FASCICULE TD GRH LICENCE 3
AES
ANNEE 2015-2016
SECOND SEMESTRE
M. PISANO
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THEME 1 : LE RECRUTEMENT
Document 1
MICHEL ET AUGUSTIN : DE L’EFFICACITE D’UNE STRATEGIE RH
Par Michel Barabel et Olivier Meier, Les Echos business, 2015.
Michel et Augustin a grandi (explosion à l’export, entrée sur le marché américain…) mais a
également changé de structure de gouvernance (rachat par Artémis, le holding de la famille
Pinault). Curieusement, les années passent mais les fondamentaux de l’entreprise restent les
mêmes (positionnement original, produits gourmands, communication décalée, relation
transparente basée sur la joie de vivre avec le consommateur, écosystème de partenaires).
Aujourd’hui, c’est la politique RH qui est en première ligne pour conforter le modèle de
l’entreprise.
Le recrutement : fonction clé de la GRH
Contrairement à de nombreuses entreprises qui minimisent la phase de recrutement
(externalisation, chargé de recrutement junior, …), l’entreprise considère que le recrutement
est la phase la plus « précieuse » d’une politique RH. Elle demande une attention particulière,
la mobilisation de tous et de la lenteur car ce qui est en jeu c’est l’adéquation « fit-culturel »
entre le candidat et l’entreprise. C’est pourquoi, le terme recrutement est banni, l’entreprise
préfère parler de « rencontre » vécue comme une acculturation mutuelle pour « savoir si l’on
va faire un bout de chemin ensemble ». Ainsi, si le processus respecte le cadre classique RH
(définition de besoin, sourcing, pré-sélection, sélection, intégration), la forme diffère d’un
recrutement traditionnel.
Un sourcing décalé privilégiant les applications innovantes
L’annonce de recrutement est mise en scène sur les réseaux sociaux et peut s’apparenter à un
film, une annonce radio ou un spot TV qui doit incarner la culture de l’entreprise et
l’ambiance de travail alliant hyper-exigence et fun/délire. De plus, l’entreprise privilégie des
sourcing atypiques, à l’image de l’entreprise, tels que les sites de cooptation comme Keycoopt
(recrutement grâce aux recommandations de tiers rémunérés) ou des starts-up innovants tels
que Monkey Tie (recrutement par affinité). Par ailleurs, le candidat a une entrée unique pour
postuler : l’envoi courrier est banni et tous les dossiers de candidatures doivent être postés sur
le site web de l’entreprise. Enfin, plutôt que la traditionnelle lettre de motivation, un
questionnaire plus impliquant de six questions ouvertes est privilégié afin d’en connaître plus
sur le candidat, sa personnalité, son projet professionnel et sa motivation pour travailler chez
Michel et Augustin.
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Une marque employeur attractive
La marque fun, gourmande et innovante de Michel & Augustin induit un nombre de
candidatures spontanées très élevé (3000 CV reçus en 2014). Il en résulte une forte sélectivité
(majorité de profils de jeunes talents diplômés de grandes écoles) qui permet à l’entreprise de
privilégier la personnalité du candidat pour prendre sa décision. Il s’agit de s’assurer qu’il
détient cinq traits principaux en phase avec la culture de l’entreprise (brillant, malin,
sympathique/fun, passionné, enthousiaste) synonymes d’une capacité à renouveler l’entreprise
et à créer de la valeur. Par ailleurs, la phase de pré-sélection réalisée par la RH doit être
respectueuse (réponse systématique, lettres de refus personnalisées) des candidats.
L’entreprise a d’ailleurs signé une charte de qualité relationnelle.
La ph ase d e sélection s’ a pparente à une coopt ation collective des membr es de la tribu
Après les classiques « entretien RH » et « entretien opérationnel », l’entreprise ouvre la
sélection à différents collaborateurs de l’entreprise. Selon le DRH de Michel et Augustin, « on
n’hésite pas à faire rencontrer l’équipe aux candidats. Cela peut prendre la forme d’un dîner
ou d’un déjeuner informel avec plusieurs personnes, un peu emblématiques de l’entreprise
dont on est sûr côté valeurs qu’elles seront garantes de la culture de l’entreprise ». Au final, la
décision est prise collectivement. Tous les « trublions » ont potentiellement leurs mots à dire.
Le candidat doit démontrer qu’il ne veut pas être un salarié mais qu’il rejoint une Aventure et
qu’il se comportera comme un intrapreneur (porteur d’idées, attitude non passive, prise
d’initiatives…). A ce titre, « sa gourmandise et son amour des produits sont des points clés ».
Enfin, le candidat est encouragé à prendre des risques pour se démarquer : « Une fille s’est
fait livrer dans un colis DHL », « un candidat est arrivé avec un gros bloc de béton sur lequel
était marqué : “CV en béton” ».
Une phase d ’inté gration qui débute dès la prise d e décision
Quand le candidat est en poste, les trois mois de préavis sont exploités. L’un des deux
fondateurs téléphone à l’heureux élu. Ce dernier, avant sa prise de poste, passe de deux à
quatre fois le soir pour participer à un projet. Les adresses mail sont créées et envoyées au
candidat un mois avant son arrivée. Ainsi, ce dernier a déjà basculé chez M&A et « il ne
perçoit pas de rupture quand il se présente à l’entreprise le premier jour ». La première
semaine est une période de célébration. Le candidat arrive le lundi matin, créneau du
« morning briefing » qui commence par un petit déjeuner. « La salle est transformée en
cuisine familiale, on met une petite nappe, on met le couvert, on a des viennoiseries, il y a du
jus de fruit, on se raconte notre week-end. Puis, chaque chef de chantier prend la parole pour
présenter les victoires de la semaine précédente et ensuite il annonce le planning de la
semaine qui arrive. Tout le monde a de la visibilité sur le travail de tout le monde ».
L’investissement dans le recrutement permet à l’entreprise de laisser une grande initiative au
salarié dans sa gestion de carrière afin de se focaliser sur le bien-être de la tribu (tout faire
pour que les « trublions » vivent intensément leur aventure). Une fois recruté, le trublion doit
être capable de créer ses propres opportunités de carrière, de développer ses projets, de
prendre des risques (Do your job). A charge, pour la fonction RH, de se focaliser sur la qualité
du contexte de travail (locaux, ambiance, évènements festifs, dynamiques collectives,
procédures, chartes, cadres…). Les lieux d’implantation de l’entreprise (bananeraie dans le
vocabulaire de l’entreprise : Paris, Lyon, New-York) sont à la fois des espaces de travail, des
lieux de réception permettant de créer des échanges avec le consommateur (portes ouvertes
mensuelles accueillant plus de 500 personnes), des lieux festifs loués à d’autres entreprises
pour organiser des conférences décalées.
Document 2
L’INTERACTIVITE, CONDITION DE TOUT RECRUTEMENT EFFICACE
Par Emmanuel Stanislas, JDN, l’économie demain.
Près de 30% des entreprises françaises sont concernées par des difficultés de recrutement.
Défaut de compétences ou profil inadapté côté postulant, manque de connaissances
candidat côté entreprise.
Se renouveler pour mieux se démarquer
La "guerre des talents" s’intensifie, et le recruteur doit être encore plus proactif, ingénieux et
en veille permanente. L’utilisation des réseaux sociaux évolue pour lui offrir de nouvelles
possibilités. Ils sont notamment utiles à la communication RH et à la recherche du profil idéal
pour 2/3 des employeurs aujourd’hui. Par souci d’efficacité, les DRH sont tenus de revoir
leurs stratégies pour privilégier un recrutement omnicanal leur permettant de s’adapter aux
habitudes et rythmes du collaborateur convoité : plus de 11 % des candidatures déposées sur
la plateforme jobup.ch sont dorénavant envoyées via smartphone ou tablette. Les candidats
plus "passifs" , qui se lassent de faire le premier pas, attendent eux aussi des interactions
originales et des propositions pertinentes, capables de les motiver et de les challenger. Aux
Etats-Unis, ils sont interpelés par les entreprises elles-mêmes lors de "ventes aux enchères",
comme sur Hired.com par exemple, lors desquelles elles sont mises en concurrence sur des
profils candidat recherchés. Le recrutement casse ainsi les codes standards pour devenir plus
mobile et omniprésent. Il prend de nouvelles formes et son processus débute bien avant
l’entretien d’embauche.
La force du digital réside dans sa capacité à créer du lien
Le digital permet à ses utilisateurs de revisiter les normes actuelles de communication pour
gagner en rapidité, proximité, et transparence. Un potentiel que les DRH doivent aujourd’hui
exploiter afin de rendre leurs méthodes d’embauche plus performantes et qualitatives. Le
numérique leur offre une chance de parfaire leur connaissance du candidat et confirmer leurs
choix. Il leur permet également de se rapprocher des talents convoités afin de mieux les
attirer. Les timides initiatives, telles que les speed-recruiting, campagne de recrutement sur
Twitter, job casting, et autres sites de rencontres professionnelles, ne sont ni matures ni
suffisantes.
Recrutement 3.0 : plus d’ interaction pour plus de c onfiance
Afin de se rassurer, le recruteur a besoin de se rapprocher du candidat idéal et de se
familiariser avec son univers. Il fait appel à de nouveaux outils (serious game, chat, blog,
MOOC, etc.) et s’oriente vers un recrutement plus affinitaire et immersif. Intéressé par les
connaissances, mais aussi et de plus en plus par la personnalité, il se concentre sur l’étude des
softs skills du candidat : 29 % des entreprises sont attentives aux expériences associatives ou
sportives du postulant. Un directeur d’une banque d’investissement américaine va même plus
loin et pratique le "test de l’aéroport" : le recruteur profite de l’entretien pour évaluer le degré
de sympathie du postulant en se projetant sur son envie ou non d’être bloqué dans un terminal
avec lui. Plus que jamais, l’entreprise qui recrute veut être sûre de son choix et de la capacité
du candidat à s’intégrer parfaitement à ses équipes. Elle souhaite en apprendre toujours plus
sur ce qu’il est réellement au travers d’échanges mais également de recherches plus poussées.
Tests psychologiques et analyses comportementales en ligne ont de l’avenir pour mettre en
exergue le potentiel du candidat. Une interaction plus vive entre les acteurs du marché de
l’emploi leur permettrait de mieux se comprendre et se rapprocher. Elle sera ainsi en mesure
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d’optimiser les processus et de simplifier les étapes actuelles d’embauche. En étant
convaincus de leur choix, candidat et recruteur n’auraient plus besoin de période d’essai, à
l’instar de la Belgique qui l’a supprimée sans en ressentir aucune conséquence.
THEME 2 LA REMUNERATION
Document 1
SALAIRES : LA LONGUE MARCHE VERS L’EGALITE HOMME-FEMME
Par Laurence Estival, mars 2015, l’Express.
En dépit des avancées, les inégalités de salaires entre les hommes et les femmes
demeurent, y compris chez les moins de 30 ans. Explications.
Nommée directrice de la communication France et Benelux de
Shell, Domitille Fafin, 30 ans, alors responsable des achats de Butagaz, se souvient encore de
son étonnement quand, en 2012, la DRH lui a proposé ce poste. "Je n'avais rien demandé et
voulais m'assurer qu'il n'y avait pas d'erreur! Comme nombre de femmes, je ne savais pas me
mettre en avant." Heureusement pour elle, son employeur l'avait repérée et, quand est venue
l'heure de négocier son nouveau salaire, la discussion n'a duré que cinq minutes. L'existence
de grilles en fonction du niveau de responsabilité limite certes les marges de manœuvre, mais
permet d'atteindre l'égalité salariale entre les sexes.
Connaître sa valeur et oser réclamer
Malheureusement, toutes les entreprises ne sont pas si bienveillantes. Selon une étude1
que
vient de publier l'Association pour l'emploi des cadres (Apec), le salaire médian des hommes
cadres est de 15,7% supérieur à celui des femmes. A profil et fonction identiques, les premiers
gagnent 8,5% de plus que les secondes. Les écarts varient toutefois avec l'âge: de 12,5% chez
les plus de 50 ans à 4% chez les moins de 30 ans. "La génération Y, que l'on pensait plus
prompte à s'affirmer pour réduire ces inégalités, n'a finalement pas modifié profondément la
donne", regrette Viviane de Beaufort, professeur à l'Essec. Les enquêtes réalisées par cette
grande école de commerce sur les salaires à la sortie des diplômés des trois dernières années
enregistrent une différence de 15% entre filles et garçons. Les étudiantes de la promotion qui
se lancera cet été sur le marché du travail bénéficieront pour la première fois de séances de
coaching destinées à rétablir un traitement plus équitable. Au programme: connaître sa valeur
et oser réclamer. "Les employeurs anticipent une plus faible mobilité des jeunes diplômées
dans les cinq à huit ans suivant leur embauche, au moment où ils repèrent les hauts potentiels.
Ils ont alors tendance à les sous-payer. Il faut qu'elles apprennent à répondre à leurs
arguments au lieu de les subir! Aujourd'hui, avoir des enfants n'est plus un problème et ne
signifie pas que les femmes vont mettre leur carrière en sommeil", ajoute l'enseignante.
Majoritaires dans des fonctions moins rémunératrices
Si ces critères culturels expliquent partiellement les inégalités de rémunérations, ils ne sont
pas les seuls. "Les femmes ne parviennent pas toujours à rattraper les écarts du début de
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carrière. Quand elles changent d'entreprise, le nouveau salaire proposé est toujours en relation
avec l'ancien", mentionne Chantal Berard, chasseuse de têtes au cabinet Boyden. "Certaines
fonctions où les femmes sont majoritaires (communication, marketing, RH) sont aussi moins
rémunératrices que d'autres, comme la finance, où les hommes prédominent. Si bien que, à
niveau de responsabilité équivalent, les femmes perçoivent encore des salaires inférieurs à
ceux des hommes", ajoute Olivier de Conihout, directeur général du cabinet d'outplacement
l'Espace dirigeants. L'étude de l'Apec confirme: les inégalités salariales varient en effet de 5,5
% pour les postes dans l'informatique à 14,1% pour les fonctions de direction générale. "Il y a
surtout l'effet plafond de verre, renchérit Philippe Burger, associé capital humain de Deloitte.
Les grandes entreprises ont fait de gros efforts pour remettre à plat leurs grilles salariales,
lisser les différences entre les fonctions et établir des règles identiques pour tous. Mais la
surreprésentation des hommes parmi les cadres supérieurs, et encore plus au niveau du top
management, explique les inégalités persistantes, les femmes étant encore trop peu
nombreuses à ces niveaux de responsabilité." Le combat continue...
Document 2
SALAIRE DES CADRES : LES INEGALITES HOMME-FEMME
PROGRESSENT AVEC L’AGE
Par Dominique Perez, mars 2015, l’Express.
Rien ne semble avoir prise sur l'inégalité salariale entre hommes et femmes. Après 50 ans, les
écarts de rémunération atteignent 12,5 % chez les cadres, d'après une étude de l'Apec.
Les femmes cadres gagnent en moyenne 8,5% que les
hommes, d'après l'Apec. Et les écarts s'accentuent quand elles prennent des postes de
direction.
Reuters/Alex Grimm. Cela commence en début de carrière, mais de manière - presque -
discrète, bien que déjà peu explicable. Avant 30 ans, les écarts salariaux entre hommes et
femmes cadres atteignent près de 5% en moyenne. Avec l'âge, la différence de traitement
devient deux fois plus importante (10% d'écart vers 40 ans) et est en moyenne de 12,5% après
50 ans! Tous âges confondus, l'Apec estime, dans une étude parue ce mercredi*, qu'une
femme cadre perçoit un salaire brut inférieur de 8,5% à celui d'un homme cadre, avec le
même profil et un poste identique dans la même région.
Des écarts selon les fonctions
Seraient-elles avantagées quand elles sont majoritairement présentes dans une fonction, donc
a priori attendues? Contrairement à ce que l'on pourrait penser, c'est l'inverse. La fonction
ressources humaines par exemple, à laquelle on confie en général la mise en œuvre de l'égalité
homme-femme et qui comprend deux tiers de femmes, "présente un écart de salaire à profil
identique de 11,3%". A l'autre extrémité, l'informatique, fonction très masculine avec 80% de
cadres hommes, se révèle moins inégalitaire, avec un écart de 5,5%.
14% de différence pour les postes de direction
Minoritaires aux postes d'encadrement, les femmes sont-elles encouragées à prendre des
responsabilités grâce à une politique salariale avantageuse? Bien au contraire. "Les niveaux
de responsabilité les plus élevés où apparaissent les plus fortes inégalités de salaire sont aussi
ceux où la part de femmes est la plus faible", constate l'Apec.
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Grimper dans la hiérarchie et/ou prendre une responsabilité de management accentuent même
les différences. Pour la responsabilité d'une équipe comprenant sept cadres et plus, un homme
ne gagne 10,8% de plus qu'une femme, à la tête d'une équipe de même taille et aux
caractéristiques proches (en termes de fonction, tranche d'âge, ancienneté, région et de
diplôme).
Pour un poste de direction d'entreprise, cet écart atteint.... 14%! Rattraper ce retard va
supposer une mise en œuvre rapide de la loi sur l'égalité hommes-femmes...et un changement
profond d'habitudes apparemment bien ancrées.
THEME 3 : L’ORGANISATION
Document 1
LES GRANDES ENTREPRISES VONT PERDRE LA BATAILLE DES
TALENTS
Par François Dupuy, sociologue des organisations, Les Echos, 2015.
Attirer et retenir les talents est devenu pour les grandes entreprises un enjeu majeur pour faire
face à une concurrence toujours plus exacerbée. Ce sont eux qui détiennent la clef des succès
futurs : la capacité à innover. Elles consacrent à cette tâche beaucoup de moyens et d'énergie :
lobbying auprès des étudiants des grandes écoles, programmes de formation spécifiques, «
packages » financiers attractifs et j'en passe. Or en dépit de ces efforts, toutes constatent la
tendance de ces jeunes talents à quitter l'entreprise pour se diriger vers des structures plus
légères, plus « agiles », voire pour se lancer dans l'aventure de la création ou de l'activité en
free-lance. Où est l'erreur ? Elle réside, comme souvent, dans l'incapacité chronique des
entreprises à développer une approche systémique de leurs actions. Garder les talents, dans
leur vision segmentée, c'est le travail des RH (ressources humaines), chargées de créer les
conditions d'attractivité qui vont amener les jeunes pousses les plus prometteuses à s'engager
et à consacrer toute leur énergie à cette entreprise qui leur voue une telle attention.
Parallèlement, construire une organisation efficace, c'est le rôle de quelques cabinets qui
tiennent le haut du pavé et dont les recommandations sont parole d'évangile. C'est là que le
bât blesse. Car, si l'on écoute ces jeunes des deux côtés de l'Atlantique, on perçoit sans peine
ce qui les rebute, bien au-delà des conditions matérielles le plus souvent très généreuses qu'on
leur propose. Ce qui provoque leur répulsion et leur envie d'aller voir ailleurs, ce sont les
univers bureaucratiques dans lesquels on leur demande de travailler.
Ces bureaucraties, faites de multiples process stérilisants, d'indicateurs inutiles et
contradictoires, et autres procédures qu'il faut en permanence contourner pour pouvoir
travailler, ce sont les entreprises elles-mêmes qui les fabriquent jour après jour, quels que
soient par ailleurs les avertissements qu'elles reçoivent, dont le départ de ces jeunes « hauts
potentiels » n'est pas le moindre. Elles y mettent un acharnement et une constance qui n'ont
rien à envier à ceux que l'Etat déploie pour réglementer de façon toujours plus serrée toutes
les activités humaines alors même que les aspirations à la liberté se font de plus en plus
pressantes. De ce point de vue, comme de bien d'autres, entreprises et Etat, même combat.
Voilà un remarquable effet pervers de la segmentation bureaucratique dans laquelle se
meuvent aujourd'hui les entreprises : elle rend quasi impossible de mettre en relation deux
éléments qui relèvent de deux segments différents. Ce faisant, elle ne permet pas d'anticiper
l'impact d'une décision (de plus en plus de process pour être certain de tout contrôler) sur des
comportements (l'attachement à l'entreprise) dont la gestion relève en théorie des ressources
humaines. Peut-on espérer que les entreprises comprennent ce phénomène finalement assez
simple et s'en emparent pour en changer la logique ? On peut en douter. Les dirigeants sont de
plus en plus accaparés par la gestion financière et les pressions qui pèsent sur eux. Ils savent
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peu de chose sur ce qui se passe chez eux et délèguent ces questions cruciales à ceux qui sont
chargés du « reste », en fait tout ce qui ne relève pas de la finance.
Et pourtant ce sont les seuls qui pourraient impulser une transformation profonde de modes de
fonctionnement finalement aussi tayloriens qu'il y a cent ans. Car ces bureaucraties, qu'elles
soient publiques ou privées, ont une telle capacité à tester, avaler et digérer toutes les
innovations managériales qu'elles vivent bien plus dans un rituel convenu et protecteur que
dans la mise en œuvre d'actions susceptibles de bousculer les équilibres internes. Ce que les
dirigeants ne peuvent ou ne veulent pas faire, ce que les bureaucraties s'efforcent de conserver
va accélérer la tentation des jeunes à aller voir ailleurs, là où la bureaucratie déprimante n'est
pas.
Document 2
L’EMERGENCE ET LES ENJEUX DU MARKETING DES RESSOURCES
HUMAINES
Par Stéphanie Thieyre, Centre de ressources en économie et gestion, 2010.
Associer marketing et ressources humaines peut paraître incongru. Les ressources humaines
ont une certaine aura, un relatif sérieux, qui semble en dissonance avec le domaine du
marketing. Il est en effet encore à déplorer en France une image parfois dévalorisée de la
fonction marketing dont le stéréotype de l’employé s’approche plus du « vendeur de tapis »
que de l’expert en communication. C’est gravement méconnaître la rigueur dont les hommes
et les femmes doivent faire preuve dans un service marketing. Les crises économiques se
succèdent et une partie de la population active a des difficultés à trouver du travail.
L’individualisme devient prédominant, il est d’autant plus vital de créer de nouvelles
solidarités, au sein de l’entreprise. Ces problématiques sont sensibles car nous évoluons dans
un monde complexe où le marché du travail est une variable clef de l’insertion sociale. Le
service ressources humaines est au cœur de l’organisation et cristallise toutes les attentes, en
termes de performance, motivation et pérennisation de l’activité. C’est dans cet état d’esprit
que les responsables des ressources humaines vont devoir apprendre à se servir de techniques
issues du marketing pour attirer leur futur employé (le séduire), l’intégrer (l’accueillir) et
l’inciter à rester dans l’entreprise (le fidéliser).
1. Le plan marketing RH
Le marketing est un outil déterminant lorsqu’un marché est caractérisé par une raréfaction de
ses ressources. C’est ce qui arrive au marché des ressources humaines qualifiées. En ce sens,
les entreprises qui disposent d’un personnel compétent et fidèle, ont très clairement un
avantage concurrentiel. Adopter le concept novateur de « plan marketing RH » permet de
mettre en place une stratégie d’entreprise à long terme.
Un concept novateur
Le temps où les entreprises se satisfaisaient d’employés peu qualifiés et peu motivés par leur
travail est révolu. Aujourd’hui la qualité des membres de l’organisation est essentielle car la
diminution des structures implique une plus grande polyvalence de ses membres. On entend
parfois le vocable « cliemployés », qui signifie que l’entreprise doit connaître ses employés
comme ses clients, pour utiliser au mieux leurs compétences et les fidéliser. Les entreprises
doivent quitter leurs positions défensives et passer à l’offensive. Elles ne doivent plus se
contenter d’attendre que des individus postulent spontanément, mais cibler le type d’employés
dont elles ont besoin et les inciter à candidater au sein de leur organisation. Cette démarche
implique différenciation et segmentation. Elles doivent connaître leur image en interne et à
l’extérieur de l’entreprise. Un ancrage dans le passé doit permettre de consolider son identité,
affirmer ses valeurs pour mieux affronter l’avenir.
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Un enjeu stratégique
A partir de cette démarche, de cette analyse interne, une entreprise peut se différencier de ses
concurrentes, au niveau de la gestion de ses ressources humaines. Les organisations ont en
effet investi massivement dans la recherche et développement, les technologies de
l’information, et se sont aperçues que les aspects humains devenaient prépondérants pour le
maintien de leurs atouts stratégiques. La première étape va alors consister à attirer et intégrer
les nouveaux collaborateurs.
2. Attirer et intégrer les nouveaux collaborateurs
Définir une stratégie d’ « employer appeal » consiste à mettre en avant l’entreprise, à la rendre
attractive pour ses employés et également pour ceux susceptibles de la rejoindre.
Etre attractif
Comme nous l’avons dit précédemment Il faut trouver des éléments objectifs qui vont
constituer l’identité de l’entreprise et la différencier par rapport aux autres acteurs sur le
même marché : donner du sens à son histoire, retrouver ses valeurs fondatrices et les rendre
concrètes au quotidien. A partir de ce constat, une dimension subjective peut être sous-jacente
et signifier son positionnement, ce qu’elle souhaite être dans l’idéal. En général la notoriété de
l’entreprise est fragile et relative. Il faut nécessairement la mesurer, la renforcer ou la
construire dans le cas de certaines PME. C’est en partie nécessaire car les employés sont
souvent dans une démarche de reconnaissance sociale, grâce en particulier à leur activité
professionnelle. De plus cette notoriété facilitera le recrutement de nouveaux collaborateurs,
ainsi que leur fidélisation.
Le recrutement
Il faut donc connaître son « image employeur » pour la valoriser, en faire un point clef pour se
différencier, voire mettre en place des actions correctives, si elle était erronée. Le métier de
l’entreprise ou ses métiers doivent être distinctement définis, de manière à assurer une
certaine clarté par rapport au positionnement choisi. Cette mise en perspective permet de
réfléchir quant aux besoins en ressources humaines de l’entreprise et à anticiper l’avenir. Les
objectifs de cette stratégie définis, il est nécessaire d’organiser une veille systématique du
positionnement marketing RH de ses concurrents, afin d’affiner son positionnement.
Vient ensuite le choix des canaux de recrutement qui nécessite de se poser les deux questions
suivantes :
le canal de recrutement correspond-il à la cible déterminée ?
ce mode de recrutement est-il cohérent avec l’image-employeur ?
En fait tout dépend du niveau de sélectivité désiré, du profil de candidat recherché. Il est
toujours nécessaire de qualifier précisément la cible en amont et d’étudier les canaux de
recrutement en aval. A l’issue de cette étape, on peut affiner le processus de recrutement,
mieux cibler sa communication et optimiser les coûts liés au recrutement. Le coût dépend en
effet de la communication mais aussi du traitement des candidatures. Plus l’entreprise ciblera
précisément le type de recrues qu’elle désire, moins elle aura de candidats à évaluer. Elle
optimisera par conséquence le processus de recrutement. Une segmentation réussie et un
choix cohérent des canaux de recrutement va permettre de réduire quantitativement le nombre
de candidats et d’en augmenter qualitativement la pertinence et le traitement. Personnaliser la
relation avec le candidat est l’objectif recherché dès cette étape.
L’ ac cueil et l’inté gration
Les nouvelles recrues doivent ensuite être accueillies et intégrées au sein de l’entreprise.
Accueillir c’est par exemple prévoir une visite guidée des locaux, disposer d’un livret
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d’accueil pour les nouveaux employés. Idéalement un séminaire d’intégration peut être
envisagé lorsque l’entreprise recrute plusieurs personnes en même temps et doit s’assurer que
leur intégration est réussie. Les premiers mois écoulés après un recrutement et une intégration
soignés, entrent en ligne de compte pour la fidélisation du « cliemployé ».
3. Fidéliser le collaborateur
Fidéliser ses employés, maintenir une relation durable, devient un des principaux enjeux du
marketing des ressources humaines. On rejoint encore une fois l’idée que fidéliser est plus
pertinent que conquérir, comme dans le domaine commercial, car moins aléatoire. Disposer
au sein de l’entreprise d’un personnel loyal et compétent est un avantage concurrentiel.
Devoir remplacer des salariés démotivés, qui auraient quitté l’entreprise, représente un coût
en termes de recrutement mais aussi d’intégration, comme nous venons de le voir. Pour ces
raisons, il faut diminuer le turnover, être conscient que les candidatures se raréfient dans de
nombreux métiers, et développer un management de fidélisation.
Fidéliser, c’est motiver ses employés, les impliquer au sein de l’entreprise et les aider à
atteindre des objectifs personnels de développement individuel. On perçoit une dimension
émotionnelle dans la fidélisation, qui peut constituer un facteur d’enrichissement pour
l’organisation dans son ensemble. Les sphères professionnelles et personnelles sont de plus en
plus liées, et les conditions de travail ont un impact direct sur l’équilibre de l’individu. Les
salariés ne sont plus uniquement motivés par le niveau de rémunération et les perspectives de
carrière, mais beaucoup sont sensibles aux notions de sécurité, solidarité et éthique, qui
peuvent donner aux individus la confiance perdue en l’avenir. La relation est alors perçue
comme étant gagnant/gagnant.
Fidéliser ses collaborateurs, c’est leur donner des repères, la possibilité de choisir de
s’impliquer en fonction de perspectives court-termistes. Les employés ont souvent une
relation ambivalente avec l’organisation : ils souhaitent bénéficier de formations, être intégrés
dans des projets innovants, mais n’ont pas nécessairement le désir de faire carrière dans la
même entreprise.
Gérer les carrières
L’entreprise doit accorder au salarié des perspectives d’évolution. Il ne s’agit pas forcément
de carrières qui permettent de monter hiérarchiquement, on constate de plus en plus de
carrières dites « plates », lato sensu. Cela signifie une évolution dans les métiers, grâce à la
formation, en fonction des besoins de l’entreprise ou des désirs du salarié.
Le modèle des ancres de carrière de Schein (1978) permet de comprendre les facteurs qui vont
conditionner les choix des individus dans la gestion de leur carrière. Au fur et à mesure que
les individus progressent dans l’organisation, ils développent ce que Schein appelle un «
career self-concept » (concept de sa propre carrière) qui résulte de l’interaction entre
l’individu et son milieu de travail. Lorsqu’un salarié doit faire un choix professionnel, il a
recours à une ancre de carrière « dominante » qui constitue une affirmation de ce qu’il estime
comme étant « juste » professionnellement. Il existe actuellement 11 ancres de carrière
identifiées par la communauté des chercheurs en sciences de gestion. Les neuf premières
ancres ont été définies par Schein : gestion, compétence technique/fonctionnelle, sécurité,
stabilité, créativité entrepreneuriale, autonomie/indépendance, service/dévouement à une
cause, défi, style de vie ; une ancre a été définie par DeLong (1982) : l’identité et l’ancre
d’internationalité, mise en évidence par Suutari et Taka (2004).
Ces ancres de carrière peuvent être identifiées parmi le personnel de l’entreprise et permettre
ainsi de segmenter et fidéliser les employés. D’après Schein, une seule ancre de carrière guide
et oriente l’individu dans ses choix professionnels. Une ancre de carrière ne changerait pas
dans le temps, et ne se manifesterait explicitement que dans des expériences liées au travail.
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Cette position, qualifiée de « dominance unidimensionnelle », est celle de Schein. Derr
(1986), Feldman et Bolino (1996), Suutari et Taka (2004), Yarnall (1998) remettent en cause
cet artefact. Pour ces chercheurs le phénomène des ancres de carrière est multidimensionnel :
certaines ancres s’attirent mutuellement, d’autres se repoussent. Plusieurs modèles de
recherche sont en cours d’élaboration pour tenter de clarifier le sujet.
Des questionnaires existent, qui permettent de positionner les employés, en fonction de ces
ancres de carrière. Il peut être bénéfique pour l’entreprise de savoir où son personnel se situe,
grâce à cette grille de lecture, afin de cibler ses actions de fidélisation de manière opportune.
Encourager et récompenser
Fidéliser, c’est aussi reconnaître le travail de ses collaborateurs. Il est donc important de
mentionner que les encouragements et les récompenses ne constituent pas un moyen d’action
puéril mais une dimension à prendre en compte dans la gestion des ressources humaines. La
reconnaissance ne doit pas être réservée à une partie du personnel mais être accordée à tous
les salariés. La question de la rémunération est parfois présentée comme essentielle, mais
beaucoup d’individus ne se sentent pas respectés dans leur travail et manquent de
reconnaissance. Or pour encourager chacun et récompenser les plus méritants, il faut
connaître les salariés, savoir ce qu’ils accomplissent au quotidien et les suivre régulièrement.
Les initiatives doivent être saluées et toutes les suggestions prises en considération. En
conclusion, le profit est incontestablement un des principaux objectifs de l’entreprise, mais
l’intégration sociale des individus est également nécessaire pour engendrer une certaine
stabilité politique dans l’organisation et l’optimisation des ressources. Le marketing RH
devient ainsi un enjeu stratégique, pour les entreprises et pour la société.
Appliquer les règles du marketing à la gestion des ressources humaines s’avère indispensable
dans un contexte d’intense compétitivité internationale, pour recruter les meilleurs éléments et
les faire évoluer au sein de l’entreprise. Le processus de planification des ressources humaines
et le développement du personnel doivent prendre en compte deux ensembles importants de
besoins : ceux de l’entreprise et ceux des employés.
Document 3
LA GESTION DE LA DIVERSITE AU SEIN DES ORGANISATIONS
Par Céline Attali, novembre 2013, centre de ressource en économie gestion.
En France, comme dans de nombreux autres pays européens, la diversité est désormais une
approche managériale qui fait partie du discours stratégique des dirigeants. Même si cette
approche recouvre différentes logiques, elle nécessite la mobilisation de tous dans un objectif
de justice sociale. L’encadrement juridique de la lutte contre les discriminations a été un
déclencheur de pratiques managériales orientées vers la promotion de la diversité. Cette
diversité, qui reflète notre société, constitue un enjeu économique et sociétal pour les
entreprises. Dans les organisations modernes, dont les frontières sont de plus en plus élargies,
manager la diversité est une évidence, un fait auquel elles sont confrontées. Comment font-
elles pour réagir ?
INTRODUCTION
L’article 1 de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations énonce
« Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement, ou de l’accès à un
stage ou à une période de formation en entreprise ; Aucun salarié ne peut être sanctionné,
licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en
matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de
classification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, en
raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de
12
sa situation de famille, de son appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, à une nation ou à
une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses
convictions religieuses, de son apparence physique, sauf inaptitude constatée par le médecin
du travail... Et en raison de son état de santé ou de son handicap. » Depuis 2001, l’évolution
de la législation en matière d’égalité professionnelle s’impose aux organisations de manière
de plus en plus ciblée. Que ce soit la loi de 2006 sur l’égalité de salaire homme/femme, puis
la loi de 2005 relative à l’égalité des droits et des chances des travailleurs handicapés, ou
encore la loi de 2010 sur les séniors, les organisations doivent faire face aux mutations de
l’environnement et à sa complexité tout en réfléchissant aux enjeux d’un management pluriel,
d’un management responsable et équitable. La Responsabilité Sociétale de l’Entreprise est
désormais un levier de performance pour l’entreprise et le lancement en 2004 par un
mouvement patronal de la Charte de la Diversité représente une véritable prise de conscience
des dirigeants de l’enjeu que représente le management de la diversité qui vient compléter les
dispositifs déjà existants de lutte contre la discrimination et pour l’égalité au sein de
l’entreprise. Le management de la diversité peut être défini comme le management des
personnes dans la valorisation de leurs différences respectives et celle de la mise en commun
de ces différences (BENDER 2006). Dans les organisations modernes, où les structures sont
élargies, les entreprises fonctionnent en réseau, le management de la diversité est une
préoccupation et un fait devant lequel l’organisation doit réagir. Pour THOMAS &
ELY(1996), la diversité peut être définie comme « les perspectives et les approches variées
du travail que les membres de groupes aux identités différentes peuvent apporter ». Il faut
entendre par identités différentes des caractéristiques spécifiques observables (par exemple
l’âge, le sexe, l’origine ethnique), mais aussi des caractéristiques spécifiques non observables,
par exemple l’orientation sexuelle ou bien les convictions religieuses). Cf. tableau. Toutes ces
spécificités sont très souvent représentées au sein de l’entreprise et il incombe alors aux
managers Ressources Humaines comme aux managers de proximité de gérer cette diversité.
Au regard de l’étendue des critères à prendre en compte, nous pouvons nous demander
comment la diversité est gérée au sein des organisations.
La diversité, une préoccupation incontournable dans la gestion des Ressources Humaines
Le management de la diversité peut se définir comme « l’ensemble des politiques, dispositifs
et acteurs qui relèvent, de façon implicite ou explicite, de la lutte contre les discriminations et
de la recherche de l’égalité des chances pour tous, au sein des entreprises et des organisations,
dans l’intention de promouvoir la reconnaissance des différences comme une richesse pour
chacun et pour l’organisation. » (BARTH et FALCOZ).
Dans un premier temps, pour répondre à cet impératif, ce sont les institutions
gouvernementales qui vont initier la promotion de la diversité.
C’est en 2001 que le concept de diversité fait son apparition en France, à grands renfort de
lois, appuyé par l’initiative patronale de mise en place de la Charte de la Diversité (2004) dont
l’objectif est de « promouvoir l’application du principe de non-discrimination, et à chercher à
refléter la diversité de la société française ». Cependant, l’approche de la diversité tend à se
confondre avec celui de l’égalité. En effet, à la fin des années 70, apparaissent aux Etats Unis,
les politiques d’affirmative action de Roosevelt R. Thomas (traduire discrimination positive)
qui met en avant la dichotomie du contenu de la diversité. D’un côté la diversité est assimilée
à l’égalité qui vise l’équilibre du partage, de l’autre côté, la diversité est une norme autonome
qui représente le niveau supérieur de la discrimination ; ainsi, la gestion de la diversité
reviendrait à lutter efficacement contre les discriminations. Et promouvoir la diversité
reviendrait à augmenter le nombre d’individus issus de groupes sociaux différents. Dans ce
contexte, l’expression « plafond de verre » fait son apparition à la fin des années 80, et en
1997, le Bureau International du Travail (BIT) définit le « plafond de verre » comme «
l’ensemble des barrières invisibles, artificielles, créées par des préjugés comportementaux et
13
organisationnels, qui empêchent les femmes d’accéder aux plus hautes responsabilités ». Le
management de la diversité prolonge le discours de l’Affirmative Action et tend à se
préoccuper, dans un premier temps, des mesures antidiscriminatoires afin de respecter la
législation existante.
Dans un second temps, les entreprises se sont appropriées le concept de diversité en
l’élargissant aux conséquences économiques de la gestion de la diversité en reconnaissant que
les différences entre les individus, liées à leurs appartenances ou non à certains groupes
protégés par la loi contribuent à la performance économique de l’organisation. Il s’agit de
valoriser toutes les différences observables ou non, y compris les compétences et les cultures.
Désormais, si la diversité s’entremêle toujours quelque peu avec le principe d’égalité, elle
n’en demeure pas moins une valeur fondamentale et un enjeu déterminant pour toutes
organisations. Dans ce contexte, ces dernières ont pour objectif d’organiser la coordination
des nombreux acteurs différents par divers aspects. Nous pouvons alors concevoir que
l’intérêt de la diversité est l’enrichissement collectif plus qu’une redistribution égalitaire. Il
s’agit donc pour l’entreprise d’accroitre la présence d’individus d’horizons divers et variés.
Pour de nombreuses entreprises françaises, la diversité est abordée sous l’angle du
multiculturalisme. Gérer la diversité peut alors consister en un renouvellement et un
enrichissement des ressources humaines présentes. La gestion de la diversité au sein des
organisations rassemble les individus autour d’une culture commune, basée sur l’égalité, le
respect d’autrui et de ses différences. Selon J.M. PERETTI, cette reconnaissance des salariés
dans les valeurs de leur entreprise est un enjeu économique pour la Direction des Ressources
Humaines dans la mesure où elle augmente leur adhésion, leur implication et leur motivation,
donc leur engagement.
Au-delà de l’enjeu économique, la gestion de la diversité répond à un enjeu social. Certes, les
ressources humaines constituent un avantage concurrentiel pour toute organisation, mais
désormais, l’organisation doit répondre aux besoins supérieurs et aux attentes sociales des
salariés. Il faut ajouter à cela que la crise économique amène la société civile à exiger un
comportement socialement plus responsable des entreprises. Le développement des politiques
de RSE dans lesquelles s’inscrivent la lutte contre les discriminations et la promotion de la
diversité s’imposent aux organisations. L’environnement économique et social des
organisations évolue et se complexifie. La gestion de la diversité peut permettre aux
dirigeants de s’adapter à ce « nouveau monde ». En effet, les contours démographiques
(vieillissement de la population active) et la mondialisation de l’économie justifient la
nécessité du recours à une diversité culturelle dans une stratégie de développement
international et d’ouvertures de marchés. Ces impératifs économiques s’ajoutent aux
exigences légales et l’organisation a pour objectif de se mettre en conformité avec la loi en
rectifiant certaines pratiques et certains processus. Le management de la diversité implique un
changement profond, la modification des process et des comportements. Il inclut de nouveaux
modes d’apprentissage et de travail. Les managers piloteront efficacement le projet «
promotion de la diversité » en respectant les étapes ci-dessous :
• sensibiliser des acteurs aux enjeux de la diversité,
• informer des changements en matière de gestion des ressources humaines,
• communiquer sur les actions, et sur leur planification dans le temps,
• se doter des moyens indispensables pour mettre en œuvre la politique de diversité.
Dans le domaine de la GRH, la diversité permet de résoudre le problème du manque de main
d’œuvre structurel ou conjoncturel. Plusieurs études européennes montrent que les entreprises
commencent à faire face à un déficit de main d’œuvre appropriée dans leur domaine
d’activité. Il leur faut donc attirer des talents et de compétences venus d’horizons divers pour
accroitre la qualité de la main d’œuvre. De plus, la promotion de la diversité est source de
performance dans la mesure où elle permet de renforcer les valeurs culturelles au sein de
l’organisation, d’assurer sa notoriété, de retenir les collaborateurs performants, de motiver et
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de favoriser la créativité des salariés, de faciliter la collaboration et le travail d’équipe. D’un
point de vue commercial, une main d’œuvre diversifiée permet à l’entreprise de mieux refléter
la diversité de la société et donc de mieux comprendre les besoins sa clientèle.
Comment gér er au mieux la diversité ? Mise en œuvre dans les entreprises et les or ganisations
Pour promouvoir et bien manager la diversité, les principales actions à mener sont d’ordre
éthique, organisationnel et humain. L’impact des actions de promotion de la diversité sur la
performance de l’entreprise sera plus important si ces actions sont menées sur le long terme et
en impliquant le plus grand nombre. Si la Direction des Ressources Humaines est au cœur de
ces politiques, les managers opérationnels et de proximité sont au plus près du terrain et du
vécu des collaborateurs. Les mesures prises en faveur de la diversité seront alors diffusées
largement au sein de l’entreprise afin que tous les acteurs internes soient concernés. «
Accompagner la mise en place de la gestion de la diversité d’une campagne de
communication pourrait être un mode de légitimation, tant auprès des salariés ; que de leurs
responsables hiérarchiques ou que des candidats potentiellement intéressés » (BENDER &
PIGEYRE). Comme nous l’avons vu précédemment, les revendications des salariés ne sont
plus uniquement salariales, mais elles portent également sur les conditions de travail et le bien
être dans l’entreprise. Ce sont donc tous les aspects de la fonction R.H. qui sont impliqués,
depuis les responsables paies, en passant par les responsables du recrutement, et ceux de la
communication, une attention particulière doit être portée au développement social et humain.
Si les entreprises sont de plus en plus convaincues de l’importance de gérer la diversité, les
méthodes employées ne sont pas toujours évidentes à mettre en œuvre. Les entreprises
mettent également en évidence la difficulté à évaluer les résultats de cette gestion. Car avant
toute chose, les responsables Ressources Humaines doivent faire correspondre les besoins de
main d’œuvre avec les besoins de l’entreprise, c’est-à-dire trouver des candidats « divers »
tout en répondant aux exigences de l’organisation et de ses parties prenantes. Les partenaires
sociaux sont associés à cette démarche dans le cadre d’accords sur l’égalité professionnelle et
la cohésion sociale. Certains acteurs économiques ont souhaité dépasser le cadre institutionnel
et légal en matière de diversité. Ce sont les « entrepreneurs de la diversité » dont Claude
BEBEAR est à la tête, qui ont mis au point la Charte de la Diversité, puis le Label Diversité
(2008). Dirigeants de grands groupes, experts et consultants en Ressources Humaines se
réunissent autour du thème de la diversité. L’Association Nationale des Directeurs de
Ressources Humaines (ANDRH) constitue une commission « diversité ».
Dans chaque cas, les dispositifs de management de la diversité préconisés sont :
• l’élaboration d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs,
• l’analyse des obstacles à la promotion de la diversité,
• le chiffrage des objectifs,
• l’élaboration de plans d’actions,
• la mise au point d’un budget,
• la rédaction de procédures,
• la rédaction d’audits et de rapports spécifiques.
Les dirigeants et managers en charge du projet devront alors veiller à ce que l’ensemble de
ces dispositifs soit coordonné et mené de façon équilibrée. Les indicateurs peuvent être des
plaintes de salariés ou des tableaux de bord reprenant la répartition des effectifs par type de
diversité (âge, sexe, etc.). L’existence de multiples indicateurs rend indispensable leur
évaluation et leur mesure. L’AFNOR énonce (domaine 5 : évaluation et axes d’amélioration
de la politique diversité) pour l’obtention du Label Diversité : « l’organisation doit définir et
mettre en œuvre des outils adaptés pour mesurer la diversité quand cela est possible ; pour
analyser ses pratiques, pour identifier les plaintes internes ou externes provenant de remontées
directes et/ou via les partenaires sociaux, des entretiens d’évaluation, des collaborateurs
quittant l’entreprise. Ces outils doivent garantir la confidentialité et/ou l’anonymat.
L’organisme doit évaluer la satisfaction de son personnel en matière de diversité ». Les
15
méthodes et outils utilisés par les entreprises sont divers et variés. Observatoire de la parité et
de la diversité, création de commission éthique, « Monsieur Diversité » chez PSA Peugeot, «
Monsieur Responsabilité Sociale » chez Adecco, actions de formation des salariés à la
diversité, à la lutte contre la discrimination, formations linguistiques, … autant de pratiques
que les organisations entreprennent en faveur de la promotion de la diversité. Pour
promouvoir la diversité, les entreprises ont donc mis au point des outils tels que la formation
des cadres à la gestion de la diversité, des audits réguliers, des procédures de reporting etc.
Ainsi, l’Association Française de Managers de la Diversité (AFMD) et le groupe de pensée
EquityLab, se sont associés à onze grandes entreprises dont l’Oréal, BNP PARIBAS, La
Poste, Areva, pour mettre au point 85 indicateurs. Recrutement, intégration dans l’entreprise,
accès à la formation, évolution professionnelle, rémunération, sanctions, départs de
l’entreprise ou encore communication sur la politique de la diversité, etc. Ces informations
permettent d’évaluer pour chaque dimension de la vie en entreprise plusieurs indicateurs,
certains « prioritaires », d’autres « optionnels » selon l’activité de l’entreprise. De cette façon,
des outils de mesure sont opposables aux parties prenantes et influent sur la stratégie de
l’entreprise grâce à la rédaction d’un rapport standardisé et accessible au public.
En France, ce qui ressort de ces études c’est la préoccupation des managers Ressources
Humaines autour de quatre grands axes de la diversité qui sont :
• le recrutement des jeunes diplômés,
• le recrutement et le maintien dans l’emploi des salariés les plus âgés ou
handicapés,
• la parité homme/femme,
• l’embauche de collaborateurs d’origines sociales et ethniques différentes.
Dans ce contexte, les axes d’action définis pour la signature de la Charte de la Diversité sont
les suivants :
• formaliser son engagement pour la promotion de la diversité,
• sensibiliser les acteurs au projet,
• former les salariés concernés,
• améliorer les pratiques R.H.,
• communiquer à l’externe,
• instaurer un dialogue social,
• faire son bilan diversité pour l’obtention, entre autres, de la norme AFNOR, le
Label Diversité.
Le label Diversité est le témoignage de l’engagement des organismes en matière de
prévention des discriminations, d’égalité des chances et de promotion de la diversité dans le
cadre de la gestion des ressources humaines. Le label consiste à répondre précisément aux
items d’un cahier des charges spécifique et à se soumettre à l’avis d’une commission externe
multipartite composée d’experts et de parties prenantes. Il est délivré aux organismes pouvant
attester de leur exemplarité en matière de diversité. Que ce soit la signature de la Charte ou
bien l’obtention du Label, les organisations ont la volonté de mettre en avant une attitude de
transparence en ciblant les actions. Pratiquement, les entreprises adaptent les postes de travail
pour les travailleurs handicapés, les rythmes de travail et les temps de travail pour les femmes
afin qu’elles puissent concilier vie privée et vie professionnelle, et pour certains salariés qui
ont des observances religieuses spécifiques. Dans ce cadre ci, le télétravail peut constituer un
outil de promotion de la diversité puisqu’il offre la possibilité aux salariés de gérer de façon
plus ou moins autonome leur temps de travail. Dans les petites et moyennes entreprises qui
mènent des actions de promotion de la diversité, la transmission des savoirs et des
compétences ainsi que le développement du tutorat sont privilégiés. C’est véritablement au
travers des actions menées par les entreprises de taille importante que nous vérifions que la
politique « diversité » est un véritable levier de performance Ressources Humaines.
16
Nous illustrerons notre propos par quelques exemples concrets tels que Bouygues Télécom,
Groupe TF1 ou le Groupe bancaire LCL.
Le premier, Bouygues Télécom, s’est vu attribuer en juillet dernier le Label Diversité
(AFNOR) grâce aux actions ci-dessous :
• création du réseau féminin « Bouygt’elles » et la mise en place du mentoring dans
le cadre du programme « femmes et management » qui vise à favoriser la
progression des collaboratrices à tous les niveaux de management,
• lancement du tour de France de la Diversité dans le but de sensibiliser les
collaborateurs et de faire connaitre les actions de la direction « égalité des chances
et diversité »,
• signature de la Charte de la Parentalité en Entreprise pour garantir l’équilibre entre
vie professionnelle et vie familiale des collaborateurs.
Le deuxième exemple est celui du groupe TF1 dont l’objectif est de refléter la diversité de la
société française à travers l’ensemble des programmes des différentes chaines du groupe. Le
groupe s’est engagé au-delà de ses programmes dans une stratégie de responsabilité sociétale
en encourageant les projets éducatifs et l’insertion professionnelle des jeunes. En 2012, TF1
s’associe à l’équipe « Team Jolokia », le premier équipage mixte et diversifié (sexe, origine
ethnique, handicap, âge …) qui prend le départ de courses à la voile prestigieuses. L’objectif
est de démontrer que la diversité est source de créativité et de performance (sur un bateau
comme au sein d’une entreprise). En interne, TF1 travaille aussi sur la promotion de la
diversité en encourageant l’aspect relationnel et interactionnel entre les salariés de tous
horizons.
Quant au groupe bancaire LCL, son partenariat avec l’association « Nos quartiers ont du
talent » met en avant la volonté des dirigeants d’insérer les jeunes des quartiers difficiles dans
un parcours professionnel. Il s’agit d’offrir une possibilité d’emploi aux jeunes de moins de
30 ans, d’un niveau BAC plus 4 et issus de quartiers sensibles. Cette association met en
relation les entreprises partenaires et les jeunes concernés via une CVthèque ; les jeunes dont
il est question sont souvent pénalisés à l’embauche en raison de leur lieu de résidence et de
leur manque de réseau relationnel. Certains managers du groupe sont même volontaires pour
parrainer l’un de ces jeunes et ainsi faciliter leur insertion professionnelle et leur faciliter
l’accès à leur réseau. De nombreuses autres grandes structures se sont lancées dans des
actions concrètes de promotion de la diversité car elles sont bien conscientes, ainsi que les
managers concernés, de la nécessité de gérer la diversité. Cependant, il leur apparait moins
facile de définir clairement le terme « diversité », et cela constitue un obstacle à la
détermination des contours réels du management de la diversité.
CONCLUSION
A travers toutes les approches et toutes les actions menées par les entreprises, nous voyons
bien ici toute la difficulté de gérer la diversité. Car si la majorité des grands groupes sont
conscients des avantages liés à un personnel diversifié, et si ces mêmes grands groupes
communiquent sur la diversité (signatures de chartes, sites Internet), seule la moitié définit
véritablement le terme « diversité ». Les approches traditionnelles de la diversité recouvrent
essentiellement l’égalité homme/femme et les minorités ethniques. Grâce à l’intervention des
associations et des groupes de pensée, le concept de diversité s’élargit de plus en plus pour
considérer les différences de style de vie et de religion. Ceci permet aux organisations de
refléter la société civile dans laquelle elles agissent et de mieux répondre à ses attentes. Même
si le management de la diversité n’inclut pas encore tous les aspects de la diversité, il veille à
créer un climat de travail favorable et constitue un avantage compétitif durable. S’il incombe
aux managers Ressources Humaines d’encadrer les projets « diversité » c’est qu’ils doivent
justifier leurs actions vis-à-vis des différentes parties prenantes et démontrer que la gestion de
la diversité est bien un impératif de long terme qui doit désormais être incluse dans la
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stratégie de l’entreprise. Cette tâche se révèle parfois difficile pour les managers car encore
très peu d’entreprises européennes évoquent la nécessité de former les collaborateurs sur la
diversité.
Document 4
RSE : ET SI ON TRANSFORMAIT L’ESSAI ?
Par Bruno Colin / Associate Partner en charge des stratégies RH - cabinet IENA, mars 2015,
Les Echos.
La RSE est souvent perçue comme une contrainte.
L’entreprise subit l’obligation légale au lieu d’en exploiter les avantages. Formidable levier
de croissance, elle ouvre le champ de nouvelles opportunités, notamment en matière sociale.
Or, cela suppose une remise en question du fonctionnement de l’entreprise. De même, il n’y a
pas de vision à long terme sans indicateurs analytiques et objectifs chiffrés. L’atonie
économique, le chômage de masse et la désindustrialisation ont poussé les entreprises
européennes à reconsidérer leur modèle de développement. Il a fallu chercher des solutions
alternatives, de nouveaux relais de croissance qui ne soient pas seulement financiers. En
déclinant au sein même des entreprises les concepts de développement durable, la RSE
(Responsabilité Sociétale des Entreprises) a fait émerger un nouveau modèle plus attentif aux
personnes, plus soucieux de la préservation de l’environnement et plus responsable en matière
de gouvernance d’entreprise. Le maître mot de ce modèle vertueux est la durabilité. La
préservation des ressources naturelles et, fait nouveau, du capital humain, devient en effet une
alternative crédible dans la stratégie de croissance des entreprises. Pour accélérer ce
mouvement, la France a décidé de légiférer. Depuis 2014, toutes les entreprises françaises de
plus de 500 salariés sont dans l'obligation de publier des données relatives aux trois piliers –
environnementaux, sociaux et économiques – de la RSE, dans un document appelé "Reporting
RSE" ou "Reporting extra-financier". Le cadre légal est celui de la loi de juillet 2010 dite
"Grenelle II" et de son article 225. Le législateur impose de publier les données RSE sous
forme de critères, mais aussi d’en faire vérifier la sincérité par un organisme tiers indépendant
à partir de 2017 (dès 2012 pour les sociétés cotées). Cette vérification se concrétise
notamment par la délivrance de certifications.
Le 2 octobre dernier, Enjeux Les Échos présentait le premier classement jamais réalisé sur
l’engagement des grandes sociétés françaises en matière de responsabilité sociale et
environnementale. Désormais, les organisations savent que la richesse ne se valorise pas
uniquement dans les comptes d’exploitation. La qualité des politiques RSE fait maintenant
partie intégrante des critères d’évaluation des entreprises et le jugement porté sur la sincérité
de l’engagement d’une société en matière de développement durable peut avoir beaucoup plus
de valeur qu’une très coûteuse campagne de publicité nationale. C’est la voie ouverte à
d’autres sources de financement, publiques ou privées, mais également à de nouveaux
marchés tels que les appels d’offres publics réglementés, pour lesquels les critères ESG
(acronyme de "Environnement, Social et Gouvernance") sont fondamentaux. Pour les
entreprises qui s’engagent dans une véritable démarche (et cela ne concerne pas seulement les
entreprises du CAC 40), la diffusion d’informations RSE est devenue un atout stratégique.
Pour les autres, elle n’est qu’une obligation légale supplémentaire, difficile à mettre en place,
faute de méthodologie et d’outils.
18
Passer de la contrainte légale à la démarche proactive
Pour que la RSE soit créatrice de valeur sur le moyen et long terme, elle ne doit pas être
considérée comme une contrainte légale supplémentaire, mais bien comme une opportunité de
repenser son modèle de croissance économique. L’entreprise doit en faire un des piliers de
son développement. Pour cela, elle doit s’orienter vers une démarche proactive et structurée.
La première chose est d’avoir une approche transversale. L’ensemble des acteurs de
l’entreprise doit être sensibilisé à la démarche et engagé dans une conduite de changement,
car seul un projet partagé par tous peut être porteur de progrès en interne et en externe. Le
chef d’entreprise doit donner l’impulsion : il est moteur de ce changement.
L’action doit être coordonnée, planifiée et toutes les directions doivent être impliquées : pas
seulement la direction du développement durable si elle existe, mais également la direction
marketing, la direction des ressources humaines, la direction financière, et la direction du
développement. Adopter une démarche RSE suppose de passer au crible l’organisation de
l’entreprise, de faire l’analyse de ses dysfonctionnements, et de faire évoluer son modèle de
développement si besoin est. Une remise en cause profonde des pratiques peut s’avérer
nécessaire. Les grands groupes ont développé des approches concrètes et très opérationnelles,
pouvant également impliquer leurs partenaires. C’est le cas d’Airbus Group. L’industriel
n’hésite pas à demander à ses prestataires et à ses fournisseurs d’évaluer sa performance en
tant que donneur d’ordres. Une démarche qui a pour effet de resserrer les liens industriels
entre Airbus Group et ses partenaires. Depuis 2011, GEODIS, leader français du transport et
de la logistique, intègre des critères RSE dans les grilles d’analyse et les contrats types, afin
d’évaluer les fournisseurs et les sous-traitants.
La gestion du capital hu main, au cœur d e la perfo rmance d es entrep rises
La RSE est souvent appréhendée sous l’angle environnemental. Or, le volet social du
développement durable, certes moins médiatisé que celui de l’environnement, est tout aussi
primordial. L’environnement concurrentiel peut pousser les entreprises à rogner sur les
avantages sociaux et les salaires, à se focaliser sur la productivité aux dépens de
l’épanouissement des salariés. Or, cette prise en compte insuffisante du bien-être des
personnes et de leur santé n’est pas rentable à long terme. À l’inverse, une bonne gestion du
capital humain est source de performance. L’absentéisme dû aux maladies professionnelles et
aux risques psychosociaux peut en effet être très coûteux. Le coût direct (lié à l’indemnisation
financière en accidents du travail et l’attribution éventuelle d’une rente d’incapacité) et le coût
indirect (intérim, perte de production, dégradation du climat social et par voie de conséquence
de l’image de la société) pèsent lourdement sur les comptes d’exploitation des entreprises,
mais également sur la collectivité tout entière. Les études dans ce domaine le confirment. En
France, le coût social du stress (dépenses liées aux soins, à l’absentéisme, aux cessations
d’activité et aux décès prématurés) se situait en 2007 entre 2 et 3 milliards d’euros (étude
INRS et Arts et Métiers ParisTech). Les chiffres du coût social des TMS (troubles musculo-
squelettiques) donnent également le vertige. En 2010, on a recensé 43 241 TMS, soit 85 %
des maladies professionnelles reconnues par la CPAM. Le coût moyen direct par salarié pour
les entreprises (payé par la cotisation AT/MP) avoisinait les 21 000 €, pour une perte cumulée
de 9,7 millions de journées de travail (source : CNAMTS 2010). Pour prévenir les risques
psychosociaux, l’État a choisi de légiférer. Ainsi, en vertu de l’article L4121-1 du Code du
travail, l’employeur est tenu de "prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la
sécurité et protéger la santé physique mentale des travailleurs". La jurisprudence a précisé
la responsabilité de l’employeur dans ce domaine, en substituant à l’obligation de moyen, une
obligation de résultat dans la protection de la santé de ses employés.
Des outils pour mesurer, piloter et acc roître la p erformance so ciale de l’ entr eprise
Il existe des outils pour mieux appréhender le cadre légal de la RSE, en faciliter la mise en
œuvre opérationnelle et en tirer profit pour accroître sa performance. Le premier avantage de
19
ces outils de "reporting" est bien évidemment économique. La remontée plus rapide des
informations permet de réduire les coûts en frais de personnel tout en dégageant du temps aux
opérationnels au profit d’autres tâches. L’autre avantage – et c’est tout l’objet de cet
argumentaire – est d’alerter l’entreprise en cas de dégradations des conditions de travail.
Parmi ces indicateurs, le taux d’absentéisme est celui que les investisseurs jugent le plus
pertinent pour mesurer la performance sociale d’une entreprise. En effet, comme on l’a vu
plus haut, un taux d’absentéisme important se traduit par des coûts importants pour
l’entreprise (recours à l’intérim, désorganisation des équipes, baisse de productivité…). Pour
prévenir l’absentéisme, l’entreprise devra élaborer un plan d’action par étapes. Avant d’agir, il
faut procéder à un bon diagnostic de la situation.
La première étape consistera ainsi à mesurer l’absentéisme grâce à des indicateurs fiables et
pertinents et des outils de mesure adaptés (tableaux de bord, alertes). Il y a en effet différents
types d’absentéisme qu’il faudra hiérarchiser (absence injustifiée, accident du travail, maladie
professionnelle ou maladie en régime général).
La deuxième étape visera à analyser les causes de ces absentéismes. L’absence injustifiée est-
elle due à un climat social tendu, au stress ? La maladie est-elle d’origine physique (grippe)
ou psychologique (dépression) ? L’absence pour maladie professionnelle est-elle la
conséquence de mauvaises conditions de travail (engendrant des TMS par exemple) ou de
tensions suite à des conflits internes (harcèlement moral, problème relationnel dans un
service…) ? Etc.
Après avoir déterminé l’origine de l’absentéisme et chiffré le préjudice, l’organisation devra
engager des actions concrètes pour, sinon y remédier, en réduire les causes. Quelles que
soient les actions retenues (programme d’accompagnement des managers, formation et
sensibilisation des personnels aux problématiques de RPS, médiation, réorganisation d’un
service…), il est nécessaire de se fixer des objectifs selon un horizon à temporalité variable
(court, moyen et long terme).
Enfin, il faut mobiliser l’ensemble des personnes concernées : le salarié, les membres de son
équipe (s’il s’agit d’un conflit de personnes), sa hiérarchie, mais également le médecin du
travail, les délégués du personnel et les membres du C.H.S.C.T. Des réunions régulières
devront être mises en place pour mesurer et évaluer l’efficacité des plans d’action préconisés.
L’instauration précoce d’une politique de prévention limite durablement et financièrement les
facteurs de dégradations des conditions de travail. C’est à cette condition que l’entreprise peut
renouer avec la performance sociale. En travaillant sur la qualité de vie au travail – car c’est
de cela qu’il s’agit – l’entreprise réduit les risques psychosociaux, le stress et par conséquent,
l’absentéisme. Les bénéfices sont nombreux et concernent aussi bien la motivation et
l’engagement des salariés que leur santé ou la performance financière de l’entreprise
(réduction des absentéismes et du turnover, baisse des cotisations patronales accidents du
travail, augmentation de la productivité). En septembre 2014, l’agence Européenne pour la
Sécurité et la Santé au Travail (UE-Osha) a publié une étude sur le coût des risques
psychosociaux. Ce rapport ne concernait pas seulement l’analyse des coûts, mais incluait
également une analyse des retours sur investissements des démarches de prévention mises en
place par les entreprises. Il ressort de ce rapport que pour un euro investi dans la prévention,
le bénéfice net par salarié était en moyenne de 5 euros l’année suivante et pouvait aller
jusqu’à plus de 13 euros dans un délai de 2 à 5 ans (variable selon le type d’entreprise). La
prise en compte et le pilotage de la qualité de vie au travail permettent ainsi de favoriser le
cercle vertueux : meilleures conditions de travail – motivation – productivité
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Document 5
LA « RESPONSABILITE SOCIALE » AU CŒUR DES STRATEGIES
Par Jacques Igalens, Ecole supérieure de commerce de Toulouse, novembre 2012, le Monde
économie.
Après la parution en 2001 du Livre vert de la Commission européenne sur la responsabilité
sociale des entreprises (RSE), de nombreuses sociétés ont pris des initiatives sociales et
environnementales qui allaient au-delà de leurs obligations réglementaires. Beaucoup se sont
lancées dans la RSE parce qu'elle répondait aux attentes montantes des parties prenantes, mais
aussi parce qu'elle correspondait à l'air du temps et que son adoption était un moyen de faire
bonne impression. Des critiques se sont élevées à l'époque, pointant l'effet "paillettes" et le
mauvais emploi des efforts comme des sommes consacrées. Elles arguaient aussi que les
directions devaient rester concentrées sur les réalités financières et ne pariaient pas sur la
longévité de la RSE. Pour beaucoup d'observateurs, le vrai test de la "durabilité" de la RSE
devait être la crise économique. Comme ce fut souvent le cas dans le passé, avec elle, les
entreprises devaient retourner à la dure réalité ("back to basics"). Aujourd'hui, nous
connaissons une crise économique majeure qui succède à la crise boursière de 2008 et à celle
de l'endettement des Etats.
La RSE s’ est renfo rcé e
Or, non seulement la RSE est toujours là, mais elle s'est renforcée. Cette longévité révèle une
transformation profonde : on est passé d'une RSE "cosmétique" à une RSE "stratégique",
accélérée par les turbulences socio-économiques ! Malgré la crise, la pression des parties
prenantes pour la RSE ne s'est pas relâchée, bien au contraire. Du côté des actionnaires, la
demande pour l'investissement socialement responsable (ISR) s'est notablement accrue. Selon
Novethic, le marché français de l'ISR est passé de 30 milliards d'euros en 2008 à 115 milliards
d'euros en 2011. Plus important encore, les critères RSE des financiers, appelés "ESG"
(environnement, social et gouvernance), sont de plus en plus utilisés pour tous les
investissements, et pas simplement pour l'ISR. En intégrant dans chaque investissement des
critères ESG, les bailleurs de fonds, qui ont une aversion traditionnelle vis-à-vis du risque,
diminueraient leur exposition au risque social et environnemental. Avec la crise, le client,
partie prenante traditionnellement choyée par les entreprises, est, certes, devenu attentif au
prix, mais il ne veut pas arbitrer entre le prix et la RSE, il veut les deux. Dans un sondage
réalisé par Landor Associates, 77 % des consommateurs déclarent qu'il est important pour les
entreprises d'être socialement responsables. Les salariés, eux, sont encore plus unanimes que
les clients pour que leurs employeurs soient de plus en plus "responsables". Toutes les
recherches montrent qu'ils se sentent fiers d'œuvrer pour une entreprise socialement
responsable et qu'ils apprécient particulièrement de participer à des initiatives sur le sujet. Les
universités et grandes écoles peuvent également témoigner de l'importance accrue accordée
par les étudiants, depuis quatre ou cinq ans, à la réputation RSE des entreprises dans leur
recherche de stage ou d'emploi.
« Un mo yen pou r l’entr e prise de ren forc er ses p ro fits »
Fortes des attentes des parties prenantes et ayant saisi tout l'intérêt économique de la RSE, les
entreprises osent aujourd'hui évoquer le modèle économique de la RSE et cherchent à en
évaluer le coût, l'efficacité et même la rentabilité. Ce que la présidente du Medef, Laurence
Parisot, exprime de façon très directe : "La RSE est un moyen pour l'entreprise de renforcer
ses profits à court, moyen et long terme." Des programmes RSE sont lancés avec des objectifs
précis et mesurables. Ils sont de plus en plus intégrés dans les directions opérationnelles et les
services supports (informatique, logistique, approvisionnement, etc.), la direction de la RSE
proprement dite évoluant vers une cellule de quelques personnes seulement, chargée de
répondre aux agences de notation. Chez Danone, par exemple, la stratégie qui consiste à
21
participer au développement des pays les plus pauvres en offrant des produits et un
environnement d'affaires adapté (stratégie qualifiée par les Anglo-Saxons de "bottom of the
pyramid", ou "BOP", base de la pyramide) est menée par la division des produits laitiers elle-
même. De même, les actions RSE des fournisseurs les plus importants sont gérées
directement par les acheteurs, celles relevant de la diversité par la direction des ressources
humaines, etc. Paradoxalement, c'est en devenant moins visible au niveau des organigrammes
que la RSE s'est renforcée. Certes, ce sont les grandes firmes qui font le plus parler d'elles sur
le sujet, car elles disposent de meilleurs moyens de communiquer. Mais, sous l'impulsion de
leurs dirigeants, un nombre croissant de PME s'engagent dans la recherche de la performance
par la mise en œuvre de programmes de RSE. Le Centre des jeunes dirigeants, qui entend
promouvoir une économie "au service de l'homme et de la vie", a donné l'exemple depuis
longtemps, mais de plus en plus de clubs de dirigeants "durables" se créent également dans les
régions. Leur nombre et leurs initiatives n'ont pas non plus fléchi avec la crise. La RSE est
désormais passée dans les mœurs. Il ne s'agissait pas d'un effet de mode, mais bien d'une lame
de fond.
THEME 4 : COMMUNICATION
Document 1
LA COMMUNICATION INTERNE VUE PAR LES SALARIES
Etude réalisée par OpinionWay auprès d’un échantillon représentatif de 1007 salariés
français interrogés en ligne sur système CAWI du 28 au 30 mai 2013.
OpinionWay a interrogé des salariés français afin de connaître leur vision de la
communication interne en entreprise pour une étude LabRH.
Les p rincipales missions de la com’ intern e au sei n d’une entr eprise vues p ar les sala riés
Lors de cette étude, il a été demandé aux salariés, quelles étaient pour eux les principales
missions de la communication interne au sein d’une entreprise. 74% des salariés ont cité au
moins une mission :
• présenter le projet et les objectifs de l’entreprise (15%),
• informer sur les résultats/la santé de l’entreprise (14%),
• communiquer (12%),
• améliorer la communication avec la direction (10%),
• créer du lien social/de la cohésion (9%). [Mission qui n'est pas accordée à la
fonction RH ! voir notre article "La fonction RH vue par les salariés : il y a encore
du boulot !"
Les s alariés fran çais mo yennement satisfaits par l a com’ interne d e leur ent r eprise
Les salariés français assimilent principalement la communication interne à une simple
diffusion d’information au sein de l’entreprise. 52% des sondés ne sont pas satisfaits par la
manière dont leur entreprise communique auprès des salariés. Malgré cette faible satisfaction,
59% des salariés jugent utile la communication interne (57% pour la fonction RH), 52%
crédible 47% juste (44% pour la fonction RH), 44% objective, 44% adaptée aux attentes des
collaborateurs et seulement 36% transparente.
Les phrases qui ont été entendues spontanément lors de ce sondage sont :
• « Communication institutionnelle trop contrainte par les orientations budgétaires
» ;
22
• « Communication souvent sommaire et aléatoire » ;
• « Il n’y a pas de communication entre la direction et les salariés, le contact est
coupé »… Tient cela nous rappelle quelque chose : les DRH pensent être plus à
l’écoute que les salariés ne le perçoivent.
Il existe, tout de même, une forte hétérogénéité des données selon la taille des entreprises. En
effet, 59% des salariés des TPE se disent satisfaits de la communication interne de leur
entreprise contre 45% de salariés des grandes entreprises.
Les attentes des salariés français vis-à-vis de la communication interne
Les attentes des salariés français vis-à-vis de la communication interne
Si 59% des salariés français estiment que la communication interne au sein de leur entreprise
est adaptée aux attentes des collaborateurs, ils souhaiteraient que l’entreprise communique
davantage auprès des salariés sur :
• la stratégie de l’entreprise (20%) ;
• l’avenir de l’entreprise (17%) ;
• les évolutions professionnelles (14%) ;
• les résultats (12%) ;
• la reconnaissance (4%) ;
• l’ensemble (6%).
Mais ces missions ne seraient-elles pas dévolues logiquement à la fonction RH ? A quand une
fonction RH communicante et une communication vraiment tournée RH ?
Document 2
#RH : LA CULTURE D’ENTREPRISE, UN OUTIL DE RECRUTEMENT ET DE
COMMUNICATION A NE PAS NEGLIGER
Par Anais Richardin, Maddyness, le magazine des startups françaises, 2015.
La culture d’entreprise est aujourd’hui un formidable outil de communication pour attirer les
talents, mais surtout pour les conserver, en rassemblant tous les collaborateurs autour d’une
même philosophie. S’il est de bon ton d’afficher ses valeurs sur les murs de sa société,
comment mettre en place une véritable culture d’entreprise, qui ne soit pas qu’un simple
gimmick pour l’externe ? Fin juin, l’accélérateur 50 Partners répondait à ces interrogations
avec une conférence sur le thème « Culture d’entreprise & startups : don’t panic ». Retour sur
l’événement. Devant une nuée de startupers tout ouïe, Laure Wagner de Blablacar, Xavier
Zeitoun de 1001menus, Nicolas Ferrary d’Airbnb et Carl Azoury de Zenika, ont échangé à
propos de leur vision de la culture d’entreprise et ont dispensé quelques conseils sur sa mise
en place à l’aune de leurs propres histoires. En tant que société américaine, Airbnb a ainsi dû
adapter sa culture d’entreprise pour la filiale française. Blablacar a elle su transmettre sa
passion du covoiturage auprès de ses salariés grâce à son histoire. Xavier Zeitoun, fondateur
de 1001menus, a dû faire face à une crise de culture au sein de sa société, et Carl Azoury,
CEO de Zenika a créé la société dont il rêvait et a porté ce rêve avec ses collaborateurs.
La culture d’ entrep rise p ermet de cons erver un « esprit de tribu »
Les quatre intervenants ont été unanimes : la culture d’entreprise existe de manière
informelle, elle est véhiculée par des valeurs et portée par le CEO / fondateur de la société en
lien avec la mission de la société. Il arrive pourtant un moment où la startup connait un
élément déclencheur qui pousse son(a) fondateur(rice) à formaliser et à coucher sur le papier
cette culture d’entreprise. Les différents cas de figure ont été illustrés par les sociétés
23
présentes. Xavier Zeitoun, fondateur de 1001menus, est ainsi revenu sur son expérience en
expliquant qu’au sein de sa société s’était petit à petit cristallisée une crise de culture lorsque
le recrutement s’est effectué de manière trop rapide et que les profils ne collaient pas à l’esprit
de la société. « Chez nous, l’équipe est composée d’énormément de commerciaux, pas
forcément des gens qui ont travaillé dans des startups, qui ont des codes de plus grandes
entreprises. L’équipe est passée de sept/huit personnes à quarante en un an seulement. Cette
crise a posé de vrais problèmes et a impacté le chiffre d’affaire de la société. Nous avons été
obligés de nous séparer de certaines personnes. Nous avons réussi à passer cette étape-là en
trouvant des valeurs communes avec des personnes qui ne se connaissaient pas.»
De son côté, Laure Wagner, première employée de Blablacar, devenue depuis porte-parole et
« culture captain » de la société, a évoqué l’inévitable moment où la croissance rend presque
obligatoire la formalisation de cette culture d’entreprise. « Une culture d’entreprise ne se
créée pas de toute pièce, à l’époque nous étions 60 personnes, l’existant était génial, une
super culture de manière spontanée. Nous savions que la levée de fonds arrivait et
indirectement le recrutement pour l’équipe. Nous avions peur de cette croissance, il était
temps de formaliser. Nous voulions garder cet esprit de tribu, il fallait donc l’ancrer pour pas
qu’il ne disparaisse.» Un « esprit de tribu » qu’évoque également Carl Azoury, qui a souhaité
que ses collaborateurs s’impliquent à 100% dans la définition de leur culture d’entreprise. «
Nous étions une trentaine lorsqu’il a fallu définir nos valeurs, tout le monde a peur de
grossir, la culture d’entreprise revient tout le temps. Elle permet de garder cette idée de tribu,
de garder son âme en évoluant, on peut garder le même état d’esprit qui est souvent basé sur
l’esprit startup. Nous voulions vraiment impliquer les collaborateurs dans les décisions, c’est
leur entreprise, ils sont acteurs de leur destin. Les bases de notre culture d’entreprise ont été
définies par 80% d’entre eux.»
Comment formaliser sa c ulture d’entrep rise ?
La culture d’entreprise est donc informelle jusqu’à ce que la startup soit obligée d’en poser les
bases. Au cœur du réacteur : les valeurs et la mission de la société sont deux éléments à
prendre en compte lors de ce processus. Chez Blablacar, les valeurs sont là pour aiguiller les
employés dans leur développement personnel au sein de l’entreprise. « Les dix valeurs de
Blablacar ne sont pas des principes mais des actions fortes appliquées au quotidien, ajoute
Laure Wagner. Les valeurs clés de la culture d’entreprise donnent des directions aux
collaborateurs, et non des interdictions.»
C’est autour de valeurs communes que Xavier Zeitoun, qui expliquait dans un billet pourquoi
il était si difficile de créer une culture startup, a rassemblé des profils très différents : « Nous
faisions trois ou quatre recrutements par mois à une époque, mais il s’agissait de personnes
qui ne correspondaient pas à nos valeurs. Nous avons donc fait appel aux six responsables de
pôle pour brainstormer sur ce qu’on ne voulait pas, pour ensuite parler réellement des
valeurs de l’entreprise. Nous avons appris des personnes que l’on n’a pas gardées à
l’époque. Il a fallu cultiver notre différence à l’intérieur de la boîte : nous avons rassemblé
des gens différents et nous en avons fait une force en les réunissant autour de valeurs
communes.» Instillée et portée par les fondateurs, la culture d’entreprise est donc à la fois un
outil interne utile pour le management des équipes et un outil de communication pour attirer
les talents. Et gare à qui ne collerait pas avec cette culture, « nous faisons deux entretiens de
recrutement pour tester les candidats sur les core values. 50 personnes sont formées en interne
», explique par exemple Nicolas Ferrary. Core values, culture d’entreprise, moto… peu
importe le nom pourvu que les collaborateurs connaissent les lignes directrices de leur
entreprise et que les profils intéressés sachent en un coup d’œil si la société pourrait leur
convenir.
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Document 3
GESTION PREVISIONNELLE DES EMPLOIS ET DES COMPETENCES (GPEC)
: QUAND LES RH DEVIENNENT STRATEGIQUES
Par Charles Cerdin, JDN, l’Economie demain, 2013
Si la prise en compte de l’évolution des technologies est intégrée presque intuitivement aux
stratégies d’entreprises, une vision réellement prospective des compétences fait encore
souvent défaut. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est
l’inconnue qui permet de résoudre l’équation entre prévision RH et grandes orientations
stratégiques.
Certaines entreprises ont le défaut de se focaliser exclusivement sur les innovations
techniques, en oubliant que l’efficacité économique repose avant tout sur le fait de disposer de
la bonne personne, au bon moment (ou au bon endroit) avec les bons outils. A trop
s’intéresser à l’efficacité de l’outil, certaines entreprises oublient qu’il ne sert à rien sans un
homme ou une femme qui le connait, le comprend et le maitrise. Et puisque les outils
évoluent de plus en plus vite, il faut que les compétences et les expertises progressent au
même rythme. Obligatoire pour les entreprises de plus de 300 salariés depuis la loi de
cohésion sociale de 2005, dite loi Borloo, la démarche de GPEC permet d’insuffler une
dynamique nouvelle dans l’emploi, le recrutement ou encore la formation. Autrefois apanage
des seuls grands groupes pouvant se permettre de disposer d’une direction RH étoffée, la
GPEC commence à s’étendre aux PME et à se diffuser dans le maillage des entreprises. La
GPEC s’impose de plus en plus dans les entreprises comme une nouvelle approche du
management, bien qu’elle soit encore parfois perçue défavorablement : les dirigeants
d’entreprise y voient une complexification administrative inutile et les syndicats la ressentent
comme une manière déguisée de faire admettre les plans sociaux et les licenciements. Loin de
la solution miracle, cette méthode de gestion est avant tout « un élément qui renforce et
encadre des initiatives RH prises par l’entreprise », selon Patrick Gilbert, expert RH et
professeur à l’IAE de Paris.
Quand la gestion des ressources humaines devient stratégie
La gestion des compétences est une dimension essentielle de la GRH. Mais il est encore rare
que les responsables RH soient associés systématiquement aux tables rondes autour
desquelles on débat des mutations technologiques, concurrentielles ou humaines du marché à
5 ou 10 ans. Le lien entre la stratégie d’une entreprise et sa gestion des RH est généralement
distendu, car on attend encore trop souvent d’une « politique de RH » qu’elle soit ancrée
dans l’immédiat, la résolution des problèmes de court terme, voire l’ajustement a posteriori
des ressources aux objectifs. Or, prenant appui sur la théorie de la contingence de T.
Burns et G. Macpherson Stalker pour développer le concept d'organisation biologique de
l'entreprise, Fabrice Roth explique que « les entreprises efficaces sont celles qui
s'adaptent au mieux à leur environnement. À l'inverse, les entreprises inefficaces sont
éliminées du marché ». Le cœur du raisonnement tient dans le principe d’adaptation de
l’entreprise, ici entendu au sens systémique du terme, dépassant l’idée simple modification
du rapport de forces entre l’entreprise, ses clients et ses concurrents.
Directeur général délégué à la stratégie chez Cofely Ineo, Thomas Peaucelle décline cette
analyse en termes RH : « Les connaissances que nous acquérons aujourd’hui sont les
compétences clés qu’il faudra mettre en œuvre demain sur le terrain. Nous devons
simultanément anticiper ce que seront nos métiers à moyen-long terme, et faire correspondre
les formations actuellement dispensées à nos équipes avec cette même vision prospective. Le
capital humain est un investissement stratégique trop souvent mésestimé. Par exemple, chez
Cofely, nous menons une réflexion prospective permanente quant à ce que sera la ville de
25
demain, afin d’imaginer les compétences requises pour exercer au mieux, dans dix ans, les
métiers de l’efficacité énergétique ». La gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences participe à cette vision prospective de l’entreprise dans son ensemble, et la DRH
doit donc prendre une part active aux délibérations qui engagent l’avenir d’une organisation.
Dans un environnement complexe et changeant, elle permet d’intégrer la politique RH, au
sens large, à la stratégie de l’entreprise et à la définition des objectifs : cela revient à passer
d’une stratégie des moyens (que puis-je faire avec ce que j’ai ?) à une stratégie des
compétences (qui dois-je former/recruter pour atteindre les objectifs que je me suis fixé ?).
C’est aussi une façon de replacer l’humain au centre de l’équation économique, et de dépasser
une simple gestion des « carrières » des salariés.
Un bénéfice net pour les entreprises qui la pratiquent
Partie intégrante des nouvelles initiatives mises en place par les entreprises dans le cadre des
démarches RSE, la GPEC renforce également l’attractivité des entreprises qui la pratiquent
avec volontarisme. Renault, par exemple, se sert de la GPEC pour favoriser « la mobilité
professionnelle en interne (mobilité géographique, prêts intersites, temps partiels...) et en
externe (congés sabbatiques, création d'entreprise, prêts de main d'œuvre à une autre
entreprise de la métallurgie, mutations concertées...), et les aménagements de fin de carrière ».
De la sorte, Renault s’est donné suffisamment de marges de manœuvre pour ne pas recourir
au plan social et aux licenciements secs. Même les syndicats trouvent la démarche
intéressante, parce qu’elle permet des ajustements en douceur, dans des conditions
globalement favorables aux salariés. Lors des restructurations récentes chez IBM, certains
syndicalistes ont d’ailleurs déploré l’absence de recours à la GPEC pour amoindrir le choc des
suppressions de postes.
Initiée en 2011 chez Renault, la GPEC est en place depuis 2009 chez Cofely Ineo, où Thomas
Peaucelle (op. cit.) exerce ses talents de prospectiviste. Chez ce spécialiste du génie électrique
et des systèmes d’information et de communication, le management cultive depuis sa création
l’autonomie décisionnelle des collaborateurs, sur la base d’un modèle de délégation de
responsabilité à tous les niveaux.
Il était donc essentiel « d’harmoniser les compétences » afin que l’échelon le plus proche du
terrain soit qualifié pour prendre les meilleures décisions opérationnelles possibles. Or, ce
gage de réactivité n’était en rien pré-acquis, car Cofely Ineo est organisé en 220 centres de
profit soit, aujourd’hui, 15 000 collaborateurs aux métiers complémentaires mais parfois très
différents, intervenant en moyenne sur 40 à 50 000 projets par an. D’où la nécessité d’une
GPEC qui anticipe les forces nécessaires à cette « galaxie de compétences et d’objectifs ».
Dans un domaine proche et pour des raisons similaires, Veolia Environnement a élaboré un
accord de GPEC sur la même période. Cet accord, signé par l’ensemble des syndicats après
environ deux ans de concertations et d’élaboration du document final, a permis la création
d’un Observatoire des Métiers, et permet une meilleure information des partenaires sociaux
sur la stratégie du groupe. Selon Véronique Rouzaud, DGRH du groupe de 320 000 salariés, «
cet accord doit permettre de gérer plus en amont le développement des compétences, avec un
ancrage territorial plus fort ». La GPEC est aussi une démarche de prévention des risques
sociaux pour l’entreprise comme pour le salarié ; elle s’inscrit comme un moyen de recours
face aux aléas d’une conjoncture imprévisible au-delà de quelques mois, bien qu’elle permette
d’y voir plus clair quant au visage humain qu’aura l’entreprise dans quelques années.