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Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F TOGO Les forces armées tuent impunément 1.INTRODUCTION Depuis 1990, les violations des droits de l'homme commises par les forces de sécurité togolaises - caractérisées par l'arrestation arbitraire, la détention sans inculpation ni jugement, la torture et l'exécution extrajudiciaire d'opposants présumés - sont en recrudescence. L'instabilité politique et la violence se sont intensifiées après la Conférence nationale de 1991, lorsque des dispositions transitoires ont été prises en attendant les élections législatives et présidentielle. La rivalité entre le général Gnassingbé Eyadéma, chef de l'Etat, soutenu par les forces de sécurité - les Forces armées togolaises (FAT) -, et l'opposition s'est accentuée. Les victimes de violations des droits de l'homme sont généralement ciblées du fait de leur origine ethnique, de leurs activités d'opposition ou de leurs sympathies politiques. Amnesty International est préoccupée aussi par les assassinats et attentats meurtriers commis par des groupes politiques d'opposition, qui constituent des violations flagrantes des normes humanitaires internationales. Bien que les autorités essaient souvent de justifier les violations des droits de l'homme en faisant référence aux actes de violence commis par les groupes d'opposition, ceux-ci ne peuvent jamais être invoqués pour justifier les violations des droits de l'homme, telles que les exécutions extrajudiciaires auxquelles procèdent les gouvernements. Les élections ont été sans cesse remises à plus tard. Le 11 juillet 1993, des représentants de l'opposition et du gouvernement ont signé les accords de Ouagadougou, qui permettaient à des élections de commencer en août 1993 et stipulaient que les FAT ne sortiraient pas de leurs casernes, sauf si le pays connaissait une situation d'urgence. L'élection présidentielle a eu lieu le 25 août 1993 et le général Eyadéma est revenu au pouvoir. La date des élections législatives n'a pas encore été annoncée. L'élection a été vivement critiquée pour ses irrégularités. Le fils du premier Président du Togo, Gilchrist Olympio, dirigeant de l'opposition, n'a pas pu présenter sa candidature parce que son certificat médical n'était pas en règle ; deux autres candidats sérieux se sont retirés en signe de protestation contre la préparation insuffisante des listes électorales et le rejet de la candidature de Gilchrist Olympio. Les membres du Comité international de suivi ont été divisés dans leurs réactions - les délégués américains et allemands ont quitté le Togo avant l'ouverture du scrutin, protestant que les conditions requises pour que l'élection soit libre et équitable n'avaient pas été remplies ; un observateur français a quitté la délégation mais les autres membres français et burkinabè ont continué d'observer le déroulement de la procédure. Le porte-parole du ministère français des affaires étrangères a déclaré le jour du scrutin : "Le Comité international de suivi, tout en demandant la correction des irrégularités relevées, n'a pas considéré pour autant que le processus devait perdre sa validité." Le même jour, le ministre togolais des affaires étrangères a annoncé que deux personnes avaient été arrêtées parce qu'elles projetaient de

TOGO Les forces armées tuent impunément fils du premier Président du Togo, Gilchrist Olympio, dirigeant de l'opposition, n'a pas pu présenter sa candidature parce que son certificat

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Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F

TOGO

Les forces armées tuent impunément

1.INTRODUCTION

Depuis 1990, les violations des droits de l'homme commises par les forces de sécurité togolaises -

caractérisées par l'arrestation arbitraire, la détention sans inculpation ni jugement, la torture et

l'exécution extrajudiciaire d'opposants présumés - sont en recrudescence. L'instabilité politique et

la violence se sont intensifiées après la Conférence nationale de 1991, lorsque des dispositions

transitoires ont été prises en attendant les élections législatives et présidentielle. La rivalité entre le

général Gnassingbé Eyadéma, chef de l'Etat, soutenu par les forces de sécurité - les Forces armées

togolaises (FAT) -, et l'opposition s'est accentuée. Les victimes de violations des droits de

l'homme sont généralement ciblées du fait de leur origine ethnique, de leurs activités d'opposition

ou de leurs sympathies politiques. Amnesty International est préoccupée aussi par les assassinats et

attentats meurtriers commis par des groupes politiques d'opposition, qui constituent des violations

flagrantes des normes humanitaires internationales. Bien que les autorités essaient souvent de

justifier les violations des droits de l'homme en faisant référence aux actes de violence commis par

les groupes d'opposition, ceux-ci ne peuvent jamais être invoqués pour justifier les violations des

droits de l'homme, telles que les exécutions extrajudiciaires auxquelles procèdent les

gouvernements.

Les élections ont été sans cesse remises à plus tard. Le 11 juillet 1993, des représentants

de l'opposition et du gouvernement ont signé les accords de Ouagadougou, qui permettaient à des

élections de commencer en août 1993 et stipulaient que les FAT ne sortiraient pas de leurs casernes,

sauf si le pays connaissait une situation d'urgence. L'élection présidentielle a eu lieu le

25 août 1993 et le général Eyadéma est revenu au pouvoir. La date des élections législatives n'a

pas encore été annoncée. L'élection a été vivement critiquée pour ses irrégularités. Le fils du

premier Président du Togo, Gilchrist Olympio, dirigeant de l'opposition, n'a pas pu présenter sa

candidature parce que son certificat médical n'était pas en règle ; deux autres candidats sérieux se

sont retirés en signe de protestation contre la préparation insuffisante des listes électorales et le rejet

de la candidature de Gilchrist Olympio. Les membres du Comité international de suivi ont été

divisés dans leurs réactions - les délégués américains et allemands ont quitté le Togo avant

l'ouverture du scrutin, protestant que les conditions requises pour que l'élection soit libre et

équitable n'avaient pas été remplies ; un observateur français a quitté la délégation mais les autres

membres français et burkinabè ont continué d'observer le déroulement de la procédure. Le

porte-parole du ministère français des affaires étrangères a déclaré le jour du scrutin : "Le Comité

international de suivi, tout en demandant la correction des irrégularités relevées, n'a pas considéré

pour autant que le processus devait perdre sa validité." Le même jour, le ministre togolais des

affaires étrangères a annoncé que deux personnes avaient été arrêtées parce qu'elles projetaient de

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AI Index : AFR 57/13/93/F Amnesty International 5 octobre 1993

renverser le président Eyadéma. Les autorités affirment avoir trouvé des cassettes et des

documents révélant leur intention de mettre en place un système "autoritaire", mais il n'existe aucun

élément de preuve indépendant qui soutienne la théorie d'une tentative de coup d'Etat.

Le lendemain de l'élection, 40 sympathisants présumés de l'opposition ont été arrêtés au

village d'Agbandi, dans le centre du pays, par des membres d'une force spéciale de sécurité mise en

place pour maintenir l'ordre pendant la période électorale. Vingt-et-un d'entre eux sont morts en

détention ; les autorités affirment qu'ils ont été empoisonnés par de la nourriture apportée par leurs

proches mais Amnesty International a appris qu'ils avaient été maltraités au moment de leur

arrestation et qu'ils avaient été entassés dans une cellule.

Au cours de la Conférence nationale, bien avant les élections, des militaires et des policiers

ont été identifiés, individuellement pour certains, comme ayant participé à des arrestations illégales

ou ayant été à l'origine d'actes de torture et d'exécutions extrajudiciaires. Depuis lors, les

informations dont dispose Amnesty International laissent à penser que les forces de sécurité ont

continué de commettre des violations des droits de l'homme, sinon officiellement, du moins sachant

qu'elles n'encourront pas de poursuites tant que le président Eyadéma sera au pouvoir. Cela a été

confirmé par des événements tels que le meurtre d'au moins 19 manifestants pacifiques, le

25 janvier 1993, qui n'a toujours pas fait l'objet d'une enquête officielle et indépendante.

Ce sentiment d'impunité a été renforcé par le soutien apporté par des puissances étrangères,

dont la France qui a finalement supprimé son aide militaire en octobre 1992 et demandé l'ouverture

d'une enquête sur les meurtres du 25 janvier 1993. Toutefois, le Journal officiel de la République

française (Avis et rapports du Conseil économique et social) du 8 mars 1991, relatif à la coopération

française en direction de l'Afrique, ne laisse aucun doute sur les relations étroites et

inconditionnelles qui ont existé par le passé entre ce pays et le Gouvernement togolais. Le

Rapporteur du Conseil économique et social signale : "La fermeté et l'habilité du général Eyadéma,

au pouvoir depuis 23 ans, ont su assurer la stabilité d'un régime reposant sur le soutien de l'armée et

l'encadrement de la population par le parti unique.

... Traditionnellement étroites, les relations franco-togolaises ne posent pas de problèmes majeurs.

... Le Togo sait qu'il peut compter sur nous pour assurer sa sécurité ...". Le fait que le

Gouvernement français ait reconnu la validité du résultat de l'élection d'août 1993 et se soit contenté

de regretter que le scrutin n'ait pas permis d'y associer tous les Togolais, laisse à penser qu'il va

continuer de soutenir le président togolais.

En avril 1992, Amnesty International a publié Togo / L'heure des réformes, impunité pour

les auteurs de violations des droits de l'homme (AI Index : AFR 57/01/92), dans lequel

l'organisation soulignait l'importance de mener des enquêtes impartiales sur toutes les violations des

droits de l'homme signalées afin d'établir les faits et de trouver des solutions appropriées. Amnesty

International priait aussi les autorités d'adopter des garanties pour les droits de l'homme et les

avertissait des dangers qui menaçaient ces droits à l'avenir si aucune mesure n'était prise. Malgré

cela, les autorités togolaises n'ont jamais abordé le problème des violations des droits de l'homme

commises par les forces de sécurité ni traduit les responsables en justice.

Le présent rapport étudie le rôle des forces de sécurité togolaises, et tout particulièrement

leur participation aux violations des droits de l'homme commises depuis 1991. Il contient aussi des

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Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F

recommandations à l'intention des autorités. Il est essentiel que les personnes au pouvoir et celles

qui occuperont des postes clefs à l'avenir prennent des mesures décisives pour faire cesser les

violations des droits de l'homme au Togo et saisissent cette occasion pour s'engager réellement à

sauvegarder les droits de l'homme conformément aux normes internationales en la matière, que le

Togo a ratifiées. Amnesty International presse aussi les autres gouvernements d'intercéder par tous

les moyens à leur disposition auprès des gouvernements de pays où des violations des droits de

l'homme sont signalées. Ils devraient notamment veiller à ce que l'aide qu'ils leur procurent ne

facilitent pas de telles violations.

2. EXACTIONS COMMISES AVEC IMPUNITÉ PAR LES FORCES

DE SÉCURITÉ DEPUIS AOÛT 1991

En 1991, le Togo a abandonné le système politique à parti unique et un gouvernement transitoire

s'est engagé dans la voie du changement politique, le président Eyadéma devant rester en fonctions

pendant cette période transitoire jusqu'aux élections. Les forces de sécurité se sont cependant

immiscées dans ce processus et ont commis de nombreuses violations flagrantes des droits de

l'homme. Reste à savoir quel sera le rôle des FAT à la suite de l'élection du général Eyadéma en

août 1993 ; les arrestations du 26 août 1993 n'indiquent pas un changement de situation (d'autres

précisions sur les meurtres de la fin août 1993 sont données à la Section 2.6).

La Conférence nationale s'est tenue en juillet et août 1991. Réunissant près de

1 000 personnes, la Conférence s'est déclarée souveraine ; elle a débattu de l'avenir politique du

pays et examiné les violations passées des droits de l'homme dans lesquelles les forces de sécurité,

surtout, ont été mises en cause. Elle a entendu de nouveaux témoignages concernant de nombreuses

violations des droits de l'homme et, confirmant que ces droits ont été continuellement bafoués par

un recours systématique à la détention arbitraire, à la torture et à l'exécution extrajudiciaire, la

Conférence a demandé au président Eyadéma de déférer à la justice les auteurs présumés de ces

violations.

Tout en jouant les perturbateurs, les forces de sécurité et leur chef d'état-major, le président

Eyadéma, ont été les grands absents de cette Conférence nationale. Cependant à la demande de la

Commission nationale des droits de l'homme (CNDH), quelques militaires sont venus témoigner au

sujet de violations des droits de l'homme commises par les forces armées.

Bien que la souveraineté de la Conférence nationale n'ait pas été reconnue par les autorités,

elle a mis en place de nouvelles institutions pour assurer la transition jusqu'aux élections

présidentielle et législatives. Les élections initialement prévues pour août 1992 ont été reportées à

la fin de 1992, mais le calendrier n'a cessé de changer à la suite de pressions politiques. Ayant

échoué dans leur tentative d'empêcher la tenue d'une Conférence nationale, les FAT ont tout fait

pour déstabiliser le pays pendant la période de transition et empêcher toute enquête sur les

violations des droits de l'homme. Les accords de Ouagadougou, signés en

juillet 1993 par le gouvernement et l'opposition, prévoyaient notamment qu'au vu de son rôle

perturbateur, l'armée devrait rester dans à la caserne sous surveillance internationale. Les

gouvernements français et burkinabè ont envoyé des observateurs militaires à cet effet. Un

contingent de 70 soldats français, faisant partie des forces normalement stationnées en Côte

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AI Index : AFR 57/13/93/F Amnesty International 5 octobre 1993

d'Ivoire, a quitté le Togo après l'élection présidentielle et doit y retourner pour les élections

législatives.

2.1 FAÇADE CIVILE, SUPRÉMATIE DES FORCES ARMÉES

TOGOLAISES

Contrairement aux discours affichés, les FAT ne remplissent pas le rôle d'une armée

classique. Elles interviennent régulièrement dans la vie politique du pays et sont à l'origine de

violations massives des droits de l'homme. A tel point que pour fuir les exactions des militaires, le

Togo - et plus particulièrement la capitale, Lomé, et la région de Bassar depuis le deuxième

semestre de 1992 -, s'est vidé d'une partie de sa population qui s'est réfugiée dans les pays

limitrophes.

Quoiqu'en apparence il existe un gouvernement civil depuis l'indépendance, le chef de l'Etat

a toujours exercé un contrôle sur les forces armées, et même dans la nouvelle constitution,

approuvée par référendum en septembre 1992, le chef de l'Etat est le chef des forces armées. Ce

contrôle est renforcé par le fait que ces forces sont principalement composées d'éléments du groupe

ethnique du Président et de la région où il est né, et qu'un certain nombre de membres de sa famille

occupe des postes importants au sein de l'armée. Sur les 37 régiments existant en juillet 1992, 25

étaient dirigés par des Kabyé (l'ethnie du Président), sept par des ressortissants français et cinq

seulement par des Togolais n'appartenant pas à l'ethnie Kabyé. La garde présidentielle, l'un des

principaux régiments, basée à Pya, village natal du Président, et à Lomé, la capitale, était

commandée par le demi-frère du président Eyadéma, le lieutenant-colonel Toyi Gnassingbé, tué au

cours de l'attaque de la résidence du Premier Ministre en décembre 1991. Le capitaine Ernest

Gnassingbé, fils du Président, est membre d'un autre régiment important, le régiment

para-commando, souvent impliqué dans des violations des droits de l'homme, et notamment dans la

tentative d'assassinat de Gilchrist Olympio, dirigeant de l'opposition dont la candidature à l'élection

présidentielle d'août 1993 a été rejetée.

Dans la plupart de ses discours, le président Eyadéma affirme clairement son soutien

inconditionnel aux FAT ; il a notamment déclaré que "l'armée était intervenue dans les affaires de la

nation, pour mettre un terme aux abus, rétablir l'ordre, assurer la paix et garantir la sécurité aux

populations laborieuses". Le programme du Rassemblement du peuple togolais (RPT), l'ancien

parti au pouvoir dirigé par le chef de l'Etat et entièrement contrôlé par lui, montre que celui-ci

estime que l'armée ne doit pas être exclue de la vie politique de la nation. Le programme du RPT

est explicite sur ce point : "l'exclusion de l'armée de la vie politique des nations est aujourd'hui un

phénomène dépassé. Sans même parler des pays africains, il suffit de jeter un coup d'oeil sur le

monde pour s'apercevoir que le militaire se laisse de moins en moins enfermer dans les casernes. La

notion "d'Armée Grande Muette" s'estompe de plus en plus ... Il est infiniment préférable d'associer

le militaire, de manière permanente, à tous les échelons, que ce soit de décision ou d'exécution, à la

solution des problèmes d'un pays qui n'est autre que le sien." (Extraits de Programme et statuts du

RPT).

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Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F

Cet accroissement du rôle des FAT se manifeste par un recrutement massif depuis les

années 70. En effet, les effectifs des FAT sont passés de 1 200 en 1967 à quelque 13 500 ou

14 000 en 1991, d'après un document préparé pour la Conférence nationale, par la Commission

Défense et Sécurité. Autrement dit, il existe un militaire pour 300 personnes au Togo. La

Commission a constaté que sur 12 127 hommes (chiffres officiels), 10 127 sont issus de régions

situées dans le nord du pays. Par ailleurs, sur 180 officiers originaires du nord, environ 80 % sont

des Kabyé et sur ces 80 %, près de 60 % sont des environs de Pya. Tout en déplorant que l'armée

soit minée par le tribalisme et marquée dans son recrutement par cette proximité géographique avec

le village natal du chef de l'Etat, la Commission Défense et Sécurité reconnaît que traditionnel-

lement certaines populations du pays sont réfractaires à l'idée de s'enrôler dans l'armée ; ce

sentiment s'est accentué après une "spécialisation ethnique" dans laquelle l'armée, la police et la

gendarmerie étaient principalement recrutées chez les Kabyé. La Commission note aussi : "Suite

aux mutations sociologiques, économiques et culturelles, des jeunes issus d'autres régions se sont

présentés aux portes de nos casernes, et n'ont pu y accéder, car dès 1963, un système essentiel-

lement tribal a caractérisé le recrutement dans l'armée."

Cette Commission a conclu que l'armée ne jouait plus le rôle traditionnel d'une armée mais

que la mission essentielle des FAT était en fait :

"- D'assurer la défense et la pérennité d'un système politique

- D'assurer la protection exclusive de la personne du chef de l'Etat

- De combattre un ennemi intérieur qui n'est autre que le Peuple ...".

L'armée togolaise s'est elle-même divisée sur l'attitude à adopter. Bien qu'il soit interdit

aux militaires de créer une organisation en dehors du RPT, alors que d'autres partis politiques ont

été légalisés en 1991, une petite minorité de soldats a créé une association de militaires démocrates.

Cette Association, qui a soutenu les efforts de démocratisation durant la période de transition, est

suspectée d'antipathie à l'égard du chef de l'Etat. Cela a amené les FAT à profiter de la moindre

occasion pour exécuter ou procéder à l'arrestation de militaires démocrates. En mars 1993, lors de

l'attaque de la résidence du chef de l'Etat, plusieurs militaires soupçonnés d'appartenir à cette

Association ont été arrêtés et certains ont été exécutés (voir Section 2.5).

6 Les forces armées tuent impunément

AI Index : AFR 57/13/93/F Amnesty International 5 octobre 1993

2.2 DÉFIS AU GOUVERNEMENT DE TRANSITION, OCTOBRE 1991 -

DÉCEMBRE 1991

A peine quelques mois après l'installation des nouvelles institutions au Togo, le

1er octobre 1991, les FAT envahissent la radio-télévision, braquant leurs armes sur les journalistes

pour les contraindre à diffuser des messages en faveur du président Eyadéma. De plus, elles

réclament la démission et la dissolution du Haut Conseil de la République (HCR). Ce dernier, élu

par la Conférence nationale, est chargé d'assurer la transition jusqu'aux élections présidentielle et

législatives et a notamment pour rôle de contrôler l'exécutif et d'exercer la fonction législative. Il

veille également à la défense et à la promotion des droits de l'homme. Cette démonstration de force

provoque la colère des Loméens, et un affrontement entre eux et les militaires fait au moins six

morts parmi les civils et de nombreux blessés.

Après cette première tentative infructueuse, les FAT ont tenté d'enlever le premier ministre,

Joseph Kokou Koffigoh, le 8 octobre 1991. Ce dernier a pu prendre la fuite mais cet incident a

provoqué la mort de huit personnes et fait plusieurs blessés. Le 28 novembre, peu après que le

HCR eut prononcé la dissolution du RPT, des unités de l'armée sont intervenues pour proclamer le

renversement du gouvernement de transition. Dans une déclaration radiodiffusée, le général

Mawulikplimi Améyi, ancien ministre de la défense, a soutenu le président Eyadéma et annoncé la

dissolution du gouvernement de transition, ainsi que l'annulation de toutes les décisions prises par la

Conférence nationale, tout en ajoutant que les partis politiques autorisés continueraient de

fonctionner.

Le Premier Ministre et le Président ont alors délibéré pendant plusieurs jours de l'avenir

politique du pays. Cependant, le 3 décembre, l'armée a pris d'assaut la résidence du Premier

Ministre et annoncé que celui-ci était détenu ; il a ensuite été emmené à la présidence pour

rencontrer le président Eyadéma. D'autres personnalités politiques en vue, liées au gouvernement

de Joseph Kokou Koffigoh, ont été sommées de se présenter au quartier général de l'armée ;

beaucoup ont fui le pays ou sont entrées dans la clandestinité pour échapper à l'arrestation. Ces

événements ont fait au moins 30 morts, dont le lieutenant-colonel Toyi Gnassingbé, demi-frère du

président Eyadéma. Finalement, le Premier Ministre a déclaré qu'il formerait un gouvernement

d'union nationale, dont la composition n'a été annoncée que le 30 décembre 1991. Il comprenait

certains membres de l'ancien parti dirigeant, le RPT, dont l'un est redevenu ministre de l'intérieur (il

occupait ce poste sous le président Eyadéma jusqu'à la mi-91) ; un ancien procureur général a été

chargé des affaires militaires au sein du ministère de la défense. Le programme du nouveau

gouvernement comporte un nouveau projet d'amnistie qui, selon les autorités, sera de nature à

"favoriser les processus de réconciliation nationale", à faire "de nouveau" régner la discipline au

sein de l'armée et à rétablir sa neutralité politique.

Il était impossible de savoir à cette époque ce que cela signifierait en pratique, mais des

craintes ont été exprimées quant à la possibilité que cette amnistie accorde l'impunité aux militaires

responsables d'homicide ou de torture de prisonniers ou d'autres personnes dans le passé, et ait pour

effet de décharger les forces armées de la responsabilité de leurs actes ; ces craintes paraissent

maintenant totalement justifiées.

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2.3 ATTENTATS CONTRE LES DIRIGEANTS ET SYMPATHISANTS

PRÉSUMÉS DE L'OPPOSITION

Le 5 mai 1992, Gilchrist Olympio, fils de feu Sylvanus Olympio, ancien président de la

République assassiné en 1963 par les militaires, est victime d'un attentat à Soudou (Togo central),

près de la frontière béninoise. Gilchrist Olympio se rendait à un meeting politique en tant que

président de l'Union des forces de changement (UFC), coalition de 10 partis d'opposition. Quatre

personnes, dont le Dr Marc Atipede, chef de l'un de ces partis, ont été tuées au cours de cet attentat.

La Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), dont le siège est à Paris, conclut dans

un rapport1 :

"- Que l'attentat de Soudou ... a été vraisemblablement préparé et perpétré par les

militaires

- Que l'importance des moyens utilisés en matériel de guerre (armes automatiques et

roquettes), en véhicules (deux ou trois), en hommes ainsi que la méthode employée

(embuscade) laissent présumer de la complicité de l'état-major des forces armées et

des chefs de corps de ces militaires

- Que le comportement, avant et après l'embuscade, des militaires impliqués montre qu'ils

étaient assurés d'une quasi-impunité

- Que la liberté de mouvement et l'autonomie d'action laissées au capitaine Ernest

Gnassingbé permettent à celui-ci de se livrer à un activisme incompatible avec son

statut militaire."

Ces conclusions concordent avec d'autres informations fiables reçues par Amnesty International et,

bien que le Premier Ministre ait annoncé que les informations rassemblées par la FIDH étaient

transmises au ministère public, aucune autre mesure ne semble avoir été prise.

Le 22 juillet 1992, deux personnes ouvrent le feu sur Tavio Amorin, un dirigeant de

l'opposition, tandis qu'il attendait une voiture après avoir rendu visite à un proche. Il mourra des

suites de ses blessures deux jours plus tard dans un hôpital parisien. Tavio Amorin était président

de la Commission du HCR chargée des affaires politiques, des droits de l'homme et des libertés ; il

était également secrétaire d'une nouvelle coalition de l'opposition. Le gouvernement du premier

ministre Koffigoh a laissé entendre que les cartes d'identité de deux policiers, retrouvées non loin de

la fusillade, prouvaient la responsabilité des forces de sécurité dans cette affaire.

Les 22 et 23 octobre 1992, plusieurs membres du HCR sont pris en otage, séquestrés et

maltraités pendant plus de 24 heures par les FAT qui les ont obligés sous la menace à signer des

1

La FIDH a publié un rapport (ISBN 0755-7876) intitulé "A propos des événements de Soudou survenus le

5 mai 1992", à la suite d'une mission d'enquête internationale du 8 au 13 juin 1992.

8 Les forces armées tuent impunément

AI Index : AFR 57/13/93/F Amnesty International 5 octobre 1993

déclarations autorisant les banques à dégeler des fonds pour le RPT (fonds gelés par une loi du

HCR).

Entre le 23 et le 29 décembre 1992, une mission de l'Union interafricaine des droits de

l'homme (UIDH), nouvelle organisation des droits de l'homme fondée en 1992 et basée à

Ouagadougou (Burkina Faso), s'est rendue au Togo et a fait notamment des constats sur la situation

des droits de l'homme à Bassar. La région de Bassar est située dans le nord-ouest du pays, trois des

cinq commandants militaires togolais n'appartenant pas à l'ethnie Kabyé en sont originaires.

Depuis juin 1992, des détachements des FAT se sont relayés à Bassar : il semble que leur but soit

manifestement de terroriser les habitants et de les contraindre sous la menace à adhérer au RPT.

Au cours d'une période de trois jours, en septembre 1992, les habitations et les biens de quelque

20 membres de l'opposition ont été détruits. Les domiciles de gens proches du Premier Ministre,

dont son ancien ministre de l'enseignement, Lantamé Dominique Zoumaro, et Nabine Issa, journa-

liste à la télévision togolaise, ont été attaqués.

En octobre 1992, la famille Bikagni, de Bassar, a été sélectionnée pour arrestation. Le

7 octobre, le caporal Nikabou Bikagni est arrêté à la frontière ghanéenne, au poste d'Aflao, par des

membres de la gendarmerie nationale. Il est sévèrement torturé (voir section 2.7). Bien qu'il ait

été détenu un certain temps à la gendarmerie par des officiers de la police judiciaire avant d'être

transféré dans un camp de l'armée, il semble que son cas n'ait pas été déféré à la justice. Amnesty

International pense que le caporal Nikabou Bikagni a pu être arrêté du fait de sa fidélité au premier

ministre Koffigoh et, en particulier, pour l'avoir protégé le

3 décembre 1991, lorsque la résidence de ce dernier a été envahie par des membres des FAT,

loyales au président Eyadéma. Le 16 octobre, Boukary Bikagni, père du caporal Bikagni,

lui-même chef local d'un parti d'opposition, et son frère, Nakpane Bikagni, sont arrêtés à Bassar.

Quelques jours après, le 4 novembre 1992, Victor Yakparote, enseignant et membre d'un parti

d'opposition, est lui aussi arrêté à Bassar. Tous sont maintenus en détention sans inculpation ni

jugement à la prison civile de Kara.

Dans un rapport2

publié après sa mission, l'UIDH a fait un certain nombre de

recommandations, notamment de laisser les habitants de Bassar libres d'adhérer à des partis

politiques correspondant à leurs opinions et de libérer les personnes détenues arbitrairement.

L'UIDH parle aussi du climat de crainte entretenu par l'armée, elle explique que le nom du capitaine

Ernest Gnassingbé est souvent mentionné lorsque de l'argent est offert à la population afin que des

actes de vandalisme et des agressions soient commis contre des membres de l'opposition.

Des informations similaires sont parvenues à Amnesty International faisant mention de la

ville de Korbongou, dans le nord du Togo, où six membres de la famille Odanou ont été arrêtés.

Le chef du village, lui-même membre de cette famille, aurait ordonné leur arrestation du fait de leur

appartenance à un parti d'opposition. L'un d'eux, Landame Odanou, a été arrêté en septembre 1991

et serait toujours détenu. Les cinq autres ont été arrêtés entre mars et mai 1993 - quatre d'entre eux

ont été libérés mais l'on craint que Kanlou Odanou ait "disparu" en détention. Officiellement, il a

2

Le rapport de l'UIDH, publié en janvier 1993, est intitulé : Rapport de mission effectuée à Lomé (Togo) du 23 au

29 décembre 1992.

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Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F

été libéré au bout de trois à quatre semaines de détention, mais personne ne l'a vu après sa libération

de la gendarmerie nationale.

Vers la mi-avril 1993, à Dapaong, dans le nord du Togo, certains villageois ayant refusé de

chanter les louanges du chef de l'Etat, les FAT les ont contraint à rester à genoux, sous la menace de

leurs armes, pendant une longue période. L'un des villageois, Bichakine, qui a scandé des slogans

hostiles au chef de l'Etat, a été poursuivi par les soldats. Pendant que deux d'entre eux le tenaient

par les poignets, un autre soldat l'aurait abattu d'une balle tirée à bout portant.

2.4 RÉPRESSION VIOLENTE D'UNE MANIFESTATION PACIFIQUE EN

JANVIER 1993

En janvier 1993, plus de 19 personnes ont été tuées par les FAT au cours d'une

manifestation pacifique dans la capitale, Lomé. L'opposition avait organisé la manifestation pour

montrer son soutien à une initiative des gouvernements français et allemand pour tenter de résoudre

l'impasse politique entre le chef de l'Etat, le gouvernement de transition et le HCR. Les

manifestants ont commencé à se rassembler devant le bâtiment du HCR, où devaient se rencontrer

le HCR et les ministres représentant les gouvernements français et allemand (M. Marcel Debarge,

ministre français de la coopération et M. Helmut Schaeffer, secrétaire d'Etat allemand aux affaires

étrangères). Les FAT ont contraint les manifestants à changer leur itinéraire et ont soudain ouvert

le feu sans sommation, tuant au moins 19 personnes.

Certains témoins ont affirmé que les FAT tiraient sur les manifestants qui essayaient de se

réfugier dans les arbres. Amnesty International n'a pu recenser que 16 noms, mais des témoins font

état d'un bien plus grand nombre de morts. Un témoin raconte : "... De nombreux corps gisaient

par terre, je ne peux pas dire combien exactement (200 sinon plus). Etaient-ils tous morts ? Je ne

sais pas. En tout cas, j'ai vu s'arrêter trois camions militaires qui ont chargé des corps et ramassé

tout ce qui traînait. J'ai vu aussi une jeep militaire. Les soldats en sont descendus pour inspecter

le travail accompli." Il est difficile d'établir le nombre exact des victimes en l'absence de

statistiques indépendantes, mais il semble que 19 soit le minimum absolu.

Des journalistes et les ministres venus de France et d'Allemagne se sont rendus à la morgue

et ont vu les corps des manifestants qui avaient été tués. Dans une interview à la presse, les

ministres en visite ont déclaré qu'ils avaient conseillé au président Eyadéma de renvoyer l'armée

dans ses casernes pour empêcher toute immixtion dans le domaine politique.

Le ministre togolais de l'intérieur a peu après déclaré que 12 personnes, dont un officier de

police, avaient été tuées. Il a dit que les FAT avaient tiré en l'air après qu'un de leurs collègues eut

été attaqué par les manifestants. Cette information ne concorde pas avec celle qu'Amnesty

International a recueillie, car il semblerait que des militaires aient reçu pour consigne de participer à

la manifestation comme les civils dans le but de les provoquer.

Cinq jours plus tard, le 30 janvier 1993, en représailles du décès d'un militaire tué dans un

quartier de Lomé, les FAT sont descendues dans la rue, ont tiré à l'aveuglette sur des civils et se

10 Les forces armées tuent impunément

AI Index : AFR 57/13/93/F Amnesty International 5 octobre 1993

sont livrées à des pillages. Des membres des FAT se sont présentés aux domiciles de plusieurs

personnalités connues et, ne les trouvant pas, se sont vengés sur d'autres personnes. C'est ainsi

qu'Ange Tete a été égorgé au domicile de Me. Occansey, avocat connu pour ses prises de positions

récentes contre le RPT. Les représailles se sont poursuivies pendant quelques jours et les corps de

plusieurs victimes, dont celui d'Isaac Gbikpi Benissan - qui avait "disparu" le 1er février - ont été

retrouvés. Isaac Gbikpi Benissan était garde du corps de Léopold Gnininvi, l'un des dirigeants de

l'opposition. Quand le corps a finalement été exhumé, Alessi Wilson, un militant des droits de

l'homme convié par la famille à assister à l'exhumation, a été arrêté et détenu pendant plus de

24 heures, les 3 et 4 mars 1993, à la gendarmerie où il a été interrogé et brutalisé pour avoir recueilli

sur magnétophone les propos des habitants du village. Le médecin qui a pratiqué l'autopsie a

trouvé deux balles dans le cadavre ; il a conclu qu'Isaac Gbikpi Benissan avait aussi été violemment

frappé à la tête.

Le président Eyadéma affirme avoir ordonné au ministre de la défense d'ouvrir une enquête

sur les violences du 30 janvier. Le procureur de la République aurait ordonné l'autopsie des morts

du 25 et du 30 janvier. Mais jusqu'à présent, les résultats n'ont pas été rendus publics et aucune

information judiciaire n'a été ouverte.

2.5EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES ET DÉTENTIONS

ILLÉGALES À LA SUITE D'UNE ATTAQUE DES LOCAUX DU

RÉGIMENT INTERARMES TOGOLAIS EN MARS 1993

Le 25 mars 1993, à la suite de l'attaque des locaux du Régiment interarmes togolais (RIT),

au moins 20 personnes, comprenant à la fois des militaires et des civils, ont été exécutées

extrajudiciairement par les FAT. On ne sait pas exactement comment s'est déroulée cette attaque ;

selon certaines informations, les assaillants venaient du Ghana, selon d'autres il s'agirait d'un

règlement de compte au sein de l'armée. Les personnes exécutées extrajudiciairement ont été

ciblées du fait de leur origine ethnique ou parce qu'elles étaient suspectées d'appartenance à

l'Association des militaires démocrates ou d'avoir été mêlées à l'attaque du RIT. Parmi les

personnes n'appartenant pas à l'ethnie Kabyé, abattues le 25 mars 1993, figurent le colonel Eugène

Koffi Tepé, chef d'état-major adjoint, et trois membres de sa famille, plus jeunes. Ils auraient été

cruellement assassinés par des soldats fidèles au président Eyadéma. Le Président avait

publiquement demandé aux soldats de ne pas se substituer à la loi, et les avait menacés d'arrestation,

de licenciement et de poursuites. Mais aucune enquête n'aurait été ouverte pour identifier les

responsables des assassinats, au contraire, ce sont les opposants présumés au président Eyadéma,

qui ont été arrêtés et tués. Au cours des jours suivants, beaucoup d'autres soldats ont été exécutés

extrajudiciairement, soit dans les casernes soit dans un champ de tir à Aguenyivé, dans la banlieue

de Lomé. Plusieurs militaires et des civils ont été arrêtés. Les civils ont été libérés le 3 juillet

mais les militaires sont maintenus au secret, illégalement, à la gendarmerie ou dans la caserne du

RIT à Lomé. Aucun d'eux n'aurait été déféré à un tribunal ni à une autorité judiciaire, comme le

prévoit la loi. De ce fait, les détenus n'ont pas pu exercer leur droit de contester la légalité de leur

détention.

Les forces armées tuent impunément 11

Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F

2.6 ARRESTATIONS ET MEURTRES À LA SUITE DE L'ÉLECTION

PRÉSIDENTIELLE, EN AOÛT 1993

Le 26 août 1993, le lendemain de l'élection présidentielle, 40 personnes ont été arrêtées à

Agbandi, ou aux alentours de ce village du Togo central, et emmenées à la gendarmerie de Blitta,

ville située entre Sokodé and Atakpamé. Ces arrestations ont eu lieu après une vague de violence

le jour de l'élection : des sympathisants locaux de l'opposition, exaspérés par la découverte d'urnes

qui auraient été remplies de faux bulletins de vote en faveur du général Eyadéma avant l'ouverture

du scrutin, ont saccagé les bureaux de vote à Agbandi et aux alentours. Cependant, aucune enquête

indépendante n'a eu lieu sur la mort de 21 des personnes arrêtées. Les autorités affirment que

certains prisonniers ont été empoisonnés par la nourriture que leur auraient apportée leurs familles.

Non seulement cette explication paraît peu probable, mais Amnesty International a reçu des

informations selon lesquelles ceux qui sont morts avaient été victimes de voies de fait après leur

arrestation et entassés dans une petite cellule, ce qui aurait causé la mort de certains par asphyxie.

Ce sont des membres de la force spéciale de sécurité mise en place pour maintenir l'ordre pendant

les élections qui ont procédé aux 40 arrestations. Cette force spéciale, dirigée par le

lieutenant-colonel Walla, commandant de la gendarmerie nationale, avait à ses côtés des membres

des FAT qui auraient dû rester à la caserne conformément aux accords de Ouagadougou.

2.7 TORTURE, CRUAUTÉS ET HUMILIATIONS

Différant de l'ancienne Constitution, la nouvelle Constitution togolaise précise que la

pratique de la torture constitue un acte criminel - que le fonctionnaire qui commet un tel acte agisse

de son propre chef ou sur ordre d'un supérieur. Le Togo a également ratifié des instruments

internationaux, dont la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants, aux termes desquels il s'engage à interdire et prévenir

les actes de torture, et à en punir les auteurs. De plus, l'un des documents élaboré par le HCR

interdit la torture et prévoit des sanctions contre les auteurs de telles pratiques.

Pourtant, Amnesty International n'a connaissance d'aucune condamnation prononcée par les

tribunaux pour actes de torture, même dans les cas où les victimes présentaient des lésions graves.

En 1985, notamment, lors d'une mission au Togo, des délégués d'Amnesty International ont

remarqué que des prisonniers présentaient des signes de mauvais traitements concordant avec les

informations selon lesquelles ils avaient été torturés. L'un des prisonniers qui avait été sévèrement

torturé, était à la fois plâtré au torse et au bras, ce qui indiquait que les informations selon lesquelles

il avait été passé à tabac et souffrait de fractures étaient fondées. En 1985, les autorités ont créé

une commission d'enquête à la suite d'allégations de torture faites, entre autres, par Amnesty

International. Toutefois aucune poursuite n'a été engagée car la commission ne concluait pas dans

son rapport que des détenus avaient été torturés, ce qui contredisait les informations parvenues à

Amnesty International, à d'autres organisations non gouvernementales et à deux avocats au service

d'organisations françaises. Amnesty International a reçu des informations non confirmées selon

lesquelles certaines conclusions de la commission d'enquête auraient été supprimées avant d'être

rendues publiques.

12 Les forces armées tuent impunément

AI Index : AFR 57/13/93/F Amnesty International 5 octobre 1993

Après 1987, il semble que le recours à la torture ait été moins fréquent au Togo, bien que

des cas aient été signalés. En 1989, une délégation d'Amnesty International a rencontré des

prisonniers qui étaient détenus avec des menottes aux poignets depuis leur arrestation en 1986.

Aucun des prisonniers n'avait jusque-là été autorisé à recevoir de visites.

Dans un rapport publié en septembre 1990, la Commission nationale des droits de l'homme,

instance officielle établie par le gouvernement en 1987, après avoir entendu les témoignages de

quelques personnes arrêtées en août 1990 et lu le rapport des médecins légistes, a estimé que quatre

personnes qui avaient été interpellées avaient été torturées. Mais aucune mesure n'a été prise pour

traduire les coupables en justice.

Depuis 1991, la torture est à nouveau signalée de plus en plus fréquemment. Arrêté à la

frontière ghanéenne en octobre 1992, le caporal Bikagni, accusé d'être en possession d'explosifs, a

été présenté à la télévision nationale, le visage marqué de traces de coups et d'ecchymoses,

manifestement le résultat des mauvais traitements subis durant sa détention dans les locaux de la

gendarmerie. Une dizaine de jours plus tard, il a été transféré de la gendarmerie à un camp de

l'armée, à Lomé, où il aurait à nouveau été torturé. Il est toujours maintenu en détention sans

inculpation ni jugement.

L'adjudant-chef Lawson, arrêté le 25 mars 1993, à la suite de l'attaque du RIT, aurait été

sévèrement torturé, apparemment avec des couteaux, au Camp de la gendarmerie nationale, à

Lomé. Il aurait été hospitalisé à Lomé souffrant de blessures graves.

Vers le 26 juillet 1993, Attiogbé Stéphane Koudossou et Gérard Akoume ont été arrêtés et

auraient été torturés en garde à vue à la gendarmerie nationale de Lomé. Ils ont ensuite fait des

aveux sur les écrans de la télévision nationale, disant qu'ils étaient responsables de récents attentats

à la bombe. Le 13 août, ils ont été jugés sous de graves inculpations relatives à des explosions de

bombes. Leur avocat a essayé vainement d'interrompre le procès au motif que le seul élément de

preuve à charge était leurs aveux obtenus en garde à vue et sous contrainte. Bien que l'avocat soit

parti en signe de protestation, le procès s'est poursuivi et s'est terminé le même jour, mais le verdict

n'a pas encore été annoncé.

3.STRUCTURE ET RÔLE DES FORCES DE SÉCURITÉ

Au cours de ces 30 dernières années, les FAT ont exécuté des missions répressives qui ont coûté la

vie à plusieurs centaines de Togolais. Les documents publiés lors de la Conférence nationale

notent que l'armée a combattu "un ennemi intérieur qui n'est autre que le Peuple ... " . Certains

membres des FAT outrepassant leur rôle ont également procédé à l'arrestation d'un grande nombre

de personnes alors que cette tâche ne leur incombe pas.

Tant l'ancienne que la nouvelle constitution stipulent que les FAT sont placées sous la

responsabilité directe du Président de la République. Donc, en tant que tel, le président Eyadéma a

Les forces armées tuent impunément 13

Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F

sous ses ordres un certain nombre d'officiers togolais et avait des officiers français jusqu'à la

suspension des accords de coopération entre la France et le Togo, en octobre 1992.

La gendarmerie, qui est assimilée à l'armée, est également sous l'autorité du chef de l'Etat.

Les gendarmes sont soumis aux mêmes règles hiérarchiques et disciplinaires que les soldats. Ils

tiennent aussi lieu d'officiers de police judiciaire. Et lors d'arrestations ou de perquisitions, la

gendarmerie est responsable de la rédaction des premiers procès-verbaux des suspects avant qu'ils

ne soient confiés au juge d'instruction. Dans le rapport de l'UIDH (voir note 2), il est fait référence

à l'arrestation par la police d'un membre d'un commando - qui serait composé de personnel militaire

en civil - suspecté d'être responsable de l'attaque dirigée contre Lantamé Dominique Zoumaro, à

Bassar, en mai 1992 (voir ci-dessus). Mais cette personne a été remise en liberté après que la

police lui eut confisqué le couteau qu'elle avait sur elle et sur lequel aurait figuré le sigle des FAT.

Des unités militaires spécialisées dans le renseignement et connues également sous le nom

de "pigeons" font partie de la structure de l'armée. Cette unité de "pigeons" est chargée d'infiltrer

les villes et les campagnes afin de repérer des éléments hostiles au parti du chef de l'Etat. C'est

ainsi que les personnes repérées deviennent des cibles faciles. A la demande de la Conférence

nationale, les "pigeons" auraient été dissous, mais il semblerait que cette unité soit toujours active

au sein du 3e bataillon d'infanterie. Ce dernier, basé au RIT, est associé aux événements du

25 janvier 1993, au cours desquels au moins 19 manifestants pacifiques ont été exécutés, et au

plasticage de certaines maisons d'opposants. Les "pigeons" ont également participé aux

représailles exercées le 30 janvier sur la population civile de Lomé.

La Force d'intervention rapide, troisième force du pays, qui bénéficie d'un armement

puissant et de nombreux effectifs, a soutenu le Centre d'entraînement des troupes aéroportées, et les

para-commandos (voir ci-dessous) lors de la prise en otage de membres du HCR en

octobre 1991. Il convient de rappeler qu'au cours de cette prise d'otages, plusieurs membres de cet

organe de transition avaient été molestés, giflés, allongés par terre et fouettés, et que leur président,

Mgr Kpodzro, a subi un interrogatoire en plein soleil.

La garde présidentielle est impliquée aussi dans de graves violations des droits de l'homme.

Composée de 3 000 à 4 000 hommes, elle était commandée par le demi-frère du président

Eyadéma, le lieutenant-colonel Toyi Gnassingbé, jusqu'à sa mort en décembre 1991. Elle a

participé aux diverses attaques de la résidence du Premier Ministre en 1991 et à la répression d'une

manifestation pacifique en janvier 1993. Tout récemment, elle aurait pris part à l'arrestation de

sympathisants présumés de l'opposition, à Agbandi, en août 1993.

Le Régiment para-commando (bérets rouges), formé sur le modèle des marines américains,

a bénéficié de l'assistance militaire du Zaïre, au moins dans les années 70, et plus tard de celle

d'Israël. Le capitaine Ernest Gnassingbé est l'un des chefs des para-commandos. Cette unité,

basée à Kara, a été impliquée dans l'embuscade tendue à Gilchrist Olympio et d'autres personnes, à

Soudou, en mai 1992. De plus, elle a participé à l'attaque de la résidence du Premier Ministre en

décembre 1991, au cours de laquelle plusieurs personnes ont trouvé la mort. Il semblerait qu'elle

soit également à l'origine de l'exécution du colonel Tepé et de membres de sa famille à la suite des

événements du 25 mars 1993.

14 Les forces armées tuent impunément

AI Index : AFR 57/13/93/F Amnesty International 5 octobre 1993

Quant à la police dont le rôle est de maintenir l'ordre et qui dépend du ministre de

l'intérieur,

elle abrite

en son sein

des

éléments

plus connus

sous le nom

de

"brigades

rouges",

dont

l'objectif est

de procéder

à la

répression -

aux côtés

des forces

armées

togolaises -

de la

population

civile et de

certains

militaires

démocrates

ou

suspectés

d'antipathie

à l'égard du

chef de

l'Etat.

Cette unité,

composée

uniquement

de Kabyé,

agit plus

particuliè-

rement avec

le

2e bataillon

motorisé

dont elle

reçoit

armes et

munitions.

Les forces armées tuent impunément 15

Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F

Les

"brigades

rouges" ont

été très

actives dans

la

répression

de la

manifestati

on

pacifique

du 25

janvier

1993.

Aux termes des accords de Ouagadougou, l'armée devait rester à la caserne et la sécurité

devait être organisée par une force spéciale de sécurité commandée par le lieutenant-colonel Walla,

commandant de la gendarmerie. Cependant, cette force spéciale de sécurité aurait fait appel à des

éléments de l'armée, dont des membres de la garde présidentielle, pour arrêter des sympathisants

présumés de l'opposition, le lendemain de l'élection présidentielle, et 21 des personnes arrêtées sont

mortes en détention. Malgré la surveillance exercée par des soldats envoyés par les gouvernements

français et burkinabè, l'armée a de nouveau été impliquée dans des violations des droits de l'homme.

4. RELATIONS DE PAYS ETRANGERS AVEC LES FORCES DE

SÉCURITÉ

En 1992, la France a suspendu son aide militaire au Togo pour protester contre l'ingérence

persistante de l'armée dans le processus de transition et l'échec des tentatives de médiation - avec

l'aide des gouvernements français et allemand - entre le gouvernement et l'opposition. Les

gouvernements américain et allemand, principaux autres donateurs, avaient retiré leur assistance

militaire en 1991. Cependant, l'armée et la police de sécurité de pays comme l'Afrique du Sud,

l'Allemagne fédérale, le Brésil, la Chine, la Corée du Nord, les Etats-Unis, Israël et le Zaïre,

auraient eu des liens avec le Togo depuis l'indépendance.

En mars 1993, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies a adopté une

résolution3 déplorant, entre autres, "l'usage de la violence par les forces armées contre des

manifestants pacifiques et qui a entraîné de nombreuses victimes" et demandant aux autorités

togolaises de "créer les conditions favorables au retour, en toute sécurité et dans la dignité, des

Togolais réfugiés dans les pays voisins et de garantir la sécurité de tous les Togolais, y compris les

opposants politiques".

3

La Résolution 1993/75 du 10 mars 1993, relative à la Situation des droits de l'homme au Togo

16 Les forces armées tuent impunément

AI Index : AFR 57/13/93/F Amnesty International 5 octobre 1993

En avril 1993, l'Assemblée paritaire ACP-CEE (représentants des pays d'Afrique, des

Caraïbes, du Pacifique et de la Communauté européenne) a adopté une résolution4 déplorant

"l'insécurité et les actes de violence" au Togo et invitant "les Autorités compétentes à prendre toutes

les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité pour tous avant, pendant et après les

consultations électorales ... [et demandant] que le gouvernement togolais accepte la présence

d'observateurs internationaux pour constater le cantonnement de troupes armées". Après avoir

émis des réserves quant à la période prévue pour les élections dans un climat d'instabilité civile

grave, qui pousse des centaines de milliers de Togolais à vivre en tant que réfugiés au Ghana et au

Bénin, la Communauté européenne a accepté d'apporter son aide à l'organisation des élections après

les accords de Ouagadougou, où les représentants de l'opposition et du gouvernement sont convenus

d'adopter des mesures visant à garantir des élections libres et honnêtes.

La France est le pays qui, pour des raisons principalement historiques, a le plus soutenu le

Togo sur le plan militaire. Ce soutien au Togo s'est manifesté de deux manières, l'une par le biais

de l'accord de défense et l'autre par l'assistance militaire technique. L'accord de défense, signé le

10 juillet 1963, n'a jamais été publié au journal officiel français. On croit savoir qu'il prévoit la

possibilité d'une aide militaire française à la fois en cas de problèmes liés à la sécurité extérieure et

aussi aux troubles à l'intérieur du territoire togolais.

Quant à l'assistance militaire technique, elle prévoit la formation des militaires togolais à la

fois en France et au Togo et le don de matériel militaire. Au sein de l'état-major des FAT, avant la

suspension des accords militaires, plusieurs officiers français agissaient en tant que conseillers

techniques à la fois auprès du président Eyadéma et auprès du chef d'état-major des FAT, le général

Bonfoh. Les officiers français étaient également responsables du service de santé et des collèges

militaires. L'un de ces collèges dirigé par un Français, qui revêt toutes les caractéristiques d'un

collège national, ne recrutait que des élèves dont les parents étaient des militaires ou d'anciens

militaires. Sachant que les élèves sont formés pour être officiers et que 80 % des officiers sont

Kabyé, le peu d'empressement de la France pour faire en sorte que ce collège soit vraiment un

collège national est quelque peu surprenant. De plus, les cours dispensés dans ce collège n'auraient

fait aucune référence à la protection des droits de l'homme. Cependant, un avis présenté par

l'Assemblée nationale française au nom de la Commission de la défense nationale et des forces

armées sur le projet de loi de finances pour 1993 mentionne le succès de trois écoles militaires

interafricaines, dont l'Ecole militaire interafricaine d'administration à Lomé, créée en 1986. Ces

écoles militaires sont placées sous l'autorité de coopérants militaires français. L'avis conclut en ces

termes : "L'expérience a démontré que les armées locales sont rarement adaptées pour mener des

opérations de maintien de l'ordre dans des conditions de discipline interne, de respect des droits de

l'Homme et de stricte observance des lois."

Dans le Journal officiel de la République française (Avis et rapports du Conseil économique

et social) du 8 mars 1991, relatif à la coopération française en direction de l'Afrique, l'étroitesse des

relations franco-togolaise est explicite. Il est déclaré : "La fermeté et l'habilité du Général

4

La Résolution sur le processus de démocratisation au Togo (ACP-CEE 883/93/déf.), adoptée par l'Assemblée paritaire

ACP-CEE, le 1er avril 1993, à Gaborone (Botswana)

Les forces armées tuent impunément 17

Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F

Eyadéma, au pouvoir depuis 23 ans, ont su assurer la stabilité d'un régime reposant sur le soutien de

l'armée et l'encadrement de la population par le parti unique ... . Traditionnellement étroites, les

relations franco-togolaises ne posent pas de problèmes majeurs. ... Le Togo sait qu'il peut compter

sur nous pour assurer sa sécurité, comme l'a prouvé l'intervention immédiate de nos forces le

25 septembre 1986 ... [cela fait référence à la représsion d'un putsch]. ... Notre aide militaire a été de

12 millions de francs [français] en 1989."

Dans une note adressée aux responsables militaires en novembre 1990, un officier

français, le conseiller technique du chef d'état-major des FAT, et le président Eyadéma, rappellent

que, dans le cadre du maintien de l'ordre sur le territoire national, il est interdit de tirer sur les

manifestants et que tout manquement "entraînera automatiquement la comparution en justice du ou

des auteurs, ainsi que celle du commandant de l'unité d'appartenance". Cependant, cette

déclaration de bonnes intentions n'a eu aucune incidence sur la conduite des forces de sécurité, et le

non-respect de cette déclaration n'a nullement réduit l'aide française aux forces armées togolaises.

Aucune enquête n'a notamment été ouverte, en avril 1991, à la suite des conclusions de la

Commission nationale des droits de l'homme, auxquelles ont fait écho bien d'autres sources

indépendantes, qui précisaient que la mort des 28 personnes dont on a retrouvé les cadavres dans la

lagune de Bè, le 11 avril 1991, était survenue dans deux ensembles de circonstances distincts : des

soldats avaient délibérément empêché de sortir de la lagune une partie des manifestants qui s'étaient

jetés à l'eau, tandis que d'autres avaient été arrêtés et placés dans des lieux de détention à Lomé où

ils avaient été torturés à mort ou délibérément tués ; leurs corps avaient ensuite été jetés dans la

lagune.

Dans son rapport de juillet 1992 (voir note 1), la FIDH conclut à la présomption de

culpabilité de l'état-major des FAT dans l'attentat contre Gilchrist Olympio, personnalité en vue de

l'opposition, et le meurtre d'autres personnes. Malgré cela et de nombreux autres éléments

prouvant que les militaires sont impliqués dans les violations des droits de l'homme, ce n'est qu'en

octobre 1992, que la France, principal soutien du Togo, a finalement reconnu la gravité de la

situation et a suspendu sa coopération militaire avec le Togo. Jusque-là, plusieurs officiers français

étaient membres de l'état-major des FAT. L'envoi de personnel militaire français au Togo pendant

la période électorale ne semble pas constituer une reprise de l'aide militaire mais, aux termes des

accords de Ouagadougou, la France a envoyé 70 soldats pour veiller à ce que les FAT restent dans

leurs casernes. Ces 70 soldats ont quitté le Togo depuis lors et doivent y retourner pour les

élections législatives. Leur rôle n'a pas été rempli puisque des membres des FAT auraient participé

à l'arrestation de sympathisants présumés de l'opposition, à Agbandi, le lendemain de l'élection,

dont 21 sont morts en détention. Le Gouvernement français a également envoyé 10 gendarmes

pour aider à la formation de la force spéciale de sécurité, créée pour maintenir l'ordre pendant les

élections.

D'après les déclarations du Gouvernement français faites à la suite de l'élection

présidentielle au Togo, il n'y a aucune raison de croire que la politique du gouvernement élu en

France en avril 1993 ait changé vis-à-vis du Togo par rapport à celle des précédents gouvernements

français.

18 Les forces armées tuent impunément

AI Index : AFR 57/13/93/F Amnesty International 5 octobre 1993

5.RECOMMANDATIONS D'AMNESTY INTERNATIONAL POUR

RÉTABLIR LE RESPECT DES DROITS DE L'HOMME

Les violations des droits de l'homme mentionnées dans le présent rapport sont l'oeuvre des FAT

dont le président Eyadéma est le chef. Bien qu'Amnesty International ait renouvelé ses appels aux

autorités togolaises pour qu'elles agissent de toute urgence afin d'empêcher de nouvelles tueries

perpétrées par les FAT, rien n'a été accompli jusqu'à présent. Tous les auteurs de nombreuses

violations des droits de l'homme bénéficient d'une totale impunité et, à notre connaissance, le

Gouvernement togolais n'a rien entrepris pour faire la lumière sur les événements passés au cours

desquels plusieurs personnes, notamment des militants des droits de l'homme et des membres de

l'opposition, ont trouvé la mort.

En avril 1992, Amnesty International a fait plusieurs recommandations au Gouvernement

togolais relatives, entre autres, à la nécessité de mener des enquêtes exhaustives sur les violations

des droits de l'homme commises dans le passé. La Conférence nationale de 1991, ainsi que les

enquêtes de la Commission nationale des droits de l'homme, ont porté de nouvelles informations

importantes à l'attention du public et des autorités sur les violations des droits de l'homme

commises dans le passé. Tous les faits qui ont été révélés constituent des infractions à la loi

togolaise et aux normes internationales relatives aux droits de l'homme. Pourtant, le Président, le

gouvernement et le HCR n'ont engagé aucune action à ce propos, et le ministère public lui-même,

autrement dit l'autorité indépendante chargée d'ouvrir l'instruction criminelle et d'engager des

poursuites lorsque des crimes sont révélés, est resté inactif. Cette absence d'action est due au fait

que la légalité a été suspendue : pendant de nombreuses années, elle a été détournée et manipulée

par le pouvoir, avec pour conséquence que des institutions comme le ministère public sont

subordonnées aux dirigeants politiques au lieu d'être indépendantes.

En particulier, la société civile tient à ce que les violations des droits de l'homme donnent

lieu à des poursuites judiciaires et que les victimes obtiennent réparation, tandis que les fidèles du

président Eyadéma veulent éviter toute enquête sur le passé afin, affirment-ils, d'éviter les conflits et

de parvenir à la réconciliation nationale. L'expérience d'Amnesty International montre que

l'absence d'enquête sur les violations des droits de l'homme et le fait de ne pas traduire en justice

leurs auteurs augmente la probabilité de nouvelles violations, non seulement parce que les

tortionnaires et les tueurs restent en liberté et peuvent de nouveau avoir la garde de prisonniers et le

pouvoir de les tuer, mais aussi parce que les mesures nécessaires pour empêcher de nouvelles

violations ne sont pas définies et mises en oeuvre.

Amnesty International demande instamment au président Eyadéma d'ouvrir une enquête sur

les violations des droits de l'homme afin de traduire les responsables en justice et mettre fin au

cercle de violence et d'impunité qui sévit au Togo.

D'autres réformes ont déjà été proposées aux autorités togolaises en ce qui concerne

l'adoption de mesures permettant d'empêcher la torture, la détention arbitraire et les exécutions

extrajudiciaires, de veiller à ce que tous les détenus et les personnes emprisonnées connaissent leurs

droits et afin qu'une enquête soit ouverte sur tous les cas de mort ou de "disparition" de prisonniers.

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Amnesty International 5 octobre 1993 AI Index : AFR 57/13/93/F

Ces réformes demeurent essentielles si l'on veut que les droits de l'homme soient respectés à

l'avenir.

En ce qui concerne tout particulièrement le rôle des militaires, des recommandations

additionnelles sont importantes également. Ce sont les suivantes :

1. Condamnation officielle

Les plus hautes autorités togolaises doivent montrer leur totale opposition à la détention

illégale, à la torture et aux exécutions extrajudiciaires. Elles doivent faire savoir clairement à tous

les membres de la police, de l'armée et des autres forces de sécurité que de telles violations des

droits de l'homme ne seront tolérées en aucune circonstance.

2. Contrôle des responsabilités hiérarchiques

Les responsables des forces de sécurité doivent assurer un strict contrôle hiérarchique pour

veiller à ce que leurs subordonnés ne commettent pas d'exécutions extrajudiciaires. Les

fonctionnaires qui ont une responsabilité dans la voie hiérarchique et qui ordonnent ou tolèrent des

violations des droits de l'homme de la part de leurs subordonnés doivent avoir à répondre de tels

actes devant la justice.

3. Limitation du recours à la force

Les autorités togolaises doivent veiller à ce que les responsables du maintien de l'ordre

n'aient recours à la force que lorsque cela est strictement nécessaire et dans la mesure exigée par les

circonstances. Les armes à feu ne doivent être utilisées que si cela est absolument inévitable afin

de protéger des vies humaines.

4. Action contre les milices

Les bandes de criminels et les forces paramilitaires opérant en dehors de la voie

hiérarchique mais avec le soutien ou l'accord des autorités doivent être interdites et démantelées.

Les membres de tels groupes qui ont perpétré des violations des droits de l'homme doivent être

traduits en justice.

5. Protection des personnes qui risquent de devenir victimes

Les autorités togolaises doivent veiller à ce que toute personne risquant d'être victime d'une

exécution extrajudiciaire, et notamment toute personne qui reçoit des menaces de mort, soit

efficacement protégée.

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6. Pas de détention secrète

Les prisonniers ne doivent être détenus que dans des lieux de détention officiellement

reconnus ; les familles, avocats et tribunaux doivent être informés rapidement et de façon précise

des circonstances de l'arrestation et du lieu de détention des prisonniers. Nul ne doit être détenu

secrètement.

7. Accès aux prisonniers

Tous les prisonniers doivent être déférés sans délai à une autorité judiciaire après leur

arrestation. Les familles, avocats et médecins doivent pouvoir leur rendre visite rapidement et

régulièrement. Tous les lieux de détention doivent être régulièrement inspectés par un organisme

indépendant, dont les visites ne sauraient être ni annoncées ni limitées.

8. Interdiction en droit

Les autorités togolaises devraient veiller à ce que la perpétration d'une violation des droits

de l'homme constitue une infraction pénale, passible de sanctions proportionnelles à la gravité de

l'acte. L'interdiction de commettre des violations des droits de l'homme et les garanties essentielles

pour leur prévention ne doivent être suspendues en aucune circonstance, même en cas de guerre ou

de toute autre situation d'urgence.

9. Responsabilité individuelle

L'interdiction de commettre des violations des droits de l'homme doit être reflétée dans la

formation de tous les agents responsables de l'arrestation et de la détention des prisonniers, et de

tous les agents autorisés à faire usage des armes à feu, ainsi que dans les instructions qui leur sont

données. Ces agents doivent être informés qu'ils ont le droit et le devoir de refuser d'obéir à l'ordre

de participer à des violations des droits de l'homme. L'ordre d'un officier supérieur ou d'une

autorité publique ne doit jamais être invoqué pour justifier la participation à la torture ou à une

exécution extrajudiciaire.

10. Responsabilité internationale

Les gouvernements doivent utiliser tous les moyens à leur disposition pour intervenir auprès

des pays où des violations des droits de l'homme sont signalées. Ils doivent s'assurer que les

transferts d'équipements, de compétences et de personnel pour la formation de l'armée, de la police

et d'autres forces de sécurité ne favorisent pas la torture ni les exécutions extrajudiciaires.

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