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Tour de France des alternatives

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Sorti en octobre 2014, mon livre est maintenant disponible sur internet au format Creative Commons BY-NC-ND

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EmmanuelDaniel

Le tour de France

des alternatives

Éditions du Seuil

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Ce livre est publié en partenariat entre les Éditions du Seuil et La Pile, l’association qui édite « Reporterre »,

le quotidien de l’écologie.Collection dirigée par Hervé Kempf.

isbn 978-2-02-118608-6

© Éditions du Seuil, octobre 2014

Cette œuvre est sous licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modifi cation 4.0 International. Pour accéder à une copie de cette licence, merci de vous rendre à l’adresse suivante http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/ ou envoyez un courrier à Creative Commons, 444 Castro Street, Suite 900, Mountain View, California, 94041, USA.

www.reporterre.netwww.seuil.com

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À tatie Suzanne.

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INTRODUCTION

Il ne s’agit plus de faire la liste, connue jusqu’à la nausée, des NON de ce que nous refusons, mais d’élaborer collectivement les OUI qui caracté-risent les mondes que nous voulons.

Jérôme Baschet,Interview par Bernard Duterme, Louvain-la-Neuve (Belgique), Cetri, 2014.

L’utopie, c’est simplement ce qui n’a pas encore été essayé.

Théodore Monod et Jean-Philippe de Tonnac,Révérence à la vie. Conversations avec Jean-Philippe de Tonnac, Paris, Éditions Grasset, 2000.

Vous n’en avez pas entendu parler à la télévision, pourtant, la prochaine révolution a déjà commencé. Partout en France, dans l’angle mort des médias, des gens ordinaires sont en train de prouver que la trans-formation sociale n’est pas le privilège des puissants. Ils ne croient plus au Grand Soir et n’attendent pas de sauveur providentiel pour agir. Partant du constat que ni l’État ni le marché n’ont la capacité, la volonté,

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voire la légitimité, d’organiser effi cacement et dura-blement leurs existences, ils ont décidé d’œuvrer eux-mêmes pour transformer leur vie et celle des autres autour d’eux.

Ces femmes et ces hommes ne proposent pas un modèle de sortie du capitalisme clés en main, mais apportent des réponses viables et applicables à court terme à des problèmes du quotidien : se nourrir, se loger, travailler, éduquer les enfants, produire de l’énergie, fabriquer et réparer des objets, faire vivre son quartier… Leurs actions sont ancrées dans le réel et visent à transformer l’ici et le maintenant : ils créent des monnaies locales, des banques villageoises, des entreprises coopératives, des parcs éoliens citoyens, des zones de résistance créative, des habitats grou-pés, des ateliers d’autoréparation de vélo, des circuits courts producteurs-consommateurs…

À l’heure où les urgences écologique et sociale frappent chaque jour avec plus d’insistance aux portes de nos consciences, ces citoyens croient en la possi-bilité d’un avenir meilleur et le mettent en œuvre dès aujourd’hui. En inventant de nouveaux rapports aux autres, à la politique, à l’économie, à la propriété et à la nature, ils luttent contre le fatalisme – « de toute façon, on n’y peut rien » – en prouvant que chacun a sa place dans le changement social. Ils font renaître l’espoir et nous invitent à prendre part à la révolution en cours.

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Quand j’ai découvert ces initiatives, je n’y ai d’abord vu que des projets enthousiasmants, certes, mais anecdotiques, incapables de juguler le cancer capitaliste. Puis, au fi l de mes recherches, je me suis rendu compte que des oasis d’humanité surgissaient dans toutes les régions de France, dans tous les domaines de notre vie. Pas un jour ne passait sans que je découvre une nouvelle action citoyenne, concrète et locale, qui propose une alternative au mode de vie, d’organisation, de consommation et de pro-duction contemporain. J’avais le sentiment de voir apparaître, sous mes yeux, un mouvement de fond, la traduction en actes d’une volonté partagée de rompre avec le vieux monde – consumériste, individualiste, productiviste, détaché de la nature – et d’en bâtir un nouveau.

Il m’a fallu plusieurs mois pour comprendre le caractère subversif de ces projets. Ils ne correspondent pas à la culture politique française qui fait reposer le changement social sur la prise du pouvoir d’État, ou la pression sur les gens au pouvoir par le biais de syndicats, d’associations. Les créateurs d’alternatives suivent une logique différente. Ils veulent changer le monde sans prendre le pouvoir. Ils rêvent d’un changement par le bas, dont chacun pourrait être l’acteur. Quand j’ai compris cela, mon pessimisme en a pris un coup et j’ai commencé à regarder l’avenir avec un regard nouveau. Jusque-là, comme tout bon révolutionnaire de canapé, je passais le plus clair de

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mon temps à contester l’ordre établi et à pester contre la capacité de mes semblables à accepter pour eux et pour les autres une routine destructrice de l’homme et de la nature. Mais à part protester, je ne savais pas faire grand-chose d’autre et encore moins par quel bout commencer. En m’intéressant à ces projets, j’ai compris qu’il existait mille et une façons de changer le monde, de transformer les réalités et de faire évo-luer les mentalités. Le fait de voir que des milliers de personnes n’ont pas baissé les bras et proposent des alternatives concrètes à notre mode de vie actuel m’a fait un bien fou. Je n’étais plus seul !

Fort de mon optimisme retrouvé, je suis parti à la rencontre de ces femmes et de ces hommes qui écrivent au présent l’histoire de notre futur afi n de (me) prouver que le changement était encore possible. Pendant six mois, j’ai sillonné les routes de France. J’ai regardé se bâtir ou fonctionner une cinquantaine de projets alternatifs, rencontré leurs inventeurs et tous ceux qui s’y consacrent et qui nous donnent un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler un monde fondé sur le partage, l’entraide, la coopération et la démocratie. Cette virée en utopie de plus de trois mille kilomètres m’a conduit du bocage de Notre-Dame-des-Landes aux quartiers populaires de Marseille, d’un village du Doubs aux beaux quartiers parisiens, des squats tou-lousains au parc régional du Lubéron… Partout, j’ai pu observer une même envie des habitants de reprendre en main leur existence, de décider ensemble ce qui les

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concerne. Ce livre est l’aboutissement de ce voyage. Vous y retrouverez une dizaine de reportages. Une quarantaine d’autres sont disponibles sur le site inter-net du projet [www.tourdefrancedesalternatives.fr]. Et des centaines d’autres utopies concrètes existent, ou sont en train de naître tout près de chez vous.

Ce mouvement de réappropriation de nos vies dépasse largement les frontières hexagonales, mais j’ai choisi de me limiter à la France afi n de donner un visage accessible et familier au changement en cours. Il me semble en effet important de faire savoir que l’utopie n’est pas un fruit exotique qui ne pousse que dans des contrées lointaines, mais qu’il se cultive très bien près de chez nous.

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LÉGENDES

1. L’épicerie dont vous êtes le héros, p. 19 Eybens (banlieue sud-est de Grenoble, près de Pont-de-Claix, Isère)

2. La jardinière qui voulait protéger nos semences, p. 26 Neuvy-Deux-Clochers (Cher)

3. L’entreprise qui n’avait pas de patron, p. 33 Grenoble (Isère)

4. Le village breton qui rêvait d’autonomie énergétique, p. 39 Béganne (entre La Roche-Bernard et Redon, Morbihan)

5. Ils ne se connaissaient pas, et pourtant ils vivent ensemble, p. 45 Die (Drôme)

6. Une banque villageoise, solidaire et qui prête à taux zéro, p. 51 Accous, vallée d’Aspe (sud de Pau, Pyrénées-Atlantiques)

7. Changer de monnaie pour changer le monde, p. 57 Toulouse (Haute-Garonne)

8. Dans un hangar, ils bricolent le monde de demain, p. 64 Mulhouse (Haut-Rhin)

9. Le collège qui révèle les super-pouvoirs de chaque enfant, p. 69 Le Rheu (ouest de Rennes, Ille-et-Vilaine)

10. Comme une envie de démocratie, p. 77 Vandoncourt (Doubs)

11. La coopérative qui prépare l’après-capitalisme, p. 84 Toulouse (Haute-Garonne)

12. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes, école du nouveau monde, p. 92 Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique)

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1. Eybens

2. Neuvy-Deux-Clochers

3. Grenoble

4. Béganne

5. Die

6. Accous, vallée d’Aspe

7 et 11. Toulouse

8. Mulhouse9. Le Rheu

10. Vandoncourt12. Notre-Dame-des-Landes

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PREMIÈRE PARTIE

VIRÉE EN UTOPIE

Quand une multitude de petites gens dans une multitude de petits lieux changent une multitude de petites choses, ils peuvent changer la face du monde.

Erich Fried,Cent Poèmes sans frontière, traduit de l’allemand par Dagmar et Georges Daillant, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1978.

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L’ÉPICERIE DONT VOUS ÊTES LE HÉROS

Avant mon départ pour l’utopie, j’étais un consom-mateur lambda. Même si j’avais décidé depuis quelques années de ne plus mettre les pieds dans les multina-tionales de la restauration rapide, je n’avais pas pour autant fait une croix sur la malbouffe et je continuais à faire mes courses en supermarché. Cela ne m’em-pêchait pas de critiquer les marges des grandes sur-faces, les conditions de travail de leurs employés, le gaspillage alimentaire, et l’aberration des circuits de distribution mondialisés. Je ne faisais alors pas le lien (ou plutôt je ne voulais pas le faire) entre ma façon de consommer et la marche de l’économie. Il ne m’était pas venu à l’idée de prendre au sérieux la phrase de Coluche : « Et dire que si les gens n’achetaient plus, ça ne se vendrait plus. » En somme, j’attendais le Grand Soir pour mettre mes actes en cohérence avec mes principes. Les personnes rencontrées pendant ce tour de France, elles, n’attendent pas une intervention extérieure pour faire ce qui leur semble juste.

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L’alimentation est souvent le premier chantier entrepris par ceux qui veulent reprendre la maîtrise de leur existence. En France, près de trois cent mille per-sonnes achètent déjà légumes, pain, fruits ou encore produits laitiers via une Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne), ce qui permet à un groupe de consommateurs de recevoir chaque semaine un panier de provisions saines, locales et de saison tout en soutenant un producteur. Des milliers d’autres se réunissent au sein de groupement d’achats, de coopératives de consommateurs ou encore d’épi-ceries associatives.

C’est cette forme qu’a choisie l’association Le Zeybu solidaire, située en plein cœur d’un quartier populaire d’Eybens, près de Grenoble. Quand, à la fi n du mois d’août, je suis arrivé dans leurs locaux, il y régnait une ambiance de rentrée des classes. Jeunes couples et retraités, habitants du quartier et des alen-tours s’échangeaient souvenirs de vacances, sourires et accolades, visiblement contents de se retrouver après la fermeture estivale de leur boutique.

Car ici, ils sont bien chez eux. L’épicerie est autogé-rée. Pas de salariés, les riverains sont les tenanciers. De la préparation des produits à l’encaissement, en pas-sant par la distribution, tout est géré bénévolement et à tour de rôle par les quelque trois cents adhérents de l’association. Ce jour-là, ils sont une douzaine à faire tourner le magasin qui ouvre tous les quinze jours, pendant un après-midi. Sur les tables, ils disposent

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fruits et légumes, farine, poisson, volaille, produits laitiers, pâtes fraîches, pain et conserves. À l’extérieur, un mini-marché de producteurs locaux vient complé-ter l’offre.

Le début d’une « pulsation citoyenne »

Posté dans un coin de l’épicerie, j’observe, le sou-rire aux lèvres, ces voisins remplir leurs paniers en discutant joyeusement. Je regarde avec admiration ces gens qui, sans prétention ni grands discours, ont créé une alternative conviviale au supermarché. Ils ont transformé un acte de consommation en un acte de socialisation. Pour eux, ce rituel quinzomadaire semble être devenu une réjouissante banalité. En faisant leurs courses de cette manière, ils n’ont pas l’impression d’accomplir quelque chose d’extraordi-naire. Pourtant, il y a cinq ans, personne n’aurait parié qu’une telle aventure puisse voir le jour.

En 2008, l’épicerie de ce quartier populaire a mis la clé sous la porte. « On s’est inquiétés de voir un lieu de rencontre disparaître, se rappelle Jean-Jacques, ini-tiateur du projet. Ici, il n’y a rien, quand l’épicerie est fermée, le quartier est mort. » Alors, quinze jours après la fermeture, il a soumis au conseil de quartier l’idée d’une reprise de l’épicerie en association : le début de ce qu’il décrit comme une « pulsation citoyenne ».

Dès le départ, deux objectifs ont été défi nis par le collectif rassemblé autour du projet : « Recréer du lien

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à l’échelle d’un territoire et garantir l’accessibilité à tous. Ça passait obligatoirement par l’alimentation car ça touche tout le monde », explique cet ancien chef d’entreprise. Quelques mois plus tard, l’asso-ciation était constituée, avait trouvé son local (mis à disposition par la mairie), ses producteurs et ses consommateurs.

Quatre ans après le lancement, le fonctionnement de l’épicerie est bien rodé. Deux fois par mois, les adhérents passent commande sur un site internet dédié. Ils ont chacun un compte qu’ils créditent en zeybus, la monnaie qu’ils ont créée (1 euro = 1 zeybu). Les producteurs viennent ensuite livrer les produits lors de l’ouverture de la boutique. Et, pour que ces produits de qualité ne soient pas réservés aux riverains fortunés, un système inédit a émergé des discussions : la « boucle solidaire ».

Les producteurs partenaires s’engagent à faire un « don solidaire », c’est-à-dire à offrir 10 % de leur chiffre d’affaires du jour en nature. Lorsque les membres viennent récupérer leurs poulets, fro-mages et légumes frais et locaux, ils ont la possibilité d’acheter, en plus de leur commande, les produits offerts par les agriculteurs. L’argent généré ainsi vient alimenter les comptes des adhérents bénéfi ciant de l’aide alimentaire. Ils disposent donc d’un petit pécule pour commander gratuitement des produits. Puisque leur compte est directement crédité en zeybus, les

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bénéfi ciaires n’ont pas à présenter une carte de pauvre ou à patienter dans une queue spéciale « précaires » pendant la distribution. Ils peuvent faire leurs courses comme tout le monde. Ce point est essentiel pour Jean-Jacques qui pense que « toute démarche qui exclut renforce le système dominant ».

En 2013, 2 500 euros ont ainsi été distribués à une vingtaine de familles. Jean-Jacques tient à préciser qu’elles ne sont pas de simples bénéfi ciaires de la charité d’autrui. En effet, en achetant des produits à l’épicerie grâce à l’argent versé sur leurs comptes, elles contribuent à la relocalisation de l’économie en permettant à des producteurs locaux de vivre de leur métier. Ghislain, éleveur de volailles, se satis-fait de ce système qui, en plus d’être solidaire et éthique, lui a permis de trouver des débouchés. Quant à Josée, exploitante agricole, elle se réjouit que cette « démarche solidaire permette aussi de sensibiliser les consommateurs au travail des agriculteurs de proximité ».

Une vie de quartier transformée

Mais, au-delà du coup de pouce économique aux personnes précaires et aux producteurs, l’intérêt du Zeybu est avant tout de recréer de la convivialité dans un quartier sans vie. « L’échange de marchan-dises n’est ici qu’un prétexte à la sociabilisation. Ça permet le brassage de gens qui ne se connaissaient

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pas », se réjouit Jean-Jacques. Les distributions gérées collectivement ont pour but de favoriser le dialogue. « En pesant un sac de pommes de terre ensemble, on espère créer du lien. Les gens vont se tutoyer, se dire bonjour », ajoute-t-il.

Plusieurs adhérents le confi rment : cette petite épicerie a changé la vie des habitants de cette cité-dortoir faite de grands ensembles bordés de pavillons. « Depuis l’installation du Zeybu, le quartier s’est transformé positivement. Ça a créé un tissu social solide, plein de gens se connaissent maintenant », affi rme Bernard tout en préparant un kilo de tomates pour sa voisine. C’est cette convivialité nouvelle qui pousse Frédérique à fréquenter l’épicerie alors qu’elle a déménagé ailleurs. Elle continue à venir pour « voir les gens du quartier. On vient prendre une salade mais aussi des nouvelles. On reste facilement trente minutes », dit-elle. En effet, quand la boutique ouvre et que les producteurs installent leur stand sous les arcades, la rue qui borde cet ensemble HLM, déserte quelques minutes plus tôt, résonne des rires d’enfants et des discussions d’adultes.

Au fi l du temps, Le Zeybu solidaire s’est appuyé sur la dynamique créée par l’épicerie pour lancer d’autres projets, notamment à destination des enfants du quartier. Ainsi, un tiers de l’argent dégagé par les dons solidaires sert à fi nancer des activités telles que la construction par les membres de fours solaires

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ou de lombricomposteurs. En mettant en place des ateliers favorisant l’émancipation et l’autonomie des plus jeunes, Jean-Jacques compte « donner un sens politique à cette monnaie ». Grâce à des subventions publiques et privées, l’association a également pu équi-per l’arrière-salle de l’épicerie d’un four et d’ustensiles afi n d’organiser des cours de cuisine ou de confection de pain. En outre, un espace bibliothèque a été installé où chaque adhérent peut déposer et prendre librement des ouvrages.

Cependant, malgré plus de trois cents adhérents, Jean-Jacques s’inquiète de la pérennité de ce projet « banalement révolutionnaire ». Alors, pour éviter que cette belle idée ne s’évanouisse dans la nature, il s’attelle à « garder des traces de ce qui a été fait. Ainsi, même si on disparaît demain, d’autres pourront reprendre le chemin ». Il communique donc, le plus possible, car il ne sera « tranquille que quand d’autres Zeybus auront vu le jour ». Quelques mois après mon passage, j’ai repris contact avec Jean-Jacques pour prendre des nouvelles de l’association. Il semble que les efforts de ces épiciers citoyens soient en train de payer. Un nouveau Zeybu est en gestation dans un autre quartier populaire de la banlieue grenobloise et d’autres sont en projet.

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LA JARDINIÈRE QUI VOULAIT

PROTÉGER NOS SEMENCES

Nathanaëlle est entrée en résistance. Depuis huit ans, cette jardinière autodidacte lutte contre « la mainmise des lobbies de l’agro-industrie » sur notre alimentation et œuvre pour « éviter que les variétés anciennes ne disparaissent ». Mais son militantisme ne s’encombre pas de pancartes et de slogans. Son combat, elle le mène binette à la main, du fond de son jardin, à Neuvy-Deux-Clochers, village de quatre cents habitants dans le Cher. Après avoir rempli plu-sieurs seaux de cassis et de petits pois violets, cette trentenaire aux longs cheveux bruns s’accorde une pause sous l’ombre de la tonnelle et prend un peu de temps pour me parler de ses activités et des raisons de son engagement.

« Je cultive des légumes de variétés anciennes et reproductibles. Pas d’hybrides ni d’OGM qui sont souvent dégénérescents [qui ne peuvent pas être replantés d’une année sur l’autre et nécessitent le rachat de graines] et ne nous assurent donc pas une

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autonomie alimentaire », détaille-t-elle. Elle s’adresse principalement à un public de jardiniers amateurs afi n qu’ils puissent « continuer à se nourrir par leurs propres moyens sans dépendre de l’agro-industrie ». Ce faisant, elle invite la population à faire vivre des espèces centenaires en voie d’extinction. Une initia-tive porteuse de sens quand on sait que 75 % de notre patrimoine génétique alimentaire a disparu depuis un siècle.

Dans son demi-hectare de terrain, elle récolte les graines de plus de deux cent cinquante variétés de légumes qu’elle fait circuler grâce à son association Potage & Gourmands, créée en 2011. Les tomates sont sans conteste les reines de son jardin. Elle en fait pousser plus de quatre-vingt-dix variétés, qui font de son petit bout de terre une mosaïque de couleurs. On y trouve « des rouges, des noires, des jaunes, des blanches » venues de tous les continents. Rien à voir avec les « tomates parfaitement rondes et rouges, mais sans goût » qui s’entassent dans nos supermarchés. Sauf que cette activité fait de Nathanaëlle une hors-la-loi. En effet, seules les semences répertoriées au catalogue offi ciel peuvent être légalement commer-cialisées1. « Qui a le droit de nous dire ce qu’on peut planter ? Personne n’a le droit ! » s’indigne-t-elle. Et pourtant… « Il est interdit de reproduire des semences

1. Néanmoins, les petits producteurs vendant aux parti-culiers ont peu de chances d’être inquiétés.

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qui existent depuis des milliers d’années et qui ont été cultivées par des générations et des générations d’agriculteurs passionnés. Tout cela à cause d’une minorité de gens qui veulent avoir la mainmise sur la nourriture pour mieux contrôler les populations », explique-t-elle, outrée.

En vertu de réglementations européennes, des mil-liers de variétés potagères, notamment anciennes, sont considérées illégales tant qu’elles ne sont pas certifi ées par un Service offi ciel de contrôle et de certifi cation (SOC). En France, c’est le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS) qui délivre les précieux sésames. Au nom de la « qualité sanitaire », cet organisme, chapeauté par le ministère de l’Agriculture mais composé de professionnels de la semence, autorise la vente d’espèces dégénératives gourmandes en pesticides… mais recale des variétés centenaires qui peuvent être replantées d’année en année. Face à cette injustice, la passion de Nathanaëlle pour les tomates est devenue un acte politique. En faisant le choix de la désobéissance civile, elle lutte à son échelle pour « préserver ces variétés qui sont un vrai cadeau, qui sont plus précieuses que l’or, qui lui ne se mange pas ».

Un salutaire retour à la terre

Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser cette ancienne habitante de la banlieue parisienne à s’engager pour

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la préservation de ces semences ? Comme de nom-breuses personnes rencontrées pendant mon voyage, Nathanaëlle ne se sentait pas vraiment à sa place dans la société. « J’étais une pure citadine, j’habitais en appartement, mais j’étais en train de dépérir dans cette ville. J’étais déconnectée de la vie, déconnectée de moi-même », se rappelle-t-elle. C’est à ce moment que l’idée de jardiner lui a traversé l’esprit. Elle a fait une demande pour bénéfi cier d’un jardin ouvrier mais les listes d’attente étaient trop longues. Un choix s’est alors imposé, qui a bouleversé son existence. « J’ai fait le vœu de changer de vie, de partir de cette ville, qui était nauséabonde, pour revenir à la source, à la campagne, habiter dans une maison et cultiver quelques tomates et fraises pour m’essayer. Je ne savais pas à quel point ça allait devenir important. De fi l en aiguille, c’est devenu une vraie passion, puis une vocation, et aujourd’hui c’est le sens de ma vie sur terre. Il n’y a rien qui m’ait autant fait grandir en si peu de temps. »

Avec ce retour à la terre, Nathanaëlle n’a pas seu-lement transformé son existence pour la mettre en cohérence avec ses aspirations profondes. Elle tente de mettre en pratique d’autres rapports aux autres, éloignés du consumérisme et de l’individualisme. Pour faire vivre son association, acheter des semences et du matériel, elle vend ses graines aux amoureux de la biodiversité et du bien-manger. Mais son engage-ment ne se résume pas à une activité marchande. « Il

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ne faut pas tout monnayer. Ce que je fais, c’est contre le système capitaliste. Je suis obligée de monnayer a minima, sinon je me retrouve à la rue. Mais la nature est quelque chose de gratuit, alors je fais aussi des dons et des échanges », raconte-t-elle. Ainsi, elle envoie des semences aux Incroyables Comestibles [citoyens qui plantent des légumes à partager sur la place publique] et en échange d’autres avec des jardiniers amateurs sur le site Graines de trocs. Sa voisine lui donne des cours d’apiculture et une ruche. En retour, elle l’initie au jardinage et lui fournit les graines. Il lui arrive même de régler une partie de sa facture chez l’ostéopathe avec des plants de légumes. Ainsi, elle commence à donner forme au monde dont elle rêve, plus solidaire, partageux et respectueux de notre environnement. « Je ne me bats pas contre Monsanto. Je me bats pour un monde différent de celui qu’il nous propose », conclut-elle avec vigueur.

Le potentiel révolutionnaire du plaisir

Nathanaëlle assure que cette forme de « contesta-tion créatrice », en plus de participer à notre autono-mie alimentaire, procure bien-être et plaisir. « C’est un vrai bonheur de se remplir la panse avec des légumes qu’on a fait pousser nous-mêmes », s’en-thousiasme-t-elle. Désespérée par nos habitudes de consommation, notamment en termes d’alimentation, elle se garde pour autant de jouer la moralisatrice :

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« Il y a une minorité de gens qui détruisent la vie et la plupart sont un peu suiveurs, mais je ne veux pas leur jeter la pierre, car on est tous tombés dans ce piège », dit-elle en se rappelant qu’il n’y a pas si longtemps, elle aussi faisait partie des suiveurs. Alors plutôt que de culpabiliser ses semblables, elle veut leur faire prendre conscience des avantages induits par un changement de comportement : « J’essaie de toucher les gens par leur désir de bien manger. Tout le monde aime le bon et le beau, tout le monde a envie du meilleur. Je ne connais personne qui mange des fraises polluées pour le plaisir de s’empoisonner. »

Et pour gagner d’autres personnes aux joies du jardinage et faire connaître les alternatives à une ali-mentation standardisée, mondialisée et contrôlée par quelques grands groupes, elle multiplie les interven-tions dans les foires et festivals, organise des ateliers pédagogiques dans son jardin, notamment à destina-tion des enfants, et invite régulièrement des inconnus à venir plonger les mains dans la terre avec elle. « Tout le monde est bienvenu dans le jardin. Même si on peut y travailler seul, c’est quelque chose qui se partage. Il y a des gens qui viennent m’aider quasiment tous les jours. Tout le monde ne va pas tendre vers l’autono-mie alimentaire comme moi. Mais au moins retrouver le lien à la terre, le lien à la vie », fait valoir la jardi-nière. Il semble que son travail paie. « J’ai remarqué que j’avais incité des gens à faire leur petit bout de jardin. Ils me remercient de les avoir aidés à se lancer

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dans quelque chose dont ils ne se seraient jamais crus capables », lance-t-elle avec fi erté. Et elle soutient que le jardinage n’est pas un luxe réservé aux ruraux. Il est possible de cultiver en ville, sur un balcon, un toit, l’espace public ou des jardinières accrochées aux fenêtres : « N’importe qui peut jardiner. Il suffi t de le vouloir. »

Comme Nathanaëlle, la plupart des artisans du changement croisés sur ma route choisissent de vivre aujourd’hui comme ils aimeraient que nous vivions tous demain. De par leurs actes quotidiens, ils prouvent qu’il est possible de vivre autrement, en accord avec ses principes, et plantent ainsi des graines d’utopie dans la tête de leurs proches.

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L’ENTREPRISE QUI N’AVAIT PAS DE PATRON

Pas de chef, une gérance tournante, des tâches réparties collectivement et des salaires égaux. En prati-quant l’autogestion, les associés de La Péniche passent pour des extraterrestres dans le monde très hiérar-chisé et inégalitaire des agences de communication. Pourtant, les huit membres de cette Scop (Société coopérative et participative) installée à Fontaine, en périphérie de Grenoble, ont les pieds sur terre. L’en-treprise, qui crée des contenus et élabore des stratégies web pour les structures de l’économie sociale et soli-daire (ESS), affi che des résultats au beau fi xe. Depuis 2008, La Péniche connaît une croissance continue et embauche une nouvelle personne chaque année. Tous les membres sont payés 2 000 euros net par mois. Ce salaire, ils l’ont fi xé ensemble, comme ils ont pris ensemble la totalité des décisions qui concernent l’en-treprise. Tous les quinze jours, l’équipe se réunit au complet et détermine les tâches à effectuer et la façon dont elles sont partagées. « On fait défi ler les projets

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en cours et les trucs à faire. On en parle et on s’attribue les boulots. Chacun a une petite spécialisation, mais rien n’interdit de faire quelque chose que l’on ne fait pas habituellement », explique Sylvain qui a embarqué sur La Péniche lors de sa création en 1995, alors qu’il n’était encore qu’étudiant.

Pour se mettre d’accord, ils n’ont pas de méthode miracle. Odile, arrivée à bord en 2006, parle d’or-ganisation « organique » : « Les idées de tous sont brassées et on fi nit par trouver la bonne direction. En cas de blocage, on reprend plus tard. Car si tu n’es pas convaincu par un choix, tu ne travailleras pas de la même façon. » Pour que les délibérations n’abou-tissent pas à la dictature de la majorité, la recherche du consensus est préférée au vote. « Ici, on apprend à décider à plusieurs. C’est quelque chose que l’on ne nous a pas enseigné à l’école », résume Sylvain. L’équipage de cette entreprise peu banale a donc subs-titué la coopération à la compétition, sans pour autant mettre en péril la pérennité de l’entreprise. Les salariés travaillent à plusieurs sur chaque projet, mais tout le monde est au courant des avancées de chaque groupe. Ce mode de fonctionnement n’est pas sans entraîner quelques lourdeurs, mais elles sont compensées par « la réactivité de dingue » qui caractérise l’équipe, selon Hélène, la dernière arrivée. Pour montrer à leurs clients, qui les considèrent parfois comme de doux rêveurs, qu’autogestion n’est pas synonyme de mauvaise organisation, ils doivent redoubler d’efforts.

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« Si on veut que tout le monde se paie correctement, il faut être bon », lance Sylvain.

L’heure de la scission

Cela fait bientôt vingt ans que La Péniche (qui n’a rien d’un bateau, l’entreprise a ses locaux dans une pépinière d’entreprises tout à fait classique) fait offi ce de radeau démocratique dans l’océan ploutocratique du capitalisme. Au départ, « l’idée était de monter une structure autogérée pour travailler autrement avec les gens, sans chef, en partageant les décisions et les tâches. C’était le cœur du projet à l’époque, ça l’est toujours aujourd’hui », raconte Sylvain. Néanmoins, si le navire a gardé le même cap, il a changé de coque. À sa création, La Péniche était une SARL classique : tous les salariés étaient actionnaires avec un nombre de parts égal et un salaire unique. Ils ne voyaient alors pas l’intérêt de devenir une coopérative, persuadés que le « volontarisme des fondateurs » suffi rait à garantir la pérennité de cette organisation. Néanmoins, en 2004, ils ont fi nalement décidé de se transformer en Scop, notamment, indique Sylvain, pour « une question de cohérence vis-à-vis de l’extérieur. On s’est rendu compte ensuite que cela avait des vertus en interne ».

La tempête que La Péniche a essuyée en 2006 est venue les conforter dans leur choix. En effet, suite à un confl it entre les douze sociétaires de l’époque, l’en-treprise s’est scindée en trois. Une partie des membres

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a gardé le nom et s’est installée à Grenoble. Une autre a largué ses amarres dans la Creuse et s’est baptisée La Navette. La troisième est restée à quai à Paris, et a pris pour nom La Pirogue. S’est alors posée la ques-tion du partage des clients et des réserves fi nancières accumulées au fi l des années. La répartition s’est faite en bonne intelligence, mais le problème surgissait à nouveau chaque fois qu’une personne quittait la maison. Avant le passage en Scop, chaque sociétaire partait avec une part du gâteau proportionnelle au temps passé dans l’entreprise. Le changement de statut a permis de trancher la question du partage de la richesse collective, comme l’explique Sylvain : « En cas d’excédent, un quart du résultat va en participa-tion pour les salariés. Tu peux décider de verser des dividendes, mais on ne l’a jamais fait. Tout le reste est donc placé en réserve impartageable. Ça n’appar-tient plus aux anciens ni aux nouveaux, et ça permet de renforcer le projet qui peut se pérenniser au-delà des personnes. » En effet, ces fonds impartageables assurent une assise fi nancière à la coopérative. Plutôt que de rémunérer le capital, les membres préfèrent utiliser leurs bas de laine pour développer leur activité ou des projets qui leur tiennent à cœur. Ainsi, avec d’autres structures locales évoluant dans le domaine de l’ESS, La Péniche est en train d’installer un espace de co-working (travail partagé) qui fera également offi ce de restaurant.

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Sylvain reconnaît que ce statut permet de graver dans le marbre certains principes comme le partage du capital, mais il rappelle que l’égalité des salaires et l’ab-sence de hiérarchie ne font pas partie des obligations des Scop classiques. C’est volontairement qu’ils ont choisi d’aller plus loin que ce qu’imposent les statuts.

Le refus du petit chef

Pour la plupart des membres, le choix de l’autoges-tion est motivé par un rejet de l’organisation du travail traditionnelle. « Avant, j’étais salarié dans l’ESS. J’étais devenu un petit chef, la manière dont on m’obligeait à travailler avec mes collègues ne me plaisait pas. Les modèles de management de l’entreprise classique avec tableaux de bord, objectifs et primes commençaient à s’inviter dans l’ESS et ça ne correspondait pas à l’image que je me faisais de mon boulot. Ici, le mode de fonctionnement, la convivialité, le partage, corres-pondent à ce que j’attendais », dit Thomas, arrivé en 2009. Mais si l’autogestion leur a permis de se réap-proprier leur travail et de maîtriser sa fi nalité, ils n’ont pas réussi à en éradiquer toutes les contraintes. « On travaille trop. La diffi culté est de savoir comment on sort de ça. L’autogestion, c’est aussi l’auto-exploita-tion », expose Thomas.

Il estime néanmoins que ces sacrifices ne sont pas vains : « On montre qu’il existe d’autres façons de travailler et de produire ensemble. Avec ou sans

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le système capitaliste. » Loin de s’ériger en modèle, La Péniche espère juste prouver qu’il est possible de s’organiser effi cacement et de mener une activité économique prospère et éthique sans la pression d’un « petit chef ».

Sylvain considère cependant que le fonctionnement autogestionnaire n’est pas applicable à tous, tout de suite : « Beaucoup de gens sont très contents d’avoir un chef pour cacher leur responsabilité et avoir quelqu’un de qui se plaindre. Tu ne peux pas aller à l’encontre de ça du jour au lendemain ; c’est comme pour la sortie du nucléaire. Les militants antinucléaires ne veulent pas tout arrêter brusquement, mais préparer la sortie. » Il pense donc qu’avant de faire de l’auto-gestion un modèle de remplacement du capitalisme, il faudra d’abord que nous prenions conscience de la faisabilité et des avantages de la coopération. Et pour démontrer la viabilité de ce mode de fonctionnement et convaincre d’autres personnes de tenter l’aventure, il a préféré l’action aux grands discours : « Je tente simplement d’agir sur ce sur quoi j’ai prise. Qu’est-ce qu’il y a à faire d’autre, si on ne fait pas ça ? On laisse les gens crever dans la rue en croyant que ça va radi-caliser la situation, ça c’est l’analyse léniniste. Sauf que les gens ne sont pas prêts à l’autre système. Alors on essaie d’être des acteurs du changement et, en mon-trant qu’on peut travailler différemment, on participe à la transition. »

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LE VILLAGE BRETON QUI RÊVAIT

D’AUTONOMIE ÉNERGÉTIQUE

L’utopie se manifeste parfois de manière surpre-nante. À Béganne, près de Redon, elle a pris la forme d’un parc éolien industriel. En mars, au milieu des landes qui surplombent la vallée, les habitants de ce village breton situé sur la rive droite de la Vilaine ont vu jaillir de terre quatre géants de métal de cent cin-quante mètres de haut. Mais ce projet n’a rien à voir avec les quelque sept cents parcs de ce type, actifs en France. C’est la première fois dans notre pays qu’un parc éolien est majoritairement fi nancé et contrôlé par des citoyens. Ils sont près de mille à avoir mis leur épargne en commun. 1,8 million d’euros ont été rassemblés ainsi, somme qui les assure de rester majo-ritaires au capital de Bégawatts, société qui exploitera les machines.

J’avais entendu parler de cette initiative bien avant d’entamer mon tour de France. J’étais impressionné par son ampleur et son ambition. C’est avec une grande curiosité que je me suis rendu à Redon, où est

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installée l’association Éoliennes en pays de Vilaine (EPV), qui porte le projet. Mais ce n’est qu’après avoir rencontré les initiateurs, les salariés de l’association et des riverains impliqués, que j’ai pris toute la mesure de cette aventure qui a dynamisé ce territoire à la frontière entre ville et campagne.

« Au départ, il s’agissait d’un projet de petit éolien entre voisins, des gens plutôt militants qui voulaient tendre vers l’autonomie énergétique et désiraient uti-liser le vent, une ressource locale. Mais ils se sont vite rendu compte que ce n’était pas rentable », raconte Charlène, salariée d’EPV. Au vu de la production insuffi sante et aléatoire des éoliennes individuelles, la bande de copains décide alors de passer à l’échelle supérieure. Elle opte pour des machines capables de produire l’équivalent de la consommation électrique hors chauffage des huit mille foyers du canton.

Le projet a changé d’échelle, mais ses initiateurs n’ont pas perdu de vue son caractère politique ni son implantation locale. « Il est question de se réap-proprier l’énergie et de proposer une alternative au nucléaire, précise Jean-Paul, expert-comptable à la retraite et trésorier de l’association. L’idée est égale-ment de s’assurer que ce parc ne soit pas capté par des grands groupes qui vont faire du fric avec. Autant que cela bénéfi cie aux gens du pays. » En effet, l’électri-cité produite est revendue à EDF à un tarif de rachat garanti par la loi pendant quinze ans, ce qui assure

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une rentabilité de l’ordre de 4 %. C’est pourquoi les industriels sont friands de ce genre d’investissements. Dans un premier temps, les membres d’EPV ont tenté de s’associer avec des entreprises du secteur afi n de bénéfi cier de leur expertise. « Mais il n’y avait aucun moyen de s’entendre, se rappelle Charlène. Elles voulaient garder la maîtrise du projet. » Proposition inconcevable pour les membres de l’association qui tiennent à ce que « la majorité du projet soit détenue en local par des acteurs du territoire », afi n qu’ils s’ap-proprient l’initiative.

Plutôt que de déléguer la réalisation de ce rêve à une entreprise qui en prendrait le contrôle et le viderait de son caractère subversif, les membres de l’association se sont lancés en 2003, seuls et sans aucune expérience. Il leur a fallu cinq ans pour trou-ver le terrain adéquat et remplir le cahier des charges imposant requis pour le permis de construire. Pour fi nancer cette phase d’études, les porteurs du projet ont fait appel à l’épargne locale une première fois. Quatre-vingts personnes ont répondu à l’appel et se sont jointes aux collectivités locales pour rassembler les 90 000 euros nécessaires aux études préliminaires. Après de multiples embûches administratives, le permis de construire est fi nalement délivré en juillet 2009. Il restait alors à réunir les 12 millions d’eu-ros indispensables à l’achat et la mise en route des éoliennes.

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Caisse et cause communes

Fidèle à sa logique d’implication citoyenne, l’asso-ciation se tourne d’abord vers les riverains. Lors de réunions publiques, ses membres expliquent le projet et incitent les volontaires à créer des clubs d’inves-tisseurs citoyens (appelés Cigales1) pour récolter de l’argent. Une idée qui a tout de suite séduit Sibylle, habitante de Béganne : « J’en ai parlé à des amis qui ont adhéré au projet et on a créé un club dont je suis trésorière. » Cinquante-trois clubs de ce type ont vu le jour, chacun des mille investisseurs citoyens misant en moyenne 1 700 euros. Un emprunt bancaire, des structures locales de l’ESS, la région Bretagne et Énergie partagée (fonds d’investissement citoyen dans les énergies renouvelables) sont venus boucler le fi nancement du projet.

La motivation principale de Sébastien, agriculteur bio qui a investi 2 000 euros, était de participer à la transition énergétique. S’il est, lui, déjà sensibilisé aux questions environnementales, ce n’est pas le cas de tous les épargnants solidaires : « Il y a des gens qui

1. Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire. Il en existe plus de trois cents en France regroupant plus de trois mille épargnants soli-daires.

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ne sont pas spécialement convaincus et qui le font parce que c’est une initiative locale qui les concerne directement. Le fait qu’il y ait un retour sur investis-sement crédibilise le projet, mais ce n’est pas le but initial. » Sibylle fait partie de ces derniers : « Un pro-jet d’envergure dans un petit village, ça interpelle. » Elle n’a pas laissé passer cette occasion de contribuer au dynamisme de son territoire. « Ça m’a permis de comprendre comment fonctionnaient les éoliennes, de réfl échir sur l’engagement citoyen et de rencon-trer des gens du village », se réjouit cette Bégannaise. Elle ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là. Bien que les éoliennes soient déjà fi nancées, son club Cigales continue à mettre de l’argent de côté pour soutenir des projets pédagogiques autour de la consommation d’énergie.

Car, en plus de proposer une alternative au nucléaire, le parc éolien est devenu un outil d’éduca-tion populaire. Outre leur implication fi nancière dans le projet, les habitants ont apporté leurs connaissances et leur temps libre pour le faire aboutir. « Un prof de maths est devenu une pointure niveau juridique et fi nancier alors qu’il était largué en compta. D’autres ont aidé à la rédaction des contrats de maintenance et de gestion », note Jean-Paul. « Des tas de gens se sont formés aux questions techniques, juridiques et administratives. Certains ont découvert le monde de l’entreprise. Ça donne des éléments de compréhen-sion, de pouvoir et donc d’émancipation. Les gens

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sont prêts à se transformer quand on leur en donne l’occasion », résume Jean-Christophe, qui a planché sur les questions de gouvernance au sein de Bégawatts.

La formule a le vent en poupe. L’association est sur le point d’installer un nouveau parc en Loire-Atlantique et doit aussi répondre à une forte demande de collectifs citoyens et de collectivités désireux de se lancer dans l’aventure. « Cela nous a pris dix ans, les prochains à le faire gagneront du temps et de l’éner-gie », sourit Jean-Christophe. Et Charlène espère qu’ils seront nombreux : « Beaucoup de gens ont conscience de la nécessaire transition énergétique, mais on ne leur donne pas les clés, déplore-t-elle. C’est un projet clas-sique en Allemagne ou au Danemark, mais en France, on est confrontés à un blocage culturel dû à EDF. On a l’impression de ne pas avoir de prise sur l’énergie, que c’est un sujet complexe, qui ne nous regarde pas. Avec ce projet, on leur montre que c’est possible et on leur propose de s’impliquer directement. » Et ça marche !

Malgré la lourdeur administrative et les contraintes réglementaires, ces gens ordinaires, qui pour la plupart n’y connaissaient rien en éoliennes, ont réussi, à force de travail, à mener à bien un projet d’envergure tout en développant une solide expertise citoyenne qu’ils s’efforcent de transmettre à d’autres. Cela prouve une chose : l’utopie n’a de limites que celles que l’on veut bien lui donner.

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ILS NE SE CONNAISSAIENT PAS,ET POURTANT ILS VIVENT ENSEMBLE

Au sommet d’une colline, un hameau en bois, baptisé Habiterre, fait face aux vertes montagnes du parc natu-rel du Vercors. C’est ici, sur les hauteurs de Die, dans la Drôme, qu’une dizaine de foyers, qui, pour la plupart, ne se connaissaient pas avant de se lancer dans ce projet, ont décidé de concrétiser leur envie de vivre autrement. Depuis mai 2011, ils sont une trentaine de personnes, du retraité au nouveau-né en passant par l’adolescent, à cultiver le vivre-ensemble et l’entraide dans ce que l’on appelle un habitat groupé ou coopératif.

Cette forme de logement, qui comporte à la fois des parties privatives et communes, est très répandue au Canada, dans les pays nordiques et en Allemagne. De plus en plus de Français commencent à s’y inté-resser, et pour cause : les avantages de la résidence partagée sont nombreux. En plus d’offrir un cadre de vie convivial et d’éviter l’isolement, elle favorise la mutualisation des moyens et des idées.

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Ainsi, les « Habiterrois » ont mis en commun une tondeuse, leur outillage et même une chaudière à bois qui leur permet, outre de limiter leur impact sur l’environnement, de réduire considérablement leurs dépenses énergétiques. Le hameau est composé de onze logements indépendants – préservant l’intimité de chacun –, mais c’est dans la maison commune que bat le cœur d’Habiterre. Les membres peuvent s’y retrouver pour cuisiner, se répartir un demi-cochon, prendre l’apéritif, faire leur lessive ou profi ter de la bibliothèque. Ce bâtiment permet aussi au hameau de rester ouvert sur l’extérieur. Il accueille des soirées débat, théâtre ou encore des repas de quartier et sert d’espace de réunion et d’activité pour les associations du Diois. Pour fi nancer la construction de la maison commune, les membres d’Habiterre ont fait appel à l’épargne solidaire et plus précisément au « capital patient », à savoir des investisseurs qui ne sont pas gui-dés par la recherche du profi t immédiat et sont prêts à attendre avant de revoir la couleur de leurs euros.

C’est également dans cette salle que sont discu-tées toutes les deux semaines les décisions à prendre concernant cette grande colocation. À l’occasion d’un petit déjeuner, les habitants se mettent d’accord sur la couleur du crépi, la construction d’une dalle pour le garage à vélo ou l’organisation d’activités ouvertes sur l’extérieur. « Nous fonctionnons dans une démocratie qui n’a pas besoin d’être surformalisée », note Joël, un des cofondateurs, qui a quitté le Québec pour cette

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aventure. « Les décisions se prennent par consensus. On arrive plus ou moins à se mettre d’accord, même si ça prend parfois du temps », ajoute Michael, un trentenaire qui a rejoint le projet avec sa femme et ses deux enfants. Néanmoins, quand un sujet divise, notamment quand il a des conséquences fi nancières, des assemblées plus formelles sont réunies. Dernière-ment, c’est l’installation d’une antenne satellite qui a provoqué le débat. « Cela crée une contrainte. On n’a pas la même liberté que si on était chacun chez soi. Mais les décisions se prennent à tous », plaide Joël qui a longtemps expérimenté ce type de fonctionnement en tant qu’entrepreneur social.

Impossible de se sentir seul tant ce hameau déborde d’activité. « En termes de vie sociale, c’est presque le trop-plein. Il est diffi cile d’aller quelque part sans croi-ser trois ou quatre personnes », s’amuse Joël. Il com-pare le quotidien du hameau à une « vie de village », moins contraignante que celle d’une communauté : « Chacun est libre de rester chez lui et personne ne rentre chez les autres sans frapper. »

Yoga, bricolage et comptabilité

Mais Habiterre n’est pas seulement une alternative aux banlieues pavillonnaires où, comme le souligne Joël, « les voisins ne se parlent pas ». C’est aussi un exemple vivant de notre capacité à coopérer. Joël et

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Marc ont planché sur le montage du projet. Pascale a travaillé sur l’aspect comptable et d’autres se sont occupés du jardin. Les connaissances d’Alain, le bri-coleur de l’équipe, ont permis d’accélérer les travaux. Ainsi, les compétences de chacun sont mises au service du collectif. « Quand dix cerveaux réfl échissent, ça donne beaucoup de bonnes idées », assure Joël. Et c’est cette diversité qui plaît à Michael : « Nous sommes un groupe nombreux, onze familles d’horizons assez variés. Il y a un peu de tout. » Pendant que certains se retrouvent pour une séance de méditation, d’autres partent en montagne, aident de nouveaux projets d’ha-bitat groupé à émerger ou travaillent au jardin. « Il y a plein de sous-groupes dans le groupe », se réjouit cet intermittent du spectacle. Cela permet à chacun, selon lui, de garder sa liberté : « Il se passe plein de choses auxquelles je ne participe pas. L’habitat groupé crée des opportunités pour faire des choses ensemble. Mais il n’y a rien de forcé. » Malgré l’absence de contraintes, les chantiers avancent. Un four à pain, des bacs à fl eurs en bois ou des toilettes sèches ont par exemple émergé sur le site.

En effet, les membres d’Habiterre sont attachés au fait de faire soi-même. Gros œuvre mis à part, l’ensemble des habitations ont été construites par les habitants avec une volonté de minimiser leur impact sur l’environnement. Ouate de cellulose, chanvre, chaux, tuiles en terre cuite… « 90% des constructions

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sont faites à partir de matériaux écologiques », estime Joël.

Entièrement recouverts de bois, les bâtiments du hameau sont une curiosité architecturale. Mais Habi-terre est aussi un ovni juridique. Les habitants ne sont pas propriétaires de leur logement, mais détenteurs de parts. Afi n d’éviter ce qu’ils considèrent comme des écueils du modèle coopératif, ils ont opté pour une société civile immobilière (SCI). Car le problème des coopératives, c’est que « le capital ne peut jamais être valorisé. C’est une bonne chose en général mais pas dans l’immobilier », argue Joël. En effet, une personne qui voudrait déménager et donc revendre ses parts aurait du mal à acheter un autre logement vu qu’elles ne sont pas corrélées au prix du marché de l’immobilier. Les membres du groupe ont donc créé un indice qui permet de valoriser les parts. Celui-ci prend en compte le prix du marché, l’infl ation et l’in-dice de la construction. Un moyen selon eux d’assurer à chacun la possibilité de se reloger en cas de départ, sans pour autant participer à l’envol des prix du fon-cier. Néanmoins, Joël précise que la SCI s’est dotée d’une charte coopérative afi n de mettre en place une « gouvernance partagée » et qu’Habiterre ne devienne pas « une simple copropriété ». Contrairement aux SCI classiques, le nombre de voix en assemblée géné-rale ne dépend pas de la somme d’argent investie, mais du nombre de personnes par foyer, en vertu du principe 1 personne = 1 voix. Le caractère solidaire

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de cet habitat groupé a également été entériné par la charte. Les habitants insistent notamment sur la notion d’équité, « chacun en fonction de ce qu’il peut, indique Joël. Nous ne voulions pas que seules les per-sonnes capables d’acheter une maison puissent nous rejoindre. Au moins deux familles ici n’auraient pas pu obtenir de prêt en banque pour acheter leur part ».

Pour favoriser l’accès à la propriété des moins aisés, un système d’entraide a été établi. Les rembourse-ments sont échelonnés en fonction des moyens fi nan-ciers de chacun : « Ceux qui peuvent rembourser tout de suite le font, les autres paieront plus tard », explique Joël. De plus, les habitants ont la possibilité de régler une partie de leur part en participant à la construction du hameau : leur travail vaut fi nance.

En bâtissant cet habitat groupé écologique et soli-daire, les Habiterrois voulaient non seulement amé-liorer leur cadre de vie, mais aussi montrer qu’il était possible d’habiter autrement, sans pour autant disposer de millions d’euros en banque. Un pari pour l’instant réussi.

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UNE BANQUE VILLAGEOISE, SOLIDAIRE

ET QUI PRÊTE À TAUX ZÉRO

Cela s’est produit sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, mais ce n’est pas un miracle. Pour redynamiser l’économie de leur territoire en voie de désertifi cation, une centaine d’habitants de la vallée d’Aspe, dans les Pyrénées, ont décidé de monter l’asso-ciation Aspe Solidaire. Objectif : collecter l’épargne des habitants et proposer des prêts à taux zéro à des porteurs de projets désireux de s’installer ou de péren-niser leur activité dans ce lieu, où vivent deux mille sept cents personnes. Cette initiative « permet aux gens qui veulent faire quelque chose pour le territoire, sans avoir envie d’être élus, de s’impliquer », explique Anne, la présidente de l’association. Une volonté citoyenne de reprendre la main sur la fi nance et l’éco-nomie qui a tout son sens sur un territoire sinistré.

Avec un revenu net par foyer inférieur de 6 000 euros à la moyenne nationale et une population vieillissante, la vallée d’Aspe peine à retenir ses enfants au pays. La population des treize villages béarnais qui constituent

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la communauté de communes a chuté de 65 % depuis le début du siècle dernier. Si l’exode rural s’est depuis ralenti, la tendance reste à la baisse. Alors, quand Anne, historienne, a organisé une réunion d’information sur la mise en place d’un dispositif d’épargne citoyenne et solidaire, les riverains ont accouru. « C’était un soir de janvier 2011, il faisait froid, il neigeait, mais il y avait quand même une centaine de personnes. Cela montre que l’idée correspondait à une attente », dit cette conseillère municipale d’Accous, l’un des villages de la vallée. Elle précise que l’association est totalement indépendante des pouvoirs publics et ne bénéfi cie d’aucune subvention.

Pendant cette soirée de 2011, elle leur a parlé du Comité local d’épargne pour les jeunes (Clej) du Pays basque, qui soutient fi nancièrement des projets de jeunes grâce à l’épargne solidaire. L’assemblée est enthousiasmée par le concept et un rendez-vous est fi xé la semaine suivante pour créer l’association. Les membres se donnent un an pour recueillir les prêts des volontaires. Emma, caissière dans une grande surface des environs et trésorière de l’association, n’a pas été diffi cile à convaincre : « Niveau emploi, il n’y a pas grand-chose par ici. Alors j’ai été emballée par l’idée d’aider à créer de l’activité dans la vallée. » Plus d’une centaine de personnes, soit 4 % des habitants du territoire, prêtent chacun 180 euros à l’association (15 euros par mois). « Les gens avaient envie de faire quelque chose pour dynamiser l’économie locale.

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Pour ma part, je voulais agir à ma façon, avec mes compétences limitées, pour faire avancer les choses, permettre à d’autres de développer une activité, de vivre et d’habiter dans la vallée », se souvient Fran-cis, retraité de l’Éducation nationale. Bien que la démarche soit avant tout économique, les considéra-tions écologiques ne sont pas oubliées : « Il s’agit de relocaliser l’économie en raccourcissant les circuits de production et de consommation », explique l’ancien enseignant. « Cela n’a pas de sens de faire une heure de voiture, de dépenser du gasoil et de polluer pour des activités dont la présence se justifi e dans la vallée », ajoute Monica, une ancienne bergère.

20 000 euros sont récoltés en 2011, qui vont béné-fi cier à cinq projets : une entreprise de céramique, une de ferronnerie-mécanique, deux structures d’aide au développement commercial et un centre de soins esthétiques. Un artiste peintre au RSA a également fait appel à l’association en urgence pour pouvoir acheter des cadres afi n de proposer ses œuvres à la vente lors d’une exposition. Ici, on ne stigmatise pas, on aide.

Parmi ces porteurs de projets, certains n’auraient pas pu démarrer leur activité sans l’association. « Les banques ne prêtent qu’aux riches, pas à ceux qui n’ont pas un radis, c’est bien connu, sourit Francis. L’argent prêté sert d’apport personnel à ceux qui n’en ont pas. » Un argument non négligeable pour convaincre les ins-titutions fi nancières de la viabilité d’un projet. « Avoir l’aval des gens de la vallée donne de la crédibilité

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auprès des banques », confi rme Aurélie qui, grâce au soutien de l’association, a réussi à convaincre son conseiller de lui accorder un prêt. Un peu plus d’un an après le lancement, la fréquentation de son salon esthétique dépasse ses prévisions.

Pour autant, l’association ne répond pas favorable-ment à toutes les sollicitations. « Même si ce ne sont pas de grosses sommes, nous sommes attentifs aux pro-jets soutenus, par respect pour les gens qui ont placé leur espoir dans l’association », justifi e Francis. Ainsi, chaque demande de prêt est étudiée par le conseil d’administration de l’association et par un comité technique bénévole composé de chefs d’entreprise ou de banquiers, pour la plupart à la retraite. Ils évaluent la solidité du projet et accompagnent les entrepreneurs dans leurs démarches, de l’étude de marché à la défi ni-tion de leurs besoins de trésorerie. Plus qu’une somme d’argent, Aspe Solidaire apporte un soutien technique et moral à ceux qui la sollicitent.

Des anarchistes qui ne disent pas leur nom

Les membres de l’association insistent sur l’as-pect solidaire de leur démarche. Quand les sommes engagées sont remboursées trois ou quatre ans plus tard, aucun retour sur investissement n’est à espérer, compte tenu de l’infl ation. « Nous ne sommes pas dans une logique capitaliste », résume Anne. En outre, les prêteurs n’ont aucune garantie de revoir leurs deniers.

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« Si quelqu’un ne rembourse pas son prêt, on ne se retourne pas contre lui. On se contente de répartir la perte sur tout le monde, c’est le côté militant des prêteurs », précise-t-elle. Face à la décrépitude de leur territoire et la diffi culté d’accès au crédit bancaire pour les petits porteurs de projets, les Béarnais ont créé leur propre système de soutien mutuel. Et au-delà de l’ob-jectif initial qui était de redynamiser l’économie locale, ils se sont rendu compte qu’en unissant leurs forces et leurs portefeuilles, ils pouvaient infl uer ensemble sur leur environnement. « Des liens forts de responsabilité et de confi ance se créent entre tous les membres », dit Francis.

Le prêt sonnant et trébuchant n’est pas l’unique levier. Une attention particulière a été accordée au fait que chacun puisse participer, quelle que soit la taille de sa bourse. « Tout le monde aide à son niveau, soit en prêtant, soit en allant acheter chez une des personnes aidées par l’association. Cela crée un réseau de solida-rités. » Un point de vue partagé par Myriam, membre du conseil d’administration : « Par l’économie, on développe le lien social. »

Le succès de la première levée de fonds en 2011 a été tel que les membres d’Aspe Solidaire en ont orga-nisé une deuxième en 2013 pour répondre aux sollici-tations de nouveaux candidats à l’emploi local. Cette nouvelle collecte, tout aussi réussie que la première, a déjà permis à une jeune podologue de venir s’installer

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dans la région, renforçant ainsi l’offre de soins dans la vallée. Le caractère concret de l’action et sa capacité à mobiliser au-delà des clivages partisans font recon-naître à Monica, élue d’un village de la vallée, qu’elle se sent « parfois plus utile ici qu’au conseil municipal ».

En quittant la vallée d’Aspe, j’ai repensé à Ni Dieu, ni Maître de Daniel Guérin, un livre sur le mouvement anarchiste que je venais de terminer. Je me suis alors dit que ces villageois (comme beaucoup d’utopistes rencontrés) étaient des anarchistes qui s’ignoraient, ou du moins qui ne disaient par leur nom. Pourtant, ils leur empruntent certains de leurs principes de base : l’autogestion, la libre association, l’entraide, la volonté d’agir sans attendre que cela vienne d’en haut et d’incarner au quotidien la société qu’ils contribuent à façonner. Mais ils n’ont pas ressenti le besoin de mettre une étiquette sur ce qui leur semble être du simple bon sens.

Une première version de cet articlea été publiée sur le site de Basta!mag.

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CHANGER DE MONNAIE

POUR CHANGER LE MONDE

Dans les porte-monnaie des Toulousains, l’euro n’a plus le monopole. Depuis 2011, les habitants de l’ag-glomération ont la possibilité de régler certains achats en sols-violettes. Cette monnaie citoyenne (également appelée monnaie locale ou monnaie complémentaire) a pour vocation de relocaliser les échanges, d’insuf-fl er de l’éthique dans l’économie et de permettre aux citoyens de se réapproprier la monnaie, outil qui était jusque-là la chasse gardée de quelques banquiers et technocrates. Pour obtenir des sols, il suffi t de les échanger contre des euros dans une des deux banques partenaires du projet (Crédit coopératif et Crédit municipal) sur la base de 1 euro = 1 sol. Une fois les billets en main, les solistes (nom des usagers) peuvent les utiliser pour acheter une baguette, des produits d’épicerie, payer les transports, la séance chez le kiné, l’imprimeur ou encore le restaurant… En utilisant leur monnaie citoyenne auprès des cent vingt pres-tataires reconnus « respectueux de l’homme et de

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l’environnement », les mille six cents solistes actuels savent que leur argent servira à soutenir les commerces des environs. Actuellement, plus de 60 000 sols sont en circulation.

Cette monnaie permet « de réorienter l’argent vers le local », explique Frédéric, un des initiateurs de la démarche, qui revient tout juste d’un tour de France en vélo électrique pour promouvoir l’idée d’un revenu de base (revenu versé à tous, sans conditions). En effet, comme les sols ne peuvent être dépensés que chez des prestataires sélectionnés par l’association, les utilisa-teurs ont l’assurance qu’ils ne quitteront pas l’écono-mie réelle pour se réfugier dans les paradis fi scaux ou sur les marchés fi nanciers. En outre, les euros déposés dans les banques partenaires sont utilisés pour fi nancer des projets locaux et solidaires, notamment grâce à des dispositifs de micro-crédit à taux zéro.

Outre qu’il redonne du sens à l’échange en dotant la monnaie d’une dimension éthique, le sol contribue à enrayer le phénomène d’accumulation de la mon-naie : celle-ci est fondante et perd 2 % de sa valeur tous les trimestres. Les adhérents sont donc incités à la faire circuler plutôt qu’à l’épargner. Et ça marche ! Sur une année, les sols circulent deux à trois fois plus que des euros. Ce qui fait dire à Frédéric que, « quand on change ses euros en sols, on participe à un mou-vement révolutionnaire ». Ce bon vivant assure qu’il ne s’agit pas d’un « gadget pour bobos », comme on

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le lui objecte souvent, mais d’une démarche visant à « transformer le système monétaire depuis la base ».

Mieux comprendre son banquier

L’annonce peut surprendre. Frédéric a souvent du mal à convaincre. « On fait face au scepticisme d’une grande partie de la population qui est dégoûtée de tout, avoue-t-il. L’idée est de la sortir de l’immobi-lisme en lui faisant découvrir de nouveaux outils. » Il voit donc les sols comme un moyen d’éducation populaire à même de nous faire réfl échir aussi bien à notre consommation qu’au fonctionnement du système monétaire. « Aujourd’hui les banques com-merciales créent 85 % de la monnaie en circulation, via le crédit », déplore-t-il. 2 % seulement alimentent l’économie réelle, le reste se baladant sur les marchés fi nanciers. Pour Frédéric, les monnaies complémen-taires permettent de lutter contre ce phénomène en asséchant les banques commerciales tout en aug-mentant la capacité de fi nancement des banques plus éthiques, afi n qu’elles accompagnent le développe-ment de projets locaux et solidaires.

L’initiative aspire également à démocratiser la monnaie : « Producteurs, consommateurs, élus, nous n’avons aucune prise sur la monnaie », remarque Frédéric. « Les citoyens souffrent de la situation monétaire mais se posent très peu de questions », dit

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Andrea, coordinatrice du sol-violette, avec un accent sud-américain. C’est pourquoi, dès le début de l’aven-ture, les Toulousains ont été impliqués : « Qui mieux que les parties prenantes de l’économie locale peuvent savoir ce dont elles ont besoin ? » justifi e Frédéric. Trois collèges (consommateurs, prestataires et col-lectivités) décident ensemble des futures orientations que prendra la monnaie.

Néanmoins, si l’initiative est citoyenne, la Ville de Toulouse occupe une place prépondérante dans ce projet et fi nance l’association à hauteur de 50 %. Frédéric revendique cette dépendance envers les ins-titutions publiques : « Les intérêts des consommateurs et des producteurs sont différents et peuvent même s’opposer, tandis que la collectivité est censée être garante de l’intérêt général. » Il espère même que ces dernières iront plus loin : « Il manque une vraie politique monétaire des collectivités. Ce n’est pas 60 000 sols qu’il faudrait, mais 60 millions. Pour cela, il faudrait que les collectivités prennent conscience de la force de cet outil et s’en servent massivement. »

Frédéric propose plusieurs pistes, comme la créa-tion d’un fonds régional d’investissement dans la transition écologique, crédité en sols, ou la possibilité de payer certains services de la collectivité en monnaie citoyenne. « En Autriche, on peut payer une partie de ses impôts en monnaie locale », observe Andrea. Les adhérents des maisons de chômeurs touchent tous les mois 30 sols en plus de leurs minima sociaux. Un

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moyen de sensibilisation qui a déjà fait ses preuves : « On a pu observer des comportements nouveaux, assure Frédéric. Les chômeurs font des tontines, ils mettent leurs sols en commun pour que l’un d’entre eux puisse s’acheter des chaussures par exemple. Ils se donnent des adresses et sortent des quartiers pour aller à la Biocoop. Certains transforment même une partie de leurs minima sociaux en sols-violettes. »

L’épineux soutien de Vinci

Clémentine, qui a créé Cap’Eco, un groupement d’achats de produits alimentaires qui accepte les sols, confi rme. Je la rejoins à l’ombre d’un chêne, dans le quartier populaire du Mirail. Elle indique compter parmi ses adhérents beaucoup de personnes venant des maisons de chômeurs. « Cela leur permet de varier leur alimentation et de se faire plaisir avec des produits qui sont généralement hors de leur budget », dit cette femme énergique qui ne tarit pas d’éloges sur le sol-violette et sa capacité à « recréer du lien et de la confi ance sur un territoire ». Elle en souligne néanmoins une limite : elle a encore du mal à écouler les sols engrangés par son groupement d’achats, faute de prestataires en nombre suffi sant. Elle essaie, avec l’association, d’élargir le réseau de commerçants et de producteurs partenaires.

Autre point noir, la présence de la Fondation Vinci parmi les soutiens fi nanciers du projet. Pourtant,

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Frédéric l’assume, bien qu’il soit « totalement contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes [dont Vinci est le promoteur]. Ça a fait débat, mais on fait partie de ceux qui pensent que l’argent que Vinci a économisé de ses impôts nous appartient ». En effet, Vinci se sert de sa fondation pour défi scaliser et Frédéric est d’avis « qu’il vaut mieux que cet argent serve au sol-violette plutôt qu’à une galerie d’art. Et puis, quand on est dans une logique de transition et qu’on veut transformer les chenilles en papillons, on ne peut pas être à 100 % contre une entreprise. On doit condamner 100 % de certaines actions, mais pas 100 % d’une entreprise. Condamnons les comportements mais laissons aux personnes et aux entreprises le droit de changer », plaide cet entrepreneur social qui est persuadé que nos actes personnels, notamment en tant que consomma-teurs, peuvent pousser entreprises et élus à la vertu.

Grâce à cette expérience concrète de réappropria-tion de l’économie par les citoyens, Frédéric espère provoquer « un changement culturel » chez les adhé-rents et leur montrer qu’ils ne sont pas « d’éternelles victimes », mais qu’ils ont le pouvoir d’infl uer sur leur quotidien. Pour autant, cet amateur de méditation n’oublie pas le cadre dans lequel il évolue. « Si on continue à faire des choses justes et qui marchent, on va forcément entrer dans une phase de confrontation avec les pouvoirs en place », pense-t-il. Il imagine qu’en cas de développement des monnaies locales

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(25 circulent actuellement en France et autant sont en projet) certains lobbies réagiront. Mais cette pers-pective ne l’effraie pas. « Comment interdire quelque chose qui fonctionne bien, qui se développe et qui rend service à toutes les parties prenantes de l’écono-mie ? C’est injustifi able. C’est une injustice et là-dessus tu peux construire un mouvement politique, et les gens le comprendront très bien », dit-il. Ce partisan de la non-violence de conclure l’entretien en citant une phrase attribuée à Gandhi : « D’abord ils vous ignorent, ensuite ils vous raillent, puis ils vous com-battent et enfi n vous gagnez. »

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DANS UN HANGAR,ILS BRICOLENT LE MONDE DE DEMAIN

« Ici, c’est le royaume de la débrouille. Vendredi dernier on voulait faire un barbecue. On n’en avait pas, alors on en a bricolé un », lance Martial en pointant du doigt une bonbonne de gaz découpée reposant sur deux cadres de vélo. Rien d’extraordinaire pour ce membre actif de l’association Technistub, installée à Mulhouse dans une zone d’activité dominée par des cheminées en briques rouges à l’arrêt, vestiges du passé industriel de la région. Chaque vendredi, ils sont une dizaine à se réunir autour d’une bière et d’une pizza pour bricoler dans un hangar plein à craquer d’outils, de matériels et d’appareils en tout genre. De l’entrepreneur désireux de réaliser un prototype à l’étudiant souhaitant fabriquer un robot, en passant par le particulier voulant réparer sa cafetière, les portes sont ouvertes à tous dans une optique de mutualisation des outils et des connaissances. Les porteurs de pro-jets exposent leurs idées et ils réfl échissent ensemble au meilleur moyen de les mettre en œuvre. En plus

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de l’attirail classique des bricoleurs, la trentaine d’ad-hérents a à sa disposition une imprimante 3D, une découpeuse laser ou encore une fraiseuse à commande numérique, sans oublier du matériel de soudure et de fonderie. Pour atteindre les machines, les usagers doivent se frayer un chemin parmi des montagnes de caisses de pièces détachées, des carcasses de vélos et de vieilles machines qui n’attendent que d’être démontées ou remises en état. « Quand une personne arrive, elle est formée sur le matériel. On est vite bloqué, à la maison, alors qu’ici, il y a quelqu’un qui peut t’aider. On apprend beaucoup des autres. C’est fou tout ce que j’ai pu découvrir en un an », se réjouit Martial. Pour illustrer ses dires, il m’offre une démonstration de découpage laser et me fait essayer le vélo aux faux airs de Harley-Davidson qu’il a construit.

Acheter un ordinateur, quelle idée !

Parmi les membres de Technistub, une majo-rité d’ingénieurs, d’informaticiens et de bidouilleurs confi rmés. Mais les néophytes sont les bienvenus. « Certains ne savaient pas tenir un tournevis il y a un an. Le principe c’est que chacun a quelque chose à apprendre aux autres. Et si des personnes ne viennent que pour apprendre, ça nous va aussi. Mais nous ne faisons pas pour les autres, nous voulons qu’ils apprennent à faire eux-mêmes », prévient Martial. Thierry, coprésident de l’association, cite l’exemple

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d’un maraîcher « venu pour apprendre à souder pour faire lui-même ses outils et abaisser ses coûts. Il était en recherche d’autonomie et avait envie de reprendre contact avec la matière ».

Ce partage de connaissances a déjà permis d’ac-coucher de projets aussi divers qu’une éolienne, un vélocar (tricycle à assistance électrique) ou des décors électroniques pour une troupe de théâtre. La plupart des machines qui équipent le local ont d’ailleurs été fabriquées sur place à partir d’objets de récupération. Encore inconnus en France il y a peu, ces ateliers collaboratifs nés aux États-Unis, appelés FabLabs (laboratoire de fabrication ou fabuleux laboratoires en français) sont en train d’essaimer sur le territoire. On en compte près de soixante-dix actuellement. Et le plaisir de bricoler n’est pas la seule motivation de leurs membres : « Il y a aussi un aspect politique derrière ce partage de savoir. L’idée, c’est de se réapproprier la technologie, de ne plus en être dépendant mais de la comprendre pour pouvoir réparer, pour dépanner, pour se démerder un peu tout seul. Ça fait partie des idées de l’objection de croissance, à savoir arrêter la consommation à tout-va », explique Thierry, cofonda-teur de l’association. Ces bricolos-écolos s’inscrivent dans la dynamique du Do It Yourself (fais-le toi-même), lancée aux États-Unis dans les années 1970. Ce mou-vement né d’un rejet du consumérisme vise à faire du consommateur un acteur capable de créer et réparer les objets du quotidien, des appareils électroniques ou

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des œuvres d’art. Ainsi, tout en se faisant plaisir, les technophiles luttent contre l’obsolescence program-mée et engagent la transition écologique. « Notre objectif est de développer le réemploi et la réparation. On jette trop comme des cons. Il y a tellement de choses à faire avec trois fois rien. 98 % de ce qui est ici vient de la récupération. On n’a pas acheté un seul de nos ordinateurs », précise Martial. La tendance écolo de leur démarche ne se limite pas à la technologie. Des bacs où poussent quelques patates à partager ont aussi été installés devant l’atelier.

Un autre principe leur tient à cœur, celui de la libre circulation des idées et des techniques. En contrepar-tie de l’utilisation des compétences et des machines mutualisées à Technistub, les bidouilleurs s’engagent à mettre à disposition leurs plans afi n qu’ils soient réutilisés par d’autres sur le principe des logiciels libres comme Linux ou de l’encyclopédie collaborative Wikipedia. « On revendique la paternité de la création mais on laisse à tous le droit de les reprendre et de les améliorer. Je fais un projet, je profi te des compétences des autres, mais je laisse le résultat en licence libre », résume Thierry.

Le frigo de demain sera open source

Martial envisage par exemple de concevoir « un frigo qui dure vingt-cinq ans contre cinq aujourd’hui » et de publier les plans sur internet. « Ça intéressera sûrement

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des gens. Mais certains auront la fl emme de le faire eux-mêmes et préféreront acheter un modèle que j’ai monté », estime-t-il. Il s’inscrit donc dans une nouvelle manière d’appréhender l’économie, basée sur la coo-pération plus que la compétition. Conscients que nous sommes les bénéfi ciaires de millénaires de découvertes et d’inventions, ces bricolos-écolos ne veulent pas pri-vatiser le savoir mais le remettre entre les mains de tous.

Un an et demi après son ouverture, le Technistub commence à trouver ses marques. Mais il reste énor-mément de travail pour que l’atelier soit réellement « un lieu ouvert sur l’extérieur » comme le souhaite Emmanuel, l’initiateur du projet qui a mis son hangar à disposition de l’association. Il aimerait notamment voir plus de femmes s’approprier le lieu. Malgré la volonté d’ouverture du groupe à d’autres publics à qui cela pourrait être utile, Emmanuel note que « les gens qui fréquentent le Technistub viennent par plaisir et non par nécessité ». Avec les membres de l’atelier, il réfl échit au moyen de toucher ceux qui auraient vrai-ment besoin de réparer plutôt que d’acheter. « Nous pensons à monter des actions sur le matériel de la vie courante en organisant des repair-cafés [ateliers de réparation d’objets du quotidien] », ajoute-t-il. Le groupe organise également des actions pédagogiques hors les murs (par exemple lors de festival ou de fêtes de quartier), afi n que la technique ne soit plus une affaire d’experts et revienne entre les mains des utilisateurs.

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LE COLLÈGE QUI RÉVÈLE LES SUPER-POUVOIRS DE CHAQUE ENFANT

L’Éducation nationale va mal. Chaque année, cent quarante mille enfants sortent du système scolaire sans diplôme. Dans le même temps, des spécialistes s’inquiètent d’une augmentation des cas de « pho-bie scolaire ». Non seulement, l’école française crée mal-être et exclusion, mais elle reproduit et aggrave les inégalités sociales, comme l’a encore montré la dernière enquête PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves). Loin de cette école qui brime les potentiels et a perdu de vue son objec-tif premier d’émancipation, des formes d’éducation différentes émergent. Ces pédagogies alternatives, dites ouvertes ou actives, ont en commun de laisser à l’enfant la possibilité de s’épanouir et de développer son individualité au sein du collectif. Elles s’emploient à favoriser l’autonomie des élèves, à faire d’eux des adultes capables de penser par eux-mêmes.

C’est exactement ce que Jacques-Olivier cherchait pour ses enfants. Mais alors qu’il existe des centaines

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d’écoles maternelles et primaires en France qui mettent en pratique ces pédagogies1, presque aucun établissement du second degré n’est concerné. Alors, avec d’autres parents d’élèves, il a décidé de créer le leur. C’est ainsi qu’est né le Collège écologique Montessori, s’inspirant de la pédagogie alternative que Maria Montessori, la première femme médecin italienne, a mise sur pied au début du siècle dernier. Depuis septembre 2012, les dix enseignants (dont cinq bénévoles) de l’établissement, installé au Rheu près de Rennes, mettent en pratique cette « pédago-gie active » fondée sur les besoins et les rythmes de l’élève. « L’idée est que chaque élève a des compé-tences particulières qu’on n’apprend pas à exploiter, résume Jacques-Olivier. Mon envie est de développer les super-pouvoirs de chacun. »

Le collège a la particularité d’être installé au beau milieu d’une zone d’activité commerciale. Seule la présence d’enfants courant autour d’une table de ping-pong et jouant près d’une mare où nagent quelques poissons laisse deviner que ce qui ressemble au siège d’une entreprise de comptabilité est en fait une école

1. En France, la pédagogie Freinet est appliquée dans certaines écoles publiques auprès de 600 000 élèves. 2 300 enfants sont scolarisés dans des écoles privées alter-natives Steiner-Waldorf et 3 000 dans les quelque 70 écoles françaises qui pratiquent la pédagogie Montessori.

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alternative. Pourtant, derrière ces murs s’expérimente chaque jour un nouveau rapport à l’apprentissage. Quand la première sonnerie du matin retentit, les col-légiens laissent sans râler raquettes et épuisettes pour aller s’installer en cercle dans une salle aménagée pour les réunions. Ce jour-là, comme chaque vendredi, les vingt-sept élèves, accompagnés d’un professeur, s’ap-prêtent à discuter ensemble de l’actualité, des projets en cours ou de tout autre sujet qu’ils jugeront bon d’inscrire à l’ordre du jour. Ce matin, c’est l’organi-sation d’une sortie cinéma qui occupe le plus clair de la séance. Du choix du fi lm au moyen de transport en passant par le démarchage des adultes accompagna-teurs, les élèves gèrent tout par eux-mêmes. L’équipe pédagogique intervient seulement en fi n de processus pour valider ou non le projet. « On les laisse essayer et se tromper. L’erreur est une bonne amie de l’ap-prentissage », dit Mélanie, professeur d’anglais, qui est aussi en charge de l’encadrement de ces « assemblées des élèves ».

C’est Jordan [les prénoms ont été changés], élu modérateur du jour, qui est chargé de distribuer la parole tandis que le secrétaire de séance, lui aussi élu au début de l’assemblée, prend des notes. Et les discussions s’enchaînent dans un joyeux brouhaha. Une élève évoque l’astéroïde qui a frôlé la terre la nuit précédente. Un autre, d’origine hollandaise, propose à ses camarades de faire une commande

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groupée de lettres en chocolat, tradition de Noël dans son pays, tandis que deux passionnés de livres suggèrent l’instauration d’un défi lecture. « Ce soir, après les cours, j’apprends à coudre à ceux qui le veulent », lance également Émilie, à la fi n de la réunion. Les échanges se déroulent dans la bonne humeur et les blagues fusent. Mais les rires cessent quand un sujet sérieux est abordé. « Ma mère n’est pas là tout le temps et c’est trop dur de réviser seul », confi e timidement William, approuvé par plusieurs de ses camarades.

Pendant deux heures, les collégiens, tous niveaux confondus, débattent entre eux et l’enseignante n’in-tervient que quand Jordan ne parvient pas à maintenir le calme.

Un cours d’histoire en costumes d’époque

Quand on demande aux jeunes ce qui différencie leur collège d’autres établissements, les réponses ne se font pas attendre : « Ici on peut tutoyer les profs », dit l’une. « Il y a quinze élèves par classe, donc les professeurs nous donnent plus d’attention. Ça permet plus de débats. Vu qu’on est peu nombreux, on se connaît mieux les uns les autres », dit une autre. « On a plus confi ance dans les professeurs. Ils cherchent à nous connaître et à nous comprendre. Plutôt que de me dire de me taire, ils cherchent à savoir pourquoi je parle beaucoup », ajoute un troisième.

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Pendant les cours, l’accent est mis sur la pratique et sur les exemples concrets afi n de donner du sens à l’apprentissage. Ainsi, en histoire, les collégiens pré-sentent des exposés en se mettant dans la peau d’un enfant de l’époque étudiée, costume compris, afi n qu’ils s’approprient le sujet. Les projets interdiscipli-naires, individuels ou collectifs, font des collégiens des apprentis chercheurs. Ils expérimentent, touchent la matière, font des hypothèses, les vérifi ent et cherchent des applications concrètes aux savoirs théoriques enseignés. Grâce aux travaux en groupe et aux assem-blées, ils travaillent également leurs qualités d’écoute et de coopération.

L’ambition de Jacques-Olivier et des autres parents, est de « développer l’émancipation » des élèves en vertu du credo de Maria Montessori : « Aide-moi à faire seul. » Outre l’absence de cantine qui les oblige à amener leur nourriture et à faire leur vaisselle, c’est à eux de trouver le fi nancement pour leurs sorties scolaires. « Pour leur voyage en Suède l’année der-nière, ils ont décidé de vendre des tickets de tombola à prix libre. Mais avant d’en arriver là, il y a eu plein de calculs et de débats. Ils ont fait leur choix en conscience », se réjouit Mélanie. Un encouragement à l’autonomie que l’on retrouve dans le processus d’apprentissage. « Dans les autres collèges, on ferme sa bouche et on recrache nos leçons. Ici on va pas dire qu’on s’amuse, mais on apprend pour notre vie après,

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pas pour les contrôles ou l’Éducation nationale. On le fait pour nous, pas pour eux », estime Jeanne. « On est maîtres de notre apprentissage », abonde Frida.

Même si l’enseignement est basé sur le socle com-mun de l’Éducation nationale, le rythme est aménagé en fonction des élèves. Une heure de « travail auto-nome » par jour leur permet de ne pas trop ramener de travail à la maison. Chaque jour, des professeurs proposent trente minutes de « temps choisi » pour réexpliquer des notions ou refaire passer des éva-luations à ceux qui le souhaitent. Les frontières entre les niveaux sont plus poreuses qu’ailleurs. Les collégiens sont divisés en deux classes renommées « ambiances » (sixième-cinquième et quatrième-troisième), mais peuvent occasionnellement naviguer entre les niveaux, comme l’explique Jacques-Olivier : « Les choses ne sont pas cloisonnées. Nous avons un élève de quatrième qui a pris un cours d’anglais avec les sixième car il s’est rendu compte que ça lui ferait du bien. Le travail de l’éducateur est d’accom-pagner l’élève dans cette démarche. Et ça marche dans l’autre sens. Nous avions un élève de sixième qui a passé le brevet de français pour s’entraîner car il était doué. »

Le système d’évaluation est lui aussi atypique. À part les troisième qui passent le brevet à la fi n de l’année, les élèves ne reçoivent pas de notes mais s’auto-évaluent avec l’aide des professeurs. Pour

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chaque notion ou compétence, ils précisent : « acquis », « non acquis », « en cours d’acquisition ». Pour Méla-nie, cette méthode est « plus précise » que le système de notation classique : « Cela a plus de sens de pouvoir dire “je sais conjuguer le verbe être en anglais” plutôt que “j’ai 12/20” », estime cette enseignante. Elle qui se défi nit comme « assez autoritaire » évoque le « besoin de replacer la distance de temps en temps. On n’ou-blie pas que ce sont des ados, mais on essaie de leur faire de plus en plus confi ance », précise-t-elle. Ainsi, l’équipe pédagogique a fait le choix de décider avec les élèves de la plupart des règles de vie à l’intérieur de l’école. Cependant, elle a tranché sur des questions qui faisaient débat comme l’obligation de déposer les téléphones portables dans une boîte avant d’arriver en cours.

Ces méthodes centrées sur l’élève valent à l’établis-sement d’être qualifi é dans la presse d’« école de la dernière chance ». Ce que Mélanie réfute : « Ce type de pédagogie demande plus de travail aux enfants. On leur demande de comprendre et pas seulement d’apprendre. On attend d’eux qu’ils soient autonomes et se prennent en charge. » Pour autant elle reconnaît qu’il y a des « mômes qui ont de sacrées souffrances liées à l’école. C’est fou comme l’école peut faire mal. Ici on les voit progresser, s’épanouir, être contents de venir. Et quand le bulletin arrive, ce n’est plus la crise à la maison ».

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L’émancipation a un coût

En tant qu’établissement privé hors contrat, le col-lège Montessori du Rheu ne reçoit pas d’aide de l’État et doit compter sur le mécénat et sur les frais d’inscrip-tion versés par les parents pour assurer le quotidien. Jusqu’ici, ceux-ci s’acquittaient d’une somme allant de 100 à 500 euros par mois en fonction du quotient familial. Mais la formule ne permettait pas aux plus modestes de scolariser leurs enfants dans l’établisse-ment. Alors, en attendant de fêter ses cinq ans et de passer sous contrat avec l’État (qui couvrirait ainsi une partie de la masse salariale), le collège cherche de nouvelles sources de fi nancement. Pour permettre aux élèves, quels que soient les revenus de leurs parents, de continuer d’expérimenter l’école autrement, un système de parrainage par des professionnels qui pren-draient en charge les frais de scolarité est actuellement à l’essai.

Jacques-Olivier ne voulait pas que cette pédagogie émancipatrice soit réservée aux enfants favorisés, c’est pourquoi il s’est d’abord tourné vers des établisse-ments publics en tentant de les convaincre d’intégrer des pratiques d’enseignement alternatif dans leur processus éducatif. Mais faute de trouver des oreilles attentives, il a préféré cette option à l’inaction.

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COMME UNE ENVIE DE DÉMOCRATIE

À la faveur du discrédit de la classe politique, l’idée que le citoyen a sa place dans la gestion des affaires publiques fait son chemin. Mais les 800 habitants de Vandoncourt, dans le Doubs, n’ont pas attendu que la démocratie participative soit à la mode pour s’impliquer dans la vie de leur village. Depuis plu-sieurs décennies, ils disposent de nombreux canaux pour faire entendre leur voix. Et si la municipalité est toujours en charge des affaires courantes, aucune décision importante n’est prise sans le consentement des citoyens. Le débat en cours sur l’implantation d’un parc éolien est un bon exemple de la culture démocratique qui règne dans cette commune située à 6 kilomètres seulement de la frontière suisse.

Le projet en est encore au stade des études d’impact et de faisabilité, mais déjà, des voix s’élèvent pour s’y opposer, tant au sein du conseil municipal que parmi les villageois. Cette fronde n’incommode pas Patrice, le maire de Vandoncourt : « Je me suis engagé auprès

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des habitants en leur disant que, dès que nous aurons tous les éléments en main, nous organiserons une réunion publique contradictoire ». Si, au terme de ce débat, les deux camps n’arrivent pas à s’entendre, le maire envisage de « lancer une consultation de type référendum pour sonder les habitants ». Ce n’est pas la première fois que ce type de scrutin informel est organisé ici pour s’assurer que les décisions ne soient pas seulement prises « pour les habitants, mais aussi avec les habitants », comme le répète à l’envi l’équipe municipale.

En 2002, Patrice, fraîchement élu, projetait de favo-riser l’implantation d’une épicerie dans le village. Face aux divisions suscitées par le projet, il avait opté pour une consultation des habitants – étrangers compris – qui avait vu le « oui » triompher.

De telles institutions démocratiques ne sont pas une initiative d’élus en mal de légitimité souhaitant regagner la confi ance de leurs électeurs, comme on le voit dans de nombreuses communes françaises, mais bien une volonté des citoyens désireux de reprendre en main la vie politique locale. Pour comprendre l’origine de la dynamique participative qui anime Van-doncourt, il faut remonter au début des années 1970. À l’époque, une bande de jeunes emmenée par Jean-Pierre Maillard-Salin, un jeune retraité de l’Éducation nationale, décide de présenter une liste aux munici-pales. Leur slogan, « Démocratie, contrôle populaire

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et autogestion », résume assez bien leur volonté de rompre avec les pratiques de l’équipe en place depuis vingt ans et qui s’évertue à bloquer leurs tentatives de s’impliquer dans la vie locale. Afi n d’établir leur pro-gramme, ils composent un questionnaire et recueillent les desiderata de la population. Lors du scrutin, la liste des jeunes l’emporte et l’ensemble des candidats pré-sentés entre au conseil municipal. Quarante ans plus tard, ils sont nombreux à Vandoncourt à parler avec nostalgie du regretté Jean-Pierre Maillard-Salin et de la « révolution culturelle » qu’il a impulsée. « Nous avons dit à chaque habitant : tu as une bonne idée, on t’épaule, mais tu t’en occupes. On voulait que les gens se prennent en charge et les associer aux décisions au nom de l’autogestion et d’une certaine idée de la démocratie », se rappelle Yves, conseiller municipal qui faisait partie de l’aventure.

Des citoyens qui décident vraiment

Dans la foulée, des institutions permettant la par-ticipation citoyenne sont créées. Comme dans n’im-porte quelle commune, le conseil municipal est ouvert aux habitants, sauf qu’ici ils ont le droit de prendre la parole – alors que c’est interdit partout ailleurs. Chaque conseiller municipal se voit attribuer une rue afi n de faire remonter les attentes du terrain. Et chaque année, avant le vote du budget, la muni-cipalité organise une réunion publique : les grandes

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orientations y sont exposées et, là encore, chacun a son mot à dire. « Une centaine de personnes y participent. C’est un moment important de la vie de la commune », estime Brigitte, conseillère municipale en charge de la culture.

Des commissions thématiques (environnement, scolarité, budget…) ouvertes à tous et chargées de rendre des avis à l’exécutif voient également le jour. Près d’un demi-siècle plus tard, ces institutions existent toujours. Véronique, arrivée au village il y a une quin-zaine d’années, participe à quatre d’entre elles. « Je me sens directement concernée. Cela touche à la vie du village, à ses habitants », dit-elle. Convaincue de l’utilité de ces commissions, elle ajoute que « tous les points de vue sont écoutés et acceptés. Ils pèsent dans la balance au même titre que le point de vue d’un élu ». L’équipe municipale a bien compris que, pour que les habitants se réapproprient durablement la politique, il ne suffi t pas de les écouter, mais il faut les intégrer au processus de construction de la décision publique : « Le conseil municipal n’est pas une chambre d’enre-gistrement, précise Yves. Si la majorité des gens en face de nous n’est pas d’accord, on les suit. Car si on les prend pour des idiots, ils cesseront rapidement de participer. » À Vandoncourt, les élus ne décident pas à la place des habitants, ils sont les exécutants de la volonté populaire.

C’est surtout la richesse de la vie associative du village qui fait dire aux habitants des bourgades

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alentour – qui viennent régulièrement profi ter du dynamisme de la commune – que Vandoncourt est « un village pas comme les autres ». Le quotidien y est rythmé par les initiatives organisées par les vingt-huit associations que compte la commune, du club de foot à la fanfare en passant par une association de préserva-tion des vergers ou des variétés anciennes de pommes.

Ici, la volonté de la municipalité de responsabiliser les habitants se traduit par une forte culture du béné-volat : « Quand la mairie ou les associations lancent des appels, il y a toujours du monde pour répondre pré-sent. Notre devise c’est “aide-toi et le ciel t’aidera” », lance Patrice. Ainsi, plus de deux cents bénévoles participent chaque année à l’organisation de la Fête des saveurs, tandis que des chantiers participatifs ont débouché sur la restauration du temple protestant du village, la réfection de la salle polyvalente ou la créa-tion d’un centre aéré géré par les parents. En plus de permettre à la municipalité de faire de substantielles économies et d’améliorer le cadre de vie des habitants, ces actions collectives participent à la création du lien social dans la commune. « Pour s’entraider il faut se connaître. Et pour se connaître il faut faire des choses ensemble », résume le maire.

La routine nuit gravement à la démocratie

Mais si la vie associative est toujours foisonnante à Vandoncourt, la participation des citoyens aux

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commissions, elle, est en légère baisse. Étienne, la trentaine, pense que la démocratie participative fait partie de « l’esprit du village », ce qui ne l’empêche pas de bouder les commissions. « Je n’en vois pas l’intérêt. L’équipe municipale fait bien son travail et quand on a quelque chose à dire, on peut le faire », se justifi e-t-il.

Certes, les réunions publiques attirent toujours autant de monde, mais seulement une quarantaine de Damas (nom des habitants, qui vient de petites prunes bleues fréquentes dans la région) participent activement aux commissions, contre plus de soixante (soit 10 % des habitants) les premiers temps. « Les gens viennent moins, reconnaît Christian, premier adjoint. À l’époque il y avait tout à faire. Mais quand la participation se limite à de la gestion, c’est moins intéressant. »

Jean-Marie, un conseiller général qui connaît bien l’expérience vandoncourtoise, rencontré pendant une fête de village, pense que la « démocratie partici-pative à des limites. Ce sont toujours les mêmes qui participent ». Véronique apporte une autre analyse : « Certaines personnes pensent qu’elles ne seront pas utiles. Mais quand on ne fait pas partie de l’équipe municipale, on peut, justement, apporter un autre regard. » Pour elle, la baisse de l’implication citoyenne s’explique aussi par la « tendance actuelle à privilé-gier l’individu plutôt que le collectif », qui n’a pas épargné ce village du Doubs. En effet, la « révolution culturelle » qui a souffl é sur le village il y a quarante

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ans a certes changé le rapport des habitants à la poli-tique, mais elle s’est arrêtée en route. Les structures économiques n’ont pas bougé, laissant toujours aussi peu de temps aux habitants pour s’intéresser à la vie publique. Alors, pour éviter que l’héritage de Jean-Pierre Maillard-Salin ne soit progressivement effacé par la routine, Patrice veut « relancer l’utopie » et faire en sorte que « l’intelligence collective continue à œuvrer au service du village ». L’avenir nous dira si Vandoncourt saura redonner un second souffl e à la dynamique autogestionnaire.

En attendant, d’autres reprennent déjà le fl ambeau. À Saillans, dans la Drôme, une liste collégiale a été élue dès le premier tour alors qu’elle proposait une forte implication citoyenne à la sauce vandoncour-toise. La démocratie fait son chemin1 !

1. Lors des élections municipales, une dizaine de listes citoyennes se sont présentées (sans succès) avec pour ambition de redonner le pouvoir aux habitants http://www.tourdefrancedesalternatives.fr/alternatives/morville-sur-seille-le-village-lorrain-qui-revait-de-democratie/.

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LA COOPÉRATIVE QUI PRÉPARE

L’APRÈS-CAPITALISME

Pendant mes six mois de vagabondage en terres alternatives, je me suis déplacé principalement en stop et en covoiturage et j’ai dormi tous les soirs chez l’ha-bitant. J’ai donc eu tout le loisir de parler des initiatives observées à des personnes qui ne faisaient pas partie de la sphère militante. Mes récits ont été la plupart du temps accueillis avec enthousiasme. J’ai pu débattre de manière constructive avec des personnes qui ne par-tagent pas mes opinions politiques. Le fait de parler de projets concrets et locaux plutôt que d’idéologies m’a permis de sensibiliser aux thèmes qui me tenaient à cœur des interlocuteurs qui me paraissaient pourtant hermétiques à toute idée de changement. Beaucoup ont été surpris par la diversité des projets que je leur décrivais et ne soupçonnaient pas l’ampleur du phé-nomène. Cependant, une critique revenait souvent : ces initiatives sont trop isolées pour pouvoir peser de manière signifi cative sur le cours des choses.

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Certains utopistes font eux-mêmes ce constat et soulignent la nécessité de faire évoluer le cadre dans lequel ils s’inscrivent. En Espagne, les membres de la Coopérative intégrale catalane (CIC) s’y attellent déjà et sont en train de prouver qu’un autre système politique et économique est possible. Convaincus que « nous pouvons vivre sans capitalisme », ils ne se contentent pas de le clamer. Depuis 2010, ils sont près de dix mille à bâtir « une nouvelle économie basée sur la coopération et les relations de proximité ». Cette coopérative d’un nouveau genre est dite intégrale car « elle regroupe les éléments de base d’une économie et comprend tous les secteurs d’activités nécessaires pour assurer le quotidien ».

Pour que chacun puisse accéder aux biens et services nécessaires à sa subsistance, les membres de la CIC ont créé leur propre banque en mettant leur épargne en commun. Par le biais de coopératives de logement, ils rachètent des immeubles dont les locataires sont menacés d’expulsion. Ils proposent également des prêts à taux zéro pour fi nancer des projets éthiques et locaux. Un journal détenu par ses lecteurs a vu le jour, ainsi que des projets agricoles et éducatifs. De nouvelles monnaies (locales, régionales, dédiées aux biens de première nécessité…) ont également été lancées, afi n de permettre aux coopérateurs de s’échanger biens, services et compétences en se passant progressivement de l’euro. Les usagers du centre de santé Aureasocial à Barcelone peuvent par exemple

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payer leur consultation avec de la monnaie classique, mais aussi en Ecocoop, une des monnaies créées par la CIC, en temps de travail ou… avec un pied de tomates.

Créé sous l’impulsion de l’activiste Enric Duran, surnommé le « Robin des banques » pour avoir escro-qué 500 000 euros à des institutions financières, ce projet constitue « une proposition constructive de désobéissance et d’autogestion généralisée pour reconstruire la société depuis la base ». Il ne s’agit pas de prendre le pouvoir, ni de remplacer ou d’infl uencer les personnes à la tête de l’État. Il s’agit de recréer de nouvelles institutions qui permettent aux citoyens de décider de ce qui les concerne.

Se passer de l’euro et du capitalisme

De l’autre côté des Pyrénées, à Toulouse, cette expérimentation, à mi-chemin entre anarchisme et socialisme utopique, a séduit une population animée par une envie de changement radical. Fin 2012, après une visite d’Enric Duran et d’autres membres de la CIC, près d’une centaine de personnes se sont regrou-pées pour créer la Coopérative intégrale toulousaine (CIT). Squatteurs, étudiants, infi rmières, graphistes, agriculteurs, bricoleurs, banquiers… Ce collectif hété-roclite espère pouvoir « fédérer et unir les alternatives existantes et en faire naître de nouvelles, explique Karim, un des initiateurs de la CIT. Nous avons déjà tout à Toulouse : un garage associatif, des Amap, des

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écoconstructeurs, un fournisseur d’accès à internet alternatif, des gens qui travaillent sur l’énergie libre… Sauf que rien n’est connecté ».

En créant une coopérative intégrale, les membres de la CIT entendent réunir les acteurs du change-ment au sein d’un projet commun d’émancipation. Ils espèrent qu’ensemble les Toulousains vont construire une organisation économique et politique en accord avec leurs valeurs afi n de « sortir progressivement de l’euro et du capitalisme », comme le résume Mathieu, un électronicien présent depuis la première réu-nion. Pour donner corps à ce projet ambitieux, ils se retrouvent chaque mois lors d’une agora où les diffé-rents groupes de travail viennent faire état de l’avancée de leurs recherches.

Ce samedi, ils sont une vingtaine à s’être donné rendez-vous dans une chapelle reconvertie en squat. Les uns planchent sur des « projets productifs », tels que la mise en place d’un centre de santé autogéré ou d’un « groupement de consommation » et d’une épicerie qui visent à supprimer les intermédiaires entre producteurs et consommateurs. Les autres réfl é-chissent à la meilleure façon d’adapter « le concept de la Coopérative intégrale catalane au contexte juridique et culturel français », selon les mots de Carlos, qui consacre son master en économie sociale et solidaire à l’étude du projet.

Les discussions vont bon train, mais aucun vote ne vient ponctuer la journée. En effet, cette assemblée

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ouverte à tous n’a pas vocation à trancher une question ou fi xer une démarche. « On conçoit la prise de déci-sion comme nécessairement concomitante de l’action. Le groupe de travail le plus petit va prendre celles qui sont liées à son activité, selon le principe de subsidia-rité », précise Carlos, avec sa voix chantante. Ainsi, chaque groupe (santé, logement, consommation…) est autogéré et défi nit sa stratégie et ses actions au consensus. Et pour que cette addition de forces auto-nomes trouve sa cohérence, les groupes mandatent un ou plusieurs de leurs membres pour rendre compte de leurs travaux lors de réunions de coordination entre groupes ou pendant l’agora.

Cette assemblée, conçue comme un temps de déli-bération et d’échange, a pour vocation de permettre aux différents membres de la CIT d’avoir une vue d’ensemble sur les actions en cours. Elle offre égale-ment la possibilité à des groupes de travail de recruter de nouveaux membres. Ainsi, pendant la journée, l’équipe qui œuvre à la mise en place du centre de santé autogéré s’est étoffée. Trois praticiennes de santé, en activité ou en formation, ont rejoint le projet, tandis que d’autres personnes sont venues grossir les rangs des groupes « logement » et « groupement de consommation ».

Après un an et demi de travail principalement théo-rique (défi nition des statuts, des valeurs communes, de l’organisation de la coopérative…), les membres de la CIT s’apprêtent à rentrer dans le concret. Le

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groupement d’achats a passé sa première commande et le groupe santé est à la recherche d’un local pour débuter ses activités. Le plus important reste à venir. La monnaie sociale de la CIT (baptisée écoToulouse) est sur le point d’être lancée. Après avoir hésité entre de nombreuses formes de monnaies alternatives, la CIT a opté pour le CES (système d’échange commu-nautaire), une monnaie numérique. Contrairement au sol-violette évoqué plus haut, cette monnaie n’est pas adossée sur l’euro et n’a pas besoin de l’appui des banques et des pouvoirs publics pour fonctionner. Toute personne qui le veut peut ouvrir un compte sur internet. Chaque utilisateur commence avec zéro écoToulouse, mais voit ensuite son compte débité ou crédité en fonction des biens et services qu’il échange avec d’autres membres du réseau : un ordinateur, un vêtement, des légumes, un cours d’anglais, un coup de main au potager… Pour valider la transaction, les membres doivent se rencontrer et décident ensemble de la forme qu’elle prendra. Si Sarah cède son lave-linge à Clarisse, elle peut être payée en éco Toulouses uniquement, recevoir une partie en euros, ou le tro-quer contre un service… voire choisir de le lui offrir sans contrepartie. Cette rencontre replace l’humain au cœur de l’économie et laisse aux personnes concernées le loisir de choisir leur moyen d’échange, en fonction de leurs envies et possibilités. Lors de mon dernier passage à Toulouse, en juin 2014, l’équipe qui s’est occupée du projet réglait les derniers détails, comme

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déterminer le plafond de débit et de crédit à ne pas dépasser afi n d’éviter l’accumulation et de s’assurer que des personnes ne soient pas uniquement débi-trices. « J’attends que les outils soient en place pour m’impliquer », dit Théo, informaticien. Et ils sont près d’une centaine, comme lui, à se tenir prêts à par-ticiper à cette aventure révolutionnaire. En effet, tant que les moyens d’échange permettant aux producteurs de subvenir à leurs besoins autrement qu’avec des euros ne seront pas fonctionnels, le projet ne pourra guère compter que sur le bénévolat pour avancer. « Ils sont tous en train de nous demander quand est-ce qu’ils pourront échanger entre eux », se réjouit Karim.

L’espoir d’une autre économie

Mais si les membres de la CIT veulent rassembler autant de producteurs et consommateurs que leurs voisins catalans, il leur faudra sortir du cercle de convaincus dans lequel ils évoluent pour l’instant. Pour cela, ils comptent donc d’abord expérimenter le système à petite échelle pour tester sa viabilité. « Si ça marche, on ne restera pas à cinquante ou cent. Au vu de la situation économique et sociale actuelle, les gens sont déjà demandeurs d’une autre manière de fonctionner », dit Karim.

L’ampleur prise par l’expérience catalane leur fait penser qu’une autre économie, socialement et éco-logiquement soutenable, est possible. Et ils ne sont

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pas les seuls à le croire. D’autres territoires se sont également lancés dans l’aventure à Nantes, Marseille, en Ariège, à Paris ou encore en Belgique, et bien sûr en Espagne. Même si le chemin emprunté est long et sinueux, les Toulousains sont persuadés de ne pas faire fausse route : « Les membres de la coopérative intégrale sont en train de générer le changement. On n’attend pas que les politiques le fassent à notre place, affi rme Carlos. On agit maintenant, depuis la base, pour créer des alternatives au système. »

Le projet est ambitieux. Il s’agit de construire à par-tir de rien une organisation politique et économique en mesure de remplacer le capitalisme sans attendre que celui-ci s’écroule. Ces utopistes ne veulent pas se contenter de quelques îlots d’humanité dans un monde dévasté. Ils veulent créer localement des ponts entre les initiatives isolées et modifi er les structures et les valeurs profondes de notre société, afi n de permettre à chacun de vivre dignement et librement.

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LA ZAD DE NOTRE-DAME-DES-LANDES,ÉCOLE DU NOUVEAU MONDE

Être journaliste pendant ce tour de France n’a pas toujours été une tâche facile. J’étais souvent saisi d’un violent désir de ranger stylo, carnet de notes et micro pour vivre l’utopie plutôt que de la raconter. Je l’ai d’ailleurs fait à plusieurs reprises. Mais nulle part cette envie d’être acteur, plutôt qu’observateur, ne s’est manifestée avec tant d’ardeur qu’à Notre-Dame-des-Landes, à vingt kilomètres au nord de Nantes. Pour-tant, je dois avouer que je n’en menais pas large en pénétrant dans la zad, la zone d’aménagement différé, censée accueillir le nouvel aéroport du Grand Ouest et rebaptisée « zone à défendre » par les quelque trois cents personnes qui occupent les lieux pour s’opposer au projet.

Pour gagner la zad, il faut emprunter une route entravée de barricades faites de pneus, de palettes et de carcasses de voitures gagnées par la végétation, vestiges des affrontements qui ont opposé les zadistes (surnom des occupants) aux forces de l’ordre pendant

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l’hiver 2012. Pendant que je slalomais à pied entre les obstacles, je me remémorais ce que l’on m’avait raconté à son sujet. Tous ceux qui y avaient séjourné décrivaient la zad comme l’endroit de tous les pos-sibles. Mais alors que j’avançais sur cette dépar-tementale aux allures de champ de bataille, j’avais plutôt l’impression que c’était l’endroit de tous les dangers. Je ne savais comment j’allais être accueilli sur ce territoire peuplé de militants radicaux. D’au-tant que les journalistes sont une espèce modérément appréciée dans les lieux de ce type. Mais les premiers échanges, cordiaux, ont eu raison de mes appréhen-sions.

J’ai vite compris en sillonnant les chemins boueux de cette étendue bocagère de près de deux mille hec-tares que cette « zone libérée », comme la qualifi ent souvent les zadistes, n’est pas seulement un territoire en lutte. C’est aussi un vaste terrain d’expérimentation politique et sociale. Et assez rapidement, la zad m’est apparue comme une école à ciel ouvert. « Du maraî-chage à l’informatique, ici tu apprends tout, tu évolues à une vitesse folle », assure Tony [tous les prénoms ont été changés], qui monte la garde près d’une barricade pour prévenir ses compères en cas d’intervention policière. Et il n’y a pas d’âge pour intégrer cette école. Bertrand, ancien ingénieur qui vient de souffl er ses soixante-cinq bougies, ne savait pas planter une pomme de terre avant d’arriver sur place, il y a deux ans. Aujourd’hui, il affi rme en avoir extrait six tonnes

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du champ qu’il cultive grâce à l’aide et aux conseils d’occupants et de paysans des alentours. Son jardin fait davantage penser à celui d’un maraîcher professionnel qu’au potager du grand-père. Les rangées de carottes, haricots, salades, maïs, tomates ou courges s’étendent sur plusieurs dizaines de mètres.

Université à ciel ouvert

Quand on quitte son imposant logis fait de maté-riaux de récupération et que l’on se balade de tente en yourte et de cabane en bergerie, on se rend compte de l’incroyable concentration de talents regroupés là. Chaque lieu de vie (il en existe une cinquantaine au total, individuels ou collectifs) est une salle de classe où chacun met ses compétences à disposition de ses amis, de ses voisins, voire de la communauté tout entière. Le programme des cours, que l’on découvre au fur et à mesure des rencontres, donne le vertige : utilisation des plantes à des fi ns médicinales, plom-berie ou électricité, maraîchage bio, phytoépuration, traction animale, conception de fromages, cours de musique et de langues, science politique, construc-tion d’éoliennes, gestion de réseau informatique… « Les activités ne manquent pas, mais on ne voit pas ça comme un travail, vu qu’on a la liberté d’arrêter à tout moment », explique Camille. Avec une quinzaine de personnes, il est en train de fi naliser une cabane de quatre-vingt-dix mètres carrés à proximité d’un

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potager cultivé collectivement. Sur pilotis, avec isola-tion paille, enduits naturels, toit en ardoise et en tôle… cette habitation en bois construite en quelques mois a fi ère allure. Pourtant, presque aucun des ouvriers qui ont participé au chantier ne travaille dans le bâtiment. « Nous sommes tous menuisiers et tous architectes », lance l’un de ces candidats à l’autonomie, avant de fi xer au sol une partie du plancher.

Comme souvent dans cette école particulière, l’in-telligence collective a fait son travail. Les visiteurs et les voisins bricoleurs y sont allés de leurs conseils pour éviter que le bâtiment ne s’enfonce dans le sol humide ou que la charpente ne s’effondre sous le poids des ardoises.

La maison est fabriquée pour l’essentiel à partir de matériaux de récupération : « Sur un chantier clas-sique, tu achètes tes matériaux en fonction de tes plans. Ici tu fais les plans en fonction des matériaux que tu as », explique l’un des bâtisseurs.

À l’école de la zad, chacun est tour à tour professeur et élève. Fred, boulanger de profession, est un bon exemple de cette porosité entre les rôles. Il a formé une dizaine de personnes à son métier en trois ans tout en se mettant à l’apiculture, à la fabrication de bière et de cidre artisanaux et à la construction de maisons en paille. Mais il ne voit là rien d’extraordinaire : « Sur la zad, si tu cherches à faire quelque chose, tu trouveras forcément quelqu’un qui s’y connaît et qui pourra te

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prêter le matériel. Tu te rends compte qu’il y a plein de choses possibles. »

Sans compter que, sur ces terres boueuses et inhos-pitalières, « tu ne peux pas payer quelqu’un pour faire ta cabane à ta place. Tu es obligé d’apprendre. On te montre, puis tu fais tout seul », lâche Jean-Michel, ancien cadre commercial qui a troqué son costume pour une veste en cuir usée, son salaire confortable contre un pin’s « anarchie » et sa ville d’origine pour le bocage nantais. C’est la volonté de mettre en cohé-rence sa vie et ses principes qui l’a amené à fréquenter cette université champêtre de la transition.

Même chose pour Jérémy, qui s’est lancé avec quatre autres débutants dans la production et la vente de fromages et produits laitiers à prix libre. Formé auprès d’un agriculteur du coin, qui leur prête les vaches, il souhaite avant tout « se réapproprier les savoirs et les savoir-faire », car, pour lui, « c’est d’abord ça l’émancipation ». Mais l’école de la zad ne propose pas que des activités dites manuelles. Les élèves apprennent peu à peu à se débarrasser de leurs réfl exes individualistes. « Ici on n’a rien, donc tu com-prends vite que tu dépends des autres. L’autonomie passe par le collectif », analyse un ancien militaire présent sur place depuis trois ans. Et si tous n’ont pas l’impression d’appartenir à une même grande famille, ils ont au moins en commun le rejet de « l’aéroport et de son monde », comme l’indiquent les affi ches et les tracts.

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Massage contre fromage

Pour Joseph, ancien ouvrier agricole, sur la zone depuis deux ans, cela suffi t à « créer un sentiment d’appartenance. On n’est pas que des voisins. On aide les gens pas forcément par amitié, mais parce qu’on partage quelque chose ». Tout au long de la semaine, des producteurs vendent leur production à prix libre. Pas de caissier au stand, le tout est basé sur la confi ance. « L’idée n’est pas de faire des bénéfi ces, nous sommes dans une logique d’entraide », explique un des néo-maraîchers qui vend ses légumes lors du « non-marché » hebdomadaire. Et l’euro n’est pas la seule monnaie en circulation : « Tu peux mettre de l’argent dans la caisse, mais aussi du tabac ou des ser-vices. L’autre jour, quelqu’un a proposé un massage en échange de fromages, c’est génial, s’enthousiasme Richard – ancien agriculteur installé à la ferme de Bellevue, un haut lieu de coopération entre agricul-teurs du coin et squatteurs –, cela permet de créer de l’échange et de se rendre compte que chacun à des compétences. »

Ce système permet aussi de réaliser que la zad n’est pas un paradis peuplé de femmes et d’hommes vertueux par nature. Il arrive que la caisse des fromagers ou des maraîchers soit dérobée ou que de l’argent soit pris à l’intérieur. « On nous a inculqué un schéma de pensée attaché à une autorité supérieure depuis l’enfance, que

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ce soit à l’école, en famille, dans le sport ou dans le tra-vail. Du coup, on ne sait pas vivre en groupe et se gérer soi-même », explique Florian, membre de la commis-sion Communication interne. « Le matériel commun est systématiquement pété, on a besoin de référents, complète Damien. Sur la zad, le “tout appartient à tous” ne marche pas. » Ou pas encore. Malgré ces ratés, ils sont encore nombreux à voir ces échecs comme un passage obligatoire dans le processus d’apprentissage.

Récemment, l’idée a été soumise de collectiviser une partie des RSA (revenu de solidarité active), prin-cipale source de revenus sur la zad, pour distribuer de l’argent à ceux qui ne le touchent pas, car trop jeunes ou étrangers. Mais pour appliquer une telle mesure, il faudrait un organe légitime qui permette de prendre des décisions qui s’imposent à tous. Sauf que, pour l’instant, « l’organisation de la zad est basée sur des groupes par affi nité, analyse Florian. Or on a besoin de structures qui dépassent les affi nités, car on ne peut pas être pote avec tout le monde ».

Il existe bien une « réunion habitants » hebdoma-daire et une assemblée générale avec les autres compo-santes de la lutte contre le projet d’aéroport, tous les quinze jours, où sont discutés les enjeux du moment. Mais, sauf situation exceptionnelle, elles n’attirent pas les foules. Certains dénoncent une tendance aiguë à la réunionnite, d’autres sont fatigués par les « joutes rhétoriques » qui parasitent les rencontres et les font durer des heures.

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Aux assemblées plénières, de nombreux zadistes préfèrent les regroupements informels, les réunions opérationnelles sur un sujet précis entre gens motivés, de préférence « autour d’une bière ». La gestion du quotidien dépend donc de la bonne volonté de ceux qui s’automandatent pour gérer les questions fi nan-cières, le ramassage des ordures, l’organisation en cas d’expulsion ou la création d’un potager. Avec plus ou moins de succès, selon la pénibilité de la tâche.

Les réunions sont également une occasion d’expé-rimenter les rapports de pouvoir. « Il y a une attention prêtée à ce que tout le monde puisse s’exprimer. Mais ceux qui savent mieux parler ont plus d’infl uence », note Camille. Ces inégalités de fait « bloquent certains qui ont du mal à trouver leurs mots et pensent que les réunions sont réservées à l’élite », estime Jeanne, ancienne infi rmière. Malgré tout, dit-elle, « la volonté de fonctionner de manière horizontale permet à cha-cun de donner son avis sans être jugé. J’exprime plus facilement mes envies et ressentis, alors qu’avant d’ar-river ici, je n’arrivais pas à prendre la parole pendant les réunions ».

En l’absence de police, de parents, de politiciens et

de patrons, chacun est appelé à se prendre en charge, autant pour assurer sa subsistance que pour ne pas entraver le fonctionnement de la vie collective. « Ici, tu as une liberté de ouf, ce n’est pas toujours facile à gérer quand tu n’y as pas été habitué », fait valoir Gildas,

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arrivé pour un week-end et toujours présent deux ans plus tard. Sur la zad, les occupants apprennent donc à composer avec cette liberté nouvelle et les respon-sabilités qu’elle implique.

Mais, à l’école de l’utopie, tous ne sont pas logés à la même enseigne, car chacun arrive avec dans son cartable le poids des habitudes, bonnes et mauvaises. « Il faut déconstruire pour reconstruire, estime Julie. L’autogestion, ça commence par faire soi-même sa vaisselle. Comprendre que c’est pas ta mère qui va passer derrière toi. C’est pas facile, certaines personnes pensent que vu qu’on est sur la zad, on peut faire ce qu’on veut, qu’il ne doit pas y avoir de règles. »

ZAD partout

Ainsi, certains sont accusés de faire l’école buisson-nière dès qu’il s’agit de participer aux tâches collec-tives. On trouverait d’un côté les bons zadistes, à savoir ceux qui ont une activité, et les mauvais zadistes, appe-lés les « arrachés », alcooliques, drogués et oisifs. En d’autres termes, les premiers de la classe et les cancres installés au fond, près du radiateur. « Certains ont été des consommateurs toute leur vie, avec des chefs qui leur disaient quoi faire et ils attendent ça ici. Ils ont besoin d’une période de transition », pense John qui était « hyper mal dans la société », mais a « réussi à trouver sa place ici ».

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Le cursus proposé par la zad est-il assez long pour permettre de poser les bases d’une société autonome ? Certains en doutent. « L’autogestion et l’autonomie, ce sont des projets qui nécessitent du long terme et, là, on est sur du court terme », souligne Fred. Le temps manque aux zadistes qui vivent dans l’angoisse perma-nente de l’expulsion. Cette menace, additionnée à la dureté des conditions de vie sur place, a déjà poussé nombre d’entre eux à claquer la porte. Car « vivre sur la zad, c’est enrichissant mais éprouvant. On fi nit par s’oublier », confi e Billy qui s’apprête à lever l’ancre, pour la deuxième et sûrement dernière fois. D’autant que, depuis le printemps 2013 et le départ des gen-darmes mobiles, les différentes composantes de la lutte n’ont plus en permanence face à eux cet « ennemi commun » qui les tenait unis. Certains craignent donc « un pourrissement de la situation » et un regain des tensions, parfois violentes, entre occupants.

D’autres, comme Jean-Michel, reconnaissent volontiers que la situation sur la zad est perfectible. Pour autant, il rappelle qu’il n’existe « pas beaucoup d’endroits en Europe où les gens vivent et travaillent sur un espace autogéré aussi grand. Certes, on est loin d’avoir construit un nouveau monde, mais c’est au moins un embryon. Les paysans du coin sont en train de réfl échir à utiliser les terres de manière col-lective en cas d’abandon du projet d’aéroport. Sur un coup comme ça, on a gagné dix ans en termes de

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changement des mentalités ». Et cette expérience qui marquera à vie ceux qui y ont pris part a déjà inspiré d’autres lieux de résistance créative qui s’opposent à de grands projets inutiles de barrage (zad du Testet, près de Gaillac), de stade (zad Décine à Lyon), ou contre la disparition de terres agricoles (ferme des Bouillons, près de Rouen, ou la zad patates dans la plaine de Montesson). Car s’il y a bien une chose sur laquelle les zadistes sont d’accord, c’est sur la nécessité de multiplier ce genre de « zones libérées » où s’expé-rimentent de nouveaux modes de vie. En témoigne le slogan « zad partout », tagué à l’envi sur les murs de Notre-Dame-des-Landes et d’ailleurs.

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DEUXIÈME PARTIE

LA RÉVOLUTION A DÉJÀ COMMENCÉ

Celui qui rêve ne reste jamais sur place.

Ernst Bloch,Le Principe espérance, traduit de l’allemand par Françoise Wuilmart, Paris, Éditions Gallimard, 1976, p. 37.

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LA NAISSANCE D’UN MOUVEMENT

Les projets alternatifs présentés ici sont des petits bouts d’utopie. Ils nous permettent d’entrevoir un monde coopératif, démocratique, partageur, respec-tueux de la nature : il n’existe pas encore, mais il est en train de naître. Partout en France, des centaines de milliers de personnes sont en train de rompre avec le vieux monde et de poser les bases de celui qui pourrait le remplacer. Ils prouvent que le capitalisme ne constitue pas un horizon indépassable et qu’il est possible de s’alimenter, de produire, d’éduquer les enfants, d’habiter et de faire de la politique autrement. Pendant mon voyage, je me suis forgé une conviction : ces projets qui émergent sur des territoires et dans des domaines variés ne sont pas une simple addition d’alternatives, mais bien un mouvement qui traverse le cœur de notre société. Des montagnes cévenoles aux côtes bretonnes en passant par la métropole lilloise, j’ai ressenti cette même envie d’un monde nouveau, cette volonté partagée de changer le présent.

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Au fi l des rencontres, j’ai découvert qu’il existait des points communs entre des projets aussi divers qu’une épicerie de quartier associative, un parc éolien citoyen et la zad de Notre-Dame-des-Landes.

Ce chapitre tente de comprendre ce qui relie ces alternatives et ceux qui les portent.

Colères et valeurs partagées

Les utopistes dénoncent pêle-mêle, comme res-ponsables des catastrophes écologiques et sociales en cours et à venir, le capitalisme, le néolibéralisme, la mondialisation, l’idéologie de la croissance à tout prix, notre système politique oligarchique. Même s’ils ne sont pas tous d’accord sur les causes exactes de nos problèmes, un consensus se dégage autour de l’idée que nous marchons sur la tête et qu’il est urgent d’agir afi n d’éviter le plus grand suicide collectif de l’histoire de l’humanité.

Chacune de leurs actions est une douce révolte, une insurrection constructive. Ils savent ce dont ils ne veulent plus : le vieux monde consumériste, pro-ductiviste et individualiste qui détruit la planète, les individus et les collectifs. Ils ont également une idée de ce qu’ils veulent : une société conviviale, démocra-tique et soutenable, fondée sur la participation de tous à la délibération et à la prise de décision, le partage, la coopération, l’aide mutuelle et la préservation de la nature. Ils expérimentent ces valeurs et ces pratiques

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dans leurs projets pour se rapprocher de l’image du monde qu’ils désireraient.

Initiatives citoyennes

Considérant que ni l’État ni le marché ne sont en mesure de répondre aux enjeux de notre temps, ces gens ordinaires ont décidé de prendre leurs responsabilités, d’engager eux-mêmes la transition écologique et démocratique qu’ils appellent de leurs vœux. Même s’ils n’ont pas tous abandonné l’espoir d’infl uencer les gouvernants pour que ceux-ci servent l’intérêt général, ils sont unanimes sur la nécessité d’explorer d’autres voies, en remplacement ou en complément des anciennes. Certains soutiennent l’État-providence, d’autres souhaiteraient se subs-tituer à lui.

Les utopies concrètes ne naissent pas de l’initiative de collectivités, de partis politiques ou de grandes entreprises, mais de citoyens ordinaires « qui n’at-tendent pas que ça tombe d’en haut », comme me le disait Michael, un des membres d’Habiterre. Ils ne se contentent pas de descendre dans la rue pour montrer leur colère. Ils se réapproprient la politique, l’économie, l’énergie, le logement, les transports, l’agriculture… Ils investissent des champs qui étaient jusque-là la chasse gardée des puissants, afin de revendiquer leur droit à décider des enjeux essentiels qui les concernent.

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Actions concrètes et ancrage local

Devant l’impuissance à infl uer sur les politiques nationales et internationales, le local devient le terrain de jeu privilégié des utopistes. Les initia-tives qu’ils portent sont issues des insatisfactions et des besoins identifi és sur un territoire : manger sainement, se loger de manière décente à moindre coût, relocaliser et dynamiser l’économie, recréer du lien social, produire une énergie propre, offrir aux enfants une éducation qui leur permette de s’épanouir… À partir de ces besoins, ils imaginent des solutions en accord avec leurs valeurs. Ainsi, la transformation sociale et l’amélioration du quotidien ne sont plus des rêves lointains, mais deviennent atteignables. Ces révolutionnaires qui ne disent pas leur nom n’ont pas renoncé à changer le monde, mais ont compris qu’il fallait commencer par chan-ger leur propre monde, leur environnement local, ce sur quoi ils ont prise.

Les pistes qu’ils proposent, bien que locales, pour-raient être des réponses aux maux planétaires. Ce n’est pourtant pas ce qu’ils promeuvent. En effet, ils savent qu’en proposant de détruire le capitalisme, de sortir du nucléaire ou de lutter contre la mondia-lisation, ils feront face à l’apathie d’une population largement dépolitisée et désillusionnée. Plutôt que le Grand Soir, ils proposent des « révolutions à hauteur

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d’homme1 », faites de petites victoires, auxquelles chacun peut prendre part en récoltant, à court ou moyen terme, les fruits de son engagement.

Droit à l’expérimentation

Contrairement à nombre d’utopies du passé, elles ne s’appuient pas sur une promesse de perfection, un système clés en main qui permettrait de résoudre tous les malheurs du monde. Ces initiatives sortent de la sphère littéraire et de l’idéal pour investir le réel et le transformer, par tâtonnements. Elles ne sont pas formulées par quelques intellectuels en lieu et place de millions de personnes. Elles sont le fruit de l’intelli-gence collective. Elles sont imaginées et façonnées par ceux qui les vivent. Ces rêveurs pragmatiques prônent de ce fait le droit à l’expérimentation. Ils partagent l’envie de construire pas à pas un nouveau monde en cohérence avec leurs valeurs, en espérant que d’utopies concrètes en utopies concrètes, se dessine petit à petit une société conviviale, soutenable et désirable. Cette approche non dogmatique leur permet de s’interroger en permanence sur la pertinence de leur fonctionne-ment et de leur organisation.

1. Édouard Schaelchli, Jean Giono. Pour une révolution à hauteur d’hommes, Le Passager clandestin, 2013.

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Des collectifs ouverts

Ces initiatives se distinguent des formes de mobi-lisation traditionnelles. Le caractère pragmatique des objectifs poursuivis (relocaliser l’économie, manger sainement, lutter contre le gaspillage alimentaire, faire soi-même pour économiser de l’argent et gagner en compétences, lutter contre l’implantation d’un aéro-port…) permet de réunir hors les affi nités politiques, culturelles et générationnelles. L’aspect local de ces démarches joue un grand rôle dans le dépassement du clivage gauche/droite. Comme le résume Raphaël Souchier : « Les thèmes localistes font écho tant aux valeurs chères aux progressistes (telle que la solidarité) qu’à celles portées par les conservateurs (autonomie, responsabilité)1. » Les créateurs d’alternatives ne sont pas reliés par des repères idéologiques communs, ils en inventent de nouveaux ensemble. Ainsi, la partici-pation au changement n’est pas réservée aux minorités actives politiquement, souvent classées à gauche, mais à tous ceux qui aspirent à un présent et à un futur différents.

1. Raphaël Souchier, Made in local. Emploi, croissance, durabilité. Et si la solution était locale ?, Eyrolles, 2013, p. 260.

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Travail en réseau et convergence des utopies

Ces initiatives concrètes sont ancrées sur un ter-ritoire. Pour autant elles n’évoluent pas en vase clos. Les porteurs de projet alternatifs vont chercher dans d’autres villes, régions, pays, des idées pour répondre à leurs besoins. Ils échangent avec ceux qui, à des centaines de kilomètres, partagent des aspirations communes, en s’inscrivant dans des réseaux départe-mentaux, régionaux et nationaux, voire internationaux. Car, même si c’est au niveau local qu’ils veulent agir, leurs aspirations à un monde meilleur font fi des fron-tières. Ils mutualisent leurs bonnes pratiques, leurs outils de communication et de gestion et échangent sur leurs diffi cultés. Ils se fédèrent pour gagner en crédibilité et en compétences, pouvoir infl uer sur les pouvoirs publics ou intéresser les médias. Ce faisant, ils étendent les réseaux de solidarité au-delà de leur seule sphère locale.

Ces regroupements ne sont pas uniquement thé-matiques, on assiste aussi à une convergence des utopies. À l’échelle locale, des acteurs, œuvrant dans des domaines aussi variés que l’agriculture biolo-gique, l’énergie, l’éducation ou la démocratie, se réunissent et tentent de décloisonner les luttes pour les inscrire dans un projet commun d’émancipation. Le mouvement Villes et Territoires en transition en est un bon exemple. Créé en Angleterre en 2006 par

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le professeur de permaculture Rob Hopkins, il vise à « créer un avenir meilleur et moins vulnérable devant les crises écologiques, énergétiques et économiques ». Ce mouvement, qui entend préparer l’après-pétrole, est constitué de plus de soixante-dix groupes locaux en France. Ils fédèrent des initiatives et des acteurs qui portent, au niveau local, des projets de jardins partagés, d’écovillages, d’alimentation de proximité, afi n de recréer des communautés capables de s’adapter aux changements à venir1.

Volonté d’essaimer

Ces projets portent dans leurs gènes la volonté d’essaimer et de faire des petits sur d’autres terri-toires. Pour cela, leurs initiateurs tiennent à dispo-sition la documentation nécessaire pour faire gagner du temps et éviter certains obstacles à ceux qui vou-draient transposer leur action chez eux. Ainsi, nombre d’Amap déposent sur leur site internet leurs statuts et les contrats qui lient consommateurs et produc-teurs, afi n que d’autres puissent les utiliser. Certains y retracent même, méthodiquement, leurs actions, réussites, obstacles et échecs pour aider d’autres por-teurs de projets.

1. Cf. Rob Hopkins, 1 001 Initiatives de transition écolo-gique. Comment l’action locale peut changer le monde, Seuil, 2014.

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À Saint-Étienne, s’inspirant du vocabulaire et de la culture du logiciel libre, les membres du Comptoir numérique – un espace de travail partagé où coha-bitent différents corps de métier – veulent libérer le « code source » des projets alternatifs. Avec la plate-forme Movilab, ils proposent à chacun de décrire en détail les différentes étapes de leur parcours afi n que d’autres puissent s’en inspirer et partager à leur tour leurs évolutions. Ils s’opposent à la logique du breve-tage des idées et entendent faciliter leur circulation pour accélérer le changement. Cela est favorisé par l’avènement du web 2.0 (interfaces accessibles pour faciliter la création et le partage des contenus, ainsi que l’interaction entre les internautes) et permet une organisation horizontale et une communication simple et rapide entre ceux qui expérimentent des pratiques alternatives.

Des utopies festives

Pour mobiliser, les utopistes ont bien compris qu’ils devaient jouer la carte de la convivialité. Ainsi ils s’ar-rangent pour que l’investissement dans un projet ne soit pas vécu comme une contrainte et rendent ainsi leurs rencontres festives. Par exemple, les initiatives liées à l’alimentation transforment les temps de distri-bution en des temps de convivialité entre habitants. En effet, il ne s’agit plus uniquement de faire ses courses, mais de partager un verre, une conversation avec des

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personnes aux aspirations similaires. Ils proposent des journées à la ferme, temps ludique où parents et enfants peuvent mettre les mains dans la terre, tout en soutenant un agriculteur.

Le sociologue Jacques Ion mentionne dans son ouvrage1 que la durée des réunions militantes s’est réduite d’environ 50 % en un demi-siècle et que celles-ci se tiennent d’avantage pendant le temps de travail afi n de ne pas empiéter sur le temps de loisir. Les initiatives alternatives vont plus loin et transfor-ment la plupart de leurs rassemblements en temps de loisir. Ainsi, la transformation sociale n’est plus réservée uniquement aux ascètes du militantisme. Les utopies concrètes transforment ce dernier en plaisir, et leurs actions mobilisent parce qu’elles sont en phase avec les valeurs des participants mais aussi pour leur caractère intrinsèquement plaisant.

L’éclosion d’une dynamique

Les utopies concrètes traduisent en actes un mou-vement de fond qui n’est pas encore identifi é et n’a pas encore conscience de lui-même. Cette dyna-mique prend sa source dans la contestation du vieux monde, et ceux qui y prennent part ont en commun

1. Jacques Ion, S’engager dans une société d’individus, Armand Colin, 2012, p. 59.

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les aspirations et les formes de mobilisation que nous venons de décrire.

Une étude récemment publiée par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) confi rme l’évolution des mentalités en cours1. « 88% des Français pensent aujourd’hui que la société a besoin de se transformer profondément », rapportent les auteurs, ajoutant que notre relation aux autres, à la nature, à la consommation et aux déchets est en train de se modifi er en profondeur. Mais combien transforment cette envie de changement en actes ? Des centaines de milliers ? Des millions ? Diffi cile à dire, car leurs actions sont éparses. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont plus nombreux chaque jour. Les personnes que j’ai rencontrées sont la frange la plus active d’un groupe social qui émerge dans les pays occidentaux et que les sociologues appellent les « créatifs culturels ». Ces derniers sont sensibles aux questions écologiques et aux valeurs féminines, ils traduisent leurs principes en actes et portent un intérêt au développement per-sonnel et spirituel au sens large. Une étude a montré que 17 % des Français se reconnaissent dans toutes ces valeurs, et que ce chiffre monte à 38 % si on laisse de côté l’attrait pour la spiritualité2.

1. Ademe, « Évolutions du comportement des Français face au développement de l’économie circulaire », juin 2014.

2. Association pour la biodiversité culturelle, Les Créa-tifs culturels en France, Éditions Yves Michel, 2007.

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Cette évolution invisible des piliers culturels de notre société n’est pas une transformation ex nihilo. Les utopistes d’aujourd’hui sont les enfants des mou-vements sociaux passés. Leur culture a été largement infl uencée par les écologistes, féministes et altermon-dialistes qui ont contribué à la prise de conscience qu’un autre monde est possible. Leur mode d’action est inspiré de Mai 68, des mouvements autogestionnaires, coopératistes, mutuellistes et d’action directe non vio-lente. Même s’ils ne revendiquent pas tous l’héritage de ces mouvements, ils leur empruntent la volonté de reprendre en main leur existence et d’expérimenter dès aujourd’hui de nouveaux modes de vie et de nouvelles manières d’aborder la politique et le travail.

Qui sont les utopistes ?

La plupart des utopistes sont insérés dans la société, ont une activité professionnelle, poursuivent des études ou sont retraités. Ils et elles ont connu les joies de la société de consommation, mais se sont rendu compte que l’accumulation d’argent et d’objets ne leur avait pas permis d’atteindre le bonheur et l’épanouis-sement personnel qu’ils espéraient. Guidés par une quête de sens et une envie de cohérence, ils tentent de réconcilier principes et actions, de réduire l’écart entre ce qu’ils pensent et ce qu’ils font.

J’ai croisé des néo-ruraux qui ont quitté l’enfer des villes pour un retour à la terre ; des personnes,

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engagées dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, qui ont fait de leur activité professionnelle un moyen d’améliorer la société ; d’anciens cadres qui ont troqué le costume pour une activité artisanale, sociale ou environnementale ; d’anciens « indignés » désireux de passer au concret. Ou encore des gens qui, tout en conservant leur activité professionnelle, ont trouvé une source d’épanouissement en mettant leur temps libre et leur argent au service de causes qui leur semblent justes. Quelle que soit la place qu’ils occupent, ces utopistes entendent redonner du sens à leur existence et aspirent à un changement de vie et de société, alors même qu’ils auraient les ressources pour continuer à vivre confortablement dans le monde tel qu’il est.

Et parmi ceux qui n’arrivent pas à s’insérer, ou ne souhaitent pas s’insérer, dans cette machine à exclu-sion qu’est notre société, nombreux sont ceux qui ont choisi la voie de l’utopie. Je ne compte plus les chômeurs ou titulaires du RSA rencontrés dans les associations auxquelles j’ai rendu visite. Le milieu des squats est riche d’exclus volontaires du marché de l’emploi qui préfèrent se mettre au service de leur territoire et de leurs idées, sans motivation pécuniaire. Nombre de bâtiments occupés mettent à disposition, gratuitement, des vêtements et des espaces d’informa-tion et de formation, organisent des ateliers gratuits de réparation, de permaculture, de langues, de sport, ou

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font bénéfi cier de marchés gratuits ou à prix libres. Et comment ne pas évoquer à nouveau la zad de Notre-Dame-des-Landes, cette zone d’expérimentation éco-nomique et politique fertile, principalement peuplée d’exclus volontaires du système.

Certains utopistes agissent au cœur de la société en tentant de la transformer de l’intérieur, d’autres, à ses marges, espèrent en construire une nouvelle. Ils ne partagent pas tous les mêmes modes de vie ni la même radicalité. Mais ils marchent dans la même direction, et la combinaison de ces profi ls multiplie les portes ouvertes vers l’utopie. Chacun à leur façon, ils contribuent à changer le présent et à imaginer d’autres futurs.

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CES UTOPIES QUI CHANGENT NOS VIES

Il ne saurait y avoir tragédie plus sombre et plus meurtrière pour un homme que la perte de sa foi en lui-même et dans les possibilités de maîtriser son destin.

Saul Alinsky,Être radical, traduit de l’anglais par Odile Hellier et Jean Gouriou, Bruxelles, Aden Éditions, 1971, et nouvelle édition 2012.

Après avoir passé plus de six mois en Utopie et six autres à réfl échir à cette expérience, j’en suis venu à la conclusion que ce bourgeonnement d’alternatives ne nous offre certes pas la promesse d’un changement soudain des valeurs et des institutions qui structurent notre société, mais il crée un terreau favorable dans lequel pourraient prendre racine des transformations sociales d’envergure. Sept raisons au moins peuvent en être identifi ées.

Elles recréent du collectif

Les utopies concrètes créent des ponts entre les individus isolés et leur font prendre conscience de

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leur interdépendance. Au-delà du but poursuivi, elles contribuent à retisser le lien social. Des chaînes de solidarité formelles et informelles se créent autour de ces initiatives locales. Ceux qui y participent voient leur voisin différemment, il n’est plus seulement la personne qui vit à proximité, il pourrait devenir un allié dans la reprise en main de leur existence. En transformant ensemble leur environnement, les utopistes prennent conscience qu’ils ne partagent pas qu’un code postal, mais aussi un lieu de vie, une histoire et un destin communs. Ils habitent un même territoire et sont garants de sa préservation, de son dynamisme et de la qualité de vie qui y règne.

En se connectant à d’autres utopistes, sur et en dehors de leurs territoires, les porteurs de projets alternatifs constatent qu’ils ne sont pas seuls. Ils peuvent alors puiser dans cette force collective le courage et l’énergie nécessaires pour continuer à se battre malgré les diffi cultés. En comprenant qu’ils sont de plus en plus nombreux à rêver d’un autre monde et à agir pour le faire naître, ils sortent de la marginalité à laquelle ils sont parfois condamnés dans leur cercle d’amis, leur famille et leur lieu de vie, où les aspirations peuvent être divergentes. Ils découvrent que d’autres citoyens ordinaires, un peu partout en France et dans le monde, dans tous les domaines, arpentent comme eux les chemins de la transition.

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Elles révèlent notre puissance individuelle et collective

Avant de se lancer dans des projets alternatifs, un certain nombre des personnes que j’ai rencontrées se sentaient inutiles et incapables d’apprendre ou d’apporter quoi que ce soit aux autres. Les utopies concrètes permettent de lutter contre ce complexe et de révéler les talents de chacun. Les Systèmes d’échanges locaux (SEL) en sont un parfait exemple. En invitant leurs membres à échanger biens, compé-tences et connaissances, les SEL les poussent à réfl é-chir à ce qu’ils peuvent apporter à leurs pairs : monter une étagère, repeindre une chambre, planter un pied de tomate, parler anglais, installer une imprimante, tenir compagnie, véhiculer une personne âgée au magasin… Les sélistes sentent alors que leurs compé-tences, ignorées par le marché, sont appréciées dans leur entourage.

En se réunissant pour réfl échir, produire, consom-mer et décider ensemble, ces bâtisseurs de futurs constatent que l’intelligence collective peut faire des miracles, que chacun a quelque chose à apporter au collectif. Ils apprennent à ne plus postuler leur incapa-cité, à ne plus obéir sagement aux injonctions venues d’en haut, mais à penser par eux-mêmes, à agir, imagi-ner et façonner ensemble la société dont ils rêvent. Et ils sont nombreux ceux qui, chemin faisant, ont pris la

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mesure de leur capacité à infl uer sur leur environne-ment. Ces expériences leur redonnent confi ance, en eux-mêmes et en ceux qui les entourent.

C’est ce qui rend les plus humbles de ces projets éminemment subversifs. Ils transforment les consom-mateurs et les électeurs en personnes conscientes de leur pouvoir individuel et collectif.

Elles limitent notre dépendance au système

Les utopies concrètes, outre le fait de valoriser les compétences de chacun, permettent d’en révé-ler de nouvelles. Ainsi, les initiatives liées au Do It Yourself (fais-le toi-même) permettent de développer ses talents de bricoleur, de jardinier, voire d’ingé-nieur. On trouve, disséminés en France, des associa-tions ou collectifs informels proposant d’apprendre à réparer ou à construire des objets du quotidien en mêlant savoirs ancestraux et technologies modernes. À rebours de la division extrême du travail qui nous pousse à vendre notre force de travail pour acheter ce que nous ne savons plus ou n’avons plus le temps de produire, ces ateliers citoyens nous permettent de réapprendre des savoir-faire peu à peu oubliés : faire pousser ses légumes, construire sa maison, réparer sa voiture ou son vélo, produire son énergie… Elles nous permettent de gagner en autonomie, de faire des économies, mais aussi de nous révéler à nous-mêmes que nous sommes des êtres capables de créer.

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Elles nous font prendre conscience des conséquences de nos actes

Avec les scandales récents (lasagnes à la viande de cheval, ouvrières tuées au Bangladesh dans l’effon-drement d’une usine de textile produisant pour des magasins français, suicides dans des usines de fabri-cation de smartphones…), nous prenons conscience que les produits que nous consommons ne poussent pas dans les rayons de supermarché. Il nous devient évident que nos achats ont des conséquences directes sur les hommes et la nature. Avec l’industrialisation, l’exode rural et la mondialisation, nous nous sommes éloignés des lieux de production. Plus les circuits de distribution s’allongent, moins nous savons ce que nous consommons et moins nous sommes concernés par l’impact écologique et social de nos achats.

Les utopies concrètes rapprochent non seulement producteurs et consommateurs, grâce aux circuits courts, mais vont plus loin encore en transformant ces derniers en « consomm’acteurs » ou même en « co-producteurs ». En effet, lorsque nous achetons une tomate en supermarché, nous contribuons à fi nan-cer une agriculture intensive, mal rémunérée pour le producteur et désastreuse pour l’environnement. À l’inverse, en achetant nos légumes en vente directe, nous cofi nançons une agriculture locale, respectueuse de l’homme et de la nature.

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Le même raisonnement s’applique aux vêtements, à la production d’énergie, à la fi nance, au logement, bref, à tous les aspects de notre vie. En s’impliquant dans le processus de production, les utopistes en comprennent les enjeux et peuvent orienter l’économie, à laquelle ils redonnent un visage humain et ne la réduisent pas à un simple calcul coûts/avantages. Ces projets ramènent la question morale (ou éthique) au cœur de la société. Nos achats et nos comportements ne sont plus seulement guidés par notre porte-monnaie et par des lois écrites par d’autres, mais par ce qui nous semble juste ou non.

Elles réinventent des temps et des lieux du politique

La société actuelle ne nous offre que peu d’espace pour discuter de la vie de la cité. Par peur du désac-cord ou du confl it, on dit souvent qu’il ne faut pas parler politique en soirée, en famille, dans l’entreprise. L’isoloir est l’un des seuls endroits où nous exprimons nos idées.

Avec les utopies concrètes, la politique redevient une chose publique. Parce qu’elles regroupent des citoyens d’horizons politiques et sociaux divers, créent des temps d’échange formels et informels sur des questions à haute teneur politique, elles poussent les participants à confronter des points de vue qui jusque-là ne s’ex-primaient pas. Plutôt que d’insister sur ce qui divise,

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ces initiatives locales mettent en exergue ce que nous avons en commun, et notamment une volonté parta-gée de reprendre nos existences en main. Loin d’être dépolitisées, elles nous ramènent à l’essence même de la politique, à savoir la vie de la Cité et donc l’adminis-tration de notre quotidien. Plutôt que de nous écharper sur des sujets imposés par la classe politico-médiatique, les utopies concrètes amènent à réfl échir et à se pro-noncer sur des questions cruciales : comment et par qui sont produits mes vêtements, ma nourriture, mon électricité ? Ou va l’argent que je mets à la banque ? A-t-on besoin de chefs pour travailler effi cacement ? Qui doit décider de ce qui se passe dans une commune : une poignée d’élus, ou l’ensemble de ses habitants ?

En se formant mutuellement sur des questions aussi complexes que l’énergie ou la monnaie, ces hommes et ces femmes ordinaires créent une véritable expertise citoyenne. Pouvoir être enfi n acteurs de la vie poli-tique les incite à s’informer et à réfl échir pour mieux débattre et faire leurs choix en conscience. Comme le suggère l’historien belge David Van Reybrouck : « Quand les citoyens sont considérés comme des citoyens et pas seulement comme du bétail électoral, ils se comportent en adultes et non plus comme un troupeau1. »

1. Interview donnée à Libération, http://www.liberation.fr/politiques/2014/03/07/les-elections-n-ont-jamais-ete-concues-pour-etre-democratiques_985329.

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Elles libèrent notre imaginaire

Nous avons tellement intériorisé le mode de vie capitaliste et républicain (« travaille, vote, paye tes dettes et consomme ») qu’il nous est diffi cile d’imagi-ner autre chose. Parce qu’elles permettent d’expéri-menter d’autres façons de vivre, les utopies concrètes libèrent nos imaginaires atrophiés par des décennies de société du spectacle et de consommation. Elles nous permettent de reprendre la main sur nos désirs et nous donnent à vivre d’autres plaisirs et d’autres façons de jouir, infi niment plus soutenables que la consommation : l’échange humain, la découverte de soi, des autres et de la nature, les activités manuelles, les joies de la délibération, la bonne bouffe, l’amour et le partage… Elles nous aident à faire la différence entre une vie riche et une vie de riche, pour reprendre l’expression de Nicholas Georgescu-Roegen, père de la décroissance. Ces projets nous donnent à voir un présent et un futur suffi samment désirables pour nous débarrasser de la peur du changement et de l’incer-titude qui nous fait nous accrocher au vieux monde.

Les personnes rencontrées pendant ce tour de France se disent et semblent pour la plupart épanouies et heureuses. Heureuses d’avoir réduit l’écart entre leurs principes et leurs actes. Heureuses d’avoir trouvé du plaisir ailleurs que dans la consommation. Heu-reuses d’avoir appris des choses et d’en avoir enseigné.

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Heureuses de se sentir utiles à la société. Heureuses d’avoir tissé des liens avec des inconnus, d’avoir fait de leur lieu de vie un lieu d’échange et de partage. Heureuses de contribuer à laisser à leurs enfants un monde plus désirable. Et c’est là tout le potentiel révo-lutionnaire du bonheur. Les utopistes ne demandent pas aux autres de se sacrifi er pour sauver la planète ou l’humanité, ils mettent en avant les avantages induits par un changement de comportement. Ils montrent que le changement n’est pas seulement nécessaire, il est souhaitable.

Elles préparent le terrain pour le nouveau monde

En participant aux délibérations et aux prises de décisions, les personnes engagées dans des projets alternatifs apprennent à décider elles-mêmes, sur un pied d’égalité, des règles auxquelles elles vont devoir se plier (principe d’autonomie). Chose nouvelle car, depuis l’école, nous sommes habitués à obéir à des règles écrites par d’autres (élus, professeurs, patrons), ce que l’on appelle principe d’hétéronomie (par oppo-sition au principe d’autonomie).

Ces initiatives nous enseignent à nous écouter mutuellement, à prendre la parole en public, à struc-turer notre argumentaire, à accepter d’avoir tort. Les utopistes développent la coopération, alors que notre société est régie par la compétition. Ils pratiquent l’entraide et le soutien mutuel, alors que nous avons

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tendance à déléguer ces tâches à l’État ou à des tiers rémunérés.

La pratique des utopies concrètes nous permet d’inté-rioriser toute une série de savoir-vivre et d’habitudes et ces projets collectifs sont les écoles du nouveau monde.

Les utopistes espèrent que les valeurs et les projets qu’ils portent se diffuseront dans la société, jusqu’à remplacer les piliers culturels et institutionnels du vieux monde ; mais ils n’oublient pas le contexte dans lequel ils interviennent : épuisement des ressources, dégrada-tion progressive ou brutale du climat, effondrement économique, crise politique et sociale… Comme plu-sieurs d’entre eux me l’ont fait remarquer, ce travail les prépare à d’éventuels chocs. Ils diminuent leur dépen-dance vis-à-vis d’un système qui menace de s’écrouler et posent les bases de ce qui pourrait venir le remplacer.

L’intérêt de ces projets réside donc autant dans ce qu’ils sont (autogérés, locaux, concrets…) que dans ce qu’ils rendent possible (libération de l’imaginaire, créa-tion de collectifs…). Ils nous poussent à agir en citoyens libres, égaux et responsables plutôt qu’en simples consommateurs et électeurs. Les utopies concrètes créent également des cadres à l’intérieur desquels nos penchants naturels pour la coopération et le partage prennent le dessus sur nos penchants, tout aussi natu-rels, pour la compétition et l’individualisme. Ce faisant, ils favorisent la révolution en cours.

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LE RÉVEIL

Notre monde nouveau point auprès de nous, comme germerait une fl ore nouvelle sous le détritus des âges.

Élisée Reclus,L’Anarchie, Paris, Éditions Mille et une nuits, 2009, p. 31.

Le nombre augmente de jour en jour de ceux qui produisent et consomment localement, s’organisent de manière horizontale, partagent biens, services et connaissances, se réapproprient leur vie et leurs com-pétences, en faisant eux-mêmes ce qu’ils déléguaient jusque-là au marché ou à l’État, inventent de nouvelles façons de vivre ensemble et d’organiser la société. Nos façons d’être, de penser, d’agir et d’interagir sont en train de se modifi er en profondeur et ces changements invisibles traversent l’ensemble de la société. Ce mou-vement est encore marginal mais il pourrait ne pas le rester. Nous sommes nombreux à rêver d’une société différente ; une « immense minorité » pour reprendre l’expression d’un camarade nomade. Des régiments

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entiers de révolutionnaires qui s’ignorent n’attendent qu’une chose : qu’on leur propose un cadre pour expri-mer leur ras-le-bol, agir concrètement et engager leur transition vers un mode de vie soutenable et convivial. Le caractère divers, concret, local, festif et inclusif des utopies concrètes examinées pour ce livre me laisse penser qu’elles sont en mesure d’attirer un nombre croissant de citoyens et de mobiliser au-delà des cli-vages habituels. Parce qu’elles rendent heureux ceux qui y prennent part, ces initiatives sont contagieuses et capables de toucher ceux qui ne croyaient plus au changement et encore moins en être les acteurs.

Pour autant, la bataille contre l’oligarchie, l’injustice et la destruction du vivant n’est pas encore gagnée. L’imaginaire collectif reste largement colonisé par l’idéologie de la croissance et de la consommation. Bien qu’ils soient plus nombreux chaque jour, le cadre dans lequel les projets alternatifs évoluent ne leur est pas favorable. D’une part, ces initiatives courent le risque d’être banalisées et récupérées par un capita-lisme qui peut très bien s’accommoder de quelques entreprises autogérées, de jardins partagés et de circuits courts. D’autre part, elles sont dépendantes du bon vouloir des pouvoirs publics phagocytés par des inté-rêts privés et qui peuvent décider de freiner l’expansion de ce mouvement (par le jeu des subventions, des aides sociales, des réglementations et de la répression).

Les puissants d’aujourd’hui ne se laisseront pas dépouiller de leurs privilèges sans livrer bataille.

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Tout l’enjeu réside dans le rapport de force que les utopistes sauront créer pour démocratiser les insti-tutions actuelles – ou s’en affranchir en créant leurs propres institutions, pour les plus radicaux d’entre eux. Comme le disait Cornelius Castoriadis, lors d’une conférence à Porto Alegre en 1991 : « Il ne pourra y avoir d’issue que si les hommes et les femmes partout se réveillent et décident de prendre leur sort entre leurs mains, et c’est cela même qu’est le projet d’au-tonomie. Rien ne garantit qu’ils le feront. Mais rien ne garantit non plus qu’ils ne le feront pas et nous ne pouvons rien faire d’autre que de travailler pour qu’ils se réveillent, qu’ils se réveillent de l’apathie, et qu’ils se réveillent de l’abrutissement des supermarchés et de la télévision1. »

C’est ce qu’ont choisi de faire les révolutionnaires de l’ombre évoqués dans ce livre. Ils font au quoti-dien ce qui leur semble juste et nécessaire. Ils vivent aujourd’hui comme ils aimeraient que nous vivions tous demain. Et ils le font avec plaisir.

Mon immersion dans cette France qui se réinvente par le bas m’a redonné foi en l’humanité et espoir dans le changement. Même si le monde actuel donne la nausée, je ne désespère pas de le connaître différent. Même si notre capacité à banaliser l’inacceptable me répugne autant que le cynisme de ceux qui nous

1. « Le socialisme du futur », http://www.caosmose.net/nomade/Loudblog_02/index.php?id=9.

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asservissent, je suis persuadé que nous sommes encore capables de désirer la liberté et d’en assumer la respon-sabilité. C’est un pari que je fais là. Un pari qui repose sur une croyance retrouvée en l’humain, issue de mes observations de terrain. J’ai vu que l’homme n’était pas qu’une machine à calculer, mais qu’il était capable d’altruisme et d’engagement désintéressé. J’ai vu des groupes délibérer, décider et s’organiser sans chef. J’ai vu les merveilles que pouvait produire l’intelligence collective. J’ai vu que nous étions capables, ensemble, de faire de grandes choses. Ces utopistes m’ont donné le courage de rêver et l’envie de construire un futur radicalement différent. Il me tarde maintenant de mettre en pratique ce que j’ai pu observer pendant ce voyage et de répandre le virus de la liberté. Il sera trop tard demain pour changer le présent. Je ne veux plus attendre la révolution. Je veux l’incarner au quotidien. L’idée que nous pouvons collectivement décider de notre destin en comptant sur nos propres forces m’emplit d’enthousiasme. Et j’ai l’impression que cet enthousiasme est de plus en plus largement partagé.

Le rideau de fer de la fatalité commence à se fi ssu-rer. Des lueurs d’espoir percent notre horizon chargé de nuages, et les chemins vers une société conviviale, démocratique et soutenable se multiplient. Il ne tient qu’à nous de les emprunter. L’avenir est peut-être incertain, mais je l’attends avec impatience.

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REMERCIEMENTS

Ce texte n’aurait pas pu voir le jour sans le concours direct ou indirect de nombreuses personnes.

Je remercie donc celles et ceux qui ont participé au fi nancement du projet, qui m’ont hébergé, invité à manger ou pris en auto-stop pendant mon périple. Je remercie les personnes qui m’ont accordé du temps pour relire mes reportages avant publication. Je remer-cie Reporterre, Basta!mag, Terra Eco et Slate qui ont assumé une partie des coûts et relayé mes articles. Je remercie Stéphanie, Wael et Etika Mondo et Repor-ters d’espoirs pour leur accompagnement logistique avant et pendant le voyage. Je remercie Boris, Émilie, Hervé, Mathieu pour leurs relectures attentives de ce travail. Je remercie la regrettée Aurore, surnommée « la chuchoteuse d’alternatives », qui m’avait guidé sur la piste des alternatives à Lyon. Je remercie mes parents pour leur soutien. Je remercie les utopistes (et les sceptiques) rencontrés sur ma route pour les heures de discussions passionnantes qu’ils m’ont offertes.

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Leurs réfl exions ont inspiré les miennes. Enfi n, je remercie ceux qui, depuis des siècles, luttent pour la liberté, l’égalité, l’autonomie et l’émancipation. Leurs combats ont rendu possibles ceux racontés dans ce livre.

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TABLE

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

première partie

Virée en utopie

L’épicerie dont vous êtes le héros . . . . . . . . . . . . 19Le début d’une « pulsation citoyenne » . . . . . . . . 21Une vie de quartier transformée . . . . . . . . . . . . . . 23

La jardinière qui voulait protéger nos semences 26

Un salutaire retour à la terre . . . . . . . . . . . . . . . . . 28Le potentiel révolutionnaire du plaisir . . . . . . . . 30

L’entreprise qui n’avait pas de patron . . . . . . . . 33L’heure de la scission . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35Le refus du petit chef . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Le village breton qui rêvait d’autonomie énergétique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Caisse et cause communes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

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Ils ne se connaissaient pas, et pourtant ils vivent ensemble . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Yoga, bricolage et comptabilité . . . . . . . . . . . . . . 47

Une banque villageoise, solidaire et qui prête à taux zéro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Des anarchistes qui ne disent pas leur nom . . . . . 54

Changer de monnaie pour changer le monde . 57Mieux comprendre son banquier . . . . . . . . . . . . . 59L’épineux soutien de Vinci . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Dans un hangar, ils bricolent le monde de demain 63Acheter un ordinateur, quelle idée ! . . . . . . . . . . . 65Le frigo de demain sera open source . . . . . . . . . . . . 67

Le collège qui révèle les super-pouvoirs de chaque enfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

Un cours d’histoire en costumes d’époque . . . . . 72L’émancipation a un coût . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

Comme une envie de démocratie . . . . . . . . . . . . 77Des citoyens qui décident vraiment . . . . . . . . . . . 79La routine nuit gravement à la démocratie . . . . . 81

La coopérative qui prépare l’après-capitalisme 84Se passer de l’euro et du capitalisme . . . . . . . . . . 86L’espoir d’une autre économie . . . . . . . . . . . . . . . 90

La zad de Notre-Dame-des-Landes, école du nouveau monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92

Université à ciel ouvert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94Massage contre fromage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97Zad partout . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

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deuxième partie

La révolution a déjà commencé

La naissance d’un mouvement . . . . . . . . . . . . . . . 105Colères et valeurs partagées . . . . . . . . . . . . . . . . . 106Initiatives citoyennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107Actions concrètes et ancrage local . . . . . . . . . . . . 108Droit à l’expérimentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109Des collectifs ouverts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110Travail en réseau et convergence des utopies . . . 111Volonté d’essaimer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112Des utopies festives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113L’éclosion d’une dynamique . . . . . . . . . . . . . . . . . 114Qui sont les utopistes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

Ces utopies qui changent nos vies . . . . . . . . . . . . 119Elles recréent du collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119Elles révèlent notre puissance individuelle et collective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121Elles limitent notre dépendance au système . . . . 122Elles nous font prendre conscience des consé-quences de nos actes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123Elles réinventent des temps et des lieux du politique 124Elles libèrent notre imaginaire . . . . . . . . . . . . . . . 126Elles préparent le terrain pour le nouveau monde 127

Le réveil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133

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réalisation : igs-cp à l’isle-d’espagnacimpression : corlet imprimeur s.a. condé-sur-noireau

dépôt légal : octobre 2014. no 118608 (000000)imprimé en france

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