22
1 Réseau et ordre des discours La perspective de l’exploitation du livre électronique et plus encore du livre Html inscrit dans le réseau, génère chez les acteurs du métier un certain nombre de craintes. Elles sont techniques, juridiques, économiques mais aussi métaphysiques 1 quand elles touchent aux conséquences de l’édition électronique sur la nature du livre et l’ordre des discours. Selon les avis, le livre risque sa fin, subit une Révolution ou une «?destruction créative?» 2 dans un environnement que l’éditeur ne maîtrise plus tout à fait et qui induit cette rupture historique et ontologique 3 . Ces prophéties tiennent à des questions de définition : 1 Une définition du livre par sa nature. Celle-ci étant inexorablement ramenée à sa forme papier, la nature du livre exclut par définition l’idée du livre électronique. 2 Une définition de l’ordre du discours qui repose sur la forme du livre. La forme (papier, 3D) étant perdue dans ce règne électronique envisagé comme un espace plan, à 2 dimensions (puisque c'est ainsi que l'on considère nos écrans plats), alors l'order du discours se perd lui aussi. 3 La définition d'Internet comme un environnement auquel l’espèce livre doit s’intégrer, aux forceps, plutôt que comme un ensemble d’outils que nous créons et maîtrisons au service des contenus que nous choisissons. Nous voulons ici démonter cet engrenage logique qui mène nécessairement à l'idée de la fin de l’histoire du livre, voire à la fin de l’Histoire tout court, avec une textualité électronique "liquide" ou "fragmentée" et un ordre des discours inexorablement aplani dans un «?contenu web?» indifférencié. Notre approche ne se fonde pas sur la nature du livre mais sur son usage, son inscription sociale, ce que nous voulions et voulons encore, ou non, en faire, et dans quel but. Peu importe qu’il soit exclusivement électronique, papier ou autre. À quoi sert le livre?? À quoi voulons-nous qu’il serve encore?? Voulons- nous encore de cette forme éditoriale?? Le réseau peut-il assurer sa pérennité en même temps qu’il offre une évolution de ses usages et de ses nuances?? Le Web peut-il répondre aux multiples dimensions du discours écrit ? Nous verrons que les différentes nuances du discours écrit que nous connaissions jusqu’à aujourd’hui sont parfaitement transposables dans le réseau et que l’ordre du discours s’y raffine considérablement plutôt qu’il ne s’y aplanit ou ne se brouille. 1 [ReadWriteDacos] in [ReadWriteLigne] [En ligne], mis en ligne le 25 mars 2010, Consulté le 23 juillet 2010. URL : http ://cleo.revues.org/136). 2 [ReadWriteGuillaud]in [ReadWriteLigne] [En ligne], mis en ligne le 25 mars 2010, Consulté le 23 juillet 2010. URL : http ://cleo.revues.org/147 3 Le terme nature revient environ 30 fois dans le dernier livre de Alain Pierrot et Jean Sarzana dans ce contexte de nature du livre. Voir [SarzanaPierrot2010] 1

girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

1 Réseau et ordre des discoursLa perspective de l’exploitation du livre électronique et plus encore du livre Html inscrit dans le réseau, génère chez les acteurs du métier un certain nombre de craintes. Elles sont tech-niques, juridiques, économiques mais aussi métaphysiques1 quand elles touchent aux consé-quences de l’édition électronique sur la nature du livre et l’ordre des discours. Selon les avis, le livre risque sa fin, subit une Révolution ou une «?destruction créative?»2 dans un environ-nement que l’éditeur ne maîtrise plus tout à fait et qui induit cette rupture historique et onto-logique3.

Ces prophéties tiennent à des questions de définition :

1 Une définition du livre par sa nature. Celle-ci étant inexorablement ramenée à sa forme papier, la nature du livre exclut par définition l’idée du livre électronique.

2 Une définition de l’ordre du discours qui repose sur la forme du livre. La forme (papier, 3D) étant perdue dans ce règne électronique envisagé comme un espace plan, à 2 dimensions (puisque c'est ainsi que l'on considère nos écrans plats), alors l'order du discours se perd lui aussi.

3 La définition d'Internet comme un environnement auquel l’espèce livre doit s’intégrer, aux forceps, plutôt que comme un ensemble d’outils que nous créons et maîtrisons au service des contenus que nous choisissons.

Nous voulons ici démonter cet engrenage logique qui mène nécessairement à l'idée de la fin de l’histoire du livre, voire à la fin de l’Histoire tout court, avec une textualité électronique "li-quide" ou "fragmentée" et un ordre des discours inexorablement aplani dans un «?contenu web?» indifférencié.

Notre approche ne se fonde pas sur la nature du livre mais sur son usage, son inscription so-ciale, ce que nous voulions et voulons encore, ou non, en faire, et dans quel but. Peu importe qu’il soit exclusivement électronique, papier ou autre. À quoi sert le livre?? À quoi voulons-nous qu’il serve encore?? Voulons-nous encore de cette forme éditoriale?? Le réseau peut-il assurer sa pérennité en même temps qu’il offre une évolution de ses usages et de ses nuances?? Le Web peut-il répondre aux multiples dimensions du discours écrit ?

Nous verrons que les différentes nuances du discours écrit que nous connaissions jusqu’à au-jourd’hui sont parfaitement transposables dans le réseau et que l’ordre du discours s’y raffine considérablement plutôt qu’il ne s’y aplanit ou ne se brouille.

Alors que le papier continue de bien remplir cet office, nos outils réseau servent aussi de mieux en mieux la diversité des discours écrits. Plutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer les outils qui vont répondre de manière pertinente à nos besoins patrimoniaux, historiques, culturels, sociaux, pédagogiques, etc.

l 1.1 le livre et la forme

Voyons d’abord en quoi la notion de nature du livre, fondée dans tous les cas sur sa forme,

1 [ReadWriteDacos] in [ReadWriteLigne] [En ligne], mis en ligne le 25 mars 2010, Consulté le 23 juillet 2010. URL : http ://cleo.revues.org/136).

2 [ReadWriteGuillaud]in [ReadWriteLigne] [En ligne], mis en ligne le 25 mars 2010, Consulté le 23 juillet 2010. URL : http ://cleo.revues.org/147

3 Le terme nature revient environ 30 fois dans le dernier livre de Alain Pierrot et Jean Sarzana dans ce contexte de nature du livre. Voir [SarzanaPierrot2010]

1

masutti , 03/01/-1,
I�t�a�l�i�q�u�e� �
masutti , 03/01/-1,
s�u�p�e�r�f�
Page 2: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

empêche de penser intelligemment son passage dans le réseau, celui-ci étant perçu comme marquant la fin du support physique.

Deux approches de ce type concluent à l’affirmation d’une rupture nette entre l’édition papier et l’édition électronique et mènent dans les deux cas à la fin d’une Histoire.

1.1.1 la «?fin de l’histoire?» du livre

La première considère que le livre ainsi que l’ordre du discours qui en découle ne peuvent qu’être mis à mal, voire perdus, dans leur passage à l’écran. Comme le dit l'historien Roger Chartier :

C’est un tel ordre des discours que met en question la textualité électronique. En effet, c’est le même support, en l’occurrence l’écran de l’ordinateur, qui fait appa-raître face au lecteur les différents types de textes qui, dans le monde de la culture manuscrite et a fortiori de la culture imprimée, étaient distribués entre des objets distincts.4Selon l'historien le livre possède une identité dont la percep-tion immédiate, permise par sa matérialisation, fonde l’ordre des discours. Or la «?textualité électronique?» aplanit toute distinction de forme et par conséquent toute distinction de fond :

Tous les textes, quels qu’ils soient, sont produits ou reçus sur un même support et dans des formes très semblables, généralement décidées par le lecteur lui-même. Est ainsi créée une continuité textuelle qui ne différencie plus les genres à partir de leur inscription matérielle.5

Et avec la perte des distinctions de genre se perd le dialogue entre lecteurs et ?uvres.

De ce fait, c’est la perception des ?uvres comme ?uvres qui devient plus dif?cile.6

Dans le nouvel ordre des discours qui se construit, je ne pense pas que le livre, dans les deux sens retenus [«??uvre intellectuelle?» et «?cube de papier?»], va mourir brutalement. Il ne mourra pas comme discours, comme ?uvre dont l’exis-tence textuelle n’est pas attachée à une forme matérielle particulière.…Ce qui, néanmoins, peut faire question est la possible discordance entre les manières de lire associées à l’écran et les catégories qui définissent les ?uvres, ou les livres comme ?uvres. En tant que « cube de papier composé de feuillets », le livre de-meure aujourd’hui (et, sans doute, pour quelque temps encore) l’objet écrit le plus adéquat pour rendre perceptibles ces catégories, et pour répondre aux attentes et habitudes des lecteurs qui entament un dialogue intense et profond avec les ?uvres qui les font penser, ou rêver.7

R. Chartier hésite entre deux définitions du livre : «??uvre intellectuelle?» ou «?cube de pa-pier?». Cependant il affirme à maintes reprises la perte de l’ordre des discours dans la tex -tualité électronique, ordre des discours intrinsèquement lié à la matérialité du livre papier. Quoi qu’il en soit de ce caractère d’?uvre intellectuelle le livre ne peut donc pas se transposer à l’écran, qu’elle qu’en soit la forme, puisqu’on ne peut plus le percevoir comme ?uvre.

1.1.2 le livre liquide et la fin de l’«?histoire?»

Toujours dans cette perspective du livre défini par son support, d’autres auteurs, acteurs cette fois des technologies d’édition électronique, formulent quant à eux un avenir différent

4 [chartier09a]5 [chartier09a]6 [chartier09a]7 [chartier09a]

2

Page 3: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

pour le livre dans ses formes électroniques. Ils postulent d’emblée la mort à venir du livre im-primé et définissent de nouveaux paradigmes correspondant au processus électronique consi-déré comme «?destruction créatrice?».

La grande question devient donc : qu’est-ce qu’un livre quand il n’a plus de sup-port physique?? Quand la forme matérielle qui consacre son existence même n’existe plus?? Voilà une question à laquelle il est très difficile de répondre. Parce qu’en dématérialisant l’?uvre, le format électronique détruit ce qui faisait la défini-tion même du livre : son support. Il s’agit d’une destruction créatrice, mais c’est une destruction tout de même. En remettant en cause son support, l’électronique remet en cause tout le modèle du livre que l’on connaissait jusqu’à présent.8

Pour ces auteurs, l’édition en réseau est caractérisée par les pratiques de rédaction comme de lecture collectives et collaboratives qui font du texte électronique un objet «?infiniment ré-inscriptible?»9

À la suite de quoi les termes de texte ou de document sont indifféremment substitués à celui de livre. Le blog, le journal en ligne, le forum de voyages ou l’encyclopédie collaborative sont d’ailleurs analysés sous ce même angle indifférencié de livre/texte/document et pris à titre d’exemple pour la démonstration. Le texte est dématérialisé, il devient livre/texte/document électronique, qu’il faut bien rebaptiser. Le nouveau paradigme qui couvre toutes ces formes d’écrit est celui du Read/Write Book qui possède de «?nouvelles propriétés?» induites par les outils réseaux et qui le rendent «?liquide?»,«?mouvant?», «?fragmentaire?»10. Et dans leur ty-pologie de l’édition électronique les auteurs distinguent édition numérique et édition en ré-seau. Dans le premier cas on édite des livres, dans le second des Read/Write Book.

La définition du livre en tant qu’entité commune aux processus papier et électronique n'a plus de raison d'être. Elle devient même un contresens puisque les propriétés de l’environne-ment deviennent celles de tous les objets de cet environnement et les lient entre eux. Comme nous avons en sciences de la vie le règne animal et le règne végétal, nous avons en édition le règne matériel et le règne dématérialisé, irréductibles l’un à l’autre.

...plus les technologies numériques se développent, plus les objets numériques fonctionnent entre eux selon des logiques non réductibles à l’environnement phy-sique et qui leur sont totalement propres. Le Read/Write Book qui décortique et isole les propriétés du livre numérique en fait l’éclatante démonstration sur un type d’objet précis. Le livre numérique est aussi différent du livre imprimé que les avatars dans Second Life le sont des corps de chair et de sang qui les ont créés. En revanche, le livre numérique et l’avatar de Second Life sont bien plus proches l’un de l’autre parce qu’ils partagent les propriétés communes de leur environne-ment : tous deux sont et font partie de systèmes d’information communs.11

1.1.4 Le livre papier irréductible : la fin de l'histoire.

Ces deux conceptions précédentes - le livre et l'ordre des discours définis par la forme papier et le livre liquide - présentent un visage dans les deux cas peu réjouissant du passage au livre en réseau.

Dans le premier cas, le livre papier, abouti et indépassable quand il s’agit de fonder l’ordre des discours, déclasse a priori toute démarche numérique. Le livre numérique constitue alors

8 [ReadWriteGuillaud]in [ReadWriteLigne] [En ligne], mis en ligne le 25 mars 2010, Consulté le 23 juillet 2010. URL : http ://cleo.revues.org/147 § 4

9 [DacosMounier2010]10 [DacosMounier2010]11 [ReadWriteMounier]in [ReadWriteLigne] § 20

3

Page 4: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

la "fin de l'histoire du livre"12 et la ??? du livre réseau.

Selon cette approche le livre numérique ne peut qu'être, au mieux, une image du livre papier : livres numérisés en image, délivrés en PDF ou en formats ePUB, en fichiers "déta-chables" (selon la très bonne terminologie adoptée par ???). Le réseau est ici un simple lieu de diffusion dans lequel circulent des fichiers non modulables, ni dans leur forme ni dans leur relation au lecteur. Il n’est en aucun cas question d’ouvrir et d’intégrer le contenu, le dis -cours, à la couche logicielle du réseau dont les compétences se trouvent alors réduites à leur état le plus primaire de «?boîte postale?».

Dans le second cas, celui du ReadWrite Book, nous assistons non seulement à la fin de l'his-toire du livre mais également à la fin de l'Histoire tout court. En effet, les Read/Write Book, ne prolongent pas plus l’histoire du livre que les avatars de Second Life ne sont une évolution de l’homme. Quant à l’Histoire, si celle-ci est « une certaine manière pour une société de don-ner statut et élaboration à une masse documentaire dont elle ne se sépare pas »13 alors nous en voyons la fin. Il est en effet difficile, sinon impossible, de conserver un discours liquide et toujours réinscriptible. On retourne en quelque sorte à une histoire orale, dans laquelle quelques «?conteurs?» nous rappelleront ce qui avait été écrit/dit ici ou là autrefois, savoir qu’il ne leur faudra pas oublier de transmettre à leurs disciples avant leur mort sous peine de perdre notre mémoire collective.

En somme, quels que soient les avantages du livre papier, du ReadWrite Booi, du blog, du fo-rum et du wiki, comme des outils collaboratifs en ligne, ces approches ne répondent pas aux préoccupations d’éditeurs, d’auteurs et de lecteurs qui tiennent encore au livre, à son his -toire et à l’Histoire, tout en devant «?sacrifier?» à l’édition électronique.14

Les conséquences sont importantes. Il est évident que, face à ces perspectives de perte du livre ou de l’ordre des discours, les éditeurs s’en tiendront à des formes et à des exploitations du livre électronique qui n’offrent aucune évolution ni nouvelles perspectives ni au livre, ni aux savoirs, ni aux auteurs, ni au lecteur, ni au chercheur. Nous nous en tiendrons à un état de cet outil de pensée, le livre numérique, parfois très spectaculaire et admirable, brillant, mais peu préoccupé de l’exploitation des savoirs.

En effet, le livre est un objet de savoir, de travail, autant que de distraction. Or le réseau peut offrir, en matière d’exploitation des savoirs, des perspectives incomparables. Le web n’est pas un canal, c’est un outil d’une grande puissance dont l’aspect collaboratif n’est qu’une pe-tite partie : structuration et interrogation sémantique des savoirs, accélération de la lecture-travail par récupération d’annotations et de sélections de contenus référencés pour un nouvel écrit, granularisation des contenus pour une publication différentielle selon le contexte (diffé-rents niveaux de lecteurs, multilinguisme, lecteurs autorisés ou non...)...

Pour envisager une évolution du livre et de son exploitation il faut donc repenser les deux as-pects mentionnés par les positions ci-dessus :

1 la nature du livre et de l'ordre des discours

Il faut aussi impérativement porter un regard sur le livre autre que celui de sa forme, de sa nature ou de son unité. Cette ancienne approche essentialiste est totalement stérile face à l'évolution des technologies de l’édition. Il faut au contraire comprendre notre besoin de livre, dans ses diverses nuances ou genres, et déterminer ce que nous voulons conserver ou transformer dans l’édition électronique. Le livre est un usage. Nous y trouverons alors sans doute le moyen d’une continuité plutôt que d’une rupture avec l’édition papier. L’édition élec-tronique et en réseau nous permet de créer de nouvelles opportunités pour les différentes

12 en référence à la fameuse thèse de Francis Fukuyama développée dans «?La Fin de l'histoire et le Dernier Homme?» collection Champs, Flammarion, 1992

13 [foucault69a]14 Les auteurs de la théorie du ReadWrite Book le savent bien puisque leur travail constiste

par ailleurs au sein du Cléo à produire des livres et revues très«?solides?».

4

Page 5: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

formes de discours écrit. À nous de définir nos désirs et besoins en la matière.

1 la définition du réseau

Le réseau, ses outils et les paramètres du livre nous appartiennent, dépendent intégralement de nous. L’écrit aura dans le réseau les propriétés que nous lui donnerons ou que les acteurs du livre en général lui donneront. Il ne s'agit "que" d'une question de concertation entre les maîtres d'oeuvre de ces outils et les maitres d'oeuvre du livre.

l 1.2 Foucault et l’ordre des discours. La chance du livre dans le réseau.Nous allons voir ici comment une autre définition de l'ordre du discours, présentée en 1970 par Michel Foucault, peut nous permettre d'envisager autrement le passage du livre dans le réseau.

1.2.1 le livre n’a pas d’unité

À propos des unités «?livre?» et «??uvres?», en apparence celles qui «?s’imposent de la façon la plus immédiate?» quand on analyse le discours et le savoir, Michel Foucault écrit en 1969  :

Ne sont-elles pas données de la façon la plus certaine?? Individualisation du livre, qui occupe un espace déterminé, qui a une valeur économique, et qui marque de soi-même, par un certain nombre de signes, les limites de son commencement et de sa fin?; établissement d’une ?uvre qu’on reconnaît et qu’on délimite en attri-buant un certain nombre de textes à un auteur. Et pourtant dès qu’on y regarde de plus près les difficultés commencent. Unité matérielle du livre?? Est-ce bien la même s’il s’agit d’une anthologie de poèmes, d’un recueil de fragments post-humes, du Traité des Coniques ou d’un tome de l’Histoire de France de Michelet?? Est-ce bien la même s’il s’agit d’Un coup de dés, du procès de Gilles de Rais, du San Marco de Butor, ou d’un missel catholique?? En d’autres termes l’unité maté-rielle du volume n’est-elle pas une unité faible, accessoire, au regard de l’unité dis-cursive à laquelle il donne support?? Mais cette unité discursive, à son tour, est-elle homogène et uniformément applicable?? Un roman de Stendhal ou un roman de Dostoïevski ne s’individualisent pas comme ceux de La Comédie humaine?; et ceux-ci à leur tour ne se distinguent pas les uns des autres comme Ulysse de l’Odyssée. C’est que les marges d'un livre ne sont jamais nettes ni rigoureusement tranchées : par-delà le titre, les premières lignes et le point final, par-delà sa confi-guration interne et la forme qui l'autonomise, il est pris dans un système de ren-vois à d'autres livres, d'autres textes, d'autres phrases : n?ud dans un réseau. Et ce jeu de renvois n'est pas homologue, selon qu'on a affaire à un traité de mathé-matiques, à un commentaire de textes, à un récit historique, à un épisode dans un cycle romanesque ; ici et là l'unité du livre, même entendu comme faisceau de rap-ports, ne peut être considérée comme identique. Le livre a beau se donner comme un objet qu'on a sous la main?; il a beau se recroqueviller en ce petit parallélépi-pède qui l'enferme : son unité est variable et relative.15

Alors qu’en 1969 le livre n’existe encore que sous sa forme imprimée, celle-ci est pour Fou-cault un mode d’autonomisation, ni plus ni moins, et le livre n’a pas d’unité définie. L’unité matérielle du livre est une unité faible. Nous sommes bien loin de la définition du Petit Ro-bert16?! Dans la citation ci-dessus, il est évident que la forme ne dit rien de l’unité discursive, unité bien plus forte, quoique le livre soit toujours un «?n?ud dans un réseau?».15 [foucault69a]16 «?Assemblage d’un assez grand nombre de feuilles portant des signes destinés à être

lus?» Dictionnaire Petit Robert 1, par Paul Robert (1991)

5

Page 6: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

Le livre n’a pas de réelle unité mais une place dans le discours. La question est donc Ce dis-cours, l'ordre des discours, tel que nous le concevions quand nous n'avions que du papier peut-il se reconduire avec les modes d'édition électronique ?

Peut-il y avoir non pas rupture mais continuité entre les deux modes d'édition des discours ? Nous l'avons vu, certaines définitions de l'ordre du discours imposent une réponse négative. Mais voyons ce que nous permet d'envisager la définition, la typologie, donnée par Foucault.

1.2.2 L’ordre des discours

Dans son discours inaugural prononcé lors de son entrée au Collège de France en 1970 et in -titulé précisément «?L’ordre du discours?» Foucault définit l'ordre du discours comme un en-semble de procédures qui ont pour rôle de contrôler et de délimiter le discours, « d’en conju-rer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité ».17 Car le discours inquiète :

inquiétude à l’égard de ce qu’est le discours dans sa réalité matérielle de chose prononcée ou écrite??; inquiétude à l’égard de cette existence transitoire vouée à s’effacer sans doute, mais selon une durée qui ne nous appartient pas??; inquié-tude à sentir sous cette activité, pourtant quotidienne et grise, des pouvoirs et des dangers qu’on imagine mal??; inquiétude à soupçonner des luttes, des victoires, des blessures, des dominations, des servitudes, à travers tant de mots dont l’usage depuis si longtemps a réduit les aspérités.18

Les procédures de l’ordre du discours sont de trois ordres : des procédures externes aux énoncés, qui sont des procédures d’exclusion, des procédures internes, de classification, et enfin les procédures qui imposent à ceux qui tiennent des discours un certain nombre de règles qui assurent que tout le monde n’y a pas accès, des procédures de raréfaction des su-jets parlants.

Et le positionnement des curseurs correspondant à chacune de ces procédures assure un ordre, un contrôle du discours. Dans cet ordre social du discours le livre est une forme édito -riale parmi d’autres résultant d'un placement donné de ces curseurs. Le livre et ses genres sont le reflet d’un ordre social au même titre que les différentes formes architecturales qui constituent une cité.

Si nous acceptons ce postulat il nous faut alors étudier ces différentes procédures et voir si elles peuvent être rendues, maintenues, dans le discours écrit sous d’autres formes que pa-pier.

l 1.2.2.1 Les procédures externes

Les principes externes au discours sont des principes d’interdit (on ne peut pas tout dire, ni dans n’importe quelles circonstances et n’importe qui ne peut pas dire n’importe quoi), d’op-position entre raison et folie (le raisonnable peut parler, le fou doit se taire ou ne pas être écouté. Le discours est l’apanage de la raison.), d’opposition du vrai et du faux (qui repose sur un support institutionnel avec ses pratiques, sa manière de mettre en ?uvre et de valori-ser le savoir, de le distribuer, de l’attribuer, etc.).

l 1.2.2.2 Les procédures internes

Les procédures internes sont celles qui tendent à maîtriser l’événement et le hasard du dis -cours, à le raréfier.

Il y a d’abord le commentaire. Il y a plusieurs types de discours, sans que cette distinction ne soit « ni stable, ni constante, ni absolue », « les discours qui «??se disent??» au fil des jours et des échanges, et qui passent avec l’acte même qui les a prononcés??; et les discours qui sont 17 [foucault71a]18 [foucault71a]

6

Page 7: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

à l’origine d’un certain nombre d’actes nouveaux de paroles qui les reprennent, les trans-forment ou parlent d’eux, bref, les discours qui, indéfiniment, par-delà leur formulation, sont dits, restent dits, et sont encore à dire. »19

dans ce qu’on appelle globalement un commentaire, le décalage entre texte pre-mier et texte second joue deux rôles qui sont solidaires. D’une part, il permet de construire (et indéfiniment) des discours nouveaux : le surplomb du texte premier, sa permanence, son statut de discours toujours réactualisable, le sens multiple ou caché dont il passe pour être détenteur, la réticence et la richesse essentielles qu’on lui prête, tout cela fonde une possibilité ouverte de parler. Mais, d’autre part, le commentaire n’a pour rôle, quelles que soient les techniques mises en ?uvre, que de dire enfin ce qui était articulé silencieusement là-bas. Il doit, selon un paradoxe qu’il déplace toujours mais auquel il n’échappe jamais, dire pour la pre-mière fois ce qui cependant avait été déjà dit et répéter inlassablement ce qui pourtant n’avait jamais été dit. Le moutonnement indéfini des commentaires est travaillé de l’intérieur par le rêve d’une répétition masquée : à son horizon, il n’y a peut-être rien d’autre que ce qui était à son point de départ, la simple récitation. Le commentaire conjure le hasard du discours en lui faisant la part : il permet bien de dire autre chose que le texte même, mais à condition que ce soit ce texte même qui soit dit et en quelque sorte accompli.20

Le commentaire est donc création de nouveau discours mais aussi renforcement, accomplis -sement, du texte même qui se voit commenter. L’on peut d’ailleurs affirmer avec Foucault qu’un texte non commenté ne constitue pas un évènement, n’existe pas. Le commentaire « li-mite le hasard du discours par le jeu d’une identité qui aurait la forme de la répétition et du même »21. Le commentaire est en quelque sorte la condition de l’existence du texte, qui de-vient alors «?texte premier?». La seule règle à respecter est donc d’identifier texte premier et «?texte second?».

Un second principe interne aux énoncés est l’auteur comme principe de groupement du dis -cours, comme foyer de leur cohérence (et non pas comme individu parlant). Ce principe est plus ou moins fort selon les domaines, il l’est en particulier en littérature où « Le principe de l’auteur limite [le hasard du discours] par le jeu d’une identité qui a la forme de l’individualité et du moi ».22 En littérature le principe d’auteur peut être «?Michel Houellebecq?». Le prin-cipe d’auteur se confond avec l’auteur en tant qu’individu, c’est lui, de façon suffisante, qui donne sa cohérence à l’ouvrage (par son style, son ?uvre, etc.). En édition culinaire le prin -cipe d’auteur peut être «?recettes périgourdines?» ou «?recettes périgourdines du 19ème siècle?», le principe d’auteur étant plus fort dans le second cas, la thèse plus circonscrite. En philosophie cela peut être «?La notion d’être chez Nietzsche?» par Michel Foucault. Auquel cas l’auteur lui-même devient constitutif du principe d’auteur, de par son caractère particuliè-rement signifiant.

Pour plus de clarté, afin de ne pas nécessairement associer «?principe d’auteur?» et «?au-teur?», comme en littérature, nous parlerons «?d’argument?». C’est le principe, le choix, ce qui définit la thèse du livre, son objet. Le foyer de sa cohérence, comme l’écrit Foucault.

Le troisième principe interne est constitué par les disciplines qui se définissent « par un do-maine d’objets, un ensemble de méthodes, un corpus de propositions considérées comme vraies, un jeu de règles et de définitions, de techniques et d’instruments », système anonyme qui indique ce qui est requis pour la construction de nouveaux discours. Une proposition, pour appartenir à une discipline doit être «?dans le vrai?», avant d’être dite vraie ou fausse.

« La discipline est un principe de contrôle de la production du discours. Elle lui fixe des li-

19 [foucault71a]20 [foucault71a]21 [foucault71a]22 [foucault71a]

7

Page 8: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

mites par le jeu d’une identité qui a la forme d’une réactualisation permanente des règles. »23

On a l’habitude de voir dans la fécondité d’un auteur, dans la multiplicité des com-mentaires, dans le développement d’une discipline, comme autant de ressources infinies pour la création des discours. Peut-être, mais ce ne sont pas moins des principes de contrainte??; et il est probable qu’on ne peut pas rendre compte de leur rôle positif et multiplicateur, si on ne prend pas en considération leur fonction restrictive et contraignante.24

l 1.2.2.3 Raréfaction du sujet parlant

Le troisième groupe de procédures défini par Foucault concerne la raréfaction des sujets par-lants??;

nul n’entrera dans l’ordre du discours s’il ne satisfait à certaines exigences ou s’il n’est, d’entrée de jeu, qualifié pour le faire. Plus précisément : toutes les régions du discours ne sont pas également ouvertes et pénétrables??; certaines sont hau-tement défendues (différenciées et différenciantes) tandis que d’autres paraissent presque ouvertes à tous les vents et mises sans restriction préalable à la disposi-tion de chaque sujet parlant.25

raréfaction assurée par des groupes et rituels :

les rituels de parole, les sociétés de discours, les groupes doctrinaux et les appro-priations sociales. La plupart du temps, ils se lient les uns aux autres et consti-tuent des sortes de grands édifices qui assurent la distribution des sujets parlants dans les différents types de discours et l’appropriation des discours à certaines ca-tégories de sujets. Disons d’un mot que ce sont là les grandes procédures d’assu-jettissement du discours. 26

Une caractéristique de ces rituels de paroles, c’est son commencement et sa fin. On invite l’auteur d’un discours à le commencer et à le clore. Et il est impossible, au grand dam de Fou-cault, de se glisser subrepticement dans un continuum-discours qui en serait aussi le point de disparition.

1.2.3 analyse et conséquence de la perspective de Foucaultl 1.2.3.1 pas de révolution en cours

Identifier l’ordre auquel appartient un texte en particulier, c’est-à-dire sa place dans l’autorité des discours de son genre, de sa discipline, demande de connaître bien d’autres informations que sa forme : il est plus important de connaître l’éditeur et la collection dans laquelle il est publié. Dans le cas d’un essai, aucun lecteur ne s’épargnera de vérifier «?qui?» est l’auteur, en tant qu’auteur (écrits précédents, critiques reçues...), mais aussi en tant qu’individu (affi-liation à une institution ou à une autre, à un courant ou à une école, engagements politiques ou philosophiques, etc.). On vérifiera ses références bibliographiques, les citations auxquelles l’ouvrage ou les précédents ouvrages du même auteur, donnent lieu ou non dans d’autres ou-vrages de la même discipline, les commentaires et critiques qu’ils ont reçus, le contexte dans lequel ils sont cités, etc. Les acteurs du livre, au-delà de celui qui prononce lui-même le dis -cours, vont placer le livre selon la discipline dans laquelle celui-ci s’inscrit, la nécessité ou non d’un principe d’auteur fort, celle de le voir commenter ou non, de constituer une réfé-rence, de faire histoire.

23 [foucault71a]24 [foucault71a]25 [foucault71a]26 [foucault71a]

8

Page 9: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

L’ordre auquel appartient l’ouvrage dépendra de tous ces facteurs bien plus que de sa forme. Un livre publié en chapitres dans un hebdomadaire mais dont la publication aura été «?lan-cée?» à grands frais ne souffrira nécessairement pas de sa «?forme?». Encore une fois tout dépendra du fond et de l’environnement social du livre.

Les genres (essai, littérature, guides, etc.) ne fondent pas l’ordre des discours. Ils en ré -sultent et indiquent en retour les niveaux de curseur des procédures de l’ordre des discours choisis pour tel ou tel ouvrage : un lecteur n’approchera pas un ouvrage estampillé roman de la même façon qu’il approchera un autre proposé comme essai, même s’ils sont du même au-teur. En littérature, il est implicitement convenu que la notion de discipline n’est pas la plus pertinente alors que l’auteur est fondamental. En sciences humaines le cursus de l’auteur, va primer, mais pas autant que sa fidélité à une méthode de discipline et le nombre de citations qu’il aura reçu. Etc.

L’éditeur va en quelque sorte mâcher ce travail d’évaluation aux lecteurs. Il représente des niveaux de curseurs, auxquels il tente de rester fidèle tout en ayant pour devoir de prendre des risques. L’éditeur est l’une des composantes du rituel de raréfaction des sujets parlants. Il s’assure en amont de tous ces paramètres, garants de «?qualité?», et y associe un label : son nom (associé à un historique dans la place qu’occupent ses livres dans l’ordre des dis -cours), son design de collection (graphisme, qualité de papier...), jusqu’à la date et l’événe-ment de publication qu’il prévoira et qui auront une signification forte. Et il va distinguer deux ouvrages par ailleurs parfaitement identiques quant à leur «?forme?» en en classant un dans une collection Roman, signifiée en couverture, et l'autre parmi les essais.

L’on voit alors que les questions qui se posent aujourd’hui au livre sous forme électronique se posent déjà depuis fort longtemps avec le livre papier : qui sont ses auteurs, d’où viennent-ils, ont-ils respecté les méthodes de leur discipline, leur éditeur en est-il garant, a-t-il reçu des critiques, dans quel sens vont-elle, est-il repris et cité par d’autres auteurs...?? Tout le livre est dans ces questions.

1.2.4 la question de ce qu’est un livre montre la confusion actuelle dans l’ordre des discours basé sur le «?volume?»

Le livre est un objet bien plus complexe que ne le laisse supposer sa forme. Et celle-ci est trompeuse quand il s’agit de percevoir justement l’ordre des discours. En effet, selon la défi-nition du livre par sa forme tout discours se présentant sous la forme d’un livre est livre. En apparence cela suffit à éloigner toute confusion dans l’ordre des discours. Mais à y regarder de plus près c’est moins évident.

Un journal n’est évidemment (?!) pas un livre, pas plus qu’une revue ou un magazine. Il peuvent cependant y aspirer à l’instar de la revue XXI parfois qualifiée de revue-livre. Mais un annuaire?? Un catalogue?? Oui et non. Pourtant une anthologie, c’est-à-dire un catalogue de morceaux choisis, en est un. Un rapport est-il un livre??

Un livre de recettes italiennes est plus proche du catalogue qu’un livre de recettes toscanes et plus encore qu’un livre de recettes toscanes de telle ou telle époque, qui se rapproche de l’essai historico-gastronomique. Le degré de «?discipline?», de méthode, de «?domaine du vrai?», le degré d’abstraction qui préexiste à l’écriture module le genre mais aussi la qualité de livre. Car tous les genres ne sont pas des livres au même titre, avec ce que le terme sup-pose de noblesse, malgré leur forme papier.

Alors qu’est-ce qu’un livre?? Nous pouvons, au mieux, dire qu’en-dehors de la forme, seule une gradation dans l’abstraction distingue les formes éditoriales livres les unes des autres. Pour faire livre il faut (fallait?!?) un format (dimensions), une cadence de publication (longue, de préférence) et un argumentaire à peu près linéaire : une histoire, une thèse, une problé-matique, une idée commune à l’ensemble des textes composant le livre. Ce que l’on peut ap-peler un principe d’auteur fort.

Mais cela ne suffit pas pour autant. Une thèse universitaire n’est pas un livre tant qu’elle n’a

9

Page 10: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

pas été retravaillée puis homologuée comme telle par un éditeur. Alors qu’elle aura été accep-tée par l’université, enregistrée, cataloguée, notée, et imprimée.

Dira-t-on de quelqu’un dont les étagères sont remplies de guides de voyages qu’il possède beaucoup de livres?? Non, pas vraiment, ou alors seulement avant de préciser qu’il s’agit de guides de voyage, qui n’ont pas la même aura que des romans ou des essais.

On voit en définitive que la définition du livre par sa forme est réductrice au point d’empê-cher certaines distinctions parmi les discours écrits. On peut même dire que certains dis -cours (discours basés sur l’actualisation, la personnalisation...) ont tout à gagner à se libérer du papier dans lequel ils étaient enfermés, de se libérer de leur qualité obscure de «?livre?» ? Nous verrons plus bas que les nouvelles formes éditoriales nées sur le web nous l’indiquent très précisément .

Maintenant que nous pouvons grâce à Foucault nous affranchir de la forme du livre une seule question se pose pour sa transition vers l’édition électronique dans une forme de continuité avec son passé : peut-on ménager dans l’ordre du discours écrit en réseau la place qui reve-nait au livre dans l’ordre des écrits papier?? Si tous les textes se présentent en apparence sous une forme similaire, du flux de texte et d'images sur un écran plat, pouvons-nous quand même distinguer un livre d'un billet, d'un catalogue, d'un site, voire d'un magasin en ligne ? Pour résumer, le site de la fnac peut-il se confondre avec un livre ?

Pour répondre à cette question voyons si et comment les procédures de l’ordre du discours telles que définies par Foucault, et qui permettaient de distinguer un catalogue de livres (même très raffiné) d'un livre, peuvent être maintenues dans l’édition en réseau.

l 1.3 Le Web, les outils web et le jeu sur les curseurs de l’ordre des discours.

Nous allons d’abord voir ici s’il y a une impossibilité logique à transposer les procédures de l’ordre du discours dans un mode de production et d’exploitation électronique du livre. S’il n’y a pas d’opposition logique nous verrons dans le chapitre suivant comment les garantir sur le plan technique, c’est-à-dire quel est le cahier des charges pour un outil qui nous permet-trait de rendre l’ordre des discours dans le réseau tout en lui offrant des perspectives d’évo -lution.

1.3.1 procédures externes

Les 3 procédures externes, principes d’interdit, d’opposition entre le vrai et le faux et d’oppo-sition entre raison et folie, ne dépendent pas du mode ou des outils de production et de publi-cation du discours, comme leur nom l’indique. Elles sont externes au discours. Ce qui peut être dit et par qui relève de la culture d’une société, de son contexte religieux, etc. Que cela soit sur papier ou non tout le monde peut écrire ce qu’il veut, la censure et l’autocensure se chargeront d’accepter ou de rejeter l’écrit en question.

Les notions de fou et de sage ne dépendent pas du papier ou de l’électronique. Ce qui n’est pas forcément vrai de la question de la raréfaction des sujets parlants que nous discutons plus bas. Ce qui n’empêche pas de dire que l’un peut éventuellement avoir un effet retour sur l’autre. Car si le sujet parlant est moins rare peut-être laisse-t-il plus l’occasion au fou de par -ler ce qui en fait finalement quelqu’un de moins fou?!

1.3.2 procédures internes

Les trois procédures internes, principe d’auteur, commentaire et discipline, sont par contre directement liées au mode de production du discours.

l 1.3.2.1 Principe d’auteur  (ou argument)

10

Page 11: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

Le principe de groupement du discours qui sous-tend l’ouvrage peut-il rester explicite dans l’édition en réseau, sachant que cette idée peut être l’individu lui-même, un institut signataire de l’ouvrage, ou une thèse extrêmement élaborée pour un ouvrage dont les auteurs sont peu signifiants sur le plan individuel??

L'identification de l'auteurPrenons d’abord l’identification des auteurs d’un livre, la question de la signature. Si l’on prend le cas de la rédaction en ligne (par opposition à une rédaction hors ligne ensuite dépo -sée sur le réseau) l’on sait bien que la distinction et le «?contrôle?» des auteurs passe par une simple gestion de niveaux d’accès. Ce contrôle peut être très fort comme totalement libre. Il s’agit d’une décision éditoriale et non pas d’un effet «?induit?» par le réseau. Dans l'édition en réseau, rien ne s’oppose donc à cet aspect du principe d’auteur.

La définition de la thèseEnsuite, l’outil peut-il interférer avec la thèse, l’argument qui sous-tend la cohérence de l’ou-vrage quand ce n’est pas seulement l’auteur en lui-même qui la lui donne?? Ce peut-il que l’outil interfère avec le ou les auteurs dans leur rédaction, ou avec l’éditeur dans son choix de textes ?

On peut imaginer plusieurs contraintes à la liberté de l’auteur ou de l’éditeur de définir leur argument et de le signifier au lecteur : un outil interférant directement dans la rédaction, par exemple en limitant la modification du plan à un certain point. Ou un outil empêchant la défi-nition d’une collection, catégorie qui regroupe des ouvrages sous un tronc commun qui cir -conscrit l’argumentaire. Nous pouvons penser également à des outils non seulement de pro-duction mais aussi de lecture qui ne pourraient pas rendre une partie de l’oeuvre : vidéos, sons, différents niveaux de lecture, fichier trop lourd pour être ouvert, etc.

Il faut donc s’assurer d’offrir aux auteurs des outils au moins aussi souples que des feuilles volantes. Il faut aussi s'assurer que les outils de lecture pourront rendre justice à la sou-plesse de production. L’édition électronique en réseau ouvre par exemple la liberté éditoriale du multimédia et des contenus dynamiques, contextuels. Or ce sont des libertés dangereuses quant au principe d’auteur, qui risque de perdre de sa force d’un format ou d’un support de lecture à l’autre. Surtout si l’on envisage encore l’impression papier parmi les formats de lec-ture.

Mais est-ce que le support de lecture papier n'imposait pas déjà des contraintes aux auteurs ?

Le papier impose des contraintes mécaniques (le volume de 2000 pages impossible à manipu-ler), psychologiques (un livre de 1 500 pages ne va-t-il pas décourager les lecteurs et m’obli -ger à circonscrire ma thèse de façon un peu plus serrée??), commerciales (le coût de fabrica-tion et de diffusion d'un ouvrage volumineux).

Les caractéristiques du papier (raideur, poids, volume) imposaient déjà aux auteurs certaines restrictions. Celles des nouveaux formats en apportent de nouvelles (processeurs, moteurs de rendu...) tout en en résolvant certaines.

En définitive on peut dire que le respect du principe d’auteur n'est pas plus menacé dans l’édition en réseau que dans l'édition papier. Il continue de rencontrer certaines contraintes propre à tous les processus éditoriaux. Contraintes auxquelles peuvent répondre auteurs et éditeurs en prenant conscience des possibilités techniques à leur portée et de leur degré d’in-teropérabilité.

l 1.3.2.2 commentaire : distinction texte premier/texte second

La question du commentaire pose d’emblée la question de la distinction entre texte premier,

11

Page 12: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

le texte «?lui-même?» et texte second, le commentaire. Il faut donc déjà pouvoir définir le premier.

La clotureDéfinir le texte premier implique de le finir et de pouvoir l’identifier. Il faut donc dans un pre-mier temps pouvoir faire acte d’édition, de clôture du texte, de façon aussi forte que lorsque l’on envoyait un texte à l’impression. Cela consiste tout simplement à fermer l’accès des au-teurs au texte. Aux éditeurs ensuite de garantir cette clôture. Cela relève de leur responsabi -lité plus que de la technique.

La difficulté des rendus contextuelsLa difficulté avec l’édition électronique consiste ensuite à donner une identification au texte que tous les lecteurs pourront retrouver quelle que soit la forme qu’ils ont entre les mains. Car le commentaire y fait référence, et pas forcément au texte dans son ensemble mais aussi à l’un de ses extraits. Sachant que le texte publié en réseau peut s’abstraire de toute notion de page il faut d’une part envisager d’autres modes de référencement des contenus puis s’as-surer qu’ils seront bien identifiables d’une forme à l’autre, du papier aux différentes formes électroniques.

Car l’édition multi-supports implique que toutes les formes d'un contenu unique ne pré-sentent pas forcément exactement le même contenu : un livre html présentant des contenus vidéo s’en trouvera dépourvu quand il sera imprimé ou, jusqu'à aujourd'hui en tout cas, lu sur la plupart des ebook à encre électronique.

Un livre électronique c'est :

Un contenu unique

délivré sous plusieurs formes (électroniques ou papier)

dans différents rendus (multimédia ou non, uni ou multi-lingue, en fonction du niveau d'expertise du lecteur...).

Un éditeur peut proposer des «?variations de rendu?» pour un livre du même format. Pre -nons le livre html : une page de contenu html, disons de texte, est déposée sur un serveur, c’est-à-dire un ordinateur qui a pour rôle de répondre aux demandes des clients du réseau. Cette page de texte est liée à des pages de scripts informatiques qui vont indiquer comment la lire. Elle va être interprétée (lue?!?) par un logiciel appelé navigateur installé sur un appa-reil de lecture. Cela peut être un ordinateur domestique, un téléphone, une tablette, un ebook. Or toutes ces machines ne fonctionnent pas de la même façon. Elles n’ont pas toutes la même chose «?dans le ventre?». En fonction de la machine de lecture et de ses caractéris -tiques, le logiciel qui va «?lire?» la page de texte va donc en donner un rendu visuel (taille et style des caractères...) et d’usage propre (déroulement des menus, positionnement des élé-ments, de la page les uns par rapport aux autres, réaction au passage de la souris, etc.).

Nous sommes donc dans le cas d’un rendu et d’un usage de la «?page?» dont les paramètres peuvent considérablement varier d’un environnement à l’autre. C’est-à-dire aux antipodes d’une page imprimée dont l’agencement et l’usage est le même pour tous, en tout cas pour une même édition du texte.

Nous ne parlons donc plus de contenus statiques mais d’énoncés qui sont aussi des machines dynamiques. Appelons-les des «?énoncés-logiciels?». Ils ont des comportements et répondent au contexte dans lequel ils sont sollicités.

Il faut comprendre que cette dynamique, cette plasticité, n’est pas l’apanage de tous les for-mats électroniques. Le PDF par exemple est statique. Le Flash également. Un livre au format

12

Page 13: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

Flash va peut-être inclure des contenus interactifs, du son, etc, mais ses comportements se-ront les mêmes quel que soit l’environnement électronique de lecture. Nous pouvons donc parler de différents types de livres électroniques, les livres-logiciels, dynamiques, et les livres-formats, statiques.

Comment dépasser cette caractéristique de l’édition contemporaine?pour définir un texte premier ? Nous verrons qu’il y a techniquement plusieurs approches possibles à l’identifica-tion du document dans son entier, à la façon de l’ISBN. Quant à celle des contenus plus fins il ne peut y avoir d’autre façon que de définir une source unique, correspondant à la totalité des contenus avant leur publication sous un format ou sous un autre. Le texte intégral en quelque sorte. Quelle que soit la sélection opérée au moment de la publication par des contraintes de format ou de matériel chaque élément de contenu gardera son identification par rapport à la source unique.

La responsabilité des éditeurs mais aussi des techniciensIci nous voyons donc qu’au-delà de paramètres techniques la question de l’identification des contenus implique à nouveau la responsabilité des auteurs et des éditeurs au moment de la rédaction de l’ouvrage : + ou - de contenus mutli-supports, multi-formats et multi-lecteurs.

Nous verrons au chapitre suivant quelle est la responsabilité des fabricants, des éditeurs de logiciels et des éditeurs dans les choix technologiques qu’ils feront et leur impact sur l’inter-opérabilité des machines et contenus.

Envisageons maintenant que nous avons un texte premier parfaitement identifiable, il faut s’assurer également que le commentaire l’est lui aussi, qu’il n’y ait pas de confusion. Car d’une part il ne doit pas interférer avec le texte premier et d’autre part on doit pouvoir com-menter un commentaire, sans pour autant le modifier. Le commentaire doit donc être aussi solide et identifiable que le texte premier. Il doit pouvoir devenir à son tour texte premier pour d’autres commentaires.

La question revient donc toujours à cette problématique de finitude et d’identification des textes non seulement dans le réseau mais d’une forme à l’autre.

Une chose est certaine, l’absence de l’un ou l’autre de ces deux paramètres empêcherait le passage du livre tel que nous l’avons défini par convention, c’est-à-dire fini, dans le réseau. Nous aurions effectivement un texte éternellement réinscriptible, liquide, impossible à com-menter et par conséquent inexistant.

l 1.3.2.3 troisième principe interne: la discipline

La possibilité de répondre aux exigences et méthodes d’une discipline donnée est l’un des pi-liers de l’ordre des discours. Cela implique d’avoir les moyens d’écrire des équations mathé-matiques aussi bien que de distinguer des gloses selon que l’on est physicien ou philologue. Cela implique de pouvoir rédiger un glossaire aussi bien qu’une épigraphe. De distinguer des références à d’autres ouvrages comme de dessiner des tableaux complexes. Tous les codes qui fondent les écrits dans une discipline ou une autre doivent d’autre part pouvoir être ren -dus, et ceci, encore une fois, quel que soit le format de sortie, avec la limite des compétences de chaque format. L’on ne pourra pas plus assurer la diffusion d’une vidéo sur papier que l’on ne sait le faire aujourd’hui (sauf à la remplacer sur la page par un code offrant de la visionner avec son téléphone, etc.).

13

1-1 Attention Dynamique (n’est pas «?interactif?»?!)

Nous entendons tout au long de ce livre le terme «?dynamique?» comme «?réagissant aux contexte d’usage?» et non comme «?multimédia?» ou «?interactif?» comme cela est souvent le cas.

Page 14: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

Mais la discipline n’est-ce pas aussi dans certains cas l’actualisation du contenu?? Lorsqu’il s’agit d’écrire un annuaire, un guide de voyage, un essai d’épistémologie ou un roman, le pa-ramètre d’actualisation n’a pas le même impact. Cette actualisation définit dans l’édition pa-pier des genres montrant différentes périodicités de publication, du «?quotidien?» à l’an-nuaire, de l’essai réédité ou non selon l'évolution des connaissances dans son domaine d’étude, jusqu’au roman non actualisé qui a priori n’est pas informatif.

C'est questions des moyens de rédaction et d'actualisation propres à la discipline sont fonda-mentaux dans le respect de l'ordre des discours et nous verrons comment l'on peut y ré -pondre ou non techniquement.

Nous voyons que des trois principes internes de l’ordre des discours (principe d'auteur, com-mentaire et discipline) aucun n’est logiquement impossible à conserver et à manipuler dans le passage à l’édition en réseau. Aucun n'est intrinsèquement lié au papier. Certains posent quelques défis techniques, nous les étudierons dans le chapitre suivant. Les trois demandent quoi qu’il en soit des restrictions volontaires aux auteurs/éditeurs non pas par rapport à leurs anciennes habitudes mais par rapport aux nouvelles possibilités que les technologies électro-niques et en réseau leur offrent. Ces restrictions ne tiennent dans tous les cas qu’à la limite de l’interopérabilité entre formats de données et supports de lecture. Nous verrons dans le chapitre suivant que les éditeurs doivent en conséquence être conscients de ces questions comme ils connaissaient les papiers et qualités de brochage. Ni plus ni moins.

1.3.3 Raréfaction du sujet parlant

À y regarder de près le principe de raréfaction des sujets parlants est sans doute le principe le plus remis en question par les outils réseaux. Si tout un chacun pouvait jusqu’à aujourd’hui rédiger quelque énoncé que ce soit et même le publier sur papier sans prescripteur ou édi -teur lui donnant de légitimité et de moyens de diffusion, il se trouvait néanmoins de fait plus ou moins exclu des cercles autorisés et considérés. Or être «?sujet parlant?» signifie «?être lu?».

Le réseau met aujourd’hui à la disposition de tous non seulement des outils performants et économiques de production mais aussi le canal de distribution lui permettant d’arriver à la porte de son lectorat potentiel.

D’autre part le réseau offre ces outils non seulement aux auteurs de «?textes premiers?» mais également aux auteurs de critiques, d’articles, de suggestions et de commentaires. Or, comme nous venons de le voir, ce sont ces discours-là qui vont donner ou non son existence au texte premier.

Le réseau donne à chaque individu sur la toile le rôle éventuel de prescripteur, pouvant béné-ficier de la diffusion virale qui donne sur le net ses lettres de noblesse au bouche à oreille. Les outils de production et de diffusion sont aussi développés que ceux de commentaire.

Le sujet parlant en est-il pour autant moins rare??

Il faut noter que le livre n’est pas un morceau de musique ou un clip dont l’écoute ou le vi-sionnement prend environ quatre minutes. Il semble donc peu probable qu’une simple recom-mandation virale se propage à la même vitesse pour ces contenus. Il reste le temps de la lec-ture qui freine forcément la diffusion.

Mais ci cela devait se produire on peut évidemment s’attendre à ce que devant une profusion de recommandations de livres qu’il serait impossible de tous les lire. ???? les lecteurs se re-plient vers des prescripteurs choisis, des autorités. «?S’informer fatigue?» comme titrait Le Monde Diplomatique il y a déjà fort longtemps, avant que le web ne soit devenu un instru-ment commun, encore plus «?fatiguant?»27. Bien sûr les outils de veille et de tri se multi-27 [Ramonet93]

14

Page 15: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

plient. Ils vont continuer à le faire avec la structuration des contenus selon des ontologies de plus en plus raffinées et communes aux auteurs mais aussi aux lecteurs s’organisant pour ta-guer leurs commentaires à destination d’autres lecteurs. Pour autant ils n’auront pas le temps de tout lire et la prescription littéraire restera sans doute le fait de grands lecteurs ou de professionnels du livre ou de telle ou telle discipline.

C’est donc selon nous le maintien d’un réseau de critiques établis qui s’annonce. Que ceux-ci soient «?amateurs?» ou professionnels. C’est ce que l’on observe jusqu’à présent avec une prolifération de «?maisons d’édition en ligne?», offres de dépôt de manuscrits, avec ou sans comité de lecture, avec ou sans sélection, sans pour autant que nous soyons submergés par les suggestions de lecture, ou en tout cas pas plus qu’avant?! Nous retrouvons pour l’instant sur nos sites de libraires les têtes de gondoles que nous avions en magasin. Nous ne voyons pas encore émerger tant que cela d’auteurs internet, au sens d’auteur s’étant fait connaître tout seul dans le réseau par le simple biais du bouche à oreille. Rassurons-nous, autant de livres vont continuer de ne jamais trouver leurs lecteurs et les prescripteurs «?patentés?» conserveront leur autorité. Les cartes seront peut-être redistribuées entre les dits prescrip-teurs influents, mais la rareté des sujets parlants n’en sera pas moins assurée.

La question de la longue traine est peut-être le facteur le plus menaçant pour la rareté des sujets parlants. Un bon ou un mauvais livre passé inaperçu peut toujours être repêché. La no-tion de livre épuisé va disparaître et tout auteur pourra rêver d’un succès tardif, d’un accès, enfin, à la parole (ou s'inquiéter de la pérennité d'un écrit qu'il aurait préféré voir dispa -raître).

La structuration sémantique des contenus aura bien sûr un impact sur cet accès à la parole. Elle permettra de raffiner considérablement la recherche, qui deviendra contextuelle, et per-mettra d’exhumer à l’occasion des ouvrages mal exploités.

Sur le plan technique la raréfaction des sujets parlants dépendra donc sans doute en grande partie de la structuration des contenus et de la qualité des outils web de recherche et d’in-dexation sémantique. Pour autant un livre continuera sans doute de ne pas se répandre comme un clip de Rap.

Mais sur cette question cruciale nous restons sur des «?peut-être?» et des «?sans doute?». Technologiquement tout est là pour que nous soyons tous potentiellement des sujets parlants. Et c’est peut-être la principale barrière au passage du livre dans le réseau. Mais c’est une barrière psychologique, pas technologique. Il nous faut encore un peu d’histoire et quelques pionniers pour tester vraiment cette procédure et son maintien dans le réseau. Si nécessaire (avec ou sans point d’interrogation?!).

1.3.4 L’ordre des discours irait-il en se raffinant??

Nous voyons que le web et la production comme l’exploitation de livres dans le réseau ne sont a priori en aucun cas en contradiction avec les procédures qui permettent de définir et de raffiner l’ordre des discours.

Rien ne s’oppose logiquement à la distinction des auteurs, comme à leur confusion, aux com-mentaires comme à la notion de texte ouvert, ni à la subtilité que demandent les disciplines. Il semble également peu probable que tous les livres écrits et mis à disposition sur le net se confondent en intérêt et qualité aux yeux des lecteurs, ni même que ceux-ci ne s’en remettent pas à ces prescripteurs bien connus qui régulent par leur travail, leur analyse, leur temps de lecture tout «?simplement?», un flot ininterrompu de publications.

La marge de man?uvre est totale, a priori, et par conséquent aucun genre de discours écrit n’est menacé intrinsèquement par le réseau et ses outils. Ceux-ci n’induisent rien d’autre que le choix et la nécessaire responsabilité des uns et des autres : auteurs, éditeurs, prescrip-teurs, lecteurs, mais aussi développeurs et fabricants d'outils de fabrication et de lecture.

Nous avons donc toute la marge de man?uvre nécessaire à priori aux subtilités de l’édition.

15

Page 16: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

Certains genres y trouvent d’ailleurs matière à se libérer de contraintes qui les desservaient dans leur forme papier. On peut se demander si les nouvelles formes éditoriales qui se pré-sentent sur le web ne constituent pas alors un raffinement de l’ordre des discours plutôt que son aplanissement. Un raffinement que ne permettait pas la forme papier qui réunissait sous le même concept de livre une panoplie de discours bien éloignés les uns des autres. L’ordre des discours ne devient-il pas en fait plus fin ?

l 1.4 des curseurs d’une grande mobilité, de nouvelles formes éditoriales libérées du papier

Prenons l’exemple du livre personnalisable qui explose sur le web. C’est un catalogue enfin li-béré du papier. De quoi un catalogue a-t-il besoin?? Il a besoin de quelques critères de sélec-tion. Ici, chaque lecteur peut ajouter le critère «?mes goûts?», critère inaccessible à la consti-tution d’un catalogue papier à moins d’en être justement l’auteur. Le passage du livre de re -cettes dans le web ne marque donc pas la fin du «?livre de recettes?» mais l’apogée de ce qui était en fait des «?catalogues de recettes?» (selon le degré d’abstraction bien sûr). Tous les catalogues, quel que soit leur sujet, sont susceptibles d’être un «?choix?».

Il en va exactement de même pour le guide de voyage dont la forme fixe était aussi une contrainte du fait, en particulier, de son besoin d’actualisation. Le guide de voyage se trouve enfin servi par des outils mieux appropriés à son objet. Le dictionnaire, l’annuaire ou le «?code?» profitent également de cette transformation, leur impératif d’actualisation n’étant plus perturbé par la contrainte matérielle et économique de l’impression et de la distribution papier. Sans parler des avantages de la rédaction collaborative pour ce genre d’ouvrages.

L’exemple de Wikipédia, et des wikis en général, pose la question de la rédaction ouverte à «?tous?» les auteurs. Il s’agit d’une autre nouvelle forme éditoriale dans laquelle le principe d’auteur est très faible, ce qui se manifeste à la fois par le nombre et l’anonymat des auteurs. L’argument de Wikipédia est «?encyclopédie ouverte en ligne?». Une autre procédure de l’ordre du discours y est à son niveau le plus bas, sans être à zéro : il s’agit du commentaire. Les critères de protection (clôture) des textes étant très bas et en général temporaires, le texte premier n’est que rarement défini. Le commentaire (qui n’est pas la discussion?!) peut donc difficilement exister. Si cette forme éditoriale est intéressante à plusieurs titres et ré-pond de toute évidence à certains manques (l’inscription dans une «?encyclopédie?» de per-sonnes ou sujet qui n’y seraient pas entrés sur papier avant d’avoir fait Histoire, la valorisa-tion des savoirs «?populaires?» au sens où les auteurs n’ont pas à justifier d’un parcours ou d’un état, l’accès pour tous au discours.) il n’en est pas moins vrai, du fait de sa plasticité, qu’elle pose un problème en tant que source, au sens de référence pour la construction d’autres énoncés (à ne pas confondre avec un jugement sur la qualité de fond des articles?!). On ne peut d’ailleurs citer Wikipédia sans y adjoindre une date de consultation. Car l’on sait que ce texte n’est pas pérenne ou en tout cas que rien ne le garantit.

Quoi qu’il en soit, ce type d’édition reflète parfaitement une liberté remportée sur le papier pour ce type de contenus et de besoins. Et rien n’empêche d’en imprimer ou d’en exporter une version «?figée?», une «?photographie?» à un instant t, pour des questions de confort 28. Quant à la conservation – pour le plus grand soulagement sans doute des historiens pour les-quels guides, encyclopédies, catalogues, etc., ont été et pourront rester des sources pre-mières – elle demanderait un projet d’édition encyclopédique (en et/ou hors ligne), avec une cadence de publication «?d’éditions?» et non plus d’encyclopédie ouverte en ligne et toujours mouvante.

L’ensemble de ces exemples et nuances nous offre de mieux distinguer les discours les uns des autres, ce dont ils ont besoin, ce dont nous avons besoin, ce pour quoi nous les créons. 28 http://fr.wikipedia.org/wiki/Aide_:Livres

16

Page 17: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

Car nous pourrions en effet offrir les mêmes fonctionnalités de personnalisation au roman. Les outils sont là. Nous, éditeurs, auteurs, lecteurs, ne le voulons pas forcément. Cette possi-bilité nous oblige cependant justement à réfléchir un peu plus à ce que nous voulons créer et, ou, conserver comme types de discours. Quitte à initier, ou relancer, cette forme éditoriale du «?roman personnalisable?». Il n’y a en effet plus de contrainte mais bien l’expression tout à fait modulable de besoins, de désirs, d’usages. Du discours électronique fini, au livre papier en passant par le wiki ou le contenu personnalisable, imprimé à terme ou non.

l 1.5 Conclusion

Le livre et les discours, l’ordre que l’on confère à ceux-ci sont donc des catégories complexes qui ne vivent en cela aucune révolution aujourd’hui. Nous sommes dans la poursuite d’une complexité existante, peut-être dans son amplification mais en même temps dans sa résolu-tion si l’on envisage que de nouveaux outils peuvent offrir de nouvelles formes éditoriales qui permettraient de raffiner des catégories fourre-tout.

Le livre n’est pas un objet si simple que le laisse supposer la définition du Petit Robert. L’ordre des discours non plus. Pourtant depuis ce constat, au moins en date des écrits de Fou-cault, nous nous en accommodons très bien et naviguons sans souci dans ces complexités. La soi-disant complexité apportée au livre par l’édition électronique, en réseau ou non, n’est en fait qu’une mise au jour de son absence d’unité aussi bien formelle que discursive. Et ce n’est pas une «?destruction?» qui se présente, ni une révolution, ni une fin, ni un début, mais bien l’opportunité, grâce à des outils subtils et différenciants, de raffiner les notions de livre et d’ordre des discours.

Les outils web nous appartiennent. Il nous revient donc d’analyser le niveau auquel nous vou-lons placer chacun des curseurs de l’ordre des discours pour créer les formes éditoriales qui nous intéressent et de voir comment techniquement en rendre compte. Nous pouvons les mo-duler au point de respecter les niveaux de curseurs que nous désirons pour continuer de per-cevoir et de créer des livres, papier ou électronique, tout en créant de nouvelles formes édito-riales adaptées aux discours pour lesquels le papier était, avec le recul, une contrainte pas toujours fertile. Comme l’absence de e n’a pas lieu d’être imposée à tous les romans.

Nous pouvons dans tous les cas conclure que le réseau, en lui-même, ne menace pas le livre. Tous les curseurs de l’ordre du discours peuvent être placés aux niveaux que nous souhai-tons. Rien ne s’y oppose logiquement. Il ne s’agit «?que?» de technique et de choix éditorial.

Dans la suite de notre analyse nous nous poserons comme convention la définition suivante du terme de livre. Il sera ici, sans que cela n’ait aucune valeur hiérarchique dans l’ordre des discours, un texte fixé (texte premier) écrit ou composé (recueils) par quelqu’un (au-teur, éditeur) selon une règle (une idée, thèse, argumentaire, histoire, etc.) identi-fiable (= principe d’auteur fort).

Cette définition conventionnelle est bien sûr par principe discutable mais elle va nous per-mettre de nuancer notre propos et notre travail sur les outils en distinguant livre et autres formes éditoriales (blog, wiki, forum...). C’est le livre dont la poursuite est le plus souvent mise en doute par certains dans son passage à l’édition en réseau. Ce sont ces niveaux des procédures de l’ordre du discours qui seront notre objet d’étude et notre défi technique dans la suite de cet ouvrage.17s17.17.17.17 17e17t17 17p17a17f17 17l17e17 17117117 17s17e17p17t17e17m17b17r17e17 17:17)171717A17t17t17e17n17t17i17o17n17 17:17 17t17u17 17a17s17 17t17e17n17d17a17n17c17e17 17�17 17u17t17i17l17i17s17e17r17 17l17'17i17d17�17e17 17d17e17 17l17'17o17r17d17r17e17 17d17u17 17d17i17s17c17o17u17r17s17 17c17o17m17m17e17 17u17n17 17c17o17n17c17e17p17t17 17�17 17p17a17r17t17 17e17n17t17i17�17r17e17.17 17C17e17 17q17u17'17i17l17 17n17'17e17s17t17 17p17a17s17.17 17P17o17u17r17 17F17o17u17c17a17u17l17t17,17 17u17n17 17d17i17s17c17o17u17r17s17 17n17e17 17s17'17a17n17a17l17y17s17e17

17

Page 18: girardchloe.files.wordpress.com · Web viewPlutôt que de subir une évolution induite par l'innovation, il nous appartient simplement, ensemble, développeurs et éditeurs, de créer

18p18a18s18 18s18e18u18l18e18m18e18n18t18 18s18e18l18o18n18 18s18o18n18 18c18o18n18t18e18x18t18e18 18�18p18i18s18t18�18m18o18l18o18g18i18q18u18e18 18m18a18i18s18 18a18u18s18s18i18 18s18u18i18v18a18n18t18 18l18e18s18 18r18�18g18l18e18s18 18l18i18n18g18u18i18s18t18i18q18u18e18s18,18 18l18o18g18i18q18u18e18s18,18 18c18o18u18t18u18m18i18�18r18e18s18,18 18e18t18c18.18 18d18a18n18s18 18u18n18e18 18s18o18c18i18�18t18�18.18 18B18r18e18f18,18 18l18e18 18g18r18a18n18d18 18p18r18o18j18e18t18 18d18e18 18F18o18u18c18a18u18l18t18 18�18t18a18i18t18 18d18e18 18d18�18m18o18n18t18r18e18r18 18q18u18'18�18 18p18a18r18t18i18r18 18d18u18 18d18i18s18c18o18u18r18s18 18o18n18t18 18p18e18u18t18 18y18 18v18o18i18r18 18l18e18s18 18d18�18t18e18r18m18i18n18a18n18t18s18 18s18o18c18i18a18u18x18 18e18t18 18p18o18l18i18t18i18q18u18e18s18.18 18C18'18e18s18t18 18c18e18l18a18 18q18u18i18 18d18�18t18e18r18m18i18n18e18 18u18n18 18ォ 18 18o18r18d18r18e18 18サ18 18d18i18s18c18u18r18s18i18f18.18 18O18r18 18i18c18i18,18 18l18e18 18l18i18v18r18e18 18e18s18t18 18u18n18 18d18�18t18e18r18m18i18n18a18n18t18,18 18i18l18 18n18e18 18c18o18n18s18t18i18t18u18e18 18p18a18s18 18�18 18l18u18i18 18s18e18u18l18 18u18n18 18ォ 18 18o18r18d18r18e18 18サ 18.18 18I18c18i18 18t18u18 18p18a18r18l18e18s18 18p18l18u18t18�18t18 18d18u18 18ォ 18 18s18e18n18s18 18サ 18 18d18u18 18d18i18s18c18o18u18r18s18.18 18n18o18n18?181818

18

18