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utopia tirons la langue 11x18 bat 01.indd 1 29/03/16 13:35autogeree.net/Tirons_la_langue.Utopia.2016-04.pdf · Voilà ce que Marina Yaguello écrivait en 1978 dans Les mots et les

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Davy Borde

Tirons la langue

Plaidoyer contre le sexisme dans la langue française

Les Éditions Utopia

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Les Éditions Utopia61, boulevard Mortier – 75020 Paris

[email protected]

www.mouvementutopia.org

Diffusion : CEDDistribution : Daudin

© Les Éditions Utopia, avril 2016

Collection Dépasser le patriarcat

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« L’anatomie c’est le destin »

Sigmund Freud

« La langue est un système symbolique engagé dans des rapports sociaux ; aussi faut-il rejeter l’idée d’une langue “neutre” et souligner les rapports conflictuels »

Marina Yaguello

« Les limites du langage sont les limites de notre monde »

Ludwig Wittgenstein

« Le féminisme est l’idée radicale que les femmes sont des personnes »

Marie Shear

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Sommaire

Petit lexique 9

Introduction 11

I. LE SYMBOLIQUE C’EST L’ESSENTIEL 15

1. Suprématie du masculin/ invisibilisation du féminin 17

Le masculin l’emporte 17Un peu d’histoire 20Des-accords 21Traduire l’imaginaire 23Le genre grammatical marqué 24Le dictionnaire ou le féminin tronqué 27Invisibiliser 2950 % des hommes sont des femmes 30Limitantisme 33Con-notations 36Construire du passif et obtenir du péjoratif 38Défense du masculin 43

2. L’omniprésence du sexe 44

3. Binarité du genre… grammatical ? Et 1, et 2, et 3… zéro ? 49

Généalogie 49Dans l’espace 50Es-tu de deux genres ? 52

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II. LE FÉMINISME DANS LES MOTS 57

1. Les propositions des féministes 59La réforme institutionnelle 59Les noms de métiers, fonctions, etc. 60Mademoiselle 62La règle de proximité 62Les perturbations 64Bannir les mots et expressions consacrées genré·es 64Utiliser d’autres formulations et/ou d’autres mots 65Faire apparaitre le féminin/les femmes 66Le féminin générique 67Le genre de la majorité 68Le double marquage du genre 69Les néologismes 70

2. Les critiques de ces propositions 72« Ce n’est pas juste » 72Ce n’est pas esthétique 73Ce n’est pas lisible 74C’est redondant 76C’est imprononçable 76Ce n’est pas fluide 77Ce n’est pas systématisé 78Et la symbolique dans tout ça ? 78« Et la critique du genre social ? » 80

III. UNE AUTRE PROPOSITION 83

1. Comment construire l’universel ? 871 + 1 = 3 87Un point c’est tout 88

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Un point c’est où ? 91Deux points c’est tout 93En résumé 94

2. La fabrique de l’universel 95Noms, adjectifs et participes passés 96Déterminants et pronoms 100

Conclusion 103

Remerciements 105

annexes Explications sur la fabrique de l’universel 107

Les épicènes 107Les mots variant 107Les mots variant uniquement à l’écrit 107Les mots variant à l’écrit et à l’oral 109

Ressources/Bibliographie 123

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Petit lexique

Dans ce texte, plusieurs concepts sont mentionnés. Il est donc bon de les définir clairement.

Genre (grammatical) : c’est un système de classifica-tion de mots. En français, il y a deux genres grammati-caux, le masculin et le féminin.

Genre (social) : il existe deux acceptions pour l’em-ploi de ce mot lorsqu’on parle de sociologie. En terme de rapport social, le genre est « un système de bicatégo-risation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont asso-ciées (masculin/féminin) »1.

En terme d’identité, le genre d’une personne est le sentiment d’appartenance à l’une à l’autre, aux deux ou à aucune des classes sociales de sexe (homme/femme). Ainsi, une personne cisgenre est une personne qui se sent appartenir à la classe sociale de sexe dans laquelle elle a été classée à la naissance ; une personne transgenre est quant à elle une personne dont le genre ne correspond pas à la classe sociale de sexe à laquelle elle a été assignée (elle peut-être en opposition, ambivalente, neutre…).

… et puisque « le genre précède le sexe »2…

1. Selon la définition des auteur·rices de l’Introduction aux études de genre, cité·es par Anne-Charlotte Husson dans son article Parlons de genre sur son blog : cafaitgenre.org/2014/02/02/parlons-de-genre/.2. Lire L’ennemi principal de Christine Delphy. Rappelons aux néophytes, aux « critiques » pressé·es mais aussi aux malhonnêtes que cette phrase ne remet pas en cause la primauté de la corporéité des individu·es sur leur construction sociale, mais bien la lecture de ladite corporéité au travers du prisme de l’idéologie en place.

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Sexe social : c’est la catégorie sociale à laquelle on a été (ré) assigné·e à la naissance en fonction de ce que le corps médical a vu (ou cru voir) entre nos jambes : fille/femme/femelle ou garçon/homme/mâle. On est, selon cette conception, soit l’une, soit l’autre. There is (socia-lement) no alternative… pour l’instant.

Sexe biologique : il s’agit de notre sexe naturel, indépendamment donc des catégorisations sociales de genre. Ses composantes sont d’ordre génétique, hormo-nal, gonadique1 et anatomique. La sexuation humaine (mais cela s’applique à l’ensemble du vivant dit sexué) est loin d’être dichotomique. Bien que celle-ci soit for-tement polarisée2, il y a toutefois entre 0,1 % et 1,7 %3 des êtres humains (donc des millions de personnes) qui se situent entre le pôle femelle et le pôle mâle, on parle alors d’intersexuation. Bien que le diagnostic vital ne soit souvent pas engagé, ces personnes sont tout de même « soignées », parfois même opérées, afin de pou-voir correspondre à l’une des deux seules catégories sociales de sexe reconnues.

Ceci étant précisé, il nous faut avertir les lecteur·rices que dans ce texte, comme vous l’avez peut-être remar-qué, nous avons décidé de ne pas faire usage du mas-culin générique et d’y préférer le double marquage du genre via l’emploi de formes liées universalistes (ex. : les utopien·nes sont venu·es). Les raisons à cela sont le sujet de ce livre.

1. Les gonades sont les glandes sexuelles, certaines produisent des spermatozoïdes (testicules), d’autres des ovules (ovaires), d’autres ont à la fois les caractéristiques de l’ovaire et du testicule (ovotestis). Certaines personnes peuvent avoir des gonades de différents types.2. Il faut comprendre la polarisation comme le fait d’avoir une concordance complète de divers caractères (apparence, gonades, chromosomes, hormones) et cela n’est pas (du tout) systématique.3. Selon les sources et les critères retenus.

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Introduction

« La langue est […], dans une large mesure (par sa struc-ture, par le jeu des connotations ou de la métaphore), un miroir culturel, qui fixe les représentations symboliques, et se fait l’écho des préjugés et des stéréotypes, en même temps qu’il alimente et entretient ceux-ci. »

Voilà ce que Marina Yaguello écrivait en 1978 dans Les mots et les femmes. Ceci va évidemment à l’en-contre de l’idée que la langue, que les langues seraient des outils neutres, tant il nous apparait1 évident que les mots, les symboles, les règles qui régissent leur usage marquent nos esprits et rejaillissent sur nos actes, sur nos manières d’être au monde (aussi sûre-ment que nos actes influent sur notre manière de par-ler, de penser le monde, de nous penser).

Ainsi, si l’on aborde cette question sous un (cer-tain) angle féministe, ce qui est l’objet de ce texte, on

1. Comme nous n’allons pas être tendre avec nos « ami·es » de l’Académie française, je préfère rappeler, et montrer, que l’en-semble de leur travail n’est pas complètement dénué d’intérêt, de pertinence. C’est pourquoi, nous inspirant de leurs « rectifications orthographiques » de 1990 et notamment des propositions de li-mitation de l’usage de l’accent circonflexe, nous ne l’emploierons qu’avec parcimonie, et nous en passerons donc notamment sur les verbes en -aitre (au grand dam des amoureux·ses d’une langue française complexe et fossilisée, que l’on a pu voir s’indigner dès qu’i·elles ont su que les simplifications proposées il y a 26 ans devraient être enseignées à l’école à la rentrée 2016. On a les indi-gnations que l’on peut).

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peut dire que notre langage est triplement probléma-tique et ce pour une seule raison : il est genré. C’est à dire qu’il est imprégné d’une vision dichotomique, naturalisée et hiérarchisée du monde vivant et plus particulièrement du genre (!) humain.

Il est triplement problématique parce que, d’une part, il invisibilise le féminin ; d’autre part, parce qu’il ne permet pas de (se) parler, de (se) penser aisément hors de la dichotomie du genre, hors du « féminin » et du « masculin », de Laféminité et de Lamasculi-nité, deux ensembles de valeurs, de « qualités » et de manières d’être au monde idéologiquement liées à des anatomies particulières (dichotomisées elles aussi) ; et enfin parce qu’il nous impose (du moins en fran-çais académique) de rappeler de manière quasi per-manente à laquelle des deux classes de sexe (social) appartient un être humain (indépendamment de la pertinence de cette précision).

S’il ne faut évidemment pas se cantonner à ce ter-rain de lutte symbolique (au sens de liée aux symboles véhiculés par le langage), l’abandonner reviendrait à couronner celles et ceux qui ne trouvent pas problé-matique cet outil de tous les jours qu’est notre langue. Cela équivaudrait à les laisser incruster dans les mots, dans la symbolique et donc dans les esprits leur vision du monde, du fait que notre langue sert actuellement de relais à l’idéologie du genre, qu’elle est « le lieu où la structure patriarcale est ratifiée et inscrite1 ». Ainsi,

1. Patrizia Violi, Les origines du genre grammatical, in Langages, 21e année, n° 85, 1987, p. 32.

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il est plus que temps de poursuivre l’assaut entrepris depuis des siècles contre les archaïsmes politiquement problématiques de la langue française, mais aussi contre des pratiques plus fondamentales depuis trop longtemps en opposition avec la vision égalitariste et émancipatrice que porte le mouvement féministe. Notre critique se concentrera donc ici prioritairement sur la grammaire et plus particulièrement sur le (bien nommé) genre grammatical.

Avant d’entrer dans le cœur du sujet, apportons une précision. Nous ne sommes pas « spécialiste » de la langue, et c’est en tant que « simple » usager·re de celle-ci, en tant que « simple » membre d’une société que nous revendiquons notre droit à porter un regard politique sur cette question particulière qu’est le lan-gage. Nous mettons ainsi en application un principe (que les ennemi·es de la démocratie (réelle) oublient/rejettent) qui veut que les expert·tes n’ont pas plus de légitimité à participer au débat politique, à la prise de décisions politiques que les autres citoyen·nes, dans quelque domaine que ce soit ; leur rôle en tant qu’expert·tes étant soit d’informer les décisionnaires, à savoir le peuple (dont ils et elles font partie), soit de mettre en application les décisions prises par ce dernier.

Notre langue et notre société nous appartiennent à tous·tes ; réapproprions-les-nous.

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— I —

LE SYMBOLIQUE C’EST L’ESSENTIEL

Commençons par le commencement et deman-dons-nous ce qu’est le genre grammatical. Il s’agit d’un système de classification qui, en français, concerne les noms, les pronoms, les articles, les adjectifs, les participes passés. C’est un marqueur grammatical qui permet de faire passer une informa-tion. Ainsi, en français, le genre grammatical peut soit changer le sens d’un mot (un solde / une solde, un cartouche / une cartouche, un mode / une mode, etc.), soit informer sur le sexe/genre d’une personne (un linguiste / une linguiste). Le genre grammatical se traduit par des phénomènes d’accord (un linguiste diplômé est venu / une linguiste diplômée est venue).

Si certain·nes linguistes pensent que le genre est fonctionnellement inutile, la question qui nous inté-resse ici est : l’est-il symboliquement parlant ? Plus particulièrement, le genre grammatical en français

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influe-t-il sur les esprits des personnes qui le parlent, le lisent, le pensent ? Serait-ce une des raisons pour lesquelles il y a si peu d’hommes exerçant le métier de sage-femme ? Serait-ce une des raisons pour lesquelles la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1789 ne concernait pas les femmes ? Serait-ce une des raisons pour lesquelles il y a encore quelques décen-nies bien des féminins de noms de métiers n’existaient pas (voire n’existaient plus) ? Serait-ce une des rai-sons pour lesquelles on peut encore se faire appeler Madame le Président alors que l’on souhaite se faire appeler Madame la Présidente ? Le langage influe-t-il ou est-il influencé par la société ? L’œuf ou la poule ? À n’en pas douter, les mots, la langue influent sur nos actes, tout comme nos actes, nos pratiques influent sur notre pensée et donc sur notre langue ; Julie Abbou parle de « co-construction permanente et dynamique »1.

Il semble évident que les questions soulevées par le genre grammatical ne sont pas LE problème dont la résolution permettra d’en finir avec le patriarcat. Toutefois, sa non-neutralité symbolique, que nous allons à notre tour tenter de rendre évidente, mérite d’être critiquée et, plus important encore, combattue. Ne serait-ce que pour enrayer un tant soit peu la « co-construction » indéniablement patriarcale de notre société et de nos esprits.

1. P. 67 de la sublime thèse de Julie Abbou L’antisexisme linguis-tique dans les brochures libertaires : Pratiques d’écriture et mé-tadiscours, métadiscours (2011), Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université en Sciences du Langage d’Aix-Marseille.

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1. Suprématie du masculin/ invisibilisation du féminin 1

« – Merde comment tu veux qu’on s’y retrouve avec ces mots qui veulent dire sans arrêt le contraire !– En examinant quelle classe les utilise : à qui profite le crime, au niveau du langage. »

Christiane Rochefort, Printemps au Parking

Le masculin l’emporte

Grammaticalement parlant, une des choses qui entraine l’invisibilisation du féminin est (et ce quoi qu’en disent les Immortel·es) la règle académi-cienne qui veut que « le genre non marqué prévaut sur le genre marqué ». La formulation de cette règle n’a pour seule conséquence (pour seul but ?) que d’escamoter la réalité symbolique sexiste véhicu-lée par la langue française, réalité symbolique qui (du fait d’une plus grande clairvoyance ou d’une moindre hypocrisie) n’échappe pas aux maitre·sses d’école qui l’énoncent simplement : « le masculin l’emporte sur le féminin ».

1. Pour une liste bien plus détaillée des divers faits historiques concernant le modelage genré de la grammaire (notamment fran-çaise) lire Pour une grammaire non sexiste de Céline Labrosse et Non le masculin de l’emporte pas sur le féminin, d’Éliane Viennot, ouvrages dont sont tirées les citations qui suivent.

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Ainsi, on se devra d’écrire, pour peu que l’on sou-haite satisfaire aux « recommandations » de l’Acadé-mie, « 1 000 hommes et une femme se sont réunis » et « 1 000 femmes et un homme se sont réunis »… et ce même si l’iniquité, l’injustice symbolique à l’égard des femmes saute aux yeux.

Lorsqu’on fait cette remarque, on nous enjoint alors, en s’ajustant les œillères, de ne surtout pas confondre le genre grammatical (intralinguistique) et le sexe (extralinguistique), argüant que le premier ne renvoie pas systématiquement au second. Comme si le fait que cela ne soit pas systématique ne créait pas d’associations d’idées, n’influait pas sur nos repré-sentations du monde, sur les symboles. Misère de l’approche unidimensionnelle des problèmes, misère de la spécialisation.

Car, à partir du moment où le genre grammati-cal dit « non marqué » s’applique (aussi) aux indivi-dus mâles (supposés ou pas), comment dénier qu’il entre ainsi dans une symbolique sexuée, qu’il se mas-culinise, qu’il se sexualise, qu’il devient, si ce n’est le masculin, du moins du masculin ? Idem, pour le genre dit « marqué » qui, par sa relation avec les êtres sexués (supposément ou pas) femelles, se féminise et devient du féminin. Pour peu que l’on soit engagé·e dans un rapport de correspondance avec les catégo-ries genrées de sexes (et ô combien y sommes-nous contraint·tes…), pas besoin de s’identifier à une chaise ou à un fauteuil, pour que la symbolique inique nous concerne dans la phrase « 1 000 chaises et un fau-teuil furent disposés » : du masculinisé l’emporte sur

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du féminisé ; ce qui appartient à la même catégorie grammaticale (et donc, symbolique) que les femmes/femelles se voit toujours perdant, se voit toujours invisibilisé face à ce qui appartient à la même catégo-rie grammaticale que les hommes/mâles1.

Un autre exemple, qui montre à quel point c’est (se) leurrer que de nier les liens existant entre genre grammatical et social : qui n’a pas rencontré une personne (le plus souvent jeune) croyant que « le rat est le mâle de la souris » ? Que « la grenouille est la femelle du crapaud » ? Que « le hibou est le mâle de la chouette » ? Lorsqu’il s’agit d’êtres vivants (sexués), le genre grammatical renvoie à un caractère concret : le sexe.

Ce lien est également révélé par les artistes avec les personnifications de divinités, de concepts ou d’animaux anthropomorphisés. Par exemple, dans les pays de langue romane, on représente le soleil sous la forme d’un homme et la lune d’une femme,

1. Le classement dans les différents genres grammaticaux est-il le simple fruit du hasard ? Une combinaison de celui-ci et d’une certaine proximité ou distance morphologique ? Ou bien est-ce la représentation du monde de nos ancêtres qui leur a fait attribuer tel mot à tel genre grammatical, tel autre mot à tel autre genre ? Pourquoi le feu, le soleil, le jour et l (a)’eau, la lune, la nuit ? Sans doute tout cela se mélange-t-… il. Cependant, nous ne nous inté-resserons pas à cette question, et ne traiterons qu’incidemment du genre grammatical des mots référant à des inanimé·es pour nous concentrer sur les animé·es. Pour en savoir plus sur les (poten-tielles) origines du genre grammatical, lire Patrizia Violi, Les ori-gines du genre grammatical, in Langages, 21e année, n° 85, 1987, pp. 15-34).

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mais le genre grammatical et (donc) la mythologie sont inversé·es en russe et en allemand. De même, la mort (de genre féminin en français) est de genre masculin en allemand et les représentations sexuées, graphiques ou littéraires, s’en trouvent affectées. De la même manière, fabulistes et conteur·ses attribuent un sexe et des attributs genrés (socialement parlant) aux animaux selon leur genre grammatical.

Au vu de tout cela, il faudrait donc être furieuse-ment borné·e pour ne pas reconnaitre ce recouvre-ment du genre grammatical et du sexe social.

Un peu d’histoire

Mais au fait, d’où vient cette problématique règle grammaticale ? Elle est tout simplement un des fruits d’un courant de pensée qui a su imposer sa vision du monde et la transposer dans la langue. Ce cou-rant s’est développé aux xvie et xviie siècles1 et a eu pour conséquence une masculinisation de la langue. Avant cette période, le français était négligé par les « savants » au profit du latin et il n’y avait donc pas eu d’interventions délibérées pour encadrer cette langue populaire dont les locuteur·rices faisaient bien ce qu’ils et elles voulaient, dans la mesure où cela leur permettait d’être compris·ses.

Au milieu du xvie siècle apparaissent ainsi des traités de poétique française où l’on parle de « rimes

1. Période durant laquelle les femmes perdirent du terrain dans tous les domaines de la vie sociale. Lire Caliban et la Sorcière, femmes, corps et accumulation primitive de Silvia Federici.

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masculines » et de « rimes féminines ». Rien à voir avec le genre grammatical, mais « seulement » avec des connotations… On commence juste à faire des ponts entre la langue et les classes genrées de sexe (si tant est que ce ne soit pas inhérent aux langues à genres grammaticaux sexués/genrés…).

Les normalisateurs débattent donc. En 1635 est créée l’Académie française dont le but est d’encadrer la langue française. En 1647, le grammairien Claude Favre de Vaugelas écrit : « […] Le genre masculin étant le plus noble doit prédominer chaque fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble ». En 1651, Scipion Dupleix écrit à son tour : « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins ». En 1675, l’abbé Domi-nique Bouhours écrit que « lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte ».

La messe est dite.

Des-accords

Mais, vous demandez-vous peut-être, quelle alter-native pouvait bien exister alors ? Contre quelle pratique théorisent ces « savants » ? Il s’avère que jusqu’alors on pratiquait sans problème l’accord de proximité (comme en latin), qui faisait que l’on accor-dait en genre et en nombre avec le nom le plus proche. Jean Racine écrivait par exemple dans Athalie : « Sur-tout j’ai cru devoir aux larmes, aux prières, consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières » et dans Iphi-génie : « Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute

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prête ». Il s’avérera que l’on délaissera cette règle au profit de notre fumeuse et actuelle règle d’accord que nous pouvons désormais qualifier, sans plus susciter d’opposition espérons-nous, de sexiste. C’est pour-quoi aujourd’hui des féministes proposent de remettre au goût du jour la règle de l’accord de proximité.

La masculinisation prit d’autres formes comme celle de la réforme de l’accord des participes présents, des participes passés (quel que soit l’auxiliaire), des pronoms attributs. Ainsi, il devient erroné de dire comme cela se faisait alors « Madame X, née à For-calquier et y demeurante » et pour Pierre Corneille d’écrire dans Clitandre : « J’avais de point en point l’entreprise tramée ». De la même manière, il devient erroné pour une femme de répondre, à un person-nage évoquant par exemple le fait qu’il est enrhumé, « Je la suis aussi » alors que c’était chose commune. De même, les expressions comportant des participes passés (comme « étant donné », « vu », « mis à part » ou « excepté ») deviennent invariables alors qu’il ne contrevenait pas (ni ne contrevient, d’ailleurs) au bon sens d’écrire « Étant données tes notes », « Vue ta mauvaise foi », « Mises à part tes réticences » ou « Exceptée la forme féminine des participes ».

Le mouvement idéologique perdure puisque au xviiie siècle Nicolas Beauzée ne peut s’empêcher de rappeler que « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » (1767).

Et la lutte féministe de se traduire pendant la Révo-lution, notamment, dans la Requête des dames à l’As-semblée nationale (projet de décret datant de 1792)

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et plus particulièrement dans l’article 3 stipulant que « Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles ». Pas étonnant que l’Académie française ait mis tant de temps pour admettre des femmes en son sein (avec parcimonie, bien sûr)…

Finalement ce sera Louis-Nicolas Bescherelle qui portera le coup de grâce en écrivant dans sa gram-maire nationale de 1835-1836 : « La masculinité annonce toujours une idée grande et noble » ainsi que « Le masculin est plus noble que le féminin ». Le fait que cet ouvrage sera utilisé pour l’enseignement public permettra de pérenniser ce recul du féminin au profit du masculin.

Traduire l’imaginaire

J’écrivais plus haut que nos manières de parler et (donc) de penser influent sur nos actes autant que ces derniers influent sur notre manière de parler et de penser. Et c’est pourquoi, dans un monde où les acti-vités sont genrées, où certaines connaissent une sur-représentation masculine (politique, chirurgie…) ou féminine (puériculture, soin…) ces états de faits nous imprègnent, imprègnent nos imaginaires et pour peu que nous n’y prêtions pas garde, nous pouvons aisé-ment nous en faire les relais, renforcer ces imaginaires.

Cela nous saute particulièrement aux yeux (du moins cela le devrait) lorsque nous traduisons une

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langue où les noms ne sont pas classés en fonction d’un genre grammatical sexualisé (comprendre clas-sés en masculin<>féminin). Ainsi, en anglais on peut tout à fait parler d’une personne occupant la prési-dence d’une organisation, d’un pays sans mention-ner à quelle classe de sexe elle appartient (du moins jusqu’à l’emploi d’un pronom : he ou she – pour l’an-glais officiel). En français, c’est beaucoup plus diffi-cile1… du moins pour le moment.

Si l’on s’en tient aux grammaires officielles, et si l’on veut traduire la phrase « Here comes the pre-sident », on a deux possibilités : soit « Voici le pré-sident », soit « Voici la présidente », et il faut, parait-il, faire un choix. Il s’avère que, de même que nous tra-duisons quasi systématiquement « the president » par « le président » et « the doctor » par « le docteur », nous traduisons « the nurse » par « l’infirmière »… Il est donc grand temps de (continuer à) décoloniser nos imaginaires (ainsi que nos professions).

Le genre grammatical marqué2

Prenons une question : « Quel est l’adjectif qui se rapporte à… ? ».

Vous êtes-vous aperçu·e que la forme de cette ques-tion est piégée, genrée ? En effet, notre grammaire, depuis le xixe siècle et Louis-Nicolas Bescherelle, nous

1. Pour avoir un exemple du talent qu’il faut développer pour réussir cet exercice, lire l’excellent roman de Martin Winckler, Le chœur des femmes, P.O.L, 2009.2. Cette partie doit beaucoup à Sexisme et grammaires scolaires, d’Edwige Khaznadar (2000, 2001). Document téléchargé à partir du dossier « féminisation » du site http://www.langue-fr.net.

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enseigne la prééminence du masculin sur le féminin par un autre biais que la règle d’accord : via l’appren-tissage des différentes terminaisons des noms com-muns de personnes, des adjectifs et des participes passés1.

Le problème réside dans le fait que l’on ne parle pas d’alternance mais de dérivation. Parler d’alter-nance, c’est considérer que l’on a soit la terminaison masculine soit la terminaison féminine (soit « gram-mairien » soit « grammairienne »), que l’on a un suf-fixe masculin et un suffixe féminin à rajouter à une racine commune (grammair-).

Les enseignant·tes préfèrent cependant parler de dérivation. Ainsi les terminaisons féminines se for-meraient à partir de la forme masculine : il faudrait rajouter -ne à « grammairien » pour obtenir « gram-mairienne », il faudrait rajouter le suffixe féminin à la forme masculine. Ce que les pédagogues peu regardant·tes résument ainsi : « pour avoir le fémi-nin on rajoute un “e” ». À quoi ? À la « base », à la « norme », à la forme soi-disant « non marquée » : au masculin… premier.

Privilégier la dérivation à l’alternance n’est pas seulement problématique d’un point de vue symbo-lique, ça l’est également d’un point de vue strictement

1. Nous nous concentrons ici sur les mots variant en fonction du sexe (social) de la personne concernée. Nous mettons donc de côté les mots épicènes (comme « splendide », « libertaire », « phi-losophe »). Un mot épicène est un mot qui a la même forme au masculin et au féminin.

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didactique, pédagogique. En effet, une langue c’est avant tout l’oralité et c’est d’ailleurs par ce biais que les enfants découvrent la ou les langues parentales. Ainsi, ces enfants ne découvrent pas des lettres mais des sons ; ils et elles ne découvrent pas gris et grise par les quatre ou cinq lettres qui composent ces mots mais par leurs sonorités respectives /ɡʁi/1 et /ɡʁiz/. C’est pourquoi, à l’oral, il est impossible de « trou-ver » la forme féminine « à partir » de la forme mas-culine via « le rajout d’un “e” » car, si à l’écrit on rajoute effectivement un -e (muet), c’est une consonne que l’on « rajoute » à l’oral… Et ce qui est probléma-tique c’est que ce n’est jamais la même.

C’est en effet un /z/ que l’on doit « rajouter » à /ɡʁi/ (gris) pour « obtenir » /ɡʁiz/ (grise) ; c’est un /ɡ/ (-gu-) que l’on doit « rajouter » à /lɔ/̃ (long) pour « obtenir » /lɔɡ̃/ (longue) ; c’est un /t/ que l’on doit « rajouter » à /pla/ (plat) pour « obtenir » /plat/ (plate). Alors qu’il serait plus simple de ne plus partir du masculin en voulant y accoler un -e mais au contraire de par-tir du féminin et d’appliquer la règle « on enlève la consonne finale »2.

On nous demande donc d’intégrer une convention pédagogiquement complexe et (symboliquement)

1. Vous l’aurez compris, les suites de caractères entre barres obliques correspondent à la transcription phonétique des mots.2. D’après l’extrait du cours de Blanche Benvéniste (1995) citée par Breysse (2002), citée par Abbou dans sa thèse L’antisexisme linguistique dans les brochures libertaires : pratiques d’écriture et métadiscours (2011).

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misogyne. Car, de la même manière que l’on apprend l’histoire d’Ève (« La Femme ») qui serait née à partir d’Adam (« L’Homme »… premier), on apprend que le féminin dériverait du masculin. Et cette règle (mais cela s’applique également à la proposition inverse de Blanche Benvéniste citée ci-dessus), même si elle s’avérait être historiquement, linguistiquement juste, n’en resterait pas moins pédagogiquement, symbo-liquement problématique, du moins si l’on souhaite mettre en place des modes non sexistes d’apprentis-sage (en l’occurrence d’une langue). Il est donc plus que temps de changer nos grammaires en abandon-nant la pédagogie de la dérivation au profit de celle de l’alternance.

Le dictionnaire ou le féminin tronqué

Nos dictionnaires aussi nous rappellent que la forme « de base » d’un mot variant en genre est le masculin.

Afin de marquer les différentes entrées des mots variant en genre, tous ont choisi de prendre la forme masculine, la plus courte (sauf pour de rares excep-tions comme le doublet compagne/compagnon – termes d’ailleurs non systématiquement rassemblés sous une même entrée…). Pourquoi pas, après tout.

Cependant, à cette forme n’est pas adjointe la forme féminine dans son intégralité. Ainsi, jamais, dans le cadre restreint de nos recherches, nous n’avons trouvé une entrée telle que « chirurgien, chirurgienne ». En fait, ce que l’on trouve adjoint à la forme masculine complète, elle, c’est :

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– soit la seule partie suffixée à la racine (« habitant, ante » ou « habitant, -ante »)

– ou, pire, la seule partie suffixée à… la forme masculine (« habitant, e »).

Nous opposera-t-on un souci d’économie de place (sous format papier comme numérique), ou de non-redondance, pour justifier la publi-cation de ces seules fins de formes féminines ? Qui sait ? La matérialité et la mauvaise foi pour-raient bien l’emporter encore une fois contre une symbolique égalitariste. Amputer le féminin de manière systématique dès qu’existe le masculin et parallèlement ne jamais amputer le mascu-lin ?… Aucune solide raison ne semble exister qui justifie cette pratique.

À cela s’ajoute le fait que les dictionnaires n’en-registrent que partiellement les alternances « régu-lières » des « noms communs de personnes » qui contreviennent avec la vision genrée des pratiques. On trouve par exemple charpentier mais pas de (charpent)-ière dans le Littré en ligne 2014 (contrai-rement au Robert et au Petit Larousse illustrés 2014) ; on trouve menuisier mais pas de (menuis)-ière dans Le Robert illustré pas plus que dans le Littré ; on trouve ferronnier mais pas de (ferronn)-ière encore une fois dans le Littré. De même, si on trouve par-tout sage-femme, seul le Robert illustré propose une entrée à maïeuticien1 (toutefois sans la forme fémi-nine – amputée évidemment – de maïeuticienne…). Il serait temps (pour commencer) de systématiser tout

1. La maïeutique est l’art de l’accouchement.

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ça, histoire de libérer nos représentations limitées et limitantes du monde.

Les dictionnaires et les grammaires ne sont que des reflets de nos imaginaires et donc de nos sociétés. Mais notre langue reflète tout cela de bien d’autres manières et notamment via l’existence, l’inexistence ou la disparition de mots, mais aussi via l’usage d’ex-pressions et de mots androcentré·es1 et/ou misogynes comme nous le verrons plus loin.

Invisibiliser

Revenons au xviie siècle. Parallèlement à la révision des règles d’accord, il y eut également une lutte contre les sonorités qui identifiaient les noms féminins. Jean-Louis Guez de Balzac proposa ainsi en 1634 que l’on préfère philosophe à philosophesse et poète à poètesse, alors en vigueur. Ce à quoi Nicolas Andry de Boisregard ajouta en 1689 médecin à préférer à médecine, peintre à peintresse et auteur à autrice2. Un grand nombre de flexions féminines de noms ont ainsi disparu, comme emperiere, inventrice, prophétesse,

1. Centrée sur les hommes.2. Autrice auquel on préféra à l’époque (quand on ne jugea pas tout simplement inenvisageable qu’une femme puisse se lancer dans la littérature…) des expressions aussi peu stigmatisantes que « femme auteur » ou « auteur femelle ». Aujourd’hui encore les mots autrice et auteure, bien que de plus en plus employés, donnent des boutons à certain·nes et notamment aux Académicien·nes.Pour notre part les flexions en -esse nous donnent quelques soucis d’un tout autre ordre que ceux des auteurs précités, comme vous le verrez plus loin.

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jugesse, financière, officière, mareschale, prévoste, artificière, dompteresse, clergesse pour n’en citer que quelques-unes. Que d’horreurs pour les oreilles et les yeux de nos Immortel·es d’hier et d’aujourd’hui, ainsi que pour d’autres à leur suite, puisque l’on a encore pu entendre tout récemment, à l’Assemblée nationale, un député appeler la présidente de séance, contre sa volonté, « Madame le président »1…

Cette masculinisation de la langue fera ainsi écrire à Madame de Beaumer en 1762, citée par Éliane Viennot : « Il semble que les hommes aient voulu nous ravir jusqu’aux noms qui nous sont propres. Je me propose donc, pour nous venger, de féminiser tous les mots qui nous conviennent ». C’est d’ailleurs ce que ne manqueront pas de faire les féministes franco-phones à compter des années 1970, de manière par-fois différente, comme nous le verrons plus loin.

50 % des hommes sont des femmes

Il est plus que temps maintenant de nous arrêter sur un mot utilisé à tort et à travers : le mot homme. Alors qu’en grec ancien et en latin (langues aïeules du français) on avait trois noms différents pour dési-gner soit un être humain indépendamment de son sexe, soit un être humain (classé dans la catégorie) mâle, soit un être humain (classé dans la catégorie)

1. Julien Aubert le 15 janvier 2014, s’adressant à Sandrine Ma-zetier qui lui clouera le bec à la fin de son intervention par un délicieux : « Monsieur la députée vous étiez la dernière oratrice inscrite. La discussion générale est donc close ».

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femelle, il s’avère qu’en français nous n’avons (plus) que deux noms pour désigner ces trois catégories : le mot femme et le mot homme.

Être humain

Être humain mâle

Être humain femelle

Grec ancien anthrôpos anếr gynế

Latin homo vir (masculus)

mulier (femina)

Français homme (humain)

homme (masculin)

femme (féminin)

Alors que la femina latine a donné femme, que homo a donné humain et homme (ou encore le pro-nom on), vir (le mâle humain) quant à lui n’a pas donné de noms ou de pronoms désignant une per-sonne… si ce n’est virago (qui désigne une… femme aux caractéristiques réputées masculines). Vir n’a ainsi pas de descendance en français et homme désigne soit un être humain mâle soit un être humain (tout… simple). Ainsi, ce n’est pas tant la masculi-nité et l’humanité qui se confondent que la femme qui est ainsi distinguée de l’humanité normale. Ce ne sont plus les règles grammaticales, mais les mots eux-mêmes qui mettent le féminin à part. La féminité est une humanité… marquée.

Penser que l’on peut rassembler sous le même vocable tout à la fois une partie et le tout sans que cela pose problème dans les relations entre les parties relève, dans le cas où cela concerne des êtres humains, d’un aveuglement aux symboles, voire d’une mau-vaise foi des plus inquiétant·tes.

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On remarquera également que femme aussi est polysémique1. Cependant, les polysémies d’homme et de femme ne sont pas symétriques. Ainsi, on a vu que homme, c’est soit l’être humain, soit l’être humain mâle. L’Homme-mâle a, par cette polysémie, une connexion (symbolique) forte avec l’humanité. En revanche, si femme désigne un être humain femelle (un Homme-femelle2) il désigne également… une épouse. Et il s’avère que, pendant des millénaires, les femmes ne pouvaient/devaient épouser que des êtres humains mâles. Coïncidences sans doute…

Du fait de ce double sens, les femmes ne sont pas symboliquement intégrées dans une relation avec l’humanité, mais dans une relation conjugale avec les humains mâles (qui eux sont en rapport avec l’humanité). La femme doit/peut se marier, alors que l’homme doit/peut simplement être. Comment alors s’étonner qu’il n’y ait pas de pendant à l’emploi actuel, mais néanmoins archaïque, du mot Mademoi-selle3 ?…

Ainsi, redondance faisant, on a d’un côté les Hommes-hommes, les Hommesplus, les Hommesau carré, les Hommesvrais et de l’autre les Hommes-femmes, les

1. Polysémique : qui a plusieurs sens.2. Ce n’est que parce que cela clarifie notre présentation que nous utilisons ici Homme avec une majuscule, cette majuscule utilisée comme un cache-…sexe par les personnes oubliant que les langues sont aussi, et avant tout, orales.3. Si Damoiseau a existé, il ne fut jamais employé pour faire réfé-rence au statut marital de l’homme, contrairement à Mademoiselle qui désigne depuis le xviie siècle le statut de femme non mariée.

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Hommesmoins. Comment « L’homme a[-t-il] « confis-qué » symboliquement la qualité d’être humain à son profit »1 ? Si la question est importante, celle qui motive ce texte est : que faire quand on en est là ? Et la solution est simple : en finir avec ces polysémies par l’abandon de l’usage du mot femme pour dési-gner une épouse et de celui du mot homme (avec ou sans -s comme dans « les hommes préhistoriques », avec ou sans majuscule comme dans « les Droits de l’Homme »2) pour désigner les êtres humains.

Limitantisme

Il ne faut pas oublier non plus que ces deux mots (homme et femme) sont utilisés dans de nombreuses expressions et mots composés difficilement utilisables pour désigner une personne dont la classe de sexe ne concorde pas avec lesdit·tes expressions et mots.

Par exemple, sage-femme, que nous avons déjà croisée, peut difficilement désigner un homme. Ne parlons pas ici de la moindre valeur symbolique du

1. Marina Yaguello dans Le sexe des mots, citée par Anne-Char-lotte Husson dans l’article Masculin/Féminin (3) : ce que veut dire « homme », du 06/01/2012 accessible sur le site cafaitgenre.org.2. Les féministes de l’époque révolutionnaire ne s’y étaient d’ail-leurs pas trompé·es et ont bien vu que les Droits de l’Homme et du citoyen ne concernaient pas tous les Hommes mais bien tous les hommes (sans majuscule), comme l’écrivit Olympe de Gouges (avant de se faire décapiter, bien sûr) dans sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791. À noter qu’une pétition visant à obtenir l’abandon par les institutions de l’expres-sion « droits de l’homme » pour la remplacer par celle de « droits humains » a été lancée en 2015 (droitshumains.fr).

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féminin, du caractère péjoratif de la féminité lorsque appliquée à un homme dans l’imaginaire (espérons-le, de moins en moins) collectif (nous en reparle-rons bientôt lorsque nous aborderons les insultes). Non, un homme/mâle, n’étant pas, ne pouvant pas être, par définition, une femme/femelle il faut faire l’effort d’aller contre la symbolique, contre l’hermé-tisme conceptuel des sphères de genre pour toucher à l’activité (elle, matériellement accessible à tous·tes) cachée derrière le label sage-femme, ce dernier étant un feu rouge symbolique pour les hommes et un feu vert pour les femmes. Ainsi, lorsqu’un homme pra-tique cette activité, entravé·es que nous sommes par le genre, on a soit recours à une précision, ce qui donne homme sage-femme, soit à une terminologie technicienne avec maïeuticien. Bref, on entretient la dissymétrie.

Difficile si ce n’est impossible également, lorsque des femmes se pensent ou se parlent, ou lorsque l’on parle de femmes, d’utiliser des expressions telles que « homme de la situation », « homme de main », « troisième homme », « homme fort », « chasse à l’homme », « hommes de paille », « hommes pré-historiques », « hommes des cavernes », « homme-grenouille », « surhomme », « homme-orchestre », « homme-sandwich ». Tout aussi étrange et difficile pour une femme de répondre à une sollicitation par un « je suis votre homme ». Comment également dire que des femmes se lèvent « comme un seul homme » ? De même, inenvisageable, lorsqu’une femme meurt, de dire qu’« il n’y a pas mort d’homme ». Comment continuer à parler de « droits de l’homme » (ou de

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l’Homme) ? Et enfin, l’absurdité n’atteint-elle pas son comble quand on envisage la possibilité de qualifier une femme de « sous-homme » ?

D’ailleurs, l’absurde n’ayant jamais arrêté le maga-zine Challenges, rien d’étonnant de le voir titrer son numéro hors-série de décembre 2011 « Les hommes de l’année », et ce en affichant en couverture une photo de femme (à côté de trois photos d’hommes) ainsi qu’en faisant figurer dans une liste de noms ceux de trois femmes (au milieu de 29 noms d’hommes). Des femmes « hommes de l’année », il fallait oser1…

Parallèlement, il est tout aussi difficile de mettre en contact un homme avec les expressions telles que « femme fatale », « femme de chambre » ou « femme de ménage ». Problématique, ce sexe (social) présent là où il n’est pas nécessaire, et en plus de manière dissymétrique, n’est-ce pas ?

Toutefois, réjouissons-nous car – du fait que cer-taines femmes ont pu sortir de la sphère privée où elles étaient traditionnellement confinées, et ont ainsi eu accès à des activités dont elles étaient exclues – certain·nes de ces mots ou expressions qui n’avaient pas de pendant féminin ont vu les doublets man-quants être créés. On croise ainsi de plus en plus sou-vent des « femmes d’État », des « femmes politiques » ou des « femmes d’affaires ».

1. Merci à Anne-Charlotte Husson pour cette pépite, lire Masculin/ Féminin (3) : ce que veut dire « homme » cafaitgenre.org/2012/01/06/masculinfeminin-3-ce-que-veut-dire-homme/.

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Parallèlement, des hommes n’hésitant plus à se tourner vers des tâches traditionnellement réservées aux femmes, on peut désormais croiser des « hommes au foyer » et des « hommes de ménage »1.

Arrêtons-nous rapidement sur les psychothérapies et surtout sur celle qui porte le verbe le plus haut, la psychanalyse. Cette thérapeutique dont l’outil unique est le langage porte dans ses théories des concepts portant des labels sexualisés comme « le père » ou « le phallus ». Ces mots sont on ne peut plus problé-matiques d’un point de vue symbolique, puisque les concepts qu’ils renferment, s’ils peuvent en théorie s’appliquer à tous les êtres humains, en excluent de fait (symbolique faisant) la moitié (grosso modo). Et le risque de la normativité est ainsi grand. Tous·tes les psychanalystes n’ont certes pas une approche normative du traitement par le verbe, approche qui est selon nous incompatible avec une vision émanci-patrice. Reste à savoir si les approches alternatives peuvent efficacement lutter contre la normativité en gardant de tels labels pour leurs concepts. Pour nous il est évident que non.

Con-notations

Autre caractéristique donnée au féminin : la conno-tation sexuelle. Au xvie siècle on rassemblait les femmes sous l’appellation « le sexe » (avant d’opter au xviiie siècle pour « beau sexe » ou le « deuxième

1. Pour d’autres expressions masculinisées, voir le site de Céline Labrosse www.langagenonsexiste.ca.

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sexe »). « Mère » ou « Putain », la femme est un sexe. Une illustration avec quelques mises en parallèle :

« L’honneur d’un homme concerne sa dignité. L’honneur d’une femme sa petite culotte. […]

Une femme qui a un maitre écoute son enseignement. Un homme qui a une maitresse la saute.

Un entraineur travaille à améliorer les résultats d’une équipe sportive. Une entraineuse travaille dans un bar à putes.

Un coureur fait du sport. Une coureuse est une saute au paf.

Un expert est un scientifique. Une experte s’y connait au plumard.

Un professionnel est un mec compétent. Une profes-sionnelle est une pute.

Un homme public est un homme connu. Une femme publique est une pute.

Un courtisan est un flatteur. Une courtisane est une pute.

Un homme de mauvaise vie, ça se dit pas. Une femme de mauvaise vie est une pute.

Un gagneur est un performant qui gagne. Une gagneuse est une pute qui rapporte. »1

Sur le même principe de la dissymétrie des connotations sexuelles on peut rajouter les dou-blets gars / garce, masseur / masseuse, homme sans moralité / femme sans moralité, homme facile (« à vivre ») / femme facile (« à sauter »), péripatéticien (philosophe) / péripatéticienne, ou chien / chienne (en tant qu’insultes) ainsi que le « triplet » salaud / salo-pard / salope…

Éloquent, non ?

1. Extrait de Et encore je m’retiens ! Propos insolents sur nos amis les hommes, d’Isabelle Alonso, Robert Laffont, 2011.

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Construire du passif et obtenir du péjoratif

La femme c’est donc, dans l’imaginaire (encore majoritairement) collectif, le sexe. Et plus précisément le sexe dit passif. Prenons les verbes les plus fréquem-ment rencontrés pour parler de relations charnelles : faire l’amour (avec) et baiser (avec). Ces deux verbes renvoient ainsi à l’acte dans son ensemble et femmes comme hommes les emploient : tout le monde est actif.

Mais baiser a également une forme transitive : baiser (une personne). Et si dans divers domaines il arrive que l’on dise qu’une femme a baisé un homme, tel n’est (à notre connaissance) jamais le cas en matière de relations sexuelles. Car, alors, bai-ser devient synonyme de pénétrer, ce qui renvoie à une activité (pour ce qui est des organes génitaux) « purement » masculine1. Et on s’aperçoit que la dis-symétrie est totale puisque, en effet, il n’existe pas, dans l’usage courant, de verbe actif concernant les

1. Faisons ici remarquer que certaines personnes ont un clitoris d’une taille permettant, ou du moins laissant ouverte l’idée d’une pénétration sexuelle par un organe sexuel féminin… Peut-être est-ce une des raisons qui font que Lasociété via Le-monde-médical aime (encore) à « soigner » ces personnes en pratiquant diverses opérations chirurgicales, rendant à ces organes sexuels leur ras-surante incapacité pénétrative, leur Féminité normale, normée… Pour en savoir plus sur l’histoire du rapport de la société avec le(s) clitoris, lire Corps en tous genres – la dualité des sexes à l’épreuve de la science d’Anne Fausto-Sterling, La Découverte, 2012 ; et La fabuleuse histoire du clitoris de Jean-Claude Piquard, Blanche, 2012.

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organes génitaux féminins1. Rien, linguistiquement parlant, n’empêche pourtant la création d’un verbe actif prenant en considération l’anatomie féminine2. Or, à notre connaissance, rien de tel en vue. C’est ainsi que l’on découvre un point aveugle (de plus) de la fertile imagination humaine dans le domaine du langage. C’est ainsi que saute une nouvelle fois aux yeux la traduction symbolique d’une dissymétrie et (donc) d’un rapport de domination… encore une fois au détriment des femmes3. Et c’est cette « passivité », caractéristique soi-disant féminine, que l’on retrouve dans nombres d’injures4.

Nous avons vu que masculin et féminin sont hié-rarchisés et que c’est le masculin qui est symbolique-ment supérieur au féminin. Ainsi, tout franchissement transgressif du haut vers le bas est injurieux. Comme l’a écrit Bourdieu :

1. Car il n’aura cependant échappé à personne que les femmes étant anatomiquement pourvues, dans leur grande majorité, de doigts (notamment), ceux-ci peuvent tout à fait entrer en jeu dans ce type d’action. Mais, souvent, n’est considérée comme pénétra-tion vraie que la seule pénétration phallique.2. Pour ne nous concentrer que sur les rapports sexuels « avec pé-nétration » (expression génitalement androcentrée s’il en est), nous pouvons constater que certains verbes déjà existants pourraient pourtant s’y prêter tels absorber, auréoler, capturer, couronner, couvrir, dévorer, emmailloter, enchâsser, enchatonner, enclaver, engloutir, enrober, enserrer, envelopper, garnir, saisir, sertir, sub-merger… et même prendre, ce dernier actuellement exclusivement utilisé dans ce contexte pour les seuls hommes.3. Lire Michel Bozon, Les significations sociales des actes sexuels. In : Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 128, juin 1999.4. Le passage qui suit est largement nourri de Les mots et les femmes de Marina Yaguello, Payot, 1978.

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« De la muraille de Chine, Owen Lattimore disait qu’elle n’avait pas seulement pour fonction d’empêcher les étrangers d’entrer en Chine mais d’empêcher les Chinois d’en sortir : c’est aussi la fonction de toutes les frontières magiques – [comme] la frontière entre le masculin et le féminin […] – que d’empêcher ceux qui sont à l’intérieur, du bon côté de la ligne, d’en sortir, de déroger, de se déclasser. »1

Et, de fait, en analysant les injures, on s’aperçoit que la dissymétrie perdure, puisque l’imagination déployée pour injurier des hommes via des renvois à la féminité (synonyme comme nous l’avons vu de pas-sivité symbolique, si ce n’est sexuelle, du moins géni-tale), est bien plus productive que celle déployée pour injurier des femmes via des renvois à la masculinité.

Les hommes pourront ainsi se voir adresser des injures2 telles que « t’es qu’une fille », « t’es qu’une gonzesse », « femmelette », « con (nard) », « t’as pas de couilles » ou « pédé », « tantouze », « salope »3 « fiotte », « tapette », « enculé » (l’homosexualité mas-culine étant assimilée à Lapassivité et donc à Lafémi-nité), « nique ta mère4 ». On peut noter que les mots

1. Pierre Bourdieu dans Langage et pouvoir symbolique, Seuil, 2001.2. Ou en tout cas des expressions émises pour blesser, car on est plus souvent blessé·es par l’intention d’insulter que par le contenu de l’insulte lui-même.3. Ainsi en est-il du très regardé et écouté Alain Soral (notamment parce qu’antiféministe revendiqué) qui s’adressa dans une de ses répugnantes vidéos à un Daniel Mermet (évidemment absent) par un « pourquoi tu m’invites pas, vieille salope ? »…4. Notez la forme active du verbe et le sexe de la victime « colla-térale » de l’insulte…

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renvoyant à la soi-disant féminité/passivité sont en majorité grammaticalement féminins.

Les femmes quant à elles, se verront souvent renvoyées à l’animalité, hiérarchiquement infé-rieure (en général) à l’humanité dans son ensemble (« grosse vache », « thon », « morue »), ou à des objets (« cageot », « tromblon »).

Les « salope », « sale pute », « suceuse » « mal bai-sée1 » renverront quant à elles les femmes à Lapu-tain (objet de plaisir à la disposition des hommes) moins respectée que Lamère (qui, elle, tient son rôle de donneuse de descendance attachée à un foyer et à un homme…).

Elles pourront également, mais beaucoup plus rarement, renvoyer à la masculinité (« virago », « hommasse », « tu te prends pour un mec »2).

Marina Yaguello relève également, dans Les mots et les femmes, que :

« Non seulement un grand nombre d’injures ayant pour référent la femme ou le sexe féminin sont applicables aux hommes, mais, de plus, le genre [grammatical] fémi-nin sert à la formation de nombreuses injures sans ren-voyer pour autant à la femme. Ainsi, les finales -ouille : andouille, fripouille, nouille ; en -aille : canaille, flicaille ; en -ure : roulure, ordure, sont-elles particulièrement pro-ductives. »

1. Notez cette fois-ci la forme passive…2. Et certainement pas « tu n’es qu’un mec » (à mettre en parallèle donc avec le « tu n’es qu’une gonzesse »). Faisons un autre parallèle avec l’expression « garçon manqué » qui n’a pas de pendant, car dans l’imaginaire phallocrate « femme manquée » est redondant.

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La dissymétrie entre le masculin/les hommes d’un côté et le féminin/les femmes de l’autre est encore et toujours totale.

Nous étions là clairement dans un cadre où l’in-tention était agressive, mais nombre de ces injures peuvent également se retrouver dans un cadre « ami-cal », être dites sur le ton de la « plaisanterie ». S’il n’y a pas alors d’agression, cela n’enlève rien au fait que la dissymétrie symbolique est reproduite, entretenue. Cela se retrouve « même » jusque chez des humo-ristes, auteur·rices et/ou dialoguistes ayant quelque notoriété mais (car ?…) ne s’étant pas penché·es sur cette question dans une optique féministe1. Mais fai-sons-nous mieux ? Dans le cas contraire, rien ne nous empêche de nous améliorer (si ce n’est l’omniprésente symbolique du genre… jusqu’à ce qu’on l’ait dévoi-lée, bien sûr).

Enfin, et parallèlement à un questionnement sur les injures, peut-être pourrions-nous également nous questionner sur l’emploi massif de l’exclamation mar-quant l’irritation qu’est « Putain ! ». Et ce pour nous demander si l’absence d’intention, de cible (physique, directe, personnifiée) permet de garantir la neutralité, l’innocuité (symbolique) de cette interjection on ne peut plus genrée.

1. Ainsi en est-il, par exemple, d’Alexandre et Simon Astier qui maculent leur créations télévisuelles respectives (Kaamelott et Hero Corp) de scories misogynes (sans doute inconscientes). Des personnages masculins se voient ainsi rabaissés, raillés, insultés (si l’on en juge par le contexte) par des termes tels que « pucelle », « (petite) salope », « connasse », « gonzesse »… mais, « rassurons-nous », tout cela se fait sur le ton de « l’humour »…

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Défense du masculin

Y aurait-il un lien entre cette hiérarchisation du fémi-nin et du masculin et le fait que, au-delà des hommes (qui y trouvent un intérêt symbolique – mais pas seu-lement – « évident »), il y a également des femmes qui s’opposent à une certaine démasculinisation de la langue ? C’est fort probable. Ainsi, certaines (parfois féministes) souhaitent qu’on les appelle « Madame le maire », ou « Madame le docteur » ; certaines avocates souhaitent qu’on leur adresse la parole via un « Cher confrère », car en effet elles ne deviennent pas « Mai-tresse Unetelle » mais bien « Maitre Unetelle »1… Sur cette pratique, nous partageons la position d’Albert Dauzat qui écrivait en 1955 : « La femme qui préfère pour le nom de sa profession le masculin au féminin accuse par là même un complexe d’infériorité qui contredit des revendications légitimes. Dérober son le sexe derrière le genre adverse, c’est le trahir. [Dire] madame le docteur, c’est reconnaitre implicitement la supériorité du mâle, dont le masculin est l’expression grammaticale ». Mais heureusement des alternatives existent, comme nous verrons bientôt.

1. De même, comme le relève Marina Yaguello dans Le sexe des mots (Seuil, 1995), sans doute du fait de la connotation sexuelle que revêt le mot « maitresse », comme nous l’avons vu, il y a des résistances à féminiser des expressions telles que « passer maitre », « maitre d’hôtel », « de main de maitre » « maitre de conférences » « maitre de recherches » « maitre à penser »… En revanche, on peut « sans problème » être « maitresse d’école » et/ou « maitresse de maison » (l’éducation et la gestion du foyer étant parfaitement compatible avec Laféminité). Les Québecois·ses, pour qui le suffixe -esse gagne en désuétude, ont trouvé « une solution » et emploient « maitre » de manière épicène (le ou la maitre, contremaitre, etc.)… mais seulement quand « maitresse » est mal accepté…

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2. L’omniprésence du sexe

Voici en effet une autre problématique liée au genre grammatical.

Nous sommes tous·tes sexuées puisque nous avons tous·tes des corps humains et il n’est jamais question de nier cette réalité1. S’il est désormais bien clair que genre grammatical et classes de sexe sont inti-mement lié·es, on peut toutefois se questionner sur le maintien dans notre langue du rappel permanent auxdites classes de sexe (rappel direct lorsqu’il s’agit d’animé·es, ou « seulement » indirect, symbolique sinon). Il est ainsi intéressant de relever qu’existent des langues sans aucun genre grammatical et d’autres presque sans qui ne font donc pas ou pas systémati-quement ce rappel. Et pourtant, ceci n’empêche pas les locuteur·rices de ces langues de parler des (et donc de penser les) classes de sexe, sauf qu’ils et elles se servent du seul (ou presque) vocabulaire pour le faire.

Prenons l’exemple de l’anglais. Cette langue ne classe pas les noms selon les catégories de genre et pourtant les anglophones peuvent parler des classes de sexes ainsi que du genre social2. Les doublets man / woman (homme / femme), male / female (mâle/femelle ou homme / femme), auxquels on peut rajou-

1. C’est pourtant ce derrière quoi se rangent les opposant·tes mal-honnêtes aux études de genre.2. À savoir si ceci ne fut pas une des raisons qui ont fait que les études de genre sont apparues dans les pays anglophones ?…

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ter person (personne) ou individual (individu), per-mettent d’aborder ces questions.

Les variantes françaises des mots (le / la pour the en anglais ou dominé / dominée pour dominated, par exemple) n’ont aucune utilité fonctionnelle. Cepen-dant, ce n’est pas l’inutilité fonctionnelle qui fait que nous avons un problème avec le genre grammatical binaire, mais bien son utilité symbolique et donc sociale (néfaste de notre point de vue).

La langue anglaise n’est cependant pas un modèle « parfait », puisque le genre rejaillit par-ci par-là. Les marques du genre existent par exemple dans de rares doublets (comme actor / actress), ainsi que dans des noms ou expressions sexualisé·es et dissymétriques (chairman / Ø ; man of the year / Ø ; fireman / Ø ; policeman / Ø) et ce même si des alternatives univer-salistes ont été trouvées (chairperson ; person of the year ; firefighter ; police officer). Les marques du genre existent également dans les pronoms (ceux de la troi-sième personne du singulier). On a ainsi he, she et it. It ne peut désigner un être humain ; he s’applique aux hommes et she aux femmes, mais ces deux pronoms peuvent aussi désigner des animé·es non humain·nes pourvu que l’on connaisse leurs sexes. Enfin, comment ne pas s’arrêter sur ce qu’implique (symboliquement) le fait d’user du seul she pour désigner également des inanimés que les locuteur·rices considèrent comme précieux (voiture, bateau, machine, etc.) ?…

Revenons au français. Dans notre langue, le sexe/genre est une distinction centrale de la grammaire, puisque certains mots varient en genre et en nombre

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(selon des approches dichotomisées, binaires : fémi-nin <> masculin pour le genre ; 1 <> plus-de-1 pour le nombre). Or, il saute aux yeux de tout le monde que les êtres humains peuvent être classés selon d’autres cri-tères (parfois très problématiques) et que, pour autant, ces différenciations n’apparaissent pas dans la gram-maire. Par exemple, bien qu’il y ait des différences de pigmentation de la peau, elles ne font pas varier les mots, à la différence du sexe. Il n’existe en effet pas de flexion « blanche » et de flexion « non blanche »1 pour les noms d’agent·tes2. Ne pas avoir de mots qui varient selon la pigmentation de la peau des personnes (ou la couleur des « choses ») n’est pas le déni de l’exis-tence des couleurs ; cela traduit juste l’importance que revêt pour une société un critère de différenciation des « choses » ou, plus important pour des humanistes, un critère de différenciation des personnes.

On peut, sans que la grammaire en porte le stig-mate, et pour peu que les mots existent et/ou que l’on n’ait pas d’appréhensions d’en créer autant que néces-saire, on peut (disais-je) classer choses et/ou personnes en catégories. Certes, on le peut. Mais on peut égale-ment, ou plutôt on doit, à chaque fois se questionner sur le sens politique de telle ou telle classification.

Le fait est que l’omniprésence du sexe (via le genre grammatical binaire) est problématique, parce qu’elle

1. Pour reprendre l’albinocentrisme du racisme historique de notre société (albus/alba/album signifiant blanc·he en latin).2. Un nom d’agent·te est un nom lié à une action, une activité. Par exemple, au verbe vendre sont associé·es vendeur et vendeuse ; à agriculture, agriculteur et agricultrice.

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oblige (particulièrement lorsqu’il s’agit d’agent·tes) à faire référence « soit à l’une soit à l’autre » (comme on dit) classe de sexe (l’une excluant symboliquement et par définition l’autre), quand bien même l’énoncia-tion de cette appartenance ne serait pas pertinente dans l’énoncé. Pour illustrer notre propos, tour-nons-nous à nouveau vers notre anglais « president » et essayons-nous à nouveau à la traduction avec la phrase « I was introduced to the president ». Cette phrase a pour sens : « la personne narrant l’histoire fut présentée à la personne en charge de la présidence d’une institution ».

Dans cet exemple, aucun des six mots de la phrase anglaise ne porte de marque du genre et nous « prive » ainsi d’informations indirectes sur le genre social des protagonistes (qui pourraient toutefois apparaitre de manière directe… pour peu que l’auteur·rice juge cela nécessaire et/ou pertinent). En revanche, en français (si l’on se cantonne à la grammaire académique) nous sommes et ne pouvons qu’être informé·es de manière indirecte sur le genre social de nos protagonistes (via l’accord du participe passé, le genre du nom et l’accord de l’article)… et ce, quelle que soit celle des quatre traductions « possibles » (autorisées) que nous choisissions :

– Je fus présentée à la présidente ;– Je fus présentée au président ;– Je fus présenté à la présidente ;– Je fus présenté au président.

Ainsi, on voit bien qu’en français le genre gram-matical doit « partout » être rappelé, ce qui fait que lorsque l’on parle de personnes (humaines), c’est le

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sexe social, le genre social qui doit être rappelé. Le genre social, via le genre grammatical, est donc, dès que l’on parle d’êtres humains, au centre de la langue.

Arrivé·es là, nous avons maintenant bien à l’esprit que notre langue est sexo-centrée et que ses usages et ses modes d’apprentissage abritent et nourrissent une hiérarchisation symbolique des deux classes de sexe reconnues (masculin<>féminin) au détriment du féminin. Il nous reste maintenant à questionner cette dichotomie du genre grammatical. Et pour cela, il va nous falloir voyager dans le temps et dans l’espace.

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3. Binarité du genre… grammatical ? Et 1, et 2, et 3… zéro ?

« Il revoyait l’enfant dorée sur l’homme doré, et il était jaloux, pourtant je ne veux pas ça moi alors quoi.De toute façon il aurait pas été doré, elle aurait pas, ça aurait pas, pourquoi y a pas de neutre ? »

Christiane Rochefort, Encore heureux qu’on va vers l’été

Généalogie

Les linguistes, en essayant de reconstruire (du fait de l’absence de trace écrite) le proto-indo-euro-péen (la langue qui aurait donné, notamment, le grec ancien et le latin) ont déduit que, bien que cette langue semble avoir eu trois genres (masculin, fémi-nin, neutre), auraient existé dans les langues l’ayant précédé deux genres grammaticaux distinguant, non pas le masculin et le féminin comme en français, mais l’animé (ce qui vit) de l’inanimé (ce qui ne vit pas).

Il s’avère que le grec ancien et le latin, comme leur supposé ancêtre, comportaient trois genres gram-maticaux. Pourtant le français, qui découle (notam-ment) de ces langues, n’en a que deux, le masculin et le féminin, le neutre ayant disparu.

L’illogisme qui régnait en latin pour ce qui est de la distinction animé/inanimé (un mot neutre pouvait

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désigner un animé et un masculin un inanimé), cou-plé à une pratique rapprochant les morphologies des terminaisons, ont fait que le neutre s’est majoritaire-ment masculinisé (templum et corpus – qui étaient neutres (singuliers) à l’accusatif – ont donné le temple et le corps) bien que pas seulement (folia et fortia – neutres (pluriels) à l’accusatif – ont donné la feuille et la force).

Bref, nos deux genres grammaticaux (féminin et masculin) n’ont d’une part pas toujours existé et, d’autre part, n’ont pas toujours été « seuls ». Remar-quez que cela permet d’ouvrir quelque peu le champ des possibles.

Dans l’espace1

Si un regard sur les origines de notre langue nous permet de faire connaissance avec une diversité sou-vent ignorée, on peut également rester dans le présent et faire un tour du monde pour découvrir une encore plus grande diversité.

Ainsi, la dichotomie (supposée) du genre de « la » langue aïeule du proto-indo-européen (reposant sur la distinction animé/inanimé) dont nous venons de parler se retrouve aujourd’hui encore, par exemple, dans le danois, le norvégien, le polonais, le russe, le serbe, le sorabe (une langue slave), le suédois ou bien encore le tchèque.

1. Les faits mentionnés ici sont tirés de l’article de Patrizia Violi, Les origines du genre grammatical, in Langages, 21e année, n° 85, 1987, pp. 15-34, ainsi que de l’article consacré au genre gramma-tical par la version anglaise de wikipedia https ://en.wikipedia.org/wiki/Grammatical_gender.

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En bulgare le genre marque une différence entre ce qui est humain et ce qui ne l’est pas.

L’allemand, le grec moderne, le russe et le slovène possèdent, quant à eux, les trois genres grammaticaux du proto-indo-européen (masculin/féminin/neutre).

Le zandé (un idiome nigéro-congolais) a lui quatre genres grammaticaux : un pour les humains mâles, un pour les humaines femelles, un pour les (autres) animaux et un pour les inanimés.

Dans les langues dravidiennes (langues originaires de l’Inde) il y a cinq genres, trois (masculin, féminin, collectif) rassemblés sous la super-classe rationnel (qui concerne seulement les êtres humains et les divi-nités) et deux autres (singulier et pluriel) rassemblés sous la super-classe irrationnel (qui concerne seule-ment les animaux et les objets).

Les langues bantoues (parlées dans le sud de l’Afrique) ont des classes nominales que l’on peut apparenter au genre et qui dépassent parfois la dizaine.

Pour ce qui est du genre grammatical « de type français » (distinguant le féminin et le masculin), il s’avère qu’il n’est pas (ou pas systématiquement) marqué en basque, estonien, finnois, hongrois, japo-nais, mandarin ou turc. En revanche, des oppositions genrées peuvent apparaitre par l’usage de pronoms, de flexions particulières, de graphies particulières1.

1. Par exemple, en japonais “femme” s’écrit 女. Cet idéogramme sert à en construire d’autres plus complexes. Parmi ceux-ci on peut ainsi trouver des mots (qui n’ont pas de pendant pour l’idéogramme “homme” 男) tels que, évidemment, 妊 (être enceinte), mais aussi 奴 (domestique, esclave), 妖 (qui attire, qui ensorcelle), 妬 (faire

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La langue française (académique) a donc, à ce jour, deux genres grammaticaux1. Dont acte. Mais c’est une langue vivante qui évolue en fonction de ce qu’en font ceux et celles qui la parlent et peut-être ce petit tour d’horizon parmi nos langues aïeules et cou-sines (à divers degrés) permettra-t-il de libérer un peu les imaginaires et ainsi d’aborder avec un esprit plus ouvert les évolutions éventuellement souhaitables de notre langue afin de la faire correspondre à la vision du monde que nous défendons.

Es-tu de deux genres ?

Il n’aura échappé à personne que l’on s’intéresse enfin aux études de genre, ce champ d’étude pluri-disciplinaire consacré aux constructions sociales des identités au sein des différentes cultures. Rappelons une nouvelle fois ici que les études de genre ont mis à jour que le genre est, notamment, « un système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin) »2.

preuve de jalousie), mais également 姦, trois « femme » (cruauté, malice)… également le tout aussi révélateur 嬲, une « femme » entre deux « homme » (ennuyer, se moquer de, ridiculiser)…1. Nous verrons plus loin qu’en pratique il existe déjà, pour certain·nes francophones, un autre genre grammatical non recon-nu officiellement.2. Selon la définition des auteur·rices de l’Introduction aux études de genre, cité·es par Anne-Charlotte Husson dans son article Par-lons de genre sur son blog : cafaitgenre.org/2014/02/02/parlons-de-genre/.

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Deux choses doivent cependant être rappelées. Primo, la sexuation des corps, même si elle est très polarisée, n’est pas binaire ; il serait grand temps que l’on en tire toutes les conclusions nécessaires. Secundo, la manière d’être au monde n’a que très peu à voir avec nos corps (une fois mises de côté les différences d’ordre reproductif1). Ainsi, les valeurs, les parures, les activités réservées traditionnellement à telle ou telle classe de sexe pourraient/peuvent être adoptées par toute personne appartenant à la classe de sexe opposée, sans avoir à dépasser quelque limite biologique, naturelle que ce soit2. Cette séparation des rôles, valeurs, activités, etc. en féminines d’un côté et masculines de l’autre est une construction sociale basée sur une certaine vision du monde et de ce qui est naturel. Il s’avère que, comme l’écrit Anne-Charlotte Husson, « les études de genre prennent comme point de départ les différences constatées

1. Notons que le rapport à la reproduction n’implique pas for-cément la binarité. En effet, il y a plus de deux manières de se positionner/d’être positionné·es par rapport à la reproduction ou par rapport à l’anatomie, notamment si l’on prend en compte (et comment ne pas le faire ?) la question de la fertilité/stérilité et/ou celle de l’intersexuation. Cependant, la classification sexuelle de notre société reste binaire : on ne peut être qu’un « mâle » ou une « femelle », qu’un producteur (potentiel ?) de spermatozoïdes viables ou une émettrice (potentielle ?) d’ovules viables, qu’un por-teur de pénis ou (et surtout pas “et”) de vulve. Et qui décide de cela ? C’est le monde médical qui, en fonction de ce qu’il a vu (ou cru voir) entre les jambes de la personne nouvellement née, défi-nit « pour toujours » par quel chiffre commencera le numéro de sécurité sociale de cette personne, bref décide de sa classe sociale de sexe.2. La remise en cause de ces limites étant pour nous hautement questionnable.

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entre les représentations, rôles, valeurs, caractéris-tiques (etc.) attachées aux deux groupes sociaux que sont les hommes et les femmes »1.

Bref, il y a apparemment une différence entre nature fantasmée et nature réelle. Et la création de deux catégories strictement hermétiques dans la sphère anatomique/biologique d’une part et de deux catégories très hermétiques (bien que de moins en moins) dans la sphère culturelle d’autre part, n’a qu’un but : tenter de (se) persuader que l’anatomie définit (totalement) l’être au monde. L’anatomie est ainsi transformée en marqueur social.

Cela pose, ou devrait poser, deux questions aux locuteur·rices (humanistes) de notre langue. D’une part, que faire face à la violence qui impose à une personne intersexe (sauf à se couper du monde) de (se) parler et (donc) (se) penser dans un système binaire qui l’exclut de facto ? En effet, si notre langue permet que l’on soit plus ou moins grand·de ou plus ou moins fort·te, en revanche, du fait du lien extrê-mement puissant existant entre genre grammatical et genre/sexe social, celle-ci exclut que l’on puisse être plus ou moins mâle et donc plus ou moins femelle. On est soit un il soit une elle. La binarité exclusive du genre grammatical empêche ou plutôt rend extrême-ment difficile l’énonciation de réalités qui prouvent sa déconnexion d’avec le réel, et révèle donc l’idéologie qu’elle soutient de fait : une étanchéité entre principe mâle et principe femelle (« nature »), allant de pair

1. Anne-Charlotte Husson dans Quels sont les rapports entre sexe et genre cafaitgenre.org/2014/11/17/quels-sont-les-rapports-entre-sexe-et-genre/.

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avec une étanchéité entre principe masculin et prin-cipe féminin (« culture »).

D’autre part, le genre grammatical binaire n’est pas problématique pour les intersexes uniquement. Ainsi, si l’on considère que masculinité et féminité sont des concepts problématiques (parce que – plus ou moins – étanches par définition, parce que construits de manière hiérarchique) comment ne pas les renforcer, comment les combattre efficacement si dans les dis-cours nous nous y référons, nous nous y rattachons en permanence via le genre grammatical ? Comment se libérer d’un carcan s’il n’y a d’autre choix que de s’y rattacher ?

Peut-être trouverons-nous quelques pistes pour alimenter notre réflexion en faisant un tour des pra-tiques actuelles des féministes.

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— II —

LE FÉMINISME DANS LES MOTS

« L’action volontariste des féministes [sur la langue] sera une action idéologique consciente sur une langue forte-ment modelée, mais de façon inconsciente, par l’idéolo-gie sexiste. »

Marina Yaguello

Pratiques alternatives et revendications hétéro-doxes ne laissent jamais indifférent·tes. Ainsi, après avoir fait un tour d’horizon des propositions des féministes nous détaillerons les différentes critiques qu’elles suscitent.

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1. Les propositions des féministes

« Énoncé performatif, la pré-vision politique est, par soi, une pré-diction qui vise à faire advenir ce qu’elle énonce ; elle contribue pratiquement à la réalité de ce qu’elle annonce par le fait de l’énoncer, de le pré-voir, de le faire pré-voir, de le rendre concevable et surtout croyable et de créer ainsi la représentation et la volonté collectives qui peuvent contribuer à la produire. »

Pierre Bourdieu

Comme souvent, deux courants, deux stratégies (pas forcément incompatibles d’ailleurs) se dégagent. D’un côté, un travail de réforme à un niveau institu-tionnel, officiel, pour de nouvelles pratiques gramma-ticales moins inégalitaires, et de l’autre, des pratiques plus subversives, abordant souvent la question sous un angle proche des premier·res, mais poussant plus « avant », voire dans d’autres directions (critique de la binarité du genre social), la réflexion et les propo-sitions/pratiques.

La réforme institutionnelle« J’ai ouï parler d’une espèce de tribunal qu’on appelle l’Académie française. Il n’y en a point de moins respecté dans le monde : car on dit qu’aussitôt qu’il a décidé, le Peuple casse ses arrêts et lui impose des lois qu’il est obligé de suivre. »

Montesquieu, Lettres persanes

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Les noms de métiers, fonctions, etc.

Le premier front de lutte ouvert par les féministes de la deuxième partie du xxe siècle fut celui de la (re) féminisation des noms de métiers. Le pouvoir politique fut plus ou moins lent à entendre et faire sien le combat pour l’égalité entre les sexes dans la langue. C’est par exemple en 1972 que le Conseil fédéral suisse publie un arrêté énumérant les titres des fonctionnaires fédéral·es avec leurs formes fémi-nines. En 1979, parait au Québec le premier Guide de féminisation linguistique. Il faudra en revanche attendre 1984 en France pour que soit mise en place (par Yvette Roudy, alors ministre des Droits de la femme) une commission sur la féminisation des noms de métiers qui accouchera en 1986 d’une circulaire… jamais appliquée, mais qui servira plus tard à la com-mission qui publiera le guide de féminisation intitulé Femme j’écris ton nom en… 1999. Ainsi, l’Office québécois de la langue française aura eu le temps de publier un document intitulé Titres et fonctions au féminin : essai d’orientation de l’usage en 1986, puis le guide Au féminin : guide de la féminisation des titres de fonction et des textes en 1991. De même, en Belgique, le Conseil supérieur de la langue aura eu le temps de nommer une Commission de féminisa-tion qui débouchera sur la publication du guide de féminisation Mettre au féminin en 1994 (réédité et enrichi en 2005 ainsi qu’en 2015). Le Luxembourg se sera doté de son Dictionnaire de la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions (bilingue allemand et français) en 1998. Tout comme la Suisse qui, en 1999, aura droit à son Nouveau dictionnaire

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féminin-masculin des professions, titres et fonctions. Enfin, en 2002, les Bureaux de l’égalité romands publieront Écrire les genres : guide d’aide à la rédac-tion administrative et législative épicène.

Bien (si l’on peut dire).Et tout cela pour quel résultat ? Eh bien, ces com-

missions nous invitent, lorsqu’il s’agit d’une femme, à user d’un déterminant féminin (la, une, cette, biblio-thécaire, présidente, etc.) et/ou de la forme féminine d’un nom (toutes les commissions n’étant d’ailleurs pas systématiquement d’accord sur la formation de tous les mots : une mairesse et/ou une maire, une pro-fesseur et/ou une professeure, etc.). Un temps somme toute fort long pour mener un combat qui pourrait paraitre au plus grand nombre comme une évidence : celui de la (re) féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions. Un minimum, quoi.

Ceci n’empêchera ni qu’il y ait de nombreuses résistances à cette reféminisation, ni à l’Académie française de « rappeler »1, le nécessaire « respect » de « la » grammaire actuelle ainsi que son rejet des « barbarismes » utilisés par des locuteur·rices trou-vant insuffisante cette décevante reféminisation de la langue. Car, en effet, les maigres avancées reconnues

1. Lire la « mise au point » de l’Académie suite à l’altercation déjà mentionnée entre Julien Aubert et Sandrine Mazetier, http://academie-francaise.fr/actualites/la-feminisation-des-noms-de-me-tiers-fonctions-grades-ou-titres-mise-au-point-de-lacademie. Lire également l’article d’Élise Saint-Jullian et de Marion Chastain Féminisation des mots : la France en retard, écrit à l’occasion de la semaine de la langue française et de la journée de la Francophonie en 2015, http://information.tv5monde.com/terriennes/feminisa-tion-des-mots-la-france-en-retard-22877.

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n’ont concerné que les noms de métiers, ou plutôt que certains d’entre eux.

Mademoiselle

La suppression de l’usage du mot « Mademoiselle » était une des plus vieilles revendications des féministes qui ne voyaient pas l’intérêt (ou le voyaient trop bien) de la persistance de cet archaïsme. En 2012, il a été décidé de supprimer la case Mademoiselle des formu-laires administratifs. Mais bon, si « Mademoiselle » a disparu (ou plutôt n’est toujours qu’en voie de dis-parition…) des formulaires administratifs, reste qu’il est encore souvent employé, et le pire c’est que c’est le plus souvent par… politesse.

La règle de proximité

Le retour à l’accord de proximité fait également l’objet de revendications auprès des institutions de la part de féministes. Une pétition a même été lancée par le collectif L’égalité c’est pas sorcier, qui s’intitule justement « Que les hommes et les femmes soient belles ! » pour demander « à l’Académie fran-çaise de considérer comme correcte cette règle qui dé-hiérarchise le masculin et le féminin et permet à la langue une plus grande liberté créatrice »1. La réhabilitation de cette pratique est d’ailleurs soute-nue par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son tout récent Guide pratique

1. www.petitions24.net/regleproximite

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pour une communication publique sans stéréotype de sexe1.

Pourquoi pas après tout. Du moins tant que cela ne nous paralyse pas, tant que l’on ne laisse pas l’évo-lution de la langue au bon vouloir de l’Académie… ni même à celui d’un Haut conseil, aussi vertueux soit-il.

Il y a près de quarante ans, Katie Breen lança cette question : « Qu’attend l’Académie, gardienne du langage, pour nous donner des « e » ? Députés, découvreurs, amateurs, bon-vivants, chenapans, bandits et brigands, des femmes sont tout cela. Il faudra bien, un jour, que la langue s’y plie ». Selon nous, il n’y a rien d’important à attendre de l’Aca-démie, et puis, de toute façon, attendre c’est faire le jeu des détenteur·rices du pouvoir, de l’idéologie en place. Il ne faut jamais attendre que les gardien·nes s’en prennent à l’institution qui leur a donné du pou-voir (même si on pourra s’en réjouir le cas échéant) ; il faut au contraire soit leur forcer la main si c’est possible/souhaitable, soit faire sans eux·lles. Et c’est d’ailleurs ce que font des féministes (pour certain·nes partisan·nes de la réforme institutionnelle). Car les recommandations des diverses commissions insti-tutionnelles réunies dans les quelques pays franco-phones qui s’intéressent à la question sont loin de recouvrir l’ensemble des diverses pratiques de sub-version de la langue dont nous allons faire le tour.

1. Page 14 du Guide pratique.

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Les perturbations« Subvertir, c’est quand dire, c’est « défaire » »

Elsa Dorlin

Bannir les mots et expressions consacrées genré·es

Une manière d’aller contre le sexisme de notre langue consiste à troquer les expressions probléma-tiques contre d’autres qui ne le sont pas. Ainsi aux « sages-femmes » on préférera les « maïeuticiens et maïeuticiennes », voire encore mieux les « parturo-logues » (puisque ce mot est épicène) ; on préférera l’expression « êtres humains » à « hommes » (quand il ne s’agit pas de désigner la classe sociale de sexe bénéficiant du patriarcat mais l’humanité dans son entier) ; on troquera le « panier de la ménagère » pour le « panier de courses » ; « l’homme de la rue » cédera la place au « peuple » ; on troquera la « fraternité » pour la « solidarité » voire pour l’« adelphité »1 ; on délaissera ses « confrères » et ses « consœurs » au profit de ses « collègues »2 ; on cessera de gérer les choses « en bon père de famille » mais « avec pru-dence » et/ou « sagesse » ; la « patrie » n’aura plus droit de « cité » ; nos « possessions » supplanteront notre « patrimoine » ; on n’enverra plus nos enfants

1. Néologisme de Florence Montreynaud formé sur la racine grecque adelph- qui signifie issu·e de la même matrice indépen-damment du sexe de la personne née. Terme intéressant même si on pourra remarquer que l’on peut être frères et sœurs sans être issu·es de la même matrice (biologique).2. Ou pour ses « synadelphes » si l’on crée des déclinaisons à par-tir du mot de Florence Montreynaud (voir ci-dessus).

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à l’école « maternelle » mais simplement à « l’école » ou au « jardin d’enfants » ; on rejettera les hémiplé-giques opérations de « parrainage » pour du « sou-tien » ou de l’« accompagnement » ; si l’on tient au joug « conjugal » on coupera tout de même le lien « matrimonial », et on ne parlera pas non plus du « nom de jeune fille »1 pour y préférer non pas le tout aussi sexiste et normatif « patronyme » mais plutôt le « nom de naissance » ; et, toujours sur ce thème, si l’on décide d’utiliser le nom de sa/son conjoint·te on ne parlera pas, pour les même raisons que précé-demment, de « nom d’épouse » mais plutôt de « nom d’usage ». Et ainsi de suite.

Utiliser d’autres formulations et/ou d’autres mots

L’Université du Québec à Montréal a fait un énorme travail sur la question. Ainsi dans son Guide de féminisation, elle propose nombre de formulations moins problématiques que celles faisant apparaitre le genre d’une personne. Elle suggère par exemple de remplacer le terme de désignation par :

– le nom de la fonction (En plus d’assumer les res-ponsabilités de tuteur… ➝ En plus d’assumer les responsabilités de tutorat…) ;

– le nom de l’unité administrative (Un archiviste est responsable de la conservation des docu-ments. ➝ Le Service des archives est responsable de la conservation des documents.) ;

1. Expression qui laisse entendre qu’un « garçon » ne pourrait pas utiliser le nom de sa ou son époux·se – croyance encore « étonnam-ment » répandue si l’on en juge par les pratiques ; à moins que…

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– un générique (La réunion d’information aura lieu demain pour les employés du secrétariat. ➝ La réunion d’information aura lieu demain pour le personnel du secrétariat.) ;

– un adjectif indéfini (On demande la collabora-tion de chacun des membres. ➝ On demande la collaboration de chaque membre.) ;

– un pluriel épicène (La secrétaire devient les secrétaires) ;

– etc., etc., etc.1

Rien donc qui remette radicalement en cause la langue. Juste de nouvelles habitudes à prendre.

Faire apparaitre le féminin/les femmes

C’est en partie la conséquence (si ce n’est le but) de la (re) féminisation des noms de métiers. En effet, le féminin, et donc les femmes, apparaissent ; on les voit (graphies) et on les entend (prononciations)2. Mais pas toujours. Et notamment lorsqu’il s’agit de groupes mixtes. Ainsi en est-il de l’expression « les

1. Pour plus de détails, se reporter au Guide de féminisation de l’Université du Québec à Montréal, wwb.instances.uqam.ca/guide/guide_feminisation.html2. « La revendication des féministes françaises concernant la fémi-nisation des noms d’agents […] est très exactement contraire à la revendication des anglophones pour qui au contraire un seul et même nom d’agent devrait désigner indifféremment hommes et femmes. Il existe un courant féministe qui revendique l’abolition des suffixes féminins […] : she is an actor [au lieu de she is an actress], sur le modèle de she is a professor », Yaguello, 1998. Y a-t-il un français politiquement correct ? in Les femmes et la langue. L’insécurité linguistique en question, Pascal Singy (dir.) p. 177-194. Citée par Abbou, p. 143.

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Français » censée pouvoir englober, selon le principe du masculin générique, les Français et les Françaises et ce, bien que l’énoncé soit purement masculin et que la forme féminine ne soit présente ni à l’écrit ni à l’oral. Ce qui n’est pas le cas de la formule qu’adorait railler Pierre Desproges « Françaises, Français » ni du « Travailleuses, travailleurs » d’Arlette Laguiller. Ces expressions font apparaitre le masculin et le féminin, et donc les hommes et les femmes, dans des situations où les règles ou « recommandations » académiques pourraient invisibiliser les unes et ne laisser paraitre que les autres. Ainsi, des féministes soucieux·ses de rendre les femmes plus visibles (et audibles) n’hésitent pas à user d’expressions telles que « tous et toutes », « ils et elles », « les enseignants et les enseignantes », etc. couplées aux autres pratiques que nous avons vues précédemment pour ne pas trop « alourdir » les énoncés, critique qui est souvent avancée par les opposant·tes à ces pratiques.

À noter que l’accord de proximité (dont certain·nes féministes demandent la reconnaissance officielle) permet aussi de faire apparaitre du féminin, comme dans « Toutes sortaient les couteaux et les dagues qu’elles avaient affûtées » ou « Joyeuses, des clameurs et des cris montaient de la foule »1.

Le féminin générique

Une autre manière (fort rare) de montrer à quel point le masculin est omniprésent et à quel point il invisibilise l’autre genre grammatical (et

1. Exergue des éditions iXe.

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symboliquement l’autre classe de sexe) est d’inver-ser les rôles, de donner au genre féminin les attributs du genre grammatical dit « non marqué ». Ainsi, dès qu’une femme (ou du féminin) est présente elle « l’emporte » et l’on écrira donc « une femme et mille hommes sont venues ».

Le genre de la majorité

Un autre manière de troubler l’androcentrisme du français consiste à tenir compte de la constitution genrée d’un groupe. Ainsi, pour un groupe particulier composé majoritairement de femmes, on pourra dire « nous sommes toutes réunies… » (et « nous sommes tous réunis… » pour un groupe composé majoritaire-ment d’hommes). Notons qu’aujourd’hui déjà nous parlons des infirmières et des sages-femmes pour parler de l’ensemble de la profession et ce bien qu’il existe des infirmiers et des maïeuticiens (parturolo-gues ou sages-hommes).

Cette pratique est intéressante parce qu’elle révèle et permet ainsi de lutter contre l’invisibilisation du féminin/des femmes qu’implique la présence d’un seul homme/masculin dans un groupe de femmes/féminins (si l’on s’en tient aux règles d’accords académiques). Cependant, l’élargissement de cette règle semble fort problématique, puisque la composition de tous les groupes (d’humains ou de non humains) auxquels on peut se référer ne peut-être connue.

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Le double marquage du genre1

C’est une autre pratique qui est, elle, de plus en plus répandue. En effet, on la retrouve dans des cour-riers, des offres d’emplois, des brochures, des revues, des livres, des communications de partis politiques, etc. Elle consiste à faire figurer à l’écrit, et parfois à l’oral, les deux marques du genre grammatical, la masculine et la féminine (parfois dans l’ordre inverse).

Plusieurs pratiques existent :– L’utilisation de la barre oblique : au lieu d’écrire

« les travailleurs » (voire à la place des versions beaucoup moins problématiques que sont « les travailleurs et les travailleuses » ou « les travail-leuses et les travailleurs ») on trouve « les travail-leurs/euses » ou « les travailleuses/eurs » et au singulier générique « un/e travailleur/euse » ou « un/e travailleuse/eur » ;

– Les parenthèses : à la place de « un représentant » ou de « les représentants » on utilise « un (e) représentant (e) » ou « les représentant (e) s »2.

– Le trait d’union : au lieu d’écrire « un résistant » ou « les résistants » on trouve « un-e résistant-e » ou « les résistant-e-s » ou « les résistant-es ».

– Le point : au lieu d’écrire « un ami » ou « les amis » on trouve « un·e ami·e » ou « les ami·e·s » ou « les ami·es ».

1. Selon la terminologie employée par Julie Abbou, dans sa thèse « L’Antisexisme linguistique dans les brochures libertaires : Pra-tiques d’écriture et métadiscours », 2011.2. En anglais, le genre grammatical étant surtout présent dans les pronoms, lorsque l’on ne « connait » pas le genre/sexe de la per-sonne dont il est question, et si l’on ne souhaite pas recourir à des néologismes, on utilise « he or she » (« il ou elle ») ou bien (s) he, ou encore s/he.

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– Le point médian : à la place de « un insurgé » ou de « les insurgés » on trouve « un·e insurgé·e » ou « les insurgé·es ».

– L’usage de la majuscule : à la place de « les mani-festants » on croise « les manifestantEs ».

– L’accolement : à la place de « les chômeurs » on croise « les chômeureuses », à la place de « les perturbateurs » on trouve « les perturbateu-rices ».1

Les néologismes

Dans la même veine que ces accolements, de nou-veaux mots apparaissent. Le doublet ils/elles voit un troisième élément le rejoindre, iels, yels, illes ou els (selon les usager·res)2. Ce troisième terme remplace les formes plus longues mais plus « académiquement compatibles » « ils et elles » ou « elles et ils ». Ainsi, la phrase « ils et elles sont venus » devient « iels sont venu·e·s ».

1. Mentionnons ici la pratique des féministes hispanophones qui consiste à remplacer le “o” comme marque du masculin et le “a” comme marque du féminin par le caractère qui couple, selon eux·lles, les deux à savoir l’arobase “@”. Ainsi, à la place du nom à la forme féminine ainsi qu’à la forme masculine comme « todos/todas » (« tous/toutes »), ou « queridos amigos, queridas amigas » (« chers amis, chères amies ») on trouve désormais « tod@s » et « querid@s amig@s ».2. En anglais, diverses propositions de pronoms neutres en terme de genre ont été faites depuis le xixe siècle, comme e, thon, co, ou they (singulier). En Suède, le pronom personnel neutre hen (néolo-gisme proposé en 1966) et qui est le pendant de hon (elle) et han (il) a fait son entrée dans le dictionnaire de l’Académie suédoise en 2015…

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De même, au doublet tous/toutes vient s’ajouter l’universaliste toussétoutes ou encore toustes (ex. : « les grévistes sont toustes là », les hommes comme les femmes) ; à eux/elles vient s’ajouter eulles ou elleux selon les utilisateur·rices ; à ceux/celles vient s’ajouter ceulles, ceuses ou celleux (ex : « ceulles qui étaient présent·e·s »).

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2. Les critiques de ces propositions

Ces pratiques suscitent quelques critiques plus ou moins hostiles, plus ou moins constructives. Passons-les en revue.

Ce n’est pas juste

Ce sont en général des « spécialistes » qui font cette critique. Évidemment, cela s’applique à toutes les formes dites « tronquées » (nous préférons, pour des raisons symboliques évidentes, parler de formes liées) comme « académicien·ne·s », sans même parler des formes fusionnées (comme « travailleureuses », « iels », « toustes »). Pour ces critiques il n’y a que deux genres grammaticaux : le genre masculin « non marqué » (qui peut englober les femmes/le féminin) et le genre féminin qui est le seul à être « discrimi-nant » (puisque ne pouvant englober les hommes/du masculin)…

Prenons (pour les besoins de la démonstration) cette critique au sérieux. Disons-le tout net, si le genre masculin était effectivement non marqué (pas seulement du point de vue grammatical, bien sûr, mais aussi du point de vue symbolique), s’il n’était pas le genre masculin, alors oui, ce genre pourrait être l’avenir du genre grammatical dans une optique non sexiste. Mais le fait est qu’il est malheureusement

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très marqué symboliquement parlant et que, dans une société patriarcale, le féminin ne saurait ni rester à une place moindre que celle du masculin (statu quo), ni s’effacer totalement au profit du masculin (s’il devait devenir le genre unique). Une seule solution alors : continuer de reféminiser la langue.

Mais ces « spécialistes » prétendent également que certaines féminisations (parfois acceptées, voire préfé-rées par d’autres institutions dans d’autres « régions » francophones, notamment au Québec), parce que « contraires aux règles ordinaires » d’alternance (comme « professeure, recteure, auteure, ingénieure, procureure, etc. »), sont erronées et donc ne doivent pas être employées… Sourions et profitons-en pour relever une caractéristique pour le moins intéressante de ces formes impies de féminisation : comme pour les mots épicènes (ex. : « spécialiste », « cacochyme »), la prononciation est alors la même pour la forme masculine et la forme féminine (« ingénieur », « ingé-nieure »). Un atout, donc, si on ne veut ni invisibiliser, ni taire personne.

Ce n’est pas esthétique

« Nous souhaitons conserver ce qui est important, c’est-à-dire une tradition de belle langue » a rappelé Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel 1 de l’Académie française. Pas besoin de consacrer plus

1. Puisque c’est cette formulation qui a sa préférence, acceptons-la, évidemment pas par galanterie (sexiste, si ce n’est par définition du moins par usage) mais par courtoisie… et amour d’une langue vivante.

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d’une phrase à l’évidence qu’un jugement esthétique ne saurait avoir un caractère objectif. Ainsi, si notre sens du beau est fortement influencé par nos habi-tudes, tout ce qui rompt avec elles a de fortes chances de « gêner ». Du moins dans un premier temps.

Faire mention des deux genres (« ils et elles », etc.) était une pratique courante avant la réforme du xviie siècle, cela ne choquait pas à l’époque. Il ne fait aucun doute que plus nous serons nombreux·ses à user de telles formules, moins cela choquera notre sens de l’esthétique. Il en va de même, évidemment, pour les formes liées (ces formes qui incluent des parenthèses, des traits d’unions, des barres obliques, des points et/ou des points médians) ou les formes fusionnées (les néologismes créés le plus souvent par accolement des flexions masculines et féminines).

Par exemple, ce qui généralement gêne la lecture des personnes habituées à un français subverti est, « étonnamment » ou plutôt logiquement, l’absence de toute subversion de notre langue androcentrée ; c’est un « Mes frères » ou un « Chers confrères » adressé à une auditoire/lectorat mixte ; ce peuvent également être mais plus rarement des tentatives trop timides de reféminisation comme dans certaines offres d’emplois avec par exemple un « Cherche vendeur (H/F) »… Question d’habitudes que tout cela. Et les mauvaises habitudes ça se perd… pour peu qu’on le souhaite !

Ce n’est pas lisible

Question d’habitude là encore. Des textes, des brochures, des revues sont intégralement écrit·tes en

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subvertissant la langue1 et pourtant des gens les lisent et les comprennent sans aucun problème. Cependant, les formes universalistes sont jugées (avec plus ou moins d’honnêteté intellectuelle) comme étant illi-sibles. La présence de signes typographiques dans les flexions n’y est sans doute pas pour rien et il est possible que les signes déjà utilisés dans notre langue à d’autres fins (comme le point, les parenthèses ou le trait d’union) ne simplifient pas les premières ren-contres. Toutefois, on comprend très vite le “sens”, le “rôle” de ces marques en fonction du contexte, de leur place dans le mot ou dans la phrase.

Alors oui, bien sûr, il ne faut pas « violer la langue »2, ne pas subvertir « sans nuances ni modé-ration »3, ne pas rompre la compréhension mutuelle, « la communication et la communauté »4 ; et il faut donc se placer dans un temps (très) long. Le risque, sinon, serait de marginaliser l’indispensable usage d’un français moins androcentré (objectif final pour certain·nes, intermédiaire pour d’autres, nous y reviendrons).

1. Lire notamment la revue de décroissance romande Moins !, la revue d’écologie politique L’an 02, ou bien sûr l’indispensable revue Nouvelles Questions Féministes. Faire également un tour sur le site cafaitgenre.org entre autres…2. Marina Yaguello dans Les mots et les femmes (1978).3. Pierrette Vachon-L’Heureux dans Au Québec, la rédaction épi-cène devient une proposition officielle, pp. 70-80 du n° 26 de la revue Nouvelles Questions Féministes consacré à la parité linguis-tique.4. Le collectif Pièces et main d’œuvre dans Ceci n’est pas une femme (à propos des tordus queer). À lire, si l’on pense pouvoir faire abstraction des abjections, caricatures et insultes qui en-robent des analyses, remarques, critiques parfois fort pertinentes.

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Ainsi la reféminisation des noms de métiers, de fonctions, de grades, de titres couplée à l’usage de structures de phrases moins (voire plus du tout) gen-rées tel que les guides de rédaction non sexiste le recommandent depuis des décennies, furent un pre-mier pas indispensable. On peut aujourd’hui, sans trop craindre de rejet (autre que celui, de principe, de notre lyophilisante Académie), ajouter à ces pratiques le recours modéré à des formes universalistes. Et ce pour répondre à une autre critique : la redondance.

C’est redondant

En effet, certaines personnes trouvent que des expressions telles que « les militantes et les mili-tants » alourdissent la lecture. Parmi elles, on trouve évidemment les personnes opposées à toute remise en cause du « masculin générique », mais aussi celles qui préfèrent (comme l’auteur·rice de ces lignes) lire un seul mot (par ex. : « les militant·tes ») qui a (plus ou moins, nous y reviendrons) le même sens que « les militantes et les militants ». Reste une question d’im-portance, celle de l’énonciation.

C’est imprononçable

Il est vrai que les langues étant avant tout orales, l’on ne saurait prétendre à ce qu’une langue soit lar-gement usitée si celle-ci n’est pas prononçable. Cette critique a donné naissance à certaines pratiques que nous avons déjà vues, puisque des formes univer-salistes « originellement » liées (« chômeurs/euses », « agitateur·trices ») se sont transformées en des mots

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à part entière (« chômeureuses », « agitateurtrices » ou « agitateurices ») aisément prononçables (et dif-férenciables des formes masculine et féminine). De même, des expressions reféminisées (comme « ils et elles », « tous et toutes », « celles et ceux ») ont donné naissance à des mots eux aussi parfaitement pronon-çables (comme « iels », « toustes », « ceulles »).

Cependant, d’une part tous les types de formes liées ne sont pas si aisément transformables en formes fusionnées, d’autre part il ne semble pas que soit sys-tématiquement prise en compte l’oralisation de ces nouveaux mots. On ne saurait donc ignorer cette juste critique.

Ce n’est pas fluide

Écrire comme nous y invitent certains guides de rédaction non sexiste impose (dans un premier temps du moins, le temps d’acquérir d’autres habitudes) de tourner les phrases « sept fois » dans sa tête. Il est plus simple de troquer « les lecteurs » pour « les lecteurs et les lectrices » (constitué par un simple rajout à la formulation au masculin générique à laquelle nous sommes habitué·es) que pour « le lectorat » (ce qui demande un plus grand « effort » puisque c’est dès l’article qu’intervient le changement – le au lieu de les). Dans le cadre de l’écrit ce n’est pas quelque chose de surhumain, c’est peut-être même un néces-saire effort. Là où apparait un problème c’est à l’oral, car ce mode d’expression se base sur une autre tem-poralité, un autre rapport à la réflexion et à la spon-tanéité. Difficile en effet de revenir en arrière pour reformuler, restructurer une phrase de manière non

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sexiste. La fluidité doit donc être prise en compte si l’on envisage l’oralisation d’un français non sexiste.

Toutefois, si la fluidité de l’écriture (de l’émission du message) s’en trouve affectée, il n’en est rien pour ce qui est de la lecture (la réception de celui-ci).

Ce n’est pas systématisé

Ainsi, on trouve souvent (dans les écrits de per-sonnes jugeant pertinent de subvertir la langue) des phrases où des noms sont à la forme que nous appellerons universaliste mais où les autres mots ne sont pas accordés, comme par exemple dans « les producteur·rices locaux sont venus », alors qu’il serait logique, cohérent et, selon nous, plus pertinent d’écrire « les producteur·rices local·les sont venu·es » ou pour alléger un peu « les producteur·rices du coin sont venu·es ». Mais au final, cela reste tout de même un pas dans le bon sens : mieux vaut (pour commen-cer) subvertir un peu que pas du tout.

Et la symbolique dans tout ça ?

Nous pensons avoir démontré qu’il était symbo-liquement urgent d’en finir avec le mythe du « mas-culin générique non marqué ». Toutefois, certaines pratiques de reféminisation de la langue, en l’occur-rence certaines manières d’écrire les formes univer-salistes liées ne sont pas pour autant exemptes de portée symbolique. Ainsi, l’usage de la majuscule sur la partie exclusivement féminine de la flexion d’un mot (« les représentantEs ») marque une survalorisa-tion du féminin qui, si elle permet de rompre avec

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l’androcentrisme du français académique, avec l’invi-sibilisation des femmes et du féminin, n’en est pas moins incompatible (à terme) avec une vision éga-litariste (il en va de même pour l’accord au féminin générique).

À l’opposé, l’usage des parenthèses sur la partie exclusivement féminine de la flexion d’un mot (« les brigand (e) s ») marque une dévalorisation du fémi-nin. En effet, dans cette entreprise féministe qu’est la subversion du français académique, on ne saurait définitivement mettre le féminin, et donc les femmes, entre parenthèses.

Une symbolique plus intéressante à nos yeux est celle liée aux traits… d’union. (Ré) unir le fémi-nin et le masculin (ex. : « les Immortel-le-s »), c’est déjà plus intéressant. Mais il y a aussi, et surtout, le point médian “·”, qui a notre préférence. Bien que moins aisément accessible sur nos appendices numé-riques que les autres alternatives précitées (il n’est pas directement accessible via nos claviers – nous y reviendrons), il est aisément traçable sur n’importe quel bout de papier (pour peu que l’on n’ait pas déjà abandonné ce support1). De plus, ce signe présente

1. Si l’on en croit les prévisions, l’imminence plus ou moins grande des pics de métaux indispensables aux technologies numériques, il y a fort à parier que, contrairement à ce que raconte un autre clergé, celui-ci Techno-Progressiste, le papier a encore de beaux jours si ce ne sont de beaux millénaires devant lui. Lire à ce sujet (sur format papier ?) Quel futur pour les métaux ? : Raréfaction des métaux : un nouveau défi pour la société, de Benoit de Guil-lebon et Philippe Bihouix ; lire aussi L’âge des low-tech : Vers une civilisation techniquement soutenable, de Philippe Bihouix.

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l’avantage de ne pas être déjà employé en français et d’être donc typographiquement neutre, ce qui nous permet de lui donner le sens que nous voulons. Remarquons ainsi que, par son nom, il marque en même temps un lien entre le masculin et le féminin et une juste distance (« au milieu ») entre ces deux pôles que les études de genre (social) questionnent, l’un comme l’autre (et, puisqu’il faut sans cesse le rappe-ler, sans pour autant nier les différences biologiques ou anatomiques).

Et la critique du genre social ?

Sortir de l’omniprésence du masculin pour aller vers une égalité avec le féminin ne signifie pas for-cément remettre en cause cette problématique bina-rité. En tant qu’individu·es appartenant à une société genrée, nous sommes contraint·tes de nous parler (et donc de nous penser) dans l’une de ces deux cases. Certaines personnes ne se reconnaissant pas dans cette binarité, ou bien voulant la critiquer, en sont (logiquement) venues à user de termes « universa-listes », « dégenrés » au singulier pour parler d’elles. Ainsi chacun·e d’entre nous pourrait écrire « je suis prêt·te à combattre le patriarcat », par exemple, et tout le monde comprendrait le sens de la phrase, mais personne ne pourrait en déduire le premier chiffre du numéro de sécurité sociale de l’auteur·rice.

Donc, savoir si l’on s’insère dans une critique et un dépassement du genre est indispensable pour savoir vers quelles formes aller. Bien que, concrètement, la seule différence avec une approche féministe qui s’ins-crirait dans un non-dépassement de la représentation

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dichotomique genrée du monde serait l’utilisation (ou non) des formes universalistes au singulier pour par-ler d’une personne précise.

Opter pour la popularisation du troisième genre grammatical universaliste peut nous amener à nous questionner sur certaines féminisations « superflues » selon nous. Ainsi, des épicènes potentiels (s’écrivant et se prononçant donc à l’identique) ont été féminisés, créant un doublet (forme masculine/forme féminine) là où il n’était pas, de notre point de vue, indispen-sable. Certaines personnes préfèrent ainsi parler de « la pédégère » ou de « la pédégette » plutôt que de « la PDG ». Raymond Queneau a de son côté donné naissance à « la céhéresse ». Et on préfère parfois « la sans-papière » à « la sans-papiers », « la potesse » à « la pote »…

Vouloir faire entendre le féminin à tous les niveaux (article et nom, par exemple) peut ainsi nous compli-quer la tâche.

Passons à un autre point lié au genre. En finir avec l’usage de « Mademoiselle », très bien. Mais quid de « Monsieur » et « Madame » qui apparaissent partout (adresse d’expédition, formulaires, etc.) ? En effet, ne pourrait-on pas, ne devrait-on pas se demander comment héler une personne sans faire référence à ses parties génitales, à moins qu’il ne s’agisse de ses (présupposées) capacités reproductives ? Car, si on y réfléchit, qu’est-ce que « Monsieur », si ce n’est une manière « polie » de dire « personne portant censé-ment pénis et testicules » et appartenant donc à telle classe sociale de sexe ? Qu’est-ce que « Madame », si ce n’est une manière « polie » de dire « personne

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portant censément vagin et ovaires » et appartenant donc à l’autre classe sociale de sexe ? N’y a-t-il, cher·e ami·e, pas d’autres moyens de nous héler quand nous ne nous connaissons pas encore ?! Je me permets d’ail-leurs de faire une proposition symboliquement cohé-rente avec ce dont nous avons déjà parlé : fusionnons « Monsieur » et « Madame », le masculin et le féminin. Qu’obtient-on alors ? Mon-ame. Ajoutons un accent circonflexe et avec ce nouveau mot qu’est Monâme n’obtient-on pas une formule de dévotion intéres-sante ?1 Avis aux âmateur·rices. Ne doutons pas que les poètes et autres amoureux·ses de la langue sauront allonger cette courte liste. Au boulot… camarades !

1. La question de la nécessité d’une formule de politesse avec une symbolique de dévotion restant entière.

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— III —

UNE AUTRE PROPOSITION

« Entre un chemin dont je sais avec certitude qu’il ne peut pas m’emmener où je veux et un chemin hasardeux, je ne doute pas un instant »

Tomas Ibañez

On l’aura compris, si pour nous la reféminisation de la langue est indispensable, nous pensons que notre réflexion et nos pratiques doivent se mettre en cohérence avec un autre but : en finir avec le genre (social) et donc avec sa binarité (qui se retrouve dans notre langue). C’est pourquoi il nous semble indis-pensable de créer, ou plutôt de démocratiser l’usage du troisième genre, universaliste, lui.

Ainsi, comme nous l’avons vu, plusieurs critères sont à prendre en compte :

– les changements qui doivent affecter notre langue ne peuvent être trop rapides ;

– il ne faut pas que la lisibilité, pour les personnes qui découvrent la subversion de la grammaire

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académique, s’en trouve trop « altérée » (du fait de la redondance, des néologismes, des formes universalistes) ;

– le français ainsi créé doit pouvoir être pronon-çable.

Ainsi il faut évidemment, et chaque fois que cela nous semble nécessaire, continuer à reféminiser notre langue par la création d’un féminin (« docteure », « professeure »)1, ou bien via l’épicénisation (user d’un article féminin comme pour « la témoin », « la ministre »). Il faut également se débarrasser des mots et expressions stéréotypé·es et les troquer contre d’autres symboliquement intéressant·tes et non excluant·tes.

En revanche c’est, selon nous, sans les préférer systématiquement aux formes universalistes que l’on peut également continuer à alterner ou combiner l’usage d’expressions comprenant les mots à la fois au masculin et au féminin (« les lecteurs et les lec-trices »), avec l’accord de proximité (« les lecteurs et les lectrices sont révoltées »), ainsi qu’avec les diverses formulations (par exemple, substituer « le lectorat » à « les lecteurs et les lectrices »). En effet, les formes universalistes liées (« travailleur·ses », « révolté·e ») étant, de notre point de vue, les formes transition-nelles du troisième genre grammatical, il faut que les lecteur·rices et les auditeur·rices les rencontrent de plus en plus souvent.

1. Notre préférence allant, vous l’aurez compris, vers des formes de féminisation ne modifiant pas la prononciation mais seulement l’orthographe.

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Dernière remarque. À la différence des érudit·tes spécialistes de l’histoire de la langue, nous ne consi-dérons pas comme un critère pertinent le fait qu’une forme que nous choisirions pour le genre univer-saliste soit une forme qui eut cours par le passé (et notre méconnaissance en ce domaine va sans doute nous amener à en proposer sans le savoir). En effet, si Céline Labrosse ou Éliane Viennot, défenseures d’une reféminisation ou d’une désexisation de la langue, pensent qu’« il est plus facile de faire accepter des formes ayant existé antérieurement que d’en créer de toutes pièces »1, nous pensons que cette remarque concerne avant tout… les autres spécialistes (qui, rap-pelons-le, sont des usager·res minoritaires de notre langue). Quoi qu’il en soit, il est selon nous nécessaire dans tous nos combats politiques de lutter contre tout sophisme, que ce soit celui dit de « l’appel à la tradi-tion » ou celui dit de « l’argument d’autorité ». Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas s’appuyer sur l’existant (ni que les spécialistes et l’histoire n’aient rien à nous apporter), et c’est bien en ayant les deux pieds dans le genre (en espérant que cela nous porte bonheur) que nous essayons de donner une impulsion pour nous en extraire.

1. Céline Labrosse dans Pour une grammaire non sexiste, 1996.

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1. Comment construire l’universel ?

1 + 1 = 3

D’ailleurs, pourquoi un troisième genre et pas la suppression d’un des deux actuellement recon-nus, voire leur remplacement par un autre unique ? Nous avons déjà expliqué pourquoi on ne peut sup-primer le genre féminin pour que ne subsiste que le masculin : en système patriarcal, ce serait en effet un comble pour des féministes. Parallèlement, si l’on se place dans une optique égalitariste, supprimer le genre masculin au profit du féminin serait incohérent. Enfin, faire table rase de l’existant ou/et donc créer une langue « sans histoire », « sans usager·res » serait également voué à l’échec (comprendre à la margina-lisation).

Un fait est que dans notre société genrée les deux stéréotypes de genre cohabitent depuis longtemps (si ce n’est depuis toujours) avec des conceptions (niées ou combattues) qui subvertissent le genre. De la même manière, il nous semble que pour la langue c’est la cohabitation d’un troisième genre gramma-tical avec les deux actuels qui est la solution la plus pertinente, car ne marquant pas une rupture pure et simple avec « la » société et « sa » représentation du monde, qui susciterait, n’en doutons pas, le rejet par la majorité.

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Notons également que, si l’on se concentre sur le seul aspect politique, il n’y a a priori pas d’opposition chez les (pro) féministes pour une reféminisation de la langue et donc, éventuellement, pas d’opposition politique quant à l’émergence de formes universa-listes.

Là où des oppositions apparaissent, c’est sur la question de l’usage des formes universalistes, et en premier lieu les formes universalistes liées (« perturbateur·rices », « tous·tes »). Celles-ci sont cependant à nos yeux un préalable indispensable à l’apparition, et a fortiori à la popularisation, de l’usage de formes fusionnées (« perturbateurices », « toustes »). Car, même si le sens de la plupart de ces néologismes est « évident » (le sens passant très majoritairement par la racine des mots), difficile de les faire surgir « ex nihilo », ou plutôt difficile de les faire surgir « d’un coup ».

Un point c’est tout

Nous avons déjà donné notre opinion sur les signes typographiques à éviter (parenthèses, majuscules) et les plus symboliquement appropriés (trait d’union et point médian). Il nous faut ici faire un choix entre ces deux derniers signes et vous allez voir que ce choix est d’ordre… technologique. En effet, il nous faut relever que si, lorsqu’il s’agit d’écriture manuscrite, il n’y a point de limite à l’usage des signes typogra-phiques, en revanche, lorsqu’il s’agit d’écriture tapus-crite (rédaction sur un ordinateur, fort répandue de nos jours) nous sommes soumis·ses à des restrictions, à des contraintes.

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Ainsi, il nous faut prendre en compte le fait qu’à la différence du trait d’union, les logiciels de traite-ment de texte ne coupent jamais un mot constitué d’un point médian en fin de ligne, car « ils » le « consi-dèrent » comme une unité (et il est pour nous indis-pensable que les automates ne coupent pas ces unités de sens). Pour parer à cela, il est vrai que l’on peut avoir recours au « tiret insécable » si l’on souhaite uti-liser le trait d’union.

À cela nous préférons l’usage du point médian, bien que celui-ci soit absent de nos claviers (au contraire du trait d’union qui a une place de choix mais juste-ment parce qu’il est déjà employé dans notre langue). Toutefois, cette absence n’est en rien insurmontable, puisqu’il existe sur la plupart des systèmes d’exploi-tation une table de « caractères spéciaux » où trouver le point médian1, table que l’on peut rendre aisément accessible, sans compter que l’on retient très vite le raccourci permettant de l’afficher dans notre logi-ciel de traitement de texte2. La « difficulté » (toute relative) liée à l’écriture (sur clavier seulement) de ce point médian nous semble avoir un autre avantage : pour se simplifier, si ce n’est la vie, du moins l’écri-ture, on pourrait être plus enclin·e à se tourner rapi-dement vers les formes universalistes liées.

1. Unicode U+00B7. « Unicode est un standard informatique qui permet des échanges de textes dans différentes langues, à un niveau mondial. » Source : https ://fr.wikipedia.org/wiki/Unicode.2. Pour en savoir plus sur les différentes manières de saisir au cla-vier un point médian en fonction du système d’exploitation et/ou du clavier voir la rubrique « Saisie au clavier » de l’article consacré au point médian sur wikipédia en français https ://fr.wikipedia.org/wiki/Point_m%C3%A9dian#Saisie_au_clavier.

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Au passage, la question des signes typographiques nous permet de voir que les deux outils que sont la langue et les prothèses « numériques » ont pour point commun d’encadrer, d’orienter nos critiques et nos pratiques (au niveau de la pensée et de sa transmis-sion). Comme disait Abraham Maslow : « il est ten-tant, si le seul outil que vous avez est un marteau, de traiter tout problème comme si c’était un clou ». Tous les outils doivent ainsi être questionnés et, sous peine de rupture ou de marginalisation, nous ne pou-vons faire sans la société ici et maintenant, si l’on veut l’amener là-bas demain. Ainsi, il est amusant (ou effrayant, c’est selon), à l’ère de l’hypercomplexifica-tion technologique de nos vies, de remarquer que le crayon bride moins l’imaginaire que l’ordinateur (sur lequel nous rédigeons d’ailleurs ce texte).

Mais poursuivons notre réflexion autour des formes universalistes liées. En effet, pour « hacher » au minimum les formes universalistes liées, il peut être important de limiter le recours aux caractères typographiques (quel que soit celui que l’on choisit). Dans la pratique, on croise souvent ces caractères allant par paire dans un mot (par ex : « révolté·e·s », « résistant·e·s »). Deux « coupures », donc (même si cela n’est que temporaire, subjectif, et dû au change-ment d’habitudes). Il nous semble préférable, comme nous l’avons fait tout au long de ce texte, de réduire à une seule le nombre de « coupures » et d’écrire « révolté·es », ce qui n’altère en rien la compréhension.

De plus, si dans tous les cas, « l’ensemble-des-personnes-révoltées » sont incluses dans ces deux

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graphies, celles-ci ne nous semblent pas être porteuses du même message. En effet, la graphie à deux « cou-pures » nous semble précisément signifier : « la marque du pluriel s’applique à la forme masculine du mot (“révolté”) et à sa forme féminine (“révoltée”) » ; alors que la graphie à une seule coupure nous semble signi-fier : « la marque du pluriel s’applique à la troisième forme du mot, la forme universaliste (“révolté·e”) ».

Deux bonnes raisons pour nous donc de n’user que d’un seul caractère typographique (le point médian) par mot.

Un point c’est où ?

Reste une question : « où » mettre ce point médian ? Afin de savoir comment écrire, il est indispensable de partir des formes fusionnées que l’on souhaite atteindre en fonction notamment de leur oralisation. En effet, prononcer « agriculteurtrices » est beaucoup moins fluide que « agriculteurices », par exemple. Ainsi, dans le cas d’espèce, découle la graphie de la forme liée que l’on n’écrira pas « agriculteur·trices » mais « agriculteur·rices »… forme qui peut être pro-noncée, c’est important, aussi aisément que la forme fusionnée. Toutes les formes ne sont pas si aisées à déterminer et nous détaillerons plus loin nos choix.

Mais avant, expliquons pourquoi nous n’écrivons pas « agricultrice·eurs », pourquoi la flexion au fémi-nin ne précède (quasiment) jamais, dans nos usages et propositions, la flexion au masculin. Bien que cette pratique soit symboliquement non neutre, nous don-nons trois raisons pour expliquer notre choix.

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Tout d’abord, un tiers des noms de personnes1 et l’ensemble des participes passés ont des formes mas-culines et féminines qui diffèrent par l’absence ou la présence d’un “e”. Ceci a pour conséquence que nous sommes souvent face à des formes où la flexion fémi-nine ne saurait devancer la masculine, sauf à donner naissance à des formes universalistes soit « impronon-çables » en l’état, soit qui complexifieraient grande-ment l’oralisation du troisième genre (par exemple « les prévenue·us », « les amie·is », « les érudite·its »). Chose qui serait incongrue, vu que les deux formes ont souvent la même prononciation (« les prévenues » et « les prévenus », « les amies » et « les amis ») et qu’il est ainsi logique selon nous qu’une troisième graphie, bien que nécessairement distincte, n’entraine pas de change-ment de prononciation. Ainsi nous semble-t-il oppor-tun d’opter pour « les prévenu·es » et « les ami·es ».

Ensuite, il nous semble important, afin d’en sim-plifier l’apprentissage, que la construction des formes universalistes soit assez régulière. Il serait ainsi bon de systématiser, vu ce qui a été écrit plus haut, que la flexion masculine soit première par rapport à la forme féminine (sauf exceptions).

Enfin, ce choix est selon nous renforcé par le fait que, dans nos pratiques actuelles, la règle du mascu-lin générique est on ne peut plus ancrée et que nous aurions tort de ne pas prendre ce fait en compte, sur-tout à l’oral. En effet, de par notre éducation et nos

1. Selon la classification établie par Edwige Khaznadar dans Sexisme et grammaires scolaires. Texte disponible sur le site http://www.langue-fr.net.

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habitudes, notre cerveau (et notre “langue”) recourt de manière « réflexe » au masculin (« générique »). Cependant, si la flexion du troisième genre commence par la sonorité de la flexion masculine, il sera beau-coup plus facile à l’oral de « rattraper » une phrase qui se sera égarée sur le chemin du masculin géné-rique pour la ramener vers la version universaliste. Il est effectivement aisé de passer de « Bienvenue à tous… » à « Bienvenue à tous… et à toutes », et nous pensons qu’il sera tout aussi aisé, lorsque nous nous serons habitué·es aux formes universalistes, de passer à « Bienvenue à tous…·tes » (à prononcer « touste » comme ouste /ust/).

Deux points c’est tout

Enfin, pour ce qui est des formes universalistes fusionnées, il nous semble important de leur donner un signe distinctif à l’écrit lorsque cela est nécessaire. La solution qui nous semble la plus pertinente est de faire apparaitre un tréma sur la flexion universaliste, lorsque le mot ne varie pas à l’oral, mais juste à l’écrit. Ainsi, par exemple, le doublet « motivé »/« motivée » se verrait adjoindre « motivéë », la prononciation serait la même que les formes masculine et fémi-nine, le “ë” étant un “e” muet (comme l’acceptait la convention d’avant la réforme orthographique de 1990 et sa recommandation de déplacement du tréma1 – recommandation qui n’est d’ailleurs pas incompatible avec notre proposition, au contraire).

1. Conseil supérieur de la langue française, Les rectifications de l’orthographe, 1990.

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Le tréma est très peu présent dans notre langue et encore moins présent sur les flexions de mots (puisqu’il n’apparait que sur aigüe, ambigüe, argüer, contigüe, exigüe1, haïr, inouï·e, et ouïr) ; son nouveau rôle ne serait donc pas, selon nous, problématique. Ainsi, sur un “u” ou un “i” le tréma indiquerait qu’il faut prononcer la voyelle, sur un “e” que celui-ci est muet et que le mot ainsi marqué est à la forme uni-versaliste.

De plus, ce signe a un avantage non négligeable par rapport à d’autres qui ne sont pas déjà utilisés en français : il est, lui, présent sur nos claviers d’ordina-teurs et aisément assignable aux voyelles.

En résumé

Nos principales lignes directrices pour construire la forme universaliste sont donc :

– la flexion masculine doit précéder la flexion fémi-nine dans la plupart des cas ;

– le point médian, unique, doit être placé avec per-tinence dans la graphie transitionnelle dite liée ;

– le tréma distinctif doit apparaitre dans la forme universaliste fusionnée lorsque nécessaire ;

– il faut penser à l’oralisation de ces nouvelles formes.

1. Orthographe prenant en compte la proposition de désambi-güation de la prononciation de certains mots en -gu- présentée dans Les rectifications de l’orthographe du Conseil supérieur de la langue française de 1990.

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2. La fabrique de l’universel

Prenant tout ceci en compte, nous en sommes venu·e à proposer les tableaux suivants concernant respectivement les noms, adjectifs et participes passés d’une part, et d’autre part les articles et pronoms. Les explications détaillées concernant la construction des formes liées et fusionnées du genre universaliste se trouvent en annexe.

Quelques petites aides de lecture pour ceux·lles qui ne souhaiteraient pas (tout de suite) en passer par les explications détaillées :

– la prononciation des formes universalistes fusionnées est « évidente » (sauf précision) ;

– les formes liées se prononcent de la même manière que les formes fusionnées. La conven-tion étant, comme vous allez vous en rendre compte, qu’une suite « consonne – point médian – consonne » doit se prononcer comme la consonne « la plus proche » phonétiquement parlant. Ainsi, la suite « t·t » se prononcera comme la lettre “d” (« conquérant·te(s) » se pro-noncera « conquérande(s) ») et « n·n » se pronon-cera comme la lettre “m” (« humain·ne(s) » se prononcera « humaime(s) »).

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Noms, adjectifs et participes passés

Flexions originelles (doublets)

Masculin + Féminin =Universel

Flexions «finales» (triplets)forme liée

(transitoire)➝

forme fusionnée

• Les mots ne variant ni à l’oral ni à l’écrit :

les épicènes linguiste(s) + linguiste(s) = - ➝ linguiste(s) identiques quel que soit le genre grammatical

• Les mots variant uniquement à l’écrit :

-é(s)/ -ée(s) exploité(s) + exploitée(s) = exploité·e(s) ➝ exploitéë(s) -é(s) / -ée(s) / -é·e(s) ➝ -éë(s)

-i(s) / -ie(s) ravi(s) + ravie(s) = ravi·e(s) ➝ ravië(s) -i(s) / -ie(s) / -i·e(s) ➝ -ië(s)

-u(s) / -ue(s) inconnu(s) + inconnue(s) = inconnu·e(s) ➝ inconnuë(s) -u(s) / -ue(s) / -u·e(s) ➝ -uë(s)

-eur(s) / -eure(s) docteur(s) + docteure(s) = docteur·e(s) ➝ docteurë(s) -eur(s) / -eure(s) / -eur·e(s) ➝ -eurë(s)

-el(s) / -elle(s) intellectuel(s) + intellectuelle(s) = intellectuel·e(s) ➝ intellectuèle(s) -el(s) / -elle(s) / -el·e(s) ➝ -èle(s)

-al(s) (ou -aux) / -ale(s)

idéal idéaux

+ idéale(s) = idéal·e(s) ➝ idéalë(s) -al (-aux) / -ale(s) / -al·e(s) ➝ -alë(s)

• Les mots variant à l’écrit et à l’oral

– par fusion simple

-eau(x) / -elle(s) nouveau(x) + nouvelle(s) = nouveau·lle(s) ➝ nouveaulle(s) -eau(x) / -elle(s) / -eau·lle(s) ➝ -eaulle(s)

-ou(s)/-olle(s) fou(s) + folle(s) = fou·lle(s) ➝ foulle(s) -ou(s)/-olle(s) / -ou·lle(s) ➝ -oulle(s)

-teur(s) / -trice(s) agriculteur(s) + agricultrice(s) = agriculteur·rice(s) ➝ agriculteurice(s) -teur(s) / -trice(s) / -teur·rice(s) ➝ -teurice(s)

-if(s) / -ive(s) actif(s) + active(s) = actif·ive(s) ➝ actifive(s) -if(s) / -ive(s) / -if·ive(s) ➝ -ifive(s)

-euf(s) / -euve(s) veuf(s) + veuve(s) = veuf·euve(s) ➝ veufeuve(s) -euf(s) / -euve(s) / -euf·euve(s) ➝ -eufeuve(s)

-eur(s) / -euse(s) chômeur(s) + chômeuse(s) = chômeur·se(s) ➝ chômeurze(s) -eur(s) / -euse(s) / -eur·se(s) ➝ -eurze(s)

– par fusion avec changement de voyelle

-ain(s) / -ine(s) copain(s) + copine(s) = copain·e(s) ➝ copaine(s) -ain(s) / -ine(s) / -ain·e(s) ➝ -aine(s)

-in(s) / -ine(s) gamin(s) + gamine(s) = gamin·e(s) ➝ gamaine(s) -in(s) / -ine(s) / -in·e(s) ➝ -aine(s)

– par fusion avec glissement de consonne

de /t/ vers /d/

-ant(s) / -ante(s) conquérant(s) + conquérante(s) = conquérant·te(s) ➝ conquérande(s) -ant(s) / -ante(s) / -ant·te(s) ➝ -ande(s)

-ent(s) / -ente(s) patient(s) + patiente(s) = patient·te(s) ➝ patiende(s) -ent(s) / -ente(s) / -ent·te(s) ➝ -ende(s)

-at(s) / -ate(s) candidat(s) + candidate(s) = candidat·tes ➝ candidade(s) -at(s) / -ate(s) / -at·te(s) ➝ -ade(s)

-êt(s) / -ête(s) prêt(s) + prête(s) = prêt·te(s) ➝ prêde(s) -êt(s) / -ête(s) / -êt·te(s) ➝ -êde(s)

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Flexions originelles (doublets)

Masculin + Féminin =Universel

Flexions «finales» (triplets)forme liée

(transitoire)➝

forme fusionnée

• Les mots ne variant ni à l’oral ni à l’écrit :

les épicènes linguiste(s) + linguiste(s) = - ➝ linguiste(s) identiques quel que soit le genre grammatical

• Les mots variant uniquement à l’écrit :

-é(s)/ -ée(s) exploité(s) + exploitée(s) = exploité·e(s) ➝ exploitéë(s) -é(s) / -ée(s) / -é·e(s) ➝ -éë(s)

-i(s) / -ie(s) ravi(s) + ravie(s) = ravi·e(s) ➝ ravië(s) -i(s) / -ie(s) / -i·e(s) ➝ -ië(s)

-u(s) / -ue(s) inconnu(s) + inconnue(s) = inconnu·e(s) ➝ inconnuë(s) -u(s) / -ue(s) / -u·e(s) ➝ -uë(s)

-eur(s) / -eure(s) docteur(s) + docteure(s) = docteur·e(s) ➝ docteurë(s) -eur(s) / -eure(s) / -eur·e(s) ➝ -eurë(s)

-el(s) / -elle(s) intellectuel(s) + intellectuelle(s) = intellectuel·e(s) ➝ intellectuèle(s) -el(s) / -elle(s) / -el·e(s) ➝ -èle(s)

-al(s) (ou -aux) / -ale(s)

idéal idéaux

+ idéale(s) = idéal·e(s) ➝ idéalë(s) -al (-aux) / -ale(s) / -al·e(s) ➝ -alë(s)

• Les mots variant à l’écrit et à l’oral

– par fusion simple

-eau(x) / -elle(s) nouveau(x) + nouvelle(s) = nouveau·lle(s) ➝ nouveaulle(s) -eau(x) / -elle(s) / -eau·lle(s) ➝ -eaulle(s)

-ou(s)/-olle(s) fou(s) + folle(s) = fou·lle(s) ➝ foulle(s) -ou(s)/-olle(s) / -ou·lle(s) ➝ -oulle(s)

-teur(s) / -trice(s) agriculteur(s) + agricultrice(s) = agriculteur·rice(s) ➝ agriculteurice(s) -teur(s) / -trice(s) / -teur·rice(s) ➝ -teurice(s)

-if(s) / -ive(s) actif(s) + active(s) = actif·ive(s) ➝ actifive(s) -if(s) / -ive(s) / -if·ive(s) ➝ -ifive(s)

-euf(s) / -euve(s) veuf(s) + veuve(s) = veuf·euve(s) ➝ veufeuve(s) -euf(s) / -euve(s) / -euf·euve(s) ➝ -eufeuve(s)

-eur(s) / -euse(s) chômeur(s) + chômeuse(s) = chômeur·se(s) ➝ chômeurze(s) -eur(s) / -euse(s) / -eur·se(s) ➝ -eurze(s)

– par fusion avec changement de voyelle

-ain(s) / -ine(s) copain(s) + copine(s) = copain·e(s) ➝ copaine(s) -ain(s) / -ine(s) / -ain·e(s) ➝ -aine(s)

-in(s) / -ine(s) gamin(s) + gamine(s) = gamin·e(s) ➝ gamaine(s) -in(s) / -ine(s) / -in·e(s) ➝ -aine(s)

– par fusion avec glissement de consonne

de /t/ vers /d/

-ant(s) / -ante(s) conquérant(s) + conquérante(s) = conquérant·te(s) ➝ conquérande(s) -ant(s) / -ante(s) / -ant·te(s) ➝ -ande(s)

-ent(s) / -ente(s) patient(s) + patiente(s) = patient·te(s) ➝ patiende(s) -ent(s) / -ente(s) / -ent·te(s) ➝ -ende(s)

-at(s) / -ate(s) candidat(s) + candidate(s) = candidat·tes ➝ candidade(s) -at(s) / -ate(s) / -at·te(s) ➝ -ade(s)

-êt(s) / -ête(s) prêt(s) + prête(s) = prêt·te(s) ➝ prêde(s) -êt(s) / -ête(s) / -êt·te(s) ➝ -êde(s)

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Flexions originelles (doublets)

Masculin + Féminin =Universel

Flexions «finales» (triplets)forme liée

(transitoire)➝

forme fusionnée

-et(s) / -ette(s) cadet(s) + cadette(s) = cadet·te(s) ➝ cadède(s) -et(s) / -ette(s) / -et·te(s) ➝ -ède(s)

-ot(s) / -otte(s) bigot(s) + bigotte(s) = bigot·te(s) ➝ bigode(s) -ot(s) / -otte(s) / -ot·te(s) ➝ -ode(s)

de /d/ vers /t/

-nd(s) / -nde(s) marchand(s) + marchande(s) = marchand·de(s) ➝ marchante(s) -nd(s) / -nde(s) / -nd·de(s) ➝ -nte(s)

-rd(s) / -rde(s) clochard(s) + clocharde(s) = clochard·de(s) ➝ clocharte(s) -rd(s) / -rde(s) / -rd·de(s) ➝ -rte(s)

de /z/ vers /s/

-ais / -aise(s) français + française(s) = français·se(s) ➝ françaisse(s) -ais / -aise(s) / -ais·se(s) ➝ -aisse(s)

-ois / -oise(s) bourgeois + bourgeoise(s) = bourgeois·se(s) ➝ bourgeoisse(s) -ois / -oise(s) / -ois·se(s) ➝ -oisse(s)

-eux / -euse(s) généreux + généreuse(s) = généreux·se(s) ➝ généreusse(s) -eux / -euse(s) / -eux·se(s) ➝ -eusse(s)

de /s/ vers /z/

-e(s) / -esse(s) bougre(s) + bougresse(s) = bougre·sse(s)* ➝ bougrèse(s)* -e(s) / -esse(s) / -e·sse(s) ➝ -èse(s)

-eur(s) / -eresse(s) chasseur(s) + chasseresse(s) = chasseur·esse(s)* ➝ chasseurèse(s)* -eur(s) / -eresse(s) / -eur·esse(s) ➝ -eurèse(s)

-eur(s) / -oresse(s) docteur(s) + doctoresse(s) = docteur·esse(s)* ➝ docteurèse(s)* -eur(s) / -oresse(s) / -eur·esse(s) ➝ -eurèse(s)

de /n/ vers /m/

-ien(s) / -ienne(s) terrien(s) + terrienne(s) = terrien·ne(s) ➝ terrième(s) -ien(s) / -ienne(s) / -ien·ne(s) ➝ -ième(s)

-ain(s) / -aine(s) humain(s) + humaine(s) = humain·ne(s) ➝ humaime(s) -ain(s) / -aine(s) / -ain·ne(s) ➝ -aime(s)

-an(s) / -ane(s) partisan(s) + partisane(s) = partisan·ne(s) ➝ partisame(s) -an(s) / -ane(s) / -an·ne(s) ➝ -ame(s)

-an(s) / -anne(s) paysan(s) + paysanne(s) = paysan·ne(s) ➝ paysame(s) -an(s) / -anne(s) / -an·ne(s) ➝ -ame(s)

-on(s) / -onne(s) mignon(s) + mignonne(s) = mignon·ne(s) ➝ mignome(s) -on(s) / -onne(s) / -on·ne(s) ➝ -ome(s)

de /ʁ / vers /l/ (de la lettre “r” à la lettre “l”)

-er(s) / -ère(s) jardinier(s) + jardinière(s) = jardinier·re(s) ➝ jardinièle(s) -er(s) / -ère(s) / -er·re(s) ➝ -èle(s)

* les féminins en -esse n’ont pas notre préférence et nous y préférons les formes épicènes (une bougre, une maitre, une maire) ou autrement féminisées (une chasseuse, une docteure) plus aisément universalisables. Néanmoins, celles-ci étant utilisées nous

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Flexions originelles (doublets)

Masculin + Féminin =Universel

Flexions «finales» (triplets)forme liée

(transitoire)➝

forme fusionnée

-et(s) / -ette(s) cadet(s) + cadette(s) = cadet·te(s) ➝ cadède(s) -et(s) / -ette(s) / -et·te(s) ➝ -ède(s)

-ot(s) / -otte(s) bigot(s) + bigotte(s) = bigot·te(s) ➝ bigode(s) -ot(s) / -otte(s) / -ot·te(s) ➝ -ode(s)

de /d/ vers /t/

-nd(s) / -nde(s) marchand(s) + marchande(s) = marchand·de(s) ➝ marchante(s) -nd(s) / -nde(s) / -nd·de(s) ➝ -nte(s)

-rd(s) / -rde(s) clochard(s) + clocharde(s) = clochard·de(s) ➝ clocharte(s) -rd(s) / -rde(s) / -rd·de(s) ➝ -rte(s)

de /z/ vers /s/

-ais / -aise(s) français + française(s) = français·se(s) ➝ françaisse(s) -ais / -aise(s) / -ais·se(s) ➝ -aisse(s)

-ois / -oise(s) bourgeois + bourgeoise(s) = bourgeois·se(s) ➝ bourgeoisse(s) -ois / -oise(s) / -ois·se(s) ➝ -oisse(s)

-eux / -euse(s) généreux + généreuse(s) = généreux·se(s) ➝ généreusse(s) -eux / -euse(s) / -eux·se(s) ➝ -eusse(s)

de /s/ vers /z/

-e(s) / -esse(s) bougre(s) + bougresse(s) = bougre·sse(s)* ➝ bougrèse(s)* -e(s) / -esse(s) / -e·sse(s) ➝ -èse(s)

-eur(s) / -eresse(s) chasseur(s) + chasseresse(s) = chasseur·esse(s)* ➝ chasseurèse(s)* -eur(s) / -eresse(s) / -eur·esse(s) ➝ -eurèse(s)

-eur(s) / -oresse(s) docteur(s) + doctoresse(s) = docteur·esse(s)* ➝ docteurèse(s)* -eur(s) / -oresse(s) / -eur·esse(s) ➝ -eurèse(s)

de /n/ vers /m/

-ien(s) / -ienne(s) terrien(s) + terrienne(s) = terrien·ne(s) ➝ terrième(s) -ien(s) / -ienne(s) / -ien·ne(s) ➝ -ième(s)

-ain(s) / -aine(s) humain(s) + humaine(s) = humain·ne(s) ➝ humaime(s) -ain(s) / -aine(s) / -ain·ne(s) ➝ -aime(s)

-an(s) / -ane(s) partisan(s) + partisane(s) = partisan·ne(s) ➝ partisame(s) -an(s) / -ane(s) / -an·ne(s) ➝ -ame(s)

-an(s) / -anne(s) paysan(s) + paysanne(s) = paysan·ne(s) ➝ paysame(s) -an(s) / -anne(s) / -an·ne(s) ➝ -ame(s)

-on(s) / -onne(s) mignon(s) + mignonne(s) = mignon·ne(s) ➝ mignome(s) -on(s) / -onne(s) / -on·ne(s) ➝ -ome(s)

de /ʁ / vers /l/ (de la lettre “r” à la lettre “l”)

-er(s) / -ère(s) jardinier(s) + jardinière(s) = jardinier·re(s) ➝ jardinièle(s) -er(s) / -ère(s) / -er·re(s) ➝ -èle(s)

proposons tout de même des formes liées et fusionnées pour que les rédacteurices et les locuteurices ne se trouvent pas bloquéës.

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Déterminants et pronoms

Doublets originaux Masculin + Féminin =Universel

Triplets finalsforme liée (transitoire)

➝forme

fusionnée

il(s) / elle(s) il(s) + elle(s) = i·elle(s) ➝ iel(s) il(s) / elle(s) / i·elle(s) ➝ iel(s)

lui / elle eux / elles

(idem pour les doublets dérivés : celui/celle, à lui/à elle, lui-même/elle-même)

lui eux + elle

elles = el·lui eux·lles ➝

ellui eulles

lui / elle / el·lui ➝ ellui eux / elles / eux·lles ➝ eulles

(qui donnent cellui / ceulles, à ellui / à eulles et ellui-même / eulles-mêmes)

lui / leur lui / leur + lui / leur = - ➝ lui / leur lui / leur

le / la les

(idem pour lequel/laquelle)le

les + la les = le·a* ➝

lea* les

le / la / le·a ➝ lea les

(qui donnent leaquèle)

au / à la aux

(idem pour auquel/à laquelle)au

aux + à la aux = au·a*

aux ➝aua* aux

au / à la / au·a ➝ aua aux

(qui donnent auaquèle)

du / de la des

(idem pour duquel/de laquelle)

du des + de la

des = du·a* des ➝

dua* des

du / de la / du·a ➝ dua aux

(qui donnent duaquèle)

un / une des

un des + une

des = un·e des ➝

eune des

un / une / un·e ➝ eune des

aucun / aucune aucun + aucune = aucun·e ➝ auqueune aucun / aucune / aucun·e ➝ auqueune

chacun / chacune chacun + chacune = chacun·e ➝ chaqueune chacun / chacune / chacun·e ➝ chaqueune

quelqu’un quelqu’un + quelqu’une = quelqu’un·e ➝ quelqu’eune quelqu’un / quelqu’une / quelqu’un·e ➝ quelqu’eune

tous / toutes tous + toutes = tous·tes ➝ toustes tous / toutes / tous·tes ➝ toustes

tout / toute (adv.) tout + toute = tout·te ➝ toude tout / toute / tout·te ➝ toude

mon / ma (mon) mes

mon mes + ma (mon)

mes = ma·n - ➝

man mes

mon / ma (mon) / ma·n ➝ man mes

ton / ta (ton) tes

ton tes + ta (ton)

tes = ta·n - ➝

tan tes

ton / ta (ton) / ta·n ➝ tan tes

son / sa (son) ses

son ses + sa (son)

ses = sa·n - ➝

san ses

son / sa (son) / sa·n ➝ san ses

* les suites de caractères « e·a », « ea », « au·a » , « aua », « u·a » et « ua » se prononcent toutes /wa/ (c’est à dire comme la suite « oi » de « loi » par exemple).

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Doublets originaux Masculin + Féminin =Universel

Triplets finalsforme liée (transitoire)

➝forme

fusionnée

il(s) / elle(s) il(s) + elle(s) = i·elle(s) ➝ iel(s) il(s) / elle(s) / i·elle(s) ➝ iel(s)

lui / elle eux / elles

(idem pour les doublets dérivés : celui/celle, à lui/à elle, lui-même/elle-même)

lui eux + elle

elles = el·lui eux·lles ➝

ellui eulles

lui / elle / el·lui ➝ ellui eux / elles / eux·lles ➝ eulles

(qui donnent cellui / ceulles, à ellui / à eulles et ellui-même / eulles-mêmes)

lui / leur lui / leur + lui / leur = - ➝ lui / leur lui / leur

le / la les

(idem pour lequel/laquelle)le

les + la les = le·a* ➝

lea* les

le / la / le·a ➝ lea les

(qui donnent leaquèle)

au / à la aux

(idem pour auquel/à laquelle)au

aux + à la aux = au·a*

aux ➝aua* aux

au / à la / au·a ➝ aua aux

(qui donnent auaquèle)

du / de la des

(idem pour duquel/de laquelle)

du des + de la

des = du·a* des ➝

dua* des

du / de la / du·a ➝ dua aux

(qui donnent duaquèle)

un / une des

un des + une

des = un·e des ➝

eune des

un / une / un·e ➝ eune des

aucun / aucune aucun + aucune = aucun·e ➝ auqueune aucun / aucune / aucun·e ➝ auqueune

chacun / chacune chacun + chacune = chacun·e ➝ chaqueune chacun / chacune / chacun·e ➝ chaqueune

quelqu’un quelqu’un + quelqu’une = quelqu’un·e ➝ quelqu’eune quelqu’un / quelqu’une / quelqu’un·e ➝ quelqu’eune

tous / toutes tous + toutes = tous·tes ➝ toustes tous / toutes / tous·tes ➝ toustes

tout / toute (adv.) tout + toute = tout·te ➝ toude tout / toute / tout·te ➝ toude

mon / ma (mon) mes

mon mes + ma (mon)

mes = ma·n - ➝

man mes

mon / ma (mon) / ma·n ➝ man mes

ton / ta (ton) tes

ton tes + ta (ton)

tes = ta·n - ➝

tan tes

ton / ta (ton) / ta·n ➝ tan tes

son / sa (son) ses

son ses + sa (son)

ses = sa·n - ➝

san ses

son / sa (son) / sa·n ➝ san ses

* les suites de caractères « e·a », « ea », « au·a » , « aua », « u·a » et « ua » se prononcent toutes /wa/ (c’est à dire comme la suite « oi » de « loi » par exemple).

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Voilà donc quelques propositions pour les « nou-velles » étapes vers un plus grand usage du troisième genre. Restent cependant quelques problématiques que nous remettons à plus tard (pour peu que l’usage du troisième genre se répande, se démocratise vrai-ment). Ainsi, il faudra peut-être en temps voulu pour-suivre la réflexion en remettant en cause :

– l’accord des participes passés : puisque à l’heure actuelle, lorsque le participe passé « ne s’accorde pas », il est en fait à la forme… masculine, alors que la forme universaliste serait évidemment plus indiquée en cas de « non accord » ;

– le genre de ce, ça, cela, ceci : qui s’accorde uni-quement au masculin par ex. : « c’est beau, mais c’est haut » alors que, là encore, c’est le genre universaliste qui serait le plus indiqué ;

– le pronom employé avec les verbes impersonnels : puisque actuellement c’est la forme masculine de la troisième personne du singulier, donc « il », qui est utilisée, par exemple, dans « il pleut », « il neige », « il faut… », « il y a… », « il est l’heure », etc., alors que là encore la forme universaliste « iel » serait plus appropriée.

Mais peut-être qu’alors tout cela se fera… « tout naturellement »…

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Conclusion

« Les outils du maitre ne détruirons jamais la maison du maitre »

Audre Lorde

La langue est le reflet d’une société. Si les mentali-tés changent, le langage suit. Dans notre cas, si nous voulons que notre société en finisse avec le sexisme, nous devons mettre toutes les chances de notre côté et un des leviers en est la critique féministe de notre langue.

Ce texte vous a-t-il convaincu·e (voire convaincuë) de porter un regard politique sur notre langue ? De mettre en pratique cette critique de la langue ? Ou bien partagez-vous la position d’Hélène Carrère d’Encausse (et d’autres) qui considère que « c’est un combat qui n’a, en définitive, aucune espèce d’inté-rêt »1 ? Une « action volontariste sur la langue »2, une « micro-politique linguistique »3 a-t-elle un sens ? Pour nous c’est une évidence. Si ça ne l’est pas (encore) pour vous après lecture de ce texte, n’hésitez pas à vous reporter à d’autres auteur·rices qui, eux·lles, sauront peut-être vous convaincre. Et si vous êtes

1. Citée par Élise Saint-Jullian et Marion Chastain dans Féminisa-tion des mots : la France en retard, http://information.tv5monde.com/terriennes/feminisation-des-mots-la-france-en-retard-22877.2. Selon l’expression de Yaguello dans Les mots et les femmes.3. Selon Liddicoat et Baldauf cité·es par Julie Abbou dans sa thèse, p. 22.

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d’accord sur le principe, mais pas avec nos proposi-tions, étant donné que le principal est d’en finir avec le statu quo, subvertissez la langue à votre manière, car celle-ci nous appartient, vous appartient.

Laissons l’Académie française où elle est, c’est-à-dire à la traine, et avançons. Plus nous serons nombreux·ses, plus vite nous parviendrons à notre but et l’Académie n’aura d’autre choix que de prendre acte (bien que rien ne prouve qu’une cer-taine « défense », un certain « amour » de la langue ne rende pas aveugle et sourd·de, qui sait ?). Quoi qu’il en soit, en attendant, rien ne nous empêche de (leur) tirer la langue dans la direction qui nous convient.

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Remerciements

Merci aux féministes et en particulier aux fémi-nistes matérialistes. Merci plus particulièrement à Julie Abbou, Fabienne Baider, Lady Dylan, Hélène Dumais, Anne-Charlotte Husson, Evelyne Jacquey, Edwige Khaznadar, Céline Labrosse, Louise-Laurence Larivière, Anita Liang, Céline Orban, Florence Mon-treynaud, Thérèse Moreau, Nicole Pradalier, Sabine Reynosa, Pierrette Vachon-L’heureux, Éliane Vien-not, Marina Yaguello, ainsi que les anonymes des brochures libertaires traitant de ce sujet et ceux·lles que j’oublie, car iels ont toustes nourri ma réflexion.

Merci aux publications ayant intégré dans leur principes éditoriaux la subversion de la langue comme Moins !, Offensive, L’An 02, Nouvelles Questions Féministes ainsi que les éditions de l’Ixe et, depuis peu, les Éditions Utopia.

Merci aux embaumeur·euses de la langue pour leur exaspérante mais motivante cécité.

Merci à Céline, Daniel, Élodie, Florian, François, Isabelle, Séverine et Thérèse pour leurs relectures attentives de ce texte et pour les questionnements qu’iels ont soulevés.

Merci plus particulièrement à Élodie pour son indispensable soutien. Merci à Chantal et Alain pour leur hébergement lors de mes séjours en bibliothèque.

Merci au hasard des rencontres et des lectures qui m’ont permis d’éveiller ma conscience à tous les privilèges dont je bénéficie dans cette société en tant

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que personne classée dans les catégories « homme », « blanc », « hétéro », « valide ».

Merci enfin aux Éditions Utopia pour avoir choisi de publier ce texte.

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annexes Explications sur la fabrique de l’universel

Les épicènes

Ce sont évidemment les cas les plus simples, puisque la forme du mot est la même au féminin et au masculin, seuls les accords changent ainsi on écrit « le linguiste est ravi », « la linguiste est ravie ». Cette catégorie regroupe des mots tels que « fonction-naire », « anarchiste », « sociologue » ou « athlète », « garde », « jeune », « vandale », etc.

La forme universaliste est donc toute trouvée : c’est simplement la même que les deux autres.

On a ainsi avec « les linguistes sont ravi·es » une formulation non sexiste… mais quid de la forme fusionnées de « ravi·es » ?

Les mots variantLes mots variant uniquement à l’écritMots variant en -é/-ée, -i/-ie, -u/-ue, et -eur/-eure

Il n’aura échappé à personne que « ravi » et « ravie » se prononcent de la même manière. Tout comme « exploité » et « exploitée », « inconnu » et « inconnue ». Il en va de même (sauf à faire un effort pour prononcer le “e” muet) pour « docteur » et « docteure ». Seule change l’orthographe : avec ou sans “e” muet.

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Il faut donc former une forme universelle qui ait la même prononciation et ne se distingue que par la graphie, grâce au tréma1. Ce qui donne pour les dif-férents cas précités :

ravi, ravie ➝ ravi·e (forme universaliste liée)(puis ravië – forme universaliste fusionnée)

exploité, exploitée ➝ exploité·e (puis exploitéë)inconnu, inconnue ➝ inconnu·e (puis inconnuë)docteur, docteure ➝ docteur·e (puis docteurë)

Mots variant en -el/elleDe même que précédemment, « intellectuel » et

« intellectuelle » ont la même prononciation. Nous proposons :

intellectuel, intellectuelle ➝ intellectuel·e(puis intellectuèle2)

En effet, -el, -elle et -èle sont trois graphies ayant la même prononciation. De plus, les mots en -èle que nous connaissons déjà (comme « parallèle » ou « fidèle »3) ont l’intéressante caractéristique, de

1. Mentionnons ici la proposition de Céline Labrosse qui propose de distinguer les formes plurielles par l’ancienne graphies en -z : à -é s/-ées on rajouterait -ez (par exemple, « il et elle sont allez », voire « illes sont allez »), à -is/-ies -iz (« il et elle sont partiz »), à -us/-ues -uz (« il et elle sont venuz ») mais Céline Labrosse n’in-tégrait pas dans sa réflexion l’usage au singulier de ce troisième genre « commun ».2. À noter qu’un syndicat québécois utilise le néologisme épicène « professionnèles », il s’agit de la Fédération des professionnèles. Relevé par Lady Dylan dans Guide du langage non sexiste www.madmoizelle.com/guide-langage-non-sexiste-109220.3. A titre purement informatif, ce point ne faisant pas partie de notre argumentaire, il est amusant de noter comme l’a relevé Cé-line Labrosse que « fidèle […] a connu antérieurement les formes

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notre point de vue, d’être épicènes. Nous faisons ainsi l’économie du tréma (via les possibles formes « intellectuel·le » puis « intellectuellë »), ce qui nous permet en plus de conserver le sens que nous enten-dons donner à la suite « consonne – point médian – consonne », à savoir être le marqueur d’une pro-nonciation différente de ladite consonne1.

Mots variant en -al/aleC’est un cas particulier, car la sonorité du masculin

change en passant du singulier au pluriel (pas pour tous les mots, puisque par exemple « naval » devient « navals », mais cela est rare). Ainsi, « idéal » (/al/) devient « idéaux » (/o/). La prononciation en /al/ étant la plus représentée sur l’ensemble des flexions d’un mot (« idéal », « idéale », « idéales » mais « idéaux »), par souci de simplicité, nous faisons le choix d’op-ter pour des formes universalistes dont les nouvelles flexions se prononceraient elles aussi /al/ :

idéal (idéaux), idéale(s)➝ idéal·e(s) (puis idéalë(s))

Les mots variant à l’écrit et à l’oral

Il y a un grand nombre de doublets masculin/fémi-nin dans ce cas. Certains ne sont pas problématiques, d’autres demandent en revanche de recourir à une petite gymnastique (fort simple au demeurant).

communes fidel puis fidelle » et d’en conclure que de ce fait « tous les mots en -el, -elle pourraient s’écrire en -èle », dans Pour une grammaire non sexiste, p. 54.1. Voir ci-après le paragraphe intitulé Le changement de consonne.

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La fusion simpleCommençons par les plus simples, les mots variant

en -eau/-elle, -ou/-olle, -teur/-trice, -if/-ive, -euf/-euve et en -eur/-euse. Il s’agit ici d’une question de place-ment du point médian. Les formes étant différentes au masculin et au féminin à l’oral comme à l’écrit, il faut que les formes universalistes soient différentes des deux autres à l’oral comme à l’écrit, tout en reprenant autant que faire se peut tout ou partie des deux flexions. Ainsi nous proposons :

nouveau, nouvelle ➝ nouveau·lle (puis nouveaulle)La nouvelle flexion tient dans une syllabe et ne

demande donc pas un effort supplémentaire en terme d’oralisation. De plus, elle reprend, à l’oral comme à l’écrit, des caractéristiques des genres masculin et féminin. Selon le même principe, nous proposons :

fou, folle ➝ fou·lle (puis foulle)Il n’échappera à personne que ce nouveau mot

est homophone de foule et de full, deux mots déjà présents en français. Il est bien évident pour tout le monde également que les synonymes ne sont pas en soi problématiques (les langues en regorgent) et que le contexte ou bien une désambigüisation permettent de régler les incompréhensions éventuelles. Nous n’avons d’ailleurs pas plus de problème que cela avec nos actuels vert, vers (direction), vers (poésie), ver, verre, vair.

Pour ce qui est des mots comme « agriculteur », « agricultrice » ainsi que ceux du type d’« actif », « active » ou de « veuf » et « veuve » aucune flexion à une seule syllabe ne nous a convaincu·e et nous pro-posons, faute de mieux, de rester sur une flexion à deux syllabes :

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agriculteur, agricultrice ➝ agriculteur·rice(puis agriculteurice)

actif, active ➝ actif·ive (puis actifive)veuf, veuve ➝ veuf·euve (puis veufeuve)Enfin, pour les mots variant en -eur/-euse, si

« chômeur·euse » (puis « chômeureuse ») pourrait remplir son rôle de forme universaliste aux côtés de « chômeur » et « chômeuse », nous pensons que nous pouvons réduire la flexion à une seule syllabe, lon-gueur qui est selon nous à préférer chaque fois que cela est possible1. Ainsi, nous proposons :

chômeur, chômeuse ➝ chômeur·se (puis chômeurze)La transformation du “s” en “z” n’ayant pour

but que de garder la prononciation du “s” dans la forme féminine du mot. Ce changement de consonne (à l’écrit) en vue de conserver la consonne féminine (à l’oral), est une modification mineure par rapport à celles qui vont suivre qui, pour des raisons de faci-lité de prononciation et de distinction (phonétique) d’avec les flexions masculine et féminine, seront d’un autre ordre, tout en faisant en sorte que les change-ments de prononciation, nécessaires, restent « accep-tables ».

Le changement de voyelleCe changement concerne deux types de mots, ceux

variant en -ain/-ine (comme « copain » et « copine ») et ceux variant en -in/-ine (comme « gamin » et « gamine »). Il ne vous a pas échappé là non plus que la prononciation de -ain et -in est la même (/ɛ̃/). C’est

1. De plus si les « chômeur·euses » et leur « bonheur » dans le chô-mage digne de Lafargue et de Vaneigem nous plait, il en va tout autrement des « tueur·euses ».

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ce qui nous amène à opter pour une flexion fusion-née en -ain·e (puis -aine) prononcées toutes deux /ɛn/ (comme dans saine) :

copain, copine ➝ copain·e (puis copaine)En revanche, si « gamin » et « gamine » peuvent

sans problème avoir une forme transitoire « gamin·e » nous sommes obligé·e de rajouter une voyelle à la forme fusionnée pour qu’orthographe et prononcia-tion correspondent. Ce qui donne :

gamin, gamine ➝ gamin·e (puis gamaine)Ce qui forme une cohérence, une régularité au

niveau phonétique.

Le changement de consonnePlusieurs cas le nécessitent, auxquels nous avons

décidé de répondre via un glissement vers une consonne voisine.

De /t/ vers /d/Pour les mots variant en -ant/-ante, -ent/-ente,

-at/-ate, -êt/-ête, -et/-ette et -ot/-otte il nous semble nécessaire, afin de marquer une différence en terme de prononciation avec les formes originelles, sans toutefois rompre tout lien, mais aussi afin de garder une seule syllabe pour la flexion fusionnée, de glis-ser du son /t/ (comme dans toux) à /d/ (comme dans doux). Le /t/ et le /d/ sont des sons proches, voisins. Ils se différencient, comme le /p/ (de pas) se différen-cie du /b/ (de bas), ou le /k/ (de cas) du /g/ (de gars) ; les premières (/t/, /p/, /k/) sont des consonnes sourdes (les cordes vocales ne vibrent pas), les secondes (/d/, /b/, /g/) quant à elles sont dites sonores (les cordes vocales vibrent). Il est donc aisé de passer de l’un à l’autre, physiquement… parlant.

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Ainsi, nous proposons que « conquérant » et « conquérante » aient comme forme universaliste transitoire « conquérant·te ». Le point médian ainsi situé entre deux consonnes devant être interprété comme une modification, un glissement de la pronon-ciation (nécessaire pour éviter l’homophonie avec la forme féminine). La forme fusionnée s’écrirait ainsi « conquérande » et les deux formes de la flexion se prononceraient, vous l’aurez compris, /ɑd̃/ (comme dans demande). La même règle s’applique à toutes les formes fusionnées et liées : la prononciation évidente de la forme fusionnée est identique à la prononciation de la forme liée (“t·t” se prononçant comme un “d”). Ainsi :

conquérant, conquérante ➝ conquérant·te(puis conquérande)

patient, patiente ➝ patient·te (puis patiende)candidat, candidate ➝ candidat·te (puis candidade)prêt, prête ➝ prêt·te (puis prêde)cadet, cadette ➝ cadet·te (puis cadède1)bigot, bigotte ➝ bigot·te (puis bigode2)

De /d/ vers /t/Le problème inverse se pose avec les mots variant

en -nd/-nde et -rd/-rde. Nous proposons ainsi de pas-ser du son /d/ au son /t/ :

marchand, marchande ➝ marchand·de (puis marchante)clochard, clocharde ➝ clochard·de (puis clocharte)Là aussi les prononciations des formes universa-

listes (liées et fusionnées) sont identiques, et « évi-dentes » pour ce qui est des formes fusionnées.

1. Avec rajout d’un accent grave, donc.2. Qui fera rire les anglophones.

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De /z/ vers /s/Autre cas de changement de consonne par glis-

sement pour les mots variant en -ais/-aise, -ois/-oise et en -eux/-euse. Il s’agit là encore de glisser d’une consonne sonore (la prononciation de la consonne pour la forme féminine du mot) à sa forme sourde, du /z/ au /s/. Le changement de prononciation se transcrit aisément puisqu’il s’agit juste d’un dépla-cement du point médian (« français·se » au lieu de « français·e »). Ainsi :

français, française ➝ français·se (puis françaisse)bourgeois, bourgeoise ➝ bourgeois·se (puis bourgeoisse)généreux, généreuse ➝ généreux·se (puis généreusse)

Dans ce dernier cas le “x” muet cède sa place au second “s” nécessaire pour faire le son /s/. Là encore la prononciation est évidente si l’on se réfère aux formes fusionnées.

De /s/ vers /z/Ce type de construction concerne les rares mots

dont le féminin est en -esse. Dans les cas les plus fréquents, à savoir les variations en -e/-esse, nous proposons que la forme universaliste se forme par glissement inverse du précédent et donc allant du /s/ vers le /z/ (avec adjonction d’un accent grave) :

bougre, bougresse ➝ bougre·sse (puis bougrèse)

Le procédé est différent pour les cas particuliers que sont les mots variant en -eur/-eresse et -eur/-oresse. Ce sont des mots dont la prononciation du groupe de voyelles précédant le “r” diffère au masculin et au féminin. Pour le premier doublet la prononcia-tion est /œ/ au masculin alors que la voyelle n’est pas

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prononcée au féminin. Quant au second doublet les prononciations sont respectivement /œ/ et /ɔ/. Il faut donc, si possible, que figurent dans les formes fusion-nées la prononciation masculine de la voyelle et le passage du /s/ au /z/. Nous proposons donc :

chasseur, chasseresse ➝ chasseur·esse (puis chasseurèse)docteur, doctoresse ➝ docteur·esse (puis docteurèse)Pour ces mots en -esse au féminin, la forme transi-

toire est donc problématique mais heureusement ces mots, sont d’un emploi assez rare, sauf pour ce qui est de « maitresse », « mairesse » ou « doctoresse »1 qui donneraient donc « maitrèse », « mairèse » et « doc-teurèse »…

De /n/ vers /m/Ici encore il suffit de glisser de la nasale /n/ à

la nasale /m/. Cela concerne les mots variant en -ien/-ienne, -ain/-aine, -an/-ane, -an/-anne, -on/-onne dont les formes liées sont assez évidentes mais dont la prononciation ne peut être la même que la pronon-ciation féminine. En effet, si « terrien » et « terrienne » donnent aisément « terrien·ne », recourir à une fusion simple de cette forme donnerait « terriennë » dont le tréma ne nous aiderait pas, à l’oral, à différencier cette forme de la féminine. C’est pourquoi nous préférons que fusionnent deux “n” situés de chaque côté du point médian (même lorsque ce n’est pas « logique », « évident » comme pour les mots variant en -ain/-aine,

1. Mots auxquels nous préférons les formes épicènes (« une maitre » et « une maire ») ou féminisée (comme « une docteure »). Notons que faire ce choix nous permet d’avoir des formes uni-versalistes “évidentes”, « maire » et « maitre » restant identiques, « docteur » et « docteure » donnant « docteur·e » puis « docteurë ».

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-an/-ane) et donnent ainsi naissance à un “m”. (La fusion étant pour le coup également typographique). Ainsi :

terrien, terrienne ➝ terrien·ne (puis terrième)humain, humaine ➝ humain·ne (puis humaime)partisan, partisane ➝ partisan·ne (puis partisame)paysan, paysanne ➝ paysan·ne (puis paysame)mignon, mignonne ➝ mignon·ne (puis mignome)

De /ʁ/ vers /l/ (de la lettre “r” à la lettre “l”)Ce glissement concerne les mots variant en

-ier/-ière. Par fusion simple, nous aurions le même problème qu’avec « terrien » et « terrienne » donnant « terrien·ne » (puis « terriennë ») : impossible en effet de différencier à l’oral la forme ainsi obtenue de la forme féminine. En effet, « jardinier » et « jardinière » donneraient « jardinier·e » (puis « jardinierë »). Nous proposons donc une nouvelle fois de glisser d’une consonne à sa voisine, de glisser du son /ʁ/ au son /l/. Ainsi :

jardinier, jardinière ➝ jardinier·re (puis jardinièle)

Les cas d’exceptionsIl s’agit notamment de couples de mots n’ayant pas

la même racine selon le sexe de la personne concerné et où le double marquage du genre est impossible. Il y a, par exemple, le doublet « frère » « sœur » auquel on peut toutefois ajouter l’universaliste « adelphe » (que nous avons vu plus haut), sur le même principe que « fils » et « fille » ont leur pendant universaliste, à savoir « enfant », et que « père » et « mère » ont le mot « parent ».

Il y a également des doublets n’ayant pas encore trouvé leur version universaliste, comme « tante »/

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« oncle », « gendre »/« bru », « nièce »/« neveu » (selon nos propositions, « cousin » et « cousine » peuvent, comme nous l’avons vu, trouver leur « cousaine »).

Les déterminants et les pronomsDifficile de se passer des déterminants (articles,

adjectifs possessifs, démonstratifs, etc.) et des pro-noms en parlant de personnes. Il nous faut donc nous y intéresser également.

Ainsi, il manque une forme universaliste à nos pronoms « il(s) » et « elle(s) ». Nous avons déjà croisé les formes écrites « els », « illes » et « iels ». Les deux premiers ayant la même prononciation que, respecti-vement, « elles » (à savoir /ɛl/) et « ils » (à savoir /il/), seul « iels » peut prétendre au statut de forme uni-versaliste liée, sa prononciation étant /iɛl/. Reste la question de la forme intermédiaire. Dans la pratique, on croise souvent « ils et elles », qui est le tout pre-mier niveau de transition vers l’abandon du masculin générique. On rencontre également « ils/elles », une forme liée mais avec une barre oblique. Intéressant, mais gênant étant donné notamment que la pronon-ciation pourrait difficilement être la même que la forme fusionnée mais serait plutôt /ilɛl/ ce qui rajou-terait donc une syllabe. De plus, nous avons décidé de construire les formes liées avec le point médian, c’est pourquoi nous proposons comme forme transitoire liée « i·elle(s) ».

il, elle ➝ i·elle (puis iel)

Le doublet « lui »/« elle » et ses dérivés (« lui-même »/« elle-même », « celui »/« celle ») sont com-plexes à gérer du fait des graphies et des sonorités différentes en fonction du genre et du nombre. « Lui »,

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« eux », « elle », « elles » ont trois sonorités différentes. Rien d’insurmontable cependant.

Commençons par le plus facile, à savoir les formes du pluriel. Nous proposons en effet :

eux, elles ➝ eux·lles (puis eulles)eux-mêmes, elles-mêmes ➝ eux·lles-mêmes

(puis eulles-mêmes)ceux, celles ➝ ceux·lles (puis ceulles).

Pour le singulier, nous proposons que ce soit sur la sonorité féminine que commence la forme universelle, suivie évidemment de la sonorité masculine. En effet, « lui·le » pourraient être envisageable mais en pas-sant au dérivé démonstratif on se retrouverait avec « celui·le » auquel nous préférons un « cel·lui » (qui deviendrait « cellui », prononcé /sɛlɥi/) qui laisse plus de place à la sonorité féminine. Du coup :

lui, elle ➝ el·lui (puis ellui)lui-même, elle-même ➝ el·lui-même (puis ellui-même)celui, celle ➝ cel·lui (puis cellui)En position de complément d’objet indirect

(comme dans « je lui écris »), « lui » et « leur » s’ap-pliquent aussi bien à des référent·tes mâles que femelles. Par pragmatisme et souci de simplification nous proposons de nous en accommoder et d’étendre ce doublet à la forme universaliste :

lui (leur), lui (leur) ➝ lui (leur)En revanche, les formes disjointes (« à lui »/« à

elle », « à eux »/« à elles ») imposent au contraire de recourir à nouveau aux formes « ellui »/« eulles » et on aura ainsi :

à lui, à elle ➝ à el·lui (puis à ellui)à eux, à elles ➝ à eux·lles (puis à eulles)

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En position de complément d’objet direct on a recours au doublet « le »/« la » pour désigner une per-sonne (comme dans « je la connais »). Au pluriel, pas de problème, puisque pour désigner un groupe mas-culin ou féminin, on emploie toujours « les ». On le garde donc pour le pluriel de la forme universaliste :

les, les ➝ les

Reste la forme au singulier. La proposition que nous avons retenue est une diphtongue accolant des sonorités (proches) des sonorités masculines et fémi-nines tout en se distinguant du /ə/ (de « le »), du /a/ (de « la ») et du /e/ de « les ». Ainsi on obtient :

le, la ➝ le·a (puis lea)

Les formes ainsi crées se prononceraient /lwa/ (comme « loi ») plutôt que /ləa/ (fusion exacte des sonorités, mais diphtongue inusitée en français, au contraire de /wa/).

Le raisonnement s’applique de la même manière aux articles définis que sont « le », « la » et « les », car, si on crée un triplet pour les noms, il est impossible de ne pas faire de même pour les articles (et leurs dérivés « au », « du », « laquelle », « auquel ») qui s’accordent avec eux. Ainsi :

au, à la ➝ au·a (puis aua)aux, aux ➝ aux

Les nouvelles formes (« au·a » et « aua ») se pro-nonceraient également /wa/.

De même pour le doublet « du »/« de la » :du, de la ➝ du·a (puis dua)

Les nouvelles formes (« du·a » et « dua ») se pro-nonçant également /wa/.

Découle de ce qui précède :

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lequel, laquelle ➝ le·aquel·e (puis leaquèle)1

auquel, à laquelle ➝ au·aquel·e (puis auaquèle)duquel, de laquelle ➝ du·aquel·e (puis duaquèle)

Passons enfin au cas des articles indéfinis « un », « une » et « des ». Encore une fois, au pluriel pas de problème, puisqu’on emploie déjà « des » pour par-ler d’un groupe masculin ou féminin. On fera donc de même pour un groupe universaliste (par exemple « des lecteurices »). Et pour parler d’un·e seul·e de ses membres ? Eh bien on emploiera la forme que vous venez de recroiser, « un·e » dont la prononcia-tion serait /œn/ comme dans « jeune ». Cette pronon-ciation impliquera que l’on ajoute un petit quelque chose à la forme fusionnée simple (i.e. « une ») qui pourrait se distinguer à l’écrit de la forme féminine grâce aux trémas (i.e. « unë ») mais cela ne donnerait pas d’indication sur la prononciation différente. Ainsi nous proposons :

un, une ➝ un·e (puis eune)des, des ➝ des

Ceci implique que :aucun, aucune ➝ aucun·e (puis auqueune2)chacun, chacune ➝ chacun·e (puis chaqueune)

Idem pour « quelqu’un » après lui avoir évidem-ment ajouté son pendant féminin « quelqu’une » :

quelqu’un, quelqu’une ➝ quelqu’un·e (puis quelqu’eune)

1. Puisque nous avons vu que les mots variant en -el/-elle, se voient adjoindre la flexion (épicène) -èle (rappelez-vous de la « Fédération des professionnèles »).2. Prenant en compte nos habitudes de prononciations de la lettre “c” suivie de la lettre “e”, nous optons pour une graphie de la sonorité /k/ qui ne soit pas ambigüe, à savoir “-qu-”.

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Et si l’on veut parler de l’ensemble des membres d’un groupe ? Vous l’avez « deviné » pour l’avoir croisé à plusieurs reprises, on parlera de « toustes les membres » (de l’Académie française, par exemple) :

tous, toutes ➝ tous·tes (puis toustes)Pour ce qui est de la forme adverbiale variant selon

le genre comme dans « tout petit », « toute petite ». La forme se construit régulièrement (par fusion avec glissement de consonne de /t/ vers /d/, comme vu pré-cédemment). Ainsi :

tout, toute ➝ tout·te (puis toude)Et si l’on veut employer des adjectifs posses-

sifs pour parler de personnes qui nous sont chères, comme des ami·es par exemple ? Au pluriel toujours pas de problème, « mes » s’appliquant à des groupes masculins ou féminin il s’appliquera à des groupes universalistes :

mes, mes ➝ mestes, tes ➝ tesses, ses ➝ sesAu singulier, on s’aperçoit que lorsque le mot dési-

gnant le·a référent·te commence par une consonne, l’accord se fait avec le genre (« mon copain », « ma copine »), alors que si le mot commence par une voyelle, l’accord ne se fait plus et c’est la forme mas-culine qui est utilisée (« ton ami », « ton amie »). Pour-quoi cela a-t-il été préféré à l’ancienne forme avec élision (« ma amie » qui avait donné « m’amie ») ? Mystère. Quoi qu’il en soit, prenons acte et pen-chons-nous sur la forme universelle en fusionnant les formes masculine et féminine, mais en commençant, cette fois-ci (et pour compenser ?) par la forme fémi-nine. Ainsi :

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mon, ma ➝ ma·n (puis man)ton, ta ➝ ta·n (puis tan)son, sa ➝ sa·n (puis san)On comprend ainsi « aisément » à l’oral comme

à l’écrit que « ma·n ami·e » désigne une personne à laquelle je tiens et/mais que préciser son sexe social ou son genre n’a soit pas d’intérêt pour moi dans l’absolu, soit pas d’intérêt de cette manière (via l’ac-cord grammatical), soit pas d’intérêt à ce stade de la discussion. Chose impensable, indicible si l’on se contente de la grammaire académique.

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Les éditions UTOPIA

COLLECTION CONTROVERSES

Mouvement Utopia, Sans-papiers ? pour lutter contre les idées reçues, juin 2010

Mouvement Utopia, Nucléaire, idées reçues et scénarios de sortie, novembre 2011

Mouvement Utopia, Le travail, quelles valeurs ? idées reçues et propositions, novembre 2012

Mouvement Utopia, Agriculture et alimentation, idées reçues et propositions, mai 2014

Baptiste Mylondo, Un revenu pour tous, précis d’utopie réaliste, juin 2010 (épuisé)

COLLECTION RUPTURES

Thomas Coutrot, David Flacher, Dominique Méda, Pour en finir avec ce vieux monde, les chemins de la transition, avril 2011

Nicolas Sersiron, Dette et extractivisme, la résistible ascension d’un duo destructeur, octobre 2014

Guillaume Borel, Le travail, histoire d’une idéologie, novembre 2015

Renaud Duterme, De quoi l’effondrement est-t-il le nom ?, mars 2016

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Thierry Ternisien d’Ouville, Réinventer la politique avec Hannah Arendt, novembre 2010

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Baptiste Mylondo, Pour un revenu sans condition, novembre 2012

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Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet et Anne-Isabelle Veillot, Un projet de décroissance, manifeste pour une DIA, janvier 2013

Michel Lepesant, Politique(s) de la décroissance, juin 2013Paul Ariès, Écologie et cultures populaires, mars 2015

COLLECTION AMÉRIQUE LATINE

Marta Harnecker, Amérique Latine, laboratoire pour un socialisme du xxie siècle, novembre 2010

Rafael Correa, De la République bananière à la Non-République, septembre 2013

Alberto Acosta, Le Buen vivir, pour imaginer d’autres mondes, mars 2014

COLLECTION DÉPASSER LE PATRIARCAT

Collectif Femen, Le Manifeste Femen, avril 2015Taslima Nasreen, À la recherche de l’amant français,

octobre 2015Davy Borde, Tirons la langue, plaidoyer contre

le sexisme dans la langue française, avril 2016

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Emmanuel Delattre, Requiem pour l’oligarchie, avril 2013

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Mouvement Utopia, Le Manifeste Utopia, janvier 2012

CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS

Mouvement Utopia, Le Manifeste Utopia, Parangon, 2008Mouvement Utopia, Le Manifeste Européen, L’Esprit

Frappeur, 2009

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Direction artistique/couverture : Fabienne CoudercMaquette : PalimpsesteCorrections : Myriam Michel, Erick Montagne et Jean‑Jacques Pascal

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Dépôt légal : avril 2016ISBN : 978‑2‑919160‑22‑8

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