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UMI
Liberte, responsabilite et utilite : la bonne foi comme instrument de justice contractuelle.
par :
Marie Annik Gregoire
Institut de droit compare Faculte de droit
Universite McGill
Decembre 2007
These soumise a l'Universite McGill afin de satisfaire en partie les exigences d'obtention du diplome de doctorat en droit civil (DCL)
© Marie Annik Gregoire 2007
1 * 1 Library and Archives Canada
Published Heritage Branch
Bibliothgque et Archives Canada
Direction du Patrimoine de l'6dition
395 Wellington Street Ottawa ON K1A 0N4 Canada
395, rue Wellington Ottawa ON K1A 0N4 Canada
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Bien que ces formulaires aient inclus dans la pagination, il n'y aura aucun contenu manquant.
M
Canada
Resume
Notre etude consiste a degager les principes directeurs du droit des obligations
quebecois, plus particulierement sa composante contractuelle. Nous tentons
d'etablir une forme d'analyse qui aura pour but de definir et de legitimer les
preceptes de justice qui devraient guider 1'intervention judiciaire au sein des
relations contractuelles.
Dans le cadre de cette etude, nous identifions certains principes comme
fondamentaux dans la theorie contractuelle: la justice commutative, la
commutativite contractuelle, les droits subjectifs et les interets legitimes. Nous
etablissons les rapports qui existent entre chacune de ces notions fondamentales
pour conclure que pour s'averer conforme aux principes de justice commutative,
la commutativite contractuelle ne doit pas etre basee sur une equivalence
monetaire des prestations mais sur le respect d'une norme fondee sur la
coexistence paisible des droits et interets. II s'agit en quelque sorte d'une
normalisation des rapports contractuels qui cessent d'etre purement subjectifs.
Cette constatation entraine plusieurs consequences : l'ajout des circonstances de
1'execution et 1'extinction du contrat, et non plus de sa seule formation, au
possibility de controle judiciaire, une meilleure legitimation d'un tel controle et la
reconnaissance de la bonne foi comme instrument privilegie d'une commutativite
contractuelle plus juste. D'ailleurs, la derniere partie de notre these est consacree
a l'examen pratique des interventions judiciaires basees sur la bonne foi afin
d'illustrer les principes exprimes dans l'etude.
Abstract
This thesis outlines the guiding principles of obligations law in Quebec, more
particularly its contractual component. We are trying to establish a model of
analysis that will seek to define and legitimize the precepts of justice that should
guide judicial intervention in contractual relationships.
As part of this study, we identify certain principles that are fundamental in the
theory of contract: notably, commutative justice, contract commutability,
subjective rights and legitimate interests. We establish the relationship between
each of these basic concepts to conclude that to be consistent with the principles
of commutative justice, contract commutability shall not be based on a monetary
equivalent of benefits but on the respect of a standard based on peaceful
coexistence of rights and interests. It consists therefore of a normalization of
contractual relations which ceases to be purely subjective. This finding leads to
several inferences: the addition of the circumstances of the execution and
termination of the contract, rather than simply its creation, to the possibilities of
judicial review, a better legitimization of such review and the recognition of the
principle of good faith as a privileged instrument for a fairer contractual
commutability. Moreover, the last part of our thesis is devoted to examining
judicial practice interventions based on good faith in order to illustrate the
principles expressed in the study.
ii
TABLE DES MATIERES
R E M E R C I E M E N T S J V
1. INTRODUCTION : L'ETUDE DETERMINANTE DES ASSISES DU DROIT PRIVE COMME FACTEUR DE JUSTICE 1
2. LES CARACTERISTIQUES ESSENTIELLES DU LIEN CONTRACTUEL. 12
2.1. Un lien prive d'obligations 12
2.2 L'interet des parties : le droit des obligations est-il vraiment juste et utile? 15
2.3. Les principes de justice regissant le droit des
obligations contractuelles et extracontractuelles 31
2.4. La normativite de la justice commutative en droit des obligations : 47
2.4.1. La justice commutative en responsabilite civile 47
2.4.1.1. La theorie d'Ernest Weinrib sur l'equilibre normatif 58
2.4.1.1.1 La notion de perte normative 58
2.4.1.1.2 La justice commutative et la violation d'un droit: quelles sont
les sanctions appropriees ? 68
2.4.1.2. Conclusion sur la justice commutative en responsabilite civile 82
2.4.2 La justice commutative et la relation contractuelle : 85
2.4.2.1. Les assises essentielles d'une theorie contractuelle 87
2.4.2.1.1 Le role de la volonte au contrat > 89
2.4.2.1.2 Une commutativite objective 112
2.4.2.1.2.1 L'evolution de la commutativite contractuelle de subjective a plus objective 119
2.4.2.1.2.2. Conclusions sur revolution de la commutativite contractuelle 142
I
2.4.2.1.3. Une commutativite normative 143
2.4.2.2. Le lien entre la liberte et la commutativite contractuelle 147
2.4.2.2.1 La condition prealable a l'imposition d'une commutativite objective : l'inegalite des parties 153
2.4.2.2.1.1 L'inegalite non fautive 154
2.4.2.2.1.2 L'inegalite fautive 158
2.4.2.3. Le role du raisonnable dans la commutativite contractuelle 160
2.4.2.4. Perspectives et conclusions concernant une commutativite contractuelle plus juste 165
3. LA COMMUTATIVITE OBJECTIVE ET LES DROITS SUBJECTIFS 178
3.1 La reconnaissance du concept de droit subjectif. 181
3.2 L'exercice d'une prerogative dans l'interet de son titulaire 194
3.3 Le droit subjectif: source d'exclusivite 214
3.4. Des limites sociales a l'exercice du droit subjectif 217
3.4.1 Le droit subjectif: incarnation du droit objectif 217
3.4.2 Le droit aux profits en situation de liberte 233
3.4.3. Le role de l'interet dans le droit subjectif. ....243
3.5. Conclusions concernant la commutativite objective et les droits subjectifs .260
4. LA BONNE FOI : UNE LEGITIMATION DE L'INTERVENTION JUDICIAIRE ET DE LA COMMUTATIVITE OBJECTIVE 2 6 3
4.1 La definition de la bonne foi 265
4.1.1 La bonne foi et la theorie dite du « solidarisme contractuel» 281
4.1.2. La bonne foi et les contrats dits « relationnels » 290
4.2 Les fonctions de la bonne foi 295
II
4.2.1. La fonction interpretative 296
4.2.2. La fonction completive 308
4.2.2.1 L'obligation d'information 325
4.2.3. La fonction limitative 343
4.2.3.1. L'abus de droit en droit du travail et l'octroi de frais extrajudiciaires pour abus de procedures : des exceptions a la regie ? .351
4.2.3.1.1. L'abus du droit de congedier 352
4.2.3.1.2 Les honoraires extrajudiciaires 355
4.2.3.2. Conclusions sur la fonction limitative de la bonne foi 358
4.2.4. La fonction adaptative 359
4.3 Conclusions sur la bonne foi comme instrument legitime d'intervention judiciaire et de reconnaissance de la commutativite objective 376
C O N C L U S I O N 379
B I B L I O G R A P H I E G E N E R A L E : 3 9 0
1. DOCTRINE 390
A-Ouvrages et theses 390
B- Articles ..396
C-Dictionnaires 405
2. JURISPRUDENCE 407
A-Jurisprudence quebecoise et canadienne 407
B-Jurisprudence fran^aise 412
III
REMERCIEMENTS
Que d'annees passees a rechercher, rediger, lire et relire. Celles-ci ont ete marquees par plusieurs evenements d'importance et par de nombreux decouragements et encouragements. Sans le soutien expres de nombreuses personnes, je doute que mon projet de these aurait connu un tel aboutissement...
II me faut premierement souligner l'importante aide financiere qui m'a permis de me consacrer a mes recherches. J'ai ete a ce titre particulierement choyee! Ainsi, je tiens a remercier pour leur generosite, le Fonds Wainwright de la Faculte de droit de l'Universite McGill, l'Universite McGill (Bourse de redaction de la Principale), le CRSH, le FQRSC, ainsi que le Bureau du personnel enseignant (Bourse de perfectionnement) et la Chaire Jean-Louis Baudouin en droit civil de l'Universite de Montreal.
Ensuite, je ne peux passer sous silence les contributions essentielles de mes deux directeurs de recherche, le doyen Nicholas Kasirer et le professeur Adrian Popovici. lis ont su me guider et m'interesser a des pensees, des auteurs ou des philosophies que je croyais inaccessibles. Je leur en suis vraiment reconnaissante et j'espere que j'aurai a nouveau 1'occasion de travailler avec de si grands esprits!
Un merci special a mes collegues doctorants. Dans l'isolement de la redaction d'une these, votre support informel m'a ete d'un grand reconfort. Sebastien, Marie-Pierre, Caroline, Catherine, Isabelle, Patrick et Mohammad, pour ne nommer que ceux-la, j'espere que vous vous reconnaissez! Un merci aussi a mes etudiants qui, au fil des annees, par leur enthousiasme ont su me prouver que j 'avais fait les bons choix et que le sacrifice en valait la peine!
Merci aussi a mes amis qui ne m'en veulent pas de les avoir un peu negliges dans ma folie doctorale... Un merci particulier a Catherine qui n'a jamais refuse que nous discutions de ma these et a Dimitra pour avoir verifie ma traduction anglaise.
Merci au professeur Hugues Parent pour m'avoir bien explique que mes etats d'ame etaient des etats normaux de doctorant... Merci aux professeurs Didier Lluelles et Diane Labreche pour leur support inconditionnel.
Un merci particulier a Denise Rochon pour sa patience surhumaine, sa grande intelligence et son... perfectionnisme! Ses enseignements iront bien au-dela de cette these... elle m'a ete tres precieuse.
Finalement, un merci tres special a ma famille, Benoit, Catherine et Juliette pour m'avoir epaulee, encouragee et parfois enduree durant toutes ces annees. Je vous' adore!
IV
«l'equite veut qu'a des cas identiques, on applique des principes juridiques identiques »
Ciceron - Topiques IV-231
1. Introduction : L'etude determinante des assises du droit prive comme
facteur de justice.
Des les premieres minutes d'un cours de droit des obligations, un etudiant
apprend qu'un contrat se forme generalement par l'echange des consentements
des parties. On schematise le principe du consensualisme par la terminologie de
la « rencontre des volontes ». Celle-ci veut que les parties s'entendent sur les
elements essentiels du contrat et scellent ceux-ci par la manifestation reciproque
de leur consentement. Ce processus complete, le contenu contractuel serait
immuable sauf par une nouvelle rencontre de volontes ou par l'effet de la loi.
En d'autres termes, tout etudiant en droit apprend que les preceptes de la theorie
de l'autonomie de la volonte gerent encore les relations contractuelles en droit
quebecois.
Pourtant, le meme etudiant se fera expliquer que la theorie de l'autonomie de la
volonte est le plus souvent denoncee pour les injustices qu'elle entraine.
Cependant, du meme souffle, ses professeurs critiqueront toute intervention
judiciaire dans la relation contractuelle. lis invoqueront la securite juridique, la
stabilite contractuelle et le risque de mettre en peril la commutativite subjective
1 Ciceron, Topiques, trad, par Henri Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1960, no. IV-23.
1
resultant de la volonte des parties. Le respect de la liberte des parties veut que
Ton respecte leur volonte. Or, la combinaison de ces mises en garde et de la
denonciation de l'injustice contractuelle denote clairement un conflit de valeurs
dans ces enseignements.
On peut penser que conscient d'une telle contradiction, le legislateur a voulu
proposer une solution lors de 1'adoption du nouveau Code civil du Quebec. Avec
la reconnaissance et la codification de certaines notions - telle la notion de bonne
foi - a premiere vue, a caractere moins egoi'ste que les valeurs preconisees par la
theorie obligationnelle traditionnelle, on peut penser que le legislateur a fait le
pari de favoriser la justice contractuelle. Si tel est effectivement le cas, il devient
de plus en plus imperatif de s'interroger sur les consequences concretes d'un tel
choix legislatif sur 1'ideologic fondamentale du droit des obligations
contractuelles et extracontractuelles.
Bien sur, a priori un tel questionnement suppose qu'une telle ideologic existe. Le
droit des obligations est-il un exemple d'amalgames heteroclites sans aucune
coherence intrinseque ? Cela serait peu probable etant donne les nature et
structure reconnues d'un Code civil. Alors, si effectivement le Code civil
comporte des principes directeurs internes2, nous croyons que ces assises meritent
d'etre identifiees pour verifier 1'impact des nouvelles normes codifiees.
2 Dore c. Verdun (Ville de), [1997] 2 R.C.S. 862 a la p. 874 [Dore],
2
Aussi etrange que cela puisse paraitre, peu d'auteurs civilistes se prononcent a ce
sujet, du moins aussi clairement que le font certains auteurs issus d'une autre
tradition juridique. Cela peut probablement s'expliquer par le fait qu'il est
presume, comme nous venons de le mentionner, que le Code est dote d'une
structure coherente ou les dispositions s'interpreted les unes par rapport aux
autres en vertu de principes directeurs decoulant de l'etude et l'analyse de ces
memes dispositions . Malheureusement cette absence de debat entraine une
consequence importante : les principes directeurs du Code civil sont peu etudies.
On s'en tient aux banalites, en affirmant par exemple que le Code privilegie la
protection du plus faible dans le cadre des relations contractuelles, sans expliquer
ce qui justifie une telle protection.
Un des principes fondamentaux de la justice est certainement de traiter les cas
semblables de fa?on semblable4. Mais si Ton interprete les dispositions du Code
civil sans tenir compte de ses structure et coherence internes, qu'est-ce qui nous
permet d'assurer une interpretation uniforme et logique des regies de droit ?
Identifier et expliquer les principes directeurs du Code civil s'avere fondamental
puisque si les dispositions de celui-ci s'interpreted effectivement les unes par
rapport aux autres, en connaissant ces principes fondamentaux, on evite une
interpretation et une application arbitrages des regies de droit y contenues. On
3 Ibid-, Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette, 2006 QCCA 1437, [2006] R.J.Q. 2633 au para. 131 [Ciment du St-Laurent].
4 Stephen A. Smith, Contract Theory, Clarendon Law Series, New York, Oxford University Press, 2004 a la p. 46.
3
evite certaines contradictions et incoherences5 puisque les acteurs du droit
deviennent conscients des limites ceinturant l'application des regies de droit prive.
Si l'on fait defaut d'identifier et d'assurer le respect des principes directeurs du
Code civil, le succes ou le rejet d'un recours de droit prive devient une pure
question d'opinions personnelles du juge traitant le dossier. On se retrouve alors
avec autant de decisions qu'il peut etre difficile d'incorporer ou d'expliquer dans
le cadre de la theorie civiliste quebecoise et qui sont, fort a propos, denoncees
comme telles! C'est ainsi que l'application des regies de droit devient arbitraire.
Or, une telle situation doit etre evitee pour maintenir la justice et la confiance dans
1'administration du droit.
Parce qu'il s'agit d'un des principaux preceptes codifies au Code civil du Quebec,
la demonstration de la presente these demande de se pencher particulierement sur
l'obligation de bonne foi dans la formation, l'execution et l'extinction de
l'obligation. L'interpretation de cette notion par la jurisprudence peut laisser le
juriste quelque peu abasourdi. D'ailleurs, plusieurs semblent suggerer qu'il ne
peut resulter de l'application de cette notion que des jugements bases sur le cas
par cas, sans coherence entre eux. D'autres, au contraire, ont une interpretation
inverse qui se veut modificatrice des principes traditionnels du droit des contrats.
Ainsi, s'il semble clairement admis que cette notion de bonne foi implique des
devoirs d'information, de cooperation et de loyaute, une certaine doctrine
5 Ernest J. Weinrib, The Idea of Private Law, Cambridge, Harvard University Press, 1995 notamment a la p. 12 [Weinrib, Idea].
4
autorisee, n'hesite pas a y constater une transformation de la theorie generale des
obligations, et particulierement, sa branche contractuelle, de la vision classique -
ou le contrat est per<?u comme la conciliation d'interets egoi'stes - en celle ou ce
meme contrat est, au contraire, per?u comme une oeuvre de cooperation entre des
f\ 7
contractants unis par des liens de solidarity et animes d'un esprit altruiste .
Meme la doctrine quebecoise sur cette question semble etre attiree par une telle
conception de la notion de bonne foi en droit des obligations .
Pourtant, lorsqu'on 1'examine de plus pres, toute cette doctrine semble se
contredire elle-meme en insistant sur le role de cette meme bonne foi comme
gardienne des liberies individuelles et du libre exercice des droits mais aussi
comme gardienne des interets de son cocontractant. C'est alors que Ton retrouve
des remarques comme celle voulant qu'il faut favoriser un esprit de collaboration
et de loyaute mais en tenant compte de la nature humaine, c'est-a-dire une nature
egoi'ste. On exige loyaute et collaboration mais on reconnait que T on ne peut
6 Eric Savaux, « Solidarisme contractuel et formation du contrat» dans Luc Grynbaum et Marc Nicod (dir.) Le solidarisme contractuel, coll. Etudes juridiques, Paris, Economica, 2004, 43 a la p. 44; Anne-Sylvie Courdier, Le solidarisme contractuel, These de doctorat en droit, Universite de Bourgogne, 2003 [microfiches] (il faut cependant noter que cet auteure rejette la bonne foi comme principe permettant d'actualiser ce lien de solidarity entre les contractants); Catherine Thibierge-Guelfucci, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats », [1997] R.T.D. civ. 357 a lap. 362.
7 Denis Mazeaud, « Solidarisme contractuel et realisation du contrat» dans Luc Grynbaum et Marc Nicod (dir.) Le solidarisme contractuel, coll. Etudes juridiques, Paris, Economica, 2004, 57 a la p. 69 [Mazeaud, « Solidarisme »].
8 Voir Charles D. Gonthier, « Liberty, Equality, Fraternity : The Forgotten Leg of the Trilogy, or Fraternity : The Unspoken Third Pillar of Democracy » (2000) 45 R.D. McGill 567 notamment a la p. 579 et s. Brigitte Lefebvre, La bonne foi dans la formation des contrats, Cowansville, Yvon Blais, 1998 a la p. 41[Lefebvre, Bonne foi]; Brigitte Lefebvre, « Liberte contractuelle et justice contractuelle : le role accru de la bonne foi comme norme de comportement», dans Developpements recents en droit des contrats (2000), Service de la formation permanente, Barreau du Quebec, Cowansville, Yvon Blais, 2000,49 [Lefebvre, « Liberte »].
5
exiger un comportement vertueux ou angelique9. Difficile de s'y retrouver!
Devant ces propos en apparence contradictoires, on peut s'interroger et se
demander ce qui empeche cette doctrine a aller au bout de sa pensee et de ses
ambitions. Pour quelles raisons ne peut-elle pas faire serieusement la
demonstration que la loyaute et la collaboration contractuelles peuvent, en
certaines circonstances, obliger une partie a renoncer a ses interets pour favoriser
ceux de son cocontractant ? Y aurait-il une theorie contractuelle en filigrane qui
les empecherait d'avancer aussi loin dans la theorie solidariste ou de fraternite
contractuelle ? Malheureusement, aucun, a notre connaissance, ne repond
clairement a cette question. II semble done que nous soyons condamnes a devoir
nous contenter de sous-entendus.
II est aussi interessant de noter que meme la jurisprudence semble se soumettre a
une certaine ideologic implicite dans sa definition de la notion de bonne foi.
Ainsi, dans 1'interpretation et l'imposition de cette notion, les tribunaux insistent
particulierement sur les circonstances et la situation respective des parties
contractantes pour imposer a l'une d'elles les devoirs qui semblent justifies.
L'importance accordee a une partie desavantagee par les circonstances est
9 Lefebvre, « Liberte », ibid, a la p. 61; Denis Mazeaud, « Loyaute, solidarity fraternite: la nouvelle devise contractuelle ? », dans L 'avenir du droit, melanges en hommage a Franqois Terre, Paris, Presses universitaires de France, 1999, 603 notamment a la p. 604 [Mazeaud, « Loyaute »]; A. Pousson, « Morale et droit du travail», dans La morale et le droit des affaires, Actes du colloque organise a l'Universite des Sciences Sociales de Toulouse le 12 mai 1995, Paris, Montchrestien, 1996, 53 qui a la p. 68 declare au sujet des loyaute et bonne foi impregnant le contrat de travail: « l'angelisme n'est pas de mise, il n'est pas exige que chacun des contractant qu'il aime l'autre « comme un frere » [les italiques apparaissent au texte original]; Alain Benabent, « La bonne foi dans l'execution du contrat (rapport fran^ais) », dans La bonne foi (Journees louisianaises-1992), Travaux de l'Association Henri Capitant, t. 23, Paris, Litec, 1994, 291 qui a la p. 293 denonce l'enthousiasme excessif d'une conception angelique du contrat.
6
probante. Les arrets Banque nationale du Canada c. Soucisse10 et Banque
nationale du Canada c. Houle" en sont des exemples frappants. Dans ces
affaires, on insiste beaucoup sur l'attitude insouciante de la Banque a l'egard des
interets de ses clients et cautions de ceux-ci, ce qui permet au plus haut tribunal
d'imposer a la Banque des normes comportementales exigeant une meilleure
collaboration avec sa clientele afin de proteger les interets de cette derniere.
Pourtant, meme lorsqu'elle enonce un principe d'application generate fonde sur la
bonne foi en matiere contractuelle, la Cour supreme prend la peine d'y joindre des
criteres d'application veillant a reiterer et insister sur l'obligation de chacun a
veiller prudemment a ses affaires. Ainsi, dans l'arret Banque de Montreal c.
Bail12, la Cour insiste sur le fait qu'on ne pourra imposer une obligation de
renseignement a l'une des parties que lorsque le creancier de cette obligation de
renseignement aura ete dans 1'impossibility de se renseigner lui-meme ou aura ete
berne par sa confiance legitime en la personne du debiteur de l'obligation de
renseignement. Cette condition a par ailleurs ete interpretee par la suite comme
obligeant les parties a «obtenir l'aide et l'assistance necessaires pour evaluer les
risques et les implications du contrat »13. Le but avoue de cette condition
d'application est de donner a l'obligation de renseignement un role de
« reequilibrage au sein du droit civil »14, mais sans ecarter l'obligation de chacun
d'etre le meilleur gardien de son interet propre. Or, en examinant ces propos des
10 Banque nationale du Canada c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339 notamment a la p. 357 [Soucisse]. 11 Banque nationale du Canada c. Houle, [1990] 3 R.C.S. 122 [Houle] 12 Banque de Montreal c. Bail, [1992] 2 R.C.S. 554 notamment a la p. 586 et s. [Bail] 13 2328-4938 Quebec inc. c. Naturiste J.M.B. inc., [2000] R.J.Q. 2607 (C.S.) au para. 139 (REJB),
appel rejete sur requete, 2005 QCCA 356. 14 Bail, supra note 12 a la p. 587.
7
tribunaux, on peut s'interroger a savoir si l'insistance de ceux-ci sur l'autonomie
et la responsabilite individuelle de chacune des parties, tout en admettant des
obligations, au premier regard contradictoires, fondees sur une certaine
reconnaissance des interets d'autrui, est la manifestation d'une ideologic visant a
favoriser une plus grande justice contractuelle.
Si, effectivement, les discours de la doctrine et de la jurisprudence sont le reflet
d'une ideologic promouvant une plus grande justice contractuelle, il semble
important de bien en identifier les caracteristiques afin que la notion de bonne foi
en matiere contractuelle puisse se developper en harmonie avec cette ideologic.
Nous ne pouvons nous resoudre a laisser cette notion a la seule justification de
l'analyse au cas par cas. Les juges sont de plus en plus appeles a se prononcer et a
interpreter cette notion et malheureusement, en 1'absence de balises, certaines de
ces decisions peuvent se reveler mal fondees et ainsi favoriser l'arbitraire plutot
que la justice. Nous avons aussi mentionne, dans un ouvrage precedent, que la
notion de bonne foi a tendance a multiplier les obligations imposees aux parties et
qu'il peut paraitre de plus en plus difficile de respecter et d'analyser les tenants et
aboutissants de cette notion tant ses ramifications peuvent etre nombreuses15.
Devant ce fouillis annonce, peut-etre est-il temps d'identifier le fil conducteur de
ces analyses, si fil conducteur il y a.
15 Voir le tableau « Phenomene de l'arbre normatif de la bonne foi » dans Marie Annik Gregoire, Le role de la bonne foi dans la formation et I'elaboration du contrat, Collection Minerve, Cowansville, Yvon Blais, 2003 aux pp. 24-25.
8
Ainsi, est-il necessaire que la Cour d'appel du Quebec16 souligne l'aspect
imperatif du devoir de bonne foi ? Au meme titre, que pouvons-nous conclure de
son rappel a l'ordre quant a la necessite de demontrer un prejudice avant d'exiger
la sanction de ce meme devoir de bonne foi17 ? Une meilleure comprehension de
certains principes directeurs de la relation contractuelle aurait-elle permis d'eviter
de tels debats ? Ces precisions dans 1'interpretation du devoir de bonne foi
n'allaient-elles pas de soi ? C'est ce que nous voulons tenter de demystifier dans
le cadre de cette etude.
Parce qu'ils n'ont pas acces a la structure d'un Code civil et travaillent
consequemment avec un systeme de droit en apparence plus heteroclite, ce debat
est beaucoup plus important au sein de la doctrine de nos voisins de common law.
Parce que la coherence est beaucoup moins evidente lorsque le systeme de droit
est inductif et decoule d'une serie de decisions judiciaires formant au fil du temps
un corpus de regies de droit, beaucoup d'auteurs de common law ont etudie et
emis des opinions sur les theories fondamentales expliquant le droit prive et
justifiant son aspect normatif. Parmi ceux-ci on retrouve notamment Stephen A.
Smith et Ernest J. Weinrib dont les theories et explications influenced les
presentes reflexions. Nous etudierons done certaines idees particulieres de ces
auteurs, non pas dans un but d'effectuer une etude de droit compare entre le droit
civil et la common law, etude qui va au-dela de cette these, mais pour inspirer une
grille d'analyse des rapports obligationnels et specialement les rapports
16 Voir Trust La Laurentienne c. Losier (15 janvier 2001) Montreal, 500-09-007838-998, J.E. 2001-254, REJB 2001-22029 (C.A.) [Losier]
17 Voir ibid, et Banque Laurentienne du Canada c. Mackay, [2002] R.J.Q. 365 (C.A.) [Mackay]
9
contractuels. Certains pourront nous reprocher cette acculturation juridique des
idees de ces auteurs mais nous croyons pour notre part qu'au-dela des exemples
de recours fondes sur la common law qu'offrent ces auteurs pour illustrer leur
pensee, la rationalite qui se degage de celle-ci est plus qu'inspirante pour les
civilistes recherchant la justice et la coherence en droit prive.
Par la meme occasion, nous souhaitons aussi mentionner qu'a l'instar de la
majorite de la doctrine quebecoise, dans le cadre de notre etude, nous utiliserons
souvent des idees emises par des auteurs frangais, beiges ou suisses au meme titre
que celles emises par des auteurs quebecois. Nous l'avons fait lorsque la parente
entre les ideologies des systemes de droit respectifs permettait un tel
rapprochement. Ceci dit, encore une fois, il faut recevoir ces idees dans un esprit
d'acculturation et d'adaptation et non dans une perspective de droit compare.
Nous l'avons specifie, notre etude se limite au droit interne quebecois. Par contre,
nous tenons a aj outer que cela ne nous empechera pas a 1'occasion de puiser
certains exemples du droit etranger ou international.
Ces precisions faites, examinons certaines idees ayant inspire notre demarche. Le
professeur Smith qualifie d'interpretative (en traduction libre) une theorie qui a
pour vocation de demontrer l'intelligibilite du droit, c'est-a-dire, d'effectuer la
demonstration des notions et principes sous-jacents permettant une
comprehension intrinseque de ce droit18. Elle doit repondre, toujours selon le
professeur Smith, a deux questions fondamentales, resumees sous les vocables
18 Smith, supra note 4 a la p. 5.
10
analytique et normative, soit: quelles sont les principales caracteristiques de ce
droit et pourquoi lui donne-t-on une force obligatoire19 ?
Telle se veut l'inspiration de notre demarche. Nous voulons analyser ce que nous
considerons etre les caracteristiques essentielles d'une relation contractuelle en
droit quebecois. Suite a cet examen, nous tenterons de determiner comment la
notion de bonne foi peut s'inscrire dans la nature intrinseque ainsi identifiee de
l'obligation contractuelle pour favoriser une plus grande justice entre les parties.
19 Ibid, aux pp. 41-49.
11
2. Les caracteristiques essentielles du lien contractuel.
La caracteristique premiere de tout lien contractuel est d'etre un lien createur
d'obligations. Nous jugeons done important d'etudier en premier lieu les
particularites d'un tel lien. Nous serons ensuite en mesure d'etudier comment se
traduit la justice contractuelle au sein de ce lien particulier.
2.1. Un lien prive createur d'obligations
En droit civil, l'obligation peut etre definie comme un lien de droit unissant deux
personnes et par lequel le debiteur est tenu d'executer une prestation envers le
90
creancier sous peine d'une sanction juridique . En resume, il faut reunir les
elements minimaux suivants pour etablir une relation obligationnelle : les sujets
(parties), une prestation et une sanction legale. Ces elements devront done etre au
coeur de notre developpement theorique, puisqu'une theorie ne tenant pas compte
de ces elements serait deconnectee de la notion meme d'obligation21. La relation
obligationnelle unit une personne et une autre volontairement par un lien de droit
contractuel ou involontairement par un lien de droit extracontractuel. 20 Centre de recherche en droit prive et compare du Quebec, Dictionnaire de droit prive et lexiques
bilingues: Les obligations, Cowansville, Yvon Blais, 2003, s.v. «obligation» [CRDP, Obligations]; Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 6e ed. par Pierre-Gabriel Jobin avec la collaboration de Nathalie Vezina, Cowansville, Yvon Blais, 2005 au no. 16 et s.; Jean Carbonnier, Droit civil: les obligations, t. 4, 22e ed., Presses universitaires de France, Paris, 2000 au no. 7 et s. [Carbonnier, Obligations]-, Didier Lluelles et Benoit Moore, Droit des obligations, Montreal, Themis, 2006 au no. 4 et s.; Henri, Leon et Jean Mazeaud et Francois Chabas, Legons de droit civil: les obligations : theorie generate, t. 2, vol. 1, 9e ed. par Francois Chabas, Paris, Montchrestien, 1998 au no. 1 [Mazeaud, Obligations\.
21 Voir pour un developpement semblable, Weinrib, Idea, supra note 5 notamment a la p. 9 et s.
12
Lorsqu'elles s'entendent sur le contenu d'un contrat, les parties peuvent y etablir
toutes les modalites de leur relation en autant que celles-ci soient conformes a la
loi . Grace a la reconnaissance juridique que fait le droit positif de cette entente,
ces modalites seront consacrees et devront etre respectees par les parties, sans, le
plus souvent, d'autres interventions de l'Etat . Comme le souligne la professeure
Louise Rolland, « un contrat peut rester a la peripheric du droit etatique sans que
sa nature juridique ne s'en trouve alteree. »24 En d'autres termes, le droit reconnait
des effets au contrat et les parties n'ont pas a le faire sanctionner expressement par
les tribunaux pour qu'il acquiere une force obligatoire. C'est pourquoi le droit des
obligations est un droit qualifie de prive.
Nous pourrions penser qu'un tel droit prive est moins concerne par les aspirations
de justice que le droit public. En effet, quand une relation juridique ne concerne
que des parties privees, est-il vraiment possible que le droit puisse se soucier de la
justice de cette relation ? Pour quelles raisons le droit se preoccuperait-il de la
justice dans une relation juridique privee entre personnes aptes et consentantes ?
Ces questions sont au coeur meme de la contradiction que nous avons souleve en
introduction et pourraient expliquer la resistance de certains juristes face a j
l'intervention judiciaire au sein de la relation contractuelle. Si Ton accepte
aisement que des principes de droit objectif viennent regir les liens obligationnels
de nature extracontractuelle, il semble plus difficile d'admettre que ces memes
22 Et certains diront a l'ordre public, qui pour nous est inclus dans la loi, voir les articles 1373, 1411 et 1413 C.c.Q.
23 Louise Rolland, « Les figures contemporaries du contrat et le Code civil du Quebec », (1999) 44 R.D. McGill 903 a la p. 905 [Rolland, « Figures »].
24 Ibid.
13
principes puissent regir le droit contractuel, a 1'exception, bien sur, de la limite
fixee par l'ordre public. L'aspect volontaire de la relation contractuelle exclurait
que la commutativite de cette relation puisse faire l'objet d'un examen objectif par
une tierce partie. Cette conclusion nous permet d'affirmer que, meme si Ton s'en
defend, la justice contractuelle est encore con?ue comme une justice subjective
dont 1'economic est fixee par les parties et doit etre respectee ainsi sous peine de
creer une injustice.
Toutes ces preoccupations qui renvoient a 1'intelligibility du droit, telle que
definie par le professeur Smith, meritent que Ton s'y attarde. Naturellement, nous
sommes consciente que notre demarche semble donner a la notion de justice une
grande importance au sein du droit positif. Pourtant, cette idee n'est-elle pas
reservee aux tenants de droit naturel ? II faut presumer que non puisque cette
notion est au coeur de nombreux debats juridiques, meme positivistes. Dans un
tel contexte, la question pertinente nous apparait plus etre comment la notion de
justice peut-elle s'integrer au droit positif. Nous soup?onnons que la demarche
pour repondre a cette question nous permettra d'identifier une certaine
intelligibility du droit des obligations. Pour nous inspirer dans cette demarche,
nous garderons en tete la definition suivante que donne l'auteur Francis Geny a
la justice:
« Au fond, le droit ne trouve son contenu, propre et specifique,
que dans la notion du juste, notion primaire, irreductible et
indefinissable, impliquant essentiellement, ce semble, non pas
14
seulement les preceptes elementaires de ne pas faire tort a
personne (neminem laedere) et d'attribuer a chacun le sien
(suum cuique tribuere), mais la pensee plus profonde d'un
equilibre a etablir entre des interets en conflit, en vue d'assurer
l'ordre essentiel au maintien et au progres de la societe
humaine. »25
Cette definition donne a l'interet un role central. En effet, il nous semble
impossible d'eviter cette notion dans line etude visant a proposer une plus grande
justice contractuelle. Elle fera done l'objet d'une preoccupation constante tout au
long de notre analyse.
2.2 L'interet des parties : le droit des obligations se fonde-t-il vraiment sur le
juste et 1*utile ?
II est interessant de constater que, bien que plusieurs auteurs civilistes positivistes
ne discutent pas directement de cette question, la plupart d'entre eux tiennent pour
acquis que le droit des obligations suppose un equilibre et une certaine justice
dans les echanges qu'il implique26. L'utilite la plus souvent reconnue au droit des
obligations est de permettre l'echange de biens, richesses ou services entre les
25 Francois Geny, Science et technique en droit positif: nouvelle contribution a la critique de la methode juridique, t.l, Paris, Recueil Sirey, 1914 au no. 16 [Geny, Science, t.l].
26 Voir generalement a cet effet, la these de Laurence Fin-Langer, L 'equilibre contractuel, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 366, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 2002.
15
97 personnes . Generalement, l'etre humain n'est pas auto-suffisant et depend, dans
la satisfaction de ses besoins, de l'activite des autres. Or, c'est par l'interaction et
les echanges canalises par le droit des obligations que l'etre humain accede aux
biens et services offerts par les autres membres de la communaute. Le droit des
obligations a aussi pour consequence d'assurer une certaine protection aux droits
dont une personne est titulaire en lui assurant une certaine indemnisation en cas de
non-respect de ceux-ci . Consequemment, le droit des obligations edicte, pour
plusieurs auteurs, les regies favorisant les echanges et le credit en procurant a ces
transactions une securite juridique pouvant etre sanctionnee29. Nous l'avons
mentionne, une fois conclu, le contrat doit en principe etre respecte sous peine de
sanctions juridiques. C'est notamment, selon plusieurs, parce qu'il sanctionnerait
le respect de la parole donnee lors de ces echanges que le droit des obligations
• • OA
favoriserait ces relations . En protegeant de tels echanges, on favoriserait
l'epanouissement collectif et la richesse sociale .
Cependant, meme si en cela on peut dire que le droit des obligations, et
particulierement le droit contractuel, comporte une utilite sociale, nous croyons
qu'il regit essentiellement des rapports prives entre individus, qui acceptent de s'y
27 Paul-Andre Crepeau, « La fonction du droit des obligations » (1998) 43 R.D. McGill 729 a la p. 732 et s. [Crepeau, « Fonction »]; Lluelles, Moore, supra note 20 au no. 120; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 368. 1
28 Voir notamment les articles 1457 et 1458 C.c.Q. 29 Jacques Ghestin, Traite de droit civil, la formation du contrat, 3e ed., Paris, Librairie Generate
de Droit et de Jurisprudence, 1993 au no. 248 et s. [Ghestion, Traite] 30 Ibid, aux nos. 249-250; James Gordley, « Contract Law in the Aristotelian Tradition » dans
Peter Benson (dir.), The Theory of Contract Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 265 a la p. 266; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 41; Francois Terre, Philippe Simler et Yves Lequette, Droit civil, Les obligations, 9e ed., Paris, Dalloz, 2005 au no. 438.
31 Crepeau, «Fonction », supra note 27 a la p. 732 et s.
16
soumettre dans leur interet propre plutot que dans un quelconque interet social.
Personne ne se dit en concluant un contrat: « Voici ma contribution a la richesse
collective de la societe dans laquelle je vis». On conclut un contrat
essentiellement pour satisfaire ses besoins et desirs personnels32 et, meme si nous
reconnaissons que d'autres motivations peuvent parfois expliquer le
comportement humain, la satisfaction de ses interets correspond certainement a
l'etat d'esprit privilegie qui regne dans le monde du contrat33. Tout expose
credible tentant d'identifier les caracteristiques de la relation contractuelle doit
done refleter cette dimension importante34.
II faut cependant noter que cette vision liberate du droit des obligations ne fait pas
l'unanimite chez les auteurs35. Dans le debat auquel se livrent plusieurs auteurs
entre les theories solidariste et individualiste du contrat, certains auteurs se
32 Courdier, supra note 6 au no. 53 et s.; Philippe Delebecque et Frederic-Jerome Pansier, Droit des obligations: Contrat et quasi-contrat, 2e ed., Paris, Litec, 2001 au no. 261; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1997; Judith Rochfeld, Cause et type de contrat, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 311, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1999 notamment au no. 81.
33 Rochfeld, ibid. auno. 81. 34 Francois Ost, Droit et interet, vol. 2, Bruxelles, Facultes universitaires Saint-Louis, 1990 a la p.
13. 35 Voir notamment Emmanuel Gounot, Le principe de I 'autonomic de la volonte en droit prive :
contribution a I'etude critique de I'individualisme juridique, Paris, Ed. Arthur Rousseau, 1912 a la p. 388 et s., ou l'auteur denonce cette vision du droit, qu'il qualifie d'individualiste, en specifiant que le droit vise aussi a imposer une certain minimum de moralite sociale et que cette doctrine de la « coexistence » est plus ou moins la negation de toute vie sociale et solidarity entre les humains. II faut noter cependant que la plupart des exemples qu'il fournit pour appuyer ses dires sont tires du droit criminel (adultere, attentat k la pudeur, pornographie, etc...) et sont done essentiellement du ressort du droit public. Or, en ce qui concerne le droit prive, nous croyons que meme les dispositions qui ont pour but d'exiger une certaine morality contractuelle, comme Particle 1375 C.c.Q. peuvent etre envisagees comme des dispositions venant gerer l'exercice de la liberte avec celle des autres pour eviter des conflits. En ce sens, le droit peut etre envisage comme definissant les frontieres de la zone d'exercice d'une liberte s'exprimant sans limite afin d'assurer la « coexistence des libertes» et de ce fait, la coexistence des droits et interets individuels. Comme nous le verrons, nous sommes d'avis que la sauvegarde d'une veritable liberte contractuelle est malheureusement absente dans la theorie individualiste, telle qu'interpretee a notre epoque.
17
reclamant de l'ecole solidariste sont d'avis que la solidarite entre les humains est
la valeur primordiale a privilegier. Le droit, des obligations devrait ainsi refleter
cette mission sociale . Malheureusement, a notre avis, ces auteurs ont une vision
un peu trop angelique des rapports obligationnels et confondent l'ideal moral a
atteindre avec la realite psychologique de l'etre humain. C'est l'interet personnel
•yn
qui motive Taction des personnes . Une analyse des preceptes du droit
contractuel doit refleter cette realite concrete et ne pas seulement etre con?ue
comme une vision idealiste, mais irrealiste, des rapports humains.
Ce dernier commentaire peut paraitre anodin, mais il est selon nous d'une grande
importance. Beaucoup d'auteurs contemporains justifient l'obligation, et plus
particulierement l'obligation contractuelle, par des theories que nous qualifierons
« d'utilitaires ». L'obligation est analysee en fonction de ses buts ou objectifs,
que ceux-ci soient reels ou virtuels, plutot qu'en fonction de ses composantes
intrinseques. Ainsi, dans ces theories utilitaires, on fonde la legitimite du lien
d'obligation en expliquant que ce dernier est dote d'une utilite sociale au sens
large du terme. II en est d'ailleurs ainsi de plusieurs theories fondees sur une
analyse economique du droit. Selon celles-ci, le lien d'obligations est envisage
comme un instrument de developpement de bien-etre collectif, telles que la
prosperity economique ou la repartition des richesses. Cela pourrait expliquer que
36 Voir un resume de ces pretentions dans une etude tres bien faite sur la question par Marc Mignot, « De la solidarite en general et du solidarisme contractuel en particulier ou le solidarisme contractuel a-t-il un rapport avec la solidarite ? », [2004] R.R.J. 2153.
37 Voir notamment, Ost, supra note 34 a la p. 60.
18
certains auteurs analysent la relation contractuelle comme une societe ou chacun
des « associes » est investi d'une mission a l'egard d'autrui. y
Effectivement, il semble possible de fonder la legitimite de 1'institution qu'est le
contrat sur un fondement d'utilite sociale. Nous sommes prete a conceder que si
le droit positif sanctionne et donne force obligatoire aux contrats prives c'est
parce que le contrat est con^u comme un instrument privilegie d'echanges et de
creation de richesses. Cependant, a notre avis, le bat blesse lorsqu'il s'agit
d'appliquer ce principe de legitimation de 1'institution en general a chacun des
contrats en particulier puisqu'en insistant sur la seule mission sociale du contrat,
on occulte toute la dimension de satisfaction d'un interet personnel.
II nous semble alors que ces auteurs effeetuent un raisonnement a l'envers. On
tente de faire passer une mission sociale de bien commun a des contrats
individuels. Ces theories comportent des failles qui se resument par les questions
suivantes: l'obligation, prise individuellement, se con^oit-elle sans une
quelconque utilite sociale ? Cette utilite sociale peut-elle faire l'objet d'une
evaluation judiciaire concrete au cas par cas ? Si oui, quelles sont les
consequences liees a l'absence d'une quelconque utilite sociale pour un contrat
particulier ?
En d'autres termes, il s'agit de verifier si les principes legitimant l'existence
generate du droit des obligations contractuelles, tels que conQus par des
fondements teleologiques de nature purement sociale, peuvent par ailleurs definir
19
1'intelligibility d'une relation contractuelle particuliere. II s'agit done d'etudier si
I'application quotidienne et individuelle des principes de la theorie des obligations
contractuelles se fonde sur l'etude de la relation particuliere des parties ou sur une
mission sociale d'utilite publique. Or, nous sommes d'avis que, hormis peut-etre
le cas d'un contrat qui contreviendrait clairement a l'ordre public et qui pourrait,
de ce fait, etre presume « nuisible » socialement, l'utilite sociale d'un contrat
particulier peut difficilement faire l'objet d'une evaluation concrete.
Lorsque l'on discute de l'utilite sociale du contrat, on ne peut eviter d'etudier une
theorie contractuelle fort populaire aupres des auteurs civilistes contemporains,
soit la theorie du juste et de Futile du professeur fran^ais Jacques Ghestin . Ainsi,
le professeur Ghestin affirme que le fondement de la force obligatoire du contrat
-2Q
« se deduit de son utilite sociale et de sa conformite a la justice contractuelle. »
Selon cette theorie, le droit objectif reconnait des effets au contrat, acte juridique
decoulant de la rencontre de volontes individuelles, parce que celui-ci comporte
une utilite sociale et a la condition qu'il soit juste. La simple utilite individuelle
n'est pas suffisante pour constituer un fondement a la force obligatoire des
contrats40 parce que si l'on acceptait que la simple utilite pour chacune des parties
prise individuellement puisse etre suffisante, comment pourrait-on expliquer que
38 Voir generalement a ce sujet, Ghestin, Traite, supra note 29 aux nos. 223-282; Jacques Ghestin, « L'utile et le juste dans les contrats », D. 1982.chron.l [Ghestion, « Utile »].
39 Jacques Ghestin, « La notion de contrat», D. 1990.chron.147 a la p. 149 [Ghestin, « Notion »]. 40 Ghestin, « Utile », supra, note 38 a la p. 4 ainsi que Ghestin, Traite, supra, note 29 au no. 228.
20
le contrat puisse s'averer inutile individuellement mais tout de meme etre
sanctionne par le droit positif ?41
Pour eviter cet ecueil, le professeur Ghestin fonde la force obligatoire sur l'utilite
sociale - bien qu'il ne mentionne pas comment un contrat inutile socialement
pourrait ne pas etre dote d'une force obligatoire. Nous l'avons deja souligne, est
souvent affirme le constat selon lequel la force obligatoire du contrat favorise les
echanges economiques. De plus, les regies contractuelles dites d'ordre public
permettent au legislateur de s'assurer d'une certaine repartition des richesses ou
du respect de certaines valeurs ou politiques de direction sociale42. On peut penser
aux conditions minimales imposees dans le cadre de contrats de travail ou a
1'interdiction absolue des contrats de mere porteuse43. C'est en ce sens que le
contrat est considere comme etant utile socialement44. Cependant, le « contrat»
dont il est question ici n'est pas le contrat individuel conclu par deux parties
donnees mais l'institution du contrat ou si l'on prefere, la notion de contrat prise
dans son ensemble. C'est cette utilite collective, jointe a la necessite aussi d'un
contrat juste, qui justifie et rend legitime la creation de l'obligation resultant de la
relation contractuelle. Pourtant, presentement, le droit des obligations
contractuelles se soucie peu de l'aspect de justice du contrat. Une fois que le
contrat est considere comme legalement conclu, cette justice est presumee et ne
peut etre contestee au nom de la securite des transactions qui est envisagee
41 Ghestin, Traite, Ibid, au no. 228. 42 Michelle Cumyn, La validite du contrat suivant le droit strict ou I'equite : etude historique et
comparee des nullites contractuelles, Coll. « Minerve», Cowansville, Yvon Blais, 2002 notamment au no. 343 et s.
43 Article 541 C.c.Q. 44 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 24'8 et s.
21
comme un aspect important de la mission sociale du contrat. Pourtant, comme le
mentionne la professeure Brigitte Lefebvre, « [n]e pas reconnaitre que le contrat
doit egalement avoir une utilite particuliere ne conduit-il pas a cautionner et a
valider le contrat en tant qu'outil possible d'exploitation ?45 »
A notre avis, cette fa?on d'appliquer les preceptes de la theorie du juste et de
l'utile est insuffisante parce qu'elle omet le respect des interets individuels. II est
exact que l'institution contractuelle vise l'augmentation generate des richesses
mais le contrat individuel vise le bien-etre d'un individu en particulier46, d'ou
l'importance que le contrat soit aussi juste. D'ailleurs, le professeur Ghestin lui-
meme, alors qu'il nie que le caractere utile du contrat puisse referer a une utilite
individuelle, mentionne que la valeur supreme de notre societe est le « bien de la
personne humaine »47. Alors que l'utilite se rapporte a la mission sociale, l'aspect
de justice doit etudier la specificite de la relation contractuelle prise
individuellement48. Dans les societes liberates, on presume que le bien collectif
passe d'abord par le bien individuel. «Laisser aux individus un pouvoir
d'initiative dont ils recueilleront les fruits sous forme d'avantages personnels est
un moyen de les faire collaborer a la recherche du bien commun. »49 Ainsi,
Ghestin lui-meme admet que le bien commun passe par la satisfaction des interets
de chaque personne.
45 Brigitte Lefebvre, « La justice contractuelle : mythe ou realite ? » (1996) 37 C. de D. 17 a la p. 21 [Lefebvre, « Mythe »].
46 En ce sens, nous apprecions cette citation qui con?oit le contrat comme un «instrument de conversion d'une situation initiale, ressentie comme imparfaite, en une situation finale jugee plus desirable. » Rochfeld, supra note 32 au no. 1. '
47 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 250. 48 Cumyn, supra note 42 au no. 341. 49 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 250.
22
L'utilite sociale, telle que definie par Ghestin, ne peut etre que presumee puisque,
concretement, il apparait tres difficile de juger de l'utilite sociale de chaque
contrat en particulier. II nous semble fort difficile d'analyser au moment present
l'impact social d'un contrat specifique puisque cet impact est souvent le resultat
d'un ensemble de circonstances futures et a l'interieur desquelles le contrat etudie
n'est le plus souvent qu'un atome parmi tant d'autres. On se retrouve ainsi avec
un critere qui n'a dans les faits aucune chance d'application pratique. D'ailleurs,
il est interessant de noter que dans les exemples qu'il donne de l'application du
principe de l'utilite du contrat, Ghestin doit analyser des notions qui relevent de la
relation concrete et particuliere des parties, plutot que d'une mission d'utilite
sociale du contrat qui serait exterieure a cette relation. II en est ainsi par exemple
de la qualite du consentement ou de Pimportance des besoins individuels satisfaits
grace au contrat. Or, comme le demontre habilement la professeure Michelle
Cumyn, ces elements de la theorie contractuelle relevent plutot de la justice
contractuelle que de son utilite sociale50. Cela expliquerait notamment que les
vices de consentement se sanctionnent par une nullite relative plutot qu'une
nullite absolue. Ainsi, meme dans une analyse strictement basee sur le principe
de l'autonomie des volontes, on ne peut ecarter 1'analyse de 1'aspect de justice
entre les parties, meme si au fil des epoques, plusieurs auteurs ont souvent tente
de reduire au minimum un tel controle.
50 Cumyn, supra note 42.
23
Une des grandes caracteristiques du droit des obligations est de creer un lien entre
deux personnes particulieres51. Le creancier ne peut exiger l'execution de la
prestation que d'un debiteur particulier. En ce sens, le droit des obligations est un
droit essentiellement bipolaire52. Par exemple, le demandeur dans une action en
responsabilite civile extracontractuelle poursuit le defendeur pour 1'injustice
propre qui a ete commise envers lui, sans se faire le representant du public ou de
la societe53. Meme en presence de plusieurs personnes, ce rapport bipolaire reste
identique puisque le lien personnel debiteur-creancier demeure54 entre chacune
des personnes impliquees dans la relation et agissant en son nom propre. La
notion de solidarite entre debiteurs est d'ailleurs fondee sur ce principe. On
permet a une partie de representer 1'autre en une sorte de mandat reciproque55
mais chaque partie demeure une partie distincte dans son lien avec le creancier,
expliquant notamment le principe de la repetition conjointe entre les parties
solidaires56. Les elements justificatifs de l'obligation doivent done refleter cette
particularity de bipolarite, ce que ne font pas la plupart des theories a caractere
purement economique ou utilitaire.
51 C'est ce qui fait dire aux professeurs Lluelles et Moore que « [s]i la personne n'est tenue que de maniere gen^rale, sans avoir en face d'elle un creancier individualist, il n'y a pas d'obligation, du moins pas au sens du droit des obligations. » Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 29. Voir aussi Courdier, supra note 6 notamment au no. 106, pour qui cette relation particuliere fonde l'existence d'un lien de solidarite entre les parties au contrat.
52 Weinrib, Idea, supra note 5 notamment a la p. 56 et s. 53 Ibid, a la p. 143. 54 D'ailleurs cela ressort de l'article 1373 qui definit l'objet de l'obligation. 55 Jean Pineau, Danielle Burman et Ser'ge Gaudet, Theorie des obligations, 4e £d. par Jean Pineau
et Serge Gaudet, Montreal, Themis, 2001 au no. 390. 56 Article 1536 C.c.Q.
24
Un autre aspect qui nous semble fatal pour ces theories purement utilitaires, est lie
a ce que le professeur Stephen Smith appelle, en traduction libre, la necessite de
transparence57. En resume, ce critere exige que la theorie soit en echo avec la
conception que les praticiens du droit se font de 1'institution. II exige que les
concepts, vocabulaires et raisonnements soient en harmonie avec ceux qu'utilisent
fO
les juristes . En d'autres termes, elle consiste a se questionner de la maniere
suivante: en ce qui concerne les theories utilitaires, est-ce que les juges, les
praticiens du droit et les contractants eux-memes justifient leurs propres actions
juridiques en droit prive en fonction d'une utilite sociale ou en fonction d'une
relation privilegiee ? Cet element de transparence permet de s'assurer que les
elements theoriques par lesquels on veut justifier et expliquer la relation
obligationnelle ne soient pas en quelque sorte desincarnes, c'est-a-dire sans aucun
lien avec la pratique, au sens large du terme.
L'actualite judiciaire nous permet de constater 1'importance d'un tel critere.
Ainsi, suite a la reforme du Code de procedure civile, en 2003, plusieurs principes
avances dans cette reforme rencontrent de la resistance, tant de la part des avocats
que des membres de la magistrature. Par exemple, les audiences de gestion
ordinaire, la contestation orale et la regie de la proportionnalite sont peu utilisees
ou suscitent malaises et inconforts chez les praticiens du droit. Une des
hypotheses avancees pour expliquer cette resistance est que ces mesures sont
57 Voir sur la definition qu'il fait de ce critere, Smith, supra note 4 aux pp. 25 - 37 et le developpement particulier qu'il fait de ce critere, en ce qui concerne les theories utilitaires, aux pp. 132-136.
58 Ibid, a la p. 133.
25
«etrangeres aux moeurs judiciaires traditionnelles. »59 On con9oit done
Fimportance du respect de la culture juridique, ou si l'on prefere la transparence.
D'ailleurs, il est fort a parier, qu'un processus de defense orale aurait eu beaucoup
plus de facilite a s'implanter dans un domaine de common law, tel que le droit
criminel, ou la tradition concilie beaucoup plus facilement l'absence de supports
ecrits.
Mais la transparence est-elle aussi importante en droit des obligations puisque la
majorite des regies se retrouvent au Code civil ? En ce sens, le professeur Smith
soumet un argument qui est a notre avis fort convaincant et que nous nous
permettons de reprendre ici60. En droit prive, lorsqu'un juge condamne une partie
a payer a 1'autre des dommages-interets - qu'ils soient contractuels ou
extracontractuels - on peut s'interroger sur les principes qui sous-tendent une
telle condamnation. Interrogez des juristes et la majorite vous repondront que ces
dommages sont octroyes afin de compenser le prejudice qu'a subi le creancier
suite a un acte fautif - delit ou inexecution contractuelle - commis par le debiteur.
On condamne d'ailleurs le debiteur a payer un creancier particulier plutot que
faire porter ce fardeau a la societe. II apparait done clair que les juristes
per9oivent cette obligation de reparation en fonction d'un lien particulier entre
deux parties. L'exigence de transparence ordonne consequemment que l'on
respecte les particularites d'un tel lien.
59 Louis Baribeau, « Les audiences de gestion : reagir avant qu'il ne soit trop tard » Le journal du Barreau (15 fevrier 2005, vol. 37, no. 3) 1. L'auteur resumait ainsi les propos tenus par 1'Honorable juge Robert Pidgeon, juge en chef associe de la Cour superieure.
60 Smith, supra note 4 a la p. 133.
26
Les fondements a caractere public ont peu d'impact sur la particularite de la
relation obligationnelle. Pour s'en convaincre, comparons cette meme
condamnation a des dommages avec la condamnation a une amende en droit
penal. Cette derniere condamnation ne se con^oit pas en fonction d'un lien
particulier entre l'auteur du delit penal et sa victime. Les buts avoues d'une telle
condamnation sont la punition et la prevention par l'exemplarite d'une telle
sanction. Ce sont clairement des buts a caractere social et 1'ensemble de
1'institution du droit penal reflete ces caracteres. L'indemnisation de la victime
dans le cadre de cette condamnation a un caractere secondaire61 et d'ailleurs cette
victime n'est pas partie au processus judiciaire et ne participe au recours intente
par un representant de l'Etat qu'en qualite de «temoin-victime ». L'amende
payee par l'auteur de l'acte criminel sera remise a la societe en general plutot qu'a
la victime. On constate done une difference importante entre les pratiques du
droit prive et du droit penal. Une theorie analysant les fondements de ces types de
droit doit tenir compte de ces particularites puisque celles-ci sont le reflet de
valeurs sous-jacentes et en assurent la transparence et 1'intelligibility. A ce titre,
mentionnons qu'il est particulierement significatif que des lois imposant des
valeurs ou politiques sociales meme en matiere contractuelle, et que Ton pourrait
consequemment qualifiee de «mixtes» puisqu'elles concernent tant l'utilite
sociale que la justice individuelle du contrat, ne se contentent pas le plus souvent
de sanctionner une contravention par un recours de nature privee, tel que
61 D'aiileurs, cette indemnisation est plutot le mandat d'un organisme fonde a cette fin soit 1'IVAC (Indemnisation des victimes d'actes criminels).
27
l'annulation du contrat ou l'octroi de dommages-interets. On y retrouve aussi des
amendes, suspensions de permis ou autres sanctions qui refletent la nature
publique de la politique legislative62.
Le critere d'utilite sociale est insuffisant pour decrire la realite pratique et la
particularite d'un lien contractuel specifique. En ce sens, il ne respecterait pas le
critere de la transparence. Quand a-t-on vu un juge analyser la validite d'une
relation contractuelle en fonction de l'utilite sociale ? Encore moins a-t-on vu un
juge annuler un contrat sur cette base. Certains pourraient alors argumenter que
l'utilite sociale se retrouve sous le vocable du respect de l'ordre public et des
bonnes moeurs. Meme si cet argument n'est pas denue de sens, une analyse plus
approfondie de ces notions demontre qu'elles sont surtout invoquees pour
apprecier la nature socialement inacceptable d'un comportement plutot que
l'utilite sociale d'un contrat particulier.
Nous le verrons, lorsqu'un juge intervient au contrat, c'est generalement l'aspect
de justice qui retient son attention. Meme lorsqu'il analyse un vice de
consentement, le juge sera sensible au prejudice subi par la partie dont le
consentement a ete vicie. Ces inconvenients, de meme que le comportement des
parties, influenceront necessairement la decision du juge. Dans un tel cas, il est
question des particuliarites de la relation des parties et non plus d'utilite sociale .
Si le vice de consentement n'etait pas lie a la situation particuliere des parties,
62 Voir par exemple les articles 277- et suiv. de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q. c. P-40.1 [L.P.C.]
63 Voir a cet effet le developpement dans Cumyn, supra note 42.
28
comment pourrait-on justifier que l'erreur inexcusable ne puisse constituer un vice
de consentement64 ?
Ainsi, il semble bien qu'une veritable etude des fondements de l'obligation
contractuelle doive tenir compte des deux composantes de celle-ci: son utilite
sociale, qui releverait du droit strict65 et qui ne se preoccuperait pas de 1'etude du
lien particulier cree entre les parties et sa justice, pour laquelle il faudrait proceder
a l'analyse de ce lien particulier en soupesant les interets en presence.
Pour bien saisir la nuance qui existe entre le droit strict et la justice, on peut
examiner les regies de formation du contrat. Le consensualisme implique que le
contrat se forme par l'offre et 1'acceptation66. II s'agit d'une analyse purement
mecanique dont la presence fait presumer le lien contractuel. Le juge ici se
contente d'un role d'interpretation et d'application du droit strict. De meme,
lorsque le legislateur prevoit des regies formalistes, le juge se contente de verifier
si celles-ci ont ete respectees, sans se soucier de la justice du contrat. Ces regies
refletent souvent la volonte du legislateur de proteger certaines parties jugees plus
vulnerables. Elles sont done le reflet de certaines orientations politiques ou
economiques. Leur presence ou leur absence temoignera de l'existence ou non du
contrat. Par exemple, le defaut de conclure un contrat de mariage par acte notarie
entrainera sa nullite absolue67.
/
64 Art. 1400 C.c.Q. 65 Cumyn, supra note 42. 66 Art. 1385 ets. C.c.Q. 67 Art. 440 C.c.Q.
29
Par contre, le droit a toujours repugne a s'en tenir a la simple application abstraite
du droit strict sans verifier si 1'application effective et concrete de ses regies
n'avait pas des effets pervers pour l'une ou l'autre des parties. Dans certains cas,
le legislateur a expressement identifie certains de ces effets nuisibles pour mieux
les encadrer au nom de l'interet social. La legislation veillant aux droits des
travailleurs, locataires ou consommateurs en est un bon exemple. Dans d'autres
cas, le legislateur a prefere confier cette fonction de veiller a la justice du contrat
au pouvoir judiciaire, a meme d'evaluer l'impact concret de l'application de
normes juridiques abstraites et generates. Le role du juge cesse alors, malgre ce
qu'en disent la majorite des civilistes, d'etre un simple interprete du droit strict. II
devient alors l'arbitre de la relation des parties au nom des principes de justice
applicables qui se doivent d'etre lies a la satisfaction des interets personnels des
contractants puisque ce sont ceux-ci qui expliquent la motivation de ceux-la a
conclure le contrat. En d'autres termes, il devient l'arbitre de la justice
contractuelle.
C'est ce deuxieme aspect des fondements contractuels qui fera l'objet de la
presente etude. Nous voulons tenter de degager les preceptes essentiels de la
justice contractuelle afin d'eviter que l'arbitre d'une relation contractuelle ne
devienne lui-meme source d'arbitraire. Comme le mentionne certains auteurs,
« souvent cet arbitraire resulte d'une absence de methode »68 et nous croyons
68 Fin-Langer, supra note 26 au no. 116; voir aussi au meme effet: Courdier, supra note 6 au no. 863.
30
done a l'utilite d'etablir des parametres d'analyse. Pour ce faire, nous tenterons
d'identifier certaines caracteristiques fondamentales des deux grandes sources
d'obligations que sont les obligations contractuelles et extracontractuelles. Nous
esperons que cette etude permettra de legitimer une demarche qui est souvent
denoncee comme une atteinte a l'immutabilite contractuelle et done a la securite
du contrat.
Dans les sections suivantes, nous constaterons que la relation contractuelle dans le
contexte d'economie liberate s'appliquant au Quebec repose sur des principes de
justice commutative. Nous tenterons d'identifier les elements de cette justice
appliquee a la relation particuliere des parties afin de determiner les principaux
criteres d'intervention du juge. Nous discuterons de meme de la legitimite d'une
telle intervention.
2.3. Les principes de justice regissant le droit des obligations contractuelles
et extracontractuelles
Les caracteristiques du lien etroit entre les deux parties impliquees dans la relation
obligationnelle nous permettent d'affirmer qu'a premiere vue ce droit releve plus
de la justice commutative que de la justice distributive69. Alors que la justice
69 Thomas D'Aquin, Somme theologique, traduction fran?aise par M. S. Gillet, Paris, Revue des jeunes, 1932, Ila - Ilae, quest. 61, art. 3; Voir aussi Alain Seriaux, Droit des obligations, 2e
31
distributive vise la juste repartition d'une masse de biens entre les personnes
d'une societe donnee en fonction de criteres determines70- le cas le plus frappant
dans nos societes modernes est certainement la repartition de la richesse publique
en fonction des revenus d'une personne- la justice commutative, dans sa definition
71
traditionnelle, s'attache a la forme equilibree de leurs echanges . Or, dans son
inspiration, le droit des obligations cherche la justice dans les echanges de biens,
que ces echanges soient volontaires - le contrat par exemple - ou involontaires, par 77
les regies regissant la responsabilite civile extracontractuelle . Les principes de
la justice commutative conviennent done mieux a la relation en droit des
obligations que ceux de la justice distributive. Ainsi, parce que les biens, selon la
justice distributive, suivent la proportion qu'indiquent les rapports de chaque
personne en fonction des autres -par exemple du plus honnete au moins honnete-
cette justice distributive tente d'equilibrer non pas les prestations reciproques des
parties mais de proportionner la prestation a certaines caracteristiques identifies
du sujet. Elle implique 1'etude du statut de la personne par rapport a un groupe
ed. , Paris, Presses universitaires de France, 1998 au no. 228; Weinrib, Idea, supra note 5; Victoire Lasbordes, Les contrats desequilibres, t. 1, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2000 au no. 77. II faut noter que certains auteurs voient cependant une justice distributive dans certains actes precis de droit prive, tel que le contrat de partage (qui par ailleurs n'est pas un contrat nomme en droit civil quebecois), mais reconnaissent que la majeure partie des actes ou situations juridiques de droit privt reinvent plutot de la justice commutative : notamment, Jean Carbonnier, Droit civil: Introduction, Les personnes, La famille, I'enfant, le couple, Paris, Presses universitaires de France, 2004 au no. 51 [Carbonnier, Introduction]. Voir aussi Cumyn, supra note 42 notamment au no. 341 et s. Pour une definition de ces termes voir: CRDP, Obligations, supra note 20 s.v. «justice », «justice commutative » et«justice distributive »;
70 Xavier Dijon, Droit naturel: Les questions du droit, t. 1, Paris, Presses universitaires de France, 1998 a la p. 341; Pierre Kayser, « La justice selon Aristote », [ 1996] R.R. J. 313 aux pp. 316-317; Stephen R. Perry, « On the Relationship Between Corrective and Distributive Justice » dans Oxford Essays in Jurisprudence, (2e), Oxford, Oxford University Press, 1973, 237 aux pp. 237-238; Ernest J. Weinrib, « Corrective Justice in a Nutshell », 52 U.T.L.J. 349 [Weinrib,« Nutshell»].
71 Dijon, ibid, a la p. 339; D'Aquin, supra note 69, Ha - Ilae, quest. 61, art. 2; 72 D'Aquin, ibid. Ha - Ilae, quest. 61, art. 3; Seriaux, supra note 69 au no. 228.
32
referentiel. C'est pourquoi Thomas d'Aquin parle de la justice distributive
comme une justice qui vise a « egaler les choses aux personnes » plutot que
1' « objet a [l'Jobjet »73.
Cette analyse de la justice distributive entraine, a notre avis, deux consequences
importantes. Premierement, elle oblige a une etude de la repartition en fonction
de certains criteres lies a l'individu. Elle est en quelque sorte une justice « au
merite »74. Au contraire, la justice commutative suppose l'egalite des individus75
et n'a pas, en ce sens, a se preoccuper de leurs caracteristiques intrinseques, sinon
que pour retablir cette egalite essentielle. Comme le mentionne Aristote, peu
importe que la personne lesee soit bonne ou malveillante, ce qui compte c'est de
savoir qui a commis une injustice, qui l'a subie et la nature du dommage subi par
7 f t
la victime . Ce sont ces derniers criteres qui permettront d'evaluer la reparation
appropriee.
Or, cette definition est a 1'image de notre systeme de responsabilite civile,
specialement la responsabilite extracontractuelle. Ainsi, notre systeme de
responsabilite civile se traduit par une analyse de la presence d'une faute et de
l'ampleur du prejudice cause par celle-ci. Comme nous le demontrerons plus loin,
on n'indemnise pas en fonction de la gravite de la faute mais en fonction de
l'importance du prejudice et tous peuvent etre tenus responsables du prejudice
73 D'Aquin, ibid., Ila - Ilae, quest. 61, art. 2 74 Kayser, supra note 70 a la p. 316. 75 Aristote, L 'ethique a Nicomaque , livre V, traduction par Rene Antoine Gauthier et Jean Yves
Jolif, Paris, Publications Universitaires, 1970 au no. 1131b 32. Voir aussi a cet effet, Dijon, supra note 70 aux pp. 339-340.
76 Aristote, ibid. Ce passage precis d'Aristote est par ailleurs integralement cite a la page 48.
33
qu'ils ont ainsi cause, sans egard a leur statut social ou leur richesse personnelle.
On peut done affirmer que notre systeme de responsabilite civile est
principalement fonde sur les principes de justice commutative. Tous sont egaux
devant la loi et le « desequilibre » cause par la faute doit etre repare par l'auteur
du prejudice. II en serait autrement si l'on se souciait plutot, dans l'indemnisation
de la victime, de la gravite de cette faute ou de la personnalite de son auteur.
Inequivalence entre le dommage subi et la compensation re?ue n'aurait aucune
importance et seul le rapport equitable entre la gravite de la faute et l'indemnite
payee a la victime fonderait les principes d'indemnisation. Nous serions alors en
presence d'un systeme fonde sur la justice distributive. II s'agit essentiellement
du systeme que l'on retrouve en droit penal, ou la penalite est souvent evaluee en
fonction de la gravite de l'infraction commise et qui, d'ailleurs, nous l'avons
mentionne, est guide par des fondements plutot d'interet social que d'interets
individuels.
En droit civil, 1'analyse teleologique des principes de justice est par ailleurs tres
bien illustree lorsqu'il s'agit de distinguer les dommages-interets compensatoires
des dommages punitifs. Alors que les premiers sont accordes en fonction du i
prejudice subi et done relevent des principes de justice commutative, les seconds
sont le plus souvent depourvus de cet aspect compensatoire pour essentiellement
comporter un aspect comminatoire et dissuasif77. Or, ces dernieres fonctions
relevent plutot de la justice distributive. D'ailleurs, parmi les criteres dont doivent
77 Voir des exemples de cet aspect dans les decisions Filion c. Chiasson, 2007 QCCA 570, [2007] R.J.Q. 867 [Chiasson] et Richard c. Time Inc., 2007 QCCS 3390, [2007] R.J.Q. 2008 (inscription en appel, 14-08-2007, 500-09-017967-076) [Time]
34
tenir compte les juges relativement a la valeur des sommes octroyees a titre de
dommages punitifs, on retrouve celui de la gravite de la contravention au droit
no
dormant ouverture a l'octroi de dommages punitifs , ce qui concorde
parfaitement avec les principes de justice distributive.
Au meme titre, il est interessant de noter la disposition du Code civil du Bas-
Canada qui prevoyait specifiquement que la responsabilite civile d'une personne
ne pouvait etre modifiee par la presence d'un contrat d'assurance et que le
montant des dommages devait etre fixe sans egard au fait que l'auteur du delit
etait protege par une assurance couvrant sa responsabilite civile79. Notre reflexion
sur le type de justice gouvernant le droit des obligations, et particulierement la
responsabilite civile, nous permet de comprendre le fondement de cette
. on
disposition. Le regime de l'assurance est fonde sur le principe de la mutualite .
Ce principe veut que l'on mette les primes en commun, afin de compenser la
victime d'un risque determine par le contrat. Le principe de l'assurance est une
repartition du risque et des « biens » en fonction de criteres precis qui ne sont pas
lies a un quelconque echange de valeurs fonde sur une certaine egalite. II est en
effet possible qu'un assure regoive une compensation plus grande qu'un autre
assure et cette derniere variera selon des criteres prevus a la police d'assurance.
Les indemnites ne sont done pas egales d'un assure a l'autre et d'ailleurs, d'annee 78 Voir Particle 1621 C.c.Q. Voir aussi a ce sujet, Daniel Gardner, « Reflexions sur les dommages
punitifs et exemplaires », (1998) 77 R. du B. can. 198 aux pp. 211-212. 79 Article 2494 C.c.B.C. Maintenant, on retrouve cette regie, exposee plus generalement, dans le
livre des obligations a Particle 1608 C.c.Q. 80 Didier Lluelles, Precis des assurances terrestres, 4e ed., Montreal, Themis, 2005 a la p. 4. II
d^finit ainsi le principe de la mutualite : « Caracteristique majeure de l'assurance, la mutualite signifie que l'assurance implique une mise en commun de plusieurs risques moyennant une contribution proportionnelle de chacun des individus de cette reunion. »
35
en annee, la plupart du temps, un assure ne recevra aucune somme payable en
vertu de son contrat, puisqu'il est relativement rare que le risque assure se realise.
L'assurance repose done clairement sur un principe de justice distributive. II
apparait ainsi normal que l'on isole ce principe de la determination de la faute et
du dommage, determination qui se fonde, dans notre systeme de droit, sur un
Q 1 principe de justice commutative (corrective) .
La deuxieme consequence de la justice distributive est qu'elle favorise un aspect
de «justice sociale » beaucoup plus important que la justice commutative .
D'ailleurs, en certains domaines, il est devenu courant de fonder des regies
d'indemnisation en fonction d'une certaine « solidarite sociale ». Le regime de
l'insolvabilite et de la faillite constitue une bonne illustration de cette philosophie.
Ainsi, la protection offerte au debiteur insolvable en vertu des lois sur les
arrangements avec les creanciers ou la faillite repose sur un principe de reduction
de la dette et de paiements preferentiels a certains creanciers dits privilegies afin
81 Bien qu'Aristote ait utilise, selon les traducteurs, l'expression «justice corrective », cette appellation est surtout maintenant utilisee pour qualifier les operations liees a la responsabilite civile. En fait, la plupart des auteurs incluent majoritairement cette notion dans le terme « justice commutative ». Voir notamment CRDP Obligations, supra note 20 5. v. « justice », et « justice corrective ». II faut par ailleurs noter que le Doyen Carbonnier associe davantage la justice corrective a la justice distributive puisque celle-la vient corriger des inegalites de fait et retablira l'egalite par des compensations inverses. Voir Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 51. Pour notre part, puisque nous considerons que la justice corrective est celle qui favorise la reparation de la victime pour la remettre dans l'etat ou elle se trouvait avant la faute, nous l'identifions, pour les fins de nos propos, a la responsabilite civile extracontractuelle et utiliserons le vocable «justice commutative » dans le cadre de notre etude sur les principes de justice regissant les contrats. Voir notamment a ce sujet, Loi'c Cadiet, «Une justice contractuelle, 1'autre » dans Etudes offertes a Jacques Ghestin : le contrat au debut du XXIe siecle, Paris, Librairie Generate de Droit et de Jurisprudence, 2001, 177 a la p. 184 et s. [Cadiet, « L'autre »] et Dijon, supra note 70 a la p. 335 et s.
82 Dijon, ibid, a la p. 340; Jean-Louis Bergel, Theorie generate du droit, 3e ed., Paris, Dalloz, 1999 a la p. 31 [Bergel, Theorie]-, Denis Mazeaud, «La reduction des obligations contractuel les», (mars 1998) 58 Droit et patrimoine, 58 a la p. 66 et s. [Mazeaud, « Reduction »]; Perry, supra note 70 a la p. 239.
36
de faire supporter et partager « socialement» les consequences de l'endettement
grave du debiteur. Comme le mentionne le professeur Denis Mazeaud, ce regime
a pour but de « sauver le debiteur des graves menaces auxquelles sa situation
patrimoniale l'expose. La reduction consentie ou imposee aux creanciers au nom
de la solidarity avec le debiteur, qui dans une economie d'endettement ne doit pas
supporter seul la charge definitive de la dette contractee sous l'empire d'une
certaine violence sociale, apparait comme un remede de 1'exclusion sociale » .
Un tel systeme de solidarity sociale ou certains creanciers privileges regoivent
une part plus importante que d'autres, sans egard au montant de la dette, et ou le
debiteur se trouve libere de ses obligations sans avoir paye 1'equivalent de sa dette
a l'ensemble des creanciers, ne releve certainement pas de la justice commutative.
De tels criteres de selection des creanciers, qui pourront recevoir un certain
remboursement des sommes qui leur sont dues en fonction de leur statut de
creanciers chirographaires, privilegies ou hypothecates, relevent certainement de
la justice distributive.
De meme, les nombreux systemes d'indemnisation de victimes de certains types
d'accidents, tels que les regimes d'indemnisation des accidentes de la route ou du
travail, ont pour postulat de faire supporter a la societe tout entiere, plutot qu'a
l'auteur du dommage, les risques lies aux activites industrielles et professionnelles
de la vie moderne84. Or, encore une fois, ces regimes se fondent sur des criteres
83 Mazeaud, « Reduction », ibid, a la p. 59 84 Cadiet, « L'autre », supra note 81 a la p. 198.
37
inherents aux victimes, soit les circonstances de leur prejudice et la reparation
n'est pas offerte par 1' « auteur » du prejudice mais par un organisme representant
la societe. On peut done clairement constater 1'aspect social de la justice
distributive, a la base de ces regimes. De meme, lorsque Ton comprend que ces
regimes relevent de la justice distributive, on comprend mieux pourquoi il est de
la nature meme de ces regimes d'indemniser sans egard a la faute. En effet, s'il
fallait determiner un responsable du prejudice, on introduirait alors un principe de
justice corrective dans un systeme de justice distributive et risquerait d'entrainer
Of
des conflits entre les deux justices . II pourrait en resulter une solution
« injuste ».
Lorsqu'il s'agit de verifier la justice dans les echanges entre individus, on peut o /
affirmer que la justice commutative devrait etre au coeur meme de la relation .
En effet, il est facile de concevoir qu'un echange juste, qui soit dans l'interet
propre de chacune des parties, comporte un aspect d'equilibre entre les
prestations. On imagine facilement une balance a deux plateaux, chacun
representant les prestations respectives des debiteur et creancier et ou 1'equilibre
parfait est recherche.
85 Seriaux, supra note 69 au no. 228. 86 D'Aquin, supra note 69, Ha - Ilae, quest. 61, art. 3; Philippe Stoffel-Munck, Regards sur la
theorie de I'imprecision: vers une souplesse contractuelle en droit prive frangais contemporain, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1994 aux nos. 48-49 [Stoffel-Munck, Imprecision].
38
Plusieurs auteurs recherchent alors une egalite mathematique ou arithmetique
0 7 1
entre les valeurs economiques des prestations . Mais dans les faits, nous savons
qu'une telle valeur est souvent tres difficile a evaluer. D'ailleurs de quelle valeur
doit-on discuter ? La valeur subjective pour une partie - ne serait-ce que parce que
les considerations et motivations personnelles de chacun dans la conclusion du
contrat ne sont pas toujours avouees - peut tres bien etre differente de la valeur
marchande d'un bien, qui elle-meme, varie souvent dans les espaces lieux et
temps. Ainsi, une telle conception de l'equilibre est souvent impossible a
appliquer dans les faits, et l'on se retrouve avec un principe theorique qui n'a
aucune valeur pratique. En plus, il ne faut pas oublier que le legislateur a, meme
dans 1'adoption du Code civil du Quebec de 1994, rejete la theorie de la lesion
entre majeurs suite a une campagne de peur menee par quelques auteurs et voulant
que le Quebec ne pourrait plus attirer des industries et investisseurs etrangers si
une telle regie etait adoptee88. Meme si une telle decision constitue une reelle
contradiction avec la nouvelle moralite contractuelle qui sous-tend le Code civil
du Quebec89 et est a contre-courant des developpements du droit etranger en la
87 Voir notamment D'Aquin, ibid., Ha - Ilae, quest. 61, art. 2; Stoffel-Munck, Imprevision, ibid, au no. 47 ; Bergel, Theorie, supra note 82 a la p. 31; Gordley, supra note 30 a la page 267; Kayser, supra note 70 a la p. 318; Striaux, supra note 69 au no. 228.
88 Art. 1405 C.c.Q. Voir par ailleurs, concernant les circonstances d'adoption de cet article, Pierre-Gabriel Jobin, « La modernite du droit commun des contrats dans le Code civil du Quebec : quelle modernity ? » dans La pertinence renouvelee du droit des obligations : Back to Basics, Conferences Meredith 1998-1999 tenues a l'Universite McGill le 12 mars 1999, Cowansville, Yvon Blais, 2000, 13 a la p. 22 et s. [Jobin, « Modernite »] ainsi que dans «L'etonnante destinee de la lesion et de 1'imprevision dans la reforme du code civil du Quebec », [2004] R.T.D. civ. 693 [Jobin, «Destinee»]; voir egalement Paul-Andre Crepeau avec la collaboration d'Elise M. Charpentier, Les Principes d'UNIDROIT et le Code civil du Quebec : valeurs partagees ? », Cowansville, Carswell, 1998 a la p. 94 et s. [Crepeau, Unidroit] et Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 104;
89 Crepeau, Unidroit, ibid, aux pp. 111-112; Pineau, Burman et Gaudet, ibid.
39
matiere90, il semble done qu'une theorie de 1'equilibre contractuel fonde sur la
pure equivalence mathematique des valeurs des prestations ne puisse s'appliquer
directement et generalement en droit civil quebecois, du moins sous le vocable de
lesion/vice de consentement. Est-ce a dire que la justice commutative n'a sa place
que de fa<?on illusoire dans nos differentes relations obligationnelles ? Pour
repondre a cette question, il est necessaire d'observer les differentes
caracteristiques du droit civil quebecois.
Traditionnellement, le droit general des obligations se soucie peu de la qualite des
parties. D'ailleurs, ce n'est que recemment que le legislateur a prevu certaines
dispositions specifiques relatives a la qualite des parties, tels que les
consommateurs et les adherents. Ces dispositions, d'inspiration de justice
distributive, se sont, a notre avis, averees necessaires parce que l'on hesitait a
laisser la justice commutative jouer son role de gardienne de l'equilibre des
echanges. Encore aujourd'hui, il y a mefiance a bien vouloir reconnaitre un plus
grand pouvoir aux juges91. Parce que l'ideologie liberate qui domine la societe
quebecoise se mefie du pouvoir des juges, en pretextant un risque accru
d'arbitraire et d'instabilite contractuelle, l'intervention legislative devient
imperative.
Hormis les dispositions recentes en matiere de contrat de consommation ou
d'adhesion, le droit des obligations se comporte comme si chaque partie etait
90 Voir a ce sujet, Crepeau, Unidroit, ibid, a la p. 82 et s. et Jobin, « Destinee », supra note 88 notamment a la p. 696.
91 Voir notamment Jean Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 17.
40
egale en amont et devait assurer la conservation d'un equilibre dans le cadre de sa
09
transaction d'echange . On reconnait dans cette constatation le principe d'egalite
des parties ayant servi de postulat a la theorie de 1'autonomic de la volonte dans la
formation des contrats. La theorie de 1'autonomic de la volonte veut que, chaque
partie etant egale dans son pouvoir de conclure le contrat, on puisse conclure
qu'elle ne consentirait pas a une convention qui la desavantagerait . Ainsi, un
contrat apparait juste parce que les parties en ont determine les conditions. Dans
un tel contexte, le rejet de la theorie de la lesion se comprend aisement. Une
partie ne peut se plaindre d'un desequilibre economique puisque la determination
de 1'equilibre des valeurs des prestations depend de la seule volonte des parties94.
On comprend done alors toutes les critiques soumettant qu'une intervention
judiciaire dans un tel contexte risque de rompre l'equilibre necessairement
souhaite par les parties. La theorie de l'autonomie de la volonte exige le respect
de cet equilibre subjectif.
Pourtant, on sait a quel point la theorie de l'autonomie de la volonte qui regnait
seule dans la theorie contractuelle jusqu'a XXe siecle est aujourd'hui fortement
critiquee. On lui reproche notamment de permettre l'exploitation d'une partie plus
faible justement en raison de ce postulat d'egalite presumee entre les parties95. En
92 Dijon, supra note 70 a la p. 339. 93 Veronique Ranouil, L'autonomie de la volonte, naissance et evolution d'un concept, Paris,
Presses universitaires de France, 1980 a la p. 133. 94 Stephanie Bimes-Arbus, « L'evolution de la commutativite contractuelle », 2001(4) R.R.J. 1371
au no. 3; Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 82 et s. 95 Ibid, au no 12 et s. Voir aussi Fin-Langer, supra note 26 au no. 116; Gounot, supra note 35 a la
p. 371 et s.; Sophie Le Gac-Pech, La proportionnalite en droit prive des contrats, coll. Bibliotheque de droit priv£, t. 335, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence., 2000
41
realite, l'egalite fictive mais non effective entre les contractants permet au plus
fort d'imposer sa volonte au plus faible, privant dans les faits, ce dernier de sa
liberte de consentement96. Or, comment en sommes-nous venus a un tel resultat ?
A notre avis, ce derapage s'explique par le fait que l'egalite entre les parties n'est
que presumee, sans pouvoir faire l'objet d'un controle effectif ou d'une mesure de
retablissement en cas de non-conformite. II s'agit en quelque sorte d'une
presomption irrefragable. Par cette realite, il y a un aspect de la theorie d'Aristote
sur la justice commutative qui est malheureusement esquive par la theorie de
l'autonomie de la volonte et meme par la doctrine plus contemporaine : les devoir
et pouvoir du juge de veiller a l'egalite des parties.
Aristote voyait dans le juge un intermediate essentiel au maintien de la justice
commutative : « Voila pourquoi, lorsque surgit une contestation, on a recours au
juge. Aller devant le juge, c'est se mettre en face de la notion meme de juste, car
l'ideal du juge, c'est d'etre le juste personnifie. (...) Le juge, done, restaure
l'egalite. »97 Or, cette egalite est a la base meme de la conception de justice
commutative98. Sans l'egalite effective ou restauree, on ne peut done pas parler de
justice.
Cela se consoit d'ailleurs aisement. Si quelqu'un par sa faute nous blesse, nous
sommes dans une situation ou, en principe, la justice commutative devrait trouver
au no. 726 et s.; Mazeaud, « Solidarisme » supra note 7 a la p. 64; Ranouil, supra note 93 a la p. 133; Rolland, « Figures », supra note 23 a la p. 907.
96 Ranouil, ibid. 97 Aristote, supra note 75 au no. 1132 a 19-24; voir aussi une explication sur ce point vue
d'Aristote dans Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 65. 98 D'Aquin, supra note 69 Ila - Ilae, quest. 61, art. 2.
42
application, et nous devrions normalement etre compenses pour les dommages
subis. Cependant, en droit prive, ce choix nous appartient et nous sommes libres
de l'exercer ou non. Tel que nous l'etudierons plus amplement, il s'agit d'une des
caracteristiques fondamentales des droits subjectifs. lis impliquent une liberte
d'exercice. Chacun beneficiant de cette meme liberte dans l'exercice de ces
droits, nous ne pouvons, par nos propres moyens, contraindre physiquement autrui
a respecter nos droits. Nous devons avoir recours a l'organe socialement organise
qu'est le pouvoir judiciaire, qui par principe est un tiers neutre. Kant pourrait
affirmer que cette organisation s'inscrit parfaitement dans le role qu'il attribue a la
loi en tant que gestionnaire de la coexistence des liberies individuelles". Ce n'est
que par la voie judiciaire (et ses equivalents telles que la transaction ou la
mediation) que nous pourrons exiger que notre situation initiale d'avant la faute
soit restauree, le plus souvent par un mecanisme de compensation equivalente.
Sans ce pouvoir judiciaire, on ne pourrait contraindre l'auteur de la faute a
compenser la perte subie. De plus, c'est en exer9ant ce recours judiciaire que
nous manifestons notre droit a la restauration integrate basee sur les principes de
justice commutative, parce que celle-ci regissant essentiellement des rapports
prives, rien ne nous oblige a profiter des recours disponibles socialement. C'est
pourquoi le juge -ou un autre arbitre independant consacre par les pouvoirs
publics - s'avere essentiel a 1'application effective des principes de justice
commutative.
99 Emmanuel Kant, Metaphysique des mceurs - Doctrine du droit, trad. A. Philonenko, 2e ed., coll. Bibliotheque des textes philosophiques, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1979 a la p. 104.
43
Pourtant, comme nous l'avons mentionne, plusieurs auteurs se mefient du pouvoir
des juges. Des qu'il est question d'un pouvoir judiciaire qui impliquerait une
dimension autre que le seul octroi des dommages, ils denoncent ce pouvoir.
Adoptant le discours des autonomistes, ils pronent que la stabilite des contrats et
done la securite des echanges risquent d'etre compromises par une intervention
accrue des juges au contrat100. Pourtant, il est tres clair que ce pouvoir de juger et
de retablir 1'equilibre est essentiel a l'application des principes de justice
commutative. D'ailleurs, nous l'avons deja mentionne, devant cette mefiance, le
legislateur n'a eu d'autre choix que d'introduire des dispositions legislatives a
caractere imperatif fondees sur des principes relevant essentiellement de la justice
distributive. Lorsque le legislateur introduit au sein du droit civil des dispositions
imperatives visant a proteger une partie en fonction de sa qualite de
consommateur, il s'eloigne des principes de justice commutative pour se fonder
sur des principes de justice distributive101. Ces principes tiennent expressement
compte de la qualite de la personne102. C'est cette unique qualite qui cree
automatiquement vine presomption d'inegalite, a charge au pouvoir legislatif de
controler. Or, pourquoi, une telle intervention est-elle necessaire ? Tout
simplement, a notre avis, parce que si la mentalite liberate dans laquelle nous
evoluons a facilement adopte les postulats d'egalite des parties lors de la
conclusion des contrats, elle a par ailleurs rejete, en tant que contrainte inutile,
tout le principe du controle et du retablissement a posteriori de cette meme qualite
100 Voir notamment Jacques Flour, Jean-Luc Aubert et Eric Savaux, Droit civil: Les obligations, tome 1, L'acte juridique, 1 l e ed. par Jean-Luc Aubert et Eric Savaux, Paris, Armand Collin, 2004 au no. 119 et Laurent Leveneur, « Le solidarisme contractuel: un mythe » dans Luc Grynbaum et Marc Nicod (dir.) supra note 7, 173 a la p. 185 et s.
101 Seriaux, supra note 69 au no. 228. 102 D'Aquin, supra note 69 Ha - Ilae, quest. 61, art. 2.
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effective d'egalite entre les parties. Pourtant, souvenons-nous qu'Aristote
nommait la justice commutative «justice corrective ». Le juge est le gardien de
l'equilibre dans la theorie d'Aristote et lui enlever son role, sous des pretentions
souvent mal fondees de risques pour la stabilite juridique des contrats, denature
les principes de la justice commutative. On ne peut pretendre aux effets imperatifs
d'une theorie si l'on n'en respecte pas les preceptes fondamentaux.
II nous apparait done clair qu'il faut retablir les principes a la base meme de la
notion de justice regissant le droit obligationnel et permettre une intervention
judiciaire plus etendue. On ne peut tolerer que le droit prive devienne un laissez-
passer pour 1'exploitation d'autrui. D'ailleurs, il est interessant de noter qu'a notre 1 Al
avis, en codifiant l'obligation de bonne foi dans l'exercice des droits , le
legislateur se prononce en faveur d'une telle intervention104. Consequemment, il
semble necessaire d'identifier les criteres permettant de reconnaitre les situations
d'injustice pouvant donner ouverture a une telle intervention.
En resume de cette partie, nous concluons que le lien privilegie unissant les
parties creanciere et debitrice dans la relation obligationnelle est fonde sur les
principes de justice commutative. Malheureusement, ces principes sont en
quelque sorte denatures lorsque l'on ne permet pas un controle reel et effectif de
l'equilibre dans la relation des parties par une intervention judiciaire. En niant aux
tribunaux la possibility de controler et restaurer une certaine egalite entre les
103 Articles 6,7 et 1375 C.c.Q. 104 Voir le developpement a ce sujet dans la section portant sur la bonne foi.
45
parties, on permet concretement a une de celle-ci d'exploiter un lien obligationnel
au detriment indu de l'autre partie et des principes de justice. II faut done
conclure que pour que la justice contractuelle soit respectee, il est necessaire de
soutenir l'intervention judiciaire au sein de la relation des parties. II convient
alors de determiner les modalites de cette intervention puisque, nous l'avons
mentionne, une intervention non balisee ouvre la porte a l'arbitraire plutot qu'a la
justice. II faut done identifier comment la justice commutative s'articule au sein
d'une relation obligationnelle et c'est ce que nous examinerons dans la prochaine
section.
46
«(. . . ) il y a faute, acte illicite, delit a profiter de la situation embarrassee ou de l'inexperience de l'autre, a l'exploiter »105
2.4. La normativite de la justice commutative en droit des obligations ;
Puisqu'il semble acquis que la relation obligationnelle doive etre empreinte des
principes de justice commutative, il nous apparait necessaire d'analyser comment
cette notion se traduit dans les deux principaux domaines de la relation
obligationnelle, soit la responsabilite civile et le lien contractuel. Cette etude nous
semble necessaire puisqu'il ne semble pas exister de consensus sur les definition
et portee a donner a cette notion.
2.4.1. La justice commutative en responsabilite civile
Notre demarche consistant a debuter par l'etude des caracteristiques de la justice
commutative regnant en responsabilite civile pourra surprendre considerant les
limites annoncees de cette these. Pourtant, cette analyse nous semble necessaire
puisque les principes de justice commutative ont surtout ete etudies dans le cadre
de relations extracontractuelles de responsabilite civile. Nous en degagerons ainsi
les principaux elements et examineront si ceux-ci peuvent etre transposes a la
theorie contractuelle afin de soutenir notre etude. De plus, il faut mentionner que
les principes generalement degages pourront dans certains cas s'adapter
105 Carbonnier, Obligations, supra note 20 a la p. 165.
47
directement aux relations contractuelles, qui comportent elles aussi leur dimension
de responsabilite civile.
De nombreux auteurs voient dans la responsabilite civile un moyen visant a
retablir un equilibre economique rompu soit par un fait juridique dommageable -
auquel cas, la responsabilite civile sera source d'une obligation de reparation - soit
par un fait profitable, auquel cas, elle sera source d'une obligation de
restitution106. Deja dans l'Antiquite, Aristote envisageait la necessite de retablir a
l'egard de la victime l'equilibre materiel rompu par la faute d'un individu, par le
biais de la justice corrective107. Le passage suivant est particulierement
significatif:
« Peu importe, en effet, que ce soit un honnete homme qui ait
lese un coquin, ou un coquin qui ait fait tort a un honnete
homme, qu'un adultere ait ete commis par un honnete homme
ou un coquin : la loi n'a d'egard qu'a la nature du dommage;
elle regarde les parties comme egales, et ce qui l'interesse, c'est
de savoir si celui-ci a commis une injustice et si celui-la l'a
subie, si celui-ci a cause un dommage et si celui-la a ete lese. »
On note immediatement que l'on retrouve dans la proposition d'Aristote tous les
elements de la responsabilite civile quebecoise, soit la faute, le dommage et le lien
de causalite entre les deux. Encore de nos jours, l'interaction entre deux parties
impliquees eh responsabilite civile se cree par le lien de droit genere par la
106 Voir ibid, au no. 198; Nicholas Kasirer, « Agape », [2001] R.I.D.C. 575 a la p. 592 [Kasirer, « Agape »]; Seriaux, supra note 69 au no. 146.
107 Aristote, supra note 75 au no. 1131 b 25 et s.
48
108 correlation entre la faute de l'auteur et le dommage subi par la victime . C'est
ce lien de causalite qui cree la relation entre les parties et qui constitue le point de
rupture de l'equilibre entre elles. -La faute quant a elle constitue la cause de cette
rupture et le dommage, la mesure de cette rupture. Nous soulignons d'ailleurs au
passage qu'il est tres significatif que l'on sanctionne non pas en fonction de la
gravite de l'acte ayant cause ce desequilibre mais bien en fonction du prejudice
cause par cet acte109. Cela demontre qu'encore aujourd'hui, les principes
aristoteliciens de justice corrective regissent generalement les relations en
responsabilite civile, et particulierement en responsabilite extracontractuelle.
La justice corrective - nous rappelons que la doctrine moderne inclut
majoritairement cette notion dans le terme justice commutative - a pour postulat
que nul n'est au-dessus de la loi et que tous doivent repondre du tort qu'ils
causent a autrui. En ce sens, les parties sont egales, sans egard a leur fortune ou a
leur vertu, quant a leur responsabilite a l'egard d'autrui110. Tous doivent exercer
leurs droits en respectant ceux des autres, et cela, sans egard a leur statut social.
Chacun est done libre des echanges qu'il effectue mais doit tout de meme
respecter la liberte d'autrui, de maniere a ne pas leser indument les interets de cet
autrui et commettre une injustice a son egard.
108 Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 78. 109 Article 1457, al. 2 : « [e]lle est, lorsqu'elle est douee de raison et qu'elle manque a ce devoir,
responsable du prejudice qu'elle cause par cette faute a autrui et tenue de reparer ce prejudice, qu'il soit corporel, moral ou materiel. » On constate bien a quel point, en responsabilite civile generate, l'auteur du dommage est responsable de compenser la victime en fonction du prejudice subi plutot qu'en fonction de la gravite de la faute commise.
110 D'ailleurs, il est interessant de noter que les deux articles generaux au chapitre de la responsabilite civile du Code civil du Quebec commencent par l'expression « Toute personne a le devoir de... », ce qui demontre bien le caractere theoriquement egalitaire de la responsabilite civile, en accord avec les principes de justice corrective ou commutative.
49
Ce devoir general de bien se conduire a' l'egard d'autrui n'est pas optionnel et
s'explique aisement lorsque l'on s'interroge sur la fonction du droit. Plusieurs
adoptent l'enonce kantien voulant que le droit ait pour objet de gerer la
coexistence des libertes111. En ce sens, au sein des societes liberates, plusieurs
expriment l'idee que le droit fait regner un equilibre des libertes et que les
principes de justice commutative voient au respect de cet etat d'equilibre dans les
relations privees. Parce que la liberte s'avere une valeur primordiale, l'adage
« tout ce qui n'est pas interdit est permis » devient mantra. Cette doctrine liberate
se formule essentiellement en obligations diverses qui visent a assurer la liberte, la
propriete et la securite112. L'obligation liberale imposee au citoyen se limite alors
a une serie d'obligations negatives telles que celles de ne pas nuire a autrui ou de
ne pas empieter sur ses droits113. En d'autres termes, cette ideologic liberale ne
sanctionne aucune obligation positive generate de solidarite ou de charite a
l'egard d'autrui. Dans les rares cas ou de telles obligations existent114, elles sont
expressement legiferees et considerees comme autant d'exceptions a la liberte des
individus.
Puisque chacun est en principe egal a l'autre, la liberte de chacun ne peut etre
absolue et doit s'exercer dans le respect de la liberte legitime des autres
111 C'est cette formule que beaucoup d'auteurs appellent la « regie de la coexistence ». II faut noter cependant que Kant applique cette formule a l'ensemble du droit, et non seulement au droit prive : voir Kant, supra note 99 a la p. 104.
112 Francois Ewald, Histoire de I'Etat providence - Les origines de la solidarite, 2e ed., Paris, Grasset & Fasquelle, 1996 a la p. 19.
113 Ibid. 114 Voir par exemple Particle 585 C.c.Q. sur l'obligation alimentaire entre conjoints et parents au
premier degrt. /
50
personnes. Cette regie entraine done un possible conflit de liberte que le droit doit
gerer en imposant certaines limites a l'exercice de chacune de ces libertes115. Si un
individu ne respecte pas le devoir de respecter la liberte d'autrui en fonction de
ces limites sociales, il commet, en langage aristotelicien, une injustice qui doit
etre sanctionnee.
Pour notre part, nous croyons que cette liberte n'est que le porte-etendard du
veritable fondement du droit prive : assurer la coexistence des interets116. En
effet, nous ne croyons pas que la liberte puisse etre qualifiee de but en soi. Ce sont
les avantages et interets personnels que nous retirons de nos actions qui
constituent nos sources de motivation a Taction juridique plutot que l'exercice
libre en soi117. La liberte n'est, dans ce schema, qu'un gardien de l'interet
personnel. II n'en est pas le maitre. Personne ne conclut une convention pour
cette seule demonstration de la liberte a pouvoir contracted Un contrat est
generalement conclu pour les avantages, les interets qu'il confere a ses auteurs et
lift la liberte est un des outils privilegies .
Ainsi, nous reconnaissons que la liberte est effectivement essentielle a la
sauvegarde des interets personnels mais nous ne croyons pas que cette liberte en
115 Walter Yung, Etudes et articles, Geneve, Librairie de l'Universite Georg et Cie S.A., 1971 aux pp. 112-113.
116 Voir Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 733 et s. qui, bien qu'il utilise une terminologie differente, presente la liberte comme le moyen de satisfaire les besoins humains, avec toutes les prerogatives qu'elle comporte.
117 Voir cet avis presente d'une maniere plus radicale, Rudolph von Jhering, L'esprit du droit romain, t. 4, 3e ed., trad. O. de Meulenaere, Paris, Chevalier-Marescq, 1888 a la p. 321 r Nous consacrons d'ailleurs une section de cette etude a la theorie de Jhering sur la notion de droit subjectif comme « interet juridiquement protege ».
118 Voir Crepeau, Unidroit, supra note 88 aux pp. 10-12.
51
soi puisse etre qualifiee de but du droit. Pour cette raison, nous ne croyons pas
que l'injustice puisse se definir comme un manquement a la seule liberte d'autrui
mais bien comme l'irrespect illegitime des interets d'autrui. Comme nous le
verrons plus amplement, nous considerons qu'il sera illegitime de ne pas veiller
aux interets d'autrui lorsque la libre sauvegarde de ceux-ci sera compromise ou
lorsque ceux-ci seront cristallises sous la forme de droits subjectifs. Ainsi, nous
pouvons definir l'injustice comme le manquement ou l'irrespect illegitime aux
droits ou interets d'autrui.
La pensee d'Aristote sur les principes de justice corrective demontre aussi que le
point determinant de celle-ci est le dommage cause a la victime par l'injustice de
l'auteur. Sans ce dommage, l'auteur de l'injustice n'a aucun point de jonction
avec la victime. L'obligation de reparer le prejudice cause cree un lien de droit,
c'est-a-dire un lien pouvant etre sanctionne par les autorites judiciaires. On
pourrait concevoir une image ou un fil invisible, que l'on pourrait qualifier de lien
de causalite, relie l'auteur de l'injustice - chez qui le point d'ancrage serait cette
injustice - a la victime - pour qui le point d'ancrage serait le dommage subi par
elle. Sans chacun de ces elements, le lien de droit entre la victime et l'auteur ne
peut exister selon les principes de justice corrective ou commutative. II y a
correlation entre l'injustice commise par l'auteur et le prejudice subi par la
victime puisqu'il s'agit d'un meme evenement, de la meme injustice119. Pourtant,
une commutativite etablie en termes d'equivalence arithmetique entre les
situations des parties peut etre difficile a concevoir puisque souvent le montant de
119 E.J. Weinrib, « Nutshell », supra note 70 a la p. 350.
52
dommages accordes a la victime ne correspond pas directement a un gain
equivalent chez l'auteur de l'injustice. II semble done que d'autres elements
doivent etre consideres. C'est pourquoi, nous tenterons dans la presente section
d'identifier d'autres caracteristiques de la commutativite obligationnelle.
Meme si nous tentons d'examiner la justice commutative sous un autre angle
d'analyse que la simple egalite mathematique des valeurs echangees par les
parties, nous ne croyons pas qu'il soit possible de sanctionner le comportement
d'une partie en l'absence d'un prejudice pour la victime. Nous avons d'ailleurs
deja denonce par le passe, en matiere de responsabilite contractuelle, des
jugements qui avaient aneanti des contrats sous pretexte qu'une des parties n'avait
pas adopte un comportement qualifie de bonne foi et cela meme en l'absence de
prejudice pour la victime . Cela choque a sa face meme les principes de justice
corrective que de tenter de retablir par une sanction un equilibre qui n'a pas
formellement ete rompu, vu l'absence de prejudice. Nous 1'avons mentionne,
l'injustice devrait etre consideree comme l'irrespect illegitime des droits ou
interets d'autrui. Logiquement, une telle definition implique un prejudice en soi.
Le droit d'une societe liberale se decline generalement en un devoir de ne pas
nuire indument a autrui et non en celui de lui conferer un avantage. En l'absence
d'un prejudice, ce qui devait faire figure de reparation constitue en fait un
120 Gregoire, supra note 15 aux pp. 78-79. Voir d'ailleurs l'arret Losier, supra note 16 particulierement aux para. 49-51 ou la Cour a accueilli le pourvoi en specifiant que l'intimd n'avait subi aucun prejudice meme si l'on admettait qu'une faute avait ete commise. La Cour rejetait ainsi Taction en responsabilite. Au meme effet: Caisse populaire de La Prairie c. Burrows, (6 avril 2000), Longueuil, 505-17-000383-986, REJB 2000-19829, B.E. 2000BE-625 (C.S.); Crown Life Insurance Co. c. 2329-7294 Quebec Inc., (16 septembre 1999), Montreal, 500-05-008780-957, REJB 1999-14465, J.E. 99-1949 (C.S.).
53
avantage pour la « victime ». Au lieu de reparer une injustice, cette condamnation
procure un gain a cette partie et une perte pour celle qui paie. Dans un tel cas, on
ne doit pas parler de reparation mais bien de punition. Or, une telle fonction n'est
pas l'apanage de la justice commutative. La regie de 1'indemnisation sans
prejudice n'est done pas coherente aux principes de responsabilite civile. Si nous
reprenons notre image du fil invisible, nous pouvons dire qu'en 1'absence de
prejudice, le lien de droit devant alors lier la victime et l'auteur ne trouve alors
aucun point de rattachement chez la victime. II n'y a aucune injustice a reparer et
l'on denature a la fois la relation et l'objet du droit en octroyant des dommages-
interets « compensatoires » dans une telle situation.
II faut noter que nous pronons cependant une definition large de la notion de
prejudice. Ainsi, plusieurs dictionnaires de droit civil definissent la notion de
dommages ou de prejudice comme une atteinte aux droits ou aux interets d'une
personne . II est aussi important de distinguer la presence d'un prejudice avec la
preuve de sa quotite subjective pour la victime de celui-ci122. Ainsi, le prejudice
n'est pas exclusivement relatif aux dommages de nature pecuniaire et nous
admettons que d'autres types de dommages puissent ouvrir la porte a un
retablissement de T equilibre perdu, si les interets de la victime se trouvent
121 Voir notamment, CRDP, Obligations, supra note 20 s.v. «prejudice»; Denis Alland et Stephane Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses universitaires de France, 2003 s.v. « dommage ».
122 Adrian Popovici, « De l'impact de la Charte de droits et libertes de la personne sur le droit de la responsabilite civile : un mariage rate ? » dans La pertinence renouvelee du droit des obligations : Back to Basics, supra note 88,49 aux pp. 72-73 [Popovici, « Mariage »].
54
123 affectes. II en serait ainsi, notamment, de la violation d'un droit fondamental ,
de la perte d'un recours particulier suite aux manoeuvres de la partie adverse ou
meme de l'imposition, a la partie en situation d'inferiorite, par la partie avantagee,
de clauses fort desavantageuses pour celle-la. Toutes ses situations pourraient tres
bien se classer comme un prejudice pouvant permettre la sanction, par le juge, de
l'injustice creee par l'atteinte indue aux interets d'autrui.
C'est aussi pour cette raison qu'il apparait important de preciser et d'encadrer ce
qu'est une injustice aux fins de l'application des regies de justice corrective. En
effet, un dommage cause a autrui dans l'exercice raisonnable d'un droit legitime
ne devrait pas donner ouverture a une compensation en vertu des regies de
responsabilite civile. Le droit est indifferent au seul dommage factuel si ce dernier
n'est pas cause par une atteinte illegitime a la paisible coexistence des droits et
interets d'autrui. C'est l'atteinte a un droit ou un interet d'autrui, par une action ou
une inaction ne respectant pas le principe de la coexistence paisible des droits et
interets, qui est sanctionnee et justifie le droit de demander reparation pour le
dommage factuel cause.
On ne peut, ainsi, demander reparation pour les dommages causes a un bien si on
ne possede pas un droit a l'egard de ce bien. II n'est pas possible de reclamer des
dommages pour l'incendie de l'immeuble voisin du notre, sauf si cet incendie a
• ( 123 Voir a ce sujet ibid.\ voir aussi Louis Josserand, L'esprit des droits et leur relativite, 2e ed.,
Paris, Librairie Dalloz, 1939 a la p. 334 et s.
55
par ailleurs aussi cause des dommages aux biens pour lesquels nous sommes
detenteurs d'un droit reel, le plus souvent un droit de propriete. C'est done
l'atteinte a l'interet materialise en droit de propriete qui est sanctionnee et sans
l'interet, il est conceptuellement impossible de reclamer des dommages. II en est
de meme pour les droits personnels. C'est la violation indue d'un de ces droits
qui donne ouverture a des dommages. Ainsi, si nous ouvrons une boutique faisant
concurrence a une autre boutique semblable dans le meme secteur, nous ne
pourrions etre tenus aux dommages causes par une baisse de clientele, sauf si nous
etions soumis a une obligation de non-concurrence, notamment en vertu d'une
stipulation contractuelle ou si nous avions fait preuve d'un mepris illegal ou
socialement deraisonnable a 1'egard des interets d'autrui. Nous pourrions alors
parler de concurrence deloyale dormant ouverture a une sanction de reparation.
Cependant, en 1'absence de telles contraventions, aucun droit ou interet du
proprietaire de 1'autre boutique n'aura ete lese de maniere indue, puisque,
rappelons-le, dans l'exercice de nos libertes, nous n'avons legalement, en
principe, aucune obligation de conferer un quelconque avantage a autrui. Notre
concurrent devra done subir les aleas de son sort.
II faut, pour que nous soyons tenus aux dommages subis par une autre personne,
que le dommage factuel soit fonde sur ce que nous pourrions appeler une injustice
normative, e'est-a -dire une injustice demontrant un comportement juge
socialement deraisonnable ou, si l'on prefere, inacceptable selon les normes de
comportement imposees par la vie en societe. En droit quebecois, cette notion
d'injustice, en responsabilite extracontractuelle, prend la denomination d'une
56
faute civile. Or, « qui dit faute, dit manquement a une obligation preexistante. »124
L'aspect bipolaire du droit prive et de la justice commutative fait qu'au droit du
creancier correspond un devoir du debiteur . C'est d'ailleurs une des
caracteristiques du droit des Obligations. En matiere extracontractuelle, ce devoir
est plus general. II s'agit de la violation d'une regie de comportement que l'on
devrait adopter a l'egard d'autrui. II correspond au devoir general de respecter les >
regies de conduite s'appliquant en societe suivant les circonstances, les usages ou
1
la loi, de maniere a ne pas nuire a autrui . En matiere contractuelle, le
comportement a adopter est en general plus facile a identifier puisqu'il est « • • • • • 197
directement relie aux obligations explicites et implicites du contrat et que les
parties debitrice et creanciere de ces obligations sont generalement clairement
identifiables. Ces explications demontrent que, malgre leur difference apparente
de source et de degre, conceptuellement, il est possible de ramener les deux types
de responsabilite a une unite d'analyse. Dans les deux cas, il s'agit d'une 124 Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilite civile, 6e ed., Cowansville, Yvon
Blais, 2003 au no. 46. Voir au meme effet, Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 741 et Pierre Pratte, « Les dommages punitifs : institution autonome et distincte de la responsabilite civile », (1998) 58 R. du B. 287 aux pp. 301-304;. II faut noter ici, que malgre le terme obligation utilise ici, on fait ici clairement reference a un devoir plutot qu'une obligation au sens ou nous l'entendons, puisque avant la perpetration de la faute, il n'est nullement question d'un lien particulier entre deux personnes mais bien d'un devoir general de comportement a l'egard d'autrui. Pour une excellente distinction entre les devoirs generaux et l'obligation au sens strict, voir Yung, supra note 115 a la p. I l l et s.
125 Georges Del Vecchio, Philosophie du droit, trad. J. Alexis D'aynac, Paris, Dalloz, 1953 a la p. 326; Andrd Gervais, « Quelques reflexions a propos de la distinction des « droits » et des « interets », dans Melanges en I'honneur de Paul Roubier, t. 1, Paris, Dalloz & Sirey, 1961, 241 a la p. 243; Ernest J. Weinrib, «Symposium: Private Law, Punishment, and Disgorgement: Punishment and Disgorgement as Contract Remedies » (2003) 78 Chicago-Kent Law Review, 55 a la p. 60 [Weinrib, « Symposium »].
126 Article 1457 C.c.Q. 127 Baudouin et Deslauriers, supra note 124 au no. 46. Voir aussi Particle 1434 C.c.Q. Par ailleurs,
il faut noter que le developpement jurisprudentiel imposant au cours des dernieres annees des obligations implicites ne rend pas toujours facile le respect de ces dernieres et nous nous retrouvons pratiquement avec un corpus d'obligations implicites, qui se developpe au cas par cas et qui, en ce sens, s'apparente de plus en plus a la notion de faute en responsabilite extracontractuelle.
57
violation d'une norme de comportement, soit d'origine conventionnelle ou
legale128. Cette constatation nous permet d'etudier la theorie du professeur
Weinrib a l'egard de la responsabilite civile pronant la recherche d'un equilibre
fonde sur les principes de justice commutative « normative ».
2.4.1.1. La theorie d'Ernest Weinrib sur l'cquilibre normatif129
2.4.1.1.1 La notion de perte normative
Pour le professeur Weinrib, qui s'appuie sur les theories d'Aristote et de Kant, il
y a, lorsqu'une injustice est commise, une situation de desequilibre causant des
pertes et gains normatifs, qui doivent etre distingues des pertes et gains factuels.
Sa conception de l'equilibre est fondee sur la norme de comportement a respecter.
Elle est particulierement interessante puisqu'elle permet de trouver un equilibre
entre les individus d'une societe. En vertu de cette conception theorique, chacun
est tenu d'agir en societe en fonction de normes determinees ou determinables de
comportement. En ce sens, tous sont egaux et nous pourrions aj outer « en
equilibre normatif».
128 Ibid. II est a noter ici que nous ne discutons pas des presomptions de responsabilite qui entrainent la responsabilite de leur auteur meme en l'absence de toute faute proprement dite. En effet, conceptuellement, le principe demeure le meme puisque la faute est presumee par le biais de presomptions legales, par l'accomplissement de certains actes, meme si, sans ces presomptions, ces actes ne seraient pas des faits necessairement intrinsequement generateurs de responsabilit6. Nous nous trouvons done encore dans le cadre d'une norme legale de comportement a adopter.
129 Weinrib, Idea, supra note 5.
58
Ce n'est que lorsqu'un individu ne se comporte pas en conformite avec cette
norme de comportement qu'il commet une faute - ou une injustice en langage
aristotelicien - pouvant donner ouverture, le cas echeant, a la restauration de
l'equilibre perdu. II ne faut pas oublier qu'a chaque devoir legal correspond un
droit, meme virtuel, d'autrui d'exiger le respect de cette norme de comportement.
Cet autrui a tres certainement un interet a ce que cette norme de comportement
soit respectee, du moins, a son egard. Ainsi, lorsque le debiteur d'un devoir
comportemental agit de maniere a nuire a autrui au mepris de son devoir social le
plus fondamental, cela cree un desequilibre dans la situation d'equilibre normatif.
Si un prejudice est alors cause, il y a creation d'un lien de droit entre la victime et
l'auteur du prejudice. Le creancier peut user du droit de creance ainsi cree afin de
restaurer l'equilibre, soit en nature ou par equivalent, c'est-a-dire par l'octroi de
dommages130. II s'adresse alors au juge, « gardien de l'equilibre ». Comme
l'exprime Xavier Dijon :
« Tout se passe done comme si les relations normales vecues par
les sujets de droit determinaient l'equilibre de leurs plateaux,
jusqu'au moment ou, la faute pesant dans l'un, le dommage s'eleve
dans P autre selon un mouvement rigoureusement symetrique et
qu'alors sanctionner la faute en obligeant a reparer le dommage
130 Weinrib, « Symposium », supra note 125 a la p. 60; II peut etre interessant a ce stade de noter que des auteurs fran?ais font un parallele entre le droit de creance accorde au creancier pour assurer le respect de ses droits subjectifs et la justice commutative. Pour eux, il existe une situation d'equilibre entre le creancier et le debiteur et cette situation est maintenue en equilibre grace au droit de creance, ce qui a notre avis, confirme l'importance du juge dans le maintien de l'equilibre : Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux, avec la collaboration de Muriel Fabre-Magnan, Traite de droit civil: introduction generale, 4e ed., Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1994 au no. 202.
59
revient a retablir sous le fleau ajuste de la balance l'equilibre de la
relation meme.
(•••)
En d'autres termes, puisque la relation constitue l'objet central du
droit en general, de la responsabilite en particulier, et puisque, en
regime de justice commutative, une relation humaine ne subit de
dommage que par l'acte de liberte qui la meconnait, la
responsabilite se fonde sur l'ecart que prend la liberte par rapport a
la justesse de ses relations, sur la faute done. »131
On le constate, le desequilibre cree par l'acte fautif du debiteur est un element
essentiel de cette theorie. En langage juridique, on traduit souvent cette
proposition en soulignant que le prejudice est un element de la responsabilite
civile dormant ouverture pour la personne qui le subit a un recours en
responsabilite contre l'auteur du delit. Cependant, la quotite du prejudice ainsi
subi par la victime est une simple question de fait, qui, en plus de ne pas etre
suffisante pour donner ouverture a un recours en reparation en l'absence de
contravention a une norme, ne trouve pas necessairement son corollaire factuel
chez l'auteur du delit. Si par nos actes, nous causons un prejudice factuel de
100.00 $ chez une victime, notre patrimoine ne s'est pas necessairement enrichi
d'une telle somme. Pourtant, selon les principes de justice commutative, nous
devons, afin de retablir l'equilibre perdu, payer cette somme a notre victime.
Comment peut-on alors parler de restauration d'equilibre dans une telle situation ?
Comment se manifeste-t-il et qu'elles en sont les composantes essentielleS ? En
n'observant que les elements de quotite, soit les perte et gain factuels, l'equilibre
131 Dijon, supra note 70 a la p. 365.
60
commutatif semble impossible a concevoir. II faut done ajouter une composante
d'analyse afin que cet equilibre apparaisse clairement. Cet element se trouve dans
la condition supplemental qui permet a la victime de se prevaloir de son recours
en reparation, soit la violation d'une norme. En traduction libre, si l'on adopte le
langage du professeur Weinrib, une telle violation normative prend la forme d'une
perte normative pour la victime132.
Pour le professeur Weinrib, les pertes et gains normatifs impliquent une
comparaison entre ce qu'une personne a et ce qu'elle devrait avoir si la norme
avait ete respectee en fonction des regies sociales. Ainsi, selon sa theorie et sa
terminologie (en traduction libre), on peut parler de gain normatif lorsqu'une
personne se trouve, en quelque sorte, a beneficier de la contravention a cette regie
en possedant plus qu'elle ne devrait n'eut ete du respect de la norme. Pour notre
part, nous preferons parler d'empietement normatif puisque le concept de gains
normatifs n'est pas des plus faciles a conceptualiser. Si par mon action je cause
un dommage a autrui, est-ce que je profite vraiment d'un « gain » ? Cependant, il
semble clair que, par la contravention aux droits ou interets d'autrui, j'empiete sur
ceux-ci. En effet, puisque a mon devoir de ne pas nuire a autrui correspond le
droit, meme virtuel, d'autrui a ne pas subir ma nuisance, le non-respect de mon
devoir entraine necessairement un empietement du droit d'autrui, qui subit de ce
fait une perte normative.
132 Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 114 et s. 133 Ibid, aux pp. 115-117.
61
Pour le professeur Weinrib, une perte normative134 intervient lorsqu'une personne
possede moins que ce qu'elle serait en droit d'avoir . Si l'on traduit cette
theorie en termes de dommages, on peut affirmer qu'il existe chez une personne
qui profite d'un empietement normatif une raison legale pour diminuer son
patrimoine et qu'il existe inversement une raison legale pour augmenter le
patrimoine d'une personne qui subit une perte normative . C'est la violation
d'une norme qui entraine chez une partie une perte ou un empietement normatif et
ceux-ci se definissent respectivement comme un manque a gagner ou un surplus
par rapport a ce qui serait du en droit137. En responsabilite civile, tant
contractuelle qu'extracontractuelle, si la norme est respectee, l'equilibre est
maintenu en droit et les principes de justice commutative aussi. Mais la
contravention a cette norme produit un empietement normatif chez l'auteur du
delit et une perte normative chez sa victime et, consequemment, une rupture de
l'equilibre. II devient alors essentiel de faire appel.au juge138.
II est interessant de noter que pour le professeur Weinrib, l'aspect bipolaire de la
relation de droit prive fait en sorte que la perte normative de la victime se traduit
• 1 3Q
necessairement en gain (empietement) normatif pour l'auteur du delit . Nous
l'avons deja mentionne, c'est la meme injustice qui lie l'auteur et la victime. En 134 Nous conservons cette fois le terme de perte puisque ici ce concept nous apparait plus concret
et conforme a la realite juridique. 135 Weinrib, Idea, supra note 5 aux pp. 115-117. Voir aussi D'Aquin, supra note 69 II-II, Q. 62,
art. 5, qui observe qu'une perte a lieu lorsqu'une personne possede moins que ce qu'elle devrait.
136 Weinrib, Idea, ibid, a la p. 116. 137 Ibid, aux pp. 115-117 138 Ibid, a la p. 117 et Aristote, supra note 75 au no. 1132 a 19-24. 139 Voir Lionel Smith, « Restitution : The Heart of Corrective Justice », 79 Tex. L. Rev. 2115 a la
p. 2218 et s. [Smith, « Restitution »]
62
d'autres termes, c'est la meme norme qui pour un constituait un droit et pour
l'autre un devoir a respecter140. Comme l'exprime le renomme Jean Dabin :
« [L]es actions [en responsabilite] ne sont pas la sanction de
purs devoirs imposes par la regie objective; si devoir il y a, elles
sanctionnent des devoirs subjectifs correlatifs a des droits eux-
memes subjectifs. En d'autres termes, le devoir viole, la regie
violee consistaient dans le devoir, dans la regie du respect d'un
certain droit d'autrui; il n'y avait des devoirs que parce qu'il
existait des droits; et, precisement, les actions furent donnees
aux titulaires de ces droits comme sanction d'une violation
eventuelle de ceux-ci. »141
La correlation entre la perte et l'empietement normatifs, telle que decrite par
Ernest Weinrib, nous semble logique justement parce que cette meme correlation
n'apparait pas dans les gains et pertes factuels subis par ces memes parties. En
l'absence d'une equivalence entre les gains de l'auteur de l'injustice et les pertes
subies par la victime, il fallait trouver une autre base d'analyse des principes de
justice commutative expliquant 1'intelligibility de la relation des parties et les
consequences qui en decoulent.
Le professeur Weinrib appuie sa theorie sur 1'element dont la nature n'est pas
affectee par Tangle d'analyse, soit la faute. C'est la meme faute commise par
140 Voir au meme effet, Hans Kelsen, « La theorie juridique de la convention », [1940] Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, 33 a la p. 34; Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 734 et s.
141 Jean Dabin, Droit subjectif et prerogatives juridiques, examen des theses de M. Paul Roubier, Bruxelles, Palais des Academies, 1960 a la p. 16 [Dabin, Examen] [Les italiques apparaissent au texte original].
63
l'auteur qui cree un prejudice chez la victime. On peut done voir une correlation
entre la perte normative subie par un et 1'empietement normatif chez 1'autre. Les
deux elements seront necessairement egaux puisqu'ils sont causes par la meme
injustice. Cette correlation est par ailleurs coherente en responsabilite civile
puisqu'elle est strictement basee sur la relation privilegiee des parties en
expliquant la formation du lien de creance entre l'auteur du dommage et la
victime. Le tout dans le respect des principes de justice commutative. Comme le
mentionne le professeur Crepeau :
« Enfin, aux droits des uns, dont l'exercice est, lui-meme, assujetti
aux exigences de la bonne foi, correspondent les devoirs correlatifs
des autres, qui sont tenus de respecter les droits d'autrui, d'en
supporter l'exercice legitime et, en tous cas, de s'abstenir de toute
entrave injustifiee a l'exercice des droits de leurs semblables. » 142
La rupture de l'equilibre des principes de justice commutative dans une relation
privee ne doit done pas s'analyser a partir des gains et pertes factuels de chacune
des parties mais bien de leur perte et empietement normatifs143. En effet, un
empietement normatif chez l'auteur d'une injustice (pour lequel, rappelons-le, il
existe en consequence une justification legale pour diminuer son patrimoine), se
traduit rarement dans les faits par un gain factuel. Ainsi, si nous assenons un coup
de poing a une autre personne, il en resulte un empietement normatif de notre
cote, puisque nous avons agi aux detriments des droits et interets legitimes
142 Crepeau, « Fonction », supra note 27 aux pp. 734 et 735. 143 Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 117.
64
d'autrui. II existe possiblement maintenant une raison legale pour diminuer notre
patrimoine d'un montant representant les dommages subis par notre victime, mais
nous ne beneficions par ailleurs d'aucun gain factuel puisque notre patrimoine ne
s'est, dans les faits, nullement enrichi par cet acte. On ne peut done pas analyser la
rupture des principes de justice commutative par un calcul mathematique base sur
les avoirs de chacun avant et apres l'acte d'injustice.
La rupture se fait par le desequilibre normatif creant une « injustice » au sens des
principes de justice commutative. En d'autres termes, l'analyse consiste a verifier
si l'acte a l'origine de l'injustice constitue une justification legale permettant au
juge de diminuer ou augmenter le patrimoine des parties. Ainsi, le recours en
reparation d'une victime d'une injustice sera accorde, non pas en fonction d'un
gain factuel correlatif chez l'auteur mais bien parce qu'elle a injustement subi
cette perte et est consequemment victime d'une perte normative144. C'est cette
perte normative qu'il faut sanctionner afin de retablir l'equilibre. En
responsabilite civile, ce retablissement s'effectue le plus souvent par equivalent,
c'est-a-dire par l'octroi de dommages-interets.
Si l'on cherche a traduire la theorie du professeur Weinrib par les termes utilises
dans cette these, nous comprenons que Tespace d'equilibre normatif correspond a
la regie de la coexistence paisible des droits et interets. Les principes de justice
commutative viseraient done a favoriser cette saine coexistence paisible des droits
144 Ibid, aux pp. 119-120.
65
et interets et done devraient etre confus par leur dimension d'egalite normative
plutot que purement arithmetique.
Certains pourraient nous reprocher de transposer si aisement de la common law au
droit civil, la theorie du professeur Weinrib, notamment en definissant l'equilibre
normatif par la coexistence paisible des droits et interets. La common law ne
reconnait pas la notion de droit subjectif145, en tout cas, en son sens de prerogative
individuelle sur autrui ou un bien. En common law, les liens avec autrui se
traduisent essentiellement en une serie de devoirs, qui donneront ouverture, en cas
de violation, a des actions specifiques146. II faut que les faits puissent cadrer dans
ces causes d'actions definies pour pouvoir faire l'objet de sanctions147. D'ailleurs
meme le regime des «torts of negligence», qui se veut un peu plus general que les
1 4 o
autres delits , est base sur cette idee d'actions specifiques en presence de
certaines situations factuelles149. Ces actions viennent proteger des «interets
legaux », qui n'ont pas la meme connotation qu'en droit civil150. Puisque la
notion de droit subjectif n'existe pas et que le systeme s'est essentiellement
developpe de maniere empirique, il apparait normal que «les torts» ne se
145 Voir Geoffrey Samuel, « Le droit subjectif and English Law » (1987) 46 Cambridge L. J. 264 [Samuel, « Droit subjectif »].
146 Voir generalement sur cette question, Geoffrey Samuel, Understanding Contractual and Tortious Obligations, Exeter, Law Matters, 2005 [Samuel, Obligations]. Voir aussi les commentaires de la Cour supreme a cet effet dans Prud'homme c. Prud'homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663 notamment au para. 55 [Prud'homme],
147 Ibid, au no. 6.1 et s. 148 Voir generalement sur les criteres d'application du « delit de negligence » : Louise Belanger-
Hardy et Aline Grenon, Elements de common law et apergu comparatif du droit civil quebecois, Scaborough, Carswell, 1997 a la p. 187 et s.
149 Voir par exemple l'arret Dobson (tuteur a I'instance de) c. Dobson, [1999] 2 R.C.S. 753, oil la Cour supreme se questionne sur l'existence en common law d'un devoir de « diligence raisonnable » d'une mere a 1'egard du foetus qu'elle porte [Dobson],
150 Samuel, « Droit subjectif », supra note 145 a la p. 274 et s.
66
traduisent pas par la violation d'une norme generate de ne pas nuire indument a
autrui mais bien par une serie specifique de devoirs a respecter a l'egard de
diverses personnes151. Et c'est la violation d'un de ces devoirs qui provoque un
desequilibre normatif selon la theorie du professeur Weinrib. Ainsi, par exemple,
meme si la propriete immobiliere en common law ne cree pas un lien conceptuel
de droit subjectif comme en droit civil, il cree tout de meme, pour autrui, un
1
devoir de ne pas commettre un «trespass » , ou si l'on prefere une intrusion
illegale sur la propriete.
La theorie du professeur Weinrib peut etre adaptee au droit civil puisque la notion
de devoir, bien que con^ue differemment, se retrouve en droit civil . Le principe
de la coexistence paisible des droits et des interets en droit civil cree en quelque
sorte une regie generate de ne pas nuire indument a autrui et c'est la violation de
ce devoir qui provoquera le desequilibre normatif en droit civil. En d'autres
termes, c'est le concept de devoir preexistant qui donne ouverture au desequilibre
normatif, meme si la fa?on de conceptualiser ce devoir peut varier d'un regime a
l'autre. La faute n'est ainsi pas aussi caracterisee qu'en common law mais puisque
le pendant d'un droit subjectif est l'obligation pour autrui de le respecter154, il en
resulte que les liens entre deux personnes sont aussi fondes sur une notion de
devoir a respecter. Ce defaut cree en droit civil un lien legal d'obligations fonde
sur la responsabilite civile. Les droits et les devoirs, sont en droit civil, les
151 Ibid, et Samuel, Obligations, supra note 147 au no. 6.1.2; Bdlanger-Hardy et Grenon, supra note 148 notamment a la p. 167.
152 Samuel, Obligations, ibid, au no. 1.2.6. 153 Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 734 et s.; Yung, supra note 115. 154 Voir a cet effet la section portant sur les droits subjectifs.
67
facettes d'une meme medaille. Ainsi, le creancier d'une obligation jouit d'un droit
subjectif qui resulte en un devoir pour le debiteur de le respecter. Articule ainsi
autour du devoir social de respect des droits et interets legitimes d'autrui, le droit
civil permet, contrairement a la common law, une theorie de la responsabilite
civile basee sur la notion generale de faute.
2.4.1.1.2 La justice commutative et la violation d'un droit: quelles sont les sanctions appropriees ?
En transposant la theorie du professeur Weinrib en droit civil, l'equilibre normatif
se presente comme Tetat d'equilibre qui assure la coexistence des droits et des
interets en conformite avec les principes de justice commutative. Bien qu'elle ne
soit pas expressement mentionnee en appui, la theorie de l'equilibre normatif
permet de mieux saisir un courant de doctrine s'exprimant sur le lien entre la
violation d'un droit, et specialement un droit qualifie de fondamental, et la
responsabilite civile155. Ainsi, pour cette doctrine, l'atteinte a un droit est
necessairement illicite et comporte un dommage inherent, du moins en ce qui
concerne les droits fondamentaux que l'on retrouve expressement mentionnes a la
Charte des droits et libertes de la personne156. Ce dommage, dont la quotite
demeurerait a etre fixee, devra etre repare en soi, en l'absence d'autres sanctions
specifiques prevues par la loi, sinon, on pourra considerer que la violation d'un
droit peut, a l'occasion, ne pas faire l'objet d'une sanction judiciaire. Or, qui dit
155 Voir notamment Adrian Popovici, « Mariage », supra note 122. 156 Ibid. a l a p . 6 8 e t s .
68
• • • « 1 C-J
absence de sanction judiciaire, dit absence de droit . C'est pour cette raison que
le professeur Popovici propose la demarche suivante pour tenir compte des droits
individuels garantis en responsabilite civile :
« (1) y a-t-il eu atteinte a l'objet du droit, l'interet principal protege
par ce droit, tel qu'il est fa?onne par notre ordre juridique; (2) Si
oui, cette atteinte est-elle illicite ? (3) Si oui, il y a done atteinte au
droit fondamental et elle doit etre sanctionnee, reparee, ainsi que les • 1 consequences immediates et directes qui en decoulent. »
En utilisant le langage de la theorie du professeur Weinrib, on pourrait traduire
cette demarche en se questionnant sur la rupture de l'equilibre normatif, suite a la
violation d'un droit, provoquant ainsi une perte normative meritant reparation
factuelle. Mais un tel raisonnement, ou la violation du droit est en soi
sanctionnee, implique que l'on distingue le «dommage-condition» du
« dommage-resultat »159. Le premier, resultant de la violation du droit, a l'effet
d'une faute et, consequemment, une fois prouve, ouvre la porte aux sanctions
judiciaires. II s'agit en quelque sorte de la perte normative de la theorie de
Weinrib. Ce dommage doit etre repare en soi et la victime a le droit de prendre
les dispositions necessaires pour faire cesser cette violation normative. Le
dommage-resultat quant a lui correspond au prejudice subjectif subi par la
victime. II resulte de la preuve de quotite du prejudice immediat et direct cause
157 Ibid, a la p. 72. 158 Ibid, a la p. 94, n. 92. 159 Voir pour une definition de cette terminologie : ibid, a la p. 84, n. 85.
69
par la violation. II correspond done a la perte factuelle de la theorie de Weinrib et
sera repare par 1'octroi de dommages-interets.
Que la violation d'un droit fondamental puisse constituer une faute civile n'est pas
choquant en soi. Deja la Cour supreme du Canada l'a enonce a plusieurs
reprises160. Une telle faute caracterisee est par ailleurs entierement conforme aux
principes de justice commutative que nous venons de developper. Ceci dit,
l'application d'un tel principe, pose en pratique certains problemes de coherence,
non pas quant a la definition de la faute source de desequilibre normatif, mais bien
dans 1'octroi des dommages en resultant. Le probleme avec ce raisonnement est
la liberte que se conferent les tribunaux en cas de violation d'un droit
fondamental. La perpetration d'une faute civile, meme caracterisee par la
violation d'un droit fondamental, ne donne ouverture a la responsabilite de son
auteur que si les elements de dommages directs et de lien de causalite sont aussi
presents. On ne peut decider, sous pretexte que les faits demontrent la violation
d'un droit fondamental, d'outrepasser ces elements constitutifs de responsabilite
et condamner la partie coupable a debourser une certaine somme a la victime sans
que cette derniere fasse la preuve des dommages subis et du lien direct entre la
violation de ses droits et les dommages, meme moraux161.
160 Voir notamment les decisions Aubry c. Editions Vice-Versa inc., [1998] 1 R.C.S. 591 a la p. 615 [Aubry]\ Beliveau St-Jacques c. Federation des employees et employes de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345 a la p. 405 [Beliveau]; Voir cependant les commentaires de P.-A. Crepeau a ce sujet, qui juge que le Cour supreme conclut trop rapidement & la responsabilite civile de l'auteur de l'atteinte au droit, sans meme se demander si cette atteinte est fautive (art. 1457 C.c.Q.) ou illicite (art. 49 de la Charte des droits et libertes de la personne): Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 744 et s.
161 Aubry, ibid, a la p. 620; Beliveau, ibid, aux pp. 405-406; Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834 [Romain].
70
Pourtant, plusieurs juges n'hesitent pas a le faire en oetroyant, par exemple, une
somme pour le paiement des honoraires extrajudiciaires en cas de violation d'un
droit fondamental162. Or, un tel raisonnement nous apparait arbitraire parce qu'il
n'est pas conforme aux principes fondamentaux de justice commutative regissant
la responsabilite civile163. Traditionnellement, de tels honoraires ne sont
consideres comme des dommages directs que s'ils resultent de la faute
caracterisee d'abus de procedure, faute totalement independante d'une faute
principale fondee sur la violation d'un droit fondamental164. C'est pourquoi en
oetroyant de tels frais extrajudiciaires a titre de dommages, on denature les
principes de justice commutative qui prevoient que les dommages accordes n'ont
pas un caractere punitif mais bien indemnitaire. Lorsque l'on accorde une
indemnite sans preuve de dommages ou sans que ceux-ci puissent etre qualifies de
directs, sur la seule base de la nature de la faute commise, on transforme le
caractere indemnitaire en un caractere punitif. Or, ce type de sanction est en
principe etranger au droit commun de la responsabilite civile quebecoise165.
162 Voir par exemple, Belisle-Heurtel c. Tardif, [2000] R.J.Q. 2391 (C.S.) [.Belisle-Heurtel]. 163 Voir d'ailleurs l'arret Societe Radio-Canada c. Gilles E. Neron Communication Marketing inc.,
[2002] R.J.Q. 2639 (C.A.) (confirme en C.S.C., le 29 juillet 2004, 2004 CSC 53) [Neron, avec reference a la Cour d'appel], ou la Cour d'appel rejette la reclamation pour honoraires extrajudiciaires malgre l'atteinte a la reputation. On peut aussi noter le commentaire du juge Gonthier dans Beliveau, supra note 160 a la p. 406, a l'effet que « la Charte [quebecoise] ne saurait autoriser double compensation, ni fonder des dommages distincts de ceux qui auraient pu etre obtenus en vertu du droit commun. La violation d'un droit garanti n'a pas pour effet de modifier les principes generaux de compensation ( . . . )»
164 Voir notamment les arrets Aubry, supra note 160; Chiasson, supra note 77; Societe Radio-Canada c. Guitouni, [2002] R.J.Q. 2691 (C.A.) [Guitouni]; Viel c. Entreprises immobilizes du terroir Itee, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.) [Viel]; voir aussi notre section portant sur Tabus de procedures a la p. 150 et s.
165 Voir Gardner, supra note 78 notamment aux pp. 201 et 206.
71
Pour souligner que la punition ne devrait pas etre un but poursuivi par le juge dans
l'octroi de dommages, on peut mentionner que meme Particle 1621 C.c.Q. qui
prevoit la possibility d'octroyer des dommages punitifs leur confere litteralement
une mission preventive plutot que punitive166. Aussi, de tels dommages ne
peuvent etre octroyes que sur mention legislative expresse, ce qui demontre leur
caractere d'exception quant aux principes generaux guidant le droit de la
responsabilite civile. Ainsi, en accordant des dommages dans un but punitif, on
s'ecarte des principes traditionnels de la responsabilite civile qui ont pour but de
compenser, et peut-etre ainsi, subsidiairement, de prevenir la commission de la
i cn
faute mais certainement pas de punir, fonction relevant traditionnellement du
droit penal168. II faut une intervention expresse du legislateur pour ecarter, en
toute connaissance de cause, les principes compensatoires de justice commutative,
comme c'est le cas au Quebec, en matiere d'accidents de travail et d'automobiles
ou d'octroi de dommages-interets punitifs.
II nous apparait done essentiel que la theorie du professeur Popovici ne puisse
permettre d'assimiler des dommages de nature punitive aux principes de justice
166 L'alinea 1 de l'article 1621 C.c.Q. se lit comme suit: « Lorsque la loi prevoit l'attribution de dommages-interets punitifs, ceux-ci ne peuvent exceder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction preventive. » [Nos italiques]. Comme le souligne la professeure Roy, il est par ailleurs dommage que le legislateur ait reconnu cette fonction dans un contexte ou il utilise la terminologie de dommages-interets punitifs plutot qu'exemplaires: Pauline Roy, « Differentes manifestations de la notion de peine privee en droit quebecois » (2004) 38 R.J.T. 263 a la p. 270 [Roy, « Manifestations »] et Pauline Roy, Les dommages exemplaires en droit quebecois : instrument de revalorisation de la responsabilite civile, these de doctorat en droit, Universite de Montreal, 1995, a la p. 248 et s. [Roy, Dommages exemplaires]. Voir aussi: Pratte, supra note 124 a la p. 471 et s.;
167 Roy, Dommages exemplaires, ibid, a la p. 199 et s. 168 Voir d'ailleurs les commentaires sur l'article 49 al. 2 qui permet d'accorder des dommages
exemplaires dans Beliveau, supra note 160. Voir aussi Romain, supra note 161 notamment les commentaires du juge Taschereau a la p. 841.
72
commutative. Suite a une analyse de la jurisprudence, le professeur Popovici
etablit que les juges distinguent souvent le dommage d'avec sa quotite precise et
qu'ils proposent consequemment de reparer la violation d'un droit fondamental,
tels les droits a la liberte ou a 1'image, par l'octroi de dommages-interets punitifs.
Or, si cela est permis par le legislateur a Particle 49 de la Charte des droits et
libertes de la personne, en cas de violation intentionnelle et illicite, une telle
exception aux principes de justice commutative doit etre interpretee comme telle
et non pas comme une modification des regies fondamentales de la responsabilite
civile169. Cela implique notamment une analyse judicieuse des faits afin que de
s'assurer que l'on interprete cet article de maniere restrictive et que la sanction
preventive visant la dissuasion qu'engendre l'octroi de dommages-interets punitifs
ne soit effectivement accordee qu'en cas de veritable atteinte illicite et
intentionnelle170 et en gardant en tete cette fonction de dissuasion171.
Bien qu'il n'aborde pas en detail sa conception de la sanction de reparation, il est
interessant de noter que, dans l'elaboration de sa theorie sur l'abus de droit, le
professeur Louis Josserand parvient a un raisonnement semblable lorsqu'il
169 Voir Louis Perret, « Le droit de la victime a des dommages punitifs en droit civil qudbecois : sens et contresens », (2003) 33 R.G.D. 233 a la p. 256 ou l'auteur est d'avis qu'en tenant compte de la portee de la Charte des droits et libertes de la personne au Quebec, il faut conclure que 1'introduction qui y est faite du droit a des dommages-interets punitifs transforme le regime de la responsabilite civile du Quebec en un systeme mixte d'indemnisation et de punition. Or, a notre avis, c'est oublier la prescription de Particle 1621 C.c.Q. sur la fonction preventive des dommages-interets « punitifs » et le fait que l'art. 49 n'autorise l'octroi de dommages-interets punitifs qu'en cas de manquement illicite et intentionnel.
170 Voir les criteres d'application de Particle 49 (2) de la Charte des droits et libertes de la personne dans ce qui est considere comme la trilogie en cette matiere: Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268 [Gosset]\ Beliveau, supra note 160; Curateur public du Quebec c. Syndicat national des employes de I'hopital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211 [St-Ferdinand].
171 Article 1621 C.c.Q.; Roy, « Manifestations », supra note 166 a la p. 286 et Dommages exemplaires, supra note 166 a la p. 501 et s.
73
effectue la distinction entre ce qu'il appelle le defaut de droit et le detournement
d'un droit172. Si le detournement d'un droit exige des dommages quantifiables, le
defaut de droit constitue un acte accompli sans droit, au mepris d'un droit
d'autrui, par exemple une personne qui utiliserait le bien d'autrui sans sa
permission. Un tel acte pourrait etre sanctionne meme en l'absence d'un
prejudice evaluable au plan monetaire. En effet, le proprietaire du bien pourrait
s'adresser aux autorites publiques pour faire cesser l'usurpation de son droit et
cela meme en l'absence de dommages a quotite effectivement determinee.
L'equilibre normatif ay ant ete rompu, il pourrait tres certainement y avoir
• 173
ordonnance d'execution en nature pour faire cesser ce trouble inacceptable . Un
tel exemple constitue encore une fois une demonstration de 1'importance de
concevoir l'equilibre de la justice commutative en fonction de la norme plutot
qu'en fonction d'une egalite mathematique de la valeur monetaire des prestations.
Ces constatations nous permettent aussi de questionner le raisonnement de la Cour
d'appel dans l'arret Uni-Select Inc. c. Acktion Corp.114. II s'agit d'une decision
relative a l'inexecution d'une clause de non-concurrence, interdisant 1'exploitation
d'une entreprise de distribution de meme nature que celle de
l'appelante/demanderesse. Or, l'intimee a achete les actions d'une compagnie
exerQant les activites interdites, alors que la demanderesse convoitait les memes
actions. Cette derniere se plaint done des dommages subis par elle suite au non-
respect de la clause de non-concurrence. Les faits de cette affaire sont done assez
172 Josserand, supra note 123 a la p. 334 et s. 173 Voir notamment les articles 929 et 953 C.c.Q. 174 [2002] R.J.Q. 3005 (C.A.) [Uni-Select]
74
classiques. La particularity de cette decision reside plutot dans le calcul des
dommages. Ainsi, bien qu'il ait reconnu un manquement a l'obligation
contractuelle, le juge de premiere instance a rejete Taction de la demanderesse
parce qu'a son avis celle-ci a fait defaut de prouver ses dommages. En effet, cette
derniere reclamait non pas une indemnite pour perte de profits ou perte de chance
mais bien le gain dont elle pretendait avoir ete privee en ne pouvant se procurer
les actions convoitees. Or, pour le juge de premiere instance, ce gain etait plus
que speculatif puisqu'il s'appuyait sur une synergie prevue par la demanderesse
en achetant les actions convoitees, alors que rien ne prouvait qu'elle aurait
effectivement mis la main sur lesdites actions.
La Cour d'appel rejette ce raisonnement et appuie plutot le calcul de la perte de la
demanderesse (ici appelante) sur la valeur du gain ou de l'avantage qu'a tire la
defenderesse (ici intimee) de la violation de son obligation. La methode
devaluation ainsi preconisee par la Cour d'appel en est une qui permette « de
fixer la perte du creancier a la valeur correspondante du gain fait par le debiteur
qui n'a pas execute son obligation »175. II s'agit done d'une reddition de compte
plutot que d'une indemnisation au sens strict. Dans son raisonnement, la Cour
s'appuie sur la common law, qui permet une telle demarche par le mecanisme de r
la « restitution ». Elle ajoute que le droit civil ne pouvant, a l'instar de la common
175 Uni-Select au para. 38. Voir d'ailleurs un raisonnement semblable dans un arret de la Cour supreme : Banque de Montreal c. Kuet Leong Ng, infra note 654, ou la Cour a condamne un employe de la Banque a remettre les profits accumules suite a un manquement a son obligation de loyaute et cela meme s'il etait par ailleurs admis que cette derniere n'avait subi aucun dommage. Cette decision fait d'ailleurs dire aux professeurs Lluelles et Moore que la bonne foi, a laquelle on rattache l'obligation de loyaute, permet un recours distinct du classique octroi de dommages-interets, soit la reddition de compte : Lluelles et Moore, supra note 20 aux nos. 2035-2039.
75
law, se resoudre a permettre a un coeontractant de s'enrichir par une
contravention au contrat, une telle influence est permise. A notre avis, et avec
deference, un tel raisonnement introduit au contraire des principes qui ne
respectent pas 1'intelligibility de la responsabilite civile en droit civil quebecois.
La common Icrw reconnait a sa responsabilite civile (tort law) une fonction de
punition et de dissuasion basee sur l'exemplarite176. C'est ainsi qu'une partie
coupable d'une conduite demontrant une grande negligence, une intention de
nuire ou de la mauvaise foi pourra etre condamnee a payer a sa victime des
1 77 dommages punitifs . Ces dommages servent a marquer la reprobation publique
1 7ft
des gestes commis . Les recours en « restitution » sont aussi bases sur cette
meme idee que l'auteur du geste reprehensible ne peut tirer profit de ses actes et
cela meme si la victime n'a subi aucun dommage179. Ils visent done a retirer a
l'auteur les profits generes par ces gestes reprehensibles pour les remettre a la » • • 1 ftO
victime, parfois meme en plus des dommages compensatoires . II s'agit done
clairement d'une punition que l'on veut infliger a l'auteur des gestes
reprehensibles.
176 Allen M. Linden et Bruce Feldthusen, Canadian Tort Law, 8e ed., Markham, LexisNexis Butterworths, 2006 aux pp. 6-7; Belanger-Hardy et Grenon, supra note 148 aux pp. 169-170.
177 Voir notamment l'arret Whiten c. Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595 [Whiten]\ Baudouin et Deslauriers, supra note 124 au no. 334.
178 Voir les criteres d'octroi dans Whiten. 179 Jeff Berryman, « The Case for Restitutionary Damages Over Punitive Damages: Teaching the
Wrongdoer That Tort Does Not Pay » (1994) 73 R. du B. can. 320. 180 S. M. Waddams, The Law of Damages, 4e ed., Toronto, Canadian Law Book, 2004 notamment
aux nos. 5.780-5.790.
76
D'autres recours existent aussi en common law ou la victime n'a pas a prouver
qu'elle a subi un dommage181. Si de tels recours peuvent etre coherents en
common law, ils le sont beaucoup moins en droit civil. Nous l'avons dit, le
concept de punition est etranger a F intelligibility de la responsabilite civile en
droit civil quebecois qui a uniquement une fonction officielle de reparation182. A
ce titre, le critere d'octroi des dommages est l'indemnisation du prejudice subi ou
du gain manque183. II n'est pas question de sanctionner en fonction d'un critere
1 84
base sur la gravite de l'acte, aussi vil soit-il . Fidele aux principes de la justice
commutative, la responsabilite civile quebecoise ne sanctionne pas en fonction de
la nature de l'acte mais en fonction du prejudice subi.
II est d'ailleurs interessant de souligner meme dans l'octroi de dommages-interets
punitifs en vertu de la Charte des droits et libertes de la personne, la Cour
supreme prone une interpretation de la notion «d'atteinte intentionnelle et
illicite » contenue a 1'article 49(2) en fonction du « resultat» de ce comportement
illicite ou si l'on prefere en fonction des consequences entrainees. II faut verifier
si l'auteur a « voulu les consequences »185 de ses actes plutot qu'examiner cette
question sous 1'angle de la faute lourde. Or, en soi, cette analyse differe de celle
181 Belanger-Hardy et Grenon, supra note 148 notamment a la p. 173 ou les auteures mentionnent les delits d'acte de violence, de voies de fait ou de sequestration ou la victime n'a pas a prouver qu'elle a subi un dommage si elle prouve les elements constitutifs de ces delits.
182 Romain, supra note 161; Baudouin et Deslauriers, supra note 124 au no. 334 . 183 Voir l'article 1611 C.c.Q.; Baudouin et Deslauriers, ibid, au no. 331. 184 Baudouin et Deslauriers, ibid. 185 St-Ferdinand, supra note 170 a la p. 260.
77
de l'octroi de .dommages punitifs de common law ou c'est plutot le caractere
1 fiA outrageant de l'acte qui est examine .
Par principe, la fonction de punition d'un acte malveillant en droit quebecois est
1'apanage du droit penal. Cela explique que meme l'octroi en droit civil
quebecois de dommages-interets punitifs soit considere comme ayant une fonction
1 87
de dissuasion plutot que de punition . Et par ailleurs, meme si nous admettions
que l'autorisation prevue a l'article 49(2) de la Charte des droits et libertes de la
personne a modifie les fonctions de la responsabilite civile pour inclure de
maniere accessoire la fonction de punition, encore aurait-il fallu proceder par une
analyse des circonstances permettant l'octroi de dommages punitifs a cause d'une
« atteinte illicite et intentionnelle ». Meme ceux qui reconnaissent une fonction 1
de punition a la responsabilite civile reconnaissent que cette fonction passe par
les dommages-interets punitifs et necessite 1'etude des criteres prevus par la loi.
En dehors de telles circonstances, c'est le prejudice subi par la victime de la faute
qui constitue l'instrument devaluation aux fins de la condamnation en
responsabilite civile, le but etant 1'indemnisation de cette victime. Ainsi, l'arret -
Uni-Select nous apparait incoherent puisqu'il a clairement pour but de sanctionner
l'auteur de la contravention contractuelle plutot que d'indemniser la victime de
186 Voir Hill c. Eglise de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130 [Hill ] ; Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085 [ Vorvis]; Whiten, supra note 177. Voir aussi au sujet de cette distinction d'analyse : Stephane Beaulac, « Les dommages-interets punitifs depuis 1'affaire Whiten et les lemons a en tirer pour le droit civil quebecois » (2002) 36 R.J.T. 637 aux pp. 685-686.
187 Article 1621 C.c.Q.; Pratte, supra note 124 a la p. 471 et s.; Roy, « Manifestations », supra note 166 notamment aux pp. 270, 273 et 286 et Dommages exemplaires, supra note 166 a la p. 199 et s.
188 Voir Perret, supra note 169.
78
celle-ci et il le fait en procedant par le moyen detourne de la reddition de comptes
(« restitution ») plutot que par 1'application des criteres d'octroi de dommages-
interets punitifs.
II est d'ailleurs interessant de noter que meme des lois qui prevoient des
mecanismes semblables de reddition de compte, mentionnent que ceux-ci sont
1 SQ
accordes en sus des dommages-interets . Les sommes revues par la victime se
fonde sur le profit realise par l'auteur de l'infraction et peuvent ainsi exceder le
montant des dommages reellement subis par la victime. Cela fait dire a la
professeure Roy qu'un tel mecanisme de reddition de compte releve de la punition
plutot que de l'indemnisation190. Le professeur Gardner, quant a lui, rappelle que
ce mecanisme se distingue des dommages compensatoires et est exorbitant du
droit commun191. Nous comprenons mal comment la Cour d'appel a pu juger
qu'un tel mecanisme etait plutot du ressort de la compensation et faisait partie
integrante du droit de la responsabilite civile quebecois. Pour se faire, il a fallu, a
notre avis, qu'elle analyse les principes de justice commutative en fonction d'une
egalite mathematique ou le prejudice factuel du demandeur a necessairement pour
corollaire un gain factuel equivalent pour le defendeur.
Par son jugement, la Cour d'appel semble considerer que la correlation qui existe
entre l'empietement et la perte normative est identique a la correlation entre les
189 Voir par exemple l'article 35 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, e. c-42. 190 Roy, « Manifestations », supra note 166 a la p. 291 et Dommages exemplaires, supra note 166
a la p. 294 et s. 191 Gardner, supra note 78 aux pp. 212-213.
79
gains et pertes factuels. Nos critiques de ce jugement nous permettent de conclure
a la faiblesse de la definition de la justice commutative exprimee par une
equivalence arithmetique des prestations. Nous le repetons, en assimilant les
dommages subis par la victime aux gains de l'auteur, sans preuve a cet effet, on
importe un aspect comminatoire dans la responsabilite civile. On punit l'auteur de
la contravention afin de s'assurer qu'il ne puisse tirer profit de celle-ci et cela
independamment des dommages subis par la victime. Pourtant, nous l'avons deja
dit, cette fonction est etrangere aux principes de justice commutative qui
n'indemnise pas en fonction de la nature ou de la gravite de la faute mais bien en
fonction de la quotite des dommages subis par cette faute. La quotite des
109
dommages n'a pas de lien de correlation avec la gravite de la faute . Le resultat
obtenu par la Cour d'appel dans son application d'une commutativite a caractere
factuel confirme bien 1'importance de concevoir les principes de justice
commutative en fonction de l'equilibre social decoulant de la regie generale de ne
pas nuire indument a autrui. Ce n'est qu'en ce domaine que les pertes seront
necessairement egales aux empietements.
Concernant la relation entre les gains/pertes factuels et empietement/perte
normatives, on peut par ailleurs noter qu'un auteur de Common Law critique la
theorie de Weinrib en mentionnant que rien ne permet de dire que la
192 Sauf peut-etre le cas specifique du partage de responsabilite. Mais meme dans ce cas, les responsables sont solidairement responsables envers la victime et le partage n'est effectif que pour determiner la partie « conjointe » de leur obligation, ou si l'on prefere, le partage entre eux.
80
1 cn
compensation de la perte factuelle compense de meme la perte normative .
Avec deference, dans ce cas, cette critique nous semble mal fondee ou du moins
peu pertinente en droit civil. Que fait-on lorsqu'on octroie des dommages-interets
compensatoires ? On repare ou execute par equivalent194. Comme le prevoit
notre droit, et notamment toute la section du Code civil du Quebec relative a la
mise en oeuvre du droit a 1'execution de l'obligation195, le creancier peut
demander l'execution en nature ou par equivalent. Bien sur, on peut toujours
discuter du fait que le juge possede une certaine discretion quant au montant des
dommages, mais cela ne change rien au principe prevu au Code civil. L'octroi de
dommages est une execution ou reparation par equivalent. En d'autres termes,
lorsque l'on indemnise, on compense la perte normative et cela meme s'il faut en
cela s'appuyer sur la fiction juridique de l'execution par equivalent. Par contre, il
est vrai que pour qu'une telle execution par equivalent puisse exister, il faudra que
la victime ait effectivement subi une perte factuelle, c'est-a-dire un prejudice
pecuniaire de nature materielle, physique ou morale196.
En conclusion de cette section, retenons done que pour que les principes de justice
commutative puissent trouver une application coherente, il faut analyser ceux-ci
en fonction de la contravention a la norme sociale plutot que par une equivalence
arithmetique des prestations. On conclut done que la responsabilite civile
s'exprime par une commutativite normative et objective.
193 Curtis Bridgeman, « Corrective Justice in Contract Law : Is There a Case for Punitive Damages ? », (2003) 56 Vand. L. Rev. 237 aux pp. 247-248.
194 Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 170. 195 Articles 1590 et suiv. 196 Article 1607 C.c.Q.
81
2.4.1.2. Conclusion sur la justice commutative en responsabilite civile
En conclusion de cette partie, il apparait clair que la recherche d'un equilibre,
fonde sur la justice commutative, est fondamentale a la theorie de la responsabilite
civile, tant contractuelle qu'extracontractuelle. A cet egard, nous apprecions
particulierement la theorie de l'equilibre de la relation de responsabilite civile
proposee par le professeur Weinrib et basee sur les empietements et les pertes
normatifs. En vertu de cette theorie il existe une situation d'equilibre, dit
normatif, ou chacun a le devoir general de ne pas nuire a autrui. Nous avons vu
qu'en droit civil, la responsabilite civile tant extracontractuelle que contractuelle
s'appuyait aussi sur ce precepte mais vise dans ce cas la protection de droits et
d'interets legitimes pouvant etre opposes a son cocontractant ou a la communaute.
Nous pouvons, par exemple, exiger que chacun respecte notre integrite physique,
notre droit de propriete ou meme une clause de non-concurrence conclue avec un
partenaire commercial197. La societe voit en quelque sorte a l'exercice equilibre et
au respect de ces droits et interets individuels proteges. Lorsqu'un individu
contrevient a un de ces droits ou interets, il devient redevable envers 1'individu
lese par sa faute, en vertu du lien de droit ainsi cree. La contravention fautive
197 Voir par exemple l'arret Dostie c.Sabourin, [2000] R.J.Q. 1026 (C.A.) [Dostie] ou des tiers ont ete condamnes pour s'etre fait complices d'une violation d'une clause de non-concurrence dont ils connaissaient l'existence mais par laquelle ils n'etaient pas personnellement lies. Au meme effet, concernant une clause d'exclusivite de distribution, voir l'arret Trudel c. Clairol, [1975] 2 R.C.S. 236 [Clair ol\.
82
donne droit a la reparation si elle cause des dommages. Cette reparation s'evalue
en examinant la nature du prejudice cause a l'interet lese.
Le droit des obligations comporte aussi une facette plus positive et relative a la
creation et au transfert intentionnels de l'obligation. L'exemple classique d'une
source de creation intentionnelle d'obligations est le contrat. Par l'exercice de leur
volonte, les contractants deviennent creancier et debiteur d'obligations
contractuelles. Le creancier peut exiger l'execution du contrat par le biais d'un
droit de creance mais ce droit ne peut s'exercer qu'a l'egard d'un debiteur
particulier, partenaire au contrat. Le droit du creancier n'est pas general mais
individualise et est en quelque sorte artificiellement cree par une procedure
particuliere impliquant les consentements libres et eclaires des parties
contractantes. Le lien de droit entre les individus s'articule done differemment
que dans le cas de la responsabilite civile. Dans ces circonstances, la theorie de
l'equilibre normatif apparait-elle tout aussi importante et peut-elle justifier une
intervention d'un « gardien de l'equilibre » ? Chacun n'est-il pas responsable de
ses engagements contractuels en considerant et appliquant le principe que tout
individu est certainement le meilleur defenseur de ses interets propres et qu'il doit
supporter les consequences de ses choix ? L'equilibre ainsi volontairement choisi
par les parties ne risque-t-il pas d'etre compromis si l'on permet 1'intervention
judiciaire ? C'est ce que pronent plusieurs defenseurs des theories individualistes
du contrat en denonsant toute intervention judiciaire au contrat au nom des
principes de l'immutabilite et de la securite contractuelles.
83
Pour notre part, malgre ce discours, nous pensons que, au contraire, plusieurs
elements de la theorie du contrat militent en fonction d'un equilibre contractuel a
caracteres normatif et objectif et de la necessite de 1'intervention judiciaire afm
d'assurer la sauvegarde de celui-ci. En effet, la creation d'obligations apparait
comme une delegation du legislateur aux sujets de droit leur permettant 1 QO t
d'amenager leurs rapports juridiques avec autrui . Or, nous l'avons deja
mentionne, le principal but du droit prive etant de gerer la coexistence paisible des
droits et interets - ce qui dans un regime de philosophic liberale s'exprime le plus
souvent par l'absence de soumission d'une partie a une autre ou si 1'on prefere
une liberte factuelle a pouvoir assurer son interet - une telle delegation s'exprime
surement selon ces memes finalites. Mais pour y parvenir, il est necessaire que
cette delegation s'exerce dans les memes conditions d'egalite et que chacun
puisse, dans l'exercice de ses prerogatives contractuelles, assurer la sauvegarde de
ses interets. D'ores et deja, nous soutenons done que la recherche de l'equilibre y
est tout aussi importante et basee sur la meme exigence de ne pas nuire indument
a autrui. C'est ce que nous tenterons de demontrer dans la section suivante
consacree a la justice commutative au sein de la relation contractuelle.
198 Voir Emmanuel Gaillard, Le pouvoir en droit prive, Paris, Economica, 1985 au no. 329 et Kelsen, supra note 140 aux nos. 2, 3 et 13.
84
2.4.2 La justice commutative et la relation contractuelle :
Alors que le droit relatif a la responsabilite vise a proteger des droits ou interets
proteges deja existants, le contrat a la particularite de creer de fagon positive un
lien d'obligations entre le debiteur et le creancier199. Ainsi, contrairement au fait
juridique qui peut entrainer la responsabilite civile de son auteur meme sans sa
volonte, le contrat a la particularite de creer un lien d'obligations200 par le
concours de la volonte des parties contractantes. Cette caracteristique fait dire a
certains que le contrat cree un lien de solidarite avec des obligations positives de
9ft 1
comportement associees . D'autres, au contraire, vont exprimer l'avis que de
telles obligations positives nuisent au respect de la volonte des parties et
constituent une entorse importante a la liberte contractuelle.
Des conceptions du contrat aussi disparates resultent des differentes fagons de
concevoir la commutativite contractuelle et l'equilibre qui en resulte. Ce debat
s'articule autour de la question suivante : la nature volontaire de la relation
199 Si le debat semble plus virulent sur la nature du lien contractuel dans les systemes de common law- voir generalement a cet effet: Smith, supra note 4. Voir aussi Samuel, Obligations, supra note 146 au no 5.1 et s. qui ecrit notamment: « In civilian thinking a contract is more than the sum of its part; it is an obligation - a vinculum iuris - binding two parties and having an existence, so to speak, of its own. English law, in contrast, enforces promises, and thus a contract is simply a bundle of promises. » - cette pretention ne semble pas faire l'objet d'un debat important dans les traditions de droit civil, du moins en ce qui concerne le Quebec et la France, ou l'on reconnait que le contrat cree generalement des obligations, ce qui d'ailleurs est conforme a la definition que l'on retrouve a Particle 1433 C.c.Q. Voir, entre autres, Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 167 et s.; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 122 et s.; Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 21 et s.
200 II faut noter que conformement a l'article 1433, le contrat peut aussi eteindre ou modifier des obligations deja existantes, mais cela ne change rien a nos propos parce que de telles consequences impliquent necessairement que des obligations avaient ete creees anterieurement.
201 Voir par exemple, Courdier, supra note 6; Thibierge-Guelfiicci, supra note 6.
85
contractuelle modifie-t-elle la commutativite obligationnelle objective decrite
dans la section sur la responsabilite civile en une commutativite basee sur la seule
subjectivite des parties ou au contraire en une commutativite de nature societaire
transformant l'obligation generale de ne pas nuire a autrui en une obligation
positive et solidaire de comportement a 1'egard des interets de son
cocontractant202 ? Ce debat est important puisqu'il a une consequence directe sur
1'evaluation des actes des parties contractantes. II peut modifier la portee de
Pidentification d'une «injustice » au sein du contrat. Par cette consequence, c'est
toute la definition des preceptes bases sur les principes de justice commutative au
sein du contrat qui risquent d'etre modifies.
Si tous s'entendent sur la necessite d'une certaine commutativite contractuelle, le
plus souvent representee par la notion d'equilibre203, tous ne s'entendent pas sur la
nature d'un tel equilibre en matiere contractuelle. Ainsi, en resumant a outrance,
il existe presentement des conceptions subjectives, ou il est necessaire de
respecter la commutativite etablie par les parties et qui, a ce titre, interdisent toute
intervention judiciaire au-dela des principes d'ordre public; des conceptions
objectives qui souhaiteraient que la relation contractuelle puisse etre evaluee selon
les normes sociales objectives; et a l'autre extremite du spectre, des conceptions
202 Andr6 Belanger et Ghislain Tabi Tabi, « Vers un repli de l'individualisme contractuel ? L'exemple du cautionnement», (2006) 47 C. de D. 429.
203 Voir la these recente de Laurence Fin-Langer qui traite principalement de la notion d'equilibre dans le contrat: Fin-Langer, supra note 26; aussi, au meme effet: Francis Geny, Methode d'interpretation et sources en droit prive positif: essai critique, t. 2, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1954 au no. 173 [Geny, Methode] et Mazeaud, « Reduction », supra note 82 a la p. 59, pour qui « l'equilibre contractuel (. . .) constitue une des exigences de notre droit contemporain des contrats, devant laquelle la «liberte» contractuelle doit s'incliner. »
86
dites solidaires ou solidaristes, ou la relation des partie entraine des devoirs de
veiller aux profits de son cocontractant, dans un esprit d'abnegation et de
solidarite.. Avec des dimensions aussi opposees, il n'est pas surprenant que
certains puissent juger que le contrat est une institution en crise !
Pour notre part, nous ne croyons pas que la nature des preceptes de justice
commutative identifies dans la section precedente soit modifiee par le caractere
volontaire de la relation contractuelle. Par exemple, nous croyons que les
principes de justice au sein des obligations contractuelles peuvent aussi se definir
par la regie de la saine coexistence des droits et interets. C'est d'ailleurs ce que
nous tenterons de demontrer dans le cadre des prochaines sections.
2.4.2.1. Les assises essentielles d'une theorie contractuelle
Notre etude implique que nous identifions ce que nous considerons etre certaines
assises d'une theorie contractuelle credible et fonctionnelle. Nous l'avons
mentionne, nous souhaitons elaborer une theorie transparente, c'est-a-dire qui
puisse correspondre et s'appliquer a la pratique. Or, le respect de cette condition
dependra, a notre avis, du meme respect des assises identifiees.
Nous avons deja identifie un de ces piliers dans notre critique des theories dites
«utilitaires»: la motivation contractuelle des contractants s'explique
essentiellement par les benefices qu'ils retireront du contrat ou, si l'on prefere, par
87
la satisfaction de leur interet personnel. Pour chacun des contractants, cet interet
personnel prime la satisfaction d'un quelconque interet social. II s'agit done
d'une premiere dimension que l'on ne peut ecarter lorsque l'on cherche a articuler
une theorie pratique.
Ensuite, qui dit contrat, dit acte de volonte. D'ailleurs, selon la theorie classique,
le contrat se forme par les mecanismes d'offre et d'acceptation204. Or, l'offre
"70S
indiquant la volonte de son auteur d'etre lie en cas d'acceptation , on peut
conclure que le contrat est constitue d'obligations que l'on s'impose
volontairement206, e'est-a-dire dans l'exercice de sa liberte individuelle de
conclure un contrat dans son meilleur interet possible207. Bien que l'expression de
la volonte ne soit pas un instrument parfait, lorsqu'elle est exercee dans des
conditions ideales, elle est consideree comme le meilleur instrument pour assurer
l'equilibre de la relation entre les parties, du moins a un moment donne, dans des
circonstances donnees208. C'est pour cette raison que nous considerons la
dimension volontaire de la relation contractuelle comme notre deuxieme assise
essentielle. Or, cette dimension implique les principes de liberte et de
responsabilite.
204 Articles 1386 a 1397 C.c.Q. 205 Article 1388 C.c.Q. 206 Les auteurs de doctrine de langue anglaise parlent de « self-imposed obligations ». 207 Certains auteurs attribuent cette conception a la theorie du contrat social de Rousseau, voulant
que tous les humains soient £gaux et libres et done n'utiliseront pas cette liberte a leurs depens, voir notamment: Rosalie Jukier, «Banque Nationale du Canada v. Houle (S.C.C.): Implications of an Expanded Doctrine of Abuse of Rights in Civilian Contract Law », (1992) 37R.D. McGill 221 a lap. 241.
208 Stoffel-Munck, Imprevision, supra note 86 au no. 49.
88
2.4.2.1.1 Le role de la volonte au contrat
La philosophie adoptee a premiere vue par le Code civil du Quebec semble puiser
son inspiration dans les doctrines de Kant pour qui la volonte est source
d'obligations juridiques necessairement justes : « quand quelqu'un decide quelque
chose a l'egard d'un autre, il est toujours possible qu'il lui fasse quelque injustice;
mais toute injustice est impossible dans ce qu'il decide pour lui-meme. »209 Ainsi,
les paradigmes theoriques de Kant con9oivent la personne humaine comme une
personne libre pouvant exercer ses choix en toute liberte dans un systeme
209 Emmanual Kant, Elements metaphysiques de la doctrine du droit, trad. J. Barni, Paris, Durand, 1854, p. 169 tel que cite dans Bimes-Arbus, supra note 94 a la p. 1372, n. 9. Bien entendu la doctrine kantienne de l'autonomie de la volonte est principalement philosophique. II faut noter que, meme si le professeur Weinrib base sa conception du droit priv£ sur la philosophie de Kant, l'attribution a Kant des concepts juridiques de la theorie de l'autonomie de la volonte est par ailleurs controversee en doctrine, voir : Ranouil, supra note 93 k la p. 9 et s et a la p. 53 et s, pour qui la vision kantienne de l'autonomie de la volonte est purement philosophique et ne signifie que « le libre choix qu'a l'homme de se donner comme sienne la loi morale et de s'y soumettre ( . . . )» ce qui, pour elle, n'a aucune commune mesure avec le concept juridique de l'autonomie de la volonte qui « signifie que la volonte est la source et la mesure des droits subjectifs ». Cependant, l'auteure reconnait que Kant a contribue indirectement par certaines
1 de ses formules, a l'essor du volontarisme au sein de la science juridique, notamment celles voulant qu'une personne ne puisse etre soumise qu'a la loi qu'elle se donne elle-meme ou avec d'autres, qu'une personne ne puisse se faire injustice a soi-meme, que le plus grand droit subjectif soit la liberty et que le but principal de la loi doive justement etre de gerer la coexistence de l'exercice des liberies individuelles. En ce sens, l'auteure reconnait que Kant a fait de la volonte la source unique du droit, mais refuse de lui reconnaitre une influence autre sur la doctrine de l'autonomie de la volonte. Voir au meme effet, Gounot, supra note 35 notamment a la p. 54 et s.; Elise M. Charpentier, L 'equilibre des prestations : une condition de reconnaissance de la force obligatoire du contrat ?, These de doctorat en droit, Universite McGill, 2001 a la p. 5 et s.; Emmanuel Putman, « Kant et la theorie du contrat», [1996] R.R.J. 685; Georges Rouhette, « La force obligatoire du contrat- Rapport fran^ais » dans Denis Tallon et Donald Harris (dir.), Le contrat aujourd'hui: comparaisons franco-anglaises, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1987,27 au no. 13 et s.
89
juridique coherent ayant essentiellement pour but de s'assurer que les libertes
individuelles puissent coexister .
Cette vision du rapport entre la liberte et la volonte au sein de la theorie
contractuelle rejoint aussi les postulats d'Ernest Weinrib dans sa conception de
l'equilibre normatif. Puisque Ernest Weinrib appuie sa theorie sur les droits et
911
devoirs tels que definis par Kant , la place qu'il accorde au pouvoir de la volonte
individuelle est tres importante. Mais qu'en est-il vraiment ? Le Code civil du
Quebec relie-t-il de maniere quasi-absolue, a l'instar par exemple du Code civil
du Bas-Canada, la justice contractuelle a l'expression de la volonte ?
Pour notre part, nous pensons qu'un renvoi pur et simple a la theorie de Kant
donne a la liberte et a la volonte des roles trop absolus, du moins dans sa
919
conception et son interpretation modernes . La liberte et la volonte y sont
congues comme des fins en soi, au pouvoir createur de droit egal a la loi213. Dans
210 Voir notamment Gounot, supra note 35 notamment aux pp. 38 et 85; Fin-Langer, supra note 26 au no. 29; Ranouil, supra note 93 a la p. 57; Weinrib, « Symposium » supra note 125 a la p. 65 et s. Voir aussi sur cette conception du droit a titre de coordonnateur des libertes : Del Vecchio, supra note 125 aux pp. 328-329.
211 Voir Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 84 et s. 212 Certains auteurs denoncent la denaturation qu'a effectuee la doctrine moderne des principes
kantiens en soulignant que la doctrine kantienne de l'autonomie de la volonte est a mille lieux du concept juridique de l'autonomie de la volonte. En effet, la volonte kantienne n'est pas une volonte interessee, elle est une volonte pure de se soumettre a la loi morale, si bien qu'elle peut difficilement cotoyer le concept juridique de l'autonomie de la volonte tel que presentement interprete, qui lui « convient bien a une morale des affaires et de l'interet bien servi. » : Putman, supra note 209 au no. 14. Voir au meme effet, Charpentier, supra note 209 a la p. 5 et s.;
213 II est d'ailleurs interessant de noter que certains juristes envisagent le contrat comme etant la « loi » des parties. Voir par exemple la decision Mousseau c. Societe de gestion Paquin Ltee, [1994] R.J.Q. 2004 (C.S.) [Mousseau], ou le juge Guthrie s'exprime ainsi, a la p. 2008 de la decision : « Dans le regime de droit civil du Quebec, sous reserve de ce qui est contraire a l'ordre public, pourvu que les parties aient la capacite de contracter, la convention des parties fait loi. » Cette idee de «loi interne des parties » decoule probablement de Particle 1134 du
90
la pensee de Kant, nous devons respecter l'obligation parce que nous nous y
sommes engages librement en respectant la liberte de chacun. Notre droit
provient de la decision libre d'autrui de nous l'octroyer. La loi n'y est qu'un
accessoire visant a garantir que chacun respecte justement les libertes d'autrui
dans l'exercice de sa propre liberte ou, en d'autres termes, a harmoniser les
libertes individuelles214.
A l'instar de la doctrine moderne, nous sommes plutot d'avis que les obligations
contractuelles ont un effet contraignant pour les parties parce que le droit positif le
present ainsi . Deux volontes individuelles ne peuvent en soi, par leur seule
Code civil franfais qui prevoit que « les conventions legalement formees tiennent lieu de loi a ceux qui les ont faites ». Pourtant, si une disposition semblable se retrouvait au Rapport sur le Code civil du Quebec soumis en 1977 par 1'Office de revision du Code civil (voir Office de revision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Quebec, Quebec, Editeur officiel, 1977, a l'article 70 du livre V, intitule « Des obligations ») et par la suite reprise dans l'Avant-projet de loi sur les obligations de 1987 (article 1480), cette disposition a par la suite ete abandonnee, si bien que l'article 1434 ne reconnait que le caractere obligatoire du contrat sans faire reference a une formule de « loi interne des parties ». Par ailleurs, les commentaires du Ministre justifient ce choix legislatif de ne pas avoir enonce ce principe de loi interne des parties « compte tenu de toute la relativite que comporte 1'affirmation, en regard des dispositions imperatives de la loi, de l'ordre public, de la bonne foi, etc... ». Voir Commentaires du Ministre de la justice, Quebec, Publications du Quebec, 1993, s.v. art. 1434. Ce choix du legislateur confirme, a notre avis, la place predominate de la loi et, comme nous tenterons de le demontrer, de la necessity d'une justice a caractere plus objectif dans les rapports obligationnels.
214 Jean Clam, « La doctrine kantienne du droit: introduction a sa lecture et discussion de ses enjeux », [1996] R.R.J. 265 a la p. 270; Gounot, supra note 35 a la p. 388; Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 108.
215 Plane ici l'ombre inconteste de Kelsen... qui a soumis que « la convention est obligatoire dans la mesure oil l'ordre juridique la considere comme un etat de fait createur de droit; ou, en d'autres termes, dans la mesure oil une norme d'un degre sup£rieur (la loi, ou une norme coutumiere) autorise les sujets a creer (par delegation) une norme d'un degre inferieur.», Kelsen, supra note 140 au no. 13. Voir aussi sur cette question, et particulierement en ce qui concerne le contrat: en droit quebecois : Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 88 et s.; Lefebvre, Bonne foi supra note 8 a la p. 38 et s.; Lefebvre, « Liberte », supra note 8 aux pp. 53-55; Adrian Popovici, La couleur du mandat, Montreal, Themis, 1995 aux pp. 381-382 n. 887 [Popovici, Mandat]; en droit fran9ais : Ambroise Colin et Henri Capitant, Traite de droit civil, t. 2, Paris, Librairie Dalloz, 1959, au no. 815; Francois Collart Dutilleul, « Quelle place pour le contrat dans l'ordonnancement juridique ? » dans Christophe Jamin et Denis Mazeaud (dir.), La nouvelle crise du contrat, Paris, Dalloz, 2003, 225 a la p. 233; Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 aux nos. 110 et 120; Geny, Methode, supra note 203 au no. 172;
91
nature intrinseque, etre creatrices de droit. C'est la loi qui donne, par delegation,
la capacite a ces deux volontes de creer des normes obligatoires si celles-ci
91 f\
concordent en ce sens . « [L]e contact des volontes formant le contrat ne cree
pas plus d'energie juridique que le doigt actionnant le commutateur ne cree
d'energie electrique : dans les deux cas, l'energie vient d'ailleurs, et suppose tout •917
un appareil, un reseau ( . . . )» Si les seules volontes individuelles justifiaient la
creation de normes obligatoires, comment pourrait-on expliquer que ces memes
normes puissent avoir des effets a l'egard de tiers ? Ainsi, par exemple, comment
pourrait-on justifier que meme des obligations purement individuelles decoulant
d'un contrat dussent etre respectees, en tant que fait juridique, par des parties
tierces au contrat, qui, en cas de contravention, pourront etre condamnees a payer
des dommages (de nature extracontractuelle cependant) a la partie creanciere des i 918 obligations contractuelles ?
II convient probablement a ce stade de preciser ce que l'on entend par
l'expression «droit positif». Naturellement, celui-ci comprend les textes
legislatifs au sens large, ainsi que la coutume. Cette notion comprend aussi, en
droit prive quebecois, que l'on veuille Tadmettre ou non, une bonne partie de la
jurisprudence, qui meme en droit civil fait souvent figure de precedent a caractere
Ghestin, « Notion », supra note 39 a la p. 154; Gounot, supra note 35 a la p. 346 et s.; Francois Terre, Philippe Simler et Yves Lequette, supra note 30 au no. 25 et s.; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 365.
216 Voir notamment, Kelsen, ibid. 217 Xavier Martin, « Nature humaine et Code Napoleon » (1985) 2 Droits - Revue fran?aise de
theorie juridique 117 a la p. 120 [les italiques sont de l'auteur]. 218 Voir notamment les arrets Clairol, supra note 197 et Dostie, supra note 197.
92
\ Q
plus ou moins obligatoire, ou, du moins, moralement contraignant . Sans
importer les regies de common law, le droit quebecois en caique non
officiellement la technique et force est de constater que les juges s'attribuent un
role de createurs de la regie de droit. Les juges font regulierement usage de la
liberte qu'il leur est octroye dans 1'interpretation des textes pour juger selon des 99ft
principes de justice et d'equite . Mais, tel que nous l'avons mentionne, un tel
role createur risque de devenir illegitime et pourrait etre source d'arbitraire si ces
principes de justice et d'equite ne sont pas identifies et circonscrits. Les juges
doivent veiller a interpreter les textes en conformite avec les principes de justice
commutative puisque cette derniere constitue une composante integrate du droit
positif221. Nous avons etabli que cette justice commutative se manifestera, en
responsabilite civile et en reprenant en partie la terminologie du professeur
Weinrib, sous la forme d'un equilibre normatif ou les droits et interets de chacun 999
feront l'objet d'une coexistence paisible . La question est maintenant de savoir
si 1'aspect volontaire de l'obligation contractuelle modifie la nature de cette
justice commutative. En d'autres termes, l'exercice de la volonte fait-il
necessairement rayonner la justice commutative lorsque celle-ci est exclusivement
envisagee comme une justice subjective determinee par les parties ? Nous
pensons que pour repondre a cette question, nous devons d'abord situer les
elements de volonte et de droit objectif l'un par rapport a l'autre. 219 Voir plus amplement sur le role de la jurisprudence en droit prive quebecois : Adrian Popovici,
« Dans quelle mesure la jurisprudence et la doctrine sont-elles source de droit au Quebec ? », (1973) 8 RJ.T. 267 [Popovici, « Mesure »].
220 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 252. 221 Ibid. auno. 251. 222 Voir d'ailleurs Octavian Ionescu, La notion de droit subjectif dans le droit prive, 2e ed.,
Bruxelles, Bruylant, 1978 aux pp.102-103 qui definit la justice comme « I'idee d'ordre parfait qui devrait regner dans les relations entre les individus. »
93
Nous l'avons mentionne, a l'instar de la doctrine contemporaine, nous croyons
que la volonte est soumise au droit positif. L'exercice de la volonte doit
s'executer a l'interieur du cadre fixe par le droit positif223. D'ailleurs, celui-ci peut
limiter, en certaines circonstances, l'exercice de la volonte individuelle, par
exemple en lui imposant des obligations precises. La volonte detient une
importance indeniable, en tant que manifestation externe de l'exercice de la
994
liberte, notamment lors de la formation du contrat , mais elle est insuffisante
pour appuyer toute la theorie de la force obligatoire et coercitive du droit des
obligations225. D'ailleurs, la volonte n'est que la manifestation publique
privilegiee par notre societe pour demontrer un exercice libre de ses droits. II lui
faut le concours de l'Etat, qui exerce son pouvoir a travers les trois composantes
juridictionnelles, que sont les pouvoirs legislatif, executif et judiciaire, pour que
l'on puisse lui accorder des effets juridiques.
En excluant l'angelisme voulant que chacun respecte ses obligations
essentiellement par respect de la moralite rattachee a la parole donnee, on
comprend que l'obligation est respectee par les parties parce qu'elle est
positivement sanctionnee par la contrainte juridique exercee par l'Etat, ou si l'on
223 Voir notamment Louise Rolland, « Les principes d'Unidroit et le Code civil du Quebec: variations et mutations » dans Les principes d'Unidroit et les contrats international : aspects pratiques, Les journees Maximilien-Caron 2001, Montreal, Th&nis, 2003, 181 a la p. 185
224 D'ailleurs Kelsen lui-meme souligne l'importance d'un accord de volontes : voir Kelsen, supra note 140 au no. 4 et s.
225 Voir sur cette question, Lefebvre, « Liberte », supra note*8 a la p. 53 et s.; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 374; voir aussi Ghestin, « Notion », supra note 39 a la p. 150 et s. , ou l'auteur met bien en evidence que, bien qu'il ne constitue pas le fondement du contrat, l'accord de volonte demeure le critere essentiel a la formation du contrat et cela meme en l'absence de toute negotiation.
94
prefere, une force sociale organisee. II faut meconnaitre la psychologie humaine
pour affirmer que la volonte seule et le respect de la parole donnee sont suffisants
pour assurer l'execution des obligations. Sans contrainte, Phumain n'a pas
necessairement tendance a respecter ses engagements et les interets d'autrui. II lui
faut regulierement la motivation de la coercition du droit.
Dans ces circonstances, 1'affirmation voulant que le pouvoir de la volonte soit
egal a celui de la loi dans la formation de liens d'obligations apparait comme une
lecture erronee du droit positif. D'ailleurs, si l'on n'en est toujours pas convaincu,
on n'a qu'a songer a l'aspect imperatif de certaines lois dans 1'espace contractuel,
telle que la Loi sur la protection du consommateur , pour s'en convaincre. Le
fait que l'on admette ces lois a titre d'exception a une entiere liberte contractuelle
ne denature-t-il pas en soi la pretention voulant que la volonte soit de puissance
egale a la loi dans la creation et la force obligatoire des liens d'obligations ? La
loi peut creer des exceptions en imposant des normes dans l'exercice de
l'autonomie de la volonte. Cette possibility demontre que la loi possede
227 hierarchiquement un caractere normatif superieur a celui de la volonte .
De meme, 1'interpretation que reservent les tribunaux aux dispositions du Code
civil demontre bien que, meme en pratique, l'on considere que la volonte est
hierarchiquement subordonnee a la loi. Tant les auteurs que la Cour supreme du
Canada mentionnent que le Code civil doit recevoir une interpretation large plutot
226 Supra note 62. 227 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 88 et s.
95
qu'une interpretation restrictive . En effet, contrairement au droit d'origine
legislative dans les juridictions de common law, les regies de droit contenues au
Code civil ne constituent pas un droit d'exception. Or, si on analyse les tenants et
aboutissants de ce discours, il parait illogique de conclure que la volonte puisse
etre hierarchiquement superieure a la loi. Le Code civil du Quebec contient les
dispositions relatives aux consequences legales de la rencontre des consentements
dans la formation du lien contractuel. Or, si la liberte contractuelle et l'exercice
de la volonte etaient superieurement hierarchiques a la loi, les dispositions
imperatives que contient le Code civil du Quebec ainsi que d'autres lois enon?ant
des principes de droit civil recevraient une interpretation restrictive au nom de la
suprematie de la volonte des parties. Or, nous savons que tel n'est pas le cas et
que l'on interprete les dispositions imperatives du Code civil du Quebec de
maniere large favorisant leur objet.
Par ailleurs, il est interessant de noter que Kant lui-meme semblait etre d'avis que
la force obligatoire des obligations reside dans la loi, qui pour Kant etait aussi liee
au pouvoir de contrainte229, et non dans l'autonomie de la volonte en tant que
telle. Cela demontre a quel point une certaine doctrine a modifie la pensee de
228 Voir notamment Dore, supra note 2 a la p. 874 et s.; General Motors Products of Canada c. Kravitz, [1979] 1 R.C.S. 790 a la p. 813; Pierre-Andre Cote, L 'interpretation des lois, 3e ed., Montreal, Themis, 1999 aux pp. 37-38; J.-L. Bergel, « Specificity des codes et autonomie de leur interpretation » dans Le nouveau Code civil: interpretation et application, Les Journees Maximilien-Caron 1992, Montreal, Themis, 1993, 3 aux pp. 8-9 [Bergel, « Specificite »].
229 « Tenir sa promesse n'est pas un devoir de vertu, mais un devoir de droit que l'on peut etre contraint de remplir » Kant, supra note 99 aux pp. 94 et 106. II faut noter cependant que cette reponse a la force obligatoire qu'offre Kant est plutot relative au comment qu'aupourquoi. En effet, si l'on cherche chez Kant la reponse au pourquoi l'obligation est-elle obligatoire, on constate qu'il est en fait incapable de le justifier: « il est absolument impossible de donner encore une preuve de cet imperatif categorique; (. . .) C'est un postulat de la raison pure » (Ibid. a la p. 151). Voir a ce sujet: Putman, supra note 209 a la p. 692 et s.
96
Kant pour tenter de justifier la theorie juridique de l'autonomie de la volonte,
puisqu'a notre epoque les contraintes juridiques sont pergues comme autant
d'obstacles a la liberte. Pourtant, dans sa vision du droit, Kant envisageait plutot
la contrainte juridique comme permettant d'assurer un veritable exercice de la
liberte.
En plus de rejeter une vision trop absolue de la liberte, nous n'adoptons pas un
autre aspect de la conception de la volonte de Kant et surtout, encore une fois,
1'application qui est faite de cette notion par les tenants de la theorie de
l'autonomie de la volonte dans la formation du contrat230. Selon cette conception,
tous les etres doues de raison sont en principe libres et egaux dans l'expression de -yy i t
leur volonte , sans aucune influence des circonstances tant exteneures (un
9*39
rapport de pouvoir par exemple) qu'interieures (des desirs ou envies) . Or, a
notre avis, les contractants disposent, en ces temps modernes, d'une rationalite
limitee233 et il est done difficile d'affirmer qu'il existe une veritable liberte
exempte de toute contrainte. L'humain ne nait pas sauvage et independant. II fait
partie d'une societe, d'un reseau complexe de solidarites et de regies, dans lequel
230 Comme nous l'avons deja fait remarquer, c'est notamment ce qui fait dire a certains auteurs que la doctrine kantienne de l'autonomie de la volonte ne correspond pas au concept juridique de l'autonomie de la volonte. Voir a cet effet, la note 209. En effet, la volonte kantienne n'est pas une volonte interessee, elle est une volonte pure de se soumettre a la loi morale, si bien qu'elle peut difficilement cotoyer le concept juridique de l'autonomie de la volonte tel que presentement interprete, qui lui « convient bien a une morale des affaires et de 1'interet bien servi. » : Emmanuel PUTMAN, « Kant et la theorie du contrat», [1996] R.R.J. 685, a la page 691, no. 14. Voir au meme effet, Elise M. Charpentier, supra note 209 a la p. 5 et s.;
231 Voir Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 84 et s. et plus particulierement a la p. 88 et s. 232 Kant, supra note 99 notamment a la p. 86 et s.; Voir aussi a ce sujet: Jean Clam, supra note
214 a la p. 267; Gordley, supra note 30 notamment aux pp. 271 et 275 ; Jean Lacroix, Kant et le kantisme, 4e. ed., coll. Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 1973 aux pp. 72-73.
233 Christophe Jamin, « Revision et intangibilite du contrat ou la double philosophic de Particle 1134 du Code civil » (mars 1998) 58 Droit et patrimoine 46 a la p. 57 [Jamin, « Revision »].
97
il doit s'integrer et auquel il doit s'adapter . II est done illusoire de penser que
cette societe, ce reseau, n'exercent pas sur lui une influence capitale. D'ailleurs,
comme le soulignait le professeur Jean-Louis Baudouin :
« Le droit civil n'est pas une science morte ou stagnante. II est en
fait l'expression morale, sociologique, economique et politique
d'un peuple a un moment donne de son evolution historique. II est
done, par vocation, permeable a toutes ces influences exterieures et
la regie de droit represente une cristallisation legislative de tous ces
facteurs. »235
Nous l'avons mentionne, la regie de droit constitue un element fondamental de la
relation obligationnelle puisqu'elle definit, reconnait et sanctionne le lien de droit
entre les parties. II est done illusoire de penser qu'elle n'exerce pas une influence
sur la volonte des parties. La volonte humaine s'execute necessairement au sein
de ramifications legales et complexes . II s'agit du contexte social dans lequel
peut ou non s'executer le contrat. Par exemple, cette societe limite parfois
l'exercice de la liberte de disposer de ses droits subjectifs au nom de l'ordre
public et cela meme si les volontes des deux parties etaient clairement exprimees.
Un contrat de mere porteuse ne pourrait faire l'objet d'une execution forcee
puisque ce type de contrat est interdit au Code civil du Quebec de maniere
absolue237. Une telle regie peut tres certainement s'expliquer par le principe du
respect de la personne et de la dignite humaine sous-jacent au Code civil du
234 Gounot, supra note 35 notamment aux pp.140 et s. et 321. 235 Jean-Louis Baudouin, Les obligations, 4e ed. Cowansville, Yvon Blais, 1993 au no. 2
[Baudouin, Obligations, 4e]. 236 Geny, Methode, supra note 215 au no. 172. 237 Article 541 C.c.Q.
98
Quebec que le legislateur a juge bon de faire primer, au nom de l'ordre public, sur
le principe de la liberte contractuelle. Les principes directeurs du Code civil
influencent done l'exercice de la liberte contractuelle.
De plus, le principe individualiste de la theorie kantienne rapproche la theorie
contractuelle trop pres d'un autre principe de la theorie de l'autonomie de la
volonte, soit celui qui n'admet aucunement 1'intervention judiciaire pour modifier
le contrat. La philosophic liberale refuse de reconnaitre la necessite d'une telle
intervention" puisqu'elle est d'avis que l'on brimerait ainsi la liberte des parties en
modifiant l'equilibre subjectif du contrat par un equilibre impose judiciairement.
Or, pour les tenants de la volonte comme instrument de mesure de la justice
contractuelle, un tel equilibre impose entraine necessairement un « desequilibre »
puisqu'il ne correspond plus a celui voulu par les parties.
C'est d'ailleurs sur cet aspect que les relents de la theorie de l'autonomie de la
volonte sont les plus forts. Generalement, la doctrine est assez unanime sur le fait
que la loi prime la volonte et certains pourraient ainsi se questionner sur l'utilite
de notre argumentation a ce sujet. Pourtant, une fois qu'elle a affirme ce principe,
la majeure partie de la doctrine exclut les consequences de ce meme principe en
rejetant toute intervention judiciaire au contrat au nom de l'immutabilite
contractuelle, de la securite et previsibilite des transactions ou, si l'on prefere, du
respect de la commutativite subjective du contrat. Pourtant, si la loi prime la
volonte, les principes imperatifs du droit, tel que le devoir de ne pas nuire
indument a autrui, ont certainement tout autant priorite sur l'exercice de la
99
volonte. Or, nous l'avons deja vu, le respect de ce devoir doit le plus souvent
faire l'objet d'une contrainte judiciaire pour etre respecte. Cela implique que
l'equilibre subjectif des parties doit pouvoir etre examine si l'on veut assurer une
veritable coexistence paisible des droits et interets.
Ainsi, pour mieux expliciter notre pensee, nous sommes en accord avec le
postulat voulant qu'un contractant devrait refuser de s'engager a son detriment.
Cependant, ne croyons pas que la theorie de l'autonomie de la volonte, telle
qu'elle est presentement appliquee, soit celle qui permette effectivement
d'atteindre ce resultat. Le contractant le plus faible n'a souvent plus la possibility
d'etre le meilleur defenseur de ses interets et l'immutabilite contractuelle n'est
souvent source de protection que pour la partie forte, qui peut ainsi beneficier de
l'inegalite factuelle des parties239. On pourrait d'ailleurs affirmer que la theorie de
la volonte, telle que presentement appliquee, contredit les principes fondamentaux
de la theorie de Kant... qui pourtant semble 1'avoir inspiree, aux dires de
plusieurs. En effet, il est tres clair dans sa theorie que «l'acquisition d'un droit
personnel ne peut jamais etre originaire ni le fait d'un acte d'autorite prive - car
une telle possession ne serait pas conforme au principe de l'accord de la liberte de
mon droit avec celle de chacun et serait par consequent injuste »240. Or, c'est, dans
les faits, exacterrient ce qui se produit lorsqu'une partie plus forte impose sa
volonte a la partie plus faible. Nous pourrions alors, si nous utilisions le
238 Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 108; Jamin, « Revision », supra note 233 a la p. 57.
239 Belanger et Tabi Tabi, supra, note 202 notamment a la p. 438; Bimes-Arbus, supra note 94 au no. 12; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 376.
240 Kant, supra note 99 au no. 18 [Nous soulignons].
100
vocabulaire kantien, comprendre que tout acte d'autorite prive est injuste parce
que la partie avantagee ne respecte pas le libre choix de l'autre partie. Un tel acte
ne devrait done pas etre valide, officiellement ou officieusement, par la theorie
des obligations puisqu'il va a l'encontre des principes de justice gouvernant cette
theorie. Nous pouvons done conclure que, si nous voulons assurer un minimum
de justice dans nos rapports avec autrui, il faut s'en remettre a des sanctions
differentes de celles preconisees par la theorie de l'autonomie de la volonte pour
gerer nos relations contractuelles. Et un premier changement passe par
l'acceptation d'une plus grande intervention du pouvoir judiciaire.
Certes, le principe de l'autonomie de la volonte a encore une place determinante
dans la theorie des composantes relatives a la formation du lien contractuel. Si une
personne decide librement de s'engager pour en quelque sorte se soumettre de son
propre gre a une forme d'assujettissement, on presume qu'elle y trouve son
avantage et qu'en consequence le contrat ainsi forme est juste241. La volonte joue
dans cette mesure les deux roles de justification et d'element fondamental de la
force obligatoire du contrat242. Le contrat doit etre respecte puisqu'il a ete voulu.
II est par ailleurs voulu parce qu'il represente le meilleur interet de chaque partie.
Nous adherons nous-meme a ce principe voulant qu'en situation de coexistence
paisible des libertes, chacun soit le meilleur gardien de ses interets et doive agir en
consequence. La volonte forme done un premier equilibre contractuel base sur la
subjectivite des parties. Cependant, l'application actuelle de regies rigides
241 Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 98. 242 Geny, Methode, supra note 215 au no. 172; Ranouil, supra note 93 a la p. 71.
101
d'immutability contractuelle, tiree de la theorie de l'autonomie de la volonte,
exclut tout examen de cet equilibre afin de s'assurer qu'il respecte les principes de
la saine coexistence des droits et interets et assurer ainsi le respect des regies de
justice commutative, qui ne peuvent etre envisagees comme facultatives.
Meme si elle est denoncee pour les consequences extremes qu'elle entraine, il faut
constater que cette philosophie d'immutabilite contractuelle basee sur le respect
de l'autonomie des volontes est toujours celle qui, a premiere vue, semble
dominer le droit des obligations quebecois243. La lecture des dispositions
generates de la section du Code civil traitant du contrat244 laisse croire que le
legislateur quebecois considere encore que la rencontre des volontes est l'element
essentiel de la conclusion du contrat et en fait presumer l'aspect de justice. II
semble presume que l'exercice d'une volonte exempte de vices confirme que la
partie a pu assurer efficacement la sauvegarde de ses interets. Ainsi, lorsque l'on
parcourt les dispositions du Code civil du Quebec, on constate qu'il est
expressement prevu que le simple echange de consentements forme le contrat245 et
que celui-ci ne peut, en principe, etre modifie sauf par consentement des
parties246. Ni le juge, ni meme une partie, ne peuvent, en principe, en modifier le
contenu, et cela meme si, dans les faits, une partie est fortement desavantagee,
voire exploitee par le contrat247. Le contenu de ce dernier semble cristallise au
moment de l'echange des consentements. C'est d'ailleurs pour cette raison que le
243 Voir notamment Rolland, « Unidroit», supra note 223 a la p. 184. 244 Articles 1377 a 1456 C.c.Q. 245 Article 1385 C.c.Q. 246 Article 1439 C.c.Q. 247 Voir notamment l'article 1405 C.c.Q. qui ne reconnait pas, a titre de vice de consentement, la
lesion entre majeurs capables.
102
legislateur exigerait que ces consentements soient libres et eclaires et qu'il
sanctionnerait particulierement les vices du consentement248. En effet, si le
consentement - manifestation de la volonte - est vicie par les manigances d'une
partie, on ne peut manifestement plus parler de rencontre de volontes et
consequemment de commutativite subjective obligatoire. En ce sens, la theorie
des vices de consentement peut etre consideree comme une theorie aux
manifestations de nature psychologique : il faut demontrer que le consentement
precede d'une volonte saine249. Dans le cas contraire, il devient difficile de
pretendre que le contrat est juste puisqu'il a ete ainsi voulu par les parties.
Cette notion de volonte des parties semble tellement importante que notre Code
civil va meme jusqu'a rechercher et presumer une volonte des parties dans
1'elaboration du contenu du contrat alors que cette volonte est inexistante a sa face
meme250. Ainsi, les dispositions relatives a 1'interpretation du contenu contractuel
sont tres explicites a 1'effet que le but premier de ces directives est de rechercher
1'intention des parties quant a la nature de leurs obligations251. Or, comment
parler d'intention commune quand dans la realite, une des parties a entierement
redige et impose un contrat qui n'a meme pas ete lu ou compris par l'autre
partie... le plus souvent parce qu'on ne lui en a pas laisse 1'occasion.
248 Articles 1399 et suiv. C.c.Q. 249 Ranouil, supra note 93 a la p. 72. 250 II est interessant de noter que certains auteurs parlent d'interpretations « divinatoires », c'est-a-
dire d' interpretation ou les juges font produire a certains contrats des effets auxquels les parties n'avaient aucunement songe : voir Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 399.
251 Articles 1425 a 1432 C.c.Q.
103
C'est justement dans 1'interpretation de la volonte virtuellement presumee que la
doctrine de l'autonomie de la volonte fait fausse route. En voulant pousser a
l'exces son concept de volonte meme lorsque celle-ci n'existe pas, elle denature
son propre systeme puisqu'il devient impossible d'envisager un equilibre reel
entre les parties dans l'exercice de leurs droits. En mettant sur un meme pied les
transactions veritablement negociees et celles ou l'une des parties n'a meme pas
eu le loisir d'examiner un tant soit peu'le contrat avant la conclusion de celui-ci, • OCT
on encourage un rapport de force inegalitaire entre les parties . En d'autres
termes, nous croyons que s'il peut etre efficace de rechercher, en certaines
circonstances, la veritable intention des parties, notamment lorsque les parties ont
pu effectivement negocier «librement» les termes du contrat, la recherche de la
volonte doit par ailleurs cesser la ou s'arrete la volonte reelle des parties . En
l'absence d'un veritable exercice libre de volonte, on ne peut clamer que la
volonte joue son role de demonstration de l'exercice libre des droits individuels.
Tous s'entendent pour dire que la liberte contractuelle est un principe fondamental
du contrat254. Mais, encore faut-il lui offrir les moyens de veritablement
252 Voir notamment Christophe Jamin, « Quelle nouvelle crise du contrat ? Quelques mots en guise d'introduction », dans Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 215, 7 a la p. 19, n. 16 [Jamin, « Crise »]. II faut noter que cet auteur a une vision moderee du solidarisme contractuel qui reprend plus ou moins notre propre philosophie. Voir aussi Belanger et Tabi Tabi, supra, note 202; Bimes-Arbus, supra note 94 au no. 12 et s.
253 Gounot, supra note 35 a la p. 206; Ranouil, supra note 93 a la p. 135. 254 D'ailleurs, le Code civil du Quebec prevoit que « le consentement doit etre libre et eclaire », art.
1399. Aussi, il est interessant de noter que ce meme principe de liberte revient dans des documents & saveur internationale, tel que Unidroit, au paragraphe 1.1 des principes d'Unidroit, Institut national pour l'unification du droit prive, Principes relatifs aux contrats du commerce international, Rome, Unidroit, 1994 [«Unidroit»] ou dans les efforts d'uniformisation du droit europeens des contrats : Commission du droit europeen des contrats, Principes du droit europeen des contrats, vol. 2, trad. Georges Rouhette, avec le concours d'Isabelle De Lamberterie, Denis Tallon, Claude Witz, Paris, Societe de legislation comparee, 2003, a l'article 1.102 [Principes du droit europeen]
104
s'exprimer, ce qui n'est pas le cas lorsque toute cette liberte repose sur des
fictions.
Cette fagon de concevoir la justice contractuelle en fonction de la volonte est en
quelque sorte procedurale255. On se contente de verifier si le consentement au
contrat etait « libre ». On peut deja noter que cette verification du consentement
libre ne consiste qu'a s'assurer qu'il etait exempt, au moment de la formation du
contrat, de vices nommes au Code civil, ce qui constitue une restriction
importante au controle effectif de la liberte consensuelle. La satisfaction de cette
condition restreinte et minimale entraine une presomption irrefragable de justice
sans egard au contenu effectif du contrat et a une possible domination
deraisonnable des interets d'une partie sur ceux de son cocontractant. En effet, on
considere qu'une personne ayant donne son consentement, juge libre parce
qu'exempt de vices, s'est assuree d'une convention lui procurant les meilleurs
avantages. C'est d'ailleurs pour cette raison que le juge doit s'abstenir de
controler ledit contenu contractuel. Une convention «libre », la liberte etant ici
interpretee de maniere restrictive par une definition etroite des vices de
consentement, est necessairement juste et toute intervention judiciaire aurait pour
effet de nuire a cette justice. Selon cette interpretation, la justice contractuelle
passe par le respect absolu de l'equilibre subjectif du contrat, tel que determine
par la volonte des parties.
255 Putman, supra note 209 au no. 13.
105
On sait maintenant que la theorie de l'autonomie de la volonte est generalement
source d'injustice puisque son postulat de liberte repose lui-meme sur un postulat
immuable d'egalite des parties contractantes a assurer effectivement une saine
sauvegarde de leurs interets personnels. Toutes les personnes, physiques ou
morales, sont considerees egales entre elles dans leur capacite de negotiation et
d'elaboration du contrat . Ainsi, je suis consideree, en tant que personne
physique, egale dans ma capacite a veiller a mes interets a une compagnie
commerciale importante dont tous les contrats ont ete soigneusement elabores par
des avocats chevronnes. Toutes les parties etant considerees egales dans leur
capacite a exercer leur liberte, on pretend alors que le contrat represente la
veritable manifestation de l'exercice de la liberte individuelle.
Dans un veritable contexte d'egalite entre les parties, il apparait normal que le
contrat conclu puisse s'imposer aux parties. Une telle imposition decoule a notre
avis du principe de la responsabilisation de chacun face a ses interets.
Dans les societes liberates, chacun est en principe libre d'agir a sa guise tant que
son comportement n'est pas interdit par le droit positif et cela, meme si une telle
interdiction peut se decliner en termes aussi generaux que « nul ne doit nuire
256 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 90; Charpentier, supra note 209 a la p. 8; Lefebvre, « Mythe», supra note 45 a la p. 19.
257 Voir a ce sujet la denonciation qu'en fait l'auteur de common law Geoffrey Samuel en specifiant que cette egalite Active qui touche meme les personnes morales dans leurs relations avec les personnes physiques notamment a pour consequence d'obliger le legislateur a intervenir pour proteger de facto les personnes physiques, en leur octroyant pratiquement un statut d'incapables : Samuel, Obligations, supra note 146 au no. 1.3. D'ailleurs, une lecture de la Loi de la protection du consommateur, supra note 62 et notamment de son article 8 sur la lesion subjective est assez eioquente a cet effet.
106
indument a autrui», le qualifieatif indument referant ici a un comportement
inacceptable socialement . Cette conception liberale des droits et devoirs de
chacun fait en sorte que ceux-ci se declinent en devoirs de respecter les droits
d'autrui mais n'impliquent nullement une obligation de conferer un avantage. Si
je devais conferer un avantage a autrui, je cesserais d'etre libre, mes gestes devant
alors respecter cette finalite etrangere a la pure satisfaction de mes interets
personnels. Je n'ai done pas a me preoccuper du droit de mon voisin autrement
qu'en veillant a ne pas lui nuire de maniere socialement inacceptable. Le
corollaire evident est que mon voisin n'a pas non plus d'obligations positives a
mon egard. A l'exception de certaines dispositions legislatives particulieres, le
droit ne prevoit pas qu'un individu ait generalement a veiller sur moi, et par le fait
meme a mes interets. Ainsi, dans un veritable contexte de liberte, je n'ai que moi
a blamer si 1'elaboration de la relation contractuelle nuit a mes interets. La liberte
entraine la responsabilite de veiller a mes interets ou, du moins, m'empeche de
faire porter la responsabilite d'une convention contraire a mes interets a mon
cocontractant.
En resume, les societes liberates ont pour postulat que chacun doit veiller a ses
propres interets et qu'en ce sens, chacun est presume le meilleur gardien de ses
interets259. Si une personne neglige de veiller a ses affaires, elle ne pourra se
258 Yung, supra note 115, a la p. I l l et s. 259 Thierry Revet, « Les apports au droit des relations de dependance », (1997) 50 (1) R.T.D.
comm. 37 a la p. 42; voir aussi une telle declaration dans Bail, supra note 12 a la p. 587. II faut noter que des auteurs denoncent cette philosophie qu'ils jugent «irresponsable»: Belanger et Tabi Tabi, supra, note 202 a la p. 471.
107
plaindre des consequences de son inaction . Or, une telle presomption n'a de
sens que dans un contexte ou chacun est effectivement libre d'exercer le controle
de ses interets.
Malheureusement, la realite demontre que les parties sont rarement egales en
fait261,
avec pour consequences qu'une d'elles devient en quelque sorte soumise a
la volonte de l'autre partie et n'est plus en mesure d'agir pour assurer
efficacement la sauvegarde de ses interets. Par exemple, une partie peut detenir
de 1'information importante et inaccessible pour l'autre partie, ce qui cree une
vulnerability informationnelle pour cette derniere. Celle-ci devient en quelque
sorte dependante de la partie detentrice de 1'information et il est alors impossible
de parler d'une quelconque egalite des parties. Cette absence d'egalite nuit
necessairement a la liberte de la partie desavantagee dans la gestion de ses
interets. De plus, notre monde moderne nous confronte a plusieurs situations
monopolistiques, ou une des parties ne peut aucunement determiner le contenu de
ses obligations contractuelles et n'a le choix que de s'engager ou non, ce qui, dans
bien des cas, n'est meme un choix en soi puisque les biens ou services qu'offrent
ces monopoles sont consideres comme essentiels. On peut notamment penser aux
services publics d'electricite. Pourrait-on vraiment choisir de se priver de
chauffage electrique dans la saison d'hiver au Quebec ? On constate rapidement 260 Voir d'ailleurs une telle declaration sur une affaire portant sur les troubles de voisinage et sur la
responsabilite qu'ont les propri&aires des heritages voisins de prendre les actions appropriees pour faire cesser ou prevenir le trouble. En cas d'inaction, le voisin trouble ne pourra reclamer des dommages-interets : Ciment du St-Laurent, supra note 3 au para. 108.
261 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 90; Nooman M. K. Gomaa, Theorie des sources de l'obligation, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 88, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1968 au no. 13; Lefebvre, « Mythe», supra note 45 a la p. 20.
108
que le ehoix de contracter ou non pour l'obtention de ce service est pratiquement
inexistant.
De tels monopoles ou quasi-monopoles imposent le plus souvent le contenu
contractuel dans leurs interets sans meme laisser a 1'autre partie la chance de
s'enquerir des conditions contractuelles. Un simple appel aupres de divers
services publics est fort eloquent a cet effet. Le plus souvent l'information
transmise lors de ces appels ne concerne que le prix du service ou du bien offerts.
On y fait rarement mention des diverses conditions d'utilisation et notamment de
toutes les modalites et conditions de resiliation du contrat, qui sont souvent fort
onereuses pour le simple consommateur. Par ailleurs, il est couramment inscrit,
en caracteres minuscules, presque illisibles, sur les factures emises par ces memes
fournisseurs de services publics que ces memes modalites et conditions sont
unilateralement sujettes a changement sans autre preavis - et pas par une decision
du consommateur naturellement! Cela demontre a quel point le rapport de force
autorise par une theorie contractuelle fondee sur l'immutabilite rigide du contrat
nuit a un exercice libre des droits. II nous semble difficile de soutenir, dans de
tels cas, que la commutativite subjective des parties doive etre respectee parce
que, dans les faits, une telle application contredit les principes de liberte et de
responsabilite individuelles si chers aux societes liberates.
Les postulats de la theorie de l'autonomie de la volonte sont done fortement
critiques et plusieurs auteurs tentent de justifier d'autres fondements a la force
109
• « "yftJ >
obligatoire des contrats . Mais, force est d'admettre que plusieurs principes de
la theorie de l'autonomie de la volonte ont encore des assises importantes au sein
du Code civil. Le Code civil du Quebec a repris en grande partie la majeure partie
des regies du Code civil du Bas-Canada qui ont ete edictees dans le cadre d'une
societe un peu plus homogene, du moins dans ses relations contractuelles. Ces
regies laissent entrevoir que l'on ne peut pas completement ecarter l'ensemble des
principes bases sur la theorie de l'autonomie de la volonte dans une etude qui
concerne 1'intelligibility de la theorie contractuelle. Cependant, notre pretention
est a l'effet que lors de la redaction du Code civil du Quebec, le legislateur a
modifie 1'application de ces regies, notamment par la reconnaissance de nouveaux
preceptes de justice contractuelle. Or, dans le confort securisant des
interpretations traditionnelles, on n'a pas encore tendance a reconnaitre a ces
nouveaux preceptes leur pleine portee. On en parle certes mais on hesite a agir de
maniere tangible.
En imposant une commutativite subjective immuable meme quand la volonte
reelle d'au moins une des parties est inexistante, la theorie de l'autonomie de la
volonte ne peut coexister avec des theories plus souples qui pronent un equilibre
262 On n'a qu'a penser a la theorie du juste et de 1'utile de Jacques Ghestin: Ghestin, « Utile», supra note 38; Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 223 et s.; a une certaine solidarite contractuelle « fraternelle » ou « relationnelle » : respectivement, Thibierge-Guelfucci, supra note 6 et Rolland, « Figures », supra note 23; ou la theorie de l'equilibre contractuel soutenu par Laurence Fin-Langer dans sa these : Fin-Langer,, supra note 26; Par ailleurs, voir une belle critique de la theorie de l'autonomie de la volonte qui serait fondle sur trois erreurs (historique, economique et ontologique): Philippe Jestaz, « Rapport de synthese - Quel contrat pour demain ? » dans Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 215, 243 aux pp. 251-255 [Jestaz « Synthese »]; Voir aussi la critique du principe meme de l'autonomie de la volonte que les auteurs preferent qualifier de volontarisme social dans Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 105 et s.
110
contractuel plus objectif et un role accru du juge dans l'atteinte de cet equilibre .
Dans le conflit opposant le principe reclamant une certaine egalite objective entre
les individus et l'immuabilite contractuelle meme non conforme a la justice,
plusieurs choisissent la seconde. Quand la volonte reelle des parties est absente,
notamment, parce que l'une d'elles s'est fait imposer le contenu du contrat par le
biais par exemple d'un contrat d'adhesion, comment 1'interpretation du contrat
peut-elle etre guidee par un principe fonde sur la volonte des parties ? La liberte
de la partie adherente est alors clairement tronquee et la relation cesse d'etre
conforme aux principes memes d'une justice subjective fondee sur la volonte. Un
tel contrat d'adhesion est en quelque sorte une reglementation privee qu'une des
parties impose a l'autre264. La possibility de gestion des droits et interets de la
partie adherente est manifestement reduite a son minimum, la justice commutative
est compromise. C'est pourquoi nous croyons qu'une telle situation doit donner
lieu a une intervention judiciaire.
Puisqu'une partie est clairement avantagee en ayant, dans les faits, impose sa
volonte a l'autre partie, ne devrait-on pas interpreter le contrat avec des principes
fondes sur une commutativite moins subjective265 et sur un souci de garantir la
Oftft
bonne foi, l'equite et la protection de la partie la plus faible ? Nous le savons,
de veritables negotiations ne sont pas un element essentiel a la qualification d'un 263 Fin-Langer, ibid, au no. 107 et s.; Jukier, supra note 207 a la p. 233 et s. 264 Pascal Ancel, « La force obligatoire - Jusqu'ou faut-il la defendre ? » dans Jamin et Mazeaud
(dir.), supra note 215, 1163 a la p. 174. 265 Bimes-Arbus, supra note 94. 266 Ranouil, supra note 93 a la p. 134.
I l l
contrat. Un contrat existe et est valide meme en l'absence de veritables
negociations . D'ailleurs, la reconnaissance du contrat d'adhesion au Code
civil du Quebec en est certainement l'exemple le plus probant. Le probleme
cependant est que la philosophic liberale sous-jacente a la loi contractuelle est
justement inspiree d'une mentalite de libres negociations par des parties placees
en situation d'egalite. .La reconnaissance de contrats non librement negocies
apparait ainsi comme une rupture du systeme et explique les necessaires
interventions legislatives ponctuelles a cet effet, notamment en ce qui concerne les
droits des consommateurs ou des adherents. Le fait pour le legislateur d'imposer
a la partie avantagee des normes legislatives de comportement l'obligeant a tenir
compte des interets de son cocontractant et a ne pas abuser de sa situation permet
au systeme de recouvrer une apparence de legitimite. II s'agit en fait d'imposer
une commutativite plus objective lorsque les circonstances demontrent l'inegalite
des parties dans leur capacite a exercer un veritable consentement libre et eclaire.
2.4.2.1.2 Une commutativite objective
II est interessant de noter le nombre d'ecrits et d'auteurs, tant quebecois que
frangais, qui traitent, principalement ou incidemment, de la necessite d'une
certaine justice dans le contrat. Chacun y va de sa theorie. Nous nous
contenterons d'en mentionner quelques-unes plus recentes ou populaires. Ainsi,
267 Voir a ce sujet, le developpement dans Ghestin, Traite, supra note 29 au no 240 et s. 268 Article 1379 C.c.Q.
112
-JSQ 970 on discute d'obligation d'information , de bonne foi , de contrats justes et
971 979 97*3 9 74
utiles , de proportionnalite , de coherence , de loyaute, d'equite , de
contingence275, de contrats relationnels276, de « solidarite » ou « solidarisme »
269 Voir notamment, Patrice Deslauriers, « Le devoir de renseignement des banques », dans Droits de la personne: Solidarite et bonne foi: actes des Journees strasbourgeoises de I'lnstitut canadien d 'etudes juridiques superieures 2000, tenues du 2 au 8 juillet 2000 a Strasbourg, France, Cowansville, Yvon Blais, 353; Muriel Fabre-Magnan, De l'obligation d'information dans les contrqts, essai d'une theorie, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 221, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1992 aux nos. 637-668; Ghestin, Traite, supra note 29 aux nos. 626-674; Gregoire, supra note 15.
270 Voir notamment, Jean-Louis Baudouin, «Justice et equilibre: la nouvelle morality contractuelle du droit civil qu£b£cois » dans Gilles Goubeaux (dir.), Le contrat au debut du XXIe siecle, Etudes offertes a Jacques Ghestin, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 2001, 177 a la p. 198; Benabent, supra note 9; Paul-Andre Crepeau, « Le contenu obligationnel d'un contrat», (1965) 43 R. du B. can. 1, notamment a la p. 26 [Crepeau, « Contenu »]; Nathalie Croteau, «Le controle des clauses abusives dans le contrat d'adhesion et la notion de bonne fob, (1996) 26 R.D.U.S. 401; Gregoire, supra note 15; Patrice Jourdain, « La bonne foi dans la formation du contrat (rapport fran?ais)», dans La bonne foi, supra note 9, 121 [Jourdain, « Bonne foi »]; Vincent Karim, « La regie de la bonne foi prevue dans l'article 1375 du Code civil du Quebec: sa portee et les sanctions qui en decoulent» (2000) 41 C. de D. 435 [Karim, « Bonne foi»]; Ginette Leclerc, « La bonne foi dans l'execution du contrat (rapport canadien, lere partie, le contrat en general) » dans La bonne foi, supra note 9, 265; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8; Brigitte Lefebvre, «La bonne foi dans la formation des contrats : Le contrat en general (rapport canadien) », dans La bonne foi, supra note 9, 85 [Lefebvre, « Rapport canadien »]; Brigitte Lefebvre, «La bonne foi : notion proteiforme », (1996) 26 R.D.U.S. 321 [Lefebvre, «Proteiforme»]; Lefebvre, « Liberte», supra note 8; Claude Masse, « La bonne foi dans l'execution du contrat (rapport g£n£ral) », dans La bonne foi, supra note 9, 217; Jacques Mestre, « Bonne foi et equity, meme combat! », [1990] R.T.D. civ. 649 [Mestre, « Combat»]; Jacques Mestre, « D'une exigence de bonne foi a un esprit de collaboration », [1986] R.T.D. civ. 100; J. Perilleux, « La bonne foi dans l'execution du contrat (rapport beige) », dans La bonne foi, supra note 9, 237; Jean-Franfois Romain, Theorie critique du principe general de bonne foi en droit prive, Des atteintes a la bonne foi, en general, et de fraude, en particulier (fraus omnia corrumpit), Coll. de la Faculte de droit, Universite libre de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant, 2000; Robert Vouin, La bonne foi, notion et role actuels en droit prive frangais, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1939.
271 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 221 et s.; Ghestin, «Notion», supra note 39; Ghestin, « Utile», supra note 38.
272 Le Gac-Pech, supra note 95. 273 Horatia Muir Watt, Le principe de coherence en matiere contractuelle, t. 1 et 2, Aix-en-
Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2001. 274 Cumyn, supra note 42. 275 Luc Grynbaum, Le contrat contingent, 1'adaptation du contrat par le juge sur habilitation du
legislateur, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 389, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 2004.
276 Rolland, « Figures », supra note 23. II faut noter que l'auteure preconise dans ce type de contrats une relation contractuelle bas£e sur les principes de bonne foi, de solidarite et de cooperation.
113
contractuels277 ou meme d'immutabilite et de securite contractuelles, tous ces
textes demontrent qu'il existe, a divers degres, autant de definitions et de
conceptions de la commutativite contractuelle que d'auteurs sur le sujet. La notion
qui semble revenir le plus souvent est celle d'equilibre contractuel, sans qu'il soit
par ailleurs plus aise de definir cette notion qui est tres certainement une notion
polysemique et proteiforme. D'ailleurs, certains auteurs, dans leur these278
definissent la notion d'equilibre contractuel par de nombreux facteurs, tout aussi
difficiles a definir que la reciprocite, la commutativite, l'equivalence, la
proportionnalite ou la maximisation de creation de richesses. lis demontrent
aussi, meme si pourtant ils arrivent a des resultats differents des notres, que les
seules notions de juste prix ou d'equivalence des prestations sont insuffisantes
pour definir l'equilibre contractuel279. Pourtant, il s'agit des notions auxquelles
referent le plus couramment les auteurs280.
Meme si elle est diversifiee quant aux outils a privilegier, il faut par ailleurs
constater que la majorite de la doctrine est d'avis qu'il faut s'assurer d'une
certaine justice au contrat. Les notions floues et concepts pouvant alors etre
utilises a cette fin varient d'un auteur a l'autre mais une constante apparait: pour
277 Voir notamment: Belanger et Tabi Tabi, supra, note 202; Courdier, supra note 6; Christophe Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel » dans Gilles Goubeaux (dir.), supra note 270, 441; Mazeaud, « Solidarisme », supra note 7; Mazeaud, « Loyaute », supra note 9; Yves Picod, Le devoir de loyaute dans I 'execution du contrat, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 208, Paris, Librairie Gen6rale de Droit et de Jurisprudence, 1989; Thibierge-Guelfucci, supra note 6.
278 Fin-Langer, supra note 26 notamment aux nos. 255 a 357 et Grynbaum, supra note 275 au no 50 et s.
279 Fin-Langer, ibid, et Grynbaum, ibid, au no. 44 et s. 280 Voir par exemple la these de doctorat d'Elise Charpentier qui traite de la notion d'equilibre en
fonction d'un juste prix : Charpentier, supra note 209.
114
que la relation contractuelle puisse etre qualifiee de juste, il faut que le juge soit
investi d'un pouvoir d'intervention et de controle au contrat, sans quoi, les
principes de justice ne seront que purement theoriques et virtuels. Ce sont les
intervention et interpretation judiciaires qui donnent dans chaque cas un contenu
precis a la notion floue281 et qui assurent le respect des preceptes de justice.
D'ailleurs, comme nous 1'avons deja explique, une telle intervention est
parfaitement en accord avec les principes fondamentaux de justice commutative,
decrits par Aristote et impliquant l'intervention du juge, « source de justice ». Un
contrat juste s'assure de pouvoir compter sur cette source de justice.
Pourtant, une certaine doctrine continue de resister a une telle implication en
soulevant le spectre de 1'instability contractuelle. Le probleme avec leur
raisonnement est justement qu'au nom de la securite et de la liberte des parties, on
989
confond stabilite contractuelle et immutabilite . Dans cette philosophic,
l'immuabilite du contrat apparait comme 1'application de la regie du respect de la
parole donnee283, symbole par excellence, dans cette conception du droit, de la
liberte des parties. Toute intervention contraire du juge est interpretee comme une
breche importante aux principes fondamentaux du respect de la parole donnee, de
la liberte et de la securite contractuelles. En d'autres termes, toute intervention
judiciaire est congue comme une atteinte a la commutativite subjective, celle 281 Annick Tribes, Le role de la notion d'interet en matiere civile, t. 1 et 2, These de doctorat en
droit, Universite de droit, d'economie et de sciences sociales de Paris (Paris 2), 7 fevrier 1975 a la p. 326 et s.
282 Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 366. Voir notamment Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 119, pour qui, toutes les theories pronant un certain solidarisme contractuel constituent un « reel danger pour la liberte et la securite des contractants ( . . . )» [Les italiques se trouvent au texte original]. Du meme avis : Leveneur, supra note 100 a la p. 185 et s.
283 Thibierge-Guelfucci, ibid.
115
qu'ont voulue librement les parties . En ce sens, 1'intervention judiciaire est une
menace pour la securite contractuelle.
Or, a notre avis, une telle conception est erronee parce qu'elle confond liberte
absolue et equilibre des libertes favorisant le respect de la regie de la coexistence
des droits et des interets. Aucune liberte n'est absolue et toute liberte peut etre
limitee par la loi, qui a justement pour mission d'assurer la juste coexistence de
ces libertes et des interets qu'elles permettent de promouvoir. Et puisque le juge
est responsable de l'application individuelle de cette loi, il apparait que la liberte
contractuelle sera mieux assuree par l'intervention judiciaire qui veille a ce que
l'equilibre des droits et interets de chacun soit effectivement respecte. C'est ainsi
que ce contrat pourra legitimement justifier toute sa force obligatoire en soutenant
la veritable manifestation d'un exercice socialement acceptable de libertes.
Cependant, nous concedons qu'une telle intervention a effectivement pour effet de
modifier la commutativite contractuelle vers une commutativite plus objective285
lorsque les circonstances demontrent qu'il y avait inegalite des parties et done, ce
que nous pourrions appeler une «liberte soumise ». Comme nous le verrons, une
telle commutativite impliquerait une reciprocity plus raisonnable ou socialement
acceptable entre les prestations respectives des parties. Dans un contexte ou l'on
284 Voir notamment Christian Larroumet, «Obligation essentielle et clause limitative de responsabilite », D. 1997.chron.145 qui ecrit notamment: « L'application est devastatrice en ce qu'elle a pour effet, en d£veloppant le controle du contrat par le juge, de ruiner la liberte contractuelle. »
285 Bimes-Arbus, supra note 94; voir de meme, sur la promotion du raisonnable comme element de justice contractuelle : Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 132 et s.
116
recherche une saine coexistence des droits et interets et que la loi fournit
expressement aux juges les outils pour se faire, peut-on vraiment denoncer une
telle demarche ? Nous soumettons qu'en permettant aux juges le juste
reequilibrage au sein du droit civil, notamment en codifiant le principe de bonne
foi, le legislateur a modifie implicitement les postulats contractuels en
reconnaissant l'inegalite factuelle courante des parties. Les juristes ne peuvent
done plus se contenter de 1'interpretation traditionnelle de Pimmutabilite
contractuelle fondee sur une conception subjective de la juste commutativite. La
reconnaissance nouvelle du legislateur en modifie necessairement l'application et
oblige les juristes a faire la promotion de la commutativite objective. II faut que le
contrat soit raisonnablement profitable aux deux parties.
L'appel au loup au nom de la securite juridique de ces juristes nous apparait aussi
inquietant pour une autre raison. Toute cette denonciation a pour postulat une
mefiance a l'egard du systeme judiciaire, probablement au nom d'une
incompetence presumee. Or, une telle attitude nous semble incompatible avec le
role d'officiers de justice qui incombe aux juristes.
II est d'ailleurs interessant de souligner aux detracteurs d'une telle intervention
judiciaire que meme lorsque le legislateur permet expressement aux juges
d'intervenir en certaines situations ponctuelles, ceux-ci font generalement preuve
de retenue et moderation286. On n'a qu'a citer l'exemple de l'intervention
286 Jean Pineau, « La discretion judiciaire a-t-elle fait des ravages en matiere contractuelle ? » dans La reforme du Code civil, cinq ans plus tard, vol. 113, Service de la formation permanente,
117
987 judiciaire permise en revision d'une clause penale . A-t-on entendu parler d'un
abus flagrant des juges en ce domaine qui mettrait en peril l'existence de telles
clauses en rendant illusoires leur portee obligatoire ? Ici comme ailleurs, les
reflexes civilistes entrainent une mefiance a l'egard d'un pouvoir judiciaire
beneficiant d'une certaine latitude. Par exemple, en France, lorsque le legislateur
avait donne ce meme pouvoir de revision des clauses penales aux juges, plusieurs
l'avaient denonce en disant qu'il entrainerait la mort effective des clauses
988
penales . Or, nous le savons maintenant, cette prediction etait erronee.
Pourquoi en serait-il autrement pour les autres types d'obligations contractuelles
ou pire encore, selon les predictions que l'on retrouve dans la litterature la plus • 980
pessimiste, de l'existence meme du contrat ? Le mepris des juristes a l'egard
de 1'intervention judiciaire nous apparait done injustifiee et a la limite,
injustifiable.
Barreau du Quebec, Cowansville, Yvon Blais, 1998, 141 et notamment dans sa conclusion a la p. 178 [Pineau, « Discretion »]; voir aussi ce meme constat en droit fran?ais : Mazeaud, « Loyaute», supra note 9 a la p. 627.
287 Article 1623 C.c.Q. Pour de plus amples. informations a ce sujet, voir Vincent Karim, « La clause penale et le pouvoir de revision des tribunaux » dans Pierre-Claude Lafond (dir.), Melanges Claude Masse: en quete de justice et d'equite, Cowansville, Yvon Blais, 2003, 527 [Karim « Clause penale »]
288 Mazeaud, « Loyaute», supra note 9 a la p. 628. 289 Voir notamment Georges Ripert, Le regime democratique et le droit civil moderne, Paris,
Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1948 au no. 159 et s. [Ripert, Regime democratique]
118
2.4.2.1.2.1 L'evolution de la commutativite contractuelle de subjective a plus objective.
Notre plaidoyer en faveur de l'intervention judiciaire s'appuie sur la pretention
selon laquelle il est necessaire de modifier la definition de la justice dans
l'examen de la commutativite entre les parties contractantes. A notre avis,J'aspect
volontaire de la relation ne modifie par le caractere objectif des principes de
justice applicables a la relation contractuelle. Ainsi, nous pensons que la justice
contractuelle passe aussi par le respect du principe de coexistence paisible des
droits et interets etudie dans la section portant sur les principes de justice en
responsabilite civile.
Mais, les principes philosophiques de l'autonomie de la volonte impregnant
encore le droit contractuel quebecois, certains pourraient, au contraire, etre tentes
d'argumenter qu'encore aujourd'hui le respect des regies relatives a la formation
du contrat et a la validite du consentement en fait presumer la justice. En effet, si
la commutativite ne se congoit qu'en fonction de la subjectivite des parties,
puisque celles-ci sont libres de fixer les conditions contractuelles, les parties ne
peuvent revendiquer par la suite une equivalence de nature plus objective290.
D'ailleurs, ils seraient confortes dans cette opinion par la constatation que le
principe de la lesion entre majeurs n'est pas reconnu en droit quebecois . La
lesion se definissant comme « une disproportion importante entre les prestations
290 Denis Berthiau, Le principe d'egalite et le droit civil des contrats, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 320, Paris, Librairie Generate de Droit et de Jurisprudence, 1999 au no. 740 et s.
291 Article 1405 C.c.Q.
119
987 des parties» , il devient facile de conclure que la justice contractuelle
commutative de nature objective ne peut concretement etre envisagee comme un
aspect theorique important de la theorie contractuelle.
Pourtant, nous continuons de soutenir que la relation contractuelle doit respecter
la composante sociale du droit prive qui impose a chacun de ne pas nuire
indument a autrui. Cette composante implique que chacun puisse effectivement
agir dans son interet, en toute egalite avec son cocontractant, et en pleine
connaissance de cause. Sinon, elle implique que le juge puisse imposer certains
comportements aux contractarits afin d'assurer une veritable coexistence des
droits et des interets conforme aux normes sociales. II ne s'agit done pas d'une
negation des principes de la theorie de l'autonomie de la volonte mais d'un
retablissement des conditions propices au respect des principes de justice
commutative en fonction de la reconnaissance par le legislateur quebecois de
l'inegalite effective des parties.
D'ailleurs, meme dans l'application pure des principes theoriques de la
commutativite subjective basee sur le respect de la volonte, on retrouve des signes
d'une volonte d'assurer un meilleur respect des interets mutuels des parties. II est \
interessant de noter que ces manifestations se sont greffees au fil du temps,
essentiellement, suite a l'application de certains preceptes de justice par les
tribunaux. En ce sens, de telles manifestations pourraient etre considerees comme
des denaturations de la theorie pure de l'autonomie de la volonte. Ainsi, meme si 292 Article 1406 C.c.Q.
120
en theorie, la justice est presumee des qu'il y a accord de volontes, on retrouve,
dans les faits, des manifestations jurisprudentielles demontrant un certain souci ou
desir d'etablir effectivement une commutativite raisonnablement favorable aux
deux parties. A notre avis, celles-ci traduisent un veritable malaise, au sein de la
pratique judiciaire, par rapport a la presomption non verifiee ou verifiable de
justice contractuelle basee sur la seule rencontre des volontes. Comment
comprendre et inclure ces manifestations de plus en plus importantes dans une
veritable theorie contractuelle qui puisse les reconnaitre et les justifier
legitimement ? Est-il temps de cesser de les considerer comme autant
d'exceptions et de dangers a une theorie de l'autonomie de la volonte qui
manifestement n'est plus a meme de refleter les veritables assises de la theorie
contractuelle ?
Un premier exemple de telles manifestations se trouve a l'article 1401 C.c.Q. qui
prevoit que « l'erreur d'une partie, provoquee par le dol de l'autre partie ou a la
connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas ou, sans cela, la
partie n'aurait pas contracte ou aurait contracte a des conditions differentes. » Or,
on le sait, quand les plaideurs invoquent ce type d'erreur, ils doivent non
seulement demontrer que la partie qui se plaint de l'erreur a ete victime des
manoeuvres mensongeres de son cocontractant mais, en plus, qu'elle n'aurait pas
contracte ou, selon la codification de 1'interpretation qui avait ete developpee en
121
jurisprudence293, qu'elle aurait contracte a des conditions differentes294. Or,
comment se fait une telle preuve ? Par la demonstration de donnees objectives
soutenant qu'une commutativite desequilibree de maniere si importante ne peut
etre que le resultat d'un consentement vicie . On fait clairement appel au
caractere objectivement injuste du contrat en de telles circonstances. Cela est
d'ailleurs tellement vrai que l'on permet au juge de sanctionner ce desequilibre en
permettant a la partie victime du vice corrupteur d'obtenir, non pas la nullite du
contrat - qui serait la consequence logique d'un vice de consentement et done
d'une absence de volonte reelle - mais un maintien de ce dernier avec une
90 ft
reduction de ses obligations equivalente aux dommages subis , e'est-a-dire, dans
bien des cas, la valeur objectivement juste du contrat.
Un autre exemple de cette recherche de commutativite plus equilibree se trouve
dans 1'interpretation que font les juges des obligations contractuelles. Ainsi, en
presence d'une ambigui'te sur le contenu du contrat, les juges sont autorises a aller
au-dela du sens litteral des termes utilises et a rechercher l'intention veritable des
707 ' parties . Or, bien que le Code civil prevoie des dispositions specifiques
293 Voir notamment les decisions Bellerose c. Bouvier, [1955] B.R. 175 [Bellerose]\ Turmel c. Quadragesco Inc., [1988] R.J.Q. 2608 (C.A.) [Quadragesco] et Belanger c. Demers, [1992] R.J.Q. 1753 (C.A.) [Belanger].
294 Article 1401 C.c.Q.; Voir a cet effet, Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 241; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 645 et s.
295 Dijon, supra note 70 a la p. 346. Voir aussi a cet effet, Lluelles et Moore, ibid, au no. 660 et s. II faut par ailleurs noter que bien que les dispositions relatives a la crainte ne soient pas aussi explicites relativement a cette exigence de desequilibre, les plaideurs vont aussi, lorsqu'ils invoquent la crainte, effectuer le meme type de demonstration.
296 Article 1407 C.c.Q. 297 Article 1425 C.c.Q.: «Dans 1'interpretation du contrat, on doit rechercher quelle a etd la
commune intention des parties plutot que de s'arreter au sens litteral des termes utilises. »
122
concernant 1'interpretation des contrats298, il est courant de constater que les juges
analysent l'intention des parties par un principe d' « interpretation raisonnable ».
Ainsi, les juges soupesent les interets de chaque partie et tentent de trouver une
interpretation qui ne soit pas trop lourde de consequences pour chacune d'elles299.
On comprend d'une telle interpretation que les juges considerent que les parties ne
se seraient pas engagees a des conditions aussi onereuses pour l'une d'elles, ou si
l'on prefere, en abnegation si flagrante de ses interets.
Ainsi, par exemple, dans la decision Pisapia300, la Cour d'appel cite cet extrait du
jugement de premiere instance en specifiant qu'il s'agit d'une interpretation
raisonnable a laquelle elle acquiesce : « Bien qu'on ne puisse se referer a un
critere non contemporain au contrat pour 1'interpreter, l'ampleur du cout des
travaux d'etaiement est telle qu'il repugne de croire qu'un contracteur [s/c] en
excavation ait pu inclure semblable alea en determinant le cout de 1'enlevement de
la terre a la verge cube. Non seulement Dube y aurait-il risque sa marge de profit,
mais aurait-il assume la possibility de payer un item considerable (...) » Que doit-
on comprendre d'une telle citation ? Force est de conclure qu'une preuve a ete
faite par la partie debitrice a 1'effet que le fardeau impose par une interpretation
contractuelle qui inclurait les couts des travaux d'etaiement serait trop lourd par
298 Voir entre autres les articles 1425 a 1432 C.c.Q. 299 Voir notamment les decisions Exportations Consolidated Bathurst c. Mutual Boiler, [1980] 1
R.C.S. 888 [Mutual Boiler]; 3092-4484 Quebec Inc. c. Turmel, (29 janvier 1997), Quebec, 200-09-000648-953, J.E. 97-339 (C.A.) [3092-4484]; Cerescorp Inc. c. Commerce Leasing Ltd, (12 fevrier 1996), Montreal, 500-09-000518-902, J.E. 96-498 (C.A.) [Cerscorp]; Chateau c. Placements Germarich inc., (6 juin 1997), Montreal, 500-09-001184-944, J.E. 97-1254 (C.A:) [Placements Germarich] et Pisapia Inc. c. Paul Dube et fils Ltee, (12 novembre 1993), Montreal, 500-09-000159-855 et 500-09-000160-853, J.E. 93-1883 (C.A.) [Pisapia].
300 Pisapia, ibid.
123
rapport aux avantages qu'elle retirerait du contrat. II en resulterait ainsi un
desequilibre important puisque le contrat serait essentiellement desavantageux
pour elle. Ainsi, par une justification fondee sur l'intention « raisonnable » des
parties (du moins de celle debitrice des obligations qui autrement seraient tres
onereuses), les juges tentent de retablir une meilleure commutativite dans les
interets des parties contractantes et, de ce fait, visent une justice contractuelle de
nature plus objective.
Ainsi, en se basant sur ces exemples, nous pouvons constater que malgre la
presomption de justice liee a la theorie de l'autonomie de la volonte qui domine
encore la theorie quebecoise de la formation des contrats, on retrouve certains
mecanismes qui permettent mix juges de retablir dans les faits un certain equilibre
contractuel plus objectif. Cependant, il est important de noter qu'en quelque sorte,
ces mecanismes ne contredisent pas vraiment la theorie de l'autonomie des
volontes puisqu'il s'agit effectivement de decouvrir le point de rencontre de ces
volontes lors d'une ambiguite dans 1'interpretation du contrat ou de sanctionner la
rencontre fautive des volontes, c'est-a-dire la rencontre qui n'aurait pu avoir lieu,
n'eussent ete des manoeuvres dolosives d'un des contractants. Nous l'avons deja
dit, pour les tenants de la theorie de l'autonomie de la volonte, le consentement
libre et eclaire est a la fois source et justification de la force obligatoire des
contrats301. II est done normal que l'on recherche tout au moins cette volonte
essentielle. Mais meme dans cette recherche primaire de la volonte, on peut noter
301 Ranouil, supra note 93 a la p. 71.
124
une tendance vers la necessite d'une plus grande justice contractuelle fondee sur
les principes de justice commutative objective.
L'article 1401 C.c.Q. est aussi interessant pour la demonstration qu'il permet de
faire de revolution de la jurisprudence quant a certaines sources de retablissement
d'une commutativite plus objective. Ainsi, contrairement a ce qui etait a l'origine
codifie sous l'egide du Code civil du Bas-Canada, cet article donne ouverture a
un recours pour vice de consentement fonde sur le dol par reticence. La reticence
peut etre definie comme un silence volontaire d'un des cocontractants sur un
element important du contrat . Or, longtemps, notre droit n'a pas reconnu qu'un
tel silence pouvait etre assimile a un mensonge dolosif. On ne semblait
s'interesser qu'aux manoeuvres positives , c'est-a-dire aux comportements
deloyaux tels des ruses, machinations ou mensonges traduisant une intention de
tromper304. Dans l'esprit liberal qui regnait a cette epoque, on considerait qu'il
etait du devoir de chacun de se renseigner et qu'une partie ne contribuait pas a
tromper son cocontractant en cachant, par son silence, et done sans un
comportement « activement» reprehensible, des elements importants du contrat.
II appartenait a l'autre partie de veiller elle-meme a ses interets et de s'informer en
305 consequence .
302 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 235; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 620. II faut noter que ces auteurs distinguent le silence proprement dit et la reticence mais admettent qu'en pratique, on ne fait pas une telle distinction.
303 Lluelles et Moore, ibid. 304 Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 87. 305 Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 620.
125
Or, la jurisprudence a evolue pour ouvrir la porte aux recours fondes sur la
reticence pour celui qui n'est pas en mesure de se renseigner lui-meme . Cette
evolution a ete consacree au second alinea de l'article 1401 qui prevoit que « le
dol peut resulter du silence ou d'une reticence. » De meme, le droit de la
consommation reflete aussi ce changement de mentalite en interdisant les fausses
representations meme par omission307. Une telle evolution s'inscrit bien dans la
necessite de l'exercice libre de la volonte tel que nous le concevons. Sans
metamorphoser la notion de dol en une obligation altruiste de fraternite ou de
solidarite, la reconnaissance du dol par reticence reflete a la fois les principes
d'egalite entre les cocontractants et la regie de la coexistence des droits et interets.
Ainsi, en l'absence d'egalite (ce qui est le cas dans une situation de deficit
informationnel), nul ne peut profiter de cette situation pour nuire a autrui, au
mepris de la norme imposee par le principe de la coexistence des droits et interets.
« La liberte contractuelle ne doit pas etre le monopole d'un seul contractant, elle
doit etre partagee. »308 C'est cette violation que vient consacrer le dol par
reticence. Par contre, lorsque les parties sont en situation d'egalite, la
responsabilite qui incombe a chacun empeche une partie de se plaindre du silence
de son cocontractant ou, si l'on prefere, de son refus d'agir positivement afin
306 Ibid, au no. 621; Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 236. 307 Voir par exemple les articles 216 et 219 de la L.P.C., supra note 62 qui prevoient qu'un
commer?ant « ne peut, par quelque moyen de ce soit, faire une representation fausse ou trompeuse a un consommateur» et definissent la representation comme comprenant « une affirmation, un comportement ou une omission » ou encore l'article 228 de la meme loi, qui prevoit qu'aucun commer^ant « ne peut dans une representation qu'il fait a un consommateur, passer sous silence un fait important. »
308 Jean Alisse, L'obligation de renseignements dans les contrats, These de doctorat en droit, Universite de droit, d'economie et de sciences sociales de Paris (Paris II), 1975 a la p. 56.
126
d'assurer la sauvegarde des interets de cette partie. On explique ainsi le principe
de l'erreur inexcusable prevu a l'article 1400 C.c.Q.
En plus, cette evolution de la jurisprudence et de la legislation quebecoise a
permis de jeter les bases de la reconnaissance d'une obligation generale de
renseignements en droit quebecois309. En vertu de cette obligation de
renseignements, une partie qui se trouve en situation de vulnerability quant a 11 A
l'obtention d'informations determinantes est creanciere d'une obligation de
renseignement de l'autre partie en mesure de fournir ces informations. Et meme
si pour l'instant les tribunaux s'appuient encore largement sur les vices de
consentement pour sanctionner un manquement a cette obligation d'information
au stade de la formation du contrat, nous croyons que ce type d'obligation est
appele a se developper de maniere plus autonome, notamment comme nous le
verrons plus amplement, par la reconnaissance de plus en plus importante de la
notion de bonne foi en matiere contractuelle.
La professeure Muriel Fabre-Magnan, dans sa these traitant de l'obligation
d'information dans les contrats, propose une sanction au manquement a
l'obligation d'information qui inclurait cette information dans le cadre
obligationnel du contrat, le tout conformement aux attentes legitimes du creancier
309 Voir notamment les arrets Bail, supra note 12; Losier, supra note 16 et Regie d'assainissement des eaux du bassin de La Prairie c. Janin Construction (1983) Ltee, [1999] R.J.Q. 929 (C.A.) [Janin]. Nous dedions une section sp£cifique a l'obligation d'information.
310 Bail, ibid, a la p. 582. Voir aussi nos commentaires sur la nature determinante de 1'information dans Gregoire, supra note 15 aux pp. 41 et 46.
127
987
de l'obligation d'information . Ainsi, lorsque ce creancier pouvait legitimement
- nous dirions raisonnablement - croire en la force obligatoire de 1'information,
• • • 312
par ailleurs erronee, transmise par le debiteur de l'obligation de renseignement
et qu'il est possible d'assurer la realisation materielle de l'obligation contractuelle
relative a l'information transmise313, on devrait, a son avis, proceder a
«l'elargissement du champ contractuel par 1'integration de 1'information
transmise »314 afin de la rendre obligatoire aux parties contractantes. En d'autres
termes, en integrant l'information erronee au contenu obligationnel du contrat afin
d'obliger les parties (et plus particulierement le debiteur de l'obligation
d'information, qui a vraisemblablement toutes les chances de se retrouver debiteur
de cette nouvelle obligation contractuelle) a agir comme si cette information etait
311 Fabre-Magnan, Information, supra note 269 aux nos. 637-668; Voir d'ailleurs une reconnaissance de cette theorie de Mme Fabre-Magnan dans Ghestin, Traite, supra note 29 aux nos. 666-674. Au meme effet, mais concernant l'ensemble des obligations d'un contrat: Franfois-Xavier Testu, « Le juge et le contrat d'adhesion », JCP 1993.1.3673 au no. 8. Voir par ailleurs pour une analyse et une critique de la theorie de l'attente legitime : Xavier Dieux, « Le respect du aux anticipations legitimes d'autrui: principe general de droit (l'exemple d'un ordre juridique frontalier)», dans Nicholas Kasirer et Pierre Noreau (dir.), Sources et instruments de justice en droit prive, Montreal, Themis, 2002, 272; Didier Lluelles, « La theorie des « attentes legitimes » (ou « raisonnables ») dans la clarification contractuelle : est-ce si legitime ? est-ce bien raisonnable ? » dans Benoit Moore (dir.), Melanges Jean Pineau, Montreal, Themis, 2003, 407 [Lluelles, « Attentes legitimes »]. II faut noter que cette theorie obtient une certaine reconnaissance au Quebec notamment dans le domaine des assurances: voir l'opinion de la juge Deschamps, alors a la Cour d'appel, dans Le Groupe commerce, compagnie d'assurances c. Service d'entretien Ribo Inc., [1992] R.R.A. 959 (C.A.) [Ribo]; Wojford c. Boreal Insurance Inc., [1995] R.R.A. 811 a la p. 813 (C.Q.); Gilbert A. Hourani, « L'attente raisonnable de l'assure : a tort ou a raison ? » dans Developpements recents en droit des assurances (2001), vol. 147, Service de la formation permanente, Barreau du Quebec, Cowansville, Yvon Blais, 105; Benoit Moore, « L'offre dans le contrat d'assurance : une divergence qui en appelle une autre », (1998) 32 R.J.T. 361; Marie-Chantal Thouin, « La theorie de l'attente raisonnable de l'assure », (1996-97) 64 Assurances 545. Pour un exemple de reconnaissance en dehors du domaine de l'assurance, voir Guenette c. Nurun Inc., [2002] R.J.Q. 1035 (C.S.), aux par. 77-78 [Nurun] sur la protection des attentes raisonnables d'un actionnaire minoritaire qu'offre le recours contre l'oppression.
312 Fabre-Magnan, Information, ibid, au no. 658. 313 Ibid, aux nos. 656-668. 314 Ibid, aux nos. 641-656.
128
exacte, on retablit une certaine justice dans la commutativite affectee par la
transmission de la fausse information.
Prenons l'exemple courant d'un vendeur qui, sans fournir une documentation au
prealable, vend une garantie prolongee pour un bien en assurant l'acheteur de
certaines caracteristiques de protection, qui dans les faits ne sont pas incluses a la
garantie mais qui pourtant ont ete determinantes dans la decision de se procurer
celle-ci. On constate que la transmission d'une information erronee par le vendeur
a cree une inegalite dans la possibility du client de veiller a ses interets, le tout en
contravention des principes de coexistence des droits et interets. En theorie, on
peut penser que ce client avait raison de croire les representations du vendeur
puisque ce dernier est cense etre un professionnel en la matiere. L'inegalite
engendree par ces fausses representations doit etre reparee et l'inclusion de cette
information, qui vraisemblablement sera dans 1'interet du cocontractant lese, peut
apparaitre comme un retablissement approprie des interets de ce dernier. Le juge
veille ainsi a un retablissement raisonnable qui parait conforme aux avantages
dont aurait pu beneficier le cocontractant lese s'il avait ete veritablement en
position d'assurer la saine gestion de ses interets, du moins a l'egard des
conditions contractuelles relatives a l'information erronee. En analysant ainsi
1'intelligibility de cette theorie d'elargissement du champ contractuel pour y
inclure une information erronee, on cesse de pretendre qu'un tel elargissement ne
pourrait se justifier que par des fondements de solidarite ou fraternite
contractuelles. On constate au contraire que cette theorie s'inscrit parfaitement
dans un principe de simple devoir de ne pas nuire a autrui en assurant la saine
129
coexistence des droits et interets. II n'y a aucun avantage accorde mais plutot une
reparation du prejudice cause par l'injustice commise.
S'il y avait attente legitime et raisonnable de la part du cocontractant a l'effet que
le contenu du contrat etait conforme a Tinformation erronee, son transmetteur a
indument nuit a la coexistence paisible des droits et interets. Le contractant
trompe n'est plus en mesure de veiller sainement a ses interets et son
cocontractant profite de cette situation pour lui nuire. II y a done desequilibre
cause par cette inegalite et il devient justifie de faire appel au juge pour assurer le
respect des principes de justice commutative au sein de la relation contractuelle.
Or, dans le cas etudie, il apparait que la meilleure fagon d'arriver a cette fin est
d'imposer une nouvelle norme de comportement a la partie debitrice de
l'obligation d'information en lui prescrivant d'agir conformement au contenu de
Tinformation erronee. II s'agit en quelque sorte d'une reparation en nature de
l'atteinte au principe de la coexistence paisible des droits et des interets et nous
croyons que dans plusieurs cas, ce type de sanction est preferable a une sanction
par equivalent. En plus de maintenir le lien contractuel, une telle sanction
encourage chacune des parties a effectivement veiller de fagon responsable a ses
interets. Meme la partie lesee ne peut se plaindre puisqu'elle avait contracte en
pensant raisonnablement que Tinformation fournie etait valable. Quant a la partie
ayant transmis Tinformation erronee, elle ne peut, avec une telle sanction, profiter
de son manquement.
130
Ce premier exemple demontre qu'il est possible de concilier 1'intervention
judiciaire visant 1'inclusion de nouvelles obligations au contrat a la perennite et la
securite contractuelles. Cette discussion permet aussi de constater que la theorie
contractuelle presuppose un certain equilibre, meme sans le definir. II est
d'ailleurs interessant de noter que la Cour supreme du Canada, meme si elle ne se
prononce pas en faveur d'une sanction aussi interventionniste que celle preconisee
par la professeure Fabre-Magnan, a aussi consider^ que «l'obligation de
• • • 315
renseignement est reliee a un certain reequilibrage au sein du droit civil» .
Malheureusement, une telle sanction se heurte pour 1'instant, en theorie, au
principe de la non-intervention des tribunaux dans la loi contractuelle des parties
au nom d'une vision rigide de 1'immutability contractuelle fondee sur une justice
commutative subjective.
II devient important de realiser que l'imposition de normes contractuelles semble
de plus en plus courante. Puisque certains ont encore de la difficulty a admettre
que la force obligatoire et le contenu contractuels ne puissent reposer sur les
principes de la theorie de l'autonomie de la volonte sans qu'il y ait egalite
effective des capacites a exercer son libre consentement, on justifie souvent ces
nouvelles normes comme relevant d'une volonte « presumee » des parties lors de
la formation du contrat. Or, meme si pour les fins de 1'argumentation nous
admettions que l'autonomie de la volonte est le fondement premier de la theorie
contractuelle et que consequemment, l'existence d'un consentement fait presumer
l'egalite et la justice de la relation contractuelle, ne devrions-nous pas reconnaitre,
315 Bail, supra note 12 a la p. 587.
131
tel que nous 1'avons deja mentionne, que le respect de la volonte comporte
toutefois une limite et qu'il doit s'arreter la ou la volonte des parties cesse
effectivement d'exister ? Que cette absence de volonte soit due au fait que les
parties ne peuvent tout prevoir ou au fait qu'une des parties a impose sa propre
volonte a l'autre, il semble qu'etirer les fondements de la theorie pour parler de
volonte presumee contredit les justifications habituelles de ceux qui pronent des
theories individualistes et l'absence d'intervention judiciaire au nom du respect de
la liberte contractuelle. En effet, dans le cas des obligations implicites, on ne peut
plus ici parler d'obligations decoulant d'une veritable volonte libre mais bien
d'obligations imposees par l'autorite317. On ne peut done continuer a nier cette
realite et accepter de travestir impunement ainsi la notion de volonte pour se
securiser dans une theorie qui semble de plus en plus en terrain glissant.
II faut cesser de lutter contre toutes les theories pronant une commutativite
contractuelle plus objective sous le faux pretexte que le contrat ne peut etre 110
modifie par le juge puisque la volonte des parties est souveraine . La realite est
toute autre et il est imperatif de le reconnaitre afin de baliser ces interventions. On
voit maintenant nombre de situations ou l'absence d'egalite des parties dans leur
pouvoir de gestion de leurs interets est sanctionnee par les juges, et cela meme en
l'absence d'ambigui'te contractuelle ou de vices de consentement. De plus en
plus, les juges reconnaissent et imposent aux parties une serie d'obligations
316 Gounot, supra note 35 a la p. 206; Ranouil, supra note 93 a la p. 135. 317 Ripert, Regime democratique, supra note 289 au no. 155. 318 Voir Larroumet, supra note 284 aux pp. 145-146.
132
contractuelles implicites afin d'assurer aux parties une certaine possibility de
veiller a leurs interets. Ces obligations n'ont pas ete formellement prevues par les
parties mais les juges les imposent neanmoins a celles-ci . L'exemple
precedemment donne de l'obligation de renseignement que doivent maintenant
respecter tous les contractants n'est qu'un exemple d'une telle imposition. Et bien
que presentement les juges affirment, essentiellement par le biais de la bonne foi,
que ces obligations implicites se retrouvent dans tout type de contrat, force est de
constater que la jurisprudence les a surtout developpees dans certains secteurs de
contrats ou l'inegalite des parties etait des plus flagrantes.
Ainsi, tres tot s'est developpee l'obligation d'information des professionnels a
l'egard de leurs clients profanes. On peut prendre pour exemple l'obligation qu'a
un professionnel de la sante de bien informer son patient avant d'obtenir de ce
dernier le consentement aux soins. Mais cette obligation pourrait a la rigueur etre
consideree comme une manifestation de la necessite du consentement libre et
eclaire, c'est-a-dire comme une exigence relative a la simple validite de la
formation du lien contractuel entre le professionnel et son client, le tout dans une
conception purement autonomiste du lien ainsi cree. Cet exemple n'est done pas
suffisant pour demontrer que les tribunaux confoivent la commutativite
contractuelle dans une perspective de plus en plus objective.
319 Voir generalement sur cette question, un auteur, qui deja avant le developpement actuel de ce type d'obligations base sur la bonne foi, analysait certaines obligations implicites et prevoyait un developpement important de ce type d'obligations : Crepeau, « Contenu », supra note 270.
320 Certains auteurs qualifient d'ailleurs ces obligations d'interpretations « divinatoires >>, voir Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 399.
133
Au cours des dernieres 25 annees, on a assiste a une veritable revolution dans le
reequilibrage de contrats ou une des parties etait particulierement vulnerable dans
son rapport de force avec son cocontractant. Par exemple, comme nous 1'avons
deja demontre dans un precedent ouvrage321, le droit relatif aux contrats de
construction a ete grandement modifie par la reconnaissance d'obligations
implicites, et notamment celle d'information continue du maitre d'ouvrage
professionnel a l'egard de 1'entrepreneur322. Notamment, il a ete reconnu dans
l'arret de principe Banque de Montreal c. Bail323, qu'un maitre d'ouvrage
detenant une information qui modifie le risque assume par 1'entrepreneur doit
reveler cette information a ce dernier, et cela, meme en cours de chantier. Le
defaut de se conformer a cette obligation rend ce maitre d'ouvrage responsable
des dommages subis tant par le cocontractant entrepreneur general que par les
tiers au contrat, soit les sous-entrepreneurs324. Dans l'arret Bail, Hydro-Quebec,
qui agissait a titre de maitre d'ouvrage, a notamment ete reconnue responsable de
la faillite d'un des intervenants au chantier, pour avoir fait defaut de fournir
certaines informations qu'elle detenait sur la nature du sol et qui modifiaient le
risque des travaux a executer.
Ce jugement devait marquer une nouvelle ere en matiere de contrats de
construction. Suite a cet arret, l'obligation implicite d'information a d'ailleurs ete
jugee essentielle a ce type de contrat. Ainsi, la Cour d'appel a ecarte, parce que
321 Gregoire, supra note 15 aux pp. 70-74. 322 Bail, supra note 12. 323 Ibid. 324 On sait que ces derniers ont la particularite de n'avoir aucun lien contractuel avec le maitre
d'ouvrage principal. Leur lien contractuel est plutot avec l'entrepreneur general.
134
contrevenant a cette obligation essentielle et done, abusive au sens de l'article
1437 C.c.Q., une clause type presente dans la plupart des contrats de construction
et permettant au maitre d'ouvrage de s'exonerer de tout dommage cause a
1'entrepreneur pour un probleme de sol ne pouvant etre decele par les documents
de soumission325. Pourtant, dans cette affaire, le maitre d'ouvrage n'avait pas,
comme dans l'affaire Bail, trompe 1'entrepreneur general en lui cachant certaines
informations qu'il avait en sa possession. II avait cependant fait defaut d'effectuer
des sondages de sol aux endroits pertinents, suite a une modification des plans.
La Cour d'appel a souligne que les sondages fournis pouvaient laisser croire a un
type de sol different et qu'il appartenait au maitre d'ouvrage d'en effectuer
d'autres plus adequats afin de ne pas laisser de fausses impressions pouvant
modifier la capacite de 1'entrepreneur a evaluer le risque assume. Devant ces
constatations, la Cour a conclu qu'il y avait manquement a l'obligation i
d'information du maitre d'ouvrage et que cette obligation etait tellement
fondamentale qu'elle permettait d'ecarter la clause de transfer! des risques
contenue au contrat, en la qualifiant de clause abusive dans un contrat
d'adhesion326. Or, auparavant, des clauses en tout point semblables avaient ete
jugees leonines mais valides par les tribunaux327 qui specifiaient qu'il n'appartient
pas au juge de modifier le contenu contractuel. On constate done la preoccupation
325 Janin, supra note 309. 326 Ibid, a la p. 941. 327 The King v. Paradis & Farley Inc., [1942] R.C.S. 10 [Farley]; Corpex (1977) Inc. c. La Reirie,
[1982] 2 R.C.S. 643 [Corpex]; H. Cardinal Construction Inc. c. Dollard-des-Ormeaux (Ville de), (2 septembre 1987), Montreal, 500-09-000815-837, J.E. 87-970 (C.A.) [Cardinal Construction]; Grant Mills Ltd. c. Universal Pipeline Welding Ltd, [1975] C.S. 1203 [Grant Mills]; Atlas Construction Co. c. Ville de Montreal, [1954] C.S. 350 [Atlas],
135
nouvelle des tribunaux pour un certain «reequilibrage » des prestations
contractuelles et leurs interventions de plus en plus directes en ce sens.
Les decisions Bail et Janin Construction sont aussi interessantes parce qu'elles
demontrent la necessite d'examiner non seulement les circonstances de la
formation du contrat mais aussi de son execution. La doctrine civiliste, fortement
influencee par le consensualisme, place le plus souvent le centre de gravite du
contrat au moment du consentement . A partir de ce moment, le contrat est
pergu comme une institution statique, figee et immuable dans le temps. II est
d'ailleurs interessant de noter le malaise de la Cour supreme a appuyer son
analyse sur les seules circonstances d'execution contractuelle qu'elle a qualifiees
de « formation continue du contrat» . Or, l'equilibre contractuel se verifie le
plus souvent dans les conditions d'execution du contrat, d'ou la proposition de M.
Carbonnier de tenir davantage compte des circonstances d'execution lorsque les •5-51
forces economiques en presence sont inegales . Le controle de la capacite a
veiller a ses interets ne peut se situer au seul moment de la formation du contrat
puisque la plupart du temps le prejudice se manifestera lors des phases
d'execution et d'extinction du contrat. II semble done necessaire d'etendre le
controle du contrat des circonstances de sa formation aux circonstances de son
328 II s'agit de l'expression utilisee par la cour supreme dans l'arret Bail, supra note 12 a la p. 587. 329 Jean-Pascal Chazal, « Les nouveaux devoirs des contractants - Est-on alle trop loin ? » dans
Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 115, 99 a la p. 109; Christophe Jamin, « Pour en finir avec la formation du contrat! » (6 mai 1998) Petites affiches 25 [Jamin, « Finir »].
330 Bail, supra note 12 aux pp. 593-594. 331 Cette proposition de M. Carbonnier a ete faite dans un contexte de sociologie juridique mais est
tout aussi valable dans un contexte purement juridique : Jean Carbonnier, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, 8e ed., Paris, Librairie generate de droit et de jurisprudence, 1995 a lap. 311 [Carbonnier, Flexible].
136
execution et meme de son extinction. C'est souvent a ces moments que les
inegalites se revelent le plus marquantes, ne serait-ce que par la reconnaissance de
la verticalite et done de l'inegalite qu'entraine necessairement le lien creancier-
debiteur.
Le secteur bancaire s'est lui aussi vu, au cours des annees, imposer bon nombre de
ces obligations implicites afin de pallier l'avantage important dont il profite le
plus souvent dans ses relations contractuelles, notamment avec les emprunteurs et
les cautions. Ainsi, les tribunaux ont impose au fil des annees aux institutions
financieres des obligations de transmettre a une caution une information
complete332 et de donner a un debiteur un preavis raisonnable avant la mise en
oeuvre des garanties que 1'institution financiere detient contre les biens de ce
debiteur . En imposant ainsi aux banquiers des obligations qui ne sont
evidemment pas expressement prevues au contrat, les tribunaux visent clairement
a permettre au cocontractant de mieux assurer la sauvegarde de ses interets.
Encore une fois, ces exemples sont interessants parce qu'ils illustrent bien qu'une
commutativite contractuelle plus objective n'a pas pour effet de procurer un
avantage mais vise plutot a assurer un respect socialement raisonnable de la
liberte d'autrui. On assure le respect du principe de coexistence des droits et des
interets en empechant une partie de tirer profit de sa situation privilegiee au
mepris deraisonnable des interets de son cocontractant. Les obligations
332 Soucisse, supra note 10; Losier, supra note 16. 333 Houle, supra note 11.
137
d'information et de preavis que l'on impose aux banquiers sont tres certainement
autant d'illustrations de cette norme. Pour permettre l'expression de la liberte
dans la gestion de ses interets, il faut parfois donner a certains contractants plus
faibles des outils visant a sauvegarder raisonnablement cette liberte334 ou du
moins a eviter une atteinte deraisonnable qui ainsi irait a l'encontre du principe de
ne pas nuire indument a autrui. Cela peut resulter en l'imposition d'une norme au
contractant privilegie, afin de circonscrire sa liberte dans les limites de la
coexistence paisible des droits et interets. En imposant une telle norme aux
parties et en la faisant respecter, le juge s'assure que le contrat respecte les
principes de justice commutative et maintient le contrat aux meilleurs interets des
parties. En favorisant ainsi le maintien du contrat, ces decisions demontrent,
encore une fois, qu'une commutativite contractuelle plus objective peut etre
compatible avec les principes de force obligatoire, perennite et securite
juridiques335, si cette solution concilie dans le meilleur interet des parties.
II est par ailleurs interessant de noter, concernant les normes imposees aux
institutions financieres, que la Cour d'appel du Quebec a refuse de reconnaitre
qu'une institution financiere avait, en droit quebecois, un role de conseil et de
« fiduciaire » des interets de son client dans l'octroi d'un pret336. Cette affaire
334 Alisse, supra note 308 aux pp. 55-56. 335 Voir au meme effet, Philippe Remy, « La genSse du solidarisme » dans Grynbaum et Nicod
(dir.), supra note 7, 3 a la p. 10. 336 Caisse populaire Desjardins Saint-Jean Baptiste de Lasalle c. 164375 Canada Inc., [1999]
R.R.A. 482, REJB 1999-11807 (C.A.) et en premiere instance [1996] R.R.A. 151 (C.S.) [164375 Canada avec references au REJB]. II est interessant de noter qu'en France, la Cour de cassation est arrivee a une conclusion similaire dans une affaire semblable. L'affaire concernait des titres de valeurs mobilieres que detenait une banque pour son client. Or, suite a la liquidation de la compagnie, les titres ont perdu toute valeur. Le client a done poursuivi la
138
impliquait une caisse populaire a qui le juge de premiere instance avait reproche
d'avoir accorde un pret a un client qui en avait fait la demande alors que la sante
financiere de ce client risquait d'etre affectee par l'obtention de ce pret. Or, la
Cour d'appel a renverse cette decision de premiere instance en specifiant que
meme l'obligation de bonne foi ne permettait pas, en pareilles circonstances,
d'exiger de l'institution financiere un tel role de conseil.
Une telle decision s'explique aisement lorsque l'on saisit bien le role souhaite de
reequilibrer la commutativite contractuelle plutot que de procurer un avantage
base sur un fondement de solidarite. En principe chaque partie agit dans son
interet propre337 et les theories qui veulent transformer en deux freres338 les
cocontractants sont illusoires et excessives a notre avis339. « Faire descendre le
banque en lui reprochant de ne pas l'avoir in forme de cette liquidation. La Cour d'appel a donne raison au client mais la Cour de cassation a casse ce jugement en specifiant « que si la banque, simple depositaire de titres, assume, en vertu des usages, les obligations accessoires au contrat, inherentes a la detention de ces titres, aux droit qui y sont attaches et a leur restitution, ni ces usages, ni 1'equity, ni la loi ne l'obligent en outre a informer le deposant d'un evenement affectant la vie de la societe emettrice des titres (. . .) » : Cass. Com., 9 janv. 1990, D. 1990.173 (note Jean-Pierre Brill).
337 Voir notamment Madeleine Cantin-Cumyn, L'administration du bien d'autrui, Cowansville, Yvon Blais, 2000 au no. 91; Gervais, supra note 125 aux pp. 245 et s. Pour plus d'informations a ce sujet, voir la section portant sur la nature des droits subjectifs.
338 A ce sujet, Alain Seriaux ecrit: « La bonne foi de l'article 1134 c'est, repetons-le, la bonne volonte, la loyaute, le souci de se depenser au profit de son cocontractant, de collaborer avec lui, de lui faciliter la tache, en un mot, de 1 'aimer comme un frere. » [les italiques apparaissent au texte original]; voir Seriaux, supra note 69 au no. 55. Nous rappelons que le 3e alinea de l'article 1134 du Code civil fran?ais prevoit que les conventions doivent etre executees de bonne foi. D'autres auteurs se prononcent aussi en faveur d'une solidarite « fraternelle » dans l'execution du contrat: notamment Francois Diesse, « Le devoir de cooperation comme principe directeur du contrat», dans Le droit et I'immateriel, Archives de philosophie du droit, t. 43, Paris, Dalloz, 1999, 259 aux pp. 272-274; Mazeaud, « Loyaute», supra note 9; Thibierge-Guelfucci, supra note 6. Voir pour une critique de cette conception du contrat, Chazal, supra note 329 aux pp. 120-123; Marie-Anne Frison-Roche, « Volonte et obligation », [2000] Archives de philosophie du droit 129 a la p. 137 [Frison-Roche, «Volonte»]; Leveneur, supra note 100 a la p. 175 et s.
339 Cette idee de solidarite contractuelle n'est pas nouvelle meme si elle est devenue particulierement populaire au sein d'une certaine doctrine au cours des dernieres annees. Deja en 1931, Rene Demogue ecrivait que « les contractants forment une sorte de microcosme.
139
ciel sur la terre est une tentation a laquelle les civilistes doivent savoir
resister. »340 S'il est important en situation d'inegalite de veiller a assurer un
equilibre raisonnable dans la commutativite contractuelle afin que le contrat ne
serve pas d'instrument d'exploitation d'une partie, on ne peut exiger d'une partie -
hors des contrats particuliers, tels un mandat, impliquant par leur nature meme
une abnegation de ses interets personnels - qu'elle agisse non pas dans son interet
mais dans celui exclusif de son cocontractant. II n'existe pas d'obligation
generale de veiller aux interets d'autrui hors du cadre du respect de la coexistence
paisible des droits et interets d'autrui. Une nouvelle exigence generale de veiller
aux interets d'autrui au-dela de ce qui est necessaire afin de ne pas nuire indument
a autrui parait etre un mouvement de balancier a gauche coritrevenant tout autant
C'est une petite societe ou chacun doit travailler dans tin but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis par chacun, absolument comme dans la societe civile ou commerciale. Alors a l'opposition entre le droit du creancier et 1'interet du debiteur tend a se substituer une certaine union. » Rene Demogue, Traite des obligations en general: Effets des obligations, vol. 2, t. 6, Paris, Librairie Arthur Rousseau, 1931 au no. 3. II est par ailleurs tout aussi interessant de noter la pens£e de Jean Carbonnier sur le sujet: « L'outrance peut perdre une idee juste. On s'etonnera qu'a une epoque ou le mariage s'etait peut-etre trop transforme en contrat, certains aient reve de transformer tout contrat en mariage. ( . . .) Qu'il puisse y avoir dans le contrat un contenu affectif, c'est ce dont temoignent, dans le tres Ancien Droit, certains aspects de la feodalitd - lien de fidelite, don total, par contrat, du chef au suivant, du suivant au chef - et de nos jours, meme, tant d'associations qui (du moins au premier stade de leur existence) vivent d'un elan des coeurs. Mais les contrats dont traite ordinairement le droit civil sont d'une pate plus mediocre. Ce sont, selon l'expression de la psychologie sociale, des formes de cooperation antagoniste. Entendons que, par des moyens communs, de pure opportunite, chacun des contractants cherche a atteindre des fins propres, et qu'un conflit est latent sous la cooperation. Ce n'est pas assez pour decourager les contrats (non plus que les coalitions militaires ou les alliances electorales). Mais il est bon que le droit sache voir la cooperation contractuelle telle qu'elle est bien souvent: restreinte et non exempte d'arriere-pensees. ( . . . )» [les italiques apparaissent au texte original] : Carbonnier, Obligations, supra note 20 au no. 114. II faut noter que cette expression de « cooperation antagoniste » a ete reprise par d'autres auteurs dont: Alain Cailie, « De l'idee de contrat. Le contrat comme don a l'envers et reciproquement» dans Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 215,27 notamment aux pp. 31 et 40 et Chazal, supra note 329 a la p. 122. Finalement, certains auteurs se disent en faveur d'un «solidarisme » ou solidarite contractuels mais refusent de definir cette notion comme un rapport fraternel, qu'ils jugent trop sentimental et irrealiste. Pour ces auteurs, le solidarisme serait plus ou moins la reincarnation de la critique de la theorie de l'autonomie de la volonte voulant qu'elle favorise, dans son application aveugle, l'asservissement de la volonte du plus faible a celle du plus fort: voir notamment Jamin, « Plaidoyer », supra note 277 aux pp. 442 et 471 et Jamin, « Crise », supra note 252.
340 Remy, supra note 335 a la p. 10.
140
au principe de la coexistence des droits et interets que son mouvement de droite
autonomiste absolue. De plus, demander a un contractant de nier ses interets pour
agir dans l'interet exclusif d'autrui ne respecte pas le critere de la transparence
puisqu'il ne correspond nullement a la nature humaine qui voit dans le contrat un
moyen de satisfaire ses propres interets341. II serait done necessaire d'imposer,
par voie judiciaire ou legislative, une telle moralite contractuelle pour qu'elle
puisse etre applicable en pratique342.
La Cour supreme l'a bien specifie dans l'arret Bail343: chacun est responsable de
veiller a ses affaires. La demarche que nous proposons a justement pour but de
permettre cette realite344. L'intervention judiciaire ne doit pas creer une nouvelle
situation d'injustice en faisant dorenavant supporter tous les risques par une
nouvelle et autre partie, dans un mouvement excessif du balancier. Cet exemple
demontre bien a quel point une certaine grille d'analyse peut etre utile afin de
baliser 1'intervention judiciaire et permettre au juge de remplir adequatement son
role de gardien des principes de justice commutative.
341 Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1997; Delebecque et Pansier, supra note 32 au no. 261. 342 Terre Simler et Lequette, supra note 30 au no. 42. 343 Bail, supra note 12 a la p. 587. 344 Voir d'ailleurs l'arret hosier, supra note 16 au para. 51, ou la Cour declare que l'intime n'etait
pas en desequilibre informationnel puisqu'il pouvait se procurer les informations. L'institution financiere n'etait done pas dans l'obligation de lui fournir ces renseignements. Voir au meme effet l'arret Mackay, supra note 17 ou le juge Baudouin s'exprime ainsi a la p. 371 : « [.. .] on ne doit pas pousser l'intensite de l'obligation d'informer jusqu'a une tolerance inconditionnelle et a l'absolution d'une conduite negligente ou imprudente de la part du debiteur. II convient done de respecter un certain equilibre. » [Nous soulignons].
141
2.4.2.1.2.2. Conclusions sur revolution de la commutativite contractuelle
Cette courte etude de 1'evolution de la commutativite contractuelle permet de
constater que les juges sont de plus en plus sensibles aux situations injustes
resultant de l'inegalite factuelle des parties et qu'ils hesitent de moins en moins a
intervenir en de telles circonstances comme « arbitres » des interets des deux
parties. La loi permet une telle intervention par le biais des notions floues et en
intervenant les juges ne font que remplir leur fonction, conformement a cette loi et
aux principes de justice qui n'ont pas un caractere facultatif. Mais, cette fagon de
proceder n'est pas sans consequence. Elle implique la modification de postulats
qui peuvent choquer certains puisqu'il semble que la theorie contractuelle n'ait
pas encore bien integre ces nouveaux preceptes. Cela pourrait d'ailleurs expliquer
que certains se montrent toujours refractaires a 1'intervention judiciaire meme s'ils
admettent du meme souffle les injustices decoulant de l'application stricte de
l'immutabilite contractuelle.
La demarche que nous suggerons implique d'abord une admission que l'egalite
des contractants n'est le plus souvent qu'un concept fictif qui, joint au principe de
l'immutabilite contractuelle, nuit aux principes de justice commutative.
D'ailleurs, tel que nous le verrons plus amplement, le pouvoir d'intervention
delegue aux juges, par le biais de notions floues telle que la bonne foi, constitue
une reconnaissance par le legislateur de la necessite de pallier l'inegalite reelle des
parties. Ensuite, cette demarche implique que l'on accepte d'etendre le centre de
142
gravite contractuel de la formation a l'execution et 1'extinction. Finalement, elle
implique revolution des principes de justice commutative de subjectifs a
objectifs345.
Mais, se pose alors la question de la nature d'une telle commutativite. En effet, si
l'on impose un controle des conditions d'execution et d'extinction du contrat et si
le juge peut imposer, par des obligations dites implicites, des sanctions qui vont
au-dela de l'octroi de dommages-interets, il semble done que la commutativite
contractuelle ait une dimension plus large que le determinant de valeur
mathematique. A l'aide de la theorie de l'equilibre normatif du professeur
Weinrib, nous avons demontre la nature normative de la commutativite en
responsabilite civile. Nous avons jusqu'a present plaide que cette meme nature
est applicable a la commutativite contractuelle mais sans exposer plus en details
les caracteristiques de cette commutativite. Nous etudierons done dans la
prochaine section ce que nous considerons etre la veritable nature de la
commutativite contractuelle.
2.4.2.1.3. Une commutativite normative
Comme nous l'avons souligne, bien que la necessite d'un equilibre au sein de la
commutativite contractuelle soit generalement assez bien reconnue, peu d'auteurs
s'entendent sur la definition de ce qui constitue un tel equilibre. Nous l'avons
mentionne, pour plusieurs, cet equilibre se resume a une equivalence
345 A ce sujet, voir Bimes-Arbus, supra note 94.
143
mathematique de la valeur monetaire des prestations346. J'achete un pain 2,60 $
parce que l'on considere que telle est sa valeur et qu'ainsi l'echange realise est
juste. Malheureusement, comme plusieurs auteurs le soulignent, une telle
equivalence est souvent impossible a realiser parce que, a l'instar de notre
exemple de l'achat d'un pain, elle s'appuie sur la notion subjective et assez
imprecise que constitue la valeur347. On n'a qu'a constater, pour s'en convaincre,
que les prix varient dans le temps et que de nombreuses considerations,
pecuniaires ou non pecuniaires, peuvent motiver les parties, tel, par exemple, un
attachement sentimental particulier348. Meme des,valeurs a caractere plus objectif
telle que la juste valeur marchande ou le cout de revient pourront varier d'un
expert a l'autre. Comment done peut-on parler d'une valeur economique
egale dans l'echange entre les parties ? Et ou se situerait alors la notion de profits,
qui, dans notre economie, est tres certainement au coeur de nombreuses relations
contractuelles puisque dans ce profit se trouve le plus souvent l'interet d'une des
parties au contrat ?
Nous sommes aussi d'avis qu'une commutativite qui n'est examinee qu'en
fonction de la valeur des prestations est peu adaptee a la complexification
moderne des contrats. A l'heure actuelle, de nombreux contrats ne sont plus
congus dans un contexte de relation momentanee basee sur une execution
346Voir notamment Bergel, Theorie, supra note 82 a la p. 31; Ghestin, Traite, supra note 29 au no 252 et s.; Gordley, supra note 30 a la page 267; Kayser, supra note 70 a la p. 318; Seriaux, supra note 69 au no. 228.
347 Fin-Langer, supra note 26 au no. 289. 348 On refere alors naturellement a une valeur subjective, qui selon certains, ne devrait pas
influencer le «juste prix » puisque ce dernier ne devrait pas etre fonde sur des besoins ou desirs. Cependant, dans les faits, il nous semble difficile d'evacuer completement ces notions dans la fixation du prix de certains biens.
144
instantanee. En plus de comporter des clauses concernant la prestation principale,
la plupart des contrats modernes regissent aussi specifiquement la relation des
parties. On retrouve ainsi de plus en plus couramment des clauses de limitation
ou d'exclusion de responsabilite, des clauses penales ou encore des clauses de
resiliation unilaterale. Toutes ces clauses, qui pourtant s'imposent aux parties,
s'integrent difficilement dans une evaluation monetaire et purement
mathematique. C'est pourquoi nous preferons proposer un autre critere
devaluation de la commutativite contractuelle.
i
Plutot que s'en tenir aux seuls avantages economiques du contrat pour les parties,
nous preferons tenir compte de toutes les composantes de la relation contractuelle
dans revaluation de la commutativite contractuelle. Ainsi, pour reprendre
l'expression lue dans une these fran9aise, cette commutativite devra etre evaluee
en fonction « d'une juste repartition des charges et des profits »349 afin d'assurer
la realite des interets respectifs des parties. Si effectivement certains elements sont
trop desavantageux pour un des cocontractants (ou avantageux pour l'autre!), il
risque de voir son interet au contrat compromis, ce qui n'est pas admissible en
situation de verticalite des contractants. Nous retrouvons done ici les elements de
l'equilibre normatif du professeur Weinrib que nous avons etudies aux sections
precedentes et que nous avons transposes sous le vocable de la coexistence
paisible des droits et libertes. La commutativite contractuelle s'etablit par l'etude
des normes qu'elle impose a chacune des parties.
349 Courdier, supra note 6 notamment au no. 224 et s.
145
Que doit-on entendre par les termes « charges et profits du contrats ». A cette fin,
nous reprenons la definition que l'on retrouve dans cette meme these. II faut par
ailleurs noter qu'a notre avis, une telle evaluation doit se faire du point de vue de
chaque partie.
« Le terme charge s'entend comme les divers elements de l'objet
du contrat qui sont en « defaveur» d'une partie, ceux dont le
« poids » lui incombe. II s'agit entre autres des obligations dont
elle est debitrice, des peines privees qui lui seront appliquees en cas
d'inexecution ou de mauvaise execution de ses obligations, des
clauses exoneratoires ou limitatives de responsabilite qui lui feront
supporter totalement ou en partie l'inexecution ou l'execution
defaillante des obligations incombant a son cocontractant. Quant
au terme « profits », il vise les elements stipules en faveur d'une
partie. lis sont par exemple les obligations dont elle est creanciere,
les peines privees dont elle a la maitrise, la condition suspensive
stipulee a son benefice. »
Ainsi, pour resumer, 1'examen inclura 1'ensemble des prerogatives et devoirs
conferes aux parties. Si cet examen permet de conclure qu'une des parties tire un
avantage indu du contrat, le juge pourra, a certaines conditions que nous
etudierons ci-apres, intervenir pour imposer une commutativite qui respecte d'une
maniere plus raisonnable les interets des deux parties. Cependant, une telle
conclusion semble en contradiction avec 1'assise du respect de la volonte des
parties au sein de la relation contractuelle. II nous faut done etudier plus
amplement la relation entre la liberte des parties et la commutativite contractuelle.
350 Ibid, au no. 227.
146
2.4.2.2. Le lien entre la liberte et la commutativite contractuelle
On ne peut plus conclure qu'un contrat est juste parce qu'il a ete voulu. En effet,
cette maxime a pour postulat l'egalite des parties. Or, nous le savons, les parties
sont rarement dans une meme position de force lors de la conclusion du contrat.
Les parties n'ont pas, le plus souvent, la meme fortune, la meme education, le
meme statut social351. II est maintenant necessaire de cesser de nier cette realite
ou encore, comme semble le faire la majorite de la doctrine contemporaine, de
soulever cette problematique tout en continuant d'appliquer a la lettre les
principes decoulant de la theorie de l'autonomie de la volonte, telles que la
volonte presumee ou l'immutabilite contractuelle. Une etude de l'enseignement
effectue dans les facultes de droit civil est a cet effet particulierement revelateur...
On y discute beaucoup de force obligatoire et d'immutability mais tres peu de
relations contractuelles justes, sinon pour specifier qu'au Quebec la lesion n'est
generalement pas reconnue entre majeurs.
Si le consentement demeure un bon instrument afin de verifier la volonte d'une
partie a s'engager, il faut cesser d'en faire presumer un equilibre qui, dans les
faits, nuit a cette institution, parce que, le plus clair du temps, cela permet a une
des parties d'imposer sa volonte et son interet exclusif a l'autre, dans un rapport
de force favorisant la partie la plus forte, le plus souvent creanciere des
principales obligations. Or, en matiere contractuelle, on ne peut s'accommoder
351 Gomaa, supra note 261 au no. 13.
147
d'un tel rapport de soumission . La liberte des; deux parties demeure un element
essentiel du contrat et doit etre conservee353, ce qui n'est pas le cas lorsque la
seule liberte effectivement exercee est celle du contractant dominant dans
l'elaboration du contrat.
Sans etre absolue, la volonte individuelle est necessaire a la conceptualisation du
contrat354 et nous dirions meme a son existence. La volonte, lorsqu'elle est
exercee dans des conditions d'egalite des parties, apparait comme 1'instrument de
gestion des interets personnels. II parait bien evident que le droit ne se realise pas
de lui-meme et que la volonte constitue en quelque sorte « l'organe d'execution
du droit »355. Par exemple, si un contractant ne desire pas, en cas d'inexecution
par 1'autre partie, recourir aux sanctions etatiques qui lui sont offertes, son droit
restera a l'etat virtuel. De meme, les parties peuvent librement decider que leur
convention restera a l'ecart de toute sanction legale, dans une forme de
« gentlemen's agreement», ou si Ton prefere, une convention fondee sur le
simple honneur personnel des parties356. La volonte, manifestation de la liberte,
est done necessaire a la mise en oeuvre du contrat. De plus, nous croyons que la
sauvegarde de la liberte dans la gestion de ses interets personnels est necessaire a
1'implication effective du cocontractant, ou si l'on prefere, au fait que les parties
se sentent ou non personnellement impliquees et liees au contrat. Un contrat
352 Fin-Langer, supra note 26 au no. 116; Gounot, supra note 35 a la p. 371 et s.; Jamin, « Plaidoyer », supra note 277a la p. 468 et s.; Le Gac-Pech, supra note 95 au no. 726 et s.; Mazeaud, « Solidarisme », supra note 7 a la p. 64; Ranouil, supra note 93 a la p. 133; Rolland, « Figures », supra note 23 a la p. 907.
353 Fin-Langer, ibid, au no. 136 et s.; Mazeaud, « Loyaute », supra note 9 a la p. 630. 354 Rolland, « Figures», supra note 23 a la p. 907. 355 Gounot, supra note 35 a la p. 333; voir au meme effet, Frison-Roche, supra note 338 au no. 6. 356 Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 125.
148
impose n'a certainement pas le meme poids psychologique qu'un contrat
librement choisi et la liberte doit done etre consideree comme etant essentielle au
respect effectif du contrat. On peut certainement deduire que plus un contrat est
respecte, moins est necessaire le recours aux tribunaux, avec tout ce qu'un tel
recours implique de pertes de ressources financieres et humaines.
Un rapport de soumission etant incompatible avec un veritable contexte d'egalite,
il faut elargir notre vision du consentement «libre et eclaire » pour y inclure
l'assurance d'une certaine liberte et d'une information certaine. Comme le
mentionne la professeure Rolland : « [t]oute tentative de verticalite constitue en
soi une distorsion; ce que les forces socio-economiques ont tendance a dresser
sans autre effort d'equilibrage, le droit devrait le niveler en realite, pour redonner
au contrat son horizontalite principielle. » Ainsi, il peut devenir necessaire de
concevoir le lien contractuel avec une certaine flexibility au nom des principes
imperatifs regissant le droit des contrats. II faut parfois, pour favoriser une
veritable liberte, integrer au contrat les interets legitimes de la partie la plus faible,
ce qui peut vouloir dire une adaptation du contrat .
C'est, a notre avis, la veritable fa?on d'assurer le respect du contrat et du principe
meme de liberte dans la gestion de ses interets pour les deux parties. Or, avec une
telle liberte, vient necessairement la responsabilite de veiller a ses interets, comme
l'a d'ailleurs mentionne la Cour supreme dans l'arret Bail. C'est cette
357 Rolland, « Figures », supra note 23 a la p. 907. 358 Jamin, « Plaidoyer », supra note 277 a la p. 456; Mazeaud, « Loyaute », supra note 9 a la p.
631 et s.; Testu, supra note 311 au no. 9 et particulierement a la note 22.
149
responsabilite qui justifie la force obligatoire du contrat. Le contrat est obligatoire
parce qu'il a ete voulu dans un contexte ou chacun avait la possibility et done la
responsabilite de s'assurer de la sauvegarde de ses interets. Mais, cette
responsabilite ne peut exister sans la liberte, qui est elle-meme liee au respect de
la coexistence paisible des droits et interets en conformite avec les principes de
justice commutative.
C'est pourquoi notre demarche se fonde sur la capacite de chacune des parties a
gerer la norme contractuelle pour veiller a ses interets. II s'agit de rechercher, ou
si cette recherche s'avere infructueuse d'imposer, une certaine egalite entre les
parties, ou pour reprendre les termes de la professeure Rolland, une certaine
horizontalite359. II ne devient pas alors necessaire, comme le mentionnent certains,
de fonder le contrat sur un postulat d'inegalite entre les parties puisqu'un tel
constat denuderait la liberte de toute valeur pratique, une prerogative ne pouvant
s'exercer librement dans un contexte d'inegalite. Par contre, il est certainement
necessaire de reconnaitre autrement les consequences d'une inegalite effective. II
faut reconnaitre qu'une telle inegalite modifie les obligations assumees par les
parties et que, consequemment, ces obligations ne sont plus necessairement celles
qu'auraient assumees des parties «libres ». La justice contractuelle doit alors
cesser d'etre congue comme une commutativite subjective pour evoluer vers une
commutativite objective.
359Voir Rolland, « Figures», supra note 23 k la p. 907 et« Unidroit», supra note 223 a la p. 198. 360 C'est notamment la pretention de Didier Ferrer, «Les apports au droit commun des
obligations», (1997) 50(1) R.T.D. civ. 49 au no. 38; voir aussi Jamin, « Plaidoyer », supra note 277 a la p. 472.
150
La loi, source premiere de normes, s'applique a tous , peu importe la fortune ou
la condition sociale. Or, cette loi prevoit aussi que celui qui s'engage est tenu de
'ifi'y
respecter ses engagements , a la condition qu'il ait pu fournir un consentement
libre et eclaire363. On parle alors d'egalite de droit364. Cette egalite de droit est la
consequence directe de la liberte civile et permet d'assurer a chacun les meilleures
chances de succes dans la competitivite et la concurrence generale365. D'ailleurs,
lorsque l'on comprend ainsi l'egalite de droit, on comprend que celle-ci soit aussi
assortie du devoir de veiller soi-meme a ses interets366. II s'agit d'un postulat
essentiel pour une veritable application du principe de la liberte civile de chaque
personne.
La capacite de conclure des actes juridiques apparait comme une delegation du
legislateur aux sujets de droit afin de leur permettre la libre gestion de leurs
interets367 dans les limites de la coexistence des droits et interets. II est done
essentiel, afin que cette delegation s'exerce dans la finalite pour laquelle elle est
accordee, que l'egalite de droit procuree par la loi soit maintenue dans l'exercice
des prerogatives qu'elle confere. En conjuguant les principes de coexistence des
361 Pierre Noreau, Droit preventif: le droit au-dela de la loi, Montreal, Themis, 1993, k la p. 34. 362 Article 1434 C.c.Q. 363 Article 1399 C.c.Q. 364 Paul Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, Paris, Dalloz, 1963 a la p. 27 [Roubier,
Droits subjectifs]; Berthiau, supra note 290; Gomaa, supra note 261 au no. 13. Dans ce contexte d'egalite, ce dernier auteur parle des necessaires interventions legislatives et judiciaires permettant de le restaurer comme de la « discrimination positive », e'est-a-dire que l'on privil£gie un contractant aux depens de l'autre vu sa position de faiblesse, contraire au principe d'egalite.
365 Roubier, ibid. 366 Voir les commentaires de la Cour supreme dans Bail, supra note 12 a la p. 587. 367 Voir notamment, Gaillard, supra note 198 au no. 329 et Kelsen, supra note 140 aux nos. 2-3 et
13.
151
droits et interets et de delegation legislative, on comprend qu'une commutativite •2/TO
juste, lors de la formation et de 1'elaboration du contrat , se trouve dans
l'horizontalite de chacun des contractants, ou si l'on prefere, dans l'egalite
effective a disposer, librement et dans leur interet, de leurs droits subjectifs
respectifs. L'absence d'egalite, qu'elle resulte des circonstances factuelles ou des
gestes du cocontractant avantage, implique qu'un des contractants dispose d'un
pouvoir de contraindre 1'autre partie et il est important alors de circonscrire ce
pouvoir afin qu'il ne puisse etre utilise d'une maniere qui nuirait indument aux
interets d'autrui. La limitation alors imposee a la partie avantagee prendra la
forme d'obligations implicites qui pourront regir tous les stades de la vie i
contractuelle. Ainsi, une simple inegalite factuelle lors de la formation du contrat
pourra impliquer un controle des conditions d'execution ou d'extinction du
contrat. On le constate souvent avec la limitation des conditions d'exercice des
clauses de resiliation unilaterale du contrat, par exemple par l'exigence d'un
preavis raisonnable non specifie au contrat. La jurisprudence regorge de ce type
d'exemples ou, au stade de l'execution et de l'extinction du contrat, on controlera
le comportement des parties dans l'exercice de leurs prerogatives reciproques afin
de s'assurer que celles-ci s'exercent dans le respect des droits et interets du
cocontractant.
Ainsi, le pouvoir de reequilibrage du juge est double. II pourra d'abord s'enquerir
des conditions de formation et d'elaboration du contrat afin de s'assurer d'un
368 Lors de l'execution, on pourra appliquer les principes Studies dans la section traitant de la responsabilite civile.
152
veritable exereice libre de la volonte et done d'une horizontalite ab initio des
parties. Un exereice libre devra etre respecte tandis qu'une verticalite devra etre
controlee. Ensuite, le juge pourra examiner le comportement des parties dans
l'exercice de leurs prerogatives contractuelles afin de s'assurer que les limites
qu'impose la regie de la saine coexistence des droits et interets soient respectees.
Devant ce constat, il nous faut maintenant definir les criteres qui guideront le juge
dans ces exajnens.
2.4.2.2.1 La condition prealable a ^imposition d'une commutativite objective : l'inegalite des parties
La constatation de l'inegalite des contractants se fait couramment en presence de
deux situations. II est a noter que ces situations devront etre prouvees par la partie
qui invoque l'inegalite puisqu'en vertu du principe de liberte contractuelle, il est
presume que chacune des parties est en situation d'horizontalite et est
consequemment en mesure de defendre ses interets. Cependant, contrairement
aux tenants de la theorie de l'autonomie de la volonte pour qui l'exercice du
consentement rend cette presomption irrefragable, il faut considerer qu'il ne s'agit
que d'une simple presomption qui peut etre ecartee par une preuve adverse369.
Cette preuve pourra demontrer en premier que l'on est en presence d'une inegalite
factuelle mais que celle-ci ne resulte pas de la faute d'un contractant. La
deuxieme situation, quant a elle, impliquera la faute d'un contractant.
369 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 253.
153
Puisqu'elles n'entraineront pas les memes consequences, il nous semble utile
d'examiner ces deux situations separement.
2.4.2.2.1.1 L'inegalite non fautive
En presence de la premiere situation, l'egalite des contractants est inexistante en
amont et une partie se trouve par le fait meme avantagee dans sa capacite a
contraindre l'autre partie. L'egalite des parties est inexistante, par une simple
situation factuelle, sans qu'une partie ait commis de faute quelconque. II y a par
exemple inegalite par la qualite inherente des parties. II en sera ainsi notamment
dans la negotiation d'un contrat de vente entre des parties professionnelle et
profane. Dans une telle situation, si l'egalite est inexistante dans les faits mais
sans aucune faute du contractant avantage, l'exercice consistera a assurer a la
partie desavantagee une meilleure possibility de gerer la norme contractuelle en
fonction de ses interets. Ainsi, on pourra imposer au contractant avantage une
serie de normes visant a assurer un meilleur respect de la coexistence des interets
de la partie desavantagee. En limitant la portee d'exercice de ses droits, on
veillera a ce que la partie avantagee ne puisse nuire indument aux droits et interets
de son cocontractant.
II nous semble important de mentionner a ce stade que le statut de partie
avantagee n'est pas eternel et pourra alterner d'un contractant a l'autre au fil de
154
l'execution et des circonstances du contrat. Par exemple, dans le cadre d'un
contrat synallagmatique, il faut presumer que chacune des parties sera a son tour
creanciere et debitrice de certaines obligations. Ces differents statuts avec les
droits et obligations qu'ils comportent pourront effectivement faire modifier les
rapports de force au sein de la relation. Les normes imposees a chacune des
parties devront etre modulees en fonction de ces circonstances specifiques. En ce
sens, la demarche proposee n'est plus figee en fonction des seules circonstances
presentes au moment de la formation du contrat mais se veut dynamique, evoluant
selon la veritable situation factuelle des parties a tous les stades de la vie
contractuelle.
Par ailleurs, si les parties sont veritablement en situation d'egalite, notamment
dans leur pouvoir et capacite a negocier une entente, il n'apparait pas necessaire
de leur imposer un controle aussi important de la gestion leur rapport prive, du
moins quant a 1'elaboration du contrat. On peut considerer qu'une personne
raisonnable aurait negocie, conclu et elabore l'entente de la meme fa?on dans un
contexte d'egalite. Dans une telle situation, une partie a parfaitement la capacite
de renier ses propres interets afin d' essentiellement satisfaire ceux de son
cocontractant. Cette situation desavantageuse n'est pas imposee a la partie
desavantagee mais choisie par elle. II est imperatif, au nom de la liberte
contractuelle et de la responsabilite qui echoit a chacun de veiller a ses interets, de
reconnaitre une telle situation.
155
Par contre, il ne faut pas oublier que le lien contractuel entraxne par definition une
subordination de la partie debitrice a la partie creanciere. De plus, un contrat peut
aussi entrainer une certaine interdependance ou vulnerability des parties quant a
l'execution et l'extinction des obligations contractuelles. Ainsi, l'egalite des
contractants sera en tout temps affectee par la nature meme du contrat et, en
consequence, des normes implicites veillant a tenir compte des interets de 1'autre
partie influenceront toujours les modalites d'execution et d'extinction du contrat.
Cependant, le degre d'implication requis variera selon la nature concrete de la
relation des parties et des consequences qu'elle entraine pour leur autonomic a
gerer leurs interets.
Au stade de 1'elaboration du contrat, le critere pourrait done etre formule ainsi:
lorsqu'une partie est nettement avantagee et peut ainsi imposer ses interets a son
cocontractant, au detriment de ceux de ce dernier, elle ne peut agir avec une
liberte absolue afin de favoriser ses interets au mepris de la saine coexistence des
interets de 1'autre partie . Dans notre precedent exemple d'une vente
intervenant entre des parties respectivement professionnelle et profane, nous
pouvons penser a l'imposition necessaire d'une obligation de renseignement
accrue et a l'obligation de ne pas imposer des clauses a caractere abusif, e'est-a-
dire des clauses qui n'auraient jamais pu etre admises si la convention avait ete
librement negociee par une personne raisonnable pouvant veiller a ses interets. II
370 II est d'ailleurs interessant de souligner l'opinion d'un auteur franfais, qui, bien qu'il se prononce, comme nous, contre les principes de solidarite et de fraternite contractuelles, constate Pimportance d'assurer un certain equilibre aux contractants : « La liberte contractuelle a ete con5ue pour des contractants egaux. La ou ils ne le sont pas, il faut retablir l'equilibre pour eviter que la liberte, si elle jouait a I'etat pur, n'aboutisse a des exces inadmissibles. » Leveneur, supra note 100 a la p. 190.
156
ne sera toutefois pas possible de reclamer des dommages a la partie avantagee
puisque, dans une telle situation, elle n'a commis aucune faute, l'inegalite ne
resultant que d'une situation de fait. II en serait toutefois autrement si cette partie
avantagee agissait de mauvaise foi ou contrevenait a ces normes imposees,
notamment en profitant de sa situation pour imposer des clauses abusives. Dans
un tel cas, le juge devrait pouvoir aneantir de telles clauses, les modifier, aneantir
le contrat ou accorder des dommages-interets en fonction des faits en l'espece.
Certains pourraient alors se questionner sur la legitimite de l'imposition de
normes de comportement a une personne qui n'a commis aucune faute. Au
contraire, nous croyons qu'une telle imposition se justifie tres bien lorsque l'on
considere les caracteristiques intrinseques de la relation contractuelle. Une partie
qui conclut un contrat doit respecter les principes de justice qui gouvernent cette
institution. Nous l'avons mentionne, ces principes de justice passent, a notre avis,
par le respect du principe de la saine coexistence des droits et interets. II est
parfois necessaire de restreindre l'exces de liberte dont beneficie une partie pour
garantir a l'autre contractant une meilleure sauvegarde de ses interets.
D'ailleurs, il est interessant de noter que l'on retrouve dans le Code civil des
dispositions qui demontrent qu'il faut privilegier la liberte effective des parties en
sanctionnant le contrat non librement conclu et cela, meme en l'absence de tout
acte reprehensible de la part des parties. L'article 1402 C.c.Q. en est un. bon
exemple. Cet article,, relatif a la crainte, prevoit que celle-ci vicie le consentement
meme si la violence ou les menaces a l'origine de la crainte ne resultent pas d'une
157
des parties. La simple connaissance par l'une des parties de la crainte dont est
victime son cocontractant est suffisante pour constituer un vice de consentement,
avec les consequences que ce dernier entraine pour la validite du lien contractuel.
Dans cet exemple, on ne peut dire que le contrat fait l'objet d'une nullite relative
suite a l'acte fautif d'une des parties. En analysant les justifications d'une telle
regie, on constate que l'on sanctionne plutot la verticalite dont a beneficie une des
parties, en toute connaissance de cause, suite a une situation factuelle specifique,
pour imposer sa volonte et par le fait meme ses interets a son cocontractant. Cet
exemple demontre bien que le libre exercice de gestion de ses interets est un
principe fondamental et qu'il est possible et souhaitable de controler cette absence
de liberte, meme en l'absence de toute faute. On assure ainsi un meilleur
consentement libre et eclaire.
2.4.2.2.1.2 L'inegalite fautive
La deuxieme situation de possible inegalite entre les parties implique quant a elle,
la faute du contractant avantage, notamment parce qu'il ne respecte pas une
norme qui lui est imposee, par exemple, une obligation d'information. Ce n'est
que si une norme est violee par le cocontractant, creant ainsi une « injustice » que
1'autre partie pourra alors reclamer une reparation en nature ou par equivalent, les
regies de la responsabilite civile trouvant alors pleinement application. II s'agit
158
d'ailleurs de la situation que nous avons exposee dans la section portant sur la
responsabilite civile.
Les caracteristiques de l'inegalite etant precisees, il reste maintenant a definir le
degre d'« injustice» necessaire pour justifier une intervention judiciaire.
Effectivement, il est impossible de concevoir une parfaite egalite entre les deux
plateaux et telle n'est pas le but de notre etude, au risque effectivement de
compromettre la securite des transactions en introduisant systematiquement un
controle judiciaire pour la moindre inegalite dans la commutativite contractuelle.
Devant cette problematique, nous choisissons d'adopter la terminologie de la
majorite de la doctrine moderne qui, nous l'avons mentionne, con?oit la
commutativite contractuelle en termes d'equilibre. Cette conception nous permet
d'envisager des parametres differents de la stricte egalite pour reconnaitre quand
la commutativite contractuelle des parties sera « desequilibree » au point de
causer une injustice. C'est alors que l'aspect «objectif» de la commutativite
contractuelle prend toute sa vigueur. Nous l'avons mentionne dans la section sur
la responsabilite civile, les principes de justice commutative objective sont lies au
respect de la norme du comportement socialement acceptable. En droit
quebecois, cette norme prend la denomination de norme de la «personne
raisonnable ». Nous allons done examiner comment cette norme s'articule dans
un contexte d'injustice contractuelle normative.
159
2.4.2.3. Le role du raisonnable dans la commutativite contractuelle
Comme nous venons de l'expliquer, toutes nos reflexions concernant la
commutativite contractuelle nous permettent de privilegier un critere dans la
recherche de l'injustice contractuelle normative appelant une intervention
judiciaire. Une fois l'inegalite etablie, il s'agit de verifier si la partie avantagee a
profite de cette situation en favorisant deraisonnablement ses interets. Notre
analyse se divisera ici selon que l'on juge de la juste commutativite normative
resultant de l'egalite ab initio ou de son maintien lors de l'execution et
1'extinction du contrat.
Au stade de la formation du contrat, si une analyse prima facie des faits demontre
la possibility d'une soumission de la volonte d'une partie a celle de l'autre, nous
soumettons que les consequences de cette probable verticalite pourront etre
controlees a l'aide du critere de la convention librement negociee par une
personne raisonnable371. Ainsi, par exemple, dans l'elaboration du contrat, « il ne
s'agi[ra] pas d'assurer une stricte egalite, mais simplement de dire qu'une clause
qui confere a l'une des parties un avantage sans contrepartie et qui n'a d'autre
377 justification qu'un rapport de force inegalitaire, est en droit inadmissible. » En
371 Voir Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 751 et s., qui fait de la promotion du raisonnable un element de justice contractuelle auquel doivent se soumettre les parties contractantes.
372 Testu, supra note 311 au no. 9. Au meme effet, Le Gac-Pech, supra note 95 au no. 736. Ce critere pourrait contribuer a favoriser le developpement de la cause a titre de /critere devaluation de l'equilibre. Cependant, nous ne croyons pas qu'il s'agisse du seul critere approprie, puisque l'absence de cause est fatale pour le contrat et n'est ainsi peut-etre pas ideale lorsque l'on desire conserver le lien contractuel.
160
d'autres termes, une clause qui n'aurait jamais pu faire partie du contenu
contractuel n'eut ete le rapport de force inegalitaire ou, si l'on prefere, qu'une
personne raisonnable pouvant librement assurer une saine gestion de ses interets
n'aurait jamais acceptee, est inadmissible. En effet, on pourra alors conclure que
ce contractant n'a pas respecte le devoir de ne pas nuire indument a autrui en ne
respectant pas le principe de la coexistence paisible des droits et interets. II a tire
profit de fa<?on deraisonnable du rapport inegalitaire etabli entre lui et son
cocontractant, au mepris indu des interets de ce dernier. Dans un but de retablir
l'equilibre, une telle clause desavantageuse pourrait, par exemple, etre aneantie ou
les obligations en decoulant reduites par le juge, en tant qu'arbitre de la justice
commutative.
Ce meme critere du raisonnable devrait aussi servir de parametre dans
1'evaluation des circonstances de l'execution et de 1'extinction du contrat. A ces
stades, puisque la situation contractuelle entraine necessairement un certain
rapport de soumission d'une partie a une autre, le juge sera d'autant plus autorise
a s'assurer que la convention est executee et eteinte d'une maniere assurant la
sauvegarde raisonnable des interets des parties. Parfois, une clause du contrat
peut paraitre raisonnable sur papier mais sera au contraire deraisonnable dans le
contexte specifique de la relation contractuelle, nuisant ainsi a la coexistence
paisible des interets. En d'autres circonstances, c'est le comportement
deraisonnable d'une des parties dans l'exercice de ses prerogatives contractuelles
qui nuira indument aux interets de son cocontractant. De telles situations devront
etre reformees par l'imposition de normes implicites pour reequilibrer les
161
possibilites des parties a assurer la sauvegarde de leurs interets au sein de la
relation contractuelle.
Nous considerons done le principe du raisonnable comme le meilleur instrument
de mesure de la commutativite des parties. II est le seul a notre avis qui permette
d'assurer qu'une partie ne nuise indument aux interets d'autrui sans par ailleurs
verser dans un angelisme contractuel fonde sur un lien de solidarite ou de
fraternite ou dans une insecurity juridique ou toutes les commutativites
contractuelles pourraient etre reformees au moindre pretexte.
Comme toutes les notions floues, il n'est par ailleurs pas facile de definir le
raisonnable373. Meme s'il s'agit d'une notion tres utilisee en jurisprudence, les
textes legislatifs ne definissent pas cette notion. II est cependant interessant de
prendre note de la definition consacree a Particle 1 :302 des Principes du droit
europeen du contrat, qui selon la note jointe exprimerait « ce qui parait etre le
fonds commun des divers droits [europeens] »374: « [d]oit etre tenu pour
raisonnable aux termes des presents Principes ce que des personne de bonne foi
placees dans la meme situation que les parties regarderaient comme tel. On a
egard en particulier a la nature et au but du contrat, aux circonstances de l'espece
et aux usages et pratiques des professions ou branches d'activite concernees. »
On reconnait dans cette definition les deux idees reconnues au raisonnable :
373 Georges Khairallah, « Le « raisonnable » en droit prive fran?ais developpements recents » [1984] R.T.D; civ. 439.
374 Principes du droit europeen, supra note 254 a la n. sous Tarticle 1 : 302. 375 Ibid.
162
mesure et normalite . II s'agit d'un principe objectif, fonde sur un jugement de
valeur, mais qui est largement individualise pour tenir compte des circonstances
particulieres .
Le critere de la personne raisonnable a ainsi la particularity d'etre un critere
objectif, ce qui est conforme au principe d'egalite des contractants, mais qui
evolue selon les epoques et surtout, selon les conditions, circonstances et
mentalites sociales et economiques . L'exemple que l'on donne regulierement
aux etudiants en droit a cet effet est assez eloquent: alors qu'au debut du 20e
siecle on considerait que conduire une automobile a 16 milles/heure constituait un
exces de vitesse, maintenant, on pourrait, au contraire, etre arrete, notamment sur
une autoroute, pour motif de lenteur excessive, en conduisant a cette meme
vitesse. II en est de meme pour la definition du terme « personne » qui pendant
longtemps n'a pas inclus les femmes, que l'on considerait comme des
incapables379. Cela demontre bien l'importance des valeurs sociales dans l'etude
376 Khairallah, supra note 373 a la p. 467. 377 Ibid, aux pp. 448 et 451-452; Patrice Jourdain, «Le devoir de « se» renseigner», D.
1983.chr.139 aux pp. 142-143; Nicholas Kasirer, « The infans as bon pere de famille: « Objectively Wrongful Conduct» in the Civil Law Tradition » (1992) 40 Am. J. Comp. L. 343, a la p. 370 et s. [Kasirer, «Infans »]; Han-Ru Zhou, « Le test de la personne raisonnable en responsabilite civile », (2001) 61 R. du B. 453, notamment aux pp. 477 et 518. Voir aussi les commentaires de la Cour supreme sur la norme du raisonnable a l'article 1457 C.c.Q.: Prud'homme, supra note 146 aupara. 62.
378 Voir Chaim Perelman, Le raisonnable et le deraisonnable en droit- Au-dela du positivisme juridique, coll. Bibliotheque de philosophie du droit, vol. 29, Paris, Librairie generale de droit et de jurisprudence, 1984 notamment a la p. 19 ou l'auteur affirme que les notions de raisonnable et de deraisonnable s'appr£cient en fonction des reactions sociales du milieu et de ce qui parait socialement acceptable ou inacceptable [Perelman, Positivisme],
379 Voir par exemple l'arret Langstaff c. Barreau du Quebec, (1916) 25 B.R. 11, ou la Cour d'appel n'a pas permis a Mme Langstaff de s'inscrire au Barreau du Quebec comme avocate puisque, selon elle, le legislateur ne pouvait vouloir inclure les femmes & la profession d'avocat sans le specifier expressement. La generalite du terme « candidat» que l'on retrouvait a la loi sur le Barreau ne pouvait inclure les femmes meme si la meme annee, le legislateur avait par ailleurs prevu expressement que seul un homme pouvait etre notaire. Ce passage du juge
163
objective de la norme. Celle-ci est appelee a evoluer au fil des epoques et le droit
doit tenir compte de cette evolution sociale.
Nous 1'avons deja explique : nous croyons que la volonte humaine s'exprime a
travers un contexte socio-economique, ne serait-ce que par le contexte legislatif
qui prete une valeur legale au contrat. La gestion des interets personnels s'exerce
necessairement au sein d'un tissu social et politique determine. La capacite de
gestion n'a certainement pas la meme portee dans un contexte de socialisme ou de
capitalisme. Or, le critere de la personne raisonnable tient necessairement compte
de cette composante. II tiendra aussi compte des particularites determinantes des
parties impliquees.
Naturellement, certains pourront reprocher l'usage d'une notion floue dans
Pexamen de la coexistence paisible des interets. On pourra ressortir le spectre de
l'instabilite contractuelle au nom de la notion de raisonnable. Pourtant, nous
croyons que cette caracteristique lui permettra au contraire de s'adapter a la
veritable situation des parties afin d'assurer la meilleure justice contractuelle en
fonction des normes acceptees socialement. De plus, ce critere a 1'avantage de
Pelletier est assez eloquent pour demontrer l'importance de Involution des mentalites. On peut certainement penser qu'aucun juge n'oserait s'exprimer de la sorte aujourd'hui. « II me semble que ce n'est pas a cette Cour de dire s'il serait sage ou non d'admettre
les femmes a l'exercice de la profession d'avocat. Nous n'avons qu'a interpreter la loi et ce n'est pas a nous qu'il appartient de creer une chose aussi nouvelle que celle de changer le role que la femme a toujours joue, jusqu'a present, dans notre organisation sociale et economique. Si le legislateur trouve que les femmes doivent maintenant sortir du foyer conjugal ou domestique et etre admise a l'exercice de la profession d'avocat, c'est a lui a le dire. » (pp. 17-18).
164
s'adapter aux deux faeettes de la responsabilite civile, contractuelle et
extracontractuelle, en reprenant les principes utilises dans l'evaluation de la faute.
2.4.2.4. Perspectives et conclusions concernant une commutativite contractuelle plus juste
Notre demarche analytique fondee sur le principe de la coexistence paisible des
droits et interets permet, a notre avis, la justification des interventions legislatives
et judiciaires qui ont justement pour but de retablir une certaine possibility pour
les parties d'assurer la saine gestion de leurs interets. Nous l'avons mentionne,
c'est le principe de la liberte dans la gestion personnelle de ses interets et la
responsabilite qu'il entraine qui permet, a notre avis, de justifier la force
obligatoire du contrat et assure ainsi a «l'exercice de la volonte » sa pleine
puissance. Pourtant, paradoxalement, de telles interventions legislatives et
judiciaires, qui permettent d'assurer une application concrete de ces principes,
sont decriees, par les tenants du liberalisme et de l'individualisme comme des
1QA
atteintes au pouvoir d'exercer sa volonte . Or, au contraire, nous le repetons, ces
interventions ont, a notre avis, justement pour but d'offrir a la partie desavantagee
les outils necessaires afin qu'elle puisse plus librement s'assurer de la sauvegarde
de ses interets381. On vise a responsabiliser cette derniere tout en assurant une
380 Voir pour un expose de ces critiques: Carbonnier, Obligations, supra note 20 au no. 16; Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 185; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 364;
381 Voir d'ailleurs a cet effet, un commentaire de Philippe Jestaz qui souligne que les exceptions au principe de la liberte contractuelle « ne sont liberticides qu'en apparence, car dans un contrat, il y a toujours deux parties et les restrictions a la liberte contractuelle ont en general pour objet de proteger la liberte de la partie la plus faible. » dans Philippe Jestaz, « Les sources d'inspiration de la jurisprudence du Conseil constitutionnel» dans Guillaume Drago, Bastien Francois et
165
plus grande justice au sein de la relation contractuelle. A la limite, en reprenant la
terminologie de Kant, nous pourrions meme dire que l'on assure ainsi un meilleur
« libre arbitre » dans l'exercice de ses droits.
II peut etre interessant de noter que cela semble d'ailleurs etre la voie qu'a
privilegiee le legislateur quebecois dans l'implantation du Code civil du Quebec.
D'ailleurs le Ministre de la justice de l'epoque ne s'en cachait pas lorsqu'il a
mentionne, dans son allocution inaugurate :
«C'est en s'appuyant sur les principes fondamentaux de
l'autonomie de la volonte, de la liberte contractuelle, de la force
obligatoire du contrat, que nous avons congu le nouveau droit
des obligations pour etablir un equilibre nouveau dans les
rapports des parties contractantes de fagon a favoriser une
meilleure j ustice contractuelle.
(•••)
Autant de mesures (...), qui, nous l'esperons, devraient
contribuer a imprimer au droit des contrats et des obligations en
general plus de justice et plus d'equite. »
Nous avons deja discute de la place que reserve le Code civil a la theorie
consensuelle et il apparait clair qu'effectivement, tel que le mentionnait le
Ministre de la justice en 1988, la liberte contractuelle et le respect de la volonte se
profilent comme des valeurs fondamentales de la theorie contractuelle quebecoise.
Nicolas Molfessis, La legitimite de la jurisprudence du Cornell constitutionnel, coll. Etudes juridiques, Paris, Economica, 1999, 3 a la p. 10 [Jestaz, « Sources »].
382 Declaration d'ouverture de Gil Remillard, ministre de la justice, Quebec, Assemblee nationale, Sous-commission des institutions, Journal des debats (le 25 octobre 1988), a la p. sci-2.
166
Cependant, tout en privilegiant ces valeurs, le Code civil du Quebec insiste aussi
sur la realisation de ces valeurs dans un contexte empreint de bonne foi. Pour les
plus grands defenseurs de l'esprit liberal, ces valeurs privilegiees au Code civil
pourront sembler contradictoires. En effet, comment reconcilier la necessaire
intervention judiciaire liee a l'application concrete de l'obligation de bonne foi et
la stabilite contractuelle ? Pourtant, lorsque l'on comprend que le respect de la
liberte contractuelle et de la volonte sont des instruments permettant la
coexistence paisible des droits et interets, on comprend pourquoi ces deux valeurs
sont soumises a la notion de bonne foi qui, a notre avis, est un instrument
privilegie de retablissement d'une commutativite contractuelle normative plus
juste. Ainsi, 1'etude et la jonction de ces memes valeurs nous permettent
d'affirmer que les juges peuvent legitimement imposer a une partie des
obligations basees sur une certaine idee de collaboration et de loyaute entre les
parties, non pas dans une fonction de solidarite « fraternelle », mais dans le but de
sauvegarder un meilleur equilibre des interets individuels, le tout en reel respect
d'une certaine conception individualiste du droit, toujours en vigueur au Code
civil. Liberte et justice peuvent enfin se reconcilier parce que l'une ne peut vivre
sans 1'autre !
La bonne foi apparait dans ce contexte comme l'instrument qu'a privilegie le
legislateur pour tenter de modifier la rigidite contractuelle existant sous l'egide du
Code civil du Bas-Canada et ayant cause tant de situations contractuelles injustes.
En codifiant specifiquement les exigences de la bonne foi au sein de la relation
contractuelle, le legislateur confirme son choix de privilegier une commutativite
167
contractuelle objective basee sur la coexistence paisible des droits et interets. La
bonne foi, comme toute norme floue, a l'avantage de pouvoir etre adaptee aux
situations concretes. En effet, on peut definir les notions floues comme etant des
normes introduites de fa?on deliberee par le legislateur pour favoriser la flexibilite
et 1'adaptation des normes juridiques generates selon les faits en cause et autres
facteurs spatio-temporels . II s'agit d'un pouvoir delegue au juge par le
legislateur pour creer, adapter et assouplir des normes juridiques , souvent
per?ues comme trop rigides et a la capacite d'adaptation limitee. On en assure
ainsi la perennite385. Mais, l'efficacite d'une telle norme floue depend du pouvoir
que l'on accorde au juge de veritablement statuer en fonction des valeurs qu'elle
propose. Sans un pouvoir effectif d'intervention du juge pour favoriser une
commutativite contractuelle objective, la norme floue de bonne foi n'est d'aucune
utilite et se con?oit comme la simple declaration d'un principe virtuel.
Dans ces circonstances, il devient facile de comprendre que nier tout pouvoir
d'intervention au juge constitue en quelque sorte un contresens par rapport a la
nouvelle philosophie clairement exprimee par le legislateur quebecois au Code
civil du Quebec386. On retrouve plusieurs notions floues, et notamment les
383 Vincente Fortier, « La fonction normative des notions floues », [1991] R.R.J. 755 a la p. 756 384 Ibid, a la p. 757; Khairallah, supra note 373 a la p. 444; Valentin Petev, « Standards et
principes g6n£raux du droit», [1998] R.R.J. 824 a la p. 831; Stephane Rials, « Les standards juridiques, notions critiques du droit» dans Chai'm Perelman et Raymond Vander Elst (dir.), Les notions a contenu variable en droit, Bruxelles, Etablissements Emile Bruylant, 1984, 39 a la p. 40; Tribes, supra note 281 a la p. 326 et s.
385 Tribes, ibid, a la p. 327. 386 D'ailleurs, le professeur Jobin souligne qu'avec la reforme du Code civil, le legislateur
quebecois « a donne des « armes » aux juges pour combattre les abus de la liberte contractuelle et pour faire regner la justice contractuelle » voir Pierre-Gabriel Jobin, « L'equite en droit des contrats » dans Lafond (dir.), supra note 287, 471 a la p. 494 et s.; Voir au meme effet, Jean
168
notions de bonne foi et d'abus de droit clairement exprimees a de nombreuses
reprises au Code civil, pour ne pas dire presque martelees... II nous apparait done
difficile, devant un choix legislatif si limpide, d'ignorer ce pouvoir d'intervention
confere aux juges au nom d'une stabilite contractuelle, qui interpretee avec des
principes d'une philosophic liberale stricte, contrevient souvent aux principes
fondamentaux de justice commutative. Surtout que, comme nous esperons 1'avoir
demontre, ces normes, si elles sont bien balisees, sont par ailleurs essentielles au
respect du principe de liberte contractuelle. Ce sont ces normes qui la protegent.
D'ailleurs, en plus de l'obligation de bonne foi, on retrouve aussi au Code civil
une serie de nouvelles normes legislatives visant a modifier les prerogatives dont
disposent certaines parties presumees inegales dans leurs rapports contractuels .
Ces regies ont le plus souvent pour mission d'obliger la partie que l'on presume
avantagee a tenir compte plus amplement des interets de la partie que l'on
presume desavantagee388. Toutes les dispositions visant les rapports entre les
contractants d'un contrat d'adhesion ou de consommation en sont de bons
exemples389. En imposant legalement des normes de comportement a la partie
Pineau, « La philosophie generale du nouveau Code civil du Quebec » (1992) 71 R. du B. can., 421 a lap. 438 [Pineau, « Philosophie »].
387 Voir a ce sujet le developpement fort interessant de Francois Ost, supra note 34 notamment aux pp. 177-178, oil l'auteur qualifie des manifestations de « discriminations positives » a l'egard de certains groupes particuliers comme autant d' «interets collectifs», facettes d'interet particulier, permettant au droit de compenser les inegalites sociales et de retablir les equilibres compromis. Ce developpement est particulierement interessant parce que, meme si l'auteur procede pour atteindre cette conclusion par une theorie differente, on constate qu'il rejoint en quelque sorte notre postulat essentiel d'equilibre.
388 Pour un resume a saveur historique de l'adoption de ces normes, voir Jobin, « Equite », supra note 386.
389 Voir par exemple les articles 1435 a 1437 C.c.Q. II faut noter que le contrat de consommation faisait deja l'objet d'une politique legislative exigeante, bien avant l'entree en vigueur du Code civil du Quebec, avec la Loi de la protection du consommateur, supra note 62.
169
avantagee, le legislateur entend retablir un- minimum d'equilibre dans le rapport
entre les parties, en empechant notamment la partie avantagee ft abuser de sa
situation privilegiee, le tout conformement au principe de coexistence des droits et
des interets. On retrouve d'ailleurs ce meme processus dans de nombreux
contrats ou le legislateur juge que le rapport de force entre les parties a pour
resultat qu'une partie risque concretement d'avoir a se soumettre entierement a la
volonte contractuelle de l'autre partie. On n'a qu'a citer les contrats de travail390,
de location residentielle ou d'assurances pour s'en convaincre. Avec de
telles normes legiferees, peut-on vraiment encore pretendre que c'est le seul
principe de l'autonomie de la volonte qui doit gerer la determination du contenu
contractuel ? Peut-on affirmer que le contenu contractuel est strictement gere par
la seule volonte des contractants et que la commutativite contractuelle ne peut etre
basee que sur la subjectivite ? Nous pensons que ces exemples de normes
imposees demontrent que le legislateur souhaite clairement que les rapports
contractuels soient empreints de justice et que la liberte de chacun, dans la
sauvegarde de ses interets, soit un peu mieux garantie. Toutes ses dispositions
legislatives demontrent, a notre avis, le choix du legislateur d'opter pour une
commutativite plus objective en presence d'une inegalite factuelle des parties. La
sauvegarde de l'interet des deux parties passe par 1'imposition de certaines
normes au sein de la commutativite des parties.
390 Voir notamment la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N- l . l ou les articles 2085 a 2097 C.c.Q.
391 Voir notamment les articles 1892 a 2000 C.c.Q. 392 Voir notamment les articles 2389 a 2619 C.c.Q.
170
Cette fagon de concevoir la commutativite contractuelle est aussi interessante
puisqu'elle permet d'eviter certains ecueils qu'ont connus plusieurs auteurs qui
ont voulu defendre une theorie contractuelle fondee sur les principes de justice
commutative. Ainsi, elle evite d'avoir a s'interroger sur le juste prix, qui comme
nous l'avons mentionne, est souvent difficile, voire impossible, a identifier et peut
meme contredire les principes de liberte contractuelle. Nous pouvons, dans
l'exercice de nos droits, decider de ne pas conclure un contrat au juste prix pour
des raisons qui nous sont personnelles et que nous n' avons pas a exterioriser.
Nous pouvons notamment decider de vendre une maison ou une voiture a notre
enfant pour un prix bien en dega de celui du marche ou de celui qu'aurait paye un
etranger. Or, cet exercice doit etre respecte s'il s'execute effectivement dans un
contexte qui assure une veritable liberte puisque rien dans la theorie contractuelle
n'interdit de conclure une entente en dega ou au-dessus de la valeur marchande.
Or, si on ne base 1'analyse que sur le juste prix, cette liberte ne peut etre reconnue
ou doit etre analysee comme une exception au principe general.
Notre methode d'analyse de la commutativite contractuelle a aussi 1'avantage de
sortir cette notion d'un simple calcul mathematique. Au-dela d'une simple
comparaison mathematique des prestations, elle permet d'evaluer toutes les
obligations des parties, tant legales que conventionnellement explicites ou
implicites, le tout conformement au principe de l'article 1434 du Code civil du
393 Article 1434 C.c.Q.: « Le contrat valablement forme oblige ceux qui l'ont conclu non seulement pour ce qu'ils y ont exprime, mais aussi pour tout ce qui en decoule d'apres sa nature et suivant les usages, l'equite ou la loi. »
171
Quebec, sans que l'on soit par ailleurs dans l'obligation de fixer une valeur
monetaire pour toutes ces obligations.
Puisque la commutativite inclut toutes les charges et profits du contrat, elle
impose aux parties l'execution de 1'ensemble de leurs obligations de maniere a ne
pas nuire indument a autrui. Selon le contexte de la relation contractuelle, cela
pourra entrainer pour l'une d'elles de nouvelles obligations implicites. C'est en
ce sens que l'on pourra qualifier la commutativite contractuelle d'objectivement
normative. Elle peut imposer aux parties un comportement particulier, selon une
conception d'un comportement raisonnable, sous peine de sanction judiciaire.
l
En d'autres termes, nous retrouvons dans cette theorie, ce que plusieurs auteurs
reclament, soit un deplacement du regard de l'objet de l'echange vers les acteurs
de l'echange394, c'est-a-dire un regard sur leur situation personnelle et leur role
respectif a l'interieur du lien de droit les unissant, a tous les moments pertinents
de la relation. Ainsi definie, la justice commutative devient non pas une justice
basee exclusivement sur une relation mathematique « objet-objet» mais sur une
relation comportant aussi des aspects « sujet-sujet», avec pour trait d'union, le
principe general de la coexistence paisible des droits et des interets. Et la
recherche prealable de l'inegalite permet de s'assurer de la sauvegarde d'un autre
element essentiel et specifique a la relation contractuelle que constitue la
manifestation de la libre gestion de ses interets. En situation d'inegalite, on
s'assurera que la partie avantagee veille raisonnablement au respect des interets de 394 Rolland, «Figures », supra note 23 a la p. 925.
172
son cocontractant, notamment en limitant les prerogatives de celle4a. Par
ailleurs, dans le cas contraire, on respectera la liberte des parties.
Les principes d'application de la commutativite contractuelle normative ont aussi
l'avantage de s'adapter a tout type de relations contractuelles. On con<?oit
aisement qu'une relation entre profane et professionnel ne requiere pas
necessairement le meme comportement qu'une relation entre deux professionals.
Par exemple, l'obligation d'information sera fort possiblement differente dans les
deux types de relations, parce qu'il est probable que, dans la relation entre le
professionnel et le profane, ce dernier, selon les circonstances, soit creancier
d'une obligation d'information plus exigeante, conformement aux criteres
enonces par la Cour supreme dans l'arret Bail395. D'ailleurs la demarche de la
Cour supreme dans cet arret est tres certainement conforme aux principes que
nous enon9ons. Celle-ci exige notamment que le creancier soit en possession
d'une information determinante qui ne pouvait etre raisonnablement obtenue par
le debiteur ou qui ne l'a pas ete en raison de la confiance legitime envers le
creancier396. Or, que fait-on quand on s'assure qu'en cas de possession d'une
information determinante et d'une confiance legitime la personne qui detient cette
information ait le devoir de la transmettre a l'autre partie ? On impose une norme,
suite a un examen concret d'une situation de « verticalite » informationnelle, pour
395 Bail, supra note 12 aux pp. 586-587, ou le juge Gonthier, pour la Cour, reprend les criteres du professeur Ghestin, soit premidrement « la connaissance, reelle ou presumee, de rinformation par la partie debitrice de l'obligation de renseignement», deuxiemement « la nature determinante de l'information en question » et troisiemement « 1'impossibility du creancier de l'obligation de se renseigner soi-meme ou la confiance legitime du creancier envers le debiteur ».
mIbid
173
assurer une plus grande liberte et une meilleure possibility de veiller
raisonnablement a la saine gestion de ses interets lors de la formation du contrat.
La norme liee a l'obligation d'information vient reequilibrer une situation qui se
revelait inappropriee en vertu du principe de coexistence des droits et interets
parce qu'elle biaisait le risque que pensait assumer la partie desavantagee.
Mais se pose alors la question de savoir si une telle analyse tenant compte des
qualites d'une personne ne releve pas plutot de la justice distributive. Pour
repondre a cette question, il faut se rappeler que la justice commutative a pour but
de maintenir l'equilibre entre les parties et corriger les injustices afin de restaurer
l'egalite. D'ailleurs, il est interessant de noter que le philosophe Thomas d'Aquin,
a qui l'on doit avec Aristote une bonne partie des reflexions sur les principes de
justice commutative, souligne que si la condition de la personne est consideree en
soi par les principes de justice distributive, elle peut l'etre aussi en matiere de
• 307
justice commutative dans la « mesure ou elle est cause de distinctions reelles. »
L'analyse qui s'etablit ici est le rapport de force entre deux personnes dans le
cadre de leurs echanges. L'egalite a restaurer est l'egalite de droit entre les
parties. La norme applicable peut ainsi etre modulee en fonction de la qualite des
parties si cette qualite a une influence concrete sur l'equilibre de la relation entre
les parties. Ce n'est done pas la qualite en soi qui est determinante mais son effet
sur la liberte des parties dans la gestion de leurs interets.
397 D'aquin, supra note 69 Ha - Ilae, quest. 61, art. 2.
174
Pour toutes ces raisons, nous continuons de croire que les principes appliques de
justice commutative devraient permettre une plus grande intervention judiciaire au
contrat. II n'est cependant pas question de revendiquer alors une egalite parfaite
entre les prestations ou les pouvoirs des parties puisque nous n'avons pas la
TQO
naivete de penser qu'une telle egalite puisse effectivement exister . Mais, il faut
cesser d'envisager le contrat comme un lieu ou l'on peut se satisfaire des
desequilibres et des pouvoirs deraisonnables au nom de l'immuabilite et de
l'egalite presumee des contractants399. Ce que l'on desire reequilibrer, « ce sont
les desequilibres contractuels excessifs et abusifs qui n'ont d'autre justification
qu'un rapport de forces inegales ou qu'un bouleversement des circonstances 400 economiques. »
Prenons par exemple le cas d'un contractant qui impose a l'autre une clause de
resiliation unilaterale a son seul profit et sans contrepartie contractuelle de nature
financiere ou autre. Est-il deraisonnable de penser qu'il serait approprie d'imposer
a ce contractant des exigences de preavis raisonnable401, de motivation par des
398 Comme le souligne Georges Ripert: « L'egalite absolue des prestations n'est pas plus possible que l'egalite des contractants. Mais l'inegalite des prestations doit tout de meme etre relevee, car elle marque qu'une injustice va s'accomplir par le contrat. » dans Georges Ripert, La regie morale dans les obligations civiles, 4e ed., Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1949 au no. 70 [Ripert, Morale]
399 Mazeaud, « Loyaute », supra note 9 a la p. 633. 400 Ibid. 401 Voir notamment l'arret Houle, supra note 11, ou la cour supreme a impose a la banque
l'obligation de donner a son cocontractant un preavis raisonnable dans l'execution d'une clause de rappel unilateral de pret. > Voir aussi la decision Laurentienne generale, compagnie d'assurance inc. c. Nortrem, [1998] R.R.A. 1068, REJB 1998-08054 (C.S.) [Nortrem] ou la Cour mentionne, au par. 88, que le caractere raisonnable d'un preavis doit etre evalue de maniere a « rechercher l'equilibre entre les interets legitimes des deux parties, tel que l'exige cette notion de bonne foi. » [Nous soulignons].
175
motifs importants402 ou d'absence de resiliation a contre-temps403? Par
1'imposition de telles normes contractuelles, on permettrait a la partie « victime »
de la clause imposee de mieux proteger ses interets contractuels, le tout dans les
limites du devoir de ne pas nuire indument a autrui.
Nous croyons qu'en analysant ainsi la relation commutative sur une base
normative, on peut reconcilier les principes de securite, liberte et consentement
contractuels avec ceux de justice. Comme le souligne un auteur, « [c]'est en
prenant conscience que le contrat est un lien conflictuel, et non un lien fraternel,
que l'on pourra efficacement concevoir des moyens juridiques pour proteger
certaines parties vulnerables sans toutefois scleroser le dynamisme
economique. »404 II est done primordial que la jurisprudence continue son travail
visant a reintroduce une veritable justice au contrat. Cependant, il est necessaire
qu'elle se dote a cette fin d'une methodologie d'analyse rigoureuse afin d'eviter
l'arbitraire. Notre demarche se veut done pratique et vise a favoriser la coherence
du lien contractuel et le respect des principes de justice commutative pour les
deux parties.
402 Voir par exemple la decision Poulin c. Promutuel Charlevoix-Montmorency, societe mutuelle d'assurances generates, [2001] R.R.A.502, REJB 2001-24594 (C.S.) [Poulin]-, Voir a ce sujet, Muriel Fabre-Magnan, « L'obligation de motivation en droit des contrats» dans Goubeaux (dir.), supra note 270 a la p. 301; Mazeaud, « Solidarisme », supra note 7 a la p. 67 et suiv.
403 On peut d'ailleurs noter que le Code civil s'inscrit parfaitement dans cette logique notamment lorsqu'il permet la resiliation unilaterale mais sans que celle-ci puisse etre effectuee a contre-temps. Voir par exemple, l'article 2126 C.c.Q.
404 Chazal, supra note 329 h la p. 122.
176
Pour resumer, a ce stade-ci, nous pensons avoir etabli certaines assises
contractuelles qui doivent guider toute tentative de demarche pratique. Ainsi,
notre demarche inclut l'interet des parties au contrat comme principal moteur de
motivation contractuelle, le respect de la liberte des parties en situation d'egalite
ainsi que la responsabilisation que ce principe entraine et le respect des principes
de justice commutative. La conjonction de ces assises nous a permis de conclure
qu'en situation d'inegalite, les principes de justice commutative obligent la partie
avantagee a modifier son comportement afin d'assurer raisonnablement les
interets de son cocontractant. La justice contractuelle prend done la forme d'une
commutativite normative objective.
Un autre element doit maintenant s'ajouter a notre reflexion. En droit civil, le
contrat est essentiellement pergu comme un outil de creation et de transmission de
droits subjectifs. Cet element nous incite a nous interroger sur la compatibility de
la nature du droit subjectif avec le principe de commutativite contractuelle
objective. II nous semble impossible d'elaborer une demarche serieuse qui serait
par ailleurs inapplicable a la notion de droits sujectifs. La prochaine section se
voudra done a la fois un prolongement de notre etude et une premiere
demonstration de la validite des preceptes proposes.
177
3. La commutativite objective et les droits subjectifs
Cambaceres, grand jurisconsulte fran5ais des 18e et 19e siecles, s'exprimait ainsi
lors de la presentation du deuxieme projet du Code civil fran9ais, en 1794 :
« Trois choses sont necessaires et suffisent a rhomme en societe : etre maitre de
sa personne, avoir des bieris pour remplir ses besoins; pouvoir disposer, pour son
plus grand interet, de sa personne et de ses biens. >>405 A la lumiere de ces criteres,
la redaction et l'application ulterieure du Code Napoleon semblent un succes
puisque, comme le souligne le professeur Ost, il est indeniable que le Code civil
franfais reflete directement cette triple priorite406. Or, le Code civil du Bas-
Canada et ulterieurement celui du Quebec etant fortement inspires, a divers
degres, de leur homologue fran^ais, on peut certainement affirmer que les
principes directeurs du Code civil du Quebec s'inspirent grandement de ces trois
priorites. D'ailleurs, il s'agit de constater la place laissee a la notion de droit
subjectif, qui est certainement une des notions juridiques qui assurent le respect de
ces priorites, pour s'en convaincre.
La notion de droit subjectif est une notion fondamentale de la science juridique.
D'ailleurs, elle est enseignee des les premieres heures d'etudes aux apprentis
juristes. En enseignant le cours d'introduction au droit aux nouvelles cohortes
d'etudiants en droit, nous definissons la notion de droit subjectif comme
405 Jean-Jacques de Cambaceres, tel que cite dans Ost, supra note 34 a la p. 45, n. 81. 406 Ost, ibid.
178
correspondant a une « prerogative individuelle conferee a une personne, sujet de
droit, par le droit objectif». Naturellement, il s'agit d'une definition adaptee a
une clientele profane de la science juridique mais deja on constate qu'elle
comporte plusieurs elements qui pourraient faire l'objet de vives discussions. En
effet, alors que la notion de droit subjectif joue un role cle dans 1'edification de
nombreux raisonnements juridiques, personne ou presque ne parvient a s'entendre
sur les elements fondamentaux d'une definition. Cette notion a fait l'objet de
nombreux debats et controverses.
Plusieurs auteurs serieux ont tente et tentent toujours de definir la notion de droit
subjectif, sans que leur conception ne reussisse a faire l'unanimite. « II y a a peu
pres autant de definitions du doit subjectif que d'auteurs qui ont ecrit sur le sujet»
disent certains407. Nous n'avons done pas la pretention d'y parvenir, surtout que
nous avons pu constater au fil de nos lectures que la definition de chacun est
necessairement tributaire de la conception philosophique, contemporaine,
positiviste, realiste ou idealiste, qu'il se fait du milieu social. II est certain qu'un
juriste qui fonde sa vision sociale sur une these a tendance solidariste ne pourra
concevoir le droit subjectif de la meme maniere qu'un juriste aux idees fortement
individualistes. Leur conception du role fondamental de la science juridique etant
sans equivoque fort differente, ces juristes ne pourront s'entendre sur des elements
lies a cette notion, la controverse s'etendant parfois jusqu'a l'existence meme de
cette notion.
407 Henri, Leon et Jean Mazeaud, Legons de droit civil, t.l, vol. 1, 10e ed., par Fran?ois Chabas, Paris, Montchrestien, 1991 au no. 155 [Mazeaud, Legons]. Voir aussi du meme avis, Popovici, « mariage », supra note 122 a la p. 71, n. 57.
179
C'est pourquoi, apres un examen sommaire - decrire cette notion en details avec
1'ensemble des nuances des principaux auteurs depasserait le cadre de notre etude
- des composantes des principales theories et auteurs, nous soumettrons ce que
nous croyons etre les elements fondamentaux de cette notion. II est important ici
de souligner que nous n'avons nullement la pretention de presenter la definition
du droit subjectif puisque, a l'instar de nombre d'auteurs, cela nous apparait
impossible. Notre but n'est nullement de prendre position non plus entre par
exemple la definition large de la notion de droit subjectif de Jean Dabin408 et celle
plus restreinte de Paul Roubier409. Mais nous tenterons de mettre en lumiere des
elements - ces choix en soi pouvant etre consideres comme un editorial - les plus
significatifs en termes de liberte, d'egalite, d'interet personnel et de justice
commutative. Nous tenons aussi a souligner que notre etude se limitera aux
elements de droit prive, et plus particulierement du droit civil. Notre these portant
sur la relation contractuelle, il nous apparait important dans un champ de
controverses aussi vaste de baliser notre etude a l'aide de reperes civilistes
exclusivement. Pour cette meme raison, nous restreindrons nos exemples aux
droits de propriete et de creance puisqu'il s'agit des principaux droits impliques
dans les relations etudiees. Afin d'illustrer notre demarche, nous ne jugeons pas
necessaire de s'etendre sur d'autres types de droits subjectifs et surtout sur les
controverses qui les caracterisent.
408 Jean Dabin, Le droit subjectif, Paris, Dalloz, 1952. 409 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364.
180
3.1 La reconnaissance du concept de droit subjectif
La premiere controverse sur les droits subjectifs concerne la reconnaissance de
1'importance de la notion de droit subjectif au sein des traditions de droit civil. En
effet, en presence d'une si grande multitude de definitions et debats, on peut se
demander si toute cette doctrine ne serait justement pas le resultat de l'absence
d'existence positive de la notion de droit subjectif410. Si les debats sont si
importants, peut-etre est-ce parce que cette notion n'est qu'une pure chimere de
l'esprit sans assise reelle au sein de la realite juridique du droit civil ? II importe
done en premier lieu de s'interroger sur les elements demontrant l'importance de
cette notion en droit prive quebecois. Fidele a notre demarche fondee sur les
conditions de coherence et de transparence, nous envisageons de repondre a cette
question en nous appuyant sur la pratique. Mais auparavant, il peut paraitre
pertinent d'examiner les principaux arguments des deux camps.
Parmi les auteurs europeens, une des plus celebres attaques contre la notion de
droit subjectif est certainement celle de Leon Duguit411. Dans la lignee de la
philosophic positiviste du debut du 20e siecle, cet auteur tente d'eliminer de la
science juridique toute notion qu'il considere comme « metaphysique » et parmi
410 C'est d'ailleurs ce qu'ont affirme certaines ecoles de pensee niant l'existence de la notion de droit subjectif: notamment Leon Duguit, Les transformations generates du droit prive depuis le Code Napoleon, Paris, Felix Alcan, 1912 a la p. 10 [Duguit, Transformations]; Voir plus amplement a ce sujet: Dabin, Droit subjectif supra note 408 a la p. 4.
411 Voir notamment Duguit, Transformations, ibid.; Leon Duguit, Traite de droit constitutionnel, vol. 1, 3C ed., Paris, 1927 a la p. 14 et s. [Duguit, Constitutionnel]
181
elles, la notion de droit subjectif412. Pour lui, l'existence de la notion de droit
subjectif impliquerait la superiority de la volonte du sujet, titulaire du droit
subjectif, sur celle d'autrui, alors qu'il lui apparait scientifiquement impossible
d'expliquer d'ou proviendrait une telle hierarchie sans 1'intervention d'une
puissance superieure a saveur metaphysique413. II va meme jusqu'a affirmer que
si la notion de droit subjectif persiste dans le vocabulaire juridique, cela est du a la
tendance de la nature humaine a vouloir « expliquer le visible par l'invisible » ou
si l'on prefere par des principes de nature metaphysique414.
Or, Duguit rejette de tels principes. Aussi, il ne s'explique pas pourquoi l'etre
humain aurait des droits individuels a la base. L'affirmation voulant que
l'humain, a l'etat naturel, soit un etre investi de pouvoirs et prerogatives
individuels auxquels il renonce en partie, sauf quant a ceux qui sont inherents a la
nature humaine, au profit d'une protection sociale lui apparait comme
grossierement inexacte. Pour lui, l'etre humain est fondamentalement social et
d'ailleurs, il n'acquiert des droits que dans ses relations avec les autres humains,
ce qui confirme l'aspect fondamental de la societe415. L'homme n'existe pas
412Voir notamment, Duguit, Transformations, ibid, a la p. 8 et s.; Voir plus amplement sur la conception de cet auteur: Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 32; Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 178; Ionescu, supra note 222 a la p. 11.
413 Duguit, Transformations, ibid, a la p. 10 et s.; Duguit, Constitutionnel, supra note 411 a la p. 15, ou Duguit s'exprime ainsi: « [...] le probleme du droit subjectif se ramene toujours a ceci: y a-t-il certaines volontes qui ont, d'une maniere permanente ou temporaire, une qualite propre qui leur donne le pouvoir de s'imposer comme telles a d'autres volontes ? Si ce pouvoir existe, il est un droit subjectif, qui est ainsi une quality propre a certaines volontes, qualite qui fait que les volontes qui en sont investies s'imposent & d'autres volontes, lesquelles sont reciproquement grevees d'un droit subjectif envers les premieres ». Voir a ce sujet: Dabin, Droit subjectif, ibid, a la p. 5 et s.; Ghestin et Goubeaux, ibid.
414 Duguit, Constitutionnel, ibid, aux pp. 18-19. 415 Duguit, Constitutionnel, ibid, aux pp. 17 et 208-212; Duguit, Transformations, supra note 410
a la p. 18. Voir a ce sujet, Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 6 et s.
182
anterieurement a la societe et ainsi, l'homme naturel n'est pas un homme isole
mais un homme social416. Ainsi, en amont, il ne peut y avoir des droits subjectifs
qui conditionneraient le droit objectif. Si ceux-ci existent, ils ne peuvent etre que
le resultat de la societe et done du droit objectif417.
Cette composante de la theorie de Duguit est contestee, notamment par Jean
Dabin, qui souligne que si effectivement l'etre humain n'est pas un etre isole, il
418
n'en demeure pas moins un etre individuel au sein d'une collectivite . Ainsi, ce
n'est pas parce que l'etre humain n'est pas isole qu'il n'a pas de droit pour autant.
Pour Dabin, adepte evident d'une theorie de droit naturel ou la personne humaine
a une valeur en elle-meme avant toute reconnaissance de cette valeur par le droit
objectif, la necessite d'un sujet passif a qui l'on impose le respect de son droit ne
necessite qu'une seule autre personne et non un support social organise sous la
forme d'une regie de droit objective419. Pour lui, il existe un droit subjectif moral,
fondamentalement rattache a la personnalite humaine et a la justice, qui existe
anterieurement a toute societe. Le droit a la vie en est un excellent exemple. II
s'agit de droits essentiels qui ne peuvent etre supplantes par le droit objectif et
celui-ci ne peut que les consacrer au plan juridique420. Ils s'imposent a l'Etat parce
qu'ils sont etroitement lies a la justice d'un « droit de la nature » et que ce n'est
que par cette justice que l'Etat tire sa competence a poser des regies a l'egard des
individus. 416 Duguit, Constitutionnel, ibid, aux pp. 209-210. 417 Ibid, aux pp. 208-213, 221, 262-263 et 296. Voir a ce sujet, Dabin, Droit subjectif, supra note
408 a la p. 6 et s. 418 Dabin, Droit subjectif, ibid, a la p. 44 et s.; 419 Ibid. 420 Ibid.
183
Cette critique de la theorie de Duguit reflete en quelque sorte le vieux debat de
diverses ecoles de pensee sur l'anteriorite du droit subjectif ou du droit objectif
l'un par rapport a l'autre. Duguit emet l'equation voulant que pour que l'on
puisse reconnaitre des droits a un individu, il faut un sujet passif, a qui l'on
impose le droit, et consequemment une societe et une regie de droit objective pour
veiller a une telle imposition. Cette regie etant obligatoire et objective par sa
nature meme, toutes les situations auxquelles elle s'appliquera ne seront pas
considerees comme des droits subjectifs mais comme des situations d'application
de normes objectives. II s'agit done d'une position positiviste poussee a
l'extreme. Dabin a une toute autre position qui releve plutot de l'ecole du droit
naturel. Ainsi, pour lui, il existe des droits fondamentaux moraux qui s'imposent
moralement au droit objectif et qui deviennent ainsi consacres par lui. Ces droits
fondamentaux acquierent ainsi la nature de droits subjectifs juridiques et non plus
simplement moraux. En ce sens, le droit subjectif moral precede le droit objectif
juridique421. Neanmoins, malgre cette affirmation, Dabin soutient par la suite
qu'un droit subjectif moral ne peut se metamorphoser en droit subjectif juridique
que s'il est reconnu ainsi par le droit objectif. En l'absence d'une telle
reconnaissance juridique garantie par une sanction legale, un droit subjectif moral
A'yy
ne pourra faire l'objet d'aucune sanction judiciaire en cas de violation . De
plus, Dabin concede aussi que certains droits subjectifs juridiques ne sont pas la
consecration d'un droit moral mais decoulent de la mission du droit objectif
m Ibid. a la p. 58. 422 Ibid.
184
« d'accorder avec la norme du bien general les droits et libertes de chacun
(individus ou groupes) pris separement. »423 De tels droits subjectifs juridiques
seraient alors purement tributaries du droit objectif. Ainsi, malgre sa position sur
la preseance des droits subjectifs moraux et sa critique a Duguit pour cette raison,
Dabin adopte en definitive une position positiviste. Neanmoins, malgre cette
concession de Dabin, il est improbable que Duguit y aurait adhere. De tels droits
humains fondamentaux, qui s'imposeraient au droit objectif, possederaient
certainement une saveur trop « metaphysique » pour qu'il put adherer a une telle
ecole de pensee.
Une fois qu'il a ecarte la perspective de l'existence des droits subjectifs en dehors
du cadre du droit objectif, reste alors pour Duguit la seule question de savoir si le
droit subjectif existe meme dans le cadre du droit o bjectif424; ce a quoi il repond
par la negative, justement pour eviter d'introduire ce qu'il considere comme des
principes metaphysiques au droit, parce que bases sur des volontes superieures et
inferieures425. Pour Leon Duguit, il n'existe que des situations juridiques qui sont
creees par le droit objectif. La situation juridique se definit alors comme la norme
objective appliquee a l'individu. Elle correspond a la fonction sociale qui
s'impose a chaque individu426. Elle peut par ailleurs etre active ou passive selon,
respectivement, que le respect de la regie soit considere comme une « richesse »
ou comme un devoir. Le defaut de se conformer a la regie n'est pas alors pergu
423 Ibid, a la p. 54. 424 Duguit, Constitutionnel, supra note 411 aux pp. 212-213 et 296; Voir a ce sujet, Dabin, Droit
subjectif, ibid, aux pp. 6 et s. 425 Duguit, Transformations, supra note 410 a la p. 10 et s. 426 Ibid, a la p. 19 et s.; Voir une analyse a ce sujet dans Ionescu, supra note 222 au no. 13.
185
comme la violation d'un droit individuel mais bien comme la violation de la
norme generale et impersonnelle du droit objectif427. Si la regie n'est pas
respectee, il peut alors y avoir ouverture d'une voie de droit, un recours, au profit
de la personne ou des personnes designees par le droit objectif. Ainsi, par
exemple, il n'y a pas de droit de propriete comme tel, mais une situation de
propriete qui donne ouverture a une voie de droit en cas de violation, non pas en
tant que violation d'un droit individuel mais en tant que violation de la regie
generale du respect de la situation de propriete d'autrui . En ce sens, le
proprietaire n'est pas detenteur d'un droit subjectif mais d'une fonction sociale,
liee a sa situation. L'Etat lui reconnait une certaine prerogative, que Duguit
qualifie de « richesse » afin de servir «1'affectation » de cette richesse et liee a
l'interet general429.
En tant que titulaire d'une « richesse », une personne est investie d'une fonction
sociale de la developper. Cela implique que la gestion du bien et le respect des
gestions d'autrui doivent etre conduites, non pas dans son interet, mais dans
l'interet social430. Les actes qu'une personne effectuera en accord avec cette
mission sociale seront proteges par la societe. Par contre, les actes qu'il
427 Duguit, Constitutionnel, supra note 411 aux pp. 441-442. 428 Voir Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 80. 429 Duguit, Constitutionnel, supra note 411 aux pp. 441-442; Voir a ce sujet les analyses
d'Octavian Ionescu, supra note 222 au no. 13, pp. 42 et Gaston Morin, «L'oeuvre de Duguit et le droit prive », [1932] Archives de Philosophie du droit et de Sociologie juridique 153 specialement a la p. 157 et s. II faut noter que ce dernier auteur appuie Duguit dans sa quete de concepts plus realistes mais rejette sa negation des droits subjectifs qu'il considere comme « une grave mutilation de la realite ».
430 Duguit, Transformations, supra note 410 a la p. 19 et s.; Voir a ce sujet, G. Morin, « Le sens de revolution contemporaine du droit de propriete », dans Le droit prive frangais au milieu du XXe siecle - Etudes offertes a Georges Ripert, t. 2, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1950 p. 3 a la p. 12.
186
effectuera a l'encontre de cette fonction devront etre socialement reprimes et
justifieront l'intervention du pouvoir social431. On y trouve consequemment les
raisons pour lesquelles la contravention a cette regie est pergue comme le
manquement a la norme objective generale et impersonnelle plutot qu'un droit
subjectif d'autrui. Ce n'est pas le droit individuel qui est protege, puisque celui-ci
n'est qu'une conception metaphysique d'un autre siecle432, mais la fonction
sociale au profit de la.societe en general. De meme, on ne protege pas le droit a
l'integrite corporelle mais bien le respect de la regie objective interdisant de porter
atteinte au corps d'autrui. En d'autres termes, le systeme de Duguit est base sur
un systeme de devoirs qui doivent etre respectes par chaque individu plutot que
sur une analyse individualiste fondee sur les droits et libertes individuelles433.
Naturellement, une telle theorie de negation des droits subjectifs a ete tres
critiquee. Certains reprochent a la metamorphose du droit subjectif en devoir de
fonction sociale d'etre en soi metaphysique puisque rien dans l'observation de la
pratique ne permet de conclure a l'existence d'un veritable devoir d'agir au
benefice exclusif de la societe434. D'autres soulignent que cette theorie n'ecarte
nullement les aspects materiels du droit subjectif435. Comme le demontre
notamment Paul Roubier, que l'on discute du droit subjectif de propriete ou de la
situation juridique de la propriete, nous sommes devant la meme institution,
431 Duguit, Transformations, ibid, a la p. 21 et s. 432 Ibid, a la p. 15ets . ' ' . 433 Ionescu, supra note 222 au no. 14. 434 Paul Cuche, En lisant les juristes philosophes, Paris, J. de Gigord, 1919 a la p. 75 et s. [Cuche,
Philosophes]; Francois G6ny, Science et technique en droit positif: nouvelle contribution a la critique de la methode juridique, t. 2, Paris, Recueil Sirey, 1927 au no. 133 [Geny, Science, t.2],
435 Voir notamment Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 31 et s.
187
exprimee sous un vocable different. II s'agit fondamentalement de la meme
notion436 et la difference de terminologie n'en change pas la nature. Par exemple,
lorsque Duguit mentionne l'ouverture d'une voie de droit en cas de violation de la
« situation juridique », cette ouverture de droit a tous les caracteres d'un droit
subjectif. Meme en se liberant de toute notion metaphysique, au sens ou Duguit
l'entend, 1'observation concrete du phenomene de la propriete comporte
certainement une zone d'autonomie pour son titulaire, ce qui est incompatible
avec la seule fonction sociale dont il veut bien l'affubler437. D'ailleurs, les
phrases suivantes que l'on retrouve dans un de ses textes demontrent bien toute
l'ambigui'te, voir le propos contradictoire, de cet auteur lorsqu'il examine le droit
de propriete :
« Le proprietaire a le devoir et partant le droit d'employer la chose
qu'il detient a la satisfaction de besoins individuels, et
particulierement des siens propres, d'employer la chose au
developpement de son activite physique, intellectuelle et morale.
(...)
D'abord, dis-je, le proprietaire a le devoir et le pouvoir
d'employer la richesse qu'il detient a la satisfaction de ses besoins
individuels. Mais il va de soi qu'il ne s'agit que des actes qui
correspondent a l'exercice de la liberte individuelle telle que je l'ai
definie precedemment, c'est-a-dire au libre developpement de
l'activite individuelle. Les actes faits en vue de ce but sont
proteges. Ceux qui n'ont pas ce but et qui, d'autre part, ne
poursuivent pas un but d 'utilite collective, seront contraires a la loi
436 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 80-81; Voir aussi Ionescu, supra note 222 au no. 14.
437 Morin, «Oeuvre», supra note 429 a la p. 159
188
de la propriete et pourront donner lieu a une repression ou a une
reparation. »438
II s'agit materiellement, et peu importe la denomination que l'on veut en faire,
d'une prerogative individuelle laissee a l'usage de la personne lesee dans sa
« situation »juridique. La seule difference est que Duguit n'admet pas que cette
prerogative puisse etre exercee dans son interet propre plutot que dans une
perspective de devoir social. Pour lui, un devoir de developpement individuel se
congoit en termes de devoir social puisqu'en favorisant son plein epanouissement
personnel, la personne ceuvre au profit du groupe tout entier439. Mais dans cette
negation, il n'explique pas pourquoi, malgre ses responsabilites sociales, une
personne n'est generalement aucunement sanctionnee lorsqu'elle n'exerce pas ses
droits. Par exemple, comment expliquer qu'une personne ne soit pas obligee
d'exercer son droit de poursuite, si ce droit de poursuite est exerce, non pas dans
son benefice personnel mais pour la societe en general ? Et dans la meme veine, si
le benefice est social, un tel droit de poursuite ne devrait-il pas etre exerce par un
representant de l'autorite publique plutot que par la personne individuellement ?
On sait que les recours de droit prive sont essentiellement relatifs, en ce sens que
seules les parties dont les interets personnels risquent d'etre affectes par le
jugement a etre rendu peuvent intervenir comme partie active au litige440. Or, si,
en droit prive, un droit doit etre defendu par une personne interessee plutot que
438 Duguit, Transformations, supra note 410 aux pp. 165-166. [Nous soulignons] 439 Achille Mestre, « Remarques sur la notion de propriety d'apres Duguit», dans [1932] Archives
de Philosophie du droit et de Sociologie juridique, 163 a la p. 167 [Mestre, « Remarques »]; 440 Voir notamment Particle 15 C.p.c.
189
par un representant de l'Etat, serait-ce justement parce que l'on est en presence de
droits individuels auxquels on accorde socialement une protection judiciaire ?441
Ensuite, Duguit nie l'existence des droits subjectifs parce que, rappelons-le, il
definit cette notion comme etant la superiorite d'une volonte sur une autre
volonte. Cette definition est a son tour fortement contestee puisque, pour de
nombreux auteurs, le principe d'egalite est a la base meme de l'octroi d'une
prerogative de droit subjectif442. On accepte que certaines volontes soient
soumises a celle d'autrui mais seulement si ce rapport decoule de l'exercice de
consentement libre et eclaire443. Or, la liberte du consentement implique une
horizontalite en amont puisqu'on ne peut etre soumis et libre a la fois.
Contrairement a ce qu'affirme Duguit, l'egalite en droit des citoyens est a la base
de la conception contemporaine de la notion de droit subjectif au sein des societes
liberates. Toute personne est, par principe philosophique, egale a une autre dans
sa nature de sujet de droit apte, selon les prescriptions legates qui sont les memes
pour tous, a acquerir et etre titulaire de droits subjectifs. Les conditions pour etre
titulaire d'un droit subjectif sont legalement les memes pour tous les sujets de
droit. Ainsi, meme si, comme Duguit, l'on considere la prerogative du creancier a
l'egard du debiteur comme une superiorite de la volonte de celui-la sur celle de
441 Voir cette critique dans Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 27. 442 Dabin, Droit subjectif, ibid, a la p. 34; Cuche, Philosophies, supra note 434 a la p. 22; Louis Le
Fur, « Le fondement du droit dans la doctrine de Leon Duguit», dans [1932] Archives de Philosophie du droit et de Sociologie juridique, 175 aux pp. 181-182; Mestre, « Remarques », supra note 439 a la p. 164 et s.; Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 81-82, n. 1.
443 Cuche, Philosophes, ibid.
190
celui-ci, il faut noter qu'une telle hierarchie suppose toujours un fait anterieur, tel
un accord de volontes ou une contravention a un devoir ayant entraine une
obligation de reparation444, dont les conditions legales d'existence sont les memes
pour tous.
II est vrai cependant qu'il resulte de l'octroi d'un droit subjectif une preference
accordee a son titulaire. Mais il s'agit d'une preference des interets, qui est un
aspect neglige de la theorie de Duguit445, et non d'un rapport hierarchique des
volontes446. En d'autres termes, cette preference d'interets n'est accordee par la
loi qu'en vertu des principes d'egalite447 et de coexistence paisible des droits et
interets. A notre avis, c'est pour cette raison que l'attention qu'il faut accorder aux
interets d'autrui dans le cadre de la relation contractuelle sera modulee par
l'inegalite effective des cocontractants. L'inegalite nuit de facto a la coexistence
paisible des droits et interets. Si cette egalite n'est pas presente, l'obligation
contractuelle ne devrait pas etre consideree comme librement conclue et, par
consequent, devrait pouvoir etre jugee invalide. De meme, la prerogative du lien
de creance cree par la responsabilite civile est engendree, lorsque l'on en examine
les bases theoriques, par le non-respect du principe d'egalite ainsi que des devoirs
de ne pas nuire a autrui et d'assurer ainsi la coexistence paisible des interets de
chacun.
444 Le Fur, supra note 442 aux pp. 181-182. 445 Ionescu, supra note 222 au no. 14. 446 Voir Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 33. 447 Le Fur, supra note 442 aux pp. 181 -182
191
Par ailleurs, nous nous permettons une critique personnelle a la theorie de Duguit.
La notion de situation juridique a laquelle il adhere a pour consequence d'inhiber
tout lien de droit privilegie entre le creancier et le debiteur448. En effet, selon la
theorie de Duguit, ces personnes ne peuvent etre respectivement que dans des
situations juridiques actives et passives, dictees par le droit positif. Ainsi, dans le
cas ou le debiteur n'executerait pas ses obligations, il ne violerait pas le droit du
creancier mais bien la regie de droit generale exigeant le respect de ses
engagements. Le creancier pourrait alors, en vertu du droit objectif, demander
l'aide des autorites publiques, en tant que consequence, un peu dans une vision
penale de la situation, de cette violation a la regie objective.
Cette vision des relations juridiques entre les personnes semble difficile a
concilier avec la definition classique de la theorie des obligations qui prevoit que
l'obligation consiste en lien de droit entre le debiteur et le creancier pour
l'execution d'une prestation. L'obligation implique une norme de conduite bien
determinee applicable aux parties449 et sanctionnee juridiquement. En se basant
sur cette definition, le droit des obligations a pour but de delimiter et structurer la
dynamique et les composantes de relation juridique individuelle et concrete entre
le creancier et le debiteur. D'ailleurs, le lien privilegie entre le debiteur et le
creancier apparait clairement puisque qu'au devoir d'executer la prestation de l'un
correspond le droit d'exiger l'execution de cette meme prestation. Or, la logique
de la theorie de Duguit laisse entendre qu'il n'y aurait que des devoirs, sans droits
448 Voir a cet effet, Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 29. 449 Kelsen, supra note 140 a la p. 35.
192
correlatifs. II n'y aurait done qu'un seul lien de droit cree entre la societe et le
prestataire de ce devoir plutot qu'entre un debiteur et un creancier. Pourtant, nier
la relation debiteur-creancier semble difficilement compatible avec la realite
juridique du droit prive ou il appartient au creancier de veiller a l'execution forcee
si necessaire. Sinon, pour quelles raisons, en cas de contravention, des dommages
seraient-ils payables a ce creancier particulier plutot qu'a un autre ? II nous
apparait done legitime de rejeter cette theorie en raison de son manque de
transparence, e'est-a-dire son inadequation avec la realite de la pratique
quotidienne.
Nous croyons avoir demontre, par un compte-rendu de certaines des critiques
formulees a l'egard de la theorie de Leon Duguit, l'aspect central de la notion de
droit subjectif en droit prive. Nous ne pouvons done accepter une theorie, quelle
qu'elle soit, qui nie l'existence du droit subjectif. Cette premiere demonstration
etait cependant facilitee par le fait qu'il n'existe pratiquement plus aucun auteur
contemporain qui nie Pimportance de ce concept dans les systemes civilistes. La
seconde demonstration s'avere un peu plus ardue puisque si les auteurs
s'entendent sur Pimportance du concept de droit subjectif au sein du droit prive,
peu s'entendent sur les caracteristiques de ce concept. Nous nous efforcerons
d'en identifier les plus courantes. Nous nous attarderons specialement aux
manifestations de ce concept au sein de la relation contractuelle. Cette etude nous
permettra de verifier comment s'exercent en pratique les prerogatives inherentes
du droit subjectif a l'interieur de la relation contractuelle et comment les preceptes
193
de la commutativite objective identifies aux sections precedentes
dans l'analyse de cette pratique.
s'integrent bien
3.2 L'exercice d'une prerogative dans l'interet de son titulaire
Pour debuter 1' etude des principales implications de la notion de droit subjectif au
sein de la relation contractuelle, revenons done a cette definition que nous avons
l'habitude d'enseigner aux apprentis juristes pour en examiner les elements qui
portent a controverse et ceux qui meritent d'etre precises. Nous rappelons done
cette definition sommaire : « prerogative individuelle conferee a une personne,
sujet de droit, par le droit objectif ».
II faut mentionner que cette definition nous apparait maintenant comme peu
precise et englobant tous les types de prerogatives individuelles. Or, selon
plusieurs, un droit subjectif se distingue d'un pouvoir, d'une faculte ou d'une
liberte. Sans entrer dans les details de chacune de ces notions voisines, puisque
cela pourrait faire en soi l'objet d'une autre these, nous tenterons de les definir
sommairement, en s'excusant aupres des specialistes de ces notions des choix
editoriaux que nous effectuons par ces definitions.
194
La faculte peut se definir comme la possibility legale de choisir entre Taction ou
1'abstention450. Naturellement, cette possibility n'est generalement pas absolue et
est le plus souvent balisee par des normes precises. Ainsi, par exemple, nous
avons la possibility de choisir de circuler en voiture, a la condition de respecter les
regies edictees par le Code de la securite routiere. Nous pouvons cependant
decider aussi de ne pas nous deplacer ou d'utiliser le transport en commun. Ces
derniers choix impliquent leurs propres limites comportementales et Ton
comprend de ces exemples que la portee accordee au contenu du choix sera plus
ou moins etendue. Mais cela n'affecte en rien cette possibility de choix en soi.
Cependant, chacune des notions de droit subjectif, pouvoir, faculte ou liberte
implique une possibility de choix451. II faut done pousser plus loin notre etude des
notions voisines pour examiner comment la notion de droit subjectif se distingue
de chacune d'elles.
La liberte comporte, elle aussi, l'exercice d'une faculte. Certains la definiront
comme «l'independance de comportement (...) permettant de faire tout ce qui
n'est pas defendu par la loi. »452 Carbonnier prefere la definir comme «la
possibility de se comporter selon sa propre et autonome volonte »453. En ce sens,
l'exercice de tout droit subjectif ou de toute faculte impliquerait l'exercice d'une
liberte.
450 Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 162. 451 Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199. 452 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 147. 453 Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 162.
195
Ensuite, pour d'autres auteurs, il s'agirait d'une prerogative de choix a caractere
egalitaire, en ce sens que son exercice ne restreindrait pas, en principe, la liberte
d'autrui454. Elle serait accordee a tous455. Par exemple, si nous exerfons notre
liberte contractuelle, cela n'affecte en rien la liberte d'autrui de conclure aussi des
contrats. De meme, l'exercice de la liberte d'autrui ne devrait pas affecter notre
propre liberte. Si tous sont egaux, chacun devrait, pour reprendre l'expression du
Doyen Carbonnier, pouvoir exercer sa volonte de maniere autonome sans
empieter sur celle d'autrui.
Selon cette conception de la liberte, la loi peut restreindre, dans l'interet general,
la liberte de certaines personnes, mais une telle limitation ou privation n'aura pas
pour but de permettre a d'autres personnes d'obtenir plus de liberte456. Elle se
justifiera en soi. Ainsi, par exemple, l'emprisomiement, qui constitue la privation
de liberte de circulation d'une personne coupable d'un crime, se justifie en soi, au
nom de l'interet social, et n'a pas pour but de permettre a quelque autre individu
de beneficier d'une plus grande liberte de mouvement. La liberte se distinguerait
done en ce sens du droit subjectif puisque ce dernier a pour caracteristique
l'exclusivite dont profite son titulaire457. En ce sens, l'exercice d'un droit
subjectif restreindrait les libertes d'autrui. Le droit subjectif consisterait en
quelque sorte en l'exercice d'une prerogative inegalitaire amputant la liberte
454 Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199. 455 Ost, supra note 34 a lap. 119. 456 Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199. 457 Ibid.
196
d'autrui458 en la limitant au seul profit du titulaire du droit subjectif. A notre avis,
cette distinction entre les aspects inegalitaires et egalitaires des notions de droit
subjectif et de liberte est la plus interessante. Ma liberte s'exerce dans un
contexte d'egalite ayant pour seule limite le respect general des regies sociales.
Le droit subjectif entraine plutot une inegalite en faveur de son titulaire. Ses
interets sont priorises et le respect de ceux-ci devient specifiquement impose a
autrui.
Le professeur Paul Roubier distingue aussi, dans ses ecrits, les notions de liberte
et de droit subjectif. Pour cet auteur, le concept de liberte est « souche de tous les
droits » et se situe done exclusivement en amont des droits. Ainsi, la liberte
releve de la formation de la prerogative tandis que les droits se situent au moment
de l'execution de cette prerogative, avec tous les effets qu'elle engendre459. Cette
conception est interessante puisqu'en exigeant un exereice libre en amont,
Roubier exige par le fait meme une egalite entre les parties. Nous sommes
consequemment d'accord avec le fait qu'il ne peut y avoir de droits subjectifs sans
liberte en amont. Cependant, cette definition nous apparait aussi incomplete
puisqu'a notre avis, la liberte se manifeste aussi dans la faculte d'exercice de la
prerogative et non pas seulement en la creation d'un droit subjectif460. Chacun
demeure libre d'exercer ou non ses prerogatives. Ainsi, nous possedons la liberte
de circuler et nous exergons tout simplement cette prerogative si nous marchons
librement.
458 Ibid. 459 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 148-149. 460 Voir au meme effet, Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199.
197
Finalement, certains auteurs identifient une autre distinction entre les notions de
droit subjectif et de liberte. Se basant sur les natures egalitaire et inegalitaire de la
liberte et du droit subjectif, ils soumettent qu'il faut distinguer la protection
judiciaire dont leur titulaire peut se prevaloir. Ainsi, dans le cas de la liberte, cette
protection ne serait que negative (empecher de porter atteinte a la liberte et action
en dommages s'il y a eu effectivement atteinte) tandis que celle du droit subjectif
comprendrait aussi une protection positive d'exiger461.
Cette nouvelle distinction est a notre avis source de confusion puisque les recours
visant a faire respecter les prerogatives conferees par ces deux concepts nous
semblent fortement apparentes. En effet, dans les deux cas, il s'agit d'une
prerogative du titulaire qui est protegee par le droit positif et qui doit etre
respectee par autrui. De plus, pour ajouter a la confusion, plusieurs « libertes »
sont d'ailleurs qualifiees de « droits » lorsqu'elles sont reconnues expressement
par le droit positif. Ainsi par exemple, la liberte de religion, dont l'exercice ne
devrait pas limiter la possibility d'exercice d'autrui, s'est plus que souvent
retrouvee qualifiee de « droit a la liberte de religion », et ce, meme par le plus
haut tribunal du pays462. S'il est vrai qu'une telle qualification n'a pas entrave les
libertes de religion d'autrui, elle a par ailleurs limite l'exercice d'autres
prerogatives, tels que certains droits de gestion dans le milieu de travail. En ce
™ 1
Ost, supra note 34 a la p. 119; Juliana Karila de Van, « Le droit de nuire », [1995] R.T.D. civ. 533 aux pp. 534-535.
462 Voir par exemple la decision Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 SCC 47, [2004] 2 R.C.S. 551 [Amselem].
198
basant sur cette citation, il semblerait done que Taction d'exiger le respect de sa
liberte puisse transformer celle-ci en droit463 en limitant d'autant certaines facultes
d'autrui. Dans le cadre de cette these, nous preferons done conclure que tant la
liberte que le droit subjectif peuvent etre proteges si telle est la volonte de leur
titulaire. Nous ne jugeons pas necessaire de distinguer davantage les deux
concepts.
Qu'en est-il maintenant de la distinction entre l'exercice d'un droit subjectif et
l'exercice d'un pouvoir ? Bien qu'il y ait encore controverses sur cette definition,
plusieurs auteurs reconnaissent que la notion de pouvoir se distingue de celle de
droit subjectif en fonction de Tinteret pour lequel ces prerogatives sont exercees.
Ainsi, on reconnait que le pouvoir est une prerogative exercee par une personne
au profit partiel ou total d'une autre personne464. D'ailleurs, certains auteurs
qualifient ces pouvoirs de « droits-fonctions465 » en les opposant aux « droits-
interets » ou « droits a fin egoi'ste »466, justement parce qu'ils constituent en
quelque sorte plus un devoir de representer les interets d'autrui qu'un droit en soi.
Les pouvoirs exerces par les administrateurs d'une personne morale en sont un
bon exemple. Ne pouvant agir d'elle-meme, la personne morale doit compter sur
un conseil d'administration pour la prise de decisions. On sait qu'il est de la
nature meme de ces pouvoirs decisionnels qu'ils soient exerces dans Tinteret de la
463 Voir aussi du meme avis, Karila de Van, supra note 461 a la p. 535. 464 Voir notamment Cantin Cumyn, supra note 337 au no. 91 et s.; Carbonnier, Introduction, supra
note 69 au no. 162; Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 221 et s. ; Gaillard, supra note 198 aux nos 235 a 239; Revet, supra note 259 au no. 6 et s.; Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 144-145.
465 Dabin, Droit subjectif ibid. 466 Ibid, a la p. 217.
199
personne morale plutot que dans l'interet personnel de chacun des
administrateurs. Or, cette particularity de l'exercice de la prerogative dans
l'interet d'autrui permet de distinguer les pouvoirs des droits subjectifs, ces
derniers etant exerces dans l'interet de leur titulaire.
Cette distinction fondee sur la predominance des interets peut sembler anodine
mais elle est d'une grande importance. Elle constitue en fait un des elements les
plus importants de la notion de droit subjectif: un droit subjectif est une
prerogative exercee au profit exclusif de son titulaire467, si telle est sa volonte. Par
principe, le titulaire d'un droit subjectif n'est tenu de prendre aucun autre interet
en consideration dans l'exercice de son droit subjectif468. Par contre, dans le
cadre d'un pouvoir, la prerogative accordee a l'individu a une finalite precise : la
satisfaction d'un interet autre que celui de son titulaire et le plus souvent defini
par le legislateur469. On peut meme affirmer que la realisation de cet interet est la
condition d'action du titulaire du pouvoir470. L'usage de ce pouvoir peut done
faire l'objet d'un controle judiciaire si la finalite edictee n'est pas respectee.
Au contraire, le droit subjectif ne comporte pas en soi une telle finalite. II est en
principe exerce au profit de son titulaire (meme s'il est vrai que ce dernier peut
aussi par ailleurs decider de ne pas exercer son droit ou de l'exercer au profit
467 Ibid, a la p. 217 et s.; Cantin Cumyn, supra note 337 au no. 91; Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 144-145. _
468 Roubier, Droits subjectifs, ibid, a la p. 19; Gaillard, supra note 198 au no. 32. 469 Cantin Cumyn, supra note 337 au no. 91 et s.; Gaillard, Le pouvoir en droit prive, coll. Droit
civil, Paris, Economica, 1985, au no. 32 et s. et aux nos 235-239; Roubier, supra, note 364 a la p. 19.
470 Gaillard, ibid, au no. 33.
200
d'une tierce personne, sans que cet exercice puisse faire l'objet d'un controle
judiciaire pour ce seul motif471 s'il est fait en toute liberte, par choix personnel).
La difference est fondamentale puisqu'elle permet deja de cerner certaines
conditions de controle des droits subjectifs en la distinguant notamment de
l'exercice d'un pouvoir. Ainsi, le droit subjectif s'exerce, au gre de son titulaire,
dans son seul interet. II ne comporte pas une finalite impliquant necessairement le
respect d'un interet tiers. Cette notion d'interet exclusif est fondamentale a la
notion de droit subjectif.
A ce stade-ci, il semble interessant de noter que la motivation a l'exercice du droit
subjectif fondee sur la liberte et 1'interet personnel, ainsi decelee par la distinction
entre les notions de pouvoir et de droit subjectif, rejoint en tout point les assises de
la relation contractuelle identifiees aux sections precedentes. Ainsi, a notre avis,
la reconnaissance d'une telle distinction confirme que l'on ne peut exiger que l'on
confere un avantage a autrui dans l'exercice des droits subjectifs octroyes par un
contrat. Une telle exigence serait incoherente en modifiant un caractere
determinant de la notion de droit subjectif.
L'aspect de liberte dans l'exercice d'un droit subjectif se manifeste aussi dans une
autre distinction entre le pouvoir et le droit subjectif. En plus de possiblement
faire l'objet d'un controle pour detournement de pouvoirs, la finalite des pouvoirs
a une autre consequence concrete : le detenteur du pouvoir ne peut s'abstenir de
faire usage de ce dernier si le respect de la finalite exige que des actions soient
471 Ibid.; Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a lap. 218.
201
477 entrepnses . Par contre, le droit subjectif n'oblige nullement son titulaire a s'en
prevaloir473. Cette distinction s'inscrit dans la logique des interets pour lesquels
ces prerogatives sont exercees. Le titulaire du droit subjectif etant presume le
meilleur gardien de ses interets, il a la responsabilite de veiller a ceux-ci. S'il
neglige de se prevaloir de ses droits, il ne pourra se plaindre de sa propre
negligence. Cependant, le pouvoir comportant une dimension altruiste, il est
normal qu'une inaction qui nuirait a cette finalite puisse faire l'objet de sanctions.
Pour nous convaincre que le droit subjectif est une prerogative qui s'exerce dans
le seul interet de son titulaire, interrogeons-nous sur les principes qui expliquent
dans notre droit la presence d'une disposition tres precise exigeant que l'on porte
secours a autrui lorsque la vie de cet autrui est menacee474. En principe, nous ne
sommes pas obliges d'etablir un lien avec autrui dans son seul interet. Par
exemple, le droit civil ne comporte pas d'obligations de donner ou de faire la
charite475, sauf dans les cas tres precis prevus par la loi, par exemple en ce qui
concerne l'obligation alimentaire entre ascendants et descendants au premier
degre476. Cette obligation alimentaire n'existe que parce qu'elle est expressement
prevue par une disposition legislative. De telles dispositions legislatives sont
d'ailleurs interpretees de maniere restrictive, ce qui en demontre le caractere
472 Cantin Cumyn, supra note 337 au no. 98. 473 Ibid. 474 Article 2 de la Charte des droits et libertes de la personne, L.R.Q. c. C-12 : « Tout etre humain
dont la vie est en p6ril a droit au secours. Toute personne doit porter secours a celui dont la vie est en peril, personneliement ou en obtenant
du secours, en lui apportant l'aide physique necessaire et immediate, a moins d'un risque pour elle ou pour les tiers ou d'un autre motif raisonnable. »
475 Voir notamment a ce sujet, Kasirer, « Agape », supra note 106. 476 Article 585 C.c.Q.
202
exceptionnel. II n'existe, dans les principes generaux de notre droit, aucune
obligation alimentaire legale a l'egard de sa fratrie, meme si nous pouvons sans
crainte affirmer qu'il existe certainement, a cet egard, une obligation morale. Or,
si nos prerogatives juridiques . decoulant des droits subjectifs devaient
obligatoirement s'exercer avec la prise en compte des interets d'autrui, ces
obligations alimentaires, de secours ou d'assistance n'iraient-elles pas de soi ? II
faut presumer que le legislateur ne s'exprime pas en vain.
Souvenons-nous que l'essentiel de l'ideologie liberale contemporaine, qui, a
l'instar des autres societes occidentales, influence grandement le droit quebecois,
se definit par des obligations negatives de ne pas nuire a autrui. Naturellement, on
reconnait les actions de solidarite et de devouement mais cette reconnaissance ne
se traduit pas, par principe, par une obligation legale et positive envers autrui. En
d'autres termes, sauf exceptions, si l'on devait classer les devoirs de chacun en
fonction d'un continuum allant de leur nature negative a positive, la ligne tracee
par la sanction judiciaire, qui permet de differencier les obligations legales des
« obligations » morales, religieuses ou autres, se situerait en dega de l'obligation
positive de veiller sur autrui. Cela explique que les actions de devouement, si
elles sont reconnues et appreciees, ne se traduisent pas par une reconnaissance
generale du « droit» a de tels gestes de charite477 par un quelconque creancier.
Sinon, le mendiant rencontre a la porte du metro ce matin pourrait legalement
exiger qu'on lui donne T argent mendie.
477 Voir a ce sujet, Ewald, supra note 112 a la p. 21 et s.
203
Cette distinction nous permet de mieux analyser les raisons pour lesquelles
plusieurs auteurs se montrent tres critiques a l'egard de la these de Louis
Josserand sur la fonction sociale du droit. Pour plusieurs, Josserand, afin de
definir la notion d'abus de droit, soutiendrait que chaque droit subjectif comporte
478
par nature une finalite sociale qu'il faut respecter sous peine de sanction . En ce
sens, les droits subjectifs seraient tous des « droits-fonction ». Cette fonction irait
au-dela de ce qui est strictement necessaire pour assurer la coexistence des droits
et interets. Elle impliquerait une veritable mission sociale dans l'utilisation de son
droit subjectif.
Certains auteurs, bien qu'ils reconnaissent la popularity de la theorie de Josserand,
la critiquent tout de meme en expliquant qu'elle revient a nier toute difference
entre l'exercice d'un pouvoir et celui d'un droit subjectif puisque dans les deux
cas l'exercice est conditionne par une finalite imposee479. Or, pour ces auteurs,
une telle finalite sociale va a l'encontre de la nature meme du droit subjectif.
Naturellement, cela n'implique pas qu'un droit subjectif puisse etre exerce en tout
absolutisme, meme au detriment des droits des autres individus. L'exercice d'un
droit est relatif, meme dans sa sphere d'exercice exclusif puisque la limite de ne
pas nuire indument a autrui est imperativement toujours presente. C'est ce qui fait
478 Voir Josserand, supra note 123. Bien que tout son ouvrage fasse l'eloge d'une fonction sociale du droit, on pourra en trouver un bon resume au no. 292.
479 Voir notamment a ce sujet: Antoine Pirovano, « La fonction sociale des droits : Reflexions sur le destin des theories de Josserand », D.S. 1972.chron.67; Morin, « Sens », supra note 430 a la p. 14 qui exprime 1'opinion suivante : «Introduire l'idee de fonction dans le concept de droit subjectif, c'est integrer une contradiction dans sa structure. Car le droit est une liberte dans l'interet de son titulaire et la fonction une obligation en service de personnes autres que le fonctionnaire. La logique exige le choix entre le concept de droit et celui de fonction. II est impossible de cumuler les deux. »
204
dire a Jean Dabin, notamment, que ces limitations necessaires ramenent le
« social» dans le droit subjectif. La libre utilisation d'un droit est toujours
socialement circonscrite afin d'eviter qu'il soit exerce contre autrui ou la
communaute480. Et puisque cette limite intrinseque se refere au principe general
de la coexistence paisible des droits et interets, la definition de l'exercice d'un
droit contre le droit d'autrui implique necessairement un examen des valeurs
sociales481 parce que, dans beaucoup de cas, l'exercice d'un droit implique une
certaine nuisance toleree socialement et ne pouvant etre sanctionnee482.
Au sujet des limites intrinseques, il est d'ailleurs interessant de noter que la Cour
d'appel a rappele qu'aucun droit de propriete ne peut etre exerce de maniere
absolue. En se pronongant sur les obligations d'une cimenterie a l'egard de son
voisinage, la Cour a juge que l'article 976 C.c.Q. introduisait une limite
additionnelle a l'absolutisme du droit de propriete . Elle est d'avis que par cette
disposition le legislateur a affirme « le droit a un equilibre dans l'exploitation des
heritages voisins »484. Ainsi, en interpretant cet arret selon les termes theoriques
de notre these, nous pouvons conclure que meme le droit subjectif par excellence
qu'est le droit de propriete fonciere n'est absolu et doit s'exercer dans le respect
de la coexistence des droits et interets d'autrui. A notre avis, cet arret de la Cour /
d'appel soutient notre conception des rapports prives.
480 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 54 481 Ch. Perelman, « Le raisonnable et le deraisonnable en droit» [1978] Archives de philosophic
du droit 35 a la p. 38 et s. [Perelman, « Raisonnable »]. 482 Karila de Van, supra note 461. 483 Ciment du St-Laurent inc., supra note 3 au para. 163. mIbid.
205
Ainsi, la coexistence paisible des droits et interets implique des limitations
importantes a l'exercice du droit subjectif. II faut, dans l'exercice de ses droits,
veiller a ne pas nuire a certains interets legitimes de ses cocontractants. Nous
savons aussi que ces limitations peuvent constituer en des obligations positives a
l'egard des interets d'autrui. Cette constatation fait dire a certains qu'une telle
prerogative ne constitue pas un droit subjectif mais bien un pouvoir puisqu'il 40 S
« exprime la necessite de prendre en compte l'interet de l'autre partie » . Ainsi,
si l'on ne considere que la seule finalite d'exercer un droit en tenant compte des
interets d'une autre partie, il semble effectivement que la commutativite objective 486
sonne le glas au principe meme du droit subjectif. Aucun droit n'etant absolu ,
il faudrait a un moment ou un autre devoir tenir compte des interets de son
cocontractant. II apparait done que la definition du pouvoir doive etre precisee
pour s'assurer qu'il ne puisse y avoir de confusion entre les deux notions.
A notre avis, la solution se trouve dans l'examen de la hierarchie des interets.
Quel est done l'interet qui doit etre privilegie par le detenteur de la prerogative ?
S'il s'agit de l'interet d'une tierce personne, alors, il est clair que cette prerogative
est en fait un pouvoir et que son exercice devra refleter cette predominance, et
cela meme si le detenteur pourra aussi en retirer un interet personnel de fa9on
accessoire. On peut penser aux pouvoirs devolus a l'executeur testamentaire qui
485 Revet, supra note 259 au no. 6. 486 Voir d'ailleurs la chronique de la professeure Jukier pour qui l'arret Houle, (supra, note 11) a
confirme, si besoin etait, la relativite des droits subjectifs, y compris ceux resultant d'un contrat, que plusieurs jugeaient absolus en vertu du principe de l'autonomie de la volonte: Jukier, supra note 207 notamment a la p. 233 et s.; voir aussi Perelman, « Raisonnable », supra note 481 a lap. 36 et s.
206
est aussi heritier parmi d'autres. Son pouvoir d'exeeuteur testamentaire l'oblige a
faire passer les interets de la succession avant les siens propres, meme si son
interet d'heritier sera aussi necessairement influence.
Par contre, si la prerogative peut etre exercee en primaute dans 1'interet de son
titulaire, il s'agit d'un droit subjectif. La prise en compte des interets d'autrui,
dans une telle situation, ne constitue pas, a notre avis, une modification de la
nature de la prerogative mais bien une limitation de l'assiette d'exercice du droit
subjectif. Elle continue done de pouvoir s'exercer dans son interet propre meme
si cet exercice ne peut etre absolu, resultat de la socialisation, comme nous l'a
rappele la Cour d'appel dans l'arret Ciment du St-Laurent . Au-dela de la limite
posee par la norme sociale, on considere que l'exercice de la prerogative nuit
indument a autrui. II s'agit d'un devoir different de celui d'agir positivement en
fonction des interets prioritaires d'autrui.
Ainsi, malgre la terminologie employee, la reflexion de Dabin sur 1'aspect
«social» du droit objectif est en tout point conforme au principe de la
coexistence des droits et interets. C'est en ce sens qu'il admet que l'autonomie du
droit subjectif puisse etre limitee par le droit objectif au nom de la
« socialisation ». Cependant, il apparait difficile que cette relativite puisse etre
fondee sur une quelconque fonction de finalite sociale dans l'exercice du droit
subjectif puisque cela revient a nier en soi une particularite importante du droit
subjectif, soit l'exercice dans son interet exclusif. Ce serait d'ailleurs cette
487 Ciment du St-Laurent, supra note 3.
207
contradiction que l'on trouverait dans la pensee de Josserand et qui serait
responsable des critiques a son endroit.
Pourtant, lorsque l'on analyse la pensee de Josserand, il est difficile, au-dela d'une
lecture d'expressions prises hors contexte, de soutenir qu'il defend une mission
sociale du droit qui irait au-dela de la « socialisation » du droit subjectif reconnue
^OA
par Jean Dabin"00. II est vrai que le vocabulaire utilise par Josserand prete a
confusion. II est done utile de bien definir les concepts qu'il utilise,
Effectivement, Josserand est d'avis que chaque droit comporte une « mission
sociale ». Cependant, cette mission est variable d'un droit a l'autre et correspond
plus ou moins aux motifs, a la destination sociale pour lesquels le droit a ete cree
par le legislateur et est sanctionne comme tel. Ainsi, Josserand affirme que le
droit de propriete a pour destination de permettre d'en user librement, a son profit,
sans aucune fonction altruiste489. Mais il reconnait aussi, que ce meme droit, ne
peut etre sciemment utilise pour nuire injustement a autrui490. II s'agit la de la
« mission sociale » du droit de propriete. A la lumiere de cette analyse, on
comprend que l'on pourrait aisement remplacer la terminologie trompeuse de
« mission sociale » par « exercice socialement acceptable du droit», ou si l'on se
refere a la terminologie moderne, « exercice raisonnable du droit », la notion de
«raisonnable» renvoyant necessairement a des standards sociaux. On y
retrouverait done la meme « socialisation » du droit subjectif mais sans l'inclusion 488 Voir du meme avis, Tribes, supra note 281 a la p. 163 et s. 489 Josserand, supra note 123 notamment au no. 20. 490 Ibid, au no. 21. Ce meme principe a aussi, par ailleurs, ete enonce par la Cour d'appel du
Quebec : « L'exercice de droit de propriete, si absolu soit-il, comporte l'obligation de ne pas nuire a son voisin et de l'indemniser des dommages que l'exercice de ce droit peut lui causer. » Katz c. Reitz, [ 1973] C.A. 23 7 [Katz].
208
erronee d'une destination altruiste qui effectivement n'aurait pas sa raison d'etre
dans bien des cas.
< II est vrai cependant, que la pensee de Josserand va parfois un peu trop loin. Nous
l'avons mentionne, il con9oit chaque droit comme ayant un usage social delimite
et variant selon la nature du droit. Lorsqu'il s'agit dans les faits d'un veritable
droit, a finalite egoi'ste, la theorie de Josserand peut tres bien se fondre dans la
terminologie moderne d'exercice raisonnable d'un droit. Cependant, en poussant
sa logique, il inclut dans les « droits subjectifs » des pouvoirs, tels que ceux
incombant aux administrateurs d'une personne morale ou au detenteur de
l'autorite parentale, et dont la mission sociale serait alors d'agir, non plus dans
l'interet du detenteur de la prerogative mais dans celui, respectivement, de la
personne morale ou de 1'enfant491. Or, nous l'avons mentionne, lorsqu'une
prerogative doit etre exercee dans un tel cadre altruiste, nous devons la considerer
comme un pouvoir, notion qui se distingue de l'exercice d'un droit subjectif et qui
peut entrainer un « abus de pouvoir ». Le droit quant a lui n'a pas a etre exerce
selon une telle mission altruiste. Le droit subjectif comportant, a notre avis, une
prerogative exclusive s'exer9ant a son profit, nous ne pouvons accepter totalement
la theorie de Josserand, qui n'inclut une telle prerogative que pour les droits qu'il
decrit comme « egoi'stes ».
Cependant, il peut etre utile de mentionner que pour certains auteurs, au contraire,
la finalite sociale du droit subjectif va de soi. Pour eux, une partie de la
491 Josserand, ibid, notamment les sections aux pp. 93 et s. et 181 et s.
209
legislation contemporaine qui controle notamment le droit de propriete, par
exemple en imposant une multitude de servitudes publiques pour les passages des
fils electriques ou des egouts, ne peut s'expliquer que par une fonction sociale du
droit subjectif492, surtout dans un systeme juridique ou l'on peut considerer le
droit de propriete comme etant la demonstration du droit subjectif par excellence.
Ces auteurs parlent alors d'un droit mixte, soit des prerogatives comportant a la
fois des usages « egoi'stes » et sociaux493.
En toute deference, il y a lieu de se demander si une telle analyse ne confond pas
les finalites du droit subjectif avec la restriction de l'espace de prerogative
exclusive494. A la lumiere des commentaires de Jean Dabin que nous avons
mentionnes ci-haut sur 1'aspect « social » du droit subjectif, ne pourrions-nous pas
affirmer que ce n'est pas parce que l'on limite le champ de liberte que l'on impose
une finalite sociale au droit. Cette idee de finalite sociale impliquerait que
l'exercice d'un droit confere devrait se faire dans l'interet social. Mais lorsque le
droit objectif impose des limites ou des charges au droit subjectif, n'est-ce pas
plutot l'assiette du droit qui est affectee plutot que sa finalite ? II est d'ailleurs
interessant de noter que la Cour d'appel du Quebec a deja mentionne « [qju'au fil
de revolution des rapports humains (...) le droit de propriete s'est vu de plus en
492 Voir notamment Marcel Laborde-Lacoste, « La propriete immobiliere est-ell'e une « fonction sociale » ? », dans Melanges offerts a Jean Brethe de la Gressaye, Bordeaux, Bi6re, 1967, 373 particulierement a la p. 398 et s.; Andre Rouast, « Les droits discretionnaires et les droits controles », (1944) 42 R.T.D. civ. 1 au no. 11.
493 Voir le developpement rejetant cette notion de droit mixte dans Gaillard, supra note 198 aux nos 35-47.
494 Voir d'ailleurs a cet effet, Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 220.
210
plus eneadre, voire restreint» par la legislation et le droit pretorien495. Ainsi, au
contraire d'un exercice motive par une finalite sociale, c'est plutot la sphere
d'exercice du droit exclusif de propriete qui est limitee au nom de l'interet social
mais l'exercice de ce droit dans cette sphere se fait encore et toujours dans son
interet propre.
En s'interrogeant de la sorte, nous concluons qu' aussi nombreuses soient-elles, les
limitations que la loi impose au droit subjectif n'en changent pas la nature
intrinseque : le droit subjectif ne comprend pas la finalite de satisfaire les interets
d'autrui. D'ailleurs, toutes ces limitations, si elles ne sont pas respectees, ne
seront pas sanctionnees par un recours en detournement de pouvoir, comme c'est
le cas pour un exercice d'un pouvoir ne respectant pas sa finalite, mais par un
recours fonde sur des pretentions de depassement ou d'absence de droit496. On
comprend done que ces limitations n'indiquent aucunement la presence dans la
nature intrinseque du droit subjectif d'une finalite altruiste.
L'idee d'une conception mixte du droit subjectif peut aussi etre rejetee en se
fondant sur le principe de transparence, qui nous le rappelons, doit refleter les
principes et le vocabulaire juridiques de la pratique, sans quoi les arguments
formules ne pourront trouver aucun echo dans la realite quotidienne. Observons
ainsi comment un tribunal analyserait un manquement a une servitude publique.
Prenons Pexemple d'un proprietaire de terrain qui deciderait de couper un poteau
495 Ciment du St-Laurent, supra note 3 au par. 62. 496 Gaillard, supra note 198 au no. 38.
211
d'Hydro-Quebec sis sur les limites de son terrain. Est-ce que le tribunal
analyserait cela comme un depassement a la limite de son droit ou comme un
detournement de la fonction sociale du droit de propriete ? Fort certainement, le
proprietaire en question serait juge pour s'etre approprie une prerogative qui ne lui
appartenait plus, l'etendue de l'exercice de son droit ayant ete limitee en faveur
d'Hydro-Quebec. On ne discuterait aucunement d'un detournement d'une
fonction sociale du droit de propriete497.
Cependant, nous l'avons deja mentionne, nous reconnaissons que l'exercice des
droits subjectifs puisse avoir des effets benefiques pour la societe. Dans les
societes liberates, plusieurs economistes et penseurs sont d'avis que la libre
concurrence des personnes a justement pour but de favoriser le meilleur
epanouissement social en pariant que cet epanouissement passe par le meilleur
developpement personnel498. On cite souvent en exemple la difference entre les
entretiens des proprietes privees et publiques499. Lorsqu'un bien nous appartient,
l'incitation a l'entretenir est plus grande et cela peut se refleter fort positivement
en societe, notamment en evitant ainsi des problemes de sante et securite
publiques, telles que la vermine ou les constructions peu securitaires. Mais, il ne
s'agit ici que d'une consequence de l'exercice des droits subjectifs et non de sa
source de motivation premiere. Rappelons-le : le pari est que le developpement
social passe par 1'epanouissement personnel. La fonction premiere est done de
497 ibid. 498 Voir notamment a cet effet les developpements de Gounot, supra note 35 a la p. 40 et s. et
Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 26 et s. 499 Paul Roubier, « Delimitation et interets pratiques de la categorie des droits subjectifs» dans
[1964] Archives de philosophie du droit 83 a la p. 84 [Roubier, « Delimitations »].
212
favoriser cet epanouissement personnel et ce, malgre toute autre visee a plus long
terme. La difference est importante. Nous ne croyons done pas qu'il soit
approprie de traiter de la fonction sociale du droit comme une caracteristique du
droit subjectif500.
Ainsi, en resume, de ce premier exercice de distinction entre les notions de droit
subjectif et les notions de liberte et de pouvoir, on peut voir apparaitre certaines
composantes de ce qui constitue a notre avis la principale caracteristique du droit
subjectif: l'exclusivite de prerogatives dans son interet sur une assiette d'exercice
determinee par le droit objectif. II s'agit d'une zone d'action exclusive etablie au
seul profit du titulaire501. Cette zone pourra etre plus ou moins large selon les
limites edictees par le droit positif mais cela ne change en rien la nature essentielle
d'une telle plage : le droit d'action a son profit exclusif. Or, si l'on joint cette
motivation profitable aux principes de liberte et de responsabilisation personnelle,
on peut conclure que le droit subjectif se caracterise par l'exclusivite des
prerogatives accordees a son titulaire. Examinons done maintenant cette
exclusivite.
500 Voir notamment le developpement k ce sujet dans Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 217-221 .
501 Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199.
213
3.3 Le droit subjectif: source d'exclusivite
Tel que nous venons de l'enoncer, en plus d'etre une prerogative exercee a son
profit, le droit subjectif se definit par l'exclusivite accordee a son titulaire.
D'ailleurs, divers aspects de l'exclusivite du droit subjectif se retrouvent dans la
majorite des grandes theories relatives a la notion de droit subjectif, ce qui en
demontre la grande importance conceptuelle502. Naturellement, lorsque l'on parle
d'exclusivite, celle-ci ne peut se concevoir que par rapport a autrui. En d'autres
termes, notre droit ne peut etre oppose qu'en presence d'autrui. Pour reprendre un
exemple celebre et maintes fois repris en doctrine, « un hypothetique Robinson,
seul sur son lie et absolument coupe de toute relation avec ses semblables n'a pas
de droits»503 [et nous ajouterions n'en a pas besoin]. Quelle est l'utilite de
pretendre avoir des droits si l'on n'a aucune personne a qui les opposer504 et
aucune structure sociale pour les faire respecter ? C'est en ce sens que Josserand
parle d'une prerogative sociale505.
A ce titre, le droit subjectif se presente comme un rapport etabli entre des
personnes506. Ce lien peut etre de nature personnelle ou avoir pour objet un lien
502 Voir le developpement a ce sujet, ibid, au no. 197. 503 Ibid, au no. 199; D'ailleurs, il est interessant de noter que Duguit utilise le meme exemple pour
demontrer que l'etre humain est un etre essentiellement social et que l'octroi d'un droit ne peut se faire que dans le cadre de ces relations sociales : Leon Duguit, Constitutionnel, supra note 411 a lap. 212.
504 Ghestin et Goubeaux, ibid.; Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 94-95; au meme effet, Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 107.
505 Josserand, supra note 123 au no. 5. 506 Del Vecchio, supra note 125 a la p. 326; Ionescu, supra note 222 a la p. 95.
214
avec certaines choses507. Ces rapports ont tous la particularite d'etablir une
• rAO
relation plus ou moins contraignante entre un beneficiaire et un assujetti , ne
serait-ce que par un devoir general de respecter le bien d'autrui509. En effet,
1'exclusivite implique que l'on puisse exiger d'autrui le respect de cette zone
exclusive, sans quoi elle traduit un concept sans valeur reelle. Elle se manifeste
d'abord par une inviolabilite de l'objet du droit imposee a autrui510, qui consiste
essentiellement a respecter le droit du titulaire et qui peut se manifester sous
diverses formes511. Ainsi, notamment, dans le cas d'un droit de propriete, cette
inviolabilite pourra consister a respecter le droit du proprietaire en ne
s'appropriant pas la chose, en s'abstenant de l'endommager ou en n'y penetrant
pas, lorsque cela est possible.
Par ailleurs, dans d'autres situations, tel que le droit de creance, ce respect du
droit d'autrui pourra consister, pour les tiers, a ne pas entraver les demarches du
creancier et, pour le debiteur, a executer l'obligation faisant l'objet du droit de
creance . Un bon exemple de ce type d'exclusivite, dans une relation fondee sur
un lien de creance, se trouve dans l'arret Dostie c. Sabourin513. Cette affaire
concerne une convention de non-concurrence entre messieurs Dostie et Sabourin
dans laquelle on interdit au denomme Dostie d'etre proprietaire, actionnaire ou
bailleur de fonds d'un commerce exergant les memes activites que le denomme
507 Ionescu, ibid.; Paul Cuche, Conferences dephilosophie du droit, Paris, Librairie Dalloz, 1928 a lap. 90 [Cuche, Conferences].
508 Cuche, ibid, a la p. 87. 509 Del Vecchio, supra note 125 aux pp. 326-327. 510 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 95-97. 511 Gervais, supra note 125 a la p. 242. 512 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 95-97. 513 Dostie, supra note 197.
215
Sabourin, soit celles de debosseleur. Or, afin de dejouer les termes de cette
convention, Dostie fournit a son beau-frere, par l'entremise d'une serie de
transactions, une partie du financement necessaire a l'achat d'un tel commerce,
dans lequel travaille par ailleurs activement Dostie. Cependant, le nom de Dostie
n'apparait pas a l'acte de vente. Tant le beau-frere du denomme Dostie que le
notaire instrumentant connaissent les termes de la convention de non-concurrence,
mais chacun participe malgre tout a la transaction d'achat du commerce par le
beau-frere de Dostie. De ce fait, la Cour d'appel est d'avis qu'ils se font les
complices de la violation de l'obligation. Consequemment, elle les condamne,
malgre leur statut de tiers a la convention de non-concurrence, a payer des
dommages a Sabourin pour ne pas avoir respecte leur devoir de ne pas nuire au
lien d'obligation entre le creancier et son debiteur. II s'agit, dans leur cas, d'une
responsabilite extracontractuelle. Naturellement, elle condamne aussi Dostie pour
ne pas avoir respecte le droit de son creancier. Toutes condamnations demontrent
bien 1'importance de l'inviolabilite du droit subjectif, meme lorsque ce droit
consiste en un lien personnel de creance.
Une autre caracteristique de l'exclusivite du droit subjectif est le concept
d'exigibilite514. Elle consiste, pour le titulaire du droit subjectif, en la faculte -
qui rappelons-le implique le choix ou non d'exercice - de revendiquer le respect
de sa prerogative515. Elle fait appel a la protection sociale offerte au titulaire du
droit pour assurer le respect de l'inviolabilite du droit et qui consiste a faire appel
514 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 96-97. 515 Ibid.; Gervais, supra note 125 a la p. 245.
216
aux autorites publiques, essentiellement judiciaires en droit prive, pour assurer le
respect de son droit516. L'exclusivite du droit a ainsi pour consequence que
l'exigibilite ne peut etre exercee que par le titulaire du droit subjectif. On peut
d'ailleurs constater une manifestation de cette dimension dans les concepts
d'interet judiciaire517 ou de nullite relative518.
On le voit done, le concept de droit subjectif permet a son titulaire de favoriser
son interet sur celui d'autrui et d'exiger le respect de cette prerogative.
Cependant, celle-ci n'est pas absolue et est toujours limitee par les principes de la
coexistence paisible des droits et interets. Cette constatation nous amene a nous
interroger sur certaines limites decoulant de l'application de cette regie sociale.
Nous etudierons done la notion de profits et celle d'interet pour mieux
circonscrire ces limites.
3.4. Des limites sociales a l'exercice du droit subjectif
3.4.1 Le droit subjectif; incarnation du droit objectif
Le droit subjectif constitue une delegation de certains pouvoirs normatifs du droit
objectif vers les personnes individuelles519. II s'agit en quelque sorte de la
516 Voir notamment Marc Reglade, Valeur sociale et concepts juridiques, norme et technique, Paris, Sirey, 1950 a la p. 86.
517 Voir Particle 15 C.p.c. 518 Voir les articles 1419 et 1420 C.c.Q. 519 Encore une fois, plane l'ideologie de Kelsen pour qui les normes sont hierarchisees et qui
effectivement considere que les normes creees par un contrat constituent des normes de degre
217
concretisation et l'individualisation de la norme objective . Cette delegation peut
etre envisagee comme favorisant l'individualisation de la regie de droit,
l'epanouissement de la liberte individuelle ainsi que la responsabilisation de
C-} 1 chacun dans la defense et la gestion de ses interets .
Une telle incarnation implique necessairement 1'importation des memes valeurs et
principes qui animent le droit objectif. Ainsi, il faut reconnaitre dans cette
delegation la confirmation que le droit prive comporte aussi le but d'assurer la
coexistence des droits et interets individuels. Dans ce contexte, le contrat est alors
per<?u comme « une technique optimale de gestion des relations sociales »522.
inferieur par rapport a la regie de droit instituant le droit de creer, par convention, ces memes normes: Kelsen, supra note 140 au no. 2 et s. et au no. 13. Certains pourraient nous reprocher de se referer a Kelsen dans une etude portant sur la definition du droit subjectif puisque plusieurs auteurs lui reprochent d'avoir nie l'existence de la notion de droit subjectif pour ne fonder sa theorie que sur l'existence d'une norme. Voir notamment, Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 201 et Ionescu, supra note 222 au no. 24 et s. Pourtant, notre lecture de Kelsen ne nous permet pas d'en arriver aux memes conclusions. S'il est vrai que sa theorie comporte une grande analyse de la norme a respecter, ce qui peut se traduire plus amplement par un devoir & respecter plutot qu'un droit, il n'en demeure pas moins qu'il reconnait que les contrats constituent une individualisation de la norme objective, ce qui revient a reconnaitre l'existence des droits subjectifs. De plus, lorsqu'il s'exprime sur les droits et obligations des personnes morales, Kelsen mentionne expressement que les individus peuvent etre titulaires de droits et d'obligations. D'ailleurs le professeur Ionescu mentionne que Kelsen reconnait l'existence des droits subjectifs meme si c'est avec un certain malaise. II faut comprendre que tout droit subjectif impose une norme de comportement a autrui, sinon on ne pourrait parler de l'existence d'un droit. Traiter du droit subjectif sous Tangle de cette norme ne nous apparait pas comme une negation de la notion de droit subjectif. Aussi, nous faisons appel a la theorie de Kelsen essentiellement pour expliquer la delegation du pouvoir normatif pour permettre aux sujets de droit de creer les normes a l'origine de leurs droits subjectifs. Or, comme le mentionne Jacques Ghestin, malgre toutes les critiques qu'il a a faire sur la theorie de Kelsen, cet aspect de sa theorie est une contribution positive de Kelsen puisque son analyse d'une delegation par une norme superieure pour expliquer la force obligatoire du contrat semble representer plus fidelement la realite juridique que les theories classiques fondees sur l'autonomie de la volonte : Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 190.
520 Ionescu, ibid, a la p. 69. 521 Voir Kelsen, supra note 140 au nO. 13; Voir aussi l'arret Bail, supra note 12 a la p. 587 ou la
Cour supreme reitfere l'importance de la responsabilite fondamentale qui incombe a chacun de veiller a la conduite prudente de ses affaires.
522 Stoffel-Munck, Imprecision, supra note 86 a la p. 43.
218
Cette incarnation, avec le transfert des valeurs qu'elle implique, permet de
comprendre pourquoi les liens prives crees en respect du principe de la
coexistence des droits et interets ont une force obligatoire . En effet, le droit
objectif se presentant comme un ensemble de normes a caractere obligatoire, il est
normal que la prerogative deleguee que peuvent exercer les sujets de droit
comporte les memes caracteristiques. Cette force obligatoire est elle-meme regie
par les memes principes que la loi. Ainsi, pour abroger ou neutraliser une
disposition legislative, il faut qu'elle soit declaree incompatible avec une norme
superieure - ici la Constitution canadienne- ou abrogee par une autre loi. Les
normes contractuelles precedent de la meme logique. Elles peuvent etre declarees
illegales selon les normes superieures (legislation ou reglementation) ou aneanties
par un autre contrat entre les memes parties. La norme contractuelle peut parfois
etre modifiee mais seulement si une norme superieure specifique permet une telle
modification524. Sinon, elle devra, en principe, etre respectee sans qu'une partie
puisse invoquer une modification unilaterale. En ce sens, la delegation normative
permet d'expliquer qu'un seul des contractants ne puisse, en principe, mettre
unilateralement un terme a la validite de la convention afin de tenter d'eviter de se
conformer a la norme creee par les parties525. La force obligatoire des normes
contractuelles apparait etre une condition essentielle a la satisfaction des buts qui
animent le legislateur dans cette delegation526. Sinon, les normes privees ainsi
523 Voir a ce sujet, Kelsen, supra note 140. 524 Ibid, au no. 15 et s. 525 Ibid, au no. 21. 526 Stoffel-Munck, Imprevision, supra note 86 a la p. 43.
219
edictees cesseront de eonstituer 1'application individuelle et pratique du droit
objectif.
Nous l'avons deja mentionne, une telle delegation implique la necessite d'egalite
juridique entre les sujets de droit . La liberte est un element decisif pour la
creation de liens de droit contraignants pour les parties528. En effet, le principe de
coexistence paisible des droits et interets necessite que chacun puisse exercer
librement ses droits afin d'assurer la sauvegarde de ses interets. L'egalite de droit
implique que chaque individu puisse etre libre de decider, dans son interet, de
conclure ou de ne pas conclure un contrat particulier. Elle implique aussi qu'il
puisse librement en determiner le contenu. Le respect de ces axes de liberte
permet une egalite de droit entre les individus529. L'absence d'un de ces elements
entrainera une inegalite qui pourra, si elle est exploitee, faire l'objet d'une
reparation par une demarche specifique.
En fonction de cette definition de l'egalite de droit, on ne peut done, dans la
gestion personnelle de nos interets, deleguee par le droit objectif, etre soumis, de
principe , aux interets d'autrui. Une telle soumission se traduit par l'incapacite
concrete a assurer la conduite et la gestion reelle de ses interets propres. Elle
527 Leveneur, supra note 100 a la p. 190. 528 Voir notamment, Kelsen, supra note 140 au no. 21. 529 Ibid. 530 II existe naturellement quelques exceptions, tel 1'interet de l'enfant, mais comme nous le
verrons, ces exceptions n'en sont pas vraiment puisque l'on peut considerer qu'elles constituent des limitations expresses aux prerogatives deleguees exprimees par le droit objectif. En d'autres termes, on peut affirmer que ces prerogatives ainsi limitees par certains interets autres n'ont tout simplement jamais ete deleguees par le droit objectif. C'est pour cette raison que l'on distingue l'exercice d'un droit subjectif avec celui d'un pouvoir, qui lui implique un exercice « soumis » a l'interet d'autrui.
220
implique une inegalite de liberte entre les parties. Une personne se trouve en
position d'imposer ses propres interets a une autre, qui elle n'est plus en mesure
de defendre librement les siens. Une telle situation ne peut se qualifier comme un
exercice du pouvoir delegue de creer des normes privees dans un contexte
d'egalite. Le controle effectif de la veritable egalite a exercer ses prerogatives est
une condition essentielle a la delegation normative du legislateur en droit prive,
qui ne l'oublions pas, a pour veritable objectif d'assurer le meilleur interet des
CO 1
personnes . C'est pourquoi les circonstances de creation, d'execution et
d'extinction d'un droit subjectif se doivent d'etre scrupuleusement respectees.
Lorsque les conditions d'exercice ne garantissent pas une veritable egalite dans la
capacite a exercer ses prerogatives, la loi doit intervenir pour garantir le respect
raisonnable des interets de la partie desavantagee532. Le juge pourra alors proceder
en imposant des normes de comportement aux parties, le plus souvent en plus
forte intensite a la partie avantagee. Ainsi, en cas de soumission d'une personne a
une autre, la loi intervient de deux fagons distinctes pour retablir l'equilibre dans
la gestion de la coexistence des droits et interets533.
531 Jean Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans I'acte juridique, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 157, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1971 aux pp. 44-45.
532 II est d'ailleurs interessant de souligner Topinion d'un auteur franfais, qui, bien qu'il se prononce, comme nous, contre les principes de solidarite et de fraternite contractuelles, constate l'importance d'assurer un certain equilibre aux contractants : « La liberte contractuelle a ete con$ue pour des contractants egaux. La ou ils ne le sorit pas, il faut retablir l'equilibre pour eviter que la liberte, si elle jouait a l'etat pur, n'aboutisse a des exces inadmissibles. » Laurent Leveneur, supra note 100 a la p. 190.
533 Voir generalement a ce sujet, Jobin, « Equite », supra note 386.
221
La premiere methode fait en general l'objet de peu de debats et est generalement
assez bien acceptee, sauf peut-etre chez les tenants d'un liberalisme absolu sans
aucune forme d'ingerence etatique visant a controler et sanctionner l'absence
d'une liberte effective dans l'exercice des prerogatives. Elle consiste pour le
legislateur a imposer des dispositions imperatives, specifiques et particulieres a la
partie que l'on presume avantagee. Les dispositions relatives aux contrats de
consommation534 ou d'assurances535 en sont de bons exemples. Ainsi, ces
contrats sont soumis a des normes de confection, de formation et d'interpretation
contractuelles tres precises, qui le plus souvent derogent du droit commun des
obligations, parce que l'on juge que le consommateur ou l'assure n'est pas en
mesure d'assurer une saine gestion libre et efficace de ses interets devant la
puissance de son cocontractant. Ces dispositions imperatives interviennent done
pour obliger le commergant ou 1'assureur a tenir compte des interets de son
cocontractant et ont pour but d'assurer une commutativite plus objective.
Cette fagon de controler l'equilibre des interets possede des avantages reels pom-
la partie desavantagee. Ainsi, elle lui permet de beneficier d'une protection
immediate, sans qu'il soit necessaire de faire intervenir les tribunaux, sauf en cas
de contravention a la regie imperative par la partie que l'on presume avantagee.
En ce sens, elle peut favoriser une rationalisation des couts et des energies, surtout
dans le contexte quebecois actuel ou les frais extrajudiciaires ne sont pas
534 Voir par exemple les articles 1435 a 1437 C.c.Q. ainsi que la L.P.C., supra note 62. 535 Voir notamment les articles 2389 a 2619 C.c.Q.
222
rembourses a la partie et ou les delais d'attente pour proceder devant les tribunaux
sont parfois tres longs.
Cependant, une telle methode peut aussi, en pratique, se reveler peu adaptee a la
situation concrete. La regie legislative a la particularity d'etre generale et
impersonnelle. Elle est basee sur la presomption qu'un groupe de citoyens merite
une protection particuliere. Ainsi, une telle regie protege les interets de ce groupe
particulier et on presume qu'un individu qui possede les caracteristiques de ce
groupe beneficiera a ce titre d'une protection personnelle appropriee a sa
situation. Malheureusement presomption et justice ne font pas toujours bon
menage. La generality d'une regie de droit peut impliquer que la solution
proposee n'est toujours parfaitement adaptee au cas particulier. Nous dirions
meme que l'interet presume du groupe protege peut parfois, dans les faits, entrer
en conflit avec l'interet individuel de certains de ses membres. La protection des
individus par des regies generates et impersonnelles n'est peut-etre pas la panacee
envisagee parce que ces dernieres ne peuvent pas facilement etre adaptees en
fonction des circonstances particulieres.
La deuxieme methode fait quant a elle couler beaucoup d'encre, autant par ceux
qui la denoncent que par ceux qui, avec egards, en saisissent mal la portee et les
visees en la justifiant et l'interpretant selon des principes de solidarisme et de
fraternite contractuelles. Elle consiste pour le legislateur a introduire au sein de la
legislation des notions qualifiees de floues, afin de deleguer aux juges la mission
de veiller a l'application pratique du principe de la coexistence paisible des
223
libertes et interets. On peut a ce titre penser aux notions de bonne foi, d'abus de
droit et d'interet de 1'enfant. Or, si cette technique legislative est si souvent
denoncee c'est qu'une telle delegation legislative implique que le juge soit investi
d'un pouvoir normatif actif a l'egard des parties. Ce pouvoir doit lui permettre
d'intervenir au sein de la relation contractuelle pour s'assurer du respect
fondamental d'un exercice raisonnable des prerogatives contractuelles et ainsi la
sauvegarde des interets de la partie qui ne peut effectivement s'acquitter de ce
devoir de voir a ses affaires parce que « soumise » a la volonte d'autrui. Mais ce
pouvoir d'intervention judiciaire fait peur a plusieurs auteurs qui y voient une
grande source d'arbitraire536.
Pourtant, nous 1'avons deja mentionne, sans ce pouvoir d'intervention, une telle
delegation pratique et concrete n'a aucun sens. Si l'on accepte que le legislateur
puisse intervenir par le biais de la legislation a une relation contractuelle
particuliere pour retablir l'equilibre dans l'exercice libre des prerogatives, on
comprend mal que l'on renie par ailleurs 1'effet de la delegation que fait le
legislateur de ce meme pouvoir d'intervention aux juges. Bien sur, nous ne nions
pas qu'il puisse exister un certain risque d'arbitraire, mais il faut se souvenir que
1'experience passee demontre au contraire que les juges ont generalement use de
ce pouvoir avec parcimonie. Nous croyons done que ce risque d'arbitraire est en
fait un risque minime qui se justifie pleinement au nom du respect general des
principes de justice commutative. Nous serions meme portee a ajouter que
contrairement a ce qu'en disent ces critiques, le recours aux notions floues nous
536 Voir notamment Laurent Leveneur, supra note 100 a la p. 190.
224
apparait une methode moins risquee puisque, si elle est bien interpretee, cette
methode est la seule qui tienne compte des veritables parametres de la relation
contractuelle entre deux parties precisement determinees. Elle a cependant le
desavantage d'obliger les parties a transiger par le processus judiciaire.
A l'oppose du spectre de 1'intervention judiciaire, se trouvent les defenseurs d'un
fraternalisme contractuel. Selon les tenants de cette theorie, l'entreprise
contractuelle implique une obligation de solidarisme entre les parties, et cela a
tous les stades de cette relation contractuelle. Elle se traduit par des idees
d'altruisme, de cooperation et naturellement de solidarite et rejette celles
d'egoi'sme et d'indifference aux interets de son cocontractant . Elle conduit
chacun des contractants a agir, dans le cadre de la relation contractuelle, dans le
meilleur interet de son partenaire. En d'autres termes, elle oblige un contractant a
exercer les prerogatives que lui confere la loi ou le contrat, non pas dans son
interet propre, mais conjointement dans le meilleur interet de son cocontractant. II
s'agit pour les partisans de cette doctrine d'une question d'ethique contractuelle
imposee par l'ordre social et non pas choisie comme telle par les parties. Elle se
justifierait par la particularity du lien contractuel, qui devrait etre envisage comme
une union solidaire dans l'atteinte d'un but commun .
537 Mazeaud, « Solidarisme », supra note 7 a la p. 59. 538 Ibid, a la p. 58 et s. 539 Notamment, Demogue, supra note 339 au no. 3; Courdier, supra note 6. Voir plusieurs
commentaires a cet effet dans notre section portant sur la commutativite de la relation contractuelle.
225
A notre avis, une telle theorie meconnaxt malheureusement les principes
fondamentaux de la responsabilite qui incombe a chaque individu de veiller a ses
interets et confond le retablissement de conditions d'exercice libre de ses droits
avec une philosophic d'altruisme contractuel irrealiste. Elle impose a chaque
individu un devoir supplemental prima facie d'agir dans l'interet d'autrui,
meme en l'absence d'une inegalite ou d'une injustice, et l'oblige a agir comme
s'il etait titulaire d'un pouvoir plutot que d'un droit subjectif. Nous le repetons
encore, le droit subjectif se caracterise par la prerogative qu'il accorde a son
titulaire d'exercer son droit dans son seul interet. N'est-ce pas d'ailleurs ce
qu'affirme le Doyen Carbonnier lorsqu'il ecrit:
« On s'etonnera qu'a une epoque ou le mariage s'etait peut-etre
trop transforme en contrat, certains aient reve de transformer tout
contrat en mariage.(...) [L]es contrats dont traite ordinairement le
droit civil sont (...), selon l'expression de la psychologie sociale,
des formes de cooperation antagoniste. Entendons que, par des
moyens communs, de pure opportunity, chacun des contractants
cherche a atteindre des fins propres, et qu'un conflit est latent sous
la cooperation. (...) [I]l est bon que le droit sache voir la
cooperation contractuelle telle qu'elle est bien souvent: restreinte
et non exempte d'arriere-pensees. »540
On retrouve dans ce seul paragraphe du professeur Carbonnier, avec l'excellente
plume qui etait la sienne, une veritable synthese de ce que nous soutenons. II est
illusoire de penser qu'il existe, en droit prive quebecois, une obligation generale
540 Carbonnier, Obligations, supra note 20 au no. 114 [les italiques apparaissent au texte original].
226
de satisfaire les interets d'autrui. Chacun exerce ses prerogatives, en saine
concurrence, dans le but d'atteindre ses propres visees personnelles. Comme le
mentionne un auteur franfais : « [l]a plupart des conventions associent des interets
conflictuels qui s'entendent sur un objet commun. »541 Naturellement, cela
n'empeche aucunement les parties d'evoluer effectivement dans une relation
d'etroite collaboration et dans le plus grand respect des interets mutuels.
Cependant, un tel cas sera possible parce que les parties auront ainsi defini leur
relation mutuelle, dans leur interet. II s'agira ainsi d'une obligation mutuellement
et librement consentie et non d'un devoir impose socialement.
Cependant, rappelons que cette prerogative exclusive d'agir dans son interet, qui
constitue une delegation du droit objectif, doit etre exercee dans le respect du
principe de la coexistence paisible des droits et interets. Cette delegation est une
medaille a deux facettes. Ainsi, elle se traduit a la fois par la capacite et par le
devoir conferes a chaque personne de surveiller et de defendre ses interets. Nous
l'avons mentionne, le droit objectif exige notamment la presence d'un veritable
consentement libre et eclaire pour accepter qu'une personne se soumette
librement, pour l'execution d'une prestation precise, a la prerogative d'une autre
personne. Si l'on est d'avis que de la formation d'un tel lien d'obligation resulte
une obligation d'agir selon des interets altruistes, on nie a la fois la caracteristique
fondamentale du droit subjectif qui consiste en l'octroi d'une prerogative libre
541 Laurent Aynes, « L'obligation de loyaute » dans [2000] Archives de philosophie du droit 195 a la p. 200. Voir au meme effet, Marie-Anne Frison-Roche, « Remarques sur la distinction de la volonte et du consentement en droit des contrats », [1995] R.T.D. civ. 573 au no. 6 [Frison-Roche, « Distinction »].
227
dans son interet exelusif et son corollaire qui consiste en l'obligation
fondamentale qui est faite a chacun de veiller a la gestion et la defense de ses
propres interets.
Certains pourraient alors argumenter qu'il existe pourtant des cas tres clairs ou le
detenteur d'une telle prerogative s'est fait reprocher d'avoir use de son droit sans
tenir compte des interets de son cocontractant. Au meme titre, il existe clairement
des circonstances dans lesquelles on doit exercer effectivement une prerogative
avec la restriction d'assurer une certaine defense des interets de son cocontractant.
Or, au contraire des affirmations voulant que ces exemples ne puissent se justifier
que par la presence d'une theorie emergente de solidarisme contractuel, a notre
avis, ces exemples corroborent la necessaire coexistence paisible des droits et
interets.
Nous Favons exprime, la prerogative du droit subjectif se traduit par la possibility
et la capacite a defendre ses interets542. Cet interet se concretise dans une zone
d'exclusivite d'exercice octroyee par le droit positif. Cet interet possede en soi
deux composantes : la notion de jouissance de celui-ci, que l'on pourrait definir
comme la possibility a etre titulaire d'une telle zone d'exclusivite, et la capacity,
que l'on pourrait definifr comme la possibility reelle a defendre, par sa volonte
juridique, les prerogatives de cette zone d'exclusivite. Ainsi, par exemple, un
enfant en bas age peut jouir d'un droit de creance de 200,00 $ si une telle somme
542 Del Vecchio, supra note 125 a la p. 325.
228
lui est due, notamment en vertu d'une creance alimentaire, mais n'a pas la
capacite juridique a defendre ses interets, en cas de contravention a son droit. II
devra done etre represents pour exercer son droit de creance. Or, comme
normalement, on presumerait qu'il exercerait ce droit dans son interet personnel,
il est tout a fait logique que son representant, le plus souvent son tuteur legal,
doive exercer son pouvoir dans l'interet exclusif de l'enfant. La delegation que
fait le droit objectif de la prerogative d'exercice de cet enfant a son representant
doit encore une fois s'effectuer dans les memes conditions de respect de la
coexistence des droits et interets d'autrui. Cela explique, a notre avis, que
l'exercice de cette prerogative doive obligatoirement se faire dans l'interet de
l'enfant et puisse a cet egard faire l'objet d'un controle, pouvant aller jusqu'a
sanctionner cet exercice par l'annulation de l'acte. Cela est tout a fait logique
lorsque l'on examine les principes sous-jacents a cette delegation de pouvoirs.
Par analogie, si les circonstances, qu'elles resultent ou non de la faute des parties,
ne demontrent pas que la capacite d'un individu est effectivement exercee dans
des conditions assurant raisonnablement sa libre gestion, il apparait normal que la
loi, directement ou par delegation judiciaire, puisse intervenir pour retablir i
l'equilibre dans l'exercice de cette capacite a veiller a son interet propre. Puisque
les interets de cette partie soumise sont en jeu, il est normal que l'on equilibre
cette situation en imposant a la partie avantagee certaines restrictions dans l'usage
de son droit afin de veiller raisonnablement aux interets de son cocontractant.
C'est le role meme d'une commutativite normative objective.
229
Ainsi, loin de reposer sur une queleonque obligation d'altruisme, l'imposition de
normes a la partie avantagee se justifie parfaitement en vertu du principe de
coexistence paisible des droits et interets. Cette imposition vise a pallier
l'incapacite engendree par les circonstances reelles. D'ailleurs, il est interessant
de noter que la quantity et l'intensite de ces normes imposees variera de maniere
proportionnelle au degre de capacity ou d'incapacity, reelle ou presumee par la loi,
a exercer librement, de par sa situation et son statut, la gestion de ses interets.
Plus la position de l'une ou l'autre des parties sera vulnerable, plus l'intensite des
restrictions imposees aux prerogatives du cocontractant sera elevee.
De cette fagon, on peut par exemple justifier l'obligation qui est faite au
mandataire d'agir dans le meilleur interet de son mandant. Par le biais du contrat
de mandat, le mandant devient en quelque sorte entierement « soumis » a la
volonte juridique du mandataire, qui peut exercer, en son nom, les prerogatives
dont il est le titulaire et qui sont prevues dans le cadre du mandat. Par l'exercice
de ce pouvoir, le mandataire a le pouvoir reel de lier le mandant en son absence
physique. Le degre de vulnerability de ce dernier est done tres eleve, ce qui
justifie clairement, l'obligation qui est faite au mandataire d'agir dans l'interet
exclusif du mandant. Ainsi, l'analyse du degre de vulnerability d'une partie
permet de mieux saisir la metamorphose de certaines prerogatives en pouvoir,
devant done s'exercer au profit exclusif de la partie vulnerable. Outre le .mandat,
le degre absolu de vulnerability, du moins presumee, permet de mieux saisir les
regies imposees aux detenteUrs de l'autorite parentale, au tuteur, a l'executeur
testamentaire ou plus generalement a l'administrateur des biens d'autrui.
230
Encore une fois, on constate que les obligations imposees en de telles
circonstances s'expliquent aisement par la necessite d'exercer ses prerogatives
dans un contexte de coexistence paisible des droits et interets. II s'agit en quelque
sorte, n'en deplaise a certains, d'un renforcement des postulats de la theorie de
l'autonomie de la volonte. Gestion de ses interets, liberte et egalite sont les
principes au premier plan de la theorie contractuelle. Cependant, il s'agit d'une
vision dynamique, qui ne se contente pas de simples presomptions irrefragables
nuisant dans les faits a ces postulats, mais d'un veritable controle favorisant le
respect effectif de ces grands principes et ce, a tous les stades de la vie
contractuelle.
Cependant, puisque nous ne pouvons prevoir quelle est la decision qu'aurait
effectivement prise la personne soumise si elle avait pu librement exercer sa
capacite de veiller a ses interets, nous privilegions le critere de l'exercice de la
personne raisonnable placee dans les memes circonstances. En presence d'une
clause contractuelle qui semble avantager grandement une des parties et de
circonstances demontrant effectivement l'absence d'egalite entre les parties, par
leur situation informationnelle, economique ou autre, on devrait s'interroger sur la
nature raisonnable de cette clause. Ainsi, il faudra se demander si une personne
raisonnable aurait acquiesce a une telle clause si elle avait ete en mesure de veiller
librement a ses interets. En cas de reponse negative, une telle clause devra etre
rajustee par la sanction appropriee, conformement au principe de justice
commutative. Cette sanction pourra notamment consister en 1'imposition, a la
231
partie avantagee, d'obligations visant a assurer un certain respect des interets du
cocontractant.
Ce meme critere de personne raisonnable s'appliquera aussi lors de l'execution du
lien de creance unissant les parties. Lorsqu'un tel lien existe entre deux
personnes, il y a soumission de principe. Le debiteur est, par la nature du lien de
creance, soumis a la prerogative du creancier pour l'execution d'une prestation
particuliere. Cet aspect de soumission, avec lequel le droit prive est inconfortable
parce que contraire au principe d'egalite Panimant, est encadre de fagon a ce qu'il
s'exerce dans le respect du principe de la coexistence des droits et interets. Parce
qu'elle detient une situation privilegiee a l'egard d'une personne determinee qui
lui est soumise, on imposera a celle-la, le plus souvent creanciere des obligations,
certaines normes de comportement visant a assurer une certaine commutativite
objective dans le rapport de soumission.
L'obligation d'agir selon des principes d'equite et de bonne foi, dans ses rapports
contractuels devient ainsi un levier privilegie de la commutativite objective. Par
l'imposition de telles normes floues de comportement, on s'assure que ce
creancier ne pourra, par des exigences deraisonnables, aller au-dela d'un rapport
de soumission normal et nuire ainsi aux interets du debiteur. Le critere de la
personne raisonnable implique 1'examen de la conduite d'une personne prudente
et diligente543, et constitue en quelque sorte le reflet d'une conduite socialement
acceptable. Ainsi, si l'exercice de la prerogative par le creancier apparait
543 Houle, supra note 11.
232
deraisonnable, au regard des valeurs sociales presentes, pour la sauvegarde des
interets du debiteur, le legislateur ou le juge par pouvoir delegue, pourra intervenir
pour reequilibrer la commutativite de la relation et obliger le creancier a agir de
maniere a assurer une certaine protection des interets de ce debiteur.
3.4.2 Le droit aux profits en situation de liberte
II est interessant de noter qu'en droit quebecois, la valeur du patrimoine de chacun
n'est pas, en principe, sanctionnee par le droit prive, tant que, dans l'exercice de
ses prerogatives, chacun respecte le principe de coexistence des droits et interets
d'autrui, notamment en permettant a chacun de veiller librement a ses affaires. II
en serait differemment dans une societe ne valorisant pas autant la liberte
individuelle. Ainsi, on sait que certains regimes communistes ont exerce un grand
controle sur les biens possedes par chaque individu, notamment en les qualifiant
le plus souvent de propriete publique, ce qui revient a nier le droit de propriete
individuelle. Cet exemple confirme a quel point les droits subjectifs, tel le droit
de propriete, et les libertes individuelles sont des notions liees qui s'influencent
mutuellement. Plusieurs societes occidentals valorisent la liberte individuelle
parce qu'eiles postulent que cette liberte apporte avec elle la garantie que chacun
pourra veiller a ses interets. La liberte entraine la responsabilite et le droit prive
quebecois reflete ces valeurs. Nous reiterons done notre opinion a l'effet que l'on
ne peut affirmer, comme Kant le suggere, que l'exercice de la volonte individuelle
233
n'est pas influence par des considerations externes, telles les valeurs sociales et
politiques. Celles-ci sont necessairement vehiculees par le droit objectif qui
delimite les champs d'action des droits subjectifs.
En droit prive quebecois, les biens que possede une personne peuvent etre
envisages comme le prolongement de sa personne544, comme des biens
necessaires a son plein epanouissement, et en ce sens, avoir droit au meme respect
passif que l'integrite physique de la personne elle-meme. Cette fagon de concevoir
les biens materiels que possede une personne permettrait d'expliquer pourquoi
generalement dans les societes liberates, la quantite d'objets que comporte cet
espace personnel ne fait pas, en principe, l'objet d'un controle particulier. Au
contraire, une plus grande quantite de biens sera generalement consideree comme
un signe de grand epanouissement personnel et done un pas vers une plus grande
richesse collective. Ainsi, sauf exceptions justifiees en general par l'ordre public
et relevant le plus souvent du droit public, chacun est libre de posseder autant de
biens qu'il le souhaite, sous reserve encore une fois de respecter, dans
1' acquisition et la possession de ces objets, la regie de la coexistence des droits et
interets d'autrui.
Certains pretendront que le fait d'accumuler de nombreux biens constitue en soi
une violation de la regie de coexistence des droits et interets d'autrui. D'autres,
lorsqu'ils analysent une telle critique, n'hesitent pas, au contraire, a affirmer que
ces personnes n'ont pas compris le lien qui existe, en droit prive dans les societes
544 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 40.
234
dites liberates, entre la liberte et la propriete545. Selon plusieurs auteurs, la liberte
dans la gestion de ses interets personnels est le meilleur moyen d'assurer une
saine competition et concurrence des individus, cette competition devant assurer
le meilleur developpement des ressources et richesses de la societe546. Les
developpement et epanouissement personnels de l'individu sont a la base meme
de ce progres social et ce sont les droits subjectifs, par la prerogative exclusive
qu'ils impliquent, qui semblent assurer le plus adequatement ces objectifs547.
Nous rappelons que meme Duguit, qui pourtant niait l'existence de la notion de
droit subjectif, etait d'avis que le progres collectif passe necessairement par un
exercice libre de ses prerogatives afin d'assurer le meilleur epanouissement
personnel548.
On peut se demander s'il s'agit d'un vceu pieux de quelques juristes et
philosophes mais ne pouvant trouver assise dans aucune autre science. Or, il est
interessant de constater que meme une analyse economique du droit accepte cette
conception des rapports entre les individus dans la societe. Ainsi, comme le
mentionnent plusieurs auteurs549, une des ecoles theoriques dominantes de
1'analyse economique du droit se fonde sur un critere de repartition dit optimal ou
545 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 31. 546 Voir notamment a cet effet, ibid, a la p. 26; Cuche, Philosophes, supra note 430 a la p. 30 et s.;
Karila de Van, supra note 461 a la p. 556; Stoffel-Munck, Imprevision, supra note 86 a la p. 47.
547 Ionescu, supra note 222 au no. 15; Reglade, supra note 516 aux pp. 86-88. Contra : Gonthier, supra note 8 notamment a la p. 570 et s.
548 Voir notre section portant sur la theorie de Leon Duguit, a la p. 150 et s. 549 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 202; Grynbaum, supra note 275 au no 53 et s.; Ejan
Mackaay, « La regie juridique observee par le prisme de l'economiste » [1986] R.I.D. Econ. 43 aux pp. 51-52 [Mackaay, « Prisme »].
235
aussi appele « efficacite »550. Selon ce critere, le marche, ou si l'on prefere la
saine competition entre les besoins des consommateurs et ceux des producteurs ou
commergants des biens, entraine un prix d'equilibre. Par ailleurs, un systeme de
marches pour tous les biens permet d'atteindre une situation optimale
d'equilibre551.
Lorsque nous sommes en presence d'une telle situation optimale d'equilibre, il
devient impossible de reallouer les ressources autrement puisqu'une amelioration
de la situation de certains entrainerait une deterioration d'autres. En d'autres
termes, «tous les echanges fructueux ont ete realises et le prix est un prix
d'equilibre. »552. Ainsi, meme dans cette analyse, la concurrence entre les
individus apparait comme essentielle a la maximisation des ressources et
l'equilibre dans la repartition de celles-ci. II est d'ailleurs interessant de noter que
cet equilibre est atteint lorsque chacun profite du maximum de ressources sans
nuire a autrui. Cela rejoint en tout point la theorie de la coexistence paisible des
droits et interets ou il est permis d'user de son droit mais en ayant pour limite
ceux des autres, afin d'eviter de leur nuire indument. La seule difference est que
l'economiste s'inquiete de la repartition des ressources alors que la juriste
s'inquiete de la repartition des droits et interets. Mais cette difference devient
d'autant theorique que la repartition des droits et interets rejoint le plus souvent
une repartition des ressources.
550Mackaay, ibid. 551 Ibid. 552 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 202.
236
L'importance que l'on accorde a la libre concurrence dans notre societe, pour ses
consequences sociales benefiques, pourrait expliquer notamment pourquoi il n'est
pas possible, en droit quebecois, d'exercer un recours en responsabilite pour le
simple exercice d'une concurrence loyale . Nous avons deja donne l'exemple
de l'absence de recours judiciaire contre un concurrent qui ouvrirait un commerce
semblable a quelques pas du notre et avec qui il n'existerait aucun lien specifique
d'obligation, fonde notamment sur une convention de non-concurrence.
L'exercice d'une saine concurrence, s'inscrivant dans une libre gestion par les
parties de leurs interets, ne constitue pas une atteinte a la liberte d'autrui pouvant
faire l'objet d'une obligation de reparation et cela, meme si elle devait entrainer
un certain prejudice pour quelques individus. L'egalite de droit, avec l'idee de
liberte individuelle qu'elle implique, est justement accordee aux sujets de droit
afin qu'ils puissent exercer une saine concurrence, le tout dans une perspective
plus large d'un benefice social. On permet a chacun d'exercer ses prerogatives de
commerce a son profit.
55j Voir d'ailleurs a cet effet, les commentaires de la Cour d'appel du Quebec dans L'Excelsior, compagnie d'assurance-vie c. La Mutuelle du Canada, compagnie d'assurance-vie, [1992] R.J.Q. 2666 (C.A.) a la p. 2875: « La liberte de concurrence represente le principe fondamental d'organisation des activites economiques, dans le secteur des assurances comme ailleurs, sous reserve de son encadrement legislatif ou reglementaire. Bien que dommageable, la concurrence, en elle-meme, ne saurait etre fautive et source de responsabilite civile. Meme lourdement prejudiciable pour une entreprise d'assurances, la seule conquete d'une part de marche par un nouveau concurrent ne lui donne pas droit a une indemnity. La concurrence fait partie de ces activites reconnues comme licites, bien que dommageables. On a le droit de conduire le restaurateur ou l'epicier voisin a la faillite, pourvu que, ce faisant, on emploie des moyens licites et corrects. (. . .) Ce n'est que par le caractere deiictuel de ses modalites que la concurrence peut devenir source d'une responsabilite civile et permettre l'exercice d'une action fondee sur l'article 1053 C.c. [maintenant 1457 C.c.Q.] » [Excelsior],
237
Naturellement, une telle concurrence acceptee et meme pronee par les societes
liberales implique que l'exercice de certains droits puisse dans les faits nuire a
d'autres554. Un systeme dirigiste quant a lui se mefierait d'initiatives personnelles
et des consequences nefastes qu'elles pourraient entrainer a l'egard d'autrui555.
Cette remarque nous permet de rappeler l'importance des valeurs sociales dans la
definition d'une injustice. Pour contrevenir au principe de la coexistence paisible
des droits et interets, l'exercice d'un droit doit veritablement constituer une
atteinte au devoir de ne pas nuire indument a autrui. Une telle atteinte ne pourra
pas resulter du seul constat des effets de nuisance a l'egard d'autrui puisque dans
certains cas, le droit de nuire est compris dans l'exercice du droit556. On peut dans
les faits nuire a autrui parce que l'on peut tirer profit de l'exercice de son droit.
La concurrence et le profit sont permis dans les limites de l'exercice raisonnable
de ses prerogatives. Ce critere implique l'examen des valeurs sociales et des
limites qu'elles imposent557 : « [e]st deraisonnable ce qui est inadmissible dans
ceo
une communaute a un moment donne. » Et la societe quebecoise, comme les
autres societes liberales, accepte (et meme valorise) le profit, ou si l'on prefere,
une nuisance « raisonnable » aux interets d'autrui.
554 Karila de Van, supra note 461. 555 Ibid, a la p. 556. 556 Ibid, aux pp. 538-539. Par exemple, il est reconnu qu'un employe congedie subira, meme si ce
cong^diement est fait de la meilleure maniere possible, son lot de stress, d'humiliation et d'anxiete pour lequel il ne sera pas compense puisque cela decoule directement du droit de son employeur : Societe hoteliere Canadien Pacifique c. Hoeckner [1988] R.L. 482 (C.A.) a la p. 485.
557 Perelman, « Raisonnable », supra note 481 a la p. 38 et s. 558 Ibid, a la p. 39.
238
Par contre, il en serait autrement dans le cas d'une concurrence deloyale, qui
alors, ne se conformerait pas, a ce que Josserand appellerait la « mission sociale »
du droit de concurrence, et que nous appellerions l'exercice socialement
acceptable de celui-ci. II en serait ainsi par exemple d'un second commergant qui
utiliserait un nom et une publicite semblable a celle de son concurrent afin de
semer la confusion chez les consommateurs. II n'exercerait pas son droit d'une
maniere socialement acceptable en brimant le principe de la concurrence exercee
sainement et entrainerait sa responsabilite pour cette nuisance indue aux interets
d'autrui.
Si le libre exercice des droits a pour but une saine gestion de la concurrence qui a
elle-meme pour but le developpement des richesses, on comprend qu'il devient
difficile de sanctionner l'accumulation de telles richesses. Naturellement, on
pourrait soutenir que l'on discute ici de richesses collectives et non personnelles.
Mais cela serait contraire a la logique du systeme. Pour les societes qui valorisent
la liberte individuelle, il semble que la richesse collective passe necessairement
par le developpement des richesses individuelles. Celles-ci apparaissent comme
l'objectif principal de la lutte competitive entre les individus. Et les droits
subjectifs qui sont accordes a l'egard de ces richesses sont autant de zones de
securite afin de garantir les resultats d'efforts et d'initiatives personnelles559.
En constatant que la societe quebecoise tolere les grandes fortunes privees, on
comprend qu'elle tolere le droit de faire de l'argent et d'accumuler des profits,
559 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 26.
239
tant que ces profits ne constituent pas une exploitation d'autrui560 dans un
contexte d'inegalite. II devient d'autant plus difficile, devant cette constatation,
d'accepter les theses pronant un controle de l'egalite contractuelle basee sur le
principe de juste prix561. En plus d'etre difficile d'application pratique, une telle
theorie ne favorise pas la creation de richesses car, comme le souligne un auteur
frangais : « si ne sont transferes dans le contrat que des choses d'egales valeurs, il
n'y a pas de profit possible, (...). [I]l n'est de valeur que subjective; et c'est
justement le fait que deux personnes n'accordent pas le meme prix a une meme
chose qui est createur de richesses dans l'echange. »
De plus, nous l'avons mentionne une egalite contractuelle evaluee selon le
principe du juste prix n'expliquerait pas pourquoi sciemment une personne peut
conclure un contrat qui la desavantage financierement, par exemple lors d'une
vente entre membres d'une meme famille ou une des parties vend sciemment et
consciemment son bien en de<;a de sa valeur marchande. Si la validite d'un
contrat devait se fonder sur la theorie du juste prix, comment un tel contrat
pourrait-il etre considere valable ? Devant une telle situation, les tenants de la
theorie du juste prix justifient la validite d'une telle convention en expliquant
qu'elle se situe en marge des regies usuelles du contrat vu les liens unissant les
parties. Nous croyons au contraire que comme les contrats de donation, ce type
560 En effet, meme si, suite a des negotiations a caractere politique, la lesion entre majeurs n'est pas constitutive d'un vice de consentement, nous croyons qu'une telle exploitation pourrait etre combattue en vertu des principes de bonne foi, non pas sur la base de la valeur des biens, mais sur l'absence de possibility reelle de gestion libre de ses droits et interets qu'une telle exploitation demontrerait.
561 Voir notamment a ce sujet la these de doctorat de la professeure Charpentier: Charpentier, supra note 209.
562 Stoffel-Munck, Imprevision, supra note 86 a la p. 50
240
de transactions peut etre parfaitement valide s'il a ete librement conclu selon ces
modalites de renonciation aux profits. Cela demontre bien que Felement
fondamental du libre exercice de ses prerogatives prime la quantite de biens
faisant l'objet de la transaction, en n'oubliant pas cependant que cette liberte
implique l'egalite des parties contractantes.
Par ailleurs, malgre l'article 1405 C.c.Q. qui ne reconnait pas la lesion entre
majeurs comme vice de consentement, une telle recherche de profits devrait etre
sanctionnee si elle constituait une negation deraisonnable des interets d'autrui,
notamment par une exploitation de celui-ci dans un contexte ou il ne pouvait de
facto assurer librement la saine gestion de ses interets. La soumission a la volonte
d'autrui devrait entrainer un devoir de controle des profits afin que ceux-ci
demeurent raisonnables selon les standards sociaux. En effet, si dans un contexte
de soumission nous acceptons qu'une partie puisse exploiter 1'autre, nous sortons
du cadre de la situation optimale d'equilibre et nuisons ainsi au principe de
1'epanouissement social par la recherche d'un epanouissement personnel. Nous
ne pouvons accepter qu'une personne s'enrichisse impunement au detriment
d'autrui. Comme tout autre exercice d'un droit, elle doit le faire a l'interieur de la
zone d'equilibre social qui vient circonscrire, au nom du principe de la
coexistence des droits et interets, son droit aux profits. En ce sens, la lesion ne
sera pas sanctionnee parce qu'elle constitue un defaut d'egalite des prestations
mais bien parce qu'elle sera la resultante de l'injustice commise par la situation
d'hegemonie d'une partie sur l'autre. Ce n'est pas la valeur economique que l'on
sanctionne mais la preuve, par la lesion, de l'exploitation d'une partie par
241
l'autre . D'ailleurs, plusieurs pays ont adopte ce concept sous le vocable de
lesion qualifiee564.
L'absence de reconnaissance du principe de la lesion entre majeurs peut
certainement s'expliquer par un attachement non avoue a la theorie de
l'autonomie de la volonte, qui ne peut plus cadrer avec la volonte de justice
contractuelle codifiee au Code civil du Quebec. On reconnait dans cette absence
de reconnaissance le principe de valeur subjective des prestations relie a la
presomption irrefragable de justice dans les rapports contractuels : « [t]oute
obligation pour etre juste doit etre librement consentie; toute obligation librement
consentie est juste »565. Ainsi sera de valeur equivalente la prestation consentie, a
la condition qu'elle soit effectivement librement consentie. En ce sens, la lesion
563 Voir d'ailleurs a ce sujet un developpement semblable dans Georges Ripert, Morale, supra note 398 aux nos 61 a 73, et notamment au no. 70, ou il ecrit: « La lesion change alors de caractere. Elle apparait comme 1'injustice commise par l'abus du contrat. Le resultat montre la deloyaute de la lutte entre les contractants. L'inegalite des prestations n'est pas la cause de la nullite du contrat, mais la preuve qu'il existe une autre cause de nullite: l'exploitation de l'un des contractants par l'autre. »
564 Le concept de lesion qualifiee est bien developpe dans certains systemes juridiques etrangers, meme si, dans certains cas et a l'instar du Quebec, la legislation formelle ne reconnaissait que certains cas lesions specifiques expressement prevus par le legislateur. Ainsi, par exemple en est-il du droit pretorien beige, ce qui permet notamment a un auteur beige de definir ainsi la lesion qualifiee:
« La lesion qualifiee differe de cette lesion, dite simple, en ce que, outre pareille disporportion entre les engagements reciproques, qui suffit pour caracteriser la lesion simple, elle exige que ce desequilibre trouve sa source dans le comportement illicite de celui qui en tire profit, notamment dans l'exploitation de l'inferiorite de son cocontractant. La lesion qualifiee se distingue du dol parce qu'elle ne requiert pas de manoeuvres ayant pour objet d'induire le cocontractant en erreur sur la valeur respective des engagements. »
A. Bersaques, « La lesion qualifiee et sa sanction », Revue critique de jurisprudence beige 1977.10 a la p. 12. Voir aussi d'autres developpements sur la lesion qualifiee dans Andre de Bersaques, « L'oeuvre pretorienne de la jurisprudence en matiere de lesion » dans Melanges en I'honneur de Jean Dabin, t. 2, Paris, Sirey, 1963, 487; Lluelles et Moore, supra note 20 aux nos 906-908; Popovici, Mandat, supra note 215 aux pp. 353-355, n. 554.
565 Gounot, supra note 35 a la p. 61.
242
reconnue ne peut se concevoir que comme le resultat d'un vice de
consentement566. Mais dans un contexte ou le legislateur delegue aux juges un
pouvoir d'examen de la commutativite contractuelle fondee sur des criteres
objectifs, ce maintien de principes subjectifs d'analyse apparait comme une
incoherence et se doit d'etre modifie.
3.4.3. Le role de 1'interet dans le droit subjectif.
Nous avons mentionne que la commutativite objective a pour mission d'assurer
que chacun soit maitre d'agir pour assurer la meilleure sauvegarde de ses interets
dans une libre concurrence. II est presume que cette libre concurrence permettra
un meilleur epanouissement personnel et ainsi un meilleur developpement social.
Est-ce a dire que le droit subjectif est essentiellement constitue « d'un interet
juridiquement protege » comme l'affirme une certaine doctrine ? Le plus celebre
auteur parmi celle-ci, Rudolph von Jhering, entendait combattre, avec cette
definition, les theories essentiellement allemandes affirmant que le droit subjectif
567
devait se concevoir comme la materialisation du pouvoir de la volonte . Pour
arriver a ces fins, il insiste sur la critique des theories du pouvoir de la volonte
constatant que meme les personnes depourvues de volonte reelle ou juridique, tels
566 Berthiau, supra note 290 au no. 742. 567 Voir les exposes sur les theories du pouvoir de volonte dans Dabin, Droit subjectif, supra note
408 a la p. 56 et s. et Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 189.
243
que les nourrissons ou les incapables, peuvent neanmoins etre titulaires de droits f/TQ
subjectifs, et meme d'une capacite patrimoniale . Cette critique l'amene a
conclure que le droit subjectif ne peut se definir comme l'exercice d'un pouvoir
de volonte. D'ailleurs, il appuie sa critique en soumettant que si le droit se
limitait a l'exercice d'un pouvoir de volonte, on gouterait, comme ultimes, toutes
les joies que procure, en soi, cet exercice de volonte. Ainsi, nous devrions §tre
pleinement satisfaits par le simple exercice du pouvoir d'avoir constitue une
hypotheque ou d'avoir cede un droit d'action569.
Clairement cette vision des choses ne correspond pas a la realite et le plaisir d'un
droit vient plutot de l'avantage, de l'interet qu'il procure. En plus, les enfants et
les incapables peuvent eux aussi jouir d'un tel interet. Jhering conclut done que le
droit subjectif doit plutot se concevoir non pas comme la capacite a vouloir mais
bien la capacite a profiter570. En d'autres termes, l'utilite, plutot que la volonte,
est la substance du droit571. Pour Jhering, deux elements constituent le principe
du droit et sont a la base de sa celebre definition du droit a titre « d'interets
juridiquement proteges »572. Jhering qualifie le premier element de substantiel,
puisqu'il consiste en le but pratique du droit. Ce premier element se congoit
comme « l'utilite, l'avantage, le gain assure par le droit» . Pour Jhering, tout
droit subjectif « existe pour assurer a l'homme un avantage quelconque, pour *
venir en aide a ses besoins, pour sauvegarder ses interets, et concourir a
568 Jhering, supra note 117 a la p. 321 et s. 569 Ibid. 570 Ibid, a la p. 325. 571 Ibid, a la p. 327. 572 Ibid, aux pp. 328 et 339. 573 Ibid, a la p. 328.
244
l'accomplissement des buts de sa vie. »574 Le deuxieme element est qualifie,
quant a lui, de formel. II consiste en la protection juridique, Taction en justice .
Sans cette protection juridique, l'interet est fragile et peut a tout moment etre
renverse ou ebranle. Cet interet ne peut acquerir sa stabilite et ainsi etre
formellement respecte d'autrui que lorsque sa protection juridique est assuree.
On voit done rapidement que la volonte ne constitue pas pour Jhering un element
essentiel du droit subjectif. Comme il le mentionne lui-meme : « [j]ouir d'un
• 576
droit sans en disposer peut se concevoir; disposer sans jouir est impossible. »
Est-ce a dire qu'il a pu ecarter completement la notion de volonte du droit cn-j
subjectif ? Meme s'il reitere que la volonte demeure soumise a la jouissance ,
Jhering ne peut ecarter completement la volonte dans sa conception du droit
subjectif. Ainsi, il reconnait que « partout ou la loi n'a pas strictement et
definitivement regie la maniere dont le droit doit servir au sujet, c'est la volonte
qui assigne au droit cette direction, c'est elle qui le fait servir a tels besoins et a
tels buts de tel sujet determine. » En d'autres termes, chaque fois que la loi
accorde une part de libre arbitre dans l'exercice d'un droit, la volonte du sujet
constitue un element du droit subjectif. Mais Jhering insiste sur le fait que cette
volonte s'exerce dans l'interet, l'avantage de son titulaire, puisque c'est cet interet
qui constitue l'element fondamental du droit subjectif. C'est pour cette raison que
peu importe que Taction soit exercee par le titulaire lui-meme ou par une 574 Ibid. 575 Ibid, a la p. 328 ets. 576 Ibid, a la p. 338. 577 Ibid, aux pp. 337-338. ™ Ibid, a la p. 338.
245
personne qui le represente, cette action est toujours intentee au nom du titulaire et
a son profit579.
La theorie de Jhering a essuye nombre de critiques. Une premiere de celles-ci
s'interroge a savoir comment l'element de forme que constitue Taction judiciaire
peut effectuer un changement de substance d'un interet de fait a un droit subjectif.
Comme le mentionne Jean Dabin, l'interet ne devient pas un droit parce qu'il est
protege. Le droit est au contraire protege parce qu'il est en premier lieu reconnu
comme tel. Ce n'est qu'une fois qu'il est considere comme un droit que l'interet
peut beneficier de la protection juridique a titre de droit subjectif580. Reste alors
entiere la problematique de connaitre la nature de ce droit.
Une autre grande critique a la theorie de Jhering est de confondre le but du droit
avec sa nature. Pour plusieurs, on ne peut definir le droit subjectif par son but581.
Ce faisant, on utilise une analyse teleologique qui malheureusement serait
inefficace pour saisir 1'essence de la notion de droit subjectif.
Pourtant, la these de Jhering sur les droits subjectifs a titre d'interets
juridiquement proteges est probablement une des plus populaires. Ce succes est
certainement du au fait que bien qu'insuffisante, cette these comporte un aspect
qu'il est difficile de nier : le droit subjectif a effectivement pour but de procurer
579 Ibid, a la p. 340. 580 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 69; Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au
no. 190; Ost, supra note 34 a la p. 28. 581 Voir notamment, Dabin, ibid.; Ghestin et Goubeaux, ibid.
246
un avantage juridiquement protege a son titulaire et de lui en assurer le libre
CO-} . exercice . L'interet du sujet est effectivement la raison d'etre du droit
coo
subjectif . Le titulaire jouit de son droit a son profit, sans aucune autre
obligation envers autrui dans cette zone exclusive de prerogative individuelle. II
est d'ailleurs interessant de mentionner que deja le droit romain, dans sa
clairvoyance caracteristique, concevait le droit subjectif comme une prerogative
« d'agir d'une personne individuelle ou collective en vue de realiser un interet
dans les limites de la loi. » Le lien entre droit subjectif et interet ne date pas
d'hier.
Est-ce a dire que l'interet n'est qu'une composante du droit subjectif et ne jouit
d'aucune existence autonome ? Si tel etait le cas, nous n'aurions plus alors a nous
preoccuper de l'interet d'autrui dans une analyse de la commutativite mais que de
la balance des droits subjectifs de chacun des intervenants. Or, a sa face meme,
on constate qu'une telle proposition ne correspond pas a la realite juridique
quotidienne. Tant le Code civil que la jurisprudence sont truffes d'exemples ou
on module l'exercice d'un droit subjectif en fonction de l'interet d'autrui. Ainsi,
par exemple, le Code civil prevoit que les decisions qui concernent un enfant
doivent etre prises dans son interet. On sait, par exemple, que lors de
l'homologation d'une convention de separation conclue entre les parents, le juge
verifiera si cette convention respecte le principe de l'interet de l'enfant et la
582 Del Vecchio, supra note 125 aux pp. 331-332. 583 Gervais, supra note 125 notamment a la p. 243; Ionescu, supra note 222 notamment a la p. 48;
Ost, supra note 34 a la p. 27. 584 Ionescu, ibid, aux pp. 23-24.
247
modifiera au besoin. Cet interet prime done sur le respect integral de la r n r
convention meme librement conclue . De meme, si le Code civil prevoit que r o /
chacun a droit au respect de sa reputation et de sa vie privee , ce meme code
prevoit qu'une personne peut constituer un dossier sur une autre personne, ce qui
clairement contrevient au principe du respect de la vie privee, si elle possede « un
interet serieux et legitime de le faire »587. On comprend de ces exemples que par
les avantages qu'il consacre, l'interet d'autrui peut limiter l'assiette d'exercice du
droit subjectif. Comme nous le verrons plus amplement ci-apres, dans un conflit
entre un droit subjectif et un interet legitime, il faudra adopter une solution
raisonnable permettant une coexistence de ces deux interets proteges.
Certains pourraient argumenter que ces deux exemples etant issus d'interets
expressement prevus par la loi, on ne peut parler d'un role general de regulation
pour la notion d'interet. Pourtant, une simple analyse de la jurisprudence permet
de constater que l'exercice d'un droit subjectif est souvent limite si cet exercice
resulte en un mepris « anormal », « deraisonnable » ou « abusif» des interets
d'autrui588, meme lorsque ces interets ne sont pas d'origine legislative. Nous
589
avons deja discute de l'arret Banque nationale du Canada c. Houle , dans lequel
la Cour supreme du Canada reproche a la Banque d'avoir agi de fagon
deraisonnable dans le rappel de son pret pour ne pas avoir offert a la debitrice un
585 Article 822.2 C.p.c. Voir aussi notamment l'arret Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670 [Willick], dans lequel la majorite affirme que les tribunaux ne sont pas li6s par une convention entre des epoux en ce qui concerne les interets des enfants.
586 Articles 35-36 C.c.Q. 587 Article 37 C.c.Q. 588 Voir notamment au sujet de cette fonction de l'interet: Ost, supra note 34 aux pp. 179-180. 589 Supra note 11.
248
preavis raisonnable et cela, meme si la Banque etait effectivement en droit de
rappeler son pret en vertu des dispositions contractuelles. La Cour juge qu'en
agissant ainsi, au mepris des interets de sa debitrice, la Banque a commis un abus
de droit, qui doit etre sanctionne. Or, contrairement a l'interet de l'enfant, une
telle obligation d'accorder un delai raisonnable ne se trouve nullement legiferee.
Pourtant, elle peut limiter, en certaines circonstances, l'exercice d'un droit
subjectif au nom d'un respect elementaire des interets d'autrui. Par cette
limitation, le droit pretorien veille a assurer la coexistence paisible des interets
1 legitimes de chacun. En ce sens, une situation de commutativite deraisonnable
dans un contexte d'inegalite rend legitimes certains interets, qui autrement
n'auraient pas beneficie d'une telle protection judiciaire.
A l'exception des interets specifiquement proteges par la loi, c'est le devoir cree
par le principe de coexistence paisible des droits et interets qui protegera certains
interets ne beneficiant pas du statut de droits subjectifs ou d'interets proteges per
se. Une inegalite des parties sera propice a la mise en ceuvre de ce devoir dont
l'intensite variera par ailleurs selon le degre de soumission de l'autre partie, ou si
l'on prefere, du type de droit implique et de la situation factuelle precise. En
d'autres termes, on ne peut deraisonnablement nuire aux interets d'autrui devenus
legitimes par la situation factuelle des parties.
249
L'arret Banque nationale du Canada c. Soucisse590 est un autre exemple de
protection d'interets engendree par l'inegalite des parties. Dans cette affaire, ou la
Cour reproche a la Banque d'avoir cache aux heritiers d'une caution decedee
l'aspect revocable du cautionnement en question, le juge Beetz s'exprime ainsi:
« [l]a Banque ne pouvait surtout pas se permettre de reveler ce qu'il etait a son
avantage de reveler et de taire ce qu'il etait dans son interet de cacher. » En
d'autres termes, la Cour reproche a la Banque d'avoir exerce ses droits sans se
preoccuper des interets de ses cocontractantes. La commutativite qui en a resulte
etait injuste. La Cour oppose consequemment une fin de non-recevoir au recours
de la Banque a l'egard des heritiers pour toutes les sommes pretees apres la mort
de la caution.
On voit done encore une fois le role de regulateur de l'interet meme a l'egard d'un
droit subjectif. L'interet exerce une fonction de limitation de l'exercice du droit
subjectif591. Cette fonction lui assure une protection judiciaire et est en directe
correlation avec la vulnerabilite respective des parties. Dans l'arret Soucisse n'eut
ete de cette vulnerabilite, les interets des heritiers n'auraient pu beneficier d'une
telle protection active. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce ne sont que les
sommes pretees depuis la mort de la caution qui ont fait l'objet de la fin de non-
recevoir et ainsi, n'ont pu etre recuperees par la Banque. En ce qui concerne les
sommes pretees avant sa mort, la Caution pouvait, et meme devait, veiller
adequatement a ses interets. La fin de non-recevoir aurait ete, dans un tel
590 Supra note 10. 591 Pour plus de details sur la fonction limitative de l'interet, voir notamment Tribes, supra note
281 a la p. 130 ets.
250
contexte, incoherente parce que rien ne justifiait que la Banque se fasse imposer
une telle obligation de protection des interets de la caution. Meme une banque n'a
pas l'obligation generale de procurer un avantage a autrui.
L'ensemble de ces exemples demontrent bien que meme si l'interet personnel est
l'essence meme des droits subjectifs, cette notion s'en distingue aisement
puisqu'elle limite aussi l'exercice des droits subjectifs. En ce sens, l'interet agit a
la fois comme base et mesure des droits592. Mais alors, comment peut-on definir
l'interet ? La plupart des auteurs ayant etudie cette notion ont renonce a la definir
precisement soulignant que son caractere imprecis etait justement essentiel a son
efficacite en droit positif593. On parle de consideration, d'avantage, d'attirance,
d'utilite594. L'interet viserait la satisfaction de besoins, l'obtention d'avantages ou
la reduction d'inconvenients595. Comme le souligne Annick Tribes, dont la these
portait sur la notion d'interet, « [l]'interet est tout a la fois une directive exprimant
une valeur, une politique (protection de l'enfant, du majeur aliene, de 1'absent) et
une condition de la competence et de l'application d'une norme. »596 Toute la
construction theorique de cette these, basee sur le principe de la saine coexistence
des droits et interets, s'inscrit parfaitement dans cette definition. On valorise
l'interet personnel dans l'exercice des prerogatives tout en limitant, en certaines
circonstances, l'assiette d'exercice de ces memes prerogatives au nom de l'interet
592 Josserand, supra note 123 au no. 34. 593 Ost, supra note 34 aux pp. 11-12. 594 Gervais, supra note 125 a la p. 241. 595 Ibid. 596 Tribes, supra note 281 a la p. XII [le soulignement apparait au texte original].
251
legitime d'autrui, tel que revele par la regie generale de ne pas nuire indument a
autrui.
Une telle generalite de definition est conforme aux definitions des notions floues
introduites dans notre droit pour faire appel, dans Papplication des regies de droit
strides, au sens commun, du moins celui des juges. La notion floue d'interet n'y
echappe pas597. Au nom de la notion generale d'interet, on autorise le juge a
intervenir et garantir la protection de certains principes juges importants. Par sa
capacite d'adaptation, la notion floue d'interet peut etre modulee en fonction des
faits en l'espece. Ainsi, par exemple, une situation d'inegalite dans la capacite a
veiller a ses interets permettra d'imposer a une partie des comportements
specifiques favorisant les interets de 1'autre partie en modifiant d'autant les
frontieres d'exercice des prerogatives de la partie avantagee. Ce respect des
interets d'autrui" doit primer sur l'absolutisme des droits subjectifs.
L'absence de definition precise de l'interet permet aussi a cette notion d'evoluer
dans le temps au reflet des valeurs sociales. Parce qu'il s'agit d'une expression
neutre, elle demeure au sein de la science juridique malgre le passage du temps et
seul son contenu est appele a changer598. Cela permet d'autant plus au juge de
pouvoir adapter les lois aux changements de mceurs au sein de la societe.
597 Ibid, a la p. IX. 598 Ibid, a la p. X.
252
Puisque la notion d'interet doit etre distinguee de la notion de droit subjectif mais
qu'elle en compose par ailleurs l'essence, il peut paraitre difficile de situer
respectivement ces deux notions. Force est de constater que si tout interet ne
constitue pas un droit subjectif comme tel, en revanche, la reconnaissance d'un tel
droit suppose un interet599. Le droit apparait ainsi comme un interet beneficiant
d'une protection plus complete que le seul interet legitime ou que l'interet qui ne
beneficie pas d'une telle protection (comme le serait par exemple celui d'un
commer9ant a ne pas avoir de concurrent dans son secteur.) II semble done que
l'on puisse effectuer un classement hierarchique des types d'interets. A ce sujet,
nous croyons que la classification la plus interessante provient des professeurs
europeens Frangois Ost600 et Andre Gervais601.
En qualifiant la relation de l'interet et de la notion de droit subjectif d'impossible
partage, le professeur Ost situe l'interet et le droit subjectif dans un continuum a
deux poles . Un tel
continuum implique que l'on reconnaisse plusieurs types
d'interet dont la protection et la consecration judiciaires varient pour chacun. A
une extremite, se trouvent les interets illicites, dont la satisfaction est interdite et
qui sont consequemment frappes de condamnation penale ou civile . Un
peu
plus au centre de cette echelle, on retrouve les interets purs et simples, que l'on
peut aussi qualifier d' « indifferents » puisque l'ordre juridique est indifferent a la 599 Gervais, supra note 125 a la p. 243; Popovici, « Mariage», supra note 122 a la p. 71, n. 57. 600 Ost, supra note 34. 601 Gervais, supra note 125 aux pp. 243-244; 602 Ost, supra note 34 aux pp. 36-37. 603 Ibid.
253
satisfaction de ces interets qui ne font l'objet d'aucune consecration judiciaire
positive ou meme negative.
Ensuite, on retrouve les interets legitimes, qui sans beneficier du qualificatif de
droit subjectif, sont reconnus et proteges par l'ordre juridique, essentiellement
pour empecher une autre personne d'y porter atteinte604. D'une fagon claire, on
peut penser que les interets de l'enfant font partie de cette categorie. En effet,
l'interet de l'enfant peut difficilement se qualifier de droit subjectif, puisqu'il est
difficile d'y voir une prerogative exclusive d'action, mais clairement cet interet
regoit une protection judiciaire et s'impose tant aux juges qu'aux personnes qui
prennent des decisions qui concerne l'enfant. De meme, en se basant sur la theorie
illustree dans cette these, nous pouvons affirmer que cette categorie inclut aussi
les interets raisonnables d'une partie desavantagee dans sa capacite a veiller a ses
interets.
Finalement, a la derniere extremite de ce continuum se trouve le droit subjectif,
qui lui beneficie de la protection juridique maximale, tant en ce qui concerne sa
protection en cas de contravention, qu'en ce qui concerne son execution active605.
Cette possibility d'execution inclut un pouvoir d'exiger une conduite
particuliere606. En general, le droit subjectif aura la particularite de proteger une
prerogative opposable a tous tandis que l'interet seulement legitime ne sera
604 Gervais, supra note 125 a la p. 243. 605 Ibid, a la p. 244; Ost, supra note 34 aux pp. 36-38. 606 Ost, Ibid.
254
opposable qu'a des personnes determinees, impliquees a la relation
obligationnelle ou visees par la loi.
Cette discrimination des interets en fonction du degre de reconnaissance sociale
permet de constater qu'il existe deux types d'interets beneficiant d'une protection
socialement organisee et obligeant par le fait meme d'autres personnes a les
respecter: les interets legitimes et les droits subjectifs. Cette constatation en soi
fait apparaitre l'insuffisance de la theorie de Jhering sur la notion de droit
subjectif a titre « d'interet juridiquement protege »607. L'objet de cette these nous
amene aussi a s'interroger, devant cette dualite, sur les possibles conflits entre
l'exercice d'un droit subjectif et les interets legitimes de son cocontractant. Nous
l'avons deja exprime, a notre avis, une situation d'inegalite engendra la
qualification d'interets legitimes proteges pour certains interets des
cocontractants. Ces interets seront necessairement en conflit avec l'exercice du
droit subjectif de l'autre partie. Or, en vertu de la hierarchie proposee des interets,
il est necessaire de se demander comment pourra se resoudre un tel conflit.
L'exercice du droit subjectif primera-t-il de tels interets et de quelle fagon ?
Quant on pense aux exemples precedemment donnes des arrets Houle et Soucisse,
il apparait clair que dans le cadre d'un conflit entre un droit subjectif et un interet
legitime, les juges tentent de concilier les deux types d'interets proteges. Mais au-
dela de cette constatation, est-il possible d'exposer une synthese theorique de la
methode de resolution de ce type de conflits. A cette question, il est interessant
607 Voir a ce sujet, Gervais, supra note 125 a la p. 244.
255
d'examiner la solution theorique proposee par le professeur frangais Andre
/TAO
Gervais puisqu'elle correspond aux grands principes dictes par la coexistence
paisible des droits et interets et examines dans cette these. Elle explique aussi
aisement les solutions proposees par les arrets ci-haut mentionnes.
Pour cet auteur, en presence d'un conflit entre deux interets juridiquement
proteges, l'interet le plus eleve dans la hierarchie doit l'emporter sur l'interet qui
lui est hierarchiquement inferieur. Nous soumettons done que dans le cas d'un
conflit entre un droit subjectif et un interet legitime, on peut penser que, sauf dans
les cas ou la loi modifierait expressement le rapport hierarchique avec pour
consequence de transformer le droit subjectif en un pouvoir609, l'interet legitime
devrait ceder le pas au droit subjectif. Cependant, comme le mentionne le
professeur Gervais, puisque l'interet legitime est aussi protege, bien
qu'hierarchiquement inferieur, il s'imposera tout de meme au titulaire du droit
subjectif qui devra en tenir compte. Cette reconnaissance pourra prendre la forme
d'une satisfaction « par equivalent» ou « par nature » de l'interet inferieur et
consistera ainsi en une indemnite ou une limitation dans l'assiette de realisation de
l'interet superieur610.
En se basant sur cette solution, nous pouvons affirmer que le defaut de
reconnaissance de l'interet legitime par le titulaire du droit subjectif constituera un
608 Ibid, aux pp. 249-250. 609 On peut penser par exemple a l'interet de l'enfant impose a toute personne devant prendre des
decisions concernant l'enfant (art. 33 C.c.Q.) ou celui de l'interet du beneficiaire exige de l'administrateur des biens d'autrui (art. 1309 C.c.Q.).
610 Gervais, supra note 125 aux pp. 249-250.
256
exercice socialement inacceptable d'un droit qui devra etre compense. Ainsi, on
reconnaitra a un preteur d'un pret remboursable sur demande le droit a un tel
rappel unilateral mais en lui imposant une exigence de preavis raisonnable611 afin
de laisser au debiteur la possibility d'agir pour proteger certains de ses interets
devant une telle capacite du creancier. L'interet du debiteur s'avere ici normatif
et circonscrit la prerogative du creancier. II objectivise la commutativite des
parties; en d'autres termes, il la rend plus socialement acceptable. Le defaut pour
le creancier de respecter cette norme sera consideree comme un exercice
deraisonnable de son droit et permettra au debiteur de proceder a une reclamation
pour les dommages causes. Dans le meme esprit, un employeur peut, sauf
exceptions, congedier sans motifs graves un employe beneficiant d'un contrat de
travail a duree indeterminee mais en lui offrant aussi un preavis raisonnable ou
• f\ 19 une indemnite equivalente .
La reconnaissance d'une telle structure hierarchique est un element important.
Elle nous permet d'affirmer que le droit prive reconnait une certaine verticalite
des rapports de force et permet que la hierarchie de leurs interets soit exercee de
c n
maniere correlative . Cette verticalite pourra resulter de la nature des relations
juridiques entretenues par les parties, de la structure des contrats ou meme des
inegalites factuelles personnelles aux parties, telles que les capacites
intellectuelles, techniques ou financieres a tous les stades de la vie contractuelle.
Cependant, malgre cette reconnaissance, le droit prive eprouve un malaise devant 611 Voir notamment Houle, supra note 11. 612 Article 2091 C.c.Q. 613 Revet, supra note 259 au no. 16.
257
une situation qui risque de compromettre la coexistence paisible des droits et
interets en avantageant systematiquement les parties les plus puissantes au
detriment des plus faibles. Elle permet done aux parties puissantes de favoriser
leurs interets mais les limite du meme souffle par l'imposition d'un devoir de ne
pas nuire a certains interets de l'autre partie. Ainsi, par exemple, la partie en
position de force peut faire un profit au detriment de la partie desavantagee mais
doit veiller a exercer ce droit d'une maniere qui ne mettre pas en peril la
pertinence du contrat pour celle-ci614.
Cette solution basee sur la hierarchie des interets nous permet encore une fois de
constater que la justice contractuelle ne peut s'exprimer par une commutativite
fondee sur l'egalite des prestations ou des valeurs economiques de celles-ci. Le
detenteur d'un interet reconnu, en fait ou en droit, hierarchiquement superieur
devrait pouvoir tirer profits du contrat, si ces profits sont socialement
raisonnables615, en ce qu'ils respectent la saine coexistence des droits et interets
dans la maniere dont ils ont ete obtenus. C'est pour cette raison que la
commutativite doit etre deraisonnable pour que le juge puisse intervenir a la
relation contractuelle. L'interet que procure un contrat a chacune des parties n'a
done pas a etre identique ou egal et une partie ne peut etre sanctionnee pour cette
unique raison. C'est plutot a notre avis la maniere dont le profit est recherche616,
614 Ibid. Voir d'ailleurs, pour une illustration de ce principe, l'arret Provigo distribution inc. c. Supermarche A.R.G., [1998] R.J.Q. 47 (C.A.) aux pp. 58-59 ou la Cour d'appel a reconnu qu'un franchiseur pouvait imposer des conditions l'avantageant mais a la condition qu'il agisse de maniere a maintenir la pertinence du contrat pour le franchise [Provigo],
615 Revet, ibid. 616 Philippe Stoffel-Munck, L 'abus dans le contrat, essai d'une theorie, coll. Bibliotheque de droit
prive, t. 337, Paris, Librairie generale de droit et de jurisprudence, 2000 au no. 107 [Stoffel-
258
dans un contexte d'inegalite exploitee deraisonnablement par la partie avantagee,
qui devrait entrainer la possibility d'une intervention judiciaire, et ce, malgre les
dispositions specifiques sur la lesion entre majeurs617. C'est l'irrespect du principe
de la saine coexistence des droits et interets qui est alors sanctionne et il apparait
incoherent que cette regie fasse l'objet d'une exception lorsque cette
contravention entraine des consequences quant au prix.
En conclusion, l'interet joue done un role reel et important au sein de la
commutativite d'une relation contractuelle. II se veut en quelque sorte « berger »
des prerogatives exercees par les parties. II se presente a la fois comme le
protecteur de la philosophie liberate et le guide dans l'exercice des droits et
libertes. II est done essentiel qu'il regoive sa juste reconnaissance. A ce titre, un
auteur resume assez bien 1'importance de l'interet en matiere contractuelle :
«( . . . ) chaque partie cherche a maximiser ses gains.
Paradoxalement, l'equilibre nait d'une recherche mutuelle de
desequilibre. Le contrat est une union entre deux personnes qui
doit permettre la satisfaction reciproque de deux interets. Respecter
l'interet d'autrui dans le contrat, c'est faire en sorte qu'il puisse
aboutir a cette satisfaction reciproque d'interets antagonistes. II
faut qu'un equilibre soit realise dans la satisfaction des deux
interets, sans que l'un des interets soit plus satisfait que l'autre, sans
que l'un soit satisfait au detriment de l'autre. En disant que chaque
partie doit respecter l'interet de l'autre partie, dit-on vraiment autre
Munck, A bus]. On peut d'ailleurs citer ici le doyen Georges Ripert qui s'exprimait ainsi en ce qui concerne le profit: « ce qui est defendu par la morale ce n'est pas de s'enrichir aux ddpens d'autrui, c'est de s'enrichir injustement», [les italiques apparaissent au texte original] Ripert, Morale, supra note 398 au no. 147.
617 Articles 1405-1406 C.c.Q.
259
chose que les interets des parties s'auto-limitent ou s'equilibrent
reciproquement. »618
i
3.5. Conclusions cohcernant la commutativite objective et les droits subjectifs
Nous l'avions annonce, cette section sur les notions de droit subjectif et d'interet
se voulait a la fois un prolongement et une demonstration de la demarche que
nous proposons en faveur d'une plus grande justice contractuelle par l'application
du principe de la coexistence paisible des droits et interets. Les droits subjectifs
peuvent etre consideres comme un element central de la majorite des relations
contractuelles. En effet, le contrat vise le plus souvent la creation ou le transfert
de droits subjectifs. Par l'interet qu'il protege, le droit subjectif est tres
certainement une des premieres sources de motivation a conclure un contrat.
Puisque le droit subjectif s'avere un element fondamental de la theorie
contractuelle du droit prive quebecois, il est interessant de constater que ses
principales caracteristiques soutiennent notre proposition de commutativite
contractuelle objective. On y retrouve premierement l'assise contractuelle de
liberte. Le droit subjectif est communement congu comme une zone de
prerogative exclusive. Seul le titulaire peut exercer cette prerogative et a cette
exclusivite est done rattachee la responsabilisation du titulaire dans l'exercice de
celle-la et, le cas echeant, l'obtention de la protection judiciaire appropriee.
618 Mignot, supra note 36 a la p. 2179 [les italiques apparaissent au texte original].
260
Le principe de liberte dans la notion de droit subjectif se manifeste aussi dans les
modalites d'exercice de cette prerogative : l'exercice dans son interet exclusif
sans aucune obligation de procurer un avantage a autrui. La nature meme du droit
subjectif combat ainsi toute obligation generale de fraternite ou solidarite
puisqu'une telle obligation a pour effet de modifier le droit subjectif en pouvoir.
En tant qu'individualisation de la norme objective, le droit subjectif doit respecter
les principes fondamentaux du droit objectif et ne doit pas etre exerce de maniere
a nuire indument a autrui. Ainsi, cette section nous a permis de confirmer
qu'effectivement, aucun droit, meme resultant d'un acte de volonte, ne peut etre
exerce d'une maniere absolue. Toutes les prerogatives, meme contractuelles, sont
limitees par un principe d'exercice socialement raisonnable. Nous avons pu
constater que cette norme de comportement permet de limiter l'assiette d'exercice
d'une prerogative conferee par un droit subjectif en fonction de l'inegalite des
parties dans leur capacite a veiller a leurs interets. Plus l'inegalite sera grande,
plus les interets de l'autre partie seront legitimes et devront etre proteges.
Si la presente section a demontre que la notion de droit subjectif se congoit
comme un exercice socialement raisonnable d'une prerogative et vient done
soutenir le principe d'une commutativite normative objective, certains pourraient
argumenter qu'elle n'a pas par contre permis de demontrer, d'une fagon
suffisamment convaincante, qu'il est parfaitement legitime et meme legal pour le
juge d'intervenir dans la commutativite des parties. C'est done ce que nous
261
comptons faire dans la proehaine section portant sur la notion de bonne foi. Nous
entendons demontrer que celle-ci se presente comme une legitimation
supplemental de 1'intervention judiciaire. Finalement, la proehaine section
constituera aussi une demonstration des effets concrets de l'application d'un
principe de commutativite normative objective.
262
« [P]our arriver a maturite, chaque regie juridique concrete doit subir, dans l'ordre indique, la triple epreuve des mceurs, du juge et du legislateur: c'est seulement quand la regie, consacree par les moeurs, aura ete approuvee par le juge, qu'elle sera mure pour etre adoptee par le legislateur. »619
4. La bonne foi: une legitimation de 1*intervention judiciaire et de la
commutativite objective
Dans ce prochain chapitre, nous etudierons le concept de bonne foi et ses
nombreuses ramifications, tels l'abus de droit et l'obligation d'information. A cet
effet, nous procederons premierement a une definition generale de la bonne foi,
pour deuxiemement etudier ses nombreuses fonctions en matiere contractuelle.
Le but avoue de cette demarche est de demontrer que la notion de bonne foi,
lorsqu'elle utilisee de maniere appropriee en respectant des balises precises, est un
instrument puissant mis a la disposition des juges afin de favoriser une veritable
justice commutative au sein des relations contractuelles. C'est pour les fins de
cette demonstration que la presente section comportera de nombreux exemples
commentes d'applications heureuses et parfois moins heureuses de ce pouvoir
d'intervention judiciaire. Nous esperons que ces exemples permettront de mieux
cerner les balises qu'imposent les assises fondamentales de liberte, d'interet et de
commutativite normative objective. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nos
commentaires cibleront essentiellement ces notions.
619 Georges Cornil, Le droit prive, essai de sociologie juridique simplifiee, Paris, Marcel Giard, 1924 a lap. 67.
263
A ce stade de notre etude, il nous apparait important d'expliquer notre choix de la
notion de bonne foi comme principal instrument de legitimation de 1'intervention >
judiciaire aux relations contractuelles. Plusieurs pourraient questionner ce choix
en se demandant par exemple pourquoi nous avons privilegie la notion de bonne
foi sur celle d'equite. La raison est simple : tel est le choix du legislateur! Avec
la codification claire de la bonne foi comme principe gouvernant le droit prive,
nous sommes d'avis que le legislateur a privilegie la terminologie de bonne foi sur
celle d'equite. Mais, nous tenons cependant a specifier qu'a notre avis, il existe
une grande similitude entre ces deux notions. D'ailleurs, a l'instar de la Cour
supreme dans l'arret Houle, nous croyons que la bonne foi decoule des principes
de justice et d'equite .
II est par ailleurs interessant de noter que ce choix legislatif s'explique peut-etre
par le fait que l'equite contractuelle etait codifiee au Code civil du Bas-Canada
mais que cette codification n'a pu empecher certaines injustices flagrantes
puisqu'elle est essentiellement restee a l'etat de declaration de principe. Ainsi, le
legislateur a du introduire certaines normes legislatives ponctuelles, telles que
celles contenues a la Loi sur la protection du consommateur, pour pallier les
injustices les plus marquantes. Cependant, rien dans ces reformes ponctuelles, ni
dans le concept d'equite tel qu'alors applique, ne permettait de confirmer la
preseance de la justice meme dans l'exercice des prerogatives contractuelles.
620 Houle, supra note 11 a la p. 154 et s. 621 Article 1024 C.c.B.C.: « Les obligations d'lin contrat s'etendent non seulement a ce qui y est
exprime, mais encore a toutes les consequences qui en decoulent, d'apres sa nature, et suivant requite, l'usage ou la loi. »
264
Le legislateur, aux articles 6 et 7 C.c.Q., a rattache la bonne foi a l'exercice
raisonnable d'un droit et, par l'article 1375 C.c.Q., a signifie clairement que ce
precepte s'etendait aussi aux prerogatives liees a la relation contractuelle. Cela
explique, a notre avis, la presence specifique de l'article 1375 C.c.Q. Si le
legislateur s'etait contente des articles 6 et 7 C.c.Q. ou meme du principe d'equite
codifie a l'article 1434 C.c.Q., on aurait pu pretendre qu'il n'avait manifeste
aucune intention de prioriser une commutativite objective au sein de la relation
contractuelle. Or, avec Particle 1375 C.c.Q., le legislateur a confirme que meme
les prerogatives contractuelles doivent etre exercees de maniere socialement
raisonnable de maniere a ne pas nuire indument a autrui. C'est du moins ce que
nous tenterons de demontrer dans la presente section.
4.1 La definition de la bonne foi.
Le Code civil du Quebec regorge de references aux « exigences de la bonne foi ».
Ainsi, s'il est generalement prevu que «toute personne est tenue d'exercer ses
droits civils selon les exigences de la bonne foi »622 et que «la bonne foi doit
gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation
qu'a celui de son execution ou de son extinction »623, ce concept de bonne foi est
aussi utilise pour definir notamment la notion de clause abusive dans un contrat de
622 Art. 6 C.c.Q. 623 Art. 1375 C.c.Q.
265
consommation ou d'adhesion624 ainsi que ce qui est communement appele l'abus
de droit625. Pourtant, malgre ces references martelees au concept de bonne foi, le
legislateur quebecois ne codifie aucune definition de cette notion.
Cette absence de definition precise n'est pas surprenante puisqu'elle est
consequente avec la fonction qui traditionnellement est devolue aux termes
qualifies de « notion floue » ou « standard ». Nous l'avons dit, ces notions,
introduites deliberement par le legislateur, visent a favoriser la flexibilite de la loi.
En effet, le legislateur est conscient que les normes legislatives peuvent parfois
faire preuve d'une trop grande rigidite et, de ce fait, etre dans l'incapacite a
combattre efficacement certaines injustices resultant de l'application litterale de la
loi. Des notions telles que la bonne foi, l'equite ou l'interet de l'enfant
f/yf.
permettent justement aux juges de pallier ces injustices en protegeant certains
interets particuliers, qui autrement ne beneficieraient pas necessairement d'une
telle protection. Ainsi, par exemple, parce que les dispositions relatives aux vices
de consentement lors de la formation du contrat peuvent apparaitre d'application
trop restreinte, provoquant certaines injustices flagrantes dans des cas de deficit
informationnel, les tribunaux ont introduit une obligation de renseignement
permettant, en certaines conditions, de reequilibrer la situation627. Or, ce devoir
d'information decoule directement des devoirs d'equite et de bonne foi que se 624 Art. 1437 C.c.Q. : « La clause abusive d'un contrat de consommation ou d'adhesion est nulle
ou l'obligation qui en decoule, reductible. Est abusive toute clause qui desavantage le consommateur ou Padherent d'une maniere excessive et deraisonnable, allant ainsi a l'encontre de ce qu'exige la bonne foi; ( . . .) ».
625 Art. 7 C.c.Q.: « Aucun droit ne peut etre exerce en vue de nuire a autrui ou d'une maniere excessive et deraisonnable, allant ainsi a l'encontre des exigences de la bonne foi. »
626 Fortier, supra note 383 a la p. 758. 627 Voir notamment les decisions Soucisse, supra note 10 et Bail, supra note 12.
266
doivent mutuellement les parties contractantes. L'affirmation jurisprudentielle
d'un tel devoir d'information a done ete possible grace au caractere flou des
notions de bonne foi et d'equite.
Ces memes notions floues permettent aussi une meilleure adaptation des normes
juridiques selon divers facteurs spatio-temporels, lies notamment a revolution des
mceurs sociales . Ainsi, il est clair que l'idee que l'on se faisait des bonnes
mceurs au debut du 20e siecle ne correspond plus a celle de notre epoque. Or,
justement, la codification de notions floues permet au legislateur d'introduire des
principes de morale dans le droit positif629 et par le fait meme, revolution de la
norme juridique au fil des epoques, sans proceder a un amendement legislatif
formel. En contrepartie, il est clair que ce procede transmet aux instances
judiciaires un veritable pouvoir normatif.
En deleguant aux juges des pouvoirs d'application de ces notions floues, on leur
confere par le fait meme un pouvoir d'interpretation de ces normes legislatives.
Cette premiere constatation n'est ni choquante ni surprenante en soi puisque ce
pouvoir d'interpretation correspond a la conception traditionnelle des pouvoirs
octroyes aux juges dans les systemes de droit civil. Mais, l'usage par le
legislateur d'une notion floue dans un texte legislatif permet concretement aux
instances judiciaires de beneficier de pouvoirs qui vont au-dela de la simple
628 Fortier, supra note 383 a la p. 756; Perelman, « Raisonnable », supra note 481 a la p. 38 et s. 629 Commentaires du Ministre de la justice, supra note 213 5. v. art. 1375; Ghestin, Traite, supra
note 29 au n° 263; Jourdain, « Bonne foi », supra note 270; Ripert, Morale, supra note 398 au n° 162.
267
interpretation traditionnelle de la norme. Force est de constater que le pouvoir
ainsi confere par le legislateur aux juges n'en est plus un de simple interpretation,
mais bien de veritable creation de normes juridiques . Les juges ne font plus que
simplement interpreter les normes juridiques, ils imposent de nouveaux
comportements conformes « a l'equite ou aux exigences de la bonne foi ». Nous
avons deja donne 1'exemple de l'obligation de renseignement mais nous pourrions
aussi parler des devoirs de collaboration ou de loyaute. Par ce pouvoir de creation
de normes juridiques, les juges deviennent dans les faits des acteurs privileges
pour faire evoluer ces normes en fonction des circonstances et de l'evolution des
mentalites sociales, sans une intervention specifique du legislateur.
Bien qu'avantageuse dans bien des cas, une telle demarche n'est
malheureusement pas sans risque. Puisqu'elle implique necessairement une
evaluation individuelle et personnelle du magistrat charge de son application, on
comprend aussi qu'une telle latitude dans Finterpretation/adaptation/creation de la
notion de bonne foi peut creer une certaine confusion, voire un certain arbitraire.
Or, nous l'avons mentionne, il faut, au contraire, que l'on fasse preuve de
coherence dans l'application des regies de droit prive afin de favoriser son dessein
de justice. La coherence du droit prive implique que des cas aux faits semblables
puissent recevoir une sanction semblable, sans egard au juge implique. Or, a
premiere vue, une notion floue comme la bonne foi, risque plutot de favoriser des
630 Voir a ce sujet Fortier, supra note 383 a la p. 757 et s.; Petev, supra note 384 a la p. 831; Rials, supra note 384 & la p. 40.
268
jugements contradictories631. Ainsi, si la notion floue n'est que le reflet des
valeurs propres a chaque juge632, il y a danger important d'incoherence et done
d'arbitraire633.
Ce sont ces critiques qui motivent toute l'analyse effectuee dans cette these. Afin
d'eviter ces dangers d'incoherence, nous avons juge necessaire de tenter
d'identifier ce que nous considerons etre les assises importantes de la relation
contractuelle. A partir de nos constats quant a l'importance des notions d'interet,
de liberte et de responsabilite individuels ainsi que de commutativite normative
objective, nous esperons maintenant justifier une grille d'analyse qui favorisera la
coherence dans l'application concrete de la bonne foi et de ses nombreuses
ramifications. Voyons done comment s'articulent ces assises dans l'application
pratique de la notion floue de bonne foi.
Traditionnellement associee a un comportement aux valeurs morales
irreprochables, la notion de bonne foi s'opposait a celle de mauvaise foi et
impliquait une analyse des intentions, de l'etat d'esprit ou des croyances d'un
individu634. Elle faisait necessairement appel a une intention malveillante ou du
moins un element psychologique negatif, ne serait-ce que la connaissance que l'on
agit sans droit. Cette definition correspond notamment a celle que l'on peut
631 Rials, Ibid, a la p. 48. 632 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 aux pp. 32-33. 633 Pierre-Gabriel Jobin, « Grands pas et faux pas de l'abus de droit contractuel » (1991) 32 C. de
D. 153 a lap. 176 [Jobin, « Grands pas »]. 634 Voir notamment, Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 51 et s.; Lefebvre, « Proteiforme »,
supra note 270; Masse, supra note 270 a la p. 223; Adrian Popovici, « Le sort des honoraires . extrajudiciaires », (2002) 62 R. du B. 53 a la p. 99.
269
rattacher aux termes « bonne foi » ou « mauvaise foi » dans plusieurs articles en
droit des biens qui decrivent les consequences juridiques du statut de possesseur
de « bonne foi » ou de « mauvaise foi »635. On comprend alors que cette bonne
foi semble differente de celle que l'on retrouve aux articles 6, 7 et 1375 et pourrait
se definir comme:
1. absence d'intention malveillante ou sentiment d'agir avec probite ou
loyaute;
2. croyance erronee que l'on respecte ses obligations en raison de la • • • • • 636 mauvaise perception d'un fait ou d'une situation (juridique).
Ainsi, le possesseur de bonne foi est celui qui ignore qu'il agit sans droit alors que
celui de mauvaise foi sait pertinemment qu'il detient un bien sans droit. II en est
notamment ainsi du voleur qui ne peut invoquer a son egard les effets de la
possession d'un bien637. On doit done analyser 1'etat d'esprit du sujet pour retracer
ses veritables intentions et croyances. On lui demande pour se qualifier de
« bonne foi» d'ignorer, sincerement et sans faute ou negligence de sa part,
Pobstacle juridique Cmpechant la pleine reconnaissance de son droit en une
situation donnee638. Cette conception privilegie ainsi une approche passive de la
bonne foi. On n'exige pas du sujet un comportement actif correspondant a des
normes particulieres. On se contente d'examiner son etat d'esprit. II s'agit
essentiellement d'une analyse subjective et la conclusion sera que le sujet ne
635 Voir par exemple les articles 931, 932,958, 959,961, 962, 963 et 964 C.c.Q. 636 Michel Filion, Dictionnaire du Code civil du Quebec, Saint-Nicolas, Associations et
entreprises, 1998 s.v.. « bonne foi ». 637 Art. 927 C.c.Q. 638 Masse, supra note 270 a la p. 223.
270
savait pas et etait de bonne foi ou savait et etait consequemment de mauvaise
foi639.
Mais cette etude de l'etat d'esprit d'un individu peut-elle s'appliquer a la notion
de bonne foi que l'on retrouve aux articles 6, 7 et 1375, qui impliquent un
comportement selon les « exigences de la bonne foi »640 ? Ces exigences sont-
elles aussi passives et subjectives que la definition traditionnelle de la bonne foi ?
Meme si la terminologie employee au Code civil est identique, l'etude de la
doctrine et de la jurisprudence nous permet de conclure que les exigences
comportementales liees a la bonne foi que l'on retrouve aux articles 6,7 et 1375
C.c.Q. ne correspondent pas a celles liees a la definition traditionnelle de la bonne
foi et a la notion de « possesseur de bonne foi ».
Deja, avant la codification de la notion de bonne foi dans le Code civil du Quebec,
la Cour supreme du Canada, dans l'arret Houle c. Banque nationale du Canada641,
a exclu une analyse subjective de l'abus de droit. Elle a specifie que le devoir
d'agir selon les exigences de la bonne foi ne pouvait se limiter a l'analyse d'un
comportement exempt d'intentions malveillantes ou si l'on prefere de « mauvaise
639 D'ailleurs, il est interessant de noter que le professeur Popovici mentionne que le terme « mauvaise foi » devrait idealement etre reserve au manquement a la bonne foi subjective, soit celle obligeant « le juge a verifier l'etat d'esprit du sujet.». Nous ne pouvons qu'etre en accord avec lui. Voir Popovici, « Honoraires », supra note 634 a la p. 100.
640 II faut par ailleurs noter une divergence de texte dans les versions anglaises des articles 6 et 7 C.c.Q., l'article 6 prevoyant l'obligation d'exercer ses droits civils « in good faith » alors que l'article 7 reprend essentiellement l'expression fran?aise de l'exigence de la bonne foi « requirements of good faith ». Pour notre part, malgre la difference de terminologie dans la version anglaise, nous croyons que les exigences comportementales demeurent les memes, que nous utilisions la version anglaise ou fran?aise. D'ailleurs, a notre connaissance, la jurisprudence n'a souleve aucune difference d'interpretation.
641 Supra note 11.
271
foi ». Meme s'il est par ailleurs clair qu'un tel comportement irait a l'encontre de
la bonne foi642, la Cour supreme confirme qu'une analyse purement subjective de
la bonne foi est insuffisante et que d'autres comportements, meme exempts de
malice, pourraient ne pas correspondre aux exigences de la bonne foi. C'est
pourquoi la Cour introduit un second critere, de nature objective, soit celui de
« l'exercice raisonnable du droit »643. Ce critere exige qu'une personne agisse
d'une maniere qui soit « compatible avec la conduite d'un individu prudent et
diligent »644. Ce concept de bonne foi renvoie a une norme de comportement
ideal en fonction des standards sociaux :
« Sous cet angle, l'element intentionnel s'estompe pour laisser
place a un critere extrinseque qui s'analyse par rapport aux
standards de la societe et non seulement en fonction de 1'individu
lui-meme [...]. On parle de bonne foi objective car on examine le
comportement d'un individu par rapport a une norme plutot que par
rapport a sa veritable intention. »645
Ainsi, nul besoin d'etre de mauvaise foi pour contrevenir aux exigences de la
bonne foi. Dans une analyse qui ressemble, pour ne pas dire est identique, a celle
de la perpetration d'une faute civile646, le principal critere d'un manquement a
642 Ibid, aux pp. 148-149. 643 Ibid, a la p. 150 ets. 644 Ibid, a lap. 150. 645 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p.77. 646 C'est du moins l'opinion du professeur Popovici pour qui le manquement a l'obligation de
bonne foi ne peut etre autre chose qu'une faute : Popovici, « Honoraires », supra note 634 a la p. 100. La jurisprudence mentionne aussi a de nombreuses reprises que le manquement aux exigences de la bonne foi peut etre generateur de responsabilite civile si l'on prouve en meme temps les dommages et le lien de causalite : voir notamment: Provigo, supra note 614 et Mignacca c. Provigo Inc., (26 aout 2004), Montreal, 500-09-011673-019, REJB 2004-70099, J.E. 2004-1777 (C.A.) [Mignacca].
272
l'exigence d'agir selon les preceptes de la bonne foi est celui de la personne
raisonnable ayant un comportement acceptable, selon les circonstances et les
standards de notre societe (ou du moins, ceux du juge).647 II s'agit ainsi d'un
critere base sur les valeurs sociales de ce qui est acceptable ou inacceptable plutot
que base sur une etude de 1'intention subjective (mens rea) de celui dont le
comportement est analyse. En ce sens, il s'agit d'un phenomene normatif648 qui
prescrit un comportement acceptable.
Ce recours a un critere objectif fonde sur un comportement raisonnable plutot que
sur un critere subjectif est parfaitement conforme au libelle des articles 6 et 7 qui
prescrivent a chaque personne d'agir selon les « exigences de la bonne foi » ou
encore «de bonne foi» dans la version anglaise de l'article 6649. Cette
terminologie apparait ici indiquer les limites d'une norme de comportement
raisonnable qu'il appartient au juge de definir selon divers facteurs sociologiques.
De plus, puisque ce concept de comportement raisonnable s'inscrit dans une
tradition d'analyse civiliste, notamment en responsabilite civile, on peut penser
647 Voir notamment: ABB Inc. c. Domtar Inc., 2005 QCCA 733, [2005] R.J.Q. 2267 au para. 72 (Appel rejete, 2007 CSC 50) [ABB]; Vachon c. Lachance, [1994] R.J.Q. 2576 (C.S.) a la p. 2579 [Vachon]' Dempsey II c. Canadian Pacific Hotels Ltd., (21 septembre 1995), 500-09-001012-848, J.E. 95-1813 (C.A.) [Dempsey]; Forget c. Babin, [2000] R.R.A. 810 (C.S.) [Babin]; Droit de la famille-2071, [1994] R.J.Q. 2933 (C.S.); Boless Inc. c. Residence Denis-Marcotte, (20 septembre 1995), Frontenac, 235-05-000062-951, J.E. 95-1890 (C.S.) [Boless]; Croteau, «Clauses abusives », supra note 270 a la p. 405 et s.; Karim, « Bonne foi», supra note 270 a la p. 441; Vincent Karim, Commentaires sur les obligations, vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 1997 a la p. 17 et s. [Karim, Commentaires]; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 aux pp. 77 et 82 et s.; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1990; Perelman, « Raisonnable », supra note 481 a la p. 38 et s.; Stoffel-Munck, A bus, supra note 616 au n° 53 et s.; Alexandre Volansky, Essai d'une definition expressive du Droit basee sur I'idee de bonne foi, Paris, Librairie de jurisprudence ancienne et moderne, 1930 notamment aux pp. 164-165 et 190.
648 Stoffel-Munck, ibid, au n° 54. 649 Malgre cette difference de terminologie, nous ne croyons pas que le sens a donner aux versions
anglaise et fransaise de cet article soit different. C'est pourquoi nous continuerons a utiliser indistinctement les deux expressions.
273
qu'elle est conforme aux principes directeurs du Code civil et de la philosophic du
droit civil quebecois en general650.
Cependant, ce serait une erreur de croire qu'un tel critere d'analyse objective peut
dispenser d'une analyse en fonction des circonstances propres a l'espece. Au
contraire, s'il n'est pas obligatoire de s'interesser aux mobiles d'un individu, il est
clair que la bonne foi a ete instauree pour justement permettre aux juges de pallier
les injustices en fonction des circonstances propres a chaque cas. Cet aspect de
l'analyse est done essentiel comme le souligne le juge Baudouin dans un arret de
1999:
« La bonne foi est, comme on le sait, une notion difficile. Elle
demande d'apprecier une conduite par rapport a un ensemble
souvent complexe de circonstances qui ne sont jamais les memes
d'une cause a l'autre. Elle exige de tenir compte de la nature et de
la qualite des rapports entre les contractants, du type de convention,
de 1'expertise des parties en la matiere et du deroulement factuel de
leurs relations, entre autres choses. »651
Or, a notre avis, c'est justement par cette capacite d'adaptation de la bonne foi aux
circonstances en cause que cette notion peut se presenter comme une pierre
angulaire du retablissement de la justice commutative au contrat. En autorisant
les juges a intervenir a la relation contractuelle pour obliger les parties a moduler
650 C'est d'ailleurs ce qu'a souligne la Cour supreme dans l'arret Houle, supra note 11, pour approuver l'adoption d'un critere objectif aujugement de l'abus de droit.
651 Societe de recuperation, d'exploitation et de developpement forestiers du Quebec c. Gestion Grand Remous Inc., (le 13 mai 1999), Quebec, 200-09-000993-961, J.E. 99-1151, REJB 1999-12452 (C.A.), au para. 40 [Grand Remous].
274
leur comportement en fonction des circonstances propres a l'espece, meme
independamment de toute faute prealable de l'une d'elles, on permet a ceux-ci de
jouer leur veritable role aristotelicien de « gardiens de l'equilibre. » La bonne foi
se presente comme un outil privilegie du maintien de la coexistence paisible des
droits et interets652 et cela, meme en matiere contractuelle. Les circonstances
d'inegalite qui affectent la liberte des parties peuvent a elles seules permettre aux
juges d'imposer aux parties d'un contrat certains comportements conformes aux
exigences de la bonne foi. Et un manquement a la norme de comportement
resultant de la bonne foi pourra constituer une faute, qui, si elle cause des
dommages, pourra etre sanctionnee par les principes de la responsabilite civile .
En ce sens, la bonne foi n'est pas qu'une norme qui permette de juger a posteriori
du comportement passif d'une partie. En plus d'etre une norme de comportement
objective, cette norme de comportement permet d'imposer des obligations
positives de comportement aux parties d'un contrat. C'est ainsi que sont apparues
les obligations de loyaute654, de collaboration655 ou de renseignement656, qui ne se
contentent plus de prescrire a un contractant d'eviter passivement de nuire a autrui
mais qui lui imposent un comportement actif de sauvegarde des interets du
cocontractant. II ne s'agit plus d'un simple etat de ne pas nuire a autrui. La bonne
6 , 2 « [L]a bonne foi reside dans Tobservance et la poursuite du bon ou de l'utile, en vue de maintenir les relations sociales et de rendre ainsi possible l'etat de societe civile. » Volansky, supra note 647 a la p. 191.
653 Voir notamment a ce sujet, l'analyse faite dans Provigo, supra note 614 ou la Cour explique bien que la bonne foi impose des obligations implicates au contrat et que le non-respect de ces dernieres entraine la faute de son auteur.
654 Voir par exemple Banque de Montreal c. KuetLeongNg, [1989] 2 R.C.S. 429 [Kuet Leong], 655 Par exemple, Provigo, supra note 614 [Soulignement par la Cour d'appel], 656 Par exemple, Bail, supra note 12; hosier, supra note 16; Janin, supra note 309.
275
foi permet l'imposition d'une obligation de faire afin de respecter cette regie de ne
pas nuire a autrui. II est d'ailleurs interessant de mentionner ce passage de la
Cour d'appel du Quebec dans un debat entre un franchiseur et un franchise, ou ce
dernier reprochait au franchiseur de lui faire une concurrence deloyale en ouvrant
de nouvelles grandes surfaces a rabais pour une certaine marchandise, alors que le
franchise devait, selon les termes de son contrat de franchise, se procurer cette
meme marchandise a prix plancher plus eleve. II faut mentionner que le contrat
de franchise ne contenait aucune clause qui interdisait au franchiseur de
concurrencer directement son franchise. Pourtant, la Cour d'appel donne raison
au franchise en s'exprimant en ces termes :
« [L]'une des obligations fondamentales du franchiseur a l'endroit
du franchise est celle d'assistance technique et commerciale, (...)
done de collaboration. (...) II doit (...) aussi, en raison de
l'obligation de bonne foi et de loyaute (...), faire beneficier celui-ci
de son assistance technique, de sa collaboration done de ses
nouveaux outils ou, au moins, trouver d'autres moyens de maintenir
la pertinence du contrat qui le lie pour que les considerations
motivant raffiliation ne soient pas rendues caduques ou
inoperantes. »657
Ainsi, il est clair que selon la Cour d'appel, le franchiseur ne pouvait se contenter
de ne pas nuire passivement a son cocontractant. II avait l'obligation active de
modifier les termes de sa relation avec son franchise afin de maintenir la
pertinence de la relation contractuelle, ou si l'on prefere l'interet du cocontractant
au contrat, et de lui fournir l'assistance technique et commerciale en ce sens. II
657 Provigo, supra note 614.
276
s'agit done de l'imposition d'obligations actives, imposees non pas en fonction
d'un comportement fautif d'un cocontractant mais en fonction des circonstances
provoquant une inegalite prejudiciable dans la relation des parties. Pour
sanctionner le comportement fautif en aval, il faut consequemment qu'en amont,
les circonstances de l'inegalite dans la capacite a veiller a ses interets interpellent
le cocontractant en situation de superiority et l'obligent a moduler son
comportement afin de ne pas nuire indument aux interets de son cocontractant.
Ainsi, l'obligation d'agir selon les exigences de la bonne foi impose des
comportements actifs de sauvegarde des interets de son cocontractant meme en
l'absence de comportement reprehensible de la partie. Cette obligation ne vise pas
a procurer un avantage mais bien a assurer l'existence concrete des assises
d'interets et de liberte. Elle permet veritablement au juge de retablir, en tant que
« gardien de l'equilibre » une coexistence saine des droits et interets des parties en
se basant sur la realite de la relation des parties au contrat.
En codifiant l'obligation de bonne foi, le legislateur a necessairement modifie une
partie de 1'ideologic dominante de la theorie contractuelle. En reconnaissant aux
juges un pouvoir d'intervention en fonction des circonstances particulieres de la
relation, le legislateur reconnait de facto qu'il peut exister une inegalite entre les
contractants et que l'on ne peut done plus interdire de fagon aussi rigoureuse
1'intervention judiciaire. En presence d'une verticalite, on ne peut baser la /•en
commutativite contractuelle sur la seule subjectivity des parties . Si une telle
commutativite subjective peut se justifier dans un veritable contexte 658 Bimes-Arbus, supra note 94 a la p. 1379 et s.
277
d'horizontalite, le rapport de domination d'une partie a une autre modifie les
preceptes voulant que 1'expression de la volonte des parties soit la meilleure
gardienne de leurs interets respectifs. En ce sens, la delegation expressement faite
au juge consacre la modification des principes de justice contractuelle d'une
commutativite subjective (l'equilibre voulu des parties) vers une commutativite
objective (l'equilibre raisonnable)559.
La consecration de la commutativite objective par la codification de la bonne foi a
une autre consequence concrete qui commence a se demarquer en jurisprudence,
soit le deplacement de l'axe de controle du contrat. En s'appuyant sur l'obligation
de bonne foi a tous les stades de la vie contractuelle, les juges ne se contentent
plus de verifier la commutativite contractuelle au moment de la formation du
contrat, ils exercent aussi un controle sur l'execution et 1'extinction du contrat.
Or, puisque qu'un contrat implique necessairement une certaine verticalite des
parties, ne serait-ce que dans leur rapport creancier-debiteur, l'obligation de bonne
foi impose necessairement une serie d'obligations implicites aux parties pour
limiter l'exercice de toute prerogative contractuelle qui se voudrait absolue dans
Fimaginaire d'une des parties. Dans un tel cas d'espece ou la verticalite ne serait
presente, au moment de l'execution ou de 1'extinction du contrat, que par le
resultat de la nature inherente de toute relation obligationnelle, ce n'est
probablement pas le contenu du contrat qui serait sanctionne comme l'exercice
raisonnable des prerogatives conferees. Ainsi, seraient probablement le plus
efficacement respectees les assises de liberte, responsabilite et commutativite
659 Ibid, a la p. 1381 ets.
278
normative objective660. Et le juge devrait intervenir pour en assurer le respect, si
necessaire.
Un tel pouvoir d'intervention peut paraitre surprenant puisque dans une mentalite
contractuelle fondee sur l'autonomie de la volonte et la liberte individuelle, il
appartient aux parties, par leur volonte et l'echange de leur consentement, de
determiner les obligations positives de chacune d'elles. En vertu des principes de
l'immutabilite contractuelle et de 1'effet relatif du contrat, ce dernier est congu
plus ou moins comme un vase clos ou seules les parties peuvent aj outer ou
modifier leurs obligations par un nouvel echange de consentement661. Les
defenseurs de ces theories parleront ainsi de contrat denature ou de forgage du
contrat lorsqu'ils examineront les possibilites d'interventions decoulant de la
notion de bonne foi. A notre avis, ces critiques oublient que la bonne foi est un
principe imperatif662 faisant partie de tout contrat comme s'il y etait stipule663.
L'article 1375 C.c.Q. est une « disposition fondamentale » du Code civil664. II
confirme que toute prerogative, meme contractuelle, doit etre exercee dans les
limites de l'exercice socialement raisonnable. Or, telle serait justement le resultat
de l'intervention judiciaire, ni plus ni moins.
660 Voir Volansky, supra note 647 aux pp. 206-207 pour qui la bonne foi « raccorde et unit ( . . .) les idees de justice et de liberte, car, d'une part elle evoque l'idee de justice, qui s'y fonde et d'autre part elle ajuste et precise d'une fa?on heureuse l'idee de liberte, attribuant aux hommes un champ d'action sur et certain, dans lequel ils peuvent se donner libre carriere, qu'aucune puissance ne peut restreindre au nom du droit et dont les limites endiguent toute manifestation anarchique. » [Les italiques apparaissent au texte original],
661 Voir notamment l'article 1434 C.c.Q. qui expose bien cette philosophic contractuelle. 662 Losier, supra note 16; Leclerc, supra note 270 a la p. 270; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a
la p. 58 et s.; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1977; Masse, supra note 270 a la p. 224. 663 Lluelles et Moore, ibid. 664 Paris c. Banque nationale du Canada, [2003] R.R.A. 29 (C.A.) au para. 25 [Paris],
279
C'est pourquoi nous reiterons que le recours a la bonne foi comme principe
d'intervention judiciaire au contrat est conforme aux dispositions du Code civil.
Nous soutenons meme qu'un tel reequilibrage de la relation contractuelle est
imperatif pour permettre au contrat d'evoluer en plein respect des assises qui en
assurent sa pleine utilite. D'ailleurs, meme en vertu des principes purs de la
theorie de l'autonomie de la volonte, le pilier du contrat demeure l'exercice libre
de la volonte contractuelle de s'engager. Ce libre exercice est essentiel au
maintien de la justice contractuelle. Chacun devrait pouvoir l'exercer selon ses
interets et aspirations. Or, si les circonstances font en sorte qu'une des parties est
en mesure de tirer profit de la situation de maniere qui ne soit pas en conformite
avec un exercice raisonnable de ses droits, il est essentiel de reequilibrer la
situation afin que l'autre partie puisse, a l'interieur de ce cadre de raison, veiller a
la sauvegarde de ses interets. Au-dela de Faveuglement volontaire de ceux qui se
mefient de toute intervention judiciaire, il est important de s'assurer que le contrat
soit conforme aux principes de justice et de liberte qui lui assurent toute
legitimite. Si elle est interpretee autrement et de maniere restrictive,
l'immutabilite contractuelle devient, dans plusieurs cas, source d'injustice
puisqu'elle permet de tolerer des desequilibres manifestes et l'asservissement
d'une partie a une autre665.
Les assises de liberte, responsabilite et justice commutative trouvent done une
parfaite resonance dans 1'exigence de bonne foi. Cependant, on ne peut en dire de
665 Voir Bimes-Arbus, supra note 94 au no. 12 et Chazal, supra note 329 a la p. 125.
280
meme pour la solidarite et la fraternite. Pourtant, parce qu'ils rattachent la notion
de bonne foi a l'expression de valeurs morales, plusieurs juristes decrivent les
exigences qu'impose la bonne foi en les apparentant a celles prescrites par des
liens fondes sur la solidarite ou la fraternite entre les individus. Nous croyons
avoir deja demontre qu'une telle theorie contredit les principes de liberte,
responsabilite et coexistence paisible des droits et interets en plus de modifier la
nature intrinseque de la notion de droit subjectif. Par ces constatations, peut-on
vraiment soutenir que la bonne foi se traduit par des valeurs a connotation morale,
a la limite religieuse, qui contredisent ces principes fondamentaux en obligeant
une partie a procurer un avantage a autrui ? Nous ne le croyons pas. Tel que nous
le verrons dans la proehaine section, assimiler la bonne foi et certains preceptes
moraux fondes sur « 1'amour de son prochain » est inconciliable avec les assises
fondamentales des relations contractuelles.
4.1.1 La bonne foi et la theorie dite du « solidarisme contractuel»
Si l'absence de definition codifiee ou legislative de la bonne foi permet une
veritable evolution et adaptation de cette notion au fil des situations, cette meme
absence peut parfois donner lieu a des elargissements peu souhaitables de son
champ d'application. Ainsi, si la majorite de la doctrine666 consent a integrer a
666 Voir notamment, Stephane Darmaisin, Le contrat moral, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 2000 au no. 289 et s.; Fabre-Magnan, Information, supra note 269; Bertrand
281
l'exigence de bonne foi des obligations de loyaute, cooperation et renseignement,
certains auteurs vontjusqu'a elever le niveau de comportement exige au stade de
devoirs de solidarite et de fraternite667.
On peut immediatement se demander si un tel elargissement de la notion de bonne
foi qui inclurait un devoir de solidarite ou de fraternite peut etre concilie avec les
elements fondamentaux de la relation contractuelle. Une telle theorie favorise-t-
elle 1'emergence de ces notions essentielles ? A notre avis, il faut repondre par la
negative.
D'abord, comme le mentionne la these d'une auteure frangaise, la fraternite n'est
pas une situation neutre. Elle implique certains sentiments, d'amour ou du moins
d'amitie tres intense, qui ne peuvent etre imposes juridiquement668. Ces
sentiments ne peuvent qu'etre ressentis et l'on congoit mal comment ils pourraient
faire l'objet d'une sanction judiciaire. Or, l'obligation juridique ne peut se passer
de la sanction judiciaire.
Fages, Le comportement du contractant, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1997 aux n° 552-569; Ghestin, Traite, supra note 29 aux nos 255 et s. et 627 et s.; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 165 et s.; Lefebvre, « Liberte », supra note 8; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1976 et s.; Picod, supra note 277; Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 438 et s.
667 Voir notamment Diesse, supra note 338 aux pp. 272-274, qui clairement inclut dans les obligations liees au devoir de cooperation, la solidarite et la «fraternite contractuelle » entre les parties. Par ailleurs, M. Chazal rejette une telle conception du devoir de collaboration qu'il distingue d'un quelconque lien fraternel entre les contractants : Chazal, supra note 329 a la p. 121.
668 Courdier, supra note 6 a la p. 74 et s.
282
Ensuite, nous croyons que la bonne foi ne peut aller jusqu'a une obligation de
conferer un avantage en parfaite « fraternite » a autrui pour des raisons de
coherence. Si l'on accepte que la legitimite de la relation contractuelle soit fondee
sur les principes de liberte, responsabilite et justice commutative et que de ceux-ci
decoule une commutativite objective favorisant la coexistence paisible des droits
et interets, on conclut qu'une telle idee fraternite nuirait autant a cette
commutativite que celle de l'acceptation de l'exploitation de son cocontractant.
Dans le continuum de la commutativite, les notions d'exploitation et de fraternite
ne sont que les deux poles d'un meme balancier en mouvement et sont tout autant
eloignes l'une que 1'autre de la position centrale d'equilibre, et cela meme si, nous
le concedons, il peut paraitre moralement plus noble d'accepter qu'une relation
contractuelle soit basee sur un principe de solidarite plutot que d'exploitation.
Une exigence de bonne foi impliquant un devoir de solidarite ou de loyaute
suppose une certaine abnegation de ses propres interets afin de se consacrer aux
interets d'autrui. Elle implique qu'il serait « fraternellement» malhonnete d'agir
en fonction de ses interets plutot qu'en fonction de ceux de son cocontractant et
cela meme, par exemple, en presence de circonstances ou l'avantage qu'aurait le
premier contractant decoulerait non pas d'une situation d'inegalite
circonstancielle mais de la negligence du cocontractant a bien veiller a ses
interets. Nous pourrions citer le cas classique de l'oeuvre d'art d'un grand-maitre
de la peinture qu'une partie achete a petit prix dans une vente debarras.
L'acheteur doit-il reveler au vendeur la valeur reelle du bien vendu meme si ce
dernier avait la possibility de s'en enquerir lui-meme ? Dans une telle situation, il
283
apparait clair que l'ignorance du vendeur est la resultante de sa negligence a
veiller a la sauvegarde de ses interets en s'informant valablement sur la valeur
reelle du tableau vendu qui etait jusqu'alors en son entiere possession. Or, si l'on
se fie aux tenants de la theorie de la bonne foi fraternelle, il semblerait qu'un
contractant repondant aux exigences d'une telle bonne foi devrait fournir a son
cocontractant les informations relatives a sa propre prestation.
A notre avis, un tel raisonnement contrevient aux preceptes de liberte et
responsabilite individuelles dans la sauvegarde de ses interets669. D'ailleurs, dans
un tel cas, comment pourrait-on concilier une telle obligation avec le principe de
l'erreur inexcusable ? Rappelons par ailleurs que dans l'arret Bail, le juge
Gonthier mettait clairement en garde ceux qui etaient tentes de donner a
l'exigence de la bonne foi, illustree dans cette affaire comme l'obligation de
renseignement, une interpretation qui « ecarterait l'obligation fondamentale qui
est faite a chacun de se renseigner et de veiller prudemment a la conduite de ses
affaires. »670 En d'autres termes, si nous desirons assurer la sauvegarde de nos
interets, il faut commencer par le faire soi-meme.
669 Voir contra : Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 183 et s., qui mentionne qu'a son avis, en presence d'une telle situation, il faudrait, au contraire, avertir le vendeur de la valeur reelle du bien. Selon cette auteure, puisque le Code civil du Quebec, accepte l'erreur sur un element essentiel de sa propre prestation et que l'erreur fondee sur le dol inclut maintenant le silence dolosif, il faut informer le cocontractant de son erreur. Or, a notre avis, cette opinion ne tient pas compte du fait que le silence dolosif implique une intention malveillante et que l'erreur ne peut etre en aucun cas basee sur l'erreur inexcusable..
670 Bail, supra note 12 a la p. 587. Voir d'ailleurs a cet effet les commentaires du professeur Jutras pour qui l'obligation d'information exposee dans l'arret Bail ne peut resulter «d'un quelconque devoir d'assistance impose par l'altruisme », Daniel Jutras, « Le tiers trompe (a propos de l'affaire Bail ltee) » (1993) 72 R. du B. can. 28 a la p. 32. II faut toutefois noter que dans une allocution datant de 2000, le juge Gonthier s'est fait l'apotre de la fraternite comme pilier du droit, tant prive que public : Gonthier, supra note 8.
284
Certes, il est clair que le principe de la coexistence paisible des droits et libertes
implique qu'en presence de circonstances qui avantagent une partie au point ou
1'autre perd sa capacite a pouvoir valablement assurer la libre gestion de ses
interets sans que cette situation resulte de sa propre negligence, on recherche un
reequilibrage de la situation par l'imposition d'obligations positives liees a
1'exigence de bonne foi. En de telles circonstances, 1'exigence de bonne foi
oblige la partie avantagee a adopter une attitude raisonnable face aux interets de
son cocontractant, sans quoi elle pourra se voir condamner, en responsabilite
civile, pour ne pas avoir agi de bonne foi. Ces obligations imposees resultent de
la regie de ne pas nuire a autrui et non d'un lien de fraternite. Ainsi, meme
lorsque l'on impose une obligation de renseignement ou un devoir de
collaboration, il n'est nullement question que le cocontractant avantage le fasse en
abnegation de ses propres interets.
Le reequilibrage fonde sur la bonne foi a pour but d'assurer la coexistence
paisible des droits et libertes en retablissant un contexte ou chaque partie est en
mesure d'assurer raisonnablement la sauvegarde de ses interets. Or, si l'on pousse
ce reequilibrage au point ou l'une des parties se retrouve en situation ou elle doit
abdiquer ses propres interets pour veiller a ceux de l'autre partie, on cree une
nouvelle situation aussi prejudiciable que celle que l'on voulait reequilibrer mais
cette fois-ci au profit du cocontractant qui etait auparavant considere comme la
partie a proteger ou desavantagee. Cela est d'autant plus frappant et injuste quand
le desavantage resulte de la negligence de cette partie. Ainsi, le cocontractant qui
285
etait soi-disant en position de superiorite ne peut plus lui-meme veiller a la
sauvegarde de ses interets puisque ses gestes doivent maintenant etre
exclusivement dictes par l'interet de son cocontractant, et cela meme a son
detriment. On se retrouve done dans la situation invraisemblable ou la negligence
d'une partie lui est par ailleurs profitable puisqu'elle a pour consequence de
modifier la nature exclusive de la prerogative exercee contre sa personne en un
pouvoir exerce dans son interet!
Forcer une partie a agir dans l'interet d'autrui, meme au detriment de son propre
interet, ne favorise pas une rencontre equilibree des volontes dans un contexte de
liberte. Au contraire, une telle approche risque d'ouvrir la voie a un dirigisme
rigide puisque, le plus souvent, les contractants n'ayant pas tendance,
naturellement, a adopter un tel comportement altruiste, il devra leur etre impose
par la force671. On se retrouve tres loin des principes de liberte et de
responsabilite dans la saine gestion de ses interets.
Pourtant, la theorie faisant de la bonne foi 1'instrument du solidarisme contractuel
fait sa marque dans les debats doctrinaux puisque plusieurs la font reposer sur de
nombreux postulats populaires, tels que la solidarite et la justice commutative.
Dans un tel contexte, nier les principes du solidarisme contractuel apparait comme
l'apologie de l'injustice et de l'individualisme purement ego'fste et calculateur.
Selon les defenseurs du solidarisme, cette theorie s'opposerait au liberalisme, qui
lui repose sur un postulat d'egalite abstraite et absente des parties, en se presentant
671 Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 42.
286
comme une theorie realiste qui prendrait veritablement en compte l'inegalite des
parties et de la, les desequilibres deraisonnables dans leurs prestations
respectives . Le but du solidarisme serait justement de retablir l'equilibre entre
les prestations des parties .
II est vrai qu'il peut etre tentant d'assimiler le solidarisme a la justice. Pourtant,
les pretendues fonctions que l'on cherche a attribuer au solidarisme decoulent du
fait que l'on assimile implicitement solidarisme et solidarite contractuels674. On
deduit de cette assimilation que le contractant doit faire preuve d'altruisme.
Malheureusement, un tel altruisme est incompatible avec la philosophic et meme
la psychologie contractuelles. On conclut des contrats d'abord dans son interet
personnel. On ne peut accepter, comme regie generale, l'angelisme des relations
contractuelles dans le pur interet d'autrui. La mentalite liberale veut que l'on ne
doive pas nuire indument a autrui. Cela ne nous oblige nullement a l'avantager
d'une quelconque maniere et cela meme dans le cadre d'une relation
contractuelle.
A ce propos, il est interessant de noter l'analyse d'un auteur sur les liens
d'assimilation entre la doctrine du solidarisme et les principes de la solidarite en
672 Voir le resume des pretentions de cette theorie dans Mignot, supra note 36 a la p. 2181. 673 Christophe Jamin, « Le proces du solidarisme contractuel: breve replique » dans Grynbaum et
Nicod (dir.), supra note 7, 159 a la p. 162 et s. [Jamin, « Replique »]; Denis Mazeaud, Les dix commandements du droit frangais contemporain des contrats, Conference Roger-Comtois 2005, Montreal, Themis, 2006, aux nos 9 a 11 [Mazeaud, Commandements].
674 Voir notamment Mazeaud, « Loyaute », supra note 9; Thibierge-Guelfucci, supra note 6; pour une critique de cette proposition, voir Mignot, supra note 36 a la p. 2180 et s.
287
general et de surcroit, de la solidarite contractuelle675. II mentionne que
contrairement a ce que laissent croire plusieurs auteurs676, la solidarite
contractuelle, que certains voudraient faire reconnaitre comme principe, s' oppose
en fait aux principes de justice commutative677. Alors que la justice commutative
cherche l'equilibre et implique un echange entre les parties, la solidarite s'y
oppose radicalement en s'appuyant sur le desequilibre. Un acte economique doit
avoir la nature d'un don pour etre solidaire et est consequemment necessairement
cno
desequilibre et desinteresse . La notion de solidarite s'oppose done a la nature
fondamentale des principes de justice commutative.
En ce sens, les obligations de loyaute ou d'information basees sur la bonne foi
n'apparaissent pas non plus comme des indicateurs d'une quelconque solidarite
entre les parties. II s'agit d'obligations neutres, qui ne se justifient pas par un
cn q
rapport de gratuite ou de desinteressement. Elles visent plutot une certaine
egalite des parties dans leur capacite a assurer la sauvegarde de leurs interets.
D'ailleurs, en respectant l'interet d'autrui dans un rapport equilibre, le contractant £OA
n'est pas le plus souvent solidaire parce qu'il agit ainsi dans son propre interet .
/TO 1
La reciprocity est un principe important dans 1'esprit des contractants . Chacun a
interet a respecter les interets d'autrui puisque de ces interets dependent le plus
675 Mignot, ibid. 676 Voir notamment Jamin, « Replique », supra note 673 a la p. 162 et s.; Jestaz, « Synthese »,
supra note 262 aux pp. 244-246. 677 Mignot, supra note 36 a la p. 2159 ainsi qu'a la p. 2180 et s. 678 Mignot, ibid, aux pp. 2159-2160, ainsi qu'aux pp. 2180 et s. 679 Mignot, ibid, a la p. 2159. 680 Mignot, ibid, a la p. 2178. 681 Ejan Mackaay, Vanalyse economique du droit, t. 1, Fondements, Themis-Bruylant, 2000, a la
p. 74 et s. [Mackaay, Analyse economique]
288
souvent le respect du contrat dans son propre interet. Comme le mentionne un
auteur frangais : « [d]e ce point de vue, la devise contractuelle serait: sers l'autre
contractant parce qu'il te sert egalement ou respecte l'interet d'autrui parce qu'il
respecte ton interet. »682 Les obligations de bonne foi ainsi presentees n'ont done
rien d'altruistes et refletent plus fidelement la psychologie egoi'ste des
contractants.
Plusieurs decisions judiciaires adoptent une interpretation du devoir de bonne foi
conforme a nos propos. Ainsi, dans la decision Banque Royale du Canada c.
Dompierre683, la caution reproche a la Banque le fait de ne pas avoir mentionne,
lors d'une negociation concernant sa liberation d'un premier cautionnement, un
autre cautionnement, pour une tierce compagnie, les liant aussi. Or, le projet de
reglement emanait de la partie debitrice et avait ete accepte tel quel par la Banque.
Comme le mentionne la Cour, « [l]e devoir de bonne foi, meme pour une banque,
ne va pas jusqu'a offrir plus que ce qu'un debiteur demande. » Cette position
se justifie d'autant plus que la Cour mentionne que la partie debitrice n'etait pas
en position de vulnerabilite informationnelle et connaissait parfaitement
1'existence de ce second cautionnement qu'elle avait renouvele un an auparavant.
II n'y avait done pas de deficit informationnel creant une inegalite et exigeant le
recours a un tel niveau de bonne foi. Au meme titre, une institution financiere ne
peut etre tenue d'une obligation de donner des conseils financiers a son client sous
682 Mignot, supra note 36 a la p. 2178. 683 (le 3 juillet 2003), Quebec, 200-17-001457-993, J.E. 2003-1455, REJB 2003-44470 (C.S)
[Dompierre]. 684 Ibid, au para. 36.
289
fioe
pretexte qu'elle lui prete de 1'argent . Encore la, une telle obligation irait plus
loin qu'un simple reequilibrage de la relation en conferant un avantage au client
de l'institution financiere. Or, si un tel avantage peut resulter de la volonte des
parties en tant qu'obligation contractuelle, il ne peut certainement etre infere de la
regie generale de ne pas nuire indument a autrui.
4.1.2. La bonne foi et les contrats dits « relationnels »
Meme si la bonne foi ne peut s'analyser comme une notion permettant
d'introduire des valeurs de solidarite ou de fraternite, cela ne veut aucunement
dire qu'elle ne peut s'adapter pour tenir compte de relations contractuelles tres CO £
etroites, que certains auteurs qualifient de « contrats relationnels » . Selon les
etudes effectuees par certains de ces auteurs, plusieurs contrats de longue duree,
tels que les contrats de fournisseurs ou de sous-traitance, conduisent les
contractants a etablir un cadre particulier et autonome de normes privees
applicables aux parties. Ces normes sont souvent paralleles au droit civil
685 164375 Canada, supra note 336. 686 Voir notamment chez les auteurs quebecois, Jean-Guy Belley, Le contrat entre droit, economie
et societe: Etude sociojuridique des achats d'Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean, Cowansville, Yvon Blais, 1998 [Belley, Alcan]; Jean-Guy Belley, « Theories et pratiques du contrat relationnel: les obligations de collaboration et d'harmonisation normative » dans La pertinence renouvelee du droit des obligations : Back to Basics, Conferences Meredith 1998-1999 tenues a I'Universite McGill le 12 mars 1999, supra note 88, 137 [Belley, « Theories »]; Rolland, « Figures », supra note 23.
290
commun.687 Dans ce cadre, les obligations de cooperation et de loyaute sont
souvent plus exigeantes que l'exigence d'agir raisonnablement selon le principe
de la bonne foi dans le cadre de relations moins etroites. II se cree souvent une
veritable interdependance entre les contractants, qui, dans un but commun de
maximiser les retombees positives pour chacun, partagent technologies et secrets
/TOO
industriels . Or, souvent, ces contractants vont eviter, en cas de litige, le recours
aux tribunaux, decision souvent motivee par la peur que ceux-ci ne puissent saisir
les particularites du lien les unissant689.
Or, a notre avis, l'exigence de bonne foi a justement la capacite de pouvoir
s'adapter non seulement au contenu formel du contrat mais aussi a
l'environnement dans lequel ce contrat s'execute690. Le juge ne se contente pas
d'une analyse litterale de la relation contractuelle mais doit tenir compte du
contexte externe au contrat. C'est le plus souvent dans ce contexte que le juge
pourra retrouver les parametres de la commutativite des parties. Ainsi, dans un
contexte de grande interdependance, qui implique necessairement une grande
vulnerabilite de chaque partie691, il apparait que la commutativite est tout aussi
687 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 70; Jean-Guy Belley, « Strategic du fort et tactique du faible en matiere contractuelle: une etude de cas » (1996) 37 C. de D. 37 a la p. 46 et s. [Belley, « Strategic »].
688 Voir notamment a cet effet, Belley, ibid, a la p. 45; Mignot, supra note 36 a la p. 2193; Rolland, « Unidroit», supra note 223 a la p. 189 et s.
689 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 70. 690 Voir a ce sujet le parallele que fait la professeure Rolland entre les contrats relationnels et les
principes d'Unidroit, qui justement, sont plus ouverts aux principes de bonne foi: Rolland, « Unidroit», supra note 223 a la p. 189 et s.
691 Belley, « Strategie », supra note 687 a la p. 48, qui analysant les relations entre la compagnie Alcan et ses fournisseurs conclut que la strategie de cette derniere d'avoir recours a des fournisseurs specialises et accredites augmente ses besoins et sa dependance envers ces fournisseurs. Or, ces particularites ne peuvent que l'obliger a adopter un comportement particulier, en marge du droit positif, envers ces fournisseurs et cela meme si theoriquement
291
vulnerable et peut etre atteinte par des gestes qui pourraient paraitre moins
dommageables pour d'autres types de relations contractuelles moins
interdependantes. Dans ce contexte, il semble raisonnable que l'on puisse
imposer aux parties des obligations particulierement contraignantes de loyaute et
de cooperation en vertu du principe de bonne foi.
Mais dans un tel cas, ne pourrait-on pas soutenir que l'on s'approche de
1'interpretation angelique de la bonne foi fondee sur des devoirs de solidarite et de
fraternite et que pourtant nous n'approuvons pas. Nous ne le croyons pas. Si
dans une telle situation, les exigences de la bonne foi imposent aux parties des
obligations particulierement contraignantes, nous ne croyons pas que ces
obligations puissent etre analysees comme une abnegation de ses propres interets.
Au contraire, c'est le type de relation d'interdependance dans un interet mutuel
entre les parties qui motive la rigueur des obligations des parties. D'ailleurs, la
decision Bail qui, nous l'avons mentionne, rappelle le principe de la necessite
pour chacun a veiller a ses propres affaires et nie en quelque sorte toute
interpretation qui serait fondee sur une quelconque abnegation de ses interets pour
satisfaire ceux d'autrui, admet par ailleurs que certaines obligations additionnelles
692 puissent decouler d'un climat de confiance mutuelle legitime .
Dans un climat de grande interdependance, la coexistence paisible des droits et
interets des parties est delicate et ne peut etre assuree qu'au prix d'une certaine
Alcan etait en position, de par sa situation socio-economique, d'imposer sa volonte unilateral pour exploiter les sous-traitants.
692 II s'agissait dans cette decision d'une obligation d'information. Voir Bail, supra note 12.
292
severite dans l'imposition d'obligations basees sur la bonne foi, telle que la
cooperation et la loyaute. Un tel degre d'impositions severes pourrait paraitre
particulierement lourd et injustifie pour une autre categorie de relations
contractuelles. Mais, dans un contexte d'interdependance, on s'assure, par des
normes de cooperation particulierement elevees, qu'une des parties ne pourra
indument profiter de la situation au detriment de son cocontractant puisque les
consequences pour ce dernier risqueraient d'etre beaucoup plus nefastes que celles
engendrees par une relation ponctuelle qui n'implique pas de tels liens de
confiance et d'interdependance.
L'exemple des contrats dits relationnels est utile pour demontrer, encore une fois,
1'importance de juger du respect des principes de justice contractuelle en fonction
d'un contexte qui tienne compte des caracteristiques de la relation contractuelle
specifique. En effet, une opinion basee sur des preceptes purement theoriques qui
evited'analyser le contexte specifique de chaque relation contractuelle engendre
la tolerance de l'utilisation de l'instrument contractuel pour nuire a autrui. On
pretend alors qu'il n'y pas d'injustice sujette a 1'intervention judiciaire parce que
cette nuisance resulte de la volonte mutuelle des parties. On se retrouve en zone
ou tous les contrats peuvent beneficier du principe de la force obligatoire et de
l'immutabilite contractuelle meme lorsque le contrat ne respecte pas le principe de
la coexistence paisible des droits et interets. On a deja observe ce phenomene
avec la theorie de l'autonomie de la volonte, ou l'egalite sociale et economique
reputee des parties, sans possibility de revision ou meme d'analyse judiciaires
293
specifiques a cree, en toute legalite, plusieurs situations contractuelles
• Acn d'exploitation d'une partie par une autre .
Cette fagon d'analyser la relation contractuelle en tenant compte de la relation
particuliere des parties peut soulever la question de 1'analyse in abstracto ou in
concreto. Devant le debat que semble susciter ces notions694, nous preferons
definir notre critere devaluation en fonction de la doctrine dominante qui etablit
le critere d'examen a l'aide du standard de la notion de « raisonnable » mais en
evaluant celle-ci en fonction des circonstances propres a la relation particuliere
des parties695. En d'autres termes, on peut parler de l'etude du comportement des
parties placees dans les memes circonstances. On ne detruit pas le caractere
abstrait et objectif de 1'analyse mais on le relativise696.
Ces precisions sur les exigences de la bonne foi etant apportees, nous tenterons,
dans un deuxieme temps, de mieux cerner la bonne foi a travers les nombreuses
fonctions qu'elle peut exercer dans une relation contractuelle. Nous nous
permettrons a ce moment d'analyser la jurisprudence afin de verifier si celle-ci
contient certains elements d'application pratique de l'analyse que nous proposons.
693 Voir notamment a ce sujet, Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 90; Lefebvre, « Mythe », supra note 45 a la p. 20.
694 Voir notamment les differences de definition entre par exemple Baudouin et Deslauriers, supra note 124 aux nos. 168-172; Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 650; Jourdain, « Devoir », supra note 377 aux pp. 142-143; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 174; Zhou, supra note 377. La principale divergence tient a l'inclusion ou non au sein d'une norme abstraite de caracteristiques personnelles des individus et des circonstances exterieures presentes au moment des actes commis.
695 Jourdain, ibid.; Zhou, ibid, notamment aux pp. 477 et 518; Kasirer, «Infans », supra note 377 a la p. 370 et s.; Khairallah, supra note 373 aux pp. 448 et 451-452. Voir aussi sur Pimportance du contexte dans l'analyse du raisonnable, l'arret Prud'homme, supra note 146 au para. 62.
696 Zhou, ibid, a la p. 477; Baudouin et Deslauriers, supra note 124 au no. 172.
294
Nous serons ainsi a meme de constater si les assises que nous avons identifiees
peuvent constituer des preceptes valables d'analyse mais aussi de controle de
l'obligation de bonne foi. En effet, en laissant cette notion a la seule discretion
des juges, plusieurs s'interrogent sur les dangers d'incertitude et d'arbitraire que
risque d'entrainer une application au cas par cas, sans balises reelles de la notion
f\07
de bonne foi°". De toute evidence, 1'incertitude juridique dans les relations
contractuelles ne peut constituer le but du legislateur dans la codification de la
bonne foi, et cela, meme si cette codification implique necessairement la
delegation d'un large pouvoir d'intervention aux juges. Nous esperons
consequemment, que notre proposition d'analyse se presentera comme valable
afin de permettre a la notion de bonne foi de conserver son caractere
d'adaptability a chaque situation particuliere mais sans sacrifier pour autant les
stabilite et coherence juridiques.
4.2 Les fonctions de la bonne foi
Pour traiter des diverses fonctions de la bonne foi, nous utiliserons la /-QO
classification adoptee dans un precedent ouvrage et inspiree des ecrits des
auteurs Perilleux699, Masse700 et Lefebvre701. Cette classification prevoit que la
bonne foi est theoriquement susceptible de jouer quatre roles distincts, soit des 697 Voir, notamment a ce sujet, Fortier, supra note 383; Stoffel-Munck, A bus, supra note 616 au
no. 69 et s.; Civ. lre, 16 mai 1995, J.C.P. 1996.11.22736 (obs. Fran?ois-Xavier Lucas). 698 Voir Gregoire, supra note 15 a la p. 17 et s. 699 Perilleux, supra note 270 au no. 11 et s. 700 Masse, supra note 270 a la p. 224 et s. 701 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 & la p. 92 et s.
295
roles interpretatif, completif, limitatif et adaptatif. Par ailleurs, il faut d'ores et
deja souligner que si ces fonctions sont effectivement celles de la bonne foi dans
un certain nombre de systemes juridiques, le droit quebecois contemporain, tel
qu'il est presentement interprets, ne reconnait pas necessairement chacune de
celles-ci. Cependant, nous jugeons utile de les etudier toutes puisqu'il est possible
de penser que revolution de cette notion pourra permettre au droit quebecois de
s'harmoniser a la tendance de plus en plus forte dans l'application internationale
de ces fonctions702.
4.2.1. La fonction interpretative
II est difficile de definir la fonction interpretative de la bonne foi puisque le cadre
d'application de cette premiere fonction ne fait pas l'unanimite en doctrine. Deux
theses s'affrontent. Pour les adeptes de la theorie de l'intention veritable des
parties, la fonction interpretative de la bonne foi « commande que le contrat soit
execute conformement a l'intention reelle des parties, 1'esprit primant sur la
lettre. »703 En ce sens, cette fonction exigerait du juge qu'il ne verse pas dans une
interpretation objective des clauses contractuelles en se basant, non pas sur la
lettre du contrat mais sur une intention raisonnable, ou si l'on prefere, une
intention de parties respectant les exigences de la bonne foi. Sinon, ce faisant, on
702 Voir generalement a ce sujet Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p.46 et s. 703 Perilleux, supra note 270 au no. 11.
296
substituerait la volonte reelle et exprimee des parties par une volonte supposement
raisonnable. Par ce stratageme, le juge imposerait des obligations imprevues a la
lettre du contrat. Or, cette fagon de proceder releverait essentiellement de la
fonction completive de la bonne foi704.
En examinant cette premiere ecole de pensee, on comprend que cette conception
de la fonction interpretative de la bonne foi renvoie a la notion classique du terme
« interpreter », soit eclaircir un texte obscur ou ambigu, non pas en fonction d'une
interpretation raisonnable mais bien en fonction de celle qui semble en tout point
conforme a 1'intention exprimee par les parties. Or, le probleme est qu'en
presence d'un texte obscur et de preuves contradictoires a cet effet, il peut
apparaitre difficile de s'en tenir strictement a une interpretation qui serait
conforme a 1'intention litterale des parties, sans y faire intervenir d'autres
elements extrinseques au contrat705. De plus, cette vision semble occulter la
realite selon laquelle meme 1'interpretation dite stricte de la volonte contractuelle
exprimee par les parties correspond en fait a celle qu'en fait le juge a la lecture du
contrat.
704 Ibid.; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 93. 705 D'ailleurs, il est interessant de constater que les articles 1425 et 1426 C.c.Q. refletent bien cette
problematique puisque s'il est prevu, a l'article 1425 C.c.Q., que le contrat s'interprete selon la commune intention des parties, on mentionne a l'article 1426 C.c.Q. que 1' « [o]n tient compte, dans 1'interpretation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a ete conclu, de 1'interpretation que les parties lui ont deja donnee ou qu'il peut avoir re<?ue, ainsi que des usages. »
297
Pour d'autres auteurs, la fonction interpretative de la bonne foi refere plutot a tout
ce a quoi les parties sont tenues en vertu du contrat706, incluant les exigences
relatives a la bonne foi. Dans un tel cas, le juge peut interpreter le contrat en
fonction d'une volonte normative, soit celle que l'on ne peut manquer d'attribuer
a des parties contractantes raisonnables agissant selon les exigences de la bonne
foi707. II s'agit done, en quelque sorte, d'une volonte imposee par le juge au nom
de la bonne foi plutot que la veritable intention exprimee par les parties
contractantes. La logique derriere cette interpretation est que puisque le contrat
708
doit imperativement etre execute de bonne foi par les parties , il est necessaire
de faire primer 1'esprit sur la lettre709 en s'assurant de donner au contrat une
interpretation visant le plein accomplissement des toutes les obligations
contractuelles. Cette fagon d'interpreter le contrat implique que l'on pourra
inclure au contrat toute obligation necessaire a 1'atteinte des buts contractuels
recherches par les parties.
II est interessant de noter que ces deux methodes d'interpretation, pourtant
contradictories710, justifient leur position respective en mentionnant faire primer
l'esprit sur la lettre. Or, faire regner l'esprit sur la lettre correspond a notre avis a
executer le contrat dans son ensemble, avec toutes ses obligations, tant implicites
qu'explicites. N'oublions pas que l'esprit du contrat se presente comme une
706 Voir Benabent, supra note 9 a la p. 294; Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 439. 707 Masse, supra note 270 a la p. 224. 708 Sur l'aspect imperatif de la bonne foi, voir les autorites mentionnees a la note 662. 709 Benabent, supra note 9 a la p. 294; Masse, supra note 270 a la p. 224. 710 Voir Saleilles qui avait deja en 1901 deceit la meme problematique a propos du Code civil
allemand : Raymond Saleilles, De la declaration de volonte, contribution a I'etude de I'acte juridique dans le Code civil allemand (art. 116 a 144), Paris, F. Pichon, 1901 aux pp. 227-228.
298
reunion momentanee de volontes et d'efforts afin de satisfaire des interets
individuels711. L'interpretation du contrat doit refleter cette realite.
Nous croyons done que les juges devraient privilegier, en presence
d'interpretations contradictoires, une interpretation de nature objective, afin de
s'assurer qu'une des parties ne soit pas deraisonnablement sacrifice a la volonte
de 1'autre dans l'execution du contrat. La question de 1'interpretation de certaines
stipulations ambigues du contrat revient a se demander quelles auraient ete les
intentions de personnes pouvant veiller sainement a la gestion de leurs interets
dans la conclusion du contrat. Dans les faits, il en resultera que 1'interpretation
privilegiee sera souvent celle preconisee par la partie desavantagee. En effet, en
presence d'interpretations contradictoires, les juges concluront souvent qu'une
personne raisonnable en situation de saine liberte ne pourrait avoir voulu nuire a
ce point a ses interets.
Pour une meilleure demonstration, on peut prendre pour exemple la decision Wyre
c. Dottin712 de la Cour superieure. Cette affaire concernait le paiement de certains
frais. Dans ce litige, le juge Claude Tellier a considere qu'il serait contraire a la
bonne foi de privilegier une interpretation de la clause de paiement de frais d'une
maniere ou ceux-ci echoiraient a une partie benevole ne tirant aucun avantage
711 Contra-. Rolland, «Unidroit», supra note 223 a la p. 189 et s., pour qui les rapports contractuels devraient plutot se definir par rapport a un lien d'interdependance, de collaboration et de solidarite, ce qui pour cette auteure s'oppose a l'individualisme. Or, pour nous, meme dans des contrats ou les parties font preuve d'une grande collaboration et interdependance, chacun continue de conclure un contrat pour son profit personnel et non par altruisme. Nous ne croyons pas que la notion d'individualisme soit incompatible avec la collaboration meme etroite.
712 Wyre c. Dottin, [2004] R.D.I. 136, REJB 2003-51555 (C.S.), au para. 41 [Wyre].
299
personnel du contrat. II a done favorise une interpretation desavantageant la
partie forte du contrat sur la seule base de l'aspect deraisonnable de la stipulation
dans un cadre de commutativite objective. Ce premier exemple demontre bien tout
le potentiel qu'une interpretation en fonction des exigences de la bonne foi peut
avoir sur le reequilibrage du contrat. En tenant compte du contexte et des realites
du contrat, le juge Tellier a veille, en utilisant les exigences de la bonne foi, a une
certaine sauvegarde objective des interets de la partie desavantagee.
La solution adoptee dans 1'affaire Wyre c. Dottin pourra par ailleurs paraitre
choquante aux tenants de la lettre contractuelle. Pourtant, elle nous semble
conforme aux pistes d'interpretation prevues au Code civil du Quebec. Ainsi,
l'article 1426 C.c.Q. prevoit que le juge peut tenir compte de la nature et des
circonstances de conclusion du contrat. En d'autres termes, le juge peut verifier
l'egalite des parties lors de la conclusion et 1'elaboration du contrat et interpreter
le contrat consequemment. De plus, en cas de doute irreductible, l'article 1432
C.c.Q prevoit que le contrat s'interpretera contre la partie avantagee ou en tout
temps pour l'adherent ou le consommateur. Or, un tel principe d'interpretation
s'explique aisement. Aux yeux du legislateur, l'adherent ou le consommateur
sont des parties desavantagees dans leur liberte de gestion de leurs interets
respectifs qui meritent une protection normative afin d'assurer le respect
raisonnable de certains de leurs interets. On tente ainsi d'eviter que la partie
desavantagee puisse profiter de la situation pour nuire aux interets de son
cocontractant.
300
En cas d'ambigufte sur l'intention des parties, il nous semble que le juge est
parfaitement justifie d'exclure une interpretation contraire aux exigences de la
bonne foi pour favoriser une conception de l'intention commune qui respecte les
principes fondamentaux de la justice commutative713. Citons en autre exemple,
une decision de la Cour d'appel en matiere de police d'assurances714. Cette police
precisait qu'elle couvrait «toutes les activites de l'assure consistant
principalement en service de conciergerie incluant le nettoyage des fenetres
(...) ». Par ailleurs, cette meme police contenait une clause d'exclusion relative
« aux biens (...) sur lesquels [l'assure] exerce une action quelconque. » Or, dans
le cours de ses activites, un prepose de l'assure raya plusieurs vitres d'un edifice
nouvellement construit. L'assureur refusa de couvrir le sinistre en invoquant la
clause d'exclusion. Or, la Cour d'appel rejeta cet argument et condamna
l'assureur a payer les dommages causes par le sinistre. La Cour d'appel ne se
prononga pas en vertu des exigences de la bonne foi lorsqu'elle proceda a
1'interpretation du contrat puisque la bonne foi n'avait pas, a cette epoque, la
portee qu'on lui connait maintenant. Cependant, nous sommes d'avis, tel que
nous le demontrerons ci-bas, qu'en vertu du raisonnement adopte par la, Cour
d'appel, il serait aise d'y inclure des arguments fondes sur la bonne foi comme
instrument favorisant une commutativite plus objective.
Utilisons done cette decision pour illustrer les etapes de la methode proposee.
Premierement, observons la capacite decisionnelle des parties. II est clair que
713 Colin et Capitant, supra note 215 au no. 814; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 aux pp. 96-97; Saleilles, supra note 710 aux pp. 227-229.
714 Ribo, supra note 311.
301
Fassureur etait en position de superiorite par rapport a son assure. II pouvait lui
imposer toutes les clauses d'exclusion qu'il souhaitait sans que 1'assure ait
vraiment le choix de les accepter. Le pouvoir de negotiation d'un petit assure est
souvent pratiquement inexistant. L'assure etait done en situation d'inegalite dans
la capacite a assurer une saine gestion de ses interets. II est d'ailleurs interessant
de noter que le legislateur, fort conscient de cette situation, impose aux assureurs
l'obligation d'attirer l'attention de leurs assures sur ce type d'exclusions (qui
seront le plus souvent des divergences par rapport a la proposition) dans un
document distinct de la police715.
Deuxiemement, observons la nature raisonnable ou deraisonnable de la
commutativite normative resultant de la relation contractuelle des parties. Dans le
cas qui nous occupe, il est clair que les intention et interet contractuels de l'assure
etait de proteger l'ensemble des activites de 1'entreprise. C'est pour cette raison
que l'assure payait des primes a l'assureur. Pourtant, en invoquant la clause
d'exclusion, l'assureur pretendait le contraire.
C'est avec raison que la Cour a considere qu'une telle exclusion ne pouvait
s'appliquer en l'espece et est intervenue a la relation contractuelle pour la declarer
invalide. En invoquant une telle exclusion, l'assureur denaturait l'objet du contrat
d'assurances, puisque dans les faits, toutes les activites de 1'entreprise pouvaient
faire l'objet de l'exclusion et le contrat d'assurances s'averait ainsi prive de toute
utilite pratique, comprendre de tout interet pour l'assure. En plus, cet assureur
7 ,5 Article 2400 C.c.Q. (2478 C.c.B.C.)
302
continuait de pereevoir les primes, qu'il n'avait pas a rembourser malgre son deni
de couverture puisqu'il ne s'agissait pas d'une annulation de contrat pour fausse
declaration initiale mais bien d'une exclusion dans un contrat par ailleurs valide.
La clause d'exclusion en faveur de l'assureur etait done deraisonnable puisqu'une
personne raisonnable pouvant s'assurer librement de la saine gestion de ses
interets aurait exige de recevoir une contrepartie utile pour le paiement des
primes. En interpretant le contrat de maniere a ce que 1'exclusion ne puisse
s'appliquer aux activites de l'assure, la Cour a veille a une certaine sauvegarde
raisonnable des interets de l'assure place dans 1'impossibility factuelle de le faire
lui-meme.
De la meme fa<?on, dans une decision mettant en cause un fournisseur de
photocopieuses aupres de l'ancienne Communaute de transport de Montreal, le
tribunal a juge qu'il serait contraire a la bonne foi d'interpreter une clause du
cahier de charges qui autorisait la CUM a reduire ou augmenter le nombre de
photocopieurs dans ses edifices comme lui permettant de retourner les
photocopieurs de son cocontractant pour faire affaires avec un autre fournisseur
en cours de contrat716. Encore la, il faut voir que la CUM etait une partie
avantagee qui avait impose le contrat a son fournisseur. Consequemment, il
apparait que le tribunal etait justifie, en presence de divergence sur 1'interpretation
du contrat, de veiller a sauvegarder l'interet contractuel de la partie s'etant fait
716 Xequipe Inc. c Montreal (Communaute urbaine de), (6 septembre 2001), Montreal, 500-05-044888-988, J.E. 2001-1759, REJB 2001-26233 (C.S.), au para. 70 [Xequipe].
303
imposer les conditions contractuelles a son desavantage en favorisant
1'interpretation lui etant la plus favorable.
On comprend de cette analyse jurisprudentielle que la fonction interpretative de la
bonne foi implique en quelque sorte une exigence de coherence contractuelle717.
II ne faut pas que le contrat, par le biais de clauses diverses, notamment
d'exclusion de responsabilite, devienrie une sorte de leurre pour une des parties
parce qu'en definitive ses obligations essentielles ne pourront jamais etre
718
executees par la contrainte juridique . En d'autres termes, il ne faut pas que les
clauses contractuelles privent en pratique une des parties du benefice du contrat.
C'est pour cette raison que 1'interpretation du contrat doit favoriser l'interet des
deux parties. On retrouve d'ailleurs cette meme idee de coherence dans la
reconnaissance des clauses abusives dans les contrats d'adhesion ou de
consommation719. La definition d'une clause abusive que l'on retrouve a l'article
1437 C.c.Q. 1'expose bien lorsqu'elle prevoit qu'est notamment abusive une
clause qui denature le contrat en le privant de ses obligations essentielles. Mais la
generality de l'obligation de bonne foi permet d'adopter une interpretation
favorisant l'interet de toutes les parties meme dans des contrats qui ne seraient pas
d'adhesion ou de consommation.
717 Mazeaud, Commandements, supra note 673 aux nos 12 a 14. 718 Voir aussi sur cette question de l'exigence de coherence que cet auteur rattache dans certains
cas a la notion de cause, Denis Mazeaud, «Les nouveaux instruments de l'equilibre contractuel- Ne risque-t-on pas d'aller trop loin ? » dans Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 215, 135 a lap. 144 [Mazeaud, « Instruments »].
719 Article 1437 C.c.Q.
304
On peut mentionner a cet egard un arret frangais particulierement eloquent quant a
l'obligation de coherence contractuelle . Ainsi, une societe, specialiste du
transport rapide, garantissait la celerite et la fiabilite de son service mais prevoyait
dans le contrat, une clause de non-responsabilite en cas de retard dans la livraison.
En vertu de cette clause, aucun dommage ne pouvait etre reclame en cas de retard
dans la livraison. Or, la Cour de cassation a invalide une telle clause parce qu'elle
contredisait la portee de l'engagement et du fait, l'interet du cocontractant a payer
pour un tel service rapide. En effet, en presence d'une telle clause, les obligations
de ponctualite et de fiabilite assumees par la societe de livraison revenaient a peu
de choses puisqu'elles ne pouvaient faire l'objet que d'une sanction tres minime,
soit le remboursement du prix de la livraison, en cas d'inexecution.
Cette courte analyse de la jurisprudence demontre bien que les tribunaux semblent
de moins en moins hesiter a adopter une interpretation du contrat qui soit
conforme aux principes d'une commutativite objective. Une question demeure
toutefois : peut-on legitimement en droit quebecois faire intervenir la bonne foi
dans Finterpretation du contrat ? En effet, lorsque l'on consulte la section du
Code civil du Quebec relative a 1'interpretation du contrat721, on constate aisement
qu'il n'y est nullement mention de la bonne foi a titre de regie d'interpretation du
contrat. Pourtant, le principe de la bonne foi est martele a diverses autres sections
du Code. II semble consequemment aise de conclure que si le legislateur avait
souhaite, lors de la reforme du Code civil, introduire la bonne foi comme principe
720 SA Banchereau c. Societe Chronopost, cass. comm., 22 octobre 1996, D. 1997.121 (obs. Alain Seriaux).
721 Articles 1425 a 1432 C.c.Q.
305
d'interpretation du contrat, il en aurait fait egalement mention dans cette section
specifique du Code civil. Malgre cette omission, est-il possible que la bonne foi
puisse etre consideree comme une regie d'interpretation du contrat ? Cette
question demande que l'on s'interroge sur le caractere exhaustif ou non des regies
d'interpretation prevues aux articles 1425 a 1432 du Code civil du Quebec. Or, il
semble que sur cette question, tant la jurisprudence que la doctrine sont d'avis que
les principes d'interpretation prevus au Code civil ne peuvent etre consideres
comme exhaustifs.
Nous avons deja discute de certaines decisions qui referaient aux exigences de la
bonne foi lors de 1'interpretation du contrat722. II apparait done que l'absence de
la mention expresse de la bonne foi dans la section du Code civil relative a
1'interpretation contractuelle n'empeche pas les juges de recourir a celle-ci pour
juger de l'intention des parties. Par ailleurs, la doctrine quebecoise mentionne
aussi que les regies d'interpretation des articles 1425 a 1432 C.c.Q. ne sont pas
limitatives et n'interdisent pas le recours a d'autres regies, tels le gros bon sens,
l'equite et la bonne foi723. Pour certains auteurs, la bonne foi se distinguerait
meme des autres regies d'interpretation en ce qu'elle constituerait un moyen
imperatif de lecture et de comprehension du contrat, alors que les autres ne
seraient utiles qu'en cas d'ambigui'te du contrat724. Or, s'il est vrai que la bonne
722 Voir notamment, Wyre, supra note 712 au para. 41; Xequipe, supra note 716 au para. 70. 723 Voir notamment Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 436; Leclerc, supra note 270 a la p.
270; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 aux pp. 94-96; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1623.
724 Voir Leclerc, ibid, qui reprend en l'extrapolant a la bonne foi Paffirmation emise par Me Colas relativement au role de l'equite qu'instrument imperatif d'interpretation du contrat: Emile
306
foi est imperative et doit etre respectee par les parties, une telle affirmation nous
semble par ailleurs un peu large pour etre entierement valable. Au stade de
1'interpretation, il nous semble que le juge ne pourra intervenir au contrat pour
modifier une clause contractuelle par ailleurs claire725 a moins que celle-ci ne
demontre l'exploitation deraisonnable de l'inegalite des parties. Neanmoins, nous
reconnaissons que definir ce qui est clair, ambigu ou en peril est parfois en soi un
exercice fort perilleux qui exige en soi une certaine interpretation.
Nous I'avons mentionne, pour plusieurs auteurs, cette premiere fonction de la
bonne foi, surtout si elle permet une interpretation dite raisonnable, ce qui dans les
faits peut equivaloir a une amelioration contractuelle pour les interets de la partie
desavantagee, implique necessairement une intervention judiciaire relevant de la
deuxieme fonction de la bonne foi, soit la fonction completive. Cette derniere
etant souvent decriee comme une source de « forgage » du contrat, on comprend
mieux pourquoi certains auteurs analysent de maniere restrictive la fonction
interpretative. Nous verrons pour notre part pourquoi, a notre avis, la fonction
completive ne peut etre analysee comme un forgage du contrat mais plutot comme
une affirmation renouvelee des assises contractuelles.
Colas, « La notion d'equite dans 1'interpretation du contrat», (1981) 83 R. du N. 391 a la p. 400.
725 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 436.
307
4.2.2. La fonction completive
La fonction completive peut probablement etre consideree comme la fonction de
la bonne foi la plus fertile en jurisprudence. Certains pourraient meme ne pas
hesiter a dire qu'il s'agit de la seule veritable fonction de la bonne foi utile en
droit quebecois. Cette fonction permet aux juges de creer des obligations
implicites au contrat afin de favoriser une plus juste commutativite normative
entre les parties . Ces obligations ont la caracteristique de ne pas avoir ete
expressement prevues par les parties mais sont malgre cela considerees
contraignantes pour celles-ci. Leur non-respect peut entrainer la responsabilite
civile des parties.
Malgre que certains puissent encore denoncer de telles impositions comme une
denaturation des principes contractuels, nous croyons au contraire que ces
impositions sont legitimes et legales. D'abord, le Code civil du Quebec prevoit
expressement que la force obligatoire du contrat ne s'etend pas seulement au
contenu explicite du contrat mais aussi a un contenu implicite qui se fonderait sur
la nature du contrat, les usages, l'equite ou la loi727. II est done faux de pretendre
que le contenu du contrat ne se retrouve que dans la stricte lettre de celui-ci.
Ensuite, il ne faut pas oublier que le legislateur est tres explicite sur le devoir qui
incombe a chacun d'agir selon les exigences de la bonne foi a tous les stades de la
726 Gregoire, supra note 15 a la p. 21 et s.; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 98 et s.; Masse, supra note 270 a la p. 225.
727 Article 1434 C.c.Q.
308
778 vie contractuelle . La bonne foi contractuelle fait done legalement partie des
comportements que doivent adopter les parties au contrat.
II faut par ailleurs mentionner que ces denonciations proviennent souvent de la
doctrine frangaise qui peut s'appuyer sur la disposition prevoyant que « le contrat
tient lieu de loi des parties », art. 1034 du Code civil frangais, pour justifier sa
position. Or, le Code civil du Quebec ne contient pas une telle disposition.
D'ailleurs, cette omission n'est pas le fruit du hasard. Dans ses commentaires, le
Ministre de la Justice ayant procede a 1'adoption du Code civil mentionne que
cette omission est deliberee puisque le legislateur, qui voulait introduire une
moralite contractuelle au Code civil, considerait que l'essentiel des obligations
contractuelles liees a l'ethique contractuelle etaient fondees sur les obligations
• • • • 77Q dites implicites et done, en grande partie imposees par le juge .
Meme si les articles specifiques a l'obligation de bonne foi sont nouveaux au
Code civil, la sanction du devoir de bonne foi n'est pas nouvelle pour autant.
C'est en vertu du devoir d'equite, prevu a l'epoque par l'article 1024 C.c.B.C, que
les tribunaux ont reconnu une obligation contractuelle de bonne foi en droit
quebecois730. Cependant, force est d'admettre que le rayonnement tout azimut de
cette notion en jurisprudence est relativement recent. On retrouve cette notion de
bonne foi declinee en de nombreux nouveaux devoirs tels que ceux d'information,
728 Voir les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. 729 Voir a ce sujet Commentaires du ministre de la justice, supra note 213 a l'article 1434. 730 Voir les arrets de la Cour supreme Bail, supra note 12; Houle, supra note 11 \ Kuet Leong,
supra note 654 et Soucisse, supra note 10.
309
de collaboration ou de loyaute. Une telle interpretation permet aux tribunaux
d'intervenir de plus en plus aux relations contractuelles desequilibrees, ou la
partie avantagee profite de sa position au detriment des interets de son
cocontractant selon un standard ne correspondant pas a celui des agissements
d'une personne raisonnable.
A premiere vue, ces nouveaux devoirs d'information, de collaboration et de
loyaute apparaissent comme autant de nouvelles normes floues, multipliant
d'autant les possibilites d'interpretations judiciaires contradictories et, a la limite,
arbitraires. C'est d'ailleurs ce qui fait dire a certains que l'obligation de bonne
foi, si elle est effectivement source d'intervention judiciaire, ne peut etre qu'une
porte ouverte a l'arbitraire et l'abus. En d'autres termes, il faut eviter que la
multiplication des jugements d'espece sur cette notion se traduise par une
multiplication des normes qui deviendraient impossibles de respecter meme avec
la plus grande bonne foi. C'est pour cette raison que notre etude propose une
methode basee sur le respect de certaines assises fondamentales de toute relation
contractuelle. Nous esperons que la comprehension et la reconnaissance de ces
principes puissent permettre aux juges d'eviter cet ecueil et d'assurer la coherence
de la notion de bonne foi.
Pour illustrer nos propos, nous pouvons proceder a une analogie avec les elements
de la faute, dont la bonne foi est a notre avis une manifestation caracterisee. La
faute est elle-meme une notion floue permettant au juge de rendre des jugements
au cas par cas selon la nature des faits en cause. On conserve ainsi son caractere
310
evolutif et adaptatif. Cependant, ce caractere flou fait en sorte que, theoriquement,
il y a autant de risques d'abus et d'arbitraire dans 1'interpretation de la faute en
general que dans celle de la bonne foi, puisque celle-ci se presente comme une
faute specifique donnant ouverture a des recours caracterises731. Pourtant,
rarement voit-on denonces des abus commis dans 1'interpretation de la notion de
faute. Cela est probablement du au fait que les juges sont conscients que cette
notion doit s'interpreter dans le contexte plus large de la responsabilite civile en
concordance avec les principes de justice commutative et les notions de
dommages et de lien de causalite. Nous souhaitons done que les juges deviennent
aussi a l'aise dans l'application de la notion de bonne foi afin d'assurer a cette
notion la coherence qui lui revient.
II est par ailleurs interessant de noter que tant la doctrine732 que la jurisprudence733
ont reconnu que le manquement a une obligation de bonne foi pouvait constituer
une faute contractuelle. Ainsi, il est interessant d'observer l'analyse effectuee par
la Cour d'appel dans l'arret Provigo distribution Inc. Nous avons deja
mentionne que, dans cet arret, la Cour impose, au nom de l'obligation de bonne
foi et celle de loyaute en decoulant, des obligations implicites et positives de
collaboration, d'assistances technique et commerciale et de maintien de la
pertinence du contrat pour le cocontractant. Elle conclut en consequence que le
731 Voir sur les recours specifiques a la bonne foi,.Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 2014 et s.; Gregoire, supra note 15 a la p. 43 et s.
732 Popovici, « Honoraires », supra note 634. 733 Voir par exemple l'arret Provigo, supra note 614 aux pp. 58-59 (C.A.). De meme, les arrets
Bail, supra note 12 et Houle, supra note 11 ont reconnu que ces memes manquements contractuels a l'obligation de bonne foi pouvaient, en certaines circonstances, etre generateurs de faute extracontractuelle a l'egard des tiers au contrat.
734Provigo, ibid.
311
franchiseur qui impose des politiques commerciales a son franchise ne permettant
pas a ce dernier de beneficier des outils necessaires pour faire face a la
concurrence ne respecte pas ces devoirs a l'egard de son franchise/cocontractant.
II y a done clairement imposition de normes de conduite aux cocontractants. Ces
normes ne sont pas expressement prevues au contrat mais pourtant nous croyons
qu'elles permettent un plus grand rayonnement des assises de liberte,
responsabilite et justice commutative.
II est interessant de noter qu'en premiere analyse, la Cour specifie qu'elle ne
reproche pas au franchiseur Provigo la concurrence qu'il fait a ses franchises par
le biais d'autres bannieres lui appartenant. Cependant, pour etre sans reproche, il
est imperatif que cette concurrence soit faite de bonne foi735. Cette premiere
remarque de la Cour est en tout point conforme a notre comprehension des droits
subjectifs et du principe de libre concurrence encourage par une economie
liberale. On ne peut etre sanctionne pour une concurrence loyale.
Qu'en est-il dans la presente affaire ? Peut-on ici parler d'une concurrence
loyale ? Pour repondre a cette question, la Cour commence par analyser les
circonstances de la relation contractuelle entre le franchiseur et les franchises. Or,
cette analyse demontre que le franchiseur jouit d'une position de domination sur
ses franchises, notamment en controlant jusqu'a 90 % des operations de ceux-ci
(approvisionnement, sites des entreprises, financement, publicite). II y a done
domination d'une partie sur l'autre et une grande restriction de liberte pour cette
735 Ibid, aux pp. 59-60.
312
derniere a pouvoir assurer la sauvegarde de ses interets. Ce contexte particulier
fait en sorte que le franchiseur, lorsqu'il developpe d'autres bannieres faisant
competition a ses franchises, doit s'assurer de tenir compte de l'interet de ses
franchises, en leur fournissant divers outils et strategies pour minimiser 1'impact
n-ic
de cette concurrence et leur permettre de se repositionner sur le marche . Parce
qu'il se trouve en situation de domination, le franchiseur se voit imposer des
obligations implicites, fondees sur la bonne foi, afin de l'obliger a sauvegarder
certains interets de son cocontractant place en situation de grande vulnerability. Le
franchiseur doit collaborer et fournir les assistances technique et commerciale afin
de maintenir, pour les franchises, la pertinence du contrat ou, si l'on prefere, leur
interet dans la poursuite du lien contractuel. Le non-respect de ces obligations
constitue une faute civile qui entraine la responsabilite du franchiseur pour les
dommages causes. i
La demarche de la Cour d'appel est particulierement interessante puisqu'elle
demontre toutes les etapes de la methode que nous proposons. En plus de
rappeler qu'en soi, une concurrence loyale n'est pas generatrice de responsabilite,
la Cour procede a un raisonnement qui respecte les assises contractuelles
presentees aux chapitres precedents. Ainsi, la Cour commence par observer la
position respective des parties. Elle constate qu'une de celles-ci domine l'autre
qui, elle, ne peut, en vertu des regies contractuelles, veiller librement et
adequatement a ses interets. Cette premiere constatation est en soi suffisante pour
que la Cour puisse reconnaitre des obligations implicites a la partie dominante en
736 Ibid, aux pp. 60-61.
313
vertu des exigences de la bonne foi. Done, a ce stade, nul besoin d'une faute
d'une partie. La position dominante est suffisante.
II est aussi interessant de constater la nature des obligations imposees au
franchiseur dominant. Ainsi, on lui reproche non pas de faire concurrence a ses
franchises ou de ne pas faire preuve d'une quelconque fraternite ou solidarite mais
bien de ne pas fournir les outils techniques et commerciaux afin que les franchises
puissent veiller a leurs interets et se repositionner dans le marche tres competitif
du commerce de detail alimentaire. On souhaite en d'autres termes que le
franchiseur adopte un comportement permettant l'emergence des preceptes de
liberte et de responsabilite dans la gestion de ses interets. La Cour n'impose
aucune obligation de resultat specifique relativement a l'usage que fera le
franchise de ces opportunites normatives.
Le raisonnement adopte par la Cour d'appel illustre aussi la reconnaissance, par le
droit prive, de la hierarchie des interets basee sur la verticalite de la relation.,
resultant de la structure meme du contrat. On permet au franchiseur de faire des
profits au detriment du franchise. Par contre, cette verticalite doit s'exercer dans
le respect de la saine coexistence des droits et interets des parties. Ainsi, si cette
Verticalite structurelle permet au franchiseur de faire primer ses interets, il doit par
ailleurs veiller a ne pas nuire indument a son franchise en s'assurant de maintenir
pour lui la pertinence du contrat.
314
Agir en vertu des exigences de la bonne foi permet la sauvegarde raisonnable des
interets du cocontractant desavantage. On ne peut indument nuire a autrui et c'est
ce que l'on fait lorsque l'on tire profit d'une situation de domination en negation
des interets legitimes de son cocontractant. L'inegalite dans la capacite a veiller a
ses affaires vient legitimer les interets de la partie desavantagee et ceux-ci
acquierent de ce fait une protection juridique. II s'agit d'une premiere etape qui
n'a pas encore engendre la responsabilite civile du contractant privilegie mais qui
l'oblige tout de meme a restreindre l'etendue de ses prerogatives a l'egard de son
cocontractant737. Ce n'est que lorsqu'il ne respecte pas ces obligations implicites
de loyaute en agissant au mepris des interets proteges de son cocontractant qu'il
738 commet une faute donnant ouverture aux regies de la responsabilite civile .
Naturellement, on pourra repliquer que tout creancier est en position de
domination et tire profit de sa position en exigeant l'execution de l'obligation.
Tout devient alors une question de degre a analyser par le juge. Nous avons
d'ailleurs deja propose le critere de la norme objective de comportement de la
personne raisonnable. Or, dans le cas de l'arret Provigo distribution, la
domination du franchiseur etait a ce point grande et ses agissements constituaient
un tel deni des interets de ses franchises que la Cour a conclu que la pertinence
737 En ce sens, pour certains auteurs, le devoir de loyaute se distinguerait du devoir de collaboration qui lui imposerait des obligations dites positives de comportement, voir Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 129; Lluelles et Moore, supra note 20 aux nos. 1979 et 1997. Or, a notre avis, si une telle affirmation peut s'averer au plan semantique, son utilite, au sens de la restriction des droits subjectifs, peut etre questionnee. En effet, dans les deux cas, il y a obligation de sauvegarder certains interets d'autrui et par le fait meme restriction de l'etendue des droits subjectifs.
738 Voir un raisonnement semblable en ce qui concerne l'obligation d'information dans Losier, supra note 16.
315
meme du contrat pour ces franchises etait en peril. Le comportement adopte par
le franchiseur, meme s'il etait conforme a la lettre du contrat, leur faisait perdre
tout interet personnel a maintenir le contrat. II est done difficile de soutenir que
les clauses contractuelles imposaient des conditions raisonnables qu'une personne
libre de veiller a ses interets aurait pleinement acceptees.
Ce meme critere de maintien de la pertinence du contrat est aussi utile, meme s'il
n'a pas ete mentionne expressement par le juge, a la comprehension de la decision
dans 1'affaire Posluns c. Entreprises Lormil inc.739. Cette affaire concerne un
centre commercial qui, des les plans de construction, prevoyait 1'implantation de 5
restaurants de restauration rapide selon une repartition precise des differents
menus de chacun (poulet, pizza, mets chinois, etc.). Les baux signes prevoyaient
aussi l'exclusivite des mets que chacun des locataires pouvait offrir mais sans
reciprocity de la part du locateur. Le juge specifie que l'harmonie entre les
restaurateurs etait bonne, chacun etant conscient du respect des menus
reciproques. II en etait de meme des relations des locataires avec le centre
commercial jusqu'a ce que ce dernier remplace la tabagie du centre commercial
par un restaurant d'une banniere populaire a cette epoque. Ce nouveau venu
proposant le meme type d'aliments qu'un des locataires, ce dernier n'arriva plus a
payer son loyer devant un competiteur aussi puissant. Ce locataire a done
poursuivi le centre commercial pour les dommages subis suite a cette nouvelle
concurrence.
739 Posluns c. Entreprises Lormil Inc., (4 juillet 1990), Quebec, 200-05-001584-858 et 200-05-001878-854, J.E. 90-1131 (C.S.) [Posluns]
316
La compagnie proprietaire du centre commercial s'est defendue en soulignant
qu'elle n'avait expressement aucune obligation de respecter l'exclusivite prevue
aux baux de ses locataires. De son point de vue, cette exclusivite n'engageait que
les locataires entre eux. Or, le juge a souligne qu'en imposant un cadre precis
d'exploitation, le centre commercial devait implicitement respecter celui-ci. II a
ajoute que les parties impliquees dans la gestion du centre commercial
«assument, au-dela de la lettre des contrats, une obligation de respecter
l'equilibre entre les divers commerces, de fagon a ne pas nuire a l'exercice de
leurs activites principales et encore moins a leur creer des difficultes. »740 Cela
releve de l'obligation de loyaute implicite au contrat.
Malgre les inconvenients engendres par ce cadre d'exploitation, les locataires-
restaurateurs y trouvaient un certain interet puisque les menus imposes creaient un
equilibre entre eux. Or, le centre commercial en situation de superiority ne
pouvait agir impunement au detriment de ces interets. Devant un competiteur
puissant introduit contre toute attente et au detriment de l'equilibre impose par le
locateur, le bail signe par le premier locataire principalement lese perdait toute sa
pertinence. II en a resulte un manquement aux exigences de la loyaute decoulant
de la bonne foi puisque dans une telle situation d'inegalite, il appartenait au
locateur d'adopter un comportement raisonnable pour assurer le respect des
interets du locataire. Ce manquement a entraine un prejudice pour ce locataire lui
dormant droit a une reparation, ici, par l'octroi de dommages-interets.
lwIbid. a la p. 12.
317
Ces dernieres decisions sont autant de demonstrations de la fonction completive
de la bonne foi. Cette fonction est primordiale puisqu'elle est a la base meme de
1'imposition d'une commutativite normative plus objective engendree non pas par
la faute d'un des cocontractants mais par une situation factuelle precise.
Lorsqu'un des cocontractants est dans une situation ou il peut controler la gestion
des interets d'une autre partie, la fonction completive de la bonne foi lui impose
d'agir avec loyaute, c'est-a-dire en tenant compte, dans les limites du
comportement raisonnable, des interets de cette autre partie. On tente ainsi de
retablir l'egalite et la responsabilite. II est d'ailleurs interessant de noter les
commentaires que fait un auteur frangais sur le devoir de loyaute :
« [D]ans les rapports entre les individus, l'obligation de loyaute est
souvent invoquee pour limiter, supprimer l'exercice d'un droit
subjectif ou engager la responsabilite d'un contractant. Les
manifestations de ce devoir en effet sont toujours negatives : il
paralyse ou interdit l'exercice d'un droit, comme s'il exprimait une
composante constante de tout droit, souvent inexprimee, mais
toujours sous-entendue. (...)
La loyaute exige (...) bien sur, ne pas tromper, ne pas mentir. Mais
surtout, adopter une attitude coherente, une unite de comportement,
qui permette a autrui de determiner avec confiance sa propre
conduite. En ce sens, le contraire de la loyaute est la duplicite,
l'attitude double, qui egare autrui et ruine ses previsions. »741
741 Aynes, supra note 541 a la p. 197 [les italiques apparaissent au texte original].
318
En d'autres termes, le devoir de loyaute a pour but de limiter les prerogatives
d'une partie avantagee afin de permettre a son cocontractant desavantage de
veiller a la saine gestion de ses interets. Ce devoir pourra impliquer de ne pas agir
742
de fagon a empecher l'autre partie de retirer du contrat le benefice prevu ,
comme nous l'avons notamment constate dans les decisions Posluns et Provigo
distribution. De meme, il pourra consister a faciliter l'execution du contrat, ou du
moins, ne pas la rendre plus onereuse ou difficile743. On pourrait donner
l'exemple du coursier, paye au kilometrage, qui emprunterait la route la plus
longue pour profiter davantage de son cocontractant. II est clair qu'un tel
comportement brimerait le devoir de loyaute.
Toute cette recherche du maintien de la pertinence du contrat pour les deux parties
est particulierement interessante parce qu'elle demontre bien que la bonne foi
n'est pas une simple obligation a saveur morale qui doit etre dissociee du contenu
contractuel744. Le respect ou non de l'obligation de bonne foi a une incidence
economique directe pour les parties745.
Cette analyse demontre bien aussi que le profit ou l'avantage tire d'une
circonstance favorable n'implique pas necessairement un manquement a
l'obligation de bonne foi746. C'est le comportement non conforme a celui d'un
contractant raisonnable qui constituera un tel manquement et pourra entrainer la
742 Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 440. 743 Ibid. 744 Voir a cet effet la theorie de Stoffel-Munck, Abus, supra note 616. Voir une analyse rejetant
cette theorie : Chazal, supra note 329 aux pp. 114-116. 745 Chazal, ibid, a la p. 116. 746 Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1990;
319
responsabilite civile de l'auteur. On conclut un contrat dans son interet et le droit
quebecois encourage la concurrence loyale. II apparait ainsi coherent que les
profits ou avantages raisonnables engendres par ce contrat ne puissent constituer a
eux seuls un manquement aux exigences de la bonne foi.
Cette meme logique permet de plus de jeter un eclairage sur les obligations
incombant a une partie pouvant beneficier, par le biais de la loi ou d'une
stipulation contractuelle, d'un droit de resiliation unilaterale du contrat. II est
747
admis que cette partie ne pourra utiliser ce droit d'une maniere intempestive .
On exigera de cette partie un avis raisonnable748, des motifs legitimes749, une
resiliation faite dans un espace-temps ne nuisant pas indument au cocontractant750
ou une certaine collaboration permettant a l'autre partie de se reorganiser et qc 1
developper de nouveaux liens d'affaires . Toutes ces restrictions au droit de
resiliation unilaterale s'expliquent par le fait que ce dernier entraine une inegalite
dans la capacite des parties a gerer leurs interets obligeant son titulaire a exercer
cette prerogative en veillant a certains interets de son cocontractant. Le devoir de
loyaute agit comme un gardien contre 1'absolutisme de la commutativite
747 Voir une etude generale de cette question, ibid, aux nos. 1994-1996. 748 Voir par exemple l'article 2091 C.c.Q. en matiere de contrat de travail ou l'arret Houle, supra
note 11. 749 Voir par exemple les articles 2094 C.c.Q. (contrat de travail), 2126 C.c.Q. (contrat d'entreprise)
ou 2178 C.c.Q. (contrat de mandat). 750 Voir par exemple les articles 2126 C.c.Q. (contrat d'entreprise), 2178 C.c.Q (contrat de
mandat) ou 2228 C.c.Q. (contrat de societe). 751 S.M.C. Pneumatiques (Canada) Ltee c. Dicsa Inc., (7 juin 2000), Montreal, 500-05-037558-
978, J.E. 2000-1448 (C.S.) au par. 61 (appel accueilli quant au quantum des dommages admissibles mais pas quant a la necessite d'un preavis : (16 janvier 2003), Montreal, 500-09-009816-000, B.E. 2003BE-208 (C.A.) [Dicsa].
320
normative des parties. II n'empeche pas de profiter de cet avantage mais tente
d'en minimiser les impacts deraisonnables pour le cocontractant.
La methode ici presentee permet aussi de comprendre pourquoi l'intensite des
exigences de la bonne foi lors de la resiliation augmentera selon la situation
factuelle des parties. Parfois l'inegalite est presumee par le legislateur. Par
exemple, la loi impose a l'assureur un delai d'avis de resiliation du contrat plus
long que celui impose a ses assures . Aussi, les conditions de resiliation de
contrat sont plus exigeantes pour 1'entrepreneur que pour son client .
La situation factuelle des parties aura de meme une influence sur les conditions de
resiliation d'un contrat de travail. Generalement, l'employeur doit faire preuve
d'une plus grande loyaute a l'egard de son employe lors de la resiliation du
contrat que ce meme employe a l'egard de son employeur. Les delais de preavis
doivent souvent etre plus longs et les motifs de resiliation plus explicites. Par
ailleurs, cette situation pourrait etre differente dans le cas d'un employe-cle de
1'entreprise, cadre superieur ou ayant acces a des secrets industriels importants par
exemple. Dans une telle situation, la vulnerability engendree par la position
privilegiee de cet employe augmenterait d'autant son obligation de loyaute s'il
souhaitait resilier unilateralement son contrat de travail. Un tel employe devrait
probablement offrir un plus long preavis et verrait son obligation de loyaute se
752 Voir par exemple en matiere d'assurances de dommages l'article 2477 C.c.Q. qui prevoit un delai de 15 jours pour la resiliation provenant de l'assureur et aucun ddlai specifique pour l'assure.
753 Comparer les articles 2125 et 2126 C.c.Q.
321
prolonger plus longuement au-dela du lien contractuel afin de proteger la
divulgation de renseignements confidentiels sur l'entreprise754.
Ce meme type d'analyse fondee sur la situation reelle des parties permettra aussi
de saisir la distinction faite par certains auteurs entre les devoirs de loyaute et de
collaboration. Si on le compare au devoir de loyaute, le devoir de cooperation
implique un rapport de confiance plus important et varie en intensite selon la
nature du contrat755. II sera particulierement important pour des contrats de type
« organisation », et beaucoup moins dans les contrats qualifies de « contrats-
echanges »756. Si l'on tente de definir chacun de ces types de contrats, on peut
dire que les premiers se qualifient par une mise en commun du travail ou des
biens des contractants dans un but precis alors que les seconds constituent le plus
souvent une simple permutation de biens entre les parties. On comprend alors que
les premiers seront generalement de plus longue duree que les seconds qui seront
plus generalement a execution instantanee. II peut ainsi paraitre normal, par
exemple dans un contrat de vente, que le devoir de cooperation soit moins
important que dans un contrat de franchise ou de distribution puisque les interets
des deux parties y seront plus convergents que dans le premier cas. Cette
convergence creera une interdependance entre les parties qui resultera en une plus
nen
grande vulnerabilite et done un plus grand devoir de cooperation .
754 Voir d'ailleurs l'article 2088 C.c.Q. 755 Delebecque et Pansier, supra note 32 au no. 263; Mignot, supra note 36 a la p. 2192 et s.;
Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 441. 756 Pour une definition precise de ces notions voir : Mignot, ibid, a la p. 2172 et s.; Terre, Simler et
Lequette, ibid, aux nos 42 et 78. 757 Mignot, iid. aux pp. 2176-2177.
322
Par exemple, dans l'arret Provigo distribution, la vulnerability du franchise
obligeait le franchiseur a faire preuve d'une grande collaboration a son egard.
Mais au-dela de l'interet du franchise, le franchiseur avait aussi interet a ce que le
commerce du franchise soit couronne d'un certain succes, tant au plan v
economique que de la renommee. Ainsi, meme pour des contrats de nature
« organisation », on ne peut affirmer que l'obligation de bonne foi regissant ces
contrats soit de nature altruiste ou « solidariste ». La cooperation avec son
cocontractant permet encore la satisfaction de ses propres interets , meme si les
prerogatives liees a ceux-ci peuvent parfois etre quelque peu limitees par
l'obligation de bonne foi et l'objectivite qu'elle entraine dans la commutativite
normative des parties.
Au plan des similitudes, il est interessant de noter que les obligations de loyaute et
de cooperation impliquent que le contrat soit execute utilement759, c'est-a-dire
dans l'interet des parties. On retrouve cette assise constamment, notamment
lorsque l'on mentionne que ces devoirs impliquent d'agir de fagon a maintenir la
pertinence du contrat pour son cocontractant. Or, la constance de ce precepte
permet de preciser certains elements d'analyse de la theorie du juste et de l'utile
etudiee plus avant760. Rappelons-le, selon la description que fait le professeur
Jacques Ghestin de sa theorie du juste et de l'utile, celle-ci prevoit non pas une
utilite individuelle mais bien une utilite sociale au contrat. Nous avons deja
demontre que cette affirmation cause un malaise chez plusieurs auteurs qui y
758 Ibid, a la p. 2178 et aux pp. 2193-2194. 759 Voir Picod, supra note 277 a la p. 97 et s. 760 Voir nos commentaires sur la theorie du juste et de l'utile, & la p. 15 et s.
323
voient notamment un laisser-passer pour l'exploitation des parties desavantagees.
Nous sommes du meme avis. II faut veiller a la satisfaction d'un interet personnel
en incluant ce critere dans 1'aspect de justice du contrat. Nous sommes
reconfortee dans notre opinion en constatant que la bonne foi impose une
execution utile. Or, cela implique consequemment que cette meme utilite est
inherente au contrat761, a moins qu'elle ne soit rejetee de maniere libre et
consciente, comme cela pourrait l'etre pour un don entre parents . On peut
librement et consciemment renoncer a ses interets mais si ces conditions ne sont
pas presentes, les parties devront agir de maniere a ce que chacun des
cocontractants puisse jouir utilement du contrat. Un contrat juste est done ou
entierement libre ou utile !
S'il est clair que le comportement des parties doit favoriser l'utilite contractuelle
pour correspondre aux exigences de la bonne foi, la description precise de ce que
comprennent les necessites de collaborer ou d'agir de maniere loyale est modulee
en fonction des interets en jeu. Le but de la demarche est la coexistence paisible
des droits et interets avec tout ce qui ce principe implique pour la liberte
individuelle et la responsabilite de chacun. II est essentiel que les obligations
implicites en decoulant puissent posseder un caractere proteiforme afin de pouvoir
s'adapter a tout type de situation. Cependant, il faut noter qu'un de ces caracteres
multiples a fait l'objet d'un examen plus approfondi en jurisprudence en tant que
761 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 40. 762 Bien qu'il soit par definition altruiste, ce type de contrat serait neanmoins valide s'il etait
conclu dans un veritable contexte de liberte.
324
source de « reequilibrage » du contrat. Nous procederons done a une analyse un
peu plus precise du devoir d'information en tant que fonction completive
particuliere de la bonne foi dans le cadre des relations contractuelles.
4.2.2.1 L'obligation d'information
Parmi les devoirs implicites les plus reconnus en jurisprudence, on retrouve
certainement le devoir d'information a l'egard de son cocontractant. Nous en
avons deja brievement discute mais il est interessant de voir ici comment
s'articule specifiquement ce devoir.
C'est l'arret de la Cour supreme Banque de Montreal c. Bail , qui a
veritablement balise et reconnu le devoir general d'information en droit
contractuel quebecois. Auparavant, il existait certains devoirs specifiques
d'information lies essentiellement a la nature des contrats conclus. On peut citer
en exemple le devoir d'information du medecin a l'egard de son patient sur les
risques du traitement envisage ou celui du vendeur professionnel sur les vices de
la chose vendue. Ces devoirs d'information se limitaient a certaines situations
essentiellement basees sur une relation de profil professionnel-profane.
Le devoir d'information reconnu par la Cour supreme dans l'arret Bail est d'une
nature beaucoup plus generale et s'applique a tout type de contrat. En presence
163Bail, supra note 12.
325
des circonstances d'application mentionnees a l'arret, il devient imperatif, sous
peine de sanctions, de transmettre certains elements d'information a son
cocontractant. En s'appuyant sur les ecrits du professeur frangais Jacques
Ghestin, la Cour supreme enonce ainsi les parametres de l'obligation
d'information:
1. La connaissance, reelle ou presumee, de Tinformation par la partie
debitrice de l'obligation de renseignement;
2. La nature determinante de Tinformation;
3. L'impossibilite du creancier de l'obligation de se renseigner soi-meme, ou
la confiance legitime du creancier envers le debiteur.764
II apparait done clairement que l'obligation de renseignement fondee sur la bonne
foi ne contraint le cocontractant que lorsque T autre partie est en situation
d'inegalite fondee sur une vulnerabilite informationnelle765. D'ailleurs, toutes les
notions d'equilibre et de coexistence paisible des droits et interets en droit des
obligations apparait en filigrane dans la decision puisque la Cour affirme que
«[1]'apparition de l'obligation de renseignement est reliee a un certain
reequilibrage au sein du droit civil ».766 Et point particulierement important, la
764 Ibid, aux pp. 586-587. II faut par ailleurs mentionner que depuis, ces criteres ont ete repris dans bon nombre de decisions et notamment dans Janin, supra note 309 et Losier, supra note 16. Pour certaines explications quant a ces criteres, voir notamment: Ghestin, Traite, supra note 29 au no 634 et s.; Jutras, supra note 670 aux pp. 30-33; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 166 et s.
765 Voir notamment les arrets Losier, supra note 16 aux para. 28 et 42; Lacharite c. Caisse populaire Notre-Dame de Bellerive, 2005 QCCA 577, [2005] R.J.Q. 1408 au para. 51 [Lacharite] et Mignacca, supra note 646 au para. 94, ou dans chaque cas la Cour refuse de reconnaitre qu'une des parties 6tait creanciere d'une obligation d'information puisque l'autre partie n'etait pas en situation de vulnerabilite informationnelle a son egard.
766 Bail, supra note 12 a la p. 587
326
Cour insiste pour rappeler que les criteres ne doivent pas etre interpretes d'une
maniere telle que l'on donnerait « a l'obligation de renseignement une portee [...]
[qui] ecarterait l'obligation fondamentale qui est faite a chacun de se renseigner et
Hftl
de veiller prudemment a la conduite de ses affaires. » En d'autres termes,
l'obligation de renseignement n'est pas une obligation de charite mais bien une
obligation de veiller aux interets d'autrui lorsque l'on se trouve dans une situation
informationnelle privilegiee qui, si elle etait exploitee, contreviendrait a la saine
coexistence des droits et interets en permettant a la partie avantagee de nuire
indument a l'autre partie.
Dans cette affaire, la Cour supreme a juge qu'Hydro-Quebec etait dans une
situation informationnelle privilegiee puisqu'elle avait en sa possession des etudes
demontrant que la nature du sol n'etait pas propice a la methode de travail adoptee
(et proposee par les ingenieurs d'Hydro-Quebec). Bien que cette information fut
d'une grande importance pour l'entrepreneur devant effectuer les travaux requis,
Hydro-Quebec a omis de la transmettre a l'entrepreneur general, entrainant ainsi
la faillite du sous-entrepreneur responsable de ces travaux. Or, il est clair ici que
l'entrepreneur general et par le fait meme le sous-entrepreneur, etaient en situation
de grande vulnerability informationnelle et qu'Hydro-Quebec a fausse le risque
assume par ces entreprises, au mepris de leurs interets. Cette vulnerability n'a pas
ete causee par la negligence de l'entrepreneur puisque ce dernier etait tributaire
des renseignements fournis par Hydro-Quebec dans les documents de soumission
et ne pouvait obtenir lui-meme ces renseignements a couts raisonnables. Dans ces
161 Ibid.
327
circonstances, Hydro-Quebec etait debitrice d'une obligation de renseignement et
devait transmettre toute Tinformation en sa possession afin que les
soumissionnaires puissent veiller adequatement a leurs interets. En negligeant de
respecter la saine coexistence des droits et des interets des parties impliquees au
chantier, Hydro-Quebec a commis une faute. Elle a consequemment ete jugee
responsable des dommages causes.
Cette interpretation du raisonnement de l'arret Bail demontre que le test propose
par la Cour supreme est une consecration des preceptes de liberte, responsabilite
et commutativite normative objective. On cherche, par l'obligation de
renseignement, a reequilibrer la situation des parties dans leur liberte contractuelle
et leur saine gestion d'interets. On constate d'ailleurs que le test propose n'est pas
lie a une quelconque qualite des parties mais bien a leur situation reelle
demontrant que Tune des parties est en position de vulnerabilite informationnelle.
Ainsi, comme c'etait d'ailleurs le cas dans l'arret Bail, l'obligation d'information
pourrait s'appliquer meme entre deux parties experimentees ou ayant des statuts
semblables mais dont la situation factuelle aurait pour resultante la vulnerabilite
nco informationnelle de Tune d'elles .
768 Voir notamment l'arret ABB, supra note 647 au para. 88 et Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 192, qui mentionnent bien que « [c]e qui importe, c'est le desequilibre dans les faits des parties qui n'est pas automatiquement relie a la qualite des parties. » Cependant, il est clair que si la partie qui se plaint du manquement a l'obligation d'information est une personne experimentee, cela augmente d'autant son obligation de se renseigner, ce qui lui rend plus difficile l'acces a l'obligation de renseignement. Mais encore la, cette analyse se fait en fonction de la situation factuelle des parties et non de leur statut en soi.
328
II faut par ailleurs mentionner que plusieurs annees avant la decision Bail, la Cour
supreme s'etait deja penchee sur une affaire concernant un devoir d'information
dans l'arret Banque nationale du Canada c. Soucisse769. Cette affaire concernait
les heritiers d'une caution a qui la Banque reclamait des sommes pour des dettes
contractees en majeure partie depuis le deces de la caution. Cependant, les
heritiers n'avaient pas ete informes par la Banque du caractere revocable du
cautionnement. Dans ces circonstances, la Cour a impose une fin de non-recevoir
partielle a la demande de la Banque, soit pour les sommes contractees depuis le
deces. La Cour a juge que si la Banque prenait l'initiative d'informer les cautions
de l'existence du cautionnement, elle ne pouvait par ailleurs changer la
commutativite du contrat en cachant les modalites qui lui etait avantageux de
dissimuler770.
Dans l'arret Soucisse, la Cour a enonce qu'elle ne tolerait pas qu'une partie ne
devoile a l'autre, en situation de vulnerabilite informationnelle - ce qui etait le
cas ici puisque les cautions n'etaient pas en possession d'une copie du
cautionnement et ne pouvaient que se fier aux dires de la Banque - qu'une
information partielle l'avantageant indument. Ce faisant, la Banque n'a pas
respecte le principe de la saine coexistence des droits et interets puisqu'elle a agit
clairement contre les interets de ses cocontractants alors qu'elle savait qu'il
existait une situation d'inegalite causee par un deficit informationnel. En d'autres
termes, au lieu de reequilibrer la situation de vulnerabilite informationnelle afin de
769 Soucisse, supra note 10. 770 Ibid, a la p. 357.
329
respecter les principes de la saine coexistence des droits et libertes et s'assurer que
les cautions puissent recouvrer la liberte de la sauvegarde de leurs interets, la
Banque a accentue l'inegalite des parties en fonction de son seul interet et au
mepris de celui des cautions. Comme la Banque ne pouvait ainsi nuire indument a
autrui, la Cour a impose une fin de non-recevoir pour cette partie de sa
reclamation.
Nous sommes d'avis que l'arret Soucisse demontre une application heureuse des
preceptes identifies dans cette these. Malheureusement, nous ne pouvons en dire
autant de plusieurs decisions qui ont suivi et pretendument applique les principes
de cet arret. A notre avis, l'arret Soucisse a faussement ete interprets comme
introduisant, en droit quebecois, une obligation generale de renseignement d'une
institution fmanciere a l'egard d'une caution sans egard a la presence ou a
l'absence d'une vulnerabilite informationnelle desavantageant la caution.
Pourtant, si l'on etudie attentivement l'arret»Soucisse, on ne peut conclure a une
telle interpretation. II est clair que cet arret a juge qu'une partie qui prend
l'initiative d'en informer une autre en situation de vulnerabilite informationnelle
doit fournir une information complete et non seulement les renseignements qu'il
est a son avantage de reveler. Mais cette obligation circonstancielle peut-elle se
traduire en une obligation generale et illimitee de renseignement en toutes
circonstances ?
330
II est interessant de constater ce que pensait de cette question la Cour d'appel du
Quebec, en 1997, dans l'arret Banque nationale du Canada c. Goulet771.
Concernant un contrat conclu en 1990, la Cour explique que les obligations de
renseignement connues a l'epoque de la conclusion du contrat decoulaient
essentiellement de l'arret Soucisse. Or, la Cour cite alors le passage suivant de la
professeure Louise Poudrier-Lebel pour cerner la portee qu'il faut donner a ses
regies :
« Pour conclure, disons qu'il n'existe pas, dans l'etat actuel du droit
quebecois, un devoir d'information (renseignement ou conseil).
Par contre, si le creancier, de mauvaise foi, fournit des
renseignements errones ou des conseils inappropries ou encore s'il
n'execute pas une obligation d'information a laquelle [il] s'est
specialement engage par convention, il commet une faute pouvant
entrainer sa responsabilite. »772
C'est sur cette constatation que la Cour d'appel conclut qu'en vertu du droit en
vigueur au moment de la formation du contrat, 1'institution financiere devait
certainement repondre honnetement aux demandes d'information transmises par
la caution, mais sans etre par ailleurs soumise a un devoir general d'information
ou de conseil, notamment quant a l'opportunite ou aux risques potentiels de la
transaction. Bien que la Cour refuse de se prononcer sur l'etat de cette question
en 1997, on peut penser que meme le devoir d'information base sur la bonne foi
771 Banque nationale du Canada c. Goulet, (24 fevrier 1997), Montreal, 500-09-000526-947, REJB 1997-00356, J.E. 97-626 (C.A.) [Goulet].
772 Louise Poudrier-Lebel, « La liberation de la caution par la faute du creancier », (1987) 28 C. de D. 939 a la p. 948, tel que cite dans l'arret Goulet, supra note 771. Ce meme passage a par ailleurs ete repris a nouveau dans un arret plus recent de la Cour d'appel portant sur l'obligation d'information a l'egard d'une caution : Losier, supra note 16.
331
ne permettrait pas de conclure a la presence d'un devoir general de divulguer de
telles informations. En effet, se prononcer sur l'opportunite ou les risques
potentiels de la transaction releve plus exactement d'un devoir de conseil que d'un
773 devoir d'information .
Si la reconnaissance et l'imposition d'un devoir de conseil sont justifiees dans
certains cas selon la nature du contrat - on peut penser par exemple a certains
contrats conclus avec des professionnels, tels que des ingenieurs ou avocats et qui
impliquent une abnegation de ses interets au profit de ceux de son client - imposer
un tel devoir general a tous les contrats irait tres certainement a l'encontre des
preceptes de liberte et de responsabilite dans la sauvegarde de ses interets.
N'oublions pas que la coexistence des droits et interets implique qu'une partie a,
en certaines circonstances essentiellement basees sur une position privilegiee
qu'elle detient, l'obligation de poser des gestes concrets, tel celui de fournir
certaines informations determinates a son cocontractant, afin de lui permettre de
veiller adequatement a ses interets sans etre indument dominee par son
774
cocontractant privilegie . Le postulat fondamental d'une telle pretention est que
chacun est responsable de veiller a ses interets, comme l'a si bien rappele la Gour
supreme dans l'arret Bail. Or, si nous imposons un devoir general de conseil pour
tout type de contrat, nous agissons en violation directe de ce postulat en faisant
porter a notre cocontractant la responsabilite de veiller a nos interets. II n'est
77j Voir notamment 164375 Canada, supra note 336; Lac-St-Charles (Ville de) c. Construction Choiniere, [2000] R.R.A. 639, J.E. 2000-1318 (C.A.) [Lac-St-Charles]\ Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 2001 et s.
774 Voir notamment a ce sujet, Alisse, supra note 308 a la p. 56 et s.
332
done pas surprenant que la Cour supreme ait mentionne dans l'arret Bail que le
devoir general de renseignement devait par ailleurs etre distingue du devoir de
conseil775.
Malgre la position tres claire de la Cour d'appel dans l'arret Goulet concernant
l'incidence de l'arret Soucisse sur la portee de l'obligation d'information, bon
77 f t
nombre de decisions ont considere que l'arret Soucisse permettait de conclure a
une obligation de renseignement d'une institution financiere a l'egard d'une
caution et cela en toutes circonstances. En d'autres termes, ces decisions ont
interprets l'arret Soucisse d'une maniere qui leur permettait de condamner une
institution financiere pour manquement a l'obligation de renseignement a l'egard
d'une caution, meme si les conditions prevues dans l'arret Bail n'etaient pas
respectees. En toute deference, il s'agit a notre avis, d'autant de decisions
arbitraires puisqu'elles ne respectent pas les assises fondamentales de toute
relation contractuelle dont le respect est assure par les conditions d'application de 777 l'obligation d'information .
775 Bail, supra note 12 a la p. 587. 776 Voir notamment les decisions Caisse populaire Les Chutes c. Matteau, [1992] R.J.Q. 1693
(C.Q.) [Matteau]-, Groupe Permacon c. Fata, (11 avril 1997), Montreal, 500-02-033829-966, JE. 97-1052, REJB 1997-00730 (C.Q.) [Fata].
777 II est d'ailleurs interessant de noter a ce sujet que la Cour d'appel a confirme qu'il existe en droit quebecois une obligation generale de renseignement d'un preteur a l'egard d'une caution mais aux conditions de l'arret Bail: Losier, supra note 16 et Lacharite, supra note 765. II faut noter cependant dans cette derniere affaire qu'il s'agissait du devoir d'information a l'egard des debiteurs solidaires, que la Cour a assimile a celui envers les cautions.
333
Ces decisions, comme plusieurs autres778, concernent le plus souvent des
renouvellements de pret au debiteur principal sans que la caution intervienne au
renouvellement ou que l'institution preteuse prenne l'initiative d'en informer
specifiquement la caution. Or, meme si le Code civil prevoit expressement qu'un
creancier principal doit repondre aux demandes d'information de la caution
relatives a l'obligation principale779, ces decisions imposent aux institutions
financieres l'initiative d'informer les cautions lors du renouvellement d'un pret.
Nous questionnons ces decisions puisque l'on peut se demander comment une
caution qui connait l'echeance d'un pret et qui possede legalement la capacite de
s'informer elle-meme peut par ailleurs pretendre etre en situation de vulnerabilite
780
informationnelle au sens de l'arret Bail'0. En d' autres termes, comment une
caution peut-elle pretendre que les faits en cause creent une situation de mise en
peril de sa capacite a assurer la sauvegarde de ses interets imposant a une
institution financiere de prendre l'initiative de veiller aux interets de celle-la ? En
se rappelant que la regie de la saine coexistence des droits et interets a pour but 778 Ces decisions ne s'appuient pas necessairement sur l'arret Soucisse mais neanmoins sur une
interpretation de l'obligation de renseignement qui nous semble erronee puisqu'elle ne tient pas compte de la vulnerabilite informationnelle, qui implique necessairement un certain prejudice pour la « victime ». Voir notamment, Banque Laurentienne du Canada c. Adeclat, (20 juillet 1999), Montreal, 500-17-003199-984, J.E. 99-1643, REJB 1999-13740 (C.S.) [Adeclat]; Caisse populaire de Sorel c. Beauchemin, (20 mai 1998), Richelieu, 765-05-000265-949 et 765-05-000281-946, J.E. 1886, REJB 1998-08754 (C.S.) [Beauchemin]; Compagnie Trust Royal c. Entreprises B.M. St-Jean, (7 mai 1997), Montreal, 500-05-017651-967 et 500-05-017652-965, J.E. 97-1158, REJB 1997-00768 (C.S.) [B.M. St-Jean]; Fata, supra note 776.
779 Article 2345 C.c.Q. 780 II est d'ailleurs interessant de noter un commentaire de la Cour d'appel du Quebec qui
impliquait un nouveau debiteur « assumant» le pret de son vendeur et dont le pret avait ete renouvele deux fois par la suite, a l'insu du debiteur initial (le vendeur). Ce dernier a tente de plaider tant novation tacite du pret que manquement par l'institution financiere a son devoir d'information. Ce dernier argument avait ete accueilli par le juge de premiere instance mais a 6te rejete par la Cour d'appel avec le commentaire suivant: « Autrement dit, on ne doit pas pousser l'intensite de l'obligation d'informer jusqu'a une tolerance inconditionnelle et a l'absolution d'une conduite negligente ou imprudente de la part du debiteur. II convient done de respecter un certain equilibre. » Mackay, supra note 17 au para. 34.
334
d'eviter qu'une partie ne puisse imposer, a son benefice, sa volonte a une autre, on
comprend mal comment la libre gestion des interets de la caution peut etre
affectee par le renouvellement du pret principal sans l'intervention de celle-ci. Au
contraire, le principe de la libre gestion des interets prone que l'on respecte la
volonte de la caution de ne pas se tenir au courant du bon deroulement de
l'obligation principale malgre la possibility legale qu'elle a de le faire. La
possibility entraine la responsabilite de veiller a ses affaires et on ne peut se
plaindre de son propre manquement.
Cette derniere reflexion nous amene aussi a nous interroger sur la necessity pour no i
une partie de lire un contrat qu'elle s'apprete a signer. Plusieurs decisions
concluent a l'absence de bonne foi de la partie adverse lorsqu'une partie se dit
surprise par le contenu du contrat alors qu'elle admet par ailleurs ne pas l'avoir lu.
Ainsi, dans la decision Banque royale du Canada c. Audet, on reproche a la
banque de ne pas avoir pris l'initiative de renseigner la caution, M. Audet, sur le
cautionnement qu'il s'appretait a signer. Consequemment, le tribunal juge que la
banque n'a pas agi selon les exigences de la bonne foi et rejette Taction de la
banque en recouvrement du pret principal. Pourtant, il est clairement etabli que la
caution n'avait pas lu le document de cautionnement. De plus, M. Audet n'etait
pas ici victime d'une quelconque manoeuvre de la banque qui permettrait de
781 Voir notamment Banque royale du Canada c. Audet, (27 fevrier 1997), Val d'Or, 615-02-000167-958, J.E. 97-882, REJB 1997-03000 (C.Q.) [Audet] et Bolduc c. Decelles, [1996] R.J.Q. 805 (C.Q.) [Bolduc].
335
• 787 •
justifier l'absence de lecture du contrat . En de telles circonstances, pouvait-il
se plaindre d'un manquement aux exigences de la bonne foi ?
Nous l'avons mentionne, l'assise de la responsabilite, qui entraine l'obligation de
veiller a ses interets, se traduit, en matiere d'obligation de renseignement, par
l'obligation pour chacun de se renseigner. Or, il semble que ce principe soit
bafoue lorsqu'une partie avoue ne pas avoir pris la peine de lire le contrat. Une
lecture prealable du contrat constitue certainement un des premiers elements
essentiels de la responsabilisation de chacun face a ses interets. Ainsi,
Paffirmation voulant qu'en principe l'absence de lecture constitue une erreur
783
inexcusable empechant l'annulation d'un contrat pour vice de consentement
semble conforme a l'assise de la responsabilite.
Si la negligence d'une partie a s'informer et a veiller a ses interets en ne lisant pas
le contrat devrait generalement etre sanctionnee, la rigueur de la regie que nous
proposons merite par ailleurs d'etre temperee en presence de certaines
78 A circonstances precises . Une premiere serie de circonstances seraient relatives a
782 Voir par exemple a ce sujet la decision 9029-4596 Quebec Inc. c. Duplantie, [1999] R.J.Q. 3059, REJB 1999-15014 (C.Q.) [Duplantie], oil les circonstances demontrent selon le juge qu'il y a eu usage de ruse, mensonge et contrainte par une des parties afin d'amener I'autre partie a signer le contrat sans pouvoir le lire.
783 Voir notamment Societe quebecoise d'assainissement des eaux c. B. Fregeau & Fils, (5 avril 2000), Montreal, 500-09-005829-973, J.E 2000-809 (C.A.) (Requete pour permission de pourvoi a la Cour supreme rejetee, 9 novembre 2000); Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 225.
784 Voir l'arret Letourneau c. Garantie (La), Compagnie d'assurances de I'Amerique du Nord, (23 fevrier 2000), Quebec, 200-09-001307-971, J.E. 2000-535, REJB 2000-16649 (C.A.) (Requete pour autorisation de pourvoi a la Cour supreme rejetee, 5 octobre 2000) [Letourneau] oil la Cour specifie que l'analyse des circonstances in concreto est le critere pour evaluer le caractere grossier ou inexcusable d'une erreur. Or, nous l'avons deja explique, a notre avis, il faut plutot fonder l'analyse sur la notion de raisonnable, qui par definition est un critere objectif, mais qui
336
la concretisation de la troisieme condition de l'obligation d'information enoncee
dans Bail, soit 1'impossibility de s'informer ou la confiance legitime en son
cocontractant: Ainsi, 1'impossibility de s'informer (et done de lire le contrat)
pourrait resulter du comportement de l'autre partie qui, par ses faits et gestes,
empecherait son cocontractant de lire le contrat. La falsification du contrat ou des
ruses serieuses en seraient de bons exemples.
En plus de comprendre des elements relatifs a 1'impossibility de s'informer, la
premiere serie de circonstances pouvant parfois justifier l'absence de lecture du
contrat inclut aussi la confiance legitime d'une partie envers l'autre. Par exemple,
pour plusieurs auteurs, cette confiance pourrait resulter de trois situations
particulieres, soit:
1. la confiance legitime fondee sur la nature du contrat (par exemple, les
contrats de mandat);
2. la confiance fondee sur la qualite des parties (contrats entre membres
d'une meme famille immediate, professionnels traitant avec des clients
non experimentes);
3. la confiance legitime fondee sur les informations incompletes ou erronees -joe
fournies par le cocontractant.
En de telles circonstances, on pourrait pardonner a une partie de ne pas avoir lu le
contrat. Cependant, il ne faut pas oublier que ces circonstances attenuantes ont
s'apprecie en fonction des circonstances propres a l'espece, soit le jugement de valeur sur le comportement d'une personne raisonnable placee dans les memes circonstances: voir Jourdain, « Devoir », supra note 377 aux pp. 142-143.
785 Fabre-Magnan, Information, supra note 269 au no. 255; Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 657 et s.; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 176 et s.; Romain, supra note 270 au no. 377.
337
principalement ete enoncees pour la recherche active de renseignements plutot
que pour la regie de prudence elementaire que constitue la lecture prealable d'un
contrat. Ainsi, pour ecarter cette regie de prudence, il faudra a notre avis, des
circonstances tres serieuses et non de simples pretextes.
Une deuxieme serie de circonstances devraient aussi permettre de temperer la
regie de lecture prealable. Ainsi, on ne devrait pas sanctionner la partie n'ayant
pas lu le contrat si une telle lecture n'aurait absolument ou pratiquement rien no s
change a la situation contractuelle des parties . Lorsque la situation d'inegalite
est a ce point prononcee qu'une partie peut entierement imposer a l'autre les
conditions contractuelles, il est futile de penser qu'une lecture prealable pourrait
permettre a la partie desavantagee de veiller a la saine gestion de ses droits et
interets. II en est ainsi dans les contrats d'adhesion ou, meme en faisant preuve de
prudence par une lecture prealable du contrat, la partie desavantagee est
entierement soumise, si elle accepte de conclure le contrat, aux clauses non
contractuelles imposees par son cocontractant .
Une telle serie de circonstances attenuantes permettraient de justifier une decision
comme celle de Banque royale du Canada c. Audet, decrite ci-haut. En effet, on
sait que les banques imposent a leurs clients des contrats d'adhesion qu'il est
pratiquement impossible de modifier. On peut done raisonnablement penser que
786 Voir, concernant les polices d'assurance et l'assouplissement des regies de lecture par l'assure : Moore, supra note 311 a la p. 435. Au meme sujet, voir l'opinion du juge Baudouin dans Ribo, supra note 311 a la p. 963, ou l'on fait mention du fait que l'assure n'a pas lu sa police en entier mais ou l'on conclut que de toute fa?on une telle lecture n'aurait pas ete tres utile puisque la clause d'exclusion etait fort ambigue.
787 Voir la definition legislative du contrat d'adhesion a l'article 1379 C.c.Q.
338
le contrat de M. Audet n'echappait pas a cette rigidite et qu'il n'aurait pu modifier
le contenu contractuel meme en le lisant. Mais il appartenait au juge, afin
d'assurer la coherence de sa decision, de faire clairement paraitre ce motif dans sa
decision d'imposer une obligation de renseignements particulierement rigoureuse
a la banque. Contrairement a ce que peut laisser entendre la lecture de cette
decision, ce n'est pas par l'obligation de conferer un avantage a autrui que la
banque s'est vue imposer une obligation d'information mais bien par la simple
application du principe de ne pas nuire indument a autrui. Une partie tres
puissante qui impose un contrat doit en exposer les termes et veiller a ce qu'ils ne
soient pas abusifs.
Ceci dit, en de telles circonstances ou les clauses contractuelles sont dictees par
une partie, on peut s'interroger sur les sanctions qu'il apparait approprie
d'imposer a cette partie lorsqu'elle ne respecte pas son obligation de
renseignement. Ce questionnement nous permet entre autres de reflechir sur les
portee et utilite de l'article 1435 C.c.Q. Cet article exige que, dans un contrat
d'adhesion ou de consommation, une clause externe soit expressement portee a
l'intention du cocontractant sous sanction d'etre nulle. Or, dans la position
d'inegalite qui resulte des circonstances d'un contrat d'adhesion, il est normal que \
l'on exige que la partie desavantagee puisse prendre expressement connaissance
du contenu d'une clause externe. Sans cette precaution, il serait beaucoup trop
aisee pour la partie avantagee de tirer profit de la situation, notamment en
modifiant unilateralement, a l'insu de 1'autre partie, le contenu du document
externe auquel renverrait une telle clause. L'article 1435 C.c.Q. vise a eviter de
339
telles situations abusives. Cependant, il n'est pas a l'abri de toute critique
puisqu'une telle obligation d'informer l'autre partie est une obligation minimale
dans les circonstances. Elle se revelera souvent insuffisante pour veritablement
retablir une commutativite objective entre les parties puisqu'elle ne permettra pas
a la partie desavantagee d'eviter 1'application d'une telle clause. Une possibility
de saine gestion de ses interets n'implique pas seulement d'etre bien renseigne. II
faut concretement pouvoir eviter l'application de clauses deraisonnables. Or, pour
se faire, la partie devra utiliser le mecanisme prevu a l'article 1437 C.c.Q., ce qui
constitue un fardeau supplementaire.
Notre reflexion sur l'utilite de l'article 1435 C.c.Q. nous amene a conclure qu'en
presence d'un contrat d'adhesion, il est probable que le seul fait d'imposer une
obligation d'information basee sur la bonne foi sera concretement insuffisant pour
permettre a la partie desavantagee de veiller sainement a ses droits et interets. II
faudra en plus controler le contenu contractuel afin de s'assurer que la partie
avantagee ne puisse profiter indument de sa situation. La connaissance de cette
situation par le cocontractant n'apparait etre que de peu d'utilite.
Prenons un exemple concret. La plupart, pour ne pas dire l'ensemble, des contrats
hypothecates quebecois contiennent une clause prevoyant qu'en cas d'incendie
de l'immeuble hypotheque, la decision de reconstruire ou non l'immeuble
appartiendra a l'institution financiere, qui sera entierement libre, dans un tel cas,
de disposer de l'indemnite d'assurance. Une telle clause est imposee a
l'emprunteur, dans le cadre d'un contrat d'adhesion. Or, si un tel incendie
340
survenait et que Pindemnite payable par l'assureur etait nettement superieure a la
valeur residuelle du pret garanti par hypotheque, serait-il pertinent pour le
controle des consequences de cette clause que l'emprunteur ait connu ou non la
presence de celle-ci ? II faudrait en plus s'assurer que l'institution financiere agit
selon les exigences de la bonne foi en tenant particulierement compte, dans sa
situation privilegiee, des interets de son cocontractant. Or, il faut esperer, dans un
tel cas, qu'une decision de ne pas reconstruire, contre la volonte de l'emprunteur,
pour se payer avec Pindemnite serait interpretee comme une decision ne
respectant pas les exigences de la bonne foi.
Cette reflexion sur les sanctions appropriees nous amene a nous interroger sur la
question du prejudice subi par le creancier de l'obligation d'information. L'arret
788
Trust La Laurentienne du Canada c. Losier s'est prononce sur la necessite de
demontrer un prejudice. Cela est parfaitement logique puisque pour pouvoir se
dire creanciere d'une obligation de renseignements, une partie se doit d'etre en
situation de vulnerabilite informationnelle. Or, une telle situation implique
necessairement un prejudice si l'obligation n'est pas respectee, tel que l'a rappele
la Cour d'appel dans un arret de 2005789. Nous l'avons deja mentionne, en
l'absence de prejudice, meme au sens large du terme, il est impossible de faire
appel aux principes de justice commutative justifiant l'intervention judiciaire.
L'intervention judiciaire a pour but de pallier l'incapacite d'une partie a veiller a
ses interets. Encore faut-il que l'on puisse faire la preuve d'une telle incapacity.
788 Losier, supra note 16 particulierement aux para. 28 et 42. 789 Lacharite, supra note 765 aux para. 49-55.
341
La preuve du prejudice est toujours necessaire. Un manquement a l'obligation
d'information basee sur la bonne foi fera la preuve d'une faute790. Mais cette
preuve ne sera pas suffisante. Pour qu'une faute entraine la responsabilite civile
de son auteur, il faut qu'elle ait cause des dommages. Ce sont ceux-ci qui seront
compenses et ils devront etre prouves.
II en est de meme des circonstances ou un manquement aux exigences de la bonne
foi peut donner ouverture a un autre type de sanction que le simple octroi de
dommages791. En l'absence de cette balise que constitue la necessite d'un
prejudice, on ne peut que sombrer dans l'arbitraire, le juge accordant alors des
benefices a l'une des parties sans que cette derniere n'ait subi la moindre perte,
demonstration de l'injustice commise a son endroit. Si les principes de justice
commutative ne sont nullement affectes, comment justifier l'intervention
judiciaire du « gardien de l'equilibre » ? II etait done essentiel que la Cour
d'appel intervienne pour remettre de l'ordre dans l'application de l'obligation de
renseignement.
Nous retenons done de cette section que la fonction completive de la bonne foi est
une fonction prolifique qui permet au juge de modifier au besoin la commutativite
des profits et des charges assumees par les parties en fonction de criteres de nature
790 Or, comme le rappelle la Cour d'appel, en plus de cette faute, il faut prouver les dommages subis et le lien de causalite pour donner ouverture a une condamnation pour responsabilite civile : Mignacca, supra note 646 au para. 101.
791 Par exemple, la fin de non-recevoir reconnue dans l'arret Soucisse, supra note 10.
342
objective. Elle se decline presentement essentiellement sous les vocables
d'obligation de loyaute, de cooperation et d'information entre les contractants.
4.2.3. La fonction limitative
La definition traditionnelle de la fonction limitative de la bonne foi renvoie a la
notion d'abus de droit, qui est ici envisagee non pas comme une notion distincte
707
mais comme une ramification de la bonne foi . Les parametres de la fonction
limitative se trouvent dans la definition codifiee a l'article 7 C.c.Q. qui prevoit
qu'« [a]ucun droit ne peut etre exerce en vue de nuire a autrui ou d'une maniere
deraisonnable, allant ainsi a l'encontre des exigences de la bonne foi». En ce
sens, cette fonction de la bonne foi permet d'aller au-dela de 1'inclusion de
certaines obligations implicites au contrat pour examiner comment les parties se
comportent au sein de la relation contractuelle . Elle vise done a sanctionner le
comportement inapproprie d'une partie dans l'exercice de ses prerogatives
contractuelles. Cette constatation nous permet d'ores et deja d'affirmer que,
contrairement a la fonction completive qui permet d'imposer certaines obligations
implicites en cours de contrat, la fonction limitative ne pourra jouer son role qu'a
posteriori. Le comportement des parties ne peut etre examine avant que celles-ci
n'aient commence a effectivement exercer leurs prerogatives. II est done fort
probable qu'elle sera essentiellement sanctionnee par l'octroi de dommages. 792 Lluelles et Moore, supra note 20 notamment au no. 1987. 793 Stoffel-Munck, A bus, supra note 616 au no. 86.
343
A ce stade de notre etude, il apparait necessaire de circonscrire la notion d'abus de
droit telle qu'elle est definie au Code civil et pergue en jurisprudence. Cette
analyse peut sembler simple puisque la notion d'abus de droit est codifiee a
l'article 7 C.c.Q. Pourtant, cette definition en apparence simple est, a notre avis,
source de nombreuses confusions, tant en jurisprudence qu'en doctrine. Nous
croyons done utile de tenter d'y apporter quelques eclaircissements pour assurer
une meilleure coherence.
Concernant la notion d'abus de droit, une premiere condition s'impose d'elle-
meme. II doit effectivement et concretement s'agir d'un droit dont pouvait jouir
1' « abuseur » du droit. II faut done etre en presence d'un veritable droit et non
d'une obligation de faire ou de ne pas faire. Cette condition peut sembler
simpliste mais pourtant, il s'agit d'une premiere source reelle de confusion. On
voit souvent, notamment en jurisprudence, des commentaires affirmant qu'une
personne avait l'obligation d'agir selon une norme precise et que consequemment,
son defaut d'agir conformement a cette prescription entraine un abus de droit.
Ainsi des phrases comme : « [l]e manquement a une telle obligation de loyaute
peut entrainer un abus de droit puisque cette theorie ne se limite pas aux seuls cas
ou l'on agit avec malice794 » ou « [n]e pas exercer ses obligations contractuelles
794 Posluns, supra note 739 au para. 15 [nos italiques]
344
de bonne foi constitue un abus de droit» nous apparaissent en contradiction
avec la notion d'abus de droit.
Cette confusion, tres frequente, est probablement due a une analyse erronee de
l'abus de droit. Malheureusement, le bat blesse puisque cette analyse faussee
semble decouler de l'arret Banque nationale du Canada c. Houle796, decision de la
Cour supreme du Canada qui a reconnu l'existence de l'abus de droit contractuel
en droit quebecois. Rappelons brievement les faits de cette affaire. Apres une
relation d'affaires de plus de 50 ans avec la compagnie de la famille Houle, la
Banque nationale a decide de rappeler son pret, a pris possession des lieux et a
liquide les actifs de la compagnie moins de 3 heures apres que les dirigeants de la
compagnie aient eu connaissance de la demande de rappel de pret. Or, les
actionnaires de cette compagnie negociaient la vente imminente de leurs actions.
La Banque connaissait ces pourparlers et pourtant n'a pas attendu que la vente soit
conclue pour liquider les actifs, ce qui naturellement a eu un impact important sur
la valeur des actions. Devant ces faits, la Cour supreme juge que le rappel du pret
en soi ne constituait pas un abus de droit mais que, par ailleurs, l'exercice
deraisonnable de ce droit par la liquidation des actifs en moins de trois heures
permettait de conclure a un abus de droit contractuel.
Ainsi, dans cet arret, la Cour supreme reconnait officiellement la theorie de l'abus
de droit contractuel. Elle en specifie aussi les criteres d'application: l'abus de
795 Conexsys Systems Inc. c. Aime Star Marketing Inc., [2003] R.J.Q. 2875 (C.S.) au para. 129 [nos italiques] [Conexsys].
796 Houle, supra note 11.
345
droit ne resulte pas seulement de la malice ou la mauvaise foi. II peut aussi
resulter d'un exercice deraisonnable d'un droit. Et c'est dans l'application de ce
dernier critere que la confusion entre l'abus d'un droit et la violation d'une
obligation a pris racine.
N'ayant pas encore l'opportunite de s'appuyer sur les dispositions du Code civil
du Quebec relatives a l'abus de droit et la bonne foi, la Cour fonde sa theorie sur
l'obligation implicite d'agir loyalement dans l'exercice de ses droits contractuels :
« Pour ce qui est du fondement de la theorie, suivant la solution a la
fois doctrinale et jurisprudentielle au Quebec, c'est bien le regime
contractuel de responsabilite qui regit l'abus d'un droit contractuel
puisque, implicitement en droit civil, les parties a tout contrat
s'engagent a agir, dans l'exercice de leurs droits contractuels, a la
maniere prudente et diiigente d'une personne raisonnable et dans les
limites de la loyaute. S'il y a violation de cette obligation implicite,
la responsabilite contractuelle est alors engagee a l'egard du 797 cocontractant. »
Ainsi, la Cour supreme utilise elle-meme l'expression « violation d'une obligation
implicite » pour designer l'abus de droit. Pourtant, droit et obligation sont
certainement deux concepts differents. Elle pousse meme ce raisonnement plus
loin en imposant a un creancier qui desire realiser ses garanties a l'endroit d'un
pret a demande l'exigence de donner un delai raisonnable au debiteur pour que ce
dernier ait la chance de s'acquitter de ses obligations. Or, pour la Cour supreme,
797 Ibid, a lap. 164.
346
le fait que la Banque n'ait justement pas respecte cette obligation de delai
raisonnable entraine l'ouverture d'un recours fonde sur l'abus de droit de la part
de la compagnie. Selon cette vision, c'est done le non-respect d'une obligation de
delai raisonnable qui est la source de l'abus de droit. En d'autres termes, cette
obligation vient limiter l'assiette du droit subjectif en obligeant le creancier,
titulaire d'un droit puissant a l'encontre de son debiteur, a tenir compte des
interets de ce dernier. Or, nous avons de la difficulty a saisir comment une telle
obligation peut constituer un abus de droit.
La violation d'une obligation ne peut etre consideree comme l'exercice deficient
d'un droit. La banque debitrice d'une obligation de delai raisonnable n'est pas
titulaire d'un droit, meme si l'execution de cette obligation est intimement liee a
l'exercice d'un droit que possede par ailleurs la banque, soit celui de rappeler le
pret. Si la banque demeure done en quelque sorte maitresse de la possibility de se
voir ou non soumise a ce devoir, une fois qu'elle fait le choix de rappeler son pret,
elle doit alors obligatoirement executer une prestation sous peine d'une sanction
798
juridique de responsabilite pour inexecution de l'obligation . Elle n'a pas le
choix de fournir un preavis raisonnable, sous peine de sanction judiciaire. En ce
sens, cette prestation se rapproche plus de la notion courante de devoir que de
celle d'un droit. Et si la violation de cette obligation peut certainement entrainer la
faute de son auteur, il faut tout de meme la distinguer de l'abus de droit. Toute
faute n'engendre pas un abus de droit799.
798 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 16. 799 Provigo, supra note 614 au para. 55.
347
De la repose la confusion. Pour parler d'abus de droit, il faut examiner la
situation juridique sous Tangle des droits du creancier plutot que sous celle de ses
obligations en tant que debiteur. En d'autres termes, il faut examiner le
comportement d'un creancier dans l'exercice de son droit a prendre possession
des biens faisant l'objet de la garantie plutot que son obligation d'accorder un
delai raisonnable decoulant d'une obligation implicite au contrat. Mais cette
distinction nous semble artificielle puisque l'exercice de tout droit est limite par
les droits et interets d'autrui que nous avons tous l'obligation de respecter.
Correlativement a son droit de rappeler le pret, le creancier est debiteur d'une
obligation implicite visant a assurer une certaine sauvegarde des interets des
parties et on ne peut plus alors parler d'abus de droit. Par exemple, dans Taffaire
Houle, nous n'aurions pas de difficulte a accepter que la liquidation des actifs de
la compagnie moins de 3 heures apres le rappel du pret puisse en soi etre
consideree comme un abus de droit, sans qu'il soit necessaire de discuter d'une
obligation d'accorder un delai raisonnable. II semble en effet que Ton puisse
reconnaitre la presence d'un comportement inacceptable socialement dans l'usage
du droit. Par contre, si on veut introduire en droit quebecois une obligation de
preavis raisonnable lors du rappel d'un pret a demande, on doit alors parler f
d'inexecution d'une obligation contractuelle implicite entrainant une
responsabilite contractuelle mais certainement pas d'un abus de droit. II y a
certainement manquement aux exigences de la bonne foi mais y a-t-il abus de
droit ?
348
L'abus de droit ne peut s'analyser comme la violation d'une obligation. II doit
plutot etre considere comme un comportement socialement inacceptable dans
l'exercice d'un droit et c'est d'ailleurs ainsi que le definit le Code civil a l'article
7. La difference est importante puisque pour que l'on puisse parler d'abus de
droit, il faut d'abord demontrer l'exercice d'un droit. Or, dans bien des cas, seule
la violation d'une obligation a ete demontree. Or, nous l'avons dit, il nous apparait
de toute fagon difficile de contourner cet obstacle puisque ultimement tous les
droits impliquent le devoir correlatif de ne pas nuire indument a autrui dans leur
exercice. En contrevenant a ce principe, on contrevient a un devoir. On ne peut
alors parler d'abus de droit.
De plus, cette definition de l'abus lie a un comportement socialement inacceptable
renvoie ni plus, ni moins a la notion de bonne foi, qu'il devient pratiquement
inutile de distinguer de l'abus de droit800. D'ailleurs, la definition proposee a
l'article 7 C.c.Q. est parfaitement conforme a cette ambigui'te puisque l'on exige
un comportement excessif et deraisonnable ou comportant une intention de nuire
« allant ainsi a l'encontre des exigences de la bonne foi. » Or, si l'on contrevient
deja aux exigences de la bonne foi, est-il necessaire de tenter de prouver en plus
l'existence d'un abus de droit ? Une telle demarche necessitant d'un plaideur une
preuve supplemental serait-elle d'une quelconque utilite ? Et si oui, ou se situe
la ligne de demarcation entre un comportement deraisonnable entrainant un
800 Voir sur cette question: Adrian Popovici, « La poule et l'homme : sur l'article 976 C.c.Q. », (1997) 99 R. du N. 214 aux pp. 232-233, n. 51 [Popovici, « Poule »].
349
manquement aux exigences de la bonne foi et un comportement deraisonnable
qualifie d'abus de droit ?
Dans un contexte ou l'exigence d'agir selon les preceptes de la bonne foi est
maintenant martelee au Code civil, la reconnaissance de l'abus de droit nous
apparait comme superflue. Si la preuve d'un manquement aux exigences de la
bonne foi suffit a faire reconnaitre l'existence d'une faute, l'exigence d'une
preuve supplemental de l'exercice deraisonnable d'un droit apparait nuisible et
inutile aux interets de la partie desavantagee. D'ailleurs, il est interessant de noter
que le jugement Houle nous reconforte dans notre opinion puisque, a l'instar du
Code, une lecture attentive du jugement revele qu'il fait reposer la legitimite de
l'abus de droit sur les principes de bonne foi. De meme, la Cour d'appel du
Quebec a specifie que la notion d'abus de droit « a toujours possede une
srn
connotation de faute generatrice de responsabilite personnelle » . Bonnet blanc
et blanc bonnet!
C'est done pour ces raisons que nous croyons que la fonction limitative de la
bonne foi ne devrait plus se definir comme la necessite de demontrer un abus de
droit. II faut plutot considerer que l'utilite de cette fonction est de permettre au
juge d'intervenir a la relation contractuelle pour juger si le comportement des
parties dans l'exercice de leurs prerogatives se fait selon les standards
qu'implique la bonne foi. II permet done au juge une intervention qui n'est pas
basee sur le simple contenu contractuel mais sur le veritable comportement adopte
801 Ciment du St-Laurent, supar note 3 au para. 143.
350
par les parties. Et un comportement socialement inacceptable contrevenant ainsi
aux exigences de la bonne foi devrait faire l'objet d'une sanction, sans qu'il soit
par ailleurs necessaire d'imposer un fardeau de preuve supplemental d'intention
malveillante ou d'exercice excessif pour demontrer un abus de droit.
4.2.3.1. L'abus de droit en droit du travail et l'octroi de frais extrajudiciaires pour abus de procedures : des exceptions a la regie ?
Certains pourraient par ailleurs soulever l'utilite de l'abus de droit en certaines
circonstances, tel que l'octroi, en droit quebecois, de dommages bases sur un abus
de droit dans le congediement d'un employe ou celui des honoraires
extrajudiciaires a titre de dommages. Pourtant, notre etude nous amene a conclure
a 1'aspect arbitraire de certaines decisions a ce sujet . Bien que cette analyse
deborde le simple champ contractuel pour s'interesser aussi aux principes
gouvernant les relations en matiere extracontractuelle, nous croyons qu'elle est
tout de meme importante afin de contrer tous les arguments que l'on tente
d'invoquer quant a l'utilite de la notion d'abus de droit en droit quebecois.
802 Pour une analyse detaillee sur cette question, voir Popovici, « Honoraires », supra note 634.
351
4.2.3.1.1. L'abus du droit de congedier
On peut done s'interroger sur tout un eourant de jurisprudence en droit du travail
qui recherche la presence d'un abus du droit de congediement pour octroyer des
dommages moraux803. Les motivations de la Cour d'appel nous semblent
legitimes. On veut eviter la double indemnisation entre l'indemnite de delai-
conge et les dommages moraux puisqu'on prend pour acquis que tout type de
congediement va entrainer des dommages moraux qui seront en partie indemnises
par l'indemnite de depart. Nous l'avons mentionne, la societe accepte parfois que
l'exercice d'un droit entraine une nuisance pour autrui, sans que celle-ci ne puisse
etre specialement compensee si elle n'est pas fondee sur l'exercice socialement
deraisonnable du droit. II en est ainsi des dommages moraux subis inevitablement
suite a un congediement, si ce dernier respecte certaines regies, notamment quant
au preavis ou a l'indemnite de depart. Pour que la nuisance soit compensee, il
faut que les circonstances demontrent un exercice deraisonnable de la prerogative
de congedier, notamment par du harcelement, de la violence ou d'autres gestes
disgracieux ou humiliants. Done, nous sommes d'accord pour dire qu'il faut qu'il
y ait manquement aux exigences de la bonne foi et que la fonction limitative de la
bonne foi peut s'averer utile pour evaluer un tel manquement. Cependant, nous ne
croyons pas qu'il faille aller jusqu'a la preuve d'un abus de droit. D'ailleurs, la
demarche adoptee par la Cour d'appel et visant a obtenir la preuve d'un abus de
803 Voir notamment Aksich c. Canadian Pacific Railway, 2006 QCCA 931, [2006] R.J.D.T. 997 [Aksich\, Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Legros, 2005 QCCA 48, [2005] R.J.Q. 383 notamment au para. 31 et s. [Legros]; Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, [1994] R.J.Q. 1751 (C.A.) [Stewart],
352
droit semble confuse et peut probablement s'expliquer par l'ambigufte que
provoque la necessite d'une preuve additionnelle au manquement aux exigences
de la bonne foi:
« [ . . . ] Ainsi, alors que l'indemnite de delai de conge vient
compenser les inconvenients lies au congediement, l'indemnisation
pour abus de droit n'existera que s'il y a negligence, mauvaise foi
ou une faute identifiable de l'employeur. C'est done dans les seuls
cas ou l'exercice du droit de resiliation unilaterale s'accompagne
d'une faute caracteristique distincte de facte de congedier que
l'octroi de dommages moraux en matiere de congediement sans
cause sera justifie. II pourra en etre ainsi, par exemple, lorsque
l'employe congedie a subi un prejudice serieux a sa reputation ou
qu'il a ete congedie de fagon humiliante, degradante ou blessante.
Le critere pour l'application de la theorie de l'abus de droit en
matiere de congediement est done plus severe que l'exercice
raisonnable d'un droit et s'apparente a la mauvaise foi. Dans
certaines situations, le simple exercice negligent d'un droit pourra
toutefois etre considere comme un abus de droit. [...] »804
Pour que des dommages specifiques soient accordes, il faut une faute caracterisee
que la Cour d'appel nomme « abus de droit». Cette faute pourrait etre basee sur
la negligence mais ne pourrait etre consideree comme le simple exercice
deraisonnable d'un droit. Or, par cette methode d'analyse, la Cour d'appel
s'eloigne de la terminologie de l'article 7 C.c.Q. et des criteres enonces par la
80S • Cour supreme dans l'arret Houle concernant l'abus de droit. Ainsi, si le critere
804 Legros, ibid, au para. 31-32 (juge Mailhot) [nos italiques]. 805 Houle, supra note 11.
353
prone par la Cour d'appel peut avoir l'avantage de distinguer l'abus de droit du
simple manquement a l'obligation de bonne foi, il nous apparait peu conforme au
droit actuel et difficile a interpreter. De plus, nous ne comprenons pas pourquoi
un manquement a l'obligation de bonne foi lors du congediement ne pourrait en
soi constituer la faute caracterisee dormant ouverture a des dommages moraux
distincts de l'indemnite de depart. En posant la question autrement, on pourra
tout aussi s'interroger sur les motifs qui justifieraient qu'un manquement a
l'obligation de bonne foi lors d'un congediement ne puisse etre en soi compense
puisque l'acte de congedier constitue un droit qui doit etre exerce de bonne foi.
Ainsi, l'indemnite de depart venant indemniser les dommages inevitables lors
d'un congediement ne compense pas un manquement a l'obligation de bonne foi.
Mais la victime d'un tel manquement pourra-t-elle se voir octroyer des dommages
si elle ne parvenait pas a demontrer un abus de droit mais seulement un
manquement aux exigences de la bonne foi ?
De plus, comme nous l'avons mentionne dans la section sur la responsabilite
civile et comme il sera plus amplement developpe dans la proehaine sous-section
relative aux frais extrajudiciaires, le droit prive ne sanctionne pas en fonction de la
gravite de la faute commise mais bien en fonction des dommages subis. Or, telle
est pourtant la demarche adoptee par la Cour d'appel lorsqu'elle applique un
critere «plus severe que l'exercice raisonnable d'un droit». Elle laisse
transparaitre un souci de punition pour la gravite du comportement de
l'employeur lors du congediement de son employe, but qui malheureusement n'a
pas sa place dans la responsabilite civile d'un systeme de droit civil.
354
Devant une telle situation, il apparait souhaitable que l'on reexamine la notion
d'abus de droit de congedier afin d'y inclure le manquement aux exigences de la
bonne foi.
4.2.3.1.2 Les honoraires extrajudiciaires
Traditionnellement, le droit quebecois n'inclut pas les honoraires extrajudiciaires,
ou si l'on prefere, les honoraires d'avocat, de la partie adverse a titre de depens a
la partie qui succombe. Ces memes honoraires ne sont pas accordes a titre de
dommages non plus puisqu'ils sont consideres comme trop indirects pour etre
octroyes806. Pourtant, plusieurs decisions accordent de tels honoraires en certaines
circonstances, notamment lorsque la partie qui succombe aurait fait preuve d'abus
de procedure ou de mauvaise foi.
Comme le souligne professeur Popovici dans son excellent article sur les frais
extrajudiciaires, l'abus de procedure est une faute caracterisee par la
multiplication des procedures inutiles et mal fondees ou celles intentees avec pour
objectif principal807 (et parfois unique) de nuire a son adversaire. II pourrait aussi
806 Popovici, « Honoraires », supra note 634 a la p. 59 et s. 807 Cette caracteristique d'objectif principal est fondamentale puisque comme le souligne le
professeur Popovici, intenter une procedure judiciaire, meme lorsque son droit est bien fonde, a necessairement pour objectif, meme incidemment, de nuire a autrui: ibid, aux pp. 96-97. II en est de meme du creancier qui entend faire respecter l'obligation de son debiteur: «tout creancier a la certitude et meme la volonte de « nuire » a son debiteur » : Stoffel-Munck, Abus, supra note 616 au no. 40. C'est cette constatation qui permet a l'auteur d'adopter le critere de la malice pure et simple comme critere de l'intention de nuire.
355
s'agir, en defense, de procedures purement dilatoires, sans aucun fondement, dans
le seul but de gagner du temps ou de faire depenser des frais supplementaires a
oao
1'autre partie . Cette faute d'abus de procedure se distingue de la faute
principale ayant donne ouverture au litige et pourrait, en ce sens, faire l'objet d'un
recours separe de celui a l'origine de cette faute. L'abus de procedure est
independant du fond du litige et n'en concerne que son aspect procedural809. Or,
dans un tel contexte, on peut comprendre que les honoraires extrajudiciaires
apparaissent comme des dommages directs et immediats de cette faute et puissent
se justifier. II y a lien de causalite entre la faute d'abus de procedure commise et • • • sin
les dommages engendres, soit les frais extrajudiciaires inutiles . Une telle
demarche est alors parfaitement coherente et le fait de qualifier cette faute d'abus
de procedure, n'en altere pas les principes.
Cependant, plusieurs decisions ont aussi octroye des honoraires extrajudiciaires a
la partie perdante sous pretexte qu'elle avait fait preuve de mauvaise foi ou d'abus
de droit dans la faute principale, ou si l'on prefere sur le fond du litige811, par
exemple par une rupture humiliante du contrat. On chercherait alors a alourdir les
dommages-interets payables par la partie qui a commis un abus de droit en lui
imposant les honoraires extrajudiciaires de son adversaire. A premiere vue, on
pourrait considerer que ces jugements sont autant de demonstrations de l'utilite du
808 Voir par exemple, Rocha-Souza c. Moscovici, (3 dec. 1999), Montreal, 500-05-23166-966, J.E. 2000-61, REJB 1999-15749 (C.S.) au para. 25 [Rocha-Souza].
809 Chiasson, supra note 77 aux para. 123-124; Levesque c. Carignan (Corporation de la Ville de), 2007 QCCA 63, J.E. 2007-310 aux para. 41-60.
810 Viel, supra note 164 au para. 79 811 Voir, par exemple, Lebeuf c. Association des proprietaires du Lac Dore, [1997] R.R.A. 845
(C.S.) [Lebeuf];
356
principe d'abus de droit, qui serait alors distinct de la simple inexecution du
devoir d'agir de bonne foi. Pourtant, a l'instar de la Cour d'appel812, nous
croyons que cet argument doit etre rejete puisqu'il est incoherent en droit et, par le
fait meme, arbitraire. En effet, le lien de causalite entre les frais extrajudiciaires
et la faute principale est trop indirect pour pouvoir faire l'objet d'une
compensation en vertu des regies de la responsabilite civile.
Si l'argument de l'absence de lien de causalite direct entre la mauvaise foi sur le
fond du litige et les honoraires d'avocat encourus par la partie peut laisser un gout
amer d'injustice chez certaines personnes (et notamment, semble-t-il plusieurs
juges), on peut par ailleurs rejeter cette utilite pretendue a l'abus de droit en se
fondant sur les principes de justice commutative. Nous l'avons mentionne, ces
principes veulent que l'on indemnise la victime d'un delit, non pas en fonction de
la gravite de la faute (ce qui constituerait alors des principes de justice
distributive) mais en fonction du dommage subi par cette victime. Les
dommages-interets octroyes dans un tel systeme sont par principe indemnitaires et
non punitifs. La Cour supreme a deja d'ailleurs statue que la punition ne peut
relever du droit commun de la responsabilite civile au Quebec, qui a
o i o essentiellement un caractere indemnitaire . Or, lorsque l'on octroie des
812 Viel, supra note 164 au para. 76 et s. Dans cette affaire, la Cour d'appel rejette la demande en honoraires extrajudiciaires, meme si elle reconnait que sur le fond, la partie adverse a fait preuve de mauvaise foi, en disant que cette mauvaise foi sur le fond ne constitue pas en soi une faute pour abus de procedure et qu'il n'y a consequemment aucun lien de causalite entre cette mauvaise foi et les honoraires extrajudiciaires reclames. Voir aussi au meme effet, Guitouni, supra note 164; Tamper Corp c. Kansa General Insurance Co. [1998] R.J.Q. 405 (C.A.) a la p. 411 [Tamper].
813 Voir Romain, supra note 161 et particulierement les commentaires du juge Taschereau a la p. 841 : « La loi civile ne punit jamais l'auteur d'un delit ou d'un quasi-delit; elle accorde une
357
honoraires extrajudiciaires pour sanctionner la mauvaise foi d'une partie sur le
fond du litige plutot que sur la forme de celui-ci, on punit cette partie , plutot
que s'en tenir aux principes gouvernant la responsabilite civile. C'est pourquoi
octroyer des dommages d'une telle nature punitive necessite une intervention
claire et directe du legislateur a cet effet. Et ce n'est pas parce que le montant
accorde a ce titre correspond aux frais extrajudiciaires reellement engages par la
partie que le but et la nature d'un tel octroi sont par ailleurs modifies.
4.2.3.2. Conclusions sur la fonction limitative de la bonne foi
Les exemples examines ci-haut demontrent bien a quel point la notion d'abus de
droit ne peut trouver une reelle identite, qui soit conforme aux principes du droit
quebecois des obligations, qu'a titre de faute caracterisee ni plus ni moins. Cette
faute devient alors tres difficile a distinguer de la contravention pure et simple aux
exigences de la bonne foi. Meme l'article 7 C.c.Q. exige un comportement
contraire au principe de bonne foi pour que l'on puisse considerer qu'il y a abus
de droit. De plus, comme le manquement aux exigences de la bonne foi, un abus
de droit ne peut, en l'absence d'une disposition expresse, donner ouverture qu'a
des dommages-interets de nature compensatoire, sans ouverture a des dommages
de nature punitive. Alors, la question se pose : pour quelles raisons un plaideur
devrait-il faire la preuve d'une intention malveillante ou d'un acte si
compensation a la victime pour le tort qui lui a ete cause. La punition est exclusivement du ressort des tribunaux correctionnels. »
814 Voir notamment a cet effet, Popovici, « Honoraires », supra note 634 a la p. 92 et s.
358
deraisonnable que l'on pourrait le qualifier d'abus de droit en plus de la preuve
d'un manquement aux exigences de la bonne foi (critere essentiel), si le recours
pour abus de droit et celui pour manquement aux exigences de la bonne foi
donnent ouverture aux memes dommages pour la victime ?
A la lumiere de cette analyse, nous pouvons done affirmer qu'il n'est pas
necessaire qu'un plaideur fasse la preuve d'un abus de droit lorsque la
contravention aux exigences de la bonne foi a par ailleurs ete demontree.
D'ailleurs, la similitude entre les deux notions a amene plusieurs juges a qualifier
erronement certains comportements d'abus de droit, alors que seul un
manquement aux exigences de la bonne foi avait ete prouve. Pire encore, certains
juges se sont permis d'accorder en de telles situations, des dommages
supplementaires, de nature plus punitive qu'indemnitaire. Nous esperons que
notre analyse permettra d'eviter, dans l'avenir, la repetition de telles decisions.
4.2.4. La fonction adaptative
Jusqu'a present, les fonctions etudiees de la notion de bonne foi possedaient un
caractere assez general pour normaliser tout type de relations contractuelles. La
fonction adaptative, quant a elle, a la particularity de n'etre pertinente qu'aux
relations de longue duree.
359
Bien que l'on affirme souvent que le contrat est un instrument de prevision pour
les parties, on reconnait aussi qu'il est pratiquement impossible, specialement
pour les contrats de longue duree, d'y prevoir l'ensemble des circonstances
pouvant avoir un impact sur la relation contractuelle. Comme le mentionne un
professeur frangais : « [d]u temps qui vient, l'homme meme le mieux informe ne
peut avoir qu'une connaissance bien approximative et les prophetes du passe sont
plus nombreux que les devins de l'avenir. (...) Quelles que soient les presciences
que l'on peut en avoir, demain n'aura pas exactement le contenu que lui pretent
les parties au jour de leur rencontre. »815 Sans mauvais jeu de mots, cet
instrument de prevision devient, dans ces circonstances, un instrument
d'imprevision, souvent au detriment d'une des parties. II y a presence d'un
desequilibre pouvant gravement nuire aux interets de cette partie. Or, en presence
d'une telle situation, la bonne foi peut-elle obliger les parties a renegocier le
contrat ? Et si la reponse est affirmative, en l'absence de negociations
fructueuses, cette meme bonne foi peut-elle permettre au juge d'intervenir au
contrat afin d'y trouver un compromis acceptable dans l'interet de toutes les
parties ? Ce sont les questions auxquelles la fonction adaptative de la bonne foi
nous invite a reflechir.
On comprend aisement que la fonction adaptative de la bonne foi refere en fait a
« ft 1 (\
la theorie de 1'imprevision . Cette theorie permet la reouverture du contrat, par
une obligation d'en renegocier de bonne foi les termes ou par une intervention 815 Jean Marc Mousseron, « La gestion des risques par le contrat » [1988] R.T.D.C. 481 au no. 2. 816 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 108; Masse, supra note 270 a la p. 227; Perilleux,
supra note 270 a la p. 248.
360
judiciaire, en presence de changements drastiques de circonstances. Les
conditions d'application des principes de l'imprevision sont assez formelles. Les
changements de circonstances doivent etre externes au controle ou a la volonte
pin QIC des parties et rendre l'execution extremement onereuse pour le debiteur ou
Q1Q
totalement inutile pour le creancier . Ces conditions sont essentielles. On ne
parle pas ici de nouvelles circonstances qui rendent le contrat moins rentable
financierement mais bien de veritable peril financier pour l'une ou l'autre des
parties820. II est a noter aussi que les difficultes ainsi engendrees doivent depasser
les risques normaux auxquels les parties pouvaient s'attendre lors de la conclusion
du contrat. En d'autres termes, le recours a la revision doit avoir pour but
d' « effacer le desequilibre manifestement deraisonnable et laisser subsister les
charges inherentes aux aleas previsibles. »821 C'est pourquoi, malgre ce qu'en
disent certains, les variations de prix provenant de fluctuations economiques
devraient etre un alea supporte par les parties, sauf si ces fluctuations sont Q'yy
extraordinaires et decoulent d'evenements anormaux, telle une guerre .
Pour plusieurs, les circonstances donnant ouverture a l'imprevision, se devaient
d'etre inconnues des parties au moment de la conclusion du contrat . Encore
817 Rolland, « Figures », supra note 23 a la p. 936. 818 Leclerc, supra note 270 a la p. 267; 819 Julie Bedard, « Reflexions sur la theorie de l'imprevision en droit quebecois », (1997) 42 R.D.
McGill 761 a la p. 767. 820 Voir notamment ibid, aux pp. 767-768 qui mentionne qu'on ne peut qualifier d'imprevision, la
demande de Terre-Neuve a l'egard d'Hydro-Quebec pour un contrat d'approvisionnement d'electricite a long terme, rendu moins avantageux, mais pas excessivement onereux, suite a l'augmentation des prix de L'electricite.
821 Stefan Martin, « Pour une reception de la theorie de l'imprevision en droit positif quebecois » (1993) 34 C. de D. 599 a la p. 631; Voir au meme effet, Picod, supra note 277au no. 202.
822 Picod, ibid. 823 Voir notamment Fin-Langer, supra note 26 aux nos 421-422.
361
une fois, nous croyons que ce critere adopte par plusieurs auteurs demontre un
certain attachement, meme non avoue a la theorie de Pautonomie de la volonte.
On met P accent sur la cause du desequilibre en verifiant si celle-ci etait connue
des parties sans se soucier de son effet sur la commutativite, puisque nous l'avons
deja explique, cette derniere est reputee absolument juste et est consequemment
secondaire une fois le contrat conclu. Pour notre part, comme nous preferons
mettre Paccent sur la commutativite objective des parties, nous preferons analyser
P aspect d'imprevisibilite par le biais des consequences engendrees pour
l'equilibre des parties. Ainsi, pour nous, ce n'est pas la cause du desequilibre qui
se devait d'etre inconnue des parties au moment de la formation du contrat mais
Q'JA bien ses consequences sur les interets des parties au contrat .
Plusieurs pays reconnaissent Fimprevision, notamment l'Allemagne, l'Autriche,
la Suisse, l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, l'Egypte, le Bresil et PItalie825.
Dans plusieurs cas, la reconnaissance de 1'imprevision est basee sur les principes
generaux de loyaute et de bonne foi. Par exemple, a l'instar du Code civil du
Quebec, le Code civil allemand prevoit a la fois la reconnaissance de la bonne foi
au sein des relations contractuelles et la regie du nominalisme monetaire . Or,
824 Voir du meme avis, Courdier, supra note 6 au no. 835 et s. 825 Bedard, supra note 820 a la p. 787; Philippe Malaurie, Laurent Aynes, Philippe Stoffel-Munck,
Les obligations, 2e ed., Paris, Ed. juridiques associees, 2005 au no. 757; Masse, supra note 270 a la p. 227. On peut ajouter aussi a cette liste non exhaustive, la Grece, la Hongrie, la Pologne, la Tunisie, la Turquie, le Maroc et 1'Argentine.
826 Articles 6, 7, 1375 et 1564 C.c.Q. et 242 BGB. Conceraant le nominalisme monetaire allemand voir Rene David et Camille Jauffret-Spinosi, Les grands systemes de droit contemporain, 10e
ed., Paris, Dalloz, 1992 a la p. 94 et s. La regie du nominalisme monetaire prevoit qu'une unite de monnaie ayant cours legal equivaut a une autre unite de monnaie de valeur equivalente, peu importe l'epoque, et cela meme si l'on sait que, dans les faits, la valeur reelle de 1'argent fluctue au cours des annees.
362
malgre cette derniere regie, le Tribunal supreme allemand est intervenu a divers
contrats afin de refuser qu'un debiteur puisse se liberer de sa dette en payant une
somme nominalement due avec des marks tellement deprecies qu'ils n'avaient
877 • •
pratiquement plus aucune valeur . En effet, au lendemain de la premiere guerre
mondiale, 1'inflation avait provoque une devaluation severe du mark allemand,
qui ne valait plus que le mille-milliardieme de sa valeur initiale. Le
remboursement d'une dette contractee avant cette devaluation en valeur nominale
perdait ainsi toute utilite pour le creancier et avantageait outrageusement le
debiteur. II est aussi evident que ces effets de la guerre etaient imprevisibles et
hors du controle des parties. Dans ces circonstances, il apparait effectivement que
la decision du plus haut tribunal allemand de recourir a l'imprevision en se basant
sur les principes generaux de la bonne foi etait justifiee.
Nous l'avons mentionne, le Code civil du Quebec contient des dispositions
essentiellement semblables a celles de son homologue allemand. Pourtant, la
87ft
theorie de l'imprevision n'est pas expressement reconnue en droit quebecois .
Contrairement a la voie privilegiee en Allemagne, il semble qu'au Quebec on ait
prefere favoriser l'immutabilite contractuelle au point d'occulter toute revision
basee sur les exigences de la bonne foi. Ceux qui saluent l'absence de
reconnaissance de l'imprevision par le droit quebecois reprennent les arguments
selon lesquels le contrat doit etre un element stable d'echanges economiques, a
827 Voir sur cette question, David et Jaufiret-Spinosi, ibid. 828 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 455; Jobin « Destinee », supra note 88; Leclerc, supra
note 270 a la p. 268; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 109; Masse, supra note 270 a la p. 227; Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 285.
363
defaut de quoi la structure meme de l'economie risque d'etre en peril . Pour
ceux-ci, la stabilite economique est la principale utilite du principe de la force
obligatoire des contrats et, consequemment, permettre la revision du contrat en
presence de circonstances nouvelles pourrait provoquer une crise economique
importante en entrainant la mefiance des investisseurs.
On peut s'interroger sur la validite reelle d'une telle argumentation. En effet,
comment peut-on affirmer que l'imprevision entraine sur son passage instability et
desastre economique alors que plusieurs des grandes puissances economiques de
ce monde reconnaissent cette theorie830 ? On n'explique pas pourquoi la situation
serait differente au Quebec. Le caractere isole d'une prevision ne permet-il pas de
s'interroger sur sa validite ? II n'y a aucune preuve concrete a l'effet que
1'economic du Quebec souffrirait plus que celle des pays reconnaissant
l'imprevision.
Le principe de la force obligatoire des contrats est, de l'aveu meme du Ministre de
la justice ayant preside a 1'adoption du Code civil du Quebec, temporise par
831 certaines regies de justice et notamment, la bonne foi . Or, en refusant de
829 Pineau, Burman et Gaudet, ibid. 830 Jobin « Destinee », supra note 88 a la p. 696. 831 Nous rappelons qu'une disposition semblable a l'article 1134 C.c.fr, voulant que « les
conventions legalement formees tiennent lieu de loi a ceux qui les ont faites » se retrouvait au Rapport sur le Code civil du Quebec soumis en 1977 par l'Office de revision du Code civil (voir Office de revision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Quebec, Quebec, Editeur officiel, 1977 a l'article 70 du livre V, intitule « Des obligations ») et par la suite reprise dans l'Avant-projet de loi sur les obligations de 1987 (article 1480). Or, cette disposition a par la suite ete abandonee, si bien que l'article 1434 ne reconnait que le caractere obligatoire du contrat sans faire reference a une formule de «loi interne des parties ». Par ailleurs, les commentaires du Ministre justifient ce choix legislatif de ne pas avoir enonce ce principe de loi interne des parties « compte tenu de toute la relativity que comporte {'affirmation, en regard
364
reconnaitre l'imprevision, on nie a la bonne foi un de ses outils utiles au
retablissement de la commutativite soutenant le contrat . Dans une telle
situation, est-il vraiment possible d'affirmer que l'on applique le principe de la
force obligatoire des contrats en conformite avec les dispositions du Code civil ?
De plus, nous l'avons deja note, a plusieurs reprises, les tribunaux ont mentionne
la necessite pour la partie avantagee de maintenir la pertinence du contrat pour la
partie desavantagee. Nous avons aussi constate que le principe de hierarchie des
interets permet a la partie avantagee de tirer profit du contrat mais toujours dans
cette meme limite de la pertinence du contrat pour l'autre partie. Pourquoi en
serait-il autrement lorsque le desequilibre provient d'une situation exceptionnelle
entrainant des consequences que ne pouvaient vraisemblablement pas prevoir les
parties ?
Dans des contrats de longue duree, il est peu probable que les parties aient prevu
toutes les eventualites. Au-dela de simples predictions, plus ou moins basees sur
des probabilites, comment peut-on connaitre les conditions socio-economiques ou
politiques d'un futur eloigne et les effets qu'auront celles-ci sur la relation
contractuelle ? Pourtant, l'immutabilite du contrat, qui fige les conditions
contractuelles au moment de l'echange des consentements, presume que les
parties ont effectivement prevu l'avenir de maniere entierement exacte. Une telle
presomption peut nuire a la commutativite du contrat en plagant une des parties
dans une situation deraisonnablement avantageuse en cas de circonstances
des dispositions imperatives de la loi, de l'ordre public, de la bonne foi, etc... ». Voir Commentaires du ministre de la justice, supra note 213 a l'article 1434.
832 Jukier, supra note 207 aux pp. 238-241; Rolland, «Unidroit», supra note 223 a la p. 194 et s.
365
bouleversantes. L'immutabilite engendre dans de tels cas une injustice flagrante.
D'ailleurs, comment peut-on affirmer que le contrat reflete encore la volonte des
parties si les circonstances sont telles qu'il en decoule des consequences si
dramatiques que les parties ne pouvaient meme les envisager ? On ne peut alors
justifier l'immutabilite qu'en fonction d'une volonte presumee et on s'eloigne
clairement d'une volonte reelle. De plus, en s'appuyant sur la « situation figee »
existant au moment de la formation du contrat, on refuse a la bonne foi sa fonction
de controle sur les conditions d'execution et d'extinction du contrat, alors que l'on
accepte ce controle dans d'autres situations.
Pour combattre cette tendance, on voit de plus en plus apparaitre au contrat des
clauses de modification ou de resiliation unilaterale au profit de la partie
avantagee lors de la conclusion du contrat. L'immutabilite a tout prix encourage
l'unilateralisme lorsque les contrats sont etales dans le temps de maniere
importante833. Dans les faits, la partie avantagee impose dans des contrats
d'adhesion des clauses de resiliation unilaterale a son profit exclusif. Or, un tel
unilateralisme vient concretement modifier la theorie classique de l'immutabilite
contractuelle voulant que le consentement des deux contractants soit necessaire a
la modification ou la resiliation du contrat834. II a pour consequence d'accentuer
d'autant l'inegalite des parties puisque la partie desavantagee ne pourra se liberer
du contrat en cas de circonstances aux consequences desastreuses, alors que la
partie avantagee le pourra aisement. II est d'ailleurs interessant de rappeler
833 Fabre-Magnan, « Motivation », supra note 402. 834 Article 1439 C.c.Q.
366
qu'instinctivement, la jurisprudence s'est mefiee de telles clauses unilaterales en
imposant le plus souvent des conditions strictes d'usage, notamment basees sur la OTC
bonne foi, telles que la necessite de preavis raisonnable ou de motivation . On
tente ainsi de sauvegarder un tant soit peu les interets de la partie desavantagee.
Mais, cette tentative jurisprudentielle n'ecarte pas le probleme en amont qui est
l'absence d'adaptabilite du contrat meme dans des circonstances entrainant des
consequences dramatiquement imprevisibles. Dans la situation actuelle, seule la
partie avantagee peut se retirer du contrat. Est-ce vraiment ainsi que l'on assure
une veritable stabilite contractuelle et l'egalite des parties contractantes ?
L'autre argument invoque par les detracteurs de l'imprevision est celui voulant
que « la revision entraine la revision », c'est-a-dire que chaque contrat revise en
vertu de la theorie de l'imprevision entraine lui-meme un desequilibre successif
dans une suite de contrats. Reviser un contrat serait alors un exercice
« d'apprenti sorcier » pouvant declencher des reactions incontrolables837. A notre
avis, ces critiques oublient que ce meme facteur de reactions en chaine est fort
present en cas de faillite d'une des parties, faillite qui risque d'etre la consequence
directe du maintien du contrat meme en presence de situations exceptionnellement
OTQ
desastreuses . II faut bien comprendre que la faillite d'un des contractants
entraine le plus souvent l'aneantissement de toutes les relations d'affaires du failli.
835 Fabre-Magnan, « Motivation », supra note 402. 836 Voir cette critique notamment dans Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 410 et
Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 285. 837 Flour, Aubert et Savaux, ibid. 838 Bedard, supra note 820 a la p. 784; Rolland, « Figures », supra note 23 aux pp. 937-938.
367
OIQ
La plupart des contrats ne vivent pas en vase clos . Or, dans le cas de contrats
lies, plusieurs intervenants differents peuvent etre directement touches par
l'inexecution d'un contrat. Par exemple, on constate souvent dans les chantiers de
construction que la faillite d'un des intervenants peut entrainer celle de plusieurs
autres. De meme, la faillite d'une entreprise entraine inevitablement la perte de
plusieurs emplois et consequemment une perte de pouvoir d'achat pour ces
travailleurs licencies, avec toutes les consequences que cela entraine pour
l'industrie locale.
Un autre des arguments invoques a l'encontre de la theorie de l'imprevision est
particulierement interessant dans une etude sur la commutativite contractuelle et
la bonne foi. On dit que la theorie de l'imprevision ne peut comporter un
veritable caractere equitable puisqu'elle impliquerait de faire « assumer par l'une
des parties le malheur qui s'est abattu sur l'autre. »840 Selon cette pretention, en
l'absence d'un reproche a l'une des parties, il serait injuste de lui imposer un
comportement visant a reparer le desequilibre. La justice n'aurait pretention qu'a
corriger les comportements manifestement injustes841. En imposant des normes
comportementales comme une obligation de renegocier de bonne foi a une partie
842 n'ayant commis aucune faute, on assimilerait bonne foi et chante.
839 Rolland, « Unidroit», supra note 223 a la p. 195. 840 Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 285. 841 Seriaux, supra note 69 au no. 46. 842 Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 285.
368
Sur ce dernier argument, nous serons la premiere a applaudir le fait que l'on
n'assimile pas bonne foi et charite. Cependant, dans le cas de l'imprevision, nous
ne croyons pas que la reconnaissance de celle-ci comme fonction de la bonne foi
soit une demonstration de la confusion entre bonne foi et charite. Au contraire,
nous sommes d'avis que la reconnaissance de la theorie de l'imprevision ou, du
moins, la reconnaissance d'une obligation implicite de renegocier l'entente de
bonne foi sont entierement justifiees par le devoir general interdisant de nuire
indument a autrui. II ne s'agit que d'une application supplemental de la
commutativite normative objective en presence d'une inegalite des parties. Si les
circonstances peuvent obliger la partie avantagee a adopter certains
comportements afin d'assurer un respect raisonnable des interets de la partie
adverse, pourquoi en serait-il autrement lorsque ces circonstances resultent d'un
bouleversement majeur et exceptionnel ?
En presence de telles circonstances aux consequences catastrophiques, on peut
alors parler d'une situation factuelle qui entraine pour une des parties un
desavantage tellement grand, qu'il est possible de penser qu'une personne
raisonnable veillant sainement a ses interets aurait refuse de contracter aux
conditions prevues au contrat si elle avait connu ces consequences imprevues. Le
contrat cesse pratiquement d'etre d'une utilite quelconque pour la partie
desavantagee. Or, nous l'avons mentionne, la bonne foi est sensible a une telle
situation factuelle si elle ne releve pas de la negligence ou du choix conscient et
assume de cette partie. Nous l'avons demontre, une situation de desequilibre peut
entrainer, pour la partie avantagee et meme en l'absence d'une faute de sa part,
369
une serie d'obligations implicites fondees sur la bonne foi et visant a assurer le
maintien de la pertinence du contrat pour les deux parties. Pour quelles raisons
l'obligation de renegocier de bonne foi ne pourrait-elle pas faire partie de ces
obligations implicites843? II est d'ailleurs interessant de rappeler que certains pays
qui reconnaissent l'imprevision le font sur la base du devoir general de bonne
foi844.
L'avantage de baser une obligation de renegocier sur la bonne foi est de pouvoir
moduler cette obligation en fonction des faits en l'espece et de la gravite du
desequilibre. Par exemple, on peut penser que cette obligation sera d'autant plus
importante que le terme restant au contrat sera de longue duree845 et vice-versa.
Cependant, nous concedons que l'on ne pourrait obliger cette partie a conclure
une nouvelle entente, si cela impliquait pour elle de renoncer deraisonnablement a
ses interets en faveur de la partie desavantagee846. On devrait renegocier de bonne
foi mais, nous l'avons demontre, l'obligation de bonne foi ne peut aller jusqu'a
imposer une abnegation de ses interets puisqu'un tel resultat contredirait les
assises de liberte et de responsabilite. II s'agit plutot que chaque partie puisse
profiter raisonnablement du contrat. Tout est une question de degre dans une
perspective de commutativite objective d'un contrat utile a toutes les parties.
843 Voir du meme avis, Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 456; Picod, supra note 277 au no. 190; Seriaux, supra note 69 au no. 55; Contra : Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 2250.
844 Comme nous l'avons deja mentionne, l'imprevision est d'origine jurisprudentielle en droit allemand et se fonde sur l'article 242 BOB, prevoyant l'execution de bonne foi des obligations. II en est de meme du droit suisse qui la cautionne sur la base de l'article 2 du Code civil suisse qui prevoit aussi la bonne foi dans les obligations. Voir a ce sujet, Jobin « Destinee », supra note 88 a la p. 701.
845 Picod, supra note 277 au no. 190. 846 Ibid, au no. 189 et s.
370
Dans le meme ordre d'idees, pour quelles raisons le refus d'une partie de se
soumettre a une telle obligation de renegocier de bonne foi ne pourrait-il pas etre
sanctionne par le juge847 ? Comme nous l'avons deja mentionne, les
manquements a la bonne foi pouvant etre sanctionnes par d'autres interventions
que le simple octroi de dommages-interets, le juge pourrait entre autres, modifier
le contrat, le resilier ou prevoir une sanction equivalente a une fin de non-
recevoir. II ne s'agirait pas, dans un tel cas, de tout faire supporter a la partie
avantagee mais de retablir une commutativite raisonnable. Nous l'avons deja dit,
des obligations implicites peuvent etre imposees a une partie, et le sont d'ailleurs
le plus souvent, meme en l'absence d'acte reprehensible de sa part. II serait
parfaitement coherent qu'une obligation de renegocier de bonne foi un contrat
deraisonnablement desequilibre suite a des evenements graves et aux
consequences inattendues fasse partie de telles obligations implicites. Dans la
meme logique, l'imposition d'une sanction en cas de non-respect de cette
obligation serait une consequence coherente.
Par ailleurs, peut-on vraiment affirmer qu'une telle demarche nuirait a la stabilite
contractuelle ? Nous en doutons puisque l'imprevision par definition ne se
presente qu'en des circonstances exceptionnelles et que les parties auraient eu la
chance de remedier par elles-memes a la situation hautement desequilibree849.
Mais pour ceux qui doutent encore, nous pouvons poser la question suivante :
847 Voir du meme avis, Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 456. 848 Ibid. 849 Ibid.
371
vaut-il mieux une intervention judiciaire permettant la perennite de la relation
contractuelle dans des parametres objectifs ou le maintien integral du contrat
resultant en la faillite d'une des parties, et done, de fagon ultime, en la fin de la
relation contractuelle ?
II est d'ailleurs interessant de noter que la demarche que nous proposons est o r A
semblable a celle proposee dans les Principes d'Unidroit a l'article 6.2.3 :
«1) En cas de « hardship »851, la partie lesee peut demander l'ouverture de renegociations. La demande doit etre faite sans retard indu et etre motivee.
2) La demande ne donne pas par elle-meme a la partie lesee le droit de suspendre l'execution de ses obligations.
3) Faute d'accord entre les parties dans un delai raisonnable, l'une ou o n
1'autre peut saisir le tribunal .
4) Le tribunal qui conclut a l'existence d'un cas de « hardship » peut, s'il l'estime raisonnable: a. mettre fin au contrat a la date et aux conditions qu'il fixe; ou b. adapter le contrat en vue de retablir l'equilibre des
prestations. »
Ainsi, la tendance du droit etranger est de reconnaitre l'imprevision853. Elle
demontre bien que, malgre ce qu'en disent certains auteurs, il est peu probable
850 « Unidroit», supra note 254. II faut aussi noter qu'une demarche semblable est prevue par les Principes du droit europeen des contrats, supra note 254 a l'article 6-111. Pour une bonne explication des regies d'Unidroit relatives au hardship, voir Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 116 et s.
851 On definit le terme hardship au paragraphe 6.2.2 « [i]l y a hardship lorsque surviennent des evenements qui alterent fondamentalement l'equilibre des prestations, soit que le cout de l'execution des obligations ait augmente, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminue. »
852 II faut noter ici qu'en vertu de l'article 1.10 des Principes d'Unidroit, le terme «tribunal» refere a un tribunal arbitral.
853 Voir a ce sujet Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 116 et s.; Jobin « Destinee », supra note 88 notamment a la p. 696.
372
que la reconnaissance de cette theorie entraine 1'instability economique et le refus
allegue des entreprises de s'etablir dans les territories reconnaissant l'imprevision.
Aussi, il est possible de prevoir une methode qui maintienne le lien contractuel et
n'exonere pas systematiquement et automatiquement le debiteur de ses
obligations en prevoyant une gradation de la demarche de revision . En
favorisant d'abord l'implication des parties, on peut penser que la demarche
proposee favorisera la perennite du lien contractuel a l'avantage des interets de
tous les contractants. Une telle implication favorise aussi, a notre avis, les
principes de liberte et de responsabilite des' parties dans la gestion de leurs
interets.
On peut done s'interroger, en examinant une telle methode, sur le realisme des
catastrophes evoquees par les detracteurs de la theorie de l'imprevision qui
semblent justement considerer que le recours au tribunal pourra toujours etre
utilise par une des parties pour lui permettre de se soustraire a ses obligations. Or,
tel n'est pas le cas. D'autant plus que l'imprevision n'est pas la cause de
l'instabilite economique des parties puisqu'elle n'entre en action que lorsqu'une
o r e
telle instability s'est reellement averee . Ce n'est que lorsque le desequilibre et
l'instabilite seront installes en amont que l'imprevision pourra s'implanter en
aval. Et celle-ci, par le jeu de la renegotiation ou de la modification contractuelle,
aura justement pour mission de contrer les plus graves consequences de ces
evenements. Dans un tel contexte, on peut affirmer que c'est 1'adaptability qui est
854 B£dard, supra note 820 a la p. 785. 855 Ibid, a la p. 786; Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 410.
373
le plus en mesure d'assurer la perennite contractuelle et la sauvegarde des interets
des parties856.
En joignant l'absence d'une interdiction expresse de l'imprevision au Code civil
du Quebec et la primaute qui est y accorde a la bonne foi, il ne semble pas
deraisonnable de penser que les tribunaux pourraient, a l'instar des tribunaux
suisses et allemands, reconnaitre l'imprevision en tant que fonction de la bonne
foi. On favoriserait ainsi une fonctionnalite reelle de la bonne foi en droit des
obligations. En effet, au-dela de l'enonciation de principe quant a l'obligation de
bonne foi, le Code civil du Quebec demontre une certaine mefiance face aux
instruments reels et efficaces permettant de s'assurer d'une reelle equite
contractuelle857 en n'integrant pas expressement et generalement les principes de O f Q O C Q
lesion et d'imprevision . Or, cette apparente contradiction - une auteure parle q / A
d'une « approche schizophrenique » - pourrait etre partiellement resolue en
donnant plein effet aux fonctions reconnues a l'etranger a la bonne foi861. Mais
une telle position impliquerait une reelle volonte judiciaire de participer a la
justice contractuelle. Malheureusement, on le sait, fortement influences par les
856 Voir Jamin, « Revision », supra note 233 a la p. 57. 857 En ce sens, il est interessant de comparer la place fonctionnelle importante laissee a la bonne
foi dans les Principes d'Unidroit. Voir a ce sujet, Elise Charpentier, « L'emergence d'un ordre public... prive : une presentation des Principes d'Unidroit» dans Les principes d'Unidroit et les contrats internationaux : aspects pratiques, supra note 223, 19 a la p. 22 et s.
858 Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 111 et s.; Jobin « Destinee ». supra note 88; Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 104; Rolland, « Unidroit », supra note 223 aux pp. 186-187.
859 Crepeau, ibid, aux pp. 122-124; Jobin, ibid. 860 Jukier, supra note 207 a la p. 238. 861 Voir notamment Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 82 et s.
374
theories elassiques et le spectre de l'instabilite, les tribunaux refusent souvent
cette responsabilite.
Ainsi, encore en 1'an 2000, la Cour d'appel du Quebec, qui avait a se prononcer
sur le caractere abusif d'une clause dans un contrat d'adhesion, a indique que ce
caractere devait etre juge au moment de la formation du contrat plutot qu'au
moment de 1'instance. Pour la Cour, en jugeant autrement, on autoriserait la
revision judiciaire du contrat fondee sur la theorie de l'imprevision, notion non
Off)
reconnue comme principe general au Code civil. Or, ce commentaire, en plus
de ne pas favoriser la pleine fonctionnalite de la bonne foi et demontrer la
mefiance des tribunaux quant a leur responsabilite en tant que gardiens de la
justice contractuelle, etait d'autant plus navrant qu'il n'etait nullement question ici
d'imprevision, les consequences des nouvelles circonstances ne pouvant
probablement pas etre qualifiees d'imprevisibles, au sens de la theorie de
l'imprevision. De plus, la Cour d'appel a base ses commentaires concernant
l'irrecevabilite de l'imprevision en droit quebecois sur l'article 1439 C.c.Q. qui
prevoit que le contrat ne peut etre modifie ou eteint que du consentement des
parties ou dans les cas prevus par la loi. Or, dans la mesure ou la bonne foi est
reconnue aux articles 6, 7 et 1375, nous ne voyons aucune objection a ce le juge
puisse intervenir au contrat pour cause de d'imprevision en se basant sur la notion
de bonne foi. Une telle intervention serait, a notre avis, tout a fait conforme a
l'article 1439 C.c.Q. qui permet 1'intervention judiciaire dans les cas prevus par la
862 Procureur general du Quebec c. Kabakian Kechichian, [2000] R.J.Q. 1730, REJB 2000-18855 (C.A.) au para. 60.
375
loi et par ailleurs logique, lorsque l'on comprend que la reconnaissance de la
notion de bonne foi en matiere contractuelle par le legislateur quebecois n'est
autre chose qu'une delegation directe d'un pouvoir d'intervention judiciaire.
Nous ne pouvons que nous desoler que la Cour d'appel ait juge necessaire de
fermer la porte a l'imprevision dans un contexte et avec des arguments
inappropries. Nous esperons qu'elle saura remedier a cette situation dans un
avenir prochain.
4.3 Conclusions sur la bonne foi comme instrument legitime d*intervention
judiciaire et de reconnaissance de la commutativite objective
Au cours de ce chapitre, nous esperons avoir demontre que la bonne foi est une
source legitime d'intervention judiciaire dans la commutativite contractuelle
imaginee par les parties. Puisque aucun droit ou liberte ne peut etre exerce de
maniere absolue, c'est-a-dire d'une maniere qui nuise indument a autrui, tous les
droits et libertes, y compris les contractuels, sont limites par les principes de la
saine coexistence des droits et libertes. Ces principes impliquent l'intervention
judiciaire afin de s'assurer que les assises de liberte, responsabilite, utilite et
justice commutative soient dument respectees. C'est ainsi que l'on assure la
justice contractuelle
Conscient de l'importance d'assurer une telle justice contractuelle, le legislateur a
codifie au Code civil du Quebec l'exigence d'agir de bonne foi a tous les stades
376
de la vie contractuelle. Loin d'etre une simple declaration generale de principe,
l'obligation d'agir de bonne foi introduit expressement un principe de
commutativite objective lorsque les circonstances demontrent la presence d'une
inegalite dans la capacite des parties a assurer la saine gestion de ses interets. II
s'agit d'une delegation normative faite aux juges par le legislateur pour assurer le
respect d'une telle commutativite.
Un tel controle judiciaire se fera par le biais des diverses fonctions generalement
reconnues a la bonne foi. Ainsi, le juge pourra user de son pouvoir general
d'interpretation des dispositions contractuelles afin de promouvoir une
interpretation raisonnable des profits et des charges incombant aux parties. II
pourra aussi imposer aux parties des obligations dites implicites afin le plus
souvent de limiter les prerogatives de l'une d'elles dans le but d'assurer un certain
respect des interets de son cocontractant. Le but sera de rechercher l'utilite
raisonnable et reciproque du contrat par un controle objectif des charges et profits
incombant aux parties. Finalement, en plus de verifier la commutativite
contractuelle per se le juge pourra examiner le comportement des parties dans
l'exercice de leurs prerogatives. Un comportement ne correspondant aux
standards socialement raisonnables sera ainsi sanctionne, sans qu'il soit par
ailleurs necessaire de se referer a la notion d'abus de droit. Toutes ses fonctions
de la bonne foi ont pour consequence que l'on ne se soucie plus seulement de la
situation des parties au moment de la formation du contrat. En ce sens, elles
modifient l'axe de controle en favorisant un controle de la commutativite de la
377
relation a tous les stades de la vie contractuelle et plus particulierement, lors de
l'execution du contrat.
Malheureusement, si la bonne foi est reconnue comme mode d'intervention
privilegiee octroyee aux juges pour veiller au respect de la justice contractuelle,
certaines fonctions de celles-ci restent encore officiellement niees en droit civil
quebecois, retirant ainsi a la bonne foi une partie de sa mission. Ainsi, l'absence
de reconnaissance des principes de lesion entre majeurs et d'imprevision fait
douter de la reelle volonte du legislateur a introduire au sein de la loi contractuelle
de veritables principes de justice contractuelle aux depens des principes toujours
ancres de la theorie de l'autonomie de la volonte. II n'est pas facile de changer les
mentalites ! Mais les exigences de la bonne foi imposent certainement que l'on
s'interroge sur les injustices ainsi engendrees.
378
Pourtant, nous nous sommes garde de faire table rase pour innover. Nous nous sommes contente du vieux-neuf; convaincu (...) que les «themes classiques y sont eternels», et qu'il convient seulement de les renouveler dans la forme, pour les mettre au point et les adapter a la mentalite des contemporains. »863
CONCLUSION
Certains pourraient nous reprocher d'avoir voulu faire la demonstration que la
justice est et doit demeurer un element primordial de toute relation contractuelle.
Ils soutiendraient que nous avons procede a defoncer des portes deja ouvertes
puisqu'il y a deja un bon moment que l'on concede que l'autonomie de la volonte
ne regit plus le contrat...
Et pourtant... alors qu'il est vrai que l'on pretend que l'autonomie de la volonte
apporte avec elle un lot impressionnant d'injustices contractuelles, on continue de
faire la promotion de l'immutabilite contractuelle comme facteur essentiel de la
securite des transactions. On denonce les interventions judiciaires comme des
sources risquant de nuire a l'economie du contrat, telle que voulue par les parties.
Pourtant, s'il y a injustices contractuelles, qui d'autre qu'un arbitre neutre peut
remedier a celles-ci ? On denonce l'injustice mais on se mefie des interventions
appropriees.
Meme le legislateur quebecois n'echappe pas a cette contradiction. Alors qu'il a
procede a la codification formelle de la notion de bonne foi comme precepte
863 Volansky, supra note 647 aux pp. 8-9.
379
devant gouverner les relations privees, il a refuse de reconnaitre, comme principes
actifs du droit quebecois, les notions de la lesion entre majeurs et de l'imprevision
de peur que celles-ci ne nuisent a la stabilite contractuelle. En d'autres termes, le
legislateur a expressement mentionne qu'il souhaitait plus de justice au sein des
relations contractuelles mais a refuse de rendre certains de ses preceptes operants
afin que celle-ci n'interfere pas trop avec la «loi des parties » ! II est done clair
que, dans la philosophic dominante, les conditions de droit strict, imposees par les
preceptes de l'autonomie de la volonte, prennent encore le pas sur la justice
contractuelle. On est d'avis qu'un contrat legalement conclu est le reflet de la
volonte des parties sans qu'il soit necessaire de se preoccuper davantage de son
aspect de justice. Celle-ci est de nature subjective et laissee a 1'appreciation des
parties.
Meme si le Code civil du Quebec n'est entre en vigueur qu'en 1994 et qu'on le dit
beaucoup plus sensible a la protection de parties privees desavantagees que son
ancetre, mil ne pourra contester que l'ideologie liberale contemporaine y est
encore fort presente. Cette ideologic se manifeste notamment par 1'importance
accordee a la volonte comme mode de creation des obligations contractuelles. Le
contrat se forme encore le plus souvent par le simple echange de consentement,
considere comme la manifestation externe de la volonte d'une personne. Or, a
l'heure ou un tel echange de consentement n'est le plus souvent qu'une
manifestation d'une volonte tronquee soumise a celle d'une partie avantagee, on
peut se demander pourquoi le legislateur a juge necessaire de maintenir cette
ideologic. On peut avancer que c'est probablement parce qu'il s'agit, bien qu'il
380
ne soit pas parfait, du meilleur moyen dont on dispose pour s'assurer de la
meilleure sauvegarde des interets de chacun. En effet, dans l'ideologie liberale,
chacun est considere comme le meilleur gardien de ses interets personnels et a,
consequemment, la responsabilite de veiller a leur sauvegarde. On s'assurerait
ainsi de la plus grande justice contractuelle. Liberte, responsabilite et justice sont
encore des assises de la theorie contractuelle.
Malheureusement, la theorie de l'autonomie de la volonte a pousse cette logique
un peu trop loin. En refusant de reconnaitre que l'egalite effective des parties
dans leur pouvoir a assurer la sauvegarde de leurs interets est un ideal rarement
atteint dans les faits, cette theorie a transforme cet ideal en presomption
irrefragable, nuisant ainsi au principe de justice contractuelle. En decretant que
dans le large spectre du simple particulier a 1'entreprise monopolistique toutes les
parties sont egales et s'equivalent, la theorie de la volonte, qui pourtant se voulait
gardienne des principes de justice contractuelle, s'est transformee en un
instrument d'injustice contractuelle. Et cette injustice est d'autant plus criante
quand on n'admet, comme vices contractuels, que les vices de consentement les
plus classiquement flagrants.
Puisque chacun conclut un contrat dans son interet, il faut penser qu'une partie
avantagee dans son pouvoir de contraindre l'autre partie a accepter ses conditions
contractuelles n'hesitera pas a agir ainsi. On le voit tous les jours avec les
contrats d'adhesion qui sont imposes par les grandes entreprises. Alors que dans
une situation d'egalite, chaque partie devrait etre en principe en mesure de gerer
381
librement ses interets, la realite veut que la plupart du temps une partie se retrouve
soumise a la volonte de son cocontractant. Devant une telle situation, peut-on
encore affirmer que l'economie du contrat doit se concevoir d'une maniere
subjective et qu'aucune autre personne que les parties est en mesure de s'assurer
de la justice d'un tel contrat ? A moins que l'on accepte que cette subjectivite
puisse etre la manifestation de la volonte d'une seule partie, force nous est de
reconnaitre qu'il faut reevaluer les preceptes de la justice contractuelle.
En refusant de reconnaitre l'inegalite effective des parties dans la sauvegarde de
leurs interets, le principe de l'autonomie de la volonte tourne le dos a la
philosophic sous-jacente du droit prive et notamment, aux principes de la saine
gestion de la coexistence des droits et interets. Pourtant, ces preceptes regissent le
droit de la responsabilite civile en prevoyant que l'on ne peut nuire indument a
autrui. De meme, c'est cette philosophic qui permet de justifier que les notions de
droit subjectif et d'interet, qui sont des concepts constituants du droit prive, ne
puissent etre congues comme des notions oetroyant des prerogatives absolues.
Ainsi, les principaux droits subjectifs du droit des obligations que sont par
exemple les droits de propriete et de creance doivent se concevoir comme des
prerogatives dont l'assiette est necessairement bornee soit par les droits tout aussi
legitimes d'autrui ou par certains de ses interets.
En definissant la justice contractuelle par la subjectivite des parties, le droit des
contrats a tente d'ecarter la regie de la coexistence paisible des droits et interets.
Un juge ne peut intervenir a la relation contractuelle en vertu de ces preceptes
382
objectifs puisqu'il risquerait ainsi de mettre en peril l'economie subjective du
contrat. Mais devant le constat des injustices qu'entraine la justice envisagee de
maniere subjective, peut-etre est-il temps de retablir la coexistence paisible des
droits et interets meme au sein de la loi contractuelle. Peut-etre est-il temps de
concevoir la commutativite contractuelle de maniere objective ?
Par l'imposition d'obligations se justifiant par la protection des interets d'autrui,
une commutativite normative de nature objective joue son role de gardien de la
saine coexistence des droits et interets. Cette imposition ne peut s'expliquer par
de quelconques principes de « solidarite » ou de « fraternite » contractuelles, qui
impliqueraient que l'on doive agir dans l'interet d'autrui pour 1'unique et seul
motif qu'il existe un lien de droit contractuel avec cet autrui. Cela impliquerait
que tout lien contractuel prendrait alors la nature juridique de « societe »,
obligeant chacun de ses « associes » a agir dans l'interet de celle-ci et de ses
partenaires. Au contraire, l'obligation qui est parfois faite de se preoccuper des
interets d'autrui dans l'exercice de ses droits subjectifs se fonde sur les principes
du liberalisme encore presents au Code civil et la responsabilite correlative de
veiller a ses interets. Liberte et responsabilite demeurent des assises de la loi
contractuelle mais se reconcilient avec la justice contractuelle.
Une application objective des principes de justice commutative va bien au-dela
des simples equivalences mathematiques des prestations en examinant la veritable
nature du lien de droit entre les parties et les obligations qu'il implique. Dans une
situation ideale, les droits et interets de chacun sont en saine competition, creant
383
un contexte d'equilibre ou chacun est a meme d'exercer ses droits et de veiller a
ses interets sans nuire indument aux droits d'autrui. Cette situation ideale entraine
une egalite de droit et constitue le point d'equilibre de la justice contractuelle.
Pourtant, malgre qu'une telle egalite de droit soit en principe si chere a nos
societes liberales, les faits demontrent qu'une telle situation d'equilibre est
rarement presente dans notre societe contemporaine.
Au-dela de la perpetration d'une faute specifique, les simples conditions factuelles
regissant la relation entre les parties peuvent en soi nuire a la saine coexistence
des droits et interets, creant ainsi une situation ou une des parties n'est plus en
mesure de veiller utilement a la sauvegarde de ses interets. Cette partie devient
prisonniere de la volonte d'autrui meme en l'absence de toute faute de ce dernier.
Cela se manifeste notamment lorsqu'il est deraisonnable de penser qu'une
personne aurait accepte certaines conditions contractuelles si elle avait ete en
mesure d'assurer librement la gestion de ses interets ou, si l'on prefere, de
negocier et executer les diverses clauses du contrat.
Parce qu'une telle situation n'est pas causee par la faute de la partie avantagee,
elle ne peut, en soi, etre source d'octroi de dommages a la partie desavantagee.
Cela brimerait les principes de la responsabilite civile que de reconnaitre une
indemnisation sans faute. Cependant, une commutativite plus juste se doit d'etre
imposee si l'on veut s'assurer d'une saine coexistence des droits et interets. C'est
alors que les composantes normative et objective de la justice contractuelle
prennent toute leur importance. La justice commutative prevoit que le juge agit
384
comme gardien de l'equilibre entre les parties. L'etablissement d'une
commutativite objectivement plus juste se fera alors par l'imposition judiciaire de
normes favorisant une certaine sauvegarde des interets de la partie desavantagee.
Et c'est dans le cadre de ce processus que l'utilisation de la notion de bonne foi
prend toute sa justification.
La bonne foi est une notion floue qui est maintenant martelee au Code civil du
Quebec. Or, par definition, les notions floues sont des pouvoirs d'intervention
judiciaire delegues par le legislateur afin d'assurer une equite dans l'application
de regies de droit plus ou moins strictes. Par cette delegation, le legislateur
permet aux juges d'adapter la regie de droit en fonction des circonstances propres
a l'espece afin de favoriser une certaine justice. Ainsi, loin d'etre illegitime,
1'intervention judiciaire fondee sur la bonne foi est tout a fait legale et conforme
aux principes prevus par le legislateur.
Par le recours aux diverses fonctions de la bonne foi, le juge s'assure d'une
relation plus juste entre les parties en exigeant le respect du principe de la saine
coexistence des droits et des interets. Concretement, cela implique que la partie
avantagee, devra dans l'exercice de ses prerogatives, tenir compte de certains
interets de la partie desavantagee. Ces interets seront sauvegardes par l'imposition
d'obligations precises et ce, a tous les stades de la vie contractuelle.
Par exemple, une des obligations les plus souvent imposee au stade de la
formation du contrat est l'obligation d'information. II est d'ailleurs interessant de
385
noter que 1'existence meme de cette obligation depend de conditions refletant
parfaitement 1'ideologic liberale contemporaine et le principe de la saine
coexistence des droits et interets. Ainsi, pour que cette obligation s'impose a
l'une des parties, l'autre partie devra effectivement etre en situation de
vulnerabilite informationnelle, vulnerabilite qu'elle n'aura pas elle-meme creee
par sa propre negligence a veiller a ses interets, notamment en omettant de
s'informer elle-meme. L'information devra aussi etre determinante, afin de
veritablement etre a la source d'un desequilibre empechant raisonnablement la
partie vulnerable de veiller a ses interets. Le but de l'obligation d'information est
de reequilibrer la situation des parties a donner un veritable consentement libre et
eclaire.
Lors de l'execution du contrat, il est de la nature meme du lien de droit entre les
parties qu'une des parties soit soumise a l'autre dans un rapport debiteur-
creancier. Cette situation entraine par ailleurs, pour le creancier, l'obligation de
ne pas agir au mepris total des interets de son debiteur, le tout en vertu de
l'obligation de bonne foi devant regir les rapports contractuels. Ainsi, s'il est
normal qu'il exige l'execution de l'obligation, les circonstances de cette execution
ne doivent pas provoquer une situation deraisonnable au point ou le contrat cesse
d'etre pertinent pour la partie desavantagee. De meme, le debiteur devra respecter
les interets de son creancier lorsqu'il controle les circonstances de l'execution. II
en est notamment ainsi de certaines clauses de non-responsabilite qui denaturent
le lien contractuel en permettant, dans les faits, a la partie avantagee de se
soustraire a ses propres obligations. De plus, la partie creanciere doit cooperer
386
avec la partie debitrice afin de favoriser la meilleure execution possible du contrat
dans le meilleur interet des deux parties.
Au stade de 1'extinction, l'obligation de bonne foi entraine souvent des
obligations pour la partie beneficiant d'un droit de resiliation unilaterale. Ainsi,
les circonstances de l'exercice d'un droit de resiliation seront examinees par le
tribunal afin de verifier si cette resiliation unilaterale a ete faite en parfaite
negligence des interets de la partie desavantagee. Si tel est le cas, la partie ayant
procede a cette resiliation pourra etre sanctionnee pour avoir contrevenu a la regie
generale de ne pas nuire indument a autrui. C'est pour assurer une certaine
sauvegarde des interets de la partie subissant la resiliation unilaterale que les
tribunaux exigeront, au nom de l'obligation de bonne foi, que cette resiliation
fasse l'objet d'un preavis raisonnable, qu'elle ne se fasse pas a contre-temps et
meme parfois, qu'elle soit motivee.
A la lumiere de ces exemples, on saisit rapidement que la bonne foi est une notion
floue qui, bien cernee par les principes de la saine coexistence des droits et
interets, permet un reequilibrage de la situation des parties. Naturellement, nous
n'avons pas la naivete de croire que ce processus puisse permettre une veritable
egalite de droit entre les parties. Cependant, nous avons tente, par nos recherches,
de demontrer comment et pourquoi l'utilisation de cette notion peut permettre de
retablir une certaine protection des interets d'une partie lorsque les interets de
celle-ci risquent d'etre deraisonnablement atteints sans qu'elle puisse agir
efficacement pour les sauvegarder. En d'autres termes, la bonne foi n'empeche
387
pas une partie de profiter a son avantage d'une saine situation de competition mais
tente d'eviter les abus. Cette grille d'analyse est la conclusion de nos recherches
qui, nous l'esperons, sera utile dans l'application quotidienne de la notion de
bonne foi en droit des obligations quebecois. Nous avons tente d'expliquer
pourquoi 1'usage de cette notion par les tribunaux aux relations contractuelles est
non seulement legitime mais souhaitable, afin de preserver une veritable justice au
sein de la relation. Nous esperons du meme souffle que cette analyse permettra
aussi d'eviter certains derapages malencontreux qui nuisent a cette legitimite en
ne respectant les assises de la theorie contractuelle, notamment en faisant fi du
devoir de chacun de veiller a ses interets lorsque les circonstances y sont
favorables.
Finalement, il reste un dernier point qui merite d'etre commente. Toute la grille
d'analyse que nous proposons s'appuie sur une intervention judiciaire efficace par
laquelle les justiciables pourront effectivement faire valoir leurs interets d'une
maniere efficiente et peu couteuse. Toute cette demonstration n'a aucun sens si
les delais et les couts pour faire valoir ses interets s'averent rebarbatifs pour le
simple citoyen. Ce dernier preferera une solution plus immediate et moins
derangeante, qui se manifestera le plus souvent par l'abandon de tout recours.
Nous serons alors en face du meme constat: seuls ceux qui ont les moyens et
l'energie de faire valoir leurs droits - comprendre les riches et puissants -
exerceront effectivement cette prerogative; les autres prefereront s'abstenir.
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II reste done a la societe quebecoise a favoriser un meilleur acces a la justice. La
creation d'une Cour des petites creances a ete, a notre avis, un pas dans la bonne
direction mais ce pas n'est pas suffisant. II faut done rechercher des manieres
nouvelles de proceder afin que la justice judiciaire soit une veritable justice...
Mais de telles recherches depassent le cadre de cette these. Des etudes
subsequentes, nous l'esperons, nous permettront de suggerer certaines solutions
afin que nous puissions enfin considerer que la liberte s'exerce dans un contexte
de veritable egalite!
389
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Societe Radio-Canada c. Guitouni, [2002] R.J.Q. 2691 (C.A.)
Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, [1994] R.J.Q. 1751 (C.A.)
Syndicat Norther est c. Amselem, 2004 SCC 47, [2004] 2 R.C.S. 551
Tamper Corp c. Kansa General Insurance Co. [1998] R.J.Q. 405 (C.A.)
Trudel c. Clairol, [1975] 2 R.C.S. 236
Trust La Laurentienne c. Losier (15 janvier 2001) Montreal, 500-09-007838-998, J.E. 2001-254, REJB 2001-22029 (C. A.)
Turmel c. Quadragesco Inc., [1988] RJ.Q. 2608 (C.A.)
Uni-Select Inc. c. Action Corp, [2002] R.J.Q. 3005 (C.A.)
Vachon c. Lachance, [1994] R.J.Q. 2576 (C.S.)
Vie I c. Entreprises immobilizes du terroir ltee, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)
Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085
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Whiten c. Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595
Woffordc. Boreal Insurance Inc., [1995] R.R.A. 811 (C.Q.)
Wyre c. Dottin, [2004] R.D.I. 136, REJB 2003-51555 (C.S.)
Xequipe Inc. c. Montreal (Communaute urbaine de), (6 septembre 2001), Montreal, • 500-05-044888-988, J.E. 2001-1759, REJB 2001-26233 (C.S.)
B-Jurisprudence francaise
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