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Un précurseur du cinéma-clip : Highlander Générique . Réalisé par Russell Mulcahy en 1986. Scénario : Gregory Widen, Peter Bellwood et Larry Ferguson. Photographie : Gerry Fisher. Musique : Michael Kamen, Queen. Montage : Peter Honess. Production : Peter S. Davis et William N. Panzer. Durée : 1h55min. Avec Christophe Lambert (Connor MacLeod / Russell Edwin Nash), Sean Connery (Juan Sanchez Villa-Lobos Ramirez), Roxanne Hart (Brenda J. Wyatt). Résumé. Connor Macleod était un guerrier des Highlands d’Ecosse ; à l’âge de 18 ans, en 1536, il a mystérieusement survécu à de terribles blessures de guerre. On l’a banni de son village parce qu’on voyait dans sa guérison l’œuvre du Diable. Cinq ans plus tard il rencontrait Juan Sanchez Villa-Lobos Ramirez, une fine lame, qui lui enseignait l’art de manier l’épée et lui expliquait à quelle race il appartenait : celle des Immortels, qui ne meurent que si on leur tranche net la tête. Après avoir transmis son art, Ramirez est cependant tué par Kurgan, un Immortel cruel à la recherche du « Prix », la force ultime donnée au dernier Immortel de gouverner le monde pour l’éternité, sous réserve qu’il ait absorbé l’énergie de ses pairs en les décapitant. Mais ce ne sera qu’en 1985 que le combat final aura lieu. A cette époque, Connor MacLeod se fait appeler Russell Edwin Nash, et vit à New York City dans la peau d’un riche antiquaire distingué. Autour du film. Russell Mulcahy, metteur en scène australien né en 1953, a commencé sa carrière comme réalisateur de clips – il a notamment signé "Video Killed the Radio Star" pour le groupe The Buggles, qui a été le premier clip diffusé sur MTV, avant de travailler de nombreuses fois avec Duran Duran et Elton John. Highlander lui a valu une grande notoriété, et le film a eu une considérable postérité : Highlander 2, The Quickening , de Mulcahy aussi en 1990, Highlander The Final Dimension , d’Andy Morahan en 1994, Highlander Endgame de Douglas Aarniokoski en 2000, et Highlander : The Source, de Brett Leonard en 2007 pour ce qui concerne le cinéma. Notons aussi un film d'animation (Highlander : Search for a Vengeance , des studios japonais Madhouse Production en 2006), une série télévisée de Gregory Widen (intitulée tout simplement Highlander , de 1992 à 1998), et une autre de David Abramowitz (Highlander: The Raven , de 1998 à 1999). A propos de la séquence analysée ci-dessous : huit minutes ont été rétablies dans le DVD du "10th Anniversary Director's Cut". On y voit Fasil exécuter un saut périlleux arrière, et les flash-backs en Ecosse du XVIe siècle cependant que le héros assiste au match de catch. C’est cette édition qui a été utilisée pour l’analyse. Le plan aérien qui ouvre cette séquence a été réglé par Garrett Brown, l’inventeur de la Steadicam ; il a utilisé pour ce faire une caméra suspendue par quatre câbles et pilotée via un mécanisme informatisé. Le tournage n’a pas eu lieu dans le parking du Madison Square Garden, mais dans un marché au légumes de Londres, rempli de voitures pour l’occasion. A l’origine, il n’était pas question d’un match de catch mais d’un match de hockey : cependant la ligue de hockey (la NHL), ne donna pas son feu vert, sachant que la séquence mettrait l’accent sur la violence du jeu... Situation de la séquence. Carton, lu par Sean Connery: « Depuis l’aube des temps, nous sommes là, silencieux, passant d’un siècle à l’autre. Vivant des vies secrètes, bataillant pour atteindre le temps du rassemblement, quand ceux qui resteront combattront jusqu’au dernier. Personne n’a jamais su que nous étions parmi vous... jusqu’à maintenant ». Puis le récit démarre ; à New York, en 1985, Russell Edwin Nash va voir le duo de catcheurs

un Précurseur Du Cinéma-clip : Highlanderlaurent.jullier.free.fr/TEL/LJ2009_Highlander.pdf · rencontrait Juan Sanchez Villa-Lobos Ramirez, une fine lame, qui lui enseignait l’art

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Un précurseur du cinéma-clip : Highlander

Générique. Réalisé par Russell Mulcahy en 1986. Scénario : Gregory Widen, Peter Bellwood et Larry Ferguson. Photographie : Gerry Fisher. Musique : Michael Kamen, Queen. Montage : Peter Honess. Production : Peter S. Davis et William N. Panzer. Durée : 1h55min. Avec Christophe Lambert (Connor MacLeod / Russell Edwin Nash), Sean Connery (Juan Sanchez Villa-Lobos Ramirez), Roxanne Hart (Brenda J. Wyatt).

Résumé. Connor Macleod était un guerrier des Highlands d’Ecosse ; à l’âge de 18 ans, en 1536, il a mystérieusement survécu à de terribles blessures de guerre. On l’a banni de son village parce qu’on voyait dans sa guérison l’œuvre du Diable. Cinq ans plus tard il rencontrait Juan Sanchez Villa-Lobos Ramirez, une fine lame, qui lui enseignait l’art de manier l’épée et lui expliquait à quelle race il appartenait : celle des Immortels, qui ne meurent que si on leur tranche net la tête. Après avoir transmis son art, Ramirez est cependant tué par Kurgan, un Immortel cruel à la recherche du « Prix », la force ultime donnée au dernier Immortel de gouverner le monde pour l’éternité, sous réserve qu’il ait absorbé l’énergie de ses pairs en les décapitant. Mais ce ne sera qu’en 1985 que le combat final aura lieu. A cette époque, Connor MacLeod se fait appeler Russell Edwin Nash, et vit à New York City dans la peau d’un riche antiquaire distingué.

Autour du film. Russell Mulcahy, metteur en scène australien né en 1953, a commencé sa carrière comme réalisateur de clips – il a notamment signé "Video Killed the Radio Star" pour le groupe The Buggles, qui a été le premier clip diffusé sur MTV, avant de travailler de nombreuses fois avec Duran Duran et Elton John. Highlander lui a valu une grande notoriété, et le film a eu une considérable postérité : Highlander 2, The Quickening, de Mulcahy aussi en 1990, Highlander The Final Dimension, d’Andy Morahan en 1994, Highlander Endgame de Douglas Aarniokoski en 2000, et Highlander : The Source, de Brett Leonard en 2007 pour ce qui concerne le cinéma. Notons aussi un film d'animation (Highlander : Search for a Vengeance, des studios japonais Madhouse Production en 2006), une série télévisée de Gregory Widen (intitulée tout simplement Highlander, de 1992 à 1998), et une autre de David Abramowitz (Highlander: The Raven, de 1998 à 1999).

A propos de la séquence analysée ci-dessous : huit minutes ont été rétablies dans le DVD du "10th Anniversary Director's Cut". On y voit Fasil exécuter un saut périlleux arrière, et les flash-backs en Ecosse du XVIe siècle cependant que le héros assiste au match de catch. C’est cette édition qui a été utilisée pour l’analyse. Le plan aérien qui ouvre cette séquence a été réglé par Garrett Brown, l’inventeur de la Steadicam ; il a utilisé pour ce faire une caméra suspendue par quatre câbles et pilotée via un mécanisme informatisé. Le tournage n’a pas eu lieu dans le parking du Madison Square Garden, mais dans un marché au légumes de Londres, rempli de voitures pour l’occasion. A l’origine, il n’était pas question d’un match de catch mais d’un match de hockey : cependant la ligue de hockey (la NHL), ne donna pas son feu vert, sachant que la séquence mettrait l’accent sur la violence du jeu...

Situation de la séquence. Carton, lu par Sean Connery: « Depuis l’aube des temps, nous sommes là, silencieux, passant d’un siècle à l’autre. Vivant des vies secrètes, bataillant pour atteindre le temps du rassemblement, quand ceux qui resteront combattront jusqu’au dernier. Personne n’a jamais su que nous étions parmi vous... jusqu’à maintenant ». Puis le récit démarre ; à New York, en 1985, Russell Edwin Nash va voir le duo de catcheurs

les Fabulous Freebirds, en plein exercice de leur art, au milieu de la foule survoltée du Madison Square Garden. Mais il s’ennuie et repense à sa première bataille, du temps qu’il ferraillait avec les Highlanders écossais du XVIe siècle. Soudain il sent que son vieil ennemi Fazil, Immortel comme lui, vient le défier. Le combat a lieu au sous-sol, dans le parking...

Analyse

Les premières secondes du film étaient classiques, avec ce carton lu par une voix de Père édictant la Loi, sépulcrale et réverbérée. Le générique s’est déroulé sur une chanson du groupe Queen, Princes of the Universe . Les paroles signées Freddie Mercury évoquent le thème du film, la musique et les arrangements disent exactement son âge – rien que de très banal ici aussi – toutes connotations politiques des paroles mises à part :

Here we are, born to be kings (nous voici, nés pour être rois)We're the princes of the universe (nous sommes les princes de l’univers)We've come to be the rulers of you all (nous sommes venus pour vous dicter les règles)I am immortal, I have inside me blood of kings (je suis immortel, j’ai en moi le sang des rois)I have no rival, no man can be my equal (je n’ai aucun rival, nul homme ne peut être mon

égal)Il n’est jusqu’à l’ouverture même du premier plan qui soit familière, avec son volet

naturel construit par la silhouette en contre-jour d’un sujet qui va vers la lumière d’une ouverture suivi en travelling avant – c’est l’ouverture archi-célèbre de La prisonnière du désert de John Ford. Mais tout cela ne dure qu’une seconde. Break de batterie hachant les clameurs du public, caméra-épaule, grand-angle et effets de prisme (cf. ci-dessous), disent plutôt « voici l’image-son » que « voici les catcheurs ». John Ford est loin, et il le restera. Une avalanche d’inserts donne tout de suite le ton : un très gros plan sur d’anonymes mains qui applaudissent frénétiquement, un catcheur qui dégrafe au ralenti une partie de son maillot, ce à quoi répond (reaction shot) une adolescente rousse en se léchant les babines, toujours au ralenti.

Le match débute avec un autre très gros plan (celui de la cloche martelée, toujours par une main anonyme). Mais la caméra s’en désintéresse. Elle va en chercher l’image sur un écran suspendu au plafond, puis la quitte aussi pour voler au-dessus des têtes du public dans un vertigineux mouvement de louma en travelling avant (un mouvement devenu monnaie courante dans les retransmissions de concerts de rock). A quoi sert-il ? Du strict point de vue de la narration, à rien (rien ni personne ne vole ainsi dans la salle). Mais du point de vue de l’agrément – du fun, devrait-on dire dans la logique du cinéma-clip – à beaucoup de choses. Il est d’ailleurs accompagné d’un bruit d’hélicoptère et d’une note tenue au synthétiseur et passée au phaser, un filtre qui la déforme et donne à l’oreille l’impression d’un son qui court dans un tuyau. C’est-à-dire que le mouvement compte plus que sa motivation-même (là encore, conformément à l’esprit postmoderne). La localisation ambiguë du bruit d’hélicoptère va dans le même sens : appartient-il à la musique de fosse ? résonne-t-il dans la salle ? ces

questions n’ont pas lieu d’être, le feeling seul importe. En tout cas l’étonnant mouvement nous a amené jusqu’au héros, MacLeod.

Comme pour les catcheurs, un effet de lumière bord-cadre en haut est utilisé ; cette fois, il a pour effet de nimber d’une pluie de rayons le héros. Lequel n’est pas en reste puisqu’il bénéficie déjà d’un éclairage droit venu du réalisme poétique français des années 1930, sous forme d’un bandeau de lumière à la Gabin sur les yeux. Néanmoins ces effets peuvent être mis au service de l’histoire : notre Immortel est effectivement « touché par la grâce » (tombée du ciel), et son regard vague trahit le fait qu’il est en train de percevoir quelque chose à l’intérieur de lui-même (la présence d’une ennemi). Ce n’était pas le cas avec les catcheurs, sur lesquels l’effet de prisme ne « disait » rien. C’est là une constante postmoderne : l’effet fait éventuellement sens, et s’il ne fait pas sens au moins il « fait sensation » (il en « met plein la vue » aux sens propre et figuré).

En raccord-regard, nous retrouvons le combat de catch. Comme le montre l’image de

gauche, le cadrage se donne à voir plus qu’il ne donne à voir, en incluant des obstacles dans le point de vue. A droite, instantané d’un mouvement très prisé par les cinéastes postmodernes, le travelling perpendiculaire au déplacement du personnage, qui donne à vivre le déplacement, tandis que le cinéma classique accompagnait le personnage dans son trajet. MacLeod, pendant ce temps, songe aux batailles de sa jeunesse, dans l’Ecosse médiévale. Troisième preuve du choix d’une conception « plastique » de l’image de préférence à une conception de l’image comme trace d’un événement, le montage alterné entre le catch et les pensées du héros est entièrement basé sur les volets naturels et les raccords-mouvement entre deux objets distincts.

Volet naturel : le personnage en cape brune qui passe tout près de l’objectif introduit le plan à la façon d’un volet ; il fluidifie la bande-image, de la même façon que les raccords-mouvement entre Highlanders déchaînés (à gauche ci-dessous) et catcheurs modernes (à droite) assoient la ressemblance plastique entre les deux

actions distantes de plusieurs siècles et de plusieurs milliers de kilomètres (quand bien même les catcheurs apparaissent « salis » par le biais d’un mauvais écran filmé de biais : tout ce qui compte, c’est le mouvement des corps qui se jettent l’un sur l’autre).

On peut se demander si ce montage alterné a des velléités de montage parallèle, c’est-

à-dire si le rapprochement va plus loin que la plasticité. A priori les Highlanders du Moyen-Age risquent de perdre la vie dans leur combat, tandis que les catcheurs modernes font leur métier. De plus le catch est plus proche du monde de la fête foraine que de celui des Jeux Olympiques – il est de notoriété publique que les matches sont « arrangés » pour un spectacle maximum. Faut-il penser que ces Highlanders sont aussi faux que ces catcheurs, donc changer totalement de façon de lire le film, ne rien prendre au sérieux ? Par ailleurs, si le héros a atteint l’âge vénérable de 490 ans, comment peut-il s’intéresser à de semblables pantalonnades ? Son appartement chic où il empile les œuvres d’art connotera plutôt un esprit délicat, alors pourquoi aller s’ennuyer tout seul au Madison Square Garden à regarder de faux vikings envoyer de fausses manchettes en grognant et en tapant du pied ? Avoir vécu toutes ces vies pour se retrouver là, renfrogné dans un imper mastic, à quoi bon ? Mais dans l’esprit postmoderne, ces questions n’ont tout simplement pas lieu d’être. L’ouverture du film est fun, et le montage alterné aussi. Sans parler de la vitesse du montage. Les 11 plans de catch, du n°17 au n°27, durent 11 secondes, ce qui donne une moyenne d’une seconde par plan.

Enfin MacLeod se décide, après un regard vers le haut souligné par un raccord dans l’axe, à partir en direction... du bas. Hédonisme postmoderne oblige, le spectateur est gratifié d’un supplément de spectacle alors même que le héros a tourné les talons (impensable dans un film classique centré sur l’identification au personnage principal). Deux catcheurs se lancent l’un contre l’autre, et déclenchent en retombant un bref accord doublé d’un coup de cymbales (effet-cirque) et un court passage au noir. Nous retrouvons MacLeod dans le parking souterrain, avec une autre acrobatie de louma :

A gauche, au départ du plan, il s’agit d’une « vue avec », comme dans un jeu vidéo « à

la troisième personne », mais la caméra avance, et grimpe vers le plafond en dépassant MacLeod. Cette acrobatie est beaucoup moins gratuite que la précédente, car elle objective la vista d’un combattant aussi aguerri que notre héros, qui littéralement voit mieux et plus loin que le commun des mortels grâce à son sixième sens, celui-là même qui l’a fait descendre ici. La fin du plan, à droite, est donc une « vue de », comme dans un jeu « à la première personne ».

MacLeod erre dans les travées du parking désert. Un léger bruit (photogramme de

gauche) lui fait tourner la tête. Au cut qui suit immédiatement, on s’attend à voir le produit de son coup d’œil, et nous sollicitons déjà en nous le script mental du raccord-regard. En pure perte : le plan suivant (photogramme de gauche) n’est pas du tout le produit de son coup d’œil, mais un plan bizarre au ras du sol, qui montre le pied droit de MacLeod écraser une boîte de Coca-Cola vide. Le plan est « inhabitable », en ce sens qu’il ne correspond pas à la position d’un être vivant présent dans la scène, sinon celui d’une blatte de passage (l’ennemi qui l’attend, tapi dans l’ombre, est debout, comme on le verra quelques secondes plus tard). Aucun réalisateur classique, là encore, ne l’aurait inclus dans son film. Mais il surprend. Il lutte contre les clichés, même si l’effet d’annonce est transparent (MacLeod écrasera son ennemi et pas seulement la boîte).

Cet autre plan à ras du sol possède le double avantage : avec sa longue distance focale il matérialise l’ennemi qui épie (c’était aussi le cas des deux précédents) ; avec sa localisation à ras du sol, il permet de « couper la tête » de MacLeod, c’est-à-dire d’objectiver le désir ultime de ce méchant qui épie.

Ci-dessous, un « effet de manche » visuel typique du style clip : à la faveur d’un travelling de suivi droite-gauche de MacLeod à la recherche de son ennemi, on profite du passage derrière un pilier pour couper et allonger la distance focale (raccord dans l’axe). La coupure provoque un petit effet de saute (l’antique « loi des 30° », du temps des grands studios, servait à éviter ce genre de sautes, en obligeant à déplacer la caméra latéralement par rapport au sujet avant de reprendre la suite de l’action).

Un graffiti sur un pilier, peu après (56è plan), annoncera ironiquement « The Big

One » - sous-entendu au choix : le grand combat, le gros truc que l’on va justement avoir sous les yeux ; ou bien « le plus puissant d’entre tous », c’est-à-dire MacLeod, qui passe justement à

côté suivi par un travelling avant.

Enfin le villain (avec deux « l », c’est-à-dire en anglais « le méchant »), se matérialise dans le dos de MacLeod (dont le don de double-vue n’est donc pas si efficace que l’envolée de louma nous le suggérait au début). La longue focale à nouveau utilisée ici l’était donc pour nous induire en erreur : elle ne matérialisait pas le regard de l’ennemi, puisque celui-ci apparaît à l’autre bout de l’axe optique... La baisse de profondeur de champ consécutive à l’emploi de ce type de focale permet de faire passer le point, en cours de plan, de MacLeod devant à son ennemi derrière.

Ci-dessus, un exemple de prise en charge des velléités « plastiques » de l’image par le contenu de l’histoire. La contre-plongée en grand angle (la distance focale est si courte qu’elle déforme la Coccinelle à gauche) permet de cadrer de façon que le sabre du villain « coupe la tête » de MacLeod, au moins virtuellement. Une manière de montrer que les craintes que nous avions conçues à propos de ce garçon sur la base de son look, sont grandement justifiées. C’est à ce moment qu’interviennent les deux lignes de dialogue de la séquence :

- Fazil ! Attends... (puis, comme le Fazil en question répond à coups de sabre). Bon, très bien.

Trois mots (en anglais) pour une séquence de 8’35’’. C’est que le héros postmoderne est peu porté sur le bavardage. Enfant du déconstructionnisme, il n’est pas dupe de l’inauthenticité du verbe, et lui préfère le langage du corps.

Lorsque la bagarre se fait plus vive, nous nous reculons prudemment, pour trouver refuge derrière une voiture (ci-dessous). Son toit flou indique que nous continuons tout de même à nous intéresser à l’issue du duel :

Ensuite, la mitraillette à plans du cinéma-clip se met en route. Si le combat seul pulvérise ce score en montant à une fréquence d’à peu près un plan à la seconde (les 58 plans qui suivent le n°88, où Fazil coupe les câbles électriques, forment un bloc de 62 secondes). Dans le même temps, il ne faut pas exagérer la différence avec le passé du cinéma. La séquence que nous étudions (catch + duel) comprend 233 plans pour une durée de 8’35’’, soit des plans de 2,2 secondes en moyenne. Or, sans même remonter à de fameux passages ultra-rapides du muet, le plus célèbre duel à l’épée du cinéma hollywoodien de l’Age d’or, celui qui oppose dans Scaramouche André Moreau au Marquis de Mayne, comprend 126 plans pour une durée de 6'49’’, soit des plans de 3,2 secondes en moyenne – une seule seconde de plus.

Quant à savoir pourquoi diable Fazil coupe les câbles électriques, c’est une autre

affaire. Si c’est pour se battre dans le noir, ses lunettes noires ne vont guère l’avantager. Si c’est pour déclencher le dispositif anti-incendie, à quoi bon ? Ce qui est certain, c’est que plastiquement le goudron mouillé et les tubes au néon qui clignotent sont plus intéressants que le goudron sec et les néons allumés (ci-dessus, effets destinés à exploiter plastiquement ce changement de décor : à gauche, caméra portée à ras du sol en travelling avant ; à droite, décadrage, contre-plongée au très grand-angle)

Fazil a maintenant perdu ses lunettes (il a « montré son vrai visage » ?), mais préfère aller se cacher plutôt que d’aller les ramasser. Encore un « effet » - purement ludique, car la figure du double suggérée par ce plan n’annonce rien (il n’a pas de complice caché, pas de frère jumeau, pas de double personnalité).

Encore une saute au montage, presque une substitution à la Méliès, tandis que les

duellistes se poursuivent en courant sur des capots de voitures : au moment précis où Fazil passe derrière un pilier, nous récupérons MacLeod dans la même situation (les deux photogrammes se suivent dans le film).

Déjà un emprunt au cinéma de Hong-Kong : pourquoi ne pas redescendre du capot en exécutant un saut périlleux ? Fazil exécutera d’autres acrobaties à la recherche de MacLeod caché mais, bizarrement, se montre bien moins souple au moment du combat.

Maintenant, un point de vue inhabitable : lorsque MacLeod récupère le sabre qu’il a planté dans un tuyau, la caméra est « dans le plafond ».

Ci-dessus, un exemple typique de l’« hédonisme de l’œil » dans le cinéma

postmoderne. A gauche : MacLeod ayant perdu son sabre, il se cache entre deux voitures. En montage alterné, nous suivons Fazil. Il s’immobilise soudain et s’avance entre deux voitures qui ressemblent à celles qui abritent le héros. Il l’a trouvé ! Il va l’exécuter comme un chien, lâchement ! Le grand-angle rend clairement l’effet de la victime qui se recroqueville contre le mur en voyant le bourreau s’avancer vers elle ; quand au néon allumé, il dessine par avance le geste fatal et l’épée qui va s’abattre dans un instant. Bref, toute la forme semble au service du fond. A droite : Mais nous ne sommes pas chez John Ford, et c’est aussi au service du fun qu’est la forme (un des multiples visages du double-jeu postmoderne). Car une seconde plus tard, les néons grésillent, et un autre néon s’allume à droite. Son accrochage invraisemblable (même en tenant compte de la déformation du grand-angle, il n’est pas vissé perpendiculairement aux conduits), montre qu’il a été mis là pour le seul équilibre plastique de la composition (il prolonge les lignes de fuite de la voiture de droite).

Finalement, MacLeod décapite Fazil (classique mickeymousing de la tête qui valse, via un accord dissonant), et une sorte de force mystérieuse secoue le parking, qui fait démarrer les voitures et se briser les vitres. Alors notre héros tueur « reçoit la lumière » - qui vient du ciel alors que nous sommes dans un parking souterrain, mais quelle importance puisque nous nous sommes bien amusés ? Le metteur en scène maîtrisait parfaitement l’art du suspense, du rebondissement et de la fausse alerte, qu’il avait hérité de ses pairs ; il y ajouté une façon de chorégraphier la violence qui leur était inconnue, et a laissé entrevoir qu’il n’était pas dupe de ses emprunts. C’est ce qui s’appelle le cinéma au troisième degré, une sorte d’autorisation à retrouver un plaisir de gamin ébahi et gourmand tout en gardant loin derrière l’idée que l’on sait ce qu’on fait (les premiers films quelque peu postmodernes furent dans cet ordre d’idées appelés films rétro, mais le terme américain de nostalgia films convient mieux car il signale que c’est l’affect-même du spectateur, ses anciennes manières de voir, qui sont concernés). Le sujet même du film, l’immortalité, a d’ailleurs quelque chose d’enfantin, puisque c’est le genre de désir que l’on peut avoir avant d’apprendre que l’accumulation et la répétition ont beaucoup moins de charme que la découverte et la première fois. Exiger que la forme du film se plie strictement au fond est dans ces conditions, bien sûr, un désir assez bizarre.

Pour citer ce texte : L. Jullier, « Un précurseur du cinéma-clip : Highlander », chapitre coupé de Lire les images de cinéma (L. Jullier & M. Marie), Larousse, 2007.