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INTRODUCTION 4
SEPHORA INNOVATION LAB : HISTOIRE ET EVOLUTION 8
CONTEXTE : LE SECTEUR DU RETAIL EN TRANSFORMATION 8
PÉRIMÈTRE DU LAB 11
L’IDÉATION COMME MISSION ORIGINELLE 12
RÉSULTATS DU LAB 19
DE L’IDÉATION À L’EXPLORATION ET AU DÉVELOPPEMENT PROJET (2015 - 2016) 20
ANALYSE DU FONCTIONNEMENT DU LAB A TRAVERS DEUX PROJETS DE DEVELOPPEMENT DE PILOTES 23
PROJET N°1 : VENDING MACHINE 23
COMPOSANTES DU PROJET 23
TEST N°1 - GARE DE LYON 25
Constats 25
Analyse : expérimentation & prototypes 26
Analyse : coordination de projet 49
TEST N° 2 - AÉROPORT DE NICE : EXIGENCES 53
DÉPLOIEMENT POST-TEST 54
PROJET N°2 : NEW STORE CONCEPT 54
NEW STORE CONCEPT, RÉSULTANTE DE LA PIPELINE D’INNOVATIONS DU LAB 55
MÉTHODE D’EXPLORATION PROJET 57
Etudes qualitatives 57
Go développement 69
DÉVELOPPEMENT 72
Un mode agile rendu difficile par la “legacy” Sephora 72
Cadrage (février – juin 2016) et conception 73
Go budget et définition d’une organisation 80
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 2
L’adhérence avec d’autres programmes de transformation 86
Go production 89
Réalisation ou « build » 90
Déploiement et post-déploiement 90
NSC, UN PROJET D’EXPLORATION ? 92
ANALYSE DE L’EVOLUTION DU LAB 99
BILAN DU LAB EN 2017 99
DÉPLOIEMENT DES PROJETS 100
IDÉATION 2.0 101
VEILLE PERMANENTE 101
OUTIL COLLABORATIF 101
ACCÉLÉRATION DE LA SORTIE DES CONCEPTS 102
ORGANISATION & ÉCOSYSTÈME 104
APPRENTISSAGES DES PROJETS VENDING MACHINE ET NEW STORE CONCEPT 106
PROJET VENDING MACHINE 106
Une expérimentation rigoureuse 106
Un projet antérieur et similaire : Mini Beautic 108
PROJET NEW STORE CONCEPT 109
Organisation de déploiement 109
Visibilité et légitimité du Lab 110
L’INNOVATION AU SEIN D’UNE MULTINATIONALE 111
Relation Siège - Filiales en Europe & Moyen Orient 111
Relation entre Lab Europe et Lab US 112
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 3
- Remerciements -
Je tiens tout d’abord à remercier très chaleureusement l’équipe
pédagogique du Master PIC, en particulier Sihem Jouini et Christophe Midler,
pour la grande confiance qui m’a été accordée sur ce projet, ainsi que pour le
contenu de ce cursus passionnant. Je remercie tout particulièrement Sihem
Jouini, ma tutrice académique, pour son soutien continu et son encadrement
extrêmement précieux au quotidien.
Je remercie infiniment Lara Lasisz, ma tutrice d’entreprise, pour la
confiance qu’elle m’a accordée dans ce projet, et pour ses apports si riches tout
au long de mon expérience.
Enfin, ce travail n’aurait pas pu voir le jour sans la confiance accordée par
Sephora et par le groupe LVMH envers le Master PIC et ses étudiants. J’espère
que de futurs projets PIC viendront maintenir ce lien très riche.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 4
INTRODUCTION
Sephora est une chaîne de distribution de produits cosmétiques fondée en 1969
en France par Dominique Mandonnaud. Détenue depuis 1997 par le groupe Louis
Vuitton Moët Hennessy (LVMH), leader mondial des produits de luxe, Sephora est
considéré comme l’une des enseignes beauté les plus pionnières et innovantes du
secteur. Enseigne mass-market mais sélective, Sephora repose sur cet esprit d’initiative
véhiculé par un « tone of voice » audacieux, qui se retrouve également dans l’ADN de
Sephora Collection, la marque du distributeur.
L’environnement unique des magasins de la chaîne est fondé sur le concept
visionnaire du libre-service. Auparavant, les comptoirs de vente créaient et
entretenaient la distance entre clients et conseillers. Depuis 1969, le libre-service en
parfumerie, puis plus généralement en cosmétique, permet aux clients de s’émanciper
des conseillers pour découvrir, toucher et tester par eux-mêmes les produits.
Depuis sa création, Sephora entretient cet esprit précurseur par une offre
pléthorique et pointue de plus de 15 000 références de maquillage, soin et parfum, de
marques classiques et émergentes ainsi que de la marque propre Sephora Collection.
En termes de formation, programme « Science of Sephora » garantit le
professionnalisme d’un réseau de conseillers beauté experts dans des domaines aussi
variés que la physiologie de la peau, l’histoire du maquillage, les techniques
d’application, la science de la création de parfum, et surtout l’interaction avec la
clientèle très diversifiée de Sephora.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 5
Aujourd’hui, Sephora n’est pas seulement la chaîne leader de produits
cosmétiques en France : l’enseigne bénéficie également d’une présence très forte dans
le monde entier. En effet, largement présente en Europe et aux Etats-Unis depuis
1998, l’enseigne continue son expansion internationale en Asie, au Moyen-Orient et
en Amérique du Nord. Aujourd’hui, la chaîne compte 1934 magasins dans le monde,
dont 160 en Chine et 35 au Moyen-Orient, et plus de 30 000 collaborateurs dans le
monde.
Aujourd’hui, outre l’offre, Sephora se différencie essentiellement par une
stratégie omnicanale poussée, fondement d’une fluidité croissance au sein des points
de ventes. L’objectif pour l’enseigne est d’être « ATAWAD » : Any Time, Any Where,
on Any Device. Cette stratégie, commune de fait à l’ensemble des grands acteurs du
retail, est largement permise chez Sephora par un programme de fidélité et le CRM
puissant très, force de la firme. Elle permet le développement de divers services
physiques ou digitaux, forces de l’expérience client aussi bien offline qu’online. Par
exemple, Color Profile est une application en magasin développée en partenariat avec
Pantone permettant de mesurer la couleur de la peau et de recommander le fond de
teint le plus adapté à celle-ci. Le Beauty Board est un réseau social propre à l’enseigne
lancé en 2016. L’application Virtual Artist permet en magasin et sur l’application client
d’essayer virtuellement des centaines de références de maquillage. L’écran « Flash » en
magasin offre la possibilité de commander des produits en ligne, y compris pour
compléter un panier physique par le biais d’une carte NFC. Beauty Assistance est un
facilitateur de parcours client en magasin, destiné à connecter le client et les conseillers
grâce à des Apple watchs.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 6
***
Notons que mon projet se situe ici au niveau de l’enseigne, donc du distributeur,
et non de la marque propre Sephora, entité bien distincte de l’enseigne.
Sephora innove en matière d’expérience client et de parcours omnicanal en
s’appuyant sur une équipe dédiée intégrée au Marketing Europe : l’Innovation Lab.
Entre 2012, date de sa création, et aujourd’hui, le Lab est passé de cellule
embryonnaire à un membre promouvant la créativité et l’intrapreneuriat par le biais
d’un événement interne annuel de génération d’idées innovantes, à une véritable
équipe de quatre personnes en charge du développement de projets d’innovation.
C'est dans ce contexte que s'est déroulé mon travail de master PIC pendant 18 mois,
et cette évolution constitue tout l’objet de mon mémoire.
Aussi petite la cellule du Lab reste-t-elle aujourd’hui en termes d’effectif, y
compris aujourd’hui, son rôle et sa visibilité au sein de Sephora Europe ont donc
basculé entre la fin 2015 et le début d’année 2016. Lors de mon arrivée au sein du Lab
en avril 2016, le basculement vient de se produire. En fait, l’entreprise tout entière
entre alors dans une période de vaste transformation impliquant l’intégralité des
départements et des services. Dans cette transformation de fond, le Lab jouera un rôle
central.
Une grande partie de mon mémoire portera sur l’un des programmes de
transformation porté par le Lab : New Store Concept, la redéfinition du modèle de
magasin pour toute l’Europe et le Moyen-Orient, première refonte du réseau depuis la
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 7
création de la chaîne en 1969. C’est une chance exceptionnelle que j’ai eue de pouvoir
assister à une telle transformation d’entreprise tout en y participant au sein d’une
équipe très petite investie d’un rôle nouveau éminemment stratégique.
Mon expérience consiste également en la gestion d’un projet de prototype de
distributeur automatique de produits Sephora, testé en conditions réelles à divers
emplacements, en dehors des magasins.
Entre poursuite de l’idéation collaborative et capacité de lancement de services
innovants sur le marché, l'ampleur des démarches du Lab et leur diversité le
conduisent à redéfinir sa mission pour 2018 et les années à venir. Qu’en est-il du rôle
du Lab aujourd’hui ? D’où vient-il et quel est son avenir ? En d’autres termes, où en
est l’équipe à l’été 2017 et où peut-elle aller suite à ces deux années exceptionnelles
pour la firme toute entière ?
Naissance et évolution d’une entité d’innovation au sein d’un secteur
en profonde mutation : le cas SEPHORA Innovation Lab
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 8
SEPHORA INNOVATION LAB : HISTOIRE ET EVOLUTION
CONTEXTE : LE SECTEUR DU RETAIL EN TRANSFORMATION
Le secteur du retail, d’une manière générale et en particulier celui des
cosmétiques, traverse depuis plusieurs années une période de profond
bouleversement. Ce bouleversement est lié d’une part à une compétition accrue : de
nouveaux business models émergent (Birchbox en est un parfait exemple), de petits
acteurs deviennent des références (par exemple, The Beautyst, feelunique.com, etc.) et
les acteurs dominants bouleversent les standards (par exemple, la livraison par drones
instaurée par Amazon). Par ailleurs, l’avènement de firmes fondées sur la facilitation
et la qualité du service client, comme Uber ou Airbnb, ont élevé de manière drastique
les exigences des clients. Cette augmentation drastique des exigences clients s’applique
à tous les secteurs, et notamment au retail. En conséquence, il ne s’agit plus pour un
distributeur aujourd’hui d’être simplement présent partout, sur tous les canaux, ce qui
découle naturellement de l’essor du e-commerce et digital : il s’agit d’améliorer la
qualité des services précédant, accompagnant et suivant la vente, et d’assurer et de
maintenir ce niveau de qualité sur l’intégralité des points de présence de l’enseigne. Un
client doit pouvoir obtenir le même niveau de service qu’il se rende sur le site internet
du distributeur, sur l’application client, ou en magasin. Or, la multiplication des points
de contact avec une marque ou une enseigne dilue, multiplie et « étale »
considérablement la présence du client sur différents réseaux. En outre, du fait de
l’intensification des densités des réseaux humains, notamment digitaux, la probabilité
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 9
qu’un individu entre en contact avec une marque donnée augmente de manière
exponentielle. Il faut savoir être là pour répondre à cette présence de manière adaptée,
et la contrepartie positive de cette complexification est la multiplication
d’opportunités de transformer un prospect en un client, et de vendre.
La conséquence directe de cette tendance est que le commerce devient de plus
en plus « intégré ». Cela signifie que des passerelles entre les canaux sont créées, aidées
par des acteurs extérieurs spécialisés qui viennent faciliter cette intégration tout en
fluidifiant le parcours client. Par exemple, la technologie NFC combinée aux nouvelles
caisses mobiles, notamment chez Sephora, permettent au client en magasin d’effectuer
un parcours “phygital” ou “omnicanal”. Le client pourra en effet constituer un panier
physique et digital, c’est-à-dire constitué de produits physiques d’une part et de
références commandées en ligne d’autre part, par exemple pour des références
épuisées en magasin. Par ailleurs, le client pourra régler son panier omnicanal de
manière instantanée grâce à des caisses mobiles, à l’image d’un achat en ligne, lui
permettant de limiter leur attente.
Les tendances de fond du commerce intégré sont nombreuses :
- Le geofencing et les beacons, fondement du proximity marketing, c’est-à-dire
pour un distributeur l’envoi de messages ou notification push à des clients à
l’approche d’un magasin ;
- La technologie RFID, permettant de suivre et gérer des produits de manière
automatisée, qu’ils soient en stock ou dans les mains du client en magasin. Cette
révolution technologique bouleverse bien sûr l’inventaire produit, mais a
également de grandes conséquences sur le parcours client. En effet, des bornes
sont développées où le client a la possibilité d’obtenir de l’information sur un
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 10
produit en le scannant sur une borne RFID. De la même manière, lors d’un
service physique, par exemple, la réalisation d’une prestation de maquillage, des
produits peuvent être scannés pour aboutir à la création d’une fiche
personnalisée listant les références ayant été utilisées au cours de la séance.
- L’essayage virtuel permis par la réalité augmentée.
Dans ce contexte de multiplication des canaux, l’enjeu de tout retailer aujourd’hui
est d’obtenir pour chaque client un profil unique rassemblant toutes les informations
collectées par le biais de chaque canal, aussi bien en ligne qu’en magasin. Ceci peut
passer au niveau de l’entreprise par un rapprochement des équipes CRM (liées au
programme de fidélité magasin) et Digital (liées au e-commerce). On comprend
aisément dans quelle mesure l’omnicanalité et le commerce intégré ne constituent pas
seulement une tendance appréciable par le consommateur dans la distribution, mais
également une source de profonde transformation pour les firmes du secteur.
C’est précisément ce qui s’est passé chez Sephora Europe & Moyen Orient, en
2015. Auparavant, le digital et le CRM faisaient partie du département Marketing.
Aujourd’hui, le Digital englobe le CRM est constitue une branche parallèle au
Marketing, comme en témoigne l’organisation présentée ci-dessous :
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 11
Figure 1 - Organisation du département Marketing EME
PÉRIMÈTRE DU LAB
C’est pour répondre à tous ces défis que Sephora Europe & Moyen-Orient
(Sephora EME) a créé l’Innovation Lab en 2012. Cette cellule fut construite de
manière progressive et organique dans le département Marketing (voir figure 1
ci-dessus) ; l’objectif de mon mémoire est de retracer son histoire, de comprendre sa
mission originelle et d’analyser son évolution jusqu'à aujourd'hui.
Le périmètre du Lab regroupe toute l’expérience client omnicanale, tant à
l’intérieur qu’en dehors des magasins. En magasin, on peut penser à des services aussi
différents que la recharge mobile intelligente, les casiers Click & Collect, le maquillage
virtuel, les paniers connectés, les messages géolocalisés, les distributeurs
d’échantillons. A l’extérieur du magasin, l’innovation renvoie souvent à de nouveaux
business models tels que “l’ubérisation” de la beauté via le développement de services
à domicile, la distribution automatique ou encore le lancement de box.
A contrario, deux types d’innovation ne font pas partie du périmètre du Lab :
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 12
- L’innovation produit, qui relève soit de la marque Sephora, soit des équipes
Offre au niveau enseigne qui peuvent privilégier les produits innovants dans
leur négociation avec les marques ;
- Les nouvelles fonctionnalités purement E-commerce : par exemple, le chatbot
ou encore le Beauty Board (réseau social développé par Sephora en 2016). Ce
périmètre relève des équipes E-commerce au sein du département digital qui,
nous l’avons vu, est séparé du Marketing auquel appartient le Lab.
L’IDÉATION COMME MISSION ORIGINELLE
Le Sephora Lab, lancé en 2012, est un programme interne mettant à contribution
les collaborateurs afin de développer de nouveaux concepts créatifs entrant dans le
périmètre du Lab.
Point sémantique : si l’Innovation Lab ou “Lab” désigne l’équipe en charge de
l’Innovation relevant du périmètre décrit ci-dessus, au sein de laquelle s’est déroulée
mon projet PIC, le terme “Sephora Lab” désigne l’événement annuel organisé entre
2012 et 2015 par le Lab. Les deux notions Innovation Lab et Sephora Lab sont
confondues jusqu’en 2015 mais divergent depuis. J’insiste donc sur cette distinction
des termes afin de permettre au lecteur de bien comprendre l’articulation entre ces
deux notions, dans la mesure où le Lab en tant qu’équipe ayant un budget propre sera
dès 2015 en charge de projets dépassant le cadre de l’événement Sephora Lab.
L’histoire du Sephora Lab commence en 2012. Partant du constat que l’Europe est
en retard sur les Etats-Unis en termes d’innovations, le PDG monde commande en
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 13
cours d’année aux équipes Marketing Europe la création d’une cellule d’innovation.
Ayant auparavant géré la créativité chez L’Oréal, la Directrice Marketing Europe
s’empare du sujet.
Figure 2 - Extrait de la méthodologie de nod-A pour l’édition 2014 du Sephora Lab
A l’époque, aucun budget n’est dédié à cette mission, mais trois chefs de service
sont désignés pour créer trois ateliers sur les grandes thématiques correspondant à
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 14
leurs sujets respectifs. Ils deviendront les « sponsors » de l’événement. Les trois
ateliers créés sont :
- Les services ;
- Le digital in-store et nouvelles technologies en point de vente ;
- Les événements à “buzz”.
Des collaborateurs de ces trois services rejoignent alors les ateliers, formant une
équipe pluridisciplinaire globale d’une trentaine de personnes au total. Lara Lasisz, la
responsable du Lab tout au long de mon expérience PIC, fait alors partie des équipes
CRM et rejoint spontanément le groupe “Services”.
Je prendrai le cas particulier de l’atelier “Services” pour mettre en lumière l’histoire
du Sephora Lab, et développerai uniquement l’exemple du projet Gift Factory,
actuellement déployé dans 13 pays d’Europe, pour décrire le processus de génération
d’idées.
Le groupe Services est formé d’une dizaine de personnes de différents services au
sein du Marketing EME. A l’époque, la responsable de l’atelier n’est accompagnée
d’aucun prestataire extérieur dans sa démarche et aucune budget ne lui est alloué.
Cette personne prépare le contenu de l’atelier et son animation de manière totalement
autonome, en fonction de ses propres compétences – en l’occurrence le marketing, le
merchandising et la formation – et de sa propre vision de la mission.
Au cours de la première séance de réflexion et de brainstorming (entendue comme
génération d’idées), des sous-groupes se forment et les idées émergent. Pour être
retenue, une idée doit être très liée à l’ADN de Sephora. Les séances de brainstorming
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 15
(désignant cette fois-ci la sélection des idées) sont donc orientées en ce sens, par le
biais d’une grille de lecture constituée d’adjectifs et d’indicateurs clé correspondant à
l’ADN de l’enseigne. Puis, chaque collaborateur note les projets de 0 à 10 selon ces
critères : les meilleurs projets ressortent ainsi. Pour certains projets, des critères
business sont également pris en compte comme par exemple le chiffre d’affaire
généré ou encore l’augmentation de la fidélité à l’enseigne, mais aucun business model
n’est développé à ce stade.
En 2012, lors du premier atelier, un sous-groupe soulève le sujet de l’emballage des
paquets cadeaux qui a longtemps été un point différenciant pour les magasins
Sephora, avant que l’enseigne ne soit copiée et rattrapée par la concurrence. La
question se pose alors : comment se démarquer à nouveau et offrir aux clients une
expérience différenciée ? L’idée naît alors de la Gift Factory, un “open bar” à cadeaux.
Les clients doivent pouvoir personnaliser leur paquet sur un mode “do it yourself”.
Cependant, l’idée est très vite rejetée en interne de peur de proposer un service trop
peu qualitatif. Finalement, l’idée émerge d’un service artisanal, certes, mais effectué
tout de même par une conseillère beauté dédiée. Par ailleurs, un outil digital 360°
serait développé pour accompagner le client depuis le choix de son cadeau jusqu’à la
livraison du paquet à l’adresse voulue, en passant par la possibilité de visualiser sur
l’application client pendant la file d’attente le résultat de l’emballage cadeau
personnalisé. Cependant, ces aspects additionnels sont finalement sortis du périmètre
du service pendant les réunions d’affinage du concept.
En tout, dix idées sortent de l’atelier du Sephora Lab 2012. Pour chaque idée, un
référent est identifié dans chaque département concerné par le sujet, en vue de
l’établissement d’une équipe projet. Ces dix projets choisis sont alors présentés au
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 16
PDG Monde qui désigne le ou les projet(s) qu’il juge prioritaire(s) et commande le
développement d’un ou plusieurs pilote(s).
In fine, quatre projets sont particulièrement travaillés en 2012 : la Gift Factory, La
beauté s’invite dans les trains (ateliers de soin et maquillage dans les trains de la SNCF)
Calepinage in the city (événement d’habillage de monuments parisiens en calepinage
Sephora) et Ce que veulent les hommes (journées Sephora dédiées aux hommes).
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 17
Figure 3 - Extrait de la présentation finale du Sephora Lab 2012 au PDG Sephora Monde
Le pilote Gift Factory est commandé pour début 2013, soit 6 mois après le
premier atelier. Afin de développer ce pilote, les membres du groupe Gift Factory
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 18
allouent environ 20% de leur temps au développement. Le service prototypé est
finalement installé dans le magasin des Champs Elysées. Le service étant gratuit, les
KPIs sont majoritairement qualitatifs : ils relèvent de la satisfaction client grâce à
l’outil Love Meter, des enquêtes ad hoc, etc.
Le projet Gift Factory est un succès ; un déploiement est rapidement commandé
par le PDG Monde. En 2015, la majorité des magasins en Europe ont une Gift
Factory, sous forme de mural ou en version “standalone” en forme de cube, intégré
aux caisses. Aujourd’hui, la Gift Factory est présente dans 90 magasins et 13 pays.
En 2013, le Sephora Lab prend de l'ampleur : la responsable de l’atelier Services se
trouve missionnée sur cette mission à hauteur de 100% de son temps. Il est alors
décidé de faire venir un prestataire externe pour aider d’une part à la méthodologie du
brainstorming (entendu comme génération d’idées), et d’autre part au développement
d’une plateforme digitale d’idéation. L’événement en 2013 est également un succès,
tant du point de vue de la participation des collaborateurs, de l’engouement du Comité
de Direction que des résultats des projets prototypés. Notons que la vocation du
Sephora Lab est déjà de faire participer aussi bien les collaborateurs du siège que les
employés du réseau de magasin, ce qui manque jusqu’aujourd’hui. Le nombre moyen
de participants au Sephora Lab est de 40 personnes par an.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 19
En 2014, Lara Lasisz, ma tutrice PIC, reprend la direction du Sephora Lab. En
2015, l’agence d’innovation collaborative nod-A est sollicitée pour refonder la
méthodologie de l’événement, de l’idéation à la réalisation des prototypes.
A cette occasion, le Sephora Lab prend un tournant important : la phase de
génération d’idées est prolongée par une phase de co-création et de réalisation des
concepts. Cela s’effectue en deux étapes :
- Les fruits du brainstorm sont d’abord concrétisés à l’aide d’outils digitaux mis à
disposition des participants, notamment une imprimante 3D, afin de créer en
un temps limité un premier niveau de prototypes des concepts imaginés.
- Présentés grâce à ces prototypes au cours d’une Innovation Fair en présence du
PDG monde et de membres du CoDir Europe, deux projets “pépites” ont
vocation à être testés le plus rapidement possible. C’est la naissance de l’Inno
Factory, entité vouée à prendre le relai du Sephora Lab pour développer des
tests grandeur nature (POC ou “pilote”) après le développement du prototype.
Cette Inno Factory a été conçue avec l’aide de l’agence nod-A, d’après une
méthode inspirée du lean startup, de méthodes agiles, que l’entreprise considère
être adaptées à la façon d’être Sephora, c’est-à-dire essentiellement au peu de
temps dont disposent les équipes.
RÉSULTATS DU LAB
Dix idées principales ont été retenues par le PDG depuis la naissance du Lab, dont
trois ont été déployées.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 20
Figure 4 - Projets retenus depuis 2013 : du POC au déploiement
DE L’IDÉATION À L’EXPLORATION ET AU DÉVELOPPEMENT PROJET (2015 - 2016)
Pour appréhender la transformation du Lab en tant qu’équipe depuis 2015 et
comprendre le contexte de mon travail PIC, il convient de revenir à une vision plus
globale. Comme je l’évoquais dans l’introduction, depuis la naissance du Sephora Lab,
l’ensemble de la firme Sephora Europe et Moyen-Orient a connu une transformation
de son organisation qui va dans le sens de l’innovation.
● En 2015, Lara Lasisz, alors responsable du Sephora Lab comme je l’évoquais
plus haut, accompagnée d’une stagiaire, se voit confier la mission du
programme d’entreprise New Store Concept et du projet Vending Machine,
projets que je développerai plus loin. Cette même année a également cours
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 21
l’édition 2015 du Sephora Lab. Afin d’assumer la diversité de ces missions au
cours de l’année suivante, l’équipe grandit : en avril 2016, je rejoins l’équipe
dans le cadre du Master PIC en même temps qu’un collaborateur au profil
senior arrive pour une position permanente. Une stagiaire rejoint enfin l’équipe
en 2017.
● En 2015, également, comme expliqué dans la partie “Périmètre du Lab” (p. 2),
le Marketing CRM et le Digital se rapprochent avec l’arrivée d’un Chief Digital
Officer. Ces deux divisions sortent alors du Marketing Europe dont elles
faisaient auparavant partie. La question se pose alors de savoir si le Lab doit
rejoindre ce nouveau département en charge du marketing client et du digital.
De fait, toutes les bases et les données clients y sont recensées. Finalement, il
est décidé que l’Innovation Lab reste au sein du Marketing Europe, notamment
du fait du projet New Store Concept. Cela s’explique également par le
périmètre du Lab qui exclut le digital pur. Néanmoins, cela n’exclut pas qu’à
terme le Lab bascule dans un autre pan de l’organisation.
● En 2016, un poste de responsable Innovation est créé au sein du département
IT, devenant le pendant du poste de responsable Innovation côté business,
occupé jusqu’en juillet 2017 par Lara Lasisz.
● En 2016 et 2017, la mission d’idéation sera mise de côté : les projets New Store
Concept et Vending Machine vont occuper l’équipe du Lab de manière
exclusive jusqu’à la fin 2017.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 22
Projet Vending Machine (VM) Projet New Store Concept (NSC)
La frise ci-dessous résume cette évolution globale :
Figure 5 - Evolution du Lab depuis 2012
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 23
ANALYSE DU FONCTIONNEMENT DU LAB A TRAVERS
DEUX PROJETS DE DEVELOPPEMENT DE PILOTES
PROJET N°1 : VENDING MACHINE
La Vending Machine est un prototype de machine de distribution automatique
de produits multi-marques distribués par Sephora. L’assortiment de produits est à
l’origine principalement constitué de produits en format voyage, faisant partie de la
gamme Beauty To Go, dont les produits sont tous inférieurs à 20€. Au cours du test,
l’assortiment s’ouvre finalement à toute gamme et à tout prix. L'idée est de tester un
nouveau canal de distribution et de pouvoir déployer Sephora plus facilement et à
moindre coût dans des environnements où l’enseigne n’est pas encore présente.
COMPOSANTES DU PROJET
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 24
Figure 6 - Composantes du projet Vending Machine
Le projet Vending Machine est composé de 4 acteurs ou groupes d’acteurs :
- Sephora, dont le Lab, équipe coordinatrice du projet à travers Lara Lasisz et
moi-même ;
- AST International, le prestataire de la machine tant du point de vue du
hardware que du software – spécialiste de la fabrication de pièces mécaniques,
nouveau dans le domaine de la distribution automatique ;
- Ingenico, le prestataire de la monétique de la machine (et de l’intégralité du
réseau de magasins en France) ;
- Le bailleur du lieu, en l’occurrence la SNCF pour le premier test.
Notons dès à présent que, conformément à son statut de prototype ou pilote, la
machine est à ce stade déconnectée des systèmes Sephora : les remontées des ventes
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 25
se fait de manière manuelle, et le distributeur n’est pas relié aux bases de données
clients.
TEST N°1 - GARE DE LYON
Constats Le test en Gare de Lyon démarre avec plusieurs problèmes techniques. Ces
dysfonctionnements, liés à des défauts internes à la machine ou à dus à des causes
externes (coupures de courant à la gare, vandalisme, etc.), reviennent de manière
périodique pendant les 6 mois de test.
Les résultats commerciaux qui en résultent sont inférieurs aux estimations
établies dans le P&L initial. Celui-ci établissait le nombre de produits par jour assurant
le breakeven, à partir principalement du prix de la machine, du coût des remplissages,
des conditions financières de la gare et le prix des produits.
Les résultats obtenus pendant les 6 mois de test sont :
● 7 produits en moyenne par jour au lieu de 12 ;
● 50€ de ventes moyennes par jour en moyenne, au lieu de 102€
● Prix moyen de 7,6€ au lieu de 8,5€ initialement. Ceci est dû au le
changement de l’assortiment au cours du test, lié à la performance
inégale des produits.
En fait, la machine devait être implantée dès le 1er juillet, date de début du
contrat avec la SNCF ; mais il s’avère que le prototype n’était pas finalisé à temps. La
date de fin du test, 6 mois plus tard, mise à disposition par la gare, était immuable, et
le contrat non modifiable. La volonté était donc de perdre le moins de temps possible
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 26
sur ce temps imparti. En outre, il semblait essentiel de profiter de la période estivale
pour ce test étant donné le flux de voyageurs à cette période et l’assortiment adapté de
la machine. L’équipe a donc installé la machine en gare dans l’urgence, dans un
contexte d’instabilité et d’incertitude sur son caractère opérationnel. Or, peu
d’interlocuteurs présents en cette période estivale, tant du côté de Sephora que du côté
des prestataires. En outre, l’organisation du projet avait été menée de manière “quick
and dirty” dans la mesure où il manquait des responsables et back-ups officiels dans
certains services. De nombreux problèmes ont découlé de ce départ instable, faussant
les résultats du test. Comment le Lab aurait-il pu éviter cette situation ?
Analyse : expérimentation & prototypes Dans cette partie, je souhaite repartir d’une page blanche en me penchant dans
un premier temps sur la littérature spécialisée sur l’expérimentation pour ensuite
comparer ces préceptes avec ce qui s’est déroulé dans les faits.
1. Eric Ries, The Lean Startup
Le premier apprentissage essentiel de mon analyse a posteriori est que
l’expérimentation doit commencer par la définition d’hypothèses que l’on veut tester,
permettant la construction d’un prototype (MVP) dont les attributs permettent - et
c’est là leur unique but - de répondre à ces hypothèses.
Le Lean Startup est un manifeste pour l’innovation fondé sur la notion de MVP
(Minimum Viable Product) érigée en entité centrale d’un développement produit ou
service. Le MVP est construit à partir d’hypothèses claires sur les prédictions,
c’est-à-dire sur ce que l’équipe projet croit qu’il est censé devoir advenir concernant ce
produit ou ce service. Ces hypothèses « leap of faith » sont de deux ordres :
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- Hypothèse de valeur : ce qui fait que les consommateurs accorderont de la
valeur au produit et y adhèreront ;
- Hypothèse de croissance : comment le produit se répandra des early adopters à
l’adoption de masse.
Ces hypothèses, qui permettent d’identifier si le client a un vrai problème à résoudre,
sont ensuite testées empiriquement puis validées ou infirmées. Le diagramme
ci-dessous schématise la boucle d’apprentissage et de construction qui sous-tend ce
précepte : Build, Measure, Learn... et Build.
Figure 7 - Boucle d’apprentissage du Lean Startup
Cette boucle est permise par la construction du MVP, et y participe dans le même
temps dans la mesure où le MVP évolue au cours de cette boucle : chaque conclusion
tirée d’une boucle Build-Measure-Learn est incorporée au MVP avant qu’une nouvelle
boucle ne commence.
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La question pour un prototype est donc en premier lieu de savoir quelles
hypothèses tester : se pose ici la question de la priorité de ces hypothèses. Partons ici
des 3R d’IDEO ‘Rough, Rapid, Right’ : sur quoi doit-on être right en priorité ?
Finalement, que veut-on réellement tester ? Dans le cas de la Vending Machine,
veut-on tester l’assortiment ? Auquel cas, l’équipe projet pourrait installer un stand de
vente de produits à proximité du siège Sephora, tenu par des vendeuses. Veut-on
plutôt tester le lieu ? Auquel cas, peu importe l’assortiment : un relai Sephora suffit,
quelle que soit sa forme, à l’emplacement choisi. Veut-on tester le format de
distributeur automatique ? Là aussi, l’offre proposée ou l’emplacement importent peu
: l’idée sera de se concentrer sur la machine et sur ses attributs. La question est donc
bien : quelles sont les hypothèses à tester ? En d’autres termes, quelles sont les
variables de conception du produit ou service ? Cet exercice rigoureux n’avait pas été
fait pour le test en Gare de Lyon.
Le Lean Startup nous apprend qu’à ce stade de validation des hypothèses de
base, où l’on n’attend pas des réponses définitives, l’objectif n’est pas d’aboutir à un
produit parfait. En effet, pour construire un MVP, il convient de retirer tout trait,
toute fonctionnalité, tout processus ou effort qui ne contribuent pas directement à
l’apprentissage recherché. Le but du MVP n’est donc pas de répondre au design
produit ou à des questions techniques, mais bien de répondre aux hypothèses business
fondamentales, notamment les hypothèses de valeur et de croissance.
Revenons au cas de la Vending Machine et du prototype installé en Gare de
Lyon en juillet 2016 pour un test de 6 mois. Ci-dessous les variables que j’identifie
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pour la Vending Machine, ainsi que le statut de ces variables que l’équipe a fixé suite à
ce premier test, en vue du second.
Figure 8 - Variables de conception du projet Vending Machine
Pour fixer ou faire varier ces variables, posons-nous la question : qu’attend-on
du second test ? Sur certaines variables, la marge de manoeuvre est faible ou
inexistante, il s’agit donc de les fixer. Par exemple, le Lab choisit pour le second test
de garder le hardware global, donc la machine en l’état, pour se concentrer sur l’intérêt
client. En contrepartie, il est acté juridiquement que les prix peuvent fluctuer par
rapport aux prix France qui suivent diverses offres promotionnelles et soldes. De
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même, l’assortiment peut varier à tout moment en fonction de la performance des
produits.
Dans tous les cas, l’important est de ne pas perdre de vue que chaque parti-pris
reste une valeur donnée à une variable. L’idée est bien de lister rigoureusement et de
manière systématique toutes les variables et de garder trace de celles que l’on a fixées.
Penchons-nous en particulier sur la dimension esthétique de la machine, son
design. Cette machine, “parfaite” d’un point de vue esthétique, n’est pas pour autant
“trop parfaite” du point de vue des exigences de Ries. En effet, on se trouve ici face à
un cas qui n’est pas entièrement couvert par le manifeste du Lean Startup. Cette
machine n’avait pas le choix que d’être aboutie et conforme aux exigences de
l’enseigne et du groupe LVMH, d’un point de vue esthétique et technique. Le projet
ne peut se permettre des bugs et dysfonctionnements entravant le parcours client et la
qualité du service et l’image de l’enseigne. Ainsi, ces dimensions sont bien des
variables, que l’on décide en l’occurrence de fixer.
Par conséquent, le niveau de complétude et de “perfection” du MVP dépendra
du projet et des variables choisies pour ce MVP. Il pourrait être défini comme le ratio
de variables que l’on a décidé de fixer.
Revenons à présent aux raisons des difficultés rencontrées lors du test. Je le
mentionnais plus haut : des difficultés rencontrées pendant le test sont en partie liés à
des failles organisationnelles, elles-mêmes en grande partie dues aux contraintes des
différentes parties prenantes au projet. Au premier abord, cela peut sembler dû à la
rapidité et à l’agilité avec laquelle le prototype a été développé. Mais la littérature nous
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en apprend bien plus avec Eric Ries : cela peut être dû au prototype lui-même, à sa
nature ambiguë. Car en réalité, cette machine a été construite non pas comme un
prototype mais bien comme un produit fini. L’important ici n’est pas le résultat,
c’est-à-dire la machine en soi, qui n’a d’ailleurs pas beaucoup changé entre le premier
et le second test, que je développerai en p.53 mais bien la démarche présidant au test
et le suivi de ce test : le Lab n’a pas développé la Vending Machine comme un
prototype, mais, dans la démarche, comme un produit déjà fini, abouti en tous points,
nommé “prototype” simplement car l’on attendait des retours sur cette machine, pour
ensuite la déployer telle quelle… ou ne pas la déployer du tout. En bref, le Lab a fait
du mode projet « quick-and-dirty » pour un produit pour ainsi dire fini ; la littérature
semble souligner que l’on aurait-on dû à l’inverse faire du mode projet rigoureux et
méthodique pour un produit non fini, c’est-à-dire un véritable prototype.
Un point de sémantique s’impose ici. Prenons du recul en nous détachant du
nom interne employé pour désigner la machine chez Sephora : en réalité,
objectivement, selon la littérature spécialisée sur l’expérimentation, la Vending
Machine est bien un « prototype ». En effet, la théorie distingue bien les concepts de
prototype et de pilote : le pilote doit être représentatif du mode de production qui sera
adopté lors en cas de déploiement. Il doit être complètement abouti, ou presque, et
industrialisé. Ce n’est pas le cas de la Vending Machine puisqu’en cas
d’industrialisation,
● Le concept de machines sur mesure pourra être remis en cause au profit de
machines existantes sur le marché, ajustées à la marge au niveau du design ;
● Les machines suivantes devront être intégrées au réseau de magasin au niveau
de la remontée des ventes ;
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● Les machines seront appuyées par un plan de communication aux niveaux
France et Europe.
Je développerai la méthode devant présider au développement d’un prototype au
cours de mon analyse des ouvrages de Stefan Thomke.
Je souhaiterais revenir sur la notion d’impératifs et d’exigences liés à l’image de
marque Sephora et du groupe LVMH. Le poids de cette image fut déterminant dans le
déroulement du projet. J’ai en effet expérimenté la difficulté de mener un projet en
mode agile, en ajustement progressif, donc sans se contraindre totalement à une
gestion de projet classique, tout en répondant strictement aux exigences esthétiques et
de sécurité des firmes. Cela a été en grande partie corrigé en préparation du second
test de la machine, ce que je développerai plus loin. Il reste à savoir si cela est
entièrement possible, sans concessions sur les exigences de marque ni sur la rigueur
du mode de coordination projet, et mon expérience seule ne saurait y répondre tant
que je n’aurai pas mené de projet similaire sur un mode Lean. Cela aurait été le cas
entre les deux tests si j’avais pu repartir de zéro avec la machine, en laissant
potentiellement la machine existante de côté… Ou à l’inverse en en fabriquant
plusieurs, pour tester le concept sur une plus large échelle afin de réduire l’influence
des variables liées à chaque emplacement, ce qui aurait impliqué d’avoir un budget
beaucoup plus important.
Notons qu’Eric Ries traite en partie ce point en soulignant que les MVP sont
destinés aux early adopters qui n’attendent pas une solution parfaite - 80%
d’aboutissement suffisent. Est-ce concevable pour une maison de luxe, ou faisant
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partie d’un groupe de luxe, où l’image est au cœur de business model et des attentes
client ?
En tout état de cause, si tel est le cas, il me semble qu’il faille bien s’assurer que
les early adopters ou que populations test soient conscients de leur statut de testeurs
pour qu’ils puissent combler des traits esthétiques encore inexistants par leur
imagination. Il reste la question de savoir si l’early adopter doit déjà être un
ambassadeur de la marque. Si oui, le test risque d’être biaisé car subjectif. Si non,
comment convertir des prospects par le biais d’un test fondé sur des compromis
esthétiques ou fonctionnels ? Le prospect serait-il vraiment converti s’il est converti à
une marque ayant fait des concessions sur ses exigences et son ADN, de surcroît
quand l’ADN d’une marque de luxe ne peut par essence faire de concessions ?
Je laisserai cette question ouverte qui me semble tout à fait pertinente dans le
contexte actuel où les méthodes lean et agiles se diffusent très rapidement dans tous
les secteurs, y compris le luxe.
2. Discovery-Driven Planning (Rita McGrath and Ian
MacMillan, HBR 1995)
Le projet Vending Machine se situe dans le cas décrit par l’article d’une « smart
company » entrant sur un nouveau marché avec un nouveau service – et, dans une
certaine mesure, une nouvelle technologie. Le Discovery-Driven Planning est un outil
pratique pour guider les managers et chefs de projets dans ces réflexions. Cette
méthode repose sur l’idée qu’un projet innovant ne peut suivre un planning établi en
amont : la découverte, inhérente à l’innovation, implique de construire le planning
dans le temps par le biais de projections, d’hypothèses et d’un effet d’apprentissage
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permanent. La question posée est bien plus de savoir comment ne pas subir de trop
grandes pertes dans ces conditions.
Selon McGrath, pour mener à bien ce type de planning, il convient d’établir :
1. Le Reverse Income Statement : il convient à partir d’un profit de remonter jusqu’à
des hypothèses de ventes et de coûts. Dans les faits, pour la VM, nous sommes
partis d’un ensemble de coûts fixes (principalement le loyer de l’emplacement)
et de coûts variables (principalement les coûts de remplissage) et avons
déterminé le niveau breakeven de vente. De fait, la faible disponibilité
d’emplacements convenables et la faible marge de manœuvre de négociation
sur les conditions du bail rendaient cette variable quasi donnée.
2. Les Pro-forma Operations : quelles opérations développer pour mener à bien la
nouvelle activité ?
3. La Key Assumptions Check-list pour vérifier que les hypothèses sont validées.
4. Le Milestone Planning Chart qui spécifie les hypothèses à tester à chaque jalon du
projet.
Le troisième point nous fait revenir à la liste des hypothèses de Ries. Au départ,
dans les faits, les hypothèses (« assumptions ») posées de manière implicite pour la
machine étaient les suivantes :
- La machine distribue des produits de la gamme voyage Beauty To Go (< 20€) ;
- Dans le choix de l’assortiment, la priorité est donnée aux meilleures références
du réseau magasins ;
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 35
- Dans l’hypothèse d’une industrialisation et d’un déploiement, quelques
machines seront itinérantes selon les contextes (par exemple, en station
balnéaire en été, en station de ski en hiver).
Au bout de 4 semaines de test, le Lab expérimente déjà une déviation par rapport à
ces hypothèses :
- Les références les moins chères et les plus miniatures ne sont pas celles qui se
vendent le mieux ;
- Les best-sellers magasins ne sont pas ceux qui se vendent le mieux.
Par ces observations ciblées, l’équipe découvre et acte : entre temps, nous sortons
donc de la contrainte de gamme et prix, et nous de bonnes références sont
supprimées.
La question qui se pose ici, selon moi, est la suivante : comment assumer cet
effet d’apprentissage face à un Comité de Direction qui, nous l’avons dit, attend
vraisemblablement une validation du modèle établi à l’origine, sans quoi le projet dans
son ensemble serait qualifié d’échec ? J’anticipe ici la suite de ce mémoire pour
répondre à cette question : selon Stefan Thomke et Jim Manzi dans The Discipline of
Business Experimentation (HBR 2014), si l’on suit quatre critères fondamentaux que
j’exposerai plus loin, plus les résultats d’une expérimentation bien menée sont valides
et répétables, plus l’équipe projet au sens large aura les outils pour faire face à la
résistance interne, qui peut effectivement être particulièrement importance lorsque les
résultats remettent en cause des pratiques ancrées dans la culture de l’entreprise. Il me
semble alors qu’une bonne explicitation de la méthode de test et une communication
transparente sur les outils théoriques pratiques utilisés s’impose.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 36
3. The Discipline of Business Experimentation (Stefan
Thomke and Jim Manzi, HBR 2014)
Cet article nous donne une méthode pour mener des tests et assurer la validité de
ses résultats. Le premier postulat de cet article est que les données du big data révèlent
les goûts et préférences passés des consommateurs, ce qui complique voire empêche
leur exploitation dans une situation d’innovation. En innovation, les managers
agissent au sein d’un environnement où les données manquent pour décider. Dès lors,
le risque pour un manager est de se fier à son expérience uniquement, ou son
intuition, alors que les idées les plus innovantes sont bien celles qui sont susceptibles
de remodeler l’industrie et donc de remettre en cause l’expérience des managers et le
bon sens apparent.
Dès lors, comment innover ?
La réponse que nous apporte Thomke est qu’un produit ou un service innovant
peut naître d’un test rigoureux. C’est tout l’objet de cet article que de décrire les
conditions d’un bon test.
1. Purpose: Does the experiment have a clear purpose?
L’expérimentation doit être le seul moyen de répondre à une question
spécifique. L’idée est de savoir exactement ce que l’on veut apprendre du test.
Ensuite, on décide si le fait de tester est la meilleure approche, et si oui, on dessine le
périmètre de l’expérimentation. Par la suite, on teste une hypothèse. Une bonne
hypothèse doit présenter une variable indépendante spécifique que l’on teste par
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 37
rapport à une variable dépendante spécifique. Notons que les hypothèses prises
originellement dans le cadre de la Vending Machine peuvent être vues comme trop
larges. En effet, on peut considérer qu’une seule question était posée et que cette
question, prise pour une hypothèse, était confondue avec la condition de rentabilité
posée par le P&L : “La machine vendra-t-elle bien x produits par jour ?”
2. Buy-in: Have stakeholders made a commitment to abide by the results?
Les parties prenantes du projet doivent se mettre d’accord sur la manière dont
elles procéderont une fois les résultats du test connus. Il convient ici d’être honnête
dans l’exploitation, d’être objectif, et de se débarrasser de tout biais lié à quelconque a
priori. Il est par exemple crucial de savoir abandonner un projet si les chiffres ne sont
pas satisfaisants. Néanmoins, Thomke apporte une nuance à ces préceptes, qui est
particulièrement intéressante pour notre projet. Il explique qu’il peut y avoir de
« bonnes raisons » de déployer une initiative alors même que les bénéfices que l’on
anticipe ne sont pas justifiés par les chiffres – par exemple, un programme qui
pourrait participer à construire la fidélité client alors que l’expérimentation a montré
que ce programme n’augmenterait pas nécessairement directement les ventes.
D’ailleurs, on l’a vu, les critères de sélection des idées du Sephora Lab depuis 2012
sont souvent qualitatives et non quantitatives, du moins au premier degré, et
l’augmentation de la fidélité revient souvent comme critère clé. Dès lors, pourquoi
expérimenter ? L’important, semble-t-il, est de garder à l’esprit que le test doit faire
partie intégrante de la stratégie de l’entreprise et de ses priorités. Cela peut être le fait
de créer des opportunités business, ou simplement le fait d’être plus innovant.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 38
3. Feasibility: Is the experiment doable?
Comme le souligne Thomke, “Mistakes often occur when you don’t control variables
that could diminish your ability to learn from the experiments. When variability can’t be control
allow for multiple, repeated trials”. En effet, les environnements de consommation sont en
évolution permanente, et les liens entre les variables menant à l’achat ou au non-achat
sont souvent complexes et difficilement analysables. Thomke donne l’exemple du
changement de nom de la chaîne de magasins QwikMart. QwikMart a d’abord testé
un changement de nom sur dix de ses magasins et a constaté l’interdépendance des
variables influençant l’achat, d’une part, et son incidence sur l’interprétation des
données, d’autre part. En effet, la météo était très mauvaise dans 4 emplacements sur
10 ; dans un autre magasin, le manager venait d’être remplacé, créant un contexte
instable de transition ; un immeuble résidentiel avait été ouvert non loin d’un autre ;
enfin, le dernier magasin avait été victime d’une promotion agressive de la part de l’un
de ses concurrents. Dès lors, à moins de pouvoir isoler selon les variables l’effet de ce
changement de nom, la direction ne pouvait pas savoir de manière certaine si le
changement de nom avait aidé, ou non, les résultats de l’entreprise.
Cet exemple est extrêmement similaire à notre cas. En effet, la Vending
Machine se situait lors de son premier test en Gare de Lyon, où l’affluence dépend
éminemment des périodes de l’année, et même de la semaine ou du jour de la semaine.
En outre, un magasin Sephora s’y trouvait à 50 mètres, générant une cannibalisation
certaine, bien que non évaluée ni mesurée à ce jour.
Alors, pour gérer les environnements au système de causes dense, une
entreprise doit envisager d’effectuer ses tests auprès d’échantillons assez larges pour
atténuer les effets des variables (hormis la variable étudiée). Or, ceci n’est pas toujours
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 39
faisable pour des raisons budgétaires. Pour le projet Vending Machine, notamment,
quelle est la solution ? Le Lab doit-il construire plusieurs machines et les disposer en
même temps, éventuellement sur un temps plus réduit, à des endroits suffisamment
différents les uns des autres ? Cela serait très coûteux, surtout pour une petite cellule
d’innovation ne disposant pas d’un budget aussi conséquent que d’autres équipes. Au
contraire, devrait-on déplacer la machine à plusieurs endroits de manière consécutive ?
Dans ce cas, si l’on veut pouvoir donner de la crédibilité aux chiffres, il faut que
chaque test soit assez long. Dans ces conditions, la batterie de tests successifs risque
d’être trop longue pour permettre une réactivité optimale permettant une décision de
déploiement. Dans ces cas précis, selon Thomke, les managers peuvent décider
d’employer des techniques analytiques sophistiquées, certaines impliquant le big data,
pour accroître la validité statistique de leurs résultats.
Notons que la taille adaptée de l’échantillon dépend alors largement de
l’amplitude de l’effet attendu. Plus l’effet attendu est grand (par exemple, une
augmentation significative des ventes, ce qui semble être le cas de la Vending
Machine), plus l’échantillon peut être petit. En outre, en plus de permettre garantir la
validité statistique des résultats, une taille optimale d’échantillon peut permettre de
baisser le coût des tests.
4. Reliability: How can we ensure reliable results?
Les paragraphes précédents ont décrit les principes de conduite d’une
expérimentation. En réalité, les entreprises doivent souvent faire des arbitrages entre
fiabilité des résultats, coût, temps et d’autres considérations pratiques. Thomke expose
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trois méthodes permettant de réduire ces arbitrages, augmentant par-là même la
fiabilité des résultats.
- Les tests aléatoires de terrain
Le principe ici est le même que dans le domaine médical : il s’agit de prendre un
large groupe d’individus ayant les mêmes caractéristiques et les mêmes problèmes, et
de les diviser en deux sous-groupes. Puis, on administre un traitement à l’un des
sous-groupes et l’on pilote de près la santé de chacun. Si le groupe traité (groupe test)
réagit mieux que le groupe non traité (groupe contrôle), alors la thérapie est jugée
efficace.
De la même manière, des tests de terrain aléatoires peuvent aider les entreprises
à déterminer si un changement donné mène à une amélioration de sa performance.
Par exemple, l’entreprise Capital One a longtemps mené des expérimentations
rigoureuses pour tester les changements en apparence les plus triviaux. Grâce aux tests
de terrain aléatoires, par exemple, l’entreprise peut tester la couleur des enveloppes
utilisées pour envoyer des offres sur les produits en en envoyant deux types – les unes
colorées, les autres blanches – pour déterminer si les réponses qui en résultent
présente des différences significatives et systématiques.
Les tests aléatoires ont ce grand avantage qu’ils permettent d’éviter les biais,
qu’ils soient conscients ou inconscients, qui viendraient affecter une expérimentation.
Néanmoins, pour que les résultats soient valides, les tests aléatoires de terrain
doivent être conduits de manière rigoureuse, notamment dans le déroulement
successif des étapes. Par exemple, certains managers font l’erreur de sélectionner un
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groupe test – par exemple, un ensemble de magasins d’une chaîne – puis de supposer
que tout le reste, en l’occurrence les autres magasins, formera le groupe contrôle. Une
autre erreur serait de sélectionner les groupes test et contrôle d’une manière qui
vienne introduire d’office des biais dans l’expérimentation. Par exemple, Petco a
longtemps utilisé ses 30 meilleurs magasins pour tester de nouvelles initiatives pour les
comparer avec ses 30 magasins les moins performants. Les initiatives testées de cette
manière peuvent sembler prometteuses, mais auront de grandes chances d’échouer en
cas de déploiement. Aujourd’hui, Petco prend en compte de nombreux paramètres (la
taille du magasin, les données démographiques sur les consommateurs, les
concurrents à proximité, etc.) pour faire coïncider les caractéristiques des groupes test
et contrôle. Les résultats tirés de ces expérimentations se sont avérées beaucoup plus
fiables.
- Les blind tests
Pour minimiser les biais et augmenter encore plus la fiabilité des résultats, Petco a
conduit des tests à l’aveugle, « blind tests », en vue d’éviter l’effet de Hawthorne,
c’est-à-dire, lors d’une étude, la tendance des participants à modifier leur
comportement de manière consciente ou inconsciente s’ils savent qu’ils font partie
d’une expérimentation. Néanmoins, si les blind tests sont aisément praticables dans le
cas de changements de prix par exemple, cela s’avère plus difficile lorsque le test porte
sur un nouvel équipement ou sur de nouvelles pratiques de travail car alors, comment
ne pas en informer les collaborateurs ?
5. Value: Have we gotten the most value out of the experiment?
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 42
La bonne question n’est pas « qu’est-ce qui marche ? » mais « qu’est-ce qui marche,
où ? ». Thomke souligne ici la pertinence des déploiements ciblés. Il est en effet
envisageable de déployer un programme ou un service uniquement dans les lieux les
plus similaires aux emplacement où le(s) test(s)s a (ont) eu les meilleurs résultats.
Revenons au cas de la Vending Machine : ceci rejoint parfaitement l’ambition du Lab
de produire des machines en nombre relativement limité et de les rendre itinérantes au
cours d’une année, dans des endroits ciblés en fonction des résultats des tests ainsi
que des contextes objectifs de consommation.
Une fois appliqués ces quatre critères fondamentaux, plus les résultats sont valides
et répétables, plus l’équipe projet au sens large aura les outils pour faire face à la
résistance interne, qui peut être particulièrement importante quand les résultats
remettent en question des pratiques ancrées dans la culture de l’entreprise.
4. Enlightened Experimentation: The New Imperative for
Innovation (Stefan Thomke, HBR 2001)
Selon Thomke, ce qui permet à une entreprise de fabriquer des produits et de
les améliorer, donc d’innover, est le “systematic testing of ideas” : un produit provient
d’une idée qui a été modelée au cours d’un processus d’expérimentation. Puis, les
informations découvertes grâce à l’expérimentation sont incorporées dans les tests
suivants afin d’aboutir au meilleur produit possible. L’objectif d’une expérimentation
étant toujours et d’abord de savoir si le produit, le concept ou la solution technique
est pertinente pour répondre à un besoin ou un problème.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 43
Le fait de tester était à une époque bien plus cher que ça ne l’est aujourd’hui.
C’est bien ce que souligne Thomke dans cet article ainsi que dans l’article Customers as
Innovators: A New Way to Create Value (Stefan Thomke, Eric von Hippel, HBR 2002),
que je détaillerai en p.47. En effet, aujourd’hui, le prototypage rapide, la simulation
informatique, l’open source et plus généralement les technologies fondées sur
l’information, permettent de générer de la connaissance plus rapidement, et
d’exploiter cette connaissance par le biais de l’expérimentation, à moindre coût. Ceci
s’applique notamment aux industries aux coûts élevés de développement produit. Ceci
éclaire directement mes sujets de Master PIC puisque l’enjeu pour l’Innovation Lab
aujourd’hui est bien de produire rapidement grâce à des outils spécifiques. Il s’agit en
fait de systématiser et de pérenniser le format hackaton mis en place par le Sephora
Lab 2015 où les idées des collaborateurs internes étaient concrétisées à l’aide d’outils
digitaux, notamment une imprimante 3D, mis à disposition des participants, afin de
créer en un temps limité des prototypes des concepts imaginés.
Thomke souligne enfin le fait que les nouvelles technologies ne permettent pas
seulement de réaliser des économies sur les tests : elles constituent en soi un vaste
potentiel d’innovation. Par exemple, la simulation par ordinateur introduit une toute
nouvelle manière d’expérimenter en faveur l’innovation, en se libérant de la contrainte
du prototype physique, permettant par là-même une économie de coûts. Elle
augmente en effet la quantité d’informations pouvant naître lors d’un test.
Selon Thomke, les challenges associés à l’expérimentation rapide sont :
1. La création d’une organisation favorable à l’expérimentation rapide. Ceci passe
par :
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 44
● L’examen et éventuellement la modification des routines et des barrières
organisationnelles, et la mise en place de systèmes d’incitation.
● Eventuellement, la définition de petits groupes de développement formés de
personnes clé (designers, ingénieurs dédiés aux tests, ingénieurs dédiés à la
fabrication, etc.)
● L’identification des expérimentations qui peuvent être menées en parallèle et
concourante plutôt que de manière séquentielle.
Ces trois objectifs recoupent bien partie de la stratégie 2018 du Lab. Je developperai
ce point en p.100.
2. Fail early and often, but avoid mistakes
Thomke souligne l’importance du fait d’expérimenter toutes les idées existant au
début d’un projet, même si elles sont nombreuses. Les échecs pouvant découler de
cette expérimentation systématique, même pour les idées paraissant a priori absurdes,
permettent néanmoins de mettre en lumière de la connaissance nouvelle. En outre, si
ces tests sont effectués assez tôt, l’intérêt sera d’éliminer rapidement les options non
désirables et de concentrer ensuite ses efforts sur les alternatives qui semblent les plus
prometteuses. En d’autres termes, il convient de reconnaître les échecs positifs qui
permettent d’avancer.
Dans cet article, une phrase que cite Thomke est particulièrement éloquente
pour mon sujet, et résume parfaitement ce que je pense avoir été le point bloquant de
la Vending Machine. Il s’agit d’une citation de David Kelley, fondateur d’IDEO. « As
Kelley points out, developers who are afraid of failing and looking bad to management will some
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build expensive, sleek prototypes that they become committed to before they know any of the ans
In other words, the sleek prototype might look impressive, but it presents the false impression tha
product is farther along than it really is, and that perception subtly discourages people from chan
the design even though better alternatives might exist. That’s why IDEO advocates the developmen
cheap, rough prototypes that people are invited to criticize – a process that eventually leads to be
products ». Cela rejoint à nouveau l’idée de la résistance interne comme frein à
l’innovation et de la nécessité d’assumer l’imperfection ou incomplétude d’un
prototype.
J’ajouterais à cette phrase l’importance de la communication aussi bien interne
qu’externe sur le statut de prototype. Je pense en effet que la communication peut
avoir manqué autour du projet Vending Machine, qui aurait mis en avant ce statut
bien particulier de prototype, au sens d’Eric Ries, encore naissant au sein d’un groupe
comme LVMH.
Notons d’ailleurs qu’aux Etats-Unis, IDEO a créé une pièce volontairement
semblable à une aire de jeu pour y effectuer des “show-and-tells” inter-divisions, où
les employés viennent discuter de leurs dernières idées et produits. On pourrait
imaginer que l’Innovation Lab ait son propre “bac à sable” d’expérimentation retail,
tel l’Explorium que nous avons visité à Shanghaï dans le cadre du voyage d’études PIC
2017 et qui m’avait tout de suite frappée par l’intérêt qu’il pourrait représenter pour
l’activité de l’Innovation Lab de Sephora. Chez Explorium, le statut de prototype et de
produit non fini est assumé, accepté comme tel, et même valorisé.
Revenons sur les principes des 3R : « Rough, Rapid and Right ». Le R final rappelle
tout comme le Lean Startup que le prototype, bien qu’incomplet, doit être juste et
précis sur certaines dimensions. L’une des difficultés mais aussi des intérêts de cette
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 46
approche est qu’elle force les membres de l’équipe projet à décider quels facteurs
seront considérés comme devant être justes, et quels facteurs peuvent être
approximatifs. Ce processus génère de l’information au moment le plus important
(c’est-à-dire au moment où cette connaissance a le plus de valeur) : le « early stage » du
développement.
3. Anticiper et exploiter la “early information”
● Il s’agit ici de la technique du « front loading » : identifier les problèmes relatifs
au design le plus tôt possible dans le développement du produit afin de les
résoudre tant qu’ils sont faciles et peu coûteux à régler. En effet, un projet qui
échoue à un stade avancé, de surcroît sur le chemin critique, peut avoir des
conséquences financières dévastatrices et représenter des pertes de temps très
importantes. Ceci est particulièrement problématique dans le cas du Lab de
Sephora cas étant donné que l’un des objectifs premiers de la Vending Machine
est de se positionner en tant que pionnier dans le secteur de la distribution
automatique de produits cosmétiques, activité en plein essor dans un secteur
déjà très compétitif.
Un autre avantage du front loading est de diminuer le temps entre
l’approbation d’un design et la commercialisation du produit pour maximiser
ses chances de satisfaire les goûts des consommateurs qui changent très
rapidement.
4. Combiner technologies nouvelles et traditionnelles
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 47
Thomke rappelle qu’un échec ne doit pas être confondu avec une erreur,
l’erreur se situant au niveau de la procédure, c’est-à-dire des conditions de
l’expérimentation et de la manière dont elle est conduite. Une erreur
d’expérimentation, selon le vocabulaire de Thomke, est par exemple un mauvais
planning. Un échec relève du résultat du test : un test, mené dans les règles de l’art, va
réussir si le test est jugé positif et mène à un développement, ou échouer si le produit
ou service testé ne semble pas concluant. L’idée est donc que l’échec ne soit pas dû à
une erreur d’expérimentation ou à mauvais apprentissage lors de l’occurrence
précédente. C’est bien ce qui semble être le cas pour le test en Gare de Lyon de la
Vending Machine. Or, les erreurs risquent de faire se répéter les chercheurs ou
managers et donc résulter en une perte de temps et d’argent.
5. Customers as Innovators: A New Way to Create Value
(Stefan Thomke and Eric von Hippel, HBR 2002)
Cet article se concentre sur la question de savoir comment rendre le
développement produit « better and faster ». Thomke souligne qu’une bonne
compréhension de tous les besoins et envies du consommateur implique un processus
qui peut s’avérer complexe, coûteux… et inexact. De fait, même si les consommateurs
savent très bien ce qu’ils veulent, ils ne savent pas nécessairement l’expliquer, le
traduire, le transmettre de manière claire et complète. Des études de marché classiques
semblent donc inadaptées dans ce contexte. En revanche, le prototype apparaît
comme l’une des réponses à ce décalage : en effet, comme face à un objet-frontière,
face au prototype, le consommateur agit et réagit face à de la matière, du concret, du
contenu. Il explore la solution et sort ainsi du domaine du discours. Il identifie ce qui
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 48
fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Le prototype permet ce « learning by doing ».
L’interface entreprise-consommateur s’en trouve déplacée, et la boucle trial-and-error
est à présent portée par le consommateur uniquement, comme l’explique le schéma
ci-dessous :
Figure 8 - Interface prototype - consommateurs (Stefan Thomke & Eric von Hippel)
Dans le cas de l’Innovation Lab de Sephora, on aurait pu imaginer le lancement
d’un tool kit pour les consommateurs Sephora afin de leur permettre de participer au
développement de projets tels que la Vending Machine ou de développer leurs
propres services, qu’il s’agisse de modifications incrémentales ou d’innovations
majeures. Mais l’innovation Lab de Sephora n’en est pas là et n’affirme pas cette
volonté. En outre, la création d’un « tool kit » pour transformer des consommateurs
en designers implique un changement de management radical. Cependant, il me
semble que toutes les grandes entreprises aujourd’hui effectuent ce passage d’un
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 49
centrage sur l’offre (push) à un centrage sur la demande (pull) et que ce schéma puisse
être appliqué dans toutes les configurations, à des degrés certes différents, pourvu
que l’interface soit effectivement placée entre l’entreprise et le design.
En conclusion, l’expérimentation doit suivre des règles bien spécifiques. C’est
cela que je me suis efforcée de transmettre aux équipes impliquées dans la Vending
Machine, avec Lara Lasisz. Fort de ces apprentissages, le Lab a pu identifier de
manière rigoureuse les facteurs décrédibilisant le test en Gare de Lyon, et décider de
conduire un autre test rigoureux aux résultats d’emblée plus fiables. Ceci passe tout
d’abord par une organisation et une coordination projet plus rigoureuse.
Analyse : coordination de projet Dans les faits, le projet Vending Machine a suivi un mode coordination de
projet classique, ou encore appelé “light weight”, où chaque métier impliqué côté
Sephora (Merchandising, Offre, Comptabilité, IT, Supply Chain, etc.) participe au
projet par le biais d’un ou plusieurs acteurs, dont l’un tient lieu de chef de projet
métier sur son propre sujet. Un coordinateur projet, en l’occurrence moi-même,
facilite les interactions entre ces acteurs et entre Sephora et les acteurs extérieurs. Au
sein du projet, je représente par ailleurs et avec Mme Lasisz le métier Innovation et
par extension le métier Marketing, garant de la vision client sur tous les projets portés
par le Lab. Ce double rôle de coordinateur et métier fait toute la spécificité et la
richesse de mon expérience au sein de ce projet.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 50
Lara Lasisz occupe le rôle de sponsor du projet, et se situe bien au niveau de la
direction métier – en l’occurrence, l’Innovation. Au-delà, les décisions stratégiques
sont approuvées ou invalidées par la Directrice Marketing.
Dans cette configuration, le prestataire de la machine ne fait pas partie de
l’équipe projet. Il est un acteur à part, et la liaison entre Sephora et lui se fait par le
coordinateur de projet.
Figure 9 - Coordination lightweight du projet Vending Machine pour le test n°1
Cependant, comme signalé en p.52, les circonstances dans lesquelles s’est
déroulé le test n°1 auraient pu justifier un mode de projet plus autonome, sur un
mode “commando” pour ne pas aller jusqu’à parler de “heavy weight”.
En juillet 2016, date d’implantation de la machine en gare, celle-ci n’était pas
prête, en particulier sur sa dimension monétique. Ce retard était en grande partie dû à
un défaut de communication en interne et avec le prestataire en question, Ingenico. Le
mois de juillet fut donc un mois extrêmement dense où l’objectif était d’installer la
machine le plus vite possible pour perdre le moins de jours possibles. Les échanges
étaient quotidiens entre les différents départements de Sephora et le prestataire de la
machine, AST. AST étant à Lille, la grande majorité des échanges se faisaient par
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 51
téléphone, à distance de la machine. Cette distance explique probablement pourquoi
aucune recette fonctionnelle n’avait été prévue, auquel le GO du projet aurait pu être
soumis. Le Lab faisait confiance à AST pour que des tests rigoureux soient mis en
œuvre afin que la machine fonctionne au mieux, mais aucun suivi n’avait été mis en
place pour s’en assurer.
L’urgence de la situation et le manque de communication et de rencontres entre
Sephora et les différents prestataires ont abouti à une installation de la machine fin
juillet, qui est tombée en panne dès le premier jour de fonctionnement. Tout au long
du mois d’août, les problèmes techniques se sont succédés, du fait de défauts
mécaniques, de dysfonctionnements monétiques, ou de facteurs extérieurs liés à
l’environnement imprévisible d’une gare.
Il serait donc été intéressant de constituer un management de projet plus solide
où AST serait intégré à l’équipe projet au même titre que n’importe quel acteur métier.
Dans le même temps, un directeur de projet, éventuellement extérieur à quelconque
métier, serait institué, disposant d’une autorité hiérarchique de fait, dont le rôle serait
de convoquer des réunions et de prendre les décisions. Ceci ne serait pas incompatible
avec la présence d’un coordinateur de projets qui faciliterait le déroulement du projet
au quotidien.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 52
Figure 10 - Proposition de coordination “commando” pour le test n°2 du projet Vending
Machine
Ce mode projet “commando” serait plus solide qu’un mode classique dans la
mesure où, dans un mode light weight, chaque métier participe au projet de manière
concourante et concomitante, en étant soumis uniquement aux critères et contraintes
de son propre métier. Le projet ne serait alors plus la résultante des meilleurs efforts
d’une somme de métiers (tant du côté Sephora que du côté des prestataires), mais bien
une œuvre commune, dirigée par un chef de projet éventuellement extérieur prenant
les décisions stratégiques, établissant les jalons, et enjoignant les membres de l’équipe
projet de travailler en vue de ce but.
Dans les faits, le test n°2 s’est déroulé sur un mode de coordination plus solide
que pour le premier test – qui lui-même ne suivait qu’en théorie un mode light weight
rigoureux – sans pour autant nommer un directeur de projet par manque de moyen
par rapport à l’ampleur du projet.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 53
TEST N° 2 - AÉROPORT DE NICE : EXIGENCES
Comme spécifié plus haut, l’analyse théorique du premier test permet déjà
d’affirmer que les résultats du test ne peuvent être pris en compte tels quels dans la
mesure où l’expérimentation n’a pas suivi certaines règles essentielles. En février 2017,
le Lab envisage donc un second test, qui sera appuyé par le top management si et
seulement si les apprentissages du premier test sont clairement établis, communiqués
et est intégrés dans le second : ce fut mon rôle de février 2017 à juillet 2017, date
d’implantation de la machine à l’aéroport de Nice.
Ces apprentissages sont essentiellement :
- L’identification des variables de la machine et la fixation – ou non – de leur
valeur ;
- Le choix d’un emplacement non cannibalisé par un magasin Sephora ;
- Un mode projet consolidé, ce qui se traduit par :
o Des comités réguliers
o Une intégration plus en amont de certains acteurs comme le réseau de
magasin de la zone concernée
o Des recettes fonctionnelles (User Acceptance Tests) strictes
o Une instance de Go / No Go
o Un suivi des ventes automatisé et en temps réel grâce à une plateforme
en ligne, limitant les échanges et faisant gagner du temps.
Entre février et juillet 2017, je prépare le test à l’aéroport de Nice en appliquant
toutes ces améliorations, appuyée par une équipe projet plus responsable qu’au
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 54
premier test. Depuis juillet 2017, mon rôle est de piloter le projet et notamment de
suivre la remontée des ventes de la machine à l’aéroport de Nice.
DÉPLOIEMENT POST-TEST
En cas de validation des hypothèses de valeur et de croissance de la machine,
un déploiement sera envisagé sur la zone Europe et Moyen-Orient. Cela se décidera à
partir de janvier 2018 et je ne ferai plus partie du Lab pour participer à cette prise de
décision. En outre, l’entrée d’autres parties prenantes en interne sur le projet induiront
très probablement une autre lecture des forces et faiblesses du projet, et des acteurs à
envisager pour sa poursuite.
Par exemple, suite à la validation ou l’infirmation de certaines variables, un
débat pourra avoir lieu sur la pertinence d’une machine sur mesure par rapport à une
machine industrialisée, prise sur étagère auprès d’un prestataire spécialisé. Il sera
également intéressant, et cela n’est pas sans rapport avec ce dernier point, de réfléchir
à la taille et l’organisation optimale du prestataire de la machine. AST est une petite
structure ; sa force est l’agilité et la réactivité que cette petite taille permet. En
contrepartie, lorsque le portefeuille de projets s’élargit chez AST, un véritable
arbitrage s’impose entre ces projets. Des arbitrages sont à faire car les ressources d’une
petite structure ne sont pas extensibles, et les moyens financiers risquent d’être limités.
PROJET N°2 : NEW STORE CONCEPT
NEW STORE CONCEPT, RÉSULTANTE DE LA PIPELINE D’INNOVATIONS DU LAB
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 55
Pour faire le récit du projet New Store Concept, il convient de prendre du recul
et de se remettre dans le contexte de l’Innovation Lab. En 2015, un Sephora Lab est
organisé avec l’aide d’une agence, nod-A, et s’avère être un succès en interne tant du
point de vue de l’implication des collaborateurs que des résultats des tests.
Selon nod-A, les missions pour le Lab sont essentiellement les suivantes :
Figure 11 - Objectifs du Sephora Lab selon l’agence nod-A en 2015
C’est en pleine préparation du Sephora Lab 2015 que le nouveau directeur
général de Sephora EME arrive à la fin février 2015. Quelques mois après son arrivée,
il se tourne vers la Directrice Marketing EME et lui demande de travailler sur un
nouveau format de magasin, dans un contexte transformation du retail et de réflexion
généralisée sur le parcours client que j’ai développé en p.8-9-10. Ce nouveau concept
serait fondé sur une toute nouvelle architecture et un nouveau design, d’une part, et
d’autre part sur l’intégration du pipeline d’innovations rempli au fil des années par le
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 56
Sephora Lab. Ceci explique tout naturellement que la Directrice Marketing se voie
affecter cette mission, ayant géré le Sephora Lab depuis sa création en 2012.
Dès lors, les objectifs du programme New Store Concept sont :
- Offrir une expérience unique et personnalisée aux consommateurs, grâce à des
services innovants en magasin et cross-canaux, digitaux ou physiques, ainsi qu’un
merchandising au design nouveau, ayant pour objectif d’améliorer l’expérience
globale du magasin Sephora.
- Engager les consommateurs dans une relation forte avec l’univers Sephora.
Les objectifs spécifiquement business sont définis comme tels :
- Accroître l’écart avec les concurrents en poussant les frontières de l’ADN de
l’enseigne :
Figure 12 - L’ADN Sephora comme levier du projet New Store Concept
- Recruter de nouveaux consommateurs en privilégiant les Millenials.
- Augmenter les ventes cross-canales et les opportunités de cross-selling avec une
priorité donnée à la catégorie Soin.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 57
MÉTHODE D’EXPLORATION PROJET
La demande fondamentale pour ce nouveau concept de magasin est de
repenser le parcours client sur un mode omnicanal. Le DG EME souhaite voir des
éléments de stratégie dès septembre 2015 ; à ce stade, plus que le contenu, c’est
l’approche qui importe à ce stade, la direction stratégique. On entre alors dans la
première phase du projet : l’exploration.
New Store Concept est né d’une démarche d’exploration constituée de 3
étapes :
Figure 13 - Les trois étapes de l’exploration du projet New Store Concept
Etudes qualitatives
Approche “client-centric”
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 58
Tout d’abord, l’objectif est identifier les insights client et leurs besoins en
termes de « U&A » (Usage and Attitude), et d’identifier les missions qui motivent un
client à se rendre en magasin.
En conséquence, dès le second trimestre 2015, la DM EME monte des ateliers
avec InProcess, une agence d’innovation connue de l’Innovation Lab dont le métier
est l’étude et la créativité à partir de tendances de fond (par exemple, la mobilité, le
nomadisme, etc.). Le sujet est alors une invitation à réfléchir au parcours client dans
un contexte retail.
Les N-1 de la Directrice Marketing (Architecture, Merchandising,
Communication, etc.) ainsi que l’équipe des études (département Digital) sont alors
intégrés à ces ateliers. Les ateliers InProcess sont ouverts vers l’extérieur : ils
regroupent des représentants de diverses entreprises – une entreprise par secteur,
uniquement hors concurrence – où Sephora représente la distribution sélective de
cosmétiques. Ainsi, six demi-journées de brainstorming, de génération d’idées, sont
organisées sous la houlette d’InProcess, accompagnées par des sociologues et
anthropologues.
En parallèle, le département des Etudes lance une stratégie d’études, c’est-à-dire
une réflexion structurée pour vérifier les besoins des clients.
● Une étude sémiologique est conduite par le cabinet Kaliwatch. A travers un
travail de terrain dans le magasin Sephora des Champs Elysées (Flagship
Europe) et dans des magasins concurrents, un sémiologue décode l’impression,
le ressenti qu’un client peut avoir en entrant chez Sephora. Certains constats
relèvent certes de la culture d’entreprise objectivée par le fondateur de
l’enseigne, M. Mandonnaud, et le premier architecte de l’enseigne (entre autre le
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 59
tapis rouge ou le calepinage rappelant la Cathédrale de Sienne chère à M.
Mandonnaud). Mais au-delà de cet héritage certain, cette étude des signes
linguistiques à la fois verbaux et non verbaux permet au sémiologue d’identifier
ce qu’il faut conserver dans le concept actuel (concept encore majoritaire au
moment où j’écris ces lignes, année 2017), les éléments à souligner davantage,
ainsi que les directions à ne pas prendre.
● D’autre part, Kaliwatch aide à la création d’un panel en ligne, une communauté
online de client(e)s, hommes et femmes, issues base de données Sephora.
L’étude, qualitative, a pour but de recueillir les attentes des clients Sephora sur
le magasin idéal. Chaque jour pendant deux semaines, un modérateur pose des
questions aux panélistes : qu’est-ce que la beauté pour vous ? Quels sont vos
ressentis vis-à-vis de…? Quelles sont vos références en matière de…? Quelle
citation choisiriez-vous pour décrire…? Les questions sont d’abord très larges
puis de plus en plus précises. Ce que j’appellerai à ce stade l’équipe projet,
formée par les différents responsables des équipes du département Marketing
ainsi que des études, ont accès à cette plateforme et orientent les sujets qu’ils
souhaitent creuser, pilotant ainsi l’étude. Par ailleurs, les panélistes sont
sollicités pour dessiner le magasin tel qu’ils le perçoivent aujourd’hui et tel qu’ils
le souhaiteraient. Ces dessins ont été très utilisés. Je précise à nouveau que le
panel était volontairement biaisé, composé de clients Sephora, ayant donc un
intérêt pour la beauté.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 60
Figure 14 - Le magasin Sephora vu par des panélistes New Store Concept en 2015
Enfin, des interview “flash” sont menées en magasin, auprès de clients en
dehors du panel. L’objectif de ces démarches est de faire ressortir des insights clients.
La différence avec une démarche de design thinking est que les clients ne sont pas
observés dans leur quotidien discrètement mais bien interrogés directement, sur des
sujets précis.
Notons ici l’intérêt de l’étude qualitative par opposition à une étude
quantitative. Si le quanti génère des chiffres suffisants pour globaliser des conclusions
à partir de questions relativement précises et d’un nombre relativement plus grands de
participants, le quali est une démarche permettant de décrypter les tendances des
consommateurs à partir de questions ouvertes et moins d’interrogés. L’idée est de
générer des idées ou de voir si les clients ont une bonne compréhension de ce sur
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 61
quoi ils sont interrogés. L’étude quali vise à comprendre le cheminement de pensée de
la personne interrogée. Le processus est plus long que du quanti, mais s’appliquait
parfaitement à la démarche de définition d’un nouveau concept de magasin fondé sur
un nouveau parcours client. Ces deux démarches sont cependant souvent
complémentaires : l’étude quantitative peut venir dans un second temps, une fois les
partis-pris sont posés sur lesquels des données quantitatives sont nécessaires.
La première formalisation des résultats de l’étude Kaliwatch, qui est aussi la
première restitution au DG Europe, se présente sous la forme de parcours clients.
Deux comportements shopping sont identifiés, influencés par différents contextes : l’
“Efficiency Seeker” et l’ “Opportunist”.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 62
Figure 15 - Deux profils centraux identifiés par l’étude qualitative menée par Kaliwatch en
2015
A partir là, six types emblématiques de recherche client sont identifiés :
- “I know what I want”
- “Time to spend (but not alone)”
- “Shopping with friends”
- “Finding the right gift”
- “Beauty expert experience”
- “Sephora 24/7”
A ces six types sont appliqués un parcours omnicanal et un mapping, tout en gardant
le spectre des deux profils “efficiency seeker” et “opportunist” :
Ci-dessous cette méthode appliquée au cas “I know what I want”.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 63
Figure 16 - Mapping du profil “I Know What I Want” appliqué au cas Sephora, Kaliwatch
Les résultats de cette démarche sont ensuite synthétisés et ces comportements
sont intégrés dans des personae recoupant les “tribus” par ailleurs identifiées par
Sephora dans le même temps, à l’occasion d’une étude de fond, plus globale. Les
tribus sont des personae représentant les principaux profils clients, de fait, et filtrés
par la stratégie de l’entreprise. Les tribus étant confidentielles à Sephora, je ne les
développerai pas ici.
Identification de parcours clients et expérience en magasin
A l’issu de ces différents chantier parallèles, l’équipe projet identifie quelques
grands partis-pris. Par exemple, le fait de garder l’organisation des marques par ordre
alphabétique ; le noir et blanc du design perçu de manière qualitative ; le statut de
temple de la beauté mais ouvert à tous en laissant ouvertes les portes des magasins,
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 64
par opposition à des magasins de marques de luxe ; ou encore l’importance du
sensoriel au sein du magasin – même en présence de digital – et donc l’importance de
conseillères beauté comme vecteurs permanents de la dimension physique et
sensorielle. Ces réponses et partis-pris sont interprétés sans toujours y répondre
directement - par exemple, il est décidé de garder l’aspect qualitatif du noir et du
blanc, mais de s’éloigner du brillant pour adopter le mat.
Ces premières billes ont aidé à commencer à bâtir une stratégie ainsi qu’une
architecture. Pour asseoir cette stratégie naissante, pour donner forme à cette matière,
l’équipe projet a fait appel à l’agence Fitch spécialisée dans le retail. A l’origine, un
partenariat avait été acté avec l’école anglaise Central Saint Martins. Des étudiants de
la CSM ont été briefés à partir d’éléments de cette matière, et en sont ressorties des
idées de structure architecturale du magasin. En décembre 2015, lors de
l’identification des agences d’architecture qui devaient prendre le relai de ce travail
préliminaire, Fitch est apparu dans le même temps, issu du réseau de l’une de ces
agences. L’approche de l’agence Fitch apparaissant très conforme à l’approche de
Sephora, un partenariat est monté.
En s’appuyant sur leur méthodologie, DEL PHD (Dream, Explore, Locate,
Physical, Human, Digital), tenant lieu de matrice de réflexion pour le retail stratégique,
Fitch aide l’équipe projet à dessiner un nouveau parcours client. Pour ce faire, l’équipe
projet entourée de nombreux autres collaborateurs en interne sont invités à remplir
cette grille au cours d’ateliers en novembre 2015. Pour préparer ces ateliers, Fitch se
voit remettre tous les inputs issus du Sephora Lab, c’est-à-dire les fiches projets de
toutes les idées identifiées depuis 2012, projets ayant été développés ou non.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 65
Tout d’abord, des missions sont identifiées. Au cours des ateliers, chacun des mindset
(Dream, Explore, Locate) est associé à une raison de venir en magasin. :
Figure 17 - Missions menant au magasin Sephora selon l’agence Fitch, à partir des études
qualitatives de New Store Concept et des tribus Sephora (base de données clients)
Par la suite, trois sous-groupes travaillent à partir de méthodes des post-its sur
trois personae illustrant ces trois missions (ces personae recoupent les tribus sans s’y
résumer). Par exemple, le fait de tester des produits entre amies et de partager son
expérience sur les réseaux sociaux est la raison de venir en magasin illustrant l’état
d’esprit Dream, surtout incarné par le persona créé pour l’occasion, Léa, 24 ans. A
partir de là, le parcours entier de Léa est dessiné. Les deux autres personae sont
incarnées par Stéphanie, 35 ans, et Claire, 45 ans.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 66
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 67
Figure 18 - Moodboard des 3 personae de New Store Concept
Pour chaque persona, un parcours omnicanal complet est dessiné. Par exemple, pour
Claire :
Figure 18 - Parcours client omnicanal d’un persona de New Store Concept
En parallèle, une esquisse de l’architecture du magasin est dessinée par Fitch,
structurée autour d’une idée originale des étudiants de la Central Saint Martins : un
“Hub” central regroupant l’intégralité des services maquillage, soin et parfum,
physiques ou digitaux. Cette zone incarne toute la stratégie du magasin : une forte
composante communautaire, une emphase sur le service, un rapprochement des axes
pour développer le cross-selling. Une fois l’architecture esquissée, un plan
schématique du magasin est imaginé, et chaque parcours nouvellement identifié y est
intégré. Par exemple, pour Claire :
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 68
Figure 19 - Parcours schématique en magasin d’un persona de New Store Concept
La figure ci-dessous résume toutes les initiatives amont et les acteurs internes et
externes impliqués dans la naissance de NSC :
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 69
Figure 20 - Initiatives amont du projet New Store Concept
La figure 20 ci-dessus montre qu’une équipe coeur côté Sephora, appelée “Cluster” et décrite en p.57, était en permanence impliquée dans le projet.
Go développement
En janvier 2016, ce travail de modélisation stratégique et architecturale est
présenté au DG EME et l’équipe projet obtient un GO. Le projet New Store Concept
est né et le développement du magasin peut commencer.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 70
A partir de ces parcours structurants et de l’esquisse architecturale du magasin, deux
grands chantiers s’ouvrent :
- L’appel d’offre pour l’agence d’architecture qui viendra concevoir et construire
le magasin pilote ;
- Le cadrage de New Store Concept, c’est-à-dire la définition de l’intégralité des
besoins, et le chiffrage du magasin, avant d’entamer la conception détaillée.
C’est ainsi que le GO développement, tel qu’on l’appellerait en gestion de projet et en
conception, porte le nom en interne de « Kick-off cadrage ».
Le cadrage implique essentiellement les équipes Business et l’IT - l’IT étant une
composante essentielle du nouveau magasin.
L’organisation choisie pour le cadrage est alors la suivante :
● Business
Figure 20 - Organisation Business du cadrage New Store Concept
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 71
● Zoom sur la brique « IT & digital applications »
Figure 21 - Organisation IT du cadrage New Store Concept
Le Business et l’IT portent le projet New Store Concept. Le Business (MOA),
est représenté par le Marketing et coordonné par l’Innovation, garant de la vision
client et de la définition des besoins. D’autre part, l’IT (MOE) a pour rôle de rédiger
les spécifications techniques ou fonctionnelles (documents de conception) des
services digitaux et de faire le lien avec les prestataires pour les réaliser au sein d’un
environnement très spécifique : le magasin. Entre les deux, des équipes AMOA et
AMOE formées de consultants internes ou externes, viennent faire l’intermédiaire
entre ces équipes Business et IT. L’AMOA et l’AMOE aident à la formalisation du
cadrage, puis, plus tard, de la conception et de la production à proprement parler.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 72
DÉVELOPPEMENT
Mon objectif n’est pas de raconter le déroulement du projet jour pour jour mais
de donner une idée la plus précise possible des forces et faiblesses du mode projet mis
en place pour le projet New Store Concept.
J’y reviendrai dans la suite de ce mémoire : la vague de transformation que
connaît Sephora depuis 2015 est inédite dans l’histoire de la firme. C’est cela que j’ai
eu plaisir à découvrir à mon arrivée au sein du Lab, et ce à quoi j’ai eu la grande
chance de pouvoir assister.Les équipes du siège Europe prennent toutes part, sans
exception, à de vastes programmes de transformation menés sur des modes projet
formant une discipline nouvelle pour l’ensemble des équipes.
Les paragraphes qui suivent sont fidèles au fil de mes étonnements et de
l’ensemble de mes notes tout au long des 6 premiers mois de l’expérience PIC et
visent à rendre compte de l’évolution de ma réflexion, enrichie par l’accumulation de
mon expérience.
Je suis arrivée chez Sephora le 6 avril 2016, en plein cadrage – et en plein conflit.
J’assiste lors de mon premier jour à un Comité Projet hebdomadaire Business-IT.
Un mode agile rendu difficile par la “legacy” Sephora Tout d’abord, j’apprends rapidement que New Store Concept est mené sur un
mode de développement « cycle en V ». Certains témoignages que je récolte soulignent
le fait qu’un cycle en V nécessite d’avoir dès le départ une vision cible précise pour le
projet, prédéfinie, alors que les besoins sont dans les faits définis pendant le cadrage.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 73
Pour contrer cette difficulté, l’idée selon ces témoignages serait de privilégier une
méthode agile partant d’une vision globale, affinée petit à petit. Parmi d’autres
programmes de transformation ayant cours en même temps, des sous-projets sont
sélectionnés pour appliquer une méthode agile à l’aide d’une agence spécialisée. Cela
ne sera pas le cas pour NSC. J’apprends que plus le projet est en adhérence avec le
“legacy” Sephora – le legacy regroupant tous les projets historiques de la firme,
comme par exemple le programme de fidélité –, plus la poursuite d’une méthodologie
agile est ardue, dans la mesure où le nouveau système agile devra être compatible avec
cette brique centrale. Je touche du doigt ici les obstacles à l’agilité au sein d’un grand
groupe.
Cadrage (février – juin 2016) et conception Ci-dessous le cycle en V mis en place, tel que je le comprends à mon arrivée :
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 74
Figure 22 - Cycle en V du projet New Store Concept
Revenons à l’activité de cadrage. Notons ici que l’une des particularités du projet
New Store Concept est le délai extrêmement serré dans lequel le magasin pilote doit
être conçu et construit. Suite au GO développement, le magasin doit ouvrir en
septembre 2016. Les délais extrêmement serrés sont un écueil que je rappelle de
manière récurrente dans mes notes tenant lieu de rapport d’étonnement.
✓ Les expressions des besoins
Le 19 avril, le Business et l’IT se mettent d’accord sur la nécessité de rédiger
des expressions de besoin formelles pour chaque projet et sous-projet, et s’accordent
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 75
sur la forme que ces EB ((Business Requirements) doivent prendre. Les sous-projets
du projet New Store Concept sont schématisés sous ci-dessous dans ce que les
collaborateurs appellent en interne la « cartographie fonctionnelle » du projet :
Figure 23 - Cartographie fonctionnelle du projet New Store Concept
J’accorde alors une très grande importance à la formalisation et au mode projet
qui vit face à moi et auquel je prends bientôt part. En effet, le 22 avril, je deviens
responsable de la rédaction de l’EB du projet Fragrance Diagnostic, outil digital de
recommandation de parfum en magasin. Pour ce faire je travaille avec la MOA et avec
l’IT en soutien. Notons que ce projet a finalement été “descopé” pour l’ouverture des
premiers pilotes, c’est-à-dire supprimé de leur périmètre, du moins dans un premier
temps.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 76
La difficulté principale concernant l’expression des besoins est qu’il faut choisir
pour chaque projet quelle équipe représentera le métier, le volet business. Cela relève
parfois d’un véritable choix.
Dans le même temps, je découvre et adopte une vision d’ensemble de
l’intégralité des chantiers constituant le projet New Store Concept. En réalité, je
découvre qu’il s’agit bien d’un programme de transformation d’entreprise. Il était
passionnant de me rendre compte de l’ampleur du sujet et des chantiers, ceux-ci se
révélant jour après jour. Architecture, merchandising, environnement, immobilier,
offre, réseau (équipes opérationnelles), IT, digital, CRM, finance, juridique,
communication, etc. Tous les départements formant Sephora Europe sont affectés
par NSC et impliqués dans le projet. Dans le projet NSC, on refait la boutique… et
l’arrière-boutique.
Je découvre à cette occasion le vocabulaire projet mais également d’autres
notions qui seront au cœur de tous les sujets : besoin, solution, intégration, éditeur,
intégrateur, sur étagère VS “costumisation”, MVP, agilité… etc. Dans le même temps,
j’entre en détail sur de nombreux sujets très pointus. Par exemple, le sujet très riche et
pointu du Digital Signage, le geofencing, les beacons.
Les expressions de besoin sont envoyées à l’IT par l’équipe projet le 25 avril. Ils
vont permettre un macro-chiffrage et la définition d’un planning pour le
développement des pilotes.
✓ Un contenu co-construit avec des prestataires
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 77
Entre chaque comité d’instance, le business ou l’IT rencontrent des prestataires
entrant en compétition pour chaque sous-projet. L’état de l’art dans chaque domaine
indique ce qu’il est possible de faire « sur étagère » et nous aiguille dans le besoin et
dans le cadrage.
✓ La sélection des prestataires
Pour chaque sous-projet impliquant l’externalisation d’une prestation, un RFI est
envoyé à destination des prestataires candidats. Les RFIs, tout comme les expressions
de besoin, sont rédigés par le Business à partir des EB, puis complétés par l’IT. Il est
alors très important de distinguer les priorités des composantes de chaque sous-projet
et les lots pour permettre des retours les plus complets possible des prestataires. Par
exemple, ce qui n’est pas possible en lot 1 à une date T pourra être proposée en lot 2
ultérieurement.
Un processus de RFP est ensuite éventuellement lancé, par exemple pour choisir un
intégrateur en vue d’intégrer tous les services digitaux qui seront présents en magasin
sur une même tablette.
✓ Une reformulation et reformalisation permanentes
Le contenu des projets de NSC, largement digitaux, impliquent tous du front office
que ce soit pour les clients ou les conseillères de vente. Ces interfaces se formalisent
peu à peu sous forme de parcours client (schémas, use cases). Cette formalisation,
bien plus qu’une résultante d’un besoin, aide également à la définition de ce besoin.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 78
Ces schémas jouent en quelque sorte le rôle d’objets frontières pour les personnes clé
des différents service impliqués dans le projet.
✓ Des prises de décision à différents niveaux
Au cours du cadrage, le statut de NSC varie. Le 20 avril, notamment, la priorité du
Comité de Direction devient officiellement la transformation d’entreprise donc les
programmes Disrupt, MPOS (mobile point of sale), et le e-Commerce. Je développerai ce
point en p.86. Il est alors décidé que pour des questions d’agilité, NSC sera traité à
part et ne sera pas considéré stricto sensu comme un programme de transformation,
ceux-ci concernant plutôt le back-office et devenant des enablers et des socles pour
NSC. En conséquence, le projet NSC devra se superposer à ces roadmaps prioritaires.
Ceci est un exemple de bouleversement des priorités et de l’organisation suite à
décision du CoDir, certes fondée mais imprévue et très soudaine pour le reste des
équipes.
Mes notes personnelles font état de nombreuses décisions inattendues
provoquant des changements réguliers et profonds dans les méthodes de travail. Cela
se voit notamment à chaque fois qu’une formalisation est attendue, comme une
expression de besoin ou un RFI : ces rendus jouent le rôle d’accélérateurs dans
l’avancement du projet. Les meilleures méthodes de travail se trouveraient-elles dans
l’urgence ? D’une manière générale, les priorités semblent changer régulièrement tant
les facteurs exogènes à NSC sont nombreux.
Le 25 avril, j’assiste à un retournement de situation pour l’architecture. Les
deux agences en liste sont alors Fitch et UniversalProjectk. Alors que la direction avait
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 79
choisi l’agence d’architecture n°1, les mêmes personnes choisissent à présent la n°2, in
extremis. Or, entre la première demande et la seconde, l’agence n°1 avait eu le temps de
beaucoup avancer et d’investir sur le projet : y aurait-il eu un manque de
communication entre le middle management et le top management entre ces deux
dates ? Je constate tout au long du projet l’importance de la communication et de la
transparence, d’une part, et d’autre part sur d’autres sujets l’importance des acteurs
(notamment AMOA) ayant une double casquette IT / Business pour aider à la bonne
traduction des messages.
Le 26 avril, afin de « remettre à plat » différents éléments pour une meilleure
communication avec le top management, l’équipe projet se voit commander des slides
Marketing, très claires, épurées et esthétiques. Cela fut déterminant dans la
communication au DG, a fortiori au PDG, sur NSC. En fait, loin d’être une
expression simplifiée de lignes déjà définies, cette tâche pousse à un effort de synthèse
qui révèle parfois des failles d’alignement entre les équipes sur certains sujets. Cette
formalisation marketing nécessite alors une clarification des priorités, des lots, du
MVP, de la répartition budgétaire par nature, par projet et dans le temps, et du statut
des premières ouvertures – le premier magasin sera-t-il un test ou le pilote d’un roll
out assuré ? Cette vision a priori simplifiée demande donc de se reposer des questions
structurantes et de leur apporter une réponse ferme. J’observe par conséquent que ces
formalisations accélèrent le processus de réflexion, de cadrage et de conception. Elles
doivent donc être fréquentes.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 80
Go budget et définition d’une organisation Une première proposition d’enveloppe faite au Directeur Général Europe le 20/07 est
refusée. Le DG demande à l’équipe projet de réduire le budget et commande une
nouvelle présentation explicitant :
- La répartition du budget entre architecture et merchandising, innovation et
enablers
- Les coûts « one-off » par opposition à ceux qui serviront pour d’autres projets
- Les coûts payés pour la localisation
- La répartition des consultants
- Les scénarios liés à l’intégration des différents services, et les plannings associés
Une nouvelle présentation est formalisée puis présentée PDG monde : cette seconde
enveloppe budgétaire est validée 29/07.
Notons l’avantage financier pour Sephora de faire partie du groupe LVMH. La
firme en effet bénéficié du soutien financier du groupe pour ces enveloppes
budgétaires.
L’organisation, quant à elle, repose sur une division rigoureuse et une
explicitation méthodique des sous projets. Les voici, commentés et catégorisés a
posteriori. Bien qu’appelés en interne « macro projets » divisés en « projets » car faisant
partie du programme NSC, j’appellerai ces composantes « sous-projets » par souci de
simplification.
✓ Sous-projets et objets de l’innovation
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 81
Figure 24 - Sous-projets du projet New Store Concept
✓ Nature de l’innovation
Figure 25 - Nature de l’innovation des sous-projets de New Store Concept
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 82
✓ Degrés d’innovation pour la firme
Figure 26 - Degrés d’innovation des sous-projets de New Store Concept
Je précise ici que je mesure le degré d’innovation par rapport à la firme, à ses
clients et à ses collaborateurs, et non dans l’absolu, dans la mesure où toutes les
innovations intégrées à NSC relèvent à des degrés différents de tendances dans le
secteur du retail. Au sein de ce secteur, Sephora est plus ou moins précurseur et plus
ou moins avancé sur les innovations, et c’est ce que j’expose à travers ce diagramme.
Prenons trois exemples :
- Technical enablers : il s’agit d’un pur renouvellement des équipements IT, donc
d’une innovation incrémentale. On n’observe pas de rupture dans la technique
ni l’usage de ces technologies.
- New Make Up Services : par exemple, un l’application de maquillage virtuel via un
miroir écran en magasin. Ce service est innovant d’un point de vue
technologique et d’un point de vue de l’usage client, sans pour autant
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 83
provoquer de rupture dans l’usage pour des clients qui avaient eu l’occasion de
se familiariser avec ce genre de services chez d’autres marques.
- Digital Signage, sous-projet d’automatisation de la gestion de l’affichage digital en
magasin, est innovant en termes de technologie et très innovant pour les
collaborateurs. En effet, ceux-ci passent d’une gestion de contenus et diffusion
aux pays « artisanale » à un outil centralisé et automatisé, induisant un gain de
temps considérable et une plus grande fiabilité.
D’une manière générale, NSC est constitué de sujets extrêmement innovants, à
l’impact fort, du fait de l’échelle de mise en place de ces innovations. Une innovation
digitale est déployée dans des centaines de magasins, induisant une progression
sensible du chiffre d’affaire, tant pour Sephora que pour le prestataire.
✓ Coordination projet
La validation du projet repose sur le choix d’un mode de coordination. Pour NSC, il
s’agit d’un mode light weight, comme décrit en p.42.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 84
Figure 26 - Mode de coordination projet de New Store Concept
Tout au long du cadrage, je constate que le rôle du Business et de l’IT n’est pas
clairement et formellement défini.
On l’a vu : le moteur du projet NSC doit être le besoin métier Business jusque
dans sa composante technologique et digitale. A partir de ce besoin, l’IT doit établir la
liste des contraintes et questions au métier, ainsi que dessiner des pistes de solutions
de matériel, de prestataire, etc. Dans les faits, cet aller-retour métier-IT à partir d’un
besoin métier n’est pas réellement fait. A chaque étape, le besoin ne semble pas assez
détaillé pour être exploitée par l’IT, certaines demandes semblent déjà irréalisables, ce
qui mène l’IT à orienter le métier vers une autre solution… qui ne correspond pas au
besoin métier. En quelque sorte, c’est le serpent qui se mord la queue. Ceci se traduit
par un débat récurrent sur l’organisation, les rôles, la management de projet et les
prises de décision, débat qui occupe la quasi intégralité des comités. Ce constat sur
l’organisation est omniprésent dans mes notes personnelles tout au long du premier
mois suivant mon arrivée.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 85
En outre, les besoins évoluent très vite à cette époque, notamment du fait de
l’adhérence du projet avec d’autres projets d’entreprise, ce que je développerai en p.87.
Enfin, le mode de partage est rendu difficile par la multiplication des informations,
des acteurs et des sous-projets. Un sujet peut en effet être abordé par différents
acteurs au cours de différents comités, enduisant différentes prises de décisions sur ce
même sujet, décisions pas ou mal relayées, provoquant par la suite des débats
similaires. Cela me semble être lié à la nouveauté que constitue pour Sephora les
projets extrêmement transversaux impliquant l’intégralité des métiers.
L’un des enjeux de fin de cadrage était donc de proposer au PDG non seulement
un contenu et un budget, mais également une organisation solide. Avec l’aide de
l’AMOA, un RACI a donc été établi, fondé sur quatre grands rôles et responsabilités :
Figure 27 - RACI du projet New Store Concept
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 86
✓ Management de projet
Un management de projet projet est instauré :
Figure 28 - Management de projet de New Store Concept
L’adhérence avec d’autres programmes de transformation Sephora EME connaît depuis 2015-2016 un véritable momentum de
transformation de fond. New Store Concept n’est pas le seul programme de
transformation ayant cours dans la firme depuis 2015. De fait, NSC s’interface sur un
vaste programme de transformation digitale, le programme Disrupt. Les deux
programmes sont en adhérence forte, c’est-à-dire qu’ils ont des projets en commun ou
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 87
des intérêts communs dans le déroulement de certains projets, ainsi que des équipes
communes, et des roadmaps dépendant les unes des autres.
Cette adhérence a eu un effet ambigu sur le déroulement de NSC. D’une part,
cela a pu ralentir l’avancée du cadrage ou du développement : si un projet mené par
Disrupt et dont NSC dépend ralentit, NSC tout entier a des risques de ralentir. Les
roadmaps respectives doivent donc être pensées en fonction de cette adhérence. Ceci
se fait en trois étapes :
- Identifier les sujets communs ;
- Formaliser les niveaux d’adhérence ;
- Définir une feuille de route pour les deux projets.
En contrepartie, cette adhérence a pu être un accélérateur pour certains projets.
En effet, Lorsque j’arrive chez Sephora en avril 2016, l’entreprise commence à se
rendre compte de l’énergie et des moyens financiers que des programmes comme
Disrupt ou NSC vont engendrer, et à accepter ce changement nécessaire. De fait,
l’articulation et la combinaison étroite de ces deux programmes, vecteurs de la
transformation digitale, d’une part, et de la refonte du réseau de magasins, d’autre part,
semblent avoir aidé à intégrer dans les esprits que le changement était indispensable.
De ce fait, à la fin du second semestre de 2016, de nombreuses passerelles sont
faites entre Disrupt et NSC, tant dans la méthodologie d’établissement et de
formalisation du management de projet des deux programmes que dans la façon de
présenter ce travail au Comité de Direction. Aidé par un cabinet de conseil spécialisé
en comportements clients et en parcours omnicanal, ce travail, bien que classique en
gestion de projet, était relativement nouveau pour Sephora. Cela explique d’ailleurs la
rigidité qui a pu se faire sentir face à ces contraintes, dans un contexte où le mode de
prise de décisions est déjà bien établi, ancré dans la culture d’entreprise. En tout état
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 88
de cause, le fait d’avoir un mode de présentation commun entre les deux programmes
pour le Comité de Direction a aidé à l’acceptation de la transformation, à son suivi
actif et à sa promotion. De fait, dès 2015, le DG Europe avait mis en place des
« Steering Commitees », instances mensuelles de partage de l’avancement des projets
de transformation entre le CoDir et les équipes projets concernées.
D’autres adhérences se sont révélées au cours du développement de NSC,
comme le projet Reinvent Skincare, refonte de la stratégie de vente du soin, en
magasin et en ligne. Cette adhérence a posé davantage de difficultés au projet NSC : le
projet Skincare, faisant partie intégrante du projet NSC car devant être déployé dans le
nouveau concept de magasin, fut gelé pour des raison budgétaires. Cela aurait pu être
très contraignant dans la mesure où une station dédiée au Skincare avait été prévue au
sein du magasin. Mais ce contretemps avait été anticipé par l’équipe projet NSC, là
aussi du fait de l’adhérence concrète entre les deux projets. Celle-ci a donc décidé, au
cas où le projet Skincare devait revoir le jour plus tard, de prévoir au sein de la
nouvelle application makeup propre à NSC une place pour les services digitaux relatifs
au soin. Si besoin, l’application deviendrait donc mixte.
En définitive, l’adhérence fonctionne globalement bien, favorisée par une
bonne communication entre les équipes, mais se pose régulièrement la question de la
management de projet, des décisionnaires, et des porteurs du budget. L’exemple du
projet Geofencing est éloquent. L’idée d’une détection des clients gold à l’approche du
magasin était née du Sephora Lab 2015. Ce “cas” parcours client avait été réintroduit
dans le parcours de la troisième persona, Claire, lors de la formalisation de la stratégie
NSC avec l’agence Fitch (cf. p.65), devenant donc un besoin métier pour New Store
Concept. En parallèle, le programme Disrupt proposait une fonctionnalité de
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 89
reconnaissance client dans le cadre d’un sous-projet, reposant sur la même
technologie de geofencing. Cette fonctionnalité était un besoin stratégique pour
l’équipe Disrupt. Dès lors, qui devait porter le projet global “Geofencing”,
développement d’une technologie devant bénéficier à différents projets ? Est-ce que le
porteur de projet doit se trouver côté NSC ou côté Disrupt ? Le risque pour chacun,
si le projet incombe à l’autre partie, est que le projet ne se fasse pas. En l’occurrence,
cela a été réglé par l’avantage qu’ont les équipes Disrupt de faire partie du
département CRM et donc de disposer des bases de données client ainsi que des
systèmes permettant de cibler tous les clients se situant à proximité d’un magasin New
Store Concept. En l’occurrence, le projet Geofencing a donc été porté par le
programme Disrupt.
New Store concept permet par ailleurs de tester des technologies telles que le
RFID. Le Lab et l’équipe projet NSC ne seront pas nécessairement porteurs du sujet
entier car le « Store efficiency » dépasse largement NSC, mais ceux-ci pourront porter
la partie client, front office. Par exemple, NSC pourra être le terrain d’expérimentation
d’un panier physique connecté grâce au RFID, où les produits pris par le client sont
automatiquement enregistrés , permettant un paiement en caisse automatisé.
Go production Le 14 septembre 2016, le budget et l’organisation ont été validées par le PDG,
et l’équipe projet NSC peut donner le « GO » budgétaire pour la production des
magasins pilote. En interne, cela s’appellera le kick-off projet qui a pour but de
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 90
partager avec l’ensemble des départements l’organisation et le planning établis et
d’assigner chaque équipe à sa tâche.
Réalisation ou « build » En septembre 2016, suite au Go production, je deviens Business Project
Manager pour 2 sous-projets : la Vitrine Interactive de Val d’Europe et le Mobile
Charging pour l’ensemble des magasins. Sur ces deux projets, de la conception et du
développement en même temps.
Déploiement et post-déploiement Les deux magasins pilotes New Store Concept ouvrent le 24 mars à Nantes
puis le 31 mars à Val d’Europe.
Dès les ouvertures des deux magasins pilotes, New Store Concept est un
succès : l’augmentation du chiffre d’affaire dépasse le budget estimé. En contrepartie,
le taux de conversion baisse, mais cela s’explique par une augmentation du flux et
résulte naturellement de l’accent mis sur la dimension d’expérience en magasin,
au-delà de l’acte d’achat. Ces résultats positifs continuent aujourd’hui à se vérifier à
chaque ouverture. Le cross-sale makeup-soin a augmenté, ce qui était bien l’un des
axes stratégiques de NSC. Ceci a été permis par le rapprochement physique des deux
axes au sein du magasin et par l’évolution du parcours client, c’est-à-dire l’intégration
du soin là où l’enseigne prend la parole sur le maquillage. Toutes les hypothèses
prévues ont été réalisées (fréquentation, ventes, visibilité, comparaison des remontées
quali des clients avant et après NSC, etc.).
Pour 2017, le planning de déploiement est le suivant :
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 91
Figure 29 - Planning de déploiement de New Store Concept en 2017
Le 5 juillet 2017 a lieu le Pré-budget Meeting préparant les budgets des pays
Europe et Moyen Orient pour l’année 2018. Cette réunion a marqué l’annonce
officielle du déploiement de NSC sur toutes les ouvertures et rénovations de magasin,
du fait du succès du modèle. L’une des grandes réussites de NSC a été de relever le
challenge de rester iso-coût par rapport à l’ancien modèle, ce qui était au cœur de la
stratégie du programme. Pour un pays, donc, le coût d’un magasin sera le même
qu’avec le modèle précédent. Ceci a été permis par une démarche “cost to design” où
le prix global du magasin est d’abord fixé, duquel découlent les prix des différents
sous-projets, permettant aux équipes de négocier avec les prestataires afin de se caler
sur ce prix, et aux équipes Immobilier et Développement d’assurer le maintien d’un
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 92
équilibre global. Ceci en considérant qu’une dimension non négligeable a été ajoutée
par rapport à l’ancien modèle de magasin : le digital, les services digitaux.
De ce fait, les pays n’ont pas à choisir quels magasins ouvrir en NSC et quels
magasins rénover sur l’ancien modèle. En 2017, 18 magasins ouvrent. En 2018, 135
ouvertures sont prévues. Bien que le calendrier de roll-out ne soit pas encore établi
pour les années suivantes, et sachant que la zone Europe et Moyen-Orient compte
environ 600 magasin, on peut imaginer que l’intégralité du réseau sera sur le mode
New Store Concept en moins de 5 ans.
NSC, UN PROJET D’EXPLORATION ?
NSC est un programme d’entreprise formé de projets indépendants ou
interdépendants. A première vue, il semble que l’équipe projet NSC soit partie d’une
vision holistique, formalisée dès le début 2016 dans des expressions de besoin et une
roadmap précises, puis que certains projets soient « morts » avec le temps, pour des
questions de priorité – par exemple, le projet Mobile Charging que je menais de
septembre 2016 jusqu’à la fin de l’année.
Mobile Charging est un projet de mise à disposition de stations de recharge
intelligente pour les consommateurs, où la charge est adaptée au modèle du téléphone.
Dès septembre 2016, un prestataire a été sélectionné, spécialiste et pionnier du métier.
Avec eux, j’ai conçu plusieurs solutions possibles pour ce service, tant d’un point de
vue technologique que d’un point de vue design pour l’intégration de la solution dans
le mobilier du magasin. Mais avec le temps, plus le travail devenait poussé et précis, et
précisément budgété, plus le besoin métier émis par le sponsor du projet, la Directrice
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 93
Marketing, allait dans le sens d’un service simple et peu cher. En outre, d’autres
sous-projets prenaient le dessus en termes de priorité.
Que dit la littérature sur l’abandon de projet ? L’analyse de l’évolution des
sous-projets formant le programme NSC m’a menée à penser que ces sous-projets, et
notamment Mobile Charging, étaient des projets d’exploration – ou bien que NSC
lui-même était un projet d’exploration. Comme le souligne Stefan Thomke dans son
livre Experimentation Matters: Unlocking the Potential of New Technologies for Innovatio
(2003), dans un projet d’exploration, l’abandon est classique, et fait partie de sa nature
même. De même, je comprends de la lecture de Loch & al., 2006, (Loch C, DeMeyer
A, Pich M., Managing the Unknown. A New Approach to Managing High Uncertainty and
Risks in Projects, 2006) que la notion d’arbitrage est propre aux projets d’exploration.
Dès lors, un projet d’exploration ne part pas d’une vision holistique pour subir un
étiolement : il est normal que des projets soient abandonnés au profit d’autres.
Or, Mobile Charging est un projet qui est sorti sous une forme moins élaborée
qu’il avait été au départ pensé, mais il est tout de même sorti. De même, d’autres
projets ont été sortis du périmètre pour 2017, et prévus pour plus tard. Selon J. March
dans Exploration and Exploitation in Organizational Learning (1991), l’exploration « includes
things captured by terms such as search, variation, risk taking, play, experimentation, flexibil
discovery, innovation ». Il me semble que NSC ne corresponde pas à cette définition.
En fait, le cadrage du programme NSC repose tout de suite sur la notion
omniprésente de priorité. Des priorités sont établies, tant entre les sous-projet qu’au
sein des sous-projet, dans la déclinaison des spécifications fonctionnelles. Par
exemple, un projet ou une fonctionnalité peut être P0, « Mandatory », P1, « Nice to
Have », ou P2, « Desirable ». Ceci implique une réflexion en termes de délais : une
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 94
fonctionnalité sera par exemple prévue pour un magasin en mars, juin ou septembre
d’une année donnée. Malgré tout, la vision cible à long terme reste, qui est la
combinaison de tous les projets, de P0 à P3.
Pour assurer un arbitrage pertinent et juste, les projets ne sont pas jugés entre eux
de manière relative, ils ne sont pas placés au même niveau. Ils sont jugés séparément,
selon la roadmap qui leur est propre. Ainsi, ma vision n’est pas celle de projets
d’exploration mais plutôt celle d’un programme d’innovation contenant plusieurs
projets aux niveaux de priorité différentes. Mobile Charging a finalement été réduit à
des fonctionnalités de base pour des raisons budgétaires et par analyse stratégique lors
de différents comités de pilotage. Le service effectivement proposé est une recharge
« standard » via des ports USB intégrés aux meubles du Beauty Hub, centre
névralgique du magasin. Contrairement à d’autres services comme le maquillage
virtuel, sous-projet prioritaire, son enjeu image était faible, et son risque budget et
intérêt client était plus élevé.
Dans d’autres circonstances, il me semble malgré tout qu’il aurait été intéressant de
développer des projets tels que Mobile Charging, en mode exploratoire, c’est-à-dire de
sortir ces projets du programme NSC et de leur appliquer la même méthodologie que
l’on souhaite pour les projets du Lab : du prototypage rapide, de l’agilité, de
l’expérimentation sur des MVP. En effet, le projet Mobile Charging aurait pu faire
partie du pipe d’innovation du Lab : il aurait été validé, testé, prêt au déploiement et à
l’intégration à un projet plus large (en l’occurrence, le programme NSC). Cela aurait
permis de sortir un service fidèle aux ambitions initiales.
Notons ici que Mobile Charging était un projet totalement nouveau, voué à être
entièrement développé dans NSC, ce qui n’est pas le cas d’autres projets stratégiques
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 95
que j’ai évoqués, comme le projet Reconnaissance Gold ou Virtual Artist, application
de maquillage virtuel. Le projet Reconnaissance Gold est né d’un Sephora Lab et est
finalement pris en charge par le programme Disrupt : il sera donc intégré à terme à
NSC comme prestation innovante sur une plateforme stabilisée. De même,
l’application de maquillage virtuel avait été développée aux Etats-Unis. Elle a été
reprise et améliorée pour l’Europe, mais une grande partie du travail de
développement avait été faite par la branche US, et NSC en a bénéficié. En revanche,
Mobile Charging était un vrai projet exploratoire pour New Store Concept. Peut-être
cela a-t-il joué sur la priorité des projets, en créant un mode de sélection à partir d’une
bibliothèque de projets éprouvés.
Figure 30 - New Store Concept, un projet d’exploration ?
Notre cas s’apparente en fait à du management d’un portefeuille de projet (S.
Lenfle, C. Midler, 2003). Nous sommes face à une logique de go / no go à différentes
étapes du projet, qui dépendent en l’occurrence implicitement du degré de
développement du produit ou service en question avant le développement de NSC. La
sélection des projets se fait ensuite au cours du développement du programme NSC
par attribution de ressources rares (temps, budget, main d’oeuvre), compétition
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 96
résumée dans le critère final de “priorité” - la priorité se définissant ici par un fort
impact d’image et un risque budgétaire faible. Selon Christophe Midler, ce mode de
management est orienté sur l’économie des ressources, pas sur l’aide à la création.
Peut-on alors dire que la logique design to cost de NSC suit la philosophie propre aux
portefeuilles de projet, par opposition au Lab au contraire aurait l’avantage d’être
dédié uniquement à la création ? Il s’agit en réalité ici de deux logiques entièrement
différentes et non comparables de manière purement binaire ; mais ceci me semble
malgré tout aller dans le sens de l’intérêt d’un Lab permanent et exploratoire. Cela est
d’autant plus vrai lorsque l’on sait la difficulté d’être en mode agile au sein d’un
programme de l’ampleur de NSC (cf p.72).
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 97
Figure 31 - La logique de sélection “management de plateformes” des sous-projet de New
Store Concept
En tout état de cause, je note les deux points suivants.
● Il est absolument indispensable de garder trace des projets ébauchés voire en
partie développés. En témoigne le projet Fragrance Diag mentionné en p.75 qui
revient aujourd’hui, porté par d’autres équipes. Le travail que j’ai effectué à
l’époque où ce projet faisait partie du périmètre NSC a permis à ces nouvelles
équipes de partir sur certaines bases déjà validées. De même, peut-être l’avancée
du projet Mobile Charging pourra-t-elle servir si l’on décide de réfléchir à
nouveau à la recharge intelligente. Il convient donc de construire la pipeline
d’innovation, bien au-delà des projets qui ont effectivement abouti. En ce sens,
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 98
des fiches projets ont été tenues depuis 2013 dans le cadre du Lab, et l’équipe
poursuit cette pratique.
● Le fait d’être responsable du programme New Store Concept, projet de
déploiement à échelle européenne, éloigne pour un temps l’Innovation Lab de
l’exploration. L’équipe devient pour cette occasion une cellule de
développement et de déploiement plutôt que d’exploration, propre en théorie à
un Lab. Je définis ici un Lab par le développement de projets ex nihilo, avant
déploiement. Ce balancement entre exploration et développement, entre R et
D, est bien le propre (le risque ?) de toute cellule d’exploration, comme en
atteste la littérature sur l’ambidextrie organisationnelle (Sihem Ben
Mahmoud-Jouini, Florence Charue-Duboc, François Fourcade, 2008). Une
cellule d’innovation se définit par la conjugaison des activité d’exploration et
d’exploitation. D’une manière générale, je développerai dans la prochaine partie
la nécessité de prévoir pour tout projet d’exploration ou de développement de
pilote une équipe en charge du déploiement. Dans le projet NSC, le
déploiement même, post-pilotes, est porté par le Lab et l’équipe projet NSC au
global. Par conséquent, dans le même temps, l’équipe ne peut pas remplir pas le
pipe d’innovations pourtant mission originelle du Lab.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 99
ANALYSE DE L’EVOLUTION DU LAB
BILAN DU LAB EN 2017 Le Lab a connu depuis 2015 deux projets d’exploration suivi de
développement, et de déploiement dans le cas de NSC. Où en est le Lab aujourd’hui,
au moment où j’écris, été 2017 ? Où veut-il et peut-il aller ?
✓ Evolution de la mission et de l’équipe
L’évolution du Lab peut se résumer dans le schéma ci-dessous :
Figure 32 - Evolution du Lab depuis 2012
Par ailleurs, la stratégie 2018 du Lab telle que définie par le Comité de Direction
est fondée sur 3 missions principales :
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 100
Figure 33 - Stratégie 2018 du Lab
Comment parvenir à ces objectifs après les projets New Store Concept et Vending
Machine ? Comment revenir à une mission d’idéation en ayant appris suite à cette
« parenthèse » de deux ans ?
On le voit dans la formulation de cette stratégie : aujourd’hui, l’Innovation Lab de
Sephora est amené à faire tout… et peut-être trop. L’équipe est à la fois tournée vers
l’intérieur et vers l’extérieur, tout en étant acteur. Or, ce sont trois familles de missions
différentes. D’ailleurs, d’autres entreprises présentent des Labs aux missions plus
délimitées (ex : Renault, Essilor, Air Liquide, etc.). Or, mon expérience et mon analyse
démontrent qu’il y a aujourd’hui une nécessité, sinon de séparer, au moins de
distinguer ces missions.
DÉPLOIEMENT DES PROJETS Revenons par exemple sur l’activité de déploiement suite à au développement d’un
pilote. Cette mission n’est certes pas explicitée dans la stratégie 2018. Elle ne l’était pas
non plus pour le Lab, et pourtant l’équipe s’est trouvée responsable d’un projet de
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 101
déploiement. Par conséquent, en prévisions de demandes similaires à l’avenir, il
apparaît indispensable que le Lab préviennent le top management et garde une trace
de cette mise en garde, pour se prémunir de la difficulté de remplir le pipe
d’innovations dans le même temps.
IDÉATION 2.0
VEILLE PERMANENTE
Tout d’abord, le Lab a besoin d’effectuer une veille permanente pour identifier
les grandes tendances, et les transformer en chantiers d’action. C’est en vue de cette
veille qu’une stagiaire dédiée à cette mission a rejoint l’équipe en février 2017. Une
newsletter est créée, envoyée de manière mensuelle aux managers du département
Marketing.
OUTIL COLLABORATIF
Un enjeu central pour 2018 est de faciliter l’extension de la phase de génération
d’idées puis de sélection des idées à tous les collaborateurs via un outil digital de type
« IdeaShare ». Cet outil serait la base de l’événement Sephora Lab mais permettrait
également de faire vivre l’innovation collaborative toute l’année. Cette idée a germé
dans le pipe du Sephora Lab depuis 2015, et l’équipe en est aujourd’hui à sélectionner
un ou plusieurs prestataire(s) pour développer un outil sur mesure. Le Lab s’inspire
pour cela de la solution d’autres distributeurs ou marques, notamment au niveau du
groupe LVMH. Là aussi, l’appartenance à un groupe montre un intérêt certain.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 102
ACCÉLÉRATION DE LA SORTIE DES CONCEPTS
Le Sephora Lab n’est pas suffisant pour faire vivre l’innovation tout au long de
l’année. Aujourd’hui, le problème reste la « sortie » du projet validé par le Sephora Lab
: la méthodologie agile manque. Ce que j’appelle ici comme en interne « sortie des
concepts », une fois les concepts validés, revient à parler de production des pilotes.
Cela renvoie à la distinction Sephora Lab / Innovation Factory que j’avais explicité en
p.19 : l’événement collaboratif valide les concepts, l’Inno Factory les fabrique et les
lance sur le marché. Le diagnostic du Lab qui avait été établi avant mon arrivée chez
Sephora soulevait déjà ce point comme axe central d’amélioration. En 2015, un effort
de calendrier avait été fait pour raccourcir et intensifier la genèse de projet. On avait
alors la timeline suivante :
o Fin janvier : petit déjeuner de kick-off Sephora Lab
o 1ère semaine de février : 1ère session de brainstorming (sélection d’idées
après génération préalable)
o 15 jours pour les études online sur le panel de consommateurs Sephora :
récolte des insights client, retransmis au bout de 3 semaines
o Fin mars : projet défini et validé.
Sans agilité, le Lab risque de ne pas déployer la solution à temps, de se faire
rattraper par un concurrent, ce qui risque en outre d’être source de frustration pour les
équipes. L’enjeu aujourd’hui est donc celui d’une d’accélération du processus de
production des prototypes. Cette amélioration ne va pas sans la systématisation d’une
phase d’observation et de test bien identifiée pour les prototypes sortis du Lab. Ce
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 103
point rejoint mon analyse de l’expérimentation : comment faire du lean startup au sein
du Lab ? Il me semble qu’il nécessiterait de repenser le terme « Lab » qu’il revêt
aujourd’hui et qui peut être vu comme un abus de langage en son état actuel. Par
définition un laboratoire n’est pas un lieu propre, un lieu où les produits sont aboutis,
finis. L’Innovation Lab pourrait être un bêta store pour les early adopters, à la manière
de l’Explorium du groupe Li & Fung que nous avons visité lors de notre voyage à
Shanghai (cf. rapport du voyage d’études PIC “Learning Expedition Shanghai 2017”).
L’Explorium héberge des prototypes de diverses entreprises du secteur du retail. Un
pool de clients ou de prospects constitué et répertoriés en amont sont invités à venir
utiliser les prototypes librement. Leurs mouvements et interactions avec le prototypes
sont suivis par des bracelets connectés, et ces informations sont ensuite remontées à
l’enseigne. Ainsi, d’une manière similaire à ce que décrit Thomke dans Customers as
Innovators: A New Way to Create Value (Stefan Thomke, Eric von Hippel, HBR 2002),
l’entreprise co-conçoit le produit ou service innovant avec ses (potentiels) clients. Un
espace dédié pourrait être le terrain d’expérimentation de produits ou services
reposant sur un ensemble d’hypothèses précises mais encore incomplètes, vouées à
être validées ou invalidées pour former in fine le produit fini. En quelques sorte, notre
Lab pourrait servir à « saucissonner » l’objectif d’un produit ou d’un service, et de le
tester et le concevoir en suivant ce découpage.
Notons qu’aujourd’hui un espace Innovation existe au siège Sephora, outre les
bureaux à proprement parler. Son rôle est multiple : il doit notamment servir pour
accueillir les prestataires, pour projeter de manière interactive et pour mettre en avant
les dernières innovations portées par l’équipe. En termes d’installations, l’espace du
Lab suit la tendance des Lab ouverts par d’autres entreprises : espace très modulaire et
particulièrement accueillant. Il jouxte le Store Lab que j’évoque en p.111.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 104
ORGANISATION & ÉCOSYSTÈME
La question de l’organisation a été abordée à plusieurs reprises au cours de ce
mémoire, notamment dans le cadre des deux projets VM et NSC. Pour penser à
l’organisation du Lab, rappelons les trois principaux projets portés par la stratégie
2018 :
- La création d’une plateforme d’idéation interne ;
- Asseoir le rôle de l’espace dédié à l’innovation, existant aujourd’hui mais ne
servant pas au prototypage rapide ;
- La mise en place d’une organisation spécifique partant du Lab, traversant
l’entreprise par la désignation de responsables innovation à différents niveaux,
au siège et dans les filiales, et englobant enfin les partenaires extérieurs et aux
consommateurs ;
Les motivations de cette stratégie sont donc claires : promouvoir l’innovation en
interne, systématiser et informatiser le processus du Sephora Lab, et mettre en place
un lieu hébergeant entre autre des outils de prototypage rapide. En un mot,
systématiser la démarche d’innovation et les processus associés.
Au cours de mon expérience PIC, j’ai participé à cette réflexion et à l’établissement
d’une proposition d’organisation. Celle-ci peut se résumer ainsi :
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 105
Figure 34 - Proposition d’organisation pour le Lab en 2018
Si l’on reprend le challenge n°1 de l’ « enlighted experimentation » selon Thomke, on a
pour l’expérimentation les objectifs suivants :
● Examiner et éventuellement modifier les routines, barrières organisationnelles
et systèmes d’incitation afin d’encourager l’expérimentation rapide.
● Envisager de définir de petits groupes de développement formés de personnes
clé (designers, ingénieurs dédiés aux tests, ingénieurs dédiés à la fabrication,
etc.)
● Déterminer quelles expérimentations peuvent être menées en parallèle plutôt
que de manière séquentielle.
Ces objectifs recoupent les trois projets principaux du Lab, et je pense avoir
abordé un certain nombre de points répondant directement à ces trois grands
challenge. Le mode de coordination « commando » pour ne pas dire heavy weight ; la
communication transparente sur les statuts de prototypes ; la désignations de
« champions » dans les filiales ; la définition d’une organisation de déploiement en
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 106
dehors du Lab ; le concept de plateforme digitale pour remplir le pipe toute l’année,
indépendamment des projets menés par le Lab ; tous ces axes sont autant de réponse
aux challenges identifiés par Thomke et à la stratégie 2018 du Lab, cohérents avec ces
derniers.
APPRENTISSAGES DES PROJETS VENDING MACHINE ET NEW STORE CONCEPT
PROJET VENDING MACHINE
Une expérimentation rigoureuse Reprenons ici le cours de la réflexion sur l’expérimentation.
Il me semble intéressant de constater que l’expérience de Ries, qui doit surtout être
vue comme un témoignage et non comme une théorie applicable à tous les cas
d’innovation, se voit enrichie par certains types de contextes non évoqués dans le
manifeste du Lean Startup.
En effet, dans le cas de la VM, certaines variables de conception sont premières et
prioritaires et sortent du cadre du Lean Startup :
- La Vending Machine est un produit hardware ;
- La machine est placée dans un endroit public, avec de vrais clients : il est
indispensable de proposer un service sans bug ;
- L’enjeu d’image lié au groupe LVMH est extrêmement important.
Tout d’abord, j’ai compris au cours de mes séances de tutorat PIC, que l’un des
intérêts de mes projets est de challenger la théorie et d’apporter une connaissance
nouvelle liée au caractère unique de mes projets. Dans le cas de la VM, les trois
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 107
particularités listées plus haut doivent être prises comme des variables de conception
prioritaires et donc fixée. Aucun compromis ne sera fait sur celles-ci, bien que dans
d’autres contextes le lean startup soit fondé sur une plus grande tolérance à
l’imperfection opérationnelle.
Ensuite, le tutorat du Master PIC a confirmé mon impression qu’il vaut mieux
avoir quelques bonnes variables clé et laisser sur le marché plusieurs machines
pendant un certain temps, donc expérimenter partout, en ajoutant peu à peu les autres
variables, que d’activer toutes les variables en même temps. Cette démarche me
semble bénéfique à long terme, bien qu’elle implique dans un premier temps
davantage de dépenses et d’incertitudes. A ce titre, l’exemple de (cf. p.38) est très
éclairant pour notre cas. Lara Lasisz s’était renseignée au début du projet Vending
Machine auprès de la marque Benefit qui avait fait un déploiement de distributeurs
automatiques aux Etats-Unis. Leur réponse : « location is key ». Lara avait alors proposé
au management Sephora Europe de produire plusieurs machines à implémenter en
même temps à différents endroits mais avait obtenu un no go. Son objectif était
précisément, comme dans le cas QwikMart, de lisser les facteurs exogènes à la
machine, qui ne relevaient pas de l’intérêt client mais plutôt de l’emplacement, ou bien
au contraire de mesurer l’importance de l’emplacement. Il a finalement été décidé de
fabriquer qu’une machine à tester successivement dans différents endroits, pour des
raisons budgétaires. Cependant, on constate aujourd’hui la nécessité de tester la
machine plusieurs fois et à différents. Maintenant que la décision a été prise de ne s’en
tenir qu’à une seule machine, ceci implique des délais importants, risquant de faire
échouer le projet, soit par un désintéressement des instances supérieures de validation
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 108
face à un projet aux résultats balbutiants, soit parce que la concurrence finit par
rattraper Sephora.
Enfin, j’éprouve le fait que l’expérimentation en innovation marketing est
comme une expérience scientifique : si l’on change toutes les variables en même
temps, on ne pourra rien isoler : on ne se retrouve qu’avec du bruit.
Un projet antérieur et similaire : Mini Beautic Mini Beautic est un projet de distributeur automatique d’échantillons situé en
fin de parcours dans certains magasins d’Ile de France. L’idée de ce distributeur est
sortie du Sephora Lab et est allée jusqu’au déploiement, actuellement en France,
bientôt dans une dizaine de pays européens. Ce projet est coordonné par un
prestataire extérieur, 2b3da, qui fait le lien entre le constructeur du mécanisme des
machines, Jofemar, et d’autres acteurs (fabricant de la tôle, remplisseur, fournisseur de
la monétique, etc.). Il est en effet dans l’intérêt de Sephora d’avoir un prestataire
unique gérant tous les aspects liés au projet.
A l’époque du stade de prototype du Mini Beautic, équivalent du stade actuel de
la Vending Machine, Jofemar avait répondu à l’appel d’offre pour le Mini Beautic seul,
sans cette société centrale assurant le rôle d'intermédiaire clé. Il en fut de même pour
l’appel d’offre Vending Machine. En réalité, aucun prestataire candidat ne proposait ce
système d’intermédiaire, pourtant vivement souhaité par le Lab. Finalement, c’est la
société AST International qui a été choisie. Aujourd’hui, l’idée éprouvée d’un
prestataire intermédiaire pourrait être intéressante pour un potentiel déploiement de la
Vending Machine. Ce rôle d’intermédiaire apparaît essentiel face aux difficultés
d’organisation rencontrées au cours du projet.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 109
PROJET NEW STORE CONCEPT
Organisation de déploiement Je reprends ici le cours de la réflexion initiée tout au long de ce mémoire,
notamment concernant la VM et NSC. Tous les enjeux liés à l’organisation posent la
question de la mission du Lab et de son périmètre. A quel moment s’arrête le rôle du
Lab ? Quelle(s) équipe(s) récupère(nt) les projets à la sortie du Lab ?
Il n’existe pas chez Sephora de process identifié pour le déploiement des
projets, en particulier pour les projets transversaux. Dans ces conditions, un modèle
de passage de la naissance d’un projet au pilote puis à mode industriel reste à
identifier. Par exemple, dans le projet Mini Beautic, six mois se sont passés entre les
négociations entre l’équipe Innovation et le prestataire 2b3da début 2017 et la
signature du contrat : il y avait débat sur qui devait signer. Aujourd’hui, les difficultés
rencontrées dans le cadre de ce projet retombent in fine sur le Lab - au sens où l’on en
fait porter au Lab la responsabilité, étant l’instance à l’origine du projet.
Ma recommandation est d’imaginer et de proposer, suite à la conception d’un
prototype, une organisation en charge du déploiement. Cette dimension de
recommandation ferait partie intégrante du périmètre du Lab. A minima, l’idée est de
proposer une organisation aux instances supérieures, et de garder trace de cette
recommandation : on proposerait cela au même titre qu’un business model.
Il me semble que cela a également manqué au projet New Store Concept, ce qui
est d’autant plus compliqué que dans ce projet l’objet change (magasin) alors que le
l’organisation n’a pas changé (le réseau). Il existe bien une personne responsable de la
transformation du réseau à la France, en charge notamment des aspects formation. Le
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 110
“passage de relai” du développement au déploiement est donc un sujet reconnu
comme essentiel, et traité dans certains cas. Mais le problème arrive lorsque qu’un
projet tel que NSC cesse d’être nouveau et devient la norme. C’est également le
problème qui s’est posé avec Mini Beautic, et c’est ce qui pourrait arriver pour la
Vending Machine. Le problème est que si la Vending Machine n’atteint pas le stade du
déploiement, cela ce sera vu comme l’échec du Lab. Or, le Lab a éminemment besoin
de crédibilité en tant que jeune équipe à la mission centrale mais en cours de précision.
Enfin, le projet NSC me fait bien sûr me poser la question de la mission même
d’une cellule d’innovation dans la mesure où le Lab n’a pas rempli le pipe d’innovation
pendant ce temps – le pipe a même été vidé en étant intégré à New Store Concept.
Rappelons une fois de plus la difficulté de mener un mode agile ou exploratoire au
sein d’un programme d’entreprise tel que NSC (cf. projet Mobile Charging). Le Lab
semble donc être un élément essentiel pour une entreprise menant des projets
d’innovation tout au long de l’année, et devant parfois intégrer des innovations sur
étagère à de nouveaux programmes.
Visibilité et légitimité du Lab Notons cependant que NSC marque un tournant car il s’agit d’un programme
de très grande ampleur qui nous apporte de nouvelles connaissances, et qui rend le
Lab extrêmement visible, et légitime étant donné le succès du déploiement. Le mode
développement de projet a réussi à apporter une visibilité considérable au Lab en tant
que cellule d’innovation, le challenge étant aujourd’hui de pouvoir revenir à une
mission d’exploration. Une nouvelle structure d’organisation permettra d’asseoir
encore davantage sa légitimité.
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 111
L’INNOVATION AU SEIN D’UNE MULTINATIONALE
RELATION SIÈGE - FILIALES EN EUROPE & MOYEN ORIENT On l’a vu : la nouvelle organisation du Lab implique les filiales par la
désignation de “champions” qui deviennent le relai du Lab dans chaque pays pour
l’événement du Sephora Lab.
D’un point de vue déploiement des projets, quelle est aujourd’hui la relation
entre siège, en central, et filiales, pour des projets aussi divers que la VM ou NSC ?
Pour New Store Concept, on a aujourd’hui un modèle de magasin développé,
éprouvé et validé par l’Europe, sur un budget central Europe, que l’Europe propose
ensuite aux pays avec un déploiement à la carte, une offre modulaire, où les pays
peuvent cependant choisir parmi composantes de l’offre en fonction des priorités, du
budget. Notons que le fait d’avoir choisi la France pour les pilotes facilite la
communication et la dimension opérationnelle sur un même sujet puisque les équipes
Europe et France sont localisées au même siège. Aujourd’hui donc, et notamment
grâce à la formation des équipes terrain, l’ensemble des filiales souhaite déployer NSC
dans tous leurs magasins, du fait du succès de Nantes et de Val d’Europe, faisant de
New Store Concept un succès avéré. Notons cependant que ce mode « menu
chinois » ait pu mener à une dilution du concept NSC au profit d’un ensemble de
projets, d’innovations, formant au global le concept entier - certains projets étant
d’ailleurs portés par des équipes hors NSC.
Pour un projet comme le Mini Beautic (cf. p.107), le processus est sensiblement
le même, et sera donc le même pour la Vending Machine en cas de déploiement. Le
projet est développé en central et le pilote est généralement implanté en France. Puis,
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 112
une fois le modèle éprouvé, un prix global pour un nombre défini de pays est négocié
avec le prestataire. Les pays peuvent ensuite “commander” le produit service auprès
du siège qui procède généralement par refacturation pour le pays. Il est donc
indispensable que les prestataires impliqués aient des branches locales dans les
différents pays.
RELATION ENTRE LAB EUROPE ET LAB US Sephora dispose de deux Lab : un en France pour l’Europe, un à San Francisco
lieu du siège Sephora US. Le Sephora Lab existait avant que la cellule Etats-Unis ne
soit créée en 2014. Cependant, le processus de création du Lab se fait plus rapidement
aux EU qu’en Europe : en effet, l’ouverture du Lab est d’emblée marquée par la
constitution d’une équipe permanente structurée autour de 3 pôles. Un think tank est
également créé, formé à partir de middle managers sélectionnés, ainsi qu’un
programme de formation doublé d’une plateforme digitale. En termes de méthode,
des séances de brainstorming sont organisées dans un espace dédié en dehors des
locaux. Dans cet espace se situe également le Store Lab, équivalent du Store Lab
Europe, reconstitution d’un magasin à destination interne faisant office de terrain
d’expérimentation pour les équipes Merchandising et Architecture.
Dès 2014, des échanges ont lieu entre les équipes Europe et les équipes US,
notamment lors de rencontres annuelles où les collaborateurs font état des dernières
innovations du Lab ainsi que des zones US et Europe en général. Les deux zones ont
vocation à collaborer de plus en plus étroitement, ce qui sera notamment facilité par
l’arrivée de Lara Lasisz auprès des équipes US en septembre 2017. L’objectif d’un tel
rapprochement est stratégique : il s’agit notamment d’obtenir un plus grand pouvoir
Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 113
de négociation auprès des fournisseurs et de bénéficier des meilleures technologies,
plus rapidement, en s’associant. New Store Concept même a bénéficié de la
collaboration existante entre Sephora US et Modiface, le prestataire de l’application de
maquillage virtuel Virtual Artist. Enfin, ce rapprochement peut favoriser le partage de
bonnes pratiques ou même d’idées, comme en témoigne le projet d’Uber de la beauté,
“Sephora To You”, développé en 2015 par le Lab Europe, qui s’était inspiré d’un
projet similaire aux Etats-Unis.
Une différence sensible existe cependant : il semble que le test de concepts en
magasin soit sensiblement plus simple aux Etats-Unis qu’en Europe. Les POC y sont
plus nombreux, encouragés et facilités. En Europe, la politique LVMH, notamment
sécuritaire, pèse davantage sur l’expérimentation. En outre, les processus et
procédures du réseau de magasin sont très strictes. Mon expérience d’un sous-projet
de New Store Concept, la vitrine interactive du magasin pilote Val d’Europe, est
éloquente. Ce projet était largement opérationnel : la réussite du projet dépendait donc
éminemment du bon déroulement des opérations dans le magasin de Val d’Europe
(installation sécurisée de la technologie en vitrine, commande et livraisons des
produits offerts aux clients participants, scan des bons d’achat en caisse, etc.). Or, les
difficultés que j’ai rencontrées sur ces sujets s’expliquent par la complexité des
procédures liées au magasin, procédures qui m’étaient parfaitement inconnues. Ma
recommandation serait de permettre à certains projets et pilotes de court-circuiter
dans une certaine mesure ces contraintes magasin grâce à un régime privilégié dédié
aux pilotes innovants.
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BIBLIOGRAPHIE
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Master PIC 2017 - Mémoire C. Merlin, SEPHORA 115
Annexe
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