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207 La pause dans la conversation en arabe marocain Mounia TOUIAQ Université Ibn Zohr d'Agadir, Maroc Abstract: The work presented here focuses on how the structuring of spontaneous conversation is related to prosody. How the prosodic parameters, including the break, they fit into a logical demarcation, establishment and orga- nization of parts of speech? To what extent are they relevant to the level of dis- course, intersubjective and interactional? Description of these data allowed us to understand different ways of struc- turing Moroccan spooked Arabic, prosodic point of view, but also in terms of thematic and interactional, without ever losing sight of the conversational speech is the location of enunciation issues to establish meaning. In the situation of a real conversation, the silence is an opportunity for a transfer of initiative or by speaking one or other of these contacts. On the other hand, the speaker who wishes to keep talking should avoid the use of the silent pause and use in preference to the filled pause. We hypothesize that one role of the silent pause is precisely to manage this aspect of the intersubjective and interactional space and to indicate whether a segment aims to allow the speaker to keep talking or given it to the caller. Keywords: pause, perception, phonologie, parler arabe du Maroc. "En apprenant la prosodie d’une langue, on entre plus intimement dans l’esprit de la nation qui la parle" (Staël). 1. Introduction Dans cet article, nous nous intéressons à la construction de la relation interpersonnelle dans la conversation. Nous envisageons

Touiaq M

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    La pause dans la conversationen arabe marocain

    Mounia TOUIAQUniversit Ibn Zohr d'Agadir, Maroc

    Abstract: The work presented here focuses on how the structuring ofspontaneous conversation is related to prosody. How the prosodic parameters,including the break, they fit into a logical demarcation, establishment and orga-nization of parts of speech? To what extent are they relevant to the level of dis-course, intersubjective and interactional?

    Description of these data allowed us to understand different ways of struc-turing Moroccan spooked Arabic, prosodic point of view, but also in terms ofthematic and interactional, without ever losing sight of the conversational speechis the location of enunciation issues to establish meaning. In the situation of areal conversation, the silence is an opportunity for a transfer of initiative or byspeaking one or other of these contacts. On the other hand, the speaker whowishes to keep talking should avoid the use of the silent pause and use inpreference to the filled pause. We hypothesize that one role of the silent pause isprecisely to manage this aspect of the intersubjective and interactional space andto indicate whether a segment aims to allow the speaker to keep talking or givenit to the caller.

    Keywords: pause, perception, phonologie, parler arabe du Maroc.

    "En apprenant la prosodie dune langue, on entre plus intimement danslesprit de la nation qui la parle" (Stal).

    1. Introduction

    Dans cet article, nous nous intressons la construction de larelation interpersonnelle dans la conversation. Nous envisageons

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    la faon dont les choix prosodiques contribuent structurer le dis-cours et en orienter linterprtation. Ceci dit, le discours consti-tue un des lieux o se laisse le mieux percevoir les pulsions com-municatives du sujet parlant en vue dtablir le sens.

    De nombreuses tudes attestent le rle essentiel de la pro-sodie dans le processus de communication et principalement pourle dcodage du flux de parole en units segmentales.

    Peut-on dceler dans le signal de parole des indices proso-diques (acoustiques ou perceptuels) qui seraient rvlateurs de lastructuration constituante dun message?

    Les comportements prosodiques sont varis et font intervenirdes niveaux de structuration syntaxique certes, mais galementsmantique et pragmatique. La rosodie rpond aussi des con-raintes rythmiques. Le rle de la pause a suscit lintrt de nom-breux chercheurs Di Christo (1985, p. 98) souligne limporancede la pause dans la dlimitation de lunit de modulation et desgroupes intonatifs qui la composent. La manifestation de ces rup-tures peut tre commune plusieurs langues, mais elle peut gale-ment prsenter des aspects spcifiques une langue en particulier.Afin dvaluer la part prise par la pause dans la structuration et ladlimitation des constituants de lnonc, nous avons conu laprsente tude selon une approche perceptive auditive des pausesdans un discours spontan en arabe marocain.

    Ltude prosodique de la pause a toujours t, de faon pri-vilgie, associe au paramtre de dure. Toutefois, nous savonspertinemment quune pause perue ne correspond forcment unarrt objectif dans le flux continu de parole, un silence mesu-rable par exemple sur le trac oscillographique. Cest pourquoilexamen perceptif de la pause ne serait pas dnu de tout intrt.

    2. Aspects de la recherche en phonologie de larabe marocain2.1. Ltat de la question

    Pendant une grande poque (jusqu la moiti des annes70), les travaux, effectus sur larabe marocain, taient laffairedes linguistes europens et amricains dans des directions diff-rentes de Zellig Harris (1942) et de Cantineau (1960). Des tra-

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    vaux de W. Marais ont paru dans la mme priode avec gale-ment la contribution de Harrel Short Rfrence Grammar ofMoroccan Arabic (1962). Cet intrt, port ce parler marocain,ntait pas motiv par des considrations scientifiques dont le butest dlaborer une thorie mme dexpliquer les phnomnesstructuraux et phonologiques de larabe marocain; mais pluttpar des choix pdagogiques et didactiques de cette langue en vuede connatre le pays (Abdelmassih, 1973, Harrel 1965).

    Ce constat ne doit pas dcourager dans la mesure o cest partir des analyses disponibles sur larabe marocain que le cher-cheur peut tudier et illustrer lhtrognit qui caractrise cetaspect de la recherche."[.] il reste que tout le travail fait pen-dant cette priode reste un travail de dfrichage, donc un travailde base ncessaire" (Benhallam, 1989: 14).

    En effet, les thmes abords par ces chercheurs, ont suscitdirectement ou indirectement des discussions et des commentairesque nous naurons pas aborder dans le cadre de ce travail. Enrevanche, lintrt de la plupart de ces chercheurs est dtudierlarabe marocain en tablissant une comparaison avec larabeclassique ou dexpliquer des phnomnes caractrisant larabemarocain par le biais de rgles appartenant larabe classique.Benhallam (1989: 14) crit ce propos:

    "On a limpression que larabe marocain ne peut tre tudisans se rfrer larabe classique et sans que larabe classique nedemeure la langue de rfrence."

    Benhallam (1989: 16) constate que ce retour aux sourcesreflte "une attitude quasiment malsaine lgard de la languetudie". Il ajoute: "on pourrait interprter cette attitude dans lesens que larabe marocain ne vaut cette peine que si elle est com-pare la langue vnre, sacre". Cette mthode a lincon-vnient de prsenter larabe marocain comme une sorte de ph-nomne interlinguistique sans rgles autonomes.

    Par ailleurs, une analyse diachronique ne peut pas donnerune explication srieuse larabe marocain. Etant donn que ceparler est en perptuel changement, et cest cette dynamique d-volution quil faut sattacher contrler indpendamment dau-

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    tres langues. Etudier une langue ou une de ses varits dans sonprocessus diachronique ne peut aboutir des rsultats bien fonds.Par exemple, en arabe marocain, la notion du noyau vocalique at mal dfinie par rapport larabe classique. Benhallam (1989:15) rapporte quelques ralisations phontiques trouves dans cer-taines thses soutenues auparavant. Nous lui empruntons quel-ques-unes qui ont servi dfendre sa cause. Ainsi, dans une com-paraison entre larabe marocain et larabe classique, nous trou-vons:

    Lauteur remarque quil est difficile, voire impossible, pourun locuteur natif, de discerner, au niveau de la perception, la dif-frence de quantit vocalique entre les noyaux de zad et zid, etentre les voyelles finales de ara et ari, ou entre les noyaux dedaba maintenant.

    Hormis le cas de ces exemples emprunts, lauteur soutientlide quen arabe marocain, la diffrence vocalique est unediffrence de qualit entre voyelles peines et voyelles rduites etnon une diffrence de quantit entre voyelles courtes et voyelleslongues (Benhallam, 1989: 16). Le mme fait se constate pour largle daccentuation. On assignait laccent aux voyelles longuescomme dans les items suivants: mdar?sna nos coles et m?-ktub crit alors que la rgle daccentuation de larabe marocainassigne laccent la syllabe pnultime, quelle que soit sa qualit(Benkirane, 1982) et les mots devraient tre accentus commesuit: mdar?sna et m?ktub.

    Nous notons galement que la plupart des travaux, entreprissur larabe marocain, sont inscrits dans le cadre de la taxonomieet les inventaires. Ces cadres thoriques restent limits pour r-

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    pondre aux besoins de la recherche. En revanche, les cadres hi-rarchiques / non linaires gnrativistes ont prouv leur fiabilitdans ce domaine.

    Labsence de descriptions rigoureuses de ce quon appellelarabe marocain se reflte galement dans le fait que ces travauxtraitent de larabe marocain gnral sans sattacher dcrire sesparticularits phontiques (par exemple: emphase, structure sylla-bique, gmination, emplacement du schwa) par rapport aux autresparlers en prsence (parler de Fs, Tanger, Rabat, etc.). Les rsul-tats auxquels elles aboutissent sont gnralement enveloppsdimpressionnisme (Benhallam, 1988: 16 ).

    Dautres phnomnes sont rests en suspens comme lempla-cement du schwa qui intervient lintrieur de beaucoup de mots.Cest une voyelle neutre? qui se prononce avec un lger timbre.Elle permet larticulation de consonnes groupes et fait partie dela structuration interne de la syllabe.

    2.2. Systme syllabique de larabe marocain

    La syllabe est le domaine privilgi pour lobservation desphnomnes phonologique, phontique, acoustique et articulatoire(par exemple les faits dassimilation). En effet, Les phonologuesont port beaucoup dintrt sa nature et sa fonction.

    Par ailleurs, le systme syllabique marocain est beaucoupplus fourni en phonmes consonantiques et une rduction au ni-veau de ses voyelles. Cest cause de cet aspect que les arabesorientaux trouvent de la difficult comprendre larabe marocain.(Youssi, 1983: 81).

    En outre, ces groupes consonantiques soulvent le problmede leur syllabation dans la chane phonique. Des solutions ont tproposes pour rsoudre ce problme. Nous citons Benhallam,A.( 1980); Benkaddour, A. (1986); Benkirane, T. (1981, 1982);Benkirane, T. et Cave, C. (1984-1987); El-Mejjad, Kh. (1985).Mais au-del de ces problmes, ce quil faut estimer dans une syl-labe cest son noyau vocalique:

    "Une syllabe dont le noyau est occup par une voyelle stableou pleine comme /a, i, u / sera toujours prominente, aura tou-

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    jours plus de poids que celle dont le centre est une voyelle ins-table comme le schwa. [.] En outre, si la prsence dune con-sonne lattaque de la syllabe revt un caractre obligatoire, lenombre de ces consonnes, qui peuvent prcder le noyau syl-labique, ne confre aucune prominence particulire la syllabe.Cest plutt la relation intra-syllabique entre le centre vocalique etles segments subsquents qui est dterminante".

    Cest ainsi que les suites phoniques constitues de C (=con-sonne) + V (= voyelle stable) + C bnficieront de lintrt crois-sant dans le systme prosodique de larabe marocain.

    2.3. Les squences phoniques CVC

    En effet, les squences de type CVC sont limites aux con-textes de prpause. Elles sont considres comme des dissyllabes(Benkirane, 1981, 1982). Ceci dit, la consonne finale peut con-stituer lattaque dune syllabe dont le noyau est vide. Lauteurexplicite ce fait en donnant lexemple du mot comme / dib /. Cedernier peut tre ralis phontiquement par: [dib?] (avec unschwa) ou [dib

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    Limportance des indices acoustiques, pour la dterminationde la place de la joncture, a t souligne dans de nombreusestudes consacres des langues diffrentes. Pour langlais (Lehiste,1960; Nakatani et Duke, 1977; Barry, 1984). Pour le sudois(Garding, 1967). Pour le nerlandais (Quene, 1985, 1987, 1988).Pour le franais (Nicaise et Bacri, 1985) et pour larabe marocain(Benkirane, 1982). Il est vident que la prvalence des indicesprosodiques savre une caractristique spcifique chaquelangue. Pour Benkirane (1988), les faits de joncture sont lis auprofil phonologique et prosodique de la langue en question .De cefait, il existe, en arabe marocain, une contrainte phonologique quirgit le systme de la structuration syllabique. Cette contrainteconsiste avoir obligatoirement une consonne la position delattaque. Ainsi, une joncture (-) doit tre exclue devant un noyauvocalique.

    *.CVC-V; *.CVCC-V; Lastrisque (*) indiqueque ces suites ne sont pas possibles, tandis que: CV-CV;CVC-CV; CV-CCV le sont.

    Les groupes consonantiques en position intervocalique(VC1 C2V) placent la limite syllabique avant C1; et de cefait, lattaque est privilgie au dtriment de coda. Cette impos-sibilit est lie aux caractristiques phonologiques de larabemarocain. Cela nous amne considrer une joncture de type.VC1-C2V comme une transgression des rgles de syllabation(Antisyllabic juncture, Garding, 1967, p.163).

    Par ailleurs, les squences CVC sont reconnues plus lourdesque celle de CV. Ainsi, lanalyse acoustique des suites CV etCVC montre que la dure de la voyelle dans CVC est suprieure celle de CV:

    "Cet allongement vocalique spcifique des squences CVCnest pas d des Facteurs intrinsques, co-intrinsques ou pho-nologiques. Il est au moins de 30%, donc nettement supra-liminaire, et contribue marquer la frontire de mot. Ainsi, au ni-veau de la production, la dure vocalique est le corrlat principal,sinon unique, de la position de la juncture" (Benkirane et Cave,1988, p.120).

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    Nous soulignons que lallongement, spcifique des squencesCVC, joue un rle fonctionnel dans la dlimitation de la frontire des mots.

    Nous empruntons quelques exemples de paires de phrasesidentiques celles du corpus exprimental dcrit par Benkirane etCave (1988), lors du traitement perceptif de la dure vocalique ola seule diffrence de ralisations rside la joncture syllabiqueindique par le signe (#):

    1. [a # b fas-u] (V1-C1C2V2) il est venu avec sa pioche2. [a b # fas-u] (V1C1-C2V2.) il a apport sa pioche3. [ra # triyya] (V1-C1C2V2) il a achet un lustre4. [rat # riyya] (V1C1-C2V2) elle a achet du mou

    (abats).

    Dans ces paires minimales, la dure est considre commepertinente: la modification de la dure de la voyelle, prcdant lajoncture, gnre des noncs diffrents. De ce fait, laccrois-sement de la dure vocalique, dans le contexte CVC, reoit unevaleur phonologique trs importante au dtriment de lintensit etde la frquence fondamentale (FO).

    Contrairement langlais et au sudois, qui sappuient surdes indices post-joncture pour marquer la frontire de mots,larabe marocain privilgie les indices de pr-joncture. La mmechose se ralise en franais: lindice de dure vocalique la pr-joncture produit un effet massif pour le placement de lajoncture (Nicaise et Bacri, 1985); ces auteurs considrent un ac-croissement de la dure vocalique suprieur 65% comme valeurcritique lors du passage interprtatif VC- V-C.

    Compte-tenu des dures des voyelles, lallongement dessuites CVC, de part son rle dterminant dans la perception de lajoncture, donne la squence CVC la proprit prosodique deporter laccent et lintonation.

    2.3.2. Aspects intonatifs de larabe marocain

    Lintonation, comme tous les paramtres prosodiques, joueun rle dcisif dans la perception des frontires de mot et de lajoncture. Elle participe galement lencodage de lnonc oral

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    produit dans une situation de communication. En arabe marocain,lintonation repose sur une unit de base reconnue sous le termede lunit intonative (UT). Cette unit est forme de lattaque (ousyllabe initiale de lUT), de la tonique (ou syllabe accentue delUT) et de la post-tonique (ou syllabe qui suit la tonique). Aloppos du franais, lunit descriptive est forme de lattaque,de la prtonique et de la tonique (Di Cristo, A. 1976). En arabemarocain, la tonique et la post-tonique forment le contour delUT. Ce dernier est considr comme obligatoire lUT, tandisque le pr-contour inclue lattaque et toutes les syllabes prcdantla syllabe tonique.

    Les recherches sur les aspects intonatifs de larabe marocainsont rares sinon mconnues (cf. Benkirane, T., 1981, 1982, 2000;Benkirane, T. et Cave, C., 1984, 1987, 1988; Lahlou, M., 1981,1982; Khomsi, A., 1975).

    Il nest cependant pas ncessaire, et sans vouloir r-ouvrir ledbat sur le bien- fond des approches empiriques, daborder lesvariations prosodiques qui entrent en jeu, et qui sont susceptiblesdentrer dans lencodage / dcodage de lopposition modale dansle parler arabe du Maroc.

    Considrons lexemple suivant:[gales bu?d-u #] il est seul

    Dans cet nonc, nous avons deux units intonatives, sa-voir [gales] UT1 et [ bu?d-u] UT2.

    La premire UT actualise un ton haut statique (H) qui seralise sur la syllabe [les] sur laquelle seffectue une intonationmontante non terminale (continuation majeure). Cest--dire queleffet musculaire est croissant de la premire lavant-derniresyllabe du premier mouvement qui se trouve en position ac-centue. Le deuxime mouvement est ralis dans un effort pro-gressivement dcroissant jusquau repos total de lappareil pho-natoire devant une pause (#). Cest donc la seconde unit into-native qui sachve par un ton (B) marquant une intonation ter-minale (finalit).

    Aussi, au plan de linformation, le systme prosodique nest-il pas indpendant du systme de structuration syntaxique. Ainsi,

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    la syllabe [bu] du mot [bu?d-u] se trouve accentue et ce quelleque soit sa place dans lnonc: [gales bu?d-u m?a i nas]. Cetnon comporte deux units intonatives: [gales bu?d-u] UT1 et[m?a i nas] UT2.

    Dans ce cas, [bu?d-u] est toujours cens porter un accent sur[bu]. Ladjonction de syllabes entrane videmment un change-ment dans la ralisation du deuxime mouvement de lnonc quireste progressivement croissant jusqu ce quil dcroisse sur ladernire syllabe accentue ['nas].

    Nous tenons souligner que la composante prosodique ne serduit pas aux quelques phnomnes intonatifs et / ou accentuelsprsents dans ce travail. Ltude de la richesse et de la pertinencede ces phnomnes ne relve pas seulement de la stricte analyselinguistique mais dune approche globale des faits dnonciation,des faits de langue (morphosyntaxiques, smantiques, stylis-tiques) et des faits de loralit pour donner au discours oral spon-tan sa spcificit et ses propres caractristiques.

    3. Position du problme

    La pause, en tant que phnomne perceptuel, a une certaineimportance dans lnonciation orale spontane. En effet, nouspouvons nous demander si certains phnomnes sont rgulari-sables au niveau de la description et quelle est alors leur part dansla rhtorique orale. Ce point demande tre vrifi par des testsspcifiques qui peuvent sans doute fournir une rponse cettequestion complexe.

    Limplication de la pause dans lorganisation de lnonc,pris au sens large du discours, a t souligne par Karcevski(1931, p. 218) qui la considre comme un fait phonologique quiaccompagne la mi-cadence en participant la dlimitation desdiffrentes units de sens:

    "Une pause, en tant qulment phonologique, ne vient ja-mais rompre une unit de sens. () Nous ne sommes donc plus,(.) devant une chane de syllabe, mais devant une chane du-nits de sens dont les frontires sont marques de mi-cadences ac-compagnes ou non de pause".

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    Il nous semble, a priori, quil existe un lien troit entre laperception des pauses et les ruptures dans le discours. La ma-nifestation de ces ruptures peut tre commune plusieurs langues,mais elle peut galement prsenter des aspects spcifiques unelangue en particulier. Afin dvaluer la part prise par la pausedans la segmentation et la dmarcation des constituants delnonc dans un discours spontan en arabe marocain, nousavons conu la prsente tude selon une approche perceptive despauses. Cette orientation va nous permettre dexaminer les do-nnes relatives la pause dans un discours conversationnel enarabe marocain.

    3.1. Considrations gnrales sur les pauses en arabe marocain

    Tout sujet parlant met sa disposition des stratgies proso-diques de segmentation, de mise en valeur, de hirarchisation, duti-lisation de la mlodie, et se sert pour ce faire de procds acous-tiques dont notamment la" pause" ou arrt de lmission sonore.

    Les pauses sont considres comme des interruptions qui seproduisent dans lacte de parole. Dans la production langagire, lephonticien reconnat une pause tout intervalle plat de trac os-cillographique. Ce sont donc ces suspensions dans le droule-ment du processus langagier qui engendrent des alternances son/silence." Quel que soit le terme utilis, le phnomne est le rsul-tat dindices acoustiques reprables et quantifiables, indice pou-vant tre la frontire elle-mme, cest--dire larrt de lmissionsonore, ou pouvant se situer en aval ou en amont de la frontire etaffectant, par des variations paramtriques significatives, des syl-labes prcdentes ou subsquentes" (Guimbretire, 1994, p. 30).

    Loin dtre un temps mort, ces pauses "ne sont que labsencemme de la voix, nauront au mieux quune importance vocalepositive des membres quelles sont censes borner" (Cornulier,1982, p. 82).

    Les pauses jouent un rle prpondrant dans la productionpuisquelles "peuvent avoir de multiples fonctions qui peuventaller du maintien de la parole, la mise en valeur ou encore lactualisation dun tempo." (Guimbretire, 1994, p. 32) et dans

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    la rception puisquelles aident lauditeur identifier les diff-rentes units linguistiques pour apprhender et dcoder le mes-sage.

    Nous distinguons deux types de pauses: lune est dite sil-encieuse ou objective quand elle correspond effectivement unsilence concret qui peut tre observable et mesurable. Lautre estnon silencieuse ou subjective quand sa perception correspond un silence ou non. Selon Duez (1991, p.106), cette pause peut trecorrle un phnomne dhsitation et / ou la ralisation dunefrontire syntaxique. Benkirane (2001, p. 3) en donne un exempleen franais: un allongement de lordre de 50% de la dure dunevoyelle peut donner limpression dune pause. Cette pause subj-ective peut donner lieux dautres types de phnomnes dhsi-tations comme les rptitions, les faux dparts, les pauses rem-plies et les syllabes allonges.

    Ces mmes phnomnes sont observables dans le contextearabe, et sans vouloir dnier leur importance dans le domaineprosodique, nous signalons que les investigations exprimentalesou acoustiques sur larabe marocain restent rares, part quelquestudes consacres exclusivement aux sons alors que les inter-valles de silence en rapport avec ces sons sont mis en veilleuse.Probablement, parce que ces recherches ont restreint leur champdapplication des corpus de mots ou de phrases isoles(Benkirane, 2001, p. 6).

    Larabe utilise donc deux termes diffrents pour indiquer lesdeux types de pauses finales et non finales.Le mot [waqf] indiqueune pause terminale qui concide avec la fin de la phrase tandisque le mot [wasl] met un terme au mot [waqf] et indique len-chanement ou la liaison entre les constituants de la phrase.

    Du fait, les effets phontiques du [waqf] sont bien dcrits etrestent alors facilement accessibles. Benkirane (2001, p. 5) rap-porte le cas de la rgle clbre et bien ancienne (mais toujoursdactualit en arabe standard) qui spcifie que les Arabes nesarrtent pas sur une voyelle brve .On retrouve l lide que lelocuteur arabophone ne prononce pas les segments vocaliquesbrefs qui prcdent une pause. Cette apocope ou suppression de la

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    voyelle brve stend pour atteindre dautres segments comme parexemple la rime syllabique particulire qui se compose dun no-yau vocalique suivi dune coda nasale appele [tanwin].

    Nous empruntons un exemple de Benkirane, T. (op.cit.) pourillustrer ce phnomne:

    [waladun] qui devient la pause [walad], [waladin] >[walad].

    Cette rduction vocalique est dsigne, par les grammairiensarabes en contexte de pr-pause, par le terme [rawm]. Il seraitparticulirement intressant de noter avec Benkirane (2001) queles effets du [waqf] engendrent une modification de la structureinterne de la syllabe finale.

    Ces altrations phontiques (rduction, apocope), confinesau dpart au contexte pausal, ont contribu lvolution du sys-tme vocalique du parler arabe. Les voyelles finales revtentactuellement encore un caractre facultatif dans un grand nombrede mots en arabe marocain cause de lextension de lapocope encontexte pausal (Benkirane, 1982).

    Al-Jirari (1981, pp. 70-76) distingue le [waqf 'xbari] oupause informative, le [waqf 'ixtiyari] ou pause facultative et le[waqf 'idtirari] ou pause par ncessit respiratoire .Ces diffrentesmodalits phontiques prennent leur contexte dactualisation dansles traits de [tajwid], cest--dire lart de bien rciter le Coran quisappuie, pour une grande part, sur la connaissance des normes etdes rgles pausales.

    Cette tude porte sur un certain type de discours oral spon-tan (conversation quotidienne) que nous distinguons de lcrit-oralis ou tout simplement de la "lecture".

    Historiquement, les rapports de loral et de lcrit taientproblmatiques, et sont rellement remis en cause. Lcrit esttoujours considr comme un fond durable et stable dont loral neserait quune sorte de sous-produit "dficitaire" et "capricieux"(Vincent Lucci, Yvesnaze, 1989).

    Lcrit est moins "conomique", moins "allusif "et plus pr-cis que loral. Il est le reflet du bon maniement de la langue. Il estplus soign, redress et corrig. Loral favorise les phnomnes

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    daccent, dintonation, de mlodie, de pauses, de mimique et degestes.

    A la suite de Ferdinand de Saussure, certains linguistes sesont insurgs contre cette prminence de lcrit. Ils voulaientaccorder le mme soin et la mme importance loral.

    F. Gadet et F. Mazires (1986, p. 61) ont minimis laspectproblmatique de loral:

    "Quoiquil en soit, posons une fois pour toutes que ce qui est,en gnral, pris pjorativement (manque, empilement, re-dondance, inachvement) sera ici dcrit comme propritspcifique".

    Les caractres spcifiques de loral spontan ont dj faitlobjet de beaucoup dtudes, et il nest nullement de notre proposden dbattre. Disons demble que pour tudier la pause et sesdiffrentes fonctions dans un discours spontan, il faut envisagerdes situations de communication prcises (interview, conversationquotidienne, description, histoire).

    Les recherches sur la production et les mcanismes de lacommunication devraient pouvoir apporter une contribution utile cet aspect du dbat.

    3.1.1. Dfinition du corpus

    Notre corpus est constitu par les chantillons de parolespontane que nous avons recueillie auprs de locuteurs arabo-phones dont la langue maternelle est larabe marocain.

    Nous tenons souligner que les enregistrements ont t ef-fectus linsu de nos locuteurs dans notre propre domicile. Celanous permet dengager des conversations et des discussions ami-cales avec nos locuteurs propos de thmes plus gnraux etordinaires qui concernent le voyage, le vcu quotidien, afin dedonner libre cours leur imagination en faisant part de leurspoints de vue sur plusieurs problmatiques qui touchent leurschamps dintrt.

    Les textes runis, dont nous avons extrait quelques exemples,cherchent replacer un grand nombre de personnes dans un cadrede situation de communication non conditionne socialement et

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    culturellement. Dans cette catgorie, une convention tacite permetaux locuteurs, ayant la parole, de dvelopper leur discours.

    3.1.2. Mthode danalyse

    Cette tude ne concerne pas les variables temporelles desdiscours oraux spontans. La dure des occurrences de pause nesera pas considre comme un critre premier. Elle pourra ce-pendant tre pertinente un autre niveau danalyse avec dautresparamtres, tels que lintensit, la ligne mlodique, etc. Le con-texte et la situation ont galement une part importante jouerdans lvolution de la relation intersubjective.

    Corrlativement cela, nous nous sommes appuye sur untest visant valuer la perception des pauses dans des extraitssonores accompagne de la transcription selon lorthographearabe, et dune traduction franaise littrale respectant le dcou-page perceptif des squences en langue arabe. Cette traductioncomporte des indications sur la localisation des pauses. Nousdistinguons trois catgories:

    a) Pauses silencieuses longues: distribues en fin dephrases. Une phrase est considre comme:

    "Toute unit linguistique dont le contour prosodique et finalest celui dune intonation terminale, et indpendante syntaxique-ment de lunit linguistique qui suit et de celle qui prcde"(Duez, 1981-2, p. 94).

    Ou en fin de propositions lorsquelles sont indpendantes(syntaxiquement indpendantes des autres phrases).

    Le taux didentification de ces pauses finales est plus lev.Nous les transcrivons avec trois barres obliques: ///.

    b) Pauses moyennes: elles sont distribues aux frontires deconstituants et un taux didentification moyen par rapport auxpauses longues. Cependant les divergences peuvent tre obser-ves pour les pauses distribues aux frontires dnoncs et lintrieur des constituants (Duez, 1991, p.118). Ces pauses moy-ennes occasionnant des changement de tempo insolites et des per-turbations dans la ralisation discursive et des programmes de

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    phrases comme dans les incises ou phrases appositives. Nous lestranscrivons avec deux barres obliques: //.

    c) Pauses brves: caractrises par un trs court silence,elles rpondent la condition minimum dtre des pauses dmar-catives de mots. Elles sont distribues lintrieur des consti-tuants syntagmatiques. Leur taux didentification est faible. Nousles transcrivons avec une seule barre oblique: /.

    Il sagit de rendre compte du comportement global de cesdiffrentes modalits de pauses qui sous-tendent et constituent lediscours ralis.

    Il est utile ce niveau de noter que loral offre un lieudobservation privilgi du mode de production de la parole dontnous dgagerons les valeurs significatives.

    Il semble alors indispensable davoir recours des tests d-coute et de reformulation; leurs rsultats seraient notamment misen rapport avec certains phnomnes de pause.

    Compte-tenu de notre chantillonnage et la difficult de dis-tinguer nettement les pauses silencieuses des pauses non silen-cieuses (pauses sonores) nous pouvons en effet les confondreavec des phnomnes dallongement vocalique nous navonspris en considration que les pauses non-sonores. Notre repragene sapplique quaux pauses silencieuses mme quand elles appa-raissent avec des pauses non silencieuses.

    Le recensement de la distribution de chacune des pausessubjectives explique, en grande partie, les divergences didenti-fication en parole.

    4. Rsultats du test perceptif

    Nous apercevons que les discours conversationnels des lo-cuteurs reprsentent des tendances voisines en ce qui concerne ladistribution des occurrences de pauses. Nous avons pu observerque les pauses longues ont une frquence moindre par rapport auxpauses brves qui ont des valeurs significativement plus levdans ce discours. En revanche, ce discours fait apparaitre les oc-currences de pauses moyennes avec des proportions moindres.

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    Au-del de ce problme des apparentements, il nous paratncessaire de soulever la question de la signification de ces pro-portions du point de vue de la rhtorique orale.

    En effet, les occurrences de pauses brves sont toujours fr-quentes dans les discours. Elles ont le rle darticulation dis-cursive et leur distribution renvoie, dune part, ce que nousavons appel "un modle de comptence" de la ponctuation etdautre part, la ncessit dintgrer ce modle de comptencedes facteurs lis la communication et aux conditions de per-formance propre ce type de discours oral continu.

    Les frquences de pauses moyennes squilibrent en quelquesorte avec les pauses brves. Il ressort de ces productions que leslocuteurs pausent frquemment pour garder la parole. Ces activi-ts ne sont pas considres comme contraignantes pour les locu-teurs puisquils sexpriment sur un sujet quils connaissent bien.Cest cette connaissance plus ou moins du contenu qui facilitelencodage: les sujets nprouvent pas beaucoup de difficultslors de cet change langagier. Dans une perspective interactive, lanature du thme joue un rle important en faveur du locuteur.Cela va lui garantir, en principe, une certaine maitrise de lin-teraction. Do dailleurs, une proportion minoritaire des pauseslongues. Ces dernires ne peuvent tre considres comme pu-rement stylistiques puisquelles doivent galement avoir unefonction syntaxique et nonciative.

    Sur le plan perceptif, le rle de ces occurrences de pause esttrs important puisquelles interviennent aux frontires synta-xiques, marquent les diffrentes tapes de largumentation etaident la comprhension du message.

    Dans la conversation, les locuteurs pausent moins frquem-ment et passe un temps moins lev pour accder linformationsmantique et syntaxique. Ces pauses traduisent, en fait, le dsirdes locuteurs garder la parole. Cest pour cela que nous as-sistons une prsence minoritaire des pauses longues.

    Les frquences minoritaires des pauses longues correspon-dent des alternances des tours de parole (A.T.P.) qui, tant

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    prises en charge par des lments linguistiques, peuvent tresignales par des lments prosodiques dont notamment la pause.

    4.1. Pause et systme des Tours

    Ces pauses sont localises des endroits concidant avec lesAlternances des Tours de Parole (A.T.P.) .En anglais, cala cor-respond Transition Relevance Place (T.R.P.), cest--dire, unendroit o selon des conditions dfinies, un changement de tourserait possible (Louise Fontaney, 1987, p. 266).

    Nous avons vu que les locuteurs pausent moins frquemmentdans ce type dinteraction. Ils sont trs sensibles au silence in-staur par lchange. Ds quun locuteur achve son nonc parune pause silencieuse, linterlocuteur reprend immdiatement saparole.

    Les pauses fonctionnent dans ce cas comme un signal da-chvement ou dinitiation du tour de parole.

    Linteraction verbale se prsente comme une successionde tours de parole. Nous pouvons dire que nous avons un pro-cs dinteraction entre un locuteur et un interlocuteur. Les rap-ports de ceux-ci sont rgis par des rgles, cest--dire, quils sontsoumis un systme de droits et de devoirs, par exemple,le locuteur en place (L1: current speaker) a le droit de garder laparole un certain temps, mais aussi le devoir de la cder unmoment donn (L2: next speaker). Cest donc admettre que loindtre une instance purement passive, le rcepteur participepromptement et indirectement la construction du discours delmetteur en laidant dans ses oprations dencodage l activitdialogale a donc, pour fondement, le principe dalternance.

    Ces interruptions ventuelles, sparant les tours (ou gaps),fonctionnent comme des relances de discours conversationnel etrelve dun principe plus gnral de la coopration conversa-tionnelle .Le texte devient un co-produit assur par les parte-naires de lchange.

    Dans linteraction verbale, certaines pratiques dinterruptionssinscrivent dans le domaine du social au sens large, soit direc-tement lorsquil sagit des rapports de pouvoir en jeu dans la

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    situation dinteraction, soit indirectement en ce qui concerne lesphnomnes de contrle exercs par le locuteur (Viollet, 1986:184-185).

    Dans la situation dune conversation relle, tout silence con-stitue loccasion dun transfert dinitiative ou de prise de parolepar lun ou lautre des interlocuteurs prsents (Maclay & Osgood,1959). A linverse, le locuteur qui dsire garder la parole devraitse garder de lusage de la pause silencieuse et recourir de pr-frence la pause remplie. (Rochester, 1977, p. 252).

    Le rsultat de cette tude est de nous permettre de constaterque la pause silencieuse, en tant quun trait intonatif, participe ladimension polyphonique du discours (Ducrot, 1984; Leandri,1993; Morel, 1996). Le fonctionnement de tours de parole con-stitue une sorte de rcit plusieurs voix. Comme le fait remarquerF. Flahaut (1979, p. 78), cette situation dinterlocution offre undiscours loccasion de sexercer. Lvnement, qui provoque lediscours, fait, comme on dit, lactualit, mais ce quil actualisesurtout, cest tous ceux auxquels il fournit loccasion dnoncerce discours. Les modalits de cette nonciation ne sont pasuniverselles: elles varient sensiblement dune socit lautre.Dans le cas arabophone, les locuteurs sont trs sensibles ausilence laiss entre les tours de parole. Cest pourquoi on constateque les locuteurs marquent les fins de rpliques par une pausepour dsigner des phnomnes discursifs qui se caractrisent parle fait quun locuteur (dsormais L1) signale la clture linterlocuteur (dsormais L2) de son thme et la fin de son tourpar une intonation descendante la fin de lnonc.

    L1: [had l-?am fin ga temi].L2: [had l-?am / euh / ga nqul lek // bon / ka nfekker nemi

    l-merrake // xemsiyyam / euh /stiyyam // bon ben / ?la hasab //nemi / nemi m?a rajli ///].

    L1: () cette anne / o ce que tu vas voyager ?///.L2: () cette anne/ euh / comment te dire // bon / je pense

    aller Marrakech // cinq / euh / six jours // bon ben / a dpend //j vais / voyager avec mon mari ///.

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    La clture de lchange de L2 est indique par une intonationdescendante sur [i] du mot [mari], ralentissement du dbit puisquenous avons assist au cours de ces changes une variation dudbit. Tantt rapide, si les pauses sont brves (/). Tantt lent, siles pauses sont longues (///) .Ce contraste entre la longueur despauses et la lenteur du dbit est d aux contraintes de la situationde communication et au dsir de garder la parole. Le locuteur, ensoulignant son argumentation, dirige lattention de son inter-locuteur sur les lments qui sont pour lui les plus importantsdo les mises en relief au niveau discursif, les ruptures mlo-diques et la chute finale occasionnant une pause de la voix. Danslexemple suivant:

    L1: [lla / lla / mai / ma yxellini / nemi / buhdi // ana / manebgi // ma nebgi // nsafer / buhdi / hit / labedda / ykun / m?ay //hit / labedda / ykun / ykun / m?ay // kifa nqul lek // labedda /ykun / i wahed / hum / qrib liya// rrajel / ?and-u kifa / yyeh / ben/ ka nfekker / yyeh /daruri ///]

    L1: () non / non / ce nest pas / quil ne me laisse / paspartir / toute seule // moi / jnveux pas // jn veux pas // voyager/ toute seule / parce quil / faut / quil / soit avec moi // parce quil/ faut / quil / quil / soit avec moi // comment dire // il faut / quily ait / quelquun / euh / qui doit tre prs de moi // lhomme / ilaura ldroit / oui / ben / jpense que / que // oui / cest obligatoire///.

    Loccurrence [obligatoire] est signale, en partie, par lim-portance prosodique de ce mot qui est reli au noyau de la phrase,mais est "thmatis" par dtachement pour insister et soulignerlimportance de la prsence du mari avec la locutrice.

    Ici, les relations sont signales en faisant ressortir certainsitems et en les marquant par une pause qui permet au locuteur decommenter et dargumenter simultanment ses propos.

    Le fonctionnement argumentatif de loral en situation din-terlocution est encore fort mal connu. Or, il semble que linter-ruption de certains noncs sinscrit directement dans le cadre delargumentation .Il sagit parfois derreurs dans la construction delargumentation; or loral ne permettent pas deffacer le dit,

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    lnonc interrompu est gnralement repris aprs que le locuteuren a modifi lorientation smantique. Substitution ("moi / jnveux pas"); expansion ("il faut quil y ait quelquun qui"); cor-rection ("ce nest pas quil ne me laisse pas partir / moi / jnveuxpas"), tant de procds par lesquels le locuteur roriente sonargumentation avec des formules implicitement mta-discursive("comment dire") , rptition ("jnveux pas / jn veux pas"), quipermettent de jouer sur la dimension interlocutive et de renforcerainsi largumentation .

    Le locuteur est contraint dutiliser des appuis prosodiquesqui lui permettent de relier entre eux les lments pars du dis-cours en cours dlaboration. Enfin, les difficults que rencontrele locuteur le conduisent parfois renoncer son achvement.Acte, toutefois suffisamment ambigu pour provoquer lchangelangagier.

    L1: [euh / ka tuf / eh ben / awwel merra / ka yji fiha turist lhna // ka ydterr / yeri / b ayy taman // b ayy ///].

    L2: [bgiti tqul b ayy wasila ///].L1: [yyeh / dak i /// ].L1: () euh / tu vois / eh ben / la premire fois / que le

    touriste dbarque ici // il est oblig / dacheter / avec nimportequel prix // nimporte quel ///.

    L2: () tu veux dire nimporte quel moyen ///.L1: () oui / cest a ///.Le locuteur (1) marque la fin de son nonc par une pause

    longue (///) sur le mot "nimporte quel". Cest un signal pourlinterlocuteur (L2) de prendre la parole et de laider trouver leterme adquat ("tu veux dire nimporte quel moyen") prononcavec une intonation interrogative comme marqueur dincertitude.Ensuite, L1 semble le ratifier tout de suite par un acquiescement(oui cest ").

    Comme on peut le constater, la constitution du sens se ma-nifeste ici comme un processus interactif de la part des deuxpartenaires de lchange. Leur coopration traduit une volutionde lchange qui est en train se drouler, dont lorganisation

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    polyphonique donne au discours conversationnel une force argu-mentative trs importante.

    Elle sappuie notamment sur les marques du travail de refor-mulation, dauto-correction parmi lesquelles les phnomnesdhsitation ["quil faut / quil / quil/"], les pauses pleines ["euh","eh", "hum"] et les faux dparts ["ils taient / nous tions chezeux pendant dix ans//"]. Ce phnomne illustre encore le caractrefractal du discours conversationnel, dans la mesure o il sob-serve lchelle de lnonc ou du paragraphe oral, aussi bienqu celle de lpisode thmatique, ou qu celle de la conver-sation dans son ensemble.

    Ces constructions signalent des types de structure qui setrouvent en distribution complmentaire et non plus simplementobligatoire ou facultative selon les rgles de la composante syn-tagmatique. Elles sont en cela trs significatives montrant que lasyntaxe de loral se caractrise par une utilisation diffrente desformes habituelles de lcrit. Celles-ci organisent en effet le dis-cours en units dpendantes et units indpendantes et les dis-posent dans le linaire de surface. Le sens de lensemble de lin-teraction slabore travers ces combinaisons qui contribuent lacohrence discursive.

    5. Synthse

    Lobjectif de cet expos est dvoquer la gestion de ladimension interactionnelle des Tours de parole. Nous avons ainsipu constater que ltendue temporelle du silence tait dterminepar le contexte de son occurrence: les pauses finales prsententune dure significativement suprieure celles des pauses nonfinales. De mme, parmi les pauses silencieuses finales, celles quicorrespondent des changements de tours de parole. Les deuxprotagonistes simulent leurs changes verbaux en signalant lesATP par des pauses significativement plus longues. Mais cettetendue du silence a influ sur la performance de nos locuteursqui enchanent rapidement la parole pour ne pas voir installer duvide dans la conversation. Dans la forme du message, ces inter-ruptions ventuelles fonctionnent comme des relances du discours

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    conversationnel dont la porte dpasse le niveau thmatique pourstendre la gestion de lespace intersubjectif ainsi qu celle delinteraction. Toutefois, la porte de ces observations demeurelimite tant que des investigations supplmentaires portant surplusieurs locuteurs ne viendront pas les tayer.

    Notes:

    /// : Pause longue// : Pause moyenne/ : Pause brveAM : arabe marocainAC : arabe classiqueFR : franaisUT : unit tonale(H) : haut(B) : bas(FO) : frquence fondamentale(#) : joncture syllabique(-) : jonctureC : consonneV : voyelleb : consonne bilabiale dvoise< : explosive() : accent

    Normes de transcription utilises:

    N. B. Les symboles utiliss dans la transcription sont em-prunts ceux de lAPI arabe; les gmines sont redoubles; lemphase est renduepar un point souscrit et lallongement par (-):

    : ?h : ?t : ? : ? ? : ?i : i allonga : a allongu : u allong? : schwa