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OPTIONS POLITIQUES MARS 2013 34 SAUVEGARDER LES PENSIONS Le Québec tracera-t-il la voie ? Les Canadiens économisent trop peu en vue de leur retraite, alors même que s’accélère le vieillissement de la population. C’est dans ce contexte préoccupant que les ministres fédéral et provinciaux des Finances se sont réunis en juin pour reprendre leur évaluation des moyens de restructurer le système canadien de revenu de retraite. Ils doivent déterminer s’il vaut mieux élargir le Régime de pensions du Canada (RPC) et le Régime de rentes du Québec (RRQ), sa version québécoise autonome, ou privilégier des options volontaires et ciblées pour favoriser l’épargne. En avril, le gouvernement du Québec a chargé un comité d’experts d’analyser le système de retraite. Son rapport pourrait marquer un tournant dans le débat sur les pensions. Le comité a pris en compte l’évolution démographique qui prolonge l’espérance de vie des Québécois de près de 10 ans depuis la création du RRQ dans les années 1960. Le rapport D’Amours, du nom du président du comité Alban D’Amours, ancien président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, propose notamment de créer une « rente longévité » obligatoire pour faire face aux risques liés à cette prolongation de notre espérance de vie. Une idée nouvelle qui enrichira sûrement le débat. Le rapport D’Amours comporte-t-il des leçons pour le reste du Canada ? L’approche sur laquelle repose la proposition du Québec permettra-t-elle de sauvegarder nos pensions ? Quelles sont les possibilités d’expansion du RPC ? Les réponses à ces questions nous concernent tous. SAVING PENSIONS Will Quebec lead the way? Canadians are not saving enough for retirement, and our population is aging. That is the worrisome context in which federal and provincial finance ministers sit down in June to resume their assessment of how to overhaul Canada’s retirement income system. They must grapple with whether to expand the Canada Pension Plan and its independent cousin in Quebec, the Quebec Pension Plan, or focus on more targeted and voluntary options to increase saving. In April, a committee of experts mandated by the Quebec government issued a report that may become a landmark in the pension debate. They took account of demographic changes that see Quebecers living, on average, almost a decade longer than when the Quebec Pension Plan was created in the 1960s. The D’Amours Report, named for its chairman Alban D’Amours (former president and CEO of Canada’s largest financial cooperative, the Desjardins Group), proposed, among other things, the creation of a mandatory “longevity pension” aimed specifically at the risk we all face in living ever longer. This idea is a new addition to our pension debate. Are there lessons in the D’Amours Report for the rest of Canada? Is Quebec’s proposal the right approach to securing our retirement? What are the prospects for expanding CPP? The answers matter to us all.

SAUVEGARDER LES PENSIONS SAVING Le Québec …policyoptions.irpp.org/.../guay.pdfLe rapport D’Amours comporte-t-il des leçons pour le reste du Canada ? L’approche sur laquelle

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SAUVEGARDER LES PENSIONSLe Québec tracera-t-il la voie ?Les Canadiens économisent trop peu en vue de leur retraite, alors même que s’accélère le vieillissement de la population.

C’est dans ce contexte préoccupant que les ministres fédéral et provinciaux des Finances se sont réunis en juin pour reprendre leur évaluation des moyens de restructurer le système canadien de revenu de retraite. Ils doivent déterminer s’il vaut mieux élargir le Régime de pensions du Canada (RPC) et le Régime de rentes du Québec (RRQ), sa version québécoise autonome, ou privilégier des options volontaires et ciblées pour favoriser l’épargne.

En avril, le gouvernement du Québec a chargé un comité d’experts d’analyser le système de retraite. Son rapport pourrait marquer un tournant dans le débat sur les pensions. Le comité a pris en compte l’évolution démographique qui prolonge l’espérance de vie des Québécois de près de 10 ans depuis la création du RRQ dans les années 1960. Le rapport D’Amours, du nom du président du comité Alban D’Amours, ancien président et chef de la direction du Mouvement Desjardins, propose notamment de créer une « rente longévité » obligatoire pour faire face aux risques liés à cette prolongation de notre espérance de vie. Une idée nouvelle qui enrichira sûrement le débat.

Le rapport D’Amours comporte-t-il des leçons pour le reste du Canada ? L’approche sur laquelle repose la proposition du Québec permettra-t-elle de sauvegarder nos pensions ? Quelles sont les possibilités d’expansion du RPC ? Les réponses à ces questions nous concernent tous.

SAVING PENSIONSWill Quebec lead the way? Canadians are not saving enough for retirement, and our population is aging.

That is the worrisome context in which federal and provincial finance ministers sit down in June to resume their assessment of how to overhaul Canada’s retirement income system. They must grapple with whether to expand the Canada Pension Plan and its independent cousin in Quebec, the Quebec Pension Plan, or focus on more targeted and voluntary options to increase saving.

In April, a committee of experts mandated by the Quebec government issued a report that may become a landmark in the pension debate. They took account of demographic changes that see Quebecers living, on average, almost a decade longer than when the Quebec Pension Plan was created in the 1960s. The D’Amours Report, named for its chairman Alban D’Amours (former president and CEO of Canada’s largest financial cooperative, the Desjardins Group), proposed, among other things, the creation of a mandatory “longevity pension” aimed specifically at the risk we all face in living ever longer. This idea is a new addition to our pension debate.

Are there lessons in the D’Amours Report for the rest of Canada? Is Quebec’s proposal the right approach to securing our retirement? What are the prospects for expanding CPP? The answers matter to us all.

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Richard Guay est professeur de finance à l’École des sciences de la gestion à l’Université du Québec à Montréal, et fellow du CIRANO.

La nouvelle méthode d’évaluation clarifierait les enjeux des négociations entre employeur et employés pour réduire les déficits accumulés et les coûts réels. Si les négociations n’aboutissent pas à un accord après trois ans, une action uni-latérale de l’employeur serait possible, mais elle ne pourrait porter que sur l’indexation des prestations correspondant aux services passés (sans effet rétroactif sur les prestations déjà versées).

Ces orientations sont certes une grande amélioration par rapport au statu quo. Mais, à notre avis, les moyens pré-vus pour dénouer une impasse dans les négociations sont trop restreints. On devrait se poser aussi des questions sur les « subventions » à la retraite avant 65 ans, sur les calculs de rentes qui tiennent compte du salaire en fin de carrière plu-tôt que du salaire moyen en carrière ainsi que sur les rentes aux conjoints.

Pour ce qui est du processus de négociation comme tel, on pourrait considérer des mécanismes favorisant la conclusion d’un accord. Notamment, le gouvernement pourrait exiger que les parties atteignent des objectifs précis pour réduire les déficits accumulés. Par exemple, dans le cas des régimes ayant un important déficit, la nouvelle entente devrait permettre de le réduire d’au moins 40 p. 100 à l’intérieur de trois ans. Et dans l’esprit du partage des coûts, chacune des parties pourrait en assumer la moitié. Ainsi, serait exigée de l’employeur une contribution spéciale qui correspondrait à la valeur de la ré-duction des bénéfices à la retraite.

La rente longévité — La capitalisation de ce nouveau ré-gime est un point essentiel. Il y va de l’équité intergénéra-

Le rapport D’Amours brosse d’abord le portrait de la situation actuelle. Il relève notamment le faible taux d’épargne-retraite des travailleurs et se montre préoc-

cupé par les faiblesses structurelles des régimes de retraite à prestations déterminées dans le présent contexte du vieillis-sement de la population et des faibles rendements attendus. Nous partageons tout à fait ce diagnostic et nous penchons ici sur quelques recommandations du rapport.

Les régimes de retraite à prestations déterminées — Le rap-port recommande que tous les régimes de retraite sous la surveillance de la Régie des rentes du Québec soient soumis à une même règle de financement. Cette approche dévoilerait les coûts très élevés de certains d’entre eux, notamment ceux des municipalités et des universités. Cependant, le régime de retraite le plus important du Québec, celui des employés du gouvernement et des organismes publics, n’est pas sous la juridiction de la Régie. Il se soustrairait donc à la « vérité des coûts » et à la règle de financement, ce qui est certes inapproprié.

Pour les régimes du secteur public, le partage des coûts à parts égales entre employeurs et employés mettrait fin à la pratique actuelle où l’employeur est seul responsable des déficits.

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Le rapport d’amours : une bonne approche et des débats à L’horizonrichard guay

Le rapport d’amours veut assurer la pérennité des régimes à prestations déterminées, mais les négociations pour en réduire les coûts réels ainsi que la question de la rente longévité susciteront certainement de nombreux débats.

one important principle outlined in the d’amours report is to preserve the sustainability of defined-benefit plans, but the negotiations to reduce their real costs, as well as the longevity pension, will undoubtedly be hotly debated.

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L’aspect volontaire des cotisations à ces régimes en faciliterait grande-ment l’acceptation, tant par les tra-vailleurs que par les employeurs. Il serait d’ailleurs possible de renforcer cette incitation à épargner en sollici-tant, par exemple, une contribution de l’employeur lorsque le travailleur épargne un certain pourcentage de son salaire. On pourrait exiger une cotisation de 2 p. 100 de l’employeur lorsque le travailleur verse 4 p. 100 au régime, pour ainsi atteindre un taux d’épargne total de 6 p. 100. Ce cadre volontaire et peu contraignant serait une piste à explorer.

Grâce à la mise en commun des cotisations, les RVER bénéficieraient d’économies d’échelle, minimisant ainsi les frais de gestion. Les gestion-naires devraient aussi offrir des porte-feuilles à peu de frais, inspirés de l’ap-proche cycle de vie, dont l’exposition au risque diminue avec l’âge du tra-vailleur. Ce type de portefeuille pour-rait constituer le choix par défaut de chacun. Nous sommes persuadés que cela favorisera les rendements pour les travailleurs et une plus grande sécurité financière à la retraite. n

Il faudrait aussi s’assurer que l’ac-tif de ce régime soit toujours et exclu-sivement dédié à la rente longévité. Si le Régime de rentes du Québec (RRQ) était en difficulté, le gouvernement résisterait-il à l’envie de « piger » dans l’actif de la rente longévité pour « tem-porairement » payer les rentes de base du RRQ ? Ce risque d’interfinancement doit être examiné.

Un autre enjeu a trait à l’équité « horizontale », c’est-à-dire l’équité entre individus d’une même généra-tion ; nous pensons notamment à l’es-pérance de vie inférieure à la moyenne de certaines catégories de travailleurs et à la pertinence de la rente pour les tra-vailleurs à faible revenu.

Quant aux employeurs du Qué-bec, ils seront nombreux à juger ex-cessive cette taxe additionnelle, étant donné qu’ils soutiennent déjà plu-sieurs programmes sociaux liés à la masse salariale.

Les régimes volontaires d’épargne- retraite (RVER) — Le rapport D’Amours en soutient l’orientation et les objec-tifs, et le gouvernement du Québec souhaite établir les RVER à compter du 1er janvier 2014.

tionnelle. Par contre, le coût élevé du régime constitue une préoccupation majeure. Sur le plan individuel autant que politique, il serait difficile d’impo-ser des cotisations de 3,3 p. 100 du sa-laire (1,65 p. 100 pour le travailleur et 1,65 p. 100 pour l’employeur) durant toute une vie active, de 25 à 65 ans, pour que l’on obtienne, à partir de 75 ans seulement, une rente de l’ordre de 20 p. 100 du salaire. Pour plusieurs, cet avantage paraîtrait bien lointain et incertain.

En outre, les travailleurs qui n’ont pas de régime de retraite ni la discipline d’épargner pour leur retraite verraient leur niveau de vie baisser substantielle-ment, de plus de 50 p. 100, entre 65 et 75 ans. La seule solution, pour eux, si la santé le leur permet, serait alors de rester sur le marché du travail et de re-porter leur retraite à 75 ans.

Par ailleurs, la rente longévité étant un régime à prestations déterminées, il faut se demander qui assumerait le risque d’un éventuel déficit. Il y aurait lieu d’établir dès maintenant un proces-sus clair de gestion d’un déficit poten-tiel, afin d’éviter les iniquités intergéné-rationnelles.

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