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Usure des soignants, épuisement professionnelrecherche.uco.fr/sites/biblio.recherche.uco.fr/files/fichiersbibl... · Goldberg M, Imbernon E. Suicide et activité professionnelle

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© 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservéshttp://dx.doi.org/10.1016/j.sger.2018.02.007 SOiNS GÉRONTOLOGIE - no 131 - mai/juin 201816

Usure des soignants, épuisement professionnel

dossier

Usure professionnelle des soignants en gériatrie, état des lieux et solutions

Les deux notions d’épuisement profession-nel et d’usure professionnelle sont proches

et se recoupent pour partie. En effet, si le syn-drome d’épuisement professionnel franco-phone correspond au burn-out anglophone et si la conceptualisation de l’usure professionnelle reste encore à approfondir en dépit des travaux de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anect) [1], l’un et l’autre désignent des pathologies et des souffrances imputables au travail, dont les conséquences peuvent s’avérer gravissimes. Ainsi, les soignants font-ils partie des catégories socioprofessionnelles les plus exposées au risque de suicide, avec les policiers, les agriculteurs, les artistes et les créa-teurs [2]. Et, parmi ces soignants, ceux qui exer-cent en gériatrie s’avèrent particulièrement soumis aux risques d’épuisement et d’usure professionnels.

QUELQUES DÉFINITIONS

Le terme de burn-out (griller, se consumer) fut proposé en 1969 par Harold B. Bradley pour désigner certains stress professionnels. Herbert J.

Freudenberger le reprit à son compte en 1974, avant de publier, quelques années plus tard, son ouvrage de référence co-signé avec Geraldine Richelson, Burn-out: the High Cost of High Achievement (soit Le coût excessif d’un accom-plissement [trop] élevé) [3]. L’idée majeure en est que certains professionnels vont jusqu’à litté-ralement “se consumer”, à force de se consacrer à autrui.Christina Maslach s’intéressa à ce phénomène dès 1977, mais ne publia que 20 ans plus tard, avec Wilmar Schaufeli et Tadeusz Marek, son fameux Professional Burn-out, ainsi que l’échelle de mesure du burn-out qui porte désormais son nom : le Maslach Burn-out Inventory (MBI) [4]. Cet inventaire mesure le degré d’épuisement des professionnels qui y répondent, selon qu’ils se sentent :• plus ou moins « vidés » ou « à bout » dans leur métier, « fatigués » à l’idée d’entamer une nou-velle journée de travail, aborder leurs patients « comme s’ils étaient des objets », mobiliser beaucoup d’efforts pour « travailler avec des gens », près de « craquer » à cause de leur emploi, « indifférents », « insensibles » ou « frustrés » dans leur travail, etc. ;

mise au point

❚ On ne peut pas nier que travailler dans le secteur de la gériatrie comporte des risques d’usure et d’épuisement professionnels ❚ On pourrait évoquer entre autres la confrontation à la mort, une pénibilité élevée ou les faibles perspectives d’évolution ❚ Les pistes d’amélioration sont un personnel plus nombreux, mieux formé et soutenu, le fait de favoriser la mobilité et la promotion professionnelles et de redonner du sens au travail en établissements et services gériatriques.© 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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Burnout of caregivers in geriatrics, an overview and solutions. It is undeniable that working in the geriatric sector carries risks of exhaustion and burnout. Risk factors include confrontation with death, diffi cult working conditions and low prospects for career development. Ways to improve the situation include recruiting more staff members, providing them with better training and support, favouring career mobility and promotion and giving back meaning to the work carried out in geriatric care facilities.

CHRISTIAN HESLONa,b,c

PhD, Maître de conférences en psychologie des âges de la vie

aUCO-Angers (France), 3 place André Leroy,

49008 Angers, France

bCentre de Recherche sur le Travail et le Développement, CRTD, EA 4132, CNAM-Inetop,

41 rue Gay-Lussac, 75005 Paris, France

cUNESCO Chair Lifelong Guidance and Counselling,

plac Uniwersytecki 1, 50-137 Wrocław, Pologne

*Auteur correspondant. Adresse e-mail :

[email protected] (C. Heslon).

Mots clés – épuisement professionnel, facteur de risque, gériatrie, soignant, usure professionnelle

Keywords – caregiver; geriatrics; occupational burnout; occupational exhaustion; risk factor

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SOiNS GÉRONTOLOGIE - no 131 - mai/juin 2018 17

Usure des soignants, épuisement professionnel

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• ou, au contraire, capables de « comprendre ce que les patients ressentent », « s’occuper très effi cacement » des problèmes desdits patients, « avoir une infl uence positive sur les gens », « plein(e)s d’énergie », capable de créer une « atmosphère détendue », « ragaillardi(e)s » lorsqu’ils se sont sentis proches des patients, etc.

FACTEURS DE RISQUE POUR LES SOIGNANT(E)S EN GÉRIATRIE

Or, tous ces travaux scientifi ques, qui datent de 30 à 40 ans, s’appuient sur le métier de soignant, même s’ils ne portent pas particulièrement, à l’époque, sur les soignantes en gériatrie. J’écris ici “soignantes” plutôt que “soignants”, car le phénomène concerne une écrasante majorité de femmes. Ce faisant, elles sacrifi ent psycho-socio-logiquement aux stéréotypes de genre, entre autres dépeints par Carol Gilligan [5], Pascale Molinier [6] ou Fabienne Brugère [7]. Ces stéréo types veulent, en effet, que les femmes soient vouées à se dévouer aux plus vulnérables des êtres humains : enfants, malades, handicapés, mourants… et vieillards. Ceci pourrait expliquer qu’au risque du syndrome d’épuisement professionnel s’ajoute, pour elles, celui de “l’usure professionnelle”. ❚ Cette usure, qui mène soit à l’épuisement, soit à maintes conduites défensives (évite-ment, refuge dans l’action, désinvestissement, rationalisation, etc.), résulte d’une exposition prolongée à :• de nombreux facteurs de risque (confronta-tion à la mort, à l’angoisse, aux corps déchus et à des injonctions paradoxales : être attentif à chacun tout en allant vite) ;• une pénibilité élevée (manque de moyens humains et matériels, répétitivité des tâches, absence d’autonomie, charge physique et mentale, surcharge de travail) ;• de faibles perspectives d’évolution profession-nelle (revenus minimes, contrats précaires, formations peu qualifi antes, reconversions limi-tées, défi cit de promotion sociale). ❚ À cela s’ajoutent deux autres facteurs pro-pices à l’usure, particulièrement caractéristiques du travail auprès des personnes âgées :• l’avancée en âge des soignantes en gériatrie qui, à 50 ou 55 ans, ne peuvent plus mobiliser la même énergie que lorsqu’elles avaient 25 ans (au risque d’arrêts de travail récurrents, qui accroissent encore le manque de moyens humains dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes – Ehpad) ;

• l’entremêlement des problématiques familiales personnelles des soignantes avec celles de rési-dents qui ont maintenant l’âge de leurs parents ou beaux-parents (notamment dans le cas des villages ruraux, où une forte part de la popula-tion réside dans des Ehpad et dont les soignantes appartiennent soit à la famille élargie, soit au voisinage immédiat).

L’ALERTE DE FLORENCE AUBENAS

Et voici que Florence Aubenas, journaliste, publie dans Le Monde un édifi ant reportage sur la grève des soignantes d’un Ehpad du Jura : 110 jours de grève à la mi-juillet 2017 [8]. On y apprend que c’est la « plus longue grève de France ». Personne n’a évoqué ce fait, à l’exception de cet article ! Qu’en aurait-il été si une école, ou la RATP, ou EDF, avaient à leur actif la « plus longue grève de France » ? Les articles auraient fusé et les médias auraient été sur la brèche. Or, ici, rien de tout cela. Comme si la pénibilité du travail des soignantes en gériatrie n’avait aucune importance – ce qui la rend d’autant plus pénible.Les professionnelles de la gériatrie ne connaissent malheureusement que trop les causes de cette pénibilité, en premier lieu imputable au manque de moyens humains et matériels. Certes, le projet de création d’un compte personnel de pénibilité vise à comptabiliser la charge physique et mentale des soignantes en gériatrie. De même, les timides avancées en matière d’intégration de la pénibilité des métiers dans le calcul des points de retraite vont dans le bon sens.

L’usure professionnelle des soignants, qui amène à l’épuisement ou au développement de conduites défensives est liée à de nombreux facteurs.

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NOTE

1 Groupe ISO-ressources, où “ISO” signifi e International Standardization Organisation. Mesure normalisée de la perte d’autonomie moyenne des résident(e)s d’un Ehpad, à partir de laquelle est calculé le nombre d’équivalents temps-plein (ETP) de soignant(e)s affecté à chaque établissement.

RÉFÉRENCES

[1] Anact. Prévention de l’usure professionnelle : la méthode Anact. Décembre 2015. https://www.anact.fr/prevention-de-lusure-professionnelle-la-methode-anact[2] Cohidon C, Geoffroy-Perez B, Fouquet A, Le Naour C, Goldberg M, Imbernon E. Suicide et activité professionnelle en France : premières exploitations de données disponibles. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; avril 2010. http://invs.santepubliquefrance.fr/publications/2010/suicide_activite_professionnelle_france/rapport_suicide_activite_professionnelle_france.pdf[3] Freudenberger HJ, Richelson G. Burn-out : the High Cost of High Achievement. New York (États-Unis): Bantam Books; 1981.

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dossier

Mais force est de constater :• qu’à la délicate estimation objective de la péni-bilité de tel ou tel métier se surimpose surtout la capacité de certaines professions à peser plus que d’autres. En l’occurrence, la puissance de blocage des industries du transport ou de l’ énergie est nettement supérieure à celle des professionnels associatifs de la gériatrie ;• qu’ainsi que le relève le reportage de Florence Aubenas, là où la moyenne française s’établit à 55 soignant(e)s pour 100 résident(e)s (ratio moyen de 0,55 qui varie selon le GIR moyen pon-déré1 de chaque établissement), l’Allemagne finance en moyenne 80 soignant(e)s pour 100 résident(e)s (ratio de 0 , 8 0 ) e t l a S u i s s e 100 soignant(e)s pour 100 résident(e)s (ratio de 1) . S i ce t écar t , du simple au double, est pour partie imputable aux d i f f é rence s de niveaux de vie entre la France, l’Allemagne et la Suisse, il refl ète également un rapport de force. En effet, si la gériatrie française souffre d’une telle faiblesse de moyens humains, qui génère autant de phénomènes coûteux d’épuisement et d’usure professionnels, c’est parce qu’il n’y existe aucun lobby puissant représentant les fi lles et fi ls de résidents d’Ehpad. À titre d’exemple, les lobbies des parents d’enfants handicapés ont, quant à eux, obtenu que les ratios de personnels soient compris entre 0,9 et 1 et fi nancés par la col-lectivité – à comparer au ratio de 0,55 en Ehpad, fi nancés par les seul(e)s résident(e)s, avec leurs familles…

POUR UN TRAVAIL DÉCENT 

Certes, les moyens ne font pas tout, mais un personnel plus nombreux, mieux formé et réellement soutenu améliorerait sûrement les choses. Le coût plus élevé serait en bonne partie compensé par la réduction des arrêts maladie, du turnover et des dépenses induites par les dys-fonctionnements institutionnels (surdosage médicamenteux, gestion des troubles du compor-tement résultant de l’insécurité générée par le manque d’accompagnants sereins, disponibles et attentifs). Sans oublier le gain humain, qui n’a pas de prix. C’est alors qu’intervient l’aspect quali-tatif, car l’augmentation quantitative du nombre

de soignant(e)s ne saurait suffi re. Il suffi rait pour-tant de : • favoriser la mobilité et la promotion profes-sionnelle dans les carrières de soignant(e)s en gériatrie : spécialité en gérontologie pour les infi rmier(e)s, les aide-soignant(e)s et les aides médico-psychologiques, sensibilisation des équipes de direction à une politique de res-sources humaines plus soucieuse du dévelop-pement des personnes que de gestion du personnel, etc. ;• redonner du sens au travail en établissements et services gériatriques, en s’inspirant des tra-vaux de Jean-Luc Bernaud sur la « bientraitance

professionnelle » [9] et le « sens du travail » [10]. Cette récupération de sens d’un travail aussi utile à l’humanité qu’injuste-ment dégradé passera par la double réintégration de la question de la mort et

de la spiritualité, ainsi que le suggère le dernier ouvrage dirigé par Louis Ploton [11] ;• transformer le travail en gériatrie en autant d’« expériences optimales » possibles, au sens de Mihaly Csikszentmihalyi [12] : poursuite de buts clairs, contrôle de l’action, feedback immédiat, défis réalistes, concentration, suspension du temps. Le tout constituant une expérience racontable – par exemple dans le cadre de séances d’analyse des pratiques.

CONCLUSION

De la sorte ces beaux métiers, qui confrontent à l’essentiel de nos existences (le corps, l’amour, la mort, l’argent), exposeraient moins ceux qui s’y vouent aux risques d’épuisement et d’usure qu’ils y encourent aujourd’hui. Ces métiers devien-draient enfi n un « travail décent », tel que défi ni par l’Unesco [13] : correspondant aux attentes des individus, produisant des biens et services utiles en quantité suffi sante mais non excessive, s’exerçant dans le cadre d’institutions justes (équité entre les genres, les âges, les niveaux hiérarchiques) et garantissant à chacun sa liberté, sa dignité, son intégrité, son intimité et sa sécurité. Vaste programme dans bien des domaines et des contrées ! À commencer par les Ehpad français, avant de poursuivre dans tant d’autres milieux de travail de par le monde… ■

Déclaration de liens d’intérêtsL’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

[4] Schaufeli W, Maslach C, Marek T. Professional Burn-out : Recent Developments in Theory and Research. Palm Beach (Boca Raton): CRC Press; 1996.[5] Gilligan C. In a Different Voice. Harvard (États-Unis): Harvard University Press; 1982.[6] Molinier P. L’énigme de la femme active. Égoïsme, sexe et compassion. Paris: Payot; 2003.[7] Brugère F. Le sexe de la sollicitude. Paris: Le Seuil; 2008.[8] Aubenas F. Vous avez vu comme elles sont fatiguées ? Le Monde. 19 juillet 2017:14.[9] Bernaud JL, Desrumaux P, Guédon D. Psychologie de la bientraitance professionnelle. Concepts, modèles et dispositifs. Paris: Dunod; 2016.[10] Patillon TV, Lhotellier L, Pelayo F, Arnoux-Nicolas C, Sovet L, Loarer E et al. Sens de la vie, sens du travail et orientation professionnelle : un dispositif innovant d’accompagnement des adultes. L’Orientation Scolaire et Professionnelle. 2015;44(4). [11] Ploton L. (Dir). Vie psychique, spiritualité et vieillissement. Lyon: Chronique Sociale; 2017.[12] Csikszentmihalyi M. Flow: the Psychology of Optimal Experience. New-York (États-Unis): Harper & Row; 1990. [13] Unesco. Entretien avec Juan Somavia : « Faire du travail décent l’affaire de tous ». SHSregards. Décembre 2007;18. http://www.unesco.org/new/en/media-services/single-view/news/entretien_avec_juan_somavia_faire_du_travail_decent_l/

RÉFÉRENCES

un personnel plus nombreux,

formé et soutenu améliorerait

les conditions de travail

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