Art du cinema - Les gestes au cinéma

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Art du cinema - Les gestes au cinéma

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  • 5/6/13 Art du cinema - Les gestes au cinma

    www.artcinema.org/spip.php?article51 1/2

    Les gestes au cinmapar E lisabeth Boyer

    La notion de gestes cinmatographiques est rebelle toute tentative de constituer une esthtiquedu cinma. Elle pose la question de lessence multiple et impure du cinma. Le mode propre dcriture des films, de construction, se fait au moyen de gestescinmatographiques []. Ces gestes sont une invention. Ils sont impurs car ils ne signifient pas etsont absolument ambigus.

    Lambigut est essentielle aux oprations de cinma. Cest le deux de limpuret de lIde, du sensdjou. [1]

    Le geste au cinma nest pas comme lcrit Agamben Giorgio Agamben, Notes sur le geste,Trafic n1.]] ce quune socit a perdu et cherche se rapproprier en en consignant la perte. Legeste nest pas non plus communication dune communicabilit. Cette ide de la perte dun sensva de pair chez Agamben avec celle dune ide quasi-mystique du cinma : Le mutismeessentiel du cinma (qui na rien voir avec labsence ou la prsence dune bande-son), comme lemutisme de la philosophie, est lexposition de ltre-dans-le-langage de lhomme : gestualit pure .

    Le cinma a recours au langage ; dj au temps du muet, avec les intertitres, il monte des textes,voire des pomes comme le fait Sjstrm (avec un pome dIbsen) dans Terje Vigen (1916). Lamultiplicit que constitue un film est complexe, elle nest pas un langage, mais pas plus unegestualit pure. Un film est une multiplicit impure mais homogne.

    Les gestes cinmatographiques sont ultimement ce qui dans un film permet de retrouver son trac,den parler. Cest par eux que lon aura rencontr ce qui a t matris par le cinaste. Cette touche estdabord indissociable de lmotion qui nous aura saisis la vision du film. Parler dun film, cest enressaisir la beaut : l o les gestes (sonores, visuels) ont pingl le passage de lide.

    En 1953, Andr Bazin, pour dfendre la grandeur et la modernit dun film de Rossellini, Europe 51,voque la notion de gestes, soulignant que cest ce qui soustrait ce film au ralisme de lpoque odominent les effets de spectacle, de drame et de psychologie. Ici, la force de Bazin est de dclarer quece nest pas lobjet du film qui importe pour tre no-raliste, mais quavec ce film, le no-ralismeretrouve labstraction classique et sa gnralit [2] (entendons, son universalit). Or, nous le verrons travers dautres films classiques, il y a en effet une abstraction classique reprable justement pardes gestes cinmatographiques singuliers, proches au-del des frontires nationales, au-del despoques. Bazin dclare ainsi que Rossellini ne met en scne que des faits. () Cest que le geste, lechangement, le mouvement physique constituent pour Rossellini lessence mme du rel humain. Ilnote avant tout limportance des gestes touchant au jeu des acteurs : dans une telle mise en scne,la place des personnages, leur faon de marcher, leurs dplacements dans le dcor, leurs gestes ontbeaucoup plus dimportance que les sentiments qui se peignent sur leur visage [3]. On peut voir lun hritage, plus ou moins conscient (savant) du thtre de Brecht.

    Brecht dgage du concept gnral de gestuelle, le gestus, qui dsigne les rapports entre leshommes. Par l nous entendons tout un complexe de gestes isols les plus divers joints despropos, qui est la base dun processus interhumain isolable et qui concerne lattitude densemble detous ceux qui prennent part ce processus () ; ou bien un complexe de gestes et de propos qui,lorsquil se prsente chez un individu isol, dclenche certains processus [4]. Sil sagit pour Brechtdes rapports sociaux entre les hommes, il faut prendre mme dans ses Ecrits le mot social dans unsens trs large, non rduit la notion de classes sociales, puisque les exemples mmes donns par luipour isoler le gestus sy soustraient : lattitude dHamlet, la profession de foi de Galile. Ce qui estdun grand intrt pour nous, cest dune part que le gestus a pour objet la gestuelle qui semanifeste dans la vie quotidienne, et, dautre part que le but du gestus est de dsacraliser lide delois naturelles. (Peu importe quil soit question ici de lconomie et de la socit capitaliste). Cestlide de dsacralisation des lois naturelles que nous retiendrons. Cest dailleurs, la suite, dansQuestions sur le travail du metteur en scne, ce que Brecht lucidera, en dsignant les quatreprincipales fausses mises en place du thtre : le naturalisme, lexpressionnisme, lesymbolisme et le pur formalisme.

    Retenons ici la premire, bien que les quatre critiques offrent galement une rflexion pleine dintrtpour le cinma (dhier ou daujourdhui) : le naturalisme, o sont imites des positions tout faitfortuites des personnes, les positions qui se voient dans la vie [5].

    LES GESTES AU CINEMA

    Le geste au cinma ne sera pas non plus imitation dune gestuelle naturelle, mais bien uneinvention, une cration de lart. Le geste est ce qui dsacralise lide de lois naturelles, ce qui interditquelles soient prises sous le rgne de lUn.

    Le cinma mathmatise les gestes : il les soustrait, les arrache au naturel, il les invente et lesmonte. Les gestes tissent la potique dun film : ils sont les points de capiton de lIde.

  • 5/6/13 Art du cinema - Les gestes au cinma

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    Le geste est ambigu, pris dans le jeu du montage qui djoue le sens. Le montage existe dj dans laprise de vue : Cest aussi traverser des dcors dont chacun plus encore traverse au passage lespersonnages. [6] Le geste est interruption : en tant quil est un faux mouvement, il dissipe le mouvement etlimage. Il suspend un rcit. Le geste convoque des textes, suscitant une lecture inoue. Il ne vient pas la place dun texte. Le geste est en capacit de rptition, puisquil na rien de fortuit, de naturel. La rptition dsacraliselimage, puise le spectaculaire et contraint limaginaire. Le geste est surprise. Il inscrit de lternel, dans le momentan aussi bien que dans la dure. Legeste a horreur du temps psychologique. Le geste distribue une galit de principe tous les lments du film. Le geste permet les heurts de tonalits, par exemple le basculement du tragique au burlesque. Le geste rend compte de linfini du rel, qui diffre de linfini-Un. Le geste, cest lartifice : Montrer que vous montrez, disait Brecht.

    Elisabeth BOYER

    Notes

    [1] Quelle action ? Lart du cinma n7.

    [2] A. Bazin, Quest-ce que le cinma ?, Europe 51.

    [3] Ibidem

    [4] B. Brecht, Ecrits sur le thtre, LArche

    [5] Ibidem

    [6] A. Bazin, Quest-ce que le cinma ?

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