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Liberte, responsabilite et utilite : la bonne foi comme instrument de justice contractuelle.

par :

Marie Annik Gregoire

Institut de droit compare Faculte de droit

Universite McGill

Decembre 2007

These soumise a l'Universite McGill afin de satisfaire en partie les exigences d'obtention du diplome de doctorat en droit civil (DCL)

© Marie Annik Gregoire 2007

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395 Wellington Street Ottawa ON K1A 0N4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A 0N4 Canada

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M

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Resume

Notre etude consiste a degager les principes directeurs du droit des obligations

quebecois, plus particulierement sa composante contractuelle. Nous tentons

d'etablir une forme d'analyse qui aura pour but de definir et de legitimer les

preceptes de justice qui devraient guider 1'intervention judiciaire au sein des

relations contractuelles.

Dans le cadre de cette etude, nous identifions certains principes comme

fondamentaux dans la theorie contractuelle: la justice commutative, la

commutativite contractuelle, les droits subjectifs et les interets legitimes. Nous

etablissons les rapports qui existent entre chacune de ces notions fondamentales

pour conclure que pour s'averer conforme aux principes de justice commutative,

la commutativite contractuelle ne doit pas etre basee sur une equivalence

monetaire des prestations mais sur le respect d'une norme fondee sur la

coexistence paisible des droits et interets. II s'agit en quelque sorte d'une

normalisation des rapports contractuels qui cessent d'etre purement subjectifs.

Cette constatation entraine plusieurs consequences : l'ajout des circonstances de

1'execution et 1'extinction du contrat, et non plus de sa seule formation, au

possibility de controle judiciaire, une meilleure legitimation d'un tel controle et la

reconnaissance de la bonne foi comme instrument privilegie d'une commutativite

contractuelle plus juste. D'ailleurs, la derniere partie de notre these est consacree

a l'examen pratique des interventions judiciaires basees sur la bonne foi afin

d'illustrer les principes exprimes dans l'etude.

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Abstract

This thesis outlines the guiding principles of obligations law in Quebec, more

particularly its contractual component. We are trying to establish a model of

analysis that will seek to define and legitimize the precepts of justice that should

guide judicial intervention in contractual relationships.

As part of this study, we identify certain principles that are fundamental in the

theory of contract: notably, commutative justice, contract commutability,

subjective rights and legitimate interests. We establish the relationship between

each of these basic concepts to conclude that to be consistent with the principles

of commutative justice, contract commutability shall not be based on a monetary

equivalent of benefits but on the respect of a standard based on peaceful

coexistence of rights and interests. It consists therefore of a normalization of

contractual relations which ceases to be purely subjective. This finding leads to

several inferences: the addition of the circumstances of the execution and

termination of the contract, rather than simply its creation, to the possibilities of

judicial review, a better legitimization of such review and the recognition of the

principle of good faith as a privileged instrument for a fairer contractual

commutability. Moreover, the last part of our thesis is devoted to examining

judicial practice interventions based on good faith in order to illustrate the

principles expressed in the study.

ii

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TABLE DES MATIERES

R E M E R C I E M E N T S J V

1. INTRODUCTION : L'ETUDE DETERMINANTE DES ASSISES DU DROIT PRIVE COMME FACTEUR DE JUSTICE 1

2. LES CARACTERISTIQUES ESSENTIELLES DU LIEN CONTRACTUEL. 12

2.1. Un lien prive d'obligations 12

2.2 L'interet des parties : le droit des obligations est-il vraiment juste et utile? 15

2.3. Les principes de justice regissant le droit des

obligations contractuelles et extracontractuelles 31

2.4. La normativite de la justice commutative en droit des obligations : 47

2.4.1. La justice commutative en responsabilite civile 47

2.4.1.1. La theorie d'Ernest Weinrib sur l'equilibre normatif 58

2.4.1.1.1 La notion de perte normative 58

2.4.1.1.2 La justice commutative et la violation d'un droit: quelles sont

les sanctions appropriees ? 68

2.4.1.2. Conclusion sur la justice commutative en responsabilite civile 82

2.4.2 La justice commutative et la relation contractuelle : 85

2.4.2.1. Les assises essentielles d'une theorie contractuelle 87

2.4.2.1.1 Le role de la volonte au contrat > 89

2.4.2.1.2 Une commutativite objective 112

2.4.2.1.2.1 L'evolution de la commutativite contractuelle de subjective a plus objective 119

2.4.2.1.2.2. Conclusions sur revolution de la commutativite contractuelle 142

I

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2.4.2.1.3. Une commutativite normative 143

2.4.2.2. Le lien entre la liberte et la commutativite contractuelle 147

2.4.2.2.1 La condition prealable a l'imposition d'une commutativite objective : l'inegalite des parties 153

2.4.2.2.1.1 L'inegalite non fautive 154

2.4.2.2.1.2 L'inegalite fautive 158

2.4.2.3. Le role du raisonnable dans la commutativite contractuelle 160

2.4.2.4. Perspectives et conclusions concernant une commutativite contractuelle plus juste 165

3. LA COMMUTATIVITE OBJECTIVE ET LES DROITS SUBJECTIFS 178

3.1 La reconnaissance du concept de droit subjectif. 181

3.2 L'exercice d'une prerogative dans l'interet de son titulaire 194

3.3 Le droit subjectif: source d'exclusivite 214

3.4. Des limites sociales a l'exercice du droit subjectif 217

3.4.1 Le droit subjectif: incarnation du droit objectif 217

3.4.2 Le droit aux profits en situation de liberte 233

3.4.3. Le role de l'interet dans le droit subjectif. ....243

3.5. Conclusions concernant la commutativite objective et les droits subjectifs .260

4. LA BONNE FOI : UNE LEGITIMATION DE L'INTERVENTION JUDICIAIRE ET DE LA COMMUTATIVITE OBJECTIVE 2 6 3

4.1 La definition de la bonne foi 265

4.1.1 La bonne foi et la theorie dite du « solidarisme contractuel» 281

4.1.2. La bonne foi et les contrats dits « relationnels » 290

4.2 Les fonctions de la bonne foi 295

II

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4.2.1. La fonction interpretative 296

4.2.2. La fonction completive 308

4.2.2.1 L'obligation d'information 325

4.2.3. La fonction limitative 343

4.2.3.1. L'abus de droit en droit du travail et l'octroi de frais extrajudiciaires pour abus de procedures : des exceptions a la regie ? .351

4.2.3.1.1. L'abus du droit de congedier 352

4.2.3.1.2 Les honoraires extrajudiciaires 355

4.2.3.2. Conclusions sur la fonction limitative de la bonne foi 358

4.2.4. La fonction adaptative 359

4.3 Conclusions sur la bonne foi comme instrument legitime d'intervention judiciaire et de reconnaissance de la commutativite objective 376

C O N C L U S I O N 379

B I B L I O G R A P H I E G E N E R A L E : 3 9 0

1. DOCTRINE 390

A-Ouvrages et theses 390

B- Articles ..396

C-Dictionnaires 405

2. JURISPRUDENCE 407

A-Jurisprudence quebecoise et canadienne 407

B-Jurisprudence fran^aise 412

III

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REMERCIEMENTS

Que d'annees passees a rechercher, rediger, lire et relire. Celles-ci ont ete marquees par plusieurs evenements d'importance et par de nombreux decouragements et encouragements. Sans le soutien expres de nombreuses personnes, je doute que mon projet de these aurait connu un tel aboutissement...

II me faut premierement souligner l'importante aide financiere qui m'a permis de me consacrer a mes recherches. J'ai ete a ce titre particulierement choyee! Ainsi, je tiens a remercier pour leur generosite, le Fonds Wainwright de la Faculte de droit de l'Universite McGill, l'Universite McGill (Bourse de redaction de la Principale), le CRSH, le FQRSC, ainsi que le Bureau du personnel enseignant (Bourse de perfectionnement) et la Chaire Jean-Louis Baudouin en droit civil de l'Universite de Montreal.

Ensuite, je ne peux passer sous silence les contributions essentielles de mes deux directeurs de recherche, le doyen Nicholas Kasirer et le professeur Adrian Popovici. lis ont su me guider et m'interesser a des pensees, des auteurs ou des philosophies que je croyais inaccessibles. Je leur en suis vraiment reconnaissante et j'espere que j'aurai a nouveau 1'occasion de travailler avec de si grands esprits!

Un merci special a mes collegues doctorants. Dans l'isolement de la redaction d'une these, votre support informel m'a ete d'un grand reconfort. Sebastien, Marie-Pierre, Caroline, Catherine, Isabelle, Patrick et Mohammad, pour ne nommer que ceux-la, j'espere que vous vous reconnaissez! Un merci aussi a mes etudiants qui, au fil des annees, par leur enthousiasme ont su me prouver que j 'avais fait les bons choix et que le sacrifice en valait la peine!

Merci aussi a mes amis qui ne m'en veulent pas de les avoir un peu negliges dans ma folie doctorale... Un merci particulier a Catherine qui n'a jamais refuse que nous discutions de ma these et a Dimitra pour avoir verifie ma traduction anglaise.

Merci au professeur Hugues Parent pour m'avoir bien explique que mes etats d'ame etaient des etats normaux de doctorant... Merci aux professeurs Didier Lluelles et Diane Labreche pour leur support inconditionnel.

Un merci particulier a Denise Rochon pour sa patience surhumaine, sa grande intelligence et son... perfectionnisme! Ses enseignements iront bien au-dela de cette these... elle m'a ete tres precieuse.

Finalement, un merci tres special a ma famille, Benoit, Catherine et Juliette pour m'avoir epaulee, encouragee et parfois enduree durant toutes ces annees. Je vous' adore!

IV

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«l'equite veut qu'a des cas identiques, on applique des principes juridiques identiques »

Ciceron - Topiques IV-231

1. Introduction : L'etude determinante des assises du droit prive comme

facteur de justice.

Des les premieres minutes d'un cours de droit des obligations, un etudiant

apprend qu'un contrat se forme generalement par l'echange des consentements

des parties. On schematise le principe du consensualisme par la terminologie de

la « rencontre des volontes ». Celle-ci veut que les parties s'entendent sur les

elements essentiels du contrat et scellent ceux-ci par la manifestation reciproque

de leur consentement. Ce processus complete, le contenu contractuel serait

immuable sauf par une nouvelle rencontre de volontes ou par l'effet de la loi.

En d'autres termes, tout etudiant en droit apprend que les preceptes de la theorie

de l'autonomie de la volonte gerent encore les relations contractuelles en droit

quebecois.

Pourtant, le meme etudiant se fera expliquer que la theorie de l'autonomie de la

volonte est le plus souvent denoncee pour les injustices qu'elle entraine.

Cependant, du meme souffle, ses professeurs critiqueront toute intervention

judiciaire dans la relation contractuelle. lis invoqueront la securite juridique, la

stabilite contractuelle et le risque de mettre en peril la commutativite subjective

1 Ciceron, Topiques, trad, par Henri Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1960, no. IV-23.

1

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resultant de la volonte des parties. Le respect de la liberte des parties veut que

Ton respecte leur volonte. Or, la combinaison de ces mises en garde et de la

denonciation de l'injustice contractuelle denote clairement un conflit de valeurs

dans ces enseignements.

On peut penser que conscient d'une telle contradiction, le legislateur a voulu

proposer une solution lors de 1'adoption du nouveau Code civil du Quebec. Avec

la reconnaissance et la codification de certaines notions - telle la notion de bonne

foi - a premiere vue, a caractere moins egoi'ste que les valeurs preconisees par la

theorie obligationnelle traditionnelle, on peut penser que le legislateur a fait le

pari de favoriser la justice contractuelle. Si tel est effectivement le cas, il devient

de plus en plus imperatif de s'interroger sur les consequences concretes d'un tel

choix legislatif sur 1'ideologic fondamentale du droit des obligations

contractuelles et extracontractuelles.

Bien sur, a priori un tel questionnement suppose qu'une telle ideologic existe. Le

droit des obligations est-il un exemple d'amalgames heteroclites sans aucune

coherence intrinseque ? Cela serait peu probable etant donne les nature et

structure reconnues d'un Code civil. Alors, si effectivement le Code civil

comporte des principes directeurs internes2, nous croyons que ces assises meritent

d'etre identifiees pour verifier 1'impact des nouvelles normes codifiees.

2 Dore c. Verdun (Ville de), [1997] 2 R.C.S. 862 a la p. 874 [Dore],

2

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Aussi etrange que cela puisse paraitre, peu d'auteurs civilistes se prononcent a ce

sujet, du moins aussi clairement que le font certains auteurs issus d'une autre

tradition juridique. Cela peut probablement s'expliquer par le fait qu'il est

presume, comme nous venons de le mentionner, que le Code est dote d'une

structure coherente ou les dispositions s'interpreted les unes par rapport aux

autres en vertu de principes directeurs decoulant de l'etude et l'analyse de ces

memes dispositions . Malheureusement cette absence de debat entraine une

consequence importante : les principes directeurs du Code civil sont peu etudies.

On s'en tient aux banalites, en affirmant par exemple que le Code privilegie la

protection du plus faible dans le cadre des relations contractuelles, sans expliquer

ce qui justifie une telle protection.

Un des principes fondamentaux de la justice est certainement de traiter les cas

semblables de fa?on semblable4. Mais si Ton interprete les dispositions du Code

civil sans tenir compte de ses structure et coherence internes, qu'est-ce qui nous

permet d'assurer une interpretation uniforme et logique des regies de droit ?

Identifier et expliquer les principes directeurs du Code civil s'avere fondamental

puisque si les dispositions de celui-ci s'interpreted effectivement les unes par

rapport aux autres, en connaissant ces principes fondamentaux, on evite une

interpretation et une application arbitrages des regies de droit y contenues. On

3 Ibid-, Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette, 2006 QCCA 1437, [2006] R.J.Q. 2633 au para. 131 [Ciment du St-Laurent].

4 Stephen A. Smith, Contract Theory, Clarendon Law Series, New York, Oxford University Press, 2004 a la p. 46.

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evite certaines contradictions et incoherences5 puisque les acteurs du droit

deviennent conscients des limites ceinturant l'application des regies de droit prive.

Si l'on fait defaut d'identifier et d'assurer le respect des principes directeurs du

Code civil, le succes ou le rejet d'un recours de droit prive devient une pure

question d'opinions personnelles du juge traitant le dossier. On se retrouve alors

avec autant de decisions qu'il peut etre difficile d'incorporer ou d'expliquer dans

le cadre de la theorie civiliste quebecoise et qui sont, fort a propos, denoncees

comme telles! C'est ainsi que l'application des regies de droit devient arbitraire.

Or, une telle situation doit etre evitee pour maintenir la justice et la confiance dans

1'administration du droit.

Parce qu'il s'agit d'un des principaux preceptes codifies au Code civil du Quebec,

la demonstration de la presente these demande de se pencher particulierement sur

l'obligation de bonne foi dans la formation, l'execution et l'extinction de

l'obligation. L'interpretation de cette notion par la jurisprudence peut laisser le

juriste quelque peu abasourdi. D'ailleurs, plusieurs semblent suggerer qu'il ne

peut resulter de l'application de cette notion que des jugements bases sur le cas

par cas, sans coherence entre eux. D'autres, au contraire, ont une interpretation

inverse qui se veut modificatrice des principes traditionnels du droit des contrats.

Ainsi, s'il semble clairement admis que cette notion de bonne foi implique des

devoirs d'information, de cooperation et de loyaute, une certaine doctrine

5 Ernest J. Weinrib, The Idea of Private Law, Cambridge, Harvard University Press, 1995 notamment a la p. 12 [Weinrib, Idea].

4

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autorisee, n'hesite pas a y constater une transformation de la theorie generale des

obligations, et particulierement, sa branche contractuelle, de la vision classique -

ou le contrat est per<?u comme la conciliation d'interets egoi'stes - en celle ou ce

meme contrat est, au contraire, per?u comme une oeuvre de cooperation entre des

f\ 7

contractants unis par des liens de solidarity et animes d'un esprit altruiste .

Meme la doctrine quebecoise sur cette question semble etre attiree par une telle

conception de la notion de bonne foi en droit des obligations .

Pourtant, lorsqu'on 1'examine de plus pres, toute cette doctrine semble se

contredire elle-meme en insistant sur le role de cette meme bonne foi comme

gardienne des liberies individuelles et du libre exercice des droits mais aussi

comme gardienne des interets de son cocontractant. C'est alors que Ton retrouve

des remarques comme celle voulant qu'il faut favoriser un esprit de collaboration

et de loyaute mais en tenant compte de la nature humaine, c'est-a-dire une nature

egoi'ste. On exige loyaute et collaboration mais on reconnait que T on ne peut

6 Eric Savaux, « Solidarisme contractuel et formation du contrat» dans Luc Grynbaum et Marc Nicod (dir.) Le solidarisme contractuel, coll. Etudes juridiques, Paris, Economica, 2004, 43 a la p. 44; Anne-Sylvie Courdier, Le solidarisme contractuel, These de doctorat en droit, Universite de Bourgogne, 2003 [microfiches] (il faut cependant noter que cet auteure rejette la bonne foi comme principe permettant d'actualiser ce lien de solidarity entre les contractants); Catherine Thibierge-Guelfucci, « Libres propos sur la transformation du droit des contrats », [1997] R.T.D. civ. 357 a lap. 362.

7 Denis Mazeaud, « Solidarisme contractuel et realisation du contrat» dans Luc Grynbaum et Marc Nicod (dir.) Le solidarisme contractuel, coll. Etudes juridiques, Paris, Economica, 2004, 57 a la p. 69 [Mazeaud, « Solidarisme »].

8 Voir Charles D. Gonthier, « Liberty, Equality, Fraternity : The Forgotten Leg of the Trilogy, or Fraternity : The Unspoken Third Pillar of Democracy » (2000) 45 R.D. McGill 567 notamment a la p. 579 et s. Brigitte Lefebvre, La bonne foi dans la formation des contrats, Cowansville, Yvon Blais, 1998 a la p. 41[Lefebvre, Bonne foi]; Brigitte Lefebvre, « Liberte contractuelle et justice contractuelle : le role accru de la bonne foi comme norme de comportement», dans Developpements recents en droit des contrats (2000), Service de la formation permanente, Barreau du Quebec, Cowansville, Yvon Blais, 2000,49 [Lefebvre, « Liberte »].

5

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exiger un comportement vertueux ou angelique9. Difficile de s'y retrouver!

Devant ces propos en apparence contradictoires, on peut s'interroger et se

demander ce qui empeche cette doctrine a aller au bout de sa pensee et de ses

ambitions. Pour quelles raisons ne peut-elle pas faire serieusement la

demonstration que la loyaute et la collaboration contractuelles peuvent, en

certaines circonstances, obliger une partie a renoncer a ses interets pour favoriser

ceux de son cocontractant ? Y aurait-il une theorie contractuelle en filigrane qui

les empecherait d'avancer aussi loin dans la theorie solidariste ou de fraternite

contractuelle ? Malheureusement, aucun, a notre connaissance, ne repond

clairement a cette question. II semble done que nous soyons condamnes a devoir

nous contenter de sous-entendus.

II est aussi interessant de noter que meme la jurisprudence semble se soumettre a

une certaine ideologic implicite dans sa definition de la notion de bonne foi.

Ainsi, dans 1'interpretation et l'imposition de cette notion, les tribunaux insistent

particulierement sur les circonstances et la situation respective des parties

contractantes pour imposer a l'une d'elles les devoirs qui semblent justifies.

L'importance accordee a une partie desavantagee par les circonstances est

9 Lefebvre, « Liberte », ibid, a la p. 61; Denis Mazeaud, « Loyaute, solidarity fraternite: la nouvelle devise contractuelle ? », dans L 'avenir du droit, melanges en hommage a Franqois Terre, Paris, Presses universitaires de France, 1999, 603 notamment a la p. 604 [Mazeaud, « Loyaute »]; A. Pousson, « Morale et droit du travail», dans La morale et le droit des affaires, Actes du colloque organise a l'Universite des Sciences Sociales de Toulouse le 12 mai 1995, Paris, Montchrestien, 1996, 53 qui a la p. 68 declare au sujet des loyaute et bonne foi impregnant le contrat de travail: « l'angelisme n'est pas de mise, il n'est pas exige que chacun des contractant qu'il aime l'autre « comme un frere » [les italiques apparaissent au texte original]; Alain Benabent, « La bonne foi dans l'execution du contrat (rapport fran^ais) », dans La bonne foi (Journees louisianaises-1992), Travaux de l'Association Henri Capitant, t. 23, Paris, Litec, 1994, 291 qui a la p. 293 denonce l'enthousiasme excessif d'une conception angelique du contrat.

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probante. Les arrets Banque nationale du Canada c. Soucisse10 et Banque

nationale du Canada c. Houle" en sont des exemples frappants. Dans ces

affaires, on insiste beaucoup sur l'attitude insouciante de la Banque a l'egard des

interets de ses clients et cautions de ceux-ci, ce qui permet au plus haut tribunal

d'imposer a la Banque des normes comportementales exigeant une meilleure

collaboration avec sa clientele afin de proteger les interets de cette derniere.

Pourtant, meme lorsqu'elle enonce un principe d'application generate fonde sur la

bonne foi en matiere contractuelle, la Cour supreme prend la peine d'y joindre des

criteres d'application veillant a reiterer et insister sur l'obligation de chacun a

veiller prudemment a ses affaires. Ainsi, dans l'arret Banque de Montreal c.

Bail12, la Cour insiste sur le fait qu'on ne pourra imposer une obligation de

renseignement a l'une des parties que lorsque le creancier de cette obligation de

renseignement aura ete dans 1'impossibility de se renseigner lui-meme ou aura ete

berne par sa confiance legitime en la personne du debiteur de l'obligation de

renseignement. Cette condition a par ailleurs ete interpretee par la suite comme

obligeant les parties a «obtenir l'aide et l'assistance necessaires pour evaluer les

risques et les implications du contrat »13. Le but avoue de cette condition

d'application est de donner a l'obligation de renseignement un role de

« reequilibrage au sein du droit civil »14, mais sans ecarter l'obligation de chacun

d'etre le meilleur gardien de son interet propre. Or, en examinant ces propos des

10 Banque nationale du Canada c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339 notamment a la p. 357 [Soucisse]. 11 Banque nationale du Canada c. Houle, [1990] 3 R.C.S. 122 [Houle] 12 Banque de Montreal c. Bail, [1992] 2 R.C.S. 554 notamment a la p. 586 et s. [Bail] 13 2328-4938 Quebec inc. c. Naturiste J.M.B. inc., [2000] R.J.Q. 2607 (C.S.) au para. 139 (REJB),

appel rejete sur requete, 2005 QCCA 356. 14 Bail, supra note 12 a la p. 587.

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tribunaux, on peut s'interroger a savoir si l'insistance de ceux-ci sur l'autonomie

et la responsabilite individuelle de chacune des parties, tout en admettant des

obligations, au premier regard contradictoires, fondees sur une certaine

reconnaissance des interets d'autrui, est la manifestation d'une ideologic visant a

favoriser une plus grande justice contractuelle.

Si, effectivement, les discours de la doctrine et de la jurisprudence sont le reflet

d'une ideologic promouvant une plus grande justice contractuelle, il semble

important de bien en identifier les caracteristiques afin que la notion de bonne foi

en matiere contractuelle puisse se developper en harmonie avec cette ideologic.

Nous ne pouvons nous resoudre a laisser cette notion a la seule justification de

l'analyse au cas par cas. Les juges sont de plus en plus appeles a se prononcer et a

interpreter cette notion et malheureusement, en 1'absence de balises, certaines de

ces decisions peuvent se reveler mal fondees et ainsi favoriser l'arbitraire plutot

que la justice. Nous avons aussi mentionne, dans un ouvrage precedent, que la

notion de bonne foi a tendance a multiplier les obligations imposees aux parties et

qu'il peut paraitre de plus en plus difficile de respecter et d'analyser les tenants et

aboutissants de cette notion tant ses ramifications peuvent etre nombreuses15.

Devant ce fouillis annonce, peut-etre est-il temps d'identifier le fil conducteur de

ces analyses, si fil conducteur il y a.

15 Voir le tableau « Phenomene de l'arbre normatif de la bonne foi » dans Marie Annik Gregoire, Le role de la bonne foi dans la formation et I'elaboration du contrat, Collection Minerve, Cowansville, Yvon Blais, 2003 aux pp. 24-25.

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Ainsi, est-il necessaire que la Cour d'appel du Quebec16 souligne l'aspect

imperatif du devoir de bonne foi ? Au meme titre, que pouvons-nous conclure de

son rappel a l'ordre quant a la necessite de demontrer un prejudice avant d'exiger

la sanction de ce meme devoir de bonne foi17 ? Une meilleure comprehension de

certains principes directeurs de la relation contractuelle aurait-elle permis d'eviter

de tels debats ? Ces precisions dans 1'interpretation du devoir de bonne foi

n'allaient-elles pas de soi ? C'est ce que nous voulons tenter de demystifier dans

le cadre de cette etude.

Parce qu'ils n'ont pas acces a la structure d'un Code civil et travaillent

consequemment avec un systeme de droit en apparence plus heteroclite, ce debat

est beaucoup plus important au sein de la doctrine de nos voisins de common law.

Parce que la coherence est beaucoup moins evidente lorsque le systeme de droit

est inductif et decoule d'une serie de decisions judiciaires formant au fil du temps

un corpus de regies de droit, beaucoup d'auteurs de common law ont etudie et

emis des opinions sur les theories fondamentales expliquant le droit prive et

justifiant son aspect normatif. Parmi ceux-ci on retrouve notamment Stephen A.

Smith et Ernest J. Weinrib dont les theories et explications influenced les

presentes reflexions. Nous etudierons done certaines idees particulieres de ces

auteurs, non pas dans un but d'effectuer une etude de droit compare entre le droit

civil et la common law, etude qui va au-dela de cette these, mais pour inspirer une

grille d'analyse des rapports obligationnels et specialement les rapports

16 Voir Trust La Laurentienne c. Losier (15 janvier 2001) Montreal, 500-09-007838-998, J.E. 2001-254, REJB 2001-22029 (C.A.) [Losier]

17 Voir ibid, et Banque Laurentienne du Canada c. Mackay, [2002] R.J.Q. 365 (C.A.) [Mackay]

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contractuels. Certains pourront nous reprocher cette acculturation juridique des

idees de ces auteurs mais nous croyons pour notre part qu'au-dela des exemples

de recours fondes sur la common law qu'offrent ces auteurs pour illustrer leur

pensee, la rationalite qui se degage de celle-ci est plus qu'inspirante pour les

civilistes recherchant la justice et la coherence en droit prive.

Par la meme occasion, nous souhaitons aussi mentionner qu'a l'instar de la

majorite de la doctrine quebecoise, dans le cadre de notre etude, nous utiliserons

souvent des idees emises par des auteurs frangais, beiges ou suisses au meme titre

que celles emises par des auteurs quebecois. Nous l'avons fait lorsque la parente

entre les ideologies des systemes de droit respectifs permettait un tel

rapprochement. Ceci dit, encore une fois, il faut recevoir ces idees dans un esprit

d'acculturation et d'adaptation et non dans une perspective de droit compare.

Nous l'avons specifie, notre etude se limite au droit interne quebecois. Par contre,

nous tenons a aj outer que cela ne nous empechera pas a 1'occasion de puiser

certains exemples du droit etranger ou international.

Ces precisions faites, examinons certaines idees ayant inspire notre demarche. Le

professeur Smith qualifie d'interpretative (en traduction libre) une theorie qui a

pour vocation de demontrer l'intelligibilite du droit, c'est-a-dire, d'effectuer la

demonstration des notions et principes sous-jacents permettant une

comprehension intrinseque de ce droit18. Elle doit repondre, toujours selon le

professeur Smith, a deux questions fondamentales, resumees sous les vocables

18 Smith, supra note 4 a la p. 5.

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analytique et normative, soit: quelles sont les principales caracteristiques de ce

droit et pourquoi lui donne-t-on une force obligatoire19 ?

Telle se veut l'inspiration de notre demarche. Nous voulons analyser ce que nous

considerons etre les caracteristiques essentielles d'une relation contractuelle en

droit quebecois. Suite a cet examen, nous tenterons de determiner comment la

notion de bonne foi peut s'inscrire dans la nature intrinseque ainsi identifiee de

l'obligation contractuelle pour favoriser une plus grande justice entre les parties.

19 Ibid, aux pp. 41-49.

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2. Les caracteristiques essentielles du lien contractuel.

La caracteristique premiere de tout lien contractuel est d'etre un lien createur

d'obligations. Nous jugeons done important d'etudier en premier lieu les

particularites d'un tel lien. Nous serons ensuite en mesure d'etudier comment se

traduit la justice contractuelle au sein de ce lien particulier.

2.1. Un lien prive createur d'obligations

En droit civil, l'obligation peut etre definie comme un lien de droit unissant deux

personnes et par lequel le debiteur est tenu d'executer une prestation envers le

90

creancier sous peine d'une sanction juridique . En resume, il faut reunir les

elements minimaux suivants pour etablir une relation obligationnelle : les sujets

(parties), une prestation et une sanction legale. Ces elements devront done etre au

coeur de notre developpement theorique, puisqu'une theorie ne tenant pas compte

de ces elements serait deconnectee de la notion meme d'obligation21. La relation

obligationnelle unit une personne et une autre volontairement par un lien de droit

contractuel ou involontairement par un lien de droit extracontractuel. 20 Centre de recherche en droit prive et compare du Quebec, Dictionnaire de droit prive et lexiques

bilingues: Les obligations, Cowansville, Yvon Blais, 2003, s.v. «obligation» [CRDP, Obligations]; Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 6e ed. par Pierre-Gabriel Jobin avec la collaboration de Nathalie Vezina, Cowansville, Yvon Blais, 2005 au no. 16 et s.; Jean Carbonnier, Droit civil: les obligations, t. 4, 22e ed., Presses universitaires de France, Paris, 2000 au no. 7 et s. [Carbonnier, Obligations]-, Didier Lluelles et Benoit Moore, Droit des obligations, Montreal, Themis, 2006 au no. 4 et s.; Henri, Leon et Jean Mazeaud et Francois Chabas, Legons de droit civil: les obligations : theorie generate, t. 2, vol. 1, 9e ed. par Francois Chabas, Paris, Montchrestien, 1998 au no. 1 [Mazeaud, Obligations\.

21 Voir pour un developpement semblable, Weinrib, Idea, supra note 5 notamment a la p. 9 et s.

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Lorsqu'elles s'entendent sur le contenu d'un contrat, les parties peuvent y etablir

toutes les modalites de leur relation en autant que celles-ci soient conformes a la

loi . Grace a la reconnaissance juridique que fait le droit positif de cette entente,

ces modalites seront consacrees et devront etre respectees par les parties, sans, le

plus souvent, d'autres interventions de l'Etat . Comme le souligne la professeure

Louise Rolland, « un contrat peut rester a la peripheric du droit etatique sans que

sa nature juridique ne s'en trouve alteree. »24 En d'autres termes, le droit reconnait

des effets au contrat et les parties n'ont pas a le faire sanctionner expressement par

les tribunaux pour qu'il acquiere une force obligatoire. C'est pourquoi le droit des

obligations est un droit qualifie de prive.

Nous pourrions penser qu'un tel droit prive est moins concerne par les aspirations

de justice que le droit public. En effet, quand une relation juridique ne concerne

que des parties privees, est-il vraiment possible que le droit puisse se soucier de la

justice de cette relation ? Pour quelles raisons le droit se preoccuperait-il de la

justice dans une relation juridique privee entre personnes aptes et consentantes ?

Ces questions sont au coeur meme de la contradiction que nous avons souleve en

introduction et pourraient expliquer la resistance de certains juristes face a j

l'intervention judiciaire au sein de la relation contractuelle. Si Ton accepte

aisement que des principes de droit objectif viennent regir les liens obligationnels

de nature extracontractuelle, il semble plus difficile d'admettre que ces memes

22 Et certains diront a l'ordre public, qui pour nous est inclus dans la loi, voir les articles 1373, 1411 et 1413 C.c.Q.

23 Louise Rolland, « Les figures contemporaries du contrat et le Code civil du Quebec », (1999) 44 R.D. McGill 903 a la p. 905 [Rolland, « Figures »].

24 Ibid.

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principes puissent regir le droit contractuel, a 1'exception, bien sur, de la limite

fixee par l'ordre public. L'aspect volontaire de la relation contractuelle exclurait

que la commutativite de cette relation puisse faire l'objet d'un examen objectif par

une tierce partie. Cette conclusion nous permet d'affirmer que, meme si Ton s'en

defend, la justice contractuelle est encore con?ue comme une justice subjective

dont 1'economic est fixee par les parties et doit etre respectee ainsi sous peine de

creer une injustice.

Toutes ces preoccupations qui renvoient a 1'intelligibility du droit, telle que

definie par le professeur Smith, meritent que Ton s'y attarde. Naturellement, nous

sommes consciente que notre demarche semble donner a la notion de justice une

grande importance au sein du droit positif. Pourtant, cette idee n'est-elle pas

reservee aux tenants de droit naturel ? II faut presumer que non puisque cette

notion est au coeur de nombreux debats juridiques, meme positivistes. Dans un

tel contexte, la question pertinente nous apparait plus etre comment la notion de

justice peut-elle s'integrer au droit positif. Nous soup?onnons que la demarche

pour repondre a cette question nous permettra d'identifier une certaine

intelligibility du droit des obligations. Pour nous inspirer dans cette demarche,

nous garderons en tete la definition suivante que donne l'auteur Francis Geny a

la justice:

« Au fond, le droit ne trouve son contenu, propre et specifique,

que dans la notion du juste, notion primaire, irreductible et

indefinissable, impliquant essentiellement, ce semble, non pas

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seulement les preceptes elementaires de ne pas faire tort a

personne (neminem laedere) et d'attribuer a chacun le sien

(suum cuique tribuere), mais la pensee plus profonde d'un

equilibre a etablir entre des interets en conflit, en vue d'assurer

l'ordre essentiel au maintien et au progres de la societe

humaine. »25

Cette definition donne a l'interet un role central. En effet, il nous semble

impossible d'eviter cette notion dans line etude visant a proposer une plus grande

justice contractuelle. Elle fera done l'objet d'une preoccupation constante tout au

long de notre analyse.

2.2 L'interet des parties : le droit des obligations se fonde-t-il vraiment sur le

juste et 1*utile ?

II est interessant de constater que, bien que plusieurs auteurs civilistes positivistes

ne discutent pas directement de cette question, la plupart d'entre eux tiennent pour

acquis que le droit des obligations suppose un equilibre et une certaine justice

dans les echanges qu'il implique26. L'utilite la plus souvent reconnue au droit des

obligations est de permettre l'echange de biens, richesses ou services entre les

25 Francois Geny, Science et technique en droit positif: nouvelle contribution a la critique de la methode juridique, t.l, Paris, Recueil Sirey, 1914 au no. 16 [Geny, Science, t.l].

26 Voir generalement a cet effet, la these de Laurence Fin-Langer, L 'equilibre contractuel, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 366, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 2002.

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97 personnes . Generalement, l'etre humain n'est pas auto-suffisant et depend, dans

la satisfaction de ses besoins, de l'activite des autres. Or, c'est par l'interaction et

les echanges canalises par le droit des obligations que l'etre humain accede aux

biens et services offerts par les autres membres de la communaute. Le droit des

obligations a aussi pour consequence d'assurer une certaine protection aux droits

dont une personne est titulaire en lui assurant une certaine indemnisation en cas de

non-respect de ceux-ci . Consequemment, le droit des obligations edicte, pour

plusieurs auteurs, les regies favorisant les echanges et le credit en procurant a ces

transactions une securite juridique pouvant etre sanctionnee29. Nous l'avons

mentionne, une fois conclu, le contrat doit en principe etre respecte sous peine de

sanctions juridiques. C'est notamment, selon plusieurs, parce qu'il sanctionnerait

le respect de la parole donnee lors de ces echanges que le droit des obligations

• • OA

favoriserait ces relations . En protegeant de tels echanges, on favoriserait

l'epanouissement collectif et la richesse sociale .

Cependant, meme si en cela on peut dire que le droit des obligations, et

particulierement le droit contractuel, comporte une utilite sociale, nous croyons

qu'il regit essentiellement des rapports prives entre individus, qui acceptent de s'y

27 Paul-Andre Crepeau, « La fonction du droit des obligations » (1998) 43 R.D. McGill 729 a la p. 732 et s. [Crepeau, « Fonction »]; Lluelles, Moore, supra note 20 au no. 120; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 368. 1

28 Voir notamment les articles 1457 et 1458 C.c.Q. 29 Jacques Ghestin, Traite de droit civil, la formation du contrat, 3e ed., Paris, Librairie Generate

de Droit et de Jurisprudence, 1993 au no. 248 et s. [Ghestion, Traite] 30 Ibid, aux nos. 249-250; James Gordley, « Contract Law in the Aristotelian Tradition » dans

Peter Benson (dir.), The Theory of Contract Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, 265 a la p. 266; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 41; Francois Terre, Philippe Simler et Yves Lequette, Droit civil, Les obligations, 9e ed., Paris, Dalloz, 2005 au no. 438.

31 Crepeau, «Fonction », supra note 27 a la p. 732 et s.

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soumettre dans leur interet propre plutot que dans un quelconque interet social.

Personne ne se dit en concluant un contrat: « Voici ma contribution a la richesse

collective de la societe dans laquelle je vis». On conclut un contrat

essentiellement pour satisfaire ses besoins et desirs personnels32 et, meme si nous

reconnaissons que d'autres motivations peuvent parfois expliquer le

comportement humain, la satisfaction de ses interets correspond certainement a

l'etat d'esprit privilegie qui regne dans le monde du contrat33. Tout expose

credible tentant d'identifier les caracteristiques de la relation contractuelle doit

done refleter cette dimension importante34.

II faut cependant noter que cette vision liberate du droit des obligations ne fait pas

l'unanimite chez les auteurs35. Dans le debat auquel se livrent plusieurs auteurs

entre les theories solidariste et individualiste du contrat, certains auteurs se

32 Courdier, supra note 6 au no. 53 et s.; Philippe Delebecque et Frederic-Jerome Pansier, Droit des obligations: Contrat et quasi-contrat, 2e ed., Paris, Litec, 2001 au no. 261; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1997; Judith Rochfeld, Cause et type de contrat, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 311, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1999 notamment au no. 81.

33 Rochfeld, ibid. auno. 81. 34 Francois Ost, Droit et interet, vol. 2, Bruxelles, Facultes universitaires Saint-Louis, 1990 a la p.

13. 35 Voir notamment Emmanuel Gounot, Le principe de I 'autonomic de la volonte en droit prive :

contribution a I'etude critique de I'individualisme juridique, Paris, Ed. Arthur Rousseau, 1912 a la p. 388 et s., ou l'auteur denonce cette vision du droit, qu'il qualifie d'individualiste, en specifiant que le droit vise aussi a imposer une certain minimum de moralite sociale et que cette doctrine de la « coexistence » est plus ou moins la negation de toute vie sociale et solidarity entre les humains. II faut noter cependant que la plupart des exemples qu'il fournit pour appuyer ses dires sont tires du droit criminel (adultere, attentat k la pudeur, pornographie, etc...) et sont done essentiellement du ressort du droit public. Or, en ce qui concerne le droit prive, nous croyons que meme les dispositions qui ont pour but d'exiger une certaine morality contractuelle, comme Particle 1375 C.c.Q. peuvent etre envisagees comme des dispositions venant gerer l'exercice de la liberte avec celle des autres pour eviter des conflits. En ce sens, le droit peut etre envisage comme definissant les frontieres de la zone d'exercice d'une liberte s'exprimant sans limite afin d'assurer la « coexistence des libertes» et de ce fait, la coexistence des droits et interets individuels. Comme nous le verrons, nous sommes d'avis que la sauvegarde d'une veritable liberte contractuelle est malheureusement absente dans la theorie individualiste, telle qu'interpretee a notre epoque.

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reclamant de l'ecole solidariste sont d'avis que la solidarite entre les humains est

la valeur primordiale a privilegier. Le droit, des obligations devrait ainsi refleter

cette mission sociale . Malheureusement, a notre avis, ces auteurs ont une vision

un peu trop angelique des rapports obligationnels et confondent l'ideal moral a

atteindre avec la realite psychologique de l'etre humain. C'est l'interet personnel

•yn

qui motive Taction des personnes . Une analyse des preceptes du droit

contractuel doit refleter cette realite concrete et ne pas seulement etre con?ue

comme une vision idealiste, mais irrealiste, des rapports humains.

Ce dernier commentaire peut paraitre anodin, mais il est selon nous d'une grande

importance. Beaucoup d'auteurs contemporains justifient l'obligation, et plus

particulierement l'obligation contractuelle, par des theories que nous qualifierons

« d'utilitaires ». L'obligation est analysee en fonction de ses buts ou objectifs,

que ceux-ci soient reels ou virtuels, plutot qu'en fonction de ses composantes

intrinseques. Ainsi, dans ces theories utilitaires, on fonde la legitimite du lien

d'obligation en expliquant que ce dernier est dote d'une utilite sociale au sens

large du terme. II en est d'ailleurs ainsi de plusieurs theories fondees sur une

analyse economique du droit. Selon celles-ci, le lien d'obligations est envisage

comme un instrument de developpement de bien-etre collectif, telles que la

prosperity economique ou la repartition des richesses. Cela pourrait expliquer que

36 Voir un resume de ces pretentions dans une etude tres bien faite sur la question par Marc Mignot, « De la solidarite en general et du solidarisme contractuel en particulier ou le solidarisme contractuel a-t-il un rapport avec la solidarite ? », [2004] R.R.J. 2153.

37 Voir notamment, Ost, supra note 34 a la p. 60.

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certains auteurs analysent la relation contractuelle comme une societe ou chacun

des « associes » est investi d'une mission a l'egard d'autrui. y

Effectivement, il semble possible de fonder la legitimite de 1'institution qu'est le

contrat sur un fondement d'utilite sociale. Nous sommes prete a conceder que si

le droit positif sanctionne et donne force obligatoire aux contrats prives c'est

parce que le contrat est con^u comme un instrument privilegie d'echanges et de

creation de richesses. Cependant, a notre avis, le bat blesse lorsqu'il s'agit

d'appliquer ce principe de legitimation de 1'institution en general a chacun des

contrats en particulier puisqu'en insistant sur la seule mission sociale du contrat,

on occulte toute la dimension de satisfaction d'un interet personnel.

II nous semble alors que ces auteurs effeetuent un raisonnement a l'envers. On

tente de faire passer une mission sociale de bien commun a des contrats

individuels. Ces theories comportent des failles qui se resument par les questions

suivantes: l'obligation, prise individuellement, se con^oit-elle sans une

quelconque utilite sociale ? Cette utilite sociale peut-elle faire l'objet d'une

evaluation judiciaire concrete au cas par cas ? Si oui, quelles sont les

consequences liees a l'absence d'une quelconque utilite sociale pour un contrat

particulier ?

En d'autres termes, il s'agit de verifier si les principes legitimant l'existence

generate du droit des obligations contractuelles, tels que conQus par des

fondements teleologiques de nature purement sociale, peuvent par ailleurs definir

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1'intelligibility d'une relation contractuelle particuliere. II s'agit done d'etudier si

I'application quotidienne et individuelle des principes de la theorie des obligations

contractuelles se fonde sur l'etude de la relation particuliere des parties ou sur une

mission sociale d'utilite publique. Or, nous sommes d'avis que, hormis peut-etre

le cas d'un contrat qui contreviendrait clairement a l'ordre public et qui pourrait,

de ce fait, etre presume « nuisible » socialement, l'utilite sociale d'un contrat

particulier peut difficilement faire l'objet d'une evaluation concrete.

Lorsque l'on discute de l'utilite sociale du contrat, on ne peut eviter d'etudier une

theorie contractuelle fort populaire aupres des auteurs civilistes contemporains,

soit la theorie du juste et de Futile du professeur fran^ais Jacques Ghestin . Ainsi,

le professeur Ghestin affirme que le fondement de la force obligatoire du contrat

-2Q

« se deduit de son utilite sociale et de sa conformite a la justice contractuelle. »

Selon cette theorie, le droit objectif reconnait des effets au contrat, acte juridique

decoulant de la rencontre de volontes individuelles, parce que celui-ci comporte

une utilite sociale et a la condition qu'il soit juste. La simple utilite individuelle

n'est pas suffisante pour constituer un fondement a la force obligatoire des

contrats40 parce que si l'on acceptait que la simple utilite pour chacune des parties

prise individuellement puisse etre suffisante, comment pourrait-on expliquer que

38 Voir generalement a ce sujet, Ghestin, Traite, supra note 29 aux nos. 223-282; Jacques Ghestin, « L'utile et le juste dans les contrats », D. 1982.chron.l [Ghestion, « Utile »].

39 Jacques Ghestin, « La notion de contrat», D. 1990.chron.147 a la p. 149 [Ghestin, « Notion »]. 40 Ghestin, « Utile », supra, note 38 a la p. 4 ainsi que Ghestin, Traite, supra, note 29 au no. 228.

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le contrat puisse s'averer inutile individuellement mais tout de meme etre

sanctionne par le droit positif ?41

Pour eviter cet ecueil, le professeur Ghestin fonde la force obligatoire sur l'utilite

sociale - bien qu'il ne mentionne pas comment un contrat inutile socialement

pourrait ne pas etre dote d'une force obligatoire. Nous l'avons deja souligne, est

souvent affirme le constat selon lequel la force obligatoire du contrat favorise les

echanges economiques. De plus, les regies contractuelles dites d'ordre public

permettent au legislateur de s'assurer d'une certaine repartition des richesses ou

du respect de certaines valeurs ou politiques de direction sociale42. On peut penser

aux conditions minimales imposees dans le cadre de contrats de travail ou a

1'interdiction absolue des contrats de mere porteuse43. C'est en ce sens que le

contrat est considere comme etant utile socialement44. Cependant, le « contrat»

dont il est question ici n'est pas le contrat individuel conclu par deux parties

donnees mais l'institution du contrat ou si l'on prefere, la notion de contrat prise

dans son ensemble. C'est cette utilite collective, jointe a la necessite aussi d'un

contrat juste, qui justifie et rend legitime la creation de l'obligation resultant de la

relation contractuelle. Pourtant, presentement, le droit des obligations

contractuelles se soucie peu de l'aspect de justice du contrat. Une fois que le

contrat est considere comme legalement conclu, cette justice est presumee et ne

peut etre contestee au nom de la securite des transactions qui est envisagee

41 Ghestin, Traite, Ibid, au no. 228. 42 Michelle Cumyn, La validite du contrat suivant le droit strict ou I'equite : etude historique et

comparee des nullites contractuelles, Coll. « Minerve», Cowansville, Yvon Blais, 2002 notamment au no. 343 et s.

43 Article 541 C.c.Q. 44 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 24'8 et s.

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comme un aspect important de la mission sociale du contrat. Pourtant, comme le

mentionne la professeure Brigitte Lefebvre, « [n]e pas reconnaitre que le contrat

doit egalement avoir une utilite particuliere ne conduit-il pas a cautionner et a

valider le contrat en tant qu'outil possible d'exploitation ?45 »

A notre avis, cette fa?on d'appliquer les preceptes de la theorie du juste et de

l'utile est insuffisante parce qu'elle omet le respect des interets individuels. II est

exact que l'institution contractuelle vise l'augmentation generate des richesses

mais le contrat individuel vise le bien-etre d'un individu en particulier46, d'ou

l'importance que le contrat soit aussi juste. D'ailleurs, le professeur Ghestin lui-

meme, alors qu'il nie que le caractere utile du contrat puisse referer a une utilite

individuelle, mentionne que la valeur supreme de notre societe est le « bien de la

personne humaine »47. Alors que l'utilite se rapporte a la mission sociale, l'aspect

de justice doit etudier la specificite de la relation contractuelle prise

individuellement48. Dans les societes liberates, on presume que le bien collectif

passe d'abord par le bien individuel. «Laisser aux individus un pouvoir

d'initiative dont ils recueilleront les fruits sous forme d'avantages personnels est

un moyen de les faire collaborer a la recherche du bien commun. »49 Ainsi,

Ghestin lui-meme admet que le bien commun passe par la satisfaction des interets

de chaque personne.

45 Brigitte Lefebvre, « La justice contractuelle : mythe ou realite ? » (1996) 37 C. de D. 17 a la p. 21 [Lefebvre, « Mythe »].

46 En ce sens, nous apprecions cette citation qui con?oit le contrat comme un «instrument de conversion d'une situation initiale, ressentie comme imparfaite, en une situation finale jugee plus desirable. » Rochfeld, supra note 32 au no. 1. '

47 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 250. 48 Cumyn, supra note 42 au no. 341. 49 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 250.

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L'utilite sociale, telle que definie par Ghestin, ne peut etre que presumee puisque,

concretement, il apparait tres difficile de juger de l'utilite sociale de chaque

contrat en particulier. II nous semble fort difficile d'analyser au moment present

l'impact social d'un contrat specifique puisque cet impact est souvent le resultat

d'un ensemble de circonstances futures et a l'interieur desquelles le contrat etudie

n'est le plus souvent qu'un atome parmi tant d'autres. On se retrouve ainsi avec

un critere qui n'a dans les faits aucune chance d'application pratique. D'ailleurs,

il est interessant de noter que dans les exemples qu'il donne de l'application du

principe de l'utilite du contrat, Ghestin doit analyser des notions qui relevent de la

relation concrete et particuliere des parties, plutot que d'une mission d'utilite

sociale du contrat qui serait exterieure a cette relation. II en est ainsi par exemple

de la qualite du consentement ou de Pimportance des besoins individuels satisfaits

grace au contrat. Or, comme le demontre habilement la professeure Michelle

Cumyn, ces elements de la theorie contractuelle relevent plutot de la justice

contractuelle que de son utilite sociale50. Cela expliquerait notamment que les

vices de consentement se sanctionnent par une nullite relative plutot qu'une

nullite absolue. Ainsi, meme dans une analyse strictement basee sur le principe

de l'autonomie des volontes, on ne peut ecarter 1'analyse de 1'aspect de justice

entre les parties, meme si au fil des epoques, plusieurs auteurs ont souvent tente

de reduire au minimum un tel controle.

50 Cumyn, supra note 42.

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Une des grandes caracteristiques du droit des obligations est de creer un lien entre

deux personnes particulieres51. Le creancier ne peut exiger l'execution de la

prestation que d'un debiteur particulier. En ce sens, le droit des obligations est un

droit essentiellement bipolaire52. Par exemple, le demandeur dans une action en

responsabilite civile extracontractuelle poursuit le defendeur pour 1'injustice

propre qui a ete commise envers lui, sans se faire le representant du public ou de

la societe53. Meme en presence de plusieurs personnes, ce rapport bipolaire reste

identique puisque le lien personnel debiteur-creancier demeure54 entre chacune

des personnes impliquees dans la relation et agissant en son nom propre. La

notion de solidarite entre debiteurs est d'ailleurs fondee sur ce principe. On

permet a une partie de representer 1'autre en une sorte de mandat reciproque55

mais chaque partie demeure une partie distincte dans son lien avec le creancier,

expliquant notamment le principe de la repetition conjointe entre les parties

solidaires56. Les elements justificatifs de l'obligation doivent done refleter cette

particularity de bipolarite, ce que ne font pas la plupart des theories a caractere

purement economique ou utilitaire.

51 C'est ce qui fait dire aux professeurs Lluelles et Moore que « [s]i la personne n'est tenue que de maniere gen^rale, sans avoir en face d'elle un creancier individualist, il n'y a pas d'obligation, du moins pas au sens du droit des obligations. » Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 29. Voir aussi Courdier, supra note 6 notamment au no. 106, pour qui cette relation particuliere fonde l'existence d'un lien de solidarite entre les parties au contrat.

52 Weinrib, Idea, supra note 5 notamment a la p. 56 et s. 53 Ibid, a la p. 143. 54 D'ailleurs cela ressort de l'article 1373 qui definit l'objet de l'obligation. 55 Jean Pineau, Danielle Burman et Ser'ge Gaudet, Theorie des obligations, 4e £d. par Jean Pineau

et Serge Gaudet, Montreal, Themis, 2001 au no. 390. 56 Article 1536 C.c.Q.

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Un autre aspect qui nous semble fatal pour ces theories purement utilitaires, est lie

a ce que le professeur Stephen Smith appelle, en traduction libre, la necessite de

transparence57. En resume, ce critere exige que la theorie soit en echo avec la

conception que les praticiens du droit se font de 1'institution. II exige que les

concepts, vocabulaires et raisonnements soient en harmonie avec ceux qu'utilisent

fO

les juristes . En d'autres termes, elle consiste a se questionner de la maniere

suivante: en ce qui concerne les theories utilitaires, est-ce que les juges, les

praticiens du droit et les contractants eux-memes justifient leurs propres actions

juridiques en droit prive en fonction d'une utilite sociale ou en fonction d'une

relation privilegiee ? Cet element de transparence permet de s'assurer que les

elements theoriques par lesquels on veut justifier et expliquer la relation

obligationnelle ne soient pas en quelque sorte desincarnes, c'est-a-dire sans aucun

lien avec la pratique, au sens large du terme.

L'actualite judiciaire nous permet de constater 1'importance d'un tel critere.

Ainsi, suite a la reforme du Code de procedure civile, en 2003, plusieurs principes

avances dans cette reforme rencontrent de la resistance, tant de la part des avocats

que des membres de la magistrature. Par exemple, les audiences de gestion

ordinaire, la contestation orale et la regie de la proportionnalite sont peu utilisees

ou suscitent malaises et inconforts chez les praticiens du droit. Une des

hypotheses avancees pour expliquer cette resistance est que ces mesures sont

57 Voir sur la definition qu'il fait de ce critere, Smith, supra note 4 aux pp. 25 - 37 et le developpement particulier qu'il fait de ce critere, en ce qui concerne les theories utilitaires, aux pp. 132-136.

58 Ibid, a la p. 133.

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«etrangeres aux moeurs judiciaires traditionnelles. »59 On con9oit done

Fimportance du respect de la culture juridique, ou si l'on prefere la transparence.

D'ailleurs, il est fort a parier, qu'un processus de defense orale aurait eu beaucoup

plus de facilite a s'implanter dans un domaine de common law, tel que le droit

criminel, ou la tradition concilie beaucoup plus facilement l'absence de supports

ecrits.

Mais la transparence est-elle aussi importante en droit des obligations puisque la

majorite des regies se retrouvent au Code civil ? En ce sens, le professeur Smith

soumet un argument qui est a notre avis fort convaincant et que nous nous

permettons de reprendre ici60. En droit prive, lorsqu'un juge condamne une partie

a payer a 1'autre des dommages-interets - qu'ils soient contractuels ou

extracontractuels - on peut s'interroger sur les principes qui sous-tendent une

telle condamnation. Interrogez des juristes et la majorite vous repondront que ces

dommages sont octroyes afin de compenser le prejudice qu'a subi le creancier

suite a un acte fautif - delit ou inexecution contractuelle - commis par le debiteur.

On condamne d'ailleurs le debiteur a payer un creancier particulier plutot que

faire porter ce fardeau a la societe. II apparait done clair que les juristes

per9oivent cette obligation de reparation en fonction d'un lien particulier entre

deux parties. L'exigence de transparence ordonne consequemment que l'on

respecte les particularites d'un tel lien.

59 Louis Baribeau, « Les audiences de gestion : reagir avant qu'il ne soit trop tard » Le journal du Barreau (15 fevrier 2005, vol. 37, no. 3) 1. L'auteur resumait ainsi les propos tenus par 1'Honorable juge Robert Pidgeon, juge en chef associe de la Cour superieure.

60 Smith, supra note 4 a la p. 133.

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Les fondements a caractere public ont peu d'impact sur la particularite de la

relation obligationnelle. Pour s'en convaincre, comparons cette meme

condamnation a des dommages avec la condamnation a une amende en droit

penal. Cette derniere condamnation ne se con^oit pas en fonction d'un lien

particulier entre l'auteur du delit penal et sa victime. Les buts avoues d'une telle

condamnation sont la punition et la prevention par l'exemplarite d'une telle

sanction. Ce sont clairement des buts a caractere social et 1'ensemble de

1'institution du droit penal reflete ces caracteres. L'indemnisation de la victime

dans le cadre de cette condamnation a un caractere secondaire61 et d'ailleurs cette

victime n'est pas partie au processus judiciaire et ne participe au recours intente

par un representant de l'Etat qu'en qualite de «temoin-victime ». L'amende

payee par l'auteur de l'acte criminel sera remise a la societe en general plutot qu'a

la victime. On constate done une difference importante entre les pratiques du

droit prive et du droit penal. Une theorie analysant les fondements de ces types de

droit doit tenir compte de ces particularites puisque celles-ci sont le reflet de

valeurs sous-jacentes et en assurent la transparence et 1'intelligibility. A ce titre,

mentionnons qu'il est particulierement significatif que des lois imposant des

valeurs ou politiques sociales meme en matiere contractuelle, et que Ton pourrait

consequemment qualifiee de «mixtes» puisqu'elles concernent tant l'utilite

sociale que la justice individuelle du contrat, ne se contentent pas le plus souvent

de sanctionner une contravention par un recours de nature privee, tel que

61 D'aiileurs, cette indemnisation est plutot le mandat d'un organisme fonde a cette fin soit 1'IVAC (Indemnisation des victimes d'actes criminels).

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l'annulation du contrat ou l'octroi de dommages-interets. On y retrouve aussi des

amendes, suspensions de permis ou autres sanctions qui refletent la nature

publique de la politique legislative62.

Le critere d'utilite sociale est insuffisant pour decrire la realite pratique et la

particularite d'un lien contractuel specifique. En ce sens, il ne respecterait pas le

critere de la transparence. Quand a-t-on vu un juge analyser la validite d'une

relation contractuelle en fonction de l'utilite sociale ? Encore moins a-t-on vu un

juge annuler un contrat sur cette base. Certains pourraient alors argumenter que

l'utilite sociale se retrouve sous le vocable du respect de l'ordre public et des

bonnes moeurs. Meme si cet argument n'est pas denue de sens, une analyse plus

approfondie de ces notions demontre qu'elles sont surtout invoquees pour

apprecier la nature socialement inacceptable d'un comportement plutot que

l'utilite sociale d'un contrat particulier.

Nous le verrons, lorsqu'un juge intervient au contrat, c'est generalement l'aspect

de justice qui retient son attention. Meme lorsqu'il analyse un vice de

consentement, le juge sera sensible au prejudice subi par la partie dont le

consentement a ete vicie. Ces inconvenients, de meme que le comportement des

parties, influenceront necessairement la decision du juge. Dans un tel cas, il est

question des particuliarites de la relation des parties et non plus d'utilite sociale .

Si le vice de consentement n'etait pas lie a la situation particuliere des parties,

62 Voir par exemple les articles 277- et suiv. de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q. c. P-40.1 [L.P.C.]

63 Voir a cet effet le developpement dans Cumyn, supra note 42.

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comment pourrait-on justifier que l'erreur inexcusable ne puisse constituer un vice

de consentement64 ?

Ainsi, il semble bien qu'une veritable etude des fondements de l'obligation

contractuelle doive tenir compte des deux composantes de celle-ci: son utilite

sociale, qui releverait du droit strict65 et qui ne se preoccuperait pas de 1'etude du

lien particulier cree entre les parties et sa justice, pour laquelle il faudrait proceder

a l'analyse de ce lien particulier en soupesant les interets en presence.

Pour bien saisir la nuance qui existe entre le droit strict et la justice, on peut

examiner les regies de formation du contrat. Le consensualisme implique que le

contrat se forme par l'offre et 1'acceptation66. II s'agit d'une analyse purement

mecanique dont la presence fait presumer le lien contractuel. Le juge ici se

contente d'un role d'interpretation et d'application du droit strict. De meme,

lorsque le legislateur prevoit des regies formalistes, le juge se contente de verifier

si celles-ci ont ete respectees, sans se soucier de la justice du contrat. Ces regies

refletent souvent la volonte du legislateur de proteger certaines parties jugees plus

vulnerables. Elles sont done le reflet de certaines orientations politiques ou

economiques. Leur presence ou leur absence temoignera de l'existence ou non du

contrat. Par exemple, le defaut de conclure un contrat de mariage par acte notarie

entrainera sa nullite absolue67.

/

64 Art. 1400 C.c.Q. 65 Cumyn, supra note 42. 66 Art. 1385 ets. C.c.Q. 67 Art. 440 C.c.Q.

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Par contre, le droit a toujours repugne a s'en tenir a la simple application abstraite

du droit strict sans verifier si 1'application effective et concrete de ses regies

n'avait pas des effets pervers pour l'une ou l'autre des parties. Dans certains cas,

le legislateur a expressement identifie certains de ces effets nuisibles pour mieux

les encadrer au nom de l'interet social. La legislation veillant aux droits des

travailleurs, locataires ou consommateurs en est un bon exemple. Dans d'autres

cas, le legislateur a prefere confier cette fonction de veiller a la justice du contrat

au pouvoir judiciaire, a meme d'evaluer l'impact concret de l'application de

normes juridiques abstraites et generates. Le role du juge cesse alors, malgre ce

qu'en disent la majorite des civilistes, d'etre un simple interprete du droit strict. II

devient alors l'arbitre de la relation des parties au nom des principes de justice

applicables qui se doivent d'etre lies a la satisfaction des interets personnels des

contractants puisque ce sont ceux-ci qui expliquent la motivation de ceux-la a

conclure le contrat. En d'autres termes, il devient l'arbitre de la justice

contractuelle.

C'est ce deuxieme aspect des fondements contractuels qui fera l'objet de la

presente etude. Nous voulons tenter de degager les preceptes essentiels de la

justice contractuelle afin d'eviter que l'arbitre d'une relation contractuelle ne

devienne lui-meme source d'arbitraire. Comme le mentionne certains auteurs,

« souvent cet arbitraire resulte d'une absence de methode »68 et nous croyons

68 Fin-Langer, supra note 26 au no. 116; voir aussi au meme effet: Courdier, supra note 6 au no. 863.

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done a l'utilite d'etablir des parametres d'analyse. Pour ce faire, nous tenterons

d'identifier certaines caracteristiques fondamentales des deux grandes sources

d'obligations que sont les obligations contractuelles et extracontractuelles. Nous

esperons que cette etude permettra de legitimer une demarche qui est souvent

denoncee comme une atteinte a l'immutabilite contractuelle et done a la securite

du contrat.

Dans les sections suivantes, nous constaterons que la relation contractuelle dans le

contexte d'economie liberate s'appliquant au Quebec repose sur des principes de

justice commutative. Nous tenterons d'identifier les elements de cette justice

appliquee a la relation particuliere des parties afin de determiner les principaux

criteres d'intervention du juge. Nous discuterons de meme de la legitimite d'une

telle intervention.

2.3. Les principes de justice regissant le droit des obligations contractuelles

et extracontractuelles

Les caracteristiques du lien etroit entre les deux parties impliquees dans la relation

obligationnelle nous permettent d'affirmer qu'a premiere vue ce droit releve plus

de la justice commutative que de la justice distributive69. Alors que la justice

69 Thomas D'Aquin, Somme theologique, traduction fran?aise par M. S. Gillet, Paris, Revue des jeunes, 1932, Ila - Ilae, quest. 61, art. 3; Voir aussi Alain Seriaux, Droit des obligations, 2e

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distributive vise la juste repartition d'une masse de biens entre les personnes

d'une societe donnee en fonction de criteres determines70- le cas le plus frappant

dans nos societes modernes est certainement la repartition de la richesse publique

en fonction des revenus d'une personne- la justice commutative, dans sa definition

71

traditionnelle, s'attache a la forme equilibree de leurs echanges . Or, dans son

inspiration, le droit des obligations cherche la justice dans les echanges de biens,

que ces echanges soient volontaires - le contrat par exemple - ou involontaires, par 77

les regies regissant la responsabilite civile extracontractuelle . Les principes de

la justice commutative conviennent done mieux a la relation en droit des

obligations que ceux de la justice distributive. Ainsi, parce que les biens, selon la

justice distributive, suivent la proportion qu'indiquent les rapports de chaque

personne en fonction des autres -par exemple du plus honnete au moins honnete-

cette justice distributive tente d'equilibrer non pas les prestations reciproques des

parties mais de proportionner la prestation a certaines caracteristiques identifies

du sujet. Elle implique 1'etude du statut de la personne par rapport a un groupe

ed. , Paris, Presses universitaires de France, 1998 au no. 228; Weinrib, Idea, supra note 5; Victoire Lasbordes, Les contrats desequilibres, t. 1, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2000 au no. 77. II faut noter que certains auteurs voient cependant une justice distributive dans certains actes precis de droit prive, tel que le contrat de partage (qui par ailleurs n'est pas un contrat nomme en droit civil quebecois), mais reconnaissent que la majeure partie des actes ou situations juridiques de droit privt reinvent plutot de la justice commutative : notamment, Jean Carbonnier, Droit civil: Introduction, Les personnes, La famille, I'enfant, le couple, Paris, Presses universitaires de France, 2004 au no. 51 [Carbonnier, Introduction]. Voir aussi Cumyn, supra note 42 notamment au no. 341 et s. Pour une definition de ces termes voir: CRDP, Obligations, supra note 20 s.v. «justice », «justice commutative » et«justice distributive »;

70 Xavier Dijon, Droit naturel: Les questions du droit, t. 1, Paris, Presses universitaires de France, 1998 a la p. 341; Pierre Kayser, « La justice selon Aristote », [ 1996] R.R. J. 313 aux pp. 316-317; Stephen R. Perry, « On the Relationship Between Corrective and Distributive Justice » dans Oxford Essays in Jurisprudence, (2e), Oxford, Oxford University Press, 1973, 237 aux pp. 237-238; Ernest J. Weinrib, « Corrective Justice in a Nutshell », 52 U.T.L.J. 349 [Weinrib,« Nutshell»].

71 Dijon, ibid, a la p. 339; D'Aquin, supra note 69, Ha - Ilae, quest. 61, art. 2; 72 D'Aquin, ibid. Ha - Ilae, quest. 61, art. 3; Seriaux, supra note 69 au no. 228.

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referentiel. C'est pourquoi Thomas d'Aquin parle de la justice distributive

comme une justice qui vise a « egaler les choses aux personnes » plutot que

1' « objet a [l'Jobjet »73.

Cette analyse de la justice distributive entraine, a notre avis, deux consequences

importantes. Premierement, elle oblige a une etude de la repartition en fonction

de certains criteres lies a l'individu. Elle est en quelque sorte une justice « au

merite »74. Au contraire, la justice commutative suppose l'egalite des individus75

et n'a pas, en ce sens, a se preoccuper de leurs caracteristiques intrinseques, sinon

que pour retablir cette egalite essentielle. Comme le mentionne Aristote, peu

importe que la personne lesee soit bonne ou malveillante, ce qui compte c'est de

savoir qui a commis une injustice, qui l'a subie et la nature du dommage subi par

7 f t

la victime . Ce sont ces derniers criteres qui permettront d'evaluer la reparation

appropriee.

Or, cette definition est a 1'image de notre systeme de responsabilite civile,

specialement la responsabilite extracontractuelle. Ainsi, notre systeme de

responsabilite civile se traduit par une analyse de la presence d'une faute et de

l'ampleur du prejudice cause par celle-ci. Comme nous le demontrerons plus loin,

on n'indemnise pas en fonction de la gravite de la faute mais en fonction de

l'importance du prejudice et tous peuvent etre tenus responsables du prejudice

73 D'Aquin, ibid., Ila - Ilae, quest. 61, art. 2 74 Kayser, supra note 70 a la p. 316. 75 Aristote, L 'ethique a Nicomaque , livre V, traduction par Rene Antoine Gauthier et Jean Yves

Jolif, Paris, Publications Universitaires, 1970 au no. 1131b 32. Voir aussi a cet effet, Dijon, supra note 70 aux pp. 339-340.

76 Aristote, ibid. Ce passage precis d'Aristote est par ailleurs integralement cite a la page 48.

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qu'ils ont ainsi cause, sans egard a leur statut social ou leur richesse personnelle.

On peut done affirmer que notre systeme de responsabilite civile est

principalement fonde sur les principes de justice commutative. Tous sont egaux

devant la loi et le « desequilibre » cause par la faute doit etre repare par l'auteur

du prejudice. II en serait autrement si l'on se souciait plutot, dans l'indemnisation

de la victime, de la gravite de cette faute ou de la personnalite de son auteur.

Inequivalence entre le dommage subi et la compensation re?ue n'aurait aucune

importance et seul le rapport equitable entre la gravite de la faute et l'indemnite

payee a la victime fonderait les principes d'indemnisation. Nous serions alors en

presence d'un systeme fonde sur la justice distributive. II s'agit essentiellement

du systeme que l'on retrouve en droit penal, ou la penalite est souvent evaluee en

fonction de la gravite de l'infraction commise et qui, d'ailleurs, nous l'avons

mentionne, est guide par des fondements plutot d'interet social que d'interets

individuels.

En droit civil, 1'analyse teleologique des principes de justice est par ailleurs tres

bien illustree lorsqu'il s'agit de distinguer les dommages-interets compensatoires

des dommages punitifs. Alors que les premiers sont accordes en fonction du i

prejudice subi et done relevent des principes de justice commutative, les seconds

sont le plus souvent depourvus de cet aspect compensatoire pour essentiellement

comporter un aspect comminatoire et dissuasif77. Or, ces dernieres fonctions

relevent plutot de la justice distributive. D'ailleurs, parmi les criteres dont doivent

77 Voir des exemples de cet aspect dans les decisions Filion c. Chiasson, 2007 QCCA 570, [2007] R.J.Q. 867 [Chiasson] et Richard c. Time Inc., 2007 QCCS 3390, [2007] R.J.Q. 2008 (inscription en appel, 14-08-2007, 500-09-017967-076) [Time]

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tenir compte les juges relativement a la valeur des sommes octroyees a titre de

dommages punitifs, on retrouve celui de la gravite de la contravention au droit

no

dormant ouverture a l'octroi de dommages punitifs , ce qui concorde

parfaitement avec les principes de justice distributive.

Au meme titre, il est interessant de noter la disposition du Code civil du Bas-

Canada qui prevoyait specifiquement que la responsabilite civile d'une personne

ne pouvait etre modifiee par la presence d'un contrat d'assurance et que le

montant des dommages devait etre fixe sans egard au fait que l'auteur du delit

etait protege par une assurance couvrant sa responsabilite civile79. Notre reflexion

sur le type de justice gouvernant le droit des obligations, et particulierement la

responsabilite civile, nous permet de comprendre le fondement de cette

. on

disposition. Le regime de l'assurance est fonde sur le principe de la mutualite .

Ce principe veut que l'on mette les primes en commun, afin de compenser la

victime d'un risque determine par le contrat. Le principe de l'assurance est une

repartition du risque et des « biens » en fonction de criteres precis qui ne sont pas

lies a un quelconque echange de valeurs fonde sur une certaine egalite. II est en

effet possible qu'un assure regoive une compensation plus grande qu'un autre

assure et cette derniere variera selon des criteres prevus a la police d'assurance.

Les indemnites ne sont done pas egales d'un assure a l'autre et d'ailleurs, d'annee 78 Voir Particle 1621 C.c.Q. Voir aussi a ce sujet, Daniel Gardner, « Reflexions sur les dommages

punitifs et exemplaires », (1998) 77 R. du B. can. 198 aux pp. 211-212. 79 Article 2494 C.c.B.C. Maintenant, on retrouve cette regie, exposee plus generalement, dans le

livre des obligations a Particle 1608 C.c.Q. 80 Didier Lluelles, Precis des assurances terrestres, 4e ed., Montreal, Themis, 2005 a la p. 4. II

d^finit ainsi le principe de la mutualite : « Caracteristique majeure de l'assurance, la mutualite signifie que l'assurance implique une mise en commun de plusieurs risques moyennant une contribution proportionnelle de chacun des individus de cette reunion. »

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en annee, la plupart du temps, un assure ne recevra aucune somme payable en

vertu de son contrat, puisqu'il est relativement rare que le risque assure se realise.

L'assurance repose done clairement sur un principe de justice distributive. II

apparait ainsi normal que l'on isole ce principe de la determination de la faute et

du dommage, determination qui se fonde, dans notre systeme de droit, sur un

Q 1 principe de justice commutative (corrective) .

La deuxieme consequence de la justice distributive est qu'elle favorise un aspect

de «justice sociale » beaucoup plus important que la justice commutative .

D'ailleurs, en certains domaines, il est devenu courant de fonder des regies

d'indemnisation en fonction d'une certaine « solidarite sociale ». Le regime de

l'insolvabilite et de la faillite constitue une bonne illustration de cette philosophie.

Ainsi, la protection offerte au debiteur insolvable en vertu des lois sur les

arrangements avec les creanciers ou la faillite repose sur un principe de reduction

de la dette et de paiements preferentiels a certains creanciers dits privilegies afin

81 Bien qu'Aristote ait utilise, selon les traducteurs, l'expression «justice corrective », cette appellation est surtout maintenant utilisee pour qualifier les operations liees a la responsabilite civile. En fait, la plupart des auteurs incluent majoritairement cette notion dans le terme « justice commutative ». Voir notamment CRDP Obligations, supra note 20 5. v. « justice », et « justice corrective ». II faut par ailleurs noter que le Doyen Carbonnier associe davantage la justice corrective a la justice distributive puisque celle-la vient corriger des inegalites de fait et retablira l'egalite par des compensations inverses. Voir Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 51. Pour notre part, puisque nous considerons que la justice corrective est celle qui favorise la reparation de la victime pour la remettre dans l'etat ou elle se trouvait avant la faute, nous l'identifions, pour les fins de nos propos, a la responsabilite civile extracontractuelle et utiliserons le vocable «justice commutative » dans le cadre de notre etude sur les principes de justice regissant les contrats. Voir notamment a ce sujet, Loi'c Cadiet, «Une justice contractuelle, 1'autre » dans Etudes offertes a Jacques Ghestin : le contrat au debut du XXIe siecle, Paris, Librairie Generate de Droit et de Jurisprudence, 2001, 177 a la p. 184 et s. [Cadiet, « L'autre »] et Dijon, supra note 70 a la p. 335 et s.

82 Dijon, ibid, a la p. 340; Jean-Louis Bergel, Theorie generate du droit, 3e ed., Paris, Dalloz, 1999 a la p. 31 [Bergel, Theorie]-, Denis Mazeaud, «La reduction des obligations contractuel les», (mars 1998) 58 Droit et patrimoine, 58 a la p. 66 et s. [Mazeaud, « Reduction »]; Perry, supra note 70 a la p. 239.

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de faire supporter et partager « socialement» les consequences de l'endettement

grave du debiteur. Comme le mentionne le professeur Denis Mazeaud, ce regime

a pour but de « sauver le debiteur des graves menaces auxquelles sa situation

patrimoniale l'expose. La reduction consentie ou imposee aux creanciers au nom

de la solidarity avec le debiteur, qui dans une economie d'endettement ne doit pas

supporter seul la charge definitive de la dette contractee sous l'empire d'une

certaine violence sociale, apparait comme un remede de 1'exclusion sociale » .

Un tel systeme de solidarity sociale ou certains creanciers privileges regoivent

une part plus importante que d'autres, sans egard au montant de la dette, et ou le

debiteur se trouve libere de ses obligations sans avoir paye 1'equivalent de sa dette

a l'ensemble des creanciers, ne releve certainement pas de la justice commutative.

De tels criteres de selection des creanciers, qui pourront recevoir un certain

remboursement des sommes qui leur sont dues en fonction de leur statut de

creanciers chirographaires, privilegies ou hypothecates, relevent certainement de

la justice distributive.

De meme, les nombreux systemes d'indemnisation de victimes de certains types

d'accidents, tels que les regimes d'indemnisation des accidentes de la route ou du

travail, ont pour postulat de faire supporter a la societe tout entiere, plutot qu'a

l'auteur du dommage, les risques lies aux activites industrielles et professionnelles

de la vie moderne84. Or, encore une fois, ces regimes se fondent sur des criteres

83 Mazeaud, « Reduction », ibid, a la p. 59 84 Cadiet, « L'autre », supra note 81 a la p. 198.

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inherents aux victimes, soit les circonstances de leur prejudice et la reparation

n'est pas offerte par 1' « auteur » du prejudice mais par un organisme representant

la societe. On peut done clairement constater 1'aspect social de la justice

distributive, a la base de ces regimes. De meme, lorsque Ton comprend que ces

regimes relevent de la justice distributive, on comprend mieux pourquoi il est de

la nature meme de ces regimes d'indemniser sans egard a la faute. En effet, s'il

fallait determiner un responsable du prejudice, on introduirait alors un principe de

justice corrective dans un systeme de justice distributive et risquerait d'entrainer

Of

des conflits entre les deux justices . II pourrait en resulter une solution

« injuste ».

Lorsqu'il s'agit de verifier la justice dans les echanges entre individus, on peut o /

affirmer que la justice commutative devrait etre au coeur meme de la relation .

En effet, il est facile de concevoir qu'un echange juste, qui soit dans l'interet

propre de chacune des parties, comporte un aspect d'equilibre entre les

prestations. On imagine facilement une balance a deux plateaux, chacun

representant les prestations respectives des debiteur et creancier et ou 1'equilibre

parfait est recherche.

85 Seriaux, supra note 69 au no. 228. 86 D'Aquin, supra note 69, Ha - Ilae, quest. 61, art. 3; Philippe Stoffel-Munck, Regards sur la

theorie de I'imprecision: vers une souplesse contractuelle en droit prive frangais contemporain, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1994 aux nos. 48-49 [Stoffel-Munck, Imprecision].

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Plusieurs auteurs recherchent alors une egalite mathematique ou arithmetique

0 7 1

entre les valeurs economiques des prestations . Mais dans les faits, nous savons

qu'une telle valeur est souvent tres difficile a evaluer. D'ailleurs de quelle valeur

doit-on discuter ? La valeur subjective pour une partie - ne serait-ce que parce que

les considerations et motivations personnelles de chacun dans la conclusion du

contrat ne sont pas toujours avouees - peut tres bien etre differente de la valeur

marchande d'un bien, qui elle-meme, varie souvent dans les espaces lieux et

temps. Ainsi, une telle conception de l'equilibre est souvent impossible a

appliquer dans les faits, et l'on se retrouve avec un principe theorique qui n'a

aucune valeur pratique. En plus, il ne faut pas oublier que le legislateur a, meme

dans 1'adoption du Code civil du Quebec de 1994, rejete la theorie de la lesion

entre majeurs suite a une campagne de peur menee par quelques auteurs et voulant

que le Quebec ne pourrait plus attirer des industries et investisseurs etrangers si

une telle regie etait adoptee88. Meme si une telle decision constitue une reelle

contradiction avec la nouvelle moralite contractuelle qui sous-tend le Code civil

du Quebec89 et est a contre-courant des developpements du droit etranger en la

87 Voir notamment D'Aquin, ibid., Ha - Ilae, quest. 61, art. 2; Stoffel-Munck, Imprevision, ibid, au no. 47 ; Bergel, Theorie, supra note 82 a la p. 31; Gordley, supra note 30 a la page 267; Kayser, supra note 70 a la p. 318; Striaux, supra note 69 au no. 228.

88 Art. 1405 C.c.Q. Voir par ailleurs, concernant les circonstances d'adoption de cet article, Pierre-Gabriel Jobin, « La modernite du droit commun des contrats dans le Code civil du Quebec : quelle modernity ? » dans La pertinence renouvelee du droit des obligations : Back to Basics, Conferences Meredith 1998-1999 tenues a l'Universite McGill le 12 mars 1999, Cowansville, Yvon Blais, 2000, 13 a la p. 22 et s. [Jobin, « Modernite »] ainsi que dans «L'etonnante destinee de la lesion et de 1'imprevision dans la reforme du code civil du Quebec », [2004] R.T.D. civ. 693 [Jobin, «Destinee»]; voir egalement Paul-Andre Crepeau avec la collaboration d'Elise M. Charpentier, Les Principes d'UNIDROIT et le Code civil du Quebec : valeurs partagees ? », Cowansville, Carswell, 1998 a la p. 94 et s. [Crepeau, Unidroit] et Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 104;

89 Crepeau, Unidroit, ibid, aux pp. 111-112; Pineau, Burman et Gaudet, ibid.

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matiere90, il semble done qu'une theorie de 1'equilibre contractuel fonde sur la

pure equivalence mathematique des valeurs des prestations ne puisse s'appliquer

directement et generalement en droit civil quebecois, du moins sous le vocable de

lesion/vice de consentement. Est-ce a dire que la justice commutative n'a sa place

que de fa<?on illusoire dans nos differentes relations obligationnelles ? Pour

repondre a cette question, il est necessaire d'observer les differentes

caracteristiques du droit civil quebecois.

Traditionnellement, le droit general des obligations se soucie peu de la qualite des

parties. D'ailleurs, ce n'est que recemment que le legislateur a prevu certaines

dispositions specifiques relatives a la qualite des parties, tels que les

consommateurs et les adherents. Ces dispositions, d'inspiration de justice

distributive, se sont, a notre avis, averees necessaires parce que l'on hesitait a

laisser la justice commutative jouer son role de gardienne de l'equilibre des

echanges. Encore aujourd'hui, il y a mefiance a bien vouloir reconnaitre un plus

grand pouvoir aux juges91. Parce que l'ideologie liberate qui domine la societe

quebecoise se mefie du pouvoir des juges, en pretextant un risque accru

d'arbitraire et d'instabilite contractuelle, l'intervention legislative devient

imperative.

Hormis les dispositions recentes en matiere de contrat de consommation ou

d'adhesion, le droit des obligations se comporte comme si chaque partie etait

90 Voir a ce sujet, Crepeau, Unidroit, ibid, a la p. 82 et s. et Jobin, « Destinee », supra note 88 notamment a la p. 696.

91 Voir notamment Jean Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 17.

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egale en amont et devait assurer la conservation d'un equilibre dans le cadre de sa

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transaction d'echange . On reconnait dans cette constatation le principe d'egalite

des parties ayant servi de postulat a la theorie de 1'autonomic de la volonte dans la

formation des contrats. La theorie de 1'autonomic de la volonte veut que, chaque

partie etant egale dans son pouvoir de conclure le contrat, on puisse conclure

qu'elle ne consentirait pas a une convention qui la desavantagerait . Ainsi, un

contrat apparait juste parce que les parties en ont determine les conditions. Dans

un tel contexte, le rejet de la theorie de la lesion se comprend aisement. Une

partie ne peut se plaindre d'un desequilibre economique puisque la determination

de 1'equilibre des valeurs des prestations depend de la seule volonte des parties94.

On comprend done alors toutes les critiques soumettant qu'une intervention

judiciaire dans un tel contexte risque de rompre l'equilibre necessairement

souhaite par les parties. La theorie de l'autonomie de la volonte exige le respect

de cet equilibre subjectif.

Pourtant, on sait a quel point la theorie de l'autonomie de la volonte qui regnait

seule dans la theorie contractuelle jusqu'a XXe siecle est aujourd'hui fortement

critiquee. On lui reproche notamment de permettre l'exploitation d'une partie plus

faible justement en raison de ce postulat d'egalite presumee entre les parties95. En

92 Dijon, supra note 70 a la p. 339. 93 Veronique Ranouil, L'autonomie de la volonte, naissance et evolution d'un concept, Paris,

Presses universitaires de France, 1980 a la p. 133. 94 Stephanie Bimes-Arbus, « L'evolution de la commutativite contractuelle », 2001(4) R.R.J. 1371

au no. 3; Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 82 et s. 95 Ibid, au no 12 et s. Voir aussi Fin-Langer, supra note 26 au no. 116; Gounot, supra note 35 a la

p. 371 et s.; Sophie Le Gac-Pech, La proportionnalite en droit prive des contrats, coll. Bibliotheque de droit priv£, t. 335, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence., 2000

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realite, l'egalite fictive mais non effective entre les contractants permet au plus

fort d'imposer sa volonte au plus faible, privant dans les faits, ce dernier de sa

liberte de consentement96. Or, comment en sommes-nous venus a un tel resultat ?

A notre avis, ce derapage s'explique par le fait que l'egalite entre les parties n'est

que presumee, sans pouvoir faire l'objet d'un controle effectif ou d'une mesure de

retablissement en cas de non-conformite. II s'agit en quelque sorte d'une

presomption irrefragable. Par cette realite, il y a un aspect de la theorie d'Aristote

sur la justice commutative qui est malheureusement esquive par la theorie de

l'autonomie de la volonte et meme par la doctrine plus contemporaine : les devoir

et pouvoir du juge de veiller a l'egalite des parties.

Aristote voyait dans le juge un intermediate essentiel au maintien de la justice

commutative : « Voila pourquoi, lorsque surgit une contestation, on a recours au

juge. Aller devant le juge, c'est se mettre en face de la notion meme de juste, car

l'ideal du juge, c'est d'etre le juste personnifie. (...) Le juge, done, restaure

l'egalite. »97 Or, cette egalite est a la base meme de la conception de justice

commutative98. Sans l'egalite effective ou restauree, on ne peut done pas parler de

justice.

Cela se consoit d'ailleurs aisement. Si quelqu'un par sa faute nous blesse, nous

sommes dans une situation ou, en principe, la justice commutative devrait trouver

au no. 726 et s.; Mazeaud, « Solidarisme » supra note 7 a la p. 64; Ranouil, supra note 93 a la p. 133; Rolland, « Figures », supra note 23 a la p. 907.

96 Ranouil, ibid. 97 Aristote, supra note 75 au no. 1132 a 19-24; voir aussi une explication sur ce point vue

d'Aristote dans Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 65. 98 D'Aquin, supra note 69 Ila - Ilae, quest. 61, art. 2.

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application, et nous devrions normalement etre compenses pour les dommages

subis. Cependant, en droit prive, ce choix nous appartient et nous sommes libres

de l'exercer ou non. Tel que nous l'etudierons plus amplement, il s'agit d'une des

caracteristiques fondamentales des droits subjectifs. lis impliquent une liberte

d'exercice. Chacun beneficiant de cette meme liberte dans l'exercice de ces

droits, nous ne pouvons, par nos propres moyens, contraindre physiquement autrui

a respecter nos droits. Nous devons avoir recours a l'organe socialement organise

qu'est le pouvoir judiciaire, qui par principe est un tiers neutre. Kant pourrait

affirmer que cette organisation s'inscrit parfaitement dans le role qu'il attribue a la

loi en tant que gestionnaire de la coexistence des liberies individuelles". Ce n'est

que par la voie judiciaire (et ses equivalents telles que la transaction ou la

mediation) que nous pourrons exiger que notre situation initiale d'avant la faute

soit restauree, le plus souvent par un mecanisme de compensation equivalente.

Sans ce pouvoir judiciaire, on ne pourrait contraindre l'auteur de la faute a

compenser la perte subie. De plus, c'est en exer9ant ce recours judiciaire que

nous manifestons notre droit a la restauration integrate basee sur les principes de

justice commutative, parce que celle-ci regissant essentiellement des rapports

prives, rien ne nous oblige a profiter des recours disponibles socialement. C'est

pourquoi le juge -ou un autre arbitre independant consacre par les pouvoirs

publics - s'avere essentiel a 1'application effective des principes de justice

commutative.

99 Emmanuel Kant, Metaphysique des mceurs - Doctrine du droit, trad. A. Philonenko, 2e ed., coll. Bibliotheque des textes philosophiques, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1979 a la p. 104.

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Pourtant, comme nous l'avons mentionne, plusieurs auteurs se mefient du pouvoir

des juges. Des qu'il est question d'un pouvoir judiciaire qui impliquerait une

dimension autre que le seul octroi des dommages, ils denoncent ce pouvoir.

Adoptant le discours des autonomistes, ils pronent que la stabilite des contrats et

done la securite des echanges risquent d'etre compromises par une intervention

accrue des juges au contrat100. Pourtant, il est tres clair que ce pouvoir de juger et

de retablir 1'equilibre est essentiel a l'application des principes de justice

commutative. D'ailleurs, nous l'avons deja mentionne, devant cette mefiance, le

legislateur n'a eu d'autre choix que d'introduire des dispositions legislatives a

caractere imperatif fondees sur des principes relevant essentiellement de la justice

distributive. Lorsque le legislateur introduit au sein du droit civil des dispositions

imperatives visant a proteger une partie en fonction de sa qualite de

consommateur, il s'eloigne des principes de justice commutative pour se fonder

sur des principes de justice distributive101. Ces principes tiennent expressement

compte de la qualite de la personne102. C'est cette unique qualite qui cree

automatiquement vine presomption d'inegalite, a charge au pouvoir legislatif de

controler. Or, pourquoi, une telle intervention est-elle necessaire ? Tout

simplement, a notre avis, parce que si la mentalite liberate dans laquelle nous

evoluons a facilement adopte les postulats d'egalite des parties lors de la

conclusion des contrats, elle a par ailleurs rejete, en tant que contrainte inutile,

tout le principe du controle et du retablissement a posteriori de cette meme qualite

100 Voir notamment Jacques Flour, Jean-Luc Aubert et Eric Savaux, Droit civil: Les obligations, tome 1, L'acte juridique, 1 l e ed. par Jean-Luc Aubert et Eric Savaux, Paris, Armand Collin, 2004 au no. 119 et Laurent Leveneur, « Le solidarisme contractuel: un mythe » dans Luc Grynbaum et Marc Nicod (dir.) supra note 7, 173 a la p. 185 et s.

101 Seriaux, supra note 69 au no. 228. 102 D'Aquin, supra note 69 Ha - Ilae, quest. 61, art. 2.

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effective d'egalite entre les parties. Pourtant, souvenons-nous qu'Aristote

nommait la justice commutative «justice corrective ». Le juge est le gardien de

l'equilibre dans la theorie d'Aristote et lui enlever son role, sous des pretentions

souvent mal fondees de risques pour la stabilite juridique des contrats, denature

les principes de la justice commutative. On ne peut pretendre aux effets imperatifs

d'une theorie si l'on n'en respecte pas les preceptes fondamentaux.

II nous apparait done clair qu'il faut retablir les principes a la base meme de la

notion de justice regissant le droit obligationnel et permettre une intervention

judiciaire plus etendue. On ne peut tolerer que le droit prive devienne un laissez-

passer pour 1'exploitation d'autrui. D'ailleurs, il est interessant de noter qu'a notre 1 Al

avis, en codifiant l'obligation de bonne foi dans l'exercice des droits , le

legislateur se prononce en faveur d'une telle intervention104. Consequemment, il

semble necessaire d'identifier les criteres permettant de reconnaitre les situations

d'injustice pouvant donner ouverture a une telle intervention.

En resume de cette partie, nous concluons que le lien privilegie unissant les

parties creanciere et debitrice dans la relation obligationnelle est fonde sur les

principes de justice commutative. Malheureusement, ces principes sont en

quelque sorte denatures lorsque l'on ne permet pas un controle reel et effectif de

l'equilibre dans la relation des parties par une intervention judiciaire. En niant aux

tribunaux la possibility de controler et restaurer une certaine egalite entre les

103 Articles 6,7 et 1375 C.c.Q. 104 Voir le developpement a ce sujet dans la section portant sur la bonne foi.

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parties, on permet concretement a une de celle-ci d'exploiter un lien obligationnel

au detriment indu de l'autre partie et des principes de justice. II faut done

conclure que pour que la justice contractuelle soit respectee, il est necessaire de

soutenir l'intervention judiciaire au sein de la relation des parties. II convient

alors de determiner les modalites de cette intervention puisque, nous l'avons

mentionne, une intervention non balisee ouvre la porte a l'arbitraire plutot qu'a la

justice. II faut done identifier comment la justice commutative s'articule au sein

d'une relation obligationnelle et c'est ce que nous examinerons dans la prochaine

section.

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«(. . . ) il y a faute, acte illicite, delit a profiter de la situation embarrassee ou de l'inexperience de l'autre, a l'exploiter »105

2.4. La normativite de la justice commutative en droit des obligations ;

Puisqu'il semble acquis que la relation obligationnelle doive etre empreinte des

principes de justice commutative, il nous apparait necessaire d'analyser comment

cette notion se traduit dans les deux principaux domaines de la relation

obligationnelle, soit la responsabilite civile et le lien contractuel. Cette etude nous

semble necessaire puisqu'il ne semble pas exister de consensus sur les definition

et portee a donner a cette notion.

2.4.1. La justice commutative en responsabilite civile

Notre demarche consistant a debuter par l'etude des caracteristiques de la justice

commutative regnant en responsabilite civile pourra surprendre considerant les

limites annoncees de cette these. Pourtant, cette analyse nous semble necessaire

puisque les principes de justice commutative ont surtout ete etudies dans le cadre

de relations extracontractuelles de responsabilite civile. Nous en degagerons ainsi

les principaux elements et examineront si ceux-ci peuvent etre transposes a la

theorie contractuelle afin de soutenir notre etude. De plus, il faut mentionner que

les principes generalement degages pourront dans certains cas s'adapter

105 Carbonnier, Obligations, supra note 20 a la p. 165.

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directement aux relations contractuelles, qui comportent elles aussi leur dimension

de responsabilite civile.

De nombreux auteurs voient dans la responsabilite civile un moyen visant a

retablir un equilibre economique rompu soit par un fait juridique dommageable -

auquel cas, la responsabilite civile sera source d'une obligation de reparation - soit

par un fait profitable, auquel cas, elle sera source d'une obligation de

restitution106. Deja dans l'Antiquite, Aristote envisageait la necessite de retablir a

l'egard de la victime l'equilibre materiel rompu par la faute d'un individu, par le

biais de la justice corrective107. Le passage suivant est particulierement

significatif:

« Peu importe, en effet, que ce soit un honnete homme qui ait

lese un coquin, ou un coquin qui ait fait tort a un honnete

homme, qu'un adultere ait ete commis par un honnete homme

ou un coquin : la loi n'a d'egard qu'a la nature du dommage;

elle regarde les parties comme egales, et ce qui l'interesse, c'est

de savoir si celui-ci a commis une injustice et si celui-la l'a

subie, si celui-ci a cause un dommage et si celui-la a ete lese. »

On note immediatement que l'on retrouve dans la proposition d'Aristote tous les

elements de la responsabilite civile quebecoise, soit la faute, le dommage et le lien

de causalite entre les deux. Encore de nos jours, l'interaction entre deux parties

impliquees eh responsabilite civile se cree par le lien de droit genere par la

106 Voir ibid, au no. 198; Nicholas Kasirer, « Agape », [2001] R.I.D.C. 575 a la p. 592 [Kasirer, « Agape »]; Seriaux, supra note 69 au no. 146.

107 Aristote, supra note 75 au no. 1131 b 25 et s.

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108 correlation entre la faute de l'auteur et le dommage subi par la victime . C'est

ce lien de causalite qui cree la relation entre les parties et qui constitue le point de

rupture de l'equilibre entre elles. -La faute quant a elle constitue la cause de cette

rupture et le dommage, la mesure de cette rupture. Nous soulignons d'ailleurs au

passage qu'il est tres significatif que l'on sanctionne non pas en fonction de la

gravite de l'acte ayant cause ce desequilibre mais bien en fonction du prejudice

cause par cet acte109. Cela demontre qu'encore aujourd'hui, les principes

aristoteliciens de justice corrective regissent generalement les relations en

responsabilite civile, et particulierement en responsabilite extracontractuelle.

La justice corrective - nous rappelons que la doctrine moderne inclut

majoritairement cette notion dans le terme justice commutative - a pour postulat

que nul n'est au-dessus de la loi et que tous doivent repondre du tort qu'ils

causent a autrui. En ce sens, les parties sont egales, sans egard a leur fortune ou a

leur vertu, quant a leur responsabilite a l'egard d'autrui110. Tous doivent exercer

leurs droits en respectant ceux des autres, et cela, sans egard a leur statut social.

Chacun est done libre des echanges qu'il effectue mais doit tout de meme

respecter la liberte d'autrui, de maniere a ne pas leser indument les interets de cet

autrui et commettre une injustice a son egard.

108 Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 78. 109 Article 1457, al. 2 : « [e]lle est, lorsqu'elle est douee de raison et qu'elle manque a ce devoir,

responsable du prejudice qu'elle cause par cette faute a autrui et tenue de reparer ce prejudice, qu'il soit corporel, moral ou materiel. » On constate bien a quel point, en responsabilite civile generate, l'auteur du dommage est responsable de compenser la victime en fonction du prejudice subi plutot qu'en fonction de la gravite de la faute commise.

110 D'ailleurs, il est interessant de noter que les deux articles generaux au chapitre de la responsabilite civile du Code civil du Quebec commencent par l'expression « Toute personne a le devoir de... », ce qui demontre bien le caractere theoriquement egalitaire de la responsabilite civile, en accord avec les principes de justice corrective ou commutative.

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Ce devoir general de bien se conduire a' l'egard d'autrui n'est pas optionnel et

s'explique aisement lorsque l'on s'interroge sur la fonction du droit. Plusieurs

adoptent l'enonce kantien voulant que le droit ait pour objet de gerer la

coexistence des libertes111. En ce sens, au sein des societes liberates, plusieurs

expriment l'idee que le droit fait regner un equilibre des libertes et que les

principes de justice commutative voient au respect de cet etat d'equilibre dans les

relations privees. Parce que la liberte s'avere une valeur primordiale, l'adage

« tout ce qui n'est pas interdit est permis » devient mantra. Cette doctrine liberate

se formule essentiellement en obligations diverses qui visent a assurer la liberte, la

propriete et la securite112. L'obligation liberale imposee au citoyen se limite alors

a une serie d'obligations negatives telles que celles de ne pas nuire a autrui ou de

ne pas empieter sur ses droits113. En d'autres termes, cette ideologic liberale ne

sanctionne aucune obligation positive generate de solidarite ou de charite a

l'egard d'autrui. Dans les rares cas ou de telles obligations existent114, elles sont

expressement legiferees et considerees comme autant d'exceptions a la liberte des

individus.

Puisque chacun est en principe egal a l'autre, la liberte de chacun ne peut etre

absolue et doit s'exercer dans le respect de la liberte legitime des autres

111 C'est cette formule que beaucoup d'auteurs appellent la « regie de la coexistence ». II faut noter cependant que Kant applique cette formule a l'ensemble du droit, et non seulement au droit prive : voir Kant, supra note 99 a la p. 104.

112 Francois Ewald, Histoire de I'Etat providence - Les origines de la solidarite, 2e ed., Paris, Grasset & Fasquelle, 1996 a la p. 19.

113 Ibid. 114 Voir par exemple Particle 585 C.c.Q. sur l'obligation alimentaire entre conjoints et parents au

premier degrt. /

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personnes. Cette regie entraine done un possible conflit de liberte que le droit doit

gerer en imposant certaines limites a l'exercice de chacune de ces libertes115. Si un

individu ne respecte pas le devoir de respecter la liberte d'autrui en fonction de

ces limites sociales, il commet, en langage aristotelicien, une injustice qui doit

etre sanctionnee.

Pour notre part, nous croyons que cette liberte n'est que le porte-etendard du

veritable fondement du droit prive : assurer la coexistence des interets116. En

effet, nous ne croyons pas que la liberte puisse etre qualifiee de but en soi. Ce sont

les avantages et interets personnels que nous retirons de nos actions qui

constituent nos sources de motivation a Taction juridique plutot que l'exercice

libre en soi117. La liberte n'est, dans ce schema, qu'un gardien de l'interet

personnel. II n'en est pas le maitre. Personne ne conclut une convention pour

cette seule demonstration de la liberte a pouvoir contracted Un contrat est

generalement conclu pour les avantages, les interets qu'il confere a ses auteurs et

lift la liberte est un des outils privilegies .

Ainsi, nous reconnaissons que la liberte est effectivement essentielle a la

sauvegarde des interets personnels mais nous ne croyons pas que cette liberte en

115 Walter Yung, Etudes et articles, Geneve, Librairie de l'Universite Georg et Cie S.A., 1971 aux pp. 112-113.

116 Voir Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 733 et s. qui, bien qu'il utilise une terminologie differente, presente la liberte comme le moyen de satisfaire les besoins humains, avec toutes les prerogatives qu'elle comporte.

117 Voir cet avis presente d'une maniere plus radicale, Rudolph von Jhering, L'esprit du droit romain, t. 4, 3e ed., trad. O. de Meulenaere, Paris, Chevalier-Marescq, 1888 a la p. 321 r Nous consacrons d'ailleurs une section de cette etude a la theorie de Jhering sur la notion de droit subjectif comme « interet juridiquement protege ».

118 Voir Crepeau, Unidroit, supra note 88 aux pp. 10-12.

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soi puisse etre qualifiee de but du droit. Pour cette raison, nous ne croyons pas

que l'injustice puisse se definir comme un manquement a la seule liberte d'autrui

mais bien comme l'irrespect illegitime des interets d'autrui. Comme nous le

verrons plus amplement, nous considerons qu'il sera illegitime de ne pas veiller

aux interets d'autrui lorsque la libre sauvegarde de ceux-ci sera compromise ou

lorsque ceux-ci seront cristallises sous la forme de droits subjectifs. Ainsi, nous

pouvons definir l'injustice comme le manquement ou l'irrespect illegitime aux

droits ou interets d'autrui.

La pensee d'Aristote sur les principes de justice corrective demontre aussi que le

point determinant de celle-ci est le dommage cause a la victime par l'injustice de

l'auteur. Sans ce dommage, l'auteur de l'injustice n'a aucun point de jonction

avec la victime. L'obligation de reparer le prejudice cause cree un lien de droit,

c'est-a-dire un lien pouvant etre sanctionne par les autorites judiciaires. On

pourrait concevoir une image ou un fil invisible, que l'on pourrait qualifier de lien

de causalite, relie l'auteur de l'injustice - chez qui le point d'ancrage serait cette

injustice - a la victime - pour qui le point d'ancrage serait le dommage subi par

elle. Sans chacun de ces elements, le lien de droit entre la victime et l'auteur ne

peut exister selon les principes de justice corrective ou commutative. II y a

correlation entre l'injustice commise par l'auteur et le prejudice subi par la

victime puisqu'il s'agit d'un meme evenement, de la meme injustice119. Pourtant,

une commutativite etablie en termes d'equivalence arithmetique entre les

situations des parties peut etre difficile a concevoir puisque souvent le montant de

119 E.J. Weinrib, « Nutshell », supra note 70 a la p. 350.

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dommages accordes a la victime ne correspond pas directement a un gain

equivalent chez l'auteur de l'injustice. II semble done que d'autres elements

doivent etre consideres. C'est pourquoi, nous tenterons dans la presente section

d'identifier d'autres caracteristiques de la commutativite obligationnelle.

Meme si nous tentons d'examiner la justice commutative sous un autre angle

d'analyse que la simple egalite mathematique des valeurs echangees par les

parties, nous ne croyons pas qu'il soit possible de sanctionner le comportement

d'une partie en l'absence d'un prejudice pour la victime. Nous avons d'ailleurs

deja denonce par le passe, en matiere de responsabilite contractuelle, des

jugements qui avaient aneanti des contrats sous pretexte qu'une des parties n'avait

pas adopte un comportement qualifie de bonne foi et cela meme en l'absence de

prejudice pour la victime . Cela choque a sa face meme les principes de justice

corrective que de tenter de retablir par une sanction un equilibre qui n'a pas

formellement ete rompu, vu l'absence de prejudice. Nous 1'avons mentionne,

l'injustice devrait etre consideree comme l'irrespect illegitime des droits ou

interets d'autrui. Logiquement, une telle definition implique un prejudice en soi.

Le droit d'une societe liberale se decline generalement en un devoir de ne pas

nuire indument a autrui et non en celui de lui conferer un avantage. En l'absence

d'un prejudice, ce qui devait faire figure de reparation constitue en fait un

120 Gregoire, supra note 15 aux pp. 78-79. Voir d'ailleurs l'arret Losier, supra note 16 particulierement aux para. 49-51 ou la Cour a accueilli le pourvoi en specifiant que l'intimd n'avait subi aucun prejudice meme si l'on admettait qu'une faute avait ete commise. La Cour rejetait ainsi Taction en responsabilite. Au meme effet: Caisse populaire de La Prairie c. Burrows, (6 avril 2000), Longueuil, 505-17-000383-986, REJB 2000-19829, B.E. 2000BE-625 (C.S.); Crown Life Insurance Co. c. 2329-7294 Quebec Inc., (16 septembre 1999), Montreal, 500-05-008780-957, REJB 1999-14465, J.E. 99-1949 (C.S.).

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avantage pour la « victime ». Au lieu de reparer une injustice, cette condamnation

procure un gain a cette partie et une perte pour celle qui paie. Dans un tel cas, on

ne doit pas parler de reparation mais bien de punition. Or, une telle fonction n'est

pas l'apanage de la justice commutative. La regie de 1'indemnisation sans

prejudice n'est done pas coherente aux principes de responsabilite civile. Si nous

reprenons notre image du fil invisible, nous pouvons dire qu'en 1'absence de

prejudice, le lien de droit devant alors lier la victime et l'auteur ne trouve alors

aucun point de rattachement chez la victime. II n'y a aucune injustice a reparer et

l'on denature a la fois la relation et l'objet du droit en octroyant des dommages-

interets « compensatoires » dans une telle situation.

II faut noter que nous pronons cependant une definition large de la notion de

prejudice. Ainsi, plusieurs dictionnaires de droit civil definissent la notion de

dommages ou de prejudice comme une atteinte aux droits ou aux interets d'une

personne . II est aussi important de distinguer la presence d'un prejudice avec la

preuve de sa quotite subjective pour la victime de celui-ci122. Ainsi, le prejudice

n'est pas exclusivement relatif aux dommages de nature pecuniaire et nous

admettons que d'autres types de dommages puissent ouvrir la porte a un

retablissement de T equilibre perdu, si les interets de la victime se trouvent

121 Voir notamment, CRDP, Obligations, supra note 20 s.v. «prejudice»; Denis Alland et Stephane Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Presses universitaires de France, 2003 s.v. « dommage ».

122 Adrian Popovici, « De l'impact de la Charte de droits et libertes de la personne sur le droit de la responsabilite civile : un mariage rate ? » dans La pertinence renouvelee du droit des obligations : Back to Basics, supra note 88,49 aux pp. 72-73 [Popovici, « Mariage »].

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123 affectes. II en serait ainsi, notamment, de la violation d'un droit fondamental ,

de la perte d'un recours particulier suite aux manoeuvres de la partie adverse ou

meme de l'imposition, a la partie en situation d'inferiorite, par la partie avantagee,

de clauses fort desavantageuses pour celle-la. Toutes ses situations pourraient tres

bien se classer comme un prejudice pouvant permettre la sanction, par le juge, de

l'injustice creee par l'atteinte indue aux interets d'autrui.

C'est aussi pour cette raison qu'il apparait important de preciser et d'encadrer ce

qu'est une injustice aux fins de l'application des regies de justice corrective. En

effet, un dommage cause a autrui dans l'exercice raisonnable d'un droit legitime

ne devrait pas donner ouverture a une compensation en vertu des regies de

responsabilite civile. Le droit est indifferent au seul dommage factuel si ce dernier

n'est pas cause par une atteinte illegitime a la paisible coexistence des droits et

interets d'autrui. C'est l'atteinte a un droit ou un interet d'autrui, par une action ou

une inaction ne respectant pas le principe de la coexistence paisible des droits et

interets, qui est sanctionnee et justifie le droit de demander reparation pour le

dommage factuel cause.

On ne peut, ainsi, demander reparation pour les dommages causes a un bien si on

ne possede pas un droit a l'egard de ce bien. II n'est pas possible de reclamer des

dommages pour l'incendie de l'immeuble voisin du notre, sauf si cet incendie a

• ( 123 Voir a ce sujet ibid.\ voir aussi Louis Josserand, L'esprit des droits et leur relativite, 2e ed.,

Paris, Librairie Dalloz, 1939 a la p. 334 et s.

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par ailleurs aussi cause des dommages aux biens pour lesquels nous sommes

detenteurs d'un droit reel, le plus souvent un droit de propriete. C'est done

l'atteinte a l'interet materialise en droit de propriete qui est sanctionnee et sans

l'interet, il est conceptuellement impossible de reclamer des dommages. II en est

de meme pour les droits personnels. C'est la violation indue d'un de ces droits

qui donne ouverture a des dommages. Ainsi, si nous ouvrons une boutique faisant

concurrence a une autre boutique semblable dans le meme secteur, nous ne

pourrions etre tenus aux dommages causes par une baisse de clientele, sauf si nous

etions soumis a une obligation de non-concurrence, notamment en vertu d'une

stipulation contractuelle ou si nous avions fait preuve d'un mepris illegal ou

socialement deraisonnable a 1'egard des interets d'autrui. Nous pourrions alors

parler de concurrence deloyale dormant ouverture a une sanction de reparation.

Cependant, en 1'absence de telles contraventions, aucun droit ou interet du

proprietaire de 1'autre boutique n'aura ete lese de maniere indue, puisque,

rappelons-le, dans l'exercice de nos libertes, nous n'avons legalement, en

principe, aucune obligation de conferer un quelconque avantage a autrui. Notre

concurrent devra done subir les aleas de son sort.

II faut, pour que nous soyons tenus aux dommages subis par une autre personne,

que le dommage factuel soit fonde sur ce que nous pourrions appeler une injustice

normative, e'est-a -dire une injustice demontrant un comportement juge

socialement deraisonnable ou, si l'on prefere, inacceptable selon les normes de

comportement imposees par la vie en societe. En droit quebecois, cette notion

d'injustice, en responsabilite extracontractuelle, prend la denomination d'une

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faute civile. Or, « qui dit faute, dit manquement a une obligation preexistante. »124

L'aspect bipolaire du droit prive et de la justice commutative fait qu'au droit du

creancier correspond un devoir du debiteur . C'est d'ailleurs une des

caracteristiques du droit des Obligations. En matiere extracontractuelle, ce devoir

est plus general. II s'agit de la violation d'une regie de comportement que l'on

devrait adopter a l'egard d'autrui. II correspond au devoir general de respecter les >

regies de conduite s'appliquant en societe suivant les circonstances, les usages ou

1

la loi, de maniere a ne pas nuire a autrui . En matiere contractuelle, le

comportement a adopter est en general plus facile a identifier puisqu'il est « • • • • • 197

directement relie aux obligations explicites et implicites du contrat et que les

parties debitrice et creanciere de ces obligations sont generalement clairement

identifiables. Ces explications demontrent que, malgre leur difference apparente

de source et de degre, conceptuellement, il est possible de ramener les deux types

de responsabilite a une unite d'analyse. Dans les deux cas, il s'agit d'une 124 Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilite civile, 6e ed., Cowansville, Yvon

Blais, 2003 au no. 46. Voir au meme effet, Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 741 et Pierre Pratte, « Les dommages punitifs : institution autonome et distincte de la responsabilite civile », (1998) 58 R. du B. 287 aux pp. 301-304;. II faut noter ici, que malgre le terme obligation utilise ici, on fait ici clairement reference a un devoir plutot qu'une obligation au sens ou nous l'entendons, puisque avant la perpetration de la faute, il n'est nullement question d'un lien particulier entre deux personnes mais bien d'un devoir general de comportement a l'egard d'autrui. Pour une excellente distinction entre les devoirs generaux et l'obligation au sens strict, voir Yung, supra note 115 a la p. I l l et s.

125 Georges Del Vecchio, Philosophie du droit, trad. J. Alexis D'aynac, Paris, Dalloz, 1953 a la p. 326; Andrd Gervais, « Quelques reflexions a propos de la distinction des « droits » et des « interets », dans Melanges en I'honneur de Paul Roubier, t. 1, Paris, Dalloz & Sirey, 1961, 241 a la p. 243; Ernest J. Weinrib, «Symposium: Private Law, Punishment, and Disgorgement: Punishment and Disgorgement as Contract Remedies » (2003) 78 Chicago-Kent Law Review, 55 a la p. 60 [Weinrib, « Symposium »].

126 Article 1457 C.c.Q. 127 Baudouin et Deslauriers, supra note 124 au no. 46. Voir aussi Particle 1434 C.c.Q. Par ailleurs,

il faut noter que le developpement jurisprudentiel imposant au cours des dernieres annees des obligations implicites ne rend pas toujours facile le respect de ces dernieres et nous nous retrouvons pratiquement avec un corpus d'obligations implicites, qui se developpe au cas par cas et qui, en ce sens, s'apparente de plus en plus a la notion de faute en responsabilite extracontractuelle.

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violation d'une norme de comportement, soit d'origine conventionnelle ou

legale128. Cette constatation nous permet d'etudier la theorie du professeur

Weinrib a l'egard de la responsabilite civile pronant la recherche d'un equilibre

fonde sur les principes de justice commutative « normative ».

2.4.1.1. La theorie d'Ernest Weinrib sur l'cquilibre normatif129

2.4.1.1.1 La notion de perte normative

Pour le professeur Weinrib, qui s'appuie sur les theories d'Aristote et de Kant, il

y a, lorsqu'une injustice est commise, une situation de desequilibre causant des

pertes et gains normatifs, qui doivent etre distingues des pertes et gains factuels.

Sa conception de l'equilibre est fondee sur la norme de comportement a respecter.

Elle est particulierement interessante puisqu'elle permet de trouver un equilibre

entre les individus d'une societe. En vertu de cette conception theorique, chacun

est tenu d'agir en societe en fonction de normes determinees ou determinables de

comportement. En ce sens, tous sont egaux et nous pourrions aj outer « en

equilibre normatif».

128 Ibid. II est a noter ici que nous ne discutons pas des presomptions de responsabilite qui entrainent la responsabilite de leur auteur meme en l'absence de toute faute proprement dite. En effet, conceptuellement, le principe demeure le meme puisque la faute est presumee par le biais de presomptions legales, par l'accomplissement de certains actes, meme si, sans ces presomptions, ces actes ne seraient pas des faits necessairement intrinsequement generateurs de responsabilit6. Nous nous trouvons done encore dans le cadre d'une norme legale de comportement a adopter.

129 Weinrib, Idea, supra note 5.

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Ce n'est que lorsqu'un individu ne se comporte pas en conformite avec cette

norme de comportement qu'il commet une faute - ou une injustice en langage

aristotelicien - pouvant donner ouverture, le cas echeant, a la restauration de

l'equilibre perdu. II ne faut pas oublier qu'a chaque devoir legal correspond un

droit, meme virtuel, d'autrui d'exiger le respect de cette norme de comportement.

Cet autrui a tres certainement un interet a ce que cette norme de comportement

soit respectee, du moins, a son egard. Ainsi, lorsque le debiteur d'un devoir

comportemental agit de maniere a nuire a autrui au mepris de son devoir social le

plus fondamental, cela cree un desequilibre dans la situation d'equilibre normatif.

Si un prejudice est alors cause, il y a creation d'un lien de droit entre la victime et

l'auteur du prejudice. Le creancier peut user du droit de creance ainsi cree afin de

restaurer l'equilibre, soit en nature ou par equivalent, c'est-a-dire par l'octroi de

dommages130. II s'adresse alors au juge, « gardien de l'equilibre ». Comme

l'exprime Xavier Dijon :

« Tout se passe done comme si les relations normales vecues par

les sujets de droit determinaient l'equilibre de leurs plateaux,

jusqu'au moment ou, la faute pesant dans l'un, le dommage s'eleve

dans P autre selon un mouvement rigoureusement symetrique et

qu'alors sanctionner la faute en obligeant a reparer le dommage

130 Weinrib, « Symposium », supra note 125 a la p. 60; II peut etre interessant a ce stade de noter que des auteurs fran?ais font un parallele entre le droit de creance accorde au creancier pour assurer le respect de ses droits subjectifs et la justice commutative. Pour eux, il existe une situation d'equilibre entre le creancier et le debiteur et cette situation est maintenue en equilibre grace au droit de creance, ce qui a notre avis, confirme l'importance du juge dans le maintien de l'equilibre : Jacques Ghestin et Gilles Goubeaux, avec la collaboration de Muriel Fabre-Magnan, Traite de droit civil: introduction generale, 4e ed., Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1994 au no. 202.

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revient a retablir sous le fleau ajuste de la balance l'equilibre de la

relation meme.

(•••)

En d'autres termes, puisque la relation constitue l'objet central du

droit en general, de la responsabilite en particulier, et puisque, en

regime de justice commutative, une relation humaine ne subit de

dommage que par l'acte de liberte qui la meconnait, la

responsabilite se fonde sur l'ecart que prend la liberte par rapport a

la justesse de ses relations, sur la faute done. »131

On le constate, le desequilibre cree par l'acte fautif du debiteur est un element

essentiel de cette theorie. En langage juridique, on traduit souvent cette

proposition en soulignant que le prejudice est un element de la responsabilite

civile dormant ouverture pour la personne qui le subit a un recours en

responsabilite contre l'auteur du delit. Cependant, la quotite du prejudice ainsi

subi par la victime est une simple question de fait, qui, en plus de ne pas etre

suffisante pour donner ouverture a un recours en reparation en l'absence de

contravention a une norme, ne trouve pas necessairement son corollaire factuel

chez l'auteur du delit. Si par nos actes, nous causons un prejudice factuel de

100.00 $ chez une victime, notre patrimoine ne s'est pas necessairement enrichi

d'une telle somme. Pourtant, selon les principes de justice commutative, nous

devons, afin de retablir l'equilibre perdu, payer cette somme a notre victime.

Comment peut-on alors parler de restauration d'equilibre dans une telle situation ?

Comment se manifeste-t-il et qu'elles en sont les composantes essentielleS ? En

n'observant que les elements de quotite, soit les perte et gain factuels, l'equilibre

131 Dijon, supra note 70 a la p. 365.

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commutatif semble impossible a concevoir. II faut done ajouter une composante

d'analyse afin que cet equilibre apparaisse clairement. Cet element se trouve dans

la condition supplemental qui permet a la victime de se prevaloir de son recours

en reparation, soit la violation d'une norme. En traduction libre, si l'on adopte le

langage du professeur Weinrib, une telle violation normative prend la forme d'une

perte normative pour la victime132.

Pour le professeur Weinrib, les pertes et gains normatifs impliquent une

comparaison entre ce qu'une personne a et ce qu'elle devrait avoir si la norme

avait ete respectee en fonction des regies sociales. Ainsi, selon sa theorie et sa

terminologie (en traduction libre), on peut parler de gain normatif lorsqu'une

personne se trouve, en quelque sorte, a beneficier de la contravention a cette regie

en possedant plus qu'elle ne devrait n'eut ete du respect de la norme. Pour notre

part, nous preferons parler d'empietement normatif puisque le concept de gains

normatifs n'est pas des plus faciles a conceptualiser. Si par mon action je cause

un dommage a autrui, est-ce que je profite vraiment d'un « gain » ? Cependant, il

semble clair que, par la contravention aux droits ou interets d'autrui, j'empiete sur

ceux-ci. En effet, puisque a mon devoir de ne pas nuire a autrui correspond le

droit, meme virtuel, d'autrui a ne pas subir ma nuisance, le non-respect de mon

devoir entraine necessairement un empietement du droit d'autrui, qui subit de ce

fait une perte normative.

132 Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 114 et s. 133 Ibid, aux pp. 115-117.

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Pour le professeur Weinrib, une perte normative134 intervient lorsqu'une personne

possede moins que ce qu'elle serait en droit d'avoir . Si l'on traduit cette

theorie en termes de dommages, on peut affirmer qu'il existe chez une personne

qui profite d'un empietement normatif une raison legale pour diminuer son

patrimoine et qu'il existe inversement une raison legale pour augmenter le

patrimoine d'une personne qui subit une perte normative . C'est la violation

d'une norme qui entraine chez une partie une perte ou un empietement normatif et

ceux-ci se definissent respectivement comme un manque a gagner ou un surplus

par rapport a ce qui serait du en droit137. En responsabilite civile, tant

contractuelle qu'extracontractuelle, si la norme est respectee, l'equilibre est

maintenu en droit et les principes de justice commutative aussi. Mais la

contravention a cette norme produit un empietement normatif chez l'auteur du

delit et une perte normative chez sa victime et, consequemment, une rupture de

l'equilibre. II devient alors essentiel de faire appel.au juge138.

II est interessant de noter que pour le professeur Weinrib, l'aspect bipolaire de la

relation de droit prive fait en sorte que la perte normative de la victime se traduit

• 1 3Q

necessairement en gain (empietement) normatif pour l'auteur du delit . Nous

l'avons deja mentionne, c'est la meme injustice qui lie l'auteur et la victime. En 134 Nous conservons cette fois le terme de perte puisque ici ce concept nous apparait plus concret

et conforme a la realite juridique. 135 Weinrib, Idea, supra note 5 aux pp. 115-117. Voir aussi D'Aquin, supra note 69 II-II, Q. 62,

art. 5, qui observe qu'une perte a lieu lorsqu'une personne possede moins que ce qu'elle devrait.

136 Weinrib, Idea, ibid, a la p. 116. 137 Ibid, aux pp. 115-117 138 Ibid, a la p. 117 et Aristote, supra note 75 au no. 1132 a 19-24. 139 Voir Lionel Smith, « Restitution : The Heart of Corrective Justice », 79 Tex. L. Rev. 2115 a la

p. 2218 et s. [Smith, « Restitution »]

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d'autres termes, c'est la meme norme qui pour un constituait un droit et pour

l'autre un devoir a respecter140. Comme l'exprime le renomme Jean Dabin :

« [L]es actions [en responsabilite] ne sont pas la sanction de

purs devoirs imposes par la regie objective; si devoir il y a, elles

sanctionnent des devoirs subjectifs correlatifs a des droits eux-

memes subjectifs. En d'autres termes, le devoir viole, la regie

violee consistaient dans le devoir, dans la regie du respect d'un

certain droit d'autrui; il n'y avait des devoirs que parce qu'il

existait des droits; et, precisement, les actions furent donnees

aux titulaires de ces droits comme sanction d'une violation

eventuelle de ceux-ci. »141

La correlation entre la perte et l'empietement normatifs, telle que decrite par

Ernest Weinrib, nous semble logique justement parce que cette meme correlation

n'apparait pas dans les gains et pertes factuels subis par ces memes parties. En

l'absence d'une equivalence entre les gains de l'auteur de l'injustice et les pertes

subies par la victime, il fallait trouver une autre base d'analyse des principes de

justice commutative expliquant 1'intelligibility de la relation des parties et les

consequences qui en decoulent.

Le professeur Weinrib appuie sa theorie sur 1'element dont la nature n'est pas

affectee par Tangle d'analyse, soit la faute. C'est la meme faute commise par

140 Voir au meme effet, Hans Kelsen, « La theorie juridique de la convention », [1940] Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, 33 a la p. 34; Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 734 et s.

141 Jean Dabin, Droit subjectif et prerogatives juridiques, examen des theses de M. Paul Roubier, Bruxelles, Palais des Academies, 1960 a la p. 16 [Dabin, Examen] [Les italiques apparaissent au texte original].

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l'auteur qui cree un prejudice chez la victime. On peut done voir une correlation

entre la perte normative subie par un et 1'empietement normatif chez 1'autre. Les

deux elements seront necessairement egaux puisqu'ils sont causes par la meme

injustice. Cette correlation est par ailleurs coherente en responsabilite civile

puisqu'elle est strictement basee sur la relation privilegiee des parties en

expliquant la formation du lien de creance entre l'auteur du dommage et la

victime. Le tout dans le respect des principes de justice commutative. Comme le

mentionne le professeur Crepeau :

« Enfin, aux droits des uns, dont l'exercice est, lui-meme, assujetti

aux exigences de la bonne foi, correspondent les devoirs correlatifs

des autres, qui sont tenus de respecter les droits d'autrui, d'en

supporter l'exercice legitime et, en tous cas, de s'abstenir de toute

entrave injustifiee a l'exercice des droits de leurs semblables. » 142

La rupture de l'equilibre des principes de justice commutative dans une relation

privee ne doit done pas s'analyser a partir des gains et pertes factuels de chacune

des parties mais bien de leur perte et empietement normatifs143. En effet, un

empietement normatif chez l'auteur d'une injustice (pour lequel, rappelons-le, il

existe en consequence une justification legale pour diminuer son patrimoine), se

traduit rarement dans les faits par un gain factuel. Ainsi, si nous assenons un coup

de poing a une autre personne, il en resulte un empietement normatif de notre

cote, puisque nous avons agi aux detriments des droits et interets legitimes

142 Crepeau, « Fonction », supra note 27 aux pp. 734 et 735. 143 Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 117.

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d'autrui. II existe possiblement maintenant une raison legale pour diminuer notre

patrimoine d'un montant representant les dommages subis par notre victime, mais

nous ne beneficions par ailleurs d'aucun gain factuel puisque notre patrimoine ne

s'est, dans les faits, nullement enrichi par cet acte. On ne peut done pas analyser la

rupture des principes de justice commutative par un calcul mathematique base sur

les avoirs de chacun avant et apres l'acte d'injustice.

La rupture se fait par le desequilibre normatif creant une « injustice » au sens des

principes de justice commutative. En d'autres termes, l'analyse consiste a verifier

si l'acte a l'origine de l'injustice constitue une justification legale permettant au

juge de diminuer ou augmenter le patrimoine des parties. Ainsi, le recours en

reparation d'une victime d'une injustice sera accorde, non pas en fonction d'un

gain factuel correlatif chez l'auteur mais bien parce qu'elle a injustement subi

cette perte et est consequemment victime d'une perte normative144. C'est cette

perte normative qu'il faut sanctionner afin de retablir l'equilibre. En

responsabilite civile, ce retablissement s'effectue le plus souvent par equivalent,

c'est-a-dire par l'octroi de dommages-interets.

Si l'on cherche a traduire la theorie du professeur Weinrib par les termes utilises

dans cette these, nous comprenons que Tespace d'equilibre normatif correspond a

la regie de la coexistence paisible des droits et interets. Les principes de justice

commutative viseraient done a favoriser cette saine coexistence paisible des droits

144 Ibid, aux pp. 119-120.

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et interets et done devraient etre confus par leur dimension d'egalite normative

plutot que purement arithmetique.

Certains pourraient nous reprocher de transposer si aisement de la common law au

droit civil, la theorie du professeur Weinrib, notamment en definissant l'equilibre

normatif par la coexistence paisible des droits et interets. La common law ne

reconnait pas la notion de droit subjectif145, en tout cas, en son sens de prerogative

individuelle sur autrui ou un bien. En common law, les liens avec autrui se

traduisent essentiellement en une serie de devoirs, qui donneront ouverture, en cas

de violation, a des actions specifiques146. II faut que les faits puissent cadrer dans

ces causes d'actions definies pour pouvoir faire l'objet de sanctions147. D'ailleurs

meme le regime des «torts of negligence», qui se veut un peu plus general que les

1 4 o

autres delits , est base sur cette idee d'actions specifiques en presence de

certaines situations factuelles149. Ces actions viennent proteger des «interets

legaux », qui n'ont pas la meme connotation qu'en droit civil150. Puisque la

notion de droit subjectif n'existe pas et que le systeme s'est essentiellement

developpe de maniere empirique, il apparait normal que «les torts» ne se

145 Voir Geoffrey Samuel, « Le droit subjectif and English Law » (1987) 46 Cambridge L. J. 264 [Samuel, « Droit subjectif »].

146 Voir generalement sur cette question, Geoffrey Samuel, Understanding Contractual and Tortious Obligations, Exeter, Law Matters, 2005 [Samuel, Obligations]. Voir aussi les commentaires de la Cour supreme a cet effet dans Prud'homme c. Prud'homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663 notamment au para. 55 [Prud'homme],

147 Ibid, au no. 6.1 et s. 148 Voir generalement sur les criteres d'application du « delit de negligence » : Louise Belanger-

Hardy et Aline Grenon, Elements de common law et apergu comparatif du droit civil quebecois, Scaborough, Carswell, 1997 a la p. 187 et s.

149 Voir par exemple l'arret Dobson (tuteur a I'instance de) c. Dobson, [1999] 2 R.C.S. 753, oil la Cour supreme se questionne sur l'existence en common law d'un devoir de « diligence raisonnable » d'une mere a 1'egard du foetus qu'elle porte [Dobson],

150 Samuel, « Droit subjectif », supra note 145 a la p. 274 et s.

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traduisent pas par la violation d'une norme generate de ne pas nuire indument a

autrui mais bien par une serie specifique de devoirs a respecter a l'egard de

diverses personnes151. Et c'est la violation d'un de ces devoirs qui provoque un

desequilibre normatif selon la theorie du professeur Weinrib. Ainsi, par exemple,

meme si la propriete immobiliere en common law ne cree pas un lien conceptuel

de droit subjectif comme en droit civil, il cree tout de meme, pour autrui, un

1

devoir de ne pas commettre un «trespass » , ou si l'on prefere une intrusion

illegale sur la propriete.

La theorie du professeur Weinrib peut etre adaptee au droit civil puisque la notion

de devoir, bien que con^ue differemment, se retrouve en droit civil . Le principe

de la coexistence paisible des droits et des interets en droit civil cree en quelque

sorte une regie generate de ne pas nuire indument a autrui et c'est la violation de

ce devoir qui provoquera le desequilibre normatif en droit civil. En d'autres

termes, c'est le concept de devoir preexistant qui donne ouverture au desequilibre

normatif, meme si la fa?on de conceptualiser ce devoir peut varier d'un regime a

l'autre. La faute n'est ainsi pas aussi caracterisee qu'en common law mais puisque

le pendant d'un droit subjectif est l'obligation pour autrui de le respecter154, il en

resulte que les liens entre deux personnes sont aussi fondes sur une notion de

devoir a respecter. Ce defaut cree en droit civil un lien legal d'obligations fonde

sur la responsabilite civile. Les droits et les devoirs, sont en droit civil, les

151 Ibid, et Samuel, Obligations, supra note 147 au no. 6.1.2; Bdlanger-Hardy et Grenon, supra note 148 notamment a la p. 167.

152 Samuel, Obligations, ibid, au no. 1.2.6. 153 Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 734 et s.; Yung, supra note 115. 154 Voir a cet effet la section portant sur les droits subjectifs.

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facettes d'une meme medaille. Ainsi, le creancier d'une obligation jouit d'un droit

subjectif qui resulte en un devoir pour le debiteur de le respecter. Articule ainsi

autour du devoir social de respect des droits et interets legitimes d'autrui, le droit

civil permet, contrairement a la common law, une theorie de la responsabilite

civile basee sur la notion generale de faute.

2.4.1.1.2 La justice commutative et la violation d'un droit: quelles sont les sanctions appropriees ?

En transposant la theorie du professeur Weinrib en droit civil, l'equilibre normatif

se presente comme Tetat d'equilibre qui assure la coexistence des droits et des

interets en conformite avec les principes de justice commutative. Bien qu'elle ne

soit pas expressement mentionnee en appui, la theorie de l'equilibre normatif

permet de mieux saisir un courant de doctrine s'exprimant sur le lien entre la

violation d'un droit, et specialement un droit qualifie de fondamental, et la

responsabilite civile155. Ainsi, pour cette doctrine, l'atteinte a un droit est

necessairement illicite et comporte un dommage inherent, du moins en ce qui

concerne les droits fondamentaux que l'on retrouve expressement mentionnes a la

Charte des droits et libertes de la personne156. Ce dommage, dont la quotite

demeurerait a etre fixee, devra etre repare en soi, en l'absence d'autres sanctions

specifiques prevues par la loi, sinon, on pourra considerer que la violation d'un

droit peut, a l'occasion, ne pas faire l'objet d'une sanction judiciaire. Or, qui dit

155 Voir notamment Adrian Popovici, « Mariage », supra note 122. 156 Ibid. a l a p . 6 8 e t s .

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• • • « 1 C-J

absence de sanction judiciaire, dit absence de droit . C'est pour cette raison que

le professeur Popovici propose la demarche suivante pour tenir compte des droits

individuels garantis en responsabilite civile :

« (1) y a-t-il eu atteinte a l'objet du droit, l'interet principal protege

par ce droit, tel qu'il est fa?onne par notre ordre juridique; (2) Si

oui, cette atteinte est-elle illicite ? (3) Si oui, il y a done atteinte au

droit fondamental et elle doit etre sanctionnee, reparee, ainsi que les • 1 consequences immediates et directes qui en decoulent. »

En utilisant le langage de la theorie du professeur Weinrib, on pourrait traduire

cette demarche en se questionnant sur la rupture de l'equilibre normatif, suite a la

violation d'un droit, provoquant ainsi une perte normative meritant reparation

factuelle. Mais un tel raisonnement, ou la violation du droit est en soi

sanctionnee, implique que l'on distingue le «dommage-condition» du

« dommage-resultat »159. Le premier, resultant de la violation du droit, a l'effet

d'une faute et, consequemment, une fois prouve, ouvre la porte aux sanctions

judiciaires. II s'agit en quelque sorte de la perte normative de la theorie de

Weinrib. Ce dommage doit etre repare en soi et la victime a le droit de prendre

les dispositions necessaires pour faire cesser cette violation normative. Le

dommage-resultat quant a lui correspond au prejudice subjectif subi par la

victime. II resulte de la preuve de quotite du prejudice immediat et direct cause

157 Ibid, a la p. 72. 158 Ibid, a la p. 94, n. 92. 159 Voir pour une definition de cette terminologie : ibid, a la p. 84, n. 85.

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par la violation. II correspond done a la perte factuelle de la theorie de Weinrib et

sera repare par 1'octroi de dommages-interets.

Que la violation d'un droit fondamental puisse constituer une faute civile n'est pas

choquant en soi. Deja la Cour supreme du Canada l'a enonce a plusieurs

reprises160. Une telle faute caracterisee est par ailleurs entierement conforme aux

principes de justice commutative que nous venons de developper. Ceci dit,

l'application d'un tel principe, pose en pratique certains problemes de coherence,

non pas quant a la definition de la faute source de desequilibre normatif, mais bien

dans 1'octroi des dommages en resultant. Le probleme avec ce raisonnement est

la liberte que se conferent les tribunaux en cas de violation d'un droit

fondamental. La perpetration d'une faute civile, meme caracterisee par la

violation d'un droit fondamental, ne donne ouverture a la responsabilite de son

auteur que si les elements de dommages directs et de lien de causalite sont aussi

presents. On ne peut decider, sous pretexte que les faits demontrent la violation

d'un droit fondamental, d'outrepasser ces elements constitutifs de responsabilite

et condamner la partie coupable a debourser une certaine somme a la victime sans

que cette derniere fasse la preuve des dommages subis et du lien direct entre la

violation de ses droits et les dommages, meme moraux161.

160 Voir notamment les decisions Aubry c. Editions Vice-Versa inc., [1998] 1 R.C.S. 591 a la p. 615 [Aubry]\ Beliveau St-Jacques c. Federation des employees et employes de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345 a la p. 405 [Beliveau]; Voir cependant les commentaires de P.-A. Crepeau a ce sujet, qui juge que le Cour supreme conclut trop rapidement & la responsabilite civile de l'auteur de l'atteinte au droit, sans meme se demander si cette atteinte est fautive (art. 1457 C.c.Q.) ou illicite (art. 49 de la Charte des droits et libertes de la personne): Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 744 et s.

161 Aubry, ibid, a la p. 620; Beliveau, ibid, aux pp. 405-406; Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834 [Romain].

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Pourtant, plusieurs juges n'hesitent pas a le faire en oetroyant, par exemple, une

somme pour le paiement des honoraires extrajudiciaires en cas de violation d'un

droit fondamental162. Or, un tel raisonnement nous apparait arbitraire parce qu'il

n'est pas conforme aux principes fondamentaux de justice commutative regissant

la responsabilite civile163. Traditionnellement, de tels honoraires ne sont

consideres comme des dommages directs que s'ils resultent de la faute

caracterisee d'abus de procedure, faute totalement independante d'une faute

principale fondee sur la violation d'un droit fondamental164. C'est pourquoi en

oetroyant de tels frais extrajudiciaires a titre de dommages, on denature les

principes de justice commutative qui prevoient que les dommages accordes n'ont

pas un caractere punitif mais bien indemnitaire. Lorsque l'on accorde une

indemnite sans preuve de dommages ou sans que ceux-ci puissent etre qualifies de

directs, sur la seule base de la nature de la faute commise, on transforme le

caractere indemnitaire en un caractere punitif. Or, ce type de sanction est en

principe etranger au droit commun de la responsabilite civile quebecoise165.

162 Voir par exemple, Belisle-Heurtel c. Tardif, [2000] R.J.Q. 2391 (C.S.) [.Belisle-Heurtel]. 163 Voir d'ailleurs l'arret Societe Radio-Canada c. Gilles E. Neron Communication Marketing inc.,

[2002] R.J.Q. 2639 (C.A.) (confirme en C.S.C., le 29 juillet 2004, 2004 CSC 53) [Neron, avec reference a la Cour d'appel], ou la Cour d'appel rejette la reclamation pour honoraires extrajudiciaires malgre l'atteinte a la reputation. On peut aussi noter le commentaire du juge Gonthier dans Beliveau, supra note 160 a la p. 406, a l'effet que « la Charte [quebecoise] ne saurait autoriser double compensation, ni fonder des dommages distincts de ceux qui auraient pu etre obtenus en vertu du droit commun. La violation d'un droit garanti n'a pas pour effet de modifier les principes generaux de compensation ( . . . )»

164 Voir notamment les arrets Aubry, supra note 160; Chiasson, supra note 77; Societe Radio-Canada c. Guitouni, [2002] R.J.Q. 2691 (C.A.) [Guitouni]; Viel c. Entreprises immobilizes du terroir Itee, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.) [Viel]; voir aussi notre section portant sur Tabus de procedures a la p. 150 et s.

165 Voir Gardner, supra note 78 notamment aux pp. 201 et 206.

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Pour souligner que la punition ne devrait pas etre un but poursuivi par le juge dans

l'octroi de dommages, on peut mentionner que meme Particle 1621 C.c.Q. qui

prevoit la possibility d'octroyer des dommages punitifs leur confere litteralement

une mission preventive plutot que punitive166. Aussi, de tels dommages ne

peuvent etre octroyes que sur mention legislative expresse, ce qui demontre leur

caractere d'exception quant aux principes generaux guidant le droit de la

responsabilite civile. Ainsi, en accordant des dommages dans un but punitif, on

s'ecarte des principes traditionnels de la responsabilite civile qui ont pour but de

compenser, et peut-etre ainsi, subsidiairement, de prevenir la commission de la

i cn

faute mais certainement pas de punir, fonction relevant traditionnellement du

droit penal168. II faut une intervention expresse du legislateur pour ecarter, en

toute connaissance de cause, les principes compensatoires de justice commutative,

comme c'est le cas au Quebec, en matiere d'accidents de travail et d'automobiles

ou d'octroi de dommages-interets punitifs.

II nous apparait done essentiel que la theorie du professeur Popovici ne puisse

permettre d'assimiler des dommages de nature punitive aux principes de justice

166 L'alinea 1 de l'article 1621 C.c.Q. se lit comme suit: « Lorsque la loi prevoit l'attribution de dommages-interets punitifs, ceux-ci ne peuvent exceder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction preventive. » [Nos italiques]. Comme le souligne la professeure Roy, il est par ailleurs dommage que le legislateur ait reconnu cette fonction dans un contexte ou il utilise la terminologie de dommages-interets punitifs plutot qu'exemplaires: Pauline Roy, « Differentes manifestations de la notion de peine privee en droit quebecois » (2004) 38 R.J.T. 263 a la p. 270 [Roy, « Manifestations »] et Pauline Roy, Les dommages exemplaires en droit quebecois : instrument de revalorisation de la responsabilite civile, these de doctorat en droit, Universite de Montreal, 1995, a la p. 248 et s. [Roy, Dommages exemplaires]. Voir aussi: Pratte, supra note 124 a la p. 471 et s.;

167 Roy, Dommages exemplaires, ibid, a la p. 199 et s. 168 Voir d'ailleurs les commentaires sur l'article 49 al. 2 qui permet d'accorder des dommages

exemplaires dans Beliveau, supra note 160. Voir aussi Romain, supra note 161 notamment les commentaires du juge Taschereau a la p. 841.

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commutative. Suite a une analyse de la jurisprudence, le professeur Popovici

etablit que les juges distinguent souvent le dommage d'avec sa quotite precise et

qu'ils proposent consequemment de reparer la violation d'un droit fondamental,

tels les droits a la liberte ou a 1'image, par l'octroi de dommages-interets punitifs.

Or, si cela est permis par le legislateur a Particle 49 de la Charte des droits et

libertes de la personne, en cas de violation intentionnelle et illicite, une telle

exception aux principes de justice commutative doit etre interpretee comme telle

et non pas comme une modification des regies fondamentales de la responsabilite

civile169. Cela implique notamment une analyse judicieuse des faits afin que de

s'assurer que l'on interprete cet article de maniere restrictive et que la sanction

preventive visant la dissuasion qu'engendre l'octroi de dommages-interets punitifs

ne soit effectivement accordee qu'en cas de veritable atteinte illicite et

intentionnelle170 et en gardant en tete cette fonction de dissuasion171.

Bien qu'il n'aborde pas en detail sa conception de la sanction de reparation, il est

interessant de noter que, dans l'elaboration de sa theorie sur l'abus de droit, le

professeur Louis Josserand parvient a un raisonnement semblable lorsqu'il

169 Voir Louis Perret, « Le droit de la victime a des dommages punitifs en droit civil qudbecois : sens et contresens », (2003) 33 R.G.D. 233 a la p. 256 ou l'auteur est d'avis qu'en tenant compte de la portee de la Charte des droits et libertes de la personne au Quebec, il faut conclure que 1'introduction qui y est faite du droit a des dommages-interets punitifs transforme le regime de la responsabilite civile du Quebec en un systeme mixte d'indemnisation et de punition. Or, a notre avis, c'est oublier la prescription de Particle 1621 C.c.Q. sur la fonction preventive des dommages-interets « punitifs » et le fait que l'art. 49 n'autorise l'octroi de dommages-interets punitifs qu'en cas de manquement illicite et intentionnel.

170 Voir les criteres d'application de Particle 49 (2) de la Charte des droits et libertes de la personne dans ce qui est considere comme la trilogie en cette matiere: Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268 [Gosset]\ Beliveau, supra note 160; Curateur public du Quebec c. Syndicat national des employes de I'hopital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211 [St-Ferdinand].

171 Article 1621 C.c.Q.; Roy, « Manifestations », supra note 166 a la p. 286 et Dommages exemplaires, supra note 166 a la p. 501 et s.

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effectue la distinction entre ce qu'il appelle le defaut de droit et le detournement

d'un droit172. Si le detournement d'un droit exige des dommages quantifiables, le

defaut de droit constitue un acte accompli sans droit, au mepris d'un droit

d'autrui, par exemple une personne qui utiliserait le bien d'autrui sans sa

permission. Un tel acte pourrait etre sanctionne meme en l'absence d'un

prejudice evaluable au plan monetaire. En effet, le proprietaire du bien pourrait

s'adresser aux autorites publiques pour faire cesser l'usurpation de son droit et

cela meme en l'absence de dommages a quotite effectivement determinee.

L'equilibre normatif ay ant ete rompu, il pourrait tres certainement y avoir

• 173

ordonnance d'execution en nature pour faire cesser ce trouble inacceptable . Un

tel exemple constitue encore une fois une demonstration de 1'importance de

concevoir l'equilibre de la justice commutative en fonction de la norme plutot

qu'en fonction d'une egalite mathematique de la valeur monetaire des prestations.

Ces constatations nous permettent aussi de questionner le raisonnement de la Cour

d'appel dans l'arret Uni-Select Inc. c. Acktion Corp.114. II s'agit d'une decision

relative a l'inexecution d'une clause de non-concurrence, interdisant 1'exploitation

d'une entreprise de distribution de meme nature que celle de

l'appelante/demanderesse. Or, l'intimee a achete les actions d'une compagnie

exerQant les activites interdites, alors que la demanderesse convoitait les memes

actions. Cette derniere se plaint done des dommages subis par elle suite au non-

respect de la clause de non-concurrence. Les faits de cette affaire sont done assez

172 Josserand, supra note 123 a la p. 334 et s. 173 Voir notamment les articles 929 et 953 C.c.Q. 174 [2002] R.J.Q. 3005 (C.A.) [Uni-Select]

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classiques. La particularity de cette decision reside plutot dans le calcul des

dommages. Ainsi, bien qu'il ait reconnu un manquement a l'obligation

contractuelle, le juge de premiere instance a rejete Taction de la demanderesse

parce qu'a son avis celle-ci a fait defaut de prouver ses dommages. En effet, cette

derniere reclamait non pas une indemnite pour perte de profits ou perte de chance

mais bien le gain dont elle pretendait avoir ete privee en ne pouvant se procurer

les actions convoitees. Or, pour le juge de premiere instance, ce gain etait plus

que speculatif puisqu'il s'appuyait sur une synergie prevue par la demanderesse

en achetant les actions convoitees, alors que rien ne prouvait qu'elle aurait

effectivement mis la main sur lesdites actions.

La Cour d'appel rejette ce raisonnement et appuie plutot le calcul de la perte de la

demanderesse (ici appelante) sur la valeur du gain ou de l'avantage qu'a tire la

defenderesse (ici intimee) de la violation de son obligation. La methode

devaluation ainsi preconisee par la Cour d'appel en est une qui permette « de

fixer la perte du creancier a la valeur correspondante du gain fait par le debiteur

qui n'a pas execute son obligation »175. II s'agit done d'une reddition de compte

plutot que d'une indemnisation au sens strict. Dans son raisonnement, la Cour

s'appuie sur la common law, qui permet une telle demarche par le mecanisme de r

la « restitution ». Elle ajoute que le droit civil ne pouvant, a l'instar de la common

175 Uni-Select au para. 38. Voir d'ailleurs un raisonnement semblable dans un arret de la Cour supreme : Banque de Montreal c. Kuet Leong Ng, infra note 654, ou la Cour a condamne un employe de la Banque a remettre les profits accumules suite a un manquement a son obligation de loyaute et cela meme s'il etait par ailleurs admis que cette derniere n'avait subi aucun dommage. Cette decision fait d'ailleurs dire aux professeurs Lluelles et Moore que la bonne foi, a laquelle on rattache l'obligation de loyaute, permet un recours distinct du classique octroi de dommages-interets, soit la reddition de compte : Lluelles et Moore, supra note 20 aux nos. 2035-2039.

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law, se resoudre a permettre a un coeontractant de s'enrichir par une

contravention au contrat, une telle influence est permise. A notre avis, et avec

deference, un tel raisonnement introduit au contraire des principes qui ne

respectent pas 1'intelligibility de la responsabilite civile en droit civil quebecois.

La common Icrw reconnait a sa responsabilite civile (tort law) une fonction de

punition et de dissuasion basee sur l'exemplarite176. C'est ainsi qu'une partie

coupable d'une conduite demontrant une grande negligence, une intention de

nuire ou de la mauvaise foi pourra etre condamnee a payer a sa victime des

1 77 dommages punitifs . Ces dommages servent a marquer la reprobation publique

1 7ft

des gestes commis . Les recours en « restitution » sont aussi bases sur cette

meme idee que l'auteur du geste reprehensible ne peut tirer profit de ses actes et

cela meme si la victime n'a subi aucun dommage179. Ils visent done a retirer a

l'auteur les profits generes par ces gestes reprehensibles pour les remettre a la » • • 1 ftO

victime, parfois meme en plus des dommages compensatoires . II s'agit done

clairement d'une punition que l'on veut infliger a l'auteur des gestes

reprehensibles.

176 Allen M. Linden et Bruce Feldthusen, Canadian Tort Law, 8e ed., Markham, LexisNexis Butterworths, 2006 aux pp. 6-7; Belanger-Hardy et Grenon, supra note 148 aux pp. 169-170.

177 Voir notamment l'arret Whiten c. Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595 [Whiten]\ Baudouin et Deslauriers, supra note 124 au no. 334.

178 Voir les criteres d'octroi dans Whiten. 179 Jeff Berryman, « The Case for Restitutionary Damages Over Punitive Damages: Teaching the

Wrongdoer That Tort Does Not Pay » (1994) 73 R. du B. can. 320. 180 S. M. Waddams, The Law of Damages, 4e ed., Toronto, Canadian Law Book, 2004 notamment

aux nos. 5.780-5.790.

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D'autres recours existent aussi en common law ou la victime n'a pas a prouver

qu'elle a subi un dommage181. Si de tels recours peuvent etre coherents en

common law, ils le sont beaucoup moins en droit civil. Nous l'avons dit, le

concept de punition est etranger a F intelligibility de la responsabilite civile en

droit civil quebecois qui a uniquement une fonction officielle de reparation182. A

ce titre, le critere d'octroi des dommages est l'indemnisation du prejudice subi ou

du gain manque183. II n'est pas question de sanctionner en fonction d'un critere

1 84

base sur la gravite de l'acte, aussi vil soit-il . Fidele aux principes de la justice

commutative, la responsabilite civile quebecoise ne sanctionne pas en fonction de

la nature de l'acte mais en fonction du prejudice subi.

II est d'ailleurs interessant de souligner meme dans l'octroi de dommages-interets

punitifs en vertu de la Charte des droits et libertes de la personne, la Cour

supreme prone une interpretation de la notion «d'atteinte intentionnelle et

illicite » contenue a 1'article 49(2) en fonction du « resultat» de ce comportement

illicite ou si l'on prefere en fonction des consequences entrainees. II faut verifier

si l'auteur a « voulu les consequences »185 de ses actes plutot qu'examiner cette

question sous 1'angle de la faute lourde. Or, en soi, cette analyse differe de celle

181 Belanger-Hardy et Grenon, supra note 148 notamment a la p. 173 ou les auteures mentionnent les delits d'acte de violence, de voies de fait ou de sequestration ou la victime n'a pas a prouver qu'elle a subi un dommage si elle prouve les elements constitutifs de ces delits.

182 Romain, supra note 161; Baudouin et Deslauriers, supra note 124 au no. 334 . 183 Voir l'article 1611 C.c.Q.; Baudouin et Deslauriers, ibid, au no. 331. 184 Baudouin et Deslauriers, ibid. 185 St-Ferdinand, supra note 170 a la p. 260.

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de l'octroi de .dommages punitifs de common law ou c'est plutot le caractere

1 fiA outrageant de l'acte qui est examine .

Par principe, la fonction de punition d'un acte malveillant en droit quebecois est

1'apanage du droit penal. Cela explique que meme l'octroi en droit civil

quebecois de dommages-interets punitifs soit considere comme ayant une fonction

1 87

de dissuasion plutot que de punition . Et par ailleurs, meme si nous admettions

que l'autorisation prevue a l'article 49(2) de la Charte des droits et libertes de la

personne a modifie les fonctions de la responsabilite civile pour inclure de

maniere accessoire la fonction de punition, encore aurait-il fallu proceder par une

analyse des circonstances permettant l'octroi de dommages punitifs a cause d'une

« atteinte illicite et intentionnelle ». Meme ceux qui reconnaissent une fonction 1

de punition a la responsabilite civile reconnaissent que cette fonction passe par

les dommages-interets punitifs et necessite 1'etude des criteres prevus par la loi.

En dehors de telles circonstances, c'est le prejudice subi par la victime de la faute

qui constitue l'instrument devaluation aux fins de la condamnation en

responsabilite civile, le but etant 1'indemnisation de cette victime. Ainsi, l'arret -

Uni-Select nous apparait incoherent puisqu'il a clairement pour but de sanctionner

l'auteur de la contravention contractuelle plutot que d'indemniser la victime de

186 Voir Hill c. Eglise de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130 [Hill ] ; Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085 [ Vorvis]; Whiten, supra note 177. Voir aussi au sujet de cette distinction d'analyse : Stephane Beaulac, « Les dommages-interets punitifs depuis 1'affaire Whiten et les lemons a en tirer pour le droit civil quebecois » (2002) 36 R.J.T. 637 aux pp. 685-686.

187 Article 1621 C.c.Q.; Pratte, supra note 124 a la p. 471 et s.; Roy, « Manifestations », supra note 166 notamment aux pp. 270, 273 et 286 et Dommages exemplaires, supra note 166 a la p. 199 et s.

188 Voir Perret, supra note 169.

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celle-ci et il le fait en procedant par le moyen detourne de la reddition de comptes

(« restitution ») plutot que par 1'application des criteres d'octroi de dommages-

interets punitifs.

II est d'ailleurs interessant de noter que meme des lois qui prevoient des

mecanismes semblables de reddition de compte, mentionnent que ceux-ci sont

1 SQ

accordes en sus des dommages-interets . Les sommes revues par la victime se

fonde sur le profit realise par l'auteur de l'infraction et peuvent ainsi exceder le

montant des dommages reellement subis par la victime. Cela fait dire a la

professeure Roy qu'un tel mecanisme de reddition de compte releve de la punition

plutot que de l'indemnisation190. Le professeur Gardner, quant a lui, rappelle que

ce mecanisme se distingue des dommages compensatoires et est exorbitant du

droit commun191. Nous comprenons mal comment la Cour d'appel a pu juger

qu'un tel mecanisme etait plutot du ressort de la compensation et faisait partie

integrante du droit de la responsabilite civile quebecois. Pour se faire, il a fallu, a

notre avis, qu'elle analyse les principes de justice commutative en fonction d'une

egalite mathematique ou le prejudice factuel du demandeur a necessairement pour

corollaire un gain factuel equivalent pour le defendeur.

Par son jugement, la Cour d'appel semble considerer que la correlation qui existe

entre l'empietement et la perte normative est identique a la correlation entre les

189 Voir par exemple l'article 35 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, e. c-42. 190 Roy, « Manifestations », supra note 166 a la p. 291 et Dommages exemplaires, supra note 166

a la p. 294 et s. 191 Gardner, supra note 78 aux pp. 212-213.

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gains et pertes factuels. Nos critiques de ce jugement nous permettent de conclure

a la faiblesse de la definition de la justice commutative exprimee par une

equivalence arithmetique des prestations. Nous le repetons, en assimilant les

dommages subis par la victime aux gains de l'auteur, sans preuve a cet effet, on

importe un aspect comminatoire dans la responsabilite civile. On punit l'auteur de

la contravention afin de s'assurer qu'il ne puisse tirer profit de celle-ci et cela

independamment des dommages subis par la victime. Pourtant, nous l'avons deja

dit, cette fonction est etrangere aux principes de justice commutative qui

n'indemnise pas en fonction de la nature ou de la gravite de la faute mais bien en

fonction de la quotite des dommages subis par cette faute. La quotite des

109

dommages n'a pas de lien de correlation avec la gravite de la faute . Le resultat

obtenu par la Cour d'appel dans son application d'une commutativite a caractere

factuel confirme bien 1'importance de concevoir les principes de justice

commutative en fonction de l'equilibre social decoulant de la regie generale de ne

pas nuire indument a autrui. Ce n'est qu'en ce domaine que les pertes seront

necessairement egales aux empietements.

Concernant la relation entre les gains/pertes factuels et empietement/perte

normatives, on peut par ailleurs noter qu'un auteur de Common Law critique la

theorie de Weinrib en mentionnant que rien ne permet de dire que la

192 Sauf peut-etre le cas specifique du partage de responsabilite. Mais meme dans ce cas, les responsables sont solidairement responsables envers la victime et le partage n'est effectif que pour determiner la partie « conjointe » de leur obligation, ou si l'on prefere, le partage entre eux.

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1 cn

compensation de la perte factuelle compense de meme la perte normative .

Avec deference, dans ce cas, cette critique nous semble mal fondee ou du moins

peu pertinente en droit civil. Que fait-on lorsqu'on octroie des dommages-interets

compensatoires ? On repare ou execute par equivalent194. Comme le prevoit

notre droit, et notamment toute la section du Code civil du Quebec relative a la

mise en oeuvre du droit a 1'execution de l'obligation195, le creancier peut

demander l'execution en nature ou par equivalent. Bien sur, on peut toujours

discuter du fait que le juge possede une certaine discretion quant au montant des

dommages, mais cela ne change rien au principe prevu au Code civil. L'octroi de

dommages est une execution ou reparation par equivalent. En d'autres termes,

lorsque l'on indemnise, on compense la perte normative et cela meme s'il faut en

cela s'appuyer sur la fiction juridique de l'execution par equivalent. Par contre, il

est vrai que pour qu'une telle execution par equivalent puisse exister, il faudra que

la victime ait effectivement subi une perte factuelle, c'est-a-dire un prejudice

pecuniaire de nature materielle, physique ou morale196.

En conclusion de cette section, retenons done que pour que les principes de justice

commutative puissent trouver une application coherente, il faut analyser ceux-ci

en fonction de la contravention a la norme sociale plutot que par une equivalence

arithmetique des prestations. On conclut done que la responsabilite civile

s'exprime par une commutativite normative et objective.

193 Curtis Bridgeman, « Corrective Justice in Contract Law : Is There a Case for Punitive Damages ? », (2003) 56 Vand. L. Rev. 237 aux pp. 247-248.

194 Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 170. 195 Articles 1590 et suiv. 196 Article 1607 C.c.Q.

81

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2.4.1.2. Conclusion sur la justice commutative en responsabilite civile

En conclusion de cette partie, il apparait clair que la recherche d'un equilibre,

fonde sur la justice commutative, est fondamentale a la theorie de la responsabilite

civile, tant contractuelle qu'extracontractuelle. A cet egard, nous apprecions

particulierement la theorie de l'equilibre de la relation de responsabilite civile

proposee par le professeur Weinrib et basee sur les empietements et les pertes

normatifs. En vertu de cette theorie il existe une situation d'equilibre, dit

normatif, ou chacun a le devoir general de ne pas nuire a autrui. Nous avons vu

qu'en droit civil, la responsabilite civile tant extracontractuelle que contractuelle

s'appuyait aussi sur ce precepte mais vise dans ce cas la protection de droits et

d'interets legitimes pouvant etre opposes a son cocontractant ou a la communaute.

Nous pouvons, par exemple, exiger que chacun respecte notre integrite physique,

notre droit de propriete ou meme une clause de non-concurrence conclue avec un

partenaire commercial197. La societe voit en quelque sorte a l'exercice equilibre et

au respect de ces droits et interets individuels proteges. Lorsqu'un individu

contrevient a un de ces droits ou interets, il devient redevable envers 1'individu

lese par sa faute, en vertu du lien de droit ainsi cree. La contravention fautive

197 Voir par exemple l'arret Dostie c.Sabourin, [2000] R.J.Q. 1026 (C.A.) [Dostie] ou des tiers ont ete condamnes pour s'etre fait complices d'une violation d'une clause de non-concurrence dont ils connaissaient l'existence mais par laquelle ils n'etaient pas personnellement lies. Au meme effet, concernant une clause d'exclusivite de distribution, voir l'arret Trudel c. Clairol, [1975] 2 R.C.S. 236 [Clair ol\.

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donne droit a la reparation si elle cause des dommages. Cette reparation s'evalue

en examinant la nature du prejudice cause a l'interet lese.

Le droit des obligations comporte aussi une facette plus positive et relative a la

creation et au transfert intentionnels de l'obligation. L'exemple classique d'une

source de creation intentionnelle d'obligations est le contrat. Par l'exercice de leur

volonte, les contractants deviennent creancier et debiteur d'obligations

contractuelles. Le creancier peut exiger l'execution du contrat par le biais d'un

droit de creance mais ce droit ne peut s'exercer qu'a l'egard d'un debiteur

particulier, partenaire au contrat. Le droit du creancier n'est pas general mais

individualise et est en quelque sorte artificiellement cree par une procedure

particuliere impliquant les consentements libres et eclaires des parties

contractantes. Le lien de droit entre les individus s'articule done differemment

que dans le cas de la responsabilite civile. Dans ces circonstances, la theorie de

l'equilibre normatif apparait-elle tout aussi importante et peut-elle justifier une

intervention d'un « gardien de l'equilibre » ? Chacun n'est-il pas responsable de

ses engagements contractuels en considerant et appliquant le principe que tout

individu est certainement le meilleur defenseur de ses interets propres et qu'il doit

supporter les consequences de ses choix ? L'equilibre ainsi volontairement choisi

par les parties ne risque-t-il pas d'etre compromis si l'on permet 1'intervention

judiciaire ? C'est ce que pronent plusieurs defenseurs des theories individualistes

du contrat en denonsant toute intervention judiciaire au contrat au nom des

principes de l'immutabilite et de la securite contractuelles.

83

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Pour notre part, malgre ce discours, nous pensons que, au contraire, plusieurs

elements de la theorie du contrat militent en fonction d'un equilibre contractuel a

caracteres normatif et objectif et de la necessite de 1'intervention judiciaire afm

d'assurer la sauvegarde de celui-ci. En effet, la creation d'obligations apparait

comme une delegation du legislateur aux sujets de droit leur permettant 1 QO t

d'amenager leurs rapports juridiques avec autrui . Or, nous l'avons deja

mentionne, le principal but du droit prive etant de gerer la coexistence paisible des

droits et interets - ce qui dans un regime de philosophic liberale s'exprime le plus

souvent par l'absence de soumission d'une partie a une autre ou si 1'on prefere

une liberte factuelle a pouvoir assurer son interet - une telle delegation s'exprime

surement selon ces memes finalites. Mais pour y parvenir, il est necessaire que

cette delegation s'exerce dans les memes conditions d'egalite et que chacun

puisse, dans l'exercice de ses prerogatives contractuelles, assurer la sauvegarde de

ses interets. D'ores et deja, nous soutenons done que la recherche de l'equilibre y

est tout aussi importante et basee sur la meme exigence de ne pas nuire indument

a autrui. C'est ce que nous tenterons de demontrer dans la section suivante

consacree a la justice commutative au sein de la relation contractuelle.

198 Voir Emmanuel Gaillard, Le pouvoir en droit prive, Paris, Economica, 1985 au no. 329 et Kelsen, supra note 140 aux nos. 2, 3 et 13.

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2.4.2 La justice commutative et la relation contractuelle :

Alors que le droit relatif a la responsabilite vise a proteger des droits ou interets

proteges deja existants, le contrat a la particularite de creer de fagon positive un

lien d'obligations entre le debiteur et le creancier199. Ainsi, contrairement au fait

juridique qui peut entrainer la responsabilite civile de son auteur meme sans sa

volonte, le contrat a la particularite de creer un lien d'obligations200 par le

concours de la volonte des parties contractantes. Cette caracteristique fait dire a

certains que le contrat cree un lien de solidarite avec des obligations positives de

9ft 1

comportement associees . D'autres, au contraire, vont exprimer l'avis que de

telles obligations positives nuisent au respect de la volonte des parties et

constituent une entorse importante a la liberte contractuelle.

Des conceptions du contrat aussi disparates resultent des differentes fagons de

concevoir la commutativite contractuelle et l'equilibre qui en resulte. Ce debat

s'articule autour de la question suivante : la nature volontaire de la relation

199 Si le debat semble plus virulent sur la nature du lien contractuel dans les systemes de common law- voir generalement a cet effet: Smith, supra note 4. Voir aussi Samuel, Obligations, supra note 146 au no 5.1 et s. qui ecrit notamment: « In civilian thinking a contract is more than the sum of its part; it is an obligation - a vinculum iuris - binding two parties and having an existence, so to speak, of its own. English law, in contrast, enforces promises, and thus a contract is simply a bundle of promises. » - cette pretention ne semble pas faire l'objet d'un debat important dans les traditions de droit civil, du moins en ce qui concerne le Quebec et la France, ou l'on reconnait que le contrat cree generalement des obligations, ce qui d'ailleurs est conforme a la definition que l'on retrouve a Particle 1433 C.c.Q. Voir, entre autres, Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 167 et s.; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 122 et s.; Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 21 et s.

200 II faut noter que conformement a l'article 1433, le contrat peut aussi eteindre ou modifier des obligations deja existantes, mais cela ne change rien a nos propos parce que de telles consequences impliquent necessairement que des obligations avaient ete creees anterieurement.

201 Voir par exemple, Courdier, supra note 6; Thibierge-Guelfiicci, supra note 6.

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contractuelle modifie-t-elle la commutativite obligationnelle objective decrite

dans la section sur la responsabilite civile en une commutativite basee sur la seule

subjectivite des parties ou au contraire en une commutativite de nature societaire

transformant l'obligation generale de ne pas nuire a autrui en une obligation

positive et solidaire de comportement a 1'egard des interets de son

cocontractant202 ? Ce debat est important puisqu'il a une consequence directe sur

1'evaluation des actes des parties contractantes. II peut modifier la portee de

Pidentification d'une «injustice » au sein du contrat. Par cette consequence, c'est

toute la definition des preceptes bases sur les principes de justice commutative au

sein du contrat qui risquent d'etre modifies.

Si tous s'entendent sur la necessite d'une certaine commutativite contractuelle, le

plus souvent representee par la notion d'equilibre203, tous ne s'entendent pas sur la

nature d'un tel equilibre en matiere contractuelle. Ainsi, en resumant a outrance,

il existe presentement des conceptions subjectives, ou il est necessaire de

respecter la commutativite etablie par les parties et qui, a ce titre, interdisent toute

intervention judiciaire au-dela des principes d'ordre public; des conceptions

objectives qui souhaiteraient que la relation contractuelle puisse etre evaluee selon

les normes sociales objectives; et a l'autre extremite du spectre, des conceptions

202 Andr6 Belanger et Ghislain Tabi Tabi, « Vers un repli de l'individualisme contractuel ? L'exemple du cautionnement», (2006) 47 C. de D. 429.

203 Voir la these recente de Laurence Fin-Langer qui traite principalement de la notion d'equilibre dans le contrat: Fin-Langer, supra note 26; aussi, au meme effet: Francis Geny, Methode d'interpretation et sources en droit prive positif: essai critique, t. 2, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1954 au no. 173 [Geny, Methode] et Mazeaud, « Reduction », supra note 82 a la p. 59, pour qui « l'equilibre contractuel (. . .) constitue une des exigences de notre droit contemporain des contrats, devant laquelle la «liberte» contractuelle doit s'incliner. »

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dites solidaires ou solidaristes, ou la relation des partie entraine des devoirs de

veiller aux profits de son cocontractant, dans un esprit d'abnegation et de

solidarite.. Avec des dimensions aussi opposees, il n'est pas surprenant que

certains puissent juger que le contrat est une institution en crise !

Pour notre part, nous ne croyons pas que la nature des preceptes de justice

commutative identifies dans la section precedente soit modifiee par le caractere

volontaire de la relation contractuelle. Par exemple, nous croyons que les

principes de justice au sein des obligations contractuelles peuvent aussi se definir

par la regie de la saine coexistence des droits et interets. C'est d'ailleurs ce que

nous tenterons de demontrer dans le cadre des prochaines sections.

2.4.2.1. Les assises essentielles d'une theorie contractuelle

Notre etude implique que nous identifions ce que nous considerons etre certaines

assises d'une theorie contractuelle credible et fonctionnelle. Nous l'avons

mentionne, nous souhaitons elaborer une theorie transparente, c'est-a-dire qui

puisse correspondre et s'appliquer a la pratique. Or, le respect de cette condition

dependra, a notre avis, du meme respect des assises identifiees.

Nous avons deja identifie un de ces piliers dans notre critique des theories dites

«utilitaires»: la motivation contractuelle des contractants s'explique

essentiellement par les benefices qu'ils retireront du contrat ou, si l'on prefere, par

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la satisfaction de leur interet personnel. Pour chacun des contractants, cet interet

personnel prime la satisfaction d'un quelconque interet social. II s'agit done

d'une premiere dimension que l'on ne peut ecarter lorsque l'on cherche a articuler

une theorie pratique.

Ensuite, qui dit contrat, dit acte de volonte. D'ailleurs, selon la theorie classique,

le contrat se forme par les mecanismes d'offre et d'acceptation204. Or, l'offre

"70S

indiquant la volonte de son auteur d'etre lie en cas d'acceptation , on peut

conclure que le contrat est constitue d'obligations que l'on s'impose

volontairement206, e'est-a-dire dans l'exercice de sa liberte individuelle de

conclure un contrat dans son meilleur interet possible207. Bien que l'expression de

la volonte ne soit pas un instrument parfait, lorsqu'elle est exercee dans des

conditions ideales, elle est consideree comme le meilleur instrument pour assurer

l'equilibre de la relation entre les parties, du moins a un moment donne, dans des

circonstances donnees208. C'est pour cette raison que nous considerons la

dimension volontaire de la relation contractuelle comme notre deuxieme assise

essentielle. Or, cette dimension implique les principes de liberte et de

responsabilite.

204 Articles 1386 a 1397 C.c.Q. 205 Article 1388 C.c.Q. 206 Les auteurs de doctrine de langue anglaise parlent de « self-imposed obligations ». 207 Certains auteurs attribuent cette conception a la theorie du contrat social de Rousseau, voulant

que tous les humains soient £gaux et libres et done n'utiliseront pas cette liberte a leurs depens, voir notamment: Rosalie Jukier, «Banque Nationale du Canada v. Houle (S.C.C.): Implications of an Expanded Doctrine of Abuse of Rights in Civilian Contract Law », (1992) 37R.D. McGill 221 a lap. 241.

208 Stoffel-Munck, Imprevision, supra note 86 au no. 49.

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2.4.2.1.1 Le role de la volonte au contrat

La philosophie adoptee a premiere vue par le Code civil du Quebec semble puiser

son inspiration dans les doctrines de Kant pour qui la volonte est source

d'obligations juridiques necessairement justes : « quand quelqu'un decide quelque

chose a l'egard d'un autre, il est toujours possible qu'il lui fasse quelque injustice;

mais toute injustice est impossible dans ce qu'il decide pour lui-meme. »209 Ainsi,

les paradigmes theoriques de Kant con9oivent la personne humaine comme une

personne libre pouvant exercer ses choix en toute liberte dans un systeme

209 Emmanual Kant, Elements metaphysiques de la doctrine du droit, trad. J. Barni, Paris, Durand, 1854, p. 169 tel que cite dans Bimes-Arbus, supra note 94 a la p. 1372, n. 9. Bien entendu la doctrine kantienne de l'autonomie de la volonte est principalement philosophique. II faut noter que, meme si le professeur Weinrib base sa conception du droit priv£ sur la philosophie de Kant, l'attribution a Kant des concepts juridiques de la theorie de l'autonomie de la volonte est par ailleurs controversee en doctrine, voir : Ranouil, supra note 93 k la p. 9 et s et a la p. 53 et s, pour qui la vision kantienne de l'autonomie de la volonte est purement philosophique et ne signifie que « le libre choix qu'a l'homme de se donner comme sienne la loi morale et de s'y soumettre ( . . . )» ce qui, pour elle, n'a aucune commune mesure avec le concept juridique de l'autonomie de la volonte qui « signifie que la volonte est la source et la mesure des droits subjectifs ». Cependant, l'auteure reconnait que Kant a contribue indirectement par certaines

1 de ses formules, a l'essor du volontarisme au sein de la science juridique, notamment celles voulant qu'une personne ne puisse etre soumise qu'a la loi qu'elle se donne elle-meme ou avec d'autres, qu'une personne ne puisse se faire injustice a soi-meme, que le plus grand droit subjectif soit la liberty et que le but principal de la loi doive justement etre de gerer la coexistence de l'exercice des liberies individuelles. En ce sens, l'auteure reconnait que Kant a fait de la volonte la source unique du droit, mais refuse de lui reconnaitre une influence autre sur la doctrine de l'autonomie de la volonte. Voir au meme effet, Gounot, supra note 35 notamment a la p. 54 et s.; Elise M. Charpentier, L 'equilibre des prestations : une condition de reconnaissance de la force obligatoire du contrat ?, These de doctorat en droit, Universite McGill, 2001 a la p. 5 et s.; Emmanuel Putman, « Kant et la theorie du contrat», [1996] R.R.J. 685; Georges Rouhette, « La force obligatoire du contrat- Rapport fran^ais » dans Denis Tallon et Donald Harris (dir.), Le contrat aujourd'hui: comparaisons franco-anglaises, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1987,27 au no. 13 et s.

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juridique coherent ayant essentiellement pour but de s'assurer que les libertes

individuelles puissent coexister .

Cette vision du rapport entre la liberte et la volonte au sein de la theorie

contractuelle rejoint aussi les postulats d'Ernest Weinrib dans sa conception de

l'equilibre normatif. Puisque Ernest Weinrib appuie sa theorie sur les droits et

911

devoirs tels que definis par Kant , la place qu'il accorde au pouvoir de la volonte

individuelle est tres importante. Mais qu'en est-il vraiment ? Le Code civil du

Quebec relie-t-il de maniere quasi-absolue, a l'instar par exemple du Code civil

du Bas-Canada, la justice contractuelle a l'expression de la volonte ?

Pour notre part, nous pensons qu'un renvoi pur et simple a la theorie de Kant

donne a la liberte et a la volonte des roles trop absolus, du moins dans sa

919

conception et son interpretation modernes . La liberte et la volonte y sont

congues comme des fins en soi, au pouvoir createur de droit egal a la loi213. Dans

210 Voir notamment Gounot, supra note 35 notamment aux pp. 38 et 85; Fin-Langer, supra note 26 au no. 29; Ranouil, supra note 93 a la p. 57; Weinrib, « Symposium » supra note 125 a la p. 65 et s. Voir aussi sur cette conception du droit a titre de coordonnateur des libertes : Del Vecchio, supra note 125 aux pp. 328-329.

211 Voir Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 84 et s. 212 Certains auteurs denoncent la denaturation qu'a effectuee la doctrine moderne des principes

kantiens en soulignant que la doctrine kantienne de l'autonomie de la volonte est a mille lieux du concept juridique de l'autonomie de la volonte. En effet, la volonte kantienne n'est pas une volonte interessee, elle est une volonte pure de se soumettre a la loi morale, si bien qu'elle peut difficilement cotoyer le concept juridique de l'autonomie de la volonte tel que presentement interprete, qui lui « convient bien a une morale des affaires et de l'interet bien servi. » : Putman, supra note 209 au no. 14. Voir au meme effet, Charpentier, supra note 209 a la p. 5 et s.;

213 II est d'ailleurs interessant de noter que certains juristes envisagent le contrat comme etant la « loi » des parties. Voir par exemple la decision Mousseau c. Societe de gestion Paquin Ltee, [1994] R.J.Q. 2004 (C.S.) [Mousseau], ou le juge Guthrie s'exprime ainsi, a la p. 2008 de la decision : « Dans le regime de droit civil du Quebec, sous reserve de ce qui est contraire a l'ordre public, pourvu que les parties aient la capacite de contracter, la convention des parties fait loi. » Cette idee de «loi interne des parties » decoule probablement de Particle 1134 du

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la pensee de Kant, nous devons respecter l'obligation parce que nous nous y

sommes engages librement en respectant la liberte de chacun. Notre droit

provient de la decision libre d'autrui de nous l'octroyer. La loi n'y est qu'un

accessoire visant a garantir que chacun respecte justement les libertes d'autrui

dans l'exercice de sa propre liberte ou, en d'autres termes, a harmoniser les

libertes individuelles214.

A l'instar de la doctrine moderne, nous sommes plutot d'avis que les obligations

contractuelles ont un effet contraignant pour les parties parce que le droit positif le

present ainsi . Deux volontes individuelles ne peuvent en soi, par leur seule

Code civil franfais qui prevoit que « les conventions legalement formees tiennent lieu de loi a ceux qui les ont faites ». Pourtant, si une disposition semblable se retrouvait au Rapport sur le Code civil du Quebec soumis en 1977 par 1'Office de revision du Code civil (voir Office de revision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Quebec, Quebec, Editeur officiel, 1977, a l'article 70 du livre V, intitule « Des obligations ») et par la suite reprise dans l'Avant-projet de loi sur les obligations de 1987 (article 1480), cette disposition a par la suite ete abandonnee, si bien que l'article 1434 ne reconnait que le caractere obligatoire du contrat sans faire reference a une formule de « loi interne des parties ». Par ailleurs, les commentaires du Ministre justifient ce choix legislatif de ne pas avoir enonce ce principe de loi interne des parties « compte tenu de toute la relativite que comporte 1'affirmation, en regard des dispositions imperatives de la loi, de l'ordre public, de la bonne foi, etc... ». Voir Commentaires du Ministre de la justice, Quebec, Publications du Quebec, 1993, s.v. art. 1434. Ce choix du legislateur confirme, a notre avis, la place predominate de la loi et, comme nous tenterons de le demontrer, de la necessity d'une justice a caractere plus objectif dans les rapports obligationnels.

214 Jean Clam, « La doctrine kantienne du droit: introduction a sa lecture et discussion de ses enjeux », [1996] R.R.J. 265 a la p. 270; Gounot, supra note 35 a la p. 388; Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 108.

215 Plane ici l'ombre inconteste de Kelsen... qui a soumis que « la convention est obligatoire dans la mesure oil l'ordre juridique la considere comme un etat de fait createur de droit; ou, en d'autres termes, dans la mesure oil une norme d'un degre sup£rieur (la loi, ou une norme coutumiere) autorise les sujets a creer (par delegation) une norme d'un degre inferieur.», Kelsen, supra note 140 au no. 13. Voir aussi sur cette question, et particulierement en ce qui concerne le contrat: en droit quebecois : Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 88 et s.; Lefebvre, Bonne foi supra note 8 a la p. 38 et s.; Lefebvre, « Liberte », supra note 8 aux pp. 53-55; Adrian Popovici, La couleur du mandat, Montreal, Themis, 1995 aux pp. 381-382 n. 887 [Popovici, Mandat]; en droit fran9ais : Ambroise Colin et Henri Capitant, Traite de droit civil, t. 2, Paris, Librairie Dalloz, 1959, au no. 815; Francois Collart Dutilleul, « Quelle place pour le contrat dans l'ordonnancement juridique ? » dans Christophe Jamin et Denis Mazeaud (dir.), La nouvelle crise du contrat, Paris, Dalloz, 2003, 225 a la p. 233; Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 aux nos. 110 et 120; Geny, Methode, supra note 203 au no. 172;

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nature intrinseque, etre creatrices de droit. C'est la loi qui donne, par delegation,

la capacite a ces deux volontes de creer des normes obligatoires si celles-ci

91 f\

concordent en ce sens . « [L]e contact des volontes formant le contrat ne cree

pas plus d'energie juridique que le doigt actionnant le commutateur ne cree

d'energie electrique : dans les deux cas, l'energie vient d'ailleurs, et suppose tout •917

un appareil, un reseau ( . . . )» Si les seules volontes individuelles justifiaient la

creation de normes obligatoires, comment pourrait-on expliquer que ces memes

normes puissent avoir des effets a l'egard de tiers ? Ainsi, par exemple, comment

pourrait-on justifier que meme des obligations purement individuelles decoulant

d'un contrat dussent etre respectees, en tant que fait juridique, par des parties

tierces au contrat, qui, en cas de contravention, pourront etre condamnees a payer

des dommages (de nature extracontractuelle cependant) a la partie creanciere des i 918 obligations contractuelles ?

II convient probablement a ce stade de preciser ce que l'on entend par

l'expression «droit positif». Naturellement, celui-ci comprend les textes

legislatifs au sens large, ainsi que la coutume. Cette notion comprend aussi, en

droit prive quebecois, que l'on veuille Tadmettre ou non, une bonne partie de la

jurisprudence, qui meme en droit civil fait souvent figure de precedent a caractere

Ghestin, « Notion », supra note 39 a la p. 154; Gounot, supra note 35 a la p. 346 et s.; Francois Terre, Philippe Simler et Yves Lequette, supra note 30 au no. 25 et s.; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 365.

216 Voir notamment, Kelsen, ibid. 217 Xavier Martin, « Nature humaine et Code Napoleon » (1985) 2 Droits - Revue fran?aise de

theorie juridique 117 a la p. 120 [les italiques sont de l'auteur]. 218 Voir notamment les arrets Clairol, supra note 197 et Dostie, supra note 197.

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plus ou moins obligatoire, ou, du moins, moralement contraignant . Sans

importer les regies de common law, le droit quebecois en caique non

officiellement la technique et force est de constater que les juges s'attribuent un

role de createurs de la regie de droit. Les juges font regulierement usage de la

liberte qu'il leur est octroye dans 1'interpretation des textes pour juger selon des 99ft

principes de justice et d'equite . Mais, tel que nous l'avons mentionne, un tel

role createur risque de devenir illegitime et pourrait etre source d'arbitraire si ces

principes de justice et d'equite ne sont pas identifies et circonscrits. Les juges

doivent veiller a interpreter les textes en conformite avec les principes de justice

commutative puisque cette derniere constitue une composante integrate du droit

positif221. Nous avons etabli que cette justice commutative se manifestera, en

responsabilite civile et en reprenant en partie la terminologie du professeur

Weinrib, sous la forme d'un equilibre normatif ou les droits et interets de chacun 999

feront l'objet d'une coexistence paisible . La question est maintenant de savoir

si 1'aspect volontaire de l'obligation contractuelle modifie la nature de cette

justice commutative. En d'autres termes, l'exercice de la volonte fait-il

necessairement rayonner la justice commutative lorsque celle-ci est exclusivement

envisagee comme une justice subjective determinee par les parties ? Nous

pensons que pour repondre a cette question, nous devons d'abord situer les

elements de volonte et de droit objectif l'un par rapport a l'autre. 219 Voir plus amplement sur le role de la jurisprudence en droit prive quebecois : Adrian Popovici,

« Dans quelle mesure la jurisprudence et la doctrine sont-elles source de droit au Quebec ? », (1973) 8 RJ.T. 267 [Popovici, « Mesure »].

220 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 252. 221 Ibid. auno. 251. 222 Voir d'ailleurs Octavian Ionescu, La notion de droit subjectif dans le droit prive, 2e ed.,

Bruxelles, Bruylant, 1978 aux pp.102-103 qui definit la justice comme « I'idee d'ordre parfait qui devrait regner dans les relations entre les individus. »

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Nous l'avons mentionne, a l'instar de la doctrine contemporaine, nous croyons

que la volonte est soumise au droit positif. L'exercice de la volonte doit

s'executer a l'interieur du cadre fixe par le droit positif223. D'ailleurs, celui-ci peut

limiter, en certaines circonstances, l'exercice de la volonte individuelle, par

exemple en lui imposant des obligations precises. La volonte detient une

importance indeniable, en tant que manifestation externe de l'exercice de la

994

liberte, notamment lors de la formation du contrat , mais elle est insuffisante

pour appuyer toute la theorie de la force obligatoire et coercitive du droit des

obligations225. D'ailleurs, la volonte n'est que la manifestation publique

privilegiee par notre societe pour demontrer un exercice libre de ses droits. II lui

faut le concours de l'Etat, qui exerce son pouvoir a travers les trois composantes

juridictionnelles, que sont les pouvoirs legislatif, executif et judiciaire, pour que

l'on puisse lui accorder des effets juridiques.

En excluant l'angelisme voulant que chacun respecte ses obligations

essentiellement par respect de la moralite rattachee a la parole donnee, on

comprend que l'obligation est respectee par les parties parce qu'elle est

positivement sanctionnee par la contrainte juridique exercee par l'Etat, ou si l'on

223 Voir notamment Louise Rolland, « Les principes d'Unidroit et le Code civil du Quebec: variations et mutations » dans Les principes d'Unidroit et les contrats international : aspects pratiques, Les journees Maximilien-Caron 2001, Montreal, Th&nis, 2003, 181 a la p. 185

224 D'ailleurs Kelsen lui-meme souligne l'importance d'un accord de volontes : voir Kelsen, supra note 140 au no. 4 et s.

225 Voir sur cette question, Lefebvre, « Liberte », supra note*8 a la p. 53 et s.; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 374; voir aussi Ghestin, « Notion », supra note 39 a la p. 150 et s. , ou l'auteur met bien en evidence que, bien qu'il ne constitue pas le fondement du contrat, l'accord de volonte demeure le critere essentiel a la formation du contrat et cela meme en l'absence de toute negotiation.

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prefere, une force sociale organisee. II faut meconnaitre la psychologie humaine

pour affirmer que la volonte seule et le respect de la parole donnee sont suffisants

pour assurer l'execution des obligations. Sans contrainte, Phumain n'a pas

necessairement tendance a respecter ses engagements et les interets d'autrui. II lui

faut regulierement la motivation de la coercition du droit.

Dans ces circonstances, 1'affirmation voulant que le pouvoir de la volonte soit

egal a celui de la loi dans la formation de liens d'obligations apparait comme une

lecture erronee du droit positif. D'ailleurs, si l'on n'en est toujours pas convaincu,

on n'a qu'a songer a l'aspect imperatif de certaines lois dans 1'espace contractuel,

telle que la Loi sur la protection du consommateur , pour s'en convaincre. Le

fait que l'on admette ces lois a titre d'exception a une entiere liberte contractuelle

ne denature-t-il pas en soi la pretention voulant que la volonte soit de puissance

egale a la loi dans la creation et la force obligatoire des liens d'obligations ? La

loi peut creer des exceptions en imposant des normes dans l'exercice de

l'autonomie de la volonte. Cette possibility demontre que la loi possede

227 hierarchiquement un caractere normatif superieur a celui de la volonte .

De meme, 1'interpretation que reservent les tribunaux aux dispositions du Code

civil demontre bien que, meme en pratique, l'on considere que la volonte est

hierarchiquement subordonnee a la loi. Tant les auteurs que la Cour supreme du

Canada mentionnent que le Code civil doit recevoir une interpretation large plutot

226 Supra note 62. 227 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 88 et s.

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qu'une interpretation restrictive . En effet, contrairement au droit d'origine

legislative dans les juridictions de common law, les regies de droit contenues au

Code civil ne constituent pas un droit d'exception. Or, si on analyse les tenants et

aboutissants de ce discours, il parait illogique de conclure que la volonte puisse

etre hierarchiquement superieure a la loi. Le Code civil du Quebec contient les

dispositions relatives aux consequences legales de la rencontre des consentements

dans la formation du lien contractuel. Or, si la liberte contractuelle et l'exercice

de la volonte etaient superieurement hierarchiques a la loi, les dispositions

imperatives que contient le Code civil du Quebec ainsi que d'autres lois enon?ant

des principes de droit civil recevraient une interpretation restrictive au nom de la

suprematie de la volonte des parties. Or, nous savons que tel n'est pas le cas et

que l'on interprete les dispositions imperatives du Code civil du Quebec de

maniere large favorisant leur objet.

Par ailleurs, il est interessant de noter que Kant lui-meme semblait etre d'avis que

la force obligatoire des obligations reside dans la loi, qui pour Kant etait aussi liee

au pouvoir de contrainte229, et non dans l'autonomie de la volonte en tant que

telle. Cela demontre a quel point une certaine doctrine a modifie la pensee de

228 Voir notamment Dore, supra note 2 a la p. 874 et s.; General Motors Products of Canada c. Kravitz, [1979] 1 R.C.S. 790 a la p. 813; Pierre-Andre Cote, L 'interpretation des lois, 3e ed., Montreal, Themis, 1999 aux pp. 37-38; J.-L. Bergel, « Specificity des codes et autonomie de leur interpretation » dans Le nouveau Code civil: interpretation et application, Les Journees Maximilien-Caron 1992, Montreal, Themis, 1993, 3 aux pp. 8-9 [Bergel, « Specificite »].

229 « Tenir sa promesse n'est pas un devoir de vertu, mais un devoir de droit que l'on peut etre contraint de remplir » Kant, supra note 99 aux pp. 94 et 106. II faut noter cependant que cette reponse a la force obligatoire qu'offre Kant est plutot relative au comment qu'aupourquoi. En effet, si l'on cherche chez Kant la reponse au pourquoi l'obligation est-elle obligatoire, on constate qu'il est en fait incapable de le justifier: « il est absolument impossible de donner encore une preuve de cet imperatif categorique; (. . .) C'est un postulat de la raison pure » (Ibid. a la p. 151). Voir a ce sujet: Putman, supra note 209 a la p. 692 et s.

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Kant pour tenter de justifier la theorie juridique de l'autonomie de la volonte,

puisqu'a notre epoque les contraintes juridiques sont pergues comme autant

d'obstacles a la liberte. Pourtant, dans sa vision du droit, Kant envisageait plutot

la contrainte juridique comme permettant d'assurer un veritable exercice de la

liberte.

En plus de rejeter une vision trop absolue de la liberte, nous n'adoptons pas un

autre aspect de la conception de la volonte de Kant et surtout, encore une fois,

1'application qui est faite de cette notion par les tenants de la theorie de

l'autonomie de la volonte dans la formation du contrat230. Selon cette conception,

tous les etres doues de raison sont en principe libres et egaux dans l'expression de -yy i t

leur volonte , sans aucune influence des circonstances tant exteneures (un

9*39

rapport de pouvoir par exemple) qu'interieures (des desirs ou envies) . Or, a

notre avis, les contractants disposent, en ces temps modernes, d'une rationalite

limitee233 et il est done difficile d'affirmer qu'il existe une veritable liberte

exempte de toute contrainte. L'humain ne nait pas sauvage et independant. II fait

partie d'une societe, d'un reseau complexe de solidarites et de regies, dans lequel

230 Comme nous l'avons deja fait remarquer, c'est notamment ce qui fait dire a certains auteurs que la doctrine kantienne de l'autonomie de la volonte ne correspond pas au concept juridique de l'autonomie de la volonte. Voir a cet effet, la note 209. En effet, la volonte kantienne n'est pas une volonte interessee, elle est une volonte pure de se soumettre a la loi morale, si bien qu'elle peut difficilement cotoyer le concept juridique de l'autonomie de la volonte tel que presentement interprete, qui lui « convient bien a une morale des affaires et de 1'interet bien servi. » : Emmanuel PUTMAN, « Kant et la theorie du contrat», [1996] R.R.J. 685, a la page 691, no. 14. Voir au meme effet, Elise M. Charpentier, supra note 209 a la p. 5 et s.;

231 Voir Weinrib, Idea, supra note 5 a la p. 84 et s. et plus particulierement a la p. 88 et s. 232 Kant, supra note 99 notamment a la p. 86 et s.; Voir aussi a ce sujet: Jean Clam, supra note

214 a la p. 267; Gordley, supra note 30 notamment aux pp. 271 et 275 ; Jean Lacroix, Kant et le kantisme, 4e. ed., coll. Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 1973 aux pp. 72-73.

233 Christophe Jamin, « Revision et intangibilite du contrat ou la double philosophic de Particle 1134 du Code civil » (mars 1998) 58 Droit et patrimoine 46 a la p. 57 [Jamin, « Revision »].

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il doit s'integrer et auquel il doit s'adapter . II est done illusoire de penser que

cette societe, ce reseau, n'exercent pas sur lui une influence capitale. D'ailleurs,

comme le soulignait le professeur Jean-Louis Baudouin :

« Le droit civil n'est pas une science morte ou stagnante. II est en

fait l'expression morale, sociologique, economique et politique

d'un peuple a un moment donne de son evolution historique. II est

done, par vocation, permeable a toutes ces influences exterieures et

la regie de droit represente une cristallisation legislative de tous ces

facteurs. »235

Nous l'avons mentionne, la regie de droit constitue un element fondamental de la

relation obligationnelle puisqu'elle definit, reconnait et sanctionne le lien de droit

entre les parties. II est done illusoire de penser qu'elle n'exerce pas une influence

sur la volonte des parties. La volonte humaine s'execute necessairement au sein

de ramifications legales et complexes . II s'agit du contexte social dans lequel

peut ou non s'executer le contrat. Par exemple, cette societe limite parfois

l'exercice de la liberte de disposer de ses droits subjectifs au nom de l'ordre

public et cela meme si les volontes des deux parties etaient clairement exprimees.

Un contrat de mere porteuse ne pourrait faire l'objet d'une execution forcee

puisque ce type de contrat est interdit au Code civil du Quebec de maniere

absolue237. Une telle regie peut tres certainement s'expliquer par le principe du

respect de la personne et de la dignite humaine sous-jacent au Code civil du

234 Gounot, supra note 35 notamment aux pp.140 et s. et 321. 235 Jean-Louis Baudouin, Les obligations, 4e ed. Cowansville, Yvon Blais, 1993 au no. 2

[Baudouin, Obligations, 4e]. 236 Geny, Methode, supra note 215 au no. 172. 237 Article 541 C.c.Q.

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Quebec que le legislateur a juge bon de faire primer, au nom de l'ordre public, sur

le principe de la liberte contractuelle. Les principes directeurs du Code civil

influencent done l'exercice de la liberte contractuelle.

De plus, le principe individualiste de la theorie kantienne rapproche la theorie

contractuelle trop pres d'un autre principe de la theorie de l'autonomie de la

volonte, soit celui qui n'admet aucunement 1'intervention judiciaire pour modifier

le contrat. La philosophic liberale refuse de reconnaitre la necessite d'une telle

intervention" puisqu'elle est d'avis que l'on brimerait ainsi la liberte des parties en

modifiant l'equilibre subjectif du contrat par un equilibre impose judiciairement.

Or, pour les tenants de la volonte comme instrument de mesure de la justice

contractuelle, un tel equilibre impose entraine necessairement un « desequilibre »

puisqu'il ne correspond plus a celui voulu par les parties.

C'est d'ailleurs sur cet aspect que les relents de la theorie de l'autonomie de la

volonte sont les plus forts. Generalement, la doctrine est assez unanime sur le fait

que la loi prime la volonte et certains pourraient ainsi se questionner sur l'utilite

de notre argumentation a ce sujet. Pourtant, une fois qu'elle a affirme ce principe,

la majeure partie de la doctrine exclut les consequences de ce meme principe en

rejetant toute intervention judiciaire au contrat au nom de l'immutabilite

contractuelle, de la securite et previsibilite des transactions ou, si l'on prefere, du

respect de la commutativite subjective du contrat. Pourtant, si la loi prime la

volonte, les principes imperatifs du droit, tel que le devoir de ne pas nuire

indument a autrui, ont certainement tout autant priorite sur l'exercice de la

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volonte. Or, nous l'avons deja vu, le respect de ce devoir doit le plus souvent

faire l'objet d'une contrainte judiciaire pour etre respecte. Cela implique que

l'equilibre subjectif des parties doit pouvoir etre examine si l'on veut assurer une

veritable coexistence paisible des droits et interets.

Ainsi, pour mieux expliciter notre pensee, nous sommes en accord avec le

postulat voulant qu'un contractant devrait refuser de s'engager a son detriment.

Cependant, ne croyons pas que la theorie de l'autonomie de la volonte, telle

qu'elle est presentement appliquee, soit celle qui permette effectivement

d'atteindre ce resultat. Le contractant le plus faible n'a souvent plus la possibility

d'etre le meilleur defenseur de ses interets et l'immutabilite contractuelle n'est

souvent source de protection que pour la partie forte, qui peut ainsi beneficier de

l'inegalite factuelle des parties239. On pourrait d'ailleurs affirmer que la theorie de

la volonte, telle que presentement appliquee, contredit les principes fondamentaux

de la theorie de Kant... qui pourtant semble 1'avoir inspiree, aux dires de

plusieurs. En effet, il est tres clair dans sa theorie que «l'acquisition d'un droit

personnel ne peut jamais etre originaire ni le fait d'un acte d'autorite prive - car

une telle possession ne serait pas conforme au principe de l'accord de la liberte de

mon droit avec celle de chacun et serait par consequent injuste »240. Or, c'est, dans

les faits, exacterrient ce qui se produit lorsqu'une partie plus forte impose sa

volonte a la partie plus faible. Nous pourrions alors, si nous utilisions le

238 Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 108; Jamin, « Revision », supra note 233 a la p. 57.

239 Belanger et Tabi Tabi, supra, note 202 notamment a la p. 438; Bimes-Arbus, supra note 94 au no. 12; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 376.

240 Kant, supra note 99 au no. 18 [Nous soulignons].

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vocabulaire kantien, comprendre que tout acte d'autorite prive est injuste parce

que la partie avantagee ne respecte pas le libre choix de l'autre partie. Un tel acte

ne devrait done pas etre valide, officiellement ou officieusement, par la theorie

des obligations puisqu'il va a l'encontre des principes de justice gouvernant cette

theorie. Nous pouvons done conclure que, si nous voulons assurer un minimum

de justice dans nos rapports avec autrui, il faut s'en remettre a des sanctions

differentes de celles preconisees par la theorie de l'autonomie de la volonte pour

gerer nos relations contractuelles. Et un premier changement passe par

l'acceptation d'une plus grande intervention du pouvoir judiciaire.

Certes, le principe de l'autonomie de la volonte a encore une place determinante

dans la theorie des composantes relatives a la formation du lien contractuel. Si une

personne decide librement de s'engager pour en quelque sorte se soumettre de son

propre gre a une forme d'assujettissement, on presume qu'elle y trouve son

avantage et qu'en consequence le contrat ainsi forme est juste241. La volonte joue

dans cette mesure les deux roles de justification et d'element fondamental de la

force obligatoire du contrat242. Le contrat doit etre respecte puisqu'il a ete voulu.

II est par ailleurs voulu parce qu'il represente le meilleur interet de chaque partie.

Nous adherons nous-meme a ce principe voulant qu'en situation de coexistence

paisible des libertes, chacun soit le meilleur gardien de ses interets et doive agir en

consequence. La volonte forme done un premier equilibre contractuel base sur la

subjectivite des parties. Cependant, l'application actuelle de regies rigides

241 Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 98. 242 Geny, Methode, supra note 215 au no. 172; Ranouil, supra note 93 a la p. 71.

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d'immutability contractuelle, tiree de la theorie de l'autonomie de la volonte,

exclut tout examen de cet equilibre afin de s'assurer qu'il respecte les principes de

la saine coexistence des droits et interets et assurer ainsi le respect des regies de

justice commutative, qui ne peuvent etre envisagees comme facultatives.

Meme si elle est denoncee pour les consequences extremes qu'elle entraine, il faut

constater que cette philosophie d'immutabilite contractuelle basee sur le respect

de l'autonomie des volontes est toujours celle qui, a premiere vue, semble

dominer le droit des obligations quebecois243. La lecture des dispositions

generates de la section du Code civil traitant du contrat244 laisse croire que le

legislateur quebecois considere encore que la rencontre des volontes est l'element

essentiel de la conclusion du contrat et en fait presumer l'aspect de justice. II

semble presume que l'exercice d'une volonte exempte de vices confirme que la

partie a pu assurer efficacement la sauvegarde de ses interets. Ainsi, lorsque l'on

parcourt les dispositions du Code civil du Quebec, on constate qu'il est

expressement prevu que le simple echange de consentements forme le contrat245 et

que celui-ci ne peut, en principe, etre modifie sauf par consentement des

parties246. Ni le juge, ni meme une partie, ne peuvent, en principe, en modifier le

contenu, et cela meme si, dans les faits, une partie est fortement desavantagee,

voire exploitee par le contrat247. Le contenu de ce dernier semble cristallise au

moment de l'echange des consentements. C'est d'ailleurs pour cette raison que le

243 Voir notamment Rolland, « Unidroit», supra note 223 a la p. 184. 244 Articles 1377 a 1456 C.c.Q. 245 Article 1385 C.c.Q. 246 Article 1439 C.c.Q. 247 Voir notamment l'article 1405 C.c.Q. qui ne reconnait pas, a titre de vice de consentement, la

lesion entre majeurs capables.

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legislateur exigerait que ces consentements soient libres et eclaires et qu'il

sanctionnerait particulierement les vices du consentement248. En effet, si le

consentement - manifestation de la volonte - est vicie par les manigances d'une

partie, on ne peut manifestement plus parler de rencontre de volontes et

consequemment de commutativite subjective obligatoire. En ce sens, la theorie

des vices de consentement peut etre consideree comme une theorie aux

manifestations de nature psychologique : il faut demontrer que le consentement

precede d'une volonte saine249. Dans le cas contraire, il devient difficile de

pretendre que le contrat est juste puisqu'il a ete ainsi voulu par les parties.

Cette notion de volonte des parties semble tellement importante que notre Code

civil va meme jusqu'a rechercher et presumer une volonte des parties dans

1'elaboration du contenu du contrat alors que cette volonte est inexistante a sa face

meme250. Ainsi, les dispositions relatives a 1'interpretation du contenu contractuel

sont tres explicites a 1'effet que le but premier de ces directives est de rechercher

1'intention des parties quant a la nature de leurs obligations251. Or, comment

parler d'intention commune quand dans la realite, une des parties a entierement

redige et impose un contrat qui n'a meme pas ete lu ou compris par l'autre

partie... le plus souvent parce qu'on ne lui en a pas laisse 1'occasion.

248 Articles 1399 et suiv. C.c.Q. 249 Ranouil, supra note 93 a la p. 72. 250 II est interessant de noter que certains auteurs parlent d'interpretations « divinatoires », c'est-a-

dire d' interpretation ou les juges font produire a certains contrats des effets auxquels les parties n'avaient aucunement songe : voir Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 399.

251 Articles 1425 a 1432 C.c.Q.

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C'est justement dans 1'interpretation de la volonte virtuellement presumee que la

doctrine de l'autonomie de la volonte fait fausse route. En voulant pousser a

l'exces son concept de volonte meme lorsque celle-ci n'existe pas, elle denature

son propre systeme puisqu'il devient impossible d'envisager un equilibre reel

entre les parties dans l'exercice de leurs droits. En mettant sur un meme pied les

transactions veritablement negociees et celles ou l'une des parties n'a meme pas

eu le loisir d'examiner un tant soit peu'le contrat avant la conclusion de celui-ci, • OCT

on encourage un rapport de force inegalitaire entre les parties . En d'autres

termes, nous croyons que s'il peut etre efficace de rechercher, en certaines

circonstances, la veritable intention des parties, notamment lorsque les parties ont

pu effectivement negocier «librement» les termes du contrat, la recherche de la

volonte doit par ailleurs cesser la ou s'arrete la volonte reelle des parties . En

l'absence d'un veritable exercice libre de volonte, on ne peut clamer que la

volonte joue son role de demonstration de l'exercice libre des droits individuels.

Tous s'entendent pour dire que la liberte contractuelle est un principe fondamental

du contrat254. Mais, encore faut-il lui offrir les moyens de veritablement

252 Voir notamment Christophe Jamin, « Quelle nouvelle crise du contrat ? Quelques mots en guise d'introduction », dans Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 215, 7 a la p. 19, n. 16 [Jamin, « Crise »]. II faut noter que cet auteur a une vision moderee du solidarisme contractuel qui reprend plus ou moins notre propre philosophie. Voir aussi Belanger et Tabi Tabi, supra, note 202; Bimes-Arbus, supra note 94 au no. 12 et s.

253 Gounot, supra note 35 a la p. 206; Ranouil, supra note 93 a la p. 135. 254 D'ailleurs, le Code civil du Quebec prevoit que « le consentement doit etre libre et eclaire », art.

1399. Aussi, il est interessant de noter que ce meme principe de liberte revient dans des documents & saveur internationale, tel que Unidroit, au paragraphe 1.1 des principes d'Unidroit, Institut national pour l'unification du droit prive, Principes relatifs aux contrats du commerce international, Rome, Unidroit, 1994 [«Unidroit»] ou dans les efforts d'uniformisation du droit europeens des contrats : Commission du droit europeen des contrats, Principes du droit europeen des contrats, vol. 2, trad. Georges Rouhette, avec le concours d'Isabelle De Lamberterie, Denis Tallon, Claude Witz, Paris, Societe de legislation comparee, 2003, a l'article 1.102 [Principes du droit europeen]

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s'exprimer, ce qui n'est pas le cas lorsque toute cette liberte repose sur des

fictions.

Cette fagon de concevoir la justice contractuelle en fonction de la volonte est en

quelque sorte procedurale255. On se contente de verifier si le consentement au

contrat etait « libre ». On peut deja noter que cette verification du consentement

libre ne consiste qu'a s'assurer qu'il etait exempt, au moment de la formation du

contrat, de vices nommes au Code civil, ce qui constitue une restriction

importante au controle effectif de la liberte consensuelle. La satisfaction de cette

condition restreinte et minimale entraine une presomption irrefragable de justice

sans egard au contenu effectif du contrat et a une possible domination

deraisonnable des interets d'une partie sur ceux de son cocontractant. En effet, on

considere qu'une personne ayant donne son consentement, juge libre parce

qu'exempt de vices, s'est assuree d'une convention lui procurant les meilleurs

avantages. C'est d'ailleurs pour cette raison que le juge doit s'abstenir de

controler ledit contenu contractuel. Une convention «libre », la liberte etant ici

interpretee de maniere restrictive par une definition etroite des vices de

consentement, est necessairement juste et toute intervention judiciaire aurait pour

effet de nuire a cette justice. Selon cette interpretation, la justice contractuelle

passe par le respect absolu de l'equilibre subjectif du contrat, tel que determine

par la volonte des parties.

255 Putman, supra note 209 au no. 13.

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On sait maintenant que la theorie de l'autonomie de la volonte est generalement

source d'injustice puisque son postulat de liberte repose lui-meme sur un postulat

immuable d'egalite des parties contractantes a assurer effectivement une saine

sauvegarde de leurs interets personnels. Toutes les personnes, physiques ou

morales, sont considerees egales entre elles dans leur capacite de negotiation et

d'elaboration du contrat . Ainsi, je suis consideree, en tant que personne

physique, egale dans ma capacite a veiller a mes interets a une compagnie

commerciale importante dont tous les contrats ont ete soigneusement elabores par

des avocats chevronnes. Toutes les parties etant considerees egales dans leur

capacite a exercer leur liberte, on pretend alors que le contrat represente la

veritable manifestation de l'exercice de la liberte individuelle.

Dans un veritable contexte d'egalite entre les parties, il apparait normal que le

contrat conclu puisse s'imposer aux parties. Une telle imposition decoule a notre

avis du principe de la responsabilisation de chacun face a ses interets.

Dans les societes liberates, chacun est en principe libre d'agir a sa guise tant que

son comportement n'est pas interdit par le droit positif et cela, meme si une telle

interdiction peut se decliner en termes aussi generaux que « nul ne doit nuire

256 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 90; Charpentier, supra note 209 a la p. 8; Lefebvre, « Mythe», supra note 45 a la p. 19.

257 Voir a ce sujet la denonciation qu'en fait l'auteur de common law Geoffrey Samuel en specifiant que cette egalite Active qui touche meme les personnes morales dans leurs relations avec les personnes physiques notamment a pour consequence d'obliger le legislateur a intervenir pour proteger de facto les personnes physiques, en leur octroyant pratiquement un statut d'incapables : Samuel, Obligations, supra note 146 au no. 1.3. D'ailleurs, une lecture de la Loi de la protection du consommateur, supra note 62 et notamment de son article 8 sur la lesion subjective est assez eioquente a cet effet.

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indument a autrui», le qualifieatif indument referant ici a un comportement

inacceptable socialement . Cette conception liberale des droits et devoirs de

chacun fait en sorte que ceux-ci se declinent en devoirs de respecter les droits

d'autrui mais n'impliquent nullement une obligation de conferer un avantage. Si

je devais conferer un avantage a autrui, je cesserais d'etre libre, mes gestes devant

alors respecter cette finalite etrangere a la pure satisfaction de mes interets

personnels. Je n'ai done pas a me preoccuper du droit de mon voisin autrement

qu'en veillant a ne pas lui nuire de maniere socialement inacceptable. Le

corollaire evident est que mon voisin n'a pas non plus d'obligations positives a

mon egard. A l'exception de certaines dispositions legislatives particulieres, le

droit ne prevoit pas qu'un individu ait generalement a veiller sur moi, et par le fait

meme a mes interets. Ainsi, dans un veritable contexte de liberte, je n'ai que moi

a blamer si 1'elaboration de la relation contractuelle nuit a mes interets. La liberte

entraine la responsabilite de veiller a mes interets ou, du moins, m'empeche de

faire porter la responsabilite d'une convention contraire a mes interets a mon

cocontractant.

En resume, les societes liberates ont pour postulat que chacun doit veiller a ses

propres interets et qu'en ce sens, chacun est presume le meilleur gardien de ses

interets259. Si une personne neglige de veiller a ses affaires, elle ne pourra se

258 Yung, supra note 115, a la p. I l l et s. 259 Thierry Revet, « Les apports au droit des relations de dependance », (1997) 50 (1) R.T.D.

comm. 37 a la p. 42; voir aussi une telle declaration dans Bail, supra note 12 a la p. 587. II faut noter que des auteurs denoncent cette philosophie qu'ils jugent «irresponsable»: Belanger et Tabi Tabi, supra, note 202 a la p. 471.

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plaindre des consequences de son inaction . Or, une telle presomption n'a de

sens que dans un contexte ou chacun est effectivement libre d'exercer le controle

de ses interets.

Malheureusement, la realite demontre que les parties sont rarement egales en

fait261,

avec pour consequences qu'une d'elles devient en quelque sorte soumise a

la volonte de l'autre partie et n'est plus en mesure d'agir pour assurer

efficacement la sauvegarde de ses interets. Par exemple, une partie peut detenir

de 1'information importante et inaccessible pour l'autre partie, ce qui cree une

vulnerability informationnelle pour cette derniere. Celle-ci devient en quelque

sorte dependante de la partie detentrice de 1'information et il est alors impossible

de parler d'une quelconque egalite des parties. Cette absence d'egalite nuit

necessairement a la liberte de la partie desavantagee dans la gestion de ses

interets. De plus, notre monde moderne nous confronte a plusieurs situations

monopolistiques, ou une des parties ne peut aucunement determiner le contenu de

ses obligations contractuelles et n'a le choix que de s'engager ou non, ce qui, dans

bien des cas, n'est meme un choix en soi puisque les biens ou services qu'offrent

ces monopoles sont consideres comme essentiels. On peut notamment penser aux

services publics d'electricite. Pourrait-on vraiment choisir de se priver de

chauffage electrique dans la saison d'hiver au Quebec ? On constate rapidement 260 Voir d'ailleurs une telle declaration sur une affaire portant sur les troubles de voisinage et sur la

responsabilite qu'ont les propri&aires des heritages voisins de prendre les actions appropriees pour faire cesser ou prevenir le trouble. En cas d'inaction, le voisin trouble ne pourra reclamer des dommages-interets : Ciment du St-Laurent, supra note 3 au para. 108.

261 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 90; Nooman M. K. Gomaa, Theorie des sources de l'obligation, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 88, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1968 au no. 13; Lefebvre, « Mythe», supra note 45 a la p. 20.

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que le ehoix de contracter ou non pour l'obtention de ce service est pratiquement

inexistant.

De tels monopoles ou quasi-monopoles imposent le plus souvent le contenu

contractuel dans leurs interets sans meme laisser a 1'autre partie la chance de

s'enquerir des conditions contractuelles. Un simple appel aupres de divers

services publics est fort eloquent a cet effet. Le plus souvent l'information

transmise lors de ces appels ne concerne que le prix du service ou du bien offerts.

On y fait rarement mention des diverses conditions d'utilisation et notamment de

toutes les modalites et conditions de resiliation du contrat, qui sont souvent fort

onereuses pour le simple consommateur. Par ailleurs, il est couramment inscrit,

en caracteres minuscules, presque illisibles, sur les factures emises par ces memes

fournisseurs de services publics que ces memes modalites et conditions sont

unilateralement sujettes a changement sans autre preavis - et pas par une decision

du consommateur naturellement! Cela demontre a quel point le rapport de force

autorise par une theorie contractuelle fondee sur l'immutabilite rigide du contrat

nuit a un exercice libre des droits. II nous semble difficile de soutenir, dans de

tels cas, que la commutativite subjective des parties doive etre respectee parce

que, dans les faits, une telle application contredit les principes de liberte et de

responsabilite individuelles si chers aux societes liberates.

Les postulats de la theorie de l'autonomie de la volonte sont done fortement

critiques et plusieurs auteurs tentent de justifier d'autres fondements a la force

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• « "yftJ >

obligatoire des contrats . Mais, force est d'admettre que plusieurs principes de

la theorie de l'autonomie de la volonte ont encore des assises importantes au sein

du Code civil. Le Code civil du Quebec a repris en grande partie la majeure partie

des regies du Code civil du Bas-Canada qui ont ete edictees dans le cadre d'une

societe un peu plus homogene, du moins dans ses relations contractuelles. Ces

regies laissent entrevoir que l'on ne peut pas completement ecarter l'ensemble des

principes bases sur la theorie de l'autonomie de la volonte dans une etude qui

concerne 1'intelligibility de la theorie contractuelle. Cependant, notre pretention

est a l'effet que lors de la redaction du Code civil du Quebec, le legislateur a

modifie 1'application de ces regies, notamment par la reconnaissance de nouveaux

preceptes de justice contractuelle. Or, dans le confort securisant des

interpretations traditionnelles, on n'a pas encore tendance a reconnaitre a ces

nouveaux preceptes leur pleine portee. On en parle certes mais on hesite a agir de

maniere tangible.

En imposant une commutativite subjective immuable meme quand la volonte

reelle d'au moins une des parties est inexistante, la theorie de l'autonomie de la

volonte ne peut coexister avec des theories plus souples qui pronent un equilibre

262 On n'a qu'a penser a la theorie du juste et de 1'utile de Jacques Ghestin: Ghestin, « Utile», supra note 38; Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 223 et s.; a une certaine solidarite contractuelle « fraternelle » ou « relationnelle » : respectivement, Thibierge-Guelfucci, supra note 6 et Rolland, « Figures », supra note 23; ou la theorie de l'equilibre contractuel soutenu par Laurence Fin-Langer dans sa these : Fin-Langer,, supra note 26; Par ailleurs, voir une belle critique de la theorie de l'autonomie de la volonte qui serait fondle sur trois erreurs (historique, economique et ontologique): Philippe Jestaz, « Rapport de synthese - Quel contrat pour demain ? » dans Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 215, 243 aux pp. 251-255 [Jestaz « Synthese »]; Voir aussi la critique du principe meme de l'autonomie de la volonte que les auteurs preferent qualifier de volontarisme social dans Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 105 et s.

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contractuel plus objectif et un role accru du juge dans l'atteinte de cet equilibre .

Dans le conflit opposant le principe reclamant une certaine egalite objective entre

les individus et l'immuabilite contractuelle meme non conforme a la justice,

plusieurs choisissent la seconde. Quand la volonte reelle des parties est absente,

notamment, parce que l'une d'elles s'est fait imposer le contenu du contrat par le

biais par exemple d'un contrat d'adhesion, comment 1'interpretation du contrat

peut-elle etre guidee par un principe fonde sur la volonte des parties ? La liberte

de la partie adherente est alors clairement tronquee et la relation cesse d'etre

conforme aux principes memes d'une justice subjective fondee sur la volonte. Un

tel contrat d'adhesion est en quelque sorte une reglementation privee qu'une des

parties impose a l'autre264. La possibility de gestion des droits et interets de la

partie adherente est manifestement reduite a son minimum, la justice commutative

est compromise. C'est pourquoi nous croyons qu'une telle situation doit donner

lieu a une intervention judiciaire.

Puisqu'une partie est clairement avantagee en ayant, dans les faits, impose sa

volonte a l'autre partie, ne devrait-on pas interpreter le contrat avec des principes

fondes sur une commutativite moins subjective265 et sur un souci de garantir la

Oftft

bonne foi, l'equite et la protection de la partie la plus faible ? Nous le savons,

de veritables negotiations ne sont pas un element essentiel a la qualification d'un 263 Fin-Langer, ibid, au no. 107 et s.; Jukier, supra note 207 a la p. 233 et s. 264 Pascal Ancel, « La force obligatoire - Jusqu'ou faut-il la defendre ? » dans Jamin et Mazeaud

(dir.), supra note 215, 1163 a la p. 174. 265 Bimes-Arbus, supra note 94. 266 Ranouil, supra note 93 a la p. 134.

I l l

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contrat. Un contrat existe et est valide meme en l'absence de veritables

negociations . D'ailleurs, la reconnaissance du contrat d'adhesion au Code

civil du Quebec en est certainement l'exemple le plus probant. Le probleme

cependant est que la philosophic liberale sous-jacente a la loi contractuelle est

justement inspiree d'une mentalite de libres negociations par des parties placees

en situation d'egalite. .La reconnaissance de contrats non librement negocies

apparait ainsi comme une rupture du systeme et explique les necessaires

interventions legislatives ponctuelles a cet effet, notamment en ce qui concerne les

droits des consommateurs ou des adherents. Le fait pour le legislateur d'imposer

a la partie avantagee des normes legislatives de comportement l'obligeant a tenir

compte des interets de son cocontractant et a ne pas abuser de sa situation permet

au systeme de recouvrer une apparence de legitimite. II s'agit en fait d'imposer

une commutativite plus objective lorsque les circonstances demontrent l'inegalite

des parties dans leur capacite a exercer un veritable consentement libre et eclaire.

2.4.2.1.2 Une commutativite objective

II est interessant de noter le nombre d'ecrits et d'auteurs, tant quebecois que

frangais, qui traitent, principalement ou incidemment, de la necessite d'une

certaine justice dans le contrat. Chacun y va de sa theorie. Nous nous

contenterons d'en mentionner quelques-unes plus recentes ou populaires. Ainsi,

267 Voir a ce sujet, le developpement dans Ghestin, Traite, supra note 29 au no 240 et s. 268 Article 1379 C.c.Q.

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-JSQ 970 on discute d'obligation d'information , de bonne foi , de contrats justes et

971 979 97*3 9 74

utiles , de proportionnalite , de coherence , de loyaute, d'equite , de

contingence275, de contrats relationnels276, de « solidarite » ou « solidarisme »

269 Voir notamment, Patrice Deslauriers, « Le devoir de renseignement des banques », dans Droits de la personne: Solidarite et bonne foi: actes des Journees strasbourgeoises de I'lnstitut canadien d 'etudes juridiques superieures 2000, tenues du 2 au 8 juillet 2000 a Strasbourg, France, Cowansville, Yvon Blais, 353; Muriel Fabre-Magnan, De l'obligation d'information dans les contrqts, essai d'une theorie, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 221, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1992 aux nos. 637-668; Ghestin, Traite, supra note 29 aux nos. 626-674; Gregoire, supra note 15.

270 Voir notamment, Jean-Louis Baudouin, «Justice et equilibre: la nouvelle morality contractuelle du droit civil qu£b£cois » dans Gilles Goubeaux (dir.), Le contrat au debut du XXIe siecle, Etudes offertes a Jacques Ghestin, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 2001, 177 a la p. 198; Benabent, supra note 9; Paul-Andre Crepeau, « Le contenu obligationnel d'un contrat», (1965) 43 R. du B. can. 1, notamment a la p. 26 [Crepeau, « Contenu »]; Nathalie Croteau, «Le controle des clauses abusives dans le contrat d'adhesion et la notion de bonne fob, (1996) 26 R.D.U.S. 401; Gregoire, supra note 15; Patrice Jourdain, « La bonne foi dans la formation du contrat (rapport fran?ais)», dans La bonne foi, supra note 9, 121 [Jourdain, « Bonne foi »]; Vincent Karim, « La regie de la bonne foi prevue dans l'article 1375 du Code civil du Quebec: sa portee et les sanctions qui en decoulent» (2000) 41 C. de D. 435 [Karim, « Bonne foi»]; Ginette Leclerc, « La bonne foi dans l'execution du contrat (rapport canadien, lere partie, le contrat en general) » dans La bonne foi, supra note 9, 265; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8; Brigitte Lefebvre, «La bonne foi dans la formation des contrats : Le contrat en general (rapport canadien) », dans La bonne foi, supra note 9, 85 [Lefebvre, « Rapport canadien »]; Brigitte Lefebvre, «La bonne foi : notion proteiforme », (1996) 26 R.D.U.S. 321 [Lefebvre, «Proteiforme»]; Lefebvre, « Liberte», supra note 8; Claude Masse, « La bonne foi dans l'execution du contrat (rapport g£n£ral) », dans La bonne foi, supra note 9, 217; Jacques Mestre, « Bonne foi et equity, meme combat! », [1990] R.T.D. civ. 649 [Mestre, « Combat»]; Jacques Mestre, « D'une exigence de bonne foi a un esprit de collaboration », [1986] R.T.D. civ. 100; J. Perilleux, « La bonne foi dans l'execution du contrat (rapport beige) », dans La bonne foi, supra note 9, 237; Jean-Franfois Romain, Theorie critique du principe general de bonne foi en droit prive, Des atteintes a la bonne foi, en general, et de fraude, en particulier (fraus omnia corrumpit), Coll. de la Faculte de droit, Universite libre de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant, 2000; Robert Vouin, La bonne foi, notion et role actuels en droit prive frangais, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1939.

271 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 221 et s.; Ghestin, «Notion», supra note 39; Ghestin, « Utile», supra note 38.

272 Le Gac-Pech, supra note 95. 273 Horatia Muir Watt, Le principe de coherence en matiere contractuelle, t. 1 et 2, Aix-en-

Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2001. 274 Cumyn, supra note 42. 275 Luc Grynbaum, Le contrat contingent, 1'adaptation du contrat par le juge sur habilitation du

legislateur, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 389, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 2004.

276 Rolland, « Figures », supra note 23. II faut noter que l'auteure preconise dans ce type de contrats une relation contractuelle bas£e sur les principes de bonne foi, de solidarite et de cooperation.

113

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contractuels277 ou meme d'immutabilite et de securite contractuelles, tous ces

textes demontrent qu'il existe, a divers degres, autant de definitions et de

conceptions de la commutativite contractuelle que d'auteurs sur le sujet. La notion

qui semble revenir le plus souvent est celle d'equilibre contractuel, sans qu'il soit

par ailleurs plus aise de definir cette notion qui est tres certainement une notion

polysemique et proteiforme. D'ailleurs, certains auteurs, dans leur these278

definissent la notion d'equilibre contractuel par de nombreux facteurs, tout aussi

difficiles a definir que la reciprocite, la commutativite, l'equivalence, la

proportionnalite ou la maximisation de creation de richesses. lis demontrent

aussi, meme si pourtant ils arrivent a des resultats differents des notres, que les

seules notions de juste prix ou d'equivalence des prestations sont insuffisantes

pour definir l'equilibre contractuel279. Pourtant, il s'agit des notions auxquelles

referent le plus couramment les auteurs280.

Meme si elle est diversifiee quant aux outils a privilegier, il faut par ailleurs

constater que la majorite de la doctrine est d'avis qu'il faut s'assurer d'une

certaine justice au contrat. Les notions floues et concepts pouvant alors etre

utilises a cette fin varient d'un auteur a l'autre mais une constante apparait: pour

277 Voir notamment: Belanger et Tabi Tabi, supra, note 202; Courdier, supra note 6; Christophe Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel » dans Gilles Goubeaux (dir.), supra note 270, 441; Mazeaud, « Solidarisme », supra note 7; Mazeaud, « Loyaute », supra note 9; Yves Picod, Le devoir de loyaute dans I 'execution du contrat, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 208, Paris, Librairie Gen6rale de Droit et de Jurisprudence, 1989; Thibierge-Guelfucci, supra note 6.

278 Fin-Langer, supra note 26 notamment aux nos. 255 a 357 et Grynbaum, supra note 275 au no 50 et s.

279 Fin-Langer, ibid, et Grynbaum, ibid, au no. 44 et s. 280 Voir par exemple la these de doctorat d'Elise Charpentier qui traite de la notion d'equilibre en

fonction d'un juste prix : Charpentier, supra note 209.

114

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que la relation contractuelle puisse etre qualifiee de juste, il faut que le juge soit

investi d'un pouvoir d'intervention et de controle au contrat, sans quoi, les

principes de justice ne seront que purement theoriques et virtuels. Ce sont les

intervention et interpretation judiciaires qui donnent dans chaque cas un contenu

precis a la notion floue281 et qui assurent le respect des preceptes de justice.

D'ailleurs, comme nous 1'avons deja explique, une telle intervention est

parfaitement en accord avec les principes fondamentaux de justice commutative,

decrits par Aristote et impliquant l'intervention du juge, « source de justice ». Un

contrat juste s'assure de pouvoir compter sur cette source de justice.

Pourtant, une certaine doctrine continue de resister a une telle implication en

soulevant le spectre de 1'instability contractuelle. Le probleme avec leur

raisonnement est justement qu'au nom de la securite et de la liberte des parties, on

989

confond stabilite contractuelle et immutabilite . Dans cette philosophic,

l'immuabilite du contrat apparait comme 1'application de la regie du respect de la

parole donnee283, symbole par excellence, dans cette conception du droit, de la

liberte des parties. Toute intervention contraire du juge est interpretee comme une

breche importante aux principes fondamentaux du respect de la parole donnee, de

la liberte et de la securite contractuelles. En d'autres termes, toute intervention

judiciaire est congue comme une atteinte a la commutativite subjective, celle 281 Annick Tribes, Le role de la notion d'interet en matiere civile, t. 1 et 2, These de doctorat en

droit, Universite de droit, d'economie et de sciences sociales de Paris (Paris 2), 7 fevrier 1975 a la p. 326 et s.

282 Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 366. Voir notamment Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 119, pour qui, toutes les theories pronant un certain solidarisme contractuel constituent un « reel danger pour la liberte et la securite des contractants ( . . . )» [Les italiques se trouvent au texte original]. Du meme avis : Leveneur, supra note 100 a la p. 185 et s.

283 Thibierge-Guelfucci, ibid.

115

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qu'ont voulue librement les parties . En ce sens, 1'intervention judiciaire est une

menace pour la securite contractuelle.

Or, a notre avis, une telle conception est erronee parce qu'elle confond liberte

absolue et equilibre des libertes favorisant le respect de la regie de la coexistence

des droits et des interets. Aucune liberte n'est absolue et toute liberte peut etre

limitee par la loi, qui a justement pour mission d'assurer la juste coexistence de

ces libertes et des interets qu'elles permettent de promouvoir. Et puisque le juge

est responsable de l'application individuelle de cette loi, il apparait que la liberte

contractuelle sera mieux assuree par l'intervention judiciaire qui veille a ce que

l'equilibre des droits et interets de chacun soit effectivement respecte. C'est ainsi

que ce contrat pourra legitimement justifier toute sa force obligatoire en soutenant

la veritable manifestation d'un exercice socialement acceptable de libertes.

Cependant, nous concedons qu'une telle intervention a effectivement pour effet de

modifier la commutativite contractuelle vers une commutativite plus objective285

lorsque les circonstances demontrent qu'il y avait inegalite des parties et done, ce

que nous pourrions appeler une «liberte soumise ». Comme nous le verrons, une

telle commutativite impliquerait une reciprocity plus raisonnable ou socialement

acceptable entre les prestations respectives des parties. Dans un contexte ou l'on

284 Voir notamment Christian Larroumet, «Obligation essentielle et clause limitative de responsabilite », D. 1997.chron.145 qui ecrit notamment: « L'application est devastatrice en ce qu'elle a pour effet, en d£veloppant le controle du contrat par le juge, de ruiner la liberte contractuelle. »

285 Bimes-Arbus, supra note 94; voir de meme, sur la promotion du raisonnable comme element de justice contractuelle : Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 132 et s.

116

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recherche une saine coexistence des droits et interets et que la loi fournit

expressement aux juges les outils pour se faire, peut-on vraiment denoncer une

telle demarche ? Nous soumettons qu'en permettant aux juges le juste

reequilibrage au sein du droit civil, notamment en codifiant le principe de bonne

foi, le legislateur a modifie implicitement les postulats contractuels en

reconnaissant l'inegalite factuelle courante des parties. Les juristes ne peuvent

done plus se contenter de 1'interpretation traditionnelle de Pimmutabilite

contractuelle fondee sur une conception subjective de la juste commutativite. La

reconnaissance nouvelle du legislateur en modifie necessairement l'application et

oblige les juristes a faire la promotion de la commutativite objective. II faut que le

contrat soit raisonnablement profitable aux deux parties.

L'appel au loup au nom de la securite juridique de ces juristes nous apparait aussi

inquietant pour une autre raison. Toute cette denonciation a pour postulat une

mefiance a l'egard du systeme judiciaire, probablement au nom d'une

incompetence presumee. Or, une telle attitude nous semble incompatible avec le

role d'officiers de justice qui incombe aux juristes.

II est d'ailleurs interessant de souligner aux detracteurs d'une telle intervention

judiciaire que meme lorsque le legislateur permet expressement aux juges

d'intervenir en certaines situations ponctuelles, ceux-ci font generalement preuve

de retenue et moderation286. On n'a qu'a citer l'exemple de l'intervention

286 Jean Pineau, « La discretion judiciaire a-t-elle fait des ravages en matiere contractuelle ? » dans La reforme du Code civil, cinq ans plus tard, vol. 113, Service de la formation permanente,

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987 judiciaire permise en revision d'une clause penale . A-t-on entendu parler d'un

abus flagrant des juges en ce domaine qui mettrait en peril l'existence de telles

clauses en rendant illusoires leur portee obligatoire ? Ici comme ailleurs, les

reflexes civilistes entrainent une mefiance a l'egard d'un pouvoir judiciaire

beneficiant d'une certaine latitude. Par exemple, en France, lorsque le legislateur

avait donne ce meme pouvoir de revision des clauses penales aux juges, plusieurs

l'avaient denonce en disant qu'il entrainerait la mort effective des clauses

988

penales . Or, nous le savons maintenant, cette prediction etait erronee.

Pourquoi en serait-il autrement pour les autres types d'obligations contractuelles

ou pire encore, selon les predictions que l'on retrouve dans la litterature la plus • 980

pessimiste, de l'existence meme du contrat ? Le mepris des juristes a l'egard

de 1'intervention judiciaire nous apparait done injustifiee et a la limite,

injustifiable.

Barreau du Quebec, Cowansville, Yvon Blais, 1998, 141 et notamment dans sa conclusion a la p. 178 [Pineau, « Discretion »]; voir aussi ce meme constat en droit fran?ais : Mazeaud, « Loyaute», supra note 9 a la p. 627.

287 Article 1623 C.c.Q. Pour de plus amples. informations a ce sujet, voir Vincent Karim, « La clause penale et le pouvoir de revision des tribunaux » dans Pierre-Claude Lafond (dir.), Melanges Claude Masse: en quete de justice et d'equite, Cowansville, Yvon Blais, 2003, 527 [Karim « Clause penale »]

288 Mazeaud, « Loyaute», supra note 9 a la p. 628. 289 Voir notamment Georges Ripert, Le regime democratique et le droit civil moderne, Paris,

Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1948 au no. 159 et s. [Ripert, Regime democratique]

118

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2.4.2.1.2.1 L'evolution de la commutativite contractuelle de subjective a plus objective.

Notre plaidoyer en faveur de l'intervention judiciaire s'appuie sur la pretention

selon laquelle il est necessaire de modifier la definition de la justice dans

l'examen de la commutativite entre les parties contractantes. A notre avis,J'aspect

volontaire de la relation ne modifie par le caractere objectif des principes de

justice applicables a la relation contractuelle. Ainsi, nous pensons que la justice

contractuelle passe aussi par le respect du principe de coexistence paisible des

droits et interets etudie dans la section portant sur les principes de justice en

responsabilite civile.

Mais, les principes philosophiques de l'autonomie de la volonte impregnant

encore le droit contractuel quebecois, certains pourraient, au contraire, etre tentes

d'argumenter qu'encore aujourd'hui le respect des regies relatives a la formation

du contrat et a la validite du consentement en fait presumer la justice. En effet, si

la commutativite ne se congoit qu'en fonction de la subjectivite des parties,

puisque celles-ci sont libres de fixer les conditions contractuelles, les parties ne

peuvent revendiquer par la suite une equivalence de nature plus objective290.

D'ailleurs, ils seraient confortes dans cette opinion par la constatation que le

principe de la lesion entre majeurs n'est pas reconnu en droit quebecois . La

lesion se definissant comme « une disproportion importante entre les prestations

290 Denis Berthiau, Le principe d'egalite et le droit civil des contrats, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 320, Paris, Librairie Generate de Droit et de Jurisprudence, 1999 au no. 740 et s.

291 Article 1405 C.c.Q.

119

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987 des parties» , il devient facile de conclure que la justice contractuelle

commutative de nature objective ne peut concretement etre envisagee comme un

aspect theorique important de la theorie contractuelle.

Pourtant, nous continuons de soutenir que la relation contractuelle doit respecter

la composante sociale du droit prive qui impose a chacun de ne pas nuire

indument a autrui. Cette composante implique que chacun puisse effectivement

agir dans son interet, en toute egalite avec son cocontractant, et en pleine

connaissance de cause. Sinon, elle implique que le juge puisse imposer certains

comportements aux contractarits afin d'assurer une veritable coexistence des

droits et des interets conforme aux normes sociales. II ne s'agit done pas d'une

negation des principes de la theorie de l'autonomie de la volonte mais d'un

retablissement des conditions propices au respect des principes de justice

commutative en fonction de la reconnaissance par le legislateur quebecois de

l'inegalite effective des parties.

D'ailleurs, meme dans l'application pure des principes theoriques de la

commutativite subjective basee sur le respect de la volonte, on retrouve des signes

d'une volonte d'assurer un meilleur respect des interets mutuels des parties. II est \

interessant de noter que ces manifestations se sont greffees au fil du temps,

essentiellement, suite a l'application de certains preceptes de justice par les

tribunaux. En ce sens, de telles manifestations pourraient etre considerees comme

des denaturations de la theorie pure de l'autonomie de la volonte. Ainsi, meme si 292 Article 1406 C.c.Q.

120

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en theorie, la justice est presumee des qu'il y a accord de volontes, on retrouve,

dans les faits, des manifestations jurisprudentielles demontrant un certain souci ou

desir d'etablir effectivement une commutativite raisonnablement favorable aux

deux parties. A notre avis, celles-ci traduisent un veritable malaise, au sein de la

pratique judiciaire, par rapport a la presomption non verifiee ou verifiable de

justice contractuelle basee sur la seule rencontre des volontes. Comment

comprendre et inclure ces manifestations de plus en plus importantes dans une

veritable theorie contractuelle qui puisse les reconnaitre et les justifier

legitimement ? Est-il temps de cesser de les considerer comme autant

d'exceptions et de dangers a une theorie de l'autonomie de la volonte qui

manifestement n'est plus a meme de refleter les veritables assises de la theorie

contractuelle ?

Un premier exemple de telles manifestations se trouve a l'article 1401 C.c.Q. qui

prevoit que « l'erreur d'une partie, provoquee par le dol de l'autre partie ou a la

connaissance de celle-ci, vicie le consentement dans tous les cas ou, sans cela, la

partie n'aurait pas contracte ou aurait contracte a des conditions differentes. » Or,

on le sait, quand les plaideurs invoquent ce type d'erreur, ils doivent non

seulement demontrer que la partie qui se plaint de l'erreur a ete victime des

manoeuvres mensongeres de son cocontractant mais, en plus, qu'elle n'aurait pas

contracte ou, selon la codification de 1'interpretation qui avait ete developpee en

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jurisprudence293, qu'elle aurait contracte a des conditions differentes294. Or,

comment se fait une telle preuve ? Par la demonstration de donnees objectives

soutenant qu'une commutativite desequilibree de maniere si importante ne peut

etre que le resultat d'un consentement vicie . On fait clairement appel au

caractere objectivement injuste du contrat en de telles circonstances. Cela est

d'ailleurs tellement vrai que l'on permet au juge de sanctionner ce desequilibre en

permettant a la partie victime du vice corrupteur d'obtenir, non pas la nullite du

contrat - qui serait la consequence logique d'un vice de consentement et done

d'une absence de volonte reelle - mais un maintien de ce dernier avec une

90 ft

reduction de ses obligations equivalente aux dommages subis , e'est-a-dire, dans

bien des cas, la valeur objectivement juste du contrat.

Un autre exemple de cette recherche de commutativite plus equilibree se trouve

dans 1'interpretation que font les juges des obligations contractuelles. Ainsi, en

presence d'une ambigui'te sur le contenu du contrat, les juges sont autorises a aller

au-dela du sens litteral des termes utilises et a rechercher l'intention veritable des

707 ' parties . Or, bien que le Code civil prevoie des dispositions specifiques

293 Voir notamment les decisions Bellerose c. Bouvier, [1955] B.R. 175 [Bellerose]\ Turmel c. Quadragesco Inc., [1988] R.J.Q. 2608 (C.A.) [Quadragesco] et Belanger c. Demers, [1992] R.J.Q. 1753 (C.A.) [Belanger].

294 Article 1401 C.c.Q.; Voir a cet effet, Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 241; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 645 et s.

295 Dijon, supra note 70 a la p. 346. Voir aussi a cet effet, Lluelles et Moore, ibid, au no. 660 et s. II faut par ailleurs noter que bien que les dispositions relatives a la crainte ne soient pas aussi explicites relativement a cette exigence de desequilibre, les plaideurs vont aussi, lorsqu'ils invoquent la crainte, effectuer le meme type de demonstration.

296 Article 1407 C.c.Q. 297 Article 1425 C.c.Q.: «Dans 1'interpretation du contrat, on doit rechercher quelle a etd la

commune intention des parties plutot que de s'arreter au sens litteral des termes utilises. »

122

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concernant 1'interpretation des contrats298, il est courant de constater que les juges

analysent l'intention des parties par un principe d' « interpretation raisonnable ».

Ainsi, les juges soupesent les interets de chaque partie et tentent de trouver une

interpretation qui ne soit pas trop lourde de consequences pour chacune d'elles299.

On comprend d'une telle interpretation que les juges considerent que les parties ne

se seraient pas engagees a des conditions aussi onereuses pour l'une d'elles, ou si

l'on prefere, en abnegation si flagrante de ses interets.

Ainsi, par exemple, dans la decision Pisapia300, la Cour d'appel cite cet extrait du

jugement de premiere instance en specifiant qu'il s'agit d'une interpretation

raisonnable a laquelle elle acquiesce : « Bien qu'on ne puisse se referer a un

critere non contemporain au contrat pour 1'interpreter, l'ampleur du cout des

travaux d'etaiement est telle qu'il repugne de croire qu'un contracteur [s/c] en

excavation ait pu inclure semblable alea en determinant le cout de 1'enlevement de

la terre a la verge cube. Non seulement Dube y aurait-il risque sa marge de profit,

mais aurait-il assume la possibility de payer un item considerable (...) » Que doit-

on comprendre d'une telle citation ? Force est de conclure qu'une preuve a ete

faite par la partie debitrice a 1'effet que le fardeau impose par une interpretation

contractuelle qui inclurait les couts des travaux d'etaiement serait trop lourd par

298 Voir entre autres les articles 1425 a 1432 C.c.Q. 299 Voir notamment les decisions Exportations Consolidated Bathurst c. Mutual Boiler, [1980] 1

R.C.S. 888 [Mutual Boiler]; 3092-4484 Quebec Inc. c. Turmel, (29 janvier 1997), Quebec, 200-09-000648-953, J.E. 97-339 (C.A.) [3092-4484]; Cerescorp Inc. c. Commerce Leasing Ltd, (12 fevrier 1996), Montreal, 500-09-000518-902, J.E. 96-498 (C.A.) [Cerscorp]; Chateau c. Placements Germarich inc., (6 juin 1997), Montreal, 500-09-001184-944, J.E. 97-1254 (C.A:) [Placements Germarich] et Pisapia Inc. c. Paul Dube et fils Ltee, (12 novembre 1993), Montreal, 500-09-000159-855 et 500-09-000160-853, J.E. 93-1883 (C.A.) [Pisapia].

300 Pisapia, ibid.

123

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rapport aux avantages qu'elle retirerait du contrat. II en resulterait ainsi un

desequilibre important puisque le contrat serait essentiellement desavantageux

pour elle. Ainsi, par une justification fondee sur l'intention « raisonnable » des

parties (du moins de celle debitrice des obligations qui autrement seraient tres

onereuses), les juges tentent de retablir une meilleure commutativite dans les

interets des parties contractantes et, de ce fait, visent une justice contractuelle de

nature plus objective.

Ainsi, en se basant sur ces exemples, nous pouvons constater que malgre la

presomption de justice liee a la theorie de l'autonomie de la volonte qui domine

encore la theorie quebecoise de la formation des contrats, on retrouve certains

mecanismes qui permettent mix juges de retablir dans les faits un certain equilibre

contractuel plus objectif. Cependant, il est important de noter qu'en quelque sorte,

ces mecanismes ne contredisent pas vraiment la theorie de l'autonomie des

volontes puisqu'il s'agit effectivement de decouvrir le point de rencontre de ces

volontes lors d'une ambiguite dans 1'interpretation du contrat ou de sanctionner la

rencontre fautive des volontes, c'est-a-dire la rencontre qui n'aurait pu avoir lieu,

n'eussent ete des manoeuvres dolosives d'un des contractants. Nous l'avons deja

dit, pour les tenants de la theorie de l'autonomie de la volonte, le consentement

libre et eclaire est a la fois source et justification de la force obligatoire des

contrats301. II est done normal que l'on recherche tout au moins cette volonte

essentielle. Mais meme dans cette recherche primaire de la volonte, on peut noter

301 Ranouil, supra note 93 a la p. 71.

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une tendance vers la necessite d'une plus grande justice contractuelle fondee sur

les principes de justice commutative objective.

L'article 1401 C.c.Q. est aussi interessant pour la demonstration qu'il permet de

faire de revolution de la jurisprudence quant a certaines sources de retablissement

d'une commutativite plus objective. Ainsi, contrairement a ce qui etait a l'origine

codifie sous l'egide du Code civil du Bas-Canada, cet article donne ouverture a

un recours pour vice de consentement fonde sur le dol par reticence. La reticence

peut etre definie comme un silence volontaire d'un des cocontractants sur un

element important du contrat . Or, longtemps, notre droit n'a pas reconnu qu'un

tel silence pouvait etre assimile a un mensonge dolosif. On ne semblait

s'interesser qu'aux manoeuvres positives , c'est-a-dire aux comportements

deloyaux tels des ruses, machinations ou mensonges traduisant une intention de

tromper304. Dans l'esprit liberal qui regnait a cette epoque, on considerait qu'il

etait du devoir de chacun de se renseigner et qu'une partie ne contribuait pas a

tromper son cocontractant en cachant, par son silence, et done sans un

comportement « activement» reprehensible, des elements importants du contrat.

II appartenait a l'autre partie de veiller elle-meme a ses interets et de s'informer en

305 consequence .

302 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 235; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 620. II faut noter que ces auteurs distinguent le silence proprement dit et la reticence mais admettent qu'en pratique, on ne fait pas une telle distinction.

303 Lluelles et Moore, ibid. 304 Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 87. 305 Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 620.

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Or, la jurisprudence a evolue pour ouvrir la porte aux recours fondes sur la

reticence pour celui qui n'est pas en mesure de se renseigner lui-meme . Cette

evolution a ete consacree au second alinea de l'article 1401 qui prevoit que « le

dol peut resulter du silence ou d'une reticence. » De meme, le droit de la

consommation reflete aussi ce changement de mentalite en interdisant les fausses

representations meme par omission307. Une telle evolution s'inscrit bien dans la

necessite de l'exercice libre de la volonte tel que nous le concevons. Sans

metamorphoser la notion de dol en une obligation altruiste de fraternite ou de

solidarite, la reconnaissance du dol par reticence reflete a la fois les principes

d'egalite entre les cocontractants et la regie de la coexistence des droits et interets.

Ainsi, en l'absence d'egalite (ce qui est le cas dans une situation de deficit

informationnel), nul ne peut profiter de cette situation pour nuire a autrui, au

mepris de la norme imposee par le principe de la coexistence des droits et interets.

« La liberte contractuelle ne doit pas etre le monopole d'un seul contractant, elle

doit etre partagee. »308 C'est cette violation que vient consacrer le dol par

reticence. Par contre, lorsque les parties sont en situation d'egalite, la

responsabilite qui incombe a chacun empeche une partie de se plaindre du silence

de son cocontractant ou, si l'on prefere, de son refus d'agir positivement afin

306 Ibid, au no. 621; Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 236. 307 Voir par exemple les articles 216 et 219 de la L.P.C., supra note 62 qui prevoient qu'un

commer?ant « ne peut, par quelque moyen de ce soit, faire une representation fausse ou trompeuse a un consommateur» et definissent la representation comme comprenant « une affirmation, un comportement ou une omission » ou encore l'article 228 de la meme loi, qui prevoit qu'aucun commer^ant « ne peut dans une representation qu'il fait a un consommateur, passer sous silence un fait important. »

308 Jean Alisse, L'obligation de renseignements dans les contrats, These de doctorat en droit, Universite de droit, d'economie et de sciences sociales de Paris (Paris II), 1975 a la p. 56.

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d'assurer la sauvegarde des interets de cette partie. On explique ainsi le principe

de l'erreur inexcusable prevu a l'article 1400 C.c.Q.

En plus, cette evolution de la jurisprudence et de la legislation quebecoise a

permis de jeter les bases de la reconnaissance d'une obligation generale de

renseignements en droit quebecois309. En vertu de cette obligation de

renseignements, une partie qui se trouve en situation de vulnerability quant a 11 A

l'obtention d'informations determinantes est creanciere d'une obligation de

renseignement de l'autre partie en mesure de fournir ces informations. Et meme

si pour l'instant les tribunaux s'appuient encore largement sur les vices de

consentement pour sanctionner un manquement a cette obligation d'information

au stade de la formation du contrat, nous croyons que ce type d'obligation est

appele a se developper de maniere plus autonome, notamment comme nous le

verrons plus amplement, par la reconnaissance de plus en plus importante de la

notion de bonne foi en matiere contractuelle.

La professeure Muriel Fabre-Magnan, dans sa these traitant de l'obligation

d'information dans les contrats, propose une sanction au manquement a

l'obligation d'information qui inclurait cette information dans le cadre

obligationnel du contrat, le tout conformement aux attentes legitimes du creancier

309 Voir notamment les arrets Bail, supra note 12; Losier, supra note 16 et Regie d'assainissement des eaux du bassin de La Prairie c. Janin Construction (1983) Ltee, [1999] R.J.Q. 929 (C.A.) [Janin]. Nous dedions une section sp£cifique a l'obligation d'information.

310 Bail, ibid, a la p. 582. Voir aussi nos commentaires sur la nature determinante de 1'information dans Gregoire, supra note 15 aux pp. 41 et 46.

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de l'obligation d'information . Ainsi, lorsque ce creancier pouvait legitimement

- nous dirions raisonnablement - croire en la force obligatoire de 1'information,

• • • 312

par ailleurs erronee, transmise par le debiteur de l'obligation de renseignement

et qu'il est possible d'assurer la realisation materielle de l'obligation contractuelle

relative a l'information transmise313, on devrait, a son avis, proceder a

«l'elargissement du champ contractuel par 1'integration de 1'information

transmise »314 afin de la rendre obligatoire aux parties contractantes. En d'autres

termes, en integrant l'information erronee au contenu obligationnel du contrat afin

d'obliger les parties (et plus particulierement le debiteur de l'obligation

d'information, qui a vraisemblablement toutes les chances de se retrouver debiteur

de cette nouvelle obligation contractuelle) a agir comme si cette information etait

311 Fabre-Magnan, Information, supra note 269 aux nos. 637-668; Voir d'ailleurs une reconnaissance de cette theorie de Mme Fabre-Magnan dans Ghestin, Traite, supra note 29 aux nos. 666-674. Au meme effet, mais concernant l'ensemble des obligations d'un contrat: Franfois-Xavier Testu, « Le juge et le contrat d'adhesion », JCP 1993.1.3673 au no. 8. Voir par ailleurs pour une analyse et une critique de la theorie de l'attente legitime : Xavier Dieux, « Le respect du aux anticipations legitimes d'autrui: principe general de droit (l'exemple d'un ordre juridique frontalier)», dans Nicholas Kasirer et Pierre Noreau (dir.), Sources et instruments de justice en droit prive, Montreal, Themis, 2002, 272; Didier Lluelles, « La theorie des « attentes legitimes » (ou « raisonnables ») dans la clarification contractuelle : est-ce si legitime ? est-ce bien raisonnable ? » dans Benoit Moore (dir.), Melanges Jean Pineau, Montreal, Themis, 2003, 407 [Lluelles, « Attentes legitimes »]. II faut noter que cette theorie obtient une certaine reconnaissance au Quebec notamment dans le domaine des assurances: voir l'opinion de la juge Deschamps, alors a la Cour d'appel, dans Le Groupe commerce, compagnie d'assurances c. Service d'entretien Ribo Inc., [1992] R.R.A. 959 (C.A.) [Ribo]; Wojford c. Boreal Insurance Inc., [1995] R.R.A. 811 a la p. 813 (C.Q.); Gilbert A. Hourani, « L'attente raisonnable de l'assure : a tort ou a raison ? » dans Developpements recents en droit des assurances (2001), vol. 147, Service de la formation permanente, Barreau du Quebec, Cowansville, Yvon Blais, 105; Benoit Moore, « L'offre dans le contrat d'assurance : une divergence qui en appelle une autre », (1998) 32 R.J.T. 361; Marie-Chantal Thouin, « La theorie de l'attente raisonnable de l'assure », (1996-97) 64 Assurances 545. Pour un exemple de reconnaissance en dehors du domaine de l'assurance, voir Guenette c. Nurun Inc., [2002] R.J.Q. 1035 (C.S.), aux par. 77-78 [Nurun] sur la protection des attentes raisonnables d'un actionnaire minoritaire qu'offre le recours contre l'oppression.

312 Fabre-Magnan, Information, ibid, au no. 658. 313 Ibid, aux nos. 656-668. 314 Ibid, aux nos. 641-656.

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exacte, on retablit une certaine justice dans la commutativite affectee par la

transmission de la fausse information.

Prenons l'exemple courant d'un vendeur qui, sans fournir une documentation au

prealable, vend une garantie prolongee pour un bien en assurant l'acheteur de

certaines caracteristiques de protection, qui dans les faits ne sont pas incluses a la

garantie mais qui pourtant ont ete determinantes dans la decision de se procurer

celle-ci. On constate que la transmission d'une information erronee par le vendeur

a cree une inegalite dans la possibility du client de veiller a ses interets, le tout en

contravention des principes de coexistence des droits et interets. En theorie, on

peut penser que ce client avait raison de croire les representations du vendeur

puisque ce dernier est cense etre un professionnel en la matiere. L'inegalite

engendree par ces fausses representations doit etre reparee et l'inclusion de cette

information, qui vraisemblablement sera dans 1'interet du cocontractant lese, peut

apparaitre comme un retablissement approprie des interets de ce dernier. Le juge

veille ainsi a un retablissement raisonnable qui parait conforme aux avantages

dont aurait pu beneficier le cocontractant lese s'il avait ete veritablement en

position d'assurer la saine gestion de ses interets, du moins a l'egard des

conditions contractuelles relatives a l'information erronee. En analysant ainsi

1'intelligibility de cette theorie d'elargissement du champ contractuel pour y

inclure une information erronee, on cesse de pretendre qu'un tel elargissement ne

pourrait se justifier que par des fondements de solidarite ou fraternite

contractuelles. On constate au contraire que cette theorie s'inscrit parfaitement

dans un principe de simple devoir de ne pas nuire a autrui en assurant la saine

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coexistence des droits et interets. II n'y a aucun avantage accorde mais plutot une

reparation du prejudice cause par l'injustice commise.

S'il y avait attente legitime et raisonnable de la part du cocontractant a l'effet que

le contenu du contrat etait conforme a Tinformation erronee, son transmetteur a

indument nuit a la coexistence paisible des droits et interets. Le contractant

trompe n'est plus en mesure de veiller sainement a ses interets et son

cocontractant profite de cette situation pour lui nuire. II y a done desequilibre

cause par cette inegalite et il devient justifie de faire appel au juge pour assurer le

respect des principes de justice commutative au sein de la relation contractuelle.

Or, dans le cas etudie, il apparait que la meilleure fagon d'arriver a cette fin est

d'imposer une nouvelle norme de comportement a la partie debitrice de

l'obligation d'information en lui prescrivant d'agir conformement au contenu de

Tinformation erronee. II s'agit en quelque sorte d'une reparation en nature de

l'atteinte au principe de la coexistence paisible des droits et des interets et nous

croyons que dans plusieurs cas, ce type de sanction est preferable a une sanction

par equivalent. En plus de maintenir le lien contractuel, une telle sanction

encourage chacune des parties a effectivement veiller de fagon responsable a ses

interets. Meme la partie lesee ne peut se plaindre puisqu'elle avait contracte en

pensant raisonnablement que Tinformation fournie etait valable. Quant a la partie

ayant transmis Tinformation erronee, elle ne peut, avec une telle sanction, profiter

de son manquement.

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Ce premier exemple demontre qu'il est possible de concilier 1'intervention

judiciaire visant 1'inclusion de nouvelles obligations au contrat a la perennite et la

securite contractuelles. Cette discussion permet aussi de constater que la theorie

contractuelle presuppose un certain equilibre, meme sans le definir. II est

d'ailleurs interessant de noter que la Cour supreme du Canada, meme si elle ne se

prononce pas en faveur d'une sanction aussi interventionniste que celle preconisee

par la professeure Fabre-Magnan, a aussi consider^ que «l'obligation de

• • • 315

renseignement est reliee a un certain reequilibrage au sein du droit civil» .

Malheureusement, une telle sanction se heurte pour 1'instant, en theorie, au

principe de la non-intervention des tribunaux dans la loi contractuelle des parties

au nom d'une vision rigide de 1'immutability contractuelle fondee sur une justice

commutative subjective.

II devient important de realiser que l'imposition de normes contractuelles semble

de plus en plus courante. Puisque certains ont encore de la difficulty a admettre

que la force obligatoire et le contenu contractuels ne puissent reposer sur les

principes de la theorie de l'autonomie de la volonte sans qu'il y ait egalite

effective des capacites a exercer son libre consentement, on justifie souvent ces

nouvelles normes comme relevant d'une volonte « presumee » des parties lors de

la formation du contrat. Or, meme si pour les fins de 1'argumentation nous

admettions que l'autonomie de la volonte est le fondement premier de la theorie

contractuelle et que consequemment, l'existence d'un consentement fait presumer

l'egalite et la justice de la relation contractuelle, ne devrions-nous pas reconnaitre,

315 Bail, supra note 12 a la p. 587.

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tel que nous 1'avons deja mentionne, que le respect de la volonte comporte

toutefois une limite et qu'il doit s'arreter la ou la volonte des parties cesse

effectivement d'exister ? Que cette absence de volonte soit due au fait que les

parties ne peuvent tout prevoir ou au fait qu'une des parties a impose sa propre

volonte a l'autre, il semble qu'etirer les fondements de la theorie pour parler de

volonte presumee contredit les justifications habituelles de ceux qui pronent des

theories individualistes et l'absence d'intervention judiciaire au nom du respect de

la liberte contractuelle. En effet, dans le cas des obligations implicites, on ne peut

plus ici parler d'obligations decoulant d'une veritable volonte libre mais bien

d'obligations imposees par l'autorite317. On ne peut done continuer a nier cette

realite et accepter de travestir impunement ainsi la notion de volonte pour se

securiser dans une theorie qui semble de plus en plus en terrain glissant.

II faut cesser de lutter contre toutes les theories pronant une commutativite

contractuelle plus objective sous le faux pretexte que le contrat ne peut etre 110

modifie par le juge puisque la volonte des parties est souveraine . La realite est

toute autre et il est imperatif de le reconnaitre afin de baliser ces interventions. On

voit maintenant nombre de situations ou l'absence d'egalite des parties dans leur

pouvoir de gestion de leurs interets est sanctionnee par les juges, et cela meme en

l'absence d'ambigui'te contractuelle ou de vices de consentement. De plus en

plus, les juges reconnaissent et imposent aux parties une serie d'obligations

316 Gounot, supra note 35 a la p. 206; Ranouil, supra note 93 a la p. 135. 317 Ripert, Regime democratique, supra note 289 au no. 155. 318 Voir Larroumet, supra note 284 aux pp. 145-146.

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contractuelles implicites afin d'assurer aux parties une certaine possibility de

veiller a leurs interets. Ces obligations n'ont pas ete formellement prevues par les

parties mais les juges les imposent neanmoins a celles-ci . L'exemple

precedemment donne de l'obligation de renseignement que doivent maintenant

respecter tous les contractants n'est qu'un exemple d'une telle imposition. Et bien

que presentement les juges affirment, essentiellement par le biais de la bonne foi,

que ces obligations implicites se retrouvent dans tout type de contrat, force est de

constater que la jurisprudence les a surtout developpees dans certains secteurs de

contrats ou l'inegalite des parties etait des plus flagrantes.

Ainsi, tres tot s'est developpee l'obligation d'information des professionnels a

l'egard de leurs clients profanes. On peut prendre pour exemple l'obligation qu'a

un professionnel de la sante de bien informer son patient avant d'obtenir de ce

dernier le consentement aux soins. Mais cette obligation pourrait a la rigueur etre

consideree comme une manifestation de la necessite du consentement libre et

eclaire, c'est-a-dire comme une exigence relative a la simple validite de la

formation du lien contractuel entre le professionnel et son client, le tout dans une

conception purement autonomiste du lien ainsi cree. Cet exemple n'est done pas

suffisant pour demontrer que les tribunaux confoivent la commutativite

contractuelle dans une perspective de plus en plus objective.

319 Voir generalement sur cette question, un auteur, qui deja avant le developpement actuel de ce type d'obligations base sur la bonne foi, analysait certaines obligations implicites et prevoyait un developpement important de ce type d'obligations : Crepeau, « Contenu », supra note 270.

320 Certains auteurs qualifient d'ailleurs ces obligations d'interpretations « divinatoires >>, voir Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 399.

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Au cours des dernieres 25 annees, on a assiste a une veritable revolution dans le

reequilibrage de contrats ou une des parties etait particulierement vulnerable dans

son rapport de force avec son cocontractant. Par exemple, comme nous 1'avons

deja demontre dans un precedent ouvrage321, le droit relatif aux contrats de

construction a ete grandement modifie par la reconnaissance d'obligations

implicites, et notamment celle d'information continue du maitre d'ouvrage

professionnel a l'egard de 1'entrepreneur322. Notamment, il a ete reconnu dans

l'arret de principe Banque de Montreal c. Bail323, qu'un maitre d'ouvrage

detenant une information qui modifie le risque assume par 1'entrepreneur doit

reveler cette information a ce dernier, et cela, meme en cours de chantier. Le

defaut de se conformer a cette obligation rend ce maitre d'ouvrage responsable

des dommages subis tant par le cocontractant entrepreneur general que par les

tiers au contrat, soit les sous-entrepreneurs324. Dans l'arret Bail, Hydro-Quebec,

qui agissait a titre de maitre d'ouvrage, a notamment ete reconnue responsable de

la faillite d'un des intervenants au chantier, pour avoir fait defaut de fournir

certaines informations qu'elle detenait sur la nature du sol et qui modifiaient le

risque des travaux a executer.

Ce jugement devait marquer une nouvelle ere en matiere de contrats de

construction. Suite a cet arret, l'obligation implicite d'information a d'ailleurs ete

jugee essentielle a ce type de contrat. Ainsi, la Cour d'appel a ecarte, parce que

321 Gregoire, supra note 15 aux pp. 70-74. 322 Bail, supra note 12. 323 Ibid. 324 On sait que ces derniers ont la particularite de n'avoir aucun lien contractuel avec le maitre

d'ouvrage principal. Leur lien contractuel est plutot avec l'entrepreneur general.

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contrevenant a cette obligation essentielle et done, abusive au sens de l'article

1437 C.c.Q., une clause type presente dans la plupart des contrats de construction

et permettant au maitre d'ouvrage de s'exonerer de tout dommage cause a

1'entrepreneur pour un probleme de sol ne pouvant etre decele par les documents

de soumission325. Pourtant, dans cette affaire, le maitre d'ouvrage n'avait pas,

comme dans l'affaire Bail, trompe 1'entrepreneur general en lui cachant certaines

informations qu'il avait en sa possession. II avait cependant fait defaut d'effectuer

des sondages de sol aux endroits pertinents, suite a une modification des plans.

La Cour d'appel a souligne que les sondages fournis pouvaient laisser croire a un

type de sol different et qu'il appartenait au maitre d'ouvrage d'en effectuer

d'autres plus adequats afin de ne pas laisser de fausses impressions pouvant

modifier la capacite de 1'entrepreneur a evaluer le risque assume. Devant ces

constatations, la Cour a conclu qu'il y avait manquement a l'obligation i

d'information du maitre d'ouvrage et que cette obligation etait tellement

fondamentale qu'elle permettait d'ecarter la clause de transfer! des risques

contenue au contrat, en la qualifiant de clause abusive dans un contrat

d'adhesion326. Or, auparavant, des clauses en tout point semblables avaient ete

jugees leonines mais valides par les tribunaux327 qui specifiaient qu'il n'appartient

pas au juge de modifier le contenu contractuel. On constate done la preoccupation

325 Janin, supra note 309. 326 Ibid, a la p. 941. 327 The King v. Paradis & Farley Inc., [1942] R.C.S. 10 [Farley]; Corpex (1977) Inc. c. La Reirie,

[1982] 2 R.C.S. 643 [Corpex]; H. Cardinal Construction Inc. c. Dollard-des-Ormeaux (Ville de), (2 septembre 1987), Montreal, 500-09-000815-837, J.E. 87-970 (C.A.) [Cardinal Construction]; Grant Mills Ltd. c. Universal Pipeline Welding Ltd, [1975] C.S. 1203 [Grant Mills]; Atlas Construction Co. c. Ville de Montreal, [1954] C.S. 350 [Atlas],

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nouvelle des tribunaux pour un certain «reequilibrage » des prestations

contractuelles et leurs interventions de plus en plus directes en ce sens.

Les decisions Bail et Janin Construction sont aussi interessantes parce qu'elles

demontrent la necessite d'examiner non seulement les circonstances de la

formation du contrat mais aussi de son execution. La doctrine civiliste, fortement

influencee par le consensualisme, place le plus souvent le centre de gravite du

contrat au moment du consentement . A partir de ce moment, le contrat est

pergu comme une institution statique, figee et immuable dans le temps. II est

d'ailleurs interessant de noter le malaise de la Cour supreme a appuyer son

analyse sur les seules circonstances d'execution contractuelle qu'elle a qualifiees

de « formation continue du contrat» . Or, l'equilibre contractuel se verifie le

plus souvent dans les conditions d'execution du contrat, d'ou la proposition de M.

Carbonnier de tenir davantage compte des circonstances d'execution lorsque les •5-51

forces economiques en presence sont inegales . Le controle de la capacite a

veiller a ses interets ne peut se situer au seul moment de la formation du contrat

puisque la plupart du temps le prejudice se manifestera lors des phases

d'execution et d'extinction du contrat. II semble done necessaire d'etendre le

controle du contrat des circonstances de sa formation aux circonstances de son

328 II s'agit de l'expression utilisee par la cour supreme dans l'arret Bail, supra note 12 a la p. 587. 329 Jean-Pascal Chazal, « Les nouveaux devoirs des contractants - Est-on alle trop loin ? » dans

Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 115, 99 a la p. 109; Christophe Jamin, « Pour en finir avec la formation du contrat! » (6 mai 1998) Petites affiches 25 [Jamin, « Finir »].

330 Bail, supra note 12 aux pp. 593-594. 331 Cette proposition de M. Carbonnier a ete faite dans un contexte de sociologie juridique mais est

tout aussi valable dans un contexte purement juridique : Jean Carbonnier, Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, 8e ed., Paris, Librairie generate de droit et de jurisprudence, 1995 a lap. 311 [Carbonnier, Flexible].

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execution et meme de son extinction. C'est souvent a ces moments que les

inegalites se revelent le plus marquantes, ne serait-ce que par la reconnaissance de

la verticalite et done de l'inegalite qu'entraine necessairement le lien creancier-

debiteur.

Le secteur bancaire s'est lui aussi vu, au cours des annees, imposer bon nombre de

ces obligations implicites afin de pallier l'avantage important dont il profite le

plus souvent dans ses relations contractuelles, notamment avec les emprunteurs et

les cautions. Ainsi, les tribunaux ont impose au fil des annees aux institutions

financieres des obligations de transmettre a une caution une information

complete332 et de donner a un debiteur un preavis raisonnable avant la mise en

oeuvre des garanties que 1'institution financiere detient contre les biens de ce

debiteur . En imposant ainsi aux banquiers des obligations qui ne sont

evidemment pas expressement prevues au contrat, les tribunaux visent clairement

a permettre au cocontractant de mieux assurer la sauvegarde de ses interets.

Encore une fois, ces exemples sont interessants parce qu'ils illustrent bien qu'une

commutativite contractuelle plus objective n'a pas pour effet de procurer un

avantage mais vise plutot a assurer un respect socialement raisonnable de la

liberte d'autrui. On assure le respect du principe de coexistence des droits et des

interets en empechant une partie de tirer profit de sa situation privilegiee au

mepris deraisonnable des interets de son cocontractant. Les obligations

332 Soucisse, supra note 10; Losier, supra note 16. 333 Houle, supra note 11.

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d'information et de preavis que l'on impose aux banquiers sont tres certainement

autant d'illustrations de cette norme. Pour permettre l'expression de la liberte

dans la gestion de ses interets, il faut parfois donner a certains contractants plus

faibles des outils visant a sauvegarder raisonnablement cette liberte334 ou du

moins a eviter une atteinte deraisonnable qui ainsi irait a l'encontre du principe de

ne pas nuire indument a autrui. Cela peut resulter en l'imposition d'une norme au

contractant privilegie, afin de circonscrire sa liberte dans les limites de la

coexistence paisible des droits et interets. En imposant une telle norme aux

parties et en la faisant respecter, le juge s'assure que le contrat respecte les

principes de justice commutative et maintient le contrat aux meilleurs interets des

parties. En favorisant ainsi le maintien du contrat, ces decisions demontrent,

encore une fois, qu'une commutativite contractuelle plus objective peut etre

compatible avec les principes de force obligatoire, perennite et securite

juridiques335, si cette solution concilie dans le meilleur interet des parties.

II est par ailleurs interessant de noter, concernant les normes imposees aux

institutions financieres, que la Cour d'appel du Quebec a refuse de reconnaitre

qu'une institution financiere avait, en droit quebecois, un role de conseil et de

« fiduciaire » des interets de son client dans l'octroi d'un pret336. Cette affaire

334 Alisse, supra note 308 aux pp. 55-56. 335 Voir au meme effet, Philippe Remy, « La genSse du solidarisme » dans Grynbaum et Nicod

(dir.), supra note 7, 3 a la p. 10. 336 Caisse populaire Desjardins Saint-Jean Baptiste de Lasalle c. 164375 Canada Inc., [1999]

R.R.A. 482, REJB 1999-11807 (C.A.) et en premiere instance [1996] R.R.A. 151 (C.S.) [164375 Canada avec references au REJB]. II est interessant de noter qu'en France, la Cour de cassation est arrivee a une conclusion similaire dans une affaire semblable. L'affaire concernait des titres de valeurs mobilieres que detenait une banque pour son client. Or, suite a la liquidation de la compagnie, les titres ont perdu toute valeur. Le client a done poursuivi la

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impliquait une caisse populaire a qui le juge de premiere instance avait reproche

d'avoir accorde un pret a un client qui en avait fait la demande alors que la sante

financiere de ce client risquait d'etre affectee par l'obtention de ce pret. Or, la

Cour d'appel a renverse cette decision de premiere instance en specifiant que

meme l'obligation de bonne foi ne permettait pas, en pareilles circonstances,

d'exiger de l'institution financiere un tel role de conseil.

Une telle decision s'explique aisement lorsque l'on saisit bien le role souhaite de

reequilibrer la commutativite contractuelle plutot que de procurer un avantage

base sur un fondement de solidarite. En principe chaque partie agit dans son

interet propre337 et les theories qui veulent transformer en deux freres338 les

cocontractants sont illusoires et excessives a notre avis339. « Faire descendre le

banque en lui reprochant de ne pas l'avoir in forme de cette liquidation. La Cour d'appel a donne raison au client mais la Cour de cassation a casse ce jugement en specifiant « que si la banque, simple depositaire de titres, assume, en vertu des usages, les obligations accessoires au contrat, inherentes a la detention de ces titres, aux droit qui y sont attaches et a leur restitution, ni ces usages, ni 1'equity, ni la loi ne l'obligent en outre a informer le deposant d'un evenement affectant la vie de la societe emettrice des titres (. . .) » : Cass. Com., 9 janv. 1990, D. 1990.173 (note Jean-Pierre Brill).

337 Voir notamment Madeleine Cantin-Cumyn, L'administration du bien d'autrui, Cowansville, Yvon Blais, 2000 au no. 91; Gervais, supra note 125 aux pp. 245 et s. Pour plus d'informations a ce sujet, voir la section portant sur la nature des droits subjectifs.

338 A ce sujet, Alain Seriaux ecrit: « La bonne foi de l'article 1134 c'est, repetons-le, la bonne volonte, la loyaute, le souci de se depenser au profit de son cocontractant, de collaborer avec lui, de lui faciliter la tache, en un mot, de 1 'aimer comme un frere. » [les italiques apparaissent au texte original]; voir Seriaux, supra note 69 au no. 55. Nous rappelons que le 3e alinea de l'article 1134 du Code civil fran?ais prevoit que les conventions doivent etre executees de bonne foi. D'autres auteurs se prononcent aussi en faveur d'une solidarite « fraternelle » dans l'execution du contrat: notamment Francois Diesse, « Le devoir de cooperation comme principe directeur du contrat», dans Le droit et I'immateriel, Archives de philosophie du droit, t. 43, Paris, Dalloz, 1999, 259 aux pp. 272-274; Mazeaud, « Loyaute», supra note 9; Thibierge-Guelfucci, supra note 6. Voir pour une critique de cette conception du contrat, Chazal, supra note 329 aux pp. 120-123; Marie-Anne Frison-Roche, « Volonte et obligation », [2000] Archives de philosophie du droit 129 a la p. 137 [Frison-Roche, «Volonte»]; Leveneur, supra note 100 a la p. 175 et s.

339 Cette idee de solidarite contractuelle n'est pas nouvelle meme si elle est devenue particulierement populaire au sein d'une certaine doctrine au cours des dernieres annees. Deja en 1931, Rene Demogue ecrivait que « les contractants forment une sorte de microcosme.

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ciel sur la terre est une tentation a laquelle les civilistes doivent savoir

resister. »340 S'il est important en situation d'inegalite de veiller a assurer un

equilibre raisonnable dans la commutativite contractuelle afin que le contrat ne

serve pas d'instrument d'exploitation d'une partie, on ne peut exiger d'une partie -

hors des contrats particuliers, tels un mandat, impliquant par leur nature meme

une abnegation de ses interets personnels - qu'elle agisse non pas dans son interet

mais dans celui exclusif de son cocontractant. II n'existe pas d'obligation

generale de veiller aux interets d'autrui hors du cadre du respect de la coexistence

paisible des droits et interets d'autrui. Une nouvelle exigence generale de veiller

aux interets d'autrui au-dela de ce qui est necessaire afin de ne pas nuire indument

a autrui parait etre un mouvement de balancier a gauche coritrevenant tout autant

C'est une petite societe ou chacun doit travailler dans tin but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis par chacun, absolument comme dans la societe civile ou commerciale. Alors a l'opposition entre le droit du creancier et 1'interet du debiteur tend a se substituer une certaine union. » Rene Demogue, Traite des obligations en general: Effets des obligations, vol. 2, t. 6, Paris, Librairie Arthur Rousseau, 1931 au no. 3. II est par ailleurs tout aussi interessant de noter la pens£e de Jean Carbonnier sur le sujet: « L'outrance peut perdre une idee juste. On s'etonnera qu'a une epoque ou le mariage s'etait peut-etre trop transforme en contrat, certains aient reve de transformer tout contrat en mariage. ( . . .) Qu'il puisse y avoir dans le contrat un contenu affectif, c'est ce dont temoignent, dans le tres Ancien Droit, certains aspects de la feodalitd - lien de fidelite, don total, par contrat, du chef au suivant, du suivant au chef - et de nos jours, meme, tant d'associations qui (du moins au premier stade de leur existence) vivent d'un elan des coeurs. Mais les contrats dont traite ordinairement le droit civil sont d'une pate plus mediocre. Ce sont, selon l'expression de la psychologie sociale, des formes de cooperation antagoniste. Entendons que, par des moyens communs, de pure opportunite, chacun des contractants cherche a atteindre des fins propres, et qu'un conflit est latent sous la cooperation. Ce n'est pas assez pour decourager les contrats (non plus que les coalitions militaires ou les alliances electorales). Mais il est bon que le droit sache voir la cooperation contractuelle telle qu'elle est bien souvent: restreinte et non exempte d'arriere-pensees. ( . . . )» [les italiques apparaissent au texte original] : Carbonnier, Obligations, supra note 20 au no. 114. II faut noter que cette expression de « cooperation antagoniste » a ete reprise par d'autres auteurs dont: Alain Cailie, « De l'idee de contrat. Le contrat comme don a l'envers et reciproquement» dans Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 215,27 notamment aux pp. 31 et 40 et Chazal, supra note 329 a la p. 122. Finalement, certains auteurs se disent en faveur d'un «solidarisme » ou solidarite contractuels mais refusent de definir cette notion comme un rapport fraternel, qu'ils jugent trop sentimental et irrealiste. Pour ces auteurs, le solidarisme serait plus ou moins la reincarnation de la critique de la theorie de l'autonomie de la volonte voulant qu'elle favorise, dans son application aveugle, l'asservissement de la volonte du plus faible a celle du plus fort: voir notamment Jamin, « Plaidoyer », supra note 277 aux pp. 442 et 471 et Jamin, « Crise », supra note 252.

340 Remy, supra note 335 a la p. 10.

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au principe de la coexistence des droits et interets que son mouvement de droite

autonomiste absolue. De plus, demander a un contractant de nier ses interets pour

agir dans l'interet exclusif d'autrui ne respecte pas le critere de la transparence

puisqu'il ne correspond nullement a la nature humaine qui voit dans le contrat un

moyen de satisfaire ses propres interets341. II serait done necessaire d'imposer,

par voie judiciaire ou legislative, une telle moralite contractuelle pour qu'elle

puisse etre applicable en pratique342.

La Cour supreme l'a bien specifie dans l'arret Bail343: chacun est responsable de

veiller a ses affaires. La demarche que nous proposons a justement pour but de

permettre cette realite344. L'intervention judiciaire ne doit pas creer une nouvelle

situation d'injustice en faisant dorenavant supporter tous les risques par une

nouvelle et autre partie, dans un mouvement excessif du balancier. Cet exemple

demontre bien a quel point une certaine grille d'analyse peut etre utile afin de

baliser 1'intervention judiciaire et permettre au juge de remplir adequatement son

role de gardien des principes de justice commutative.

341 Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1997; Delebecque et Pansier, supra note 32 au no. 261. 342 Terre Simler et Lequette, supra note 30 au no. 42. 343 Bail, supra note 12 a la p. 587. 344 Voir d'ailleurs l'arret hosier, supra note 16 au para. 51, ou la Cour declare que l'intime n'etait

pas en desequilibre informationnel puisqu'il pouvait se procurer les informations. L'institution financiere n'etait done pas dans l'obligation de lui fournir ces renseignements. Voir au meme effet l'arret Mackay, supra note 17 ou le juge Baudouin s'exprime ainsi a la p. 371 : « [.. .] on ne doit pas pousser l'intensite de l'obligation d'informer jusqu'a une tolerance inconditionnelle et a l'absolution d'une conduite negligente ou imprudente de la part du debiteur. II convient done de respecter un certain equilibre. » [Nous soulignons].

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2.4.2.1.2.2. Conclusions sur revolution de la commutativite contractuelle

Cette courte etude de 1'evolution de la commutativite contractuelle permet de

constater que les juges sont de plus en plus sensibles aux situations injustes

resultant de l'inegalite factuelle des parties et qu'ils hesitent de moins en moins a

intervenir en de telles circonstances comme « arbitres » des interets des deux

parties. La loi permet une telle intervention par le biais des notions floues et en

intervenant les juges ne font que remplir leur fonction, conformement a cette loi et

aux principes de justice qui n'ont pas un caractere facultatif. Mais, cette fagon de

proceder n'est pas sans consequence. Elle implique la modification de postulats

qui peuvent choquer certains puisqu'il semble que la theorie contractuelle n'ait

pas encore bien integre ces nouveaux preceptes. Cela pourrait d'ailleurs expliquer

que certains se montrent toujours refractaires a 1'intervention judiciaire meme s'ils

admettent du meme souffle les injustices decoulant de l'application stricte de

l'immutabilite contractuelle.

La demarche que nous suggerons implique d'abord une admission que l'egalite

des contractants n'est le plus souvent qu'un concept fictif qui, joint au principe de

l'immutabilite contractuelle, nuit aux principes de justice commutative.

D'ailleurs, tel que nous le verrons plus amplement, le pouvoir d'intervention

delegue aux juges, par le biais de notions floues telle que la bonne foi, constitue

une reconnaissance par le legislateur de la necessite de pallier l'inegalite reelle des

parties. Ensuite, cette demarche implique que l'on accepte d'etendre le centre de

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gravite contractuel de la formation a l'execution et 1'extinction. Finalement, elle

implique revolution des principes de justice commutative de subjectifs a

objectifs345.

Mais, se pose alors la question de la nature d'une telle commutativite. En effet, si

l'on impose un controle des conditions d'execution et d'extinction du contrat et si

le juge peut imposer, par des obligations dites implicites, des sanctions qui vont

au-dela de l'octroi de dommages-interets, il semble done que la commutativite

contractuelle ait une dimension plus large que le determinant de valeur

mathematique. A l'aide de la theorie de l'equilibre normatif du professeur

Weinrib, nous avons demontre la nature normative de la commutativite en

responsabilite civile. Nous avons jusqu'a present plaide que cette meme nature

est applicable a la commutativite contractuelle mais sans exposer plus en details

les caracteristiques de cette commutativite. Nous etudierons done dans la

prochaine section ce que nous considerons etre la veritable nature de la

commutativite contractuelle.

2.4.2.1.3. Une commutativite normative

Comme nous l'avons souligne, bien que la necessite d'un equilibre au sein de la

commutativite contractuelle soit generalement assez bien reconnue, peu d'auteurs

s'entendent sur la definition de ce qui constitue un tel equilibre. Nous l'avons

mentionne, pour plusieurs, cet equilibre se resume a une equivalence

345 A ce sujet, voir Bimes-Arbus, supra note 94.

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mathematique de la valeur monetaire des prestations346. J'achete un pain 2,60 $

parce que l'on considere que telle est sa valeur et qu'ainsi l'echange realise est

juste. Malheureusement, comme plusieurs auteurs le soulignent, une telle

equivalence est souvent impossible a realiser parce que, a l'instar de notre

exemple de l'achat d'un pain, elle s'appuie sur la notion subjective et assez

imprecise que constitue la valeur347. On n'a qu'a constater, pour s'en convaincre,

que les prix varient dans le temps et que de nombreuses considerations,

pecuniaires ou non pecuniaires, peuvent motiver les parties, tel, par exemple, un

attachement sentimental particulier348. Meme des,valeurs a caractere plus objectif

telle que la juste valeur marchande ou le cout de revient pourront varier d'un

expert a l'autre. Comment done peut-on parler d'une valeur economique

egale dans l'echange entre les parties ? Et ou se situerait alors la notion de profits,

qui, dans notre economie, est tres certainement au coeur de nombreuses relations

contractuelles puisque dans ce profit se trouve le plus souvent l'interet d'une des

parties au contrat ?

Nous sommes aussi d'avis qu'une commutativite qui n'est examinee qu'en

fonction de la valeur des prestations est peu adaptee a la complexification

moderne des contrats. A l'heure actuelle, de nombreux contrats ne sont plus

congus dans un contexte de relation momentanee basee sur une execution

346Voir notamment Bergel, Theorie, supra note 82 a la p. 31; Ghestin, Traite, supra note 29 au no 252 et s.; Gordley, supra note 30 a la page 267; Kayser, supra note 70 a la p. 318; Seriaux, supra note 69 au no. 228.

347 Fin-Langer, supra note 26 au no. 289. 348 On refere alors naturellement a une valeur subjective, qui selon certains, ne devrait pas

influencer le «juste prix » puisque ce dernier ne devrait pas etre fonde sur des besoins ou desirs. Cependant, dans les faits, il nous semble difficile d'evacuer completement ces notions dans la fixation du prix de certains biens.

144

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instantanee. En plus de comporter des clauses concernant la prestation principale,

la plupart des contrats modernes regissent aussi specifiquement la relation des

parties. On retrouve ainsi de plus en plus couramment des clauses de limitation

ou d'exclusion de responsabilite, des clauses penales ou encore des clauses de

resiliation unilaterale. Toutes ces clauses, qui pourtant s'imposent aux parties,

s'integrent difficilement dans une evaluation monetaire et purement

mathematique. C'est pourquoi nous preferons proposer un autre critere

devaluation de la commutativite contractuelle.

i

Plutot que s'en tenir aux seuls avantages economiques du contrat pour les parties,

nous preferons tenir compte de toutes les composantes de la relation contractuelle

dans revaluation de la commutativite contractuelle. Ainsi, pour reprendre

l'expression lue dans une these fran9aise, cette commutativite devra etre evaluee

en fonction « d'une juste repartition des charges et des profits »349 afin d'assurer

la realite des interets respectifs des parties. Si effectivement certains elements sont

trop desavantageux pour un des cocontractants (ou avantageux pour l'autre!), il

risque de voir son interet au contrat compromis, ce qui n'est pas admissible en

situation de verticalite des contractants. Nous retrouvons done ici les elements de

l'equilibre normatif du professeur Weinrib que nous avons etudies aux sections

precedentes et que nous avons transposes sous le vocable de la coexistence

paisible des droits et libertes. La commutativite contractuelle s'etablit par l'etude

des normes qu'elle impose a chacune des parties.

349 Courdier, supra note 6 notamment au no. 224 et s.

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Que doit-on entendre par les termes « charges et profits du contrats ». A cette fin,

nous reprenons la definition que l'on retrouve dans cette meme these. II faut par

ailleurs noter qu'a notre avis, une telle evaluation doit se faire du point de vue de

chaque partie.

« Le terme charge s'entend comme les divers elements de l'objet

du contrat qui sont en « defaveur» d'une partie, ceux dont le

« poids » lui incombe. II s'agit entre autres des obligations dont

elle est debitrice, des peines privees qui lui seront appliquees en cas

d'inexecution ou de mauvaise execution de ses obligations, des

clauses exoneratoires ou limitatives de responsabilite qui lui feront

supporter totalement ou en partie l'inexecution ou l'execution

defaillante des obligations incombant a son cocontractant. Quant

au terme « profits », il vise les elements stipules en faveur d'une

partie. lis sont par exemple les obligations dont elle est creanciere,

les peines privees dont elle a la maitrise, la condition suspensive

stipulee a son benefice. »

Ainsi, pour resumer, 1'examen inclura 1'ensemble des prerogatives et devoirs

conferes aux parties. Si cet examen permet de conclure qu'une des parties tire un

avantage indu du contrat, le juge pourra, a certaines conditions que nous

etudierons ci-apres, intervenir pour imposer une commutativite qui respecte d'une

maniere plus raisonnable les interets des deux parties. Cependant, une telle

conclusion semble en contradiction avec 1'assise du respect de la volonte des

parties au sein de la relation contractuelle. II nous faut done etudier plus

amplement la relation entre la liberte des parties et la commutativite contractuelle.

350 Ibid, au no. 227.

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2.4.2.2. Le lien entre la liberte et la commutativite contractuelle

On ne peut plus conclure qu'un contrat est juste parce qu'il a ete voulu. En effet,

cette maxime a pour postulat l'egalite des parties. Or, nous le savons, les parties

sont rarement dans une meme position de force lors de la conclusion du contrat.

Les parties n'ont pas, le plus souvent, la meme fortune, la meme education, le

meme statut social351. II est maintenant necessaire de cesser de nier cette realite

ou encore, comme semble le faire la majorite de la doctrine contemporaine, de

soulever cette problematique tout en continuant d'appliquer a la lettre les

principes decoulant de la theorie de l'autonomie de la volonte, telles que la

volonte presumee ou l'immutabilite contractuelle. Une etude de l'enseignement

effectue dans les facultes de droit civil est a cet effet particulierement revelateur...

On y discute beaucoup de force obligatoire et d'immutability mais tres peu de

relations contractuelles justes, sinon pour specifier qu'au Quebec la lesion n'est

generalement pas reconnue entre majeurs.

Si le consentement demeure un bon instrument afin de verifier la volonte d'une

partie a s'engager, il faut cesser d'en faire presumer un equilibre qui, dans les

faits, nuit a cette institution, parce que, le plus clair du temps, cela permet a une

des parties d'imposer sa volonte et son interet exclusif a l'autre, dans un rapport

de force favorisant la partie la plus forte, le plus souvent creanciere des

principales obligations. Or, en matiere contractuelle, on ne peut s'accommoder

351 Gomaa, supra note 261 au no. 13.

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d'un tel rapport de soumission . La liberte des; deux parties demeure un element

essentiel du contrat et doit etre conservee353, ce qui n'est pas le cas lorsque la

seule liberte effectivement exercee est celle du contractant dominant dans

l'elaboration du contrat.

Sans etre absolue, la volonte individuelle est necessaire a la conceptualisation du

contrat354 et nous dirions meme a son existence. La volonte, lorsqu'elle est

exercee dans des conditions d'egalite des parties, apparait comme 1'instrument de

gestion des interets personnels. II parait bien evident que le droit ne se realise pas

de lui-meme et que la volonte constitue en quelque sorte « l'organe d'execution

du droit »355. Par exemple, si un contractant ne desire pas, en cas d'inexecution

par 1'autre partie, recourir aux sanctions etatiques qui lui sont offertes, son droit

restera a l'etat virtuel. De meme, les parties peuvent librement decider que leur

convention restera a l'ecart de toute sanction legale, dans une forme de

« gentlemen's agreement», ou si Ton prefere, une convention fondee sur le

simple honneur personnel des parties356. La volonte, manifestation de la liberte,

est done necessaire a la mise en oeuvre du contrat. De plus, nous croyons que la

sauvegarde de la liberte dans la gestion de ses interets personnels est necessaire a

1'implication effective du cocontractant, ou si l'on prefere, au fait que les parties

se sentent ou non personnellement impliquees et liees au contrat. Un contrat

352 Fin-Langer, supra note 26 au no. 116; Gounot, supra note 35 a la p. 371 et s.; Jamin, « Plaidoyer », supra note 277a la p. 468 et s.; Le Gac-Pech, supra note 95 au no. 726 et s.; Mazeaud, « Solidarisme », supra note 7 a la p. 64; Ranouil, supra note 93 a la p. 133; Rolland, « Figures », supra note 23 a la p. 907.

353 Fin-Langer, ibid, au no. 136 et s.; Mazeaud, « Loyaute », supra note 9 a la p. 630. 354 Rolland, « Figures», supra note 23 a la p. 907. 355 Gounot, supra note 35 a la p. 333; voir au meme effet, Frison-Roche, supra note 338 au no. 6. 356 Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 125.

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impose n'a certainement pas le meme poids psychologique qu'un contrat

librement choisi et la liberte doit done etre consideree comme etant essentielle au

respect effectif du contrat. On peut certainement deduire que plus un contrat est

respecte, moins est necessaire le recours aux tribunaux, avec tout ce qu'un tel

recours implique de pertes de ressources financieres et humaines.

Un rapport de soumission etant incompatible avec un veritable contexte d'egalite,

il faut elargir notre vision du consentement «libre et eclaire » pour y inclure

l'assurance d'une certaine liberte et d'une information certaine. Comme le

mentionne la professeure Rolland : « [t]oute tentative de verticalite constitue en

soi une distorsion; ce que les forces socio-economiques ont tendance a dresser

sans autre effort d'equilibrage, le droit devrait le niveler en realite, pour redonner

au contrat son horizontalite principielle. » Ainsi, il peut devenir necessaire de

concevoir le lien contractuel avec une certaine flexibility au nom des principes

imperatifs regissant le droit des contrats. II faut parfois, pour favoriser une

veritable liberte, integrer au contrat les interets legitimes de la partie la plus faible,

ce qui peut vouloir dire une adaptation du contrat .

C'est, a notre avis, la veritable fa?on d'assurer le respect du contrat et du principe

meme de liberte dans la gestion de ses interets pour les deux parties. Or, avec une

telle liberte, vient necessairement la responsabilite de veiller a ses interets, comme

l'a d'ailleurs mentionne la Cour supreme dans l'arret Bail. C'est cette

357 Rolland, « Figures », supra note 23 a la p. 907. 358 Jamin, « Plaidoyer », supra note 277 a la p. 456; Mazeaud, « Loyaute », supra note 9 a la p.

631 et s.; Testu, supra note 311 au no. 9 et particulierement a la note 22.

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responsabilite qui justifie la force obligatoire du contrat. Le contrat est obligatoire

parce qu'il a ete voulu dans un contexte ou chacun avait la possibility et done la

responsabilite de s'assurer de la sauvegarde de ses interets. Mais, cette

responsabilite ne peut exister sans la liberte, qui est elle-meme liee au respect de

la coexistence paisible des droits et interets en conformite avec les principes de

justice commutative.

C'est pourquoi notre demarche se fonde sur la capacite de chacune des parties a

gerer la norme contractuelle pour veiller a ses interets. II s'agit de rechercher, ou

si cette recherche s'avere infructueuse d'imposer, une certaine egalite entre les

parties, ou pour reprendre les termes de la professeure Rolland, une certaine

horizontalite359. II ne devient pas alors necessaire, comme le mentionnent certains,

de fonder le contrat sur un postulat d'inegalite entre les parties puisqu'un tel

constat denuderait la liberte de toute valeur pratique, une prerogative ne pouvant

s'exercer librement dans un contexte d'inegalite. Par contre, il est certainement

necessaire de reconnaitre autrement les consequences d'une inegalite effective. II

faut reconnaitre qu'une telle inegalite modifie les obligations assumees par les

parties et que, consequemment, ces obligations ne sont plus necessairement celles

qu'auraient assumees des parties «libres ». La justice contractuelle doit alors

cesser d'etre congue comme une commutativite subjective pour evoluer vers une

commutativite objective.

359Voir Rolland, « Figures», supra note 23 k la p. 907 et« Unidroit», supra note 223 a la p. 198. 360 C'est notamment la pretention de Didier Ferrer, «Les apports au droit commun des

obligations», (1997) 50(1) R.T.D. civ. 49 au no. 38; voir aussi Jamin, « Plaidoyer », supra note 277 a la p. 472.

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La loi, source premiere de normes, s'applique a tous , peu importe la fortune ou

la condition sociale. Or, cette loi prevoit aussi que celui qui s'engage est tenu de

'ifi'y

respecter ses engagements , a la condition qu'il ait pu fournir un consentement

libre et eclaire363. On parle alors d'egalite de droit364. Cette egalite de droit est la

consequence directe de la liberte civile et permet d'assurer a chacun les meilleures

chances de succes dans la competitivite et la concurrence generale365. D'ailleurs,

lorsque l'on comprend ainsi l'egalite de droit, on comprend que celle-ci soit aussi

assortie du devoir de veiller soi-meme a ses interets366. II s'agit d'un postulat

essentiel pour une veritable application du principe de la liberte civile de chaque

personne.

La capacite de conclure des actes juridiques apparait comme une delegation du

legislateur aux sujets de droit afin de leur permettre la libre gestion de leurs

interets367 dans les limites de la coexistence des droits et interets. II est done

essentiel, afin que cette delegation s'exerce dans la finalite pour laquelle elle est

accordee, que l'egalite de droit procuree par la loi soit maintenue dans l'exercice

des prerogatives qu'elle confere. En conjuguant les principes de coexistence des

361 Pierre Noreau, Droit preventif: le droit au-dela de la loi, Montreal, Themis, 1993, k la p. 34. 362 Article 1434 C.c.Q. 363 Article 1399 C.c.Q. 364 Paul Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, Paris, Dalloz, 1963 a la p. 27 [Roubier,

Droits subjectifs]; Berthiau, supra note 290; Gomaa, supra note 261 au no. 13. Dans ce contexte d'egalite, ce dernier auteur parle des necessaires interventions legislatives et judiciaires permettant de le restaurer comme de la « discrimination positive », e'est-a-dire que l'on privil£gie un contractant aux depens de l'autre vu sa position de faiblesse, contraire au principe d'egalite.

365 Roubier, ibid. 366 Voir les commentaires de la Cour supreme dans Bail, supra note 12 a la p. 587. 367 Voir notamment, Gaillard, supra note 198 au no. 329 et Kelsen, supra note 140 aux nos. 2-3 et

13.

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droits et interets et de delegation legislative, on comprend qu'une commutativite •2/TO

juste, lors de la formation et de 1'elaboration du contrat , se trouve dans

l'horizontalite de chacun des contractants, ou si l'on prefere, dans l'egalite

effective a disposer, librement et dans leur interet, de leurs droits subjectifs

respectifs. L'absence d'egalite, qu'elle resulte des circonstances factuelles ou des

gestes du cocontractant avantage, implique qu'un des contractants dispose d'un

pouvoir de contraindre 1'autre partie et il est important alors de circonscrire ce

pouvoir afin qu'il ne puisse etre utilise d'une maniere qui nuirait indument aux

interets d'autrui. La limitation alors imposee a la partie avantagee prendra la

forme d'obligations implicites qui pourront regir tous les stades de la vie i

contractuelle. Ainsi, une simple inegalite factuelle lors de la formation du contrat

pourra impliquer un controle des conditions d'execution ou d'extinction du

contrat. On le constate souvent avec la limitation des conditions d'exercice des

clauses de resiliation unilaterale du contrat, par exemple par l'exigence d'un

preavis raisonnable non specifie au contrat. La jurisprudence regorge de ce type

d'exemples ou, au stade de l'execution et de l'extinction du contrat, on controlera

le comportement des parties dans l'exercice de leurs prerogatives reciproques afin

de s'assurer que celles-ci s'exercent dans le respect des droits et interets du

cocontractant.

Ainsi, le pouvoir de reequilibrage du juge est double. II pourra d'abord s'enquerir

des conditions de formation et d'elaboration du contrat afin de s'assurer d'un

368 Lors de l'execution, on pourra appliquer les principes Studies dans la section traitant de la responsabilite civile.

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veritable exereice libre de la volonte et done d'une horizontalite ab initio des

parties. Un exereice libre devra etre respecte tandis qu'une verticalite devra etre

controlee. Ensuite, le juge pourra examiner le comportement des parties dans

l'exercice de leurs prerogatives contractuelles afin de s'assurer que les limites

qu'impose la regie de la saine coexistence des droits et interets soient respectees.

Devant ce constat, il nous faut maintenant definir les criteres qui guideront le juge

dans ces exajnens.

2.4.2.2.1 La condition prealable a ^imposition d'une commutativite objective : l'inegalite des parties

La constatation de l'inegalite des contractants se fait couramment en presence de

deux situations. II est a noter que ces situations devront etre prouvees par la partie

qui invoque l'inegalite puisqu'en vertu du principe de liberte contractuelle, il est

presume que chacune des parties est en situation d'horizontalite et est

consequemment en mesure de defendre ses interets. Cependant, contrairement

aux tenants de la theorie de l'autonomie de la volonte pour qui l'exercice du

consentement rend cette presomption irrefragable, il faut considerer qu'il ne s'agit

que d'une simple presomption qui peut etre ecartee par une preuve adverse369.

Cette preuve pourra demontrer en premier que l'on est en presence d'une inegalite

factuelle mais que celle-ci ne resulte pas de la faute d'un contractant. La

deuxieme situation, quant a elle, impliquera la faute d'un contractant.

369 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 253.

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Puisqu'elles n'entraineront pas les memes consequences, il nous semble utile

d'examiner ces deux situations separement.

2.4.2.2.1.1 L'inegalite non fautive

En presence de la premiere situation, l'egalite des contractants est inexistante en

amont et une partie se trouve par le fait meme avantagee dans sa capacite a

contraindre l'autre partie. L'egalite des parties est inexistante, par une simple

situation factuelle, sans qu'une partie ait commis de faute quelconque. II y a par

exemple inegalite par la qualite inherente des parties. II en sera ainsi notamment

dans la negotiation d'un contrat de vente entre des parties professionnelle et

profane. Dans une telle situation, si l'egalite est inexistante dans les faits mais

sans aucune faute du contractant avantage, l'exercice consistera a assurer a la

partie desavantagee une meilleure possibility de gerer la norme contractuelle en

fonction de ses interets. Ainsi, on pourra imposer au contractant avantage une

serie de normes visant a assurer un meilleur respect de la coexistence des interets

de la partie desavantagee. En limitant la portee d'exercice de ses droits, on

veillera a ce que la partie avantagee ne puisse nuire indument aux droits et interets

de son cocontractant.

II nous semble important de mentionner a ce stade que le statut de partie

avantagee n'est pas eternel et pourra alterner d'un contractant a l'autre au fil de

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l'execution et des circonstances du contrat. Par exemple, dans le cadre d'un

contrat synallagmatique, il faut presumer que chacune des parties sera a son tour

creanciere et debitrice de certaines obligations. Ces differents statuts avec les

droits et obligations qu'ils comportent pourront effectivement faire modifier les

rapports de force au sein de la relation. Les normes imposees a chacune des

parties devront etre modulees en fonction de ces circonstances specifiques. En ce

sens, la demarche proposee n'est plus figee en fonction des seules circonstances

presentes au moment de la formation du contrat mais se veut dynamique, evoluant

selon la veritable situation factuelle des parties a tous les stades de la vie

contractuelle.

Par ailleurs, si les parties sont veritablement en situation d'egalite, notamment

dans leur pouvoir et capacite a negocier une entente, il n'apparait pas necessaire

de leur imposer un controle aussi important de la gestion leur rapport prive, du

moins quant a 1'elaboration du contrat. On peut considerer qu'une personne

raisonnable aurait negocie, conclu et elabore l'entente de la meme fa?on dans un

contexte d'egalite. Dans une telle situation, une partie a parfaitement la capacite

de renier ses propres interets afin d' essentiellement satisfaire ceux de son

cocontractant. Cette situation desavantageuse n'est pas imposee a la partie

desavantagee mais choisie par elle. II est imperatif, au nom de la liberte

contractuelle et de la responsabilite qui echoit a chacun de veiller a ses interets, de

reconnaitre une telle situation.

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Par contre, il ne faut pas oublier que le lien contractuel entraxne par definition une

subordination de la partie debitrice a la partie creanciere. De plus, un contrat peut

aussi entrainer une certaine interdependance ou vulnerability des parties quant a

l'execution et l'extinction des obligations contractuelles. Ainsi, l'egalite des

contractants sera en tout temps affectee par la nature meme du contrat et, en

consequence, des normes implicites veillant a tenir compte des interets de 1'autre

partie influenceront toujours les modalites d'execution et d'extinction du contrat.

Cependant, le degre d'implication requis variera selon la nature concrete de la

relation des parties et des consequences qu'elle entraine pour leur autonomic a

gerer leurs interets.

Au stade de 1'elaboration du contrat, le critere pourrait done etre formule ainsi:

lorsqu'une partie est nettement avantagee et peut ainsi imposer ses interets a son

cocontractant, au detriment de ceux de ce dernier, elle ne peut agir avec une

liberte absolue afin de favoriser ses interets au mepris de la saine coexistence des

interets de 1'autre partie . Dans notre precedent exemple d'une vente

intervenant entre des parties respectivement professionnelle et profane, nous

pouvons penser a l'imposition necessaire d'une obligation de renseignement

accrue et a l'obligation de ne pas imposer des clauses a caractere abusif, e'est-a-

dire des clauses qui n'auraient jamais pu etre admises si la convention avait ete

librement negociee par une personne raisonnable pouvant veiller a ses interets. II

370 II est d'ailleurs interessant de souligner l'opinion d'un auteur franfais, qui, bien qu'il se prononce, comme nous, contre les principes de solidarite et de fraternite contractuelles, constate Pimportance d'assurer un certain equilibre aux contractants : « La liberte contractuelle a ete con5ue pour des contractants egaux. La ou ils ne le sont pas, il faut retablir l'equilibre pour eviter que la liberte, si elle jouait a I'etat pur, n'aboutisse a des exces inadmissibles. » Leveneur, supra note 100 a la p. 190.

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ne sera toutefois pas possible de reclamer des dommages a la partie avantagee

puisque, dans une telle situation, elle n'a commis aucune faute, l'inegalite ne

resultant que d'une situation de fait. II en serait toutefois autrement si cette partie

avantagee agissait de mauvaise foi ou contrevenait a ces normes imposees,

notamment en profitant de sa situation pour imposer des clauses abusives. Dans

un tel cas, le juge devrait pouvoir aneantir de telles clauses, les modifier, aneantir

le contrat ou accorder des dommages-interets en fonction des faits en l'espece.

Certains pourraient alors se questionner sur la legitimite de l'imposition de

normes de comportement a une personne qui n'a commis aucune faute. Au

contraire, nous croyons qu'une telle imposition se justifie tres bien lorsque l'on

considere les caracteristiques intrinseques de la relation contractuelle. Une partie

qui conclut un contrat doit respecter les principes de justice qui gouvernent cette

institution. Nous l'avons mentionne, ces principes de justice passent, a notre avis,

par le respect du principe de la saine coexistence des droits et interets. II est

parfois necessaire de restreindre l'exces de liberte dont beneficie une partie pour

garantir a l'autre contractant une meilleure sauvegarde de ses interets.

D'ailleurs, il est interessant de noter que l'on retrouve dans le Code civil des

dispositions qui demontrent qu'il faut privilegier la liberte effective des parties en

sanctionnant le contrat non librement conclu et cela, meme en l'absence de tout

acte reprehensible de la part des parties. L'article 1402 C.c.Q. en est un. bon

exemple. Cet article,, relatif a la crainte, prevoit que celle-ci vicie le consentement

meme si la violence ou les menaces a l'origine de la crainte ne resultent pas d'une

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des parties. La simple connaissance par l'une des parties de la crainte dont est

victime son cocontractant est suffisante pour constituer un vice de consentement,

avec les consequences que ce dernier entraine pour la validite du lien contractuel.

Dans cet exemple, on ne peut dire que le contrat fait l'objet d'une nullite relative

suite a l'acte fautif d'une des parties. En analysant les justifications d'une telle

regie, on constate que l'on sanctionne plutot la verticalite dont a beneficie une des

parties, en toute connaissance de cause, suite a une situation factuelle specifique,

pour imposer sa volonte et par le fait meme ses interets a son cocontractant. Cet

exemple demontre bien que le libre exercice de gestion de ses interets est un

principe fondamental et qu'il est possible et souhaitable de controler cette absence

de liberte, meme en l'absence de toute faute. On assure ainsi un meilleur

consentement libre et eclaire.

2.4.2.2.1.2 L'inegalite fautive

La deuxieme situation de possible inegalite entre les parties implique quant a elle,

la faute du contractant avantage, notamment parce qu'il ne respecte pas une

norme qui lui est imposee, par exemple, une obligation d'information. Ce n'est

que si une norme est violee par le cocontractant, creant ainsi une « injustice » que

1'autre partie pourra alors reclamer une reparation en nature ou par equivalent, les

regies de la responsabilite civile trouvant alors pleinement application. II s'agit

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d'ailleurs de la situation que nous avons exposee dans la section portant sur la

responsabilite civile.

Les caracteristiques de l'inegalite etant precisees, il reste maintenant a definir le

degre d'« injustice» necessaire pour justifier une intervention judiciaire.

Effectivement, il est impossible de concevoir une parfaite egalite entre les deux

plateaux et telle n'est pas le but de notre etude, au risque effectivement de

compromettre la securite des transactions en introduisant systematiquement un

controle judiciaire pour la moindre inegalite dans la commutativite contractuelle.

Devant cette problematique, nous choisissons d'adopter la terminologie de la

majorite de la doctrine moderne qui, nous l'avons mentionne, con?oit la

commutativite contractuelle en termes d'equilibre. Cette conception nous permet

d'envisager des parametres differents de la stricte egalite pour reconnaitre quand

la commutativite contractuelle des parties sera « desequilibree » au point de

causer une injustice. C'est alors que l'aspect «objectif» de la commutativite

contractuelle prend toute sa vigueur. Nous l'avons mentionne dans la section sur

la responsabilite civile, les principes de justice commutative objective sont lies au

respect de la norme du comportement socialement acceptable. En droit

quebecois, cette norme prend la denomination de norme de la «personne

raisonnable ». Nous allons done examiner comment cette norme s'articule dans

un contexte d'injustice contractuelle normative.

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2.4.2.3. Le role du raisonnable dans la commutativite contractuelle

Comme nous venons de l'expliquer, toutes nos reflexions concernant la

commutativite contractuelle nous permettent de privilegier un critere dans la

recherche de l'injustice contractuelle normative appelant une intervention

judiciaire. Une fois l'inegalite etablie, il s'agit de verifier si la partie avantagee a

profite de cette situation en favorisant deraisonnablement ses interets. Notre

analyse se divisera ici selon que l'on juge de la juste commutativite normative

resultant de l'egalite ab initio ou de son maintien lors de l'execution et

1'extinction du contrat.

Au stade de la formation du contrat, si une analyse prima facie des faits demontre

la possibility d'une soumission de la volonte d'une partie a celle de l'autre, nous

soumettons que les consequences de cette probable verticalite pourront etre

controlees a l'aide du critere de la convention librement negociee par une

personne raisonnable371. Ainsi, par exemple, dans l'elaboration du contrat, « il ne

s'agi[ra] pas d'assurer une stricte egalite, mais simplement de dire qu'une clause

qui confere a l'une des parties un avantage sans contrepartie et qui n'a d'autre

377 justification qu'un rapport de force inegalitaire, est en droit inadmissible. » En

371 Voir Crepeau, « Fonction », supra note 27 a la p. 751 et s., qui fait de la promotion du raisonnable un element de justice contractuelle auquel doivent se soumettre les parties contractantes.

372 Testu, supra note 311 au no. 9. Au meme effet, Le Gac-Pech, supra note 95 au no. 736. Ce critere pourrait contribuer a favoriser le developpement de la cause a titre de /critere devaluation de l'equilibre. Cependant, nous ne croyons pas qu'il s'agisse du seul critere approprie, puisque l'absence de cause est fatale pour le contrat et n'est ainsi peut-etre pas ideale lorsque l'on desire conserver le lien contractuel.

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d'autres termes, une clause qui n'aurait jamais pu faire partie du contenu

contractuel n'eut ete le rapport de force inegalitaire ou, si l'on prefere, qu'une

personne raisonnable pouvant librement assurer une saine gestion de ses interets

n'aurait jamais acceptee, est inadmissible. En effet, on pourra alors conclure que

ce contractant n'a pas respecte le devoir de ne pas nuire indument a autrui en ne

respectant pas le principe de la coexistence paisible des droits et interets. II a tire

profit de fa<?on deraisonnable du rapport inegalitaire etabli entre lui et son

cocontractant, au mepris indu des interets de ce dernier. Dans un but de retablir

l'equilibre, une telle clause desavantageuse pourrait, par exemple, etre aneantie ou

les obligations en decoulant reduites par le juge, en tant qu'arbitre de la justice

commutative.

Ce meme critere du raisonnable devrait aussi servir de parametre dans

1'evaluation des circonstances de l'execution et de 1'extinction du contrat. A ces

stades, puisque la situation contractuelle entraine necessairement un certain

rapport de soumission d'une partie a une autre, le juge sera d'autant plus autorise

a s'assurer que la convention est executee et eteinte d'une maniere assurant la

sauvegarde raisonnable des interets des parties. Parfois, une clause du contrat

peut paraitre raisonnable sur papier mais sera au contraire deraisonnable dans le

contexte specifique de la relation contractuelle, nuisant ainsi a la coexistence

paisible des interets. En d'autres circonstances, c'est le comportement

deraisonnable d'une des parties dans l'exercice de ses prerogatives contractuelles

qui nuira indument aux interets de son cocontractant. De telles situations devront

etre reformees par l'imposition de normes implicites pour reequilibrer les

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possibilites des parties a assurer la sauvegarde de leurs interets au sein de la

relation contractuelle.

Nous considerons done le principe du raisonnable comme le meilleur instrument

de mesure de la commutativite des parties. II est le seul a notre avis qui permette

d'assurer qu'une partie ne nuise indument aux interets d'autrui sans par ailleurs

verser dans un angelisme contractuel fonde sur un lien de solidarite ou de

fraternite ou dans une insecurity juridique ou toutes les commutativites

contractuelles pourraient etre reformees au moindre pretexte.

Comme toutes les notions floues, il n'est par ailleurs pas facile de definir le

raisonnable373. Meme s'il s'agit d'une notion tres utilisee en jurisprudence, les

textes legislatifs ne definissent pas cette notion. II est cependant interessant de

prendre note de la definition consacree a Particle 1 :302 des Principes du droit

europeen du contrat, qui selon la note jointe exprimerait « ce qui parait etre le

fonds commun des divers droits [europeens] »374: « [d]oit etre tenu pour

raisonnable aux termes des presents Principes ce que des personne de bonne foi

placees dans la meme situation que les parties regarderaient comme tel. On a

egard en particulier a la nature et au but du contrat, aux circonstances de l'espece

et aux usages et pratiques des professions ou branches d'activite concernees. »

On reconnait dans cette definition les deux idees reconnues au raisonnable :

373 Georges Khairallah, « Le « raisonnable » en droit prive fran?ais developpements recents » [1984] R.T.D; civ. 439.

374 Principes du droit europeen, supra note 254 a la n. sous Tarticle 1 : 302. 375 Ibid.

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mesure et normalite . II s'agit d'un principe objectif, fonde sur un jugement de

valeur, mais qui est largement individualise pour tenir compte des circonstances

particulieres .

Le critere de la personne raisonnable a ainsi la particularity d'etre un critere

objectif, ce qui est conforme au principe d'egalite des contractants, mais qui

evolue selon les epoques et surtout, selon les conditions, circonstances et

mentalites sociales et economiques . L'exemple que l'on donne regulierement

aux etudiants en droit a cet effet est assez eloquent: alors qu'au debut du 20e

siecle on considerait que conduire une automobile a 16 milles/heure constituait un

exces de vitesse, maintenant, on pourrait, au contraire, etre arrete, notamment sur

une autoroute, pour motif de lenteur excessive, en conduisant a cette meme

vitesse. II en est de meme pour la definition du terme « personne » qui pendant

longtemps n'a pas inclus les femmes, que l'on considerait comme des

incapables379. Cela demontre bien l'importance des valeurs sociales dans l'etude

376 Khairallah, supra note 373 a la p. 467. 377 Ibid, aux pp. 448 et 451-452; Patrice Jourdain, «Le devoir de « se» renseigner», D.

1983.chr.139 aux pp. 142-143; Nicholas Kasirer, « The infans as bon pere de famille: « Objectively Wrongful Conduct» in the Civil Law Tradition » (1992) 40 Am. J. Comp. L. 343, a la p. 370 et s. [Kasirer, «Infans »]; Han-Ru Zhou, « Le test de la personne raisonnable en responsabilite civile », (2001) 61 R. du B. 453, notamment aux pp. 477 et 518. Voir aussi les commentaires de la Cour supreme sur la norme du raisonnable a l'article 1457 C.c.Q.: Prud'homme, supra note 146 aupara. 62.

378 Voir Chaim Perelman, Le raisonnable et le deraisonnable en droit- Au-dela du positivisme juridique, coll. Bibliotheque de philosophie du droit, vol. 29, Paris, Librairie generale de droit et de jurisprudence, 1984 notamment a la p. 19 ou l'auteur affirme que les notions de raisonnable et de deraisonnable s'appr£cient en fonction des reactions sociales du milieu et de ce qui parait socialement acceptable ou inacceptable [Perelman, Positivisme],

379 Voir par exemple l'arret Langstaff c. Barreau du Quebec, (1916) 25 B.R. 11, ou la Cour d'appel n'a pas permis a Mme Langstaff de s'inscrire au Barreau du Quebec comme avocate puisque, selon elle, le legislateur ne pouvait vouloir inclure les femmes & la profession d'avocat sans le specifier expressement. La generalite du terme « candidat» que l'on retrouvait a la loi sur le Barreau ne pouvait inclure les femmes meme si la meme annee, le legislateur avait par ailleurs prevu expressement que seul un homme pouvait etre notaire. Ce passage du juge

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objective de la norme. Celle-ci est appelee a evoluer au fil des epoques et le droit

doit tenir compte de cette evolution sociale.

Nous 1'avons deja explique : nous croyons que la volonte humaine s'exprime a

travers un contexte socio-economique, ne serait-ce que par le contexte legislatif

qui prete une valeur legale au contrat. La gestion des interets personnels s'exerce

necessairement au sein d'un tissu social et politique determine. La capacite de

gestion n'a certainement pas la meme portee dans un contexte de socialisme ou de

capitalisme. Or, le critere de la personne raisonnable tient necessairement compte

de cette composante. II tiendra aussi compte des particularites determinantes des

parties impliquees.

Naturellement, certains pourront reprocher l'usage d'une notion floue dans

Pexamen de la coexistence paisible des interets. On pourra ressortir le spectre de

l'instabilite contractuelle au nom de la notion de raisonnable. Pourtant, nous

croyons que cette caracteristique lui permettra au contraire de s'adapter a la

veritable situation des parties afin d'assurer la meilleure justice contractuelle en

fonction des normes acceptees socialement. De plus, ce critere a 1'avantage de

Pelletier est assez eloquent pour demontrer l'importance de Involution des mentalites. On peut certainement penser qu'aucun juge n'oserait s'exprimer de la sorte aujourd'hui. « II me semble que ce n'est pas a cette Cour de dire s'il serait sage ou non d'admettre

les femmes a l'exercice de la profession d'avocat. Nous n'avons qu'a interpreter la loi et ce n'est pas a nous qu'il appartient de creer une chose aussi nouvelle que celle de changer le role que la femme a toujours joue, jusqu'a present, dans notre organisation sociale et economique. Si le legislateur trouve que les femmes doivent maintenant sortir du foyer conjugal ou domestique et etre admise a l'exercice de la profession d'avocat, c'est a lui a le dire. » (pp. 17-18).

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s'adapter aux deux faeettes de la responsabilite civile, contractuelle et

extracontractuelle, en reprenant les principes utilises dans l'evaluation de la faute.

2.4.2.4. Perspectives et conclusions concernant une commutativite contractuelle plus juste

Notre demarche analytique fondee sur le principe de la coexistence paisible des

droits et interets permet, a notre avis, la justification des interventions legislatives

et judiciaires qui ont justement pour but de retablir une certaine possibility pour

les parties d'assurer la saine gestion de leurs interets. Nous l'avons mentionne,

c'est le principe de la liberte dans la gestion personnelle de ses interets et la

responsabilite qu'il entraine qui permet, a notre avis, de justifier la force

obligatoire du contrat et assure ainsi a «l'exercice de la volonte » sa pleine

puissance. Pourtant, paradoxalement, de telles interventions legislatives et

judiciaires, qui permettent d'assurer une application concrete de ces principes,

sont decriees, par les tenants du liberalisme et de l'individualisme comme des

1QA

atteintes au pouvoir d'exercer sa volonte . Or, au contraire, nous le repetons, ces

interventions ont, a notre avis, justement pour but d'offrir a la partie desavantagee

les outils necessaires afin qu'elle puisse plus librement s'assurer de la sauvegarde

de ses interets381. On vise a responsabiliser cette derniere tout en assurant une

380 Voir pour un expose de ces critiques: Carbonnier, Obligations, supra note 20 au no. 16; Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 185; Thibierge-Guelfucci, supra note 6 a la p. 364;

381 Voir d'ailleurs a cet effet, un commentaire de Philippe Jestaz qui souligne que les exceptions au principe de la liberte contractuelle « ne sont liberticides qu'en apparence, car dans un contrat, il y a toujours deux parties et les restrictions a la liberte contractuelle ont en general pour objet de proteger la liberte de la partie la plus faible. » dans Philippe Jestaz, « Les sources d'inspiration de la jurisprudence du Conseil constitutionnel» dans Guillaume Drago, Bastien Francois et

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plus grande justice au sein de la relation contractuelle. A la limite, en reprenant la

terminologie de Kant, nous pourrions meme dire que l'on assure ainsi un meilleur

« libre arbitre » dans l'exercice de ses droits.

II peut etre interessant de noter que cela semble d'ailleurs etre la voie qu'a

privilegiee le legislateur quebecois dans l'implantation du Code civil du Quebec.

D'ailleurs le Ministre de la justice de l'epoque ne s'en cachait pas lorsqu'il a

mentionne, dans son allocution inaugurate :

«C'est en s'appuyant sur les principes fondamentaux de

l'autonomie de la volonte, de la liberte contractuelle, de la force

obligatoire du contrat, que nous avons congu le nouveau droit

des obligations pour etablir un equilibre nouveau dans les

rapports des parties contractantes de fagon a favoriser une

meilleure j ustice contractuelle.

(•••)

Autant de mesures (...), qui, nous l'esperons, devraient

contribuer a imprimer au droit des contrats et des obligations en

general plus de justice et plus d'equite. »

Nous avons deja discute de la place que reserve le Code civil a la theorie

consensuelle et il apparait clair qu'effectivement, tel que le mentionnait le

Ministre de la justice en 1988, la liberte contractuelle et le respect de la volonte se

profilent comme des valeurs fondamentales de la theorie contractuelle quebecoise.

Nicolas Molfessis, La legitimite de la jurisprudence du Cornell constitutionnel, coll. Etudes juridiques, Paris, Economica, 1999, 3 a la p. 10 [Jestaz, « Sources »].

382 Declaration d'ouverture de Gil Remillard, ministre de la justice, Quebec, Assemblee nationale, Sous-commission des institutions, Journal des debats (le 25 octobre 1988), a la p. sci-2.

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Cependant, tout en privilegiant ces valeurs, le Code civil du Quebec insiste aussi

sur la realisation de ces valeurs dans un contexte empreint de bonne foi. Pour les

plus grands defenseurs de l'esprit liberal, ces valeurs privilegiees au Code civil

pourront sembler contradictoires. En effet, comment reconcilier la necessaire

intervention judiciaire liee a l'application concrete de l'obligation de bonne foi et

la stabilite contractuelle ? Pourtant, lorsque l'on comprend que le respect de la

liberte contractuelle et de la volonte sont des instruments permettant la

coexistence paisible des droits et interets, on comprend pourquoi ces deux valeurs

sont soumises a la notion de bonne foi qui, a notre avis, est un instrument

privilegie de retablissement d'une commutativite contractuelle normative plus

juste. Ainsi, 1'etude et la jonction de ces memes valeurs nous permettent

d'affirmer que les juges peuvent legitimement imposer a une partie des

obligations basees sur une certaine idee de collaboration et de loyaute entre les

parties, non pas dans une fonction de solidarite « fraternelle », mais dans le but de

sauvegarder un meilleur equilibre des interets individuels, le tout en reel respect

d'une certaine conception individualiste du droit, toujours en vigueur au Code

civil. Liberte et justice peuvent enfin se reconcilier parce que l'une ne peut vivre

sans 1'autre !

La bonne foi apparait dans ce contexte comme l'instrument qu'a privilegie le

legislateur pour tenter de modifier la rigidite contractuelle existant sous l'egide du

Code civil du Bas-Canada et ayant cause tant de situations contractuelles injustes.

En codifiant specifiquement les exigences de la bonne foi au sein de la relation

contractuelle, le legislateur confirme son choix de privilegier une commutativite

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contractuelle objective basee sur la coexistence paisible des droits et interets. La

bonne foi, comme toute norme floue, a l'avantage de pouvoir etre adaptee aux

situations concretes. En effet, on peut definir les notions floues comme etant des

normes introduites de fa?on deliberee par le legislateur pour favoriser la flexibilite

et 1'adaptation des normes juridiques generates selon les faits en cause et autres

facteurs spatio-temporels . II s'agit d'un pouvoir delegue au juge par le

legislateur pour creer, adapter et assouplir des normes juridiques , souvent

per?ues comme trop rigides et a la capacite d'adaptation limitee. On en assure

ainsi la perennite385. Mais, l'efficacite d'une telle norme floue depend du pouvoir

que l'on accorde au juge de veritablement statuer en fonction des valeurs qu'elle

propose. Sans un pouvoir effectif d'intervention du juge pour favoriser une

commutativite contractuelle objective, la norme floue de bonne foi n'est d'aucune

utilite et se con?oit comme la simple declaration d'un principe virtuel.

Dans ces circonstances, il devient facile de comprendre que nier tout pouvoir

d'intervention au juge constitue en quelque sorte un contresens par rapport a la

nouvelle philosophie clairement exprimee par le legislateur quebecois au Code

civil du Quebec386. On retrouve plusieurs notions floues, et notamment les

383 Vincente Fortier, « La fonction normative des notions floues », [1991] R.R.J. 755 a la p. 756 384 Ibid, a la p. 757; Khairallah, supra note 373 a la p. 444; Valentin Petev, « Standards et

principes g6n£raux du droit», [1998] R.R.J. 824 a la p. 831; Stephane Rials, « Les standards juridiques, notions critiques du droit» dans Chai'm Perelman et Raymond Vander Elst (dir.), Les notions a contenu variable en droit, Bruxelles, Etablissements Emile Bruylant, 1984, 39 a la p. 40; Tribes, supra note 281 a la p. 326 et s.

385 Tribes, ibid, a la p. 327. 386 D'ailleurs, le professeur Jobin souligne qu'avec la reforme du Code civil, le legislateur

quebecois « a donne des « armes » aux juges pour combattre les abus de la liberte contractuelle et pour faire regner la justice contractuelle » voir Pierre-Gabriel Jobin, « L'equite en droit des contrats » dans Lafond (dir.), supra note 287, 471 a la p. 494 et s.; Voir au meme effet, Jean

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notions de bonne foi et d'abus de droit clairement exprimees a de nombreuses

reprises au Code civil, pour ne pas dire presque martelees... II nous apparait done

difficile, devant un choix legislatif si limpide, d'ignorer ce pouvoir d'intervention

confere aux juges au nom d'une stabilite contractuelle, qui interpretee avec des

principes d'une philosophic liberale stricte, contrevient souvent aux principes

fondamentaux de justice commutative. Surtout que, comme nous esperons 1'avoir

demontre, ces normes, si elles sont bien balisees, sont par ailleurs essentielles au

respect du principe de liberte contractuelle. Ce sont ces normes qui la protegent.

D'ailleurs, en plus de l'obligation de bonne foi, on retrouve aussi au Code civil

une serie de nouvelles normes legislatives visant a modifier les prerogatives dont

disposent certaines parties presumees inegales dans leurs rapports contractuels .

Ces regies ont le plus souvent pour mission d'obliger la partie que l'on presume

avantagee a tenir compte plus amplement des interets de la partie que l'on

presume desavantagee388. Toutes les dispositions visant les rapports entre les

contractants d'un contrat d'adhesion ou de consommation en sont de bons

exemples389. En imposant legalement des normes de comportement a la partie

Pineau, « La philosophie generale du nouveau Code civil du Quebec » (1992) 71 R. du B. can., 421 a lap. 438 [Pineau, « Philosophie »].

387 Voir a ce sujet le developpement fort interessant de Francois Ost, supra note 34 notamment aux pp. 177-178, oil l'auteur qualifie des manifestations de « discriminations positives » a l'egard de certains groupes particuliers comme autant d' «interets collectifs», facettes d'interet particulier, permettant au droit de compenser les inegalites sociales et de retablir les equilibres compromis. Ce developpement est particulierement interessant parce que, meme si l'auteur procede pour atteindre cette conclusion par une theorie differente, on constate qu'il rejoint en quelque sorte notre postulat essentiel d'equilibre.

388 Pour un resume a saveur historique de l'adoption de ces normes, voir Jobin, « Equite », supra note 386.

389 Voir par exemple les articles 1435 a 1437 C.c.Q. II faut noter que le contrat de consommation faisait deja l'objet d'une politique legislative exigeante, bien avant l'entree en vigueur du Code civil du Quebec, avec la Loi de la protection du consommateur, supra note 62.

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avantagee, le legislateur entend retablir un- minimum d'equilibre dans le rapport

entre les parties, en empechant notamment la partie avantagee ft abuser de sa

situation privilegiee, le tout conformement au principe de coexistence des droits et

des interets. On retrouve d'ailleurs ce meme processus dans de nombreux

contrats ou le legislateur juge que le rapport de force entre les parties a pour

resultat qu'une partie risque concretement d'avoir a se soumettre entierement a la

volonte contractuelle de l'autre partie. On n'a qu'a citer les contrats de travail390,

de location residentielle ou d'assurances pour s'en convaincre. Avec de

telles normes legiferees, peut-on vraiment encore pretendre que c'est le seul

principe de l'autonomie de la volonte qui doit gerer la determination du contenu

contractuel ? Peut-on affirmer que le contenu contractuel est strictement gere par

la seule volonte des contractants et que la commutativite contractuelle ne peut etre

basee que sur la subjectivite ? Nous pensons que ces exemples de normes

imposees demontrent que le legislateur souhaite clairement que les rapports

contractuels soient empreints de justice et que la liberte de chacun, dans la

sauvegarde de ses interets, soit un peu mieux garantie. Toutes ses dispositions

legislatives demontrent, a notre avis, le choix du legislateur d'opter pour une

commutativite plus objective en presence d'une inegalite factuelle des parties. La

sauvegarde de l'interet des deux parties passe par 1'imposition de certaines

normes au sein de la commutativite des parties.

390 Voir notamment la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N- l . l ou les articles 2085 a 2097 C.c.Q.

391 Voir notamment les articles 1892 a 2000 C.c.Q. 392 Voir notamment les articles 2389 a 2619 C.c.Q.

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Cette fagon de concevoir la commutativite contractuelle est aussi interessante

puisqu'elle permet d'eviter certains ecueils qu'ont connus plusieurs auteurs qui

ont voulu defendre une theorie contractuelle fondee sur les principes de justice

commutative. Ainsi, elle evite d'avoir a s'interroger sur le juste prix, qui comme

nous l'avons mentionne, est souvent difficile, voire impossible, a identifier et peut

meme contredire les principes de liberte contractuelle. Nous pouvons, dans

l'exercice de nos droits, decider de ne pas conclure un contrat au juste prix pour

des raisons qui nous sont personnelles et que nous n' avons pas a exterioriser.

Nous pouvons notamment decider de vendre une maison ou une voiture a notre

enfant pour un prix bien en dega de celui du marche ou de celui qu'aurait paye un

etranger. Or, cet exercice doit etre respecte s'il s'execute effectivement dans un

contexte qui assure une veritable liberte puisque rien dans la theorie contractuelle

n'interdit de conclure une entente en dega ou au-dessus de la valeur marchande.

Or, si on ne base 1'analyse que sur le juste prix, cette liberte ne peut etre reconnue

ou doit etre analysee comme une exception au principe general.

Notre methode d'analyse de la commutativite contractuelle a aussi 1'avantage de

sortir cette notion d'un simple calcul mathematique. Au-dela d'une simple

comparaison mathematique des prestations, elle permet d'evaluer toutes les

obligations des parties, tant legales que conventionnellement explicites ou

implicites, le tout conformement au principe de l'article 1434 du Code civil du

393 Article 1434 C.c.Q.: « Le contrat valablement forme oblige ceux qui l'ont conclu non seulement pour ce qu'ils y ont exprime, mais aussi pour tout ce qui en decoule d'apres sa nature et suivant les usages, l'equite ou la loi. »

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Quebec, sans que l'on soit par ailleurs dans l'obligation de fixer une valeur

monetaire pour toutes ces obligations.

Puisque la commutativite inclut toutes les charges et profits du contrat, elle

impose aux parties l'execution de 1'ensemble de leurs obligations de maniere a ne

pas nuire indument a autrui. Selon le contexte de la relation contractuelle, cela

pourra entrainer pour l'une d'elles de nouvelles obligations implicites. C'est en

ce sens que l'on pourra qualifier la commutativite contractuelle d'objectivement

normative. Elle peut imposer aux parties un comportement particulier, selon une

conception d'un comportement raisonnable, sous peine de sanction judiciaire.

l

En d'autres termes, nous retrouvons dans cette theorie, ce que plusieurs auteurs

reclament, soit un deplacement du regard de l'objet de l'echange vers les acteurs

de l'echange394, c'est-a-dire un regard sur leur situation personnelle et leur role

respectif a l'interieur du lien de droit les unissant, a tous les moments pertinents

de la relation. Ainsi definie, la justice commutative devient non pas une justice

basee exclusivement sur une relation mathematique « objet-objet» mais sur une

relation comportant aussi des aspects « sujet-sujet», avec pour trait d'union, le

principe general de la coexistence paisible des droits et des interets. Et la

recherche prealable de l'inegalite permet de s'assurer de la sauvegarde d'un autre

element essentiel et specifique a la relation contractuelle que constitue la

manifestation de la libre gestion de ses interets. En situation d'inegalite, on

s'assurera que la partie avantagee veille raisonnablement au respect des interets de 394 Rolland, «Figures », supra note 23 a la p. 925.

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son cocontractant, notamment en limitant les prerogatives de celle4a. Par

ailleurs, dans le cas contraire, on respectera la liberte des parties.

Les principes d'application de la commutativite contractuelle normative ont aussi

l'avantage de s'adapter a tout type de relations contractuelles. On con<?oit

aisement qu'une relation entre profane et professionnel ne requiere pas

necessairement le meme comportement qu'une relation entre deux professionals.

Par exemple, l'obligation d'information sera fort possiblement differente dans les

deux types de relations, parce qu'il est probable que, dans la relation entre le

professionnel et le profane, ce dernier, selon les circonstances, soit creancier

d'une obligation d'information plus exigeante, conformement aux criteres

enonces par la Cour supreme dans l'arret Bail395. D'ailleurs la demarche de la

Cour supreme dans cet arret est tres certainement conforme aux principes que

nous enon9ons. Celle-ci exige notamment que le creancier soit en possession

d'une information determinante qui ne pouvait etre raisonnablement obtenue par

le debiteur ou qui ne l'a pas ete en raison de la confiance legitime envers le

creancier396. Or, que fait-on quand on s'assure qu'en cas de possession d'une

information determinante et d'une confiance legitime la personne qui detient cette

information ait le devoir de la transmettre a l'autre partie ? On impose une norme,

suite a un examen concret d'une situation de « verticalite » informationnelle, pour

395 Bail, supra note 12 aux pp. 586-587, ou le juge Gonthier, pour la Cour, reprend les criteres du professeur Ghestin, soit premidrement « la connaissance, reelle ou presumee, de rinformation par la partie debitrice de l'obligation de renseignement», deuxiemement « la nature determinante de l'information en question » et troisiemement « 1'impossibility du creancier de l'obligation de se renseigner soi-meme ou la confiance legitime du creancier envers le debiteur ».

mIbid

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assurer une plus grande liberte et une meilleure possibility de veiller

raisonnablement a la saine gestion de ses interets lors de la formation du contrat.

La norme liee a l'obligation d'information vient reequilibrer une situation qui se

revelait inappropriee en vertu du principe de coexistence des droits et interets

parce qu'elle biaisait le risque que pensait assumer la partie desavantagee.

Mais se pose alors la question de savoir si une telle analyse tenant compte des

qualites d'une personne ne releve pas plutot de la justice distributive. Pour

repondre a cette question, il faut se rappeler que la justice commutative a pour but

de maintenir l'equilibre entre les parties et corriger les injustices afin de restaurer

l'egalite. D'ailleurs, il est interessant de noter que le philosophe Thomas d'Aquin,

a qui l'on doit avec Aristote une bonne partie des reflexions sur les principes de

justice commutative, souligne que si la condition de la personne est consideree en

soi par les principes de justice distributive, elle peut l'etre aussi en matiere de

• 307

justice commutative dans la « mesure ou elle est cause de distinctions reelles. »

L'analyse qui s'etablit ici est le rapport de force entre deux personnes dans le

cadre de leurs echanges. L'egalite a restaurer est l'egalite de droit entre les

parties. La norme applicable peut ainsi etre modulee en fonction de la qualite des

parties si cette qualite a une influence concrete sur l'equilibre de la relation entre

les parties. Ce n'est done pas la qualite en soi qui est determinante mais son effet

sur la liberte des parties dans la gestion de leurs interets.

397 D'aquin, supra note 69 Ha - Ilae, quest. 61, art. 2.

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Pour toutes ces raisons, nous continuons de croire que les principes appliques de

justice commutative devraient permettre une plus grande intervention judiciaire au

contrat. II n'est cependant pas question de revendiquer alors une egalite parfaite

entre les prestations ou les pouvoirs des parties puisque nous n'avons pas la

TQO

naivete de penser qu'une telle egalite puisse effectivement exister . Mais, il faut

cesser d'envisager le contrat comme un lieu ou l'on peut se satisfaire des

desequilibres et des pouvoirs deraisonnables au nom de l'immuabilite et de

l'egalite presumee des contractants399. Ce que l'on desire reequilibrer, « ce sont

les desequilibres contractuels excessifs et abusifs qui n'ont d'autre justification

qu'un rapport de forces inegales ou qu'un bouleversement des circonstances 400 economiques. »

Prenons par exemple le cas d'un contractant qui impose a l'autre une clause de

resiliation unilaterale a son seul profit et sans contrepartie contractuelle de nature

financiere ou autre. Est-il deraisonnable de penser qu'il serait approprie d'imposer

a ce contractant des exigences de preavis raisonnable401, de motivation par des

398 Comme le souligne Georges Ripert: « L'egalite absolue des prestations n'est pas plus possible que l'egalite des contractants. Mais l'inegalite des prestations doit tout de meme etre relevee, car elle marque qu'une injustice va s'accomplir par le contrat. » dans Georges Ripert, La regie morale dans les obligations civiles, 4e ed., Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1949 au no. 70 [Ripert, Morale]

399 Mazeaud, « Loyaute », supra note 9 a la p. 633. 400 Ibid. 401 Voir notamment l'arret Houle, supra note 11, ou la cour supreme a impose a la banque

l'obligation de donner a son cocontractant un preavis raisonnable dans l'execution d'une clause de rappel unilateral de pret. > Voir aussi la decision Laurentienne generale, compagnie d'assurance inc. c. Nortrem, [1998] R.R.A. 1068, REJB 1998-08054 (C.S.) [Nortrem] ou la Cour mentionne, au par. 88, que le caractere raisonnable d'un preavis doit etre evalue de maniere a « rechercher l'equilibre entre les interets legitimes des deux parties, tel que l'exige cette notion de bonne foi. » [Nous soulignons].

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motifs importants402 ou d'absence de resiliation a contre-temps403? Par

1'imposition de telles normes contractuelles, on permettrait a la partie « victime »

de la clause imposee de mieux proteger ses interets contractuels, le tout dans les

limites du devoir de ne pas nuire indument a autrui.

Nous croyons qu'en analysant ainsi la relation commutative sur une base

normative, on peut reconcilier les principes de securite, liberte et consentement

contractuels avec ceux de justice. Comme le souligne un auteur, « [c]'est en

prenant conscience que le contrat est un lien conflictuel, et non un lien fraternel,

que l'on pourra efficacement concevoir des moyens juridiques pour proteger

certaines parties vulnerables sans toutefois scleroser le dynamisme

economique. »404 II est done primordial que la jurisprudence continue son travail

visant a reintroduce une veritable justice au contrat. Cependant, il est necessaire

qu'elle se dote a cette fin d'une methodologie d'analyse rigoureuse afin d'eviter

l'arbitraire. Notre demarche se veut done pratique et vise a favoriser la coherence

du lien contractuel et le respect des principes de justice commutative pour les

deux parties.

402 Voir par exemple la decision Poulin c. Promutuel Charlevoix-Montmorency, societe mutuelle d'assurances generates, [2001] R.R.A.502, REJB 2001-24594 (C.S.) [Poulin]-, Voir a ce sujet, Muriel Fabre-Magnan, « L'obligation de motivation en droit des contrats» dans Goubeaux (dir.), supra note 270 a la p. 301; Mazeaud, « Solidarisme », supra note 7 a la p. 67 et suiv.

403 On peut d'ailleurs noter que le Code civil s'inscrit parfaitement dans cette logique notamment lorsqu'il permet la resiliation unilaterale mais sans que celle-ci puisse etre effectuee a contre-temps. Voir par exemple, l'article 2126 C.c.Q.

404 Chazal, supra note 329 h la p. 122.

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Pour resumer, a ce stade-ci, nous pensons avoir etabli certaines assises

contractuelles qui doivent guider toute tentative de demarche pratique. Ainsi,

notre demarche inclut l'interet des parties au contrat comme principal moteur de

motivation contractuelle, le respect de la liberte des parties en situation d'egalite

ainsi que la responsabilisation que ce principe entraine et le respect des principes

de justice commutative. La conjonction de ces assises nous a permis de conclure

qu'en situation d'inegalite, les principes de justice commutative obligent la partie

avantagee a modifier son comportement afin d'assurer raisonnablement les

interets de son cocontractant. La justice contractuelle prend done la forme d'une

commutativite normative objective.

Un autre element doit maintenant s'ajouter a notre reflexion. En droit civil, le

contrat est essentiellement pergu comme un outil de creation et de transmission de

droits subjectifs. Cet element nous incite a nous interroger sur la compatibility de

la nature du droit subjectif avec le principe de commutativite contractuelle

objective. II nous semble impossible d'elaborer une demarche serieuse qui serait

par ailleurs inapplicable a la notion de droits sujectifs. La prochaine section se

voudra done a la fois un prolongement de notre etude et une premiere

demonstration de la validite des preceptes proposes.

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3. La commutativite objective et les droits subjectifs

Cambaceres, grand jurisconsulte fran5ais des 18e et 19e siecles, s'exprimait ainsi

lors de la presentation du deuxieme projet du Code civil fran9ais, en 1794 :

« Trois choses sont necessaires et suffisent a rhomme en societe : etre maitre de

sa personne, avoir des bieris pour remplir ses besoins; pouvoir disposer, pour son

plus grand interet, de sa personne et de ses biens. >>405 A la lumiere de ces criteres,

la redaction et l'application ulterieure du Code Napoleon semblent un succes

puisque, comme le souligne le professeur Ost, il est indeniable que le Code civil

franfais reflete directement cette triple priorite406. Or, le Code civil du Bas-

Canada et ulterieurement celui du Quebec etant fortement inspires, a divers

degres, de leur homologue fran^ais, on peut certainement affirmer que les

principes directeurs du Code civil du Quebec s'inspirent grandement de ces trois

priorites. D'ailleurs, il s'agit de constater la place laissee a la notion de droit

subjectif, qui est certainement une des notions juridiques qui assurent le respect de

ces priorites, pour s'en convaincre.

La notion de droit subjectif est une notion fondamentale de la science juridique.

D'ailleurs, elle est enseignee des les premieres heures d'etudes aux apprentis

juristes. En enseignant le cours d'introduction au droit aux nouvelles cohortes

d'etudiants en droit, nous definissons la notion de droit subjectif comme

405 Jean-Jacques de Cambaceres, tel que cite dans Ost, supra note 34 a la p. 45, n. 81. 406 Ost, ibid.

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correspondant a une « prerogative individuelle conferee a une personne, sujet de

droit, par le droit objectif». Naturellement, il s'agit d'une definition adaptee a

une clientele profane de la science juridique mais deja on constate qu'elle

comporte plusieurs elements qui pourraient faire l'objet de vives discussions. En

effet, alors que la notion de droit subjectif joue un role cle dans 1'edification de

nombreux raisonnements juridiques, personne ou presque ne parvient a s'entendre

sur les elements fondamentaux d'une definition. Cette notion a fait l'objet de

nombreux debats et controverses.

Plusieurs auteurs serieux ont tente et tentent toujours de definir la notion de droit

subjectif, sans que leur conception ne reussisse a faire l'unanimite. « II y a a peu

pres autant de definitions du doit subjectif que d'auteurs qui ont ecrit sur le sujet»

disent certains407. Nous n'avons done pas la pretention d'y parvenir, surtout que

nous avons pu constater au fil de nos lectures que la definition de chacun est

necessairement tributaire de la conception philosophique, contemporaine,

positiviste, realiste ou idealiste, qu'il se fait du milieu social. II est certain qu'un

juriste qui fonde sa vision sociale sur une these a tendance solidariste ne pourra

concevoir le droit subjectif de la meme maniere qu'un juriste aux idees fortement

individualistes. Leur conception du role fondamental de la science juridique etant

sans equivoque fort differente, ces juristes ne pourront s'entendre sur des elements

lies a cette notion, la controverse s'etendant parfois jusqu'a l'existence meme de

cette notion.

407 Henri, Leon et Jean Mazeaud, Legons de droit civil, t.l, vol. 1, 10e ed., par Fran?ois Chabas, Paris, Montchrestien, 1991 au no. 155 [Mazeaud, Legons]. Voir aussi du meme avis, Popovici, « mariage », supra note 122 a la p. 71, n. 57.

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C'est pourquoi, apres un examen sommaire - decrire cette notion en details avec

1'ensemble des nuances des principaux auteurs depasserait le cadre de notre etude

- des composantes des principales theories et auteurs, nous soumettrons ce que

nous croyons etre les elements fondamentaux de cette notion. II est important ici

de souligner que nous n'avons nullement la pretention de presenter la definition

du droit subjectif puisque, a l'instar de nombre d'auteurs, cela nous apparait

impossible. Notre but n'est nullement de prendre position non plus entre par

exemple la definition large de la notion de droit subjectif de Jean Dabin408 et celle

plus restreinte de Paul Roubier409. Mais nous tenterons de mettre en lumiere des

elements - ces choix en soi pouvant etre consideres comme un editorial - les plus

significatifs en termes de liberte, d'egalite, d'interet personnel et de justice

commutative. Nous tenons aussi a souligner que notre etude se limitera aux

elements de droit prive, et plus particulierement du droit civil. Notre these portant

sur la relation contractuelle, il nous apparait important dans un champ de

controverses aussi vaste de baliser notre etude a l'aide de reperes civilistes

exclusivement. Pour cette meme raison, nous restreindrons nos exemples aux

droits de propriete et de creance puisqu'il s'agit des principaux droits impliques

dans les relations etudiees. Afin d'illustrer notre demarche, nous ne jugeons pas

necessaire de s'etendre sur d'autres types de droits subjectifs et surtout sur les

controverses qui les caracterisent.

408 Jean Dabin, Le droit subjectif, Paris, Dalloz, 1952. 409 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364.

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3.1 La reconnaissance du concept de droit subjectif

La premiere controverse sur les droits subjectifs concerne la reconnaissance de

1'importance de la notion de droit subjectif au sein des traditions de droit civil. En

effet, en presence d'une si grande multitude de definitions et debats, on peut se

demander si toute cette doctrine ne serait justement pas le resultat de l'absence

d'existence positive de la notion de droit subjectif410. Si les debats sont si

importants, peut-etre est-ce parce que cette notion n'est qu'une pure chimere de

l'esprit sans assise reelle au sein de la realite juridique du droit civil ? II importe

done en premier lieu de s'interroger sur les elements demontrant l'importance de

cette notion en droit prive quebecois. Fidele a notre demarche fondee sur les

conditions de coherence et de transparence, nous envisageons de repondre a cette

question en nous appuyant sur la pratique. Mais auparavant, il peut paraitre

pertinent d'examiner les principaux arguments des deux camps.

Parmi les auteurs europeens, une des plus celebres attaques contre la notion de

droit subjectif est certainement celle de Leon Duguit411. Dans la lignee de la

philosophic positiviste du debut du 20e siecle, cet auteur tente d'eliminer de la

science juridique toute notion qu'il considere comme « metaphysique » et parmi

410 C'est d'ailleurs ce qu'ont affirme certaines ecoles de pensee niant l'existence de la notion de droit subjectif: notamment Leon Duguit, Les transformations generates du droit prive depuis le Code Napoleon, Paris, Felix Alcan, 1912 a la p. 10 [Duguit, Transformations]; Voir plus amplement a ce sujet: Dabin, Droit subjectif supra note 408 a la p. 4.

411 Voir notamment Duguit, Transformations, ibid.; Leon Duguit, Traite de droit constitutionnel, vol. 1, 3C ed., Paris, 1927 a la p. 14 et s. [Duguit, Constitutionnel]

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elles, la notion de droit subjectif412. Pour lui, l'existence de la notion de droit

subjectif impliquerait la superiority de la volonte du sujet, titulaire du droit

subjectif, sur celle d'autrui, alors qu'il lui apparait scientifiquement impossible

d'expliquer d'ou proviendrait une telle hierarchie sans 1'intervention d'une

puissance superieure a saveur metaphysique413. II va meme jusqu'a affirmer que

si la notion de droit subjectif persiste dans le vocabulaire juridique, cela est du a la

tendance de la nature humaine a vouloir « expliquer le visible par l'invisible » ou

si l'on prefere par des principes de nature metaphysique414.

Or, Duguit rejette de tels principes. Aussi, il ne s'explique pas pourquoi l'etre

humain aurait des droits individuels a la base. L'affirmation voulant que

l'humain, a l'etat naturel, soit un etre investi de pouvoirs et prerogatives

individuels auxquels il renonce en partie, sauf quant a ceux qui sont inherents a la

nature humaine, au profit d'une protection sociale lui apparait comme

grossierement inexacte. Pour lui, l'etre humain est fondamentalement social et

d'ailleurs, il n'acquiert des droits que dans ses relations avec les autres humains,

ce qui confirme l'aspect fondamental de la societe415. L'homme n'existe pas

412Voir notamment, Duguit, Transformations, ibid, a la p. 8 et s.; Voir plus amplement sur la conception de cet auteur: Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 32; Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 178; Ionescu, supra note 222 a la p. 11.

413 Duguit, Transformations, ibid, a la p. 10 et s.; Duguit, Constitutionnel, supra note 411 a la p. 15, ou Duguit s'exprime ainsi: « [...] le probleme du droit subjectif se ramene toujours a ceci: y a-t-il certaines volontes qui ont, d'une maniere permanente ou temporaire, une qualite propre qui leur donne le pouvoir de s'imposer comme telles a d'autres volontes ? Si ce pouvoir existe, il est un droit subjectif, qui est ainsi une quality propre a certaines volontes, qualite qui fait que les volontes qui en sont investies s'imposent & d'autres volontes, lesquelles sont reciproquement grevees d'un droit subjectif envers les premieres ». Voir a ce sujet: Dabin, Droit subjectif, ibid, a la p. 5 et s.; Ghestin et Goubeaux, ibid.

414 Duguit, Constitutionnel, ibid, aux pp. 18-19. 415 Duguit, Constitutionnel, ibid, aux pp. 17 et 208-212; Duguit, Transformations, supra note 410

a la p. 18. Voir a ce sujet, Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 6 et s.

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anterieurement a la societe et ainsi, l'homme naturel n'est pas un homme isole

mais un homme social416. Ainsi, en amont, il ne peut y avoir des droits subjectifs

qui conditionneraient le droit objectif. Si ceux-ci existent, ils ne peuvent etre que

le resultat de la societe et done du droit objectif417.

Cette composante de la theorie de Duguit est contestee, notamment par Jean

Dabin, qui souligne que si effectivement l'etre humain n'est pas un etre isole, il

418

n'en demeure pas moins un etre individuel au sein d'une collectivite . Ainsi, ce

n'est pas parce que l'etre humain n'est pas isole qu'il n'a pas de droit pour autant.

Pour Dabin, adepte evident d'une theorie de droit naturel ou la personne humaine

a une valeur en elle-meme avant toute reconnaissance de cette valeur par le droit

objectif, la necessite d'un sujet passif a qui l'on impose le respect de son droit ne

necessite qu'une seule autre personne et non un support social organise sous la

forme d'une regie de droit objective419. Pour lui, il existe un droit subjectif moral,

fondamentalement rattache a la personnalite humaine et a la justice, qui existe

anterieurement a toute societe. Le droit a la vie en est un excellent exemple. II

s'agit de droits essentiels qui ne peuvent etre supplantes par le droit objectif et

celui-ci ne peut que les consacrer au plan juridique420. Ils s'imposent a l'Etat parce

qu'ils sont etroitement lies a la justice d'un « droit de la nature » et que ce n'est

que par cette justice que l'Etat tire sa competence a poser des regies a l'egard des

individus. 416 Duguit, Constitutionnel, ibid, aux pp. 209-210. 417 Ibid, aux pp. 208-213, 221, 262-263 et 296. Voir a ce sujet, Dabin, Droit subjectif, supra note

408 a la p. 6 et s. 418 Dabin, Droit subjectif, ibid, a la p. 44 et s.; 419 Ibid. 420 Ibid.

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Cette critique de la theorie de Duguit reflete en quelque sorte le vieux debat de

diverses ecoles de pensee sur l'anteriorite du droit subjectif ou du droit objectif

l'un par rapport a l'autre. Duguit emet l'equation voulant que pour que l'on

puisse reconnaitre des droits a un individu, il faut un sujet passif, a qui l'on

impose le droit, et consequemment une societe et une regie de droit objective pour

veiller a une telle imposition. Cette regie etant obligatoire et objective par sa

nature meme, toutes les situations auxquelles elle s'appliquera ne seront pas

considerees comme des droits subjectifs mais comme des situations d'application

de normes objectives. II s'agit done d'une position positiviste poussee a

l'extreme. Dabin a une toute autre position qui releve plutot de l'ecole du droit

naturel. Ainsi, pour lui, il existe des droits fondamentaux moraux qui s'imposent

moralement au droit objectif et qui deviennent ainsi consacres par lui. Ces droits

fondamentaux acquierent ainsi la nature de droits subjectifs juridiques et non plus

simplement moraux. En ce sens, le droit subjectif moral precede le droit objectif

juridique421. Neanmoins, malgre cette affirmation, Dabin soutient par la suite

qu'un droit subjectif moral ne peut se metamorphoser en droit subjectif juridique

que s'il est reconnu ainsi par le droit objectif. En l'absence d'une telle

reconnaissance juridique garantie par une sanction legale, un droit subjectif moral

A'yy

ne pourra faire l'objet d'aucune sanction judiciaire en cas de violation . De

plus, Dabin concede aussi que certains droits subjectifs juridiques ne sont pas la

consecration d'un droit moral mais decoulent de la mission du droit objectif

m Ibid. a la p. 58. 422 Ibid.

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« d'accorder avec la norme du bien general les droits et libertes de chacun

(individus ou groupes) pris separement. »423 De tels droits subjectifs juridiques

seraient alors purement tributaries du droit objectif. Ainsi, malgre sa position sur

la preseance des droits subjectifs moraux et sa critique a Duguit pour cette raison,

Dabin adopte en definitive une position positiviste. Neanmoins, malgre cette

concession de Dabin, il est improbable que Duguit y aurait adhere. De tels droits

humains fondamentaux, qui s'imposeraient au droit objectif, possederaient

certainement une saveur trop « metaphysique » pour qu'il put adherer a une telle

ecole de pensee.

Une fois qu'il a ecarte la perspective de l'existence des droits subjectifs en dehors

du cadre du droit objectif, reste alors pour Duguit la seule question de savoir si le

droit subjectif existe meme dans le cadre du droit o bjectif424; ce a quoi il repond

par la negative, justement pour eviter d'introduire ce qu'il considere comme des

principes metaphysiques au droit, parce que bases sur des volontes superieures et

inferieures425. Pour Leon Duguit, il n'existe que des situations juridiques qui sont

creees par le droit objectif. La situation juridique se definit alors comme la norme

objective appliquee a l'individu. Elle correspond a la fonction sociale qui

s'impose a chaque individu426. Elle peut par ailleurs etre active ou passive selon,

respectivement, que le respect de la regie soit considere comme une « richesse »

ou comme un devoir. Le defaut de se conformer a la regie n'est pas alors pergu

423 Ibid, a la p. 54. 424 Duguit, Constitutionnel, supra note 411 aux pp. 212-213 et 296; Voir a ce sujet, Dabin, Droit

subjectif, ibid, aux pp. 6 et s. 425 Duguit, Transformations, supra note 410 a la p. 10 et s. 426 Ibid, a la p. 19 et s.; Voir une analyse a ce sujet dans Ionescu, supra note 222 au no. 13.

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comme la violation d'un droit individuel mais bien comme la violation de la

norme generale et impersonnelle du droit objectif427. Si la regie n'est pas

respectee, il peut alors y avoir ouverture d'une voie de droit, un recours, au profit

de la personne ou des personnes designees par le droit objectif. Ainsi, par

exemple, il n'y a pas de droit de propriete comme tel, mais une situation de

propriete qui donne ouverture a une voie de droit en cas de violation, non pas en

tant que violation d'un droit individuel mais en tant que violation de la regie

generale du respect de la situation de propriete d'autrui . En ce sens, le

proprietaire n'est pas detenteur d'un droit subjectif mais d'une fonction sociale,

liee a sa situation. L'Etat lui reconnait une certaine prerogative, que Duguit

qualifie de « richesse » afin de servir «1'affectation » de cette richesse et liee a

l'interet general429.

En tant que titulaire d'une « richesse », une personne est investie d'une fonction

sociale de la developper. Cela implique que la gestion du bien et le respect des

gestions d'autrui doivent etre conduites, non pas dans son interet, mais dans

l'interet social430. Les actes qu'une personne effectuera en accord avec cette

mission sociale seront proteges par la societe. Par contre, les actes qu'il

427 Duguit, Constitutionnel, supra note 411 aux pp. 441-442. 428 Voir Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 80. 429 Duguit, Constitutionnel, supra note 411 aux pp. 441-442; Voir a ce sujet les analyses

d'Octavian Ionescu, supra note 222 au no. 13, pp. 42 et Gaston Morin, «L'oeuvre de Duguit et le droit prive », [1932] Archives de Philosophie du droit et de Sociologie juridique 153 specialement a la p. 157 et s. II faut noter que ce dernier auteur appuie Duguit dans sa quete de concepts plus realistes mais rejette sa negation des droits subjectifs qu'il considere comme « une grave mutilation de la realite ».

430 Duguit, Transformations, supra note 410 a la p. 19 et s.; Voir a ce sujet, G. Morin, « Le sens de revolution contemporaine du droit de propriete », dans Le droit prive frangais au milieu du XXe siecle - Etudes offertes a Georges Ripert, t. 2, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1950 p. 3 a la p. 12.

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effectuera a l'encontre de cette fonction devront etre socialement reprimes et

justifieront l'intervention du pouvoir social431. On y trouve consequemment les

raisons pour lesquelles la contravention a cette regie est pergue comme le

manquement a la norme objective generale et impersonnelle plutot qu'un droit

subjectif d'autrui. Ce n'est pas le droit individuel qui est protege, puisque celui-ci

n'est qu'une conception metaphysique d'un autre siecle432, mais la fonction

sociale au profit de la.societe en general. De meme, on ne protege pas le droit a

l'integrite corporelle mais bien le respect de la regie objective interdisant de porter

atteinte au corps d'autrui. En d'autres termes, le systeme de Duguit est base sur

un systeme de devoirs qui doivent etre respectes par chaque individu plutot que

sur une analyse individualiste fondee sur les droits et libertes individuelles433.

Naturellement, une telle theorie de negation des droits subjectifs a ete tres

critiquee. Certains reprochent a la metamorphose du droit subjectif en devoir de

fonction sociale d'etre en soi metaphysique puisque rien dans l'observation de la

pratique ne permet de conclure a l'existence d'un veritable devoir d'agir au

benefice exclusif de la societe434. D'autres soulignent que cette theorie n'ecarte

nullement les aspects materiels du droit subjectif435. Comme le demontre

notamment Paul Roubier, que l'on discute du droit subjectif de propriete ou de la

situation juridique de la propriete, nous sommes devant la meme institution,

431 Duguit, Transformations, ibid, a la p. 21 et s. 432 Ibid, a la p. 15ets . ' ' . 433 Ionescu, supra note 222 au no. 14. 434 Paul Cuche, En lisant les juristes philosophes, Paris, J. de Gigord, 1919 a la p. 75 et s. [Cuche,

Philosophes]; Francois G6ny, Science et technique en droit positif: nouvelle contribution a la critique de la methode juridique, t. 2, Paris, Recueil Sirey, 1927 au no. 133 [Geny, Science, t.2],

435 Voir notamment Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 31 et s.

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exprimee sous un vocable different. II s'agit fondamentalement de la meme

notion436 et la difference de terminologie n'en change pas la nature. Par exemple,

lorsque Duguit mentionne l'ouverture d'une voie de droit en cas de violation de la

« situation juridique », cette ouverture de droit a tous les caracteres d'un droit

subjectif. Meme en se liberant de toute notion metaphysique, au sens ou Duguit

l'entend, 1'observation concrete du phenomene de la propriete comporte

certainement une zone d'autonomie pour son titulaire, ce qui est incompatible

avec la seule fonction sociale dont il veut bien l'affubler437. D'ailleurs, les

phrases suivantes que l'on retrouve dans un de ses textes demontrent bien toute

l'ambigui'te, voir le propos contradictoire, de cet auteur lorsqu'il examine le droit

de propriete :

« Le proprietaire a le devoir et partant le droit d'employer la chose

qu'il detient a la satisfaction de besoins individuels, et

particulierement des siens propres, d'employer la chose au

developpement de son activite physique, intellectuelle et morale.

(...)

D'abord, dis-je, le proprietaire a le devoir et le pouvoir

d'employer la richesse qu'il detient a la satisfaction de ses besoins

individuels. Mais il va de soi qu'il ne s'agit que des actes qui

correspondent a l'exercice de la liberte individuelle telle que je l'ai

definie precedemment, c'est-a-dire au libre developpement de

l'activite individuelle. Les actes faits en vue de ce but sont

proteges. Ceux qui n'ont pas ce but et qui, d'autre part, ne

poursuivent pas un but d 'utilite collective, seront contraires a la loi

436 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 80-81; Voir aussi Ionescu, supra note 222 au no. 14.

437 Morin, «Oeuvre», supra note 429 a la p. 159

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de la propriete et pourront donner lieu a une repression ou a une

reparation. »438

II s'agit materiellement, et peu importe la denomination que l'on veut en faire,

d'une prerogative individuelle laissee a l'usage de la personne lesee dans sa

« situation »juridique. La seule difference est que Duguit n'admet pas que cette

prerogative puisse etre exercee dans son interet propre plutot que dans une

perspective de devoir social. Pour lui, un devoir de developpement individuel se

congoit en termes de devoir social puisqu'en favorisant son plein epanouissement

personnel, la personne ceuvre au profit du groupe tout entier439. Mais dans cette

negation, il n'explique pas pourquoi, malgre ses responsabilites sociales, une

personne n'est generalement aucunement sanctionnee lorsqu'elle n'exerce pas ses

droits. Par exemple, comment expliquer qu'une personne ne soit pas obligee

d'exercer son droit de poursuite, si ce droit de poursuite est exerce, non pas dans

son benefice personnel mais pour la societe en general ? Et dans la meme veine, si

le benefice est social, un tel droit de poursuite ne devrait-il pas etre exerce par un

representant de l'autorite publique plutot que par la personne individuellement ?

On sait que les recours de droit prive sont essentiellement relatifs, en ce sens que

seules les parties dont les interets personnels risquent d'etre affectes par le

jugement a etre rendu peuvent intervenir comme partie active au litige440. Or, si,

en droit prive, un droit doit etre defendu par une personne interessee plutot que

438 Duguit, Transformations, supra note 410 aux pp. 165-166. [Nous soulignons] 439 Achille Mestre, « Remarques sur la notion de propriety d'apres Duguit», dans [1932] Archives

de Philosophie du droit et de Sociologie juridique, 163 a la p. 167 [Mestre, « Remarques »]; 440 Voir notamment Particle 15 C.p.c.

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par un representant de l'Etat, serait-ce justement parce que l'on est en presence de

droits individuels auxquels on accorde socialement une protection judiciaire ?441

Ensuite, Duguit nie l'existence des droits subjectifs parce que, rappelons-le, il

definit cette notion comme etant la superiorite d'une volonte sur une autre

volonte. Cette definition est a son tour fortement contestee puisque, pour de

nombreux auteurs, le principe d'egalite est a la base meme de l'octroi d'une

prerogative de droit subjectif442. On accepte que certaines volontes soient

soumises a celle d'autrui mais seulement si ce rapport decoule de l'exercice de

consentement libre et eclaire443. Or, la liberte du consentement implique une

horizontalite en amont puisqu'on ne peut etre soumis et libre a la fois.

Contrairement a ce qu'affirme Duguit, l'egalite en droit des citoyens est a la base

de la conception contemporaine de la notion de droit subjectif au sein des societes

liberates. Toute personne est, par principe philosophique, egale a une autre dans

sa nature de sujet de droit apte, selon les prescriptions legates qui sont les memes

pour tous, a acquerir et etre titulaire de droits subjectifs. Les conditions pour etre

titulaire d'un droit subjectif sont legalement les memes pour tous les sujets de

droit. Ainsi, meme si, comme Duguit, l'on considere la prerogative du creancier a

l'egard du debiteur comme une superiorite de la volonte de celui-la sur celle de

441 Voir cette critique dans Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 27. 442 Dabin, Droit subjectif, ibid, a la p. 34; Cuche, Philosophies, supra note 434 a la p. 22; Louis Le

Fur, « Le fondement du droit dans la doctrine de Leon Duguit», dans [1932] Archives de Philosophie du droit et de Sociologie juridique, 175 aux pp. 181-182; Mestre, « Remarques », supra note 439 a la p. 164 et s.; Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 81-82, n. 1.

443 Cuche, Philosophes, ibid.

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celui-ci, il faut noter qu'une telle hierarchie suppose toujours un fait anterieur, tel

un accord de volontes ou une contravention a un devoir ayant entraine une

obligation de reparation444, dont les conditions legales d'existence sont les memes

pour tous.

II est vrai cependant qu'il resulte de l'octroi d'un droit subjectif une preference

accordee a son titulaire. Mais il s'agit d'une preference des interets, qui est un

aspect neglige de la theorie de Duguit445, et non d'un rapport hierarchique des

volontes446. En d'autres termes, cette preference d'interets n'est accordee par la

loi qu'en vertu des principes d'egalite447 et de coexistence paisible des droits et

interets. A notre avis, c'est pour cette raison que l'attention qu'il faut accorder aux

interets d'autrui dans le cadre de la relation contractuelle sera modulee par

l'inegalite effective des cocontractants. L'inegalite nuit de facto a la coexistence

paisible des droits et interets. Si cette egalite n'est pas presente, l'obligation

contractuelle ne devrait pas etre consideree comme librement conclue et, par

consequent, devrait pouvoir etre jugee invalide. De meme, la prerogative du lien

de creance cree par la responsabilite civile est engendree, lorsque l'on en examine

les bases theoriques, par le non-respect du principe d'egalite ainsi que des devoirs

de ne pas nuire a autrui et d'assurer ainsi la coexistence paisible des interets de

chacun.

444 Le Fur, supra note 442 aux pp. 181-182. 445 Ionescu, supra note 222 au no. 14. 446 Voir Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 33. 447 Le Fur, supra note 442 aux pp. 181 -182

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Par ailleurs, nous nous permettons une critique personnelle a la theorie de Duguit.

La notion de situation juridique a laquelle il adhere a pour consequence d'inhiber

tout lien de droit privilegie entre le creancier et le debiteur448. En effet, selon la

theorie de Duguit, ces personnes ne peuvent etre respectivement que dans des

situations juridiques actives et passives, dictees par le droit positif. Ainsi, dans le

cas ou le debiteur n'executerait pas ses obligations, il ne violerait pas le droit du

creancier mais bien la regie de droit generale exigeant le respect de ses

engagements. Le creancier pourrait alors, en vertu du droit objectif, demander

l'aide des autorites publiques, en tant que consequence, un peu dans une vision

penale de la situation, de cette violation a la regie objective.

Cette vision des relations juridiques entre les personnes semble difficile a

concilier avec la definition classique de la theorie des obligations qui prevoit que

l'obligation consiste en lien de droit entre le debiteur et le creancier pour

l'execution d'une prestation. L'obligation implique une norme de conduite bien

determinee applicable aux parties449 et sanctionnee juridiquement. En se basant

sur cette definition, le droit des obligations a pour but de delimiter et structurer la

dynamique et les composantes de relation juridique individuelle et concrete entre

le creancier et le debiteur. D'ailleurs, le lien privilegie entre le debiteur et le

creancier apparait clairement puisque qu'au devoir d'executer la prestation de l'un

correspond le droit d'exiger l'execution de cette meme prestation. Or, la logique

de la theorie de Duguit laisse entendre qu'il n'y aurait que des devoirs, sans droits

448 Voir a cet effet, Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 29. 449 Kelsen, supra note 140 a la p. 35.

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correlatifs. II n'y aurait done qu'un seul lien de droit cree entre la societe et le

prestataire de ce devoir plutot qu'entre un debiteur et un creancier. Pourtant, nier

la relation debiteur-creancier semble difficilement compatible avec la realite

juridique du droit prive ou il appartient au creancier de veiller a l'execution forcee

si necessaire. Sinon, pour quelles raisons, en cas de contravention, des dommages

seraient-ils payables a ce creancier particulier plutot qu'a un autre ? II nous

apparait done legitime de rejeter cette theorie en raison de son manque de

transparence, e'est-a-dire son inadequation avec la realite de la pratique

quotidienne.

Nous croyons avoir demontre, par un compte-rendu de certaines des critiques

formulees a l'egard de la theorie de Leon Duguit, l'aspect central de la notion de

droit subjectif en droit prive. Nous ne pouvons done accepter une theorie, quelle

qu'elle soit, qui nie l'existence du droit subjectif. Cette premiere demonstration

etait cependant facilitee par le fait qu'il n'existe pratiquement plus aucun auteur

contemporain qui nie Pimportance de ce concept dans les systemes civilistes. La

seconde demonstration s'avere un peu plus ardue puisque si les auteurs

s'entendent sur Pimportance du concept de droit subjectif au sein du droit prive,

peu s'entendent sur les caracteristiques de ce concept. Nous nous efforcerons

d'en identifier les plus courantes. Nous nous attarderons specialement aux

manifestations de ce concept au sein de la relation contractuelle. Cette etude nous

permettra de verifier comment s'exercent en pratique les prerogatives inherentes

du droit subjectif a l'interieur de la relation contractuelle et comment les preceptes

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de la commutativite objective identifies aux sections precedentes

dans l'analyse de cette pratique.

s'integrent bien

3.2 L'exercice d'une prerogative dans l'interet de son titulaire

Pour debuter 1' etude des principales implications de la notion de droit subjectif au

sein de la relation contractuelle, revenons done a cette definition que nous avons

l'habitude d'enseigner aux apprentis juristes pour en examiner les elements qui

portent a controverse et ceux qui meritent d'etre precises. Nous rappelons done

cette definition sommaire : « prerogative individuelle conferee a une personne,

sujet de droit, par le droit objectif ».

II faut mentionner que cette definition nous apparait maintenant comme peu

precise et englobant tous les types de prerogatives individuelles. Or, selon

plusieurs, un droit subjectif se distingue d'un pouvoir, d'une faculte ou d'une

liberte. Sans entrer dans les details de chacune de ces notions voisines, puisque

cela pourrait faire en soi l'objet d'une autre these, nous tenterons de les definir

sommairement, en s'excusant aupres des specialistes de ces notions des choix

editoriaux que nous effectuons par ces definitions.

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La faculte peut se definir comme la possibility legale de choisir entre Taction ou

1'abstention450. Naturellement, cette possibility n'est generalement pas absolue et

est le plus souvent balisee par des normes precises. Ainsi, par exemple, nous

avons la possibility de choisir de circuler en voiture, a la condition de respecter les

regies edictees par le Code de la securite routiere. Nous pouvons cependant

decider aussi de ne pas nous deplacer ou d'utiliser le transport en commun. Ces

derniers choix impliquent leurs propres limites comportementales et Ton

comprend de ces exemples que la portee accordee au contenu du choix sera plus

ou moins etendue. Mais cela n'affecte en rien cette possibility de choix en soi.

Cependant, chacune des notions de droit subjectif, pouvoir, faculte ou liberte

implique une possibility de choix451. II faut done pousser plus loin notre etude des

notions voisines pour examiner comment la notion de droit subjectif se distingue

de chacune d'elles.

La liberte comporte, elle aussi, l'exercice d'une faculte. Certains la definiront

comme «l'independance de comportement (...) permettant de faire tout ce qui

n'est pas defendu par la loi. »452 Carbonnier prefere la definir comme «la

possibility de se comporter selon sa propre et autonome volonte »453. En ce sens,

l'exercice de tout droit subjectif ou de toute faculte impliquerait l'exercice d'une

liberte.

450 Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 162. 451 Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199. 452 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 147. 453 Carbonnier, Introduction, supra note 69 au no. 162.

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Ensuite, pour d'autres auteurs, il s'agirait d'une prerogative de choix a caractere

egalitaire, en ce sens que son exercice ne restreindrait pas, en principe, la liberte

d'autrui454. Elle serait accordee a tous455. Par exemple, si nous exerfons notre

liberte contractuelle, cela n'affecte en rien la liberte d'autrui de conclure aussi des

contrats. De meme, l'exercice de la liberte d'autrui ne devrait pas affecter notre

propre liberte. Si tous sont egaux, chacun devrait, pour reprendre l'expression du

Doyen Carbonnier, pouvoir exercer sa volonte de maniere autonome sans

empieter sur celle d'autrui.

Selon cette conception de la liberte, la loi peut restreindre, dans l'interet general,

la liberte de certaines personnes, mais une telle limitation ou privation n'aura pas

pour but de permettre a d'autres personnes d'obtenir plus de liberte456. Elle se

justifiera en soi. Ainsi, par exemple, l'emprisomiement, qui constitue la privation

de liberte de circulation d'une personne coupable d'un crime, se justifie en soi, au

nom de l'interet social, et n'a pas pour but de permettre a quelque autre individu

de beneficier d'une plus grande liberte de mouvement. La liberte se distinguerait

done en ce sens du droit subjectif puisque ce dernier a pour caracteristique

l'exclusivite dont profite son titulaire457. En ce sens, l'exercice d'un droit

subjectif restreindrait les libertes d'autrui. Le droit subjectif consisterait en

quelque sorte en l'exercice d'une prerogative inegalitaire amputant la liberte

454 Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199. 455 Ost, supra note 34 a lap. 119. 456 Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199. 457 Ibid.

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d'autrui458 en la limitant au seul profit du titulaire du droit subjectif. A notre avis,

cette distinction entre les aspects inegalitaires et egalitaires des notions de droit

subjectif et de liberte est la plus interessante. Ma liberte s'exerce dans un

contexte d'egalite ayant pour seule limite le respect general des regies sociales.

Le droit subjectif entraine plutot une inegalite en faveur de son titulaire. Ses

interets sont priorises et le respect de ceux-ci devient specifiquement impose a

autrui.

Le professeur Paul Roubier distingue aussi, dans ses ecrits, les notions de liberte

et de droit subjectif. Pour cet auteur, le concept de liberte est « souche de tous les

droits » et se situe done exclusivement en amont des droits. Ainsi, la liberte

releve de la formation de la prerogative tandis que les droits se situent au moment

de l'execution de cette prerogative, avec tous les effets qu'elle engendre459. Cette

conception est interessante puisqu'en exigeant un exereice libre en amont,

Roubier exige par le fait meme une egalite entre les parties. Nous sommes

consequemment d'accord avec le fait qu'il ne peut y avoir de droits subjectifs sans

liberte en amont. Cependant, cette definition nous apparait aussi incomplete

puisqu'a notre avis, la liberte se manifeste aussi dans la faculte d'exercice de la

prerogative et non pas seulement en la creation d'un droit subjectif460. Chacun

demeure libre d'exercer ou non ses prerogatives. Ainsi, nous possedons la liberte

de circuler et nous exergons tout simplement cette prerogative si nous marchons

librement.

458 Ibid. 459 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 148-149. 460 Voir au meme effet, Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199.

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Finalement, certains auteurs identifient une autre distinction entre les notions de

droit subjectif et de liberte. Se basant sur les natures egalitaire et inegalitaire de la

liberte et du droit subjectif, ils soumettent qu'il faut distinguer la protection

judiciaire dont leur titulaire peut se prevaloir. Ainsi, dans le cas de la liberte, cette

protection ne serait que negative (empecher de porter atteinte a la liberte et action

en dommages s'il y a eu effectivement atteinte) tandis que celle du droit subjectif

comprendrait aussi une protection positive d'exiger461.

Cette nouvelle distinction est a notre avis source de confusion puisque les recours

visant a faire respecter les prerogatives conferees par ces deux concepts nous

semblent fortement apparentes. En effet, dans les deux cas, il s'agit d'une

prerogative du titulaire qui est protegee par le droit positif et qui doit etre

respectee par autrui. De plus, pour ajouter a la confusion, plusieurs « libertes »

sont d'ailleurs qualifiees de « droits » lorsqu'elles sont reconnues expressement

par le droit positif. Ainsi par exemple, la liberte de religion, dont l'exercice ne

devrait pas limiter la possibility d'exercice d'autrui, s'est plus que souvent

retrouvee qualifiee de « droit a la liberte de religion », et ce, meme par le plus

haut tribunal du pays462. S'il est vrai qu'une telle qualification n'a pas entrave les

libertes de religion d'autrui, elle a par ailleurs limite l'exercice d'autres

prerogatives, tels que certains droits de gestion dans le milieu de travail. En ce

™ 1

Ost, supra note 34 a la p. 119; Juliana Karila de Van, « Le droit de nuire », [1995] R.T.D. civ. 533 aux pp. 534-535.

462 Voir par exemple la decision Syndicat Northcrest c. Amselem, 2004 SCC 47, [2004] 2 R.C.S. 551 [Amselem].

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basant sur cette citation, il semblerait done que Taction d'exiger le respect de sa

liberte puisse transformer celle-ci en droit463 en limitant d'autant certaines facultes

d'autrui. Dans le cadre de cette these, nous preferons done conclure que tant la

liberte que le droit subjectif peuvent etre proteges si telle est la volonte de leur

titulaire. Nous ne jugeons pas necessaire de distinguer davantage les deux

concepts.

Qu'en est-il maintenant de la distinction entre l'exercice d'un droit subjectif et

l'exercice d'un pouvoir ? Bien qu'il y ait encore controverses sur cette definition,

plusieurs auteurs reconnaissent que la notion de pouvoir se distingue de celle de

droit subjectif en fonction de Tinteret pour lequel ces prerogatives sont exercees.

Ainsi, on reconnait que le pouvoir est une prerogative exercee par une personne

au profit partiel ou total d'une autre personne464. D'ailleurs, certains auteurs

qualifient ces pouvoirs de « droits-fonctions465 » en les opposant aux « droits-

interets » ou « droits a fin egoi'ste »466, justement parce qu'ils constituent en

quelque sorte plus un devoir de representer les interets d'autrui qu'un droit en soi.

Les pouvoirs exerces par les administrateurs d'une personne morale en sont un

bon exemple. Ne pouvant agir d'elle-meme, la personne morale doit compter sur

un conseil d'administration pour la prise de decisions. On sait qu'il est de la

nature meme de ces pouvoirs decisionnels qu'ils soient exerces dans Tinteret de la

463 Voir aussi du meme avis, Karila de Van, supra note 461 a la p. 535. 464 Voir notamment Cantin Cumyn, supra note 337 au no. 91 et s.; Carbonnier, Introduction, supra

note 69 au no. 162; Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 221 et s. ; Gaillard, supra note 198 aux nos 235 a 239; Revet, supra note 259 au no. 6 et s.; Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 144-145.

465 Dabin, Droit subjectif ibid. 466 Ibid, a la p. 217.

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personne morale plutot que dans l'interet personnel de chacun des

administrateurs. Or, cette particularity de l'exercice de la prerogative dans

l'interet d'autrui permet de distinguer les pouvoirs des droits subjectifs, ces

derniers etant exerces dans l'interet de leur titulaire.

Cette distinction fondee sur la predominance des interets peut sembler anodine

mais elle est d'une grande importance. Elle constitue en fait un des elements les

plus importants de la notion de droit subjectif: un droit subjectif est une

prerogative exercee au profit exclusif de son titulaire467, si telle est sa volonte. Par

principe, le titulaire d'un droit subjectif n'est tenu de prendre aucun autre interet

en consideration dans l'exercice de son droit subjectif468. Par contre, dans le

cadre d'un pouvoir, la prerogative accordee a l'individu a une finalite precise : la

satisfaction d'un interet autre que celui de son titulaire et le plus souvent defini

par le legislateur469. On peut meme affirmer que la realisation de cet interet est la

condition d'action du titulaire du pouvoir470. L'usage de ce pouvoir peut done

faire l'objet d'un controle judiciaire si la finalite edictee n'est pas respectee.

Au contraire, le droit subjectif ne comporte pas en soi une telle finalite. II est en

principe exerce au profit de son titulaire (meme s'il est vrai que ce dernier peut

aussi par ailleurs decider de ne pas exercer son droit ou de l'exercer au profit

467 Ibid, a la p. 217 et s.; Cantin Cumyn, supra note 337 au no. 91; Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 aux pp. 144-145. _

468 Roubier, Droits subjectifs, ibid, a la p. 19; Gaillard, supra note 198 au no. 32. 469 Cantin Cumyn, supra note 337 au no. 91 et s.; Gaillard, Le pouvoir en droit prive, coll. Droit

civil, Paris, Economica, 1985, au no. 32 et s. et aux nos 235-239; Roubier, supra, note 364 a la p. 19.

470 Gaillard, ibid, au no. 33.

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d'une tierce personne, sans que cet exercice puisse faire l'objet d'un controle

judiciaire pour ce seul motif471 s'il est fait en toute liberte, par choix personnel).

La difference est fondamentale puisqu'elle permet deja de cerner certaines

conditions de controle des droits subjectifs en la distinguant notamment de

l'exercice d'un pouvoir. Ainsi, le droit subjectif s'exerce, au gre de son titulaire,

dans son seul interet. II ne comporte pas une finalite impliquant necessairement le

respect d'un interet tiers. Cette notion d'interet exclusif est fondamentale a la

notion de droit subjectif.

A ce stade-ci, il semble interessant de noter que la motivation a l'exercice du droit

subjectif fondee sur la liberte et 1'interet personnel, ainsi decelee par la distinction

entre les notions de pouvoir et de droit subjectif, rejoint en tout point les assises de

la relation contractuelle identifiees aux sections precedentes. Ainsi, a notre avis,

la reconnaissance d'une telle distinction confirme que l'on ne peut exiger que l'on

confere un avantage a autrui dans l'exercice des droits subjectifs octroyes par un

contrat. Une telle exigence serait incoherente en modifiant un caractere

determinant de la notion de droit subjectif.

L'aspect de liberte dans l'exercice d'un droit subjectif se manifeste aussi dans une

autre distinction entre le pouvoir et le droit subjectif. En plus de possiblement

faire l'objet d'un controle pour detournement de pouvoirs, la finalite des pouvoirs

a une autre consequence concrete : le detenteur du pouvoir ne peut s'abstenir de

faire usage de ce dernier si le respect de la finalite exige que des actions soient

471 Ibid.; Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a lap. 218.

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477 entrepnses . Par contre, le droit subjectif n'oblige nullement son titulaire a s'en

prevaloir473. Cette distinction s'inscrit dans la logique des interets pour lesquels

ces prerogatives sont exercees. Le titulaire du droit subjectif etant presume le

meilleur gardien de ses interets, il a la responsabilite de veiller a ceux-ci. S'il

neglige de se prevaloir de ses droits, il ne pourra se plaindre de sa propre

negligence. Cependant, le pouvoir comportant une dimension altruiste, il est

normal qu'une inaction qui nuirait a cette finalite puisse faire l'objet de sanctions.

Pour nous convaincre que le droit subjectif est une prerogative qui s'exerce dans

le seul interet de son titulaire, interrogeons-nous sur les principes qui expliquent

dans notre droit la presence d'une disposition tres precise exigeant que l'on porte

secours a autrui lorsque la vie de cet autrui est menacee474. En principe, nous ne

sommes pas obliges d'etablir un lien avec autrui dans son seul interet. Par

exemple, le droit civil ne comporte pas d'obligations de donner ou de faire la

charite475, sauf dans les cas tres precis prevus par la loi, par exemple en ce qui

concerne l'obligation alimentaire entre ascendants et descendants au premier

degre476. Cette obligation alimentaire n'existe que parce qu'elle est expressement

prevue par une disposition legislative. De telles dispositions legislatives sont

d'ailleurs interpretees de maniere restrictive, ce qui en demontre le caractere

472 Cantin Cumyn, supra note 337 au no. 98. 473 Ibid. 474 Article 2 de la Charte des droits et libertes de la personne, L.R.Q. c. C-12 : « Tout etre humain

dont la vie est en p6ril a droit au secours. Toute personne doit porter secours a celui dont la vie est en peril, personneliement ou en obtenant

du secours, en lui apportant l'aide physique necessaire et immediate, a moins d'un risque pour elle ou pour les tiers ou d'un autre motif raisonnable. »

475 Voir notamment a ce sujet, Kasirer, « Agape », supra note 106. 476 Article 585 C.c.Q.

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exceptionnel. II n'existe, dans les principes generaux de notre droit, aucune

obligation alimentaire legale a l'egard de sa fratrie, meme si nous pouvons sans

crainte affirmer qu'il existe certainement, a cet egard, une obligation morale. Or,

si nos prerogatives juridiques . decoulant des droits subjectifs devaient

obligatoirement s'exercer avec la prise en compte des interets d'autrui, ces

obligations alimentaires, de secours ou d'assistance n'iraient-elles pas de soi ? II

faut presumer que le legislateur ne s'exprime pas en vain.

Souvenons-nous que l'essentiel de l'ideologie liberale contemporaine, qui, a

l'instar des autres societes occidentales, influence grandement le droit quebecois,

se definit par des obligations negatives de ne pas nuire a autrui. Naturellement, on

reconnait les actions de solidarite et de devouement mais cette reconnaissance ne

se traduit pas, par principe, par une obligation legale et positive envers autrui. En

d'autres termes, sauf exceptions, si l'on devait classer les devoirs de chacun en

fonction d'un continuum allant de leur nature negative a positive, la ligne tracee

par la sanction judiciaire, qui permet de differencier les obligations legales des

« obligations » morales, religieuses ou autres, se situerait en dega de l'obligation

positive de veiller sur autrui. Cela explique que les actions de devouement, si

elles sont reconnues et appreciees, ne se traduisent pas par une reconnaissance

generale du « droit» a de tels gestes de charite477 par un quelconque creancier.

Sinon, le mendiant rencontre a la porte du metro ce matin pourrait legalement

exiger qu'on lui donne T argent mendie.

477 Voir a ce sujet, Ewald, supra note 112 a la p. 21 et s.

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Cette distinction nous permet de mieux analyser les raisons pour lesquelles

plusieurs auteurs se montrent tres critiques a l'egard de la these de Louis

Josserand sur la fonction sociale du droit. Pour plusieurs, Josserand, afin de

definir la notion d'abus de droit, soutiendrait que chaque droit subjectif comporte

478

par nature une finalite sociale qu'il faut respecter sous peine de sanction . En ce

sens, les droits subjectifs seraient tous des « droits-fonction ». Cette fonction irait

au-dela de ce qui est strictement necessaire pour assurer la coexistence des droits

et interets. Elle impliquerait une veritable mission sociale dans l'utilisation de son

droit subjectif.

Certains auteurs, bien qu'ils reconnaissent la popularity de la theorie de Josserand,

la critiquent tout de meme en expliquant qu'elle revient a nier toute difference

entre l'exercice d'un pouvoir et celui d'un droit subjectif puisque dans les deux

cas l'exercice est conditionne par une finalite imposee479. Or, pour ces auteurs,

une telle finalite sociale va a l'encontre de la nature meme du droit subjectif.

Naturellement, cela n'implique pas qu'un droit subjectif puisse etre exerce en tout

absolutisme, meme au detriment des droits des autres individus. L'exercice d'un

droit est relatif, meme dans sa sphere d'exercice exclusif puisque la limite de ne

pas nuire indument a autrui est imperativement toujours presente. C'est ce qui fait

478 Voir Josserand, supra note 123. Bien que tout son ouvrage fasse l'eloge d'une fonction sociale du droit, on pourra en trouver un bon resume au no. 292.

479 Voir notamment a ce sujet: Antoine Pirovano, « La fonction sociale des droits : Reflexions sur le destin des theories de Josserand », D.S. 1972.chron.67; Morin, « Sens », supra note 430 a la p. 14 qui exprime 1'opinion suivante : «Introduire l'idee de fonction dans le concept de droit subjectif, c'est integrer une contradiction dans sa structure. Car le droit est une liberte dans l'interet de son titulaire et la fonction une obligation en service de personnes autres que le fonctionnaire. La logique exige le choix entre le concept de droit et celui de fonction. II est impossible de cumuler les deux. »

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dire a Jean Dabin, notamment, que ces limitations necessaires ramenent le

« social» dans le droit subjectif. La libre utilisation d'un droit est toujours

socialement circonscrite afin d'eviter qu'il soit exerce contre autrui ou la

communaute480. Et puisque cette limite intrinseque se refere au principe general

de la coexistence paisible des droits et interets, la definition de l'exercice d'un

droit contre le droit d'autrui implique necessairement un examen des valeurs

sociales481 parce que, dans beaucoup de cas, l'exercice d'un droit implique une

certaine nuisance toleree socialement et ne pouvant etre sanctionnee482.

Au sujet des limites intrinseques, il est d'ailleurs interessant de noter que la Cour

d'appel a rappele qu'aucun droit de propriete ne peut etre exerce de maniere

absolue. En se pronongant sur les obligations d'une cimenterie a l'egard de son

voisinage, la Cour a juge que l'article 976 C.c.Q. introduisait une limite

additionnelle a l'absolutisme du droit de propriete . Elle est d'avis que par cette

disposition le legislateur a affirme « le droit a un equilibre dans l'exploitation des

heritages voisins »484. Ainsi, en interpretant cet arret selon les termes theoriques

de notre these, nous pouvons conclure que meme le droit subjectif par excellence

qu'est le droit de propriete fonciere n'est absolu et doit s'exercer dans le respect

de la coexistence des droits et interets d'autrui. A notre avis, cet arret de la Cour /

d'appel soutient notre conception des rapports prives.

480 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 54 481 Ch. Perelman, « Le raisonnable et le deraisonnable en droit» [1978] Archives de philosophic

du droit 35 a la p. 38 et s. [Perelman, « Raisonnable »]. 482 Karila de Van, supra note 461. 483 Ciment du St-Laurent inc., supra note 3 au para. 163. mIbid.

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Ainsi, la coexistence paisible des droits et interets implique des limitations

importantes a l'exercice du droit subjectif. II faut, dans l'exercice de ses droits,

veiller a ne pas nuire a certains interets legitimes de ses cocontractants. Nous

savons aussi que ces limitations peuvent constituer en des obligations positives a

l'egard des interets d'autrui. Cette constatation fait dire a certains qu'une telle

prerogative ne constitue pas un droit subjectif mais bien un pouvoir puisqu'il 40 S

« exprime la necessite de prendre en compte l'interet de l'autre partie » . Ainsi,

si l'on ne considere que la seule finalite d'exercer un droit en tenant compte des

interets d'une autre partie, il semble effectivement que la commutativite objective 486

sonne le glas au principe meme du droit subjectif. Aucun droit n'etant absolu ,

il faudrait a un moment ou un autre devoir tenir compte des interets de son

cocontractant. II apparait done que la definition du pouvoir doive etre precisee

pour s'assurer qu'il ne puisse y avoir de confusion entre les deux notions.

A notre avis, la solution se trouve dans l'examen de la hierarchie des interets.

Quel est done l'interet qui doit etre privilegie par le detenteur de la prerogative ?

S'il s'agit de l'interet d'une tierce personne, alors, il est clair que cette prerogative

est en fait un pouvoir et que son exercice devra refleter cette predominance, et

cela meme si le detenteur pourra aussi en retirer un interet personnel de fa9on

accessoire. On peut penser aux pouvoirs devolus a l'executeur testamentaire qui

485 Revet, supra note 259 au no. 6. 486 Voir d'ailleurs la chronique de la professeure Jukier pour qui l'arret Houle, (supra, note 11) a

confirme, si besoin etait, la relativite des droits subjectifs, y compris ceux resultant d'un contrat, que plusieurs jugeaient absolus en vertu du principe de l'autonomie de la volonte: Jukier, supra note 207 notamment a la p. 233 et s.; voir aussi Perelman, « Raisonnable », supra note 481 a lap. 36 et s.

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est aussi heritier parmi d'autres. Son pouvoir d'exeeuteur testamentaire l'oblige a

faire passer les interets de la succession avant les siens propres, meme si son

interet d'heritier sera aussi necessairement influence.

Par contre, si la prerogative peut etre exercee en primaute dans 1'interet de son

titulaire, il s'agit d'un droit subjectif. La prise en compte des interets d'autrui,

dans une telle situation, ne constitue pas, a notre avis, une modification de la

nature de la prerogative mais bien une limitation de l'assiette d'exercice du droit

subjectif. Elle continue done de pouvoir s'exercer dans son interet propre meme

si cet exercice ne peut etre absolu, resultat de la socialisation, comme nous l'a

rappele la Cour d'appel dans l'arret Ciment du St-Laurent . Au-dela de la limite

posee par la norme sociale, on considere que l'exercice de la prerogative nuit

indument a autrui. II s'agit d'un devoir different de celui d'agir positivement en

fonction des interets prioritaires d'autrui.

Ainsi, malgre la terminologie employee, la reflexion de Dabin sur 1'aspect

«social» du droit objectif est en tout point conforme au principe de la

coexistence des droits et interets. C'est en ce sens qu'il admet que l'autonomie du

droit subjectif puisse etre limitee par le droit objectif au nom de la

« socialisation ». Cependant, il apparait difficile que cette relativite puisse etre

fondee sur une quelconque fonction de finalite sociale dans l'exercice du droit

subjectif puisque cela revient a nier en soi une particularite importante du droit

subjectif, soit l'exercice dans son interet exclusif. Ce serait d'ailleurs cette

487 Ciment du St-Laurent, supra note 3.

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contradiction que l'on trouverait dans la pensee de Josserand et qui serait

responsable des critiques a son endroit.

Pourtant, lorsque l'on analyse la pensee de Josserand, il est difficile, au-dela d'une

lecture d'expressions prises hors contexte, de soutenir qu'il defend une mission

sociale du droit qui irait au-dela de la « socialisation » du droit subjectif reconnue

^OA

par Jean Dabin"00. II est vrai que le vocabulaire utilise par Josserand prete a

confusion. II est done utile de bien definir les concepts qu'il utilise,

Effectivement, Josserand est d'avis que chaque droit comporte une « mission

sociale ». Cependant, cette mission est variable d'un droit a l'autre et correspond

plus ou moins aux motifs, a la destination sociale pour lesquels le droit a ete cree

par le legislateur et est sanctionne comme tel. Ainsi, Josserand affirme que le

droit de propriete a pour destination de permettre d'en user librement, a son profit,

sans aucune fonction altruiste489. Mais il reconnait aussi, que ce meme droit, ne

peut etre sciemment utilise pour nuire injustement a autrui490. II s'agit la de la

« mission sociale » du droit de propriete. A la lumiere de cette analyse, on

comprend que l'on pourrait aisement remplacer la terminologie trompeuse de

« mission sociale » par « exercice socialement acceptable du droit», ou si l'on se

refere a la terminologie moderne, « exercice raisonnable du droit », la notion de

«raisonnable» renvoyant necessairement a des standards sociaux. On y

retrouverait done la meme « socialisation » du droit subjectif mais sans l'inclusion 488 Voir du meme avis, Tribes, supra note 281 a la p. 163 et s. 489 Josserand, supra note 123 notamment au no. 20. 490 Ibid, au no. 21. Ce meme principe a aussi, par ailleurs, ete enonce par la Cour d'appel du

Quebec : « L'exercice de droit de propriete, si absolu soit-il, comporte l'obligation de ne pas nuire a son voisin et de l'indemniser des dommages que l'exercice de ce droit peut lui causer. » Katz c. Reitz, [ 1973] C.A. 23 7 [Katz].

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erronee d'une destination altruiste qui effectivement n'aurait pas sa raison d'etre

dans bien des cas.

< II est vrai cependant, que la pensee de Josserand va parfois un peu trop loin. Nous

l'avons mentionne, il con9oit chaque droit comme ayant un usage social delimite

et variant selon la nature du droit. Lorsqu'il s'agit dans les faits d'un veritable

droit, a finalite egoi'ste, la theorie de Josserand peut tres bien se fondre dans la

terminologie moderne d'exercice raisonnable d'un droit. Cependant, en poussant

sa logique, il inclut dans les « droits subjectifs » des pouvoirs, tels que ceux

incombant aux administrateurs d'une personne morale ou au detenteur de

l'autorite parentale, et dont la mission sociale serait alors d'agir, non plus dans

l'interet du detenteur de la prerogative mais dans celui, respectivement, de la

personne morale ou de 1'enfant491. Or, nous l'avons mentionne, lorsqu'une

prerogative doit etre exercee dans un tel cadre altruiste, nous devons la considerer

comme un pouvoir, notion qui se distingue de l'exercice d'un droit subjectif et qui

peut entrainer un « abus de pouvoir ». Le droit quant a lui n'a pas a etre exerce

selon une telle mission altruiste. Le droit subjectif comportant, a notre avis, une

prerogative exclusive s'exer9ant a son profit, nous ne pouvons accepter totalement

la theorie de Josserand, qui n'inclut une telle prerogative que pour les droits qu'il

decrit comme « egoi'stes ».

Cependant, il peut etre utile de mentionner que pour certains auteurs, au contraire,

la finalite sociale du droit subjectif va de soi. Pour eux, une partie de la

491 Josserand, ibid, notamment les sections aux pp. 93 et s. et 181 et s.

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legislation contemporaine qui controle notamment le droit de propriete, par

exemple en imposant une multitude de servitudes publiques pour les passages des

fils electriques ou des egouts, ne peut s'expliquer que par une fonction sociale du

droit subjectif492, surtout dans un systeme juridique ou l'on peut considerer le

droit de propriete comme etant la demonstration du droit subjectif par excellence.

Ces auteurs parlent alors d'un droit mixte, soit des prerogatives comportant a la

fois des usages « egoi'stes » et sociaux493.

En toute deference, il y a lieu de se demander si une telle analyse ne confond pas

les finalites du droit subjectif avec la restriction de l'espace de prerogative

exclusive494. A la lumiere des commentaires de Jean Dabin que nous avons

mentionnes ci-haut sur 1'aspect « social » du droit subjectif, ne pourrions-nous pas

affirmer que ce n'est pas parce que l'on limite le champ de liberte que l'on impose

une finalite sociale au droit. Cette idee de finalite sociale impliquerait que

l'exercice d'un droit confere devrait se faire dans l'interet social. Mais lorsque le

droit objectif impose des limites ou des charges au droit subjectif, n'est-ce pas

plutot l'assiette du droit qui est affectee plutot que sa finalite ? II est d'ailleurs

interessant de noter que la Cour d'appel du Quebec a deja mentionne « [qju'au fil

de revolution des rapports humains (...) le droit de propriete s'est vu de plus en

492 Voir notamment Marcel Laborde-Lacoste, « La propriete immobiliere est-ell'e une « fonction sociale » ? », dans Melanges offerts a Jean Brethe de la Gressaye, Bordeaux, Bi6re, 1967, 373 particulierement a la p. 398 et s.; Andre Rouast, « Les droits discretionnaires et les droits controles », (1944) 42 R.T.D. civ. 1 au no. 11.

493 Voir le developpement rejetant cette notion de droit mixte dans Gaillard, supra note 198 aux nos 35-47.

494 Voir d'ailleurs a cet effet, Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 220.

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plus eneadre, voire restreint» par la legislation et le droit pretorien495. Ainsi, au

contraire d'un exercice motive par une finalite sociale, c'est plutot la sphere

d'exercice du droit exclusif de propriete qui est limitee au nom de l'interet social

mais l'exercice de ce droit dans cette sphere se fait encore et toujours dans son

interet propre.

En s'interrogeant de la sorte, nous concluons qu' aussi nombreuses soient-elles, les

limitations que la loi impose au droit subjectif n'en changent pas la nature

intrinseque : le droit subjectif ne comprend pas la finalite de satisfaire les interets

d'autrui. D'ailleurs, toutes ces limitations, si elles ne sont pas respectees, ne

seront pas sanctionnees par un recours en detournement de pouvoir, comme c'est

le cas pour un exercice d'un pouvoir ne respectant pas sa finalite, mais par un

recours fonde sur des pretentions de depassement ou d'absence de droit496. On

comprend done que ces limitations n'indiquent aucunement la presence dans la

nature intrinseque du droit subjectif d'une finalite altruiste.

L'idee d'une conception mixte du droit subjectif peut aussi etre rejetee en se

fondant sur le principe de transparence, qui nous le rappelons, doit refleter les

principes et le vocabulaire juridiques de la pratique, sans quoi les arguments

formules ne pourront trouver aucun echo dans la realite quotidienne. Observons

ainsi comment un tribunal analyserait un manquement a une servitude publique.

Prenons Pexemple d'un proprietaire de terrain qui deciderait de couper un poteau

495 Ciment du St-Laurent, supra note 3 au par. 62. 496 Gaillard, supra note 198 au no. 38.

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d'Hydro-Quebec sis sur les limites de son terrain. Est-ce que le tribunal

analyserait cela comme un depassement a la limite de son droit ou comme un

detournement de la fonction sociale du droit de propriete ? Fort certainement, le

proprietaire en question serait juge pour s'etre approprie une prerogative qui ne lui

appartenait plus, l'etendue de l'exercice de son droit ayant ete limitee en faveur

d'Hydro-Quebec. On ne discuterait aucunement d'un detournement d'une

fonction sociale du droit de propriete497.

Cependant, nous l'avons deja mentionne, nous reconnaissons que l'exercice des

droits subjectifs puisse avoir des effets benefiques pour la societe. Dans les

societes liberates, plusieurs economistes et penseurs sont d'avis que la libre

concurrence des personnes a justement pour but de favoriser le meilleur

epanouissement social en pariant que cet epanouissement passe par le meilleur

developpement personnel498. On cite souvent en exemple la difference entre les

entretiens des proprietes privees et publiques499. Lorsqu'un bien nous appartient,

l'incitation a l'entretenir est plus grande et cela peut se refleter fort positivement

en societe, notamment en evitant ainsi des problemes de sante et securite

publiques, telles que la vermine ou les constructions peu securitaires. Mais, il ne

s'agit ici que d'une consequence de l'exercice des droits subjectifs et non de sa

source de motivation premiere. Rappelons-le : le pari est que le developpement

social passe par 1'epanouissement personnel. La fonction premiere est done de

497 ibid. 498 Voir notamment a cet effet les developpements de Gounot, supra note 35 a la p. 40 et s. et

Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 26 et s. 499 Paul Roubier, « Delimitation et interets pratiques de la categorie des droits subjectifs» dans

[1964] Archives de philosophie du droit 83 a la p. 84 [Roubier, « Delimitations »].

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favoriser cet epanouissement personnel et ce, malgre toute autre visee a plus long

terme. La difference est importante. Nous ne croyons done pas qu'il soit

approprie de traiter de la fonction sociale du droit comme une caracteristique du

droit subjectif500.

Ainsi, en resume, de ce premier exercice de distinction entre les notions de droit

subjectif et les notions de liberte et de pouvoir, on peut voir apparaitre certaines

composantes de ce qui constitue a notre avis la principale caracteristique du droit

subjectif: l'exclusivite de prerogatives dans son interet sur une assiette d'exercice

determinee par le droit objectif. II s'agit d'une zone d'action exclusive etablie au

seul profit du titulaire501. Cette zone pourra etre plus ou moins large selon les

limites edictees par le droit positif mais cela ne change en rien la nature essentielle

d'une telle plage : le droit d'action a son profit exclusif. Or, si l'on joint cette

motivation profitable aux principes de liberte et de responsabilisation personnelle,

on peut conclure que le droit subjectif se caracterise par l'exclusivite des

prerogatives accordees a son titulaire. Examinons done maintenant cette

exclusivite.

500 Voir notamment le developpement k ce sujet dans Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 217-221 .

501 Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 199.

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3.3 Le droit subjectif: source d'exclusivite

Tel que nous venons de l'enoncer, en plus d'etre une prerogative exercee a son

profit, le droit subjectif se definit par l'exclusivite accordee a son titulaire.

D'ailleurs, divers aspects de l'exclusivite du droit subjectif se retrouvent dans la

majorite des grandes theories relatives a la notion de droit subjectif, ce qui en

demontre la grande importance conceptuelle502. Naturellement, lorsque l'on parle

d'exclusivite, celle-ci ne peut se concevoir que par rapport a autrui. En d'autres

termes, notre droit ne peut etre oppose qu'en presence d'autrui. Pour reprendre un

exemple celebre et maintes fois repris en doctrine, « un hypothetique Robinson,

seul sur son lie et absolument coupe de toute relation avec ses semblables n'a pas

de droits»503 [et nous ajouterions n'en a pas besoin]. Quelle est l'utilite de

pretendre avoir des droits si l'on n'a aucune personne a qui les opposer504 et

aucune structure sociale pour les faire respecter ? C'est en ce sens que Josserand

parle d'une prerogative sociale505.

A ce titre, le droit subjectif se presente comme un rapport etabli entre des

personnes506. Ce lien peut etre de nature personnelle ou avoir pour objet un lien

502 Voir le developpement a ce sujet, ibid, au no. 197. 503 Ibid, au no. 199; D'ailleurs, il est interessant de noter que Duguit utilise le meme exemple pour

demontrer que l'etre humain est un etre essentiellement social et que l'octroi d'un droit ne peut se faire que dans le cadre de ces relations sociales : Leon Duguit, Constitutionnel, supra note 411 a lap. 212.

504 Ghestin et Goubeaux, ibid.; Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 94-95; au meme effet, Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 107.

505 Josserand, supra note 123 au no. 5. 506 Del Vecchio, supra note 125 a la p. 326; Ionescu, supra note 222 a la p. 95.

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avec certaines choses507. Ces rapports ont tous la particularite d'etablir une

• rAO

relation plus ou moins contraignante entre un beneficiaire et un assujetti , ne

serait-ce que par un devoir general de respecter le bien d'autrui509. En effet,

1'exclusivite implique que l'on puisse exiger d'autrui le respect de cette zone

exclusive, sans quoi elle traduit un concept sans valeur reelle. Elle se manifeste

d'abord par une inviolabilite de l'objet du droit imposee a autrui510, qui consiste

essentiellement a respecter le droit du titulaire et qui peut se manifester sous

diverses formes511. Ainsi, notamment, dans le cas d'un droit de propriete, cette

inviolabilite pourra consister a respecter le droit du proprietaire en ne

s'appropriant pas la chose, en s'abstenant de l'endommager ou en n'y penetrant

pas, lorsque cela est possible.

Par ailleurs, dans d'autres situations, tel que le droit de creance, ce respect du

droit d'autrui pourra consister, pour les tiers, a ne pas entraver les demarches du

creancier et, pour le debiteur, a executer l'obligation faisant l'objet du droit de

creance . Un bon exemple de ce type d'exclusivite, dans une relation fondee sur

un lien de creance, se trouve dans l'arret Dostie c. Sabourin513. Cette affaire

concerne une convention de non-concurrence entre messieurs Dostie et Sabourin

dans laquelle on interdit au denomme Dostie d'etre proprietaire, actionnaire ou

bailleur de fonds d'un commerce exergant les memes activites que le denomme

507 Ionescu, ibid.; Paul Cuche, Conferences dephilosophie du droit, Paris, Librairie Dalloz, 1928 a lap. 90 [Cuche, Conferences].

508 Cuche, ibid, a la p. 87. 509 Del Vecchio, supra note 125 aux pp. 326-327. 510 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 95-97. 511 Gervais, supra note 125 a la p. 242. 512 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 95-97. 513 Dostie, supra note 197.

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Sabourin, soit celles de debosseleur. Or, afin de dejouer les termes de cette

convention, Dostie fournit a son beau-frere, par l'entremise d'une serie de

transactions, une partie du financement necessaire a l'achat d'un tel commerce,

dans lequel travaille par ailleurs activement Dostie. Cependant, le nom de Dostie

n'apparait pas a l'acte de vente. Tant le beau-frere du denomme Dostie que le

notaire instrumentant connaissent les termes de la convention de non-concurrence,

mais chacun participe malgre tout a la transaction d'achat du commerce par le

beau-frere de Dostie. De ce fait, la Cour d'appel est d'avis qu'ils se font les

complices de la violation de l'obligation. Consequemment, elle les condamne,

malgre leur statut de tiers a la convention de non-concurrence, a payer des

dommages a Sabourin pour ne pas avoir respecte leur devoir de ne pas nuire au

lien d'obligation entre le creancier et son debiteur. II s'agit, dans leur cas, d'une

responsabilite extracontractuelle. Naturellement, elle condamne aussi Dostie pour

ne pas avoir respecte le droit de son creancier. Toutes condamnations demontrent

bien 1'importance de l'inviolabilite du droit subjectif, meme lorsque ce droit

consiste en un lien personnel de creance.

Une autre caracteristique de l'exclusivite du droit subjectif est le concept

d'exigibilite514. Elle consiste, pour le titulaire du droit subjectif, en la faculte -

qui rappelons-le implique le choix ou non d'exercice - de revendiquer le respect

de sa prerogative515. Elle fait appel a la protection sociale offerte au titulaire du

droit pour assurer le respect de l'inviolabilite du droit et qui consiste a faire appel

514 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 aux pp. 96-97. 515 Ibid.; Gervais, supra note 125 a la p. 245.

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aux autorites publiques, essentiellement judiciaires en droit prive, pour assurer le

respect de son droit516. L'exclusivite du droit a ainsi pour consequence que

l'exigibilite ne peut etre exercee que par le titulaire du droit subjectif. On peut

d'ailleurs constater une manifestation de cette dimension dans les concepts

d'interet judiciaire517 ou de nullite relative518.

On le voit done, le concept de droit subjectif permet a son titulaire de favoriser

son interet sur celui d'autrui et d'exiger le respect de cette prerogative.

Cependant, celle-ci n'est pas absolue et est toujours limitee par les principes de la

coexistence paisible des droits et interets. Cette constatation nous amene a nous

interroger sur certaines limites decoulant de l'application de cette regie sociale.

Nous etudierons done la notion de profits et celle d'interet pour mieux

circonscrire ces limites.

3.4. Des limites sociales a l'exercice du droit subjectif

3.4.1 Le droit subjectif; incarnation du droit objectif

Le droit subjectif constitue une delegation de certains pouvoirs normatifs du droit

objectif vers les personnes individuelles519. II s'agit en quelque sorte de la

516 Voir notamment Marc Reglade, Valeur sociale et concepts juridiques, norme et technique, Paris, Sirey, 1950 a la p. 86.

517 Voir Particle 15 C.p.c. 518 Voir les articles 1419 et 1420 C.c.Q. 519 Encore une fois, plane l'ideologie de Kelsen pour qui les normes sont hierarchisees et qui

effectivement considere que les normes creees par un contrat constituent des normes de degre

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concretisation et l'individualisation de la norme objective . Cette delegation peut

etre envisagee comme favorisant l'individualisation de la regie de droit,

l'epanouissement de la liberte individuelle ainsi que la responsabilisation de

C-} 1 chacun dans la defense et la gestion de ses interets .

Une telle incarnation implique necessairement 1'importation des memes valeurs et

principes qui animent le droit objectif. Ainsi, il faut reconnaitre dans cette

delegation la confirmation que le droit prive comporte aussi le but d'assurer la

coexistence des droits et interets individuels. Dans ce contexte, le contrat est alors

per<?u comme « une technique optimale de gestion des relations sociales »522.

inferieur par rapport a la regie de droit instituant le droit de creer, par convention, ces memes normes: Kelsen, supra note 140 au no. 2 et s. et au no. 13. Certains pourraient nous reprocher de se referer a Kelsen dans une etude portant sur la definition du droit subjectif puisque plusieurs auteurs lui reprochent d'avoir nie l'existence de la notion de droit subjectif pour ne fonder sa theorie que sur l'existence d'une norme. Voir notamment, Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 201 et Ionescu, supra note 222 au no. 24 et s. Pourtant, notre lecture de Kelsen ne nous permet pas d'en arriver aux memes conclusions. S'il est vrai que sa theorie comporte une grande analyse de la norme a respecter, ce qui peut se traduire plus amplement par un devoir & respecter plutot qu'un droit, il n'en demeure pas moins qu'il reconnait que les contrats constituent une individualisation de la norme objective, ce qui revient a reconnaitre l'existence des droits subjectifs. De plus, lorsqu'il s'exprime sur les droits et obligations des personnes morales, Kelsen mentionne expressement que les individus peuvent etre titulaires de droits et d'obligations. D'ailleurs le professeur Ionescu mentionne que Kelsen reconnait l'existence des droits subjectifs meme si c'est avec un certain malaise. II faut comprendre que tout droit subjectif impose une norme de comportement a autrui, sinon on ne pourrait parler de l'existence d'un droit. Traiter du droit subjectif sous Tangle de cette norme ne nous apparait pas comme une negation de la notion de droit subjectif. Aussi, nous faisons appel a la theorie de Kelsen essentiellement pour expliquer la delegation du pouvoir normatif pour permettre aux sujets de droit de creer les normes a l'origine de leurs droits subjectifs. Or, comme le mentionne Jacques Ghestin, malgre toutes les critiques qu'il a a faire sur la theorie de Kelsen, cet aspect de sa theorie est une contribution positive de Kelsen puisque son analyse d'une delegation par une norme superieure pour expliquer la force obligatoire du contrat semble representer plus fidelement la realite juridique que les theories classiques fondees sur l'autonomie de la volonte : Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 190.

520 Ionescu, ibid, a la p. 69. 521 Voir Kelsen, supra note 140 au nO. 13; Voir aussi l'arret Bail, supra note 12 a la p. 587 ou la

Cour supreme reitfere l'importance de la responsabilite fondamentale qui incombe a chacun de veiller a la conduite prudente de ses affaires.

522 Stoffel-Munck, Imprecision, supra note 86 a la p. 43.

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Cette incarnation, avec le transfert des valeurs qu'elle implique, permet de

comprendre pourquoi les liens prives crees en respect du principe de la

coexistence des droits et interets ont une force obligatoire . En effet, le droit

objectif se presentant comme un ensemble de normes a caractere obligatoire, il est

normal que la prerogative deleguee que peuvent exercer les sujets de droit

comporte les memes caracteristiques. Cette force obligatoire est elle-meme regie

par les memes principes que la loi. Ainsi, pour abroger ou neutraliser une

disposition legislative, il faut qu'elle soit declaree incompatible avec une norme

superieure - ici la Constitution canadienne- ou abrogee par une autre loi. Les

normes contractuelles precedent de la meme logique. Elles peuvent etre declarees

illegales selon les normes superieures (legislation ou reglementation) ou aneanties

par un autre contrat entre les memes parties. La norme contractuelle peut parfois

etre modifiee mais seulement si une norme superieure specifique permet une telle

modification524. Sinon, elle devra, en principe, etre respectee sans qu'une partie

puisse invoquer une modification unilaterale. En ce sens, la delegation normative

permet d'expliquer qu'un seul des contractants ne puisse, en principe, mettre

unilateralement un terme a la validite de la convention afin de tenter d'eviter de se

conformer a la norme creee par les parties525. La force obligatoire des normes

contractuelles apparait etre une condition essentielle a la satisfaction des buts qui

animent le legislateur dans cette delegation526. Sinon, les normes privees ainsi

523 Voir a ce sujet, Kelsen, supra note 140. 524 Ibid, au no. 15 et s. 525 Ibid, au no. 21. 526 Stoffel-Munck, Imprevision, supra note 86 a la p. 43.

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edictees cesseront de eonstituer 1'application individuelle et pratique du droit

objectif.

Nous l'avons deja mentionne, une telle delegation implique la necessite d'egalite

juridique entre les sujets de droit . La liberte est un element decisif pour la

creation de liens de droit contraignants pour les parties528. En effet, le principe de

coexistence paisible des droits et interets necessite que chacun puisse exercer

librement ses droits afin d'assurer la sauvegarde de ses interets. L'egalite de droit

implique que chaque individu puisse etre libre de decider, dans son interet, de

conclure ou de ne pas conclure un contrat particulier. Elle implique aussi qu'il

puisse librement en determiner le contenu. Le respect de ces axes de liberte

permet une egalite de droit entre les individus529. L'absence d'un de ces elements

entrainera une inegalite qui pourra, si elle est exploitee, faire l'objet d'une

reparation par une demarche specifique.

En fonction de cette definition de l'egalite de droit, on ne peut done, dans la

gestion personnelle de nos interets, deleguee par le droit objectif, etre soumis, de

principe , aux interets d'autrui. Une telle soumission se traduit par l'incapacite

concrete a assurer la conduite et la gestion reelle de ses interets propres. Elle

527 Leveneur, supra note 100 a la p. 190. 528 Voir notamment, Kelsen, supra note 140 au no. 21. 529 Ibid. 530 II existe naturellement quelques exceptions, tel 1'interet de l'enfant, mais comme nous le

verrons, ces exceptions n'en sont pas vraiment puisque l'on peut considerer qu'elles constituent des limitations expresses aux prerogatives deleguees exprimees par le droit objectif. En d'autres termes, on peut affirmer que ces prerogatives ainsi limitees par certains interets autres n'ont tout simplement jamais ete deleguees par le droit objectif. C'est pour cette raison que l'on distingue l'exercice d'un droit subjectif avec celui d'un pouvoir, qui lui implique un exercice « soumis » a l'interet d'autrui.

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implique une inegalite de liberte entre les parties. Une personne se trouve en

position d'imposer ses propres interets a une autre, qui elle n'est plus en mesure

de defendre librement les siens. Une telle situation ne peut se qualifier comme un

exercice du pouvoir delegue de creer des normes privees dans un contexte

d'egalite. Le controle effectif de la veritable egalite a exercer ses prerogatives est

une condition essentielle a la delegation normative du legislateur en droit prive,

qui ne l'oublions pas, a pour veritable objectif d'assurer le meilleur interet des

CO 1

personnes . C'est pourquoi les circonstances de creation, d'execution et

d'extinction d'un droit subjectif se doivent d'etre scrupuleusement respectees.

Lorsque les conditions d'exercice ne garantissent pas une veritable egalite dans la

capacite a exercer ses prerogatives, la loi doit intervenir pour garantir le respect

raisonnable des interets de la partie desavantagee532. Le juge pourra alors proceder

en imposant des normes de comportement aux parties, le plus souvent en plus

forte intensite a la partie avantagee. Ainsi, en cas de soumission d'une personne a

une autre, la loi intervient de deux fagons distinctes pour retablir l'equilibre dans

la gestion de la coexistence des droits et interets533.

531 Jean Hauser, Objectivisme et subjectivisme dans I'acte juridique, coll. Bibliotheque de droit prive, t. 157, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 1971 aux pp. 44-45.

532 II est d'ailleurs interessant de souligner Topinion d'un auteur franfais, qui, bien qu'il se prononce, comme nous, contre les principes de solidarite et de fraternite contractuelles, constate l'importance d'assurer un certain equilibre aux contractants : « La liberte contractuelle a ete con$ue pour des contractants egaux. La ou ils ne le sorit pas, il faut retablir l'equilibre pour eviter que la liberte, si elle jouait a l'etat pur, n'aboutisse a des exces inadmissibles. » Laurent Leveneur, supra note 100 a la p. 190.

533 Voir generalement a ce sujet, Jobin, « Equite », supra note 386.

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La premiere methode fait en general l'objet de peu de debats et est generalement

assez bien acceptee, sauf peut-etre chez les tenants d'un liberalisme absolu sans

aucune forme d'ingerence etatique visant a controler et sanctionner l'absence

d'une liberte effective dans l'exercice des prerogatives. Elle consiste pour le

legislateur a imposer des dispositions imperatives, specifiques et particulieres a la

partie que l'on presume avantagee. Les dispositions relatives aux contrats de

consommation534 ou d'assurances535 en sont de bons exemples. Ainsi, ces

contrats sont soumis a des normes de confection, de formation et d'interpretation

contractuelles tres precises, qui le plus souvent derogent du droit commun des

obligations, parce que l'on juge que le consommateur ou l'assure n'est pas en

mesure d'assurer une saine gestion libre et efficace de ses interets devant la

puissance de son cocontractant. Ces dispositions imperatives interviennent done

pour obliger le commergant ou 1'assureur a tenir compte des interets de son

cocontractant et ont pour but d'assurer une commutativite plus objective.

Cette fagon de controler l'equilibre des interets possede des avantages reels pom-

la partie desavantagee. Ainsi, elle lui permet de beneficier d'une protection

immediate, sans qu'il soit necessaire de faire intervenir les tribunaux, sauf en cas

de contravention a la regie imperative par la partie que l'on presume avantagee.

En ce sens, elle peut favoriser une rationalisation des couts et des energies, surtout

dans le contexte quebecois actuel ou les frais extrajudiciaires ne sont pas

534 Voir par exemple les articles 1435 a 1437 C.c.Q. ainsi que la L.P.C., supra note 62. 535 Voir notamment les articles 2389 a 2619 C.c.Q.

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rembourses a la partie et ou les delais d'attente pour proceder devant les tribunaux

sont parfois tres longs.

Cependant, une telle methode peut aussi, en pratique, se reveler peu adaptee a la

situation concrete. La regie legislative a la particularity d'etre generale et

impersonnelle. Elle est basee sur la presomption qu'un groupe de citoyens merite

une protection particuliere. Ainsi, une telle regie protege les interets de ce groupe

particulier et on presume qu'un individu qui possede les caracteristiques de ce

groupe beneficiera a ce titre d'une protection personnelle appropriee a sa

situation. Malheureusement presomption et justice ne font pas toujours bon

menage. La generality d'une regie de droit peut impliquer que la solution

proposee n'est toujours parfaitement adaptee au cas particulier. Nous dirions

meme que l'interet presume du groupe protege peut parfois, dans les faits, entrer

en conflit avec l'interet individuel de certains de ses membres. La protection des

individus par des regies generates et impersonnelles n'est peut-etre pas la panacee

envisagee parce que ces dernieres ne peuvent pas facilement etre adaptees en

fonction des circonstances particulieres.

La deuxieme methode fait quant a elle couler beaucoup d'encre, autant par ceux

qui la denoncent que par ceux qui, avec egards, en saisissent mal la portee et les

visees en la justifiant et l'interpretant selon des principes de solidarisme et de

fraternite contractuelles. Elle consiste pour le legislateur a introduire au sein de la

legislation des notions qualifiees de floues, afin de deleguer aux juges la mission

de veiller a l'application pratique du principe de la coexistence paisible des

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libertes et interets. On peut a ce titre penser aux notions de bonne foi, d'abus de

droit et d'interet de 1'enfant. Or, si cette technique legislative est si souvent

denoncee c'est qu'une telle delegation legislative implique que le juge soit investi

d'un pouvoir normatif actif a l'egard des parties. Ce pouvoir doit lui permettre

d'intervenir au sein de la relation contractuelle pour s'assurer du respect

fondamental d'un exercice raisonnable des prerogatives contractuelles et ainsi la

sauvegarde des interets de la partie qui ne peut effectivement s'acquitter de ce

devoir de voir a ses affaires parce que « soumise » a la volonte d'autrui. Mais ce

pouvoir d'intervention judiciaire fait peur a plusieurs auteurs qui y voient une

grande source d'arbitraire536.

Pourtant, nous 1'avons deja mentionne, sans ce pouvoir d'intervention, une telle

delegation pratique et concrete n'a aucun sens. Si l'on accepte que le legislateur

puisse intervenir par le biais de la legislation a une relation contractuelle

particuliere pour retablir l'equilibre dans l'exercice libre des prerogatives, on

comprend mal que l'on renie par ailleurs 1'effet de la delegation que fait le

legislateur de ce meme pouvoir d'intervention aux juges. Bien sur, nous ne nions

pas qu'il puisse exister un certain risque d'arbitraire, mais il faut se souvenir que

1'experience passee demontre au contraire que les juges ont generalement use de

ce pouvoir avec parcimonie. Nous croyons done que ce risque d'arbitraire est en

fait un risque minime qui se justifie pleinement au nom du respect general des

principes de justice commutative. Nous serions meme portee a ajouter que

contrairement a ce qu'en disent ces critiques, le recours aux notions floues nous

536 Voir notamment Laurent Leveneur, supra note 100 a la p. 190.

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apparait une methode moins risquee puisque, si elle est bien interpretee, cette

methode est la seule qui tienne compte des veritables parametres de la relation

contractuelle entre deux parties precisement determinees. Elle a cependant le

desavantage d'obliger les parties a transiger par le processus judiciaire.

A l'oppose du spectre de 1'intervention judiciaire, se trouvent les defenseurs d'un

fraternalisme contractuel. Selon les tenants de cette theorie, l'entreprise

contractuelle implique une obligation de solidarisme entre les parties, et cela a

tous les stades de cette relation contractuelle. Elle se traduit par des idees

d'altruisme, de cooperation et naturellement de solidarite et rejette celles

d'egoi'sme et d'indifference aux interets de son cocontractant . Elle conduit

chacun des contractants a agir, dans le cadre de la relation contractuelle, dans le

meilleur interet de son partenaire. En d'autres termes, elle oblige un contractant a

exercer les prerogatives que lui confere la loi ou le contrat, non pas dans son

interet propre, mais conjointement dans le meilleur interet de son cocontractant. II

s'agit pour les partisans de cette doctrine d'une question d'ethique contractuelle

imposee par l'ordre social et non pas choisie comme telle par les parties. Elle se

justifierait par la particularity du lien contractuel, qui devrait etre envisage comme

une union solidaire dans l'atteinte d'un but commun .

537 Mazeaud, « Solidarisme », supra note 7 a la p. 59. 538 Ibid, a la p. 58 et s. 539 Notamment, Demogue, supra note 339 au no. 3; Courdier, supra note 6. Voir plusieurs

commentaires a cet effet dans notre section portant sur la commutativite de la relation contractuelle.

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A notre avis, une telle theorie meconnaxt malheureusement les principes

fondamentaux de la responsabilite qui incombe a chaque individu de veiller a ses

interets et confond le retablissement de conditions d'exercice libre de ses droits

avec une philosophic d'altruisme contractuel irrealiste. Elle impose a chaque

individu un devoir supplemental prima facie d'agir dans l'interet d'autrui,

meme en l'absence d'une inegalite ou d'une injustice, et l'oblige a agir comme

s'il etait titulaire d'un pouvoir plutot que d'un droit subjectif. Nous le repetons

encore, le droit subjectif se caracterise par la prerogative qu'il accorde a son

titulaire d'exercer son droit dans son seul interet. N'est-ce pas d'ailleurs ce

qu'affirme le Doyen Carbonnier lorsqu'il ecrit:

« On s'etonnera qu'a une epoque ou le mariage s'etait peut-etre

trop transforme en contrat, certains aient reve de transformer tout

contrat en mariage.(...) [L]es contrats dont traite ordinairement le

droit civil sont (...), selon l'expression de la psychologie sociale,

des formes de cooperation antagoniste. Entendons que, par des

moyens communs, de pure opportunity, chacun des contractants

cherche a atteindre des fins propres, et qu'un conflit est latent sous

la cooperation. (...) [I]l est bon que le droit sache voir la

cooperation contractuelle telle qu'elle est bien souvent: restreinte

et non exempte d'arriere-pensees. »540

On retrouve dans ce seul paragraphe du professeur Carbonnier, avec l'excellente

plume qui etait la sienne, une veritable synthese de ce que nous soutenons. II est

illusoire de penser qu'il existe, en droit prive quebecois, une obligation generale

540 Carbonnier, Obligations, supra note 20 au no. 114 [les italiques apparaissent au texte original].

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de satisfaire les interets d'autrui. Chacun exerce ses prerogatives, en saine

concurrence, dans le but d'atteindre ses propres visees personnelles. Comme le

mentionne un auteur franfais : « [l]a plupart des conventions associent des interets

conflictuels qui s'entendent sur un objet commun. »541 Naturellement, cela

n'empeche aucunement les parties d'evoluer effectivement dans une relation

d'etroite collaboration et dans le plus grand respect des interets mutuels.

Cependant, un tel cas sera possible parce que les parties auront ainsi defini leur

relation mutuelle, dans leur interet. II s'agira ainsi d'une obligation mutuellement

et librement consentie et non d'un devoir impose socialement.

Cependant, rappelons que cette prerogative exclusive d'agir dans son interet, qui

constitue une delegation du droit objectif, doit etre exercee dans le respect du

principe de la coexistence paisible des droits et interets. Cette delegation est une

medaille a deux facettes. Ainsi, elle se traduit a la fois par la capacite et par le

devoir conferes a chaque personne de surveiller et de defendre ses interets. Nous

l'avons mentionne, le droit objectif exige notamment la presence d'un veritable

consentement libre et eclaire pour accepter qu'une personne se soumette

librement, pour l'execution d'une prestation precise, a la prerogative d'une autre

personne. Si l'on est d'avis que de la formation d'un tel lien d'obligation resulte

une obligation d'agir selon des interets altruistes, on nie a la fois la caracteristique

fondamentale du droit subjectif qui consiste en l'octroi d'une prerogative libre

541 Laurent Aynes, « L'obligation de loyaute » dans [2000] Archives de philosophie du droit 195 a la p. 200. Voir au meme effet, Marie-Anne Frison-Roche, « Remarques sur la distinction de la volonte et du consentement en droit des contrats », [1995] R.T.D. civ. 573 au no. 6 [Frison-Roche, « Distinction »].

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dans son interet exelusif et son corollaire qui consiste en l'obligation

fondamentale qui est faite a chacun de veiller a la gestion et la defense de ses

propres interets.

Certains pourraient alors argumenter qu'il existe pourtant des cas tres clairs ou le

detenteur d'une telle prerogative s'est fait reprocher d'avoir use de son droit sans

tenir compte des interets de son cocontractant. Au meme titre, il existe clairement

des circonstances dans lesquelles on doit exercer effectivement une prerogative

avec la restriction d'assurer une certaine defense des interets de son cocontractant.

Or, au contraire des affirmations voulant que ces exemples ne puissent se justifier

que par la presence d'une theorie emergente de solidarisme contractuel, a notre

avis, ces exemples corroborent la necessaire coexistence paisible des droits et

interets.

Nous Favons exprime, la prerogative du droit subjectif se traduit par la possibility

et la capacite a defendre ses interets542. Cet interet se concretise dans une zone

d'exclusivite d'exercice octroyee par le droit positif. Cet interet possede en soi

deux composantes : la notion de jouissance de celui-ci, que l'on pourrait definir

comme la possibility a etre titulaire d'une telle zone d'exclusivite, et la capacity,

que l'on pourrait definifr comme la possibility reelle a defendre, par sa volonte

juridique, les prerogatives de cette zone d'exclusivite. Ainsi, par exemple, un

enfant en bas age peut jouir d'un droit de creance de 200,00 $ si une telle somme

542 Del Vecchio, supra note 125 a la p. 325.

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lui est due, notamment en vertu d'une creance alimentaire, mais n'a pas la

capacite juridique a defendre ses interets, en cas de contravention a son droit. II

devra done etre represents pour exercer son droit de creance. Or, comme

normalement, on presumerait qu'il exercerait ce droit dans son interet personnel,

il est tout a fait logique que son representant, le plus souvent son tuteur legal,

doive exercer son pouvoir dans l'interet exclusif de l'enfant. La delegation que

fait le droit objectif de la prerogative d'exercice de cet enfant a son representant

doit encore une fois s'effectuer dans les memes conditions de respect de la

coexistence des droits et interets d'autrui. Cela explique, a notre avis, que

l'exercice de cette prerogative doive obligatoirement se faire dans l'interet de

l'enfant et puisse a cet egard faire l'objet d'un controle, pouvant aller jusqu'a

sanctionner cet exercice par l'annulation de l'acte. Cela est tout a fait logique

lorsque l'on examine les principes sous-jacents a cette delegation de pouvoirs.

Par analogie, si les circonstances, qu'elles resultent ou non de la faute des parties,

ne demontrent pas que la capacite d'un individu est effectivement exercee dans

des conditions assurant raisonnablement sa libre gestion, il apparait normal que la

loi, directement ou par delegation judiciaire, puisse intervenir pour retablir i

l'equilibre dans l'exercice de cette capacite a veiller a son interet propre. Puisque

les interets de cette partie soumise sont en jeu, il est normal que l'on equilibre

cette situation en imposant a la partie avantagee certaines restrictions dans l'usage

de son droit afin de veiller raisonnablement aux interets de son cocontractant.

C'est le role meme d'une commutativite normative objective.

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Ainsi, loin de reposer sur une queleonque obligation d'altruisme, l'imposition de

normes a la partie avantagee se justifie parfaitement en vertu du principe de

coexistence paisible des droits et interets. Cette imposition vise a pallier

l'incapacite engendree par les circonstances reelles. D'ailleurs, il est interessant

de noter que la quantity et l'intensite de ces normes imposees variera de maniere

proportionnelle au degre de capacity ou d'incapacity, reelle ou presumee par la loi,

a exercer librement, de par sa situation et son statut, la gestion de ses interets.

Plus la position de l'une ou l'autre des parties sera vulnerable, plus l'intensite des

restrictions imposees aux prerogatives du cocontractant sera elevee.

De cette fagon, on peut par exemple justifier l'obligation qui est faite au

mandataire d'agir dans le meilleur interet de son mandant. Par le biais du contrat

de mandat, le mandant devient en quelque sorte entierement « soumis » a la

volonte juridique du mandataire, qui peut exercer, en son nom, les prerogatives

dont il est le titulaire et qui sont prevues dans le cadre du mandat. Par l'exercice

de ce pouvoir, le mandataire a le pouvoir reel de lier le mandant en son absence

physique. Le degre de vulnerability de ce dernier est done tres eleve, ce qui

justifie clairement, l'obligation qui est faite au mandataire d'agir dans l'interet

exclusif du mandant. Ainsi, l'analyse du degre de vulnerability d'une partie

permet de mieux saisir la metamorphose de certaines prerogatives en pouvoir,

devant done s'exercer au profit exclusif de la partie vulnerable. Outre le .mandat,

le degre absolu de vulnerability, du moins presumee, permet de mieux saisir les

regies imposees aux detenteUrs de l'autorite parentale, au tuteur, a l'executeur

testamentaire ou plus generalement a l'administrateur des biens d'autrui.

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Encore une fois, on constate que les obligations imposees en de telles

circonstances s'expliquent aisement par la necessite d'exercer ses prerogatives

dans un contexte de coexistence paisible des droits et interets. II s'agit en quelque

sorte, n'en deplaise a certains, d'un renforcement des postulats de la theorie de

l'autonomie de la volonte. Gestion de ses interets, liberte et egalite sont les

principes au premier plan de la theorie contractuelle. Cependant, il s'agit d'une

vision dynamique, qui ne se contente pas de simples presomptions irrefragables

nuisant dans les faits a ces postulats, mais d'un veritable controle favorisant le

respect effectif de ces grands principes et ce, a tous les stades de la vie

contractuelle.

Cependant, puisque nous ne pouvons prevoir quelle est la decision qu'aurait

effectivement prise la personne soumise si elle avait pu librement exercer sa

capacite de veiller a ses interets, nous privilegions le critere de l'exercice de la

personne raisonnable placee dans les memes circonstances. En presence d'une

clause contractuelle qui semble avantager grandement une des parties et de

circonstances demontrant effectivement l'absence d'egalite entre les parties, par

leur situation informationnelle, economique ou autre, on devrait s'interroger sur la

nature raisonnable de cette clause. Ainsi, il faudra se demander si une personne

raisonnable aurait acquiesce a une telle clause si elle avait ete en mesure de veiller

librement a ses interets. En cas de reponse negative, une telle clause devra etre

rajustee par la sanction appropriee, conformement au principe de justice

commutative. Cette sanction pourra notamment consister en 1'imposition, a la

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partie avantagee, d'obligations visant a assurer un certain respect des interets du

cocontractant.

Ce meme critere de personne raisonnable s'appliquera aussi lors de l'execution du

lien de creance unissant les parties. Lorsqu'un tel lien existe entre deux

personnes, il y a soumission de principe. Le debiteur est, par la nature du lien de

creance, soumis a la prerogative du creancier pour l'execution d'une prestation

particuliere. Cet aspect de soumission, avec lequel le droit prive est inconfortable

parce que contraire au principe d'egalite Panimant, est encadre de fagon a ce qu'il

s'exerce dans le respect du principe de la coexistence des droits et interets. Parce

qu'elle detient une situation privilegiee a l'egard d'une personne determinee qui

lui est soumise, on imposera a celle-la, le plus souvent creanciere des obligations,

certaines normes de comportement visant a assurer une certaine commutativite

objective dans le rapport de soumission.

L'obligation d'agir selon des principes d'equite et de bonne foi, dans ses rapports

contractuels devient ainsi un levier privilegie de la commutativite objective. Par

l'imposition de telles normes floues de comportement, on s'assure que ce

creancier ne pourra, par des exigences deraisonnables, aller au-dela d'un rapport

de soumission normal et nuire ainsi aux interets du debiteur. Le critere de la

personne raisonnable implique 1'examen de la conduite d'une personne prudente

et diligente543, et constitue en quelque sorte le reflet d'une conduite socialement

acceptable. Ainsi, si l'exercice de la prerogative par le creancier apparait

543 Houle, supra note 11.

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deraisonnable, au regard des valeurs sociales presentes, pour la sauvegarde des

interets du debiteur, le legislateur ou le juge par pouvoir delegue, pourra intervenir

pour reequilibrer la commutativite de la relation et obliger le creancier a agir de

maniere a assurer une certaine protection des interets de ce debiteur.

3.4.2 Le droit aux profits en situation de liberte

II est interessant de noter qu'en droit quebecois, la valeur du patrimoine de chacun

n'est pas, en principe, sanctionnee par le droit prive, tant que, dans l'exercice de

ses prerogatives, chacun respecte le principe de coexistence des droits et interets

d'autrui, notamment en permettant a chacun de veiller librement a ses affaires. II

en serait differemment dans une societe ne valorisant pas autant la liberte

individuelle. Ainsi, on sait que certains regimes communistes ont exerce un grand

controle sur les biens possedes par chaque individu, notamment en les qualifiant

le plus souvent de propriete publique, ce qui revient a nier le droit de propriete

individuelle. Cet exemple confirme a quel point les droits subjectifs, tel le droit

de propriete, et les libertes individuelles sont des notions liees qui s'influencent

mutuellement. Plusieurs societes occidentals valorisent la liberte individuelle

parce qu'eiles postulent que cette liberte apporte avec elle la garantie que chacun

pourra veiller a ses interets. La liberte entraine la responsabilite et le droit prive

quebecois reflete ces valeurs. Nous reiterons done notre opinion a l'effet que l'on

ne peut affirmer, comme Kant le suggere, que l'exercice de la volonte individuelle

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n'est pas influence par des considerations externes, telles les valeurs sociales et

politiques. Celles-ci sont necessairement vehiculees par le droit objectif qui

delimite les champs d'action des droits subjectifs.

En droit prive quebecois, les biens que possede une personne peuvent etre

envisages comme le prolongement de sa personne544, comme des biens

necessaires a son plein epanouissement, et en ce sens, avoir droit au meme respect

passif que l'integrite physique de la personne elle-meme. Cette fagon de concevoir

les biens materiels que possede une personne permettrait d'expliquer pourquoi

generalement dans les societes liberates, la quantite d'objets que comporte cet

espace personnel ne fait pas, en principe, l'objet d'un controle particulier. Au

contraire, une plus grande quantite de biens sera generalement consideree comme

un signe de grand epanouissement personnel et done un pas vers une plus grande

richesse collective. Ainsi, sauf exceptions justifiees en general par l'ordre public

et relevant le plus souvent du droit public, chacun est libre de posseder autant de

biens qu'il le souhaite, sous reserve encore une fois de respecter, dans

1' acquisition et la possession de ces objets, la regie de la coexistence des droits et

interets d'autrui.

Certains pretendront que le fait d'accumuler de nombreux biens constitue en soi

une violation de la regie de coexistence des droits et interets d'autrui. D'autres,

lorsqu'ils analysent une telle critique, n'hesitent pas, au contraire, a affirmer que

ces personnes n'ont pas compris le lien qui existe, en droit prive dans les societes

544 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 40.

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dites liberates, entre la liberte et la propriete545. Selon plusieurs auteurs, la liberte

dans la gestion de ses interets personnels est le meilleur moyen d'assurer une

saine competition et concurrence des individus, cette competition devant assurer

le meilleur developpement des ressources et richesses de la societe546. Les

developpement et epanouissement personnels de l'individu sont a la base meme

de ce progres social et ce sont les droits subjectifs, par la prerogative exclusive

qu'ils impliquent, qui semblent assurer le plus adequatement ces objectifs547.

Nous rappelons que meme Duguit, qui pourtant niait l'existence de la notion de

droit subjectif, etait d'avis que le progres collectif passe necessairement par un

exercice libre de ses prerogatives afin d'assurer le meilleur epanouissement

personnel548.

On peut se demander s'il s'agit d'un vceu pieux de quelques juristes et

philosophes mais ne pouvant trouver assise dans aucune autre science. Or, il est

interessant de constater que meme une analyse economique du droit accepte cette

conception des rapports entre les individus dans la societe. Ainsi, comme le

mentionnent plusieurs auteurs549, une des ecoles theoriques dominantes de

1'analyse economique du droit se fonde sur un critere de repartition dit optimal ou

545 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 31. 546 Voir notamment a cet effet, ibid, a la p. 26; Cuche, Philosophes, supra note 430 a la p. 30 et s.;

Karila de Van, supra note 461 a la p. 556; Stoffel-Munck, Imprevision, supra note 86 a la p. 47.

547 Ionescu, supra note 222 au no. 15; Reglade, supra note 516 aux pp. 86-88. Contra : Gonthier, supra note 8 notamment a la p. 570 et s.

548 Voir notre section portant sur la theorie de Leon Duguit, a la p. 150 et s. 549 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 202; Grynbaum, supra note 275 au no 53 et s.; Ejan

Mackaay, « La regie juridique observee par le prisme de l'economiste » [1986] R.I.D. Econ. 43 aux pp. 51-52 [Mackaay, « Prisme »].

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aussi appele « efficacite »550. Selon ce critere, le marche, ou si l'on prefere la

saine competition entre les besoins des consommateurs et ceux des producteurs ou

commergants des biens, entraine un prix d'equilibre. Par ailleurs, un systeme de

marches pour tous les biens permet d'atteindre une situation optimale

d'equilibre551.

Lorsque nous sommes en presence d'une telle situation optimale d'equilibre, il

devient impossible de reallouer les ressources autrement puisqu'une amelioration

de la situation de certains entrainerait une deterioration d'autres. En d'autres

termes, «tous les echanges fructueux ont ete realises et le prix est un prix

d'equilibre. »552. Ainsi, meme dans cette analyse, la concurrence entre les

individus apparait comme essentielle a la maximisation des ressources et

l'equilibre dans la repartition de celles-ci. II est d'ailleurs interessant de noter que

cet equilibre est atteint lorsque chacun profite du maximum de ressources sans

nuire a autrui. Cela rejoint en tout point la theorie de la coexistence paisible des

droits et interets ou il est permis d'user de son droit mais en ayant pour limite

ceux des autres, afin d'eviter de leur nuire indument. La seule difference est que

l'economiste s'inquiete de la repartition des ressources alors que la juriste

s'inquiete de la repartition des droits et interets. Mais cette difference devient

d'autant theorique que la repartition des droits et interets rejoint le plus souvent

une repartition des ressources.

550Mackaay, ibid. 551 Ibid. 552 Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 202.

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L'importance que l'on accorde a la libre concurrence dans notre societe, pour ses

consequences sociales benefiques, pourrait expliquer notamment pourquoi il n'est

pas possible, en droit quebecois, d'exercer un recours en responsabilite pour le

simple exercice d'une concurrence loyale . Nous avons deja donne l'exemple

de l'absence de recours judiciaire contre un concurrent qui ouvrirait un commerce

semblable a quelques pas du notre et avec qui il n'existerait aucun lien specifique

d'obligation, fonde notamment sur une convention de non-concurrence.

L'exercice d'une saine concurrence, s'inscrivant dans une libre gestion par les

parties de leurs interets, ne constitue pas une atteinte a la liberte d'autrui pouvant

faire l'objet d'une obligation de reparation et cela, meme si elle devait entrainer

un certain prejudice pour quelques individus. L'egalite de droit, avec l'idee de

liberte individuelle qu'elle implique, est justement accordee aux sujets de droit

afin qu'ils puissent exercer une saine concurrence, le tout dans une perspective

plus large d'un benefice social. On permet a chacun d'exercer ses prerogatives de

commerce a son profit.

55j Voir d'ailleurs a cet effet, les commentaires de la Cour d'appel du Quebec dans L'Excelsior, compagnie d'assurance-vie c. La Mutuelle du Canada, compagnie d'assurance-vie, [1992] R.J.Q. 2666 (C.A.) a la p. 2875: « La liberte de concurrence represente le principe fondamental d'organisation des activites economiques, dans le secteur des assurances comme ailleurs, sous reserve de son encadrement legislatif ou reglementaire. Bien que dommageable, la concurrence, en elle-meme, ne saurait etre fautive et source de responsabilite civile. Meme lourdement prejudiciable pour une entreprise d'assurances, la seule conquete d'une part de marche par un nouveau concurrent ne lui donne pas droit a une indemnity. La concurrence fait partie de ces activites reconnues comme licites, bien que dommageables. On a le droit de conduire le restaurateur ou l'epicier voisin a la faillite, pourvu que, ce faisant, on emploie des moyens licites et corrects. (. . .) Ce n'est que par le caractere deiictuel de ses modalites que la concurrence peut devenir source d'une responsabilite civile et permettre l'exercice d'une action fondee sur l'article 1053 C.c. [maintenant 1457 C.c.Q.] » [Excelsior],

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Naturellement, une telle concurrence acceptee et meme pronee par les societes

liberales implique que l'exercice de certains droits puisse dans les faits nuire a

d'autres554. Un systeme dirigiste quant a lui se mefierait d'initiatives personnelles

et des consequences nefastes qu'elles pourraient entrainer a l'egard d'autrui555.

Cette remarque nous permet de rappeler l'importance des valeurs sociales dans la

definition d'une injustice. Pour contrevenir au principe de la coexistence paisible

des droits et interets, l'exercice d'un droit doit veritablement constituer une

atteinte au devoir de ne pas nuire indument a autrui. Une telle atteinte ne pourra

pas resulter du seul constat des effets de nuisance a l'egard d'autrui puisque dans

certains cas, le droit de nuire est compris dans l'exercice du droit556. On peut dans

les faits nuire a autrui parce que l'on peut tirer profit de l'exercice de son droit.

La concurrence et le profit sont permis dans les limites de l'exercice raisonnable

de ses prerogatives. Ce critere implique l'examen des valeurs sociales et des

limites qu'elles imposent557 : « [e]st deraisonnable ce qui est inadmissible dans

ceo

une communaute a un moment donne. » Et la societe quebecoise, comme les

autres societes liberales, accepte (et meme valorise) le profit, ou si l'on prefere,

une nuisance « raisonnable » aux interets d'autrui.

554 Karila de Van, supra note 461. 555 Ibid, a la p. 556. 556 Ibid, aux pp. 538-539. Par exemple, il est reconnu qu'un employe congedie subira, meme si ce

cong^diement est fait de la meilleure maniere possible, son lot de stress, d'humiliation et d'anxiete pour lequel il ne sera pas compense puisque cela decoule directement du droit de son employeur : Societe hoteliere Canadien Pacifique c. Hoeckner [1988] R.L. 482 (C.A.) a la p. 485.

557 Perelman, « Raisonnable », supra note 481 a la p. 38 et s. 558 Ibid, a la p. 39.

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Par contre, il en serait autrement dans le cas d'une concurrence deloyale, qui

alors, ne se conformerait pas, a ce que Josserand appellerait la « mission sociale »

du droit de concurrence, et que nous appellerions l'exercice socialement

acceptable de celui-ci. II en serait ainsi par exemple d'un second commergant qui

utiliserait un nom et une publicite semblable a celle de son concurrent afin de

semer la confusion chez les consommateurs. II n'exercerait pas son droit d'une

maniere socialement acceptable en brimant le principe de la concurrence exercee

sainement et entrainerait sa responsabilite pour cette nuisance indue aux interets

d'autrui.

Si le libre exercice des droits a pour but une saine gestion de la concurrence qui a

elle-meme pour but le developpement des richesses, on comprend qu'il devient

difficile de sanctionner l'accumulation de telles richesses. Naturellement, on

pourrait soutenir que l'on discute ici de richesses collectives et non personnelles.

Mais cela serait contraire a la logique du systeme. Pour les societes qui valorisent

la liberte individuelle, il semble que la richesse collective passe necessairement

par le developpement des richesses individuelles. Celles-ci apparaissent comme

l'objectif principal de la lutte competitive entre les individus. Et les droits

subjectifs qui sont accordes a l'egard de ces richesses sont autant de zones de

securite afin de garantir les resultats d'efforts et d'initiatives personnelles559.

En constatant que la societe quebecoise tolere les grandes fortunes privees, on

comprend qu'elle tolere le droit de faire de l'argent et d'accumuler des profits,

559 Roubier, Droits subjectifs, supra note 364 a la p. 26.

239

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tant que ces profits ne constituent pas une exploitation d'autrui560 dans un

contexte d'inegalite. II devient d'autant plus difficile, devant cette constatation,

d'accepter les theses pronant un controle de l'egalite contractuelle basee sur le

principe de juste prix561. En plus d'etre difficile d'application pratique, une telle

theorie ne favorise pas la creation de richesses car, comme le souligne un auteur

frangais : « si ne sont transferes dans le contrat que des choses d'egales valeurs, il

n'y a pas de profit possible, (...). [I]l n'est de valeur que subjective; et c'est

justement le fait que deux personnes n'accordent pas le meme prix a une meme

chose qui est createur de richesses dans l'echange. »

De plus, nous l'avons mentionne une egalite contractuelle evaluee selon le

principe du juste prix n'expliquerait pas pourquoi sciemment une personne peut

conclure un contrat qui la desavantage financierement, par exemple lors d'une

vente entre membres d'une meme famille ou une des parties vend sciemment et

consciemment son bien en de<;a de sa valeur marchande. Si la validite d'un

contrat devait se fonder sur la theorie du juste prix, comment un tel contrat

pourrait-il etre considere valable ? Devant une telle situation, les tenants de la

theorie du juste prix justifient la validite d'une telle convention en expliquant

qu'elle se situe en marge des regies usuelles du contrat vu les liens unissant les

parties. Nous croyons au contraire que comme les contrats de donation, ce type

560 En effet, meme si, suite a des negotiations a caractere politique, la lesion entre majeurs n'est pas constitutive d'un vice de consentement, nous croyons qu'une telle exploitation pourrait etre combattue en vertu des principes de bonne foi, non pas sur la base de la valeur des biens, mais sur l'absence de possibility reelle de gestion libre de ses droits et interets qu'une telle exploitation demontrerait.

561 Voir notamment a ce sujet la these de doctorat de la professeure Charpentier: Charpentier, supra note 209.

562 Stoffel-Munck, Imprevision, supra note 86 a la p. 50

240

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de transactions peut etre parfaitement valide s'il a ete librement conclu selon ces

modalites de renonciation aux profits. Cela demontre bien que Felement

fondamental du libre exercice de ses prerogatives prime la quantite de biens

faisant l'objet de la transaction, en n'oubliant pas cependant que cette liberte

implique l'egalite des parties contractantes.

Par ailleurs, malgre l'article 1405 C.c.Q. qui ne reconnait pas la lesion entre

majeurs comme vice de consentement, une telle recherche de profits devrait etre

sanctionnee si elle constituait une negation deraisonnable des interets d'autrui,

notamment par une exploitation de celui-ci dans un contexte ou il ne pouvait de

facto assurer librement la saine gestion de ses interets. La soumission a la volonte

d'autrui devrait entrainer un devoir de controle des profits afin que ceux-ci

demeurent raisonnables selon les standards sociaux. En effet, si dans un contexte

de soumission nous acceptons qu'une partie puisse exploiter 1'autre, nous sortons

du cadre de la situation optimale d'equilibre et nuisons ainsi au principe de

1'epanouissement social par la recherche d'un epanouissement personnel. Nous

ne pouvons accepter qu'une personne s'enrichisse impunement au detriment

d'autrui. Comme tout autre exercice d'un droit, elle doit le faire a l'interieur de la

zone d'equilibre social qui vient circonscrire, au nom du principe de la

coexistence des droits et interets, son droit aux profits. En ce sens, la lesion ne

sera pas sanctionnee parce qu'elle constitue un defaut d'egalite des prestations

mais bien parce qu'elle sera la resultante de l'injustice commise par la situation

d'hegemonie d'une partie sur l'autre. Ce n'est pas la valeur economique que l'on

sanctionne mais la preuve, par la lesion, de l'exploitation d'une partie par

241

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l'autre . D'ailleurs, plusieurs pays ont adopte ce concept sous le vocable de

lesion qualifiee564.

L'absence de reconnaissance du principe de la lesion entre majeurs peut

certainement s'expliquer par un attachement non avoue a la theorie de

l'autonomie de la volonte, qui ne peut plus cadrer avec la volonte de justice

contractuelle codifiee au Code civil du Quebec. On reconnait dans cette absence

de reconnaissance le principe de valeur subjective des prestations relie a la

presomption irrefragable de justice dans les rapports contractuels : « [t]oute

obligation pour etre juste doit etre librement consentie; toute obligation librement

consentie est juste »565. Ainsi sera de valeur equivalente la prestation consentie, a

la condition qu'elle soit effectivement librement consentie. En ce sens, la lesion

563 Voir d'ailleurs a ce sujet un developpement semblable dans Georges Ripert, Morale, supra note 398 aux nos 61 a 73, et notamment au no. 70, ou il ecrit: « La lesion change alors de caractere. Elle apparait comme 1'injustice commise par l'abus du contrat. Le resultat montre la deloyaute de la lutte entre les contractants. L'inegalite des prestations n'est pas la cause de la nullite du contrat, mais la preuve qu'il existe une autre cause de nullite: l'exploitation de l'un des contractants par l'autre. »

564 Le concept de lesion qualifiee est bien developpe dans certains systemes juridiques etrangers, meme si, dans certains cas et a l'instar du Quebec, la legislation formelle ne reconnaissait que certains cas lesions specifiques expressement prevus par le legislateur. Ainsi, par exemple en est-il du droit pretorien beige, ce qui permet notamment a un auteur beige de definir ainsi la lesion qualifiee:

« La lesion qualifiee differe de cette lesion, dite simple, en ce que, outre pareille disporportion entre les engagements reciproques, qui suffit pour caracteriser la lesion simple, elle exige que ce desequilibre trouve sa source dans le comportement illicite de celui qui en tire profit, notamment dans l'exploitation de l'inferiorite de son cocontractant. La lesion qualifiee se distingue du dol parce qu'elle ne requiert pas de manoeuvres ayant pour objet d'induire le cocontractant en erreur sur la valeur respective des engagements. »

A. Bersaques, « La lesion qualifiee et sa sanction », Revue critique de jurisprudence beige 1977.10 a la p. 12. Voir aussi d'autres developpements sur la lesion qualifiee dans Andre de Bersaques, « L'oeuvre pretorienne de la jurisprudence en matiere de lesion » dans Melanges en I'honneur de Jean Dabin, t. 2, Paris, Sirey, 1963, 487; Lluelles et Moore, supra note 20 aux nos 906-908; Popovici, Mandat, supra note 215 aux pp. 353-355, n. 554.

565 Gounot, supra note 35 a la p. 61.

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reconnue ne peut se concevoir que comme le resultat d'un vice de

consentement566. Mais dans un contexte ou le legislateur delegue aux juges un

pouvoir d'examen de la commutativite contractuelle fondee sur des criteres

objectifs, ce maintien de principes subjectifs d'analyse apparait comme une

incoherence et se doit d'etre modifie.

3.4.3. Le role de 1'interet dans le droit subjectif.

Nous avons mentionne que la commutativite objective a pour mission d'assurer

que chacun soit maitre d'agir pour assurer la meilleure sauvegarde de ses interets

dans une libre concurrence. II est presume que cette libre concurrence permettra

un meilleur epanouissement personnel et ainsi un meilleur developpement social.

Est-ce a dire que le droit subjectif est essentiellement constitue « d'un interet

juridiquement protege » comme l'affirme une certaine doctrine ? Le plus celebre

auteur parmi celle-ci, Rudolph von Jhering, entendait combattre, avec cette

definition, les theories essentiellement allemandes affirmant que le droit subjectif

567

devait se concevoir comme la materialisation du pouvoir de la volonte . Pour

arriver a ces fins, il insiste sur la critique des theories du pouvoir de la volonte

constatant que meme les personnes depourvues de volonte reelle ou juridique, tels

566 Berthiau, supra note 290 au no. 742. 567 Voir les exposes sur les theories du pouvoir de volonte dans Dabin, Droit subjectif, supra note

408 a la p. 56 et s. et Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au no. 189.

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que les nourrissons ou les incapables, peuvent neanmoins etre titulaires de droits f/TQ

subjectifs, et meme d'une capacite patrimoniale . Cette critique l'amene a

conclure que le droit subjectif ne peut se definir comme l'exercice d'un pouvoir

de volonte. D'ailleurs, il appuie sa critique en soumettant que si le droit se

limitait a l'exercice d'un pouvoir de volonte, on gouterait, comme ultimes, toutes

les joies que procure, en soi, cet exercice de volonte. Ainsi, nous devrions §tre

pleinement satisfaits par le simple exercice du pouvoir d'avoir constitue une

hypotheque ou d'avoir cede un droit d'action569.

Clairement cette vision des choses ne correspond pas a la realite et le plaisir d'un

droit vient plutot de l'avantage, de l'interet qu'il procure. En plus, les enfants et

les incapables peuvent eux aussi jouir d'un tel interet. Jhering conclut done que le

droit subjectif doit plutot se concevoir non pas comme la capacite a vouloir mais

bien la capacite a profiter570. En d'autres termes, l'utilite, plutot que la volonte,

est la substance du droit571. Pour Jhering, deux elements constituent le principe

du droit et sont a la base de sa celebre definition du droit a titre « d'interets

juridiquement proteges »572. Jhering qualifie le premier element de substantiel,

puisqu'il consiste en le but pratique du droit. Ce premier element se congoit

comme « l'utilite, l'avantage, le gain assure par le droit» . Pour Jhering, tout

droit subjectif « existe pour assurer a l'homme un avantage quelconque, pour *

venir en aide a ses besoins, pour sauvegarder ses interets, et concourir a

568 Jhering, supra note 117 a la p. 321 et s. 569 Ibid. 570 Ibid, a la p. 325. 571 Ibid, a la p. 327. 572 Ibid, aux pp. 328 et 339. 573 Ibid, a la p. 328.

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l'accomplissement des buts de sa vie. »574 Le deuxieme element est qualifie,

quant a lui, de formel. II consiste en la protection juridique, Taction en justice .

Sans cette protection juridique, l'interet est fragile et peut a tout moment etre

renverse ou ebranle. Cet interet ne peut acquerir sa stabilite et ainsi etre

formellement respecte d'autrui que lorsque sa protection juridique est assuree.

On voit done rapidement que la volonte ne constitue pas pour Jhering un element

essentiel du droit subjectif. Comme il le mentionne lui-meme : « [j]ouir d'un

• 576

droit sans en disposer peut se concevoir; disposer sans jouir est impossible. »

Est-ce a dire qu'il a pu ecarter completement la notion de volonte du droit cn-j

subjectif ? Meme s'il reitere que la volonte demeure soumise a la jouissance ,

Jhering ne peut ecarter completement la volonte dans sa conception du droit

subjectif. Ainsi, il reconnait que « partout ou la loi n'a pas strictement et

definitivement regie la maniere dont le droit doit servir au sujet, c'est la volonte

qui assigne au droit cette direction, c'est elle qui le fait servir a tels besoins et a

tels buts de tel sujet determine. » En d'autres termes, chaque fois que la loi

accorde une part de libre arbitre dans l'exercice d'un droit, la volonte du sujet

constitue un element du droit subjectif. Mais Jhering insiste sur le fait que cette

volonte s'exerce dans l'interet, l'avantage de son titulaire, puisque c'est cet interet

qui constitue l'element fondamental du droit subjectif. C'est pour cette raison que

peu importe que Taction soit exercee par le titulaire lui-meme ou par une 574 Ibid. 575 Ibid, a la p. 328 ets. 576 Ibid, a la p. 338. 577 Ibid, aux pp. 337-338. ™ Ibid, a la p. 338.

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personne qui le represente, cette action est toujours intentee au nom du titulaire et

a son profit579.

La theorie de Jhering a essuye nombre de critiques. Une premiere de celles-ci

s'interroge a savoir comment l'element de forme que constitue Taction judiciaire

peut effectuer un changement de substance d'un interet de fait a un droit subjectif.

Comme le mentionne Jean Dabin, l'interet ne devient pas un droit parce qu'il est

protege. Le droit est au contraire protege parce qu'il est en premier lieu reconnu

comme tel. Ce n'est qu'une fois qu'il est considere comme un droit que l'interet

peut beneficier de la protection juridique a titre de droit subjectif580. Reste alors

entiere la problematique de connaitre la nature de ce droit.

Une autre grande critique a la theorie de Jhering est de confondre le but du droit

avec sa nature. Pour plusieurs, on ne peut definir le droit subjectif par son but581.

Ce faisant, on utilise une analyse teleologique qui malheureusement serait

inefficace pour saisir 1'essence de la notion de droit subjectif.

Pourtant, la these de Jhering sur les droits subjectifs a titre d'interets

juridiquement proteges est probablement une des plus populaires. Ce succes est

certainement du au fait que bien qu'insuffisante, cette these comporte un aspect

qu'il est difficile de nier : le droit subjectif a effectivement pour but de procurer

579 Ibid, a la p. 340. 580 Dabin, Droit subjectif, supra note 408 a la p. 69; Ghestin et Goubeaux, supra note 130 au

no. 190; Ost, supra note 34 a la p. 28. 581 Voir notamment, Dabin, ibid.; Ghestin et Goubeaux, ibid.

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un avantage juridiquement protege a son titulaire et de lui en assurer le libre

CO-} . exercice . L'interet du sujet est effectivement la raison d'etre du droit

coo

subjectif . Le titulaire jouit de son droit a son profit, sans aucune autre

obligation envers autrui dans cette zone exclusive de prerogative individuelle. II

est d'ailleurs interessant de mentionner que deja le droit romain, dans sa

clairvoyance caracteristique, concevait le droit subjectif comme une prerogative

« d'agir d'une personne individuelle ou collective en vue de realiser un interet

dans les limites de la loi. » Le lien entre droit subjectif et interet ne date pas

d'hier.

Est-ce a dire que l'interet n'est qu'une composante du droit subjectif et ne jouit

d'aucune existence autonome ? Si tel etait le cas, nous n'aurions plus alors a nous

preoccuper de l'interet d'autrui dans une analyse de la commutativite mais que de

la balance des droits subjectifs de chacun des intervenants. Or, a sa face meme,

on constate qu'une telle proposition ne correspond pas a la realite juridique

quotidienne. Tant le Code civil que la jurisprudence sont truffes d'exemples ou

on module l'exercice d'un droit subjectif en fonction de l'interet d'autrui. Ainsi,

par exemple, le Code civil prevoit que les decisions qui concernent un enfant

doivent etre prises dans son interet. On sait, par exemple, que lors de

l'homologation d'une convention de separation conclue entre les parents, le juge

verifiera si cette convention respecte le principe de l'interet de l'enfant et la

582 Del Vecchio, supra note 125 aux pp. 331-332. 583 Gervais, supra note 125 notamment a la p. 243; Ionescu, supra note 222 notamment a la p. 48;

Ost, supra note 34 a la p. 27. 584 Ionescu, ibid, aux pp. 23-24.

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modifiera au besoin. Cet interet prime done sur le respect integral de la r n r

convention meme librement conclue . De meme, si le Code civil prevoit que r o /

chacun a droit au respect de sa reputation et de sa vie privee , ce meme code

prevoit qu'une personne peut constituer un dossier sur une autre personne, ce qui

clairement contrevient au principe du respect de la vie privee, si elle possede « un

interet serieux et legitime de le faire »587. On comprend de ces exemples que par

les avantages qu'il consacre, l'interet d'autrui peut limiter l'assiette d'exercice du

droit subjectif. Comme nous le verrons plus amplement ci-apres, dans un conflit

entre un droit subjectif et un interet legitime, il faudra adopter une solution

raisonnable permettant une coexistence de ces deux interets proteges.

Certains pourraient argumenter que ces deux exemples etant issus d'interets

expressement prevus par la loi, on ne peut parler d'un role general de regulation

pour la notion d'interet. Pourtant, une simple analyse de la jurisprudence permet

de constater que l'exercice d'un droit subjectif est souvent limite si cet exercice

resulte en un mepris « anormal », « deraisonnable » ou « abusif» des interets

d'autrui588, meme lorsque ces interets ne sont pas d'origine legislative. Nous

589

avons deja discute de l'arret Banque nationale du Canada c. Houle , dans lequel

la Cour supreme du Canada reproche a la Banque d'avoir agi de fagon

deraisonnable dans le rappel de son pret pour ne pas avoir offert a la debitrice un

585 Article 822.2 C.p.c. Voir aussi notamment l'arret Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670 [Willick], dans lequel la majorite affirme que les tribunaux ne sont pas li6s par une convention entre des epoux en ce qui concerne les interets des enfants.

586 Articles 35-36 C.c.Q. 587 Article 37 C.c.Q. 588 Voir notamment au sujet de cette fonction de l'interet: Ost, supra note 34 aux pp. 179-180. 589 Supra note 11.

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preavis raisonnable et cela, meme si la Banque etait effectivement en droit de

rappeler son pret en vertu des dispositions contractuelles. La Cour juge qu'en

agissant ainsi, au mepris des interets de sa debitrice, la Banque a commis un abus

de droit, qui doit etre sanctionne. Or, contrairement a l'interet de l'enfant, une

telle obligation d'accorder un delai raisonnable ne se trouve nullement legiferee.

Pourtant, elle peut limiter, en certaines circonstances, l'exercice d'un droit

subjectif au nom d'un respect elementaire des interets d'autrui. Par cette

limitation, le droit pretorien veille a assurer la coexistence paisible des interets

1 legitimes de chacun. En ce sens, une situation de commutativite deraisonnable

dans un contexte d'inegalite rend legitimes certains interets, qui autrement

n'auraient pas beneficie d'une telle protection judiciaire.

A l'exception des interets specifiquement proteges par la loi, c'est le devoir cree

par le principe de coexistence paisible des droits et interets qui protegera certains

interets ne beneficiant pas du statut de droits subjectifs ou d'interets proteges per

se. Une inegalite des parties sera propice a la mise en ceuvre de ce devoir dont

l'intensite variera par ailleurs selon le degre de soumission de l'autre partie, ou si

l'on prefere, du type de droit implique et de la situation factuelle precise. En

d'autres termes, on ne peut deraisonnablement nuire aux interets d'autrui devenus

legitimes par la situation factuelle des parties.

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L'arret Banque nationale du Canada c. Soucisse590 est un autre exemple de

protection d'interets engendree par l'inegalite des parties. Dans cette affaire, ou la

Cour reproche a la Banque d'avoir cache aux heritiers d'une caution decedee

l'aspect revocable du cautionnement en question, le juge Beetz s'exprime ainsi:

« [l]a Banque ne pouvait surtout pas se permettre de reveler ce qu'il etait a son

avantage de reveler et de taire ce qu'il etait dans son interet de cacher. » En

d'autres termes, la Cour reproche a la Banque d'avoir exerce ses droits sans se

preoccuper des interets de ses cocontractantes. La commutativite qui en a resulte

etait injuste. La Cour oppose consequemment une fin de non-recevoir au recours

de la Banque a l'egard des heritiers pour toutes les sommes pretees apres la mort

de la caution.

On voit done encore une fois le role de regulateur de l'interet meme a l'egard d'un

droit subjectif. L'interet exerce une fonction de limitation de l'exercice du droit

subjectif591. Cette fonction lui assure une protection judiciaire et est en directe

correlation avec la vulnerabilite respective des parties. Dans l'arret Soucisse n'eut

ete de cette vulnerabilite, les interets des heritiers n'auraient pu beneficier d'une

telle protection active. C'est d'ailleurs pour cette raison que ce ne sont que les

sommes pretees depuis la mort de la caution qui ont fait l'objet de la fin de non-

recevoir et ainsi, n'ont pu etre recuperees par la Banque. En ce qui concerne les

sommes pretees avant sa mort, la Caution pouvait, et meme devait, veiller

adequatement a ses interets. La fin de non-recevoir aurait ete, dans un tel

590 Supra note 10. 591 Pour plus de details sur la fonction limitative de l'interet, voir notamment Tribes, supra note

281 a la p. 130 ets.

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contexte, incoherente parce que rien ne justifiait que la Banque se fasse imposer

une telle obligation de protection des interets de la caution. Meme une banque n'a

pas l'obligation generale de procurer un avantage a autrui.

L'ensemble de ces exemples demontrent bien que meme si l'interet personnel est

l'essence meme des droits subjectifs, cette notion s'en distingue aisement

puisqu'elle limite aussi l'exercice des droits subjectifs. En ce sens, l'interet agit a

la fois comme base et mesure des droits592. Mais alors, comment peut-on definir

l'interet ? La plupart des auteurs ayant etudie cette notion ont renonce a la definir

precisement soulignant que son caractere imprecis etait justement essentiel a son

efficacite en droit positif593. On parle de consideration, d'avantage, d'attirance,

d'utilite594. L'interet viserait la satisfaction de besoins, l'obtention d'avantages ou

la reduction d'inconvenients595. Comme le souligne Annick Tribes, dont la these

portait sur la notion d'interet, « [l]'interet est tout a la fois une directive exprimant

une valeur, une politique (protection de l'enfant, du majeur aliene, de 1'absent) et

une condition de la competence et de l'application d'une norme. »596 Toute la

construction theorique de cette these, basee sur le principe de la saine coexistence

des droits et interets, s'inscrit parfaitement dans cette definition. On valorise

l'interet personnel dans l'exercice des prerogatives tout en limitant, en certaines

circonstances, l'assiette d'exercice de ces memes prerogatives au nom de l'interet

592 Josserand, supra note 123 au no. 34. 593 Ost, supra note 34 aux pp. 11-12. 594 Gervais, supra note 125 a la p. 241. 595 Ibid. 596 Tribes, supra note 281 a la p. XII [le soulignement apparait au texte original].

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legitime d'autrui, tel que revele par la regie generale de ne pas nuire indument a

autrui.

Une telle generalite de definition est conforme aux definitions des notions floues

introduites dans notre droit pour faire appel, dans Papplication des regies de droit

strides, au sens commun, du moins celui des juges. La notion floue d'interet n'y

echappe pas597. Au nom de la notion generale d'interet, on autorise le juge a

intervenir et garantir la protection de certains principes juges importants. Par sa

capacite d'adaptation, la notion floue d'interet peut etre modulee en fonction des

faits en l'espece. Ainsi, par exemple, une situation d'inegalite dans la capacite a

veiller a ses interets permettra d'imposer a une partie des comportements

specifiques favorisant les interets de 1'autre partie en modifiant d'autant les

frontieres d'exercice des prerogatives de la partie avantagee. Ce respect des

interets d'autrui" doit primer sur l'absolutisme des droits subjectifs.

L'absence de definition precise de l'interet permet aussi a cette notion d'evoluer

dans le temps au reflet des valeurs sociales. Parce qu'il s'agit d'une expression

neutre, elle demeure au sein de la science juridique malgre le passage du temps et

seul son contenu est appele a changer598. Cela permet d'autant plus au juge de

pouvoir adapter les lois aux changements de mceurs au sein de la societe.

597 Ibid, a la p. IX. 598 Ibid, a la p. X.

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Puisque la notion d'interet doit etre distinguee de la notion de droit subjectif mais

qu'elle en compose par ailleurs l'essence, il peut paraitre difficile de situer

respectivement ces deux notions. Force est de constater que si tout interet ne

constitue pas un droit subjectif comme tel, en revanche, la reconnaissance d'un tel

droit suppose un interet599. Le droit apparait ainsi comme un interet beneficiant

d'une protection plus complete que le seul interet legitime ou que l'interet qui ne

beneficie pas d'une telle protection (comme le serait par exemple celui d'un

commer9ant a ne pas avoir de concurrent dans son secteur.) II semble done que

l'on puisse effectuer un classement hierarchique des types d'interets. A ce sujet,

nous croyons que la classification la plus interessante provient des professeurs

europeens Frangois Ost600 et Andre Gervais601.

En qualifiant la relation de l'interet et de la notion de droit subjectif d'impossible

partage, le professeur Ost situe l'interet et le droit subjectif dans un continuum a

deux poles . Un tel

continuum implique que l'on reconnaisse plusieurs types

d'interet dont la protection et la consecration judiciaires varient pour chacun. A

une extremite, se trouvent les interets illicites, dont la satisfaction est interdite et

qui sont consequemment frappes de condamnation penale ou civile . Un

peu

plus au centre de cette echelle, on retrouve les interets purs et simples, que l'on

peut aussi qualifier d' « indifferents » puisque l'ordre juridique est indifferent a la 599 Gervais, supra note 125 a la p. 243; Popovici, « Mariage», supra note 122 a la p. 71, n. 57. 600 Ost, supra note 34. 601 Gervais, supra note 125 aux pp. 243-244; 602 Ost, supra note 34 aux pp. 36-37. 603 Ibid.

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satisfaction de ces interets qui ne font l'objet d'aucune consecration judiciaire

positive ou meme negative.

Ensuite, on retrouve les interets legitimes, qui sans beneficier du qualificatif de

droit subjectif, sont reconnus et proteges par l'ordre juridique, essentiellement

pour empecher une autre personne d'y porter atteinte604. D'une fagon claire, on

peut penser que les interets de l'enfant font partie de cette categorie. En effet,

l'interet de l'enfant peut difficilement se qualifier de droit subjectif, puisqu'il est

difficile d'y voir une prerogative exclusive d'action, mais clairement cet interet

regoit une protection judiciaire et s'impose tant aux juges qu'aux personnes qui

prennent des decisions qui concerne l'enfant. De meme, en se basant sur la theorie

illustree dans cette these, nous pouvons affirmer que cette categorie inclut aussi

les interets raisonnables d'une partie desavantagee dans sa capacite a veiller a ses

interets.

Finalement, a la derniere extremite de ce continuum se trouve le droit subjectif,

qui lui beneficie de la protection juridique maximale, tant en ce qui concerne sa

protection en cas de contravention, qu'en ce qui concerne son execution active605.

Cette possibility d'execution inclut un pouvoir d'exiger une conduite

particuliere606. En general, le droit subjectif aura la particularite de proteger une

prerogative opposable a tous tandis que l'interet seulement legitime ne sera

604 Gervais, supra note 125 a la p. 243. 605 Ibid, a la p. 244; Ost, supra note 34 aux pp. 36-38. 606 Ost, Ibid.

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opposable qu'a des personnes determinees, impliquees a la relation

obligationnelle ou visees par la loi.

Cette discrimination des interets en fonction du degre de reconnaissance sociale

permet de constater qu'il existe deux types d'interets beneficiant d'une protection

socialement organisee et obligeant par le fait meme d'autres personnes a les

respecter: les interets legitimes et les droits subjectifs. Cette constatation en soi

fait apparaitre l'insuffisance de la theorie de Jhering sur la notion de droit

subjectif a titre « d'interet juridiquement protege »607. L'objet de cette these nous

amene aussi a s'interroger, devant cette dualite, sur les possibles conflits entre

l'exercice d'un droit subjectif et les interets legitimes de son cocontractant. Nous

l'avons deja exprime, a notre avis, une situation d'inegalite engendra la

qualification d'interets legitimes proteges pour certains interets des

cocontractants. Ces interets seront necessairement en conflit avec l'exercice du

droit subjectif de l'autre partie. Or, en vertu de la hierarchie proposee des interets,

il est necessaire de se demander comment pourra se resoudre un tel conflit.

L'exercice du droit subjectif primera-t-il de tels interets et de quelle fagon ?

Quant on pense aux exemples precedemment donnes des arrets Houle et Soucisse,

il apparait clair que dans le cadre d'un conflit entre un droit subjectif et un interet

legitime, les juges tentent de concilier les deux types d'interets proteges. Mais au-

dela de cette constatation, est-il possible d'exposer une synthese theorique de la

methode de resolution de ce type de conflits. A cette question, il est interessant

607 Voir a ce sujet, Gervais, supra note 125 a la p. 244.

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d'examiner la solution theorique proposee par le professeur frangais Andre

/TAO

Gervais puisqu'elle correspond aux grands principes dictes par la coexistence

paisible des droits et interets et examines dans cette these. Elle explique aussi

aisement les solutions proposees par les arrets ci-haut mentionnes.

Pour cet auteur, en presence d'un conflit entre deux interets juridiquement

proteges, l'interet le plus eleve dans la hierarchie doit l'emporter sur l'interet qui

lui est hierarchiquement inferieur. Nous soumettons done que dans le cas d'un

conflit entre un droit subjectif et un interet legitime, on peut penser que, sauf dans

les cas ou la loi modifierait expressement le rapport hierarchique avec pour

consequence de transformer le droit subjectif en un pouvoir609, l'interet legitime

devrait ceder le pas au droit subjectif. Cependant, comme le mentionne le

professeur Gervais, puisque l'interet legitime est aussi protege, bien

qu'hierarchiquement inferieur, il s'imposera tout de meme au titulaire du droit

subjectif qui devra en tenir compte. Cette reconnaissance pourra prendre la forme

d'une satisfaction « par equivalent» ou « par nature » de l'interet inferieur et

consistera ainsi en une indemnite ou une limitation dans l'assiette de realisation de

l'interet superieur610.

En se basant sur cette solution, nous pouvons affirmer que le defaut de

reconnaissance de l'interet legitime par le titulaire du droit subjectif constituera un

608 Ibid, aux pp. 249-250. 609 On peut penser par exemple a l'interet de l'enfant impose a toute personne devant prendre des

decisions concernant l'enfant (art. 33 C.c.Q.) ou celui de l'interet du beneficiaire exige de l'administrateur des biens d'autrui (art. 1309 C.c.Q.).

610 Gervais, supra note 125 aux pp. 249-250.

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exercice socialement inacceptable d'un droit qui devra etre compense. Ainsi, on

reconnaitra a un preteur d'un pret remboursable sur demande le droit a un tel

rappel unilateral mais en lui imposant une exigence de preavis raisonnable611 afin

de laisser au debiteur la possibility d'agir pour proteger certains de ses interets

devant une telle capacite du creancier. L'interet du debiteur s'avere ici normatif

et circonscrit la prerogative du creancier. II objectivise la commutativite des

parties; en d'autres termes, il la rend plus socialement acceptable. Le defaut pour

le creancier de respecter cette norme sera consideree comme un exercice

deraisonnable de son droit et permettra au debiteur de proceder a une reclamation

pour les dommages causes. Dans le meme esprit, un employeur peut, sauf

exceptions, congedier sans motifs graves un employe beneficiant d'un contrat de

travail a duree indeterminee mais en lui offrant aussi un preavis raisonnable ou

• f\ 19 une indemnite equivalente .

La reconnaissance d'une telle structure hierarchique est un element important.

Elle nous permet d'affirmer que le droit prive reconnait une certaine verticalite

des rapports de force et permet que la hierarchie de leurs interets soit exercee de

c n

maniere correlative . Cette verticalite pourra resulter de la nature des relations

juridiques entretenues par les parties, de la structure des contrats ou meme des

inegalites factuelles personnelles aux parties, telles que les capacites

intellectuelles, techniques ou financieres a tous les stades de la vie contractuelle.

Cependant, malgre cette reconnaissance, le droit prive eprouve un malaise devant 611 Voir notamment Houle, supra note 11. 612 Article 2091 C.c.Q. 613 Revet, supra note 259 au no. 16.

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une situation qui risque de compromettre la coexistence paisible des droits et

interets en avantageant systematiquement les parties les plus puissantes au

detriment des plus faibles. Elle permet done aux parties puissantes de favoriser

leurs interets mais les limite du meme souffle par l'imposition d'un devoir de ne

pas nuire a certains interets de l'autre partie. Ainsi, par exemple, la partie en

position de force peut faire un profit au detriment de la partie desavantagee mais

doit veiller a exercer ce droit d'une maniere qui ne mettre pas en peril la

pertinence du contrat pour celle-ci614.

Cette solution basee sur la hierarchie des interets nous permet encore une fois de

constater que la justice contractuelle ne peut s'exprimer par une commutativite

fondee sur l'egalite des prestations ou des valeurs economiques de celles-ci. Le

detenteur d'un interet reconnu, en fait ou en droit, hierarchiquement superieur

devrait pouvoir tirer profits du contrat, si ces profits sont socialement

raisonnables615, en ce qu'ils respectent la saine coexistence des droits et interets

dans la maniere dont ils ont ete obtenus. C'est pour cette raison que la

commutativite doit etre deraisonnable pour que le juge puisse intervenir a la

relation contractuelle. L'interet que procure un contrat a chacune des parties n'a

done pas a etre identique ou egal et une partie ne peut etre sanctionnee pour cette

unique raison. C'est plutot a notre avis la maniere dont le profit est recherche616,

614 Ibid. Voir d'ailleurs, pour une illustration de ce principe, l'arret Provigo distribution inc. c. Supermarche A.R.G., [1998] R.J.Q. 47 (C.A.) aux pp. 58-59 ou la Cour d'appel a reconnu qu'un franchiseur pouvait imposer des conditions l'avantageant mais a la condition qu'il agisse de maniere a maintenir la pertinence du contrat pour le franchise [Provigo],

615 Revet, ibid. 616 Philippe Stoffel-Munck, L 'abus dans le contrat, essai d'une theorie, coll. Bibliotheque de droit

prive, t. 337, Paris, Librairie generale de droit et de jurisprudence, 2000 au no. 107 [Stoffel-

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dans un contexte d'inegalite exploitee deraisonnablement par la partie avantagee,

qui devrait entrainer la possibility d'une intervention judiciaire, et ce, malgre les

dispositions specifiques sur la lesion entre majeurs617. C'est l'irrespect du principe

de la saine coexistence des droits et interets qui est alors sanctionne et il apparait

incoherent que cette regie fasse l'objet d'une exception lorsque cette

contravention entraine des consequences quant au prix.

En conclusion, l'interet joue done un role reel et important au sein de la

commutativite d'une relation contractuelle. II se veut en quelque sorte « berger »

des prerogatives exercees par les parties. II se presente a la fois comme le

protecteur de la philosophie liberate et le guide dans l'exercice des droits et

libertes. II est done essentiel qu'il regoive sa juste reconnaissance. A ce titre, un

auteur resume assez bien 1'importance de l'interet en matiere contractuelle :

«( . . . ) chaque partie cherche a maximiser ses gains.

Paradoxalement, l'equilibre nait d'une recherche mutuelle de

desequilibre. Le contrat est une union entre deux personnes qui

doit permettre la satisfaction reciproque de deux interets. Respecter

l'interet d'autrui dans le contrat, c'est faire en sorte qu'il puisse

aboutir a cette satisfaction reciproque d'interets antagonistes. II

faut qu'un equilibre soit realise dans la satisfaction des deux

interets, sans que l'un des interets soit plus satisfait que l'autre, sans

que l'un soit satisfait au detriment de l'autre. En disant que chaque

partie doit respecter l'interet de l'autre partie, dit-on vraiment autre

Munck, A bus]. On peut d'ailleurs citer ici le doyen Georges Ripert qui s'exprimait ainsi en ce qui concerne le profit: « ce qui est defendu par la morale ce n'est pas de s'enrichir aux ddpens d'autrui, c'est de s'enrichir injustement», [les italiques apparaissent au texte original] Ripert, Morale, supra note 398 au no. 147.

617 Articles 1405-1406 C.c.Q.

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chose que les interets des parties s'auto-limitent ou s'equilibrent

reciproquement. »618

i

3.5. Conclusions cohcernant la commutativite objective et les droits subjectifs

Nous l'avions annonce, cette section sur les notions de droit subjectif et d'interet

se voulait a la fois un prolongement et une demonstration de la demarche que

nous proposons en faveur d'une plus grande justice contractuelle par l'application

du principe de la coexistence paisible des droits et interets. Les droits subjectifs

peuvent etre consideres comme un element central de la majorite des relations

contractuelles. En effet, le contrat vise le plus souvent la creation ou le transfert

de droits subjectifs. Par l'interet qu'il protege, le droit subjectif est tres

certainement une des premieres sources de motivation a conclure un contrat.

Puisque le droit subjectif s'avere un element fondamental de la theorie

contractuelle du droit prive quebecois, il est interessant de constater que ses

principales caracteristiques soutiennent notre proposition de commutativite

contractuelle objective. On y retrouve premierement l'assise contractuelle de

liberte. Le droit subjectif est communement congu comme une zone de

prerogative exclusive. Seul le titulaire peut exercer cette prerogative et a cette

exclusivite est done rattachee la responsabilisation du titulaire dans l'exercice de

celle-la et, le cas echeant, l'obtention de la protection judiciaire appropriee.

618 Mignot, supra note 36 a la p. 2179 [les italiques apparaissent au texte original].

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Le principe de liberte dans la notion de droit subjectif se manifeste aussi dans les

modalites d'exercice de cette prerogative : l'exercice dans son interet exclusif

sans aucune obligation de procurer un avantage a autrui. La nature meme du droit

subjectif combat ainsi toute obligation generale de fraternite ou solidarite

puisqu'une telle obligation a pour effet de modifier le droit subjectif en pouvoir.

En tant qu'individualisation de la norme objective, le droit subjectif doit respecter

les principes fondamentaux du droit objectif et ne doit pas etre exerce de maniere

a nuire indument a autrui. Ainsi, cette section nous a permis de confirmer

qu'effectivement, aucun droit, meme resultant d'un acte de volonte, ne peut etre

exerce d'une maniere absolue. Toutes les prerogatives, meme contractuelles, sont

limitees par un principe d'exercice socialement raisonnable. Nous avons pu

constater que cette norme de comportement permet de limiter l'assiette d'exercice

d'une prerogative conferee par un droit subjectif en fonction de l'inegalite des

parties dans leur capacite a veiller a leurs interets. Plus l'inegalite sera grande,

plus les interets de l'autre partie seront legitimes et devront etre proteges.

Si la presente section a demontre que la notion de droit subjectif se congoit

comme un exercice socialement raisonnable d'une prerogative et vient done

soutenir le principe d'une commutativite normative objective, certains pourraient

argumenter qu'elle n'a pas par contre permis de demontrer, d'une fagon

suffisamment convaincante, qu'il est parfaitement legitime et meme legal pour le

juge d'intervenir dans la commutativite des parties. C'est done ce que nous

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comptons faire dans la proehaine section portant sur la notion de bonne foi. Nous

entendons demontrer que celle-ci se presente comme une legitimation

supplemental de 1'intervention judiciaire. Finalement, la proehaine section

constituera aussi une demonstration des effets concrets de l'application d'un

principe de commutativite normative objective.

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« [P]our arriver a maturite, chaque regie juridique concrete doit subir, dans l'ordre indique, la triple epreuve des mceurs, du juge et du legislateur: c'est seulement quand la regie, consacree par les moeurs, aura ete approuvee par le juge, qu'elle sera mure pour etre adoptee par le legislateur. »619

4. La bonne foi: une legitimation de 1*intervention judiciaire et de la

commutativite objective

Dans ce prochain chapitre, nous etudierons le concept de bonne foi et ses

nombreuses ramifications, tels l'abus de droit et l'obligation d'information. A cet

effet, nous procederons premierement a une definition generale de la bonne foi,

pour deuxiemement etudier ses nombreuses fonctions en matiere contractuelle.

Le but avoue de cette demarche est de demontrer que la notion de bonne foi,

lorsqu'elle utilisee de maniere appropriee en respectant des balises precises, est un

instrument puissant mis a la disposition des juges afin de favoriser une veritable

justice commutative au sein des relations contractuelles. C'est pour les fins de

cette demonstration que la presente section comportera de nombreux exemples

commentes d'applications heureuses et parfois moins heureuses de ce pouvoir

d'intervention judiciaire. Nous esperons que ces exemples permettront de mieux

cerner les balises qu'imposent les assises fondamentales de liberte, d'interet et de

commutativite normative objective. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nos

commentaires cibleront essentiellement ces notions.

619 Georges Cornil, Le droit prive, essai de sociologie juridique simplifiee, Paris, Marcel Giard, 1924 a lap. 67.

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A ce stade de notre etude, il nous apparait important d'expliquer notre choix de la

notion de bonne foi comme principal instrument de legitimation de 1'intervention >

judiciaire aux relations contractuelles. Plusieurs pourraient questionner ce choix

en se demandant par exemple pourquoi nous avons privilegie la notion de bonne

foi sur celle d'equite. La raison est simple : tel est le choix du legislateur! Avec

la codification claire de la bonne foi comme principe gouvernant le droit prive,

nous sommes d'avis que le legislateur a privilegie la terminologie de bonne foi sur

celle d'equite. Mais, nous tenons cependant a specifier qu'a notre avis, il existe

une grande similitude entre ces deux notions. D'ailleurs, a l'instar de la Cour

supreme dans l'arret Houle, nous croyons que la bonne foi decoule des principes

de justice et d'equite .

II est par ailleurs interessant de noter que ce choix legislatif s'explique peut-etre

par le fait que l'equite contractuelle etait codifiee au Code civil du Bas-Canada

mais que cette codification n'a pu empecher certaines injustices flagrantes

puisqu'elle est essentiellement restee a l'etat de declaration de principe. Ainsi, le

legislateur a du introduire certaines normes legislatives ponctuelles, telles que

celles contenues a la Loi sur la protection du consommateur, pour pallier les

injustices les plus marquantes. Cependant, rien dans ces reformes ponctuelles, ni

dans le concept d'equite tel qu'alors applique, ne permettait de confirmer la

preseance de la justice meme dans l'exercice des prerogatives contractuelles.

620 Houle, supra note 11 a la p. 154 et s. 621 Article 1024 C.c.B.C.: « Les obligations d'lin contrat s'etendent non seulement a ce qui y est

exprime, mais encore a toutes les consequences qui en decoulent, d'apres sa nature, et suivant requite, l'usage ou la loi. »

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Le legislateur, aux articles 6 et 7 C.c.Q., a rattache la bonne foi a l'exercice

raisonnable d'un droit et, par l'article 1375 C.c.Q., a signifie clairement que ce

precepte s'etendait aussi aux prerogatives liees a la relation contractuelle. Cela

explique, a notre avis, la presence specifique de l'article 1375 C.c.Q. Si le

legislateur s'etait contente des articles 6 et 7 C.c.Q. ou meme du principe d'equite

codifie a l'article 1434 C.c.Q., on aurait pu pretendre qu'il n'avait manifeste

aucune intention de prioriser une commutativite objective au sein de la relation

contractuelle. Or, avec Particle 1375 C.c.Q., le legislateur a confirme que meme

les prerogatives contractuelles doivent etre exercees de maniere socialement

raisonnable de maniere a ne pas nuire indument a autrui. C'est du moins ce que

nous tenterons de demontrer dans la presente section.

4.1 La definition de la bonne foi.

Le Code civil du Quebec regorge de references aux « exigences de la bonne foi ».

Ainsi, s'il est generalement prevu que «toute personne est tenue d'exercer ses

droits civils selon les exigences de la bonne foi »622 et que «la bonne foi doit

gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation

qu'a celui de son execution ou de son extinction »623, ce concept de bonne foi est

aussi utilise pour definir notamment la notion de clause abusive dans un contrat de

622 Art. 6 C.c.Q. 623 Art. 1375 C.c.Q.

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consommation ou d'adhesion624 ainsi que ce qui est communement appele l'abus

de droit625. Pourtant, malgre ces references martelees au concept de bonne foi, le

legislateur quebecois ne codifie aucune definition de cette notion.

Cette absence de definition precise n'est pas surprenante puisqu'elle est

consequente avec la fonction qui traditionnellement est devolue aux termes

qualifies de « notion floue » ou « standard ». Nous l'avons dit, ces notions,

introduites deliberement par le legislateur, visent a favoriser la flexibilite de la loi.

En effet, le legislateur est conscient que les normes legislatives peuvent parfois

faire preuve d'une trop grande rigidite et, de ce fait, etre dans l'incapacite a

combattre efficacement certaines injustices resultant de l'application litterale de la

loi. Des notions telles que la bonne foi, l'equite ou l'interet de l'enfant

f/yf.

permettent justement aux juges de pallier ces injustices en protegeant certains

interets particuliers, qui autrement ne beneficieraient pas necessairement d'une

telle protection. Ainsi, par exemple, parce que les dispositions relatives aux vices

de consentement lors de la formation du contrat peuvent apparaitre d'application

trop restreinte, provoquant certaines injustices flagrantes dans des cas de deficit

informationnel, les tribunaux ont introduit une obligation de renseignement

permettant, en certaines conditions, de reequilibrer la situation627. Or, ce devoir

d'information decoule directement des devoirs d'equite et de bonne foi que se 624 Art. 1437 C.c.Q. : « La clause abusive d'un contrat de consommation ou d'adhesion est nulle

ou l'obligation qui en decoule, reductible. Est abusive toute clause qui desavantage le consommateur ou Padherent d'une maniere excessive et deraisonnable, allant ainsi a l'encontre de ce qu'exige la bonne foi; ( . . .) ».

625 Art. 7 C.c.Q.: « Aucun droit ne peut etre exerce en vue de nuire a autrui ou d'une maniere excessive et deraisonnable, allant ainsi a l'encontre des exigences de la bonne foi. »

626 Fortier, supra note 383 a la p. 758. 627 Voir notamment les decisions Soucisse, supra note 10 et Bail, supra note 12.

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doivent mutuellement les parties contractantes. L'affirmation jurisprudentielle

d'un tel devoir d'information a done ete possible grace au caractere flou des

notions de bonne foi et d'equite.

Ces memes notions floues permettent aussi une meilleure adaptation des normes

juridiques selon divers facteurs spatio-temporels, lies notamment a revolution des

mceurs sociales . Ainsi, il est clair que l'idee que l'on se faisait des bonnes

mceurs au debut du 20e siecle ne correspond plus a celle de notre epoque. Or,

justement, la codification de notions floues permet au legislateur d'introduire des

principes de morale dans le droit positif629 et par le fait meme, revolution de la

norme juridique au fil des epoques, sans proceder a un amendement legislatif

formel. En contrepartie, il est clair que ce procede transmet aux instances

judiciaires un veritable pouvoir normatif.

En deleguant aux juges des pouvoirs d'application de ces notions floues, on leur

confere par le fait meme un pouvoir d'interpretation de ces normes legislatives.

Cette premiere constatation n'est ni choquante ni surprenante en soi puisque ce

pouvoir d'interpretation correspond a la conception traditionnelle des pouvoirs

octroyes aux juges dans les systemes de droit civil. Mais, l'usage par le

legislateur d'une notion floue dans un texte legislatif permet concretement aux

instances judiciaires de beneficier de pouvoirs qui vont au-dela de la simple

628 Fortier, supra note 383 a la p. 756; Perelman, « Raisonnable », supra note 481 a la p. 38 et s. 629 Commentaires du Ministre de la justice, supra note 213 5. v. art. 1375; Ghestin, Traite, supra

note 29 au n° 263; Jourdain, « Bonne foi », supra note 270; Ripert, Morale, supra note 398 au n° 162.

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interpretation traditionnelle de la norme. Force est de constater que le pouvoir

ainsi confere par le legislateur aux juges n'en est plus un de simple interpretation,

mais bien de veritable creation de normes juridiques . Les juges ne font plus que

simplement interpreter les normes juridiques, ils imposent de nouveaux

comportements conformes « a l'equite ou aux exigences de la bonne foi ». Nous

avons deja donne 1'exemple de l'obligation de renseignement mais nous pourrions

aussi parler des devoirs de collaboration ou de loyaute. Par ce pouvoir de creation

de normes juridiques, les juges deviennent dans les faits des acteurs privileges

pour faire evoluer ces normes en fonction des circonstances et de l'evolution des

mentalites sociales, sans une intervention specifique du legislateur.

Bien qu'avantageuse dans bien des cas, une telle demarche n'est

malheureusement pas sans risque. Puisqu'elle implique necessairement une

evaluation individuelle et personnelle du magistrat charge de son application, on

comprend aussi qu'une telle latitude dans Finterpretation/adaptation/creation de la

notion de bonne foi peut creer une certaine confusion, voire un certain arbitraire.

Or, nous l'avons mentionne, il faut, au contraire, que l'on fasse preuve de

coherence dans l'application des regies de droit prive afin de favoriser son dessein

de justice. La coherence du droit prive implique que des cas aux faits semblables

puissent recevoir une sanction semblable, sans egard au juge implique. Or, a

premiere vue, une notion floue comme la bonne foi, risque plutot de favoriser des

630 Voir a ce sujet Fortier, supra note 383 a la p. 757 et s.; Petev, supra note 384 a la p. 831; Rials, supra note 384 & la p. 40.

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jugements contradictories631. Ainsi, si la notion floue n'est que le reflet des

valeurs propres a chaque juge632, il y a danger important d'incoherence et done

d'arbitraire633.

Ce sont ces critiques qui motivent toute l'analyse effectuee dans cette these. Afin

d'eviter ces dangers d'incoherence, nous avons juge necessaire de tenter

d'identifier ce que nous considerons etre les assises importantes de la relation

contractuelle. A partir de nos constats quant a l'importance des notions d'interet,

de liberte et de responsabilite individuels ainsi que de commutativite normative

objective, nous esperons maintenant justifier une grille d'analyse qui favorisera la

coherence dans l'application concrete de la bonne foi et de ses nombreuses

ramifications. Voyons done comment s'articulent ces assises dans l'application

pratique de la notion floue de bonne foi.

Traditionnellement associee a un comportement aux valeurs morales

irreprochables, la notion de bonne foi s'opposait a celle de mauvaise foi et

impliquait une analyse des intentions, de l'etat d'esprit ou des croyances d'un

individu634. Elle faisait necessairement appel a une intention malveillante ou du

moins un element psychologique negatif, ne serait-ce que la connaissance que l'on

agit sans droit. Cette definition correspond notamment a celle que l'on peut

631 Rials, Ibid, a la p. 48. 632 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 aux pp. 32-33. 633 Pierre-Gabriel Jobin, « Grands pas et faux pas de l'abus de droit contractuel » (1991) 32 C. de

D. 153 a lap. 176 [Jobin, « Grands pas »]. 634 Voir notamment, Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 51 et s.; Lefebvre, « Proteiforme »,

supra note 270; Masse, supra note 270 a la p. 223; Adrian Popovici, « Le sort des honoraires . extrajudiciaires », (2002) 62 R. du B. 53 a la p. 99.

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rattacher aux termes « bonne foi » ou « mauvaise foi » dans plusieurs articles en

droit des biens qui decrivent les consequences juridiques du statut de possesseur

de « bonne foi » ou de « mauvaise foi »635. On comprend alors que cette bonne

foi semble differente de celle que l'on retrouve aux articles 6, 7 et 1375 et pourrait

se definir comme:

1. absence d'intention malveillante ou sentiment d'agir avec probite ou

loyaute;

2. croyance erronee que l'on respecte ses obligations en raison de la • • • • • 636 mauvaise perception d'un fait ou d'une situation (juridique).

Ainsi, le possesseur de bonne foi est celui qui ignore qu'il agit sans droit alors que

celui de mauvaise foi sait pertinemment qu'il detient un bien sans droit. II en est

notamment ainsi du voleur qui ne peut invoquer a son egard les effets de la

possession d'un bien637. On doit done analyser 1'etat d'esprit du sujet pour retracer

ses veritables intentions et croyances. On lui demande pour se qualifier de

« bonne foi» d'ignorer, sincerement et sans faute ou negligence de sa part,

Pobstacle juridique Cmpechant la pleine reconnaissance de son droit en une

situation donnee638. Cette conception privilegie ainsi une approche passive de la

bonne foi. On n'exige pas du sujet un comportement actif correspondant a des

normes particulieres. On se contente d'examiner son etat d'esprit. II s'agit

essentiellement d'une analyse subjective et la conclusion sera que le sujet ne

635 Voir par exemple les articles 931, 932,958, 959,961, 962, 963 et 964 C.c.Q. 636 Michel Filion, Dictionnaire du Code civil du Quebec, Saint-Nicolas, Associations et

entreprises, 1998 s.v.. « bonne foi ». 637 Art. 927 C.c.Q. 638 Masse, supra note 270 a la p. 223.

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savait pas et etait de bonne foi ou savait et etait consequemment de mauvaise

foi639.

Mais cette etude de l'etat d'esprit d'un individu peut-elle s'appliquer a la notion

de bonne foi que l'on retrouve aux articles 6, 7 et 1375, qui impliquent un

comportement selon les « exigences de la bonne foi »640 ? Ces exigences sont-

elles aussi passives et subjectives que la definition traditionnelle de la bonne foi ?

Meme si la terminologie employee au Code civil est identique, l'etude de la

doctrine et de la jurisprudence nous permet de conclure que les exigences

comportementales liees a la bonne foi que l'on retrouve aux articles 6,7 et 1375

C.c.Q. ne correspondent pas a celles liees a la definition traditionnelle de la bonne

foi et a la notion de « possesseur de bonne foi ».

Deja, avant la codification de la notion de bonne foi dans le Code civil du Quebec,

la Cour supreme du Canada, dans l'arret Houle c. Banque nationale du Canada641,

a exclu une analyse subjective de l'abus de droit. Elle a specifie que le devoir

d'agir selon les exigences de la bonne foi ne pouvait se limiter a l'analyse d'un

comportement exempt d'intentions malveillantes ou si l'on prefere de « mauvaise

639 D'ailleurs, il est interessant de noter que le professeur Popovici mentionne que le terme « mauvaise foi » devrait idealement etre reserve au manquement a la bonne foi subjective, soit celle obligeant « le juge a verifier l'etat d'esprit du sujet.». Nous ne pouvons qu'etre en accord avec lui. Voir Popovici, « Honoraires », supra note 634 a la p. 100.

640 II faut par ailleurs noter une divergence de texte dans les versions anglaises des articles 6 et 7 C.c.Q., l'article 6 prevoyant l'obligation d'exercer ses droits civils « in good faith » alors que l'article 7 reprend essentiellement l'expression fran?aise de l'exigence de la bonne foi « requirements of good faith ». Pour notre part, malgre la difference de terminologie dans la version anglaise, nous croyons que les exigences comportementales demeurent les memes, que nous utilisions la version anglaise ou fran?aise. D'ailleurs, a notre connaissance, la jurisprudence n'a souleve aucune difference d'interpretation.

641 Supra note 11.

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foi ». Meme s'il est par ailleurs clair qu'un tel comportement irait a l'encontre de

la bonne foi642, la Cour supreme confirme qu'une analyse purement subjective de

la bonne foi est insuffisante et que d'autres comportements, meme exempts de

malice, pourraient ne pas correspondre aux exigences de la bonne foi. C'est

pourquoi la Cour introduit un second critere, de nature objective, soit celui de

« l'exercice raisonnable du droit »643. Ce critere exige qu'une personne agisse

d'une maniere qui soit « compatible avec la conduite d'un individu prudent et

diligent »644. Ce concept de bonne foi renvoie a une norme de comportement

ideal en fonction des standards sociaux :

« Sous cet angle, l'element intentionnel s'estompe pour laisser

place a un critere extrinseque qui s'analyse par rapport aux

standards de la societe et non seulement en fonction de 1'individu

lui-meme [...]. On parle de bonne foi objective car on examine le

comportement d'un individu par rapport a une norme plutot que par

rapport a sa veritable intention. »645

Ainsi, nul besoin d'etre de mauvaise foi pour contrevenir aux exigences de la

bonne foi. Dans une analyse qui ressemble, pour ne pas dire est identique, a celle

de la perpetration d'une faute civile646, le principal critere d'un manquement a

642 Ibid, aux pp. 148-149. 643 Ibid, a la p. 150 ets. 644 Ibid, a lap. 150. 645 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p.77. 646 C'est du moins l'opinion du professeur Popovici pour qui le manquement a l'obligation de

bonne foi ne peut etre autre chose qu'une faute : Popovici, « Honoraires », supra note 634 a la p. 100. La jurisprudence mentionne aussi a de nombreuses reprises que le manquement aux exigences de la bonne foi peut etre generateur de responsabilite civile si l'on prouve en meme temps les dommages et le lien de causalite : voir notamment: Provigo, supra note 614 et Mignacca c. Provigo Inc., (26 aout 2004), Montreal, 500-09-011673-019, REJB 2004-70099, J.E. 2004-1777 (C.A.) [Mignacca].

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l'exigence d'agir selon les preceptes de la bonne foi est celui de la personne

raisonnable ayant un comportement acceptable, selon les circonstances et les

standards de notre societe (ou du moins, ceux du juge).647 II s'agit ainsi d'un

critere base sur les valeurs sociales de ce qui est acceptable ou inacceptable plutot

que base sur une etude de 1'intention subjective (mens rea) de celui dont le

comportement est analyse. En ce sens, il s'agit d'un phenomene normatif648 qui

prescrit un comportement acceptable.

Ce recours a un critere objectif fonde sur un comportement raisonnable plutot que

sur un critere subjectif est parfaitement conforme au libelle des articles 6 et 7 qui

prescrivent a chaque personne d'agir selon les « exigences de la bonne foi » ou

encore «de bonne foi» dans la version anglaise de l'article 6649. Cette

terminologie apparait ici indiquer les limites d'une norme de comportement

raisonnable qu'il appartient au juge de definir selon divers facteurs sociologiques.

De plus, puisque ce concept de comportement raisonnable s'inscrit dans une

tradition d'analyse civiliste, notamment en responsabilite civile, on peut penser

647 Voir notamment: ABB Inc. c. Domtar Inc., 2005 QCCA 733, [2005] R.J.Q. 2267 au para. 72 (Appel rejete, 2007 CSC 50) [ABB]; Vachon c. Lachance, [1994] R.J.Q. 2576 (C.S.) a la p. 2579 [Vachon]' Dempsey II c. Canadian Pacific Hotels Ltd., (21 septembre 1995), 500-09-001012-848, J.E. 95-1813 (C.A.) [Dempsey]; Forget c. Babin, [2000] R.R.A. 810 (C.S.) [Babin]; Droit de la famille-2071, [1994] R.J.Q. 2933 (C.S.); Boless Inc. c. Residence Denis-Marcotte, (20 septembre 1995), Frontenac, 235-05-000062-951, J.E. 95-1890 (C.S.) [Boless]; Croteau, «Clauses abusives », supra note 270 a la p. 405 et s.; Karim, « Bonne foi», supra note 270 a la p. 441; Vincent Karim, Commentaires sur les obligations, vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 1997 a la p. 17 et s. [Karim, Commentaires]; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 aux pp. 77 et 82 et s.; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1990; Perelman, « Raisonnable », supra note 481 a la p. 38 et s.; Stoffel-Munck, A bus, supra note 616 au n° 53 et s.; Alexandre Volansky, Essai d'une definition expressive du Droit basee sur I'idee de bonne foi, Paris, Librairie de jurisprudence ancienne et moderne, 1930 notamment aux pp. 164-165 et 190.

648 Stoffel-Munck, ibid, au n° 54. 649 Malgre cette difference de terminologie, nous ne croyons pas que le sens a donner aux versions

anglaise et fransaise de cet article soit different. C'est pourquoi nous continuerons a utiliser indistinctement les deux expressions.

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qu'elle est conforme aux principes directeurs du Code civil et de la philosophic du

droit civil quebecois en general650.

Cependant, ce serait une erreur de croire qu'un tel critere d'analyse objective peut

dispenser d'une analyse en fonction des circonstances propres a l'espece. Au

contraire, s'il n'est pas obligatoire de s'interesser aux mobiles d'un individu, il est

clair que la bonne foi a ete instauree pour justement permettre aux juges de pallier

les injustices en fonction des circonstances propres a chaque cas. Cet aspect de

l'analyse est done essentiel comme le souligne le juge Baudouin dans un arret de

1999:

« La bonne foi est, comme on le sait, une notion difficile. Elle

demande d'apprecier une conduite par rapport a un ensemble

souvent complexe de circonstances qui ne sont jamais les memes

d'une cause a l'autre. Elle exige de tenir compte de la nature et de

la qualite des rapports entre les contractants, du type de convention,

de 1'expertise des parties en la matiere et du deroulement factuel de

leurs relations, entre autres choses. »651

Or, a notre avis, c'est justement par cette capacite d'adaptation de la bonne foi aux

circonstances en cause que cette notion peut se presenter comme une pierre

angulaire du retablissement de la justice commutative au contrat. En autorisant

les juges a intervenir a la relation contractuelle pour obliger les parties a moduler

650 C'est d'ailleurs ce qu'a souligne la Cour supreme dans l'arret Houle, supra note 11, pour approuver l'adoption d'un critere objectif aujugement de l'abus de droit.

651 Societe de recuperation, d'exploitation et de developpement forestiers du Quebec c. Gestion Grand Remous Inc., (le 13 mai 1999), Quebec, 200-09-000993-961, J.E. 99-1151, REJB 1999-12452 (C.A.), au para. 40 [Grand Remous].

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leur comportement en fonction des circonstances propres a l'espece, meme

independamment de toute faute prealable de l'une d'elles, on permet a ceux-ci de

jouer leur veritable role aristotelicien de « gardiens de l'equilibre. » La bonne foi

se presente comme un outil privilegie du maintien de la coexistence paisible des

droits et interets652 et cela, meme en matiere contractuelle. Les circonstances

d'inegalite qui affectent la liberte des parties peuvent a elles seules permettre aux

juges d'imposer aux parties d'un contrat certains comportements conformes aux

exigences de la bonne foi. Et un manquement a la norme de comportement

resultant de la bonne foi pourra constituer une faute, qui, si elle cause des

dommages, pourra etre sanctionnee par les principes de la responsabilite civile .

En ce sens, la bonne foi n'est pas qu'une norme qui permette de juger a posteriori

du comportement passif d'une partie. En plus d'etre une norme de comportement

objective, cette norme de comportement permet d'imposer des obligations

positives de comportement aux parties d'un contrat. C'est ainsi que sont apparues

les obligations de loyaute654, de collaboration655 ou de renseignement656, qui ne se

contentent plus de prescrire a un contractant d'eviter passivement de nuire a autrui

mais qui lui imposent un comportement actif de sauvegarde des interets du

cocontractant. II ne s'agit plus d'un simple etat de ne pas nuire a autrui. La bonne

6 , 2 « [L]a bonne foi reside dans Tobservance et la poursuite du bon ou de l'utile, en vue de maintenir les relations sociales et de rendre ainsi possible l'etat de societe civile. » Volansky, supra note 647 a la p. 191.

653 Voir notamment a ce sujet, l'analyse faite dans Provigo, supra note 614 ou la Cour explique bien que la bonne foi impose des obligations implicates au contrat et que le non-respect de ces dernieres entraine la faute de son auteur.

654 Voir par exemple Banque de Montreal c. KuetLeongNg, [1989] 2 R.C.S. 429 [Kuet Leong], 655 Par exemple, Provigo, supra note 614 [Soulignement par la Cour d'appel], 656 Par exemple, Bail, supra note 12; hosier, supra note 16; Janin, supra note 309.

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foi permet l'imposition d'une obligation de faire afin de respecter cette regie de ne

pas nuire a autrui. II est d'ailleurs interessant de mentionner ce passage de la

Cour d'appel du Quebec dans un debat entre un franchiseur et un franchise, ou ce

dernier reprochait au franchiseur de lui faire une concurrence deloyale en ouvrant

de nouvelles grandes surfaces a rabais pour une certaine marchandise, alors que le

franchise devait, selon les termes de son contrat de franchise, se procurer cette

meme marchandise a prix plancher plus eleve. II faut mentionner que le contrat

de franchise ne contenait aucune clause qui interdisait au franchiseur de

concurrencer directement son franchise. Pourtant, la Cour d'appel donne raison

au franchise en s'exprimant en ces termes :

« [L]'une des obligations fondamentales du franchiseur a l'endroit

du franchise est celle d'assistance technique et commerciale, (...)

done de collaboration. (...) II doit (...) aussi, en raison de

l'obligation de bonne foi et de loyaute (...), faire beneficier celui-ci

de son assistance technique, de sa collaboration done de ses

nouveaux outils ou, au moins, trouver d'autres moyens de maintenir

la pertinence du contrat qui le lie pour que les considerations

motivant raffiliation ne soient pas rendues caduques ou

inoperantes. »657

Ainsi, il est clair que selon la Cour d'appel, le franchiseur ne pouvait se contenter

de ne pas nuire passivement a son cocontractant. II avait l'obligation active de

modifier les termes de sa relation avec son franchise afin de maintenir la

pertinence de la relation contractuelle, ou si l'on prefere l'interet du cocontractant

au contrat, et de lui fournir l'assistance technique et commerciale en ce sens. II

657 Provigo, supra note 614.

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s'agit done de l'imposition d'obligations actives, imposees non pas en fonction

d'un comportement fautif d'un cocontractant mais en fonction des circonstances

provoquant une inegalite prejudiciable dans la relation des parties. Pour

sanctionner le comportement fautif en aval, il faut consequemment qu'en amont,

les circonstances de l'inegalite dans la capacite a veiller a ses interets interpellent

le cocontractant en situation de superiority et l'obligent a moduler son

comportement afin de ne pas nuire indument aux interets de son cocontractant.

Ainsi, l'obligation d'agir selon les exigences de la bonne foi impose des

comportements actifs de sauvegarde des interets de son cocontractant meme en

l'absence de comportement reprehensible de la partie. Cette obligation ne vise pas

a procurer un avantage mais bien a assurer l'existence concrete des assises

d'interets et de liberte. Elle permet veritablement au juge de retablir, en tant que

« gardien de l'equilibre » une coexistence saine des droits et interets des parties en

se basant sur la realite de la relation des parties au contrat.

En codifiant l'obligation de bonne foi, le legislateur a necessairement modifie une

partie de 1'ideologic dominante de la theorie contractuelle. En reconnaissant aux

juges un pouvoir d'intervention en fonction des circonstances particulieres de la

relation, le legislateur reconnait de facto qu'il peut exister une inegalite entre les

contractants et que l'on ne peut done plus interdire de fagon aussi rigoureuse

1'intervention judiciaire. En presence d'une verticalite, on ne peut baser la /•en

commutativite contractuelle sur la seule subjectivity des parties . Si une telle

commutativite subjective peut se justifier dans un veritable contexte 658 Bimes-Arbus, supra note 94 a la p. 1379 et s.

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d'horizontalite, le rapport de domination d'une partie a une autre modifie les

preceptes voulant que 1'expression de la volonte des parties soit la meilleure

gardienne de leurs interets respectifs. En ce sens, la delegation expressement faite

au juge consacre la modification des principes de justice contractuelle d'une

commutativite subjective (l'equilibre voulu des parties) vers une commutativite

objective (l'equilibre raisonnable)559.

La consecration de la commutativite objective par la codification de la bonne foi a

une autre consequence concrete qui commence a se demarquer en jurisprudence,

soit le deplacement de l'axe de controle du contrat. En s'appuyant sur l'obligation

de bonne foi a tous les stades de la vie contractuelle, les juges ne se contentent

plus de verifier la commutativite contractuelle au moment de la formation du

contrat, ils exercent aussi un controle sur l'execution et 1'extinction du contrat.

Or, puisque qu'un contrat implique necessairement une certaine verticalite des

parties, ne serait-ce que dans leur rapport creancier-debiteur, l'obligation de bonne

foi impose necessairement une serie d'obligations implicites aux parties pour

limiter l'exercice de toute prerogative contractuelle qui se voudrait absolue dans

Fimaginaire d'une des parties. Dans un tel cas d'espece ou la verticalite ne serait

presente, au moment de l'execution ou de 1'extinction du contrat, que par le

resultat de la nature inherente de toute relation obligationnelle, ce n'est

probablement pas le contenu du contrat qui serait sanctionne comme l'exercice

raisonnable des prerogatives conferees. Ainsi, seraient probablement le plus

efficacement respectees les assises de liberte, responsabilite et commutativite

659 Ibid, a la p. 1381 ets.

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normative objective660. Et le juge devrait intervenir pour en assurer le respect, si

necessaire.

Un tel pouvoir d'intervention peut paraitre surprenant puisque dans une mentalite

contractuelle fondee sur l'autonomie de la volonte et la liberte individuelle, il

appartient aux parties, par leur volonte et l'echange de leur consentement, de

determiner les obligations positives de chacune d'elles. En vertu des principes de

l'immutabilite contractuelle et de 1'effet relatif du contrat, ce dernier est congu

plus ou moins comme un vase clos ou seules les parties peuvent aj outer ou

modifier leurs obligations par un nouvel echange de consentement661. Les

defenseurs de ces theories parleront ainsi de contrat denature ou de forgage du

contrat lorsqu'ils examineront les possibilites d'interventions decoulant de la

notion de bonne foi. A notre avis, ces critiques oublient que la bonne foi est un

principe imperatif662 faisant partie de tout contrat comme s'il y etait stipule663.

L'article 1375 C.c.Q. est une « disposition fondamentale » du Code civil664. II

confirme que toute prerogative, meme contractuelle, doit etre exercee dans les

limites de l'exercice socialement raisonnable. Or, telle serait justement le resultat

de l'intervention judiciaire, ni plus ni moins.

660 Voir Volansky, supra note 647 aux pp. 206-207 pour qui la bonne foi « raccorde et unit ( . . .) les idees de justice et de liberte, car, d'une part elle evoque l'idee de justice, qui s'y fonde et d'autre part elle ajuste et precise d'une fa?on heureuse l'idee de liberte, attribuant aux hommes un champ d'action sur et certain, dans lequel ils peuvent se donner libre carriere, qu'aucune puissance ne peut restreindre au nom du droit et dont les limites endiguent toute manifestation anarchique. » [Les italiques apparaissent au texte original],

661 Voir notamment l'article 1434 C.c.Q. qui expose bien cette philosophic contractuelle. 662 Losier, supra note 16; Leclerc, supra note 270 a la p. 270; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a

la p. 58 et s.; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1977; Masse, supra note 270 a la p. 224. 663 Lluelles et Moore, ibid. 664 Paris c. Banque nationale du Canada, [2003] R.R.A. 29 (C.A.) au para. 25 [Paris],

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C'est pourquoi nous reiterons que le recours a la bonne foi comme principe

d'intervention judiciaire au contrat est conforme aux dispositions du Code civil.

Nous soutenons meme qu'un tel reequilibrage de la relation contractuelle est

imperatif pour permettre au contrat d'evoluer en plein respect des assises qui en

assurent sa pleine utilite. D'ailleurs, meme en vertu des principes purs de la

theorie de l'autonomie de la volonte, le pilier du contrat demeure l'exercice libre

de la volonte contractuelle de s'engager. Ce libre exercice est essentiel au

maintien de la justice contractuelle. Chacun devrait pouvoir l'exercer selon ses

interets et aspirations. Or, si les circonstances font en sorte qu'une des parties est

en mesure de tirer profit de la situation de maniere qui ne soit pas en conformite

avec un exercice raisonnable de ses droits, il est essentiel de reequilibrer la

situation afin que l'autre partie puisse, a l'interieur de ce cadre de raison, veiller a

la sauvegarde de ses interets. Au-dela de Faveuglement volontaire de ceux qui se

mefient de toute intervention judiciaire, il est important de s'assurer que le contrat

soit conforme aux principes de justice et de liberte qui lui assurent toute

legitimite. Si elle est interpretee autrement et de maniere restrictive,

l'immutabilite contractuelle devient, dans plusieurs cas, source d'injustice

puisqu'elle permet de tolerer des desequilibres manifestes et l'asservissement

d'une partie a une autre665.

Les assises de liberte, responsabilite et justice commutative trouvent done une

parfaite resonance dans 1'exigence de bonne foi. Cependant, on ne peut en dire de

665 Voir Bimes-Arbus, supra note 94 au no. 12 et Chazal, supra note 329 a la p. 125.

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meme pour la solidarite et la fraternite. Pourtant, parce qu'ils rattachent la notion

de bonne foi a l'expression de valeurs morales, plusieurs juristes decrivent les

exigences qu'impose la bonne foi en les apparentant a celles prescrites par des

liens fondes sur la solidarite ou la fraternite entre les individus. Nous croyons

avoir deja demontre qu'une telle theorie contredit les principes de liberte,

responsabilite et coexistence paisible des droits et interets en plus de modifier la

nature intrinseque de la notion de droit subjectif. Par ces constatations, peut-on

vraiment soutenir que la bonne foi se traduit par des valeurs a connotation morale,

a la limite religieuse, qui contredisent ces principes fondamentaux en obligeant

une partie a procurer un avantage a autrui ? Nous ne le croyons pas. Tel que nous

le verrons dans la proehaine section, assimiler la bonne foi et certains preceptes

moraux fondes sur « 1'amour de son prochain » est inconciliable avec les assises

fondamentales des relations contractuelles.

4.1.1 La bonne foi et la theorie dite du « solidarisme contractuel»

Si l'absence de definition codifiee ou legislative de la bonne foi permet une

veritable evolution et adaptation de cette notion au fil des situations, cette meme

absence peut parfois donner lieu a des elargissements peu souhaitables de son

champ d'application. Ainsi, si la majorite de la doctrine666 consent a integrer a

666 Voir notamment, Stephane Darmaisin, Le contrat moral, Paris, Librairie Generale de Droit et de Jurisprudence, 2000 au no. 289 et s.; Fabre-Magnan, Information, supra note 269; Bertrand

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l'exigence de bonne foi des obligations de loyaute, cooperation et renseignement,

certains auteurs vontjusqu'a elever le niveau de comportement exige au stade de

devoirs de solidarite et de fraternite667.

On peut immediatement se demander si un tel elargissement de la notion de bonne

foi qui inclurait un devoir de solidarite ou de fraternite peut etre concilie avec les

elements fondamentaux de la relation contractuelle. Une telle theorie favorise-t-

elle 1'emergence de ces notions essentielles ? A notre avis, il faut repondre par la

negative.

D'abord, comme le mentionne la these d'une auteure frangaise, la fraternite n'est

pas une situation neutre. Elle implique certains sentiments, d'amour ou du moins

d'amitie tres intense, qui ne peuvent etre imposes juridiquement668. Ces

sentiments ne peuvent qu'etre ressentis et l'on congoit mal comment ils pourraient

faire l'objet d'une sanction judiciaire. Or, l'obligation juridique ne peut se passer

de la sanction judiciaire.

Fages, Le comportement du contractant, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1997 aux n° 552-569; Ghestin, Traite, supra note 29 aux nos 255 et s. et 627 et s.; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 165 et s.; Lefebvre, « Liberte », supra note 8; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1976 et s.; Picod, supra note 277; Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 438 et s.

667 Voir notamment Diesse, supra note 338 aux pp. 272-274, qui clairement inclut dans les obligations liees au devoir de cooperation, la solidarite et la «fraternite contractuelle » entre les parties. Par ailleurs, M. Chazal rejette une telle conception du devoir de collaboration qu'il distingue d'un quelconque lien fraternel entre les contractants : Chazal, supra note 329 a la p. 121.

668 Courdier, supra note 6 a la p. 74 et s.

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Ensuite, nous croyons que la bonne foi ne peut aller jusqu'a une obligation de

conferer un avantage en parfaite « fraternite » a autrui pour des raisons de

coherence. Si l'on accepte que la legitimite de la relation contractuelle soit fondee

sur les principes de liberte, responsabilite et justice commutative et que de ceux-ci

decoule une commutativite objective favorisant la coexistence paisible des droits

et interets, on conclut qu'une telle idee fraternite nuirait autant a cette

commutativite que celle de l'acceptation de l'exploitation de son cocontractant.

Dans le continuum de la commutativite, les notions d'exploitation et de fraternite

ne sont que les deux poles d'un meme balancier en mouvement et sont tout autant

eloignes l'une que 1'autre de la position centrale d'equilibre, et cela meme si, nous

le concedons, il peut paraitre moralement plus noble d'accepter qu'une relation

contractuelle soit basee sur un principe de solidarite plutot que d'exploitation.

Une exigence de bonne foi impliquant un devoir de solidarite ou de loyaute

suppose une certaine abnegation de ses propres interets afin de se consacrer aux

interets d'autrui. Elle implique qu'il serait « fraternellement» malhonnete d'agir

en fonction de ses interets plutot qu'en fonction de ceux de son cocontractant et

cela meme, par exemple, en presence de circonstances ou l'avantage qu'aurait le

premier contractant decoulerait non pas d'une situation d'inegalite

circonstancielle mais de la negligence du cocontractant a bien veiller a ses

interets. Nous pourrions citer le cas classique de l'oeuvre d'art d'un grand-maitre

de la peinture qu'une partie achete a petit prix dans une vente debarras.

L'acheteur doit-il reveler au vendeur la valeur reelle du bien vendu meme si ce

dernier avait la possibility de s'en enquerir lui-meme ? Dans une telle situation, il

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apparait clair que l'ignorance du vendeur est la resultante de sa negligence a

veiller a la sauvegarde de ses interets en s'informant valablement sur la valeur

reelle du tableau vendu qui etait jusqu'alors en son entiere possession. Or, si l'on

se fie aux tenants de la theorie de la bonne foi fraternelle, il semblerait qu'un

contractant repondant aux exigences d'une telle bonne foi devrait fournir a son

cocontractant les informations relatives a sa propre prestation.

A notre avis, un tel raisonnement contrevient aux preceptes de liberte et

responsabilite individuelles dans la sauvegarde de ses interets669. D'ailleurs, dans

un tel cas, comment pourrait-on concilier une telle obligation avec le principe de

l'erreur inexcusable ? Rappelons par ailleurs que dans l'arret Bail, le juge

Gonthier mettait clairement en garde ceux qui etaient tentes de donner a

l'exigence de la bonne foi, illustree dans cette affaire comme l'obligation de

renseignement, une interpretation qui « ecarterait l'obligation fondamentale qui

est faite a chacun de se renseigner et de veiller prudemment a la conduite de ses

affaires. »670 En d'autres termes, si nous desirons assurer la sauvegarde de nos

interets, il faut commencer par le faire soi-meme.

669 Voir contra : Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 183 et s., qui mentionne qu'a son avis, en presence d'une telle situation, il faudrait, au contraire, avertir le vendeur de la valeur reelle du bien. Selon cette auteure, puisque le Code civil du Quebec, accepte l'erreur sur un element essentiel de sa propre prestation et que l'erreur fondee sur le dol inclut maintenant le silence dolosif, il faut informer le cocontractant de son erreur. Or, a notre avis, cette opinion ne tient pas compte du fait que le silence dolosif implique une intention malveillante et que l'erreur ne peut etre en aucun cas basee sur l'erreur inexcusable..

670 Bail, supra note 12 a la p. 587. Voir d'ailleurs a cet effet les commentaires du professeur Jutras pour qui l'obligation d'information exposee dans l'arret Bail ne peut resulter «d'un quelconque devoir d'assistance impose par l'altruisme », Daniel Jutras, « Le tiers trompe (a propos de l'affaire Bail ltee) » (1993) 72 R. du B. can. 28 a la p. 32. II faut toutefois noter que dans une allocution datant de 2000, le juge Gonthier s'est fait l'apotre de la fraternite comme pilier du droit, tant prive que public : Gonthier, supra note 8.

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Certes, il est clair que le principe de la coexistence paisible des droits et libertes

implique qu'en presence de circonstances qui avantagent une partie au point ou

1'autre perd sa capacite a pouvoir valablement assurer la libre gestion de ses

interets sans que cette situation resulte de sa propre negligence, on recherche un

reequilibrage de la situation par l'imposition d'obligations positives liees a

1'exigence de bonne foi. En de telles circonstances, 1'exigence de bonne foi

oblige la partie avantagee a adopter une attitude raisonnable face aux interets de

son cocontractant, sans quoi elle pourra se voir condamner, en responsabilite

civile, pour ne pas avoir agi de bonne foi. Ces obligations imposees resultent de

la regie de ne pas nuire a autrui et non d'un lien de fraternite. Ainsi, meme

lorsque l'on impose une obligation de renseignement ou un devoir de

collaboration, il n'est nullement question que le cocontractant avantage le fasse en

abnegation de ses propres interets.

Le reequilibrage fonde sur la bonne foi a pour but d'assurer la coexistence

paisible des droits et libertes en retablissant un contexte ou chaque partie est en

mesure d'assurer raisonnablement la sauvegarde de ses interets. Or, si l'on pousse

ce reequilibrage au point ou l'une des parties se retrouve en situation ou elle doit

abdiquer ses propres interets pour veiller a ceux de l'autre partie, on cree une

nouvelle situation aussi prejudiciable que celle que l'on voulait reequilibrer mais

cette fois-ci au profit du cocontractant qui etait auparavant considere comme la

partie a proteger ou desavantagee. Cela est d'autant plus frappant et injuste quand

le desavantage resulte de la negligence de cette partie. Ainsi, le cocontractant qui

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etait soi-disant en position de superiorite ne peut plus lui-meme veiller a la

sauvegarde de ses interets puisque ses gestes doivent maintenant etre

exclusivement dictes par l'interet de son cocontractant, et cela meme a son

detriment. On se retrouve done dans la situation invraisemblable ou la negligence

d'une partie lui est par ailleurs profitable puisqu'elle a pour consequence de

modifier la nature exclusive de la prerogative exercee contre sa personne en un

pouvoir exerce dans son interet!

Forcer une partie a agir dans l'interet d'autrui, meme au detriment de son propre

interet, ne favorise pas une rencontre equilibree des volontes dans un contexte de

liberte. Au contraire, une telle approche risque d'ouvrir la voie a un dirigisme

rigide puisque, le plus souvent, les contractants n'ayant pas tendance,

naturellement, a adopter un tel comportement altruiste, il devra leur etre impose

par la force671. On se retrouve tres loin des principes de liberte et de

responsabilite dans la saine gestion de ses interets.

Pourtant, la theorie faisant de la bonne foi 1'instrument du solidarisme contractuel

fait sa marque dans les debats doctrinaux puisque plusieurs la font reposer sur de

nombreux postulats populaires, tels que la solidarite et la justice commutative.

Dans un tel contexte, nier les principes du solidarisme contractuel apparait comme

l'apologie de l'injustice et de l'individualisme purement ego'fste et calculateur.

Selon les defenseurs du solidarisme, cette theorie s'opposerait au liberalisme, qui

lui repose sur un postulat d'egalite abstraite et absente des parties, en se presentant

671 Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 42.

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comme une theorie realiste qui prendrait veritablement en compte l'inegalite des

parties et de la, les desequilibres deraisonnables dans leurs prestations

respectives . Le but du solidarisme serait justement de retablir l'equilibre entre

les prestations des parties .

II est vrai qu'il peut etre tentant d'assimiler le solidarisme a la justice. Pourtant,

les pretendues fonctions que l'on cherche a attribuer au solidarisme decoulent du

fait que l'on assimile implicitement solidarisme et solidarite contractuels674. On

deduit de cette assimilation que le contractant doit faire preuve d'altruisme.

Malheureusement, un tel altruisme est incompatible avec la philosophic et meme

la psychologie contractuelles. On conclut des contrats d'abord dans son interet

personnel. On ne peut accepter, comme regie generale, l'angelisme des relations

contractuelles dans le pur interet d'autrui. La mentalite liberale veut que l'on ne

doive pas nuire indument a autrui. Cela ne nous oblige nullement a l'avantager

d'une quelconque maniere et cela meme dans le cadre d'une relation

contractuelle.

A ce propos, il est interessant de noter l'analyse d'un auteur sur les liens

d'assimilation entre la doctrine du solidarisme et les principes de la solidarite en

672 Voir le resume des pretentions de cette theorie dans Mignot, supra note 36 a la p. 2181. 673 Christophe Jamin, « Le proces du solidarisme contractuel: breve replique » dans Grynbaum et

Nicod (dir.), supra note 7, 159 a la p. 162 et s. [Jamin, « Replique »]; Denis Mazeaud, Les dix commandements du droit frangais contemporain des contrats, Conference Roger-Comtois 2005, Montreal, Themis, 2006, aux nos 9 a 11 [Mazeaud, Commandements].

674 Voir notamment Mazeaud, « Loyaute », supra note 9; Thibierge-Guelfucci, supra note 6; pour une critique de cette proposition, voir Mignot, supra note 36 a la p. 2180 et s.

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general et de surcroit, de la solidarite contractuelle675. II mentionne que

contrairement a ce que laissent croire plusieurs auteurs676, la solidarite

contractuelle, que certains voudraient faire reconnaitre comme principe, s' oppose

en fait aux principes de justice commutative677. Alors que la justice commutative

cherche l'equilibre et implique un echange entre les parties, la solidarite s'y

oppose radicalement en s'appuyant sur le desequilibre. Un acte economique doit

avoir la nature d'un don pour etre solidaire et est consequemment necessairement

cno

desequilibre et desinteresse . La notion de solidarite s'oppose done a la nature

fondamentale des principes de justice commutative.

En ce sens, les obligations de loyaute ou d'information basees sur la bonne foi

n'apparaissent pas non plus comme des indicateurs d'une quelconque solidarite

entre les parties. II s'agit d'obligations neutres, qui ne se justifient pas par un

cn q

rapport de gratuite ou de desinteressement. Elles visent plutot une certaine

egalite des parties dans leur capacite a assurer la sauvegarde de leurs interets.

D'ailleurs, en respectant l'interet d'autrui dans un rapport equilibre, le contractant £OA

n'est pas le plus souvent solidaire parce qu'il agit ainsi dans son propre interet .

/TO 1

La reciprocity est un principe important dans 1'esprit des contractants . Chacun a

interet a respecter les interets d'autrui puisque de ces interets dependent le plus

675 Mignot, ibid. 676 Voir notamment Jamin, « Replique », supra note 673 a la p. 162 et s.; Jestaz, « Synthese »,

supra note 262 aux pp. 244-246. 677 Mignot, supra note 36 a la p. 2159 ainsi qu'a la p. 2180 et s. 678 Mignot, ibid, aux pp. 2159-2160, ainsi qu'aux pp. 2180 et s. 679 Mignot, ibid, a la p. 2159. 680 Mignot, ibid, a la p. 2178. 681 Ejan Mackaay, Vanalyse economique du droit, t. 1, Fondements, Themis-Bruylant, 2000, a la

p. 74 et s. [Mackaay, Analyse economique]

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souvent le respect du contrat dans son propre interet. Comme le mentionne un

auteur frangais : « [d]e ce point de vue, la devise contractuelle serait: sers l'autre

contractant parce qu'il te sert egalement ou respecte l'interet d'autrui parce qu'il

respecte ton interet. »682 Les obligations de bonne foi ainsi presentees n'ont done

rien d'altruistes et refletent plus fidelement la psychologie egoi'ste des

contractants.

Plusieurs decisions judiciaires adoptent une interpretation du devoir de bonne foi

conforme a nos propos. Ainsi, dans la decision Banque Royale du Canada c.

Dompierre683, la caution reproche a la Banque le fait de ne pas avoir mentionne,

lors d'une negociation concernant sa liberation d'un premier cautionnement, un

autre cautionnement, pour une tierce compagnie, les liant aussi. Or, le projet de

reglement emanait de la partie debitrice et avait ete accepte tel quel par la Banque.

Comme le mentionne la Cour, « [l]e devoir de bonne foi, meme pour une banque,

ne va pas jusqu'a offrir plus que ce qu'un debiteur demande. » Cette position

se justifie d'autant plus que la Cour mentionne que la partie debitrice n'etait pas

en position de vulnerabilite informationnelle et connaissait parfaitement

1'existence de ce second cautionnement qu'elle avait renouvele un an auparavant.

II n'y avait done pas de deficit informationnel creant une inegalite et exigeant le

recours a un tel niveau de bonne foi. Au meme titre, une institution financiere ne

peut etre tenue d'une obligation de donner des conseils financiers a son client sous

682 Mignot, supra note 36 a la p. 2178. 683 (le 3 juillet 2003), Quebec, 200-17-001457-993, J.E. 2003-1455, REJB 2003-44470 (C.S)

[Dompierre]. 684 Ibid, au para. 36.

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fioe

pretexte qu'elle lui prete de 1'argent . Encore la, une telle obligation irait plus

loin qu'un simple reequilibrage de la relation en conferant un avantage au client

de l'institution financiere. Or, si un tel avantage peut resulter de la volonte des

parties en tant qu'obligation contractuelle, il ne peut certainement etre infere de la

regie generale de ne pas nuire indument a autrui.

4.1.2. La bonne foi et les contrats dits « relationnels »

Meme si la bonne foi ne peut s'analyser comme une notion permettant

d'introduire des valeurs de solidarite ou de fraternite, cela ne veut aucunement

dire qu'elle ne peut s'adapter pour tenir compte de relations contractuelles tres CO £

etroites, que certains auteurs qualifient de « contrats relationnels » . Selon les

etudes effectuees par certains de ces auteurs, plusieurs contrats de longue duree,

tels que les contrats de fournisseurs ou de sous-traitance, conduisent les

contractants a etablir un cadre particulier et autonome de normes privees

applicables aux parties. Ces normes sont souvent paralleles au droit civil

685 164375 Canada, supra note 336. 686 Voir notamment chez les auteurs quebecois, Jean-Guy Belley, Le contrat entre droit, economie

et societe: Etude sociojuridique des achats d'Alcan au Saguenay-Lac-Saint-Jean, Cowansville, Yvon Blais, 1998 [Belley, Alcan]; Jean-Guy Belley, « Theories et pratiques du contrat relationnel: les obligations de collaboration et d'harmonisation normative » dans La pertinence renouvelee du droit des obligations : Back to Basics, Conferences Meredith 1998-1999 tenues a I'Universite McGill le 12 mars 1999, supra note 88, 137 [Belley, « Theories »]; Rolland, « Figures », supra note 23.

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commun.687 Dans ce cadre, les obligations de cooperation et de loyaute sont

souvent plus exigeantes que l'exigence d'agir raisonnablement selon le principe

de la bonne foi dans le cadre de relations moins etroites. II se cree souvent une

veritable interdependance entre les contractants, qui, dans un but commun de

maximiser les retombees positives pour chacun, partagent technologies et secrets

/TOO

industriels . Or, souvent, ces contractants vont eviter, en cas de litige, le recours

aux tribunaux, decision souvent motivee par la peur que ceux-ci ne puissent saisir

les particularites du lien les unissant689.

Or, a notre avis, l'exigence de bonne foi a justement la capacite de pouvoir

s'adapter non seulement au contenu formel du contrat mais aussi a

l'environnement dans lequel ce contrat s'execute690. Le juge ne se contente pas

d'une analyse litterale de la relation contractuelle mais doit tenir compte du

contexte externe au contrat. C'est le plus souvent dans ce contexte que le juge

pourra retrouver les parametres de la commutativite des parties. Ainsi, dans un

contexte de grande interdependance, qui implique necessairement une grande

vulnerabilite de chaque partie691, il apparait que la commutativite est tout aussi

687 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 70; Jean-Guy Belley, « Strategic du fort et tactique du faible en matiere contractuelle: une etude de cas » (1996) 37 C. de D. 37 a la p. 46 et s. [Belley, « Strategic »].

688 Voir notamment a cet effet, Belley, ibid, a la p. 45; Mignot, supra note 36 a la p. 2193; Rolland, « Unidroit», supra note 223 a la p. 189 et s.

689 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 70. 690 Voir a ce sujet le parallele que fait la professeure Rolland entre les contrats relationnels et les

principes d'Unidroit, qui justement, sont plus ouverts aux principes de bonne foi: Rolland, « Unidroit», supra note 223 a la p. 189 et s.

691 Belley, « Strategie », supra note 687 a la p. 48, qui analysant les relations entre la compagnie Alcan et ses fournisseurs conclut que la strategie de cette derniere d'avoir recours a des fournisseurs specialises et accredites augmente ses besoins et sa dependance envers ces fournisseurs. Or, ces particularites ne peuvent que l'obliger a adopter un comportement particulier, en marge du droit positif, envers ces fournisseurs et cela meme si theoriquement

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vulnerable et peut etre atteinte par des gestes qui pourraient paraitre moins

dommageables pour d'autres types de relations contractuelles moins

interdependantes. Dans ce contexte, il semble raisonnable que l'on puisse

imposer aux parties des obligations particulierement contraignantes de loyaute et

de cooperation en vertu du principe de bonne foi.

Mais dans un tel cas, ne pourrait-on pas soutenir que l'on s'approche de

1'interpretation angelique de la bonne foi fondee sur des devoirs de solidarite et de

fraternite et que pourtant nous n'approuvons pas. Nous ne le croyons pas. Si

dans une telle situation, les exigences de la bonne foi imposent aux parties des

obligations particulierement contraignantes, nous ne croyons pas que ces

obligations puissent etre analysees comme une abnegation de ses propres interets.

Au contraire, c'est le type de relation d'interdependance dans un interet mutuel

entre les parties qui motive la rigueur des obligations des parties. D'ailleurs, la

decision Bail qui, nous l'avons mentionne, rappelle le principe de la necessite

pour chacun a veiller a ses propres affaires et nie en quelque sorte toute

interpretation qui serait fondee sur une quelconque abnegation de ses interets pour

satisfaire ceux d'autrui, admet par ailleurs que certaines obligations additionnelles

692 puissent decouler d'un climat de confiance mutuelle legitime .

Dans un climat de grande interdependance, la coexistence paisible des droits et

interets des parties est delicate et ne peut etre assuree qu'au prix d'une certaine

Alcan etait en position, de par sa situation socio-economique, d'imposer sa volonte unilateral pour exploiter les sous-traitants.

692 II s'agissait dans cette decision d'une obligation d'information. Voir Bail, supra note 12.

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severite dans l'imposition d'obligations basees sur la bonne foi, telle que la

cooperation et la loyaute. Un tel degre d'impositions severes pourrait paraitre

particulierement lourd et injustifie pour une autre categorie de relations

contractuelles. Mais, dans un contexte d'interdependance, on s'assure, par des

normes de cooperation particulierement elevees, qu'une des parties ne pourra

indument profiter de la situation au detriment de son cocontractant puisque les

consequences pour ce dernier risqueraient d'etre beaucoup plus nefastes que celles

engendrees par une relation ponctuelle qui n'implique pas de tels liens de

confiance et d'interdependance.

L'exemple des contrats dits relationnels est utile pour demontrer, encore une fois,

1'importance de juger du respect des principes de justice contractuelle en fonction

d'un contexte qui tienne compte des caracteristiques de la relation contractuelle

specifique. En effet, une opinion basee sur des preceptes purement theoriques qui

evited'analyser le contexte specifique de chaque relation contractuelle engendre

la tolerance de l'utilisation de l'instrument contractuel pour nuire a autrui. On

pretend alors qu'il n'y pas d'injustice sujette a 1'intervention judiciaire parce que

cette nuisance resulte de la volonte mutuelle des parties. On se retrouve en zone

ou tous les contrats peuvent beneficier du principe de la force obligatoire et de

l'immutabilite contractuelle meme lorsque le contrat ne respecte pas le principe de

la coexistence paisible des droits et interets. On a deja observe ce phenomene

avec la theorie de l'autonomie de la volonte, ou l'egalite sociale et economique

reputee des parties, sans possibility de revision ou meme d'analyse judiciaires

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specifiques a cree, en toute legalite, plusieurs situations contractuelles

• Acn d'exploitation d'une partie par une autre .

Cette fagon d'analyser la relation contractuelle en tenant compte de la relation

particuliere des parties peut soulever la question de 1'analyse in abstracto ou in

concreto. Devant le debat que semble susciter ces notions694, nous preferons

definir notre critere devaluation en fonction de la doctrine dominante qui etablit

le critere d'examen a l'aide du standard de la notion de « raisonnable » mais en

evaluant celle-ci en fonction des circonstances propres a la relation particuliere

des parties695. En d'autres termes, on peut parler de l'etude du comportement des

parties placees dans les memes circonstances. On ne detruit pas le caractere

abstrait et objectif de 1'analyse mais on le relativise696.

Ces precisions sur les exigences de la bonne foi etant apportees, nous tenterons,

dans un deuxieme temps, de mieux cerner la bonne foi a travers les nombreuses

fonctions qu'elle peut exercer dans une relation contractuelle. Nous nous

permettrons a ce moment d'analyser la jurisprudence afin de verifier si celle-ci

contient certains elements d'application pratique de l'analyse que nous proposons.

693 Voir notamment a ce sujet, Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 90; Lefebvre, « Mythe », supra note 45 a la p. 20.

694 Voir notamment les differences de definition entre par exemple Baudouin et Deslauriers, supra note 124 aux nos. 168-172; Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 650; Jourdain, « Devoir », supra note 377 aux pp. 142-143; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 174; Zhou, supra note 377. La principale divergence tient a l'inclusion ou non au sein d'une norme abstraite de caracteristiques personnelles des individus et des circonstances exterieures presentes au moment des actes commis.

695 Jourdain, ibid.; Zhou, ibid, notamment aux pp. 477 et 518; Kasirer, «Infans », supra note 377 a la p. 370 et s.; Khairallah, supra note 373 aux pp. 448 et 451-452. Voir aussi sur Pimportance du contexte dans l'analyse du raisonnable, l'arret Prud'homme, supra note 146 au para. 62.

696 Zhou, ibid, a la p. 477; Baudouin et Deslauriers, supra note 124 au no. 172.

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Nous serons ainsi a meme de constater si les assises que nous avons identifiees

peuvent constituer des preceptes valables d'analyse mais aussi de controle de

l'obligation de bonne foi. En effet, en laissant cette notion a la seule discretion

des juges, plusieurs s'interrogent sur les dangers d'incertitude et d'arbitraire que

risque d'entrainer une application au cas par cas, sans balises reelles de la notion

f\07

de bonne foi°". De toute evidence, 1'incertitude juridique dans les relations

contractuelles ne peut constituer le but du legislateur dans la codification de la

bonne foi, et cela, meme si cette codification implique necessairement la

delegation d'un large pouvoir d'intervention aux juges. Nous esperons

consequemment, que notre proposition d'analyse se presentera comme valable

afin de permettre a la notion de bonne foi de conserver son caractere

d'adaptability a chaque situation particuliere mais sans sacrifier pour autant les

stabilite et coherence juridiques.

4.2 Les fonctions de la bonne foi

Pour traiter des diverses fonctions de la bonne foi, nous utiliserons la /-QO

classification adoptee dans un precedent ouvrage et inspiree des ecrits des

auteurs Perilleux699, Masse700 et Lefebvre701. Cette classification prevoit que la

bonne foi est theoriquement susceptible de jouer quatre roles distincts, soit des 697 Voir, notamment a ce sujet, Fortier, supra note 383; Stoffel-Munck, A bus, supra note 616 au

no. 69 et s.; Civ. lre, 16 mai 1995, J.C.P. 1996.11.22736 (obs. Fran?ois-Xavier Lucas). 698 Voir Gregoire, supra note 15 a la p. 17 et s. 699 Perilleux, supra note 270 au no. 11 et s. 700 Masse, supra note 270 a la p. 224 et s. 701 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 & la p. 92 et s.

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roles interpretatif, completif, limitatif et adaptatif. Par ailleurs, il faut d'ores et

deja souligner que si ces fonctions sont effectivement celles de la bonne foi dans

un certain nombre de systemes juridiques, le droit quebecois contemporain, tel

qu'il est presentement interprets, ne reconnait pas necessairement chacune de

celles-ci. Cependant, nous jugeons utile de les etudier toutes puisqu'il est possible

de penser que revolution de cette notion pourra permettre au droit quebecois de

s'harmoniser a la tendance de plus en plus forte dans l'application internationale

de ces fonctions702.

4.2.1. La fonction interpretative

II est difficile de definir la fonction interpretative de la bonne foi puisque le cadre

d'application de cette premiere fonction ne fait pas l'unanimite en doctrine. Deux

theses s'affrontent. Pour les adeptes de la theorie de l'intention veritable des

parties, la fonction interpretative de la bonne foi « commande que le contrat soit

execute conformement a l'intention reelle des parties, 1'esprit primant sur la

lettre. »703 En ce sens, cette fonction exigerait du juge qu'il ne verse pas dans une

interpretation objective des clauses contractuelles en se basant, non pas sur la

lettre du contrat mais sur une intention raisonnable, ou si l'on prefere, une

intention de parties respectant les exigences de la bonne foi. Sinon, ce faisant, on

702 Voir generalement a ce sujet Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p.46 et s. 703 Perilleux, supra note 270 au no. 11.

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substituerait la volonte reelle et exprimee des parties par une volonte supposement

raisonnable. Par ce stratageme, le juge imposerait des obligations imprevues a la

lettre du contrat. Or, cette fagon de proceder releverait essentiellement de la

fonction completive de la bonne foi704.

En examinant cette premiere ecole de pensee, on comprend que cette conception

de la fonction interpretative de la bonne foi renvoie a la notion classique du terme

« interpreter », soit eclaircir un texte obscur ou ambigu, non pas en fonction d'une

interpretation raisonnable mais bien en fonction de celle qui semble en tout point

conforme a 1'intention exprimee par les parties. Or, le probleme est qu'en

presence d'un texte obscur et de preuves contradictoires a cet effet, il peut

apparaitre difficile de s'en tenir strictement a une interpretation qui serait

conforme a 1'intention litterale des parties, sans y faire intervenir d'autres

elements extrinseques au contrat705. De plus, cette vision semble occulter la

realite selon laquelle meme 1'interpretation dite stricte de la volonte contractuelle

exprimee par les parties correspond en fait a celle qu'en fait le juge a la lecture du

contrat.

704 Ibid.; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 93. 705 D'ailleurs, il est interessant de constater que les articles 1425 et 1426 C.c.Q. refletent bien cette

problematique puisque s'il est prevu, a l'article 1425 C.c.Q., que le contrat s'interprete selon la commune intention des parties, on mentionne a l'article 1426 C.c.Q. que 1' « [o]n tient compte, dans 1'interpretation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a ete conclu, de 1'interpretation que les parties lui ont deja donnee ou qu'il peut avoir re<?ue, ainsi que des usages. »

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Pour d'autres auteurs, la fonction interpretative de la bonne foi refere plutot a tout

ce a quoi les parties sont tenues en vertu du contrat706, incluant les exigences

relatives a la bonne foi. Dans un tel cas, le juge peut interpreter le contrat en

fonction d'une volonte normative, soit celle que l'on ne peut manquer d'attribuer

a des parties contractantes raisonnables agissant selon les exigences de la bonne

foi707. II s'agit done, en quelque sorte, d'une volonte imposee par le juge au nom

de la bonne foi plutot que la veritable intention exprimee par les parties

contractantes. La logique derriere cette interpretation est que puisque le contrat

708

doit imperativement etre execute de bonne foi par les parties , il est necessaire

de faire primer 1'esprit sur la lettre709 en s'assurant de donner au contrat une

interpretation visant le plein accomplissement des toutes les obligations

contractuelles. Cette fagon d'interpreter le contrat implique que l'on pourra

inclure au contrat toute obligation necessaire a 1'atteinte des buts contractuels

recherches par les parties.

II est interessant de noter que ces deux methodes d'interpretation, pourtant

contradictories710, justifient leur position respective en mentionnant faire primer

l'esprit sur la lettre. Or, faire regner l'esprit sur la lettre correspond a notre avis a

executer le contrat dans son ensemble, avec toutes ses obligations, tant implicites

qu'explicites. N'oublions pas que l'esprit du contrat se presente comme une

706 Voir Benabent, supra note 9 a la p. 294; Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 439. 707 Masse, supra note 270 a la p. 224. 708 Sur l'aspect imperatif de la bonne foi, voir les autorites mentionnees a la note 662. 709 Benabent, supra note 9 a la p. 294; Masse, supra note 270 a la p. 224. 710 Voir Saleilles qui avait deja en 1901 deceit la meme problematique a propos du Code civil

allemand : Raymond Saleilles, De la declaration de volonte, contribution a I'etude de I'acte juridique dans le Code civil allemand (art. 116 a 144), Paris, F. Pichon, 1901 aux pp. 227-228.

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reunion momentanee de volontes et d'efforts afin de satisfaire des interets

individuels711. L'interpretation du contrat doit refleter cette realite.

Nous croyons done que les juges devraient privilegier, en presence

d'interpretations contradictoires, une interpretation de nature objective, afin de

s'assurer qu'une des parties ne soit pas deraisonnablement sacrifice a la volonte

de 1'autre dans l'execution du contrat. La question de 1'interpretation de certaines

stipulations ambigues du contrat revient a se demander quelles auraient ete les

intentions de personnes pouvant veiller sainement a la gestion de leurs interets

dans la conclusion du contrat. Dans les faits, il en resultera que 1'interpretation

privilegiee sera souvent celle preconisee par la partie desavantagee. En effet, en

presence d'interpretations contradictoires, les juges concluront souvent qu'une

personne raisonnable en situation de saine liberte ne pourrait avoir voulu nuire a

ce point a ses interets.

Pour une meilleure demonstration, on peut prendre pour exemple la decision Wyre

c. Dottin712 de la Cour superieure. Cette affaire concernait le paiement de certains

frais. Dans ce litige, le juge Claude Tellier a considere qu'il serait contraire a la

bonne foi de privilegier une interpretation de la clause de paiement de frais d'une

maniere ou ceux-ci echoiraient a une partie benevole ne tirant aucun avantage

711 Contra-. Rolland, «Unidroit», supra note 223 a la p. 189 et s., pour qui les rapports contractuels devraient plutot se definir par rapport a un lien d'interdependance, de collaboration et de solidarite, ce qui pour cette auteure s'oppose a l'individualisme. Or, pour nous, meme dans des contrats ou les parties font preuve d'une grande collaboration et interdependance, chacun continue de conclure un contrat pour son profit personnel et non par altruisme. Nous ne croyons pas que la notion d'individualisme soit incompatible avec la collaboration meme etroite.

712 Wyre c. Dottin, [2004] R.D.I. 136, REJB 2003-51555 (C.S.), au para. 41 [Wyre].

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personnel du contrat. II a done favorise une interpretation desavantageant la

partie forte du contrat sur la seule base de l'aspect deraisonnable de la stipulation

dans un cadre de commutativite objective. Ce premier exemple demontre bien tout

le potentiel qu'une interpretation en fonction des exigences de la bonne foi peut

avoir sur le reequilibrage du contrat. En tenant compte du contexte et des realites

du contrat, le juge Tellier a veille, en utilisant les exigences de la bonne foi, a une

certaine sauvegarde objective des interets de la partie desavantagee.

La solution adoptee dans 1'affaire Wyre c. Dottin pourra par ailleurs paraitre

choquante aux tenants de la lettre contractuelle. Pourtant, elle nous semble

conforme aux pistes d'interpretation prevues au Code civil du Quebec. Ainsi,

l'article 1426 C.c.Q. prevoit que le juge peut tenir compte de la nature et des

circonstances de conclusion du contrat. En d'autres termes, le juge peut verifier

l'egalite des parties lors de la conclusion et 1'elaboration du contrat et interpreter

le contrat consequemment. De plus, en cas de doute irreductible, l'article 1432

C.c.Q prevoit que le contrat s'interpretera contre la partie avantagee ou en tout

temps pour l'adherent ou le consommateur. Or, un tel principe d'interpretation

s'explique aisement. Aux yeux du legislateur, l'adherent ou le consommateur

sont des parties desavantagees dans leur liberte de gestion de leurs interets

respectifs qui meritent une protection normative afin d'assurer le respect

raisonnable de certains de leurs interets. On tente ainsi d'eviter que la partie

desavantagee puisse profiter de la situation pour nuire aux interets de son

cocontractant.

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En cas d'ambigufte sur l'intention des parties, il nous semble que le juge est

parfaitement justifie d'exclure une interpretation contraire aux exigences de la

bonne foi pour favoriser une conception de l'intention commune qui respecte les

principes fondamentaux de la justice commutative713. Citons en autre exemple,

une decision de la Cour d'appel en matiere de police d'assurances714. Cette police

precisait qu'elle couvrait «toutes les activites de l'assure consistant

principalement en service de conciergerie incluant le nettoyage des fenetres

(...) ». Par ailleurs, cette meme police contenait une clause d'exclusion relative

« aux biens (...) sur lesquels [l'assure] exerce une action quelconque. » Or, dans

le cours de ses activites, un prepose de l'assure raya plusieurs vitres d'un edifice

nouvellement construit. L'assureur refusa de couvrir le sinistre en invoquant la

clause d'exclusion. Or, la Cour d'appel rejeta cet argument et condamna

l'assureur a payer les dommages causes par le sinistre. La Cour d'appel ne se

prononga pas en vertu des exigences de la bonne foi lorsqu'elle proceda a

1'interpretation du contrat puisque la bonne foi n'avait pas, a cette epoque, la

portee qu'on lui connait maintenant. Cependant, nous sommes d'avis, tel que

nous le demontrerons ci-bas, qu'en vertu du raisonnement adopte par la, Cour

d'appel, il serait aise d'y inclure des arguments fondes sur la bonne foi comme

instrument favorisant une commutativite plus objective.

Utilisons done cette decision pour illustrer les etapes de la methode proposee.

Premierement, observons la capacite decisionnelle des parties. II est clair que

713 Colin et Capitant, supra note 215 au no. 814; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 aux pp. 96-97; Saleilles, supra note 710 aux pp. 227-229.

714 Ribo, supra note 311.

301

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Fassureur etait en position de superiorite par rapport a son assure. II pouvait lui

imposer toutes les clauses d'exclusion qu'il souhaitait sans que 1'assure ait

vraiment le choix de les accepter. Le pouvoir de negotiation d'un petit assure est

souvent pratiquement inexistant. L'assure etait done en situation d'inegalite dans

la capacite a assurer une saine gestion de ses interets. II est d'ailleurs interessant

de noter que le legislateur, fort conscient de cette situation, impose aux assureurs

l'obligation d'attirer l'attention de leurs assures sur ce type d'exclusions (qui

seront le plus souvent des divergences par rapport a la proposition) dans un

document distinct de la police715.

Deuxiemement, observons la nature raisonnable ou deraisonnable de la

commutativite normative resultant de la relation contractuelle des parties. Dans le

cas qui nous occupe, il est clair que les intention et interet contractuels de l'assure

etait de proteger l'ensemble des activites de 1'entreprise. C'est pour cette raison

que l'assure payait des primes a l'assureur. Pourtant, en invoquant la clause

d'exclusion, l'assureur pretendait le contraire.

C'est avec raison que la Cour a considere qu'une telle exclusion ne pouvait

s'appliquer en l'espece et est intervenue a la relation contractuelle pour la declarer

invalide. En invoquant une telle exclusion, l'assureur denaturait l'objet du contrat

d'assurances, puisque dans les faits, toutes les activites de 1'entreprise pouvaient

faire l'objet de l'exclusion et le contrat d'assurances s'averait ainsi prive de toute

utilite pratique, comprendre de tout interet pour l'assure. En plus, cet assureur

7 ,5 Article 2400 C.c.Q. (2478 C.c.B.C.)

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continuait de pereevoir les primes, qu'il n'avait pas a rembourser malgre son deni

de couverture puisqu'il ne s'agissait pas d'une annulation de contrat pour fausse

declaration initiale mais bien d'une exclusion dans un contrat par ailleurs valide.

La clause d'exclusion en faveur de l'assureur etait done deraisonnable puisqu'une

personne raisonnable pouvant s'assurer librement de la saine gestion de ses

interets aurait exige de recevoir une contrepartie utile pour le paiement des

primes. En interpretant le contrat de maniere a ce que 1'exclusion ne puisse

s'appliquer aux activites de l'assure, la Cour a veille a une certaine sauvegarde

raisonnable des interets de l'assure place dans 1'impossibility factuelle de le faire

lui-meme.

De la meme fa<?on, dans une decision mettant en cause un fournisseur de

photocopieuses aupres de l'ancienne Communaute de transport de Montreal, le

tribunal a juge qu'il serait contraire a la bonne foi d'interpreter une clause du

cahier de charges qui autorisait la CUM a reduire ou augmenter le nombre de

photocopieurs dans ses edifices comme lui permettant de retourner les

photocopieurs de son cocontractant pour faire affaires avec un autre fournisseur

en cours de contrat716. Encore la, il faut voir que la CUM etait une partie

avantagee qui avait impose le contrat a son fournisseur. Consequemment, il

apparait que le tribunal etait justifie, en presence de divergence sur 1'interpretation

du contrat, de veiller a sauvegarder l'interet contractuel de la partie s'etant fait

716 Xequipe Inc. c Montreal (Communaute urbaine de), (6 septembre 2001), Montreal, 500-05-044888-988, J.E. 2001-1759, REJB 2001-26233 (C.S.), au para. 70 [Xequipe].

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imposer les conditions contractuelles a son desavantage en favorisant

1'interpretation lui etant la plus favorable.

On comprend de cette analyse jurisprudentielle que la fonction interpretative de la

bonne foi implique en quelque sorte une exigence de coherence contractuelle717.

II ne faut pas que le contrat, par le biais de clauses diverses, notamment

d'exclusion de responsabilite, devienrie une sorte de leurre pour une des parties

parce qu'en definitive ses obligations essentielles ne pourront jamais etre

718

executees par la contrainte juridique . En d'autres termes, il ne faut pas que les

clauses contractuelles privent en pratique une des parties du benefice du contrat.

C'est pour cette raison que 1'interpretation du contrat doit favoriser l'interet des

deux parties. On retrouve d'ailleurs cette meme idee de coherence dans la

reconnaissance des clauses abusives dans les contrats d'adhesion ou de

consommation719. La definition d'une clause abusive que l'on retrouve a l'article

1437 C.c.Q. 1'expose bien lorsqu'elle prevoit qu'est notamment abusive une

clause qui denature le contrat en le privant de ses obligations essentielles. Mais la

generality de l'obligation de bonne foi permet d'adopter une interpretation

favorisant l'interet de toutes les parties meme dans des contrats qui ne seraient pas

d'adhesion ou de consommation.

717 Mazeaud, Commandements, supra note 673 aux nos 12 a 14. 718 Voir aussi sur cette question de l'exigence de coherence que cet auteur rattache dans certains

cas a la notion de cause, Denis Mazeaud, «Les nouveaux instruments de l'equilibre contractuel- Ne risque-t-on pas d'aller trop loin ? » dans Jamin et Mazeaud (dir.), supra note 215, 135 a lap. 144 [Mazeaud, « Instruments »].

719 Article 1437 C.c.Q.

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On peut mentionner a cet egard un arret frangais particulierement eloquent quant a

l'obligation de coherence contractuelle . Ainsi, une societe, specialiste du

transport rapide, garantissait la celerite et la fiabilite de son service mais prevoyait

dans le contrat, une clause de non-responsabilite en cas de retard dans la livraison.

En vertu de cette clause, aucun dommage ne pouvait etre reclame en cas de retard

dans la livraison. Or, la Cour de cassation a invalide une telle clause parce qu'elle

contredisait la portee de l'engagement et du fait, l'interet du cocontractant a payer

pour un tel service rapide. En effet, en presence d'une telle clause, les obligations

de ponctualite et de fiabilite assumees par la societe de livraison revenaient a peu

de choses puisqu'elles ne pouvaient faire l'objet que d'une sanction tres minime,

soit le remboursement du prix de la livraison, en cas d'inexecution.

Cette courte analyse de la jurisprudence demontre bien que les tribunaux semblent

de moins en moins hesiter a adopter une interpretation du contrat qui soit

conforme aux principes d'une commutativite objective. Une question demeure

toutefois : peut-on legitimement en droit quebecois faire intervenir la bonne foi

dans Finterpretation du contrat ? En effet, lorsque l'on consulte la section du

Code civil du Quebec relative a 1'interpretation du contrat721, on constate aisement

qu'il n'y est nullement mention de la bonne foi a titre de regie d'interpretation du

contrat. Pourtant, le principe de la bonne foi est martele a diverses autres sections

du Code. II semble consequemment aise de conclure que si le legislateur avait

souhaite, lors de la reforme du Code civil, introduire la bonne foi comme principe

720 SA Banchereau c. Societe Chronopost, cass. comm., 22 octobre 1996, D. 1997.121 (obs. Alain Seriaux).

721 Articles 1425 a 1432 C.c.Q.

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d'interpretation du contrat, il en aurait fait egalement mention dans cette section

specifique du Code civil. Malgre cette omission, est-il possible que la bonne foi

puisse etre consideree comme une regie d'interpretation du contrat ? Cette

question demande que l'on s'interroge sur le caractere exhaustif ou non des regies

d'interpretation prevues aux articles 1425 a 1432 du Code civil du Quebec. Or, il

semble que sur cette question, tant la jurisprudence que la doctrine sont d'avis que

les principes d'interpretation prevus au Code civil ne peuvent etre consideres

comme exhaustifs.

Nous avons deja discute de certaines decisions qui referaient aux exigences de la

bonne foi lors de 1'interpretation du contrat722. II apparait done que l'absence de

la mention expresse de la bonne foi dans la section du Code civil relative a

1'interpretation contractuelle n'empeche pas les juges de recourir a celle-ci pour

juger de l'intention des parties. Par ailleurs, la doctrine quebecoise mentionne

aussi que les regies d'interpretation des articles 1425 a 1432 C.c.Q. ne sont pas

limitatives et n'interdisent pas le recours a d'autres regies, tels le gros bon sens,

l'equite et la bonne foi723. Pour certains auteurs, la bonne foi se distinguerait

meme des autres regies d'interpretation en ce qu'elle constituerait un moyen

imperatif de lecture et de comprehension du contrat, alors que les autres ne

seraient utiles qu'en cas d'ambigui'te du contrat724. Or, s'il est vrai que la bonne

722 Voir notamment, Wyre, supra note 712 au para. 41; Xequipe, supra note 716 au para. 70. 723 Voir notamment Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 436; Leclerc, supra note 270 a la p.

270; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 aux pp. 94-96; Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1623.

724 Voir Leclerc, ibid, qui reprend en l'extrapolant a la bonne foi Paffirmation emise par Me Colas relativement au role de l'equite qu'instrument imperatif d'interpretation du contrat: Emile

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foi est imperative et doit etre respectee par les parties, une telle affirmation nous

semble par ailleurs un peu large pour etre entierement valable. Au stade de

1'interpretation, il nous semble que le juge ne pourra intervenir au contrat pour

modifier une clause contractuelle par ailleurs claire725 a moins que celle-ci ne

demontre l'exploitation deraisonnable de l'inegalite des parties. Neanmoins, nous

reconnaissons que definir ce qui est clair, ambigu ou en peril est parfois en soi un

exercice fort perilleux qui exige en soi une certaine interpretation.

Nous I'avons mentionne, pour plusieurs auteurs, cette premiere fonction de la

bonne foi, surtout si elle permet une interpretation dite raisonnable, ce qui dans les

faits peut equivaloir a une amelioration contractuelle pour les interets de la partie

desavantagee, implique necessairement une intervention judiciaire relevant de la

deuxieme fonction de la bonne foi, soit la fonction completive. Cette derniere

etant souvent decriee comme une source de « forgage » du contrat, on comprend

mieux pourquoi certains auteurs analysent de maniere restrictive la fonction

interpretative. Nous verrons pour notre part pourquoi, a notre avis, la fonction

completive ne peut etre analysee comme un forgage du contrat mais plutot comme

une affirmation renouvelee des assises contractuelles.

Colas, « La notion d'equite dans 1'interpretation du contrat», (1981) 83 R. du N. 391 a la p. 400.

725 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 436.

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4.2.2. La fonction completive

La fonction completive peut probablement etre consideree comme la fonction de

la bonne foi la plus fertile en jurisprudence. Certains pourraient meme ne pas

hesiter a dire qu'il s'agit de la seule veritable fonction de la bonne foi utile en

droit quebecois. Cette fonction permet aux juges de creer des obligations

implicites au contrat afin de favoriser une plus juste commutativite normative

entre les parties . Ces obligations ont la caracteristique de ne pas avoir ete

expressement prevues par les parties mais sont malgre cela considerees

contraignantes pour celles-ci. Leur non-respect peut entrainer la responsabilite

civile des parties.

Malgre que certains puissent encore denoncer de telles impositions comme une

denaturation des principes contractuels, nous croyons au contraire que ces

impositions sont legitimes et legales. D'abord, le Code civil du Quebec prevoit

expressement que la force obligatoire du contrat ne s'etend pas seulement au

contenu explicite du contrat mais aussi a un contenu implicite qui se fonderait sur

la nature du contrat, les usages, l'equite ou la loi727. II est done faux de pretendre

que le contenu du contrat ne se retrouve que dans la stricte lettre de celui-ci.

Ensuite, il ne faut pas oublier que le legislateur est tres explicite sur le devoir qui

incombe a chacun d'agir selon les exigences de la bonne foi a tous les stades de la

726 Gregoire, supra note 15 a la p. 21 et s.; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 98 et s.; Masse, supra note 270 a la p. 225.

727 Article 1434 C.c.Q.

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778 vie contractuelle . La bonne foi contractuelle fait done legalement partie des

comportements que doivent adopter les parties au contrat.

II faut par ailleurs mentionner que ces denonciations proviennent souvent de la

doctrine frangaise qui peut s'appuyer sur la disposition prevoyant que « le contrat

tient lieu de loi des parties », art. 1034 du Code civil frangais, pour justifier sa

position. Or, le Code civil du Quebec ne contient pas une telle disposition.

D'ailleurs, cette omission n'est pas le fruit du hasard. Dans ses commentaires, le

Ministre de la Justice ayant procede a 1'adoption du Code civil mentionne que

cette omission est deliberee puisque le legislateur, qui voulait introduire une

moralite contractuelle au Code civil, considerait que l'essentiel des obligations

contractuelles liees a l'ethique contractuelle etaient fondees sur les obligations

• • • • 77Q dites implicites et done, en grande partie imposees par le juge .

Meme si les articles specifiques a l'obligation de bonne foi sont nouveaux au

Code civil, la sanction du devoir de bonne foi n'est pas nouvelle pour autant.

C'est en vertu du devoir d'equite, prevu a l'epoque par l'article 1024 C.c.B.C, que

les tribunaux ont reconnu une obligation contractuelle de bonne foi en droit

quebecois730. Cependant, force est d'admettre que le rayonnement tout azimut de

cette notion en jurisprudence est relativement recent. On retrouve cette notion de

bonne foi declinee en de nombreux nouveaux devoirs tels que ceux d'information,

728 Voir les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. 729 Voir a ce sujet Commentaires du ministre de la justice, supra note 213 a l'article 1434. 730 Voir les arrets de la Cour supreme Bail, supra note 12; Houle, supra note 11 \ Kuet Leong,

supra note 654 et Soucisse, supra note 10.

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de collaboration ou de loyaute. Une telle interpretation permet aux tribunaux

d'intervenir de plus en plus aux relations contractuelles desequilibrees, ou la

partie avantagee profite de sa position au detriment des interets de son

cocontractant selon un standard ne correspondant pas a celui des agissements

d'une personne raisonnable.

A premiere vue, ces nouveaux devoirs d'information, de collaboration et de

loyaute apparaissent comme autant de nouvelles normes floues, multipliant

d'autant les possibilites d'interpretations judiciaires contradictories et, a la limite,

arbitraires. C'est d'ailleurs ce qui fait dire a certains que l'obligation de bonne

foi, si elle est effectivement source d'intervention judiciaire, ne peut etre qu'une

porte ouverte a l'arbitraire et l'abus. En d'autres termes, il faut eviter que la

multiplication des jugements d'espece sur cette notion se traduise par une

multiplication des normes qui deviendraient impossibles de respecter meme avec

la plus grande bonne foi. C'est pour cette raison que notre etude propose une

methode basee sur le respect de certaines assises fondamentales de toute relation

contractuelle. Nous esperons que la comprehension et la reconnaissance de ces

principes puissent permettre aux juges d'eviter cet ecueil et d'assurer la coherence

de la notion de bonne foi.

Pour illustrer nos propos, nous pouvons proceder a une analogie avec les elements

de la faute, dont la bonne foi est a notre avis une manifestation caracterisee. La

faute est elle-meme une notion floue permettant au juge de rendre des jugements

au cas par cas selon la nature des faits en cause. On conserve ainsi son caractere

310

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evolutif et adaptatif. Cependant, ce caractere flou fait en sorte que, theoriquement,

il y a autant de risques d'abus et d'arbitraire dans 1'interpretation de la faute en

general que dans celle de la bonne foi, puisque celle-ci se presente comme une

faute specifique donnant ouverture a des recours caracterises731. Pourtant,

rarement voit-on denonces des abus commis dans 1'interpretation de la notion de

faute. Cela est probablement du au fait que les juges sont conscients que cette

notion doit s'interpreter dans le contexte plus large de la responsabilite civile en

concordance avec les principes de justice commutative et les notions de

dommages et de lien de causalite. Nous souhaitons done que les juges deviennent

aussi a l'aise dans l'application de la notion de bonne foi afin d'assurer a cette

notion la coherence qui lui revient.

II est par ailleurs interessant de noter que tant la doctrine732 que la jurisprudence733

ont reconnu que le manquement a une obligation de bonne foi pouvait constituer

une faute contractuelle. Ainsi, il est interessant d'observer l'analyse effectuee par

la Cour d'appel dans l'arret Provigo distribution Inc. Nous avons deja

mentionne que, dans cet arret, la Cour impose, au nom de l'obligation de bonne

foi et celle de loyaute en decoulant, des obligations implicites et positives de

collaboration, d'assistances technique et commerciale et de maintien de la

pertinence du contrat pour le cocontractant. Elle conclut en consequence que le

731 Voir sur les recours specifiques a la bonne foi,.Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 2014 et s.; Gregoire, supra note 15 a la p. 43 et s.

732 Popovici, « Honoraires », supra note 634. 733 Voir par exemple l'arret Provigo, supra note 614 aux pp. 58-59 (C.A.). De meme, les arrets

Bail, supra note 12 et Houle, supra note 11 ont reconnu que ces memes manquements contractuels a l'obligation de bonne foi pouvaient, en certaines circonstances, etre generateurs de faute extracontractuelle a l'egard des tiers au contrat.

734Provigo, ibid.

311

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franchiseur qui impose des politiques commerciales a son franchise ne permettant

pas a ce dernier de beneficier des outils necessaires pour faire face a la

concurrence ne respecte pas ces devoirs a l'egard de son franchise/cocontractant.

II y a done clairement imposition de normes de conduite aux cocontractants. Ces

normes ne sont pas expressement prevues au contrat mais pourtant nous croyons

qu'elles permettent un plus grand rayonnement des assises de liberte,

responsabilite et justice commutative.

II est interessant de noter qu'en premiere analyse, la Cour specifie qu'elle ne

reproche pas au franchiseur Provigo la concurrence qu'il fait a ses franchises par

le biais d'autres bannieres lui appartenant. Cependant, pour etre sans reproche, il

est imperatif que cette concurrence soit faite de bonne foi735. Cette premiere

remarque de la Cour est en tout point conforme a notre comprehension des droits

subjectifs et du principe de libre concurrence encourage par une economie

liberale. On ne peut etre sanctionne pour une concurrence loyale.

Qu'en est-il dans la presente affaire ? Peut-on ici parler d'une concurrence

loyale ? Pour repondre a cette question, la Cour commence par analyser les

circonstances de la relation contractuelle entre le franchiseur et les franchises. Or,

cette analyse demontre que le franchiseur jouit d'une position de domination sur

ses franchises, notamment en controlant jusqu'a 90 % des operations de ceux-ci

(approvisionnement, sites des entreprises, financement, publicite). II y a done

domination d'une partie sur l'autre et une grande restriction de liberte pour cette

735 Ibid, aux pp. 59-60.

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derniere a pouvoir assurer la sauvegarde de ses interets. Ce contexte particulier

fait en sorte que le franchiseur, lorsqu'il developpe d'autres bannieres faisant

competition a ses franchises, doit s'assurer de tenir compte de l'interet de ses

franchises, en leur fournissant divers outils et strategies pour minimiser 1'impact

n-ic

de cette concurrence et leur permettre de se repositionner sur le marche . Parce

qu'il se trouve en situation de domination, le franchiseur se voit imposer des

obligations implicites, fondees sur la bonne foi, afin de l'obliger a sauvegarder

certains interets de son cocontractant place en situation de grande vulnerability. Le

franchiseur doit collaborer et fournir les assistances technique et commerciale afin

de maintenir, pour les franchises, la pertinence du contrat ou, si l'on prefere, leur

interet dans la poursuite du lien contractuel. Le non-respect de ces obligations

constitue une faute civile qui entraine la responsabilite du franchiseur pour les

dommages causes. i

La demarche de la Cour d'appel est particulierement interessante puisqu'elle

demontre toutes les etapes de la methode que nous proposons. En plus de

rappeler qu'en soi, une concurrence loyale n'est pas generatrice de responsabilite,

la Cour procede a un raisonnement qui respecte les assises contractuelles

presentees aux chapitres precedents. Ainsi, la Cour commence par observer la

position respective des parties. Elle constate qu'une de celles-ci domine l'autre

qui, elle, ne peut, en vertu des regies contractuelles, veiller librement et

adequatement a ses interets. Cette premiere constatation est en soi suffisante pour

que la Cour puisse reconnaitre des obligations implicites a la partie dominante en

736 Ibid, aux pp. 60-61.

313

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vertu des exigences de la bonne foi. Done, a ce stade, nul besoin d'une faute

d'une partie. La position dominante est suffisante.

II est aussi interessant de constater la nature des obligations imposees au

franchiseur dominant. Ainsi, on lui reproche non pas de faire concurrence a ses

franchises ou de ne pas faire preuve d'une quelconque fraternite ou solidarite mais

bien de ne pas fournir les outils techniques et commerciaux afin que les franchises

puissent veiller a leurs interets et se repositionner dans le marche tres competitif

du commerce de detail alimentaire. On souhaite en d'autres termes que le

franchiseur adopte un comportement permettant l'emergence des preceptes de

liberte et de responsabilite dans la gestion de ses interets. La Cour n'impose

aucune obligation de resultat specifique relativement a l'usage que fera le

franchise de ces opportunites normatives.

Le raisonnement adopte par la Cour d'appel illustre aussi la reconnaissance, par le

droit prive, de la hierarchie des interets basee sur la verticalite de la relation.,

resultant de la structure meme du contrat. On permet au franchiseur de faire des

profits au detriment du franchise. Par contre, cette verticalite doit s'exercer dans

le respect de la saine coexistence des droits et interets des parties. Ainsi, si cette

Verticalite structurelle permet au franchiseur de faire primer ses interets, il doit par

ailleurs veiller a ne pas nuire indument a son franchise en s'assurant de maintenir

pour lui la pertinence du contrat.

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Agir en vertu des exigences de la bonne foi permet la sauvegarde raisonnable des

interets du cocontractant desavantage. On ne peut indument nuire a autrui et c'est

ce que l'on fait lorsque l'on tire profit d'une situation de domination en negation

des interets legitimes de son cocontractant. L'inegalite dans la capacite a veiller a

ses affaires vient legitimer les interets de la partie desavantagee et ceux-ci

acquierent de ce fait une protection juridique. II s'agit d'une premiere etape qui

n'a pas encore engendre la responsabilite civile du contractant privilegie mais qui

l'oblige tout de meme a restreindre l'etendue de ses prerogatives a l'egard de son

cocontractant737. Ce n'est que lorsqu'il ne respecte pas ces obligations implicites

de loyaute en agissant au mepris des interets proteges de son cocontractant qu'il

738 commet une faute donnant ouverture aux regies de la responsabilite civile .

Naturellement, on pourra repliquer que tout creancier est en position de

domination et tire profit de sa position en exigeant l'execution de l'obligation.

Tout devient alors une question de degre a analyser par le juge. Nous avons

d'ailleurs deja propose le critere de la norme objective de comportement de la

personne raisonnable. Or, dans le cas de l'arret Provigo distribution, la

domination du franchiseur etait a ce point grande et ses agissements constituaient

un tel deni des interets de ses franchises que la Cour a conclu que la pertinence

737 En ce sens, pour certains auteurs, le devoir de loyaute se distinguerait du devoir de collaboration qui lui imposerait des obligations dites positives de comportement, voir Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 129; Lluelles et Moore, supra note 20 aux nos. 1979 et 1997. Or, a notre avis, si une telle affirmation peut s'averer au plan semantique, son utilite, au sens de la restriction des droits subjectifs, peut etre questionnee. En effet, dans les deux cas, il y a obligation de sauvegarder certains interets d'autrui et par le fait meme restriction de l'etendue des droits subjectifs.

738 Voir un raisonnement semblable en ce qui concerne l'obligation d'information dans Losier, supra note 16.

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meme du contrat pour ces franchises etait en peril. Le comportement adopte par

le franchiseur, meme s'il etait conforme a la lettre du contrat, leur faisait perdre

tout interet personnel a maintenir le contrat. II est done difficile de soutenir que

les clauses contractuelles imposaient des conditions raisonnables qu'une personne

libre de veiller a ses interets aurait pleinement acceptees.

Ce meme critere de maintien de la pertinence du contrat est aussi utile, meme s'il

n'a pas ete mentionne expressement par le juge, a la comprehension de la decision

dans 1'affaire Posluns c. Entreprises Lormil inc.739. Cette affaire concerne un

centre commercial qui, des les plans de construction, prevoyait 1'implantation de 5

restaurants de restauration rapide selon une repartition precise des differents

menus de chacun (poulet, pizza, mets chinois, etc.). Les baux signes prevoyaient

aussi l'exclusivite des mets que chacun des locataires pouvait offrir mais sans

reciprocity de la part du locateur. Le juge specifie que l'harmonie entre les

restaurateurs etait bonne, chacun etant conscient du respect des menus

reciproques. II en etait de meme des relations des locataires avec le centre

commercial jusqu'a ce que ce dernier remplace la tabagie du centre commercial

par un restaurant d'une banniere populaire a cette epoque. Ce nouveau venu

proposant le meme type d'aliments qu'un des locataires, ce dernier n'arriva plus a

payer son loyer devant un competiteur aussi puissant. Ce locataire a done

poursuivi le centre commercial pour les dommages subis suite a cette nouvelle

concurrence.

739 Posluns c. Entreprises Lormil Inc., (4 juillet 1990), Quebec, 200-05-001584-858 et 200-05-001878-854, J.E. 90-1131 (C.S.) [Posluns]

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La compagnie proprietaire du centre commercial s'est defendue en soulignant

qu'elle n'avait expressement aucune obligation de respecter l'exclusivite prevue

aux baux de ses locataires. De son point de vue, cette exclusivite n'engageait que

les locataires entre eux. Or, le juge a souligne qu'en imposant un cadre precis

d'exploitation, le centre commercial devait implicitement respecter celui-ci. II a

ajoute que les parties impliquees dans la gestion du centre commercial

«assument, au-dela de la lettre des contrats, une obligation de respecter

l'equilibre entre les divers commerces, de fagon a ne pas nuire a l'exercice de

leurs activites principales et encore moins a leur creer des difficultes. »740 Cela

releve de l'obligation de loyaute implicite au contrat.

Malgre les inconvenients engendres par ce cadre d'exploitation, les locataires-

restaurateurs y trouvaient un certain interet puisque les menus imposes creaient un

equilibre entre eux. Or, le centre commercial en situation de superiority ne

pouvait agir impunement au detriment de ces interets. Devant un competiteur

puissant introduit contre toute attente et au detriment de l'equilibre impose par le

locateur, le bail signe par le premier locataire principalement lese perdait toute sa

pertinence. II en a resulte un manquement aux exigences de la loyaute decoulant

de la bonne foi puisque dans une telle situation d'inegalite, il appartenait au

locateur d'adopter un comportement raisonnable pour assurer le respect des

interets du locataire. Ce manquement a entraine un prejudice pour ce locataire lui

dormant droit a une reparation, ici, par l'octroi de dommages-interets.

lwIbid. a la p. 12.

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Ces dernieres decisions sont autant de demonstrations de la fonction completive

de la bonne foi. Cette fonction est primordiale puisqu'elle est a la base meme de

1'imposition d'une commutativite normative plus objective engendree non pas par

la faute d'un des cocontractants mais par une situation factuelle precise.

Lorsqu'un des cocontractants est dans une situation ou il peut controler la gestion

des interets d'une autre partie, la fonction completive de la bonne foi lui impose

d'agir avec loyaute, c'est-a-dire en tenant compte, dans les limites du

comportement raisonnable, des interets de cette autre partie. On tente ainsi de

retablir l'egalite et la responsabilite. II est d'ailleurs interessant de noter les

commentaires que fait un auteur frangais sur le devoir de loyaute :

« [D]ans les rapports entre les individus, l'obligation de loyaute est

souvent invoquee pour limiter, supprimer l'exercice d'un droit

subjectif ou engager la responsabilite d'un contractant. Les

manifestations de ce devoir en effet sont toujours negatives : il

paralyse ou interdit l'exercice d'un droit, comme s'il exprimait une

composante constante de tout droit, souvent inexprimee, mais

toujours sous-entendue. (...)

La loyaute exige (...) bien sur, ne pas tromper, ne pas mentir. Mais

surtout, adopter une attitude coherente, une unite de comportement,

qui permette a autrui de determiner avec confiance sa propre

conduite. En ce sens, le contraire de la loyaute est la duplicite,

l'attitude double, qui egare autrui et ruine ses previsions. »741

741 Aynes, supra note 541 a la p. 197 [les italiques apparaissent au texte original].

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En d'autres termes, le devoir de loyaute a pour but de limiter les prerogatives

d'une partie avantagee afin de permettre a son cocontractant desavantage de

veiller a la saine gestion de ses interets. Ce devoir pourra impliquer de ne pas agir

742

de fagon a empecher l'autre partie de retirer du contrat le benefice prevu ,

comme nous l'avons notamment constate dans les decisions Posluns et Provigo

distribution. De meme, il pourra consister a faciliter l'execution du contrat, ou du

moins, ne pas la rendre plus onereuse ou difficile743. On pourrait donner

l'exemple du coursier, paye au kilometrage, qui emprunterait la route la plus

longue pour profiter davantage de son cocontractant. II est clair qu'un tel

comportement brimerait le devoir de loyaute.

Toute cette recherche du maintien de la pertinence du contrat pour les deux parties

est particulierement interessante parce qu'elle demontre bien que la bonne foi

n'est pas une simple obligation a saveur morale qui doit etre dissociee du contenu

contractuel744. Le respect ou non de l'obligation de bonne foi a une incidence

economique directe pour les parties745.

Cette analyse demontre bien aussi que le profit ou l'avantage tire d'une

circonstance favorable n'implique pas necessairement un manquement a

l'obligation de bonne foi746. C'est le comportement non conforme a celui d'un

contractant raisonnable qui constituera un tel manquement et pourra entrainer la

742 Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 440. 743 Ibid. 744 Voir a cet effet la theorie de Stoffel-Munck, Abus, supra note 616. Voir une analyse rejetant

cette theorie : Chazal, supra note 329 aux pp. 114-116. 745 Chazal, ibid, a la p. 116. 746 Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 1990;

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responsabilite civile de l'auteur. On conclut un contrat dans son interet et le droit

quebecois encourage la concurrence loyale. II apparait ainsi coherent que les

profits ou avantages raisonnables engendres par ce contrat ne puissent constituer a

eux seuls un manquement aux exigences de la bonne foi.

Cette meme logique permet de plus de jeter un eclairage sur les obligations

incombant a une partie pouvant beneficier, par le biais de la loi ou d'une

stipulation contractuelle, d'un droit de resiliation unilaterale du contrat. II est

747

admis que cette partie ne pourra utiliser ce droit d'une maniere intempestive .

On exigera de cette partie un avis raisonnable748, des motifs legitimes749, une

resiliation faite dans un espace-temps ne nuisant pas indument au cocontractant750

ou une certaine collaboration permettant a l'autre partie de se reorganiser et qc 1

developper de nouveaux liens d'affaires . Toutes ces restrictions au droit de

resiliation unilaterale s'expliquent par le fait que ce dernier entraine une inegalite

dans la capacite des parties a gerer leurs interets obligeant son titulaire a exercer

cette prerogative en veillant a certains interets de son cocontractant. Le devoir de

loyaute agit comme un gardien contre 1'absolutisme de la commutativite

747 Voir une etude generale de cette question, ibid, aux nos. 1994-1996. 748 Voir par exemple l'article 2091 C.c.Q. en matiere de contrat de travail ou l'arret Houle, supra

note 11. 749 Voir par exemple les articles 2094 C.c.Q. (contrat de travail), 2126 C.c.Q. (contrat d'entreprise)

ou 2178 C.c.Q. (contrat de mandat). 750 Voir par exemple les articles 2126 C.c.Q. (contrat d'entreprise), 2178 C.c.Q (contrat de

mandat) ou 2228 C.c.Q. (contrat de societe). 751 S.M.C. Pneumatiques (Canada) Ltee c. Dicsa Inc., (7 juin 2000), Montreal, 500-05-037558-

978, J.E. 2000-1448 (C.S.) au par. 61 (appel accueilli quant au quantum des dommages admissibles mais pas quant a la necessite d'un preavis : (16 janvier 2003), Montreal, 500-09-009816-000, B.E. 2003BE-208 (C.A.) [Dicsa].

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normative des parties. II n'empeche pas de profiter de cet avantage mais tente

d'en minimiser les impacts deraisonnables pour le cocontractant.

La methode ici presentee permet aussi de comprendre pourquoi l'intensite des

exigences de la bonne foi lors de la resiliation augmentera selon la situation

factuelle des parties. Parfois l'inegalite est presumee par le legislateur. Par

exemple, la loi impose a l'assureur un delai d'avis de resiliation du contrat plus

long que celui impose a ses assures . Aussi, les conditions de resiliation de

contrat sont plus exigeantes pour 1'entrepreneur que pour son client .

La situation factuelle des parties aura de meme une influence sur les conditions de

resiliation d'un contrat de travail. Generalement, l'employeur doit faire preuve

d'une plus grande loyaute a l'egard de son employe lors de la resiliation du

contrat que ce meme employe a l'egard de son employeur. Les delais de preavis

doivent souvent etre plus longs et les motifs de resiliation plus explicites. Par

ailleurs, cette situation pourrait etre differente dans le cas d'un employe-cle de

1'entreprise, cadre superieur ou ayant acces a des secrets industriels importants par

exemple. Dans une telle situation, la vulnerability engendree par la position

privilegiee de cet employe augmenterait d'autant son obligation de loyaute s'il

souhaitait resilier unilateralement son contrat de travail. Un tel employe devrait

probablement offrir un plus long preavis et verrait son obligation de loyaute se

752 Voir par exemple en matiere d'assurances de dommages l'article 2477 C.c.Q. qui prevoit un delai de 15 jours pour la resiliation provenant de l'assureur et aucun ddlai specifique pour l'assure.

753 Comparer les articles 2125 et 2126 C.c.Q.

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prolonger plus longuement au-dela du lien contractuel afin de proteger la

divulgation de renseignements confidentiels sur l'entreprise754.

Ce meme type d'analyse fondee sur la situation reelle des parties permettra aussi

de saisir la distinction faite par certains auteurs entre les devoirs de loyaute et de

collaboration. Si on le compare au devoir de loyaute, le devoir de cooperation

implique un rapport de confiance plus important et varie en intensite selon la

nature du contrat755. II sera particulierement important pour des contrats de type

« organisation », et beaucoup moins dans les contrats qualifies de « contrats-

echanges »756. Si l'on tente de definir chacun de ces types de contrats, on peut

dire que les premiers se qualifient par une mise en commun du travail ou des

biens des contractants dans un but precis alors que les seconds constituent le plus

souvent une simple permutation de biens entre les parties. On comprend alors que

les premiers seront generalement de plus longue duree que les seconds qui seront

plus generalement a execution instantanee. II peut ainsi paraitre normal, par

exemple dans un contrat de vente, que le devoir de cooperation soit moins

important que dans un contrat de franchise ou de distribution puisque les interets

des deux parties y seront plus convergents que dans le premier cas. Cette

convergence creera une interdependance entre les parties qui resultera en une plus

nen

grande vulnerabilite et done un plus grand devoir de cooperation .

754 Voir d'ailleurs l'article 2088 C.c.Q. 755 Delebecque et Pansier, supra note 32 au no. 263; Mignot, supra note 36 a la p. 2192 et s.;

Terre, Simler et Lequette, supra note 30 au no. 441. 756 Pour une definition precise de ces notions voir : Mignot, ibid, a la p. 2172 et s.; Terre, Simler et

Lequette, ibid, aux nos 42 et 78. 757 Mignot, iid. aux pp. 2176-2177.

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Par exemple, dans l'arret Provigo distribution, la vulnerability du franchise

obligeait le franchiseur a faire preuve d'une grande collaboration a son egard.

Mais au-dela de l'interet du franchise, le franchiseur avait aussi interet a ce que le

commerce du franchise soit couronne d'un certain succes, tant au plan v

economique que de la renommee. Ainsi, meme pour des contrats de nature

« organisation », on ne peut affirmer que l'obligation de bonne foi regissant ces

contrats soit de nature altruiste ou « solidariste ». La cooperation avec son

cocontractant permet encore la satisfaction de ses propres interets , meme si les

prerogatives liees a ceux-ci peuvent parfois etre quelque peu limitees par

l'obligation de bonne foi et l'objectivite qu'elle entraine dans la commutativite

normative des parties.

Au plan des similitudes, il est interessant de noter que les obligations de loyaute et

de cooperation impliquent que le contrat soit execute utilement759, c'est-a-dire

dans l'interet des parties. On retrouve cette assise constamment, notamment

lorsque l'on mentionne que ces devoirs impliquent d'agir de fagon a maintenir la

pertinence du contrat pour son cocontractant. Or, la constance de ce precepte

permet de preciser certains elements d'analyse de la theorie du juste et de l'utile

etudiee plus avant760. Rappelons-le, selon la description que fait le professeur

Jacques Ghestin de sa theorie du juste et de l'utile, celle-ci prevoit non pas une

utilite individuelle mais bien une utilite sociale au contrat. Nous avons deja

demontre que cette affirmation cause un malaise chez plusieurs auteurs qui y

758 Ibid, a la p. 2178 et aux pp. 2193-2194. 759 Voir Picod, supra note 277 a la p. 97 et s. 760 Voir nos commentaires sur la theorie du juste et de l'utile, & la p. 15 et s.

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voient notamment un laisser-passer pour l'exploitation des parties desavantagees.

Nous sommes du meme avis. II faut veiller a la satisfaction d'un interet personnel

en incluant ce critere dans 1'aspect de justice du contrat. Nous sommes

reconfortee dans notre opinion en constatant que la bonne foi impose une

execution utile. Or, cela implique consequemment que cette meme utilite est

inherente au contrat761, a moins qu'elle ne soit rejetee de maniere libre et

consciente, comme cela pourrait l'etre pour un don entre parents . On peut

librement et consciemment renoncer a ses interets mais si ces conditions ne sont

pas presentes, les parties devront agir de maniere a ce que chacun des

cocontractants puisse jouir utilement du contrat. Un contrat juste est done ou

entierement libre ou utile !

S'il est clair que le comportement des parties doit favoriser l'utilite contractuelle

pour correspondre aux exigences de la bonne foi, la description precise de ce que

comprennent les necessites de collaborer ou d'agir de maniere loyale est modulee

en fonction des interets en jeu. Le but de la demarche est la coexistence paisible

des droits et interets avec tout ce qui ce principe implique pour la liberte

individuelle et la responsabilite de chacun. II est essentiel que les obligations

implicites en decoulant puissent posseder un caractere proteiforme afin de pouvoir

s'adapter a tout type de situation. Cependant, il faut noter qu'un de ces caracteres

multiples a fait l'objet d'un examen plus approfondi en jurisprudence en tant que

761 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 40. 762 Bien qu'il soit par definition altruiste, ce type de contrat serait neanmoins valide s'il etait

conclu dans un veritable contexte de liberte.

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source de « reequilibrage » du contrat. Nous procederons done a une analyse un

peu plus precise du devoir d'information en tant que fonction completive

particuliere de la bonne foi dans le cadre des relations contractuelles.

4.2.2.1 L'obligation d'information

Parmi les devoirs implicites les plus reconnus en jurisprudence, on retrouve

certainement le devoir d'information a l'egard de son cocontractant. Nous en

avons deja brievement discute mais il est interessant de voir ici comment

s'articule specifiquement ce devoir.

C'est l'arret de la Cour supreme Banque de Montreal c. Bail , qui a

veritablement balise et reconnu le devoir general d'information en droit

contractuel quebecois. Auparavant, il existait certains devoirs specifiques

d'information lies essentiellement a la nature des contrats conclus. On peut citer

en exemple le devoir d'information du medecin a l'egard de son patient sur les

risques du traitement envisage ou celui du vendeur professionnel sur les vices de

la chose vendue. Ces devoirs d'information se limitaient a certaines situations

essentiellement basees sur une relation de profil professionnel-profane.

Le devoir d'information reconnu par la Cour supreme dans l'arret Bail est d'une

nature beaucoup plus generale et s'applique a tout type de contrat. En presence

163Bail, supra note 12.

325

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des circonstances d'application mentionnees a l'arret, il devient imperatif, sous

peine de sanctions, de transmettre certains elements d'information a son

cocontractant. En s'appuyant sur les ecrits du professeur frangais Jacques

Ghestin, la Cour supreme enonce ainsi les parametres de l'obligation

d'information:

1. La connaissance, reelle ou presumee, de Tinformation par la partie

debitrice de l'obligation de renseignement;

2. La nature determinante de Tinformation;

3. L'impossibilite du creancier de l'obligation de se renseigner soi-meme, ou

la confiance legitime du creancier envers le debiteur.764

II apparait done clairement que l'obligation de renseignement fondee sur la bonne

foi ne contraint le cocontractant que lorsque T autre partie est en situation

d'inegalite fondee sur une vulnerabilite informationnelle765. D'ailleurs, toutes les

notions d'equilibre et de coexistence paisible des droits et interets en droit des

obligations apparait en filigrane dans la decision puisque la Cour affirme que

«[1]'apparition de l'obligation de renseignement est reliee a un certain

reequilibrage au sein du droit civil ».766 Et point particulierement important, la

764 Ibid, aux pp. 586-587. II faut par ailleurs mentionner que depuis, ces criteres ont ete repris dans bon nombre de decisions et notamment dans Janin, supra note 309 et Losier, supra note 16. Pour certaines explications quant a ces criteres, voir notamment: Ghestin, Traite, supra note 29 au no 634 et s.; Jutras, supra note 670 aux pp. 30-33; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 166 et s.

765 Voir notamment les arrets Losier, supra note 16 aux para. 28 et 42; Lacharite c. Caisse populaire Notre-Dame de Bellerive, 2005 QCCA 577, [2005] R.J.Q. 1408 au para. 51 [Lacharite] et Mignacca, supra note 646 au para. 94, ou dans chaque cas la Cour refuse de reconnaitre qu'une des parties 6tait creanciere d'une obligation d'information puisque l'autre partie n'etait pas en situation de vulnerabilite informationnelle a son egard.

766 Bail, supra note 12 a la p. 587

326

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Cour insiste pour rappeler que les criteres ne doivent pas etre interpretes d'une

maniere telle que l'on donnerait « a l'obligation de renseignement une portee [...]

[qui] ecarterait l'obligation fondamentale qui est faite a chacun de se renseigner et

Hftl

de veiller prudemment a la conduite de ses affaires. » En d'autres termes,

l'obligation de renseignement n'est pas une obligation de charite mais bien une

obligation de veiller aux interets d'autrui lorsque l'on se trouve dans une situation

informationnelle privilegiee qui, si elle etait exploitee, contreviendrait a la saine

coexistence des droits et interets en permettant a la partie avantagee de nuire

indument a l'autre partie.

Dans cette affaire, la Cour supreme a juge qu'Hydro-Quebec etait dans une

situation informationnelle privilegiee puisqu'elle avait en sa possession des etudes

demontrant que la nature du sol n'etait pas propice a la methode de travail adoptee

(et proposee par les ingenieurs d'Hydro-Quebec). Bien que cette information fut

d'une grande importance pour l'entrepreneur devant effectuer les travaux requis,

Hydro-Quebec a omis de la transmettre a l'entrepreneur general, entrainant ainsi

la faillite du sous-entrepreneur responsable de ces travaux. Or, il est clair ici que

l'entrepreneur general et par le fait meme le sous-entrepreneur, etaient en situation

de grande vulnerability informationnelle et qu'Hydro-Quebec a fausse le risque

assume par ces entreprises, au mepris de leurs interets. Cette vulnerability n'a pas

ete causee par la negligence de l'entrepreneur puisque ce dernier etait tributaire

des renseignements fournis par Hydro-Quebec dans les documents de soumission

et ne pouvait obtenir lui-meme ces renseignements a couts raisonnables. Dans ces

161 Ibid.

327

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circonstances, Hydro-Quebec etait debitrice d'une obligation de renseignement et

devait transmettre toute Tinformation en sa possession afin que les

soumissionnaires puissent veiller adequatement a leurs interets. En negligeant de

respecter la saine coexistence des droits et des interets des parties impliquees au

chantier, Hydro-Quebec a commis une faute. Elle a consequemment ete jugee

responsable des dommages causes.

Cette interpretation du raisonnement de l'arret Bail demontre que le test propose

par la Cour supreme est une consecration des preceptes de liberte, responsabilite

et commutativite normative objective. On cherche, par l'obligation de

renseignement, a reequilibrer la situation des parties dans leur liberte contractuelle

et leur saine gestion d'interets. On constate d'ailleurs que le test propose n'est pas

lie a une quelconque qualite des parties mais bien a leur situation reelle

demontrant que Tune des parties est en position de vulnerabilite informationnelle.

Ainsi, comme c'etait d'ailleurs le cas dans l'arret Bail, l'obligation d'information

pourrait s'appliquer meme entre deux parties experimentees ou ayant des statuts

semblables mais dont la situation factuelle aurait pour resultante la vulnerabilite

nco informationnelle de Tune d'elles .

768 Voir notamment l'arret ABB, supra note 647 au para. 88 et Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 192, qui mentionnent bien que « [c]e qui importe, c'est le desequilibre dans les faits des parties qui n'est pas automatiquement relie a la qualite des parties. » Cependant, il est clair que si la partie qui se plaint du manquement a l'obligation d'information est une personne experimentee, cela augmente d'autant son obligation de se renseigner, ce qui lui rend plus difficile l'acces a l'obligation de renseignement. Mais encore la, cette analyse se fait en fonction de la situation factuelle des parties et non de leur statut en soi.

328

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II faut par ailleurs mentionner que plusieurs annees avant la decision Bail, la Cour

supreme s'etait deja penchee sur une affaire concernant un devoir d'information

dans l'arret Banque nationale du Canada c. Soucisse769. Cette affaire concernait

les heritiers d'une caution a qui la Banque reclamait des sommes pour des dettes

contractees en majeure partie depuis le deces de la caution. Cependant, les

heritiers n'avaient pas ete informes par la Banque du caractere revocable du

cautionnement. Dans ces circonstances, la Cour a impose une fin de non-recevoir

partielle a la demande de la Banque, soit pour les sommes contractees depuis le

deces. La Cour a juge que si la Banque prenait l'initiative d'informer les cautions

de l'existence du cautionnement, elle ne pouvait par ailleurs changer la

commutativite du contrat en cachant les modalites qui lui etait avantageux de

dissimuler770.

Dans l'arret Soucisse, la Cour a enonce qu'elle ne tolerait pas qu'une partie ne

devoile a l'autre, en situation de vulnerabilite informationnelle - ce qui etait le

cas ici puisque les cautions n'etaient pas en possession d'une copie du

cautionnement et ne pouvaient que se fier aux dires de la Banque - qu'une

information partielle l'avantageant indument. Ce faisant, la Banque n'a pas

respecte le principe de la saine coexistence des droits et interets puisqu'elle a agit

clairement contre les interets de ses cocontractants alors qu'elle savait qu'il

existait une situation d'inegalite causee par un deficit informationnel. En d'autres

termes, au lieu de reequilibrer la situation de vulnerabilite informationnelle afin de

769 Soucisse, supra note 10. 770 Ibid, a la p. 357.

329

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respecter les principes de la saine coexistence des droits et libertes et s'assurer que

les cautions puissent recouvrer la liberte de la sauvegarde de leurs interets, la

Banque a accentue l'inegalite des parties en fonction de son seul interet et au

mepris de celui des cautions. Comme la Banque ne pouvait ainsi nuire indument a

autrui, la Cour a impose une fin de non-recevoir pour cette partie de sa

reclamation.

Nous sommes d'avis que l'arret Soucisse demontre une application heureuse des

preceptes identifies dans cette these. Malheureusement, nous ne pouvons en dire

autant de plusieurs decisions qui ont suivi et pretendument applique les principes

de cet arret. A notre avis, l'arret Soucisse a faussement ete interprets comme

introduisant, en droit quebecois, une obligation generale de renseignement d'une

institution fmanciere a l'egard d'une caution sans egard a la presence ou a

l'absence d'une vulnerabilite informationnelle desavantageant la caution.

Pourtant, si l'on etudie attentivement l'arret»Soucisse, on ne peut conclure a une

telle interpretation. II est clair que cet arret a juge qu'une partie qui prend

l'initiative d'en informer une autre en situation de vulnerabilite informationnelle

doit fournir une information complete et non seulement les renseignements qu'il

est a son avantage de reveler. Mais cette obligation circonstancielle peut-elle se

traduire en une obligation generale et illimitee de renseignement en toutes

circonstances ?

330

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II est interessant de constater ce que pensait de cette question la Cour d'appel du

Quebec, en 1997, dans l'arret Banque nationale du Canada c. Goulet771.

Concernant un contrat conclu en 1990, la Cour explique que les obligations de

renseignement connues a l'epoque de la conclusion du contrat decoulaient

essentiellement de l'arret Soucisse. Or, la Cour cite alors le passage suivant de la

professeure Louise Poudrier-Lebel pour cerner la portee qu'il faut donner a ses

regies :

« Pour conclure, disons qu'il n'existe pas, dans l'etat actuel du droit

quebecois, un devoir d'information (renseignement ou conseil).

Par contre, si le creancier, de mauvaise foi, fournit des

renseignements errones ou des conseils inappropries ou encore s'il

n'execute pas une obligation d'information a laquelle [il] s'est

specialement engage par convention, il commet une faute pouvant

entrainer sa responsabilite. »772

C'est sur cette constatation que la Cour d'appel conclut qu'en vertu du droit en

vigueur au moment de la formation du contrat, 1'institution financiere devait

certainement repondre honnetement aux demandes d'information transmises par

la caution, mais sans etre par ailleurs soumise a un devoir general d'information

ou de conseil, notamment quant a l'opportunite ou aux risques potentiels de la

transaction. Bien que la Cour refuse de se prononcer sur l'etat de cette question

en 1997, on peut penser que meme le devoir d'information base sur la bonne foi

771 Banque nationale du Canada c. Goulet, (24 fevrier 1997), Montreal, 500-09-000526-947, REJB 1997-00356, J.E. 97-626 (C.A.) [Goulet].

772 Louise Poudrier-Lebel, « La liberation de la caution par la faute du creancier », (1987) 28 C. de D. 939 a la p. 948, tel que cite dans l'arret Goulet, supra note 771. Ce meme passage a par ailleurs ete repris a nouveau dans un arret plus recent de la Cour d'appel portant sur l'obligation d'information a l'egard d'une caution : Losier, supra note 16.

331

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ne permettrait pas de conclure a la presence d'un devoir general de divulguer de

telles informations. En effet, se prononcer sur l'opportunite ou les risques

potentiels de la transaction releve plus exactement d'un devoir de conseil que d'un

773 devoir d'information .

Si la reconnaissance et l'imposition d'un devoir de conseil sont justifiees dans

certains cas selon la nature du contrat - on peut penser par exemple a certains

contrats conclus avec des professionnels, tels que des ingenieurs ou avocats et qui

impliquent une abnegation de ses interets au profit de ceux de son client - imposer

un tel devoir general a tous les contrats irait tres certainement a l'encontre des

preceptes de liberte et de responsabilite dans la sauvegarde de ses interets.

N'oublions pas que la coexistence des droits et interets implique qu'une partie a,

en certaines circonstances essentiellement basees sur une position privilegiee

qu'elle detient, l'obligation de poser des gestes concrets, tel celui de fournir

certaines informations determinates a son cocontractant, afin de lui permettre de

veiller adequatement a ses interets sans etre indument dominee par son

774

cocontractant privilegie . Le postulat fondamental d'une telle pretention est que

chacun est responsable de veiller a ses interets, comme l'a si bien rappele la Gour

supreme dans l'arret Bail. Or, si nous imposons un devoir general de conseil pour

tout type de contrat, nous agissons en violation directe de ce postulat en faisant

porter a notre cocontractant la responsabilite de veiller a nos interets. II n'est

77j Voir notamment 164375 Canada, supra note 336; Lac-St-Charles (Ville de) c. Construction Choiniere, [2000] R.R.A. 639, J.E. 2000-1318 (C.A.) [Lac-St-Charles]\ Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 2001 et s.

774 Voir notamment a ce sujet, Alisse, supra note 308 a la p. 56 et s.

332

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done pas surprenant que la Cour supreme ait mentionne dans l'arret Bail que le

devoir general de renseignement devait par ailleurs etre distingue du devoir de

conseil775.

Malgre la position tres claire de la Cour d'appel dans l'arret Goulet concernant

l'incidence de l'arret Soucisse sur la portee de l'obligation d'information, bon

77 f t

nombre de decisions ont considere que l'arret Soucisse permettait de conclure a

une obligation de renseignement d'une institution financiere a l'egard d'une

caution et cela en toutes circonstances. En d'autres termes, ces decisions ont

interprets l'arret Soucisse d'une maniere qui leur permettait de condamner une

institution financiere pour manquement a l'obligation de renseignement a l'egard

d'une caution, meme si les conditions prevues dans l'arret Bail n'etaient pas

respectees. En toute deference, il s'agit a notre avis, d'autant de decisions

arbitraires puisqu'elles ne respectent pas les assises fondamentales de toute

relation contractuelle dont le respect est assure par les conditions d'application de 777 l'obligation d'information .

775 Bail, supra note 12 a la p. 587. 776 Voir notamment les decisions Caisse populaire Les Chutes c. Matteau, [1992] R.J.Q. 1693

(C.Q.) [Matteau]-, Groupe Permacon c. Fata, (11 avril 1997), Montreal, 500-02-033829-966, JE. 97-1052, REJB 1997-00730 (C.Q.) [Fata].

777 II est d'ailleurs interessant de noter a ce sujet que la Cour d'appel a confirme qu'il existe en droit quebecois une obligation generale de renseignement d'un preteur a l'egard d'une caution mais aux conditions de l'arret Bail: Losier, supra note 16 et Lacharite, supra note 765. II faut noter cependant dans cette derniere affaire qu'il s'agissait du devoir d'information a l'egard des debiteurs solidaires, que la Cour a assimile a celui envers les cautions.

333

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Ces decisions, comme plusieurs autres778, concernent le plus souvent des

renouvellements de pret au debiteur principal sans que la caution intervienne au

renouvellement ou que l'institution preteuse prenne l'initiative d'en informer

specifiquement la caution. Or, meme si le Code civil prevoit expressement qu'un

creancier principal doit repondre aux demandes d'information de la caution

relatives a l'obligation principale779, ces decisions imposent aux institutions

financieres l'initiative d'informer les cautions lors du renouvellement d'un pret.

Nous questionnons ces decisions puisque l'on peut se demander comment une

caution qui connait l'echeance d'un pret et qui possede legalement la capacite de

s'informer elle-meme peut par ailleurs pretendre etre en situation de vulnerabilite

780

informationnelle au sens de l'arret Bail'0. En d' autres termes, comment une

caution peut-elle pretendre que les faits en cause creent une situation de mise en

peril de sa capacite a assurer la sauvegarde de ses interets imposant a une

institution financiere de prendre l'initiative de veiller aux interets de celle-la ? En

se rappelant que la regie de la saine coexistence des droits et interets a pour but 778 Ces decisions ne s'appuient pas necessairement sur l'arret Soucisse mais neanmoins sur une

interpretation de l'obligation de renseignement qui nous semble erronee puisqu'elle ne tient pas compte de la vulnerabilite informationnelle, qui implique necessairement un certain prejudice pour la « victime ». Voir notamment, Banque Laurentienne du Canada c. Adeclat, (20 juillet 1999), Montreal, 500-17-003199-984, J.E. 99-1643, REJB 1999-13740 (C.S.) [Adeclat]; Caisse populaire de Sorel c. Beauchemin, (20 mai 1998), Richelieu, 765-05-000265-949 et 765-05-000281-946, J.E. 1886, REJB 1998-08754 (C.S.) [Beauchemin]; Compagnie Trust Royal c. Entreprises B.M. St-Jean, (7 mai 1997), Montreal, 500-05-017651-967 et 500-05-017652-965, J.E. 97-1158, REJB 1997-00768 (C.S.) [B.M. St-Jean]; Fata, supra note 776.

779 Article 2345 C.c.Q. 780 II est d'ailleurs interessant de noter un commentaire de la Cour d'appel du Quebec qui

impliquait un nouveau debiteur « assumant» le pret de son vendeur et dont le pret avait ete renouvele deux fois par la suite, a l'insu du debiteur initial (le vendeur). Ce dernier a tente de plaider tant novation tacite du pret que manquement par l'institution financiere a son devoir d'information. Ce dernier argument avait ete accueilli par le juge de premiere instance mais a 6te rejete par la Cour d'appel avec le commentaire suivant: « Autrement dit, on ne doit pas pousser l'intensite de l'obligation d'informer jusqu'a une tolerance inconditionnelle et a l'absolution d'une conduite negligente ou imprudente de la part du debiteur. II convient done de respecter un certain equilibre. » Mackay, supra note 17 au para. 34.

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d'eviter qu'une partie ne puisse imposer, a son benefice, sa volonte a une autre, on

comprend mal comment la libre gestion des interets de la caution peut etre

affectee par le renouvellement du pret principal sans l'intervention de celle-ci. Au

contraire, le principe de la libre gestion des interets prone que l'on respecte la

volonte de la caution de ne pas se tenir au courant du bon deroulement de

l'obligation principale malgre la possibility legale qu'elle a de le faire. La

possibility entraine la responsabilite de veiller a ses affaires et on ne peut se

plaindre de son propre manquement.

Cette derniere reflexion nous amene aussi a nous interroger sur la necessity pour no i

une partie de lire un contrat qu'elle s'apprete a signer. Plusieurs decisions

concluent a l'absence de bonne foi de la partie adverse lorsqu'une partie se dit

surprise par le contenu du contrat alors qu'elle admet par ailleurs ne pas l'avoir lu.

Ainsi, dans la decision Banque royale du Canada c. Audet, on reproche a la

banque de ne pas avoir pris l'initiative de renseigner la caution, M. Audet, sur le

cautionnement qu'il s'appretait a signer. Consequemment, le tribunal juge que la

banque n'a pas agi selon les exigences de la bonne foi et rejette Taction de la

banque en recouvrement du pret principal. Pourtant, il est clairement etabli que la

caution n'avait pas lu le document de cautionnement. De plus, M. Audet n'etait

pas ici victime d'une quelconque manoeuvre de la banque qui permettrait de

781 Voir notamment Banque royale du Canada c. Audet, (27 fevrier 1997), Val d'Or, 615-02-000167-958, J.E. 97-882, REJB 1997-03000 (C.Q.) [Audet] et Bolduc c. Decelles, [1996] R.J.Q. 805 (C.Q.) [Bolduc].

335

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• 787 •

justifier l'absence de lecture du contrat . En de telles circonstances, pouvait-il

se plaindre d'un manquement aux exigences de la bonne foi ?

Nous l'avons mentionne, l'assise de la responsabilite, qui entraine l'obligation de

veiller a ses interets, se traduit, en matiere d'obligation de renseignement, par

l'obligation pour chacun de se renseigner. Or, il semble que ce principe soit

bafoue lorsqu'une partie avoue ne pas avoir pris la peine de lire le contrat. Une

lecture prealable du contrat constitue certainement un des premiers elements

essentiels de la responsabilisation de chacun face a ses interets. Ainsi,

Paffirmation voulant qu'en principe l'absence de lecture constitue une erreur

783

inexcusable empechant l'annulation d'un contrat pour vice de consentement

semble conforme a l'assise de la responsabilite.

Si la negligence d'une partie a s'informer et a veiller a ses interets en ne lisant pas

le contrat devrait generalement etre sanctionnee, la rigueur de la regie que nous

proposons merite par ailleurs d'etre temperee en presence de certaines

78 A circonstances precises . Une premiere serie de circonstances seraient relatives a

782 Voir par exemple a ce sujet la decision 9029-4596 Quebec Inc. c. Duplantie, [1999] R.J.Q. 3059, REJB 1999-15014 (C.Q.) [Duplantie], oil les circonstances demontrent selon le juge qu'il y a eu usage de ruse, mensonge et contrainte par une des parties afin d'amener I'autre partie a signer le contrat sans pouvoir le lire.

783 Voir notamment Societe quebecoise d'assainissement des eaux c. B. Fregeau & Fils, (5 avril 2000), Montreal, 500-09-005829-973, J.E 2000-809 (C.A.) (Requete pour permission de pourvoi a la Cour supreme rejetee, 9 novembre 2000); Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 225.

784 Voir l'arret Letourneau c. Garantie (La), Compagnie d'assurances de I'Amerique du Nord, (23 fevrier 2000), Quebec, 200-09-001307-971, J.E. 2000-535, REJB 2000-16649 (C.A.) (Requete pour autorisation de pourvoi a la Cour supreme rejetee, 5 octobre 2000) [Letourneau] oil la Cour specifie que l'analyse des circonstances in concreto est le critere pour evaluer le caractere grossier ou inexcusable d'une erreur. Or, nous l'avons deja explique, a notre avis, il faut plutot fonder l'analyse sur la notion de raisonnable, qui par definition est un critere objectif, mais qui

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la concretisation de la troisieme condition de l'obligation d'information enoncee

dans Bail, soit 1'impossibility de s'informer ou la confiance legitime en son

cocontractant: Ainsi, 1'impossibility de s'informer (et done de lire le contrat)

pourrait resulter du comportement de l'autre partie qui, par ses faits et gestes,

empecherait son cocontractant de lire le contrat. La falsification du contrat ou des

ruses serieuses en seraient de bons exemples.

En plus de comprendre des elements relatifs a 1'impossibility de s'informer, la

premiere serie de circonstances pouvant parfois justifier l'absence de lecture du

contrat inclut aussi la confiance legitime d'une partie envers l'autre. Par exemple,

pour plusieurs auteurs, cette confiance pourrait resulter de trois situations

particulieres, soit:

1. la confiance legitime fondee sur la nature du contrat (par exemple, les

contrats de mandat);

2. la confiance fondee sur la qualite des parties (contrats entre membres

d'une meme famille immediate, professionnels traitant avec des clients

non experimentes);

3. la confiance legitime fondee sur les informations incompletes ou erronees -joe

fournies par le cocontractant.

En de telles circonstances, on pourrait pardonner a une partie de ne pas avoir lu le

contrat. Cependant, il ne faut pas oublier que ces circonstances attenuantes ont

s'apprecie en fonction des circonstances propres a l'espece, soit le jugement de valeur sur le comportement d'une personne raisonnable placee dans les memes circonstances: voir Jourdain, « Devoir », supra note 377 aux pp. 142-143.

785 Fabre-Magnan, Information, supra note 269 au no. 255; Ghestin, Traite, supra note 29 au no. 657 et s.; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 176 et s.; Romain, supra note 270 au no. 377.

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principalement ete enoncees pour la recherche active de renseignements plutot

que pour la regie de prudence elementaire que constitue la lecture prealable d'un

contrat. Ainsi, pour ecarter cette regie de prudence, il faudra a notre avis, des

circonstances tres serieuses et non de simples pretextes.

Une deuxieme serie de circonstances devraient aussi permettre de temperer la

regie de lecture prealable. Ainsi, on ne devrait pas sanctionner la partie n'ayant

pas lu le contrat si une telle lecture n'aurait absolument ou pratiquement rien no s

change a la situation contractuelle des parties . Lorsque la situation d'inegalite

est a ce point prononcee qu'une partie peut entierement imposer a l'autre les

conditions contractuelles, il est futile de penser qu'une lecture prealable pourrait

permettre a la partie desavantagee de veiller a la saine gestion de ses droits et

interets. II en est ainsi dans les contrats d'adhesion ou, meme en faisant preuve de

prudence par une lecture prealable du contrat, la partie desavantagee est

entierement soumise, si elle accepte de conclure le contrat, aux clauses non

contractuelles imposees par son cocontractant .

Une telle serie de circonstances attenuantes permettraient de justifier une decision

comme celle de Banque royale du Canada c. Audet, decrite ci-haut. En effet, on

sait que les banques imposent a leurs clients des contrats d'adhesion qu'il est

pratiquement impossible de modifier. On peut done raisonnablement penser que

786 Voir, concernant les polices d'assurance et l'assouplissement des regies de lecture par l'assure : Moore, supra note 311 a la p. 435. Au meme sujet, voir l'opinion du juge Baudouin dans Ribo, supra note 311 a la p. 963, ou l'on fait mention du fait que l'assure n'a pas lu sa police en entier mais ou l'on conclut que de toute fa?on une telle lecture n'aurait pas ete tres utile puisque la clause d'exclusion etait fort ambigue.

787 Voir la definition legislative du contrat d'adhesion a l'article 1379 C.c.Q.

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le contrat de M. Audet n'echappait pas a cette rigidite et qu'il n'aurait pu modifier

le contenu contractuel meme en le lisant. Mais il appartenait au juge, afin

d'assurer la coherence de sa decision, de faire clairement paraitre ce motif dans sa

decision d'imposer une obligation de renseignements particulierement rigoureuse

a la banque. Contrairement a ce que peut laisser entendre la lecture de cette

decision, ce n'est pas par l'obligation de conferer un avantage a autrui que la

banque s'est vue imposer une obligation d'information mais bien par la simple

application du principe de ne pas nuire indument a autrui. Une partie tres

puissante qui impose un contrat doit en exposer les termes et veiller a ce qu'ils ne

soient pas abusifs.

Ceci dit, en de telles circonstances ou les clauses contractuelles sont dictees par

une partie, on peut s'interroger sur les sanctions qu'il apparait approprie

d'imposer a cette partie lorsqu'elle ne respecte pas son obligation de

renseignement. Ce questionnement nous permet entre autres de reflechir sur les

portee et utilite de l'article 1435 C.c.Q. Cet article exige que, dans un contrat

d'adhesion ou de consommation, une clause externe soit expressement portee a

l'intention du cocontractant sous sanction d'etre nulle. Or, dans la position

d'inegalite qui resulte des circonstances d'un contrat d'adhesion, il est normal que \

l'on exige que la partie desavantagee puisse prendre expressement connaissance

du contenu d'une clause externe. Sans cette precaution, il serait beaucoup trop

aisee pour la partie avantagee de tirer profit de la situation, notamment en

modifiant unilateralement, a l'insu de 1'autre partie, le contenu du document

externe auquel renverrait une telle clause. L'article 1435 C.c.Q. vise a eviter de

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telles situations abusives. Cependant, il n'est pas a l'abri de toute critique

puisqu'une telle obligation d'informer l'autre partie est une obligation minimale

dans les circonstances. Elle se revelera souvent insuffisante pour veritablement

retablir une commutativite objective entre les parties puisqu'elle ne permettra pas

a la partie desavantagee d'eviter 1'application d'une telle clause. Une possibility

de saine gestion de ses interets n'implique pas seulement d'etre bien renseigne. II

faut concretement pouvoir eviter l'application de clauses deraisonnables. Or, pour

se faire, la partie devra utiliser le mecanisme prevu a l'article 1437 C.c.Q., ce qui

constitue un fardeau supplementaire.

Notre reflexion sur l'utilite de l'article 1435 C.c.Q. nous amene a conclure qu'en

presence d'un contrat d'adhesion, il est probable que le seul fait d'imposer une

obligation d'information basee sur la bonne foi sera concretement insuffisant pour

permettre a la partie desavantagee de veiller sainement a ses droits et interets. II

faudra en plus controler le contenu contractuel afin de s'assurer que la partie

avantagee ne puisse profiter indument de sa situation. La connaissance de cette

situation par le cocontractant n'apparait etre que de peu d'utilite.

Prenons un exemple concret. La plupart, pour ne pas dire l'ensemble, des contrats

hypothecates quebecois contiennent une clause prevoyant qu'en cas d'incendie

de l'immeuble hypotheque, la decision de reconstruire ou non l'immeuble

appartiendra a l'institution financiere, qui sera entierement libre, dans un tel cas,

de disposer de l'indemnite d'assurance. Une telle clause est imposee a

l'emprunteur, dans le cadre d'un contrat d'adhesion. Or, si un tel incendie

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survenait et que Pindemnite payable par l'assureur etait nettement superieure a la

valeur residuelle du pret garanti par hypotheque, serait-il pertinent pour le

controle des consequences de cette clause que l'emprunteur ait connu ou non la

presence de celle-ci ? II faudrait en plus s'assurer que l'institution financiere agit

selon les exigences de la bonne foi en tenant particulierement compte, dans sa

situation privilegiee, des interets de son cocontractant. Or, il faut esperer, dans un

tel cas, qu'une decision de ne pas reconstruire, contre la volonte de l'emprunteur,

pour se payer avec Pindemnite serait interpretee comme une decision ne

respectant pas les exigences de la bonne foi.

Cette reflexion sur les sanctions appropriees nous amene a nous interroger sur la

question du prejudice subi par le creancier de l'obligation d'information. L'arret

788

Trust La Laurentienne du Canada c. Losier s'est prononce sur la necessite de

demontrer un prejudice. Cela est parfaitement logique puisque pour pouvoir se

dire creanciere d'une obligation de renseignements, une partie se doit d'etre en

situation de vulnerabilite informationnelle. Or, une telle situation implique

necessairement un prejudice si l'obligation n'est pas respectee, tel que l'a rappele

la Cour d'appel dans un arret de 2005789. Nous l'avons deja mentionne, en

l'absence de prejudice, meme au sens large du terme, il est impossible de faire

appel aux principes de justice commutative justifiant l'intervention judiciaire.

L'intervention judiciaire a pour but de pallier l'incapacite d'une partie a veiller a

ses interets. Encore faut-il que l'on puisse faire la preuve d'une telle incapacity.

788 Losier, supra note 16 particulierement aux para. 28 et 42. 789 Lacharite, supra note 765 aux para. 49-55.

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La preuve du prejudice est toujours necessaire. Un manquement a l'obligation

d'information basee sur la bonne foi fera la preuve d'une faute790. Mais cette

preuve ne sera pas suffisante. Pour qu'une faute entraine la responsabilite civile

de son auteur, il faut qu'elle ait cause des dommages. Ce sont ceux-ci qui seront

compenses et ils devront etre prouves.

II en est de meme des circonstances ou un manquement aux exigences de la bonne

foi peut donner ouverture a un autre type de sanction que le simple octroi de

dommages791. En l'absence de cette balise que constitue la necessite d'un

prejudice, on ne peut que sombrer dans l'arbitraire, le juge accordant alors des

benefices a l'une des parties sans que cette derniere n'ait subi la moindre perte,

demonstration de l'injustice commise a son endroit. Si les principes de justice

commutative ne sont nullement affectes, comment justifier l'intervention

judiciaire du « gardien de l'equilibre » ? II etait done essentiel que la Cour

d'appel intervienne pour remettre de l'ordre dans l'application de l'obligation de

renseignement.

Nous retenons done de cette section que la fonction completive de la bonne foi est

une fonction prolifique qui permet au juge de modifier au besoin la commutativite

des profits et des charges assumees par les parties en fonction de criteres de nature

790 Or, comme le rappelle la Cour d'appel, en plus de cette faute, il faut prouver les dommages subis et le lien de causalite pour donner ouverture a une condamnation pour responsabilite civile : Mignacca, supra note 646 au para. 101.

791 Par exemple, la fin de non-recevoir reconnue dans l'arret Soucisse, supra note 10.

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objective. Elle se decline presentement essentiellement sous les vocables

d'obligation de loyaute, de cooperation et d'information entre les contractants.

4.2.3. La fonction limitative

La definition traditionnelle de la fonction limitative de la bonne foi renvoie a la

notion d'abus de droit, qui est ici envisagee non pas comme une notion distincte

707

mais comme une ramification de la bonne foi . Les parametres de la fonction

limitative se trouvent dans la definition codifiee a l'article 7 C.c.Q. qui prevoit

qu'« [a]ucun droit ne peut etre exerce en vue de nuire a autrui ou d'une maniere

deraisonnable, allant ainsi a l'encontre des exigences de la bonne foi». En ce

sens, cette fonction de la bonne foi permet d'aller au-dela de 1'inclusion de

certaines obligations implicites au contrat pour examiner comment les parties se

comportent au sein de la relation contractuelle . Elle vise done a sanctionner le

comportement inapproprie d'une partie dans l'exercice de ses prerogatives

contractuelles. Cette constatation nous permet d'ores et deja d'affirmer que,

contrairement a la fonction completive qui permet d'imposer certaines obligations

implicites en cours de contrat, la fonction limitative ne pourra jouer son role qu'a

posteriori. Le comportement des parties ne peut etre examine avant que celles-ci

n'aient commence a effectivement exercer leurs prerogatives. II est done fort

probable qu'elle sera essentiellement sanctionnee par l'octroi de dommages. 792 Lluelles et Moore, supra note 20 notamment au no. 1987. 793 Stoffel-Munck, A bus, supra note 616 au no. 86.

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A ce stade de notre etude, il apparait necessaire de circonscrire la notion d'abus de

droit telle qu'elle est definie au Code civil et pergue en jurisprudence. Cette

analyse peut sembler simple puisque la notion d'abus de droit est codifiee a

l'article 7 C.c.Q. Pourtant, cette definition en apparence simple est, a notre avis,

source de nombreuses confusions, tant en jurisprudence qu'en doctrine. Nous

croyons done utile de tenter d'y apporter quelques eclaircissements pour assurer

une meilleure coherence.

Concernant la notion d'abus de droit, une premiere condition s'impose d'elle-

meme. II doit effectivement et concretement s'agir d'un droit dont pouvait jouir

1' « abuseur » du droit. II faut done etre en presence d'un veritable droit et non

d'une obligation de faire ou de ne pas faire. Cette condition peut sembler

simpliste mais pourtant, il s'agit d'une premiere source reelle de confusion. On

voit souvent, notamment en jurisprudence, des commentaires affirmant qu'une

personne avait l'obligation d'agir selon une norme precise et que consequemment,

son defaut d'agir conformement a cette prescription entraine un abus de droit.

Ainsi des phrases comme : « [l]e manquement a une telle obligation de loyaute

peut entrainer un abus de droit puisque cette theorie ne se limite pas aux seuls cas

ou l'on agit avec malice794 » ou « [n]e pas exercer ses obligations contractuelles

794 Posluns, supra note 739 au para. 15 [nos italiques]

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de bonne foi constitue un abus de droit» nous apparaissent en contradiction

avec la notion d'abus de droit.

Cette confusion, tres frequente, est probablement due a une analyse erronee de

l'abus de droit. Malheureusement, le bat blesse puisque cette analyse faussee

semble decouler de l'arret Banque nationale du Canada c. Houle796, decision de la

Cour supreme du Canada qui a reconnu l'existence de l'abus de droit contractuel

en droit quebecois. Rappelons brievement les faits de cette affaire. Apres une

relation d'affaires de plus de 50 ans avec la compagnie de la famille Houle, la

Banque nationale a decide de rappeler son pret, a pris possession des lieux et a

liquide les actifs de la compagnie moins de 3 heures apres que les dirigeants de la

compagnie aient eu connaissance de la demande de rappel de pret. Or, les

actionnaires de cette compagnie negociaient la vente imminente de leurs actions.

La Banque connaissait ces pourparlers et pourtant n'a pas attendu que la vente soit

conclue pour liquider les actifs, ce qui naturellement a eu un impact important sur

la valeur des actions. Devant ces faits, la Cour supreme juge que le rappel du pret

en soi ne constituait pas un abus de droit mais que, par ailleurs, l'exercice

deraisonnable de ce droit par la liquidation des actifs en moins de trois heures

permettait de conclure a un abus de droit contractuel.

Ainsi, dans cet arret, la Cour supreme reconnait officiellement la theorie de l'abus

de droit contractuel. Elle en specifie aussi les criteres d'application: l'abus de

795 Conexsys Systems Inc. c. Aime Star Marketing Inc., [2003] R.J.Q. 2875 (C.S.) au para. 129 [nos italiques] [Conexsys].

796 Houle, supra note 11.

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droit ne resulte pas seulement de la malice ou la mauvaise foi. II peut aussi

resulter d'un exercice deraisonnable d'un droit. Et c'est dans l'application de ce

dernier critere que la confusion entre l'abus d'un droit et la violation d'une

obligation a pris racine.

N'ayant pas encore l'opportunite de s'appuyer sur les dispositions du Code civil

du Quebec relatives a l'abus de droit et la bonne foi, la Cour fonde sa theorie sur

l'obligation implicite d'agir loyalement dans l'exercice de ses droits contractuels :

« Pour ce qui est du fondement de la theorie, suivant la solution a la

fois doctrinale et jurisprudentielle au Quebec, c'est bien le regime

contractuel de responsabilite qui regit l'abus d'un droit contractuel

puisque, implicitement en droit civil, les parties a tout contrat

s'engagent a agir, dans l'exercice de leurs droits contractuels, a la

maniere prudente et diiigente d'une personne raisonnable et dans les

limites de la loyaute. S'il y a violation de cette obligation implicite,

la responsabilite contractuelle est alors engagee a l'egard du 797 cocontractant. »

Ainsi, la Cour supreme utilise elle-meme l'expression « violation d'une obligation

implicite » pour designer l'abus de droit. Pourtant, droit et obligation sont

certainement deux concepts differents. Elle pousse meme ce raisonnement plus

loin en imposant a un creancier qui desire realiser ses garanties a l'endroit d'un

pret a demande l'exigence de donner un delai raisonnable au debiteur pour que ce

dernier ait la chance de s'acquitter de ses obligations. Or, pour la Cour supreme,

797 Ibid, a lap. 164.

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le fait que la Banque n'ait justement pas respecte cette obligation de delai

raisonnable entraine l'ouverture d'un recours fonde sur l'abus de droit de la part

de la compagnie. Selon cette vision, c'est done le non-respect d'une obligation de

delai raisonnable qui est la source de l'abus de droit. En d'autres termes, cette

obligation vient limiter l'assiette du droit subjectif en obligeant le creancier,

titulaire d'un droit puissant a l'encontre de son debiteur, a tenir compte des

interets de ce dernier. Or, nous avons de la difficulty a saisir comment une telle

obligation peut constituer un abus de droit.

La violation d'une obligation ne peut etre consideree comme l'exercice deficient

d'un droit. La banque debitrice d'une obligation de delai raisonnable n'est pas

titulaire d'un droit, meme si l'execution de cette obligation est intimement liee a

l'exercice d'un droit que possede par ailleurs la banque, soit celui de rappeler le

pret. Si la banque demeure done en quelque sorte maitresse de la possibility de se

voir ou non soumise a ce devoir, une fois qu'elle fait le choix de rappeler son pret,

elle doit alors obligatoirement executer une prestation sous peine d'une sanction

798

juridique de responsabilite pour inexecution de l'obligation . Elle n'a pas le

choix de fournir un preavis raisonnable, sous peine de sanction judiciaire. En ce

sens, cette prestation se rapproche plus de la notion courante de devoir que de

celle d'un droit. Et si la violation de cette obligation peut certainement entrainer la

faute de son auteur, il faut tout de meme la distinguer de l'abus de droit. Toute

faute n'engendre pas un abus de droit799.

798 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 16. 799 Provigo, supra note 614 au para. 55.

347

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De la repose la confusion. Pour parler d'abus de droit, il faut examiner la

situation juridique sous Tangle des droits du creancier plutot que sous celle de ses

obligations en tant que debiteur. En d'autres termes, il faut examiner le

comportement d'un creancier dans l'exercice de son droit a prendre possession

des biens faisant l'objet de la garantie plutot que son obligation d'accorder un

delai raisonnable decoulant d'une obligation implicite au contrat. Mais cette

distinction nous semble artificielle puisque l'exercice de tout droit est limite par

les droits et interets d'autrui que nous avons tous l'obligation de respecter.

Correlativement a son droit de rappeler le pret, le creancier est debiteur d'une

obligation implicite visant a assurer une certaine sauvegarde des interets des

parties et on ne peut plus alors parler d'abus de droit. Par exemple, dans Taffaire

Houle, nous n'aurions pas de difficulte a accepter que la liquidation des actifs de

la compagnie moins de 3 heures apres le rappel du pret puisse en soi etre

consideree comme un abus de droit, sans qu'il soit necessaire de discuter d'une

obligation d'accorder un delai raisonnable. II semble en effet que Ton puisse

reconnaitre la presence d'un comportement inacceptable socialement dans l'usage

du droit. Par contre, si on veut introduire en droit quebecois une obligation de

preavis raisonnable lors du rappel d'un pret a demande, on doit alors parler f

d'inexecution d'une obligation contractuelle implicite entrainant une

responsabilite contractuelle mais certainement pas d'un abus de droit. II y a

certainement manquement aux exigences de la bonne foi mais y a-t-il abus de

droit ?

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L'abus de droit ne peut s'analyser comme la violation d'une obligation. II doit

plutot etre considere comme un comportement socialement inacceptable dans

l'exercice d'un droit et c'est d'ailleurs ainsi que le definit le Code civil a l'article

7. La difference est importante puisque pour que l'on puisse parler d'abus de

droit, il faut d'abord demontrer l'exercice d'un droit. Or, dans bien des cas, seule

la violation d'une obligation a ete demontree. Or, nous l'avons dit, il nous apparait

de toute fagon difficile de contourner cet obstacle puisque ultimement tous les

droits impliquent le devoir correlatif de ne pas nuire indument a autrui dans leur

exercice. En contrevenant a ce principe, on contrevient a un devoir. On ne peut

alors parler d'abus de droit.

De plus, cette definition de l'abus lie a un comportement socialement inacceptable

renvoie ni plus, ni moins a la notion de bonne foi, qu'il devient pratiquement

inutile de distinguer de l'abus de droit800. D'ailleurs, la definition proposee a

l'article 7 C.c.Q. est parfaitement conforme a cette ambigui'te puisque l'on exige

un comportement excessif et deraisonnable ou comportant une intention de nuire

« allant ainsi a l'encontre des exigences de la bonne foi. » Or, si l'on contrevient

deja aux exigences de la bonne foi, est-il necessaire de tenter de prouver en plus

l'existence d'un abus de droit ? Une telle demarche necessitant d'un plaideur une

preuve supplemental serait-elle d'une quelconque utilite ? Et si oui, ou se situe

la ligne de demarcation entre un comportement deraisonnable entrainant un

800 Voir sur cette question: Adrian Popovici, « La poule et l'homme : sur l'article 976 C.c.Q. », (1997) 99 R. du N. 214 aux pp. 232-233, n. 51 [Popovici, « Poule »].

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manquement aux exigences de la bonne foi et un comportement deraisonnable

qualifie d'abus de droit ?

Dans un contexte ou l'exigence d'agir selon les preceptes de la bonne foi est

maintenant martelee au Code civil, la reconnaissance de l'abus de droit nous

apparait comme superflue. Si la preuve d'un manquement aux exigences de la

bonne foi suffit a faire reconnaitre l'existence d'une faute, l'exigence d'une

preuve supplemental de l'exercice deraisonnable d'un droit apparait nuisible et

inutile aux interets de la partie desavantagee. D'ailleurs, il est interessant de noter

que le jugement Houle nous reconforte dans notre opinion puisque, a l'instar du

Code, une lecture attentive du jugement revele qu'il fait reposer la legitimite de

l'abus de droit sur les principes de bonne foi. De meme, la Cour d'appel du

Quebec a specifie que la notion d'abus de droit « a toujours possede une

srn

connotation de faute generatrice de responsabilite personnelle » . Bonnet blanc

et blanc bonnet!

C'est done pour ces raisons que nous croyons que la fonction limitative de la

bonne foi ne devrait plus se definir comme la necessite de demontrer un abus de

droit. II faut plutot considerer que l'utilite de cette fonction est de permettre au

juge d'intervenir a la relation contractuelle pour juger si le comportement des

parties dans l'exercice de leurs prerogatives se fait selon les standards

qu'implique la bonne foi. II permet done au juge une intervention qui n'est pas

basee sur le simple contenu contractuel mais sur le veritable comportement adopte

801 Ciment du St-Laurent, supar note 3 au para. 143.

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par les parties. Et un comportement socialement inacceptable contrevenant ainsi

aux exigences de la bonne foi devrait faire l'objet d'une sanction, sans qu'il soit

par ailleurs necessaire d'imposer un fardeau de preuve supplemental d'intention

malveillante ou d'exercice excessif pour demontrer un abus de droit.

4.2.3.1. L'abus de droit en droit du travail et l'octroi de frais extrajudiciaires pour abus de procedures : des exceptions a la regie ?

Certains pourraient par ailleurs soulever l'utilite de l'abus de droit en certaines

circonstances, tel que l'octroi, en droit quebecois, de dommages bases sur un abus

de droit dans le congediement d'un employe ou celui des honoraires

extrajudiciaires a titre de dommages. Pourtant, notre etude nous amene a conclure

a 1'aspect arbitraire de certaines decisions a ce sujet . Bien que cette analyse

deborde le simple champ contractuel pour s'interesser aussi aux principes

gouvernant les relations en matiere extracontractuelle, nous croyons qu'elle est

tout de meme importante afin de contrer tous les arguments que l'on tente

d'invoquer quant a l'utilite de la notion d'abus de droit en droit quebecois.

802 Pour une analyse detaillee sur cette question, voir Popovici, « Honoraires », supra note 634.

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4.2.3.1.1. L'abus du droit de congedier

On peut done s'interroger sur tout un eourant de jurisprudence en droit du travail

qui recherche la presence d'un abus du droit de congediement pour octroyer des

dommages moraux803. Les motivations de la Cour d'appel nous semblent

legitimes. On veut eviter la double indemnisation entre l'indemnite de delai-

conge et les dommages moraux puisqu'on prend pour acquis que tout type de

congediement va entrainer des dommages moraux qui seront en partie indemnises

par l'indemnite de depart. Nous l'avons mentionne, la societe accepte parfois que

l'exercice d'un droit entraine une nuisance pour autrui, sans que celle-ci ne puisse

etre specialement compensee si elle n'est pas fondee sur l'exercice socialement

deraisonnable du droit. II en est ainsi des dommages moraux subis inevitablement

suite a un congediement, si ce dernier respecte certaines regies, notamment quant

au preavis ou a l'indemnite de depart. Pour que la nuisance soit compensee, il

faut que les circonstances demontrent un exercice deraisonnable de la prerogative

de congedier, notamment par du harcelement, de la violence ou d'autres gestes

disgracieux ou humiliants. Done, nous sommes d'accord pour dire qu'il faut qu'il

y ait manquement aux exigences de la bonne foi et que la fonction limitative de la

bonne foi peut s'averer utile pour evaluer un tel manquement. Cependant, nous ne

croyons pas qu'il faille aller jusqu'a la preuve d'un abus de droit. D'ailleurs, la

demarche adoptee par la Cour d'appel et visant a obtenir la preuve d'un abus de

803 Voir notamment Aksich c. Canadian Pacific Railway, 2006 QCCA 931, [2006] R.J.D.T. 997 [Aksich\, Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Legros, 2005 QCCA 48, [2005] R.J.Q. 383 notamment au para. 31 et s. [Legros]; Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, [1994] R.J.Q. 1751 (C.A.) [Stewart],

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droit semble confuse et peut probablement s'expliquer par l'ambigufte que

provoque la necessite d'une preuve additionnelle au manquement aux exigences

de la bonne foi:

« [ . . . ] Ainsi, alors que l'indemnite de delai de conge vient

compenser les inconvenients lies au congediement, l'indemnisation

pour abus de droit n'existera que s'il y a negligence, mauvaise foi

ou une faute identifiable de l'employeur. C'est done dans les seuls

cas ou l'exercice du droit de resiliation unilaterale s'accompagne

d'une faute caracteristique distincte de facte de congedier que

l'octroi de dommages moraux en matiere de congediement sans

cause sera justifie. II pourra en etre ainsi, par exemple, lorsque

l'employe congedie a subi un prejudice serieux a sa reputation ou

qu'il a ete congedie de fagon humiliante, degradante ou blessante.

Le critere pour l'application de la theorie de l'abus de droit en

matiere de congediement est done plus severe que l'exercice

raisonnable d'un droit et s'apparente a la mauvaise foi. Dans

certaines situations, le simple exercice negligent d'un droit pourra

toutefois etre considere comme un abus de droit. [...] »804

Pour que des dommages specifiques soient accordes, il faut une faute caracterisee

que la Cour d'appel nomme « abus de droit». Cette faute pourrait etre basee sur

la negligence mais ne pourrait etre consideree comme le simple exercice

deraisonnable d'un droit. Or, par cette methode d'analyse, la Cour d'appel

s'eloigne de la terminologie de l'article 7 C.c.Q. et des criteres enonces par la

80S • Cour supreme dans l'arret Houle concernant l'abus de droit. Ainsi, si le critere

804 Legros, ibid, au para. 31-32 (juge Mailhot) [nos italiques]. 805 Houle, supra note 11.

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prone par la Cour d'appel peut avoir l'avantage de distinguer l'abus de droit du

simple manquement a l'obligation de bonne foi, il nous apparait peu conforme au

droit actuel et difficile a interpreter. De plus, nous ne comprenons pas pourquoi

un manquement a l'obligation de bonne foi lors du congediement ne pourrait en

soi constituer la faute caracterisee dormant ouverture a des dommages moraux

distincts de l'indemnite de depart. En posant la question autrement, on pourra

tout aussi s'interroger sur les motifs qui justifieraient qu'un manquement a

l'obligation de bonne foi lors d'un congediement ne puisse etre en soi compense

puisque l'acte de congedier constitue un droit qui doit etre exerce de bonne foi.

Ainsi, l'indemnite de depart venant indemniser les dommages inevitables lors

d'un congediement ne compense pas un manquement a l'obligation de bonne foi.

Mais la victime d'un tel manquement pourra-t-elle se voir octroyer des dommages

si elle ne parvenait pas a demontrer un abus de droit mais seulement un

manquement aux exigences de la bonne foi ?

De plus, comme nous l'avons mentionne dans la section sur la responsabilite

civile et comme il sera plus amplement developpe dans la proehaine sous-section

relative aux frais extrajudiciaires, le droit prive ne sanctionne pas en fonction de la

gravite de la faute commise mais bien en fonction des dommages subis. Or, telle

est pourtant la demarche adoptee par la Cour d'appel lorsqu'elle applique un

critere «plus severe que l'exercice raisonnable d'un droit». Elle laisse

transparaitre un souci de punition pour la gravite du comportement de

l'employeur lors du congediement de son employe, but qui malheureusement n'a

pas sa place dans la responsabilite civile d'un systeme de droit civil.

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Devant une telle situation, il apparait souhaitable que l'on reexamine la notion

d'abus de droit de congedier afin d'y inclure le manquement aux exigences de la

bonne foi.

4.2.3.1.2 Les honoraires extrajudiciaires

Traditionnellement, le droit quebecois n'inclut pas les honoraires extrajudiciaires,

ou si l'on prefere, les honoraires d'avocat, de la partie adverse a titre de depens a

la partie qui succombe. Ces memes honoraires ne sont pas accordes a titre de

dommages non plus puisqu'ils sont consideres comme trop indirects pour etre

octroyes806. Pourtant, plusieurs decisions accordent de tels honoraires en certaines

circonstances, notamment lorsque la partie qui succombe aurait fait preuve d'abus

de procedure ou de mauvaise foi.

Comme le souligne professeur Popovici dans son excellent article sur les frais

extrajudiciaires, l'abus de procedure est une faute caracterisee par la

multiplication des procedures inutiles et mal fondees ou celles intentees avec pour

objectif principal807 (et parfois unique) de nuire a son adversaire. II pourrait aussi

806 Popovici, « Honoraires », supra note 634 a la p. 59 et s. 807 Cette caracteristique d'objectif principal est fondamentale puisque comme le souligne le

professeur Popovici, intenter une procedure judiciaire, meme lorsque son droit est bien fonde, a necessairement pour objectif, meme incidemment, de nuire a autrui: ibid, aux pp. 96-97. II en est de meme du creancier qui entend faire respecter l'obligation de son debiteur: «tout creancier a la certitude et meme la volonte de « nuire » a son debiteur » : Stoffel-Munck, Abus, supra note 616 au no. 40. C'est cette constatation qui permet a l'auteur d'adopter le critere de la malice pure et simple comme critere de l'intention de nuire.

355

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s'agir, en defense, de procedures purement dilatoires, sans aucun fondement, dans

le seul but de gagner du temps ou de faire depenser des frais supplementaires a

oao

1'autre partie . Cette faute d'abus de procedure se distingue de la faute

principale ayant donne ouverture au litige et pourrait, en ce sens, faire l'objet d'un

recours separe de celui a l'origine de cette faute. L'abus de procedure est

independant du fond du litige et n'en concerne que son aspect procedural809. Or,

dans un tel contexte, on peut comprendre que les honoraires extrajudiciaires

apparaissent comme des dommages directs et immediats de cette faute et puissent

se justifier. II y a lien de causalite entre la faute d'abus de procedure commise et • • • sin

les dommages engendres, soit les frais extrajudiciaires inutiles . Une telle

demarche est alors parfaitement coherente et le fait de qualifier cette faute d'abus

de procedure, n'en altere pas les principes.

Cependant, plusieurs decisions ont aussi octroye des honoraires extrajudiciaires a

la partie perdante sous pretexte qu'elle avait fait preuve de mauvaise foi ou d'abus

de droit dans la faute principale, ou si l'on prefere sur le fond du litige811, par

exemple par une rupture humiliante du contrat. On chercherait alors a alourdir les

dommages-interets payables par la partie qui a commis un abus de droit en lui

imposant les honoraires extrajudiciaires de son adversaire. A premiere vue, on

pourrait considerer que ces jugements sont autant de demonstrations de l'utilite du

808 Voir par exemple, Rocha-Souza c. Moscovici, (3 dec. 1999), Montreal, 500-05-23166-966, J.E. 2000-61, REJB 1999-15749 (C.S.) au para. 25 [Rocha-Souza].

809 Chiasson, supra note 77 aux para. 123-124; Levesque c. Carignan (Corporation de la Ville de), 2007 QCCA 63, J.E. 2007-310 aux para. 41-60.

810 Viel, supra note 164 au para. 79 811 Voir, par exemple, Lebeuf c. Association des proprietaires du Lac Dore, [1997] R.R.A. 845

(C.S.) [Lebeuf];

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principe d'abus de droit, qui serait alors distinct de la simple inexecution du

devoir d'agir de bonne foi. Pourtant, a l'instar de la Cour d'appel812, nous

croyons que cet argument doit etre rejete puisqu'il est incoherent en droit et, par le

fait meme, arbitraire. En effet, le lien de causalite entre les frais extrajudiciaires

et la faute principale est trop indirect pour pouvoir faire l'objet d'une

compensation en vertu des regies de la responsabilite civile.

Si l'argument de l'absence de lien de causalite direct entre la mauvaise foi sur le

fond du litige et les honoraires d'avocat encourus par la partie peut laisser un gout

amer d'injustice chez certaines personnes (et notamment, semble-t-il plusieurs

juges), on peut par ailleurs rejeter cette utilite pretendue a l'abus de droit en se

fondant sur les principes de justice commutative. Nous l'avons mentionne, ces

principes veulent que l'on indemnise la victime d'un delit, non pas en fonction de

la gravite de la faute (ce qui constituerait alors des principes de justice

distributive) mais en fonction du dommage subi par cette victime. Les

dommages-interets octroyes dans un tel systeme sont par principe indemnitaires et

non punitifs. La Cour supreme a deja d'ailleurs statue que la punition ne peut

relever du droit commun de la responsabilite civile au Quebec, qui a

o i o essentiellement un caractere indemnitaire . Or, lorsque l'on octroie des

812 Viel, supra note 164 au para. 76 et s. Dans cette affaire, la Cour d'appel rejette la demande en honoraires extrajudiciaires, meme si elle reconnait que sur le fond, la partie adverse a fait preuve de mauvaise foi, en disant que cette mauvaise foi sur le fond ne constitue pas en soi une faute pour abus de procedure et qu'il n'y a consequemment aucun lien de causalite entre cette mauvaise foi et les honoraires extrajudiciaires reclames. Voir aussi au meme effet, Guitouni, supra note 164; Tamper Corp c. Kansa General Insurance Co. [1998] R.J.Q. 405 (C.A.) a la p. 411 [Tamper].

813 Voir Romain, supra note 161 et particulierement les commentaires du juge Taschereau a la p. 841 : « La loi civile ne punit jamais l'auteur d'un delit ou d'un quasi-delit; elle accorde une

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honoraires extrajudiciaires pour sanctionner la mauvaise foi d'une partie sur le

fond du litige plutot que sur la forme de celui-ci, on punit cette partie , plutot

que s'en tenir aux principes gouvernant la responsabilite civile. C'est pourquoi

octroyer des dommages d'une telle nature punitive necessite une intervention

claire et directe du legislateur a cet effet. Et ce n'est pas parce que le montant

accorde a ce titre correspond aux frais extrajudiciaires reellement engages par la

partie que le but et la nature d'un tel octroi sont par ailleurs modifies.

4.2.3.2. Conclusions sur la fonction limitative de la bonne foi

Les exemples examines ci-haut demontrent bien a quel point la notion d'abus de

droit ne peut trouver une reelle identite, qui soit conforme aux principes du droit

quebecois des obligations, qu'a titre de faute caracterisee ni plus ni moins. Cette

faute devient alors tres difficile a distinguer de la contravention pure et simple aux

exigences de la bonne foi. Meme l'article 7 C.c.Q. exige un comportement

contraire au principe de bonne foi pour que l'on puisse considerer qu'il y a abus

de droit. De plus, comme le manquement aux exigences de la bonne foi, un abus

de droit ne peut, en l'absence d'une disposition expresse, donner ouverture qu'a

des dommages-interets de nature compensatoire, sans ouverture a des dommages

de nature punitive. Alors, la question se pose : pour quelles raisons un plaideur

devrait-il faire la preuve d'une intention malveillante ou d'un acte si

compensation a la victime pour le tort qui lui a ete cause. La punition est exclusivement du ressort des tribunaux correctionnels. »

814 Voir notamment a cet effet, Popovici, « Honoraires », supra note 634 a la p. 92 et s.

358

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deraisonnable que l'on pourrait le qualifier d'abus de droit en plus de la preuve

d'un manquement aux exigences de la bonne foi (critere essentiel), si le recours

pour abus de droit et celui pour manquement aux exigences de la bonne foi

donnent ouverture aux memes dommages pour la victime ?

A la lumiere de cette analyse, nous pouvons done affirmer qu'il n'est pas

necessaire qu'un plaideur fasse la preuve d'un abus de droit lorsque la

contravention aux exigences de la bonne foi a par ailleurs ete demontree.

D'ailleurs, la similitude entre les deux notions a amene plusieurs juges a qualifier

erronement certains comportements d'abus de droit, alors que seul un

manquement aux exigences de la bonne foi avait ete prouve. Pire encore, certains

juges se sont permis d'accorder en de telles situations, des dommages

supplementaires, de nature plus punitive qu'indemnitaire. Nous esperons que

notre analyse permettra d'eviter, dans l'avenir, la repetition de telles decisions.

4.2.4. La fonction adaptative

Jusqu'a present, les fonctions etudiees de la notion de bonne foi possedaient un

caractere assez general pour normaliser tout type de relations contractuelles. La

fonction adaptative, quant a elle, a la particularity de n'etre pertinente qu'aux

relations de longue duree.

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Bien que l'on affirme souvent que le contrat est un instrument de prevision pour

les parties, on reconnait aussi qu'il est pratiquement impossible, specialement

pour les contrats de longue duree, d'y prevoir l'ensemble des circonstances

pouvant avoir un impact sur la relation contractuelle. Comme le mentionne un

professeur frangais : « [d]u temps qui vient, l'homme meme le mieux informe ne

peut avoir qu'une connaissance bien approximative et les prophetes du passe sont

plus nombreux que les devins de l'avenir. (...) Quelles que soient les presciences

que l'on peut en avoir, demain n'aura pas exactement le contenu que lui pretent

les parties au jour de leur rencontre. »815 Sans mauvais jeu de mots, cet

instrument de prevision devient, dans ces circonstances, un instrument

d'imprevision, souvent au detriment d'une des parties. II y a presence d'un

desequilibre pouvant gravement nuire aux interets de cette partie. Or, en presence

d'une telle situation, la bonne foi peut-elle obliger les parties a renegocier le

contrat ? Et si la reponse est affirmative, en l'absence de negociations

fructueuses, cette meme bonne foi peut-elle permettre au juge d'intervenir au

contrat afin d'y trouver un compromis acceptable dans l'interet de toutes les

parties ? Ce sont les questions auxquelles la fonction adaptative de la bonne foi

nous invite a reflechir.

On comprend aisement que la fonction adaptative de la bonne foi refere en fait a

« ft 1 (\

la theorie de 1'imprevision . Cette theorie permet la reouverture du contrat, par

une obligation d'en renegocier de bonne foi les termes ou par une intervention 815 Jean Marc Mousseron, « La gestion des risques par le contrat » [1988] R.T.D.C. 481 au no. 2. 816 Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 108; Masse, supra note 270 a la p. 227; Perilleux,

supra note 270 a la p. 248.

360

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judiciaire, en presence de changements drastiques de circonstances. Les

conditions d'application des principes de l'imprevision sont assez formelles. Les

changements de circonstances doivent etre externes au controle ou a la volonte

pin QIC des parties et rendre l'execution extremement onereuse pour le debiteur ou

Q1Q

totalement inutile pour le creancier . Ces conditions sont essentielles. On ne

parle pas ici de nouvelles circonstances qui rendent le contrat moins rentable

financierement mais bien de veritable peril financier pour l'une ou l'autre des

parties820. II est a noter aussi que les difficultes ainsi engendrees doivent depasser

les risques normaux auxquels les parties pouvaient s'attendre lors de la conclusion

du contrat. En d'autres termes, le recours a la revision doit avoir pour but

d' « effacer le desequilibre manifestement deraisonnable et laisser subsister les

charges inherentes aux aleas previsibles. »821 C'est pourquoi, malgre ce qu'en

disent certains, les variations de prix provenant de fluctuations economiques

devraient etre un alea supporte par les parties, sauf si ces fluctuations sont Q'yy

extraordinaires et decoulent d'evenements anormaux, telle une guerre .

Pour plusieurs, les circonstances donnant ouverture a l'imprevision, se devaient

d'etre inconnues des parties au moment de la conclusion du contrat . Encore

817 Rolland, « Figures », supra note 23 a la p. 936. 818 Leclerc, supra note 270 a la p. 267; 819 Julie Bedard, « Reflexions sur la theorie de l'imprevision en droit quebecois », (1997) 42 R.D.

McGill 761 a la p. 767. 820 Voir notamment ibid, aux pp. 767-768 qui mentionne qu'on ne peut qualifier d'imprevision, la

demande de Terre-Neuve a l'egard d'Hydro-Quebec pour un contrat d'approvisionnement d'electricite a long terme, rendu moins avantageux, mais pas excessivement onereux, suite a l'augmentation des prix de L'electricite.

821 Stefan Martin, « Pour une reception de la theorie de l'imprevision en droit positif quebecois » (1993) 34 C. de D. 599 a la p. 631; Voir au meme effet, Picod, supra note 277au no. 202.

822 Picod, ibid. 823 Voir notamment Fin-Langer, supra note 26 aux nos 421-422.

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une fois, nous croyons que ce critere adopte par plusieurs auteurs demontre un

certain attachement, meme non avoue a la theorie de Pautonomie de la volonte.

On met P accent sur la cause du desequilibre en verifiant si celle-ci etait connue

des parties sans se soucier de son effet sur la commutativite, puisque nous l'avons

deja explique, cette derniere est reputee absolument juste et est consequemment

secondaire une fois le contrat conclu. Pour notre part, comme nous preferons

mettre Paccent sur la commutativite objective des parties, nous preferons analyser

P aspect d'imprevisibilite par le biais des consequences engendrees pour

l'equilibre des parties. Ainsi, pour nous, ce n'est pas la cause du desequilibre qui

se devait d'etre inconnue des parties au moment de la formation du contrat mais

Q'JA bien ses consequences sur les interets des parties au contrat .

Plusieurs pays reconnaissent Fimprevision, notamment l'Allemagne, l'Autriche,

la Suisse, l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, l'Egypte, le Bresil et PItalie825.

Dans plusieurs cas, la reconnaissance de 1'imprevision est basee sur les principes

generaux de loyaute et de bonne foi. Par exemple, a l'instar du Code civil du

Quebec, le Code civil allemand prevoit a la fois la reconnaissance de la bonne foi

au sein des relations contractuelles et la regie du nominalisme monetaire . Or,

824 Voir du meme avis, Courdier, supra note 6 au no. 835 et s. 825 Bedard, supra note 820 a la p. 787; Philippe Malaurie, Laurent Aynes, Philippe Stoffel-Munck,

Les obligations, 2e ed., Paris, Ed. juridiques associees, 2005 au no. 757; Masse, supra note 270 a la p. 227. On peut ajouter aussi a cette liste non exhaustive, la Grece, la Hongrie, la Pologne, la Tunisie, la Turquie, le Maroc et 1'Argentine.

826 Articles 6, 7, 1375 et 1564 C.c.Q. et 242 BGB. Conceraant le nominalisme monetaire allemand voir Rene David et Camille Jauffret-Spinosi, Les grands systemes de droit contemporain, 10e

ed., Paris, Dalloz, 1992 a la p. 94 et s. La regie du nominalisme monetaire prevoit qu'une unite de monnaie ayant cours legal equivaut a une autre unite de monnaie de valeur equivalente, peu importe l'epoque, et cela meme si l'on sait que, dans les faits, la valeur reelle de 1'argent fluctue au cours des annees.

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malgre cette derniere regie, le Tribunal supreme allemand est intervenu a divers

contrats afin de refuser qu'un debiteur puisse se liberer de sa dette en payant une

somme nominalement due avec des marks tellement deprecies qu'ils n'avaient

877 • •

pratiquement plus aucune valeur . En effet, au lendemain de la premiere guerre

mondiale, 1'inflation avait provoque une devaluation severe du mark allemand,

qui ne valait plus que le mille-milliardieme de sa valeur initiale. Le

remboursement d'une dette contractee avant cette devaluation en valeur nominale

perdait ainsi toute utilite pour le creancier et avantageait outrageusement le

debiteur. II est aussi evident que ces effets de la guerre etaient imprevisibles et

hors du controle des parties. Dans ces circonstances, il apparait effectivement que

la decision du plus haut tribunal allemand de recourir a l'imprevision en se basant

sur les principes generaux de la bonne foi etait justifiee.

Nous l'avons mentionne, le Code civil du Quebec contient des dispositions

essentiellement semblables a celles de son homologue allemand. Pourtant, la

87ft

theorie de l'imprevision n'est pas expressement reconnue en droit quebecois .

Contrairement a la voie privilegiee en Allemagne, il semble qu'au Quebec on ait

prefere favoriser l'immutabilite contractuelle au point d'occulter toute revision

basee sur les exigences de la bonne foi. Ceux qui saluent l'absence de

reconnaissance de l'imprevision par le droit quebecois reprennent les arguments

selon lesquels le contrat doit etre un element stable d'echanges economiques, a

827 Voir sur cette question, David et Jaufiret-Spinosi, ibid. 828 Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 455; Jobin « Destinee », supra note 88; Leclerc, supra

note 270 a la p. 268; Lefebvre, Bonne foi, supra note 8 a la p. 109; Masse, supra note 270 a la p. 227; Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 285.

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defaut de quoi la structure meme de l'economie risque d'etre en peril . Pour

ceux-ci, la stabilite economique est la principale utilite du principe de la force

obligatoire des contrats et, consequemment, permettre la revision du contrat en

presence de circonstances nouvelles pourrait provoquer une crise economique

importante en entrainant la mefiance des investisseurs.

On peut s'interroger sur la validite reelle d'une telle argumentation. En effet,

comment peut-on affirmer que l'imprevision entraine sur son passage instability et

desastre economique alors que plusieurs des grandes puissances economiques de

ce monde reconnaissent cette theorie830 ? On n'explique pas pourquoi la situation

serait differente au Quebec. Le caractere isole d'une prevision ne permet-il pas de

s'interroger sur sa validite ? II n'y a aucune preuve concrete a l'effet que

1'economic du Quebec souffrirait plus que celle des pays reconnaissant

l'imprevision.

Le principe de la force obligatoire des contrats est, de l'aveu meme du Ministre de

la justice ayant preside a 1'adoption du Code civil du Quebec, temporise par

831 certaines regies de justice et notamment, la bonne foi . Or, en refusant de

829 Pineau, Burman et Gaudet, ibid. 830 Jobin « Destinee », supra note 88 a la p. 696. 831 Nous rappelons qu'une disposition semblable a l'article 1134 C.c.fr, voulant que « les

conventions legalement formees tiennent lieu de loi a ceux qui les ont faites » se retrouvait au Rapport sur le Code civil du Quebec soumis en 1977 par l'Office de revision du Code civil (voir Office de revision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Quebec, Quebec, Editeur officiel, 1977 a l'article 70 du livre V, intitule « Des obligations ») et par la suite reprise dans l'Avant-projet de loi sur les obligations de 1987 (article 1480). Or, cette disposition a par la suite ete abandonee, si bien que l'article 1434 ne reconnait que le caractere obligatoire du contrat sans faire reference a une formule de «loi interne des parties ». Par ailleurs, les commentaires du Ministre justifient ce choix legislatif de ne pas avoir enonce ce principe de loi interne des parties « compte tenu de toute la relativity que comporte {'affirmation, en regard

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reconnaitre l'imprevision, on nie a la bonne foi un de ses outils utiles au

retablissement de la commutativite soutenant le contrat . Dans une telle

situation, est-il vraiment possible d'affirmer que l'on applique le principe de la

force obligatoire des contrats en conformite avec les dispositions du Code civil ?

De plus, nous l'avons deja note, a plusieurs reprises, les tribunaux ont mentionne

la necessite pour la partie avantagee de maintenir la pertinence du contrat pour la

partie desavantagee. Nous avons aussi constate que le principe de hierarchie des

interets permet a la partie avantagee de tirer profit du contrat mais toujours dans

cette meme limite de la pertinence du contrat pour l'autre partie. Pourquoi en

serait-il autrement lorsque le desequilibre provient d'une situation exceptionnelle

entrainant des consequences que ne pouvaient vraisemblablement pas prevoir les

parties ?

Dans des contrats de longue duree, il est peu probable que les parties aient prevu

toutes les eventualites. Au-dela de simples predictions, plus ou moins basees sur

des probabilites, comment peut-on connaitre les conditions socio-economiques ou

politiques d'un futur eloigne et les effets qu'auront celles-ci sur la relation

contractuelle ? Pourtant, l'immutabilite du contrat, qui fige les conditions

contractuelles au moment de l'echange des consentements, presume que les

parties ont effectivement prevu l'avenir de maniere entierement exacte. Une telle

presomption peut nuire a la commutativite du contrat en plagant une des parties

dans une situation deraisonnablement avantageuse en cas de circonstances

des dispositions imperatives de la loi, de l'ordre public, de la bonne foi, etc... ». Voir Commentaires du ministre de la justice, supra note 213 a l'article 1434.

832 Jukier, supra note 207 aux pp. 238-241; Rolland, «Unidroit», supra note 223 a la p. 194 et s.

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bouleversantes. L'immutabilite engendre dans de tels cas une injustice flagrante.

D'ailleurs, comment peut-on affirmer que le contrat reflete encore la volonte des

parties si les circonstances sont telles qu'il en decoule des consequences si

dramatiques que les parties ne pouvaient meme les envisager ? On ne peut alors

justifier l'immutabilite qu'en fonction d'une volonte presumee et on s'eloigne

clairement d'une volonte reelle. De plus, en s'appuyant sur la « situation figee »

existant au moment de la formation du contrat, on refuse a la bonne foi sa fonction

de controle sur les conditions d'execution et d'extinction du contrat, alors que l'on

accepte ce controle dans d'autres situations.

Pour combattre cette tendance, on voit de plus en plus apparaitre au contrat des

clauses de modification ou de resiliation unilaterale au profit de la partie

avantagee lors de la conclusion du contrat. L'immutabilite a tout prix encourage

l'unilateralisme lorsque les contrats sont etales dans le temps de maniere

importante833. Dans les faits, la partie avantagee impose dans des contrats

d'adhesion des clauses de resiliation unilaterale a son profit exclusif. Or, un tel

unilateralisme vient concretement modifier la theorie classique de l'immutabilite

contractuelle voulant que le consentement des deux contractants soit necessaire a

la modification ou la resiliation du contrat834. II a pour consequence d'accentuer

d'autant l'inegalite des parties puisque la partie desavantagee ne pourra se liberer

du contrat en cas de circonstances aux consequences desastreuses, alors que la

partie avantagee le pourra aisement. II est d'ailleurs interessant de rappeler

833 Fabre-Magnan, « Motivation », supra note 402. 834 Article 1439 C.c.Q.

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qu'instinctivement, la jurisprudence s'est mefiee de telles clauses unilaterales en

imposant le plus souvent des conditions strictes d'usage, notamment basees sur la OTC

bonne foi, telles que la necessite de preavis raisonnable ou de motivation . On

tente ainsi de sauvegarder un tant soit peu les interets de la partie desavantagee.

Mais, cette tentative jurisprudentielle n'ecarte pas le probleme en amont qui est

l'absence d'adaptabilite du contrat meme dans des circonstances entrainant des

consequences dramatiquement imprevisibles. Dans la situation actuelle, seule la

partie avantagee peut se retirer du contrat. Est-ce vraiment ainsi que l'on assure

une veritable stabilite contractuelle et l'egalite des parties contractantes ?

L'autre argument invoque par les detracteurs de l'imprevision est celui voulant

que « la revision entraine la revision », c'est-a-dire que chaque contrat revise en

vertu de la theorie de l'imprevision entraine lui-meme un desequilibre successif

dans une suite de contrats. Reviser un contrat serait alors un exercice

« d'apprenti sorcier » pouvant declencher des reactions incontrolables837. A notre

avis, ces critiques oublient que ce meme facteur de reactions en chaine est fort

present en cas de faillite d'une des parties, faillite qui risque d'etre la consequence

directe du maintien du contrat meme en presence de situations exceptionnellement

OTQ

desastreuses . II faut bien comprendre que la faillite d'un des contractants

entraine le plus souvent l'aneantissement de toutes les relations d'affaires du failli.

835 Fabre-Magnan, « Motivation », supra note 402. 836 Voir cette critique notamment dans Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 410 et

Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 285. 837 Flour, Aubert et Savaux, ibid. 838 Bedard, supra note 820 a la p. 784; Rolland, « Figures », supra note 23 aux pp. 937-938.

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OIQ

La plupart des contrats ne vivent pas en vase clos . Or, dans le cas de contrats

lies, plusieurs intervenants differents peuvent etre directement touches par

l'inexecution d'un contrat. Par exemple, on constate souvent dans les chantiers de

construction que la faillite d'un des intervenants peut entrainer celle de plusieurs

autres. De meme, la faillite d'une entreprise entraine inevitablement la perte de

plusieurs emplois et consequemment une perte de pouvoir d'achat pour ces

travailleurs licencies, avec toutes les consequences que cela entraine pour

l'industrie locale.

Un autre des arguments invoques a l'encontre de la theorie de l'imprevision est

particulierement interessant dans une etude sur la commutativite contractuelle et

la bonne foi. On dit que la theorie de l'imprevision ne peut comporter un

veritable caractere equitable puisqu'elle impliquerait de faire « assumer par l'une

des parties le malheur qui s'est abattu sur l'autre. »840 Selon cette pretention, en

l'absence d'un reproche a l'une des parties, il serait injuste de lui imposer un

comportement visant a reparer le desequilibre. La justice n'aurait pretention qu'a

corriger les comportements manifestement injustes841. En imposant des normes

comportementales comme une obligation de renegocier de bonne foi a une partie

842 n'ayant commis aucune faute, on assimilerait bonne foi et chante.

839 Rolland, « Unidroit», supra note 223 a la p. 195. 840 Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 285. 841 Seriaux, supra note 69 au no. 46. 842 Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 285.

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Sur ce dernier argument, nous serons la premiere a applaudir le fait que l'on

n'assimile pas bonne foi et charite. Cependant, dans le cas de l'imprevision, nous

ne croyons pas que la reconnaissance de celle-ci comme fonction de la bonne foi

soit une demonstration de la confusion entre bonne foi et charite. Au contraire,

nous sommes d'avis que la reconnaissance de la theorie de l'imprevision ou, du

moins, la reconnaissance d'une obligation implicite de renegocier l'entente de

bonne foi sont entierement justifiees par le devoir general interdisant de nuire

indument a autrui. II ne s'agit que d'une application supplemental de la

commutativite normative objective en presence d'une inegalite des parties. Si les

circonstances peuvent obliger la partie avantagee a adopter certains

comportements afin d'assurer un respect raisonnable des interets de la partie

adverse, pourquoi en serait-il autrement lorsque ces circonstances resultent d'un

bouleversement majeur et exceptionnel ?

En presence de telles circonstances aux consequences catastrophiques, on peut

alors parler d'une situation factuelle qui entraine pour une des parties un

desavantage tellement grand, qu'il est possible de penser qu'une personne

raisonnable veillant sainement a ses interets aurait refuse de contracter aux

conditions prevues au contrat si elle avait connu ces consequences imprevues. Le

contrat cesse pratiquement d'etre d'une utilite quelconque pour la partie

desavantagee. Or, nous l'avons mentionne, la bonne foi est sensible a une telle

situation factuelle si elle ne releve pas de la negligence ou du choix conscient et

assume de cette partie. Nous l'avons demontre, une situation de desequilibre peut

entrainer, pour la partie avantagee et meme en l'absence d'une faute de sa part,

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une serie d'obligations implicites fondees sur la bonne foi et visant a assurer le

maintien de la pertinence du contrat pour les deux parties. Pour quelles raisons

l'obligation de renegocier de bonne foi ne pourrait-elle pas faire partie de ces

obligations implicites843? II est d'ailleurs interessant de rappeler que certains pays

qui reconnaissent l'imprevision le font sur la base du devoir general de bonne

foi844.

L'avantage de baser une obligation de renegocier sur la bonne foi est de pouvoir

moduler cette obligation en fonction des faits en l'espece et de la gravite du

desequilibre. Par exemple, on peut penser que cette obligation sera d'autant plus

importante que le terme restant au contrat sera de longue duree845 et vice-versa.

Cependant, nous concedons que l'on ne pourrait obliger cette partie a conclure

une nouvelle entente, si cela impliquait pour elle de renoncer deraisonnablement a

ses interets en faveur de la partie desavantagee846. On devrait renegocier de bonne

foi mais, nous l'avons demontre, l'obligation de bonne foi ne peut aller jusqu'a

imposer une abnegation de ses interets puisqu'un tel resultat contredirait les

assises de liberte et de responsabilite. II s'agit plutot que chaque partie puisse

profiter raisonnablement du contrat. Tout est une question de degre dans une

perspective de commutativite objective d'un contrat utile a toutes les parties.

843 Voir du meme avis, Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 456; Picod, supra note 277 au no. 190; Seriaux, supra note 69 au no. 55; Contra : Lluelles et Moore, supra note 20 au no. 2250.

844 Comme nous l'avons deja mentionne, l'imprevision est d'origine jurisprudentielle en droit allemand et se fonde sur l'article 242 BOB, prevoyant l'execution de bonne foi des obligations. II en est de meme du droit suisse qui la cautionne sur la base de l'article 2 du Code civil suisse qui prevoit aussi la bonne foi dans les obligations. Voir a ce sujet, Jobin « Destinee », supra note 88 a la p. 701.

845 Picod, supra note 277 au no. 190. 846 Ibid, au no. 189 et s.

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Dans le meme ordre d'idees, pour quelles raisons le refus d'une partie de se

soumettre a une telle obligation de renegocier de bonne foi ne pourrait-il pas etre

sanctionne par le juge847 ? Comme nous l'avons deja mentionne, les

manquements a la bonne foi pouvant etre sanctionnes par d'autres interventions

que le simple octroi de dommages-interets, le juge pourrait entre autres, modifier

le contrat, le resilier ou prevoir une sanction equivalente a une fin de non-

recevoir. II ne s'agirait pas, dans un tel cas, de tout faire supporter a la partie

avantagee mais de retablir une commutativite raisonnable. Nous l'avons deja dit,

des obligations implicites peuvent etre imposees a une partie, et le sont d'ailleurs

le plus souvent, meme en l'absence d'acte reprehensible de sa part. II serait

parfaitement coherent qu'une obligation de renegocier de bonne foi un contrat

deraisonnablement desequilibre suite a des evenements graves et aux

consequences inattendues fasse partie de telles obligations implicites. Dans la

meme logique, l'imposition d'une sanction en cas de non-respect de cette

obligation serait une consequence coherente.

Par ailleurs, peut-on vraiment affirmer qu'une telle demarche nuirait a la stabilite

contractuelle ? Nous en doutons puisque l'imprevision par definition ne se

presente qu'en des circonstances exceptionnelles et que les parties auraient eu la

chance de remedier par elles-memes a la situation hautement desequilibree849.

Mais pour ceux qui doutent encore, nous pouvons poser la question suivante :

847 Voir du meme avis, Baudouin et Jobin, supra note 20 au no. 456. 848 Ibid. 849 Ibid.

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vaut-il mieux une intervention judiciaire permettant la perennite de la relation

contractuelle dans des parametres objectifs ou le maintien integral du contrat

resultant en la faillite d'une des parties, et done, de fagon ultime, en la fin de la

relation contractuelle ?

II est d'ailleurs interessant de noter que la demarche que nous proposons est o r A

semblable a celle proposee dans les Principes d'Unidroit a l'article 6.2.3 :

«1) En cas de « hardship »851, la partie lesee peut demander l'ouverture de renegociations. La demande doit etre faite sans retard indu et etre motivee.

2) La demande ne donne pas par elle-meme a la partie lesee le droit de suspendre l'execution de ses obligations.

3) Faute d'accord entre les parties dans un delai raisonnable, l'une ou o n

1'autre peut saisir le tribunal .

4) Le tribunal qui conclut a l'existence d'un cas de « hardship » peut, s'il l'estime raisonnable: a. mettre fin au contrat a la date et aux conditions qu'il fixe; ou b. adapter le contrat en vue de retablir l'equilibre des

prestations. »

Ainsi, la tendance du droit etranger est de reconnaitre l'imprevision853. Elle

demontre bien que, malgre ce qu'en disent certains auteurs, il est peu probable

850 « Unidroit», supra note 254. II faut aussi noter qu'une demarche semblable est prevue par les Principes du droit europeen des contrats, supra note 254 a l'article 6-111. Pour une bonne explication des regies d'Unidroit relatives au hardship, voir Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 116 et s.

851 On definit le terme hardship au paragraphe 6.2.2 « [i]l y a hardship lorsque surviennent des evenements qui alterent fondamentalement l'equilibre des prestations, soit que le cout de l'execution des obligations ait augmente, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminue. »

852 II faut noter ici qu'en vertu de l'article 1.10 des Principes d'Unidroit, le terme «tribunal» refere a un tribunal arbitral.

853 Voir a ce sujet Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 116 et s.; Jobin « Destinee », supra note 88 notamment a la p. 696.

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que la reconnaissance de cette theorie entraine 1'instability economique et le refus

allegue des entreprises de s'etablir dans les territories reconnaissant l'imprevision.

Aussi, il est possible de prevoir une methode qui maintienne le lien contractuel et

n'exonere pas systematiquement et automatiquement le debiteur de ses

obligations en prevoyant une gradation de la demarche de revision . En

favorisant d'abord l'implication des parties, on peut penser que la demarche

proposee favorisera la perennite du lien contractuel a l'avantage des interets de

tous les contractants. Une telle implication favorise aussi, a notre avis, les

principes de liberte et de responsabilite des' parties dans la gestion de leurs

interets.

On peut done s'interroger, en examinant une telle methode, sur le realisme des

catastrophes evoquees par les detracteurs de la theorie de l'imprevision qui

semblent justement considerer que le recours au tribunal pourra toujours etre

utilise par une des parties pour lui permettre de se soustraire a ses obligations. Or,

tel n'est pas le cas. D'autant plus que l'imprevision n'est pas la cause de

l'instabilite economique des parties puisqu'elle n'entre en action que lorsqu'une

o r e

telle instability s'est reellement averee . Ce n'est que lorsque le desequilibre et

l'instabilite seront installes en amont que l'imprevision pourra s'implanter en

aval. Et celle-ci, par le jeu de la renegotiation ou de la modification contractuelle,

aura justement pour mission de contrer les plus graves consequences de ces

evenements. Dans un tel contexte, on peut affirmer que c'est 1'adaptability qui est

854 B£dard, supra note 820 a la p. 785. 855 Ibid, a la p. 786; Flour, Aubert et Savaux, supra note 100 au no. 410.

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le plus en mesure d'assurer la perennite contractuelle et la sauvegarde des interets

des parties856.

En joignant l'absence d'une interdiction expresse de l'imprevision au Code civil

du Quebec et la primaute qui est y accorde a la bonne foi, il ne semble pas

deraisonnable de penser que les tribunaux pourraient, a l'instar des tribunaux

suisses et allemands, reconnaitre l'imprevision en tant que fonction de la bonne

foi. On favoriserait ainsi une fonctionnalite reelle de la bonne foi en droit des

obligations. En effet, au-dela de l'enonciation de principe quant a l'obligation de

bonne foi, le Code civil du Quebec demontre une certaine mefiance face aux

instruments reels et efficaces permettant de s'assurer d'une reelle equite

contractuelle857 en n'integrant pas expressement et generalement les principes de O f Q O C Q

lesion et d'imprevision . Or, cette apparente contradiction - une auteure parle q / A

d'une « approche schizophrenique » - pourrait etre partiellement resolue en

donnant plein effet aux fonctions reconnues a l'etranger a la bonne foi861. Mais

une telle position impliquerait une reelle volonte judiciaire de participer a la

justice contractuelle. Malheureusement, on le sait, fortement influences par les

856 Voir Jamin, « Revision », supra note 233 a la p. 57. 857 En ce sens, il est interessant de comparer la place fonctionnelle importante laissee a la bonne

foi dans les Principes d'Unidroit. Voir a ce sujet, Elise Charpentier, « L'emergence d'un ordre public... prive : une presentation des Principes d'Unidroit» dans Les principes d'Unidroit et les contrats internationaux : aspects pratiques, supra note 223, 19 a la p. 22 et s.

858 Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 111 et s.; Jobin « Destinee ». supra note 88; Pineau, Burman et Gaudet, supra note 55 au no. 104; Rolland, « Unidroit », supra note 223 aux pp. 186-187.

859 Crepeau, ibid, aux pp. 122-124; Jobin, ibid. 860 Jukier, supra note 207 a la p. 238. 861 Voir notamment Crepeau, Unidroit, supra note 88 a la p. 82 et s.

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theories elassiques et le spectre de l'instabilite, les tribunaux refusent souvent

cette responsabilite.

Ainsi, encore en 1'an 2000, la Cour d'appel du Quebec, qui avait a se prononcer

sur le caractere abusif d'une clause dans un contrat d'adhesion, a indique que ce

caractere devait etre juge au moment de la formation du contrat plutot qu'au

moment de 1'instance. Pour la Cour, en jugeant autrement, on autoriserait la

revision judiciaire du contrat fondee sur la theorie de l'imprevision, notion non

Off)

reconnue comme principe general au Code civil. Or, ce commentaire, en plus

de ne pas favoriser la pleine fonctionnalite de la bonne foi et demontrer la

mefiance des tribunaux quant a leur responsabilite en tant que gardiens de la

justice contractuelle, etait d'autant plus navrant qu'il n'etait nullement question ici

d'imprevision, les consequences des nouvelles circonstances ne pouvant

probablement pas etre qualifiees d'imprevisibles, au sens de la theorie de

l'imprevision. De plus, la Cour d'appel a base ses commentaires concernant

l'irrecevabilite de l'imprevision en droit quebecois sur l'article 1439 C.c.Q. qui

prevoit que le contrat ne peut etre modifie ou eteint que du consentement des

parties ou dans les cas prevus par la loi. Or, dans la mesure ou la bonne foi est

reconnue aux articles 6, 7 et 1375, nous ne voyons aucune objection a ce le juge

puisse intervenir au contrat pour cause de d'imprevision en se basant sur la notion

de bonne foi. Une telle intervention serait, a notre avis, tout a fait conforme a

l'article 1439 C.c.Q. qui permet 1'intervention judiciaire dans les cas prevus par la

862 Procureur general du Quebec c. Kabakian Kechichian, [2000] R.J.Q. 1730, REJB 2000-18855 (C.A.) au para. 60.

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loi et par ailleurs logique, lorsque l'on comprend que la reconnaissance de la

notion de bonne foi en matiere contractuelle par le legislateur quebecois n'est

autre chose qu'une delegation directe d'un pouvoir d'intervention judiciaire.

Nous ne pouvons que nous desoler que la Cour d'appel ait juge necessaire de

fermer la porte a l'imprevision dans un contexte et avec des arguments

inappropries. Nous esperons qu'elle saura remedier a cette situation dans un

avenir prochain.

4.3 Conclusions sur la bonne foi comme instrument legitime d*intervention

judiciaire et de reconnaissance de la commutativite objective

Au cours de ce chapitre, nous esperons avoir demontre que la bonne foi est une

source legitime d'intervention judiciaire dans la commutativite contractuelle

imaginee par les parties. Puisque aucun droit ou liberte ne peut etre exerce de

maniere absolue, c'est-a-dire d'une maniere qui nuise indument a autrui, tous les

droits et libertes, y compris les contractuels, sont limites par les principes de la

saine coexistence des droits et libertes. Ces principes impliquent l'intervention

judiciaire afin de s'assurer que les assises de liberte, responsabilite, utilite et

justice commutative soient dument respectees. C'est ainsi que l'on assure la

justice contractuelle

Conscient de l'importance d'assurer une telle justice contractuelle, le legislateur a

codifie au Code civil du Quebec l'exigence d'agir de bonne foi a tous les stades

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de la vie contractuelle. Loin d'etre une simple declaration generale de principe,

l'obligation d'agir de bonne foi introduit expressement un principe de

commutativite objective lorsque les circonstances demontrent la presence d'une

inegalite dans la capacite des parties a assurer la saine gestion de ses interets. II

s'agit d'une delegation normative faite aux juges par le legislateur pour assurer le

respect d'une telle commutativite.

Un tel controle judiciaire se fera par le biais des diverses fonctions generalement

reconnues a la bonne foi. Ainsi, le juge pourra user de son pouvoir general

d'interpretation des dispositions contractuelles afin de promouvoir une

interpretation raisonnable des profits et des charges incombant aux parties. II

pourra aussi imposer aux parties des obligations dites implicites afin le plus

souvent de limiter les prerogatives de l'une d'elles dans le but d'assurer un certain

respect des interets de son cocontractant. Le but sera de rechercher l'utilite

raisonnable et reciproque du contrat par un controle objectif des charges et profits

incombant aux parties. Finalement, en plus de verifier la commutativite

contractuelle per se le juge pourra examiner le comportement des parties dans

l'exercice de leurs prerogatives. Un comportement ne correspondant aux

standards socialement raisonnables sera ainsi sanctionne, sans qu'il soit par

ailleurs necessaire de se referer a la notion d'abus de droit. Toutes ses fonctions

de la bonne foi ont pour consequence que l'on ne se soucie plus seulement de la

situation des parties au moment de la formation du contrat. En ce sens, elles

modifient l'axe de controle en favorisant un controle de la commutativite de la

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relation a tous les stades de la vie contractuelle et plus particulierement, lors de

l'execution du contrat.

Malheureusement, si la bonne foi est reconnue comme mode d'intervention

privilegiee octroyee aux juges pour veiller au respect de la justice contractuelle,

certaines fonctions de celles-ci restent encore officiellement niees en droit civil

quebecois, retirant ainsi a la bonne foi une partie de sa mission. Ainsi, l'absence

de reconnaissance des principes de lesion entre majeurs et d'imprevision fait

douter de la reelle volonte du legislateur a introduire au sein de la loi contractuelle

de veritables principes de justice contractuelle aux depens des principes toujours

ancres de la theorie de l'autonomie de la volonte. II n'est pas facile de changer les

mentalites ! Mais les exigences de la bonne foi imposent certainement que l'on

s'interroge sur les injustices ainsi engendrees.

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Pourtant, nous nous sommes garde de faire table rase pour innover. Nous nous sommes contente du vieux-neuf; convaincu (...) que les «themes classiques y sont eternels», et qu'il convient seulement de les renouveler dans la forme, pour les mettre au point et les adapter a la mentalite des contemporains. »863

CONCLUSION

Certains pourraient nous reprocher d'avoir voulu faire la demonstration que la

justice est et doit demeurer un element primordial de toute relation contractuelle.

Ils soutiendraient que nous avons procede a defoncer des portes deja ouvertes

puisqu'il y a deja un bon moment que l'on concede que l'autonomie de la volonte

ne regit plus le contrat...

Et pourtant... alors qu'il est vrai que l'on pretend que l'autonomie de la volonte

apporte avec elle un lot impressionnant d'injustices contractuelles, on continue de

faire la promotion de l'immutabilite contractuelle comme facteur essentiel de la

securite des transactions. On denonce les interventions judiciaires comme des

sources risquant de nuire a l'economie du contrat, telle que voulue par les parties.

Pourtant, s'il y a injustices contractuelles, qui d'autre qu'un arbitre neutre peut

remedier a celles-ci ? On denonce l'injustice mais on se mefie des interventions

appropriees.

Meme le legislateur quebecois n'echappe pas a cette contradiction. Alors qu'il a

procede a la codification formelle de la notion de bonne foi comme precepte

863 Volansky, supra note 647 aux pp. 8-9.

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devant gouverner les relations privees, il a refuse de reconnaitre, comme principes

actifs du droit quebecois, les notions de la lesion entre majeurs et de l'imprevision

de peur que celles-ci ne nuisent a la stabilite contractuelle. En d'autres termes, le

legislateur a expressement mentionne qu'il souhaitait plus de justice au sein des

relations contractuelles mais a refuse de rendre certains de ses preceptes operants

afin que celle-ci n'interfere pas trop avec la «loi des parties » ! II est done clair

que, dans la philosophic dominante, les conditions de droit strict, imposees par les

preceptes de l'autonomie de la volonte, prennent encore le pas sur la justice

contractuelle. On est d'avis qu'un contrat legalement conclu est le reflet de la

volonte des parties sans qu'il soit necessaire de se preoccuper davantage de son

aspect de justice. Celle-ci est de nature subjective et laissee a 1'appreciation des

parties.

Meme si le Code civil du Quebec n'est entre en vigueur qu'en 1994 et qu'on le dit

beaucoup plus sensible a la protection de parties privees desavantagees que son

ancetre, mil ne pourra contester que l'ideologie liberale contemporaine y est

encore fort presente. Cette ideologic se manifeste notamment par 1'importance

accordee a la volonte comme mode de creation des obligations contractuelles. Le

contrat se forme encore le plus souvent par le simple echange de consentement,

considere comme la manifestation externe de la volonte d'une personne. Or, a

l'heure ou un tel echange de consentement n'est le plus souvent qu'une

manifestation d'une volonte tronquee soumise a celle d'une partie avantagee, on

peut se demander pourquoi le legislateur a juge necessaire de maintenir cette

ideologic. On peut avancer que c'est probablement parce qu'il s'agit, bien qu'il

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ne soit pas parfait, du meilleur moyen dont on dispose pour s'assurer de la

meilleure sauvegarde des interets de chacun. En effet, dans l'ideologie liberale,

chacun est considere comme le meilleur gardien de ses interets personnels et a,

consequemment, la responsabilite de veiller a leur sauvegarde. On s'assurerait

ainsi de la plus grande justice contractuelle. Liberte, responsabilite et justice sont

encore des assises de la theorie contractuelle.

Malheureusement, la theorie de l'autonomie de la volonte a pousse cette logique

un peu trop loin. En refusant de reconnaitre que l'egalite effective des parties

dans leur pouvoir a assurer la sauvegarde de leurs interets est un ideal rarement

atteint dans les faits, cette theorie a transforme cet ideal en presomption

irrefragable, nuisant ainsi au principe de justice contractuelle. En decretant que

dans le large spectre du simple particulier a 1'entreprise monopolistique toutes les

parties sont egales et s'equivalent, la theorie de la volonte, qui pourtant se voulait

gardienne des principes de justice contractuelle, s'est transformee en un

instrument d'injustice contractuelle. Et cette injustice est d'autant plus criante

quand on n'admet, comme vices contractuels, que les vices de consentement les

plus classiquement flagrants.

Puisque chacun conclut un contrat dans son interet, il faut penser qu'une partie

avantagee dans son pouvoir de contraindre l'autre partie a accepter ses conditions

contractuelles n'hesitera pas a agir ainsi. On le voit tous les jours avec les

contrats d'adhesion qui sont imposes par les grandes entreprises. Alors que dans

une situation d'egalite, chaque partie devrait etre en principe en mesure de gerer

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librement ses interets, la realite veut que la plupart du temps une partie se retrouve

soumise a la volonte de son cocontractant. Devant une telle situation, peut-on

encore affirmer que l'economie du contrat doit se concevoir d'une maniere

subjective et qu'aucune autre personne que les parties est en mesure de s'assurer

de la justice d'un tel contrat ? A moins que l'on accepte que cette subjectivite

puisse etre la manifestation de la volonte d'une seule partie, force nous est de

reconnaitre qu'il faut reevaluer les preceptes de la justice contractuelle.

En refusant de reconnaitre l'inegalite effective des parties dans la sauvegarde de

leurs interets, le principe de l'autonomie de la volonte tourne le dos a la

philosophic sous-jacente du droit prive et notamment, aux principes de la saine

gestion de la coexistence des droits et interets. Pourtant, ces preceptes regissent le

droit de la responsabilite civile en prevoyant que l'on ne peut nuire indument a

autrui. De meme, c'est cette philosophic qui permet de justifier que les notions de

droit subjectif et d'interet, qui sont des concepts constituants du droit prive, ne

puissent etre congues comme des notions oetroyant des prerogatives absolues.

Ainsi, les principaux droits subjectifs du droit des obligations que sont par

exemple les droits de propriete et de creance doivent se concevoir comme des

prerogatives dont l'assiette est necessairement bornee soit par les droits tout aussi

legitimes d'autrui ou par certains de ses interets.

En definissant la justice contractuelle par la subjectivite des parties, le droit des

contrats a tente d'ecarter la regie de la coexistence paisible des droits et interets.

Un juge ne peut intervenir a la relation contractuelle en vertu de ces preceptes

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objectifs puisqu'il risquerait ainsi de mettre en peril l'economie subjective du

contrat. Mais devant le constat des injustices qu'entraine la justice envisagee de

maniere subjective, peut-etre est-il temps de retablir la coexistence paisible des

droits et interets meme au sein de la loi contractuelle. Peut-etre est-il temps de

concevoir la commutativite contractuelle de maniere objective ?

Par l'imposition d'obligations se justifiant par la protection des interets d'autrui,

une commutativite normative de nature objective joue son role de gardien de la

saine coexistence des droits et interets. Cette imposition ne peut s'expliquer par

de quelconques principes de « solidarite » ou de « fraternite » contractuelles, qui

impliqueraient que l'on doive agir dans l'interet d'autrui pour 1'unique et seul

motif qu'il existe un lien de droit contractuel avec cet autrui. Cela impliquerait

que tout lien contractuel prendrait alors la nature juridique de « societe »,

obligeant chacun de ses « associes » a agir dans l'interet de celle-ci et de ses

partenaires. Au contraire, l'obligation qui est parfois faite de se preoccuper des

interets d'autrui dans l'exercice de ses droits subjectifs se fonde sur les principes

du liberalisme encore presents au Code civil et la responsabilite correlative de

veiller a ses interets. Liberte et responsabilite demeurent des assises de la loi

contractuelle mais se reconcilient avec la justice contractuelle.

Une application objective des principes de justice commutative va bien au-dela

des simples equivalences mathematiques des prestations en examinant la veritable

nature du lien de droit entre les parties et les obligations qu'il implique. Dans une

situation ideale, les droits et interets de chacun sont en saine competition, creant

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un contexte d'equilibre ou chacun est a meme d'exercer ses droits et de veiller a

ses interets sans nuire indument aux droits d'autrui. Cette situation ideale entraine

une egalite de droit et constitue le point d'equilibre de la justice contractuelle.

Pourtant, malgre qu'une telle egalite de droit soit en principe si chere a nos

societes liberales, les faits demontrent qu'une telle situation d'equilibre est

rarement presente dans notre societe contemporaine.

Au-dela de la perpetration d'une faute specifique, les simples conditions factuelles

regissant la relation entre les parties peuvent en soi nuire a la saine coexistence

des droits et interets, creant ainsi une situation ou une des parties n'est plus en

mesure de veiller utilement a la sauvegarde de ses interets. Cette partie devient

prisonniere de la volonte d'autrui meme en l'absence de toute faute de ce dernier.

Cela se manifeste notamment lorsqu'il est deraisonnable de penser qu'une

personne aurait accepte certaines conditions contractuelles si elle avait ete en

mesure d'assurer librement la gestion de ses interets ou, si l'on prefere, de

negocier et executer les diverses clauses du contrat.

Parce qu'une telle situation n'est pas causee par la faute de la partie avantagee,

elle ne peut, en soi, etre source d'octroi de dommages a la partie desavantagee.

Cela brimerait les principes de la responsabilite civile que de reconnaitre une

indemnisation sans faute. Cependant, une commutativite plus juste se doit d'etre

imposee si l'on veut s'assurer d'une saine coexistence des droits et interets. C'est

alors que les composantes normative et objective de la justice contractuelle

prennent toute leur importance. La justice commutative prevoit que le juge agit

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comme gardien de l'equilibre entre les parties. L'etablissement d'une

commutativite objectivement plus juste se fera alors par l'imposition judiciaire de

normes favorisant une certaine sauvegarde des interets de la partie desavantagee.

Et c'est dans le cadre de ce processus que l'utilisation de la notion de bonne foi

prend toute sa justification.

La bonne foi est une notion floue qui est maintenant martelee au Code civil du

Quebec. Or, par definition, les notions floues sont des pouvoirs d'intervention

judiciaire delegues par le legislateur afin d'assurer une equite dans l'application

de regies de droit plus ou moins strictes. Par cette delegation, le legislateur

permet aux juges d'adapter la regie de droit en fonction des circonstances propres

a l'espece afin de favoriser une certaine justice. Ainsi, loin d'etre illegitime,

1'intervention judiciaire fondee sur la bonne foi est tout a fait legale et conforme

aux principes prevus par le legislateur.

Par le recours aux diverses fonctions de la bonne foi, le juge s'assure d'une

relation plus juste entre les parties en exigeant le respect du principe de la saine

coexistence des droits et des interets. Concretement, cela implique que la partie

avantagee, devra dans l'exercice de ses prerogatives, tenir compte de certains

interets de la partie desavantagee. Ces interets seront sauvegardes par l'imposition

d'obligations precises et ce, a tous les stades de la vie contractuelle.

Par exemple, une des obligations les plus souvent imposee au stade de la

formation du contrat est l'obligation d'information. II est d'ailleurs interessant de

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noter que 1'existence meme de cette obligation depend de conditions refletant

parfaitement 1'ideologic liberale contemporaine et le principe de la saine

coexistence des droits et interets. Ainsi, pour que cette obligation s'impose a

l'une des parties, l'autre partie devra effectivement etre en situation de

vulnerabilite informationnelle, vulnerabilite qu'elle n'aura pas elle-meme creee

par sa propre negligence a veiller a ses interets, notamment en omettant de

s'informer elle-meme. L'information devra aussi etre determinante, afin de

veritablement etre a la source d'un desequilibre empechant raisonnablement la

partie vulnerable de veiller a ses interets. Le but de l'obligation d'information est

de reequilibrer la situation des parties a donner un veritable consentement libre et

eclaire.

Lors de l'execution du contrat, il est de la nature meme du lien de droit entre les

parties qu'une des parties soit soumise a l'autre dans un rapport debiteur-

creancier. Cette situation entraine par ailleurs, pour le creancier, l'obligation de

ne pas agir au mepris total des interets de son debiteur, le tout en vertu de

l'obligation de bonne foi devant regir les rapports contractuels. Ainsi, s'il est

normal qu'il exige l'execution de l'obligation, les circonstances de cette execution

ne doivent pas provoquer une situation deraisonnable au point ou le contrat cesse

d'etre pertinent pour la partie desavantagee. De meme, le debiteur devra respecter

les interets de son creancier lorsqu'il controle les circonstances de l'execution. II

en est notamment ainsi de certaines clauses de non-responsabilite qui denaturent

le lien contractuel en permettant, dans les faits, a la partie avantagee de se

soustraire a ses propres obligations. De plus, la partie creanciere doit cooperer

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avec la partie debitrice afin de favoriser la meilleure execution possible du contrat

dans le meilleur interet des deux parties.

Au stade de 1'extinction, l'obligation de bonne foi entraine souvent des

obligations pour la partie beneficiant d'un droit de resiliation unilaterale. Ainsi,

les circonstances de l'exercice d'un droit de resiliation seront examinees par le

tribunal afin de verifier si cette resiliation unilaterale a ete faite en parfaite

negligence des interets de la partie desavantagee. Si tel est le cas, la partie ayant

procede a cette resiliation pourra etre sanctionnee pour avoir contrevenu a la regie

generale de ne pas nuire indument a autrui. C'est pour assurer une certaine

sauvegarde des interets de la partie subissant la resiliation unilaterale que les

tribunaux exigeront, au nom de l'obligation de bonne foi, que cette resiliation

fasse l'objet d'un preavis raisonnable, qu'elle ne se fasse pas a contre-temps et

meme parfois, qu'elle soit motivee.

A la lumiere de ces exemples, on saisit rapidement que la bonne foi est une notion

floue qui, bien cernee par les principes de la saine coexistence des droits et

interets, permet un reequilibrage de la situation des parties. Naturellement, nous

n'avons pas la naivete de croire que ce processus puisse permettre une veritable

egalite de droit entre les parties. Cependant, nous avons tente, par nos recherches,

de demontrer comment et pourquoi l'utilisation de cette notion peut permettre de

retablir une certaine protection des interets d'une partie lorsque les interets de

celle-ci risquent d'etre deraisonnablement atteints sans qu'elle puisse agir

efficacement pour les sauvegarder. En d'autres termes, la bonne foi n'empeche

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pas une partie de profiter a son avantage d'une saine situation de competition mais

tente d'eviter les abus. Cette grille d'analyse est la conclusion de nos recherches

qui, nous l'esperons, sera utile dans l'application quotidienne de la notion de

bonne foi en droit des obligations quebecois. Nous avons tente d'expliquer

pourquoi 1'usage de cette notion par les tribunaux aux relations contractuelles est

non seulement legitime mais souhaitable, afin de preserver une veritable justice au

sein de la relation. Nous esperons du meme souffle que cette analyse permettra

aussi d'eviter certains derapages malencontreux qui nuisent a cette legitimite en

ne respectant les assises de la theorie contractuelle, notamment en faisant fi du

devoir de chacun de veiller a ses interets lorsque les circonstances y sont

favorables.

Finalement, il reste un dernier point qui merite d'etre commente. Toute la grille

d'analyse que nous proposons s'appuie sur une intervention judiciaire efficace par

laquelle les justiciables pourront effectivement faire valoir leurs interets d'une

maniere efficiente et peu couteuse. Toute cette demonstration n'a aucun sens si

les delais et les couts pour faire valoir ses interets s'averent rebarbatifs pour le

simple citoyen. Ce dernier preferera une solution plus immediate et moins

derangeante, qui se manifestera le plus souvent par l'abandon de tout recours.

Nous serons alors en face du meme constat: seuls ceux qui ont les moyens et

l'energie de faire valoir leurs droits - comprendre les riches et puissants -

exerceront effectivement cette prerogative; les autres prefereront s'abstenir.

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II reste done a la societe quebecoise a favoriser un meilleur acces a la justice. La

creation d'une Cour des petites creances a ete, a notre avis, un pas dans la bonne

direction mais ce pas n'est pas suffisant. II faut done rechercher des manieres

nouvelles de proceder afin que la justice judiciaire soit une veritable justice...

Mais de telles recherches depassent le cadre de cette these. Des etudes

subsequentes, nous l'esperons, nous permettront de suggerer certaines solutions

afin que nous puissions enfin considerer que la liberte s'exerce dans un contexte

de veritable egalite!

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Banque Laurentienne du Canada c. Mackay, [2002] R.J.Q. 365 (C.A.)

Banque nationale du Canada c. Goulet, (24 fevrier 1997), Montreal, 500-09-000526-947, REJB 1997-00356, J.E. 97-626 (C.A.)

Banque nationale du Canada c. Houle, [1990] 3 R.C.S. 122

Banque nationale du Canada c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339

Banque royale du Canada c. Audet, (27 fevrier 1997), Val d'Or, 615-02-000167-958, J.E. 97-882, REJB 1997-03000 (C.Q.)

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Boless Inc. c. Residence Denis-Marcotte, (20 septembre 1995), Frontenac, 235-05-000062-951, J.E. 95-1890 (C.S.)

Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Legros, 2005 QCCA 48, [2005] R.J.Q. 383

Caisse populaire de La Prairie c. Burrows, (6 avril 2000), Longueuil, 505-17-000383-986, REJB 2000-19829, B.E. 2000BE-625 (C.S.)

Caisse populaire Desjardins Saint-Jean Baptiste de Lasalle c. 164375 Canada Inc., [1999] R.R.A. 482, REJB 1999-11807 (C.A.) et en premiere instance [1996] R.R.A. 151 (C.S.)

Caisse populaire de Sorel c. Beauchemin, (20 mai 1998), Richelieu, 765-05-000265-949 et 765-05-000281-946, J.E. 1886, REJB 1998-08754 (C.S.)

Caisse populaire Les Chutes c. Matteau, [1992] R.J.Q. 1693 (C.Q.)

Cerescorp Inc. c. Commerce Leasing Ltd, (12 fevrier 1996), Montreal, 500-09-000518-902, J.E. 96-498 (C.A.)

Chaputc. Romain, [1955] R.C.S. 834

Chateau c. Placements Germarich inc., (6 juin 1997), Montreal, 500-09-001184-944, J.E. 97-1254 (C.A.)

Ciment du Saint-Laurent Inc. c. Barrette, 2006 QCCA 1437, [2006] R.J.Q. 2633

Compagnie Trust Royal c. Entreprises B.M. St-Jean, (7 mai 1997), Montreal, 500-05-017651-967 et 500-05-017652-965, J.E. 97-1158, REJB 1997-00768 (C.S.)

Conexsys Systems Inc. c. Aime Star Marketing Inc., [2003] R.J.Q. 2875 (C.S.)

Corpex (1977) Inc. c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 643

408

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Crown Life Insurance Co. c. 2329-7294 Quebec Inc., (16 septembre 1999), Montreal, 500-05-008780-957, REJB 1999-14465, J.E. 99-1949 (C.S.)

Curateur public du Quebec c. Syndicat national des employes de I 'hopital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211

Dempsey IIc. Canadian Pacific Hotels Ltd., (21 septembre 1995), 500-09-001012-848, J.E. 95-1813 (C.A.)

Dobson (tuteur a I'ihstance de) c. Dobson, [1999] 2 R.C.S. 753

Dore c. Verdun (Ville de), [1997] 2 R.C.S. 862

Dostie c. Sabourin, [2000] R.J.Q. 1026 (C.A.)

Droit de la famille-2071, [1994] R.J.Q. 2933 (C.S.)

L 'Excelsior, compagnie d'assurance-vie c. La Mutuelle du Canada, compagnie d'assurance-vie, [1992] R.J.Q. 2666 (C.A.)

Exportations Consolidated Bathurst c. Mutual Boiler, [1980] 1 R.C.S. 888

Filion c. Chiasson, 2007 QCCA 570, [2007] R.J.Q. 867

Forget c. Babin, [2000] R.R.A. 810 (C.S.)

General Motors Products of Canada c. Kravitz, [1979] 1 R.C.S. 790

Grant Mills Ltd. c. Universal Pipeline Welding Ltd, [1975] C.S. 1203

Groupe commerce, compagnie d'assurances c. Service d'entretien Ribo Inc., [1992] R.R.A. 959 (C.A.)

Groupe Permacon c. Fata, (11 avril 1997), Montreal, 500-02-033829-966, JE. 97-1052, REJB 1997-00730 (C.Q.)

Guenette c. Nurun Inc., [2002] R.J.Q. 1035 (C.S.)

H. Cardinal Construction Inc. c. Dollard-des-Ormeaux (Ville de), (2 septembre 1987), Montreal, 500-09-000815-837, J.E. 87-970 (C.A.)

Hill c. Eglise de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130

Katz c. Reitz, [1973] C.A. 237

The King v. Paradis & Farley Inc., [1942] R.C.S. 10

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Lacharite c. Caisse populaire Notre-Dame de Bellerive, 2005 QCCA 577, [2005] R.J.Q. 1408

Lac-St-Charles (Ville de) c. Construction Choiniere, [2000] R.R.A. 639, J.E. 2000-1318 (C.A.)

Langstaff c. Barreau du Quebec, (1916) 25 B.R. 11

Laurentienne generale, compagnie d'assurance inc. c. Nortrem, [1998] R.RiA. 1068, REJB 1998-08054 (C.S.)

Lebeuf c. Association desproprietaires du Lac Dore, [1997] R.R.A. 845 (C.S.)

Letourneau c. Garantie (La), Compagnie d'assurances de I'Amerique du Nord, (23 fevrier 2000), Quebec, 200-09-001307-971, J.E. 2000-535, REJB 2000-16649 (C.A.) (Requete pour autorisation de pourvoi a la Cour supreme rejetee, 5 octobre 2000)

Levesque c. Carignan (Corporation de la Ville de), 2007 QCCA 63, J.E. 2007-310

Mignacca c. Provigo Inc., (26 aout 2004), Montreal, 500-09-011673-019, REJB 2004-70099, J.E. 2004-1777 (C.A.)

Mousseau c. Societe de gestion Paquin Ltee, [1994] R.J.Q. 2004 (C.S.)

Paris c. Banque nationale du Canada, [2003] R.R.A. 29 (C.A.)

Pisapia Inc. c. Paul Dube et fils Ltee, (12 novembre 1993), Montreal, 500-09-000159-855 et 500-09-000160-853, J.E. 93-1883 (C.A.)

Posluns c. Entreprises Lormillnc., (4 juillet 1990), Quebec, 200-05-001584-858 et 200-05-001878-854, J.E. 90-1131 (C.S.)

Poulin c. Promutuel Charlevoix-Montmorency, societe mutuelle d'assurances generales, [2001] R.R.A.502, REJB 2001-24594 (C.S.)

Procureur general du Quebec c. Kabakian Kechichian, [2000] R.J.Q. 1730, REJB 2000-18855 (C.A.)

Provigo distribution inc. c. Supermarche A.R.G., [1998] R.J.Q. 47 (C.A.)

Prud'homme c. Prud'homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663

Regie d'assainissement des eaux du bassin de La Prairie c. Janin Construction (1983) Ltee, [1999] R.J.Q. 929 (C.A.)

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Richardc. Time Inc., 2007 QCCS 3390, [2007] R.J.Q. 2008 (inscription en appel, 14-08-2007,500-09-017967-076)

Rocha-Souza c. Moscovici, (3 dec. 1999), Montreal, 500-05-23166-966, J.E. 2000-61, REJB 1999-15749 (C.S.)

S.M.C. Pneumatiques (Canada) Ltee c. Dicsa Inc., (7 juin 2000), Montreal, 500-05-037558-978, J.E. 2000-1448 (C.S.) au par. 61 (appel accueilli quant au quantum des dommages admissibles mais pas quant a la necessite d'un preavis : (16 janvier 2003), Montreal, 500-09-009816-000, B.E. 2003BE-208 (C.A.).

Societe de recuperation, d'exploitation et de developpementforestiers du Quebec c. Gestion GrandRemous Inc., (le 13 mai 1999), Quebec, 200-09-000993-961, J.E. 99-1151, REJB 1999-12452 (C.A.)

Societe hoteliere Canadien Pacifique c. Hoeckner, [1988] R.L. 482 (C.A.)

Societe quebecoise d'assainissement des eaux c. B. Fregeau & Fils, (5 avril 2000), Montreal, 500-09-005829-973, J.E 2000-809 (C.A.) (Requete pour permission de pourvoi a la Cour supreme rejetee, 9 novembre 2000)

Societe Radio-Canada c. Gilles E. Neron Communication Marketing inc., [2002] R.J.Q. 2639 (C.A.) (confirme en C.S.C., le 29 juillet 2004, 2004 CSC 53)

Societe Radio-Canada c. Guitouni, [2002] R.J.Q. 2691 (C.A.)

Standard Broadcasting Corporation Limited c. Stewart, [1994] R.J.Q. 1751 (C.A.)

Syndicat Norther est c. Amselem, 2004 SCC 47, [2004] 2 R.C.S. 551

Tamper Corp c. Kansa General Insurance Co. [1998] R.J.Q. 405 (C.A.)

Trudel c. Clairol, [1975] 2 R.C.S. 236

Trust La Laurentienne c. Losier (15 janvier 2001) Montreal, 500-09-007838-998, J.E. 2001-254, REJB 2001-22029 (C. A.)

Turmel c. Quadragesco Inc., [1988] RJ.Q. 2608 (C.A.)

Uni-Select Inc. c. Action Corp, [2002] R.J.Q. 3005 (C.A.)

Vachon c. Lachance, [1994] R.J.Q. 2576 (C.S.)

Vie I c. Entreprises immobilizes du terroir ltee, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)

Vorvis c. Insurance Corporation of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085

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Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670

Whiten c. Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, [2002] 1 R.C.S. 595

Woffordc. Boreal Insurance Inc., [1995] R.R.A. 811 (C.Q.)

Wyre c. Dottin, [2004] R.D.I. 136, REJB 2003-51555 (C.S.)

Xequipe Inc. c. Montreal (Communaute urbaine de), (6 septembre 2001), Montreal, • 500-05-044888-988, J.E. 2001-1759, REJB 2001-26233 (C.S.)

B-Jurisprudence francaise

Cass, com., 9 janv. 1990, D. 1990.173 (note Jean-Pierre Brill)

Civ. lre, 16 mai 1995, J.C.P. 1996.11.22736 (obs. Frangois-Xavier Lucas)

SA Banchereau c. Societe Chronopost, Cass, com., 22 octobre 1996, D. 1997.121 (obs. Alain Seriaux).

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