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Studia graeco-arabica With the support of the European Research Council Studia graeco-arabica 2 2012 ISSN 2239-012X

Studia graeco-arabica - Greek into Arabic loin dans la Vie de Proclus, ... Studia graeco-arabica 2 / 2012 Mais qui était donc le gendre de la sœur de Priscus? 35 Le témoignage de

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  • Studia graeco-arabica

    With the support of the European Research Council

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    2012

    ISSN 2239-012X

  • Studia graeco-arabicaThe Journal of the Project

    Greek into ArabicPhilosophical Concepts and Linguistic Bridges

    European Research Council Advanced Grant 249431

    Published byERC Greek into Arabic

    Philosophical Concepts and Linguistic BridgesEuropean Research Council Advanced Grant 249431

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    2012

  • AdvisorsMohammad Ali Amir Moezzi, cole Pratique des Hautes tudes, ParisCarmela Baffioni, Istituto Universitario Orientale, Napoli Sebastian Brock, Oriental Institute, OxfordCharles Burnett, The Warburg Institute, LondonHans Daiber, Johann Wolfgang Goethe-Universitt Frankfurt a. M.Cristina DAncona, Universit di PisaThrse-Anne Druart, The Catholic University of America, WashingtonGerhard Endress, Ruhr-Universitt BochumRichard Goulet, Centre National de la Recherche Scientifique, ParisSteven Harvey, Bar-Ilan University, JerusalemHenri Hugonnard-Roche, cole Pratique des Hautes tudes, ParisRemke Kruk, Universiteit LeidenConcetta Luna, Scuola Normale Superiore, PisaAlain-Philippe Segonds (), Centre National de la Recherche Scientifique, ParisRichard C. Taylor, Marquette University, Milwaukee (WI)

    StaffElisa Coda Cristina DAncona Cleophea FerrariGloria Giacomelli Cecilia Martini Bonadeo

    Web site: http://www.greekintoarabic.euService Provider: Universit di Pisa, Area Serra - Servizi di Rete di Ateneo

    ISSN 2239-012X

    Online Edition: Copyright 2012 by Greek into Arabic (ERC Ideas Advanced Grant 249431)

    All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, translated, transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without prior written permission from the Publisher.Registration pending at the law court of Pisa.Editor in chief Cristina DAncona.

    Publisher and Graphic Design

    Via A. Gherardesca56121 Ospedaletto (Pisa) - Italy

    PrintingIndustrie Grafiche Pacini

    CoverMahad, Kitbna-i sitn-i Quds-i Raaw 300, f. 1vParis, Bibliothque Nationale de France, grec 1853, f. 186v

    The Publisher remains at the disposal of the rightholders, and is ready to make up for unintentional omissions.

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    2012

  • Studia graeco-arabica 2 / 2012 Copyright 2012 Greek into Arabic (ERC ADG 249431)

    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? Enqute sur les philosophes d Athnes au IVe sicle aprs J.-Chr.

    Richard Goulet

    AbstractWe happen to lack information about philosophical life in Athens during the IVth century A.D., and the Neoplatonic school of Plutarch, Syrianus and Proclus is rather loosely connected to earlier philosophical currents such as Porphyrian or Iamblichean Neoplatonism. E.R. Dodds once searched for missing links in this local intellectual history. A prosopographical study of a few second rank individuals, like Priscus the Thesprotian, trained in the Iamblichean school of Aidesius in Pergamon, or Iamblichus II of Apamea, grandson and nephew of two direct disciples of Iamblichus I of Chalcis, who both seem to have taught philosophy in Athens in the second part of the century and who could have been relatives by marriage, may help to put some flesh on the bones of a scarce documentation.

    Dans la longue histoire de la vie philosophique Athnes, le IVe sicle de notre re est une des priodes les plus obscures. Alors que pour le milieu du IIIe sicle, Longin et Porphyre fournissent les noms de plusieurs philosophes apparemment bien tablis, on ne sait presque rien de lenseignement philosophique au IVe sicle dans cette cit.

    Dans la Prface de son trait Sur la fin dirig contre Plotin et Gentilianus Amlius (cite par Porphyre au chapitre 20 de sa Vie de Plotin), Longin,1 professeur de philosophie Athnes au milieu du IIIe sicle, voquait les noms des philosophes clbres de son temps, en constatant qu'ils taient devenus plus rares quau temps de sa jeunesse. Il en connaissait de diverses coles (platoniciens, pripatticiens, stociens), les uns ayant compos des ouvrages, les autres stant contents dun enseignement oral. Il ne prcise que rarement le lieu dactivit de ces philosophes, mais cest Athnes quil rattache les diadoques Thodote et Eubule2 (V. Plot. 20, 39-40). Il parle galement dAthne3 et de Musonius4 qui ont pass leur vie dans la cit (ibid., 20, 48), cest--dire peut-tre Athnes, moins quil ne sagisse dAlexandrie. Ailleurs dans la Vie de Plotin, Porphyre parle lui aussi dEubule, le diadoque platonicien, qui avait envoy dAthnes des ouvrages concernant des questions platoniciennes (V. Plot. 15, 18-20). Lui-mme, lorsquil arriva dans lcole de Plotin en 263, venait de Grce en compagnie dun certain Antonius de Rhodes5 (V. Plot. 4, 1-3), qui avait

    1 Voir L. Brisson, notice Longinus (Cassius ), dans R. Goulet (d.), Dictionnaire des philosophes antiques (abrg par la suite en DPhA), CNRS-ditions, Paris 2005, L 63 = IV [2005], p. 116-25; L. Brisson - M. Patillon, Longinus Platonicus Philosophus et Philologus. I. Longinus Philosophus, ANRW II 36, 7 (1994), p. 5214-99; L. Brisson - M. Patillon, Longinus Platonicus Philosophus et Philologus. II. Longinus Philologus, ANRW II 34, 4 (1998), p. 3022-108; I. Mnnlein-Robert, Longin, Philologe und Philosoph. Eine Interpretation der erhaltenen Zeugnisse, Saur, Mnchen - Leipzig 2001 (Beitrge zur Altertumskunde, 143).

    2 DPhA, E 74 = III [2000], p. 249.3 DPhA, A 478 = I [1989], p. 643.4 DPhA, M 197 = IV [2005], p. 555.5 DPhA, A 225 = I [1989], p. 260.

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    peut-tre t son condisciple chez Longin. Porphyre rapporte enfin quun certain Tryphon, stocien et platonicien, avait fait savoir Amlius que les gens de la Grce accusaient Plotin de plagier les doctrines de Numnius (V. Plot. 17, 1-4). un banquet organis par Longin Athnes loccasion de lanniversaire de Platon6 assistaient, outre plusieurs rhteurs ou grammairiens connus, le pripatticien Prosns7 et un gomtre du nom de Dmtrios8 connu pour avoir t un matre de Porphyre.

    Si lon se reporte au dbut du Ve sicle, on retrouve de mme une activit philosophique assez intense. Aprs avoir tudi la rhtorique Alexandrie avec le sophiste Lonas dIsaurie, Proclus de Lycie9 abandonne la rhtorique, suit tout dabord lenseignement dOlympiodore10 en philosophie et de Hron11 en mathmatiques, avant de dcider, en 428, daller frquenter les coles dAthnes (Marin., Proclus, 9). Introduit par son compatriote Nicolas de Lycie12 dans le milieu athnien, il vint trouver tout dabord parmi les philosophes, Syrianus, fils de Philoxne (ibid., 11) qui le prsenta au grand Plutarque,13 fils de Nestorius14 (ibid., 12), ce qui laisse entendre quun certain choix tait alors possible parmi les professeurs de philosophie Athnes. Plus loin dans la Vie de Proclus, Marinus raconte que Proclus avait coutume de rendre visite aux autres philosophes Athnes (ibid., 22), passage qui suggre nouveau quil y avait plus dune cole.

    Entre les tmoignages de Longin et Porphyre pour le milieu du IIIe et celui de Marinus qui concerne le dbut du Ve sicle, nous ne disposons que de trs peu dinformations sur la vie philosophique athnienne. La ville a connu des temps difficiles, elle a d se reconstruire sur un primtre rduit autour de lAcropole la suite du sac des Hrules en 267.15 Et pourtant, au milieu du IVe sicle, Libanius, puis Grgoire de Nazianze et enfin Eunape, venus y tudier, y ont trouv des coles de rhtorique encore florissantes. Mais quen tait-il des coles philosophiques?16

    6 Nous en sommes informs par un extrait du premier livre de la Philologos Akroasis de Porphyre que cite Eus., Praep. Evang. X 3, 1 (fr. 408-410 Smith).

    7 DPhA, P 300 = V b [2012], p. 1700.8 DPhA, D 61 = II [1994], p. 641-2.9 DPhA, P 292 = V b [2012], p. 1546-674 (en part. Proclus de Lycie, p. 1546-1657; uvres transmises par la

    tradition arabe, p. 1657-74).10 DPhA, O 15 = IV [2005], p. 768.11 DPhA, H 106a = (dans les complments du t. IV) IV [2005], p. 872,12 DPhA, N 47 = IV [2005], p. 683.13 DPhA, P 209 = V b [2012], p. 1076-96.14 DPhA, N 28 = IV [2005], p. 662.15 Pour une description de ltat de la cit cette poque, voir H. Thompson, Athenian Twilight. A.D. 267-600,

    Journal of Roman Studies 49 (1959), p. 62-3; A. Frantz, The Athenian Agora, t. XIV: Late Antiquity: A.D. 267-700, American School of Classical Studies at Athens, Princeton 1988, p. 3-5; J.M. Camp, The Athenian Agora. Excavations in the Hearth of Classical Athens, American School of Classical Studies at Athens, London 1986, p. 223-38. Mais on a rcemment remis en cause limportance que les archologues amricains avaient accorde au sac des Hrules dans lhistoire dAthnes et on a propos de voir dans lenceinte intrieure une entreprise antrieure ces vnements. Voir M. Di Branco, La citt dei filosofi. Storia di Atene da Marco Aurelio a Giustiniano, con unappendice su Atene immaginaria nella letteratura bizantina, Olschki, Firenze 2006 (Civilt veneziana - Studi, 51), p. 63-77. Voir galement P. Castrn, General aspects of life in Post-Herulian Athens, dans P. Castrn (d.), Post-Herulian Athens, The Finnish Institute at Athens, Helsinki 1994 (Papers and monographs of the Finnish Institute at Athens, 1), p. 1-14.

    16 La prsente contribution tente dclairer par une approche prosopographique la prhistoire de lcole noplatonicienne dAthnes en enrichissant la documentation dj exploite et interprte par plusieurs spcialistes, dont Alain Segonds et les nombreux collgues et amis dont il savait susciter la curiosit et lenthousiasme. Le rle de Priscus et de Jamblique dApame a dj t mis en lumire par H.D. Saffrey et L.G. Westerink dans lIntroduction du premier tome de leur dition de la Thologie platonicienne de Proclus, puis par dautres savants. La prsente enqute met profit le matriel accumul pendant de nombreuses annes pour la rdaction des notices du DPhA et peut servir illustrer les liens qui unissent toutes ces figures disperses.

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 35

    Le tmoignage de lEmpereur Julien

    Le silence de nos sources nimplique pas ncessairement que toute vie philosophique ait disparu dAthnes lpoque. Cest ce que montre un tmoignage important de lempereur Julien.17 Dans un texte riche en sous-entendus, que lon peut dater de lhiver 356/7, o il compare le rle providentiel jou par la philosophie en Grce celui du Nil qui empche, selon les mythes gyptiens, que lunivers entier soit consum par le feu lors de certaines conjonctions astrales fatidiques, Julien voque ltat de la Grce son poque:

    La philosophie na pas totalement disparu de la Grce; elle na point abandonn Athnes, ni Sparte, ni Corinthe, et, eu gard ces sources (de sagesse), Argos nest point du tout altre. En effet, beaucoup de ces sources jaillissent dans la ville mme et beaucoup devant elle, du ct de lantique Mass [ancien port de lArgolide]. Pirne [fontaine de lAcrocorinthe] elle-mme se trouve Sicyone et non Corinthe; et Athnes, dont le sol mme produit un grand nombre de fontaines et de courants deau pure, en voit affluer et se rpandre du dehors qui valent bien ceux de lintrieur. Dans la cit, on les aime et les chrit, parce quon dsire gagner la seule richesse digne denvie (trad. J. Bidez).18

    Au milieu du IVe sicle, Julien avait donc t tmoin dun enseignement philosophique en plusieurs villes de Grce: pas seulement Athnes o sillustraient des matres athniens et non athniens (les fontaines qui se rpandent du dehors), mais aussi Sparte, Corinthe, Argos (dans la ville et du ct du port de Mass) et Sicyone (o enseignait peut-tre un philosophe originaire de Corinthe: la source Pirne nest pas Corinthe, mais Sicyone). Si cette survivance de la philosophie dans un dsert intellectuel comparable celui que serait lgypte sans le Nil est si remarquable, cest sans doute parce que pour lensemble de lEmpire on ne trouvait pas autant de sites prservant lancienne tradition.

    Thmistius connaissait lui aussi un philosophe de Sicyone.19 voquant des crits de jeunesse o il avait consign pour son propre usage la pense dAristote telle que ses pres (il tait fils, petit-fils et gendre de philosophes) lui avaient appris lextraire du texte difficile du Stagirite, Thmistius raconte que, bien malgr lui, ces textes se mirent un jour circuler et quil sen retrouva des copies Sicyone, o ils tombrent entre les mains dun philosophe paen exigeant, honnte, dpourvu de toute jalousie. Disciple du vieillard de Chalcis (il sagit manifestement de Jamblique)20, il avait prfr suivre non pas le nouveau chant, mais lantique chant ancestral de lAcadmie et du

    17 DPhA, I 46 = III [2000], p. 961-78.18 Iulian., = Disc. II [III], t. I/1, 12.44-54, p. 92-3 Bidez:

    , , , , . Le passage est cit et comment par H.D. Saffrey - L.G. Westerink dans leur dition de Proclus, Thologie Platonicienne, Les Belles Lettres, Paris 1968, t. I, p. xl-xli (abrg par la suite en Saffrey - Westerink, Thol. Plat.).

    19 Them., Or. XXIII , 294 d - 296 a, t. II, p. 89.21-91.10 Downey - Norman. Sur ce tmoignage, voir J. Vanderspoel, Themistius and a Philosopher at Sicyon, Historia 36 (1987), p. 383-4.

    20 DPhA, I 3 = III [2000], p. 824-36.

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    Lyce.21 Comme Axiotha dArcadie22 que la lecture de la Rpublique de Platon avait amene Athnes o elle avait suivi sous un dguisement masculin lenseignement de Platon, comme le paysan de Corinthe qui, la lecture du Gorgias, avait de mme pris la route dAthnes, ou enfin comme Znon de Citium qui avait fait voile de la Phnicie vers la Stoa Poikil aprs avoir lu lApologie de Socrate, ce philosophe avait dirig la classe entire de ses lves vers le Bosphore ( Constantinople o enseignait Thmistius). Devant les hsitations des jeunes gens, il les envoya demander au Dieu (Apollon Delphes) sil connaissait quelquun de meilleur. En toute modestie, Thmistius rapporte quils obtinrent la mme rponse que celle qui avait t donne propos de Socrate: nul ntait plus sage que lui.

    On a par le pass identifi le philosophe de Thmistius avec Celsus dAntioche.23 Mais cet ami et lve de Libanius ( Nicomdie avant 348) tudia la rhtorique Athnes, o il connut le futur empereur Julien, et la philosophie Sicyone.24 J. Vanderspoel25 a montr quil ny enseigna pas la philosophie et quil tait plus probablement un des lves de ce philosophe anonyme de Sicyone dont parle Thmistius. Il enseigna en fait la rhtorique latine Antioche et se vit confier par Julien des fonctions importantes.26

    Selon Vanderspoel, le philosophe de Sicyone tait plutt Hirios.27 Hirios nest pas rattach explicitement Sicyone, mais ce philosophe et son frre, le philosophe Diogne,28 taient les oncles dAristophane de Corinthe, fils de Mnandre de Corinthe et de la sur des deux philosophes.29 On a vu que Julien faisait allusion un philosophe originaire de Corinthe et enseignant dans la cit voisine de Sicyone. On connat par ailleurs un Hirios,30 auditeur de Jamblique et matre de Maxime (dphse).31 Sur un problme de logique o, face Bothos de Sidon,32 Porphyre, Jamblique et Maxime, Thmistius avait pris parti pour les vues dAristote, il est possible, selon Vanderspoel, que ce Hirios ait rejoint le point de vue de Thmistius.33 Si lon identifie les deux homonymes, on obtient un bon candidat correspondant au philosophe de Thmistius.34

    21 Selon Vanderspoel, A Philosopher at Sicyon, en opposition lAcadmie et au Lyce, le chant nouveau ( ) ne ferait pas allusion au christianisme (comme lenvisageait Reiske), mais aux tendances thurgiques de la philosophie de Jamblique.

    22 DPhA, A 517 = I [1989], p. 690-1.23 DPhA, C 72 = II [1994], p. 257.24 Liban., Epist. 86, t. X, p. 87-8 Frster.25 Vanderspoel, A Philosopher at Sicyon, p. 383-4.26 Lamiti que lui portait Julien est voque par Ammien Marcellin, Rerum gest., XXII 9, 13 (voir t. III, p. 120

    Fontaine - Frzouls - Berger).27 DPhA, H 120/121 = III [2000], p. 684.28 DPhA, 140 B = II [1994], p. 415.29 Voici un arbre gnalogique de cette famille:

    Diogne

    Aristophane de Corinthe

    Mnandre de Corinthefille Hirios

    30 DPhA, H 121 = III [2000], p. 684.31 DPhA, M 63 = IV [2005] p. 313-22; Ammon., In An. Pr., p. 31.16 Wallies (CAG VI 6) dit de Maxime (dphse)

    quil fut .32 DPhA, B 48 = II [1994], p. 230.33 Voir plus loin n. 71.34 Comme Libanius, dans son plaidoyer (dat de 362) en faveur dAristophane, voque les deux oncles philosophes au

    pass (voir infra note 77), ce Hirios a d mourir entre 357 (date du tmoignage de Julien) et 362.

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 37

    Dans lesprit de Thmistius, lexemple des lves du philosophe de Sicyone venus tudier Constantinople illustre la popularit de la nouvelle capitale comme centre de formation philosophique. cause de la qualit de lenseignement dispens par Thmistius, on quitte lancienne Grce et lIonie voisine, deux rgions o ne manquent pas de grandes coles de philosophie ( ), pour venir frquenter son cole Constantinople.35 Ce passage montre donc qu lpoque du discours que lon date des annes 359-360, on trouvait en Ionie et en Grce des coles sans doute encore plus prestigieuses que celle de Thmistius Constantinople.

    Synsius de Cyrne qui a visit Athnes et ses principaux lieux touristiques la toute fin du IVe sicle, peut-tre lt 399, apporte un tmoignage complmentaire intressant, mais un peu contradictoire. Selon lui, Athnes, la philosophie est bannie, et il ne reste plus qu se promener de site en site pour admirer lAcadmie, le Lyce et, par Zeus, le Portique Dcor. La cit dAthnes tait autrefois un foyer de savoir, mais maintenant sa gloire lui vient des fabricants de miel. Il se rjouit que sa visite lui ait fait perdre tout complexe dinfriorit lgard de ces philosophes athniens qui viennent se pavaner et donner des confrences en gypte comme des demi-dieux en se glorifiant davoir constamment sous les yeux lAcadmie, le Lyce et le Portique Dcor. En vrit, ils ne sont absolument pas suprieurs aux simples mortels que nous sommes (en tout cas pas pour lintelligence des crits dAristote et de Platon!). Si des philosophes athniens viennent ainsi en gypte, cest donc que la philosophie nest pas du tout disparue Athnes. Synsius rvle en fait le fond de sa pense lorsquil dclare qu lpoque qui est la ntre, cest lgypte qui a reu les semences dHypatie et qui les fait lever. Le jugement de Synsius trahit donc une rivalit entre deux centres dtudes philosophiques et probablement deux tendances doctrinales concurrentes.36

    Ces tmoignages de Julien, de Thmistius et de Synsius, malgr leur gnralit et les perspectives tendancieuses, montrent que notre sentiment dun fort ralentissement de lactivit philosophique Athnes au IVe sicle pourrait rsulter de ltat lacunaire de notre documentation.

    Priscus de Thesprotie

    On connat au moins un philosophe qui devait enseigner Athnes lpoque dont parle Julien. Il sagit de Priscus de Thesprotie,37 mort vers 396 plus de 90 ans et donc n dans les premires

    35 Them., Or. XXIII, 294 b. Dans la recommandation quil adresse aux snateurs de Constantinople en 355 en faveur de linscription du philosophe Thmistius dans leurs rangs, lempereur Constance rappelle que la nouvelle capitale shonore de la prsence de jeunes gens venus tudier la philosophie et que cette suprmatie intellectuelle est maintenant reconnue partout (Demegoria Constantii 20-21). en juger par les ides politiques dveloppes, il semble bien que lempereur philosophe ou son speech writer ait brod sur un canevas fourni par Thmistius lui-mme. Voir la traduction de R.J. Penella, The Private Orations of Themistius, translated, annotated, and introduced by R.J. Penella, California U.P., Berkeley 1999 (The Transformation of the Classical Heritage, 29), p. 237-41.

    36 Syn., Epist. 56 et 136 (trad. Roques). Il y a peut-tre galement une pointe dirige contre lcole noplatonicienne dAthnes dans la dernire phrase de la lettre 136 de Synsius qui voque le couple des savants (sophistes ou sages selon les manuscrits) Plutarquiens, lesquels, pour runir les jeunes gens dans leurs auditoires, ne comptent pas sur la renomme de leur loquence, mais sur les pots de miel de lHymette! ( [ou ] , , ). Mais lidentit des personnages viss est discute et limage de matres mettant leur loquence profit pour donner des discours des jeunes gens dans les thtres ne correspond pas trs bien aux activits des scholarques de lcole de Plutarque, telle que la dcrit Marinus.

    37 DPhA, P 282 , et RE 28, PLRE I, s.v. Priscus 5. Le dbut de la prsente tude reprend et dveloppe le contenu de larticle consacr Priscus dans le DPhA. Voir R. Goulet, notice Priscus de Thesprotie, P 282 = DPhA V b [2012], p. 1528-39. Voir galement E. Chrysos, , Parnassos 22 (1980), p. 449-61;

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    38 Richard Goulet

    annes du IVe sicle. Priscus tait, selon Eunape de Sardes, V. Soph. VII 1, 10, un des principaux disciples du philosophe noplatonicien Aidsius de Cappadoce38 Pergame, avec Maxime dphse,39 Chrysanthe de Sardes40 et Eusbe de Myndos en Carie.41 Leur matre Aidsius tait de son ct un disciple direct de Jamblique de Chalcis.42

    Jamblique de Chalcis

    pigonus de Sparte

    Thodore

    Eunape de Sardes

    Priscus de Thesprotie

    Beronicianus de Sardes

    Eusbe de Myndos Maxime dphseChrysanthe de Sardes

    Spatros de Syrie Eustathe de CappadoceAidsius de CappadoceEuphrasius

    Tableau 1. La diadoch de Jamblique selon Eunape de Sardes.

    Eunape prsente Priscus comme thesprotien ou molossien (VII 1, 10), ce qui peut correspondre la cit et la rgion. Libanius le rattache lpire (Orat. I 123), rgion laquelle appartenait effectivement Thesprotie.

    Lorsquen 351 le futur empereur Julien vint tudier Pergame dans lcole dAidsius, alors dj trs g, Maxime tait phse et Priscus avait fait voile vers la Grce (V. Soph. VII 1, 14). Aidsius qui regrettait alors labsence des deux disciples, confia le jeune Julien deux autres lves: Eusbe de Myndos et Chrysanthe de Sardes. Julien ne put donc pas lpoque faire la connaissance de Priscus.

    U. Criscuolo, Note su Prisco lEpirota e la scuola di Pergamo, dans G. Cacciatore - M. Martirano - E. Massimilla (d.), Filosofia e storia della cultura. Studi in onore di Fulvio Tessitore, Napoli 1997, t. I, p. 47-61; U. Criscuolo, Problemi della tradizione neoplatonica fra Giamblico e i suoi eredi, Rendiconti dellAccademia di archeologia, lettere e Belli Arti di Napoli 67 (1997), p. 399-436; O. Seeck, Die Briefe des Libanius zeitlich geordnet, Hinrichs, Leipzig 1906 (Texte und Untersuchungen, Neue Folge 15), p. 246 (abrg par la suite en BLZG); W. Enlin, art. Priscus 28, RE XXIII 1, 1957, col. 7-8; R.J. Penella, Greek Philosophers and Sophists in the Fourth century A.D. Studies in Eunapius of Sardis, Cairns, Leeds 1990 (ARCA, 28), p. 70-1 et passim. Voir aussi Eunapio di Sardi, Vite di filosofi e sofisti, d. par M. Civiletti, Bompiani, Milano 2007 (Il Pensiero occidentale), p. 509 n. 438. Priscus nest pas mentionn dans louvrage de M. Di Branco, La citt dei filosofi qui sattache pourtant aux moindres tmoignages sur la vie intellectuelle athnienne de lpoque. Priscus est galement absent de lindex de louvrage de E.J. Watts, City and School in Late Antique Athens and Alexandria, University of California Press, Berkeley 2006 (The Transformation of the Classical Heritage, 41), mais il est mentionn p. 89 n. 52, o le rle que lui attribuent Saffrey - Westerink dans la vie philosophique athnienne est contest cause du fait quEunape ne dit nulle part que ce phi-losophe stait tabli Athnes. Mais nous verrons plus loin que le tmoignage de Libanius montre que cest bien Athnes quil fit carrire.

    38 DPhA, A 56 = I [1989], p. 75-7.39 DPhA, M 63 (voir supra note 31).40 DPhA, C 116 = II [1994], p. 320-3.41 DPhA, E 157 = III [2000], p. 367.42 DPhA, I 3 (voir supra note 20).

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 39

    Priscus en Gaule

    La correspondance de Julien nous a conserv trois lettres trs intressantes adresses Priscus43 (Epist. 11-13 Bidez). Deux dentre elles (11 et 13) furent crites depuis la Gaule, o Julien vcut de 355 361. On a dat lensemble de ces lettres de 357 ou 358, mais les lments dune datation prcise font dfaut et rien ne prouve que les trois lettres aient t rdiges la mme poque.

    Dans la premire (11 = n 5 Wright) qui comprenait un post-scriptum autographe (Bidez), Julien remercie le philosophe pour ses lettres et linvite venir lui rendre visite.

    Priscus. Je relevais peine dune trs grave et rude maladie grce la providence du Sauveur qui observe tout, lorsque vos lettres sont arrives entre mes mains, le jour mme o je prenais mon premier bain. Je les lus le soir dj, et lon ne saurait dire combien ma rconfort le sentiment de ta pure et sincre bienveillance. Puiss-je men montrer digne, de faon ne point dshonorer ton amiti! Jai donc lu vos lettres sur le champ, quoique jeusse encore quelque peine le faire; quant celles du divin Antoine Alexandre, je les ai rserves pour le lendemain. Depuis lors jusquau moment o je tcris, six jours se sont couls, et ma convalescence progresse normalement grce la providence de Dieu. Puisses-tu mtre conserv, frre trs aimable et trs affectueux, par le Dieu qui observe tout; puiss-je te voir, mon bien! Et de sa propre main Par mon salut, par le Dieu qui observe tout, jcris comme je pense. Excellent ami, quand donc pourrai-je te voir et tembrasser, car maintenant, comme un amant perdu, je nai de plaisir qu rpter ton nom (trad. Bidez).44

    Julien se remettait donc dune grave maladie.45 Cette lettre suggre fortement que Julien connaissait dj bien Priscus: il est probable quil lavait rencontr lors de son sjour de quelques mois Athnes lt 355. Il nest certes pas dit que Julien tudia alors avec Priscus, mais seule une rencontre pralable suffisamment intime peut expliquer quil crivt au philosophe en lappelant son frre bien-aim ( , Epist. 11; voir aussi Epist. 13). Nous verrons dans une autre lettre quil se permettra galement de saluer son pouse Hippia ( ) et leurs enfants (Epist. 13).46

    43 Les lettres sont dites et traduites par J. Bidez, LEmpereur Julien, uvres compltes, I 2: Lettres et fragments, Les Belles Lettres, Paris 19602 (abrg Bidez, Lettres), p. 18-20, et prsentes p. 6-7. Voir galement M. Caltabiano, LEpistolario di Giuliano Imperatore. Saggio storico, traduzione, note e testo in appendice, DAuria, Napoli 1991 (, 14), p. 146-8 (trad.) et p. 234-7 (comm.).

    44 Iulian., Epist. 11 Bidez, t. I/2, p. 18 [= Epist. 5 Wright, t. III, p. 15-6]: . , , . , , . , , . , . , , , . , , . , ; .

    45 The illness to which Julian refers in almost certainly his semi-asphyxiation in Paris described in Misopogon 340-342a (W.C. Wright, The Works of the Emperor Julian, III, Harvard U.P., London - Cambridge Mass 1923, p. 15 n. 2 [Loeb Classical Library, 157]). Mais le malaise provoqu par une asphyxie nest pas vraiment une maladie, et Bidez, Lettres, p. 7 n. 1, tablit plutt un rapprochement avec la maladie voque dans la lettre 10 Alypius. Hertlein et Schwarz proposaient comme ddicataire de la lettre 11 Libanius et la dataient de 362.

    46 Criscuolo, Note su Prisco, p. 52-3, considre pour sa part que Julien, durant son bref sjour Athnes en 355, navait pas connu Priscus ou lavait peu connu. LEpirota, legato al metodo di insegnamento del tipo eusebiano, allesegesi

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    40 Richard Goulet

    On apprend accessoirement que Priscus avait transmis Julien les lettres du divin Antoine Alexandre.47 Il est difficile de savoir la nature de ces lettres et lidentit de ces personnages.

    La dernire lettre de Julien (13 = n 1 Wright), quil nest pas utile de citer, annonce ou accompagne lenvoi dune autorisation utiliser une voiture de la poste impriale pour venir le rejoindre en Gaule, o Priscus pourra, sil le veut, tudier lOcan. Julien se dclare prt servir les vrais philosophes et salue lpouse de Priscus, la sainte Hippia ( ) et leurs enfants, nouvelle preuve que les deux hommes se connaissaient bien.

    Priscus se rendit effectivement en Gaule et cest sans doute lui que pense Libanius (Or. XII 55-56), lorsque pour clbrer le quatrime consulat de Julien le 1er janvier 363, il raconte larrive auprs de Julien en Gaule, une date qui reste imprcise, dun philosophe venu dAthnes.48

    Alors que ta gloire grandissait, viennent toi non pas des danseurs et des mimes munis dastuces pour faire rire, ni des joueurs de flte ou de cithare chassant dutiles discours des dners, mais un essaim de rhteurs et un philosophe venant d Athnes, beau voir et au commerce encore plus beau, possdant plus dintelligence quil est possible aux hommes, mais prfrant tre le meilleur dans les discours que de le paratre. Cet homme, aprs avoir lou certaines choses et donn des conseils sur certaines autres, repartit aprs avoir reu un prsent que toi seul parmi les souverains tu as donn, des vers rvlant49 ce philosophe. Si nous louons Pisistrate pour avoir rassembl les uvres composes par un autre (i.e. Homre), o placerons-nous limitateur dHomre?50

    di Platone e Aristotele, non destava allora linteresse del mistico principe. Voir encore ibid., p. 56 n. 39: Dallorazione [de Liban., Or. XII 55-56, t. II, p. 29 Frster, que nous citerons plus loin] appare che la prima conoscenza fra Prisco e Giuliano fu proprio in Gallia: il filosofo non ebbe alcun ruolo nella formazione di base del principe. Mais le discours de Libanius ne suggre aucunement quil sagissait dune premire rencontre. Julien naurait pas adress un inconnu les paroles si affectueuses de son Post-Scriptum.

    47 Voir la correction propose par F. Delfim Santos, Antoninos the Theurgist in Julian, ep. 11, Byzantinoslavica. Revue internationale des tudes byzantines 57 (1996), p. 16-7: (ainsi ms. Florence, Bibl. Medicea Laurenziana, plut. 58, 16) . Il sagirait de lettres dAntonin (DPhA, A 221 = I [1989], p. 257-8), le fils dEustathe de Cappadoce (DPhA, E 161 = III [2000], p. 369-78) et de Sosipatra (voir Eunap., V. Soph., VI 9, 14 - 11, 2; p. 35, 24 - 40, 19 Giangrande). Caltabiano, LEpistolario di Giuliano Imperatore, p. 235, adopte plutt une correction propose par B.A. Van Groningen, Notes critiques sur quelques lettres de Julien, Vigiliae Christianae 14 (1960), p. 48, qui lit la place d. Ces deux corrections soulvent autant de problmes quelles en rsolvent et le passage reste obscur, peut-tre volontairement. Criscuolo, Note su Prisco, p. 53 n. 30, envisage encore une autre solution: ritengo con J. Bouffartigue, LEmpereur Julien et la culture de son temps, Paris, 1992, p. 97, che vada scritto, con i codici C e L, [=Marco Aurelio, di Giuliano] e che lAlessandro sia Alessandro di Seleucia [DPhA, A 221]).

    48 Contre les doutes d. vrard, Le matre de Plutarque dAthnes et les origines du noplatonisme athnien, Antiquit Classique 29 (1960), p. 108-33 et p. 391-406, notamment p. 113 et p. 115, R. J. Penella, Philosophers and Sophists, p. 68 n. 71, maintient lidentification de ce philosophe anonyme, qualifi de beau ( ), avec Priscus. Cest en effet un qualificatif que donnent Priscus la fois Eunape (V. Soph., VIII 1, 2, p. 56, 25 Giangrande: ) et Liban., Epist. 760.2, t. X, p. 686.7 Frster et Epist. 1426.1, t. XI, p. 464.18 Frster ( ).

    49 Frster proposait en note de lire (clbrant) au lieu de . F. Schemmel, Die Schulzeit des Kaisers Julian, Philologus 82 (1927), p. 463, retient cette correction. Tout en conservant , A.F. Norman (d.), Libanius, Autobiography and Selected Letters, Harvard U.P., Cambridge Mass. 1992 (Loeb Classical Library, 478) I, p. 71, traduit a poem in his honour.

    50 Liban., Or. XII 55-56, t. II, p. 29.6-17 Frster: , , , , , . (56.) , , , . , ;

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 41

    La Lettre 12 de Julien Priscus

    Mais cest la deuxime lettre de Julien Priscus (12 Bidez = n 2 Wright) qui est la plus riche de renseignements. Cette lettre, absente de ldition de Hertlein, a t dcouverte et publie par Papadopoulos-Kerameus en 1887.51 Contrairement aux deux autres lettres, aucun dtail ne permet de la dater du sjour de Julien en Gaule.

    Si vraiment ta bont songe venir me rejoindre, cest maintenant le moment, avec laide des dieux, de prendre une dcision et de faire diligence, car, un peu plus tard, il se peut que moi aussi je manque de loisir. Cherche pour moi tout ce que Jamblique a crit sur mon homonyme. Seul, tu le peux, car le gendre de ta sur en a une copie soigneusement rvise. Si je ne me trompe pas, un signe merveilleux se produit pour moi au moment o jcris ces mots.Je ten supplie, ne laisse pas les partisans de Thodore te rebattre les oreilles en rptant que Jamblique fut un ambitieux, lui, le matre vraiment divin, au troisime rang aprs Pythagore et Platon. Et sil y a de loutrecuidance manifester son opinion devant toi avec les transports dun enthousiaste, tu trouveras dans cette exaltation mme une raison de mexcuser. Pour ma part, je raffole de Jamblique en philosophie et de mon homonyme en thosophie et, pour parler la manire dApollodore, auprs de ceux-l, mes yeux, les autres ne comptent pas.Quant aux rsums dAristote que tu as composs, tout ce que je veux en dire, cest que je suis devenu ton disciple, sans avoir le droit de porter ce titre. Le Tyrien, dans beaucoup de livres, na fait entrer que quelques lments de la logique; toi, au contraire, au moyen dun seul livre, en matire de philosophie aristotlicienne, tu as fait de moi peut-tre un bacchant, et point un simple narthcophore. Veux-tu savoir si je dis vrai? viens me trouver, et tout ce que jai fait lhiver dernier dans mes moments perdus te convaincra (trad. Bidez modifie).52

    Dans cette lettre qui rpond lannonce par Priscus de sa venue prochaine, Julien prie son correspondant de rechercher et de lui apporter tout ce que Jamblique a crit sur (son) homonyme. Pour comprendre de quels philosophes il est question, il faut se reporter quelques lignes plus bas, o Julien dit quil raffole de Jamblique en philosophie et de (son) homonyme en thosophie. Cet homonyme est probablement Julien le Thurge53 et louvrage de Jamblique un

    51 A. Papadopoulos-Kerameus, Neue Briefe von Julianus Apostata, Rheinisches Museum fr Philologie 42 (1887), p. 15-27 (lettre 4, p. 25).

    52 Iulian., Epist. 12 Bidez t. I/2, p. 18-20 [= 2 Wright, t. III, p. 2-7]: . , , . . , , , . , , , , , , , . , . [] [] , , . , .

    53 DPhA, I 48 = III [2000], p. 978-9. Cest en tout cas linterprtation de Bidez, Lettres, et dEnlin, Priscus 28. J. Geffcken, Kaiser Julianus, T. Weicher, Leipzig 1914 (Das Erbe der Alten, 8), p. 145, et Wright, The Works of the Emperor Julian, ont compris que Julien souhaitait recevoir ce que Jamblique II, dont nous parlerons plus loin, avait crit sur son propre homonyme, cest--dire Jamblique de Chalcis. Mais dans le second passage, ne peut dsigner

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    42 Richard Goulet

    commentaire des Oracles chaldaques.54 Selon Julien, le gendre de la sur de Priscus on ignore le nom quil portait en avait une copie soigneusement rvise (). Il sagissait certainement de documents exceptionnels et difficilement accessibles, puisque Julien prcise que seul Priscus est en mesure de lui procurer ces ouvrages ( ). O tait alors Julien? O tait Priscus? Par quelles voies ce gendre mystrieux qui pouvait difficilement ne pas tre un philosophe et un philosophe paen avait-il eu en mains ce prcieux commentaire de Jamblique et comment Julien en avait-il eu connaissance?

    Dans cette Lettre 12, Julien invite galement Priscus ne pas croire les Thodorens on pense des disciples de Thodore (dAsin)55 , lorsquils prsentent Jamblique, le matre vraiment divin, le troisime aprs Pythagore et Platon, comme un ambitieux: pour ma part, crit-il, je raffole56 de Jamblique (de Chalcis) en philosophie et de (mon) homonyme (cest--dire Julien le Thurge) en thosophie et, pour parler la manire dApollodore57 (voir Plat., Symp. 173 D), auprs de ceux-l, mes yeux, les autres ne comptent pas.

    Selon Eunape,58 deux disciples de Jamblique de Chalcis taient originaires de Grce: Thodore et Euphrasius.59 Comme Asin tait en Messnie, on identifie gnralement ce Thodore Thodore dAsin, un philosophe souvent cit par Proclus. Dans sa Vie dIsidore, Damascius prsentait Thodore dAsin plutt comme un disciple de Porphyre.60 Le mme Damascius, dans son

    que lhomonyme de Julien. Voir A. Cameron, Iamblichus at Athens, Athenaeum. Studi periodici di letteratura e storia dellAntichit 45 (1967), p. 143-53, notamment p. 149 n. 11. Plus rcemment J. Vanderspoel, Correspondence and correspondents of Julius Julianus (?), Byzantion. Revue internationale des tudes byzantines 69 (1999), p. 396-478, notamment p. 400 et p. 465, a propos une tout autre interprtation: Julien souhaiterait recevoir une copie des lettres envoyes par Jamblique de Chalcis Julius Julianus, le grand-pre homonyme de Julien, auteur, selon cet historien, des lettres du Pseudo-Julien, notamment de celles qui sont adresses Jamblique. Mais alors, Julien naurait pas parl de son homonyme, mais bien de son grand-pre et la suite du texte montre bien que, par rapport la philosophie de Jamblique, cet homonyme se distingue par ce quil a crit dans le domaine de la thosophie. Julien ne pense manifestement pas un corpus pistolaire priv.

    54 Un commentaire en au moins 28 livres des Oracles chaldaques par Jamblique, peut-tre intitul Thologie chal-daque, est attest par Dam., De Principiis I, p. 86.5 Ruelle (voir L.G. Westerink - J. Combs [d.], Damascius. Trait des premiers principes, t. II, Les Belles Lettres, Paris 1989, p. 1.7-8): () ), Marin., Proclus, 26.17-18 Saffrey - Segonds - Luna ( ... ), et Johan. Lyd., De Mensibus IV 159.10, p. 175 Wuensch ( ). Ce titre apparat galement chez Damascius, t. II, p. 104.26 Westerink - Combs ( ), o est cit le fr. 1 des Places. Voir J. Dillon, notice Iamblichos de Chalcis, DPhA, I 3 (voir supra note 20), en part. p. 833.

    55 Il sagit du tmoignage 4 dans W. Deuse, Theodoros von Asine. Sammlung der Testimonien und Kommentar, Steiner, Wiesbaden 1973 (Palingenesia, 6); H.D. Saffrey, Le Philosophe de Rhodes est-il Thodore dAsin? Sur un point obscur de lhistoire de lexgse noplatonicienne du Parmnide, dans H.D. Saffrey, Le noplatonisme aprs Plotin, t. II, Vrin, Paris 2000 (Histoire des doctrines de lAntiquit classique, 24), p. 101-17, et H.D. Saffrey, Encore Thodore dAsin sur le Parmnide, dans Saffrey, Le noplatonisme aprs Plotin, p. 119-24, propose de retrouver Thodore dAsin sous la dsignation le philosophe de Rhodes que lon trouve ailleurs chez Proclus.

    56 Penella, Philosophers and Sophists, p. 67, comprend que Julien prte un tel intrt Priscus: You too are madly devoted to Iamblichus in philosophy and to my namesake in theosophy. Il suit ici le texte dit par Wright, The Works of the Emperor Julian (). Les mss ont en fait , corrig par Papadopoulos-Kerameus en et par Bidez, Lettres, en , texte que suit galement Caltabiano.

    57 DPhA, A 249 I [2989], p. 275-6. (Voir Aelian., Hist. var. I 16).58 Eunap., V. Soph., V 1, 5, p. 11, 15 Giangrande = test. 3 Deuse, considr comme douteux.59 DPhA, E 131 = III [2000], p. 337. G. Fowden, The Pagan Holy Man in Late Antique Society, The Journal of Hellenic

    Studies 102 (1982), p. 33-59, notamment p. 44 n. 92, a propos de lidentifier au philosophe anonyme de Sicyone mentionn par Them., Or. XXIII , 295 b, t. II, p. 90.10 Downey - Norman. Rien nappuie une telle identification.

    60 Dam., V. Isidori, Epitoma Photiana 166, p. 230.1-2 Zintzen (= test. 1 Deuse): , , . Voir P. Athanassiadi, Damascius. The

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 43

    commentaire sur le Philbe ( 3), rapportait lopinion dun disciple de Thodore dAsin, un certain Peisitheos,61 qui soutenait que le dialogue concernait lintellect, tout comme le Parmnide traitait du Bien.62 Selon Proclus,63 qui semble tenir son information dun certain Antonin,64 disciple dAmmonius,65 Thodore dAsin aurait suivi Porphyre sur un point dexgse: Ainsi parle Thodore dAsin, ayant trouv cette opinion chez Porphyre comme venant de la Perse: cest du moins ce que rapporte Antoninus le disciple dAmmonius. Dans le tableau succinct quil donne des gnrations de philosophes entre Plotin et son matre Syrianus, Proclus range Thodore ct de Jamblique, aprs la gnration dAmlius et de Plotin.66 Si Thodore fut llve de Jamblique, il adopta sur certains points des vues contraires celles de son matre et Proclus connaissait un ouvrage de Jamblique, intitul Rfutation d Amlius et aussi de Numnius, qui rfutait Thodore.67

    Puisque Priscus est alors confront des Thodorens critiques de Jamblique, on peut penser quil vit dans un centre intellectuel suffisamment important pour que des courants philosophiques voisins mais distincts, pareillement issus de la tradition de Jamblique, soient en concurrence. On pense Athnes plutt qu toute autre ville. Mais, les Thodorens sont des disciples de Thodore et ce dernier, sil fut llve de Porphyre, mort vers 305, a d natre au plus tard vers 280 et il tait probablement mort lpoque o crivait Julien. Il est possible quil ait enseign Athnes, mais il na sans doute pas enseign Plutarque dAthnes, mort en 430, qui a d natre dans la dcennie 350-360.68 Si Plutarque a partiellement adopt les vues de Thodore sur les hypothses du Parmnide,69 ce nest sans doute pas parce quil fut son lve: il a pu connatre des Thodorens, lire des commentaires ou recevoir cette tradition dun intermdiaire, par exemple son grand-pre qui sappelait Nestorios (comme aussi son pre70) et qui, sans tre ncessairement philosophe, est cit dans les commentaires de Proclus.71

    On apprend galement grce cette lettre que Julien avait lu avec profit des rsums dAristote ( ), en un seul livre ( ), composs par Priscus, et quil trouvait ce livre plus prcieux que tous les ouvrages logiques du Tyrien, cest--dire Porphyre de Tyr.72

    Philosophical History, Athnes 1999, p. 264-5 (n 110): For it was not possible to make easy progress nor to advance by inch, as Theodore of Asine advanced under Porphyry.

    61 DPhA, P 74 = V b [2012], p. 196-7.62 Voir ldition rcente de Damascius, Commentaire sur le Philbe de Platon, d. G. Van Riel, Les Belles Lettres,

    Paris 2008, 3, li. 1-4 (= test. 43 Deuse): , , , , .

    63 Procl., In Tim., t. II, p. 154.7-9 Diehl (= test. 19 Deuse): , .

    64 DPhA, A 220 = I [1989], p. 257.65 DPhA, A 140 = I [1989], p. 165-8.66 Procl., Thol. Plat., I 1, p. 6.26-7.8 Saffrey - Westerink (= test. 2 Deuse).67 Procl., In Tim., t. II, p. 277.26-30 Diehl (= test. 6 Deuse). Saffrey, Le Philosophe de Rhodes, p. 107.68 Saffrey, Le Philosophe de Rhodes, p. 114.69 Procl., In Parm. VI, coll. 1058.21-1059.3 Cousin (= fr. 62 Taormina, avec le commentaire quelle en donne p. 241-9).70 DPhA, N 27 = IV [2005] p. 662.71 Voir H.D. Saffrey, notice Nestorius, DPhA, N 27, IV [2005], p. 661-2.72 Ici un copiste a ajout le nom de Maxime pour prciser cet ethnique indtermin, mais il ne peut tre question ici

    de Maxime de Tyr. Pour ltablissement du texte, voir aussi J. Bouffartigue, LEmpereur Julien et la culture de son temps, Institut d'tudes Augustiniennes, Paris 1992 (Srie Antiquit, 133), p. 320, qui voudrait associer les noms de Porphyre (le Tyrien) et de Maxime dphse. Mais cette reconstitution impliquerait une critique de Maxime dphse, jug infrieur Priscus, que lon imagine mal sous la plume de Julien. Voir les rserves de Criscuolo, Note su Prisco, p. 53 n. 31: se concepibile una fra Porfirio e Prisco a danno del primo, improbabile che Giuliano ritenga il suo inferiore a Prisco, di cui si professa certamente allievo, ma solo .

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    44 Richard Goulet

    Cest l la seule attestation dune activit littraire de Priscus. Julien qui semble avoir crit durant lhiver prcdent des pages inspires par la lecture de cet ouvrage, se dclare en consquence le disciple pseudpigraphe de Priscus (Bidez traduit habilement: sans avoir le droit de porter ce titre).

    Ces travaux dhiver semblent porter spcifiquement sur les thmes aristotliciens que Julien vient dvoquer, puisque, si Priscus vient et en prend connaissance, il verra que Julien est devenu un bacchant en matire de philosophie aristotlicienne et non un simple narthcophore.73

    En quelle anne la Lettre 12 de Julien a-t-elle t crite?

    Le caractre priv de cette lettre ne permet pas de lui assigner une date prcise.74 La seule rfrence de caractre politique quelle contienne est linvitation formule par Julien pour que Priscus vienne rapidement, lempereur craignant de navoir plus par la suite un tel loisir.

    Un dtail peut faire douter que la Lettre 12 ait t crite la mme poque que les deux autres en Gaule. On y trouve une mention explicite des dieux, alors que les lettres de cette priode et les lettres 11 et 13 en particulier, nemploient que des dsignations abstraites de la divinit,75 sans doute pour chapper la censure des espions de Constance. On a voulu expliquer cette allusion ouverte aux dieux par le caractre confidentiel de la missive, sans doute communique par des serviteurs fidles, ce qui peut tre le cas pour une lettre Oribase (Epist. 14), mais, considrer lensemble des lettres du Csar en Gaule, on serait port penser que la Lettre 12 ne peut pas tre antrieure au pronunciamento de Paris (360). Il nest pas sr non plus quelle puisse convenir la priode antrieure la mort de Constance (t 361), car Julien prtend avoir vit dcrire ses amis au-del des Alpes aprs son lvation lempire, afin de ne pas leur attirer des ennuis (Lettre 40 Philippe).

    Une lecture attentive du rcit dEunape permet dtablir de faon prcise la succession chronologique des vnements. Aprs avoir renvers la tyrannie de Constance (V. Soph. VII 3, 7) grce laide dOribase

    73 Voir Plat., Phdr. 69 C-D ( , ). Pour des crits de Julien relatifs la logique, voir J. Bidez - F. Cumont, Imp. Caesaris Flavii Claudii Iuliani Epistulae Leges Poematia Fragmenta varia collegerunt et recensuerunt I. Bidez et F. Cumont, Les Belles Lettres - Oxford U. P., Paris - London 1922 (Nouvelle collection de textes et documents), n 158, p. 211. Selon la Souda 437, t. III, p. 643 Adler, il aurait crit un livre . Ammon., In An. Pr. librum I comm., p. 31.11-23 Wallies (CAG IV 6), rapporte que selon Aristote les syllogismes de la deuxime et de la troisime figure taient imparfaits. Boce, puis sa suite Porphyre, Jamblique et Maxime lve de Hirios, lui-mme auditeur de Jamblique, soutinrent au contraire quils taient parfaits. Thmistius prit parti pour Aristote sur ce point. Ayant se prononcer sur ce diffrend, Julien adopta les vues de Maxime (Boce, Porphyre et Jamblique) contre Thmistius (et Aristote). Ammonius ajoute que dj Thophraste avait contredit son matre sur ce point. La raction de Thmistius, consigne dans un Trait en rponse Maxime au sujet de la rduction de la deuxime et troisime figure la premire, est conserve en arabe. Texte arabe dans A. Badaw, Aris inda l-Arab, Le Caire 1947 [2e d. Kuwait 1978], traduction dans A. Badaw, La Transmission de la philosophie grecque au monde arabe, Vrin, Paris 19872, p. 166-80. Pour un commentaire, voir P. Moraux, Der Aristotelismus bei den Griechen, t. I, De Gruyter, Berlin 1973, p. 164-70.

    74 Pour dater cette lettre, on pourrait galement se demander si louvrage de Jamblique sur Julien le Thurge a laiss des traces dans luvre de lempereur Julien, ce qui permettrait de situer la lettre une poque antrieure la rdaction des ouvrages concerns. Bouffartigue, LEmpereur Julien, p. 306-9, retrouve dans le Discours sur la Mre des Dieux, crit durant lhiver 362, quatre citations des Oracles chaldaques, et ltude des contextes lamne supposer une influence de la Thologie chaldaque de Jamblique, cest--dire le commentaire que souhaite obtenir Julien. Bouffartigue envisage toutefois que lexgse de Jamblique sur les Oracles chaldaques ait t mdiatise par Maxime et Priscus.

    75 Voir dans la lettre 11: la providence du Sauveur qui observe tout, la providence de Dieu, le Dieu qui observe tout (homrisme selon Criscuolo, Note su Prisco, p. 53 n. 28, qui rappelle Il. III 277 et Od. XI 109, et cite des passages o la formule dsigne Hlios); dans la lettre 13: ce quil plaira Dieu, lauteur et le Sauveur de tous mes biens, la divine providence. Sur cette pratique de Julien, voir Bidez, Lettres, p. 10-11.

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 45

    de Pergame76 et dun certain vhmre de Libye (ibid. VII 3, 8), le nouvel empereur Julien fait venir sa cour (sans doute Constantinople) ses anciens matres Maxime dphse et Chrysanthe de Sardes (ibid. VII 3, 9). Maxime se prcipite chez lempereur, tandis que Chrysanthe, par respect pour les oracles consults, reste en Lydie (ibid. VII 3, 10-14). Linvitation peut tre date de la fin de 361, grce la lettre conserve de Julien Maxime (Epist. 26) crite depuis lIllyrie sur le chemin qui le ramenait de Gaule Constantinople. Une fois install la cour, au dbut de 362 vraisemblablement, Maxime demande lempereur de faire venir Priscus de Grce et de lancer une nouvelle convocation Chrysanthe rest en Lydie (V. Soph. VII 4, 3). Priscus accepta linvitation (ibid. VII 4, 7), mais Chrysanthe ne revint pas sur sa dcision et accepta tout au plus dtre nomm grand-prtre de la Lydie (ibid. VII 4, 9; XXIII 2, 7). Cest manifestement cette invitation relativement bien date que correspond la Lettre 12 de Julien Priscus. Il faut ds lors la dater de 362. Il est donc probable que la Lettre 12 a t crite cette poque o Julien sinstallait Constantinople et cherchait regrouper autour de lui ses amis philosophes. Mais nous reviendrons plus loin sur larrire-plan de cette lettre.

    Priscus la cour de Julien

    Appel auprs de Julien, Priscus se montra sens et immuable, malgr toutes les sollicitations des courtisans, et il ne manifesta pas dinsolence comme son collgue Maxime (Eunap., V. Soph. VII 4, 7). On le retrouve plus tard en 362 Antioche et, dans son Discours autobiographique (Or. I 123), Libanius rapporte que cest Priscus quil dut de ne pas perdre lamiti de Julien une poque o lempereur tait agac par le manque dempressement du sophiste participer aux sacrifices.77 Comme Libanius et Julien redevinrent bons amis, il faut situer lpisode au dbut du sjour de Julien Antioche (milieu 362).

    Mais la prsence de Priscus la cour ne fut pas ncessairement constante tout au long du rgne de Julien. On connat une circonstance o Julien dut attendre plusieurs jours larrive de Priscus. Lorsque Libanius composa son discours en faveur dAristophane de Corinthe (Or. XIV), neveu, comme nous lavons vu, de deux philosophes, lautomne 362, il promit Julien de le lui faire parvenir par lentremise du philosophe Priscus. Au bout de trois jours dattente lempereur reut de Priscus une lettre annonant quil allait tarder encore et il sen plaignit dans une lettre Libanius (Epist. 96). Libanius lui envoya alors directement le discours sans plus compter sur les complments dinformation quaurait pu fournir le beau Priscus ( ) lempereur (Iulian., Epist 96; rponse = Liban., Epist. 760.2).

    Dans ce discours pour Aristophane, Libanius fait appel au couple des conseillers de Julien, venus dpire et dIonie, cest--dire Priscus et Maxime, rappelant que leur tmoignage peut se substituer celui des oncles maintenant disparus dAristophane, les philosophes Hirios78 et Diogne dArgos:79

    Si Hirios et son frre [Diogne] taient encore vivants, ne les aurais-tu pas autour de toi, linstar de ces deux (conseillers) divins, celui qui vient dpire et celui qui vient dIonie? Mais quoi? Ne penses-tu pas quils auraient tout fait en paroles et en actions en faveur dAristophane? () Comment donc ne serait-il pas choquant quAlexandre, malgr sa colre contre les Thbains, ait pris piti, comme tu le sais, de ceux

    76 DPhA, O 41 = IV [2005], p. 800-477 Voir Bidez, Lettres, p. 110-1.78 DPhA, H 120 = III [2000], p. 684.79 DPhA, D 140 B = II [1994], p. 803.

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    46 Richard Goulet

    qui taient des parents de Pindare cause de lart musical de Pindare, et que ne profite Aristophane ni la philosophie de ses oncles, ni celle de tes compagnons, que tu traites lgal de tes pres? Car ce que je dis maintenant, considre que Maxime te le dit, que Priscus en formule le conseil. Que si tu ne me crois pas, demande-leur eux-mmes. Tu vois quel point ils dsirent que cet homme bnficie dune faveur?80

    Dans une lettre Priscus (Epist. 947) crite beaucoup plus tard (en 390), Libanius lui rappellera que Julien faisait grand cas de savoir sil semblait Priscus quil accomplissait ses devoirs ( ).

    Un fragment de lHistoire dEunape (fr. 25.4 Blockley), conserv par la Souda (s.v. , Y 175, t. IV, p. 647.12-13 Adler), associe Maxime et Priscus comme des intellectuels dous, mais dnus du sens de la politique et des affaires publiques. Maxime et Priscus suivirent ensuite Julien dans sa campagne dsastreuse contre les Perses (Eunap., V. Soph. VII 4, 9) en 363. Selon Ammien Marcellin XXV 3, 23, ces deux philosophes eurent un entretien sur la sublimit des mes avec lempereur sur son lit de mort. Le paralllisme avec la mort de Socrate est tabli par Libanius (Or. VIII 272).

    Dans la Lettre 1426 Saloutios, crite en 363, aprs la mort de Julien et avant larrive de Jovien Antioche le 22 octobre 363, Libanius voque le rconfort que lui a apport Priscus dans ces circonstances pnibles:

    Tu mas remis sur pied grce tes lettres, moi qui tais abattu depuis ce fameux jour quil est inutile de tindiquer mais que tu devines toi-mme.81 Cest ce qua bien compris le beau Priscus, qui mayant retrouv [ son retour du front perse] pareil aux poissons expirant sur la rive, entreprenait de me relever grce un remde qui ne manque pas de vigueur pour les souffrances de lme, mais qui ne produisit pas beaucoup deffet (chez moi) sur un grand nombre de jours. (2) Mais lorsquarriva ta lettre, il dit: Pense que pour toi il (Julien) est vivant si tu vois en lui un sauveur des nations et un protecteur de ses amis.82

    Aprs la mort de lempereur, Maxime et Priscus continurent tre honors par Jovien, mais tombrent en disgrce sous les nouveaux empereurs Valentinien et Valens83 et furent arrts (Eunap., V. Soph. VII 4, 10-12).84 Sur les mauvais rapports entre Valentinien et les amis de Julien, nous disposons du tmoignage de Zosime:

    80 Liban., Or. XIV 32 et 34, t. II, p. 99.9-13; 99.21 - 100.6 Frster: , , , ; ; ; (...) , , , , , , ; , , . , . , ;

    81 Cest--dire lorsque la nouvelle de la mort de Julien est arrive Antioche.82 Liban., Epist. 1426.1-2, t. XI, p. 464.16-21 Frster: .

    , , . , , . (2) , .

    83 La proclamation de Valentinien est date du 25 fvrier 364. Il nomma son frre Valens Auguste le 28 mars 364.84 N. Lenski, Failure of Empire. Valens and the Roman Senate in the Fourth Century A.D., Berkeley 2002 (The John

    Palevsky Imprint in Classical Literature - The Transformation of the Classical Heritage, 34), p. 108: What we have, then is evidence for a period of political terrorism directed against Julians friends and former officials. Those who had enjoyed his benefactions, particularly those who shared his cultural and intellectual interests, were made to pay for the rewards they had received with flight, flesh, and above all fines.

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 47

    1. Cependant que les deux empereurs se trouvaient Constantinopole, ceux qui intriguaient contre les familiers de Julien ne laissaient pas de rpandre devant le palais des bruits selon lesquels ceux-ci complotaient contre les empereurs et dexciter la foule draisonnable de telles rumeurs; quant aux empereurs qui, pour dautres motifs aussi, taient trs mal disposs envers les familiers de Julien, il en conurent alors une haine accrue leur gard et songrent des procs dpourvus de tout fondement. 2. Valentinien gardait un ressentiment tout particulier envers le philosophe Maxime, car il conservait dans sa mmoire une accusation que celui-ci se trouvait avoir formule contre lui du temps de Julien, et selon laquelle il se serait montr impie envers les lois divines cause de sa foi chrtienne.85

    Ammien crit pour sa part:

    Comme laffirmaient des rumeurs opinitres, [Valens et Valentinien] cherchaient susciter la haine contre la mmoire de lempereur Julien et contre ses amis, en se faisant passer pour victimes de sortilges occultes.86

    Selon Eunape, Priscus cependant, la diffrence de Maxime, ne fut pas inquit outre mesure et, grce aux tmoignages qui attestaient quil avait t et tait un homme de bien (), il put rentrer en Grce (V. Soph., VII 4, 12).

    Thmistius, dans un discours en faveur des infortuns amis de Julien loue lempereur Valens de navoir inflig au philosophe matre de Julien (Maxime) quune simple amende ( ), dailleurs impose par la vindicte populaire:

    Et voici la preuve vidente [de cette explication]: celui qui a t accus pour les mmes charges [que Maxime, cest--dire Priscus], mais qui avait souffert de faon moins intense de lhostilit de la foule, tu le relaxas immdiatement sans quune peine lui soit impose.87

    Lcole de Priscus Athnes

    Cest Athnes que Priscus tenait une cole de philosophie. Eunape qui vint tudier dans cette ville pendant ou peu aprs le rgne de Julien ne dit pas lavoir connu personnellement, mais il ne dit pas non plus quil ne la pas connu, comme il le fait pour dautres intellectuels athniens. Il connat sur Priscus et son caractre des dtails prcis, mais qui ont pu lui tre communiqus par son matre Chrysanthe, ancien condisciple de Priscus. Il est possible qu lpoque du sjour dEunape Athnes Priscus ait encore t ltranger, puisquil tait parti rejoindre Julien en 362.88

    85 Zos., Hist. nova, IV 2, 1-2 (trad. Paschoud). Voir Penella, Greek Philosophers, p. 15-6 (i).86 Ammian. Marc., Rerum gest., XXVI 4, 4, t. V, p. 68 Mari. 87 Them., Or. VII , 100 b, t. I, p. 150.7-10 Schenkl - Downey. Voici le texte tabli par ces diteurs avec les

    diverses leons signales dans lapparat: [cod. A, Dindorf : codd. cett., vulg. Gasda, Maisano] [Petavius2, Hardouin, Dindorf: codd. H. Stephanus, Remus, Petavius1 latet error Stephanus Reiske Roulez F. Jacobs] . La traduction propose pour ces lignes apparemment corrom-pues retient le des manuscrits et adopte la correction de J. Roulez .

    88 La date du sjour dtude dEunape Athnes est dispute. On peut estimer quil faut situer son arrive non pas en 362, mais lautomne 364, aprs la mort de Julien. Voir R. Goulet, Sur la chronologie de la vie et des uvres dEunape de Sardes, The Journal of Hellenic Studies 100 (1980), p. 60-72, repris dans Id., tudes sur les vies de philosophes de lantiquit

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    48 Richard Goulet

    On connat le nom dun des lves de Priscus pour une poque plus tardive : Hilarius,89 que Libanius prsente comme lornement de la Grce ( , Epist. 863.2, t. XI, p. 20.7-8 Frster). Il tait venu Antioche vers 388. Dans sa lettre 947 (t. XI, p. 85.16 - 87.6 Frster), crite en 390,90 Libanius, alors g de 76 ans, le recommande Priscus et voque son retour en Grce, o il pourra admirer les villes du Ploponnse, de Phocide et de Botie, ainsi que lastre de la Grce (Eurip., Hippol. 1122), Athnes, et un autre astre, Priscus qui connat bien Platon et le disciple de Platon [i.e. Aristote], et qui renvoie plus sages ceux qui deviennent ses lves. Libanius rappelle ensuite lestime que portait Priscus lempereur Julien. Hilarius est nouveau mentionn dans la lettre 950 Stratgius,91 quil a d lui apporter Athnes en 390.

    Ce tmoignage de Libanius est important. Comme lont crit Saffrey et Westerink:92

    Nous avons la certitude que dans les quinze dernires annes du IVe sicle, Priscus, un philosophe noplatonicien form lcole de Pergame, vivait Athnes au milieu dun petit cercle de disciples, dont Hilarius; et dautre part que trs probablement ctait dj Athnes quil stait tabli ds le milieu du sicle, Athnes o triomphait la philosophie de Thodore dAsin et o il introduisit celle de Jamblique.

    Si lon se rappelle le tmoignage de Julien cit au dbut de cette tude, on voit que Priscus correspond bien ces philosophes non autochtones qui dversaient leur sagesse Athnes lpoque o Julien y sjourna lt 355.93

    Les orientations philosophiques de Priscus

    Priscus fait lobjet chez Eunape dune vie indpendante (V. Soph. VIII), qui insiste sur son physique (il tait beau et grand) et surtout sur ses traits de caractre: ctait un homme secret et rserv, dou dune excellente mmoire qui lui avait permis dapprendre par cur toutes les opinions des anciens; il ddaignait les discussions et considrait la grande familiarit de son matre Aidsius

    tardive. Diogne Larce, Porphyre de Tyr, Eunape de Sardes, Vrin, Paris 2001 (Textes et traditions, 1), p. 303-22, et R. Goulet, Prohrsius le paen et quelques remarques sur la chronologie dEunape de Sardes, Antiquit Tardive 8 (2000), p. 209-22, repris dans Id., tudes sur les vies de philosophes, p. 323-47.

    89 DPhA, H 131 = III [2000], p. 706.90 La lettre est traduite par Norman, Libanius, n 166, et par B. Cabouret, Libanios, Lettres aux hommes de son temps.

    Lettres choisies, trad. et commentes, Les Belles Lettres, Paris 2000 (La roue livres. Documents), lettre 87. Selon Saffrey - Westerink, Thol. Plat., p. xxxv-xlviii, il faudrait identifier cet Hilarius avec Hilarius de Bithynie (DPhA, H 133 = III [2000], p. 707), peintre mis mort par les Goths prs de Corinthe en 395 ou 396 (Eunap., V. Soph., VIII 2, 2, p. 58.22-25 Giangrande). Mme identification dans G. Fatouros - T. Krischer (d.), Libanius, Briefe: griechisch-deutsch, Heimeran, Mnchen 1980 (Tusculum-Bcherei), p. 453, chez Norman, Libanius, t. II, p. 350 n. b., et, avec hsitation, chez Criscuolo, Note su Prisco, p. 58 n. 51. Nous navons pas retenu cette identification avec Hilarius de Bithynie, parce que le correspondant de Libanius et disciple de Priscus est rattach la Grce et non lAsie mineure (Bithynie) et aussi parce quEunape qui connaissait personnellement le peintre ne le prsente pas comme un familier de Priscus (notice Hilarius dAchae, DPhA, H 131 = III [2000], p. 706), tout en le mentionnant lintrieur de la vie de ce dernier (Eunap., V. Soph., VIII 2, 1-3, p. 58.17-25 Giangrande). Si la lettre 947 est une lettre de recommandation auprs de Priscus pour quil accepte Hilarios comme lve, alors ce dernier doit tre un homme encore jeune en 390, dont Eunape ne saurait dire quil a vieilli Athnes.

    91 Voir Seeck, BLZG, p. 284, s.v. Strategius VI.92 Saffrey - Westerink, Thol. Plat., p. xliii.93 Schemmel, Die Schulzeit des Kaisers Julian, p. 463, la suite de Zumpt, nhsitait pas prsenter de faon anachroni-

    que Priscus comme le scholarque en titre de lAcadmie platonicienne: Die Leitung der Akademie hatte Priskos aus Epirus.

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 49

    avec les artisans ou les commerants comme une trahison de la philosophie (ibid., VIII 1, 9). On ne sait trop ce que veux dire Eunape lorsquil crit que Priscus supportait de nombreuses innovations de la part de jeunes gens qui senthousiasmaient pour la sagesse ( ) (ibid., VIII 1, 10). Sagirait-il de la constatation dsabuse de la part du philosophe, commentateur platonicien dAristote, du dveloppement Athnes des tendances thurgiques caractristiques dune partie de la tradition de Jamblique? On sait qu lintrieur de lcole dAidsius Pergame, le philosophe Eusbe de Myndos94 sopposait cette tendance dveloppe par son collgue Maxime dphse et quil prnait plutt la purification assure par la raison ( , ibid., VII 2, 1-13). Maxime, mais aussi Chrysanthe de Sardes et le futur empereur Julien, taient au contraire de chauds partisans de la tendance thurgique.

    Aucun indice ne permet en tout cas dinscrire doffice Priscus dans le courant thurgique et le tmoignage dEunape pourrait signifier quil avait vu ses disciples adopter de telles tendances son corps dfendant.95

    Cameron a fait remarquer que ce ntait pas dans la bibliothque de Priscus lui-mme que Julien esprait trouver un exemplaire de louvrage de Jamblique sur les Oracles chaldaques, mais bien chez un de ses proches:

    Julian seems to have had reason to believe that Priscus himself did not even possess a copy of the most famous of Iamblichus Is [i.e. Jamblique de Chalcis] theurgical writings, his commentary on the Chaldaean Oracles. Otherwise he would hardly have asked Priscus to obtain a copy for him from his (Priscus) sisters son-in-law.96

    Priscus mourut quatre-vingt-dix ans passs, lpoque de la destruction des temples de la Grce (par Alaric en 396: voir Eunap., V. Soph. VII 3.4-5), qui marqua la fin tragique de paens comme Protrius de Cphalnie97 et Hilarius de Bithynie.98 Il serait donc n un peu avant 305 et aurait eu autour de soixante ans sous le rgne de Julien.

    Priscus semble avoir connu avant sa mort une priode pnible voque par Libanius dans sa lettre 1076 (datable de 393), qui rpond une lettre du philosophe:

    (1) A Priscus. Jai repris vie la rception de ta lettre, alors que, malgr les consolations de plusieurs (amis), personne navait pu obtenir quoi que ce soit. Et je nignore pas non plus tout ce que toi-mme tu as souffert, mais on ne peut comparer un homme qui tient le premier rang en philosophie et un individu (comme moi) qui saffaire dans dautres disciplines. (2) Si donc, loccasion se prsentant, tu envoies nouveau une autre lettre, peut-tre celle-l aussi attnuera-t-elle ma tristesse prsente.99

    94 DPhA, E 157 = III [2000] p. 367.95 Penella, Philosophers and Sophists, p. 66-7, qui reconnat juste titre quEunape ne nous renseigne pas sur lattitude de

    Priscus lgard de Jamblique, ni lgard de la thurgie, reproche Fowden, The Pagan Holy Man in Late Antique Society, p. 44, davoir compris le passage dEunape comme si Priscus avait introduit des innovations contraires lenseignement de Jamblique; il interprte pour sa part ces innovations comme tant the many socio-political upheavals of the fourth century (p. 67). Retenant le texte de Wright, The Works of the Emperor Julian (), il rapporte Priscus plutt qu Julien la passion voque par ce dernier pour la philosophie de Jamblique: You too are madly devoted to Iamblichus in philosophy. Nous avons vu plus haut quil faut plutt suivre le texte Bidez () qui rapporte la phrase Julien et comprendre: Pour ma part, je raffole de Jamblique (de Chalcis) en philosophie.

    96 Cameron, Iamblichus at Athens, p. 151-2. Voir dj en ce sens vrard, Le matre de Plutarque dAthnes, p. 405.97 DPhA, P 306 = V b [2012], p. 1709.98 DPhA, H 133 (voir supra note 89).99 Liban., Epist. 1076.1-2, t. XI, p. 195.9-16 Frster: . (1) ,

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    50 Richard Goulet

    On ne voit pas si les souffrances analogues de Libanius et de Priscus sont de caractre physique ou moral, dues peut-tre la condition de plus en plus prcaire des paens dans lEmpire.100

    Priscus fut un grand voyageur. Originaire dpire, il fut llve dAidsius Pergame. Il revint ensuite en Grce avant 351, probablement Athnes. Il rendit visite Julien en Gaule, puis le rejoignit la cour de Constantinople en 362 et le suivit Antioche, o il frquenta Libanius, puis sur le front Perse. On ne sait pas sil est rest en Asie mineure, comme Maxime, pendant les annes o furent inquits les anciens amis de Julien, mais il put rentrer en Grce, o il semble avoir vcu jusqu sa mort.

    Jamblique d Apame

    Nous connaissons un autre philosophe qui a fait carrire Athnes la mme poque. Il sagit de Jamblique dApame.101 Il tait le petit-fils de Spatros (I) dApame, un disciple direct de Jamblique de Chalcis; son pre Himrius102 tait le frre dun autre Spatros (II), qui avait lui aussi t llve de Jamblique de Chalcis. Plusieurs historiens ont vu en Jamblique dApame un des relais entre lcole de Jamblique de Chalcis et les premiers matres de lcole noplatonicienne dAthnes.103 Les preuves sont chercher dans la correspondance de Libanius et de Symmaque, ainsi que dans lpigraphie du Bas-Empire.

    Spatros I dApame

    Jamblique dApame

    Spatros IIHimrius

    , . , . (2) , .

    100 Le Priscus ddicataire dune autre lettre de Libanius datable elle aussi de 393 (Epist. 1099) nest pas le philosophe, mais un ancien lve de Libanius (voir Seeck, BLZG, p. 246, s.v. Priscus II; apparemment absent de la PLRE I, moins quil ne sagisse dAntonius Priscus 6, praeses Cariae en 384-393).

    101 Sur Jamblique dApame, voir Seeck, BLZG, p. 184; A.E. Raubitschek, Iamblichos at Athens, Hesperia 33 (1964), p. 63-8; Cameron, Iamblichus at Athens, p. 143-53; Saffrey - Westerink, Thol. Plat., p. xliii-xlvi; J. Bouffartigue, notice Iamblichos dApame, DPhA, I 2 = III [2000], p. 823-4; B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions dpoque impriale, Vrin, Paris 2002 (Textes et Traditions, 4), n 141, p. 313-4.

    102 Dans sa lettre 571 Aristnte, t. X, p. 536.15-17 Frster, Libanius le prsente de la faon suivante: Le fils dHimrius, le neveu de Spatros, lhomonyme de Jamblique, qui est pour moi un parent et un ami ( [ codd.] , , , ). Dans la lettre 574.2, t. X, p. 540.1-2 Frster, Libanius voque son pre, son oncle et son grand-pre. Cameron, Iamblichus at Athens, p. 146-7, a montr que ce grand-pre de Jamblique (II) ntait pas Jamblique I de Chalcis (comme le pensaient Seeck, BLZG, et Raubitschek, Iamblichos at Athens, et comme on peut le lire encore ici et l), mais bien Spatros I, pre de Spatros II et dHimrius. Voir E. Sironen, Life and Administration of Late Roman Attica in the Light of Public Inscriptions, dans P. Castrn (d.), Post-Herulian Athens, The Finnish Institute at Athens, Helsinki 1994 (Papers and monographs of the Finnish Institute at Athens), p. 15-62, n 16, p. 33, suit Cameron sur ce point, mais se trompe en voquant the great philosopher Iamblichus, who was also originally from Apamea. Nous verrons que pour Jamblique de Chalcis Apame tait plutt une terre daccueil.

    103 Voir en dernier lieu Watts, City and School, p. 89: Neoplatonism in its Iamblichan form probably did not take hold among Athenan intellectuals until it was introduced to the city by a nephew of the philosopher Iamblichus in the 360s. Que Jamblique ait t un neveu de Jamblique de Chalcis est toutefois inexact.

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 51

    De nombreuses lettres de Libanius mentionnent ou sont ddies ce Jamblique qui tait apparent au sophiste et avait t son lve Antioche. Il serait trop long de les citer toutes et certaines restent obscures, mais on peut tenter den extraire quelques informations importantes.

    Il nest jamais facile dextraire de ces lettres des informations prcises. Il y a trois raisons cela. Il y a tout dabord le manirisme du rhteur qui prfre toujours la paraphrase et une tournure littraire rudite la plate dsignation des choses ou des vnements. Il y a ensuite la lourde charge dimplicite que comporte toute correspondance prive: il est inutile de nommer avec prcision ou didentifier des personnes que le correspondant connat parfaitement. Il y a enfin le besoin dune certaine discrtion dans des dmarches de recommandation qui entendent parfois contourner la loi au profit dun protg. Il nous faut donc essayer de lire entre les lignes tout un arrire-plan, sans jamais tre sr quon ne construit pas un roman sur un dtail fortuit. Ces lettres montrent tout dabord que Jamblique fut et resta un paen convaincu.104 Il est prsent plusieurs reprises par Libanius comme un sage et explicitement comme un philosophe,105 accessoirement comme un rhteur, car il a frquent lcole de Libanius, mme si la disparition de son pre Himrius la contraint interrompre sa formation (Epist. 575.4):106 Bien quil sache parler, car il est rhteur, il sait aussi garder silence quand le silence est meilleur (Epist. 573.2, t. X, p. 539.6-7 Frster).107 Sil na reu quune formation rhtorique incomplte, il peut tre recommand comme philosophe, issu dune famille de philosophes (Epist. 575.3) et vraisemblablement form par eux. Il confia Libanius qui tait son parent (Epist. 571.1; 576.1), ladministration de ses biens la mort de son pre (Epist. 574.5).

    Le jeune Jamblique quitta Antioche en larmes en 357, craignant de ny plus revenir (Epist. 574.1), muni de neuf lettres de Libanius (Epist. 569-577) destines des amis, intellectuels dont les enfants tudient chez Libanius ou officiers impriaux, quil devait rencontrer sur sa route.108

    104 Liban., Epist. 571.2, t. X, p. 537.3-4 ( ) et 572.3, t. X, p. 538.13-14 Frster (il est digne dhonneur parmi les enfants des Hellnes); Epist. 932.2, t. XI, p. 75.8 Frster (ami des dieux); Epist. 982.1, t. XI, p. 114.21-22 (car cet homme fut tel que ses biens devinrent le bien commun de tous les Hellnes); Epist. 984.2, t. XI, p. 115 (les dieux et les desses ont le souci de la vie de Jamblique). Il envisageait de se faire initier aux mystres dleusis Athnes en 362-363 (Epist. 801.2, t. X, p. 722.1-4).

    105 Issu dune famille de philosophes (Epist. 593.1; 574.2; 575.3-4), il fait montre de vertus dignes de la philosophie (Epist. 575.4). Il a dcid dtre philosophe ( , Epist. 385.2, t. X, p. 375.7 Frster, en 358). Libanius lassocie aux philosophes: vous qui philosophez (Epist.1466.1, t. XI, p. 498.12). Il vit la campagne en compagnie de Pythagore, Platon, Aristote et son homonyme Jamblique de Chalcis (Epist. 1466.4, t. XI, p. 499.7-8 Frster en 365).

    106 Libanius explique cette formation rhtorique inacheve chez Jamblique par sa condition dorphelin ( , Epist. 575.4, t. X, p. 541.12). Cela nimplique pas quil se soit retrouv sans le sou Son hritage lui permettra de rsider pendant plusieurs annes ltranger et de faire, beaucoup plus tard, bnficier Athnes de ses largesses.

    107 Dans le contexte des dernires annes du rgne de Constance, ce silence pourrait tre, entre correspondants paens, le signe dun engagement tacite pour la cause hellne. Sur les solidarits paennes, parfois clandestines, Antioche la fin du rgne de Constance, voir E. Soler, Le sacr et le salut Antioche au IVe sicle apr. J.-C. Pratiques festives et comportements religieux dans le processus de christianisation de la cit, IFAO, Beyrouth 2001 (Bibliothque archologique et historique, 176), chap. IV, p. 65-71. Soler traduit (p. 67) un extrait de lOr. XV 45, de Libanius adress Julien: Cette cit (Antioche), pour laisser de ct les choses les plus anciennes, apprenant tes combats et tes victoires sur le Rhin et le fait que tu composais des discours et tes autres vertus, na pas adress aux dieux des prires publiques pour que lEmpire te revienne, cela ntait pas possible, mais chacun, soit en lui-mme, soit dans les symmories de ceux qui voulaient cela, a demand sans discontinuer Zeus de faire cesser ce qui dtruisait lEmpire et de donner le pouvoir celui qui le sauverait.

    108 Ces correspondants sont Hirocls ( Tarse en Cilicie), Maxime dAncyre, Aristnte ( Nicomdie), Gymnasios ( Constantinople), Silanos ( Constantinople?), Anatolios ( Sirmium?), Thmistios ( Constantinople), Barbation (peut-tre en Italie auprs de Constance?) et les frres Olympios et Jovinos. Sur la plupart de ces personnages, voir P. Petit, Les fonctionnaires dans luvre de Libanius. Analyse prosopographique, Les Belles Lettres, Paris 1994 (Annales littraires de lUniversit de Besanon, 541), n 19 (Anatolius I), n 38 (Aristnte I), n 130 (Gymnasius), n 140 (Hirocls I), n 155 (Jovinus II), n 213 (Olympius X), n 280 (Thmistius I).

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    Quelques tapes de son voyage pnible ( , Epist. 607.2, t. X, p. 564.8-9 Frster) sont connues: Tarse en Cilicie (Epist. 569), o il se plaint de la faim et du froid et na pas apprci les conseils de Hirocls (Epist. 593.1), Ancyre en Galatie, o il a t mal accueilli (Epist. 607), Nicomdie, o il est reu par Aristnte (Epist. 571) qui prira dans le tremblement de terre de lanne suivante (aot 358), Constantinople, o il devra rencontrer Thmistius (Epist. 575), Silanus, professeur de droit (Epist. 573), et Gymnasius, ancien gouverneur de Syrie (en 355-356) qui lavait dj rencontr Antioche (Epist. 572), sans doute dans lcole de Libanius, peut-tre Sirmium o rsidait le Prfet du prtoire dIllyrie Anatolius. Libanius sattendait ce quil se retrouve finalement en Italie, o il lui fit porter une lettre par Proclos,109 mais il reut alors une lettre dAthnes, puis une autre de Macdoine et nouveau une autre dAthnes (Epist. 360.2). Il semble bien que Jamblique ne se soit jamais rendu en Italie et ait interrompu son priple Athnes.

    Le but de ce voyage nest nulle part prcis, sans doute pour des raisons de discrtion. La dcision de Jamblique met en cause les choses divines ( , Epist. 571.4), mais on ne voit pas bien ce quelles peuvent recouvrir.110 Libanius crit Hirocls111 Tarse en Cilicie: La raison pour laquelle Jamblique est parti, lui-mme te la dira ( , , Epist. 569.1, t. X, p. 535.14 Frster).112 Le jeune homme est apparemment appel un poste indtermin, peut-tre en Italie, la cour de Constance, par quelquun dimportant (Epist. 571.4). Ayant hrit des biens de son pre Himrius (Epist. 571.3), il esprait peut-tre chapper (, Epist. 571.4, t. X, p. 537.11-12 Frster) ses charges de curiale Apame en entrant dans ladministration impriale. Il espre en tout cas tre dli de certains liens (, Epist. 571.5, t. X, p. 537.14 Frster). Libanius crit Aristnte:113

    Lorsque tu auras appris qui est celui qui lappelle et dans quel esprit il fait ce voyage vers cette fonction laquelle il est appel, tu seras tonn quil nadmire pas la richesse, tu loueras sa sagesse, par laquelle il sefforce de fuir ce quil ne considre pas comme beau, et tu le tiendras heureux dans son jugement concernant les choses divines.114

    Libanius envisage quil soit envoy par Aristnte, en Italie ou de prfrence en Syrie (Epist. 571.5).115 Si Libanius rappelle quil dpense son patrimoine dans lintrt de ses amis (Epist. 571.3),

    109 Absent de la PLRE; voir Seeck, BLZG, p. 248, s.v. Proculus II.110 Il est possible que les allusions multiples la fidlit de Jamblique aux croyances hellnes et le fait que les destinataires

    de ces lettres de recommandation soient tous, pour autant que nous le sachions, des paens soient le signe dune volont du jeune homme de sengager pour la cause hellne, mais rien de prcis ne filtre de cette correspondance volontairement allusive.

    111 Hirocls est un paen, n de parents chrtiens. Il fut consulaire de Coel-Syrie en 348. Il mourut la fin de 358, aprs Aristnte. Son fils Calycius est lpoque un lve de Libanius et un ami de Jamblique. Voir Seeck, BLZG, p. 176-7, s.v. Hierocles I; PLRE I, s.v. Hierocles 3.

    112 Le conseil donn par Hirocls semble avoir dplu Jamblique lui-mme, car dans sa lettre 593 Libanius est oblig de rconforter le jeune homme et de lui recommander de suivre le conseil de Hirocls. Libanius doit presque sexcuser auprs de Hirocls (Epist. 594) du peu dempressement du jeune homme: tu as envoy le jeune homme au bon endroit. Libanius espre quen ayant reu tout ce que peuvent donner les dieux, Jamblique revienne (Epist. 593.2).

    113 Voir Seeck, BLZG, p. 85-7, s.v. Aristaenetus I; PLRE I, s.v. Aristaenetus 1.114 Liban., Epist. 571.4, t. X, p. 537.9-13 Frster: , ,

    , , , , .

    115 Il est trange que si Jamblique est appel par un personnage important, peut-tre en Italie, Libanius puisse envisager quAristnte prenne la responsabilit de lenvoyer en Italie ou en Syrie. Aristnte tait un homme influent qui allait devenir vicaire du Pont lanne suivante. Il peut sans doute recommander Jamblique auprs du personnage quil sapprte rencontrer, ou bien obtenir pour lui une affectation plus avantageuse en Syrie.

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 53

    cest peut-tre pour expliquer que la dmarche de Jamblique ne procde pas dune rpugnance lgard des liturgies municipales, ni dun manque desprit civique. Les correspondants de Libanius doivent voir dans le jeune homme un fils suprieur au pre, dont le propos principal ne porte pas sur les richesses, mais plutt sur ce quil peut faire de beau (Epist. 573.2, t. X, p. 539.3-4 Frster). Il est amoureux des discours, suprieur aux richesses (Epist. 576.1, t. X, p. 541.19 Frster).

    Libanius qui comprend la raison de ce voyage ne lapprouve pas totalement, car il sait quen tant que parent et tuteur de Jamblique il devra affronter les reproches de ses concitoyens qui le tiennent pour responsable de son absence (Epist. 385.3) prolonge ( , Epist. 360.3, t. X, p. 343.12-13 Frster) et lui demandent o est pass le jeune homme (Epist. 385.3). plusieurs reprises il essaiera de faire revenir le jeune homme la maison.116

    Quelques mois aprs son dpart ( la fin de 357 peut-tre), alors quautour de Libanius on simpatiente de le voir revenir, Jamblique qui vient de connatre un chec et une dception, a fait part de son intention d aller Athnes et de soulager par l sa peine (Epist. 327.2, t. X, p. 306.18-19 Frster), ce qui suggre que cette visite ntait pas prvue et quelle marquait lchec de lentreprise qui avait motiv ce long voyage. Jamblique se plaint par ailleurs de ne pas recevoir de lettres de Libanius, mais celui-ci lui rappelle quil est difficile de savoir o lui crire:

    Jamblique. (1) Ne tiens pas pour un motif daccusation contre nous le fait que, recevant de toi de nombreuses lettres, nous nen postions pas autant en retour. Car toi tu savais do tu crivais des correspondants stables, mais il nen tait pas de mme pour nous face un homme qui tait sur la route, de sorte que lauteur dune lettre aurait crit inutilement. (2) Quant (ta dcision) daller Athnes et dallger par l ta peine, que tu aies fait cela pour en avoir vu toi-mme (lintrt) ou pour en avoir t persuad (de le faire) par quelquun dautre, je lapprouve. Il est important en effet pour le reste de notre vie de ne pas ignorer cette cit, bien que je craigne quayant fait lexprience des aigles tu ne mprises les geais. (3) Mais pourtant je ne me soucie pas de mes (intrts) si les tiens sen portent mieux, car entre amis les biens sont communs. Beaucoup sont appels amis, mais toi, tu obis clairement la loi des Athniens ce propos, eux dont maintenant tu vois la cit, et dont depuis quelque temps tu as vu avec bonheur les manires.117 Car Thucydide (II 40) dit quils tirent des bnfices et non des dsagrments du fait de se faire des amis et pour toi cette acquisition sest faite sur un pied dgalit. (4) Si donc ton propos est de ne pas dcourager tes familiers, ou plutt puisque tu parles de ne pas chagriner tes amis, aprs avoir fait ce pour quoi tu es parti, viens le plus rapidement possible. Car depuis un certain temps nous renonons demander: O est maintenant Jamblique?.118

    116 Liban., Epist. 593.2, t. X, p. 555 Frster: ; Epist. 327.4, t. X, p. 307.11 Frster: ; Epist. 360.3, t. X, p. 343.11 Frster: ; Epist. 34.4, t. X, p. 31.9 Frster: ; Epist. 801.2, t. X, p. 722.5 Frster: .

    117 Libanius laisse peut-tre entendre que Jamblique a t particulirement bien reu Athnes. 118 Liban., Epist. 327, t. X, p. 306.12-307.12 Frster: . (1)

    . , , , . (2) , , . . (3) , . . , , , . , . (4) , , , . ;

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    Selon Libanius, Jamblique na plus de raison objective de rester Athnes: il a effectu ce pourquoi il tait parti ( ), ce qui correspond mal la perspective dun dpart qui aurait pu tre dfinitif. Mais cest peut-tre lchec de la dmarche qui rend ce retour invitable. Quelle est la raison de cette peine et en quoi un sjour Athnes pourra-t-il la soulager, on lignore. Est-ce lespoir dune intgration dans les cadres de ladministration impriale qui a t du? Libanius approuve en tout cas lide de cette visite Athnes peut-tre suggre Jamblique par un ami inconnu qui ne peut que contribuer la formation du jeune homme, mais il craint dj qu ayant fait lexprience des aigles il ne mprise les geais et dcide de rester Athnes plutt que de revenir Antioche (Epist. 327.2-3).

    Lanne suivante (en 358), dans sa lettre 360, Libanius linvite une fois de plus revenir:

    Jamblique. (1) Jai reu de toi une trs courte lettre, bien quil et t possible, pour quelquun qui voulait mapprendre o en taient les choses, den envoyer une plus longue. La lettre encore antrieure qui arrivait de Macdoine maccusait de ne pas tcrire. Et il tait vident pour moi quune colre tait responsable dune aussi courte lettre. Tu prononais un rquisitoire dans cette lettre, mais tu rclamais justice dans la seconde. Mais coute comment tout sest pass. (2) Pour commencer, comme je pensais que tu courais vers lItalie, je tenvoyais une lettre l-bas. Elle tait apporte par Proclus. Un peu plus tard, jai appris que tu tais Athnes et je pensais tenvoyer (une lettre) Athnes,119 mais voici que tu mcrivais de Macdoine. nouveau tu mcris depuis Athnes. Que pourrait-on faire face un tel oiseau? (3) Mais toi qui as connu bien des dcouragements et qui a support bien des preuves, laisse de ct la correspondance et montre-toi en personne, aprs avoir considr que cest la voix de tes champs, encore beaux, qui tappelle, eux qui, du fait de ton absence prolonge, entendront peut-tre un autre message.120

    Sur la route de lItalie, en passant en Macdoine, Jamblique a donc chang ses plans et, par suite dune grave dception, est all Athnes, est revenu en Macdoine (rcuprer ses affaires?), puis a repris la route dAthnes. La dernire phrase, trs nigmatique, laisse peut-tre entendre que lloignement prolong de Jamblique met en danger son patrimoine.

    Libanius dans une autre lettre (Epist. 385), que lon date encore de 358, souhaite nouveau son retour en Syrie maintenant quil a visit la Grce et lgypte (destination qui navait pas t voque), mais il reconnat que le choix quil a fait de devenir philosophe (ou peut-tre dtudier la philosophie) le libre de tout attachement civique:

    Jamblique. (1) LHellade est la chose la plus agrable voir. Tu as eu part ce spectacle. Lgypte nest pas moins belle. De ce spectacle aussi tu as joui. Il reste donc te restituer toi-mme ta (patrie) et restituer ta (patrie) toi-mme, elle que tu admirerais juste titre mme si tu ne las pas honore

    119 Libanius pourrait faire allusion la lettre 327 quil voulait envoyer Athnes, mais qui ne serait pas partie cause de larrive de nouvelles lettres, de Macdoine et dAthnes. Cela expliquerait la reprise des mmes thmes.

    120 Liban., Epist. 360, t. X, p. 342.15-343.13 Frster: . (1) , . . . , . , . (2) . . , . . ; (3) , , , , . On peut laisser de ct ici le problme de lordre chronologique des lettres 327 et 360, soulev par Seeck qui voudrait les intervertir.

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    Mais qui tait donc le gendre de la sur de Priscus? 55

    auparavant, puisque tu as vcu avec les Hellnes. (2) Si donc, ayant dcid de philosopher, tu estimes que cette possibilit pourrait ttre donne par les gyptiens, quon ne parle pas dor, ni dune belle terre, ni de serviteurs ni dune maison, mais que ta patrie soit celle qui comble le bel amour. Mais si cet ocan est trop grand pour nous,121 tenons-nous-en ce que ton pre grce aux efforts dun intense travail a lgu. (3) Je te rappelle les lieux o nous sjournions, et les discours que nous prononcions, et le zle que nous avons fourni, et tes amis et tes parents, eux qui maintenant, avec insistance, mattribuent la responsabilit de ton absence, me mettent en pices et souvent me demandent: O est celui qui tobissait en toutes choses? Moi qui ne puis dire que tu ne mcoutes pas ni que je ne tai pas appel, la tte basse, je suis forc de me taire.122

    Les choses