera imcomprise
par une belle-mère raidie qui l'empêchera
de s'unir à Oswald. La mère de Léonce, dure et autoritaire,
et Mme de Ternan, sa soeur et supérieure de couvent,
combineront leurs efforts pour empêcher l'union de Léonce
avec Delphine. Dans Delphine, Mme de Vernon est pour l'héroine
une sorte de mère-amie, mais perfide et frustrante. Auprès
d'elle, Delphine est toujours une suppliante dont la soif
d'affection ne sera pas comblée. Toutes ces femmes contribuent
à la perte de ceux qu'elles ont mal aimés.
La liaison de Mme de Staël et de Narbonne, son premier
amant, ne fait qu'exacerber la tension entre Mme Necker et sa
fille. Dans une lettre à Narbonne, Mme de Staël exprime son
ressentlment à l'égard de ses parents: "Ma mère lui reproche
(à son père), l'Evangile à la main, ce qu'elle appelle son
indulgence pour moi, et il croit s'acquitter envers Dieu et
elle en me prodiguant les expressions de vice et de honte. Je
me suis révoltée dans tout mon être5611 . La réalité sous-tend
la fiction. La rupture entre Mme Necker et sa fille est
irrémédiable. En 1794, Mme Necker meurt sans se réconcilier
avec Mme de Staël.
f ...
51.
L'affection, l'estime, la bienveillance et l'amour
qui manquent dans les rapports de Mme Necker avec Germaine,
elle va les trouver dans ses rapports avec son père, un
des hommes les plus riches de France, qui l'adore. A dix-
neuf ans, Germaine est amoureuse de son père. Elle écrit
en 1785:
D'où vient que quelquefois je lui trouve des défauts de caractère qui nuisent à la douceur intérieure de la vie; c'est qu'il voudrait que je l'aimasse comme un amant et qu'il me parle pourtant comme un père. C'est que je voudrais qu'il m'aimât comme un amant et que j'agis pourtant comme une fille. C'est le combat de ma passion pour lui et des penchants de mon âge dont il voudrait le sacrifice entier qui me rend ma1heureuse ... De tous les hommes de la terre, c'est lui que j'aurais souhaité pour amant; qu'il faut qU'il soit distingué pour que sans amour je le trouve digne de l'amours7 .
Une lettre écrite en 1803 d'Allemagne témoigne de la
tendresse de Germaine pour son père et de son emprise sur
elle:
Tout mon être n'est-il pas empreint de toi? formé par toi? Quand je reçois un billet, je pense à te l'envoyer; quand je fais des vers, je veux que tu les voies; quand j'acquiers ici des nouvelles, je pense au plaisir de te les rapporter, d'en causer avec toi, de me disputer de me raccomoder 58 .
Elle l'aimera toujours. D'autres individus disparaissent
de sa vie; lui, non. Dans les Considérations, publiées après
sa mort, elle affirme:
1
. '
Tout ce que m'a dit M. Necker est ferme en moi comme le rocher; tout ce que j'ai gagné par moimême peut disparaître, l'identité de mon être est dans l'attachement que je garde à sa mémoire. J'ai aimé qui je n'aime plus; j'ai estimé qui je n'estime plus; le flot de la vie a tout emporté, excepté cette grande ombre qui est là sur le sommet de la montagne, et qui me montre du doigt la vie à venir 59 .
La gloire qui entoure le nom de son père et la
grandeur de son rôle auprès du Roi le placent encore plus
haut dans l'estime de sa fille. Dans un portrait qu'elle
fait de lui en 1785, il apparaît comme "roc élevé, chêne
52.
dominant la foule •.• supérieur à tous, mattre de lui, belle
âme qu'afflige l'injustice et que relève la bonté60 ". Aucun
homme ne l'égalait. En 1810, M~e de Staël dira: "J'étais
née sous les rayons de la gloire de mon père et j'ai trouvé
qu'il faisait froid à l'ornbre6l ". La passion de la gloire
chez Mme de Stail vient de l'influence de son père et, sGrement,
a inspiré sa vision de la femme-artiste accomplie et acclamée.
En apparence, rien ne dérange la parfaite harmonie
qui existe entre père et fille. Cependant, un petit nuage
assombrit l'horizon. M. Necker désapprouve l'habitude d'écrire
chez la jeune Germaine et il l'appelle "Monsieur de
Sainte Ecritoire52 ". Déjà, il a mis un terme aux efforts de
Mme Necker de faire un travail de recherche sur Fénelon, et
par conséquent, Germaine écrit debout, s'appuyant sur une
cheminée en faisant semblant de ne pas écrire, pour ne pas
provoquer une pareille interdiction • Ce n'est qu'après
53.
t l'énorme succès de Corinne que Mme de Staël s'est donnée
un grand bureau pour écrire. En Mme de Staël se livre un
combat. Non seulement la société est contre les femmes-
écrivains, mais son père aussi. Corinne symbolise la lutte
entre le génie et la société quand l'être exceptionnel est
une femme.
M. Necker apparaît sous différents déguisements dans
les romans de Mme de Staël. Dans Delphine, le mari de
Delphine l'a élevée et l'a épousée pour la protéger, sans
être véritablement un mari. Le père de Mme de Cerlèbe, qui
tient près de sa fille et de ses petits-enfants le rôle
du mari et du père, est une représentation peu dissimulée du
"couple" Necker-Mme de Staël. Les enfants de Mme de Staël
donnaient le nom de "père" il leur grand-père: inconsciemment
peut-être, Mme de Staël confie la paternité de ses enfants à
son père. Le père d'Oswald domine la vie de son fils comme
Necker celle de sa fille. Mme de Staël avait l'habitude de
faire lire des passages des sermons de Necker chaque dimanche
à ses enfants. Oswald trouve un manuscrit de Lord Nelvil
(une page du Cours de morale religieuse de Necker), lequel
rlpvp.lonnp cprtAinQ nri~cipes ~ ~ i fili ,u \...evo r al, ce qui exacerbe son sentiment de culpabilit~. Corinne, le poète, avoue:
"L'ange gardien des enfants, c'est leur père 63". Lord Nelvil
manifeste les qualités et les traits de caractère décrits
par M. Necker dans son Cours de morale religieuse: bienveillance,
tendresse inquiète. Pour sa fille, M. Necker est un héros qui
54.
réunit "un touchant mélange de toutes
les belles qualités des hommes .... force, charme, génie,
bonté, impétuosité64 ". Aucun héros de Mme de Staël n'égale
l'image qu'elle a de son père. Il Y a une fa~bLes~e,
un manque fondamental, dans le caractère de Léonce de
Mondoville et celui d'Oswald qui les empêche de s'unir ~ la
femme désirée. Léonce est dominé par sa mère qui le
sépare de Delphine. Germaine rivalise avec sa mère pour
l'affection de son père. Malgré la mort de son père,
Oswald est hanté par le souvenir de ce dernier. Il a
désobéi à son père qui est mort sans lui avrtr pardonné.
Par conséquent, Oswald est plus lié par le mort qu'il
ne l'avait été par le vivant. Poussé par une force
intérieure, Oswald exécute les volontés paternelles et
abandonne Corinne. Il se sent coupable, étant loin de son
père lorsque celui-ci meurt. De même, Mme de Staël est en
Allemagne quand M. Necker meurt. Elle ne se pardonnera pas
cette absence involontaire. Ainsi, l'image du père est
présente dans Delphine et elle domine dans Corinne. Mme de
Staël rend hommage au père vivant dans Delphine et au père
défunt dans Corinne.
Le mariage
Le 14 janvier 1786, lorsqu'elle a dix-neuf ans,
Germaine épouse Eric Magnus de Stae1-Holstein, ambassadeur à
Paris de Gustave III, roi de Suède. M. de Staël répond aux
l 55.
exigences des Necker. Il est protestant, noble et réside
à Paris. Né en 1749, il a dix-sept ans de plus que Germaine;
il a mis sept ans pour gagner sa main, mais dès le début,
le mariage est voué à l'échec. Leurs tempéraments et leurs
intelligences sont mal assortis: elle est fougueuse, lui.,
flegmatique. Germaine n'a pas d'illusions vis-à-vis de ce
mariage. En 1785, elle confie ses sentiment3 à propos de
son futur conjoint à son journal:
c'est un homme parfaitement honnête, incapable de dire ni de faire une sottise, mais stérile et sans ressort; il ne peut (me) rendre malheureuse que parce qu'il n'ajoutera pas au bonheur et non parce qu'il le troublera ••.. M. de Staël est le seul parti qui me convienne 6S •
L'adoration de Germaine pour son père compte pour
beaucoup dans son attitude à l'égard des hommes. Germaine
dansait avec son fiancé, Staël, et M. Necker les a interrompus
disant à Staël qu'il allait lui montrer comment danser avec
une femme dont on était amoureux. Bouleversée par la
tendresse et la galanterie de son père à son égard, Germaine
s'est sauvée et a fondu en larmes.
En jouant le rôle du père et de l'amant, et en l'aimant
de façon constante et parfaite, M. Necker a donné à Germaine
le désir insatiable de posséder ce genre d'amour. Elle cherchera en
vain toute sa vie cet amOur impossible, hantée par le souvenir
d'un bonheur vécu mais impossible à retrouver 66 •
Une fille, Gustavine, nait le 31 juillet 1787, mais
elle meurt à dix-huit mois. Le mariage permet à Mme de Staël
,de faire son entrée officielle dans la société et de se
.....
56 •
libérer de la tutelle de sa mère. Elle est présentée en
tant qu'ambassadrice de Suède à la cour de Louis XVI.
L'échec du mariage est considéré par Mme de Sta~l
le pire des malheurs pour une femme. Elle fera dire à
Delphine: "c'est du mariage que doivent dériver toutes
les affections d'une femme; et si le mariage est malheureux,
quelle confusion n'en reste-t-il dans les idées, dans les
devoirs, dans les qualités mêmes 67 ". Elle examine le
thème de l'union parfaite dans l'exemple des Lebensei et
des Belmont. Leur bonheur est acquis grâce à une force
morale qui leur a permis d'ignorer la censure et l'intolérance
d'une société réactionnaire:
Les plus touchants exemples d'amour conjugal ont été donnés par des femmes dignes de comprendre leurs maris et de partager leur sort, et le mariage n'est dans toute sa beauté que lorsqu'il peut être fondé sur une admiration réciproque 68 .
Pour la réussite du mariage, la femme, semble-t-i1,
assume la plus grande responsabilité. Elle doit faire preuve
de tolérance, de générosité et de compassion.
Ce s~nt les femmes surtout qui ont le don de se dévouer aux autres et à l'être aimé •.. Si les femmes s'élevant au-dessus de leur sort, osaient prétendre à l'éducation des hommes; si elles savaient dire ce qu'ils doivent faire; si elles avaient le sentiment de leurs actions, quelle noble destinée leur serait réservée69 .
Les héroines de Mme de Staël, Delphine et Corinne,
initient les hommes qu'elles aiment à une vie intérieure plus
riche. Dans son oeuvre, Mme de Staël revient constamment à
l'importance de l'éducation des femmes. C'est un outil au moyen
t
(
57.
duquel la société progresse plus vite. Cette revendication,
essentiellement "féministe", sera reprise par Simone de
Beauvoir, chef de file des féministes modernes.
c) Son rôle dans la politique (Narbonne, Ribbing, Talleyrand, Constant), son exil.
La vie de Mme de Staël à cette époque est un éclatant
spectacle où les affaires du coeur et le monde de la politique
constituent une seule et même chose. Elle obtient, durant
une des périodes les plus mouvementées de l'histoire, des
ministères importants pour Narbonne, Talleyrand et Constant.
Malgré le succès de ses efforts sur la scène politique,
l'amour de Mme de Staël pour Narbonne s'avère une douloureuse
déception, Ribbing l'abandonne et Talleyrand paie sa
générosité d'ingratitude. Elle est, d'ailleurs, la cible
d'attaques, non seulement d'une presse à la solde du pouvoir,
mais aussi, du boucher Legendre qui la dénonce à la Convention.
Par la suite, le gouvernement la proscrit. Delphine et Corinne
sont dominés par l'angoisse profonde de l'auteur. Nos
commentaires sur cette période de la vie de Mme de Staël visent
à éclairer le drame des romans.
En 1788, à la fin du mois d'août, le rappel de M. Necker
au ministère change la vie de Mme de Staël. En novembre, lors
de l'Assemblée des Notables, elle quitte la rue du Bac pour
s'installer avec son père à Versailles. Prise dans le
tourbillon des affaires de la haute politique, Mme de Staël
devient une puissance. Parmi ses admirateurs figurent Alexandre
de Lameth, Stanislas de Clermont-Tonnerre, Ta11eyrand, Mathieu de
Montmorency et le comte Louis de Narbonne. Narbonne, célèbre libertin.
59.
connu pour ses dissipations, sa prodigalité et ses liaisons
scandaleuses, possède toutes les grâces. La rumeur circule
que Narbonne, de lignée noble, est un bâtard de Louis XIV.
Son avenir dans l'armée ou dans la diplomatie semble assuré car
il est orotégé à la Cour par Mme Adélaide, tante du roi. Il est A~Rez
connu pour inquiéter Mme Necker qui interdit à Germaine de
le recevoir. Germaine tombe éperdument amoureuse de
Narbonne; leur liaison dure cinq ans, produit deux enfants
et Germaine en sera p~ofondément marquée.
A l'exception de leur ambition, Narbonne et Mme de
Staël ont très peu en commun. Avide de gloire, Mme de Staël
veut laisser sa marque sur la sc~ne politique. Au départ,
se déclarant pour la gaucne, elle convainc Narbonne de la
suivre. Au fur et à mesure que la Révolution adopte des
vues de gauche de plus en plus extrêmes, Mme de Staël,
toujours constitutionnelle, devient centriste. A la fjn de
1791, grâce à leur effort, Narbonne obtient le portefeuille
de la guerre. Piquée peut-être, 'Marie-Antoinette écrit à
Fersen: " ... que1le gloire pour Mme de Staël et quel p1aibi.r
pour elle d'avoir toute l'armée à'ellp!70"
Dans son nouveau posLe, Narbonne s'engage par tous
les moyens à montrer son génie en affermissant les cadres de
l'armée pour assurer la défense de la patrie et en convainquant
le roi et le gouvernement de son désir sincère de faire
établir une monarchie constitutionnelle. L'instabilité de
la situation empire. L'Assemblée, de moins en moins modérée,
f entre en conflit avec le Conseil du roi, dont la majorité
est montée contre Narbonne qui ne se maintient que trois
mois, la faiblesse de Louis XVI et l'ambition de la gauche
rendant impossible l'établissement d'une monarchie
constitutionnelle.
60.
Pendant le ministère de Narbonne, Mme de Stnê1 se
dévoue à lui et paie les dettes qu'il a contractées. Une
riche propriété à Saint-Domingue, qui fait partie de la dot
de la comtesse Louise, la femme de Narbonne, a brûlé.
Narbonne est accusé par ceux qui ignorent l'intervention de
Mme de Staël, d'avoir puisé aux caisses de son ministère.
Sans attendre que l'examen de ses comptes ministériels
soit achevé, Narbonne sollicite l'autorisation de rejoindre
son régiment. Le lendemain de la déclaration de guerre,
l'Assembl,~~ lui accorde la permission demandée, mais aussitôt,
Narbonne et le parti constitutionnel subissent les attaques
de la droite et de la gauche. Revenu des frontières à Paris,
Narbonne se trouve dénoncé par la commune de Paris et décrété
d'arrestation. Mme de Staël a très peur pour lui, la populace
parisienne ayant envahi les Tuileries et les massacres ayant
commencé. Il se cache à l'ambassade de Suède. Grâce au sang-
froid et à l'intelligence de Mme de Staël, il réussit à
s'échapper. Déguisé en charretier et conduisant un tonneau
d'eau, il franchit les barrières de Paris et gagne l'Angleterre.
Le soir même de sa fuite, Mme de Staël apprend la mort affreuse
de Stanislas Clermont-Tonnerre. Arrêté le matin chez lui et
( 61.
puis remis en liberté, il est pris à partie par la populace
qui le poursuit jusqu'à l'Abbaye-aux-bois. Il a été blessé
à coup de faux avant d'être jeté d'une fenêtre du quatrième
étage. Dans ce climat dangereux, Mme de Staël n'hésite
pas à aller plaider la cause de Jaucourt et de Lolly-Tollendal,
enfermés dans la prison de l'Abbaye. On les libère. Peu
de jours après, ignorant le danger qu'elle court, Mme de
Staël part pour la Suisse en grand équipage. Une populace
furieuse saisit l'équipage et l'emmène devant Robespierre.
Mme de Staël sera libérée et partira pour la Suisse mais
l'attente de six heures est rendue plus effrayante par le
spectacle des égorgeurs qui reviennent tout sanglants des
prisons. S'ensuivent trois mois à Coppet et en janvier 1793,
Mme de Staël rejoi~t Narbonne en Angleterre. Quatre mois plus
tard, elle retourne en Suisse. A mesure que les lettres
de Narbonne se font plus rares, le ton de celles de Mme de
Staël devient de plus en plus désespéré, incohérent
et violent:
Je ne vis encore que pour vous dans ~et horrible monde; je vous jure qu'à l'instant où ce lien serait rompu, toute mon existence serait anéantie, et que cette affreuse révolution qui accoutume si bien à la mort me rendrait au moins le service d'étouffer cet instinct physique qui survit au désespoir moral. Mon ami, mon unique ami, ce que je perds, ce que je retrouve, tout me fait sentir que toi seul es à la fois le bonheur, le repos, la vie. Je ne sais plus comment exprimer ce qui surpasse toutes les sensations connues, et je crains de vous avoir déplu par l'excès même de mon sentiment pour vous 7l .
r \
62.
L'attitude de Mme Necker ajoute aux souffrances et 3U
sentiment de culpabilité de sa fille. En mars 1794, Germaine
écrit à Narbonne:
••.. Ma mère avait failli mourir pendant la nuit d'un étouffement horrible; elle m'a fait demander, elle m'a dit: "Ma fille, je meurs de la douleur que m'a causée votre coupable et public attachement; vous en êtes punie par la conduite de son objet envers vous; elle rompt ce que mes prières n'ont pu vous faire abandonner. Ce sont les soins que vous rendrez à votre père qui vous obtiendront mon pardon dans le ciel. Ne me répondez rien, sortez, je n'ai pas la force de disputer dans ce moment 72 .
A la fin du mois de mai 1793, Mme de Staël rencontre
le comte Louis Adolphe de Ribbing. Attirée par sa beauLé,
elle est séduite par ses qualités d'esprit et son idéalisme.
Dans l'âme de Ribbing, elle trouve son propre reflet et
son idéal du héros. C'est un homme fier, intrépide et
altruiste. En même temps, il est doux, sensible, passionné
et galant.
Quand il rencontre Mme de Staël, Ribbing, né le
10 janvier 1765, a vingt-neuf ans. Deux ans auparavant, il
a été condamné à mort puis gracié et banni pour son active
participation au complot qui aboutit à l'assassinat de
Gustave III. Ses idées républicaines et son désir de
servir la cause de la liberté sont les mêmes qui ont animé
la jeune noblesse française de 1789, les amis de Mme de
Staël, et il est certain que dans cette perspective, il a
exercé une grande influence sur ses idées.
( L'amour et la politique s'harmonisent chez Mme de
Staël et elle épouse les idées républicaines de son amant:
Je désire la république si je vis, si j'existe en vivant, comme le seul gouvernement qui puisse et vous convenir èt ne pas déshonorer la France ... Je n'ai jamais manqué de prendre les opinions de l'objet que je préfère. Ainsi tous mes amis ne cessent de ~épéter que je n'ai que les vôtres et ils ont raison 7 .
63.
Encore une fois, les événements politiques contribuent
à séparer les amants. Considérp comme un criminel par les
hommes de son milieu pour sa participation à un assassinat
politique et condamné dans son pays, Ribbing refuse de
reprendre le service, de rentrer dans la vie active. Le
spectacle de la Terreur augmente en lui le dégoût et le
guérit pour l'instant de la politique. Avec le temps, il
S'éloigne de Mme de Sta~l.
Cet homme à la fois courageux et sensible, c'est
Léonce dans Delphine et Oswald dans Corinne. Il est immortalisé
par Gérard dans le grand tableau, "Corinne au Cap Misène",
commandé par Mme Récamier pour le prince de Prusse:
Corinne assise sur un rocher, sa harpe à la main, improvise en écoutant les voix de la terre et du temps. Devant elle Oswald à la fois vainqueur et soumis, fier et doux, profile sur le volcan ef éruption la silhouette mâle du parfait héros 7 •
En septembre 1794, Mme de Staël rencontre Benjamin
Constant. Elle est tout de suite conquise par le brillant
de son esprit et de ses idées. Commence alors une liaison
mouvementée et enivrante car, vivre avec Mme de Staël, c'est
• ->
64 •
"cette agitation, ce pittoresque et ce fracas d'une
comédienne en tournée 75 ". A plusieurs reprises, Constant
tentera d'échapper au joug de Mme de Staël. Il note en
janvier 1803: "Il Y a eu dans son père, dans ses amis, il
y a eu dans son mari tension perpétuelle l d~gager leur vie
de la sienne 76 ". Sur cette toile de fond color~e, Mme de
Staël et Constant, au fil de leurs discussions et je leurs
activités sur la scène politique, élaborent les principes
fondamentaux du libéralisme.
Le 25 mai 1795, cinq jours après les massacres des
ouvriers du 1er Prairial, Mme de Staël arrive à Paris,
accompagnée de Constant. La Terreur a cessé mais Paris
ressemble à une ville en état de siège - des quartiers
abandonnés, les grands hôtels de l'aristocratie confisqués
et à vendre, des églises dépouillées de leurs statues, des
pavés couverts de vêtements, de meubles et de linge à
vendre. Le peuple meurt de faim, on se suicide ou on vole
pour mp..nger.
En dépit de son affiliation républicaine, les
activités de Mme de Staël sont suspectes aux yeux de la
presse et des services diplomatiques français qui l'ont
surveillée lors de son séjour en Suisse. On dit qu'elle était
l'un des directeurs d'un club de constitutionnels, form~
en Franche-Comté et ayant ses "directeurs" en Suisse.
En outre, on rapporte que MM. de Jaucourt et de Narbonne
ont collaboré avec elle à la publication de ses
65.
"Réflexions sur la paix adressées à M. Pitt et aux Francais 77 ".
L'allusion à des constitutionnels sert à attribuer à Mme de
Staël des idées politiques subversives, par elle dépassées,
en la rangeant parmi les adversaires de la République. Ainsi,
dans une atmosphère qui lui est hostile, elle s'installe
rue du Bac et aussitôt, plonge dans la mêlée politique.
Elle reçoit les hommes de tous les partis et de toutes les
nuances politiques - les derniers Girondins, les Thermidoriens,
les Conventionnels et les Royalistes. En même temps que
tout ce va-et-vient, le Comité des Onze, chargé de préparer
la nouvelle Constitution, se réunit chez elle. Mme de Staël
suit de près sa rédaction et intervient par ses conversations
et par ses écrits.
La nouvelle Constitution prévoit un directoire
exécutif de cinq hommes, élu par le Conseil législatif
tout entier, c'est-à-dire, le Conseil des Cinq Cents et
celui des Anciens. Il Y a cependant une faiblesse. Par
méfiance d'un exécutif fort, rien n'est prévu pour régler
les conflits entre le Directoire et les deux chambres,
ce qui provoquerait des situations impossibles à résoudre
sans autre recours que le coup d'Etat. Il Y a aussi
une loi dans la Constitution qui exige de nouvelles
élections. Les Conventionnels sortants décident d'assurer
leur retour au pouvoir en prévoyant que deux tiers d'entre
eux devraient obligatoirement faire partie de la future
assemblée. C'est à ce moment que Constant publie dans les
..... _------------------------- ----~~
l
Nouvelles politiques trois lettres ~ un d€pute sortant
dans lesquelles il proteste contre la situation.
Ces lettres suscitent de violentes r€actions de l~
gauche tandis que les royalistes, dont la liberté des
élections assureraient le triomphe. les approuvent.
D'allégeance politique républicaine, Constant regrette
d'être allé si loin. Il publie dans le Républicain
66.
français un article où, sous prétexte de plaider la cause
de ceux qui avaient quitté la France durant la Terreur, il
critique les émigrés et proclame que "tous les Français
doivent se rallier ~ la République 78 ".
En même temps, Mme de Staël publie ses Réflexions sur
la paix int€rieure. Elle y fait appel aux républicains et
aux royalistes pour s'unir derrière la République. Comme
Constant, elle condamne les Français portant les armes contre
leur patrie. Cependant, la compassion et la pitié de Mme
de Staël pour les malheureux font qu'elle intervient en
faveur des Français faits prisonniers à Quiberon par le
général Humbert et condamnés à être fusillés par ordre du
Comité du Salut public.
Le 18 août 1795, le député Legendre, dénonce Mme de
Staël, "en pleine séance de la Convention 79 ". Son
avertissement aux autres députés de dtner en famille ou avec
leurs collègues, et de fuir les "banquets de sirènes
enchanteresses80 ". a un côté comique mais Legendre lance une
accusation sérieuse, car il dénonce en Mme de Staël la
(
(
67.
"plus grande protectrice des émigrés" et leur "correspondante8l ".
Pour se faire oublier par le gouvernement, Mme de Staël
quitte Paris et s'installe à Ormesson chez Mathieu de
Montmorency.
Le 5 vendémiaire (le 27 septembre 1795), les royalistes
se soulèvent et Bonaparte, appelé par Barras, mate la révolte.
Aussitôt la paix rétablie, le gouvernement expulse Mme de
Staël de France.
Pendant l'hiver de 1795, Constant rédige avec la
collaboration de Mme de Staël, De la force du gouvernement
actuel dont il avait exposé les idées principales dans un
article du Républicain français du 24 juillet 1795, à savoir,
"approuver la constitution, soutenir le gouvernement et
ramener l'ordre en France par une adhésion sincère à la
république en écartant les extrémistes de droite et de
gauche 82 ".
En dépit d'un mandat d'arrêt émis sur sa personne
par le Directoire, Mme de Staël retourne en France avec
Constant et s'installe à Hérivaux, une ancienne abbaye, assez
proche de Paris pour s'y rendre sans difficulté, mais assez
éloignée pour ne pas être troublée par la police; elle y
reste jusqu'à la fin d'avril 1797.
En mars 1797, la victoire électorale des royalistes
suscite des craintes d'un retour à la monarchie chez les
républicains. Pour remédier à cette éventualité, un
groupe de modérés forme le Club Constitutionnel, (le club
68.
de Salm) auquel la doctrine de Constant sert de manifeste:
"les acquis de la Révolution, sans ses excès, c'est-à-dire,
la liberté politique et la garantie des propriétés achetées
depuis 1789 83 ".
Le 28 thermidor (le 15 août 1797) le Directoire
révoque certains ministres, "partisans de la liberté
religieuse et de la suppression du serment civique imposé
aux prêtres 84 ". Pour résoudre le conflit qui s'ensuit,
le Directoire renvoie quelques députés des deux parties.
La réaction est telle que le Directoire, craignant une
révolte des Conseils, concentre 30 000 soldats autour de
Paris, commandés par le général Augereau, envoyé d'Italie
par Bonaparte. Le Directoire fait circuler la rumeur selon
laquelle les Royalistes préparaient une "Saint-Barthélemy de
patriotes 35 " .
De son côté, Mme de Staël fait de son mieux pour
rallier derrière la République des hommes modérés de droite
et de gauche, attirant chez elle quotidiennement un défilé
de ministres du Conseil, d'hommes politiques, d'écrivains
et de diplomates, "des plus influents et des plus influençablesq~".
Son but est de parvenir à la formation d'une majorité
républicaine assez forte pour résister aux royalistes et
soutenir le Directoire qui risque de vaciller sous les
coups des Jacobins dont le succès entrainerait une nouvelle
Terreur.
(
(
69.
En cette même année, Talleyrand, ami de Mme de
Staël et à qui elle a prêté 25 000 livres, bat le pavé
. depuis son retour des Etats-Unis. Mme de Staël veut
l'aider et va chez Barras à plusieurs reprises lui solliciter
un poste dans le gouvernement. Elle demande à Barras de
former un nouveau conseil avec des membres du club de
Salm et de donner à Talleyrand un poste. Mme de Staël
fait un plaidoyer digne d'une comédienne dans une tragédie
grecque - elle supplie, pleure, déploie toute son éloquence,
tombe en convulsions enfin pour obtenir le portefeuille
et un nouveau conseil. Elle y réussit très bien. Le
Conseil des Ministres se trouve congédié et remplacé, et
Talleyrand reçoit le portefeuille des Relations Extérieures.
Parmi les ministres congédiés se trouvait Cochon qui avait
signé un mandat d'arrêt contre Mme de Staël.
Plus tard, Talleyrand oubliera la générosité de
Mme de Staël, et lorsque Bonaparte la persécutera, il
cessera de la voir. En 1814, retrouvant Barras, Mme de
Staël évoquera l'ingratitude de Talleyrand et lui confiera:
.•. Je lui étais insupportable, comme Agrippine le fut à Néron •• Je lui avais donné du pain, à la lettre mon cher Barras, avant que vous ne l'ayez fait ministre à ma recommendation; que n'avais-je fait pour lui? Rappelez-vous mes importunités? Et! bien, s'il avait pu me traiter comme Agrippine l'a été par Néron, s'il avait pu me submerger au moyen d'un bateau à soupape, comme celui d'Anicet, il l'aurait fait, il le ferait encore, et pourquoi? Parce que je lui ai donné du pain et que je l'ai fait ministre 87 .
~ , ,
70.
On connaissait l'opinion de Mme de Staël à l'égard
de Talleyrand et on n'avait pas de difficulté à reconnartre
ses traits dans le portrait de Mme de Vernon, dont la
fausseté se cache sous le masque de l'indolence et de
l'amabilité. On disait, semble-t-il, en rendant visite à
Talleyrand: "Allons voir Mme de Vernon38 ".
La crise du 28 thermidor (le 15 août 1797) menace
d'exploser en coup d'Etat lorsque la rumeur circule que les
Conseils veulent mettre Barras en accusation. Barras réagit
rapidement. Dans la nuit du 17 au 18 fructidor (le 3 au
4 septembre 1797) il fait arrêter ses collègues, Carnot ct
Barthélemy. Augereau cerne le Corps législatif tandis que
les troupes, mandées de province, investissent Paris. En
quelques heures, tout est fini. Le régime consolide son
pouvoir par des mesures draconiennes qui ram~nent la France
à la situation de 1793. Les députés suspects de royalisme
sont enfermés au Templ~ et déportés en Guyane, les opérations
électorales sont annulées dans quarante-neuf départements,
et les électeurs sont obligés de prêter serment de haine
contre la royauté. On remet en vigueur les lois contre les
émigrés, ce qui suscite une nouvelle vague d'émigration.
Mme de Staël fait de son mieux pour sauver celles des victimes
qui sont de ses amis, malgré un risque considérable. Outre
71.
les frères Lacretelle, elle sauve Jacques de Norvin, un
de ses amis de Coppet, arrêté le lendemain du 18 fructidor,
et menucé d'@tre fusillé en plaine de Grenelle après une
parodie de jugement. Prévenue de son arrestation, Mme de
Staël "s'arrache de son lit, se jette dans sa voiture et
se fait conduire à toute la vitesse de ses chevaux 89 "
jusque chez le général Lemoine. Elle le supplie de toute
son éloquence et obtient l'ordre de surseoir à l'exécution.
L'épisode tragique où Delphine essaie d'obtenir du juge de
Chaumont qu'il relâche Léonce emprisonné, évoque ces
événements.
En novembre 1799, le soir du coup d'Etat du 18
brumaire, et la prise du pouvoir par Napoléon, Mme de Staël
et Constant retournent à Paris. Sur les instances de
Mme de Staël auprès de Joseph Bonaparte, Constant est nommé
au Tribunat. Dans son premier discours, Constant signale
son opposition à la loi que Napoléon vient de promulguer,
qui, en effet, réduit au silence l'opposition. Il proclame
que s.a. l'indépendance du Tribun est compromise, "il n'y
aurait plus ni harmonie, ni Constitution; il n'y aurait
que servitude et silence 90 ". Personne n'est prêt, à ce
moment critique de l'histoire, à entendre parler de liberté.
Les journaux protestent contre la nomination de Constant au
Tribunat et attaquent Mme de Staël en l'enjoignant de
retourner e~ Suisse. Irrité, Napoléon gronde publiquement
son frère, Joseph, d'être allé chez Mme de Staël. Le soir
72.
même, par crainte de Napoléon, aucun des conviés n'a
assisté au dîner de Mme de Staël. Dès lors, le
harcelement de Mme de Staël commence. En janvier 1802,
agacé par l'opposition dans le gouvernement, Napoléon
prononce la radiation du Tribunat de Constant et de dix-
neuf autres députés. Constant passe les treize années
suivantes en exil.
Entre décembre 1804 et juin 1805, Mme de Staël voyage
en Italie. Elle découvrira à Rome, la beauté des monuments
de l'Antiquité et de la Renaissance et à Naples, elle sera
séduite par la beauté de la nature et des paysages. Ses
conversations, ses lectures et ses impressions durant ce
voyage seront transposés dans Corinne.
La publicité et le scandale provoqués soit par ses
liaisons, soit par son rôle de premier plan sur la scène
politique, attirent sur Mme de Staël le mépris, la calomnie
et la haine des folliculaires de la droite et de la gauche.
Son nom se trouve associé à ceux d'Olympe de Gouges,
Théroigne de Méricourt et Rose Lacombe, féministes radicales,
dont les activités politiques se déroulent sur un tout
autre plan que celles de Mme de Staël. Elle devient la
cible de la presse. C'est en tant que femme que ses ennemis
peuvent lui nuire, en faisant allusion à ses amants et en
l'associant à des femmes militantes. Des articles dans
~ Le Petit Dictionnaire des grands hommes de la Révolution de
Prudhomme, et une caricature de Mesdames de Staël, Condorcet, ; , ~
~ f
i
73.
Canon et de Mlle Théroigne de Méricourt, témoignent de
la misogynie et de la méfiance générale à l'égard de
cette manifestation d'une prise de conscience féminine.
François Su1eau, journaliste aux gages, attaque Théroigne
et Mme de Staël, les appelant des prostituées91 .
Profondément marquée par tout ce qu'elle a vécu
pendant cette période, Mme de Staël écrit: tI •• l e coeur
se flétrit, la vie se décolore, on a des torts à son
tour qui dégoûtent de soi comme des autres 92 ". La gloire
et la pensée de l'immortalité, considérations importantes
pour Mme de Staël, font qu'elle refuse l'idée du suicide:
... le secours même de cet acte terrible est privé de la sorte de douceur qu'on peut y attacher; l'espoir d'intéresser après soi, cette immortalité si nécessaire aux âmes sensibles, est ravie pour jamais à celle qui n'espère plus de regrets. C'est lâ mourir en effet que n'affliger, ni punir, ni rattacher dans son souvenir, l'objet qui vous a trahi 93 .
Abandonnée par ses amants, exploitée par Talleyrand et
devenue la ~tble d'attaques de, ommes politiques et de
la presse, Mme de Staël peut .~., en toute sérénité, que
pour la femme, la morale n'exis~è pas. On est frappé par son
courage, par la générosité et la compassion dont elle fait
preuve pour les malheureux et pour ses amis, victimes de la
Révolution, durant cette période troublante et tragique de l'histoire.
C'est une nature intrépide: aucun obstacle ne l'effraie. En 1788,
elle n'a que vingt ans lorsque son père est rappelé aux
Finances. L'enthousiasme et la confiance de la jeunesse
li
,
"
i
l
74.
débordent en elle. Delphine est la jeune Mme de St3~1.
La Révolution est la toile de fond de Delphine. Au dir~
de Sismondi, le seul parmi les amis de Mme de Staël 3
avoir compris ce choix:
Le choc des préjugés contre les idées libér~les ~st une des actions principales du roman. C'était bien, ce me semble, le moment on ces deux ressorts 6ta1~nt le plus tendus, où ils agissaient avec plus de force l'un sur l'autre qu'il fallait choisir pour lrs mettre en jeu 94 .
La société d'avant la Révolution n'aurait pas accepté
que Delphine renonce l ses voeux car, on n'aurait pas imaginê
"un tort dans la femme autrefois; cela flétrissait tout son
caractère 95 ". Il fallait la prise de conscience et le
bouleversement social qu'avait produit la Révolution pour
atténuer le choc de son geste.
L'inconstance, mais aussi les qualités spirituelles
de Narbonne et de Ribbing se retrouvent dans les portraits de
Léonce et d'Oswald. Constant aurait inspiré le portrait
d'Henri de Lebensei dans Delphine. Sainte-Beuve déclare
que Lebensei a "la partie bri11ante96 " de Constant mais non
les défauts. Lebensei est le porte-parole idéologique de
Mme de Staël et de Constant. Cette période de la vie de
Mme de Staël aurait inspiré le rêve de la femme-artiste
réussie, situation impossible l l'époque, qu'elle pro;ette
dans Corinne.
d) Arr.itié, surtout celle avec Mme Récamier.
En amitié, Mme de Staël fait preuve d'un enthousiasme
débordant, de générosité, de compassion et de charme. Enfants,
amis ou amants, tous succombent à son charme. Sa fille,
Albertine de Broglie confirme cette observation:
Ma mère avait quelquefois des conversations d'égal à égal avec moi à l'âge de douze ans, et rien ne peut donner une idée de la joie qu'on éprouvait quand on avait passé une demi-heure d'intimité avec elle ... On étai.t heureux de coeur et d'amour-propre auprès d'elle97 •
En eff..!t, c'est cette faculté d'exalter les autres qui
constitue en grande mesure l'attrait et le charme de Mme de
5 taë 1 . A J.' excep tion de Talleyrand, elle ne romp t jamais un
lien d'amitié. L'amitié, une passion pour elle, est un lien
sacré qui s'élève au-dessus des considérations politiques ou
des conventions sociales. En ceci, elle est fidèle à la
conception de l'amitié de son époque car "l'amitié était
considérée comme la plus haute passion, l'amour n'étant qu'une
passion inférieure9S ". Pour Mme de Staël, l'amitié et l'amour
s'inspirent l'un de l'autre. Douze ans après sa mort, Benjamin
Constant écrira qu'elle a mis "son génie dans l'amitié, la
première et la plus impérieuse de ses multiples vocations 9911 •
Sa plus belle qualité est d'ignorer la haine ou la rancune,
cl' oublier les injures et même de secourir ses ennemis de la
veille.
76.
Les gestes d'amitié ne sont pas le seul fait de Hme
de Staël: en effet, en donnant le nom de Delphine à son héro1ne,
elle rend hommage ~ Delphine de Custine. Lors d'unt:!
récep~lon aux Tuileries où chacun la fuit, Delphine de CustinL'
est la seule qui ose venir parler à Mme de Staël: Bonaparte
était présent, et elle étai t en disgrâce. Ces circonstances
se retrouvent dans le roman.
;\ppelée la "Belle des Belles lOOIl , Juliette Récamier
est une des trois célébrités féminines sous le Consulat et
l'Empire. Mme de Staël, "la grande prêtresse de l'esprit,
l'intellectuelle accomplie et rebelle au pouvoir lOl ", et
l'impératrice Joséphine, complètent le trio. Très riche et
mondaine, Juliette est l'idéal de son époque. Pour la société
parisienne, elle représente "l'harmonie, l'accueil sans
discrimination, l'élégance et le maintien retrouvé lD2 "
Symbole social, elle attire la foule sur son passage à Londres
comme à Paris. Partout recherchée et adulée, elle ne
s'étourdira pas de ces hommages superficiels. Equilibrée et
très intelligente, Juliette sera toujours la même: discrète,
loyale et cltfectueuse.
Lorsqu'elles se rencontrent, Mme de Staël a trente-deux
ans et Juliette en a vingt-et-un. Leur amitié est une
heureuse synthèse de qualités opposées: la beauté et l'équ"nimité
de l'une et le génie et l'originalité de l'autre.
de Benjamin Constant:
Au di re
.
M
77.
Rien n'était plus attachant que les entretiens de Mme de Staël et Mme Récamier. La rapidité de l'une à exprimer mille pensées neuves, la rapidité de la seconde à les saisir et à les juger; cet esprit mâle et fort qui dévoilait tout et cet esprit délicat et fin qui comprenait tout; ces révélations d'un génie exercé, communiquées à une jeune intelligence digne de les recevoir; tout cela formait une réunion qu'il est impossible de peindre sans avoir eu le bonheur d'en être témoin soi-même103 .
L'attachement de Juliette à sa "soeur" ... ,
a1nee, car
Mme de Staê1 l'appelle "ma jeune soeur et protectrice 104 " et
"mo n ange 105 soeur ", dans ses lettres, est constant et
sincère. Dévouée à Mme de Staël, elle refuse l'offre de
Napoléon de devenir dame d'honneur de Joséphine. Irrité
contre Mme Récamier, Napoléon refuse un emprunt à son mari
qui fait banqueroute. Répondant aux appels de détresse de
Mme de Staël, de plus en plus malheureuse sous la surveillance
stricte de Fouché, Juliette se rend à Coppet. Aussitôt,
Napoléon lui donne l'ordre de s'exiler de Paris.
Dans la fiction, Mme de Staël a prêté la beauté de
Mme Récamier à son héroïne et le charme de sa propre
personnalité à Mme de Vernon, charme que celle-ci exerce sur
Delphine. En parlant des s~ntiments que lui inspirent Mme de
Vernon, Delphine rappelle ceux d'Albertine de Broglie à
propos de sa mère:
... ce talent de mettre son âme tellement en harmonie avec la vôtre, que vous croyez sentir avec elle, en même temps qu'elle tout ce que son esprit développe en vous; ces avantages qui n'appartiennent qu'à elle ne peuvent jamais perdre, entièrement leur ascendant io6 .
78.
En amitié, la générosité et la compassion de Hme de
Staël sont inépuisables. Elle séduit grâce à son charme et
l son intelligence. Elle ignore la haine et la rancune:
la passion de son âme, c'est la pitié. Même Napoléon sera
pardonné. Benjamin Constant affirme que l'amitié était la
première et la plus impérieuse de ses activités. Son culte
de l'amitié illustre, on ne peut mieux, l'importance des
rapports sociaux l ses yeux.
En Juliette Récamier, Mme de Stail trouve l'harmonie
et la paix que l'amour désintéressé de celle-ci lui réserve.
Juliette l'accepte, la comprend, l'admire et l'aime. Elle
lui offre cette paix qui manque dans ses rapports avec ses
amants et ses parents et que Benjamin Constant a notée.
Juliette l'aime et n'exige rien, trait notable pour Mme de
St aë 1. La beauté et la douceur de Juliette attirent mais
son amour désintéressé pour ses admirateurs et surtout pour
Mme de Staël, constitue son plus grand attrait.
---------- -------------------------
( 79 .
NOTES
CHAPITRE II
1 Balay~, Simone Lumiires et 1ibert~, Klincksieck 1979, p .27
2 Ibid, p.26
3 Mme de Staël De la littérature, Oeuvres complètes, Slatkine Reprints, Genive 1967, p.2S3
4 Ormesson, Jean Mon dernier rêve sera pour vous, Edit. J.C. Lattis 1982, p.4l
5 Ibid, p.87
6 Ibid, p.B7
7 Ibid, p.139
8 Chateaubriand AtalafRené, Garnier Flammarion, Paris 1964, p .160
9 Ibid, P .15
10 Ibid, p.1S
11 Ormesson, Jean Op.cit., p.27
12 Ibid, p. 75
13 Ibid, p.7S
14 Gutwirth, Madelyn Madame de Staël: Novelist, University of Illinois Press, 1978, p.1SS
lS Béguin, Albert L'Ame romantique et le rêve, Librairie J. Corti, Paris, 1939. 1967, p.x
16 Furst, Lilian R. Contours of European Romanticism, Macmillan Press Ltd., 1979, p.13
17 Balayé, Simone Op.cit., p.167
18 Mme de Sta~l De l'Allemagne, II,p.l90 citi par Simone Balayé, Op.cit., p.167
80.
NOTES
19 Mme de Staêl De l'Allemagne, Il, p.l18-ll9 cité par Simone Balayé, Op.cit., p.167
20 Mme de Staël, Op.cit., cité par Simone Balayé, Op.cft., p.168
21 Mme de Staël, Op.cit., Oeuvres complètes, Slatkine Reprints, Genève 1967, Vo1.2, p.l9l
22 Ibid, p.183
23 Ibid, p.183
24 Ibid, p.186
25 Behler, Ernest "Charles de Villers et les problèmes des limites de la raison", Colloque de Coppet 1974, Slatkine, Genève, Champion, Paris 1977, p .141
26 Ibid, P .141
27 Hero1d, Christopher J. Germaine Necker de Staël, traduit de l'anglais par Michelle Maurois, Editions Plon, 1961, p.279
28 Mme de Staël, Op.cit., Oeuvres complètes, Slatkine Reprints, Genève 1967, Vol.2, p.62
29 Ibid, p.62
30 Ibid, p.81
31 Ibid, p.80
32 Ibid, p.273
33 Ibid, p.S8
34 Ibid, p.S8
35 Bory, Jean-René "Le Tombeau de Mme Necker", Colloque de Coppet: Mme de Staël et l'Europe, Klincksieck, Paris, 1970, p.3S
36 Rerold, Christopher J. Op.cit., p.l4
r
NOTES
37 Cordey, Piere "Madame de Staël et les prédicants lausannois", Cahiers staèllens, avril 1969, cité par Simone Balayé, Op.cit., p.14
38 Herold, Christopher J., Op.cit., p.36
39 Ibid, p.34
81.
40 Diesbach, Ghislain de Madame de Staël, Librairie Académique Perrin, 8 rue Garancière, Paris, 1983, p.30
41 Madame de Sta~l: Lettres l Narbonne, Intro.de Georges Solovieff, Gallimard, Paris, 1960, p.2
42 Jasinski, Béatrice Mme de Stael: Correspondance générale l, pt.l, Paris, Pauvert, 1960, p.6 cité par Christopher J. Herold, Op.cit., p.35
43 Ibid, p .35
44 Herold, Christopher J., Op.cit., p.36
45 Diesbach, Ghislain de, Op.cit., p.29
46 Ibid, p.29
47 Faguet, Emile Politique et Moralistes du XI Xe siècle, Poitiers, Société française de l'imprimerie et du librairie, 1899-1900, p.125
48 Herold, Christopher J., Op.cit., p.19
49 S tarob inski, Jean "Suicide et mélancolie chez Mme de Staël" dans Co 1109, ue de COEEet: Madame de Stael et l'EuroEe, Paris, Klincksieck, 1970, p.134
50 Ibid, p.134
51 lb id, p.135
52 lb id, p.135
53 Ibid, p.135
54 lb id, p.135
55 lb id, p . l 35
82.
NOTES
56 Mme de Staël, ses amis, ses correspondants,(1778-1817) présenté par Georges Solovieff, Gallimard, Paris, 1960 p.81
57 Balayé, Simone, Op.cit., p.18
58 Ibid, p.18
59 Ibid, p.18
60 Ibid, p.19
61 Ibid, p.19
62 Gutwirth, Made1Y:1, Op.cit., p.41
63 Ibid, p.64
64 Ibid, p.44
65 Balayé, Simone, Op.cit., p.l9
66 Ibid, p.22
67 Gutwirth, Made1yn, Op.cit., p.43
68 Balayé, Simone, Op.cit., p.31
69 Ibid, p.31
70 Mme de Staël: Lettres inédites à Louis de Narbonne, texte établi et présenté par Béatrice Jasinski, J.J. Pauvert, Paris, 1960, p.82
71 Ibid, p.203 cité par Made1yn Gutwirth, Op.cit., p.78
72 Mme de Staël: Lettres à Narbonne, Intr. de Georges Solovieff, Gallimard, 1960, p.403
73 Mme de Staël: Lettres à Ribbing, Intro. de Simone Balayé, Gallimard, 1960, p.18
74 Ibid, p.19
75 Diesbach, Ghislain de, Op.cit., p.26
83.
NOTES
76 Ibid. P .12
77 Jasinski, Béatrice "Mme de Staël et la Convention: maioctobre 1795" dans Çolloque de Coppet: Mme de Staël et l'Europe, Paris, Klincksieck, 1970, p.41
78 Ibid, P .41
79 Diesbach, Ghislain de, Op.cit., p.lH
80 Jasinski, Béatrice, Op.cit., p.41
81 Ibid, P .47
82 Diesbach, Ghislain de, Op.cit., p.183
83 Ibid, p.198
84 Ibin, p .198
85 Ibid, P .199
86 Ibid, p.199
87 Barras, Mémoires, tome III, p.430 cité par Diesbach, Ghislain de, Op.cit., p.197
88 Mme de Staël Delphine, Intro. de Simone Balayé, Droz, Genève, 1987, p.35
89 Ibid, p.19
90 Constant, Denjamin Les Cent Jours, J.-J.Pauvert, Lausanne, 1961, p.iv
91 Gutwirth, Madelyn, Op.cit., p.S7
92 Mme de Staël: Lettres inédites à Louis de Narbonne texte établi et présenté par Béatrice Jasinski, J.-J.Pauvert, Paris, 1960, p .XVII
93 Ibid, P .XVII
94 Mme de Staël Delphine, Intro. de Simone Balayé, Droz, Genève, 1987, p.19
95 Ibid, p.33
96 Ibid, P .33
. -
.-
84 .
NOTES
97 Lang, André "Amitié, source des passions" dans Colloque de Coppet: Mme de Staël et l'Europe, Editions Klincksieck, 1970, p.141
98 Ibid, p.203
99 Diesbach, Ghislain de, Op.cit., p.S36
100 Levai1lant, Maurice Une amitié amoureuse: Mme de Sta~1 et Mme Récamier, Hachette 1956, p.45
101 Ibid, p.46
102 Ibid, p.46
103 Wagener, Françoise Madame Récamier, J.C.Lattès, Paris, 1986, p.8S
104 Ibid, p.8S
105 Ibid, p.99
106 Mme de Staël Delphine, Edition des Femmes, 1981, Vol.l, p.2l4
CHAPITRE III .................................... 85
Analyse de la morale féminine dans Corinne et Delphine:
a) La réception de Delphine et le cadre de sa conception ..•........ 87
b) La femme mondaine et la société ............ 99
c) Les amants et la société .....•.....•...•.•.. 105
d) La femme-artiste et la société; fatalité dans la pensée de Corinne; le thème de la destruction est-il évident? ............•.. 124
e) Critique de la presse de l'époque ........... 131
a) La réception de Delphine et le cadre de sa conception.
Publié en 1802, Delphine est très mal reçu.
Bonaparte déteste Mme de Staël et le contenu du livre
l'exaspère. L'éloge du protestantisme au dépens du
catholicisme, la défense de la liberté et la présence
discrète de l'Angleterre, tout cela excite sa colère. Il
favorise le retour des émigrés, la religion catholique ct
condamne le divorce. Comme autre signal de son opposition
au despotisme napoléonien, Mme de Staël dédie l'ouvrage
"à la France silencieuse l ". Le discours suivant de
Lebensei fait l'éloge de la liberté: "Cette révolution que
beaucoup d'attentats ont malheureusement souillée, sera
jugée dans la postérité par la liberté qu'elle assurera à
la France; s'il n'en devait résulter que diverses formes
d'esclavage, ce serait la période de l'histoire la plus
honteuse, mais si la liberté doit en sortir, le bonheur,
la gloire, la vertu, tout ce qu'il y a de noble dans
l'espèce humaine, est si intimement uni à la liberté, que
les siècles ont toujours fait grâce aux événements qui
l'ont amenée2~" Sous l'influence de Bonaparte, une
campagne de presse hostile à Mme de Staël se met cn branle.
A part l'hostilité de Napoléon, le livre est "lu avec
rage, commenté avec f u reu r3
" • Et la raison de cette réaction?
Delphine est un livre féministe qui aurait pu s'appeler
86.
du même nom que "celui de Mary Woolstoncraft: "Du malheur
d'être femme 4 ".
Roman lyrique comme Werther, épistolaire comme
La Nouvelle Héloise, Delphine s'inspire de son temps, mais
les thèmes de l'amour sont ceux de La Princesse de Clèves.
Mme de Lafayette peint les moeurs de la chevalerie et son
héroïne, comme celle de Mme de Staël, ignore les préjugés
de son temps. La Princesse de ClIves avoue ~ son mari, comme le
lui ordonne un devoir théorique que nulle autre n'observe, sa
passion pour un autre. Comme Delphine, elle meurt de chagrin.
Ce n'est pas l'amour de la princesse de Clèves qui choque
la société du XVIIe siècle, c'est son aveu. Mme de Staël
peint les mOeurs de l'aristo~ratie de son époque et y
joint le langage de l'amour. Son héroine vit selon un
idéal de la morale et non pas selon une moralité réservée
aux femmes qui n'en est que la parodie. Delphine brave
l'opinion et ne "s'y soumet pas S ". Pour sa bravoure, elle
ne cessera pas d'expier sa faute. Indifférente, peu
touchée par les événements, l'aristocratie est incapable
de les comprendre ou même de s'y intéresser: on cont5nue à
médire, à mép~iser, à se battre en duel et à faire d'une
aventure amoureuse un sujet de conversation brûlant et
capital. L'oeuvre présente le tableau d'une société en
dissQlution dans le cadre esthétique du roman épistolAi~p.
La décadence du roman épistolaire se poursuit dès
(
(
le déclin de l'Ancien Régime. Ce genre, semble-t-il, a
tenda nce à fai re de ses pe r sonnages des é léme n ts
abstraits, des masques dans le drame du monde extérieur.
Or, la difficulté de Delphine au plan de sa conception
87.
vi en t de ce que son au teu r conço i t ce roman, non seulement
comme un réquisitoire contre la société, mais plus encore,
comme la défense de ~'individualisme de l'héroïne.
De1phlne est condamnée pour son naturel, pour ses opinions,
et pou;- son amou r dé fendu qui dev ient 1 a rné tap hore de
l'ensemble du récit. On souligne, parait-il, le lien entre
mode épistolaire et vie sociale. Cependant, la lettre,
"un outil sociai .•• sert plutôt à cacher qu'à révéler
l'individu6". COTlçue et arrangée pour tel ou tel effet,
la mode épistolaire ne semble pas fevoriser ~ 'éclosion
intime des personnages. "L'irréfléchi, le primesautier
rev~tent un air arbitraire dans ce monde délibéré, et
l'originalité personnelle peut y paraître simplement
déplacée 7". En effet, l'individualisme de Delphine fait
éclater le cadre épistolaire du roman au moment où, ayant
quitté son amant, elle cesse d'écrire des lettres et \!onfie
ses pensées à des "Fragments 8". On peut supposer que ces
"Fragmen ts" exp rimen t l'exaspéra t ion de l'au te ur contre
la rigidité de la forme épistolaire qui exclut
l'approfondisF'ement psychologique. L'échec de la mode
épistolaire, cadre esthétique du roman, souligne, à un
ni veau é lémenta ire, la déchéance de l'Ancien Régime.
b) La femme mondaine et la socié té.
Douée de qualités physiques et spirituelles
excep tionne1les et d' une vive in te lligence, De 1 phine f ai t
figure d'Iphigénie, vouée au sacrifice. Tout ce qu'elle
fait est inspiré par un don de soi et une bonté outrés.
Sans ruse, elle ne voit le mal nulle part, ce qui entraîne
sa ruine. En effet, Delphine "rappelle à la vertu la
nécessité de la raison 9 ". En exagérant son portrait,
Mme de Staël ill umine le d rame de la femme de l' époq ue don t
"tous les dons •.• fussent destinés au bonheur des autres,
e.t de peu d'usage pour elles-mêmes 10" Al' excep tion de
son indi vi dua1i sme, De 1phine a tou tes le s quaI i tés de la
femme idéale du XVIIIe siècle. Pour Léonce, elle répond
à cette description de Littleton de la femme idéale de
l'époque:
Polite as a11 her life in courts had been; Yet good as she the world had never seen; The noble fire of an exa1ted mind, Wi th gen tle f ema1e tendernes s comb ined; Her speech as the melodious voiee of Love, Her song, the warb1ing of the vernal grove; Her e10quence was sweeter than her song, Soft as her heart, and as her reason strong, Her form each beauty of her mind expressed l Her mind was virtue by the Graces dressed 1 .
Adulée, Delphine jouit de ses succès mondains sans
se préoccuper de la jalousie des médiocres. Pour eux,
l'originalité de ses propos, son intérêt pour la littérature,
les arts et la politique et sa préférence pour la société
89 •
des hommes distingués, font d'elle un être à part. Le
sort réservé aux autres personnages féminins, qui se sont
pliés aux préjugés de la société, exalte la cause de
l'héro'ine.
Matilde de Vernon, cousine de Delphine, devient
l'épouse de Léonce de Mondoville, grâce à la générosité de
Delphine qui lui octroie une dot. Belle, réservée,
religieuse et austère, elle est l'antithèse de l'héroïne.
Aride de coeur, guidée par des principes religieux et la
notion du devoir, elle respecte les convenances sociales à
la lettre. Comme une C as sand re, elle aver ti t De lph ine des
dangers de son individualisme: liMa cousine, où en serions-
nous si toutes les femmes prenaient ainsi pour guide ce
qu'elles appelleraient leurs lumières ... les hommes qui
sont les plus affranchis des vérités traitées de préjugés
dans la langue actuelle veulent que leurs femmes ne se
dégagent d'aucun 1ienIO ". Au dire de Matilde, Delphine a
tout pour réussir dans la société et si elle n'est pas
heureuse, c'est à cause de son indépendance d'esprit:
" •.. s 'il faut tout vous dire, c'est que vous sentez aussi
que cette indépendance d'opinion et de conduite, qui donne
à votre conversation peut-être plus de grâce et de piquant,
commence déjà à faire dire du mal de vous et nuira sûrement
Il tôt ou tard à votre existence dans le monde ". Par contre,
dit-elle, une vraie femme est soumise, discrète et dépendante,
..... 90 .
si elle veut se marier: " .•• pensez-vous qu'un homme
sage puisse être empressé de s'unir à une personne qui
voit tout par ses propres lumières, soumet sa conduite à
12 ses propres idées, et dédaigne souvênt les maximes reçues ?"
Pieuse, prude, rivale et critique de Delphine,
Matilde représente les pires aspects des interdits de la
société à l'égard de la femme. N'aimant pas le caractère
âpre de sa fille, Sophie de Vernon, mère de Matilde, avait
confié son éducation à des religieuses. Matilde, esprit
borné et suffisant, est sans compassion. Elle refuse de
soigner Léonce avant leur mariag~, tandis que Delphine,
ignorant le "qu'en dira-t-on", court à son secours, soigne
ses blessures et pleure sur ses souffrances. Matilde refuse de
solliciter de l'argent pour sa mère, endettée, tant que Léonce, son
mari, n'est pas là pour qpprouver son geste. Delphine lui
reproche sa dureté. Inflexible dans ses principes, Matilde
lui répond: "Vous croyez apparemment, ma cousine, qu'il n'y
a de principes fixes sur rien, et que serait donc la vertu,
si l'on se laissait aller à tous ses mouvements I3 ?"
Delphine, dont les principes s'inspirent de l'amour, riposte:
"Et la vertu, est-elle autre chose que la continuité des
~ '" 14?II mouvements genereux .
Comme Matilde, Mme de Mondoville, la mère de Léonce,
joue un rôle orthodoxe; elle s'oppose encore plus que
Matilde à l'anticonformisme de Delphine. Sa présence,
toile de fond à la résistance de son fils à l'indépendance
r
L
91.
de Delphine, constitue un reproche à l'insouciance de
l'hérolne. Matilde et sa belle-mère représentent les
conVenances sociales, mais elles sont trop bornées et leurs
idées trop étroites et piètres pour constituer une menace
sérieuse à Delphine, femme scuple et de loin plus
sympathique qu'elles. Par exemple, Mme de Mondoville met
en question la valeur de l'intelligence chez la femme:
"Notre conduite est tracée, notre puissance nous marque
notre place, notre état nous i 'lose nos opinions, que
faire donc de cet esprit d'examen qui perd toutes les
t "t l5?" e es . Elle condamne l'individualisme de Delphine:
"On ne peut jamais soumettre ces esprits qu'on appelle
supérieurs, aux convenances de la vie; il faut supporter
qu'ils vous donnent un jugement nouveau sur tout, et qu'ils
vous développent des principes à eux, qu'ils appellent la
raison: cette manière d'être me parait à moi, souveraine
ment absurde, particulièrement chez une femme 16 ".
L'esprit étroit et l'intolérance de Mme de Mondoville
ainsi que son rejet de Delphine en tant que bru future,
a son corollaire dans son attitude à l'égard de Léonce.
Jalouse, elle craint l'empire de Delphine sur lui: "Léonce
m'aimera toujours par-dessus tout, s'il n'est pas lié à
une femme dont il soit amoureux, et qui absorbe entièrement
toutes ses affections .• s'il a une femme qui ait aussi de
l'esprit, et, de plus, de la jeunesse et de la beauté, que
s~rait-je pour lui? •• je me sens de la haine pour une personne
17 qU'il aime mieux que moi ".
92.
L'obsession de Mme de Mondoville pour son fils
ainsi que sa conception très bornée du potentiel féminin
ont été illustrées on ne peut mieux par Mme de Sta~l, dont
la perception et la connaissance du coeur humain sont
pénétrantes. Elle montre que dans certains cas, la
répression de l'individu crée un sentiment d'insécurit~
et provoque la jalousie chez lui.
L'hostilité de Mme de Ternan, ~oeur de Mme
de Mondoville et mère supérieure du couvent où
Delphine se réfugie, constitue un autre obstacle au bonheur
de l'héroine. L'égo1sme de cette dame la pousse à vouloir
contraindre Delphine à rester au couvent. Belle, courtisée
et adulée dans sa jeunesse, Mme de Ternan ne l'est plus
et regrette le passé. N'ayant pas de vraie affection pour
Delphine, elle est prête, néanmoins, à se servir d'elle. Elle
dit: "Elle me rend quelques-uns des plaisirs que j' di
perdus; elle me donne des témoignages d'amitié que je n'ai
reçus que quand j'étais jeunelS
" La piété et la sérénité
de Mme de Ternan masquent son narcissisme.
Critique pénétrante de la société, l'histoire de
Sophie de Vernon permet à Mme de Staël d'exorciser de sa
conscience le spectre de Mme Necker, sa mère, et aussi de
se venger de la perfidie de Talleyrand. Feignant l'amitié,
Sophie de Vernon, personnage indolent et machiavélique,
trahit Delphine. Leur amitié agit comme une passion, un
envoûtement et Delphine est aveugle aux avertissements de
(
93.
Mlle d'A1bémar, sa belle soeur, qui a compris les intentions
perfides de Sophie. En se taisant, Sophie donne raison aux
mauvaises langues et Léonce, qui se fie à l'opinion plutôt
qu'à son coeur, épouse Matilde de Vernon. L'échec de
l'hérolnc est celui de toute femme célibataire de
l'époque: "Le sort d'une femme est fini quand elle n'a
pas épousé celui qu'elle aime; la société n'a laissé dans
la destinée des femmes qu'un espoir; quand le lot est tiré
et qu'on a perdu, tout est dit 19 ". Le mariage est le
seul moyen d'accéder à une position définie dans le monde,
l'unique garant qui soit offert à la femme.
Emue par l'affection constante et la loyauté de
Delphine, Sophie regrette ses actions. Mourante, elle lui
raconte les circonstances de sa jeunesse, lesquelles
rappellent celles de Mme de Merteuil dans Les wiaisons
Dangereuses. Comme Mme de Merteui1, Sophie avait compris
qu'une femme devait dissimuler pour réussir dans la vie.
En expliquant sa trahison, Sophie rappelle les reproches
de Mme Necker à Germaine don t l'expression "exagérée" de
ses sentiments l'avait éffrayée: "Je croyais, il y a
quelque temps, que j'avais seule bien entendu la vie, et
que tous ceux qui me parlaient de sentiments dévoués et
de vertus exaltées étaient des charlatans ou des dupes20
".
Sans fortune et orpheline à l'âge de trois ans, Sophie
est confiée à un parent indifférent pour qui les femmes
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ne sont que "des jouets, dans leur enfance, et, dans leur
jeu n e s se, [c 0 m m e] des mat t r e s ses plu sou mot n s j 0 lie s, que
l'on ne peut jamais écouter sur rien de raisonnable ... 2l ".
Contrainte par son tuteur d'épouser M. de Vernon, homme
dur et peu sensible, Sophie se voit comme l'esclave d'un
tyran, mais sans lui, elle aurait été pauvre. Belle et
intelligente, elle n'ose pas prendre d'amant. Elle craint
le pouvoir de l'amour qui risquerait d'amoindrir sa résolution
de dissimuley. Elle s'explique: " ... j'étais convaincue, et
je le suis encore, que les femmes étant victimes de
toutes les institutions de la société, elles sont dévouées
au malheur, si elles s'abandonnent le moins du monde à
leurs sentiments, S1 elles perdent de quelque mani~re
l'empire d'elles-mêmes 22 " Pour Sophie, seuls le prestige
et le respect du monde comptent. Delphine étant la seule
personne de son entourage qui l'a aimée, elle conclut qu'elle
n'aurait pas pu agir autrement. Sans la dissimulation,
Sophie aurait été victime de la méchanceté du monde.
L'exaltation de l'amitié entre Delphine et Sophie
de Vernon rompt l'isolement de la femme et marque une étape
importante dans le féminisme naissant. L'énergie féminine
a été ignorée et dévalorisée depuis des siècles. La
mystique féminine a ses racines daus la mythologie et dans
la religion palenne. Cette amitié symbolise l'éclatement
du silence qui a pesé sur l'énigme de la femme depuis des
(
(
95.
s.ièc1es. Le repentir de Sophie constitue non seulement
une victoire des passions généreuses sur le cynisme, la
méfiance et la dissimulatio~ mais il apporte un dénouement
heureux dans la fiction qui était impLssible dans la vie, c'est
l dire, la rupture qu'avait vécue Mme de Staël dans ses
rapports avec sa mère.
Mlle d'Albémar, confidente de Delphine et soeur de
son défunt mari, représente la femme laide de l'époque.
Vieille fille, elle est intelligente et généreuse. Lorsque
Delphine l'invite à s'installer chez elle, la réponse de
Mlle cl'Albémar est triste: "Vous savez que j'ai l'extérieur
du monde le moins agréable; ma taille est contrefaite,
et ma figure n'a point de grâce ... j'en sais assez pour
avoir remarque qu'une femme disgraciée par la nature est
l'être le plus malheureux lorsqu'elle ne reste pas dans la
23 retraite ". Les premières années de sa jeunesse ayant été
une Iude épreuve, Mlle d'Albémar avait conclu à l'âge de
vingt ans qu'avec "ma figure, il est ridicule d'aimer24
".
Par contre, un homme, affirme-t-elle, par ses réussites
dans le monde peut faire ignorer sa laideur, mais "les
femmes n'ont d'existence que par l'amour2S
". Résignée,
elle choisit de se dévouer à Delphine et elle vit indirectement,
à travers elle. Son rôle est effacé. Elle croit à
l'amoJ~ mais se voit indigne d'en recevoir,ce qui constitue
une remise en question du thème central du roman.
Mlle d'Albémar est diamétralement opposée à Delphine qui, elle,
'-
96.
incarne toutes les qualités nécessaires pour devenir
épouse et mère de famille. A travers le personnage de
Mlle d'Albémar, Mme de Sta~l examine l'éthique de
l'amour de son époque dont les valeurs superficielles
condamnent nombre de femmes à vivre en parias, c'est à
dire, à souffrir lorsqu'elles restent en société, ou,
si elles s'en retirent, à être frustrées dans leur désir
de se réaliser. Mlle d'A1bémar n'a pas d'amant.
Ainsi, elle semble représenter la mère idéale pour
Delphine et pour Mme de Staël. E"le écrit à Delphine:
"Je vis 26
en vous ". Dans la fiction, Mme de Staël
obtient pour son héroïne la reconnaissance et l'amour
désintéressé qui lui manquaient dans ses rapports avec
sa propre mère.
Mme de Staël poursuit sa réflexion sur la femme.
l'amour et le mariage et offre plusieurs portraits de
couples qui en illustrent des aspects différents. Pour
Delphine, l'amour signifie la vie et son absence équivaut
à la mort. Pour elle, la mort commence déjà à vingt-
cinq ans et ce n'est que le souvenir du passé qui
ralentit son approche. L'homme "se retient dans la
pente, il s'attache à chaque branche, pour que ses pas
27 l'entra!nent moins vite vers la vieillesse et le tombeau ".
L'antidote contre le destin, c'est l'amour qui signifie
l'espoir, et le bonheur qui en résult nous reconcilie
97.
( avec Dieu. "La puissance d'aimer" dit Delphine, "me fait
sentir en moi la source immortelle de la vie 28 ".
Le portrait des Belmont offre une i~age du parfait
bonheur conjugal. M. de Belmont est aveugle. Il pe rçoi t
le monde à travers Ses sens, comptant sur son intuition
et ses sentiments pour comprendre; pour communiquer et
pour recevoir de son entourage ce dont il a besoin. Sa
femme constitue tout son univers; sans elle, il est perdu
et elle lui consacre toute sa vie.
Pour Mme de Belmont, la vraie gloire de la femme
n'est autre chose que "l'approbation de l'ami qui vous
honore en vous aimant29
". La femme doit admirer son mari
pour son intelligence et son caractère. Elle est contente
de se soumettre à sa volonté car il éclaire son intelligence
et soutient ses faiblesses. Pour son mari, Mme de Belmont
est mère, amie, enseignante et Muse. La poursuite de la
vertu au sein du mariage constitue le garant du bonheur.
M. de Belmont accepte son rôle avec joie et comme toute
bonne "mère 30 de famille "qui in terroge d'au tres femmes,
il confie: " ••. comment se fai t-il que tous les hommes ne
cherchent pas à trouver le bonheur dans leur famille3l
?"
Mme de Staël a renversé les rôles traditionnels et
la femme joue le rôle dynamique que la société avait
toujours attribué au partenaire masculin. Dans ce scénario,
il se peut que Mme de Staël, jalouse de l'empire de sa
~ère sur son père, se soit arrogé le rôle d'une mère
9R.
toute puissante pour assouvir son désir de transcendenre
dans sa via sentimentale 32 . Les Bcl~~=t vivent i l'~cart
de la société, de l'opinion et des convenance3. Contraint
de percevoir l'univers à travers les ~~ns et inspiré par
l'amour, M. de Belmont est heuleux.
M. de Lebensei, gentilhomme languedocien, protestant,
élevé à Cambridge en Angleterre, incarne la société de
l'avenir. Indépendant d'esprit~ Lebensei méprise la vie
futile des salons parisiens. Avec M. de Serbel1ane et
M. d'Albémar, le tuteur de Delphine, il compte parmi
"les amis de la 1iberté33 " qui s'offtent il Léonce qui
ne pourra pas les suivre. Protestante et légalement
divorcée de son mari, homme vil et méprisable, Mme de
Lebensei es\. la seule femme du l'oman qui concilie l'amour
et le mariage. (L'Assemblée révolu1:i.onnaire avait promulgué
une loi sur le divorce le 20 septembre L792, mais l'action
du roman a lieu un peu avant cette date.) C~pendant, ni
la famille d'Elise de Lebensei, ni la société n'acceptent
son divorce. Elle avertit Pelphine de ne pas la suivre:
"C'est un grand hasard pour une femme que de braver
l'opinion, il faut pour l'oser, se sentir, suivant la
comparaison d'un poète, 35
"un triple airain autour du coeur ".
L'homme est un être social ayant besoir de rapports sociaux
pour être heureux. En dépit du bonheur conjugal, Elise de
Lebensei souffre de son isolement de la société.
,Indifférent à l'opinion, Henri de Lebensei poursuit
99.
ses affaires n'ayant besoin que de l'approbation du
monde éclairé. Pour lui, cette reconnaissance constitue
la gloire dont il a besoin et dont la femme est privée
par la société de l'époque.
Belle, dévote et superstitieuse, Thérèse d'Ervins
offre l'exemple d'une autre victime des convenances
sociales et des préjugés. Mal mariée à un homme beaucoup
plus vieux qu'elle, elle trouve l'amour en dehors du
mariage en la personne de M. d~ Serbellane. Gentilhomme
toscan, il sauve la vie et les biens de M. d'Ervins,
menacés par une révolte paysanne au début de juin 1789.
Delphine reçoit le couple illicite chez elle pour leur
dernier adieu. Le mari les découvre, provoque l'amant
en duel; il est tué, ce qui provoque un scandale.
Scandalisé par les rumeurs qui circulent et que Sophie
de Vernon, sachant la vérité, ne fait rien pour dissiper,
Léonce épouse Matilde de Vernon. Abattue, Thérèse
d'Ervins confie l'éducation de sa fille, Isore, à
Delphine l~t se fait religieuse pour expier sa "faute".
Delphine vivra la même sorte de culpabilité que Thérèse
d'Ervins.
"
-, b) Les amants et la société.
Léonce de Mondovi11e, l'amant de Delphine,
représente la société et les forces conservatrices. Il
s'oppose à Delphine dont les opinions libérales incarnent
l'avenir. Si son caractère semble réunir "au plus haut
degré, la fierté, le courage, l'intrépidité, tout ce qui
peut enfin inspirer du respect 36 ", au fond, Léonce est
un lâche, un esclave de l'opinion et des convenances
sociales. L'égoïsme de Léonce l'emporte sur son amour
pour Delphine. c'est un amour condamné et ils glissent
tous les deux vers la mort. Séducteur, il va la perdre.
Il lui dit:
Aime-moi, pour être fière de toi-même; car je t'apprendrai tout ce que tu vaux. Je te découvrirai des vertus, des qualités, des séductions que tu possèdes sans le savoir 37
Il est flatteur: "Oh Delphine! les lois de la société ont
été faites pour l'universalité des hommes ••• 38". Si elle
ne se donne pas à lui, ajoute-t-i1, elle perdra sa fémininité:
" ..• tu vas l'endurcir, tu vas perdre cette bonté parfaite, le
véritable signe de ta nature divine •.. 39" Ou bien, elle perdL'a
son air sublime: "c'est la sensibilité qui répand sur tes
charmes une expression céleste ... 40". Pour terminer son
discours, il suggère que l'intransigeance de Delphine
à son égard fera souffrir Matilde, sa femme:
ft
L
" •.. si je plonge la douleur dans le sein de Matilde, ce
n'est pas ma main égarée qu'il faut en accuser, c'est le
sang-froid, c'est la raison tyrranique qui vous sert à
me rendre insensé .. 41".
Indignée, Delphine lui reproche son chantage
moral. Plus tard, Léonce menace de se suicider si
Delphine l'abandonne: "Aucune puissance humaine, aucun
ordre de vous ne pourrait me faire supporter la vie, si
d i 42" je cessais e vous vo r... . Ce sont des mots vides.
Matilde meurt, affaiblie dans ses efforts d'allaiter
101.
son enfant, et Delphine, ayant quitté l'état de religieuse,
est libre. Mais Léonce n'ose pas l'épouser. Il frémit
devant l'opinion. Finalement, il reconnaît que c'est sa
propre personnalité qui constitue l'obstacle à son
bonheur. Lorsqu'il s'en va à la guerre, il dit à Delphine:
"De tous les supplices les plus affreux, le plus
extraordinaire, n'est-il pas de trouver dans son propre
coeur un sentiment qui nous sépare de l'objet de notre
43 tendresse 1" Le tempérament explosif de Léonce cache
un fond de tristesse que sa peur, son incertitude face
au destin et son arrogance servent à intensifier.
Pendant des siècles, la femme a été victime de
la so~iété, si bien qu'on prétend qu'en effet, c'est sa
disposition naturelle. Delphine agit selon sa conscience,
qui la pousse à se dévouer aux autres, sans discrimination,
et en amour, elle est prête à s'immoler pour le bien-aimé,
102.
attitude qui soutient la notion de la femme-victime.
Elle se consume d'amour. fcou tons-la:
Il se passait hier dans mon coeur une émotion inconnue qui affaiblissait ma raison, ma vertu, toutes mes forces; et j'éprouvais un dési~ inexprimable de ranimer votre vie au dépens d~ 1~ mienne, de verser mon sang pour qu'il réchauffât le vôtre, et que mon dernier souffle rendit quelque chaleur à vos mains tremblantes 44 .
Au fur et à mesure que Léonce, jaloux et possessif, pousse
Delphine à se donner à lui, elle devient de plus en plus
soumise et abattue. Dans l'église où Thérèse d'Ervins,
devenue religieuse, a essayé d'exiger de Delphine le
serment de quitter son amant, Léonce, en un excès de
passion, crie: " ... jure sur cet autel .... fais serment
d'être à ton amant, ou je brise à tes yeux ma tête sur
ces degrés de pierre, qui feront jaillir mon sang jusqu'à
tOi 45 ". Delphine s'évanouit. Par la suite, elle est
malade et quitte la France. c'est le geste de la vaincue.
Le portrait de Delphine constitue une remise en question
de la n0tion de féminité de l'époque. L'échec de Delphine
n'est en effet que celui de l'idéal féminin d'alors.
Mme de Staël a peuplé d'images et d'épisodes
symboliques la lente déchéance de l'héroïne: gestes
dissimulés, voiles, masques, obscurité, colonnes, écrans
séparateurs qui semblent dire à tout moment que l'héro1ne
ne se réunira jamais au héros. Les signes de la
dissimulation et de la séparation sont déjà manifestes au
mariage de Léonce avec Matilde de Vernon. Voilée et
(
vêtue de blanc, Delphine assiste à la cérémonie, cachée
derrière une colonne. (Le blanc symbolise la pureté mais
aussi le deuil. La mariée porte un voile blanc mais le
voile supprime la célibataire, la prive d'identité et
donc, 46 de visage .) Léonce croit apercevoir le fantôme
de Delphine dans l'ombre d'une colonne. Impuissante,
103.
Delphine voit son malheur s'accomplir sous ses yeux. Plus
tard, au bal de l'opéra, la f~ule masquée joue aussi le
raIe d'écran séparateur. Masquée elle-même, D~lphine
cherche désespérément Léonce, mais passe inaperçue de
lui et de la foule: "J'avais peur de ma solitude, au
milieu de la foule; de mon existence, invisible aux yeux
des autres ..• 11 me semblait que c'était mon fantôme qui
i . 1· 47" se promena t parm1 es V1vants... . Le regard de Léonce
ne peut pas percer le masque de l'amante. Tel un cauchemar,
"un pouvoir magique les sépare 4S ". Delphine ne pourra
jamais s'unir avec Léonce.
Led événements se poursuivent et l'hérolne, figure
centrale de la société, ayant tous les dons, se trouve
dénuée de tou t. Sans l'appui d'un homme, père, frère, ou
ami, une femme ne saurait être heureuse dans la société
de l'époque. Léonce et Delphine sont tous deux voués au
malheur. Le sens de l'honneur pointilleux de Léonce est
un défaut qui est exploité contre lui et contre Delphine.
Il se conforme à l'opinion,quelque inique qu'elle soit.
L'impulsivité et la générosité cie Delphine sont mal
104.
comprises par la société Qù une femme n'a aucune liberté,
ni pour agir, ni pour penser. Leurs souffrances
continuelles mènent les deux personnages au désespoir.
Aux dires de Léonce: "Un revers éclatant peut donner de
nouvelles forces à une âme fière mais un chagrin continuel
est le poison de toutes les vertus, de tous les talents,
et les ressorts de l'âme s'affaissent 49 ". Capturé par
une patrouille de l'armée républicaine, les armes à la
main, Léonce, qui avait l'intention de se battre dans
l'armée des émigrés, est condamné à mort. La veille de
son exécution par un peloton de soldats sur la plaine de
Grenelle, Delphine se donne à lui dans la cellule de la
prison où il est incarcéré. Le lendemain, elle prendra
du poison et mourra dans ses bras. Léonce sera fusillé
ensuite.
Tous les aspects du roman signalent un processus
de changement. Le contenu et le cadre esthétique
soulignent la déchéance de l'Ancien Régime. L'esprit
de salon et les portraits formels se heurtent aux scènes
dramatiques où la passion et la colère du héros et les
sentiments douloureux de l'hérolne trouvent leur expression.
Le classicisme, genre périmé, cède la place au romantisme
naissant, du moins en ce qui a trait à l'émotion, puisque
la langue reste très classique.
( 105.
L'histoire des femmes autour de Delphine, véritable
mosaique de l'actualité féminine de l'époque, offre un aperçu
de la psyché féminine. Refoulée et réprimée, la fPomme est
méchante, névrosée, jalouse et possessive. L'individualisme
et la tragédie de l'héroine, soulignés par le triste état
des femmes autour d'elle, remettent en question le statu quo
que perpétue l'égoisme du héros, représentant de la société.
Tout revient à l'idée de la liberté de l'individu. La
situation des Lebensei et des femmes mal mariées constituent
un plaidoyer pour le divorce; la situation de Delphine
comme religieuse, pour la révocation des voeux perpétuels.
Mme de Staël est partisane de la République et elle S'oPPo$e
au retour de la Monarchie. Emigré et symbole de l'Ancien
Régime, Léonce meurt. Geste de désespoir, la mort du héros
et de l'hérolne est aussi un symbole d'espoir. La mort qui
met fin à leurs souffrances est, non seulement l'affirmation
du rejet absolu des anciennes valeurs, mais porte en elle
l'espoir du renouvellement de l'individu et de la société.
d) La femme-artiste et la société; fatalité dans la pensée de Corinne; le thème de la destruction est-il évident:
Du point de vue de la création artistique, Corinne
ou l'Italie est le meilleur livre de Mme de Staël. c'est
50 ainsi que la critique décrit Coyinne . Femme de génie,
Corinne a tous les talents. Improvisatrice, peintre,
musicienne et danseuse, elle est aussi poétesse, sibylle
et muse. Elle représente la quintessence de l'énigme de
la femme. Elle n'utilise que son prénom, celui d'une
femme libre, la poétesse rivale de Pindare. ùans
l'antiquité, la sibylle, femme inspirée, prédisait
l'avenir. Muse, elle inspirait la poésie et la musique.
Au XIX e siècle, Corinne a une influence énorme sur les
femmes de lettres car, femme-artiste, elle connait le
succès et la reconnaissance de ses contemporains,
chose inouie jusqu'alors. Le mythe de la femme célèbre
que tout le monde applaudissait pour sa conversation,
ses écrits et son mode de vie extraordinaire, s'est répandu
dans le monde grâce à la création de Corinne. Dès la
parution de son roman, on perçoit Mme de Staël et Corinne
comme un seul personnage. Aux environs de 1820, en Ang1e-
terre et aux États-Unis, on associe Corinne avec les
femmes de 1ettre~ telles que Felicia Hemans, Elizabeth
Barrett, George Sand, Harriet Beecher, Margaret Fuller,
L
Charlotte Brontë et Wil1a Cather. La prima donna d~
George Eliot, en refusant son prltenda~t noble, justifie
le mythe de Corinne:
Armgart Seek the woman you deserve, AlI grace, aIl goodness, who has not yet
found A meaning in her life, nor any end
107.
Beyond fulfi11ing yours. The type abounds.
Graf And happily, for the world.
Armgart Yes, happily. Let it excuse me that my kind is rare: Commonness is its own securi ty 51
La Consuelo dp. George Sand, "un manifeste littlraire,
politique et musical aussi bien qu'une version du mythe de
52 Corinne ", connatt un grand succès. De même, la Kronborg
de Willa Cather. Le secret de leur succès semble être
"celui de toute artiste ••• la passion. Pas plus que ça.
Comme l'hlroïsme, la passiou est inimitable 53 ". Le glnie
de Corinne ne saurait pas exister sans la reconnaissance
et l'acclamation du monde. Dans son hlroine, Mme de Staël
a criA une clilbritl, une a~ttste faite de passion et
d'enthousiasme. Elle dlc~it le couronnement de Corinne au
Capitole avec "un brio, un brillant d'esprit et une
54 extravagance "qu'aucun Icrivain après elle ne saurait
surpasser. La scène Ivoque le triomphe de Corinne, artiste
et femme de glnie:
Un soleil Iclatant ••• les cloches de nombreuses Iglises de la ville ••• des coups de canon •.. annonçoient quelque grande solennitl ••• on devoit couronner le matin même .. la femme la plus cllèbre de l'Italie, Corinne, poète, écrivain, improvisatrice, et l'une des plus belles personnes de Rome 5S .
1 108.
Tout Rome, c'est-à-dire, les grands seigneurs, les
femmes les plus distinguées du pays, les cardinaux, les
hommes de lettres de l'académie, aS3iste à la cérémonie.
Comme Pétrarque et le Tasse avant elle, Corinne reçoit
une couronne de lauriers, hommage traditionnel au génie.
Oswald, héros fatal qui assiste à la cérémonie, a le
coup de foudre pour Corinne. En créant
Corinne, artiste et femme de génie, acclamée par la
société, Mme de Staël renverse "l'ordre intel1ectuèl
français ... en proclamant le droit de la femme à avoir une
personnalités6 ".
Rome,
L'Italie représente la femme, l'art et la liberté.
57 "la patrie des tombeaux ", est un asile de rois
dépossédés. Elle les consol~ car elle leur ressemble.
Sa grandeur déchue est analogue à la grandeur féminine
qui est perdue dans un passé oublié ou bien ne s'est pas
encore manifestée. Si on reproche à la femme son indolence,
sa nature frivole, instable et enfantine, de même on
reproche aux Italiens leur nature frivole, laquelle,
pense Mme de Staël, est la réaction d'un peuple qui a été
toujours subjugué et humilié par des étrangers.
Pour Mme de Staël, la langue, les fêtes populaires,
le rituel et la religion des Italiens sont la manifestation
d'une joyeuse célébration de la vie et d'un sens inné de
la liberté qui leur permettent d'oublier les périodes
L
109.
sombres de leur histoire. La langue est le miroir de l'âme
italienne. Selon l'héroïne, elle "se prête à toutes
les nuances de la gaieté, avec une facilité qui ne demande
qu'une légère inflexion de la voix ... elle a surtout de la
grâce dans la bouche des enfants •. c'est une langue qui va
d'elle-même ... et parait avoir plus d'esprit que celui qui la
parle S8 ". Les sons, le rythme et l'intonation de l'italien
produisent une musique aux oreilles, une espèce de magie
à laquelle l'hérolne est sensible: " ..• la poésie italienne
est une merveille de l'imagination; il ne faut y chercher
que ses plaisirs sous toutes les formes .. ce n'est pas
uniquement à la douceur de l'italien, mais bien plutôt à
la vibration forte et prononcée de ses syllabes sonores,
qU'il faut attribuer l'empire de la poésie parmi nous S9 ".
Le goût païen des Italiens pour l'imprévisible et lne
acceptation imperturbable de la mort qui suppose la
transcendance de celle-ci, les prédisposent au développement
de l'art. Son mystère se fait comprendre à travers
l'ima~ination et les sens - les Italiens ont un goût pour
le plaisir et un sens de la tradition, de la merveille et
du rituel qui, peut-être, h,'existent nulle part ailleurs.
A la fête du carnaval, "une sorte de pétulance
universelle la fait rassembler aux bacchanales de l'imagi-
nation60 ". Quoique les Italiens aient l'habitude de
dissimuler, l'imprévisibilité de leur caractère s'explique,
110.
61 chez la plupart, par leur "imagination inflammable " On
s'amuse pour le plaisir de s'amuser. Les grands seigneurs
se promènent "le plus ennuyeusement du monde, dans le
costume le plus ridicule, et[qu~, tristes arlequins et
taciturnes polichinelles, ne disent pas une parole ... mais
ont ••. leur conscience de carnaval satisfaite, quand ils
n'ont rien négligé pour se divertir62 ". Les masques,
dont la forme s'inspire des figures de statues antiques,
sont "une immobile imitation de la vie ..• ces visages
63 de cire ambulants .• font une sorte de peur ". Figés,
ces masques, dansant sur un fond de couleurs et de tumulte,
évoquent des fantômes et rappellent à l'homme sa mortalité.
La foule et la confusion constituent le plaisir de cette
fête: " ... c'est comme un souvenir des Saturnales 64 " car
toutes les classes de Rome sont mêlées.
Tous donnent libre cours au talent et à l'imagi-
nation: "la foule, et les cris, et les bons mots, et les
dragées dont on inonde indistinctement les voitures qui
passent, confondent tous les êtres mortels ensemble ... comme
65 s'il n'y avoit plus d'ordre social ".
La course de chevaux, allant de la place du Peuple
au palais de Venise, est sans cavaliers. c'est un
spectacle où, les chevaux libres, animés par la passion et
l'enthousiasme font "peur: comme SI. c'était de la pensée
sous cette forme d'anima1 66 ". c'est une course dangereuse,
souvent fatale. Un postillon, voyant mourir son cheval,
(
(
111.
prononce cette prière: "0 sant'Antonio, abbiate pietà
67 de11'anima sua ". La prière du postillon témoigne de
son respect pour son cheval, une manifestation du divin.
Muse et sibylle, Corinn~ incarne le mystère de
l'Italie où religion et amour profane se mêlent. Ainsi,
l'hé,o~ne place un portrait du héros à côté de celui de
la Vierge. La narratrice observe: "Leur genre de
dévotion ~uppose plus d'imagination et de sensibilité que
68 de sérieux •.. ou de sévérité dans les principes ". À la
sortie d'une retraite religieuse, faite pendant la semaine
sainte, Corinne, qu'Oswald aperçoit, est perdue dans une
méditation profonde. Voyant Oswald et ses amis, elle
s'approche d'eux, enivrée de bonheur, et leur parle avec
vivacité. Étranger à ce mélange de sérieux et de plaisir,
Oswald l'attribue à la légèreté du caractère italien.
Corinne lui explique qu'en Italie, le catholicisme a un
caractère de douceur et d'indulgence "qui anime les arts
et inspire les poètes .•. (et) .. fait partie •. de toutes les
jouissances de notre vie69 ". Par contre, en Angleterre,
"un pays où la raison dominait plus encore que l'imagination70 ",
la réformation a fait du protestantisme, une religion
sévère dans ses principes et dans sa morale. La religion,
le rituel, l'art, la musique et le spectacle font partie
de tous les aspects de la vie italienne.
-
112.
Corinne incarne le mystère de l'âme italienne,
la beauté physique du pays, sa primauté incontestée dans la
création de la beauté visuelle et la splendeur de sa
poésie. Chez elle dans ce pays, accueillie et adorée
par les Italiens, Corinne est heureuse; son âme d'artiste
s'y épanouit. Voici son témoig~age de gratitude:
Vous m'avez permis la gloire, ô vous, nation libérale, qui ne banissez point les femmes de son temple, vous qui ne sacrifiez point les talens immortels aux jalousies passagèr~s, vous qui toujours applaudissez à l'essor du génie ce vainqueur sans vaincus, ce conquérant sans dépouilles, qui puise dans l'éternité pour enrichir le temps7l.
L'Italie représente l'hérolne et l'Angleterre, le
héros. Oswald, lord Nelvil, symbole des vertus de la nation
anglaise, incarne un ordre social et politique idéal.
A l'opposée de l'héroïne, il est conservateur, partisan
de principes moraux stricts, discipliné et pragmatique.
Il rappelle Jacques Necker, toujours jeune d'esprit: " •• ce
qui caractérisoit le malheur de sa situation, c'étoit la
i i ~ d 1 j . ~ d' ... 72" v vac te e a eunesse un1e aux pensees un autre age .
Comme Corinne, Oswald est lui-même une victime, et cet
aspect de sa personnalité constitue un attrait pour elle.
Oswald incarne l'homme vulnérable, démuni et dépourvu de
confiance, qui ne saurait résister aux empiètements de la
femme. Par conséquent, il est fermé aux sE'utiments, mais parce qu'il
souffre, il est à la recherche de soulagement. Ce genre
d'homme, en apparence "faibl.e" est "l'autre" de Corinne.
,
(
Mâle, il est la contrepartie de son âme, l'élément
assourdi de sa nature; sa victime souffrante, la muse
73 qui la pousse à s'exprimer • c'est lui qui inspire la
fatalité sombre qui plane sur le début et la fin du
113.
roman. Lorsqu'il paratt pour la première fojs. Oswald est en
train de regarder les remous des vagues et de méditer sur la
mort, laquelle "inspire une sorte de mépris pour la
destinée humaine, pour l'impuissance de la douleur, pour
t 0 u sIe s va in s e f for t s qui " 0 nt se br i s e r con t rel a
~ i ~74" necess te • Eu ~onsentant ~ vivre selon le code de
son père défunt, Oswald sacrifie l,on intégrité et compromet
celle de Corinne. Aux dires de Mme de Sta~l, le choix
d'Oswald n'est pas ~olontaire. C'est une renonciation
de soi en faveur des contraintes rigides de l'ordre
social. Son acquiescement ~ la volonté de sen pèr p n'est
rien d'autre q~e l'aseervissement à un idéal sans rapport
à sa situation actuelle. Tout à fait sou~ l'influence de
son p~re, Oswalrl trRh1~ le jeune homme en lui subjugué
par l'image du vieil hODlme qtl'ila assumée. Ses
obligations envers la sociéti, c'est-~-dire, le mariage et
la famille, l'emportent sur ses sentiments.
Dans le personnage de Lady Edgermond, Mme de Staël
précise et souligne ces obligations. Belle-mère d~ Corinne,
elle lui dispute l'affection du père. Lady Edgermond est
"une f . d di il i 75" personne r01 e, gne, s enc eu se • • • • Lorsqu'elle
rencontre Corinne, qui a quinze ans, elle décide de la
114.
changer si elle le peut. L'opposition de Lady Edgermond
aux dons de Corinne s'appuie sur la religion et les
conventions sociales. Corinne avertit Oswald de la mal-
veillance de sa belle-mère:
Mais un ennemi redoutable me menace auprès de vous, c'est la sévérité despotique, c'est la dédaigneuse médiocrité de ma belle-mère. Elle vous dira tout ce qui peut flétrir ma vie passée. Epargnez-moi de vous répéter d'avance ses impitoyables discour9. Loin que les talens que je puis avoir soient une excuse à ses yeux, ils seront, je le sais, le plus grand de mes torts. Elle ne comprend point leurs charmes, elle ne voit que leurs dangers. Elle trouve inutile, et peutêtre coupable, tout ce qui ne s'accorde pas avec la destinée qu'elle s'est tracée, et toute la poésie du coeur lui semble un caprice importun qui s'arroge le droit de mépriser la raison 76 .
Autoritaire~ dévouée à la vie de famille, Lady
Edgermond se voit comme l'expression ultime de l'idéal
féminin et elle rejette froidement, tout ce qui est
contraire à cet idéal. C'est ainsi que Corinne la voit.
Lorsque Oswald rencont re Lady Edgermond, il lui semble "qu' il
y avait plus de sensibilité que Corinne ne lui attribuait,
et il pensa qu'elle n'avoit pas aussi bien que lui l'habi-
77 tude de deviner les physionomies contenues " Plus tard,
il lui arrive de l'admirer. Corinne avait fui Lady
Edgermond et l'Angleterre, une espèce de piège pour elle où
les femmes menaient une vie ennuyeuse, monotone et morne.
"Qu'est-ce que le bonheur" se demande Corinne, "sl ce n'est
pas le développement de nos facultés 78 1 "
Le génie de Corinne, artiste, s'exprime et déborde
ddns sa vie privée. Sa maison à Tivoli, située
(
(
115.
dans un endroit consacré à la sibylle, reflète l'artiste.
Dans le jardin, la musique des harpes éoliennes caresse les
oreilles; la vue des oeuvres d' art dans la galerie apaise
l'âme. Pour Oswald, malade, la conversation de Corinne est
ravissante. Elle le gâte, le soigne et le nourrit. Elle
l'amuse en chantant, eu lisant et parfois "par une
conversation dont elle faisoit tous les frais, en cherchant
à s'animer elle-même dans le sérieux comme dans la
plaisanterie, ave,' un intérêt soutenu79
". Envoûté, Oswald
trouve qu'avec Corinne "la vie domestique se compose ...
d'enchantemens continuels ••• " et que Corinne ne diffère
"des autres femmes que pour ajouter à toutes les vertus le
80 presti ge de tous les charmes ". La gamme des plaisirs
offerts par Corinne à son amant rappelle la légende:
The Lady of the House of Sleep •.. paragon of aIl paragons of beauty, the reply ta aIl desire, the bliss-bestow;ng goal of every hero's earthly and unearthly que st. She is mo ther, siste r, mis t ress, b rideS1 .
L'art transforme la vie sous toutes ses formes.
Artiste et femme, Corinne est une heureuse manifestation
des deux rôles. Dans son improvisation au Capi tale, Corinne
évoque Dante:
-..
A sa voix, tout sur la terre se change en poésie; les objets, les idées, les lois, les phénomènes, semblent un nouvel Olympe de nouvelles divinités .. Les magiques paroles de notre plus grand poète sont le prisme de l'univers; toutes ses merv~il1es s'y r€fléchissent, s'y divisent, s'y recomposent; les sons imitent les couleurs, les couleurs se fondent
116.
en harmonie; la rime, sonore ou bizarre, rupide ou prolongée, est inspirée par cette divination poétique, beaut€ suprême de l'art, triomphe du génie, qui découvre dans la nature S~us les secrets en relation ave c le coeur de l' homme .
Les paroles de Dante transforment la réali té de
l' exis tence en un hymne à 1 ' univers. Elles créent un lien
entre les dimensions spirituelle et matérielle de l'existence.
On dirait que le divin en lui son âme, reflète le divin qui
est manifeste autour de lui. Mme de Staël reprend et
approfondit cette idée à l'égard de la femme. Corinne jouit
du succès, non seulement dans sa vie extérieure, mais aussi
dans sa vie privée. Dans son jardin, des sons harmonieux
et le parfum des fleurs se confonde~t. Son
environnement est un paradis où l'expression de son génie
d'artiste et ses impulsions féminines s'harmonisent. La femme
est conçue comme un être supérieur grâce à sa maltrise de
l'immanence. Le prince Castel-Forte confirme cette
observation:
Regardez Corinne. - Oui, nous suivrions ses traces, nous serions hommes comme elle est femme, si les hommes pouvoient, comme les femmes, se créer un monde dans leur propre coeur, et si notre génie, ... dépendant des relations sociales et des circonstances extérieures, pouvoit s'allumer tout entier au seul flambeau de la poésie 83 •
( 117.
Corinne, l' archét.ype de la femme au fa!te de sa
splendeur, imprègne la vie de poésie, tandis que l'homme
crée la poésie pour le monde. Sous toutes ses formes,
l'art est une force transcendante. Pour Corinne, la vie
est l'art et par conséquent, une force libératrice dont
Nelvil et la société ont peur. L'art permet à l'individu
d'aller au-delà des limites du conscient. Pour Corinne,
l'art n'a pas de but utilitaire, c'est l'hymne de la vie,
la danse de l'univers.
Les amants connaissent une période de bonheur
intens~ mais les obstacles à leur union sont insurmontables.
En dépit de son amour pour l'hérolne, Oswald ne peut ni
oublier la promesse faite à son père ni se libérer
entièrement des liens de sécurité que lui dispense la
société anglaise. La réserve, la pudeur et la modestie de
la femme anglaise sont plus rassurantes pour lui que
l'individualisme de Corinne. Jaloux de son succès, il lui
reproche son indépendance, son inconstance et sa spontanéité:
Vous êtes une personne inconcevable, profonde dans vos sentimens, et légère dans vos goûts, indépendante par la fierté de votre âme, et cependant asservie par le besoin des distractions; capable d'aimer un seul, mais ayant besoin de tous. Vous êtes une magicienne qui inquiétez et rassurez alternativement •.. Corinne, Corinne, on nel'peut s'empêcher de vous redouter en vous aimant 84 !
Facilement ému, mélancolique et irrésolu, Oswald est
incapable de prendre une décision concernant Corinne. Des
images somb res, évoq ua n t la peur du néan t de l' hérol ne et
le destin fatal des amants jalonnent le texte. Corinne et
. ' t f t , ~
\ ~ t , < " 1 Î t, ,
, .' " j ~ r ,
~
f t . f
118.
Oswald se racontent mutuellement leur histoire. Celle de
Corinne est écrite. Après sa lecture, consterné
et triste à cause des souffrences de Corinne en Angleterre,
Oswald se demande si, en effet, Corinne, comme sa femme, peut y
être heureuse. Troublé par le rôle de son père, lord
Edgermond, il sort à midi par le soleil
brûlant de Naples. Incapable d'attendre plus longtemps la
réponse d'Oswald, Corinne va à sa chambre, et ne le trouvant
pas, elle le suit, 85 saisie par "une terreur mortelle ".
Elle n'avait pas le projet d'aller jusqu'à Portici, mais elle avançait toujours, et toujours plus vite; la souffrance et le trouble précipitoient Nes pas .•. elle ne rencontroit pas un arbre pour s'appuyer, et sa raison s'égaroit dans ce désert enflammé ..• les forces lui manquoient; elle essayoit en vain de marcher, elle ne voyait plus sa route; un vertige la lui cachoit, et lui faisoit apparoître mille lumi~res, plus vives encore que celles qui l'environnait d'une obscurité sans fraîcheur. Une soif ardente la dévoroit; elle rencontra un lazzarone, l'unique créature hu~aine qui pût braver en ce moment la puissance du climat •.. mais cet homme, en voyant seule .• à cette heure, une femme si remarquable •.. ne douta pas gu'elle ne fût folle, et s'éloigna d'elle avec terreur 86 .
Comme Delphine, errant seule au bal masqué, Corinne
se trouve séparée brutalement de la réalité quotidienne.
Dans Corinne, la solitude de l'hérolne est de loin plus
intense. Même la nature lui est hostile. Impa tien te et
passionnée, elle cherche son amant, malgré la chaleur
étouffante que même les hommes évitent dans le Midi. SA
(
119.
solitude et sa passion l'emportent sur la logique. Elle
a l'impression d'être noyée dans l'obscurité. Même le
lazzarone, un homme des plus abjects de la société, croit
qu'elle est folle et la fuit. Le génie côtoie la folie.
L'intensité des sentiments de l'hérolne et sa peur du
néant la précipitent dans un abîme de désespoir.
de son intelligence égale sa capacité de sentir.
L'acuité
Dans son
hérolne, Mme de Staël transpose ces deux penchants de sa
nature.
D'autres images du paysage sont des presages de mort,
mort lente ou brutale, cadre où se déroule l'amour fatal
du héros et de l'hérolne. Leur voyage commence
aux ruines de Pompéi. La lave du Vésuve, avançant
"lourdement et silencieusement 87 ", ensevelissant tout "sous
ses vagues brûlantes 88 " est une image sinistre des forces qui
séparent Oswald et Corinne. La lave symbolise la mort, e~ Corinnp,
l'amour, la vie et le bonheur. Corinne choisit le cap
Misène, en pleine campagne napolitaine, pour improviser
sur la fatalité de l'amour. C'est l'un des endroits les plus
beaux, mais aussi les plus tragiques où bien des femmes dans
la mythologie et l'histoire ont pleuré leurs amours condamnées.
Corinne pressent son propre destin:
~ 1
1
J
t
l
Amour, suprême puissance du coeur, mystérieux enthousiasme qui renferme en lui-même la poésie, l'hérolsme et la religion! qu'arrive-t-il quand la destinée nous sépare de celui qui avoit le secret de notre âme, et nous avait donnée la vie
120.
du coeur, la vie céleste? qu'arrive-t-il quand l'absence ou la mort isolent une femme sur la terre? Elle languit, elle tombe 89 .
À Venise, Oswald quitte Corinne pour rejoindre son régiment
en Angleterre. Aussitôt, un orage éclate. La violence de
1a pluie et du vent reflète les émotion~ des amants.
Inquiète pour Oswald, Corinne sort pour l'accompagner.
Elle appelle les bateliers qui prennent ses appels pour les
cris de détresse de malheureux qui se noyaient et ils
n'osent pas s'approcher d'elle. Comme les batE~liers,
Oswald abandonne Corinne.
Dérobée aux regards, ignorée de tous, Corinne verra DrOgre~~er
l'amour d'Oswald et de Lucile. Comme dans un cauchemar, elle
se trouve incapable de se rapprocher d'Oswald et ainsi de
s'unir à lui. Lors d'un bal au château de lady Edgermond,
Corinne rôde dans le parc jusqu'à la rivière. Elle entend
tout à la fois la musique de la fête et le murmure de
l'eau. Sur une rive, les arbres, la fête, la musique et
la joie; sur l'aytre, un paysage désert éclairé par la lune.
Corinne s'imagine noyée dans la rivière et devine la
détresse d'Oswald la retrouvant. Elle n'a qu'à se présenter
au bal pour changer son destin mais elle avance irrévocable-
ment vers son avenir désert.
( "
L
121.
Oswald a épousé Lucile et une fille, Juliette, laur
est née. Oswald est malade et dans son délire, Lucile
comprend qu'il veut revoir Corinne et l'Italie. La
traversée du Mont Cenis semble présager l'avenir triste du
hé ros. Comme Oswald et Lucile regardent "l'enfer de glace90 ",
qui est le Mont Cenis, ils aperçoivent "une longue file
d'hommes habillés de noir, qui portoient un cercuei19l ".
Tout annonce le deuil de la nature et de l'homme.
La soeur de Corinne, Lucile, symbole de la femme
patriarcale, ne deviendra jamais la rivale détestée, ni
comme soeur, ni comme amante. Au théâtre, lorsque Corinne
voi t Lucile, "elle se compara dans sa pensée avec elle, et
se trouva tellement inférieure, elle s'exagéra tellement •••
le charme de cette jeunesse, de cette blancheur de ces
cheveux blonds, de cette innocente image du printemps de la
vie, qu'elle se sentit presque humiliée de lutter par le
talent, par l'esprit •.. avec ces grâces prodiguées par
la nature elle-m~me92". Cruellement humiliée, Corinne se
sent indigne d'~tre la femme d'Oswald, et lui retourne son
anneau. En mariant Lucile au héros, Mme de Staël exalte
la femme soumise, vertueuse et belle, idéal de la
femme-épouse. Elle reconnatt l'~gocentrisme de son
hérolne comme un obstacle à son épanouissement comme mère.
Comme mère-substitut, Corinne entreprend l'éducation de
Juliette qui "fitJes progrès inconcevables dans tous les
genres9S
".
--- ._-._--
122.
Le talent de Corinne, qui "a besoin cl' une indépendance
intérieure que l'amour véritable ne permet jamais 94 "
s'épuise par la force de la douleur et elle meurt. c ' est
une mort dans la tradition de l'Eglise. Elle se confesse,
excusant Oswald de l'avoir abandonnée car "les hommes ne
savent pas le mal qu'ils font 95 "
La position de Mme de Staël à l'égard du catholicisme
parait ambigue car elle appuie le divorce dans Delphine et
fait congédier le prêtre du chevet de Sophie de Vernon,
mourante. Son attitude a changé au contact avec les
Italiens. Porte-parole de Mme de Staël, Corinne fait ce
constat: "Il n'y a rien d'étroit, rien d'asservi, rien
de limité dans la religion. Elle est immense, l'infini,
l'éternel; et loin que le génie puisse détourner d'elle,
l'imagination, son premier élan, dépasse les bornes de la
vie, et le sublime en tout genre est un reflet de la
Divinité 96 ". L'héroine illustre les rapports qui existent
entre la religion, l'amour, les arts, la vie et la mort.
Sa perception de la réalité est un reflet de l'harmonie
spirituelle et intellectuelle qui la caractérise.
Archétype de la femme, l'héroïne est la manifestation
des désirs, des rêves et des fantasmes non seulement de
Mme de Staël et de ses contemporains, mais de la femme
moderne. Le mythe de la sibylle s'inspire de la réalité de
( la psyché féminine que la faculté de l'intuition
caractérise. De génération en génération, la mémoire
génétique unifie le processus créatif et intellectuel
de la civilisation, qui se manifeste à un moment donné.
Corinne est la manifestation de ce processus: elle se
transcende comme artiste et dans la vie intime, elle
crée une ambiance qui lui plalt. Cette ambiance est
123.
un reflet de son harmonie intérieure et un lieu d'accueil
pour ses amis. Cependant, le héros l'abandonne et le
rêve se dissipe.
Des indices de l'impossibilité de ce rêve sont
manifestes dans le roman et signalent la lente déchéance
de l'héro1ne. La présence du lazzarone à Naples souligne
la mesure de son désespoir et de sa solitude; la lave
symbolise sa mort lente et l'orage à Venise prédit son
angoisse et ses souffrances. La fête dont elle est témoin,
est une métaphore de son exclusion de la société.
Oswald fait revivre l'inconstance de Narbonne et de
Ribbing. Passionné, sensible et d'une nature élevée, il
possède toutes les qualités pour plaire à Corinne: ils "se
sont confiés leurs pensées les plus intimes .•• se sont parlés
de Dieu, de l'immortalité de l'âme, de la douleur" .. mais ..
ils "redeviennent tout à coup étrangers l'un à l'autre97
".
Asservi à une morale conventionnelle, Oswald ignore son coeur
et abandonne Corinne. La repr.ésentation de l'Italie comme
pays libre s'inspire de l'oDservation des philosophes des
Lumières: le bonheur individuel dépend des institutions et
des lois et les moeurs sont les produits de l'environnement
de l'homme. La mort de Corinne est le geste sublime de
la femme de génie que la société, représentée par Oswald
et l'Angleterre, refuse en tant qu'artiste accomplie et
femme heureuse sur le plan émotif.
(
e) La critique de la presse de l'époque.
En dépit de l'immense succès de Delphine et de
Corinne, la critique de la presse qui représente bien
les idées de Bonaparte et de la société qu'il consolide,
est virulente quant à Delphine, dont le contenu politique
et philosophique réfute le despotisme du régime impérial,
tandis qu'elle l'est moins à l'égard de Corinne. Pour
Delphine, on accuse l'auteur d'immoralité, d'invraisemblance
et d'un manque d'esprit religieux. Pour Corinne, on n'a
rien à dire sur la religion mais on critique son aspect
social, les idées morales et la vraisemblance.
La critique de Delphine se divise en deux groupes:
sept ou huit sont contre Mme de Staël; trois prennent sa
défense: il y a Hochet dans "le Publiciste", Constant dans
"Le Ci toyen français" et Ginguené dans "La Décade philosophique".
Féletz et Michaud dans le "Journal des débats", Fiévée dans
le "Mercure" et Villeterque dans le "Journal de Paris" sont
nettement contre Mme de Staël. Benjamin Constant se moque
des adversaires de Mme de Staël et ses commentaires suivants
situent bien leur jeu:
A peine a-t-il paru, que chefs et subalternes, tout a été dans la plus grande rumeur: on a battu le ban et l'arrière-ban, arboré le drapeau noir en signe de détresse; toutes les plumes ont été mises en réquisition et se sont escrimées dans les feuilles
126.
et les feuilletons, à disséquer l'oeuvre philosophique de Mme de Staël. Les uns ont savamment disserté sur les défauts et les invraisemblances du roman de Delphine; d'autres ont fait écrire des lettres à des prétendus philosophes ... ils ont eu l'attention de n'y mettre ni esprit ni ?hilosophie; .. on s'en est pris au sexe de l'auteur, à son pays, à sa famille. Tout cela, comme on voit, est très décent, très charitable, et surtout extrêmement chrétien98
En effet, comme l'observe Constant, les attaques
s'inspirent en grande partie du fait que l'auteur est une
femme et l'idéal de la femme qu'elle propose dans son
héroine va à l'encontre de l'image de la femme à l'époque.
Féletz, tenant du classicisme, ast nécessairemp.nt contre
le roman mais ses commentaires sont insignifiants par rapport
aux propos venimeux de Fiévée. Dès 1797, Fiévée, conseiller
secret de Napoléon, romancier à succès et l'un des
écrivains politiques les plus célèbres de son temps, est
un adversaire acharné de la philosophie des Lumières et
par conséquent, de Mme de Staël, femme et philosophe brillante.
Son article du 1 janvier 1803 est l'un des articlp.s les plus
méchants jamais écrits sur Mme de Staël à propos de Delphine.
L'une des principales accusations, reprise par d'autres
journalistes et iu'on retrouvera a propos de Corinne,
c'est que Delphine, femme passionnée, est par ce fait même
contre la nature des femmes bien élevées. Voici un extrait
de son attaque:
(
{
127.
Delphine .. est une tête exaltée •. elle est philosophe et déiste, et, ce qui est pis, elle est si bavarde qu'elle parle toujours la première. Parler est pour elle le bonheur suprême, aussi, répète-t-el1e souvent qu'elle est brillante, qu'elle a été brillante, qu'elle sera brillante, ce qui signifie qu'elle parle bien, qu'elle a bie~ parlé et qu'elle parlera bien .. ; depuis que nos moeurs ge sont perfectionnées, on trouve bien qu'une femme se fasse orateur dans un salon, et plus elle manque aux bienséances, aux devoirs de son sexe, plus on lui applaudit •. Ce caractère existe, et Mme de Sta~l a pu le peindre; mais elle a eu tort de croire qu'une femme pareille inspirerait de l'intérêt99 •
La haine de Fiévée le pousse plus loin. Delphine "parle
de l'amour comme une Bacchante, de Dieu comme un quaker, de
la mort comme un grenadier, et de la morale comme un
100 sophiste ". Cette âpreté choque les lecteurs du "Mercure"
puisque l'article est signé F.; ils en accusent Fontanes,
récemment parti de la revue, lequel doit publier un démenti.
Hochet et Ginguené admirent la représentation de la
société dans le roman. Ginguené, en particulier, fait
l'éloge du caractère de l'héro~ne qu'il trouve d'une élévation
extraordlnaire. Cependant, même pour Ginguené, cett~
conception de la femme est troublante et malgré l'élégance
de ses phrases, il est évident, qu'au fond, Ginguené, comme
ses contemporains, est trop conservateur pour concevoir la
présence d'une femme comme Delphine dans la société. Voici
ses commentaires:
Une femme d'ailleurs qui joue ce rôle dans le monde quitte réellement celui que la nature et la société imposent également à son sexe; quelque éclat que vous lui supposiez, elle ne parait pas alors sur l'horizon comme un astre brillant et doux qui éclaire, mais comme une comète qui tourbillonne et dérange tout le système; et tenez pour certain que si les planètes avaient du sentiment et de l'action, elles se ligueraient toutes contre les comètes lOl .
128.
On accuse Mme de Staël d'immoralité car une femme
passionnée en amour est hors de la décence. Les
commentaires de Fiévée, Vi11eterque et Roederer se
conforment "aux opinions courantes dans les écrits et
l'opinion de ce temps, chez les médecins, comme chez les
moralistes et les juristes l02 ". Fiévée trouve que la
question de l'amour physique est posée "tout crûment entre
les deux amants l03 ". Roederer parle d'obscénité:
Une femme qui se laisse approcher ainsi est déjà souillée, l'adultère est là, dans l'embrasement de deux imaginations qui ne peuvent plus s'attacher à aucun devoir, ni tenir dans aucune vertu ... Celle qui n'a pas su tenir un homme dans le respect, est une femme violée et dégradée l04 •
On reproche à Delphine de ne pas avoir de religion
proprement dite, tandis qu'on fait l'éloge de Matilde de
Vernon, une bigote, qui professe le catholicisme.
Fiévée, Villeterque et Féletz trouvent que l'histoire
manque de morale proprement dite, c'est-à-dire, qu'ils
auraient voulu voir la vertu récompensée. Constant leur
répond qu'en effet, le malheur de Delphine est imputable
à son refus de se conformer à l'opinion générale. Mme de
Staël voulait "faire sentir toute l'injustice de cette
tyrannie de l'opinion, qui transforme en actes criminels
des actes de vertu, et flétrit les réputations sur la seule
apparence des choses lOS ". Sur le plan de la politique, dit
Constant, quelle que fût ••. la constitution d'un Etat, il
n'y aurait pas de liberté tant qu'on y maintiendrait cet
(
esclavage de l'opinion, qu'on peut bien regarder comme
la pire des servitudes l06 ".
En lisant toutes les attaques contre Delphine, on
éprouve un sentiment de malaise face à l'hypocrisie et
à l'intolérance de cette critique dirigée par la volonté
impériale. Les propos, lourdement misogynes, paraissent
étonnants de nos jours mais "en réalité .•. le langage est
129.
1 i d " d ... la 7" ce u e toute une epoque, a e trop rare except10ns pres
Si Ginguené prend la défense de Mme de Staël, son langage
est toujours de son époque car la nouveauté du caractère
de Delphine l'effraie et il ne peut pas accepter cette
vision de la réalité féminine.
Les attaques contre Corinne s'inscrivent dans la
réprobation générale du roman du siècle précédent. On
trouve que les personnages et les sentiments qu'ils
expriment sont invraisemblables. Pour Féletz dans "Le
Publiciste", et pour d'autres journalistes dans le
"Journal du commerce", la "Gazette de France" et la
"Oêcade" surtout, Mme de Staël "crée des personnages
extraordinaires, elle leur donne des passions extraordinaires,
sur lesquelles elle les fait disserter dans un langage
souvent extraordinaire .. 108 ". On prétend que Corinne,
personnage enthousiaste et inspiré, n'a pas de mesure
commune avec l'humanité. Constant répondra que cela revient
à dénoncer le beau idéal d'une statue grecque. Schlegel
propose que Corinne, l'artiste, est un être à part, et que
- 130.
sa marche à la mort est celle d'un poète.
Féletz trouve invraisemblable l'inconstance d'Oswald
et Auger dans la "Décade" ne comprend pas sa soumission à
la volonté de son père défunt. Seul Constant comprend le
p er sonnage. Il explique que la société pèse tellement sur
l'individu, qu'elle finit par le façonner d'après le
moule universel. L'indécision qui caractérise la jeunesse
fait que "la nature lutte contre les règles qu'elle ne
conçoit pas clairement; et c'est durant cette lutte que
l'homme est en proie aux égarements de l'imagination comme
109 aux 0 rages du coe ur " .
A l'exception de Schlegel et de Constant, on ne fait
pas de commentaire sur le rôle des nationalités dans le
roman. Ils expliquent que le choix de pays différents
sert à mettre en opposition des natures et des qualités
des protagonistes, les forçant à faire un choix.
Réactionnaires, les feuilletonistes qualifient
d'invraisemblable tout ce qui s'écarte du système moral
et social en vigueur à l'époque. Fêle tz dé tes te le vague à
l'âme, les rêves, les mystères qui environnent les personnages,
110 les considéran t comme une "f an tasmagorie sent ime n ta le " .
La "Gazette de France" ne voit là "qu'une étrange maladie
de l'esprit dans un siècle corrompu, une conséquence de
111 l'égoïsme philosophique ".
On aboutit aux propos violemment antiféministes
du siècle précédent. Corinne est considérée comme anti-
sociale. Constant répond qu'il est impossible que
1
(
(
l'auteur se donne un modèle à suivre pour les personnages
et pour l'intrigue de son roman, étant donné qu'il est
question d'une oeuvre d'imagination, laquelle, dit-il,
131.
"ne doit pas avoir un but moral mais un résultat mora1l12
".
Aucun critique, sauf Constant, Sch1egel et Humboldt,
n'a compris le rôle des arts à travers le roman dans
l'expression des sentiments et des personnalités. Boutard,
critique spécialisé du "Journal de l'Empire", aime les
commentaires de Corinne sur la peinture, sa sensibilité
d'artiste, et sent qu'il y a là quelque chose d'étrange. Il
ne sait pas qu'il rencontre pour la première fois les
nouvelles idées allemandes en esthétique.
La cr i tique cède aux préjugés moraux et sociaux,
toujours courants, d'avant la Révolution. Cette réaction,
qui vante la France de Louis XIV au dépens de l'Europe
des Lumières, soutient le plaidoyer de Mme de Staël et
justifient son réquisitoire contre la société.
NOTES
CHAPITRE III
1 Mme de Staël. Delphine, Intro.de Claudine Herrmann, Edition des Femmes, Paris, 1981, p.35
2 Ibid, p.19
3 Ibid, p.3
4 Gutwirth, Madelyn "La Delphine de Madame de Staël: Femme, Révolution et mode épistolaire, p.1S8, Cahiers staë1iens, no.26-27, 1979
S Ibid, p.1S9
6 Ibid, p.163
7 Mme de Staël, Delph~, Intro.de Simone Balayé, Droz, Genève 1987, p.13
8 Mme de Staël Delphine, Intro.de Claudine Herrmann, Edition des Femmes, Paris, 1981, p.49
9 Ibid, 2,IV,XXXllI cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., p .109
10 Mme de Staël Delphine, Intro.de Claudine Herrmann, Edition des Femmes, Paris, 1981, I,Il,p.27
11 Ibid, p.28
12 Ibid, p.26
13 Ibid, XXVII, p.28S
14 Ibid, XXVII, p.28S
15 Ibid, 2,V,IX p.204 cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., p .113
16 Ibid, p.113
17 Ibid, 2 , V , xx VII l , p.280 cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., p.113
18 Ibid, 2,V,X,p.206 cité par Made1yn Gutwirth, Op.cit., p.114
( 133.
NOTES
19 Balayé, Simone "Destin de femmes dans Delphine", Cahiers staëliens, no.35, 1984, p.49
20 Mme de Staël Delphine, Intro.de Claudine Herrmann, Edition des Femmes, Paris, 1981 II,XLI,p.340
21 Ibid, p.330
22 Ibid, p.333
23 Ibid, l,VII, p.46
24 Ibid, l,VII, p.46
25 Ibid, I,VII,p.47
26 Ibid, l,VII, p.49
27 Ibid, I,III,XIV,p.4l9 cité par Made1yn Gutwirth, Op. cit., p.124
28 Ibid, p.124
29 Ibid, I,II,XVIII, p.440 cité par Madelyn Gutwirth, Op. cit., p.124
30 Ibid, p.127
31 Mme de Staël Delphine.l Intro.de Claudine Herrmann, Editions des Femmes, Paris, 1981, II,XVIII, p.441 cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., p.127
32 Ibid, p.127
33 Mme de Staël Delphine Intro.de Simone Balayé, Droz, Genève 1987, p.26
34 Gutwirth, Made1yn Op.cit., p.l27
35 Mme de Staël Delphine.l Intro.de Claudine Herrmann, II,VII, cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., p.128
36 Ibid, I,III,p.64 cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., p.131
37 Ibid, 111,1, p.367 cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., p.131
38 Ibid, p.131
134.
NOTES
39 Ibid, III,III,p.377 cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., p.131
40 Ibid, p.131
41 Ibid, III,V,p.384 cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., p.131
42 Ibid, III,XXVIII,p.457 cité par Madelyn Gutwirth, Op. cit., p.13l
43 Ibid, VI,XVIII,p.391 cité par Made1yn Gutwirth, Op. cita, p.131
44 Ibid, III,XXIII, p.449
45 Ibid, Notes p.529
46 Mme de Staël Delphine Intr.de Claudine Herrmann, Editions des Femmes, Paris, 1981, IV,VXXVII,p.15l cité par Simone Balayé, Lumières et liberté, Klincksieck 1979, p.134
47 Ibid, p.134
48 Ibid, p.134
49 Mme de Staël Delphine Intro.de Claudine Herrmann, Editions des Femmes, Paris, 1981, III,VII,p.389
50 Gutwirth, Madelyn "Mme de Staë1's debt ta "Phèdre": "Corinne", Studies in Romanticism, Vol.III, Spring 1964, no.3 The Graduate School, Boston University, p.l6l
50 Moers, Ellen "Performing Heroinism: The My th of Corinne" in Literary Women, Doubleday, Garden City,N.Y.1976,p.173
51 Ibid, p.189
52 Ibid, p.189
53 Ibid, p.19l
54 Ibid, p.179
55 Mme de Staël Corinne ou l'Italie, Edition des Femmes 1979, II,I,p.43
(' '",
135.
NOTES
56 Ibid, IntI'. de Claudine Herrmann, p.7
57 Simone, Franco "La littérAture italienne dans "Corinne" Cahiers staëliens no.35, 1979, p.297
58 Mme de Staël Corinne ou l'Italie, Edition des Femmes 1979, IX,I,p.228
59 Simone, Franco "La littérature italienne dans "Corinne" Cahiers staëliens no.35, 1979, p.296
60 Mme de Sta~1 Coridne ou l'Italie, Edition des Femmes 1979, III,III,p.228
61 Ibid, IX,I,p.228
62 Ibid, IX,I,p.228
63 Ibid, IX,I,p.229
64 Ibid, IX,I,p.229
65 Ibid, IX,I,p.229
66 Ibid, IX,I,p.229
67 Ibid,Notes p.28l
68 Ibid, X,IV,p.238
69 Ibid, X,IV,p.254
70 Ibid, X,V,p.255
71 Ibid, XX,V,p.298
72 Ibid,I,I,p.23 cité par Made1yn Gutwirth, Op.cit., p.232
73 Ibid, p.232
74 Ibid, p.233
75 Ibid, I,I,p.23
76 Ibid,XVI,III,p.162 cité par Madelyn Gutwirth, Op.cit., 0,220
136.
NOTES
77 Mme de Staël Corinne ou l'Italie, Edition des Femmes 1979, XVI,V,p.170 cité par Made1yn Gutwirth Op.cit., p.220
78 Ibid, XIV,III,p.89
79 Ibid, VIII,I,p.200 cité par Made1yn Gutwirth Op.cit., p.242
80 Ibid, VIII,I,p.203 cité par Made1yn Gutwirth Op.cit., p.243
81 Campbell, Joseph The Hero with a Thousand Faces, Bo1linger Series, Princaton 1949, p.IIO-111 cité par Made1yn Gutwirth Op.cit., p.242
82 Mme de Staël Corinne ou l'Italie Editions des Femmes 1979 II,III,p.54 cité par Madelyn Gutwirth Op.cit., p.243
83 Ibid, p.243
84 Mme de Staël Corinne ou l'Italie, Edition des Femmes 1979, VI,III,p.149, Ibid, cité par Madelyn Gutwirth Op.cit., p.210
85 Mme de Staël Corinne ou l'Italie Edition des Femmes 1979, XV,I,p.115
86 Ibid, XV,I,p.l15-l16
87 Ibid, XIII,I,p.61
88 Ibid, XIII,I,p.62
89 Ibid, XIII,IV,p.76
90 Ibid, XIX,V,p.267
91 Ibid, XIX,V,p.267
92 Ibid, XVII,IV,p.199
93 Ibid, XX,IV,p.292
94 Ibid, XV,IX,p.150
\ 95 Ibid, XVIII,V,p.301
(
NOTES
96 Ibid, XVIII,V,p.301
97 Ibid, XVIII,V,p.238
98 Constant, Benjamin Receuil d'articles 1795-1817, Ephraim Harpaz, Droz, Genève 1978, p.59
137.
99 Balayé, Simone "Delphine de Mme de Staël et la presse sous le Consulat" dans Colloque de Coppet: Mme de Staël et l'Europe, Klincksieck, Paris 1970, p.41
100 Ibid, p.4l
101 Carriat, Jeanne "Ginguené, critique de Delphine" dans Cahiers staë1iéns, nos.26-27, 1979, p.42
102 Balayé, Simon~ Op.cit., p.42
103 Ibid, p.42
104 Ibid, p.42
105 Constant, Benjamin Op.cit., p.61
106 Ibid, p.6l
107 Balayé, Simone Op.cit., p.47
108 Balayé, Simone "Corinne et la presse parisienne de 1807", Colloque de Coppet: Mme de Staël et l'Europe K1incksieck, Paris 1970, p.2
109 Ibid, p.2
110 Ibid, p.5
III Ibid, p.5
112 Ibid, p.9
CONCLUSION.. . . ... . . . . . . . . . . . . .. . . . .. . . . ... . . . •. 145
BIBLIOGRAPHIE •••••••••••••••••••••••••••••••••• i-vi
{
(
Malgré l'énorme succès de son oeuvre, le rang
social et la fortune qu'elle possède, Mme de Stae1 a été
persécutée pour son rôle dans la politique et exilée
par Napoléon. Sa résistance à son despotisme
et ses romans témoignent de sa conviction passionnée de
l'importance de la liberté individuelle, point de départ
de la morale. Dans Delphine et Corinne, Mme de Staël
souligne que la femme de son temps n'est pas libre.
Par conséquent, dit-elle, pour la femme, la morale n'existe
pas. Nos commentaires sur la situation de la femme
aristocrate de l'époque, sur les idées morales de Mme de
Staël, sur les sources de son inspiration et sur les
influences qui l'ont guidée, ont cherché à appuyer cette
thèse.
Les idées morales de Mme de Staël l'inscrivent dans
la tradition des grands philosophes des civilisations
orientale et occidentale. Dans sa totalité, l'homme est
capable de saisir les vérités absolues de l'existence. Ses
tendances naturelles l'inclinant vers le bonheur, la paix et la
sagesse. Dans cette perspective, la guerre est contre la
nature de l'homme. Dieu et l'âme existent et le but de
l'existence est le perfectionnement moral que l'accomplissement
du devoir inspire. Mme de Staël soutient l'idée de la
perfectibilité de la civilisation, corollaire de l'idée
de l'évolution morale individuelle.
139.
Dans la perspective de la société de l'époque, les idées
morales de Mme de Staël, surtout à l'égard de la femme, sont
d'une conception radicale. La femme n'a qu'un rôle, celui de
mère de famille et de partenaire soumis à son mari. Les
événements principaux de son existence culminent en
son mariage, un contrat social. A la Cour, on qualifie son
influence de néfaste et mesquine, situation exacerbée par le
phénomène du libertinage. D'une part, Laclos attribue le
libertinage à la dissipation de la noblesse et d'autre part,
il le considère comme une affirmation de la liberté
féminine.
distingue.
Dans le domaine des lettres, la femme se
Grâce à elle, les idées lancées
par les philosophes pénètrent dans la société et une production
littéraire se développe. Les attaques contre le roman témoignent
de l'attitude réactionnaire de la société à son égard. On
condamne le roman pour des raisons esthétiques et morales. Il
n'y a que Fenelon, Laclos et Marivaux qui défendent le roman et
la femme. Un abîme d'ignorance sépare les deux sexes.
L'Essai sur les fictions de Mme de Stail constitue une
défense rigoureuse du genre romanesque, et par le fait même, de la
cause féminine. En soulignant l'importance des sentiments et de la
raison, Mme de Staël fraie un nouveau chemin car la société de
l'époque ignore les sentiments - pas de rapports affectifs entre
mère et fille, non plus qu'entre mari et femme. Elle insiste
L
" " . .
140.
sur l'importance de l'éducation de la femme, car c'est elle
qui détermine en grande mesure, dès leur naissance, la
nature des rapports entre l'homme et la femme.
L'aspect viril de la pensée staë1ienne vient de
l'influence des philosophes des Lumières. Au nom de la
raison, ils voulaient faire le bonheur de tous les hommes en
revendiquant l'égalité et la liberté religieuse, politique,
économique et civile. Montesquieu et Voltaire soutiennent
que les institutions, les lois et les moeurs sont les produits
de l'environnement de l'homme, idée développée par Mme de
Staël dans De la littérature considérée dans ses rapports
avec les institutions sociales et dans Corinne.
Dans De l'Allemagne, publié en 1804, Mme de Staël
introduit les traits essentiels du romantisme dans la société
française. Chateaubriand incarne l'âme romantique et d'une
certaine manière, il est un personnage de Mme de Staêl. Les
entretiens avec les philosophes romantiques allemands ont
permis à Mme de Staël d'approfondir sa pensée. Son imagination
a pris des ailes dans sa conception de Corinne. La théorie de
"l'art pour l'art", suite naturelle de sa pensée morale et
littéraire et un changement important dans l'histoire des idées,
sous-tend, non seulement la conception moderne de l'artiste,
mais aussi celle de l'homme commun. L'artiste se transcende
par l'acte de création. L'imagination du créateur permet
d'établir un lien entre le monde physique des apparences et les
141.
profondeurs de l'inconscipnt co11~ctif. L~ C0nR~ience de la
mort, enviR8p~p co~me un v~ile qui s~n~rp IPR dimensions
temporelle et éternelle, revêt une importance primordiale,
car l'idée de la transcendance s'en inspire. Cette
idée constitue la genèse de Corinne. Mme de Staël
épouse la philosophie kantienne car elle confirme ses
propres idées sur la spiritualité de l'homme. Le drame
de Werther la séduit car le thème lui rappelle sa propre
situation, celle d'une victime de la société. Son
influence se fera sentir dans Delphine et Corinne. A
l'opposé de ses héroïnes, le malheur lui vaut la renommée
et la découverte d'horizons intellectuels et spirituels
plus vastes.
A sa mère, Mme de Staël doit le développement
intellectuel de ses facultés mais aussi, une peur morbide
de la solitude. Dans ses romans, Delphine et Corinne
vivent des expériences terrifiantes, au bord du néant:
la première, au bal masque, la deuxième, sous le
soleil brûlant de Naples. L'intensité de la formation
intellectuelle de Germaine et la tension émotive
auraient produit l'énigme de sa personnalité. Dans ses
rapports avec son père qui l'adore, Germaine trouve
l'affection, l'estime, la bienveillance et l'amour qui
manquent dans ses rapports avec sa mère. S'il désapprouve
l'habitude de Germaine d'écrire, il nourrit sa soif de la
<. 142.
gloire. Les idées de son père, son rôle dans la
politique et la gloire qui entoure son nom auraient
poussé psychologiquement Germaine à réaliser son
oeuvre de fiction.
A part sa signification sociale, son mariage avec
le ba l'on Eri c Magnus de Staël-Ho 1s te in es tune malheure use
décep tion. Dans Delphine, elle présente ses idées là-dessus.
D'abord, le mariage doit s'inspirer de l'amour, et
ensuite, il incombe à la femme, par son exemple, de
mener son partenaire sur le chemin du perfectionnement
moral. L'éducation féminine est l'outil au moyen duquel
la société progresse plus vite. Simone de Beauvoir,
che f de file des f éminis t es ma de rnes, r epr endr ace t te même idée.
Pour Mme de Staël, l'amitié est une expression
d'amour, une passion qui s'élève au-dessus des considérations
politiques ou des conventions sociales, et qui illustre on ne
peut mieux l'importance des rapports sociaux à ses yeux.
Constant affirme qu'elle était la première et la plus
impérieuse de ses multiples vocations. En Juliette Récamier,
Mme de Staël trouve l'harmonie et la paix que l'amour
désintéressé de celle-ci lui réserve. Mme de Staël exal te
cette amitié dans Delphine. Elle emprunte la beauté de
Juliette à son héroine et Mme de Vernon, dont le caractère
s'inspire de Tal1eyrand, exerce le même charme sur Delphine
que Juliette Récamier sur Mme de Sta~l.
".
143.
D'une part, la tragédie de pelphine est une
métaphore de la lutte entre la liberté et le
despotisme de Napoléon et, d'autre part, un réquisitoire
contre la société de l'époque. Plus encore, elle est
un plaidoyer pour les passions généreuses et la liberté
de la femme. Napoléon déteste Mme de Staël et le livre
l'exaspère. Cependant, Delphine cannait un grand succès.
En mettant en scène une héroïne qui, à l'exception
de son individualisme, représente l'idéal de la femme
du XVIIIe siècle, et en l'entourant d'autres personnages
féminins qui se sont pliés au préjugés de la société,
Mme de Staël soutient davantage son réquisitoire contre
la société. Les personnages secondaires féminins
représentent la réalité de la condition féminine. En
racontant leur histoire, elle révèle
l'intolérance et le manque de sensibilité, de compassion
et de compréhension qui étaient évidents dans l'attitude
de la société à leur égard. Refoulée et réprimée, la
femme dissimule ses sentiments. Les pires aspects de
sa nature se manifestent. Elle est méchante, névrosée,
jalouse et possessive. Les frères Goncourt confirment cette
observa tion de Mme de Staël concernan t la femme: belle,
la vie lui offre le marIage et les enfants; laide, la
société ne l'accepte pas.
144.
Dans la création de Corinne, Mme de Staël a incarné,
non seulement son propre rêve, mais aussi les rêves, les
désirs et les fantasmes de ses contemporaines et des femmes
de lettres du XIX siècle. Un nouveau genre d'héroïne, celui
de la femme-artiste célèbre apparatt dans la littérature.
Corinne est la quintessence de l'énigme de la femme. Libre,
acclamée pour son talent d'artiste et d'improvisatrice, elle
est indépendante et heureuse. Dans la vie intime, elle crée
une ambiance qui est un reflet de son harmonie intérieure
et de son génie d'artiste. En donnant le nom de la sibylle
à son héroïne, Mme de Staël montre que le mythe sous-tend
la réalité de la condition féminine. Si le héros abandonne
l'héroïne et le rêve se dissipe, la création de Corinne et
son influence sur les femmes de son époque signalent une
prise de conscience qui est en train de bouleverser la société
de l'époque, phénomène que la critique de la presse illustre.
Sous l'influence de Bonaparte, la critique est
virulente quant à Delphine, dont le contenu politique et
philosophique réfute le despotisme impérial, et plutôt
réactionnaire à l'égard de Corinne. On trouve invraisemblable
la représentation des personnages et des sentiments dans le
deux romans et on condamne la peinture de l'amour dans Delphine,
la trouvan t indécente. On dé tes te la mélancolie, le vague et
,
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1 f
1 1 l'
1
145.
le rêve, les considérant comme responsable de troubles
moraux et sociaux. Personne n'est pr~t à accepter la vision
de la femme proposée dans les romans. Aucun critique ne
comprend ses idées sur l'art, la part des sentiments et
le romantisme naissant. On utilise les arguments du
siècle précédent contre Delphine et Corinne. Cette réaction
vante la France de Louis XIV au dépens de l'Europe des
Lumières.
Vers cette fin du XX e siècle, "l'armée de romancières"
du XIX e siècle, a pénétré dans toutes les disciplines. L'image
ternie de Mme de Staël pendant un siècle et demi, s'impose
de nouveau dans toute sa clarté.
(
BIBLIOGRAPHIE
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De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales tdition critique par Paul Van Tieghem (1800) Genève, Droz, 1959
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Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la révolution et des principes qqi doivent fonder la république en France Edition critique par Lucia Omacini, Droz, 1979
.. II. CORRESPONDANCE DE MADAME DE STAEL
Correspondance g~nérale, Ed.par Béatrice Jasinski, Hachette Pauvert, 1960
Lettres de Mme de Staê1 à Narbonne Ed.par G.Solovieff, Gallimard, 1960
Lettres à Ribbing Ed.par Simone Balayé, Gallimard 1960
Lettres à Madame Récamier Ed.par E.Bcau de Loménie, Domat 1952
Madame de Staël: ses amis, ses correspondants, choix de lettres (1778-1817) présenté par Georges Solovieff, Gallimard, 1960
BIBL IOGRAPHIE
Madame de Staël: Lettres inédites à Louis de Narbonne texte établi et présenté par Béatrice Jasinski, J.J.Pauvert, Paris, 1960
III. OUVRAGES PRINCIPALEMENT CONSACRÉS À MADAME DE STAËL
Balayé, Simone Lumières et liberté, K1incksieck, Paris, 1979
Cordey, Pierre Madame de Staël et Benjamin Constant sur les bords du Leman, Lausanne, P~yot 1966
Diesbach, Ghislain de Madame de Staël, Librairie Académique Perrin, Paris, 1983
Guillemin, Henri Mme de Staël, Benjamin Constant et Napoléon, Paris, Plon 1959
ii.
Gutwirth, Madelyn Madame de Stael: Novelist University of Illinois Press, 1978
Hero1d, Christopher J. Germaine Necker de Staël traduit de l'anglais par Michelle Maurois, Paris, Plon 1962
Levaillant, Maurice Une amitié amoureuse, Madame de Staël et Madame Récamier, Paris, Hachette 1956
Sainte-Beuve Madame de Staël, p.p.Maurice Allem, Paris, Garnier frères, 1932
. IV. ETUDES DIVERSES ET ARTICLES
Balayé, Simone "Delphine" de Madame de Sta~l et la presse sous le Consulat", Colloque de Coppet: Mme de Staël et l'Europe, Klincksieck, 1970
"Le dossier Sta~l", Romantisme, no.20, Champion, 1978
"C_Qnstant. lecteur de Corinne" Benjamin Constant Colloque Lausanne, 1967
( iii.
BIBLIOGRAPHIE
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Benjamin Constant (Catalogue de l'exposition organisée à la Bibliothèque Nationale) Parls, 1967
"Destin de femmes dans Delphine" Cahiers staëliens, no.35,1984
"Corinne et la presse parisienne de 1807" Colloque de Coppet, Madame de Staël et l'Europe, Klincksieck, 1970
Lang, André "L'amitié, source des passions de Mme de Staël" Colloque de Coppet: Mme de Staël et l'Europe Klincksieck, 1970
Behler, Ernest "Charles de Villers et les problèmes des limites de la raison", Colloque de Coppet 1974, Slatkine Genève, Champion, Paris 1977
Sory, Jean-René "Le Tombeau de Mme Jacques Necker" Colloque de Coppet: Mme de Staël et l'Europe, Klincksieck, 1970
Constant, Benjamin Delphine Le Citoyen français, le 16 janvier 1803 réed.par E.Rarpaz dans Recueil d'Articles 1795-1817 Genève, Droz 1978
Cordey, Pierre "Madame de Staël et les prédicants lausannois" Cahiers staë1iens, avril 1969
Gutwirth, Madelyn "Mme de Staël's debt to Phèdre: Corinne" in Studies in Romanticism, no.3, 1964
"La Delphine de Mme de Staël: Femme, révolution et mode épistolaire", Cahiers staë1iens, nos.26-27, 1979
Jas inski, Béa t rice "Madame de S tae 1 et la Conven tion maioctobre 1795" Colloque de Coppet: Mme de Sta~l et l'Europe, K1incksieck. 1970
Levai11ant, Maurice "Le Groupe de Coppet: une appelation reconnue" Colloque de Coppet 1974, Paris, Slatkine, Genève 1977
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Starobinski, Jean "Suicide et mélancolie chez Mme de Staêl" Colloque de Coppet: Madame de Staël et l'Europe Klincksieck, 1970
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