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1 University of Dublin Trinity College Department of French SF IDEAS INTO POLITICS (FR 2017) 2014-2015

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University of DublinTrinity College

Department of French

SF IDEAS INTO POLITICS (FR 2017)

2014-2015

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FR2017: IDEAS INTO POLITICS

(Dr Alyn Stacey, Dr Arnold, Dr Hanrahan, Dr Opelz)

On successful completion of this module students will be able to: Analyse critically and independently, in English and French, extracts from major historical, political and cultural texts and documents ranging from the 16th century to the 21st century Demonstrate a broad knowledge of the historical, cultural and political development of France from the 16th to the 21st century, as reflected in the texts used in the course Organise and present ideas in English and French, in writing and orally, within the framework of a structured and reasoned critical argument Demonstrate an awareness of the relevant philosophical, political and historical approaches to ideas and social and political development of France from the 16 th

to the 21st century Use the appropriate methodologies and relevant resources for the presentation of their work. Produce essays in both English and French demonstrating the ability to organise, analyse and evaluate relevant material. Use the appropriate methodologies and relevant resources for the presentation of their work

The purpose of this course is twofold. Firstly, it aims to acquaint students with the ideological traditions of modern

France, stretching back to the Renaissance and forward to the post-war period. Secondly, it aims to encourage close reading of texts, and to develop skills in

the analysis of arguments, and of the suppositions and values embedded in them. This function is served primarily by the seminars.

The Ideas section of the course-work annual examination comprises both essays and commentaries, of which students select one, based on texts from the Anthology. For the commentaries, students will be asked to place the extract in its historical context; to analyse its contents; and to indicate its interest in relation to the themes of the course. Whether a particular subject-area is examined by essay or commentary may vary.

Lecture schedule

Michaelmas Term

Week 1 Fashioning Politics in 16th-Century Society: Montaigne’s De la coustume et de ne changer aisément une loy receüe (SAS)

Week 2 Dela coustume…(continued) (SAS)Week 3 A Sceptic’s Guide to International Politics:

Montaigne’s Des Cannibal (SAS)Week 4 Montaigne, Political Idealist? (SAS)Week 5 Pascal’s Pensées: Man and Society in the 17th Century (SAS)Week 6 No lecture (Bank Holiday 31 October)Week 7 No lecture (Study Week)Week 8 Pascal’s Pensées: Man and Society in the 17th Century (SAS)Week 9 Pascal’s Pensées: Man and Society in the 17th Century (SAS)Week 10 Voltaire’s Lettres philosophiques (JH)Week 11 Voltaire’s Lettres philosophiques (JH)

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Week 12 The ‘Anti-Pascal’ in the Lettres philosophiques (JH)

Hilary Term

Week 1 The French Revolution (JH) Week 2 Napoleon and the First Empire (EA)Week 3 From Restoration to Republic, 1815-48 (EA)Week 4 Napoleon III and the Second Empire (1848-70) (EA)Week 5 Intellectuals against the Republic (1871-1914) (EA)Week 6 ‘Les Guerres franco-françaises’ and the Dreyfus affair (EA)Week 7 Study WeekWeek 8 Intellectuals and Decolonisation (HO)Week 9 May 1968 (HO) Week 10 ‘Neither Left nor Right’: Politics in the Interwar Years (1918-44) (EA)Week 11 Resistance (1940-44) (EA)Week 12 Collaboration (1940-44) (EA)

A number of texts included in this anthology are for background reading only. For main texts, see lecture schedule in SF Handbook

I. The Enlightenment Ideas in 17th-and 18th-century France 5

1. René Descartes (1596-1650), Extraits de Discourse de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences 5

2. Denis Diderot (1713-1784) 12 (a) L'Encyclopédie – Agnus scythicus 12 (b) L'Encyclopédie – Prêtres 15

II. Revolutions, Restoration, Republics and Empires, 1789-1851 17(a) Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 Août 1789 17(b) La Marseillaise, 1792 19(c) Robespierre, Sur les principes de morale politique (17 Pluviôse, An II, 5 Feb. 1794) 20(d) F. Lamennais, Paroles d’un croyant (1834) 21(e) F. Lamennais, Le livre du peuple (1837) 22(f) The Revolutions of 1848(i) Extrait de la constitution de 1848 24(ii) Les journées de juin vues par Hugo, Flaubert, Merimée, Renan, de Tocqueville, Marx 24

III. 1851-1870: Du Second Empire à la Troisième République 27(a) Emile Zola, La curée 27(b) La défaite de 1870, La dernière classe (1873) 28(c) «Une nation est une âme», Ernest Renan (1888) 31

IV. La Troisième République, 1870-1914 32(a) 'Un catéchisme républicain' 32(b) Emile Zola. «J'accuse» (1898) 36(c) Charles Péguy, Le salut éternel de la France (1911) 39(d) Maurice Barrès, Un Homme libre (1904) 41(e) Paul Déroulède, Discours à la Ligue des Patriotes (1899) 41(f) L'ampleur de l'antisémitisme en France 42(i) La Ligue Antisémitique de France, «Appel aux Français» 42 (La Libre Parole, 24 octobre 1898)

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(ii) Programme de l’Action Française 44V. Le socialisme et le communisme français 45(a) L’Internationale 45(b) Jean Jaurès, “Les deux méthodes”. Conférence à l'Hippodrome Lillois (1900) 46(c) Léon Blum, Discours au Congrès de Tours (1920) 47(d) Maurice Thorez: "Pour une France libre, forte et heureuse” (1936) 51VI. Le fascisme dans la France de l’entre-deux-guerres 53(a) La Guerre et les anciens combattants: le Faisceau de Georges Valois 53(b) Le Francisme de Marcel Bucard 54(c) Le fascisme à la française. (i) Les années 20: le Faisceau 55(ii) ) Les années 30:Manifeste du Parti Populaire Français 56(d) Les intellectuels et la tentation fasciste 58(i) Pierre Drieu la Rochelle, "Qu'est-ce que le fascisme?" 58(ii) Robert Brasillach et le Front Populaire 59VII. La Seconde Guerre Mondiale : Collaboration et Résistance 63(a) Philippe Pétain, «Appel du 25 juin-1940» 63(b) Philippe Pétain, «Message du 30 octobre 1940 65(c) Maréchal, nous voilà! 66(d) Pierre Laval, Discours du 22 juin 1942 66(e) Charles de Gaulle, «Appel du 18 juin, 1940» 68(f) Le Chant des Partisans 69(g) Charles de Gaulle, Discours prononcé à l'Hôtel de Ville de Paris, 25 août 1944 69

VIII. L’APRES-GUERRE ET LA Ve REPUBLIQUE

(a) Jean-Paul Sartre, ‘Présentation’ Les Temps Modernes, 1er octobre 1945 71(b) Decolonisation and the Fifth Republic. Discours de Brazzaville, 30 janvier 1944 74(c) Charles de Gaulle, Discours de Bayeux, 16 juin 1946 77(d) Extrait de la Constitution de la Ve République 80(e) Manifeste des 121. Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie 6 septembre 1960 83

Bibliography 86

Course coordinator : Dr Sarah Alyn-Stacey

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I. The Enlightenment Ideas in 17th-and 18th-century France

SECONDE PARTIE

1. J’étais alors en Allemagne, où l’occasion des guerres qui n’y sont pas encore finies m’avait appelé; et comme je retournais du couronnement de l’empereur vers l’armée, le commencement de l’hiver m’arrêta en un quartier où, ne trouvant aucune conversation qui me divertît, et n’ayant d’ailleurs, par bonheur, aucuns soins ni passions qui me troublassent, je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle, où j’avais tout loisir de m’entretenir de mes pensées. Entre lesquelles, l’une des premières fut que je m’avisai de considérer, que souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et faits de la main de divers maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit-on que les bâtiments qu’un seul architecte a entrepris et achevés, ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés, que ceux que plusieurs ont tâché de raccommoder, en faisant servir de vieilles murailles qui avaient été bâties à d’autres fins. Ainsi ces anciennes cités, qui, n’ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues, par succession de temps, de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu’un ingénieur trace à sa fantaisie dans une plaine, qu’encore que, considérant leurs édifices chacun à part, on y trouve souvent autant ou plus d’art qu’en ceux des autres; toutefois, à voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit, et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune, que la volonté de quelques hommes usant de raison, qui les a ainsi disposés. Et si on considère qu’il y a eu néanmoins de tout temps quelques officiers, qui ont eu charge de prendre garde aux bâtiments des particuliers, pour les faire servir à l’ornement du public, on connaîtra bien qu’il est malaisé, en ne travaillant que sur les ouvrages d’autrui, de faire des choses fort accomplies. Ainsi je m’imaginai que les peuples qui, ayant été autrefois demi-sauvages, et ne s’étant civilisés que peu à peu, n’ont fait leurs lois qu’à mesure que l’incommodité des crimes et des querelles les y a contraints, ne sauraient être si bien policés que ceux qui, dès le commencement qu’ils se sont assemblés, ont observé les constitutions de quelque prudent législateur. Comme il est bien certain que l’état de la vraie religion, dont Dieu seul a fait les ordonnances, doit être incomparablement mieux réglé que tous les autres. Et pour parler des choses humaines, je crois que, si Sparte a été autrefois très florissante, ce n’a pas été à cause de la bonté de chacune de ses lois en particulier, vu que plusieurs étaient fort étranges, et même contraires aux bonnes moeurs, mais à cause que, n’ayant été inventées que par un seul, elles tendaient toutes à même fin. Et ainsi je pensai que les sciences des livres, au moins celles dont les raisons ne sont que probables, et qui n’ont aucunes démonstrations, s’étant composées et grossies peu à peu des opinions de plusieurs diverses personnes, ne sont point si approchantes de la vérité, que les simples raisonnements que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent. Et ainsi encore je pensai que, pour ce que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes, et qu’il nous a fallu longtemps être gouvernés par nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires les uns aux autres, et

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qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut-être pas toujours le meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient si purs, ni si solides qu’ils auraient été, si nous avions eu l’usage entier de notre raison dès le point de notre naissance, et que nous n’eussions jamais été conduits que par elle.

2. Il est vrai que nous ne voyons point qu’on jette par terre toutes les maisons d’une ville, pour le seul dessein de les refaire d’autre façon, et d’en rendre les rues plus belles; mais on voit bien que plusieurs font abattre les leurs pour les rebâtir, et que même quelquefois ils y sont contraints, quand elles sont en danger de tomber d’elles-mêmes, et que les fondements n’en sont pas bien fermes. A l’exemple de quoi je me persuadai, qu’il n’y aurait véritablement point d’apparence qu’un particulier fît dessein de réformer un État, en y changeant tout dès les fondements, et en le renversant pour le redresser; ni même aussi de réformer le corps des sciences, ou l’ordre établi dans les écoles pour les enseigner; mais que, pour toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance, je ne pouvais mieux faire que d’entreprendre, une bonne fois, de les en ôter, afin d’y en remettre par après, ou d’autres meilleures, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées au niveau de la raison. Et je crus fermement que, par ce moyen, je réussirais à conduire ma vie beaucoup mieux que si je ne bâtissais que sur de vieux fondements, et que je ne m’appuyasse que sur les principes que je m’étais laissé persuader en ma jeunesse, sans avoir jamais examiné s’ils étaient vrais. Car, bien que je remarquasse en ceci diverses difficultés, elles n’étaient point toutefois sans remède, ni comparables à celles qui se trouvent en la réformation des moindres choses qui touchent le public. Ces grands corps sont trop malaisés à relever, étant abattus, ou même à retenir, étant ébranlés, et leurs chutes ne peuvent être que très rudes. Puis, pour leurs imperfections, s’ils en ont, comme la seule diversité qui est entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont, l’usage les a sans doute fort adoucies; et même il en a évité ou corrigé insensiblement quantité, auxquelles on ne pourrait si bien pourvoir par prudence. Et enfin, elles sont quasi toujours plus supportables que ne serait leur changement: en même façon que les grands chemins, qui tournoient entre des montagnes, deviennent peu à peu si unis et si commodes, à force d’être fréquentés, qu’il est beaucoup meilleur de les suivre, que d’entreprendre d’aller plus droit, en grimpant au-dessus des rochers, et descendant jusques au bas des précipices.

3. C’est pourquoi je ne saurais aucunement approuver ces humeurs brouillonnes et inquiètes, qui, n’étant appelées, ni par leur naissance, ni par leur fortune, au maniement des affaires publiques, ne laissent pas d’y faire toujours, en idée, quelque nouvelle réformation. Et si je pensais qu’il y eût la moindre chose en cet écrit, par laquelle on me pût soupçonner de cette folie, je serais trés marri de souffrir qu’il fût publié. Jamais mon dessein ne s’est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées, et de bâtir dans un fonds qui est tout à moi. Que si, mon ouvrage m’ayant assez plu, je vous en fais voir ici le modèle, ce n’est pas, pour cela, que je veuille conseiller à personne de l’imiter. Ceux que Dieu a mieux partagés de ses grâces, auront peut-être des desseins plus relevés; mais je crains bien que celui-ci ne soit déjà que trop hardi pour plusieurs. La seule résolution de se défaire de toutes les opinions qu’on a reçues auparavant en sa créance, n’est pas un exemple que chacun doive suivre; et le monde n’est quasi composé que de deux sortes d’esprits auxquels il ne convient aucunement. A savoir, de ceux qui, se croyant plus habiles qu’ils ne sont, ne se peuvent empêcher de précipiter leurs jugements, ni avoir assez de patience pour conduire par ordre toutes leurs pensées: d’où vient que, s’ils avaient une fois pris la liberté de douter des principes qu’ils ont reçus, et de s’écarter du chemin commun, jamais ils ne pourraient tenir le sentier qu’il faut prendre pour aller plus droit, et demeureraient égarés toute leur vie. Puis, de ceux qui, ayant assez de raison, ou de modestie, pour juger qu’ils sont moins capables de distinguer le vrai d’avec le faux, que quelques autres par lesquels ils peuvent être instruits, doivent bien plutôt se contenter de suivre les opinions de ces autres, qu’en chercher eux-mêmes de meilleures.

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4. Et pour moi, j’aurais été sans doute du nombre de ces derniers, si je n’avais jamais eu qu’un seul maître, ou que je n’eusse point su les différences qui ont été de tout temps entre les opinions des plus doctes. Mais ayant appris, dès le collège, qu’on ne saurait rien imaginer de si étrange et si peu croyable, qu’il n’ait été dit par quelqu’un des philosophes; et depuis, en voyageant, ayant reconnu que tous ceux qui ont des sentiments fort contraires aux nôtres, ne sont pas, pour cela, barbares ni sauvages, mais que plusieurs usent, autant ou plus que nous, de raison; et ayant considéré combien un même homme, avec son même esprit, étant nourri dés son enfance entre des Français ou des Allemands, devient différent de ce qu’il serait, s’il avait toujours vécu entre des Chinois ou des Cannibales; et comment, jusques aux modes de nos habits, la même chose qui nous a plu il y a dix ans, et qui nous plaira peut-être encore avant dix ans, nous semble maintenant extravagante et ridicule: en sorte que c’est bien plus la coutume et l’exemple qui nous persuadent qu’aucune connaissance certaine, et que néanmoins la pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu malaisées à découvrir, à cause qu’il est bien plus vraisemblable qu’un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple: je ne pouvais choisir personne dont les opinions me semblassent devoir être préférées à celles des autres, et je me trouvai comme contraint d’entreprendre moi-même de me conduire.

5. Mais, comme un homme qui marche seul et dans les ténèbres, je me résolus d’aller si lentement, et d’user de tant de circonspection en toutes choses, que, si je n’avançais que fort peu, je me garderais bien, au moins, de tomber. Même je ne voulus point commencer à rejeter tout à fait aucune des opinions, qui s’étaient pu glisser autrefois en ma créance sans y avoir été introduites par la raison, que je n’eusse auparavant employé assez de temps à faire le projet de l’ouvrage que j’entreprenais, et à chercher la vraie méthode pour parvenir à la connaissance de toutes les choses dont mon esprit serait capable.

6. J’avais un peu étudié, étant plus jeune, entre les parties de la philosophie, à la logique, et entre les mathématiques, à l’analyse des géomètres et à l’algèbre, trois arts ou sciences qui semblaient devoir contribuer quelque chose à mon dessein. Mais, en les examinant, je pris garde que, pour la logique, ses syllogismes et la plupart de ses autres instructions servent plutôt à expliquer à autrui les choses qu’on sait, ou même, comme l’art de Lulle, à parler, sans jugement, de celles qu’on ignore, qu’à les apprendre. Et bien qu’elle contienne, en effet, beaucoup de préceptes trés vrais et très bons, il y en a toutefois tant d’autres mêlés parmi, qui sont ou nuisibles ou superflus, qu’il est presque aussi malaisé de les en séparer, que de tirer une Diane ou une Minerve hors d’un bloc de marbre qui n’est point encore ébauché. Puis, pour l’analyse des anciens et l’algèbre des modernes, outre qu’elles ne s’étendent qu’à des matières fort abstraites, et qui ne semblent d’aucun usage, la première est toujours si astreinte à la considération des figures, qu’elle ne peut exercer l’entendement sans fatiguer beaucoup l’imagination; et on s’est tellement assujetti, en la dernière, à certaines règles et à certains chiffres, qu’on en a fait un art confus et obscur qui embarrasse l’esprit, au lieu d’une science qui le cultive. Ce qui fut cause que je pensai qu’il fallait chercher quelque autre méthode, qui, comprenant les avantages de ces trois, fût exemte de leurs défauts. Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu’un État est bien mieux réglé, lorsque, n’en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées; ainsi, au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j’aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.

7. Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle: c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.

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8. Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre.

9. Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.

10. Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.

11. Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entresuivent en même façon, et que, pourvu seulement qu’on s’abstienne d’en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut, pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées, auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne découvre. Et je ne fus pas beaucoup en peine de chercher par lesquelles il était besoin de commencer: car je savais déjâ que c’était par les plus simples et les plus aisées à connaître; et considérant qu’entre tous ceux qui ont ci-devant recherché la vérité dans les sciences, il n’y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c’est-à-dire quelques raisons certaines et évidentes, je ne doutais point que ce ne fût par les mêmes qu’ils ont examinées; bien que je n’en espérasse aucune autre utilité, sinon qu’elles accoutumeraient mon esprit à se repaître de vérités, et ne se contenter point de fausses raisons. Mais je n’eus pas dessein, pour cela, de tâcher d’apprendre toutes ces sciences particulières, qu’on nomme communément mathématiques; et voyant qu’encore que leurs objets soient différents, elles ne laissent pas de s’accorder toutes, en ce qu’elles n’y considérent autre chose que les divers rapports ou proportions qui s’y touvent, je pensai qu’il valait mieux que j’examinasse seulement ces proportions en général, et sans les supposer que dans les sujets qui serviraient à m’en rendre la connaissance plus aisée; même aussi sans les y astreindre aucunement, afin de les pouvoir d’autant mieux appliquer après à tous les autres auxquels elles conviendraient. Puis, ayant pris garde que, pour les connaître, j’aurais quelquefois besoin de les considérer chacune en particulier, et quelquefois seulement de les retenir, ou de les comprendre plusieurs ensemble, je pensai que, pour les considérer mieux en particulier, je les devais supposer en des lignes, à cause que je ne trouvais rien de plus simple, ni que je pusse plus distinctement représenter à mon imagination et à mes sens; mais que, pour les retenir, ou les comprendre plusieurs ensemble, il fallait que je les expliquasse par quelques chiffres, les plus courts qu’il serait possible; et que, par ce moyen, j’emprunterais tout le meilleur de l’analyse géométrique et de l’algèbre, et corrigerais tous les défauts de l’une par l’autre.

12. Comme, en effet, j’ose dire que l’exacte observation de ce peu de préceptes que j’avais choisis, me donna telle facilité à démêler toutes les questions auxquelles ces deux sciences s’étendent, qu’en deux ou trois mois que j’employai à les examiner, ayant commencé par les plus simples et les plus générales, et chaque vérité que je trouvais étant une règle qui me servait après à en trouver d’autres, non seulement je vins à bout de plusieurs que j’avais jugées autrefois très difficiles, mais il me sembla aussi, vers la fin, que je pouvais déterminer, en celles même que j’ignorais, par quels moyens, et jusques où, il était possible de les résoudre. En quoi je ne vous paraîtrai peut-être pas être fort vain, si vous considérez que, n’y ayant qu’une vérité de chaque chose, quiconque la trouve en sait autant qu’on en peut savoir; et que, par exemple, un enfant instruit en l’arithmétique, ayant fait une addition suivant ses règles, se peut assurer d’avoir trouvé, touchant la somme qu’il examinait, tout ce que l’esprit humain saurait trouver. Car enfin la méthode qui enseigne à suivre le vrai ordre, et à

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dénombrer exactement toutes les circonstances de ce qu’on cherche, contient tout ce qui donne de la certitude aux règles d’arithmétique.

13. Mais ce qui me contentait le plus de cette méthode, était que, par elle, j’étais assuré d’user en tout de ma raison, sinon parfaitement, au moins le mieux qui fût en mon pouvoir; outre que je sentais, en la pratiquant, que mon esprit s’accoutumait peu à peu à concevoir plus nettement et plus distinctement ses objets, et que, ne l’ayant point assujettie à aucune matière particulière, je me promettais de l’appliquer aussi utilement aux difficultés des autres sciences que j’avais fait à celles de l’algèbre. Non que, pour cela, j’osasse entreprendre d’abord d’examiner toutes celles qui se présenteraient; car cela même eût été contraire à l’ordre qu’elle prescrit. Mais, ayant pris garde que leurs principes devaient tous être empruntés de la philosophie, en laquelle je n’en trouvais point encore de certains, je pensai qu’il fallait, avant tout, que je tâchasse d’y en établir; et que, cela étant la chose du monde la plus importante, et où la précipitation et la prévention étaient le plus à craindre, je ne devais point entreprendre d’en venir à bout, que je n’eusse atteint un âge bien plus mûr que celui de vingt-trois ans, que j’avais alors; et que je n’eusse, auparavant, employé beaucoup de temps à m’y préparer, tant en déracinant de mon esprit toutes les mauvaises opinions que j’y avais reçues avant ce temps-là, qu’en faisant amas de plusieurs expériences, pour être après la matière de mes raisonnements, et en m’exerçant toujours en la méthode que je m’étais prescrite, afin de m’y affermir de plus en plus.

TROISIÉME PARTIE

1. Et enfin, comme ce n’est pas assez, avant de commencer à rebâtir le logis où on demeure, que de l’abattre, et de faire provision de matériaux et d’architectes, ou s’exercer soi-même à l’architecture, et outre cela d’en avoir soigneusement tracé le dessin; mais qu’il faut aussi s’être pourvu de quelque autre, où on puisse être logé commodément pendant le temps qu’on y travaillera; ainsi, afin que je ne demeurasse point irrésolu en mes actions, pendant que la raison m’obligerait de l’être en mes jugements, et que je ne laissasse pas de vivre dès lors le plus heureusement que je pourrais, je me formai une morale par provision, qui ne consistait qu’en trois ou quatre maximes, dont je veux bien vous faire part.

2. La première était d’obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m’a fait la grâce d’être instruit dès mon enfance, et me gouvernant, en toute autre chose, suivant les opinions les plus modérées, et les plus éloignées de l’excès, qui fussent communément reçues en pratique par les mieux sensés de ceux avec lesquels j’aurais à vivre. Car, commençant dès lors à ne compter pour rien les miennes propres, à cause que je les voulais remettre toutes à l’examen, j’étais assuré de ne pouvoir mieux que de suivre celles des mieux sensés. Et encore qu’il y en ait peut-être d’aussi bien sensés, parmi les Perses ou les Chinois, que parmi nous, il me semblait que le plus utile était de me régler selon ceux avec lesquels j’aurais à vivre; et que, pour savoir quelles étaient véritablement leurs opinions, je devais plutôt prendre garde à ce qu’ils pratiquaient qu’à ce qu’ils disaient; non seulement à cause qu’en la corruption de nos moeurs il y a peu de gens qui veuillent dire tout ce qu’ils croient, mais aussi à cause que plusieurs l’ignorent eux-mêmes; car l’action de la pensée par laquelle on croit une chose, étant différente de celle par laquelle on connaît qu’on la croit, elles sont souvent l’une sans l’autre. Et entre plusieurs opinions également reçues, je ne choisissais que les plus modérées: tant à cause que ce sont toujours les plus commodes pour la pratique, et vraisemblablement les meilleures, tous excès ayant coutume d’être mauvais; comme aussi afin de me détourner moins du vrai chemin, en cas que je faillisse, que si, ayant choisi l’un des etrêmes, ç’eût été l’autre qu’il eût fallu suivre. Et, particulièrement, je mettais entre les excés toutes les promesses par lesquelles on retranche quelque chose de sa liberté.

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Non que je désapprouvasse les lois qui, pour remédier à l’inconstance des esprits faibles, permettent, lorsqu’on a quelque bon dessein, ou même, pour la sûreté du commerce, quelque dessein qui n’est qu’indifférent, qu’on fasse des voeux ou des contrats qui obligent à y persévérer; mais à cause que je ne voyais au monde aucune chose qui demeurât toujours en même état, et que, pour mon particulier, je me promettais de perfectionner de plus en plus mes jugements, et non point de les rendre pires, j’eusse pensé commettre une grande faute contre le bon sens, si, pour ce que j’approuvais alors quelque chose, je me fusse obligé de la prendre pour bonne encore après, lorsqu’elle aurait peut-être cessé de l’être, ou que j’aurais cessé de l’estimer telle.

3. Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées. Imitant en ceci les voyageurs qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en tournoyant, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, ni encore moins s’arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu’ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de faibles raisons, encore que ce n’ait peut-être été au commencement que le hasard seul qui les ait déterminés à le choisir: car, par ce moyen, s’ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront au moins à la fin quelque part, où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d’une forêt. Et ainsi, les actions de la vie ne soûffrant souvent aucun délai, c’est une vérité trés certaine que, lorsqu’il n’est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables; et même, qu’encore que nous ne remarquions point davantage de probabilité aux unes qu’aux autres, nous devons néanmoins nous déterminer à quelques-unes, et les considérer après, non plus comme douteuses, en tant qu’elles se rapportent à la pratique, mais comme très vraies et très certaines, à cause que la raison qui nous y a fait déterminer, se trouve telle. Et ceci fut capable dès lors de me délivrer de tous les repentirs et les remords, qui ont coutume d’agiter les consciences de ces esprits faibles et chancelants, qui se laissent aller inconstamment à pratiquer, comme bonnes, les choses qu’ils jugent après être mauvaises.

4. Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde; et généralement, de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir, que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible. Et ceci seul me semblait être suffisant pour m’empêcher de rien désirer à l’avenir que je n’acquisse, et ainsi pour me rendre content. Car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que, si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n’aurons pas plus de regrets de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou de Mexique; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d’être sains, étant malades, ou d’être libres, étant en prison, que nous faisons maintenant d’avoir des corps d’une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. Mais j’avoue qu’il est besoin d’un long exercice, et d’une méditation souvent réitérée, pour s’accoutumer à regarder de ce biais toutes les choses; et je crois que c’est principalement en ceci que consistait le secret de ces philosophes, qui ont pu autrefois se soustraire de l’empire de la fortune, et malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux. Car, s’occupant sans cesse à considérer les bornes qui leur étaient prescrites par la nature, ils se persuadaient si parfaitement que rien n’était en leur pouvoir que leurs pensées, que cela seul était suffisant pour les empêcher d’avoir aucune affection pour d’autres choses; et ils disposaient d’elles si absolument, qu’ils avaient en cela quelque raison de s’estimer plus riches, et plus puissants, et plus libres, et plus heureux, qu’aucun des autres hommes, qui, n’ayant

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point cette philosophie, tant favorisés de la nature et de la fortune qu’ils puissent être, ne disposent jamais ainsi de tout ce qu’ils veulent.

5. Enfin, pour conclusion de cette morale, je m’avisai de faire une revue sur les diverses occupations qu’ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure; et sans que je veuille rien dire de celles des autres, je pensai que je ne pouvais mieux que de continuer en celle-là même où je me trouvais, c’est-à-dire, que d’employer toute ma vie à cultiver ma raison, et m’avancer, autant que je pourrais, en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m’étais prescrite. J’avais éprouvé de si extrêmes contentements, depuis que j’avais commencé à me servir de cette méthode, que je ne croyais pas qu’on en pût recevoir de plus doux, ni de plus innocents, en cette vie; et découvrant tous les jours par son moyen quelques vérités, qui me semblaient assez importantes, et communément ignorées des autres hommes, la satisfaction que j’en avais remplissait tellement mon esprit que tout le reste ne me touchait point. Outre que les trois maximes précédentes n’étaient fondées que sur le dessein que j’avais de continuer à m’instruire: car Dieu nous ayant donné à chacun quelque lumière pour discerner le vrai d’avec le faux, je n’eusse pas cru me devoir contenter des opinions d’autrui un seul moment, si je ne me fusse proposé d’employer mon propre jugement à les examiner, lorsqu’il serait temps; et je n’eusse su m’exempter de scrupule, en les suivant, si je n’eusse espéré de ne perdre pour cela aucune occasion d’en trouver de meilleures, en cas qu’il y en eût. Et enfin je n’eusse su borner mes désirs, ni être content, si je n’eusse suivi un chemin par lequel, pensant être assuré de l’acquisition de toutes les connaissances dont je serais capable, je le pensais être, par même moyen, de celle de tous les vrais biens qui seraient jamais en mon pouvoir; d’autant que, notre volonté ne se portant à suivre ni à fuir aucune chose, que selon que notre entendement la lui représente bonne ou mauvaise, il suffit de bien juger, pour bien faire, et de juger le mieux qu’on puisse, pour faire aussi tout son mieux, c’est-à-dire pour acquérir toutes les vertus, et ensemble tous les autres biens, qu’on puisse acquérir; et lorsqu’on est certain que cela est, on ne saurait manquer d’être content.

6. Après m’être ainsi assuré de ces maximes, et les avoir mises à part, avec les vérités de la foi, qui ont toujours été les premières en ma créance, je jugeai que, pour tout le reste de mes opinions, je pouvais librement entreprendre de m’en défaire. Et d’autant que j’espérais en pouvoir mieux venir à bout, en conversant avec les hommes, qu’en demeurant plus longtemps renfermé dans le poêle où j’avais eu toutes ces pensées, l’hiver n’était pas encore bien achevé que je me remis à voyager. Et en toutes les neuf années suivantes, je ne fis autre chose que rouler çà et là dans le monde, tâchant d’y être spectateur plutôt qu’acteur en toutes les comédies qui s’y jouent; et faisant particulièrement réflexion, en chaque matière, sur ce qui la pouvait rendre suspecte, et nous donner occasion de nous méprendre, je déracinais cependant de mon esprit toutes les erreurs qui s’y étaient puglisser auparavant. Non que j’imitasse pour cela les sceptiques, qui ne doutent que pour douter, et affectent d’être toujours irrésolus: car, au contraire, tout mon dessein ne tendait qu’à m’assurer, et à rejeter la terre mouvante et le sable, pour trouver le roc ou l’argile. Ce qui me réussissait, ce me semble, assez bien, d’autant que, tâchant à découvrir la fausseté ou l’incertitude des propositions que j’examinais, non par de faibles conjectures, mais par des raisonnements clairs et assurés, je n’en rencontrais point de si douteuses, que je n’en tirasse toujours quelque conclusion assez certaine, quand ce n’eût été que cela même qu’elle ne contenait rien de certain. Et comme en abattant un vieux logis, on en réserve ordinairement les démolitions, pour servir à en bâtir un nouveau; ainsi, en détruisant toutes celles de mes opinions que je jugeais être mal fondées, je faisais diverses observations, et acquérais plusieurs expériences, qui m’ont servi depuis à en établir de plus certaines. Et de plus, je continuais à m’exercer en la méthode que je m’étais prescrite; car, outre que j’avais soin de conduire généralement toutes mes pensées selon ses règles, je me réservais de temps en temps quelques heures, que j’employais particulièrement à la pratiquer en des difficultés de mathématique, ou même aussi en

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quelques autres que je pouvais rendre quasi semblables à celles des mathématiques, en les détachant de tous les principes des autres sciences, que je ne trouvais pas assez fermes, comme vous verrez que j’ai fait en plusieurs qui sont expliquées en ce volume. Et ainsi, sans vivre d’autre façon, en apparence, que ceux qui, n’ayant aucun emploi qu’à passer une vie douce et innocente, s’étudient à séparer les plaisirs des vices, et qui, pour jouir de leur loisir sans s’ennuyer, usent de tous les divertissements qui sont honnêtes, je ne laissais pas de poursuivre en mon dessein, et de profiter en la connaissance de la vérité, peut-être plus que si je n’eusse fait que lire des livres, ou fréquenter des gens de lettres.

7. Toutefois, ces neuf ans s’écoulèrent avant que j’eusse encore pris aucun parti, touchant les difficultés qui ont coutume d’être disputées entre les doctes, ni commencé à chercher les fondements d’aucune philosophie plus certaine que la vulgaire. Et l’exemple de plusieurs excellents esprits, qui, en ayant eu ci-devant le dessein, me semblaient n’y avoir pas réussi, m’y faisait imaginer tant de difficulté, que je n’eusse peut-être pas encore sitôt osé l’entreprendre, si je n’eusse vu que quelques-uns faisaient déjà courre le bruit que j’en étais venu à bout. Je ne saurais pas dire sur quoi ils fondaient cette opinion; et si j’y ai contribué quelque chose par mes discours, ce doit avoir été en confessant plus ingénument ce que j’ignorais, que n’ont coutume de faire ceux qui ont un peu étudié, et peut-être aussi en faisant voir les raisons que j’avais de douter de beaucoup de choses que les autres estiment certaines, plutôt qu’en me vantant d’aucune doctrine. Mais ayant le cœur assez bon pour ne vouloir point qu’on me prît pour autre que je n’étais, je pensai qu’il fallait que je tâchasse, par tous moyens, à me rendre digne de la réputation qu’on me donnait; et il y a justement huit ans, que ce désir me fit résoudre à m’éloigner de tous les lieux où je pouvais avoir des connaissances, et à me retirer ici, en un pays où la longue durée de la guerre a fait établir de tels ordres, que les armées qu’on y entretient ne semblent servir qu’à faire qu’on y jouisse des fruits de la paix avec d’autant plus de sûreté, et où parmi la foule d’un grand peuple fort actif, et plus soigneux de ses propres affaires, que curieux de celles d’autrui, sans manquer d’aucune des commodités qui sont dans les villes les plus fréquentées, j’ai pu vivre aussi solitaire et retiré que dans les déserts les plus écartés

2. Denis Diderot

(a) L’Enyclopédie: extrait (i)

AGNUS SCYTHICUS (Hist. nat. bot. ) . Kircher est le premier qui ait parlé de cette plante. Je vais d'abord rapporter ce qu'a dit Scaliger pour faire connaître ce que c'est que l'agnus scythicus; puis Kempfer et le savant Hans Sloane nous apprendront ce qu'il en faut penser.«Rien, dit Jules-César Scaliger, n'est comparable à l'admirable arbrisseau de Scythie. Il croît principalement dans le Zaccolham, aussi célèbre par son antiquité que par le courage de ses habitants. L'on sème dans cette contrée une graine presque semblable à celle du melon, excepté qu'elle est moins oblongue. Cette graine produit une plante d'environ trois pieds de haut, qu'on appelle boramets ou agneau, parce qu'elle ressemble parfaitement à cet animal par les pieds, les ongles, les oreilles et la tête; il ne lui manque que les cornes, à la place desquelles elle a une touffe de poil. Elle est couverte d'une peau légère dont les habitants font des bonnets. On dit que sa pulpe ressemble à la chair de l'écrevisse de mer, qu'il en sort du sang quand on y fait une incision, et qu'elle est d'un goût extrêmement doux. La racine de la plante s'étend fort loin dans la terre : ce qui ajoute au prodige, c'est qu'elle tire sa nourriture des arbrisseaux circonvoisins, et qu'elle périt lorsqu'ils meurent ou qu'on vient à les arracher. Le hasard n'a point de part à cet accident : on lui a causé la mort toutes les fois qu'on l'a privée de la nourriture qu'elle tire des plantes voisines. Autre merveille, c'est que les loups sont les seuls animaux carnassiers qui en soient avides.' (Cela ne

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pouvait manquer d'être.) On voit par la suite que Scaliger n'ignorait sur cette plante que la manière dont les pieds étaient produits et sortaient du tronc.»

Voilà l'histoire de l'agnus scythicus, ou de la plante merveilleuse de Scaliger, de Kircher, de Sigismond d'Hesberetein, d'Hayton Arménien, de Surius, du chancelier Bacon (du chancelier Bacon, notez bien ce témoignage), de Fortunius Licetus, d'André Lebarrus, d'Eusèbe de Nuremberg, d'Adam Olearius, d'Olaus Vormius, et d'une infinité d'autres botanistes.

Serait-il bien possible qu'après tant d'autorités qui attestent l'existence de l'agneau de Scythie, après le détail de Scaliger, à qui il ne restait plus qu'à savoir comment les pieds se formaient, l'agneau de Scythie fût une fable? Que croire en histoire naturelle, si cela est?

Kempfer, qui n'était pas moins versé dans l'histoire naturelle que dans la médecine, s'est donné tous les soins possibles pour trouver cet agneau dans la Tartarie, sans avoir pu y réussir. «On ne connaît ici, dit cet auteur, ni chez le menu peuple ni chez les botanistes, aucun zoophyte qui broute; et je n'ai retiré de mes recherches que la honte d'avoir été trop crédule.» Il ajoute que ce qui a donné lieu à ce conte, dont il s'est laissé bercer comme tant d'autres, c'est l'usage que l'on fait en Tartarie de la peau de certains agneaux dont on prévient la naissance et dont on tue la mère avant qu'elle les mette bas, afin d'avoir leur laine plus fine. On borde avec ces peaux d'agneaux des manteaux, des robes et des turbans. Les voyageurs, ou trompés sur la nature de ces peaux par l'ignorance de la langue du pays ou par quelque autre cause, en ont ensuite imposé à leurs compatriotes, en leur donnant pour la peau d'une plante la peau d'un animal.

M. Hans Sloane dit que l'agnus scythicus est une racine longue de plus d'un pied, qui a des tubérosités, des extrémités desquelles sortent quelques tiges longues d'environ trois à quatre pouces, et assez semblables à celles de la fougère, et qu'une grande partie de sa surface est couverte d'un duvet noir-jaunâtre, aussi luisant que la soie, long d'un quart de pouce, et qu'on emploie pour le crachement du sang. Il ajoute qu'on trouve à la Jamaïque plusieurs plantes de fougère qui deviennent aussi grosses qu'un arbre, et qui sont couvertes d'une espèce de duvet pareil à celui qu'on remarque sur nos plantes capillaires; et qu'au reste il semble qu'on ait employé l'art pour leur donner la figure d'un agneau, car les racines ressemblent au corps, et les tiges aux jambes de cet animal

Voilà donc tout le merveilleux de l'agneau de Scythie reduit à rien, ou du moins à fort peu de chose, à une racine velue à laquelle on donne la figure, ou à peu près, d'un agneau en la contournant.

Cet article nous fournira des réflexions plus utiles contre la superstition et le préjugé, que le duvet de l'agneau de Scythie contre le crachement de sang. Kircher, et après Kircher, Jules-César Scaliger, écrivent une fable merveilleuse; et ils l'écrivent avec ce ton de gravité et de persuasion qui ne manque jamais d'en imposer. Ce sont des gens dont les lumières et la probité ne sont pas suspectes; tout dépose en leur faveur : ils sont crus; et par qui? par les premiers génies de leur temps; et voilà tout d'un coup une nuée de témoignages plus puissants que le leur qui le fortifient, et qui forment pour ceux qui viendront un poids d'autorité auquel ils n'auront ni la force ni le courage de résister, et l'agneau de Scythie passera pour un être réel.

Il faut distinguer les faits en deux classes: en faits simples et ordinaires, et en faits extraordinaires et prodigieux. Les témoignages de quelques personnes instruites et véridiques suffisent pour les faits simples; les autres demandent, pour l'homme qui pense, des autorités plus fortes. Il faut en général que les autorités soient en raison inverse de la vraisemblance des faits, c'est-à-dire d'autant plus nombreuses et plus grandes que la vraisemblance est moindre.

Il faut subdiviser les faits, tant simples qu'extraordinaires, en transitoires et permanents. Les transitoires, ce sont ceux qui n'ont existé que l'instant de leur durée; les permanents, ce sont ceux qui existent toujours et dont on peut s'assurer en tout temps. On voit que ces derniers sont moins difficiles à croire que les premiers, et que la

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facilité que chacun à de s'assurer de la vérité ou de la fausseté des témoignages, doit rendre les témoins circonspects et disposer les autres hommes à les croire.

Il faut distribuer les faits transitoires en faits qui se sont passés dans un siècle éclairé, et en faits qui se sont passés dans des temps de ténèbres et d'ignorance; et les faits permanents, en faits permanents dans un lieu accessible ou dans un lieu inaccessible.

Il faut considérer les témoignages en eux-mêmes, puis les comparer entre eux : les considérer en eux-mêmes pour voir s'ils n'impliquent aucune contradiction, et s'ils sont de gens éclairés et instruits; les comparer entre eux pour découvrir s'ils ne sont point calqués les uns sur les autres, et si toute cette foule d'autorités de Kircher, de Scaliger, de Bacon, de Libarius, de Licetus, d'Eusèbe, etc., ne se réduirait pas par hasard à rien, ou à l'autorité d'un seul homme.

Il faut considérer si les témoins sont oculaires ou non; ce qu'ils ont risqué pour se faire croire; quelle crainte ou quelles espérances ils avaient en annonçant aux autres des faits dont ils se disaient témoins oculaires. S'ils avaient exposé leur vie pour soutenir leur déposition, il faut convenir qu'elle acquerrait une grande force : que serait-ce donc s'ils l'avaient sacrifiée et perdue?

Il ne faut pas non plus confondre les faits qui se sont passés à la face de tout un peuple, avec ceux qui n'ont eu pour spectateurs qu'un petit nombre de personnes. Les faits clandestins, pour peu qu'ils soient merveilleux, ne méritent presque pas d'être crus : les faits publics, contre lesquels on n'a point réclamé dans le temps, ou contre lesquels il n'y a eu de réclamation que de la part de gens peu nombreux et mal intentionnés ou mal instruits, ne peuvent presque pas être contredits.

Voilà une partie des principes d'après lesquels on accordera ou l'on refusera sa croyance, si l'on ne veut pas donner dans des rêveries, et si l'on aime sincèrement la vérité. Voyez CERTITUDE, PROBABILITE, etc.

1. At the head of the article, you find the abbreviations for the words: Histoire naturelle: botanique. What expectations do these words raise in the mind of the reader? Is this an accurate subject heading for the article as a whole? What cross-references would you normally expect to find at the end of the article? What do the cross-references suggest about the original intention of the author?

2. In paragraph 1, you find the words 'Cela ne pouvait manquer d'être' in parenthesis. What does the author mean and what do these words add to the tone of the passage?

3. In paragraph 2, why does the author underline the name of Francis Bacon? Find out what Bacon's major contribution was to philosophical and scientific investigation.

4. What is the author's natural explanation for the widespread belief in the plant? What is his psychological explanation?

5. How does the author achieve the transition from one subject matter to the next in paragraph 8 onwards?

6. What is the force of the principles laid down in paragraphs 8-13? What would the effect be if, for example, they were applied to the Gospel miracles or other Biblical events?

7. Look up the difference between a priori and a posteriori thinking. Which approach do you think the author favours?

8. The acquisition of knowledge and the pursuit of truth are constantly beset by methodological problems, and one of the goals of the Encyclopédie was to set down the guide lines for judging evidence. Why do you think such a discussion is to be found in an article on botany? How neutral is the author's language in his description of the fictional stories believed by people?

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(b) L'ENCYCLOPEDIE: extrait (ii)

PRÊTRES (Religion et politique ). On désigne sous ce nom tous ceux qui remplissent les fonctions des cultes religieux établis chez les différens peuples de la terre.

Le culte extérieur suppose des cérémonies, dont le but est de frapper les sens des hommes, & de leur imprimer de la vénération pour la divinité à qui ils rendent leurs hommages. Voyez CULTE. La superstition ayant multiplié les cérémonies des différens cultes, les personnes destinées à les remplir ne tarderent point à former un ordre séparé, qui fut uniquement destiné au service des autels; on crut que ceux qui étoient chargés de soins si importans se devoient tout entiers à la divinité; dès-lors ils partagerent avec elle le respect des humains; les occupations du vulgaire parurent au-dessous d'eux, & les peuples se crurent obligés de pourvoir à la subsistance de ceux qui étoient revêtus du plus saint & du plus important des ministeres; ces derniers renfermés dans l'enceinte de leurs temples, se communiquerent peu; cela dut augmenter encore le respect qu'on avoit pour ces hommes isolés; on s'accoûtuma à les regarder comme des favoris des dieux, comme les dépositaires & les interpretes de leurs volontés, comme des médiateurs entre eux & les mortels.

Il est doux de dominer sur ses semblables; les prêtres surent mettre à profit la haute opinion qu'ils avoient fait naître dans l'esprit de leurs concitoyens; ils prétendirent que les dieux se manifestoient à eux; ils annoncerent leurs decrets; ils enseignerent des dogmes; ils prescrivirent ce qu'il falloit croire & ce qu'il falloit rejetter; ils fixerent ce qui plaisoit ou déplaisoit à la divinité; ils rendirent des oracles; ils prédirent l'avenir à l'homme inquiet & curieux, ils le firent trembler par la crainte des châtimens dont les dieux irrités menaçoient les téméraires qui oseroient douter de leur mission, ou discuter leur doctrine.

Pour établir plus surement leur empire, ils peignirent les dieux comme cruels, vindicatifs, implacables; ils introduisirent des cérémonies, des initiations, des mysteres, dont l'atrocité pût nourrir dans les hommes cette sombre mélancolie, si favorable à l'empire du fanatisme; alors le sang humain coula à grands flots sur les autels, les peuples subjugués par la crainte, & enivrés de superstition, ne crurent jamais payer trop cherement la bienveillance céleste: les meres livrerent d'un œil sec leurs tendres enfans aux flammes dévorantes; des milliers de victimes humaines tomberent sous le couteau des sacrificateurs; on se soumit à une multitude de pratiques frivoles & révoltantes, mais utiles pour les prêtres, & les superstitions les plus absurdes acheverent d'étendre & d'affermir leur puissance.

Exempts de soins & assurés de leur empire, ces prêtres, dans la vûe de charmer les ennuis de leur solitude, étudierent les secrets de la nature, mysteres inconnus au commun des hommes; de-là les connoissances si vantées des prêtres égyptiens. On remarque en général que chez presque tous les peuples sauvages & ignorans, la Médecine & le sacerdoce ont été exercés par les mêmes hommes. L'utilité dont les prêtres étoient au peuple ne put manquer d'affermir leur pouvoir. Quelques-uns d'entre eux allerent plus loin encore; l'étude de la physique leur fournit des moyens de frapper les yeux par des œuvres éclatantes; on les regarda comme surnaturelles, parce qu'on en ignoroit les causes; de-là cette foule de prodiges, de prestiges, de miracles; les humains étonnés crurent que leurs sacrificateurs commandoient aux élémens, disposoient à leur gré des vengeances & des faveurs du ciel, & devoient partager avec les dieux la vénération & la crainte des mortels.

Il étoit difficile à des hommes si révérés de se tenir long-tems dans les bornes de la subordination nécessaire au bon ordre de la société; le sacerdoce enorgueilli de son pouvoir, disputa souvent les droits de la royauté; les souverains soumis eux-mêmes, ainsi que leurs sujets, aux lois de la religion, ne furent point assez forts pour reclamer contre les usurpations & la tyrannie de ses ministres; le fanatisme & la superstition tinrent le couteau suspendu sur la tête des monarques; leur trône s'ébranla aussi-tôt qu'ils voulurent réprimer ou punir des hommes sacrés, dont les intérêts étoient confondus avec ceux de la divinité; leur résister fut une révolte contre le ciel; toucher à

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leurs droits fut un sacrilege; vouloir borner leur pouvoir, ce fut saper les fondemens de la religion.

Tels ont été les degrés par lesquels les prêtres du paganisme ont élevé leur puissance. Chez les Egyptiens les rois étoient soumis aux censures du sacerdoce; ceux des monarques qui avoient déplu aux dieux recevoient de leurs ministres l'ordre de se tuer, & telle étoit la force de la superstition, que le souverain n'osoit désobéir à cet ordre. Les druides chez les Gaulois exerçoient sur les peuples l'empire le plus absolu; non contens d'être les ministres de leur culte, ils étoient les arbitres des différends qui survenoient entre eux. Les Mexicains gémissoient en silence des cruautés que leurs prêtres barbares leur faisoient exercer à l'ombre du nom des dieux; les rois ne pouvoient refuser d'entreprendre les guerres les plus injustes lorsque le pontife leur annonçoit les volontés du ciel; le dieu a faim, disoit-il; aussi-tôt les empereurs s'armoient contre leurs voisins, & chacun s'empressoit de faire des captifs pour les immoler à l'idole, ou plutôt à la superstition atroce & tyrannique de ses ministres.

Les peuples eussent été trop heureux, si les prêtres de l'imposture eussent seuls abusé du pouvoir que leur ministere leur donnoit sur les hommes; malgré la soumission & la douceur, si recommandée par l'Evangile, dans des siecles de ténebres, on a vû des prêtres du Dieu de paix arborer l'étendart de la révolte; armer les mains des sujets contre leurs souverains; ordonner insolemment aux rois de descendre du trône; s'arroger le droit de rompre les liens sacrés qui unissent les peuples à leurs maîtres; traiter de tyrans les princes qui s'opposoient à leurs entreprises audacieuses; prétendre pour eux-mêmes une indépendance chimérique des lois, faites pour obliger également tous les citoyens. Ces vaines prétentions ont été cimentées quelquefois par des flots de sang: elles se sont établies en raison de l'ignorance des peuples, de la foiblesse des souverains, & de l'adresse des prêtres; ces derniers sont souvent parvenus à se maintenir dans leurs droits usurpés; dans les pays où l'affreuse inquisition est établie, elle fournit des exemples fréquens de sacrifices humains, qui ne le cedent en rien à la barbarie de ceux des prêtres mexicains. Il n'en est point ainsi des contrées éclairées par les lumières de la raison & de la philosophie, le prêtre n'y oublie jamais qu'il est homme, sujet & citoyen. Voyez THEOCRATIE

1. In a modern encyclopædia, under which subject heading would you expect to find this subject discussed? What is the effect of coupling the terms 'religion' and 'politique'? What is the significance of the cross-reference?

2. ls there any difference in tone between the opening paragraph and the subsequent ones?

3. When does the first polemical note appear?4. In paragraph 2, how does the author describe the creation of a priestly caste?

Analyse the nature of his conjecture. Does he offer any evidence?5. In paragraphs 3 and 4, what type of interpretation is given of the priest's role in

society. How effective is the author's argument?6. What were the consequences according to the author of this domination? Can

a connexion be made between paragraph 5 and AGNUS SCYTHICUS?7. Are the historical examples in paragraphs 5-7 chosen at random? Why are the

contemporary examples so vague in paragraph 8?8 . What do you think the author really means by his last statement ?

II. Revolutions, Restoration, Republics and Empires, 1789-1851

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(a) Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 Août 1789

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen.

Article 1er Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Article 2 Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.

Article 3 Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

Article 4 La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5 La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

Article 6 La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

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Article 7 Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.

Article 8 La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Article 9 Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10 Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

Article 11 La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Article 12 La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Article 13 Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14 Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15 La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Article 16 Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution.

Article 17 La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

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1. What limits are placed on the rights outlined in the Déclaration?2. What is meant by the expression “volonté générale”?3. It is said that the rights set out in this Déclaration are “universal”. What does this mean? Do you agree?

(b) Le "Chant de guerre pour l'armée du Rhin" (la Marseillaise - composé par Rouget de Lisle à Strasbourg en 1792, et décrété hymne national en 1880).

1. Allons enfants de la Patrie, Le jour de gloire est arrivé !Contre nous de la tyrannie ! L'étendard sanglant est levé (bis) Entendez-vous dans nos campagnes Mugir ces féroces soldats ?Ils viennent jusque dans vos bras. Egorger vos fils, vos compagnes !

RefrainAux armes citoyens, Formez vos bataillons Marchons, marchons Qu'un sang impur Abreuve nos sillons

2. Que veut cette horde d'esclaves, De traîtres, de rois conjurés ? Pour qui ces ignobles entraves Ces fers dès longtemps préparés ? (bis) Français, pour nous, ah! quel outrage Quels transports il doit exciter ? C'est nous qu'on ose méditer De rendre à l'antique esclavage ! (au Refrain)

3. Quoi ces cohortes étrangères !Feraient la loi dans nos foyers ! Quoi ! ces phalanges mercenaires Terrasseraient nos fils guerriers ! (bis) Grand Dieu! par des mains enchaînées Nos fronts sous le joug se ploieraient De vils despotes deviendraientLes maîtres des destinées. (au Refrain)

4. Tremblez, tyrans et vous perfides L'opprobre de tous les partis, Tremblez ! vos projets parricides Vont enfin recevoir leurs prix ! (bis) Tout est soldat pour vous combattre, S'ils tombent, nos jeunes héros, La France en produit de nouveaux, Contre vous tout prêts à se battre (au Refrain)

5. Français, en guerriers magnanimes Portez ou retenez vos coups ! Épargnez ces tristes victimes, A regret s'armant contre nous (bis) Mais ces despotes sanguinaires, Mais ces complices de Bouillé, Tous ces tigres qui, sans pitié, Déchirent le sein de leur mère ! (au Refrain)

6. Nous entrerons dans la carrière Quand nos aînés n'y seront plus, Nous y trouverons leur poussière Et la trace de leurs vertus (bis) Bien moins jaloux de leur survivre Que de partager leur cercueil, Nous aurons le sublime orgueil De les venger ou de les suivre ! (au Refrain)

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7. Amour sacré de la Patrie, Conduis, soutiens nos bras vengeurs Liberté, Liberté chérie Combats avec tes défenseurs ! (bis) Sous nos drapeaux, que la victoire Accoure à tes mâles accents Que tes ennemis expirants Voient ton triomphe et notre gloire ! (au Refrain)

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(c) Robespierre, Sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l’administration intérieure de la République, 17 Pluviôse, An II (5 February 1794) (Extrait)

Vers la fin de 1793, les buts militaires du gouvernement étaient largement atteints. Dans ce contexte, le Comité de salut public s’est vu critiqué d’un côté par les modérés (Danton) qui prônaient la fin de la Terreur, et de l’autre côté par des extrémistes qui désiraient la mise en application du programme de nivellement social des sans-culottes (les Hébertistes). Hébert et ses associés furent exécutés le 24 mars ; Danton fut exécuté le 6 avril.

[L]e caractère du gouvernement populaire est d’être confiant dans le peuple, et sévère envers lui-même.

Ici se bornerait tout le développement de notre théorie, si vous n’aviez qu’à gouverner dans le calme le vaisseau de la République : mais la tempête gronde ; et l’état de révolution où vous êtes vous impose une autre tâche.

Cette grande pureté des bases de la Révolution française, la sublimité même de son objet est précisément ce qui fait notre force et notre faiblesse ; notre force, parce qu’il nous donne l’ascendant de la vérité sur l’imposture, et les droits de l’intérêt public sur les intérêts privés ; notre faiblesse, parce qu’il rallie contre nous tous les hommes vicieux, tous ceux qui veulent l’avoir dépouillé impunément, et ceux qui ont repoussé la liberté comme une calamité personnelle, et ceux qui ont embrassé la Révolution comme un métier et la République comme une proie : de là la défection de tant d’hommes ambitieux ou cupides, qui, depuis le point de départ, nous ont abandonnés sur la route, parce qu’ils n’avaient pas commencé le voyage pour arriver au même but. On dirait que les deux génies contraires que l’on a représentés se disputent l’empire de la nature, combattent dans cette grande époque de l’histoire humaine, pour fixer sans retour les destinées du monde, et que la France est le théâtre de cette lutte redoutable. Au dehors tous les tyrans vous cernent ; au dedans tous les amis de la tyrannie conspirent ; ils conspireront jusqu’à ce que l’espérance ait été ravie du crime. Il faut étouffer les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, ou périr avec elle ; or, dans cette situation, la première maxime de votre politique doit être qu’on conduit le peuple par la raison, et les ennemis du peuple par la terreur.

Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier, qu’une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressants besoins de la patrie.

On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme ? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté, ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis ; il a raison, comme despote : domptez par la terreur les ennemis de la liberté ; et vous avez raison, comme fondateurs de la République. Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. La force n’est-elle faite que pour protéger le crime ? et n’est-ce pas pour frapper les têtes orgueilleuses que la foudre est destinée ?

La nature impose à tout être physique et moral la loi de pourvoir à sa conservation ; le crime égorge l’innocence pour régner, et l’innocence se débat de toutes ses forces dans les mains du crime. Que la tyrannie règne un seul jour, le lendemain il ne restera plus un patriote. Jusqu’à quand la fureur des despotes sera-t-elle appelée justice, et la justice du peuple, barbarie ou rébellion ? Comme on est tendre pour les oppresseurs, et inexorable pour les opprimés ! Rien de plus naturel : quiconque ne hait point le crime, ne peut aimer la vertu.

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1. Robespierre introduces a series of binary opposites in his speech. What are they and what does he mean by them?2. How does Robespierre justify the use of la terreur in a Republic, which, according to him, is characterised by la vertu?3. In your opinion, are there any contradictions in the following statement by Robespierre : « Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. »4. Is the final sentence in the extract a reasonable axiom of democratic government?

(d) F. LAMENNAIS, Paroles d’un croyant (1834)

Le peuple est incapable d'entendre ses intérêts; on doit, pour son bien, le tenir toujours en tutelle. N'est ce pas à ceux qui ont des lumières de conduire ceux qui manquent de lumières?

Ainsi parlent une foule d'hypocrites qui veulent faire les affaires du peuple, afin de s'engraisser de la substance du

peuple. Vous êtes incalpables, disent-ils, d'entendre vos intérêts; et, sur cela, ils ne

vous permettront pas même de disposer de ce qui est à vous pour un objet que vous jugerez utile; et ils en disposeront contre votre gré, pour un autre objet qui vous déplaît et vous répugne.

Vous êtes incapables d'administrer une petite propriété commune, incapables de savoir ce qui vous est bon ou mauvais, de connoître vos besoins et d'y pourvoir; et, sur cela, on vous enverra des hommes bien payés, à vos dépens, qui géreront vos biens à leur fantaisie, vous empêcheront de faire ce que vous voudrez, et vous forceront de faire ce que vous ne voudrez pas.

Vous êtes incapables de discerner quelle education il est convenable de donner à vos enfants; et, par tendresse pour vos enfants, on les jettera dans des cloaques d'impiété et de mauvaises mœurs, à moins que vous n'aimiez mieux qu'ils demeurent privés de toute espèce d'instruction.

Vous êtes incapables de juger si vous pouvez, vous et votre famille, subsister avec le salaire qu'on vous accorde pour votre travail; et l'on vous défendra, sous des peines sévères, de vous concerter ensemble pour obtenir une augmentation de ce salaire, afin que vous puissiez vivre, vous, vos femmes et vos enfants.

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Si ce que dit cette race hypocrite et avide étoit vrai, vous seriez bien au-dessous de la brute, car la brute sait tout ce qu'on affirme que vous ne savez pas, et elle n'a besoin que de l'instinct pour le savoir.

Dieu ne vous a pas faits pour être le troupeau de quelques autres hommes. Il vous a faits pour vivre librement en société comme des frères. Or un frère n'a rien à commander à son frère. Les frères se lient entre eux par des conventions mutuelles et ces conventions, c'est la loi, et la loi doit être respectée, et tous doivent s'unir pour empêcher qu'on ne la viole, parce qu'elle est la sauvegarde de tous, la volonté et l'intérêt de tous.

Soyez hommes: nul n'est assez puissant pour vous atteler au joug malgré vous; mais vous pouvez passer la tête dans le collier si vous le voulez.

Il y a des animaux stupides qu'on enferme dans des étables, qu'on nourrit pour le travail, et puis, lorsqu'ils vieillissent, qu'on engraisse pour manger leur chair.

Il y en a d'autres qui vivent dans les champs en liberté qu'on ne peut plier à la servitude, qui ne se laissent point séduire par des caresses trompeuses ni vaincre par des menaces ou de mauvais traitements.

Les hommes courageux ressemblent à ceux-ci; les lâches sont comme les premiers.

***

(e) F. LAMENNAIS, Le livre du peuple (1837)

Peuple, écoute ce qu'ils t'ont dit, et à quoi ils t'ont comparé.Ils ont dit que tu étois un troupeau et qu'ils en étoient les pasteurs: toi, la brute;

eux, l'homme. A eux donc ta toison, ton lait, ta chair. Pais sous leur houlette et multiplie, pour réchauffer leurs membres, étancher leur soif, assouvir leur faim.

Ils ont dit aussi que la puissance royale étoit celle d'un père sur ses enfants toujours mineurs, toujours en tutelle. Sans liberté dès lors et sans propriété, le peuple, éternellement incapable de juger de ce qui lui est bon ou mauvais, utile ou nuisible, vit dans une dépendance absolue du prince, qui dispose de lui et de toutes choses comme il lui plaît. Servitude encore et misère.

Quelques-uns ne reconnoissent que la force pour arbitre de la société; au plus fort le pouvoir, au plus fort le droit. Pauvre peuple, on te foule, on t'opprime; c'est le sort du foible: de quoi te plains-tu? Dans ta candide simplicité, tu demandes à la tyrannie ses titres: est-ce que partout tu ne les vois pas? est-ce que tu ne vois pas ces baïonnettes qui reluisent au soleil et ces canons braqués sur les places publiques?

D'autres ont imaginé que le pouvoir appartenoit de droit à quelques races d'une nature plus parfaite, ou que Dieu le conféroit immédiatement soit à des individus choisis pour certaines fins particulières, soit à des familles destinées à le posséder perpétuellement. Perpétuellement donc les peuples leur devroient une obéissance entière, aveugle. Car la volonté du chef établi de Dieu, étant, à l'égard des sujets, la volonté de Dieu même, seroit toujours présumée juste; et, en tout cas, aucun abus, aucun excès, ni les crimes même les plus énormes, n'autoriseroient à secouer le joug de sa puisance oppressive.

Ils ont appelé cela le droit divin.Peuple, ferme l'oreille à ces mensonges. Laisse l'impie blasphémer le Père du

genre humain, et apprends à connoître ses lois véritables, à connoître ton droit pour le conquérir.

Tous les hommes naissent égaux, et par conséquent indépendants les uns des autres: nul, en venant au monde, n'apporte avec soi le droit de commander. Si chacun originairement étoit tenu d'obéir à la volonté d'un autre, il n'existeroit point de liberté morale ou de choix libre dans les actes; il n'existeroit ni crime ni vertu car la vertu dépend du libre choix entre le bien et le mal.

Or l'indépendance personnelle et la souveraineté ne sont qu'une même chose, et ce qui fait que l'homme est libre à l'égard de l'homme, ou souverain de lui-même, est ce qui fait de lui un être moral, responsable envers Dieu, capable de vertu.

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Sublime attribut de l'intelligence, la souveraineté de soi; ou la liberté, forme le caractère essentiel qui le distingue de la brute, soumise à la fatalité et emportée par elle dans la sphère de son existence aveugle, comme les corps célestes dans leurs orbites rigoureusement déterminées.

Aucun homme ne peut aliéner sa souveraineté, parce qu'il ne peut abdiquer sa nature ou cesser d'être homme; et de la souveraineté de chaque individu naît dans la société la souveraineté collective de tous ou la souveraineté du peuple, également inaliénable.

Lorsque la sympathie rapproche les humbles, et que l'utilité réciproque établit entre eux une association de secours mutuel et de travail commun, de qui dépendroit cette association, si ce n'est uniquement d'elle-même?

Tous y apportent des droits égaux, avec des facultés égales et des attitudes diverses. Leurs relations, fondées sur l'invincible instinct qui les pousse à s'unir et sur les avantages de cette union, dépendent de leur libre consentement et des règles qu'ils s'imposent eux-mêmes. Nul ne sauroit être engagé contre sa volonté; et quand la volonté commune de s'unir à certaines conditions a créé le peuple, la volonté du peuple, ou la volonté générale de la société, en ce qui ne blesse point l'ordre moral essentiel et immuable, ou la justice et la charité, constitue la loi. Ainsi, loin de détruire ou d'altérer la liberté primitive, la loi n'est que l'exercice même de cette liberté, dirigé vers une fin utile à tous par la raison de tous.

Que si un ou quelques-uns tentoient de substituer leur volonté particulière à la volonté commune, leurs prescriptions, quelles qu'elles fussent, ne seroient pas des lois, mais une violation du principe même de la loi, un acte illégitime et subversif de toute vraie société.

Quand donc, renversant la base naturelle de l'égalité dans l'organisation de l'Etat, on investit exclusivement certaines classes privilégiées de l'autorité légis1ative, qu'on en fait une attribution de la naissance ou de la richesse, il y a désordre et tyrannie; car l'association véritable est changée en domination Les uns commandent, et pourquoi? Les autres obéissent, et pourquoi? Qui a soumis ceux-ci à ceux-là? qui a dit à des frères: Vos frères se courberont sous votre main; soyez leurs maîtres et disposez d'eux et de ce qui est à eux, de leur travail et du produit de leur travail comme il vous plaira?

Toute loi à laquelle le peuple n'a point concouru, qui n'émane point de lui, est nulle de soi.

On vous parle du souverain, du prince, des pouvoirs publics: on vous abuse avec des mots. Je vous l'ai déjà dit, le souverain, c'est vous, c'est le peuple essentiellement libre. Le pouvoir, qu'il soit exercé par un ou plusieurs, dérive de lui. Simple exécuteur de la loi ou de 1a volonté du peuple, il n'a point d'autres fonctions. Il est choisi, délégué uniquement pour cela, non pour commander, mais pour obéir: et s'il cesse d'obéir au peuple, le peuple le révoque comme un mandataire infidèle, voilà tout.

Il faut encore que vous sachiez ceci. Lorsque 1'excès de la souffrance vous inspire la résolution de recouvrer les droits dont vos oppresseurs vous ont dépouillés, ils vous accusent de troubler l'ordre, ils vous traitent de rebelles. Rebelles à qui? il n'y a de rébellion possible que contre le véritable souvrerain, contre le peuple, et comment le peuple seroit-il rebelle au peuple? Les rebelles, ce sont ceux qui se créent à ses dépens des privilèges iniques; qui, de ruse ou de force, parviennent à le soumettre à leur domination; et quand il brise cette domination, il ne trouble pas l'ordre, il le rétablit, il accomplit l'œuvre de Dieu et sa volonté toujours juste.

1. Analyse and compare the style of language in both passages.2. Is the political message the same in both?3. What according to Lamennais are the origins of political sovereignty

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(f) The Revolutions of 1848

(i) Extrait de la CONSTITUTION DU 4 NOVEMBRE 1848

[…] Art. 1. La souveraineté réside dans l'universalité des citoyens français. Elle est inaliénable et imprescriptible. Aucun individu, aucune fraction du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice.

Art. 2. Nul ne peut être arrêté ou détenu que suivant les prescriptions de la loi.Art. 7. Chacun professe librement sa religion et reçoit de l'État, pour l'exercice

de son culte, une égale protection. [...]Art. 8. Les citoyens ont le droit de s'associer, de s'assembler paisiblement et

sans armes, de pétitionner, de manifester leurs pensées par la voie de la presse ou autrement. L'exercice de ces droits n'a pour limite que les droits ou la liberté d'autrui et la sécurité publique. La presse ne peut, en aucun cas, être soumise à la censure.

Art. 10. [...] Sont abolis à toujours tout titre nobiliaire, toute distinction de naissance, de classe ou de caste.

Art. 18. Tous les pouvoirs publics, quels qu'ils soient, émanent du peuple. Ils ne peuvent être délégués héréditairement.

Art. 19. La séparation des pouvoirs est la première condition d'un gouvernement libre.

Art. 20. Le peuple français délègue le pouvoir législatif à une Assemblée unique.

Art. 43. Le peuple français délègue le pouvoir exécutif à un citoyen qui reçoit le titre de président de la République.

Art. 81. La justice est rendue gratuitement au nom du peuple français. […]

(ii) Les journées de juin vues par…

•Victor HUGO :[...] Juin 1848. Quelle situation! J'aimais mieux la besogne telle qu'elle s'offrait

au 24 février. Cela était terrible, mais beau, et pouvait s'achever vite et bien. Aujourd'hui, cela est hideux, pourri, et, qui sait? peut-être incurable. Ah! J'aime mieux avoir affaire à une fièvre cérébrale qu'à une gangrène. Oui, certes! Alors le peuple était ardent, mais bon, généreux, plein d'amour respectueux pour toute noble chose, admirable. Aujourd'hui le peuple, ce même peuple, ces mêmes blouses, hélas! est amer, mécontent, injuste, défiant, presque haineux. En quatre mois de fainéantise on a fait du brave ouvrier un flâneur hostile auquel la civilisation est suspecte. L'oisiveté nourrie de mauvaises lectures, voilà tout le secret du changement. Ces travailleurs sont dégoûtés du travail, ces Français sont dégoûtés de l'honneur, ces Parisiens sont dégoûtés de la gloire. Il y en a, oui, il y en a qui rêvent je ne sais quels tristes rêves de pillage, de massacre et d'incendie. De ces hommes dont Napoléon faisait des héros, nos pamphlétaires font des sauvages! Il me vient des sanglots du fond du coeur par moments. Et la France, où en est-elle? Où en est Paris? Où en est l'intelligence, la pensée, l'art, l'industrie, la science, la famille, la propriété, la richesse publique, la discipline de l'armée, la grandeur du pays? Où en est tout ce que nous avons fait, voulu, essayé, construit, bâti, fonde depuis soixante ans? Ruines en haut, abîmes en bas. Nous sommes entre un plafond qui s'écroule sur notre tête et un plancher qui s'effondre sous nos pieds [...]

HUGO, Victor, Choses vues. Souvenirs, journaux, cahiers, 1847-1848, Paris, 1972, p.336~337.

•Gustave FLAUBERT :[...] Sénécal, enfermé aux Tuileries sous la terrasse du bord de l'eau, n'avait

rien de ces angoisses.

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Ils étaient là, neuf cents hommes, entassés dans l'ordure, pêle-mêle, noirs de poudre et de sang caillé, grelottant la fièvre, criant de rage; et on ne retirait pas ceux qui venaient à mourir parmi les autres. Quelquefois, au bruit soudain d'une détonation, ils croyaient qu'on allait tous les fusiller; alors ils se précipitaient contre les murs, puis retombaient à leur place, tellement hébétés par la douleur qu'il leur semblait vivre dans un cauchemar, une hallucination funèbre. La lampe suspendue à la voûte avait l'air d'une tache de sang; et de petites flammes vertes et jaunes voltigeaient, produites par les émanations du caveau. Dans la crainte des épidémies, une commission fut nommée. Dès les premières marches, le président se rejeta en arrière, épouvanté par l'odeur des excréments et des cadavres. Quand les prisonniers s'approchaient d'un soupirail, les gardes nationaux qui étaient de faction pour les empêcher d'ébranler les grilles, fourraient des coups de baïonnette, au hasard, dans le tas.

Ils furent, en général, impitoyables. Ceux qui ne s'étaient pas battus voulaient se signaler. C'était un débordement de peur. On se vengeait à la fois des journaux, des clubs, des attroupements, des doctrines, de tout ce qui exaspérait depuis trois mois; et, en dépit de la victoire, l'égalité (comme pour le châtiment de ses défenseurs et la dérision de ses ennemis) se manifestait triomphalement, une égalité de bêtes brutes, un même niveau de turpitudes sanglantes; car le fanatisme des intérêts équilibra les délires du besoin, l'aristocratie eut les fureurs de la crapule, et le bonnet de coton ne se montra pas moins hideux que le bonnet rouge. La raison publique était troublée comme après les grands bouleversements de la nature. Des gens d'esprit en restèrent idiots pour tout leur vie" [...]

FLAUBERT, Gustave, L'éducation sentimentale, Paris, 1965, p.377.

•Prosper MERIMÉE :[...] Voilà cinq jours que je vis et couche sur le pavé des rues avec tout ce qu'il y

a d'honnêtes gens à Paris. Je rentre enfin chez moi et ne perds pas un moment pour vous écrire. Nous l'avons échappé belle. Toute cette armée révolutionnaire organisée par Lamartine et Ledru-Rollin et prêchée par Louis Blanc, s'est enfin mise en mouvement et peu s'en est fallu qu’elle ne triomphât. Heureusement, telle était leur folie qu'ils ont mis sur leur drapeau la devise du communisme qui devait soulever contre eux toute la saine population. Au milieu de cette bataille acharnée de quatre jours, pas un cri ne s'est fait entendre en faveur d'un prétendant quelconque et à vrai dire on ne s'est battu que pour prendre ou pour conserver. Pour les insurgés il s’agissait de piller Paris et d'y établir un gouvernement de guillotine; pour nous, de défendre notre peau [...]

Nous avons eu, dans ces cruelles journées, tous les traits d'héroïsme et de férocité que l'imagination puisse concevoir. Les insurgés massacraient leurs prisonniers, leur coupaient les pieds et les mains. Parmi un convoi de prisonniers que ma compagnie a conduits à l'Abbaye, il y avait une femme qui avait coupé la gorge d’un officier avec un couteau de cuisine et un homme qui avait les deux bras rougis jusqu'au coude pour s'être lavé les mains dans le ventre ouvert d'un garde mobile blessé. Sur leurs barricades on voyait, à côté d'un drapeau rouge, des têtes et des bras coupés [...] Le peuple s'est fait ici des sentiments avec la littérature de mélodrame et les infâmes journaux qui le corrompent à l'envi. Sera-t-il jamais possible de faire quelque chose d'un peuple pour qui un jour d'émeute est un jour de fête, toujours prêt à tuer et à se faire tuer pour un mot vide de sens [...]

Lettre à Mme de Montijo, 28 juin 1848, citée dans SCHMIDT, Charles, Des ateliers nationaux aux barricades de juin, pp59-60.

•Ernest RENAN :[...] La soirée et le nuit dernière ont été plus terribles que jamais, il y a eu un

massacre à la barrière Saint-Jacques et surtout à la barrière de Fontainebleau. Je t'épargne les détails. Sans doute ils sont coupables ces pauvres gens qui versent leur

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sang, sans savoir même ce qu'ils demandent, mais ceux-là le sont bien plus à mes yeux qui les ont tenu dans l'ilotisme, qui par système ont abruti en eux les sentiments humains et qui, pour suivre les intérêts de leur égoïsme, ont créé une classe d'hommes dont l'intérêt est dans le désordre et le pillage [...]

Lettre à sa soeur Henriette, Ibid, p.62.

•Alexis de TOCQUEVILLE :[...] L'insurrection de juin fut la plus grande et la plus singulière qu'il y ait eu

dans notre histoire et peut-être dans aucune autre. Les insurgés y combattirent sans cri de guerre, sans chefs, sans drapeaux et pourtant avec un ensemble merveilleux et une expérience militaire qui étonna les plus vieux officiers [...] Elle n'eut pas pour but de changer la forme du gouvernement mais d'altérer l'ordre de la société [...] elle fut un combat de classe, une sorte de guerre servile [...] Elle ne fut pas l'entreprise d'un certain nombre de conspirateurs, mais le soulèvement de toute une population contre une autre [...]

DE TOCQUEVILLE, Alexis, Souvenirs, p.27.

•Karl MARX : [...] Le dernier vestige officiel de la révolution de février, la Commission

Exécutive, s'est évanoui comme une fantasmagorie devant la gravité des événements. Les fusées lumineuses de Lamartine sont devenues les fusées incendiaires de Cavaignac. La fraternité des classes antagonistes dont l'une exploite l'autre, cette fraternité proclamée en février, inscrite en grandes lettres au front de Paris, sur chaque prison, sur chaque caserne, son expression véritable, authentique, prosaïque, c'est la guerre civile, la guerre civile sous sa forme la plus effroyable, la guerre entre le travail et le capital. Cette fraternité flamboyait à toutes les fenêtres de Paris, dans la soirée du 25 juin, quand le Paris de la bourgeoisie illuminait alors que le Paris du prolétariat brûlait, saignait, râlait. La fraternité dura juste le temps où l'intérêt de la bourgeoisie était frère de l'intérêt du prolétariat. Pédants de la vieille tradition révolutionnaire de 1793, méthodistes socialistes, mendiant pour le peuple auprès de la bourgeoisie et auxquels on permit de faire de longues homélies et de se compromettre aussi longtemps qu'il fut nécessaire d'endormir le lion prolétarien; républicains qui réclamaient tout l'ancien ordre bourgeois, moins la tête couronnée; gens de l'opposition dynastique auxquels le hasard substituait le renversement d’une dynastie au changement d’un ministère; légitimistes qui voulaient non pas se débarrasser de leur livrée, mais en modifier la coupe, tels étaient les allies avec lesquels le peuple fit son Février.

La révolution de février fut la belle révolution, la révolution de la sympathie générale, parce que les antagonismes qui y éclatèrent contre la royauté sommeillaient, embryonnaires, paisiblement, côte à côte, parce que la lutte sociale qui formait son arrière-plan n'avait acquis qu'une existence vaporeuse, l'existence de la phrase, du verbe. La révolution de juin est la révolution haïssable, la révolution répugnante, parce que la chose a pris la place de la phrase, parce que la République a mis à nu la tête du monstre, en abattant la couronne qui le protégeait et le dissimulait. Ordre! Tel était le cri de guerre de Guizot. Ordre! cria Sébastiani, ce Guizot au petit pied, quand Varsovie devint russe. Ordre! crie Cavaignac, écho brutal de l'Assemblée nationale française et de la bourgeoisie républicaine. Ordre! tonnaient ses coups de mitraille en déchiquetant le corps du prolétariat. Aucune des nombreuses révolutions de la bourgeoisie française depuis 1789 ne fut un attentat contre l'ordre, car chacune laissait subsister la domination de classe, laissait subsister l'esclavage des ouvriers, laissait subsister l'ordre bourgeois, aussi souvent que fut modifiée la forme politique de cette domination et de cet esclavage. Juin a porté atteinte à cet ordre. Malheur à Juin [...]

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MARX, Karl, article de la Neue rheinische Zeitung du 29 juin 1848, cité dans K. MARX, Les luttes de classes en France( 1848-1850), Paris, Ed. sociales, 1974, pp.66-67.

III. 1 8 5 1 - 1 8 7 0 : D U S E C O N D E M P I R E À L A T R O I S I È M E R É P U B L I Q U E

(a) Emile ZOLA, La curée, Paris, Gallimard, 1969, pp.110-114.

[...] Ce jour-là, ils dînèrent au sommet des buttes, dans un restaurant dont les fenêtres s'ouvraient sur Paris, sur cet océan de maisons aux toits bleuâtres, pareils à des flots pressés emplissant l'immense horizon. Leur table était placée devant une des fenêtres. Ce spectacle des toits de Paris égaya Saccard. [...]

Il vint un moment où le rayon qui glissait entre deux nuages fut si resplendissant, que les maisons semblèrent flamber et se fondre comme un lingot d'or dans un creuset.

—Oh! vois, dit Saccard, avec un rire d'enfant, il pleut des pièces de vingt francs dans Paris!

Angèle se mit à rire à son tour, en accusant ces pièces-là de n'être pas faciles à ramasser. Mais son mari s'était levé, et, s'accoudant sur la rampe de la fenêtre :

—C'est la colonne Vendôme, n'est-ce pas, qui brille là-bas ?... Ici, plus à droite, voilà la Madeleine... Un beau quartier, où il y a beaucoup à faire... Ah! cette fois, tout va brûler! Vois-tu ?... On dirait que le quartier bout dans l'alambic de quelque chimiste.

Sa voix demeurait grave et émue. La comparaison qu'il avait trouvée parut le frapper beaucoup.

Il avait bu du bourgogne, il s'oublia, il continua, étendant le bras pour montrer Paris à Angèle, qui s'était également accoudée à son côté :

—Oui, oui, j'ai bien dit, plus d'un quartier va fondre, et il restera de l'or aux doigts des gens qui chaufferont et remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris! vois donc comme il est immense et comme il s'endort doucement! C'est bête, ces grandes villes! Il ne se doute guère de l'armée de pioches qui l'attaquera un de ces beaux matins, et certains hôtels de la rue d'Anjou ne reluiraient pas si fort sous le soleil couchant, s'ils savaient qu'ils n'ont plus que trois ou quatre ans à vivre.

Angèle croyait que son mari plaisantait. Il avait parfois le goût de la plaisanterie colossale et inquiétante. Elle riait, mais avec un vague effroi, de voir ce petit homme se dresser au-dessus du géant couché à ses pieds, et lui montrer le poing, en pinçant ironiquement les lèvres.

—On a déjà commencé, continua-t-il. Mais ce n'est qu'une misère. Regarde là- bas, du côté des Halles, on a coupé Paris en quatre...

Et de sa main étendue, ouverte et tranchante comme un coutelas, il fit signe de séparer la ville en quatre parts.

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—Tu veux parler de la rue de Rivoli et du nouveau boulevard que l'on perce, demanda sa femme.

—Oui, la grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre et l'Hôtel de Ville. Jeux d'enfants que cela! C'est bon pour mettre le public en appétit... Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse. Le second réseau trouera la ville de toutes parts, pour rattacher les faubourgs au premier réseau. Les tronçons agoniseront dans le plâtre... Tiens, suis un peu ma main. Du boulevard du Temple à la barrière du Trône, une entaille ; puis de ce côté, une autre entaille, de la Madeleine à la plaine Monceau ; et une troisième entaille dans ce sens, une autre dans celui-ci, une entaille là, une entaille plus loin, des entailles partout. Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers et maçons, traversé par d'admirables voies stratégiques qui mettront les forts au coeur des vieux quartiers. [...]

—Il y aura un troisième réseau, continua Saccard, au bout d'un silence, comme se parlant à lui-même ; celui-là est trop lointain, je le vois moins. Je n'ai trouvé que peu d'indices... Mais ce sera la folie pure, le galop infernal des millions, Paris soûlé et assommé!

(b) La défaite de 1870: Alphonse DAUDET, La dernière classe. Récit d'un petit Alsacien, Contes du lundi, Paris, A. Lemerre, 1873.

Histoire de France par les chansons, Paris, Ed. Max Fourny, 1982, 300p; recueillies par VERNILLAT, France , commentées par BARBIER, Pierre.

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Ce matin-là, j'étais très en retard pour aller à l’école, et j'avais grand’peur d'être grondé, d'autant que M. Hamel nous avait dit qu'il nous interrogerait sur les participes, et je n'en savais pas le premier mot. Un moment l'idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs.

Le temps était si chaud, si clair! Le temps était si chaud, si clair! [...] Mais j'eus la force de résister et je courus bien vite vers l'école. [...]

Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui était là avec son apprenti en train de lire l’affiche, me cria :

«Ne te dépêche pas tant, petit;tu y arriveras toujours assez tôt à ton école!» Je crus qu'il se moquait de moi, et j'entrai tout essoufflé dans la petite cour de

M. Hamel. [...] Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras.

Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez si j'étais rouge et si avais peur! Eh bien, non! M. Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement :

«Va vite à ta place, mon petit Franz; nous allions commencer sans toi».J'enjambai le banc et je m'assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement,

un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avec sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et sa calotte de soir noire brodée qu'il ne mettait que les jours d'inspection ou de distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelque chose d'extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur des bancs qui restaient vides d'habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous, le vieux Hauser avec son tricorne, l'ancien maire, l'ancien facteur, et puis d'autres personnes encore. Tout le monde-là paraissait triste; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords qu'il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.

Pendant que je m'étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m'avait reçu, il nous dit :

«Mes enfants, c'est la dernière fois que je vous fait la classe. L'ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l'allemand dans les écoles de l'Alsace et de la Lorraine... Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. Je vous prie d'être bien attentifs.»

Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah! les misérables, voilà ce qu'ils avaient affiché à la mairie...

Ma dernière leçon de français!Et moi qui savais à peine écrire! Je n'apprendrais donc jamais! Il faudrait donc

en rester là!... Comme je m'en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar! Mes livres que tout à l'heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte me semblaient a présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter. C'est comme M. Hamel. L'idée qu'il allait partir, que je ne le verrais plus me faisait oublier les punitions, les coups de règle.

Pauvre homme!C'est en l'honneur de cette dernière classe qu'il avait mis ses beaux habits du

dimanche, et maintenant je comprenais pourquoi ces vieux du village étaient venus s'asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu'ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, a cette école. C'était aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s'en allait...

J'en étais là de mes réflexions, quand j'entendis appeler mon nom. C'était mon tour de réciter. Que n'aurais-je pas donne pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des participes, bien haut, bien clair, sans une faute; mais je m'embrouillai aux premiers mots, et je restai debout à me balancer dans mon banc, le cœur gros, sans oser lever la tête. J'entendais M. Hamel qui me parlait:

«Je ne te gronderai pas, mon petit Franz, tu dois être assez puni... Voilà ce que c'est. Tous les jours on se dit: Bah! j'ai bien le temps. J'apprendrai demain. Et puis, tu vois ce qui arrive... Ah! ç'a été le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain. Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire :

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Comment! Vous prétendiez être Français et vous ne savez ni parler ni écrire votre langue!... Dans tout ça, mon pauvre Franz, ce n'est pas encore toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches a nous faire.

Vos parents n'ont pas assez tenu a vous voir instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour avoir quelques sous de plus. Moi-même n'ai-je rien à me reprocher? Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler? Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour vous donner congé... ?

Alors, d'une chose à l'autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c'était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide: qu'il fallait la garder entre nous et ne jamais l'oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu'il tient bien sa langue, c'est comme s'il tenait la clé de sa prison... Puis, il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J'étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu'il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n'avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n'avait jamais autant mis de patience à ses explications. On aurait dit qu'avant de s'en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d'un seul coup.

La leçon finie, on passa à l'écriture. Pour ce jour-là M. Hamel nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde France, Alsace, France, Alsace. Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe pendus à la tringle de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s'appliquait, et quel silence! On n'entendai rien que le grincement des plumes sur le papier. Un moment des hannetons entrèrent, mais personne n'y fit attention, pas même les tout petits qui s'appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un cœur, une conscience, comme si cela encore était du français... Sur la toiture de l'école, des pigeons roucoulaient tout bas, et je me disais en les écoutant:

«Est-ce qu'on ne va pas les obliger a chanter en allemand, eux aussi?»De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais M.

Hamel immobile dans sa chaire et fixant les objets autour de lui, comme s'il avait voulu emporter dans son regard toute sa petite maison d'école... Pensez! depuis quarante ans, il était 1à, à la même place, avec sa cour en face de lui et sa classe toute pareille. Seulement les bancs, les pupitres s'étaient polis, frottés par l'usage; les noyers de la cour avaient grandi, et le houblon qu'il avait planté lui-même enguirlandait maintenant les fenêtres jusqu'au toit. Quel crève-cœur ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces choses, et d'entendre sa sœur qui allait et venait, dans la chambre au-dessus, en train de fermer leurs malles! car ils devaient partir le lendemain, s'en aller du pays pour toujours.

Tout de même il eut le courage de nous faire la classe jusqu'au bout. Après l'écriture nous eûmes la leçon d'histoire; ensuite les petits chantèrent tous ensemble le BA BE Bl BO BU. Là-bas, au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu'il s'appliquait lui aussi; sa voix tremblait d'émotion, et c'était si drôle de l'entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer. Ah! je me souviendrai de cette dernière classe...

Tout à coup l'horloge de l'église sonna midi, puis l'angélus. Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l'exercice éclatèrent sous nos fenêtres... M. Hamel se leva tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m'avait paru si grand.

«Mes amis, dit-il, mes amis, je... je...»Mais quelque chose l'étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase.Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie, et, en appuyant de

toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu'il put:«VIVE LA FRANCE !»Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main il nous

faisait signe: «C'est fini... allez-vous-en.»(c) «Une nation est une âme» : Ernest RENAN (1823-1892).

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[...] Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. L'homme, Messieurs ne s'improvise pas. La nation, comme l'individu, est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements. Le culte des ancêtres est de tous le plus légitime les ancêtres nous ont faits ce que nous

sommes. Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire (j'entends de la véritable), voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale. Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. On aime en proportion des sacrifices qu'on a consentis, des maux qu'on a soufferts. On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet. Le chant spartiate: «Nous sommes ce que vous fûtes; nous serons ce que vous êtes» est dans sa simplicité l'hymne abrégé de toute patrie.

Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager, dans l'avenir un même programme à réaliser; avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà ce qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques; voilà ce que l'on comprend malgré la diversité de race et de langue. Je disais tout à l'heure: «avoir souffert ensemble»; oui, la souffrance en commun unit plus que la joie. En fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes; car ils imposent des devoirs; ils commandent l'effort en commun.

Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible: le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie. Oh! je le sais, cela est moins métaphysique que le droit divin, moins brutal que le droit prétendu historique. Dans l'ordre d'idées que je vous soumets, une nation n'a pas plus qu'un roi le droit de dire à une province: «Tu m'appartiens, je te prends». Une province, pour nous, ce sont ses habitants; si quelqu'un en cette affaire a droit d'être consulté, c'est l'habitant. Une nation n'a jamais un véritable intérêt à s'annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le vœu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir [...]

Ernest RENAN, Qu'est-ce qu'une nation?, Conférence faite en Sorbonne le 11 mars 1882, Paris, Calmann-Lévy, 1882.

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IV. L A T R O I S I È M E R E P U B L I Q U E , 1 8 7 0 - 1 9 1 4

(a) 'Un catéchisme républicain'

Voici l'instituteur d'une commune du Loir-et-Cher, qui compte 167 habitants. Il y est nommé en 1899 - il a tout juste trente ans -, il s'y fixe jusqu'en 1910. Comme souvent, il ajoute mille métiers à celui d'enseigner: secrétaire de mairie, écrivain public des illettrés, conseiller agricole. De plus, il organise pendant 10 ans un cycle de conférences populaires. Remarquées, puisqu'elles lui valent de nombreuses distinctions. Remarquables aussi par plus d'un trait, car il a tenu le journal de bord de ses conférences sous forme de cahiers de préparation, que nous avons pu retrouver, et qui contiennent des renseignements précieux: le sujet des conférences et leur canevas, leur date (elles ont lieu l'hiver et l'instituteur libère son public quand s'allongent les jours), la mention des personnes présentes (d'une assiduité à faire aujourd'hui pâlir d'envie tout animateur politique ou culturel: pendant dix ans, sur les 167 habitants de la commune - dont il faudrait du reste soustraire les enfants -. il s'en trouve toujours

de 60 à 90 pour aller écouter l'instituteur!). [...](Jacques Ozouf, Nous les maîtres d'école, Autobiographies d'instituteurs de la Belle

Époque, 1973)N.B. Les intertitres sont de l'éditeur.

L'école est la maison de tous[...] Nous, à l'école laïque, nous appelons tous les enfants, tous les jeunes

gens, tous les citoyens sans distinction d'opinion ni de religion: le catholique, le protestant, l'israélite, tous sont les bienvenus chez nous.

Nous les appelons - et je tiens à vous faire remarquer ceci -, non pas pour leur imposer des idées qui sont les nôtres. Nous ne disons jamais: «Croyez-nous sur parole»; mais nous disons: «Réfléchissez avec nous, examinez, raisonnez et jugez, cherchons ensemble le meilleur moyen de bien penser et de bien agir, d'éviter les erreurs passées et de ne pas retomber dans l'ancien esclavage.»

[...] Oui, ne pas retomber dans l'ancien esclavage. Voilà ce qu'a voulu la 3e République en mettant l'éducation du peuple entre les mains de laïques, c'est-à-dire du peuple lui-même; car nous autres instituteurs, nous sommes de votre sang, nous avons les mêmes désirs et les mêmes intérêts que vous. En orientant l'enseignement primaire dans cette voie et en le rendant obligatoire, la 3e République, vous le savez, a trouvé beaucoup de détracteurs. Je n'insisterai pas sur ce point. Il me suffira de vous rappeler cette phrase significative d'un des adversaires de l'école obligatoire: «Si tout le monde apprend à lire, qui donc labourera nos champs et nous fournira du

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pain?» Si je reviens aujourd'hui sur cette question, c'est pour vous dire que tous ces adversaires qui luttent contre l'enseignement laïque depuis 20 ans n'ont pas désarmé. Il en est même qui, dans le courant de cette année, ont fait à ce propos un aveu qui mérite d'être retenu. Je ne veux pas ici faire de personnalité, mais je vous dirai qu'un homme - qui ne doit pas être un ami de l'école si l'on s'en rapporte à ses paroles - a dit, et écrit, que selon lui la première des grandes réformes à faire en France était la suppression du budget de l'Instruction Publique, c'est-à-dire la fermeture de toutes les écoles de l'Etat.

Ne pensez pas que je parle ici par intérêt personnel. Je vous avouerais que si, demain, toutes les écoles étaient fermées, je me trouverais peut-être embarrassé, mais ce n'est pas cette raison qui me fait parler ainsi. C'est pour vous faire voir qu'il y a toujours des gens qui sont disposés à demander le retour de leur «bon vieux temps». Dans l'intérêt de nous tous, dans l'intérêt du peuple français tout entier, souhaitons que les électeurs républicains soient assez clairvoyants pour ne pas envoyer au Parlement les hommes qui ont de semblables idées.

Quant à nous, qui avons des vues diamétralement opposées à celles de ces gens-là, ne désarmons pas non plus, unissons-nous pour continuer le bon combat, le combat qui a pour but, par l'école obligatoire, de donner de plus en plus d'instruction aux enfants du peuple et au peuple lui-même et, par suite, de lui donner plus de force, plus de puissance; qui a pour but de lui permettre de soutenir de plus en plus énergiquement le vrai régime républicain, celui qui a pour mission d'établir le règne de la vérité par la science, de la justice par la bonté et de la liberté pour tous les hommes. Que chacun, dans sa sphère, fasse tout son possible pour s'éclairer de plus en plus; plus on est éclairé et plus on exige de lumière, et nous, peuple, c'est la lumière qui nous a permis de nous émanciper et qui nous empêchera de retomber dans les erreurs passées.

[...]On y apprend l'histoire du peupleJe viens vous proposer de revoir avec vous en plusieurs soirées, en plusieurs

causeries, dans le courant de cet hiver, l'histoire de notre pays, je ne veux pas dire l'histoire des rois, des empereurs, des généraux, des guerres et des traités de paix, mais bien l'histoire du peuple de France, de ce pauvre peuple, de nos ancêtres qui pendant des siècles entiers ont travaillé, sué, souffert, lutté. Leurs souffrances ont duré bien longtemps, trop longtemps, mais un jour est arrivé où ils ont vaincu leurs oppresseurs, où ils ont obtenu cette liberté qu'ils nous ont transmise. Je suppose que ce résultat obtenu par eux vaut bien la peine qu'on étudie leur misérable existence...

... qui permet de juger les roisDans notre dernière conférence, nous avons examiné la situation de la société

française au Moyen Age. Nous avons vu combien le sort de nos pères était misérable.Je ne pense pas aller trop loin en disant que, dans notre for intérieur, s'est

produit un sentiment de colère à l'égard de tous les oppresseurs de nos ancêtres. Je ne veux pas dire que nous avons haï tous ces privilégiés, car ils sont morts et nous n'avons qu'à respecter leurs cendres, mais nous nous sommes fait une mauvaise opinion de ces prêtres, de ces nobles qui seuls profitaient du travail du pauvre paysan.

[...]... et l'ÉgliseComme l'histoire est une source d'enseignements, il est tout naturel de

rechercher quelles sont les indications que nous pourrions retirer de cette question de l'Église dans notre pays.

1° L'Église s'est maintenue et a puisé sa force dans l'ignorance et dans la crédulité du peuple.

2° Elle a de tout temps cherché à s'enrichir et à dominer en exploitant les sentiments de terreur relatifs à la mort et à ses suites.

3° Elle a toujours été l'ennemie de la Science, qui nous invite à la discussion et à la recherche des preuves.

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4° Elle a été la cause de bien des luttes.5° Elle a bien souvent été une cause de discorde dans les familles, dans les

communes, dans le pays entier.Je m'en tiendrai là, à la vérité historique, laissant à chacun la liberté de penser,

de choisir, de se décider librement dans sa manière de voir et de faire.

... d'admirer la Grande Révolution[...]Je pense ne surprendre personne ici en déclarant que moi, enfant du peuple

comme vous tous, je suis un admirateur de cette Révolution qui a tout fait pour la classe à laquelle nous appartenons. Partisan résolu des principes ineffaçables contenus dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, je ferai tout mon possible pour arriver à les faire connaître, ces principes devant former le catéchisme de tout républicain.

[...]Ce que j'ai essayé de faire, c'est de vous faire comprendre que notre grande

Révolution était non seulement juste et inévitable, mais nécessaire et morale, que c'est à elle que nous devons tout puisque, avant 1789, nos pères n'étaient absolument rien.

Si j'ai pu réussir à atteindre le but que je m'étais proposé; si j'ai pu, je ne dirai pas vous intéresser c'est trop prétentieux, mais si j'ai réussi à ne pas trop vous ennuyer, je serai satisfait et je penserai avoir rempli mon devoir d'instituteur, mon devoir de fonctionnaire républicain.

[...]... et son héritière, la IIIe RépubliqueLa Troisième République, le gouvernement actuel, date du 4 septembre 1870.

C'est elle qui a terminé la guerre entre la France et l'Allemagne, dans laquelle notre pays a été lancé d'un cœur léger, par des hommes incapables et insouciants. Sa première préoccupation, une fois la guerre terminée et la paix signée fut de remplir les conditions imposées par le traité de Francfort (paiement de l'indemnité de 5 milliards). Une fois définitivement installée, la République va se mettre au travail et faire des réformes reconnues nécessaires par la majorité des Français. Elle a fait de grands efforts pour rendre les lois plus justes, et pour que les charges soient également réparties entre tous les citoyens, elle a surtout cherché à améliorer le sort du peuple, de l'ouvrier, de ce qu'on a l'habitude d'appeler le petit.

... de tirer des défaites des leçons profitablesL'histoire, nous dit-on partout, est une source d'enseignements et de conseils.

On pourrait peut-être tirer une leçon des faits que nous venons de parcourir [les origines de la guerre de 1870]. Nous pourrions en conclure ceci: jamais on ne doit abandonner les destinées d'un pays aux mains d'un seul homme, fût-il le plus intelligent et le plus capable des hommes. Pour en arriver là, surveillons-nous, ne nous laissons pas fasciner par l'éclat brillant d'un sabre, ni par les paroles et les belles promesses d'un prétendant ou plébiscitaire quelconque; car nous pourrions revoir un 18 brumaire1 ou un 2 décembre2 et nous savons ce que les régimes produits par ces deux journées nous ont coûté. Unissons-nous et soutenons de toutes nos forces le drapeau républicain.

[...]On y apprend les textes sacrés de la RépubliqueMesdames, Messieurs, je me propose de vous entretenir aujourd'hui de la

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen votée par l'Assemblée Nationale Constituante dans les séances des 20, 21 , 23 et 24 août 1789, et définitivement adoptée le 2 octobre 1789.

118 brumaire: (dans le calendrier révolutionnaire) 9 novembre 1799, date du coup d'Etat par lequel Napoléon I se fit nommer Premier consul2 2 décembre (1851), date du coup d'Etat par lequel Napoléon III se fit nommer Président à vie

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La Déclaration des Droits de l'Homme! Voilà un nom que tout le monde connaît. Mais, le plus souvent, on connaît le nom sans connaître la chose. Et cependant la chose est importante, car cette déclaration forme la base de notre organisation politique actuelle [...]

Je dirai donc que la Déclaration des droits de l'homme est la base du régime actuel, que c'est, en un mot, notre évangile républicain. C'est à ce point de vue que je me suis placé et que je me suis décidé à vous fournir ce soir quelques explications. Les Français ne furent pas les premiers à rédiger une Déclaration des droits; les Américains nous avaient devancés dans cette voie (rappeler les événements) Non seulement les Américains avaient leur Déclaration, mais elle était apprise par les citoyens; depuis longtemps, elle était affichée et commentée dans toutes les écoles des Etats-Unis.

Le retard que nous avons mis sur ce point à imiter les Etats-Unis ne s'explique - depuis la 3e République surtout - que par une coupable indifférence. Désormais, cette lacune va être comblée et nous allons faire apprendre à nos enfants la proclamation qui ouvrit en France le règne de la Liberté et de l'Égalité.

Non seulement, nous la leur ferons apprendre, mais nous la leur ferons comprendre en leur fournissant toutes les explications nécessaires. Ce sera là leur catéchisme, le catéchisme républicain qu'ils seront à même de comprendre et de saisir dans tous ses détails; car, ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de vous le dire, nous autres, à l'école laïque, nous n'imposons pas notre manière de voir; nous ne disons pas «Croyez-nous sur parole», sans fournir de preuves; non, nous disons: «Recherchons ensemble la vérité et ne nous attachons, n'accordons notre confiance qu'à ce que nous comprenons parfaitement.»

Voici donc les conditions dans lesquelles sera lue, commentée et apprise la Déclaration dans les écoles de France.

Tout ceci s'est répandu dans toute la France à la suite de la décision prise par la Chambre des Députés le 28 mars 1901, demandant que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen soit affichée dans toutes les écoles de France.

C'est avec une certaine fierté que je vous dirai que nous, dans le département du Loir-et-Cher, nous n'avons pas attendu que le désir de la Chambre se soit manifesté; sur l'initiative de notre Inspecteur d'Académie, la Déclaration avait été affichée dans toutes les écoles avant le mois de mai 1901.

J'irai même plus loin, la modestie dût-elle en souffrir; je vous dirai maintenant que, dans notre petite école de R..., je n'avais attendu ni vote de la Chambre, ni ordre de mes chefs: antérieurement à tout cela, j'avais de ma propre initiative et sous ma responsabilité personnelle, copié et affiché cette Déclaration dans cette salle de classe.

Vous faire connaître ce fait, c'est vous dire quels sont les sentiments qui m'animent et quelles sont les opinions que je professe; c'est vous dire quelle est l'orientation que je pense qu'il est bon de donner à l'instruction de nos enfants. En même temps que nous leur indiquerons leurs devoirs, nous leur ferons également connaître leurs droits et nous leur apprendrons de qui ils les tiennent.

Ce qui nous importe surtout, c'est de faire une génération qui, plus tard sera l'ennemie irréconciliable des vieux préjugés et des superstitions absurdes, qui sera l'amie de la science, des découvertes nouvelles et de tous les progrès; une génération qui comprenne son devoir et qui l'accomplisse parce que c'est le devoir, et non par crainte d'un châtiment ou par l'appât d'une récompense. Pour cela, nous avons à notre service l'histoire et la morale. La tâche est dure et ingrate, car nous avons à côté de nous des adversaires qui ne désarment pas, qui nous harcèlent par tous les moyens possibles.

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1. How does the 'instituteur' see the relationship between education and the idea of a Republic, and his own function as 'fonctionnaire républicain'?

2. What does he identify as the principal dangers confronting the Republic?3. Comment on the instituteur's appeal to history. What lessons does he draw

from the failures of the First and Second Republics?4. What appears to be the instituteur's definition of 'Science', and what is its

converse? 5. On more than one occasion, the instituteur appeals to the virtues of rational

argument. How does his own discourse measure up to his claims?

(b) la guerre franco-française et l'Affaire Dreyfus,1892-1914

Emile ZOLA (1840-1902). «J'accuse», 1898.[...] LETTREÀ M. FÉLIX FAUREPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Monsieur le Président,

Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant

accueil que vous m'avez fait un jour, d'avoir le souci de votre juste gloire et de vous dire que votre étoile, si heureuse jusqu'ici, est menacée de la plus honteuse, de la plus ineffaçable des taches? Vous êtes sorti sain et sauf des basses calomnies, vous avez conquis les cœurs. Vous apparaissez rayonnant dans l'apothéose de cette fête patriotique que l'alliance russe a été pour la France, et vous vous préparez à présider au solennel triomphe de notre Exposition universelle, qui couronnera notre grand siècle de travail, de vérité et de liberté. Mais quelle tache de boue sur votre nom—j'allais dire sur votre règne— que cette abominable affaire Dreyfus! Un conseil de guerre vient, par ordre, d'oser acquitter un Esterhazy 3, soufflet suprême à toute vérité, à toute justice. Et c'est fini, la France a sur la joue cette souillure, l'histoire écrira que c'est sous votre présidence qu'un tel crime social a pu être commis. Puisqu'ils ont osé, j'oserai aussi, moi. La vérité, je la dirai, car j'ai promis de la dire si la justice, régulièrement saisie, ne la faisait pas, pleine et entière. Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l'innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu'il n'a pas commis. Et, c'est à vous, monsieur le Président, que je la crierai, cette vérité, de toute la force de ma révolte d'honnête homme. Pour votre honneur, je suis convaincu que vous l'ignorez. Et à qui donc dénoncerai-je la tourbe malfaisante des vrais coupables, si ce n'est à vous, le premier magistrat du pays?

Je l'ai démontré d'autre part: l'affaire Dreyfus était l'affaire des bureaux de la guerre, un officier de l'état-major, dénoncé par ses camarades de l'état-major, condamné sous la pression des chefs de l'état-major. Encore une fois, il ne peut revenir innocent, sans que tout l'état-major soit coupable. Aussi les bureaux, par tous les moyens imaginables, par des campagnes de presse, par des communications, par

3 Walsin Esterhazy, commandant, protégé par de hautes relations, espion à la solde de l'Allemagne, jugé mais acquitté le 11 janvier 1898.

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des influences, n'ont-ils couvert Esterhazy que pour perdre une seconde fois Dreyfus. Ah! quel coup de balai le gouvernement républicain devrait donner dans cette jésuitière, ainsi que les appelle le général Billot 4 lui-même! Où est-il le ministère vraiment fort et d'un patriotisme sage, qui osera tout y refondre et tout y renouveler ? Que de gens je connais qui, devant une guerre possible, tremblent d'angoisse en sachant dans quelles mains est la défense nationale et quel nid de basses intrigues, de commérages et de dilapidations, est devenu cet asile sacré où se décide le sort de la patrie. On s'épouvante devant le jour terrible que vient d'y jeter l'affaire Dreyfus, ce sacrifice humain d'un malheureux, d'un «sale juif»! Ah: tout ce qui s'est agité là de démence et de sottise, des imaginations folles, des pratiques de basse police, des mœurs d'inquisition et de tyrannie, le bon plaisir de quelques galonnés mettant leurs bottes sur la nation, lui rentrant dans la gorge son cri de vérité et de justice, sous le prétexte menteur et sacrilège de la raison d'État. Et c'est un crime encore que de s'être appuyé sur la presse immonde, que de s'être laissé défendre par toute la fripouille de Paris. [...]

C'est un crime d'avoir accusé de troubler la France ceux qui la veulent généreuse, à la tête des nations libres et justes, lorsqu'on ourdit soi-même l'impudent complot d'imposer l'erreur devant le monde entier. C'est un crime d'égarer l'opinion, d'utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu'on a pervertie, jusqu'à la faire délirer. C'est un crime d'empoisonner les petits et les humbles, d'exaspérer les passions de réaction et d'intolérance, en s'abritant derrière l'odieux antisémitisme, dont la grande France libérale des droits de l'homme mourra, si elle n'en est pas guérie. C'est un crime que d'exploiter le patriotisme pour des œuvres de haine, et c'est un crime enfin que de faire du sabre le dieu moderne, lorsque toute la science humaine est au travail pour l'œuvre prochaine de vérité et de justice. Cette vérité, cette justice, que nous avons si passionnément voulues, quelle détresse à les voir ainsi souffletées, plus méconnues et plus obscurcies. Je me doute de l'écroulement qui doit avoir lieu dans l'âme de M. Scheurer-Kestner 5 et je crois bien qu'il finira par éprouver un remords, celui de n'avoir pas agi révolutionnairement, le jour de l'interpellation au Sénat, en lâchant tout le paquet, pour tout jeter à bas. Il a été le grand honnête homme, l'homme de sa vie loyale, il a cru que la vérité se suffisait à elle-même, surtout lorsqu'elle lui apparaissait éclatante comme le plein jour. A quoi bon tout bouleverser, puisque bientôt le soleil allait luire? Et c'est de cette sérénité confiante dont il est si cruellement puni. De même pour le lieutenant-colonel Picquart 6

qui, par un sentiment de haute dignité, n'a pas voulu publier les lettres du général Gonse 7. Ces scrupules l'honorent d'autant plus que, pendant qu'il restait respectueux de la discipline, ses supérieurs le faisaient couvrir de boue, instruisaient eux-mêmes son procès, de la façon la plus inattendue et la plus outrageante. Il y a deux victimes, deux braves gens, deux cœurs simples, qui ont laissé faire Dieu, tandis que le diable agissait. Et l'on a même vu, pour le lieutenant-colonel Picquart, cette chose ignoble: un tribunal français, après avoir laissé le rapporteur charger publiquement un témoin, l'accuser de toutes les fautes, a fait le huis clos, lorsque ce témoin a été introduit pour s'expliquer et se défendre. Je dis que cela est un crime de plus et que ce crime soulèvera la conscience universelle. Décidément, les tribunaux militaires se font une singulière idée de la justice.

Telle est donc la simple vérité, monsieur le Président, et elle est effroyable, elle restera pour votre présidence une souillure. Je me doute bien que vous n'avez aucun pouvoir en cette affaire, que vous êtes le prisonnier de la Constitution et de votre entourage. Vous n'en avez pas moins un devoir d'homme, auquel vous songerez, et que vous remplirez. Ce n'est pas, d'ailleurs, que je désespère le moins du monde du triomphe. Je le répète avec une certitude plus véhémente: la vérité est en marche, et

4 Jean-Baptiste Billot, ministre de la Guerre en 1896.5 Auguste Scheurer-Kestner, industriel et vice-président du Sénat, s'engage très tôt dans la défense de Dreyfus.6Georges Picquart, lieutenant-colonel, défend l'innocence de Dreyfus. Nommé général puis ministre de la Guerre après la révision du procès.7 Charles Gonse, général, sous-chef d'état-major de l'armée.

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rien ne l'arrêtera. C'est d'aujourd'hui seulement que l'affaire commence, puisque aujourd'hui seulement les positions sont nettes: d'une part, les coupables qui ne veulent pas que la lumière se fasse; de l'autre, les justiciers, qui donneront leur vie pour qu'elle soit faite. Quand on enferme la vérité sous terre, elle s'y amasse, elle y prend une force telle d'explosion que, le jour où elle a éclaté, elle fait tout sauter avec elle. On verra bien si l'on ne vient pas de préparer, pour plus tard, le plus retentissant des désastres.

Mais cette lettre est longue, monsieur le Président, et il est temps de conclure. J'accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam 8 d'avoir été l'ouvrier diabolique

de l'erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d'avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables. J'accuse le général Mercier 9 de s'être rendu complice, tout au moins par faiblesse d'esprit, d'une des plus grandes iniquités du siècle. J'accuse le général Billot d'avoir eu entre les mains les preuves certaines de l'innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s'être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l'état-major compromis. J'accuse le général de Boisdeffre 10 et le général Gonse de s'être rendus complices du même crime, l'un sans doute par passion cléricale, l'autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la Guerre l'arche sainte, inattaquable. J'accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d'avoir fait une enquête scélérate, j'entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace. J'accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d'avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu'un examen médical ne les déclare atteints d'une maladie de la vue et du jugement.

J'accuse les bureaux de la Guerre d'avoir mené dans la presse, particulièrement dans L'Éclair et dans L'Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l'opinion et couvrir leur faute. J'accuse enfin le premier conseil de guerre d'avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j'accuse le second conseil de guerre d'avoir couvert cette illégalité par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d'acquitter sciemment un coupable. En portant ces accusations, je n'ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c'est volontairement que je m'expose.

Quant aux gens que j'accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n'ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l'acte que j'accomplis ici n'est qu'un moyen révolutionnaire pour hâter l'explosion de la vérité et de la justice. Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière, au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n'est que le cri de mon âme. Qu'on ose donc me traduire en cour d'assises et que l'enquête ait lieu au grand jour!

J'attends...Veuillez agréer, monsieur le Président, l'assurance de mon profond respect.

Émile Zola, «J'accuse», L'Aurore, 13 janvier 1898. [...]

(c) Le salut éternel de la France, Charles PÉGUY (1873-1914).

8 Armand Du Paty de Clam, commandant, chargé, comme officier judiciaire, de l'enquête sur Alfred Dreyfus.9 Auguste Mercier, en charge de la guerre dans les ministères Casimir-Perier (1893) et Dupuy (1893-1894), quitte l'armée en 1898.10 Raoul de Boisdeffre, chef d'état-major de l'armée en 1893, démissionne de cette charge en 1898.

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En 1910 Péguy, répondant à son ami Daniel Halévy dont les réflexions désabusées l'avaient piqué au vif, revient sur l'Affaire Dreyfus et montre ce qu'elle a été pour beaucoup de Français à cette époque: un combat pour la vérité et pour la justice. A ses yeux il s'agissait de plus encore: de l'honneur de la France, du salut éternel de la France sur lequel la raison d'État, si légitime qu'elle puisse paraître, ne saurait jamais prévaloir.

[...] En réalité la véritable situation des gens que nous avions devant nous était pendant longtemps non pas de dire et de croire Dreyfus coupable, mais de croire et dire qu'innocent ou coupable on ne troublait pas, on ne bouleversait pas, on ne compromettait pas, on ne risquait pas pour un homme, pour un seul homme, la vie et le salut d'un peuple, l'énorme salut de tout un peuple. On sous-entendait: le salut temporel. Et précisément notre mystique chrétienne culminait si parfaitement, si exactement avec notre mystique française, avec notre mystique patriotique dans notre mystique dreyfusiste que ce qu'il faut bien voir, et ce que je dirai, ce que je mettrai dans mes confessions, c'est que nous ne nous placions pas moins qu'au point de vue du salut éternel de la France.

Que disions-nous en effet? Tout était contre nous, la sagesse et la loi, j'entends la sagesse humaine, la loi humaine. Ce que nous faisions était de l'ordre de la folie ou de l'ordre de la sainteté, qui ont tant de ressemblances, tant de secrets accords, pour la sagesse humaine, pour un regard humain. Nous allions, nous étions contre la sagesse, contre la loi. Contre la sagesse humaine, contre la loi humaine. Voici ce que je veux dire. Qu'est-ce que nous disions en effet? Les autres disaient: Un peuple, tout un peuple est un énorme assemblage des intérêts, des droits les plus légitimes. Les plus sacrés. Des milliers, des millions de vies en dépendent, dans le présent, dans le passé, (dans le futur), des milliers, des millions, des centaines de millions de vies, le constituent, dans le présent, dans le passé, (dans le futur), (des millions de mémoires), et par le jeu de l'histoire, par le dépôt de l'histoire la garde d'intérêts incalculables. De droits légitimes, sacrés, incalculables.

Tout un peuple d'hommes, tout un peuple de familles tout un peuple de droits, tout un peuple d'intérêts, légitimes; tout un peuple de vies; toute une race; tout un peuple de mémoires; toute l'histoire, toute la montée, toute la poussée, tout le passé, tout le futur, toute la promesse d'un peuple et d'une race; tout ce qui est inestimable, incalculable, d'un prix infini, parce que ça ne se fait qu'une fois, parce que ça ne s'obtient qu'une fois, parce que ça ne se recommencera jamais; parce que c'est une réussite, unique; un peuple, et notamment, nommément ce peuple-ci, qui est d'un prix unique; ce vieux peuple; un peuple n'a pas le droit, et le premier devoir, le devoir étroit d'un peuple est de ne pas exposer tout cela, de ne pas s'exposer pour un homme, quel qu'il soit, quelque légitimes que soient ses intérêts ou ses droits. Quelque sacrés même. Un peuple n'a jamais le droit. On ne perd point une cité, une cité ne se perd point pour un (seul) citoyen. C'était le langage même et du véritable civisme et de la sagesse, c'était la sagesse même, la sagesse antique. C'était le langage de la raison.

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A ce point de vue il était évident que Dreyfus devait se dévouer pour la France; non pas seulement pour le repos de la France, mais pour le salut même de la France, qu'il exposait. Et s'il ne voulait pas se dévouer lui-même, dans le besoin on devait le dévouer. Et nous que disions-nous? Nous disions: une seule injustice, un seul crime, une seule illégalité, surtout si elle est officiellement enregistrée, confirmée, une seule injure à l'humanité, une seule injure à la justice et au droit, surtout si elle est universellement, légalement, nationalement, commodément acceptée, un seul crime rompt et suffit à rompre tout le pacte social, tout le contrat

social, une seule forfaiture, un seul déshonneur suffit à perdre, d'honneur, à déshonorer tout un peuple. C'est un point de gangrène, qui corrompt tout le corps. Ce que nous défendons, ce n'est pas seulement notre honneur. Ce n'est pas seulement l'honneur de tout notre peuple, dans le présent, c'est l'honneur historique de notre peuple, tout l'honneur historique de toute notre race, l'honneur de nos aïeux, l'honneur de nos enfants. Et plus nous avons de passé, plus nous avons de mémoire, (plus ainsi, comme vous le dites, nous avons de responsabilité), plus ainsi aussi ici nous devons la défendre ainsi. Plus nous avons de passé derrière nous, plus (justement) il nous faut le défendre ainsi, le garder pur. Je rendrai mon sang pur comme je l'ai reçu. C'était la règle et l'honneur et la poussée cornélienne, la vieille poussée cornélienne. C'était la règle et l'honneur et la poussée chrétienne. Une seule tache entache toute une famille. Elle entache aussi tout un peuple. Un seul point marque l'honneur de toute une famille. Un seul point marque aussi l'honneur de tout un peuple. Un peuple ne peut pas rester sur une injure, subie, exercée, sur un crime, aussi solennellement, aussi définitivement endossé. L'honneur d'un peuple est d'un seul tenant.

Qu'est-ce à dire, à moins de ne pas savoir un mot de français, sinon que nos adversaires parlaient le langage de la raison d'État, qui n'est pas seulement le langage de la raison politique et parlementaire, du méprisable intérêt politique et parlementaire, mais beaucoup plus exactement, beaucoup plus haut qui est le langage, le très respectable langage de la continuité, de la continuation temporelle du peuple et de la race, du salut temporel du peuple et de la race. Ils n'allaient pas à moins. Et nous par un mouvement chrétien profond, par une poussée très profonde révolutionnaire et ensemble traditionnelle de christianisme, suivant en ceci une tradition chrétienne des plus profondes, des plus vivaces, des plus dans la ligne, dans l'axe et au cœur du christianisme, nous nous n'allions pas à moins qu'à nous élever je

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ne dis pas (jusqu') à la conception, mais à la passion, mais au souci d'un salut éternel, du salut éternel de ce peuple, nous n'atteignions pas à moins qu'à vivre dans un souci constant, dans une préoccupation, dans une angoisse mortelle, éternelle, dans une anxiété constante du salut éternel de notre peuple, du salut éternel de notre race.

Tout au fond nous étions les hommes du salut éternel et nos adversaires étaient les hommes du salut temporel. Voilà la vraie, la réelle division de l'affaire Dreyfus.

Tout au fond nous ne voulions pas que la France fût constituée en état de péché mortel. Il n'y a que la doctrine chrétienne au monde, dans le monde moderne, dans aucun monde, qui mette à ce point, aussi délibérément, aussi totalement, aussi absolument la mort temporelle comme rien, comme une insignifiance, comme un zéro au prix de la mort éternelle, et le risque de la mort temporelle comme rien au prix du péché mortel, au prix du risque de la mort éternelle.

Tout au fond nous ne voulions pas que par un seul péché, mortel, complaisamment accepté, complaisamment endossé, complaisamment acquis pour ainsi dire notre France fût non pas seulement déshonorée devant le monde et devant l'histoire: qu'elle fût proprement constituée en état de péché mortel [...]

Charles PÉGUY, Notre jeunesse, Paris, 8, rue de la Sorbonne, 1910.

(d) Maurice BARRÈS, Un Homme libre (1904).

[...] Nous ne sommes pas les maîtres des pensées qui naissent en nous. Elles sont des façons de réagir ou de traduire de très anciennes dispositions physiologiques. Selon le milieu où nous sommes plongés, nous élaborons des jugements et des raisonnements. Il n’y a pas d’idées personnelles; les idées même les plus rares, les jugements même les plus abstraits, les sophismes de la métaphysique la plus infatuée sont des façons de sentir générales et apparaissent nécessairement chez tous les êtres de même organisme assiégés par les mêmes images. Notre raison, cette reine enchaînée, nous oblige à placer nos pas sur les pas de nos prédécesseurs [...] nous sommes le prolongement et la continuité de nos pères et mères.

C'est peu de dire que les morts pensent et parlent pour nous; toute une suite des descendants ne fait qu'un même être [...] C'est comme un ordre architectural que l'on perfectionne: c'est toujours le même ordre. C'est comme une maison où l'on introduit d'autres dispositions: non seulement elle repose sur les mêmes assises, mais encore elle est faite des mêmes moellons, et c'est toujours la même maison [...] Les ancêtres que nous prolongeons ne nous transmettent intégralement l'héritage accumulé de leurs âmes que par la permanence de l'action terrienne. C'est en maintenant sous nos yeux l'horizon qui cerna leurs travaux, leurs félicités ou leurs ruines que nous entendrons le mieux ce qui nous est permis ou défendu. De la campagne, en toute saison, s'élève le chant des morts [...] les morts auraient peu fait de nous donner la vie, si la terre devenue leur sépulcre ne nous conduisait aux lois de la vie.

Chacun de nos actes qui dément notre terre et nos morts nous enfonce dans un mensonge qui nous stérilise. Comment ne serait-ce point ainsi? En eux, je vivais depuis les commencements de l'être, et des conditions qui soutinrent ma vie obscure à travers les siècles qui me prédestinèrent me renseignent assurément mieux que les expériences où mon caprice a pu m'aventurer depuis une trentaine d'années [...]

(e) Paul DÉROULÈDE (1846-1914), Discours à la Ligue des Patriotes, 16 juillet 1899.

[...] «Vive l'Armée!» Que d'éloges et de blâmes dans ces deux mots! Vive l'Armée qui se sacrifie! l'Armée qui souffre, l'Armée qui veille! Vive ce qu'il y a à l'heure

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actuelle, de meilleur et de plus pur dans notre France: l'esprit d'abnégation, l'esprit de discipline, l'esprit de solidarité, l'esprit de patrie! Ce cri unique, qui a retenti depuis le champ de manoeuvre de la revue jusqu'à la porte des casernes, n'était-il pas en même temps la condamnation et la flétrissure de tous ces politiciens de bas étage, quel que soit le rang auquel ils sont montés?

A quoi bon crier: A bas les ministres! A bas les présidents! A bas les Panamistes11! A bas les Dreyfusards! A bas les Parlementaires et le Parlementarisme! les corrupteurs et les corrompus!

Est-ce que ces deux mots-là ne disent pas tout ce qu'il y a à dire: «Vive l'Armée!»

Oh! oui, vive l'Armée! qui est notre dernier honneur, notre dernier recours, notre suprême sauvegarde.

Modeste et résignée comme elle l'est, peut-être ne comprend-elle pas tout ce que le Peuple met en elle d'espoir national et de foi patriotique? Peut-être a-t-elle besoin de se sentir encore plus sûre d'être en communion d'idées avec la foule des bons Français? Car, Dieu merci! nous sommes encore la foule.

Pour nous aider à secouer le joug des sectes et des coteries, peut-être hésite-t-elle encore à franchir le Rubicon dérisoire qu'a tracé pour elle une Constitution usurpatrice de tous les pouvoirs et violatrice de tous les droits? Que nos cris d'hier, que vos acclamations de tout à l'heure, que mon discours d'aujourd'hui la rassurent et l'éclairent. Le Peuple est avec elle: qu'elle soit avec le Peuple! [...]

(f) L'ampleur de l'antisémitisme en France

(i) La Ligue Antisémitique de France : «Appel aux Français» (La Libre Parole, 24 octobre 1898)

Le décret Crémieux, du 14 octobre 1871, qui avait naturalisé en bloc tous les Juifs d'Algérie, les attachant ainsi à la République, avait été très mal supporté par la plupart des non-Juifs qui firent preuve d'un antisémitisme virulent. Les antisémites algériens concrétisèrent ces sentiments antijuifs dans des succès électoraux considérables. Dès le mois de mai 1897 des déchaînements violents éclatèrent visant des commerces juives et des synagogues. Entre le 18 et le 20 janvier 1898, sous l'effet de l'Affaire Dreyfus, ce sont des émeutes sanglantes antijuives qui se produisirent, faisant des morts (par lapidation en certains cas) et des centaines de blessés.

[...] A nos camarades de la Ligue antisémitique de France,A nos Amis AntisémitiquesA tous nos ConcitoyensL'heure est grave. La Patrie est menacée dans son existence même. Venus en

haillons chez nous, les Juifs nous ont tout enlevé. Ils détiennent aujourd'hui les deux tiers de la fortune nationale. Ils ont confisqué à leur profit tous les moyens de production. Ils ont accaparé la Monnaie métallique. Ils sont les maîtres, à la Banque de France, de notre Trésor de guerre. Nos chemins de fer sont à leur merci. Ils peuvent donc compromettre notre Défense Nationale, en entravant, au moment d'une guerre qu'ils s'acharnent à provoquer, les services d'armements, d'approvisionnements et de mobilisation.

A l'aide d'escroqueries monstrueuses, ils ont raflé les modestes épargnes de ceux qui avaient économisé toute leur vie pour assurer le repos de leur vieillesse. Par les accaparements et les coalitions financières, ils ont troublé profondément la vie des Travailleurs. Les Juifs sont les auteurs responsables de la crise économique qui menace de la ruine et de la misère tous les producteurs : Agriculteurs, Industriels,

11 Personnes impliqées dans le scandale du financement du canal de Panama

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Commerçants, Employés et Ouvriers. Pendant que, malgré un travail acharné, les Français s'appauvrissent et se ruinent.

Les Juifs seuls s'enrichissent. Le Peuple ne peut plus supporter leur joug et doit se révolter contre eux. Pour conserver leurs privilèges chez nous, ils veulent faire appel à l'Étranger. Ils préparent la défaite en s'attaquant à L'Armée Nationale, la sauvegarde suprême de la Patrie. Ils traînent le drapeau dans la boue. Ils traitent de misérables et de faussaires les chefs chargés de conduire nos soldats au feu pour défendre la France menacée. Ils ont organisé cyniquement la guerre civile au moment où nous ne pourrions échapper que par l'union aux dangers et aux coalitions qui nous menacent de tous les côtés.

Français,Vous nous rendrez cette justice que nous vous avons avertis depuis longtemps.

Vous ne pouvez oublier que nous n'avons pas cessé de vous dénoncer cet ennemi de l'intérieur qui est cent fois plus dangereux pour nous que tous les ennemis de l'extérieur. Malgré toutes les attaques et toutes les calomnies nous avons fait notre devoir en vous prévenant.

Français,Nous vous répétons aujourd'hui ce que nous vous avons dit tant de fois : Si

vous voulez qu'il y ait une France, si vous voulez que cette France vive, si vous voulez vivre vous-mêmes indépendants et fiers en défendant une terre qui est la vôtre, ayez le courage de regarder en face le mal qui vous ronge. Grâce à leur virilité et à leur énergie; nos frères d'Algérie seront bientôt débarrassés de ce Juif qui les exploitait jusqu'au sang. Aurez-vous moins de courage et de résolution que nos amis de là-bas?

Français!Votre destiné est entre vos mains. Sachez faire votre devoir et la Patrie peut

encore être sauvée. Que mardi retentisse partout autour du Palais Bourbon ce cri qui résume le sentiment de notre coeur! Vive la France! A bas les Juifs! Vive l'Armée! A bas les traîtres!

Edouard DRUMONTPrésident d'honneur de la ligue antisémitique de FranceJules GUÉRINDélégué général [...]

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(ii) Le programme de L'Action Française (1908)

" L'Action française est le journal des bons citoyens désabusés de la République, ralliés à la Monarchie. [...] Seuls les intéressés, les nigauds et les pauvres primaires ignorants peuvent se soustraire à cette évidence : LA RÉPUBLIQUE C'EST LE MAL.

La République est le gouvernement des Juifs, des Juifs traîtres [...], des Juifs voleurs [...], des Juifs corrupteurs du peuple et persécuteurs de la religion catholique [...].

La République est le gouvernement des pédagogues protestants qui importent d'Allemagne, d'Angleterre et de Suisse un système d'éducation qui abrutit et dépayse le cerveau des jeunes Français.

La République est le gouvernement des francs-maçons qui n'ont qu'une haine : l'Église, qu'un amour : les sinécures et le trésor public ; fabricants de guerre civile, de guerre religieuse, de guerre sociale, parasites de nos finances, ils nous mèneront à une banqueroute matérielle et morale [...].

La République est le gouvernement de ces étrangers plus ou moins naturalisés ou métèques, qui [...] accaparent le sol de la France, ils disputent aux travailleurs de sang français leur juste salaire, ils font voter des lois qui ruinent l'industrie [...].

Régime abominable [...], la République est décidément condamnée, et la seule inquiétude de la raison française tient à ce qu'on ignore qui l'on mettra à la place de ce qui est. NOUS Y METTRONS LE ROI.

Le Roi : c'est-à-dire la France personnifiée par le descendant et l'héritier des quarante chefs qui l'ont faite, agrandie, maintenue et développée [...]. Il est trop ridicule de vouloir être un peuple fort, un peuple puissant en Europe, sans un chef héréditaire pour veiller à notre destinée historique.

Mais le gouvernement du Roi est aussi le seul qui, en maintenant l'ordre, puisse effectuer parmi nous les mêmes progrès sociaux qu'ont accomplis les monarchies voisines, et ajouter à ces progrès tout ce que la richesse et le génie de notre race permettent de prévoir et de réaliser [...].

Patriotes français, nationalistes, antidreyfusards, catholiques - hommes d'ordre, hommes de progrès - riches, pauvres, de toute classe, de tout métier, de tout parti, vous qui en avez assez, qui êtes las de gémir, qui voulez en finir : vous lirez tous l'Action Française qui dira chaque jour, non seulement les maux publics, mais le moyen, le moyen sûr, le moyen radical, l'unique moyen de terminer les misères de la Patrie, JETER À BAS LA RÉPUBLIQUE ! PROCLAMER LE DUC D'ORLÉANS."

1. Explain why the Jews were a target for the nationalist thinkers and movements in the Belle Epoque before the Dreyfus Affair?2. To what extent was nationalism at the end of the 19th century a struggle against the values of the Revolution of 1789?3. The Affair was a confrontation between the idea of justice and the raison d'état. Discuss this statement with reference to the struggle between dreyfusards and antidrefusards. Was this struggle really a guerre franco-française?

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V. L E S O C I A L I S M E E T L E C O M M U N I S M E F R A N Ç A I S

(a) L’internationale (Version définitive) Paroles de Eugène Pottier, musique de Pierre DegeyterAu citoyen Lefrançais, membre de la Commune. Chantée pour la première fois le 23 juillet 1888

Couplet 1 :Debout ! les damnés de la terre !Debout ! les forçats de la faim !La raison tonne en son cratère,C’est l’éruption de la fin.Du passé faisons table rase,Foule esclave, debout ! debout !Le monde va changer de base :Nous ne sommes rien, soyons tout !

Refrain : (2 fois sur deux airs différents)C’est la lutte finaleGroupons-nous, et demain,L’Internationale,Sera le genre humain.

Couplet 2 :Il n’est pas de sauveurs suprêmes,Ni Dieu, ni César, ni tribun,Producteurs sauvons-nous nous-mêmes !Décrétons le salut commun !Pour que le voleur rende gorge,Pour tirer l’esprit du cachot,Soufflons nous-mêmes notre forge,Battons le fer quand il est chaud !Refrain

Couplet 3 :L’État comprime et la loi triche,L’impôt saigne le malheureux ;Nul devoir ne s’impose au riche,Le droit du pauvre est un mot creux.C’est assez languir en tutelle,L’égalité veut d’autres lois :« Pas de droits sans devoirs, dit-elle,Égaux, pas de devoirs sans droits ! »Refrain

Couplet 4 :Hideux dans leur apothéose,Les rois de la mine et du rail,Ont-ils jamais fait autre chose,Que dévaliser le travail ? Dans les coffres-forts de la bande,Ce qu’il a créé s’est fondu.En décrétant qu’on le lui rende,Le peuple ne veut que son dû.

Refrain

Couplet 5 :Les Rois nous saoulaient de fumées,Paix entre nous, guerre aux tyrans !Appliquons la grève aux armées,Crosse en l’air et rompons les rangs !S’ils s’obstinent, ces cannibales,A faire de nous des héros,Ils sauront bientôt que nos ballesSont pour nos propres généraux.

Refrain

Couplet 6 :Ouvriers, Paysans, nous sommesLe grand parti des travailleurs ;La terre n’appartient qu’aux hommes,L'oisif ira loger ailleurs.Combien de nos chairs se repaissent !Mais si les corbeaux, les vautours,Un de ces matins disparaissent,Le soleil brillera toujours !

Refrain

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(b) Jean Jaurès, Les deux méthodes. Conférence à l'Hippodrome Lillois (1900)

La conférence fait partie d'un débat entre Jaurès et le marxiste Jules Guesde , débat qui porte en premier lieu sur l'entrée du socialiste Millerand dans un gouvernement «bourgeois», soutenue par Jaurès et contestée par Guesde. Tous les deux, cependant, font remonter leur différend à l'Affaire Dreyfus, où Jaurès s'est engagé contre l'avis du parti socialiste.

[...] Oui, le parti socialiste est un parti d'opposition continue, profonde, à tout le système capitaliste, c'est-à-dire que tous nos actes, toutes nos pensées, toute notre propagande, tous nos votes doivent être dirigés vers la suppression la plus rapide possible de l'iniquité capitaliste. Mais, de ce que le parti socialiste est ainsi foncièrement, essentiellement, un parti d'opposition à tout le système social, il ne résulte pas que nous n'ayons à faire aucune différence entre les différents partis bourgeois qui se succèdent.

Ah oui! la société d'aujourd'hui est divisée entre capitalistes et prolétaires; mais, en même temps, elle est menacée par le retour offensif de toutes les forces du passé, par le retour offensif de la barbarie féodale, de la toute puissance de l'Église, et c'est le devoir des socialistes, quand la liberté républicaine est en jeu, quand la liberté intellectuelle est en jeu, quand la liberté de conscience est menacée, quand les vieux préjugés qui ressuscitent les haines de races et les atroces querelles religieuses des siècles passés paraissent renaître, c'est le devoir du prolétariat socialiste de marcher avec celle des fractions bourgeoises qui ne veut pas revenir en arrière. (Applaudissements bruyants et prolongés).

Je suis étonné, vraiment, d'avoir à rappeler ces vérités élémentaires, qui devraient être le patrimoine et la règle de tous les socialistes. C'est Marx lui-même qui a écrit cette parole admirable de netteté: «Nous, socialistes révolutionnaires, nous sommes avec le prolétariat contre la bourgeoisie et avec la bourgeoisie contre les hobereaux et les prêtres». [...] Et de même qu'il est impossible au prolétariat socialiste, sans manquer à tous ses devoirs, à toutes ses traditions et a tous ses intérêts, de ne pas faire une différence entre les fractions bourgeoises les plus violemment rétrogrades et celles qui veulent au moins sauver quelques restes ou quelque commencement de liberté, il est impossible, particulièrement aux élus socialistes, de ne pas faire une différence entre les divers gouvernements bourgeois.

Je n'ai pas besoin d'insister là-dessus, et le bon sens révolutionnaire du peuple fait, lui, une différence entre le ministère Méline12 et le ministère Bourgeois13; il fait une différence entre le ministère d'aujourd'hui et les combinaisons socialistes qui le guettent. [...]

J'ajoute, citoyens, pour aller jusqu'au bout de ma pensée: il y a des heures où il est de l'intérêt du prolétariat d'empêcher une trop violente dégradation intellectuelle et morale de la bourgeoisie elle-même et voilà pourquoi, lorsque, à propos d'un crime militaire, il s'est élevé entre les diverses fractions bourgeoises la lutte que vous savez, et lorsqu'une petite minorité bourgeoise, contre l'ensemble de toutes les forces de mensonges déchaînées, a essayé de crier justice et de faire entendre la vérité, c'était le devoir du prolétariat de ne pas rester neutre, d'aller du côté où la vérité souffrait, où l'humanité criait.

Guesde a dit à la Salle Vantier «que ceux qui admirent la société capitaliste s'occupent de redresser les erreurs; que ceux qui admirent, disait il, le soleil capitaliste s'appliquent à en effacer les taches».

Eh bien, qu'il me permette de lui dire; le jour où contre un homme un crime se commet; le jour où il se commet par la main de la bourgeoisie, mais où le prolétariat en intervenant pourrait empêcher ce crime, ce n'est plus la bourgeoisie seule qui en est responsable c'est le prolétariat lui-même; c'est lui qui, en n'arrêtant pas la main du bourreau prêt à frapper, devient le complice du bourreau; et alors ce n'est plus la tache qui voile, qui flétrit le soleil capitaliste déclinant, c'est la tache qui vient flétrir le soleil socialiste levant. Nous n'avons pas voulu de cette flétrissure de honte, sur l'aurore du prolétariat. (Applaudissements et bravos prolongés). [...]

12 Premier ministre de droite qui gouverna la France de 1896 à 189813 Premier ministre radical en 1896

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(c) Léon Blum, Discours au Congrès de Tours, 27 décembre 1920

Le débat dans lequel figure ce discours célèbre, et qui mène directement à la scission entre SFIO et PCF, porte sur les conditions ('thèses' dans le texte) dictées par Lénine à tout parti socialiste qui cherche à adhérer à la IIIe Internationale socialiste. Au moment de parler, Blum sait déjà que le parti est perdu, et son discours devient donc en quelque sorte le manifeste du nouveau parti socialiste.

[...] Dans tous les débats de Moscou on prévoit - et on ne pouvait pas ne pas le prévoir - l'épuration complète et radicale de tout ce qui est jusqu'à présent le Parti socialiste. C'est pour cela que l'on dit: quiconque n'acceptera pas les thèses dans leur lettre et dans leur esprit n'entrera pas dans le Parti communiste et dans la IIIe Internationale; quiconque votera contre l'adhésion et n'aura pas fait sa soumission entière dans le délai donné, sera chassé de la IIIe Internationale [...] Tout cela est logique. Vous voulez un parti entièrement homogène, un parti dans lequel il n'y ait plus de liberté de pensée, plus de division de tendance: vous avez donc raison d'agir ainsi que vous le faites. Cela résulte - je vais vous le prouver - de votre conception révolutionnaire elle-même. Mais vous comprendrez qu'envisageant cette situation, la considérant, faisant la comparaison de ce qui sera demain avec ce qui était hier, nous ayons tout de même un mouvement d'effroi, de recul et que nous disions: «Est-ce là le parti que nous avons connu? Non!» Le parti que nous avons connu, c'était l'appel à tous les travailleurs, tandis que celui qu'on veut fonder c'est la création de petites avant-gardes disciplinées, homogènes, soumises à un commandement rigoureux - leur effectif importe peu, vous le trouverez dans les thèses - mais toutes bien en mains, et prêtes à une action prompte, une action décisive. [...]

Un parti de révolution

Maintenant, camarades, pourquoi cette organisation où, malgré tout, on se prive d'un des éléments qui, jusqu'à présent, dans toutes les organisations révolutionnaires, avait paru l'élément essentiel: le nombre? Où l'on sacrifie tout à la discipline, à l'homogénéité, à la promptitude dans cette faculté de mobilisation dont je parlais tout à l'heure?

Pour une raison bien simple, c'est que cette notion de l'organisation est exactement celle qui répond à la conception révolutionnaire, qui est au centre même du communisme.

[...]Je ne connais pas deux espèces de socialisme, dont l'un serait révolutionnaire et dont

l'autre ne le serait pas. Je ne connais qu'un socialisme, le socialisme révolutionnaire, puisque le socialisme est un mouvement d'idée et d'action qui mène à une transformation totale du régime de la propriété, et que la révolution c'est, par définition, cette transformation même. Où donc est le point de désaccord, le point de conflit entre vous et nous? Je vais essayer de le préciser. C'est bien entendu le désaccord capital.

Révolution, cela signifie, pour le socialisme traditionnel français: transformation d'un régime économique fondé sur la propriété privée en un régime fondé sur la propriété collective ou commune, voilà ce que cela veut dire. C'est cette transformation qui est par elle-même la révolution, et c'est elle seule, indépendamment de tous les moyens quelconques qui seront appliqués pour arriver à ce résultat.

Révolution, cela veut dire quelque chose de plus. Cela veut dire que ce passage d'un ordre de propriété à un régime économique essentiellement différent ne sera pas le résultat d'une série de réformes additionnées, de modifications insensibles de la société capitaliste. [...]

Nous entendons encore autre chose par le mot révolution. C'est que cette rupture de continuité qui est le commencement de la révolution elle-même a, comme condition nécessaire, mais non suffisante, la conquête du pouvoir politique. Cela est à la racine même de notre doctrine. Nous pensons, nous, socialistes, que la transformation révolutionnaire de la

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propriété ne peut s'accomplir que lorsque nous aurons conquis le pouvoir politique. (Exclamations. Applaudissements. Bruit.)

[...] La conquête des pouvoirs publics, qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie: prise de l'autorité centrale qui, actuellement, s'appelle l'État, par n'importe quels moyens, sans que ni les moyens légaux ni les moyens illégaux soient exclus. (Applaudissements. Bruit.) C'est la pensée socialiste. Le socialisme international ou le socialisme français n'ont jamais limité les moyens dont ils se serviraient pour la conquête du pouvoir politique. Lénine lui-même a admis qu'en Angleterre le pouvoir politique pourrait parfaitement être conquis par les moyens électoraux. Mais il n'y a pas un socialiste, si modéré soit-il, qui se soit jamais condamné à n'attendre que d'un succès électoral la conquête du pouvoir. Là-dessus, il n'y a aucune discussion possible. Notre formule à tous est cette formule de Guesde, que Bracke me répétait il y a quelque temps: «Par tous les moyens, y compris les moyens légaux».

Mais cela dit, où apparaît le point de divergence? Il apparaît en ceci, c'est que la conception révolutionnaire que je viens de vous indiquer et qui était celle de Jaurès, de Vaillant, de Guesde, a toujours eu à se défendre contre deux déviations contraires et a toujours frayé difficilement son chemin entre une déviation de droite et une déviation de gauche. La première est précisément la déviation réformiste. Le fond de la thèse réformiste, c'est que, sinon la totalité de la transformation sociale, du moins ce qu'il y a de plus substantiel dans les avantages qu'elle doit procurer à la classe ouvrière, peut être obtenu sans crise préalable du pouvoir politique. Là est l'essence du réformisme.

Mais il y a une seconde erreur, dont je suis bien obligé de dire qu'elle est, dans son essence, anarchiste. C'est celle qui consiste à penser que la conquête des pouvoirs publics est par elle-même une fin, alors qu'elle n'est qu'un moyen (Très bien), qu'elle est le but, alors qu'elle n'est que la condition, qu'elle est la pièce, alors qu'elle n'est que le prologue. (Très bien.)

Que la fin révolutionnaire, que l'idéal révolutionnaire, ce soit la prise des pouvoirs publics en elle-même et par elle-même, indépendamment de la transformation sociale dont elle doit devenir le moyen, cela, je le répète, c'est une conception anarchiste. Car, lorsque vous raisonnez ainsi, quel est le seul résultat positif, certain, que vous ayez en vue? C'est la destruction de l'appareil gouvernemental actuel. Lorsque vous vous fixez à vous-même comme but la prise du pouvoir, sans être sûr que cette prise du pouvoir puisse aboutir à la transformation sociale, le seul but positif de votre effort, c'est la destruction de ce qui est, et que l'on appelle l'appareil gouvernemental bourgeois. Erreur anarchiste dans son origine et qui, à mon avis, est à la racine de la doctrine communiste. [...]

Ouvrez votre carte du Parti. Quel est l'objet que le Parti socialiste jusqu'à présent se donnait à lui-même? C'est la transformation du régime économique.

Ouvrez les statuts de l'Internationale communiste. Lisez l'article dans lequel l'Internationale définit son but. Quel est ce but? La lutte à main armée contre le pouvoir bourgeois14.

Je vais tout de suite vous montrer, faisant de votre propre doctrine un effort d'explication dont vous devriez me savoir plus de gré, à quoi correspond, selon moi, cette conception. Je veux montrer à quoi, dans la pensée de Lénine et des rédacteurs des thèses correspond cette nouvelle notion révolutionnaire. Elle répond à cette pensée, profondément ancrée dans l'esprit des rédacteurs des thèses et qui y revient sans cesse: c'est qu'il est impossible, avant la prise des pouvoirs publics, d'accomplir un travail de propagande et d'éducation ouvrière efficace. Ce qui revient à dire que la conquête des pouvoirs publics n'est pas seulement, comme nous l'avons toujours dit, la condition de la transformation sociale, mais qu'elle est déjà la condition des premiers efforts d'organisation et de propagande qui devront plus tard mener à cette transformation.

14 Le texte complet est le suivant: L'Internationale communiste se donne pour but la lutte armée pour le renversement de la bourgeoisie internationale, et la création de la république internationale des soviets, première étape dans la voie de la suppression complète de tout régime gouvernemental. (Statuts de l'lnternationale communiste)

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Ce que pense Lénine, c'est que tant que la domination de la classe capitaliste sur la classe ouvrière ne sera pas brisée par la violence, tout effort pour rassembler, éduquer et organiser cette classe ouvrière demeurera nécessairement vain. De là cette sommation impérative d'avoir à prendre le pouvoir tout de suite, le plus vite possible, puisque c'est de cette conquête que vont dépendre, non pas seulement vos efforts terminaux, mais vos efforts initiaux, puisque même les premiers éléments de votre tâche socialiste ne commenceront que quand vous aurez pris le pouvoir. (Applaudissements.)

Mais cela - je demande pardon de le répéter à ceux qui l'ont déjà entendu- je le conçois quand on est en présence d'un prolétariat tel que le prolétariat russe et d'un pays tel que la Russie, où l'on n'avait fait avant la prise du pouvoir aucune propagande d'ensemble efficace. On peut alors s'imaginer qu'avant tout il faut briser le pouvoir bourgeois pour que cette propagande même devienne possible. Mais, dans nos pays occidentaux, est-ce que la situation est la même? Je me refuse à concéder que, jusqu'à cette conquête des pouvoirs publics, que vous ferez sans doute demain, il n'y aura pas eu dans ce pays une propagande socialiste. Je me refuse à dire que tout travail passé n'a servi de rien, et que tout est à faire. Non, beaucoup a été fait, et vous n'avez pas le droit de vous démentir et de vous renier aujourd'hui.

[...]Si vous estimez que le but c'est la transformation, que c'est la transformation qui est la

révolution, alors tout ce qui, même dans le cadre de la société bourgeoise, peut préparer cette transformation, devient travail révolutionnaire. Si là est la révolution, alors l'effort quotidien de propagande qu'accomplit le militant, c'est la révolution avançant un peu chaque jour.

Tout ce qui est organisation et propagande socialiste, tout ce qui est extension à l'intérieur de la société capitaliste de ces organisations ouvrières de toutes sortes, sur lesquelles la société collectiviste reposera un jour, tout cela est révolutionnaire.[....]

Mais si, au contraire, l'objet unique est la prise des pouvoirs publics le plus promptement possible, alors toute cette activité devient inutile. [...] Si la crise est si proche, et si cette crise est la révolution, alors, en effet, n'a de valeur révolutionnaire que ce qui prépare, pour le plus bref délai possible, la conquête de pouvoirs publics. On comprend alors toute votre conception d'organisation, car elle est faite en vue de cela, faite pour qu'aucune occasion ne soit perdue, pour que les troupes d'attaque soient toujours là bien en main, prêtes à obéir au premier signal, chaque unité transmettant au-dessous d'elle l'ordre reçu d'en haut.

Cette idée de la conquête des pouvoirs publics chez vous, où vous mène-t-elle encore? Vous savez bien, puisque le nombre vous importe peu, que vous ne ferez pas la conquête des pouvoirs publics avec vos seules avant-gardes communistes? A cette théorie d'organisation que j'ai analysée, vous ajoutez donc la tactique des masses, par un souvenir de la vieille doctrine blanquiste15, car la filiation est certaine.

Vous pensez, profitant d'une circonstance favorable, entraîner derrière vos avant-gardes les masses populaires non communistes, non averties de l'objet exact du mouvement, mais entretenues par votre propagande dans un état de tension passionnelle suffisamment intense. C'est bien là votre conception. [...]

Cette tactique des masses inconscientes, entraînées à leur insu par des avant-gardes, cette tactique de la conquête des pouvoirs publics par un coup de surprise en même temps que par un coup de force, mes amis et moi, nous ne l'admettons pas, nous ne pouvons pas l'admettre. Nous croyons qu'elle conduirait le prolétariat aux plus tragiques désillusions. Nous croyons que, dans l'état actuel de la société capitaliste, ce serait folie que de compter sur les masses inorganiques. Nous savons, en France, ce que sont les masses inorganiques. Nous savons derrière qui elles vont un jour et derrière qui elles vont le lendemain. Nous savons que les masses inorganiques étaient un jour derrière Boulanger et marchaient un autre jour derrière Clemenceau. . . (Applaudissements.) Nous pensons que tout mouvement de prise du pouvoir qui s'appuierait sur l'espèce de passion instinctive, sur la violence moutonnière des masses profondes et inorganiques, reposerait sur un fondement bien fragile et serait exposé à de bien dangereux retours. Nous ne savons pas avec qui seraient, le lendemain, les masses

15 doctrine blanquiste: doctrine socialiste de Louis-Auguste Blanqui, qui participa à la Commune et prêcha la violence révolutionnaire

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que vous auriez entraînées la veille. Nous pensons qu'elles manqueraient peut-être singulièrement de stoïciens révolutionnaires. Nous pensons qu'au premier jour où les difficultés matérielles apparaîtraient, le jour où la viande ou le lait arriveraient avec un peu de retard, vous ne trouveriez peut-être pas chez elles la volonté de sacrifice continu et stoïque qu'exigent, pour triompher jusqu'au bout, les mouvements que vous envisagez. Et ceux qui auraient marché derrière vous la veille, seraient peut-être, ce jour-là, la premiers à vous coller au mur.

Non, ce n'est pas par la tactique des masses inorganiques entraînées derrière vos avant-gardes communistes que vous avez des chances de prendre le pouvoir. Vous avez des chances de prendre le pouvoir dans ce pays, savez-vous comment? Par de vastes mouvements ouvriers à caractère organique (Très bien), supposant une éducation et une puissance de moyens poussés aussi loin que possible. Vous ne ferez pas la révolution avec ces bandes qui courent derrière tous les chevaux. Vous la ferez avec des millions d'ouvriers organisés, sachant ce qu'ils veulent, quelles méthodes ils emploieront pour aller au but, prêts à accepter les souffrances et les sacrifices nécessaires.

[...]

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(d) Maurice THOREZ : Allocution radiodiffusée par Radio-Paris le 17 avril 1936."Pour une France libre, forte et heureuse" 16.

Peuple de France, Un vent de détresse souffle sur notre beau pays. Depuis cinq années déjà, la crise

économique sévit dans l'industrie, l'agriculture, le commerce et les finances publiques et privées. Les conséquences en sont surtout douloureuses pour les travailleurs des villes et des champs [...] Nous pourrions cependant vivre heureux dans notre France que la nature et l'industrie de ses fils ont pourvue d'abondantes richesses [...] Mais les usines ferment leurs portes, les machines tournent au ralenti, les ateliers se vident. La classe ouvrière est condamnée au chômage et le peuple connaît la misère. C’est que les richesses, fruit du travail accumulé durant de nombreuses générations, sont devenues la propriété d'une minorité parasite qui les exploite à son seul profit. Les ouvriers n'ont pas la possibilité de se procurer les marchandises qu’ils fabriquent. Les paysans ne peuvent obtenir en échange de leurs produits aux prix avilis, les objets manufacturés et les machines que les groupements capitalistes leur imposent au prix fort. Obligation de produire, interdiction de consommer, de cette contradiction résultent la crise, le chômage et la misère généralisée. Oui, les responsables de la crise et des souffrances qu’elle provoque sont ces “200 familles qui dominent l’économie et la politique de la France”.

Les représentants de cette oligarchie financière siègent au conseil de régence de la Banque de France depuis sa fondation par Bonaparte en 1803. La France, depuis 130 ans, a connu trois révolutions, elle a changé cinq fois de régime politique. A travers ces vicissitudes diverses, ces naufrages et ces bouleversements, seuls les maîtres du pouvoir financier sont demeurés immuables incarnant la domination constante du Capital [...] On l'a vu à la suite du 6 février 1934. Les gouvernements nés de l'émeute fasciste n'ont pas inquiété les spéculateurs, les profiteurs, les voleurs [...] A coups de décrets-lois, ils ont réduit les salaires, les traitements [...]

Le règne des 200 familles ne provoque pas seulement la ruine de notre pays [...] Il conduit à une lamentable déchéance. Parallèlement à l'étalage de la corruption des classes dominantes, éclaboussées par la boue et le sang de retentissants scandales financiers, la crise et la misère déterminent un fléchissement inquiétant de la moralité. On constate le développement de la prostitution. La criminalité prend des proportions effrayantes. Voilà que tendent à s'implanter chez nous les moeurs des gangsters de Chicago, y compris cet aspect le plus odieux du banditisme: le rapt des enfants. Mais c'est tout le régime qui délaisse et condamne l'enfance, notre plus doux et notre plus bel espoir. La dénatalité est l'un des fléaux les plus redoutables qui menace l'avenir de notre pays. Ce problème angoissant retient l'attention du Parti communiste qui veille aux intérêts les plus immédiats et les plus modestes des travailleurs et qui a l'ambition de conduire le peuple de France vers un avenir radieux de prospérité et de bonheur [...]

La décadence culturelle s'ajoute à la dégradation morale. La France a été longtemps un centre de rayonnement dans le domaine de la pensée, de la littérature et des arts. Dans un pays qui a donné Rabelais, Molière, Voltaire, Balzac, Victor Hugo, Zola, la production littéraire devient d'une platitude désespérante. La pornographie le dispute aux niaiseries. Il en est de même pour le théâtre et le cinéma, sauf rares exceptions. Et pourtant les talents ne manquent pas [...]

Pour rejeter tout le poids de la crise sur le peuple laborieux, pour assurer leur domination ébranlée, les 200 familles rêvent d'instaurer dans notre pays un régime de dictature terroriste et sanglante, dont le 6 février a donné un avant-goût. Les rois de la finance organisent, subventionnent et arment les ligues de guerre civile qui prétendent s'imposer au peuple par la violence et la démagogie [...] Le fascisme, c'est aussi, à l'extérieur, une politique d'aventures et de provocations. Le fascisme, c'est la guerre. Nul honnête homme ne peut en douter. Après l'agression de Mussolini contre le peuple d'Abyssinie, après l'invasion par les militaires japonais de la Chine du nord, c'est Hitler qui fait peser une lourde menace sur le

16 M. Thorez: Oeuvres, livre troisième, tome onzième (jan.-mai 1936), Paris, 1953, pp.204-216.

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monde angoissé. Nous communistes, qui n'avons jamais cessé de dénoncer la politique des dirigeants réactionnaires de notre pays à l'égard du peuple allemand, nous avons d'autant plus le droit de nous dresser avec indignation contre le dernier coup de force de Hitler [...]

Nous sommes résolument pour la défense du Franc, contre la dévaluation, méthode hypocrite pour faire payer les pauvres. Pour assurer la défense du franc et protéger l'épargne, pour équilibrer le budget de l’état, il faut également faire payer les riches [...]

Le Parti communiste s'honore de n'obéir qu'à une préoccupation exclusive: servir la cause du peuple. Le Parti communiste s'honore de ne connaître qu'un seul mot d’ordre: UNIR. Nous avons travaillé avec passion à l'unité de la classe ouvrière, proposant et faisant heureusement accepter le pacte d'unité d'action qui nous lie à nos frères socialistes et nous conduit au parti unique de la classe ouvrière. Nous avons soutenu les efforts des syndicats et des militants unitaires et confédérés qui ont abouti à la reconstitution d'une seule C.G.T. Nous avons oeuvré à l'unité entre les travailleurs des villes et des champs, entre les travailleurs manuels et intellectuels. Nous sommes heureux d'avoir propagé l'idée du Front populaire du travail, de la liberté et de la paix, et de collaborer loyalement à une action commune avec les radicaux, les républicains et les démocrates [...]

Et maintenant, nous travaillons à l'union de la nation française contre les 200 familles et leurs mercenaires. Nous travaillons à la véritable réconciliation du peuple de France.

Nous te tendons la main, catholique, ouvrier, employé, artisan, paysan, nous qui sommes des laïques, parce que tu es notre frère, et que tu es comme nous accablé par les mêmes soucis. Nous te tendons la main, Volontaire national, ancien combattant devenu Croix de Feu, parce que tu es un fils du peuple, que tu souffres comme nous du désordre et de la corruption, parce que tu veux, comme nous, éviter que le pays ne glisse à la ruine et à la catastrophe.

Nous sommes le grand Parti communiste, aux militants dévoués et pauvres, dont les noms n'ont jamais été mêlés à aucun scandale et que la corruption ne peut atteindre. Nous sommes les partisans du plus pur et du plus noble idéal que puissent se proposer les hommes.

Nous communistes, qui avons réconcilié le drapeau tricolore de nos pères et le drapeau rouge de nos espérances, nous vous appelons tous, ouvriers, paysans et intellectuels, jeunes et vieux, hommes et femmes, vous tous, peuple de France, à lutter avec nous et à vous prononcer le 26 avril: Pour le bien-être contre la misère; Pour la liberté contre l'esclavage; Pour la paix, contre la guerre; Nous vous appelons avec confiance à voter communiste. A voter pour la France libre et heureuse que veulent et que ferons les communistes [...]

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VI. L E F A S C I S M E D A N S L A F R A N C E D E L ’ E N T R E -D E U X - G U E R R E S

(a) La Guerre et les anciens combattants: Le Faisceau de Georges VALOIS (1878-1945)

[...] Le soldat français, le Français, l’homme, veut des chefs, et des chefs dignes de l’être. Quand il fait la révolution, c’est parce que ses chefs ont cessé de remplir leur fonction [...] Nous avons connu aux armées la vraie fraternité, celle qui annule moralement les distinctions sociales sans les faire disparaître matériellement et la seule qui soit possible. Là-dessus, je ne me retiens pas de dire quelques souvenirs personnels. J’ai fait partie de ces équipes volantes qui battirent la plaine en Voivre jusqu’à la bataille de Verdun. C'est dans ces troupes presque libres que l'on a connu, peut-être, les plus forts sentiments de fraternité humaine. C’est là que l'on apprend à connaître l’homme.

Dix, vingt, trente hommes, sont associés librement pour courir chaque jour, ensemble, quelques risques supplémentaires. Comment se groupent-ils? Autour d’un homme. S’il n y a pas de chef qui leur plaise, ils restent dans le rang [...] Il n'y avait là que des hommes qui n'étaient pas à leur place derrière les fils de fer, et qui avaient besoin du grand air de chaque jour. Au point de vue des opinions,

nous présentions la plus grande variété : un moine pour chef, avec moi comme second, quatre caporaux représentant le radicalisme et le socialisme, les hommes appartenant à tous les groupes politiques français, la majorité penchant à gauche, très nettement. Nous vivons ensemble dans une étable désaffectée, nous prenons nos repas ensemble Tutoiement général [...]

Un de nos camarades, qui est un lecteur d'Hervé. me dit en confidence:—Je sais qui c'est notre chef, c'est un curé.—Non, c'est un moine.—C'est la même chose.Il jure, et il ajoute: «Jamais je n'aurais cru cela avant la guerre, que je pourrais obéir à

un curé». Je veux accroître son étonnement : —Sais-tu qui je suis? Je suis de l'Action Française, je suis camelot du roi. —Tu blagues! c'est pas vrai! —Veux-tu la preuve?Il jure encore, prend à témoin l'univers de notre amitié invraisemblable mais vraie. Il

conclut : —La guerre a tout de même changé quelque chose dans le pays : nous voilà tous

copains! [...] Avec de tels hommes, nous avons eu la vie la plus passionnante qui soit. Rappelez-

vous, camarades, les marches nocturnes, le cœur battant, dans l'approche silencieuse, la

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fouille des bois, les branches fouettant les visages et déchirant les mains, l'exaltation, la peur vaincue, l'ivresse des captures; les courses dans le brouillard; et les embuscades des nuits d'été, dans les champs de marguerites et de bleuets; et les longues stations sous la pluie; et la lourde fatigue, et les délicieux repos sur la paille de l'étable. Rappelez-vous nos adieux, nos têtes baissées, nos mains cachant nos yeux. Rappelez-vous notre fraternité. Je me souviens, je me souviendrai toujours : nous avons vu ensemble le vrai visage de la France 17 [...]

(b) Le Francisme de Marcel Bucard (1895-1946)

Mon revolver est mon meilleur ami. Il est mon meilleur ami parce qu'il m'a protégé la vie à la guerre et parce que, aujourd'hui, il me permet de défendre la vie de ma femme, de mes enfants, de ma mère, de ma famille et de mes amis.

C'est, entre tous, le plus précieux de mes biens matériels.

Je l'ai reçu des mains de mon ami, le lieutenant Léandre Marcq, commandant la 2e compagnie du 4e régiment d’infanterie, le matin du 16 avril 1917 18. Touché à mort, gorge ouverte et poitrine crevée, Marcq, avant d'expirer, m'a confié dans un râle la mission de commander la compagnie et de le venger. Et il m'a donné son revolver encore chaud et rouge de son sang.

Avec ce revolver, je me suis battu tant que j'ai pu. J'ai fait des coups de main, des nettoyages de tranchées et des assauts, j'ai tué à bout portant, au corps à corps.

J'aime mon revolver. Il a encore dans les rainures de sa crosse de la boue des trous d'obus, séchée comme un dur ciment. C'est pour moi un souvenir sacré. Je ne donnerai mon revolver à personne. C'est une arme d'honneur. On ne rend jamais ses armes.

Il me reste quelques chargeurs que je n'ai pu vider avant l'armistice. J'en donne ma parole de combattant, fait chevalier de la Légion d'honneur sur le champ de bataille par mes hommes, je suis toujours prêt à m'en servir!

Je m'en servirai pour défendre ma patrie si, demain, elle était encore attaquée.Je m'en servirai si, demain, on essayait de toucher à ma femme, à mes enfants, à ma

mère, à ma famille, à mes amis.Je m'en servirai contre les crapules et les charognards qui, dans leurs tanières et dans

leurs journaux innommables, essaient d'attenter à mon honneur de citoyen, de soldat et de père de famille. C'est de la légitime défense!

Il y a maintenant autour de moi, connus ou caches, à Paris et dans tous les coins de France, des dizaines et des dizaines de milliers de bras prêts comme hier à défendre la Patrie et à abattre les chiens pestiférés. Il n'y a rien au monde qui les fera trembler!

M. BUCARD, Volontaire d'infanterie, Officier de la Légion d'honneur, croix de guerre, dix citations, trois blessures (Le Franciste, 20 janvier 1935).

17 Georges VALOIS, D’un siècle à l’autre, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1921, pp276-281.18 C'est-à-dire le jour du déclenchement de l'offensive engagée par Nivelle entre Soissons et Reims (Chemin des Dames).

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(c) Le fascisme à la française:

(i) Les années 20: Le Faisceau

Le Faisceau entend marquer que, s'il prend les initiatives, c'est au bénéfice général. [...] Il veut organiser une assemblée vraiment nationale, et où les différentes tendances seront représentées. C'est aussi parce que, ayant une pensée de gouvernement, il veut dès aujourd'hui donner l'image, dans une assemblée dont il aura la présidence, d'une vie publique nouvelle, où l'on formera non seulement le faisceau des intérêts, mais le faisceau des tendances.

Le Faisceau proposera [...] non en paroles, mais en fait, et pour une action précise, des formules d'union nationale et sociale. Il veut montrer, pratiquement, qu'il ne se connaît d'ennemis ni à gauche ni à droite: il ne connaît d'ennemis que ceux de l'État et de la nation, ce qui veut dire qu'il ne peut contracter d'alliance avec ceux qui veulent mettre l'État au service d'une classe, quelle qu'elle soit, au

dommage de la paix et de la justice [...]

AUX COMBATTANTSCamarades,[...] l'État manque a sa mission. L'État. Mais quel État? L'État parlementaire, détraqué, usé, définitivement impuissant. L'État des discoureurs et des discuteurs. Ce n'est pas l'État national. Qui relèvera le franc? Qui nous donnera le franc stable, indispensable au travail, à la

justice, a l'indépendance et à la grandeur nationales? L'État national, l'État des combattants et des producteurs, l'État syndical et corporatif,

au-dessus des partis et des classes. Qui construira cet État national? Le combattant. Parce qu'il a trouvé, dans sa vie au front, les idées, les sentiments de fraternité qui le

placent au-dessus des divisions de parti. Parce qu'il n'est ni de droite, ni de gauche. Parce que, pendant quatre ans, il n'a connu

d'autres ennemis que ceux de l'État. Parce que, aujourd'hui encore, il ne veut point connaître d'ennemis à gauche ou à droite: il ne connaît d'ennemis que ceux de la Nation.

L'État national est une nécessité pour la paix, pour le travail, pour la justice. C'est le combattant qui en sera l'accoucheur et qui le dressera avec le concours du producteur

C'est au combattant que reviendra cet honneur, qui sera la juste récompense de ses sacrifices dé la guerre.

En sauvant aujourd'hui l'État, il donnera à son action pendant la guerre une conclusion qui a manqué.

Qu'était le combattant pendant la guerre? Producteur devenu soldat, il était le sauveur.Qu'a-t-il été depuis la guerre?Réduit au rôle d'électeur, rien.

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Que doit-il être aujourd'hui?Soldat redevenu producteur, il doit être le Sauveur de l’État et son propre Sauveur, avec

ses armes et ses outils. C'est le combattant qui est, comme tel, capable de relever la souveraineté nationale

qu'il a sauvée pendant la guerre et qui tombe des mains des politiciens. Le combattant est le véritable titulaire de la souveraineté. Qui donc prend la

souveraineté dans un pays? Celui, ceux qui fondent une nation, ou qui la sauvent dans une grande crise. Qui a sauvé la nation dans l'immense péril de 1914-1918? Le combattant. L’armée formée des citoyens, des producteurs devenus soldats. Ces combattants, avec un chef. C'est pourquoi le combattant, sauveur de la souveraineté du peuple sur son sol, expression de cette souveraineté doit la reprendre aujourd'hui pour le Salut public.19

(ii) Les années 30: Manifeste du Parti Populaire Français 20

Il y a dix-huit ans. la France est sortie victorieuse de la guerre. Après avoir pansé ses plaies, elle avait la possibilité d'être libre et forte. Par ses richesses naturelles, par la puissance de son appareil de production modernisé, par ses Colonies, par les qualités de son peuple, elle aurait dû être prospère et heureuse. Or, la France traverse la crise politique. sociale, morale, la plus profonde de son histoire. Sa sécurité est gravement menacée, son économie est en pleine crise, ses institutions politiques délibèrent sous la menace de l'explosion populaire.

Ses ouvriers sont sans travail. Ses paysans vivent mal de leur dur labeur. Sa jeunesse est sans espoir. Ses anciens combattants sont obligés de marchander leur droit. Ses commerçants et artisans sont acculés à la misère. Ses classes moyennes se ruinent. Ses savants, ses artistes sont délaissés.

Tel est le spectacle douloureux donné par un des plus riches et des plus harmonieux pays du monde, dix-huit ans

après sa victoire.

UNE PRODUCTION INCOHÉRENTE

Depuis dix-huit ans les vieux partis traditionnels dé droite et de gauche ont eu la direction du pays. Ils ont administré un pays sorti complètement transformé de la guerre, avec les idées, les méthodes et les institutions d'avant-guerre. Alors que la structure nouvelle de la France aurait exigé une réforme complète de ses institutions et une direction plus cohérente de son économie, ils ont ranimé les vieilles querelles que les souffrances des tranchées avaient abolies pour la génération du feu. Leurs préoccupations, d'un autre âge, les ont empêchés de comprendre les nécessités de la vie d'après-guerre. Cette erreur fondamentale a permis le développement d'une production incohérente qui aboutit à la création des plus grands misères au sein de la plus grande abondance, comme elle a permis le développement de tous les égoïsmes, alors que s'accumulaient des misères atroces dont la révolte normale risque d'emporter le pays vers la ruine et la guerre.

[...] Dix huit années après la victoire, la France voit à nouveau la guerre qui rôde à ses portes.

19 Georges VALOIS, Le fascisme, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1927, pp. 136-141.20 Cité en Jacques DORIOT, La France ne sera pas un pays d’esclaves, Paris, Les Oeuvres Françaises, 1936, pp149-155.

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Cette dangereuse situation intérieure et extérieure s'aggrave du fait que l'étranger cherche à diviser le pays. Des autres capitales, les dirigeants, profitant de nos divisions internes, s'efforcent d'influencer notre politique intérieure et extérieure. Le plus hardi d'entre eux —le Gouvernement soviétique— a réussi à transformer complètement un parti ouvrier français, créé en 1920 pour faire une révolution ouvrière française, en un docile instrument de la diplomatie soviétique. A mesure que le Gouvernement soviétique renie les principes et les promesses sur lesquels il s'était constitué, il exige davantage de servile obéissance de la part des dirigeants communistes français. De Parti des ouvriers révolutionnaires de France le Parti Communiste est devenu, à cause de son état-major domestiqué, une véritable armée étrangère campée sur notre sol.

UNE MENACE: MOSCOUTous ses actes, dictés par Moscou, vont à l'encontre des intérêts du Peuple français.Passant, suivant les ordres de Moscou, de la surenchère démagogiques au sabotage

des revendications populaires, de l'internationalisme prolétarien à l'excitation anti-allemande, de la lutte armée contre les ligues à la «réconciliation française», de la tactique «classe contre classe» au cartel des gauches, du défaitisme révolutionnaire et de la négation de la défense nationale à l'excitation guerrière, le Parti Communiste est un élément permanent de trouble qui fausse le jeu des institutions démocratiques de ce pays et l'affaiblit dangereusement.

Par son système de noyautage, il détourne de sa voie réformatrice normale le mouvement profondément sain du Front Populaire et tente de dominer la C.G.T., organisation syndicale traditionnelle de la classe ouvrière française. A cause de son action, des mouvements qui pourraient apporter à la nation française les réformes fondamentales qu'elle attend, sont entraînés vers les aventures extérieures que préparent la dictature de Staline et de ses agents français.

Par sa politique provocatrice et ses menaces répétées à l'égard de nos principaux voisins, le Parti Communiste arrivant au pouvoir nous entraînerait à la guerre dans l'intérêt exclusif de la nouvelle aristocratie nationale-soviétique. L'existence de ce parti dirigé par Moscou constitue une menace constante pour l'ordre social et la sécurité de notre pays. La révolution sanglante qu'il se propose de faire en France, sur des principes que Moscou a dû abandonner un à un, est aussi périlleuse pour l'existence des masses populaires qu'est dangereuse pour la sécurité du pays la politique extérieure qu'il veut imposer.

UNITÉ, PROSPÉRITÉ, SÉCURITÉAinsi, les deux grands dangers qui nous menacent sont: LE CONSERVATISME SOCIAL; L'IMMIXTION DE L'ETRANGER DANS NOS AFFAIRES; Pour rendre à la Nation française son unité, sa prospérité, sa sécurité et son

rayonnement dans le monde, pour donner à chaque producteur sa part de progrès social, il est nécessaire de débarrasser le pays de l'influence étrangère et de vaincre l'égoïsme des classes possédantes.

Pour atteindre ces buts, il faut un instrument. Voilà pourquoi nous créons le: «PARTI POPULAIRE FRANÇAIS»Notre Parti sera national: C'est en effet dans le cadre de la Nation que doit se dérouler le combat des masses

populaires. NOTRE PARTI SERA NATIONAL[...] Sa victoire assurerait les conditions de rapports normaux avec tous les autres

peuples, car en renforçant l'unité nationale, la France pourrait alors discuter sur un pied de parfaite égalité, comme en toute indépendance, avec les autres pays. D'autre part une nation ne peut être forte et libre avec son peuple dans la misère. C'EST POURQUOI NOTRE PARTI SERA SOCIAL [...]

(d) Les intellectuels et la tentation fasciste

(i) Pierre DRIEU LA ROCHELLE : Qu'est-ce que le fascisme?

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[...] Qu'est-ce que le fascisme, après tout ? Le nom que prend en notre siècle l'éternelle nécessité humaine. Contre la brusque décomposition de la civilisation européenne après la guerre, plusieurs peuples de l'Europe se sont dressés—et non pas seulement l'Italie et l'Allemagne, mais tous les autres qui ont adopté des régimes autoritaires ou semi-autoritaires. Ces peuples ont découvert dans ce redressement une soudaine vigueur qui les enivre, les entraîne et les dépasse. La force de création et d'expansion qui est en eux va frapper, percuter leurs voisins et déterminer chez eux aussi de suprêmes décisions. Ces voisins doivent décider s'ils entreront dans la nouvelle tonalité de la vie ou s'ils s'y refuseront. L'Angleterre et la France sont, hélas! en train de décider qu'elles ne vivront pas plus vite et plus fort. Vivre plus vite et plus fort, cela s'appelle aujourd'hui être fasciste. Il y a cent ans, cela s'appelait être libéral, il y a cinquante ans, être socialiste. Peu importe qui a inventé le fascisme. La France y a sa bonne part: la France de Sorel, de Péguy, de Barrès, de Maurras, la France de Proudhon et du syndicalisme révolutionnaire. Le fait est là: tout ce qui se remue et agit dans le monde prend la forme du fasciste. Seulement, il y a dans cette direction-là quelque chose de très sournoisement périlleux à éviter: c'est le faux fascisme. Voilà ce qui investit et enserre la France depuis deux ou trois ans: trois ou quatre larves de faux fascisme. Faux fascisme de gauche, embryon de dictature communisante; faux fascisme de droite... s'empêtrant dans les vieilles ruses démocratiques et parlementaires; et encore faux fascisme de ceux qui croient que le pauvre M. Daladier peut devenir un dictateur...

Par exemple, on parle de réarmement. On parle de fabriquer davantage des canons et des avions. Mais à l'expérience, dès les premiers pas de l'expérience, on s'aperçoit qu'on ne peut pas tenir tête aux pays fascistes en matière de canons et d'avions sans faire du fascisme. Car c'est toute la structure de l'industrie qu'il faut chambarder, et chambarder dans le sens fasciste. Il faut obtenir plus de travail des ouvriers, plus d'efficacité organisatrice de la part des patrons, et on n'obtiendra ce double rendement que si on assure les uns et les autres de la sûre protection de leurs droits raisonnables. Or, cela peut se faire dans une société tenue en main par un État qui s'est mis au-dessus de la lutte des classes, mais non pas dans une société démocratique où l'État est déchiré entre les patrons et les ouvriers. Ce n'est pas en lançant à droite et à gauche ses gardes mobiles que M. Daladier obtiendra cette transformation foncière de notre économie qui seule lui permettra de tenir tête à la nouvelle économie fasciste, laquelle ramasse les avantages du capitalisme et du socialisme, en éliminant les plus gros désavantages de l'un et de l'autre...

Parce que tous ces gens-là sont des chiffes, à qui vingt années de pratique parlementaire et libérale, vingt années de fausse philosophie ont enlevé toute virilité, toute faculté mâle de regarder les choses en face et d'appeler les choses par leur nom. Eh bien! moi j'appelle fasciste la seule méthode capable de barrer et de détourner l'expansion des pays fascistes. Et je dis: vous dormirez et vous mourrez en démocrates, ou vous resurgirez, revivrez et triompherez en fascistes [...]

Pierre DRIEU LA ROCHELLE.L'Émancipation nationale,28 octobre 1938.

(ii) Robert BRASILLACH, Le constat de la décadence de la France du Front Populaire.

[...] Quinze ou vingt mois, à partir de mai 1936, comptent à coup sur parmi les époques les plus folles qu'ait vécues la France. Les plus nuisibles, sans doute, et nous n'avons pas fini, à l'intérieur comme à l'extérieur, d'en supporter les conséquences; mais aussi les plus burlesques. Jamais encore la sottise, le pédantisme, l'enflure, la prétention, la médiocrité triomphante ne furent plus superbes. Le temps passe vite, et on n'a

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peut-être pas décrit complètement ces semaines extravagantes. Les traits qu'en ont conservés certains narrateurs saisiront plus tard les historiens de stupéfaction, de rigolade et de honte [...]

Les fenêtres étaient décorées avec des drapeaux rouges, ornés de faucilles et de marteaux, ou d'étoiles, ou même, par condescendance, d'un écusson tricolore. Par réaction, le 14 Juillet, les patriotes pavoisèrent aux trois couleurs dans toute la France, sur l'instigation du colonel de La Rocque. Les usines, périodiquement, étaient occupées. On enfermait le directeur, les ingénieurs, et les ouvriers ne quittaient pas les lieux: cela se nommait «la grève sur le tas». A la porte, un tableau noir où l'on inscrivait les jours de grève. A l'intérieur des groupes très photogéniques avec des joueurs d'accordéon à la manière des films russes. Premier ministre depuis juin, M. Blum se lamentait, pleurait deux fois par mois à la radio, d'une voix languissante, promettait l'apaisement, des satisfactions à tous. On publiait, on republiait ses fausses prophéties, ses erreurs innombrables, on rappelait ses livres de jeunesse, son esthétisme obscène et fatigué. En même temps, le 18 juillet, dans l'Espagne affaiblie par un Front populaire plus nocif, éclatait une insurrection de généraux qui devait devenir aussitôt à la fois une guerre civile et une révolution nationaliste. Les communistes manifestaient pour l'envoi à Madrid de canons et d'avions, afin d'écraser le «fascisme», organisaient le trafic d'armes et d'hommes, criaient «Blum à l'action!», et conjuguaient ainsi leur désir de guerre à l'extérieur et d'affaiblissement à l'intérieur.

[...]On ne s'étonnera pas si, pris entre le conservatisme social et la racaille marxiste, une

bonne part de la jeunesse hésitait. Les triomphes de 1936 révélaient des injustices abominables, aidaient à comprendre certaines situations, faisaient espérer des réformes nécessaires et justes. Toutes les grèves, surtout celles du début, où il y eut parfois une joie, une liberté, une tension charmantes vers la délivrance, vers l'espoir, n'étaient pas injustifiées. Nous savions bien qu'aucune conquête ouvrière n'a jamais été obtenue de bon gré, que les patrons ont gémi qu'ils allaient à la ruine lorsqu'on établit sous Louis-Philippe la journée de onze heures et l'interdiction pour les enfants de moins de douze ans de travailler la nuit. Nous savions bien que rien n'a été fait sans la lutte, sans le sacrifice, sans le sang. Nous n’avons pas d'intérêt dans l'univers capitaliste. Le fameux «souffle de mai 1936», nous ne l'avons pas toujours senti passer avec hostilité dans une atmosphère de gabegie, d'excès, de démagogie et de bassesse, inimaginable. C'est ainsi que naît l'esprit fasciste.

On le vit naître. Nous l'avons vu naître. Parfois, nous assistions à ces incroyables défilés de 1936, ces vastes piétinements de foules énormes, entre la place de la République et la place de la Nation. De l'enthousiasme? Je n'en suis pas sûr. Mais une extraordinaire docilité: c'est vers un but rouge et mystérieux qu'allait le destin français, et les passants levaient le poing, et ils se rassemblaient derrière les bigophonistes libres penseurs, les pêcheurs à la ligne antifascistes, et ils marchaient vers les colonnes de la place du Trône décorées de gigantesques drapeaux. On vendait de petits pantins: le colonel de La Rocque. On promenait, à la mode russe, des images géantes: les libérateurs de la pensée, Descartes, Voltaire, Karl Marx, Henri Barbusse. C'était bouffon et poussiéreux, l'esprit primaire devenu maître de tout. Et pourtant, si, aux quêteurs de juillet 36, on répondait: «Non, camarade, je suis fasciste», nul n'insistait. La mode du salut à la romaine faillit même devenir courante, non par goût, mais par riposte, quand les communistes défilaient le poing tendu vers l'Arc de Triomphe. On leva le bras, on chanta la Marseillaise l'esprit nationaliste réclamait ses rites, et les moscoutaires essayaient de les lui chiper, en chantant, eux aussi, la Marseillaise et en se parant de tricolore, et en déclarant lutter contre le fascisme menaçant, pour les libertés françaises. Ainsi parlait Maurice Thorez, député communiste, depuis déserteur. Drôle d'époque [...] 21

L'attrait du nazisme...[...] On ne veut pas faire de romantisme. Pourtant, devant l'homme au regard lointain,

qui est un dieu pour son pays, comment ne pas songer que, dans une aube de juin, il est descendu du ciel, tel l'archange de la mort, pour supprimer par devoir quelques-uns de ses

21 Robert BRASILLACH, Notre Avant-Guerre, Paris, Plon, 1941, pp. 189-194.

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plus vieux compagnons. Et sans doute, on est bien libre de voir, dans le 30 juin, une révolution de palais. Mais c'est aussi autre chose. Car cet homme a sacrifié à ce qu'il jugeait son devoir, et sa paix personnelle, et l’amitié, et il sacrifierait tout, le bonheur humain, le sien et celui de son peuple par-dessus le marché, si le mystérieux devoir auquel il obéit le lui commandait. On ne juge pas Hitler comme un chef d’État ordinaire. Il est aussi un réformateur, il est appelé à une mission qu'il croit divine, et ses yeux nous disent qu'il en supporte le poids terrible. C'est cela qui peut, à chaque instant, tout remettre en question. Je n'oublierai jamais, je le crois, la couleur et la tristesse des yeux de Hitler, qui sont sans doute son énigme. Certes, je ne prétends point le juger sur cette impression, encore qu'elle ait été éprouvée, pendant ces journées solennelles de Nuremberg, par beaucoup d'autres. Mais surtout nous nous demandions, Français qui regardions cette suite de spectacles extraordinaires, nous nous demandions: de tout cela, qu'est-ce qui peut nous être commun un jour? Le matin du dimanche avait lieu la cérémonie la plus singulière du IIIe Reich, celle de la consécration des drapeaux. On amène devant le Führer le «drapeau du sang», celui que portaient les manifestants tués lors du putsch manqué de 1923, devant la Feldherrenhalle de Munich.

A Munich, ils étaient plusieursQuand les balles les ont frappés...Le chancelier saisit d'une main le drapeau du sang, et de l'autre les étendards

nouveaux qu'il devait consacrer. Par son intermédiaire, un fluide inconnu doit passer, et la bénédiction des martyrs doit s'étendre désormais aux symboles nouveaux de la patrie allemande. Cérémonie purement symbolique? Je ne le crois pas. Il y a réellement, dans la pensée d’Hitler comme dans celle des Allemands, l'idée d'une sorte de transfusion mystique analogue à celle de la bénédiction de l’eau par le prêtre—si ce n'est, osons le dire, à celle de l'eucharistie. Qui ne voit pas dans la consécration des drapeaux l'analogue de la consécration du pain, une sorte de sacrement allemand, risque fort de ne rien comprendre à l'hitlérisme. Et c'est alors que nous sommes inquiets. Devant ces décors graves et délicieux du romantisme ancien, devant cette floraison immense des drapeaux, devant ces croix venues d'Orient, je me demandais le dernier jour, si tout était possible. On peut donner à un peuple plus de vigueur. Mais peut-on vouloir tout transformer jusqu'à inventer des rites nouveaux, qui pénètrent à ce point la vie et le cœur des citoyens?

[...] Dans beaucoup des aspects de cette politique nouvelle, on a envie de dire plutôt de cette poésie, tout, certes, n'est pas pour nous, et on n'a pas besoin d'insister pour le dire. Mais ce qui est pour nous, ce qui est un rappel à l'ordre constant, et sans doute une sorte de regret, c'est cette prédication soutenue qui est faite à la jeunesse pour la foi, le sacrifice et l'honneur. De même que Jacques Bainville revint monarchiste de l'Allemagne d'avant-guerre, de même tout Français revient de l'Allemagne d'aujourd'hui persuadé que son pays, sa jeunesse, pourraient faire au moins aussi bien que nos voisins, Si nous restaurions d'abord certaines vertus universelles. Et cela c'est une leçon valable pour tous. C'est l'impression finale que nous emportons: beaux spectacles, belle jeunesse, vie plus facile qu'on ne dit, mais avant tout mythologie surprenante d'une nouvelle religion. [...] Et la France, que faisait-elle? Elle vivait sous le régime du Front populaire, tantôt à direction socialiste, tantôt à direction radicale, sous la menace perpétuelle du chantage communiste. Mais dans la jeunesse, on pouvait voir aussi, sans forcer les choses, se préciser cet esprit préfasciste qui était peut-être né, malgré tout, aux environs du 6 février 1934. On le retrouvait, cet esprit, dans les ligues tant qu'il y eut des ligues, parfois chez certains membres du P.S.F. malgré les tasses de thé, au Parti populaire français de Doriot, et dans la foule des sans-parti.

[...] Les éléments de notre fascisme à nous n'étaient pas difficiles à énumérer. Nous savions, à travers l'univers, ce qu'étaient tant de jeunes gens qui, avec toutes les différences nationales, nous ressemblaient. Certains d'entre eux avaient souffert de la guerre enfants, d'autres de révolutions dans leur pays, tous de la crise. Ils savaient ce qu'est leur nation, son passé, ils voulaient croire à son avenir. Ils voyaient miroiter sans arrêt devant eux le scintillement impérial. Ils voulaient une nation pure, une race pure. Ils aimaient souvent à vivre ensemble dans ces immenses réunions d'hommes où les mouvements rythmés des armées et des foules semblent les pulsations d'un vaste cœur. Ils ne croyaient pas aux promesses du libéralisme, à l'égalité des hommes, à la volonté du peuple. Mais ils croyaient que du

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chercheur indépendant au chef d'industrie, au poète, au savant ou au manœuvre, une nation est une, exactement comme est une l'équipe sportive. Ils ne croyaient pas à la justice qui règne par la force. Et ils savaient que de cette force pourra naître la joie.

[...] Le jeune fasciste, appuyé sur sa race et sur sa nation, fier de son corps vigoureux, de son esprit lucide, méprisant des biens épais de ce monde, le jeune fasciste dans son camp, au milieu des camarades de la paix qui peuvent être les camarades de la guerre, le jeune fasciste qui chante, qui marche, qui travaille, qui rêve il est tout d'abord un être joyeux.

[...] Le fascisme n'était pas pour nous, cependant, une doctrine politique, il n'était pas davantage une doctrine économique. Il n'était pas l'imitation de l'étranger, et nos confrontations avec les fascismes étrangers ne faisaient que mieux nous convaincre des originalités nationales, donc de la nôtre. Mais le fascisme, c'est un esprit. C'est un esprit anticonformiste d'abord, antibourgeois, et l'irrespect y avait sa part. C'est un esprit opposé aux préjugés, à ceux de la classe comme à tout autre. C'est l'esprit même de l'amitié, dont nous aurions voulu qu'il s'élevât jusqu'à l'amitié nationale 22 [...].

[...] Le fascisme, il y a bien longtemps que nous avons pensé que c'était une poésie et la poésie même du xx' siècle (avec le communisme sans doute). Je me dis que cela ne peut pas mourir. Les petits enfants qui seront des garçons de vingt ans plus tard apprendront avec un sombre émerveillement l'existence de cette exaltation de millions d'hommes, les camps de jeunesse, la gloire du passé, les défilés, les cathédrales de lumière, les héros frappés au combat, l'amitié entre jeunesse de toutes les nations réveillées, José Antonio, le fascisme immense et rouge. Et je sais bien que le communisme a aussi sa grandeur, pareillement exaltante. Dans la révolution fasciste on m'accordera que la nation a eu sa place plus violente, plus marquée, et c'est une poésie que la nation. Et moi qui, ces derniers mois, me suis si fortement méfié de tant d'erreurs du fascisme italien, du nationalisme allemand, du phalangisme espagnol, je puis dire que je ne pourrai jamais oublier le rayonnement merveilleux du fascisme universel de ma jeunesse, le fascisme, notre mal du siècle[...] 23

1. What were the effects of the First World War on fascist and nationalist intellectuals?2. How did this war effect their conceptions of society after the War?3. Explain Doriot's conception of national-socialism.4. What common criticism do fascists writers levy against the Third Republic and against certain sections of the French population?5. What were the basic characteristics of French fascism during the interwar years?6. What differences can you identify between the fascism of intellectuals and the ideology of fascist movements in the interwar period?

22 Ibid., pp. 284-291.23 Écrit en prison avant son exécution en 1945.

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VII. LA SECONDE GUERRE MONDIALE : COLLABORATION ET RÉSISTANCE

(a) Philippe Pétain, «Appel du 25 juin-1940»

Le 22 juin 1940, la délégation française signe dans la clairière de Rethondes l'armistice avec l'Allemagne. Dans un discours radiodiffusé prononcé depuis Bordeaux, le président du Conseil, Philippe Pétain (1856-1951) résume les clauses de l'armistice et définit par quelques formules sentencieuses la morale qu'il entend imposer aux Français.

Je m'adresse aujourd'hui à vous, Français de la métropole et Français d'outre-mer, pour vous expliquer les motifs des deux armistices conclus, le premier, avec l'Allemagne, il y a trois jours, le second avec l'ltalie 24.

Ce qu'il faut d'abord souligner, c'est l'illusion profonde que la France et ses alliés se sont faite sur leur véritable force militaire et sur l'efficacité de l'arme économique : liberté des mers, blocus, ressources dont elle pourrait disposer. Pas plus aujourd'hui qu'hier, on ne gagne une guerre uniquement avec de l'or et des matières premières. La victoire dépend des effectifs, du matériel et des conditions de leur emploi. Les événements ont prouvé que l'Allemagne possédait, dans ce domaine, en mai 1940, une écrasante supériorité à laquelle nous ne pouvions plus opposer, quand la bataille s'est engagée, que des mots d'encouragement et d'espoir.

La bataille des Flandres s'est terminée par la capitulation de l'armée belge en rase campagne et l'encerclement des divisions anglaises et françaises. Ces dernières se sont battues bravement. Elles formaient l'élite de notre armée; malgré leur valeur, elles n’ont pu sauver une partie de leurs effectifs qu’en abandonnant leur matériel 25. Une deuxième bataille s'est livrée sur l'Aisne et sur la Somme. Pour tenir cette ligne, soixante divisions françaises, sans fortifications presque sans chars, ont lutté contre cent cinquante divisions d'infanterie et onze divisions cuirassées allemandes. L’ennemi, en quelques jours, a rompu notre dispositif, divisé nos troupes en quatre tronçons et envahi la majeure partie du sol français 26. La guerre était déjà gagnée virtuellement par l'Allemagne lorsque l'ltalie est entrée en campagne, créant contre la France un nouveau front en face duquel notre armée des Alpes a résisté 27.

L'exode des réfugiés a pris, dès lors, des proportions inouïes: dix millions de Français, rejoignant un million et demi de Belges, se sont précipités vers l'arrière de notre front, dans des conditions de désordre et de misère indescriptibles.

A partir du 15 juin, I'ennemi, franchissant la Loire, se répandait à son tour sur le reste de la France. Devant une telle épreuve, la résistance armée devait cesser. Le gouvernement était acculé à l'une de ces deux décisions : soit demeurer sur place, soit prendre la mer. Il en a délibéré et s'est résolu à rester en France, pour maintenir l'unité de notre peuple et le représenter en face de l'adversaire. Il a estimé que, dans de telles circonstances, son devoir était d'obtenir un armistice acceptable, en faisant appel chez l'adversaire au sens de l'honneur et de la raison. L’armistice est conclu. Le combat a pris fin. En ce jour de deuil national, ma pensée va à tous les morts, à tous ceux que la guerre a meurtris dans leur chair et dans leurs

24 L'armistice est signé avec l'Allemagne le 22 juin, avec l'ltalie le 24.25 La Belgique capitule le 28 mai, I'évacuation des troupes franco-britanniques débute à Dunkerque le même jour.26 L'offensive sur l'Aisne et la Somme commence le 5 juin. Elle oppose aux 49 divisions françaises 140 divisions allemandes (dont 10 blindées).27 L'ltalie entre en guerre le 10 juin.

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affections. Leur sacrifice a maintenu haut et pur le drapeau de la France. Ils demeurent dans nos mémoires et dans nos cœurs.

Les conditions auxquelles nous avons dû souscrire sont sévères. Une grande partie de notre territoire va être temporairement occupée. Dans tout le Nord, et dans l'Ouest de notre pays, depuis le lac de Genève jusqu'à Tours, puis le long de la côte, de Tours aux Pyrénées, I'Allemagne tiendra garnison. Nos armées devront être démobilisées, notre matériel remis à l'adversaire, nos fortifications rasées, notre flotte désarmée dans nos ports. En Méditerranée, des bases navales seront démilitarisées. Du moins l'honneur est-il sauf. Nul ne fera usage de nos avions et de notre flotte. Nous gardons les unités terrestres et navales nécessaires au maintien de l'ordre dans la métropole et dans nos colonies. Le gouvernement reste libre, la France ne sera administrée que par des Français.

Vous étiez prêts à continuer la lutte. Je le savais. La guerre était perdue dans la métropole. Fallait-il la prolonger dans les colonies ? Je ne serais pas digne de rester à votre tête si j'avais accepté de répandre le sang des Français pour prolonger le rêve de quelques Français mal instruits des conditions de la lutte.

Je n'ai placé hors du sol de France, ni ma personne, ni mon espoir. Je n'ai jamais été moins soucieux de nos colonies que de la métropole. L'armistice sauvegarde le lien qui l'unit à elle; la France a le droit de compter sur leur loyauté. C'est vers l'avenir, que désormais nous devons tourner nos efforts. Un ordre nouveau commence. Vous serez bientôt rendus à vos foyers. Certains auront à les reconstruire. Vous avez souffert, vous souffrirez encore. Beaucoup d'entre vous ne retrouveront pas leur métier ou leur maison. Votre vie sera dure. Ce n'est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal.

La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c'est une portion de France qui meurt. Une jachère à nouveau emblavée, c'est une portion de France qui renaît.

N'espérez pas trop de l'État. Il ne peut donner que ce qu'il reçoit. Comptez, pour le présent, sur vous-mêmes et, pour l'avenir, sur les enfants que vous aurez élevés dans le sentiment du devoir.

Nous avons à restaurer la France. Montrez-la au monde qui l'observe, à l'adversaire qui l'occupe, dans tout son calme, tout son labeur et toute sa dignité. Notre défaite est venue de nos relâchements. L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié. C'est à un redressement intellectuel et moral que, d'abord, je vous convie.

Français, vous l'accomplirez et vous verrez, je vous le jure, une France neuve surgir de votre ferveur.

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(b) Philippe Pétain, «Message du 30 octobre 1940»

J’ai rencontré, jeudi dernier, le Chancelier du Reich. Cette rencontre a suscité des espérances et provoqué des inquiétudes.

Je vous dois à ce sujet quelques explications.

Une telle entrevue n’a été possible, quatre mois après la défaite de nos armes, que grâce à la dignité des Français devant l’épreuve, grâce à l’immense effort de régénération auquel ils se sont prêtés, grâce aussi à l’héroïsme de nos marins, à l’énergie de nos chefs coloniaux, au loyalisme de nos

populations indigènes. La France s’est ressaisie. Cette première rencontre, entre le vainqueur et le vaincu, marque le premier redressement de notre pays.

C’est librement que je me suis rendu à l’invitation du Führer. Je n’ai subi, de sa part, aucun «diktat», aucune pression. Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J’en ai accepté le principe. Les modalités en seront discutées ultérieurement.

A tous ceux qui attendent, aujourd’hui, le salut de la France, je tiens à dire que ce salut est d’abord entre nos mains.

A tous ceux que de nobles scrupules tiendraient éloignés de notre pensée, je tiens à dire que le premier devoir de tout Français est d’avoir confiance.

A ceux qui doutent, comme à ceux qui s’obstinent, je rappellerai qu’en se raidissant à l’excès les plus belles attitudes de réserve et de fierté risquent de perdre de leur force.

Celui qui a pris en main les destinées de la France a le devoir de créer l’atmosphère la plus favorable à la sauvegarde des intérêts du pays. C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d’une activité constructive du nouvel ordre européen, que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration. Ainsi, dans un avenir prochain, pourrait être allégé le poids des souffrances de notre pays, amélioré le sort de nos prisonniers, atténuée la charge des frais d’occupation. Ainsi pourrait être assouplie la ligne de démarcation et facilités l’administration et le ravitaillement du territoire.

Cette collaboration doit être sincère. Elle doit être exclusive de toute pensée d’agression. Elle doit comporter un effort patient et confiant.

L’armistice, au demeurant, n’est pas la paix. La France est tenue par des obligations nombreuses vis-à-vis du vainqueur. Du moins reste-t-elle souveraine. Cette souveraineté lui impose de défendre son sol, d’éteindre les divergences de l’opinion, de réduire les dissidences de ses colonies.

Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi. C’est moi seul que l’histoire jugera. Je vous ai tenu jusqu’ici le langage du Chef. Suivez-moi. Gardez votre confiance en la France éternelle!

(c) Maréchal, nous voilà! (1941)

Une flamme sacrée monte du sol natal

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Et la France enivrée te salue MaréchalTous tes enfants qui t’aiment et vénèrent tes ansA ton appel suprême ont répondu, “présent!”

Maréchal, nous voilà! devant toi le sauveur de la FranceNous jurons, nous tes gars, de servir et de suivre tes pasMaréchal, nous voilà! tu nous as redonné l’espéranceLa Patrie, renaîtra, Maréchal, Maréchal, nous voilà!

Tu as lutté sans cesse pour le salut communOn parle avec tendresse, du héros de VerdunEn nous donnant ta vie, ton génie et ta foiTu sauves la patrie une seconde fois.

Refrain (Bis)

(Musique de A. MONTAGNARD et paroles de C. COURTIOUX); chanté par André

DASSARY

(d) P. Laval, Discours du 22 juin 1942

Le Reich exigeant des pays occupés d 'importants quotas de main-d’œuvre, Pierre Laval, chef du gouvernement depuis le 18 avril 1942, instaure la Relève: des prisonniers de guerre seraient échangés contre l'envoi d'ouvriers en Allemagne. Lors d'une allocution radiodiffusée le 22 juin 1942, Laval expose ce système aux Français, mais le symbolisme de la date l'incite à développer ses conceptions sur l'Europe nouvelle.

[...] Je veux vous parler, aujourd'hui, avec simplicité et avec une grande franchise. Nous vivons des moments difficiles, nous aurons encore à subir des privations. Ce moment durera autant que durera la guerre et quelque temps après. Mais pour moi, comme chef du gouvernement, ce n'est pas cela qui est grave, ce moment nous le passerons dans

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la peine et dans la difficulté, mais il y a un moment plus redoutable et pour moi plus angoissant: c'est celui où l'on fixera pour une longue durée le sort de la France.

Notre génération ne peut pas se résigner à être une génération de vaincus. Je voudrais que les Français sachent monter assez haut pour se mettre au niveau des événements que nous vivons. C'est peut-être une des heures les plus émouvantes qui se soient inscrites dans l'histoire de notre pays. Nous avons eu tort, en 1939, de faire la guerre. Nous avons eu tort, en 1918, au lendemain de la victoire, de ne pas organiser une paix d'entente avec l'Allemagne.

Aujourd'hui, nous devons essayer de le faire. Nous devons épuiser tous les moyens pour trouver la base d'une réconciliation définitive. Je ne me résous pas, pour ma part, à voir tous les vingt-cinq ou trente ans la jeunesse de nos pays fauchée sur les champs de bataille. Pour qui et pourquoi?

Ma présence au gouvernement a une signification qui n'échappe à personne, ni en France ni à l'étranger. J'ai la volonté de rétablir avec l'Allemagne et avec l'ltalie des relations normales et confiantes.

De cette guerre surgira inévitablement une nouvelle Europe.On parle souvent d'Europe, c'est un mot auquel, en France, on n'est pas encore très

habitué. On aime son pays parce qu'on aime son village. Pour moi, Français, je voudrais que demain nous puissions aimer une Europe dans laquelle la France aura une place qui sera digne d'elle. Pour construire cette Europe, l’Allemagne est en train de livrer des combats gigantesques. Elle doit, avec d'autres, consentir d'immenses sacrifices. Et elle ne ménage pas le sang de sa jeunesse. Pour la jeter dans la bataille, elle va la chercher à l'usine et aux champs. Je souhaite la victoire de l'Allemagne, parce que, sans elle, le bolchevisme, demain, s'installerait partout.

Ainsi donc, comme je vous le disais le 20 avril dernier, nous voilà placés devant cette alternative: ou bien nous intégrer, notre honneur et nos intérêts vitaux étant respectés, dans une Europe nouvelle et pacifiée, ou bien nous résigner à voir disparaître notre civilisation.

Je veux être toujours vrai. Je ne peux rien faire pour vous sans vous. Nul ne saurait sauver une nation inerte ou rétive. Seule, l'adhésion du pays peut faire d'une politique sensée une politique féconde. Je sais l'effort que certains d'entre vous doivent faire pour admettre cette politique. L'éducation que nous avons généralement reçue dans le passé ne nous préparait guère à cette entente indispensable.

J'ai toujours trop aimé mon pays pour me soucier d'être populaire. J'ai à remplir mon rôle de chef. Quand je vous dis que cette politique est la seule qui puisse assurer le salut de la

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France et garantir son développement dans la paix future, vous devez me croire et me suivre [...]

(e) Charles de Gaulle, 'Appel du 18 juin, 1940'

Le 17 juin 1940, le sous-secrétaire d’État à la guerre, Charles de Gaulle (1890-1970) arrive à Londres. Décidé à poursuivre la lutte alors que Philippe Pétain demande le 17 juin aux Français de cesser le combat, il lance le 18 son premier appel radiodiffusé invitant à la résistance.

Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat. Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l'ennemi. Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui.

Mais le dernier mot est-il dit? L'espérance doit-elle disparaître? La défaite est-elle définitive? Non!

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.

Car la France n'est pas seule! Elle n'est pas seule! Elle n'est pas seule! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limites l'immense industrie des États-Unis.

Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.

Demain, comme aujourd'hui, je parlerai à la Radio de Londres.

(f) Le Chant des Partisans

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Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plainesAmi, entends-tu le chant lourd du pays qu’on enchaîne? Oyez, partisans, ouvriers, et paysans, à vos armes!Ce soir, l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes!Montez de la mine, descendez des collines, camarades! Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenadesOyez, les tueurs à la dague ou au couteau, très vite! Oyez, saboteur, attention à ton fardeau dynamite!C’est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frèresLa haine à nos trousses et la faim qui nous pousse à la misèreIl y a des pays où les gens au creux du lit font des rêvesIci, nous, vois-tu, nous on marche, et nous on tue, nous on crèveIci, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passeAmi, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta placeDemain, du sang noir séchera au grand soleil sur les routesSupplie, compagnon, dans la nuit; la liberté nous écoute...

[Chantée par Germaine SABLON; Paroles écrites en 1944, sur une serviette en papier, chez Prunier à Londres, par Joseph KESSEL et Maurice DRUON; Musique d’A. MARLEY].

(f) Charles de Gaulle, Discours prononcé à l'Hôtel de Ville de Paris, 25 août 1944

Le 19 août 1944 commence l 'insurrection parisienne. Le 25, Charles de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République française, pénètre dans la capitale. Suivant un itinéraire mûrement médité, il se rend d'abord à la gare Montparnasse, poste de commandement du général Leclerc dont la 2e DB a largement contribué au succès de l'insurrection parisienne. Puis il gagne le ministère de la Guerre avant de visiter la préfecture de police. Il rejoint donc tardivement l'Hôtel de Ville où le CNR, le Comité parisien de Libération, des combattants et la foule des Parisiens l 'attendent. Il prononce alors devant ce public une brève allocution.

Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l'émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes, qui sommes ici, chez nous, dans Paris debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains. Non! nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée. Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies.

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Paris! Paris outragé! Paris brisé! Paris martyrisé! mais Paris libéré! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle.

Eh bien! puisque l'ennemi qui tenait Paris a capitulé dans nos mains, la France rentre à Paris, chez elle. Elle y rentre sanglante, mais bien résolue. Elle y rentre, éclairée par l'immense leçon, mais plus certaine que jamais, de ses devoirs et de ses droits.

Je dis d'abord de ses devoirs, et je les résumerai tous en disant que, pour le moment, il s'agit de devoirs de guerre. L'ennemi chancelle mais il n'est pas encore battu. Il reste sur notre sol. Il ne suffira même pas que nous l'ayons, avec le concours de nos chers et admirables alliés, chassé de chez nous pour que nous nous tenions

pour satisfaits après ce qui s'est passé. Nous voulons entrer sur son territoire comme il se doit, en vainqueurs. C'est pour cela que l'avant-garde française est entrée à Paris à coups de canon. C'est pour cela que la grande armée française d'Italie a débarqué dans le Midi et remonte rapidement la vallée du Rhône. C'est pour cela que nos braves et chères forces de l'intérieur vont s'armer d'armes modernes. C'est pour cette revanche, cette vengeance et cette justice que nous continuerons de nous battre jusqu'au dernier jour, jusqu'au jour de la victoire totale et complète. Ce devoir de guerre, tous les hommes qui sont ici et tous ceux qui nous entendent en France savent qu'il exige l'unité nationale. Nous autres, qui aurons vécu les plus grandes heures de notre Histoire, nous n'avons pas à vouloir autre chose que de nous montrer, jusqu'à la fin, dignes de la France.

Vive la France!

1. Why, according to Pétain, was France overrun so quickly by the Germans in 1940?2. What justifications does Pétain advance for collaboration with Nazi Germany? Compare these

justifications with those of de Gaulle calling for resistance.3. What are the effects of the Armistice on France?4. What are the ideological foundations of the Révolution Nationale ?5. "Notre défaite est venue de nos relâchements. L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de

sacrifice a édifié". Comment on this statement by comparing it with the judgment of other right-wing or fascist French writers and thinkers in the 20th century.

6. Why did Laval state "Je souhaite la victoire de l'Allemagne" ?7. What common thread of ideas can be identified to explain and understand the readiness of

certain individuals and movements to adhere to the policy of collaboration?

6. L’APRES-GUERRE ET LA Ve REPUBLIQUE

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Reconstructing the Nation(a) Jean-Paul Sartre, ‘Présentation’ Les Temps Modernes, 1er octobre 1945 (Extract),

reprinted in Situations II, Paris : Gallimard, 1948, pp.9-30.

Tous les écrivains d'origine bourgeoise ont connu la tentation de l'irresponsabilité : depuis un siècle, elle est de tradition dans la carrière des lettres. L'auteur établit rarement une liaison entre ses œuvres et leur rémunération en espèces. D'un côté, il écrit, il chante, il soupire; d'un autre côté, on lui donne de l'argent. Voilà deux faits sans relation apparente; le mieux qu'il puisse faire c'est de se dire qu'on le pensionne pour qu'il soupire. Aussi se tient-il plutôt pour un étudiant titulaire d'une bourse que comme un travailleur qui reçoit le prix de ses peines. Les théoriciens de l'Art pour l'Art et du Réalisme sont venus l'ancrer dans cette opinion. A-t-on remarqué qu'ils ont le même but et la même origine? L'auteur qui suit l'enseignement des premiers a pour souci principal de faire des ouvrages qui ne servent à rien : s'ils sont bien gratuits, bien privés de racines, ils ne sont pas loin de lui paraître beaux. Ainsi se met-il en marge de la société ; ou plutôt il ne consent à y figurer qu'au titre de pur consommateur : précisément comme le boursier. Le Réaliste, lui aussi, consomme volontiers. Quant à produire, c'est une autre affaire on lui a dit que la science n'avait pas le souci de l'utile et il vise à l'impartialité inféconde du savant. Nous a-t-on assez dit qu'il "se penchait" sur les milieux qu'il voulait décrire. Il se penchait ! Où était-il donc ? En l'air ? La vérité, c'est que, incertain sur sa position sociale, trop timoré pour se dresser contre la bourgeoisie qui le paye, trop lucide pour l'accepter sans réserves, il a choisi de juger son siècle et s'est persuadé par ce moyen qu'il lui demeurait extérieur, comme 1'expérimentateur est extérieur au système expérimental. Ainsi le désintéressement de la science pure rejoint la gratuité de l'Art pour l'Art. Ce n'est pas par hasard que Flaubert est à la fois pur styliste, amant pur de la forme et père du naturalisme; ce n'est pas par hasard que les Goncourt se piquent à la fois de savoir observer et d'avoir l'écriture artiste.

Cet héritage d'irresponsabilité a mis le trouble dans beaucoup d'esprits. Ils souffrent d'une mauvaise conscience littéraire et ne savent pas très bien s'il est admirable d'écrire ou grotesque. Autrefois, le poète se prenait pour un prophète, c'était honorable ; par la suite, il devint paria et maudit, ça pouvait encore aller. Mais aujourd'hui, il est tombé au rang des spécialistes et ce n'est pas sans un certain malaise qu'il mentionne, sur les registres d'hôtel, le métier d' " homme de lettres ", à la suite de son nom. Homme de lettres : en elle-même, cette association de mots a de quoi dégoûter d'écrire; on songe à un Ariel, à une Vestale, à un enfant terrible, et aussi à un inoffensif maniaque apparenté aux haltérophiles ou aux numismates. Tout cela est assez ridicule. L'homme de lettres écrit quand on se bat; un jour, il en est fier, il se sent clerc et gardien des valeurs idéales; le lendemain il en a honte, il trouve que la littérature ressemble fort à une manière d'affectation spéciale. Auprès des bourgeois qui le lisent, il a conscience de sa dignité; mais en face des ouvriers, qui ne le lisent pas, il souffre d'un complexe d'infériorité, comme on l'a vu en 1936, à la Maison de la Culture. C'est certainement ce complexe qui est à l'origine de ce que Paulhan nomme terrorisme, c'est lui qui conduisit les surréalistes à mépriser la littérature dont ils vivaient. Après l'autre guerre, il fut l'occasion d'un lyrisme particulier; les meilleurs écrivains, les plus purs, confessaient publiquement ce qui pouvait les humilier le plus et se montraient satisfaits lorsqu'ils avaient attiré sur eux la réprobation bourgeoise : ils avaient produit un écrit qui, par ses conséquences, ressemblait un peu à un acte. Ces tentatives isolées ne purent empêcher les mots de se déprécier chaque jour davantage. Il y eut une crise de la rhétorique, puis une crise du langage. A la veille de cette guerre, la plupart des littérateurs s'étaient résignés à n'être que des rossignols. Il se trouva enfin quelques auteurs pour pousser à l'extrême le dégoût de produire : renchérissant sur leurs aînés, ils jugèrent qu'ils n'eussent point assez fait en publiant un livre simplement inutile, ils soutinrent que le but secret de toute littérature était la destruction du langage et qu'il suffisait pour l'atteindre de parler pour ne rien dire. Ce silence intarissable fut à la mode quelque temps et les Messageries Hachette distribuèrent dans les bibliothèques des gares des comprimés de silence sous forme de romans volumineux. Aujourd'hui, les choses en sont venues à ce point que l'on a vu des écrivains, blâmés ou punis

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parce qu'ils ont loué leur plume aux Allemands, faire montre d'un étonnement douloureux. « Eh quoi? disent-ils, ça engage donc, ce qu'on écrit ? »

Nous ne voulons pas avoir honte d'écrire et nous n'avons pas envie de parler pour ne rien dire. Le souhaiterions-nous, d'ailleurs, que nous n'y parviendrions pas : personne ne peut y parvenir. Tout écrit possède un sens, même si ce sens est très loin de celui que l'auteur avait rêvé d'y mettre. Pour nous, en effet, l'écrivain n'est ni Vestale, ni Ariel il est "dans le coup ", quoi qu'il fasse, marqué, compromis, jusque dans sa plus lointaine retraite. Si, à de certaines époques, il emploie son art à forger des bibelots d'inanité sonore, cela même est un signe c'est qu'il y a une crise des lettres et, sans doute, de la Société, ou bien c'est que les classes dirigeantes l'ont aiguillé sans qu'il s'en doute vers une activité de luxe, de crainte qu'il ne s'en aille grossir les troupes révolutionnaires. Flaubert, qui a tant pesté contre les bourgeois et qui croyait s'être retiré à l'écart de la machine sociale, qu'est-il pour nous sinon un rentier de talent ? Et son art minutieux ne suppose-t-il pas le confort de Croisset, la sollicitude d'une mère ou d'une nièce, un régime d'ordre, un commerce prospère, des coupons à toucher régulièrement ? Il faut peu d'années pour qu'un livre devienne un fait social qu'on interroge comme une institution ou qu'on fait entrer comme une chose dans les statistiques; il faut peu de recul pour qu'il se confonde avec l'ameublement d'une époque, avec ses habits, ses chapeaux, ses moyens de transport et son alimentation. L'historien dira de nous « Ils mangeaient ceci, ils lisaient cela, ils se vêtaient ainsi. » Les premiers chemins de fer, le choléra, la révolte des Canuts, les romans de Balzac, l'essor de l'industrie concourent également à caractériser la Monarchie de Juillet. Tout cela, on l'a dit et répété, depuis Hegel : nous voulons en tirer les conclusions pratiques. Puisque l'écrivain n'a aucun moyen de s'évader, nous voulons qu'il embrasse étroitement son époque; elle est sa chance unique elle s'est faite pour lui et il est fait pour elle. On regrette l'indifférence de Balzac devant les journées de 48, l'incompréhension apeurée de Flaubert en face de la Commune; on les regrette pour eux : il y a là quelque chose qu'ils ont manqué pour toujours. Nous ne voulons rien manquer de notre temps peut-être en est-il de plus beaux, mais c'est le nôtre; nous n'avons que cette vie à vivre, au milieu de cette guerre, de cette révolution peut-être. Qu'on n'aille pas conclure de là que nous prêchions une sorte de populisme : c'est tout le contraire. Le populisme est un enfant de vieux, le triste rejeton des derniers réalistes; c'est encore un essai pour tirer son épingle du jeu. Nous sommes convaincus, au contraire, qu'on ne peut pas tirer son épingle du jeu. Serions-nous muets et cois comme des cailloux, notre passivité même serait une action. Celui qui consacrerait sa vie à faire des romans sur les Hittites, son abstention serait par elle-même une prise de position. L'écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. Je tiens F1aubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu'ils n'ont pas écrit une ligne pour l'empêcher. Ce n'était pas leur affaire, dira-t-on. Mais le procès de Calas, était-ce l'affaire de Voltaire? La condamnation de Dreyfus, était-ce l'affaire de Zola? L'administration du Congo, était-ce l'affaire de Gide? Chacun de ces auteurs, en une circonstance particulière de sa vie, a mesuré sa responsabilité d'écrivain. L'occupation nous a appris la nôtre. Puisque nous agissons sur notre temps par notre existence même, nous décidons que cette action sera volontaire. Encore faut-il préciser : il n'est pas rare qu'un écrivain se soucie, pour sa modeste part, de préparer l'avenir. Mais il y a un futur vague et conceptuel qui concerne l'humanité entière et sur lequel nous n'avons pas de lumières : l'histoire aura-t-elle une fin ? Le soleil s'éteindra-t-il ? Quelle sera la condition de l'homme dans le régime socialiste de l'an 3000? Nous laissons ces rêveries aux romanciers d'anticipation: c'est l'avenir de notre époque qui doit faire l'objet de nos soins un avenir limité qui s'en distingue à peine - car une époque, comme un homme, c'est d'abord un avenir. Il est fait de ses travaux en cours, de ses entreprises, de ses projets à plus ou moins long terme, de ses révoltes, de ses combats, de ses espoirs : quand finira la guerre ? Comment rééquipera-t-on le pays ? comment aménagera-t-on les relations internationales ? que seront les réformes sociales ? les forces de la réaction triompheront-elles ? y aura-t-il une révolution et que sera-t-elle ? Cet avenir nous le faisons nôtre, nous ne voulons point en avoir d'autre. Sans doute, certains auteurs ont des soucis moins actuels et des vues moins courtes. Ils passent au milieu de nous, comme des absents. Où sont-ils donc? Avec leurs arrière-neveux, ils se retournent pour juger cette ère disparue qui fut la nôtre et dont ils sont seuls survivants. Mais ils font un mauvais calcul : la gloire posthume se fonde toujours sur un malentendu. Que savent-ils de

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ces neveux qui viendront les pêcher parmi nous! C'est un terrible alibi que l'immortalité : il n'est pas facile de vivre avec un pied au delà de la tombe et un pied en deçà. Comment expédier les affaires courantes quand on les regarde de si loin ! Comment se passionner pour un combat, comment jouir d'une victoire! Tout est équivalent. Ils nous regardent sans nous voir : nous sommes déjà morts à leurs yeux – et ils retournent au roman qu'ils écrivent pour des hommes qu'ils ne verront jamais. Ils se sont laissé voler leur vie par l'immortalité. Nous écrivons pour nos contemporains, nous ne voulons pas regarder notre monde avec des yeux futurs, ce serait le plus sûr moyen de le tuer, mais avec nos yeux de chair, avec nos vrais yeux périssables. Nous ne souhaitons pas gagner notre procès en appel et nous n'avons que faire d'une réhabilitation posthume c'est ici même et de notre vivant que les procès se gagnent ou se perdent.

Nous ne songeons pourtant pas à instaurer un relativisme littéraire. Nous avons peu de goût pour l'historique pur. Et d'ailleurs existe-t-il un historique pur sinon dans les manuels de M. Seignobos ? Chaque époque découvre un aspect de la condition humaine, à chaque époque l'homme se choisit en face d'autrui, de l'amour, de la mort, du monde et lorsque les partis s'affrontent à propos du désarmement des F.F.I. ou de l'aide à fournir aux républicains espagnols, c'est ce choix métaphysique, ce projet singulier et absolu qui est en jeu. Ainsi, en prenant parti dans la singularité de notre époque, nous rejoignons finalement l'éternel et c'est notre tâche d'écrivain que de faire entrevoir les valeurs d'éternité qui sont impliquées dans ces débats sociaux ou politiques. Mais nous ne nous soucions pas de les aller chercher dans un ciel intelligible: elles n'ont d'intérêt que sous leur enveloppe actuelle. Bien loin d'être relativistes, nous affirmons hautement que l'homme est un absolu. Mais il l'est à son heure, dans son milieu, sur sa terre. Ce qui est absolu, ce que mille ans d'histoire ne peuvent détruire, c'est cette décision irremplaçable, incomparable, qu'il prend dans ce moment à propos de ces circonstances; l'absolu, c'est Descartes, l'homme qui nous échappe parce qu'il est mort, qui a vécu dans son époque, qui l'a pensée au jour le jour, avec les moyens du bord, qui a formé sa doctrine à partir d'un certain état des sciences, qui a connu Gassendi, Caterus et Mersenne, qui a aimé dans son enfance une jeune fille louche, qui a fait la guerre et qui a engrossé une servante, qui s'est attaqué non au principe d'autorité en général, mais précisément à l'autorité d'Aristote et qui se dresse à sa date, désarmé mais non vaincu, comme une borne; ce qui est relatif, c'est le cartésianisme, cette philosophie baladeuse que l'on promène de siècle en siècle et où chacun trouve ce qu'il y met. Ce n'est pas en courant après l'immortalité que nous nous rendrons éternels : nous ne serons pas des absolus pour avoir reflété dans nos ouvrages quelques principes décharnés, assez vides et assez nuls pour passer d'un siècle à l'autre, mais par ce que nous aurons combattu passionnément dans notre époque, parce que nous l'aurons aimée passionnément et que nous aurons accepté de périr tout entiers avec elle.

En résumé, notre intention est de concourir à produire certains changements dans la Société qui nous entoure. Par là, nous n'entendons pas un changement dans les âmes : nous laissons bien volontiers la direction des âmes aux auteurs qui ont une clientèle spécialisée. Pour nous qui, sans être matérialistes, n'avons jamais distingué l'âme du corps et qui ne connaissons qu'une réalité indécomposable la réalité humaine, nous nous rangeons du côté de ceux qui veulent changer à la fois la condition sociale de l'homme et la conception qu'il a de lui-même. Aussi, à propos des événements politiques et sociaux qui viennent, notre revue prendra position en chaque cas. Elle ne le fera pas politiquement, c'est-à-dire qu'elle ne servira aucun parti; mais elle s'efforcera de dégager la conception de l'homme dont s'inspireront les thèses en présence et elle donnera son avis conformément à la conception qu'elle soutient. Si nous pouvons tenir ce que nous nous promettons, si nous pouvons faire partager nos vues à quelques lecteurs nous ne concevrons pas un orgueil exagéré; nous nous féliciterons simplement d'avoir retrouvé une bonne conscience professionnelle et de ce que, au moins pour nous, la littérature soit redevenue ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : une fonction sociale.

1. Who are the “théoriciens de l’Art pour l’Art” mentioned in the first paragraph?

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2. In your opinion, why does Sartre feel he has to defend the idea of the “écrivain engagé” against accusations of populism?3. Why does Sartre evoke the notion of historical relativism in the second-last paragraph? 4. Summarise Sartre’s vision of the role of writers.

Decolonisation and the Fifth Republic(b) Discours de Brazzaville, 30 janvier 1944

Le 30 janvier 1944, le général de Gaulle ouvre à Brazzaville une conférence qui groupe les représentants des territoires français d'Afrique autour de René Pleven, Commissaire aux Colonies, première étape vers l'Union française. 

Si l'on voulait juger des entreprises de notre temps suivant les errements anciens, on pourrait s'étonner que le Gouvernement français ait décidé de réunir cette Conférence africaine.

"Attendez !" nous conseillerait, sans doute, la fausse prudence d'autrefois. "La guerre n'est pas à son terme. Encore moins peut-on savoir ce que sera demain la paix. La France, d'ailleurs, n'a-t-elle pas, hélas ! des soucis plus immédiats que l'avenir de ses territoires d'outre-mer ?"

Mais il a paru au gouvernement que rien ne serait, en réalité, moins justifié que cet effacement, ni plus imprudent que cette prudence. C'est qu'en effet, loin que la situation présente, pour cruelle et compliquée qu'elle soit, doive nous conseiller l'abstention, c'est, au contraire, l'esprit d'entreprise qu'elle nous commande. Cela est vrai dans tous les domaines, en particulier dans celui que va parcourir la Conférence de Brazzaville. Car, sans vouloir exagérer l'urgence des raisons qui nous pressent d'aborder l'étude d'ensemble des problèmes africains français, nous croyons que les immenses événements qui bouleversent le monde nous engagent à ne pas tarder ; que la terrible épreuve que constitue l'occupation provisoire de la Métropole par l'ennemi ne retire rien à la France en guerre de ses devoirs et de ses droits enfin, que le rassemblement, maintenant accompli, de toutes nos possessions d'Afrique nous offre une occasion excellente de réunir, à l'initiative et sous la direction de M. le Commissaire aux Colonies, pour travailler ensemble, confronter leurs idées et leur expérience, les hommes qui ont l'honneur et la charge de gouverner, au nom de la France, ses territoires africains. Où donc une telle réunion devait-elle se tenir, sinon à Brazzaville, qui, pendant de terribles années, fut le refuge de notre honneur et de notre indépendance et qui restera l'exemple du plus méritoire effort français ?

Depuis un demi-siècle, à l'appel d'une vocation civilisatrice vieille de beaucoup de centaines d'années, sous l'impulsion des gouvernements de la République et sous la conduite d'hommes tels que : Gallieni, Brazza, Dodds, Joffre, Binger, Marchand, Gentil, Foureau, Lamy, Borgnis-Desbordes, Archinard, Lyautey, Gouraud, Mangin, Largeau, les Français ont pénétré, pacifié, ouvert au monde, une grande partie de cette Afrique noire, que son étendue, les rigueurs du climat, la puissance des obstacles naturels, la misère et la diversité de ses populations avaient maintenue, depuis l'aurore de l'Histoire, douloureuse et imperméable.

Ce qui a été fait par nous pour le développement des richesses et pour le bien des hommes, à mesure de cette marche en avant, il n'est, pour le discerner, que de parcourir nos territoires et, pour le reconnaître, que d'avoir du cœur. Mais, de même qu'un rocher lancé sur la pente roule plus vite à chaque instant, ainsi l'œuvre que nous avons entreprise ici nous impose sans cesse de plus larges tâches. Au moment où commençait la présente guerre mondiale, apparaissait déjà la nécessité d'établir sur des bases nouvelles les

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conditions de la mise en valeur de notre Afrique, du progrès humain de ses habitants et de l'exercice de la souveraineté française.

Comme toujours, la guerre elle-même précipite l'évolution. D'abord, par le fait qu'elle fut, jusqu'à ce jour, pour une bonne part, une guerre africaine et que, du même coup, l'importance absolue et relative des ressources, des communications, des contingents d'Afrique, est apparue dans la lumière crue des théâtres d'opérations. Mais ensuite et surtout parce que cette guerre a pour enjeu ni plus ni moins que la condition de l'homme et que, sous l'action des forces psychiques qu'elle a partout déclenchées, chaque individu lève la tête, regarde au-delà du jour et s'interroge sur son destin.

S'il est une puissance impériale que les événements conduisent à s'inspirer de leurs leçons et à choisir noblement, libéralement, la route des temps nouveaux où elle entend diriger les soixante millions d'hommes qui se trouvent associés au sort de ses quarante-deux millions d'enfants, cette puissance c'est la France.

En premier lieu et tout simplement parce qu'elle est la France, c'est-à-dire la nation dont l'immortel génie est désigné pour les initiatives qui, par degrés, élèvent les hommes vers les sommets de dignité et de fraternité où, quelque jour, tous pourront s'unir. Ensuite parce que, dans l'extrémité où une défaite provisoire l'avait refoulée, c'est dans ses terres d'outre-mer, dont toutes les populations, dans toutes les parties du monde, n'ont pas, une seule minute, altéré leur fidélité, qu'elle a trouvé son recours et la base de départ pour sa libération et qu'il y a désormais, de ce fait, entre la Métropole et l'Empire, un lien définitif. Enfin, pour cette raison que, tirant à mesure du drame les conclusions qu'il comporte, la France est aujourd'hui animée, pour ce qui la concerne elle-même et pour ce qui concerne tous ceux qui dépendent d'elle, d'une volonté ardente et pratique de renouveau.

Est-ce à dire que la France veuille poursuivre sa tâche d'outremer en enfermant ses territoires dans des barrières qui les isoleraient du monde et, d'abord, de l'ensemble des contrées africaine ? Non, certes ! et, pour le prouver, il n'est que d'évoquer comment, dans cette guerre, l'Afrique Équatoriale et le Cameroun français n'ont cessé de collaborer de la façon la plus étroite avec les territoires voisins, Congo belge, Nigeria britannique, Soudan anglo-égyptien, et comment, à l'heure qu'il est, l'Empire français tout entier, à l'exception momentanée de l'Indochine, contribue dans d'importantes proportions, par ses positions stratégiques, ses voies de communications, sa production, ses bases aériennes, sans préjudice de ses effectifs militaires, à l'effort commun des Alliés.

Nous croyons que, pour ce qui concerne la vie du monde de demain, l'autarcie ne serait, pour personne, ni souhaitable, ni même possible. Nous croyons, en particulier, qu'au point de vue du développement des ressources et des grandes communications, le continent africain doit constituer, dans une large mesure, un tout. Mais, en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever peu a peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi.

Tel est le but vers lequel nous avons à nous diriger. Nous ne nous dissimulons pas la longueur des étapes. Vous avez, Messieurs les Gouverneurs généraux et Gouverneurs, les pieds assez bien enfoncés dans la terre d'Afrique pour ne jamais perdre le sens de ce qui y est réalisable et, par conséquent, pratique. Au demeurant, il appartient à la nation française et il n'appartient qu'à elle, de procéder, le moment venu, aux réformes impériales de structure qu'elle décidera dans sa souveraineté. Mais, en attendant, il faut vivre, et vivre chaque jour c'est entamer l'avenir.

Vous étudierez ici, pour les soumettre au gouvernement, quelles conditions morales, sociales, politiques, économiques et autres vous paraissent pouvoir être progressivement

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appliquées dans chacun de nos territoires, afin que, par leur développement même et le progrès de leur population, ils s'intègrent dans la communauté française avec leur personnalité, leurs intérêts, leurs aspirations, leur avenir.

Messieurs, la Conférence Africaine Française de Brazzaville est ouverte.

1. What are the altruistic motives that explain the French presence in Africa, according to de Gaulle?

2. Does de Gaulle’s speech suggest that African colonies may one day gain independence? 3. After reading this speech, how would you summarise de Gaulle’s vision of France’s role in

world affairs?

c) Charles de Gaulle, Discours de Bayeux, 16 juin 1946

Présidant les fêtes organisées par la municipalité de Bayeux en commémoration de la libération de la cité et de sa visite en 1944, le général de Gaulle prononce un discours dans lequel il présente ses vues en matière constitutionnelle. 

Dans notre Normandie, glorieuse et mutilée, Bayeux et ses environs furent témoins d'un des plus grands événements de l'Histoire. Nous attestons qu'ils en furent dignes. C'est ici que, quatre années après le désastre initial de la France et des Alliés, débuta la victoire finale des Alliés et de la France. C'est ici que l'effort de ceux qui n'avaient jamais cédé et autour desquels s'étaient, à partir du 18 juin 1940, rassemblé l'instinct national et reformée la puissance française tira des événements sa décisive justification.

En même temps, c'est ici que sur le sol des ancêtres réapparut l'État ; l'État légitime, parce qu'il reposait sur l'intérêt et le sentiment de la nation ; l'État dont la souveraineté réelle avait été transportée du côté de la guerre, de la liberté et de la victoire, tandis que la servitude n'en conservait que l'apparence ; l'État sauvegardé dans ses droits, sa dignité, son autorité, au milieu des vicissitudes du dénuement et de l'intrigue ; l'État préservé des ingérences de l'étranger ; l'État capable de rétablir autour de lui l'unité nationale et l'unité impériale, d'assembler toutes les forces de la patrie et de l'Union française, de porter la victoire à son terme, en commun avec les Alliés, de traiter d'égal à égal avec les autres grandes nations du monde, de préserver l'ordre public, de faire rendre la justice et de commencer notre reconstruction.

Si cette grande œuvre fut réalisée en dehors du cadre antérieur de nos institutions, c'est parce que celles-ci n'avaient pas répondu aux nécessités nationales et qu'elles avaient, d'elles-mêmes, abdiqué dans la tourmente. Le salut devait venir d'ailleurs. Il vint, d'abord, d'une élite, spontanément jaillie des profondeurs de la nation et qui, bien au-dessus de toute préoccupation de parti ou de classe, se dévoua au combat pour la libération, la grandeur et la rénovation de la France. Sentiment de sa supériorité morale, conscience d'exercer une sorte de sacerdoce du sacrifice et de l'exemple, passion du risque et de

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l'entreprise, mépris des agitations, prétentions, surenchères, confiance souveraine en la force et en la ruse de sa puissante conjuration aussi bien qu'en la victoire et en l'avenir de la patrie, telle fut la psychologie de cette élite partie de rien et qui, malgré de lourdes pertes, devait entraîner derrière elle tout l'Empire et toute la France.

Elle n'y eût point, cependant, réussi sans l'assentiment de l'immense masse française. Celle-ci, en effet, dans sa volonté instinctive de survivre et de triompher, n'avait jamais vu dans le désastre de 1940 qu'une péripétie de la guerre mondiale où la France servait d'avant-garde. Si beaucoup se plièrent, par force, aux circonstances, le nombre de ceux qui les acceptèrent dans leur esprit et dans leur cœur fut littéralement infime. Jamais la France ne crut que l'ennemi ne fût point l'ennemi et que le salut fût ailleurs que du côté des armes de la liberté. A mesure que se déchiraient les voiles, le sentiment profond du pays se faisait jour dans sa réalité. Partout où paraissait la croix de Lorraine s'écroulait l'échafaudage d'une autorité qui n'était que fictive, bien qu'elle fût, en apparence, constitutionnellement fondée. Tant il est vrai que les pouvoirs publics ne valent, en fait et en droit, que s'ils s'accordent avec l'intérêt supérieur du pays, s'ils reposent sur l'adhésion confiante des citoyens. En matière d'institutions, bâtir sur autre chose, ce serait bâtir sur du sable. Ce serait risquer de voir l'édifice crouler une fois de plus à l'occasion d'une de ces crises auxquelles, par la nature des choses, notre pays se trouve si souvent exposé.

Voilà pourquoi, une fois assuré le salut de l'État, dans la victoire remportée et l'unité nationale maintenue, la tâche par-dessus tout urgente et essentielle était l'établissement des nouvelles institutions françaises. Dès que cela fut possible, le peuple français fut donc invité à élire ses constituants, tout en fixant à leur mandat des limites déterminées et en se réservant à lui-même la décision définitive. Puis, une fois le train mis sur les rails, nous-mêmes nous sommes retirés de la scène, non seulement pour ne point engager dans la lutte des partis ce qu'en vertu des événements nous pouvons symboliser et qui appartient à la nation tout entière, mais encore pour qu'aucune considération relative à un homme, tandis qu'il dirigeait l'État, ne pût fausser dans aucun sens l'œuvre des législateurs.

Cependant, la nation et l'Union française attendent encore une Constitution qui soit faite pour elles et qu'elles aient pu joyeusement approuver. A vrai dire, si l'on peut regretter que l'édifice reste à construire, chacun convient certainement qu'une réussite quelque peu différée vaut mieux qu'un achèvement rapide mais fâcheux.

Au cours d'une période de temps qui ne dépasse pas deux fois la vie d'un homme, la France fut envahie sept fois et a pratiqué treize régimes, car tout se tient dans les malheurs d'un peuple. Tant de secousses ont accumulé dans notre vie publique des poisons dont s'intoxique notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles. Les épreuves inouïes que nous venons de traverser n'ont fait, naturellement, qu'aggraver cet état de choses. La situation actuelle du monde où, derrière des idéologies opposées, se confrontent des Puissances entre lesquelles nous sommes placés, ne laisse pas d'introduire dans nos luttes politiques un facteur de trouble passionné. Bref, la rivalité des partis revêt chez nous un caractère fondamental, qui met toujours tout en question et sous lequel s'estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays. Il y a là un fait patent, qui tient au tempérament national, aux péripéties de l'Histoire et aux ébranlements du présent, mais dont il est indispensable à l'avenir du pays et de la démocratie que nos institutions tiennent compte et se gardent, afin de préserver le crédit des lois, la cohésion des gouvernements, l'efficience des administrations, le prestige et l'autorité de l'État.

C'est qu'en effet, le trouble dans l'État a pour conséquence inéluctable la désaffection des citoyens à l'égard des institutions. Il suffit alors d'une occasion pour faire apparaître la menace de la dictature. D'autant plus que l'organisation en quelque sorte mécanique de la société moderne rend chaque jour plus nécessaires et plus désirés le bon ordre dans la direction et le fonctionnement régulier des rouages. Comment et pourquoi donc ont fini chez nous la Ière, la IIe, la IIIe Républiques ? Comment et pourquoi donc la démocratie italienne, la République allemande de Weimar, la République espagnole, firent-elles place aux

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régimes que l'on sait ? Et pourtant, qu'est la dictature, sinon une grande aventure ? Sans doute, ses débuts semblent avantageux. Au milieu de l'enthousiasme des uns et de la résignation des autres, dans la rigueur de l'ordre qu'elle impose, à la faveur d'un décor éclatant et d'une propagande à sens unique, elle prend d'abord un tour de dynamisme qui fait contraste avec l'anarchie qui l'avait précédée. Mais c'est le destin de la dictature d'exagérer ses entreprises. A mesure que se fait jour parmi les citoyens l'impatience des contraintes et la nostalgie de la liberté, il lui faut à tout prix leur offrir en compensation des réussites sans cesse plus étendues. La nation devient une machine à laquelle le maître imprime une accélération effrénée. Qu'il s'agisse de desseins intérieurs ou extérieurs, les buts, les risques, les efforts, dépassent peu à peu toute mesure. A chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des obstacles multipliés. A la fin, le ressort se brise. L'édifice grandiose s'écroule dans le malheur et dans le sang. La nation se retrouve rompue, plus bas qu'elle n'était avant que l'aventure commençât. [...]

Du Parlement, composé de deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d'aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu'un assemblage de délégations. Sans doute aura-t-il fallu, pendant la période transitoire où nous sommes, faire élire par l'Assemblée nationale constituante le Président du gouvernement provisoire, puisque, sur la table rase, il n'y avait aucun autre procédé acceptable de désignation. Mais il ne peut y avoir là qu'une disposition du moment. En vérité, l'unité, la cohésion, la discipline intérieure du gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et disqualifiée. Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline, seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif émanait de l'autre pouvoir auquel il doit faire équilibre, et si chacun des membres du gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale tout entière, n'était, à son poste, que le mandataire d'un parti ?

C'est donc du chef de l'État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le Président de l'Union française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l'État la charge d'accorder l'intérêt général quant au choix des hommes avec l'orientation qui se dégage du Parlement. A lui la mission de nommer les ministres et, d'abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du gouvernement. Au chef de l'État la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c'est envers l'État tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens. A lui la tâche de présider les Conseils du gouvernement et d'y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas. A lui l'attribution de servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine. A lui, s'il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d'être le garant de l'indépendance nationale et des traités conclus par la France.

Des Grecs, jadis, demandaient au sage Solon : "Quelle est la meilleure Constitution ?" Il répondait : "Dites-moi, d'abord, pour quel peuple et à quelle époque ?" Aujourd'hui, c'est du peuple français et des peuples de l'Union française qu'il s'agit, et à une époque bien dure et bien dangereuse ! Prenons-nous tels que nous sommes. Prenons le siècle comme il est. Nous avons à mener à bien, malgré d'immenses difficultés, une rénovation profonde qui conduise chaque homme et chaque femme de chez nous à plus d'aisance, de sécurité, de joie, et qui nous fasse plus nombreux, plus puissants, plus fraternels. Nous avons à conserver la liberté sauvée avec tant et tant de peine. Nous avons à assurer le destin de la France au milieu de tous les obstacles qui se dressent sur sa route et sur celle de la paix. Nous avons à déployer, parmi nos frères les hommes, ce dont nous sommes capables, pour aider notre pauvre et vieille mère, la Terre. Soyons assez lucides et assez forts pour nous donner et pour observer des règles de vie nationale qui tendent à nous rassembler quand, sans relâche nous sommes portés à nous diviser contre nous-

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mêmes ! Toute notre Histoire, c'est l'alternance des immenses douleurs d'un peuple dispersé et des fécondes grandeurs d'une nation libre groupée sous l'égide d'un Etat fort.

1. How does de Gaulle’s discussion of the Occupation in this speech differ from that in the speech give at the Hôtel de Ville on 25 August 1944? (See the last text in the previous section). What are the reasons for these differences?

2. What is “l’Union française”?3. What, according to de Gaulle, has been the problem with previous regimes

in France? What does he propose to remedy this situation?

d) Extrait de la Constitution de la Ve République

Article 3

La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.

Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.

Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.

Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques.

Article 4

Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.

Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au second alinéa de l’article 1er dans les conditions déterminées par la loi.

La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation.

TITRE II

LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Article 5

Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État.

Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités.

Article 6 

Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct.

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Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.

Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique.

[...]

Article 8

Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement.

Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions.

Article 9

Le Président de la République préside le Conseil des ministres.

Article 10

Le Président de la République promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée.

Il peut, avant l’expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée.

Article 11 

Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d’un débat.

Lorsque le référendum a conclu à l’adoption du projet de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation.

[...]

Article 12

Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.

Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.

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L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.

Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections.

[...]

Article 14

Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui.

Article 15

Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale.

Article 16

Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel.

Il en informe la Nation par un message.

Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet.

Le Parlement se réunit de plein droit.

L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels.

Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d’examiner si les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette durée.

Article 17

Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel.

Article 18

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Le Président de la République communique avec les deux assemblées du Parlement par des messages qu’il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat.

Il peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui ne fait l’objet d’aucun vote.

Hors session, les assemblées parlementaires sont réunies spécialement à cet effet. [...]

1. Compare the role of the President of France, as outlined in the Constitution of 1958, to the vision for this role in de Gaulle’s Discours de Bayeux?

2. How does the role of the President of France change when the Prime Minister is not from the same political party (i.e., during a period of “cohabitation”)?

3. In your opinion, does this constitution give excessive powers to one individual?

(e) Manifeste des 121. Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie, 6 septembre 1960

Le 6 septembre 1960, 121 écrivains, universitaires et artistes rendent public le

texte suivant (dans Vérité-Liberté, no 4, septembre-octobre 1960 ; ce numéro fut saisi et le gérant inculpé de provocation de militaires à la désobéissance). Cet appel vaudra à certains signataires de sévères sanctions (révocations...).

Un mouvement très important se développe en France, et il est nécessaire que

l'opinion française et internationale en soit mieux informée, au moment où le nouveau tournant de la guerre d'Algérie doit nous conduire à voir, non à oublier, la profondeur de la crise qui s'est ouverte il y a six ans.

De plus en plus nombreux, des Français sont poursuivis, emprisonnés, condamnés, pour s'être refusés à participer à cette guerre ou pour être venus en aide aux combattants algériens. Dénaturées par leurs adversaires, mais aussi édulcorées par ceux-là mêmes qui auraient le devoir de les défendre, leurs raisons restent généralement incomprises. Il est pourtant insuffisant de dire que cette résistance aux pouvoirs publics est respectable. Protestation d'hommes atteints dans leur honneur et dans la juste idée qu'ils se font de la vérité, elle a une signification qui dépasse les circonstances dans lesquelles elle s'est affirmée et qu'il importe de ressaisir, quelle que soit l'issue des événements.

Pour les Algériens, la lutte poursuivie, soit par des moyens militaires, soit par des moyens diplomatiques, ne comporte aucune équivoque. C'est une guerre d'indépendance nationale. Mais, pour les Français, quelle en est la nature ? Ce n'est pas une guerre étrangère. Jamais le territoire de la France n'a été menacé. Il y a plus : elle est menée contre des hommes que l'Etat affecte de considérer comme français, mais qui, eux, luttent précisément pour cesser de l'être. Il ne suffirait même pas de dire qu'il s'agit d'une guerre de conquête, guerre impérialiste, accompagnée par surcroît de racisme. Il y a de cela dans toute guerre, et l'équivoque persiste.

En fait, par une décision qui constituait un abus fondamental, l'Etat a d'abord mobilisé des classes entières de citoyens à seule fin d'accomplir ce qu'il désignait lui-même comme une besogne de police contre une population opprimée, laquelle ne s'est révoltée que par un souci de dignité élémentaire, puisqu'elle exige d'être enfin reconnue comme communauté indépendante.

Ni guerre de conquête, ni guerre de "défense nationale", ni guerre civile, la guerre d'Algérie est peu à peu devenue une action propre à l'armée et à une caste qui

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refusent de céder devant un soulèvement dont même le pouvoir civil, se rendant compte de l'effondrement général des empires coloniaux, semble prêt à reconnaître le sens.

C'est, aujourd'hui, principalement la volonté de l'armée qui entretient ce combat criminel et absurde, et cette armée, par le rôle politique que plusieurs de ses hauts représentants lui font jouer, agissant parfois ouvertement et violemment en dehors de toute légalité, trahissant les fins que l'ensemble du pays lui confie, compromet et risque de pervertir la nation même, en forçant les citoyens sous ses ordres à se faire les complices d'une action factieuse et avilissante. Faut-il rappeler que, quinze ans après la destruction de l'ordre hitlérien, le militarisme français, par suite des exigences d'une telle guerre, est parvenu à restaurer la torture et à en faire à nouveau comme une institution en Europe ?

C'est dans ces conditions que beaucoup de Français en sont venus à remettre en cause le sens de valeurs et d'obligations traditionnelles. Qu'est-ce que le civisme, lorsque, dans certaines circonstances, il devient soumission honteuse ? N'y a-t-il pas de cas où le refus est un devoir sacré, où la "trahison" signifie le respect courageux du vrai ? Et lorsque, par la volonté de ceux qui l'utilisent comme instrument de domination raciste ou idéologique, l'armée s'affirme en état de révolte ouverte ou latente contre les institutions démocratiques, la révolte contre l'armée ne prend-elle pas un sens nouveau ?

Le cas de conscience s'est trouvé posé dès le début de la guerre. Celle-ci se prolongeant, il est normal que ce cas de conscience se soit résolu concrètement par des actes toujours plus nombreux d'insoumission, de désertion, aussi bien que de protection et d'aide aux combattants algériens. Mouvements libres qui se sont développés en marge de tous les partis officiels, sans leur aide et, à la fin, malgré leur désaveu. Encore une fois, en dehors des cadres et des mots d'ordre préétablis, une résistance est née, par une prise de conscience spontanée, cherchant et inventant des formes d'action et des moyens de lutte en rapport avec une situation nouvelle dont les groupements politiques et les journaux d'opinion se sont entendus, soit par inertie ou timidité doctrinale, soit par préjugés nationalistes ou moraux, à ne pas reconnaître le sens et les exigences véritables.

Les soussignés, considérant que chacun doit se prononcer sur des actes qu'il est désormais impossible de présenter comme des faits divers de l'aventure individuelle, considérant qu'eux-mêmes, à leur place et selon leurs moyens, ont le devoir d'intervenir, non pas pour donner des conseils aux hommes qui ont à décider personnellement face à des problèmes aussi graves, mais pour demander à ceux qui les jugent de ne pas se laisser prendre à l`équivoque des mots et des valeurs, déclarent :

Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien.

Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français.

La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres.

Arthur Adamov, Robert Antelme, Georges Auclair, Jean Baby, Hélène Balfet, Marc Barbut, Robert Barrat, Simone de Beauvoir, Jean-Louis Bedouin, Marc Beigbeder, Robert Benayoun, Maurice Blanchot, Roger Blin, Arsène Bonnefous-Murat, Geneviève Bonnefoi, Raymond Borde, Jean-Louis Bory, Jacques-Laurent Bost, Pierre Boulez, Vincent Bounoure, André Breton, Guy Cabanel, Georges Condominas, Alain Cuny, Dr Jean Dalsace, Jean Czarnecki, Adrien Dax, Hubert Damisch, Bernard Dort, Jean Douassot, Simone Dreyfus, Marguerite Duras, Yves Ellouet, Dominique Eluard, Charles Estienne, Louis-René des Forêts, Dr Théodore Fraenkel, André Frénaud, Jacques Gernet, Louis Gernet, Edouard Glissant, Anne Guérin, Daniel Guérin, Jacques Howlett, Edouard Jaguer, Pierre Jaouen, Gérard Jarlot, Robert Jaulin, Alain Joubert, Henri Krea, Robert Lagarde, Monique Lange, Claude Lanzmann, Robert Lapoujade, Henri Lefebvre, Gérard Legrand, Michel Leiris, Paul Lévy, Jérôme Lindon, Eric Losfeld, Robert Louzon, Olivier de Magny, Florence Malraux, André Mandouze, Maud Mannoni, Jean Martin, Renée Marcel-Martinet, Jean-Daniel Martinet, Andrée Marty-

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Capgras, Dionys Mascolo, François Maspero, André Masson, Pierre de Massot, Jean-Jacques Mayoux, Jehan Mayoux, Théodore Monod, Marie Moscovici, Georges Mounin, Maurice Nadeau, Georges Navel, Claude Ollier, Hélène Parmelin, José Pierre, Marcel Péju, André Pieyre de Mandiargues, Edouard Pignon, Bernard Pingaud, Maurice Pons, J.-B. Pontalis, Jean Pouillon, Denise René, Alain Resnais, Jean-François Revel, Paul Revel, Alain Robbe-Grillet, Christiane Rochefort, Jacques-Francis Rolland, Alfred Rosner, Gilbert Rouget, Claude Roy, Marc Saint-Saëns, Nathalie Sarraute, Jean-Paul Sartre, Renée Saurel, Claude Sautet, Jean Schuster, Robert Scipion, Louis Seguin, Geneviève Serreau, Simone Signoret, Jean-Claude Silbermann, Claude Simon, René de Solier, D. de la Souchère, Jean Thiercelin, Dr René Tzanck, Vercors, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, J.-P. Vielfaure, Claude Viseux, Ylipe, René Zazzo.

(f) Mai 1968 :

1. [La solidarité que nous affirmons ici…]

La solidarité que nous affirmons ici avec le mouvement des étudiants dans le monde – ce mouvement qui vient brusquement, en des heures éclatantes, d’ébranler la société dite de bien-être parfaitement incarnée dans le monde français – est d’abord une réponse aux mensonges par lesquels toutes les institutions et les formations politiques (à peu d’exceptions près), tous les organes de presse et de communication (presque sans exceptions) cherchent depuis des mois à altérer ce mouvement, et à en pervertir le sens ou même à tenter de le rendre dérisoire.

Il est scandaleux de ne pas reconnaître dans ce mouvement ce qui s’y cherche et ce qui y est en jeu : la volonté d’échapper, par tous les moyens, à un ordre aliéné, mais si fortement structuré et intégré que la simple contestation risque toujours d’être mise à son service. Et il est scandaleux de ne pas comprendre que la violence que l’on reproche à certaines formes de ce mouvement est la réplique à la violence immense à l’abri de laquelle se préservent la plupart des sociétés contemporaines et dont la sauvagerie policière n’est que la divulgation.

C’est ce scandale que nous tenons à dénoncer sans plus tarder, et nous tenons à affirmer en même temps que, face au système établi, il est d’une importance capitale, peut-être décisive, que le mouvement des étudiants, sans faire de promesses et, au contraire, en repoussant toute affirmation prématurée, oppose et maintienne une puissance de refus capable, croyons-nous, d’ouvrir un avenir.

8 mai 1968

R. Antelme, M. Blanchot, R. Blin, V. Bounoure, F. Chatelet, M. Duras, L.-R. des Forêts, M.-P. Fouchet, A. Gorz, P. Klossowski, J. Lacan, H. Lefebvre, M. Leiris, D. Mascolo, M. Nadeau, J. Peignot, A. Pieyre de Mandiargues, J. Ricardou, M. Robert, C. Roy, N. Narraute, J.-P. Sartre, J. Schuster, G. Serreau, M. Wittig.

Tract du Comité d’Action Étudiants-Écrivains, 8 mai 196828

2. [LA RUE…]

LA RUE. En même temps qu’il a entrepris la liquidation violente du mouvement de soulèvement étudiant, le pouvoir du général de Gaulle a décidé la mise au pas du peuple tout entier.

La dissolution (sans aucun fondement légal) des mouvements d’opposition n’a eu que ce but : permettre les perquisitions sans contrôle, faciliter les arrestations arbitraires (plus de cent mandats d’arrêt), remettre en activité les tribunaux d’exception, appareil indispensable de tout terrorisme d’État, finalement empêcher toute réunion. Autrement dit, et comme l’a déclaré le

28 Ce texte sera publié dans le quotidien Le Monde le 9 mai 1958.

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président de la République en une formule dont chacun doit se souvenir parce qu’elle montre clairement ce qu’il est et ce qu’il veut : il ne doit plus rien se passer nulle part, ni dans la rue, ni dans les bâtiments publics (Universités, Parlement). Ce qui est décréter la MORT POLITIQUE.

Un signe qui ne trompe pas : l’envahissement de la rue par les policiers en civil. Ils ne sont pas là seulement pour surveiller les opposants déclarés. Ils sont partout, en tous lieux où les attire leur soupçon, près des cinémas, dans les cafés, même dans les musées, s’approchant dès que trois ou quatre personnes sont ensemble et discutent innocemment : invisibles, tout de même très visibles. Chaque citoyen doit apprendre que la rue ne lui appartient plus, mais appartient au pouvoir seul qui veut y imposer le mutisme, produire l’asphyxie.

Pourquoi cette mobilisation effrayée ?Depuis mai, la rue s’est réveillée : elle parle. C’est là l’un des changements décisifs. Elle

est redevenue vivante, puissante, souveraine : le lieu de toute liberté possible. C’est contre cette parole souveraine de la rue que, menaçant tout le monde, a été mis en place le plus dangereux dispositif de répression sournoise et de force brutale. Que chacun de nous comprenne donc ce qui est en jeu. Quand il y a des manifestations, ces manifestations ne concernent pas seulement le petit nombre ou le grand nombre de ceux qui y participent : elles expriment le droit de tous à être libres dans la rue, à y être librement des passants et à pouvoir faire en sorte qu’il s’y passe quelque chose. C’est le premier droit.

17 juillet 1968

Comité, n° 1, octobre 196829

3. [QUE L’IMMENSE CONTRAINTE…]

QUE L’IMMENSE CONTRAINTE subie consciemment et inconsciemment par les forces nouvelles – celles de la jeune ouvrière et étudiante – ait donné lieu, avec une soudaineté prodigieuse, à ce mouvement de soulèvement, on pouvait s’y attendre, sans être à même certes de le prévoir exactement : mouvement d’un dynamisme, d’une puissance d’invention politique extraordinaire, mouvement à la fois de liberté et de refus. Le moment n’est pas venu d’en désigner les caractères, c’est-à-dire de le restreindre en le privant de sa force de présence. Mais ce qu’il faut rappeler et en particulier à nos amis de l’Est, c’est que s’il constitue un mouvement global de contestation de la société bourgeoise, c’est en premier lieu la rupture avec le pouvoir et la société gaullistes qu’il a affirmée d’une manière éclatante et qu’il poursuit, poursuivra par tous moyens. De là aussi qu’un de ses premiers caractères soit d’être anti-nationaliste et affirmant ou réaffirmant l’importance essentielle de l’exigence internationale, malheureusement méconnue depuis des décennies par les partis communistes traditionnels. Ce mouvement est un mouvement de rupture radicale, violent certes, mais d’une violence très maîtrisée et, dans sa finalité, communiste, tout en mettant en cause, par une contestation incessante, le pouvoir et toutes les formes de pouvoir. Il apparaît donc essentiellement comme un mouvement de refus, se gardant de toute affirmation ou programme prématurés, parce qu’il pressent que, dans toute affirmation telle que peut la formuler un discours nécessairement aliéné ou faussé, il y a le risque d’être récupéré par un système établi (celui des sociétés capitalistes industrielles), système qui intègre tout, y compris la culture, fût-elle d’“avant-garde”.

Comité, n° 1, octobre 1968

Select Bibliography

The Age of Montaigne

29 La revue Comité, dont les textes sont tous anonymes, fut fondée en octobre 1968 et animée par le Comité d’Action Étudiants-Écrivains Au Service du Mouvement. Un seul numéro paraîtra.

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