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Université de Paris 8 2, rue de la Liberté 93526 Saint-Denis cedex Le mariage en Corée : un rite de passage comme miroir d'une société Septembre 2005

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Université de Paris 82, rue de la Liberté

93526 Saint-Denis cedex

Le mariage en Corée : un rite de

passage comme miroir d'une

société

Septembre 2005

Aga Mémoire de maîtrise sous la direction de …

Septembre 2005

SOMMAIRE

INTRODUCTION..................................................................................3

Première partie :..................................................................................7

THEORIE DES RITES DE PASSAGE....................................................7

1. Arnold VAN GENNEP et Robert HERTZ.....................................................................9

1.1. Arnold VAN GENNEP face à ses contemporains.............................................9

1.2. Robert HERTZ.................................................................................................12

1.3. Les passages matériels dans la théorie de VAN GENNEP..............................14

2. Rapport entre rites de passage et temps...................................................................16

2.1. Les discontinuités.............................................................................................16

2.2. Maîtrise symbolique du temps..........................................................................17

2.3. Le stade de marge.............................................................................................19

3. Efficacité des rites hier et aujourd'hui.....................................................................22

3.1. Pierre BOURDIEU et les "rites d'institution"......................................................22

3.2. Les rites dans nos "sociétés modernes"............................................................26

Conclusion...................................................................................................................29

Deuxième partie :...............................................................................33

LA SOCIETE COREENNE, UNE SOCIETE PROFONDEMENT

MARQUEE PAR LE CONFUCIANISME.............................................33

1. confucianisme en Chine, confucianisme originel....................................................35

1.1. Le confucianisme..............................................................................................35

1.2. Piété filiale........................................................................................................37

2. Néo-confucianisme ou les enseignements de Chu Hsi en Corée............................43

2.1. Adoption et expansion du néo-confucianisme en Corée..................................43

2.2. Le Néo-Confucianisme au XXe siècle.............................................................49

2.3. Rapports interpersonnels au sein de la société coréenne..................................58

Conclusion...................................................................................................................66

Troisième partie :...............................................................................69

FAMILLE ET MARIAGE EN COREE..................................................69

1. La place des femmes dans la société et la famille coréenne....................................72

1.1. La famille en Corée..........................................................................................72

1.2. Complémentarité entre homme et femme........................................................76

1.3. Education des enfants.......................................................................................82

2. Importance sociale du mariage................................................................................87

2.1. Pourquoi il est important de se marier..............................................................87

2.2. Le choix du conjoint.........................................................................................90

3. Les rites du mariage.................................................................................................94

3.1. Le mariage traditionnel.....................................................................................94

3.2. Le mariage à la fin du XXe siècle....................................................................98

Conclusion.................................................................................................................101

CONCLUSION..................................................................................104

ANNEXES...................................................................................107

Annexe 1 : Chronologie.............................................................................................107

Annexe 2 : La face cachée du dragon coréen............................................................110

Annexe 3 : Moins de naissances mais un garçon à tout prix : l'avortement sélectif

des filles en Asie........................................................................................................115

BIBLIOGRAPHIE..............................................................................122

INTRODUCTION

Les rites font partie des sujets d'étude privilégiés par les anthropologues, et il semble donc pertinent de se demander qu'elle place ils occupent aujourd'hui, dans les sociétés "modernes". Tiennent-ils toujours une part aussi importante dans la vie humaine ou n'ont-ils plus qu'une place anecdotique dans de telles sociétés ? Et s'ils restent importants aujourd'hui, pourquoi les étudier ? Mary DOUGLAS écrit dans De la Souillure : « Animal social, l'homme est un animal rituel. Supprimez une certaine forme de rite, et il réapparaît sous une autre forme, avec d'autant plus de vigueur que l'interaction sociale est intense. » (p.81). Ici, en quelques mots seulement, l'importance que les rites peuvent avoir dans la vie (sociale) est mise en évidence.

Interrogeons-nous d'abord sur une de leurs fonctions, ce qui fait que malgré les changements qu'ils ont subit au cours de l'histoire, les sociétés y ont toujours recours, et pas seulement dans le domaine religieux ou sacrée, mais aussi dans la vie séculière (dans le monde politique, musical, sportif, etc.). Dans le recueil Une langue, deux cultures, Martine SEGALEN et Gérard BOUCHARD expliquent qu' « on relève aussi que les pratiques rituelles sont souvent le lieu d'un discours identitaire », par exemple, il y aurait une « affirmation de l'identité familiale et du statut social dans l'ostentation du rituel matrimonial » (p. 7). Les rites correspondent à une manipulation de symboles comme celui de "la tradition", ce qui ce serait "toujours fait ainsi", et qui aurait une valeur identitaire au niveau de la communauté. Les rites "traditionnels" auraient en outre un caractère rassurant en servant de référence pour marquer une immuabilité fictive de la société ou alors montrer par le biais de la critique que, consciente de ses racines, la société a su évoluer. A ce

sujet, SEGALEN et BOUCHARD écrivent que la « critique de la tradition, qui loin d'être un usage immémorial séparant l'archaïque du contemporain, apparaît comme une production de la modernité qui revendique la tradition au nom d'une authenticité réinventée. Jamais traditionnelles puisqu'elles ne sont pas figées, souvent difficilement transmissibles, ces pratiques rituelles servent surtout de puissant révélateur de la culture […] » (p.8).

Partageant ce point de vue, Victor TURNER, successeur d'Arnold VAN GENNEP, spécialiste d'une catégorie spécifiques de rites (les rites de passage), s'est rendu compte, lors de son terrain chez les Ndembu, qu'une étude simplement factuelle des généalogies et techniques, entre autres, ne pouvait rester qu'une étude superficielle et qu'il n'arrivait pas, par ce biais, à saisir vraiment leur façon de penser et ressentir les choses. Pour mieux pénétrer l'essence d'une société, il faut s'intéresser aux aspects symboliques de ces domaines en plus de ce qui est observable directement. Pour étayer son point de vue, il cite d'ailleurs ce que Monica WILSON a écrit dans son article de l'American anthropologist de 1954 "Nyakyusa ritual and symbolism" : « Les rituels révèlent les valeurs à leur niveau le plus profond... Les hommes expriment dans le rituel ce qui les touche le plus et puisque la forme de l'expression est conventionnelle et obligatoire, ce sont les valeurs du groupe qui sont révélées. Je vois dans l'étude du rituel la clé pour comprendre l'essence de la constitution des sociétés humaines. (p.241) »1

Intéressée par ces points de vue, j'ai décidé de tenter d'aborder la société coréenne sous cet angle original, en étudiant un rite de passage particulier : le mariage. Par l'intermédiaire de celui-ci nous allons aborder une partie de la culture coréenne car, comme l'écrit Laurel KENDALL, "aux yeux de l'Etat et dans l'opinion populaire, de tels rituels sont en eux-mêmes et par eux-mêmes véhicules de moralité et d'identité personnelle et nationale"2. En

1 TURNER Victor, 1990, Le phénomène rituel, p. 15 2 KENDALL Laurel, 1996, Getting married in Korea, University of California Press, Berkeley : USA, p. 53

effet, il peut nous permettre d'observer le système éducatif dans lequel les futurs époux ont été élevés, ce qui comprend aussi bien la famille que le néo-confucianisme qui a eu une énorme influence sur la société coréenne.

La Corée est un pays sinisé depuis des centaines d'années, le néo-confucianisme a d'ailleurs modelé cette société. Cependant, celle-ci, au cours de ces dernières décennies s'est modernisée de façon remarquable, en faisant un pays économiquement fort malgré la crise économique de 1997, et un important exportateur à l'échelle mondiale. De ce fait, il semble pertinent de s'interroger sur les conséquences qu'ont eu cette modernisation rapide du pays et l'ouverture au monde extérieur et en particulier au monde occidental de ce pays qualifié d'ermite à la fin du XIXe siècle, sur l'influence que le néo-confucianisme exerce de nos jours sur la société coréenne, et plus particulièrement sur la famille, les relations interpersonnelles, les relations entre les genres, ou encore les rites.

La famille qui est, comme l'ont rappelé LÉVI-STRAUSS ou encore Françoise Zonabend, une construction sociale, est l'unité centrale au sein d'une société confucianisée. De ce fait, c'est par son étude que nous pourrons tenter d'éclaircir ce point. Le mariage est un rite de passage important, dans certaines sociétés comme les sociétés française ou coréenne, qui permet la pérennité de la cellule familiale et de la société. Mais, quelle est l'utilité sociale des rites du mariage ? Pourquoi l'étudier plutôt qu'un autre rite ? Le mariage est avant tout un rite de passage et ce passage « est tout à la fois symbolique, social et matériel » car il marque l'accession à l'âge adulte et l'accès à « la sexualité, à la fécondité, à l'installation en ménage »3 comme l'écrit Martine SEGALEN à propos des campagnes françaises, ce qui est aussi valable pour la Corée.

3 Segalen Martine, Rites et rituels contemporains, p. 41-42

Ainsi, par ce travail, nous allons tenter d'aborder la société coréenne à travers le prisme du mariage. Pour se faire, nous allons d'abord tenter d'obtenir un éclairage (théorique) sur le vaste sujet des rites de passage en suivant les travaux de certains chercheurs tels VAN GENNEP qui a été le créateur de la catégorie des rites de passage ainsi que d'un schéma d'analyse dont la valeur heuristique est toujours pertinente aujourd'hui, Mary DOUGLAS ou TURNER, ainsi que des ouvrages plus synthétiques. Ceci permettra de mieux appréhender leur place dans le "monde moderne", puis par le biais du mariage, leur place en Corée en particulier. Dans un deuxième temps, et afin de mieux cerner la culture coréenne, nous allons nous intéresser au confucianisme chinois puis à l'expansion du néo-confucianisme en Corée étant donné qu'il a profondément marqué et influencé (voire façonné) la société, et son importance dans la société moderne. Enfin, dans un troisième temps, nous observerons la famille qui, en tant que premier lieu de socialisation des individus, a exercé une influence sur les futurs époux, puis directement le mariage, de l'importance du choix du conjoint à la cérémonie elle-même.

Première partie :

THEORIE DES RITES DE PASSAGE

Aborder le thème des rites de passage n'est pas chose aisée, en effet cela va faire près d'un siècle que les chercheurs tentent de les appréhender de manière complète et cohérente. Nous allons donc tenter de faire une synthèse de quelques travaux anciens et plus récents afin d'obtenir un éclairage un peu plus précis bien que global sur ce que sont les rites de passages. Ainsi, nous pourrons, une fois l'aspect familial et néo-confucéen précisé, aborder la culture coréenne via le rituel du mariage, qui est souvent considéré comme l'un des rites les plus importants dans une vie (cf. VAN GENNEP, ou Martine SEGALEN), étant donné qu'il correspond, plus ou moins, à l'entrée dans le monde adulte (du moins symboliquement et socialement), ainsi qu'à la création de sa propre cellule familiale. Nous verrons plus loin (cf. 3e partie) quelle est la fonction du mariage dans la société coréenne.

Les Rites de passage qu'Arnold VAN GENNEP publie en 1909 est l'ouvrage de référence lorsque l'on étudie les rites de passage. Par ce livre en effet, Arnold VAN GENNEP se révèle être le premier à avoir saisi les points communs existant entre un grand nombre de rites qu'il rassemble sous le nom de "rites de passage". Il les étudie d'une façon plus globale que ses prédécesseurs (et la majorité de ses contemporains) surtout en les confrontant à la structure sociale de la société dans laquelle ils sont réalisés. Il arrive alors, par son étude attentive de ces différents rites, à détacher une séquence cérémonielle que l'on retrouve dans tous les rites de passage et crée

alors un schéma d'analyse toujours utilisé de nos jours. Il a en effet constaté que partout les rites de passage suivent un schéma, une séquence en trois temps, trois étapes qui correspondent à séparation du reste de la société, une période de mise en marge de la société puis une (ré)agrégation.

Avant de voir plus en détail ce qu'est un rite de passage, rappelons la définition du rite qu'a donnée Martine SEGALEN : « Le rite ou rituel est un ensemble d'actes formalisés, expressifs, porteurs d'une dimension symbolique. Le rite est caractérisé par une configuration spatio-temporelle spécifique, par le recours à une série d'objets, par des systèmes de comportement et de langages spécifiques, par des signes emblématiques dont le sens codé constitue l'un des biens communs d'un groupe. »4 Forts de cette définition, suivons Nicole BELMONT qui, s'étant particulièrement intéressée au travail d'Arnold VAN GENNEP, remarque que le sous-titre des Rites de passage est une véritable table des matières des rites qu'il a regroupés et nous permet ainsi de savoir de quels rites sont des rites de passage : « étude systématique des rites [correction sur son exemplaire personnel : étude systématique des cérémonies] de la porte et du seuil, de l'hospitalité, de l'adoption, de la grossesse et de l'accouchement, de la naissance, de l'enfance, de la puberté, de l'initiation, de l'ordination, du couronnement, des fiançailles et du mariage, des funérailles, des saisons, etc. »

Dans un premier temps, nous allons voir comment l'approche nouvelle que VAN GENNEP a de ce "genre" de rites, ainsi que le schéma des rites de passage issu de son étude – dont la valeur heuristique est toujours pertinente aujourd'hui – sont accueillis par ses contemporains, sociologues et anthropologues. Ensuite, nous rappellerons qu'il n'était pas le seul à s'être rendu compte de la spécificité des rites de passages, Robert HERTZ, lui aussi, a publié un

4 SEGALEN Martine, Rites et rituels contemporains, p. 20

article abordant ce thème, deux années avant la parution des Rites de passage de VAN GENNEP. Et enfin, nous reviendrons plus spécifiquement à l'œuvre de VAN GENNEP pour évoquer l'importance des passages matériels dans les rites de passage.

Ensuite, dans un deuxième temps, nous étudierons l'importance flagrante du rapport existant entre les rites de passage et le temps. Nous remarquerons d'abord qu'il existe un rapport étroit entre les rites de passage et les discontinuités qui ponctuent le déroulement d'une vie humaine. Puis nous observerons comment, à l'aide des rites en question, l'homme acquiert une impression de maîtrise de sa vie, et du temps qui passe. Finalement, nous examinerons l'étape centrale, et qui semble être la plus importante de ces rites, à savoir : le stade de marge.

Enfin, dans un dernier temps, nous discuterons de l'efficacité sociale des rites, et de la lecture plus contemporaine qui en est faite. Nous verrons d'abord ce que Pierre BOURDIEU nomme les rites d'institution, et ensuite, ce que sont les rites modernes ; existe-t-il toujours des rites ? Ainsi, nous verrons s'il est pertinent d'étudier une culture comme la culture coréenne par le biais d'un rite tel que le mariage.

1. Arnold VAN GENNEP et Robert HERTZ

1.1. Arnold VAN GENNEP face à ses contemporains

Au début du XXe siècle, lorsque VAN GENNEP a publié son livre Les rites de passage, Marcel MAUSS, au nom de l'Ecole sociologique française, a beaucoup décrié la théorie qui y est énoncée et l'a même qualifiée de truisme. Cependant, Nicole BELMONT signale dans "La notion du rite de passage"5, son intervention introductive (du compte

5 Nicole BELMONT, "La notion du rite de passage", in Op. Cit., p. 9-19

rendu de colloque cité auparavant), que VAN GENNEP énonce bien des évidences mais que les évidences ne sont pas toujours visibles ni forcément des truismes. Elle fait d'ailleurs référence à BOURDIEU expliquant que cette théorie a subi un "usage distrait", c'est-à-dire que certains utilisateurs s'en servaient en quelque sorte à leur insu, comme si elle avait toujours existé, qu'elle allait de soit et qu'ils l'avaient "toujours sue".

Ensuite, vers la moitié du XXe siècle, la théorie des rites de passage est adoptée par tous les anthropologues qui succèdent aux réticences de l'Ecole sociologique française car ils ont vérifié sa pertinence sur le terrain. Parmi eux, Gezà RÓHEIM, ayant "une double formation et une double pratique d'ethnologue et de psychanalyste"6, affirme dans un article publié en 1942 qu'ils ont une grande importance pour tout le genre humain sur le plan psychologique. En fait, selon lui, "il existe dans la séquence cérémonielle des rites de passage des éléments communs qui ne dépendent pas des traits spécifiques de telle ou telle société, mais appartiennent aux aspects fondamentaux de la psyché humaine."7 Ils sont donc réhabilités publiquement et considérés à leur juste valeur, avec leurs lots de critiques positives et négatives.

Dans son intervention, Julian PITT-RIVERS expose certaines critiques qu'a adressées Max GLUCKMAN à la théorie de VAN GENNEP sur les rites de passage. Il explique que GLUCKMAN dit s'être ennuyé à la lecture des Rites de passage et que ce dernier confond les méthodes de VAN GENNEP et de James FRAZER qui faisait des "longues listes d'illustrations" et "cumulait des exemples d'associations d'idées similaires pour justifier une interprétation concrète"8. En réalité, VAN GENNEP cherchait, sous la multiplicité des formes qu'illustraient ses divers exemples, à démontrer la valeur universelle de son schéma tout à fait abstrait. L'universalité de cette théorie n'intéressait pas GLUCKMAN qui ne considère les rites de passage que comme le

6 Ibid., p. 147 Ibid., p.158 PITT-RIVERS Julian, "Un rite de passage de la société moderne : le voyage aérien", in Op. Cit., p. 116

"moyen d'effectuer des changements dans les relations sociales entre individus"9. De plus, alors que pour VAN GENNEP ces deux termes sont interchangeables, il fait une différence entre les rites de passage (qui appartiennent aux sociétés dites "archaïques") et les cérémonies (qui appartiennent aux sociétés occidentales modernes). Selon lui, les cérémonies diffèrent des rites de passage "parce que nous ne croyons pas à son efficacité magique, ni aux forces surnaturelles qu'il vise à apaiser."10 En fait, pour PITT-RIVERS, GLUCKMAN semble suivre une théorie plus ancienne : il s'agit de celle de Edward TYLOR qui oppose rituels et rationalité et pour qui les rituels sont voués à disparaître dans "nos sociétés modernes"11.

Ensuite, PITT-RIVERS nous rappelle que Victor TURNER, même s'il a d'abord été considéré comme le disciple de GLUCKMAN, se révèle être en fait un disciple de VAN GENNEP. En effet, TURNER « cherche le sens du rite dans la totalité de la culture du peuple étudié »12 tout comme VAN GENNEP pour qui les rites doivent être interprétés au sein d'un ensemble spatio-temporel et pas seuls, pour eux-mêmes car ils s'insèrent dans la société et en font partie intégrante. Pour TURNER il y a cohérence intellectuelle entre la société et les institutions. De plus, il s'interroge sur la capacité de compréhension qu'ont les acteurs de ces rites ; par compréhension, il entend compréhension des détails et non de la signification de la totalité du rite ou du pourquoi de celui-ci. Au final, PITT-RIVERS critique cette volonté qu'ont les fonctionnalistes anglais de rendre notre monde scientifique ; pour lui, ceci aboutit au discrédit du rituel qui semble alors s'opposer à la raison, cette opposition n'ayant pas lieu d'être.

Dans son livre cité ci-dessus VAN GENNEP souligne l'importance de la séquence cérémonielle comme préalable à son schéma des rites de passages. D'ailleurs, Martine SEGALEN nous rappelle dans Rites et rituels contemporains, que le but de VAN GENNEP était de ne plus 9 Ibid., p. 115

10 Ibid., p. 116

11 Ibid., p. 117

12 Ibid., p. 117

considérer ou étudier isolément une seule étape ou un seul rite mais l'entière séquence cérémonielle. Bien qu'il ne soit jamais vraiment parvenu à théoriser cette notion de séquence cérémonielle, on peut citer la définition qu'en donne Nicole BELMONT : il s'agit de « l'ensemble des actes d'un rituel considérés dans leur ordre de succession »13. En effet, cette notion permet de différencier les rites de passage des autres rites, d'où son importance pour VAN GENNEP. Les séquences cérémonielles permettent de définir les rites de passage comme « des rites qui accompagnent les changements de lieu, d'état, d'occupation, de situation sociale, de statut, d'âge. Ils rythment le déroulement de la vie humaine, "du berceau à la tombe". »14 De la séquence cérémonielle découle le schéma en trois stades successifs : séparation / marge /agrégation (ou préliminaire / liminaire / post liminaire). Ce schéma peut sembler très simple et même évident, mais cette apparente simplicité ne doit pas faire oublier la complexité ni la richesse des phénomènes qu'il permet de découper, d'ordonner et d'analyser.

1.2. Robert HERTZ

Toutefois, soulignons le fait que l'un des contemporains de VAN GENNEP, Robert HERTZ, aurait lui aussi été un précurseur dans l'approche de la théorisation des rites de passage. En effet, dans un article publié en 1907 dans Sociologie religieuse et folklore – "Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort" – il remarque qu'il y existe des points communs entre rites de deuil et d'initiation et a même rapproché rites de naissance et de mariage. Dans cet article, il y a de plus une approche du "stade de marge" qu'il considère comme une transition à laquelle il attache beaucoup d'importance. VAN GENNEP n'est donc pas le seul, au début du XXe siècle, à avoir observé des similitudes entre différents rites répartis tout au long de la vie humaine.

13 BELMONT Nicole, p. 1014 Ibid. p. 11

De plus, Isac CHIVA, dans sa conclusion du compte rendu du colloque de Neuchâtel, fait une citation de l'article qui laisse à penser que HERTZ a perçu les étapes d'exclusion et d'agrégation nouvelle : « chaque promotion de l'individu implique le passage d'un groupe à un autre, une exclusion, c'est-à-dire une mort, et une intégration nouvelle, c'est-à-dire une renaissance ». Cette citation peut même avoir inspiré VAN GENNEP dans ses recherches sur la théorisation des rites de passage.

Pour sa part, toujours lors de ce colloque, Nicole BELMONT, signale que HERTZ s'est bien plus interrogé que son contemporain sur les fonctions sociales et psychologiques de ces rites qu'il n'a ni nommés, ni systématisés. En effet, "pour lui, tout changement d'état de l'individu implique une modification profonde dans l'attitude mentale de la société à son égard, modification qui ne peut s'accomplir que peu à peu, qui demande du temps."15 Pour illustrer cette affirmation, elle cite HERTZ, en soulignant plus bas dans son article deux expressions qu'elle considère comme "frappantes" (soulignées par mes soins dans la citation suivante) : "Si donc il faut un certain temps pour bannir le mort du pays des vivants, c'est parce que la société, ébranlée par le choc, doit retrouver peu à peu son équilibre et parce que le double travail mental de désagrégation et de synthèse que suppose l'intégration de l'individu dans un monde nouveau doit s'accomplir d'une manière en quelque sorte moléculaire et exige du temps 16." D'un autre côté, on peut voir que VAN GENNEP s'est malgré tout (légèrement ?) interrogé sur ces questions. En effet, Claude MACHEREL rappelle que, comme aurait pu l'écrire HERTZ avant lui, VAN GENNEP a énoncé que les rites de passage sont "[des] opérations [qui] sont inséparablement physiques et sociales, matérielles et symboliques."17 Nous verrons plus tard quelle est, à ce sujet, la vision de BOURDIEU.

15 BELMONT Nicole, p. 1416 Mis en italique par Nicole BELMONT lorsqu'elle cite ces expressions plus bas dans son article17 MACHEREL Claude, "Hiérarchie passagère ou la forme des forces", p. 183

Les théories des deux chercheurs ont de nombreux points communs ce qui fait que, dans sa conclusion, CHIVA les rapproche malgré quelques divergences. De plus, étant donné que HERTZ arrive très près de la notion de rites de passage, il mérite bien d'être considéré comme un précurseur, du moins plus que ne le laisse entendre VAN GENNEP dans ses textes.

1.3. Les passages matériels dans la théorie de VAN GENNEP

Pour Nicole BELMONT, le caractère temporel des rites de passage va de soi : il est évident, que ce soit au niveau de la forme des rituels (les trois étapes successives) ou de leur fonction (rythmer l'écoulement du temps). Au contraire, elle déclare que leur existence matérielle n'est pas évidente à voir au premier abord ; en fait, VAN GENNEP explique dans le Manuel de Folklore français contemporain (1937-1958) qu'il a calqué son schéma des rites de passage sur des passages matériels (tels que le franchissement d'un col ou de la porte d'un temple, ... ajoute Nicole BELMONT). D'ailleurs, VAN GENNEP a constaté qu'il pouvait y avoir le franchissement réel d'un passage matériel lors d'un rite de passage. Nicole BELMONT explique que ceci relie d'ailleurs vraiment les rites de passage à la vie humaine qui a une existence aussi bien spatiale que temporelle.

On sent qu'il existe une réelle similitude entre les rites de passage et les passages matériels avec l'exemple que PITT-RIVERS développe dans son article "Un rite de passage de la société moderne : le voyage aérien". Il réussit en effet à appliquer à la lettre le schéma d'analyse des rites de passage de VAN GENNEP au voyage aérien : le voyageur, qui pourrait être celui qui subit le rite, suit, lors de son voyage, toutes les étapes d'un rite de passage, à savoir l'étape de séparation de ses semblables, l'étape de marge pendant laquelle il se trouve littéralement comme l'a décrit VAN GENNEP "suspendu

entre ciel et terre"18, puis l'étape d'intégration à un monde nouveau. De son côté, MACHEREL développe dans son article "Hiérarchies passagères ou la forme des forces"19 le fait que lors de passages matériels, dans la vie quotidienne, des hiérarchies passagères se développent, en rapport ou non avec la hiérarchie préexistante.

Malgré tout, VAN GENNEP reste très vague dans sa comparaison entre rite de passage et passage matériel. De ce fait, Nicole BELMONT avance une hypothèse qui lui est propre. Selon elle, les rites de passage se rapporteraient tous au passage initial, celui qui nous permet de devenir des êtres humains à part entière, à savoir : la naissance. Elle écrit : « On pourrait donc dire, à titre de complément à la théorie des rites de passage, que tout rite de passage s'identifie à un passage matériel et que tout passage matériel s'identifie à la naissance dans sa réalité la plus anatomique »20. Elle constate en effet que souvent, lorsqu'il y a passage matériel dans un rite, on reproduit le trajet du corps lors de la naissance, c'est-à-dire la tête d'abord, puis suit le reste du corps.

De son côté, MACHEREL rappelle à la suite de Nicole BELMONT que VAN GENNEP considère les rites de passage comme indistinctement sociaux et matériels. Luc de HEUSCH, quant à lui, regrette que VAN GENNEP ne se soit vraiment attardé que sur la forme des rites de passage et pas sur leur contenu.

2. Rapport entre rites de passage et temps

2.1. Les discontinuités

HERTZ et VAN GENNEP pensent que les rites de passage ont pour but de nous permettre de passer d'une étape de notre vie à une

18 VAN GENNEP Arnold, Manuel de folklore français contemporain 1(1), Paris : A. Picard19 In CENTLIVRES Pierre et HAINARD Jacques (sous la direction de), 1986, Les rites de passage aujourd'hui : actes du colloque de Neuchâtel 1981, éd° l'Age d'homme, Lausanne, p. 182-19120 "La notion du rite de passage", p. 16

autre de façon harmonieuse. En effet, la vie humaine peut connaître aussi bien un écoulement régulier et continu que des changements brusques, des discontinuités pour lesquelles nous faisons souvent appel à des rites de passage. A ce propos, Nicole BELMONT écrit que « les sociétés sont caractérisées par leur discontinuité et le rite de passage cherche à recomposer l'ordre social qui est mis en jeu lors de chaque nouvelle étape du cycle biologique de l'homme. »21 CHIVA, pour sa part, dans sa conclusion du colloque de Neuchâtel, souligne un point qui selon lui n'a pas été suffisamment traité durant les discussions : « partout dans le monde, et des âges les plus reculés jusqu'au temps présent, les sociétés humaines sont caractérisées par la discontinuité 22 du tissu social comme des trajectoires biographiques. »23 Plus loin dans son article, il écrit aussi qu'il trouve que les deux auteurs (HERTZ et VAN GENNEP) se complètent bien sur ce plan des discontinuités internes aux sociétés, il rappelle d'ailleurs que Nicole BELMONT en a justement parlé dans son intervention.

D'autre part, Nicole BELMONT rappelle que, selon Gezà RÓHEIM, les rites de passage sont dus à "l'angoisse de la séparation"24, ils permettent aux hommes de faire face à des changements qui leur font peur. En effet, les hommes, lorsqu'ils vivent de tels changements savent ce qu'ils quittent, mais ne savent pas ce qui va succéder au passage. Ces changements correspondent aux discontinuités omniprésentes dans la croissance de l'homme à la différence des animaux qui eux, selon Nicole BELMONT grandissent « une fois pour toute. »25 Certes, on peut penser que les éthologues discuteraient cette théorie, du fait de l'avancée de certaines études portant sur les animaux, mais là n'est pas notre propos. Contentons nous de considérer la présence des discontinuités de la vie sociale et biologique des hommes, ce qui les perturbe et justifie vraisemblablement le recours à des rites de passage (facilitants).

21 SEGALEN Martine, Rites et rituels contemporains, p. 29

22 En italique dans le texte

23 CHIVA Isac, p. 227

24 BELMONT Nicole, p.15

25 BELMONT Nicole, p.15

Quant à Isac CHIVA, il explique que les rites de passage correspondent à un "triple processus de maximisation (CHIVA 1978, p. 624)"19. Le premier concerne le temps : « le rituel renforce la discontinuité, marque l'avant et l'après, accentue les temps forts, transforme un moment historique en un moment symbolique, significatif d'une autre réalité, parallèle ou de référence. »26. Le deuxième et le troisième processus concernent plus ce que nous qualifierons de discontinuités sociales. Il écrit : « En second lieu, la différenciation des rôles et des acteurs sociaux est, elle aussi, maximisée. Et il en est de même de la fonction de garantie du contrat social, du bon fonctionnement de la société, par le recours au sacré, à la sacralisation des institutions (familiales ou locales notamment), en même temps qu'au témoignage collectif des acteurs sociaux. »27 Un peu plus bas, nous traiterons plus en détail de ces discontinuités sociales à l'aide de la réflexion de BOURDIEU sur les "rites d'institution". En effet, ceux-ci instituent des limitent séparant diverses catégories (sociales) de personnes au sein d'une société, ce qui occasionne de telles discontinuités.

2.2. Maîtrise symbolique du temps

Comme nous venons de le sous-entendre lors de ce développement, les rites de passage permettent de manipuler symboliquement le temps. Rappelons tout d'abord, avec l'aide d'Edith CAMPI, que le temps renvoie à deux notions : d'une part la durée, c'est-à-dire le temps qui s'écoule entre deux instants donnés, et d'autre part la succession irréversible des évènements étant donnée que le temps ne s'écoule que dans un seul sens, du passé vers le futur, en passant par le présent et que par conséquent on ne peut en inverser le cours. Dans son article, Edith CAMPI oriente son étude sur les rapports qui existent entre rites et temps, ce qui met en valeur une différence entre les rites anciens et les rites modernes.

26 CHIVA Isac, p. 229

27 Ibid, p. 229

Son postulat de départ est que l'homme a recours au rite pour "maîtriser" le temps, c'est-à-dire maîtriser son angoisse de l'irréversibilité du temps qui passe. Elle explique que chez l'individu, le conscient sait que le temps passe alors que l'inconscient l'ignore, est intemporel et considère l'individu comme immortel. Elle souligne qu'il existe un passage chez l'enfant du « monde originaire indifférencié […] au monde réel du devenir »28, donc un moment où il prend pleinement conscience du fait qu'il ne restera pas un enfant toute sa vie et qu'il n'est pas immortel.

Citant Paul RICŒUR, elle écrit par ailleurs que chaque culture a sa propre conception du temps, celles-ci ayant néanmoins un point commun : elles « rattachent leurs conceptions implicites ou explicites du temps à un surgissement de Parole ou d'Ecriture » (RICŒUR, 1975, Les cultures et le temps). S'accordant toujours avec les travaux de RICŒUR, elle prend l'exemple des sociétés chrétiennes pour lesquelles la Parole correspondrait à la Parole du Christ et l'Ecriture au Nouveau Testament qui permet non seulement d'interpréter le temps mais aussi de le signifier (lui donner un sens) par les rites qu'il préconise. Elle observe par conséquent une sacralisation du temps, la création d'un lien entre le temps et le sacré. La religion servait donc d'exutoire face à l'irréversibilité du temps déjà évoquée (i.e. la mort inévitable). Ensuite, pour expliquer le glissement du sacré vers le profane, elle fait référence à L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme de Max WEBER (1964) en expliquant que « cette sacralisation du temps, qui va de pair avec la sacralisation de l'argent, au point que notre civilisation identifie l'un à l'autre (Time is money29), est assurément liée à cette intériorisation, à ce transfert du religieux, ou du sacré, à l'intérieur de l'homme »30. Donc, la différence entre rite ancien et rite moderne vient de ce "glissement du sacré"31. Sur le plan individuel, d'un côté l'homme a tendance à se penser comme immortel, mais d'un autre 28 CAMPI Edith, p. 13229 En italique dans le texte30 CAMPI Edith, p. 13431 CAMPI Edith, p. 134

côté, il a conscience des limites que le temps lui impose. Alors, bien que les rites traditionnels et modernes ne soient pas assimilables, il reste que, dans un cas comme dans l'autre, ils sont utilisés par les hommes pour faire face au temps qui passe inexorablement.

On peut donc déduire de cette réflexion que les rites (de passage surtout), qu'ils soient modernes ou traditionnels, permettent à l'homme de manipuler symboliquement le temps. Ceci lui donne ainsi l'illusion de le maîtriser, c'est-à-dire de ne plus être passif ni de subir ce temps qui passe inexorablement. En d'autres termes, comme l'homme ne peut pas vraiment agir directement sur le réel, il agit sur la représentation du réel ce qui lui permet de se rassurer.

2.3. Le stade de marge

D'après Victor TURNER, lors d'un rite de passage, l'étape qui semble la plus importante est celle de la marge : l'étape liminaire. Comme nous le verrons grâce à certains travaux de recherche, cette étape apparaît d'ailleurs plus directement liées à la manipulation symbolique du temps que les deux autres, c'est pourquoi nous allons maintenant nous y intéresser.

TURNER développe dans son ouvrage Le phénomène rituel : Structure et Contre-structure le thème de la liminarité32. Précisons tout d'abord, comme l'a noté Martine SEGALEN, qu'il a renommé les trois stades en utilisant la racine latine du mot seuil (pas de la porte) : limen. Les rites de séparation deviennent les rites préliminaires, ceux de marge deviennent liminaires et ceux d'agrégation post-liminaires. Il considère que certaines personnes, mise en marge d'une société et de sa structure (lors d'un rituel ou non), forment alors la "communitas". En fait, il donne une opposition binaire entre structure (au sens où l'entendent de nombreux anthropologues britanniques à l'époque33 ; "système des statuts") et

32 Lors de mes lectures, j'ai été confrontée à "liminalité" et "liminarité", j'utilise plus ou moins indifféremment les deux termes.33 Définition donnée par TURNER dans Le Phénomène rituel : « un arrangement plus ou moins discriminant d'institutions spécialisées interdépendantes et l'organisation

liminarité ("communitas"). Dans cet "entre-deux" qu'est la liminarité, le "néophyte" est sans statut social, sans propriété et n'a ni insigne ni vêtements séculiers indiquant son statut (passé, pré-étape de séparation ou préliminaire). Ainsi naît souvent entre les néophytes, lorsqu'ils sont plusieurs, un sentiment d'égalitarisme et de camaraderie que TURNER assimile à la communitas. Il écrit que la période liminaire correspond à « une communauté non structurée ou structurée de façon rudimentaire et relativement indifférenciée, ou même une communion d'individus égaux qui se soumettent ensemble à l'autorité générale des aînés rituels.»34 En fait, il considère que lors de sa vie, chaque individu passe alternativement de la structure à la communitas, ce qui lui permet d'évoluer dans sa vie sociale. Pour entrer pleinement dans son nouveau statut social, il faut s'être "lavé" du statut précédent, y renoncer vraiment ce que l'on ne peut faire que par un passage dans ce "no man's land" qu'est la liminarité. Parfois, il est même prescrit d'avoir des attitudes "illégale" ou "immorale" selon les normes de la structure en place. L'étape liminaire est donc indispensable à la survie de la société. Rappelons cependant qu'elle s'avère également "dangereuse" car la situation sociale de l'individu qui "subit" le rite de passage est alors indéfinie et indéfinissable ; il se trouve dans une situation correspondant presque à une mort sociale, en fait, c'est comme s'il était dans les limbes.

Dans le colloque de Neuchâtel, ou du moins dans son compte rendu, seule Nicole BELMONT développe effectivement le thème du stade de marge. Cependant, commençons par nous référer à Jean CUISENIER même s'il ne fait qu'effleurer ce thème. Il explique en effet que, bien qu'à première vue le plus important dans les rites funéraires soient les rites de séparation, dans la réalité ce n'est pas du tout le cas. De fait, les rites de séparation sont peu nombreux et simples alors que ceux de marge sont longs et complexes. De plus,

institutionnelle des positions et/ou des acteurs qu'elles impliquent. » (p. 161)34 Turner Victor W., 1990, Le Phénomène Rituel, p. 97

les rites d'agrégation sont les plus élaborés et les plus importants. De son côté, comme nous l'avons déjà vu auparavant, PITT-RIVERS, dans son exemple du voyage aérien, a cité l'illustration que VAN GENNEP avait donné du rite de marge : « Pendant la traversée de la marge, « l'individu ou le groupe est, en quelque sorte, suspendu entre ciel et terre » (1943, p.112)  »35. Cette citation nous éclaire un peu plus sur l'idée que VAN GENNEP se faisait du stade de marge des rites de passage.

Nicole BELMONT rappelle dans son intervention que le stade de marge est le point le moins évident à cerner dans la théorie de VAN GENNEP. Selon lui, il est en rapport avec "le fait même de vivre" c'est-à-dire qu'il est en rapport avec le temps qui passe dans la vie de chacun. Les changements brusques nécessitent un rite afin de créer le stade de marge qui « [donne] une épaisseur temporelle au passage, [élargit] le seuil entre séparation et agrégation »36 ce qui permet d'avoir le temps de se faire au changement. Cependant, il faut faire attention à ne pas rester dans le stade de marge trop longtemps car cela peut s'avérer dangereux. Malgré tout, cette marge, cet entre-deux, est une marge de sécurité appréciable qui permet de bien séparer ce qui était auparavant de ce qui est à venir. Notons aussi que parfois, certains stades de marge sont si importants qu'ils prennent une certaine autonomie, comme par exemple les fiançailles qui représentent la marge, la transition entre le statut de célibataire et celui de personne mariée.

Rappelons que, comme nous l'avons évoqué plus tôt, HERTZ lui aussi a eu une approche du stade de marge qu'il appelait « état transitoire ». Pour lui, cet état transitoire pouvait varier en forme et en durée selon les rites ou les sociétés. De plus, Nicole BELMONT évoque le fait que TURNER s'est intéressé particulièrement au stade de marge et à la notion de liminarité, comme nous l'avons vu un peu plus haut.

35 PITT-RIVERS Julian, p. 11836 BELMONT Nicole, p. 17

Nous pouvons alors conclure que cette étape a une importance capitale lors des rites de passage. Elle s'avère en effet nécessaire à un bon changement de statut social, à une bonne évolution sociale de l'individu qui doit faire son deuil de son statut précédent afin de s'intégrer pleinement au nouveau. On peut considérer que lors des rites de séparation (préliminaires) l'individu subit une mort sociale symbolique puis d'une renaissance sociale lors des rites d'agrégation (post-liminaires). Cette manière de considérer ces deux étapes des rites de passage met pourtant en exergue l'ambiguïté du stade de marge qui, en plus d'être indispensable peut s'avérer dangereux si l'individu reste bloqué au niveau de la marge, vu qu'il risque alors de subir une mort sociale (étant donné son absence de statut) qui pourrait mener à une mort individuelle et physique.

3. Efficacité des rites hier et aujourd'hui

3.1. Pierre BOURDIEU et les "rites d'institution"

BOURDIEU apporte un regard neuf sur les rites de passage en incluant dans sa réflexion deux questions importantes que nous allons voir lors de cette analyse de son texte. En outre, grâce à son travail, on remarque de façon plus officielle que les rites ne concernent pas seulement le domaine religieux ou sacré comme pouvaient le laisser penser les travaux de VAN GENNEP, MAUSS ou encore DURKHEIM. Ce dernier a d'ailleurs écrit en 1912 dans Les formes élémentaires de la vie religieuse que « les rites sont des règles de conduite qui prescrivent comment l'homme doit se comporter avec les choses sacrées »37. A ce propos, Jean JONCHERAY écrit dans son article « si on perçoit d'emblée la dimension religieuse des rites de passage, tels que les décrit VAN GENNEP, quelqu'un comme Pierre BOURDIEU, en les qualifiant plutôt de "rites

37 JOURNET Nicolas et WEINBERG Achille, "Les figures du rite", in Sciences Humaines n° 58, p. 19

d'institutions", les situe plus largement dans l'espace social dont ils marquent les frontières et les stratifications »38.

Dans son article, BOURDIEU explique que pour lui, VAN GENNEP a nommé voire décrit un phénomène social de grande importance (les rites de passage) mais ne s'est pas posé les questions de la fonction sociale des rites ni de la signification sociale de la limite établie (i.e. la limite que le rite fait franchir). En effet, selon BOURDIEU, les rites de passage licitent le passage d'une limite, ou sa transgression. Un des effets essentiels du rite est alors de « séparer ceux qui l'ont subi non de ceux qui ne l'ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon et d'instituer ainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu'il ne concerne pas »39. De ce fait, il préfère nommer les rites de passage "rites d'institution".

Ainsi, dans son intervention, il tente de dégager les propriétés invariantes de ces rites d'institution. Il commence par définir ce qu'est un rite d'institution. Il s'agit de légitimer les lignes arbitraires que l'on va franchir lors des rites et qui sont constitutives de l'ordre social ou mental. Ces limites séparent bien entendu ceux qui ont passé les rites de ceux qui ne les ont pas encore passés, mais surtout ceux qui peuvent ou ont pu les franchir de ceux qui ne le pourront jamais. « Il y a donc un ensemble caché par rapport auquel se définit le groupe institué […], le rite consacre la différence [entre ces deux groupes], il l'institue. »40 Il se sert alors de l'exemple des rites de circoncision, que seuls les hommes peuvent passer, pour expliquer que l'on se sert des rites pour légitimer socialement des oppositions proprement sociales et pour les "naturaliser", c'est-à-dire les faire passer pour naturelles.

La séparation qui en résulte entraîne un effet de consécration dont il donne une définition : « Instituer, en ce cas, c'est consacrer, 38 JONCHERAY Jean, "Rites et construction de l'identité sociale : des rites de passage aux rites d'interaction et aux grands rites collectifs séculiers", p. 394-39539 BOURDIEU Pierre, "Les rites comme actes d'institution", in CENTLIVRES Pierre et HAINARD Jacques (sous la direction de), 1986, Les rites de passage aujourd'hui : actes du colloque de Neuchâtel 1981, éd° de l'Age de l'homme, Lausanne, p. 20640 Ibid., p. 207

c'est-à-dire sanctionner et sanctifier un état de choses, un ordre établi, comme fait, précisément, une constitution41 au sens juridico-politique du terme. »42 Il ajoute de plus qu'il ne faut pas négliger le pouvoir qu'ont les rites de jouer sur la représentation que l'on se fait du réel, à défaut de pouvoir vraiment jouer sur le réel. Non seulement ils jouent sur la représentation que l'on se fait du temps, comme nous l'avons vu, mais aussi sur l'image que les autres se font de l'initié, de même que sur l'image que l'initié se fait de lui-même. En outre, BOURDIEU écrit que « l'institution est un acte de magie sociale qui peut créer la différence ex nihilo43 ou bien, et c'est le cas le plus fréquent, exploiter en quelque sorte des différences préexistantes ». Ces différences sociales sont plus efficaces car elles semblent fondées sur des différences objectives. En fait, l'institution crée des discontinuités (les différences citées ci-dessus), mais en plus, défini le rôle (social) de chacun, "l'essence sociale"44 de chacun. Par conséquent l'initié doit s'adapter à sa nouvelle condition, à sa nouvelle identité et agir en fonction de celle-ci ; il doit respecter les nouvelles limites qui lui sont imposées et qu'il se doit de connaître. Il a aussi le devoir d'être "digne de son rang"45. En fait, l'institution correspond à une assignation statutaire ; elle empêche bien entendu ceux qui n'ont pas passé le rite de franchir la limite instituée, mais aussi les institués de la franchir dans l'autre sens. Donc, une autre fonction de l'acte d'institution est de "décourager durablement la tentation du passage, de la transgression, de la démission46."47

Il souligne enfin que souvent les rites d'institution ont recours à la souffrance du corps car cela favorise l'adhésion des initiés. Quoi qu'il en soit, les rites doivent être réalisés "dans les règles de l'art"48

pour être efficients. C'est à cette condition seulement qu'ils pourront

41 En italique dans le texte42 Ibid., p. 20843 En italique dans le texte44 Ibid., p. 20945 Ibid., p. 21046 En italique dans le texte47 Ibid., p.21148 Ibid., p. 213

être pleinement validés par la population entière, la croyance collective (préexistante au rituel), seule garante réelle de leur efficacité sociale. Il souligne de plus que le passage de ces rites est souvent matérialisé par des titres ou autres symboles plus ou moins visibles (galons, uniforme…).

BOURDIEU achève son intervention par une question d'ouverture : Les rites d'institution fonctionneraient-ils, auraient-il une efficacité sociale s'ils ne donnaient pas aux hommes l'illusion d'une « raison d'être […], le sentiment d'avoir une fonction ou tout simplement, une importance, de l'importance »49 et par conséquent un sens à leur vie ? Il ajoute que les rites d'institution ont pour effet miraculeux de laisser croire aux "individus consacrés"50 que leur existence a un sens, une utilité.

3.2. Les rites dans nos "sociétés modernes"

Avec BOURDIEU, nous avons abordé un aspect plus "moderne" des rites de passage, une fonction sociale qu'ils sont toujours à même de remplir de nos jours. Malgré tout, est-ce toujours pertinent de parler de rite de passage dans la société actuelle ? Quelle est la place des rites dans nos sociétés "modernes" ? C'est la question que se sont posé certains chercheurs comme Françoise ZONABEND, Erwin GOFFMAN, Jean JONCHERAY ou encore PITT-RIVERS dans son application du schéma de VAN GENNEP au voyage aérien.

Tout d'abord, suivant l'analyse de JONCHERAY, tentons de définir ce qu'est la "société moderne", par opposition à la société "traditionnelle" ainsi que les différences que cela peut impliquer dans l'efficacité sociale des rites de passage. Certes il ne faut pas les considérer comme trop éloignées l'une de l'autre, mais pour faciliter notre réflexion, nous les opposerons en accentuant leurs différences. Ainsi, selon lui, les sociétés traditionnelles voient la vie sur terre comme un grand passage « qui se gère par une multitude de

49 Ibid, p. 21450 Ibid, p. 214

passages, l'initiation étant à la fois le passage majeur, mais aussi le résumé de tous ces passages. »51 Les sociétés de la "modernité contemporaine"52, sont caractérisées par trois éléments cités par l'auteur : « le pluralisme religieux et culturel, la perte de crédibilité des grands récits »53, sans oublier l'individualisme qu'on dit caractéristique de la société (occidentale ?) moderne. En règle générale les hommes ne considèrent plus la vie entière comme un grand passage. Ce changement de point de vue, dû en partie à une philosophie de vie qui n'est plus unifiée, a pour conséquence une modification de la fonction des rites de passages qui cessent alors de fonctionner « massivement comme structuration de la société. »54

Selon lui, l'initiation, le passage le plus important de la vie humaine, quelle que soit la société, est celui de l'enfance à l'âge adulte, il s'agit d'ailleurs du passage que nous étudierons ensuite dans ce mémoire par le biais du mariage. « Il me semble qu'on peut dire que le cœur du dispositif, c'est ce qu'on appelle encore couramment aujourd'hui l'initiation, c'est-à-dire le passage de l'enfance à l'âge adulte. En effet, c'est là que vient se concentrer, dans des rites particuliers, une façon de voir la vie, que ce soit la vie personnelle ou la vie en société. »55 Pour l'auteur, l'ensemble des rites de passage d'une vie humaine, qu'il considère comme résumés lors de l'initiation définie ci-dessus, est mis en difficulté par la diversité de philosophies de vie existant au sein d'une société. Selon lui, quelles qu'elles soient, les sociétés modernes ne considèrent que très rarement la vie entière (naissance et mort incluses) comme un passage. « Si la mort n'est plus un passage, mais une fin, un terminus ; si l'entrée dans la vie n'est plus non plus un passage mais un début absolu, le rite de passage est vidé de sa dimension anthropologique. Il devient pure convenance sociale, simple mode de régulation des rapports

51 JONCHERAY Jean, "Rites et construction de l'identité sociale : des rites de passage aux rites d'interaction et aux grands rites collectifs séculiers", p. 39452 Ibid., p. 39553 Ibid., p. 39554 Ibid., p. 39455 Ibid., p. 398

sociaux. »56 Les rites de passages auraient donc perdu, au fil des siècles, de leur importance symbolique et sociale. Personnellement, je ne sais pas s'il est pertinent de voir les choses ainsi. Notons tout de même que ce n'est pas parce qu'il reconnaît une diminution de l'influence symbolique des rites de passages dans nos sociétés modernes que JONCHERAY affirme une disparition des rites en général. Il précise que les rites de passage ne sont pas les seuls rites possibles et aussi que les rites restent omniprésents (rites d'interaction, rites "séculiers").

Abordons maintenant la vision qu'ont d'autres chercheurs des rites modernes, bien qu'il ne s'agisse pas uniquement des rites de passage. Interrogeons-nous sur ces rites que GOFFMAN nomme "rites d'interaction"57 : les rites modernes, de la vie quotidienne, en suivant la réflexion de Françoise ZONABEND58. Elle se pose en effet la question de savoir si l'on peut toujours qualifier les "rites" de la vie quotidienne – comme les salutations, la toilette, que ce soit avant d'aller travailler ou avant d'aller se coucher, etc. – de rites (modernes) ou s'il faudrait plutôt les nommer "usages", "normes de vie", "façons de faire"59… Pour sa part, elle considère qu'il s'agit toujours de rites grâce à leur "fixité répétitive"33. Elle écrit à ce sujet : « répétitifs, modifiant une situation pratique, liés au temps, ces usages demeurent bien des rites »60. De plus, même s'ils ont « perdu toute signification pour le groupe qui les perpétue »61, ils conservent toujours une efficacité sociale ; ils sont prescrits par le groupe et doivent être respectés sous peine d'exclusion. Elle ajoute que "s'ils n'ont plus de sens manifeste, ils continuent néanmoins de signifier"35. En fait, selon elle, il faut les étudier en l'état et non rechercher leur forme originelle, et aussi rechercher le pourquoi de leur pérennité. Elle ajoute ensuite qu'ils « introduisent une rupture

56 Ibid., p. 39957 JONCHERAY Jean, "Rites et construction de l'identité sociale…", p. 40958 Maître-assistant à l'EHESS de Paris (lors du colloque), article "Rites et vie quotidienne", p. 179-18159 ZONABEND Françoise, p. 17960 ZONABEND Françoise, p. 18061 ZONABEND Françoise, p. 179

dans le temps [… et] interrompent son déroulement normal. Par ces gestes, ces comportements rituels, on renoue avec un autre temps. […] Les pratiquer c'est donc se rattacher à une histoire propre, à un temps hors du temps. »62 En d'autres termes, elle conclut que ces rites sont des opérateurs qui donnent à l'homme le sentiment qu'il maîtrise le temps qui passe, ils conservent ainsi la "fonction" rassurante que nous avons évoquée plus tôt.

Ajoutons que pour Arnold NIEDERER63, les éléments rituels qui ponctuent la vie quotidienne de tout un chacun ont pour fonction, en résumé, de faciliter la vie sociale. Mary DOUGLAS, quant à elle, écrit que « les rites sociaux créent une réalité qui, sans eux, ne serait rien. On peut dire sans exagération que le rite est plus important pour la société que les mots pour la pensée. Car on peut toujours savoir quelque chose et ne trouver qu'après les mots pour exprimer ce que l'on sait. Mais il n'y a pas de rapports sociaux sans acte symbolique. »64 On peut donc en déduire qu'elle considère elle aussi que les rites, en tant qu'actes symboliques, tiennent une place particulière et très importante dans n'importe quelle société, qu'elle soit traditionnelle ou moderne.

Ces chercheurs ne sont que quelques exemples parmi un certain nombre d'autres pensant aussi qu'il existe toujours des rites, ou du moins des éléments de ritualité dans la vie moderne. Certes leur forme ainsi que leurs fonctions ont changé, évolué avec le temps, mais il reste qu'ils tiennent toujours une place à part dans nos sociétés modernes. Je partage d'ailleurs cet avis, c'est pour cela que je m'intéresse en particulier au rite du mariage, que je considère comme un rite de passage à part entière bien que modifié, d'aucuns diront altéré, par le temps qui passe et les changements dus à la modernisation.

62 ZONABEND Françoise, p. 179-18063 NIEDERER Arnold, "Eléments de ritualité dans la vie quotidienne", dans le compte rendu du colloque de Neuchâtel, p. 170-17864 Douglas Mary, 1992, De la Souillure, p. 81

ConclusionDans cette partie ayant pour but de nous familiariser avec

l'analyse théorique des rites de passage, nous avons vu qu'on ne peut pas explorer ce thème sans faire référence à VAN GENNEP dont le schéma d'analyse s'est imposé, non sans difficulté, dans les sciences humaines. De plus, il a permis de prendre conscience du fait qu'il existe une catégorie de rites particulière, qu'il a lui-même nommés rites de passages, regroupant un certain nombre de rites qui peuvent sembler très différents les uns des autres au premier abord ; ceux-ci ont pourtant en commun la fonction principale de faire "passer" une sorte de frontière sociale à l'initié, ce qui lui permet de changer de catégorie sociale tout en préservant la cohésion sociale. Rappelons ici que déjà Durkheim considérait les rites comme facteurs de cohésion sociale.

Les travaux de VAN GENNEP ont certes été particulièrement importants, malgré le temps qu'il a fallu aux chercheurs pour les adopter, mais il ne faut pas pour autant négliger l'apport théorique de son contemporain HERTZ, qui avait lui aussi approché de très près une théorisation des rites de passages. Il avait pressenti une similitude entre certains rites (rites de deuil, naissance, mariage), de même que les diverses étapes – séparation, agrégation – ainsi que la plus importante d'une certaine façon : la marge. Je pense qu'on peut même s'interroger sur l'influence qu'il a pu avoir sur les travaux de VAN GENNEP étant donné que HERTZ a publié son article sur ce sujet avant VAN GENNEP.

Dans cette partie, nous avons pu observer que les rites ont différentes fonctions. Comme nous l'avons déjà dit, ils permettent de préserver la cohésion sociale. Ils ont une fonction sociale, Durkheim considère que « le sacré est […] une projection de la société et la force du rite est de créer une "communauté morale", à la fois

intellectuelle et affective »65. En effet, ils remplissent aussi une fonction symbolique, rassurante, laissant aux hommes l'impression qu'ils maîtrisent le temps qui passe, ou du moins la représentation symbolique qu'ils s'en font. D'ailleurs, pour laisser le temps à l'initié comme à la société de s'adapter au changement sur le point de survenir, il y a une étape très importance : la marge. Celle-ci correspond pour l'initié à une période de latence, de "non-identité sociale", un entre-deux entre l'avant et l'après, l'ancien et le nouveau statut.

Ajoutons que dans un premier temps, les chercheurs ne considéraient que les applications sacrées et religieuses des rites. Dans son analyse, BOURDIEU désacralise d'une certaine manière les rites : il élargit leur champ d'action à l'espace social dans son intégralité. Pour se faire, il les baptise même "rites d'institution", en référence à leur fonction première selon lui, à savoir, officialiser, consacrer le nouveau statut auquel a accédé l'initié – plus par opposition à ceux qui ne pourront jamais y accéder que par rapport à ceux qui n'y sont pas encore parvenu. Il évoque aussi le fait que ces rites servent à rendre "naturelles" (c'est-à-dire issues de la nature) des différences typiquement sociales ce qui leur donne une légitimité. En outre, qu'ils soient traditionnels ou modernes, les rites permettent d'articuler le naturel (ce qui dépend de la Nature c'est-à-dire les saisons, les années, etc.) et l'artificiel (ce qui est créé par l'homme : la société, la vie au sein de ces sociétés).

Notons enfin qu'il n'est pas évident de savoir s'il existe encore de nos jours des rites de passage. Les avis des spécialistes divergent à ce sujet. Cependant, ils semblent tous d'accord sur le fait qu'au sein notre société, les rituels restent omniprésents. Personnellement, m'inspirant de certains travaux, je considère qu'il reste des rites de passage, et l'un des principaux est celui du mariage. Certes, en France par exemple, l'institution du mariage a beaucoup souffert et 65 JOURNET Nicolas et WEINBERG Achille, "Les figures du rite", in Sciences Humaines n° 58, p. 19

régressé, mais une bonne partie de la population continue malgré tout à lui accorder une grande importance. Remarquons qu'il ne s'agit plus comme avant d'un passage marquant l'accession à l'âge "adulte". Dans la mesure où auparavant il correspondait à l'accès à la sexualité et la cohabitation et permettait de fonder sa propre famille dont on était responsable, ce qui n'est plus systématiquement le cas de nos jours, on pourrait dire qu'il a perdu en "puissance". Malgré cela, il correspond toujours, pour une bonne partie des Français, à une étape importante dans une vie.

Comme nous l'avons dit dans l'introduction de ce mémoire, nous allons nous tenter d'aborder la société coréenne via le rite du mariage, ainsi que sa signification et la place de ce rite dans la société moderne coréenne. Cependant, avant de nous intéresser spécifiquement au mariage coréen, nous devons d'abord nous attacher à observer certains traits de la société coréenne. Cette étude préalable, orientée sur l'influence qu'a le confucianisme sur la société coréenne et la famille nous permettra d'aborder le mariage et tout ce qu'il implique sur le plan social dans de meilleures conditions, et ainsi de mieux le comprendre.

Deuxième partie   :

LA SOCIETE COREENNE, UNE SOCIETE

PROFONDEMENT MARQUEE PAR LE

CONFUCIANISME

Avant de pouvoir bien appréhender les rites du mariage en Corée, nous devons nous intéresser à ce qui a façonné la société de ce pays bien particulier. La Corée est un pays qui a su préserver son identité et son indépendance malgré sa position géographique au carrefour de trois société puissantes qui ont toutes trois tenté de l'annexer. Au nord elle partage une mince frontière avec la Russie, au nord-nord-est une frontière avec la Chine, et, bien qu'il y ait la mer entre les deux pays, le Japon à l'Ouest est tout proche.

Etant donnée sa position géographique, la péninsule coréenne a servi de "tampon" entre la Chine et le Japon, lorsque l'un voulait envahir l'autre, il posait d'abord le pied sur le territoire coréen. Ainsi, la Corée a connu occupations chinoise et japonaise qui ont toutes deux laissé des traces.

La Chine a ainsi influencé la pensée et le système politique coréen que ce soit lors d'occupation ou de contacts privilégiés entre les élites des deux pays. Le système d'écriture, pour les lettrés, était basé sur les sinogrammes qui, malgré l'invention d'un alphabet ordonné par le roi Sejong lors la première moitié du XVe siècle, sont encore utilisés de nos jours par les plus érudits. Le bouddhisme et le confucianisme, ces deux philosophies très importantes pour la Corée, ont aussi été adoptés suite à l'influence chinoise. Malgré la

persistance de traditions bien coréennes, celles-ci ont modelé la pensée et le mode de vie coréen tel que nous le connaissons aujourd'hui.

De nos jours, en France, le confucianisme est considéré tel qu'il est défini dans le Petit Larousse, c'est-à-dire comme la « philosophie de Confucius et de ses disciples ». La réalité est plus complexe que cela. On ne peut pas considérer ce que nous appelons "confucianisme" simplement comme les enseignements de Confucius. Ce terme est d'ailleurs une invention occidentale du XIXe siècle et n'a pas d'équivalent chinois car la notion qu'il recouvre est bien trop générale et touche directement à l'identité chinoise comme le sous-entend TU Wei-Ming dans Confucianism and the family lorsqu'il écrit "Confucianism is what it means to be Chinese"66. Pour le résumer en quelques mots, le confucianisme n'est pas une religion mais une norme sociale et politique qui a pour but l'harmonie de la société et les rapports interpersonnels. Pour se faire, elle définit une hiérarchie sociale et des règles de vies permettant des rapports interpersonnels harmonieux, établit des rituels à suivre pour préserver l'harmonie globale de la société, etc.

On dit communément que la Corée est une société confucéenne, mais le confucianisme fait-il partie intégrante de l'identité coréenne ? C'est ce que nous allons tenter de déterminer dans cette partie car cela nous aidera à mieux comprendre les rapports interpersonnels ainsi que la famille coréenne que nous étudierons dans la troisième partie de ce mémoire, car comme nous le verrons, un mariage en Corée n'est pas l'union de deux individus mais de deux familles.

Ainsi nous allons dans un premier temps nous intéresser au confucianisme en tant que tel, à son origine chinoise ainsi qu'aux rapports interpersonnels prescrit par le confucianisme en Chine. Ce

66 "Confucius and confucianism", in SLOTE Walter H. et DE VOS George A. (édité par), Confucianism and the family, State University of New York Press, Albany : 1998, p.8

développement sommaire préalable permettra de mieux cerner les adoptions ainsi que les spécificités coréennes que nous étudierons dans un deuxième temps. Nous nous attarderons sur l'expansion du confucianisme en Corée, puis sur les critiques qu'il a dû affronter au cours du XXe siècle, et enfin sur les rapports interpersonnels guidés par la pensée confucéenne.

1. confucianisme en Chine, confucianisme originel

1.1. Le confucianisme

Le confucianisme, comme nous l'avons dit dans l'introduction, est une notion vaste, qui a été créée par les Occidentaux. En fait, si les Anglo-saxons ont choisi le mot "confucianisme" pour caractériser le mode de vie des Chinois, c'est que, selon eux, les idées et enseignements de Confucius, ainsi que de ses disciples, ont été un vrai moule de la société chinoise. Le confucianisme n'est pas une religion mais une morale, une norme sociale qui définit une hiérarchie sociale et des règles permettant des rapports interpersonnels harmonieux, établit des rituels à suivre pour préserver l'harmonie globale de la société,… Cette philosophie confucéenne existe depuis des millénaires, s'est répandue sur tout le pays et a influencé voire même modelé la société ainsi que la façon qu'ont les individus d'appréhender la société. De ce fait, on peut dire qu'elle a un lien direct avec l'identité sociale (et non religieuse) des individus, on peut donc écrire qu'on n'est pas confucianiste, on naît confucianiste ; ensuite, libre à chacun de se revendiquer bouddhiste, musulman, chrétien, ou de n'importe quelle religion. Cet héritage plurimillénaire n'est certes pas resté immobile et inchangé depuis que Confucius a exposé sa pensée et"formé" ses disciples, mais a été bousculé, transformé.

La "philosophie" de Confucius naît dans un certain chaos dû à la chute imminente de l'empire des Zhou. Cette période correspond à l'âge des "cent écoles de philosophie" d'où sont issues quatre grandes écoles. Tout d'abord l'école taoïste dont les élèves pensent que la nature doit suivre son cours sans intervention humaine ; ensuite l'école moïste dont les disciples, suivant les enseignements de Mozi sont des guerriers pacifistes luttant contre l'art et sont pour le sacrifice personnel dans un amour mutuel sans charité aucune ; puis l'école confucianiste dont le maître souhaite résoudre par la seule morale les problèmes de ce monde au déclin ; et enfin l'école des légistes qui sont plus ou moins les fondateurs d'une bureaucratie centralisée et de lois strictes sur lesquelles se fonde l'Etat. Ces derniers ont d'ailleurs donné une certaine interprétation aux enseignements de Confucius sous la dynastie des Han, ce qui leur a permis de perdurer jusqu'à aujourd'hui.

En effet, les enseignements de Confucius ont failli disparaître. Ils n'auraient pas perduré sans la réinterprétation pétrie d'humanité et de sagesse de Mencius ou celle, plus autoritaire et réaliste, des légistes, visant par là-même à asseoir le pouvoir de l'Etat grâce à des liens hiérarchiques stricts entre les personnes. Tout d'abord Mencius (370-290 avant J.C.), dans son livre, invoque le principe de la répartition des tâches : il y a ceux qui travaillent à l'aide de leurs muscles, et ceux qui mobilisent leur cerveau, les uns ayant besoin des autres pour vivre, et vis et versa. C'est le principe de la réciprocité, il y a une interaction entre ceux qui gèrent les services et ceux qui s'occupent de la production. Comme ce partage des tâches permet à la société de prospérer, il définit les vertus vitales aux cinq relations interpersonnelles, mais en conservant toujours cette notion de réciprocité ; TU Wei Ming, dans un autre article, cite Mencius : "love between father and son, duty between ruler and subject, distinction between husband and wife, precedence of the old over the young, and faith between friends. (Mencius, IIIA.4)"67. 67 "Probing the "Three Bonds" and "Five Relationships" in Confucian Humanism", in SLOTE Walter H. et DE VOS George A. (édité par), Confucianism and the family,

Ensuite viennent les légistes, à un moment où l'empereur Wu (140-87 avant J.C.) choisi de préférence ses fonctionnaires parmi les gens formés par le confucianisme ce qui a permis le développement du système mandarinal. Ainsi, c'est grâce au légiste DONG Zhongshu que la doctrine de Confucius (réinterprété) a connu un succès officiel qui lui a offert une pérennité plurimillénaire. En ce qui concerne le point qui nous intéresse particulièrement ici, les relations interpersonnelles, les légistes les définissent plutôt comme des liens d'autorité basés sur une hiérarchie sévère. Ils espèrent ainsi permettre le maintien de l'ordre social. Ils assurent donc l'autorité du dirigeant sur ses subordonnés, du père sur son fils et de l'homme sur sa femme.

Ce que nous, Occidentaux, appelons confucianisme, n'est en fait qu'une sorte de spectre insaisissable, mélange des "enseignements" originels de Confucius et de deux interprétations différentes mais se complétant dans les faits. Le confucianisme est en quelque sorte une façon de voir le monde, un mode de vie, une idéologie politique, une tradition d'enseignement véhiculé par les érudits. Finalement, sous cette notion, nous (les Occidentaux) avons regroupé tout et son contraire ce qui nous a en outre permis d'expliquer le refus du commerce, de l'économie marchande et de son ethos capitaliste ou encore le conservatisme chinois invétéré ou l'utopie qui encourage les révolutions.

1.2. Piété filiale

La relation père-fils est la plus importante dans la famille confucéenne, voire même dans le modèle confucéen de la société chinoise. L’importance de ce lien est d’ailleurs soulignée dans la plupart de mes lectures. En effet, l’institution familiale est la base de l’organisation sociale confucéenne donc, de l’organisation sociale chinoise (et par extension des sociétés dites sinisées au Japon, en Corée et au Vietnam). L'organisation sociale chinoise étant centrée State University of New York Press, Albany : 1998, p. 125

autour de la famille, la piété filiale a traditionnellement été élevée au rang de vertu cardinale, les autres vertus lui étant subordonnées.

L'éthique de la piété filiale est basée sur la relation père-fils qui peut être considérée sous deux aspects :

– l’aspect autoritaire défini par une certaine élite intellectuelle qui a réinterprété les enseignements de Confucius quelques siècle plus tard qui insiste sur les devoirs du fils face au père, et ce, afin de légitimer et renforcer l'autorité politique du dirigeant et du mari.

– l’aspect de réciprocité considéré par Mencius qui considère que chacun a des devoirs envers l'autre.

Sous son aspect autoritaire ce lien peut laisser penser que seul le fils (l’enfant) est redevable de son père (ses parents). Cet aspect donne l’impression d’un lien à sens unique sous-entendu dans le terme de "piété filiale". En réalité, ce lien est bel et bien réciproque c'est à dire que père et fils ont des devoirs l'un envers l'autre.

Envisageons tout d'abord ce lien dans le sens fils-père, c'est-à-dire les devoirs que le fils (l'enfant) a envers son père (ses parents). Mencius, plutôt que de parler d'une obéissance à sens unique sous-entendue plus tard dans l'aspect autoritaire, préfère évoquer une affection mutuelle, et de ce fait une relation réciproque, chacun ayant des droits et des devoirs envers l'autre. L'affection mutuelle entre un père et son fils semblant moins naturelle que celle existant entre une mère et son enfant, Mencius prend la peine de préciser cet état de fait. En effet, comme le père incarne l'autorité, il se laisse peu le loisir d'exprimer son affection et reste plus ou moins distant. De son côté, la mère exprime bien plus son amour et entretien une relation de proximité bien plus grande avec son enfant. Lors des six ou sept premières années de sa vie un enfant a une grande licence car on ne le considère pas comme apte à comprendre la notion de discipline. Ainsi, cet âge est un âge charnière à partir duquel les

parents attendent de l'enfant qu'il les respecte et qu'il soit empli de piété filiale.

En effet, en premier lieu, les enfants doivent le respect à leurs parents qui seront plus tard des ancêtres à qui il faudra rendre un culte dans le cadre plus général du culte des ancêtres. De plus, leurs parents (et par extension leurs ancêtres) leur ont donné un corps, dont ils ne sont que les dépositaires. Dans le système hiérarchique de la société chinoise, les aînés sont placés au-dessus des cadets, leur âge étant la plupart du temps synonyme d'expérience, donc de savoir et de sagesse. Par conséquent, cette donnée se conjugue aux deux précédentes, le tout étant le garant du respect que les enfants portent à leurs parents.

Une des conséquences de ce respect dû est qu'ils se doivent d'honorer leurs parents, leur famille ainsi que leur nom par le mérite de leurs actions. En aucun cas ils ne doivent entacher l'honneur de la famille et faire perdre la face aux membres de leurs familles par des actions répréhensibles. En effet, la famille chinoise n'est pas une somme d'individualités comme cela peut être le cas en Occident. A partir du moment où un enfant agit de façon condamnable, il n'est pas le seul à en subir les conséquences, tous les membres de la famille sont concernés car leur nom est alors terni. Citons l'exemple lumineux de Walter H. SLOTE : en Occident, chaque membre de la famille serait comme une part de tarte (la tarte symbolisant la famille entière). Par conséquent, chacun peut avoir une existence autonome, la famille étant alors une somme d'individualités. De son côté, la famille chinoise (confucéenne) serait représentée par une soupe de lentilles qui ne permet pas une existence autonome en dehors de ce tout qu'est la famille (à moins d'un rejet de la personne, phénomène extrêmement rare). Chacun doit donc être particulièrement vigilant et ne rien faire d'irrespectueux car la honte qui vient ensuite ne concerne pas seulement l'individu mais tombe sur la famille entière. C'est un lourd fardeau à porter ; il faut bien se comporter, être digne et vertueux.

Ensuite, une fois "bien" marié, le fils doit engendrer au mois un fils (ce qui n'est pas facilité aujourd'hui avec le contrôle des naissances) afin d'assurer la pérennité du nom dont il a hérité, et par conséquent de faire honneur à ses aïeuls. Dans l'idéal confucéen, les trois générations vivent sous le même toit, d'ailleurs, en théorie, on peut arriver à cinq générations partageant le même logement, mais il s'agit d'un idéal inatteignable. Malgré cela, si l'on prend aussi en considération les générations des ancêtres pour lesquels la famille célèbre un culte, en plus des générations vivant effectivement dans la demeure familiale, on atteint dans ces cas-là l'idéal des cinq générations. Cette théorie est plus adaptée à la vie rurale, qui nécessite une main d'œuvre nombreuse afin d'avoir la force de travail suffisante à l'exploitation agricole, ce qui permet d'assurer nourriture et vêtements à tous. Cependant, selon certains anthropologues, il semblerait que ce cas de figure ait été plutôt exceptionnel. Dans les faits, surtout de nos jours, l'exode rural ayant été assez important, la vie urbaine ne le permet plus. Quoiqu'il en soit, mariage ne rime pas automatiquement avec foyer indépendant pour la famille nouvellement formée. De plus, même s'ils vivent ailleurs, les liens entre les parents et leur fils restent très serrés (en cas de mariage d'une fille, celle-ci "part" dans la famille de son époux). Il y a ainsi repas en commun au minimum une fois par semaine, le couple convie aussi les parents du mari à ses loisirs et balades, et il est commun que les grands-parents s'occupent de leurs petits-enfants afin de permettre au couple de travailler. Le couple en question se doit de prendre soin des parents une fois que ceux-ci sont retraités, et à plus forte raison lorsque l'un d'eux se retrouve veuf. Dans ce cas-là, il est en règle général accueilli dans le foyer fondé par un de ses fils (le plus souvent le fils aîné). A la mort de l'un de ses parents, le fils a le devoir de l'enterrer dignement, de porter le deuil. De plus, lorsque son père décède, héritant de l'hôtel des ancêtres, lui revient alors la responsabilité de pratiquer le culte des ancêtres.

Toujours dans le cadre du respect dû aux parents, soulignons le fait qu'un enfant ne peut pas exprimer de griefs vis-à-vis d'eux. Il lui est interdit d'exprimer ouvertement sa rancœur envers ses parents ; à la limite, il lui est même interdit d'en ressentir. Cependant, il est libre d'exprimer de la rancœur envers des étrangers, même si en fait, ce sont ses parents qui en sont à l'origine. Quoiqu'il en soit, il n'en est pas conscient. En conséquence, n'ayant pas conscience d'en vouloir à ses parents, "l'enfant" renvoie sa frustration sur ses frères et sœurs, son époux ou son épouse, ses propres enfants ou encore d'autres personnes bien choisies.

Abordons maintenant la considération de réciprocité rappelant que le père (les parents) aussi a (ont) des devoirs vis-à-vis de ses (leurs) enfant(s). Cette considération est apportée non seulement par Mencius, mais aussi par la loi sur le mariage de 1950, amendée en septembre 1980.

Ainsi, comme nous l'avons vu, Mencius insiste sur le fait que les parents ont de l'affection pour leurs enfants, et en particulier que les pères ont de l'affection pour leurs fils car cette affection semble moins évidente que celle qu'une mère porte à son enfant. Mais en plus de cette affection, plus ou moins habilement manifestée, les parents ont le devoir de prendre soin de leurs enfants. Ils doivent subvenir à leur besoin tant qu'ils les ont à leur charge, les nourrir et leur prodiguer des soins. Et la loi de 1950, plus ou moins reprise dans l'amendement de 1980, interdit aux parents de les maltraiter ou de les abandonner. De plus, ils ont la responsabilité de les éduquer, participer à leur socialisation, ce qu'ils faisaient suivant un modèle grosso modo unique. Aujourd'hui, cette conformité est en perte de vitesse. Les parents étaient donc en charge de donner l'enseignement formel, éduquer suivant les règles confucéennes. A ce sujet, auparavant, les pères procédaient souvent à un échange rituel de fils, afin de ne pas saper leur affection mutuelle pour ce qui est de l'enseignement formel.

Les parents ont aussi la charge de trouver le meilleur parti pour leurs enfants en vue d'une union fructueuse qui ne fera perdre la face à aucune des deux familles en cause. Aujourd'hui, en général, ce sont les enfants qui choisissent seuls la personne qui leur semble "bonne" pour eux ; cependant, les enfants continuent à soumettre leur choix à leurs parents qui gardent un droit de regard très important sur leur futur gendre ou bru. Il arrive d'ailleurs que les parents, malgré la loi sur le mariage de 1950 qui permet un mariage sur la seule signature des futurs mariés, de tenter d'empêcher une union qui leur semble inappropriée. Les parents font alors appel à la tradition, quand les enfants font eux appel à la loi. Ces cas posent de gros problèmes de conscience aux enfants qui supportent mal de s'opposer à l'autorité paternelle (ce qui est un révélateur de l'importance persistance de la piété filiale aujourd'hui).

Le père a une responsabilité supplémentaire, il a l'obligation de léguer à son fils un "bon" nom, c'est-à-dire un nom digne, mais aussi lui laisser l'héritage le plus grand possible.

En outre, comme nous l'avons déjà dit, le fils a des devoirs envers son père, et le père a des devoirs envers son fils. Il y a dans ce rapport père-fils un mélange de soumission du fils et de réciprocité. Père et fils ne doivent pas suivre ces règles seulement parce qu'ils se le doivent l'un à l'autre mais parce qu'ils sont tous deux les obligés des générations antérieures et futures. Ils sont redevables des générations antérieures car ce sont elles qui leur ont permis d'exister et leur ont légué un nom digne ; de même ils doivent faire attention à conserver la dignité de leur famille pour les générations futures.

2. Néo-confucianisme ou les enseignements de Chu Hsi en Corée

2.1. Adoption et expansion du néo-confucianisme en Corée68

Il est difficile d'établir la date exacte de l'entrée du confucianisme en Corée. Certains auteurs, dans les articles que j'ai lus, n'évoquent pas cette date et préfèrent axer leur étude sur l'expansion du confucianisme en Corée, ainsi que de son interprétation et adaptation locale.

Cependant, certains tels KIM Young-Soo considèrent qu'elle a eu lieu très tôt, coïncidant avec l'introduction de livres classiques chinois, et donc du système d'écriture chinois, lors des quatre commanderies ou de l'établissement des Trois Etats Han (Les Trois Royaumes) entre 200 avant J.C. et 200 après J.C.. Lorsque qu'il parle de classiques chinois, KIM entend cinq livres sur le confucianisme (le Livre des Odes, le Livre des Documents, le Livre des Mutations, les Chroniques de la province de Lu, le Traité des Rites), des livres sur l'histoire chinoise ainsi que les chroniques de royaumes de Chine. A la suite de cette introduction vraisemblable du mode de pensée confucéen, dans le royaume de Koguryò, sous le règne du roi Sosurim, en 372 après J.C., la première Académie nationale confucéenne est créée.

La création de cette Académie nationale confucéenne, « chargée d'enseigner les valeurs traditionnelles du confucianisme et ainsi, par l'étude du respect de l'importante relation entre le souverain et son peuple, de renforcer l'idée d'unité dans le royaume encore fragile »69, marque le début de l'expansion, certes lente, de l'influence du confucianisme sur la société coréenne. Notons d'ailleurs que cette philosophie de vie s'adapte assez bien à la société rurale coréenne car elle est elle-même issue d'une société

68 Cf. Annexe 1 : chronologie69 MORILLOT Juliette, La Corée : Chamanes, montagnes et gratte-ciel, p. 242

agricole et clanique ; bien que dans le cas du royaume de Koguryò, entrée du confucianisme n'a pas rimé avec sinisation politique et sociale comme dans le cas des royaumes de Silla et Paekche.

Au départ, cette philosophie de vie ne concerne que l'élite des lettrés et leurs familles ainsi que la classe dirigeante, autrement dit les aristocrates (Yangban). Elle n'étendra son influence que bien plus tard sur toute la société coréenne. Mais il ne faut pas oublier que le confucianisme n'est pas la seule philosophie-religion présente en Corée, il y a aussi d'antiques croyances animistes, ainsi que le chamanisme, le bouddhisme et le taoïsme déjà présents à cette époque.

On considère traditionnellement que c'est au moment la transition entre la dynastie Koryò et celle de Chosòn (1392-1910) que s'est réellement introduit le confucianisme dans la vie quotidienne des Coréens – d'abord de l'élite, puis du peuple dans son ensemble. En effet, à la suite d'une lutte idéologique entre Bouddhistes convaincus et Confucéens réformistes, le Confucianisme est devenu religion d'Etat dans le royaume de Chosòn alors que dans celui de Koryò, c'était le bouddhisme. Pour expliquer cette transition qui s'est faite non sans heurts, deux théories principales s'affrontent selon John DUNCAN :

– La théorie de l'idéologie de classe (i.e. de la classe supérieure)

– La théorie de la "confucianisation"70 radicaleLes défenseurs de la première théorie considèrent qu'il y aurait

eu émergence d'une nouvelle classe de propriétaires terriens vivant dans leur domaine plutôt qu'à la capitale (plus ou moins équivalente à notre classe bourgeoise). Celle-ci aurait renversé celle des gros propriétaires terriens bouddhistes rassemblés à la capitale, et en aurait profité pour imposer sa nouvelle idéologie : le confucianisme.

Selon DUNCAN, le problème de cette théorie c'est qu'une telle classe à part n'a pas existé : « The attempt to explain the spread of

70 Néologisme traduit littéralement à partir de divers articles anglophones.

Neo-Confucianism as the ideology of a new class of scholar-officials rising to power in the late fourteenth century fails to satisfy because there was no such class. »71 De plus, certains aristocrates, dont des proches du roi, se sont avérés être de fervents défenseurs de la pensée de Confucius. En outre, ce n'est en aucune façon le système de classe qui a été attaqué mais la richesse excessive des temples bouddhistes ainsi que le discours sur la transmigration des âmes de Bouddha. En effet, dans le premier cas, l'Etat ayant besoin d'argent pour son armée, ne peut tolérer les dépenses somptuaires faites pour les rituels bouddhistes ainsi que pour l'entretien de ces temples et monastères dignes des abbayes françaises du Moyen-Age72 ; et dans le second, les lettrés s'étant penchés sur ce problème purement théorique estiment que Bouddha a négligé le fait que l'âme a besoin d'un temps de pause avant d'intégrer un nouveau corps.

Dans la deuxième théorie, suivie par un certain nombre de chercheurs, il est avancé qu'une certaine catégorie de l'élite lettrée dirigeante, lassée par la corruption et la décadence de la dynastie régnant sur le royaume de Koryò aurait profité de sa chute pour imposer le modèle de l'idéologie confucéenne qu'elle aurait considéré comme plus pur. Martina DEUCHLER, tête de proue de ces chercheurs, pense que la transformation de la société coréenne en société confucéenne se serait faite en trois étapes :

– La jeune élite en question aurait été à la recherche d'une solution radicale à la décadence de la société, et l'aurait trouvée dans le confucianisme.

– Au moment de la création du royaume de Chosòn, confrontés à des problèmes pratiques, cette élite aurait modifié l'orientation de la mission du confucianisme, décidant plus sage de préserver certaines habitudes et traditions coréennes.

71 DUNCAN John, op. cit., p. 7772 BOUVIER Nicolas, Les chemins du Halla San, p. 31

– Le XVIe siècle voit naître un syncrétisme entre ces traditions coréenne préservées et le confucianisme : le néo-confucianisme.

Tout d'abord, DUNCAN note que Martina DEUCHLER se contredit elle-même. En effet, à la base, elle parle d'une confucianisation de la société coréenne, mais en fait, dans le développement en trois point de sa théorie, elle aboutit à une coréanisation du confucianisme. Ceci signifie alors que "son" élite idéaliste réformiste a échoué dans sa réforme radicale de la société suivant le modèle chinois. DUNCAN explique cet échec de la théorie au fait que pour Martina DEUCHLER, la société de Koryò était une société bouddhiste figée jusqu'au moment de sa chute, alors qu'en fait, vraisemblablement, la transition entre bouddhisme et confucianisme s'est faite progressivement. Ainsi, il écrit « This type of evidence not only raises serious questions about the notion that pre-Chosòn dynasty Korea was an unchanging society based solely or event primarily, on Buddhist principles, it also suggests that the relationship between Confucianism and society in Korea was a long and complex history that predates the founding of the Chosòn dynasty by hundreds years. »73

Confrontant la réalité à ces théories, et mettant en évidence certaines incohérences intrinsèques, DUNCAN remet alors en question la pertinence de ces deux théories. Pour lui, comme le montre la phrase que nous venons de citer, la transition entre société à dominante bouddhiste et société à dominante confucéenne ne s'est pas faite brutalement, mais s'est étalée dans le temps. Il remarque d'ailleurs que les chercheurs modernes acceptent enfin cet état de faits. Petit à petit, les Coréens, en commençant par l'élite aristocratique et royale, ont adopté, assimilé et adapté à leur façon certains traits du modèle confucéen qui correspondaient pour certains à certaines caractéristiques sociales nationales. Dans le cas de l'adoption de traits plus différents de la tradition coréenne, le

73 DUNCAN John, op.cit., p. 79

changement a été plus difficile mais la classe dirigeante se considérant comme devant montrer l'exemple au peuple a suivi à sa façon les textes confucéens classiques commentés par Chu Hsi (son enseignement correspond en fait à ce que l'on nomme néo-confucianisme74). En fait, les Coréens se sont montrés très sélectifs dans ce qu'ils ont importé et intégré à leur propre mode de vie.

En observant la confucianisation de la Corée, on constate qu'elle a d'abord concerné la sphère politique via l'installation d'une bureaucratie centralisée. En effet, dans le royaume de Koguryò, un code de droit administratif a été édicté en 373 en vue d'officialiser ce nouveau système de gouvernement et d'administration. Paekche a suivi cet exemple peu après, mais ce n'est qu'au VIIe siècle, en vue d'une conquête de la péninsule, que Silla a adopté ce système confucéen. Ainsi, ce sont les règles confucéennes pratiques de bon gouvernement qui ont été suivies dans un premier temps, bien avant la création du royaume de Chosòn. Ensuite, une fois l'unification sous Silla, l'influence du confucianisme s'étend quelque peu, mais reste limitée à la sphère publique. On constate que certains codes de conduite suivent trois des Cinq Relations sociales prescrite par la doctrine confucéenne (la loyauté envers le gouvernant, la piété filiale envers son père et la confiance entre amis), ceux-ci permettant d'assurer une bonne cohésion sociale.

En 78875, dans le royaume de Silla unifié, le système des examens pour devenir fonctionnaire est mis en place, l'examen, destiné aux fils d'aristocrates, portant essentiellement sur la connaissance des grands classiques confucéens. Ce sont donc toujours les aristocrates qui sont concerné par la morale confucéenne, le peuple étant tourné vers le bouddhisme qui, selon Juliette MORILLOT, est porteur d'espoir car il « offre un même avenir à chacun, indifféremment de sa position sociale. » Pas à pas l'influence confucéenne sur la sphère publique s'étend, le savoir 74 Nous utiliserons indifféremment les termes "confucianisme" et "néo-confucianisme" dans la suite de ce mémoire75 date avancée par JaHyun KIM HABOUSH dans "The Confucianization of Korean Society"

littéraire est valorisé et les avoirs techniques et militaires sont dévalorisés.

Dans le royaume de Koryò, qui succède à Silla, le mandat du ciel est adopté par le premier roi, afin de justifier sa place sur le trône. Son gouvernement, ainsi que l'élite dirigeante, sont installés à la capitale Kaesòng. Le lien entre élite dirigeante et éducation (confucéenne) se renforce, mais la morale confucéenne reste toujours limitée aux sphères politiques et publiques. Pour cette élite confucéenne, la morale confucéenne est d'ailleurs la morale que se doit de suivre toute nation civilisée, les autres étant barbares. Cependant, c'est ironiquement seulement lorsque Koryò est sous la domination mongole, les Mongoles étant considérés comme barbares, que le Confucianisme prend réellement racine dans le pays. En effet, l'accès à la Chine est favorisé par cette occupation, ce qui fait que de nombreux coréens se sont rendus à la capitale des Yuan. De plus, le concours mongol pour devenir fonctionnaire était exclusivement basé sur la connaissance des Cinq classiques et des Quatre livres commentés par Chu Hsi. Naturellement, il a été importé tel quel dans le royaume de Koryò.

Une fois le royaume de Chosòn instauré, le confucianisme est adopté comme philosophie (religion) d'Etat, à la place du bouddhisme, ce qui lui permet de gagner progressivement, et non sans résistance, la sphère domestique et privée. Les rites confucéens, comme par exemple les funérailles, sont imposés à la population, d'abord en douceur (le roi donnant l'exemple en suivant scrupuleusement les consignes du livre des rituels familiaux), puis, une fois que la pratique est très répandue dans la classe dirigeante, de façon plus brutale. Une loi est édictée, punissant sévèrement ceux qui oseraient pratiquer la crémation du corps d'un défunt. Le peuple reste accroché à ses croyances ancestrales telles que le chamanisme, l'animisme, le bouddhisme, mais finit par intégrer à cet ensemble hétéroclite les croyances confucéennes. Le confucianisme s'insinue aussi progressivement dans la famille coréenne, et en change

fondamentalement la forme. Le statut du mari comme chef de famille est imposé, de même que le patrilignage et la règle de patrilocalité, le statut des femmes quant à lui diminue et celles-ci perdent entre autres le droit à la propriété, elles sont placées, non sans résistance, sous tutelle masculine. Tout ceci concerne principalement la classe dirigeante, mais une fois celle-ci complètement confucianisée, elle a publié des livres de morale confucéenne écrit en alphabet coréen (hangul) et légiféré (en plus de montré l'exemple) afin que le peuple suive la morale confucéenne. Ainsi, durant le dernier siècle de Chosòn, on peut dire que la société coréenne est entièrement confucianisée, sans négliger le fait qu'il s'agit d'une adaptation qui lui est propre.

Cette adoption sélective du confucianisme en Corée a induit (ou confirmé selon les cas) des changements notables dans la société coréenne que ce soit au niveau politique, social ou familial. Voyons à présent comment le confucianisme a évolué avec l'ouverture de ce pays ermite qu'était la Corée, et comment il est considéré au XXe siècle.

2.2. Le Néo-Confucianisme au XXe siècle

Comme l'écrit Juliette MORILLOT : « La doctrine confucéenne ne présente pas une éthique détachée du monde humain mais au contraire s'implique directement dans la société et ses mécanismes par de solides liens d'interdépendance avec les milieux politique, économique et culturel. » (1998, p. 242) Pour parler du néo-confucianisme au XXe siècle en Corée, nous allons nous intéresser plus particulièrement à ses aspects sociaux et politiques, ainsi qu'aux critiques qui ont été émises par des Coréens, aussi bien des nationalistes en quête de changement que par des penseurs influencés par les philosophies et religions occidentales.

Dans son acceptation politique, le confucianisme envisage l'Etat comme un royaume harmonieux articulé autour d'une

bureaucratie civile gouvernant la société. Ainsi, le peuple doit respect et loyauté au souverain (qui lui même se doit d'être un "père" bienveillant et juste), mais aussi s'intégrer dans une hiérarchie sociale stricte. Et en ce qui concerne ses valeurs sociales, elles sont intimement liées à la recherche de l'harmonie par un gouvernement juste. Leur base est constituée par les Cinq relations humaines primaires (père-fils, souverain-ministre, époux-épouse, frère aîné-frère cadet, ami-ami) dont trois sont directement liées à la famille. Notons que, comme nous le verrons plus en détail par la suite, la famille tient une place centrale dans le confucianisme (coréen) et dans la société coréenne en général. Elle est l'unité de base, la pierre angulaire de la société ; les relations sociales sont plus ou moins basées sur les relations familiales. Donc, si la famille est stable et harmonieuse alors, par conséquent, la société entière est elle aussi en harmonie, ce qui est un des buts recherchés par le confucianisme.

A la fin de la dynastie Yi, entre la fin du XIXe et le début du XXe, la Corée a connu de profonds bouleversements, autant politiques que sociaux. En effet, le pays qui était replié sur lui-même a dû s'ouvrir, plus ou moins de force, au "monde extérieur" ainsi qu'aux intrusions des croyances, et des pouvoirs commerciaux et militaires occidentaux. Le pays avait alors des structures politiques et sociales stables, peu enclines à accepter le changement. Ainsi, lorsque des missionnaires catholiques et protestants sont entrés dans le pays et ont commencé à répandre la "Bonne Parole" qui rentrait en conflit avec certaines valeurs confucéennes (tel que l'égalité entre tous les hommes), les persécutions ne se sont pas faites attendre. En effet, dans un premier temps, face à ses intrusions étrangères, la Corée s'est refermée sur elle-même, pensant que si le pays n'allait pas bien, c'était parce qu'il s'était écarté de la Voie confucéenne. Mais cet essai de retour à la pureté confucéenne a été sans résultat, et la Corée a dû accepter le fait que le monde changeait autour d'elle, et qu'il fallait s'ouvrir à ce monde. Le nationalisme a grandi durant cette période, et certains

progressistes ont critiqué la tradition confucéenne, en rejetant son universalisme tout en cherchant un moyen de développer les pouvoirs politiques et économiques de l'Etat. Leur critique principale était dirigée sur l'origine chinoise de la pensée confucéenne, reprochant à la dynastie Yi d'avoir vénéré pendant des siècles un système culturel étranger, donc par conséquent mauvais. La relation pluri-centenaire liant la Corée à la Chine appelée sadae, (servir le Grand) est considérée par le "Club pour l'Indépendance"76 (1896-1898) comme un affront fait à l'indépendance et à la souveraineté nationale coréenne. Le but recherché par de telles critiques était de séparer une Corée moderne de la Corée des Yi. ROBINSON ajoute qu'un intellectuel influent, journaliste et historien, Sin Ch'ae-ho, suivant la même ligne d'attaque, considère que la tradition politique confucéenne a eu une influence particulièrement négative sur l'identité nationale coréenne du fait du lien trop fort de l'orthodoxie politique de l'Etat coréen avec la Chine.

Ainsi, les progressistes lancent contre le confucianisme, morale importée de l'étranger, qui aurait inhibé le développement de l'identité nationale des Coréens, et été un frein à la modernisation du pays ainsi qu'au développement d'une société composée d'individus libres et dynamiques. Ces critiques véhémentes ont pour conséquence l'abolition de l'examen d'Etat pour devenir fonctionnaire en 1895, ce qui induit une refonte des programmes et l'enseignement de nouvelles matières dans les écoles comme les langues occidentales, les sciences, la philosophie et les mathématiques. Malgré la suppression de l'enseignement des Classiques confucéens au XXe, on constate que l'aspect anti-science et anti-technique confucéen est certes critiqué mais persiste, de plus, l'élite intellectuelle reste celle qui maîtrise les connaissances plus abstraites, théoriques (philosophie, littérature, histoire, politique ou droit).

76 traduit librement à partir de l'expression "Independence Club" dans l'article "Perceptions of Confucianism in Twentieth-Century Korea" de Michael Robinson, p. 207

Enfin, de sévères critiques sont aussi lancée à propos du statut des femmes qui s'est sérieusement détérioré à la suite de l'adoption du confucianisme. Des lois supportant la supériorité de l'homme, l'aspect patriarcal de la société ainsi que la subordination de la femme ont été édictées. Notons cependant que ce point de vue, partagé par les progressistes, les féministes ou encore les personnes influencées par les religions occidentales, est un peu simpliste. Mais le plus simple pour expliquer la décadence du royaume de Chosòn à la fin du XIXe et au début du XXe est de s'attaquer à ce qui est le plus évident, visible, grâce entre autre à l'ouverture du pays ainsi qu'à l'entrée de nouvelles religions et philosophies.

L'Histoire continue son chemin, la dynastie Yi disparaît et le Japon annexe la péninsule en 1910. Pour asseoir son autorité sur le peuple coréen, le gouvernement japonais prend le parti de s'appuyer sur la morale confucéenne visiblement bien ancrée dans les mœurs coréennes. En effet, il joue sur les valeurs de loyauté et de soumission face à la légitimité naturelle (mandat du ciel) de l'Etat, et utilise l'éducation comme moyen de cultiver ces valeurs, intimement liées à la piété filiale. Pour preuve, voici un extrait des Règles des enseignants publié en 1916 cité par ROBINSON : « The fostering of loyalty and filial piety shall be made the radical principle of education and the cultivation of moral sentiments shall be given special attention. It is only what may be expected of a loyal and dutiful man, who knows what is demanded of a subject and a son—that he should be faithful to his duties. » C'est ainsi que les Japonais ont utilisé la sensibilité culturelle des Coréens pour légitimer leur présence et leurs règles.

Cependant, l'empire japonais était un état centralisé à l'extrême s'appuyant sur une bureaucratie puissante et des forces militaires et policières, il était donc loin de l'Etat bienveillant confucéen. Cet Etat autoritaire, tout en s'appuyant aussi sur la hiérarchie sociale confucianisée en place, a renforcé la centralisation de la bureaucratie coréenne à son propre avantage. Pour avoir une

meilleure base et du soutien de la part de l'élite coréenne, les dirigeants japonais décident de "prendre en charge" la nouvelle Intelligentsia en place à grand renfort de bourses, de financements ainsi que de concessions.

Comme nous l'avons déjà vu, la famille tient une place particulièrement importante dans la société coréenne. Conscients de cet état de fait, les Japonais glorifient la famille de l'empire. Après 1931, et leur expansion sur le territoire asiatique, ils expliquent aux Coréens qu'ils font partie d'une grande famille dont le père est l'empereur, les grands frères sont bien évidemment les Japonais, et les frères cadets ceux qui ont rejoint l'empire après eux. D'ailleurs, à partir de ce moment, tout le langage de l'assimilation utilise des termes familiaux. Cependant, seuls les collaborateurs yangban on choisit de croire au bien-fondé de ces arguments, en particulier les capitalistes qui ont profité de l'installation des Japonais en Mandchourie après 1937. Ces leaders économiques ont choisi de renforcer leur rôle de frères cadet face aux Japonais, afin d'être acceptés au sein du système japonais. Le peuple pour sa part n'était pas dupe, le sentiment d'identité nationale a été renforcé par l'occupation et de nombreuses manifestations indépendantistes ont été violemment écrasées. Au sein des familles coréennes lambda, on continue de parler coréen et de préserver les traditions nationales, malgré la tentative d'assimilation par l'annihilation de la culture et de la langue coréenne durant les dernières années de présence japonaise dans la péninsule.

Durant l'occupation japonaise, les critiques des nationalistes et des "révolutionnaires"77, continuent. Ils prennent le confucianisme comme bête noir, celui-ci devenant alors le bouc émissaire considéré comme responsable de la déroute politique et sociale de la dynastie des Yi.

77 traduit librement de l'expression "social revolutionaries" rencontrée dans le chapitre "Perceptions of confucianism in Twentieth-Century Korea" de ROBINSON, p. 204

Il faut retenir un ouvrage phare dans l'attaque du confucianisme, et le lien qui est fait entre celui-ci et la fortune politique du pays : Histoire du confucianisme coréen de HYÒN Sang-yun (publié en 1949). En fait, avec son ouvrage, l'auteur a cherché à établir les bons et les mauvais aspects du confucianisme dans le but de conserver ce qui est bon, et de rejeter ce qui est mauvais. Cependant, malgré sa volonté de rigueur, il s'est lui aussi plus ou moins contenté d'avoir une vision simpliste des évènements. Il attaque lui aussi l'idée de sadae, mais, comme l'écrit ROBINSON, le confucianisme est une culture universelle qui s'est répandu sur une bonne partie de l'Est asiatique, mais ne nécessitait pas l'obéissance politique à la Chine. Ce qui a entraîné sadae n'est pas le confucianisme mais une proximité politique et géographique entre les deux pays, ainsi qu'une longue tradition d'emprunts culturels. (p. 212-213). Pour HYÒN, le confucianisme a aussi soutenu un système de classe féodal inégalitaire et aussi pénalisé le pays au niveau de ses défenses militaires en développant un pacifisme excessif, en encourageant le savoir littéraire ainsi qu'en dénigrant les savoirs techniques et les arts militaires. Mais d'une certaine façon, il se contredit car il met aussi en avant comme "bon côté" l'humanisme confucéen.

Les critiques, positives et négatives, de HYÒN font des émules bien après la publication de son livre. Le fait est qu'il y expose une opinion partagée par de nombreux intellectuels de la fin de la colonisation. Des arguments tout à fait semblables sont d'ailleurs avancés par des intellectuels de l'après-guerre.

D'un côté, le confucianisme est pointé comme responsable des mauvaises fortunes du pays, mais d'un autre côté, un certain nombre de valeurs confucéennes sont utilisées lors de la construction d'un état moderne. Comme nous parlons ici de l'après-guerre, nous n'entendrons plus par Corée la totalité de la péninsule mais seulement sa moitié sud.

Bien que certaines valeurs confucéenne telles la piété filiale et la loyauté sont déconsidérées par les intellectuels du fait de leur utilisation détournée par les Japonais, le peuple continue de les suivre dans sa vie privée. Suite à la chute d'un empire, à une colonisation, à une guerre, l'utilisation politique et économique du confucianisme peut difficilement continuée comme auparavant, d'autant plus qu'il est toujours pointé du doigt comme obstacle à la modernisation du pays.

Pourtant, dans les grandes entreprises capitalistes, on utilise le langage confucéen de la loyauté pour favoriser une assimilation entre la bonne santé de l'entreprise et celle de l'Etat. La reconstruction du pays complètement dévasté et dépendant des aides internationales, les plans économiques drastiques pour revitaliser l'agriculture et l'industrialisation rapide du pays qui a provoqué un exode rural massif ont modifié radicalement la vie des Coréens. En Occident, on parle de "miracle", mais en réalité, il s'agit d'« années de travail, de sacrifices, de sueur et de sang versés par un peuple qui veut s'en sortir mais n'a guère le choix puisque toute velléité de rébellion est aussitôt étouffée dans l'œuf. La Corée est mise au travail »78 par les dictateurs, à commencer par PARK Chung-hee. Celui-ci veut reconstruire un pays puissant, et suit alors le modèle du Japon tout en utilisant certaines valeurs confucéenne (comme la loyauté) afin que le peuple suive. Ainsi, entre les modernisations imposées par les Japonais (réseau ferroviaire et routier par exemple) et les actions menées d'une main de fer par le président PARK, la Corée est lancée sur la route de la modernisation, et du capitalisme (surveillé par l'Etat).

L'urbanisation a beaucoup changé les structures sociales coréennes, la traditions restant bien plus vivace à la campagne. Dans les villes, le gouvernement tâche de conserver les traditions visibles, les rites, comme quelque chose que l'on conserverait dans un musée, en guise de mémoire. En réalité, non disposé à assumer la tradition

78 MORILLOT Juliette, "La Corée : Chamanes, montagnes et gratte-ciel", p. 94

elle-même, l'Etat continue d'utiliser indirectement (car on continue de considérer la tradition confucéenne comme un obstacle à la modernité) certaines valeurs, toujours les mêmes : la loyauté et la piété filiale. L'Etat se montre (très) autoritaire, et paternaliste. Les leaders politiques coréens ont donc une attitude ambivalente face au confucianisme. Ils rejettent d'une part, sur le modèle du président PARK, tout ce qui dans la tradition est considéré comme une perte inutile de temps et d'argent, ce qui est un frein au développement économique, mais utilisent d'une autre part certaines valeurs confucéenne à leurs propres fins ainsi qu'à celles du pays.

PARK Chung-hee, dans son discours de 1962 adopte le langage des progressistes du début du siècle, et suit les critiques de HYÒN. La vision officielle du confucianisme n'a pas beaucoup évolué ce de fait. Ses successeurs suivent eux aussi ces idées et la ligne de conduite du pays qu'il avait adoptée. Selon ROBINSON, l'un de ses successeurs, CHUN Doo Hwan, se montre plus sophistiqué dans son observation de l'héritage confucéen, et estime que la discipline et l'intérêt publique font partie des bons aspects légués par la tradition qu'il considère comme la base de la culture coréenne. De ce fait, pour lui, nier l'assise spirituelle de la culture coréenne sous prétexte de développement économique et de sécurité nationale est une erreur. L'analyse du président CHUN des excès de la Corée étaye parfaitement ces arguments : « The prevalence of toadyism, a blind admiration for all things foreign, a pervasive notion that money is everything, unbridled egoism and the like is indicative that for some, at least, spiritual and cultural interests have taken a back seat to monetary ones. We must rectify perversion and confusion in values… only then can a new era be forged. » En fait, ici, CHUN argumente dans un sens différent, il présente le confucianisme comme un moyen de préserver la culture coréenne des excès provoqués par le "progrès amené par l'Occident.

Ainsi, la présence des Occidentaux (surtout américains) sur le territoire confronte plus fortement le pays aux idées occidentales, ce

qui ouvre une nouvelle vision du confucianisme, comme morale pouvant sauver la société coréenne de ses dérives. Quoiqu'il en soit, pour les différents gouvernements militaires qui se sont succédés, le principal, en tant que guide du peuple coréen, est que celui-ci adhère aux idées qui supportent la solidarité nationale et le développement économique. L'attitude officielle face au confucianisme reste donc ambivalente, d'ailleurs, il est même écrit dans un livre édité par le gouvernement que le confucianisme a disparu de la scène historique de Corée en 1910, avec la disparition du royaume de Chosòn, ensuite, il n'était plus doctrine d'Etat. Cependant, ils ajoutent qu'il reste vivace dans les mœurs, les us et les coutumes coréens. Des lois ont été édictées afin, par exemple, d'améliorer la position des femmes dans le pays, qui suivant la tradition coréenne était sous tutelle masculine, cependant, la vie quotidienne des Coréens reste profondément marquée par la tradition confucéenne.

Malgré cela, à cause de la partition du pays et de la menace nord-coréenne, l'aspect humaniste et pacifiste du confucianisme est mis à mal, une importance grandissante est donnée à la protection militaire (entre autre avec l'instauration d'un service militaire obligatoire assez long). Certes, les intellectuels sont toujours considérés comme faisant partie de l'élite sociale, l'éducation de masse ayant plus ou moins supprimé l'illettrisme et favoriser un grand nombre de diplômés, mais les militaires ne sont plus systématiquement considérés comme inférieurs. De plus, du fait de l'incroyable développement économique de la Corée, la force de travail est elle aussi valorisée, en particulier son côté volontaire. Les valeurs traditionnelle du confucianisme du travail assidu, de la diligence et de l'autodiscipline, de même que la piété filiale, et par conséquent du respect de la hiérarchie et l'obéissance à l'autorité, ainsi que la confiance entre amis ont permis un développement positif des ouvriers et des cadres. La loyauté des travailleurs coréens envers leur entreprise et de manière plus générale envers leur pays a permis ce développement économique particulièrement rapide de

la Corée qui est passée du statut de pays dépendant des aides internationales dans les années 1950, à celui de puissance économique quasiment incontournable au niveau mondial. Ces valeurs confucéenne qui ont permis un tel développement économique de la Corée est nommé "puritanisme confucéen" par certains chercheurs, suivant le modèle établit par WEBER à propos du protestantisme en Europe dans son ouvrage L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme.

Concluons en rappelant que le confucianisme a été très critiqué durant le XXe siècle, par souci de bien différencier la Corée moderne de la dynastie des Yi qui n'a pas su préserver son peuple de l'occupation japonaise. Cependant, bien qu'étant altérée, la tradition confucéenne reste vivace, surtout des rapports interpersonnels que ce soit au sein de la famille (dans la sphère domestiques et privée) ou dans la société en général (sphère privée et publique). Donc, bien qu'il ne soit plus présent au premier plan, il continue de marquer l'arrière plan social du pays, et ce, malgré la modernisation et l'ouverture à d'autres philosophies.

Notons enfin, à titre de clin d'œil, que le confucianisme – bien qu'étant à la base une éthique, une morale profondément liée à la société, et régissant aussi bien les milieux économique que politiques et sociaux de la société – a été officiellement organisé « comme une Eglise, avec un chef spirituel, le chongjòn, supervisant un nombre actuel de 935 yurim, « officiels » confucéens. Cette restructuration s'accompagne d'une réhabilitation des rites annuels : le 10 mai en l'honneur des Sages et le 28 septembre à l'occasion de l'anniversaire de Confucius. »79

79 MORILLOT Juliette, p. 242

2.3. Rapports interpersonnels au sein de la société coréenne

On peut difficilement s'intéresser à une société sans étudier les rapports inter personnels, d'autant plus lorsque la société en question est confucianisée et donc hiérarchisée. Le confucianisme prône des rapports harmonieux de l'Homme avec la Nature, mais aussi des hommes entre eux en tant qu'individus complémentaires. Comme l'écrit PARK Pyòng-Yòn « le confucianisme a pu imaginer une organisation fonctionnelle du monde telle que, si chaque individu exécute bien le rôle qui lui est imparti, il est en mesure de réaliser l'harmonie parmi les hommes, harmonie sociale qui est en même temps en adéquation avec les lois de l'Univers. »80 Notons que, de plus, les Coréens ne se définissent pas comme une somme d'individus indépendants les uns des autres. Une part importante de leur identité est constituée par leurs groupes d'appartenance, les principaux étant leur pays et leur famille, et traditionnellement, on peut dire que leur classe sociale en était un aussi.

La société coréenne a eu, durant une longue période de son histoire, une hiérarchie sociale très stricte, mais les dirigeants, ainsi que les intellectuels, ne s'adonnant qu'à leur activité principale, savaient qu'ils avaient besoin des tranches inférieures de la société pour vivre et se nourrir par exemple. C'est en ce sens que doit s'entendre la complémentarité des rapports malgré la verticalité de ceux-ci. Jusqu'à la guerre qui a opposé Japon et Corée, il y avait quatre classes sociales situées en dessous du roi :

- les yangban, composée d'officiels aristocrates civils ou militaires

- la classe moyenne comprenant les hommes étant limitées à des postes officiels moins prestigieux, mais ayant malgré tout un niveau d'étude supérieur aux "gens du commun"

80 PARK Pyòng-Yòn, "Le confucianisme dans la société coréenne contemporaine", p. 3

- "gens du commun", personnes qui ont trait au commerce (y compris les fermiers et artisans)

- la "classe basse", personnes dont l'occupation est méprisée comme les bouchers, les esclaves, les acteurs ou les moines81

En 1894, cette échelle sociale a été abolie officiellement, dans un souci coréen de se débarrasser de l'ancienne influence chinoise et lancer une réforme générale. Cependant, dans les faits, le langage comportant différents niveaux honorifiques d'adresse, l'attitude des Coréens dans les relations interpersonnelles évolue peu à l'époque. D'ailleurs, encore aujourd'hui, le mot yangban est encore utilisé car on nomme ainsi les personnes riches ou ayant une haute position dans la société.

Les Coréens ont adopté les principes confucéens des Trois Liens et des Cinq relations. Notons en outre que le confucianisme donne une place prépondérante à la famille qui se trouve alors être le lieu où les principes confucéens peuvent être mis en pratique, et de ce fait est la référence en ce qui concerne les rapports interpersonnels. Les relations au sein de la famille sont les relations de base dans la société, et les valeurs de la famille sont celles de la société. En effet, c'est au sein de la famille que se fait la socialisation de chaque individu, que chacun apprend à régir sa vie de façon vertueuse et en harmonie avec les autres ainsi qu'avec l'univers. Comme l'écrit LEE Kwang Kyu dans son article "Confucian Tradition in the Contemporary Korean Family" : « In a word, Confucianism is a family-oriented religion, philosophy, and social ideology governing behavior from birth to death. » (p. 250). La famille étant l'unité de base de la société, il n'est pas étonnant que la piété filiale, principe qui régit les relations père-fils, serve de modèle aux autres relations existant dans la famille, et par extension aux relations 81 classification reprise à partir du livre de TAE Hung Ha, Korean Cutural Series Vol. III : Folk Customs and Family Life, p. 58 Les expressions "gens du commun" et "classe basse" ont été traduites librement à partir de "commons" et "law class".

interpersonnelles dans la société dans son ensemble. Celui-ci sert de référence dans l'attitude à tenir face à un "supérieur" dans la hiérarchie sociale ou alors face à une personne plus âgée. Cette valeur prime d'ailleurs sur toute autre, même sur la loyauté due au roi et au royaume, ou encore au pays. Pour aller plus loin, CRANE82 va jusqu'à écrire que si la piété filiale disparaissait, la société coréenne plongerait dans le chaos et perdrait toute unité.

Le (néo-)confucianisme établit une hiérarchie sociale assez stricte et verticale bien qu'insistant sur la complémentarité des individus plutôt que sur un rapport supérieur/inférieur. Le modèle principal de ces rapports interpersonnels verticaux est celui induit par la piété filiale comme nous l'avons dit. On doit un respect sans borne à son père, encore plus à son grand-père ou ses ancêtres. Par extension, on doit agir avec déférence face à une personne plus âgée ou encore qui se trouve "au-dessus" dans la hiérarchie sociale comme le président (ou le roi selon l'époque), un professeur, un supérieur hiérarchique au sein d'une entreprise, etc.

La piété filiale étant placée au cœur des relations interpersonnelles, il semble pertinent de nous attarder sur ce sujet. Pourquoi cette relation particulière d'un enfant face à ses parents est-elle si importante ? Comme nous l'avons vu dans le cas de la Chine, cette relation peut donner l'impression à un observateur extérieur d'être à sens unique, c'est d'ailleurs ce qui ressort dans les écrits sur la famille traditionnelle (de la dynastie Chosòn à la période pré-industrielle), mais ce n'est vraisemblablement pas tout à fait le cas, encore moins aujourd'hui. En effet, bien que toujours vivace, la piété filiale a perdu un peu de son influence. Malgré cela, dans cette partie, nous ne parlerons ici que les devoirs qu'un fils (enfant) a envers son père (ses parents) et nous contenterons d'évoquer sommairement ceux qu'un père a envers son fils.

Notons d'abord qu'en Corée comme en Chine ou dans tout autre pays suivant la morale confucéenne, un enfant a une dette

82 KIM Young-soo, "Legitimacy of Korean Traditional Culture and Thought", p. 115

insolvable envers ses parents qui lui ont donné un corps dont il doit prendre soin. Il existe un dicton traditionnel coréen qui illustre parfaitement cette affirmation : « Le moindre de tes cheveux est un cadeau de tes parents que tu dois respecter comme tu les respectes eux-même »83. De plus, les parents se chargent de son éducation, le nourrissent, prennent soin de lui, ce qui le rend encore plus redevable. De ce fait, quoiqu'il entreprenne, un "enfant" fait très attention d'agir de façon honorable afin de faire honneur à ses parents ainsi qu'au nom qu'ils lui ont transmis. C'est en effet l'une de ses tâches que de faire honneur au nom qu'il porte, car ainsi, il fait honneur à ses parents, à sa famille entière, mais aussi à ses ancêtres. Il existe plusieurs moyen de faire honneur à son nom, comme intégrer des écoles prestigieuses ou encore faire un bon mariage. Quoiqu'il en soit, les enfants, et en particulier le fils aîné, doivent faire soumettre à l'approbation de leurs parents leurs projets et se soumettre à leur décision. Comme l'écrit CRANE dans son chapitre sur les relations interpersonnelles « the ties of family are strong and controlling. When threatened, the family unites to meet a hostile world. The family name and welfare are more important than individual wants or needs. »84

Mais la plus forte charge, en ce qui concerne la piété filiale, repose sur le fils aîné. En effet, c'est lui qui devra, avec son épouse, s'occuper de ses parents une fois que ceux-ci seront trop âgés pour continuer à subvenir à leurs propres besoins. Traditionnellement, le fils aîné s'installait avec sa famille (sa femme et leurs enfants), dans la demeure familiale dont il héritait à la mort de son père, il devenait ainsi le chef de famille. De nos jours, près de 90% de la population vit en zone urbaine. Les garçons, une fois leur service militaire accompli, n'ont pas envie de retourner à la campagne et cherchent alors du travail en ville afin de s'y installer. Les filles quant à elles viennent aussi en ville où différents types d'emplois leurs sont proposés, les moins éduquées se retrouvant souvent à travailler à 83 MOON Ok-pyo, op. cit., p. 1384 CRANE Paul S., Legitimacy of Korean Traditional Culture and Thought, p. 34

l'usine. Leurs parents, s'ils viennent de la campagne, n'arrivent en général pas à s'accoutumer à la vie à la ville et restent dans leur village où ils ont leurs habitudes ainsi que les personnes qu'ils connaissent. les réseaux d'entraide sont assez développés en zone rurale. C'est seulement lorsqu'ils sont trop âgés pour continuer à travailler dans les champs ou encore à la mort de l'un d'eux qu'ils se résolvent à s'installer en ville, chez leur fils aîné (en règle générale). On commence à rencontrer des cas où les parents âgés s'installent chez l'enfant de leur choix, voire même leur fille, mais ce dernier cas de figure est encore très rare du fait de la longue tradition patriarcale et patrilinéaire en Corée.

C'est aussi le fils aîné qui a l'honneur et le devoir de se charger du culte des ancêtres, ces rites étant les plus important dans la vie familiale. En fait, c'est le fils aîné de la famille souche qui prend en charge le culte des ancêtres ; il doit s'occuper de rendre un culte à ses parents mais aussi aux parents auxquels sont père rendait un culte. Ainsi, chaque année, toute la famille (famille souche et branches cadettes) se réunissent au caveau familial, et le chef de famille (le fils aîné dont il est question) préside les rites faits en hommage à ses parents, grands-parents et ainsi de suite jusqu'à la quatrième génération. De ce fait, on peut affirmer que le culte des ancêtres est étroitement lié à la piété filiale, comme l'écrit KIM Young-soo : « It has long been believed that being careful and sincere in the performance of ancestral rites is identical with showing filial piety to parents. Conducting ancestral rites poorly will incur punishment and shame. »85 De plus, ceci permet qu'anciens (ancêtres) et descendants se sentent mutuellement dépendants.

Comme nous l'avons dit, le culte que l'on rend chaque année aux ancêtres, rassemble tous les membres de la famille, ainsi, il permet de resserrer les liens familiaux qui de nos jours ont tendance à être un peu plus difficiles à maintenir du fait de l'éclatement

85 KIM Young-soo, op. cit., p. 116

géographique. En effet, les familles sont dorénavant plutôt de type nucléaire du fait de l'urbanisation.

Nous avons évoqué les réseaux de relations au sein des villages, ceux-ci sont très importants. Il s'agit de réseaux d'entraide et de soutien. Tout le monde connaît plus ou moins tout le monde dans le village rural. Les relations interpersonnelles dans les villes sont assez différentes. En effet, la densité de population en ville est plus importante qu'à la campagne, cependant, les personnes rassemblées là viennent d'horizons différents, et n'entretiennent que des rapports superficiels de voisinage, voire pas de rapport du tout. En effet, certes le niveau et le confort de vie a augmenté, mais le travail est bien plus prenant et les citadins n'ont pas le temps de créer des liens sociaux durables avec leurs voisins, d'autant moins que la mobilité géographique est assez grande. Dès qu'une meilleure opportunité d'emploi se présente ou que le travail l'exige, l'individu concerné change de quartier ou d'appartement, quoi qu'il en soit, de zone résidentielle. Au final, comme l'écrit LEE Kwang-kyu, les familles urbaines ont sans doute un plus grand nombre de voisins "physiques" mais ont très peu de voisins "sociaux".

En fait, les réseaux sociaux se tissent dorénavant plus aisément lors des études universitaires ou au travail, et se maintiennent du fait de la loyauté entre amis, envers l'université que l'on a fréquenté ou encore envers l'entreprise dans laquelle on travaille. Par exemple, lors de la recherche d'un stage ou d'un emploi, se trouver être ancien de la même université que son éventuel futur supérieur, surtout lorsqu'il s'agit des plus prestigieuse comme l'Université nationale de Séoul ou l'Université de Yonsei, joue évidemment en la faveur du candidat au poste. Il semblerait que cela favorise immédiatement une sorte de connivence entre les deux individus en présence. Lors de mon terrain à Séoul durant l'été 2002, une amie m'a expliqué qu'elle avait été immédiatement mise à l'aise par son futur supérieur, qui lui a fait comprendre que venant de la même université que lui, il appuierait sa candidature ; il l'a fait, et elle a

ainsi pu travailler durant l'été dans cette entreprise. Les liens qui unissent des "anciens" font que lorsque que l'un deux a besoin d'aide, il peut la demander à un ancien camarade de promotion plus fortuné que lui. Si celui-ci refuse son aide, c'est considéré comme une trahison envers l'école mais aussi l'ordre des choses. De plus, le lien qui les unit est aussi valable pour leurs enfants, ainsi, lorsqu'un enfant cherche du travail, son père peut demander un petit coup de pouce à un ancien de sa promotion ou de son université.

Les rapports interpersonnels en Corée restent très imprégnés par le confucianisme, bien que celui-ci ait été altéré par le temps, l'introduction plus ou moins brutale de philosophies et modes de vie étrangers ainsi que la "modernisation" du pays. On le retrouve toujours dans les rapports familiaux, ainsi qu'entre amis ou même dans la vie sociale en général. Bien que le nombre de formes honorifiques dans la langue coréenne ait fortement diminué, celui-ci est un bon miroir de cet état de fait. Mais il faut aussi être attentif à l'attitude du locuteur qui valide ou invalide le respect qu'il montre dans sa manière de parler. L'âge des interlocuteurs ainsi que leur situation sociale restent très important pour savoir quel niveau de langage utiliser, ce qui montre bien que la verticalité des rapports interpersonnels est toujours présente bien qu'un peu moins stricte.

Un jour, j'ai choqué un Coréen, qui avait passé deux années en France, lorsque que je lui ai dit que j'appelais toujours ma mère "maman". Pour lui, étant donné notre âge, c'était inconcevable. D'après lui, ce terme d'adresse ("òmma" en coréen) n'est utilisé que par les enfants, une fois passé un certain âge on utilise plus volontiers "òmòni" (plus ou moins équivalent à "mère" en français). Et j'ai constaté que ceux de mes amis coréens qui m'ont dit appeler leur mère òmma font systématiquement une remarque ensuite comme quoi ils sont sans doute un peu trop âgés pour utiliser ce terme, mais que c'est comme ça. Donc on ressent une certaine gêne lorsqu'on leur fait "avouer" la façon dont ils appellent leurs parents. Peut-être est-ce considéré comme un manque de piété filiale et de

respect ? Quoiqu'il en soit, le second cas semble le plus répandu aujourd'hui dans les jeunes générations, et en règle générale, tous utilisent des formes verbales "polies", différentes de celles qu'ils utilisent avec leurs amis du même âge ou les enfants. Peut-être cette utilisation d'un terme d'adresse moins formel illustre-t-elle une envie de changement de la part de ces générations, d'une diminution des contraintes qui semblent anachroniques, déplacée en ce début de XXIe siècle. Elle me semble bel et bien refléter l'évolution de la piété filiale vers une relation légèrement plus équilibrée, d'une diminution sensible de l'autorité paternelle laissant plus de latitude aux enfants dans l'expression de leurs souhaits. Mais nous étudierons ceci plus en détail dans la suite de ce travail.

ConclusionLa Corée est un pays sinisé, mais surtout confucianisé, ainsi,

pour une étude d'un aspect particulier comme les mariages, une synthèse préalable sur le confucianisme en Chine, et surtout sur son influence sur la famille chinoise a semblé nécessaire pour une meilleure compréhension de la famille en Corée.

Nous avons pu constater qu'il existe, en Chine comme en Corée, un lien particulièrement important au sein de la famille et même de la société confucéenne ; il s'agit de la piété filiale, c'est à dire du lien, unissant un père à son fils (un parent à son enfant), qui non seulement assure l'ordre familial ainsi que la pérennité du nom, mais permet en outre l'ordre au sein de la société entière. Dans la théorie, ce lien est plutôt strict, mais dans la vie réelle, il évolue avec son temps. Cette évolution s'avère d'ailleurs assez frappante aujourd'hui. Ce lien en particulier, régissant plus ou moins directement les rapports interpersonnels de toute la société, nous montre à quel point il faut adapter une théorie vieille de deux millénaires à une société moderne confrontée à une culture occidentale s'étendant progressivement sur le monde entier.

Notons d'ailleurs qu'en Chine, comme en Corée, le confucianisme a été particulièrement menacé par des attaques de diverses natures. Dans le cas de la République populaire de Chine (RPC) Mao l'a attaqué "physiquement" lors de la Révolution culturelle. Taiwan et Hongkong, ainsi que Singapour un peu plus tard, ont été des bastions qui lui ont permis de continuer à exister. Une fois le communisme mis à mal dans le monde, et la mort de Mao, les intellectuels ont pu lui redonner une nouvelle force en en faisant un représentant de la culture chinoise ancestrale. Ainsi, il a connu un regain d'intérêt depuis ces vingt dernières années en RPC. Il a changé de statut du jour au lendemain ; il est alors passé "du statut d'obstacle irréductible (…) à celui de moteur central de la modernisation"86 dans les dires des intellectuels et des dirigeants qui s'en servent afin de canaliser le développement économique. Ils opposent la stabilité qu'apporte le confucianisme au désordre qu'amènerait la culture occidentale individualiste et hédoniste.

Dans le cas coréen, ce sont les intellectuels qui l'ont attaqué par de violentes critiques et l'ont présenté comme le responsable principal de la déchéance de la fin de la dynastie des Yi ainsi que de l'occupation japonaise favorisée par une armée coréenne bien trop faible. Malgré ces critiques véhémentes, il a survécu car certains de ses principes moraux ont été utilisés, d'abord par les Japonais, puis par les gouvernements autoritaires successifs afin d'asseoir leur pouvoir, puis dans le second cas, de permettre un développement économique difficile mais "miraculeux" car très rapide. Enfin, comme dans le cas chinois, il est aujourd'hui considéré par certains comme faisant partie intégrante de l'identité coréenne et se présente alors comme un bon moyen de lutter contre une occidentalisation excessive de la société, ce qui leur ferait perdre leur identité propre. Mais tout ceci n'a pas empêché une évolution évidente de la tradition confucéenne en Corée.

86 CHENG Anne, "Le mythe d'une Chine confucianisée", in Le Monde du 07/11/2000

L'évolution des rapports interpersonnels au sein de la société coréenne est un cas particulier dont l'évolution est un miroir de l'évolution de la tradition confucéenne en Corée. PAK Pyòng-yòn s'interroge, comme la plupart des chercheurs traitant ce sujet, sur ce que ces disparités entre ville et campagne ainsi qu'entre générations peuvent bien signifier. Doit-on y voir une déconfucianisation progressive de la Corée ou bien un « processus d'adaptation progressive du confucianisme à l'évolution sociale, à travers de nouveaux moyens d'expression »87 ? Nous ne pouvons répondre à cette question ici, cependant, dans la troisième partie de ce mémoire, étant donnée son importance sociale ainsi que son lien évident avec le mariage, nous allons nous intéresser à l'évolution de la cellule familiale en Corée que nous n'avons fait qu'évoquer jusqu'à présent et nous examinerons aussi la place des femmes dans la société coréenne en général et dans la famille en particulier.

87 PAK Pyòng-yòn, "Le confucianisme dans la société coréenne contemporaine", p. 5

Troisième partie :

FAMILLE ET MARIAGE EN COREE

L'étude que nous venons de faire du confucianisme a montré à quel point son influence avait été importante en Corée, il a d'ailleurs énormément contribué à donner à la société coréenne la forme qu'elle a aujourd'hui. Du fait de la grande influence du confucianisme sur la société coréenne, la cellule familiale est devenue (si elle ne l'était pas déjà) l'unité centrale de la société, de ce fait, si la famille n'est pas harmonieuse, la société ne peut pas l'être. On peut donc dire qu'étudier un rite de passage intimement lié à la famille comme le mariage est une bonne approche de la société coréenne dans son ensemble.

Nous pouvons noter en outre que la famille n'est pas une notion aussi simple et univoque que l'on pourrait le penser. Certes, l'existence des groupements familiaux semble universelle quels que soient les lieux ou époques observés, mais sous des formes quasiment aussi variées et nombreuses qu'il existe de sociétés différentes. Comment cela se fait-il ? Cette diversité des formes ne peut s'expliquer que par le fait que la famille n'est pas une entité naturelle mais une construction sociale. Il semblerait en outre, comme l'entend Françoise ZONABEND, qu'elles jouent un rôle « plus ou moins fondamental dans l'organisation des lois orales ou écrites qui gouvernent, ou ont gouverné, les sociétés en question. »88 En d'autres termes, il n'y a pas de société sans famille (quelle qu'en soit la forme) mais il n'y a pas non plus de famille sans société,

88 ZONABEND Françoise, "De la famille. Regard ethnologique sur la parenté et la famille", p. 16

Dans son introduction à l'Histoire de la famille, Françoise ZONABEND explique qu'au sein de la famille, il existe de nombreuses règles qui sont intégrées très vite par ses différents membres. Les termes d'adresse et de référence constituent l'un des éléments qui permet d'asseoir ces règles. Ceux-ci permettent aussi de définir les liens de parenté, les "liens du sang". Ainsi, on peut avancer, en reprenant la citation de FOX (1967, p. 34) utilisée par Françoise ZONABEND, « qu'un parent consanguin est un individu défini comme tel dans la société envisagée et [que] les liens du "sang" au sens génétique peuvent n'entrer en rien dans la définition, bien que dans la plupart des sociétés ces deux types de liens tendent à se confondre »89. Ceci tend bien à prouver que la famille est construction sociale et est donc intéressante à d'étudier, car cela peut donner un point de vue intéressant sur la société considérée.

Lorsque les familles françaises et coréennes accueillent un enfant, elles lui donnent un patronyme, le nom de leur père ou, le cas échéant, celui du père de leur mère. Ce patronyme permet de les identifier, ils entrent alors dans un groupe d'appartenance dont ils ne sortiront jamais : leur famille. Ainsi, en plus de structurer plus ou moins la société, la famille permet à l'individu de définir son identité sociale. Nous avons déjà évoqué cette notion en ce qui concerne la Corée, mais il semblerait que ceci soit valable pour toutes les sociétés humaines. Donc, afin d'assurer la pérennité de la famille, du moins en Corée, il est essentiel d'avoir un fils car c'est par sa descendance que le patronyme continuera d'exister. De plus, c'est sur lui que reposera le culte des ancêtres à la mort de son père.

Sous la dynastie Chosòn, l'élite coréenne, influencée par le néo-confucianisme qui insistait sur l'importance de l'éducation morale et du maintien de relations interpersonnelles harmonieuses, le tout passant par l'exécutions scrupuleuse de rituels familiaux. Ainsi, leur pratique devait suivre les indications du livre des rituels de Chu Hsi le plus fidèlement possible. Jusqu'à la colonisation, on

89 Op. Cit., p. 21

comptait quatre rituels familiaux particulièrement importants en Corée. Il s'agit du rite d'accession à l'âge adulte ("kwallye"), des rites de mariage, des funérailles, et du culte des ancêtres. Mais aujourd'hui, le premier est devenu obsolète par la force des choses et les rites du mariage ont connu des modifications notables. Le néo-confucianisme a modelé la société coréenne, ce qui joue sur son importance actuelle, mais les religions chrétiennes importées par les missionnaires étrangers le considèrent aussi comme essentiel dans la création d'une nouvelle cellule familiale.

A la lumière de ces informations, on se rend mieux compte de l'importance du rituel du mariage, en effet, celui-ci est un rituel familial et individuel important, d'autant plus qu'il permet l'accession à la sexualité et surtout à la procréation qui permet, lorsque l'on a un fils, d'assurer la pérennité de la famille du père. C'est pourquoi dans un premier temps nous allons analyser la famille, la complémentarité des rôles des hommes et des femmes, ainsi que l'influence de cette différenciation des rôles sur l'éducation des enfants. En effet, de leur éducation dépend leur définition identitaire ainsi que leur approche de la société, de la famille, de l'Autre et du mariage.

Dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur l'importance sociale que revêt le mariage en tentant de définir ses fonctions, ainsi que les enjeux liés au choix du futur conjoint.

Enfin, nous nous intéresserons au mariage proprement dit ; aux rites traditionnels puis à leur forme contemporaine ainsi qu'à leur rôle.

1. La place des femmes dans la société et la famille coréenne

1.1. La famille en Corée

Comme nous l'avons vu, la famille tient une place centrale dans les sociétés confucéennes. Selon MOON Ok-pyo, l'unité familiale

confucéenne n'est pas créée lors du mariage et ne disparaît pas à la mort des époux, elle est au contraire une entité complexe qui survit aux générations qui passent. En effet, le modèle familial coréen n'est pas nucléaire mais correspond plutôt à un modèle étendu.

La société coréenne, jusqu'aux années 1960-1970 est une société agraire, plus de 70% de la population vit à la campagne. De ce fait, les familles vivent regroupées sur des zones géographiques peu étendues. Etant donné le besoin d'une main d'œuvre nombreuse, le nombre d'enfants par foyer est plutôt élevé. Il existe une grande solidarité au sein de ces familles qui représentent l'unité de production et de consommation de base. Malheureusement, on possède peu de données sur les familles pauvres. En ce qui concerne les grandes familles, on sait qu'elles vivent regroupées sur leurs propriétés où elles ont plus ou moins les pleins pouvoirs, elles réalisent des alliances entre elles, mais sur une zone géographique restreinte, certains chercheurs qualifient ces unions d'endogames. De plus, le système est soit patrilinéaire, soit matrilinéaire, en fonction de la localité (patri- ou matrilocalité) ; cependant, les enfants portent le nom de leur père. Il semblerait que ce soit un héritage du système bilinéaire datant de l'époque du royaume de Silla. Afin de maintenir leur influence sur tout leur domaine, et leurs "serfs", ces familles ont besoin d'une action de tous les membres de la famille, ceci ne change qu'avec le développement de la moralité confucéenne en tant que religion d'Etat, ainsi que du pouvoir du roi au détriment de celui de ses "seigneurs", phénomène amplifié par les révoltes militaires vers 1170 ainsi que les invasions mongoles du XIIIe siècle.

Avec le développement de la morale confucéenne, la vie familiale évolue peu a peu. Et une fois la dynastie des Yi (1392-1910) en place, le confucianisme est adopté comme religion officielle à la place du bouddhisme. Ceci permet le développement des notions de lignée (patrilignage), de patriarchie, de piété filiale, ainsi que l'essor de rituels familiaux inspirés directement du livre des rituels de Chu

Hsi. Les rituels prennent peu à peu une grande importance dans la vie familiale, ils permettent entre autres d'améliorer la cohésion familiale. L'adoption de ces normes confucéennes ne s'est pas faite sans mal, et il ne faut pas négliger le fait qu'il s'agit de normes idéales à suivre, mais que chaque famille conserve aussi, tout en préservant les apparences (néo-confucéennes), des pratiques qui lui sont propres. Notons qu'en 1419, estimant qu'il y a suffisamment de familles de l'élite dirigeante qui suivent son exemple, le roi a édicté une loi punissant de mort les "ennemis de l'Etat" qui refusaient de pratiquer le culte des ancêtres suivant les règles confucéennes.

De plus, le roi, afin de s'assurer la loyauté de ses puissants administrés, décide d'engager leurs fils dans son gouvernement central, à la capitale. Ceux-ci, venant de toutes le provinces coréennes, cherchent vraisemblablement à s'intégrer au réseau déjà existant grâce à des jeux d'alliance, ainsi, progressivement, ces familles deviennent exogames. Lorsqu'il se présente, l'individu donne son nom de famille ainsi que sa province d'origine. De nos jours, il existe encore un tabou très puissant concernant les unions ; deux personnes portant le même nom de famille et dont les familles proviennent de la même province ne peuvent pas se marier car elles ont, pense-t-on, un ancêtre commun. L'exogamie, plus ou moins issue du de l'expansion du confucianisme mais aussi (surtout ?) d'une logique d'intégration à l'élite dirigeante, est devenue une règle inviolable pour tous. Si cette règle n'est pas suivie, m'a-t-on dit, les époux sont très mal vus par le reste de la société : « ça ne se fait pas ».

A la fin de la dynastie des YI se sont succédées la colonisation japonaise, la partition du pays en deux entités qui n'ont toujours pas été réunies ainsi que la guerre de Corée. La Corée du Sud a beaucoup de difficultés à se relever de tous ces évènements, mais y parvient, dirigée d'une main de fer par des gouvernements autoritaires successifs. L'essor économique "miraculeux" du pays, permis par le développement de son industrie, a pour conséquence

une rapide urbanisation. Cet exode rural de la jeunesse provoque de profonds changements dans la structure familiale. Celui-ci signe plus ou moins la condamnation à mort de la famille étendue classique. En effet, alors que les jeunes, une fois qu'ils ont fini leurs études, partent chercher du travail en ville, leurs parents, qui ne s'habituent pas à la vie urbaine, préfèrent rester dans leur exploitation rurale. Cependant, malgré l'éloignement géographique, les liens familiaux (économiques et psychologiques) restent très forts. Dès qu'ils gagnent suffisamment leur vie, les enfants soutiennent leurs parents financièrement, et les accueillent en cas de veuvage ou s'ils sont trop âgés pour continuer à s'occuper de leurs terres. De leur côté, les parents envoient des produits du terroir à leurs enfants. Et lors des rites annuels effectués sur la tombe des ancêtres décédés depuis plus de quatre générations, tous se réunissent. Ces cultes remplissent alors une nouvelle fonction, celle d'assurer la cohésion familiale, de resserrer les liens familiaux existant entre les vivants, ainsi que de confirmer le sentiment d'appartenance à un clan familiale et donc de renforcer l'identité individuelle en fonction de cette appartenance.

Ces citadins fondent des cellules familiales conjugales (en règle générale). En effet, le manque de place, du fait de la dimension restreinte des appartements, limite le nombre d'individus pouvant vivre sous le même toit. C'est, comme nous l'avons vu, seulement lorsqu'ils ne peuvent plus vivre à la campagne, que les parents âgés viennent s'installer chez leur enfant (la plupart du temps le fils aîné). La modernisation conjuguée avec la vie urbaine, le développement de l'éducation de masse (coûteuse malgré tout) ainsi que les politiques de restriction des naissances ont eu pour conséquence une diminution significative du nombre d'enfant par foyer. CHO Yong-hee écrit, dans un article paru dans Culture coréenne, qu'ayant trois enfants, on la considère comme une mère de famille nombreuse. En effet, cela fait trente ans que le slogan « Avoir deux enfants / Mieux

s'en occuper »90 raisonne aux oreilles des Coréens. Ceci nous donne une idée du nombre d'enfant moyen par famille, celle-ci préférant toujours avoir des garçons, car ce sont eux qui permettent la préservation du patronyme et donc la pérennité de la famille.

Le clan familial (étendu dans la période préindustrielle) continue aujourd'hui de tenir une place prépondérante dans la vie des individus, faisant partie intégrante de leur identité sociale. De ce fait, les Coréen sont particulièrement attentif à leur famille ainsi qu'au prestige de leur nom. C'est ce que les sociologues nomment le familisme (ou encore égotisme social). MOON Ok-Pyo le défini dans son acceptation la plus large comme « une attitude ou un comportement qui visent à favoriser le développement et la mise en valeur du statut social, politique et économique du groupe familial. »91 Ainsi, encore aujourd'hui, les membres d'une famille prennent sur eux d'en assurer la pérennité et le prestige par leurs actions, leurs diplômes, leurs unions, etc. La loyauté au clan familiale est très grande, de ce fait, les liens familiaux sont forts, de même que la solidarité entre membres d'un même clan.

Ainsi, malgré des changements, surtout en ce qui concerne sa forme, la famille conserve son statut de cellule centrale de la société, et fait partie intégrante de l'identité sociale des Coréens. Jusqu'à présent, bien que nous ayons tenté de généraliser notre étude à toute la société coréenne, nous avons surtout parlé des hommes. En effet, en Corée, depuis la confucianisation, une répartition sexuée des rôles au sein de la famille, et de la société, s'est développée. Il semble alors important d'étudier l'éducation que reçoivent les enfants au sein de leur famille étant donné que c'est à ce moment-là que commencent à se définir les rôles respectifs des hommes et des femmes.

90 CHO Yong-hee, "Les enfants dans la famille coréenne", p. 1391 MOON Ok-Pyo, "La vie familiale en Corée, entre tradition et modernité", p. 14

1.2. Complémentarité entre homme et femme

Pour étudier les rites de mariage, il faut aussi prendre en considération la nature des rapports entre homme et femmes. Afin de développer cette observation, nous orienterons surtout notre étude sur l'évolution du statut des femmes.

Jusqu'à l'époque du royaume de Koryò, les femmes ont bien plus de droits et de pouvoir à l'extérieur de la cellule familiale qu'une fois la morale néo-confucianiste bien installée ; elle sont socialement (quasiment ?)92 à l'égal des hommes. Elles peuvent « organiser des fêtes à l'égal des hommes et jouir [d'une] liberté sans contrainte »93, sortir où et quand elles le désirent, ont des propriétés, peuvent être considérées comme chef de famille94, héritent au même titre que leurs frères de propriétés ou de biens et partagent également avec leurs frères les rituels (ils s'en chargent chacun leur tour). La pérennité d'une famille et de ses propriétés dépend indifféremment des hommes ou des femmes. On constate aussi qu'à cette époque, et jusqu'au XV-XVIe siècle, le lieu de résidence des jeunes mariés est indifféremment patri- ou matrilocal. En règle général, il est matrilocal durant les quelques années qui succèdent au mariage, et il n'est pas rare qu'un mari retourne dans la famille de sa femme pour passer les dernières années de sa vie, et même d'être enterré dans leur caveau familial. Il est intéressant de noter que les femmes de la haute société, veuves ou même divorcées, au même titre que les hommes, sont libres de se remarier. On peut donc considérer qu'avant la confucianisation de la société coréenne, les hommes et les femmes sont sur un pied d'égalité, chacun jouit d'une liberté d'action qui sera réduite par les normes confucéenne adoptées par la suite.

92 Les informations dont je dispose ne sont pas assez précises pour que je puisse affirmer qu'elles sont socialement égales aux hommes à cette époque, mais cependant, elles le laissent penser.93 MORILLOT Juliette, p. 244

94 KIM HABOUSH, dans "Confucianization of Korean Society" écrit à ce sujet : « One still finds women recorded as heads of households in the mid-fifteenth century. », p. 105

Cette liberté des femmes a progressivement décliné à partir de l'époque de Koryò, et elles se sont retrouvées confinées dans la sphère familiale et privée au cours du règne de la dynastie des Yi (en ce qui concerne les femmes de la haute société, yangban), et n'ont plus eu de place dans la sphère publique une fois la confucianisation de la (haute) société achevée, vers le XVIIe siècle. Le temps passant, elles ont vu graduellement disparaître des droits et des libertés qu'elles avaient auparavant, mais cela ne s'est pas fait sans résistance de leur part. KIM HABOUSH95 écrit que les dernières prérogatives qu'elles ont préservé sont leur droit à la propriété ainsi que leur rôle dans la vie rituelle de leur famille. Une fois ces dernières libertés perdues, elles rentrent pleinement dans le rôle que leur assigne le confucianisme et sont sous la tutelle officielle des hommes (leur père, leur mari puis leur fils aîné). Ainsi, au fur et a mesure que les normes confucéennes prennent place s'installe un rapport qui apparaît hiérarchisé mais en réalité, il est surtout complémentaire.

Afin de mieux cerner cette complémentarité des rôles des hommes et des femmes, nous allons les observer au sein de la famille, au sein du couple, car la femme, dans la société confucéenne traditionnelle se voit assigner des responsabilités et des devoirs limités à la sphère domestique alors que l'homme, le chef de famille, tient son rôle le plus important pour sa famille dans la sphère publique. Selon Mencius, cette collaboration s'avère être une nécessité voire une vertu car les efforts collectifs, la collaboration permettent le bon développement de la famille.

LEE Kwang-kyu, dans son livre Korean Family and Kinship considère que la vie d'une femme coréenne peut être divisée en trois étapes consécutives que nous allons développer ici. La première étape correspond à son statut de jeune mariée devant se faire accepter dans sa nouvelle famille, celle de son époux. La deuxième débute plus ou moins quand l'épouse a un fils, mais surtout

95 KIM HABOUSH JaHyun, "The Confucianization of Korean Society", p. 106

lorsqu'elle remplace sa belle-mère dans la gestion du foyer. La troisième commence au moment où elle devient elle-même belle mère.

La norme confucéenne traditionnelle veut qu'une fois mariée, la jeune femme parte vivre dans sa nouvelle famille, la famille de son époux. Ces premières années sont les plus difficiles pour une épouse car elle doit faire ses preuves auprès de sa nouvelle famille, se montrer digne d'en faire partie en attendant qu'elles en apportent la meilleure preuve en ayant un fils. Il s'agit d'ailleurs du premier devoir d'une femme, donner naissance à un garçon. Son statut est le plus bas au sein de la famille, elle doit utiliser un langage très honorifique lorsqu'elle s'adresse à ses beaux-parents, et honorifique lorsqu'elle parle avec ses beaux-frères et belles-sœurs qu'ils soient plus âgés ou plus jeunes qu'elle. Elle passe la plupart de son temps avec sa belle-mère qui la supervise dans les tâches ménagères et sa (ou ses) belle-sœur. Selon LEE Kwang-kyu, les rapports qu'elle entretient avec la mère de son époux sont en général particulièrement tendus. Ils sont délicats à gérer avec sa belle-sœur qui est plus ou moins un espion qui rapporte ses moindres faux pas. Par contre, ils sont relativement calmes avec son beau-frère qui peut même prendre sa défense en cas de besoin. Cependant, son principal allié dans cette nouvelle vie est son mari. Elle ne doit pas manifester d'intérêt particulier à son égard lorsqu'ils sont en public, mais quand ils sont seuls tous les deux, elle peut rechercher protection et réconfort auprès de lui. Cependant, si ses beaux-parents décident de la renvoyer dans sa famille, ce qui serait un grand déshonneur, son mari n'ira pas les contredire.

Suite à la modernisation, l'industrialisation et l'urbanisation massive du pays, les familles se sont trouvées modifiées. Les jeunes couples s'installent en ville où ils s'installent seuls, de préférence, mais continuent de maintenir des liens étroits avec la famille du mari, dont ils s'occupent du mieux possible, et qu'ils prennent en charge pour leurs vieux jours. Mais il est commun pour une jeune

mariée de tenter d'éviter le plus longtemps possible la cohabitation avec sa belle-famille car une forte pression repose alors sur elle. Cependant, ceci ne l'empêche pas de devoir s'occuper de sa belle-famille et d'en prendre soin autant que faire se peut.

Quelle que soit l'époque, une fois qu'une épouse met au monde un garçon, elle change de statut, elle gagne alors le respect de sa belle-famille. Il s'agit de la tâche principale d'une femme, sa plus grande responsabilité est de donner un héritier à son époux, à sa belle famille, afin de donner un avenir à la famille. Ceci lui permet aussi de renforcer l'affection que son mari lui porte, mais surtout de pleinement intégrer sa nouvelle famille car elle est la mère de l'héritier du nom. Tout ceci est bien plus important encore pour l'épouse d'un fils aîné, car c'est lui qui prendra la succession de son père dans la charge de l'autel des ancêtres.

Une fois qu'elle a mis au monde un fils, elle change de statut au sein de sa nouvelle famille, et devient maîtresse de maison à part entière. Que ce soit en zone rurale ou en zone urbaine, les rôles sont répartis de façon complémentaire entre mari et femme. Le mari est le chef de famille, il représente la famille dans la sphère publique, il travaille et gagne de quoi s'occuper de sa famille. La femme, de son côté, est la maîtresse de maison elle doit gérer tout ce qui concerne la sphère domestique, tenir la maison, gérer les finances et les réserves de nourriture (elle détient la clef de la réserve de riz), s'occuper des enfants, etc. Il faut donc rester prudent avec les apparences, les femmes ne sont pas si faibles, au contraire, elles gagnent en force à partir du moment où elles atteignent le statut de mère car elles assurent alors la sécurité émotionnelle de la famille. Ceci leur permet, lorsqu'elles ne sont pas entendues, d'avoir recours à diverses armes pour arriver à leur fin. Soit elles se positionnent en martyrs, soit elles ont recours à la froideur, au silence, aux cris, etc. ... Par conséquent, bien que l'époux ait l'autorité officielle et légale, et que l'épouse est sous sa tutelle (du moins jusqu'il y a peu),

celle-ci, ayant gagné en légitimité grâce à son statut de mère, a voix au chapitre lorsqu'il s'agit des affaires de la maison, et même le chef de famille pratique l'art du compromis et se plie à ses décisions.

Lorsque la femme devient enfin belle-mère, elle a un sentiment de réelle appartenance à la famille de son mari, et a tissé des liens très étroits avec son fils. Les familles ne sont harmonieuses qu'en apparence, en fait, elles sont le théâtre de nombreuses tensions, les plus communes étant celles qui existent entre une épouse et sa belle-mère. En effet, la mère défend le lien oedipien tissé entre son fils et elle, et qu'elle sent menacé par l'arrivée de sa bru dans la vie de son fils, ayant peur que son affection pour elle ne diminue ; de plus, elle peut être tentée de se venger sur sa belle-fille des frustrations subies par sa propre belle-mère. De ce fait, elle peut rendre la vie de sa bru très difficile, lui faisant subir les frustrations qu'elle-même a vécu. Mais dans certains cas aussi, elle peut l'aider dans la gestion de la maison, même une fois qu'elle a cédé sa place de maîtresse de maison. Surtout, comme elle a enfin beaucoup moins de travail et beaucoup plus de temps libre, elle cherche à profiter de ses petits enfants. Ainsi, lorsqu'elle trouve que la mère se montre un peu trop dure avec ses enfants, de son côté, la grand-mère a tendance à céder à leurs caprices. De même lorsqu'un homme est grand-père il a plus de latitude pour faire des démonstrations d'affection à ses petits-enfants qu'il n'en avait pour ses enfants.

C'est une fois qu'elle a atteint ce statut de mère et surtout de grand-mère qu'une femme est enfin honorée pour les sacrifices qu'elle a faits ainsi que son dévouement pour sa famille "adoptive". Elle a gagné sa place sur l'autel des ancêtres. La dernière étape de sa vie de femme, en tant que grand-mère, est donc la plus intéressante car c'est à ce moment qu'elle a le plus de libertés mais aussi de pouvoir. Malgré cela, rappelons que traditionnellement, une femme reste toute sa vie sous tutelle masculine ; à sa naissance son père régente sa vie, ensuite son mari a l'autorité légale, et enfin, si

elle est veuve, son fils prend le relais. Aujourd'hui, la situation sur le plan légal a changé, mais il reste difficile d'être une femme seule et libre car la société ne le voit pas sous un très bon œil.

Notons tout de même que des efforts pour plus d'égalité légale ont été faits, elles ont retrouvé un droit à la propriété par exemple. Bien que la norme dictant les rôles impartis à chaque sexe soit très ancrée dans les mœurs, nombreuses sont les citadines qui travaillent, leur mari ne gagnant pas assez étant donné le coût de la vie. On constate malgré cela que nombreuses sont celles qui arrêtent de travailler non pas à la naissance de leur premier enfant comme on peut l'observer en France, mais lorsqu'elles se marient. Certaines voient même cette close écrite noir sur blanc dans leur contrat de travail, ou encore les propositions d'embauches donnent un âge limite de candidature comme nous l'explique LEE Mijeong dans son livre Women's Education Work and Marriage in Korea. Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant qu'il n'existe une réelle égalité dans les statuts sociaux des hommes et des femmes, et c'est sur le marché du travail que cette inégalité se ressent le plus.96

En ce qui concerne leur attitude face aux hommes, les femmes restent timides et humbles, quelque peu en retrait, et rougissent facilement. J'ai été quelque peu choquée de constater lors de mon séjour là-bas qu'elles ont tendance à s'effacer en présence d'un homme, ou de leur mari. Ceci m'a interloquée lorsque je suis allée boire un verre avec un couple d'amis d'une trentaine d'années qui avaient passé huit ans en France. Lorsque que nous étions tous les trois, elle n'intervenait quasiment jamais, et laissait son mari mener la discussion. Cependant, lorsqu'il s'est absenté quelques minutes, elle s'est montrée tout à fait différente, plus avenante et loquace ; d'ailleurs, son français était bien meilleur que celui de son époux mais elle se gardait bien de le montrer lorsqu'il était là. Son

96 On peut trouver un exemple illustrant cette affirmation dans l'article placé en annexe 2

changement d'attitude m'a vraiment interpellée et je le trouve tout à fait révélateur de l'influence confucéenne sur la société coréenne.

C'est dans ce contexte que sont élevés les enfants et comme nous considérons que leur éducation joue un rôle important dans la formation de leur identité, nous allons maintenant développer ce thème. D'autant plus que ceci nous permettra de mieux comprendre l'importance que jouent les parents dans le choix du futur conjoint.

1.3. Education des enfants

Au sein d'une société confucéenne, les rôles sont donc parfaitement répartis entre les sexes, sachant qu'un des éléments de la hiérarchisation de la société, en dehors de l'âge et le genre. La différence des rôles qui incombent respectivement aux hommes et aux femmes leur est enseignée dès leur plus jeune âge au sein de leur famille où ils reçoivent une éducation différenciée. S'agissant d'une société patriarcale, les femmes, comme les enfants, ont seulement un minimum de droits légaux alors que l'homme, le chef de famille a officiellement tout le pouvoir légal, que ce soit dans la vie sociale, ou au sein de sa propre famille. Notons cependant que la maîtresse de maison joue un rôle très important dans le foyer, et que son époux doit se ranger à son opinion en ce qui concerne les affaires domestiques.

Bien souvent dans une société confucéenne, on constate une préférence marquée pour les garçons. Rappelons à ce sujet que le nom est transmis par le père (patrilignage) donc avoir un garçon c'est avoir l'assurance d'avoir un héritier qui pourra prendre en charge l'autel des ancêtres à la mort de son père, s'occuper de la propriété le moment venu et assurer la pérennité de la famille. Une fille n'est pas vraiment considérée comme un membre à part entière de la famille car lorsqu'elle se mariera, elle changera de famille bien qu'elle conserve son patronyme toute sa vie. D'ailleurs, dans la société préindustrielle, si une fille meurt avant d'être mariée, elle

n'aura pas sa place sur l'autel des ancêtres. Parfois, pour pallier ce problème, on les marie après leur mort, avec un autre "esprit". Malgré cette préférence évidente pour un héritier mâle, les filles sont aimées et chéries par leur famille, surtout si elles ont un "bon caractère".

Il existe une constante humaine immuable, il naît 105 garçons pour 100 filles, or on constate qu'en Corée du Sud, la proportion de garçons par rapport aux filles est supérieure. On peut alors penser que certaines petites filles ont été victimes d'infanticide (peu après leur naissance). Avec l'apparition des échographies et de la possibilité de connaître le sexe du bébé avant la naissance, les autorités ont dû faire face à un mouvement non négligeable d'avortement lorsque le bébé était une fille. Ces faits illustrent bien la préférence qu'ont les Coréens pour les garçons, ou plutôt la nécessité qu'ils ressentent d'avoir au moins un fils97.

Dans la société confucéenne de la dynastie des Yi jusqu'aux premières années de l'industrialisation, au sein des familles aisées, les enfants sont confiés aux bons soins de leur mère et jouent ensemble jusqu'à ce qu'ils aient 7 ou 8 ans et soient séparés. Alors que les petites filles aident leur mère dans les tâches domestiques et apprennent leur futur rôle de maîtresses de maison, le père prend en charge les garçons afin de les préparer à l'examen national qui permet d'intégrer le gouvernement ou l'administration du royaume ; lorsque la dynastie des Yi a périclité, ils vont à l'école.

Durant la dynastie des Yi, les jeunes filles de bonne famille restent à l'intérieur de la maison, ne peuvent pas sortir, et apprennent à être une future bonne épouse auprès de leur mère. Elles apprennent la broderie, laver le linge, préparer les repas, s'occuper des enfants plus jeunes, etc. Les femmes ne sont autorisées à sortir de chez elle qu'après le couvre feu, pour être sûre de ne croiser aucun homme étranger à leur famille, et vêtues

97 Cf. annexe 3

d'amples vêtements qui cachent leur corps et voilées afin de masquer leur visage, juste au cas où un homme n'aurait pas respecté le couvre feu. Aujourd'hui encore, les filles aident leur mère dans la gestion du foyer et prennent soin de leurs cadets, d'autant plus si leur mère est obligée de travailler pour compléter les revenus du ménage.

A cette époque-là, on ne s'occupe pas d'éduquer les jeunes filles car on considère qu'une femme trop éduquée aura des difficultés à avoir un enfant comme l'énonce le dicton chinois rapporté par LEE Kwang-kyu : « If a woman has lots of letters in her stomach, she has no space to bear a child (N. Niida, 1966: 32) »98

Une fois l'éducation de masse mise en place, en partie par les Japonais (ce qui leur permet de tenter d'endoctriner la population), les filles sont envoyées à l'école, mais elles peuvent se voir alors confier une autre tâche. En effet, surtout si elles sont les aînées d'une nombreuse fratrie, elles arrêtent, ou leurs parents les encouragent à arrêter leurs études, afin de travailler et d'aider financièrement la famille pour que ses cadets, surtout s'il s'agit d'un frère, puisse faire des études plus longues, car s'est un moyen d'ascension sociale ; intégrer une université renommée est la voie royale car il s'y crée un réseau de connaissances dont chaque personne, par loyauté, aidera celui qui est dans le besoin. De ce fait, depuis le développement de l'éducation de masse, les parents peuvent aller jusqu'à vendre une partie de leurs terres ou leurs biens pour financer les études de leurs enfants, et surtout de leurs fils. S'ils en ont la possibilité, les parents encouragent leur fille à poursuivre leurs études car elle pourra faire un bon mariage.

Aujourd'hui, il reste des écoles, collèges, lycées et même des universités non mixtes, et quoi qu'il en soit, l'amitié entre garçon et fille (et surtout entre jeune homme et jeune fille) est suspecte d'une certaine façon. Même dans les écoles mixtes, vers 7 ans, on les encourage à se séparer dans leurs jeux, à ne pas s'asseoir côté à côté

98 LEE Kwang-kyu, Korean Family and Kinship, p. 50

sur un banc. Ils se côtoient, peuvent bien s'entendre, mais ne peuvent pas être amis proches sans qu'on ne suspecte un autre type de relation.

J'ai moi-même fait les frais de cette vision des choses lorsque j'étais en Corée. En effet, j'ai passé quelques soirées avec un jeune homme coréen qui avait passé quelques années en France. Il a fini par me proposer de me mettre en couple avec lui, ce qui était hors de question pour moi, je le considérais comme un ami, sans plus, et pensais avoir été suffisamment claire à ce sujet. Vexé par ma réponse, qu'il n'a pas vraiment comprise, il a par la suite refusé de me revoir. Je peux encore citer comme exemple le cas d'un ami français et d'une amie coréenne à Paris qui passaient beaucoup de temps ensemble et agissaient comme deux amis (j'entends par là qu'ils pouvaient n'être que tous les deux, et se faisaient la bise). Au bout d'un certain temps, le bruit s'est répandu dans la communauté coréenne qu'ils formaient un couple, ce qui a mis mon amie coréenne dans l'embarras. De ce fait, du jour au lendemain, elle est devenue froide avec lui, et a refusé de lui faire la bise afin de faire cesser cette rumeur qui n'avait pas lieu d'être. Ces deux exemples montrent bien qu'un homme et une femme ne peuvent passer du temps ensemble, seuls, sans que l'on ne les considère comme un couple. Ceci peut en partie s'expliquer par ce que nous développerons ensuite, les couples ne doivent pas être démonstratifs en société.

Pour en revenir à l'éducation des enfants dans la famille, on constate que la mère se charge de les élever, elle représente traditionnellement l'aspect "affectif" dans la relation parent/enfant et le père de son côté représente plutôt l'autorité, il est le parent "sévère". L'enfant reçoit de sa mère l'affection, bien que parfois elle doive le punir, elle tisse avec lui des liens affectifs très fort et représente la sécurité émotionnelle selon LEE Kwang-kyu. Son père représente plus l'autorité, d'ailleurs, traditionnellement, on n'attend pas de lui qu'il montre son affection de façon visible comme peut le

faire sa mère. Il est considéré comme le parent strict, sévère (omch'in). Comme nous l'avons vu, auparavant, on traitait garçon et fille de manière très différenciée une fois qu'ils avaient sept ans. De nos jours, la donne est changée, le père n'est quasiment pas présent à la maison, et la mère doit se charger de jouer en plus de son rôle affectif un rôle d'autorité. On constate que le père étant moins souvent au domicile est un peu plus affectueux, et surtout a tendance à céder aux caprices de ses enfants.

Les principes éducatifs traditionnels étaient définis et indiscutables, mais les enfants grandissent dans une société qui a été bouleversée et est très différente de la société traditionnelle. De ce fait, les mères ne souhaitent pas suivre le modèle traditionnel et suivent deux approches éducatives qui s'opposent. Dans le premier cas, elles se montrent surprotectrices, surveillent tous les faits et gestes de leur enfant, ses fréquentations, ses devoirs, l'envoient dans des écoles privées pour qu'il y prenne des cours de musique, de dessin ou de sport, mais aussi dans des écoles du soir afin de préparer l'examen final du lycée qui permet, selon le classement, d'intégrer telle ou telle université. L'enfant est alors au centre des préoccupations de sa mère, et doit tenter de répondre au mieux à ses attentes.

Dans l'autre cas, les mères font preuve d'une permissivité excessive. Selon LEE Kwang-kyu, il s'agirait surtout des mères les moins éduquées et qui doivent travailler de longues heures ce qui ne leur permet pas de disposer de temps pour s'occuper de leurs enfants. Par conséquent, ils doivent apprendre seuls et soit ils savent développer de bonnes habitudes de travail et se montrer productifs et indépendants, soit ils ont des comportements à problèmes. La deuxième option semble être la plus fréquente.

On constate que la famille qui était traditionnellement orienté vers les parents, et le passé, est aujourd'hui tournée centrée sur les enfants (leur éducation) et l'avenir de la famille, qui passe par leurs études qui sont un moyen d'ascension sociale, mais aussi leur futur

mariage. Un lien fort et indéfectible se tisse entre parents et enfants, d'autant plus que ceux-ci font de gros efforts et sacrifices pour le bien-être de leur progéniture. C'est donc logiquement que les enfants, une fois qu'ils en ont la possibilité, prennent soin de leurs parents. Nous allons maintenant nous intéresser au mariage et surtout tenter de mieux appréhender l'importance que tient le mariage dans la vie sociale d'un individu.

2. Importance sociale du mariage

2.1. Pourquoi il est important de se marier

Le mariage est une institution très importante dans la société confucéenne étant donné que de la famille dépend cette organisation, et que le mariage est le fondement de la famille. Léon VANDERMEERSCH cite le chapitre 45 (Hunyi) du Livre des rituels (Liji) : "C'est seulement si le lien conjugal est réglé dans les formes que la relation de parenté se constitue entre le père et le fils. Et ce n'est que si la relation de parenté se constitue entre le père et le fils que la relation entre prince et sujet s'établit de façon droite (puisqu'elle est à l'image de la précédente). Voilà pourquoi le rite du mariage est le fondement de tous les rites"99. Les liens de parenté à la base de la structure de la famille permettent la création des liens interpersonnels qui structurent la société. Ainsi, comme nous venons de le voir, le mariage qui est à l'origine de la famille est le fondement de l'ordre social entier. Il est donc très important pour l'individu bien sûr, pour sa propre famille, mais aussi pour la société entière.

De plus, comme l'écrit VAN GENNEP « se marier, c'est passer de la société enfantine ou adolescente à la société mûre ; d'un certain clan à un autre ; d'une famille à une autre ; souvent d'un village à un autre. »100 Donc, étant donner que se marier permet d'entrer pleinement dans la catégorie sociale des adultes, le mariage est bel

99 VANDERMEERSCH Léon, "Le mariage suivant le ritualisme confucianiste", p. 59100 VAN GENNEP Arnold, Les rites de passage, p. 176-177

et bien un rite de passage. Etre célibataire en Corée est considéré comme une étape lorsque l'on est un jeune homme ou une jeune femme, mais, passé un certain âge (d'après ce que l'on m'a dit 28/30 ans pour les femmes et 30/35 ans pour les hommes), devient une situation quelque peu suspecte et anormal, de plus, il provoque souvent un regard de commisération de la part des autres personnes. Lors de mon terrain que malgré mon jeune âge (21 ans), on m'interrogeait systématiquement sur mon statut légal et mes projets. Lorsque je rencontrais une nouvelle personne, les premières questions qu'elle me posait portaient d'abord sur mon âge, puis venait l'inévitable "Et, tu es mariée ?" ou encore "As-tu un fiancé?". J'ai constaté que le mariage était un sujet de discussion souvent abordé, on peut d'ailleurs citer à ce sujet une phrase qu'a écrite Laurel KENDALL « Marriage seemed to be on everyone's mind. »101

Pour tous, il semble très important de se marier, mais aussi d'aider les autres à se marier. J'ai passé un après-midi avec trois femmes d'une trentaine d'année, l'une mariée, les deux autres non. Ces dernières semblaient soucieuses de n'avoir toujours pas trouvé de "bon parti" et m'ont même déclaré qu'elles étaient sans doute trop âgées pour pouvoir espérer intéresser un homme susceptible de vouloir les épouser. De plus, la réussite professionnelle de ces femmes peut aussi représenter un obstacle car une femme ne "doit" pas avoir mieux réussi que son conjoint sinon celui-ci perdrait la face. De plus, leur réussite tente à prouver qu'elles n'arrêteront pas de travailler une fois mariées afin de s'occuper de gérer le foyer.

Un jour, homme d'une trentaine d'année m'a même proposé qu'une fois mes études terminées, je revienne en Corée, m'installer avec lui ce qui sous-entend mariage car le concubinage est officiellement inimaginable en Corée. En effet, le mariage permet officiellement l'accès à la sexualité et la cohabitation d'un homme et d'une femme. C'est l'étape obligatoire avant de pouvoir s'installer avec la personne de sexe opposé que l'on fréquente. Cependant, dans

101 KENDALL Laurel, Getting Married in Korea, p. 4

les faits, j'ai pu constater que certains passaient outre "l'autorisation" en question et vivaient plus ou moins ensemble en prenant cependant garde que leurs parents respectifs n'en sachent rien. En effet, ayant intégré des universités prestigieuses de la capitale, ils étaient partis de chez leurs parents, et vivaient officiellement avec un frère ou une sœur qui faisait semblant de ne rien voir dans le cas de la jeune femme, et seul dans le cas du jeune homme.

Se marier change non seulement le regard que la société porte sur l'individu, mais, selon les dire, changerait aussi le caractère de l'individu. En effet, un homme marié devient chef de famille et de ce fait devient responsable du bien être de son épouse, mais aussi par la suite, de ses enfants. Il doit non seulement apporter l'argent qui permet à sa famille de se nourrir et de se vêtir, mais il joue aussi un rôle de "représentation", de son attitude, son travail, dépend l'image de sa famille. Il doit se montrer digne du nom qu'il porte et faire honneur à sa famille. Citons une fois encore KENDALL « In one such conversation, perhaps in response to a flicker of skepticism on my face, the shaman Yongsu's Mother pointed out to me that another neighbor's son, married three months previously, had been transformed from a reckless youth into a responsible husband. »102

Ainsi, une fois le mariage passé, un garçon devient un adulte aux yeux de la société, et agit comme tel car de son attitude et de ses actions dépend l'honneur de sa famille. Les rites du mariage institutionnalisent donc, comme dirait BOURDIEU, le nouveau statut des mariés, qui se voient assigner une fois l'union célébrée, leurs nouveaux rôles au sein de la famille mais aussi de la société.

En outre, un mariage ne concerne pas seulement deux individus, mais deux familles qui sont mises en relation, s'unissent. L'honneur de la famille de l'épouse dépend de son attitude avec sa belle-famille, et surtout avec ses beaux-parents mais aussi de la naissance d'un fils. Et de l'union dépend le prestige et la pérennité

102 KENDALL Laurel, Getting Married in Korea, p. 8

de la famille du marié, car on en attend la naissance d'au moins un fils qui représente l'avenir de la famille. Il devra ensuite être éduqué de façon a faire honneur à la famille, voire à permettre une ascension sociale par sa réussite scolaire et professionnelle. Ainsi, un soin tout particulier doit être accordé au choix du conjoint. Comment se fait ce choix ? Où et comment se rencontrent les futurs époux ? C'est ce que nous allons étudier dans la partie suivante.

2.2. Le choix du conjoint

Le choix du conjoint est très important car de lui dépend l'avenir de la famille. Les critères de choix ont évolué, changé de niveau d'importance, c'est ce que nous allons tâcher de définir.

Traditionnellement le futur conjoint est choisi exclusivement par les parents et les grands-parents qui prennent alors en compte la situation sociale et économique de l'autre famille. Chacune se fait rapporter ces informations par des tiers ou simplement l'entremetteuse, ainsi que la réputation du jeune homme ou si la future épouse est gracieuse et a un bon tempérament. L'exogamie étant la règle dans une société confucéenne, les familles ne se connaissent en général pas, ce qui fait qu'elles ont recours à une tierce personne, une entremetteuse103. La famille du jeune homme considère la future mariée comme une source de force de travail et d'héritier(s), mais aussi d'alliance matrimoniale prestigieuse dans le cas des bonnes familles. Les sentiments des futurs époux ne sont absolument pas pris en compte, ils n'ont d'ailleurs pas leur mot à dire. Ils se découvrent le jour du mariage, et apprennent à s'apprécier avec le temps ; si chacun rempli bien son rôle, il ne devrait pas y avoir de problème.

Grâce à la lutte d'une jeune élite nationaliste et progressiste au début du XXe siècle qui promeuvent l'idée selon laquelle le mariage

103 Nous traduisons le terme "matchmaker" par entremetteuse car il s'agit presque exclusivement de femmes.

est une affaire personnelle, les jeunes hommes ont pu obtenir le droit de voir leur future épouse, même peu de temps, avant le mariage. Cette même élite défend l'accès à l'éducation pour les femmes comme un moyen de servir la nation. En effet, des mères éduquées peuvent favoriser l'éducation de têtes pensantes, et sont donc des partis bien plus intéressants pour eux-mêmes. Ces partisans du mariage libre se voient opposer une résistance farouche de la part de leurs familles qui obtiennent un compromis. Dans les années 1940 à Séoul, le mariage arrangé reste d'actualité mais, dans certaines familles, les futurs époux peuvent se rencontrer avant la célébration du mariage lors d'un rendez-vous arrangé par les familles, ce qui permet au jeune homme de jauger sa promise. En général, les parents organisent ensemble une entrevue, dont l'objectif principal est "dissimulé" à la promise et qui se déroule au domicile de la jeune femme à qui on demande d'effectuer certaines tâches, afin de pouvoir juger de sa capacité à recevoir des hôtes, de son attitude et sa façon de parler. Lorsque celles-ci sont au courant de la supercherie et n'ont pas envie d'épouser l'homme qu'elles savent être en train de les juger, elles s'arrangent pour être refusées par leur éventuel futur mari en apparaissant disgracieuses et gauches. Dans les années 1950, les rendez-vous arrangés sont monnaie commune à Séoul, et dans les années 1970 cette pratique est répandue dans tout le pays, elle avait l'avantage de donner un droit de veto aux jeunes gens, mais présentait l'inconvénient de les mettre particulièrement mal à l'aise ce qui pouvait fausser leur jugement, d'autant plus qu'il doit se forger sur une entrevue relativement brève. Une fois la pratique répandue dans tout le pays, il est devenu assez courant de les laisser seuls afin qu'ils puissent parler, faire un peu plus ample connaissance, mais ils sont en général assez gênés par la situation, ce qui rend ces entretiens relativement silencieux. De ce fait, chacun éprouve beaucoup de difficultés à se faire une opinion sur l'autre, ce qui leur met une grosse pression sur les

épaules étant donné que de leur choix dépend l'honneur de leurs familles respectives.

De nos jours, les mariages arrangés par les parents sont devenus rares et sont limités aux familles les plus riches du pays. Cependant, lorsque les parents estiment que leur enfant commence à être trop âgé pour rester célibataire, ils se chargent d'organiser des "rendez-vous aveugles" entre leur enfant et une personne qu'ils estiment digne de leur famille. Ces rendez-vous ont lieu dans des cafés, et sont facilement repérables de l'extérieur car en général, on sent que les deux personnes sont tendues. Ce type de rendez-vous peut aussi découler d'une démarche faite par les principaux intéressés eux-mêmes ayant fait appel à une agence matrimoniale ou à une entremetteuse (professionnelle ou non). Cependant, chacun dispose d'un réel droit de dire "non, cette personne ne m'intéresse pas, je ne souhaite pas l'épouser".

Comme nous l'avons évoqué dans la partie précédente, le mariage est au cœur des préoccupations de chacun, et il est très courant que des amis jouent les entremetteurs eux aussi, afin de venir en aide à leur ami(e) qu'ils considèrent en détresse. Personnellement, je soupçonne une amie trentenaire d'avoir agit de la sorte avec moi. Elle voulait absolument que je rencontre un ami à elle, "très gentil, tu verras. Il a à peu près ton âge, et est très intéressant". Elle m'en avait dressé un portrait flatteur, et sur une excuse plus ou moins valable, nous a laissé seuls tous les deux, une fois qu'elle avait constaté que nous communiquions aisément. Nombreuses sont mes relations coréennes qui m'ont affirmé que ce genre de pratique est très courant. L'avantage de ce cas de figure c'est que les tierces personnes peuvent contribuer à mettre à l'aise, et si les principaux intéressés, mis en relation, s'entendent bien, libre à eux par la suite de se revoir, seuls, et de se faire une opinion. Ceci permet donc le développement de ce que les Coréen nomment le "mariage d'amour". Celui-ci est encore plus flagrant lorsque que les protagonistes se rencontrent seuls, au lycée, à l'université, ou encore

sur leur lieu de travail. Notons d'ailleurs qu'une femme ayant fait de longues études trouvera en règle générale un bon parti, et fera un bon voire un très bon mariage.

Ainsi coexistent aujourd'hui trois types de mariages : les mariages arrangés, les mariages d'amour, et les mariages "moitié-moitié" (banban en coréen). Cependant, quel que soit le type du mariage qui s'organise, les individus ne choisissent pas vraiment seuls leur futur conjoint. En effet, malgré tout, un mariage met toujours en jeu les familles des individus ce qui fait que l'opinion des parents reste très importante. Pour pouvoir épouser une personne, il faut avoir l'accord de ses parents (seuls quelques rares exceptions vont à l'encontre de l'opinion parentale). Comme l'écrit CHO Young-hee dans son article, « pour ces enfants, qui ont été l'objet de tant de soins, le lien qui les unit à leurs parents est littéralement indéfectible. Ainsi, dans notre mentalité coréenne, un enfant est toujours un enfant, eût-il soixante ans bien sonnés, et se laissera toujours respectueusement gronder par ses parents. »104 Ainsi, si les parents s'opposent à l'union, leur enfant y renoncera, même si c'est à contrecœur. Une Américaine enseignant l'anglais à l'université féminine Ehwa m'a raconté qu'un jour elle a vu dans son bureau l'une de ses élèves complètement désespérée car elle avait dû rompre avec son petit ami, qu'elle fréquentait depuis plus d'un an et demi. Ses parents lui avaient dit qu'il était hors de question qu'elle l'épouse. Sa famille avait une situation économique plus basse que la leur, et il ne fréquentait pas une université aussi prestigieuse qu'elle, par conséquent il n'était pas assez bien pour elle ni pour leur famille. De ce fait, bien qu'éperdument amoureuse de lui, elle avait rompu ce jour-là. Cet exemple montre bien qu'un mariage ne concerne pas seulement deux individus mais leurs deux familles, ce qui explique que l'opinion parentale continue de jouer un rôle prépondérant dans le choix du conjoint (d'une certaine façon, les parents ont le dernier mot).

104 CHO Young-hee, "Les enfants dans la famille coréenne", p. 16

Intéressons nous enfin aux deux formes principales que prend le mariage en Corée.

3. Les rites du mariage

3.1. Le mariage traditionnel

Le rite du mariage est l'un des plus importants rites familiaux dans la société confucéenne car il marque la création d'une nouvelle cellule familiale tout en permettant la pérennité du patronyme du mari. Ces nombreux rites qui constituent le mariage sont décrit dans le livre des rituels et sont suivis par les familles (aisées ou très aisées) de la dynastie Chosòn sous réserve de quelques adaptations coréennes. Comme nous venons de le voir, le mariage est organisé par les parents et grands-parents et représente une grande fête pour les deux familles ainsi mises en relation.

Lors de la première étape (uihon), qui pourrait correspondre à nos fiançailles, une fois l'accord de principe concernant l'union des deux familles, entre les chefs de familles, la décision est confirmée par un échange de lettres. La famille du marié envoie une lettre de demande en mariage et un papier sur lequel sont inscrits les "quatre piliers" (saju) du fiancé, c'est-à-dire ses année/mois/jour/heure de naissance. En retour, la famille de la fiancée envoie une lettre disant que la demande en mariage est acceptée, ainsi que son saju. Une fois cet échange épistolaire effectué, et la compatibilité des futurs époux vérifiée grâce aux saju (en général par un "astrologue"), la meilleure date possible pour la cérémonie peut être fixée par le devin auquel la famille de la mariée a fait appel. Une fois la date arrêtée, elle peut en informer l'autre parti. Quelques jours avant la cérémonie, la famille du marié fait parvenir un coffre contenant un certain nombre de présents rituels (des étoffes pour les vêtements de la mariée, des pièces de tissu pour faire une couverture, des bijoux, etc.) à l'autre parti, ce qui marque la fin de uihon.

La cérémonie, contrairement à ce qui est prescrit par le livre des rituels a lieu au domicile de la mariée, ce qui oblige la famille du marié à prendre la route tôt le matin du mariage. Avant de se rendre sur le lieu de la cérémonie, ils s'arrêtent chez des voisins pour permettre au marié de vêtir la tenue adéquate. Une fois sur les lieux, le fiancé pose l'oie (ou le canard) de bois qu'il a amenée avec lui sur le sol, une aide la prend et la place sur la table dressée entre la porte principale et l'espace où aura lieu la cérémonie puis il s'incline deux fois, et tourné vers l'oie, il jure fidélité au ciel. Pendant ce temps-là, la mère de la fiancée lance l'oie de bois qu'elle a achetée dans la salle où se trouve la jeune fille. Si l'oie atterrit à l'endroit, alors sa fille enfantera un fils, sinon, ce sera une fille. Ces deux oies sont symbole de fidélité et de loyauté car ces oiseaux sauvages s'accouplent toujours avec le même individu, et à la mort de l'un d'eux, l'autre reste seul.

Une table de cérémonie est dressée, couverte d'objets symboliques : du riz symbole de richesse, des jujubes pour une longue vie, des châtaignes et un poulet emballée dans de la soie pour la fertilité, des branches de bambou et de pin pour une inébranlable fidélité et des fils bleus et rouges pour le bonheur marital. C'est autour de cette table que se déroule le rite principal. Le maître de cérémonie placé derrière la table, énonce à haute voix les instructions à suivre. Il a été choisi car il a eu une descendance nombreuse, vit heureux et n'est pas en période de deuil. Le jeune homme attend la jeune femme en se tenant debout à l'est, celle-ci arrive et va se placer à l'ouest. Elle porte un hanbok (robe traditionnelle coréenne) ressemblant au hanbok que porte les reines au moment de leur mariage (une jupe rouge, une veste verte aux manches couleur arc en ciel), se tient les mains jointes sous une pièce de tissus et relevées afin de masquer son visage (pour marquer son respect à l'égard de son futur époux), est fardée de blanc et a un rond rouge peint sur chaque joue ainsi que sur son front, et ses cheveux sont relevés en chignon couronnée d'une sorte de diadème

(jokduri). Elle doit garder les mains devant son visage pendant un certain temps, conserver les yeux clos ou du moins baissés, et ne pas sourire durant la cérémonie, sinon elle risque d'avoir une fille comme premier enfant. Elle est accompagnée de deux femmes qui la guident jusqu'à la table de cérémonie, et l'aide dans les prosternations qu'elle doit effectuer. Elle commence, en fait deux, en retour, son futur époux en fait une, ils répètent tous deux la séquence puis s'asseyent pour boire chacun leur tour deux fois dans leur propre coupe de l'alcool de riz, avant de remplir une troisième fois leur coupe, de l'entourer de fil rouge pour elle et de bleu pour lui, et de la tendre à l'autre (elle boit d'abord, puis c'est son tour à lui). Ce geste d'échange symbolise leur union, ils ne font alors plus qu'un et sont officiellement mariés et elle peut enfin baisser son "voile". Ceci met fin à la cérémonie. On remet au mari un coffret contenant leurs saju respectifs, symbole de leur union, qu'ils conserveront chez eux, ainsi que le couple de canard de bois qui est en général placé dans le salon.

Ensuite, ils rejoignent leur chambre, on leur amène une table avec de la nourriture réputée énergisante pour le mari, ainsi que de l'alcool de riz. Son épouse lui en sert une coupe. Une fois qu'il a mangé et bu, il enlève les vêtements de son épouse. D'abord le jokduri, puis les épingles du chignon en commençant par celles qui sont à l'extérieur, la veste, la jupe extérieure et un de ses deux bas. Ensuite, il éteint les bougies, en prenant garde de ne pas les souffler car on prétend qu'ils perdraient chance, puis la rejoint au lit. Des membres de la famille de la mariée (sœurs aînées, frères aînés et cadets) percent des trous dans le papier des panneaux, observent et font des remarques plus ou moins désobligeantes aux jeunes mariés jusqu'à ce que leur mère les envoie se coucher.

Ils passent trois nuits dans la maison de la famille de la mariée, cette période sert de transition, puis partent pour la demeure de la famille du marié. Cette séparation de sa famille, qu'elle ne reverra qu'en de rares occasions, car elle aura beaucoup à faire dans sa

nouvelle demeure, cause beaucoup de pleurs. Auparavant, la période de transition était bien plus longue. La mariée restait encore un an dans sa famille, et recevait des visites de son époux. Il existait encore une autre variante de cette période de transition. Après la cérémonie et la nuit de noces, il retournait seul chez ses parents, et ne revenait qu'au nouvel an auprès de son épouse. Il ne pouvait l'emmener avec lui qu'à sa troisième visite. Quelle qu'en soit la forme, cette période de transition permet d'adoucir le départ plus ou moins définitif que doit faire la mariée, et démontre la courtoisie dont le mari fait preuve envers sa femme. L'arrivée du couple dans leur demeure correspond, après une autre période de transition de trois jours, à l'étape d'agrégation des rites de mariage. Ceux-ci ont leur nouveau statut, et entament chacun leur nouveau rôle d'époux et d'épouse (adultes).

Une fois arrivée chez ses beaux-parents, la mariée vérifie son maquillage et va les saluer. Ensuite, on déballe les plats qu'elle a amenés avec elle pour la cérémonie de Pyebaek. La jeune épouse s'incline devant ses beaux-parents et leur sert une coupe d'alcool. Ensuite, la belle-mère envoie des châtaignes sur la jupe de sa bru en faisant le vœu que celle-ci donne naissance à de nombreux petits-fils. Elle donne ensuite des caramels à ceux de sa famille qui pourront être en position de gronder sa bru plus tard, et en mange un elle-même car comme ils collent, ils ferment symboliquement la bouche de ceux qui en mangent, ce qui les empêche de râler. A partir du lendemain, tous les jours, la bru devra saluer ses beaux-parents matin et soir et leur souhaiter une bonne santé. Et trois jours après son arrivée, elle entre pour la première fois dans la cuisine et prépare le petit déjeuner. C'est donc au troisième jour que commence sa nouvelle vie en tant qu'épouse.

3.2. Le mariage à la fin du XXe siècle

Le développement des religions occidentales ainsi que l'ouverture sur ce monde qui représente le modèle à copier, la modernité, inspire les jeunes générations des années 1960-1970 qui adoptent un "nouveau mariage", moins contraignant, plus simple, plus court, symbole de romance et de grand amour, mais surtout, comme son nom l'indique : nouveau, moderne par contraste avec le mariage traditionnel qui est alors considéré comme vieillot, obsolète. Du fait de l'urbanisation massive, les Coréens vivent désormais dans des appartements pour la plupart, et ne disposent donc pas d'une grande demeure avec une cour intérieure pouvant accueillir une cérémonie de mariage. On se marie désormais dans des églises, des temples protestants ou des salles de mariages que l'on peut louer dans des wedding halls aménagés, disposant de tout ce qui est nécessaire à la cérémonie (des salles où célébrer la cérémonie elle-même, des salles de restaurant, des salons de beauté, et même parfois un magasin où louer ses tenues de mariage).

Comme nous le disions, dans les années 1960-1970, le "nouveau mariage" est vu comme un progrès, les Coréens sont heureux de pouvoir se marier selon l'image d'Epinal qu'ils considèrent comme le mariage occidental type : Robe blanche, descente de l'allée au bras de son père et sur fond de "Marche nuptiale", photos souvenir, etc. De plus, Laurel KENDALL a rassemblé des témoignages de Coréens qui expliquent le changement de cérémonie par des préoccupations pratiques et économiques (moins cher, plus rapide, plus adapté à la société). En fait, il est vu comme un changement positif, un rite moderne qu'il faut pratiquer pour favoriser le développement du pays. En fait, il est lié à un sentiment de fierté nationale, suivre ce rite est une preuve de progrès pour les autres (nations, ils affichent leur modernité par la pratique de cette forme de rite du mariage préférée à l'ancienne), et un moyen de développement et de changement pour eux. Les autorités coréennes elles-mêmes utilisent le nouveau pays "nouveau mariage" et le

promeuvent dans des ouvrages officiels pour lutter contre le gâchis économique et la perte de temps que représentent les rites familiaux anciens comme le mariage. Dans le village folklorique (créé au milieu des années 1970) on fait des représentation de cérémonies anciennes de rituels comme le mariage pour les touristes, coréens et étrangers, comme s'ils s'agissait de pièces de musée, une part d'histoire à conserver mais pas à utiliser dans la vie courante. Pour preuve, Laurel KENDALL cite un commentaire écrit dans un livre officiel à propos du Code des rituels familiaux : « The beliefs and practices, the ceremonies and superstitions described in this book are derived from ancient traditions. Literal belief in "folk wisdom" and the lavish adherence to elaborate and wasteful customs began to disappear rapidly with the development of modern social institutions in the second half of this century. In particular, birthdays, weddings, memorial services and funerals have become more economical, frugal, and simple.

Customs and Traditions. Korea Background series, vol. 10. Seoul: Korean Overseas Information Service, 1982 »105

Cependant, comme nous l'avons sous-entendu un peu auparavant, un revirement s'observe dans la mentalité coréenne et son approche de la tradition dans les années 1980, alors que la Corée se porte bien sur le plan économique, et peut se revendiquer d'être un pays moderne. Quelque part, la population commence à avoir le sentiment que dans ce changement rapide de situation, elle a perdu quelque chose de son identité. La nostalgie de la tradition qui fait partie de l'identité coréenne commence à se développer, la vision que les Coréens ont des wedding halls commence à se modifier. Des amis avec lesquels j'en ai parlé, durant mon séjour en Corée, me les ont décrits comme des "usines à mariage" bruyantes, sans âme, où des mariages trop courts se suivent à la chaîne. Pour illustrer ceci, reprenons une citation utilisée par Laurel KENDALL, « Compared with

105 KENDALL Laurel, Getting Married in Korea, p. 68

the present day "new style" ceremonies cranked out routinely and with great clamor in the wedding hall, how much better is the flavor [of the old ceremony], thick with ancient traditions and far more intimate. (KIM 1983: 55) »106 Certes la norme est le mariage occidental, mais certains choisissent de se marier de façon traditionnelle (bien que les rites aient été simplifiés, et que la cérémonie est moins longue aujourd'hui) pour retrouver une part de leur identité, un peu d'authenticité. Notons qu'à partir de ce changement de point de vue, les dénominations des mariages ont changé. On ne dit plus "ancien mariage" mais "mariage traditionnel", ce qui est moins péjoratif et dénote de la nostalgie évoquée mêlée de conscience identitaire et conscience du fait que ce changement était inévitable car lié aux brusques changements qui ont marqué la société coréenne. De même, le "nouveau mariage" est devenu le "mariage occidental", c'est-à-dire étranger, importé, ce qui lui donne un sens péjoratif complètement à l'opposé de celui qu'il avait auparavant.

Personnellement, il y a peu, j'ai parlé avec des amies coréennes du mariage traditionnel et elles m'ont dit qu'on en célébrait un peu plus, mais la proportion reste faible par rapport au mariage occidental. Elles-mêmes sont assez séduites par l'idée de se marier en hanbok, dans un cadre reproduisant une ancienne propriété, mais elles sont particulièrement dérangées par le fait de devoir conserver les yeux baissés en signe d'humilité et de devoir s'incliner deux fois plus que leur (éventuel) futur époux. Elles aspirent à l'égalité des sexes mais les rites traditionnels confirmaient la complémentarité inégale des hommes et des femmes définie par le confucianisme. Ceci n'est pas du tout en accord avec leur vision des choses, ni avec celle qui est véhiculée dans l'enseignement ou dans les media.

Quelle que soit le type de cérémonie choisie, certaines données ont été modifiées. Traditionnellement, les rites de mariage

106 KENDALL Laurel, op. cit., p. 73

s'étendent sur plusieurs moi, afin de bien signifier le passage au nouveau statut social à tous mais est d'une certaine façon éphémère. Dans le monde moderne, ils ne dépassent pas le cadre d'une après-midi et d'une soirée, cependant il en reste des traces une fois fini, d'abord grâces aux photos pour lesquelles les couples peuvent dépenser des fortunes, mais aussi depuis ces dernières années la vidéo. On peut se replonger dans se moment "privilégié" et unique à volonté, et même en faire profiter des personnes qui n'ont pu y assister. Ces moyens permettent de s'assurer une reconnaissance sociale sans faille de l'amour qui unit les époux tel qu'il est mis en scènes sur les photos prises par un professionnel, posées en général durant de longues minutes, suivant une mise en scène très "cliché romantique occidental". Lorsque je suis allée en Corée avec mes parents en octobre 1996, nous avons vu les jardins du palais kyongbok, des dizaines et des dizaines de couples se faisaient prendre en photo pour leur album de mariage, la plupart des jeunes gens portant la tenue occidentale (robe blanche et smoking). La jeune femme coréenne qui nous accompagnait nous a expliqué que tous faisaient ces albums, que c'était une étape plus ou moins obligée. Ainsi, comme le souligne Béatrice DAVID dans son article sur les cérémonies du mariage dans la société urbaine de Hong Kong107, l'utilisation de la photographie se transforme en expression rituelle du lien conjugal qui était négligé dans la société traditionnelle étant donné qu'une femme était avant tout bru et mère. Ainsi, l'amour conjugal est mis en scène et enfin représenté dans la sphère publique et gagne une reconnaissance sociale qu'il n'avait pas auparavant.

107 DAVID Béatrice, "L'expression rituelle du statut de la femme dans les cérémonies du mariage d'une société urbaine chinoise (Hong Kong) : les changements dans la continuité", p. 115-117

ConclusionNous avons constaté que la société coréenne a subi de grands

changements qui ont eu des répercussions sur la cellule familiale, celle-ci étant au centre d'une société confucéenne. L'urbanisation de masse a provoqué un changement important dans la forme de la famille, a réduit le nombre de ses membres, mais n'a cependant pas réduit l'importance de la place qu'elle tient dans la définition identitaire des individus. Au sein de la société, mais surtout de la famille, on constate que les rôles des hommes et des femmes diffèrent et sont complémentaires. L'homme représente l'autorité officielle et légale, sur lui repose l'image et l'honneur de la famille dans la sphère publique, et il doit assurer le confort matériel de son foyer (nourriture, vêtements, etc.), en d'autres termes, il est le chef de famille. La femme quant a elle, est la maîtresse de maison qu'elle doit gérer, et a défaut de pouvoir légal assure la sécurité émotionnelle de sa famille. Cependant, elle a vu son rôle évoluer avec l'histoire de la Corée, et est aujourd'hui en pleine phase de redéfinition. En effet, le siècle dernier a précipité une mise en équilibre progressive des rôles respectifs des hommes et des femmes, surtout sur un plan légal, elles ne sont plus sous tutelle masculine. Malgré cela, on observe un certain déséquilibre entre leur statut légal, et leur statut social ; mais l'écart tend à se réduire avec le temps. Au sein de la famille, elles sont plus proches de leurs enfants que leur mari, ce qui nous permet de dire qu'elles exercent une plus grande influence sur leurs enfants, d'autant plus que leur relations sont plus basées sur les sentiments et les émotions que l'autorité. De ce fait, elles jouent un rôle primordial dans l'éducation, la socialisation et le développement de leurs enfants, et par conséquent sur le choix de leur futur conjoint.

La famille étant au cœur de la société, et le mariage représentant l'avenir de la famille, le choix du meilleur parti s'avère important et épineux. D'autant plus que se marier est une étape important dans l'évolution sociale des individus. La fonction

principale du mariage est de permettre l'accès à la reconnaissance sociale de son statut d'adulte, mais aussi l'accès à la cohabitation et la sexualité. De ce fait, à partir d'un certain âge, il se retrouve au cœur des préoccupations de tout un chacun.

Nous avons développé le détail des rites du mariage traditionnel et constaté qu'il était très long, coûteux et vers la moitié du XXe siècle, il a été considéré comme un frein, parmi d'autres, au développement et à la modernisation du pays. Une nouvelle forme de rituel a été adoptée, pas forcément moins coûteuse étant donné les échanges de biens et les frais mis en jeux, mais ce nouveau mariage, le mariage occidental, a malgré cela été d'abord considéré comme un moyen d'avancer et de soutenir la modernisation du pays, puis, au début des années 1980, comme une forme étrangère, importée artificiellement, et qui a eu pour conséquence un sentiment de perte d'identité nationale et d'authenticité. Une certaine nostalgie face à la tradition s'installe, mais en même temps, les Coréens sont lucides sur le fait que les changements majeurs qui ont eu lieu au sein de la société coréenne rendent incompatibles certains aspects de la tradition. Leur identité s'ancre dans la tradition, mais ils doivent trouver un équilibre entre les adoptions extérieures et la tradition, adapter les premières à la seconde.

CONCLUSION

Par ce mémoire, nous avons cherché à aborder l'étude d'une société, la Corée, sous un angle original, celui de l'analyse des rites du mariage, rite de passage mettant en jeu non seulement deux individus mais aussi deux famille. Comme nous l'avons écrit dans l'introduction, c'est le travail de Turner en particulier qui a confirmé la validité d'une telle approche. En effet, une étude uniquement factuelle d'une société ne relève pas tant de l'anthropologie que de la géographie ou de la démographie alors qu'en s'intéressant à des rites, on touche à l'identité sociale des individus ce qui engage à observer le contexte avec plus d'attention. Ainsi, pour étudier les rites du mariage, ou plus exactement leur rôle, il a semblé nécessaire d'examiner le contexte de la socialisation des individus, et donc leurs familles, et de façon plus globale l'influence du confucianisme qui a modelé la société coréenne.

Nous avons alors débuté notre étude par une analyse théorique des rites de passage ce qui a permis d'établir le fait qu'ils tiennent une place importante dans les sociétés et la vie des individus en permettant notamment de préserver la cohésion sociale en assurant une évolution de l'identité (sociale) de chacun. C'est ce qu'affirment de nombreux chercheur tels VAN GENNEP, TURNER, SEGALEN ou encore BOURDIEU dans leurs travaux. Bien que ce dernier ait pris soin de les désacraliser et le renommer rite d'institution, il confirme leur importance pour les individus qui voient leur changement statut social institutionnalisé et reconnu par tous.

Ensuite, sachant que la société coréenne est une société sinisée, confucianisée, il a paru nécessaire d'analyser comment s'est déroulée l'adoption de la pensée confucéenne, ainsi que les

conséquences qui en ont découlé. Malgré sa relative superficialité, cette analyse nous a permis de réaliser qu'il a profondément marqué la morale confucéenne, ainsi que bon nombre de ses institutions sociales ou politiques. Cependant, il ne faut pas considérer la Corée comme une "petite Chine", car l'adoption de la pensée confucéenne s'est faite sur un long laps de temps et de façon sélective, les Coréens ayant conservé certains traits qui leur étaient propres.

Comme dans toute société confucéenne, la famille est présentée comme la cellule de base de la société, sa pierre angulaire. De plus, le mariage est l'un des rites familiaux les plus importants ce qui fait que nous avons logiquement orienté nos observations sur la famille au sein de laquelle se forme la personnalité de chacun. Et l'on constate que la première valeur qui est inculquée aux enfants est la piété filiale, valeur cardinale du confucianisme sur laquelle se basent tous les rapports interpersonnels. Malgré les critiques attaquant la morale confucéenne durant le XXe siècle et un affaiblissement sensible de son influence, la piété filiale reste une vertu particulièrement importante pour les Coréens, ce qui n'est pas sans conséquence pour le choix de son futur conjoint ; il semble presque impensable de ne pas tenir compte de l'opinion des parents quant à ce choix qui est bien plus libre aujourd'hui qu'il y a même quarante ans.

Les rites du mariage en Corée, bien que leur forme ainsi que certaines de leurs fonctions aient évolué, restent encore aujourd'hui très importants dans la définition de l'identité sociale individuelle. Il est important de se marier car lorsque l'on reste célibataire trop longtemps, les pressions sociale et familiale se font de plus en plus fortes et pressantes. Se marier permet de se voir reconnaître le statut d'adulte et de parent potentiel. De plus, rappelons qu'il permet la pérennité de la cellule familiale qui, comme nous l'avons vu est au cœur de l'organisation et de l'harmonie de la société coréenne. Ainsi, l'institution du mariage est-elle importante non seulement pour les individus, mais aussi pour leur famille et de ce fait pour la société

entière. Bien que nous n'ayons pas abordé ce thème, notons que ceci tend à expliquer l'inquiétude qui ressort des discours des Coréens que j'ai pu côtoyer en ce qui concerne le haut taux de divorces. J'ai d'ailleurs constaté, lors de mon terrain, qu'être divorcé ou être enfant de parents divorcé est dissimulé tant que possible car cette situation est plus ou moins vécue comme une honte.

Ainsi, l'étude d'un rite comme le mariage a entraîné une description des rites en eux-mêmes, mais pour mieux cerner et comprendre appréhender leurs fonctions, une analyse de la cellule familiale ainsi que de l'adoption du confucianisme et de ses conséquences sur l'ensemble de la société. Les rites du mariage jouent un rôle particulièrement important pour les individus, car l'identité sociale de chacun dépend de son institutionnalisation, et dont la reconnaissance sociale de leur statut, mais aussi pour leurs familles qui sont alors assurées d'avoir un avenir (par la naissance d'héritiers), et par conséquent pour la société entière car sa stabilité dépend de la "santé" des familles qui la composent.

Cette analyse des rites de mariage en Corée me pousse à m'interroger sur l'avenir des rites en général, et des rites de passage en particulier. Leur fonction est-elle encore aussi importante pour nous ? Les rites seront-ils toujours nécessaires au bon développement (social) des hommes ? L'homme étant un "animal social" pour qui la reconnaissance sociale et le regard de l'Autre sont particulièrement important, j'aurais tendance à répondre à ces deux questions par l'affirmative.

ANNEXES

Annexe 1   : Chronologie

ca 30 000-2 333 av. J.-C. période préhistorique

30 000 av. J.-C apparition de la culture paléolithique5 000 av. J.-C. apparition de la culture néolithique

ca 2 333-108 av. J.-C. Corée ancienne ou Ko Chosòn

2 333 av. J.-C. Fondation mythique de la Corée par Tangun1200 av. J.-C. début de l'âge du bronze

57 av. J.-C. époque des Trois Royaumes57 av. J.-C. fondation du royaume de Saro, futur Silla (renommé en 503)37 av. J.-C. formation du royaume de Koguryò18 av. J.-C. formation du royaume de Paekche372 adoption du bouddhisme à Koguryò527 adoption du bouddhisme à Silla644-668 invasions t'ang chinoise663 chute de Paekche devant les troupes de Silla et de la Chine668 chute de Koguryò devant les troupes de Silla et de la Chine

668-918 Silla unifié674 adoption du calendrier chinois

918-1 392 époque de Koryò993 invasions khitans1018 secondes invasions khitans1104 invasions jurchets1231 premières invasions mongoles1234 fonte de caractères mobiles d'imprimerie en métal1251 Tripitaka Koreana1259 paix avec les Mongols, début de la domination mongole1274-1281 expéditions mongoles au Japon

1392-1910 dynastie des Yi, royaume de Chosòn1394 Séoul capitale de la Corée1446 promulgation de l'alphabet coréen, le hangùl1592 première invasion japonaise, victoire de l'amiral Yi Sun-Sin1597 seconde invasion japonaiseca 1610 introduction du catholocisme1627 première invasion mandchoue1653 naufrage du Sparrow Hawk sur l'île de Quelpaert108

1785 premières persécutions contre les catholiques

108 nom donné à l'île de Cheju par les navigateurs hollandais qui ne savaient pas où ils étaient, l'île n'étant pas indiquée sur les cartes maritimes de l'époque. Ce nom signifie quelque part.

1815-1827 persécutions antichrétiennes1845-1846 arrivée de bateaux anglais, français et américains1866 nouvelles persécutions antichrétiennes1866 incident du général Sherman (bateau américain détruit)1875 débarquement de troupes japonaises à Pusan1882 traité de Chemulp'o avec les Etats-Unis1883 traités d'amitié et de commerce avec l'Angleterre et l'Allemagne1886 traité d'amitié et de commerce avec la France1894 révoltes tonghak109

1895 fin de la guerre sino-japonaise et assassinat de la reine Min par les Japonais

1896 adoption du calendrier grégorien1897 proclamation du Grand Empire de Corée, Taehan1904 début de la guerre russo-japonaise

1907 abdication de l'empereur Kojong et avènement au trône de Sunjong

1910 signature du traité d'annexion, fin de la dynastie de Yi et de l'indépendance de la Corée

1910-1945 la domination japonaise

1919le 1er mars, mouvement d'indépendancele 11 avril établissement d'un gouvernement coréen en exil à Shanghai

1926 mort de l'empereur Sunjong et manifestations pour l'indépendance à Séoul

1929 violents mouvements estudiantins antijaponais

1940promulgation de l'édit contraignant les Coréens à japoniser leur nom et interdiction de publication des journaux coréens (Tong'a ilbo et Chosòn ilbo)

1945 l'URSS déclare la guerre au Japon, invasion des troupes soviétiques en Corée, fin de la Seconde Guerre mondiale

1945-1948 sous contrôle allié

1945après la défaite du Japon, division de la Corée en deux zones le long du 38e parallèle et occupation de la péninsule de part et d'autre par Soviétiques et Américains

1948

Syngman Rhee élu président de la première république, seul Etat reconnu pas l'ONUen septembre, le Nord se déclare République populaire démocratique

1948-1949 confusion politique et économique1948 en décembre, retrait des troupes soviétiques1949 retrait total des troupes américaines

1950-1953 guerre de Corée

1950 début de la guerre de Corée avec l'attaque en juin du Sud par le Nord

1953 signature de l'armistice à P'anmunjòm

109 Une traduction approximative de ce terme pourrait être "savoir de l'Orient"

1953-1993 l'ère des régimes autoritaires (au Sud)

1953-1960le régime autoritaire de Syngman Rhee doit affronter les conséquences de la division et de la guerre froide, des manifestations estudiantines le contraignent à l'exile

1961 chute de la seconde république, coup d'Etat militaire, le général Park Chung-hee porté au pouvoir

1965 promulgation de la loi martiale

1961-1979 reconstruction économique de la Corée sous la houlette du président Park Chung-hee, assassiné en 1979

1980 coup d'Etat militaire, le général Chun Doo-hwan devient président de la République

1980 répression sanglante des émeutes de Kwangju1981 attentat de Rangoon, fomenté par la Corée du Nord1988 jeux olympiques de Séoul1988 Roh Tae-woo élu président de la République1991 les deux Corée sont admises conjointement à l'ONU

1993-… la démocratie (au Sud)

1993 en décembre 1992, prise de fonctions du premier président civil de la Corée, Kim Young-sam, élu au suffrage universel

1994 décès de Kim Il-sung, Kim Jong-il désigné pour lui succéder1995-1998 catastrophes naturelles et famine au Nord

1997 faillite économique de la Corée du Sud (décembre) qui fait appel au FMI

1997 le 18 décembre, élection au suffrage universel du président de la République, Kim Dae-jung

2003-2004le 25 février, investiture du président de la République Roh Moon-Hyun, destitué par un vote largement majoritaire à l'Assemblée nationale le 12 mars 2004

2004 du 12 mars au 14 mai, Goh Kun assure l'intérim à la tête de l'Etat

2004le 14 mai, Roh Moon-Hyun est restauré dans ses fonctions de président de la République de Corée par les neuf juges de la Cour Constitutionnelle

Sources : Morillot Juliette,"Chronologie", in La Corée : chamanes, montagnes et gratte-ciel, éd. Autrement, coll. Monde HS n° 105, p. 277-279

"Liste des présidents de Corée du Sud", sur le site Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9sidents_de_Cor%C3%A9e_du_SudSource : Article trouvé sur le site internet "Korea is One"

Annexe 2 : La face cachée du dragon coréen

Le pays du matin clair a repris son essor mais l’horizon reste bouché pour les soutiers de la machine économique, les femmes et les travailleurs immigrés.

Alain Devalpo

À Séoul, les cerisiers en fleurs sont de retour dans les jardins du Grand Hilton et de son centre de convention futuriste. Devant l’entrée de marbre et de miroir, une femme se tient immobile. Elle brandit une pancarte : Après avoir travaillé durement pendant dix ans, des femmes de chambre ont été licencié pour avoir voulu se syndiquer. « C’est notre seul recours légal pour tenter d’ouvrir un dialogue avec la direction », explique Maria Rhie Chol-Soon, présidente de la KWWAU (Korean Women Workers Associations United) dont les militantes se relaient chaque jour au pied de l’édifice par solidarité avec les 21 employées « soufflées comme des bougies ». En grattant le vernis de la prospérité sud-coréenne apparaissent de fâcheuses pratiques pour un pays qui s’enorgueillit d’être membre de l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement économique) depuis 1996 et qui veut faire entendre sa voix dans le concert des nations. Au-delà des apparences, le miracle coréen ne peut pas occulter l’ostracisme qui vise les travailleurs immigrés et surtout 9 millions de travailleuses coréennes.

Miss Hyoung-Ha est assistante de jeu dans un club de golf. Un titre bien ronflant ; c’est une humble caddie qui escorte l’élite sud-coréenne sur les greens depuis 1998. 33 ans, menue et fardée de blanc, elle fait penser aux kisaeng, les courtisanes coréennes équivalant des geishas japonaises. « Je ne suis pas employée par le club de golf, raconte-elle. On considère que je travaille à mon propre compte, je n’ai donc droit à aucune protection sociale. » Flexibilité

oblige, pour esquiver les charges les employeurs multiplient les astuces dont le recours à des travailleurs à l’indépendance forcée. Une tendance qui s’est amplifiée après la crise asiatique. « La situation est devenue intolérable. En 2000 nous avons pris contact avec la KWWAU qui nous a conseillé pour créer un syndicat. 12 collègues ont aussitôt été virées. Il a fallu 70 jours de lutte pour parvenir à un premier accord reconnaissant notre association. » Après avoir subit la brutalité des autres travailleurs encouragés par la direction, une caddie est restée 9 mois sans pouvoir travailler.

Comme Hyoung-Ha, 70 % des travailleuses coréennes sont des irrégulières. « C’est inversement proportionnel aux hommes dont 65 % ont un contrat en bonne et due forme, poursuit Maria Rhie Chol-Soon. Ce sont surtout les femmes qui ont payé les frais de la crise de 97 ; licenciées puis réembauché à des salaires moindres et avec des conditions précaires. » Maître Philippe Li, spécialiste du droit du travail, confirme : « La législation très rigide ne s’est pas adaptée à l’évolution économique. Pour la contourner, l’emploi type job est devenu la règle » dans un pays où le patronat paternaliste se formalise peu des lois. 70 % dans le meilleur des cas car les statistiques sont peu fiables. Le taux de chômage officiel de 3 % selon les autorités grimpe à16 % pour la KCTU, un des deux grands syndicats. Avoir des données plus précises sur l’emploi des femmes est l’objectif que s’est fixé Miss Young-Ok Chang du Center for Corporate Social Responsibility. « La tâche m’apparaît démesurée, dit-elle. Les entreprises ne répondent pas à nos enquêtes, la transparence n’est pas encore la règle. »

« Dans un premier temps, ce qui m’a le plus surpris, ce sont les hauts salaires de nos employés, raconte un expatrié français. Puis j’ai découvert une autre réalité. Venez voir ! », dit-il en s’approchant de la fenêtre de son bureau au 16e étage. En bas, au milieu des tours flambant neuves, quelques baraques misérables témoignent de la face cachée du dragon coréen. L’illustration du gouffre qui sépare la situation des employés des compagnies étrangères ou des chaebols,

ces conglomérats en voie de restructuration depuis la crise, de la situation de l’immense majorité des travailleurs des PME ou des entreprises familiales. Si les premiers bénéficient de rémunérations parfois plus élevées qu’en France et d’acquis sociaux gagnés par des syndicats intransigeants, les seconds, citoyens de seconde zone, sont corvéables à merci dans les emplois 3D (difficile, dangereux et dégoûtant).

Après le choc de 1997 qui a cassé trois décennies de croissance spectaculaire, les autorités coréennes ont remboursé avec superbe les 57 milliards de dollars prêtés par le FMI en deux ans sans trop prêter attention aux couloirs du métro qui se peuplaient de commerces informels. Une page est tournée ; ce pays n’est plus la terre promise de la plus-value. Même les patrons coréens au patriotisme exacerbé délocalisent en Chine où les salaires sont 15 fois moindre, en Indonésie, voire en Amérique latine. Ce marché est devenu moins attractif malgré la précarité et la flexibilité qui ont gagné du terrain dans le secteur privé et les services publics. « Qu’on soit professeur auxiliaire, femmes de ménage ou diététicienne, le salaire d’un irrégulier est inférieur de 50 % aux réguliers, raconte Mme Han, diététicienne dans un collègue public. Nous n’avons pas de congés payés et on peut nous remplacer au pied levé sans explication. »

Délaissées par les principaux syndicats puisque non régulières, les travailleuses les plus pugnaces soutenues par des associations comme la KWWAU se prennent en charge. « Dans la région du Gyeonggi, au nord de Séoul, nous avons été 200 diététiciennes à nous organiser. Malgré les pressions, nous avons obtenu qu’un contrat aille jusqu’à son terme et que 40 % des futures embauches soient faites parmi nous. Sur la lancée, nous allons créer un syndicat interprofessionnel. » Des victoires modestes. Miss Hyoung-Ha et ses collègues caddies ont obtenu un congé maternité d’un an, non payé mais avec une réembauche précaire à la clé.

La Corée du Sud qui fait partie des pays les plus avancés de la région Asie en matière de protection sociale reste très en retrait par rapport aux critères européens. La mondialisation qui impose ses rythmes de productivité et de compétitivité rend malaisée la lutte des travailleurs irréguliers. Les irrégulières doivent en plus faire face aux traditions liées au confucianisme encore très rigide au pays du matin calme. Tout a été très vite, trop vite. Aujourd’hui, impossible de circuler dans des rues qui étaient sans voiture, il y a 30 ans. Les mentalités n’ont pas pu suivre un tel rythme ce qui attise les frictions entre générations. Un exemple : le mariage arrangé est encore la règle dans ce pays plus avancé que l’Europe dans le domaine des nouvelles technologies. Travailler, vivre indépendante et rencontrer le grand amour reste pour beaucoup de jeunes femmes du domaine du feuilleton télé.

Pourtant elles sont de plus en plus nombreuses à refuser le mariage traditionnel ou à divorcer mais à quel prix ? La célibataire va être la cible du qu’en dira-t-on. En cas de séparation, la mère est répudiée et la garde des enfants est automatiquement confiée à la famille du père. « Évitez les clichés, prévient Hélène Lebrun, religieuse et enseignante qui vit depuis 1980 à Séoul. La société coréenne a sa propre logique. Sous la couche de machisme, les maîtresses de maison détiennent le pouvoir et sont le moteur économique du couple. Ce sont elles qui ont les clés et gèrent le portefeuille de la famille. Aujourd’hui, beaucoup sont tentées par le mode de vie à l’occidentale dont elle ne connaissent rien si ce n’est l’image transmise par la télévision. » Avouons-le, c’est cet humus culturel et la capacité de mobilisation qui en résulte qui a fait émerger le pays du marais de la misère - éducation de qualité, analphabétisme inexistant, PIB de 9 000 euros - alors que dans les années 60 il survivait grâce a l’aide alimentaire.

« Malgré les abus, l’évolution est globalement positive, juge Maître Li résolument optimiste. Dans les secteurs d’activité modernes, les discriminations s’effacent. Cela va s’étendre car avoir

tant de femmes qualifiées réduites à des rôles subalternes est un contresens économique. » C’est la responsabilité du pouvoir politique d’adapter la croissance aux critères de l’OCDE qui surveille de prêt son seul état membre où la semaine de travail reste fixée à six jours. Un vent nouveau s’est peut-être levé avec l’élection du président progressiste Roh Moo Hyun. Quatre femmes ont été nommées ministres, dont une à la Justice. « C’est une révolution », constate Hélène Lebrun. De la Maison Bleue (résidence du président) émanent d’autres signes positifs : projet de la semaine de cinq jours, loi régulant le travail des immigrés dont 75 % sont illégaux. Encore faut-il que le politique l’emporte sur l’implacable logique économique dans un contexte de concurrence régionale de plus en plus forte avec la montée en puissance de la Chine et se donne les moyens de faire appliquer ses décisions. Une loi contre la discrimination et le harcèlement sexuel existe depuis 1998 sans que cela change quoique ce soit au quotidien. L’inspection du travail qui harcèle les employeurs les plus en vue ferme les yeux sur les PME. Les solutions relèvent plus d’une évolution des mentalités que d’un nouvel arsenal législatif.

Le Grand Hilton doit cesser d’esquiver ses responsabilités et garantir la sécurité du travail, lit-on aussi sur la pancarte de la militante de la KWWAU qui passe presque inaperçue dans la ronde des taxis noirs Deluxe qui déposent les clients. Obstination et courage vont être nécessaire pour parcourir le long chemin conduisant à moins d’injustices et à l’obtention de droits aussi élémentaires que celui de former un syndicat et de faire grève. Sur les 168 clubs de golf du pays, une organisation des caddies a vu le jour dans cinq seulement. La direction du Grand Hilton n’a pas entrouvert sa porte. Déjà 7 anciennes employées ont accepté de pires conditions de travail pour payer le riz et le kimchi (met traditionnel). Une lueur toutefois : Coréens et Coréennes ont prouvé qu’aucun défi ne les effrayaient et qu’ils pouvaient cheminer vers des

jours meilleurs ppali ppali (expression typique exprimant la rapidité d’exécution).

(Faim et Développement magazine, mensuel du Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement, mai 2003)

Annexe 3   : Moins de naissances mais un garçon à tout prix : l'avortement sélectif des filles en Asie

L'augmentation de la proportion de naissances masculines aujourd'hui en Asie est un thème que Population et sociétés n'avait pas encore traité. Pourtant, ses conséquences sociales et démographiques, à venir, sont très importantes, non seulement pour les pays touchés, mais

aussi pour l'ensemble de l'humanité : rappelons que la Chine et l'Inde, concernées, représentent à elles seules près de 40 % de l'humanité. Gilles Pison s'interroge ici sur l'origine

et l'étendue du phénomène et en détaille les mécanismes.

Il naît normalement 105 garçons pour 100 filles et cette constante biologique de l'espèce humaine est immuable. Pourtant la proportion de garçons chez les nouveau-nés s'est mise à augmenter dans les années 1980 dans plusieurs pays d'Asie de l'Est, notamment en Chine et en Corée du Sud (figure   1) . Une préférence marquée pour les garçons existe dans ces pays. Elle est très ancienne. Pourquoi n'avait-elle pas entraîné jusque-là une hausse de la proportion de naissances masculines ? Ce déséquilibre va-t-il s'aggraver et s'étendre à d'autres pays ou régions du monde ? Peut-il bouleverser à terme les relations entre les sexes ?

La volonté des couples d'avoir au moins un garçon

L'augmentation de la proportion de garçons à la naissance, à peu près au même moment en Chine et en Corée du Sud, tient au fait que ces pays partagent deux traits en commun. D'abord, la société y est fortement patrilinéaire - la propriété et les droits s'y héritaient de père en fils il y a encore peu de temps - et la place des femmes est réduite, ce qui fait que les familles tiennent beaucoup à avoir au moins un enfant mâle pour perpétuer la lignée masculine. Cet enfant devra prendre soin des parents pendant leurs vieux jours et leur rendre ensuite le culte dû aux ancêtres.

La fécondité a par ailleurs diminué rapidement, passant de près de six enfants en moyenne par femme au début des années 1960 à moins de deux aujourd'hui : 1,9 en Chine et 1,3 en Corée du Sud en 2001. Les chances pour une famille d'avoir ou non un garçon en ont été totalement changées. Lorsque la fécondité était élevée, une famille se retrouvait rarement sans aucun garçon. Avec six enfants, la probabilité de ne pas avoir de garçon est très faible, moins de 2 %, et dans plus de 98 % des cas, la famille en a au moins un ; avec deux enfants en revanche, la probabilité de ne pas avoir de garçon est proche d'un quart (1). Cette éventualité est donc devenue de plus en plus fréquente au fur et à mesure de la baisse de la fécondité. Désireux d'avoir moins d'enfants tout en ayant au moins un garçon, les couples ont cherché à s'affranchir du hasard pour déterminer le sexe des enfants.

(1) On a une chance sur deux d'avoir une fille à chaque naissance. Prenons le cas d'une famille de deux  enfants. L'issue de la deuxième grossesse étant indépendante de celle de la première - ce n'est pas parce que l'on a eu une fille la première fois que l'on a plus de chance d'avoir une fille la deuxième - la probabilité d'avoir deux filles est le produit des deux probabilités, celle d'obtenir une fille la première fois, et celle d'en obtenir une la deuxième fois, un demi multiplié par un demi, soit un quart. Un quart des familles de deux enfants n'ont que des filles, un quart n'ont que des garçons, et la moitié ont un garçon et une fille.

En étendant le raisonnement des familles de deux enfants à celles de six, la probabilité de six filles sur six enfants est un demi à la puissance six (0,5x0,5x0,5x0,5x0,5x0,5), soit 1,6 %. Si l'on refait le calcul non plus avec une proportion égale de garçons et de filles à la naissance, mais avec un léger excédent de garçons, comme dans la réalité - 105 garçons pour 100 filles - la probabilité d'avoir six filles et aucun garçon est encore un peu plus faible (1,3 %).

L'avortement plutôt que l'infanticide

Choisir le sexe de son enfant est un vieux rêve. Aucune technique cependant ne permet encore de décider du sexe de l'enfant lors de sa conception ou d'augmenter sensiblement les chances que ce soit un garçon ou une fille. La méthode utilisée dans les pays où la proportion de garçons a augmenté consiste à déterminer le sexe de l'embryon pendant la grossesse et à avorter s'il n'est pas celui désiré. La méthode n'est pas efficace à 100 % : elle permet d'éviter la naissance d'une fille, mais n'assure pas la naissance d'un garçon. Plusieurs grossesses et plusieurs avortements successifs peuvent donc précéder la naissance d'un garçon, certains couples ne réussissant toujours pas au bout de plusieurs tentatives. La méthode suppose en outre que l'on puisse déterminer le sexe du fœtus pendant la grossesse.

Ce n'est que depuis 1972 qu'on sait le faire en prélevant des cellules fœtales par amniocentèse et en établissant le caryotype. Le procédé est cependant lourd et coûteux. Il reste l'apanage des pays riches ou d'une minorité aisée des pays pauvres. Le perfectionnement de l'échographie dans les années 1970 et sa large diffusion depuis les années 1980 grâce à la mise au point d'appareils de dimension réduite et de faible coût a rendu le diagnostic du sexe pendant la grossesse accessible au plus grand nombre. Cette méthode permet de connaître le sexe sans trop d'erreurs à partir de 3 à 4 mois de grossesse.

La masculinité anormalement élevée des naissances en Chine et en Corée pourrait aussi s'expliquer par l'infanticide des petites filles. Cette pratique est signalée depuis longtemps en Chine et dans d'autres pays d'Asie et elle s'accompagne souvent de la non-déclaration de la naissance de l'enfant éliminé, ce qui contribue au déficit apparent de filles dans les statistiques. Mais la masculinité des naissances était à peu près normale dans les années 1970, signe que l'infanticide des petites filles avait reculé ou n'était pas si répandu qu'on l'imaginait. La

possibilité depuis une vingtaine d'années d'avorter des filles permet d'éviter l'infanticide et doit contribuer au contraire à en diminuer la fréquence. On ne peut davantage expliquer l'augmentation de la masculinité des naissances depuis deux décennies par la non-déclaration des filles : si certaines ne sont pas enregistrées à l'état civil lors de leur naissance, peu d'entre elles échappent ensuite au recensement de la population étant donné le soin mis à le réaliser.

On attribue aussi parfois la responsabilité de l'augmentation de la proportion de garçons en Chine à la politique coercitive de l'enfant unique. Il est vrai que les familles répugnaient à avoir une fille unique, mais la politique officielle correspondait aussi à leur souhait d'avoir peu d'enfants. D'ailleurs, un déséquilibre des sexes similaire à celui de la Chine est apparu à la même époque en Corée du Sud et à Taïwan, sans politique de l'enfant unique. Il est apparu aussi à Hong Kong avant le retour à la Chine. L'augmentation de la masculinité des naissances depuis les années 1980 tient en réalité à la conjonction de trois phénomènes : la réduction de la taille des familles, la volonté d'avoir un garçon à tout prix et la diffusion de l'échographie.

Le sexe du premier-né encore laissé au hasard

Le rapport de masculinité à la naissance est resté normal pour les premiers-nés dans ces différents pays. L'excédent de garçons ne s'observe qu'à partir de la deuxième naissance, en s'accentuant d'un rang à l'autre. En Corée du Sud par exemple, la proportion de garçons parmi les deuxièmes enfants a augmenté jusqu'à 117 garçons pour 100 filles en 1990, pour redescendre ensuite à des valeurs presque normales après 1995 (figure   2) . La hausse a été encore plus forte pour les troisièmes enfants : près de deux sur trois étaient des garçons au début des années 1990. La proportion a également baissé ensuite, mais reste anormalement élevée : plus de 140 garçons pour 100 filles en 2000.

La plupart des couples s'en remettent donc toujours au hasard pour le sexe du premier né. Sans doute comptent-ils sur la chance pour que ce soit un garçon et répugnent-ils à passer une échographie et à avorter pour augmenter les chances que c'en soit un ? En revanche, à la deuxième naissance, ils veulent corriger le hasard pour avoir un garçon si le premier est une fille, ou une fille si le premier est un garçon. En Chine, lorsqu'un couple a un deuxième enfant après avoir eu un garçon comme premier-né, ce deuxième est une fille un peu plus souvent qu'on attendrait (101 garçons pour 100 filles) (figure   3) . En cas de troisième enfant après deux

garçons, l'excédent de filles - ou le manque de garçons - est encore plus net : 74 garçons pour 100 filles. Si les Chinois veulent à tout prix un garçon, ils souhaitent aussi avoir une fille et n'hésitent pas à avorter de fœtus masculins pour cela.

Le désir d'équilibrer filles et garçons est très largement répandu sur Terre. Il s'observe par exemple en France : les parents qui ont deux garçons ou deux filles décident plus souvent d'avoir un troisième enfant que ceux qui ont un garçon et une fille : 34 % contre 29 % si l'on considère la proportion de parents ayant un troisième enfant dans les cinq années suivant la naissance du deuxième (données des années 1970) [2] . Parmi les premiers, ceux qui ont deux garçons sont 32 % à avoir un troisième enfant contre 36 % de ceux ayant deux filles. Outre le désir d'une paire garçon fille, il existe une légère préférence pour les garçons, même en France. La différence avec la Chine est que les couples recourent à une naissance supplémentaire pour la mettre en œuvre, au lieu de pratiquer l'avortement sélectif.

En Chine, les couples apprécient la naissance d'une fille si elle complète celle d'un garçon. Mais le garçon reste la priorité. Quand les parents ont deux filles et pas de garçon, s'ils ont un troisième enfant, celui-ci est plus de deux fois sur trois un garçon (225 garçons pour 100 filles), alors que dans la situation symétrique évoquée plus haut : deux garçons et pas de fille, le rapport est de 74 garçons pour 100 filles (figure   3) . Et s'ils ont un garçon et une fille, le troisième est aussi plus fréquemment un garçon (116 garçons pour 100 filles).

En Inde et dans le Caucase, on sélectionne aussi

Le rapport de masculinité à la naissance a également augmenté récemment en Inde, mais sans encore atteindre les niveaux chinois : le recensement indien de 2001 a dénombré 108 garçons pour 100 filles parmi les enfants de moins 7 ans, contre 106 en 1991 et 104 en 1981. Le déséquilibre des sexes affecte surtout pour l'instant les états du Nord-Ouest de l'Inde, notamment le Penjab et l'Haryana où le recensement a trouvé près de 125 garçons pour

100 filles parmi les moins de 7 ans [4].

Quoique très éloignés géographiquement de la Chine et de l'Inde, les trois pays du Caucase (Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan) ont connu le même phénomène de hausse du rapport de masculinité à la naissance dans les années 1990 jusqu'à près de 118 garçons pour 100 filles en 2001 (figure   4)  [5]. Comme en Asie de l'Est et du Sud, le phénomène vient d'avortements sélectifs d'embryons féminins, liés là aussi à la conjonction d'une préférence marquée pour les garçons, de la baisse de la fécondité et de la diffusion de l'échographie. La préférence pour les garçons apparaît bien quand on examine dans quelle proportion les couples ayant un enfant en ont un deuxième ultérieurement. Si le premier-né est une fille, ils sont un peu plus nombreux à avoir un deuxième enfant que si c'est un garçon (figure   5) . Mais la différence est beaucoup plus marquée pour le troisième enfant. Les parents qui ont deux filles sont en Géorgie plus de 40 % à avoir un troisième enfant contre seulement près de 20 % de ceux ayant deux garçons ou un garçon et une fille. L'écart est aussi marqué en Arménie : près de 60 % des parents du premier type ont un troisième enfant contre près de 35 % des seconds.

Le déséquilibre va-t-il s'aggraver ? Tous les États de l'Union indienne et les provinces de Chine ne sont pas encore touchés, ceux à fécondité élevée sont en particulier restés à l'écart ; le phénomène peut donc encore s'étendre dans ces pays et le déséquilibre des sexes se creuser, surtout en Inde. Mais il pourrait aussi régresser comme en Corée du Sud (figure   1) . Ayant pris la mesure du problème que posait le déséquilibre des sexes, les autorités coréennes ont, comme d'autres pays, interdit les examens visant à déterminer le sexe du fœtus pendant la grossesse et les avortements sélectifs, prévoyant de fortes peines pour les médecins fautifs ; des médecins ont été effectivement lourdement condamnés [6]. La répression s'est accompagnée de campagnes visant à changer les mentalités et rehausser le statut des femmes. Ces mesures prises au début des années 1990 semblent avoir eu de l'effet puisque le rapport de masculinité a cessé d'augmenter et a même diminué, passant de 115 garçons pour 100 filles au début de la décennie 1990 à tout au plus 110 (figure   1) . Mais la baisse s'est arrêtée et le déséquilibre, même réduit, demeure.

Des générations féminines plus difficiles à reproduire

Doit-on s'attendre à une extension planétaire du phénomène ? Ce n'est pas sûr : plusieurs pays d'Asie de l'Est ou du Sud où la fécondité a fortement baissé récemment ont toujours un rapport de masculinité normal (Indonésie, Vietnam, Singapour). Le phénomène n'est pas davantage apparu dans les pays voisins du Caucase (Russie, Iran, Turquie) ou en Asie centrale. Il en est de même au Bangladesh et au Pakistan, mais la fécondité de ces pays, même si elle a baissé, reste encore assez élevée et il est possible qu'ils seront touchés lorsqu'elle aura chuté à leur tour. Sans parler du reste du monde (Amérique latine, Afrique, Amérique du Nord, Europe) où là aussi le rapport de masculinité est resté normal jusqu'ici. Cependant, même si le phénomène doit rester limité à quelques pays, il a une dimension planétaire en raison du poids démographique de deux d'entre eux - la Chine et l'Inde regroupent 38 % de la population mondiale et le tiers des naissances mondiales.

Que le déséquilibre des sexes à la naissance s'étende ou régresse à l'avenir, des générations d'enfants sont déjà nées avec une surreprésentation de garçons. Ils risquent d'en subir les effets tout au long de leur vie, notamment lorsqu'ils auront l'âge de se mettre en couple : les

filles, minoritaires, n'auront pas de difficultés à trouver un conjoint, alors qu'une partie des garçons se retrouveront sans partenaire. Quant aux perspectives démographiques, elles sont à revoir : lorsque ces générations auront l'âge d'avoir des enfants, les femmes, peu nombreuses, mettront peu d'enfants au monde au total, insuffisamment pour remplacer leur génération - avec 105 garçons pour 100 filles, il faut déjà 2,1 enfants en moyenne par femme pour assurer le remplacement, avec 120 garçons pour 100 filles, il en faut 2,25. La croissance démographique des pays concernés pourrait ralentir plus vite qu'annoncé et le vieillissement démographique y être plus rapide. à l'échelle mondiale, la population plafonnerait plus tôt que prévu, et à un niveau moins élevé.

Gilles Pison (Institut national d'études démographiques)

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