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44 La Météorologie 8 e série - n° 3 - septembre 1993 TERMINOLOGIE EL NINO, L'OSCILLATION AUSTRALE, ET ENSO : DES NOMS QUI PRETENT A CONFUSION POUR UNE INTERACTION COMPLEXE ENTRE L'OCEAN ET L'ATMOSPHERE^ Patricio Aceituno Département de géophysique, Université du Chili Casilla 2777, Santiago, CHILI INTRODUCTION L'important effort de recherche qui a été mis en place au cours de la dernière décennie pour améliorer la compréhension des mécanismes qui engendrent le phénomène El Nino, en particulier après l'événement extraordinaire de 1982-83, a été accompagné de l'introduction de termes et d'acronymes nouveaux dans le langage scientifique. En pratique des termes tels que ENSO, événement chaud, événement froid ou La Nina, n'existaient pas il y a 10 ans. L'objectif de cette note est de faire un historique de la terminologie utilisée pour désigner El Nino et les phénomènes associés afin d'attirer l'attention sur les aspects du langage qui peuvent engendrer des confusions ou contradictions. DISCUSSION Le terme El Nino («l'enfant Jésus») désignait à l'origine un courant océani- que de sud-ouest relativement faible et chaud qui s'établit presque tous les ans le long des côtes du Sud de l'Equateur et du Nord du Pérou aux environs de Noël (Philander, 1990, p. 1). Les inondations, les températures anormalement élevées, et les impor- tants changements dans l'environnement qui leur sont associés, que l'on peut observer à quelques années d'intervalle, ont d'abord été considérés comme le résultat de courants El Nino anormalement intenses et chauds. Bien que dans le milieu des années 1980 il y ait eu des indications du fait que tous les épisodes chauds n'aient pas été associés à des courants El Nino plus intenses (Deser et Wallace, 1987), ce terme continua d'être employé pour les désigner. Pour des références concernant des mentions anciennes sur les épisodes El Nino le long des côtes du sud du Pérou, voir Quinn et al. (1978), Quinn et al. (1987) et Deser et Wallace (1987), par exemple. Le terme Oscillation australe (SO) a été proposé par Walker et Bliss (1932) pour désigner un phénomène de grande échelle caractérisé, entre autres traits, par un mouvement de bascule dans le champ de différence de pression atmosphérique entre l'Est et l'Ouest de l'océan Pacifique tropical. «Austral» distinguait cette structure d'anomalies du climat global, de deux autres systèmes de téléconnexions régionales, les oscillations nord Pacifique et nord Atlantique. Bien que Walker et Bliss aient décrit l'Oscillation australe en terme d'anomalie du champ de différence de pression, ils étaient au courant de la complexité de ce phénomène. En fait, l'indice qu'ils ont utilisé pour décrire l'impact planétaire de l'Oscillation australe sur la pression au niveau de la mer, la température de l'air et les précipitations durant l'hiver austral comprenait la pression à Santiago, Honolulu, Darwin, Manille, Batavia et Le Caire, la température à Madras, les précipitations au centre du Chili et de l'Inde et des mesures sur les crues du Nil. Mais, comme dans la plupart des travaux qui ont suivi (*) Cet article est paru clans le Bulletin qfthe American Meteorological Society (avril 1992, p. 483-485). L'American Meteorological Society a aimablement autorisé la Société météorologique de France à en publier une traduction dans la revue La Météorologie, tout en conservant les autorisations de repro- duction.

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44 La Météorologie 8 e série - n° 3 - septembre 1993

TERMINOLOGIE EL NINO, L'OSCILLATION AUSTRALE, ET ENSO : DES NOMS QUI PRETENT A CONFUSION POUR UNE INTERACTION COMPLEXE ENTRE L'OCEAN ET L'ATMOSPHERE^

Patricio Aceituno Département de géophysique, Université du Chili Casilla 2777, Santiago, CHILI

INTRODUCTION L ' impor tan t effort de recherche qui a été mis en place au cours de la dernière

décennie pour amél iorer la compréhens ion des mécan ismes qui engendrent le phénomène El Nino, en particulier après l 'événement extraordinaire de 1982-83, a été accompagné de l ' in t roduct ion de termes et d ' a c ronymes nouveaux dans le langage scientifique. En prat ique des termes tels que E N S O , événement chaud, événement froid ou La Nina, n 'exis ta ient pas il y a 10 ans. L 'object i f de cette note est de faire un historique de la terminologie utilisée pour désigner El Nino et les phénomènes associés afin d 'at t irer l 'at tention sur les aspects du langage qui peuvent engendrer des confusions ou contradict ions.

DISCUSSION Le terme El Nino («l 'enfant Jésus») désignait à l 'or igine un courant océani­que de sud-ouest relat ivement faible et chaud qui s 'établi t presque tous les ans le long des côtes du Sud de l 'Equateur et du Nord du Pérou aux environs de Noël (Philander, 1990, p . 1). Les inondat ions, les températures anormalement élevées, et les impor­tants changements dans l ' envi ronnement qui leur sont associés, que l 'on peut observer à quelques années d ' interval le , ont d ' abord été considérés c o m m e le résultat de courants El Nino anormalement intenses et chauds . Bien que dans le milieu des années 1980 il y ait eu des indications du fait que tous les épisodes chauds n ' a ien t pas été associés à des courants El Nino plus intenses (Deser et Wal lace , 1987), ce terme cont inua d 'ê t re employé pour les désigner. Pour des références concernant des ment ions anciennes sur les épisodes El Nino le long des côtes du sud du Pérou, voir Quinn et al. (1978) , Quinn et al. (1987) et Deser et Wal lace (1987) , par exemple .

Le terme Osci l lat ion australe (SO) a été proposé par Walker et Bliss (1932) pour désigner un phénomène de grande échelle caractérisé, entre autres traits, par un m o u v e m e n t de bascule dans le c h a m p de différence de pression a tmosphér ique entre l 'Est et l 'Ouest de l 'océan Pacifique tropical . «Austral» dist inguait cette structure d ' anomal ies du cl imat global , de deux autres sys tèmes de té léconnexions régionales , les oscil lat ions nord Pacif ique et nord Atlant ique. Bien que Walker et Bliss aient décrit l 'Oscil lat ion australe en terme d ' anomal ie du c h a m p de différence de pression, ils étaient au courant de la complexi té de ce phénomène . En fait, l ' indice qu ' i l s ont utilisé pour décrire l ' impac t planétaire de l 'Oscil lat ion australe sur la pression au niveau de la mer , la température de l 'air et les précipitat ions durant l 'h iver austral comprenai t la pression à Sant iago, Honolulu , Darwin, Mani l le , Batavia et Le Caire, la température à Madras , les précipitat ions au centre du Chili et de l ' Inde et des mesures sur les crues du Nil . Mais , c o m m e dans la plupart des t ravaux qui ont suivi

(*) Cet article est paru clans le Bulletin qfthe American Meteorological Society (avril 1992, p. 483-485). L'American Meteorological Society a aimablement autorisé la Société météorologique de France à en publier une traduction dans la revue La Météorologie, tout en conservant les autorisations de repro­duction.

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l 'article de 1932 de Walker et Bliss (Troup, 1965 ; Berlage, 1966 ; Kidson, 1975 ; Trenber th , 1976) l 'Oscil lat ion australe est caractérisée par son influence sur le champ de pression planétaire, il n 'es t pas surprenant que les indices de l 'Oscil lat ion australe (SOI) aient été généralement basés sur les seuls enregis t rements de pression. L ' ind ice le plus couramment utilisé est la différence normalisée de pression au niveau de la mer entre Tahiti et Darwin. Les périodes durant lesquelles cet indice est négatif (phase négative de l 'Osci l la t ion australe) sont caractérisées par des pressions anormalement basses ( respect ivement hautes) dans l 'est (resp. ouest) de l 'océan Pacifique tropical, alors que les anomal ies de pression de sens opposé sont associées à la phase posit ive de S O (valeurs posit ives de SOI) . Pour des informations concernant les autres indices de l 'Oscil lat ion australe, voir Wright (1989) , par exemple .

Le travail de pionnier de Bjerknes (1966, 1969) sur la dynamique de l ' interaction océan-a tmosphère , qui expl ique les anomal ies posit ives de la tempéra­ture de surface de l 'océan dans le Pacifique équatorial et le long des côtes de l 'Amér ique du Sud au cours des phases négatives de l 'Oscil lat ion australe, a incité à utiliser le terme El Nino pour caractériser aussi la composan te de grande échelle de ces anomal ies . Toutefois , Bjerknes lu i -même ne peut pas être crit iqué pour cette confusion, car il a expl ici tement utilisé El Nino , dans les deux articles ment ionnés ci-dessus, pour désigner les épisodes chauds le long des côtes du Pérou.

Les recherches concernant les anomal ies d 'échel le planétaire liées à l 'Os­cillation australe ont apporté de nouveaux termes pour désigner les périodes d ' eaux anormalement chaudes ou froides dans le Pacifique central associées respect ivement aux phases négative et posit ive. Ainsi , des expressions c o m m e événements chauds (Horel et Wal lace , 1981 ; van Loon et Shea, 1987) et E N S O (El Nino/Oscil lat ion australe) ont été introduites pour désigner les périodes anormalement chaudes , alors que événements froids (Quinn et al., 1978 : Quinn et Neal , 1983 ; Hast ings, 1990), contre-El Nino (Covey et Hastenrath, 1978 ; Hastenrath, 1991, p . 329) , et La Nina (Phi lander , 1985, 1990) ont été uti l isés pour dés igner les pér iodes d ' e a u x anormalement froides durant les phases posit ives de l 'Oscil lat ion australe. En général , les anomal ies c l imat iques liées à l 'Oscil lat ion australe durant sa phase positive sont opposées à celles de la phase négat ive (El Nino) (Ropelewski et Alpert , 1987, 1989), quoique dans certaines régions seule une des deux phases soit associée à des anomal ies c l imat iques significatives. En particulier, les fortes pluies qui ont lieu durant les épisodes El Nino , le long des côtes du Nord du Pérou, apparaissent c o m m e une coupure dans les condit ion sèches qui prévalent durant les périodes non-El Nino, ce qui inclut les épisodes froids.

L 'ut i l isat ion de l ' ac ronyme E N S O a c o m m e n c é au début des années 80, pr incipalement après le travail de Rasmusson et Carpenter (1982) décrivant les évolut ions typiques de la température de surface de la mer, des vents de surface et de la pression dans l 'océan Pacifique tropical, au cours des épisodes chauds dans le Pacifique central. Init ialement, le terme E N S O a été créé pour différencier les épisodes chauds de grande échel le dans le Pacifique central des événements El Nino locaux le long des côtes de l 'Amér ique du Sud et pour rendre explicite sa relation avec l 'Oscil lat ion australe. Ce concept d ' E N S O a été largement utilisé depuis (Philander, 1983; Rasmusson et Wal lace , 1983; Kousky et al., 1984; Rasmusson et Arkin 1985; Ropelewski et Alpert , 1987; Trenberth 1991). Une interprétation complè tement différente pour l ' E N S O a été proposée ul tér ieurement, qui va être expl iquée dans la suite.

L ' in tense activité de recherche au cours de la dernière décennie , pour expl iquer les principaux aspects du fonct ionnement du sys tème océan-a tmosphère dans le Pacifique équatorial , a débouché sur une compréhens ion des mécan ismes de fonct ionnement du phénomène El Niiïo. La mise au point de modèles couplés océan-a tmosphère a été essentielle pour arriver à ce résultat. Le concept clé qui ressort de cette approche théorique est que le système océan-a tmosphère se compor te c o m m e un oscil lateur naturel avec les épisodes chauds El Nino qui représentent les condit ions à 1 ' une des extrémités du cycle (Cane, 1986; Cane et Zebiak, 1987; Zebiak et Cane , 1987; Schopf et Suarez, 1988; Suarez et Schopf, 1988; Graham et Whi te , 1988; Cane et al., 1990). Dans le contexte des discussions qui ont suivi, les termes El N ino et E N S O ont reçu des interprétations nouvel les qui prêtent à confusion. Bien que dans certains cas le terme E N S O se rapporte uniquement à un épisode El Nino (Hirst, 1986), il a été plus f réquemment utilisé pour décrire l 'évolut ion du système couplé océan-a tmosphère (cycle de l ' E N S O ) dans lequel El Niiïo représente l 'une

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des phases (Cane et Zebiak, 1987 ; Hirst, 1 9 8 8 ; G r a h a m e t W h i t e , 1988). Selon cette interprétation, le cycle de l ' E N S O est caractérisé par des états chauds (El Nino) et des états froids. Dans certains cas, 1'«oscillateur» (c 'est-à-dire le sys tème couplé océan-a tmosphère) et l 'une ou m ê m e les deux de ses «condi t ions» ext rêmes, les événements El Niiïo et les épisodes froids, sont désignés dans le m ê m e article par « E N S O » et «événement E N S O » respect ivement (Cane et al., 1990; Sarachick, 1990). Une autre source de confusion, selon la définition originale de l ' E N S O , est la description d 'El Niiïo c o m m e la partie océanique de l ' E N S O et de l 'Oscil lat ion australe c o m m e sa composante a tmosphér ique (Trenberth, 1991).

En tout état de cause , en uti lisant la bonne définition des termes et ac ronymes , il semble y avoir une acceptat ion croissante du fait que le phénomène d 'Osci l la t ion australe (le cycle de l ' E N S O ) met e n j e u le sys tème océan-a tmosphère au comple t dans le Pacifique équatorial , et consiste en une oscillation cont inue entre un état que l 'on peut qualifier d ' événement chaud, d 'E l Niiïo, d ' E N S O , ou de phase El Nino de l ' E N S O , et un autre état que l 'on appelle événement froid, anti-El Niiïo, La Nina ou phase froide de l ' E N S O .

RESUME ET REMARQUES

FINALES

Le grand effort de recherche de la dernière décennie sur le phénomène El Niiïo a abouti à des résultats importants pour la compréhens ion de la dynamique du système couplé océan-a tmosphère dans l 'océan Pacifique tropical. Malheureuse­ment , la nouvelle terminologie qui a résulté de ces travaux a évolué d 'une façon qui peut prêter à des confusions, ce qui témoigne probablement des difficultés et des incertitudes rencontrées . Ainsi , le terme El Nino peut représenter le réchauffement côtier le long de la côte du Pérou mais aussi l ' événement chaud de grande échelle dans l 'océan Pacifique central. En outre, El Niiïo a été présenté c o m m e la compo­sante océanique de l ' E N S O , mais aussi c o m m e 1 ' une des phases du cycle de l ' E N S O . Le terme E N S O , introduit pour faire la distinction entre les épisodes chauds de grande échelle dans le Pacifique central et les événements locaux El Nino le long des côtes de l 'Amér ique du Sud, est maintenant utilisé pour décrire l 'évolution d ' une oscillation auto-entretenue du système océan-a tmosphère dans l 'océan Pacifique central . Cependant cette oscillation est interprétée par d 'aut res c o m m e l 'Oscil lat ion australe proprement dite.

Bien que cette terminologie ait déjà été exportée bien au-delà des royaumes des revues de météorologie et d 'océanographie , un effort pour proposer une terminologie c o m m u n e et cohérente reste hautement souhaitable. Les expressions événement froid, anti-El Nino, contre-El Nino ou La Nina représentent une m ê m e réalité et un consensus devrait aboutir pour désigner les anomal ies a tmosphér iques et océaniques qui caractérisent la phase positive de l 'Osci l la t ion australe. D 'au t re part, la diversité des sens donnés à l ' ac ronyme E N S O a engendré la confusion, part iculièrement chez ceux qui ne sont pas des scientifiques des disciplines météo­rologique et océanographique . Une manière simple de résoudre ce problème est d 'ut i l iser cet acronyme dans son sens original, c 'es t-à-dire pour désigner les périodes anormalement chaudes dans le Pacifique central et les autres anomal ies a tmosphé­riques et océaniques associées durant la phase négative de l 'Oscil lat ion australe. En ce qui concerne l 'expression cycle de l ' E N S O si l 'on accepte l ' idée que l 'Oscil lat ion australe met en jeu l ' ensemble du système océan-a tmosphère du Pacifique central , l 'util isation de cycle de l 'Osc i l l a t ion a u s t r a l e semblerait préférable.

Remerciements Cette note a été rédigée pendant que l 'auteur suivait un cours sur les interactions océan-a tmosphère dans les tropiques au Centre international de physi­que théorique à Trieste, Italie, en août 1991. Les é léments bibl iographiques fournis par M. Cane et E. Sarachick pendant ce cours ont été très utiles pour sa rédaction. Je remercie aussi A. C. Bewan et S. Ineson pour avoir corrigé le manuscr i t original , A. D. Moura et J. Rutilant pour leurs utiles commenta i res .

Traduit de l 'anglais par Michel J. Rochas

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