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e tre
On
ne cesserait pas de glaner dans le chapitre de l Histoire des specta-
les de l'Encyclopdie de la Pliade, intitul : Les spectacles de partici
pation. Rites et liturgies , qui montre comment la structure dramatique
s'est peu a peu dgage de la Fete religieuse, et qui, des prcolombiens
jusqu'a la crmonie chrtienne, nous fait saisir une continuit axe sur
un
certain nombre de communs dnominateurs. L'Extreme-Orient,
l'gypte ancienne, la
Grece classique,
le
judalsme, 'Islam, nous offrent
en effet des caracteres identiques a travers leurs singularits respectives,
et permettent dja de dfinir sinon l'essence de la liturgie, au moins des
lignes de force fondamentales de toute clbration.
Ce n'est pas par gout du paradoxe que nous emprunterons a un texte
de Jean Duvignaud sur la rete civique de la priode rvolutionnaire une
approche qui nous semble rsumer, pour peu qu'on
le
resacralise,
le
fonctionnement meme de l'action clbratrice.
Commmorer un vnement ou un hros en rassemblant une grande masse
de citoyens, crer une communion autour d un symbole
2
Que l'
on
accorde ou non a l'vnement et au symbole une
valeur surnaturelle, on rejoint
le
processus crmoniel de toutes les civi
lisations, y compris la civilisation chrtienne. Les analyses
d un
Mircea
Eliade et de tous ceux qui son cits dans
le
numro des
Cahiers de
I Herne consacr a 'historien de Naissan es mystiques recouperaient
celles des spcialistes de telle ou telle priode. Cration d un espace a la
fois centripete (rassemblement et convergence des attentions) et centri
fuge (dilatation dans
le
temps et hors
du
temps jusqu'a
la
dimension
mythiqu
e .
Structuration vigoureuse d'une communion des assistants
entre eux, qui doit etre indissoluble d 'une communion avec les grandes
prsences perptues prcisment par la mmoire religieuse. Ractualisa-
2. }ean
DUV
IGNAUD.
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L CLBR TION DES V LEURS
C est une certaine solennisation de l criture qui fait qu un pisode
de guerre, lvocation de la lutte entre l homme et le cosmos, la pein
ture de la vie en communaut, un soulevement rvolutionnaire, l amour,
la souffrance, le monde de l enfance, la mort, qu elle soit paisible ou
tragique, le sacrifice des innocents, enfin tout
,
comme dit Pierrot le
Fou, acquierent
a
l cran une seconde dimension. 1860 de Blasetti,
L H omme du
Sud
et Le Fleuve de Renoir,
Le
Courage du peuple de San
jines, Espoir de Malraux, Maria Candelaria d milio Fernandez, Ton-
nerre sur le Mexique d Eisenstein, Pafsa de Rossellini,
Le
Chemin
de
la
vie
de Nicolas Ekk,
L Enfance de Gorki
de Donskoi,
Los Olvidados
de
Buuel, en seraient des exemples privilgis. Mais alors, dira-t-on, tout
le cinma ? Pourquoi non, est-on tent de rpondre. Et si le coefficient
de clbration tait le critrium infaillible du degr de beaut, de force,
d efficacit
d un
film
? ..
Il y a peut-etre dans les grands classiques de
l cran comme dans des productions rcentes (Pars Texas) que/que
chose
dont d autres films sont dpourvus.
Eh bien, nous rsisterons a cette tentation : il faut refuser de dire
qu il y a deux niveaux d existence du cinma dont l un serait suprieur
a
l autre. On doit se contenter d affirmer qu il a tou jours exist deux
catgories, deux orientations, de valeur et de qualit gales, mais qui
diflerent par le propos et par le style. Parmi les chefs-d reuvre de
l cran, on ne peut considrer comme clbrateurs des ouvrages tels que
Les Rapaces
La
Regle
du
Jeu, Citizen Kane, Les Raisins
de
la
colere
L Avventura, Les Fraises sauvages, M. le Maudit, et plus pres de nous :
Quand
la
vil/e dort, Salvatore Giuliano, La Maman et la Putain, Provi-
dence
Nashville, L Enfance nue L tat des
choses
Le Mariage de Maria
Braun, Le Dernier Mtro, L Homme de marbre, Zelig et combien d autres
qui feront date sans aucun doute dans l histoire du septieme art.
vitons done toute quivoque au seuil de notre investigation :
l
La liste des films clbrants qui
s
dveloppera ici nest pas
exhaustive .. Et elle peut meme etre conteste.
2. Les productions qui nous paraissent ne pas relever de ce mode esth
tique sont
a
nos yeux d aussi grande valeur que les autres.
Le Fleuve de Jean Renoir ne se contente pas de montrer des clbrations
.... . Par sa composition meme il est un film magnifiquement clbrateur.
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L CRAN CLBRA
TEUR
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deviennent des activits grandioses et solennelles, et
l
me semble que le
critique est parfaitement justifi de dire :
Az imi sacralise sans emphase ni tricherie
des
gestes vus
s1
souvent avec
ennui dans les documentaires
des
annes
50
.
Cette sacralisation tient a
la
fois a
la
modulation de
la
lumiere et a ce
que M. Maho appelle le respect d un quotidien en action , ce res
pect que nous admirons chez un Satyajit Ray comme chez un Mizo
guchi, et auquel la production europenne et amricaine nous convie si
rarement. Faut-il aller plus loin et voir comme notre exgete dans
Les
les
(et alors aussi dans Utopia) une parabole vanglique ? Il est sur
que les personnages ont une dimension prophtique ou messianique
qu il est difficile de contester. Les femmes de leur cot ont une sorte
d aura qui les apparente aux hroines de 1 Anden Testament. Mais ce
sont
les
notations christiques : le pain et le vin
qui permettent sur
tout de dpasser
le
reprsent pour accder soit a un imaginaire
mythique, soit au sacr.
On ne peut oublier qu Azimi vient de l Iran, c est-a-dire d une terre
dont l architecture religieuse, la magie colore, la grace du dessin, la
posie des lgendes composent un sortilege que ne peut amortir la
culture europenne.
Tout
en assimilant les disciplines qu il a su
ac
qurir a
l IDHEC,
le cinaste de
Jours
gris
(qui tait dja
un
film ini
tiatique) a fait passer dans ses images cette ferveur clbratrice qui ne
peut etre
percrue
des spectateurs quau prix d un profond recueillement.
e
w st m
Depuis 1919 jusqu au moment prsent le western a suscit chez la
qu
asi-
totalit des critiques
f r n ~ i s
une ferveur dont les plus illustres
tmoins demeurent Louis Delluc, Robert Brasillach, Jean Mitry, Jean
Louis Rieupeyrout, Andr Bazin. L quipe dtudes cinmatographiques,
ce
ll
e du volume de 10118 consacr au western, Jean-Louis Leutrat,
Christian Viviani, Christian Gonzalez, etc., la liste est loin d etre
exhaustive. Par son ampleur et sa minutie se dtache l tude de
Georges-Albert Astre et Albert-Patrick Hoarau qui reprend certains
themes et
en
amorce d autres en faisant gnralement prdominer deux
orientations, l pope, le lyrisme
20
Or il me semble bien trange que les excellents analystes
du
genre en
20. G.
-A.
ASTRE
et
A.-P. HOARAU, L Univers du western, Seghers, 1973.
Burt Lancaster dans un film de Robert Aldrich : Fureur
apache
.
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L CRAN CLBRATEUR
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Mde:
Un
archaisme raffin et somptueux.
Franc Ducros, paru dans
Les Cahiers e
l
cinmatheque
de Perpignan
pour l t 1971, et d un Mmoire d tudes cinmatographiques soutenu
en
98
par Alain Pailler l universit Paul-Valry. Laissons la parole
au premier:
Medea se prsente d abord comme une rflexion sur la fonction sociale,
morale, politique et en dfinitive rvolutionnaire du sacr, ainsi que sur les
causes et sur les effets de la
profanation dont il est lob jet, chaque fois
qu institutionnalis, ou rprim ou trahi, il perd sa qualit de puissance anima
trice d une civilisation.
Ce qui est grand dans la conception et la mise en images
du
film,
c est que cette rflexion s exprime en
un
systeme de signes tel que la
prgnance du signifiant gratifie le signifi d un coefficient de densit
charnelle et cosmique exceptionnelle. L adquation, qu on peut dire
gniale, entre la rflexion pasolinienne sur la tragdie de la dsacralisa-
Maria Callas
dans
Mde:
une prsence magique.
tion et l criture qui correspond pleinement
ce
que le cinaste appelle
un cinma de posie est
si
constante et si soutenue tout au long de
Mde que le film devient lui-meme, ainsi que le dit Alain Pailler, un
rite sacrificiel comme l tait le rituel immmorial pour le paysan de Col
chide. Toute la squence initiale,
d une
sauvagerie la
fois
grandiose et
co
ntrle, s oppose par avance aux fadeurs dcadentes des pisodes
situs Corinthe. Prparation
du
sacrifice, droulement de l gorgement
magique, rite de fertilisation, tous ces moments nous font sentir, mais
non de
f ~ o n gratuite et esthtisante, la prsence de la camra et nous
montrent selon le mot de Pasolini que le protagoniste est le style plus
que les choses
ou
les faits . Le martelement des gros plans, le tremble
ment de la camra, la lenteur hiratique, miment cette fabuleuse
introspection
du
mystere du sang antique dont parle Tako Okamoto
dans son livre-somme,
L Esthtique et le Sacr,
auquel Alain Pailler
se
rfere souvent.
L clatement de l criture cinmatographique, le recours
a
une
musique dionysiaque, les temps de silence qui intensifient le suspens (et
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LA CLBRATION DE
LA
MORT
Cest en 1920 que Freud, avec Au-dela du principe du plaisir, ana lyse
la pulsion de mort ex.istant en tout homme, et donne a cette force de
destruction . une place capitale. En fait, cette tendance avait t
dtecte avant lu et surtout la littrature, la mythologie, la musique de
tous les pays y avaient fait implicitement ou explicitement allusion.
Marthe Robert parle de la
tendance de toutes les choses animes
retrouver un tat antrieur, en d autres termes la mort, puisque partout
la non-vie a prcd la vie
52
.
Le meme crivain ajoute :
Dans un ouvrage ultrieur, e Moi
et le
c
,
Freud laisse entendre qu il opte
pour l instinct de mort dont l Empire est puissant et muet et contre l ros qui
est dans le monde l ternel trouble-paix.
Assurment il faudrait replacer ces lignes d apparence un peu para
doxale dans tout
un
contexte, mais nous souhaitons ne retenir quel importance de lobsession touchant au Thanatos, qui se manifestera
d ailleurs dans toute l iconographie europenne comme le montre de
f ~ o n
dtaille Marcel Brion
53
Et l
est bien vident que depuis
la
plus
lointaine antiquit et sous les formes les plus diverses un culte ou un
ftichisme de la mort a suscit tantt des monuments, tantt des cr
monies plus ou moins sanglantes, en Asie et en Afrique comme dans
l Amrique du Sud. Notre propos n est pas celui d un ethnographe mais
seulement
d un
chercheur qui croit pouvoir retrouver dans le cinma
ces
triomphes de la mort , ces
carnavals funebres
.
que Brion a soi
gneusement inventoris.
Je ne pense pas que
Qu
viva Mexico contienne dans la partie sou
vent projete part, intitule : a
Kermesse funebre,
une vritable cl
bration de la mort. le comme au dbut du film Au-dessous du volean
(dans la seule squence vraiment aboutie) la vie et la mort se donnent la
main et selon une dialectique viscrale le mort et le vivant sunissent
dans une parade qui est aussi un exorcisme. Mais
l
est des reuvres et
52
Manhe
ROBER
T,
La Rvo/ution p
sycha
naly
ti
que,
1964.
53. Marcel BRION,
L 'Art fantastiq
ue chap. III, Squelettes et fantmes .
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UN
ART DE
L
CLBRATION
qui impliquerait la dure s est substitue une sorte de circularit creuse
et non structurante. L limination de toute vie, meme minrale ou vg
tale, triomphe dans le long et inexorable parcours de ces jardins dserts,
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dans l inventaire minutieux de ces salles rduites a des ruines, et
dsertes. Le spatial atteint en un sens une puret extra-terrestre, dans la
mesure ou il ne peut plus renvoyer a autre chose qu a cette immobilisa
tion ou a ce cheminement sans objet et sans espoir. Le travelling qui
dans le premier pisode d Aurelia Steiner gardera
un
je
ne sais quoi de
mlancolique est ici quelque chose qui
se
dtruit au moment ou i
s accomplit. Mais i reste dans le hiratisme de l criture, dans la trans
cendance creuse qu elle semble impliquer en regara de tout repere et de
toute anecdote, dans son glacis rigoureux et pur comme de la musique
de chambre, il reste la splendeur mallarmenne de ce crmonial en
l honneur de la vacuit.
Une seule vision
d Agatha
nous confirme certes dans
ces
vues mais
ne nous permet pas de rendre compte de ce film encore plus cathare
que les prcdents, et qui semble bien embarrasser meme les laudateurs
de l reuvre. Ce qui est sur, c est que l vocation quasi proustienne
d un
paysage marin, revcu par le souvenir, atteint une dignit plastique
si
forte et si profonde qu en regard la plupart des productions contempo
raines tombent en miettes. Reste a savoir si le dernier panoramique ver
tical, qui
va
tres exactement de l azur a la boue, est une articulation du
dsespoir, de la nostalgie ou de la drision
68
68. Dans son excellente tude s
ur
India Song (Annales
de
la
facult des Lettres de
Nice), Ren Prdal intitule le dernier in tenitre : La folie de lamour et de la mort.
N GUISE DE ON LUSION
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LE DOCUMENT IRE
Pour vrifier de
f ~ o n
dcisive le phnomene de transfiguration
du
donn
par le cinma, l analyse la plus probante serait peut-etre celle
du
courant documentariste de long ou court mtrage : certes le mot
n est pas satisfaisant, non plus que celui de
cinma direct
.
s agit
en fait de ces productions limites en gnral a une vingtaine de
minutes et qui rcusent la fiction ou la rduisent au mnimum. Ce
genre a dja des classiques dont le caractere releve prcisment de notre
investigation :
Corral
de Coln Low,
Rythmes
de
la vil/e d
Arne Sucks
dorff,
paves
de Jacques-Yves Cousteau,
Verre
de Bert Haanstra, a cer
tains gards
uernica d
Alain Resnais.
Assurment - encore que les conditions commerciales de la cinma
tographie rendent de plus
en
plus difficile la ralisation de ces
ceuvres - il doit y avoir des documentaires plus rcents qui se ratta
chent a cette orientation clbratrice. Nous nous limitons toutefois a
ceux que nous venons de citer puisqu ils ont t consacrs par de multi
ples projections en cin-club.
Corral,.
Le dressage
d un
cheval devient ici la rencontre entre l
a
nimal et
l homme. Certes la vigueur
du
cow-boy et l efficacit des lments mat
riels (poutre, lasso, selle) sont mises en relief par le dcoupage dyna
mique, mais la dignit plastique de chaque plan, le temps
du
droule
ment d une action qui devient une sorte de rite homrique, la clart
du
del, l accompagnement a la guitare, la suppression de tout commen
taire, sont des facteurs d exaltation qui dpassent
l
niveau
du
didac
tique et meme celui de l pope. Et les dernieres images
du
film, mon
trant en plan d ensemble avec un long trav lling latral la chevauche
heureuse dans
un
espace scintillant, sont bien l aboutissement de cet
pisode, au fond plus intimiste que spectaculaire et qui dit l amour de
la vie avec une conomie de moyens qui fait palir
en
regard le tres sur
fait
Crin Blanc.
Le Canadien Coln Low est sans nul doute l hritier de
Flaherty.
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