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7/18/2019 These_ChrysiGiantsiou - Le Mime Grac Antique http://slidepdf.com/reader/full/thesechrysigiantsiou-le-mime-grac-antique 1/360 1 1/361 UNIVERSITE D’AVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE Doctorat de littérature comparée (ED354)  champ disciplinaire : littérature  LE MIME GREC ANTIQUE Chrysi GIANTSIOU WATRINET Thèse dirigée par Christian PETR Soutenue le 14 décembre 2010 Jury : Marie-Claude HUBERT : Professeur . Université de Provence. Christian PETR  : Doyen et professeur. Université d'Avignon et de pays de Vaucluse. Marika THOMADAKI : Doyenne et professeur. Ethniko kai Kapodistriako Panepistimio d‟Athènes.  Henri TONNET : Professeur Émérite. Sorbonne-Paris IV . t e l 0 0 5 8 6 6 4 2 , v e r s i o n 1 1 8 A p r 2 0 1 1

These_ChrysiGiantsiou - Le Mime Grac Antique

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Grecia

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    UNIVERSITE DAVIGNON ET DES PAYS DE VAUCLUSE

    Doctorat de littrature compare (ED354) champ disciplinaire : littrature

    LE MIME GREC ANTIQUE

    Chrysi GIANTSIOU WATRINET

    Thse dirige par Christian PETR

    Soutenue le 14 dcembre 2010

    Jury :

    Marie-Claude HUBERT : Professeur. Universit de Provence. Christian PETR : Doyen et professeur. Universit d'Avignon et de pays de Vaucluse.

    Marika THOMADAKI : Doyenne et professeur. Ethniko kai

    Kapodistriako Panepistimio dAthnes. Henri TONNET : Professeur mrite. Sorbonne-Paris IV .

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    PAGES LIMINAIRES

    Rsum : Le thtre dans la Grce Antique a dvelopp quatre genres dramatiques : la tragdie, la comdie, le drame satyrique et le mime. Le Mime est le genre comique qui nat en Grce dorienne, se dveloppe en Sicile et dont lvolution se poursuit jusqu lpoque hellnistique. Bien quil constitue une part importante de lart dramatique grec antique, il ny a pas eu jusqu nos jours de recherche systmatique sur ce type de thtre. Cette tude a pour but dexplorer ce genre dramatique inconnu. Rechercher son origine, son volution historique et ses rapports (similitudes et diffrences) avec les autres genres dart dramatique, ainsi que ses principaux crateurs constituent les principaux objectifs de cette recherche.

    Titre en anglais : Mime in Ancient Greece : Dorian Theatre

    Rsum en anglais : Theatre in Ancient Greece developed into four dramatic genres: tragedy, comedy, satyrical drama and mime. Mime is

    the comic genre which was born in Dorian Greece, developed in Sicily

    and which development continues until the Hellenistic period. Although

    it is an important part of the ancient Greece dramatic art, up to now there

    was no systematic research on this type of theatre. This study aims at

    exploring that unknown dramatic genre. Its main objectives is the search

    for its origins, historical evolution and relationship (similarities and

    differences) with the other genres of dramatic art, as well as for its major

    creators.

    Mots cls : comdie, comdie sicilienne, farce, mime, mime alexandrin, mime dorien, thtre dorien, Alexandrie, Doriens, Grce Antique, Sicile.

    Mots cls en anglais : Comedy, Sicilian Comedy, Farce, Mime, Alexandrian Mime, Dorian Mime, Dorian Theatre, Alexandria, Ancient

    Greece, Dorians, Sicily.

    Laboratoire Identit Culturelle, Textes et Thtralit (ICTT) EA 4277 Universit d'Avignon et des Pays de Vaucluse 74 rue Louis Pasteur, 84 029 Avignon cedex 1

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    Remerciements

    Quelques ides la base de ma philosophie ont structur toute ma vie. Par exemple, jai toujours cru que rien narrive par hasard. Ma rencontre avec Catherine Baumgarner nest pas un hasard. Sans son aide prcieuse, je naurais pas pu concrtiser cette tude. Parfois, quand les mots nous manquent pour exprimer nos sentiments, nous utilisons Un seul mot Simple de la vie Ordinaire qui est pourtant un mot Important quand il vient du cur. Il ressemble un peu au Mime dorien, simple de la vie ordinaire mais important MERCI ! Catherine.

    Je ressens une reconnaissance infinie pour mes professeurs, Bernadette Rey-Flaud et

    Christian Petr, qui mont fait confiance et mont soutenue jusqu la dernire minute. Cette tude a eu la grande chance dtre dirige par deux professeurs minents. Le professeur est important quand il a la perspicacit de voir les capacits de ses tudiants avec un esprit ouvert et sans prvention. La premire chose quils mont apprise tait ce que veut dire tre un vrai enseignant. Et jai eu le privilge dtre sous la supervision de ces deux excellents professeurs. Le problme de mon franais dficient na pas t un obstacle pour eux, au contraire, ils mont donn le droit deffectuer cette recherche et toutes les conditions pour atteindre ses objectifs. Cette recherche a commenc parce que mon professeur, Bernadette Rey-Flaud, ma appris que le premier Pourquoi ? qui conduit la connaissance est quelque chose comme la dsintgration nuclaire de latome . Le grand Pourquoi ? du dbut se dsintgre en une infinit de plus petits pourquoi ? .

    Ma recherche a atteint son terme parce que mon professeur, Christian Petr, ma appris runir tous les pourquoi que jai rencontrs et en faire un ensemble unifi, une rponse.

    Ce que lhomme a de plus prcieux est le temps dont il dispose. Nous le donnons en sachant que personne ne peut nous le rendre. Je remercie les membres du jury, Marie-

    Claude Hubert, Marika Thomadaki et Henri Tonnet, qui ont accept de consacrer leur temps et leur attention pour porter un jugement sur cette tude.

    Le soutien de ma famille a jou un trs grand rle dans la ralisation de ce doctorat. Je remercie mon mari Thierry Watrinet pour son aide et son soutient et ma mre Vassiliki Giantsiou. Et je remercie tout particulirement mes enfants Eleni anaki, Konstantinos Kanakis et Vassiliki anaki qui ont vcu une grande partie de leurs jeunes annes en attendant que leur maman ait termin son doctorat.

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    mon pays

    ma langue

    et ceux que jaime.

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    SOMMAIRE

    Pages liminaires ......................................................................................... 2

    Sommaire ................................................................................................... 5

    Table des illustrations ................................................................................ 7

    Introduction .............................................................................................. 10

    I. Notions et thories sur le mime, le thtre et le rire ............................ 16 A. La notion de Mime grec antique ............................................... 17

    A1. Les interprtations smantiques des mots mime et imitation ...................................................................................... 18 A2. Les aventures du mot ................................................. 21 A3. La dfinition du mime grec antique ........................................... 23

    B. Les thories modernes sur lorigine de lart dramatique ................. 27 B1. Lapproche aristotlicienne ........................................................ 28 B2. Lorigine rituelle du thtre ....................................................... 32 B3. Autres thories sur les origines du thtre grec ......................... 48 B4. Le Mime, oubli des thories sur lorigine du thtre ............... 54

    C. La notion de mimsis pour les anciens grecs .................................. 57 C1. Les Pythagoriciens ..................................................................... 58

    C2. Limitation platonicienne ........................................................... 60 C3. Aristote Nouvelle divergence sur la notion dimitation ......... 65

    D. Approche des notions : rire et comique/plaisanterie ........... 71 D1. Lanalyse smantique du rire ..................................................... 72 D2. Thories sur les notions de rire et de comique .......................... 74 D3. Le point de vue dAristote sur la comdie et le rire daprs le manuscrit Tractatus Coislinianus ..................................... 83 D4. Le rire de Dmocrite : la comdie de la vie et aussi du thtre . 90 D5. Thersite : bouffon homrique ou personnification de la masse anonyme du peuple ? ..................................................................... 95

    II. Dhomre La COMDIE dorienne ................................................ 105 A. Les prcurseurs homriques et les troupes comiques ................... 106

    A1. Les bouffons de lOlympe ....................................................... 107 2. Hphastos et le bouclier dAchille .......................................... 112 A3. Les prcurseurs de la comdie aux priodes homriques et archaques ....................................................................................... 121 4. Les troupes des reprsentations rituelles ................................. 127 5. Les premires troupes damuseurs ........................................... 132

    B. La farce dorienne ........................................................................... 139

    1. La farce dorienne et les mimes ................................................ 140 2. Lorigine sociale de la comdie et de la farce ......................... 149 3. Les Doriens, une population purement agricole ...................... 151

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    4. La farce de Mgare et ses personnages types .......................... 156 B5. Les personnages types de la farce dorienne ............................. 164

    B6. La scne .................................................................................... 188 III. Le Mime sicilien .............................................................................. 195

    . De la farce dorienne au Mime sicilien .......................................... 196 1. Le Mime littraire et non littraire .............................. 197 2. La naissance et le dveloppement du Mime crit .................... 207 3. Phormis (ou Phormos), Dinoloque et Xnarque ...................... 209

    B. picharme et Sophron ................................................................... 211 B1. picharme ................................................................................ 212 B2. Les parodies mythologiques dpicharme ............................... 216 B3. Les comdies de caractres et de murs dpicharme............ 234 B4. Sophron le Syracusain .............................................................. 243

    IV. Le Mime alexandrin (ou hellnistique) ........................................... 247 . Lpoque hellnistique .................................................................. 248

    1. Les termes alexandrin et hellnistique ..................................... 249 2. Le cadre historique ................................................................... 250 3. LAlexandrie des Ptolmes .................................................... 254 4. De lhomme-citoyen lindividu-sujet .................................... 261 5. La priode individualiste de la philosophie grecque ............... 266 6. Les principales caractristiques de la littrature hellnistique 272

    B. Le Mime de lpoque hellnistique ............................................... 276 B1. Lpoque hellnistique, ge dor du Mime .............................. 277 2. Thocrite, mimographe romantique de lamour ................ 281 3. Thocrite : La Magicienne ....................................................... 284 4. Thocrite : Les Syracusaines ................................................... 291 B5. Hrondas .................................................................................. 295 B6. Luvre dHrondas ................................................................ 298 B7. Les mimes dHrondas............................................................. 300

    Conclusion ............................................................................................. 302

    ANNEXES ............................................................................................. 309

    THOCRITE : IDYLLES II et XV ....................................................... 310 HRONDAS : MIMES I ET III ............................................................ 321 CARTE DE LA GRCE ....................................................................... 327 CHRONOLOGIE DES AUTEURS GRECS ........................................ 328

    Glossaire ................................................................................................ 331

    BIBLIOGRAPHIE ................................................................................. 332

    INDEX DES NOMS PROPRES ........................................................... 350

    CRDITS PHOTOGRAPHIQUES ....................................................... 360

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    TABLE DES ILLUSTRATIONS

    Fig.1. Loracle de Trophonios ................................................................. 76 Fig. 2. Le manuscrit Tractatus Coislianus. .............................................. 89

    Fig. 3. Le retour dHphastos sur lOlympe. Vase Franois, cratre volutes attique figures noires, 570-560 av. J.-C. ......................... 113

    Fig. 4. Hphastos remet une nouvelle armure Thtis pour son fils Achille. Vase attique figure rouge. 480 av. J.-C. ......................... 114

    Fig. 5. Dionysos et Aphrodite avec Hphastos sur sa mule. Cratre en calice attique figures rouges, 430 av. J.-C. .................................. 115

    Fig. 6. Le Thtre ou le Bouleutrion de Poliochni Lemnos. ............. 120 Fig. 7. Maison et Tettix, les cuisiniers de Mgare. Terre cuite. ............ 163 Fig. 8. Masque de lesclave principal. Masque en pierre. ..................... 163 Fig. 9. Masque de vieille femme. Argile, 6e

    sicle av. J.-C., trouv Sparte. ............................................................................................. 167

    Fig. 10. Scne de Mime dorien. Dtail de vase corinthien. ................... 168 Fig. 11. Acteurs comiques sur un calice de l'le de Chio, import en

    Macdoine. poque archaque. ....................................................... 169 Fig. 12. Acteurs comiques se prparant pour une reprsentation. Vase

    attique, 4e sicle av. J.-C. ............................................................... 169 Fig. 13. Scne caricaturale, Cadmos tuant le dragon. Fragment de vase

    figures noires provenant du Cabirion, prs de Thbes, 5e sicle av. J.-C. ................................................................................................. 171

    Fig. 14. Ulysse arm dune pe menace Circ, qui prpare la potion magique pour le transformer en animal, comme lont t ses compagnons. Fragment de vase figures noires provenant du Cabirion, prs de Thbes, 5e sicle av. J.-C. ................................... 172

    Fig. 15. Caricature de Cphale. Vase provenant du Cabirion de Thbes. ......................................................................................................... 172

    Fig. 16. Un matre et son esclave. Vase phlyaque. Cratre apulien figures rouges. 380-370 av. J.-C. .................................................... 174

    Fig. 17. Hracls pourchassant une femme, scne d'une pice phlyaque. nocho apulienne figures rouges, vers 370-360 av. J.-C. Provenance : Basilicate. .................................................................. 175

    Fig. 18. Hracls et Apollon. Vase phlyaque. ....................................... 176 Fig. 19. Ulysse et le Palladion. Vase phlyaque. .................................... 176

    Fig. 20. Ulysse chez Alcinoos. Cratre figures rouges. Campanie. IIe sicle av. J.-C. ................................................................................. 177

    Fig. 21. Caricature de la naissance dHlne. Dtail dun cratre apulien, 375-350 av. J.-C. ............................................................................. 178

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    Fig. 22. Scne comique des amours de Zeus. Vase apulien, 370-360 av. J.-C. ................................................................................................. 178

    Fig. 23. Zeus rendant visite Alcmne. Dtail dun vase phlyaque. .... 179 Fig. 24. Combat dArs contre Hphastos pour dlivrer Hra. Cratre

    trouv Bari. ................................................................................... 180 Fig. 25. Chiron et ses compagnons. Vase phlyaque apulien. ................ 181

    Fig. 26. Vase du Cabirion : parodie dAchille et Chiron. ..................... 182 Fig. 27. Scne phlyaque : trois hommes volant un avare. Dtail dun

    cratre en calice figures rouges, Paestum, 350340 av. J.-C. ...... 183 Fig. 28. Esclave vtu de la tunique courte, acteur phlyaque. Dtail latral

    dun cratre en calice figures rouges de Sicile. 350-340 av. J-C. 183 Fig. 29. Figurine de vieil acteur comique, Thessalonique, Sindos. 5e

    sicle av. J.-C. ................................................................................. 184 Fig. 30. Berger arcadien. Dbut du 5e sicle av. J.-C.. Lycosoura, Grce.

    ......................................................................................................... 185

    Fig. 31. Homme coiff du pilos. Assiette apulienne figures rouges. 4e sicle av. J.-C. ................................................................................. 186

    Fig. 32. Acteur comique. La canne de la main droite manque. Terre cuite

    attique. 4e sicle av. J.-C. ............................................................... 186 Fig. 33. Acteur comique portant une chvre en sacrifice. Terre cuite

    attique. 3e sicle av. J.-C. ............................................................... 187 Fig. 34. Acteur comique (phlyaque)jouant un esclave. Figurine

    botienne. 4e-3e sicle av. J.-C. ....................................................... 187 Fig. 35. Reprsentation de trois comdiens, lampe en terre cuite, 3e sicle

    av. J.-C. ........................................................................................... 201

    Fig. 36. Les noces dHb et dHracls. Pyxis attique figures rouges. 450-400 av. J.-C. ............................................................................. 217

    Fig. 37. Dtail de coupe attique figures noires, dite aux bateaux, montrant Hracls combattant Alcyone. Vers 520 av. J.-C., provenant de Cerveteri. ................................................................... 219

    Fig. 38. Hracls tue Busiris et dix de ses serviteurs. Hydrie de Caer, face A. ............................................................................................. 220

    Fig. 39. Gardes gyptiens de Busiris. Hydrie de Caer, face B. ........... 220 Fig. 40. Une reine des Amazones. Obtenir sa ceinture est un des travaux

    dHracls. ...................................................................................... 222 Fig. 41. Hracls, Pholos et les Centaures. Skyphos figures noires,

    v.580 av. J.-C. ................................................................................. 224

    Fig. 42. Hracls, Pholos et les Centaures. Dtails de Skyphos figures noires, v. 580 av. J.-C. .................................................................... 224

    Fig. 43. Amycos enchan par les Argonautes, hydrie lucanienne figures rouges, 425-400 av. J.-C. .................................................... 228

    Fig. 44. Danse en lhonneur dApollon Carneios. Cratre volutes, figures rouges, 410-400 av. J.-C. .................................................... 240

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    Fig. 45. Les royaumes des successeurs dAlexandre le Grand, en 301 av. J.-C. ................................................................................................. 251

    Fig. 46. Plan de lAlexandrie antique. ................................................... 254 Fig. 47. Monnaie dargent sous Ptolme 1er Soter. Profil et emblme de

    la dynastie. ...................................................................................... 256

    Fig. 48. Monnaie dor reprsentant les Dieux Frres, aux profils presque identiques. ....................................................................................... 259

    Fig. 49. Tte de la desse Tych. Mausole dAntiochus 1er roi de Commagne. ................................................................................... 264

    Fig. 50. Extrait sur papyrus de La Samienne, pice de Mnandre. ....... 265 Fig. 51. Tablette de maldiction de Pella. Macdoine, 3e sicle av. J.-C.

    ......................................................................................................... 284

    Fig. 52. Artmis Matresse des Fauves. Dtail du vase Franois, cratre volutes attique figures noires, 570-560 av. J.-C. ......................... 290

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    INTRODUCTION

    Rests cachs durant des sicles Sous les tnbres de la terre dgypte, Dans ce silence dsespr Les gracieux mimiambes languissaient.

    Mais ces temps ont pass, Du Nord sont venus des hommes savants

    qui ont tir les ambes de la tombe Et de loubli.

    Constantinos Cavafis1

    (quelques vers du pome Les Mimiambes dHrondas)

    En tant quenseignante, jai toujours eu une prfrence particulire pour ceux des lves qui se cachent au fond de la classe. Ceux qui nont presque jamais rien dire et qui, dans le meilleur des cas, sont classs dans la catgorie des non participants . Ou encore parmi ceux qui cassent la bonne image dune salle de classe.

    Jaimais percer leur silence parce que je savais quils avaient des choses importantes dire. Et parce quen ralit le silence nexiste pas. Le silence, tel quon nous a appris linterprter, est une illusion. Nous faisons silence pour couter et nous imposons le silence pour punir. Parce que, mme le silence parle.

    Et ma tendance vouloir percer les secrets du silence fut lorigine de mon intrt pour le Mime grec antique.

    1 , , , 1882-1923,

    . . , Athnes, 1968.

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    Tout a commenc avec Pierrot, qui tait le premier silence auquel je me suis intresse. Pierrot, ce personnage de comdie qui a choisi de senvelopper dans le mythe et le rve pour crire sa propre histoire. Quand jai recherch son origine historique et ses racines, tous les renseignements bibliographiques parlaient dun genre de reprsentation qui sest dvelopp en Sicile et qui fut appel Mime. Rien de plus.

    Ce rien de plus a t pour moi le Grand silence , autrement dit le grand dfi.

    Le but de cette tude a donc t dinvestiguer ce genre dramatique qui sest dvelopp en Sicile et auquel, jusqu aujourdhui, les fouilles des historiens du thtre ne se sont pas intresses, pour le sortir de la tombe et de loubli.

    Une recherche qui fut loin dtre facile pour trois raisons.

    La premire est quil nexiste aucune tude antrieure sur ce sujet. La prsente recherche est la premire.

    La deuxime est que les informations disponibles sont rares.

    La troisime raison - qui fut la partie la plus difficile de cette tentative est quune grande partie des informations tait arbitraire, non dmontre et trompeuse. Souvent, le risque tait grand de tomber dans le pige en reprenant des lments noncs avec une grande aisance mais dont la vracit ntait pas prouve. Parce que, dans les domaines inexplors, coexistent et se ctoient les vrits et les erreurs.

    Dun autre ct, il faut reconnatre que ces interprtations errones ont heureusement suscit de nombreuses interrogations qui, pour la plupart, ont contribu la structure mme de notre tude.

    La premire imprcision rencontre - et la plus importante - concernait la dfinition de ce genre dramatique. Dans certaines bibliographies, le Mime est mentionn comme tant la comdie qui sest dveloppe dans la Grce dorienne, alors que pour dautres, cest un type de spectacle, et pour dautres encore, les deux dterminations se combinent.

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    Dans lune des sources considre comme des plus fiables, ce fort manque de cohrence est manifeste2 : La comdie a atteint son apoge comme genre littraire en deux endroits de la Grce partir de deux racines diffrentes : en Sicile et Athnes vingt ans plus tard, quand la dmocratie a atteint son apoge Syracuse elle a t transforme par picharme de Mgare en posie dramatique. La comdie moderne aurait pu se dvelopper partir de ce genre dramatique, si ce nest que la floraison artistique sest affaiblie et ... cest uniquement lintrt que leur porta Platon, qui tait au-dessus des prjugs quant la puissance raliste de ce divertissement populaire... que ce genre fut transmis la postrit. picharme lui-aussi a t sauv uniquement grce lintrt des Athniens pour lhistoire de la littrature, et pas en raison de sa valeur littraire.

    Ce texte nous indique dabord que le Mime est un genre de comdie, mais immdiatement aprs quil est un genre de divertissement populaire et que les uvres dpicharme sont sans valeur littraire.

    On voit donc clairement comment le Mime a t envisag par la communaut littraire. Malheureusement, cela a abouti au rsultat suivant : le Mime est aujourdhui une catgorie dans laquelle on classe tout spectacle considr comme ntant pas du thtre. Cette dfinition rcente est rvlatrice cet gard3 :

    Le mime est un des spectacles antiques les plus mal connus... Il est vrai que les tmoignages antiques sur le mime donnent souvent limpression dun spectacle de varit o se mlaient chants, danses, acrobaties, bouffonneries, et mme des animaux dresss, avec la reprsentation de la vie de tous les jours ou des vies des divinits traditionnelles.

    Une grande partie de notre recherche a donc t consacre dterminer ce quest le Mime. Pour cela, nous avons principalement eu recours aux tmoignages de lAntiquit ; ceux-ci nous ont montr tout autre chose que ce que prtend la dfinition qui prcde. Le contraire, en fait :

    2 Wilamowitz-Moellendorff, Ulrich von, :

    , trad. , d. , Thessalonique, 2003, p. 7. 3 Webb, Ruth, Logiques du mime dans lAntiquit Tardive, dans : Jean-Christian

    Dumont, De la tablette la scne: actes du colloque de Paris X, Nanterre, 31 octobre-1er novembre 2004, d. Presses Univ. du Mirail, 2006, p. 127.

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    Le Mime tait un genre dramatique antique, qui nest pas n Athnes mais dans la Grce dorienne.

    Jusqu prsent, on nous a enseign que le thtre grec antique est soit la tragdie, soit la comdie. Et que ces deux genres se sont dvelopps dans lAthnes de Pricls. Mais dans le reste de la Grce ? Dans le reste de la Grce, il ny avait pas de thtre ? Une rponse ngative ne serait pas srieuse et dailleurs les dcouvertes archologiques soulvent elles aussi cette question.

    La Potique dAristote a sans doute contribu de manire significative cette attitude des chercheurs, car elle a t la Bible des historiens du thtre, si bien que le thtre attique a t considr comme lunique production dramatique de la Grce antique. Pourtant, dans La Potique, Aristote ne manque pas de faire rfrence au Mime dorien, ce qui a chapp aux chercheurs ou bien na pas t trait par eux avec limportance que cela aurait mrit.

    Nous ne devons pas oublier que rien ne va de soi ou nest un fait tabli. Personne ne le sait mieux que le monde scientifique. Son histoire est faite

    de revirements. Des thories qui avaient valeur daxiomes irrfutables ont t converties en simples croyances, aprs quune nouvelle hypothse ou un nouvel lment est venu contredire tout ce qui avait cours jusqualors.

    Le thtre grec antique occupe une place prdominante dans lhistoire du thtre europen, mais tout ce qui concerne le thtre en dehors de lAttique en est absent. Dans cette recherche, nous mettons en lumire le thtre de la Grce dorienne, un thtre diffrent de celui de lAthnes classique.

    Nous ne pouvons pas savoir si cest le hasard ou dautres raisons qui ont fait que les recherches sur lorigine du thtre nont pas pris en compte le thtre dorien. Mais, quoi quil en soit, cette absence de recherche a, elle seule, cr certainement des problmes quant la valeur scientifique des thories qui ont t mises sur lorigine du thtre. La thorie dominante est celle selon laquelle le thtre plonge ses racines dans les crmonies religieuses. La question est de savoir si ces conclusions sont pertinents, tant donn que les tudes se sont fondes uniquement sur le thtre attique.

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    La mme question se pose en ce qui concerne les analystes du thtre de lAntiquit dont les conclusions sur la comdie et la tragdie attiques ont t extrapoles lensemble du thtre antique.

    Le thtre dorien cependant, indpendamment du fait quil na pas constitu jusqu prsent un sujet de recherche systmatique, ne cesse pas pour autant dtre une ralit historique. Le fait que les chercheurs ne laient pas remarqu ne signifie pas quil na pas exist. En toute hypothse, il y a une premire fois pour tout.

    Cette recherche est la premire tentative dapproche et de dtermination du thtre dorien. Nous ne pouvons bien sr pas prtendre avoir puis le sujet. Il suffit de penser aux nombreuses recherches qui ont t consacres la tragdie et la comdie, encore que ce domaine soit considr comme insuffisamment tudi. Nous considrerons que le but de cette tude sera atteint si le thtre dorien devient un ple dattraction et suscite de multiples recherches. Cest dailleurs le but ultime de toute proposition de recherche.

    Je voudrais terminer cette brve introduction en citant une histoire. Cest la seule qui me soit reste en mmoire parmi les volumineux ouvrages que je devais apprendre par cur au cours de ma formation la pdagogie :

    En lan 1432 un violent diffrend clata dans un monastre dont les moines se disputaient propos du nombre de dents quun cheval a dans la bouche. Le diffrend dura plusieurs jours sans que le problme ne soit rsolu. Un jeune moine demanda alors trs timidement ses suprieurs la permission dexprimer une proposition. Il leur demanda donc sil tait possible dutiliser un moyen inhabituel et incroyable : regarder lintrieur de la bouche dun cheval pour trouver la rponse. Malheureusement, sa proposition provoqua la fureur des autres moines

    qui se lancrent sur lui, le frapprent et le jetrent dehors. Ils agirent ainsi parce quils considraient que le diable avait induit le jeune moine en tentation pour quil propose des faons impies et inoues de rechercher la vrit, qui taient contraires aux prceptes des Pres de lglise. Finalement, aprs quelques jours de vive controverse, ils tombrent tous daccord sur le fait que la question resterait sans rponse faute de tmoignage thologique et historique.

    Bien que cette histoire nait aucun rapport avec le sujet de mon tude, je la mentionne parce que jusqu prsent le Mime grec antique na pas eu

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    un sort meilleur que la rponse apporte par les moines au problme du nombre de dents du cheval.

    Et, comme notre tude est une proposition nouvelle dans le domaine de la recherche sur le thtre, nous esprons que nous naurons pas le mme sort que le jeune moine de lhistoire.

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    I. NOTIONS ET THEORIES SUR LE MIME, LE

    THEATRE ET LE RIRE

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    A. La notion de Mime grec antique

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    A1. Les interprtations smantiques des mots mime et

    imitation

    De nos jours, le terme mime signifie : a. Lartiste qui interprte son rle par les mouvements du corps, cest--dire bannit le discours articul et sexprime uniquement grce au langage corporel et au mouvement

    4.

    Et

    b. Toute forme thtrale o la parole joue un rle nul ou insignifiant5. Selon cette dfinition, lart du mime inclut lart de la pantomime, laquelle se dfinit comme : lart de sexprimer par les mouvements du corps et les mimiques sans avoir recours la parole6. En effet, dans lart dramatique actuel, il ny a pas de limite nette entre le mime et la pantomime. Lopposition entre mime et pantomime se fonde sur une question de stylisation et dabstraction. Le mime tend vers la posie, largit ses moyens dexpression, propose des connotations gestuelles que chaque spectateur interprtera librement. La pantomime dnote fidlement le sens de lhistoire montre7.

    Au sujet de ce genre particulier et captivant dart thtral, le thtrologue grec Alexis Solomos nous dit quil plonge ses racines aux origines de lhumanit : Il est n en mme temps que le monde et que le mensonge

    8. De mme, le grand pote Thodore de Banville

    sexclamait : Lhistoire de la pantomime !!... cest lhistoire de lhumanit9.

    Les chercheurs nous donnent ltymologie du mot mime : il est issu du grec (mimos) qui signifie imitateur et est li tymologiquement au verbe (mimoum) qui signifie reprsenter ou reproduire une action

    10. Ernst Robert Curtius compare le grec -

    4 Pierron, Agns, La Langue du Thtre, Le Robert, Les Usuels , 2002, p. 343.

    5 Ubersfeld, Anne, Les termes cls de lanalyse du thtre, Seuil, Paris, 1996, p. 52.

    6 Pierron, Agns, La Langue du Thtre, Le Robert, Les Usuels 2002, p. 374.

    7 Pavis Patrice, Dictionnaire du thtre, ditions Sociales, Paris 1989, p. 250.

    8 , , . , d. ,

    Athnes-Ioannina, 1987, p. 17. 9 Hugounet, Paul, Mimes et Pierrots, Paris, 1989, p. 3.

    10 , , , d. , 1986, p. 19.

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    (mi-mos) au sanscrit m-y qui signifie illusion, charme11. Cependant ils prcisent que le mime du monde antique ne doit pas tre confondu avec le sens actuel que nous donnons ce mot12. Les explications sommaires et condenses sur la signification de ce terme pour les anciens Grecs, que nous trouvons dans les dictionnaires de grec ancien, prtent ce mot des sens trs simples :

    1. Celui qui imite la voix de quelquun dautre : ... (glossis aftis fokidos mimoumno) = nous imiterons l'accent phocidien (Eschyle, Les Chophores, 564)13, ... ... (Kourai Diliades panton danthropon fonas kai krembalistin mimesthai isasin) = Les jeunes Dliades qui savent bien avec des cymbales imiter les voix de tous les hommes (3e hymne

    homrique, ddi Apollon)14.

    2. Lacteur (comdien/interprte) : Aristote (Potique 3/1448a)15 et Platon (La Rpublique 602 A)16 utilisent la forme (mimitis) imitateur pour dsigner le comdien.

    3. Celui qui joue des rles de bouffons, de femmes ou danimaux : on trouve chez Dmosthne (mimis ylion) (Dmosthne18)17, cest--dire celui qui imite quelque chose en vue de provoquer le rire. Chez Plutarque (Sylla, 36)

    18 nous lisons

    (mimis ginxi), cest--dire celui qui imite les femmes, tandis que chez Euripide (Rhsos, 256)19, (tetrapoun mimon echon epigeou thiros), cest--dire celui qui imite un quadrupde.

    11

    Liddell et Scott, , d. . , Athnes, 1904, vol. 3, p. 167. 12

    Howatson, Margaret. C., The Oxford Companion to Classical Literature,

    , d. , Athnes-Thessalonique, 1996, p. 504. 13 , , trad. , d. , Athnes, 1997, p. 76. 14

    Evelyn-White, Hugh G., Hesiod, The Homeric Hymns and homerica, William

    Heinemann, Londres: Macmillan, New York, 1914.

    15 , , , d. , Athnes, 1982, p. 207. 16 , , tome 2, trad. , d. , Athnes. 17 , , trad. ., d. , Athnes, 1911. 18 , - : / , trad. , d. , Athnes, 1999. 19 , , trad. ., d. , Athnes, 1995.

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    4. Lart de limitation20.

    5. Un genre de drame en prose ou en vers qui reprsente de faon simple la vie quotidienne et les personnages familiers, lequel semble avoir t cr par les Doriens de Sicile21.

    Comme nous le constatons dans les interprtations smantiques ci-dessus, trois lments fondamentaux constituent la notion de :

    1) Limitation comme reprsentation, 2) Limitation (le mime) comme performance, et 3) Le Mime comme genre de texte dramatique.

    En accord avec ces lments - lments fondamentaux qui dfinissent lart du thtre22 - nous pourrions simplement dfinir le mime grec antique comme un genre dart dramatique qui sest dvelopp dans la Grce antique et plus particulirement dans la Grce dorienne.

    20

    . , , tome1, d. . . 21

    Liddell et Scott, , d. . , Athnes, 1904, vol. 3, p. 168. 22

    Naugrette, Catherine, Lesthtique thtrale, d. Armand Colin 2005, Paris, p. 17.

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    A2. Les aventures du mot

    Le mot , qui fut entendu pour la premire fois dans les colonies doriennes de Sicile, signifiait lorigine une courte uvre dialogue, en vers ou en prose. Ce genre est apparu et sest dvelopp autour du VIe sicle av. J.-C. donc avant la comdie attique Syracuse23.

    La comdie a atteint son apoge comme genre littraire en deux endroits de la Grce partir de deux racines diffrentes : en Sicile, lpoque o cette le, sous lautorit de tyrans ambitieux et puissants, a connu la priode la plus belle mais la plus brve de son panouissement, et Athnes vingt ans plus tard, quand la dmocratie a atteint son apoge24. (Wilamowitz-Moellendorff, 2003)

    Les crateurs de ce genre littraire taient picharme, Sophron, Xnarque et Phormis. Les premiers stades de la comdie sicilienne furent les jeux factieux des bouffons , cest--dire des pisodes comiques sans intrigue particulire, que prsentaient des bouffons sur les marchs ou dans les maisons des riches, sous forme soit de pantomime, soit de chant

    improvis, soit de texte en prose. Elle apparut dabord Sparte, Mgare, Corinthe et dans dautres villes doriennes25. Cest la premire expression par laquelle se manifeste lart dramatique en Grce. Elle sappelle farce dorienne

    26.

    Au IVe sicle, le terme /mimos est introduit en Grce par Platon

    avec une signification compltement diffrente. La notion prend une forme proprement philosophique. Platon, admirateur dpicharme et de Sophron, emprunte le style dialogu des mimographies siciliennes en vue de rdiger ses thses philosophiques exemple que suivront dautres philosophes mais galement la notion dimitation, et le mime devient lobjet de sa rflexion philosophique27. Aprs Platon, Aristote se livrera lanalyse philosophique de cette notion. La dfinition aristotlicienne de

    23

    Lesky, Albin, , d. , Thessalonique, 1990, p. 343. 24

    Wilamowitz-Moellendorff, Ulrich von, : , trad. , d. , Thessalonique, 2003, p. 7. 25

    , , , d. , Athnes, 1888, tome 1, p. 673. 26

    , , . , d. , Athnes-Ioannina, 1987, p. 19. 27

    Ibidem, p. 20.

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    la notion dimitation comme nous le verrons plus loin fut dcisive dans la formation du thtre europen.

    la fin du IVe sicle, le /mimos commence dterminer lexcutant. Cest lpoque o, comme nous le dit Aristote, les acteurs ont clips les auteurs28. Dsormais les auteurs de tragdie donnent davantage de poids aux pripties de lintrigue. Leurs uvres sont des tragi-comdies romantiques . La rcompense du juste et le chtiment du mchant constituent lthique et lesthtique de lpoque.

    Aristote, critiquant les uvres des auteurs de son poque, dit que ... (akolouthousi gar oi poiitai katefchin poiountes tois theatais) (Aristote 1453

    ,35), cest--dire que les potes suivent le public en crivant ce qui lui plait. Ainsi, lacteur est primordial et la reprsentation repose plus sur sa virtuosit que sur celle de lauteur ... (dinantai ton poiiton nun oi upokritai) (Rhtorique III 1403b, 33)

    29.

    Plus tard, lpoque romaine, le terme mime sidentifie comme : le comdien improvisateur qui danse, rit, chante, fait des cabrioles et imite tout par lexpression et le mouvement. En fonction de son talent et des besoins du moment, chaque excutant ajoute un dialogue ou une danse, lesquels seront ensuite reproduits ou modifis par dautres30.

    Malheureusement, cette identification a conduit de nombreux chercheurs

    la conclusion errone que le mime romain est une variante du genre dramatique du Mime qui sest dvelopp en Sicile.

    Ce point de vue est arbitraire parce que, tant dans la comdie sicilienne que dans le Mime de lpoque hellnistique qui en est issu, nulle part on ne voit le mime interprte cest--dire le comdien des Mimes improviser par la danse ou le mouvement, en supprimant la partie

    dialogue ou en faisant autre chose que ce que demande le sujet de la pice.

    28

    Ibidem, p. 21. 29

    , , , d. , Athnes, 1982, p 37. 30

    , , . , d. , Athnes-Ioannina, 1987, p. 22.

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    A3. La dfinition du mime grec antique

    Une ancienne dfinition de mime qui a t prserve grce au grammairien Diomde (fin du IVe sicle aprs J.-C.) est : (mimos estin biou ta te sygkechorimena kai asugchorita periechon)

    31, et en latin :

    Mimus est sermonis cuius libet et motus sine reverentia, vel

    factorum et turpium cum lascivia imitatio, cest--dire : le mime est une imitation de la vie qui comprend ce qui est convenable et

    ce qui ne lest pas.

    Cette dfinition, centre sur la matire du mime, a naturellement t crite alors que le christianisme tait devenu dominant. Les mots (sygkechorimena kai asygchorita) signifiaient alors les choses convenables, permises et celles qui ne

    ltaient pas ; ils se rfrent donc la morale chrtienne qui stait dj dclare oppose ce genre thtral32. Evanthius, rhteur et grammairien dont on situe le dcs vers 359 aprs J.-C. 33, dit que le mime imitait depuis des temps trs anciens des choses mineures et des personnages superficiels : Mimos ab diuturna imitatione vilium rerum et levium personarum

    34.

    Les tudes les plus rcentes utilisent le mot mime pour ranger dans ce genre toutes les sortes de spectacle qui ntaient ni la tragdie ni la comdie anciennes. Ceci eut pour consquence labsence de dtermination claire de lobjet mime si bien que lapproche de la recherche devient particulirement difficile. Voyons par exemple la dfinition de Daremberg et Saglio35 :

    Le terme de mimos a trois acceptions : il dsigne l'acteur, homme ou femme, qui produit une imitation ; l'imitation elle-mme ; enfin un genre voisin de la comdie, et dont le premier reprsentant est, pour nous, Sophron de Syracuse. Au plus bas degr parmi les acteurs-mimes peuvent tre placs ces baladins dont les imitations vocales (chevaux 31

    , ., , , d. , Athnes, 2000, p. 9. 32 , , , d. , 1986, p. 19. 33

    Smith, William, Dictionary of Greek and Roman Biography and Mythology,

    Boston, 1867, p. 60.

    34 Reich, Hermann, Der Mimus, Ein litterar-entwickelungsgeschichtlicher Versuch,

    Berlin, 1903, p. 50. 35

    Daremberg, Charles & Saglio, Edmond, Dictionnaire des Antiquits Grecques et Romaines, vol. 3, d. Librairie Hachette, Paris, 1877, p. 1899.

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    hennissants, taureaux mugissants, bruit des torrents et de la mer,

    grondement du tonnerre, etc.) taient trs en faveur auprs du public. Le mime est quelquefois aussi un danseur : le terme d'orchsts s'applique lui ; et cette identification est naturelle, car, ainsi qu'on l'a justement

    montr, la sparation que notre art orchestique met entre la mimique et la danse n'existe pas chez les Grecs au mme degr : bien que les monuments figurs nous montrent des pas de danse... qui paraissent, comme les ntres, entirement dpourvus de sens mimtique , le danseur grec est le plus souvent un mime : l'objet de son art est

    l'imitation individuelle ou l'imitation en masse [Saltatio]. Un certain

    nombre de danses sont des imitations d'animaux, de personnages

    typiques ou de scnes plaisantes. Le morphasmos est dfini par Pollux : pantodamn zn mimsis, et les danses appeles skps, len, glaux, alpx, geranos, n'en sont, sans doute, que des formes particulires ; la catgorie des danses typiques se rattachent l'aggelik, o l'on reproduisait la gesticulation et les attitudes des messagers, et la danse

    laconienne des upogupnes ; parmi les danses qui sont proprement des scnes comiques, on peut mentionner la klpeia et la klop tn eln kren : celle-ci tait spcialement appele mimtique ; la klpeia tait peut-tre une scne un seul personnage, la mimique du voleur pouvant marquer d'une manire assez claire l'intervention du vol ; une danse d'un autre caractre, la karpaia des Aenianes et des Magntes, tait un mime deux personnages : un laboureur sme son champ en se retournant frquemment, comme un homme qui a peur : un brigand survient, et une lutte s'engage dont les boeufs et la charrue sont l'enjeu.

    D'un genre analogue est la scne des amours de Bacchus et d'Ariadne, qui termine le Banquet de Xnophon : la physionomie et les gestes des acteurs donnent une impression de ralit saisissante, mais il n'est pas fait usage de la parole [Pantomimus]. Paralllement ces danses mimtiques o une action suivie et complte est reprsente par simple gesticulation, se dveloppe un autre genre de mime, plus voisin de la comdie : il ne se borne pas l'imitation des gestes typiques, il reprsente aussi par la parole ou par le chant des scnes bouffonnes et des parodies. Ce mime, qui est, par excellence, le divertissement

    populaire, n'a pas un dveloppement rectiligne : nous le verrons plus loin natre spontanment dans des ftes dionysiaques, mais on en voit d'autre part une espce profane, dont on peut chercher l'origine dans les parades des thaumatopoioi. Le jongleur n'a pas de plus sr moyen que la mimique pour retenir ou attirer les passants [Balatro, Cinaedus] : il

    imitera, par exemple, des bruits ou des animaux et pourra mme contrefaire quelque personnage ridicule, parmi les gens qui font cercle

    autour de lui. Nous voyons d'ailleurs que les mots thaumatopoioi, mimoi,

    thologoi, sont constamment rapprochs. Athne nous montre une sorte

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    d'ascension de jongleur mime : un thaumatopoiois appel Nymphodoros devint presque aussi clbre que Cron, le plus renomm des mimes italiotes. Le crieur public Ischomachos eut une carrire analogue : il produisit d'abord ses imitations dans la rue (en kuxlois),

    puis, ayant acquis de la renomme, il joua des mimes dans des thtres forains (en thaumasin).

    Dans son livre Der Mimus (1903), Reich suit lexemple de Daremberg et Saglio en examinant le Mime depuis les bouffons lacdmoniens (Diclistes) jusquau thtre de marionnettes et depuis picharme jusquau thtre dombres36. Les lments quil considre comme tant caractristiques du Mime sont : lintrigue succincte et lmentaire, la caractrologie grossire, limprovisation, lhumour vulgaire des fonctions et excrtions corporelles, la parodie, la satire et encore lindispensable prsence de la figure thtrale de larnaqueur, du fripon irrsistiblement attir par toutes sortes dastuces et de supercheries37.

    Cette opinion, qui continue dtre reflte dans les tudes contemporaines, obscurcit le paysage plus quelle ne lexplique. Et de plus, arbitrairement et sans preuves scientifiques, ces tudes sortent le mime de la catgorie du thtre pour le classer dans la catgorie du spectacle. Elaine Fantham dit par exemple :

    Le Mime est en substance une forme libre, improvise et irresponsable... (Pour le mime) une dfinition ngative serait plus approprie : serait du mime ce qui ne correspondrait pas aux genres dramatiques de la tragdie et de la comdie, de latellane ou de la comoedia togata : une forme narrative de divertissement au moyen de la

    parole, de la danse et du chant38

    .

    Nous avons encore la description de Royce qui crit39:

    Lorsque nous parlons des Mimes, nous nous rfrons au domaine du divertissement populaire, non dfini et indfinissable.

    36

    Reich, Hermann, Der Mimus. 37

    , & , , : , d. Gutenberg, Athnes, 2008, p. 453. 38

    Fantham, Elaine, "Mime: The Missing Link in Roman Literary. History,"

    Classical World (1989) 82:3, 153 -163. 39

    Peterson Royce, Anya, Mime, dans: Richard Bauman, Folklore, Cultural

    Performances and Popular Entertainments: A Communications-Centered Handbook,

    d. Oxford University Press, p. 191-195.

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    Le seul qui ait fait une tentative srieuse de dfinition du mime est Wiemken. Dans son tude, Der griechische Mimus, il restreint le mime au seul domaine de la reprsentation thtrale et le dfinit comme : la reprsentation thtrale qui runit le langage et le geste40.

    En observant les dfinitions ci-dessus, nous constatons que ce qui contrarie la dtermination et, par extension, la recherche sur le Mime, est que ce genre dramatique est coinc dans les multiples significations et utilisations des mots mime et imitation .

    Dans notre tude, nous suivrons le point de vue de Wiemken selon lequel le mime est une reprsentation thtrale. Et le Mime sera tudi indpendamment de la signification et de lutilisation du mot homophone. Nous tudierons ainsi le mime intgr exclusivement parmi les quatre genres dart dramatique qui se sont dvelopps dans la Grce Antique et qui sont la tragdie, la comdie, le drame satyrique et le Mime.

    Donc dans la prsente tude, le Mime est : le genre dramatique qui sest dvelopp dans la Grce dorienne contrairement aux trois autres genres dramatiques qui se sont dvelopps en Attique. Notre but est ainsi dexplorer ce genre dramatique et ses ressemblances comme ses diffrences avec les autres genres dramatiques.

    Comme notre sujet est le mime grec antique, notre recherche se limitera

    dans le temps de sa naissance et de son volution, depuis la farce dorienne jusqu lpoque hellnistique. Nous ninclurons pas dans notre tude le mime romain, tant donn quil sagit dun genre diffrent, comme laffirme Florence Dupont41 :

    Lanalyse de la place du mime Rome serait assez simple sil ny avait pas eu quelques sicles plus tt en Grce un autre type de mime.

    40

    Wiemken, Helmut, Der griechische Mimus : Dokumente zur Geschichte des

    Antiken Volkstheaters, Schnemann Universittsverlag, Brme, 1972, p. 21-28. 41

    Ibidem, p. 367.

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    B. Les thories modernes sur lorigine de lart dramatique

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    B1. Lapproche aristotlicienne

    Aucun des nombreux ouvrages dAristote na eu autant dinfluence que son petit trait intitul (Pri Piiseos) qui pourtant na mme pas t intgralement conserv. La Potique est connue en Europe seulement en 1458 par la traduction latine de Giorgio Valla, qui a t dite dans les imprimeries de Venise42. Ds le XIIIe sicle aprs J.-C. en Europe, les ides et les thses dAristote dans le domaine de la philosophie furent un champ daffrontements en mme temps quelles avaient valeur de postulat. une poque, donc, o la conception aristotlicienne est dominante, linterprtation de La Potique tait un champ daffrontements littraires. De la Renaissance la fin de la priode classique, lanalyse et linterprtation de la littrature tait base sur La Potique dAristote, car elle tait considre comme la premire tude complte et systmatique sur la posie. Une des consquences les plus fcheuses fut que louvrage fut considr comme un livre obligatoire de normes

    43.

    Ainsi les points de vue dAristote ont marqu tous les domaines littraires qui se sont plus ou moins occups de lorigine du thtre et du thtre en gnral44. Le domaine de la littrature classique avec la thorie interprtative prpondrante de Wilamowitz-Moellendorff qui sest centr principalement sur le genre dramatique de la tragdie avec pour critre lanalyse dAristote soccupe de faon minime de lorigine du thtre. Les informations de Wilamowitz-Moellendorff ne se diffrencient pas de celles, trs minces, que nous donne Aristote, c'est--dire que la tragdie provient du dithyrambe, tandis que la comdie trouve ses racines dans les chants phalliques

    45.

    ' ' () , , ,

    42

    , , trad. , 3e d., , Athnes, 1982, p. 32. 43 , , trad. , 3e d., , Athnes, 1982, p. 32. 44

    Puchner, Walter, . , (, 9), Athnes, 1985, p. 12 et suiv. et p. 39-46. 45

    Wilamowitz-Moellendorff, Ulrich von, : , trad. , d. , Thessalonique, 2003, p. 12.

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    (Aristote, La Potique, 1449a, vers 9 15), soit : Ainsi donc la tragdie comme la comdie commencrent par limprovisation. La tragdie naquit des pomes dithyrambiques et la comdie des pomes phalliques, qui subsistent encore aujourdhui dans de nombreuses cits.

    Wilamowitz centre simplement sa recherche sur lorigine du dithyrambe, en soutenant que celui qui la faonn et par extension le crateur de la tragdie, fut Arion46. Celui-ci a reprsent pour la premire fois, dans des concours de musique Corinthe, le dithyrambe (qui tait auparavant sans rythme et plein de cris inarticuls) avec une mlodie bruyante et pleine de fougue, accompagne de danse en ronde47.

    , le Dithyrambe48 tait un chant en lhonneur de Dionysos. Il tait entonn par un chur dhommes ou de garons avec un accompagnement la flte, lors des ftes dionysiaques. Le thme tait initialement la naissance de Bacchus, mais par la suite le cadre devint

    plus large. On pense que le mot provient : a) du qualificatif

    donn Dionysos, n deux fois, lune de Sml et lautre de la cuisse de Zeus, et b) de --, venir de deux ouvertures. Son volution a conduit la naissance de la tragdie. Cependant, certains autres chercheurs soutiennent que le dithyrambe

    ntait pas un chant en lhonneur seulement de Dionysos, mais aussi dautres dieux, hypothse base sur le fait quAristote ne mentionne pas le dithyrambe en tant que chant exclusif de Dionysos

    49.

    , les chants Phalliques50 taient des chansons improvises au contenu moqueur et grivois que chantaient les groupes dinitis (thiasotes) de Dionysos pendant la priode de clbration des Dionysies champtres, en portant un norme phallus, symbole de fcondit.

    46

    Adrados, Francisco Rodrguez, Festival, Comedy and Tragedy: The Greek Origins of Theatre, Brill Academic Pub., 1975, p. 3. 47

    , , , -, d. , Athnes, p. 327. 48

    Lesky, Albin, , d. , Thessalonique, 1998, p. 331. 49

    Arthur W. Pickard-Cambridge, Dithyramb, Tragedy and Comedy, Clarendon,

    Oxford, 1927. 50

    , , Patras, 2001, p. 11.

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    (-), lexarchonte51 tait le soliste improvisateur qui dbutait et dirigeait le chant choral dans les diverses crmonies.

    , les phalliques taient des ftes rustiques en lhonneur de Dionysos mais aussi dautres dieux lis la fcondation et la reproduction de la nature, telle Dmter52, qui taient clbrs dans toutes les rgions de la Grce.

    , les thiases53 taient les groupes dinitis au culte de Dionysos dont les membres sappelaient , thiasotes. Selon le dictionnaire de Souda, publi au Xe sicle, le terme provient soit du verbe /tho qui signifie courir, soit du verbe /enthousiao qui signifie tre envahi par le dieu, tre en extase.

    Plutarque (De lamour des richesses, 527d) nous prsente la description dune telle fte qui avait lieu dans la campagne de lAttique de la mi-dcembre la mi-janvier54. Le noyau dur des manifestations festives tait le cortge du phallus. Le meneur du cortge tenait une amphore pleine de vin et un sarment de vigne. Puis suivait un homme tranant un bouc, animal symbolique de la puissance de fcondation, qui tait sacrifi au dieu Dionysos. Ensuite venait un autre portant une corbeille dosier pleine de figues sches et enfin le dernier qui promenait en haut dune perche le phallus, symbole par excellence des forces de fcondation. Le cortge phallique dsirait transmettre la terre les forces de fcondit symbolises par le phallus et activer ses forces productives pour une nouvelle anne de bonne rcolte. Les participants la fte taient dguiss, ils fardaient leur visage ou portaient un masque, couronnaient leur tte de lierre et portaient le phallus suspendu au cou ou la taille. Ils se grisaient en buvant le vin nouveau de lanne, chantaient des chansons obscnes et moqueuses, dites phalliques, et dansaient des danses comiques

    55.

    51

    Lesky, Albin, , d. , Thessalonique, 1998, p.331. 52

    , , , d. , Athnes, 1888, tome 1, p. 673. 53

    Bekkeri, Immanuelis, Suidae Lexikon, Berlin 1854 ,Vol. III, p. 505. 54

    Parke, Herbert W., Festivals of the Athenians, Londres, 1977, p. 100-103. 55

    , , , , 2e dition, Athnes, 1996, p. 153-154.

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    Dans ces manifestations festives figuraient diffrents jeux populaires, comme celui de l/askoliasmos56, un jeu cloche-pied. Selon le dictionnaire de Souda, des outres en peau de bouc, gonfles et enduites dhuile lextrieur, taient places au milieu du thtre. Sur ces outres, des pitres essayaient de tenir en quilibre sur une jambe, ce qui ntait pas facile russir, et ils provoquaient le rire des spectateurs en tombant

    57.

    Selon lopinion classique comme selon Aristote, la naissance de la comdie est attribue aux improvisations sur les chants phalliques, cest--dire aux chants improviss et aux danses des thiasotes de Dionysos les jours de sa clbration. Ainsi, les premiers lments de la comdie furent lhumeur joyeuse et le caractre licencieux et obscne, dans le but dloigner le mal en le ridiculisant.58.

    56

    Flacelire, Robert, , , Athnes, 2000, p. 247. 57

    Bekkeri, Immanuelis, Suidae Lexikon, Berlin, 1854 ,Vol. I, p. 183. 58

    . & ., , ..., Patras, 2001, p. 35.

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    B2. Lorigine rituelle du thtre

    En 1890 commence la publication de louvrage en douze tomes de James George Frazer (1854-1941), The Golden Bough/Le rameau dor, une trs vaste tude des cultes, des rites et des mythes de lAntiquit. Ce livre marqua une tape dans le dveloppement et le progrs des recherches anthropologiques et ethnologiques. James George Frazer est considr comme un des principaux acteurs de lanthropologie culturelle de la Cambridge School of Anthropology (CSA)

    59. Cet anthropologue cossais avait t profondment influenc par la thorie de lanimisme dEdward Tylor (1832-1917). Tylor dfinit lanimisme comme :

    La croyance que les tres naturels ont des forces spirituelles qui les habitent et qui leur donnent une puissance surhumaine Lanimisme est le fondement de la religion, depuis celle des sauvages jusqu celle des civiliss60.

    Frazer se consacra ltude du mythe et de la religion . Son hypothse de base tait quil existe un rapport entre les mythes et les rites. Son uvre a profondment influenc les chercheurs novateurs en sciences sociales et humaines

    61. Dans cet esprit, fut consacre lide que

    les racines du thtre remontent aux crmonies religieuses. Les principaux partisans de ce point de vue sont : Jane Ellen Harrison, Gilbert

    Murray et Francis McDonald Cornford62

    .

    Au reste, une opinion ancienne tait que le thtre a surgi au sein de la religion ou bien que la religion sest appuye sur et sest exprime dans lart de la reprsentation thtrale. Dans une tude de Benjamin Constant, publie en 1831, nous lisons que :

    Ladmission des initis la connaissance de ce que le sacerdoce appelait des mystres, nimpliquait point lenseignement de sa doctrine,

    59

    Campbell, D.T., The two distinct routes beyond kin selection to ultrasociality:

    Implications for the Humanities and Social Sciences. Dans : The Nature of Prosocial

    Development: Theories and Strategies, D. Bridgeman (ed), Academic Press, New

    York, 1983, p. 11-39. 60

    Tylor, Edward. B., Primitive culture: researches into the development of

    mythology, philosophy, religion, art, and custom, Gordon Press, 1903, p. 426-427. 61

    Phillips, Robert S., Funk & Wagnalls New Encyclopedia, Funk & Wagnalls,

    U.S.A, 1983, Vol. 11, p. 27. 62

    Harrison, Jane, Themis : A Study of the Social Origins of Greek Religion,

    Cambridge University Press, 1927 [1912].

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    ou pour mieux dire de ses doctrines secrtes car on a vu quil y en avait plusieurs. Tout constate que les mystres rvls par linitiation ntaient que des reprsentations dramatiques, des rcits mis en action, des descriptions remplaces et rendues plus sensibles par des images Les prtres pouvaient reconnatre dans ces reprsentations des allusions leur philosophie, mais le peuple ny voyait que les fables de la mythologie vulgaire, offerte ses regards dune manire plus anime Les mystres se composrent de crmonies, de processions dans lintrieur des temples, de pantomime63.

    La thorie de lcole dAnthropologie de Cambridge, selon laquelle les crmonies religieuses taient lorigine du thtre, devint largement accepte et, bien quayant provoqu des contradictions, elle fut consacre comme thorie dominante. Les thories varies qui furent exprimes ne mettaient pas en cause la thse de base de cette thorie rituelle, mais se dmarquaient principalement, soit quant au type de crmonie dont le thtre est issu, soit quant la divinit laquelle la crmonie tait consacre. En pratique, nous navons pas des thories diffrentes, mais trois approches diffrentes, comme suit64 :

    1. la thorie rituelle de lcole dAnthropologie de Cambridge,

    2. la thorie chamaniste de Kirby, et

    3. la thorie de la performance de Turner-Schechner.

    La thorie rituelle de lcole dAnthropologie de Cambridge

    Jane Ellen Harrison (1850-1928) faisait partie des lves de Frazer et il est naturel quelle ait t influence par ses ides. Conformment au courant scientifique de lpoque, elle a tudi la civilisation grecque en associant les points de vue sociologiques et anthropologiques aux

    tmoignages littraires65. Pour les racines du thtre, elle soutient quelles proviennent des crmonies qui avaient cours en gypte en lhonneur dOsiris. Pour lorigine du genre dramatique de la tragdie, elle suit la position dAristote et axe sa recherche sur la tentative de ce

    63

    Benjamin Constant, De la religion, considre dans sa source, ses formes et ses dveloppements, vol. 5e, Pichon et Didier, Paris, 1831, p. 8, 9 et 12. 64

    Rozik, Eli, The Roots of Theatre: Rethinking Ritual and Other Theories of Origin,

    University of Iowa Press, 2002. 65

    Peacock, Sandra J, "The Life and Work of Jane Ellen Harrison" dans :

    Modernism/modernity, Vol. 10, No 3, September 2003, p. 575-576.

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    dernier dlucider ce qutait exactement le dithyrambe. Elle considre donc que le dithyrambe, ntait pas seulement un hymne chant pendant les rites de Dionysos, mais aussi un des nombreux noms qui avaient t attribus au dieu66. Elle soutient que ctait un hymne grandiose, dogmatique, rituel qui raconte lhistoire de la nouvelle naissance de Dionysos. Pour Harrison, Dionysos est la personnification de Zeus

    adolescent et la nouvelle naissance symbolise la mtamorphose du garon en homme. Un des nombreux mythes relatif Dionysos qui a fourni le stimulus explicatif Harrison est celui de Dionysos Zagreus67.

    Dans la mythologie grecque, Zagreus tait le grand dieu des Orphiques, n de Persphone et de Zeus mtamorphos en serpent. Selon la tradition prcise, Persphone avait des cornes, ainsi, Zagreus naquit lui aussi avec des cornes. Zeus le nomma roi des dieux et lui donna un sceptre, la

    foudre et la matrise de la pluie. Et de mme que les Curtes veillrent sur Zeus quand il tait bb, ils veillrent sur Zagreus, aids de plus par Apollon. Lpouse de Zeus, Hra, voulut exterminer le petit Zagreus et envoya les Titans le tuer au moyen de stratagmes perfides : ils lui apportrent des jouets (un rhombe, un osselet, des pommes dor, une toupie) et un miroir. Zagreus regarda son visage dans le miroir. cet instant prcis, les Titans se prcipitrent sur lui avec leurs couteaux. Alors, pour leur chapper, le jeune dieu commena se mtamorphoser : il devint Zeus adolescent, Cronos, un serpent cornes, un cheval, un tigre, un taureau. Hra, malgr tout cela, incite les Titans ne pas faiblir, et ainsi sur son ordre, ils coupent Zagreus en morceaux alors quil avait la forme dun taureau, font bouillir la viande et la mangent. Zeus fut tellement furieux quil foudroya les Titans et les envoya dans le Tartare. Il ordonna Apollon de recueillir les restes de Zagreus et de les enterrer Delphes, prs de son trpied. Selon une autre version du mythe, la desse Athna russit sauver le cur de Zagreus et le remit Zeus, qui le plaa dans une statue en pltre leffigie du jeune dieu. Une autre tradition mentionne sa rsurrection : Rha et Dmter collent ses morceaux et Zagreus se dresse et renat avec une nouvelle personnalit, celle du dieu Dionysos, fils de Sml, laquelle Zeus avait donn le cur de Zagreus pour quelle lavale68.

    66

    Harrison, Jane, , trad. , d. , Athnes, 1995, p. 117. 67

    Harrison, Jane, ibidem, p. 15. 68

    Patsi-Garin, Emmy, , d. , Athnes, 1969.

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    Llment mimtique se trouve dans le fait que la reprsentation de ce mythe se rptait, au cours des crmonies dinitiation des jeunes garons lphbie. Pour Harrison, le mythe de la mort et de la rsurrection de Dionysos reflte la mtamorphose du garon en homme. La formation du dithyrambe en acte thtral est venue de groupes de jeunes danseurs de Crte, appels Curtes, qui venaient tout juste dtre initis ou allaient ltre. Pendant la danse, ils invitaient le dieu tre prsent parmi eux. Celui qui reprsentait le dieu tait dune certaine faon la tte du groupe. En tant que reprsentant du groupe, l /eksarhos, acquiert dj un lment qui len diffrencie, il est son chef. lorigine, les danseurs le respectent. Mais comme il sen dissocie, ils lobservent et le prennent en sympathie ou le critiquent. Ainsi, de faon progressive, les danseurs se transforment en un groupe de spectateurs. En ce qui concerne

    le thtre, ils deviennent lauditoire et en ce qui concerne la religion, ils deviennent les fidles69. Llment qui diffrencie la comdie de la tragdie est que, tandis que dans la tragdie sont conservs la beaut, la gravit et le faste du mythe, dans la comdie subsiste seul le caractre dextase collective70. Par consquent, en termes sociologiques et psychologiques, la tragdie exprime le dveloppement de la pense individuelle, la prise de conscience de l ego , et la diffrenciation de lindividu par rapport lensemble social. Au contraire, la comdie reflte la structure sociale primitive dont sont absents la diffrenciation et l ego personnel71.

    Dans lesprit de la thorie rituelle, Gilbert Murray sest efforc dexpliquer lorigine de la tragdie en considrant quelle provient des trs anciens rites dadoration du Dmon du Printemps, dont faisaient partie les crmonies dionysiaques72. Les lments fondamentaux sur lequel taient centres les crmonies et le culte taient la mort et la rsurrection du Dmon du Printemps73. En suivant le modle de Murray, Francis McDonald Cornford, lui, a tent dexpliquer lorigine de la comdie74. Laxe central de leur pense est que, dans les crmonies

    69

    Harrison, Jane, , trad. , d. , Athnes, 1999, p. 47. 70

    Harrison, Jane, p. 67. 71 , , . , , , 1971, p. 37. 72

    Murray, Gilbert, Excursus on the Ritual Forms Preserved in Greek Tragedy,

    University Press, 1912, p. 341-345. 73

    Murray, Gilbert, Five Stages of Greek Religion, Kessinger Publishing, 2003, p.

    32. 74

    Hokenson, Jan, The idea of comedy: history, theory, critique, Ed. Fairleigh

    Dickinson University Press, 2006, p. 81.

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    religieuses des socits agraires prhistoriques, il y avait une reprsentation du changement des saisons, lhiver symbolisant lennemi du dieu, pendant lequel le dieu meurt, et lesprit du printemps symbolisant le dieu lui-mme qui revient, ressuscit75.

    Pour ces crmonies, Harrison croit quelles ont volu partir des rituels qui avaient lorigine pour but dloigner le mal ()/apotropi et qui, petit petit alors que les hommes apprivoisaient la nature et cultivaient la terre se sont transforms en sacrifices au cours desquels ils demandaient laide du dieu, cest--dire le service divin ()/thrapia 76.

    Cependant, bien avant ces chercheurs, dans son livre Des divinits gnratrices, ou Du culte du phallus chez les anciens et les modernes (1805), Jacques-Antoine Dulaure avait voqu la dification du printemps, personnifi symboliquement par le dieu Dionysos, et le fait que cette croyance tait rpandue en plusieurs lieux de la terre : Les anciens, pour reprsenter, par un objet physique, la force rgnratrice du soleil au printemps, et laction de cette force sur tous les tres de la nature, adoptrent le simulacre de masculinit, que les grecs nommaient Phallus. Ce simulacre quoiquil paraisse indcent la plupart des modernes, ne ltait point dans lantiquit ; sa vue ne rveillait aucune ide obscne : on le vnrait, au contraire, comme un objet les plus sacrs du culte. Il faut lavouer : malgr nos prventions, il serait difficile dimaginer un signe qui ft plus simple, plus nergique, et qui exprimt mieux la chose signifie. Cette convenance parfaite assura son succs, et lui obtint un assentiment presque gnral. Le culte du simulacre de la masculinit se rpandit sur une grande partie du globe. Il a fleuri longtemps en gypte, en Syrie, en Perse, dans lAsie Mineure, en Grce, en Italie, etc. Il tait et il est encore en vigueur dans quelques parties de lAfrique. Il sest mme propag jusquen Amrique. Lorsque les Espagnols firent la dcouverte de cette partie du monde ils trouvrent ce culte tabli chez les Mexicains Il y a environ quatre mille cinq cent ans que le soleil, par leffet dun troisime mouvement de la terre, do rsulte la prcession des quinoxes, aborda, lquinoxe du printemps, le signe du zodiaque appel le Taureau. Le signe de la constellation cleste qui portait ce nom, reprsent sur les zodiaques artificiels fut considr comme le symbole du soleil printanier, du soleil

    75

    Cornford, Francis M., The Origin of Attic Comedy , Edward Arnold, Londres,

    1914. 76

    Harrison, Jane, , trad. , d. , Athnes, 1995, p. 13.

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    rgnrateur de la nature Cette poque si intressante, et les bienfaits nombreux du soleil printanier furent vivement sentis par tous les peuples

    adorateurs de cet astre. Aussi la clbrrent-ils par les ftes joyeuses renouveles chaque retour du printemps. Les prtres de ce culte institurent cette solennit, et la revtirent du prestige imposant de la religion

    77

    Cornford dfend que la comdie semble avoir exist depuis des sicles lhumble niveau de la farce populaire78. Il soutient que la comdie ne drive quindirectement du rituel, et prsuppose une phase intermdiaire sous forme de pice populaire :

    La comdie attique telle que nous la connaissons par Aristophane, est construite dans le cadre de ce qui tait dj un drame, une pice populaire, et derrire cette pice populaire se situe une phase encore antrieure, o son action tait prsente thtralement dans les rituels religieux

    79.

    Il soutient de mme que les lments du culte primitif passrent par lintermdiaire des chants phalliques dans la comdie populaire et par la suite dans la comdie dAristophane.

    Les trois formes de reprsentation chants phalliques, comdie populaire, comdie attique traduisent llment central du mythe : la lutte entre lhiver et lt80. Pour Cornford, la structure de la comdie a la forme suivante : elle se prsente en deux parties, et dans chacune delles il y a trois phases qui se prsentent dans un ordre rigoureux. Les deux parties, qui correspondent au thme mythique mort - rsurrection du dieu (Dmon de lAnne), sont spares par la /paravasi, (parabase) constitue par des chants choraux. Cornford considre quelle est le seul point de la reprsentation qui soit proprement thtral et qui nait pas une origine cultuelle81.

    Ainsi dans la premire partie la mort du dieu nous avons :

    77

    Dulaure, Jacques-Antoine, Des divinits gnratrices ou Du culte du phallus chez les anciens et les modernes, Dentu, 1805, p. 1-5. 78

    Cornford, Francis M., The Origin of Attic Comedy, Edward Arnold, Londres,

    1914, p. 180. 79

    Ibidem, p. 4. 80

    Segal, Robert Alan, The myth and ritual theory: an anthology, Wiley-Blackwell,

    1998, p.378. 81

    Cornford, Francis M., The Origin of Attic Comedy, Edward Arnold, Londres,

    1914, p. 105.

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    a) le (prologos) qui est le dbut de la reprsentation,

    b) le (parodos), qui est lentre du choeur sur la scne, et

    c) l (agonas), o est concentre la partie principale de laction. ce point apparaissent les principaux protagonistes de la reprsentation, qui sont le hros et lidiot. Le / Protagonistis (Protagoniste), cest--dire le hros et par extension le Dmon de lAnne, est vaincu par l / Antagonistis (Antagoniste) qui est lidiot, cest--dire les forces opposes du mal82.

    La deuxime partie de la reprsentation-rsurrection du dieu se compose :

    a) du sacrifice,

    b) du festin qui renvoie aux rites primitifs domophagie, et c) du mariage sacr qui symbolise la rsurrection et le retour du dieu, ainsi que lunion des forces qui revitalisent la nature pour le bien commun

    83.

    Linsertion de la pice improvise comme lien intermdiaire entre le rituel et la Old comedy , et lhypothse que le rituel reprsentait lui-mme un lment thtral, ont lavantage de supposer que llment de reprsentation thtrale tait l au tout dbut . En outre, Cornford ajoute : Il est difficile de voir comment le thtre peut tre issu de ce qui, mme en germe, nest pas thtral84. De plus, il justifie lexistence de la comdie avant larrive de la comdie attique par les remarques faites par Aristophane lui-mme : Dans plusieurs passages, Aristophane, en train dinsister sur ses propres mrites, voque certaines blagues cules et personnages inintressants de ce quil appelle la comdie vulgaire85. Est considre comme comdie vulgaire, la farce de Megara, voque avec ddain tant par Aristophane que par dautres auteurs de son temps.

    Par exemple, dans le prologue des Gupes, lesclave Xanthias promet du rire, avec ce ne sera pas un rire vol Mgare . Ecphantides, un autre pote de la comdie ancienne, dit quil a honte de faire une pice

    82

    Ibidem, p. 71. 83

    Ibidem, p. 99. 84

    Ibidem, p. 4. 85

    Ibidem, p. 177.

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    comme un produit de Mgare et Eupolis, un contemporain dAristophane, parle dune plaisanterie grossire et ennuyeuse, comme une plaisanterie de Mgare, qui ne pourrait plaire qu un enfant86.

    Pickard-Cambridge, qui avec son livre Dithyramb, Tragedy and Comedy

    a essay de renverser la thorie du rite, bien quil soit en dsaccord avec les positions de Cornford sur lorigine dionysiaque de la comdie, conclut quelle drive de mascarades animales et de la farce de Megara, vulgaire et probablement indcente87.

    Cornford, en tudiant les comdies dAristophane, a distingu un ensemble de masques du rpertoire : le Bouffon, le Docteur ou le Cuisinier, le Soldat, le Parasite, le Vieux et la Vieille, provenant tous de

    la comdie populaire de Megara. Pour Cornford, lexistence de tels masques dans les pices improvises montre quils avaient typiquement pour fonction de motiver laction et de dvelopper une ambiance comique. Il suppose que lorigine des masques rside dans le rituel88.

    La thorie rituelle sur lorigine du thtre dans les cultes dionysiens fut dabord mise en cause par William Ridgeway. Sa propre thorie sur lorigine de la tragdie affirme :

    1) Que la tragdie elle-mme nest pas issue du culte de la rgion de Thrace au dieu Dionysos.

    2) Mais quelle est ne du culte local des morts, particulirement de chefs comme Adrastos, lancien roi pr-dorien et pr-achen de Sicyon, dcrit par Hrodote dans un passage, qui est une des premires sources sur les danses tragiques grecques.

    3) Que le culte de Dionysos ntait pas originaire de Sicyon, mais quil y avait t introduit par Cleisthenes (qui lavait galement amen en Attique et Naxos) et quil tait venu se superposer au culte du vieux roi.

    4) Que mme sil tait vrai que la tragdie proprement dite tait ne du culte de Dionysos, elle nen devait pas moins trouver son origine dans le culte des morts, puisque Dionysos tait considr par les Grecs comme

    86

    Ibidem, p. 178-179. 87

    Pickard-Cambridge, Arthur W., Dithyramb, Tragedy and Comedy, Clarendon,

    Oxford, 1927, p. 277. 88

    Hokenson, Jan, The idea of comedy: history, theory, critique, Ed. Fairleigh

    Dickinson University Press, 2006, p. 81.

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    un hros (cest--dire un homme transform en saint) aussi bien quun dieu

    89.

    Celui qui mit en doute, de la faon la plus vigoureuse, la thorie rituelle fut Pickard-Cambridge. La source essentielle de ses arguments est la

    tragdie Les Bacchantes dEuripide90. Il soutient que le culte prsuppos de Spring Daimon (Dmon du Printemps) ou un culte similaire, nexistait pas dans lancienne Grce et que la seule tragdie conserve qui parle de la vie de Dionysos est Les Bacchantes dEuripide, dans laquelle napparat pas le thme de la mort-rsurrection du dieu91. Il considre galement que lhypothse de ce mme thme mythique que propose Murray pour la crmonie, pour le dithyrambe et pour la tragdie, est fausse parce quil y a une diversit dactions et de caractres diffrents entre la tragdie et la comdie92. Dailleurs, dans la tragdie le hros meurt sans jamais ressusciter.

    La thorie chamaniste de Kirby

    Ernest T. Kirby a suggr une thorie rituelle fonde sur le dveloppement du thtre partir de la nature extatique du rituel chamaniste. Tandis que la thorie du rituel de lcole dAnthropologie de Cambridge se concentrait sur les lments narratifs partags du rituel et du monde de la fiction thtrale, Kirby sest concentr sur un interprte montrant une identit autre que la sienne, caractristique apparemment commune la fois au chaman en tat de transe et lacteur sur scne93.

    Le terme chaman, dorigine sibrienne et initialement utilis dans lethnographie sibrienne, sapplique de nos jours dans ltude de diffrentes cultures un type de gurisseurs qui combine gurison, magie et mdiation. La croyance courante est que le chaman est capable dentrer en transe, de voyager dans dautres mondes, de prendre le contrle des esprits et de les forcer gurir les tres humains. Le succs du chaman se mesure sa matrise des mondes surnaturels et, en ce sens, cest une sorte de rituel (magique).

    89

    Ridgeway, W., Origin of Tragedy, Kessinger Publishing , 2003, p. 28. 90

    Carlson, Marvin A., Theories of the theatre: a historical and critical survey from

    the Greeks to the present, Cornell University Press, 1993, p. 337. 91

    Pickard-Cambridge, Arthur W., p. 168. 92

    Pippin Burnett, Anne, The Art of Bacchylides, Harvard University Press, 1985. 93

    Kirby, Ernest T., Ur-Drama - The Origins of Theatre, New York University

    Press, 1975.

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    La thorie chamaniste nest pas apparue par hasard. Elle a sa prhistoire thorique et son mergence est due aux positions thoriques formules par la mythologie compare. La premire bauche dtude compare des mythes grecs et des mythes provenant du monde asiatique a t faite par lallemand Friedrich Max Mller (1823-1900) qui, influenc son tour par le prcurseur de la linguistique compare, Sir William Jones, a mis en pratique ses positions

    94.

    Sir William Jones prit conscience, en 1786 Calcutta, que le sanscrit tait proche du latin et du grec ancien95, un point tel quaucun philologue ne pouvait examiner ces trois langues sans penser quelles provenaient dune source commune qui, peut-tre, nexiste plus96.

    Environ un sicle plus tard, Max Mller fut le leader dune cole de pense qui interprtait presque tous les mythes comme des descriptions potiques du comportement du soleil. Selon cette thorie, ces descriptions potiques staient transformes avec le temps en des histoires apparemment diffrentes sur les dieux et les hros97. La mythologie compare a mis au jour quantit danalogies entre les mythes de diffrentes cultures, y compris certains thmes rcurrents et lments dintrigues trs rpandus.

    Dans cet esprit, Karl Meuli, sappuyant sur le livre IV dHrodote consacr entre autres la description des Scythes, partant des relations entre Grecs et Scythes, et du personnage d'Abaris le Scythe, interprte comme chamanisme le courant reprsent par ces personnages assez magiques

    98.

    Mircea Eliade prit la relve en 1951. Il soutenait que le chaman se situe quelque part entre le saint, le mdecin et lartiste; mais son titre et sa fonction lui sont attribus par lensemble de sa tribu ou bien lui viennent

    94

    Leonard, Scott A., The History of Mythology: Part I,. Youngstown State

    University 2008. 95

    Hogg, Richard M. / Blake, Norman Francis / Algeo, John / Lass, Roger, The

    Cambridge History of the English Language: English in North America, Cambridge

    University Press, 2001, p. 379. 96

    Jones, Sir William, Works of Sir William Jones, Ed. G. G. and J. Robinson, 1799,

    vol. 3 , p. 34-35. 97

    Leopold, Joan, Ethnic Stereotypes in Linguistics: The Case of Friedrich Max

    Mller (1847-51) in Papers in the History of Linguistics, dans Amsterdam Studies in the Theory and History of Linguistic Science. Studies in the History of the Language

    Science, 1987, vol. 38, pp. 501-512 98

    Meuli, Karl, Scythica , Herms, vol. 70, 1935, p. 137.

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    des esprits, et il ne peut les refuser. Parfois le titre est reconnu en tant

    quhrditaire, et dautres, en tant que don prouv manifestement, mais qui, dailleurs, rside actif dans tous les individus. Le premier devoir du chaman est la gurison, mais son rle dpasse celui de simple thrapeute : il est prtre-thologien ou psychologue praticien ou devin, donc sa place dans la socit est importante. Le chamanisme a prcd toutes les autres traditions spirituelles de la plante et une de ses plus grandes spcificits est le voyage chamanique (ou rve pour certains) dans dautres mondes en tat de conscience largie. Le plus bel lment de ce voyage est le principe de la rvlation immdiate. Quoique le mot vienne de Sibrie, la pratique du chamanisme a exist sur tous les continents99. Cependant, Mircea Eliade naurait, en tant quethnologue, jamais pris contact avec des chamans et le chamanisme dEliade quivaut largement une libre invention. Cela na pourtant pas empch le dbut dune tentative passionne de qute des chamanistes de la Grce antique. DHomre Hippocrate, de Zeus Hracls et peu ou prou tous les philosophes et les potes savrrent tre des chamanistes100.

    Il nest donc pas tonnant que le complexe chamaniste ait t recherch et rvl jusque dans lart thtral.

    Celui qui a introduit cette thorie, comme nous lavons mentionn plus haut, est Ernest T. Kirby. Selon ce dernier donc, le chaman en tat de transe se comporte comme sil tait possd par un esprit, qui sexprime par sa voix. La croyance est que, pour se rvler dans le monde des humains, lesprit a besoin du corps matriel du chaman. En ce sens, il est un medium de ce pouvoir spirituel. Cette qualit est essentielle la thorie de Kirby, parce que le chaman est suppos reprsenter une entit autre que lui-mme, un habitant dun autre monde ; et ceci est cens faire de lui le prototype de lacteur de thtre. Bien que lactivit du chaman soit centre sur la gurison dun malade donn, lacte rituel a lieu au sein dune communaut de croyants et dans un espace bien dlimit, comme un btiment ou un espace clos ciel ouvert. Dun point de vue extrieur, donc, limpression est que, en tat de transe, le chaman joue devant un auditoire dans un thtre .

    99

    Eliade, Mircea, Le chamanisme et les techniques archaques de lextase Payot(1951), Paris, 1998. 100

    Bierl, Anton, Le chamanisme et la comdie ancienne. Recours gnrique un atavisme et gurison , dans Methodos, 7, 2007. http://methodos.revues.org/document625.html

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    Par consquent, la transition entre le rituel et le thtre est suppose se produire quand la croyance en la capacit du chaman dominer les esprits saffaiblit et/ou quand limplication de la communaut dans lacte rituel diminue, mme si lart du chaman reste respect. Il est en effet possible que dans un tel processus de dclin, les chama