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Copyright ©Cyril Grandpierre 2017 (CC) Creative Commons 1 THE GIFT OF INNOVATION Testimony of an engineer, business leader who put innovation at the center of his life and that of his company. LE DON D’INNOVATION Témoignage d’un ingénieur, dirigeant d’entreprise qui a mis l’innovation au centre de sa vie et de celle de son entreprise. Par Cyril Grandpierre. (Ingénieur Centrale Nantes, Administrateur de l’Université de Technologie de Troyes, Président de l’ADUTT, Professeur à l’EPF école d’ingénieurs, ancien DG de Dubix-Electrolux et Vice-président du groupe Electrolux.) Lors du concours meet&connect, 24 heures de l’innovation à la mode troyenne, nous avons constatés qu’une seule équipe sur les 22 présentes avait été transgressive, c'est-à-dire innovante, les autres se contentant d’un honnête travail d’ingénieur. A la question «comment éliminer un essaim d’abeilles sauvages mal placé ?» ils ont répondu, avec une bonne argumentation et documentation «pas question de les tuer, il faut leur parler gentiment et leur demander de déménager.» Le professeur de l’UTT présent se désolant de la pauvreté de la créativité de ces futurs ingénieurs m’a demandé d’écrire ce témoignage. Je suis au crépuscule d’une vie heureuse et passionnante, j’aime les jeunes qui sont à l’aube de la leur. Je vous offre ces quelques souvenirs et enseignements que j’en ai tiré, espérant qu’ils puissent vous amuser et même, en rêvant un peu, vous être utiles. Lisez le plus confortablement sur www.erppp.com/innovation/ TEMOIGNAGE D’UN INVENTEUR (un peu) FOU. Il existe des gens dont c’est le métier d’innover, genre Thomas Edison, ce sont des génies. D’autres dont c’est le métier d’étudier et d’enseigner l’innovation, de comprendre et d’expliquer ce phénomène, sans pour autant avoir toujours eu la possibilité de pratiquer eux même ce qu’ils enseignent (ce doit être un peu frustrant). Ils mettent au point des techniques et des outils qui peuvent être utiles et écrivent des livres passionnants. Je vous conseille les techniques classiques brain storming et mind map et toutes les autres plus ou moins similaires permettant de libérer la créativité. Moi je suis simplement un ingénieur, modeste chef d’entreprise, qui a beaucoup pratiqué l’innovation en amateur, sans toujours m’en rendre compte, comme Mr Jourdain faisait de la prose. Mais je l’ai pratiqué avec passion dans de nombreux domaines, depuis les innovations techniques de rupture qui ont profondément changé mon métier, jusqu’à la création de nouveaux métiers, en passant par une foultitude de mini innovations très utiles. L’innovation est devenue mon mode de vie. N’étant pas un génie, je n’ai pas inventé le velcro ou le panier à cornichons qui ont bouleversés l’humanité, mais mes petites innovations ont aidé une foultitude de gens vivre à un peu mieux. L’ayant vécu, je peux raconter des choses différentes, complémentaires, parfois contradictoires. « les clés de l’innovation se trouvent davantage dans la collaboration, le collectif que dans l’individu isolé et solitaire » (L’art de l’innovation -Eyrolles). Je vous raconterai pourtant que l’étincelle ne se produit que dans un seul cerveau, même si il a été nourri et ensemencé par un travail collectif, et se poursuit par un travail collectif. Je vous dirai aussi que l’innovation est un mode de vie, un comportement. On ne peut être innovateur sur commande pendant les heures de travail moins les RTT, on est innovateur 24/24, 365/365 sauf les années bissextiles. Certes, on fait aussi autre chose, mais les problèmes à résoudre restent tapis dans un coin du cerveau, sans jamais vous lâcher complètement, comme le sparadrap du capitaine Haddock. Et à la moindre occasion, conseil d’administration embêtant, lecture savante, demi sommeil, le sujet revient vous hanter…

Le don d'innovation- The gift of innovation

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THE GIFT OF INNOVATION Testimony of an engineer, business leader who put innovation at the center of his life and that of his company. LE DON D’INNOVATION Témoignage d’un ingénieur, dirigeant d’entreprise qui a mis l’innovation au centre de sa vie et de celle de son entreprise. Par Cyril Grandpierre. (Ingénieur Centrale Nantes, Administrateur de l’Université de Technologie de Troyes, Président de l’ADUTT, Professeur à

l’EPF école d’ingénieurs, ancien DG de Dubix-Electrolux et Vice-président du groupe Electrolux.) Lors du concours meet&connect, 24 heures de l’innovation à la mode troyenne, nous avons constatés qu’une seule équipe sur les 22 présentes avait été transgressive, c'est-à-dire innovante, les autres se contentant d’un honnête travail d’ingénieur. A la question «comment éliminer un essaim d’abeilles sauvages mal placé ?» ils ont répondu, avec une bonne argumentation et documentation «pas question de les tuer, il faut leur parler gentiment et leur demander de déménager.» Le professeur de l’UTT présent se désolant de la pauvreté de la créativité de ces futurs ingénieurs m’a demandé d’écrire ce témoignage. Je suis au crépuscule d’une vie heureuse et passionnante, j’aime les jeunes qui sont à l’aube de la leur. Je vous offre ces quelques souvenirs et enseignements que j’en ai tiré, espérant qu’ils puissent vous amuser et même, en rêvant un peu, vous être utiles. Lisez le plus confortablement sur www.erppp.com/innovation/

TEMOIGNAGE D’UN INVENTEUR (un peu) FOU. Il existe des gens dont c’est le métier d’innover, genre Thomas Edison, ce sont des génies. D’autres dont c’est le métier d’étudier et d’enseigner l’innovation, de comprendre et d’expliquer ce phénomène, sans pour autant avoir toujours eu la possibilité de pratiquer eux même ce qu’ils enseignent (ce doit être un peu frustrant). Ils mettent au point des techniques et des outils qui peuvent être utiles et écrivent des livres passionnants. Je vous conseille les techniques classiques brain storming et mind map et toutes les autres plus ou moins similaires permettant de libérer la créativité. Moi je suis simplement un ingénieur, modeste chef d’entreprise, qui a beaucoup pratiqué l’innovation en amateur, sans toujours m’en rendre compte, comme Mr Jourdain faisait de la prose. Mais je l’ai pratiqué avec passion dans de nombreux domaines, depuis les innovations techniques de rupture qui ont profondément changé mon métier, jusqu’à la création de nouveaux métiers, en passant par une foultitude de mini innovations très utiles. L’innovation est devenue mon mode de vie. N’étant pas un génie, je n’ai pas inventé le velcro ou le panier à cornichons qui ont bouleversés l’humanité, mais mes petites innovations ont aidé une foultitude de gens vivre à un peu mieux. L’ayant vécu, je peux raconter des choses différentes, complémentaires, parfois contradictoires. « les clés de l’innovation se trouvent davantage dans la collaboration, le collectif que dans l’individu isolé et solitaire » (L’art de l’innovation -Eyrolles). Je vous raconterai pourtant que l’étincelle ne se produit que dans un seul cerveau, même si il a été nourri et ensemencé par un travail collectif, et se poursuit par un travail collectif. Je vous dirai aussi que l’innovation est un mode de vie, un comportement. On ne peut être innovateur sur commande pendant les heures de travail moins les RTT, on est innovateur 24/24, 365/365 sauf les années bissextiles. Certes, on fait aussi autre chose, mais les problèmes à résoudre restent tapis dans un coin du cerveau, sans jamais vous lâcher complètement, comme le sparadrap du capitaine Haddock. Et à la moindre occasion, conseil d’administration embêtant, lecture savante, demi sommeil, le sujet revient vous hanter…

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ANTI IMBECILE PROFOND Je vais vous raconter quelques histoires d’innovations petites ou grandes, que j’ai vécu ou pas, et essayer d’en tirer un enseignement. C'est-à-dire se retourner, s’assoir et tranquillement contempler et analyser ce qui a été fait, lister et comprendre les erreurs ou les réussites, approfondir le pourquoi du pourquoi pour comprendre les causes ultimes et en tirer un enseignement que l’on pourra utiliser pour les opération suivantes. Il existe de nombreux imbéciles profonds, qui ne tirent jamais d’enseignement de ce qui leur arrive et répètent indéfiniment les mêmes erreurs, ça existe aussi pour les organisations ou les entreprises, nous allons donc nous conduire en anti-imbéciles profonds et apprendre de nos histoires. Je vous suggère l’utilisation de cette technique qui permet de progresser dans l’innovation et l’intelligence de la vie, et vous évite de devenir des imbéciles profonds. Je vous conseille l’utilisation de la roue de Deming, ou technique des écarts que j’ai apprise au Japon et qui est d’une efficacité redoutable.

CONSTRUIRE UN NAVIRE DANS LE DESERT. A cette époque à la fin des études, les garçons partaient au service militaire, les filles n’ayant pas encore réclamé l’égalité en tout pouvaient rester chez elles. On pouvait aussi demander à la place à partir faire de l’aide au développement dans des pays pauvres, appelé la coopération. C’est comme ça que je me suis trouvé gratte papier au ministère des travaux publics du Tchad. Cet immense pays immensément pauvre partiellement en plein Sahara est traversé par un fleuve de plusieurs Kms de large, il y avait des villes d’un coté, des pistes de l’autre, le problème se résolvait par des pirogues pour les gens et, dans la capitale par un pont, et la seconde ville du pays par un bac (appelé navire en opposition aux pirogues) pour faire traverser les voitures et les camions jusqu’à 30 tonnes. Ce bac avait coulé plusieurs années auparavant laissant une bonne partie du pays sans accès, et notamment une grande partie de la récolte d’arachide pourrissait sur place ne pouvant plus être expédiée. Le bac dépendait du ministère, je suis donc allé voir mon ministre, pour lui dire que cette situation m’était insupportable. Il ma répondu qu’il n’avait pas le moindre budget pour acheter un nouveau bac, et qu’il fallait bien se contenter de ce qu’on avait. Je lui ai donc proposé d’en construire un moi-même, je trouverais bien des matériaux de récupération dans la poubelle-dépotoir du ministère, et

quelques volontaires pour m’aider. Le «navire» a été construit au bord du fleuve. Puis il a remonté le fleuve sur quelques centaines de kilomètres et a avantageusement remplacé l’ancien navire fluvial pendant des années. On peut voir https://youtu.be/8tTTBIO8F94 Retournons nous, asseyons nous, analysons calmement ce qui a été réalisé : D’abord est-ce une innovation ? Construire un

navire dans le désert à partir de rien dans cette partie du monde, personne ne l’avait jamais fait, et il y a eu une réelle création de richesse. Deux ingrédients indubitables de l’innovation. Tout est né d’une révolte, cette situation acceptée par tous m’était insupportable. Cette révolte, c’est la première étincelle qui ne peut se produire que dans un seul cerveau. Ensuite oser l’action, ou l’entreprenariat si vous voulez. Si il faut le faire, et que personne ne le fait, et que j’en ai peut être les capacités, alors je dois le faire, c’est une obligation.

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Enfin vient la maturation, qui commence immanquable par l’auto engueulade : triple crétin dans quelle aventure t’es tu lancé, dans quelle galère (fluviale) t’es tu fourré, dans quels beaux draps t’es tu mis, alors que personne ne t’avait rien demandé. Ce qui, heureusement, n’empêchera pas de recommencer la fois suivante. Car si on se plante, au pire on passe pour un nul prétentieux, ce qui n’a jamais tué personne, alors que si on ne tente rien on peut mourir d’ennui … ou de regret. Puis vient la recherche obsessionnelle qui hante tous les instants : comment rendre possible ce qui semble impossible. «Celui qui a déplacé une montagne a commencé par une pierre» disait Confucius. Arriver à casser la montagne en pierres que je pourrai déplacer. Cela peut durer quelques minutes ou 10 ans, ou ne jamais arriver. Et enfin, dans un demi sommeil, alors que le cerveau est totalement relâché, que ses propres barrières internes se sont assoupies, vient l’étincelle. Cette étincelle là aussi ne peut se produire que dans un seul cerveau. L’étincelle n’est en général pas encore la solution, mais la voie à suivre pour la trouver, après encore beaucoup de travail. Pour mon navire dans le désert, cela a duré plusieurs jours, le temps de faire le tour des décharges, des hangars en ruine, et de tout ce qui pouvait être récupérable plus ou moins légalement. Puis qu’avec mon ouvrier commis d’office, on commence à travailler et à trouver des volontaires pour nous aider. Vient ensuite le travail difficile et laborieux, où on découvre l’extraordinaire pouvoir de nuisance de tous ceux qui ne font rien que leur petit boulot tranquille mais sont très actifs pour vous empêcher de faire, car si vous faites, cela leur montre que eux ne l’ont pas fait, et sous entend que ce sont des lâches paresseux, ce qui est vrai mais tout à fait désagréable. Il aura fallu que je devienne grand patron incontesté pour ne plus connaitre ça dans mon entreprise, par contre dans mon grand groupe multinational où je n’étais que petit vice-président, j’ai du développer certains de mes projets dans la discrétion. Déjà tout ça vous ne le trouvez pas dans les livres, mais la suite encore moins. Ce sont les trois sœurs comportementales, fondement de l’innovation comme de la vie en général, au moins de la vie heureuse, pour éviter ce que Jean d’Ormesson appelait « une vie entière sans signification ». La première de nos sœurs c’est l’humilité. En arrivant en Afrique j’ai rencontré de nombreux coopérants directement sortis de l’école comme moi. C'est-à-dire ne connaissant rien à la vie. Et j’ai vu certains de ces petits blancs donner des ordres aux grands noirs qui avaient la politesse de ne pas rigoler. Pas la peine de vous dire que c’était hautement inefficace. J’ai commencé mon navire dans le désert en remontant mes manches et en mettant mes mains dans le cambouis, en demandant gentiment que l’on vienne m’aider puis en participant au travail, et en sollicitant les conseils de mes ouvriers. Et cela a bien fonctionné. La seconde de nos sœurs c’est le respect. Le respect c’est réciproque, respectez et vous serez respecté (si vous êtes respectable). C’est dire le mot magique « merci » chaque fois que quelqu’un vous donne une information ou un conseil, même si cela vous semble idiot. Dans ma vie professionnelle j’ai pris 1000 avions et voyagé ou travaillé dans une quarantaine de pays, j’ai appris à dire bonjour et merci dans toutes leurs langues (Jërëjëf en wolof, je vous dirai comment le prononcer, ça peut vous être utile), j’ai étudié leur histoire, culture, religion. L’innovation vous viendra d’une foule d’informations fournies par ceux que vous aurez écouté ou observé, même si vous seul ferez en fin de compte la synthèse. Pour respecter son interlocuteur, il ne faut pas utiliser votre langage savant et prétentieux qui vous fera passer pour un imbécile, il faut utiliser le langage de votre interlocuteur. Mon beau-père avait l’habitude d’aller s’assoir de l’autre coté du bureau, là ou serait assis son interlocuteur, pour préparer un argumentaire, il se mettait ainsi par la pensée dans la peau de son client. Les anglais ont l’habitude de dire « put your feet in the customer’s shoes » « mettez vos pieds dans les chaussures du client ».

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Savez vous pourquoi les crocodiles n’ont pas évolués depuis l’ère mésozoïque ? Parce qu’ils ont une grande bouche et pas d’oreilles, comme beaucoup de nos concitoyens. La troisième sœur, c’est l’amour ou la passion. Croyez vous que je me serais autant cassé la tête pour construire le navire si je n’avais pas aimé ce pays et ces gens, pourtant pas très rigolos. Il faut se laisser aller à aimer, son métier, ses clients qui vous font confiance, ses actionnaires qui ont investis sur vous, ses fournisseurs partenaires de vos développements, ses collaborateurs. Le monde professionnel est une guerre épouvantable et sans pitié. Si vous devenez patron, construisez une bulle autour de l’entreprise dans laquelle les gens s’aimeront et seront heureux, ils pourront trouver les ressources pour combattre l’extérieur. Le sentiment est un moteur de l’action, beaucoup plus puissant que la raison. Les terroristes tuent et se tuent par haine, certain hommes meurent par amour pour les leurs ou leur pays. Personne ne meurt par logique. La frugalité. Cette méthode de travail consistant à faire les poubelles pour concevoir et construire un truc utile s’appelle la conception frugale, ou jugaad chez les indiens grands spécialistes de la chose. On peut appeler ça aussi le détournement d’usage, car à priori les poubelles ne sont pas faites pour qu’on fabrique un navire avec. Maintenant que vous connaissez le truc, ne cherchez pas le composant spécialement conçu pour votre innovation, car par définition il n’existe pas, allez faire les décharges et poubelles et détournez. Lorsque je fabriquais des machines à repasser, un de mes collaborateurs à eu l’idée d’utiliser des tubes lance fusées (orgues de Staline) pour fabriquer nos repasseuses. Ce qui nous a valu une enquête des services secrets, car c’était en pleine guerre d’Irak, pays où nous avions beaucoup exporté. l’auto-coup de pied. J’avais déjà quelques brevets et une entreprise créée (et fermée) pendant mes études à mon actif, aussi ce n’était pas ma première innovation, mais j’aime particulièrement cette histoire, car elle m’a servi toute ma vie. Lorsque je me trouve devant un problème apparemment impossible, devant une tâche énorme, et que je n’ose pas me lancer, une petite voix intérieure me dit « Cyril tu as construit un navire dans le désert à partir de rien, tu ne vas tout de même pas te laisser décourager pour si peu ». c’est de l’auto-coup de pied dans le derrière.

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LA GENTILLE DAME ET LE CLOU. Voilà une minuscule innovation, mais une belle histoire. J’ai passé 25 ans de ma vie à faire des machines de blanchisserie professionnelles, lave linge géants, séchoirs, et machines à sécher et repasser le linge plat (draps, taies, nappes, serviettes etc). A cette époque j’était le PDG du leader français, et vice président du groupe leader mondial, donc un peu respecté dans la profession. J’adorais faire des visites de clientèle avec mes commerciaux, même en vacances je visitais toujours la blanchisserie de l’hôtel, excellente occasion de se faire engueuler par les clients et d’en apprendre beaucoup. Nous visitions une toute petite maison de retraite, comme d’habitude j’ai laissé le commercial discuter avec la directrice, et je suis allé voir la blanchisserie au sous sol. Il y avait une gentille dame qui repassait des draps. Un drap mesure 3m de long et la machine doit avoir une largeur de 3,2m pour l’absorber, mais ce sont des machines chères et encombrantes, dans les petites blanchisseries on installait souvent de petites machines deux fois moins larges. Il fallait donc plier en deux le drap sortant de la machine à laver et l’introduire en écartant bien les mains. Plier en deux un drap humide, tache longue, pénible et difficile, que cette gentille dame faisait en

souffrant et en souriant. J’ai essayé de le faire moi-même, et elle a beaucoup ri de mon incapacité à réussir l’exercice. Je suis resté longtemps à la regarder, et à me révolter intérieurement contre ce travail idiot et pénible. Et puis la petite étincelle est venue, je suis remonté voir la directrice pour réclamer une boite à outils. Tout le monde est descendu voir ce que le grand patron voulait faire avec les outils. J’ai planté un grand clou dans le chambranle de la porte à la bonne hauteur, et plié à la pince le bout qui dépassait pour en faire un crochet vers le bas. Pris un drap par le milieu, accroché au clou, et tiré

chaque côté, et miracle, le drap était plié sans aucun effort. La gentille dame en pleurait de joie. De retour à l’usine, petit tour au bureau d’études pour leur demander de me réaliser un petit mat amovible avec crochet pour en équiper en série toutes nos sécheuses-repasseuses de ce type. Ils l’ont d’ailleurs amélioré en ajoutant un taquet coinceur et une barre pour poser le linge. Pas de brevet, pas de supplément de prix, c’est cadeau pour toutes ces gentilles dames qui avaient tant de mal à plier les draps humides. Et si les concurrents nous copient, j’en serais ravi, ce sera autant de gentilles dames qui en profiteront. Personne n’a repris l’idée, car ils se fichent pas mal des gentilles dames, et c’est peut être pour ça que nous sommes devenus les leaders de ce métier. Nous avions dans notre groupe une grande usine en Suède où on fabriquait des laves linges professionnels, et qui avait bénéficié de 90% des budgets d’investissement pendant des années. Les suédois étaient très fiers de leurs machines qu’ils vendaient dans le monde entier. En France on en vendait aussi et nos clients étaient loin d’être aussi enthousiastes. Quand je suis devenu vice-président du groupe en charge de l’innovation, ce qui comprend les bureaux d’études, j’ai fait un audit de toutes les usines y compris la suédoise. Lorsque j’ai fait le compte rendu au Président et à mes collègues je leur ai dit :“votre chef de bureau d’études est remarquablement compétent en technique, mais en 15 ans il n’a visité aucune blanchisserie, aucun client, de même que vos ingénieurs ; ne vous étonnez pas si les utilisateurs n’apprécient pas autant que vous vos machines“. Qu’allons nous tirer de cette histoire ? On retrouve tous les ingrédients de notre navire dans le désert. Pas la peine de demander au client ce qu’il veut, la même chose moins cher, et que ça ne tombe pas

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en panne. Depuis un petit siècle que ce genre de machine existe personne n’avait demandé un dispositif pour aider à plier les draps humides, alors que des dizaines de milliers de gentilles dames ont eu cette pénible tâche à réaliser. Pour innover dans votre métier messieurs et mesdames les ingénieurs bourrés de diplômes et de compétences, vous devez humblement descendre dans les blanchisseries, discuter avec les gentilles dames et les regarder travailler. Vous devez les respecter et vous révolter de leurs conditions de travail difficiles. Vous devez les aimer jusqu’à ce votre cerveau explose d’empathie et de compassion. Et alors, peut être, vous innoverez, vous améliorerez un peu leur vie et vous en serez infiniment heureux. Tout ça gratuitement, c’est idiot ! Je n’ai jamais innové pour de l’argent, ce qui ne m’a pas empêché d’en gagner avec mes brevets et surtout d’en faire gagner énormément à mes actionnaires. La cause de l’innovation comme vous l’avez compris c’est l’amour, une des conséquences peut être l’argent, rarement l’inverse. Une petite histoire de brevet : www.erppp.com/aventures/la-fid%C3%A9lit%C3%A9-conjugale/

LE PLUS BEAU MATCH DE TENNIS DE L’HISTOIRE. Huitième de finale de Rolland Garros 1989. Le petit Michael Chang 17 ans affronte Yvan Lendl N°1 mondial, gagnant de 8 titres de grand chelem et 5 masters. Au 5éme set, Chang est épuisé, Lendl lui a l’habitude des matchs marathon. Chang au service, Lendl va faire le break. Les retours de Lendl, sont dévastateurs. Et Chang sert sa première balle de service par en bas à la cuillère comme un débutant, Lendl est tellement déstabilisé

qu’il est incapable de faire un retour. Et Chang gagne le jeu. Un peu plus tard, service Lendl, Chang est en situation de faire le break, Lendl mets son premier service dans le filet. Pour le second service, Chang quitte le fond de cours, position indispensable pour renvoyer les boulets de canon de Lendl, et s’approche de la ligne du carré de service. Encore une fois Lendl est complètement déstabilisé et fait une double faute. Chang gagne le jeu, le set et le match, puis le tournoi.

http://www.ina.fr/video/I05272465 Moi, j’appelle ça un bluff de génie. Comme celui de David contre Goliath (il faudra que vous raconte cette histoire qui n’est pas celle que vous croyez). Le bluff est une innovation en soi, que je pratique chaque fois qu’une situation semble désespérée mais c’est hautement risqué et fatiguant. Ne pas confondre mensonge, marketing et bluff. J’ai horreur du mensonge qui vous retombe toujours dessus, par contre le marketing consistant à montrer le meilleur côté de la vérité est nécessaire et peut être l’occasion de belles innovations. Le bluff à son plus haut niveau consiste à dire à l’adversaire que vous allez faire un truc tellement énorme, tellement incroyable, qu’il pense que vous mentez. Bien loin de vous empêcher, il va vous aider à vous planter vous-même. Et vous le réalisez, pas plus compliqué que ça. Lisez la belle histoire de bluff dans www.erppp.com/aventures/bluff-et-contre-pied/

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Un jour, lors d’une réunion au siège du groupe en Suède, mon président me dit : -« mais pourquoi donc voulez vous maintenir votre petite usine au milieu de nulle part, en bordure d’un champ de patates ? » C’était la mode des délocalisations des usines vers les pays à bas coût, ma réponse pouvait valoir la vie ou la mort de ma petite entreprise. -« Président parce nous nous développons dans la haute technologie et que de l’autre côté du champ de patates, il y a une grande université de technologie avec des profs, des laboratoires, et des étudiants qui nous sont absolument nécessaires ». -« Ah bon je ne savais pas, il faudra que je vienne visiter ». Il ne risquait pas de savoir, rien de cela n’existait. Ce qui existait c’était une conversation entre le Sénateur Adnot, un industriel (moi), et quelques élus. Nous nous désolions de voir l’activité de notre département s’effondrer lentement. Pour retourner la tendance nous avons décidé de parier sur l’enseignement supérieur. Philippe Adnot nous a proposé d’étudier la création d’un établissement sur le modèle de l’Université de Technologie de Compiègne, dernière université créée en France 20 ans auparavant. Et c’est tout ce qui existait au moment de mon bluff, et l’idée de la création d’une université paraissait totalement invraisemblable. Cinq ans plus tard quand mon Président est venu voir l’usine, j’ai pu lui faire visiter les laboratoires de l’université de l’autre côté du champ de patates. J’avoue que j’ai beaucoup bossé avec Philippe Adnot, grand maître es bluff-innovation, pour que ce bluff devienne réalité.

LE DUBIXIUM. Les Centres d’Aide par le Travail, comme les Ateliers Protégés sont des associations qui donnent du travail à des handicapés mentaux. L’activité de l’association permet de compléter le salaire des handicapés, pour atteindre un SMIC, de payer l’encadrement, les investissements et le fonctionnement. Souvent les travailleurs handicapés sont logés sur place, et des CAT avaient installés une petite blanchisserie pour leur propre usage. Nous les connaissions bien puisque nous étions un de leurs fournisseurs. C’est un de nos concessionnaires qui a eu l’idée d’organiser un diner à Paris entre le président national des CAT et AP et moi. Il m’a fait part de son besoin de trouver de nouveaux métiers pour ses centres, aussi je lui ai proposé de développer les formations, conseil, organisation, machines spéciales pour qu’ils puissent créer des petites blanchisseries commerciales venant se substituer aux petits blanchisseurs tués ou absorbés par les grands groupes. Nous avons fait des formations gratuites à l’usine pour l’encadrement, mis au point et offert de multiples outils de gestion adaptés à leurs problèmes. Notre service audit-formation a créé des formations spécifiques pour les travailleurs handicapés, et nous avons développés des machines plus faciles d’emploi. En 10 ans nous avons créés 750 blanchisseries de CAT rien qu’en France, ils nous ont dit que cela faisait travailler plus de 10.000 handicapés. Cela a représenté jusqu’à 30% de nos ventes en France. Ceci est typiquement la création d’un nouveau métier. Si vous ne voulez pas vous battre contre la concurrence, créez un nouveau métier et mettez des barrières à l’entrée. Là l’innovation est plutôt une innovation de groupe, l’étincelle est venue du concessionnaire en Normandie, mais tout de suite toute l’équipe a suivi, commercial, marketing, audit-formation, bureau d’études, laboratoire, atelier, chacun apportant ses propres innovations. C’est là où on voit qu’une équipe soudée, complémentaire, où les gens communiquent, se parlent et en un mot, s’aiment, a un réel pouvoir d’innovation collective.

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Combien de CAT j’ai pu visiter ? Je vais vous faire un aveu, ces pauvres gens à qui il manque quelques neurones, sont infiniment sympathiques, parfois plus que ceux qui ne sont pas officiellement déclarés handicapés (là je pense à certains de mes patrons). Un gros problème se posait avec les machines à sécher-repasser qui sont soit des énormes bécanes entièrement automatiques au prix de ouf, soit des petites machines à l’encombrement et au prix raisonnable, mais la gestion de la température du cylindre en est tellement compliquée que ce n’est pas à la portée des handicapés. Les machines à sécher-repasser ont depuis toujours un défaut majeur. Grosso modo une telle machine c’est un gros tube de 3,2 m de long pour 0,5m de diamètre, avec un chauffage dans le tube fait d’une rampe à gaz ou de résistances électriques. Et on sèche-repasse en passant le drap entre des rouleaux et ce tube chauffé à 180°C. Le problème majeur est que le tube est chauffé sur toute sa largeur, est refroidi par le passage du drap humide à l’endroit où le drap passe. Les zones où le drap n’est pas passé surchauffent brulant le drap suivant tandis que les zones où le drap est passé plusieurs fois deviennent trop froides et le drap ressort humide. C’est un casse tête à gérer pour les gentilles dames blanchisseuses, et impossible pour les handicapés. Pendant des années, on a cherché à améliorer le processus par des capteurs et des chauffages par zones ou autres procédés sans jamais trouver de solution satisfaisante. Ce problème m’a hanté pendant, à temps partiel, près de 10 ans. Un jour en revenant de Londres en avion, après avoir lu un article sur les trithérapies contre le sida où plusieurs éléments concouraient au résultat, je me suis assoupi, et au réveil l’étincelle est apparue. Faire des couches complémentaires, 2 cylindres coaxiaux avec entre les deux un film d’huile qui transmettrait la chaleur du cylindre intérieur au cylindre extérieur, et qui par ses déplacements répartirait la chaleur sur toute la longueur. Le bureau d’études a mis un an à concevoir le produit … qui était impossible à fabriquer. Car il fallait 2 tubes parfaitement ronds, parfaitement droits, d’épaisseur constante pour avoir un espace entre les deux de 4+-2mm. Et ça personne au monde ne savait le faire, car à priori un tube en acier est conçu pour transporter un fluide et non pour repasser du linge ; avec nos tubes achetés chez des fabricants de tubes nous faisions clairement du détournement d’usage. Nous avons pris un gros risque en achetant les machines outils que les fabricants de tube utilisaient, en pariant que nous arriverions à les modifier pour correspondre à notre besoin. Le bureau d’études et l’atelier ont dû produire une quantité invraisemblable d’innovations et de savoirs faire spécifiques

pour réussir. Le résultat a dépassé toutes nos espérances puisque la sécheuse-repasseuse au Dubixium non seulement se conduisait totalement automatiquement mais aussi produisait 25% de plus pour la même consommation d’énergie. youtu.be/kGL2d6xuXf4 Toute l’histoire est racontée dans cette vidéo « a new job for those disabled ».

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Je vous suggère aussi la vidéo officielle sur le Dubixium. https://www.youtube.com/watch?v=B150pe62cn4 Et le DIAMMS une autre innovation due à notre génial patron de bureau d’études, complément parfait du Dubixium. https://www.youtube.com/watch?v=9iYNKMbcpqU Et la petite machine qui sait tout faire, régal des handicapés. ffs https://www.youtube.com/watch?v=8DFBuubo9ic

La touche finale de cette fantastique innovation a été son nom, sous la pression du groupe nous perdions notre nom DUBIX pour Electrolux Laundry Systems France, et le choix du nom DUBIXIUM nous permettait de conserver un bout de nos racines. C’était il y a 20 ans, le brevet va tomber dans le domaine public, tous les concurrents vont se ruer dessus, et découvrir que c’est infabricable, bonne chance les gars, amusez vous bien ! Enfin comme il y a beaucoup de savoir faire d’atelier, on ne peut pas en délocaliser la production.

LE TIRE BOUCHON DE LIMONADIER. Depuis 1795 on dépose des brevets sur les tire bouchons, c’est probablement l’objet le plus couvert de brevets, c’est dire son importance pour l’humanité.

En 1883 Carl Wienke, un allemand, brevette le tirebouchon de limonadier, qui pendant 100 ans sera l’outil préféré des professionnels du vin. D’après les sommeliers que j’ai

interrogé c’était un instrument parfait, insurpassable. Puis en 1980 Bruno Desnoulez, enfin un français, invente le tire bouchon de limonadier à 2 crans qui a aujourd’hui conquis le monde.

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Ce tire bouchon apportait 2 petites améliorations apparemment mineures. Le double cran permettait d’avoir une plus longue course et donc de tirer les longs bouchons des grands bordeaux, sans avoir à mettre la bouteille entre les jambes et tirer fortement pour finir le boulot. Et du fait de cette plus longue course permettait de rapprocher les axes de la vrille et des crans, et donc d’avoir moins d’effort à fournir au début, évitant encore d’avoir à mettre la bouteille entre les jambes. Avant que cela ne soit connu, j’ai donné à plusieurs techniciens du bureau d’études le cahier des charges que je viens de vous décrire, et ils sont arrivés à ce même résultat. La solution n’est donc pas bien innovante, la grande innovation est ailleurs. Où est elle cette innovation ? J’ai fait plancher mes étudiants sur le sujet, personne n’a trouvé. Pourquoi donc cet homme a-t-il cherché à améliorer un produit qui satisfaisait tout le monde ? Il n’avait qu’un petit défaut, c’était difficilement utilisable pour les filles. Quelle importance, il n’y avait pas de filles dans ce métier. Oui, mais un jour il y en aurait, et c’est bien ce qui s’est passé. Une fille chef de chai dans une exploitation vinicole, ou sommelière dans un restaurant, ou «garçon» de café, c’est maintenant commun. Cette invention est une projection dans l’avenir. Le monde va changer, et je prévois les outils du monde qui viendra.

COMPLÈTEMENT DÉPASSÉ LE VIEUX. J’enseignais récemment dans un master international, sur les sujets que j’ai pratiqué toute ma vie, le business, la propriété intellectuelle, les normes, les outils de l’organisation etc… Et un étudiant m’a gentiment dit qu’étant parti à la retraite 3 ans auparavant, je ne pouvais rien comprendre au monde qui avait totalement changé depuis. Alors je vais vous raconter une histoire d’aujourd’hui et une d’il y a plus de 3200 ans, et vous jugerez. Les taxis ont su astucieusement organiser la pénurie, notamment à Paris, en imposant des numérus clausus, et des prix d’entrée élevés (n’oublions pas que la licence est donnée gratuitement par la préfecture). Globalement ils n’étaient pas très aimables et pas très arrangeant, fabriquant ainsi des clients frustrés. Excusez moi, mais ça fait 3000 ans que quand des clients sont frustrés, les concurrents arrivent, et si le marché est verrouillé, ils le contournent. La concurrence que l’on a vu ça a été UBER, avec son appli pour smart phones et ses VTC qui ne lui coûtent aucun investissement. Ils n’ont pas été les premiers sur le marché, ils n’ont pas inventés le concept, ils n’ont pas la meilleure application, mais ont été les plus rapides et valent aujourd’hui 1 milliard de dollar en bourse. Ce qui n’en fait pas des innovateurs de génie mais de remarquables requins des affaires. Ils ont oublié que les chauffeurs de VTC aussi étaient leurs clients, et ils se sont mis à les maltraiter, du coup ils ont eu plein d’ennuis et le créateur d’UBER s’est fait virer. Résultat les sociétés de taxis parisiens ont eu le temps de se reprendre, offrant un service sur smart phone de qualité, les chauffeurs ont mis une cravate, sont devenus aimables et ont offert de l’eau dans les voitures. Ça fait bien 3000 ans que quand un fournisseur est attaqué par la concurrence il améliore son service, même si on doit admettre que les outils ont changés et que ça s’est accéléré. Tout ça ce sont les basiques du commerce. Vous connaissez les phéniciens, qui sont devenus les carthaginois du côté de Tunis, et ont envahis l’Italie en faisant faire le tour de la méditerranée à leurs éléphants, ça c’est de l’innovation ! Les phéniciens étaient avant tout des marchands venant de l’actuel Liban, qui sillonnaient la Méditerranée et bien au-delà du monde officiellement connu. Le problème du commerce c’est de pouvoir faire des contrats, des listes, des comptes qui peuvent être lus par tous. Or en terme

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d’écriture il n’existait pas grand-chose, les hiéroglyphes égyptiens, le cunéiforme de Mésopotamie et quelques autres trucs du même genre, rien qui soit facile à apprendre, et utilisable quelle que soit la langue. Ils ont alors inventés le premier alphabet consonantique, c'est-à-dire que les signes représentaient des sons, et non pictographique où les signes représentent des mots. Avec 20 à 30 signes on peut écrire toutes les langues, et même un enfant de 5ans peut l’apprendre, les alphabets grec puis romain (le notre) en sont directement issus. Et ils en ont fait cadeau à leurs clients. C’est la plus grand innovation commerciale que l’humanité ait connue, et pas UBER. Dès l’âge du bronze le commerce se pratiquait de l’Afghanistan jusqu’en Angleterre en passant par toute la Méditerranée et était basé, comme aujourd’hui sur la confiance entre les acteurs, sur la satisfaction des clients et sur la réciprocité. Les grands principes de l’innovation commerciale sont multi millénaires. Récemment on a fait travailler des ordinateurs sur des stratégies de rapports entre les hommes. La stratégie toujours gagnante ainsi découverte consiste à tendre la main en signe de confiance, si l’on reçoit un mauvais coup, à le renvoyer en signe de réciprocité, puis à recommencer la confiance. Les historiens ont bien ri, c’était connu depuis 3000 ans. Beaucoup de gens pensent que l’histoire de France commence à la révolution, et l’histoire du business et de l’innovation commencent avec internet. L’étude de l’Histoire peut leur être d’un grand secours, notamment pour innover sans réinventer ce qui existe depuis toujours.

L’ENVIRONNEMENT CRÉATIF. Cette Europe du Moyen Age a créé beaucoup plus d’innovations qu’on ne le croit en général, en architecture avec les cathédrales, dans la vie de tous les jours avec les lunettes et une infinité de choses que vous découvrirez dans « la révolution industrielle du moyen âge » Jean Gimpel-Editions du seuil, c’est passionnant. Arrêtons nous sur ces deux exemples : Pendant cette période du 12éme Siècle à la fin du 14éme, dans la moitié Nord de la France, on a sorti plus de pierre de taille pour faire les châteaux, églises, hôtels particuliers qu’en Egypte pendant 3000 ans. L’invention des lunettes au 13èmé Siècle revendiquée par les vénitiens, a permis de doubler la durée de vie professionnelle efficace des intellectuels, qui commençait à la fin des études et se terminait avec l’apparition de la presbytie. A cette époque, les étudiants européens allaient dans les grandes universités de la Sorbonne à Paris, à Bologne, Oxford, Parme etc.. et avaient une langue commune le latin. La mondialisation du savoir existait déjà, et les étudiants de l’époque étaient tout aussi remuants que ceux de la Silicone Vallée d’aujourd’hui. Et puis une explosion s’est produite, partant de Florence en Italie au milieu du 15éme Siècle, et s’étendant rapidement à toute l’Europe. Le souffle de l’explosion a fini par atteindre le monde entier. C’était l’explosion de la créativité et de l’innovation, qu’on a appelé la Renaissance. Les historiens citent plusieurs causes probables et complémentaires : L’invention de la production en série de livres par Gutenberg autour de 1450 (l’imprimerie, ce sont le Chinois qui l’ont inventée plusieurs siècles auparavant). Elle a permis une large diffusion du savoir et notamment de la Bible, ce qui a généré le Luthérianisme et le Calvinisme. Si je sais, je peux contester. Simultanément la prise de Constantinople par les turcs musulmans, a chassé vers l’Italie un grand nombre d’intellectuels grecs, avec leurs ouvrages antiques et leur «sale» esprit de contestation et leur curieuse habitude de tout passer par la moulinette du raisonnement et de la logique. Ingrédients qui avaient permis l’éclosion de l’art, des mathématiques, de la philosophie, des découvertes innombrables des grecs anciens qu’ils nous ramenaient en Europe de l’Ouest. Pour eux on pouvait tout contester, transgresser, dans la liberté de penser, naissance de l’individualisme (ne pas confondre avec égoïsme) : JE pense, JE suis responsable de ce que je fais, JE décide de ma vie.

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Il y avait également en Italie l’existence de villes-états en perpétuelle concurrence, notamment dans l’art, et comme vous le savez la concurrence est un puissant moteur de l’innovation. Et enfin était apparue, dans toute l’Europe, une nouvelle classe sociale, les bourgeois (habitants des bourgs) qui réussissaient professionnellement et s’enrichissaient non par leur naissance comme les nobles, mais par leur travail et leur talent, et ne devant rien à personne, exigeaient la liberté de penser, de créer, d’innover, ferments de la Révolution Française. Les hommes de la Renaissance n’étaient pas plus intelligents que ceux du Moyen Age, ce qui a changé c’est la création fortuite d’un environnement propice à l’innovation, pour la seconde fois dans l’histoire de l’humanité (la première s’est produite chez Périclès 20 Siècles plus tôt). J’ai travaillé 12 ans dans un très grand chantier naval, où les patrons étaient des imbéciles profonds (j’assume.) Le slogan du big boss était «il faut diviser pour régner», imaginez l’ambiance ! Et près de 20 ans dans cette entreprise que j’ai dirigé, dont le slogan était «aimez vous les uns les autres, soyez tous des patrons responsables de vos actes, et créez, et mieux vaut se planter que de ne rien tenter», et si je vois une peau de banane, le responsable se fait virer. La production de brevets par personne et par an était 2000 fois supérieure dans cette seconde entreprise. La différence c’est la création d’un environnement propice à l’épanouissement et à l’innovation. Un jour qu’un ouvrier avait proposé et réalisé une belle petite innovation pour améliorer son boulot, je lui ai proposé une prime. Il a refusé, le prenant de très haut, et m’a vertement remis à ma place. Que j’ai été content ! Il avait innové par amour de son job et de son entreprise et pas pour l’argent. J’ai eu des tas de formations sur le management, où on nous apprenait, comment monter des boites à idées, des systèmes de primes, des méthodes d’évaluation et de concours. Mon Dieu quel aveu d’échec !

Le sommet de la bêtise c’est ce grand patron qui a organisé un concours d’innovation en envoyant des affiches avec obligation de les placarder dans toutes les usines. Il fallait envoyer ses idées directement à son secrétariat, et le lauréat gagnait une voiture. (C’est moi qui ai ajouté le bandeau et retiré le nom du groupe pour éviter d’être attaqué en justice, bien que les faits soient prescrits.) Une délégation est venue voir la direction du site menaçant de faire grève, car ils estimaient être insultés par cette affiche. Il parait qu’elle avait ensuite été très utile pour l’entrainement au jeu de fléchettes, bien que ce ne soit pas sa destination première. On innove par amour, pas pour de l’argent, pas par contrainte.

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Avez-vous entendu parler d’un révolutionnaire-innovateur nommé Jésus de Nazareth ? Relisez la parabole du semeur, vous y apprendrez qu’il est inutile de semer vos innovations dans un environnement qui n’est pas propice. Relisez la parabole des talents, vous y apprendrez que peu importe vos talents, vos diplômes prestigieux, votre brillante intelligence, c’est ce que vous en faites qui compte. Alors si voulez devenir un innovateur fécond, et que vous vous rendrez compte que l’environnement de votre entreprise n’est pas adapté, ou vous en devenez le patron pour tout changer, ou vous partez et je vous autorise à faire un immense bras d’honneur. Facile à dire … moi je l’ai fait en quittant l’entreprise dans laquelle je travaillais au bout de 14 mois, le mode de management ne me convenant pas. Ou dans l’entreprise suivante en devenant le vrai patron après avoir viré le Directeur Technique puis le Directeur Commercial (non mais !).

LE CÔTÉ OBSCUR DE LA FORCE. Apparemment toutes les entreprises réclament des gens innovants … attention danger. Les innovateurs sont des gêneurs qu’il faut neutraliser à tout prix, voire éliminer en toute discrétion. Car l’innovation oblige à changer les habitudes, chose insupportable pour la majorité des gens normaux. Pendant quelques temps j’ai travaillé pour un groupe familial étranger, dont le Président était un ami. Entreprise très remarquable par la qualité de ses produits, l’honnêteté de ses dirigeants, leur goût du travail, et du management participatif. J’avais entre autre pour tâche de conseiller le Président car ma connaissance du métier était mondialement reconnue. A chaque fois que je présentais une amélioration dans la rédaction des offres, dans les logiciels commerciaux, dans la technologie, dans l’organisation de l’intelligence économique etc.… le conseil d’administration devant lequel j’avais planché plusieurs heures, me répondait que ce que je proposais était excellent et même remarquable, mais qu’ils ne le mettraient pas en œuvre car cela risquait de changer les habitude et de gêner leurs salariés ( immense déception ! quelques semaines de travail à la poubelle). C’est pourquoi rien ne peut se faire si le patron ne montre pas l’exemple, ne protège pas les innovateurs et ne développe pas une culture de l’innovation. Beaucoup de start-ups savent très bien le faire. Changez le patron innovateur, mettez un financier ne connaissant rien au métier, et l’innovation s’éteindra d’un coup. Un jour j’ai rencontré sur un salon professionnel l’homme qui m’avait succédé dans cette entreprise tant aimée. Conversation très courtoise. « Nous avons un nouveau projet très ambitieux, c’est d’obtenir un RNA (rentabilité des capitaux immobilisés) de 15% pour toutes les filiales» « Bravo, et bonne chance. Notre objectif à nous était simplement de changer le monde, et nous l’avons fait. En conséquence notre RNA atteignait 60% ». Mes anciens collaborateurs qui l’accompagnaient ont bien ri, lui n’a pas compris. Il croyait probablement, comme beaucoup, que le seul but d’une entreprise est de faire du fric. Une armée de génies s’était levée pour bousculer la profession, et s’est recouchée pour se rendormir profondément. A voir www.erppp.com/aventures/pas-capable/

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Et si vous devenez ce patron innovateur, ne croyez pas que tout le monde suivra. L’innovation permanente est passionnante, mais épuisante, et certains ne veulent pas suivre. Et puis il y a ceux prêts à vous trahir pour un minuscule avantage à court terme, même si vous vous êtes conduit en père pour eux pendant des années. Même le révolutionnaire-innovateur Jésus de Nazareth a eu son Judas, ce qui n’a pas empêché ses autres disciples de diffuser sa parole dans le monde. Un tiers de la population mondiale y croit fermement aujourd’hui.

LE BONHEUR D’INNOVER. « J’ai décidé d’être heureux, c’est meilleur pour la santé. » Voltaire. Le but de tout le monde est d’être heureux, et il y a deux voies : Le bonheur égoïste, longue quête jamais satisfaite et qui sème beaucoup de malheur sur son chemin, et le don de bonheur qui vous revient par ricochet. Donner de l’argent ne dure que le temps de le dépenser, donner un sourire c’est magique mais éphémère, donner une innovation peut toucher beaucoup de gens et durer une petite éternité. On peut voir www.erppp.com/aventures/je-suis-heureux/

Une association m’a demandé de l’argent pour fournir de l’eau à une famille africaine pendant un mois. Alors ma dernière invention a été une machine toute simple pour fabriquer de l’eau pure pour une famille pour toute la vie. www.erppp.com/projet-eau-potable/

UN PETIT CONSEIL AVANT DE PARTIR. Un petit conseil … ce que je m’étais bien promis de ne pas vous faire subir. Tuer le temps est un meurtre. Passionnez vous pour l’Histoire, les sciences et techniques, les cultures, les civilisations, l’Humanité, plus vous en saurez plus vous aurez envie de savoir. Patron : celui qui a la prétention de diriger les autres, doit au minimum montrer l’exemple, la vision du chemin et l’éthique à respecter. Soyez curieux de tout, arrêtez vous sur tout ce qui vous semble bizarre et demandez vous POURQUOI ? (comme Alexander Fleming, Henri Becquerel, George de Mestral et tant d’autres) Et ce que je disais à mes filles lorsqu’elles étaient petites : «Ainsi tu sera un Homme ma fille».